MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ NATIONALE D'AGRICULTURE, SCIENCES ET ARTS - D'ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D’ANGERS) NOUVELLE PÉRIODE TOME VINGT ET UNIÈME. — 1879 ANGERS IMPRIMERIE LACHÈSE ET DOLBEAU 13, Chaussée Saint-Pierre. 1880 MÉMOIRES De la Société nationale D’ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D'ANGERS) MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ NATIONALE D'AGRICULTURE, SCIENCES ET ARTS D'ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D'ANGERS) NOUVELLE PÉRIODE TOME VINGT ET UNIÈME. — 1879 ANGERS IMPRIMERIE LACHÈSE ET DOLBEAU 13, Chaussée Saint-Pierre. 1880 1 RORMTTNRS RE CHAN EL Car ne NL eh HEEre pu ; SOUVENIRS DE S'-GEORGEN LES VOITURES VERSÉES. - LES PLAIDEURS MESSIEURS, Souvenirs de Saint-Georges! — Quel Saint-Georges ? demandera-t-on sans doute, car, en France, soixante- dix-sept communes disputent à l'Angleterre et à la Russie ce glorieux patronage. — Toute incertitude cessera, si nous ajoutons qu’il s’agit de la contrée où s'élève le magnifique, le royal château de Serrant. On connaît ce refrain plus que trentenaire : Il plait au cœur, il plaît aux yeux, Le beau pays de France! Le poète, au moment où il a écrit ces vers, parcon- rait peut-être les lieux vers lesquels nous voudrions diriger votre pensée. Celui, en effet, qui, parti de la ville d'Angers, a dépassé la Pointe, où la Maine, riche de ses trois rivières, se perd dans les eaux brillantes de la Loire, ne peut voir sans admiration ces grèves dorées, près desquelles scintille au soleil le feuillage argenté des saules. À sa droite, s’élèvent des collines verdoyantes SOC. D’AG. À LAN ELA au milieu desquelles une coulée fameuse, le CVos- Vougeot de la contrée, porte le nom du domaine vers lequel il va se rendre bientôt. Une ou deux fois, pen- dant sa marche, il a déjà entrevu peut-être deux tou- relles arrondies, qui dominent le paysage et annoncent de loin la splendide demeure. Il suit sa marche, non, sans doute, sans l’interrompre plus d’une fois pour contempler le rideau de verdure qui cache à demi la ville de Chalonnes et les mines de la Haie-Longue ; puis, enfin, approche de Saint-Georges. Il n’a pas voyagé sans causer en route avec quelque habitant du pays, et il apprend, non sans étonnement, que ce lieu, quoique situé en Anjou, possède, tout comme la Bretagne, des Fées-Mab, ou bonnes fées, qui ont, en cas d’inonda- tions ou d’autres calamités, la double puissance de donner et de faire donner. On lui cite certains endroits, l’Epinay, la Conterie et autres à lui inconnus, comme hantés par ces Egéries de la bienfaisance. C’est au mi- lieu de ces récits touchants, que la noble résidence s'offre à ses regards. Entreprendrons-nous, Messieurs, la mention com- plète, essayée cent fois, de la façade, des tours, du bel escalier, des tableaux précieux, de la chapelle sépul- crale, qui ont mérilé à cet édifice sa lointaine renom- mée ? Il nous serait facile d’écrire sur ce sujet vingt feuillets au moins; mais vous les sauteriez, avec raison, car nous avons promis, non une description, mais des souvenirs. Or, depuis un siècle seulement, ces souvenirs offrent une riche nomenclature... | C’est d’abord, en 1788, l’archiduchesse Marie- Christine, gouvernante des Pays-Bas, sœur de la belle ne Verde et infortunée reine Marie-Antoinette ; puis, les ambas- sadeurs de Tippo-Saïb et le jeune prince qu’ils accom- pagnaient ; — au mois d'août 1808, Napoléon et l’im- pératrice Joséphine, revenant de Nantes; — en 1898, au milieu d’une fête sans pareille, Mme la duchesse de Berry; — en 4849, Napoléon IIT, venant d’inaugurer l’ouverture du chemin de fer dans notre ville. Certes, voilà des hôtes remarquables! Mais, quel nom pourrait éclipser celui autour duquel rayonnent les plus beaux souvenirs de la France, le nom de Louis XIV! Or, le Roi, âgé de vingt-trois ans, se rendait, en 1661, à Nantes, où le surintendant Fouquet devait être arrêté, lorsque, près de Serrant, son carrosse s’embourba de manière à interrompre le voyage. Des vers du temps racontent l'événement : Dans un assez grand bois que Serrant environne, Maison digne du maitre, aussi belle que bonne, Dans un vieux chemin creux, un maladroit cocher, Qui ne doutait de rien, nous fit tous embourber t, Il fallait du secours. On devine quelle réception fit au monarque et à sa suite Guillaume Bautru, alors propriétaire du château. Le grand roi, celui dont les victoires allaient bientôt lasser la plume de ses histo- riens, le Vec pluribus impar, le roi-soleil à pied dans la boue! Une telle catastrophe ne méritait-elle pas un poëme? Toutefois, pendant près d’un siècle et demi, la relation du fait resta enfouie dans quelques chro- niques. 1 V. l'Anjou, magnifique ouvrage publié par M. le baron de Wismes. M es … Mais, vers 1817, une de ces chroniques, paraît-il, fut lue par Emmanuel Dupaty. On sait que ce spirituel écrivain, fils d’un président renommé du Parlement de Bordeaux, après être venu à Paris sous le Consulat, a su, jusqu'en 1851, charmer tour à tour le fameux Caveau, les salons et le théâtre. Pour de tels esprits, un grain de mil devient une perle et le moindre inci- dent peut faire éclore un poëme. L'auteur de Picaros et Diégo s’empara de l’événement et, abaiïssant à son gré la dignité des personnages, il fit du noble seigneur hospitalier, un riche bourgeois, M. Dormeuil, vivant, près d'Angers, dans un château qui ouche la route de Nantes et racontant ainsi ses bonnes fortunes : « J'ai l'avantage d’avoir, ici près, le chemin le plus « diabolique, et ce n’est pas un des moindres agré- « ments de ma terre. M. le Préfet me rend le service de « ne pas le faire raccommoder ; c’est tout simple, il n’y « passe jamais. Presque tous les jours, il me verse là « quelques voitures. Le mois dernier, trois diligences, « deux jumelles et deux vélocifères. J’offre mes secours «aux voyageurs. On verse dans le sable; jamais de « blessés; des contusions seulement, quelques côtes « enfoncées, des riens! J'en ai le plus grand som et « cela me fait la société la plus agréable. » Cest (ort bien, lui dit-on; mais il doit vous arriver des gens... — « J'ai là-dessus le bonheur le plus extraordinaire : Apollon toujours préside Au choix de mes voyageurs : Jamais les jardins d’Armide N'ont vu de tels enchanteurs. » Su ne On l'interrompt en lui annonçant que la diligence de Paris est arrivée. « Elle a versé? demande un visiteur. Dormeuil. — « Très-heureusement : Jai vu de « loin sortir les voyageurs un à un, du côté du ciel. » Comme on le voit, le lieu de la scène est bien marqué, et cette pièce méritait assurément de prendre pour titre : Les voitures versées. k — Mais, le livret achevé, il fallait écrire là musique. L'auteur, déjà célèbre, du C'alife de Bagdad et de Jean de Paris, accepta cette tâche et, comme pour mieux se pénétrer de son sujet, voulut respirer l'atmosphère du lieu où se plaçait l'évènement. Alla-t-il, sauf à verser lui-même, jusqu'à Serrant? Nous ne pourrions l'affir- mer. Mais, bien certainement, il vint à Angers. On sait, en effet, qu’il se rendit à la cathédrale et désira essayer l’orgue. Cet instrument était confié à un artisle savant en con- trepoint, mais d’une naïvelé sans égale. La crédulité de M. Boyer était passée en proverbe. Aux accords du com- positeur, le brave homme fut ravi et, voulant exprimer son admiration : « Monsieur, Monsieur, dit-il en rica- « nant, vous êtes Boyer-l’-Dieu et je suis Boyer tout « court! » Les artistes de Paris connurent ce singulier compliment, et son heureux auteur reçut bientôt un exemplaire du Chaperon-Rouge, opéra charmant qui, dès 1818, semblait présager le succès immense de la Dame blanche, parue sept ans plus tard. Il est, enfin, de tradition incontestée, que Boïeldieu, alla, pendant son séjour, visiter les Ponts-de-Cé. Là, entendant un jeune garçon dire en sifflant l’air : Aw clair de la lune, LAN a il fit de ce chant le thème de son duo des Voitures versées, O lieto momento, morceau qui se termine par un allegro brillant, sur les paroles mêmes de la chanson populaire. Voilà quelles ont été, à distance, les heureuses suites de la petite mésaventure éprouvée par Louis XIV. Maintenant, remontons, si vous voulez bien nous suivre ‘encore, au moment où le grand prince termina son voyage et rentra dans son palais. Parmi les courtisans auxquels fut raconté le naufrage royal de Saint-Georges, un jeune poëte qui, après avoir déjà chanté les Nymphes de la Seine, devait bientôt écrire Britannicus et Athalie, dut éprouver quelque souci. Peut-être, pensa-t-il qu’il ne pourrait avec une entière sécurité, aller visiter un domaine d’un certain prix pour lui. Nous trouvons, en effet, dans le riche Dictionnaire départemental de M. Port, cet archiviste qui sait tout et dit tout, une mention précieuse. Elle . nous apprend qu’au xtme siècle, un prieuré, avec cha- pelle sous le vocable de Sainte-Pétronille, fut fondé, prés de Saint-Georges, au lieu de L’Épinay, nom que nous croyons avoir prononcé déjà. En 1661, le prieur était un oncle de Racine, l'abbé Antoine Sconin, qui, cinq ans plus tard, résigna ce bénéfice en faveur de son neveu. Mais, un sieur Valéran Franç. Leferron, Ipré- tendit que le bénéfice lui appartenait et intenta un pro- cés qui déposséda Racine. On comprend qu’un pareil événement était sujet à maints commentaires, et nous croyons voir d'ici, prés Me RARES du cimetière Saint-Jean, à Paris, dans le cabaret du Mouton-Blanc, Racine causant joyeusement de son procès avec ses amis Despréaux, La Fontaine, Chapelle et Furetière. Déjà la lecture des Guêpes, d’Aristophane, peignant avec sa verve habituelle les gens de justice, avait donné au poëte quelqu’idée de suivre en partie ce modèle. Un premier canevas fut destiné au Théâtre- Italien. Bientôt, les encouragemeñts de son entourage décidèrent Racine à compléter sa pièce. Plusieurs de ses amis même, nous dit-il, mirent la main à l'œuvre. On pense, en effet, que Boileau et, surtout, le lexico- graphe Furetière, lui fournirent quelques traits, celui, par exemple, du …. Rapport fait à la cour Du foin que peut manger une poule en un jour. Avec ou sans cette aide, le poëte sut réunir ces élé- ments divers en alliant dans son langage la verdeur de Plante au goût délicat de Térence, et la France eut un chef-d'œuvre. Toutefois, la procédure, la procédure ancienne sur- tout, parle une langue à elle. Notre auteur possédait à peine de ce langage quelques mois que, dit-il : « Je « puis avoir appris dans le cours d’un procés que ni « mes juges ni moi n'avons jamais bien entendu. » Mais, il était en relations avec M. de Brilhac, conseiller au Parlement et M. de Lamoignon, alors conseiller également. En outre, certains avocats, sans s’en douter, assurément, lui fournirent des types dont il profita. Désormais, rien ne lui manquait, Perrin-Dandin, Petit- PAR AETSS Jean, Chicaneau vivaient, et ce dernier pouvait dire sans que rien gênât sa verve : ..…. Je produis, je fournis De dits, de contredits, enquêtes, compulsoires, Rapports d'experts, transports, trois interlocutoires, Griefs et faits nouveaux, baux et procès verbaux, J'obtiens lettres-royaux et je m'inscris en faux! Et, ne croyez pas, Messieurs, que la comédie des Plaideurs ait été inspirée par le regret d’un bénéfice, par le dépit d’un procès perdu. Ce que nous venons de raconter dément cette opinion qu’éloigne, d’ailleurs, le caractère de notre auteur. Racine, dans sa préface, loue Aristophane d’avoir outré ses personnages pour les empêcher d’être reconnus et semble avoir imité cet exemple. Il est, en cela, d'accord avec Boileau qui, en publiant le Lutrin, proteste de son respect pour la piété et la science du clergé de la Sainte-Chapelle, ajoutant même (nous citons ses paroles) « qu’il avait eu soin de « faire ses personnages d’un caractère directement « opposé au caractère de ceux qui desservent cette « église. » Les deux poêtes, du reste, n’ont pas vu s’altérer leurs relations avec les plus honorables per- sonnages de leur temps. — Nous n’ajoutons rien. Peut-être, d’ailleurs, sommes- nous troublé par une illusion fâcheuse; mais, malgré la bienveillance extrême dont votre attention soutenue porte témoignage, nous croyons voir la fatigue née de ce trop long récit, se lire sur vos traits et certains regards, même, commencer à s’appesantir… Si Perrin- Dandin était à notre place, peut-être épierait-il le TO 2e moment opportun où il pourrait dire à telle ou telle personne de cet auditoire, ainsi qu’il le disait à Petit- Jean : Me Ps Présente ta requête Comme tu veux dormir... Pour éviter une aussi choquante familiarité, nous nous taisons et vous laissons continuer votre route. Si c’est vers Nantes que cette route se dirige, vous rappe- lant les mésaventures qui semblent menacer ici les véhicules ordinaires, vous retournerez peut-être vers le fleuve, pour vous confier au chemin de fer. Ce sera sage. Là, tranquille, tout en rêvant confusément à Louis XIV, Racine, Dormeuil et Chicaneau, vous admirerez bientôt la belle colline de Montjcan, et prendrez pour une cathédrale l’église moderne qui la couronne. Mais, tout à coup, vos pensées s’assombriront.… A votre regard s’offriront de vaste ruines, qu’une tour élevée, ouverte du sommet à la base, comme si elle eût été frappée par la foudre, surmonte fièrement. Songez-y! C’est du haut de cette tour que la Sœur Anne... ne voyait rien venir. Au mot Champtocé! prononcé à haute voix par les hommes de l’équipe, vous croirez voir encore le vaillant maréchal de Charles VII, que la soif de l’or et * de perfides conseils rendirent sanguinaire ; vous enten- drez le bruit trainant des chaînes de fer dont les frag-- ments se retrouventencore, dit-on, sous ces tristes décom- bres; vous assisterez, par la pensée, à ces incantations nocturnes pendant lesquelles le cri lugubre de l’effraie répondait seul aux gémissements des victimes; et ce n’est pas, peut-être, sans un certain émoi, lointain écho 40 ve des terreurs de votre enfance, que vous prononcerez, _— tout bas, — le nom légendaire du baron qui désola plus d’un domaine par ses sacrifices impies, de l’homme aux sept femmes, du meurtrier infatigable qu’attendait, enfin, le bûcher de Nantes, — Gilles de Retz, — BARBE BLEUE! Partez donc et... Adieu! E. LACHÈSE, dc > QUANTITÉ ET QUALITÉ OBSERVATION MUSICALE MESSIEURS, Si un septuagénaire venait prétendre devant vous que, de nos jours, le chant compte de trop nombreux adeptes et que la faveur du public n’est pas toujours un bienfait, vous verriez, sans doute, en lui un fâcheux qui, par dépit, parle en mal d’un art dans lequel il ne peut plus espérer d’encouragements; quelques-uns même, ignorant son passé, diraient peut-être nette- ment, comme le Sosie de Molière : Cet homme, assurément, n'aime pas la musique! Suspendez, de grâce, quelques instants, cette opinion sévère, et veuillez examiner avec nous si l’on ne vous aurait pas dit ainsi la vérité. Il est un point incontestable : le déclin marqué, en notre temps, du chant, du chant dramatique principa- lement. Paris, la province le proclament avec tristesse et M. le Ministre des Beaux-Arts le reconnaissait lui- même, en novembre dernier, par une circulaire ‘ dans laquelle 1l ne cherchait nullement à pallier l’étendue du mal. D’où vient cet abaissement? 1 Sur la Liberté des Théätres. Hg D eme Nos ancêtres avaient une maxime salutaire : « Ars longa, vita brevis, V'art est long, la vie est courte, » disaient-ils. Il ne faut pas une bien longue observation pour reconnaître que, depuis quelques années, l’axiome , est renversé et l’ars breuis adopté par l'ignorance ou limpatience du plus grand nombre. On n’écoute plus guëre ceux qui parlent des années de solfége, des longs travaux par lesquels se sont formés les chanteurs les plus renommés. L'école de Choron, cette institution sérieuse qui nous a donné Duprez, Boulanger et Scudo, semblerait à beaucoup une inutile entrave. Les Con- servatoires actuels, eux-mêmes, demandent trop de temps et de dépenses. Or. si l’on est doué d’une belle voix, il se trouvera, sans doute, des personnes moins éclairées que bienveillantes, qui conseilleront de se faire artiste. Un musicien complaisant vous enseigne, pendant une quinzaine, à chanter en mesure, ou à peu près, juste, ou à peu près, quelque morceau éclatant, et on se lance. Rien ne s’y oppose. Pour les instru- ments, il faut archets, cordes, tubes et anches : mais chaque gosier possède un organe tout prêt et, on doit le reconnaître, rien n’est plus facile que de... mal chan- ter. De nouvelles occasions se présentent, peut-être même des personnes pour qui voix et talent semblent synonymes, procurent-elles quelques leçons : dès lors, on néglige, on abandonne les travaux habituels et, au bout de quelques années, on s'aperçoit que l’on a mené uné vie peu fructueuse et laissé des élèves qui ne savent presque rien. S’adresse-t-on au théâtre? Le danger est plus grand encore. Le défaut d’études suffisantes fait bientôt tomber dans les rôles infimes, et force même LR) ee de recourir aux cafés-chantants, ces débits musicaux qui, en fait d'art, ne sont utiles qu'aux octrois de nos cités. Peut-être va-t-on commencer à se repentir de la voie choisie! Mais, de nouvelles habitudes sont nées; la lime, le rabot, les livres sérieux, l'aiguille sont devenus des objets de dégoût, et l’on achève sans profit, puis- sions-nous ajouter sans tache! une vie mal com- mencée. Faut-il donc fermer les écoles musicales, dira-t-on? Non, assurément. « Les anciens, dit M. Ravaisson, de «l'Institut, attribuaient à la musique le pouvoir de « façonner l’âme par l'harmonie, de la faire elle-même « harmonie et beauté. » Depuis bien longtemps l’église, le monde et le théâtre empruntent tour à tour ses richesses. Or, per- sonne ne conteste son excellence : il s’agit seulement de voir dans quelles conditions, d’un art qui fait le charme et l’ornement de la vie, on fera la vie elle- même. À cet égard, on ne saurait trop engager les per- sonnes, les maitres, les directeurs des Conservatoires, à redoubler de prudence et à ne pas encourager, sans une réserve extrême et sans la certitude de travaux sérieux, l'entrée d’une carrière qui s’honore de grands noms, sans doute, mais qui a créé plus d’un péril et plus d’une misère. Toutefois, Messieurs, supposons la décision prise et l'artiste lancé. Quel guide devra-t-il consulter? Les applaudissements, sans doute, car les applaudissements, c’est le public et un savant professeur du Conservatoire de Paris a tout récemment dit, dans son discours d’ou- 5 RE verture : « Le public, c’est la majorité, et la majorité « fait loi. » [l est vrai qu'après avoir énoncé cet axiome contestable et dangereux en plus d’une matière, il se hâte d’ajouter : « Si le goût du public est élevé, s’il a « des aspirations nobles, l’art s’élèvera. Si le goût du « public s’abaisse, le niveau de l’art se déprime. » Puis, revenant à sa première pensée, il écrit : « Le « public fait l’art et les artistes ce qu’ils sont. » En fait, qu’il s’agisse de composition ou de chant, ceci peut être fort souvent, trop souvent, la vérité. Mais, n'est-il pas plus noble pour l'artiste d’écouter uniquement sa conviction éclairée par de sages conseils et de dominer par son éloquence ce public dont on voudrait faire son guide? Tout en se trouvant encou- ragés, sans nul doute, par les bravos, Nourrit, Baïllot, pendant qu’ils préparaient ou exécutaient leurs mélodies, ne songeaient nullement à leur auditoire. Si nous sommes bien informé, il en est de même pour Mmes Car- valho et Nilsson. De quel public, d’ailleurs, entend-on parler? Sil s'agissait de ces personnes nombreuses mais distinguées et choisies qui se réunissaient il y a quelques années chez le docteur Orfila ou la comtesse Merlin, et se trouvent aujourd’hui dans les salons de MM. Lebouc ou Marmontel, on comprendrait qu’un artiste fit de tels auditeurs les guides de son talent. Est-ce là cette foule qui, récemment, s’entassait par milliers au Trocadéro et qui, chaque jour, à Paris surtout, assiége les théâtres ? Si le goût du public s’abaisse, disait tout à l’heure le professeur dont nous avons cité les paroles, le niveau de l’art se déprime. Que devons-nous donc penser du ADS Ces public de notre temps, quaud nous voyons, chaque soir, applaudir l’exagération, le cri et cette agaçante émis- sion de la voix que l’on dirait empruntée au bêlement des chèvres et au frissonnement désagréable de cette tige vibrante que, sous prétexte d’expression, on place habituellement dans les vielles organisées? C’est nom- mer ce éremolo qui, des théâtres de Paris, est venu vicier si profondément la diction d’un si grand nombre de nos chanteurs. — Non, certes et ce n’est pas là qu'un artiste sérieux ira chercher la mesure de son mérite : il devra, même, rejeter comme nés d’une imparfaite appréciation, les applaudissements qui ne lui sembleraient pas, dans sa conscience, pleinement mérités. Mais, objectera-t-on, ce public que les artistes devraient, selon vous, si peu consulter, est pourtant leur juge! — Cela semble incroyable, et, pourtant, en province surtout, cela est vrai. Là, le premier specta- teur venu reçoit, en prenant son billet, mission de décider le sort d’un acteur qui arrive; C’est un droit qu’à la porte on achète en entrant. On ne chargerait pas, évidemment, ces arbitres de . hasard d'apprécier l’œuvre d’un peintre d’enseignes ou d’un maçon. Mais, pour bien des gens, il est établi que le talent d’un chanteur se juge d’instinct. Plus d’un exécutant, sans doute, imposera. quelques faiblesses à son bon goût pour plaire à des auditeurs qu’on à faits si puissants. Mais, combien il sera plus noble dans le présent, plus profitable dans l'avenir, de suivre une voie contraire! Que le chanteur, avide de bons conseils, riche, s’il se peut, de bons exemples, sente, entende, D'ÉPEN EA D EN AE RE AN DE à D RE a FRS L s ET PS QE Eee LA à MATIN Te de “ “ AGE pour ainsi dire, en lui-même, comme autrefois le cé- lèbre Garrick, comme Mme Viardot, comme Mme Nilsson, l’effet qu’il devra réaliser ! Que, surtout, dans ses études, il ait toujours à la pensée comme au cœur, cette parole vivifiante et salutaire : Sursum! Par elle, il deviendra plus qu’habile ; il sera éloquent. Tout d’abord, on com- prendra ses accents, parce que, même puissants, ils seront simples : on les aimera, parce qu’ils seront vrais, et plus d’un, peu à peu, songera à les imiter. Ce sera là le grand succès, le succès vraiment enviable, l’édu- cation du public par l’exécutant! Ces paroles, Messieurs, doivent éveiller votre sympathie, car Nourrit et Baillot, ces modèles que l’on aime à citer toujours, les ont dites avant nous. Ainsi, souhaitons qu’à l’âge où doit commencer pour nous le sérieux de l’existence, personne n’adopte sans de sages conseils et des épreuves répétées, une carrière qui, mal entreprise, serait féconde en déceptions et en dangers. Mais, aussi, lorsque des artistes suffisamment doués de facultés et de persévérance, entreprennent de gravir ce mont escarpé au sommet duquel, dit-on, l’on entre en commerce avec les muses, encourageons-les de nos bravos et de nos louanges : surtout, gardons-nous de jamais, par des conseils imprudents ou des applau- dissements irréfléchis, les disposer à faire un pas rétro- grade, qu’une chute regrettable pourrait bientôt suivre. Telles sont nos pensées, Messieurs. Et, maintenant, nous osons vous le demander : croirez-vous encore que l’art musical nous laisse tout à fait indifférent ?.. E. LACHÈSE. NOTE 1e PAUES “D; “aber AT 1e EFFETS DE LA LÉGISLATION SUR LE COMMERCE DES CÉRÉALES EN FRANCE DE 1820 A 1878 Quand nous avons à juger des lois dont la consé- quence influe sur la richesse et sur la subsistance de nos concitoyens, nous concentrons encore plus nos méditations et nos affections. Dans l'impossibilité de procurer à nos compatriotes ce que la nature refuse à l'espèce humaine, des grains chaque année en égale abondance ot par conséquent au même prix, nous cherchons à l’aide des lois à soutenir le prix qui s’a- vilit, pour être en état de modérer d'autant mieux les prix des temps de disette. (Le baron Ch. Dupin, député, séance du 28 mars 1852.) . Le vénérable Président honoraire de la Société natio- nale d’agriculture de France, M. Chevreul, a tracé dans ses études sur la Méthode, les règles dont ne devraient jamais se départir ceux qui se livrent aux études écono- miques et à la statistique, de contrôler les séries de faits, les séries de chiffres, les uns par les autres, de recher- cher les degrés d’approximation des documents sur lesquels on se base pour tirer des conclusions. SOC. D’AG. 2 OT Le pee C’est faute, sans doute, d’avoir apporté dans ses re- cherches cette prudente réserve des preuves, qu’un illustre savant, dont la Société déplore la perte récente, M. Becquerel, a pu dans un mémoire publié en 1866, tracer la trajectoire du développement de la production du froment en France, au moment où ce développement venait de recevoir un coup mortel contre lequel la Sociélé nationale d'agriculture est appelée aujourd’hui à indiquer ua remède. La liberté commerciale des céréales n’est pas une invention nouvelle. Si nous faisions une revue en arrière dans l’histoire de la législation, nous trouverions que comme pour beaucoup d’autres conceptions de l’es- prit humain, la liberté du commerce des céréales a été successivement appliquée ou répudiée suivant les temps. Ces recherches historiques que je n’ai pas l'intention d'aborder dans ce travail, nous feraient peut-être voir que son application dans une contrée a toujours amené l'abandon de la culture, et, comme conséquence, des disettes et même des famines comme tout récemment en Algérie. Maïs je ne veux borner mes recherches qu'aux faits qui se sont accomplis en France et sous nos yeux. Je prendrai donc pour point de départ l’année 1820, comme l’a fait M. Becquerel dans son mémoire et comme la statistique de la production du froment en France, publiée il y a peu d'années, dont nous adopterons les chiffres pour en rechercher le degré d’exactitude par la méthode des preuves. Je suivrai la méthode indiquée par M. Becquerel pour donner un tracé graphique des faits que je veux obser- “|: te ver, mais au lieu de faire une moyenne générale où tout se confond, je divise l’étude en autant de périodes qu'il y a eu de législations diverses. LÉGISLATION. Au système de liberté commerciale qui nous avait valu la disette de 1816, dont le souvenir est encore vivant au milieu de nos populations, succéda la loi du 16 juillet 1819, loi essentiellement protectrice du tra- _vail et de la richesse nationale, elle fut modifiée seule- ment dans ses détails par la loi du 4 juillet 1821. La loi du 45 avril 1832, connue sous le nom d'Échelle mobile, a duré jusqu'en 1861; mais pour l'observation impartiale des faits nous devrons partager cette période en deux parties, la première de 1832 à 1846, pendant laquelle la loi fut rigoureusement appli- quée, la deuxième de 1847 à 1861, où la loi fut succes- sivement suspendue plusieurs fois au détriment de la production agricole, suspensions qui, par quelques-uns de leurs effets, rapprochent cette période de la sui- vante. La loi du 15 juillet 1861, qui nous régit encore, donne une liberté entière au commerce d'importation et d'exportation, sous l’acquit d’un simple droit de sta- tistique. J'ai séparé, dans le tableau graphique, ces époques, par des lignes verticales. POPULATION. De 1820 à 1832, la ligne d’accroissement de popula- tion est donnée par les recensements de 4821 et de NT UN 1831, dont l’ordonnée d’accroissement est 210,734 habi- tants par an, l’ordonnée des populations sera Pour 1820 . . . . 30,461,875 habitants, A® janvier 1832 . . 32,569,223 — De 1831 à 1860, la ligne qui relierait les ordonnées fournies par les recensements de 1836, 1841, 1846, 1851, 1856 et 1861, fait un angle sensible dont le som- met correspond à l’année 1846, c’est ce qu'avait signalé M. Becquerel dans son mémoire précité. Mais par suite de la division que nous avons adoptée, nous laissons à cette ligne son inflexion naturelle et nous avons alors, de 1831 à 1846, pour ordonnée d'accroissement, 202,233 habitants, avec 35,400,486 pour ordonnée cor- respondante de la population au 1° janvier 1847. De 1846 à 1861, l'ordonnée d’accroissement se réduit à 93,048 habitants et la population du 1° janvier 1861, 36,620,118, non compris les territoires annexés de la Savoie et du comté de Nice. De 1861 à 1878, l’ordonnée d’accroissement moyen atteint 38,472 habitants et la population au 1° jan- vier 4879 a pour ordonnée 37,307,216 habitants. CONSOMMATION. Nous avions d’abord pensé prendre la ligne d’acerois- sement de population que nous venons de tracer, comme représentant la consommation du pays, ce qui est vrai, si on la considère comme une valeur abstraite, mais cette ligne ne pouvait donner aucun renseignement sur le quantum de cette consommation et sur les modifications qui se sont introduites dans l’ali- mentation par la substitution de plus en plus considé- rable du froment au méteil et au seigle. STORE J'ai dû, pour donner à la consommation du froment une valeur concrète, adopter la consommation donnée par la statistique. Sans garantir d’une façon absolue la valeur de ces chiffres où se remarquent certaines ano- malies, ils me paraissent se rapprocher assez.de la vérité pour les faire servir de base au tracé graphique", en portant comme ordonnée le chiffre correspondant à chaque année. Traçant ensuite la directrice moyenne correspondante à chaque période, il suffisait de déter- miner le point de départ de la première période, pour que toutes les autres s’ensuivissent nécessairement. J'ai été déterminé pour le choix de ce point, par cette considération que de 1820 à 1827, il n’y à eu ni impor- tation ni exportation. par conséquent, les récoltes ou les stocks ont été suffisants. Pendant la période de 1820 à 1831, la consommation s’est élevée à 685,420,957 hecto, la consommation moyenne est donc de 57,118,416 hec- tolitres pour 31,513,840 habitants, soit 1 hecto 818 par habitant. La consommation moyenne de 1820 sera donc de 55,002,446 hecto. L’ordonnée d’accroissement de consommation de cette période est de 352,661 hecto par an, et l’ordonnée de consommation du 1° janvier 1832 devient 59,234,486 hecto. De 1832 à 1846 la consommation s’élève à 993 millions 146,495 hecto; la consommation moyenne atteint 66,209,766 hecto. L’ordonnée d’accroissement 930,050 hecto, et lor- donnée de consommation en 1847, 73,185,146 hecto. ! On remarque en 1832, 1847, 1868, 1869, des accroissements de consommation inexplicables avec les disettes et la cherté rela- tive de ces années. == 0) ee De 1847 à 1860, aous aurons : Consommation totale . . . 1,130,394,023 hecto. Consommation moyenne . . 80,742,430 Ordonnée d’accroissement an- Mn ) Mae 1,079,641 Ordonnée de consommation au A janvier 1861) Lee 88,299,708 De 1861 à 1878, nous ne possédons les documents statistiques que jusqu’en 1874, moins l’année 1870. Mais prenant la consommation moyenne par habitant de 1871 à 1874, 2 hecto 533, pour calculer, d’après la population, celle des années 1870 et de 1875 à 1878, nous obtenons pour consommation totale À milliard 663,259,627 hectolitres et pour consommation moyenne 92,402,201 hectolitres, l’ordonnée d’accroissement annuel de consommation se trouve 455,832 hectolitres, et l’ordonnée au 1° janvier 1879 devient 96 millions 504,694 hectolitres. PRODUCTION STATISTIQUE. J’ai fait, pour la production que donne la statistique, le même classement par périodes, et construit comme pour la consommation, le tracé graphique dont les directrices moyennes sont déterminées par les chiffres du tableau suivant : Années. Production. Product. moyenne, (Ordonnée d’accroissement, 1820 53,941,413 hectolitres. De 1820 à 1831 683,663,400 56,971,950 305,090 1832 60,002,491 De 1832 à 1846 1,055,587,165 70,372,477 1,382,664 1847 80,742,463 De 1847 à1860 1,265,090,475 90,363,605 1,374,506 1861 99,985,547 Ord. dediminution. De 1861 à 1878 1,786,756,689 99,264,260 80,143 1879 98,542,973 n'ai Je ne m’étendrai pas sur le peu d'exactitude de ce document où la production est portée jusqu’au chiffre de 133 millions d’hectolitres, sur le territoire réduit de 1874. Il me suffira, en ce moment, de faire remarquer que, depuis 1821, ces chiffres avec des alternatives diverses dont le tableau graphique permet de suivre le mouvement, ont toujours dépassé la consommation et que, s'ils étaient vrais, on ne pourrait s'expliquer les importations successives et toujours croissantes que cons- tatent les documents de la douane. Si l’on peut avoir des doutes sur l'exactitude des chiffres de la production fournis par les maires de nos communes rurales, on ne peut en avoir aucun sur les documents de la Douane. J’ai donc pensé que l’on aurait une base solide d'appréciation des récoltes en admettant, ce qui ne sera contesté par personne, que pendant les 58 années qui se sont écoulées de 1820 à 1878, la con- sommation a toujours été satisfaite, soit par les récoltes, soit par les appoints qu’a fournis l'importation; et que les exportations ont débarrassé des excédants de produc- tion. On peut donc obtenir le chiffre de la production annuelle, en ajoutant les exportations au chiffre de la consommation et en en retranchant l’importation. L'importance du stock peut bien en variant et pour une année déterminée, altérer l'exactitude du chiffre trouvé pour la production correspondante à cette année, mais pour les périodes de 12, 14, 15 et 18 ans, l’abon- dance ou la disette des réserves perdent toute impor- tance, et la ligne de production moyenne que nous tra- cerons sur ce principe, nous semble mériter plus de DO EE confiance que celle que nous venons de tracer d’après la statistique des Maires. BALANCE COMMERCIALE. Nous appelons ainsi la balance entre les exportations et les importations, dont les chiffres sont fournis par l’administration des Douanes. Îl s'agissait de déterminer comment on ferait interve- nir les documents de la Douane dans la construction des tracés graphiques. Deux procédés se présentent. L'un .consiste à porter les exportations et les impor- tations comme ordonnées au-dessus de la ligne des abcisses, et de déterminer, pour chaque période, l’angle formé par les directrices des importations moyennes et celui des exportations moyennes; puis à retrancher le plus petit de ces angles du plus grand, pour connaître l’angle de la différence. C’est ce que nous avons repro- duit au bas du tableau. L’angle de la ligne d’accroissement de la consomma- tion serait augmentée de l’angle formé par les excédants d’exportations ou diminué de l’angle des excédants d’im- portations. L'autre procédé moins long et pouvant jusqu’à un certain point servir d'image des variations de récoltes d’une année à l’autre, consiste à faire par le calcul la balance pour chaque année des importations et des exportations, on obtient.ainsi une série de chiffres qui constituent /a production déduite de la balance commer- ciale. Ce sont ces chiffres qui sont portés sur le tableau par un point et ceux-ci reliés entr’eux par une ligne pleine noire, DT = PRODUCTION DÉDUITE DE LA BALANCE COMMERCIALE. Cette ligne tracée comme nous venons de l'indiquer pour avoir la production moyenne, l'accroissement moyen de production correspondant à chaque période et les ordonnées moyennes de la directrice de production, nous opérons comme pour les tracés précédents. De 1820 à 1831, sous une législation qui ne s’ins- pirait que des intérêts nationaux, nous avons eu pen- dant huit années absence d’importations, ce qui prouve que les récoltes suffisaient à l’accroissement de la con- sommation. Cette considération nous a servi à établir le point de départ de la ligne moyenne de production à l’ordonnée de consommation moyenne correspondante à 1829 : c’est-à-dire à 55,002,446 hectolitres. La production de 1820 à 1831 s’élève à 679,614,349 hectolitres dont la moyenne est de 56,634,529 hecto- litres, l’ordonnée d’accroissement annuel est de 448,853 et l’ordonnée de 1832 59,327,649 hectolitres. De 1832 à 1846 la production s’élève à 979,106,764 hectolitres, la production moyenne à 65,273,184, l’or- donnée d’accroïssement à 792,818, et la production moyenne de 1847 71,219,919 hectolitres. De 1847 à 1860 nous avons 1,127,222,066 de production totale, 80,515,861 hertolitres de production moyenne avec 1,327,991 hectolitres d’accroissement annuel et 89,811,803 de production pour 1860, Enfin, dans la dernière période de 1861 à 1878, nous avons : 1,582,687,130 hectolitres de production totale, ce qui donne 87,927,062 hectolitres de production moyenne He. “HORS avec une ordonnée de diminution de 209,415 hect. par an qui réduit la production de 1878 à 86,042,321 hecto- litres. MOUVEMENT COMMERCIAL. Avant de rechercher quels enseignements on peut trouver dans ies résultats que nous venons de rapporter, il est nécessaire de rappeler que la production du fro- ment jouit par rapport à la consommation de deux caractères bien distincts. Si, prise dans son ensemble, elle constitue un produit, ce produit se trouve grevé dans une certaine mesure, de la consommation obligée, privilégiée en quelque sorte, d’une partie de ce produit. C’est celle qui sert à la semence et à la consommation de la population rurale. Sans elle, la production serait arrêtée , on peut et l'on doit la considérer comme immeuble par destination, comme disent les légistes, elle ne constitue pas, à proprement parler, un produit pour l’agriculture. On ne doit considérer comme pro- duit commercial réalisable que la partie qui s'applique à la consommation de la portion non agricole de la population. Quelle est cette consommation non agricole ? En admettant qu’elle atteint la moitié de la consom- mation totale du pays, nous lui aurons bien certaine- ment donné une valeur exagérée. C’est à cette moitié de la consommation que nous donnons le nom de con- sommation commerciale, puisqu'elle n’atteint le consom- mateur que par l'intermédiaire du commerce, négociants, importateurs, minotiers et boulangers. Les ordonnées de cette ligne de consommation seront QE moitié de celles que nous avons précédemment tracées pour la consommation générale. Je crois inutile d'en reproduire ici les valeurs qui se trouvent portées sur le tracé graphique. ; PRODUCTION COMMERCIALE. Si des chiffres de consommation que nous donne la consommation commerciale nous retranchons la balance des importations et des exportations correspondante à chaque période, nous avons la représentation exacte de la production commerciale et nous obtenons la direc- trice moyenne de la production au moyen du tableau suivant : Années Production Moyenne Ordonnées d’accroissement 1820 27,501,226 hectol. De 1820 à 1831 28,074,538 95,552 1832 28,647,850 De 1832 à 1846 32,168,174 469,909 1847 35,696,498 De 1847 à 1860 L0,157,500 637,286 1861 L4,618,502 Ord. de dimin. De 1861 à 1878 41,742,628 319,541 1879 38,866,154 CONCLUSION. Sous le régime de protection des intérêts nationaux la production s’est développée parallèlement à la con- sommation, malgré l'accroissement énorme que celle-ci a subi, tant par suite de accroissement de population = 9$S que de l’accroïssement de la consommation individuelle qui a passé de 1 hect. 818 à 2 hect. 533. Jusqu'en 1847 le mouvement des importations et des exportations ne présente autour de la ligne de consom- . mation que des oscillations peu prononcées; mais, dès que par la suspension de la loi de l’Échelle mobile en 1847, le pays a été mis à la merci du commerce si puissamment organisé pour l’exploiter, nous voyons les importations s’accroître outre mesure pour donner nais- sance à des exportations équivalentes, dans une période où la production est devenue assez puissante pour dé- passer la consommation, cette dernière ayant subi un arrêt marqué par l’affaiblissement de l’accroissement de population dont nous n’avons pas à rechercher les causes, mais que nous ne pouvons manquer de signaler. Sous l'impulsion de la protection des intérêts natio- naux et malgré les intermittences de la période de 1847 à 1861, la production totale moyenne s’est élevée à 96,903,403 hectolitres en 1860, mais dès que la liberté commerciale est définitivement promulguée, la produc- tion s'arrête dans son élan et rien n'indique mieux cet arrêt que la ligne de production commerciale qui, de 44,618,502 hectolitres, production de 1860, descend en 1878 à 38,866,734 heclolitres, quantité inférieure à nos besoins commerciaux de plus de neuf millions d’hectolitres. Il nous reste à comparer la production donnée par la statistique à celle que nous indique la consommation combinée avec la balance commerciale. Le relevé des chiffres de chaque période nous donne le tableau sui- vant : Périodes : De 1820 à 1831 De 1832 à 1846 De 1847 à 1860 en jee Production par la statistique : 683,663,400 hecto. 1,033,387,165 1,265,090,475 Production par la consommation: 679,614,349 hecto. 979,106,764 1,127,229,066 De 1861 à 1878 1,786,756,689 1,582,687,130 Totaux : 4,791,097,729 4,368,630,309 Différence : 422,467,420 hectolitres en plus. Cette exagération de produit que présente la statis- tique aurait dû appeler depuis longtemps l’attention de l'administration qui dispose des documents dela Douane, car celle-ci nous accuse d’après le tableau suivant une importation toujours croissante dont les produits accu- mulés s'élèvent à plus de 100 millions d’hectolitres. Excédant Périodes : d’importations : De 1820 à 1831 Importations : 7,360,395hecto. 1,544,380hecto. 5,816,015 hecto. Exportations : De 1832à1846 20,809,734 6,849,099 13,990,635 De 1847241860 42,158,183 39,166,173 2,932,040 De 1861 21878 123,825,017 43,572,521 80,252,496 Totaux : 184,153,327 91,102,173 103,051,156 Ce qui frappe dans ce tableau, c’est l'énorme mouve- ment de matière dans les deux dernières périodes pour le faible résultat obtenu, surtout si on le compare au mouvement des deux premières périodes : le rapport de l'effet utile au mouvement qui était de un à deux, est devenu depuis 1847 de un à trois, je ne pense pas que cela puisse être considéré comme un progrès. Les excédants de production 422 millions d’hecto- litres et les excédants d’importations 103 millions d’hec- tolitres font un chiffre de 525 millions d’hectolitres qui, comparé à la consommation commerciale de ces cin- quante-huit années, 2,233 millions d’hectolitres, présente DURE: pan un excédant de plus de 23 °/,. C’est cet excédant qui doit représenter l'erreur de la production d’après la statistique. Enfin, nous devons signaler ce fait, conséquence de la loi du 15 juillet 1861, que la production commer- ciale a diminué de 20 °/, pendant cette période, mais avec une ordonnée de diminution telle que la production actuelle est de 20 °/, inférieure à la consommation com- merciale. Je résume dans le tableau ci-joint les résultats des considérations qui précèdent. On y trouve avec l’or- donnée d’accroissement correspondante à chaque pé- riode législative l’angle que forment ces lignes avec la ligne des abscisses. D Population ............ Consommation......... Production. — Statistique Douanes. — Importations Exportations...,....... Balance des Importations et des Exportations... Production déduite de la balance #7. ..,,..... Production commerciale. Accroissement. 210.734 352.661 505.090 118.894 21.449 80.717 448.853 95.552 DE 1820 À 1831 Angle d’accroissement. 24.10 5.27 1.382.664 Accroissement. 202.233 930.050 21.411 26.294 — 5.239 192.818 469.909 DE 1832 À 1846 DE 1847 À 1860 DE 1861 À 1878 ë ë ë £ ë 2 œ ä co) # 25 El 28 El 2? = A n n nn a Ep en CEA CE 2 £:5 A CE 4e e A © <2 o o G 8 = 8 a S < S < S =] TJ =.) ass | | emmener | enemmeamnmennae 38.172 20.117 455.832 24.30 — 80.143 | —4.35 267.163 14.57 1.079.611 4.314.506 209.057 306.537 — 268.966 |— 15. 3 96.719 396.413 | 21.37 1.327.994 — 209.415 |— 11.49 38.24 25.10 — 319.544 |— 17.43 637.286 Sp de Ces considérations, que je prends la liberté de sou- mettre à la sanction de la Société Nationale d’Agricul- ture de France , au moment où elle est saisie par l'Administration de l'étude des causes du malaise agri- cole, lui paraîtront, je l'espère, mériter d’être transmises aux pouvoirs publics pour les éclairer dans les résolu- tions qu'ils ont à prendre. GuEyraur. Angers, le 20 juin 1879. PTS DEUX JOURNÉES A SALZBOURG La ville de Salzbourg est la première ville autri- chienne que rencontre le voyageur sur la route de Vienne, en sortant du territoire bavarois. Elle est située sur une rivière que les Français appellent du nom assez doux de la Salza. Les environs sont une plaine ; mais les Alpes ne sont pas éloignées, et, par un jeu de ter- rain fréquent à l'approche des montagnes, un groupe isolé de collines, à l’endroit même où est Salzbourg, surgit dans cette plaine des deux côtés de la rivière. Ces collines ont ceci de singulier qu’elles s’élèvent tout à coup, sans transition, et comme si on les avait posées sur le terrain qui est uni tout à l’entour. La ville court à leurs pieds, remplissant les intervalles creux qu’elles laissent entre elles et grimpant par endroits sur leurs pentes. La plus escarpée se dresse au milieu même des maisons, comme une île, et porte la citadelle ; c’est un mélange de rochers, d’arbres et de murailles. Une autre porte comme une couronne, un vieux château ; la troi- sième est traversée par un mur .crénelé qui, de loin, SOC. D’AG. 3 in AURE paraît lui former comme une écharpe de fine dentelle; et, enfin, les deux autres sont bsisées. Mon premier soin fut de gravir la plus belle de ces collines, afin de jouir de la vue que me promettait cette situation magnifique. Ce fut là que je fis un ami. J'étais arrivé par de petits sentiers tortueux au sommet de la colline, et je considérais le spectacle des environs qui était en effet admirable. J'avais à mes pieds la rivière, la campagne et la ville avec ses coteaux couverts de fortifications tracées parmi la verdure. L’horizon, d’un côté, était bordé par les Alpes dont les montagnes les plus proches, s’entr’ouvrant pour laisser passage à la Salza, en laissaient voir d’autres plus lointaines et. de nuances de plus en plus effacées. De l'autre côté, la plaine de la Bavière s’étendait à perte de vue, unie comme une mer tranquille. La rivière s’y enfon- çail, et tantôt brillait au soleil, à un détour, tantôt se cachait derrière les arbres ou les moissons. Car toute cette campagne est cultivée ; des bois la couvrent par places, et çà et là de petits lacs l’égaient. J'étais en train de porter mes yeux de la till aux montagnes et des montagnes à la plaine, quand j’en- tendis murmurer derrière moi : das ist schôn. Je savais tout juste assez d'allemand pour comprendre que celui qui parlait ainsi voulait dire : cela est beau ; : mais je n’en savais pas assez pour lui répondre. (C'était un homme d'un âge mûr, dont les yeux exprimaient l’ad- miration la plus vive. Il prit mon simple regard pour une réponse et repartit de plus belle, toujours en alle- mand. [Il parla longuement et avec feu, tandis que, au dedans de moi-même, je me préparais à lui dire avec LE, 5 l'accent le moins ridicule possible : je ne comprends pas l'allemand ; et je le lui dis en effet quand il fat arrivé à la fin de sa période. Ma qualité d’étranger et mon ignorance de sa langue ne parurent pas m’enlever ses sympathies, et nous redescendimes côle à côle vers la ville. Nous cheminions silencieux ; mais, vers la moitié de la route, mon compagnon s'arrêta, me saisit le bras pour mieux faire pénétrer sa pensée dans mon intelligence, me montra un arbre et dit gravement : baum ; je dis à mon tour avec la même gravité : arbre. Il frappa du pied la terre dans un endroit pierreux, fit rouler un caillou et dit: slein ; à quoi je répondis : pierre. La conversation était engagée, et nous continuâmes ainsi en descendant notre montagne. J'ajoute que, par une précaution qui mon- trait à la fois et les ressources de son esprit et son bon naturel, il accompagnait ses paroles d’un geste destiné à les éclaircir ; il prenait, par exemple, un air sour- cilleux en me nommant les montagnes ; sa main ser- pentait en indiquant la rivière. Arrivés dans la ville, nous étions bons amis ; nous échangeâmes une poignée de main, et chacun partit de son côté, ne comptant plus revoir jamais son ami. Mais, les hommes se rencontrent, dit le proverbe populaire, si les montagnes ne se ren- contrent pas. Je passai ma journée à visiter Salzbourg, errant au basard dans la vieille ville et dans la ville nouvelle. La ville nouvelle occupe la rive gauche de la Salza. C’est le quartier des hôtels, des riches maisons, des restau- rants et des salles de fête. Les maisons y ressemblent à de petits palais et les hôtels y sont tous à l’imilation de ob Paris. Ce qui rend assez jolie cette partie de Salzbourg, c’est que les maisons, au lieu de se toucher comme dans nos rues, y sont presque toujours isolées l’une de l’autre et entourées d’un petit parterre d’arbustes et de fleurs. On a même réservé çà et là des places plus ou moins étendues, plantées de grands arbres, de sorte que les maisons semblent appartenir à un parc plutôt qu’à une ville. Cette manière de bâtir est au reste commune en Allemagne. Les constructions nouvelles sont ainsi dis- posées presque partout, et il faut reconnaître que ces fleurs, ces arbres au milieu desquels l'air circule librement, forment un coup d’œil agréable et gai que l’on ne trouve pas en général dans les villes de France. Il y a même des villes allemandes, dont tout un quar- tier est formé de maisons dispersées dans un véritable bais, de sorte qu’en quittant les rues animées, on entre dans la solitude, sans avoir à traverser comme chez nous de longs faubourgs pour aller trouver la tranquil- lité de la campagne et le silence, Cette partie de Salzbourg serait plus agréable encore, si les maisons n'avaient pas dans leur architecture quelque chose de froid et de monotone. Voici plus d’un demi-siècle que les Allemands se sont imaginés d’une belle entreprise : ils rêvent, depuis Winckelmann et Gœthe, d'acquérir la pureté de goût que le ciel avait jadis départie à la Grèce. C’est le roi Louis de Bavière qui a voulu, le premier, faire fleurir à Munich, sur les bords de l’Isar, les oliviers de l’Ilissus. Le goût de limitation grecque, parti de cette Athènes brumeuse, s’est répandu sur toute l'Allemagne, et y a enfanté une foule d’œuvres, tant en architecture qu’en tout autre OR art, qui respirent un ennui tout particulier, un ennui dont en France nous ne connaissons pas la saveur. Vous apercevez un temple grec, beau comme le Parthénon ; la plus fine archéologie en a dessiné les contours ; il est peint d’après les bons auteurs des mêmes nuances dont Phidias avait réglé l'harmonie; il n’y manque rien absolument, sinon une petite chose, qui n’a pas de nom et qui est tout. Approchez davantage : c’est un café rempli de soldats couverts d’un casque qui n’est pas celui d'Achille, et la bière coule, à l’abri des colonnes attiques, avec une abondance que n’a jamais connu la fontaine d'Hippocrène. Combien j'aime mieux la vieille Allemagne, telle que l’on en voit les restes sur la rive droite de la Salza : ici, les rues sont étroites et les maisons penchent l’une vers l’autre leurs sommets sculptés; des boutiques étroites et sombres remplissent le plus bas étage ; une poutre ouvrage allonge sur la rue des enseignes en lettres gothiques; des fenêtres basses portent des carreaux scellés de plombet verdâtres ; enfin, au pignon, séjour des cigognes, une vieille poulie grince au-dessus de la tête des passants. C’est là la véritable Allemagne, celle du moyen âge, qui passait sa vie à élever des cathé- drales, à peindre de doux tableaux de sainteté, à rassembler dans ses foires tous les marchands du monde, et non pas cette Allemagne nouvelle avec sa philosophie, sa faim, son idéal et ses étudiants éternels avec leur éternellement blonde fiancée. Au reste, je n’accable pas tout Salzbourg sous mon anathème. Sauf le beau quartier dont j'ai parlé, c’est la moins allemande de toutes les villes que J'ai visitées ERC 108 en Allemagne. Elle est assez près de l'Italie, et l’on n’a guére qu'à passer les montagnes du Tyrol pour se trouver en Vénétie. C’est grâce à celte proximité sans doute que Salzbourg, tout autrichienne qu’elle est, a presque l'aspect d’une ville italienne. On sent le Midi dans la gaieté du paysage qui l'entoure, et les toits rouges dont ses maisons sont couvertes rappellent les vives couleurs des contrées méridionales. Enfin, pour achever l'illusion, j'ai visité Salzbourg par une belle journée, et le ciel, s’il n’avait pas l’éclat du soleil romain, avait du moins un peu plus que la nuance délicate du ciel de France. Je passai mon après-midi à visiter toutes les églises ; je montai à la citadelle et sur toutes les collines ; j’allai voir couler l’eau sous le pont de la Salza ; j'errai dans des rues au hasard, et-par je ne sais quels détours, J'arrivai au cimetière. Ce cimetière est une des eurio- sités de Salzbourg ; il est situé au-dessus de la ville, sur une saillie du coteau, au milieu des maisons qui grimpent jusque-là. Il n’est pas entouré de murs et n’a pas de forme régulière. C’est une rue, ou si l’on aime mieux, une place que l’on traverse et qui a seulement aux deux bouts des portes de fer qui ne sont jamais fermées. Il est tout pavé de tombes qui, pour le plus grand nombre, sont recouvertes de dalles, comme dans nos anciennes églises. Le flanc de la colline est creusé de chapelles en forme de petites cavernes; elles sont fermées de grilles de fer et toutes remplies de tombes, d'inscriplions et de couronnes, les unes fraîches, les autres fanées. La dernière chapelle sert de salle d’exposi- tion. Lorsque j’yentrai, un malheureux y était étendu sur ru pe un lit de drap jaunâtre orné de fleurs. Il était vêtu d’un mince habit noir, et l’on avait rehaussé de rouge ses joues pâlies, ce qui me sembla nuire à la majesté de la mort. Au milieu du cimetière s’élève une petite église an- tique, irrégulière, presque en ruines. L'intérieur en est couvert de tombeaux, et les plaques mortuaires de marbre et de cuivre y montent jusqu’à hauteur d'homme le long des murailles. Des sainis aux cou- leurs à demi-effacées, d’antiques tableaux, des cou- ronnes, des ex-voto l’encombrent toute entière. Ces vieux débris ont un certain charme ; et l’on se fait plus aisément, à ce qu’il semble, à la pensée de dormir ainsi, au milieu du désordre des générations passées, que dans nos cimetières bien ordonnés, où l’on sent plutôt légalité de la justice administrative que l'égalité véri- table des hommes dans la mort. La soirée était belle comme l'avait été le jour; et, aprés avoir diné dans un de ces restaurants communs dans toute l'Allemagne, qui sont à la fois des jardins, des restaurants, des brasseries, des concerts et même des salles de danse, je partis au hasard dans la ville; et, remarquant qu’un assez grand nombre de personnes suivaient une certaine route, je me mis à marcher avec elles. C’est un principe que m’a enseigné un voyageur anglais, qu'il faut toujours, dans une ville inconnue, suivre la foule : ainsi, disait-il, on va toujours où l’on veut aller. Il faisait même de sa recommandation un principe de conduite dans la vie, ajoutant qu’en poli- tique, en lettres, en religion même, en suivant la foule, on arrive toujours quelque part. Je n’admets pas toute METRE sa maxime; mais j'ai quelquefois trouvé son conseil utile, et cette fois en particulier. Je suivis quelques rues tortueuses, je passai avec tout le monde sous une galerie souterraine qui me rappela la grotte de Séjan, à Naples, près du tombeau de Vir- gile, et je me trouvai tout à coup dans la campagne. J’entendis une musique lointaine, ce qui n’avait rien pour surprendre dans la patrie de Mozart. Guidé par le son et les promeneurs, j'arrivai à un lac sur lequel croisaient une multitude de petites barques. Les musi- ciens élaient placés dans une île, étroite et arrondie comme une corbeille. Ceux qui voulaient entendre la musique avec toutes ses nuances, prenaient une barque; ceux qui préféraient jouir de ses sons adoucis, restaient sur le rivage. Un batelier qui vit sans doute mon air étranger, vint m'offrir une barque, et j'allai, moi aussi, tourner autour de l’île. Tandis que nous écoutions la musique mêlée au bruit des rames, mon conducteur m’entretenait en italien. Il parlait très difficilement cette langue qu’il avait apprise dans le pays même, pendant l'occupation autrichienne enlialie. IL avait vu Venise, où il s’ennuyait mortellement ; il admirait Saint-Marc, mais il aimait mieux sa barque que leurs affreuses gondoles. Il trouvait les Italiens méchants ; là-bas, disait-il, on n’est jamais tranquille comme on l’est ici, et il me vantait les beautés de la contrée environnante, ainsi que les mines de Salzberg où je devais aller le lendemain. Cependant, en dépit de sa haine pour l'Italie, il aimait à parler de son temps de Venise, parce qu'’alors il était jeune, et il regrettait d’avoir oublié l'italien. « Mais à qui parler l'italien, » DEN TEE ajoutait-il, « sauf à quelque étranger comme sa sei- gneurie. » Le crépuscule venu, mon homme ramena son petit bateau au rivage, l’attacha et partit; les musiciens débarquérent avec leurs instruments, et tout le monde retourna vers la ville, les uns tout droit, les autres s’attardant dans les champs voisins. Le lendemain matin, dès six heures, j'étais au ren- dez-vous que l’on m'avait donné, et où je devais me joindre à d’autres étrangers qui, comme moi, désiraient visiter les mines de sel. J'y trouvai en effet de nombreux compagnons, mais qui ne parlant que l'allemand, Étaient devant mes yeux comme s'ils n'étaient pas. Je montai dans une voiture au hasard. On me fit, je crois, quelque observation ; mais je ne la compris pas, et Je restai, par le bénéfice de mon ignorance. Trois dames qui me parurent être la mère et les deux filles, montèrent avec moi, et nous partimes. Nous étions déjà sortis de la ville quand la voiture s'arrêta, et je vis un cinquième personnage qui s’appré- tait à monter aussi, et qui monta en effet : c’était mon admirateur de points de vue et mon ingénieux ami de la veille. Je supposais que nous allions reprendre notre manière de converser ; mais il parla à la dame qui nous accompagnait et la mit sans doute au courant de sa rencontre; car elle m’adressa la parole, et en français, à ma grande joie, je l'avoue; car, sauf quelques mots nécessaires dans les hôtels et ma con- versation italienne de la veille, il y avait près de huit OPEN jours que je n’avais parlé. Cette fois j'avais lieu d’es- pérer une conversation à peu près pour toute ma jour- née, puisque nous ne devions rentrer que le soir à Salzbourg. Je ne fus pas déçu; car cette dame et ses filles qui parlaient le français assez purement, avaient une aimable facilité qui eut pu fournir encore davan- lage. Après s'être mis au courant de ma situation de voyageur, on m’apprit que mon ami était avocat à Lanshut, une petite ville de Bavière entre Munich et. Ratisbonne. Une affaire l’avait amené à Munich; il y avait conduit sa famille avec lui, et avait voulu profiter de cette occasion pour faire visiter à ses filles Salzbourg et les mines de sel. La veille, ils avaient couru Salzbourg ainsi que moi, et comptaient repartir le lendemain matin pour Munich et, de là, pour Lanshut. Mon ami ne disait rien, et prenait cette physionomié particulière, assez semblable à celle des aveugles, d’un homme qui entend parler une langue étrangère sans la comprendre. Je crois qu'outre sa sympathie, il n’était pas fâché de pro- curer une leçon de français, venant d’un vrai français, à sa famille, Je suppose cela, parce qu’il me fit deman- der si j'étais de Paris ; aprés quoi, il se tint tranquille. ! Je savais trop, par éxpérience, le sens de cette question pour ne pas répondre que certainement j'étais de Paris. : Un français qui voyage ‘en Allemagne doit toujours être de Paris. Comme l’Allemagne est divisée en une infinité de contréés qui ont un accent différent, les allemarids s’imaginent qu’il en est de même en France et que l’on ne parle le véritable français qu’à Paris. Si javais avoué que J'étais né sur la molle terre de l’Anjou, mon ami LR © (SM aurait eu peur de gâter la prononciation de sa famille; mais j'étais de Paris, et tout alla bien. Je crois que ces dames n’avaient jamais vu de fran- çais, el j'étais à la fois pour elles une curiosité et une occasion de renseignements. Elles avaient sur notre pays les opinions les plus extraordinaires; elles se figuraient, entre autres choses, que la vie de famille n’exislait pas en France, que les femmes françaises, si elles avaient des enfants, les mettaient tout de suite en nourrice à la campagne, afin d’être plus libres d’aller au bal éternel- lernent; que, dans les ménages français, monsieur pas- sait sa vie d’un côté, madame de l’autre, et que, quand les français mariaient leurs filles, ils les vendaient comme au marché, ce qui causait aux deux sœurs la plus vive indignation. Je leur assurai de mon mieux que c'était M. de Bismarck qui répandait ces faussetés; et elles me crurent; car une sœur de mon ami, à ce qu’il paraît, avait autrefois vécu à Metz un peu de temps, et leur avait rapporté, à son retour à Lanshut, que la vie des Français n’était pas si bizarre qu’on le dit généra- lement. Elles me parlèrent à leur tour de leur petite ville en termes assez dédaigneux. J’eus beau ouvrir mon guide, et leurassurer, sur la foi de Joanne, que « Landshut, petite ville de 14,316 habitants, sur l'Isar, est agréa- blement située, qw’elle possède une’ceinture de tours, une église de Saint-Jodocus qui est du xve siècle, et un château bâti par Othon de Wittelsbach, en 4175, » je les trouvai peu sensibles à tout ce pittoresque. Elles préféraient à Landshut les larges rues de Munich, où les jeunes filles avaient des amies riches et, à ce que ANA. l’on eut soin de me faire entendre, bien placées, et d’où elles faisaient venir leurs toilettes à chaque saison. Elles se figuraient Paris lui-même comme un Munich énorme, avec de grandes places, des monuments immenses, et surtout de la musique et des bals partout. Cependant nous approchions des montagnes. Notre voiture entra dans une gorge étroite où la route courait à côté d’un torrent. La vue s’embellissait : des deux côlés s’élevaient des montagnes, dont la partie basse montrait des rochers dénudés, et la partie haute des sapins, entre lesquels glissaient quelques troupeaux. De loin en loin, la gorge laissait place à une maisonnelte, ou à une prairie plantée de quelques peupliers. À me- sure que nous avancions, les montagnes devenaient plus hautes, les accidents du terrain plus variés et le pays plus sauvage. Enfin, la voiture s’arrêta : nous étions arrivés au point le plus éloigné de notre excursion, au lac de Kônigsee. Notre premier soin fut de nous précipiter dans la mauyaise auberge du hameau; après quoi nous redes- cendîmes au bord du lac, où une barque nous attendait pour nous le faire parcourir. L’équipage de cette barque était composé d’un homme et de deux rameuses, vieilles et toute bronzées, en une espèce de costume d’opéra, qui avait la prétention, je suppose, de figurer le costume des femmes aux jours de fête dans les villages environ- nants. Ce fut conduit par ces sirènes que nous visitâmes le beau lac de Kônigsee. Il est bordé par de hautes: montagnes, si droites, qu’elles n’ont pas de sentier, et que c’est à peine si, par endroits, quelques bois de sapins ont pu s’y accrochér. Partout ailleurs, le rocher est nu, 2 1 ou couvert seulement d’un rideau de mousse et de bruyères, à travers lequel glissent çà et là de petites cascades. Le lac qui est long, peu large et sinueux, n’a qu’en un point, vers le milieu, une rive où le pied puisse se poser. À cet endroit, un peu de terrain entre l'eau et la montagne porte une petite prairie, quelques grands arbres et une abbaye qui est, nous dit-on, un lieu de pélerinage très fréquenté. Après avoir suivi le lac dans tous ses détours, nos rameuses firent aborder notre barque à l’extrémité opposée à celle d’où nous étions partis. On nous fit tra- verser par un sentier une grève formée de cailloux et de quartiers de rochers, au milieu desquels végétait une petite forêt à la hauteur de la main, formée d’arbustes et de fougères; et nous nous trouvâmes en face d’un second lac que l’on appelle l’Obersee. Celui-ci est beau- coup plus petit, mais encore plus sauvage que Île Kônigsee. Les montagnes, sauf le passage d’arrivée, y sont à pic de tout côté, et droites, et noires, comme des murailles. Il est impossible d’en faire le tour ; car l’eau y affleure immédiatement le rocher, comme les parois d’une coupe. Une grande cascade, descendant d’une brèche et rebondissant à moitié route sur un roc en saillie, donne un peu de mouvement et de fracas à ce lieu toujours immobile ; on n’entend là ni murmure de feuilles ni bruit de vagues ; car on nous dit que le lac est touiours tranquille, parce que le vent n’y atieint pas, et qu’il est si froid, le soleil n’y donnant jamais, que le poisson n’y peut pas vivre. Après avoir admiré un instant l'Obersee, il nous fallut repartir, traverser de nouveau la grève, reprendre Le en nos barques et nos rameuses, puis remonter vite en voiture : le plus curieux nous restait à voir. . Apeu près aux deux tiers de la route que nous avions faite en venant au Kônigsee, à partir de notre entrée dans la montagne, nous avions traversé un petit bourg nommé Berchtesyaden. (est près de ce bourg que se trouve l'entrée d’une de ces mines de se] qui sont assez communes dans cette partie de la Suisse autrichienne, et c’est cette mine que nous devions visiter avant de rentrer à Salzbourg. On nous fit descendre de voiture et entrer dans une sorte de grande fabrique pour nous donner nos cos- tumes à revêtir. Car on ne descend pas dans ces mines sans un appareil particulier. Le costume se compose, pour les hommes, d’un pantalon et d’une blouse de l’éloffe la plus épaisse et couleur de suie ; avec cela, un grand chapeau à très larges bords en feutre grossier ; à la main droite, un gant de cuir, et à la main gauche, une lanterne ; enfin, un tablier de cuir, qui, au lieu de se mettre par devant, comme tous les tabliers du monde, se met par derrière et dont je ne compris l'usage qu’à l’expérience. Le costume des dames ne diffère que par le pantalon qui est en toile blanche, et aussi par la coit- fure ; au lieu du chapeau de mineur, on sacrifie aux grâces, en leur donnant une sorte de bonnet tout à fait semblable au bonnet de police de nos soldats, sauf qu'au lieu de drap rouge, il est orné d’un ruban bleu. On nous rangea par bandes, et nous entrâmes à la file! ainsi costumés, dans la mine ouverte au flanc de la montagne. Cette mine offre cette particularité, qu’elle el: 7 ee ne va pas constamment en profondeur comme les autres mines, mais que tantôt l’on y monte et tantôt on y descend, sans jamais s’éloigner beaucoup du niveau d’où Pon est parti à l'entrée. Ce n’est pas une mine creusée en profondeur ; c’est une montagne que l’on a évidée. La bande fit route assez longtemps dans une galerie étroite, assez semblable à celles des catacombes romaines. La terre en était humide, noirâtre, et nos lampes y faisaient scintiller une multitude de petites paillettes : c'était le sel qui, dans ces mines, n’est pas à l’état pur comme dans certaines mines de Pologne, mais mêlé à la terre. Après avoir suivi plusieurs longues et noires galeries, nous nous trouvâmes au bord d’un puits étroit, à un endroit où la mine semblait finir. Ce fut assurément le moment le plus dramatique de notre promenande sou- terraine. Il n’y avait à ce puits aucune trace d’escalier, ni d'aucune machine pour aller plus bas. On voyait seulement, à l’orifice, deux sapins dépouillés de leur écorce et polis, semblables à deux mâts de navire. Ils étaient placés à un demi-pied l’un de l’autre; et l’on aper- cevait seulement leurs sommets un peu inclinés; le reste se perdait dans l’obscurité. C’est par là que nous allions déscendre et j'allais connaître l’usage du tablier de cuir que l’on nous avait donné. fe mineur qui nous guidait s’assit sur les sapins, saisit une corde avec sa main gantée de cuir, et appuya un pied à droite et l’autre pied à gauche sur la paroi du puits. Quand il fat prêt, un voyageur s’assit à son tour el, se laissant glisser, se trouva demi sur les sapins, demi à cheval sur le dos du mineur ; un troisième fit de même, et ainsi jusqu’au 107 F0 dixième et dernier. J’avais au-dessus de moi l'avocat de Landshut, qui avait lui-même au-dessus de lui sa femme et ses deux filles, la plus jeune occupant le sommet de cet échafaudage humain. Chacun prit la corde de sa main gantée; le mineur rapprocha ses deux pieds, et nous nous enfonçâmes avec une rapidité à donner le vertige dans des profondeurs inconnues. Au bout d’une minute à peine, nous étions en bas, chacun riant et déméêlant, comme il pouvait, sa lampe et sa personne d’avec ses voisins. | Nous fimes quelques pas, et nous nous trouvâmes dans une galerie un peu plus large que celles que nous avions traversées jusque-là. Elle aboutissait à un lac de forme à peu près arrondie; les eaux en étaient sombres et semblaient épaisses; il était éclairé de quelques lampes, et ces lueurs dispersées et rougeâtres ajoutaient à l’air mystérieux que lui donnait la voûte très humide et trés basse qui le couvre. Le spectacle était si extra- ordinaire, que nous restions presque malgré nous silen- cieux. On nous fit monter dans une barque toute noire et glissante comme celle de Caron, et nous traversimes le lac où se reflétaient tristement nos lampes et nos ombres. Mais, afin que l’on imagine rien d’infernal au sujet de cette onde souterraine, voici quel en est l’usage. Le sel étant ici mélangé à la terre ne peut s’enlever direc- tement, comme l’ardoise ou le marbre ; on creuse des galeries, on amène de l’eau, on en forme des dépôts dans de vastes cavernes creusées à cet effet, et quand elle est chargée de sel, on la ramène au dehors, et on l’évapore au soleil, comme on fait de l’eau d6 mer sur + AU p.10 nos côtes. Nous avions cru traverser l’Arverne; en somme, nous n'avions traversé qu'un marais salant. Parvenus à la rive opposée, on nous fit suivre un escalier taillé dans la terre et qui tournait en forme d’hélice ; et, aprés avoir encore traversé quelques gale- ries, la bande arriva enfin en une salle assez grande où il y avait sur des rails de fer de petits chariots à quatre roues, On nous fit monter par groupes sur ces chariots, le mineur les poussa un peu, et comme les rails étaient en pente, la machine se mit à aller d’abord lentement, puis plus vite, et enfin avec une rapidité presque effrayante. Nous traversâmes ainsi des galeries de diffé- rentes formes, les unes larges, les autres étroites, les unes droites, les autres courbes, emportés par un mou- vement aveugle qui ne laissait pas d'inquiéter, surtout dans les tournants, les filles de l'avocat de Landshut. Enfin, nous vimes devant nous une petite lumière qui peu à peu s'agrandit, prit la forme d’une porte, et nous nous trouvâmes dehors, humides et salés des pieds à la tête, au même point d’où nous étions partis, devant la grande fabrique où l’on nous avait donné nos vête- ments de mineurs à revêlir. Il faisait nuit tombante quand nous arrivâmes à Salzbourg. La voiture nous déposa, l’avocat de Landshut, sa famille et moi, à la porte d’un hôtel qui n’était pas le mien, mais dont l'hôte qui savait l'appétit qu’on gagne à visiter des mines de sel, eut soin de nous faire voir une table toute servie. Durant le diner, mon avocat de Landshut dit peu de chose et fit grand honneur à la bière. Les événements de la journée furent le sujet de la conversation entre ces dames et moi. La plus jeune SOC. D’AG. 4 RE (ne des sœurs voulait absolument, par souvenir du Kônigsee me faire réciter le Lac de Lamartine, dont elle savait elle-même et répétait les premiers vers; elle les avait appris, disait-elle, à sa pension. Mais la sœur aînée était moins amoureuse de poésie; elle profita de l’auto- rilé que lui donnaient deux ou trois années de plus pour attirer la conversation d’un côté tout autre et m’inter- roger sur la manière dont on mangeait à Paris. J’eus le plaisir de lui apprendre qu’à Paris l’on ne tenait pas sa fourchette à pleine main gauche et que l’on posait son couteau sur la table après s’en être servi. Cela parut aux deux sœurs fort surprenant et contraire aux usages de toute l’Allemagne. Gependant elles furent très attentives à ces nouveautés, et se mirent en devoir de tenir à la parisienne leur fourchette allemande à trois pointes de fer. Jai lieu de croire qu’à Landshut, où toute la famille devait retourner le lendemain, elles ont ensei- gné cette manière de faire à leurs amies, et peut-être, si quelque voyageur passait à présent par là, il trouverait dans cette petite ville, sur les bords de l’Isar, tout un groupe de jeunes mères de famille, qui enseignent à leurs enfants que l’on ne tient pas sa fourchette à poing fermé et que l’on pose quelquefois son couteau sur la table. Lorr-MonG4zoN. LA TRANSFUSION (SURREXIT A MORTUIS) A L'OCCASION DU RENOUVELLEMENT DE LA SOCIÉTÉ D'AGRICULTURE, SCIENCES ET ARTS, ET DE SA FUSION AVEC L'UNIVERSITÉ Lu à la séance d’inauguration le mardi 4 mars 1879. Monseigneur, devant vous, qu'un docteur s’ingénie À discuter un cas de haute chirurgie : — Va porter, direz-vous, ta thèse en d’autres lieux, Mon ami; c’est assez de discours sérieux. Voici le tour de la muse badine, Qui nous promet quelque chant gracieux; Qu’une grave séance aujourd’hui se termine Aux éclats d’un rire joyeux! — Pourquoi vous effrayer d’un nom? la poésie Sait tout parer de riantes couleurs. Quelle que soit sa fantaisie, En y mêlant ses parfums et ses fleurs, Elle espère toujours s’attirer vos faveurs. k HE EN Mais en parcourant mon domaine, Quelle est mon hésitation, Et quel sujet vous mettre en scène Qui puisse à vos travaux faire diversion ? Ils sont rares, Messieurs, et je suis fort en peine, Enfin j'ai fait mon choix : c’est la transfusion. A ce mot, vous dressez l’oreille : Eh! quelle est donc cette merveille? Transfuser qui, transfuser quoi? Pour la science il est des termes, un langage; Un tableau vaudra mieux; que par sa vive image Il frappe vos regards; de grâce, écoutez-moi. C’esi du sang qu’il s’agit : le sang, ce véhicule Qui dans l’arbre veineux circule, Liquide régénérateur Qui dans ses principes renferme La trame des tissus en germe, Et partout va porter la vie et la chaleur. Est-il malade? Alors plus de force motrice, De l’organisme humain s'arrête le service, Des nerfs se brise les ressorts. Voyez-vous se ternir l’éclat de la jeunesse? Tout en nous languit et s’affaisse, L'esprit s’énerve aussi bien que le corps. Comment répare-t-on un semblable dommage ? Il est mille moyens dans l’art pour cet usage. Si le sang appauvri, manquant de qualité, CAL N'a pas les éléments requis pour la santé, Le médecin vous dit : Je vais vous en refaire; Et, suivant la formule, on avale, à plein verre, Tous les réconfortants : du fer, du quinquina, Le vin Aroud, l’élixir de Coca, Tannin, safran, que sais-je? et cætera. Comptez, si vous pouvez, ce que la maladie, Grâce à l’essor de l’industrie, À produit dans ces derniers temps De bénéfice aux charlatans. Lisez la quatrième page Des journaux les plus répandus, De remèdes quel étalage ! Que de promesses, que d'abus! Pour les dupes aussi quelle-perte d’écus! Badauds, qui vous laissez séduire Par ces placards pompeux affichés tous les jours, Aux coins de rue, aux carrefours, Permettez-moi de vous décrire Un moyen, dans ce siècle, un peu trop oublié, Et qui, par un succès éclatant qu’on admire, Vient d’être encor justifié. Après ce long détour, au fait pathologique J'arrive, en abordant mon sujet poétique. Chez un docteur fort en renom, Une dame du monde et presque octogénaire, Pour une santé trop précaire Venait assez souvent, dit-on, Recourir à son ministère. ARE Alors qu’il la voyait arriver à pas lents, Sous le poids des douleurs aussi bien que des ans, De son déclin triste apanage, Avec respect, le sourire au visage, Il lui tendait la main, et, lui faisant accueil, “L’aidait à se caser dans le meilleur fauteuil. Car c'était une douairière, Et de son rang justement fière. Aussi la traitait-il avec distinction. Après la consultation, Il s’oubliait parfois à causer avec elle; Conteuse aimable et très-spirituelle, La valétudinaire, au blason glorieux, Faisait sonner bien haut le nom de ses aïeux, Citant avec orgueil Pocquet de Livonnière Qui sur le Parlement jeta tant de lumière. On devinait, d’ailleurs, sa haute extraction À son air aristocratique. Certain parfum académique Se dégageait de son instruction, Et d’un esprit brillant par l’érudition. Dans la société choisie Que son goût savait réunir, Elle aimait à s’entretenir D’histoire et d'archéologie, Et de morale et de philosophie. Toujours avide de progrès, Cette intelligente nature, Dans les arts, la littérature, Et jusque dans l’agriculture, Trouvait encor de doux attraits. ART" Sa santé, cependant, était bien chancelante, Et tous les cordiaux, prodigués largement, N’avaient pu relever la pauvre défaillante Du plus profond abattement. C’est qu'hélas! chez la noble dame, Mettant le comble à sa douleur, D’amers regrets, au fond de l'âme, L’ulcéraient comme un ver rongeur. Oh! malheur! disait-elle, irréparable perte, Adieu beaux-arts, science, et toi, douce amitié, Je suis seule et sans voix; ma maison est déserte, Que je suis digne de pitié ! En vain, pour adoucir sa peine et son malaise, Vit-elle encor venir son fidèle Lachèse, D’Espinay le disert, et l’érudit Cosnier, L’antiquaire Godard, Rondeau le trésorier ; Citons Victor Pavie avec son ami Grille, Ces rares survivants de la grande famille, Accourant chaque mois, ensemble ou tour à tour, Lui payer un tribut de respect et d'amour. Pour elle, à quoi servaient ces gages de tendresse, Faible soulagement dans sa morne tristesse! Elle allait expirer, son temps était compté. Eh quoi! ne pas trouver un agent spécifique, N’avoir pas sous la main un remède héroïque, S’écriait le docteur, dans son anxiété! Consultant sa pratique, invoquant la science, Et tous les souvenirs de son expérience, Quand sa cliente était près de mourir, Ah! dit-il, je la tiens cette arme ; appelons vite D Un congrès de savants, des professeurs d’élite, Par un suprême effort tâchons de la guérir. Auprès du lit de la mourante, Au jour précis, heure sonnante, Le corps auguste se trouva; Gravement on délibéra. Or, de tant de cerveaux qu'est-ce qu’il sortira? L'accord fut unanime, admirons ce cas rare. Sans hésiter, chacun déclare Qu’un moyen reste encor, mais le seul, à tenter, Et qu’il faut, sans délai, dans la veine injecter Un sang nouveau qui, par son action vitale, Arrête les effets d’une crise fatale. Oh! le touchant spectacle! On vit en ce moment Nos docteurs, à l’envi, lutter de dévouement; Chacun offre aussitôt son bras à la lanceïtte, Fier de verser sa part de sang dans la palette. Puisse-t-il dans la veine heureusement lancé, Rendre par son contact le souffle au corps glacé ! Honneur à qui, dans un danger extrême, N'hésite pas à se donner lui-même! On opère, on iransfuse. Oh! quelle émotion! Cest un miracle, c’est la résurrection! La malade aussitôt sort de sa léthargie, Sur son chevet se dresse et renaît à la vie. En bonds précipités sentez battre son cœur, Voyez ce teint vermeil où revient la fraîcheur, Écoutez les accents de sa reconnaissance, Qui d’un art merveilleux proclament la puissance, RSS LR Dans ce jour solennel où la religion Marque d’un sceau divin notre intime union. Qui n’a pas reconnu sous cette «allégorie, Dans la vieille aux abois, certaine académie Pour vivre réduite à quêter, Et s’en allant crier famine A l’Université, sa sœur et sa voisine, Dont l'or, à l'avenir, la fera subsister? Quel initiateur a conçu la pensée De notre fusion enfin réalisée? Quel sublime génie en fut le promoteur? O muse, à qui faut-il en reporter l'honneur? — À cet élu du ciel, à qui la Providence De notre cher pays a remis la défense. Où le bien est à faire il ne manque jamais, Qui compte ses travaux, compte autant de bienfaits. C’est un soldat debout qui veille sous l’armure. Grâce aux dons merveilleux qu’il tient de la nature, Toujours prêt au signal, dans son activité Il embrasse à la fois et patrie et cité. C’est lui qui fait entendre aux puissants de la terre, À l'heure du péril, une leçon austère. En nos temps désastreux, c’est encore sa voix Dont l’accent est monté jusqu’au trône des rois. Il a fait plus, Messieurs, à vous tous j'en appelle, D’un organisme éteint ranimant l’étincelle, Il nous rend la lumière ; un nouveau jour a lui : Hier nous étions morts, nous vivons aujourd’hui. D' R. GRILLE. LE COIN DU FEU Étrennes poétiques à mes collègues de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts. Quam juvat immites ventos audire calentem. L'homme ici-bas, dit un adage, Aime, avant tout, le changement. Ne sait-on pas qu’un long usage Épuise en lui le sentiment. Donc, il faut que dans notre vie Le plaisir sans cesse varie, Pour notre satisfaction ; Et c’est de cette alternative Que pour nous le bonheur dérive, Oui, c’est là sa condition. À ce gourmand toujours à table Offrez des mets délicieux, Que ce service invariable Lui paraîtra fastidieux ARE A0 En dépit de leur excellence, Voyez quelle est sa répugnance ; Il les repousse avec dégoût. Ah ! donnez-lui plus maigre chère, Et vous pourrez le satisfaire Dans un changement de ragoüt. Est-il rien de plus monotone Qu'une triste uniformité ? Du même instrument qui résonne Que le tympan est irrité! Cherchez, de grâce, un autre thème, Si vous voulez enfin que j'aime Ces sons que tous les jours j'entends : À l’allegro mêlez l’andante, Ajoutez quelque variante, Je prendrai plaisir à vos chants. Ainsi pour nous serait l’année, Si Dieu ne changeait pas le temps. De notre vie infortunée L’ennui marquerait les instants. Toujours du froid ou de l’humide, Toujours de la chaleur torride, Un hiver, un été sans fin ; Et l’homme, en proie à la torture, Devant l’implacable nature, Maudirait son cruel destin. Mais la divine Providence, Rendons-en grâce à sa bonté, DONC | HE Des saisons créa l’inconstance, Et fit notre félicité. Au printemps, les lilas, les roses, Les fleurs nouvellement écloses, À l’été, l’or de ses moissons ; L'automne a sa riche corbeille, Et quand la nature sommeille, C’est l'hiver avec ses glaçons. Eh, qu'importe! est-il donc sans charmes ? Quand l’automne a fait son adieu, Oh! mes amis, séchons nos larmes, L'hiver sourit au coin du feu. Le coin du feu, la bonne chose! Que mollement on y repose, L’estomac plein et les pieds chauds ; Pendant que la plante effeuillée Laisse tomber dans la vallée Les débris de ses verts rameaux. Quand d’une brumeuse atmosphère S'étend sur nous le froid manteau, Qui nous échauffe et nous éclaire ? Le coin du feu, soleil nouveau. Dans cette retraite assurée, Je brave le fougueux Borée Semant la neige sur les toits. Au coin du feu, que la tempête S’élève et gronde sur ma tête, Heureux, je m’endors à sa voix. DOME Le coin du feu, pour la famille Quel agréable rendez-vous ! Et devant l’âtre qui pétille Que tout épanchement est doux On s’y presse, on cause, on écoute Le bon vieillard qui de sa route, Remonte le cours, en contant. Époux, frères, sœurs, cercle intime, Quel éclair, à cette heure, anime Le foyer d'amour palpitant ! Le coin du feu, c’est la franchise, On y tient moins à ses secrels, C’est là vraiment qu’on fraternise Et qu’on ménage ses caquets. L’humeur est tout à l’allégresse, On est plus prompt à la tendresse, Toute parole y vient du cœur. Y fait-on de la politique, C’est du ton le plus sympathique, Toujours sans fiel et sans aigreur. Le coin du feu tient compagnie, Il réjouit par sa clarté, Sa chaleur aide le génie, Aiguisant sa vivacité. En jaillissant, une étincelle De notre muse un peu rebelle Suffit pour ranimer le feu. Ne sait-on pas que les poètes Le, DE Souvent, au bout de leurs pincettes, Trouvent la rime au coin du feu. Le coin du feu parle de fêtes : L'hiver ouvre tous les salons ; Pour le bal, les robes sont prêtes, Fleurs, diamants, gaze, et festons. Il fait penser à la misère, Et quant maint pauvre sur la terre Grelotte, en blasphémant son Dieu, Avec une douce parole Allons lui porter une obole, Qu’il ait aussi son coin du feu! Au coin du feu, de la cuisine Voyez les splendides apprêts ! N'est-ce pas l'hiver qu’on festine ? Le parfum monte des buffets. La saillie éclate à la ronde, Mais que l'ivresse soit féconde, Au pauvre donnons notre enjeu, Et qu’enivré de la fumée Montant de sa pipe allumée, Il nous bénisse au coin du feu ! Le coin du feu rappelle l’heure Où sur le soir on vient prier, C’est le temple de la demeure Portant le doux nom de foyer. Consacré par l'amour du père, Les soins caressants de la mère, AE à 17 PES Pour l'enfant quel plus sûr milieu ! Il rappelle ces temps antiques, Où chacun aux dieux domestiques Rendait hommage au coin du feu. Le coin du feu réconcilie Des amis divisés longtemps : Janvier ramène l’harmonie, Fait taire les ressentiments. Dans les cœurs il n’est plus de haine ; L’amilié resserre sa chaîne Dans un baiser, dans un aveu, En dépit du froid et du rhume, Des souhaits aimable coutume, Quel bien tu fais, au coin du feu ? Le coin du feu, dans la bronchite, Est le premier de nos besoins ; C’est là qu’on attend la visite De l’ami qui donne ses soins. Mais voulez-vous que le catharre Cède aussitôt qu’il se déclare ? Écoutez, cela coûte peu. Rien n’égale, en thérapeutique, Cet effet, vraiment héroïque, Du vin chaud et du coin du feu. Le coin du feu nous peint la vie Dont pour nous les instants sont courts ; Faible lueur d'ombre suivie, Voilà l’image de nos jours. - — 64 — Mais, fi de la pensée amère ! Bientôt le printemps à la terre Rendra les fleurs et le ciel bleu. Enivré par la jouissance, Songe-t-on que la mort s’avance, Prête à sonner le couvre-feu. Dr R. GRILLE. SNS NM" ROSALIE BARBOT SOUVEÆNIRS DU VIEIL ANGERS Le 99 août 1869, la ville entière déplora la mort prématurée d’une femme dont la beauté virginale et le port majestueux charmaient les regards en même temps que ses vertus imposautes el son angélique dévouement édifiaient tous les cœurs. La Présidente des Enfants de Marie venait à peine de recevoir la couronne divine, après avoir confié l’avenir de son œuvre au directeur spirituel qui fut son ami avant d’être son collaborateur, quand la doyenne de ses auxiliaires, Mlle Barbot, s’em- pressa de la suivre. On nous saura gré, nous aimons à le croire, de tracer les principaux traits de cette zélée chrélienne ; sa mémoire est chère encore à plusieurs; on a beaucoup parlé d’elle, mais sans avoir rien écrit, à notre connaissance du moins. Il nous a semblé juste d'en donner une idée à la génération nouvelle. De même que Mlle Célestine Boguais, mais par des qualités différentes, elle a laissé une bienfaisante impression dans la société angevine, aprés avoir accompli une existence presque séculaire, entourée de vives amitiés, de reconnaissance et de vénéralion. SOC. D’AG. 5 DRE Avant d'évoquer une figure originale à laquelle on ne peut comparer personne de notre temps, qu’il nous soit permis d’esquisser. plusieurs portraits d’une famille dont notre pays doit s’honorer. La revue de cette petite galerie est d'autant plus intéressante, que l'unique héri- tier ‘ de ceux auxquels est consacrée cette notice, vient de mourir. En lui s’est éteint un nom tout angevin et des plus dignement portés. La naissance de Mlle Barbot à Angers, remonte au 4 février 1771, par conséquent sous le règne de Louis XV. Entre les deux termes de sa vie, elle put voir se succé- der .cinq ‘rois, deux empereurs et deux républiques. Quel thême de méditations pour les esprits chrétiens! Comment ne pas croire aux vérités suprêmes devant une telle démonstration de la vanité et de la fragilité des choses humaines! Mile Rosalie Barbot avait deux frères ; le jeune, nommé M. Esprit, justifia le choix de son prénom; il mourut célibataire, à un âge peu avancé, chef de bureau au Ministère des Finances. Voici ce que racontait Mlle Barbot au sujet du patro- nage invoqué pour son jeune frère. « Il était né, disait- elle, le 1er septembre 1774, jour de la Saint-Gilles, Or, un préjugé existait en Anjou prétendant que les enfants nés le jour de la Saint-Gilles, restaient privés d'intelligence tout le cours de leur vie. Ce préjugé était-il partagé, dans une certaine mesure, par les anciens de la famille? Toujours il advint que ce fût pour conjurer la fâcheuse influence sous laquelle était né 1 M. Prosper Barbot, décédé à Chambellay, le 18 octobre 1878. CO Jenfant, qu'on lui donna pour protecteur l’Esprit- Saint lui-même, auteur de toute intelligence et de tout savoir. On célébrait dans la famille la fête de mon frère le jour de la Pentecôte. » Bien que l'emploi de M. Esprit füt important, son aîné en occupait un supérieur, également au Ministère du Trésor. Le titre était : sous-directeur dans la division du Payeur général de la guerre, — premier commis, comme on disait sous le premier Empire. — M. Barbot fut promu ensuite aux fonctions de payeur de la Marine à Brest, puis de payeur général à Lyon, poste le plus élevé de son grade. Ce fut dans celte dernière ville qu’il demanda et obtint sa retraile avec les considé- rants les plus honorables. C'était un homme de haute capacité et d’une probité antique. Épris d’un tendre sentiment pour une jeune amie de sa sœur, Mile Bruneau, spirituelle et charmante personne que, d'aprés l’habitude naïve du temps, on avait surnommée Brunette, à cause de son droit d’ai- nesse, de son teint et de sa vive allure, il l'épousa, et malgré des contrastes apparents, elle si alerte, lui si calme, leur union offrit, pendant une durée de plus de cinquante ans, le modèle de la fidélité la plus constante et de la plus inaltérable harmonie. M. Barbot, dont la famille était intimement liée à la mienne, avait bien voulu accepter la charge de mon introducteur dans la vie chrétienne. C’est donc avec.un sentiment plein de douceur et de reconnaissance que je tâche d’esquisser la paternelle figure de mon parrain, lequel m’apparaît, ainsi qu'à tous ceux, hélas! devenus DO". Ve bien rares, qui s’en souviennent, comme le type de l’ancienne urbanité française. Il n'avait pas toujours montré cette égalité d'humeur. Son aimable et vénérable mère se plaisait à rappeler que le caractère de son fils était tout autre au temps de la jeunesse; son extrême vivacilé la rendait inquiète. Mais par l’effet d’une raison prématurée et d’une tendre con- descendance pour sa femme, il sut de bonne heure domi- ner une disposition qui tenait à son tempérament. Les années lui donnèrent le calme du sage. M. Barbot revint partager les jours de la retraite entre sa modeste propriété de Chambellay — c'était presque autant une ferme qu’un manoir — qu’il tenait des parents de sa femme, et la maison de famille, dans sa ville natale, où l’on remarquait sa belle figure grave encadrée d’une chevelure de neige. Elle rappelait à nos yeux, bien jeunes encore, par son expression loyale et bienveillante, celle de trois autres vieillards, inconnus à la génération actuelle, MM. Pachaut père, de la Pastan- dry et Retailliau, que l’on ne pouvait saluer sans être pénétré d’une sympathie respectueuse. Le père de Mle Barbot était procureur au Présidial d'Angers, et jouissait au Palais, comme dans la cité, d’une grande considération, due à ses connaissances et à son caractère. Il en reçut une preuve éclatante en 1787, quand il fut nommé, par la majorité des élec- teurs, greffier en chef de l’Assemblée des notables de la Généralité qui fut convoquée à Tours, et dont l'amiral de la Galissonnière était président, ainsi que M. Desma- zières, procureur général. M. Barbot, comme tous les PET ete hommes éclairés de son temps, avait embrassé avec ardeur l’espérance de réformer les abus de l’ancien régime, et ne cessa de se signaler, dans le grand parti honnête et national désigné par le titre de royaliste conslitutionnel. Lié d'amitié ainsi que de sentiments, avec les principaux chefs de celte opinion dans notre pays, MM. Brevet de Beaujour et de Dieuxie, il fut appelé aux fonctions importantes de membre du Directoire du département, dont le second était président. Mais les jours néfastes ne tardèrent pas à succéder aux illusions premières. MM. de Dicuxie, Brevet de Beau- jour, entourés de MM. Couraudin, La Réveillère aîné, Tessié-Duclozeau, malgré les supplications et les larmes d’une population qui les vénérait, furent entraînés à Paris, et la plupart de leurs amis, M. Barbot en tête, allèrent expier en prison, au grand séminaire d’abord, puis au Château, le crime de n'être animé que d'un pur patriotisme et d’être lié avec les meilleurs citoyens. Bientôt la nouvelie du supplice de nos compatriotes’ à Paris, sur la place de la Concorde, vint causer à Angers une consternation dont les vieillards ne parlent encore qu'avec une émotion profonde. Si douloureux que fût le retentissement de ces assas- sinals juridiques, d’autres angoisses vinrent s’y joindre. On tremblait sur le sort des constitutionnels, des mo- dérés, qui étaient lenus en prison au secret le plus absolu. On savait seulement qu'ils étaient en proie à un affreux dénuement, et souffraient de toutes sortes de souffrances. Leur sort inspirait des craintes d’autant plus vives que les plus vaillants, frappés de cette stupeur indéfinissable que l’on a si bien nommé la Terreur, TR EE n’osaient plus intercéder pour des victimes condamnées d'avance. Dans les premiers temps de la détention de M. Barbot à Saint-Serge, sa fille obtenait quelquefois, non sans peine, la permission de le voir. Alors tous les malheurs semblaient réunis. C'était l’époque du maximum. On ne se procurait qu’à grand’peine des vivres mangeables, à des prix exagérés, et tout le monde était pauvre. Le pain surtout répugnait aux appétits les plus indul- gents; encore ne pouvait-on en obtenir que par faveur rare ou grâce à une extrême diligence. L'amour filial de Mie Rosalie s’ingéniait pour pro- curer quelque adoucissement au cher prisonnier. « Pendant l’hyver de 1793 à 94, disait-elle, je me « rendais, un petit panier au bras, à la porte du bou- « langer. On prenait la file au moyen d’une corde que « chacun était censé tenir; mais les rangs étaient sou- «vent intervertis par des hommes, ou grossiers ou « affamés, qui abusaient de leur force pour dépasser « les femmes et les enfants. Toutefois il arrivait sou- « vent que d’honnêtes ouvriers, touchés de ma persé- « vérance, me disaient tout bas : tenez, citoyenne — € on n’osait pas dire mademoiselle de peur d’être arrêté « comme susp£ct — passez devant; on voit bien que « vous avez bon cœur; il fait froid, et vous n’êtes pas, & comme nous, habituée à la misère... » Se procurer du pain et voir son père, tels sont les deux problèmes qu’il s’agit d’abord de résoudre; ce n’est pas chose facile en ce temps de famine et de per- sécution. Ce pain, qui lui a manqué plus d’une fois, la courageuse fille apprit alors ce qu’il coûte parfois à AE 0 gagner. Les jours de fêtes étaient ceux où l’on recevait une boîte, remplie de miches, adressée par un parent de La Flèche, dont les habitants se montrèrent pleins de compassion pour leurs anciens compatriotes d'Angers. Le petit panier complété, on se dirige vers la prison; mais la porte est bien lente à s'ouvrir. Combien de gens'il faut solliciter et prier! Enfin la pauvre demoi- selle a obtenu de franchir le seuil. L'entrée dans la terre promise ne lui eut pas semblé plus heureuse. La joie de revoir son père, de le voir faire honneur au modeste diner qu’elle lui apporte n’est pas acheté trop cher par les peines et les ennuis de toute la journée. Encore une telle faveur ne s'obtient que rarement. Il faut quelquefois passer de longues heures à la porte, au milieu de la foule qui attend la même grâce, les pieds dans la boue, bravant les intempéries de l’hiver, essuyant les rebuts et même les injures des geôliers qui se font un méchant plaisir de repousser les solliciteuses désolées. Ce n’est qu’à prix d'argent et de patience qu’on parvient à les fléchir. À celte époque maudite, de jeunes filles, de faibles femmes hérilérent du courage qui semblait avoir * abandonné les hommes. Mlle Barbot, alors âgée de vingt- trois ans à peine, n'avait qu’une idée fixe, sauver son père. L’effroi qui glaçait toutes les bonnes intentions, ne la découragea pas. Sa résolution fut bientôt prise, et en cela elle était plus mérilante qu’une autre, car il faut bien l'avouer, animée au plus haut degré des senti- ments généreux naturels à la jeunesse, elle n’en possé- dait point les séductions. Remplie d'intelligence et de cœur, elle était absolument dénuée des grâces de son A y 0 EE sexe, à tel point que nous avons entendu dire à sescon- temporains les plus bienveillants qu’elle ne fût jamais mieux à $on avantage qu'à cinquante ans, où l’on oubliait les ravages de la petite-vérole sur son teint trop méridional, pour ne remarquer que l'éclat de ses yeux singulièrement bons et spirituels. Malgré tous ces désavantages, un matin d’avril 1794 elle partit seule, vaillante, du modeste logis de famille, où la désolation avail si promptement succédé au bonheur, et armée seulement de la bénédiction de sa mère, n’ayani d'autre titre que celui de suppliante pour un père qu’elle ché- rissait, elle alla frapper à la porte de tous les juges du tribunal révolutionnaire. Sans se laisser rebuter par des peines inouies, sans être découragée par de grossiers outrages, à force d'adresse, de persévérance et de pré- sence d'esprit, elle parvint à pénétrer jusqu’à l’antre de chacun de ces sinistres personnages, et déploya devant eux tant d’éloquence spontanée, tant de ressources d'imagination, qu’elle réussit à toucher presque tous ces cœurs endurcis, qui ne connaissaient plus ni justice ni pilié. Dans les accès d'expansion de ses dernières années, Mlle Barbot racontait avee une simplicité piquante, mais non sans un cerlain saisissement, que le président du tribunal l’accueillit avec un ton de rudesse atténuée qui pouvait passer pour de l’indulgence, aux yeux des témoins habituels de ses emportements. Cependant, c'était ce même Félix qui, peu après, lors de la réaction thermidorienne, mandé à la barre de la Convention, répondait à l’accusateur. lui reprochant d’avoir con- damné plus de cinq mille Vendéens : « C’est une erreur, Re « je n’en ai fait fusiller que dix-huit cents! » Le Car- rier angevin demeurait au fond de la cour d’une vieille maison sombre de la rue du Cornet, et l’on ne péné- trait jusqu’à lui qu’à travers uné double haie de sans- culottes, presque tous armés jusqu'aux dents, et qui regardaient les solliciteurs, et surtout les solliciteuses, d’un air soupçonneux et farouche. Après avoir pris congé de ce terrible juge, peu sen- sible aux circonstances atténuantes, Mlle Barbot s'étant arrêtée un instant dans l’antichambre pour connaître l'effet de sa visite, entendit le proconsul dire à son secrélaire : « La petite est boug..ment laide, mais elle « a oublié d’être bête. » Quel que fut le sens encoura- geant de ces flatteuses paroles, l'élargissement sollicité avec tant d’ardeur n’était point ordonné, et les arrêts du tribunal de sang devenaient chaque jour plus impi- toyables. Ce fut alors que d’après l'inspiration person- nelle de Robespierre, on organisa à Angers comme dans toutes les villes de France, la fête de l’Être suprême. Pour former les chœurs du cortège qui par- courut les principaux quartiers de la cité, on recher- cha les jeunes personnes appartenant aux familles de fonctionnaires, et surtout à celles des proscrits. En me- naçant les parents, qui refuseraient d'envoyer leurs enfants à celte parodie de procession, des plus odieuses vengeances, on promettait au contraire des grâces presque inespérées aux familles qui seraient dociles à la voix de l’aulorité. La mère et la fille de M. Barbot ne furent point à l'abri de ces menaces et de ces promesses. Les pauvres femmes, en proie à une douloureuse anxiété, hési- Me, Ce tèrent longtemps. Enfin Mie Rosalie fut engagée par sa mère à se joindre, coiffée à la grecque, en robe blanche, un bouquet de roses à la main, aux groupes composés des noms les plus honorables de la ville. Les chants d’ailleurs consacrés à célébrer la puissance du Créateur de l’univers, les bienfaits de la paix, les charmes de la fraternité, ne respirant que les pensées les plus douces, formaient un contraste étrange avec les actes sangui- naires de ceux qui contraignaient à rendre hommage à des sentiments si louables. Cette condescendance fléchit-elle les implacables ennemis du mérite et de la vertu ? Sans oser l’affirmer, on doit le croire, car M. Barbot ne fut point traduit en jugement. Enfin le 9 thermidor le rendit à sa femme et à sa fille qui, à bout d'efforts et d’espérance, ne s’attendaient plus à le revoir. La dernière racontait à merveille comme tout ce qu’elle racontait, cet épisode de sa jeunesse. Elle n’y mélail aucun embarras, car il ne faut pas juger la génération qui nous a précédés d’après les idées de notre temps. Dans ses récits, qu’elle réservait pour ses intimes, mais qu’elle recommençait de bonne grâce, chaque fois qu’elle y était provoquée, lexcellente femme ne faisait pas paraître la moindre nuance d’orgueil ou de confusion, tant les sacrifices à amour filial lui semblaient naturels à une époque où Mie de Sombreuil, et chez nous Mile Béconnais', eurent tant de sœurs inconnues. 1 Au cours de l'année 1794, une bande de pillards, âprès avoir incendié le château de Montjean, assaillit le bourg de Rochefort. A leur approche, les principaux habitants se reti- rérent sur l'ile dés Lambardières, en traversant le Louet. LA 7 Que:l'on nous permette de placer ici deux épisodes rétrospectifs. Le 24 juin 1793, après la victoire de Sau- mur, les Vendéens arrivent à Angers. Toutes les auto- rités, civiles et militaires, s’élaient retirées à Château- gontier. La ville restait sans défenseurs. On annonçait de la part des insurgés les projets les plus menaçants. M. de Ruillé, mis à la tête de l’administralion provi- soire, se rendit au devant des vainqueurs et obtint que leur entrée dans nos murs serait toute pacifique. On sait que ce généreux ciloyen paya de sa têle son admirable dévouement. Pour toutes représailles, les Vendéens se contentèrent de brüler sur la place du Ralliement les insignes révo- lutionnaires et de rendre à la liberté les royalistes détenus dans les diverses prisons. Les clefs de celle de la place des Halles avaient été déposées, en sa qua- lité de magistrat municipal, chez mon grand-père ma- ternel, qui demeurait dans le voisinage, place du Pilori. Absent comme tous ses collègues, mon grand-père avait laissé la garde de la maison à sa femme et à ses filles. Ce furent elles qui reçurent la visite d’un jeune officier vendéen, dont le fier regard, la douce voix et la taille élégante causaient tout d’abord une impression M. Béconnais, malade, ne put les suivre. Soutenu par sa fille, il venait de gagner le bord opposé de la rivière lorsque les incendiaires apparurent. En les voyant incliner leurs fusils, et coucher en joue les fugitifs, M'le Béconnais se jeta devant son père et le couvrit de son corps. Atteinte de plusieurs balles, ‘elle parvint cependant à gagner le bord de la Loire, où elle fut recueillie, inondée de sang; mais elle avait préservé son père. Mie Béconnais survécut à ses blessures et mourut, dans un âge avancé, à Beaufort, où elle était entourée du respect universel. SVT ONE sympathique. — « Madame, dit-il en s'adressant à ma « grand-mère avec une courtoisie parfaite, je sais que « vous possédez les clefs de la prison des Halles. Vou- « lez-vous bien me les remettre et me faire l’honneur « de m’accompagner, car je connais peu votre ville et « je vous serais bien reconnaissant de me servir de « guide. » En disant ces mots, le bel officier offrit avec une grâce charmante son bras à la respectable dame, suivie de sa fille aînée et de Mle Rosalie qui ne manquait aucune bonne occasion de se trouver avec ses amies. Ma grand’mère que j'aime à me représenter avec son costume de l’ancien temps, sa petite taille et ses traits délicats respirant une exquise bonté, joignait à une piélé vive un tendre attachement à la famille royale; aussi elle était tout heureuse d’obliger un défenseur du trône et de l'autel. Malheureusement le trajet fut bien court, et l’entretien se borna, de la part du noble étranger, à quelques formules de politesse. Rendu à la porte de la prison, il y fut accueilli par d’autres officiers qui s’avançaient vers lui avec les marques d’un grand respect. Il quitta le bras de sa compagne, la remercia, et en la saluant, le sourire aux lèvres, lui dit : « Vous « et mesdemoiselles vos filles, Madame, vous vous sou- « viendrez peut-être un jour, sans peine, que vous « n’avez pas craint d'accompagner un chef de brigands". « Je me nome Ilenri de La Rochejaquelein. » Avant d’expirer, la terrible année 1793 devait offrir ! Brigands et Bleus, telles étaient les désignations, adoptées en ce temps, des insurgés et des républicains. sr à nos pères une scène bien différente de celle que nous venons d'indiquer. Le 3 décembre, les Vendéens, après avoir écrasé les Mayençais dans leur dernière victoire à Dol, arrivent sous les murs de notre ville, dont la prise leur est nécessaire pour repasser la Loire. L’incapacité certaine et la trahison présumée du général Danican qui, plus tard, entraîna la défaite des Royalistes au 13 vendémiaire, donnait beau jeu aux assaillants; plu- sieurs hommes énergiques, entraînés par le commandant Ménard, suppléèrent à cette défaillance. On résolut de se défendre avec vigueur. Les rem- parts sont réparés à la hâte; on ne les quittait ni jour ni nuit. Les femmes et les enfants des officiers et des soldats de la garde nationale — la iroupe était peu nombreuse et mal disposée — apportaient des muni- tions et des vivres à leurs parents et amis. Ce n’était pas sans péril qu'ils remplissaient ce devoir, et ce fut dans une visite aux défenseurs du bastion de la porte: Saint-Michel, que l’aînée des sœurs de ma mère, avec son inséparable compagne, Mle Rosalie, se trouva exposée à un feu si rapproché, qu’une balle, pénétrant par un créneau agrandi, vint briser l’un de ses sabots. Quel temps que celui où l’on n’échappait à un danger que pour tomber dans un autre, où l’on se trouvait contraint de prendre parti dans la luite, souvent contre ses propres sentiments et où des circonstances indé- pendantes de voire volonté vous exposaient à combattre ce que l’on avait de plus cher! On sait combien les éléments de la société française parvinrent rapidement à se reconsliluer aprés une suite de catastrophes où il semblait que tout ce qui était EREer Pen EEA grâce, esprit, beaux-arts, littérature, religion, devait avoir .succombé. Partout se reformérent des cercles plus ou moins importants, où les intelligences d’élite se groupérent, comme des naufragés autour d'un foyer salutaire qui leur rend la chaleur et la vie. Dans notre ville entre autres, plusieurs salons né tardérent pas à s’ouvrir, et leur heureuse influence qu’a si habilement apprécié le fidèle historien de nos gloires parlemen- taires ! se fait sentir jusqu’à nos jours. M. Barbot nommé juge, dès la formation du tribunal de première instance, avait réussi à composer des débris de son patrimoine une aisance modeste mais indépen- dante. Sa fille, guidée par ses prédilectionsintellectuelles, secondée par les goûts de son père et la bonté inaltérable de sa mère, mit tous ses soins à profiter de celte situalion mitoyenne et paisible. Le théâtre de son action ne pouvait être mieux choisi. C'était une habitation calme et retirée, bien qu’au mi- lieu du monvement de la ville, près de la Préfecture. Elle avait dû appartenir à un chanoine *, tant'elle res- pirait la quiétude, tant elle était entourée de cette atmosphère qui invite à l’étude et à la piété. La rue des Lices n’exislait pas encore. Elle élait occupée, presque tout entière, depuis la tour jusqu’aux fossés de Ja ville, transformés ensuile en boulevards, par les jardins de 1 M. Bougler. Le Mouvement provincial en Anjou. ? La maison occupée par Mmes Barbot avait servi d'habitation, nous disait-on, au prieur de l’abbaye voisine de Bénédictins, aujourd’hui la Préfecture. L’une de ses ailes conservait des détails extrémement fins d'architecture de la Renaissance, comme à cette époque on en remarquait dans un grand nombre de logis angevins. MT Mme Noireau *, où l’on nous permettait de jouir dans les grands jours, de perspectives de terrasses, de balus- trades à l'italienne, d’escaliers et d’ombrages qui ont toujours fait tort, dans mes souvenirs, aux magnificences de Versailles et de Fontainebleau. Quand on se rendait joyeusement aux invitations tou- jours empressées des dames Barbot — c'était le terme usité — on traversait le petit mail de la Préfecture, en foulant aux pieds le sol de la basilique si déplora- blement détruite, non par la rage révolutionnaire, mais de sang-froid, par le préfet, M. Bourdon, et l’on faisait retentir la sonnette argentine d’une pelile porte qui ouvrait son hospitalité presque au pied de la tour Saint- Aubin, On entrait ensuile dans une vaste cour dont le silence n’était interrompu que par les roucoulements des oiseaux familiers du logis, par les sifflements des mar- tinets, ou le soir, par les plaintes mélancoliques des hôtes nocturnes du clocher de l’abbaye. Une végétation tenace recouvrant les interslices du pavé, luttait victo- rieusement contre l’amour de propreté de la bonne vieille Perrichon, une de ces servantes taillées et coif- fées à l'antique, comme elles n’élaient pas rares alors; puis, on se trouvait vis-à-vis d'une façade tapissée de plantes grimpantes, encadrant des fenêtres à petits losanges de plomb, derrières lesquelles eut rêvé avec délices le Liseur de Rembrandt, que l’on admire au Louvre. 1 Mme Noireau, veuve du colonel de gendarmerie, chargé, en 1815, d'arrêter à Beaupréau, le duc de Bourbon; son hôtel existe encore presqu’en enlier, occupé, en grande parle, par M. Bresseau, facteur de pianos. Las Pa L’attention se dirigeait d’abord vers un petit logis, à bas étage, située à gauche, en entrant, et d’où s’échap- paient les sons grêles d’un antique clavecin. Le piano, bien que répandu dès lors, n’avait pas encore détrôné humble instrument sur lequel Haydn composa ses symphonies. C'était en effet un de ses admirateurs que Von entendait. S'il n’avait pas le génie de l’auteur des Saisons, il s'en rapprochait par son costume et sa physionomie. M. Boyer, l’organiste de Saint-Maurice, comme les anciens maîtres de chapelle, comme M. Voillemont, dont il fut l’élève, avait une tenue semi-ecclésiastique : habit noir à larges basques, perruque à frimas, culotte courte et souliers à boucle. C'était un petit homme, au regard fin, à figure douce et modesle, tel à peu près que l’on se représente Haydn. L'été on le voyait, près de la fenêtre, absorbé si profondément par la compo- sition ou la copie de ses œuvres, qu’il ne s’apercevait nullement de notre curiosité. Si la distraction de M. Boyer était proverbiale, son jeu touchait par le sen- timent. Il excellait surtout dans la reproduction des noëls et des chants naïfs de l’ancienne liturgie; seu- lement il ne les appliquait pas toujours à propos. Ainsi il lui arriva plus d’une fois, d'accompagner par l’air : Quand trois cannes vont aux champs... la procession de la grand'messe, au moment où Mer Montault se mettait en marche avec ses deux vicaires généraux. L'indulgent évêque souriait de la méprise, mais ne voulait pas que l’on en prévint le bon vieillard, dans la crainte de lui causer quelque peine. get CUS La distraction de M. Boyer n'avait d’égale que sa timidité. La moindre observation le déconcertait; Pombre d’un reproche lui eut fait perdre la tête. Avec des dispositions si sensitives on conçoit qu’il répondit souvent de travers; sa conversation était émaillée de fréquents quiproquos. Toutefois, même dans l’art des réparties qui lui était si étranger, il eut son jour, et son ingénieux compliment à Boïeldieu lui attira une foule de félicitations inattendues sur le talent d'improvisation qu’il montra en cette circonstance; elle fut probable- ment unique dans sa vie. Après le succès des Voitures versées dont le sujet, dit-on, est dû à un accident survenu près de La Flèche ', le célèbre compositeur, qu’on peut si justement appeler le chef de l’École française, vint à Angers. Enfant de l’église, comme presque tous les grands musiciens, Boïeldieu, chez qui la distinction et l’aménité s’accor- 1 J'avais toujours cru à la tradition qai place à Bazouge, près du château de la Barbée l'accident de voiture dont Emmanuel Dupaty, en prose, et Boïeldieu, en musique, ont tiré un excel- lent parti. Notre collègue, M. E. Lachèse, dans son intéressante Excursion à Saint-Georges, m'a fait revenir de cette méprise en donnant une bien plus noble cause à l'inspiration de nos au- teurs. Elle remonte à Louis XIV qui, en dépit de sa gloire, versa comme un simple mortel sur la route qui borde le parc du chà- teau de Serrant. Quatre vers des Mémoires de Loret constatent cet épisode de l’itinéraire du Roi à Nantes. D'ailleurs l'indication du point topographique est confirmée par un passage du spiri- tuel Libretto des Voitures versées. Cependant comme mon siège était fait lors de la lecture de M. Lachèse, je n’y ai rien changé, par ce motif, s’'accommodant à mon amour-propre, que les tra- ditions ont toujours un fond de vérité. L'accident du château de Serrant a très bien pu se produire près du château de la Barbée, sans qu’un personnage, aussi illustre que le jeune prince, en aït été victime. SOC. D’AG. 6 A D ALIS daient avec le sentiment de la reconnaissance, ne man- quait jamais, dans ses voyages, de visiter les cathé- drales et les maîtres de chapelle. Après avoir entendu M. Boyer exécuter à Saint-Maurice, sur le bel orgue de Danville, qu'il voulut aussi toucher, plusieurs de ses motifs favoris, il le remercia de la manière la plus gra- cieuse, et termina à peu près par cet éloge : « L’instru- ment et l'artiste sont dignes l’un de l’autre : en vous écoutant je me sentais reporté aux jours de mon en- fance. Vous avez raison de suivre si fidélement les bonnes et vieilles traditions. La maîtrise d'Angers doit être heureuse de vous avoir à sa lête, Monsieur Boyer. — Merci, Monsieur, répondit celui-ci en rougissant; mais je ne suis que Boyer tout court, tanis que vous, vous êtes Boyer le Dieu. » Cette digression n’est pas tout à fait un hors-d’œuvre, car M. Boyer comptait parmi les hôtes de Mme Barbot, qui tenaient en grande eslime, outre le talent de leur plus proche voisin, sa douce piélé et le calme de ses habitudes. On serait loin de la vérité en supposant que le trajet de la porte extérieure à la porte de l'habitation dans laquelle, enfin, nous allons entrer, s’effectuât d’un pas rapide. Plusieurs motifs amenaient plusieurs haltes dans la cour. D'abord 1il fallait deviser un peu avec la fidèle Perrichon qui venait ouvrir; car, à celle époque, bien plus constante que la nôtre, on regardait les vieux domestiques comme des membres de la famille; ils mouraient au milieu d’elle, après y avoir passé une vie de dévouement, récompensée par une confiance absolue. 109 2 Ce bonjour cordial échangé,une autre pensionnaire de la maison venait vous souhaiter la bienvenue en sautillant et jacassant : c'était une pie, sujet intarissable de plaisan- teries auxquelles sa maîtresse se prêlait de la meilleure grâce. « On assure, disait-clle, que les vieilles filles affectionnent surtout les bètes qui ont leurs défauts, c’est sans doute le motif de ma prédilection pour Mar- got; j'ai aussi des tourterelles, mais mon ami le doc- teur G°**, — on n’est jamais trahi que par les siens, -— prétend que j'use d'hypocrisie, en cachant derrière la douceur de la colombe, la malice de l'oiseau babillard par excellence. » La pauvre Margot avait des fortunes diverses. Tantôt elle fut victime de l'humeur de chiens indignes des pré- venances de Caquet Bon-bec, ma mie’. Tantôt, l’ingrate — elle volait en pleine liberté — désertait vers des bandes de corneilles qui prenaient leurs ébats de la tour Saint- Aubin aux flêches de Saint-Maurice. On a connu cinq générations de pies; il y eut : Pie une, Pie deux. Si je ne me trompe, on s'arrêta à Pie six, sans doute par res- pect pour le Pape, notre contemporain; peut-être aussi à cause du chagrin que suscila la fin lamentable de ma mic, cinquième du nom, et de ses congénères, qui l'avaient précédée dans la royauté de son petit domaine. Après le dialogue d’agaceries avec Margot, il était difficile de ne pas jeler un regard sur la tour qui dominait le modeste logis, comme un donjon du moyen âge. Cette imposante construction du xne siècle conser- vait alors toute sa majesté première. La maussade ! La Fontaine. L'Aigle et la Pie. CE NE calotte d'aujourd'hui ne la déshonorait point, et les quatre angles de son faîte étaient garnis de tourelles du meilleur effet. Complètement abandonnée, elle n’était hantée que par les oiseaux du ciel, heureux de trouver un asile inviolable dans les fissures de ses murailles, ou dans les touffes de lierre qui en revêtaient l’exté- rieur. La pièce du rez-de-chaussée, précédée d’un perron dallé en ardoise, servait de bûcher. Nous deman- _dions parfois à y accompagner les servantes ; mais cette curiosité n’était pas exempte de crainte, car les ténèbres y régnaient le jour comme la nuit. Le vent qui s’intro- duisait dans ce gouffre immense et sonore, y produisait des gémissements lugubres, et les chauves-souris, fasci- nées par l'apparition de la lumière, voltigeaient à l’entour en poussant des cris d’effroi. Enfin, les préliminaires terminés, après avoir fran- chi le seuil du logis, on s’engageait, à gauche, dans un corridor assez obscur, au bout duquel on gravissait un escalier en spirale; puis on entrait, du premier palier dans une antichambre boisée, décorée de gravures et de caricatures, du temps du Directoire et de l'Empire, et sans être annoncé, après avoir frappé discrètement en ami, on pénétrait dans un vaste salon où tout respi- rait le bon vieux temps. Il était tendu d’une chaude tapisserie de laine *, tenu avec un soin scrupuleux, 1 Cette tapisserie, due à la riche industrie des cités flamandes qui, aux derniers siècles, garnissait de ses confortables produits toutes les habitations tant soit peu aisées, représentait une suite. de pastorales. Elle laissait à désirer pour les observateurs tant soit peu scrupuleux de [a perspective; les bergers dépassaient le toit des maisons, et les agneaux égalaient la taille des gé- nisses ; mais le peintre avait jeté sur le plumage des oiseaux des sl, QS et garni d'une large cheminée où flambait un feu réjouis- sant. Une bonne vieille dame, en toilette de 1810, répondant à votre salut de l'air le plus affable, était assise à l’un des coins de cette cheminée. Elle dévidait à un rouet, noir d’ébène, des écheveaux de soie couleur d’or, ou, plus souvent, elle filait à une quenouille, re- tenue par des rubans, du lin blanc comme des flocons de neige. Sa fille, Mle Rosalie, possédait pour tous les ouvrages de main une dextérité de fée. Elle changeait souvent d'occupation, car, si la stabilité était un des traits du caractère de sa mère, là mobilité était son par- tage. Elle vous avait vu entrer dans la cour, et vous la trouviez presque toujours debout, prête à vous accueïllir avec un sourire affectueux et une saillie spirituelle. Veillant à tout et s’apercevant de tout, aimant à aller et venir, elle passait sa journée, comme labeille dili- gente, dans une activité toujours utile et bienfaisante. La petite maison de la cour Saint-Aubin *, à l'ombre de la vénérable tour, avec sa cour verdoyante, ses murailles tapissées de jasmin et de chévrefeuille, couleurs si brillantes, les traits de ses personnages respiraient un bonheur si parfait, qu’on se plaisait à considérer les créations de son caprice, et l’on pardonnait à l’artiste l’invraisemblance des détails en faveur de l’harmonieux effet de l’ensemble. Cette pièce de haute lice, si commune alors, et si recherchée aujourd'hui, provenait de la vente du mobilier de Bernadotte lorsque ce personnage échangea son bâton de maréchal contre la couronne de Suède, sacrifiant ainsi la religion de ses pères, et oubliant bientôt sa première patrie au moment de nos revers. ! Cette cour débouchaït d’un côté sur le petit mail de la Pré- fecture, de l’autre sur la rue Saint-Aubin, par un portail de couleur locale, au chaperon plaqué d’ardoises en guise d’écailles comme on n'en voyait qu'à Angers. LISE n'existe plus; mais, en nous en souvenant avec charme, nous pouvons donner l'assurance qu’il en était bien peu, dans notre ville, où l’accueil fût empreint d'autant de bienveillance et d’une aussi agréable distinction. Je ne dois pas omettre le trésor de ce salon, où l’on ressentait, dès l'entrée, un si doux bien-être d’esprit et de cœur; c’élait un tableau de petite dimension, donné par l’auteur, M. Prosper Barbot, neveu de Mlle Rosalie, et placé de côté, en vive lumière, entre la cheminée et la fenêtre. Il représentait un site d'Italie, aux envi- rons de Gênes. Deux jeunes gens, en costume d’artiste : redingote bleue, pantalon gris, cravate nouée négligem- ment, hâvre-sac au dos, sont arrêtés à la cime d’une colline. L’un appuyé sur le genou, achève rapidement une esquisse, tandis que l’autre, debout, inquiet, montre à son compagnon la nuée qui s’assombrit à l'horizon. Ces deux jeunes gens, tendrement liés, étaient frères, et la menace de l'orage semblait un présage de leur séparation prématurée, par la mort, si regrettable, de Charles, qui était l’aîné. Que j'ai rêvé en contemplant celle œuvre touchante, image si vraie et si mélancolique de la vie, surlout pour ceux qui ont perdu leurs com- pagnons avant d’être arrivés au terme de la roule, et qui sont soutenus par la confiance de les retrouver dans cetle terre promise où il n’y a plus d’orage ‘! De 1800 à 1839, le salon de Madame Barbot offrait, ! Ce tableau était une copie arrangée d’après l'original, peint par un des camarades de M. Prosper. Louis Dupré, dont !e nom n'a survécu que dans un petit groupe d'artistes et d’amateurs, avait beaucoup de talent. Il était pensionné à Rome par Jérôme Bonaparte, ancien roi de Westphalie. ON as toute proportion gardée, l’attrait des salons les plus renommés de la capitale. C’était la même urbanité, la même variélé de goûts, d’occupations, la même sollici- tude souriante pour les plus timides, les plus enfants. La maîtresse du logis, padrona di casa, comme disent si bien les Italiens, possédait éminemment le don, en paraissant s’effacer, de faire valoir le mérite individuel, de mettre ses invités sous le jour le plus favorable, de sorte que chacun 5e trouvant à l’aise, et réussissant à son gré, élait satisfait des autres, auxquels il donnait à son tour une excellente idée de sa personne. On s’y livrait successivement à l'attrait de la conversation et de la lecture. Aucune production littéraire, contemporaine, n’était négligée, et l’on passait sans effort, sans la plus légère fatigue, d’entreliens sérieux mais toujours aima- bles, aux jeux les plus nouveaux, surtont les plus ingénieux. Les plaisirs de cette société privilégiée étaient renou- velés par les voyages à Paris de plusieurs de ses membres, entreprise hardie, bien rare dans le premier quart du xixe siècle, et qui produisait toujours un renaissant trésor de nouvelles. Ges plaisirs étaient ali- mentés surtout par un courant de correspondance entre la cour Saint-Aubin et la rue des Bons-Enfants, près le Palais-Royal, où demeurait M, Barbot aîné; d'ordinaire il confiait ce soin à sa femme aussi brillante d’esprit que de beauté. Après Mie Barbot, dont la verve et l’enjoue- ment intarissables provoquaient et animaient tout le monde, l’âme des réunions était le plus vieil ami de la maison, et celui qui lui fut le plus fidèle. À côté du docteur Guépin, on voyait M. Hochet et Mme Hochet, qui RASE se nomma d’abord Mme Brevet de Beaujour, et bien d’autres, que nous voudrions nommer, y apportaient le charme et le mouvement de leur esprit et de leurs souvenirs. Cependant, nous ne pouvons résister au plaisir de passer en revue rapide les hôtes habituels du salon des dames Barbot. Comme si c'était hier, nous nous y représentons, dès l’aube de nos souvenirs à soixante ans de distance — il mourut en 1819 — M. de Jully, ancien directeur des domaines, avec ses traits fins et souriants, sa bonté si courtoise, son costume de finan- cier d'autrefois, perruque à minces rouleaux relevés et poudrés, ample habit à la française; M. Duboys père, plus tard appelé Duboys d'Angers, l’orateur du Champ- de-Mai, alors dans toute la puissance de sa nature et l’éclat de son éloquence; le docteur Perdrau et sa spi- rituelle femme, en rapport continu avec le mouvement de la capitale par sa famille, d’ancienne bourgeoisie ; leur frère, l’aimable et savant commandant Perdrau, en garnison à Dunkerque, et qui passait ses meilleurs jours de congé dans ce groupe d’amis, ainsi que le colonel Moron qui venait de Rennes où il dirigeait l'arsenal; ses trois sœurs, qui restaient de cinq, toutes compagnes d'enfance de Mlle Rosalie ; le docteur Bry, dont le jeune et excellent fils, Adolphe, mourut, victime de son dévouement, interne à l’hôpital Saint-Jean; M. Lardin, digne père du magistrat dont la vie fut si honorable et. dont la mémoire est si respectée; M. Toussaint Grille, à qui la ville doit sa bibliothèque; on appréciait telle- ment son érudition, que d’une commune voix on le nomma l’anfiquaire; le docteur Logerais qui savait une. Ne foule d’anecdotes sur les familles anciennes dont il était le médecin; bien qu’il eut quitté l'épée pour la toge, M. Jubin préférait aux nouvelles du palais, le récit de ses campagnes, en qualité de quartier-maître du 3e bataillon de Volontaires commandé par M. Duboys; sa figure placide révélait peu l’ascendant enthousiaste qu'il éxerça sur la jeunesse angevine de 1789; M. Claveau, assez modeste pour ne s'être jamais pré- valu des titres de noblesse conférés à son père, le der- nier maire d'Angers qui eut cet honneur; M. Pavie, dont le goût, comme le cœur, était si délicat, et qui avait su conserver dans toute sa purelé, à travers les vicissitudes de la révolution, la passion de la littérature et des beaux-arts. Sous l’humble titre d’Affiches d’An- gers son journal avait pour épigraphe : sine ltteris vita mors est. On y trouvait, quand les articles à vendre ou à louer le permettaient, des morceaux indigènes ou exotiques, en prose et en vers, d’un choix excellent et dont la collection serait bien précieuse ; le brave et bon commandant Cresteau, à la figure martiale et joyeuse. Beau-frère du capitaine de vaisseau, Roux, s’il était grand par la valeur, sa taille n’y répondait guëre. « A la tête de mon escadron, disait-il, on ne voyait qu’un casque et une cuirasse; » entre hauts faits, il figura très- honorablement dans la célèbre charge de cuirassiers qui décida la victoire de Friedland; M. Le Boucher, qui, malgré la modicité de sa fortune et le nombre de ses enfants, eut le noble courage de quitter, en 1830, par scrupule de conscience, le parquet du tribunal civil; enfin, M. Bougler, le plus jeune du groupe, qui, de Beaupréau, où ilétait procureur duroi, consolait de son 90. © absence par des lettres attendues avec impatience, lues avec'bonheur, écoutées avec un recueillement admiratif. Cette correspondance, semée de traits et de citations par une mémoire des plus remarquables, était le pré- lude de l’histoire des députés de l’Anjou, si riche de faits racontés avec charme et si digne d’un magistrat intêgre, par la haute impartialité des jugements. Deux autres Angevins, de rare distinction, occupant à Paris des positions élevées, ne manquaient jamais de comprendre Mme Barbot dans les visites qu’ils faisaient à leur ville natale. L'un était le général de division Evain, l'aîné de cette belle famille, composée de six frères et sœurs qui tous, élevés par une mère de grand mérite, sortirent d’une boutique de la rue Baudrière pour arriver à une brillante et légitime destinée. Mlle Rosalie était surtout liée avec les deux plus jeunes, Mie Agathe et M. Florent qui se rapprochaient de son âge. Mie Agathe fut recherchée en mariage par lillustre général Drouot; mais la délicatesse de sa santé l’obligea à un refus dont elle resta inconsolable. Quand son frère fut nommé ministre de la guerre en Belgique, elle le suivit à Bruxelles, et devint la princi- pale dispensatrice des charités de la reine Louise, de sainte mémoire. À M. Florent revient l'honneur d’un trait que l’on nous cita souvent comme ‘exemple de l'union de cette famille. Lors de la retraite de Moscou, on ne recevait aucune nouvelle du deuxième des frères, colonel d'artillerie : enfin, le bruit de sa mort parvint à M. Florent qui résidait à Paris en qualité d’inspec- teur des Postes. Il part en toute hâte et contre toute espérance, arrive à Kænigsberg, et, près de franchir la ss Of = frontière de Russie, sur la route de Wilna, il aperçoit couché, au bord d’un fossé, un officier français, à peine couvert de lambeaux d’uniforme, succombant à la fatigue et à la faim; il descend de voiture, s'approche du moribond : c'était son frère. Peu après lavoir sauvé, de retour en France, il épousa Alle Gendarme, une des plus riches héritières du département des Ardennes. Bien avant ces épisodes, M. Florent Evain, tout en faisant son stage chez sa mère ‘, élait invité à toutes les parties de plaisir qu'imaginait Mie Rosalie et ses compagnes. À cette époque , le lendemain de la Ter- reur, on était tout au bonheur de respirer en liberté; les rapports entre les jeunes gens des deux sexes étaient bien plus fréquents qu'aujourd'hui, sans entrainer plus d'inconvénients, du moins dans le cercle parfaitement honorable dont nous traçons l’esquisse. Le jeune Evain avait pour amis intimes trois autres familiers de la maison Barbot : MM. Thorel, Renard et Fr. Grille, tous distingués de manières et d'intelligence. Je n’ai pas connu les deux premiers qui moururent de bonne heure ; mais M. Grille pouvait donner l’idée de ses chers contemporains en justifiant l'estime que Mmes Barbot témoignaient à ses qualités d'homme privé et d'homme du monde. Chef de la division des sciences et des beaux-arts au ministère de l'Intérieur, M. Grille s’acquilla de ces éminentes fonctions avec autant de 1 Mme Evain joignait la direction des postes à son commerce d'horlogerie. Elle demeurait dans la maison qu'habite M. La- roche, tailleur. 90 bienveillance et d'équité que de désintéressement. Notre musée et notre bibliothèque lui doivent une notable partie de leurs richesses, et pour caractériser, en quel- ques mots son heureuse influence au point de vue angevin, M. Henri Jouin nous permettra d'emprunter le passage suivant à son monumental ouvrage élevé à la mémoire de notre grand sculpteur. « À peine eut-on connaissance de la mort de Roland « que Grille fit charger David d'exécuter la statue que « son maître n'avait pu même ébaucher. Ainsi débu- « tait M. Grille dans ses rapports avec l’artiste dont il « devait être plus tard le biographe. David, chez qui « la reconnaissance ne fut jamais en reste avec per- « sonne, a consigné cent fois dans ses notes l’interven- « tion bienveillante de son compatriote à propos de « Condé. « C’est à Grille que je dois mon avancement « dans les arts, » écrit-il encore, à vingt ans de là. » A regarder d’un peu près, tous ces hôtes, habituels ou extraordinaires, des réunions de Mle Barbot n’avaient pas une physionomie uniforme; mais la maîtresse du logis excellait à fondre les nuances, et tirait même avantage de leur diversité pour l'agrément de ses soirées. M. Prieur, grand-vicaire de Mgr Montault; M. Denais, secrétaire de l’évêché ; l’excellent curé de Notre-Dame, M. Arnaiïl, venaient y prêter l'attrait de leurs souvenirs des temps de proscription, et l’exemple de leur indul- gente charité. L'abbé Gourdon y paraissait aussi quel- quefois, quand le devoir l’appelait de sa chère retraite de la Chapelle-du-Genêt au chef-lieu du diocèse. Si rapides et si rares que fussent ces passages, ils alimen- taient pendant longtemps la conversation, échauffée, Te LOT 2 égayée par sa vibrante éloquence et son merveilleux esprit. Outre ces habitués de tous les instants du jour et du soir, Mie Rosalie avait deux grandes amies qu’elle visi- tait souvent, mais que l’on ne voyait chez elle qu’à des intervalles si écartés, que leur rencontre constituait un événement. C’étaient Mme Viger et Mie Lemasson. Mne Viger, veuve à vingt-cinq ans d’un ami de M. Bar- bot père, n'avait point perdu courage après la mort de son mari, tombé victime, à Paris, des vengeances révo- lutionnaires. Elle s’était entourée de sa famille, des plus jeunes surtout, dont elle surveillait l’éducation, en tâchant de leur communiquer la distinction des goûts qui l’avaient unie à celui dont elle supportait digne- ment la perte cruelle. Pour l'aider dans cette sollici- tude, elle recherchait la société d'hommes de mérite qu’elle savait retenir plus encore par ses aimables qua- lités, que par l'agrément d’une fortune dont elle faisait un intelligent et noble usage. Soit délicatesse de santé, soit ancienne habitude, afin de conserver les familiers de son salon, sûrs de le trouver toujours ouvert, Mme Viger ne sortait point le soir ; c’est pourquoi, prolongeant chez elle ses veillées, on ne la voyait jamais à cette heure chez son amie. Il en était de même à l'égard de Mlle Lemasson, mais pour une autre cause. Douée d’une activité infatigable, et surtout d’une passion de charité ingénieuse, diffi- cile à satisfaire, Mlle Lemasson, bien que restant dans le monde, avait adopté une règle religieuse. Debout avant l’aube, pénétrant la première à l’église, devan- çant même l’ouverture des portes, menant de front plu- Le": sieurs entreprises, avec un esprit d'initiative entraînant, quoique un peu brusque, même un peu rustique, elle passait la journée dans un mouvement si continu de visites pieuses, de démarches obligeantes, d'assistance de pauvres, de direction d'œuvres, à Feneu, à Épinard, comme à Angers, que la vertueuse demoiselle, en dépit d'une conslilulion à l’épreuve, tombait épuisée au déclin du jour. « Je me lève au chant du coq, répondait-elle aux invitations, et je me couche à l'heure des poules ; c’est pourquoi je suis contrainte de vous refuser. » Telle était la raison pour laquelle Mie Barbot ne pouvait jouir de ses deux amies à ses soirées. L'une veillait trop, mais chez elle, et l’autre pas assez. Les soirées de Me Barbt! je m’en souviens comme d’une perfection de bon goût et de confort tempéré. En pénétrant de l’antichambre dans le salon, dés le seuil on élait saisi par la douceur du bien-être. Tout était prévu et disposé avec un ordre charmant. La mai- tresse du logis qui avait présidé et misla main à chaque chose, avec une imagination toujours en éveil, vous accueillait d’un regard pétillant et souriant qui sem- blait dire : Êtes-vous satisfait? Et comment ne l’eût-on pas été? Un feu généreux flambait dans l’âtre répan- dant une chaleur réconfortante. Les marbres de la che- minée, les bougies, les lampes, brillaient d’un éclat sans pareil. Deux ou trois tables de boston toutes dres- sées — le whist subissait alors un temps d'arrêt — allendaient les partenaires avec leurs séductions de jeux de cartes immaculés et de boîtes remplies de jetons multicolores. Ces apprêts concérnaient les personnes graves; mais les plus jeunes n'étaient point oubliés, PAS On leur ménageait des surprises sur une vaste table préparée à leur intention. À côté des jeux traditionnels ils étaient attendus par des recueils d’estampes ou par des inventions nouvellement en vogue à Paris, et dont la révélation émerveillait notre curiosité, tout en n’étant pas inutile à notre instruction. Je me rappelle surtout comme faisant mes délices, un jeu d’oie, d’après les voyages du capitaine Cook, et un casse-tête dont les frag- ments séparés exerçaient fructueusement notre patience pour recomposer la France ancienne el moderne. La partie plus sérieuse d'objets atltrayants était remplie par une Bible de Royaumont comme on en trouvait alors dans la plupart des familles; imprimée sur grand format, par Jules Didot, elle contenait presque à chaque page, des gravures d’après les compositions magistrales de Jouvenet et de Philippe de Champagne. Tant de sollicitude pour des invités novices qui n’é- taient pas toujours parfaits, ne devait point trouver d'ingrats. Nous aimions Mle Barbot comme l’une de nos lantes; aussi nous permettail-elle de lui donner ce titre. J'avais déjà un certain nombre d'années lorsque j'en appris l'origine. On ne pouvait en trouver un pré- férable pour témoigner notre reconnaissance. Du reste, ce choix est si naturel, que nous voyons, par un roman célébre, les doux noms d’oncle et de tante répandus en Angleterre, jusqu'aux États-Unis, comme exprimant le mieux l'affection envers ces dignes suppléants des chefs de la famille. Par une faveur bien précieuse, la protection tutélaire de Mlle Barbot fut surtout sensible aux deux termes de ma vie, comme si la Providence eût voulu la perpétuer. LUE nt Sœur de mon parrain, la digne demoiselle l’assistait à mon baptême, et sa tombe, au cimetiére de l'Est, touche celle de mes parents. L’attrait principal des soirées de la cour Saint-Aubin, après nous être livrés dans une mesure discrète, aux divertissements de notre âge, était de nous approcher de la cheminée au coin de laquelle un des maîtres cau- seurs de la réunion, le docteur Guépin, d'ordinaire, racontait avec un charme que l’on ne connaît plus, l’événement du jour, puis caractérisait le chef-d'œuvre littéraire ou artistique éclos de la veille. On sait que la Restauration vit s'épanouir une admirable floraison de génies dans tous les genres. L’attention redou blait aux récits sur les temps funèbres ou héroïques qui venaient de s’écouler ; le souvenir en était palpitant encore, puisque nous étions entourés de témoins qui, acteurs, et la plupart victimes, en avaient gardé, j'ose le dire, l'empreinte aussi chaude qu’ineffaçable. Quand le narrateur avait cessé de parler ou omettait un détail important, Mle Barbot se trouvait toujours prête à relever les omissions, seconder la mémoire, ou, par quelque saillie spirituelle, donner une réplique excitante. Tout en suivant le fil de la conversation, elle ne perdait pas un coup d’œil pour surveiller la prépa- ration et la présentation des friandises et des breuvages servis à chacun dans une juste mesure d’abondance et de délicatesse. Il serait superflu de les énumérer; cepen- dant nous devons une mention particulière à certaines: fleurs d'oranger confites, ainsi qu'aux pralines à la vänille, offertes, le jour de l'an, dans des sacs enru- bannés de blanc et de rose. Ce que l’on décore de ce PEN: DEN nom aujourd’hui, n’en donne pas l’idée. Il faut se rési- gner à la perte de ce secret, comme à celle du nectar et de l’ambroisie des divinités de l’Olympe. Ces détails gastronomiques sembleront peut-être puérils à plus d’un lecteur; que l’on veuille bien nous les pardonner. Quand on est près d'atteindre le titre de septuagénaire, n’est-il pas naturel de se pencher pour donner la main aux enfants, en aimant ainsi à revenir au niveau de leur corps comme de leur esprit. Puisque nous avons parlé des soirées, nous ne pou- vons nous dispenser de dire un mot des soupers de la petite maison de la cour Saint-Aubin. Si nous les pas- sions sous silence, notre biographie ne serait pas com- plète. Qu'il nous suffise cependant d’affirmer que les soupers des dames Barbot ne recouraient pas plus aux condiments suspects du traiteur, que leur salon au luxe froid du tapissier. Depuis le potage jusqu’au dessert, on ne servait pas un mets qui n’accusât le cachet de l’or- donnatrice, soit qu'elle y eût mis une main experte, soit qu’elle se fût conlentée de diriger l’action intelli- gente de Perrichon ou de Goton, ses respectueuses et successives élèves. Par discrétion, je passerai sous silence le premier et le second service de ces repas exquis dans leur simpli- cité, et que, toutefois, Brillat-Savarin n’eût point dédai- gnés ; nous voilà au dessert, qui n’eut jamais recours aux artifices du confiseur. Il se composait surtout de pâtisseries apprêtées dans la cuisine et dorées au feu du petit four pratiqué dans le foyer. C’était de cet appé- tissant laboratoire que sortaient les macarons à l’amande qui n'avaient d’amer que le nom, et ces blondes bou- SOC. D’AG. 7 LUMOS es lettes que le bon vieux temps appelait paix-de-nonne. Les fruits crus ou confits étaient conservés, prés de la salle à manger, dans un office aux senteurs suaves, où l’on nous permettait de pénétrer les jours de grande faveur. On y admirait surtout des raisins vermeils et sucrés, à faire envie aux jardiniers de Corinthe, et des pommes découpées, au moyen d’une savante cuisson, en forme auriculaire; aussi les connaissait-on sous le nom d’oreilles-de-prêtre. Ces désignations imagées, qu’on nous les pardonne en considération de la vérité historique, sembleraient aujourd’hui un peu risquées, mais, à cette époque, plus naïve que la nôtre, on n’y voyait point de mal, et l’on se permettait même, à leur sujet, dans les réunions les plus scrupuleuses, de joyeux commentaires empruntés au vieil esprit français. On voit que Mie Barbot savait réunir les mérites divers prônés par des avocats opposés dans es Femmes savantes. Elle eut rétabli l'accord entre Philaminte et le bonhomme Chrysale, puisqu'elle alliait aux grâces du bel et bon esprit, la connaissance de tous les détails du ménage. Aussi aimait-on à la citer en exemple aux maîtresses de maison, dont quelques-unes alors — ce qui n’a sans doute plus lieu aujourd’hui — sacrifiaient, et vice versa, à la présidence du salon la responsabité morale et matérielle de l'étage inférieur. Nous avons dit que la spirituelle demoiselle excellait dans l’art de conter. Voici deux de ses anecdotes dont l'écho est moins affaibli que d’autres dans notre mémoire. Qu’on ne s'étonne pas de leur ton joyeux, du contraste de ces accès de gaieté avec l’idée sérieuse que l’on se fait de la personne auteur de tels récits; maisles hommes ANT MER ne sont pas d’une pièce, et parfois aussi les femmes. D'ailleurs on retrouvera dans ces souvenirs, encore que très-effacés, certains traits de l’ancien temps qui pour- ront faire sourire. C'était, je crois, au temps du Consulat. La société angevine avait repris ses habitudes d’élégance, pros- crites par la Révolution. Des réunions périodiques, composées de concerts et de bals, se tenaient sous le nom de Redoute, à la place des Halles, dans l’ancien hôtel de Ruillé, devenu l'hôtel Farran. Le renom de ces fêtes s’élait propagé au loin, et les étrangers, qu’attiraient nos deux grandes foires relevées aussi d’une suspension passagère, recherchaient le plaisir d’y figurer d’une manière plus ou moins active. Tel était le désir d’une dame, de famille recommandable, qui ne venait pas précisément du bout du monde; mais peu s’en fallait, car elle arrivait de Craon : or, à cette époque, quand on voulait désigner une contrée sombre et lointaine, on citait ordinairement le Craonais comme point de comparaison. . Cette dame était descendue chez M. Edom, comman- dant de gendarmerie dont les deux filles, aussi aimables que belles, intimes amies de Mle Rosalie, l'avaient accompagnée à la fête de l’Être Suprême. L’étrangère qui était, je crois, leur parente, bien que d’un certain âge, avait des prétentions aux manières du grand monde. Heureuse de pouvoir briller à la Redoute, elle voulut produire de l'effet, même avant de faire son entrée. Pour que rien n’y manquât, elle récläma une chaise à porteur, véhicule inconnu à Craon, mais qu’elle se réjouissait de connaître. — En fait de voitures de — 100 — louage, il n’existait alors, pour tous les besoins de la ville, que deux vieux carrosses, chez Cartier, au Grand- Louis, place Cupif; il était si difficile de les en faire sortir qu’on les réservait pour les grandes occasions, les mariages particulièrement. — On eut beau objecter à la dame que l'été, on avait l'habitude d’aller en voisin, à pied, d'autant que trois ou quatre rues seulement étaient à franchir; la belle obstinée ne voulut rien entendre. Il fallut mander la chaise. On donna le mot aux porteurs; ils en enlevèrent le plancher. Quand les toilettes furent prêtes, on descendit sur le seuil de la rue. La portière de la chaise vivement ouverte la dame y entra, et l’on se mit rapidement en marche. Quelques réclamations intérieures plus ou moins articulées dominèrent bien un peu le bruit des pas du cortège; elles ne tardèrent pas à être suivies du silence le plus rassurant. L’heureuse personne n’était pas de haute taille; mais une coiffure de marabouts en rehaussait la majesté. C'était, on le conçoit, grande joie parmi ses compagnes, de voir s’agiter précipitamment ses petits pieds pour suivre le mouvement accéléré des porteurs. Enfin on arrive au lieu de la fête, on ouvre à la dame en lui demandant comment elle se trouve de son système de transport : elle est ravie, seulement elle s'étonne un peu que les créateurs de cette invention à l’usage de la haute société, se soient moins préoccupés d’un abri pour la chaussure que pour la coiffure. On lui répond que l’hiver il est pris d’autres précautions, mais qu’au beau temps, on les juge inutiles. La dame, complé- tement satisfaite de cette explication, passe la soirée de — 101 — bonheur en bonheur, et de retour dans son humide pays, elle ne manqua pas de célébrer les mérites de lingénieux véhicule dont elle avait si bien apprécié les avantages. Dans cetté histoire, Mlle Rosalie mettait l’idée sur le compte de ses amies, quoiqu’on la soupçonnât d’y être pour quelque chose; elle en était bien capable; mais dans le second récit — la date remonte à 1822 — le plan lui appartient en propre, et voici comment il fut exécuté ; Un brave homme de Chambellay, probablement métayer de son frère et nommé, je crois, le père Mar- tineau, avait été attiré dans notre ville par les pompes de la Fête-Dieu. Ce n’était pas une entreprise facile alors de venir pédestrement de Chambellay à Angers. Les rares voitures publiques étaient trop chères pour les paysans, et ils n’avaient point de carriole comme aujourd’hui. On ne connaissait d’autres moyens de transport que les chars à six ou huit bœufs, mais pour les ébranler il fallait des chargements de blé ou de bois. Quand on n’avait que sa personne à transporter, force était de saisir le bâton du pélerin. On ne le prenait que: le moins possible, car de toutes les routes qui se rendaient à Angers, celle du Lion passait pour la moins rassurante. [l fallait traverser les arches de Grieul et les bois d’Avrillé. Or, ces endroits étaient mal famés, et si on ne s’y exposait point aprés le soleil couché, on ne les franchissait guëres le jour sans éprouver un cer- tain frisson. Quoiqu'il en soit, le père Martineau était parvenu à la cour Saint-Aubin, sans mésaventure. Le dimanche il — 102 — avait admiré la procession du Sacre, et le lundi, bien qu'on fût au cœur de l’été, il s’était assis près du man- teau de la vaste cheminée, selon l’usage des gens de la campagne et regardait la fidèle Goton vaquer aux apprêts du souper. « Père Martineau, lui dit Mlle Rosalie, vous n’avez jamais été à la Comédie? — C'était le titre sous lequel on désignait le théâtre et les pièces représentées. — Non, Mamzelle. — Eh bien, père Martineau, voilà une belle occasion pour vous. Une célèbre tragédienne, Me Duchesnois, l’émule de Talma, arrive de Paris exprès pour jouer Marie Stuart, de Pierre Lebrun. Je vous engage à aller l'entendre. Vous nous en direz des nouvelles. » Tous ces noms sonores tombaient sur le pauvre homme comme grêle. Il en restait aussi ébahi que si on l’eut envoyé faire visite à l’empereur de la Chine. Il partit cependant; mais une heure s’était à peine écoulée; Mmes Barbot se disposaient à se mettre à table — on soupait alors à huit heures. — La sonnette retentit; c’est le père Martineau qui revient tout pâle, comme poursuivi par des visions funestes. « Père Martineau, que vous est-il arrivé ? — Mesdames voici le cas. Je vais où vous m’avez indiqué. Au bas de la place des Halles, je suis une affluence de monde sous un porche tout noir. Un monsieur qui était dans une boîte me demande si je veux un parterre. Je lui réponds : un parterre, ça me va. On n’a pas coutume chez nous de se tenir en l’air ? J’entre dans une salle grande et claire comme une église; seulement il n’y avait point de bénitier, et puis les chaises manquaient; on était debout. Le fond s'ouvre, et des personnes en deuil s’avancent en parlant des malheurs de leur reine qui a — 103 — perdu son mari, et qu'une cousine, également reine, retient en prison, en la privant de ses enfants, pour la forcer à changer de religion et à lui livrer ses états. Puis la pauvre reine arrive; elle a un mouchoir à la main, et se met à fondre en larmes. Tout le monde est attendri, et je sens que cela me gagne. Mais comme toutes ces affaires ne me regardent point, et que je crains, en écoutant, de gêner ceux qui parlent, je leur tourne le dos et me mets à considérer les beaux mes- sieurs et les belles dames qui étaient assis dans des petites chambres le long du mur. Il faut que la malheureuse princesse ait bien des amis, car chacun avait l’air de compatir à sa peine, et murmurait au contraire quand parlait sa méchante cousine. « Enfin comme toutes ces tristesses continuaient de plus belle, je me décide à dire à mon voisin : — La comédie va-t-elle bientôt commencer? — La comédie! qu'y me répond; mais c’est çà la comédie. — Une drôle de comédie! on ne fait que pleurer. — Ah! qu'y me dit : vous allez en voir bien d’autres. Attendez un peu quand on va faire mourir la reine. — Comment! je dis; on souffrira çà; faire mourir une si brave dame! faut l'empêcher. — Mais ce n’est pas nous qui en sommes cause. C’est de l’histoire de l’ancien temps. C’est arrivé ainsi. On n’y peut rien aujourd'hui. — Eh bien! je dis, en voilà assez; puisqu'on n’y peut rien, je ne tiens pas à voir des choses si chagrinantes. On n’a que trop de peines dans la vie sans aller en chercher où l’on n’a que faire. Bonsoir la compagnie! et sans écouter les remon- trances du voisin, je me retourne et me faufile tout doucement dans le tas de monde derrière moi. Je — 104 — marche bien un peu sur les pieds de quelques-uns; mais ils étaient si attentionnés, bouche béante, à écouter la pauvre reine gémir qu’on ne me bouscula pas trop. J’eus la chance de retrouver la porte, et de peur qu’on ne courüt après moi, je n’ai fait qu’un bond de la place des Halles jusqu'ici. Toutefois en me sau- vant, je me disais : quelle idée mamzelle a-t-elle eu de m'envoyer à cette comédie! Tenez, je vous respecte bien, Mamzelle; mais, foi de Martineau, vous m’offri- riez le prix d’une paire de bœufs pour y retourner, que je ne craindrais pas de vous désobéir! » Nos paysans actuels sont moins naïfs que le père Martineau. Sont-ils plus heureux que leurs devanciers? De ce récit naît une autre réflexion à laquelle le bonhomme n’a nullement songé, d'autant plus que, sans le savoir, il réagissait contre un sentiment général. Le théâtre est la fiction de la vie réelle; c’est un goût inné qui se perpétue dans toutes les civilisations et dans toutes les conditions de l'existence humaine, depuis les Grecs jusqu’à nos contemporains, depuis les mystères et moralités, représentés en plein air, au moyen âge, jusqu'aux pastorales jouées de nos jours, même dans les communautés. D'où vient donc que les préférences de ces publics si divers s’atlachent aux sujets tristes? Les pièces gaies ne se produisent que par exception. Encore le rire est-il souvent forcé dans les comédies d’Aristophane comme dans celles de Molière, dans les farces et sotties des clercs de la basoche comme dans les extravagances de nos petits théâtres. f Le naturel, au contraire, se trouve à l’aise, devant — 105 — la représentation, en chair et en os, des douleurs kumaines. Plus les personnages souffrent ou font souf- frir, qu’ils soient bourreaux ou victimes, et plus ils frappent l'imagination populaire. Les spectateurs que terrifiaient, aux fêtes d’Eleusis, les tragédies d'Eschyle et de Sophocle, étaient de même nature que les rudes contemporains de Shakespeare et les admirateurs pas- sionnés de nos mélodrames. Dans cette prédilection, inconsciente chez la plupart de ceux qui l’éprouvent, de ce qui a rapport au côté triste de la vie, ne doit-on pas voir une démonstration manifeste des vérités chré- tiennes? Que l’on veuille bien y réfléchir, et l’on y découvrira une des conséquences de la chute originelle, la certitude que le rapide passage sur la terre n’est qu’une épreuve dans /a Vallée de larmes, et la jusüfi- cation de cette figure, chère à nos orateurs sacrés, effrayante et consolante à la fois, qui semble si vraie quand des espérances de la jeunesse on est parvenu aux réalités de l’âge viril. La fin de l'hiver ne fermait point la porte de Mmes Barbot. Elle était toujours ouverteaux intimes, seu- lement les soirées commençaient plus tard et compor- taient moins d’apprêts. La belle saison amenait d’autres plaisirs. On en jouissait à une jolie campagne nommée la Foucaudière. Elle est située près Saint-Léonard, au milieu de champs boisés, à court horizon, mais le jardin et le verger, très vastes, abondaient en arbres fruitiers. On y avait ménagé une pelouse encadrée d’un demi- cercle d’allées de charmille, figurant les coulisses d’un théâtre. C'était là que Mlle Rosalie organisait les charades dont elle possédait un riche répertoire. C'était là aussi — 106 — qu'après avoir épuisé nos forces, en courant dans l’enclos avec nos camarades des deux sexes, les Perdrau, les Bry, les Jubin, hélas! tous, à l'exception des premiers, absents de ce monde, nous venions écouter la lecture, toujours faite avec un art supérieur, de l’un des chefs- d'œuvre du jour. Je me rappelle particulièrement l'émotion communicative, causée par les pages tou- chantes d’Atala, d’Adèle de Sénanges, du Lépreux de la cité d'Aoste et d’Ourika. Un des traits distinctifs du caractère de Mie Barbot était la vivacité, qui allait parfois un peu loin; mais la bonté de son cœur la ramenaiït dans la mesure. En voici un exemple à propos d’un incident qui amusa pendant des semaines la société angevine : temps for- tuné où l’on savait soürire à un récit spirituel, mais inoffensif ! C'était vers 1820, un jour de Saint-Louis, qui était la fête du souverain. Toutes les notabilités de la villerem- plissaieni la cathédrale à la messe militaire de midi. En zélées royalistes, Mmes Barbot s’y étaient rendues des premières. La quête au bénéfice des pauvres était faite par la femme du préfet, la belle et gracieuse Mme de Wismes, à laquelle M. d’Andigné de Mayneuf donnait la main. M. d’Andigné qui portait le titre de chevalier, était le frère aîné du premier président de la cour royale et du général ; il avait servi dès le rêgne de Louis XV. Colonel de cavalerie avant la Révolution, il commandait un régiment dans l’armée du prince de Condé. Aux grandes occasions, il se paraît de son ancien uniforme : frac à larges retroussis, épée à crochet, tricorne étroit, — 107 — cheveux poudrés, petite queue frétillant sur le col de lhabit, bottes à l’écuyère, ce qui lui donnait quelque ressemblance avec le portrait en pied de Frédéric IT; aussi le peuple l’appelait-il Ze roi de Prusse, mais sans malveillance, car c'était un homme très honorable et d’une charité exemplaire. En passant dans le rang de Mmes Barbot, M. d’Andi- gné trébucha. Mme de Wismes tâcha de le retenir, Mie Rosalie se leva prestement pour préserver sa mère de la catastrophe imminente; mais tous les efforts de sauvetage furent vains. Un éperon de M. d’Andigné s’engagea dans le prie-Dieu, l’équilibre ne put être repris et le naufrage fut complet. Pour comble d’infor- tune, l’éperon fit au bas de la robe de Mme Barbot une largé déchirure. Tout en prêtant au malheureux chevalier une aide secourable, tandis qu’il se relevait, en proie à une con- fusion facile à comprendre, notre sincère demoiselle ne put s'empêcher de lui dire : « Quand on est aussi ma- ladroit, Monsieur, on ne s’avise pas de quêter dans une église avec des éperons. » À peine cette verte apostrophe fut-elle prononcée que Mie Barbot la regretta, et lorsque M. d’Andigné, avec la courtoisie d’un vrai gentilhomme, se présenta chez elle pour lui offrir ses excuses, il fut accueilli avec tant de bonne grâce, qu’il en conserva la meilleure impression. La sollicitude que Mile Rosalie montra pour sa mèêre dans cette circonstance, était la plus constante comme la plus douce de ses habitudes. Après les témoignages si touchants que nous avons donnés de son dévouement, — 108 — on devait s’y attendre. Quand vint la derniére heure de son père, elle concentra sur sa digne compagne la passion filiale qu’elle avait pour l’un et pour l’autre. Mme Barbot s’éteignit dans un âge très avancé, sans l'affliction des souffrances séniles. Si la Providence l’en préserva, on peut dire que les soins de sa fille y eurent une grande part. Ce fut une récompense pour toutes les deux, car c'était un spectacle plein de charme de voir ces femmes, si aimablement unies, la première toujours heureuse et bienveillante, la seconde avec un air toujours gai qui cachait plus d’une tristesse, et l'esprit toujours calme, réprimant tout accès de vivacité naturelle. En observant leurs rapports, on inclinait à penser que, par un changement de rôles, la fille, en écartant tout souci propre à troubler la sérénité de sa mére, comme on éloigne les moindres pierres des pas d’un petit enfant, lui rendait avec le même amour les tendresses que celle-ci avait prodiguées à ses jeunes années. Aprés la mort de Mme Barbot et le partage de sa suc- cession, Mle Rosalie, dont le modique revenu se trouva diminué, se résigna, mais à grand’peine, à mettre en vente sa chère Foucaudiëère, où se plaisaient tant ses parents et leurs amis. Dans ce sacrifice, elle eut la con- solation de céder le patrimoine de famille à un homme de goût qui vit encore, et qui ne cesse d’entretenir avec soin une propriété à laquelle se rattachent de respec- tables souvenirs. L’aisance relative qui résulta de cette vente pour Mie Barbot, ne changea rien à son genre de vie. Elle continua d'observer le même ordre dans son intérieur, — 109 — ne se permettant de largesses que pour recevoir ses habitués et donner aux malheureux. On peut affirmer que ce surcroît passa presque entièrement dans la main des pauvres, dont la bonne demoiselle s’occupait de plus en plus, en leur consacrant à peu près le temps qu’elle passait autrefois près de sa mère. Enfin, j'aborde un terrain beaucoup plus délicat que tout ce qui précède, mais je ne peux le laisser dans l'ombre, sans manquer à la partie la plus intime de ma tâche. Que l’on veuille donc bien m’excuser si, à mon insu, j'effleure des égards dus, surtout par des obligés, à la mémoire de Mike Barbot. J'entends les lecteurs me dire : — cette excellente personne dont vous peignez avec tant de sympathie les distinctions d'esprit et de cœur, a été jeune, quoique vous ne l’ayez connue qu’à l’âge mür. Nous voyons bien qu’elle avait beaucoup d'amis et que la profonde affection qu’elle inspirait était réciproque; mais elle était femme, elle vivait dans le monde; sa jeunesse s’était passée à une époque fort libre. Est-ce que jamais elle ne fut préoccupée d’un sentiment plus tendre que l’amitié ? La vérité, mais la vérité la plus honorable pour Mie Rosalie, m’oblige à entr’ouvrir le voile de son grand secret, que je n’ai connu que très-tard. Recher- chée par plusieurs partis, sensible aux attentions de l’un d’eux, elle rêva aussi l’idéal de bonheur qui fleurit au cœur de toute jeune fille bien élevée; mais au milieu de ces illusions, son fiancé céda aux conseils intéressés d’une parente qui le décida à préférer sa sœur ; le beau rêve de Mle Rosalie s’évanouit cruellement; il fut brisé par une compagne de son enfance. Elle supporta — 110 — l'épreuve avec le courage d’une femme vaillante, et transforma ses souffrances dans l'acte, peut-être, le plus méritoire de sa vie. Blessée au fond du cœur, elle ne se plaignit à personné; non seulement elle pardonna aux deux infidèles, mais se résignant, par un effort sublime, elle ne cessa de témoigner à son amie la même affection qu'auparavant, ainsi que l'intérêt le plus dévoué aux jeunes époux dont l’union fut, à son sincère regret, tranchée par une mort prématurée. Refermons discrètementle voile sur cet épisode de la longue carrière de Me Barbot, et revenons au temps où nous lavons plus particuliérement connue, de 1890 à 1830, c’est-à-dire pendant les plus belles années du siècle, — cesbelles années de la Restauration, ditl’évêque d'Orléans, la veille de sa mort, où il y avait tant d’ar- deur dans les esprits, tant de sève dans les âmes et tant d'hommes dans Le pays. — Ce temps fut aussi le plus heu- reux de celle dont nous esquissons la biographie. Cepen- dant, par le sentiment bien naturel qui nous ramène aux jours de la jeunesse, la préférence de ses souvenirs était pour la période du Directoire et le début de l’Em- pire. Jusqu’à ses derniers moments, elle se complaisait à yrevenir. Quelques-uns de ses meubles favoris dataient d’avant 1800. En cherchant bien dans ses cartons, on retrouverait peut-être certains portraits de merveilleuses et d’encroyables qui firent l’admiration de notre jeune âge. Les illustrations d’un monde évanoui à jamais, M. de Chateaubriand, Bernardin de Saint-Pierre, Gérard, l’impératrice Joséphine, Mmes de Staël, de Genlis, Réca- mier, de Souza, et, dans une demi-ombre, Talma et UE Mlle Mars, étaient encore avec les gloires de la Restaura- tion, MM. de Richelieu, de Serres, Laîné, de Villéle, de Martignac, l’évêque d'Hermopolis, Mme de Duras, M. de Marchangy, les grands noms qui reparaissaient le plus souvent dans sa conversation toujours animée et atta- chante. Ces admirations étaient ressenties par tous les amis de la maison. Il n’en était pas un seul qui ne réprou- vât les excès et les crimes commis après 89, car ils avaient vu la Révolution, pour ainsi dire en chair et en os. Cette révolution jacobine, je parle de celle de 93, où s’anéantirent les réformes salutaires, leur inspirait une profonde horreur; ce qui arrivera toujours aux âmes droites et élevées. Ils la combattaient partout où ils la rencontraient, et défendaient passionnément ce qu’elle attaquait et détestait, la société, la religion, le respect des supériorités. Malgré les légers dissentiments qui se produisent tou- jours dans une réunion d'hommes, même étroitement liés, les points essentiels de la civilisation, c’est-à-dire le sentiment du beau et l’amour du vrai étaient communs à tous les esprits un peu cultivés. À cette époque, on était parfaitement d'accord, sauf de rares exceptions, sur les principes qui doivent présider au gouvernement de la France ; on ne différait que sur les détails. Bien que divisés à propos de questions incidentes, Château- briand et M. de Villèle pensaient de même; est-il besoin d'ajouter que la distance gardée entre Royer-Collard et M. de Corbière eût été bientôt franchie, si ces deux adversaires d'apparence eussent prévu les funestes con- séquences de la Révolution de Juillet ? — 119 — En province, on s’exaltait souvent sur des noms propres, mais on ne mettait jamais en doute l'excellence de la monarchie traditionnelle. Ultras et libéraux avaient à cet égard les mêmes convictions; tous étaient roya- listes, et nous nous souvenons entr'autres du mouve- ment d'enthousiasme, presque unanime, quesuscitèrent les premiers actes et les premières paroles de Charles X à son avénement. Quelques militaires regrettaient le prestige de l’Empire, mais, sauf plusieurs jeunes gens, épris de souvenirs classiques, ou se figurant les Élats- Unis comme une perfection, en fait de républicains, on ne connaissait guère à Angers, qu'une douzaine de vieux terroristes qui se glissaient au soir le long des murailles pour aller chez l’un d’eux, Hudoux, rue Cordelle, fêter le décadi. La masse de la population, occupée de son travail, ne prenait qu’une part fort indirecte aux affaires de l’État. Relativement à notre époque, on peut affirmer, sans crainte d’être démenti par des survivants sincères, que c'était l’âge d’or des laboureurs et des artisans. Les dis- cordes de la politique troublaient peu leur sommeil. On ne passait point près d’un atelier ou à travers un chantier sans entendre de joyeux refrains, etles paysans, à la veillée, se contentaient de récits de l’ancien temps, ou de lectures dans de pieux ouvrages légués par les grand'mères. Deux épisodes de l’histoire nationale contribuaient particulièrement dans notre pays à entretenir les sympa- thies dynastiques : c’étaient les malheurs de la famille royale et le grand drame de la guerre Vendéenne. Le martyre des prisonniers du Temple était si récent — 113 — que chacun en était encore ému comme s'il y avait assisté. Deux témoins, bien connus et respectés de la société Barbot, servaient à maintenir cette illusion. Un ancien habitant de Versailles, attaché à la maison du Roi, ayant pu échapper, le 10 août, aux massacres des Tuileries, était venu d’un seul trait se réfugier avec sa femme, à l'abri de la Loire, près du village d’Érigné. M. Simonet, en sa qualité d’officier de bouche d’ordi- naire — c'était son titre — avait eu pour fonction de se tenir, l'épée au côté, derrière le fauteuil de Louis XVI, pendant les repas. Il assistait ainsi aux réunions les plus intimes de la famille royale. Le bon vieillard, bien qu’il fût toujours sous le coup de la catastrophe, ne deman- dait pas mieux que de répondre à toutes nos questions sur un sujet si touchant, et les éloges qu’il nous faisait de ses augustes maîtres, de l’amour du Roi pour le peuple, de la grâce de la Reine, du charme des enfants de France, des angéliques vertus de Madame Élisabeth, avaient le privilège de nous attendrir, au point que la mémoire en est restée ineffaçable. L’épopée vendéenne et ses épisodes infinis fournis- saient encore un aliment inépuisable aux conversations. Quelques-uns de nos habiles causeurs y avaient joué un rôle ; d’autres, sans y avoir figuré, en connaissaient de près ou de loin, les principaux acteurs, leurs con- temporains. Les Mémoires de Mme de la Rochejaquelein venaient de paraître : le succès en était grand. Où trouver un roman plus pathétique, une histoire plus digne d’élever lesprit et le cœur ? L’émotion n’excluait point limpartialité. Tout en vouant ses préférences à Bonchamps, à Lescure, à La Rochejaquelein, on rendait SOC. D’AG. 8 — 114 — justice à la vaillance et à l'humanité de Hoche, de Klé- ber et de Marceau. En un mot, l’histoire de la Vendée devenait l’histoire de l’Anjou, et l’on en était fier, quelles que fussent les nuances d'opinion sur les événe- ments du jour, comme d’une gloire qui appartenait à tous, sans exception. Un autre sentiment commun aidait merveilleusement à rendre agréables les réunions d’alors où le goût de l’es- prit n’élait point sacrifié à la jouissance du bien-être ; on était généralement porté à la bienveillance, et l'on ne craignait pas de l’élever jusqu’à sa plus haute expres- sion, l'enthousiasme pour toutes les belles et grandes causes. Loin de se laisser atteindre par cette passion inhérente à la démocratie moderne, la haine des capacités, on était heureux de faire l'éloge des hommes ou des œuvres qui en étaient vraiment dignes. Il n’est pas, en effet, d'hommage plus bienfaisant, puisqu'il nous grandit presque au niveau du sujet de notre admiration. Si nous ne l’égalons pas, du moins nous en avons l'intelligence. On possède ainsi le plaisir du succès sans avoir fait d'efforts pour le conquérir. Quelle est, au contraire, la conséquence de cette ma- nie de dénigrer, de rabaisser tout ce qui nous dépasse par les talents ou par les vertus? En poursuivant cet ordre d'idées, nous arriverions à de tristes conclusions sur un mal contagieux qui ne sévit pas seulement dans les classes inférieures de la société française, mais qui pénétre jusque dans les rangs de groupes essenlielle- ment conservateurs. Le monde, même le plus élégant, n’admet plus qu’il soit de bon ton de se laisser aller à un mouvement sympathique : on craindrait de passer — 115 — pour ingénu: Il semble préférable d'accueillir par un sourire moqueur ou par une plaisanterie ironique, le récit d’une belle action, ow la justice rendue à une œuvre remarquable, et l’on arrive insensiblement, mais sûrement, sinon au scepticisme, du moins au dégoût des études sérieuses. L’érudition littéraire n’était, à vrai dire, ni bien étendue ni bien profonde chez la plupart des hôtes de Mie Barbot; mais ils avaient à un haut degré ce goût des plaisirs de l'esprit qui distinguait nos pères et qui a presque entièrement disparu, le goût des beaux ouvrages et des conversations ingénieuses. La spirituelle personne que nous représentons comme l’inspiratrice de son cercle, était l’un des derniers exemples de cette noble passion des jouissances intellectuelles, qui peut se concilier avec toutes choses, avec les obligations de la vie du monde, ainsi qu’avec les préoccupations et la pratique des affaires. Voici un souvenir qui peint l'intérêt que Mle Barbot prenait à tout ce qui en était digne, et son talent à le communiquer autour d’elle. Vers la fin des vacances de 1895, elle était venue, à notre grande joie, passer quelques jours en famille, à la campagne; nous revenions de Rochefort, un des plus ravissants sites de l’Anjou, heureusement préservé Jusqu'ici du fatal réseau des voies ferrées. Aux Lambar- dières, nous étions montés sur l’un de ces superbes Steamers, de la Compagnie Fenwick, près desquels nos vapeurs actuels ne sont que des bacs vulgaires. Une brume épaisse, prélude de la Toussaint, avait obligé de descendre au salon. Non loin de nous, un groupe — 116 — de voyageurs, de grand air, entourait une jeune femme, remarquablement belle, assise sur un tabouret, un chapeau de paille à la main, laissant découvertes les boucles d’une magnifique chevelure brune. Elle racon- tait les épisodes de son récent voyage en Bretagne, puis, passant des côtes de l’Océan aux bords de l’Adriatique, bien peu connus alors, elle fit résonner à nos oreilles les noms poétiques de Venise, Naples, Rome, Florence. Voyant nos regards admiratifs se diriger vers elle, la charmante improvisatrice, loin de s’intimider ou d’en paraître froissée, s’anima de plus en plus, et ravit tous ses auditeurs par l'enthousiasme de ses récits, à l'attrait desquels contribuait singulièrement la beauté de son visage. « Regardez-la bien, nous dit à voix basse Mle Barbot, « au comble du bonheur; quand vous connaîtrez le « tableau de Gérard dont tout le monde parle en ce « moment, vous vous souviendrez que vous avez vu en « réalité l’idéal de sa Corinne au Cap Misène. » Cette allusion nous rappelle un passage de l’illustre femme qui a dit : « On ne cause véritablement qu’en France et en français. » Voici ce passage : « Le genre de « bien-être que fait éprouver une conversation animée « ne consiste pas précisément dans le sujet de cette « conversalion : les idées ni les connaissances qu’on « peut y développer n’en sont le principal intérêt; « c’est une certaine manière d'agir les uns sur les autres, « de se faire plaisir réciproquement et avec rapidité, de « parler aussitôt qu’on pense, de jouir à l'instant de « soi-même, d’être applaudi sans travail, de manifester son esprit dans toutes les nuances par l'accent, le A — 117 — « geste, le regard ; enfin de produire à volonté comme « une sorte d'électricité qui fait jaillir des étincelles, « soulage les uns de l’excès même de leur vivacité, et « réveille les autres d’une apathie pénible. » C’est Mme de Staël qui définit ainsi la conversation, elle qui en était le génie même. Tous ceux qui ont connu Mlle Rosalie à la maturité de l’âge, savent que son caractère n’était pas alors posé, arrêté, comme il le fut dans la seconde moitié de sa carrière. Elle n’échappa point à l'influence rêveuse de l’époque, en dépit de la sûreté de son jugement. Com- ment eut-elle pu être indifférente aux vertus de Gran- disson, aux infortunes de Clarisse Harlowe, quand tous les cœurs sensibles — c'était le terme consacré — étaient émus par les romans de Richardson et d’Auguste Lafontaine, hélas! bien oubliés aujourd’hui, et avec raison ? Sainte-Beuve dans un de ses bons moments et l’une de ses meilleures pages, a tracé un portrait de Mme de Staël dont quelques traits, toute proportion gardée, peuvent s'adresser à notre amie, admiratrice passionnée de l’auteur de Corinne : « .….. Elle voulait du sentiment mêlé aux idées, avec « des éclairs de gaîté, des anecdotes d’une application « spirituelle et imprévue ; mieux que des aperçus, des « considérations politiques et historiques, fortement « exprimées, mais sans s’y appesantir; des images « mêmes, vivement colorées; puis tout à coup (car « c'était une femme toujours) un soupir romanesque « jeté en passant, et quelque perspective lointaine « vaguement ouverte sur la destinée, les peines du cœur, — 118 — « les mystères de la vie; un coin mélancolique à l’ho- « rizon.... c’est dans cet ensemble qu’elle excellait..:: » Mie Barbot était plus qu'un trait d'union entre les familles de son groupe ; par son esprit d'initiative et sa belle humeur, elle en était la joie, elle en était l’ins- piratrice. Il n’y avait point de fête sans elle. Chacun saisissait avec empressement l’occasion de lui montrer sa gratitude, tout en profitant du charme de sa pré- sence; voilà un exemple entre autres, de l’accord de ces deux idées : Par un radieux jour d'été, au plus beau temps de la Restauration, s’accomplit un des faits les plus mémo- rables de l’histoire de l’Anjou ! A trente-deux ans de distance, Saini-Florent qui avait vu Le plus populaire des généraux vendéens sur son lit de mort put saluer la digne représentation de son image. Cette scène émouvante frappa les esprits d’une admiration ‘ineffa- çable. La splendeur du paysage, la transparente atmos- phère du fleuve, l’évocation du légendaire Passage de la, Loire, l'hommage au héros chrétien, dont les der- nières paroles furent un cri de pitié, la présence du grand artiste qui en retrouva les nobles traits et du puissant orateur qui sut en exprimer l’âme, tout réussit à faire de ce concours d'éléments sympathiques un en- semble unique, peut-être, dans notre siècle. Jeunes hommes des générations nouvelles, pour adhérer à notre sentiment, écoutez un témoin ocu- laire : « Le 11 juillet 1895, devant la veuve du général, sa « fille, son gendre et son petit-fils, au bruit des vieilles « armes de Fontenay, de Torfou, au roulement du tam- — 119 — « bour qui avait battu la grâce des prisonniers, le mo- « nument de Bonchamps fut solennellement inauguré « dans l’église abbatiale de Saint-Florent. L’impression « fut immense. On n’a point oublié l’effet de ces vété- «rans, ruines du temps de la guerre, rangés en ordre « de bataille et passés en revue par l'ombre de leur « chef; leurs fils échelonnés sur les degrés du mauso- « lée ; au-dessus de tous, la statue couvrant de sa blan- «cheur, comme d’une aile, jeunes et vieux, vivants et « morts. « Le prêtre monte en chaire; enfant chéri de la con- « trée, hommes et choses, il a tout vu, tout connu ; les « souvenirs du berceau, mêlés aux récits du foyer, ont « déposé chez lui, sous une forme vivante, qui est « comme le reverdissement du passé. Par le sang de «son père, par le lait de sa mère, par la sève de ses « bocages, la Vendée tout entière coule et respire dans « ses veines. Il parle; et à ce ton pénétré, à cetle ar- « dente parole, à ce geste sympathique, l'histoire qu’il «raconte semble se rallumer dans les yeux de ceux qui « écoutent. Pour comprendre les ressorts de la fra- « ternité chrétienne, il faut voir tressaillir tant de na— « tures diverses, sous l’impulsion d’une seule voix ‘?... » La députation angevine faisait une grande part de l'assistance qui, de l’église, refluait jusqu’aux extrémi- tés de la vaste esplanade. Notre respectable amie sy était jointe, accompagnée de Mme Perdrau dont elle partageait loutes les nobles ardeurs. On peut juger de l’impatience avec laquelle nous attendions son retour, 1 Bonchamps et sa statue, par Victor Pavie. — 190 — et avec quel charme on écouta ses récits. Une circons- tance inappréciable vint y donner un nouveau motif, en apportant un grand honneur à notre modeste foyer de famille. Revenus de Saint-Florent, David et l'abbé Gourdon, encore émus des ovations de la veille, pas- sèrent quelques jours à Angers. Ils voulurent bien prendre place à notre table avec quelques intimes, MM. Pavie et Guépin. J’entrais alors dans l’adolescence : à cet âge on n'oublie pas. Je vois encore Mlle Barbot, radieuse d’une joie contenue, assise entre les deux héros du jour, et ne cessant d’être naturelle, s’élevant sans effort à leur hauteur, avec la facilité des femmes douées d’un sens juste et d’une vive intelligence. M. Gourdon avait alors trente-cinq ans, M. David trente-neuf. Tous deux dans l'éclat de leurs facultés, s’élaient promptement liés par les côtés généreux de leur nature. Le curé de la Chapelle-du-Genêt, ce trans- fuge obstiné des grandeurs ‘, a laissé un renom de cau- seur incomparable dispensant de tout éloge. Quant à son glorieux émule qui venait de doter notre pays du chef-d'œuvre de la statuaire moderne, heureux de n’a- voir autour de lui que d’affectueux admirateurs, il se livra tout entier, sans mélange de sa timidité habi- tuelle, à l’effusion de son cœur, aux fines observations de son esprit et aux riches souvenirs de sa brillante carrière. | Sans négliger M. Gourdon — point n’était besoin de 1 Allusion au refus d’évêché, par M. Gourdon, dans la remar- quable notice qui précède ses œuvres et qui est due à M. Louis Fouré, ancien curé de La Blouère. — 121 — stimulant à son égard — son alerte voisine excitait le maître illustre, tout en s'effaçant pour le mettre en relief. Avec quel tact et quelle animation discrète elle passait de l’un à l’autre! On voyait dans ses yeux le rayonnement de son âme. Comment n'’eût-elle pas été ravie? Elle avait à ses côtés deux hommes supérieurs dont elle comprenait toutes les distinctions. L'entretien ne cessa d’être consacré aux sujets de ses préférences : traditions martiales et chrétiennes, légendes poétiques, amour du sol natal, sentiment des arts, expressions di- verses du beau et du vrai, c’est-à-dire de ce qu’il y a de plus noble et de plus grand sur la terre. Ce jour fut certainement l’un des meilleurs de sa vie, et malgré le demi-siècle qui s’est écoulé depuis, je me complais encore dans la pensée du bonheur qu’elle goûta au mi- lieu de nous. Malheureusement, comme il n’est point de til d’une pureté si constante que l’orage ne vienne en troubler l'azur, le souffle des révolutions renaissantes fit irrup- tion jusque dans le paisible asile de la cour Saint-Aubin; il ébranla une sécurité qui semblait devoir être inalté- rable, et dispersa quelques-uns de ceux qui la goûtaient avec le plus de bonheur. Néanmoins, après les pre- miéres effervescences de 1830, on se réunit de nouveau en tâchant de combler les vides. On pensa avec une affec- tueuse mélancolie aux morts et aux absents, et le mouvement intime recommença, mais avec une nuance plus sévère, conforme à l’avancement de l’âge et ‘aux tendances plus religieuses de l'opinion. Tels furent en effet l’un des mérites et le propre du caractère de Mlle Barbot; en étudiant sa vie, on voit que — 122 — tout en conservant son originalité native, sa nature :pri- mesautière, commedit Montaigne, elle fut le reflet fidèle de son temps dans ses principales transformations, mais toujours du côté honorable, et toujours en s’élevant. Au début de 89, elle est animée d’une ardeur: généreuse pour tout ce qui semblait noble et grand, comme Louis XVI, comme Malesherbes, comme Bailly, commé André Chénier, comme tous les cœurs enthousiastes: Sous le Consulat. et l'Empire, elle s'applique, autant qu’il est en elle, à faire refleurir le culte de l'intelligence parfois étouffé par l’éclat des armes. Pendant la Res- tauration, elle se préoccupe principalement de la renais- sance littéraire, et s’exalte un peu aux derniers accents de cette époque si riche en hommes supérieurs, en chefs-d’œuvres de toutgenre, mais aussi: trop féconde en luttes passionnées. Enfin, quand vint lheuré des! méditations ‘sereines,. quand, à la voix éloquente des Lacordaire et des Ravignan, tous les esprits d'élite, s’élançérent vers les, vérités éternelles, cette noble aspiration fut aussi la première et la plus constante de! ses prédilections. La piété de Mlle Barbot n'avait rien d’étroit ni d’aus- tère; elle était ouverte et enjouée comme: son humeur. Recherchant avec: ardeur une large part dans toutes les saintes œuvres, elle ne s’attardait point aux pra- tiques minutiéuses. Le-privilége de l’âge avait accentué en.elle .une,apparence de brusquerie et de verte fran- chise,: qui parfois faisait sourire, comme. un écho: lointain du Bourrubienfaisant.: Cependant, toujours: simple etnaturelle, son indulgente bonté ne put jamais résister à une larme sincère, versée surtout par un — 193 — enfant ou une jeune fille. C'était encore une de ses qualités: distinctives, d'aimer particulièrement la jeu+ nesse, noble penchant des belles âmes qui, toujours téndres, / malgré le nombre des années, se plaisent à s’entourer d'innocence et d'espoir. L'existence si remplie et si bienfaisante de Mie Bar- bot peut servir de réponse victorieuse aux pessimistes qui refusent aux célibataires âgées une place dans la société française, tandis qu’en Angleterre elles savent s’en créer une aussi nécessaire qu'honorée. Assuré- ment, le mariage et le couvent ont droit à tous les res- pects ; mais si nombre de personnes ne sont appelées ni aux devoirs de la première de ces vocations, ni à la sainte mission de l’autre, il n’en est pas. moins vrai qu’il dépend d'elles de remplir dans le monde un rôle excellent. Rien ne peut égaler les mérites de la vie religieuse, mais les célibataires, quoique âgées, grâce à Jeurs qualités personnelles, fortifiées par l'avantage de l'indépendance, peuvent rivaliser avec les mères de famille en influence heureuse et durable. Le rôle de notre amie ne se bornait pas à répandre de l’agrément dans le rayon étendu de son influence. Avec sa connaissance du prix du temps et le bon emploi qu’elle en faisait, son action se prêtait à toute chose. Survenait-il un événement heureux ou malheureux dans les familles de son cercle, on la voyait accourir la premiére, soit pour se réjouir avec les joyeux, soit pour compatir au chagrin des affligés. Avec elle on ne s’abat- tait jamais; son énergie était communicative ; elle ne vous quittait pas qu’on ne füt encouragé et fortifié contre l'épreuve du jour. Comprenant aussi bien les one à affaires d'intérêt que les peines du cœur, ses avis tou- jours judicieux apportaient une aide d'autant plus efficace que sa bourse était offerte à ses obligés avec non moins d’empressement que ses conseils. Véritable juge de paix du foyer domestique, si un enfant commet- tait une faute, elle se trouvait toujours présente pour demander sa grâce, après une exhortation maternelle. Si une servante était prise sur le coup d’une maladresse ou d’une infraction au service, c'était encore MLe Rosalie qui plaidait les circonstances atténuantes. Toujours induigente et naturelle, nulle ne savait mieux clore par un bon mot, une saillie heureuse, des scènes d’intérieur commençant par des larmes, et finissant, grâce à son intervention, par une contagieuse hilarité. Cependant, de même que les personnes douées du talent d’exciter une gaieté vive, elle ne riait jamais avec bruit, seulement quand elle disait ou entendait une plaisanterie de bon aloi, son regard brillait, tandis qu'un fin sourire eeurait sa lèvre un peu épaisse, indice de bonté généreuse. Ce qui avait contribué, peut-être, le plus à faire de notre héroïne le bon génie de son entourage, c'était la conquête d’une qualité et la victoire sur un défaut. Soit que ce fut un donde naissance, ou la récompense d’efforts continus, Mlle Barbot n’avait pas un grain de jalousie. Cependant les rigueurs de la nature à son égard l’eussent rendue excusable d’être au moins réservée envers celles qui en avaient reçu les faveurs. Loin de là, elle se plaisait à faire valoir les avantages physiques ou les distinctions morales des personnes même en dehors de ses affections. En un mot, elle possédait la vraie bien- CN REEE de RARES k WC 3e — 195 — veillance, celle qui consiste à rendre justice à tout le monde, en faisant abnégation de soi-même. Outre cette vertu, ainsi que nous l’avons dit, elle avait su vaincre un défaut, ou plutôt un penchant de son esprit délié et apercevant. Rien ne lui eut été plus facile que de saisir du premier coup les ridicules, et de s'en moquer aux applaudissements de la galerie. La tentation a dû plus d’une fois être forte. Eh bien, tous ceux qui ont connu Mie Rosalie lui ont rendu la justice qu’elle n’a point cédé à cet entrainement. Si, parfois, sa parole a été un peu verte, c'était accès spontané d'humeur, mais jamais de dessein prémédité. Elle avait l’œil ouvert et l’oreille tendue, à propos de toute nouvelle sérieuse, circulant en ville, sur les arts comme sur la littérature. Voici, entre autres, un trait de son ingénieuse curiosité : Par une belle matinée de l’automne dernier, je reve- nais de Sainte-Marie où j'avais eu l'honneur d’accom- pagner M. de C...... Guidés par la digne supérieure, nous avions visité les principaux services de ce vaste établissement dont l’ordre admirable est l’œuvre des Filles de la Charité, et la démonstration de leur inal- térable fidélité à la règle de leur saint fondateur. Après un échange d’éloges, mais sans épuiser le sujet, sur l’institution toute française des Sœurs hospi- talières, que nous envient les étrangers, nous vinmes à parler des contemporains qui, dans les divers groupes de la société angevine, à part les ecclésiastiques et les religieuses, ont laissé, par leur bienfaisance, les plus populaires souvenirs. La liste en est longue heureuse- ment, et nous pourrions ajouter bien d’autres noms à ceux de Mmes de Villemorge, Fillion, de Villebois, — 126 — Miles , Bordillon , Boguais ‘et de Montergon, MM. de Villoutreys, de Neuville, Garnier, Guillon, de Quatre- barbes, Gougis… Mie Barbot mérite de figurer dans cette glorieuse galerie, mais vous ne l’avez peut-être pas connüe, dis-je à mon compagnon de promenade ? — Vraiment si, répondit-il; qui n’a connu Mle Barbot ? Je lui dois même d’avoir profité d’une excellente occa- sion. Voici comment : peu après 1830, j'étais allé voir un ancien ami de famille, l’encellent abbé Clouard, curé de Feneu. Mlle Barbot, amenée par Mile Lemasson; vint passer la soirée au presbytère. On m'’invita à prendre place à la table de boston. Durant une pause qui permit à ces dames de rompre le silence, Mle Barbot dit : J’ai vu derniérement chez un marchand d’antiquités un tableau très remarquable. Cest un portrait de Charles X, que la Cour royale devait à la sollicitation de M. d’Andigné le premier président. Il a été enlevé de la salle d'audience et vendu sans égard pour le mérite de l’œuvre qui est grand. Due au talent de Mlle Gode- froid, la meilleure élève du baron Gérard, cette belle toile a été retouchée par son maître. « En repassant par Angers, ajoute M. de G....…., je m’informai chez le marchand dont j'ai oublié le nom, si le pauvre tableau proscrit était toujours en sa pos- session, On me le livra pour un prix modéré, et j'en fis l’agréable surprise à mon père, attaché de tout temps au comte d’Artois et qui gardait pour le vieux roi l’affectueux dévouement inspiré par le jeune prince. » Fidèle à ses traditions d’hospitalité délicate, Mle Bar- bot continua ses soupers jusqu’à la fin; mais, hélas! le cercle diminuait avec l’accroissement des années. Bien — 197 — que les convives, presque tous du monde religieux, n’y attachassent pas d'importance, elle tenait à la perfec- tion des mets, composés, d’ailleurs, d’éléments fort simples. Cette recherche n'était pas égoïste. Nulle ne fut plus sobre; quand elle était seule, on ne voyait qu’un plat sur la table, et, autant qu’il me souvient, la chère femme ne buvait que de l’eau. Sises repas invités ne laissaient rien à désirer, c’est que d’abord elle aimait que tout fut à point; puis, son grand plaisir était de voir autour d’elle des visages heureux et sou- riants; enfin, l’avouerai-je, elle se montrait sensible aux compliments adressés à la finesse de son goût en fait de science culinaire. Était-ce une petite faiblesse? en tout cas, elle était bien légère, puisqu’elle ne tour- nait qu’au profit des autres. Quand son frère habitait Paris, Mlle Barbot adressait chaque semaine rue des Bons-Enfants, une provision de comestibles angevins, ou naturels ou apprêtés, qui faisaient les délices des friands Parisiens. On y comprenait jusqu’à du riz cuit. À propos de ce riz, qui, sous une forme dite & la créole. étaitune véritable création, Mlle Rosalie se plaisait à répé- ter un éloge de son neveu Prosper, d’autant plus flatteur qu’il étaitsincère comme l’enfance de son auteur : « Ma tante, veux-tu encore me donner de ton riz; il est si bon? — Tu m’en as déjà demandé deux fois. — Cest vrai, mais je n’ai pas encore mal au ventre... » Ces petits festins étaient du reste la seule occasion où la bonne demoiselle se permît un modeste extra. Plus l’âge s’avançait, plus on la voyait économe pour elle, généreuse pour les pauvres, Elle s’était retranchée jusqu’aux brillants qu'autrefois on remarquait à ses — 198 — doigts. Toujours d’habitudes matinales,: malgré ses quatre-vingts ans, il fallait des raisons graves pour qu’elle manquât la première messe. Ensuite on la rencontrait circulant d’un pas alerte dans les rues, sans qu’une tache vint ternir sa chaussure, pénétrant dans les sombres corridors et ne craignant pas de gravir jus- qu'aux mansardes. De sa toilette autrefois fidèle au goût élégant du jour, mais sans luxe, elle n’avait conservé l'hiver qu’une fourrure à moitié dénudée, dont la cou- leur jaunâtre était bien connue de ses protégés, les indi- gents honteux. L'été, elle portait une robe de soie vio- lette, qui, grâce aux raffinements d’un entretien exem- plaire, avait vu disparaître plus d’une génération. Rien ne l’arrêtait dans ses expéditions charitables ; quand le froid sévissait, quand la pluie tombait à torrents : « Mademoiselle, lui disait-on, vous vous exposez ; vous allez au moins gagner un rhume? — N’en croyez rien, répondait-elle; je possède un remède souverain contre toutes les maladies : chaque matin, je prends, avant de sortir, une tasse de sirop des rues. » Elle disait encore : « Je me croirai malade le jour où l’on m’empêchera de recevoir deux ou trois gouttières ‘ sur les épaules et de sauter une demi-douzaine de ruisseaux ?. » Il y a trente ou quarante ans, les eaux pluviales à Angers étaient recueillies dans des gargouilles en pierre, ou dans des, gouttières dont les tuyaux s’arrêtaient à mi-chemin le long des maisons, de sorte que pendant les averses, nos rues présentaient l'aspect de cascades où de douches, pew hygiéniques pour les passants, munis ou non de parapluies, mais fort agréables, pour | les amateurs d'hydrothérapie naturelle. ? Ce propos rappelle, et peut-être égale, le joli mot de Mre de Staël sur son ruisseau de la rue du Bac. — 199 — Ce fut son amie, Mlle Lemasson, qui développa son goût naturel à compatir aux souffrances des pauvres gens. La bonté de son cœur l’avança rapidement dans le grand art d’assister les nécessiteux sans les froisser et dans le bonheur de donner, bien supérieur, pour ceux qui savent, à celui de recevoir. Elle apprit bientôt que la vraie charité ne consiste pas seulement dans des secours pécuniaires et malériels, mais dans l’abnéga- tion, la patience, le dévouement à l'égard des malheu- reux qu’il faut aimer et respecter, même quand ils ne sont point personnellement respectables, car on doit les considérer toujours comme les membres souffrants de Notre-Seigneur. Le chrétien voit dans l’âme la plus dégradée l’image de Dieu qu’il faut refaire, et dans la plus humble le prix du sang de Jésus-Christ. « L’enfant, la femme, le pauvre, a dit Lacordaire, « cette triple faiblesse et cette triple vie de l'humanité, « voilà les bénis de Dieu. Rendez Jésus-Christ au « pauvre, si vous voulez lui rendre son vrai patrimoine ; « tout ce que vous ferez pour le pauvre sans Jésus- « Christ, ne fera qu’élargir ses convoitises, son orgueil «et son malheur. » Telle fut la grande, l’unique occupation de Mlk Barbot dans ses dernières années. Elle avait fait la connais- sance de deux pieuses femmes qui passaient leurs jours à soulager les malades et à distribuer des secours. Mis de Montergon, de bienfaisante mémoire, l’avaient initiée à tous les secrets de leur touchant ministère. Néanmoins, en leur rendant pleine justice, elle trou- vait que dans l’accomplissement de leur mission, ces édifiantes personnes, de nature un peu austère, man- SOC. D’AG. 9 — 130 — quaient d’un grain d’enjouement. Parmi ses contempo- raines, une autre servante volontaire des indigents attirait son admiration sans réserve, parce qu’elle lui semblait le modéle de la charité en action. Du reste, tous ceux qui connurent Mme Fillion éprouvérent le même sentiment. Veuve à vingt-cinq ans, Mme Fillion se consacra d’abord tout entière à l’éducation de ses trois enfants. Quand elle les eut établis avec avantage, suivant l'exemple de sainte Chantal, elle s’entoura d’une seconde et plus nombreuse famille, particulièrement de pauvres dépourvus de délicatesse, ainsi que de res- sources, et ne répondant d’abord que par l’ingratitude aux sacrifices et aux bienfaits. Vêtue, comme la plus humble des religieuses, d’une robe de bure noire, et son beau visage encadré dans un modeste capot, elle employait la première partie du jour à visiter les réduits les plus repoussants, et l'après-midi, devenue pauvre elle-même et se refusant toute jouissance, à tendre la main chez ceux qui pou- vaient lui donner pour ses protégés du matin. Il faut ajouter que Mme Fillion était loin de n’éprou- ver que des refus de la part de ses deux clientèles. Dans nombre de maisons, aisées ou dénuées, on accueillait sa présence comme une bénédiction, et quand elle en sortait, il semblait qu’on héritât de la bonne odeur de ses aimables vertus. On se plaisait à voir en elle une créature prédestinée. Toute sa personne prêtait à cette croyance ; la pureté et la délicatesse de ses traits, la pâleur du teint, le charme de ses yeux, la blancheur de ses mains, la douceur de sa voix. En contemplant la suave harmonie du costume et de la figure, on aurait eu — dit qu’elle se fût disposée — et certes, la pauvre chère dame n’y prit jamais garde — pour représenter dans un tableau de Pérugin ou du Corrége, une des saintes femmes qui suivirent, avec la Vierge, la voie doulou- reuse, jusqu’au pied du Galvaire. Après cette digression, que l’on nous pardonnera en faveur du sujet, revenons à l’une des plus fidèles élèves, nous n’osons dire émules, de Mme Fillion. Le soin des pauvres ne faisait point oublier à Mlle Bar- bot celui de ses amis. Se multipliant à leur service, elle était toujours la première rendue près d’eux quand ils avaient besoin de ses conseils ou de ses consolations. Un de ses intimes les plus chers, le colonel Perdrau, était cruellement affligé, lui qui employait si bien le temps. Il avait perdu les yeux. Chaque jour, Mie Barbot lui consacrait deux heures qui s’écoulaient agréable- ment pour le pauvre aveugle en douces causeries et en lectures, art charmant, dont l’obligeante visiteuse possédait les ressources variées. Cependant la vérité historique nous oblige à dire qu’une légère ombre se mêle à cette lumière. Quelque- fois une pointe de malice perçait à travers la bonté de notre héroïne. Un jour que son principal confident la louait d’être si complaisante pour le colonel, elle lui répondit vivement : « Pas autant que vous le croyez. Il « a fait fi de moi quand il était jeune ; maintenant que « nous sommes vieux, je suis contente de lui montrer « qu’il a besoin de mon affection. » Que prouve ce sincère aveu d’un amical ressentiment ? Rien assurément que d’élogieux pour le sexe qui l’em- porte sur le nôtre par la tendresse du cœur... N'est-ce — 132 — pas un plaisir d'admirer l’art avec lequel il sait trouver, jusque dans ses belles actions,- à satisfaire ses petites vengeances, d’une manière toute chrétienne ? Jusqu’à son dernier soupir, Mlle Barbot conserva la gaieté de son printemps. En voici un exemple entre bien d’autres. Au mois de juin 1862, l’année qui précéda sa mort, elle s’était rendue à Chambellay, où notre véné- rable évêque, Mgr Angebault, devait donner la confirma- tion. La veille du grand jour, les jeunes filles de la congrégation répétaient des cantiques accompagnés par ses petites-nièces. Quand les chants furent exécutés à la satisfaction générale. « C’est trés-bien, dit-elle, mais pour reposer ces demoiselles, après la collation, il faudra les faire danser. — Y pensez-vous, ma tante, répondit son neveu, faire danser des affiliées de la congrégation! — Je comprends tes scrupules, mais je les regrette, car j'aurais chanié une ronde que le général Delaage m'apprit à son retour de Russie; j'en sais encore beaucoup et je n’en connais pas de plus jolie. » Cétait, en effet, par l'abandon du cœur encore plus que par la vivacité de l’esprit, que Mlle Barbot était remarquable. Elle portait la passion de rendre service ou d’épargner de l’affliction aux siens, à un point que l'on pourrait appeler héroïque. Ainsi, elle avait accom- pli sa quatre-vingt-dixième année quand sa belle-sœur tomba dangereusement malade à Chambellay. Son neveu devait arriver le soir à Angers pour se rendre aussitôt près de sa mére. On était au mois de janvier; il gelait; Mle Barbot tremblait la fièvre : elle se lève au milieu de la nuit, monte dans une voiture, arrive à Chambellay, s’assure que la malade est mieux, et après — 133 — ce voyage de treize lieues, revient à Angers avant le train de Paris qui doit amener son neveu, et, par conséquent, assez à temps pour lui épargner quelques heures d’in- quiétude. Les domestiques faisaient aussi partie essentielle de sa famille. Malgré les limites étroites de sa fortune, on lui a connu pendant longtemps trois servantes. La doyenne, Goton, dont le dévouement à sa maîtresse était presqu’aussi légendaire que le nom, frappée de paraly- sie, fut confiée à la sollicitude de la seconde nommée Thérèse; mais comme celle-ci était sourde, on se repo- sait sur une troisième du soin de suppléer les deux autres ; seulement, cette dernière quoique jeune, étant d’une extrême délicatesse, gardait souvent la chambre, si bien que sa maîtresse servait le plus ordinairement de garde-malade aux trois pauvres filles dont l’assis- tance était aussi impuissante que bien intentionnée. Il y eut même, pendant quelques mois, l'essai d’une qua- trième servante pour soulager la troisième, quand son état maladif dégénéra en affection pulmonaire. On conçoit qu'avec de tels sentiments, l'amitié avait aussi son autel dans l’oratoire de Mlle Barbot. Indul- gente pour les erreurs de ceux qui lui étaient chers, elle ne les reprenait qu'avec une réserve pleine de déli- catesse ; mais lorsqu'elle pensait que le moment était venu de parler sans détour, elle s’acquittait de ce devoir avec une fermeté ingénieuse, sans tristesse n1 froisse- ment. M. Guépin était naturellement un des sujets habituels de ses exhortations. Le savant et spirituel docteur les écoutait avec déférence; mais, sans parti pris, comme tant d'hommes du monde, il en ajournait — 134 — l'effet. Toutefois, il avait promis à son amie qu’à l’ap- proche de l’heure dernière, il se souviendrait sérieuse- ment de ses pieux conseils. Au mois de mars 1869, M. Guépin fut frappé d’une fluxion de poitrine, qui, compliquée par son âge avancé, inspira bientôt les plus vives inquiétudes. Alors, Mlle Barbot était elle-même gravement atteinte d’une bronchite aiguë dont la cause remontait probablement à l’imprudent voyage de Chambellay. La bonne demoiselle, sur son lit de dou- leur, oubliait ses propres maux pour ne penser qu’à ceux de son cher voisin; elle était instruite des pro- grès par leur médecin commun, l’excellent docteur Castonnet, dont la perte excita tant de regrets, et dans l'impossibilité d’aller elle-même porter les consolations suprêmes, elle chargea M. labbé C....… , de trans- mettre simplement ces paroles : « C’est votre vieille amie qui m'envoie pour vous offrir toute son ‘affection et pour vous inviter à prier Dieu avec elle. — Dites à ma vieille amie, répondit M. Guépin, que je la remercie de son intérêt, et que je suis prêt à remplir ma pro- messe; » et il tint parole. Mie Barbot ne pouvait être aussi avancée dans les voies de la piété, sans pratiquer continuellement la cha- rité sous ses diverses formes. Douée au plus haut point du sentiment de l’ordre et d’une sage économie, elle administrait son revenu avec tant d'intelligence qu’elle en multipliait les ressources ; elle avait toujours de quoi donner : aux enfants, une caresse et des friandises, aux pauvres, des conseils et des secours de toutes sortes. Sa bienfaisance était aussi inépuisable que profond était le mystère dont elle aimait à s’entourer. Un jour de red- — 135 — dition de comptes à l’association des Demoiselles de la Providence dont elle était trésorière, la balance du doit et de l'avoir se soldant avec équilibre, lassemblée fai- sait entendre un murmure d'approbation; le Directeur de l’œuvre se leva et dit d’un air sérieux : « Mesde- moiselles, on vous trompe; ce compte-rendu est infi- - dèle; je m'inscris en faux contre sa conclusion; non seu- lement un de ses articles est entaché d’une soustraction mais pour la couvrir votre trésorière a eu recours à un mensonge.» On s’exclame, on s’interroge avec anxiété; mais en voyant Mle Barbot rougir, on comprend que, sans prévenir, elle a comblé de sa propre bourse, un défi- cit considérable ; toutefois, vivement émue, elle proteste contre le triomphe du malicieux directeur, et s’écrie : « Ne le croyez pas, Mesdemoiselles, c’est plus qu’un ennemi, c’est un ami terrible ! » Mike Barbot possédait cette faculté si rare et si pré- cieuse de la répartie, qui est une des traditions du vieil esprit français. Elle ne perdait jamais l’occasion de répliquer par le mot juste qui plaît en désarmant. Suivant son habitude, un jour, dans la salle synodale, elle dirigeait, la veille d’une fête de la Vierge, le travail des décorations qui devaient servir à la solennité. Mgr Angebault vint à passer ; on s’empressa de lui de- mander des nouvelles de M. l’abbé C..., alors dangereu- sement malade. Mile Barbot, devenue plus inquiête par les paroles du digne pasteur, voulut monter chez son ami. « Gardez-vous-en bien, dit l’évêque en l’arrêtant, la maladie de M. CG... est très-grave; de plus, elle est contagieuse; je vous défends de vous y exposer. « Et le prélat prit la direction du . — 136 — grand escalier qui conduisait à son appartement et à celui de M. CG... Il n’eut pas plutôt disparu que Mie Barbot, malgré son titre d’octogénaire, s’élança dans le petit escalier qui conduisait également à la chambre du cher malade, mais, d’un autre côté. À peine y avait-elle pénétré que le Prélat, qui se doutait de la ruse, entra par la porte ordinaire. La coupable n’eut que le temps de se cacher derrière les rideaux, mais pas assez vite pour s’y dissimuler. Le bon évêque la saisit par le bras et lui dit en souriant : « Je vous « y prends, Mademoiselle ; à votre âge est-il possible que « vous donniez un pareil exemple de désobéissance ? — « Excusez-moi, Monseigneur, répondit-elle les yeux « baissés, je suis fille d’Éve, et je ne serais pas montée « si vous ne re l’aviez pas défendu. » On ne sera pas surpris de cette respectueuse familia- rité en se souvenant que le bienveillant prélat excellait aussi dans l’art des impromptus aimables. En compte- courant de fines plaisanteries, les deux interlocuteurs n'étaient jamais en retard l’un avec l’autre. Mlle Barbot fut la dernière des habituées du salon épiscopal. Msr Angebault recevait tous les dimanches soirs; mais la mort ou l’absence avait fni par éclaircir les rangs de la partie féminine de ces réunions, au point que Mie Barbot restait à peu près seule pour la représenter. L’agrément de la conversation n’eut point à en souffrir. Quand on apercevait la spirituelle demoiselle s’avancer dans le salon, avec prestesse et d’un air souriant, nous raconta un témoin oculaire, tous les regards se tour- naient de son côté. Les fidèles hôtes du vénéré pasteur se déridaient à l’aspect de cette verte vieillesse. Plusieurs Étui Zn) de — 137 — même qui s'étaient laissé aller au recueillement du juste, — et cela leur était bien permis, après avoir dépassé dans le pieux ministère les trois quarts du siècle — se ranimaient en retrouvant les saillies de leur ancienne verve. Chacun lançait ou recevait un propos d’un enjouement, parfois un peu vif, mais toujours courtois. L’affable évêque se délectait à ces dialogues presque aussi continus que variés, et le feu pétillant ne cessait qu’au son de l'heure canonique de la retraite. Je viens de me servir d’un terme qui ne doit point s’appliquer à Mike Barbot. Elle ne connut point de vieil- lesse; de même que les personnes qui n’ont jamais eu soixante où quatre-vingts ans, mais bien trois et quatre fois vingt ans, elle ne cessa jamais d’être jeune. N’omettons pas une aventure, survenue vers 1855, et qui en jetant l’émoi dans le voisinage de Mlle Barbot, témoigna des égards unanimes dont on aimait à l’en- tourer. Un matin, les voyageurs, traversant le quartier des Lices pour se rendre à la Gare, s’informaient avec in- quiétude des causes de l’émotion qui se peignait-sur tous les visages. Ce devait être un grave événement, car les servantes, réunies par deux ou trois, poussaient des exclamations d’effroi; les marchands de la rue Saint- Aubin, du seuil de leurs boutiques, arrêtaient les pas- Sants pour conter la nouvelle dans sa primeur, et les concierges du boulevard, appuyés sur leurs balais, profitaient de l’occasion pour suspendre le combat contre la poussière. En passant près de ces divers groupes, on n’entendait que des phrases entrecoupées : — 138 — . : Mlle Barbot a été volée cette nuit! « Ah Ciel, est-il pos- sible ! une si brave dame! qui fait tant de bien! La mère des pauvres! Dans quel temps vivons-nous! Il n’y a plus rien de sacré! » Or, voici le motif de ces sympathiques commentaires : l'impasse des Lices étant devenue une longue voie ou- verte, Mlle Barbot, forcée de quitter son habitation pre- mière, n'avait pas voulu s'éloigner de son quartier, ni surtout de son cher Saint-Maurice. Bien conseillée, elle acheta un terrain à l’autre bout de la rue nouvelle, y fit construire une jolie demeure ‘, et, comme toujours, dans ses judicieuses entreprises, accrut ainsi notable- ment sa petite fortune. Pendant la belle nuit qui précéda cette matinée émouvante, une lessive était restée étendue dans le jar- din. La prudente propriétaire avait bien eu la précau- tion de poser, en lieu apparent, comme sentinelle, un mannequin surmonté d’une tête à perruque ; mais l’in- génieux stratagème échoua cette fois devant une audace inouïe. Profitant du mouvement occasionné par l’importante opération de ménage, un malfaiteur s'était introduit dans la maison, s’y était caché; puis, à la faveur des ténèbres, avait ouvert la salle à manger. Il paraît que c'était un spécialiste en gastronomie, car on trouva comme traces de ses déprédations, les os d’une perdrix et plusieurs flacons vides. S’attarda-t-il trop complai- samment aux délices de la table, ou prit-il l'alarme au 1 Appartenant aujourd'hui à M. Emmanuel Le Bault de la Morinière. — 139 — cours de ses investigations, si bien que le tiroir à l’ar- genterie, dans le buffet, resta imtact? La réponse est encore un mystère; seulement on présuma qu’au bruit des pas de Thérèse descendant de sa chambre, le voleur s’était hâté de franchir la fenêtre qui, du rez-de-chaus- sée, donnait sur la rue. Aussi, la ponctuelle servante, en sortant pour se rendre à la première messe, fut-elle ébahie de trouver les volets tout ouverts. Que l’on juge de sa précipitation à rentrer pour constater l’impor- tance de la razzia et en prévenir sa maîtresse | Celle-ci, bientôt rassurée et ne perdant rien de son sangfroid ordinaire, ne voulut pas manquer l'office du matin ; mais la rumeur avait couru, et comme toujours, s'était grossie en route : « Ah! chère demoiselle, vous voilà saine et sauve! Vous avez été volée; il y a de quoi en être malade! Les brigands ont donc passé la nuit chez vous? On dit qu’ils ont tout emporté. Est-il vrai que sans votre courage et les cris de vos bonnes, vous étiez assassinée? » Tels étaient, en abrégé, les propos qui prouvaient tout l'intérêt que l’on portait à la res- pectable victime de l'attentat nocturne. « Rassurez- vous, répondit-elle, à toutes les amies connues ou inconnues, qui accouraient sur son passage. Je ne suis ni morte, ni même dévalisée. La bande se réduisait à un seul. Je ne l’ai ni vu ni entendu. Il doit être de na- turel discret, car il s’est contenté d’emporter quelques serviettes, sans doute comme souvenir de l’agréable collation que je lui ai procurée à mon insu. « Cette mise à contribution inattendue n’arrêta pas un instant le cours des libéralités de Mile Barbot. Le spoliateur devait cependant être un de ses protégés car il avait agi en — 140 —. connaissance des lieux. Si, comme on peut le croire, il lui fut signalé, elle garda un silence indulgent, car son âme était trop tendre pour ne pas préférer la conver- sion au châtiment du pécheur. Le travail de décorations pieuses auquel nous venons de faire allusion nous rappelle un Mois de Marie à la Cathédrale, où le baldaquin du grand-autel disparaissait tout entier sous les guirlandes vaporeuses de fleurs de plumes et d’or. C'était un ouvrage merveilleux de goût et de patience qui excita l'admiration publique. On en attribua le principal mérite à Mle Barbot. Nous avons dit combien elle était habile dans toutes les délicatesses féminines; mais, en cette occasion, elle s'était sur- passée ; aussi elle y avait consacré bien des jours, dont plusieurs s’avancèrent dans la nuit. Ce qui l’aidait puissamment dans la reproduction des fleurs en plus d’une matière, c’est qu’elle les aimait beaucoup et se plaisait à en faire ressortir les beautés. Les éléments de la botanique, surtout la connaissance des simples, ne lui étaient point étrangers, et ces notions tournaient au profit de ses protégés. On remarquait au fond de sa cour un pelit jardin, cultivé avec grand soin, l’hiver comme le printemps. C'était une modeste plate- bande où s’épanouissaient de tradition, deux rosiers, l’un pompon et l’autre mousseux, à fleurs écarlates, entourées d’épines à demi-cachées, « Image, disait-elle, « de la plupart des existences, et peut-être de mon « caractère, reprenait-elle gaiement. De loin j'ai l'air « de sourire : qu’on ne s’y fie pas. Ceux qui me connais- « sent savent bien que, de près, il m'arrive de piquer — A4 — « un peu; mais soyez tranquille, j’épargne toujours « mes amis. La rose était la fleur de ses élne cé, encore par un souveuir de sa jeunesse. On sait quel rôle joua la reine des fleurs dans les fêtes de la fin du dix-huitième siécle. Van Spandonk et Redouté lui consacrèrent la magie de leurs pinceaux. Aussi dans le senl portrait que _ possède de Mile Barbot, exécuté après sa mort grâce à une sollicitude touchante, en la représentant une rose à la main, on ne pouvait lui rendre un hom- mage plus sympathique. Jusqu’à ses derniers moments, la pieuse demoiselle partagea ses loisirs enire la visite aux pauvres, aux malades, et la décoration du sanctuaire pour les fêtes de l’Église. Pouvait-elle trouver un emploi plus salutaire des qualités de son cœur et de la variété de ses talents ? Ces bienfaisantes occupations nous reportent au temps des saintes femmes qui, dans la primitive église, sous le nom de diaconesses, étaient attachées au service des autels. | « Il y avait aussi à Joppé, parmi les Apôtres, lit-on dans les Actes, une femme nommée Tabithe, en grec « Dorcas. Sa vie était remplie de bonnes œuvres, et elle « faisait beaucoup d’aumônes..…... » C’est ainsi que l’on aime à se représenter, dans le temple de Jérusalem, sainte Anne, ornant les parvis sacrés autour du Tabernacle, et initiant la Vierge, encore enfant, aux splendeurs du culte divin. Est-il besoin d’ajouter que Mle Barbot fut une des premières associées de l’'Œuvre de la Miséricorde de — 19 —. Saint-Vincent-de-Paul? Cette confrérie fut fondée en 1839, précisément pour accomplir, réunies, ce que la bonne demoiselle pratiquait isolément avec tant de constance et d’ingénieuse charité. « La charité déborde du cœur de Dieu, dit excellem- « ment l’auteur de la biographie de Mlle Boguais; elle « regarde comme ses enfants les pauvres aussi bien que « les riches; ils sont égaux devant son amour. N’allons « point ailleurs chercher l’étymologie du doux nom de « miséricorde qui se compose de deux mots : miser, « malheureux, cor dans le cœur. Cest donc imiter « Notre-Seigneur que de porter comme lui les pauvres « dans son cœur, que d’avoir miséricorde pour eux, non « seulement pour leur misère corporelle, encore plus « pour la misère des âmes accablées sous le poids de la « pauvreté ou de la douleur. « C’est la mission la plus chère des chrétiens que de « relever cette misère morale en lui tendant une main « fraternelle, en la réhabilitant à ses propres yeux, en « $’abaissant jusqu’à elle pour la relever jusqu’à Dieu, « après avoir soulagé le corps par l’aumône et consolé « l’âme par ces pieuses paroles qui inspirent la patience, « espoir et le courage ‘. » 1 Nous avons emprunté cet extrait à la Notice sur M1 Boguais, pour en faire apprécier le mérite. Cet ouvrage, trop peu connu et publié sous un titre trop modeste, devrait être lu et relu, dans les familles angevines, par tous les amis de la religion et des lettres. En disant qu'il est digne de son sujet, on ne peut en faire un éloge plus vrai. Par une discrétion touchante, cet hom- mage fut déposé sur un tombeau comme une couronne anonyme. Le nom de l’auteur n’a été révélé qu'après sa mort. Me Hector Boguais de la Boissière, avec tout ce qu’elle avait de plus cher — 143 — Telle fut la pensée qui présida à la fondation de l'Œuvre de la miséricorde de Saint-Vincent-de-Paul. Le but de cette association était la visite des malheu- reux, la confection des vêtements, le travail en commun deux fois la semaine, mêlés de prières et de pieuses lectures; de plus, les malades étaient au besoin visités à l’hôpital par les dames associées, qui joignaient encore l'instruction des enfants pauvres à leurs autres obliga- tions. Mme Courtigné eut l'honneur de l'initiative. Mlle Bo- guais fut bientôt chargée de la direction, secondée par Mmes de Villebois et de Villemorge, dont les noms se trouvent dans toutes les pieuses entreprises de cette époque. Mile Barbot leur prêta le concours précieux de son talent d'organisation. Entre toutes les choses pénibles, la plus méritoire, au monde, suivit de bien près sa belle-sœur. Aux cœurs émus de deuils si rapprochés, il semblait que la sainte demoiselle eût obtenu, pour celle qui l'avait si bien comprise, la faveur de lui faire prématurément partager les félicités éternelles. } La biographie de M!e Boguais se distingue par un style pur, l’accent de la tendresse, le charme des sentiments délicats, une finesse et une élévation de pensées, que l’on aime à remarquer dans les livres écrits par les femmes, et qui leur donnent une place spéciale et des meilleures, dans la littérature de nos jours, surtout dans son expression la plus haute, celle des pieuses croyances. C'est en 1865 que fut imprimée, avec beaucoup de soin, par MM. Lainé, la Notice sur Me Célestine Boguais. Elle forme un élégant in-18 de 200 pages. Elle se vend, pour une bonne œuvre, au prix modique d’un france, chez les sœurs de la Misé- ricorde, rue du Volier. Sa place est marquée, dans toutes les bibliothèques qui ne la possèdent pas encore, près des œuvres de Mr Swetchine, d'Eugénie de Guérin, de Mes Craven, de Barbercy, de Flavigny. — 144 —, est sans contredit faire une quête. MX Barbot était toujours prête à en accepter la charge; cependant malgré son expérience, elle avouait que c'était la peine qui lui coûtait le plus, et que son cœur se serrait en sortant de chez elle; la charité ne l’emportait qu'après une lutte contre la nature. Des épisodes décevants de toute quête, la vaillante femme n’en parlait qu’à Dieu, et, en dépit de son talent de tourner plaisamment les choses, résistant à la tentation, elle ne racontait au monde que l’accueil gracieux et généreux qu’elle recevait d'ordinaire. On dit que Mile Boguais se faisait également violence pour aller tendre la main à la libéralité d'autrui; mais en cette rude mission, son assistante avait plus de mérite, car elle ne possédait point cette grâce souve- raine qui, en charmant les regards, délie les cordons des bourses les plus rebelles. Enfin, pour tous les devoirs imposés par la nouvelle œuvre, toujours féconde en bienfaits, MI Barbot s’effor- çait de suivre l’exemple de sa sainte présidente qui, de son côté, traitait la doyenne de ses collaboratrices, avec les égards les plus aimables et la plus respectueuse considération. Mle Barbot conserva dans toute la richesse de leurs veines son intelligence et sa présence d'esprit, jusqu’à la dernière heure; remise, contre tout espoir, d’un accès de la maladie qui devait l'emporter, sentant néan- moins que sa fin était proche, elle s’y prépara, calme et patiente, en faisant ranger et disposer toutes choses avec une prévoyance, qui n’oubliait rien, même pas le diner posthume offert à sa famille. Dans sa — 145 — modestie elle avait si bienla conscience de l’accomplisse- ment de son devoir, qu’elle ne se livrait à aucun effort de courage. « J’ai tant travaillé pour la sainte Vierge « disait-elle, qu’elle me donnera bien une petite place « dans son paradis... Mon temps est passé, reprenait- « elle avec une douceur résignée ; je suis achalée de « la vie. J'aime bien tout le monde, mais je n’ai plus « d'espoir que dans le bon Dieu... » En recevant les sacrements suprêmes, non seulement elle répondit avec précision aux belles et consolantes prières de l’Église, mais toujours obligeante et atten- tive, elle insista près de son directeur pour qu’il conti- nuâl, assis, de remplir un saint ministère, doublement pénible à son cœur de prêtre et d’ami. Cétait le soir : ne voulant fatiguer personne, elle exigea que chacun allât goûter un peu de repos. Seule uñe Sœur veillait à son chevet. Vers minuit, celle-ci, effrayée de ne plus remarquer de respiration chez la malade, prévint M. C... qui priait dans une chambre voisine. Il accourut et fut consterné, comme la Sœur, de la pâleur et de l’immobilité du visage de la mou- rante; mais quelle fut sa surprise lorsque celle-ci levant vivement la tête et le fixant d’un air affectueux et pres- que gai, lui dit : « Scélérat — c’était un petit mot « d'amitié dont elle favorisait ses privilégiés dans les « derniers jours — vous me croyiez en terre; je suis « encore de ce monde; vous voilà bien attrapé! » Comme le digne prêtre lui exprimait son heureuse émotion et l’assurait que sa prochaine messe lui serait consacrée. « Îl sera trop tard, dit-elle. Dans quel- « ques heures je n’existerai plus. Adieu, mon bon amil SOC. D’Af. : 10 — 146 — «adieu, tous ceux que j'aime sur la terre. » Puis ses regards s’illuminèrent de cette expression émerveillée, céleste, que l’on admire aux derniers moments des per- sonnes d’une grande piété, comme si elles contem- plaient déjà les splendeurs de la récompense éternelle. Les forces physiques et morales de Mlle Barbot étaient si bien conservées qu’elle aurait pu survivre encore, il semble du moins, si elle Pavait voulu; mais elle était lasse de la lutte, et pensait que l'heure était venue d’en recevoir le prix. Elle s’éteignit presque sans souffrances, le 10 février 1863, à l’âge de 92 ans et 6 jours, avant l'aube, comme elle l’avait annoncé, entourée du dévoue- ment et de la tendresse dont elle avait été si prodigue pour les autres. Succombant seulement à la faiblesse, elle ferma, pour la dernière fois, ses yeux qui n'avaient cessé de briller des rayons de l'intelligence. Le divin Maître, qu’elle servit si bien, l'avait exaucée. La mort chrétienne de Mlle Barbot nous rappelle ce que l’on dit de l’une de ses célèbres contemporaines qui parvint aussi à un âge avancé: : « Les angoisses de la maladie lui furent épargnées. « Après une vieillesse exempte de caducité, la Provi- « dence a voulu la préserver des douleurs de l’agonie. « Admirable de résignation, elle s’est endormie paisi- « blement, avec toute la lucidité de son esprit, après « quelques jours d’affaiblissement ou de difficulté de € vivre. » Pour ceux qui ont eu le bonheur de suivre l’exis- tence presque séculaire de Mlle Barbot, dans toutes ses 1 Mne Récamier. — 147 — phases, elle se résume par trois figures mémorables, qui ont eu successivement une grande influence sur sa pen- sée : Charlotte Corday, Mme de Staël et Mme Swetchine. Nous devons ajouter le génie d’une autre femme, qui les dominait toutes les trois, car elle réunissait au degré le plus éminent, les qualités du cœur, de l'esprit et du caractère; on a nommé, avant nous, Mme de Sévigné. Cependant, malgré l’éclat de ce patronage, il en est un plus humble que la bienfaitrice, la respectable amie de notre jeunesse a dû préférablement invoquer sur son lit de mort : ce fut la protection d’une religieuse que peu d'années auparavant, Dieu avait enlevée à la terre où règne encore le souvenir de son angélique passage. Sa famille, des plus honorables du Bugey, l'avait appelée Jeanne-Marie Rendu; les pauvres et les riches du faubourg Saint-Marceau, à Paris, qu’elle sanctifia pendant cinquante ans, la vénèrent sous le simple nom de Sœur Rosalie. L. CosNier. | ANGERS PLACE DU RALLIEMENT FOUILLES DE 1878-1879 EVA PORTE Adressé à la réunion des Sociétés savantes, à la Sorbonne, le 16 avril 1879, par M. GoDARD-FAULTRIER, directeur du Musée d’Antiquités d'Angers; Officier de l’'Instruction publique, correspondant du Ministère. — Dessins de M. le Dr H. GoDARD. Grammatici certant. I Délégué par la Société d’agriculture, sciences et arts d'Angers, j'ai l'honneur d’exposer que l’on a découvert trois monuments d’un intérêt sérieux (voir le plan géné- ral des fouilles, pl. VIIT). C’est d’abord une mosaïque carrée ‘ de 5®,13 de côté, bordée de palmettes grecques, œuvre du 1er au 1 Trouvée le 21 novembre 1878 par M. Delcour, entrepreneur. — 149 — ue siècle, d’après l’opinion de M. Demoget exprimée dans un bon mémoire, auquel nous renvoyons pour ne pas faire double emploi . Cest ensuite et dans le cimetière primitif des chré- tiens, fin du 1ve siècle, un édicule rectangulaire (B du plan général, pl. VIII) de basse époque et formé de matériaux d'emprunt, notamment de vieilles briques romaines, posées dans les murs, sans trace aucune de cette savante symétrie que l’on pratiquait sous Gallien, et sans trace non plus d'appareil régulièrement join- toyé. On y distingue une piscine ellipsoide (B — 1) tron- quée par une banquette de 0m,19 à Om,20 de large. Bouche de chaleur dessous et conduit d'écoulement en plomb, vers ouest. Cette piscine, profonde de 1m,90, longue de 1,60 sur 1,10, parfaitement cimentée avec bourlets le long des angles et revêtue d’un stuc blanchâtre absolument semblable à celui d’un autre bassin (B — 2), est cepen- dant différente des autres parties de la construction par emploi d’un mortier plus jaune, ce qui accuse une annexion, d’ailleurs très rapprochée de date, puisqu'il n’y entre que des quarzites, de petits tufs * et pas de moëllons d’ardoise. 1 Voir Bulletin de la Société industrielle, année 1878, p. 210. Si nous sommes bien renseigné, M. Demoget a fait depuis, un travail d'ensemble des fouilles (plans, coupes, élévations) que l’on peut voir au Musée archéologique de Saint-Germain, avec texte à l’appui. 2 L'emploi de petits tufs se fait remarquer en Anjou dés le bas-empire, notamment dans les piles du Balneum des Châtelliers de Frémur. AGO Dans l’absidiole carré du même édicule, on remarque vers est l'emplacement de la seconde piscine (B— 9) en forme de baignoire. Ces deux piscines étaient chauffées au moyen d’un fourneau vers l’est et d’un Aypocauste long de 4m,50 sur un peu moins de 3m de large (B — 5). Un tronçon de colonne en tuf à base plongée dans un épais lit de ciment fut trouvé près du fourneau, mais en dehors vers orient et à 1m,40 de la baignoire. Du côté de l’entrée, les piles de briques vers occident sont allongées (pl. IX). L'autre moitié de l’hypocauste vers est et côloyant les piscines n’a que de petites piles carrées de 0m,18 de côté sur environ 0,35 de hauteur. Par dessus toutes ces piles régnait un plancher (pl. X) formé d’une couche de grandes briques et de ciment, ensemble d’une épaisseur moyenne de 0m,20. Les piles sont espacées entre elles de 0m,30 à Om,35. Un petit bronze de Théodose et une grossière lampe en terre y furent trouvés. Le feu circulait horizontalement sous le plancher et verticalement par quelques tuyaux insérés dans les murs. Enfin, à main droite de l'entrée, vers sud-ouest, maïs en dehors de l’édicule, on découvrit une cuvette assez grossière, longue de 1m,30 sur 0m,60 de large à son fond, pavée de quelques ardoises brutes sur lit de ciment (B — 4, pl. VIH). À ces quatre parties de l’édicule (B) correspondent divers textes que nous citerons. Quand les ouvriers eurent dégagé la piscine ellip- soïde (B — 1, pl. VII), l'impression générale fut qu’il s'agissait d’une cuve baptismale par immersion. J'in- — 151 — clinai de ce côté, mais avec une certaine hésitation, à cause de la petitesse relative de cette piscine, habitué que nous sommes à nous représenter ce genre d’édifice d'après les vastes proportions du baptistère de Constan- tin ; comme si réflexion faite, il était de rigueur que cette construction impériale dût être absolument la mesure typique de toutes les autres. Une lettre d’un voyageur en Orient nous désabusa ; en effet, M. le comte de Bertou, auteur de mémoires très appréciés à l’Académie des inscriptions et belles- lettres (voir aux pièces justificatives n° IV) voulut bien, à la date du 28 novembre 1878, nous écrire : « J’ai vu souvent en Orient et particuliérement en « Syrie, dans les églises grecques et arméniennes, des « piscines baptismales de /4 même forme et de la même « apparence que celle qui vient d’être mise à découvert « sur la place du Ralliement ‘. « Les églises modernes de la Syrie, généralement « très pauvres, n’ont quelquefois qu’un misérable baquet « ou qu’une grande pierre grossièrement creusée pour « l'administration du baptême par immersion, mais « dans les vieilles églises on retrouve des bassins du « genre et de la forme de celui que vous m’avez mon- « tré ?. » À ce texte, joignons-en un autre relatif au baptême par immersion, mais en Occident. Le Dictionnaire de Trévoux s'exprime ainsi : 1 Voir pièce justificative n° IL. * La piscine du baptistère de Saint-Ambroise, à Milan, est également très petite, au rapport de Mer Sauvé (séance du 4 mars 1879, à la Société d'agriculture, sciences et arts d'Angers). 50 — « Nous apprenons de la vie de saint Otton, apôtre de « Poméranie, que ce saint avait fait enfoncer dans la « terre des cuves qui ne s’élevaient de terre que rs à « la hauteur du genou. » J’ouvre ici une er pour dire que cette diffé- rence de niveau est, à quelque chose près, celle que l’on remarque à notre édicule entre le dallage du dessus de l’hypocauste et les bords de la cuve ellipsoïde. Un esca- beau était nécessaire pour y monter, comme l’a remar- qué M. J. Quicherat lors de sa visite au Musée Saint- Jean. Fermons la parenthèse pour reprendre la citation. « Il y avait de ces cuves pour les femmes et pour les « hommes... elles étaient entourées de rideaux qui en « formaient autant de loges différentes. » — Et ajoute le même Dictionnaire : « L’on ne doit point douter que « dans les autres églises on ne prit des précautions. « semblables pour empêcher que la pudeur ne fût « blessée dans une si sainte cérémonie *. » Il y a loin de ces misérables cuves au baptistère de Constantin, mais pas si loin d’elles aux piscines d’An- gers. Cela répond à ceux qui pourraient objecter que les petits baptistères n’existaient qu’en Orient. D’un autre côté, M. le comte de Bertou, par la teneur de sa même lettre, ajoute : « Dans les baptistères de l'Orient qui remontent aux « premiers siècles, on retrouve les traces de deux pis- _ccines, quelquefois rondes, quelquefois de forme 1 Dictionnaire de Trévoux, au mot Baptème. — 153 — 2 elliptique, rarement carrées, destinées aux baptêmes « des deux sexes... « Il serait, continue-t-il, très intéressant de retrou- « ver cette même disposition dans le baptistère dont « vous surveillez en ce moment le déblaiement, et si « vous parveniez à découvrir le moindre vestige certain « de la seconde piscine, vous auriez retrouvé un témoin «trés intéressant des premiers siècles de l’Église épis- « copale d'Angers, car vous savez qu’à cette époque, « l'évêque seul administrait le baptême par immer- « sion. » Or, peu de jours après cette rédaction si nette de prévision, l’on découvrit au fond de labsidiole l’em- placement de la piscine oblongue (B — 2, pl. VII. Plus de doute! On se croyait en présence d’un bap- tistère. Mais voilà que la mise à nu d’un hypocauste (B — 3) vint ébranler nos convictions. Le moyen de croire, en effet, à l’existence d’un hypo- causte dans un baptistère? Et cependant comment s'imaginer que dans nos climats, au temps de Noël”, on baptisât par immersion dans l’eau froide ? Le bon sens parlait, mais un texte faisait bien mieux notre affaire. Nous le rencontràämes dans D. Mar- tène * : « Sacerdos qui ad cuppam stabat..….. hieme vero... « in stubis calefactis et in aqua calida…. infossis doliis, « ina immersione capitis, veneranda baptismi confecit « sacramenta, » 1 Martigny, au mot Baptème, p. 69. 2? De antiquis Ecclesiæ ritibus, col. 140, t, I. — 154 — Puis cherchant le sens du mot stubis au Dictionnaire de Ducange, nous y trouvons : « Stuba vaporarium € Aypocaustum, vox (Germania s/ube unde nostri « estuve. » Ainsi la présence d’un hypocauste dans un baptistère par immersion ne peut plus être révoquée en doute. Il est un autre texte qui s'adapte très bien à la gros- sière cuvette externe (B — 4 du plan général.) En effet, dans l’un des Bulletins du ministère de l'instruction publique on lit ‘ : « M. d’Arbois de « Jubainville adresse divers extraits de procès-verbaux «de visites d’églises au xvie siècle, conservés dans les « archives de l'Aube, où se trouve ce singulier pas- « sage : Jia est baptisindi infantes possent mijere (min- « gere) tralterum latus. » Pas aussi singulier, me dit un ecclésiastique fort dis- tingué (M. Priou, curé de Saint-Laud d'Angers) : « Ignorez-vous pourquoi Constantin VI] fut nommé Copro- « nyme? Bien avant lui de pareils accidents durent faire « naître l’idée de réserver un lieu spécial, un alterum « latus dans les baptistères. » Voilà donc une série de textes qui militent en faveur des partisans d’un baptistére. Toutefois, une opinion plus complète se dégage. Elle admet comme unique cuve. baptismale la piscine ellip- soïde et croit devoir prendre la piscine oblongue (B—9) pour l'emplacement du bain liturgique qui précédait le baptême ; elle se fonde sur ce passage du Diction- naire de Martigny : 1 Année 1870, première partie, p. 30. — 155 — « Les catéchumènes devaient se baigner avant de « recevoir le baptême, soit par respect pour le sacre- « ment, soit afin que les fonts dans lesquels ils étaient « immergés.….. ne fussent point souillés ‘. » Rien ne paraît, en effet, s'opposer à ce que dans l’in- térêt de la commodité du néophyte il y eut quelquefois “à l'intérieur du même local une piscine baptismale et un bain liturgique. Il semble résulter de la découverte du tronçon de colonne en tuf, que notre édicule rectangulaire BBB était environné d’une colonnade. _ Comme rapporteur, je dois mentionner une troi- sième opinion qui consiste à Voir dans l’édicule rectan- gulaire (B) le bain liturgique avec sa réserve d’eau, et dans l’octogone (C) le baptistère (voir le plan général). Quoiqu'il en soit de ces nuances diverses d’appré- ciation, toutes se réfèrent à l'existence d’un bain sacré, puis à celle d’un baptistère que, pour le dire en pas- sant, Claude Robin, à la fin du xvine siécle, s’empressait d'affirmer *. Aussi ne sera-t-on point surpris d’'ap- prendre que le commandeur de Rossi, d’après l’exacte description qui lui fut faite par M. Léon Palustre de ces raretés angevines, répondit que le bain sacré notam- ment était un monument unique dans la chrétienté. Ces bains, assez nombreux lors de la primitive Église 1 Dictionnaire des antiquités chrétiennes, par l'abbé Martigny, au mot Bains. Nous voudrions bien pouvoir tonjours citer les textes originaux, malheureusement, en province, nous en sommes souvent privés. 2 Dissertation sur l'antiquité de l’Église d'Angers AN MDCCLXIV, p- 31-33. PET, et quelquefois situés dans les cimetières ‘, jouissaient comme certaines basiliques du droit d'asile. M. d’Es- pinay, nous disait ces jours qu’il venait de lire dans Paciaudi (De sacris christianorum balneis) le texte même d’une loi de Théodose à ce sujet ?. Mais afin de bien se rendre compte de l’origine eccle- siastique de notre édicule oblong (B), il ne faudra pas perdre de vue : qu’il a l’orient chrétien; — qu’il est de basse époque; — qu'il est, suivant les termes de M. Demoget, un remploi de vieux matériaux romains ; — qu'il fit partie intégrante du cimetière primitif des chrétiens ; — que ce cimetière date de la fin du 1v° siècle, d’après les meilleures données historiques, justifiées d’ailleurs par la découverte de sarco- phages creusés dans des restes d’architecture antique ; — que notre édicule n’a rien du luxe ni de l’allure monumentale des bains publics ou privés des Romains, rien de cette vaste et savante distribution (souvent double) en salle d'étuve, salle d'eau chaude, salle d'eau froide et salle des frictions où, selon Oribase, se pas- saient les quatre actes d’un bain complet ; — que notre édicule est comme beaucoup de constructions de la décadence, bâti sur les fondements d’un édifice anté- rieur, à l'exemple du baptistère Saint-Jean (ve au vi s.) au Puy-en-Velay, établi sur fondations d’un monument antique. (Joanne, Dictionnaire des communes.) Ce résumé suffit, passons à l’octogone. 1 Martigny, au mot Bains. à 2 Voir sur les Bains sacrés les extraits de Paciaudi communi- qués à M. Godard par M. d’Espinay, conseiller à la Cour, pièce justificative n° I. — 157 — IT L'OCTOGONE :. Cet édicule, d’une face à l’autre et de dehors en dehors a 7m,24. De dedans en dedans, 5m,84. D'un angle à l’autre et de dehors en dehors, 7",84. De dedans en dedans, 6,44. Ses murs émergent encore de 1m à 1m,75. À ses angles, cet octogone est formé de tufs en appa- reil allongé, et aux faces de quarzites irréguliérement agencés, mais sans mélange de matériaux d'emprunt plus anciens. Vers nord, on remarque descendant à l’intérieur quatre marches longues de 0,66 en moyenne ; ure seule est à sa place, les autres plus basses ont été gros- siérement rapportées; une d’elles est un fragment de tombe. De chaque côté de ces degrés paraît vers nord un blocage qui, suivant le sculpteur Chapeau, devait appartenir à un massif d’autel, y compris la marche supérieure bien assise à sa place. lci, j’expose cette opinion, sans l’accepter ni la rejeter. Le fond de l'aire de l’octogone est un beton revêtu de ciment, le tout d’une épaisseur de Om,10 à Om,15. Vers orient, on distingue un appendice creux ayant de dedans en dedans 1,30 sur 14",66 (C. IL, pl. VII). Cette annexe en forme de cellule côtoie par son fond 1 Démoli complètement vers la fin de mars 1879. — 158 — vertical le mur occidental de l’ex-église Saint-Maurille (Ë) ainsi qu'un puits (D) qui, s’il est ancien, se serait trouvé dans l’église même. L’épaisseur des murs de l’octogone et de son appen- dice est de 0m,66 à Om,70. De sérieux archéologues, entr’autres M. d'Espinay, assignent à cet édicule une date variant du vin° siècle au 1x° par analogie avec les appareils des cryptes de Saint-Avit et de Saint-Aignan d'Orléans. Quelle pouvait avoir été la destination de cet octo- gone qui de même que l’édicule oblong (B), fut au xIre siècle remblayé de terre, ainsi que la superposition de diverses sépultures de cette époque nous l’indiqua ? Les uns y voient un porche, une salle capitulaire (Alb. Lenoir, Architecture monast., deuxième et troi- sième partie, page 326), les autres une base de clocher, un campanille, un baptistère, et enfin un réclusoir avec cellule adjacente à l’église Saint-Maurille. _Consiatons que l’appendice (C. IL.) ne s’ouvrait point dans toute l’étendue de la face orientale (à b’) de l’oc- togone, mais seulement jusque vers le milieu de ladite face (c’) ‘. : Ceite disposition éloigne l’idée d’un emplacement d’autel vers l’est, et fait naître celle d’une petite ouver- ture de cellule communiquant avec l’octogone et d’une façon relative avec l’église Saint-Maurille. 1 En effet, si l’ouverture eût été dans toute l'étendue de la face orientale, on eût trouvé les deux parements extrêmes, tandis qu'un seul existe vers N en a’. L'autre parement reste indéter- miné vers le milieu de ladite face C. Constatation faite en pré- sence de MM. Goblot et Girouard. — 159 — Cette construction anormale ne pouvait donc s'adapter qu’à un usage, de nos jours insolite, et c’est ce qui fit penser à l'existence d’un reclusoir, sorte d’édicule souvent accompagné d’un oratoire et même d’un jar- dinet *. « Il était d'usage, dit Viollet-le-Duc *, de pratiquer « auprès de certaines églises du moyen âge de petites « cellules dans lesquelles s’enfermaient des femmes « renonçant pour jamais au monde. Ces recluses avaient « le plus ordinairement une petite ouverture grillée «s’ouvrant sur l’intérieur de l’église. » Il cite : « Une... Alix la Bourgotte qui s'était fait « enfermer dans un petit logis proche du grand portail « de l’église des Innocents. » Puis il ajoute : « Que par « une petite fenêtre garnie d’un treillis elle entendait la « messe. » Le même auteur cite l'abbé Lebeuf, toutefois avec quelques réserves, qui parlant du reclusoir des Saints- Innocents, croyait le trouver dans la {urricule octogone que l’on voyait en ce cimetière. Rapprochement curieux! Au xre siècle, vivait à Angers, sur le tertre Saint-Laurent, une recluse nom- mée Pétronille, et sur ce même tertre existait un ocfo- gone de la même époque *. Vers ce temps-là, Chalonnes avait sa recluse du nom 1 Ducange, au mot Reclusorium. Trévoux, au mot Reclus et Reclusion. Architecture monastique, par Albert Lenoir, première partie, p. 10. 3 Dictionnaire raisonné de l'architecture française, du xi° au xvie siècle, au mot Reclusoir. 3 Quelques débris sont au Musée Saint-Jean. — 160 — d’Éve ; une troisième appelée Ozenne, élait réfugiée « proche Le village de Trelazé-l’Authion ‘. » Il en est une autre nommée Ainenda que M. Port soupçonna le premier avoir dû être une recluse ?. Or, celte Ainenda, sainte entre toutes les religieuses ses compagnes qui vécurent autrefois dans les dépen- dances de l’église Saint-Maurille, y fut inhumée avec épitaphe inscrite sur une croix de plomb que l’on découvrit vers 1714°. C'était, comme vous le voyez, bien près de notre octogone. Est-ce à dire que l’on doive adopter résolument l’hy- pothèse d’un reclusoir ? Ce serait peut-être téméraire, car de bons esprits inclinent à voir dans notre octogone le baptistère cherché, mais qui ne serait d'admission possible qu’autant qu’il aurait succédé, au plutôt, vers le vie ou 1xe siècle, et au plus tard vers le xx siècle (fin de l'immersion), à un précédent baptistère lequel, au sens de divers archéologues, ne doit être que l’édi- cule (B) plus ancien d’appareil, plus isolé des églises voisines, suivant l’usage des premiers temps chrétiens ; plus rapproché de Saint-Pierre où Claude Robin, je le répète de nouveau, affirmait l'existence d’un baptistère épiscopal. Enfin notre octogone n’aurait-il point été plutôt une chapelle des morts *? 1 Vie de R. d’Arbrissel, par Pavillon, p. 47. ? Port, édition de Péan, p. 322. $ Ballain, manuscrit n° 867, p. 654, Bibl. d'Angers. * Viollet-le-Duc, Dictionnaire d'architecture, p. 447, t. IL — A6 — III Après les édicules, les tombeaux *. Les plus anciens sont de forme rectangulaire, plu- sieurs en oolithe et creusés dans des débris romains, avec traces parfaitement accusées de moulures antiques. En outre, il en est un en forme de nacelle. Viennent ensuite les sépultures formées de tufs jux- taposés avec tétière, puis les cercueils composés de longues ardoises de libage, et enfin les grandes auges en molasse de Doué. Chose à noter, la plupart de ces tombes furent anciennement fouillées, aussi la moisson en objets mobiliers a-t-elle été moins abondante qu’en 4867 par les soins de M. de Farcy, et qu’en 1868, 1869 et 1870 sous la directiôn de M. Parrot. Il en est cependant quelques-uns qui sont dignes d’in- térêt. Décrivons-les sommairement, les dessins sur ce point valant mieux que de longues dissertations. IV La première planche représente une anse d’amphore avec cette estampille : CAESÆN *. 1 M. Auguste Michel nous a été d’un grand secours. Présent comme délégué de la Mairie à toutes les fouilles, il nous a tenu au courant de ce qu'il remarquait, avec autant d’exactitude que de sagacité. 2 Sur un autre fragment en terre samienne découvert par le sieur Arsène Launay on lit : CAMIVS, nom d’un potier romain. SOG. D’AG. 11 — 162 — La deuxième planche représente une lampe en terre cuite de basse époque trouvée le 31 janvier 1879 dans une des bouches de l’hypocauste (B — 3). La troisième planche représente deux petits bronzes, l’un de Constantin avec ce revers : SARMATIA DEVICTA trouvé le 21 novembre 1878; l’autre de Constans Ier, avec ce revers : GLORIA .EXERCITUS, trouvé le 3 dé- cembre, même année, au-dessus de la mosaïque (voir Cohen). La même planche offre une petite agrafe en bronze de l’époque mérovingienne. La même planche reproduit encore un cercle-bracelet, en bronze, avec os et cubitus, trouvé vers N, derrière l’édicule (B). La quatrième planche, la plus intéressante de toutes, représente (grandeur nature)«une croix de plomb pesant 1 kil. 250 gr., trouvée le 26 décembre 1878 au fond d’un sarcophage en molasse de Doué. Sur cette - croix de forme latine reposait la tête d’un squelette, aux bras placés le long des cuisses; Orient chrétien ; grande ardoise brute sur le sarcophage ; autre tombe en dessus; date de MIXVII au sommet de la ercix ; lettres et lignes réglées à la pointe ; emploi simultané du C rond et du C carré. Caractères oxydés, par suite lecture difficile. ANNO MIXVII AB INCAR N (atione) RS Se dd nn nt su — 163 — Plus bas, à gauche : ECCLESIÆ CA (nonicus)? QVI DV (m) VI (xit)? PAVP (erum) ? C’est peu, mais c’est assez pour nous indiquer que cette croix a été plutôt une croix de commémoration que de préservation ou d'absolution. Excepté une seule croix de forme grecque, toutes celles découvertes à Angers qui sont venues à ma con- naissance, m'ont paru être des croix de commémoration ou d’épitaphe, notamment les quatre qui furent trou- vées place du Ralliement, savoir : l’une en 1714, deux vers 1868, et enfin la présente en 1878. Quant à celle des quatre qui appartient à M. Parrot, elle est mixte. À ce propos, nous avons remarqué qu'en Anjou la croix de plomb funéraire penche vers la forme latine; que sa hauteur moyenne est de 0m,20 à Om,28; qu'elle porte presque toujours une date de décès; que lon y voit rarement les formules connues d’absolution ou de préservation ; qu’elle est, le plus ordinairement, posée sous la tête du défunt, et que les avant-bras de celui-ci ne sont pas croisés sur la poitrine, Le contraire paraît exister en Normandie où la croix de plomb est le plus souvent de forme grecque en ma- nière de croix de Malte ; assez petite ; rarement portant date de décès; plus rarement posée sous la tête du défunt, mais bien sur sa poitrine; croix enfin habi- tuellement chargée des formules d’absolution ou de — 164 — préservation et placée dans les mains croisées du mort ‘. On dirait qu’à la forme latine se serait plus spécia- lement rattachée la formule de commémoration, et à la. croix grecque la formule d’absolution; en effet, il est encore d'usage au sein de l’Église grecque, et spécia- lement en Russie, que le pope dépose entre les mains croisées du défunt une formule d’absolution. L'esprit formaliste des Grecs se serait donc insinué durant le xx et le xuie siècles plus particuliérement en Normandie qu’en Anjou. Je constate le fait sans pouvoir l'expliquer. Mais hâtons-nous de clore cette trop longue paren- thèse et de retourner à l'explication de nos planches. La cinquième offre le dessin d’un quart de carreau émaillé jaune et brun trouvé sur les remblais de l’édi- cule octogone le 29 décembre 1878 par le lieutenant- colonel Duburgua. On y remarque la fleur de lis à étamines qui met en mémoire celle du florin d’or dont le type fut adopté en France, principalement sous le règne de Charles V ?. La sixième planche représente mi-partie d’un carreau émaillé vert et blanc, légèrement en creux, sur lequel on distingue une croix à branches évidées, cantonnée de feuilles de lierre, cordiformes ; ladite croix trouvée vers l’entrée de la rue Saint-Maurille. La septième planche nous offre avec sa sertissure 1 Voir dans Bulletins du Ministère, année 1855-1856, l’intéres- sante communication de l’abbé Cochet, p. 306-324. ? Le Blanc, Traité des Monnaies, p. 165-282, — 165 — gondolée un petit médaillon reliquaire portatif à deux faces, en feuille de cuivre, estampée, avec Agnus Der d’un côté et crucifiement de l’autre; trouvé le 5 dé- cembre 1878 par MM. Auguste Michel et Demoget ", V RÉSUMÉ CHRONOLOGIQUE. A l’époque romaine se référent : Grande mosaïque ; gros murs, machefers, charbons, briques et poteries en dessous et autour ; Pilastre et chapiteau antiques ; Aire betonnée vers ouest ; Traces d’un premier hypocauste vers la rue Cor- delle *; Traces de voie romaine traversant l'extrémité méri- dionale de ladite rue ; Chapiteau empâté de stuc colorié; estampilles : ÇAESÆN et CAMIVS ; Denier d’Auguste : CAESAR AVGVSTVS DIVVS JVLIVS. Comète de Jules César (Cohen, pl. XXII, Méd. consu- laires). 1 Voir Objets en bronze trouvés place du Ralliement de novembre à décembre 1818 dans les Mémoires de la Société d'agriculture, sciences et arts d'Angers, t. XX, p. 198. 2 L’édicule oblong, avec ses piscines et son hypocauste des premiers temps chrétiens, paraît avoir succédé, comme il en est d’autres exemples, à un balneum plus ancien et qui pouvait se rat- tacher à l’époque de la mosaïque. = 166 = À l’époque du bas-empire se réfèrent : Petits bronzes de Constantin, Constans, Théodose, etc.; Cimetière primitif d'Angers ; Second hypocauste absolument complet avec son bain sacré et sa piscine ellipsoïde ; Lampe en terre cuite ; Petit cube. de mosaïque en verre ; Tronçon de colonne en tuf à base plongée dans un épais lit de ciment, trouvé en dehors de l’hypocauste et à 1m,40 de la piscine oblongue. À l’époque mérovingienne se référent : Agrafe en bronze; Cercle-bracelet en même métal ; Croix sculptées, à bandes transversales sur couvercles de tombeaux rectangulaires en oolithe, etc. ; Sarcophage en forme de nacelle; Certains murs de l’église Saint-Maurille ; Terre cuite moulurée trouvée le 5 mars 1879 par le sieur Arsène Launay. À l’époque carlovingienne et romane se référent : Fragment d’épitaphe trouvé le 9 décembre 1878 dans l'enceinte des murs en soubassement de Saint-Maurille ; Denier fruste de Louis le Débonnaire ; Croix à bandes transversales sur couvercles de tombes rétrécies vers les pieds ; Édicule octogone ; Modillons grimaçants provenant de l’église Saint- Mainbœuf ; | = Sarcophages en molasse de Doué ; ET Sépultures de tufs juxtaposés en tétière ; Sépultures en ardoises de libage ; Croix de plomb commémorative. A l’époque ogivale se référent : Carreau émaillé à fleur de lis ornée d’étamines ; Carreau émaillé crucifère ; Médaillon de l’Agnus et du crucifiement, En somme, plus de qualité que d’abondance. Cepen- dant, à l’aide de ces matériaux et de ceux découverts il y a dix ans, il sera facile de refaire l’histoire de ce que l’on appelle aujourd’hui /a place du Ralliement et qui est en effet bien nommée, car voici dix-huit siècles environ que ce lieu n’a guère cessé d’être l’un des centres les plus actifs de la vie sociale, N'oublions pas qu'il fut notre première terre chrétienne et qu'aucune autre partie du sol d'Angers ne peut, à ce point de vue, revendiquer l'honneur d’une si sainte et si haute anti- quité; c’est de là qu’en suivant une ligne courbe ont rayonné nos églises les plus anciennes : Saint-Pierre, Saint-Maurille, Saint-Mainbœuf, Saint-Denis, Saint- Julien, Saint-Martin et Saint-Aubin. Aussi comment croire que les premières eaux du baptême soient sorties d’une autre source que de cette terre privilégiée qui, chose notable, fournit au siècle dernier à l’Église d'Angers les martyrs d’une persé- cution qu’elle n’eut pas à son origine. Angers, le 8 mars 1879. GopARD-FAULTRIER, — 168 — PAS. NTM. La mosaïque, première partie, a été retirée de la place du Ralliement le 30 janvier 1879, et la deuxième partie fut transportée dans les journées des 4, 5, 6, 7 et 8 mars au Musée Saint-Jean. Quant aux deux édicules, s'ils ne peuvent être con- servés sur place, l’un d'eux, celui des piscines, sera transporté et rétabli au même Musée ‘, On voit par ce qui précède combien l'Administration municipale d'Angers a été prévoyante en affectant la magnifique et vaste salle Saint-Jean (1300 mêtres de superficie) à l’extension de son Musée d’antiquités, pri- milivement fondé en 1841, rue Courte. Signalons, en terminant, trois Sociétés qui ont uni leurs efforts pour la conservation de nos découvertes : la Société académique (directeur M. Parrot) ; la Société d'agriculture, sciences et arts d'Angers, section archéo- logique (président M. d’Espinay); la Société française (directeur M. Léon Palustre). Ajoutons que la reproduction en liège sera faite par M. Laroche, demeurant à Trelazé, très expert en cet art. Double avantage! Cet acte d'union de nos Sociétés, utile à la conservation de nos monuments en général, 1 Ce travail, sous l'habile direction de M. Rohard et d’après divers plans comparés de MM. Demoget, Parrot et du Dr Godard, a été terminé vers la fin de juin 1879, avec le concours désin- téressé de la Société francaise, de la Société d'agriculture, sciences et arts, ainsi que de la Sociélé académique, sans oublier celui de M. André Joubert, fils du sénateur. — 169 — l’est aussi désormais à la solidarité de leurs études, sans nuire à l'autonomie de chacune. Nora. — Ce travail fut lu le 16 avril 1879, à la Sor- bonne, par M. du Sommerard, directeur du Musée de Cluny. (Voir aux Pièces justificatives no II.) PIÈCES JUSTIFICATIVES. N° I. BAINS SACRÉS. À M. Godard-Faultrier. Je vous adresse, mon cher et très honoré collègue, la copie des quelques notes que j'ai prises dans Paciaudi pendant le trés court espace de temps que j’ai eu ce -rarissime ouvrage entre les mains. Il m'avait été prêté par M. Palustre. Votre bien dévoué collègue, D’Espinay. Extrait de Paciaudi Par M. le conseiller d'Espinay. Paulli Paciaudi de sacris christianorum baineis. Rome 11758. «... Quæ ego sive loci conditionem contempler, in quo fuerunt ædificata, sive viros, quorum impensä — 170 — curâque sunt constructa, sive usus in quos illa ple- rumque dédicabantur, sacra christianorum balnea video esse appellanda..… » Etcoëos, p. 8. .…. CTantam scilicet immortali Deo sacris que minis- teriis reverentiam censebant adhibendam, ut nec illum votis propitium habituros, nec ista plenissime sibi pro- futura vererentur, nisi præter insontem animum, corpus bene tersum attulissent. » Cap. 11, p. 21. .….. € Quum templa oratum adirent lustratione aliquâ adhuc esse opus existimarent. » Jbid. .…. © Hæc tandem excipiebat lotius corporis lavatio ex pænitentià sordidati. Præclare hic nobis suffragatur Augustini testimonium qui ad januarium ita prescrip- sit : « Si autem quæris cur etiam lavandi (catechume- « nos) mos ortus sit, nihil mihi de hac re cogitanti « probabilius occurrit, nisi quia baptizandorum corpora « per observationem quadragesimæ sordidata cum offen- _«sione sensus ad fontem tractarentur, nisi aliquâ die « lavarentur. (S. Augustin: epist. 54, alias 118.) » Cap. n1, p. 22-93. « …. Prælerea quum ea catechumenorum purificatio ob id potissimum ab Augustino dicatur instituta, ne sacri fontes fædarentur. » P. 93. « .….Idautem in balneis fuisse revera per actum nemo prestantius ac disertius quam Zeno Veronensis expli- cavil, qui in vi énvitatione ad fontes sic catechumenos suosaffatur : « jam balneator expectat quod unctui, quod « tersin opus est præbiturus. » P. 93. «.. . Eadem consuetudo plerosque alios tenuit ut in « diebus solemnioribus balneorum usu corpora sua « purgarent, haud dubie ob reverentiam sacræ commu- — 171 — «nionis. (Hist. S. Willelmi, monach. gellonensis). » P. 24. | « Moris est Christianorum, dominicos dies ob domi- «micæ resurrectionis honorem ubique venerantium « sabbatorum diebus laborum sudorem, corporum fati- « cationes balneorum aquis lavando frequentius recreare « sordidos lotis, vestibus mutare, etc., (Anonym. bri- « tannicus). » P. 24. « De his qui ad ecclesias confugiunt. Ut inter templi, « quod parietum descripsimus cinctu, et post loca « publica et januas primas ecclesiæ, quidquid fuerit « interjacens, sive in cellulis, sive in domibus, hortulis, « balneis , areis atque porticibus confugias, interioris « templi vice tueatur. (Cod., Theod. lib. IX, tit. xLv.) » Cap. ux, p. 28. Une image représente des prêtres qui se baignent dans une piscine, d’après un manuscrit de la biblio- thèque Saint-Paulin de Naples. N° IL. On a objecté qu’une piscine semi-circulaire, sem- . blable à celle d'Angers, avait été découverte à Noirmou- tiers, en 1863, et qu’elle faisait partie d'un bain romain. Donc, etc., etc. M. Marionneau, notre collègue, venu tout exprès à Angers le 9 décembre 1878, inclina de ce côté d’abord, mais il vit bientôt que notre édicule, formé de maté- riaux d'emprunt, était de beaucoup postérieur au monument de Noirmoutiers, et quand il eut appris quelle situation ce même édicule-avait occupée dans le — 172 — cimetière primitif des chrétiens et au carrefour de nos plus anciennes ex-églises d'Angers, son opinion se modifia. Il nous dit même que la « cuve de Noirmou- « tiers était accompagnée d’un certain nombre de salles, « tandis que celle d'Angers paraissait être dans un édi- « cule isolé. » | Il aurait pu ajouter (examen fait des plans qu’il eut l’obligeance de nous adresser par l’entremise de M. Auguste Michel) que de grandes différences exis- taient entre la cuve d'Angers et celle de Noirmoutiers; ainsi cette dernière n’a pas de banquette interne, elle n’est point ellipsoïde, mais polygonale à l’intérieur et moitié plus grande ou à peu près ; elle n’est pas un récipient d’eau, mais un laconicum ou étuve, ce qui se prouve par la présence de tuyaux de chaleur disposés horizontalement en éventail, nommés Hypocausis * et ce qui se prouve surtout par l'absence de tout conduit de décharge et de nettoyage *. Donc, etc., etc. No II. Hôtel de Cluny, rue du Sommerard, 16 avril 1879, 4 h. Cher Monsieur (Godard), Je viens de lire votre travail sur les fouilles de la place du Ralliement en présence d’une fort nombreuse assistance ; il a été fort applaudi. 1 Voir Dictionnaire des antiquités romaines et grecques, par A. Rich, traduct. Cherruel. 2 Voir plan, lithogr. Joubert, place du Pilori, 5, Nantes. — 173 — J’ai cru devoir le compléter en faisant part à la réu- nion des efforts que vous avez faits pour obtenir la conservation sur place de l’hypocauste, efforts qui devaient échouer devant les exigences des travaux muni- cipaux. J'ai tâché, en un mot, de justifier la confiance que vous m’aviez accordée en me désignant pour votre inter- prète, et suis heureux d’avoir à vous reporter l’expres- sion de l'approbation unanime de l’assemblée *. Signé : E. DU SOMMERARD. No IV. La Bibliothèque d'Angers possède plusieurs brochures de M. le comte de Bertou; il est en outre l’auteur d’une remarquable lettre à M. de Sauley sur les monu- ments égyptiens de Nahr-el-Kelb insérée dans la Revue archéologique de Leleux, libraire-éditeur (11e année, 1854). Ce voyageur distingué, à la fois homme de lettres et dessinateur habile, voulut bien, en novembre 1879, nous montrer ses albums pleins de curieuses vues, par- ticulièrement prises en Syrie. : M. le comte de Bertou a choisi pour résidence la maison de Saint-Martin, paroisse de Sainte-Thérèse, à Angers. 1 Séance de la Sorbonne du 16 avril 14879. — 174 — Extrait du compte rendu lu à la Sorbonne (séance dun 46 avril 1879) par M. Chabouïllet, conservateur au département des médailles et antiques de la Biblio- thèque nationale !. « En l'absence de l’auteur, M. Godard-Faultrier, membre de la Société d'agriculture, sciences et arts d'Angers, M. du Sommerard, membre de la section d'archéologie du Comité des travaux historiques et de la Commission des monuments historiques, directeur du musée de Cluny, donne lecture d’un mémoire sur les fouilles de la place du Ralliement, à Angers, en 4878 et 1879. « Le mémoire de M. Godard-Faulirier est accom- pagné de deux photographies * et de dix planches de dessins exécutés avec autant d’exactitude que de talent par M. le Dr Godard, fils de M. Godard-Faultrier. Les photographies offrent des vues d'ensemble de cette place du Ralliement à Angers, qui est devenue si célèbre parmi les archéologues en raison des découvertes importantes qu’on y a faites depuis dix ans, notamment par celles de tombes vénérables des premiers siècles du christia- nisme, dont plusieurs avec inscriptions. Ces vues pho- iographiques exécutées récemment montrent le site de deux édicules que les archéologues angevins auraient voulu conserver sur place. Les dix planches de dessins représentent les monuments et objets divers trouvés 1 Voir Revue des Sociétés savantes des départements, publiée sous les auspices du Ministre de l’Instructios publique et des Beaux Arts. ? Ces photographies sont exposées au musée Saint-Jean avec quelques autres tirées plus tard. — 175 — récemment dans les fouilles de la place du Ralliement. Je noterai une anse d’amphore avec ce fragment d’ins- cription : CAESEN. « Et une croix latine de commémoration, en plomb, trouvée dans un sarcophage et sur laquelle reposait la tête d’un squelette. On y lit une inscription oxydée et partant d’une lecture difficile ; M. Godard-Faultrier y a cependant déchiffré ce qui suit : ANNO MIXVII AB INCAR N ECCLESIÆ ÇA QVI DV] Vifæit] PAVP... «€ Il faut encore mentionner des monnaies de Cons- tantin le Grand et de Constant Ier, quelques menus objets remontant à l’époque mérovingienne et des carreaux vernissés du moyen âge. « Quantaux grands monuments, ils se composent d’une mosaique romaine à laquelle M. Demoget a consacré un travail spécial et qui est déposée dès à présent dans le musée Saint-Jean, à Angers, et des deux édicules men- tionnés ci-dessus. « De ces édicules dont la date ne descend certainement pas plus bas que le 1xe siècle, l’un, le plus ancien, qui a été trouvé dans le cimetière chrétien de la fin du — 176 — ive siècle, est rectangulaire et a été construit fort négligemment avec des matériaux d'emprunt, avec de vieilles briques romaines. Cet édicule renferme notamment deux piscines et un hypocauste. M. Godard- Faultrier, avec d’autres archéologues, suppose que l’une des piscines a pu servir de baptistére, tandis que la seconde dont l’eau était chauffée par l’hypocauste aurait élé un bain sacré. Si cette opinion que M. Godard- Faulirier ne donne que comme une hypothèse était adoptée, on posséderait une bien grande rareté, car M. le commandeur de Rossi consulté par M. Palustre, qui adressa à l’illustre savant une exacte description de ces édicules, aurait répondu, nous apprend M. Godard- Faultrier, qu’un bain sacré serait aujourd’hui un mo- nument unique dans la chrétienté. « Le second de ces édicules est de forme octogone. On est peut-être encore plus incertain au sujet de sa desti- nation que sur ce qui concerne celle du premier. On y a vu une base de clocher, un campanile, un baptistère, un reclusoir et une chapelle des morts. M. Godard- Faultrier a recueilli et examiné ces opinions diverses, mais il s’est prudemment gardé de conclure. En résumé il est regrettable qu’il soit impossible de conserver ces édicules à l’endroit même où on les a découverts, et que l’on puisse à peine espérer les sauver tous deux de la destruction en raison de la mauvaise qualité de leurs matériaux, car ce sont de vénérables témoins des pre- miers siècles du christianisme dans la capitale des Andecavi; or, comme l’intéressante discussion à laquelle a donné lieu le mémoire de M. Godard-Faultrier n’a pas fourni une explication complètement satisfaisante en ce — 177 — qui concerne leur destination, s'ils devaient disparaître un jour, on perdra avec leurs vestiges les moyens d’ac- quérir de nouvelles lumières sur les usages de la pri- mitive église. « M. Parrot (d'Angers), M. Palustre, d’autres savants encore dont on n’a pu savoir les noms, ont pris part à cette controverse dont nous voudrions avoir la sténo- graphie, tant elle nous a paru solide, sans que nous puissions toutefois déclarer que les problèmes soulevés soient résolus. € M. du Sommerard, celui-là même qui s’est chargé de lire le mémoire de M. Godard-Faultrier, était parfai- tement au courant de la suite de cette affaire. En effet, notre collègue avait été envoyé en mission spéciale à Angers par M. le Ministre de l’Instruction publique, ému par les requêtes à lui adressées par les Sociétés savantes de cette ville. Malheureusement, à son grand regret, M. du Sommerard reconnut avec d’autres juges aussi compétents que lui-même qu’on ne pouvait songer à conserver sur place ces édicules. En conséquence, il a été décidé que l’on transporterait l’édicule rectangu- laire, celui des piscines, au musée Saint-Jean, où on le rétablirait, et que l’on ferait de l’autre une repro- duction en liège. Cette détermination si sage est le résultat de l’entente cordiale de trois Sociétés savantes qui ont uni leurs efforts : la Société académique d’An- gers, dont M. Parrot est le directeur ; la section d’ar- chéologie de la Société d'agriculture, sciences et arts de la même ville, dont M. le conseiller d’Espinay est le président, et la Société française d'archéologie, dont le directeur, digne successeur d’Arcisse de Caumont, est SOC. D’AG. 12 — 178 — M. Palustre. En finissant, il me reste à exprimer un souhait, c’est que le mémoire de M. Godard-Faultrier, dont nous n’avons donné qu’un sec résumé, soit publié avec les planches qui l’illustrent. C’est un travail remar- quable à tous égards, et la Société d'agriculture, sciences et arts d'Angers ne reculera certainement pas devant ce devoir qui s’impose à sa libéralité. « Un mot encore à la louange de la municipalité d’An- gers qui à eu récemment la sage et généreuse prévoyance de doter son Musée, fondé en 1841, de la magnifique salle Saint-Jean, assez vaste pour qu’on puisse y classer à l'aise les’antiquités diverses que l’on découvre jour- nellement sur son domaine : statues, sarcophages, inscriptions, enfin les monuments de tous genres et surtout ceux de grande dimension. » SAINT-MICHEL DU TERTRE D’ANGERS ! CHAPITRE VII. CHARLES VIII, LOUIS XII, FRANÇOIS DE ROHAN. Louis XI et Charles VIII nous ont donné la Commune affranchie et la Paroisse émancipée. Mais ces deux ins- titutions qui se compléteront du Présidial n’ont vérita- blement trouvé leur idéal qu’au début du xvae siècle, sous les règnes de Henri IV et de Louis XIII. C'est, dans leur formation, l'intervalle d’un siècle et ce siècle sera le xvre. Le xvie si obscur, si confus, si con- tradictoire, si destructeur du passé, si hostile à la foi romaine. Aventureux sous Louis XII, sensuel sous François Ier et Henri II, cruel et sanguinaire sous Charles IX et Henri IIL, il sera le siècle de Luther, de Calvin, de saint Ignace, de saint Charles Borromée, de sainte Thérèse; des papes Alexandre VI, Jules Il, Léon X, Clément VIT, Paul IT, Paul IV, Pie V, Grégoire XII; à Angers, des 1 Voir les Mémoires de la Société (1877-1878), page 97. — 180 — évêques François de Rohan, Jean Olivier, Gabriel Bau- very, Guillaume Ruzé; des prêtres. et moines apostats Dupineau, Salvert, Jean de l’'Espine; des maires Olivier Barrault, Landevy, Pincé, Bouvery, Jean Cadu, Poyet, Breslay, Lesrat, Ayrault, Lasnier, Bitault ; à la paroisse, des curés Cador, Guillaume de la Chaussée, Ayrault, Paul Moreau; des bienfaiteurs François Binel, Olivier Laury, Jean Mirleau, Anne Bauvet, Pierre Boureau, Guillaume Lesrat. C’est le chaos, la permanente contradiction et pour- tant dans ce dédale, devant le maire et le curé, nous y rencontrons toujours deux grandes figures, le Roi et l'Évêque. C’est qu'ici comme ailleurs ils ont fait la France. Charles VIII, Louis XII, François de Rohan, font donc l’objet naturel de mon nouveau chapitre. Louis XI en mourant laissait trois enfants, un fils et deux filles. Le Dauphin qui devint Charles VIII, avait alors treize ans. Il était faible, petit, difforme, d’esprit étroit et assez borné. Les deux filles, Anne et Jeanne, étaient mariées ; Jeanne, la plus jeune, qui sera sainte Jeanne de Valois, affligée des infirmités physiques de son frère, avait élé imposée comme femme au duc d'Orléans. Anne, l’aînée, était mariée au sire dE Beaujeu, frère cadet du duc de Bourbon. Anne, douée de l’esprit et de l’énergique volonté de son pére en avait toute la confiance. Aussi, à son lit de — 181 — mort, celui-ci pressentant les orages d’une minorité, l'avait constituée régente de son frère et dans ce but lui avait laissé toutes ses instructions. La difficulté pour la dame de Beaujeu était de se faire accepter. Charles VII, dit pour cette raison /e bien servi, avait dù à d’autres le succés de ses armes. Louis XI, au contraire, circon- venu toujours par la rébellion, n’avait cessé de la pour- suivre et de la traquer victorieusement. Il avait terrassé ces arrogants vassaux du roi de Bourges et les avait asservis. Mais tout humiliés qu’ils étaient ils dissimu- laient et comprimaient leur esprit de révolte. Aussi quand ils apprirent la mort du farouche ermite de Plessis-lez-Tours, l’impression première fut celle du soulagement. La réaction en découla. Anne n’avait que son mari pour partisan de sa cause. Les princes du sang : le duc d'Orléans qui sera Louis XII, le prince de Bourbon, frère aîné du sire de Beaujeu se déclarent les chefs des mécontents. Ils demandent aux États assemblés à Tours, ce qui se pratiqua depuis à la mort de Louis XIV, l'annulation des dernières volontés du roi défunt. Ge fut alors qu’à l’habileté de son père, la fille de Louis XI joignit l’adresse féminine. Elle laisse ses adversaires se décorer de vains titres ; et, les États levés, elle saisit vigoureusement les rênes du pouvoir, s'empare du roi son frère et le transporte à Angers; car c’est près de cette ville qu’est engagé l’enjeu de la monarchie. Comme au temps de saint Louis, la Bretagne nous menace. Mauclerc se retrouve dans le duc François II et la fière Armorique proclame encore que « de toute antiquité, rois, ducs et princes n'avaient reconnu — 182 — créateur, instituteur, ni souverain fors Dieu tout puis- sant‘. » C’est sur cette terre d'indépendance que se donnent rendez-vous les ennemis de Charles VIIL. C’est le duc d'Orléans qu’on attend pour les commander. Cest par delà de Bouvines qu’on prétend nous rejeter. La dame de Beaujeu a fièrement relevé le gant. Toutes les milices sont convoquées, la Trémoille les commande et l’artillerie si redoutée de Louis XI les va protéger. Aux termes des constitutions du royaume de France, Charles VIIT était majeur, ayant plus de quatorze ans. Il prend alors, en apparence au moins, la direction de la grande lutte. Les murs de notre cité seront sa rési- dence; la forteresse de saint Louis son boulevard de défense. Mais voilà que des bruits sinistres circulent sur l’état sanitaire d'Angers. La peste était redoutée, elle nous menaçait. Depuis plus d’une année on la surprenait. aux environs. Naguëre déjà, à l’occasion des Mystères, n’avait-on pas fait défense de laisser pénétrer en nos murs les habitants de Brissac. Comment alors hasarder la vie déjà si frêle du jeune souverain. Guillaume Miette, son médecin, reçoit l’ordre “ le devancer et d'étudier lui-même le danger à courir * Il convoque à cette fin is Edo et les curés. Cest de leur avis qu’il proclame la ville intacte de con- tagion et sûre pour le roi. Deux médecins toutefois ont la charge de surveiller l’intérieur des murs ee leurs environs. 1 Lobineau, Preuves de l’histoire de Bretagne, p. 1455. ? Archives municipales, BB 4, fol. 79. — 183 — Charles VIII se rend donc aux désirs de sa sœur. Il accepte ses plans et vient à Angers. Jean Michel reçoit l’ordre de faire les fainctes des Mystères de la venue du roi. La ville lui prépare des fêtes. Elle fait un emprunt pour en couvrir les frais. Pour le service de la poste royale un bac est établi à Lesvières. Des approvisionnements de bouche et de munitions nous arrivent de toutes parts, les monnaies sont réformées *. Pour réprimer les courses des Bretons, résister à leurs avant-postes, on arme les paroisses environnantes. Angers fournit cent hommes qui se-joignent aux milices royales. Tous les écoliers, bénéficiers, gens mariés du pays de Bretagne renfermés en nos murs, reçoivent l’ordre d’évacuer la ville ou de prêter serment sur la croix de Saint-Laud, qu’ils ne feront rien d’hostile aux inté- rêts du roi*. C’est le 2 avril 4487, nous dit Oudin, que le roi Charles VIII arrive et séjourne aux Ponts-de-Cé pour faire le 24 à Angers son entrée solennelle. f Il s’avance monté sur une petite haquenée, nous dit Grandet, accompagné de Jean de Rely son confesseur et du duc de Bourbon, connétable de France, qui venait de faire sa soumission. Une ambassade de Hongrie, conduite par son archevêque, est reçue en grande pompe peu de jours après”. t Archives municipales, BB 5, fol. 2. ? Archives municipales, BB 5, fol. 1 et 2. 3 Archives municipales, BB 5, fol. 24. “ Archives municipales, fol. 47. ee Anne est éloignée, elle se dissimule ; elle laisse à son frère l’apparence du commandement. Mais elle veille au dehors et c’est elle qui dirige la Trémoille et lui fournit ses moyens de succés. Les armées en effet se rencontrent le 93 juillet prés de Fougères, à Saint-Aubin-du-Cormier. Le choc est rude et prolongé. Mais écrasée par l'artillerie royale, l’armée confédérée est complétement défaite; le due d'Orléans son chef est fait prisonnier. La Bretagne est à la merci de son vainqueur. Elle dépose les armes. François IT fait sa soumission et signe le traité de Sablé. Pendant tous ces événements, le roi Charles VIII menait à Angers paisible et joyeuse vie avec diversion de villégiature, tant à Beaufort, chez sa tante Jeanne de Laval, qu’au château du Verger, chez le Maréchal de Gié, créé premier gouverneur d'Anjou. À la Fête-Dieu il suit la procession dans tout son parcours *. Le même jour, à vêpres et complies, en sa qualité de chanoine d'honneur de notre cathédrale, il revêt la chape et le surplis et prend place au chœur. Mais c’est sur notre paroisse, chez Jean Binel, sur la place des Halles, que nous allons le considérer à loisir. Jean Binel, sieur de Lécé, avait hérité de la charge de son père en qualité de Juge d'Anjou. Il était docteur à la Faculté de droit, sénéchal de l’abbaye de Saint- Aubin, chancelier de Provence, maire d'Angers et éche- vin perpétuel, mais avant tout il avait été l'ami du roi 1 Mémoires, de Grandet. — 185 — René et c’est comme tel que celui-ci l’avait désigné pour son exécuteur testamentaire‘. Le vieux duc d'Anjou avait fait instance pour l'emmener en Pro- vence dans sa ville d’Aix. Binel s’en était excusé avec tout le respect et toute la reconnaissance dont il était pénétré. Il supplia son bon maître de croire que « ce n’était ni paresse, ni le regret dela ville et du pays, ni de sa maison, ni de-son petit héritage », mais bien l'ignorance de la langue et des usages du pays. Il ne put toutefois se défendre d’une mission à Venise, pour y traiter « aulcunes grandes affaires. » Les Angevins, eux aussi, avaient honoré Binel des fonctions munici- pales et lui avaient confié leur artillerie. Tel était le personnage que le jeune Charles VIII recherchait à son tour comme conseiller et chez lequel il aimait à se délasser. . Nous l’y trouvons le 27 juin 1487, aux noces du duc de Bourbon, frère aîné du sire de Beaujeu *. Anne l'avait détaché de la ligue et l'avait honoré de l'épée de connétable. Nous l'avons vu accompagner Charles VIII à son entrée dans nos murs. Il épousait sa cousine la duchesse de Vendôme. Le mariage se faisait en la chapelle du château, mais le banquet nuptial se donnait chez Binel, et le roi y assistait. Le duc de Bretagne que nous avons vu faire sa paix à Sablé avec le roi de France, était mort quelques jours après, laissant à sa fille Anne, l’héritage de son duché et de ses traditions. Il ne pouvait tomber en mains plus fiéres. 1 Dict. historique, de M. Port, t. I, p. 351. Dict. historique. — 186 — Anne reprend les armes, renoue la ligue, revendique les prétentions de sa Bretagne, prend le commandement des bandes confédérées. L'armée royale, elle aussi, se reforme. Un camp per- manent est établi à Bouchemaine. Champtocé et la . Possonnière sont mis en état de défense. Charles VIII revient à Angers, où nous l’y verrons après son mariage. C’est chez Binel que nous le rencontrerons encore. Il y dîne les 7 juillet et 9 septembre 1490. A cette dernière date, nous dit Oudin, « le roy notre sire dina chez Jean Binel, docteur et juge d’Aniou et après qu’il eut dîné il alla voir son artillerie qui était arrangée ès-Halles d'Angers (laquelle selon Grandet avait été fondue dans une maison voisine) ; et après s’en alla passer par le portal Saint-Michel-du-Tertre et s’en alla le long des douves et fossés se rendre en son château d'Angers ; et y avait un escuyer sur un grand cheval grison, lequel faisait ses parades devant le roy moult fréquemment. » Binel ne survécut pas longtemps à ces événements ; 11 mourut à Tours en mission royale le 14 mai suivant ; il fut enterré aux Cordeliers de la façon la plus solen- nelle. Son fils François hérita de sa charge de juge d'Anjou et à peu de jours de distance, nous dit Oudin, Jean de la Vallée, son lieutenant, mourut aussi et fut ensépulturé à Saint-Michel-du-Tertre. C'était alors que se poursuivait activement la négo- ciation du mariage du roi avec Anne de Bretagne ; et c’était Anne de Beaujeu qui, elle encore, en avait conçu Je projet. Elle ne croyait pas, par une alliance royale, payer trop cher une province comme la Bretagne, si nécessaire à l’unité française. Mais chose surprenante, — 187 — le négociateur de ce mariage était Louis d'Orléans, le chef de la ligue, le récent allié de François II. Fait prisonnier à Saint-Aubin-du-Cormier, la fille de Louis XI, sa belle-sœur, l'avait impitoyablement enfermé dans la tour de Bourges où il languissait depuis trois ans ; lorsque, dans une apparition à Plessis-lez-Tours, le roi Charles VIIT y trouve Jeanne sa jeune sœur qui se jette à ses genoux et implore la grâce de son infortuné mari. Charles est ému jusqu’au fond de son cœur; il vole à Bourges et délivre lui-même son prisonnier. C'était en reconnaissance que Louis d'Orléans sollicitait, pour le roi de France, la main de la fière duchesse et obtenait qu’on insérât au contrat qu’en cas de mort du roi actuel, elle devait épouser son successeur. Le mariage fut célébré dans la chapelle du château de Langeais ; mais les réjouissances se firent à Angers. Une nouvelle scène fut donnée au parc des jeux de la place des Halles ‘ et pour cet objet « on fit les frais de construction de trois estaiges de chauffauts de MM. les maires et échevins de la ville estant au parc auquel naguère a esté joué le Mistère de Madame Sainte Cathe- rine. » Les époux royaux prolongèrent leur séjour à Angers et le 10 octobre 1499 la jeune reine mettait au monde un fils qui fut baptisé à Saint-Maurice. Jeanne de Laval en fut la marraine *. En réjouissance on joua aux Halles le Mistère de Monsieur Saint Georges *. Dom André Moriceau joua Saint Georges; Robert Digon joua Lucifer. 1 Archives municipales, BB 8, fol. 43. 2 Guillaume Oudin. 3 Guillaume Oudin. ‘— 188 — Anne de Beaujeu avait accompli sa mission. Elle avait terrassé les ennemis de la couronne, Le roi son frère qu’elle avait marié dominait son royaume avec un prestige inconnu de ses prédécesseurs. Cest alors que ce trop heureux monarque voulut s'affranchir d’une tutelle qui le génait : Revendiquant à Naples les droits de René d’Anjou il se lance en ces infructueuses guerres d'Italie qui ruineront la France pendant cinquante ans. C’est au retour de son expédition qu’il meurt à Amboise le 7 avril 1498. Ses trois enfants l'avaient pré- cédé au tombeau et l’héritier du trône était Louis d’Or- léans. À peu de semaines disparaissait aussi Jeanne de Laval ; ses dépouilles mortelles, selon sa volonté et celle du roi René, furent apportées à Angers pour être jointes à celles de son époux. « Et fut le corps d’ycelle trés noble dame apporté à Angers et reçue des Angevins à tel honneur comme de leur princesse et mis en sépulture en l’église cathédrale d’Angers, près du corps de son deffunt époux ; et son cueur porté inhumer avecque celluy dudit seigneur en la chapelle Saint-Bernardin au couvent de Saint-François, car ainsi estait convenu entre le bon roy et elle durant leur vie’. » Dans l’année même de son avènement en 1498, le roi Louis XIT veut visiter sa bonne ville d'Angers ; mais la peste nous menagçait encore. Aussi par avance une enquête devenait-elle nécessaire. Les curés se réunissent et s’adjoignent deux apothicaires qui déclarent le séjour ! Bourdigné, p. 282. — 189 — en nos murs sans danger. Cet avis décide le voyage ‘. Des réjouissances, des fêtes, des scènes aux Halles sont projetées. Le trésorier de Bretagne, le curé de Saint-Julien et le peintre Pierre Leroux, sont désignés par le corps de ville en qualité de commissaires, pour « adviser ensemble la forme de faire les faintes et les mots qu’il faudra faire et dire à l’entrée du roy*. » « Le bon roy, nous dit Bourdigné, cognoissant les Angevins avoir esté de tout temps d'amour ferme et loyaulx en la foy de ses prédécesseurs roys de France, ne les voulut dépriser, mais les vint visiter avec sa très noble et loyalle espouse. Et furent receuz en la bonne ville d’Angiers en grand honneur et triomphe. Et avait lors le roy en sa compagnie quand il entra à Angiers le duc de Valentinoys nommé César Borgia. « Le recteur de l’Université, Étienne Boysrond, lui fit une très éloquente oraison en laquelle yceluy sei- gneur avait pris grand plaisir *. » Aux côtés de Louis XII, Jeanne de Valois et César Borgia ! Quel étrange rapprochement ! César Borgia est connu dans l’histoire, mais en tout cas les limites de mon sujet ne me permettent pas d’en parler ; qu’il me suffise de dire qu’il est ici le bénéfi- ciaire d’un traité secret dont Jeanne allait être la vic- time. Jeanne de Valois, la future fondatrice de l’ordre des Annonciades, la sainte reine que nous verrons élevée sur nos autels, l’épouse éplorée que nous trouvions 1 Archives municipales, BB 10, fol. 46. 2 Archives municipales, BB 10, fol. 43. 5 Bourdigné, p. 281. — 190 — naguère aux pieds de Charles VIIT sollicitant la grâce d’un mari coupable, est à la veille d’être sacrifiée à une impitoyable politique et d’être condamnée à céder sa couche nuptiale à sa fière rivale la duchesse de Bre- tagne. : Un troisième personnage que nous n'y voyons pas doit aussi profiter de la fatale convention. Cest notre futur évêque François de Rohan. C’est dans la matière le texte même que je rencontre dans le recueil des statuts synodaux du diocèse d'Angers qui sera mon autorité. La mort de Charles VII avait rendu à notre diocèse l’évêque Jean de Rely, lorsque, à Saumur, à quelques mois de distance, en tournée pastorale, un foudroyant irépas l’atteint lui-même le 27 mars 1499. Le 4er avril, quatre jours après, une lettre du roi Louis XII parvenaït au Chapitre de l'Église d'Angers et recommandait à ses suffrages dans la succession au siège vacant, le jeune François de Rohan, déjà pourvu en commende de l’abbaye Saint-Aubin, malgré l’exis- tence du titulaire Jean de Tinteniac, connu dans les fastes de l’abbaye. François de Rohan descendait d’une vieille et illustre famille bretonne. Il était fils d’un des plus braves généraux de ce temps, de Pierre de Rohan, maréchal de Gié, seigneur du Verger, gouverneur d'Anjou et de Françoise de Penhoët. I1 avait 19 ans à peine. Malgré tout le patriotisme de nos chanoines et tout le culte qu’ils professaient pour un roi de France, ils ne purent se résoudre à céder aux injonctions qu’ils recevaient. Ils renvoyërent au Pape la décision du cas. — 191 — Dés le 19 juin un bref d'Alexandre VI conférait au jeune de Rohan l’Évêché d'Angers, à la seule réserve d’en rester l'administrateur jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge canonique de 95 ans’. Et le 9 décembre de la même année, il était pourvu aux mêmes conditions du siège primatial de Lyon avec privilège de cumul. En conséquence, dans la chapelle patrimoniale de Sainte-Croix du Verger, ses 25 ans révolus, le17 juin 1504, l’onction épiscopale fut conférée à l’illustrissime et révérendissime François de Rohan, évêque d'Angers» archevêque de Lyon et primat des Gaules. « Gette même année au mois de septembre, nous dit Bourdigné, révérend Père en Dieu, Monseigneur Fran- çcois de Rohan, archevesque de Lyon, primat de Gaules et évesque d'Angers, fils de très hault et puissant sei- oneur Monseigneur de Gié et du Verger, fist en Angiers sa triomphante entrée comme prélat et chef (tant pour la révérence de son père que pour les vertus de son personnage) des Angevins honorablement receu. » Notre prélat-gentilhomme ne ressemblait point aux 4 « Franciscus de Rohan ex illustri ac perantiquà apud Armo- ricos Rohanorum stirpe exortus est, patre Petro de Rohan Domino de Gié Franciæ Marescallo, et matre Franciscà de Pen- hoët. Hic adhuc juvenis, decemscilicet et novem annos natus, Administrator Episcopatüs Andegavensis ab Alexandro VI sum- mo pontifice designatus est mense junio anno Domini 1499, ipsi enim capitulum post obitum Joannis de Rely futuri Episcopi electionem remiserat, quod Ludovici regis literis quibus eundem Franciseum in Episcopum Andegavensem eligi postulabat, morem gerere ob ætatis ejus defectum nequiret. « Lugdunensis etiam Metropolita renuntiatus est anno Do- mini 1501 ac Episcopali caractere insignitus in Ecclæsià sanctæ Crucis castri gentilitii du Verger in Andibus, anno Domini 1504, cum jam ætatis annum 95 aftigisset. » — 192 — évêques de nos jours, si absorbés dans les sollicitudes d’un ministère bien plus limité. On ne le voyait point à Angers. Des vicaires présidaient ses synodes et le cor- delier le Presteur, évêque ir partibus de Sion, conférait les sacrements. Dans ces conditions pourtant, peu d’épiscopats ont laissé autant de traces ; aucun n’a réuni plus de synodes; aucun surtout, dans la matière qui nous occupe, n’a fourni un code d'instruction plus complet. Ce n’était pas que, avant lui, la direction fit défaut dans l’Église d'Angers; Raoul et Guillaume de Beau- mont au xime siècle, Nicolas Gellant et Guillaume Lemaire au x1v° siècle, avaient signalé leur passage par des monuments dignes du plus grand respect. Mais dans la ville épiscopale l’octroi de la commune créait une nouveauté devant laquelle le premier pasteur ne pouvait rester muet. Les abbés, les doyens de cha- pitres cessaient de régir eux-mêmes leur paroisse. Le curé qu'ils nommaient, malgré son titre inférieur de vicaire perpétuel, n’en devenait pas moins le gouverneur irresponsable avec autorité d'enseignement et de doc- trine. L’imposante abbatiale, la riche collégiale, devaient cesser de grouper les fidèles. Cet honneur n’était dû qu’à la modeste église de paroisse. Telles étaient les règles qui découlaient de la situation et que comprit François de Rohan. Nous le trouvons en effet, dès le début de son épiscopat, pénétré de cette direction. C'est à son clergé paroissial que sont dus ses premiers enseignements. C’est à ses modestes curés qu’il consacre son entière sollicitude. Il tient manifeste- ment à les grandir dans l’opinion du temps. — 193 — Comme il les veut dignes, la réforme des mœurs est son premier soin et les détails qu’il nous donne nous révèlent la plaie d’alors. À moins d’excuses valables l'assistance aux synodes est prescrites aux curés : « Horâ « sextâ de mane in aulà Episcopali regestrentur nomina « et agnomina Rectorum. » Le Presbytère paroissial leur est imposé aussi bien qu’à tous vicaires ou chapelains sous leurs Ordres : « Præcipitur sub pœna excommunicationis et emendæ « quod omnes Rectores Ecclesiarum, et singuli qui ex « nostrà permissione in Ecclesiis suis residentiam non « faciunt habeant in suis Presbyteratibus Capellanos « continue residentes, jacentes etibidem commorantes. » L'enseignement appartient aux eurés : « Omnes « Curati et Vicarii eorum sint diligentes insiruere « populum sibi subditum in fide et bonis moribus. » Ils doivent surveiller les écoles : « Sint ubique « Magistri Scholarum boni et docti qui non solum « doceant pueros litteras sed etiam bonos mores et mandata Dei et Ecclesiæ. » Aucun autre ne se peut ingérer dans les soins de la paroisse : « Inhibemus sub pœna excommunicationis ne « quis cujusvis authoritatis fuerit, loco Curati in aliquâ « parochiali Ecclesiä tanquam Vecarius deservire præ- « sumat, misi nobis legitimè præsentatus et per nos « ad ipsius Ecclesiæ regimen admissus fuerit. « Inhibemus omnibus et singulis presbyteris ne € aliquis in absentiâ Rectorum ecclesiarum parochia- « lium se ingerat ad deserviendum in divinis in Ecclesiis « parochialibus sine licentià et commissione nostris. » Il défend même à ses curés d’appeler en aide pour SOC. D’AG. 13 » A — 194 — prêcher, confesser, dire la messe, ne religieux qui n’y seraient pas autorisés. Tous les fidèles sont tenus de suivre les exercices paroissiaux. Les chefs de famille, sous peine de péché mortel, doivent les dimanches au moins, assister à la messe paroissiale où leur seront faites les annonces des fêtes, des jeûnes, des excommunications et des pres- criptions concernant leurs intérêts religieux : « Rectores « Ecclesiarum curam animarum habentes parochianos suos monere debent quos et nos monemus et injun- gimus, quod ex quo ad discretionis annos pervenerint saltem singulis diebus Dominicis Missam audiant, et ut omnes et singuli parochiani caput domus facientes, majori Missæ parochiali, etiamsi forsitan aliam Missam audierint, intersint, et ididem Missam ipsam devotè præcepta, mandata, festa, jejunia, monitiones, excommunicationes et alia quæ ibidem publicantur, attentè et diligenter audiant et fideliter adimpleant. Si enim Missam hujusmodi ea die, audire prætermit- tant cessante legitimä excusatione, mortaliter peccant cum ex præcepto Ecclesiæ ad præmissa teneantur. » Les jours de fêtes et de dimanche aux messes du matin destinées aux gens de service qui ne peuvent assister à la grand’messe, les curés et vicaires devront, comme à celles-ci donner leurs instructions, annoncer les bonnes fêtes, jeünes et communications que tous chrétiens doivent connaître. Pour la première fois au synode de Saint-Luc 1504, nous rencontrons la prescription des registres de bap- têmes. Aucune inscription, jusque-là, tant au civil qu’au religieux, n’était prise aux naissances et bien moins À À À À À A A AR À AR A 2 — 195 — encore aux mariages et sépultures : « Præcipimus « omnibus et singulis Rectoribus et Vicariis sub pœnâ « emendæ quod de cætero registra faciant de omnibus « et singulis ad sacramentum baptismi in eorum ecclesiis « et parochiis receptis cum annotatione dierum et anno- « rum et designatione patrinorum et matrinorum. » A la Pentecôte, 1507, il ajoute : « Fiat regestrum « singulorum baptisatorum et patris et matris eorum, et « patrinorum et matrinorum sub nominibus proprüs et « cognominibus per Curatum aut ejus Vicarium et « ponatur regestrum cum libro sacramentali et fiat « regestrum in uno codice vel libro ligato, ne perdatur, « ad cavenda impedimenta matrimoniorum ratione « consanguinitatis vel affinitatis. » Nous constatons toutefois que leffet de ces prescrip- tions se fit attendre. Il n’est innové à Saint-Michel-du- Tertre que le 15 mars 1554. Saint-Pierre a commencé en 1598, Saint-Maurille en 1937, Saint-Martin en 1548, Saint-Maurice en 1550. Le soin des cimetières n’est point oublié ; défense est faite de les profaner par des danses. Il est en outre prescrit aux procureurs de fabrique de les faire clore pour les défendre contre l’envahissement indécent d'aucun animal. En correspondance d’aussi complètes instructions, nous aurions souhaité pouvoir vous présenter les docu- ments paroissiaux de ce même temps, mais nous devons confesser notre pénurie. Nous n’avons rien autre chose que des états de fondations. Ils nous suffisent toutefois pour nous démontrer l’empressement de nos pères dans des donations, au double objet d’assister les défunts et 22406 2 de fonder les indispensables revenus de la paroisse. L’une des premières et des plus importantes fut celle d’une maison et jardin à l’entrée du faubourg Saint- Michel, en face des Pères Jésuites, donnés par le curé Guillaume de la Chaussée. Par un premier testament du 12 novembre 1505, par devant Faucheux et Coutu- rier, notaires royaux, M. de la Chaussée légue 40 livres de rente pour fondation d’une messe basse, dite messe matutinale, qui se devra dire à perpétuité tous les dimanches à 5 heures du matin. Par un deuxième, du 16 novembre 1516, il lègue sa maison même dont sera pourvu le chapelain chargé de dire la messe en question. La Confrérie de Saint-Michel, qu’on trouve fondée en l’église paroissiale dès le xive siècle, possédait une maison sur le Pré-Pigeon. On l’afferme au profit de l'œuvre à la charge d’une jouissance réservée trois jours l’année au pélerinage des confrères. Olivier Laury lègue un quart de vin que ses héritiers devront tous les ans livrer au procureur de la fabrique à l'époque de la Toussaint. Sur la volonté du testateur ce vin était destiné à être distribué aux fidèles après la communicn. Ce legs s’est pratiqué jusqu’en 1790. Mais quel était notre Angers de ce temps? Quelles en étaient les ressources et l'importance ? Une lettre de nos édiles au roi Louis XII, du 10 octo- bre 1503, va nous présenter la description la plus curieuse, la peinture la plus saisissante de la ville de ce. jour. Louis XII est engagé dans sa guerre du Milanais..Il a des soldats, mais l'argent fait défaut. Il impose ses — 197 — villes franches. Angers est taxé à 3,009 livres. On répond par un versement de 1,200 livres seulement. Pour obtenir les 1,800 livres de complément, le roi fait de nouvelles instances et pour les recouvrer députe son commissaire Jean Bouscher. On lui compte 1,000 livres et on lui remet en outre la lettre d’excuse ci-après : « Les maire, échevins, « manans et habitans d’Angiers, après les lettres mis- « sives du roy notre sire a eulx adressées, par eulx vues « en leur assemblée et remonstrances faictes par hono- « rable et saige Monsieur Maistre Jehan Bouscher, « notaire et secrétaire du dict sire, il leur a fait « demander 1,800 livres tournois pour parfaire « 3,000 livres demandées audits manans et habitans ; ont dit et répondu que en icelle ville n’y a ès gens laiz et secculliers que toute pauvreté et n’est de mer- veille veu que les deniers du dit pays et des environs depuis 12 ou 13 ans encza ont toujours tiré contre- mont et ne descendent point; et davantaige y a eu tant de famines et mortalitez que le monde qui est « eschappé a beaucoup enduré et souffert pour vivre; « et ne cognoissent pas les dits maire et eschevins que « icelle somme de 1,800 livres tournois se puisse à pré- « sent trouver sur icelle ville pour l’extresme pauvreté « qui yest; mesmement que en icelle ville n’y a de gros « marchans comme ês autres villes, mais consiste princi- « palement en gens d'église, de l’Université et privilégiez; « et au regard des deniers communs d’icelle ville les « dits maire et eschevins ont dit que l’année dernière « ont seulement eu la somme de 1,500 livres tournois sur quoy a esté employé en repparacions et fortiffica- NRA AA 2 L( 2 — 198 — « cions plus de 4,000 livres tournois et sur le sourplus « a convenu entretenir partaulx pour et autres charges « de la dite ville qui est subjecte a de très graves enire- « tenemens et deppences tant par eaue que par terre; « et néantmoins pour monstrer qu’ils veullent toujours « employer corps et biens pour le roy et le servir « comme bons et loyaulx subjects et faire plus que bon- « nement possible ne leur est ont offert à mon dict sieur « le sécrettaire commissaire 1,000 livres oultre les « 4,200 livres tournois naguëres baïllés. « Fait au Conseil de la ville d’Angiers le 10e jour « d'octobre 14508‘. » Tel était l’Angers de 1503, d'extrême pauvreté. Les gros marchands nombreux en autres villes y faisaient défaut ; on n’y rencontrait que gens d’église, de l’Uni- versité el privilégiés. L'Université tenait la plus grande place. C'était elle qui en 4494 avait sollicité pour notre ville un Parlement, et elle encore en 1508 qui obtenait aux Cordeliers la tenue des Grands jours pour la réforme de la coutume d'Anjou. Présidée par Thibault Baillet et Jehan Lelièvre con- seillers au Parlement de Paris, l'assemblée tint séance dans le réfectoire du couvent. Évêché, abbayes d'hommes et de femmes, chapitres, noblesse, université, commune, légistes, tout y était représenté. Je renvoie au reste pour plus amples détails au t. IT, p. 389, de l’Anjou et ses mouvements, de M. Godard. Les nombreux écoliers de ce temps, malins comme 1 Archives municipales, BB 13, fol. 53. — 199 toujours, prenaient leurs ébats en toute liberté en nos rues d'Angers. Aussi nous dit Bourdigné, « il en cuyda issir de grosses follies. « La grande fête de Bazoche se tenait au Pilori le 4er mai, sur des chauffaux élevés sur la place, les clercs y donnaient une représentation, accompaignée, dit encore Bourdigné, de libelles diffa- matoires, scandaleux et maintes moqueries. En 1519, notre juge d'Anjou, François Binel, entre- prit d’y mettre fin. Echevin perpétuel et ancien maire, il saisit de sa requête le Conseil de ville qui prit l'arrêté suivant : « Monsieur le Juge d'Anjou a mis en délibé- « racion que le jour de demain le roy de la Bazoche « voullait faire jouer, sur les chauffautx davant le pillory « de ceste ville, esquelz jeux communément sont scan- « daliséz, diffaméz et injuriéz plusieurs gens de bien, à « ceste cause qu’il serait expédient de faire deffense au « dit roy de la Bazoche et autres, de non jouer actendu « l’esmocion des guerres et aussi qu’il est bruit que la « royne est encore très griefvement malade. « Après laquelle matière ainsi mise en déliberacion « par la commune opinion de mesdits sieurs a esté advisé « et conclud que, à la requeste du procureur du roy: « présent au dit Conseil, et, ce requérant inhibition et « deffense sera faite audit roy de la Bazoche et aultres € qu’il appartiendra, de non jouer pour le dit jour de « demain et qu’ils diffèrent le dit jeu jusques environ la c fin de ce présent moys de mai et jusques ad ce que « l’en ayt ouy nouvelles des dites guerres et presperité « et sancté de la dite dame ‘. » 1 Archives municipales, BB 15, fol. 83. 2 op0 + Nous assistons aux délibérations de nos bourgeois nouvellement émancipés et nous y. remarquons Olivier Barrault, maire en 1497, 1504, 1505, auteur du logis Barrault, aujourd’hui le musée; François Binel, maire en 1495, juge d’Anjou comme son père et qui lui aussi demeurait place des Halles ; Jean Landewy, domicilié rue Saint-Jacques, hôtel Landevy, maison Daviers, maire en 1508 et accompagné de François Binel, il représentait la mairie aux Grands jours des Cordeliers‘; Jean de Pincé qui bâtit l’hôtel de Pincé ; Jean Bouvery, père de notre évêque Gabriel Bouvery, qui inaugure au 4er mai 1519, le dîner de fondation de l'élection du maire. Les écoliers n'étaient pas alors les seuls agitateurs du repos public. Infestée de voleurs et d’assassins, la ville n’avait d'autre défense que les chaînes des rues, d’autres gardiens que les crieurs de patenôtres et le juge d'Anjou était impuissant à remédier au mal. Le maire Bouvery demande et obtient du roi l’envoi d’un commissaire des maréchaux de France, le sieur Jean d’Alencé, avec mis- sion de donner ordre aux mauvays garsons qui avaient fait par cy devant et faisaient par chacun jours plusieurs volleries, larrecins, desrobemens et violances. Jean d’Alencé descend et s’installe à la célébre auberge du Plat d'Estaing, située place du Pilory à l'angle de la rue Saint-Michel. Le 22 septembre 1519, le corps de ville réuni aux ! Jean Landevy fut enterré aux Cordeliers, François Binel à Saint-Michel du Tertre. L'un et l’autre avaient leur tombeau surmonté de leur portrait à l'huile, Binel avait en outre une épitaphe inscrite sur une lame de cuivre. — 201 — Cordeliers, sous la présidence du maire Bouvery, entend le rapport de M. d’Alencé. Celui-ci déclare que « en exécussion de sa Commission « il en avait fait pugnir aucuns, les ungs pendus, ung « décapité et les autres fouettez, essorillez et bannis; et « qu’il en avait encore en ses mains quelque nombre « mais que le roy, nostre dit sire, lui avait envoyé lectres « pour les bailler et livrer à M. Prégent, cappitaine des « Gallées de France, ès parties de la mer de Bretai- « gne. » Il demande, selon son habitude en pareille mission, un certificat des officiers des lieux pour le roi son maître, indiquant l’espace de temps qu’il a séjourné et vacqué en ceste ville d’Angiers pour exercer sa ditte commission. « Ouye laquelle requeste par mesdits sieurs le dit « d’Alencé a esté remercié des paines qu’il a prinses et eues en l'exercice de sa dite commission en ceste ditte « ville et que volontiers luy seraient baillées lectres adressans au roy nostre dit seigneur pour le remercier « de ce qu’il lui avait plue envoyer le dit d’Alencé en « ceste ditte ville et aussi contenant le temps de sa ditte vaccacion. « Et ce fait le dit d’Alencé et autres dessus nommés sortys fors les dits sieurs maire et eschevins et les dits « procureurs et receveurs du roy avec lesquels mes dits « sieurs ont conféré scavoir quel présent et don l’en « devoit faire au dit d’Alencé et a esté ordonné et conclud que le dit d’Alencé serait deffrayé à son logeyr auquel il est logé en la maison du Plat d'Estaing au carrefour « du Pillory de la dite ville de la despense qu'il a peu A 2 LS 2 = 2 — 902 — « faire depuy qu’il est en ceste ditte ville jusques à la « somme de 50 livres tournois et au dessoubs et enjoinct € à Guillaume Lepellé, receveur des deniers communs « de la dicte ville de compter avec l’ostesse dudit Plat « d'Estaing et de payer de sa dite despense jusques à la « ditte somme de 50 livres et au dessous ‘. » CHAPITRE VIII. ANGERS DEVANT LA RÉFORME. L’un des grands faits de l’histoire de l’Église et aussi de notre histoire nationale, c’est celui de la Réforme. Il domine tout le xvie siècle et nous poursuit encore de ses conséquences. Religieux en principe, il ne tarde pas à devenir politique, social même, dans son action, dans sa vie propre. Adversaires et partisans, catholiques et huguenots, se mêlent, se confondent, se rencontrent, se heurtent, se combattent, se détruisent, dans la famille aussi bien que dans la rue, au temple comme au champ de bataille. C’est à tous ces titres qu’un pareil fait s'impose à notre sujet. Ge sera d’ailleurs sur notre paroisse qu’ap- paraîtront les premiers sectaires, sur la place des Halles que se verra le premier prêche; sur l’étroit territoire qui nous est propre, il nous sera donné de saisir les angoisses de l’Église, les palpitations de la patrie. ! Archives municipales, BB 15, fol. 129. — 203 — Dans ces grandes émotions nous verrons en jeu toutes nos institutions, soit innovées, soit rajeunies, à cette époque si bien nommée de Renaissance. D'autre part, quelque soudaine, quelque imprévue qu’ait été la Réforme, elle a eu ses causes. Rien en effet ne se heurte en histoire; tous les événements qui la composent découlent les uns des autres. La Réforme n'échappe pas à la loi commune. Rechercher ces causes dans nos diverses institutions, c’est l'étude préalable qu’il nous reste à faire. C’est Angers devant la Réforme. Par sa lettre du 4er janvier 1515 aux maire, échevins et habitants d'Angers, François d'Angoulême, arrière- petit-fils du duc d'Orléans, frère de Charles VI, annon- çait son avènement au trône de France, devenu vacant par la mort de Louis XIT, décédé sans enfant mâle. Le 22 février suivant, le nouveau roi nommait gou- verneur d'Anjou et du château d'Angers, René de Cossé- Brissac, dit le Gros Brissac. C’est le premier du nom que nous rencontrons en nos annales. Depuis un siècle à peine la famille apparaissait en Anjou ; c’est René qui achète la terre de Brissac, bâtit le château et fonde ainsi sa dynastie dans notre province. Enterré dans l’église de la petite ville, aux côtés de son épouse, leurs tombeaux ont disparu; mais la verrière du chœur reproduisant leurs portraits est religieusement con- servée. Le 26 juin 1515, François Ier écrit de nouveau aux maire et échevins. Il leur annonce son départ pour — 204 — l'Italie, ses projets de conquête du duché de Milan et comme il doit quitter son royaume pour commander lui-même l’expédition, il annonce qu’il donne la régence à sa mère Louise de Savoie gratifiée en outre des duchés d'Anjou et du Maine. « Le roy, nous dit Bourdigné, comme trés loyal et « débonnaire enfant, cognoissant le bon traictement, « doulce nouriture et vertueuse doctrine qu'il avait « receue d’icelle dame, sa mére, veut bien en recon- « gnoistre partie et pour ce désirant lui faire quelque « magnifique et excellent don lui donna le noble duché « d'Anjou avecque le comté du Maine et d’Angoulmois. « Et autre pour ce qu’il allait hors de son royaulme il « la constitua régente de France commandant à tous « lui obeyr comme à sa propre personne‘. » Louise de Savoie fit sa résidence au château. Le jeune roi reprenait en Italie les traditions de ses devanciers. Il avait hâte de déchirer ce traité de Dijon «merveilleusement étrange », disait Louis XII, contraint de le subir. Le passage des Alpes, la sanglante victoire de Mari- gnan, la conquête du Milanais, furent l'affaire de quelques mois et le traité de Fribourg rendit à notre France le plus brillant prestige. C’était plus qu’il n’en fallait pour séduire un monarque de vingt ans, aussi gracieux d’esprit que de corps. Les incomparables merveilles des maîtres de l'Italie achevèrent d’énivrer ce trop heureux souverain. 1 Chroniques d’Anjou, t. II, p. 508. ? Lavallée, t. Il, p. 291. — 205 — Le vieux palais de Saint-Louis dans la capitale ; à Blois le château de Louis XII, tant admiré de nos jours, ne pouvaient lui suffire. Le Louvre et Chambord allaient inaugurer un faste que Louis XIV ne pourra dépasser. Dans l’histoire de l’art, François Ier personnifie la Renaissance et toutes les villes en France en subissent l'entrainement. Notre Angers, en ce style, vit s’élever l'hôtel Pincé, l'Hôtel-de-Ville de la place des Halles, que je vais avoir à vous décrire, l'hôtel des Granges, rue Valdemaine, l'escalier de l’évêché, le clocher de la Trinité; à notre cathédrale la triomphale imagerie qui surmonte le portail et la tour centrale entre les deux flèches. Mais il fallait comme toujours payer cette gloire et ces splen- deurs. Considérant son gendre et son successeur, l’économe et parcimonieux Louis XIT disait : « Ce gros garçon gâtera tout. » Les réserves du beau-père furent en effet vite épuisées ; et, devant de telles prodigalités, les ressources ordinaires du royaume étaient loin de pouvoir suffire ; il fallut aviser. Un seul impôt était créé, c'était celui du sel. Toute- fois, mal réglementé, on l’éludait sans grande dissimu- lation. Il importait de l’asseoir sur des bases adminis- tratives qui ne pussent laisser prise à aucune équivoque. On constitua, pour cet objet, dans toutes les villes de quelque importance, de vastes entrepôts, dits greniers à sel, avec des conditions d’approvisionnements en rapport avec les besoins les plus imprévus. Le grenier d’Angers fut établi sur le bord de la rivière, — 9206 — près le couvent des Carmes, dans une rue qui, pour cette raison, fut nommée rue Grenetière. Tous les habitants du ressort, tarifiés en consomma- tion, avaient l’ordre de s’y présenter pour en retirer la mesure présumée nécessaire aux besoins de la vie. Pour le régir, on institua une administration dite de la Gabelle, à la fois distributive, répressive et judiciaire. Elle se composait d’un Président, du Grenetier, du Contrôleur et d’un Procureur du roi. L’Administrateur effectif, le Grenetier, avait sous ses ordres une troupe d'agents armés et commissionnés qui surveillaient les villes et les campagnes, arrêtaient et saisissaient les faux saulniers et les traduisaient au tribunal spécial dit du Grenier à sel. Nos portes de ville, précédées de barriéres, les avaient en permanence dans leurs corps de garde. Tou- tefois à Angers, la rivière à grande distance des murs, se prêtait mal à leur surveillance. Ce fut la raison d’en défendre la nuit le passage par. des chaînes, dites Haute- Chaîne en amont, Basse-Chaîne en aval. A leur place, pendant le jour, des bateaux pontés avaient à leur bord la porte de barrière. Cest ainsi que l'impôt du sel devint productif. Mais en raison de son esprit d’inquisition, il souleva toujours la réprobation. Ainsi fut-il le premier sacrifié à la Révo- lution. Telles étaient alors toutes les ressources de l’État, bien loin de suffire aux appétits du souverain. On vendit, pour y suppléer, les charges judiciaires ; c’est la raison qui nous les fera rencontrer en possession d’un petit nombre de familles. — 207 — François ler toutefois, n’entendait point se priver de l’'expédient de Louis XII dans la contribution de ses grandes villes. Dés le 5 juillet 1515, dans une lettre de Bourges aux maire et échevins, « il écrit pour savoir et entendre à la vérité la vraye valleur et revenu de tous les deniers communs que les villes lièvent et prennent chacun an’. ) Dix jours après, de Lyon 15 juillet, il demande octroi et don de 1,500 livres pour le secourir « ès gros et quazi insupportables frais et despenses qu’il a présen- tement à supporter ?. » C’est avant son retour d'Italie qu’il rencontre le pape Léon X à Bologne. Il arrête avec lui les conditions du - Concordat qualifié dansles fastes de l’Église de Concordat de Léon X. Il eut pour effet : de détruire les impressions pro- duites à Bâle, Constance et récemment à Pise; de déchirer la pragmatique sauction de Charles VII; de donner aux rois de France la présentation des évêques et abbés. Les évêchés en souffrirent moins que les abbayes. Livrées aux commendataires, celles-ci ne tardèrent pas à décliner. | = Nous touchons à l’époque critique, Martin Luther a fait son voyage de Rome ; il en revient bourrelé d’orgueil et de jalousie, couvant dans son cœur son esprit de révolte. En 1517 l’occasion se produit, et dans sa rébel- 1 Archives municipales, BB 16, fol. 27. ? BB 16, fol. 28. — 208 — lion l’Allemagne lui présente un champ préparé. Publiées à profusion, ses erreurs s’y propagent avec frénésie et forcent bientôt les barrières qui l’entourent. Sa rupture ouverte, date seulement du 10 novem- bre 1520 et dès 1593, au synode de Saint-Luc, pres- sentant les futures défections de son clergé, notre évêque s’en émeut et formule ainsi sa défense : « Precipimus et mandamus universis et singulis viris « ecclesiasticis civitatis et diœcesis Andegavensis libros et opera Lutheriana apud se habentibus sub pœnâ « suspensionis a divinis et si pertinaces fuerint, excom- municationis, quatenus infrà quindecim dies a die € publicationis præsentium computandos, libros et opera « Lutheriana hujumodi quæ apud se habent comburant « alioquin lapsis quindecim diebus contra eos viâ juris « procedetur *. » Au synode de Saint-Luc, 1524, il annonce qu’il s’est rencontré des récalcitrants qui ont encouru les peines édictées l’année précédente. En 1595, il signale une progression dans le mal. Des prêtres, tant séculiers que réguliers, ne se contentant plus de conserver en leur possession des livres luthé- riens, se font les apôtres de l'erreur. Contre ces ministres doublement coupables il fulmine la suspense et l’excommunication. Il mentionne en outre, chez les Bénédictins et les Augustins, la plus grande irrégularité. Les Augustins sont plus qu’aucuns l’objet de ses reproches. Que penser de pareils désordres ? A A 1 Statuts Synodaux, p. 243. — 209 — Comment expliquer que, dans Angers, à trois cents lieues de Wittemberg, avec des mœurs toutes différentes, sans affinités de langage et de nationalité; quand d’ail- leurs on n’avait à son service aucun moyen expéditif et facile de locomotion et de correspondance; comment, dis-je, expliquer pareille simultanéité de révolte et de perverse passion ? En France comme en Allemagne, ces sentiments inconscients peut-être, ne pouvaient manquer d'exister en germe à l'avance. Dans sa régularité, dans sa sou- mission, dans sa foi, dans sa vertu, notre clergé d’alors devait laisser prise au démon de l’orgueil et de la sen- sualité. C’est bien en effet l'impression qui se dégage de la méditation des statuts diocésains. La morale écrite est irréprochable sans doute, mais-le réforma- teur de honteux abus, l’évêque du diocèse, est lui- même l’objet d’une enquête royale sur sa propre vertu. De ces deux sources n’en découle-t-il pas ces fatales conséquences : Que de la discussion au doute, du doute à la révolte, la pente est glissante, la gradation rapide; et aussi que le célibat devient pesant pour quiconque ne peut garder sa chasteté. Telles semblent les raisons des défections angevines. François Ier était désiré dans sa ville d'Angers; sa présence y faisait défaut. L'expédition d'Italie aux débuts de son règne, avait pu seule retarder sa visite. En 1517 toutefois, l’avis est donné qu’aussitôt effectuées les couches de la reine, alors enceinte, il cédera aux sollicitations qu’on lui adressait. C’est le 28 février 1518 qu'il notifie aux maire et échevins la naissance de son fils premier né. SOC. D'AG. 14 — 910 — « À la grande joie et exaltation de tout le peuple, nous dit Bourdigné, la trés noble, très vertueuse et « sainte dame, Madame Claude reine de France, accou- « cha d’ung beau fils, lequel fut ainsi que le roi son « père nommé François, dont en Angiers furent faits « feux de joie et dressées plusieurs tables rondes et « dessus pasticeries et diverses viandes avecque grands « plants de bons vins à boyre à tous venans, et là à « haulte voix était cryé : Vive le Roy, la Royne et Mon- « seigneur le Dauphin‘. » L'événement accompli, le voyage d'Angers est décidé et fixé. La duchesse Louise en prévient Brissac gou- verneur d'Anjou. C’est en conséquence de cette décision, que celui-ci par sa lettre du 15 mai, en avise en ces termes le Corps de ville : A « Messieurs, « Tant que faire le puys à vous me recommande, Madame m'a dit que luy ferez très grant plaisir de rece- voir la compaignye le plus honnestement qu'il vous sera possible; c’est assavoir tous les plus honnestes personnaiges qui viendront la recueillir où lon a de: coustume dedans la ville. Regardez à faire force mom- meryes, afin que l’on die: « tire le rideau » et que toutes les rues soient bien nectes et bien tendues et que chacun se efforce de monstrer leurs belles tapiceryes; car ils ne le feront jamais à plus honneste compaignye. « L'entrée se fera tout à ung jour; mais il faudra 1 Chroniques d’Anjou, p. 318, t. IT. — 911 — avoir deux poëles, l’un pour le roy et l’autre pour la royne ; les bastons de celuy pour le roy peincts de fleurs de lis et à la royne d’ermynes. Il n’en faut point pour Madame. Je seré à Angers huyt jours d'avant que l’entrée se face, mais je ne scay encore le jour vous disant à Dieu Messieurs, qui vous doient ce que désirez‘. » Leurs Majestés arrivèrent en effet aux Ponts-de -Gé le dimanche dans l’octave de la Fête-Dieu de l’année 1518, dinérent au château de Rivettes et firent, le lendemain lundi, leur entrée solennelle dans leur ville d'Angers. Cette cérémonie, longuement décrite par Bourdigné, nous fut très fidèlement reproduite dans d’élégantes fêtes improvisées en 1858. En 1518, François Ier fut reçu par le maire Robert Thévenin, sieur de la Chotardière et complimenté par le recteur de l’Université François Lanier, sieur de Sainte- Gemmes, juge d'Anjou, docteur et professeur en droit, chef de la célèbre famille municipale des Lanier, que nous trouverons bientôt sur notre paroisse et qui fon- deront une chapelle à Saint-Michel du Tertre. Le roi suivit la procession de l’octave de la Fête- Dieu, qui cette année par exception, se fit avec la solen- nité du jour même de la fête. « En ce temps encore, nous dit Bourdigné, la mor- « talité de peste print règne en Anjou qui fut cause « que le roi s’en alla, » La peste, la contagion, comme on la nommait le plus ordinairement, se retrouvait toujours en notre ville à l Archives municipales, BB 17, fol. 4. _ 99 — époque périodique, ou plutôt ne nous quittait guère. J'attends pour la décrire dans sa lugubre réalité, une date qui me fournira de minutieux détails. Je me con- tenterai aujourd’hui d’en rechercher les causes. La première, c’était l’inévitable succession des années de disette et d’abondance. Comment les éviter avec absence complète de voies de communications et de rela- tions commerciales ? La famine en devenait la rigou- reuse conséquence. Notre ville, pauvre déjà suivant la peinture faite à Louis XII par nos édiles’ du temps, était en outre encombrée de malheureux avec absence complète de toute institution charitable. Je me trompe, elle avait l’'Hôtel-Dieu de Henri IT Plantagenet, mais vide alors de ses sœurs de charité qui en font la richesse. Les couvents étaient les seuls économes des pauvres et ils ne l’ou- bliaient jamais. La troisième cause de contagion, c’était la pauvreté et l'insuffisance des habitations dans les rues étroites où l'air et le soleil ne pénétraient point. Le pavé dans ces rues était encore un luxe. En revanche à chaque pas on y rencontrait des flaques d’eau eroupissantes et des monceaux d’ordures. Comment s'étonner en pareilles conditions des désastres persistants d’un mal devenu fatalement chronique ? Et pourtant, c’est l’honneur de nos maires; nous les trouvons toujours luttant sans découragement contre un fléau qui s’imposait quand même. Le maire Thevenin, celui-là même que nous avons rencontré aux côtés du roi, s’ingénie dans les moyens de résistance au désastre. Il défend l’entrée de la ville — 213 — aux vagabonds ; il emploie les pauvres valides au curage et nettoyage des rues; il sollicite et obtient du clergé l'abandon du tiers de son revenu. Pour le soin des malades, il convoque les barbiers « pour faire sçavoir où ils en ont saigné de malades de la peste. » Les rues que nous venons de décrire, se trouvaient, elles aussi, resserrées dans une enceinte beaucoup trop étroite et pourtant cette enceinte c’était celle de Saint- Louis, si large én son temps dans la partie au moins qui nous occupe. Ce n’était pas le seul défaut de nos murs de ville; ils avaient encore celui de nous isoler de la rivière. La rivière, le croirait-on, était à peine soupçonnée, lors qu’aiors comme aujourd’hui elle traversait notre ville. Il semblait, en effet, qu’à dessein on se fût appliqué à la dissimuler. Nous nous rappelons les maisons’ bordant les côtés des grands ponts, le rempart qui protège les rues du Cornet et Valdemaine et que relie le pont des Treilles au boulevard Saint-Serge ; un cloaque derrière la Poissonnerie sépare les deux ponts. Les bateaux viennent s’amarer à la porte Chapelière, aux pieds du mur du château. C’est le port Ligny. Et pourtant le commerce va poindre ; déjà les mar- chands font instance au corps de ville pour avoir leur place dans l’Échevinage. Une percée dans Boisnet nous rendrait le Portus Rogi de insula sancti Albin: ; elle nous permettrait surtout, au delà de la saulaie, de res- pirer l'air pur des bords de la Maine. Un premier vœu dans ce sens, en l’année 1517, est exprimé par le corps 1 Archives municipales, BB 17, fol. 136. — 214 — de ville et les paroissiens de Saint-Michel, dans leur assemblée de 1520, acclament Fidée et formulent la demande. Des lettres patentes du roi portant la date du 29 mars 1591 et motivées par cette double requête, prescrivent au juge ordinaire d'Anjou de procéder à l'enquête du projet. L'avis favorable détermine la mesure : des lettres patentes du 27 juin 1593, autorisent l’ouverture d’une porte à travers la partie du mur qui fait face à la rue Saint-Jacques, par delà la rue du Cornet, à l'entrée d’une prolongation qui est aujourd’hui la rue du Canal, vis-à-vis la maison Gourdon. L’ordonnance royale fixait en outre, que la grosse de sentence en double expédi- tion serait déposée, tant aux archives de la ville, qu’en celles de la paroisse Saint-Michel du Tertre. En 41598, une seconde porte destinée à relier la rue de la Roë au pont des Treilles, laquelle porte se rebâtira en 1676, pour prendre alors le nom de son auteur, le maire Gaultier, fut également effectuée. Ces ouvertures permirent aux paroissiens de Saint- Michel de gagner au travers des Luisettes la rive du grand cours de la Maine, sur lequel étaient établis les moulins de Saint-Jean. C'était la promenade favorite de nos habitants des bas quartiers qui, dans les jours de grande chaleur, y venaient respirer la fraîcheur du soir. Les juges d'Anjou se retrouvent toujours en notre récit. Lieutenants du Sénéchal et leurs intermédiaires entre eux et le Parlement, ils étaient tant au civil qu’au criminel la seule personnification de la justice; aussi les voyons-nous insuffisants, tant par encombrements d’affaires, que par défaut de compétence. — 915 — La justice manquait aussi d’un complément, c'était celui de la police et de la répression ; les malfaiteurs se donnaient carrière tant en ville qu’en campagne. Notre ville avait oublié M. d’Alencé et ses énergiques châti- ments. Dans les rues sinueuses de la cité nos chanoines n’osaient plus le soir s’y attarder ; c'était à grand’peine si, au matin, les plus hardis se risquaient à gagner l'église pour y chanter matines. Écoutons, sur ce sujet, les doléances au roi de France de M. Pierre Esnauit, chanoine de l'Église d'Angers et député de sa Compagnie : « Il expose le danger et inconvéniant apporté dans la « cité autour de leurs maisons par les gens laiz et vac- « cabons de la ditte ville ou escolliers qui continuelle- « ment y sont au moyen desquelx souventes fois ont esté « et sont faiz pluzieurs scandales et grandes insolences « ès personnes desdits supplians leurs suppostz et « autres habitants dudit cloaistre que l’on appelle la « Cité; esquelx lieux et par plusieurs fois la nuit et à « heure indue iceulx supplians leurs dits suppostz et « autres ont esté batuz, oultraigez et desrobez. « Pour la crainte de telz inconvénientz, ils ont delessé « et délessent journellement se lever la nuyt et aller « faire le divin service, aller à Matines, qui aux bonnes, « festes se chantent à l'heure de deux heures. En consé- « quence iceulx supplians prient humblement le roy « qu’il leur permette et donne congé de refaire les portes « de leurs cloaistres, les poser aux dits portaultz exis- « tants encore en nature, ou il ne faut que les portes ; « et ycelles fermer et tenir clauses de nuyt comme faict « a esté d'ancienneté. » — 916 — François Ier se laissa toucher de pareilles plaintes et par lettres patentes d’avril 1521, il autorisa nos cha- noines à rétablir et fermer leurs portes : « Permettons et octroyons, y est-il dit, par privilège « exprès et perpétuel aux chanoines et chapitre de « l'Église d'Angers qu'ils puissent et leur loyse faire « faire et construyre les portes du dit cloaistre d’ycelle « Église d’Angiers és lieux où anciennement elles sou- « loient estre; ycelles tenir closes et fermées toutes les « nuycts pour la seurelé et deffense de leurs dites per- « sonnes et biens. : « Yceulx supplians seront tenuz de faire ouvrir les « dites portes au matin a heure deue et raisonnable‘. » Cette clôture ne plaisait qu'aux chanoines ; d’éner- giques protestations s’élevérent contre la mesure, par les paroisses d'Angers. Mais le roi s'était prononcé; sa volonié se montra inflexible et la cité fut fermée. Seule garantie : restait à trouver le moyen de purger des malfaiteurs les autres quartiers de la ville. Par la constitution de la Mairie, le maire avait droit à une garde privée de vingt-cinq archers; on l’invita à user de ce droit pour la police de la ville sous la direction de la Prévôté. Sous les ordres du maire, le prévôt com- mandait la police avec quatre sergents lui servant d’aide. Une curieuse requête de ces quatre sergents, portant la date de 1534, nous explique la multiplicité de leurs services : « À nos seigneurs les maires et eschevyns de la ville « d’Angiers. 1 Archives municipales, BB 17, fol, 150. NT « Supplient très humblement les sergents de la Pré- « vosté d’Angiers comme ainsi sait que chacun jour les « dits sergens sont contraincts à faire plusieurs négoces « concernans le bien public de la ville. Savoir : est à « assister à voir bailler et baillent la question extraordi- « naire aux crymminelz qui sont condampnez ad ce souf- « frir, à les conduire par la ville avecques l’exécuteur « de la haute justice quand ils sont condamnez à esire « fustigez et batuz et essorillez, à les conduire pour « mener faire exécuter à mort, à assister avecques notre « dit sieur le maire par la ville chaque jour quant il luy « plaist, pour mectre police tant au port Linier pour « veoir dispercer le boys et fagots, à la Boucherie, à la « Poyssonnerie, à faire nectoyer les rues de ceste dite « ville, à conduire les grosses torches et gens estans à « la procession le jour du Sacre, et à plusieurs autres « négoces et affaires de la dite ville sans avoir gaiges ne « bienfaiz; a ceste cause vous plaise pour ceste année « seulement leur donner à chacun une paire de « chausses. » L'année 1525 fut mémorable à Angers. On venait d'apprendre le désastre de Pavie, la défaite et la capti- vité du roi; l'émotion produite en était des plus vives. L’heureux vainqueur de Marignan, que nous avons laissé grisé de ses succés, se croyait un héros désormais l’arbitre des destinées de l’Europe. C’est sous celte impression qu’il avait offert son épée au pape contre les Turcs; car c'était aussi l’époque des splendeurs musul- manes. Le Croissant victorieux nous refoulait sans cesse et Rhodes allait bientôt succomber sous ses coups. Un cri de détresse en était parti et retentissait dans toute l'Europe. « On prêchait la Cruciade en tout pays catho- — 218 — lique », nous dit Bourdigné. Son organe à Angers était vénérable et discret, Maître Jean Vallin, pénitencier et chanoine de l’Église d'Angers. Mais voilà que sur ces entrefaites, par la mort de Maximilien, se produit entre le roi de France et Charles d'Autriche, la compétition à la couronne d'Allemagne. Ces deux princes étaient amis jusque-là; mais alors de rivaux ils deviennent ennemis. Ils entrent en lutte avec acharnement et oublient aussitôt et musulmans et luthé- riens. Dans cette voie, la trahison de Charles de Bourbon, la bataille de la Bicoque, la perte du Milanais, les revers de Bonivet, la bataille de Pavie, sont les tristes étapes de la première campagne. La prise et la captivité du monarque français met le comble à nos malheurs. L’impression à Angers en devient palpitante ; Cossé-— Brissac donne des ordres extraordinaires de défense. Le château reçoit une garde permanente; les paroisses sont convoquées pour aviser ; les prières se multiplient, les processions se répêtent; le clergé est invité à par- ticiper aux charges du moment. Le maire enfin se met à la tête du grand mouvement. On n’avait pas toutefois, sans précautions préalables, attendu ce moment d’anxieuses inquiétudes. En 1516, le maire Thibault Cailleau avait fait reconstruire le donjon de la Porte Saint-Michel qui, pour cette raison, était décoré de ses armes. En 1593 on avait fortifié le puissant boulevard Saint-Serge, percé de meurtrières, armé les tours d'artillerie. Le maire Cadu venait d'achever la Redoute de la Porte Saint-Aubin et l’armer de canons. — 919 — Mais aujourd’hui, en présence d’un éventuel danger, on redouble de précaution, on ambitionne d’ailleurs un concours d’action dans la détresse nationale. C’est Bour- digné qu'il faut lire dans la circonstance; c’est son patriotique langage qu’il faut entendre, assister aux séances qu'il décrit, voir ses personnages. Cest la dernière fois d’ailleurs que nous le consulterons ; nous allons lui dire adieu. Nous touchons à la fin de son Ystoire agrégative. I nous raconte aujourd’hui ce qu’il voit, il est contemporain. Jean de Bourdigné était prêtre ; chapelain du chapitre de Saint-Laud en 1524, il passe en 1526 aux mêmes fonc- tions en celui de Saint-Maurice. Plus que légendaire dans la plus grande partie de son récit, il devient parfaitement véridique dans les évènements qui le touchent. « Son « témoignage, alors abondant et presque diffus, nous dit « M. Port‘, rend compte de particularités qu’on ne trou- verait guère ailleurs et devient pour son temps une source précieuse et sincère d'informations. » « Aux Angevins dures et lamentables furent les nou- velles, tant pour la prinse du très noble roy et tris- tesse que Madame leur duchesse en avait prinse, que pour le grant nombre des nobles et gentilx hommes d'Anjou qui y estoient demourez mors et prins”. « Les gens d’église et clergé d'Anjou multiplièrent leurs oraisons, processions et pryères. « Les seigneurs de la ville d’Angiers firent remparer et fortifier leur ville, la garnissant de vivres et toutes & A a A À = = AR 1 Dictionnaire, t. 1, p. 446. 2 Chroniques de Bourdigné, t. Il, p. 351. A « = A A LS — 920 — autres choses nécessaires pour assault de guerre sous- tenir. « En ceste saison les seigneurs de la maison et ville d’Angiers dont pour lors estoit chief et majeur noble et scientiffique Jehan Cadu, conseiller du roy et de Madame la duchesse d’Anjou, pour sçavoir combien à une nécessité se pourroient en leur ville trouver des gens en armes, firent à Angiers faire les monstres des habitans par compaignies et bendes ausquelles voulontiers se trouvèrent gens de tous estatz en très bel ordre et gaillardement armez et embastonnez soubs chefz cappitaines et bannières. Le dit seigneur Cadu et Monseigneur Jehan de Pincé son lieutenant y assistans richement armez faisant marcher leurs gens à son de trompettes, fiffres et tabours. Et bien mons- troient iceulx gentilz Angevins à leur contenance, que ils estoient prestz et appareïllez de bien et loyaule- ment servir le roy leur souverain seigneur, quant mestier en serait, qui estoit une chose très joyeuse et plaisante à veoir. Et les autres seigneurs et citoyens de la ville qui n’estoient gens de deffence et ne se povaient trouver en armes, faisaient par les quarre- fourgs dresser tables chargées de vins et de viandes pour refreschir tous ceulx qui vouloient boyre ou manger. Toutefois, grâce aux négociations de Marguerite d'Alençon, sœur du roy, le rachat du roi de France fut conclu avec l’empereur Charles Quint. En échange on dut donner en otages les deux fils de France encore enfants, le dauphin François et Henri duc d'Orléans, qui se rendirent en Espagne, « sous la conduite et gou- — 9291 — « vernement de très prudent gentil homme messire « René de Cossé, premier pannetier du roy notre sou- « verain seigneur, gouverneur d'Anjou et seigneur de « Brochessac. « Par ce fait fut le roy de France délivré et sa déli- « vrance par Madame la duchesse d’Anjou le mercredi « des Gendres signiffiée et des Angevins à grant joye et « exultation, son de cloches, orgues et autres instrumens « musicaulx, hymnes, canticques de louanges très magni- « ficquement célébrée, plusieurs regretz toutefois et « soupirs entremeslez pour la séparation des très nobles « enfans royaulx yssus de la meilleure et plus noble « extraction de la chrestienté lesquelz si jeunes tendres « et délicatz estoient envoyez en pays trop loingtain de « leur nativité et aer naturel‘. » « Le chief et majeur de la maison et ville d’Angiers, le noble et scientifique Jean Cadu », dans le langage de Bourdigné, est l’un de nos plus illustres maires. Jean Cadu, sieur de la Touche, juge ordinaire d’Anjou, devint lieutenant général de la Sénéchaussée. Il était Vidole des Angevins, qui toujours le rappelaient à la Mairie. : Aucun, ni de ses devanciers ni de ses successeurs, n’a réuni plus d'élections. Nous le voyons maire en 1513, 1514, 1595, 1526, 1599, 1530, 1531. Il est l’auteur : des chaînes sur la rivière ; du boulevard Saint-Aubin, qui portait ses armes; de l’Hôtel-de-Ville des Halles. Il organise la police et lutte contre la contagion ?. 1 Chroniques d'Anjou, t. IL, p. 354. ? Dictionnaire historique de M, Port, t. I, p. 339. or Re C’est dans les temps des grands désastres qu’on voit surgir les grands scélérats. « € « En cest an, nous dit Bourdigné, partout le royaulme estoit grande habondance de faulce monnaye, et par espécial de gros de dix sous, appelez testons, de demy gros et de douzains et pour ce furent par le roy envoyéz des commissaires pour informer du cas à la grant joye de pauvre peuple qui moult se plaignait. C'était à Angers maistre Guillaume l’Huillier, cheva- lier, maistre des requestes ordinaires du Roy notre seigneur :. « Le samedy donc d’après Pasques, 27e jour du mois d’avril 4527, par son auctorité et ordonnance, furent exécutez en ceste ville au placitre des Halles, les per- sonnes qui s’ensuivent, c’est assavoir : Jehan Ducoul- dray, maistre orfèvre de ceste dite ville et un nommé Laurens Stelle, vénicien et un nommé Pierre Riveron, hostellier, demourant à Suet; et lesquels Ducouldray et Stelle, vénicien, furent bouillis tout vifs en eaue toute bouillante en une grande chaudière estant audit placitre et le dit Riveron pandu à une potence estant au dit placitre; les deux dits accusez d’estres faulx monnayeurs et avoir fait et fait faire faulce monnaye et en estre consentans et particippans et y avoir donné conseil, confort et ayde en ce*. » On condamna le même jour par contumace à être bouillis vifs : Thibault d’Orvaulx, de Saint-Martin-du- Bois ; Jacques Leconte, de Launay; Jehan Durouynet, 1 Chroniques d'Anjou, t. Il, p. 356. ? Archives municipales, BB 18, fol. 95. — 993 — de Montjean ; condamnés en outre à de grosses amendes, on confisqua leur bien. | Assistait à l'exécution : « noble homme Jehan Lebar- « roys, sieur de la Barrière, monté sur un chauffault, « assis sur une petite salle ayant une corde au col et une « mytre sur la teste sépmee de eseuz et testons. » Reconnu coupable de complicité par la cession qu'il avait faite de sa maison de la Barrière pour la fabrication de la fauce monnaie, il dut la vie, dit la sentance « à sa viellesme ei paouvretté. » Condamné à la détention perpétuelle, sa maison fut confisquée. CHAPITRE IX. LE COLLÈGE D'ANJOU. — L’HOTEL-DE-VILLE DES HALLES. — LE PALAIS DE JUSTICE ET LES GRANDS JOURS DE 1939. Nous touchons une époque critique de notre histoire; nous abordons des jours de défaillance, mais ces jours sont invariablement ceux des beaux caractères, des grandes fondations. Nous sommes au temps des maires Jean Cadu et Pierre Poyet, auxquels nous devons le Collège d'Anjou, l’'Hôtel-de-Ville, le Présidial. Jean Cadu nous est déjà familier ; les désastres de la patrie nous ont révélé son grand cœur. Pierre Poyet, sieur des Granges et d’'Echarbot, devient son successeur et le continuateur de ses œuvres dans le gouvernement — 224 — de la ville. Il est conseiller du roi, lieutenant général d'Anjou, frère du fameux chancelier Guillaume Poyet, ce favori, cette créature de Louise de Savoie. Les deux Poyet sont en outre les oncles de notre évêque Gabriel Bouvery. Pierre Poyet fut maire en 1519, 1532, 1533, puis enfin en 1549, année de sa mort ‘. Il habitait rue Val- demaine le bel hôtel des Granges qu’il avait fait cons- truire. L'hôtel des Granges se voyait encore en entier et sans grande altération il y a moins de vingt ans. C'était l’un des plus jolis types de la Renaissance, l’un des plus beaux et des plus curieux fleurons du vieil Angers *. Il fut transmis aux Cornuau de la Grandière et donné par eux en 1675 aux prêtres de la Mission de Saini-Vincent-de-Paul, les Lazaristes d’aujourd’hui. Il devint, en notre siècle, un pensionnat de jeunes filles dirigé par Mme Adville. Mais il a fallu, que de nos jours, il fût sacrifié aux inflexibles lois des lignes droites dans la vicinalité du quartier. Il nous en reste une légère fraction qui ne peut qu’indiquer une splendeur déchue et provoquer nos regrets. Collegiam Andinum vulgo Novum. Le collège d'Anjou, vulgairement Collège Neuf, c’est la Mairie de nos jours, après les modifications, ou plutôt les transformations de 1820 et 1846. II s'appelait ainsi parce qu’il appartenait à la nation d'Anjou, qui l'avait fait construire sur un sol acquis par elle de la 1 Dict. historique, t. TL, p. 179. 2 Péan de la Tuillerie, p. 391. — 2925 — Commanderie Saint-Blaise. Déjà, quand nous avons traité de la fondation des Cordeliers, nous avons ren- contré ce sol à l'Est du couvent, bordant le mur de ville. Le collège d'Anjou et le couvent des Ursulines vont y trouver asile *. La nation d'Anjou était plus ancienne que l’Univer- sité. Elle remontait aux écoles épiscopales. Nous la trouvons en effet en pleine vitalité en 1420, recevant en don de Jean Brocet, chanoine de Saint-Julien, la prairie d'Allemagne, ce vaste terrain, recouvert aujourd’hui de l’avant-mail, des nouveaux tribunaux et de tout l’espace qui sépare ces points extrêmes et les avoisine. Si nous nous rappelons la renommée, le grand éclat des écoles d'Ulger; si nous considérons cette affluence de jeunes gens accourus de la France entière et de l'étranger au détriment même des écoles de Paris, nous aurons la raison de ces groupes de nationalités si naturels en pareille aglomération *. On en compta jusqu’à dix, dont six se maintinrent perpétuellement malgré l’édit de 1538 qui les limitait à quatre. C'étaient : La nation d'Anjou, patron saint Lezin, qui faisait sa fête aux Cordeliers, le 438 février; La nation de Bretagne, patron saint Yves, avec fête au 19 mai, à Saint-Maurice ; La nation du Maine, patron saint Julien, 27 février à Saint-Julien ; F. * La nation de Normandie, qui avait pour fête la Con- ception, 8 décembre, à Saint-Maurice ; 1 Dict. historique, t. I, p. 77. 2? Péan de la Tuillerie, p. 185. SOC. D’AG. 15 — 996 — La nation d'Aquitaine, patron saint Blaise, aux Jaco- bins, 3 février ; France et Allemagne, Translation de saint Martin, 4 juillet, à Saint-Martin. En sa qualité d’aînée et de fondatrice, la nation d'Anjou tenait le premier rang. Nous la trouvons en 1509 en possession d’une chapelle construite sur le terrain de Saint-Plaise, tout près le mur de ville. Augmentée d’annexes, cette même cha- pelle devient un collège, fréquenté jusqu’en 1542 par un petit nombre de boursiers. Dans le voisinage se trouvait une maison, dite de Duretal, anciennement Estanche, que le commandeur du Temple deSaint-Laud, administrateur de Saint-Blaise, par bail devant Boulard, notaire à Angers, donne en jouissance, en l’année 1518, à René Curvilla et Anne Moreau, son épouse, moyennant 17 livres 10 sous de rente annuelle. Réserve est faite én cas de guerre, d’une grande chambre et d’un refuge pour y loger deux pipes de vin. Cette maison de Duretal fut acquise en 1549 par la nation d'Anjou pour y fonder son collège et trans- mise en 1624 avec toutes ses charges aux Pères de l’Oratoire. Louvet nous raconte ainsi cette transmission : « Le samedi 18 mai 1624, Messieurs de la Faculté des Arts de l’Université d'Angers ont baillé aux Pères de l’Ora- toire de ceste dite ville le Collège d'Anjou aliàs le Collège Neuf, pour y instruire les enfants, suivant les articles memlionnez en l’escript passé entre eux cedict jour par Me Jullien Deille, notaire royale audict Angers, la fondation duquel collège fust faite le treizième jour de Ne 97) septembre 1542 par lesdictz de la nation d'Anjou, lesquelz pour ceste effect acquirent et acheptèrent une maison et appartenance situez près la chapelle Sainct- Blaise en la rue appellée la rue de l’Hospital, proche les murs de la ville, la ditte maison nommée la maison de Duretal, auparavant appellée Estanche, laquelle fon- dation avait été faicte à la poursuite et dilligence de noble homme et saige M. Michel le Maczon, vivant pro- cureur du roy en Anjou, lequel pour ce faict avait obtenu lettres du roy entérignant, lesquels MM. les Sup- potz de la ditte Université auroient esté condampnez bailler par chascun an au principal dudict collège pour y faire lecture et exercice de grammaire, oratorerye et poésie à ce que les enfants y fussent bons latins et bien instruitz pour parvenir aulx aultres sciences, dans lequel il y avait ung principal soubz principal régent serviteur et portier qui sera appelé le Collège d'Anjou, comme plus au long est mention en la mynutte de la ditte fon- dation, dans laquelle sont contenuz les statuts et articles que doibvent garder lesdiciz principal, soubz principal et régents dudict collège. « Signé : Lemaczon, Priolleau, Lancelot, J. Marais, le Restif et Levennier’. » Les Pères de l’Oratoire entreprirent en 4691 la reconstruction de leur collège; mais ils ne purent lachever. Nons constaterons ces phases diverses, quand nous les rencontrerons. Le Collège d'Anjou était aussi le palais de la Faculté des Arts, dont le siège primitif avait été dans une maison 1 Journal de Louvet, 1856. — Revue d'Anjou, p. 31. — 928 — dite la grande maison des Arts, place Saint-Martin, aujourd’hui maison Vaslin. La Faculté des Arts avait des cours de philosophie, de rhétorique et de gram- maire. Au xvilie siècle on y ajouta une chaire de mathématiques et de physique. Ce Collège d'Anjou eut le plus grand succès, la plus haute réputation. On y compta 2,000 écoliers. Tous les hommes importants de nos pays y firent leur instruc- tion. | Le plan de l'édifice comportait un corps principal de bâtiment, à distance du rempart et parallèle avec lui. Les deux extrémités devaient être ornées de deux ailes qui ne furent jamais construites. On en voyait encore les amorces avant le remaniment de 1846. Hôtel de Ville. C'était à l’état de provisoire que le 29 juillet 1484 le maire Guillaume de l’Espine avait affermé, pour en faire la Mairie, l'hôtel Godeline, de la rue du Grand- Talon. Il fut alors formellement réservé que, pour le définitif, on aviserait à loisir au choix d’un local spacieux et plus abordable dont on deviendrait pro- priétaire. Voilà toutefois que dès l’année suivante, par ses lettres patentes du 4 septembre 1485, le roi Charles VIIT, devançant les vœux des Angevins, les gratifiait, pour y construire leur hôtel de ville, d’un vaste terrain situé à l'extrémité de la place des Halles, le long du rempart et joignant le cimetière de l’église Saint-Michel du Tertre. C'était le prolongement même du tertre dont — 229 — Péglisé couronnaît le faîte. Une maison avec jardin et dépendances recouvraient déjà ce terrain concédé. Le sol était manifestement originaire de Saint-Serge. Il avait dû être acquis par saint Louis lors de la cons- -truction des murs de ville. C’est de ce fait qu’il devint propriété du domaine d’Anjou dont le roi de France était bénéficiaire par la donation du roi René. L’hom- mage féodal toutefois, rivé à la terre, restait inaliénable. Tout occupant en devenait tributaire. C’est cet hommage que nous verrons toujours respecté par nos maires. Îl consistait, au jour de l'élection, à se rendre dans l’église de l’abbaye pour y baiser l'anneau de saint Brieuc. Le quartier de Saint-Michel du Tertre était encore le bout du monde de la ville. Son cimetière, malgré les prescriptions de l’évêque, restait ouvert à tout venant sans clôture aucune. Dans cette situation, le Conseil de ville ne put se résoudre à venir habiter pareille extré- mité; désirant toutefois profiter du don royal, les démarches furent faites près de Charles VII pour obte- nir, au profit de la ville, l’aliénation des terrains con- cédés. Ces démarches eurent leur succès. Les archives muni- cipales nous apprennent que des lettres patentes du 27 septembre 1489 autorisaient la vente des dits locaux, à la charge par les officiers de la Mairie d’em- ployer les deniers provenant de l’aliénation à l’acquisi- tion d’une autre maison ou emplacement pour y cons- truire leur hôtel de ville‘ «et en outre de tenir et relever Inventaire des Cartulaires, t.. 11, XIL, Bätiments de l'Hôtel de Ville. — 930 — « la dite maison, dépendances et jardin concédés du « domaine d'Anjou, à une maille d’or du prix de vingt € sols parisis chacun an le jour de Saint-Rémy et un cha- « peau de roses à six rangs le jour de la Fête-Dieu. » En conséquence de cette permission, le 22 jan- vier 1491, il fut dressé un rapport d’experts nommés par les commissaires de la Chambre des comptes du roi, établissant la description et estimation des lieux, à l’effet de savoir si l’aliénation accordée serait avanta- geuse tant au roi qu’à la ville. Cet avantage recherché qu'on ne pui atteindre empêcha l’aliénation. Toutes ces démarches, toutes ces hésitations rendaient improductif le don de Charles VIII. C’est fatigué de sa non-valeur indéfinie que le Corps de ville, en année 1522, prit le parti d’affermer à Christophe Vau, pour cinq années consécutives, devant expirer Je 24 juin 1597, la grande maison des Halles, à raison de huit livres par chacun an. Dans l'intervalle, en 4595, nous rencontrons encore des négociations sans résultat de la part de l’Université, qui alors n’avait pas bâti son Collège d'Anjou. : Les années s’écoulaient, mais la municipalité ne ces- sait pas de poursuivre son plan. Elle voulait sortir de son hôtel Godeline et trouver un définitif. Par entraîne- ment de tradition elle se retourne vers la porte Chape- lière, ce centre perpétuel de la cité angevine; elle y acquiert une grande maison pour s’y poser à demeure. Déjà elle y commence son aménagement, quand saisis- sant sur place l'insuffisance du local et le mauvais choix -du lieu, elle reconnaît sa méprise. Par un retour subit elle essaie dans l'hôtel Godeline une prolongation de OUT — provisoire à baïl, lorsque brusquement le maire Jean Cadu jette son dévolu sur la maison des Halles. Il appelle les célébrités du temps, les maîtres Boismery et René Michot et le 22 février 1527 il présente au Conseil de ville assemblé pour cette fin « le portraict et plateforme » dressé par Pierre Boismery. Projets, plans et devis sont accueillis avec empresse- ment et l’Assemblée charge son maire d’en poursuivre l'exécution‘. C’est alors que fort de l’autorisation, celui-ci confie l’entreprise à Pierre Boismery, moyennant un chiffre de sept cent dix livres, somme énorme pour le temps. Boismery ne peut terminer son œuvre; il meurt à la peine au bout de deux ans et laisse sa veuve poursuivre ses travaux. (’est en ce moment, en l'été de 1529, que le Corps de ville vint occuper son hôtel inachevé au milieu même des ouvriers. Maire encore en 1530 et 1531, Jean Cadu achève le gros œuvre, mais il livre les décors et l’ornementation à son successeur Pierre Poyet. Un jeune artiste débutait alors et déjà ses premières œuvres révélaient son génie. Il achevait l’hôlel Pincé, bâtissait l’hôtel des Granges, entreprenait après leur incendie la reconstruction des clochers de Saint-Maurice. Il avait 98 ans, c’était Jean de l’Espine, né en 1505, rue des Filles-Dieu. Jean Marion « commissaire des œuvres et réparations d'Angers ? » l’offrit au Corps de ville pour son successeur. Il le garantit « légal bien savant et expert en telz affaires *, » 1 Péan de la Tuillerie, p. 154. 2 Dict. historique, t. Il, p. 120. 5 Péan de la Tuillerie, p. 354... — 932 — Accueilli sous pareils auspices, le maire Poyet lui commande un portail monumental et toutes les décora- tions accessoires. Roland Lagoux « vitrier, peintre et ymaigier » une autre célébrité du temps, est chargé du décors des salles et de la chapelle‘. Toutes ces splendeurs ont disparu. La restauration de 1684, la destruction de la tour du donjon à l'époque révolutionnaire, l’appropriation nécessitée par les besoins de la Cour d’appel en 1826 et 1840, nous ont livré une transformation qui ne peut nous présenter l’idée de la première construction. C’est à grand’peine si la façade nord, du côté du boulevard des Pommiers peut nous en offrir une grossière et très imparfaite idée. Le Palais de Justice et les Grands Jours de 1529. IL est dans la rue Saint-Michel un vieil et sombre édi- fice qu’attendimpatiemment le marteau de la démolition. C’est notre tribunal de Commerce, avec son annexe, la salle des pas perdus, qui lui sert de vestibule. Construc- tion d’un autre temps, son humble aspect n’en peut faire pardonner l'existence et pourtant il a l’heureuse fortune d’une illustre origine et d’un glorieux passé. Il a été bâti pour les grands jours de 1539 et jusqu’en 1826 il est resté, en notre ville, l'unique sanctuaire de la justice. Il en a vu dérouler toute l’histoire dans ses vicissitudes et ses variétés. Au temps où nous sommes, nous rencontrons son berceau et sa vie liés à celle de la paroisse Saint-Michel 1 Dict. historique, p. 48. — 9233 — du Tertre nous suit en celle de Notre-Dame. C’est à tous les titres qu’il nous appartient. Nous avons vu déjà des tenues de Grands Jours en 1462, pour la proclamation de la coutume d'Anjou, en 1508 pour le réforme de cette même coutume; mais toutes solennelles qu’elles étaient, ces grandes assises avaient un intérêt limité et de circonstance. Aux jours que nous abordons elles en acquièrent un d’impérieuse et générale actualité que les Présidiaux ne rempliront qu'imparfaitement. C’est en effet le Parlement lui-même qui vient chercher ses justiciables dans un temps où la mobilité était si difficile. La raison qui faisait le duc et le comte soumis au Roi de France, faisait relever la Sénéchaussée du Parlement. Pas d’intermédiaire entre ces extrêmes justices, qui pourtant sont appelées à se compléter. Les impérieux besoins qui se produisaient ont motivé seuls l’extrême mesure que nous rencontrons. Louise de Savoie nous donne les Grands Jours de 1516 et 1523, mais alors encore le Parlement délègue seulement l’un de ses con- seillers pour les présider. La Cour, à l'exception de son président composée de sommités locales, est sans expé- rience du droit et de la justice. Bourdigné dans notre Anjou en est le seul historien. Laissez-moi, Messieurs, vous reproduire encore ses ori- ginales et naïves descriptions. « La très illustre et vertueuse princesse Madame Loyse de Savoye ‘, mère du roy et duchesse d'Anjou, désirant par tout le royaulme de France (duquel elle estoit ! Bourdigné, t. IL, p. 316. — 934 — régente) et par espécial ès pays d'Anjou et du Meine, à elle par don de roy appartenans justice être, sans aucunes faveurs ou retardemens indifféremment autant aux petis que aux grans, administrés environ l’an deN.S. 1516 establit en les villes d’Angiers et du Mans certaine juris- diction nommée les Grans jours pour laquelle exercer furent ordonnez quelques conseillers gens lectrez et d’auctorité devant lesquels ressortiroient par appel les causes vuydées ès cours des seneschaulx des dits pays. « Oudit moys d'avril 1523 ‘ (comme Madame la duchesse d'Anjou eust de tout temps grant affection de faire administrer justice en ses pays, terres et seigneu- ries) la vertueuse dame envoya en sa ville d’Angiers, un sien conseiller, homme de très belle faconde, fort docte et és droit, bien lectré, nommé maistre Jehan Brignon, chancellier d’Allençon et premier président de Rouen. Lequel à Angiers arrivé feist assembler les conseillers des Grands jours et feist évoquer tous les prélats et seigneurs du duché d’Anjou et devant eulz en publicque - concion démonstra le grant zèle et affection que Madame avait que bonne et briefve justice lui feust administrée et que à celte cause l’avait envoyé par deçà. Et après qu'il leur eust déclairé la charge de sa légation il se mist en chayère ayant tous les conseillers des Grans jours d'Anjou à l’entour de luy, vestuz de robes d’escarlate avecque leurs chapperons et là deslivra plusieurs causes et matières. Puis fist quelques constitutions et statuz sur l’estat des advocatz et procureurs.» Nos prélats, nos abbés, nos seigneurs de 1516 et 1593, ! Bourdigné, t. Il, p. 336. — 9235 — se voyaient donc improvisés magistrats avec le pouvoir intégral du Parlement. Mais tout sages et tout savants qu’ils fussent, ils ne pouvaient manquer de se trouver impuissants dans les causes difficiles qu’ils rencontraient. Comment s’étonner alors de les voir décliner leur incompétence et renvoyer au Parlement lui-même. C'était pour eux affaire de conscience. | Bourdigné pourtant déplore cette lacune et s’en plaint en ces termes : « Et pensait icelle dame (Louise de Savoie) en ce faisant grandement soulager son peuple, mais en esgard, que l’on appelait encore d’iceulx Grans jours en la Court du Parlement de Paris il me semble que cela ne fesait grant subélévation ni ayde aux plai- doyans mais plustôt prorogation de procès." » On ne voit plus de ces obstacles en 1539, car c’est le Parlement lui-même en corps entier qui vient à Angers, c’est Guillaume Poyet qui nous l'envoie. Gette mesure, toute importante et extraordinaire qu’elle était, n’avait cependant pas pour notre ville un caractère d’unique spécialité. D’autres villes, d’autres capitales de province ont joui dans ces temps du même privilège. Guillaume Poyet, angevin d’origine, venait d’être fait chancelier de France. Il entrait ainsi dans toute sa gloire et notre ville en voulait partager les honneurs. Des fêtes publiques sont célébrées ; un don de 300 livres est offert à Poyet par le Corps de ville; l’évêque Jean Olivier prescrit une procession générale d'action de grâce ?. 1 Annales d'Angers, t. Il, p. 316. 2 Archives municipales, BB 21, fol. 52. — 936 — Tant de sympathies étaient de nature à flatter le nouveau chancelier et à provoquer sa reconnaissance et c’est par une solennelle tenue de Grands Jours qu'il veut nous remercier. Il écrit lui-même pour annoncer ce grand évènement. Il recommande de bien et honorablement traiter Mes- sieurs des Grands Jours « qui vont tenir séance à Angers au moyen qu'il est né et natif de ceste ville et qu’il a promis à Messieurs de la Court qu'ils seraient très bien traictés.. et qu’il est besoing de faire achapter des vins tout d'Orléans, Gascoigne et Verron... parce que Messieurs de la Court plus communément boyvent vins cleretz'. » Le vin n’a pu faire défaut, nos archives nous informent qu’on en fit provision à Nantes”. Le local était plus difficile à rencontrer. Le modeste Prétoire ou le Sénéchal de nos ducs rendait la justice, était aux Halles, perdu dans les boutiques des mar- chands et l’arsenal de la ville. On avait dû, aux précé- dentes tenues de Grands Jours, emprunter une salle de séance aux Cordeliers, dans leur grand réfectoire. Tout -spacieux qu’il était, il n'avait rien d’approprié à une Cour de Justice et surtout la dignité du Parlement exigeait un palais spécial qui ne fit pas trop regretter celui qu’on quittait à Paris. Le problème devenait inso- luble pour notre ville. Les grands espaces manquaient ; on s’en était convaincu dans les tentatives prolongées qu’on avait faites pour y asseoir l'Hôtel de Ville. 1 Archives municipales, BB 21, fol. 85. ? Archives municipales, BB 21, fol. 92. — 937 — Le maire Poyet, le frère du chancelier, était bien celui qui pouvait le mieux surmonter les obstacles. Il réussit à trouver rue Saint-Michel, vis-à-vis l’Aumônerie, un lieu défectueux sans doute à plus d’un titre, mais suffisant pourtant pour y improviser une grande salle de 58 pas de long sur 18 de large; c'était tout le luxe que pouvait comporter ce local, resserré dans une étroite rue; espace, extérieur, servitudes, tout manquait. L’appropriation de ce nouveau palais et l'installation d’un service de Grands Jours en fit bien vite comprendre toute l'insuffisance. Le chancelier Poyet n’avait pas manqué de charger de ces détails l’homme spécial dans la matière, Jacques de Mailly, premier huissier du Parlement. Celui-ci était à Tours quand il en reçut mission; il s'empressa d'écrire au Corps de ville, leur annonca sa visite avant la mi- août et leur donna les instructions les plus minutieuses d'installation : « J’entens ung peu que c’est, leur dit-il, car j’ai esté à tous les Grans jours qui, puis vingt ans ont esté tenus *. « Il est besoing que faciez faire provision de bois de menuisier pour faire construire le parquet des plaidoi- ries en la sorte que celuy de la Court. Si vous avez homme expert en menuiserie qui peut venir à Paris, je le ferai instruire, car s’il a vu le parquet de la Court il sera clerc et après maistre. Il faut, s’il est possible, que le parquet des plaidoiries soit à part, sans rien prendre sur la salle qui doit être fort grande ; car si les procu- 1 Archives municipales, CC 14, Documents, p. 370. — 238 — reurs et advocats n’ont lieu convenable pour conférer avec les parties, ils ne sauraient. bien faire leur beson- gnes. « Le parquet posé on mectra les bancs dessus de l’es- pace grandeur et largeur de celui de la Court. « Aprés fault une ou deux chambres tenant audict parquet pour le Conseil et pour faire les buvettes de Messeigneurs, pour lesquels me ferez faire provision de boys à brüler, gros et menu et de bon et singulier vin cleret pour les dittes buvettes et je feray tout ce payer. € Il faut ung lieu assez près du dict parquet pour faire le greffe civil où on peut aller par icelles à cou- vert sans passer par la salle. Fault une autre petite chambre pour le parquet de Messeigneurs les gens du roy; et adviserons d’avoir aussi lieu pour le Greffe cri- minel et des Présentations. € Il faut pourvoir de XXVIII à XXX maisons pour les logis de Messeigneurs. « Monseigneur le Chancelier veult que les choses soient honorablement en tout faictes. « Messeigneurs, je vous fais longue lettre, dit-il en terminant, mais c’est à ce que de ma part ne demeure rien à faire. Je vous escrips en prévaulté pour l’onneur du roy, de vous et de la bonne compaignie que se y trouvera. Messeigneurs, je prie Notre Seigneur vous donner sa grâce. « Votre serviteur et bon amy, « Jacques de Maiïlly, premier huissier. » * Quoi qu’on püt faire, les espaces manquaient pour les services que nous venons de décrire ; aussi se trouvant 1 — 239 — trop à l’étroit, ces Messieurs du Parlement ne prolon- gèrent pas au delà de huit jours leur session. Dans ce faible espace, outre le règlement des intérêts de l’Université on statua dans le procès de la Ville contre les paroissiens de Saint-Michel du Tertre. Le débat avait pour objet un règlement de mitoyen- neté dans les droits respectifs de voisinage. Les parois- siens de Saint-Michel avaient des prétentions de pre- miers occupants. De temps immémorial leur église couronnait son tertre ; c'était sans rival qu’elle y régnait jusqu’au jour où la ville vint y planter son hôtel. Ce n’était donc pas sans protester que de ce jour elle s’en voyait parlager l’influence. C’est en ce débat qu’avaient à se prononcer les juges des Grands Jours. La grosse originale de sentence rendue n’existe plus; mais au tome Île des Cartulaires de la ville, une fidèle analyse que je reproduirai nous préci- sera le débat et la physionomie des lieux. Grosse d'arrêt contradictoire par Messieurs tenants la Cour des Grands Jours à Angers. « Entre : « Le Corps de ville demandeur, d’une part; les curé, procureurs, marguillers et paroissiens de Saint-Michel du Tertre, défendeurs d'autre part, qui ordonne : « 19 Que les vues qui ont été faites en l'Hôtel de Ville, sur le cimetière de l’église Saint-Michel du Tertre resteront telles qu’elles étaient; « 20 Qui permet au dit Corps de ville d’en faire faire de nouvelles s’il le juge utile et nécessaire pour la déco- ration du dit Hôtel de Ville, soit dans la grande salle, — 240 — soit dans les autres din du dit Hôtel répondant sur le dit cimetière; « 8 Qui permet pareillement aux dits Me du Corps de ville de vuider et baisser les terres du dit cimetière, le long des murs du dit Hôtel et de le réduire à la hauteur et rez-de-chaussée du plancher de la salle haute et des chambres hautes du dit Hôtel et d'y faire faire un canal ou égoût de trois pieds de largeur pour évacuer les eaux descendantes des égoûüts du dit Hôtel, le tout à leurs dépens, à la charge par eux de faire faire un mur pour soutenir les terres du côté du cimetière et de faire enlever les décombrements et vidanges à leurs frais. » Le Palais des Grands us devint aussitôt celui de la Sénéchaussée et du Présidial en 1551 ; c’est à cette date qu’on appela Jean de l’Espine pour le décorer. Marie de Médicis le fit remanier en 1619. L’incendie de 1744, dont il reste encore des traces manifestes à l'extérieur, le détruisit en partie. On recouvrit seule- ment alors la salle des pas-perdus sans la surmonter de son étage d'autrefois. La porte latérale de la rue Saint- . Michel fut à cette date édifiée. Elle porte bien le cachet du milieu du xvre siècle. Bruneau de Tartifume nous décrit ainsi le Présidial de son temps : «On trouve en entrant, nous dit-il, la grande salle de 58 pas de long sur 18 de large. C’est au-dessus que Messieurs du Présidial en 1614 ont fait construire leur salle du Conseil et celle du Crimirel. En 1619, par honneur pour la reine Marie de Médicis, on décora cette salle où mes dits sieurs du Présidial rendent la justice et où se font les plaidoiries. F — 241 — « Au bas de la première grande salle il en existe une autre en laquelle est le siège des juges, lieutenants, assesseurs et conseillers de la Prévôté, qui tiennent séance les mercredi et vendredi. Les mardi et samedi cette même salle est le Tribunal de l'élection ; des traites les lundi et jeudi. » L’ancien Présidial a été, de nos jours, approprié aux divers services du Tribunal et de la Chambre de Com- merce. : La célèbre salle de Grands Jours de 58 pas de long sur 18 de large, a été coupée et divisée, mais elle pour- rait encore être intégralement rétablie. C’est tout l’es- pace coupé de cloisons qui s’étend depuis le Tribunal civil jusqu’au fond de la salle des séances du Tribunal de commerce occupé par la salle des pas perdus, le logement de concierge, la salle des délibérations de juges et l’'Auditoire du Tribunal lui-même. | CHAPITRE X. FORMATION DU PROTESTANTISME A ANGERS. Du jour de la manifeste rébellion de Luther, le 15 juil- let 1520, à celui de la conjuration d’Amboise, premier acte d’insurrection des sectaires en France, 15 mars 1560, il s’est écoulé 40 ans. C’est ce laps de temps qu’il a fallu pour léclosion et la manifestation de l’hérésie , dans notre patrie. La France elle aussi était préparée à ce grand désordre. SOC. D’AG. 16 — 949 — Elle avait, comme l’Allemagne, des chrétiens au cœur vicié, à l’esprit impatient de révolte. Chez elle pareille- ment tout concourait au succès de l'erreur : la poli- tique, les arts, le relâchement des mœurs et surtout la déconsidération de la Papauté, résultat trop naturel du grand schisme. Toutes séduisantes pourtant qu’on les trouvât, les nouveautés d’outre Rhin nous étaient étrangères. Pour leur succès chez nous, il leur fallait des modifications, des appropriations au génie national. Cette transfor- malion, ce travail, fut le rôle de Calvin et de son disciple non moins célèbre, Théodore de Bèze, le continuateur de son œuvre. C’est derrière ces chefs que nous verrons marcher les héritiers du trône français, les grands politiques, les grands seigneurs du temps. C’est ce mou- vement qu’il est curieux de suivre à Angers sur notre paroisse Saint-Michel du Tertre. À la veille toutefois de la grande lutte, il nous faut assister à la formation des partis, faire connaissance avec les héros du drame qui se va dérouler. Dans l’invasion du protestantisme à Angers, on cons- late, comme en toute maladie, trois périodes bien distinctes : l’infusion, l’incubation, l’éclosion. L’infusion, nous l’avons rencontrée sous François de Rohan, dans les années écoulées entre 1520 et 1595. Nous avons entendu ce Pontife nous signaler l'ennemi, constater, dans son clergé, l’imprudent et coupable accueil des nouveautés hérétiques. Nous savons s’il en est ému, s’il a ménagé ses avertissements, ses conseils, — 243 — ses défenses; s’il a reculé même devant l'application des peines canoniques. Ses efforts, nous le savons encore, restèrent vains; ses luttes impuissantes. La rébellion résista, ne désarma pas. Elle se concentra au contraire et se recueillit dans son isolement. L’absorption des doctrines perverses avait besoin de s’opérer. La semence était tombée en sol fertile, mais la fermentation n’en était pas faite. Il lui fallait une période d’incubation qui va se produire dans la fin du règne de François Ier. Elle va se caractériser à Angers, sous lépiscopat de Jean Olivier, 1532 à 1540. Jean Olivier de famille magistrale, avait succédé à François de Rohan. Ses synodes accusent de la vigilance, mais ils dénotent un milieu relativement calme et même homogène. Aussi peut-il braver l'opinion dans la solen- nelle dégradation d’un prêtre coupable. Dans ce temps d’ailleurs, la guerre politique, aussi bien que la grande lutie religieuse, sont loin de nous. Notre cité peut s’absorber librement dans les grandes ‘fondations que nous venons de décrire. Et cependant Calvin s’est révélé. Il a, lui aussi, au nom de la France poussé son audacieux cri de révolte. L’étonnement et la stupeur en sont le premier écho‘. En Allemagne, nous l'avons constaté, le succès de la Réforme fut spontané. Il eut la rapidité de l’incendie dans sa prodigieuse expansion, à tel point qu’en 1530, 1 Calvin était le fils d’un tonnelier de Noyon, notaire fiscal et secrétaire de l’Évêché. Son diocèse avait fait les frais de son éducation et l'avait envoyé aux écoles de Paris, d'Orléans et de Bourges. C’est en cette dernière ville qu’il connut Théodore de Bèze et Vezelay. s — 244 — à la diète d’Augsbourg, Charles-Quint, le plus puissant monarque des temps modernes, se vit brusquement arrêté dans sa compression, forcé même de laisser à lhérésie une existence légale. C’est en effet de ce jour que date l’Église luthérienne ; qu’elle prend rang dans le monde des consciences. Mais Luther était Allemand de génie et de caractère, plus encore que de naissance. La France lui était com- plètement étrangère; il en ignorait la langue et les mœurs. D'ailleurs les luttes sanglantes des deux peuples se prêtaient mal aux propagandes religieuses. Les divagations du rationalisme avaient bien aussi sur notre sol ébranlé des esprits orgueilleux; mais la semence perverse avait peine à germer sur les terres de saint Louis, arrosées du sang de Jeanne d'Arc; il lui fallait un stimulant indigène, un ferment spécial et tout intime. C’est un rival du maître que nous rencontrerons à défaut de disciples. La licence est permise dans la rébellion. Le Patriarche de Genève se croit autorisé dans cette voie, non moins que l’Ecclésiaste de Wittemberg. Que le fils du tonnelier de Noyon nous modifie les doctrines luthériennes ; qu’il les approprie aux idées françaises, au génie de Ja nation; qu’il supprime le libre-arbitre; qu’il nous laisse deux sacrements, le Baptême et la Cène; mais qu’il nous enchaîne par l’au- torité de son Consistoire qui sera son Sacré Collège; par ses grands Synodes auquels il donnera l’autorité des Conciles. Il pourra de la sorte, rivaliser en autorité avec l'infaillible foi romaine. Telles sont en substance les doctrines que, dans un langage français, Calvin formule dans son livre de l’Institution de la Religion chrétienne DS 2 et c’est au roi trés chrétien, à François Ier, qu’il en fait l’audacieux et impudent hommage. Il ne fallait rien moins pour réveiller ce monarque de sa léthargie. Chez lui, comme chez son rival, les questions religieuses étaient secondaires et n'avaient d'importance que dans sa politique; aussi le voyons- nous, dans l'intérêt de sa lutte contre Charles-Quint, s’allier aux luthériens allemands et marier son jeune fils, qui sera son successeur, avec la nièce du pape Clément VII, Catherine de Médicis. Mais ici, dés l’origine, il distingue dans les huguenots français des ennemis de son trône autant que de sa foi. Fils aîné de l’Église, il voit l'intérêt de sa couronne solidaire de la religion romaine et se persuade qu’un roi de France ne peut régner qu’en pays catholique. De tels principes avaient pour rigoureuse conséquence la proscription de Calvin et de ses sectaires, qu’on devait poursuivre et châtier à l’égal des plus grands criminels. Toutefois quelque efficace que pût être une telle répres- sion, il convenait d’en éviter l’odieux en prévenant les défections. L'Église seule avait alors mission de réfuter des erreurs et de formuler une doctrine. Mais le croirait-on? dans la France très chrétienne les saines traditions avaient disparu ; le phare de Rome était obscurci. On ne voyait plus dans les successeurs de saint Pierre que des princes italiens que l’on com-— battait ou que l’on recherchait dans un but qui n’était que politique. Le chef de l'Église avait bien sans doute droit au respect et à Pobéissance des chrétiens, mais on ne lui reconnaissait plus qu’un pouvoir, celui de con- férer des indulgences. cn, Un Concile général régulièrement convoqué pouvait seul enchaîner les consciences. Dans de pareils principes des docteurs de Sorbonne devaient rivaliser de science et d'influence avec toutes les congrégations romaines ‘. Sur l’ordre donc du roi de France, nos docteurs s’as- semblent et formulent en vingt-deux articles le résumé des croyances catholiques; c’est à tous les fidèles chré- tiens qu’ils s'adressent, usurpant l'expression tradition- nelle des Pontifes Romains : « Decanus et Facultas Theologorum Parisiensium omnibus in Christe fidelibus salutem. » Ce Credo sanctionné des Parlements est adressé par le roi à tous les évêques de son royaume pour être lu et commenté dans toutes les chaires catholiques. . Je ne sais si dans les fastes de l’Église il se rencontre une époque plus sombre, un ensemble plus complet de décadence. Vers l’Orient le rempart de Rhodes est ren- versé, le Croissant toujours plus redoutable menace à la fois l’Autriche et l'Italie. L’Allemagne, la Suëde, la Norwège, le Dannemark, l'Angleterre sont la proie de l’hérésie. La France fait de vains efforts pour en con- jurer le fléau. ? Tenetur et quilibet christianus firmiter credere unam esse in terris universalem Ecclesiam visibilem in fide et moribus errare non valentem, cui omnes fideles, in his quæ sunt fideli, et morum obedire astringuntur. Certum est concilium generale legitimè congregatum univer- salem representans Ecclesiam in fidei et morum determinatio- nibus errare non posse. f Nec minus certum unum esse jure divino summum in Ecclesia Christi militante Pontificem cui omnes Christiani parère tenentur qui quidem potestatem habet indulgentias conferendi. _(Synodes diocésains, page 293.) — 947 — Devant pareils désastres et menaces plus grandes encore, le pape Paul III veut réunir un Concile. Il le convoque à Trente; mais le roi très chrétien le dédaigne et Charles-Quint, empereur d'Occident et roi de la catholique Espagne, le disperse. Il semble que les pro- messes divines ont cessé d’avoir leur effet, que l’Église est à la veille d’une dissolution. Rassurons-nous, le frêle esquif, si violemment battu de la tempête, n’est pas sans nautonier. Au fond de la barque agitée, le Christ dort encore; ses disciples vont le réveiller de nouveau et sur son ordre Pierre pourra marcher sur les flots et dominer l’ouragan. Le 15 août 1534, dans la chapelle souterraine de Montmartre, un jeune seigneur espagnol, Ignace de Loyola et six de ses compagnons se font les chevaliers du Pape, les champions de l'Église. Ils jurent à son chef de lui rendre son prestige, sa souveraine autorité. Si demésurément colossale, l'entreprise semble insensée. * Les auteurs prévoient contre eux d’ailleurs l’éternelle rage de leurs adversaires; rien ne les ébranle. Le 27 septembre 1540, Paul II bénit leurs constitutions et le même Concile de Trente ne se clora pas sans assister à l’épanouissement d’un Institut si merveilleusement voué à la restauration de l'Église, à la glorification de la Papauté. Cependant, proscrit de son pays, Calvin n’est pas mieux accueilli en Allemagne. Pendant de longues annéès on le voit errer de ville en ville, de nation en nation. La Suisse enfin, plus accommodante, lui devient hospitalière. Il en profite pour surprendre et dominer la ville de Genève, si bien située pour le succés de son — 248 — œuvre. Genève en effet est alors une ville libre, bâtie sur un sol étranger mais au seuil de la France et enclavée dans la partie centrale de son territoire. De ce rempart, Calvin pourra braver impunément le pouvoir de sa patrie, en incendier les provinces. François Ier d’ailleurs a disparu et Henri II, son fils et son successeur, n’hérite que de ses défauts. Le sceptre, sous ce rêgne, est aux mains d’une courtisane et des étrangers sont les soutiens du trône. C’est alors que, jaloux de ces préférences, les héritiers de la couronne et les ministres du roi défunt saisissent avec empresse- ment, pour colorer leur révolte, l’opportune occasion d’une querelle religieuse. À telle époque et en tel milieu, ces exemples sont soudainement contagieux ; c'est ce qu’on vit par tout le royaume et dans notre particulier ce que nous avons à constater. Jean Olivier disparaît en 1540 et Gabriel Bouvery lui succède sur le siège d'Angers pour POsutS jus- qu’en 15792, l’espace de:32 ans. Gabriel Bouvery était le fils du maire Jean Bouvery et le neveu des frères Poyet. Il arrivait ainsi précédé des illustrations municipales les plus célèbres et se pré- sentait lui-même déjà pourvu en commende de l’abbaye Saint-Nicolas. | Dans la très succinte notice nee qui précède ses synodes, l’auteur caractérise ainsi notre Évêque : « Studiosi ac providi pastoris uon pauca edidit monu- « menta, sed maximè in protegendà diocæsis à novato- « rum infestatione vigilantia ejus ac pastoralis sollici- « tudo enituit. » Cest bien en effet le personnage que nous saisissons. Nous le rencontrons toujours sur la — 249 — brèche, toujours combattant. L’accent de ses plaintes, émotion de ses douleurs sont au diapason des dangers. Dés le début de son Épiscopat, en 1540, détruire les livres luthériens, surveiller les écoles, sont ses recom- mendations incessantes. En 1543 il reçoit le Formulaire ; il en prescrit aussitôt la lecture et le commentaire, insistant d’une façon spé- ciale sur les grands dogmes attaqués : la présence réelle et le culte de la sainte Vierge. Avec les années les inquiétudes grandissent. On en sent surtout le progrès au règne de Henri IT. Les angoisses croissantes ne tardent pas à prendre un carac- tère de gravité qui laisse deviner que la famille sacer- dotale est atteinte. Ïl ne veut plus que, dans les paroisses, on admette à l'autel un prêtre étranger, sans avoir à l’avance reçu sa confession sacramentelle. Il défend à ses curés de porter des armes, de faire du commerce. Il leur prescrit de surveiller les Chaires el de s’assurer ainsi de l’orthodoxie de leurs prêtres auxiliaires. Il veut enfin la liste de tous les hérétiques, notamment des prêtres. Quelques années avaient, en effet, suffi pour couvrir la France des nouveaux sectaires. Ce n’était encore que clandestinement et la nuit qu’on se réunissait, mais on le faisait activement, avec tous les stimulants de la pro- pagande. Il en résultait en ville une agitation sourde, que la Prévôté se voyait impuissante à conjurer. Dans les heures ténébreuses, des rencontres avaient lieu; des luttes s’engageaient dans nos obscurs carrefours; des meurtres et des vols se produisaient dans nos tortueuses — 950 — rues et le défaut de répression glaçait d’épouvante tout le voisinage. C’est pour remédier à pareil désordre que l’avocat du roi provoque le rétablissement du guet de nuit, attendu, dit-il en sa requête « plusieurs meurtres, bapteries, « insidies faicts à toutes personnes, voleries, forces et « agressions et autres semblables folies qui empeschent « le repos et tranquilité par faulie que nous n’avons «aucune force en nostre ville preste pour corriger tels « crimes !. » Cest en ces temps aussi que l’effroi prend Henri Il. Il veut, à l’exemple de Philippe Il d'Espagne, exterminer l’hérésie et comme lui, au moyen de l’Inquisition, con- trairement à l’avis de ses Parlements. Nous n’avons point à nous établir les critiques de la mesure. La question d’ailleurs est jugée en histoire; mais retenant le fait en lui-même, il est intéressant de le saisir en notre ville, sur le territoire même de notre paroisse. Sur l’ordre du roi, tous les centres d’hérésie de son royaume doivent recevoir ces tribunaux. C’est à ce titre que Angers est désigné et nos Archives municipales nous dépeignent ce fameux procès. Notre présidial venait d’être inauguré; il occupait le palais des Grands Jours de 1539 dans la rue Saint- Michel. Mais dans la circonstance on le trouve insuffi- sant. Par devant ses conseillers, au côté de son premier président, sont introduits les lieutenants civils et cri- 1 Archives municipales, BB 27, fol. 36. — 951 — minels de la Sénéchaussée, ayant à leur tête Rémy Ambroys, président du Parlement de Provence, assisté lui-même de Mathieu Ory, inquisiteur général de la foi et de René Vallin, vicaire et official de l’évêque d'Angers. Des letires patentes des 27 avril, 28 mai et 19 juin 1556 règlent toute la matière et donnent au Procureur du Roi la mission de rechercher et introduire devant la cour spéciale tout chrétien suspect dans sa foi. Cest en vertu de ces pouvoirs et de ces instructions, qu’est dressée la liste des inculpés ci-après assignés à comparaître devant les grandes Assises. C’est à savoir : Me François Chacebeuf ; Me Jehan Gentil ; Ung appelé le seigneur Désespoir ; Aultre appellé le sieur de Longueville et des Rouziers ; He Léonard Leroyer, seigneur du Jaulnay; Jeanne de Crespy, sa femme ; Lezin Guiet; Gilles Doysseau, appothicquaire ; Matheline Cupif, sa femme; Guillaume Prieur, orpheuvre ; Thomas de Laillée; Anne Millon, sa femme; Marie Bicle, cousine d’icelle Millon; Jacques d’Escuillard, parchemynier ; Ung nommé le Sire, orphèvre, naguère domorant Angiers rue Baudrière ; Estienne Deherys, marchand drappier ; Michel de Laillée, sergent royal; Guillaume Dupont, mercyer; ‘Jehanne Peju, sa femme ; — 952 — Simonne, chambrière dudit Lezin Guiet ; Jehan Bouju, dict Boictleau, tailleur; Françoise Bordier, femme de Me Jehan Denoucreux, seigneur du Cormier ; Denys Boismort, dict le grant Denys; Pierre Viredoux, appothicquaire ; Jacques Lemeignan; Ung nommé Me Vincent, naguère pédagogue des enfants de Me François Gaultier, seigneur du Rotay; Ung surnommé le Liepvre, naguère demorant au collège de la Porte-de-Fer d’Angiers ; Marcial Guiet ; Jehan de Flottes ; Jehan Yvon, dict Dandrye; Jehan Allain ; La femme de René Belhomme, drappier ; Roberde Sinault, sa chambrière; tous accusés du crime d’hérésie. En telle matière, devant pareil tribunal et surtout devant la perspective si manifeste des plus terribles châtiments, on comprend sans peine qu’on devait par tout moyen éluder la comparution. C’est en effet ce qui se produisit; tous les inculpés disparurent et firent défaut. Mais le jugement ne s’en produisit pas moins avec la plus grande solennité et le 22 août 1556, la sentence suivante fut rendue : « Avons dict et disons : € Que les dicts Mes François Chacebeuf, Jehan Gentil, les dicts appelés le seigneur Désespoir, le sieur de Lon- gueville et des Rouziers, « Sont certains et convaincus d’avoir, en assemblées — 953 — de gens et conventiculles, faictes tant de jour que de nuict ès maisons privées, tant en ceste ville d’Angiers que hors et ès environs d’icelle, presché, dogmatisé et faict certaine forme de prières contre nostre saincte foy et religion chrestienne et catholicque, les saincts sacre- ments, traditions et cérymonies de l’Église chrestienne et catholicque. « Les dits Mes Léonard Leroyer, Jehanne de Crespy, sa femme, Lezin Guiet, Gilles Doysseau, Matheline Cupif sa femme, André Henry et sa femme, Guillaume Prieur, Thomas de Laillée, Anne Millon sa femme, Jacques d’Escuillard d’avoir baillé et presté leurs maisons et chambres pour faire les dites assemblées, priéres et prédications, assisté et adhéré à icelles, mal parlé et blasphémé contre nostre saincte foi et religion chres- tienne. « Les dits Cire, orpheuvre et de Herys, d’avoir invité et convié les autres à se trouver ès dites assemblées et prédications. « Les dits Marie Bicle, cousins du dit Thomas de Laiïllée sa femme, Jehanne Peju, Simonne, servante de Lezin Guiet, Jean Bouju, dit Boyleau, François Bordier et Denis Boismort d’avoir assisté ès dites prédications et assemblées illicites et mal parlé contre les saints sacre- ments, tradicions et cérymonies de nostre saincte foy et religion chrestienne. « Et les dits Pierre Viredoux, Jacques Lemeignon, les nommé Vincent Fleury et surnommé le Liepvre, d’avoir mal parlé contre le sainct sacrement et l'autel et tenu aultres propos scandaleux et héréticques. « Pour réparations desquels cas, crimes et délicts, — 954 — les avons condamnez et condamnons à être ars et bruslés vifs en la place du Marché de ceste ville d’Angiers et déclairons leurs biens acquis et confisquez au Roy. « Et quant aux dits Guillaume Dupont, Jehan de Flottes et Jehan Yvon, dict Daudrye, la femme de René Belhomme et Roberde Sinault, sa chambrière, sont actains et convaincus respectivement d’avoir assisté et adhéré ès dites assemblées et prédications et formes de prières et mal parlé contre nostre saincte foy. « Pour réparacions desquels cas, les avons condamnez et condamnons, assavoir les dits Dupont, de Floties, Guyet et Yvon, à estre penduz et estranglez ès potences qui seront dressées en la place du dict marché public d’Angiers et leurs corps estre ars et bruslés et si déclai- rons leurs biens acquis et confisqués au Roy et que les dites femme et chambrière de René Belhomme abjure- ront en la manière acoustumée toute hérésie pardavant l’évesque d’Angiers et Inquisiteur général de la foy ou leurs viccaires; et ce faict chacune d’icelles ayant en leur mains ung cierge de cire ardant du poix d’une livre un jour de dimanche, à huict heures du matin, assis- teront en une messe de Sainct Sacrement, qui sera dicte en l’église parochiale de Sainct Maurice d’Angiers ; et leur est enjoinct de bien et catholiquement vivre sur peine du feu. « Et quant au dict Jehan Allain, disons qu’il est acteint et convaincu d’avoir mal parlé contre nostre saincte foy et religion chrestienne ; pour reparacion de quoy le condamnons à faire amande honorable, teste et piedz nudz et en chemise, tenant en ses mains une torche de cire ardante, du poix de deux livres et estre 2 — 955 — mené des prisons royaulx d’Angiers à jour de dimanche yssue de la grant messe et aller estant à genoulx demander pardon à Dieu, au roy et à justice de ce que dessus et de abjurer toute hérésie en la manière susdite, lui enjoignant bien et catholicquement vivre sur peine du feu et l'avons bany et banissons du royaulme pour deux ans. « Et pour ce que les dits condamnez sont absens et fugitifs, ordonnons que ce présent jugement sèra exécuté par figure et est inhibé et deffendu à toutes personnes de quelque estat, quallité et condition qu’ils soient, de menacer, injurier, baptre, oultraiger par eulx, ne par aultre, ceux qui ont porté ou porteront témoignage, faict et feront desclarations ou poursuite contre les charges d’hérésie, ne user d’aulcune vengence directe- ment ou indirectement en leurs personnes, ne en leurs biens, sur peine de la harde et autre arbitraire. « Et sera la présente sentense de jugement, leue par les lieux et carrefourgs de ceste ville d’Angiers et publiée en l'auditoire de ceste dite ville, l’audiance du siège Présidial tenant et enrégistrée au Greffe criminel. « Fait à Angiers par nous, Remy Ambroys, conseiller du Roy, président en sa court du Parlement de Pro- vence et par les dessus dits commissaires depputé en ceste partie, le 22e jour d’août 1556. » Les condamnés étaient en fuite, ainsi que le constate la sentence. Les peines alors ne purent être subies qu’en figure. L'effet moral qu’on poursuivait en fut nul ou plutôt ne fit qu’exciter et exaspérer les hérétiques qui n'hésitérent pas même à braver le pouvoir, en instituant ouvertement et publiquement un prêche à la porte — 956 — même de la ville, à Cassenove, aujourd’hui la caserne de l’Académie. D’Andelot vint lui-même présider ce prêche et l’inaugurer. L'effet en fut grave et sous l'impression de ses résul- tats, notre évêque, au Synode de la Pentecôte 1558, ne peut retenir ce cri d'alarme : « Cum ad civitatem et « diocæsim nostros ab hæresum inundatione, quæ pra- « vorum hominum studiis jam plus nimis invaluerunt « repurgardas, schismataque tollenda, et lupos pro boni « pastoris officio ab ovili dominico abigendos; tum mores «€ pravos extirpandos, ac manifestos abusus semavendos, « hæc quæ sequuntur statuimus.. » Il prescrit alors la tenue sévère de ses prêtres et leur scrupuleuse résidence. Dans la prédication, il veut la lutte, le combat (vehemens et acer). | Il recommande l'assistance aux offices paroissiaux et aux processions, puis il revient avec insistance sur la présence réelle, ce culte vital de tout catholique. Tous ces efforts ne peuvent conjurer les défections de son clergé. La première fut des plus significatives et des plus pénibles pour le cœur d’un évêque. Nous nous rappelons la fondation du collège d’Anjou et le nom de son premier principal Philippe Lancelot. C’est ce grand éducateur de la jeunesse angevine, investi de la con- fiance des familles, de l’Université et de son évêque, qui le premier, devient le propagateur de l’hérésie. Ce fait seul nous est indiqué sans autre commentaire. Vient ensuite Jean Rabec, profès Cordelier, originaire de Vire en Normandie. Il est le premier que nous ren- contrions à faire une manifeste propagande dans nos pays. C’est à Lausanne qu’il était allé s'inspirer des — 957 — préceptes du maître et il en revenait chargé d’une mis- sion. Nous le trouvons à Châteaugontier en 1555. Arrêté dans cette ville en flagrant délit de prédications héré- tiques et traduit au tribunal de l’Officialité, il y fut con- damné à la dégradation et livré ensuite au bras séculier pour être brûlé vif. « L’exécution, nous dit Grandet, se fit au Pilori et par avance on eut soin, sur le bûcher même, de lui percer la langue d’un fer rouge. » Pierre Rousseau, prêtre séculier, coupable du même crime, subit le même sort. Le prieur des Augustins d'Angers, Jean de l’Espine, était à Châteaugontier quand Rabec fut arrêté. On le chargea de préparer à la mort le prêtre apostat et de tenter sa conversion, mais le contraire se produisit : Rabec triompha de son antagoniste et lui fit accepter ses croyances. Ce ne fut pourtant qu’à quelques années de distance, après le colloque de Poissy, que de l’Espine se démasqua en société de Despina, l’un de ses religieux, originaire de Daon, près Châteaugontier. Ces deux personnages furent précédés dans la voie du schisme par l’un de leurs confrères, un autre moine Augustin du couvent d'Angers, appelé Charles du Ris, dit Salvert, connu surtout sous ce dernier nom. La fougue de son caractère et son audace lui ont fait à Angers, dans nos diverses insurrections, une vraie célébrité. Dès 1559, il est chargé par le Consistoire de Tours d’aller fonder au Mans une église calviniste. Ces perverses figures ne sont pas sans compensations. Nos grandes familles municipales et judiciaires restent invariablement catholiques. Quatre d’entre elles, essen- ticllement paroissiales de Saint-Michel du Tertre, se SOC. D’AG. 17 — 9258 — distinguent entre toutes : ce sont les Louet, Les Lasnier, les Lesrat, les Ayrault. Déjà nous avons rencontré les deux premières; ül nous reste à faire connaissance avec les deux dernières. Les Lesrat de Lancreau habitaient l'hôtel de Lancreau, qui deviendra l’Oratoire. Le chef de cette famille, Guil- laume Lesrat, arrivait de Rome où il avait été fait audi- teur de Rote et docteur en droit, quand en 1548 il fut nommé lieutenant général de la Sénéchaussée et maire d'Angers dans les années 1546 et 1547. En 1551, le roi Henri IT faisait à la ville d'Angers sa royale visite. Il entrait en grande pompe, nous dit Grandet, par la porte Saint-ilichel, et c’est en témoi- gnage d'affection et de bienvenue qu’il nous gratifiait du Présidial. Lesrat fut jugé digne d’en être l’organisateur et le premier président avec 36 conseillers sous ses ordres. Un procureur et deux avocats du roi formaient le ministère public. Les mêmes magistrats siégeaient en outre à la Sénéchaussée, qui pourtant conserva son lieu- tenant général, assisté lui-même d’un lieutenant civil et d’un lieutenant criminel. Le Présidial avait sous sa juridiction, les Sénéchaussées d'Angers, de Saumur, de Baugé, de Beaufort et de Richelieu, en Touraine. Dans les temps orageux que nous allons traverser, les fonctions de président d’un tribunal supérieur vont devenir difficiles, nous ne tarderons pas à le constater, mais nous trouverons toujours le président Lesrat à la hauteur de sa charge. La famille Ayrault habitait la rue du Cornet, prés la nouvelle porte Boisnet, dans le voisinage des Boylesve et des Gohin de Montreuil. Le premier du nom que nous rencontrons fut René — 259 — Ayrault, maire en 1556. Il avait au bas de sa maison le cours d’eau qu’on appelait canal Boisnet, qui baignait le boulevard Saint-Serge et se prolongeait jusqu’au pont des Treilles, entre la rue Valdemaine et la prairie des Luisettes. En amont un lit direct et perpendiculaire l’'unissait vers la Haute-Chaîne au grand bras de la Maine. Obstrué souvent dans les basses eaux d’été, il devenait fangeux et laissait dégager des miasmes délé- tères. René Ayrault le fit curer et creuser dans toute la partie qui baignait les murs de la ville. Puis il fit pra- tiquer un large et profond canal, protégé de quais avec mur en glacis, qui devint accessible aux plus grands bateaux, depuis la Haute-Chaîne jusqu’au boulevard Saint-Serge. Ce fut le port Ayrault, du nom de son fondateur. Cette création répondait alors au plus impérieux besoin du commerce naissant. Il fit vite oublier l’ancien port Ligny et devint jusqu’en 1850 l’unique entrepôt des grandes affaires de la cité. C’est de nos jours seule- ment que le quai des Luisettes lui fut substitué et per- mit d'en remplacer le cours par un vaste remblais qui nous a donné le boulevard Ayrault. - Un autre Ayrault, parent sans doute de notre maire, était alors curé de Saint-Michel du Tertre. Le nom de Michel Ayrault figure à notre premier registre de bap- ièmes. Michel Ayrault doit être aussi le constructeur du presbytère bâti à l'extrémité du cimetière, dans le voi- si nage de Hôtel-de-Ville. Ce presbytère n'existait pas éncore en 1539, quand fut rendu l'arrêt des Grands Jours. L. RONDEAU. RAPPORT SUR LES Travaux de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts d'Angers PENDANT L'ANNÉE 1879 Présenté par M. HERVÉ-BAZIN, Secrétaire général, à la séance du 6 décembre 1879. Messieurs, Au moment de parcourir une nouvelle étape, il vous paraîtra peut-être utile de reporter un instant vos regards sur la route que nous avons déjà parcourue; nous n’en aurons que plus de courage et plus d’ardeur pour aborder l’année qui va commencer. IL y a bientôt dix mois, Messieurs, que la Société d'agriculture, sciences et aïts d'Angers a pris un nouvel aspect, et que sa réorganisation, ou plutôt, comme nous le disait M. le Dr Grille, que sa transfusion s’est opérée. À la fin de janvier 1879 plus de vingt membres nou- veaux venaient prendre place en cette enceinte. Qui de vous ne se rappelle en quels termes émus M. le Dr La- chèse transmettait: ses pouvoirs à son successeur, s — 261 — Mg Sauvé? Mais c’est à bon droit que notre nou- veau président déclarait que M. le Dr Lachèse avait sauvé la Société d'agriculture, scences et arts, en la maintenant dans les jours difficiles, et en lui faisant traverser, sans périr, de longs jours d’épreuves.- Les applaudissements unanimes des anciens et des nou- veaux membres témoignaient de leur adhésion à ce juste témoignage : oui, la persévérante énergie de M. le Dr Lachèse a sauvé notre Société, et nous espé- rons qu’en sa qualité de président honoraire, il la verra longtemps encore poursuivre une brillante carrière. Il est de principe, Messieurs, en économie politique, que la division du travail développe la production : si ce principe est fondé, nous devrons en recueillir de grands fruits, car la division des travaux a été le pre- mier objet de nos délibérations. La Société s’est par- tagée en six sections, dont je rappelle rapidement la composition d’origine : 40 La section d'Histoire et d'Archéologie, comprenant MM. Godard-Faultrier père et fils, d’Espinay, de Farcy, Faugeron, le commandant Pinoteau, l'abbé Gardais, etc.; 20 La section de Droit et d'Économie sociale, avec MM. Bourcier, Gavouyère, de Richecour, Lucas, Périn, Hervé-Bazin ; 3° La section des Belles-Lettres, avec MM. l'abbé Su- bileau, le Dr Grille, l'abbé Pasquier, Faligan, Léon Cosnier; 4o La section des Beaux-Arts, avec MM. Pavie, La- chèse, André Joubert, Loir-Mongazon et Bricard; 50 La section des Sciences, avec MM. Tarnier, l’abbé Bourquart, l’abbé Ravain, Hermite, Maisonneuve, etc.; __ 962 — 6° La section d'Agriculture, enfin, qui était alors formée. par MM. Le Guay, de Mieulle, de Falloux, Gueyraud, Thibault, l'abbé Hy, Paul Fairé. Ce n’est pas tout : un comité de rédaction et de pu- blication était constitué sous la présidence de Mgr de Kernaëret et de M. l’abbé Pasquier pour statuer sur l'admission et sur l’impression des ouvrages lus dans nos séances mensuelles. Ce comité va bientôt entrer en fonctions, pour la composition du prochain bulletin : à nous, Messieurs, de lui donner beaucoup de travail. Cest aussi à cette première séance que vous avez placé à la tête de la Société, à côté de Mgr Sauvé, deux anciens membres, MM. Pavie et d’'Espinay, et trois nouveaux, M# Maricourt, et MM. Gavouyère et Tar- nier, comme vice-présidents. Presque aussitôt des candidatures se sont produites, et la Société a ouvert avec la plus grande joie ses rangs pour y recevoir MM. l’abbé Pessard, vicaire général, l'abbé Grimault, l’abbé Goupil, l’abbé Dedouvres, Ba- raudon, conseiller à la Cour, Hélot, de Bagneaux, et plus tard, MM. Eug. Lelong, de Capol, etc.; à l’una- nimité aussi, ce jour-là, M. Jac, premier président de notre Cour d'appel, fut élu président d'honneur. Mais il ne suffit pas de s’organiser, il faut agir, et la Société reconstituée se mit à l’œuvre. Une curieuse découverte était faite à cette époque sur la place du Ralliement. Les ouvriers déblayant cette partie de notre ville, mettaient à jour, au milieu des tombeaux de nos aïeux, une mosaïque bien con- servée, et quelques débris de vieux murs. Pareille dé- couverte ne pouvait échapper à l'attention de notre — 263 — Société; elle appartenait de droit, en quelque sorte, à nos savants collègues, MM. Godard et d’'Espinay; aussi tous les jours les voyait-on se mêler aux ouvriers, tra- verser les déblais boueux, descendre dans l’enceinte réservée, et là, discuter vivement avec les archéologues des autres sociétés savantes d'Angers. Tous ne furent point d'accord : il y eut au moins trois opinions émises. Que représentaient ces vieux murs? de quel siècle étaient-ils? quel peuple les avait construits? Chacun donna son avis personnel, mais on s’entendit pour demander la conservation sur les lieux mêmes de ce qu’on appela les Édicules de la place du Ralliement. Dans votre séance du 4 mars, Messieurs, vous étiez ap- pelés à émettre votre avis sur ces graves questions. M. le Président vous a donné connaissance d’une lettre de M. le Ministre des Beaux-Arts qui soumettait la demande de vos archéologues au Comité des travaux historiques, et nous avons écouté avec le plus vif inté- * rêt les communications de M. Godard, dont la compé- tence et, nous pouvons le dire en rappelant de longs travaux couronnés du plus grand succès, dont l’expé- rience ne pouvaient être mises en défaut. M. Godard fit passer sous nos yeux les plans, coupes et élévations des édicules, les dessins d’amphores, de lampes, de bra- celets et d’agrafes mérovingiennes, qui témoignaient de la hauté antiquité de ces monuments. Entraînés par cet intéressant rapport, vous votiez à l’unanimité les fonds demandés par votre section d'archéologie pour la conservation des édicules, et leur transport au musée d'archéologie. C’est grâce à ce crédit que la mosaïque et le baptistère sont aujourd’hui replacés en lieu sûr, à — 964 — la salle Saint-Jean, sous la garde de notre cher col- lègue, M. Godard, directeur du musée. Vous me permettrez de le dire, Messieurs, en cette occasion, la Société a montré une fois de plus qu’elle comprenait sa mission. Non seulement elle a payé sa dette envers le Conseil général qui, chaque année, nous donne une allocation, mais de plus elle a enrichi les musées de notre ville, et le savant rapport de M. Go- dard, lu à la réunion générale des sociétés savantes à Paris, a été couvert d’applaudissements. Cest le même jour, Messieurs, que vous entendiez la lecture du beau travail de M. Gavouyère , sur une des hautes questions qui touchent à la fois au droit, à la morale et à l’économie politique, la Liberté de tester. En quelques instants, vous avez abordé le rôle social du père de famille, les fondements du droit de propriété, son application, même après la mort, aux biens légués; puis notre collègue nous a entraînés sur le terrain des législations positives, et, comparant le droit romain à notre Code civil, il en a fait ressortir les rapports et les contrastes avant de présenter ses conclusions. Une discussion intéressante s’est engagée après cette lecture entre M. Gavouyère, Msr Sauvé, Msr de Ker- naëret et M. d’'Espinay. M. d’Espinay préfère à toute so- lution, en matière de testament et de partage, la solution du moyen âge. Même en droit, notre vice-président est archéologue! Vous avez applaudi, Messieurs, ce savant travail qui faisait prévoir, déjà, les vigoureuses consultations que chacun de nous a pu lire cette année dans les journaux, et qui ont vengé tant de droits méconnus. — 9265 — Notre intelligence a besoin de varier les objets de son application. Il faut qu’elle passe du grave au doux, pour éviter la fatigue. C’est ce que Beaumarchais ap- pelait changer les tiroirs; quand il avait longtemps médité sur ses spéculations d'outre-mer, il fermait ce tiroir et en ouvrait un autre où s’agitait le célèbre Barbier que nous connaissons. La Société d’agriculture procède de même : elle varie ses travaux, et elle oublie un instant les édicules pour applaudir aux efforts de M. Éliacin Lachèse qui, au nom de la science et du goût, proteste contre cet odieux chevrotement qui en- vahit nos conservatoires de musique et menace de faire disparaître la bonne et franche école des Duprez et des Nourrit. Enfin, Messieurs, nous montons sans effort au Parnasse, et la muse de M. le Dr Grille nous tient sous le charme pendant de trop courts instants. Surrexit a mortuis! Le docteur chante la résurrection de la Société d'agriculture, sciences et arts! Vous applau- dissez avec gaieté. Si quelqu'un, caché derrière la porte, écoutait le poète sans le connaître, il s’écrierait à coup sûr : quel aimable jeune homme! et nous qui le con- naissons, nous redisons toujours : quel aimable doc- teur! puisse-t-il rester bien longtemps encore, bien longtemps au milieu de nous! Voilà comment, Messieurs, vous avez occupé votre première soirée; mais si je continuais à retracer ainsi la physionomie de toutes celles qui ont suivi, je crois qu’il me faudrait plusieurs séances, et nous avons tant de questions à traiter ce soir que je veux me hâter d'arriver à la fin. En avril, nous avons perdu un de nos plus jeunes — 9266 — et de nos plus chers collègues, M. l’abbé Léon Bel- langer, qui n'avait pas encore paru au milieu de nous, mais qui nous promettait tant de travaux sérieux et charmants. Vous vous rappelez, Messieurs, de quelle _touchante façon M. l’abbé Pasquier a bien voulu nous le faire connaître en nous lisant quelques-unes de ses douces poésies. Nous espérons que M. Pasquier fera plus encore et qu’il publiera un recueil des œuvres et des pensées de notre regretté collègue. Puis, M. L. Rondeau a repris ses lectures sur l’His- toire de la paroisse Saint-Michel-du-Tertre. Infatigable chercheur, M. Rondeau a fouillé les archives de la Préfecture, de la Mairie, il est bravement monté dans les greniers de l’Hôtel de Ville où il trouve de précieux papiers couverts de la plus vieille poussière! avec tous ces documents originaux, M. Rondeau rebâtit son cher quartier Notre-Dame. Mais Notre-Dame, pour lui, c'est Saint-Michel-du-Tertre ; la rue Saint-Michel est toujours la rue de la Loï. Il revoit et il nous fait revoir en imagination nos vieux murs, l’antique porte à pont-levis, la paroisse détruite, les remparts et les douves et tout ce vieil Angers qu’il connaît si bien, avec ses agitations intérieures et ses touchants mystères. Ne nous plaignons pas, Messieurs, de cette passion pour le moyen âge : en nous retraçant les faits et gestes de nos pères, M. Rondeau n’a d’éloges que pour les honnêtes gens; il flagelle sans pitié l’astuce et la violence, et ce travail, qu’il appelle trop modestement l'Histoire de la paroisse Saint-Michel-du-Tertre restera comme une des meilleures études sur la vieille cité d'Anjou. Si M. Rondeau nous transporte en plein moyen âge, — 267 — M. Léon Cosnier nous ramène à la fin du siècle dernier et fait revivre devant nous la plus originale figure que l'on puisse voir. Nous serions tentés de nous écrier, si nous n'avions encore certains types à la pensée : «Il n’y a plus de Rosalie Barbot; c’est une espèce perduel » Mais non, tant que la religion catholique vivra parmi nous — et elle y vivra toujours — nous reverrons ces physionomies de filles chrétiennes, vieillissant sans s’en apercevoir, variant tous les dix ans la couleur de leurs papillottes, passant ainsi du noir de jais au blanc le plus respectable, et répandant autour d’elles les trésors inépuisables de la charité. Que M. Cosnier veuille bien fouiller encore sa mémoire, bien certaine- ment il y retrouvera quelque nouvelle figure digne de paraître sur nos registres à côté de Mlle Rosalie Barbot! Mais voici que la Société d’agriculture s’est vue en- traînée, dans le mois d’avril, vers de nouveaux travaux. La section d’agriculture se mit à son tour à l’œuvre, sous l’impulsion de M. Gueyraud, dont la Société déplore aujourd’hui la perte. Un mouvement protectioniste se développait alors en France. Sous le coup d’une mauvaise récolte, et sur- tout de l'introduction sur nos marchés intérieurs des céréales et des bestiaux d'Amérique, nos Comices agri- coles, nos Sociétés d'agriculture, nos sénateurs et nos députés s'étaient émus : une vaste enquête était ou- verte, un appel était fait à tous les hommes compé- tents; votre bureau reçut invitation de délibérer sur ce grave sujet et d'envoyer son avis aux Chambres. La section d'agriculture se réunit le 9 avril, et elle eut le plaisir de voir un des hommes assurément les plus — 9268 — compétents en cette matière, M. le comte de Falloux, prendre part à sa délibération. Il est inutile de vous redire, Messieurs, tous les arguments qui furent invo- qués dans cette réunion : l’idée première de M. Guey- raud qui était de faire signer une protestation contre les traités de 1860 aux agriculteurs angevins, fut aban- donnée, et vous avez approuvé, dans votre séance du 6 mai, le projet de pétition qui a été adressé directe- ment à la Commission du tarif des douanes. Vous avez pu constater aussi la science et la compétence person- nelle de M. Gueyraud, lorsqu'il vous a lu, dans la séance de juillet, son remarquable rapport sur l’agri- culture en Anjou, et qu’il a fait passer sous vos yeux la belle carte que vous retrouverez dans nos mémoires. Qu’il soit assuré que nos hommages le suivent dans sa chère retraite, et que les membres de la Société d’agri- culture n’oublieront jamais la large part qu’il a prise à nos travaux. C’est dans cette même séance du 6 mai, Messieurs, que vous avez entendu la lecture du travail de M. La- chèse sur les Souvenirs de Saint-Georges. Hélas! votre secrétaire général, manquant à tous ses devoirs, était absent ce jour-là. Mais le procès-verbal de M. Fairé et les récits du lendemain m’ont appris que j'avais beau- coup perdu. Je jure, mais un peu tard, qu’on ne m'y prendra plus! Une intéressante communication nous fut faite à la séance du 3 juin. Notre bibliothécaire, M. Maisonneuve, nous a donné quelques détails sur la prétendue décou- verte, par M. de Saporta, d’une fougère fossile dans le schiste ardoisier de Trélazé. Prendre le Pirée pour un — 969 — homme n’est rien à côté d’une pareille erreur! La fou- gère de M. de Saporta n’est qu'une trace à demi- effacée de petits animaux qui traversaient le schiste en ious sens avant qu’il ne füt durci. C’est ce qu’a dé- montré, dans une savante étude, notre collègue, M. Hermite, et cette démonstration offrait d'autant plus d'intérêt que les partisans du transformisme tiraient déjà des conclusions formidables de la découverte de Trélazé : « Voyez, disaient-ils en nous montrant une image, voyez la première forme de la fougère! quel chemin elle a fait depuis lors! » M. Maisonneuve nous a promis de nous tenir au courant de cette intéres- sante discussion; nous lui rappellerons bientôt cette promesse. Encore quelques mots, Messieurs, et j'aurai fini : _ d’ailleurs vous venez d’entendre la lecture du procès- verbal de la séance de juillet. Elle a été, il faut le dire, une des plus intéressantes de l’année. L'engagement a été vifentre les partisans de la perfectibilité des espèces animales et leurs adversaires. Vous avez encore à la mémoire les exemples frappants qu’ont produits tour à tour le savant doyen de la faculté des sciences et son collègue, M. Maisonneuve, ainsi que les réfutations de M. l’abbé Bourquart, défendant son travail sur l’abus des termes d'intelligence et de moralité appliqués aux animaux. Mais ce n’a été qu’un engagement, une fusillade d’avant-postes; la grande bataille se Livrera plus tard. L'année ne pouvait se terminer sur une discus- sion si grave. Voici que M. le Dr Grille étouffe, sous les doux sons de sa lyre, les arguments philosophiques, et > 970 — cette agréable surprise à terminé, comme il convenait, la première période de nos travaux. Il me reste à vous faire connaître la démission d’un de nos collègues, M. de Bagneaux; mais devons-nous nous en plaindre? Le jeune novice de la Compagnie de Jésus nous écrit qu’il se rappellera toujours le charme de nos réunions et que, du fond du cœur, il restera toujours des nôtres. Si cette retraite volontaire est une perte pour notre Société, c’est un tel profit pour l’Église que votre Secrétaire reste sans voix pour mur- murer. À l’œuvre maintenant, Messieurs; sortons compléte- ment de la période de réorganisation et entrons fran- chement dans celle de l’activité. Varions nos lectures et nos travaux; que chaque président de section provoque de nouvelles études. Votre bureau ne sera content que si les ordres du jour sont de plus en plus chargés. En appliquant nos efforts à des recherches spéciales sur Angers et sur l’Anjou, n'oublions pas que nous nous sommes proposé de nous tenir mutuellement au cou- rant du mouvement scientifique qui est si prononcé de nos jours. Nous avons tous les éléments nécessaires pour satisfaire à ce large programme, mais il faut les employer : en un mot, Messieurs, rendons-nous utiles, et que la nouvelle Académie soit digne de l’ancienne. PROCÉS-VERBAUX DES SÉANCES SÉANCE DU 3 FÉVRIER 1879. La séance est ouverte à huit heures du soir sous la présidence de M. le D’ Lachèse. M. d’Espinay donne lecture du procès-verbal de la précédente séance. Le procès-verbal est adopté. M. À. Lachèse, rappelant les votes émis par la Société d'agriculture, sciences et arts dans ses précédentes réunions du mois de janvier, invite Mgr Sauvé, recteur de l’Université catholique, à prendre la présidence, et MM. les Membres du bureau, nouvellement constitué, à venir occuper leurs places. Mgr Sauvé remercie la Société d’agriculture, tant en son nom personnel qu'au nom de l’Université catho- lique. Il rappelle tout ce que la Société doit à son an- cien président, M. A. Lachése, dont le dévouement et les longs services ne s’oublieront pas de sitôt. Il déclare qu’il fera tous ses efforts pour que la Société, dont la direction lui est confiée, reste à la hauteur de son passé, et il compte, pour lui faciliter sa tâche, sur le concours de tous les membres. M. d’Espinay, vice-président, remercie Mer Sauvé des sentiments qu’il vient de manifester, et il croit être sûr que l’Université catholique et la Société d’agricul- — 972 — ture, sciences et arts, vivront désormais comme elles ont vécu dans le passé, c’est-à-dire en parfaite union. L'ordre du jour appelle les admissions et présenta- tions de candidats. Tous les membres présentés à la précédente séance, MM. l'abbé Pessard, l'abbé Grimault, Mongazon, l'abbé Hy, l'abbé Goupil, l'abbé Dedouvres, sont admis à l’unanimité. M. d’Espinay et M. le Dr Grille présentent les candi- datures de MM. Baraudon, conseiller à la Cour et Hélot, ancien notaire. MM. d’Espinay et Hervé- Bazin présentent MM. de Bagneaux, avocat, le Dr Bricard, Paul Fairé, Bennchet, Périn et Lucas, professeurs à l’Université. M. Jac, premier président de la Cour d’appel, est nommé, à l’unanimité, président d'honneur. M: Hervé-Bazin est élu secretaire général au lieu et place de M. Affichard, non acceptant. Lecture est donnée de l’ordre et de la division des sections. Après une discussion à laquelle prennent part MM. Gavouyère, d’Espinay, l'abbé Bourquart et Mgr de Kernaëret, la Société décide qu’il y aura une section spéciale pour le droit et les sciences sociales. La Société est définitivement organisée de la sorte, en attendant de nouvelles adhésions : PRÉSIDENTS D'HONNEUR. Mer Freppel, évêque d'Angers. MM. Chevreul. le comte de Falloux. Jac. MM. Mgr MM. MM. MM. Soc. — 9783 — PRÉSIDENTS HONORAIRES Sorin. A. Lachèse. BUREAU. Sauvé, président. Victor Pavie, vice-président. l'abbé Maricourt, id. d’Espinay, id. Tarnier, id. Gavouyère, id. Hervé-Bazin, secrétaire-général. L. Rondeau, trésorier. Maisonneuve, bibliothécaire-archiviste. SECTIONS. 19 HISTOIRE ET ARCHÉOLOGIE. Godard-Faultrier, président honoraire. d'Espinay, président. l'abbé Gardais. de Farcy. Faugeron. 30 DROIT ET SCIENCES SOCIALES. le président Bourcier, président honoraire, Gavouyère, président. de Richecour. Périn. Lucas. D’AG. 18 MM. MM. MM. — 974 — 30 BELLES-LETTRES. l'abbé Subileau, président. le Dr Grille, vice-président. l’abbé Pasquier. Faligan. Bricard. © 40 BEAUX-ARTS. le vicomte de Ruillé, président honoraire. V. Pavie, président. E. Lachése. A. Joubert. Ern. Bricard. Loir-Mongazon. 5° SCIENCES. Tarnier. l'abbé Bourquart. l'abbé Ravain. Bennchet. Hermite. 6° AGRICULTURE. MM. le baron Le Guay, président honoraire. de Mieulle. id. Gueyraud, président. Thibault. l'abbé Hy. Paul Fairé. — 975 — COMITÉ DE RÉDACTION. Mgr de Kernaëret, président. MM. l’abbé Pasquier, vice-président. le Dr Grille. Lucas. Hermite. L. Cosnier. La Société décide ensuite que son jour de réunion sera fixé au premier mardi de chaque mois. La séance est levée à neuf heures. Le Secrétaire général, HERVÉ-BAZIN. SÉANCE DU 4 MARS 1879. La séance est ouverte à huit heures sous la présidence de Msr Sauvé. Le Secrétaire donne lecture du procès-verbal de la précédente séance qui est adopté. Les candidats présentés à la séance de février, MM. Baraudon, conseiller à la Cour, Hélot, ancien no- taire, de Bagneaux, avocat, E. Bricard, docteur en médecine, Paul Fairé, avocat, Périn et Lucas, pro- fesseurs à l’Université catholique, sont admis à l’una- nimité. M. l’abbé Pasquier et M. le Président présentent la candidature de M. le vicomte Charles des Cars. — 976 — M. d’Espinay et M. Hervé-Bazin présentent celle de M. Eug. Lelong, avocat. | M. d’Espinay, vice-président, rappelle à la Société que le Congrès annuel des Sociétés savantes doit avoir lieu dans la seconde quinzaine d’avril. Il propose de nommer immédiatement les délégués qui doivent y assister. Sont nommés : MM. Godard père, Godard fils, l'abbé Hy, l'abbé Bourquart. Remise est faite aux délégués des règlements officiels concernant cette réunion. M. le Président présente à la signature des membres une pétition adressée au Ministre des Beaux-Arts pour la conservation des édifices découverts sur la place du Ralliement. 11 donne également connaissance d’une lettre de M. le Maire d'Angers et d’un procés-verbal du Conseil municipal d'Angers ayant trait à cette ques- tion. La parole est alors donnée à M. Godard-Faultrier, pour la lecture de son travail sur Lés Fouilles de la place du Ralliement à Angers. M. Godard fait connaître son opinion sur la destina- tion et l’antiquité des édicules et de la mosaïque mis à jour par les travaux exécutés sur la place du Rallie- ment. Il joint à son étude et fait passer sous les yeux de tous les membres les Plans, Coupes, Élévations des édicules; les dessins d’une anse d’amphore avec estam- pille d’un nom de potier romain; d’une lampe en terre cuite et de petits bronzes du bas-empire; d’un bracelet en bronze; d’une agrafe mérovingienne; d’une croix en plomb avec date MIXVII; de carreaux émaillés; d'un reliquaire à deux faces, AGNUS DEI et cruci- fiement. — 977 — M. Godard donne ensuite lecture d’une lettre du Ministre des Beaux-Arts qui déclare renvoyer au Co- mité des travaux historiques la question de savoir s’il y a lieu de conserver sur place les édicules dont il s’agit. En tous cas ces monuments peuvent être transportés au musée historique d'Angers, et pour ce cas, M. Godard demande un crédit de trois cents francs, destiné à payer les frais du transport. L'assemblée vote le crédit à l'unanimité. La parole est ensuite donnée à M. Gavouyère pour la lecture de son travail sur la Liberté de tester. La première partie seule est lue en raison de l’heure avancée. Mgr Sauvé et M. d’Espinay présentent quelques observations au sujet du testament et des substitu— tions; mais la discussion générale est remise aprés la lecture complète, qui aura lieu le premier mardi du mois de mal. M. E. Lachèse lit ensuite une observation musicale sous ce titre : Quantité et qualité. I] fait une vive pein- ture du grand défaut qui envahit nos Conservatoires de musique et qu’on appelle le chevrotement, proteste au nom de la science et du goût. Enfin, M. le Dr Grille a la parole pour lire une pièce de vers intitulée : « La Transfusion ! Surrexit a mor- tuis. » Charmante allégorie, dont le but est de montrer l’ancienne Société d'agriculture, sciences et arts, re- trouvant un nouveau sang et une nouvelle vie, grâce au concours des nouveaux membres qu’elle compte. M. Maisonneuve, bibliothécaire, demande un crédit de deux cents francs pour l’aménagement et la con- — 978 — servation des ouvrages. Le crédit est voté à l’unani- mité. La séance est levée à neuf heures et demie. Le Secrétaire général, HERVÉ-BAZIN. SÉANCE DU 2 AVRIL 1879. La séance est ouverte à huit heures sous la prési- dence de M. Victor Pavie, vice-président. - Le Secrétaire donne lecture du procès-verbal de la précédente séance. Ce procès-verbal est adopté. MM. Ch. des Cars et Lelong, présentés à la dernière séance par MM. l’abbé Pasquier et d’ Root sont admis en qualité de membres titulaires. M. Gueyraud, président du Comité d’agriculture, expose que la Société a reçu plusieurs bulletins agri- coles des Sociétés de province, contenant invitation pressante de nous joindre au mouvement qui s'opère en faveur des intérêts de l’agriculture française menacés par les lois de 1860. Après avoir fait connaître quel- ques-uns de ces bulletins, notamment celui de la Société d'agriculture de Reims, M. Gueyraud demande que la question soit renvoyée au Comité d'agriculture qui la discutera et prendra une décision. Cette motion est vivement appuyée et adoptée à l'unanimité. Le Comité se réunira le mardi, 9 avril, à deux heures, au siège de la Société. — 979 — M. Léon Cosnier donne ensuite lecture d’une notice biographique sur Mle Rosalie Barbot. La première partie seule est lue; la fin est renvoyée à la séance du mois de mal. M. Louis Rondeau continue la lecture de son travail sur la paroisse de Saint-Michel-du-Tertre. Enfin, M. l'abbé Pasquier veut bien nous lire quel- ques charmantes poésies de notre regretté collègue, M. l'abbé Léon Bellanger. Ces poésies sont encadrées dans une notice qui en fait ressortir tout le charme. M. le Président remercie M. Pasquier, et exprime tous les regrets que la Société éprouve de la perte de ce jeune prêtre qui eût été l’un de ses membres les plus labo- rieux et les plus distingués. La séance est levée à neuf heures et demie. Le Secrétaire général, HERVÉ-BAzIN. Section d'Agriculture. SÉANCE DU 9 AVRIL 1879. La séance est ouverte à deux heures dix minutes sous la présidence de M. Gueyraud, président. Étaient présents : MM. Gueyraud, président de la section, d’Espinay, comte de Falloux, A. Lachèse, Godard-Faultrier, Godard fils, E. Lachèse, Cosnier, le Dr Grille, Hervé-Bazin et P. Fairé, secrétaire. — 9280 — M. le Président expose quel est le but de la réunion. À propos du renouvellement des traités de commerce, la question se pose entre les systèmes de la protection et du libre-échange. En matière agricole, l’arrivée, sur nos marchés, de quantités considérables de céréales et de bestiaux en provenance des nouveaux continents, a déterminé un abaissement général des cours et des prix qui menacent de n’être plus rémunérateurs. Il est temps d'apporter un remède à cette situation qui va s’aggravant chaque jour. Les Sociétés d’agriculture, les Comices agricoles, ont fait entendre de vives protestations. Le Comice agricole de Reims, notamment, fait appel à tous les Comices de France et adresse aux deux Chambres une pétition ten- dant à ce que les laines étrangères soient frappées, à leur entrée, d’un droit de 10 ch; à ce que, pour les blés, il soit fait application du système de l’échelle mo- bile. M. le Président, après avoir donné lecture de ces deux documents, rappelle la demande faite tout récem- ment auprès de M. le Ministre de l’agriculture et du commerce, par M. Estancelin, à la tête des délégués de la plupart des Sociétés d'agriculture françaises. M. Godard observe que dans la pétition du Comice agricole de Reims, il n’est pas parlé des bestiaux ; c’est cependant un point d’une grande importance pour les cultivateurs de l’Anjou. M. le Président fait observer, avec raison, qu’il faut pour déterminer la quotité du droit que devront payer les produits étrangers lors de leur importation, re- monter aux principes; que, pour lui, ce chiffre ne sau- — 9281 — rait être inférieur à 20 c/,. Mais qu’il n’est pas admis- sible qu’on prenne un chiffre au hasard, qu’on le fixe soit à D 0, soit à 10 0), comme l’a fait le Comice de Reims. L'assemblée entend avec un vif intérêt l’exposé que fait M. le Président des considérations générales qui l'amènent à conclure : 1° A la suppression de tout traité de commerce, car c’est ainsi que les nations seront mises sur le pied de l'égalité ; 20 A faire supporter aux produits étrangers importés en France des charges égales à celles qui grèvent, de par le budget, la production nationale; 3 À ce que ces charges soient appliquées à tous les produits, sans distinction d’origine agricole ou indus- trielle; sans distinction de classification, matière pre- mière ou produits fabriqués ; 40 À la fixation de ces droits protecteurs à 20 0j; rapport existant entre la somme de nos charges natio- nales, trois milliards, et le chiffre de notre production, seize milliards. M. le comte de Falloux déclare qu’il partage les sen- timents que vient d'exprimer M. le Président; sans doule, la guerre ne se fait pas seulement avec des hommes, elle se fait aussi avec tout ce qui constitue la richesse d’un pays, elle se fait encore et surtout à coups de tarifs. Mais repousser de prime abord tout traité de commerce, n'est-ce pas s’exposer à soulever aussitôt de nombreuses récriminations? Ce qu’on se borne gé- néralement à demander, c’est que les traités de com- merce ne soient pas élaborés dans le cabinet d’un — 9282 — ministre; qu'ils ne soient conclus qu'après avoir été discutés et décidés par les Chambres. Il faut, avant tout, s’efforcer de réussir; les adversaires seront nom- breux, les objections ne leur feront pas défaut; il est donc nécessaire de ménager toutes les susceptibilités, de ne soulever aucun parti pris. La lutte est engagée pour des intérêts sérieux, elle a été suscitée par des souffrances réelles; la pétition de la Société d'agriculture de Maine-et-Loire doit avoir pour but de signaler cette crise et de demander qu'il y soit apporté remède. La production du blé et surtout l’élevage des bes- tiaux sont en souffrance, ce sont les points sur lesquels il est nécessaire d’insister afin d'obtenir de nombreuses signatures des fermiers et des propriétaires que ces questions préoccupent particulièrement. M. le Président répond qu’il lui a semblé utile de se placer à un point de vue général; que d’ailleurs, habi- tant l’Anjou depuis peu de temps encore, il lui était difficile d’insister sur les points qui intéressent spécia- lement cette contrée. Après échange d'observations entre plusieurs membres, le Comité, sur la proposition qui lui en est faite par M. d’Espinay, décide qu’une pétition, spéciale- ment destinée à être présentée à la signature des cul- tivateurs, sera rédigée par M. Gueyraud dans le but d'obtenir des Chambres que les cultures du blé, du chanvre, de la vigne, ainsi que l’élevage des bestiaux soient protégés d’une façon efficace. La séance est levée à trois heures trente-cinq mi- nutes. : Le Secrétaire, P. FAIRÉ. — 983 — SÉANCE DU 6 MAI 1879. La séance est ouverte à huit heures sous la prési- dence de Mgr Sauvé, président. Le procès-verbal de la séance du 2 avril est lu et adopté sans observations. M. le Président donne lecture d’une lettre de M. le Préfet annonçant qu’une somme de 500 fr. est, comme les années précédentes, inscrite au budget départe- mental, exercice 1879, à titre de subvention à la Société d'agriculture, sciences et arts. M. le Secrétaire général de la préfecture prend le soin, fort inutilement d’ailleurs, d'expliquer que cette somme ne pourra recevoir une affectation autre que celle en vue de laquelle elle a été inscrite au budget départemental. M. le Dr Grille communique à l’Assemblée une lettre de M. Godard-Faultrier relative à la lecture de son travail sur les fouilles de la place du Ralliement, lec- ture faite à la Sorbonne par M. du Sommerard, à la réunion du 16 avril. M. Maisonneuve fait part du désir que lui a exprimé M. de Capol, ingénieur, de faire partie de la Société. MM. l'abbé Ravain et Gueyraud sont chargés d’entrer en rapport avec M. de Capol et de le présenter à la prochaine réunion. Lecture est donnée du procès-verbal de la séance de la section d'agriculture du 9 avril 14879. Ce procès- verbal est adopté sans rectification. En l'absence de M. Gueyraud, retenu chez lui par suite d’une indisposition, M. le Secrétaire donne lee- — 984 — ture du projet de pétition destiné à être adressé à MM. les Sénateurs et à MM. les Députés. L'assemblée approuve ce projet de pétition; mais après une discussion à laquelle prennent part plusieurs membres, et sur les observations de MM. d'Espinay et E. Lachèse, il est décidé que la pétition sera faite au nom de la Société d’agriculture, sciences et arts qui, ayant été reconnue d’utilité publique, doit faire en- tendre sa voix en tant que société. M. Gavouyère donne lecture de la fin de son intéres- sante étude sur la Liberté de tester. La lecture de la fin de la notice biographique sur Mie Rosalie Barbot est, sur la demande de l’auteur, renvoyée à la prochaine séance. La parole est donnée à M. L. Rondeau qui soumet à la réunion la fin de ses Recherches sur les mystères d'Angers au XIIR siècle. M. E. Lachèse donne enfin lecture d’un travail fort intéressant, ayant pour titre : Souvenirs de Saint- Georges. La séance est levée à dix heures vingt minutes. Le Secrétaire, P. FAïRé. SÉANCE DU 1er JUILLET 1879. La séance est ouverte à huit heures sous la prési- dence de Mer Sauvé. Après quelques communicalions verbales faites par M. d’Espinay, la parole est donnée à M. l’abbé Bour- éd - — 285 — quart, professeur à la Faculté des lettres, pour la lec- ture de son rapport sur l’Abus des termes d’intel- ligence et de moralité appliqués aux animaux par un grand nombre de savants modernes. La discussion s’ouvre ensuite sur ce rapport. Mgr de Kernaëret, approuvant d’ailleurs les conclusions de M. Bourquart, croit que la plupart des savants qui ont parlé de lintelhigence et de la moralité des animaux ne se sont pas rendu compte de la portée philosophique des expressions qu’ils employaient. Ils usent encore d’un autre mot, celui d'imagination qui, scientifique- ment parlant, est tout aussi inexact que les deux autres. M. Tarnier, doyen de la Faculté des sciences, déclare toutefois qu'on ne peut nier l'intelligence remarquable de certains animaux, et il cite quelques exemples cu- rieux tels que l'instinct politique du caniche ne vou- lant pas accepter le journal qui ne défendait pas les opinions de son maître ! Il remarque aussi qu'il y a certainement des degrés dans l'intelligence des ani- maux, et il est frappé de ce fait que seuls les chiens caniches résolvent certains problèmes et donnent des signes d'une capacité d’intellect qu’on ne retrouve pas dans les autres espèces. M. Maisonneuve, à l’appui de ces observations, déclare que la perfecübilité des individus, parmi les espèces animales, ne peut être niée, seulement cette perfecti- bilité n’est pas transmissible à la race. Il distingue d’ailleurs plusieurs señs du mot intelligence, et déclare que le mot est reçu par la science moderne. Msr de Kernaëret déplore que la notion de l’intelli- — 986 — gence, faculté d’abstraire , ait été ainsi altérée. Les mots n’ont plus leur sens philosophique, et c’est pour- quoi l’on en fait des applications erronées. M. l’abbé Bourquart défend son travail et déclare que la définition de l'intelligence est séculaire et qu’il est fâcheux qu'on ne l’ait pas maintenue. Aprés plusieurs autres observations sur ce même sujet, la parole est donnée à M. Gueyraud, sur le mou- vememt de nos importations et de nos exportations. I] soumet à la Société une carte extrêmement soignée qui permet de suivre facilement les oscillations de la pro- duction et de la consommation économique depuis 1820 jusqu'aux traités de 1860, d’abord, et de 1860 à 1877 ensuite. | La séance est levée à neuf heures et demie. Le Secrétaire général, HERVÉ-BAZIN. SÉANCE DU 6 DÉCEMBRE 1879. La séance est ouverte à huit heures sous la prési- dence de Mgr de Kernaëret. Le Secrétaire général explique pourquoi la séance n’a pu avoir lieu au jour fixé par le règlement. Lecture est faite du procés-verbal de la précédente séance, Ce procès-verbal est adopté. M. Rondeau et Mgr de Kernaëret présentent la can- didature de M. le Curé de Notre-Dame. M. le Secrétaire fait l’énumération des ouvrages, — 987 — revues et journaux reçus par la Société depuis sa der- nière séance. Îl cite notamment les Mémorres de la Société nationale d'agriculture, V Annual report de la Sociélé smithsonienne, les Mémoires de l Académie de Toulouse, de la Drôme, de Grenoble, de Caen, avec études de droit criminel comparé, de la Marne, de Seine-et-Oise, d'Orléans, de Mulhouse, de la Rochelle, du Havre, de Pau, de l'Isère, de la Seine-Inférieure, de Reims, de Dijon, etc., les deux derniers numéros de la Romania, le Journal des Savants, avec les récents travaux de MM. Caro, Franck, Chevreul, Giraud et Boissier, le Bulletin de la Société protectrice des ani- maux, et tous nos journaux d'agriculture. Un de nos plus anciens membres, M. Lebreton, âgé de quatre-vingt-sept ans, nous envoie sa démission, en déclarant qu’il regrette que son grand âge ne lui per- mette plus de se joindre à nous. Lecture est donnée de la correspondance et notam- ment d’une lettre des directeurs de la Revue du Maine, demandant à faire échange de bulletins avec notre Société. M. Rondeau, trésorier, donne ensuite lecture de son rapport sur l’état de nos recettes et de nos dépenses et sur le projet de budget pour l’annés 1880. Les recettes présumées seront, en 1880, de 3,450 fr. 81, et les dépenses, calculées suivant celles de 1879, seront à peu près de 1,400 fr., soit un solde probable de 2,050 fr., dont la Société pourra disposer, soit pour augmenter ses publications, soit pour tout autre emploi qu’elle jugera convenable. Des remerciements sont votés à M. Rondeau qui a — 288 — bien voulu s'occuper de l’installation de l’éclairage au gaz et faire les démarches nécessaires pour recueillir et solder nos dépenses. Le projet d'organisation d’une séance solennelle, sous la présidence de Msr Freppel, est repris et dis- cuté : plusieurs membres émettent l’avis de reculer cette séance jusqu’au mois de mars ou d'avril. Le bu- reau avisera. ; M. le Secrétaire donne ensuite lecture de son rapport sur les travaux de la Société pendant l’année 1879. IL rappelle notre division en sections, la découverte et l'étude des édicules de la place du Ralliement, le crédit de 300 fr., voté par nous sur la demande de M. Godard pour transporter ces monuments au musée Saint-Jean, les lectures archéologiques de M. Godard, le travail de M. Gavouyère sur /a Liberté de tester, ceux de M. La- chèse sur la musique etles Souvenirs de Saint-Georges, les poésies de M. Grille, les études de M. Rondeau, les monographies de M. Cosnier, les délibérations de la section d'agriculture sous la présidence de M. Guey- raud, et le vote d’une pétition aux Chambres, et enfin la communication de M. Maisonneuve sur la prétendue fougère fossile de Trélazé et la lecture de M. Bourquart sur l’abus de certains termes appliqués aux animaux. Le rapport contient mention du départ de M. Gueyraud à qui la Société devait tant d’utiles travaux et de la démission de M. de Bagneaux. L'ordre du jour appelle ensuite l’étude du projet d'organisation d’un salon de lecture, à l’image du Le- severein établi à Bonn et dans plusieurs autres villes allemandes, Le Secrétaire général lit un rapport sur 98) — cette question et rappelle que la plupart des Sociétés savantes ne bornent pas leur action à une réunion mensuelle, qu’elles agissent en dehors de leurs séances, en créant des écoles, des comices, etc., et que leur développement est en raison de celte acti- vité. Il donne quelques notions sur le Leseverein de Bonn et propose, au nom du bureau, de créer un salon de lecture pour offrir aux membres de la Société une quinzaine de grandes revues et les meilleurs ou- vrages paraissant dans le cours d’une année. À la suite de cette lecture, une discussion s'engage entre plusieurs membres, notamment MM. de Riche- cour, Faligan, Lucas, Rondeau, etc. L'assemblée vote ensuite un crédit de 600 fr. qui sera appliqué à la création du salon de lecture. Elle nomme une commission composée des présidents et des secrétaires des sections qui, joints aux membres formant le bureau, auront pour mission d’étudier et de résoudre les difficultés matérielles relatives au local, de s'entendre avec la concierge, de déterminer le choix des revues, etc. Cette commission sera placée sous la présidence de Mg de Kernaëret, en sa qualité de pré- sident du Comité de rédaction. L'assemblée, après discussion, décide que le salon de lecture, devant être exclusivement un salon de travail et un complément de la bibliothèque, ne contiendra pas de journaux. M. Rondeau donne alors lecture de son travail sur la paroisse Saënt-Michel-du-Tertre (suite), comprenant les rêgnes de Charles VIIT et de Louis XIT. Après cette lecture il est procédé au renouvellement SOC. D’AG. 19 — 290 — des pouvoirs du président et des vice-présidents, élus pour un an, aux termes de l’art. 11 du règlement et dont l’élection doit se faire à la séance de décembre, aux termes de l’art. 14, Le bureau est réélu à l’una- nimité. M. de Capol dépose sur le bureau son savant travail sur la culture des chanvres en France. M. le Président le remercie au nom de la Société. La séance est levée à dix heures et demie, Le Secrétaire général, HERVÉ-BA7IN. RS 2 — —— LISTE DES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ. COMPOSITION DU BUREAU. PRÉSIDENTS D'HONNEUR. MM. ME" Freppel, évêque d'Angers. Chevreul, membre de l’Institut. Comte de Falloux, membre de l’Académie française. Jac, premier président de la Cour d'Appel. PRÉSIDENTS HONORAIRES. MM. J. Sorin, inspecteur honoraire d’Académie. Le Dr Ad. Lachèse. BUREAU POUR L'ANNÉE 1880. MM. Mer Sauvé, recteur des Facultés catholiques, président. D’Espinay, conseiller à la Cour; Victor Pavie; Me Maricourt, doyen de la Faculté des Lettres ; Tarnier, doyen de la Faculté des Sciences; Mer de Kernaërét, professeur à la Faculté des lettres, vice-présidents. Hervé-Bazin, professeur à la Faculté de Droit, secrétaire général. Le Dr Maisonneuve, professeur à la Faculté des Sciences, archi- wiste-bibliothécaire. Rondeau, trésorier. AREA U NE SUN one MEMBRES HONORAIRES. MM. Son Em. le cardinal Regnier, archevêque de Cambrai. Montrieux, ancien maire d'Angers. Dufaure, membre de l’Académie française. Louvet, ancien ministre. Philippe Bellanger, bâtonnier de l'ordre des avocats d'Angers. Textoris, capitaine en retraite. De Lens, inspecteur honoraire d'académie. MEMBRES TITULAIRES. MM. Affichard, avocat. Auriau Ch., licencié en droit. Baraudon, conseiller à la Cour d’Appel. Bazin (l'abbé), curé de la cathédrale. Bazin René, professeur à la Faculté de Droit. De Beaumont (l’abbé), chanoïne honoraire. Eugène Berger, député. Gabriel Billard, avocat. Bodinier Guillaume. Bordereau, peintre-verrier. Bourgain (l’abbé), professeur à la Faculté des Lettres. Mer Bourquard, professeur à la Faculté des Lettres. Bricard Ernest, docteur en médecine. Bricard Georges, avocat. Brisset (l'abbé), aumônier du Lycée. De Capol, ingénieur civil. Bureau du Colombier, avocat. Cars (vicomte Charles Des). Chapin, notaire. De Chateaux, avocat. Chevallier (l'abbé), curé de Combrée. Choyer (l'abbé), chanoine honoraire. Cosnier Léon. — 993 — Coulon, chef d'institution, à Saumur. Dainville Ernest, architecte du département. Dauge, directeur de l’usine à gaz. Dedouvres (l'abbé), professeur à l’Externat Saint-Maurille. Delahaye (Dominique), manufacturier. Dolbeau, libraire, Duhourcau, docteur en médecine. Faugeron Hector. Fairé Alexandre, avocat. Fairé Paul, avocat. Faligan Ernest. De Farcy (Louis). Flamens, peintre-verrier. Gardais (l’abbé), supérieur de l’Externat Saint-Maurille. Gillet (l’abbé), anmônier à l'hôpital de Beaufort. Giraud, conseiller à la Cour d’appel. Godard-Faultrier, directeur du musée d’antiquités. Godard, fils, docteur en médecine. Goupil (l'abbé), professeur à l'École des hautes études de Saint- Aubin. Grille, docteur-médecin. Grimault (l'abbé), chanoine titulaire de la cathédrale. Guillet (labbé), curé de Noyant. Guay (baron Le), sénateur. Guignard (l'abbé), curé de Notre-Dame. Guinoyseau Joubert, ancien manufacturier. Huault-Dupuy, avocat. Hélot, ancien notaire. Hy (l'abbé), professeur à la faculté des Sciences. Joubert André. Lachèse Éliacin, conseiller honoraire à la Cour d'Appel. Lachèse, Paul, imprimeur. Ledroit, ancien notaire. Lelong, Eugène, avocat. Lemarchand, bibliothécaire en chef de la ville. Lemoine, horticulteur. Lenoir-Maunoir, notaire honoraire. — 99% — Lieutaud, d'en médecine, directeur du Jardin botanique d'Angers. Litter (l'abbé), à l’Internat Saint-Maurice. Loir-Mongazon, professeur à la Faculté des Lettres. Lucas, professeur à la Faculté de Droit. Meauzé, André, directeur d'assurance. Megnen, peintre-verrier. Mérit, curé de Saint-Pierre, à Saumur. De Mieulle (Joseph), conseiller général. Pasquier (l'abbé), professeur à la Faculté des Lettres. Perrin, professeur à la Faculté de Droit. Perrochel (vicomte Fernand de), député. Pessard (l'abbé), vicaire général. Pineau (l'abbé), curé de Saint-Joseph. Port, archiviste du département de Maine-et-Loire. Pinoteau, commandant d'état-major en retraite. Ratouis (Paul), ancien juge de paix à Saumur. Ravain (l'abbé), professeur à la Faculté des Sciences. De Richecour, professeur à la Faculté de Droit. De la Roussardière, avocat. Ruillé (vicomte Ernest de). Semery, avocat. . Subileau (l'abbé), supérieur du petit séminaire d'Angers. [] I PP ENT ES TPE TES LISTE DES SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES. ABBEVILLE. Société d'émulation. Aix. Académie d’Aix. Amiens. Académie. — Société des Antiquaires de Picardie. AnGers. Société académique. — Société d’horticulture. — Société industrielle. AnGourÊme. Société archéologique de la Charente. Arras. Académie d'Arras. AuTun. Société Eduéenne, Auxerre. Société des sciences naturelles et historiques. Bézers. Société archéologique. Borpeaux. Académie. Bosron. American academy of arts and sciences. Bresr. Société académique. Caen. Académie de Caen. — Société d'agriculture et de commerce, CxaLons-sur-MarNe. Société d'agriculture, commerce, sciences et arts. CæaLons-sur-Saone. Société d'histoire et d'archéologie. CaergounG. Société académique. CLERMONT-FERRAND. Académie des sciences, belles-lettres et arts. Dion. Académie. Dovar. Société d’agriculture, sciences et arts. Érinac. Société d'émulation des Vosges. GRENOBLE. Académie Delphinale. LA RocxeLze. Académie. Le Havre. Société havraise d’études diverses. — 996 — Le Mans. Société historique et archéologique. — Société d'agriculture, sciences et arts, Le Puy. Société académique. Lirre, Société des sciences, agriculture et arts. Limoges. Société archéologique et historique du Limousin. Lyon. Académie. — Société d'agriculture, d’histoire naturelle et des arts. MarseiLce. Société de statistique. MonrTauBAN. Société archéologique. MonrreLLier. Société d’horticulture et d’histoire naturelle. Muzxouse. Société industrielle. Mourins. Société d’émulation de l’Allier. Nantes. Société académique. Nevers. Société nivernaise des lettres, sciences et arts. Nice. Société des lettres, sciences et arts. à Nimes. Académie du Gard. Nancy. Société d'archéologie lorraine. OrLÉANS. Société d'agriculture, sciences, lettres et arts. — Société archéologique et historique de l’Orléanais. Paris. Société centrale d'agriculture. — Société centrale d’horticulture. — Institut de France. — Académie des sciences. — Académie des inscriptions et belles-lettres. | — Société philotechnique. Pau. Société des sciences, de littérature et des arts. PERPIGNAN. Société agricole, scientifique et littéraire. PaiLapecpire. Academy of naturel sciences. Porriers. Société des antiquaires de l'Ouest. — Société d'agriculture, sciences et arts. Rerus. Académie de Reims. Rocxerort. Sociélé d'agriculture, belles-lettres , sciences et arts. Rouen. Académie. — Société libre d’émulation, commerce et industrie. SainT-Ériene. Société d'agriculture, industrie, sciences et arts. SAINT-OmER. Société des antiquaires de la Morinie. SAINT-QUENTIN. Société académique. — 297 — Sexzts. Comité archéologique. TouLon. Société académique du Var. TouLouse. Académie des sciences et belles-lettres. — Académie des jeux floraux. Tours. Société d'agriculture, sciences et arts. — Société archéologique. Troyes. Société académique. Vazence. Société d'archéologie et de statistique. VALENCIENNES. Société d'agriculture, sciences et arts. Vannes. Société polymatique du Morbihan. Venpome. Société archéologique du Vendômoïis. Verpun. Société philomatique. VersaILLes. Société des sciences morales, lettres et arts. — Société d'agriculture et des arts. Vesour.. Société d'agriculture, arts et lettres, WasxinGTon. Patent office. = | f} ED AE UNSS RNA" LCA ES MAN 4 Bi TABLE DES MATIÈRES. Souvenirs de Saint-Georges : Les Voitures versées. — Les Plaideurs. — M. E. LAcHÈSE......,.............. se Quantité et qualité, observation musicale. — M. E. LacHÈsE. Effets de la législation sur le commerce des céréales en France, de 1820 à 1878. — M. GUEYRAUD............. Deux journées à Salzbourg. — M. Lom-Moncazon....... La Transfusion (Surrexæit a mortuis) à l’occasion du renou- vellement de la Société d'agriculture, sciences et arts, et de sa fusion avec l’Université. — M. le D GRILLE. ..... Le coin du feu. — M. le Dr R. GRILLE.....,............. Me Rosalie Barbot, souvenirs du vieil Angers, — M. Léon COSNTERE SE Rte ee malice cree eee se Place du Ralliement, à Angers, fouilles de 1878-1879. — M. V. GODARD-FAULTRIER. ........................e. . Saint-Michel-du-Tertre d'Angers (suite). — M. L. RoNDEAU. Rapport sur les travaux de la Société d’agriculture, sciences et arts d'Angers, pendant l’année 1879. — M. Hervé- BAIN ie aie e oc © à RE DREAM DE RE PEN Procès-verbaux des séances : Séance du 3 février 1879....... ANR se AE AE tee © — ROMANS Re nes le Lt ane à DOS — ASAVTLLSS ace eos PEN JÉRAE LUEE — OSAvLI Re. 2 Er ECS PE EE CR ES — GFMals 2er DEL OS RENE EN RRIES ARR Ra RC LES — FER AT APR RES AA ee AR . — GÉdÉCeMDrES AM meet nee Liste des Membres de la Société....................... : Liste des Sociétés correspondantes. ................... . ANGERS, IMPRIMERIE LACHÈSE ET DOLBEAU, Pages. 1 11 17 33 NA + LH à Wu TE a War MAR MENT LE C0 84 A. ruell Hauts DT H. GODARD. PLACE DUNRALLIEMENT 1878 = 79: Gramique Epoque romane etre de npbore avec Vetampille M OIESEN trouvée vers lautuelordellele 30 Névembre 1878 PLACE DURABBIEMENT 1878 79 Céramique, Lampe terre euteM(lane drogue] trouver le Si Janvier 195 7 7 cho 7 dans une de bouche de Wypocute dede pou LATE LHC empire trouve aw dessus de la Mosaïque? Petit bronze, EjS. CONSTANS. PF. AVG. R. GLORIA EXERCITUS. consTaNiporlant la lettre N. Voir Cohen, Tome Vlpage 867 N°184 a... oise 2 al e" ei, Voir PL II Bronke Epoque) Méravinqieune, Charnderee d'agrafe M twuveenle #7 Novembre 1878iven N°0) Peuithronze” Ep di Bus empire trouvé au dessus 4e) là Hosaïque? [2] 74 r. Pelil' bronze, Ep di bas empire \lrouvel lo 25 Nôvenbre) 187 s le 3 Déembre 1878 CONSTANS PF ANG URL GLORIA EXERCITUS, LONSTARTINUS, AVG. A} SARMATIA DEVICTA, Erer PL. Dans le champ ensegnelporlant ln lire N Voir Coben Tome Vpage 267-VEI84 Voir Gen, Tome Vl.p 136 N451 Bracelebrenbronze ‘avte os cubihiO, trouve LS Décembre 1878 vers Nord derriere la puaner elliptorde COMENT TT [un PLOMB: poids Hiogrammes 260 grammes Cou grandeur nalure Irouvee le 2 décembre 18/8ver.ca Les are phageenm ae de Done Lienortentie” (elle (rois repo Sail sons La tête d'un squelette Trails fa lo poredrurstyle LL 1 Aer à aa Ant FDAVE 7,9 PLACE DU RALLIEMENT 1878: Cranique Garrett, fleurndention antenne Louve dans ur diulo ccbyonMlERD Décembre 1878 Me, LEE À et HN ? } , j à à Céramique: carreau vernisse! légérement en: relief. croix’ cantonnee) de fouilles der lierre* cordifèrmezC louve le 86 Décembre 187, ven Lenreer de lo ur Se Hatrille VCHE VIIS DARD, del. = =. per Feuilles de efere vtampérs et bronsées formant religuaire aveca cerlssure primilicement ronde?) à gauche L'Agnus DetsQà droite Jions crucfié aux À ous, Zrouvelte 5 Dérenbre 187 ver \ond Eat, place du Palliemenko. PLAN GÉNÉRAL des Fouilles Sn PE CT PO TPE LRU CT Co TC LTD noRD Z DE KI G0BA4D Place duRalliement , Fouilles 1878-79 1> Mosaïque Romaine | 1 = Piscine elliploide 2 Pise obonque =: Barres 3 oratstes | 4 — Cuvelle externe A : D C- Edicile oclogone— { 2e ss a D= Pails SU Maurille 2 Murs S'Maurille - Fi Cimelière Chrétien CT ; / CG = Mignementde ta rue Condelle côté EST son entrée @ environ RW Védicule Bo — _— 7 He Mirronain PL.IX. PLAN éticule dé basse choque avec es pire Mb fteauste formé de Viaue matériaux d'emprunts elabESun plus anciennes Pontalions hâte dune eee née di ameliere pride On Angers au arrofour de nus deux plus andiques tr cylises Jaune Pirre el Saint eMaurille. IN.siécle & V* 6 6 58 8 E Cle plencbentetrelenneobliqedeta plancher pour intelligent der coupes eh élévalions dételle dernière Var raEe #1 PLACE du RALLIEMENT 1878-79 Coupes ebelévalions d'un eédicule , de basse choque save ds platines cl hypoctuole forme de vieux matériaux onmpranteetblitur plusvanciennes fondations el bal dans enceinte même de Cimetière primitif des Chrétiens durjenetararrefour de noë deux plus antiques ere lives Saint-Pierre, efaint-Maurille, IV VE S: Coupe AB. dMplanche IX = a DT MGovsne dei Coupe et élevation vers, Sud, selon CD} ae ra prancne 1x ème Le , VZ MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ NATIONALE D’ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D'ANGERS) NOUVELLE PÉRIODE _ TOME VINGT-DEUXIÈME. — 1880 LACHÈSE ET DOLBEAU . Chaussée Saint-Pierre. 1881 MÉMOIRES De la Société nationale D’AGRICULTURE, SCIENCES ET ARTS D’ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D'ANGERS) Hat IS MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ NATIONALE D'AGRICULTURE, SCIENCES ET ARTN D’ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D'ANGERS) NOUVELLE PÉRIODE TOME VINGT-DEUXIÈME. — 1880 ANGERS IMPRIMERIE LACHÈSE ET DOLBEAU 13, Chaussée Saint-Pierre. 1881 SOU TELE 4e 9e) HS £ KTRE NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR M. HENRY HERMITE MESSEIGNEURS !, MESSIEURS, Je n’ai pas l'intention de vous faire un discours et je n'en aurais pas le talent. Mon but, en ce moment, est de rendre un hommage public à un ami, en faisant, devant des hommes sympathiques qui l’ont connu, apprécié et aimé, le récit de son existence déjà brillante par les qualités dont il était doué, les vertus qu’il a pratiquées, les travaux qu'il a accomplis, plus riche de promesses encore, et que la divine Providence a jugée suffisamment remplie pour en interrompre le cours. De ce simple exposé résulteront pour nous tous de nombreux enseignements, un puissant encourage- 1 Mer Sauvé, recteur, Me Maricourt, doyen de la Faculté des lettres, Mer Bourquart, professeur de théologie. SOC. D’AG. ji D no 2 ment à faire le bien, un zèle plus grand pour la vertu. Je trouve quelque chose de particulièrement doux dans l’accomplissement de ce devoir que l’amitié m’im- pose. Il y a, en effet, quelque consolation à parler entre amis, de l’ami regretté; on est réellement heureux de se rappeler que l’on a vécu dans un commerce intime avec celui qui avait tous les droits à l’estime et à l’af- fection;, on éprouve une véritable fierté en songeant que le plus bel éloge que l’on puisse faire de lui, est de raconter simplement ce qu’il a été. Ces sentiments, je les ressens avec vivacité au fond de mon âme, et ils ne sont pas sans faire une certaine diversion à la tristesse que me cause le souvenir de notre récent malheur. ; Jean-Ferdinand-Henry Hermite naquit le 7 juillet 1847, sur notre frontière lorraine, à Longwy, de parents sincèrement catholiques. Alliée aux meilleures maisons de Nancy, la famille Hermite jouissait de l’estime et de la considération de tous, que lui méritaient son hono=- rabilité et sa générosité bienfaisante, en même temps que l'intelligence et l’amour du travail qui semblent être héréditaires chez elle, illustraient son nom. Le père de notre collègue, ancien élève de l'École poly- technique, arrivé très jeune au grade de capitaine du génie, donna presque aussitôt sa démission pour des motifs qui font le plus grand honneur à son affectueux dévouement pour sa famille. Loin de passer désormais sa vie dans une oisiveté que ses loisirs et sa grande fortune pouvaient lui permettre, il ne cessa de travailler à de hautes questions scientifiques : physique, géologie, art militaire étaient autant de voies ouvertes à son JE RAA USSR esprit investigateur; et de nombreuses notes adressées à l’Institut témoignent de son activité. Quant à l’oncle de notre ami, M. Ch. Hermite, membre de l’Institut, professeur à la Sorbonne, tout le monde sait qu'il passe à juste titre, pour l’un des premiers algébristes du monde. C’est au milieu d’une telle famille et entourée de semblables exemples, que se passa l’enfance de notre ami. Un malheur immense frappa ses jeunes années; à peine était-il en âge de comprendre le cœur de sa mère que la mort vint la lui ravir. Mais Dieu lui mé- nagea une seconde mère pleine de tendresse et de dévouement, dans la sœur de celle qu’il avait rappelée à lui. Ses premières années de collège se passèrent au Lycée de Nancy; mais soit que la méthode, la direc- tion, le milieu ne fussent pas appropriés à ses facultés, il ne fit pas les progrès rapides que ses parents étaient en droit d'attendre de lui. « C’est une loi, dit Lacordaire, « que toute intelligence humaine doit se former par un « enseignement reçu avec respect d’une intelligence « supérieure. Nul n’est à soi-même, son principe et son initiation ; il faut que le feu de la vérité, vivant « dans un ancêtre spirituel, touche l’âme qui s’ignore « et y allume l’incendie qui ne s’épuisera que dans la « dernière leçon de l’Eternité. Jusque-là, l'intelligence sera comme endormie, ou, si elle s’éveille par l’action « sourde de sa nature, elle n’aura que des lueurs, des « pressentiments. » Mais encore faut-il que le maître ait le don d’exercer sur l'élève une puissante attraction, pour communiquer à sa jeune intelligence l’étincelle 2 = LS PAPERS qui doit allumer le feu intérieur dont parle le grand orateur. Ce furent les jésuites du collège de Saint- Clément, de Metz, auprés desquels il passa ses deux dernières années d’études, qui surent communiquer à son âme le feu sacré de l’amour du travail et des grandes choses. Ces quelques mois pendant lesquels il reçut l’enseignement des Pères, eurent sur toute sa vie la plus grande influence; c’est auprès de ces maîtres vénérés qu’il acquit ou développa cette haute idée du devoir qu’il conservera toujours et pour l’accomplisse- ment duquel il ne connaîtra pas d’obstacle, le vif désir de faire le bien partout, une foi vive que les sollicita- tions de l’âge et le respect humain ne pourront ni ébranler, ni même voiler aux regards des hommes. Aussi, quel souvenir affectueux et reconnaissant n’avait-il pas gardé pour ceux qui avaient si bien su former sa jeunesse ? Quelle n’était pas son indignation, quaud il voyait dans nos feuilles publiques, les violences des révolutionnaires contre ceux qui lui avaient appris à respecter et à aimer tout ce qui est digne de respect. et d'amour? Il vengea de la calomnie ses anciens maîtres en conservant avec eux des relations amicales, et con- sola leur cœur en leur demandant des conseils qu'il suivait toujours avec déférence. Ceux-ci lui rendaient bien, du reste, l'affection qu’il leur témoignait ; ils lui en donnèrent pendant toute sa vie des preuves non dou- teuses et quelques jours encore avant sa mort. D'ailleurs la nature d'H. Hermite était bien faite pour lui concilier la sympathie de ses maîtres; ardent à tout ce qu’il entreprenait, il avait ce courage de la persévérance que rien ne peut arrêter, soit dans les SA EUR TN choses de l’ordre intellectuel, soit dans les exercices physiques. « S’agissait-il du gymnase, m’écrivait der- « nièrement un de ses anciens condisciples, il domptait « toutes les difficultés, sans ‘amais se laisser rebuter ; à « l'escrime, il finissait par lasser ses maîtres; à la « course, 1l ne s’arrêtait que le dernier. » D'un autre côté, intelligence, franchise, droiture, esprit de camaraderie, énergie peu commune, il avait en un mot, toutes les qualités qui savent gagner les cœurs de la jeunesse; aussi se forma-t-il parmi les jeunes gens de son âge quelques amitiés solides, qu'une correspondance suivie entretint dans la suite, et qui résistérent aussi bien à l’éloignement qu'aux vicissi- tudes, car elles reposaient sur le désir arrêté de s’aider à faire le bien et de se soutenir réciproquement au milieu des difficultés et des épreuves qui sont réservées à chaque existence. Il était sorti de Saint-Clément et entré à Saint-Cyr depuis quelques mois, lorsqu'il reçut de l’un de ses amis de collège une lettre accompagnée d’une petite boîte. La lettre disait : « Cette boîte con- « tient une médaille de l’Immaculée Conception atta- « chée à une petite chaîne; garde-la et porte-la en «souvenir d’un vieil ami. Un jour, peut-être, elle te « préservera de bien des dangers, car il y en a de toutes « sortes dans la belle carrière des armes. Je compte « donc que tu ne me refuseras pas de la porter, et de « plus, que tu vas me faire la promesse de la garder « toujours. Ne considère pas le cadeau lui-même, il n’a « pas de valeur, mais songe que c’est quelqu'un qui « Paime sincèrement qui te le fait, car l'amitié seule « peut lui donner du prix. » H. [ermite fut fidèle, et MAT PE la petite médaille était encore sur sa poitrine le matin de sa mort. Quand nous arrivons à cet âge de transition qui sépare l'enfance de la jeunesse, il se pose pour chacun de nous une grave question. Les uns plus prompis n’at- tendent pas à s’être levés des bancs du collège pour la résoudre, et sûrs de leur voie, ils concentrent dés ce moment tous leurs efforts, vers un but qu’ils distinguent clairement. D’autres, au contraire, moins rapides, hésitent pendant quelque temps, tâtonnent pour ainsi dire, comme le marin qui étudie le point sur lequel il doit mettre le cap, pour que le vent fasse gonfler ses voiles. Je ne parle pas de ceux qui se décident péniblement, après avoir passé dans l’oisiveté plusieurs années em- ployées seulement à battre le pavé de nos grandes villes. À ce moment, dis-je, qui varie pour chacun de nous, se pose un problème important, je veux parler du choix d’une carrière. Parmi elles, plusieurs réclament des qualités toutes particulières, à défaut desquelles, celui qui s’y destine manque son but et remplira mal ou incomplètement sa mission ; je vous citerai entre autres la médecine, le métier des armes, la marine et par dessus tout l’état ecclésiastique. C’est au seuil de ces carrières qu’il importe de se connaître soi-même, de savoir ce dont nous sommes capables et ce qui est au- dessus de nos forces, de songer, en un mot, au précepte du poête : quid valeant humeri, quid ferre recusent. Ce sont réellement ces carrières qui exigent à proprement parler une vocation, c’est-à-dire que nous ne devons y entrer que si nous y sommes entraînés par toutes nos aptitudes, tant physiques que morales, que si nous del RENTRER nous y sentons appelés par Dieu même, comme l’indique le mot de vocation, car il ne peut nous vouloir que dans un état qui convient à l’organisation qu’il nous a donnée. C’est qu’en effet, ces carrières de choix de- mandent une nature plus portée à se dévouer pour ses semblables, un esprit plus complet d’abnégation de ses goûts et de ses désirs, une âme qui accepte facilement l’idée du sacrifice, fût-ce même jusqu’à la mort. La nature ardente et généreuse d’'H. Hermite était bien faite pour l’incliner vers l’une de ces voies. Il entra à Saint-Clément avec l'intention de se préparer à l'École navale; son énergie, son sang-froid, sa force physique, son agilité semblaient lui promettre dans la périlleuse carrière de la marine, un brillant avenir. Malheureusement, il atteignait la limite d’âge alors qu’il n’avait que quelques mois de préparation; maisne voulant se présenter qu’à coup sûr et redoutant un échec qui n'aurait pu être réparé, il tourna ses vues vers Saint- Cyr. Une carrière où il faut faire preuve de dévoue- ment, où il ya des difficultés à surmonter, des risques à courir, des dangers à braver, voilà ce qui le tente. Bientôt, même, cela ne suffit plus à son âme ardente et portée au sacrifice, Une idée fixe l’obsède, le poursuit sans cesse ; il veut offrir à Dieu tout ce qu’il a reçu de lui, fortune, jeunesse, aptitudes physiques, qualités morales ; il veut dire adieu au monde qui s'offre à lui plein de promesses, pour se revêtir de la robe du prêtre et se consacrer au soulagement des misères humaines. Pour soumettre sa vocation à l'épreuve du temps, sa famille lui demande de continuer à se préparer au con- HQE cours de l’École militaire. Il obéit et arrive dans un bon rang à Saint-Cyr en 1865. Ce qu'il avait été chez les Jésuites de Saint-Clément, il le sera dans le nouveau milieu où il va vivre pendant deux années. Il s’y montrera l’homme du dévoir, le chrétien pieux, le bon camarade que nous connaissons déjà. « À son arrivée à Saint-Cyr, m’écrivait dernière- « ment un de ses compagnons d'armes, les brimades « florissaient encore. Jamais il ne prononça une plainte, .« malgré la fougue de son tempérament, tant qu’elles « ne s’attaquérent pas à sa liberté de conscience ; mais « sur ce sujet, il fut intraitable et il préféra les vexations « de chaque jour à la satisfaction qu’il eût pu donner, « par une parole coupable, à ceux qui, ne comprenant € pas la grandeur de sa foi, atiribuaient cette résis- « tance à un caractère difficile qu’ils se donnaient pour « mission de briser. Vains efforts! Hermite lutta jus- « qu’au dernier jour et sortit vainqueur du combat. » Sa piété semblait en effet grandir avec les obstacles qu’il trouvait à la satisfaire. À cette époque, l'esprit anti-religieux ou indifférent de la masse des élèves ne permettait pas que l’on s’acquittât ouvertement de ses devoirs envers Dieu ; et c'était par des moyens détour- nés que quelques jeunes gens pouvaient entrer en rela- tion avec l’aumônier. H. Hermite non seulement fut de ceux-là, mais encore il entraîna plusieurs de ses cama- rades qui, abandonnés à eux-mêmes, eussent sans doute suivi le courant contraire, Un de ses anciens maîtres de Saint-Clément sait que, pendant tout le temps qu’il a passé à Saint-Cyr, il avait dans sa poche Lo DS DES une petite imitation de Jésus-Christ, dont plusieurs fois par jour il lisait un verset. « Une imitation dans un pantalon rouge, sur un jeune homme de dix-neuf ans ! » s’écrie avec une admiration bien justifiée, celui de qui je tiens ce détail. Un jour, pendant une étape, H. Her- mite était alors au 33e régiment de ligne, la même per- sonne le rencontre et lui demande où en était sa dévotion envers la sainte Vierge. Pour toute réponse, le jeune officier tira de sa poche son chapelet bien lui- sant, bien usé. Au milieu de la vie active de Saint-Cyr, il était tou- jours poursuivi par l’idée d'entrer au noviciat des Jésuites, et à certaines époques il se renouvelait à lui- même la promesse de persévérer dans ce dessein. Les prières pressantes de sa famille le décidèrent à achever ses deux années d’École, avant de mettre son projet à exécution. Enfin le voilà sorti de Saint-Cyr et libre désormais de suivre la voix de Dieu. Il part pour Saint-Acheul et y fait une retraite de plusieurs jours, pour étudier défi- nitivement sa vocation et prendre un parti décisif. Quel ne fut pas l’étonnement de sa famille et de ses amis, quand au bout de ce temps passé dans la retraite, il revint près de ses parents et leur dit simplement qu’il ferait son devoir dans la vie ordinaire. Que s’était-il donc passé? Quelle fut la raison de ce changement inattendu ? Le voici : dans l'intervalle, la mère de ses deux jeunes frères était tombée gravement malade, et d’un autre côté, son père, dévoré d'inquiétude, voyait sa propre santé s’altérer tous les jours. H. Hermite se vit alors chargé dans un avenir peut-être prochain, de AIT la responsabilité de ses jeunes frères, et, songeant qu’il pouvait être appelé à leur servir dé père, il sacrifia les chères idées qu’il caressait depuis plusieurs années, pour remplir les nouvelles obligations qui paraissaient devoir lui être imposées. Ne trouvez-vous pas qu’il y a là une grande et noble aclion, un sacrifice encore plus méritoire que celui qu’il voulait faire à Dieu en se consacrant entièrement à son service ? Aprés une telle conduite, ne nous est-il pas permis de lui appliquer cette parole de Lacordaire sur Ozanam qui avait eu, lui aussi, les mêmes désirs de vocation religieuse, sans avoir pu les satisfaire : « Dieu « voulut en lui un cœur de prêtre dans une vie d'homme « du siècle? » Sorti de Saint-Cyr en qualité de sous-lieutenant, H. Hermite fut envoyé au 33e régiment de ligne en garnison à Strasbourg et un peu plus tard à Arras. Il est dans la vie de garnison plus d’un danger dont la cause principale se trouve dans l’oisiveté. Pendant les trois années où il y fut exposé, notre ami évita heureu- sement cet écueil. Ses remarquables qualités militaires et son ardeur au travail le firent bientôt distinguer de ses chefs qui le nommèrent Directeur des écoles du régiment, Dans cette ingrate et difficile mission de l'instruction des sous-officiers, il déploya l’ardeur qu’il mettait à tout ce qu'il entreprenait ; et de l’avis de tous, m'a dit un de ses anciens compagnons d’armes, il obtint des résultats auxquels n’était arrivé aucun de ses pré- décesseurs. Mais cela ne lui suffit pas; sa vie ne lui paraît pas assez occupée, aussi, mettant à profitles conseils d’un de RO à Dre ses anciens maîtres de Saint-Clément, qui l’engageait à toujours aller de l’avant, d’avoir constamment des visées élevées, il se met à étudier le Droit, dont la con- naissance est souvent précieuse à un officier et peut aider à l'avancement ; il avait déjà pris plusieurs ins- criptions à la Faculté de Nancy, quand la guerre éclata. Vers cette époque aussi, il eut comme la révélation de la science qui devait être plus tard son unique passion et au service de laquelle, hélas ! il a succombé. Voici comment un de ses amis raconte cet événement : « Un « jour, il trouve par hasard un livre de géologie, science « dont il n’avait aucune notion. Il parcourt la première « page par curiosité, devient attentif à la seconde, « trouve la troisième pleine d’intérêt, et, voulant aus- « sitôt constater de visu les révélations qu’il vient d’en- « trevoir, il prend un marteau, et parcourant les envi- « rons d'Arras, son livre à la main, il contracte le germe « de cette passion qui ne l’abandonnera plus... Il « consacre tous ses moments de loisirs à cette étude « nouvelle qui, à chaque instant, lui arrache des trans- « ports d’admiration. » Au milieu des occupations multiples qu'il sut se créer pendant les loisirs que lui laissait la vie de gar- nison, il conserva ses habitudes de Saint-Clément et de Saint-Cyr qui lui avaient été d’un secours si efficace pour suivre, sans jamais l’abandonner, la ligne du devoir. Mais la modestie n’était pas la moindre de ses vertus et malgré sa grande énergie, il ne laissait pas que d’avoir une grande défiance de lui-même. À l’un de ses amis qui lui propose de passer les jours gras à Paris: « Je déteste, répond-il, et j’abhorre Paris, pour une Eu € infinité de raisons que vous connaissez. c’est de la « prudence, et j'ai appris à me défier de moi-même. « Veuillez donc m’excuser, mon cher ami. » En même temps, il se conciliait l’estime et l’affection de ses camarades de régiment, par son caractère ser- viable et son égalité d'humeur. D’un autre côté, ses sous-officiers comme ses soldats éprouvérent souvent les effets de sa bonté, car sa bourse aussi bien que son cœur étaient toujours largement ouverts aux uns et aux autres. « Mon lieutenant, lui écrivait un jour un sous- « officier, votre bonté bien connue de tout le monde, « m'engage à vous demander un service d'argent... « Quelle que soit votre décision, je vous prie de ne pas « me croire un débauché dont la guérison est impos- « sible..….. car je vous jure que je paierai mes dettes et «romprai avec les camarades qui m’ont entraîné qe « ce gouffre. » On pressent d’après cette lettre la double nature des services qu’il rendait à ceux qui s’adressaient à sa géné- rosité. Les principes qui dirigeaient sa conduite étaient connus et respectés, et lui méritaient une influence heureuse sur ceux qui l’approchaïient. Enfin éclata la funeste guerre entre la France et l'Allemagne pendant laquelle il prit part à plusieurs combats qui eurent lieu dans les environs de Metz, et notamment aux batailles de Saint-Privat et de Noisse- ville, mais sans rencontrer l’occasion de se signaler, et fut nommé lieutenant au mois d’août de la même année. Ce spectacle cruel de deux armées se heurtant et se massacrant sans pitié, lui parut révoltant; et tout en faisant son devoir sans faiblesse, jamais il n'aurait Et consenti à tuer un ennemi sans nécessité. Une nuit, il est envoyé en reconnaissance ; il approche assez des lignes ennemies pour avoir à portée de son revolver un soldat prussien ; il ajuste avec sang-froïd, puis abaisse son arme. La reconnaissance pour laquelle il avait été commandé était faite, sa mission était remplie; il se dispose à rentrer au camp, lorsque le bruit de sa retraite attire l’attention du soldat et une balle siffle à ses oreilles, mais ne l’atteint pas. Quand on lui demandait pourquoi il n'avait pas pressé la détente et fait mouche sur le Prussien, lui dont le tir était si sûr, il répondait sim- plement qu’il n'avait vu aucune utilité à tuer ce soldat, et qu'il trouvait un réél plaisir à ménager une exis- tence humaine. Ce qui excitait vivement sa pitié et son admiration, c'était de voir, au soir d’une bataille, deux soldats blessés, l’un, français, l’autre, allemand, se soutenir et se prêter un mutuel appui, en oubliant les implacables exigences de la politique, pour ne se souvenir que d’une chose, qu’ils étaient tous deux des créatures du bon Dieu. Lors de la reddition de Metz, H. Hermite fut fait pri- sonnier et envoyé dans une ville du Hanovre, à Hil- desheim. Obéissant à cette activité qui lui était natu relle, il cherche à se créer, dans cette résidence forcée, d’utiles occupations, et mettant à profit son séjour en Allemagne, il se livre à l’étude de la langue de nos vainqueurs. « Je ne m'amuse pas précisement à Hil- « desheim, écrit-il, je n'ai qu’une étude, l'allemand ; « je voudrais me livrer à quelque autre travail intellec- « tuel, mais c’est impossible; point de livres français, Re 0 « quelques romans, le rebut de notre littérature. Ah ! « mes chers livres, que n’êtes-vous là? au moins vous « me feriez prendre patience. » Son esprit observateur trouve à exercer sa verve sur le caractère allemand, si différent du nôtre. Ils’ amuse et plaisante agréablement des ridicules du peuple dont les hasards de la guerre le contraignent à accepter l’hos- pitalité. «Je préférerais être, écrit-il, chezles Samoyèdes, « et condamné à manger le caviar et boire l’huile de foie « de morue, plutôt que de rester éternellement avec les « naturels de ce pays. Ils connaissent toutefois le gaz, « le bitume, les pianos; ils ont des coiffeurs qui ont « pris des leçons à Paris, etc.; mais ce qu’a dit de « Maistre, pour les Russes, trouve ailleurs son applica- « tion : Grattez le Russe, vous trouverez le cosaque. » Et dans une autre lettre: « Quant aux lits, ils sont d’une « antique simplicité ; imaginez-vous une serviette placée «sur un matelas, on se couche sur la dite serviette et « on met sur soi un immense édredon. Si l’on parle aux « naturels des lits français, ils sourient dédaigneuse- « ment et vous répondent : Luxus! Et dire que ces « gens qui ne savent pas ce que c’est qu'un bon lit, « qu’un dîner, qu’un bon cigare, nous traitent de sau- « vages ! » Disons cependant qu'il trouva auprès d’une honorable famille d'Hildesheim des soins affectueux dont il fut touché; il est vrai que le fils de la maison était lui- même en France et avait reçu, pendant une grave ma- ladie, les secours empressés du grand-père de notre ami. Parfois un certain découragement s'empare de lui, et son énergie devient presque impuissante à l'y sous- PRE L'RE traire. Interné dans un pays ennemi, désolé de voir la France vaincue, n'ayant que de rares nouvelles de ce qui s’y passait, éloigné de sa famille et de ses amis, pouvant à peine communiquer avec eux et leur écrire ce * qu’il pense, car les lettres où il est question de politique ou de critique à l’égard de la Prusse, sont infailliblement arrêtées et n’arrivent jamais à destination : « Ah ! j'ai bien changé, écrit-il à sa mère, j'ai tant vu depuis six mois « de bassesses, de lâchetés, d’égoïsme, d’ambitions, de « sottises, de cruautés, d’infamies, que je me fais vieux ; « je n’ai cependant que vingt-trois ans, et il me semble « que je juge comme un vieillard de quatre-vingts ans « qui n'a plus, je l’imagine, qu’un profond mépris « pour l'humanité. Oh! les hommes !-» Et plus loin : « Mon cœur est de glace maintenant pour bien des « choses; mais si certaines parties de mon âme sont « refroidies, la chaleur qui s’en est retirée, s’est reportée « plus vivement sur les affections de famille. Celles-là « du moins sont sérieuses et ce n’est pas un vain mot « comme tant d’autres grands sentiments, qui existent « parfois, il est vrai, mais qui, bien souvent, ne sont « que la ficelle à l’aide de laquelle un adroit comédien « fait mouvoir ses marionnettes... Mais je ne puis « parler; c’est fort au xixe siècle de ne pouvoir expri- « mer sa pensée ! Et dire que je connais un pays où «les habitants n’osent pas toujours dire ce qu’ils « pensent! O abaissement de l’homme! Adieu, c’est «triste. » On sent combien il a peine à contenir son indigna- tion, combien son âme noble et généreuse est irritée « des turpitudes, des bassesses et des courtisaneries LUE « qui n’ont d’égale, dit-il, que la bêtise humaine, » combien lui paraissent cruelles les vexations de la Prusse, qui vont jusqu’à l'empêcher d’écrire librement à sa famille. Les agissements despotiques du gouvernement prus- sien qui allaient si directement à l’encontre de ses aspirations de justice et de liberté, influèrent vivement sur ses idées en malière politique, que modifiaient en même temps et dans le même sens, les événements qui se passaient alors dans notre malheureux pays : la ruine d’un gouvernement également absolu, tombé honteusement, après avoir lancé la France dans la plus incroyable aventure. Dans un État où l’ordre est assuré par des institu- tions stables et respectées, où la liberté de chacun n’est pas abandonnée à l’arbitraire de gens intéressés à lui porter atteinte, les partis politiques sont peu tranchés et n’ont pas de chance d’agiter le pays, qui s’en remet à ses gouvernants des soucis de la politique. Il n’en est pas de même chez une nation sans cesse agitée par des transformations gouvernementales, où les révolutions apparaissent périodiquement, pour rem- placer un régime éphémère par un autre, qui ne vivra pas plus longtemps. Chacun alors est, pour ainsi dire, forcément amené à se faire une opinion, qui a son point de départ, le plus souvent, dans une réaction généreuse déterminée par les excès et les fautes dont il a été témoin. Les tristes résultats d’un régime absolu et démorali- sateur en France, d’une part, l’oppression gouverne- mentale en Allemagne, d'autre part, inspirérent à notre PL AE ami une vive répulsion et le firent aspirer plus ardem- ment, comme beaucoup d’âmes généreuses de notre époque, vers une ère de liberté qu’il pensa trouver dans la proclamation de la République. « Je suis « devenu si républicain, écrit-il d’Hildesheim (com- « ment ne pas le devenir en Allemagne ?) que je désire -« le triomphe de la France surtout parce que ce sera « celui de la République ; que ce triomphe, si elle ne va « pas trop loin dans le succès, lui permettra de s’éta- « biir solidement en France. Ce sera un premier pas « vers la République des États-Unis de l'Europe. » Pour lui la politique, la forme du gouvernement doit être non le but à atteindre, mais un moyen d’établir la justice et la liberté. Celle-ci était en réalité son vrai drapeau. Ses idées généreuses furent cruellement déçues par l'expérience ; mais homme de principes avant tout, il abandonnera courageusement ses nobles illusions, quand il verra la République, moins que tout autre régime, accorder ce qu'il avait tant à cœur. Et dès lors, il tournera ses regards vers celui dont il est légitime d’espérer que nous viendra le salut, et qui accordera, par le moyen d’un gouvernement fort et modéré, cette mesure de liberté après laquelle tous aspirent depuis si longtemps. | Rentré en France au commencement de juin 1871, H. Hermite se décida à quitter le métier des armes. Les sollicitations pressantes de ses camarades de régiment, ses excellentes notes, ses aptitudes remarquables, son esprit de discipline, son activité au travail qui lui per- mettait d’aspirer aux grades les plus élevés, rien ne put le faire changer d’avis ; au mois d’août de la même SOC. D’AG. ; 2 EAN S année il envoya sa démission. L’année suivante, en rai- son de ses bons états de service, il reçut le brevet de capitaine adjudant-major dans la réserve de l’armée active. Libre désormais de toute entrave, maître d’une belle fortune qui pouvait lui permettre de satisfaire ses moindres caprices, que va devenir notre ami? Pour plusieurs, il y aurait eu là un écueil sérieux, et sans doute à lutter contre la tentation de remplacer par une douce oisiveté, la vie active de la période précédente. Mais ce serait mal connaître H. Hermite que de le sup- poser capable de s’arrêter un instant à cette pensée. Il donnait sa démission parce que la guerre répugnait à sa nature délicate et sensible, mais surtout pour se livrer sans entrave à l’étude d’une science qu’il avait commencé à apprécier pendant les loisirs de la vie de garnison. 6 Il faut de l’énergie, Messieurs, et aujourd’hui plus que Jamais, pour se créer, au moyen de son travail, une honorable position; il faut une volonté courageuse et persévérante pour acquérir le diplôme qui ouvre la carrière ambitionnée. Après de laborieux efforts, après beaucoup de déboires, de fatigue et de peine, enfin on arrive. Or, si l'homme doit faire preuve d’une telle énergie pour obtenir ce résultat, que pensez-vous de celui qui, brillamment arrivé au terme désiré, oublie toutes ses fatigues et se remet courageusement à l’œuvre, pour édifier un nouvel échafaudage de connaissances et atteindre un but tout différent ? C’est ce que fit H. Her- mite. Lui, brillant élève de Saint-Cyr, officier distin- gué, après avoir consacré une année à parcourir la LETTRE Lorraine, pour rassembler les éléments d’une étude géologique de cette région, il vient à Paris, se remet sur les bancs et commence à suivre la longue série de cours nécessaire aux jeunes gens qui se destinent aux carrières scientifiques. Ceux de vous qui se préparent à une licence ès-sciences, savent si la matière est abon- dante et le travail ardu. Cependant il lui suffit de deux années de laborieux efforts, pour recevoir en Sorbonne le diplôme de licencié ès-sciences naturelles. C’est alors que l’éminent professeur de géologie de la Sorbonne, M. Hébert, témoin de ses aptitudes spéciales, l’attacha comme aide à son laboratoire. Le temps qu'H. Hermite passa dans ces modestes mais utiles fonctions, sous les regards d’un maître illustre et la direction éclairée d’un ami savant et dévoué, fut activement employé à augmen- ter ses connaissances géologiques et à Le préparer à devenir un professeur distingué. Les idées libérales que notre ami conservait avec amour au fond de son cœur, trouvèrent un commence- ment de satisfaction dans la loi de 1875, qui proclamait l'Enseignement supérieur libre. Assurément, il fut heu- reux de l'échec fait à la prétention de l'Etat absolu, qui veut s'emparer de l’homme dès son berceau, pour le former, le façonner, le jeter dans un moule uniforme et légal. Sa reconnaissance pour les services que lui avait rendus l’Université, son dévouement pour ses anciens maîtres, ne lui faisaient pas perdre de vue que le monopole est préjudiciable à l'Enseignement même et consacre une injustice. À peine la loi fut-elle promulguée, qu’aussitôt se for- mérent sur différents points de la France des centres AN} neue “ d'enseignement libre. Angers vit s'élever ce magnifique palais dont l'achèvement devait coïncider avec la créa- tion de la Faculté des sciences. Je suis fier, Messieurs, d’avoir été appelé à prendre part à l’enseignement libre dès sa création; je suis plus fier encore d’avoir eu l’honneur d'attirer l’attention de notre grand Evêque sur H. Hermite, qui était déja mon ami et qui allait devenir mon collègue. Le jeune professeur avait un nom qui était à lui seul une recommandation, un nom déjà illustré par son oncle, M. Ch. Hermite. Ses titres universitaires paru- rent suffisants à Sa Grandeur, le Chancelier de notre Université, qui me chargea de lui offrir la chaire de Géologie. La modestie et une certaine préoccupation bien légitime empêchérent H. Hermite d'accepter sur- le-champ cette honorable proposition. « Il faut, me « disait-il, que l’enseignement catholique soit à la hau- € teur de celui de l'Etat; nous ne devons être inférieurs «en rien à celui-ci. Il nous faut des collections aussi « riches, des bibliothèques aussi nombreuses, des « laboratoires aussi bien montés que ceux de l’Univer- « sité de l'Etat. Sommes-nous prêts et aurons-nous tout « cela?» Mais quand il connut les plans grandioses de l’illustre fondateur de l’Université d'Angers et apprit que la réali- sation commençait à remplacer de simples projets, ses craintes firent place à la confiance. Enfin le désir de se dévouer pour la bonne cause eut raison de ses modestes appréhensions, vainquit ses derniers scrupules. C'était, j'ose Je dire, une véritable conquête pour l’Université catholique d'Angers. C’est qu’ils ne sont pas communs et les hommes qui ont une si haute idée de la science, qu'ils sont décidés à lui sacrifier leur fortune, leur repos, leur vie même, qui se privent des distractions les plus légitimes, pour ne rien supprimer du temps qu’ils croient dû à leurs travaux. Vous l’avez tous plus ou moins connu ; vous avez vu cetie noble figure à l’aspect tout militaire qui respirait la franchise, et sur laquelle se réflétait la beauté de sa belle âme. Vous avez vu cette démarche hardie et déga- gée qui indiquait un homme solide et sans peur, et qui inspirait la confiance. Vous l’avez rencontré, le marteau à la main, sous ce costume de géologue, sous cette livrée du travail et de la science qu’il portait fiérement et dont il se sentait ennobli. Mais ceux qui l’ont connu dans la vie intime, n’ou- blieront jamais cette loyauté, cette bonté, cette simpli- cité qu'il apportait dans ses relations amicales. Son esprit original, ses vues piquantes, ses idées larges et élevées rendaient sa conversation intéressante et nourrie; il apportait dans ce qu’il avançait cette conviction qui inspire la confiance et donne l’autorité. Sans mol- lesse, peu exigeant au sujet des commodités de l’exis- tence, fuyant toute recherche du luxe, simple dans sa vie alors qu’il pouvait se permettre toutes les dou- ceurs que peut procurer la fortune, il avait un carac- tère obligeant qui ne savait jamais refuser à un ami un service quelconque, une générosité sans ostentalion, qui lui faisait toujours ouvrir largement sa LHTREE à toutes les infortunes. Il y avait peu de temps qu’il était au milieu de nous que, déjà, il s'était concilié bien des cœurs; c’est même =99; = un fait bien remarquable que ce grand nombre d'amis qu’il avait su se créer dans le cours de son existence ; je ne parle pas de liaisons banales et de rencontre, dé- corées, sans raison, du doux nom d'amitié, maïs de réelles affections que lui attiraient ses nobles qualités, ce parfum d’honneur, de sincérité, de justice et de droiture que l’on respirait auprès de lui. En tout l’homme du devoir, il avait la plus haute idée des obligations du citoyen, et, à un moment d’élec- tions générales, il n’hésita pas à faire un voyage de deux cents lieues, pour aller déposer son bulletin de vote en Lorraine, où il était inscrit, ne voulant pas, disait-il, dans le cas où les choses tourneraient mal, se faire le reproche d’y avoir contribué par son absten- tion. À peine installé au milieu de nous, notre collègue se proposa de faire un examen approfondi et détaillé des terrainsdel’Anjou encore mal connuset d’uneobservation difficile. Dans une Etude préliminaire du terrain silu- rien des environs d'Angers, adressée à la Société géolo- gique de France, il complète sur un bon nombre de points, les observations de ses prédécesseurs et signale un certain nombre de faits qui leur avaient échappé. Dans une autre note, adressée à la même Société, il constate la présence du silurien supérieur dans le dépar- tement de Maine-et-Loire, à la Meignanne, fait impor- tant, qui n’avait pas été reconnu avant lui. Bientôt il rencontra une belle occasion de faire preuve de saga- cité. Un paléontologiste de mérite avait représenté au frontispice d’un livre d’une réelle valeur scientifique, une empreinte trouvée sur une ardoise provenant des LAN TRE carrières d'Angers. Cette empreinte, dont les contours étaient nettement accusés par une couche de sulfure de fer, était considérée par l’auteur comme ayant appartenu à une fougère, la première plante ter- restre qui serait apparue sur le globe, d’après les observations faites jusqu'ici. La question avait une réelle importance à plus d’un point de vue, l’auteur trouvant, entre autres résultats, dans cette découverte, un moyen de confirmer les théories transformistes, car il faisait dériver de cette nouvelle plante, qui reçut le nom d’'Eopteris, deux autres genres de fougères appa- rues plus tard, et déjà décrites sous les noms de Car- diopteris et de Cyclopteris. C'était, en quelque sorte, le premier jalon de la flore terrestre qui manquait jus- qu'ici au plan transformiste et que l’on venait de poser. Notre collègue n'eut pas de peine à rencontrer un grand nombre d'échantillons de la prétendue fougère fossile, dont un examen attentif l’amena à des conclu- sions bien différentes. S'appuyant sur des considérations qu’il est inutile de rappeler ici, il montra que l’on n’é- tait pas en présence d’une plante, mais bien de simples arborisations ou dendrites, formées de sulfure de fer. Son interprétation fut unanimement adoptée par ses con- frères de la Société géologique et même par le savant dont il combattait les idées. Avide d’amasser de la science, et désireux en même temps de conquérir le titre de Docteur qui lui manquait encore, H. Hermite se dirigea du côté des Baléares, îles jusqu'ici incomplètement explorées, au point de vue géologique. Parti d'Angers le 3 juin 1878, moins de six mois lui suffirent pour tracer la carte géologique de JE DORE Majorque et de Minorque, et réunir les éléments d’un ouvrage important. Il sut mettre doublement à profit ses courses dans l’intérieur de ces îles, en joignant, comme ses lettres en font foi, les observations du touriste à celles du savant. La simplicité des mœurs des habitants l’étonne et le charme, leur foi vive le touche profondément, et il raconte avec admiration comme quoi, pendant les six mois qu’a duré son voyage, il n’a pas entendu une seule fois, parmi les gens du peuple, un de ces mots que, chez nous, l’oreille la plus pudique est obligée d’entendre à chaque instant. « Si j'étais littérateur et philosophe, « m'écrivait-il, je ferais une étude comparée des Ba- « léares et d’une province quelconque de la France. « Quel beau sujet à développer, pour montrer comment « l'observation des lois chrétiennes conduit au bonheur. « Figurez-vous que dans ce pays il n’y a pas de men- « diants; on travaille modérément, on a des fêtes toute « l’année et on trouve moyen de nourrir et d'entretenir « une multitude d’enfants. Il y a là des problèmes bien « curieux au point de vue économique. L'observation « des faits m'a rendu, depuis quelque temps, l’ennemi «acharné de la civilisation industrielle de l’époque. « D'instinct j'étais réactionnaire, mais aujourd’hui « l'expérience me démontre que le développement de « la richesse amène la pauvreté absolue d’un grand « nombre. Ce n’est pas à Paris, à Londres, que la « majorité des hommes est heureuse matériellement ; « c’est sur quelques rochers perdus au milieu de la « Méditerranée, que vous trouverez la plus grande « somme de bonheur, et cela, parce que les lois géné- Jo — « rales, dont les Parisiens s’écartent, y sont observées. » Rentré en France le 5 décembre 1878, il reprend ses cours et s'occupe en même temps, avec une grande activité, de coordonner les nombreux matériaux qu’il avait amassés dans son voyage, au prix de tant de fatigues. Les ressources du laboratoire de son ancien maître, à la Sorbonne, furent mises libéralement à sa disposition. Tout en se posant en champion décidé de la liberté d'enseignement, H. Hermite sut en effet garder l’estime et l'affection des professeurs de l'Etat qui l’avaient formé, ce qui montre une fois de plus, combien sont chimériques les craintes de ceux qui paraissent redouter entre les deux enseignements un antagonisme inévitable. Sa thèse, qu’il présenta devant la Faculté de Paris, au mois de juillet 4879, reçut l'approbation unanime du jury d’examen dont le président, en lui conférant le titre de docteur , lui adressa ces élogieuses paroles : « Vous êtes, Monsieur, de ces hommes dont les travaux « honoreront la France savante. » Bien loin de s’endormir sur ses lauriers, H. Hermite ne prend aucun repos et repart aussitôt vers les Baléares, pour employer les vacances à terminer son étude sur Majorque et Minorque, puis, parcourir dans le même but, les petites îles groupées autour de celles- ci, Iviça, Cabrera, Formentera. Il réunit ainsi les éléments d’un second volume qui devait compléter la géologie des Baléares ‘. 1 Nous avons l'espoir que les matériaux amassés par H. Her- mite au prix de tant de fatigues, ne seront pas perdus pour la science et que son œuvre ne restera pas inachevée. Un de ses LP DEA C’est à ce même voyage qu’il trouva l’occasion de rendre un important service à l’île Majorque, où les pluies sont d’une excessive rareté et les sources très peu abondantes. La Députation provinciale s'étant résolue à faire creuser des puits artésiens, s’adressa à un ingénieur qui exécutait en ce moment des travaux de ce genre en Espagne, et qui, après un examen superficiel, garantit le succès de l’opération. Notre collègue, qui avait acquis par ses explorations répétées, une connaissance approfondie de la constitution du sol, déclara que la disposition et la nature. des roches s’opposaient à ce que l’on obtint de l’eau. Ce fut l’oc- casion d’une polémique assez vive qui eut pour organes les journaux de la localité. H. Hermite publia alors une première brochure en espagnol ayant pour titre « Est-il possible d'obtenir des eaux jaillissantes à Majorque? * » dans laquelle il expose brièvement les raisons qui le portaient à croire que tout serait inutile; puis un second travail intitulé : & Les puits artésiens à Majorque * », où il établit fortement les preuves qui appuient son opinion. La Députation provinciale adopta ses conclusions, suspendit ses dépenses et évila de la sorte la perte de sommes considérables *. Hâtons-nous amis les plus chers a recueilli son héritage scientifique et aura à cœur de s'acquitter d’une mission que l’amitié lui impose. 1 Es possible obtener aguas ascendentes en Mallorca, tradu- cido al Castellano, por D. Pedro Estelrich. (Extr. du Porvenir Balear, 1879.) 2 Los pozos artesianos en Mallorca.…, por D. Enrique Hermite, traduccion castellana de D. Antonio Jaume y Garau. Palma, 1879. 3 Voir tous les journaux de Palma de cette époque, et parti- culièrement : El Isleno, des 4 et 5 août, El Diario de Palma, du 6 août, El Democrata, du 13 septembre. de D 22 d'ajouter que notre ami joignit un nouveau bienfait au service qu’il venait de rendre, en vendant sa brochure sur les puits artésiens au profit des inondés de Murcie, désintéressement qui contribua à lui acquérir une véri- table popularité. Mais ce climat trop chaud devait lui être fatal; mal nourri, épuisé par les fatigues que lui causaient ses courses de chaque jour, que rien ne pouvait ralentir, et qu’excitait encore le désir de rentrer à Angers au com- mencement de l’année scolaire, pour reprendre ses leçons, il n'eut malheureusement pas assez présentes à l'esprit ces paroles prophétiques de son père : « Ne te « fatigue pas trop sous un climat aussi rude, afin de ne « pas le payer plus.tard. » Il sentait cependant ses forces diminuer, mais n’osait en convenir. Parfois il invitait le jeune et fidèle compagnon de voyage * qu’il initiait aux mystères de la science, à se diriger d’un côté, pendant que lui-même devait en explorer un autre; c'était un moyen de ne pas avouer sa fatigue, car bientôt on le retrouvait à l'ombre d’un talus et accablé de lassitude. Enfin l'apparition d’un symptôme grave dont l'impor- tance fut méconnue, marqua le début d’une de ces maladies qui ne pardonnent guêre. Rentré en France le 12 décembre 1879, il fut obligé de garder un repos absolu et reçut les soins éclairés et dévoués d’un médecin qui était son ami. Mais tout devait resier inutile. 1 M. Sauvageau, étudiant de notre Faculté des sciences, qui suivit avec un grand zèle et un dévouement à toute épreuve notre regretté H. Hermite. Rp Pendant cette maladie qui ne lui enlevait ni sa pré- sence d'esprit, ni son amour du travail, il resta ce que nous l’avions connu jusqu'ici, supportant avec patience et courage les souffrances et les ennuis du traitement, bon et aimable pour chacun, toujours aussi vivement impressionné et intéressé par les questions d’enseigne- ment ou les idées scientifiques à l’ordre du jour. Sa préoccupation était extrême au sujet des projets de loi portant atteinte à la liberté de l’enseignement supérieur, et menaçant de l’expulsion les maîtres dévoués qui avaient formé sa jeunesse. La veille même de sa mort, s'adressant à la religieuse qui luiservait de garde-malade: « Ma sœur , disait-il, si vous apprenez quelque chose «sur l’article 7, vous me réveillerez, n'est-ce pas? » Cependant, tandis que le mal augmentait, le pauvre patient ne semblait pas se rendre compte de la gravité de son état. Huit jours avant sa mort, je lui demandais : « Eh! bien, quand ferez-vous votre première excursion ? « — Mon cher, me répondit-il sans hésiter, dans deux . « mois je serai aux carrières. » Toutefois, dans les der- niers jours de sa maladie il sentait que ses forces dimi- nuaient;, il recommanda à plusieurs de ceux qui venaient le voir, de prier pour lui. Dans ces moments, avait-il le pressentiment de sa fin prochaine? compre- nait-il ce que Dieu demandait de lui? Nul ne le sait. En tous cas, il aurait fait son sacrifice avec ce courage, cette entière soumission, cette idée du devoir qui ne l’abandonnèrent jamais. Et pendant tout ce temps que la cruelle maladie l’enchaînait, ses sentiments de piété restérent les mêmes qu’autrefois, sa confiance en la sainte Vierge, SU REA pour laquelle il avait un culte particulier, ne l’aban- donna pas un instant et l’aida puissamment à supporter ses épreuves, en même temps que les sacrements lui communiquérent une nouvelle force morale qui le sou- tint jusqu’au bout. C'était toujours le même chrétien que nous avons vu au collège de Metz, à Saint-Cyr et au régiment. Le 8 mars 1880, au matin, H. Hermite, à l’âge de 32 ans, rendait sa belle âme au Seigneur, sans souf- france, sans agonie, sans aucune de ces terreurs qui, le plus souvent, accompagnent les ombres de la mort. À cette nouvelle, il n’est personne de nos Facultés catholiques d’Angers qui n’ait compris qu’un grand malheur venait de nous frapper. Ceux mêmes d’entre vous qui le connaissaient peu, savaient que la science venait de perdre un de ses adeptes les plus dévoués et notre Faculté, un professeur éminent. Les regrels unanimes et les preuves de sympathie qui se manifestèrent de tous côtés, vinrent apporter à sa famille et à ses amis une suprême consolation. Le prix Viquesnel que la Société géologique de France a coutume de décerner chaque année, à celui de ses jeunes membres qui a publié les meilleurs travaux, vient d’être offert à la mémoire de l’ami que nous pleurons, témoignage éminent de l'estime qu’il a su inspirer à ceux qui furent à même d’apprécier son caractère et son talent. Ce n’est pas seulement en France que la mort d'H. Hermite a été déplorée, ces îles espagnoles qui lui ont été si funestes, ont voulu rendre un hommage à celui qui était venu sous leur ciel brûlant, au prix de grandes 307 fatigues, étudier leur sol et le faire connaître au monde savant ; “elles ont voulu honorer d’une façon éclatante la mémoire de celui qui leur avait rendu un service si désintéressé au sujet de la question des puits artésiens. Dés que sa mort y fut connue, plusieurs personnes résolurent de faire célébrer un service funébfe pour le repos de son âme. Aussi, le 8 avril, jour anniversaire de son décès, s'élevait dans l’église de Saint-Philippe- de-Néris, à Palma, un magnifique catafalque, autour duquel prenaient place les personnages les plus émi- nents de la cité, des délégués des corps savants, de la Députation provinciale, de la presse, tous voulant don- ner une marque de l’admiration qu’ils avaient pour ce jeune homme, venu de si loin pour étudier leur pays et mort au service de la science. Le vénérable évêque de Palma retenu par ses infirmités, qui ne lui permettaient pas d'officier lui-même, se fit représenter par son vicaire général. Get éclatant témoignage public de la reconnaissance des habitants des Baléares ne parut pas encore suffi- sant, et la presse demanda que l’on accordât à H. Hermite la plus haute distinction qu’un pays puisse conférer à un homme dont il veut récompenser les services. Nous avons eu la joie d'apprendre que la proposition avait été prise en considération et que notre regrelté ami venait de recevoir le titre de fils adoptif de la ville de Palma, noble et touchant témoignage de la reconnais- sance, que la mort elle-même a été impuissanteà arrêter. Tous ces honneurs rendus à notre collègue sont bien de nature à nous émouvoir profondément et à mettre un certain baume sur notre douleur, mais ils nous font = ST = aussi, pour ainsi dire, plus vivement sentir la perte que nous venons de faire, en nous montrant l'estime que tous avaient pour son noble caractère et son jeune talent. Aussi, l’âme pleine de regrets, sommes-nous tentés de nous demander jusqu'où se serait élevé cet homme encore au seuil de la carrière, avec ce juge- ment sûr, cet esprit ouvert, ce feu sacré de la science qui l’animait. Mais Dieu n’a pas voulu nous accorder de voir la réalisation de si riches promesses. Il l’a rappelé à lui, jugeant sa mission suffisamment accomplie, et le dégageant désormais de toute responsabilité. Etmaintenant, Messieurs, permettez-moi une réflexion qui se présente naturellement à l’esprit comme conclu- sion de ces quelques pages dans lesquelles j’ai si incom- plètement fait connaître cette noble existence et donné une idée si insuffisante de ce beau caractère. Permettez- moi de souhaiter que cette vie si courte et si bien remplie soit pour nous un enseignement, un modèle toujours présent à notre pensée. Gardons-en la mémoire au fond de nos cœurs pour qu’elle nous guide et nous soutienne constamment ; ne perdons pas de vue la trace qu’elle a laissée, et nous sommes assurés de ne pas faire fausse route. H, Hermite était en effet, de la race de ces hommes résolus, de ces hommes taillés à l’an- tique, faits pour inspirer la confiance et entraîner les autres à leur suite, quelle que soit la voie qu’ils par- courent, qu'ils se trouvent sur un champ de bataille ou sur le terrain plus pacifique de la science, destinés à faire des conquêtes à la tête d’une armée ou dans les voies encore inconnues livrées à l'intelligence humaine. Il peut représenter pour nous le type de l’homme d’hon- ME ur neur et de devoir, profondément religieux sans osten- talion, faisant le bien partout où il a passé et at qu’il l’a pu. Son souvenir nous aidera à suivre à notre tour le chemin qu’il a si vaillamment parcouru et nous inspirera davantage l’ardeur pour le travail, l’esprit de dévouement et l’amour de la religion. Dr P, MAISONNEUVE. Nous pensons qu’il ne sera pas sans intérêt de donner, à la suite de cette notice biographique, outre le compte rendu, déjà publié dans les journaux, de la cérémonie funébre qui a été faite à Angers en l'honneur d’H. Her- mite, quelques extraits des journaux de Palma, qui montrent l’estime et la haute opinion que l’on avait du jeune professeur, dans ces contrées qu’il aimait tant et à l’étude desquelles il s’était dévoué. Notice nécrologique publiée par les journaux d'Angers aprés les obsèques de M. Hermite. Il y a quelques jours, nous avions la douleur de suivre le convoi funèbre de M. Henry Hermite, docteur ès-sciences naturelles, professeur à la Faculté des sciences de l’Univer- sité libre d'Angers, âgé de 32 ans, qu'une maladie gagnée au service de la science venait d'arracher, le 8 mars au matin, à l'affection de sa famille et de ses amis. Son corps, conduit de l’église Saint-Joseph à la gare, pour être transporté à Nancy, dans le caveau de sa famille, était accompagné d’une nombreuse et sympathique assistance, témoignage manifeste de l'estime générale dont jouissaient à nee le talent et la science du jeune professeur. Les cordons d'honneur du char funèbre étaient tenus par quatre professeurs en costume officiel , le R. P. Billot, de la ROSES Faculté de théologie, M. Hervé-Bazin, de la Faculté de droit, M. Loir-Mongazon, de la Faculté des lettres, et M. Maison- neuve, de la Faculté des sciences. Derrière le char, deux étudiants portaient une magnifique couronne offerte par les professeurs de la Faculté des sciences. Le deuil était conduit par M. Hippolyte Hermite, père du défunt, accompagné d'un de ses fils, et par M. Ch. Hermite, son oncle, membre de l'Institut, professeur à la Sorbonne. Puis venaient Mgr Sauvé, recteur de l'Université, le doyen et les professeurs de la Faculté des sciences, en robes, enfin les professeurs des autres Facultés, les étudiants et les nombreux amis du défunt, dont plusieurs n’avaient pas hésité à faire un voyage de cent lieues, pour lui rendre les derniers devoirs. L'Université catholique d'Angers vient de faire, dans la personne de M. Hermite, une perte à laquelle aucun de ceux qui s'intéressent à cette grande œuvre, ne saurait demeurer indifférent. Malgré sa jeunesse, M. Hermite a eu en effet une vie des mieux remplies, et il a su accomplir de grandes et nobles choses pendant le petit nombre d'années que le Sei- gneur lui a accordées. Ancien élève des Jésuites de Saint-Clément de Metz, il emporta avec lui, dans le monde, les solides principes de religion et d’honneur que les Pères savent inculquer à la jeunesse de leurs écoles ; et, dans toutes les circonstances de sa vie, il conserva une fidélité inébranlable à sa foi chrétienne. La carrière des armes le tenta d'abord. Admis, à l'âge de dix-sept ans, à l'École militaire de Saint-Cyr, en 1866, il en sortit deux ans avant la guerre de 1870, pendant laquelle il fit noblement son devoir, recut les épaulettes de lieutenant, et fut fait prisonnier au siège de Metz. Mais déjà le goût de la science s’éveillait en lui, et, pen- dant le peu de temps qu'il mena la vie de garnison, il occupa ses loisirs à des recherches géologiques ; bientôt ce qui, chez : lui, n’était qu'un goût, devint une passion véritable. Aussi, malgré le brillant avenir militaire que devaient lui réserver son intelligence, sa loyauté et son esprit de discipline, cédant à l'attrait que lui offraient les sciences naturelles, il n'hésita pas à donner sa démission, pour suivre une nouvelle carrière et acquérir une nouvelle position. Il se lançcä avec SOC. D’AG, 3 Éno) ou ardeur dans la voie qu'il venait de choisir et en fut bientôt récompensé par le grade de licencié qu'il obtint en Sor- bonne. C'est alors que, distingué par le professeur de géolo- gie de la Faculté des sciences de Paris, il fut attaché comme aide à son laboratoire. C’est là que le trouva la formation de la Faculté des sciences d'Angers, dont la chaire de géologie lui fut offerte. Persuadé que les Universités régionales que les catholiques venaient de créer, devaient avoir pour principal rôle, dans leur enseignement scientifique, d'étudier la région au centre de laquelle elles sont placées, le jeune professeur, à peine installé, entreprit de déterminer la constitution des terrains de l’Anjou encore incomplètement connus, et forma le projet de dresser ultérieurement la carte géologique de notre con- trée. Déjà il avait découvert plusieurs faits fort intéressants qui ont été consignés dans quelques communications adres- _ sées à la Société géologique de France, ou à l'Institut. Son nom est désormais inséparable de la fameuse empreinte que l'on trouve en quantité sur les feuillets du schiste ardoi- sier d'Angers, et qu'un auteur, fort connu dans la science, à décrite comme une fougère fossile, la première qui, d’après lui, serait apparue sur le globe et de l'existence de laquelle il tirait des arguments pour appuyer la théorie transfor- miste. M. Hermite a surabondamment montré qu'il n'y avait là qu'une dendrite, c'est-à-dire des arborisations tenant à des infiltrations de sulfure de fer. Ses conclusions furent unani- mement acceptées par les membres de la Société géologique de France. À la recherche d’un important sujet de travail, M. Hermite crut le trouver dans l'étude de la constitution géologique des îles Baléares. Après un séjour de six mois dans ce pays, pendant lesquels il se livra à un travail assidu, il revint en France avec d’abondants matériaux, au moyen desquels il put - établir, d'une facon très détaillée, la structure géologique des îles Majorque et Minorque. L'important ouvrage dans lequel M. Hermite consigna les résultats de ses explorations en Espagne, lui fit le plus grand honneur auprès des maîtres de la science; et l’un d'eux ne craignit pas de dire en pleine Sorbonne, devant un public de choix, que c'était «un de ces ouvrages qui honorent notre pays et la science ». FA Entraîné par cette ardeur passionnée pour le travail, que lui connaissaient tous ceux qui le fréquentaient, sans prendre de repos, il repartit aussitôt pour compléter son exploration scientifique des Baléares; il lui restait encore à connaître et à décrire quelques points de ces îles, principalement Ivica et Formentera. À ce nouveau voyage, il trouva l'occasion de rendre un signalé service aux populations au milieu desquelles il se trouvait, en leur faisant économiser quelques centaines de mille francs destinés au creusement de puits artésiens. S’ap- puyant sur la constitution géologique du sol, M. Hermite démontra qu’il était impossible d'obtenir de l’eau et déter- mina les habitants à abandonner des travaux absolument inutiles. Pendant son second séjour aux îles Baléares, il réunit encore une abondante moisson de faits intéressants, et son œuvre allait être achevée, lorsque la maladie vint l'arrêter. Mal nourri, écrasé de fatigue, atteint déjà du mal qui devait l’arracher si promptement à l'affection de ses amis, il revint en France sans avoir atteint complètement le but de son voyage. De retour à Angers au commercement du mois de décembre 1879, il fut obligé de garder la chambre que, mal- gré les soins les plus dévoués, il ne devait plus quitter. Dans sa maladie qui dura environ trois mois, son caractère ne se démentit pas un instant. Nous retrouvons là, comme au milieu de ses occupations préférées, l’homme énergique et doux, supportant avec patience la souffrance et le repos forcé. D'ailleurs, toujours plein d'espérance en l’avenir, il ne pensait qu'à reprendre ses travaux. À peine dans les der- niers jours de sa maladie a-t-il pressenti que la mort arri- vait. Elle est venue d’ailleurs bien douce pour lui, sans _agonie, en quelque sorte sans qu'il s’en apercût; ce fut comme un paisible sommeil que le Seigneur lui envoya. Et maintenant que le bon camarade, l’ami généreux, le professeur laborieux et distingué, le solide ehrétien est mort, souhaitons que quelque ami dévoué continue et mène à bonne fin l’œuvre commencée par lui avec tant d’ardeur et publie le second volume de la Géologie des Iles Baléares, comme un hommage légitimement dû à sa mémoire. AE AA La mort de M. Hermite est une perte énorme pour la Faculté des sciences de l'Université libre d'Angers, qui aurait certainement recu un vif éclat du concours apporté par ce travailleur infatigable, aux connaissances approfondies, aux vues larges et élevées, et auquel, assurément, un brillant avenir était réservé. Déplorons donc la perte que nous venons de faire; mais que cette mort soit pour nous une raison de plus de tra- vailler, un motif de nous rapprocher et de nous serrer davantage, pour mieux lutter ensemble contre les difficultés de l'existence. Que son souvenir vive au milieu de nous, soutienne le courage des professeurs dans leur laborieuse et difficile mission et encourage les élèves à suivre les nobles traces que le cher défunt a laissées dans le chemin du tra- vail, de l’honneur et de la foi! D° P. MAISONNEUVE. Extrait du journal El Ancora, publié à Palma. — N° du 12 mars 1488@. — Article de M. Bartolome Ferra. NÉCROLOGIE. C’est avec une profonde douleur que nous avons appris que le 8 de ce mois, mourait à Angers le D° Henri Hermite, professeur distingué de l'Université catholique de cette ville. En communiquant à nos lecteurs une perte si cruelle, nous devons rendre un hommage de reconnaissance et de respect à la mémoire de ce géologue qui, après avoir mérité par son talent la considération du monde scientifique, vient de lui être enlevé à l’âge de trente-deux ans. Il y a peu de temps encore, le D° Hermite nous honorait d'une visite dont les vrais amis de la science conserveront le meilleur souvenir. Sans être guidé par un autre mobile que- l'amour de la science, il étudia les conditions géologiques de Mayorque, et réfuta plus tard l'opinion de M. Richard, sur la possibilité d'obtenir des eaux ascendantes dans notre île, dans une brochure qui jeta une grande lumière sur ce sujet. Cet opuscule fut publié à Palma, et comme nos lecteurs se le rappelleront, l’auteur abandonna le produit de l'édition 97 aux victimes de l'inondation de Murcie. Ce généreux pro- cédé lui créait de nouveaux titres aux vives sympathies que son caractère simple et affable avait su lui acquérir parmi nous. C'est alors que se. manifestèrent les premiers symptômes de la terrible maladie qui mit fin à sa précieuse existence, après avoir retardé son retour dans sa patrie. Dès qu'il fut, sinon rétabli, du moins, lorsqu'il éprouva un peu de mieux, il quitta Mayorque avec l'intention de revenir plus tard compléter ses études, car il avait formé le projet de faire sur la géologie des Baléares, un travail dont il a pu seulement publier la première partie. C’est un double motif pour nous, de regretter la mort du savant professeur. La Société géologique de France se disposait à récom- penser ses travaux en lui décernant une médaille, quand Dieu, dans les impénétrables desseins de sa Providence, l'ap- pela à une autre vie, sans doute pour récompenser ses vertus avec la couronne des Saints, car le D'° Hermite unissait à une science profonde, une piété malheureusement peu com- mune parmi ceux qui s’adonnent à l'étude des sciences. S'il ne nous en avait donné plus d’une fois la preuve, pendant son séjour en notre île, il suffirait pour nous en convaincre de lire les paragraphes suivants que nous traduisons d’une lettre d'Angers, qu'a recue un de nos amis. « M. Hermite est mort aujourd'hui, sans que personne eut pu le prévoir. Il souffrait beaucoup ; à peine avait-il pu dor- mir durant la nuit précédente, et le crucifix entre les mains, il s’écria par trois fois consécutives : Mon Dieu, donnez-moi du sommeil ! et il était mort. « Pendant tout le temps que dura sa maladie, il fut pour nous un véritable modèle de patience, de résignation et de foi. Unissez cependant vos prières aux nôtres pour l'éternel repos de son âme; c'est un devoir que nous impose la recon- naissance, car on peut dire que M. Hermite a donné sa vie pour les Mayorquins. » Qu'il nous soit permis maintenant de prier nos lecteurs de recommander à Dieu l’âme du défunt, car c'est seulement de cette facon que nous pouvons nous acquitter de la dette que nous avons contractée envers le D' Hermite. s BARTOSOME FERRA. SRE Extrait du journal El Isleno, publié à Palma. — N° du 8 avril 48890. — Article du docteur Estelrich. UN SOUVENIR AU PROFESSEUR HERMITE. Il n’est peut-être pas de savant envers lequel Mayorque soit obligée à plus de reconnaissance qu'envers le géologue Henry Hermite. Pourvu de son marteau, il arriva pour la première fois sur le rivage des Baléares, vers la fin du prin- temps de 1878. Il était rempli des plus douces illusions et des plus légitimes espérances. Son but était d'établir la constitu- tion géologique de nos îles, c'est-à-dire d'entreprendre une étude pénible, pleine de difficultés et de fatigues. Mais rien ne l’arrêtait : son amour pour l'étude et le travail, et l'ar- deur de son imagination juvénile devaient triompher d'une si grande entreprise. Hermite avait alors à peine trente-et- un ans, et son nom était déjà connu par tous ceux qui s'oc- cupent d’études géologiques, aussi bien en France, sa patrie, qu'à l'étranger. Son génie cherchait un vaste champ d’inves- tigation scientifique, et il se fixa sur les Baléares pour en faire le sujet de ses études. Pendant six mois consécutifs, il parcourut nos montagnes, recueillant des fossiles, mesurant les hauteurs, classifiant les terrains, sans jamais donner de repos à son corps, ni de paix à son activité prodigieuse. De retour dans sa patrie, il développa les notes, qu'il avait prises, détermina les fossiles qu'il avait recueillis, et publia sous le titre de Études géologiques sur les Iles Baléares, la pre- mière partie de son ouvrage en un volume de 362 pages grand in-8°, chez l'éditeur Savy à Paris. Les cartes géolo- giques de Mayorque et Minorque, un grand nombre de coupes et deux planches de fossiles nouvellement découverts par l'auteur, accompagnaient son travail. Cet ouvrage valut au professeur Hermite les félicitations des géologues les plus distingués. Animé par le succès qu'il avait obtenu, il revint à Mayorque au commencement du mois d'août 1879 avec l'intention d'é- tudier les Iles Ivica et Formentera, et de vérifier relative- ment à la géologie de Mayorque et de Minorque, quelques points qu'il n'avait pu complètement élucider lors de son CAE | VS premier voyage. Il resta alors quelques semaines à Palma et y fit la connaissance de plusieurs personnes amies des sciences, avec lesquelles il se lia bientôt par une étroite amitié. Hermite était de stature élevée, il avait les cheveux et la barbe blonds, sa figure était expressive et pleine de bonté, son caractère gai et franc; il était poli au plus haut degré et son extérieur était plein de distinction. Sa conversation toujours sérieuse en même temps qu'agréable, montrait les brillantes qualités dont il était doué et qui le faisaient si justement apprécier dans ses relations de société. Il dirigea tout d’abord ses excursions au Co! d’en Rebassa et vers Bendinat !, où il recueillit quelques fossiles qu'il croyait appartenir à des espèces nouvelles, revenant toujours très satisfait quand le sort l'avait favorisé dans ses re- cherches. C’est à la fin du mois d'août qu'arriva à Palma son compagnon de fatigues, M. Camille Sauvageau son prépara- teur, et ils entreprirent ensemble leurs excursions dans l'intérieur de l'île. Il apprit alors que la Députation provinciale voulait em- ployer de grandes sommes d’ärgent en perforations arté- tésiennes et qu'elle avait appelé dans cette intention l'ingé- nieur Richard. Hermite profondément convaincu de l'impos- sibilité d'obtenir à Majorque des eaux ascendantes, jaillissant à la surface, écrivit un article où il expliquait très briève- ment les motifs qui devaient empêcher le succès de l'entre- prise ?. M. Richard publia peu après, ses impressions sur son voyage à Mayorque. Il y émettait des idées contraires à celles du professeur Hermite sur l'existence des eaux artésiennes, et celui-ci crut alors qu'il était de son devoir d'écrire une brochure où il réfuterait l'une après l’autre les erreurs scien- tifiques de l'ingénieur perforateur 5. Son travail ne laissait 1 Ces deux localités sont situées près de Palma, la première sur le terrain quaternaire, la seconde sur le terrain néocomien inférieur. 2? Ce petit travail a pour titre : Es possible obtener aguas ascendentes en Mallorca ? il fut inséré dans le Porveñir Balear, n° 15, 1879, après avoir été traduit par le Dr Estelrich, l’auteur de cette notice nécrologique. 8 L'ouvrage de M. Richard portait le titre : Los pozos artesianos en Espana; M. Hermite y répondit en écrivant sa brochure : Los qe plus de place au doute, et son opiniôn fut adoptée par tous ceux qui, à Mayorque, s'adonnent à l'étude des sciences. Au commencement d'octobre, il le donna à l'impression, et une fois les épreuves corrigées, Hermite entreprit un voyage à Minorque pour y recueillir des fossiles et y vérifier quelques observations. Avant d'entreprendre cette excursion, sa santé robuste s'altéra un peu; les fréquentes insolations dont il était la victime dans ses courses continuelles lui occasion- nèrent une affection gastrique qui fut guérie au bout de quelques jours. Revenu de Minorque dans les premiers jours de novembre, il commenca à mettre en ordre ses fossiles et à préparer ses malles pour retourner dans son pays, remettant à l’année suivante l'étude géologique d’Ivica et deFormentera. Ses re- cherches l'avaient complètement satisfait; il avait réuni sept caisses de fossiles et fait beaucoup d'observations importantes. Cette joie dura bien peu, tellement sont chan- geantes les choses humaines! car deux jours avant celui qu'il avait fixé pour son départ, il fut atteint d'une hémop- tysie qui l'impressionna vivement et lui enleva une partie de son courage. Ses amis, qui l'appréciaient beaucoup, firent tout ce qui leur était possible pour lui faire supporter son triste état avec moins de peine, mais sans y arriver; Hermite -pressentait déjà sa triste fin, et en peu de jours il fut l’objet d’une transformation incroyable. « Je regrette seulement, nous disait-il, de ne pouvoir plus travailler, quand il me faudrait encore quelques années pour achever ce que je vou- lais faire. » Cependant, il croyait encore pouvoir terminer son œuvre sur les Baléares; soutenu par cette trompeuse espérance, il quitta notre île un peu avant la moitié de décembre 1879. Il allait à Angers, où il arriva sans accident, mais son état qui devenait de plus en plus grave, l’obligea à garder le lit jusqu'au 8 mars où il mourut. Son dernier sou- pozos artesianos en Mallorca, dans laquelle il expose d’abord une théorie générale des puits artésiens et en fait ensuite l'application à l’île Mayorque; puis s’attaquant alors exclusivement à la partie du travail de M. Richard référente à Mayorque, il y relève et réfute une à une trente-et-une des erreurs géologiques que son auteur y avait commises. Le Dr Jaume s'était chargé de la traduction de la brochure de M. Hermite. HV es venir fut pour Mayorque. Il ne pensait plus qu'à ses fossiles et à ses études sur les Baléares : Sa mémoire devait lui rap- peler les contrées qu’il y avait parcourues, les personnes qu'il y avait rencontrées, les heureuses trouvailles qu'il y avait faites ; il devait se la représenter à chaque instant comme sa nouvelle patrie, l'élément de sa gloire future qu'il a payée au prix de sa vie. Que le nom du géologue Henry Hermite soit toujours pro- noncé avec vénération et respect par les Mayorquins! Il les Mayorque, devait donc se montrer reconnaissante envers ce savant modeste qui prenait un si grand intérêt à tout ce qui intéressait son avenir, et qui lui a légué un monument scien- tifique, digne fruit de ses longues études. Mayorque, devait donner à sa mémoire un témoignage public de reconnais- sance et de respect. Elle a accompli ce devoir honorable- ment, en unissant à la douleur que la mort du D’ Hermite lui à causée, une fervente prière au Très-Haut pour l'éternel repos de son âme, dans laquelle étaient si vigoureusement implantées les sublimes maximes du Christ. L'église de Saint-Philippe-de-Néris, présentait hier matin un aspect grandiose, sinon par le luxe qui a pu être déployé, du moins par l'élégance et la sévérité avec laquelle elle était ornée, comme si l’on avait voulu faire comprendre qu’en de si tristes cerémonies, le faste et l’ostentation ne s’harmo- nisent point avec la douleur et les sentiments de Pâme. Un catafalque recouvert d’un riche drap noir, festonné d’or et de violet, portant à chacun de ses angles une H brodée, s'élevait au milieu de l’église. Quatre magnifiques couronnes étaient placées au pied du catafalque, sur les plis du drap mortuaire qui reposait sur un précieux tapis. La couronne placée du côté de l’épître était toute de pensées et offerte par la Dépu- tation provinciale ; celle du côté de l’évangile, donnée par les professeurs de l'Institut Baléar, était de fleurs champêtres et de feuilles de lierre; celle qui faisait face à l’autel, déposée par les amis et les admirateurs d'Hermite était formée de laurier et d'immortelles; une quatrième couronne, de lau- rier et de violettes blanches était placée sur l’autre côté, elle était offerte par El Ancora au nom des écrivains catho- lique de ces îles. Quatre candélabres, soutenant chacun DR CR quatre grands cierges ornés de fleurs et de branches d'arbre, éclairaient. ce modeste monument, sur lequel brillait le sym- bole de la Rédemption, formé du même galon qui garnissait le drap mortuaire. L'orchestre composé des chanteurs et des amateurs de musique les plus distingués, chanta la messe de Requiem du P. Florit, qui était célébrée par le chanoine D. Tomas Rullan. Dans les sièges réservés, dans les chapelles latérales et sur les bancs, toutes les classes de la société étaient repré- sentées ; les arts, les sciences, la milice, les sociétés scienti- fiques, les corporations civiles, la littérature et la haute banque, présidées par la Députation provinciale, étaient accourues pour donner ce public témoignage de vénération et de respect au jeune professeur qu'ils admiraient encore après sa mort. Palma s’est montrée en cette occasion, digne de ses antiques traditions. Elle a rendu un tribut de légitimes hommages au génie qui n’a pas de patrie, et a montré sa reconnaissance envers celui qui, bien qu'étranger, s’est dévoué tout à elle pour lui léguer un souvenir impérissable. D' ESTELRIcH. Extrait du journal ET Ancora, — N° du 9 avril. Article de M. Bartolome Ferra. Conformément à ce qu'avaient annoncé tous les journauxde la ville, une messe de Requiem était célébrée avant-hier, à onze heures, dans l’église des Pères de Saint-Philippe-de- Néris, pour le repos de l'âme de M. Jean-Ferdinand-Henry Hermite. Nous avons rarement assisté à Palma à des cérémonies funèbres plus solennelles que celles qui furent célébrées en l'honneur du malheureux et regretté professeur de géologie, qui nous avait honoré de son amitié; et afin d'en donner une idée à ceux de nos lecteurs qui n’ont pu y assister, nous allons faire ici, en quelques mots, le compte-rendu de la cérémonie. Au milieu de l’église, sur un grand et riche tapis, s'élevait un catafalque à la fois élégant et sévère, recouvert d’un drap noir, orné tout autour d'un galon d’or, et d'une croix au CN ES centre ; une H brodée d'or à chacun des angles se détachait sur les larges plis du drap mortuaire. À chacune des quatre extrémités du sarcophage s'élevait un candélabre gigan- tesque, orné de crêpes noirs, et supportant un groupe de quatre grands cierges de cire, dont le pied était garni d'un faisceau de branches de saule. Au pied du catafalque, du côté opposé au maître autel, était placée une couronne de laurier et d'immortelles, offerte par les amis mayorquins du défunt; à gauche, on voyait une autre couronne formée de fleurs champêtres et de feuilles de lierre, hommage respec- tueux de l'Institut provincial; on en voyait une troisième à droite, garnie de pensées, due à la reconnaissance des membres de la Députation provinciale des Baléares; enfin, sur le quatrième côté, une autre couronne, garnie de laurier et de violettes blanches, avait été offerte par El Ancora au nom des écrivains catholiques de nos îles. Chacune de ces couronnes portait une inscription. L'ensemble de ce catafalque montrait une sévérité mélangée à une certaine magnificence propre à une cérémonie de ce genre. La messe a été célébrée par D. Tomas Rullan, vicaire général, assisté de D. Guillermo Puig, secrétaire de l'évêque de Palma, et D. Jorge Martorell et D. Francisco Salva « bene- ficiados del Concordato. » Le chœur était rempli par les chanoines, le clergé de la cathédrale, le clergé de diverses paroisses, les séminaristes et quelques professeurs et amateurs de musique. Le chant des versets, avec accompagnement d'harmonium, de flûtes et de bassons, alternait avec celui de la célèbre messe en musique de notre compatriote le R. P. Florit, religieux de l'ordre des Minimes, qui fut chantée avec une vigueur et une émotion indeseriptibles. L'assistance était nombreuse et distinguée ; on y remar- quait du côté de l'Évangile, deux membres délégués de la Députation provinciale, plusieurs conseillers municipaux, M. Herreros, directeur de l'Institut Balear, et un assez grand nombre d'autres personnes appartenant à différentes acadé- mies ou sociétés savantes. De l'autre côté s'étaient placés les amis de M. Hermite, sur l'initiative desquels les obsèques avaient été célébrées, plusieurs Français résidant à Palma, les ingénieurs civils et plusieurs membres de l'Académie — 4 — palmesanne, des Beaux-Arts et du collège de la Sapiencia. Les autres sièges étaient occupés indistinctement par un très grand nombre de personnes appartenant aux classes les plus élevées; nous devons noter aussi la présence de beaucoup de littérateurs et d'artistes, de divers chefs mili- taires, du clergé séculier, de deux petites sœurs des pauvres, et d’un grand nombre de dames, qui ont répondu serupuleu- sement à l'invitation de la commission et montré qu'elles savaient rendre hommage au talent et à la science du défunt. Nous remercions bien sincèrement, au nom de la commis- sion chargée de la célébration du service funèbre de M. Her- mite, et en notre nom personnel, les Pères de l’ordre de Saint-Philippe-de-Néris, qui ont bien voulu nous prêter leur concours dans l’accomplissement de ce dernier devoir envers notre affectionné défunt. Cet humble travail serait incomplet, si des colonnes de El Ancora nous n’adressions à l’illustre famille de M. Hermite, au nom de toutes les personnes qui ont assisté à ses obsèques, l'expression du profond respect et de la vive sympathie qui unissent les habitants des Baléares à sa juste douleur. Que Dieu accorde à toute sa famille et à ses collègues de l'Uni- versité d'Angers, sa résignation chrétienne et l'éternité bienheureuse qui, nous l’espérons, aura été donné en partage au vertueux et savant Henry Hermite! BARTHOLOME FERRA. Extrait du journal El Demôcrata, publié à Palma. — N° du 8 avril 1880. — Article de M. P. P. Verniére. HONNEURS FUNÈBRES RENDUS A HERMITE. Il y a quelques heures, nous assistions à la messe qui vient d’être chantée en l’honneur du malheureux Henry Her- mite. Ce doit être une grande satisfaction pour tous les habi- tants des Baléares, de savoir que leur pays a rendu au jeune savant envers lequel ils sont si redevables, des honneurs funèbres vraiment dignes de ses mérites et de ses travaux. La messe a été célébrée par le sympathique vicaire général du diocèse, au défaut de Mgr l’évêque, empêché par ses infir- — 4) — mités d'officier lui-même. Il était assisté de quelques autres dignitaires de l’église. Quatre candélabres, portant chacun quatre grands cierges de cire, occupaient les angles du sarcophage. L'autel était aussi splendidement illuminé ; aux quatre côtés du catafalque correspondaient quatre grandes couronnes, l’une de laurier et d'immortelles, avec l'inscription : « Les amis de M. Her- mite, professeur, ete.» ; une autre, de laurier et de pensées, avec celle-ci : « La Députation provinciale à M. Hermite » ; une troisième, portant l'inscription : « L'Institut Balear à M. Hermite », et la quatrième était offerte au nom du journal El Ancora. La jolie messe de Florit a été très bien exécutée, avec un grand nombre de voix accompagnées de l'orgue et de quel- ques autres instruments de musique. L'assistance était nom- breuse et choisie. L'église mayorquine, la Députation provin- ciale, l'Institut Balear et El Ancora, méritent sans contredit le plus grand éloge de la part de tous ceux qui savent appré- cier les faits avec un esprit impartial. L'Eglise a honoré ainsi par tous les moyens dont elle dispose, le savant labo- rieux en même temps que le fervent catholique ; tout en l'honorant elle-même, elle s’est acquittée de la part qui lui revenait dans la dette commune de reconnaissance que tous les habitants des Baléares ont contractée envers Hermite. La Députation provinciale, en participant à cette céré- monie, à payé une partie de la dette qui lui incombe comme corps représentatif de la province. Espérons qu'elle ne tar- dera pas à satisfaire pleinement les obligations qu'elle doit encore remplir envers l’illustre défunt. L'Institut Balear, comme corps scientifique, était bien à sa place dans une cérémonie de ce genre; et enfin E/ Ancora, en sa qualité d’organe spécial des catholiques, a dignement rempli son devoir. Qu'ils reçoivent donc tous maintenant les félicitations et les remercîments de l’un de ceux qui furent honorés de l'amitié du distingué géologue, et eut l’occasion d’apprécier personnellement l'ardeur infatigable et les profondes connais- sances du savant modeste, l'absolue sincérité, la vaillante franchise dans la défense ardente de toutes ses convictions, et les vertus peu communes de l’ami fidèle et dévoué. (1e Diamétralement opposé à Hermite par les convictions poli- tiques et religieuses, l’amour de la science nous unissait ; j'admirais ses vastes connaissances en géologie, son dévoue- ment complet et désintéressé à la science, 7. nombreuses qualités de son caractère. Mais, laissant pour le moment cette très honorable amitié, ne serait-il pas indigne de toute excuse que, devant cette tombe, si prématurément ouverte et creusée par les fatigues excessives, auxquelles l’entrainait son ardeur passionnée pour le progrès scientifique, devant cette tombe ouverte par une science consacrée tout entière au service des Baléares, devant ce martyr de Mayorque et de son archipel, il se pro- duisit des hésitations malheureusement aussi inévitables que douloureuses à constater, et qu'en gage des sentiments de vénération, d’admiration et de respect, unanimemens£ accor- dés au martyr, au savant, à l'homme vertueux et à l'ami, on ne lui donnât immédiatement le titre de Balear adoptif? Et maintenant, pourrons-nous espérer que les corporations civiles et particulièrement les conseils municipaux des trois capitales Baléares conféreront au malheureux savant, en récompense des services qu'il leur a rendus, le titre de citoyen adoptif? Si les services rendus à un pays suffisent à un étranger pour lui mériter ce titre, personne ne le mérita jamais à l’égal d'Hermite. Qu'ils sont nombreux, les citoyens de cet archipel qui n’ont pas fait pour leur patrie une minime fraction de ce que ce savant fit pour eux au prix de sa vie! P. P. VERNIÈRE. En présence des témoignages de sympathie donnés à la mémoire d’'H. Hermite et des honneurs funébres qui lui ont été décernés par les habitants des Baléares, les professeurs de la Faculté des sciences d'Angers ont tenu à honneur de faire connaître les sentiments de recon- naissance qui les animent, envers toutes les personnes qui ont contribué à honorer le souvenir de leur regretté collègue. En conséquence, l’adresse suivante a été en- ET ue voyée au D' Jaume y Garau, l’un des principaux pro- moteurs de la pieuse manifestation de Palma. Angers, 2 mai 1880. Très-honoré Docteur, Monseigneur le Recteur, prélat de la maison de Sa Sainteté, le Doyen et les Professeurs de la Faculté des Sciences de l’Université catholique d’Angers, vivement touchés de la pieuse et sympathique démonstration dont leur regretté et très-aimé collègue, le professeur Henry Hermite a été l’objet de la part des Mayorquins, dans l’église de Saint-Philippe-de-Néris, à Palma, vous prient d’agréer l'assurance de leur profonde recon- naissance, et d'offrir leurs sincères remerciements aux membres du comité qui a organisé la cérémonie reli- gieuse. Ils vous demandent aussi, de vouloir bien présenter leurs hommages respectueux et l'assurance de leur sin- cêre gratitude à toutes les illustres corporations qui ont assisté ou se sont fait représenter à la cérémonie funèbre, à savoir : La Députation provinciale, le Conseil municipal de la noble ville de Palma, l’Institut Balear et spécialement M. Herreros, directeur de cette savante compagnie, ainsi que les autres Académies ou Sociétés savantes qui ont contribué à donner un si éclatant témoignage d’estime à la mémoire d’'H. Hermite. Ont signé : Henry Sauvé, recteur ; E. Tarnier, doyen de la Faculté des Sciences, TurQuAN, professeur de mathématiques; Lac DE BosREDON, professeur de mathématiques; ARNAUD, professeur de chimie; Hy, professeur de botanique; Dr P. Maisonneuve, professeur de zoologie; RAvAIN, pro- fesseur de physique. SLT ON La Société géolugique de France, dans la séance solennelle qui eut lieu en l’honneur de sa cinquantaine, le jeudi 1er avril 1889, entendit le rapport fait par - M. Daubrée, professeur au Muséum et à l’Ecole des Mines, membre de l’Institut, sur les principaux travaux accomplis dans l’année. Nous en extrayons le passage suivant qui concerne notre ami : La fondation dont notre regretté confrère, M. VIQUESNEL, nous a doté, continue à porter d'heureux fruits. Appelée à la décerner pour la quatrième fois, la Société a fixé son choix sur un jeune savant que nous venons hélas! de perdre. Après avoir pris part brillamment à la guerre de 1870, d’abord comme sous-lieutenant, puis comme lieutenant d'in- fanterie, M. Henry Hermre avait quitté la carrière militalre pour se-consacrer entièrement à la science. Il ne tarda pas à s’y distinguer par des travaux qui attestent l'observateur consciencieux et perspicace. C’est à lui que l’on doit la cons- tatation définitive du silurien supérieur près d'Angers. Ses études sur les îles Baléares comprennent l'Orographie, la Stratigraphie et la Paléontologie de l’Archipel espagnol. Précédé d’un historique érudit, le texte est accompagné de nombreuses coupes, de cartes et de représentations de fossiles nouveaux, qui en rehaussent l'intérêt. Ce travail nous montre une série stratigraphique nombreuse, à la base de laquelle est le dévonien qui, à Minorque, atteint près de mille mètres d'épaisseur, sur un dixième de la surface ‘totale de l’île. Dans ce groupe, l'auteur a même rencontré de petites couches riches en archæocalamite et en sphænophyllum, fait remarquable, les végétaux terrestres se montrant jusqu'à présent très rares au-dessous du dévonien moyen. Dans le Trias, M. Hermite a su reconnaître, outre le grès bigarré, antérieurement constaté, des assises correspondant au Muschelkalk et aux marnes irisées. Minorque n'avait encore fourni aucun fossile liasique, M. Hermite est parvenu à y distinguer le niveau caractérisé par le Rhynchonella meridionalis. RERO es Dans l'étude de Majorque il a rencontré les couches à Ammoniles transitorius, dont l'âge véritable divise les géo- logues. Passant à l'examen des terrains tertiaires, l'auteur a démontré que la formation lacustre de Majorque, que l'on croyait supérieure aux Calcaires nummulitiques, leur est au contraire inférieure. Il a reconnu, en outre, qu'au-dessus de l’éocène moyen, il s’est déposé une série d'assises apparte- nant à l'éocène supérieur. Enfin, il a su rectifier et compléter, dans beaucoup de cas, les données qu’on possédait déjà sur divers autres étages, tels que le néocomien, le miocène, le pliocène et le quater- naire. Il préparait un travail de beaucoup d'intérêt sur la limite du lias supérieur et de l’oolithe inférieure dont il avait réuni de très belles faunes pour enrichir nos collections géolo- giques. Un second voyage que M. Hermite ne craignit pas, malgré les fatigues d'une première et longue exploration, de faire dans ces îles qu'il affectionnait, acheva de ruiner une santé déjà ébranlée. Peu de temps après son retour il expirait, le 8 mars, à l'âge de 32 ans, au moment même où vous lui votiez la juste récompense que nous décernons aujourd’hui à sa mémoire. Que cette marque de haute estime, déposée sur Sa tombe, puisse apporter quelques consolations à ses malheureux parents! Liste des ouvrages de M. Henry Hermite. NOTE SUR LE GENRE TRocHoToMA (Extrait du Bulletin de la Soc. géol. de France, 18 juin 1877, tome V). ÉTUDE PRÉLIMINAIRE DU SILURIEN DES ENVIRONS D'ANGERS (Extrait du Bull. de la Soc. géol. de France, 29 avril 1878, tome VD). SUR LA PRÉSENCE DU SILURIEN SUPÉRIEUR A LA MEIGNANNE, PRÈS D'ANGERS (Extrait du Bulletin de la Soc. géol. de France, 29 avril 1878, tome VI). OBSERVATIONS GÉOLOGIQUES SUR LES ILES MAJORQUE ET MINORQUE SOC. D’AG. | n EM TU (Extrait des Comptes-rendus de l’Acad. des Sciences, 30 dé- cembre 1878, tome LXXX VII). OBSERVATIONS SUR LES ILES MAJORQUE ET MiNORQUE (Suite) (Ext. des Comptes-rendus de l’Acud. des Sciences, 13 jan- vier 1879). NOTE SUR LA POSITION QU'OCCUPENT À L'ILE MAJORQUE LES TERE- BRATULA Dipxya ET JaAniToR (Extrait du Bull. de la Soc. géol. de France, 27 janvier 1879, tome VII). Communication à la Soc. géol. de France, le 19 mai 1879, sur L'EoPreris Morieret Er LE. CRIEI. ETUDES GÉOLOGIQUES SUR LES ÎLES BALÉARES, l‘* partie : Majorque et Minorque; Savy, 1879. ES POSSIBLE OBTENER AGUAS ASCENDENTES EN MaLLorcA? tradu- cido al Castellano por D. Pedro Estelrich (Œxtr. du: Porvenir Balear, n° 15, 1879). Los Pozos ARTESIANOS EN MALLORCA, traduccion castellana de D. Antonio Jaume y Garau; Palma, Gelabert, 1879. LES SOURCES DES ÉTABLISSEMENTS DE SAINT LOUIS PAR M. PAUL VIOLLET Le xrne siècle n’a pas été seulement une grande époque artistique, illustrée par la construction d’un nombre considérable de magnifiques cathédrales ; c’est encore une période brillante par la rénovation des études juridiques et par le développement de la science théologique. Le siècle qui vit naître Dante et saint Thomas d'Aquin a produit aussi nos premiers jurisconsultes. Tandis que l’Université de Paris formait des théolo- giens, des métaphysiciens, des canonistes, l'École d’Or- léans élevait de nombreux civilistes. Le droit romain était étudié avec ardeur, surtout dans cette dernière ville. Cette législation n’a jamais été complètement abandonnée, ainsi que l’a démontré M. de Savigny ; on Y'étudiait dans les couvents et dans les écoles épiscopales RS CR pendant les premiers siècles du moyen âge; mais au xir1e siècle l’étude du droit romain prit une extension nouvelle et des plus importantes. On voulut appliquer à la législation féodale et coutumière les principes em- pruntés au Digeste et au Code, interpréter l’une par l’autre ces deux législations, et les fondre ensemble; en même temps on rédigea par écrit nos coutumes pro- vinciales. C’est alors que parurent Pierre des Fontaines, Beaumanoir, l’auteur anonyme du Livre de Jostice et de Plet, et avant eux Jehan d’Ibelin et Philippe de Navarre, rédacteurs primitifs de nos anciennes coutumes. Mais parmi les ouvrages, fruit de leurs études et de leur expérience des affaires, brille d’un vif éclat le livre connu sous le nom d’Établissements de Saint-Louis, ou comme on disait au moyen âge, les Établissements-le- Roi. Quel est l’auteur de cet ouvrage ? Où et quand a-t-il été rédigé ? Est-ce une œuvre formée d’un seul jet ou une com- pilation? Et dans la seconde hypothèse quels sont les éléments qui auraient servi à la composer ? Est-ce un Code rédigé par l’ordre du roi, sanctionné et promulgué par lui, ou n’est-ce qu’un travail privé, dépourvu de tout caractère officiel ? | Questions d’un haut intérêt pour l’histoire générale du droit français et tout spécialement pour celle du droit angevin. La divergence d'opinions qui s’est depuis longtemps manifestée entre les savants éditeurs des Etablissements montre que la solution de ces diverses questions offre d’assez grandes difficultés. M. Viollet, bibliothécaire de la Faculté de droit de ou Paris, prépare en ce moment une nouvelle édition des Établissements de Saint-Louis, et il a donné lecture devant l’Académie des Inscriptions d’un mémoire inti- tulé Les sources des Etablissements de Saint-Louis’, qui est en quelque sorte l'introduction de son livre. Cet important travail fait l’objet de la présente analyse. L'auteur du mémoire nous donne la date probable de la rédaction des Établissements de Saint-Louis, car l’un des manuscrits, celui de Montpellier, se termine ainsi : Anno domini M°CC°LXX tercio, die lunæ, ante festum beati Johannis baptistæ. D'autre part une décision de Philippe le Hardi, prise au Parlement de l’octave de la Toussaint 1279, est visée aux chapitres xxix et xxx1 du livre IT *. D’où résulte que l’ouvrage aurait été composé dans les derniers mois de 4272 ou dans les premiers de 1973. L'auteur des Etablissements ne serait pas Étienne Boileau, prévôt de Paris, rédacteur du Livre des métiers, auquel on attribue généralement cet honneur. Ce serait un jurisconsulte d'Orléans ou qui du moins habitait cette ville. M. Viollet induit cette conclusion de ce double fait qu’en citant les usages de Paris, il ajoute les mots ef d'Orléans, et qu’il avait la tendance de l’école juridique de cette ville, c’est-à-dire une grande prédi- lection pour le droit romain. Ces raisons ne sont peut-être pas absolument pro- bantes, toutefois on ne peut méconnaître leur valeur sérieuse. Nous verrons bientôt en effet que le rédacteur 1 Séances des 2 février, 2, 9 et 23 mars 1877. ? Cette ordonnance supprime les nouvelles avoueries et défend d’en établir à l’avenir. (Isambert, Ord., t. IL, p. 649, n° 241.) — hi = des Établissements connaissait parfaitement l’Orléanais et ses coutumes tant générales que locales. Quant à son nom, il est, resté absolument inconnu. Mais cette ques- tion n’a qu’un intérêt secondaire; passons à un point plus important. Tous les historiens de notre droit ont remarqué le rapport intime qui existe entre les Établissements de Saint-Louis (le livre Ier spécialement) et les Anciennes coutumes d'Anjou. Sur ce point tout le monde:est d’ac- cord; mais à qui appartient l’honneur de l’antériorité ? Quelle est la mère et quelle est la fille? De Laurière croyait les coutumes d'Anjou, du Maine et de Touraine sorlies des Établissements de Saint-Louis. Ducange au contraire inclinait à penser que les Établissements avaient été tirés des anciennes coutumes d'Anjou, et de nos jours, M. Laferrière a adopté cette dernière opinion ‘. Le travail d’analyse auquel s’est livré M. Viollet, et dans lequel il a fait preuve d’une remarquable sagacité, me paraît avoir complètement résolu la question. Notre auteur a remarqué d’abord que les nombreuses cita- tions empruntées au droit romain et au droit canonique par le rédacteur des Établissements n'étaient que des gloses, des additions surajoutées à un texte primitif, souvent même des incises qui coupent maladroitement ce texte et rendent la phrase inintelligible. Supprimez l’incise et vous retrouvez le sens exact de la première rédaction. Ce procédé ainsi constaté en divers passages du livre * démontre d’une manière évidente que les 1 Histoire du droit français, t. VI, ch. vi. ? Liv. L ch. 1, xxvi, cu; Liv. IL, ch. x1v, xv, xx. LUN Établissements ne sont pas une œuvre de premier jet, mais un remaniement d’une œuvre plus ancienne, et par conséquent antérieure à 1273, date probable de la rédaction définitive. Il y a plus : non seulement les citations extraites du droit romain et des Décrétales sont des interpolations, mais le texte primitif lui-même est loin de provenir d’une même origine. M. Viollet a reconnu quatre sources différentes auxquelles a puisé le rédacteur des Établis- sements. Le chapitre 1er du livre Ier est un règlement de pro- cédure pour la prévôté de Paris, ainsi que l’indique son contexte même. Les chapitres 11-vir sont la reproduction presque tex- tuelle de l’Ordonnance de saint Louis contre le duel judiciaire, rendue à l’octave de la Chandeleur, en 1260 ‘. Les chapitres v-cLxvinr sont pour la plupart extraits d’une Ancienne coutume d'Anjou, ce dont il est facile de s'assurer en les comparant avec les plus anciens manuscrits des Goutumes de notre province. Voici quelques exemples. Le chapitre xxvi des Éta- blissements, relatif aux aiournements et à la détention préventive, est identique au chapitre correspondant de la Coutume d'Anjou ; il n’y a de différent qu’une cita- tion de droit romain insérée par le rédacteur des Établissements. Il en est de même du chapitre Lxv rela- tif aux actions possessoires, du chapitre GxxIx qui traite des Juifs, du chapitre cxxxiv où il est question des 1 Isambert, t. L, p. 289, n° 189. —_ 0 — bornages. Là aussi, cet auteur n’a fait que reproduire la Coutume d'Anjou en y insérant des gloses extraites du droit romain ou des Décrétales. Il à même commis en copiant le manuscrit qui lui servait de modèle des erreurs de transcription. qui devaient passer dans le texte des Etablissements. Ces fautes, en altérant le sens primitif, ont préparé des tortures aux futurs commentateurs. Par exemple au chapitre Lx le compilateur a mis : « Nule dame ne doit ne ost, ne chevauchiée déso- «remais ; se ele est feme le roi ele doit bien: envoier « tant de chevaliers comme ses fiés doit. » Cette rédaction n’a pas de sens, car la fin de la phrase contredit le commencement. Avant comme après le rêgne de saint Louis, la femme qui tenait un fief du roi lui devait le nombre d'hommes fixé par l’usage du fief. La Coutume d'Anjou portait : « Nule dame ne doit «ne ost, ne chevauchiée de soi (c’est-à-dire en per- « sonne), mais se elle est feme le roi, etc. » Le rédacteur avait mal transcrit son texte; la difficulté disparaît quand on a recours à celui de la Coutume d'Anjou qui a dû lui servir de modèle. Le chapitre cxvr des Etablissements, relatif au bail ou garde des mineurs, est presque inintelligible ; on n’en comprend le sens qu’en recourant à la Coutume d'Anjou qui admet un double bail de la terre et un double bail de la personne du mineur. Elle donne aux parents paternels la garde des biens paternels, aux parents maternels celle des biens maternels ; des deux tuteurs de la personne, l’un doit être pris dans la ligne paternelle et l’autre dans la ligne maternelle. Gette OR — organisation de la tutelle est assurément compliquée, mais le texte de la Coutume d'Anjou l’expose d’une manière claire et précise. La rédaction de l’auteur des Etablissements est au contraire obscure et confuse; elle reproduit d’une manière incomplète le texte primitif et supprime des membres de phrase indispensables pour le rendre intelligible. Au chapitre cxxvint il est question de savoir qui a compétence pour connaître d’une action intentée par le mes du roi à son débiteur. Ces mots mes du roi ont beaucoup fait travailler l'imagination des commenta- teurs. De Laurière croit qu’il s’agit du petit-fils du roi; Ducange, de l’envoyé du roi et se reporte aux mssi dominici de Charlemagne. (’était chercher bien loin. Il ne s’agit pas plus du missus que du petit-fils du roi, nous dit M. Viollet. Le rédacteur des Etablissements a mal transcrit le texte de la coutume d'Anjou qui parle tout simplement du Juef du roi, c’est-à-dire du Juif qui a le roi pour unique seigneur, dans un chapitre correspondant à celui dont nous nous occupons. Si l’auteur des Etablissements a souvent mal repro- duit les textes de la Coutume d'Anjou, il arrive quel- quefois aussi qu’il les rend mieux que les manuscrits de cette coutume actuellement connus et qui ne datent que du x1ve siècle. Les chapitres XLIvV, avi et cxvi des Etablissements, relatifs à la tenure en parage, au partage et à la cession de l'hommage féodal, présentent une leçon plus cor- recte que celle des manuscrits de notre ancienne cou- tume et peuvent servir à les rectifier. De ces diverses observations il résulte que le livre Ie RES des Etablissements de saint Louis a été extrait presque entièrement (sauf les huit premiers chapitres) de l’An- cienne coutume d'Anjou, déjà rédigée avant les Etabls- sements et que la priorité appartient à la coutume de notre province. Le texte exact de l’Ancienne coutume d'Anjou et la Compilatio de Usibus Andegaviæ, publiée par M. Marmier, renferment des dispositions favorables au duel judiciaire qui montrent que la première rédac- tion de cette coutume n’avait pas subi l’influence de Ordonnance de 1260 sur ce sujet; c’est encore une preuve bien forte de son antériorité sur les Etabls- semenis qui reproduisent au contraire toutes Iles! dispo- sitions de cette même ordonnance. ; Qu'il me soit permis de corroborer cette conclusion par le témoignage de deux chartes, l’une du mois de juin 1262, l’autre de l’année 1270, toutes deux anté- rieures par conséquent à la rédaction des ÆEtabhs- sements et dans lesquelles la Coutume d'Anjou approu- vée se lrouve mentionnée ‘. M. Viollet se propose de reconstituer cette primitive Coutume d'Anjou à V'aide des Etablissements de saint Louis, dégagés du bagage un peu lourd de Décrétales et de droit romain qu'y a inséré le compilateur et des fautes de transcription qu’il a commises. Ce sera pour l’histoire du droit de l’Anjou un travail des plus'inté- ressants *. D Csbee Secundum consuetudinem Andegaviæ approbatam. » (Charte originale du mois de juin 1262, du château d'Epinats.) « …. Segont l'usage. et la coustume de Anio aprovée. » (Charte originale datée du dimanche d’après Quasimodo, l’an de grâce mil dous cenz saisante et dez, du même chartrier.) 2 M. Beautemps-Beaupré, vice-président au tribunal de la = Gi —— Nous passons au livre II des Etablissements dont la source jusqu'ici n'avait pas été trouvée et que notre auteur a indiquée. Gette seconde partie a été copiée sur une ancienne coutume d'Orléans. Voici les raisons qui le prouvent. Le chapitre xvir du livre Il traite de la procédure usitée pour réclamer en justice une chose volée; le chapitre xxur, de celle adoptée contre un homme qui en a blessé un autre. Ces deux chapitres portent dans les meilleurs manuscrits ces mots : se/on la teneur de la charte, défigurés dans les éditions, et font allusion à une charte donnée en 1168 à Orléans et qui règle pré- cisément ces mêmes matières. Dans le premier de ces chapitres on mentionne même la foire de Pâques ; or, il se tient à Orléans une foire à cette époque. Les cha- pitres xx1v (des injures), xxvi (de la sommation à com- paraître devant le prévôt), xxx1x (de la confiscation des biens des voleurs et des meurtriers), xL1 (de l’irruption à main armée sur la terre d’autrui) se référent à d’an- ciens textes de droit pénal orléanais déjà publiés comme tels par La Thaumassière. Leur origine ne peut donc faire aucun doute. k Le chapitre xxx du même livre, qui traite des ma- riages entre personnes de condition différente, c'est-à- dire entre un homme libre et une serve, entre un serf et une femme libre, est encore plus évidemment d’ori- gine orléanaise, car on y fait mention des serfs de Seine, publie un recueil complet de toutes les rédactions de la coutume d'Anjou depuis le xni° siècle jusqu’à la rédaction offi- cielle du xvi° siècle. Cette collection sera un monument d'une haute importance élevé à l’histoire du droit de notre province. — 60 — Sainte-Croix et deSaint-Aignan qui sont, comme on sait, deux églises d'Orléans. Aux chapitres XXXIT, XXXV, XXXIX, XL et XLII, et dans certains manuscrits, au chapitre xx du livre IT, l’auteur se refère textuellement à l'usage d'Orléans. Il en est de même au chapitre xevur du livre Ier relatif à la succession des bâtards. Divers passages mentionnent aussi l’usage de Sologne. Enfin, dans l’ensemble de ses dispositions, le livre I présente une grande ressemblance avec le Livre de Jostice et de plet, qui est certainement d’origine orléa- naise. M. Viollet n’a pas de peine à le démontrer par le rapprochement d’un grand nombre de passages extraits des deux ouvrages. Reste à savoir si c’est le rédacteur des Etablissements qui a fait des emprunts au Livre de jostice et de plet, ou si c’est celui de ce dernier ouvrage qui a puisé dans les Etablissements. Contrairement à lopinion de Klimrath et de Laferrière, M. Viollet accorde la priorité au Livre de jostice et de plet, par ce motif que les derniers arrêts datés, recueillis par l’au- teur, sont bien antérieurs aux Etablissements ; ils paraissent même avoir élé ajoutés après coup et n’avaient pas encore revêtu la forme que l’auteur des Etablissements devait leur donner plus tard. M. Viollet espère pouvoir reconstituer avec le texte des Etablissements et les documents déjà connus l’an- cienne coutume d'Orléans, œuvre plus difficile encore que la reconstitution de la primitive coutume d'Anjou. Ce seront deux appendices d’un haut intérêt qui, mis à la suite du texte des Etablissements, feront toucher du doigt le procédé usité pour la rédaction de cet ouvrage. L’auteur des Etablissements renvoie aussi dans un ON = passage relatif à la procédure en cas de meurtre, à l’Usage de France’. Un titre de la table du Livre de jostice et de plet est ainsi conçu : « Ci commencent les titres de la première partie des costumes de France. » Qu’étaient ces coutumes de France et l’usage de France auxquels renvoient les Etablissements ? On l’ignore. M. Viollet indique seulement l’existence de ce problème sans chercher à le résoudre. La conclusion de toutes ces remarques est facile à tirer. Les Etablissements de saint Louis ne sont point une œuvre originale et créée d’un seul jet. C’est un travail de seconde main, une compilation rédigée à l’aide de documents d’origine très diverse, à savoir : deux textes d'anciennes coutumes, un règlement de procédure emprunté aux usages de Paris, une ordon- nance de saint Louis sur le duel judiciaire, et de nom- breux emprunts faits au droit romain et aux Décrétales et insérés au travers des vieux documents coutumiers. Quelques chapitres du livre Il paraissent seuls à M. Viollet être l’œuvre personnelle du rédacteur ?. Gette conclusion me semble parfaitement légitime et je n’hésite pas à l’adopter. Les raisons de M. Viollet me paraissent convaincantes sur ce point : les Ævablis- sements sont une œuvre de seconde main, une vraie compilation. Aux sources qu'il a indiquées, il me semble qu’il faudrait en ajouter une autre : les usages non écrits 1 Liv. [, ch. crxiv. ? Ce sont : un chapitre inséré entre le xxxime et le xxxiv®, le chap. xzu, et peut-être aussi le chap. 1°", ZE de procédure des cours laïques, car on lit à chaque instant cette formule dans les Etablissements : « selon l'usage de court laie, selon l’usage de court de baronnie, » qui me paraissent se référer à des usages traditionnel- lement suivis plutôt qu’à des coutumes ou styles déjà rédigés. Au chapitre xx du livre IE, le rédacteur cite « l'usage de la court laïe et de l’hostel du roi. » Mais en résulte-t-il que les Etablissements soit un travail purement privé et dépourvu de tout caractère officiel ? Le roi y serait-il resté complètement étranger? Jusqu'ici tous les historiens de notre législation, tous les éditeurs de ce livre avaient cru le contraire. En tête de plusieurs manuscrits des Etablissements on lit une préface qui commence ainsi : « L'an de grâce «1270 li bons Roys Loeys fit et ordena ces establis- « sements avant ce que il allast en Tunes, en toutes les « cours layes du royaume et de la prévôsté de France, « et enseignent ces Establissements comment tous juges « de court laie doivent oir et jugier et terminer toutes « les querelles qui sont tretiées pardevant eux, et des « usages de tout le royaume et d'Anjou et de court de « baronnie, etc. » Ce document n’est évidemment qu’une addition pos- térieure à la rédaction du texte, mais il est ancien cependant et montre que peu d’années après la mort de saint Louis on considérait les Etablissements comme une œuvre législative édictée par son ordre. La préface est suivie dans les mêmes manuscrits d’une formule de promulgation ainsi conçue : « Loyes roys de France par la grâce de Dieu, à tous « bons chrétiens habitans el royaume, et en la seigno- 169 « rie de France et à tous autres qui y sont présents et « à venir, salut en Nostre Seigneur. « Pour ce que malice et tricherie est si porcreue centre l’umain lignage.... avons ordené ces establis- « sements selon lesquiex nous volons que len use ës «cours laies par tout le reaume et la seigneurie de « France. » | Cette formule de promulgation manque dans plu- sieurs manuscrits ainsi que la préface. Malgré cela, on l'avait jusqu'ici considérée comme authentique. Lafer- rière attache même une grande importance à ce document et regarde comme impossible qu’il soit l’œuvre d’un faussaire. M. Viollet est d’un avis contraire et rejette complètement cette formule parmi les Spu- ria ; l’état des manuscrits ne permet pas, dit-il, de la considérer comme l’œuvre authentique et officielle du roi. Peut-être, toutefois, n’insiste-t-il pas assez sur les motifs qui lui font classer ce document comme apo- cryphe. M. Laferrière cite cependant trois documents à l’ap- pui de l'authenticité des Etablissements. 4° Par lettres patentes du mois de décembre 1274, Philippe le Hardi prescrit d'exécuter l'ordonnance du roi, son père, contre ceux qui sont restés excommuniés pendant un an et un jour ‘. Le chapitre cxxIn du livre Ier des Etablissements renferme la même disposi- tion. M. Laferrière en conclut que le roi Philippe le 1 « Et primo super excommunicatis compellendis qui susti- nuerunt excommunicationem per annum, scire volumus quod constitutionem domini et genitoris nostri probamus et nolumus in aliquo contraire, » (Isambert, t. Il, n° 249, p. 655.) nr Hardi considérait les Etablissements comme une ordun- nance royale. Mais cette raison n’est pas absolument probante, car Philippe le Hardi avait peut-être en vue non le texte même des Etablissements, mais l’ordon- nance rendue en 1298 contre les hérétiques albigeois, ordonnance qui a servi de modèle au chante en ques tion des Etablissements . 20 Beaumanoir, dans son ee sur la Nouvelle dessaisine se refère aux Établissements-le-Roi qui punissent celui qui s’est rendu coupable d’une dépos- session violente d’une amende de 60 livres s’il est gen- tilhomme, et de 60 sols s’il est vilain ?. Il existe, il est vrai, deux ordonnances de saint Louis contre les guerres privées, des années 1245 et 1957 ; mais ces ordonnances ne parlent pas de cette amende de 60 livres ou de 60 sols, suivant la condition du coupable *. Ce n’est pas au texte de ces ordonnances que. Beaumanoir fait allusion, mais à celui des Etablissements, comme il est facile de s’en convaincre en comparant les passages cités. | Beaumanoir regardait doncles Etablissements comme l'œuvre du roi ayant force législative. Or, ce juris- consulte a composé son ouvrage vers 1280, c’est-à-dire dix ans après la mort de saint Louis ; 1l était bailli de ! Ordonnance d'avril 1228, art. 7, Isambert, t. Ier, n° 144, p. 233. ? « Et est li establissemens tex que. et sui queus en l’amende le roi... de tant fet il plus grant despit au roi quant il va contre l'establissemens que li rois a fet por le commun porfit de son roiaume. » (Beaumanoir, Cout. de Beauvoisis, ch. xxxnr, n° 28. Comp. Établissements de Saint-Louis, liv. IL, c. xLr. $ Isambert, t. 1er, p. 247 et 280. MENT. een Clermont en Beauvoisis et très versé dans tous les tra- vaux législatifs du temps. Donc il n’a pu se tromper sur l’origine du livre en question. Une aussi grave autorité est encore pour Laferrière une preuve certaine de l’authenticité des Etablissements. M. Viollet ne nous paraît pas avoir suffisamment réfuté cet argument qui a une grande valeur. Il faut observer toutefois que l'amende de 60 livres était déjà prononcée par l’ancienne coutume d'Orléans, publiée par La Thaumassière, et se retrouve dans le Livre de jostice et de plet pour un cas analogue; lé compilateur des Etablissements ayant fondu ensemble diverses dispositions législatives empruntées tant à cette coutume qu'aux ordonnances royales, Beaumanoir a donc pu être trompé sur la provenance originaire de celte disposition, ce qui affaiblirait ici son autorité. 3° Le $ 7, n° 2 (p. 19), du Livre de jostice et de plet porte textuellement : « Li roi par le conseil de ses « barons fit tel établissement, quant len ara soupcenos « un home de bogrerie (hérésie), etc... » Or, ce pas- sage est copié sur le chapitre Lxxxv du livre Ier des Etablissements. Pour l’auteur de Jostice et de plet, qui écrivait vers la fin du xrri° siècle, les Etablissements étaient donc, dit M. Laferrière, une œuvre législative, officielle, promulguée en Parlement avec l'assistance des barons. Remarquons toutefois que ce passage est extrait de l’ancienne coutume d’Anjou, qui elle-même l'avait pro- bablement emprunté aux ordonnances royales contre les hérétiques, ce qui expliquerait l’allusion faite par le s0C. D’AG. 5 = ft = Livre de jostice et de plet à l'intervention des barons *. Pour M. Viollet d’ailleurs, le Livre de jostice est plus ancien que les Etablissements, et c’est le rédacteur de ceux-ci qui a emprunté au premier. M. Viollet rejette donc comme peu concluantes les raisons apportées par l’auteur de l’histoire du droit français. Pour lui, les Etablissements sont dépourvus de tout caractère officiel, de toute valeur législative ; c’est une œuvre purement privée. Cette conclusion, je dois le dire, bouleverse toutes les idées reçues jusqu’à présent. Aussi M. Viollet devrait peut-être donner un plus grand développement aux arguments qu’il invoque en faveur de sa thèse sur ce point difficile. Si saint Louis est resté étranger à la rédaction des Etablissements, comment expliquer d’où vient le titre Etablissements-le-Roi que ce livre a toujours porté? Il est même bon de remarquer que le manuscrit cité par de Laurière, et dans lequel manquent la préface et la promulgation, débute cependant par ces mots : « Ci ce commencent li Establissement le roy de « France, selonc l’usage de Paris et d'Orliens et de « Touraine et d’Anjou et de l'office de chevallerie et « court de baron. » M. Viollet ne nous explique point ici l’origine de ce titre, peut-être nous le fera-t-il connaître dans son grand ouvrage. Qu'il me soit permis en attendant d'émettre comme hypothèse une explication sur ce sujet. Le mot établissement, dans la langue juridique 1 Comparez l’article 4 de l'ordonnance de 1228, déjà citée, et l’art. 94 de l’ancienne coutume d'Anjou. RP EAU du moyen âge, veut dire ordonnance. Les Etablissements- le-roi sont donc le recueil des ordonnances royales. Or, le livre dont nous nous occupons se refère souvent aux établissements ou ordonnances du roi; celle de 1260 sur le duel judiciaire n’est pas la seule que cite le com- pilateur !. De là sans doute le nom donné à son œuvre. Lui-même paraît du reste avoir adopté ce titre *. Quant à la formule de promulgation, elle peut avoir été em-— pruntée par un copiste à quelque ordonnance particu- lière et mise en tête du recueil, sans aucune pensée de fraude. Quoiqu'il en soit, ce n’est pas sans quelque regret d’une illusion perdue que nous voyons enlever à saint Louis l'honneur d’avoir tenté le premier la fusion des coutumes de France tant entr’elles qu'avec le droit romain et la législation canonique. Le vif amour que saint Louis portait à la justice est attesté par Joinville dans son style si plein de charmes : « Le roy n’oublia pas cest enseignement, ainçois gou- « verna sa terre bien et loialement et selonc Dieu, si « comme Vous Orrez Cy-après..… « Maintes foiz avint que en esté, il aloit seoir au boiz « de Vinciennes après sa messe, et se acostoioit à un « chesne et nous fesoit seoir entour li, et touz ceulz qui 1 Le chapitre xxxvu du livre le fait allusion à l'ordonnance de 1245 sur la trève du roi; les ch. Lxxxv et cxxu11 aux ordonnances contre les hérétiques; les ch. xx1x et xxx1 du liv. IL, à celle contre les nouvelles avoueries. — En divers endroits du livre des Éfa- blissements on lit cette formule : « Selon les establissements le roi. (Voir notamment Liv. If, ch. 11, x, xx, XXXVUIT, XLII.) ? « Si come il est dit dessus el commencement des establis- sements le roi. » (Liv. IL, ch. xr.) En « avoient à faire venoient parler à li sans destourbier « de huissier ne d’autre. Et lors il leur demandoit de « sa bouche : a yl ci nullui qui ait partie? « Et tout le peuple qui avoit à faire par devant li, « estoit entour li en estant, et lors il les faisoit délivrer, «en la manière que je vous ai dit devant du bois de « Vinciennes. » | Les ordonnances de saint Louis montrent toutes son désir de faire entrer l’esprit vraiment chrétien dans la loi et de refréner la barbarie qui dominait encore dans les usages judiciaires ‘. Aussi n'est-il pas étonnant qu’on ait cru facilement qu’il était l’auteur du livre des Etablissements-le-Roti. Nous attendons avec une vive impatience la publi- cation du grand ouvrage de M. Viollet. Son étude sur les Sources des Etablissements est bien faite pour don- ner une haute idée. de ce que sera l’ouvrage complet auquel elle sert d'introduction. On admire la science profonde et l’esprit pénétrant de l’auteur, la clarté, la méthode, le talent d'exposition dont il fait preuve. Il a su répandre la lumière sur un des points les plus diffi- ciles, mais aussi les plus importants de l’histoire du droit français. G. D’EspPINay. 1 Telles sont ses ordonnances sur le duel judiciaire, la quaran- taine-le-roi, les guerres privées, etc. — Il prescrivit aux baillis la recherche des coutumes usitées dans leurs territoires. (Cartulaire de saint Louis cité par Isambert, t. Ier, p. 358.) LR —— IN ' OT EH SUR LES HERBORISATIONS DE LA Faculté des Sciences d'Angers En venant vous présenter cet aperçu de nos excur- sions, je ne fais que renouer une chaîne de traditions chères aux botanistes angevins. Si le soin d’explorer le sol natal pour en signaler les richesses naturelles est un des devoirs qui s'imposent des premiers au natu- raliste, les amateurs de l’Anjou ont de tous temps com- pris et rempli cette obligation. La nouvelle Faculté des sciences ne pouvait laisser en dehors de ses études le point de vue si intéressant de la flore locale; sans oublier l’objet propre de l’ensei- gnement de la botanique qui doit être l’organisation générale des plantes, l'histoire de leur vie et de leur développement, elle a fait entrer pour une part impor- tante dans son programme l'étude descriptive appli- quée aux végétaux indigènes. Ce sont les principaux | ee résultats obtenus en cette voie que je me permettrai de vous présenter ici, en les faisant précéder de quelques remarques sur l’état actuel de nos connaissances relatives à la flore de l’Anjou. S'il est peu de régions en France qui aient été explo- rées par un plus grand nombre d'amateurs et de sa- vants que notre pays, nul ne peut s’en étonner, car la richesse d’une contrée en productions naturelles est le meilleur excitant pour déterminer les vocations de naturalistes. Sans présenter sur son territoire aucune de ces stations exceptionnelles, qui, telles qu’un litto- ral maritime ou une chaîne de montagnes constituent pour les amateurs un champ d'exploration toujours envié, le département de Maine-et-Loire compense par la variété de sa constitution géologique ce qui peut lui manquer sous le rapport de l’altitude. Sa position géo- graphique elle-même au centre de régions disparates constitue une des conditions principales de la richesse de sa flore, qui est essentiellement une flore de tran- sition. Tandis que les landes et les tourbières de l'Ouest présentent la physionomie propre de la Bretagne, la végétation méridionale étale une partie de ses richesses dans les plaines du Saumurois ; plus d’une espèce des coteaux de Normandie se retrouve sur notre plateau calcaire de Baugé, et maintes fois descendues des mon- tagnes de l’Auvergne, certaines plantes, suivant le cours de la Loire, sont venues s’acclimater sur ses rives. À cel ensemble déjà si varié, que l’on ajoute la flore par- ticuliére aux environs de notre ville, celle qui cons- titue son caractère le plus original, cette foule de plantes spéciales qui recouvrent au printemps comme — 71 — un riche manteau les pentes des phyllades et des micas- chistes, et l’on aura une idée du vaste sujet d’études qui s’est offert depuis un siècle aux recherches des botanistes angevins. Aussi, bien que des travaux im- portants et beaucoup de découvertes isolées aient apporté successivement leur part de lumières, il ne faut pas s'étonner si le tableau de la flore locale est réellement encore fort incomplet. Une telle assertion peut, au premier abord, paraître étrange et j’éprouve aussi le besoin de la justifier. Trois flores successives dues à des botanistes de valeur, et surtout les publications plus récentes de M. Boreau, ce vétéran regretté des botanistes de l'Ouest, ont sans doute avancé très loin nos connaissances, mais il est toute une partie importante, celle des plantes inférieures, qui est restée presque entièrement dans l’oubli. Celle même des phanérogames, nonobstant le grand nombre des travaux qui en ont fait l’objet, se trouve loin d’être terminée. Un système inauguré par une école récente a fait mettre en doute dans une foule de genres la délimitation jusqu'alors admise entre les espèces. Les partisans de cette école n’ont fait au fond que poser un problème; ce n’est pas à des obser- vations passagères, mais à l’expérience de longues années qu’il appartiendra d’en donner la solution. Pour avoir trop méconnu ce principe et voulu prendre & priori parti pour l’un ou l’autre système, les luttes ont été très vives à ce sujet, mais l’on peut dire sans résultat. Et pourtant un de nos illustres compatriotes, qui, plus d’une fois, a porté dans les sciences naturelles D la lumière, que la logique des faits l’avait de longue date habitué à trouver dans le domaine de la chimie, M. Chevreul avait, dès 1846, signalé la marche à suivre lorsqu'il écrivait ces lignes dignes de toute attention :- « Quoique dans l'opinion commune les travaux des naturalistes se rattachent au groupe des sciences qualifiées de pure observation, nous devons faire remar- quer la part de l’expérience dans ces mêmes travaux. Lorsque les naturalistes ont atteint le but de leurs - recherches en donnant des descriptions parfaites des espèces, c'est que leurs travaux se sont trouvés assis sur une base fournie par l’expérience... Toutes les fois au contraire que la base vraiment expérimentale dont nous parlons manque au naturaliste, il se trouve exposé à l'erreur, en ce qu’il pourra prendre pour une espèce particulière, soit des variétés, soit des individus jeunes ou vieux appartenant à des espèces déjà connues ou s'ils appartiennent à des espèces qui ne le sont pas encore, il se trompera en énonçant comme caractères spécifiques essentiels des caractères exclusivement par- ticuliers aux individus qu'il a sous les yeux ‘. » Ces paroles renferment toute une méthode, celle qui, par une critique motivée, permettra seulement d’éclaircir le sujet ; vouloir accumuler des descriptions sans contrôle, ce serait ajouter à un chaos de nouveaux éléments de confusion. Les données les plus récentes de la physiologie viennent encore donner à cette idée un appui des plus 1 Rapport sur l’Ampélographie du comte Odart (Mém. de la soc. royale d'agriculture, 1846, 2€ partie, p. 293.) Re EST solides. Il n’est plus permis aujourd’hui de voir dans les phénomènes de croisement ct d’hybridation des faits rares et exceptionnels que la nature tolère parfois mais du moins qu’elle ne présente jamais sans le con- cours de l’industrie humaine. Les observations journalières montrent que l’inter- vention inconsciente mais efficace du vent et des insectes suffit à les produire, avec une abondance -proportionnée à la multiplicité même des agents employés. Dès lors si les causes de variations entre espèces ou races voisines sont faciles et fréquentes, on peut douter avec quelque motif de la valeur spécifique de ces formes que l’on a décrites sans avoir suivi leurs générations successives, sans avoir établi leurs degrés de parenté ou d’affinité. Sans préjuger la question, ni condamner irrévoca- blement toutes les nouvelles espèces récemment pro- posées, il est au moins prudent d’attendre avant de les admettre que l’épreuve indispensable de lexpé- rience ait assuré leurs droits. C’est cette marche lente mais sûre que l’on compte suivre à la Faculté des sciences d'Angers, et tous les soins seront mis à exposer comme à appliquer cette méthode. Bien qu’à peine sortis des soins matériels d’une première installa- tion de jardin botanique, quelques jalons ont été plantés dans cette voie, mais naturellement les résultats se feront attendre , car la révision compléête de la flore suppose une série de petites monographies des principaux genres basées sur la culture comparée de leurs espèces. | Pour l'addition de plantes nouvelles au catalogue des HS 7 UE - phanérogames signalées en Anjou, elle ne peut être désormais importante, après que tant d’explorateurs ont pris notre région comme champ de leurs travaux : je ne puis signaler ici qu’une espèce, Galium glaucum L. (Asperula galioides M. B.) qui abonde dans la prairie de la Chaussée à Saint-Lambert-la-Potherie. Dans le sous-rêgne des plantes cryptogames le champ d'observation se présente plus vaste encore au bota- niste. À l’exception de quelques familles qui forment le groupe des vasculaires et que les floristes ont, pour la plupart, comprises dans leurs ouvrages, les autres classes si nombreuses des muscinées et des végétaux sans feuilles n’ont encore été l’objet d’aucun travail d'ensemble Cependant l'intérêt qui s'attache à cette étude ne peut plus être méconnu de personne ; le re- proche de n’ajouter rien à nos connaissances pratiques ne saurait même lui être justement adressé. (Juelques familles sans doute par la petitesse et l’innocuité de leurs représentants semblent ne jouer qu’un rôle mesquin, ou du moins très-uniforme à la surface de la terre, mais lorsque l’on réfléchit à la multiplicité de leurs espèces, à la diversité de leurs stalions, on reconnaît bien vite que pour être très humble leur rôle n’en est pas moins appréciable à cause de l’abondance et de la répétition des effels qu’il produit. Du reste n’y eût-il dans l'étude de ces petits êtres qu’une matière à con- templation ponr le naturaliste et le philosophe, la mer- veilleuse élégance des tissus, la perfection étonnante des organes que le microscope révèle seraient encore une ample compensation aux recherches qui en font l'objet. Virgile autrefois cherchait une excuse pour y prendre comme sujet de ses chants les travaux rus- tiques : Sc canimus sylvas, sylvæ sint consule dignæ; le naturaliste doit-il done s’excuser aussi d'appliquer ses recherches à des objets mille fois plus humbles que les géants de nos forêts ? Gelte ressource du moins ne lui fait pas défaut, et l’on a pu voir dans notre siècle un homme d’État des plus connus consacrer ses loisirs à l'étude d’une famille dédaignée entre toutes. Les Hépa- tiques sont peut-être en effet les seuls végétaux dont on ne puisse indiquer aujourd’hui les propriétés utiles, et pourtant M. Barthélemy du Mortier, président de la Chambre belge, dans une série de publications dont la plus ancienne remonte à 1892 et qui s’est poursuivie jusqu’à sa mort, n’a pas craint d’attacher son nom à l’histoire naturelle de ces petits êtres négligés, qui semblent se cacher aux yeux du vulgaire pour ré- véler aux observateurs patients le secret de leur déli- catesse et de leur élégance. Les travaux publiés jusqu’à ce jour sur les crypto- games de l’Anjou sont assez peu nombreux pour qu'on puisse les énumérer ici brièvement. En 1809, Bastard donnait dans son Essai sur la site du département de Maine et-Loire une simple énumé- ration des espèces appartenant aux groupes inférieurs qu’il avait observées dans notre région, énumération du reste très incomplète et qui ne peut que faire con- naître les plantes les plus saillantes ; ainsi les algues, par exemple, n’y figurent que pour vingt-trois espèces. Les Observations sur les plantes des environs d'Angers en 1827 par Desvaux ont donné plusieurs localités de plantes intéressantes, mais la plupart avec trop peu de EYE précision. Quelques-unes n’ont même pu être retrou- vées : ainsi j'ai vainement recherché près de l'étang de la Forge à Pouancé Blasia pusilla que l’auteur indique -y existant en grande quantité, et Dicranum ovale (Grim- mia commutata. Brid) qui, d’après lui, couvre les ro- chers avoisinant la Pierre Bécherelle. Les descriptions si incomplètes et sans indications de localités de 147 espèces cellulaires dansla Flore de l'Anjou n’ajoutent à peu près rien au tableau. Guépin avait réuni dans les cartons de son bb de nombreux échantillons de plantes inférieures récol- tées autour d'Angers, mais les indications manquent aussi de la précision que l’on désirerait y trouver. D'autre part ses publications se bornent à une simple liste d'espèces en appendice à la troisième édition de - sa flore ; c’est donc un résultat bien insuffisant quand on songe à la réputation européenne que s'était acquise notre savant compatriote dans la HÉGUEHENE de ces plantes. C’est vraiment le lieu de regretter que parmi les élèves de ce professeur, il ne se soit trouvé aucun bota- niste assez intelligent et dévoué à la mémoire de son maître pour tirer parti des riches matériaux amassés . par lui. Aujourd’hui cette collection privée d'indications suffisantes, où les espèces exotiques sont confondues “avec les plantes du pays, ne peut être d’aucun secours, et l'abandon où elle est restée depuis la mort de son auteur, n’a fait qu’ajouter à un désordre déjà trop grand. L’Indicateur de Maine-et-Loire par M. Millet fournit çà et là quelques bons renseignements qui, d’ailleurs, MR De se bornent généralement aux espèces les plus communes et les plus apparentes. En 1867, M. Trouillard donnait la première publi- cation sérieuse et réellement intéressante dans le Cata- loque des mousses et hépatiques des environs de Sau- mur. Les localités indiquées avec soin, un grand nombre d'espèces rares constatées pour la première fois avec exactitude donnent à ce travail une valeur qu’il conserve encore. M. Bouvet s’est largement servi de ces documents dans le Cataloque des mousses et sphaignes du départe- ment de Maine-et-Loire publié en 1873. L'auteur a, du moins, eu le mérite de faire connaître quelques bonnes espèces avec des localités sûres, et surtout de réunir en un ensemble des renseignements qui jusqu'alors étaient restés épars. On y voit mentionnées notamment les mousses trouvées à Combrée par M. l’abbé Ravain, aux environs d'Angers par H. de la Perraudière, et autour de Baugé par le docteur Chevalier. Une note supplémentaire insérée au Bulletin des études scienti- fiques d'Angers, a redressé quelques erreurs de cette première publication et ajouté plusieurs détails du reste peu importants. En tenant compte de ces diverses publications je me bornerai ici à présenter quelques détails supplémen- taires pour les mousses proprement dites, et à donner “un catalogue des hépatiques récoltées dans le départe- ment. Une série de petites notes ultérieures me per- mettront, j'espère, de vous indiquer les espèces appar- tenant aux groupes inférieurs des thallophytes. ae ES Supplément au catalogue des mousses de Maine-et-Loire. PHASCACÉES. EPHEMERUM SERRATUM. Hampe. — « R. stérile Bouv. Cat. » est au contraire une des plus répandues au- tour d'Angers où tout l’automne on peut la trouver chargée de sporanges. Abonde surtout le long des rivières, au bord de l’étang Saint-Nicolas, dans les champs de luzerne en Frémur, etc. EPHEMERUM STENOPHYLLUM. Sch. — Bords de la Maine à Angers, et à Cantenay-Épinard. Diffère du précédent par ses feuilles d’un tissu beaucoup plus ferme, étroites, dressées, presque entières et nerviées. N. B. EPHEMERELLA RECURVIFOLIA. Sch. — Est notée par M. Bou- vet (Cat. mousses de M. et L.) comme croissant dans une boire desséchée à Montreuil-Belfroi. Cette indication est au moins sur- prenante, et sans avoir vu la plante de Montreuil on peut a priori douter qu'il puisse croître dans cette station une espèce des champs calcaires. Ephemereila est peut-être indiquée par confusion avec la précédente. PHYSCOMITRELLA PATENS. Sch. — AC. Étang de Beauce près Chaloché, Saint-Barthélemy, etc. MICROBRYUM FLORKEANUM. Sch. — Près des anciennes carrières de Saint-Augustin. PHascumM RECTUM. Smith. — Rochers calcaires de Beau- lieu. PLEURIDIUM ALTERNIFOLIUM. Br. — Champs de luzerne en Frémur. ARCHIDIUM ALTERNIFOLIUM. Sch. — Fructifie sur la rive droite de l’étang Saint-Nicolas. {4 — BRYACÉES. GYMNOSTOMUM ROSTELLATUM. Sch. — Bords de la Maine à Épinard, en Reculée. G. squarrosum. Wils. -- Bords de l'étang Saint-Ni- colas. G. TENUE. Schrad. —— Le Guédeniau, sur les rochers de craie tuffeau. WeïsiA FUGAX. Hedw. — Fissures des rochers schisteux sur la rive droite de l’étang Saint-Nicolas. Bords de la Divatte. DICRANELLA CERVICULATA. Sch. — Landes de Boudré à Seiches, où elle recouvre de larges espaces. DICRANUM MONTANUM. Hedw. — AC. sur les souches pourries dans les bois montueux. Noyant-la-Gra- voyére. Bois de Mollières, etc. D. FLAGELLARE. Hedw. — Bois de Mollières. DICRANODONTIUM SERICEUM. Sch. — C. sur les schistes en décomposition, rive droite de l’étang Saint-Ni- colas. CampyLopus FLExuOsUS. Brid. — Fructifie dans la forêt d'Ombrée. C. TurrAcEUS. Br. — C. Fructifie sur l’humus des bois et surtout dans les tourbières. Loiré, landes de Seiches, Juigné-sur-Loire, bois de Mollières, etc. CG. BREVIFOLIUS. Sch. — Rochers de Saint-Nicolas. CONOMITRIUM JULIANUM. Mont. — AC. Étang de Pouancé, de Noyant-la-Gravoyère, la Mayenne au déversoir de Sautré, La Maine à Angers. rfi POTTIA MINUTULA. Sch. — Champs argilo-calcaires à Coutures. Est bien voisin de Anacalypta starkeana, qui n’en diffère que par la présence très fugace d’un péristome. Dipymopon RUBELLUS. Sch. — Espèce rare en Anjou. Se trouve à mi-route d’Angrie à Candé, sur les ro- chers schisteux désagrégés. D. Luripus. Horns. — Angers, en Reculée. LEPTOTRICHUM FLEXICAULE. Hampe. Observée jusqu'ici seulement à l’état stérile en Anjou, elle montre pourtant dans la forêt de Chandelais la plante mâle chargée d’anthéridies. BARBULA BREBISSONI. Brid, — Rochers de Mürs. Bords de la Divatte. B. RuRALIFORMIS. Besch. — Çà est là mêlée aux touffes de B. ruralis. Chaumont. GRIMMIA CRINITA. Brid. — C. sur les murs et rochers calcaires. Angers, Villevêque, Seiches, Baugé, etc. GR. MONTANA. Sch. — C. autour d'Angers, sur les rochers exposés au midi. La Plesse, Saint-Nicolas, Pruniers, Mürs, etc. AMPHORIDIUM MOUGEOTI. Sch. -- Bords de la Divatte, près Landemont. Zvcopon viripissiMUs. Brid. — Fructifie à Combrée, à Chazé-Henry. Ucora crispA. Brid. — Fructifie communément dans les futaies. Forêts d'Ombrée, de Chandelais, Chau- mont. PHYSCOMITRIUM SPHŒRICUM. Brid. — Étang de la Gra- voyère, bords de la Loire aux Ponts-de-Cé. Mxium uNpuLATUM. Dill. — Fructifie à Combrée, route du Bourg d’Iré. M dt POLYTRICHUM COMMUNE. L. Cette espèce croît ordinairement dans les tourbières, et il est intéressant de la retrouver sur les points les plus élevés des coteaux Saint-Nicolas. Bien que la plante s’y trouve stérile, on la reconnaît à l'aspect que présente au microscope la section transversale des feuilles dont les lamelles sont distinctement canaliculées. Cette localité, du reste, est anciennement connue comme on peut le voir par un curieux échantillon que renferme l’'herbier de mousses donné par M. Trouillard à l’Université catholique. L'étiquette porte : « P. commune, recueilli par Bastard, au bois de la Haie, et déterminé par la Pylaie. » FonTiNALIS sQuAMOSA. Dill. — Croît à Argenton-Château dans un affluent du Thouet. Bien que cette rivière coule en Anjou sur un fond calcaire, on peut espé- rer y rencontrer plus bas cetle même plante. Leptopon smiTau. Mohr. — Indiqué par erreur à Combrée, a été découvert par M. l’abbé Ravain à Chazé-Henry, où il fructifie abondamment. Çà et là aux environs on trouve la plante mâle ou stérile et alors beaucoup plus grêle. NECKERA COMPLANATA. Sch. — Fructifie bien sur les troncs d’arbres dans les lieux couverts. Forêt de Chandelais, Loiré, Chazé-Henry. LEUCODON sCIUROIDES. Schwag. — Fructifie à Nyoiseau, dans la forêt de Chandelais, près de la colonne, à Pontigné, à Lasse. HETEROCLADIUM HETEROPTERUM. Sch. — Bords de la Divatte près Landemont. PYLAISIA POLYANTHA. Sch. — C. dans la région des vignes sur les vieux ceps. Croît aussi sur le tronc des arbres, à Saint-Barthélemy, Angers en Frémur, Cou- tures, Montilliers. Cette espèce ne ressemble réellement qu’aux formes grêles de SOC. D'AG, 6 Re Dons Homalothecium sericeum. Les autres analogies qu’on indique sont très éloignées et ne donnent pas l’idée de la plante. BRACHYTHECIUM PLUMOSUM. Sch. — Bords du ruisseau des étangs à Noyant-la-Gravoyère. EURYNCHIUM cIRGINATUM. Sch. — Roche d’Erigné. EUR. CRASSINERVIUM. Sch. — Bords de la Divatte. SCLEROPODIUM CŒSPITOSUM. Sch. — C. autour d'Angers, fructifie abondamment à Montreuil-Belfroïi. AMBLYSTEGIUM RIPARIUM. SCh. Parmi les formes que revêt cette plante polymorphe il en est une des plus remarquables que je signaleraï ici. Elle croît sur les plateaux de Frémur aux endroits déclives où l’eau séjourne l'hiver. Son port extérieur la rapproche d'Hypnum cordifolium, mais japrès une étude attentive je n’y puis voir qu’une forme non décrite de A. riparium. HYPNUM EXANNULATUM. Gümb. — Landes de Seiches. H. FLuiTans. Dill. — Fructifie à Juigné-sur-Loire. H. REVOLVENS. Swariz. — Landes de Seiches. H. corpirozruM. Hedw. — Fruct. dans la forêt d'Om- brée. H. GIGANTEUM. Sch. — Landes de Seiches. H. scorproines. Dill. — Landes de Seiches. SPHAGNACÉES. Toutes les espèces de Sphagnum signalées en Anjou y fructifient, excepté le S. subsecundum. . ACUTIFOLIUM. — C. . FIMBRIATUM. With. — À Juigné. . CUSPIDATUM. Ehr. — À Juigné. . RIGIDUM. Nees. — Landes de Seiches. . CYMBIFOLIUM. — C. Il est étonnant que des auteurs qui ont traité si minutieuse- un 1 A T2 A ment des sphaignes aïent laissé dans l'oubli une variété remar- quable de cette dernière espèce, autrefois décrite par Persoon et figurée par Hornschuch (Bryologia germanica) sous le nom de Sph. tenellum. Ses feuilles nettement squarreuses la font prendre au premier abord pour le vrai Sph. squarrosum. "Si les autres caractères font tomber cette illusion, c’est du moins une variété bien plus distincte que la V. compactum. Landes de Seiches, tourbière de la Uravoyère. Catalogue des Hépatiques, observées aux en- virons d'Angers et dans le département de Maine-et-Loire: JUNGERMANNIACÉES. SARCOSCYPHUS EMARGINATUS. Boul. — Sur la terre, dans les bois de Mollières, rochers de Mürs. Semble plus rare en Anjou qu'Alicularia scalaris dont il dif- fère par l’absence complète des amphigastres. ALICULARIA SCALARIS. Cord. — AC. sur les talus om- bragés. PLAGIOCHILA ASPLENIOIDES. Mont, — AC. dans les haies humides, au bord des bois. PI. spinuLosa. Nees. — RR. Rochers ombragés au bord de la Divatte, près de Landemont. SCAPANIA COMPACTA. Lindb. — C. autour d'Angers, abonde notamment sur les coteaux de Saint-Nicolas. Sc. UNDULATA. Nees. — R. Forêt d'Ombrée dans le ruisseau qui la limite au nord. SC. NEMOROSA. Nees. — C. le long des fossés dans les bois. Li. pes JUNGERNANNIA ALBICANS. L. — CG. au bord des sentiers dans les bois: J. OBTUSIFOLIA. Hook. — RR. et en petite quantité dans les boïs d’Avrillé. Ressemble en miniature à la précédente, mais les feuilles n'ont pas de nervure : on la reconnaît en excursion à ses touffes vertes et plus serrées. J. MINUTA. Dicks. —- RR. et peu abondante au bord d’un sentier dans le bois d’Avrillé. J. CRENULATA. Sm. — GC. coteaux ombragés de Saint- Nicolas, Avrillé, Juigné-sur-Loire. J. NIGRELLA. De Not. — R. sur les rochers de craie tuffeau en décomposition, au Guédéniau. Fruct. . VENTRICOSA. Dicks. — AR. Bois de la Haie. . BIGRENATA. Lind. — AC. Coteaux de Saint-Nicolas, bois d’Avrillé, Montreuil-Belfroi. J. INTERMEDIA. Lind. — R. Sables humides sur la route de Briollay à Villevêque. Landes de Soucelles. J. BARBATA. Schreb. — Très grande et belle espèce abondante sur la rive droite de l’étang Saint-Nicolas, AR. d’ailleurs. Ses formes varient au point de simuler des espèces véritables. La suivante est généralement regardée comme distincte. Cu Con J. ATTENUATA. Lind. — Parmi les bruyères sur les co- teaux de Saint-Nicolas. R. J. STARKEI. Nees. — AC. mais ordt. stérile. Fructifie bien dans le Bois l’Abbé. J. BICUSPIDATA. — CC. Dans les bois. J. CONNIVENS. — R. Sur les souches pourries dans les bois de Montreuil-Belfroi. FSU J. vurneri. Hook. — R. Dans les bois d’Avrillé et ceux de Mollières. Espèce très remarquable parses feuilles dentées sur le contour et qui ne se trouve guère que dans l’ouest de la France et dans l'Écosse. ]J. seraceA. Web. — R. Landes de Seiches où elle fruc- tifie, ce qui est très rare pour cette espèce. LOPHOCOLEA BIDENTATA. — C. dans les haies. L. HETEROPHYLLA. Nees. — AC. dans les bois, sur les souches pourries. : CHiLoscypHus POLYANTHUS. Nees. — Ruisseau de la forêt d'Ombrée. Pouancé. CALYPOGEIA TRICHOMANIS. Corda. — GC. mais souvent stérile. Fr. dans les forêts de Pouancé. C. ARGuTA. Nees. — Cette espèce, si c’en est une, se trouvait dans des exsiccata que m’a communiqués M. Trouillard et venant de Vivy. LepipozrA REPTANS. Lind. — AC. dans les bois, Mon- treuil-Belfroi, Angers, Noyant-la-Gravoyère, etc. MASTIGOBRYUM TRILOBATUM. Nees. — R. Coteaux boisés à Noyant-la-Gravoyére. TRICHOCOLEA TOMENTELLA. Dum. — R. Espèce trouvée par M. l’abbé Ravain dans une tourbière à Loiré : était indiquée aussi par Desvaux à Pouancé. Je l’ai recueillie encore sur les bords de la Divatte à Lande- mont. RADULA COMPLANATA. Dum. — CC. sur les ironcs d'arbres et les rochers. MADOTHECA LŒVIGATA. Dum. — Chalonnes. M. pLATyPHYLLA. Dum. — Troncs d'arbres et rochers C. Fruct. abondamment à la Baumette. CASQUE M. PoreLLA. Nees. — AC. au bord de l'étang Saint- Nicolas, rive droite, du reste assez peu répandue. Toujours stérile chez nous cette plante présente encore de nombreux passages avec l'espèce précédente. Ce sont ces formes plus ou moins distinctes que les auteurs ont nommées M. Rivu- laris, et M. Platyphylloidea. On peut voir une de ces variétés au bas des rochers de la Rive à Pruniers. LEJEUNIA SERPYLLIFOLIA. Lb. — C. sur les rochers, mais stérile. L. miNUTISSIMA. Spruce. — R. sur les troncs d’arbres dans le parc de Pouancé, à Chazé-Henry. FRULLANIA DILATATA. Nees. — CC. sur les écorces des arbres. Fr. TamaARIscI. Nees. — CC. sur les rochers et au pied des arbres. Stérile. FoSSOMBRONIA PUSILLA. — C. au bord des talus, dans les sillons humides, ou les sentiers des bois. PELLIA EPIPHYLLA. Nees. — AC. au bord des ruis- seaux surtout dans les bois. P. cazyaina. Nees. — R. Au bord des ruisseaux cal- caires, à Coutures près de Montsabert et à Soucelles. ANEURA PINGUIS. — AC. Lieux humides. Au bas des rochers de Mûrs. Combrée, etc. A. PINNATIFIDA. Nees. — Forêt d'Ombrée à la Lande Blanche. Lande de la Bataille à Noëllet. A. MULTIFIDA, Dum. — C. au bord des ruisseaux. METZGERIA FURCATA. Nees. — C. sur les arbres, mais ordin. stérile. Fruct. à Saint-Sylvain. AE, QG me MARCHANTIÉES. e LUNULARIA VULGARIS. Mich. — CC. sur les talus et les cours humides. Stérile. MARCHANTIA POLYMORPHA. L. — Sur les cours humides entre les pavés. Fructifie plus abondamment dans les bois, sur les places à charbon. FEGATELLA CONICA. Cord. — GC. autour de Combrée, Baugé. REBOULIA HEMISPHŒRICA. Radd. — C. autour d'Angers, Chaumont, Nyoiseau, etc. TARGIONIA HYPOPHYLLA. L. — C. autour d'Angers et dans toutes les parties où se trouvent des rochers d’ardoise. RICCIÉES. SPHŒROCARPUS MICHELIN. Bell. — R. Dans les champs au-dessus du Perray. RiccrA GLaAucA. L. — CC. dans les champs. R. B1FURCA. Hoffm. — Pelouses humides des plaines de Rosseau. Chaumont, au bord de l’étang de Mala- guet. R. mINIMA. L. — Camp de César, en Frémur. R. cizrATA. Hoffm. — R. Bois de l’Auberdière à Bocé. R. giscaori. Hüb. — (C. autour d'Angers sur les rochers d’ardoise un peu décomposés. Nous n'avons guère que la plante stérile, cependant à Juigné- sur-Loire on recueille des frondes mâles chargées d’anthéridies. R. CRYSTALLINA. L. — Bords de la Loire aux Ponts-de- Gé. Landes de Chaumont, sur des sables humides. RICCIELLA HUBNERIANA. Dum. — Bords de l’étang de la Gravoyère..Pouancé. R. FLUITANS. AL. Braun. — Dans les mares et les ruis- seaux. C. Les formes exondées de cette espèce présentent de larges frondes qui, au premier abord, semblent appartenir à une autre plante : c’est à cet état R. canaliculata. Lind. ANTHOCERÉES. ANTHOCEROS LŒvis. Lin. — C. dans les sillons humides et au bord des fossés. l A. PUNCTATUS. L. — AR. et dans les mêmes stations que la précédente dont elle diffère extérieurement par ses frondes vert pâle, à découpures plus étroites, frisées, et par sa taille plus grêle. Abbé Hy. L'AGRICULTURE EN ANJOU DEVANT LE LIBRE-ÉCHANGE Le travail que nous avons l’honneur de présenter à la Société nationale d'Agriculture, Sciences et Arts d'Angers peut se diviser en quatre parties : PREMIÈRE PARTIE. 1° Considérations pratiques sur le libre échange et le sys- tème protectionniste. 2° Distinction entre la production agricole végétale et la production agricole animale. 3° Description de l’agriculture anglaise. — Effets en 1860 du libre-échange sur la situation agricole, acquise depuis de nombreuses années par la culture anglaise. — Menaces de l'importation américaine en Angleterre. DEUXIÈME PARTIE. 1° Description de l’agriculture francaise. 2° Situation de l’agriculture américaine, au point de vue de la production des céréales et de celle des bestiaux. 3° De l’engraissement des bestiaux en Anjou. — Sa possi- bilité, sa nécessité. SOC. D’AG. 7 NO 49 Influence de la question des transports, sur la production de la viande. — Bouleversements que l'économie qu’ils apportent, produit sur l’économie rurale des pays de pro- duction. TROISIÈME PARTIE. 40 Études comparatives de l’économie agricole des dépar- tements du Calvados, de Maine-et-Loire et du Nord. 20 Étendue de la sole céréale et de la sole fourragère. 3° Étendue des cultures épuisantes et des cultures qui res- tituent, c'est-à-dire améliorantés. 4 Infériorité de notre culture dans l’Anjou et comme pro- ductrice de viande et comme productrice de céréales. 5° Rendement maximum de toutes nos cultures. 6° Mesure de notre infériorité. 7° Coup d’œil sur l’agriculture internationale. — Rang très secondaire qu’occupe la France. — Conséquences morales et de dépopulation qui en résultent, notamment en Anjou. QUATRIÈME PARTIE. 1° Résumé de la culture générale comparée des trois dépar- tements. 20 Étendue relative des soles cultivées en plantes épuisantes et en plantes demi-épuisantes. 3° Considérations techniques sur la culture de la betterave et des graines oléagineuses. 4° Étendue de cette dernière culture. — Exportations et importations. 5° Rendements comparés des graines et de l'huile de ces graines. 6° Importance des fumiers. — Valeur de leur emploi dans les trois départements. 7° Les proportions employées en Anj ou dénotent une culture pauvre et dépérissant. 8° Assolements divers dans l’Anjou. — Coup d'œil sur Ja culture des divers cantons. 9° Rapports internationaux entre les cultures industrielles. 10° Rendements comparés des récoltes-blé en Europe. 11° Notre rang — dans l'élevage des bestiaux de tous genres — notre infériorité. 12° Tableau résumé de nos comparaisons entre les trois départements. — Conclusions. PREMIÈRE PARTIE Le libre-échange devant l’agriculture générale. Une loi du monde moral veut que ce soit par la peine qu’on s’est donnée que nous arrive la récompense... Sans le feu comment tremper le fer? (Pensées de Mme DE SCHWETCHINE.) Tout le monde s'intéresse à la question des douanes, toutes les industries en ont discuté les tarifs; l’agricul- ture seule mise à l’écart depuis 1860 paraît devoir de nouveau être sacrifiée, car si on ne lui refuse pas le droit de parler de ses intérêts, on semble s’en inquiéter trés peu. L'agriculture cependant a des charges bien lourdes à payer, des impôts de tout genre; elle paie la main- d'œuvre à des prix de plus en plus élevés, et si l’éco- nomie des cultivateurs et leur prévoyance ne venaient parer à la fausse situation qui lui est faite, nous verrions bientôt délaisser encore plus l’industrie agricole. La vente de ses produits est donc pour elle une question vitale. Autrefois — il y a vingt ans — le libre-échange avait une doctrine bien simple : Suppression absolue des douanes ! Cette doctrine est séduisante a priori; il semble qu’elle soit providentielle, ne séquestrant plus Énger PUE les peuples, les rendant dépendants les uns des autres. C’est, à première vue, la loi de l'avenir. Dans ces derniers temps on a modifié ce que cette doctrine avait d’exclusif et d’absolu : on a cru devoir distinguer les droits fiscaux d’avec les droits protecteurs que dernièrement on a plus heureusement qualifiés de droits compensateurs : c’est changer uniquement les termes de la question. Aujourd’hui, les douanes (pour les partisans du libre-échange obligés d’amener leur pavillon) seraient une institution purement fiscale, mais nécessaire ; néanmoins on la trouve détestable et empi- rique lorsqu'on la considère comme devant protéger une branche indigène de la production nationale. Il est difficile de saisir a priori, la nuance qui sépare ces deux sortes de droits : Fiscaux par leurs résultats, ils sont une ressource précieuse de revenus publics : | mais selon nous, leur rôle principal est, avant tout, de protéger toutes nos industries nationales contre leurs rivales mieux partagées. Ce droit de douane est toujours juste et toujours bon puisqu'il sauvegarde l’existence de nos industries. La raison se refuse en effet à comprendre le libre- échange entre deux nations placées dans des conditions différentes sans que dans la lutte, l’une des nations ne succombe. Nous en prenons la preuve dans l’histoire du Portugal ; le traité de Metuen a été si funeste à ce pays qu’une partie de son sol (notamment toutes les vignes de Porto) appartient actuellement aux Anglais. Que peut être la nation dans une telle situation, que devient alors l’idée de la Patrie ? On s’explique difficilement tout un système écono- ge mique qui prétend qu’on s’enrichit à la fois en important et en exportant, en un mot de toutes les mamières:.. Si le libre-échange accepté — (quand ?) — par toutes les nations, représente la division du travail appliquée à l'humanité tout entière, produisant partout à bas prix, répandant dans chaque pays un prétendu bien être ; avouons de suite (sans craindre d’être classé parmi les arriérés) que c’est un grand mal au point de vue intel- lectuel, moral et physique. Si les droits des douanes doivent finalement servir à augmenter les revenus des États, ils doivent permettre avant tout, la création, la vie et la prospérité de toutes les industries qui doivent satisfaire les besoins de chaque peuple, pris isolément. C’est de cette seule façon que leur action, considérée à un point de vue philosophique, répondra à un plan divin. Il sera ainsi permis à chaque race, à chaque peuple (nous allions dire à chaque nationalité !) d’exercer son génie propre dans la culture, puis dans les transforma- tions des richesses naturelles mises à sa disposition. Qu’importent vraiment les causes d’infériorité avec lesquelles il faut lutter ! Dans de fâcheuses conditions, l’homme devient plus industrieux et plus travailleur; avec plus d'industrie et plus d’habileté il peut arriver à faire mieux et plus économiquement qu’il ne fait dans les meilleures con- ditions naturelles. C’est un concours offert entre les nations à la variété dans l'unité; c’est la lutte pacifique pour les exigences de la vie, c’est un champ ouvert au développement de l'intelligence de chaque race; La gr c’est (si l’on veut) un des desseins de Dieu, d'arriver par des voies parallèles et comparatives, dans lesquelles il y a à la fois différence et rapport, à une perfectibilité qu’il nous a ordonnée tout aussi bien au point de vue physique qu’au point de vue moral et religieux. La nation est un être moral qui doit être impérissable. Nous n’avons ni le droit ni le devoir d’effacer cette indi- vidualité des races et des êtres, individualité que la Providence nous a chargés uniquement de redresser comme d’élever. La fraternité générale qui semble être le programme officiel des libre-échangistes ne doit pas nous faire oublier que ce qui rapproche les hommes les expose souvent et qu’on ne se touche guëre sans se heurter. Quand il s’agit de l’avenir de l’humanité il faut viser plus haut et plus loin que le point matériel qu'il semble indispensable d’atteindre et ne pas se borner à l’appréciation du nécessaire. Voici l'opinion d’un éminent agronome, M. Bella : « Cette expérience que l’on a voulu tenter en 1860 « est faite depuis longtemps. Nous avons eu en France des provinces administrées séparément, ayant leurs « états, leurs douanes et formant autant de petites « nations distinctes. Les provinces fonctionnaient entre « elles comme les grands états fonctionnent aujourd’hui « entre eux; il y en avait de riches, il y en avait de « pauvres. Îl y en avait qui étaient douées de terres « fécondes, d’autres qui avaient plus de landes que de « terres cultivées. La révolution a détruit ces délimita- « tions des provinces ; elle a supprimé les frontières qui « « ( CS CS séparaient ces populations parlant un autre langage et ayant d’autres coutumes. La révolution a établi GE RES « entre elles la liberté de circulation et d’échange la « plus complète qu’on puisse imaginer. Bien plus, elle « a organisé entre ces diverses populations, entre ces « diverses régions d’un même pays, une solidarité aussi « parfaite que possible, puisque par l'intermédiaire de « l'Administration centrale et de l'impôt, les popula- « tions riches et prospères viennent à l’aide de celles « qui sont pauvres et souffrantes, C’est, en un mot, la « réalisation complète et sur une échelle déjà fort « vaste, du système libéral que demandent les libre- « échangisies, de ce système qui doit égaler la fortune « des nations par la péréquation de leurs fortunes « échangeables ! Eh bien! il est pénible de l’avouer : « ces différences de prospérité qui séparaient nos pro- « vinces subsistent encore, aussi tranchées qu’elles « l’étaient il y a cinquante ans; les unes soni riches, les « autres sont restées trés misérables. Voyez la Cham- « pagne, la Sologne, la Bretagne, le Berry lui-même et « tant d’autres provinces. » Le Zolwerein lui-même n’a pas enrichi la Poméranie, et la Bavière, sous la main de fer du Chancelier, n’est pas plus riche qu’à l’époque où s’administrant elle- même, elle tirait de chacune de ses richesses naturelles des industries florissantes nées à l’abri du système pro- . tecteur ! On doit donc protéger l’industrie d’un pays contre ses rivales mieux favorisées. Cette protection doit d’abord et surtout s'appliquer à l’industrie la plus importante d’un peuple, la production agricole indigène. En agri- culture, deux grandes industries ont dans leur existence opte et dans leurs fins une influence opposée, quoiqu’ayant les même bases, la production animale et la production végétale. IE. PRODUCTION VÉGÉTALE, PRODUCTION ANIMALE. On ne produit des végétaux qu'avec un appauvrisse- ment proportionnel mais relatif du sol : les animaux, au contraire (quoique en dernière analyse tirés du sol), ne sont créés qu'avec une création simultanée d'engrais réparateurs. La production végétale est impuissante à se soutenir d'elle-même; l’autre au contraire accroît d'année en année la fécondité du sol. Aussi la production animale est-elle la base de toute culture, améliorante et ration- nelle. Sans animaux, pas de céréales, pas de plantes industrielles; la vigne elle-même, épuisée, disparaîtrait bientôt; assez d’ennemis, chaque jour nouveaux, la combattent ! Dans l’Amérique du Nord (dans la Virginie et dans la Caroline) l’agriculture avait résolument abordé la cul- ture du tabac et celle du coton. Partant, pas de bétail, pas de fumier ; bientôt les forêts vierges furent épuisées. Il y a déjà trente ans, la stérilité était tellement grande que la moitié du sol de la Virginie était à vendre; dans les deux Carolines, les voyageurs étaient étonnés de voir des bâtiments gigantesques complètement abandonnés ; on avait à la fois enlevé les serrures, les portes et les fenêtres, pour aller ailleurs épuiser d’autres terrains. C’était la vie nomade des peuples pasteurs, mais avec Lg tous les perfectionnements de la science et — disons-le — de la spéculation ! Il résulte de ce premier aperçu, que toutes choses égales d’ailleurs, si la libre entrée des produits agricoles est reconnue nécessaire pour la vie à bon marché de toute une population, on peut réserver la question des droits d'entrée sur les produits végétaux, mais réclamer impérieusement la protection sur les produits animaux. Si nous arrivons à augmenter par ce moyen le bétail de la France du double, nous aurons doublé en quelques années, la production végétale par hectare. La culture des pays du Nord, en mettant en pratique ce principe el grâce à de certaines conditions particu- lières, est arrivée à produire trente hectolitres de blé à l'hectare. La production de la viande vient donc aug- menter d’une façon mathématique et indiscutable la production des céréales. LIT. Combien de contrées en France, n’obtiennent encore que dix à quinze hectolitres, qui, par des labours profonds et l’emploi plus rationnel et plus abondant de fumures naturelles ou chimiques s’il le faut, arriveraient au résultat plus haut indiqué ! Rendement qui, s’il n’est pas obtenu encore, doit l'être à tout prix sous peine de compromettre les sources vitales de notre fortune terri- toriale. Nous le disions dans un récent travail : « Un peuple peut adopter sur son territoire des com- « binaisons artificielles, négliger ses richesses, ses cul- « tures, en ne leur donnant pas toute leur valeur; mais Edge « dans ses relations avec les autres peuples, la réalité « des faits commerciaux apparaît et met en évidence le « vice des dispositions adoptées. » Or, nos cultivateurs n’ont pas assez considéré que le prix de revient des récoltes se divise en deux parties : une constante (frais de labour, semage, hersage; dans certains cas la rentrée et le battage) qui est toujours considérable et le rendement qui est la variante. Le prix de revient est inversement proportionnel au rendement; en augmentant ce dernier, la constante ne variant pas, on arrive (dans le Nord notamment) à diminuer à ce point le prix de revient que l’étranger ne peut lutter avec cette admirable contrée! IV. Notre conclusion, précédemment établie, de mettre un droit d'entrée important sur les produits animaux, blessera peut-être les intérêts de ceux qui emploient les produits animaux et qui demandent qu’on favorise l'entrée des bestiaux étrangers pour diminuer le prix de la viande. On a invoqué, à cel égard, des arguments dont la valeur est nulle — nous allons le prouver — mais dont le but était de frapper l’imagination. On a dit qu’en 1700, on mangeait plus de viande par individu et on attribuait ce fait à ce qu’à cette époque, il n’y avait pas de droits d’entrée sur les bestiaux étran- gers. On a même été jusqu’à prétendre que l’abaisse- ment de la taille de nos soldats tenait à l’absence de nourriture animale dans nos campagnes. Fi) tie Constatons bien vite que c’est une erreur et que la prétendue mauvaise nourriture actuelle de nos habitants n’est point cause de ce fait physiologique. En 1700 et plus, la nourriture des campagnes était INOUIE ; voilà ce que dit l’histoire : ox mangeait peu de viande et dans beaucoup de localités on n’en faisait aucun usage. Si la taille de nos coldats est diminuée, la cause en est aux grandes guerres qui ont enlevé la portion la plus vigoureuse de nos populations agricoles. L'industrie a contribué pour sa part à cet état de choses, elle a écrêmé la population de la campagne qu’elle ne lui rend pas, ou, tout au moins, qu’elle lui rend infirme etau phy- sique et au moral. Autrefois le paysan, mal nourri, travaillait à peine; aujourd’hui, sous l’empire de stimulants de tous genres et surtout de l’amour de la propriété, il travaille bien plus et compromet ses forces. Le pelit propriétaire de nos villes, l’ouvrier des usines, vivent de privations quoique se nourrissant mieux qu’autrefois. Ils souffrent dans leurs descendants aussi; car l’enfant est astreint dès son jeune âge à de rudes et lourds travaux. Ce n’est pas tout en effet que d'économiser, il faut avec toutes ses forces vives, augmenter la recette, augmenter le travail, augmenter la nourriture. Et malheureusement la seconde condition est la seule facile ! Disons aussi que le chiffre moyen de la mortalité s'élève de plus en plus et que les soins plus assidus et plus intelligents des mères, conservent presque tous les enfants qui, chétifs, mouraient autrefois. Il ne faut donc pas soulever cette question sociale et humanitaire devant — 100 — la nécessité reconnue d'empêcher l'entrée des bestiaux ou d’augmenter les droits d’entrée !. Nous allons maintenant examiner les effets que le libre-échange à produits sur l’agriculture anglaise. V. LE LIBRE-ÉCHANGE AGRICOLE EN ANGLETERRE. Autrefois, en Angleterre, l’échelle mobile existait de façon à conserver un prix rémunérateur pour les culti- vateurs récoltant le blé et l’entrée du bétail était abso- lument prohibée. Robert Peel fit décider l'adoption du libre-échange pour les denrées agricoles. Une enquête faite avant 1860, pour connaître les résultats donnés par cette liberté des échanges, prouva qu’ils avaient été favorables pour l’agriculture ; comme ils l'ont été depuis 1860 pour l’industrie anglaise, au point de vue de l’échange des produits fabriqués. Les moyens employés furent énergiques et un point _est acquis dans l’histoire de cette révolution : c’est que l'aristocratie anglaise, seul possesseur du sol, consentit pour favoriser la concurrence industrielle dans laquelle sa fortune était également engagée, à baisser la valeur des baux de ses propriétés foncières ; la vie matérielle de la population ouvrière s’obtint ainsi à meilleur compte. Il y a eu une lutte très vive entre les deux partis en présence, l’un voulant le libre-échange, l’autre la pro- tection ; des meetings nombreux se formérent. Bref le — 101 — parti agricole a élé vaincu. Les Anglais, disons-le à leur louange, acceptérent le fait accompli sans arrière- pensée comme sans plaintes. L’Anglais met de la vanité à ne pas étaler ses misères, le parti vaincu voyant que le retour aux droits pro- tecteurs était impossible, a pris Son parti en brave et dès lors il n’eut plus qu’un espoir et qu’une pensée : l'enrichissement de son sol qui lui permettra de réduire son prix de revient et toutes ses forces vives eurent comme objectif la prospérité et le développement de l’industrie qui achète et consomme. C’est pour ces grandes questions et non pour la poli- tique que se passionne l'intelligence du peuple anglais ! Le parti agricole s’unit au parti industriel, ils com- binèrent leurs efforts, comprirent que leur salut était dans l’adoption de ce système par les autres pays et les traités de 1860 nous entraînérent dans cette voie dont nous devions être les victimes. L'agriculture anglaise est sortie de cette crise; elle a le droit d’en être fière ! Ce n’est rien, a-t-elle dit, j’en ferai beaucoup plus! Mais malgré ces expressions | d'amour-propre satisfait, il est incontestable que le fardeau a été lourd. Or te/ travail supporté par un homme fait, tue un enfant ; des crises tuent les petits commer- çants et ceux qui restent debout s’ingénient pour lutter conire la mauvaise fortune. En effet, nous verrons plus loin quelle situation nouvelle est faite à l’agriculture anglaise par suite de l’importation des produits agricoles américains. — 102 — VI. L'enquête faite avant cet événement, avons-nous dit, avait prouvé que dans la lutte entre l’agriculture du Continent el celle de l’Angleterre, les idées libre- échangistes avaient eu gain de cause. Ces résultats étaient graves. Peuvent-ils s’appliquer à la France ? Par quels moyens est-elle arrivée à soutenir cette lutte? Quels points de ressemblance et de dissemblance a notre agriculture comparée à celle de l’Angleterre ? Quels exemples devons-nous en tirer ? En dehors de la question du capital, l’agriculture anglaise est tout autrement armée que la nôtre pour résister dans une lutte aussi hardie. Son agriculture a un caractère fondamental ; partout elle fait des denrées alimentaires, elle rejette les récoltes industrielles. Il faut incontestablement admirer son organisation. Placés sur un terrain restreint, peu propre à la culture (comme en Irlande), peu favorable comme climat à toutes les productions, les Anglais ont compris que placés près des villes, dont la population est dense, il fallait donner à manger à tout un peuple dépensant et consommant beaucoup. Ce principe, bien admis, avait d'autant plus sa raison d’être que les Anglais ont un goût prononcé pour la viande, trouvant que dans cette opération de la nutrition le temps est encore de l'argent ! et qu’il était plus simple et plus méthodique de n'avoir qu’à s’assimiler rapidement des aliments élaborés longuement dans l’estomac des herbivores. Or, nous savons que la production céréale épuise la culture, — 103 — que celle de la viande donne de l’engrais. Fabriquant de la viande, leur système agricole put donc enrichir à chaque instant le sol et la prohibition absolue qui existait alors, contribua ainsi pendant de longues années à la prospérité générale de leurs cultures. Leur climat n’est favorable ni aux vignes, ni aux céréales, ni aux récoltes industrielles, à cause de la rouille et de la verse (et cependant toujours ingénieux et pratiques, les Anglais ont créé des races de céréales résistant à la verse, à la rouille), mais il est favorable à la tenue économique du bétail et à la conservation des fourrages. La stabulation semble être en France, le meilleur mode d’élevage qui existe. La simplicité de ce système n’est qu’apparente; son organisation, belle à première vue, donnant un certain cachet industriel à la ferme est un leurre; sa cherté est indiscutable, les calculs qui en décuplent les avantages sont tous erronés; malheureu- sement chez nous ce système est souvent obligatoire. Aucune nourriture ne peut lutter d'économie avec la nourriture au pâturage ; l'animal est à la fois bouvier et faucheur. Il prend cette nourriture avec économie et prévoyance. Les plantes fourragères coupées à peu de hauteur (le raygrass notamment) arrivent à des hau- teurs, ou mieux à des longueurs inimaginables à priori. (Biot a calculé que si l’on coupe la luzerne, chaque fois que ses tiges atteignent 10 centimètres, on arrive ainsi en additionnant les longueurs successivement coupées, à la mesure de 2 mêtres; la même plante n'aurait donné que 1 mètre dans les deux coupes habituellement faites.) — 104 — Les fourrages poussent donc très rapidement sous la dent des bêtes et en Angleterre on est arrivé à des données plus étonnantes encore que celles que nous venons de signaler. N’insistons pas. Or, en Angleterre, le pâturage peut exister toute l’année, pas de bergeries, pas de bergers; un modeste enclos suffit. Tel est le matériel d’exploitation, Voilà dans toute sa simplicité la production sans travail. Or, à une époque où on mesure presque complètement par les frais du travail donné la valeur d’une culture, n'est-ce pas une admirable conception que cette pro- duction sans travail, si favorable à la grande culture qui exige de si énormes capitaux, quand elle opère comme chez nous! Incontestablement c’est cette pro- duction sans travail qui à son tour a favorisé le développement de l’industrie, et a été la cause de la richesse du sol de l’Angleterre, richesse qui a permis à l’agriculture anglaise de lutter avec succés contre toutes ses rivales du continent. Les Anglais ont encore d’autres points de supériorité sur nous. Le prix de revient d’une culture dépend non seulement du rendement, mais aussi de l’étendue du terrain cultivé. Ce qui en effet est vrai pour l’économie de la grande culture l’est aussi pour les cultures com- parées de pays rivaux. Or, tout système améliorant doit avoir en vue la production à meilleur marché et bientôt le sol de l'Angleterre a été partout défriché, étendu, les marais assainis par de grands propriétaires, qui mirent sous la même main de vastes exploitations. Cette mise en valeur de terres de moindre valeur fut facile puisque dans le système général de culture adopté par éux, — 105 — on se préoccupe relativement moins qu’en France du travail des terres et le capital d’exploitation fut toujours suffisant. | On comprend alors comment devant cette simplicité de moyens industriels et financiers, toutes les intelli- gences, tous les efforts se portèrent vers la spéciali- sation des animaux pour la boucherie, vers la création de ces races remarquables, travail merveilleux par lequel la machine animale, reprise à nouveau, fut assouplie, façonnée et pétrie, par de nouveaux et auda- cieux créateurs. Et nous devons nous incliner devant les résultats acquis! Le libre-échange est donc venu sortir l’agriculture anglaise, non de sa forpeur, mais de cet état magnifique. Mais si aujourd’hui la lutte venait la surprendre comme il ÿ a une cinquantaine d'années, comme en flagrant délit d'organisation, elle ne transformerait plus son sol, ne dessècherait plus ses marais, ne fertiliserait plus ses rochers. Quoique armée, comme elle l’est, de toutes - pièces, elle voit néanmoins dans l'Amérique un ennemi dangereux qu’il faut combattre. VIL. L’Angleterre ne faisant donc qu’accessoirement des céréales, le libre-échange n’a fait que restreindre davantage cette production. Tous les agriculteurs sont devenus producteurs de viande. Aujourd’hui, les bestiaux étrangers sont admis sans droits et si les arrivages d'Amérique n’inquiétaient pas à juste titre et depuis quelques années seulement la culture anglaise, l'étranger ne pourrait rien faire vis-à- SOC. D’AG. 8 — 106 — vis les moyens économiques de ce pays producteur. La Normandie pourrait seule lutter contre lui, à la condition cependant d’avoir recours largement à la race Durham, qui utilise la nourriture au double et jouit d’une précocité remarquable. Les Anglais veulent de la viande jeune et très grasse parce que c’est le rostbeaf et non le pot au feu qui constitue la nourriture journalière du peuple. Le bœuf même trés gras, a très peu de viande entrelardée, s’il est âgé. Nos races ne sont pas aussi précoces que les races anglaises. En Angleterre on tue à 4 ans; chez nous à 8 ans. Et ces conditions dernières sont celles où se trouvent tous les peuples qui peuvent importer en Angleterre. Cependant les Américains nouvellement _intervenus dans la lutte (par suite du bas prix d’achat des bestiaux chez eux) peuvent malgré le prix du trans- port, entreprendre une lutte que les Anglais refusent par les raisons les plus ingénieuses et les plus diplo- matiques. | Autrefois, la mer était peu favorable au transport des bestiaux, mais aujourd’hui les aménagements intérieurs des navires sont venus éloigner cette cause d’infériorité. Autrefois, quarante et quatre-vingts lieues de transport par la marche semblaient être une barrière contre les importations de nos voisins du continent. Actuellement les chemins de fer ont nivelé les situations et les dispo- sitions intérieures des wagons et des navires se perfec- tionnent de telle façon que des difficultés encore pen- dantes aujourd’hui disparaîtront bientôt. Nous avons vu qu’en Angleterre le libre-échange n’a pas modifié les errements de la culture. S'il avait fallu lutter, le fermier riche par lui-même aurait trouvé — 407 — partout de l'appui, partout à emprunter de l'argent. Aujourd’hui que la lutte avec l'Amérique s’accentue davantage, il compte trouver dans son gouvernement et réclame énergiquement une protection de quelque nature qu’elle soit. Il sait que le gouvernement anglais dépense sa vitalité et son intelligence dans des concep- tions pratiques et non dans ces luttes stériles des partis et de la tribune qui énervent notre pays. En attendant, la crise est grande et intense; il est plus que temps qu’à ce grand mal soit porté un grand remède. Voici ce que disait M. Pouyer-Quertier dans son discours de Toulouse : « En Angleterre, où le libre-échange a été préconisé, « les fermes ne peuvent se louer; l’agriculture est aux aboiïs, malgré les procédés ingénieux intronisés à « l’aide d’instruments perfectionnés et d'engrais chi- « miques appliqués sous toutes les formes. Mais le mal « est si profond et la misère si grande, qu’un cri de « détresse a retenti d’un bout à l’autre du Royaume-Uni. « Le gouvernement de la reine a fait une enquête ; une « Commission s’est rendue aux États-Unis, elle a cons- « taté des résultats merveilleux tels, que si nous ne « prenons pas des mesures préservatrices, notre agricul- « ture sera réduite à la plus triste et la plus déplorable « des situations comme celle de l’Angleterre elle-même. « Le 4 juillet, dans la Chambre des Communes, il a « été établi que « les fermiers ne pouvant payer leurs « termes étaient condamnés à l’émigration. » Comment l’Angleterre évitera-t-elle les conséquences de cette lutte terrible. C’est ce que l’avenir nous mon- trera | = — 108 — DEUXIÈME PARTIE Tableau de l’agriculture française. 12 M. de la Vergne, dont le monde scientifique porte en ce moment le deuil, a prétendu dans son remarquable travail sur l’agriculture anglaise, que le climat de l’'An- gleterre est moins favorable que le nôtre à la culture; nous croyons avoir suffisamment établi dans les consi- dérations précédentes, que (à considérer avant tout les bénéfices à réaliser, c’est-à-dire la prospérité réelle) notre climat est au contraire défavorable à la spécula- tion agricole, en rapport avec les exigences actuelles du commerce et de l’industrie. La Normandie qui se rapproche de l'Angleterre par ses conditions climatériques, est la plus riche contrée de la France; et peut-être a-t-elle tort de faire des céréales. S'il est plaisant de rire du soleil de /er-blanc de l'Angleterre, il est plus pratique et plus sérieux de constater que ce soleil est admirable pour la caisse du cultivateur. Quel est donc le caractère particulier de notre agri- culture ? La nature de notre sol, nos moyens de culture con- séquemment, sont des plus variables. En France, un caractère domine (excepté toutefois en — 109 — Normandie) c’est la production par le travail, au lieu de la production par les engrais; principe faux et déplo- rable dont la conséquence est l’appauvrissement du sol. Si nous voyons, dans le Nord notamment, un retour vers une situation de fortune meilleure, c’est que la production par le travail tend de jour en jour à en dis- paraître. De là ces études, ces essais continuels, ces créalions d'usines spéciales à la fabrication des engrais ; ces installations de sucreries et de distilleries qui resti- tuent intégralement au sol par lintermédiaire des bestiaux, les principes salins enlevés par la culture de la betterave : le sucre et l’alcool étant en effet des pro- duits enlevés à l’atmosphère et seuls exportés. Si, en dernière analyse, nous remontons aux motifs qui nous obligent à varier à l'infini nos cultures, nous verrons-que notre climat est la cause de notre décadence agricole, si nous ne modifions notre système cultural. Tout a donc changé depuis Young, qui disait le con- traire ? Non, mais notre climat facilite avant tout les cul- tures qui n’exercent qu’une influence fâcheuse sur notre système agricole, £e/ que les conditions actuelles de la vie ét les exigences du libre-échange nous obligent à le développer. Notre climat ne favorise pas la production fourragère, il est beaucoup trop froid en hiver; de là ces construc- tions indispensables d’étables, de greniers à fourrages et la production à un prix trop élevé de la nourriture du bétail. Nous avons bien quelques prés naturels, quelques fourrages artificiels et enfin les racines, sur lesquelles — 110 — on a malheureusement et peut-être forcément basé notre amélioration du sol. Mais les racines (il faut le dire) sont le plus coûteux de tous nos aliments et nos meilleurs fourrages, même les luzernes, ne valent pas un pâturage. Quand on donne du foin à 70 fr. au bétail, c’est trop cher, surtout quand, par le système de la stabulation, il faut gréver celte valeur déjà surfaite des prix de transport, d’emmagasi- nement et de distribution, valeurs qui viennent singu- lièrement augmenter Le coût du fumier. En résumé donc, notre climat nous conduit torcé- ment à des cultures n’enrichissant pas le sol et récla- mant des engrais, que malheureusement nous ne leur donnons pas en quantités bien mesurées. Vignes, muriers, capriers et toutes les cultures industrielles (notamment le chanvre, le colza, le lin, la garance), sont éminemment des cultures épuisantes et nous ne savons pas restituer au sol ce que nous lui enlevons. Une autre cause de notre infériorité dans cette lutte est notre pauvreté agricole, conséquence de la produc-- tion par le travail. C’est un de ces malheurs auxquels n’a pu parer (et pour cause) aucune des combinaisons financières, malentendues et arbitraires de la Bourse. Nous devons donc, tout aussi bien devant l’agriculture anglaise, si savamment entendue, que devant l’agricul- ture américaine (qui exploitera encore longtemps un fond de richesses qu’elle épuise) nous considérer comme l'enfant et il est à craindre que la crise actuelle ne soit trop forte pour:nos épaules. — 111 — IL. MENACE DES IMPORTATIONS AMÉRICAINES. Si pendant les dernières années, malgré l'entrée libre des céréales et des bestiaux, les prix des produits agri- coles se sont maintenus, il n’en est plus de même aujour- d’hui depuis l’inondation des produits de l'Amérique. Non-seulement les céréales nous arrivent de la nou- velle Amérique agricole que nous ne connaissions pas et dans des conditions ruineuses pour notre culture, mais encore les bestiaux des États-Unis et du Canada, inon- dant l'Angleterre, ferment le débouché que nous y trouvions parfois pour les nôtres. Cette importation n’a pas acquis en France une si grande importance qu’en Angleterre, parce que notre marine marchande, affaiblie et mourante, ne peut faire de pareils transports. Mais les temps approchent où l'Amérique y remédiera et trouvera des frêts de retour qui lui permettront de porter à notre économie agricole ce coup fatal. Si donc le libre-échange a pu ne pas paraître un monstre énorme pour notre agriculture, il n’en est plus de même auiourd'hui, que l'attaque a lieu de tous côtés. En 1878, nous avons importé 5,777,308 quintaux de blé et pour les neuf premiers mois de l’année 1879 nous en sommes à 8,920,324 quintaux. C’est 150 millions de francs pour l’an dernier et déjà 250 millions pour les neuf premiers mois de l’année courante, que nous payons à l’étranger. — 112 — Quant aux salaisons, nous en avons importé 30,000 tonnes l'an dernier, et nous sommes à 27,413 tonnes pour les neuf premiers mois de l’année 1879. C’est un tribut d'environ 50 millions par an. Il y a maintenant en Amérique 60,000 ares de vigne (en Californie), représentant 45 millions de pieds de vigne. C’est un marché entièrement fermé, pour nos expor- tateurs du Midi. Nos importations en bestiaux de tous pays suivent une progression terrible. Depuis le commencement de l’année, nous avons reçu et exporté : 1er novembre 1879. IMPORTATIONS. EXPORTATIONS. 190,490,000 £. (bestiaux). 19,714,000 f. 67,396,000 f. (viandes fraîches et salées). 6,844,000 f. 65,615,000 f. (graisses). 25,126,000 f. 322,500,000 f. d’importations, contre 51,680,000 f. d’export. Et voici le crescendo terrible de nos importations en bestiaux depuis 1859 : Agneaux, _ Bœufs. Vaches. Brebis, Moutons, En 1859 il a été importé 1,000,000 2,000,000 4,600,000 En 1878 — 55,000,000 30,000,000 117,000,000 Cette importation est encore accrue par l’action des Compagnies des chemins de fer, qui transportent les produits venant de l'étranger sur Paris, à 10 ou 19 fr. par tête meilleur marché que ceux provenant du pays même. Aussi la Normandie a-t-elle été vivement atteinte par cette invasion de produits étrangers venant d’Alle- — 113 — magne, d'Italie et de Suisse, de partout en un mot. Il faut donc que des compensations soient accordées aux cultivateurs français afin d'éviter qu'ils ne laissent le sol en friche. Les conditions de la production animale en Amérique sont bien faites pour décourager notre agriculture. En 1876, à la Plata, l'usine Fray-Bentos payait le bœuf gras à raison de 12 piastres fortes, celle de Ropicua à 14 piastres, les autres saladeros de l’Arroyo- Négro, de la Conception, de Guavyu de 15 à 44 piastres, soit donc une moyenne de 67 fr. 60 c. Dans ces pays tout est abandonné à la nature; les animaux engraissent quand la végétation commence et maigrissent quand elle s'arrête. C’est ainsi que de novembre à mai il est difficile d’avoir et d’embarquer autre chose que des animaux gras. L'état d’embonpoint importe peu cependant, attendu que les animaux embarqués, à cause de leur ämpression- nabilité, arriveront maigres ou bien diminués en Europe. Si on les achète maigres, les conditions d’achat sont donc encore meilleures pour l’importateur. Les Estancieros de l’Uruguay, qui se livrent à la pra- tique de l’engraissement, payent à l'entrée de l'hiver pour cette catégorie de bestiaux maigres qu’on leur amène du Brésil, de 7 piastres à 7 piastres et demie, c’est-à-dire de 36 fr. 40 à 39 fr. pour les vaches; de 9 piastres à 9 piastres et demie, c’est-à-dire de 46 fr. 80 à 49 fr. 40 pour les bœufs, tous animaux de 2 ans à 3 ans et demi, ce qui fait une moyenne de 42 fr. 90 par animal maigre. En mettant le prix de l'animal gras à 67 fr. 60, nous aurons pour prix moyen d'achat — 114 — pour toute l’année 55 fr. 25. Les pertes sont évaluées à 7,9 /o, Ce qui remet le prix d’un bœuf à 60 fr. La nourriture étant évaluée à 1 fr. par jour de traversée, il en résulte que sans compter les frais de transport qui sont un facteur que l’industrie des transports arrivera à diminuer de plus en plus, on arrive au prix de : 60 + 38 — 98 fr. Cest dans ces conditions que la lutte vient s’offrir ! Ajoutons qu'aux États-Unis, il existe des espaces immenses pour les travaux de l’agriculture (que le gou- vernement favorise de tout son pouvoir) et dans lesquels la culture des céréales s'étend bien plus que celle des pâturages encore surabondants. Que d'éléments pour lasser longtemps encore notre espérance et éloigner l’époque du nivellement des con- ditions de la lutte!! Pour le bétail, jusqu’à l’âge de 4 ans, l'élevage coûte 6 dollars ou 30 fr. par tête, plus 40 fr. pour le rendre aux ports d'embarquement de Boston à Chicago. Nous ajoutons 75 fr. pour le transport jusque dans nos ports, soit en tout 145 fr. par bête toute prête, morte et dépouillée, rendue dans un port anglais ou français, sous forme de viande conservée. Dans ces conditions, il a été importé en Angleterre en 1879 pour plus de À milliard de viandes fraîches, salées, jambons, etc., etc., sous toutes les formes. Pour compléter ce tableau plein de menaces pour avenir ajoutons que, malgré la crise industrielle actuelle, la culture américaine a fait des progrès inouïs dans les sept dernières années. — 115 — Il résulte en effet des chiffres de l’année 1877, com- parés à ceux de 1870, qu’une augmentation a eu lieu de : 34 0/, dans les terres en culture ; 22,50 c/, pour la production des blés; 90 0/, pour la production des blés gros grains ; 39 ©/, pour la production des orges ; 34 0/, en poids pour le foin ; 91 0, pour le tabac ; Et enfin, il y a eu augmentation de 25 millions de têtes de bétail pendant ce laps de temps! ! Nos agriculteurs, aux abois, peuvent-ils compter sur un concours semblable à celui que le gouvernement anglais se propose de prêter à son agriculture en détresse? Nous ne savons et nous en doutons. Voici dans quelle mesure marchent les importations américaines : Stahstique agricole. Importations américaines pour les quatre premiers mois des années 1877-1878-1879 : Blé, 4877 15,292 quintaux métriques _ 1878 197,334 — — 1879 444,563 — Viande, 1877 29,369 viande de bœuf. — 1879 28,798 — — 4877 159,434 viande de mouton. — 1879 948,983 — Salaisons, 1877 6,020,500 kilogrammes. — 1879 13,901,000 — — 117 — Beurre, 1877 1,307,200 kilogrammes. — 1879 1,746,200 _ Fromages, 1877 3,059,600 — — 1879 4,409,600 — Œufs, 1877 1,644,400 — — 1879 9,936,000 — Têtés debœufs, 1877 88,107 Total d’une année. — 1879 86,184 | — Têtes demoutons, 1877 457,302 — — 1879 744,849 — L’Angleterre, pour garantir son agriculture menacée et ses producteurs de viande, n’a pas hésité à fermer impitoyablement ses portes au bétail étranger envahis- sant ses marchés. Elle comprend le danger de sa posi- tion devant l’augmentation croissante du nombre des bestiaux qui, en Amérique, seront de longtemps encore trop abondants pour la nourriture de la population de ce pays si merveilleux, dont la culture marche à pas de géant et dont la fortune publique s’accroît d’une façon si remarquable. Voici un relevé exact du nombre des animaux de ferme des États-Unis en 1874 : Chevaux, 9,333,800 Mulets, ; 1,339,350 Bœufs et bêtes à cornes, 46,218,100 Vaches laitières, 10,705,300 Moutons, 33,938,200 Porcs, 30,860,900 L’Anglelerre sent que cette concurrence est une menace perpétuelle pour son agriculture, basée sur — 116 — l'élevage des bestiaux; pour nous, elle nous attaque plus complètement encore, car elle mine aussi notre culture céréale. En 1873 les États-Unis d'Amérique pro duisaient 14 hectolitres par habitant, l’Europe entière ne produit que 6 hectolitres. La France produit 6 hecto- litres 9 par habitant. Voilà trois données bien différentes pour résoudre ce problème, d’où dépend notre existence agricole ! JIL. En résumé donc, les Anglais au lieu de s’amuser à faire de la culture extensive en céréales et en racines, ont fait des herbages spontanés ou naturels. Ils ont avec un sel moins bon qu’en France, tiré un parti excellent de leur climat incontestablement supérieur au nôtre. Les racines leur ayant paru un fourrage très cher, leur rentrée étant excessivement difficile puisqu'il peut s’agir de 50,000 à 60,000 kilogr. par hectare, ils ont fait con- sommer leurs turneps sur place. De ce fait, la ferme est dépoëtisée ; la nourriture est moins soignée, c’est vrai, mais qu'importe ! l'Anglais sait compter. Devant nos concurrents notre position est donc aussi difficile et dangereuse au point de vue agri- cole qu’au point-de vue industriel ; car si, fabricants de fourrages artificiels, grâce à notre climat, nous pouvons lutter avec nos voisins, ce n’est que moyennant du travail et des dépenses : c’est une loi fatale ! Et malheu- reusement notre culture française est celle qui exige le plus de capitaux, tandis que la culture anglaise en exige moins ; c’est précisément l'inverse qui devrait exister, car chez nous les capitaux sont rares et cher. — 118 — FAIRE DE LA VIANDE tel est donc le programme que nous soumettons comme conclusion à notre compa- raison entre l’agriculture française et ses rivales. Si ce programme est réalisable dans des pays d’engraissement, dans les pays aux herbages, aux prés d’embouche, dans la vallée d’Auge, dans le Calvados, dans le Nivernais, l’est-il en particulier pour l’Anjou ? IV. L'ANJOU ET L'ENGRAISSEMENT DES BESTIAUX. Nous ne pouvons aborder cette question et surtout la résoudre sans entrer dans quelques développements dont la longueur sera excusée par l’intérêt qui sy attache. Puisque les traités de commerce nous font une obli- gation de fabriquer de la viande, nous allons examiner dans quelles conditions il y a avantage à entreprendre l’engraissement. Nous croyons inutile d’insister sur ce fait que la précocité est le caractère des meilleurs animaux de boucherie et qu’on ne peut arriver à un résultat pratique qu’en ayant recours d’abord à des races spéciales déjà existantes, malheureusement presque toutes éfrangères. Ensuite en spécialisant, à notre tour et avec intelligence, nous pourrons arriver à créer sur . notre sol des races de boucherie, plus précoces que celles sur lesquelles nous opérons. Pour arriver à un résultat, il faut tenir compte de trois conditions : 1° Possibilité de disposer à un moment donné de beaucoup de fourrages ; — 119 — 20 Connaissance nécessaire de la machine animale; 30 Pouvoir acheter maigre et vendre gras. Cet ensemble de conditions se trouve dans plusieurs parties de la France. Rappelons que nous avons déjà examiné la préférence qu’il faut donner à l’engraisse- ment en pâlures, sur celui par la stabulation dans les étables. Il sortirait du cadre de ce travail, de passer en revue les modes de faire de tous les pays français d’engrais- sement, d'examiner les conditions climatériques dans lesquelles ils se trouvent et dans quels pays d'élevage les éleveurs s’adressent pour obtenir à meilleur compte les animaux maigres’. Mais, encore ici, nous voyons une révolution, nous aimons mieux dire une évolution s’opérer. - C’est dans les pays d'élevage que jusqu’à ces derniers temps on a été chercher les bœufs maigres pour l’en- graissement ; il y a là une division manifeste de la pro- duction : l’élevage et l’engraissement occupent deux pays; lélevage dans les pays pauvres, l’engraissement dans les pays riches. Cet état de choses durera-t-1il? Non, car une réaction s’opère depuis vingt ans. Cette industrie de l’engraisse- ment était en définitive fondée sur la fertilité naturelle du sol et aujourd’hui que par les progrès obtenus par l’extension des plantes fourragères et sarclées, l’en- graissement est partout facile, une modification devait en résulter ; en effet les éleveurs ayant sous leurs mains les fourrages nécessaires et leurs élèves, la division qui 1 Cet historique pourra être l’objet d’une note particulière, — 120 — existe entre l'élevage et la production de la viande devait s’effacer et s’est effacée. L'exemple de l'Écosse nous a servi de leçon. Autrefois, à Fépoque naturelle (dirons-nous) de la culture, c'était un pays d'élevage pour l'Angleterre, dont presque tous lés comtés du centre (Norfolk et Suffolk) étaient des pays d’herbages, conséquemment des pays d’engraissement. L’Écosse ayant fait des progrès agricoles énormes depuis la culture du turneps (point de départ de l’asso- lement du Norfolk) la conséquence en a été la possibilité d’engraisser les bestiaux qu’elle élevait. Cet assolement consiste dans une rotation bis-annuelle et dans l’application des engrais à la culture des récoltes vertes. Il s’agit de fumer considérablement une pre- mière sole, d'y récolter des fourrages verts, puis enfin des céréales. Les engrais ont pour effet de pousser à la formation des parties végétatives; on utilise leur feu par une « exagération » herbacée; aux céréales on ne laisse comme matériaux à s’assimiler que ce qui est strictement nécessaire, c’est-à-dire les restes de la première fumure. La culture des turneps fit donc faire de grands pro- grès à l'Écosse; il en est résulté des changements pro- fonds dans la fortune de ce pays. La transformation de la race d’Angus fut une des conséquences principales de cette modification qui devint un fait social. Les rapports commerciaux ont changé et aujourd’hui l'Écosse élève et engraisse ; les races se sont spécialisées, on ne poursuit plus qu’un but : les faire servir à la boucherie. — 121 — - Les chemins de fer, que nous possédons nous aussi mais insuffisamment, sont venus améliorer encore cette situation. Le bétail écossais parcourait autrefois près de 800 kilomètres à pied et cinq semaines de parcours étaient nécessaires pour arriver au lieu de consom- mation. En deux jours, aujourd'hui, il est transporté d'Écosse en Angleterre ; cela ne coûte que 39 fr. par tête de bétail. Ils perdent ainsi bien moins de leur poids et de leur qualité. Autrefois les engraisseurs du Norfolk, eux aussi, envoyaient leurs animaux à pied, vers les lieux de con- sommation, à Londres surtout, c’est-à-dire à environ 90 kilomètres. Les moutons perdaient 3 kilogrammes de leur poids, les bœufs 13 kilogrammes. Aujourd’hui ces ennuis ont disparu, ces pertes ont été évitées. A\'eR INFLUENCE DES CHEMINS DE FER SUR LA FORTUNE AGRICOLE. Ïl nous a paru intéressant d'examiner l’influence que les chemins de fer ont, dans ce sens, exercé sur l’appro- visionnement de Paris et quelle perte résulterait pour le commerce des bestiaux, si l'obligation existait encore d’amener à pied sur Paris et dans un rayon de 90 kilo- mètres, les animaux nécessaires à la consommation de la capitale. Voici d’abord un tableau qui montre la progression SOC. D’AG. 9 — 122 — qui a eu lieu depuis 1868 jusqu’en AS dans l’alimen- tation de Paris : 1868 1878-1879 Bestiaux arrivés en 1868 à destination de Bestiaux arrivés en destination de Paris Paris, tant sur les anciens marchés au marché central de la Villette (non qu'au marché central. compris les anciens marchés). Dernier semestre1878 — premier semestre 1819. Bœufs et taureaux (Moyenne) 300,244 289,654 y ? Vaches, . . . & es 66,196 DIOAE NEAUX PRE MAMTÉ 179,276 195,520 Moutons . . . 1,514,284 1,971,246 Porcs ec AE 193,166 286,520 Cest sur ces derniers chiffres que nous basons les calculs suivants : Les moutons, avons-nous vu, perdent 3 kilogr. par ‘tête et les animaux de la race bovine 13 kilogr. ; c’est là notre point de départ. Si donc nous recherchons la perte totale qui serait résultée du transport à pied de tous les animaux qui servent à l’alimentation de Paris nous sommes conduits au tableau suivant : Bœufs, Moutons. Vaches, Veaux. Perte de poids par tête . . . 3 kil. 13 kil. Rendement en poids vif. . . 60 °/o. 57 9/0. Perte réelle en viande .1: . . 1,800 grs. 6,400 grs. Nombre de têtes de chaque espèce 1,971,216 têtes. 366,440 têtes. Perte en kilogrammes . . . 3,548,188kil. 2,345,210 kil. Il en résulterait donc une perte totale de 5,893,398 kil. en viande n’entrant pas dans la consommation. Prenant maintenant comme moyenne du prix de la viande de mouton 2 fr. 40 et 1 fr. 80 pour prix de vente de la viande de bœuf, nous arrivons à : 8,915,648 frs. 4,991,378 12,737,096 frs. — 123 — c’est-à-dire à un chiffre de 12,737,026 fr. comme économie faite. Il conviendrait d'ajouter encore la plus- value de la valeur d’une viande provenant d'animaux plus sains, moins faligués, plus en état. Nous négligeons dans cet aperçu les porcs, qui sont encore, pour la majeure partie, transportés par voi- ture comme autrefois; car ils proviennent plus direc- tement des environs de Paris. Ces résultats peuvent être envisagés d’une autre façon. Remarquons, en effet, que cette conservation de produits alimentaires (provoquée par des transports plus faciles) de 5,893,000 kilogr. de viande, représente, en raison d’une consommation annuelle de 65 kilogr. de viande par tête, la nourriture de 85,400 habitants pendant une année, Ce chiffre nous montre suffisam- ment l’influence de l'amélioration des moyens de trans- ports de tout genre, sur la fortune agricole d’un pays. Ce serait sortir du cadre que nous nous sommes tracé de montrer que le département de Maine-et-Loire a encore, de ce côté, beaucoup à attendre de ses admi- nistrateurs et de ses élus. Contentons-nous de faire remarquer que le département de Maine-et-Loire ne possède que 392,031 kilomètres de lignes ferrées et figure au 26e rang parmi tous les départements de la France. Voici en eflet le relevé pour plusieurs départements des longueurs de chemins de fer exploités ou à cons- truire au 31 décembre 1879. (Ne sont pas compris les chemins de fer industriels et les lignes dont l'étude est prescrite par la loi.) — 124 — Tableau a. construction Exploités. ou à construire. |kilomètres. Départements. en par hectare. hectares. et lignes en construction tormineés. a © Ex = Le = . . 2 ritoire |& L° T ci 2 Ce] =| [=] 2 Lignes éxploitées seules comptées. Lignes exploitées 568,086 1,70 = | ü | Nord ......... 134,488 193,759] 1,079,283 IL1 32,799!/IL 118,237 Calvados...... 308,024 » »| 4718,046118| 927 |552,073|0,86 IL 94,5641IL 75,438 Maine-et-Loire. 352,031 468,400! 614,006126| 413 |713,092| 0,86 » »1IL 93,575 Sarthe........ 297,199 97,609| 584,350[ 10 | 16 |620,667| 1,06 IL 170,442|IL 418,500 471 42 |687,457|1,11 Loire-Inférieure 409,409 184,462] 618,871 IL » »|IL 26,000 Le département de Maine-et-Loire figure actuellement au 26e rang et quand toutes les lignes en construction et à construire seront terminées, il montera au 13e rang. Mais à côté des départements voisins, il possède actuel- lement bien moins de kilomètres par hectare ! Cette question des chemins de fer est évidemment la plus importante parmi celles dont doivent s'occuper nos Conseils généraux ! VI. Nous venons de voir le concours bienfaisant des che- mins de fer sur l’alimentation publique; nous avons vu dans un chapitre précédent, les facilités très grandes qu’ils offrent à l'étranger (et non à nous) pour l’impor- tation des bestiaux. Ce concours prêté, par les administrations des che- 1 IL veut dire intérêt local. — 125 — mins de fer, au détriment de notre agriculture, aux importations étrangères, excitées déjà par le libre- échange, amène les résultats suivants, que nous n’avons pu nous procurer pour 1878; ils sont certainement encore plus instructifs : Expéditions faites à Paris en 1868. Lieux de provenance. Allemagne, 629,342 moutons. Italie, 4,950 bœufs. Espagne, 1,501 — — 2,604 moutons. Hongrie, 178,280 — Tyrol, 2,183 — Suisse, 1,239 veaux. Devant ces chiffres et les précédents, ne pouvons- nous pas dire que la question de la consommation de la viande de boucherie deviendra une question sociale? En tous cas, nous avons suffisamment prouvé que le sort de notre agriculture en dépend. Revenons à notre sujet pour conclure. Gette courte digression nous a paru instructive, car si notre avenir agricole dépend de la transformation de notre système cultural, cette dernière ne peut s’opérer que si de nombreux moyens de trans- port assurent l’écoulement des produits animaux vers les grands lieux de consommation. VIL. CONCLUSIONS. Nous croyons donc que dans l’Anjou les cultivateurs devraient cumuler l’élevage et l’engraissement. Déjà, — 126 — en Normandie, les marchands normands qui vont au maigre n’en trouvent presque plus. Is s’approvisionnaient autrefois et facilement dans la Manche, le Calvados, l'Eure, la Seine-Inférieure, la Meurthe, l’Ille-et-Vilaine et enfin jusque dans le Poitou. Mais, actuellement, dans tous ces pays on cultive de plus en plus les plantes fourragères, on y engraisse davan- tage. Ces marchés deviennent donc moins importants pour les engraisseurs normands. Tous ces faits sont intéressants à citer, au moment où la libre entrée des blés, des chanvres, la menace perpétuelle des importations américaines, l’approche du phylloxera viennent dérouter les plans les mieux entendus de la petite et. de la grande culture en Anjou. Devant ces véritables calamités, dont il dépendrait d’un gouvernement sage (non imbu d'idées de cosmo- politisme) de diminuer l'intensité, il faut prendre une résolution et songer au salut et à l’avenir! — Il est, pensons-nous, dans la production de la viande et Anjou possède un territoire assez riche, des conditions clima- tériques assez avantageuses pour pouvoir tenter,- non pas une aventure, mais une révolution agricole dans laquelle le succès lui est assuré. Cette question du libre-échange est et sera toujours menaçante ; c’est presque un système de gouvernement avec lequel on entraîne les masses, en les trompant sur leurs vrais intérêts. Obtenir une protection pour nos produits agricoles est une première victoire à remporter, mais en admet- tant même qu’on donne droit aux réclamations si sages formulées par l’assemblée générale des Agriculteurs de — 127 — France, demandant un droit d'entrée de 3 fr. sur l’hectolitre de blé, le mal ne sera pas conjuré ! Notre système cultural tel qu’il est entendu, nous laissera dans un état relatif d’infériorité vis-à-vis de nos con- currents. C’est ce que nous devons reconnaître et avouer. Pour compléter ce travail, nous avons tenu à montrer par quelques chiffres combien la question des transports est venue bouleverser toute l’industrie agricole, soit qu’on l’envisage au point de vue de l'importation des céréales et des bestiaux, soit que nous la considérions par ses effets dans un cercle plus restreint, l’approvi- sionnement de Paris, par exemple, par notre produc- tion animale. Une révolution économique et sociale s’opère donc sous nos yeux et les termes nous en sont connus. Un profond et rapide changement doit en résulter dans notre système cultural comme conséquence des modi- fications apportées à chaque heure par l’industrie, la facilité des transports et les importations. En admettant même que les importations des bestiaux étrangers cessent, nous devons néanmoins agir : nous suivons un chemin qui nous conduit à la ruine. Une voie de salut nous est ouverte : la production de La viande, c’est-à-dire la production sans travail, et par cette expression nous voulons dire la production par l'utilisation au maximum des forces vitales que la Pro- vidence a mises généreusement à notre disposition ! Et cette réforme urgente ne nous conduit qu’à un état de transition, ne le cachons pas! La pauvreté agricole de notre département, résultat — 128 — de nos errements culturaux, nous oblige d’avoir recours à cette demi mesure en attendant que nous soyons assez riches pour faire un pas de plus vers le progrès en pratiquant dans tout ce qu’elle a de merveilleux, la culture par la restitution complète, c’est-à-dire par les engrais chimiques. La nécessité, l’indispensabilité des animaux pour augmenter le rendement des fermes, a rendu d’im- menses services à la France et la gloire d’avoir énoncé ce principe fertile revient à Mathieu de Dombasle qui, ainsi, a empêché la France de tomber au niveau de l'Italie, de l’Espagne, de la Sicile autrefois si riches et si prospères. — Aujourd'hui il faut aller plus loin, viser plus haut et profiter des ressources considérables que la science agricole a mises à notre disposition, en nous apprenant que dans la nature « rien ne se crée, rien ne se perd. » Nous avons en Anjou un vieux compte à régler avec nos terres ; le moment de la restitution est arrivé, il faut en prendre notre parti! TROISIÈME PARTIE Étude des trois départements : Nord, Calvados, Maine-et-Loire, AU POINT DE VUE DE L'ENGRAISSEMENT DES BESTIAUX ET DE LEUR SYSTÈME CULTURAL. L’amendement suivant au projet de loi relatif à l’éta- blissement du tarif général des Douanes a été présenté par M. Keller. — 129 — ARTICLE 6. Aucun traité ou convention ne pourra abaisser les droits au-dessous du tarif général fixé par les articles 1 et 4 de la présente loi. Tableau À. — Animaux vivants. Bœuf (par tête) 90 f. Vaches — 20 Veaux — 2 Moutons — 6) Porcs — 10 Produits et dépouilles d'animaux. Viandes fraiches ou salées, les 400 kil. 10 f. Graisses, les 100 kil. 10 Laines en masse, 19 Farineux alimentaires. Céréales, riz, légumes secs, les 400 kil. 9. Cette demande urgente d’une protection indispensable démontre suffisamment l’étendue du danger qui nous menace et nous conduit à examiner la voie que nous avons à suivre pour remédier, dans la mesure de nos moyens, au mal qui nous étreint. Qu’avons-nous à faire pour nous mettre au niveau des départements qui s'occupent de la production de la viande ? | À cet effet, comparons l’économie agricole de trois départements que nous avons choisis parmi ceux auxquels l’Anjou, à la fois agricole et manufacturier, — 130 — peut en tout honneur se mesurer : le Calvados, pays d’engraissement, le Nord, pays industriel, pays à la fois d'élevage et d’engraissement, le département de Maine- et-Lotre, pays bien plus d'élevage que d’engraissement et pays industriel. Voici pour 1875 une statistique du nombre des ani- maux existants dans chacun de ces trois départements : Tableau bd. CALVADOS. | MAINE-ET-LOIRE. Anes ni NEA LEA Bœufs et taureaux ....... Vaches et génisses.,..... MO os ch ascodonce Dao Moutons du pays...::... — races perfectionnées Races porcines .......... Races caprines..... Se Récapitulons (dans ces documents officiels) les ani- maux de la race bovine, car ceux de la race ovine nous intéressent peu pour l'objectif que ‘nous avons en vue attendu qu’ils ne sont d'élevage profitable que dans des conditions toutes particulières de pacage à bon mar- ché; nous arrivons donc à dresser le tableau suivant : Bœufs, vaches, génisses et veaux. Calvados, 958,044 Maine-et-Loire, 255,000 Nord, 256,039 Cette comparaison, ainsi établie, ne nous donne aucun élément de discussion, À première vue, elle nous montre une égalité apparente, qui se détruit, lorsqu’en pénétrant plus à fond, nous tenons compte non seulement de l’étendue de chaque département mais encore de l'étendue des terres labourables, dans chacun d’eux. Statistique agricole comparée du Calvados, de Maine-et-Loire et du Nord. Tableau A. CALVADOS. | MAINE-ET-LOIRE. L’étendue totale d’après le cadastre est de.......,. 552.073h. 713.092h. 568.086h. Il convient de déduire : Superficies bâties, che- mins, cours d’eau, terres incultes, bois, étangs, forêts 70.380 106.060 92.009 Pâturages, landes, . yères, pâtis ......,... . 11.314 27.123 4.553 Cultures arborescentes 4 (bois, forêts non-compris) 31.813 1.034 2.302 Total. : 113.507 134.817 98.864 Différence entre étendue totale ou terres labou- rables .,...... a DS sine 438.566 578.975 469.299 Prairies naturelles....... 121.213 | 86.150 87.396 Prairies artificielles... ... 46.952 45.158 43.573 Totale. nes 168.165 131.308 130.969" Céréales ee ere. nee 187.735 235.000 205.151 Racines et légumes secs. . 10.552 58.406 68.713 Cultures diverses......,... 37.130 24.305 48.573 Jachères ........... Look 34.924 19.497 Quantités relatives pour 100 de l'étendue labourable : Prairies des deux sortes.. 38 °/o 2 27 Jo Prairies naturelles ....... 27.5 °/o j 18.5 °/0 Prairies artificielles ..... 10.5 % 5.5 %/ Céréales ......,.....,.0. 43 °/o 43.7 °/o Jachères ou ; 7 Jo 40/0 * En déduisant les vignes on aurait 24 ofo. — 132 — Quoique ce tableau, véritable dénombrement, ne tienne qu’un compte relatif du mouvement commercial qui s'opère de chaque département vers les régions voisines, par suite de l'échange qui a lieu entre les pays d'élevage et ceux d’engraissement, nous pouvons en tirer quelques déductions pratiques. Examinons d’abord quelles sont les quantités de têtes de bétail, de la race bovine, de la race ovine et des races caprines et porcines qui existent par 100 hectares dans chacun de ces trois départements. Tableau B. CALVADOS. | MAINE-ET-LOIRE. ES La quantité de terres culti- vables étant........... 438.513h.| 578.235 469.522 a ) Le nombre d'animaux de la race bovine étant... 258.044 255.000 256.039 Nombre de têtes par 100 hectares cultivés. .....e 54 (La vigne étant exceptée pour Maine-et-Loire). Le même travail exécuté pour les moutons don- nerait Dubboooo : 191 .729 Nombre de têtes par 100 hectares cultivés 26 Le même travail exécuté pour les races porcines et caprines donnerait... 18.369 443.000 103.655 Nombre de têtes par 400 : hectares cultivés. ...... 47 25 22 Au point de vue de la production de la viande, il résulte de cette comparaison un fait important à cons- tater, c’est l’état d’infériorité marqué dans lequel se trouve le département de Maine-et-Loire. Par 100 hec- — 133 — tares, 44 bêtes bovines lui manquent pour être à la hauteur du Calvados. Nous n’avons pas voulu, afin de ne pas nous éloigner du sujet que nous traitons, continuer cette comparaison en faisant intervenir en détail la production des che- vaux, celle des mulets et celle des ânes. Néanmoins il est intéressant de la constater au point de vue de la perte d’engrais qui en résulte pour notre culture, perte qui signifie un appauvrissement lent, mesuré et fatal de notre sol, si nous n’y portons un prompt remède, soit en augmentant le nombre de nos animaux, soit en ayant recours aux engrais artificiels extérieurs. Tableau C. CALVADOS. | MAINE-ET-LOIRE. NORD. RS SR Chevaux, mulets, ânes... 68.458 56.489 89.853 Race bovine.......... ste 258.044 255.000 256.039 Total. ,....,,e 316.502 311.480 345.892 Grands animaux par 100 hectares ...c,....00. 72 54 73 Nouvelle et désolante infériorité. Les tableaux À et B que nous avons dressés, sont ceux qui d’une façon indiscutable nous montrent dans quelle proportion se trouvent établies la culture des céréales et la production de la viande. Il nous permet d'affirmer que si nous voulons devenir un pays d’engraissement comme le Calvados et parvenir à sa richesse agricole, nous devons augmenter des — 134 — trois quarts le nombre de nos prairies naturelles et artificielles, principalement ces dernières, ce qui est toujours possible! Nous voulons dire qu’au lieu de 100 hectares de prairies, il en faudrait 175. Nous pouvons d’autant mieux apporier dans nos asso lements cette modification profonde et urgente, que sans diminuer la sole-céréale, il nous est facile d’aban- donner le déplorable système des jachères, qui ne s’ex- plique, dans l’Anjou, que par l'insuffisance des engrais, insuffisance provenant du nombre trop restreint des animaux de nos fermes et des prairies naturelles ou artificielles que nous cultivons. C’est un cercle vicieux dans lequel nous tournons depuis trop longtemps, il faut en sortir; pendant en effet que le Nord n’a en jachères que 4°/ de ses terres cultivables, le Calvados n’en a plus que 7 +} et l’An- jou 17 0/0. Dans toutes les considérations précédentes, nous nous sommes strictement renfermés dans les principes que nous avons développés dans un chapitre précédent, c’est-à-dire que la nourriture des bestiaux par le pâtu- rage est le système le plus économique et nous avons montré le chemin à suivre et long à parcourir pour atteindre le système cultural des pays d’engraissement. Mais la culture des racines et des légumes tels que les navets, les carottes et les choux, ainsi que celle des betteraves, doit entrer à son tour en ligne de compte, puisque en Maine-et-Loire cette culture entre largement dans tous les assolements. Ces données nouvelles vont-elles modifier nos conclu- sions précédentes ? — 135 — Voici les résultats de statistique que donne la culture des racinés et léqumes divers (choux, carottes, navets). Tableau D. MAINE-ET-LOIRE. | CALVADOS. EEE Étendue en hectares. ..... 5.230 |. 392.362 1.024 Produit moyen par hectare 239ax 37 3069x 38 2724 15 Quantité récoltée dans chaque département....|121.529,810 |991.506.956 | 27.868.160 Quantité consommée par les animaux. ..... 76.197.000 1945.709.200 109.351 Valeur en francs quantités produites.....[ 4.018.640 | 9.647.076 566.042 Frais de culture d’un hec- tare y compris la récolte 202 161 Il résulte donc que sur une production de 991,506,956 kilogr. en Maine-et-Loire, 945,709,200 kilogr. sont consommés par les bestiaux, c’est-à-dire les 9/10 de la totalité. Voici dans quelle proportion chaque arrondissement participe à cette culture : Angers, 5,920 hectares. Baugé, 1,841 — Cholet, 17,938 — Saumur, 2,780 — Segré, 4,983 — En tenant compte des quantités consommées dans chaque département et en évaluant ce qu’elles repré- sentent en hectares, nous trouvons qu’elles donnent pour chaque département les quantités suivantes : Pour le Calvados, 3,242 hectares. Pour le Maine-et-Loire, 30,743 — Pour le Nord, 409 — — 136 — Si nous faisons le même travail pour la betterave et si nous ne l’envisageons que comme plante fourragère pour le Nord, nous trouvons que la culture de la bette- rave se répartit ainsi : Culture de la betterave. = Tableau E. 1852 CALVADOS. | MAINE-ET-LOIRE. NORD. ÈS Etendue des cultures en hectares......... so... 891 2.211 24.432 Produit moyen par hectare 2761, 68 1253 90 | 3894 74 Quantités produites dans chaque département... 254.973 364.887 9.496.832 Prix moyen par quintal métrique. .........e... 4.99 4.52 1.82 Valeur en francs des quan tités produites......... 507.052 540.761 | 17.202.236 Quantités employées dans les fabriques de sucre. » D 8.120.764 Frais de culture d’un hec- LEO 508600 ne Dou0000b 450 105 293 Le Maine-et-Loire figure par chaque arrondissement pour les quantités suivantes : Angers, 980 hectares. Baugé, 943 — Cholet, 4,136 — Saumur, 155 — Segré, 201 — En examinant ce tableau, constatons de suite (et c’est un fait bien triste à signaler) que le produit moyen par hectare n’est que de 12,590 kilogr. dans l’Anjou, tandis que dans le département du Nord le rendement est. de 38,974 kilogr. également par hectare. Si donc nous faisons entrer dans la discussion ces — 137 — dernières données, nous arrivons au tableau suivant, qui établit d’une manière définitive le rapport qui existe entre la sole cultivée labourable et l'étendue des terres cultivées en vue de la production des fourrages de tout genre pour les bestiaux. Tableau comparatif. — Rapport de la sole fourragère dans les trois départements. Tableau F. CALVADOS. B | MAINE-ET-LOIRE. NORD. ms Terres labourables non en DEAIFIES EE. --2ee..0 438.513 578.275 469.522 Prairies artificielles ou na- turelles ...... Su res see 168.165 131.308 130.969 Racines et légumes (choux, navets, carottes). ...... 3.242 30.743 409 Betteraves fourragères... 891 2.945 11.724 Total des cultures fourra- : DEN erpen esse 172.298 164.266 _ 143.102 Rapport entre les cultures SE fourragères et la totalité des terres labourables (non déduite la vigne). 39 °Jo 28 0/0 32 Jo Cette situation a-t-elle changé depuis 1852? Quels changements ont été apportés depuis les traités de commerce ? Faisons de suite remarquer que la différenee de 98 0}, à 32 0/, entre le Nord et le Maine-et-Loire augmente considérablement, quand on ajoute comme valeur four- ragère les pulpes provenant des fabriques de sucre. En examinant le tableau qui suit: G, nous voyons d’abord que nous cultivons moins la betterave et que le rendement par hectare est resté le même, suivant de bien loin la richesse de la production du Nord qui SOC. D'AG. 10 HT eu dans ces dernières années a obtenu par l'emploi de graines spéciales créées aux environs de Templeuve, des rendements de 59,000 kil. par hectare. 11876. Culture de la betterave. Calvados. — Nombre d'hectares cultivés, 4,000 ; rendement, 25,000 kilogr. Maine-et-Loire. — Nombre d'hectares cultivés, 2,000 ; rendement, 15,000 kilogr. Nord. — Nombre d’hectares cultivés, 34,084; ren- dement, 38,000 kilogr. Ceci constaté et continuant l’examen du tableau G, nous verrons quelles ont été les modifications heu- reuses ou malheureuses apportées de 1852 à 1876. Tableau G. CALVADOS. | MAINE-ET-LOIRE. NORD. Hectares, Hectares: Hectares. Terres labourables...... 438.513 518.232 469.522 187.135 235.000 205.151 182.793 931.000 914.595 894 2.915 24.432 4.000 2,000 34.584 1.906 _20.240 21.513 2.800 30.000 6.731 4.589 840 2.000 » 30.499 » 32.700 620 7.710 450 8.000 306 92.863 300 4,000 Colza, OEillette... ç 1852 26.981 1.584 Navette, Cameline { 1876 32.240 2.000 Le Nord ayant en plus comme grande culture industrielle : 1852 Houblon...... — 139 — Nous voyons dans notre département diminuer d’une quantité bien faible la sole céréale, mais augmenter dans une forte mesure les cultures épuisantes des pommes de terre, de la vigne, du chanvre, du lin et des graines d’œillette, navette ou cameline. Par contre, la culture des légumes secs et celle des betteraves diminue. La sole-céréale diminue de 4,000 hectares, soit de 1,7 0/, de ce qu’elle était; sur la totalité des terres labourables, de 6,8 °/, pour mille. La sole des légumes secs diminue de 1,589 hectares, soit de 44 0}, et de 2,7 sur mille des terres labou- rables. La sole des cultures épuisantes (sus-mentionnées) augmente de 13,804 hectares, soit 22 0} et sur mille 2,3 mêmes conditions. Celle de la betterave diminue de 215 hectares, soit de 10 0} et de 0,3 sur mille des terres labourables. On voit, non sans inquiétude, dans quelle mesure la culture des plantes épuisantes s’est propagée ! Quant aux prairies (question principale qui nous occupe) voici les modifications apportées jusqu’en 1873, la dernière année pour laquelle nous ayons des ren- seignements précis. — 140 — Tableau H. , CALVADOS. TR 1852 1873 MAINE-ET-LOIRE. Re. ER 1852 1873 me Rennes | eee | ns | neue | memocemee Prairies artifices (trèfle, sainfoin, luzernes, mé- langes, raygrass)..... Fourrages annuels her- bacés (légumineuses et TACINES) cos. Prés naturels y compris VETDETS....... se nlue Totaux..,...... Pacages (non compris dans le recensement de 1852) 46.952] 51.000 7.242] 4.500 121.215] 97.000 45.458| 49.000 32,743| 19.328 85.850] 80.403 Re. ne R 1873 43.503 17.009 81.396| 55.312 » |152.500 » 6.000 » |148.731 » 5.103 » 4.453 Nous constatons dans les départements du Calvados et de Maine-et-Loire une augmentation de prairies artifi- cielles, 4,000 hectares pour l’un et pour l’autre et une diminution de 143,000 hectares dans le Nord. Pour les fourrages annuels, herbacés (légumineuses et racines) la diminution est partout importante, prin- cipalement pour le Maine-et-Loire. Voici le relevé de cette diminution : Calvados, . 2,742 hectares. Maine-et-Loire, 13,415 — Nord, 44,290 — Pour les prés naturels, y compris les vergers, nous arrivons à des résultats encore plus désastreux, à des diminutions qui sont : Pour le Calvados, Pour le Maine-et-Loire, Pour le Nord, 29,215 hectares. 5,447 39,084 — 141 — Examinons donc, dans ces conditions nouvelles, dans quelles proportions l’étendue de la sole en pratries- fourrages, peut se comparer à la totalité des terres cultivées. Nous négligeons les pacages qui, nous l’avons dit, ne sont pas compris dans le tableau 1852. Tableau I. CALVADOS. | MAINE-ET-LOIRE. NORD. Terres labourables....... 438.513 578.232 —— 469.222 Prairies, fourrages herba- cés, légumineuses, ra- cines (moins pacages). 154.500 148.328 91.873 Rapport. ...s...s.ssessee 34 Jo 25 °/o 20 0) Il semblerait à première vue que nous avons dépassé, dans cette culture des fourrages, le département du Nord, mais il n’en est malheureusement pas ainsi. En effet, on peut remarquer que la culture de la betterave qui était dans le Nord en 1852 de 24,439, est en 1876 de 34,584 et qu’elle rapporte dans le Nord 35,000 kilogrammes en moyenne par hectare dans les dernières années, et actuel- lement 50,000 kilogr. dans les terres où l’on ensemence la graine perfectionnée et spéciale, dite graine Despretz. On se trouve devant un total (le rapport étant 35,000) de : 1,210,440,000 kilogrammes et quand toutes les terres à betteraves du Nord seront ensemencées avec cette graine, devant un total de 1,729,009,000 kilo- grammes de rapport annuel. En effet on peut remarquer qu’une partie de ce poids — 142 — énorme, la pulpe, sert à la nourriture des animaux et à leur engraissement ; l’autre sous forme d’écumes et de sels de potasse retourne comme engrais à la terre. On comprend donc par quels moyens habiles la culture du Nord a pu s'élever aussi haut : restituant tout à la terre et réservant comme produits vendables l'alcool et le sucre, produits organiques composés uniquement de carbone, d'hydrogène et d'oxygène, produits enlevés non à la terre, mais à l'atmosphère. De nombreuses distilleries de grains viennent encore pour leur part concourir à l’engraissement des bestiaux en restituant aussi à la terre les matières salines enlevées, comme si ces corps organiques ne servaient que de véhicules, à des produits plus riches, plus parfaits et ne devant rien à la terre qui les a fournis. Souhaitons que la culture de l’Anjou marche dans celte voie et atteigne le degré de prospérité auquel est parvenue la culture Flamande. Nous pouvons donc, sans hésiter, considérer la cul- ture industrielle de la betterave comme entrant pour une large part dans la production des fourrages her- bacés. Aussi, nous considérons toutes les betteraves cultivées dans le Nord comme betteraves fourragères, pour continuer notre comparaison. En effet, dans le Nord le rendement est plus du double de ce qu’il est en Anjou et les pulpes de bette- raves nourrissant les bestiaux, les matières salines retournant à la terre, tout ce qui est tiré de cette der- nière lui est intégralement restitué. Le rapport de 20 0}, indiqué dans le tableau G, devient par ce fait 27 0/,. — 143 — Nous verrons plus loin comment dans le Nord, par l'achat d'engrais étrangers on est arrivé à élever ce rapport au maximum, car en définitive le but que l’on poursuit par l'élevage des bestiaux, c’est la fumure intensive des terres de la ferme, qui ne sont pas en prairies. CHAPITRE VI. COMPARAISON DES CULTURES INTERNATIONALES. Nous avons cru ne pas devoir borner là nos recherches et quoique les dénominations de terrains, ne corres- pondent pas strictement à celles spécifiées dans l'enquête de 1852, nous donnons en entier la statistique de 1873. Étendue approximative du terrain agricole, 1823. Tableau 3. CALVADOS. | MAINE-ET-LOIRE. Céréales .....,..,., sl 182.491 h.| 249.021 h.| 212.936 h. HALIREUX ee eeee-crece 2.987 29.104 34.715 Cultures potagères et ma- raîchères 4.000 7.541 16.434 Cultures industrielles... 34.850 15.655 69.091 Prairies artificielles 51.000 49.153 30.847 Fourrages annuels 4.500 19.328 5.719 Cultures non dénommées, Jachères mortes . 28.000 86.300 8.764 307.828 456,092 318.566 Autres superficies productives. Vignes, » h. 30.930 h. » h. Boss et forêts y compris ; forêts de l’État). 36.151 54.407 41,189 Prairies naturelles et ver- GETS I ve ee +» s'ole sis elsiore . 97.000 80.403 55.312 Pâturages et pacages...... 6.000 5.103 4.454 Total,.....,.00.| 139 151 170.843 160.955 — 144 — CALVADOS. | MAINE-ET-LOIRE. | NORD. Total des lerres labourables et autres superficies pro- duclives.......... *....| 446.979 h.| 626.935 h.| 479.591 h. Terres incultes - 15.400 1.767 Territoire agricole 6 642.335 481.288 Superficies bâties, voies de transport. .......s....e 13.814 69.758 86.799 Total général du territoire.| 552.072 712.093 568.087 Nous en retirerons quelques conclusions intéres- santes. Nous pouvons examiner dans quel rapport les jachères ont augmenté ou diminué et faire remarquer que des terres incultes existent encore nombreuses, moins chez nous cependant que dans le Calvados. Calvados, 31,219 hectares ou 70 °/so(mille.) Maine-et-Loire, 15,400 — 24 9/90 — Nord, 1,767 — 36 °/00 — du total des terres labourables et autres superficies productives. Il nous paraît également intéressant pour compléter ce travail, de nous demander si le rapport que nous avons signalé entre les prairies de toute nature et le terrain productif (Recensement 1873) est inférieur ou supérieur à celui des autres nations. Dans cette com- paraison il ne s’agit plus, comme récemment nous l'avons fait, du rapport avec les terres labourables. Calvados. Maine-et-Loire. Nord. Prairies naturelles, y com- pris les pacages (betteraves et racines non comptées) . . 158,500 153,834 96,331 Total des terres labourables ik et autres superficies produc- tives. . + ne « ©. . :. 446,979 626,935 419,521 Rapport. . . . . 35 %/0 24,5 °/o 20 °/o — 145 — I nous suffira de jeter les yeux sur le tableau qui suit et sur le tableau TJ, pour voir que si le Calvados arrive comme richesse en pâturages en même ligne que l'Autriche, le Maine-et-Loire se trouve classé entre la France et la Belgique. Or, nous n'avons pas comme la Belgique, les cultures industrielles et vrai- ment fourragères de la Belgique et du Nord de la France. Derrière nous apparaissent des pays réputés pour leur pauvreté. Rapport des prairies de toute nature au terrain productif. Tableau K. Irlande : .3| Saxe-Royale.…. Grande-Bretagne be Wurtemberg.... Hollande....... e .3| Duchés Allem.. Bavière.....,.. 26. 1 .3| Norwège....... HFaAnCe. ...... : ède...,..... 12.2] Firlande Dans ce même ordre d’idées, nous pourrions établir un tableau, représentant la répartition proportionnelle du territoire productif (dans les divers pays d'Europe) en y détaillant les diverses cultures principales, laissant de côté les terres incultes el ne tenant compte que des terres labourables et autres terres productives. De ce tableau résulterait les conclusions suivantes : Pays renfermant le plus de terres labourables : 4° Belgique, 2 France, 8° Grande-Bretagne. Pays de céréales et farineux : 1° Belgique, 2 Danemarck, 3° France, # Roumanie. La Belgique a le plus de plantes potagères et marai- chères. — 146 — Pays de cultures industrielles : 1° Hollande, 2 Duchés Allemands. Pays de prairies artificielles : 40 Grande-Bretagne, 2 Irlande. En considérant les jachères auxquelles les prairies artificielles tendent à se substituer dans les pays de cul- ture intensive, nous venons après le Portugal : 1° Portugal, 2 France. La culture des vignes nous classe au premier rang : France, Portugal, Hongrie, Roumanie. Nous voyons donc, d’une façon évidente, que les pays les plus riches au point de vue agricole, sont ceux qui, comme la Grande-Bretagne, ont développé la culture fourragère et ont eu en vue la production des bestiaux, expression pratique de la culture par les engrais et sans travail. Même avant que le libre-échange nous en ait fait et nous en fasse encore une obligation, nous avons cédé à ce mouvement fatal de diriger notre système cultural vers la production de la viande. Le tableau suivant nous le montre. Nous avons eu soin de ne pas comprendre dans ce tableau les pacages naturels, parce que dans les statistiques 1840-1852-1862 il y à eu une confusion regrettable entre les pacages naturels et les terres entièrement incultes; il est donc impossible de les comprendre dans des tableaux com- paratifs. DAT Ress Superficie en milliers d'hectares. Tableau L. RAPPORT AU TERRITOIRE DE LA FRANCE ER, y compris Prairies Fourrages Prés artificielles. verts. naturels. PRAIRIES ARTIFICIELLES. L'3 1 C1] Le] Li LI > LL] = El FOURRAGES ANNUELS mn = el LA =] En < A mn = ea Ex 4198 5057 4198 4224 En considérant les prairies artificielles, nous voyons que depuis 1840 l’augmentation est sensible. Depuis 1862 jusqu’en 1873, est-ce l'influence du libre-échange qui en est cause ? nous avons diminué, il est vrai, nos prairies artificielles, mais augmenté nos prés naturels et les fourrages annuels, de telle façon qu’il y a compensation. 1862. 1873. 9,773 2,586 386 508 4,198 4,994 7,397 7,318 CONCLUSIONS. Donc et pour conclure, nous voyons que tout autant pour la France en général que pour l’Anjou en parti- culier, notre système général de culture est en défaut. Nous sacrifions l’avenir aux nécessités du jour, sans nous préoccuper de l’épuisement de nos terres, et sans préparer nos armes pour la lutte inévitable que nous aurons fatalement à subir, un jour, avec les importa- tions Américaines. — 148 — Constatons en effet avec peine (par l'étude des statis- tiques officielles.) que de tous les pays d'Europe, c’est la France qui sur 100 hectares de territoire agricole labourable, renferme le plus de jachères, 9,9 0/5. Après elle vient le Danemarck, puis le Portugal. Nous ne tenons pas compte évidemmént des terres éncultes, mais de celles laissées sciemment en jachères. * Livrée à la spéculation agricole, sans ménager ses ressources, sans enrichir son sol, la France cultive démesurément les plantes épuisantes qui, comme le blé, le chanvre, le lin, toutes les céréales, tous les légumes secs, s’exportent sans rien restituer à la terre. Si c’est la Belgique industrielle cultivant la betterave, riche d’engrais chimiques qu’elle achète, d’engrais animaux et humains qu’elle soigne avec excès, qui cultive le plus de céréales; c’est après elle la France et la Prusse, qui consacrent la plus grande proportion de leur territoire à cette même culture. Mais la France comme rendement par hectare n’occupe que le 11e rang sur 24. Nous arrivons en ligne de compte après la Finlande et la Suède ! La Grande- Bretagne récolte en moyenne 32 hectolitres par hectare, la France 16,7 ; la moitié seulement ! Pour le chanvre si épuisant, dont la culture intéresse l’Anjou, c’est la Hongrie qui arrive en première ligne, elle est suivie de prés par l’Allemagne après laquelle viennent la Finlande, puis la France ! — Nous entendons ici la surface cultivée et non le rendement, sur lequel nous n'avons pu nous procurer aucun document à l'étranger. Nulle part dans toute comparaison interna- tionale nous n’occupons un rang digne de nous! — 149 — Si nous recherchons le rapport qui existe entre les animaux de ferme et le territoire arable se composant des terres iabourables et des prairies naturelles (pacages compris), ce rapprochement entre les divers pays d'Europe nous donnera des renseignements précieux. Les ressources herbacées dont chaque pays dispose, se pourront déduire du nombre de têtes que chaque pays peut nourrir sur une surface donnée; nous arrivons ainsi aux résultats suivants : Nombre de têtes par kilomètre carré de territoire arable. La France a 348 têtes d'espèce bovine, elle occupe le 10e rang sur 14 états; après elle, viennent le Por- tugal, la Hongrie, la Rounmianie. Le 1er rang est occupé par la Hollande, qui possède 703 têtes. La France a 744 têtes de moutons par kilomètre carré, elle occupe le 7e rang sur 14 états. La Grande-Bretagne qui occupe le 1er rang a 232 têtes de moutons par kilo- mètre carré. La France a 171 têtes d’espèce porcine par kilomètre carré, elle a le 8 rang sur 14. La Belgique a 393 têtes par kilomètre carré. Si nous examinons maintenant ce rapport en consi- dérant seulement l’étendue du territoire productif, nous arrivons aux conclusions suivantes : La France n’a que 22 têtes 1 d'animaux de race bovine par KQ, elle est au 12e rang sur 93. La France n’a que 47 têtes 3 d’animaux de race ovine par KQ, elle est au 4e rang sur 23. La France n’a que 10 têtes 9 d'animaux de race por- cine par KQ, elle est au 10€ rang sur 23. — 150 — Cette question de la production de la viande qui engage la fortune publique de notre pays est au point de vue social comme au point de vue politique à résoudre de suite. Si l’industrie, comme Saturne, dévore ses enfants, l’agriculture au contraire nous fournit les saines et fortes races qui viennent continuellement réparer le mal fait par l’industrie. La vie malsaine des usines, l'existence fiévreuse et accablante des villes, dépeuplent la France. Les campagnes seules viennent contrebalancer cette dépopulation, non seulement par la vigueur des fs du pays, c’est-à-dire des paysans, mais par leur nombre, car les familles agricoles regardent encore comme une bénédiction du ciel d’avoir de nombreux enfants. Ne devons-nous pas attribuer à la décroissance de notre richesse agricole de l’Anjou la dépopulation du département de Maine-et-Loire ? Si depuis 1866 la population du département du Nord a augmenté de 52,992 habitants, si celle du Calvados a augmenté de 21,240, celle du département de Maine-et- Loire a diminué de 44,084. Au dernier recensement de 1879, les populations des trois départements étaient ainsi établies : Calvados, 459,398 Nord, 1,438,252 Maine-et-Loire, 515,390 Il y a là un fait social à expliquer, c’est en le citant que nous terminons ce chapitre, le livrant aux médita- tions des économistes et plus encore peut-être à celles des moralistes | — 151 — QUATRIÈME PARTIE Étude des cultures industrielles. CONCLUSIONS GÉNÉRALES. Nous avons vu précédemment quel rang secondaire, l’Anjou, comme la France en général, tiennent devant les autres pays de l’Europe, à considérer principale- ment leurs richesses comparées en bestiaux, en prairies, en fourrages artificiels : trois termes qui sont pour nous l’expression de la fortune agricole d’un pays. Dans les chapitres précédents nous avons établi l’in- fériorité dans laquelle, l’agriculture de l’Anjou se trou- vait devant les départements du Calvados et du Nord au point de vue de la production de la viande. Le tabeau suivant résume les faits appréciés. Tableau M. 1852. (ENQUETE AGRICOLE.) Prairies des deux sortes. 38 9/0 22 o/o 97 2/0 CALVADOS. | MAINE-ET-LOIRE. NORD. Racines et légumes (choux, navets, carottes et bette- raves fourragères) ..... 0.93 5.7 2.5 Céréales ....,....so.s.e 43 9/0 4 °/0 43,7 °/o Jachères ..... SD See en Tate 7 °o 47 0°Jo 4 9/0 Cultures industrielles et au- ÉTES EE ile eines e een 11.7 414.3 29.8 — 152 — Nous avons vu les modifications peu importantes y apportées depuis 1852 jusqu’en 1876. Poursuivant nos recherches comparatives, nous allons détailler les cultures industrielles qui, considérées comme épuisantes, figurent en 1876, dans les statis- tiques, pour les chiffres suivants. Tableau N. CALVADOS. | MAINE-ET-LOIRE, NORD. Pommes de terre......... 2.800 |- 30.000 224.953 Légumes secs... ... dicton 840 2.000 9,475 Vignes........ bétons ne : » 32.700 » Chanvre ..,.... LAN le 450 8.800 315 URSS AMADEUS 300 4,000 10,166 Houblon ..-.....,.... 55e D » 1.256 Tabac ..,........ Done D, > 397 4,390 76.700 461.300 Qui représentent, …. 4 °o 13 9/0 10 Jo. Sur des étendues labou- rables ........,.. A 438.513 h.! 578.000 h.| 469.522 h. Nous n’insistons pas autrement sur les. conclusions à trer de cette comparaison : Le département de Maine-et-Loire, le moins riche en bestiaux, en fourrages et en engrais, est celui qui posssède le plus de cultures épuisantes. Si maintenant nous examinons les cultures moins épuisantes, les cultures industrielles, notamment celle de la betterave, nous aurons à examiner deux cas par- — 153 — ticuliers : celui où les betteraves sont consommées dans la ferme et celui où elles servent à la fabrication du sucre. Envisageant ensuite la culture d’autres plantes indus- irielles, celles par exemple donnant de l'huile, nous aurons à considérer si les graines sont exportées du pays ou si elles servent à la fabrication de l'huile. Dans ce dernier cas elles épuisent moins le sol, restituant ce qu’elles ont pris à la terre sous forme de tourteaux ou de détritus de tous genres. Betteraves. — Les betteraves consommées dans la ferme donnent à peine le fumier nécessaire au main- tien de la fertilité : 48 unités au lieu de 50 d’après les expériences de M. Moll — plus récemment on a évalué que la betterave dite Globe jaune donnait plus que ces 50 unités. — La pulpe de betteraves ne donne que 20 unités au lieu de 50. Ce sont des faits résultant de nombreuses expériences que nous n'avons pas à relater ici. Ils veulent dire que 50 hectares de betteraves culti- vées pour en extraire le sucre, ne représentent que 20 hectares cultivés en vue de l’amélioration de la terre et de la nourriture des bestiaux. Précédemment nous avons pu (le rendement par hectare en Anjou étant de 15,000 kilos, celui du dépar- tement du Nord 35,000 kilos) ne pas tenir compte de cette différence estimée à 20/50. Plantes à huile. — Si l'huile seule est exportée, il ne sort de la ferme qu’un produit hydro-aérien, com- posé de carbone, hydrogène et oxygène, qui n’enlève rien à la terre, car les tourteaux sont consommés sur SOC. D’AG. 11 — 154 — place et la paille sert de litière et restitue sous cette forme les produits qu’elle a puisés dans le sol. Si au contraire la graine tout entière est «xportée, il en résulte une perte importante pour la richesse du sol. À Le tableau suivant nous montre dans quelle mesure et dans quelles proportions les trois départements que nous étudions, extraient l’huile ou exportent la graine de ces plantes. 0c? 6008 002% “00H [MI opourey e s09foçduo saynuent) 6089 |0006 OSTE “10907 ‘‘’"""""""""100qdu0 e soute) 6L£ 000€ 006 ‘M0 soouomosanodso9foçdue soute S8FZ |00087 |0c07 *1110199H *“’sourer8 9 9[810} UOTONPOIY 00716 0066 10Z#06F |000068 |0000/ 00868 0006€ 89697 : LGLY |YYLETT |0069G 00%7LG 06666 |00097 OFZY Y0£6 £8 (La 00SF 0097 82676 0008 069 000SFF |0008G 000926 81S86& |000%6 0078 2 ** *UOrJOn pod ET op e[e]0} ainojeA SGY#7 |00809 |S829r ‘SouvIx XN69/IMOL C9Y0Y |000607 |S8266 "SOUCI °°° "9IMH 66026 |00000€ |007YZ6€ 627 66G |O09GFE |6G89 } ao |loeo l|er'a "SOUCI ent un,pu9 OU XI 969662 00649 |68%04€c |000£09 |006/6667 [068 06S |000008 |0008 08 0 070 [50 0€°0 970 6e 0 06 0 0F°0 C6 F 08‘0 1c8 0 OFF L8°0 660 GG F 00°F 000°960°F 00%%gr [6688767 |000000F [00006076 |S#G F90°T|0008STF |06c89 008c09 000%8 108c'168°c|00006G |000'06G'#71922L"66S |000079 |00088 < ‘07 « ‘6 |c0 GE 0007 00 ZE 6 SY7 00°9€ 006€ 00°c8 00'03 100% 00 &6 00°5G c£ 66 00°0& 00°97 0ZY06T |000$6 000029 00868 0006€ OSZY 660 |OF'F ST'F “SQU8IA °°°" [MH 0G6c0G |?00%0£ |000807 SOI X0t9)IMOT OSGYF |00096 |0006% LOTS GI TTL ET oc (o0'8e |l00'o7 *SOIL XNP9JINOL )'SOUIEIS Op 03007 00°GG [| GY \00’Z7 ‘SOIN ‘‘"‘O[MH)Y 9P JUwmopUuIY 0c# 0008 |cozz “II0N90H "OI OUR] e so9{oçdue sourexs op ajmuen() * "21830 UOrOnporqg 926607 |0000%G |008%9 *SOUtAT ‘UOMONpOId ET 0p 07210) MOTEA 0$°Sy (00 0G 00:97 *SutIT ‘°""‘01]1107907 UN,P u9AOU XI 8872 |0006F |0607 “JI000H ‘‘’‘""""""*"""012)0} UONONPOIT c8 66 |00 9 |00'6 ‘1110999 ‘‘*°°‘01e7907 ed uaÂOU JMpOrq O£'T |0SF |00'& "AIIO1I0H ‘9187207 1ed ouais op p}rjuen() (a) F4 0006 1087 °S018J29H ‘‘‘‘"""‘O990U0MOSU9 91710ns GLGSL8G |000979 |0008%C€67 |6S9%62S |000009 |00%0 00:G€ 00°87 |00' SG 00'&& 00°€G 06 c6 00°SG 00 76 GL98Y 08% |[YTOSTF |00086 000926 816866 |00076 00%6 06 97 00°Fr |68 7 <' 00 8F F7" 66 00'9 00'8 08 0 6F'0 [370 AU G0°0 0 & 00 6 08% 8664 0006 0006€ 9FT0Y 000% 00€ PiON || PeAIe] PION |''T 30 “A SOPUEAIBD | PION | 13 DR LU. “ANITHNVO “YZT09 "NII *SIAGNAHO “ALLHANN ALLATTID *‘O 209700I — 156 — Tableau P. TABLEAU RÉSUMÉ. ——_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_— CALVADOS. | MAINE-ET-LOIRE. NORD. EE un CS SP. 2 Employ. Employ. . |Employ. Pro- Pro- Pro É 5 : our auction. | phuite, |auction|phie, | auction. | huile. RES | GERS | EMEA | ons KIL. KIL, KIL. KIL. Chenevis.......,,........1 3.150| 2.700! 9.000| 8.000! 6.809 450) LEE RE ART enr . 4.710] 1.750/16.000132.0001233.940| 23.800 Colza....., sas ren 574.4001570.000126.500|25.0001113.711|120-470 OŒillette, Navette, Came- à LEGO A6 Dre ce 4.227| 4.200 » D 46.368| 27.400 Total de la production.|583.527|518.650] 51.500163 .0001390.818/172-120 mmennd Hs | mme À cms | camps Graines employées pour extraire l’huile......., 378.680| » |[65.000| » [172.100l >» Graines exportées........ 4.871 » D » |218.698| » Graines importées... ...., » » 113.500! » » » L’exportation des graines du Calvados et du Nord laisse à la terre les tiges qui forment litière ; l’impor- tation des graines de lin, en Maine-et-Loire, ne lui donne que des tourteaux. L’exportation des graines de lin, de chenevis, et d’œillette et congénères, enlève au Nord une quantité considérable de tourteaux représentée par 218,698 kilogrammes. À ce titre donc l’industrie de la fabrication de l’huile méritait de fixer notre attention, et nous constatons que son existence a des effets favorables pour l’agri- culture de notre département. — 157 — Le tableau suivant nous montre maintenant dans quelle mesure nous cultivons les plantes industrielles moins épuisantes; nous réservant de faire intervenir, plus loin, dans la discussion, les éléments à tirer de la culture du chanvre et du lin dont l'influence n’est pas la même que celle des autres plantes oléagineuses. Tableau Q. HECTARES CULTIVÉS EN CALVADOS. | MAINE-ET-LOIRE. NORD. 202 EE ee Betteraves............... 4.000 34.584 Colza, OEillette, Navette .. 32.440 10.118 36.440 Rapport au territoire la- bourable...........e.: 8.2 °/0 0,6 % 9.5 °/0 En remarquant que les betteraves du Nord ne devraient figurer que dans le rapport signalé plus haut, soit 20/50, il ny aurait plus que 13,832 hectares destinés en réalité à la nourriture des bestiaux dans ce départe- ment. Le chiffre 9,5 °/, devient de ce fait 5,1 °/0. La différence reste encore considérable, or, nous avons vu qu’on peut considérer, dans la comparaison, toutes ces belteraves comme fourragères. L’exportation ou l'importation des graines de colza, d'œillette et autres, modifie-t-elle ces termes du pro- blème ? — 158 — Tableau R. CALVADOS. | MAINE-ET-LOIRE. NORD. en Exportation de colza.....| 4.497 h. 1.500 h. » Importation de colza..... » » 6.709 Exportation des autres graines oléagineuses …. 2 » 18.968 Correspondant en hectares. 247 107 “ . ai —41:116)766h. Voici, dans le tableau suivant, la valeur des modifi- cations apportées au tableau Q, en tenant compte des importations et des exportations. Tableau S. CALVADOS. | MAINE-ET-LOIRE. Betteraves....,.,........, 4.000 2.000 Colza, œillette, navette .. 32.293 1.893 » 36.293 3:893 Les rapports deviennent... 8.2 0.67 Cette modification ne change guère les termes de la question. Si maintenant nous voulons faire intervenir comme nouveaux éléments d'appréciation, le En et le chanvre, et que nous supposions que tous les tourteaux prove- — 159 — nant de la fabrication des huiles indigènes et ceux des graines importées solent consommés sur place, nous arrivons à une évaluation comparative, en hectares, qui est la suivante. Tableau T. CALVADOS. CHENEVIS. MAINE-ET-LOIRE. CHENEVIS. 25.000 h. 40.000 6.8091233.940 450| 23.800 Production en graines...| 4.860 h. Fabrication en huiles....| 4.450 Exportations chenevis... 390 6.3591210.140 Importations graines lin. D » » Rendement par hectare. 9 23 25 Valeur en hectares...,.. 543 276 h.18.500h. Nous arrivons donc à modifier comme suit le tableau précédent S. Tableau U. CALVADOS. | MAINE-ET-LOIRE. Hectares cultivés.........| 36.293 h. | 3.893 h. (Exportation) à diminuer... 43 » (Importation) à ajouter... 2.500 Lofals een : S 6.393 Rapport au territoire la- bourable ; 41% Nous avons donc, en faisant entrer en ligne de — 160 — compte la fabrication des huiles de lin et de chanvre 4 °/ seulement de nos terres labourables en ces ré- coltes moins épuisantes, en ne considérant évidemment 0] Le Nord a 3,05 o/, dans les mêmes les plantes que comme produisant de l'huile. conditions. Bien plus, toute la paille de 216,499 hectolitres qu’il exporte lui reste, tandis que nous n’avons rien des pailles des 15,000 hectolitres de graines de lin que nous importons ; et tous les tourteaux qui proviennent de l'extraction de ces huiles de lin restent-ils bien acquis à notre cul- ture ?? Après avoir constaté d’abord dans quelle proportion relative énorme nous cultivons les plantes épuisantes, nous venons de voir notre infériorité dans la culture des plantes industrielles moins épuisantes. Il faut maintenant examiner les résultats désolants que nous tirons du tableau général de la page 67. Tableau \. EN HECTOLITRES. le | Er | Ghenevis HAN. Re. 29,82 25.41 15.89 CŒillette, Cameline, Navette] 11 16.90 RENDEMENT Rendement à l’hectare. [Rendement en huile par h" —— Cal. |M. etL.| Nord. 17 25 16 23.52 25 20 L’exportation considérable de graines que fait le Nord s'explique non seulement, par le rendement im- portant de graines à l’hectare, mais aussi par le rende- — 461 — ment non moins considérable en hwle que donne un hectolitre de graines. C’est par l'emploi des ENGRAIS bien mesurés et spéciaux, que le Nord arrive à ces résullats considéra- bles ; cela nous engage à aborder cette question vitale pour notre agriculture. LIT. ‘QUESTION DES ENGRAIS. Dans quelles mesures employons-nous l’engrais dans nos cultures ? Voilà la statistique des engrais et amendements employés dans les trois départements. Tableau W. CALVADOS. | MAINE-ET-LOIRE. AMENDEMENTS Chaux..,..... Gi Br OEE E 1.331.492 ax 960.000 596.540 Plâtre 87.674 18.000 540 lMiébeactooenneoneooe » 6.500 519.433 Cendres....... soso. 37.715 129.700 122.525 AUITES.,......... PAT 5,315 12,000 144,362 ENGRAIS Engrais d’étable......... 21.462.780 | 13.882.000 | 31.332.391 Récoltes fourragères en- TOI ere er 120.217 96 000 988.933 Guano....... Ponccdd sut 251.309 26.124 949.228 Autres engrais commer- ClAUX ee resserre 60.417 50.000 2.162.746 — 162 — Pour évaluer, comme il convient, la valeur de ces engrais il faut les réduire tous en leur valeur fumier d’étables. , Voici les bases sur lesquelles nous nous appuyons, et qui sont celles adoptées par tous les chimistes qui ont traité cette question. Tableau X. 40 RÉCOLTES FOURRAGÈRES ENFOUIES 20 AUTRES ENGRAIS COMMERCIAUX Équivalence en fumier. Équivalence en fumier. EE «| Navette en fleur..... °.. 180 | Colombine ...,....... a Fèves en fleur.......,... 420 Poudre d'os............ Dupin Pain de croton AD OTI Be Me AREA NT IT Tourteaux divers....... Noir animal....... set Vidanges Urines nr nn Crottins de moutons... — 960 ou 1000.,...,... 8 | 3° GUANOS. Guano du Pérou.. 3.500 Guano d’Ichabæ.. 2.200 Guano du Chili... 1.500 7.200 = 2.400 kil. Transportant ces valeurs nouvelles dans le premier tableau et remarquant que 1,000 kilogrammes de guano du Pérou correspondent à 3,500 kilogrammes de fumier de ferme, nous arrivons aux résultats suivants : — 163 — Tableau Y. CALVADOS. | MAINE-ET-LOIRE. NORD. Fumier d’étables..... ....|21.462.780 9x|13.882.0001|31.322.391 ax Fourrages verts enfouis.., 132.298 105.600 | 1.086.800 Guano..... eee ses «| 6.031.416 626:880 |22.781.472 Autres engrais........ ste 60.417 59.000 2.162.746 Total en fumier d’étables.|27.686 841 14.673.480 157.353.409 Nombres proportionnels... 2 1 5 Cest dans ce rapport que la fumure a lieu, c’est-à- dire dans le Nord 5 fois plus considérable que chez nous. Si nous rapportons cette quantité au territoire agri- cole, y compris les prairies, et c’est là le point essentiel de la comparaison; nous arrivons aux conclusions sui- vanies : Tableau Z. CALVADOS. | MAINE-ET-LOIRE. NORD. Terres labourables avec l DrairieS. ses ss eo 0 » 0» « 438.513 578.232 469.522 Prairies naturelles et arti- HCIPNOS ere steberses 568.165 131.308 130.969 RS |" | Terres labourables sans prairies. ,...... bo déco 270.358 446.924 338.553 Fumier sur un hectare de terre labourable y com- pris les prairies 64 4x 26 ax 263 4x Fumier sur un hectare de terre non compris les Prairies... e 34 4x 2227 Disons encore que dans le Nord, on fume les prairies en les arrosant à l’engrais humain délayé, engrais gé- — 164 — néralement négligé dans notre pays, et que nous n’avons pas dans notre comparaison fait entrer en ligne de compte. En résumé donc, nous voyons que par la culture des céréales, par celle du chanvre, par celle de le vigne, par celle des cultures potagères et maraichères, nous enlevons beaucoup à la terre sans lui confier abondamment, comme dans le Nord, des engrais que nous ne savons ni bien faire, ni soigner, ni acheter. Prendre beaucoup et rendre peu, est chose facile en agriculture comme ailleurs. Le seul point délicat est de ne pas dépasser certaines limites qui sont données par la quantité d’engrais qu’on peut tirer du dehors, ou par l’étendue des prés dont on dispose. Or, nous achetons très peu d’engrais au dehors et nous manquons de prés. Comment sortira notre agriculture angevine de cette voie désastreuse? Nous savons que de toutes les cultures voici celles qui figurent parmi les plus épuisantes : Tableau 2. MATÉRIAUX ENLEVÉS PAR UNE RÉCOLTE. a PLANTES RÉCOLTÉES. RÉCOLTE MOYENNE. AGE AZOTE. PHOSPHO- | POTASSE. CHAUX. RIQUE. | BLÉ. — Grains, 1216 kil. Paille, 3200 kil 35. 17.30 22.35 POMMÉS DE TERRE. — Tu- bercules, 26000 kilog. : Fanes, 3000 kil. .......| 92.80 52.20 16.925 BETTERAVES. — Racines, 30000. Feuilles, 11000£. 32.80 176.30 CHANVRE.— Graines, 300 k. Tiges, 13840 kil Filaments, 900 kil 53.95 19.60 — 165 — N’est-il pas évident que les assolements dans lesquels figurent la vigne, le chanvre, les pommes de terre, les légumes secs sont des assolements très épuisants? Pour nous, ils le sont d'autant plus que nous manquons de fourrages; et maladroitement, nous choisissons des cultures commerciales qui ne laissent rien au sol, pas même la litière, car ni le chanvre, ni le lin, ni la vigne, ne nous procurent cet avantage. Riche assolement et gros bénéfices ne sont pas syno- nymes ; il faut qu’il se rencontre des conditions excep- tionnelles, comme celles où l’on se trouve dans les alluvions de la Loire, pour pouvoir s'expliquer que lassolement : 1° chanvre ; 2 blé, n’ait pas encore ruiné une partie de notre territoire agricole. En Alsace, on trouve : 40 chanvre; ® blé ; 3° 1/2 trèfle, 1/2 avoine, et on emploie largement des engrais artificiels. Les méthodes pour épuiser la terre abondent, on n’a que l'embarras du choix. La lutte entre l'exploitant et le sol rappelle involontairement, pour ses consé- quences, la lutte des membres contre l'estomac. — Ne l’imitons pas et revenons à une saine pratique. Il n’entre pas dans le cadre de ce travail d'indiquer non seulement les quantités d’azote, mais encore les quantités considérables de substances minérales en- levées chaque année au sol par certaines récoltes: on trouvera dans les livres spéciaux ces indications qui prouvent surabondamment la nécessité de la restitution. Néanmoins voici, suivant l’épuisement plus ou moins grand du sol qu’elles occupent, l’ordre dans lequel on pourrait placer les diverses cultures : — 166 — 4° Récoltes très améliorantes. — Prés naturels non fumés. | 90 Récoltes améliorantes. — Fumures vertes, luzernes, trêfle, sainfoin, lupuline, en supposant le produit entié- rement consommé à la ferme; toutes les autres cultu- res fourragères. 30 Récoltes conservatrices. — A. Racines tubercules. — B. Autres plantes, dont on a exploité certains pro- : duits hydro-aériens (sucre, alcool, fécule, huile) et dont les résidus servant d'engrais ou à Ka nourriture du bétail restent à la ferme. — C. Graminées. -40 Plantes peu épuisantes. — Farineux (haricots, pois, lentilles, sarrazin), grain exporté, pailles consom- mées. 50 Plantes épuisantes. — (Céréales (grain exporté, pailles consommées); choux, racines, et tubercules exportés. — Les oléagineux, le lin, la gaude, la cardère. 60 Plantes très épuisantes. — Tabac, chanvre, ga- rance, chicorée à café. IV. COUP D'ŒIL SUR LE SYSTÈME AGRICOLE ACTUEL DE L’ANJOU, Parmi les plantes très épuisantes que nous cultivons se irouve le chanvre et livrés outre mesure à la culture de ce textile, surtout en dehors de la vallée, nous n’a- vons pas su, faute d’engrais, faute d’un bon choix dans la graine, amener cette culture à son maximum : ré- — 167 — suliat qui seul permet un bénéfice au cultivateur. Parmi les assolements épuisants adoptés en Anjou figurent presque tous ceux à céréales sans fourrages, ou avec peu de fourrages, mais productifs de litière, ce qui est fort important, et ce sont ceux-là que nous avons adoptés en prenant le froment comme base de notre culture. | Dans les terres fertiles de la vallée de la Loire on voit figurer souvent l’assolement : chanvre, froment, fèves, froment. A Baugé, à Saumur, on emploie l’assolement triennal. Les arrondissements d'Angers et de Segré placent le chanvre et le lin dans leurs assolements. À Segré, la terre est encore livrée aux jachères, tous les deux ans. Dans larrondissement de Cholet (anciennement couvert de genêts) la terre, aujourd’hui, produit sans repos; grâce à la chaux, le froment y alterne avec les fourrages qui permettent l’engraissement des bestiaux. Au nord-est de la Loire (Longué-Varennes) il y a une culture mixte; on met le blé, le millet, le maïs, les navets, les pommes de terre, les courges, entre les rangs de vignes espacés de 6 à 10 mètres. À Mazé, il y a une culture champêtre maraichère très étendue. Dans les terres de Saint-Laud on cultive un excellent froment avec les artichauts, les choux brocolis, le melon, les choux-fleurs, les salsifis, les pois, les ha- ricots, les fraises, les lins d’hiver et le chanvre. Ces légumes sont expédiés à Paris. À Corzé, à Seiches, on cultive le sorgho, ou mil, — 168 — à balais qui produit de 1,000 à 1,200 balais par hec- tare. Quant aux engrais, nous les voyons partout négligés. Engrais. Le fumier est partout préparé très négligemment. Dans la vallée on enfouit le trèfle vert, ou les fèves en fleurs qui donnent de la fraîcheur au chanvre. Les composts sont très nombreux. Quelquefois on a recours à la poudrette, au noir animal, à la charrée. Le guano n’est employé par quelques rares pro- priétaires exploitant eux-mêmes. La chaux est usitée dans les arrondissements d’An- gers, Cholet, Segré, elle forme la base des composts terreux à l’état de chaux vive et à raison de 36 hecto- litres à l’hectare. La marne est rare dans le pays, on la remplace par la craie tuffeuse très molle. V. NOTRE RANG DANS LES CULTURES INTERNATIONALES COMPARÉES. On comprend très bien que devant cette pénurie d'engrais nous épuisions notre sol, et que nous ne puis- sions sans dangers nous livrer aux cultures industrielles, qui, dans les autres pays, sont, comme dans le Nord, la base de la richesse agricole. Nous devrons y arriver, à peine de périr dans la lutte. — 169 — Tableau 3. CULTURES INDUSTRIELLES PRODUCTION POUR 1.000 HABITANTS GColza Chanvre hecto. | Filasse perte as HN Fabae: qx ax Grande-Bretagne... » » 2 2 19 » Irlande ....... 3108 » > » 63 » » Danemark......... 16 2 » 13 3 1 Hongrie......,,,... 73 278 402 2 4 93 Allemagne......... 51 297 337 19 20 Hollande......,.., 96 26 1116 33 1 9 Belgique.. .......1 122 40 1060 46 9 1 BTAHCO ot steists sd ds 79 148 2412 14 4 6] Roumanie. .... 2..." 813 58 » 2 » 7 Si pour le chanvre nous voulons établir un point de comparaison avec les autres pays d'Europe, nous voyons que la production de Maine-et-Loire étant obtenue sur 40,000 hectares rapportant 530 kil. soit 21,200,000 kil. pour une population de 515,390 habi- tants, c’est par 1,000 habitants 410 quintaux aulieu de 148 moyenne de la France, et 278, chiffre le plus élevé en Europe et donné par la Hongrie. De cette production nous pourrions nous enorgueillir, s’il ne fallait nous en attrister. A l'épuisement provoqué par une culture aussi intensive d’une culture très épuisante doit correspondre un rendement très faible des produits des autres cul- tures, notamment des céréales, le fumier étant presque entièrement sacrifié à la culture du chanvre; en effet, SOC. D’AG. 12 — 170 — Tableau k. PRODUIT 1873. PRODUIT MOYEN. Calvados Maine-et-Loire ....... . Nord.......... RS etes SEINE, »...01010.0/8 » veie.0/04e France. .....,.. Nous dépassons à peine la moyenne de toute la France et si nous nous comparons aux autres pays d'Europe, Tableau 5. Rapport o/o de la superficie Rende Rendement o/o de la superficie | "st céréale aux terres labourables. |,5 114. |céréale aux terres labourables.|e5upré. Duchés allema.. Hollande, Saxe Hongrie .......) 70 11 Suède.,........| 49.2 |18 Belgique....:.. 60.9 | 24.3 |[Grande-Bretagne.| 46.9 | 26 Finlande ......| (60.4 15.5 [Irlande.........| 36.3 20 Wurtemberg...| 59.9 29 Calvados ....... 43 16.4 Bavière....,...|] 58.2 | 18 \Maine-et-Loire..| 41 16 France. ...,....| 57.1 45 Nord.....,..,..] 43,7 | 93 Portugal...... .| 56.7 11.5 » » » Nous sommes donc en Anjou, au-dessous de la moyenne de beaucoup de nos départements. Nous n’oc- cupons que le dixième rang en Europe, ne repré- sentant que la moyenne de la France. Nous le voyons, nous sommes toujours dans le même cercle vicieux, car c’est le manque d'engrais qui nous oblige à cette culture des céréales peu rémuné- ratrice, parce qu’elle n’est pas d’un rapport assez élevé. Nos bestiaux d'élevage vont s’engraisser dans les herbages normands ou à Cholet, ils viennent principa- — 171 — lement de Segré (terrain calcaire). Les bestiaux gras sortent de l’arrondissement de Cholet, au nombre de 80,000 têtes par an et vont au marché de la Villette. L’arrondissement de Segré élève et exporte à peine 40,000 têtes de bétail par an. Nous l'avons déjà dit dans un chapitre précédent; — ni en France, ni en Anjou nous n’avons assez d’ani- maux par kilomètre carré, le tableau suivant de recen- sement international nous le prouve. Tableau 6. ANIMAUX PAR KILOMÈTRE CARRÉ DE TERRITOIRE ARABLE. 2 Race bovine. | Race ovine. | Race porcine. RS | nn RS France... een Ai LORIE CE 348 744 471 Norwége ....... DA LT 771 1.380 -1,178 Grande-Bretagne ...,..... 472 2,320 198 Belgique. ....,.. ess bu 635 300 ... 323 CEIN ET E AMAMAO PRES 580 290 470 Maine-et-Loire......... LA 440 100 250 Nord... DRAELTO ER ME 540 260 220 UE ASE RER LR 144 748 245 Hongrie...,.......... su: 273 780 230 Autriche. ,........ bte 433 293 149 Roumanie..,..... EL E 305 791 138 Danemark.....,..... ne 509 757 182 Allemagne du Sud....... 683 316 244 Irlande server 652 705 164 Ce recensement nous prouve que nulle part nous n’occupons le premier rang, laissant aux étrangers les premières places auxquelles la variété de nos cultures, la richesse de notre sol, l’intelligence de nos popula- tions nous donnent le droit de prétendre. — 172 — Faute d’engrais, faute d’animaux de tous genres, faute d’une spécialisation mieux entendue de nos efforts, faute de n’avoir pas compris encore que la production de la viande était la voie de salut offerte à notre agri- culture en détresse, nous n’arrivons qu’à un rang dérisoire au milieu des autres contrées de l’Europe. Voici, en ne considérant que le gros et le petit bétail, le rang que nous occupons. Tableau 1. Petit bétail races ovine, |. Rang caprine A et porcine. CeURÉE Gros bétail Rens chevaux, occupé. |ânes, bœufs France...... 5060850 19e sur 14 5e rang Norwége ......, .... | 1°r rang 892 = — Grande-Bretagne... — — 2.518 4er rang Nord............... | 6e rang 7130 480 13e rang Maine-et-Loire...... | 9e rang 540 350 dernier r. Calvados........,., 1e rang 120 460 13e rang Il est temps de modifier une telle situation en y ap- portant les changements qu’elle comporte. CONCLUSIONS DERNIÈRES En comparant le département de Maine-et-Loire à ceux du Nordet du Calvados dont la richesse agricole est aussi incontestable qu’incontestée, nous avons mis à jour quelques renseignements précieux, dignes de l'attention et des réflexions des agriculteurs et des économistes que ces questions intéressent. | Dans le tableau ci-après nous avons groupé tous les chiffres auxquels nous avons été conduit par les diverses comparaisons que nous avons faites. — 173 — Ils sont pleins d’enseignements pour qui veut les étudier sans parti pris d’amour-propre mal placé, Tableau 8. CALVADOS. | MAINE-ET-LOIRE. NORD. Prairies des deux sortes cultivées ; sur 100 de l'étendue labourable. . 38 0 29 9/0 27 °/0 Prairies naturelles.....,. 27.5 15 °/o 18.5 Prairies artificielles, ..... 10.5 7 °/o 5.5 DERTI ERNEST e 43 Jo 4 °/0 43.79/0 MAvchéres Eee nee 7 °/o 17 °Jo 4/0 Nombre de têtes de ‘la race bovine par 100 hectares cultivés......... ds 38e 58 44 54 De la race ovine......... 29 10 26 Race porcine...... Cab Tae 17 25 22 Grands animaux (chevaux, ânes, bœufs), par 100 hectares cultivés ..,.... 72 54 73 Rapport par hectare des racines et légumes ...…, 239 qx 306 ax 979 ax Rapport moyen d’un hec tare de betteraves ..,.. 276 4x 126 ax 390 a Rapport de la sole fourra- gère à la totalité des terres labourables...... 39 0/0 28 °Jo 32 0/0 Variations de Augmen- la popula- ( tation... 21.240 2 52.992 tion, 1866- Diminu - 1872. tion....,. » 14.084 » Rapport des cultures épui- santes industrielles sur 100 de l’étendue labou- rable CCE EEE 1 Jo 13 °/o 10 °/o Rapport des cultures moins épuisantes, telles que les betteraves et les graines oléagineuses....#...... 8.2 9/0 6 10.5 Rendement par hectare des graines oléagineuses.... 9 }. 6 23 Rendement par hectolitre des huiles de chenevis.. 17 12 25 Fumiers et engrais em- ployés dans le dépar- tement..,....s..s.s.ee 2 1 5 Fumier et engrais emplo- yés par hectare de terre labourable ............ 64 ax 26 263 ax Produit moyen d’un hectare en DIÉ...,.......e..e.. 16.40 16 h. 23 h. — 174 — Etonnés de la stérilité de leurs campagnes autrefois si fécondes, les Romains du temps de Néron disaientque la terre avait vieilli et qu’elle avait perdu sa vertu première. _ La terre, répondait Columelle, ne vieillit pas, ni ne s’épuise, si on l’engraisse. Vérité incontestable, qui alors était une révélation! Celle de la nécessité des engrais fertilisants! Rien ne se perd, rien ne se crée dans la nature, dit la science moderne. — C’est par l'élevage des bestiaux que nous pourrons lutter avec avantage contre la con- currence étrangère qui nous étreimt. — Cest par une révolution complète dans l’emploi des fumures et des engrais, que l’Anjou pourra marcher vers le progrès atteint par d’autres départements français. Cest à cette réparation, à cette restitution due à un sol qui nous est cher à bien des titres que nous con- vions tous les agriculteurs qui ont quelque souci de la fortune de notre Anjou! G. DE CAPOL. a CO. ——— DEUX PROMENADES MESSIEURS, Un ancien ami, ayant, en 1830, pris part, comme sous-lieutenant, à la conquête d'Alger et étant resté depuis ce temps en Afrique, nous adresse, à son retour en France, la lettre qui suit : Bagnères de Bigorre, 2 décembre 1880. « Monsieur et ami, « Me voici donc, après un demi-siècle, revenu près de vous! Et, encore, je me trompe, car, désirant répondre à l'invitation pressante d’un riche habitant de Bagnères, je ne reverrai pas l’Anjou avant une quinzaine. (Ici, Messieurs, je passe une demi-page consacrée au souvenir de nos anciennes relations). « Ce riche Lyonnais, devenu Basque, continue la lettre, se nomme Valdès et pourrait, mieux encore, se nommer Fugantini. Dans son vaste salon on ne voit que piano, orgue, violoncelle, des partitions de tout format. Sur la pendule, un Beethoven à l’air sombre ; — 176 — sur les parois, vingt portraits d’artistes renommés : la belle Pasta, le puissant Lablache, l’homme-fantôme, Paganini. Je me croirais volontiers chez cet amateur de votre ville, M. Aubin de Nerbonne, dont vous m'avez plus d’une fois parlé jadis. « Vous devinez que l’art musical doit faire ici les principaux frais de l’entretien. Or, il y a peu de jours, mon hôte, son journal à la main, me dit d’un air sou- cieux : « Les wagnéristes gagnent du terrain !... — Pardon ! répondis-je, j'ai entendu parler des Gluckistes et des Piccinistes, mais je ne sais pas ce que l’on nomme un wagnériste. — Je vais vous l'expliquer. La mélodie étant la pensée, l'être musical, peut-on dire, si l’on exagère l’importance de l’harmonie, qui four- nit l’accompagnement... — Mais, Monsieur, je ne sais pas la musique. — Vraiment! Alors, remettons la ques- tion à un autre instant et sortons un peu. « Non loin de la riante demeure où je suis accueilli et à mi-côte d’une colline verdoyante, nous gagnons un site enchanteur. Son élévation modérée permet de voir distinctement les objets d’alentour ; des arbres de tout âge et de tout pays y forment un riche paysage, qne l’on parcourt sur un tapis velouté. — Ces arbres, me dit mon hôte, je me suis plu à les nommer sui- vant leur analogie avec la nature de nos grands maîtres. Quelques-uns, malheureusement, ont péri; d’autres ont bravé le temps. Voici, par exemple, un Grétry qui, malgré ses feuilles un peu jaunies, n’a rien perdu de sa grâce. Près de lui, vous voyez un long espace rempli par des Nicolo, des Boiïëldieu, des Hérold, des Auber, des Bellini. Remarquez surtout ce — 177 — majestueux Hændel, ce Gluck à fortes ramures et ce beau Mozart semper virens ! À sa gauche s'élève un Rossini dont la tige est peut-être moins consistante, mais dont le feuillage est plus éblouissant encore. « En devisant ainsi, nous arrivons à un riche châ- teau où l’on s’empresse de fêter mon guide selon sa passion bien connue, en ouvrant le piano. Une voix habile chante la délicieuse mélodie de Grétry : Je crains de lui parler la nuit, puis (quelle distance !) l’andante : Sombres forêts, de Guillaume Tell. Après elle, le maître de la maison, que l’on me dit avoir pris, non en courant, quelques leçons de goût, mais, pendant longtemps, des lecons sérieuses de musique, nous fait entendre l'air des Voitures versées (Apollon toujours préside) et le songe de Magnifico, dans la Cenerentola (Mie rampolli, miei rampolli feminimi). Je me croyais encore aux Italiens de 1828 ! « Nous revinmes. enchantés et louant hautement cette excursion, qui nous avait causé un vrai plaisir, sans aucune fatigue. « À demain ! dit mon guide enthousiasmé. — «Ge jour, plusieurs promeneurs se joignirent à nous. « Après avoir suivi pendant longtemps un chemin dont l'aspect était assez insignifiant, nous commençons à gravir d’âpres sentiers qui conduisaient, non sans une fatigue extrême et sans quelque danger de chute, au sommet d’une montagne. Là, un horizon immense se déroule à nos yeux; seulement, l'élévation était telle que nous ne voyions rien distinctement. Une légère brume nous empêchait, en outre, de bien défi- — 178 — nir les objets. Ce genre d’excursion, nous dit notre guide, est très recommandé depuis quelques années par un Allemand nommé Wagner èt par plusieurs de ses partisans, au premier rang desquels il faut placer Robert Shumann, qui, pourtant, ne lui est pas toujours fidèle. Ces novateurs ne souffrent pas qu’on soit à moitié de leur goût et refusent presque le salut à Meyerbeer qui, longtemps, cependant, nous avait semblé, au milieu de ses magnificences, s’égarer de temps en temps dans les brouillards d’outre-Rhin. Sur la fin de ses jours, Beethoven a voulu se joindre à eux, mais on pense généralement qu’il n’y a nul- lement gagné. «Je le crois facilement, dit l’un de nous ; c’est très bien de voir loin; mais il vaut mieux encore voir clairement, et j'ai assez de ce paysage in- décis! — À ce mot, un regard s’échange, nous descen- dons le rude chemin de la montagne et rentrons cour- baturés au logis. « Eh! bien, me dit à cet instant notre aimable hôte : vous avez réponse à votre question de l’autre jour !... Appliquez à l'audition ce que votre vue vient d’éprouver , et vous comprendrez ce qu'est un wagné- riste. L’élévation, quand elle devient exagérée, s’atteint péniblement et aux dépens de la netteté. Vous venez d’en faire l’essai; seulement, à quel point commence l’exagération ? c'est une question d'appréciation et de temps. Wagner, qui est un homme de grande science, s’est dit, sans doute, que Rossini, aux premières auditions de son Barbier, succédant à celui de Paësiello, avait été taxé d’audace blämable; qu’en 1824, le premier acte du célèbre Freischutz, de Weber, avait — 179 — failli sombrer à l’Odéon; que, plus tard, le Robert-le- Diable de Meyerbeer, avait été vivement attaqué ; il a élevé, tendu son style en conséquence. Faut-il trop s’en plaindre ? Ses savants travaux et ceux de ses adeptes ont, dès à préseut, une certaine utilité. La musique trop légèrement écrite, la musique d’opérette inonde plus d’une de nos scènes : Offenbach a dépensé en menue monnaie un véritable trésor. L’audition, puis Pétude des œuvres d’outre-Rhin, doivent être un remède à ce fâcheux sans-façon. Seulement, il faut user de ce remède avec une sage réserve, car bien des gens affirment, après expérience, qu’il contient parfois une certaine quantité d’opium. Cela l’empêchera-t-il de devenir, comme on s’est plu à le dire, la musique d’un prochain avenir? Bien des efforts sont tentés pour atteindre ce but, des princes même s’en sont mêlés; sur la plupart des programmes, dans votre Anjou comme ailleurs, figure, à titre d’éclec- tisme, quelque fragment de Wagner ou de Shumann. La conquête, pourtant, n’est pas achevée, car, aux concerts parisiens de Pasdeloup, ces maîtres, si j’en crois mon journal, rencontrent une vive opposition, et, dans une feuille de votre ville, l’Union de l'Ouest, un chroniqueur, justement estimé, Victor Fournel, écrivait, il y a quelques jours, en parlant du Comte Ory, de Rossini : « La pièce nous a fort agréablement « reposé de la solennité pompeuse et de la science « pédantesque des compositions germaniques. » « Au milieu de ces courants contraires, il me semble, ajoutait-il, que les quatre compositeurs dont les œuvres marquent le plus fidèlement le niveau maximum de la — 180 — musique actuelle chez nous, sont Gounod, Ambroise Thomas, Massenet et, depuis hier, dit-on, Léo Delibes. Mais, encore une fois, je ne prononce rien sur l’avenir, qui verrait alors la musique française ne plus être française. « En attendant cet avenir, allons prendre quelque repos, non, toutefois, sans être convenus d’un rendez- vous pour demain. — Ah ! sil est possible, m’écriai-je alors, revenons à notre première promenade! « Me rappelant, Monsieur et ami, qu’à Paris, vous me parliez parfois musique, j'ai voulu vous faire con- naître ce petit épisode artistique ». — À notre tour, Messieurs, nous avons espéré que vous accorderiez quelqu’intérêt à la communication de cette missive ; elle peut, croyons-nous, se passer de commentaire. E. LACHÈSE. LA FÉE MÉLUSINE Si Peau d'âne m'était conté, J'y prendrais un plaisir extrême. LAFONTAINE. L’illustre maison de Lusignan, originaire du Poitou, porte pour cimier de ses armes une sorte de sirène, femme par le haut du corps et poisson par la partie inférieure. On appelle cette image Mélusine et l’on dit que la fée Mélusine est du nombre des ancêtres des Lusignan. Ce serait en son honneur qu'ils auraient adopté cette sirène pour emblème ‘. L'histoire de Mélusine a été rapportée très au long par Jean d'Arras, secrétaire du roi Charles V, vers la fin du x1v° siècle, dans le style naïf et plein de charmes de ce temps : « Il est vray, dit Jean d'Arras, qu’il y eut en A/banie, çun roi qui fut moult vaillant homme et dit l’istoire « qu’il eut de sa première femme plusieurs enfants, « dont dist l’histoire que Mathatas qui fut père de 1 Voir : Histoire du Poitou, par Thibaudeau, tome II. — Dic- tionnaïre des anciennes familles du Poitou, par Besuchet-Filleau, art.Lusignan, elc. — 182 — « Florimont, qui fut son premier filz, et ce roi eut nom « Élinas et fut moult puissant et preux chevalier de la { Main... » Or, il arriva que le roi Élinas chassant un jour dans une forêt fut pris d’une grande soif et qu’il s’approcha d’une fontaine qui étoit moult belle ; il ouït une voix qui chantoit si mélodieusement que d’abord il cuyda pour vrai que c’étoit une voix angélique ; mais cette voix d’une si grande douceur étoit simplement celle d’une femme. S’étant approché de la fontaine, il aperçut la plus belle dame qu’il eut oncques vue en jour de sa vie. Inutile de dire que le roi Élinas devint éper- dûment amoureux de cette belle dame et de sa douce voix. J’abrège les conversations du roi Élinas et de la belle dame de la fontaine. Élinas proteste de la pureté de ses intentions et la demande en mariage ; la belle dame, sans se faire trop prier, accepte, mais sous une condition : je reproduis textuellement le passage de Jean d'Arras : « Se me voulez prendre en femme par foy, par la foy « du mariage ensemble que vous ne metterez ja paine de « me veoir en ma gessine, ne ne ferez pas voie quel- « conque que vous me voiez ; et se ainsi le voulez faire, « je suys celle qui obéiray à vous ainsi comme femme « doibt obéir à son mari. Hors le roy lui va jurer : « ainsi le vous feray-je. Sans long parlement ils furent « épousez et menèrent longuement bonne vie en- « semble. » N'oublions pas le nom de la femme du roi Élinas; elle se nommait Pressine. Elle mit au monde trois filles jumelles qui furent appelées Mélusine, Melior et ee — 183 — Palatine, toutes trois belles à merveille. Le roi était absent lorsqu'elles naquirent; cette nouvelle lui fut annoncée par Mathatas son fils du premier lit, qui détestait Pressine, « Sire, dit-il à Élinas, madame la « royne Pressine vostre femme vous a porté les trois « plus belles filles qui oncques furent veues ; venez les « veoir. » Mais le malheureux roi ne comprit pas qu’on lui tendait un piège. « À doncques le roi Élinas « auquel ne souvenoit de la promesse qu’il avoit faicte « à Pressine, sa femme, si ferai-je, et s’en vint aperte- « ment et entre dans la chambre où Pressine baignoit « ses trois filles. Et quant il les vit, il dist en ceste « manière : Dieu bénoit la mère et les filles, et eut « moult grand joye. Et quand Pressine l’ouyt, elle lui « répondit : faulx roy, tu as failli ton convenant, dont « moult grant mal il vous viendra et m’a perdue a « toujours mais ; et scay bien que c’est par ton filz « Mathatas et me faut partir de vous soudainement, mais « encore serai-je vengée de votre filz, par ma seur et « compagne madame de l'Isle perdue; et ces choses « dites print ses trois filles et s’en alla o tout icelles, et « oncques puis ne fut veue au pays. » Le pauvre roi fut fort ébahi, el pendant sept ans ne fit que gémir et pleurer, mais sa femme et ses filles étaient à jamais perdues pour lui : Pressine quitta l’Al- banie et se retira à l’ile Perdue où elle éleva ses filles ; souvent elle montait sur une haute montagne d’où l’on découvre l’Hibernie ; elle montrait à ses filles, alors âgées de quinze ans, la terre où elles étaient nées et qu’elles auraient dû habiter ; elle leur disait l’estre du pays, les noms des villes et des châteaux d’Albanie ; — 184 — elle eut même l’imprudence de leur raconter la triste aventure qui les avait obligées à quitter leur terre natale. Mélusine irritée contre son père tint à ses sœurs ce langage : « Mes chières sœurs, or regardons la « misère où nostre père a mis nostre mère et nous qui « eussions esté en si grant aise et si grant honneur en. « nostre vie; que vous est-il advis qu’il en soit bon de « faire ? car quant de moy je m’en pense vengier...» Les sœurs de Mélusine acceptèrent sa proposition, et toutes les trois d’un commun accord renfermèrent le malheureux Élinas, leur père, dans une montagne du Northumberland, et s’applaudirent d’avoir ainsi vengé leur mèêre ; puis elles vinrent lui annoncer cette nou- velle. Mais Pressine les reçut fort mal et condamna trés sévèrement la conduite de ses filles : « Comment l’avez osé faire, mauvaises filles et dures « de cuer ? Vous avez très-mal fait, quant celluy qui « vous a engendrées vous avez ainsi pugny par vostre « orgueilleux couraige; car c’estoit celluy où je prenoie « toute la plaisance que j’avoie en ce mortel monde « el vous me l’avez tolu. Si sachiez que je vous pugni- « ray bien du mérite selon le desserte. Toy, Mélusine, « qui es la plus ancienne et qui de toutes deusse être « la plus cognoissant, et tout ce est venu par toy, car « je scay bien que ceste chartre a esté donnée par toy « à ton père, et pour ce tu en seras la première « pugnie.. et désormais je te donne le don que tu « seras tous les samedis serpente dès le nombril en « abas, mais se tu trouves homme qui te veuille prendre « en espouse et qu’il te promette que jamais le samedi « ne te verra ne descelera, ne revelera ou dira à per- — 185 — « sonne quelconque, tu vivras ton cours naturel et « morras comme femme naturelle, et de toy viendra « moult noble lignée qui sera grande et de haulte « proesse ; et par adventure, si tu étois descellée de ton « mary, sachiex que tu retourneroyes au tourment « auquel tu estoies par avant, et seras toujours sans « fin jusques à tant que le très-hault juge tiendra son « jugement, et toy aperas par trois jours devant la « forteresse que tu feras et que tu nommeras de ton « nom, quant elle devra muer seigneur ; et par le cas « pareil aussi quant ung home de ta lignée devra « morir. » | Melior et Palatine reçurent aussi leur châtiment pour le crime qu’elles avaient commis contre leur père à l'instigation de Mélusine‘. La suite de l’histoire est bien connue. Mélusine épousa plus tard Raymondin, preux dis- tingué entre tous les preux et neveu d’un comte de Poitou, duquel elle eut neuf enfants. Chacun d’eux fut remarquable par une monstruosité particulière ; l’aîné avait un œil rouge et l’autre bleu, le second, des oreilles d’éléphant, le troisième une griffe de lion, un autre fut Geoffroy-la-grand-dent, etc. Longtemps Raymondin obéit à la défense qui lui avait été faite de voir sa femme le samedi; mais enfin cédant un jour à la curiosité et peut-être aussi à un certain mouvement de jalousie maritale, il enfreignit 1 Extrait de Mélusine, par Jean d'Arras. Nouvelle édition con- forme à celle de 1478. Paris, 1854. — Je suis heureux de remer- cier M. G, Tribert, de Vivonne, qui a bien voulu me communi- quer ces Extraits du livre de Jean d'Arras. SOC. D’AG. 13 — 186 — la défense, viola sa promesse, et pénétra dans l’appar- tement de sa femme, tandis que celle-ci, soumise à la métamorphose que sa mère lui avait imposée, prenait ses ébats dans un baquet. A l'instant Mélusine s’élança par une fenêtre hors de la chambre et disparut pour jamais aux regards de son époux trop indiscret. Depuis lors elle.erre sur les créneaux de son palais, effrayant par ses apparitions nocturnes les populations voisines et annonçant par ses gémissements et ses cris les malheurs qui menacent sa lignée. De là est venu le dicton poitevin : pousser des cris de Mélusine. Rien de plus populaire que Mélusine dans certaines parties du Poitou ; on lui attribue toutes les construc- tions imposantes et anciennes du pays; c’est elle qui a élevé les vieux châteaux ét notamment l'immense châ- teau de Lusignan, la merveille féodale du Poitou; on lui attribue même les œuvres des Romains et dans cer- tains endroits on appelle Mélusine ou Merlusine les blocs de ciment romain, débris encore subsistants des anciens aqueducs. Mélusine n’a pas seulement construit les vieux ma- noirs du Poitou; d’après les traditions locales elle les protège et les sauve de la destruction, Lorsque saint Louis, marchant contre les Anglais et le comte de la Marche, leur allié, en 1242, se fut emparé de la tour de Béruges, en Poitou, il donna ordre de la démolir. Mais un cri douloureux retentit dans les airs, traînant des sons plaintifs et suppliants. Les guerriers ébahis s'arrêtent, tournant leurs regards vers le roi. Louis se souvient de Mélusine et leur dit : « Amis plus ne défaictes, » — 187 — Joinville, il est vrai, a ignoré ce fait et se borne à dire que le roi fit démolir la tour ; mais d’autres chro- niqueurs, sans doute mieux informés, l’ont soigneuse- ment consigné dans leurs récits. La légende de Mélusine a subi des altérations et revêtu des formes diverses, comme tous les récils popu- laires qui ont passé de bouche en bouche aux veillées de village. Voici une autre légende qui me paraît n’être qu’une variante de celle de Mélusine. Au château de Marçay, situé à sept kilomètres au sud de Chinon, sur les confins de la Touraine et du Poitou, vivait à une époque inconnue, mais postérieure cepen- dant à l'invention de la poudre, une châtelaine appelé Me de Badou”, qui une fois par semaine courait le loup- garou pendant la nuit. Une de ces nuits le fermier entend un grand bruit, il ouvre la fenêtre et aperçoit dans sa cour une truie monstrueuse ; il saisit son fusil et tire, mais il n’ose sortir et se barricade dans son logis. À l’aube du jour il s’enhardit et se rend dans sa cour; mais, Ô surprise! il aperçoit, au lieu du loup- garou, une femme couverte d’un linceul blanc étendue sans vie sur le sol ; il avait tué la châtelaine qu’il n’a- vait pu reconnaître la nuit sous sa singulière métamor- phose. Il se hâte de l’enterrer, et depuis cette époque la malheureuse châtelaine, morte sans secours religieux, revient errer sur les machicoulis du château en pous- sant des cris plaintifs. Cette légende est assurément moins poétique que celle de Jean d'Arras; elle’ a passé 1 Aucune famille de ce nom n’a cependant possédé le château de Marçay depuis le xin° siècle jusqu’à notre époque. — 188 — par la bouche des paysans qui l'ont appropriée à leurs idées et à leurs habitudes. Le poisson s’est grossière- ment transformé, mais au fond l’idée est à peu près la même. Les vieux châteaux d'Écosse ont aussi leurs fées pro- tectrices ; une fée veille avec sollicitude sur le sort des anciennes familles et vient à leur secours lorsqu'elles sont en grand danger. Tout le monde connaît la dame blanche d’Avenel, protectrice de la famille de ce nom, et qui joue un si grand rôle dans le charmant roman de Walter Scott, le Monastère. Bien qu'il y ait entre la Mélusine du Poitou et la dame blanche d’Avenel de fort grandes différences, cependant clles ont un rôle ana- logue. Ge sont de bonnes fées attachées à une famille et qui protègent ses domaines. Il nous reste à chercher quelle peut être l’origine de la fable de Mélusine. Je la crois assez complexe. Foulques, comte d’Anjou, prit la croix en 1129 et se rendit en Palestine où déjà il avait fait plusieurs voyages. Il épousa en secondes noces Mélisende (par corruption Mélusine), fille de Baudouin IT, roi de Jéru- salem, et succéda à son beau-père. De ce mariage naquirent Baudouin IIT et Amaury. Baudouin III eut pour successeur son neveu Baudouin IV, fils de son frère Amaury. Celui-ci avait aussi laissé une fille appelée Sibylle, qui devint, comme son aïeule Méli- sende, reine de Jérusalem et apporta la couronne à son mari Guy de Lusignan. Elle avait lors de son mariage reçu en dot les cités d’Ascalon et de Joppé. Guy, prince indolent et peu capable, perdit la bataille de Tibériade, après laquelle Saladin s’empara de Jérusalem et vint — 189 — assiéger Ascalon, qui fit une héroïque résistance. Sibylle alla s’enfermer dans Tortose et obtint de Sala- din qu’il lui rendît son mari fait prisonnier à Tibériade. Plus tard elle alla le retrouver au siège de Ptolémaïs, où il combattait à côté de Richard Cœur-de-Lion. Sibylle mourut avec ses enfants, en 1190, au cours du siège, laissant la réputation d’une femme remarquable par son énergie, son activité, son dévouement. Elle avait eu le malheur d’épouser un homme qui lui était bien inférieur sous le rapport du caractère et de la capa- cité. Ni le mari de Sibylle, ni celui de Mélisende n’a porté le nom de Raymondin, comte de Poitiers; mais l’his- toire mentionne un Raymond, fils de Guillaume IV, comte de Poitou, qui vivait au xne siècle. Il fut appelé en Syrie par le roi de Jérusalem, qui dui fit épouser la princesse d’Antioche, vers 1131, et joua un certain rôle aux croisades. Il ne faut pas oublier enfin que Hugues de Lusignan, père de Guy, l’un des principaux vassaux de Guillaume IV, se croisa aussi en 1165. Tels sont les personnages historiques qui paraissent avoir figuré dans la légende. D’après les généalogistes de la maison de Lusignan, la Mélusine légendaire serait un composé des deux femmes dont nous venons de parler : Mélisende, femme de Foulques le hiérosolomitain, et Sibylle, femme de Guy de Lusignan. D’autres veulent qu’elle ne soit autre que Eustache Chabot, femme de Geoffroy de Lusignan et mère de Geoffroy-la-grand-dent, trop connu par ses violences dans le Bas-Poitou. D’autres enfin proposent les étymologies suivantes : Mère-Lusine, la mère des — 190 — Lusignan, ou Mater-Lucina, la mère ou déesse de l’en- fantement, etc. Mais de ces diverses hypothèses la pre- mière me semble la plus vraisemblable à cause de l'identité du nom. On comprend aisément que les Lusignan aient voulu rappeler le souvenir de Mélisende et de Sibylle et qu’ils soient fiers des grands souvenirs attachés à celte alliance avec la famille royale de Jérusalem. Mais ceci n’explique pas pourquoi la reine Mélisende s’est trans- formée en fée et surtout en sirène. Je crois pouvoir proposer une explication qui me paraît vraisemblable quoique tirée d’un peu loin. Suivant une vieille légende mythologique il y avait en Syrie près de la ville d’Ascalon un grand et profond lac, abondant en poissons, et sur les bords de ce lac le temple d’une déesse appelée Derceto par les Syriens ‘. Elle avait le visage d’une femme, mais le reste du corps était d’un poisson. On rapporte en outre que Vénus offensée par elle s’en vengea en lui inspirant une vive passion pour un jeune sacrificateur qui desservait son temple. De leur union naquit une fille. Regrettant sa faiblesse pour un mortel, la déesse Derceto tua le jeune homme et exposa dans un lieu désert et pierreux l'enfant née de cette union; puis accablée de honte et dé chagrin, elle se précipita dans le lac et fut trans- formée en poisson. De là vient que les Syriens voisins du lac ne mangent pas les poissons qu’il renferme et les honorent comme des dieux. Quant à l'enfant née de 1 Quel peut être ce lac? Serait-ce le lac Tibériade ou la mer Morte? — 191 — Derceto, et qui était une jeune fille, elle fut élevée par des colombes et devint l’illustre reine Sémiramis ‘. On sait quel rôle important joue le poisson à tête bumaine dans les mythologies phénicienne, syrienne et assyrienne. Dagon, le dieu des Philistins, si souvent mentionné dans la Bible, était un être moitié homme et moitié poisson, ainsi que l’ont démontré les décou- vertes modernes. (est un poisson à tête humaine, appelé Oannès, qui, d’après Bérose, a révélé aux hommes la religion et les arts. Sur les médailles syriennes on retrouve le type du dieu-poisson ou du dieu-serpent. D’après Hygin, Vénus naquit d’un œuf tombé du ciel dans l’Euphrate et que des poissons portèrent sur la rive où il fut couvé par des colombes. La légende de Mélusine donne lieu à plusieurs rap- prochements curieux avec la mythologie orientale. Mélusine a deux sœurs ; Derceto, outre son nom phé- nicien, porte encore les deux noms d’Athara et d’Athar- gatis, qui paraissent signifier le divin poisson. N'y aurait-il pas aussi quelque rapport entre elle et Céto, le monstre marin vaincu prés de Joppé par Persée ? Une divinité orientale, Myhtta, apparaissait aux mêres sûr le point d’enfanter et apportait avec elle les cris, les douleurs et les sombres pressentiments. Cette déesse, de sinistre augure, n’est pas sans rapport avec la mére de Mélusine dont les couches étaient entourées d’un sombre mystère et devaient être suivies de si grands malheurs. 1 Diodore de Sicile, 1. IT, ec. 1v. — 192 — Chez les Grecs, Eleutho, Ilythia, Brimo sont trois noms portés par la déesse de l’enfantement. A Rome, elle prenait le nom de Juno Lucina, quand elle pré- sidait aux enfantements. Creutzer a reconnu des rap- ports entre la Diane d'Ephèse et la déesse syrienne Derceto*. | Cérès elle-même, la déesse des moissons, n’est pas sans rapports avec le culte des divinités poissons, car sur les médailles de Syracuse, elle est représentée cou- ronnée d’épis entre quatre poissons. Enfin serait-ce trop forcer les étymologies que d’apercevoir un rap- port lointain entre les mots Mélusine et Eleusine, nom de la déesse d’Eleusis ? Je me borne à indiquer ce rap- prochement, sans chercher à le faire prévaloir *. La légende mythologique a dù se perpétuer à Asca- lon à travers les âges et jusqu'aux croisades. Guy de Lusignan, devenu comte d’Ascalon et de Joppé par sa femme, aura adopté pour emblème l’image de la Sirène qui présidait au lac voisin du chef-lieu de son fief (lac qui n’est peut-être autre que la mer); puis on a con- fondu le personnage mythologique avec la reine Méli- sende, aïeule de Sibylle et chef de la lignée des rois de Jérusalem. C’est ainsi que la déesse Derceto est devenue l'emblème des Lusignan et que la reine Méli-. 1 Chez les Latins, la déesse des enfantements paraît s’être confondue avec la Lune (Luna dicta est primum Jana, ut sol Janus, deinde Diviana, quasi diva Jana, tandem Diana.) 2Je remercie avec un vif plaisir M. Talbert, professeur au Prytanée de la Flèche, des renseignements qu'il a bien voulu me fournir sur.la mythologie orientale, qu’il possède aussi bien que la littérature du moyen âge. — 193 — sende est devenue la fée Mélusine. Que l'adoption de cet emblème mythologique par un prince des Croisades ne nous étonne pas; le blason renferme bien d’autres emblèmes païens et toute la littérature du moyen âge est pleine de souvenirs et d’allusions mythologiques. Une autre fusion s’opéra plus tard; la légende de Derceto-Mélusine transportée d'Orient en Occident y subit une nouvelle métamorphose. La croyance aux dieux protecteurs du foyer est fort ancienne. Les Romains avaient leurs dieux lares, leur pénates ; les Gallo-Romains, leurs déesses-martres ou mêres. Nous avons parlé déjà des fées protectrices des châteaux et des grandes familles écossaises. Il est à croire qu’il y avait aussi chez nous des fées protectrices des vieux manoirs. Les romans de chevalerie nous montrent sou- vent en action tout un monde imaginaire de fées, de nains et de géants, anciennes divinités des Celtes et des Germains, plus ou moins transformées par la poésie du moyen âge ‘. Combien de châteaux habités par des êtres fantastiques ! Mélusine arrivée de Syrie avec les Lusi- gnan esl devenue pour eux ce qu'était en Écosse la Dame blanche d’Avenel, pour cette maison, la protec- irice de leurs châteaux et de leurs domaines. Le récit de Jean d'Arras, qui ne date que de la fin 1 Il est probable que Gargantua n’est lui-même qu’une ancienne divinité, peut-être l’Hercule gaulois transformé par l'imagination populaire. Rabelais aura sans doute emprunté la donnée de son personnage aux légendes des paysans du Chi- nonais. C’est aux environs de Chinon, à Lerné, Seuilly, la Roche-Clermault que se passent les aventures du premier livre de Gargantua. — 194 — du xive siècle, a d’ailleurs imprimé à la légende de Mélusine un caractère complètement celte. C’est un vrai roman du cycle breton ou gallois. Le roi Élinas semble être un cousin-germain des Tristan, des Lancelot, des Perceval. La scène principale se passe en Albanie, dont Élinas est roi, c’est-à-dire dans les hautes montagnes d'Écosse ‘ ; on y mentionne l’Hibernie (Irlande) et le Northumberland où se passe la scène la plus terrible du roman. En un mot Jean d'Arras est un disciple de Geof- froy de Montmouth, un lecteur des romans dérivés des légendes gallo-bretonnes. Mais il faut bien remarquer toutefois que le fond de la légende de Mélusine paraît étranger à la mythologie celte ; les traditions galloises proprement dites ne mentionnent point le dieu ni la déesse-poisson. Jean d’Arras n’a donc fait qu'accommo- der la légende aux idées de son temps ; il'a prêté la couleur bretonne à une tradition orientale, le langage, les mœurs et les habitudes chevaleresques à des divi- nités païennes. Si la forme de son récit est empruntée aux romans de chevalerie, le fond est venu d’une source toute différente, je veux dire de la mythologie syrienne. On peut donc penser que Mélusine est née en Orient de la confusion faite entre la Mélisende historique et la Sirène d’Ascalon, prise pour emblème par la maison de Lusignan; transportée d'Orient en Poitou, elle a 1 Dans les romans de chevalerie, comme dans le récit de Geoffroy de Montmouth, la haute Écosse est appelée Albanie (Albania) du mot celte alb ou alp qui signifie montagne. Il y a encore dans la haute Écosse le duché d’Albany. — 195 — pris la place des fées gauloises, puis Jean d'Arras lui a donné un vêtement à la mode du x1ve siècle Il est curieux de suivre ainsi les transformations d’une semblable légende et de voir comment une croyance populaire se modifie, s’altère, se confond avec une autre. (’est une élude à la fois historique et psychologique qui permet de suivre la marche de l’ima- gination humaine dans ses créations les plus aventu- reuses. G. D’EsPINay. NOUVELLES ARCHÉOLOGIQUES DU 1er JUIN 1880 nm Visite de la Soclété d'agriculture, sciences et arts au Musée Saint-Jean pa MESDAMES ET MESSIEURS, Dans l'attente où j'étais que vous ne pouviez tarder à visiter le Musée Saint-Jean, j'avais eu l'honneur, à la date du 26 mai dernier, d’en informer M. Guitton en ces termes : « Monsieur le Maire, « Je crois savoir que la Commission archéologique « (section de la Société d'agriculture, sciences et arts), « serait prochainement dans l’intention de visiter le « Musée Saint-Jean. S'il en est ainsi, loin d’y voir des « inconvénients, je n’y trouve que des avantages au « point de vue de l’étude. « Toutefois, comme à l’occasion de ces visites scien- « tifiques, j'ai prissur moi d’en informer, le plus ordi- — 197 — « nairement, vos prédécesseurs, j'ai pensé qu'il était « de mon devoir de ne pas déroger à cet usage, surtout « à l’égard d’une Administration qui n’a jamais cessé «de lémoigner de sa vive sympathie pour le dévelop- « pement du Musée d’antiquités. « Agréez, elc. » Ce devoir accompli, j'ose dire que vous êtes ici un peu*chez vous, puisque le Musée renferme un assez grand nombre d’objets donnés par votre Société ; sans compter les frais d'impression de l'inventaire de nos antiquités, qu’elle prit à sa charge, inventaire publié dans son Répertoire, en 1867, et qui alors ne renfermait que neuf cent trente-huit numéros, tandis que, soit dit en passant, le nouveau catalogue (médailles com- prises) en contiendra plus de trois mille ; enfin, sans compter aussi les généreux sacrifices qu’elle a faits tout récemment pour le transport et le rétablissement en ces lieux, de l’hypocauste-baptistére de la place du Ralliement. Vous le voyez, c’est bien le moins que votre Société à laquelle je suis fier d’appartenir, ait ici un certain droit d’asile. , Or, cet asile, il nous faut maintenant chercher à le connaître, sinon dans ses détails, du moins dans son ensemble. Îl appartient à ce que l’on est convenu d’ap- peler en Anjou style Plantagenet. La caractéristique de ce style est facile à saisir ; c’est notamment une voûte surhaussée où le sommet des arcs diagonaux est toujours plus élevé que la pointe des arcs — 198 — doubleaux et que celle des formerets. Cette disposition donne de la profondeur aux voütes qui, dans ce système, se confondent avec leurs pendentifs, lesquels se pro- longent jusqu’à l’abaque des chapiteaux des colonnes, établies quatre par quatre, sur plan carré. Bref, afin de couper court aux termes techniques, disons que la caractéristique de cette voûte ressemble à une coupe renversée, ou, si vous l’aimez mieux, à un petit dôme ; aussi le célèbre anglais Parker la nomme-t-il vowte domicale. Malgré de nombreuses modifications, ce type de voûte dérive de la coupole byzantine, sans qu’il soit permis de lui appliquer, comme aux étymologies de Ménage, les fameux quatre vers : Alphana vient d’équus sans doute, Maïs il faut convenir aussi Que pour arriver jusqu'ici Il a bien changé sur la route. Non, la voûte Plantagenet n’a pas tant changé que ça, car il lui reste de commun avec la voûte byzantine, son aspect cupuliforme et ses appuis sur plan carré. Au reste, ne nous plaignons point de ses modifica- tions auxquelles nous devons la pénétrante originalité du style Plantagenet. Mn‘ de Sévigné ne disait-elle pas qu’elle faisait sa langue avec la langue de tous ? Eh bien, l'architecture angevine a fait son style avec: des styles divers empruntés d’abord à l'Orient, nous venons de le voir; puis au Midi par son plein cintre roman ; puis au Nord par ses ogives. En effet, jetez les yeux autour de vous, le plein — 199 — cintre vous apparaîtra dans ses moyennes et basses- œuvres, comme aussi l’ogive dans les parties plus élevées. Les mêmes caractères se retrouvent dans le chœur de Saint-Serge, dans la nef de la cathédrale, et en beaucoup d’autres endroits de l’Anjou : église de la Jaillette, chapelle Saint-Jean à Saint-Rémy-la- Varenne, chapelle Saint-Jean à Saumur, église de Bour- gueil et église d’Asnières, etc. Notons, en outre, que la plupart de ces édifices ont des absides carrées, forme de chœur peu coûteuse et dont l’Anjou, à la fin du xu° siècle, ainsi qu’au com- mencement du xt, fit un excellent usage. Ajoutez à tout cela l’emploides nervures cylindriques, dites tores, courant avec élégance aux voûtes, aux fenêtres, aux portes, quelquefois sur les grandes baies des murs internes, où elles s’'épanouissent souvent en triple cintre (celui du milieu toujours plus élevé), et vous aurez un ensemble assez caractéristique du style Plantagenet (chapelle voisine). Cette architecture charmante et si sobre dans ses détails, quoiqu’elle soit composite, eut, sans doute, sa raison de naître en Anjou, plutôt qu'ailleurs. Notre situation topographique n’y fut peut-être pas étrangère. Cette province, en effet, n’eut point, comme la Bretagne, de puissante autonomie ; au nord de la Loire, elle se rattachait à ce qu’on appelait autrefois le Duché de France, dont Angers était une limite; vers sud, à ce qu’on nommait l’Aquitaine. Naturellement elle était une province de érait d'union, tenant à la fois du pays de langue d’Oë et du pays de langue d’Oc ; notre beau — 200 — fleuve en faisait la séparation ‘ ou plutôt l'alliance. Or, il est aisé de concevoir que par l'influence des milieux dans lesquels un pays se trouve placé, les esprits se laissent modifier aussi bien en matière d'architecture qu’en d’autres points. De là, ce style gracieux et mé- langé qui, de même que le caractère angevin, s’est formé des influences voisines, sans cesser pourtant davoir sa vie propre : Andegavi molles, ce qui peut vouloir dire, Messieurs, que l'esprit angevin est cour- tois et poli. Il y a quarante ans que le nom de Plantagenet fut donné pour la première fois à notre architecture ange- vine ; vous devinez, sans peine, qu’elle le doit à cette circonstance qu’elle naquit et se développa sous les grands rêgnes des comtes d'Anjou Henri II et Richard Cœur de Lion, rois d'Angleterre ; aussi, Messieurs, vous ne vous étonnerez pas d'apprendre qu’il ne se passe guère de semaine sans que cette salle ne soit visitée, comme une salle d’ancêtres, par des voyageurs anglais, et ils le font avec un pieux et touchant respect. Par exemple, il en est plusieurs que notre zélé surveillant ne veut jamais perdre de vue. Quoi qu’il en soit, ce n’est point un mince honneur pour l’Anjou, que celui d’avoir donné des rois à l’An- gleterre, mais à quelle contrée notre province n’en a-t-elle pas donnés ? Inépuisable pépinière royale, n’a-t-elle pas distribué des souverains à Jérusalem, à Naples, à a Sicile, à l'Espagne, à la Pologne, à la Hongrie, que sais-je ? 1 Dictionnaire de Bouillet au mot Languedoc, in fine. — 201 — Ce n’est pas tout . son architecture florissait à Naples dès le xmr° siècle, sous le nom de : Architettura angioina. Et l'Angleterre que nous ne pouvons quitter sans que les murailles de ces nefs ne nous y ramënent, à qui doit-elle l’un de ses plus beaux fleurons d’archi- tecture ? Laissons parler le savant Parker : « L'hôpital « d'Angers, dit-il, me semble être l’édifice du style le «plus avancé de son époque... Il a été fondé par « Henri IT... La voûte avec ses arceaux est remarqua- « blement belle; elle a une ressemblance parfaite avec « le style anglais primitif, ressemblance trop étroite « pour n'être que purement accidentelle ; et comme « Henri IT tint souvent sa cour à Angers, et que sa « cour était fréquentée par un:grand nombre de sei- « gneurs et de prélats anglais, il semble très probable « qu’ils rapportèrent avec eux dans leur pays, de nou- « velles idées. L'architecture étant alors une passion « dans toutes les classes de la société... « L’observation de M. Viollet-le-Duc, qu’il y eut à « toutes les époques un élément byzantin dans le «gothique anglais provenant de l’'Anjou, me paraît « bien fondé... » « Il existe, continue M. Parker, dans cette province, « une classe particulière d’édifices que les antiquaires « français désignent sous le nom de style Plantagenet, « et quoique ce style ne soit pas anglais, il peut avoir «beaucoup servi à l'instruction des architectes de la « Grande Bretagne” » 1 Répertoire archéologique de l’Anjou, année 1860, pages 189- 190. SOC. D’AG. 14 — 202 — Ailleurs, le même savant s'exprime ainsi : « Nous « rencontrons dans le style de l’Anjou un curieux mé- « lange de byzantin et de roman. Ses voûtes domicales « participent beaucoup du caractère byzantin. « L’hôpital d'Angers fut bâti par Henri IL... Et « comme il y avait alors de grands rapports entre le « peuple d'Anjou et celui d'Angleterre, il me semble « probable que dans la constitution du nouveau style, «cette province se prêta à plus d'emprunts qu'aucune « autre.» - Plus loin, M. Parker ajoute : « Il me paraît qu'il ya « plusieurs raisons de penser que le style gothique « anglais a son origine en Anjou. — La premiére et la « plus importante est la raison historique qui présente « une grande probabilité. — Le règne de Henri IT était « précisément l’époque de la grande transition des « styles d'architecture et à-cette époque le ters du sol « de la France appartenait à l'Angleterre. «... Henri IT était comme héréditaire d'Anjou et du « Maine, ainsi que roi d'Angleterre. Il tint fréquem- « ment sa cour à Angers, et les évêques et les nobles «de tous ses États, du Nord au Midi, devaient y « assister. 4 « D'un autre côté, les différents peuples appartenant «au même royaume, avaient toutes facilités pour des « rapports amicaux. La liberté de commerce entre eux « tournait au profit de toutes les parties. Aussi les « bâtiments qui nous restent témoignent du bten-être de « ces peuples. Construire des églises était alors la ma- « mière de dépenser son argent, et jamais plus d’églises ne « furent "bâties que pendant le règne de Henri II, en — 203 — « Angleterre et dans les provinces anglaises de Ja « France. « La troisième raison est le mélange de caractère « byzantin, surtout dans les voûtes 1. » Ainsi, Messieurs, d’après le savant Parker, auteur d’une étude sur les Progrès comparés de l'architecture en Angleterre et en France , le style anglais primitif serait originaire de l’Anjou ; d’un autre côté, le style Plantagenet, parfaitement développé à l'hôpital d’An- gers, émanerait, suivant le même auteur, de la nef de Saint-Maurice ; et ce que notre cathédrale a de byzantin émanerait à son tour de la nef de Fontevrault, d’après M. de Verneilh (page 283 de son Architecture byzantine en France) ; puis la nef de Fontevrault, bâtie de 1101 à 1190, émanerait de l’école byzantine du Périgord (de Verneïlh, p. 275), en passant par la cathédrale d’An- goulême. Inutile de dire que le style périgourdin qui a, pour très nette expression, l’église de Saint-Front de Péri- gueux, paraît être une imitation de Saint-Marc de Venise qui a fait de grands emprunts à Sainte-Sophie de Constantinople. De cette filiation mêlée d’ogive et de roman, naquit le style Plantagenet qui, de nos jours, par le développement des études archéologiques, s’est revivifié d’une remarquable façon, sur divers édifices religieux de nos contrées ; car nous devons le dire à leur louange, la plupart des architectes tiennent à honneur et profit d'aller se retremper dans l’art si charmant de nos ancêtres. 1 Répertoire archéologique de l’Anjou, année 1861, pages 30 et 31. — 204 — Vous le voyez, Messieurs, l'archéologie n’est point une vaine science, une lettre morte ; et tous ces frag- ments épars autour de nous, que vous allez bientôt visiter, ont une langue à laquelle il suffit de prêter l'oreille, pour l’apprendre et pour l'aimer: Te saxa loquuntur, devise de notre tant regretté maître Arcisse de Caumont. Salle Saint-Jean. — Croix à double traverse. Permettez-moi, Messieurs, d’attirer votre attention sur les six travées de fond, vers ouest, de notre grande salle et sur leurs douze colonnes dont huit sont enga- gées dans les murs et quatre posées dans le vide. Que voyons-nous au-dessous de leurs chapiteaux ? Des croix à double traverse, forme essentiellement orientale. Que peuvent-elles signifier ? Tel est le problème à résoudre, en croyant devoir écarter, d’ailleurs, par des motifs qu'il serait trop long d’énumérer, toute idée de croix de consécration, car si nos croix appartenaient à cetle catégorie nous en verrions des traces dans toute l'étendue de la salle ; et, d’ailleurs, les croix de consé- cration sont à branches égales. Mais avant d'entrer dans le vif du sujet, ne balançons pas à dire que si les murailles de la grande salle Saint- Jean, avec leurs fenêtres et leurs colonnes romanes, sont incontestablement de construction de la fin du xu° siècle (circa 1174)', il en est autrement de la 1 M. Port, page 10, Hôpital Saint-Jean. — 205 — construction de leurs belles voûtes qui, d’après les plus récentes données archéologiques , appartiennent au premier tiers du xIm° siècle. Qui les fit commencer ? Ce ne peut donc être Henri II, roi d'Angleterre et comte d'Anjou, décédé en 1189, ni son sénéchal Étienne de Marchay, mort vers 1190, tous les deux fondateurs de l'Hôpital *. Ici nos croix à double traverse vont pouvoir jeter quelque clarté par rapprochement de faits consignés dans une brochure intitulée : Trois lettres à Messieurs les Administrateurs des hospices d'Angers *. Nous y voyons que les hospitaliers de Jérusalem, ailleurs qua- lifiés par Péan de la Tuillerie, de chevaliers du Temple”, qui résidaient à Angers, dans un angle formé par les rues Saint-Blaise et de l'Hôpital, s'étaient emparés de l’Aumônerie de Saint-Jean, antérieurement à l’an 1200; qu'ils l'avaient, quelque temps, possédée en paix et wavaient cru devoir y renoncer qu’au mois de no- vembre 1232. Or, cette possession trentenaire répond parfaitement au premier tiers du x111° siècle, époque à laquelle, archéologiquement, se réfère le style de la construction de nos voûtes. De là une grande présomption qu’elles commencèrent à être bâties par les Hospitaliers de Jérusalem. La valeur de cette présomption s’aug- mente de la présence des croix à double traverse qui semblent être là, comme le cachet spécial, le sceau de 1 M. Port, page 12 de sa Notice historique sur l'hôpital Saint- Jean. 2 M. Marchegay, pages 19-22. 3 Péan, édition Port, page 166. — 206 — celte milice. On sait, en effet, qu’à l’origine, la plupart des religieux orientaux portaient cette forme de croix: qui était aussi celle de beaucoup de vraies-croix ?. Il vous paraîtra donc probable, je le répète à dessein, que les voûtes de nos six travées vers l’ouest, furent construites par les Hospitaliers et qu’en mémoire de ce fait, ils ont marqué de leurs croix, le sommet des colonnes chargées de recevoir la retombée des arcs ogives. Quant aux dix-huit autres voûtes, il va de soi, qu’elles furent bâties de même style, et les dernières en date, par cela même qu’elles se sont trouvées plus éloignées de leur centre naturel, c’est-à-dire de la chapelle contiguë à la grande salle, chapelle de style Plantagenet couverte de voûtes surhaussées, dites domi- cales. En somme, j'oserais dire, à moins de preuve con- traire, que la grande salle fut, jusque vers la fin du xI° siècle, uniquement protégée par une toiture en charpente, et qu’elle fut voütée, seulement dans le premier tiers du x1r1° siècle. De l'examen de ses divers membres d'architecture, il résulte que cette salle est dans son ensemble, l’un des plus précieux monuments de l’époque de transition, allant de 1174 à 4930. — C’est dans cet intervalle de cin- quante années que s’opéra cette alliance du roman, du 1 Dictionnaire de Trévoux, au mot Croix. 2 Vraie-Croix de Baugé et vraie-Croix de la Roche-Foulques. Il se pourrait aussi que les croix à double traverse de nos colonnes indiqueraient l'enceinte réservée à l'exposition d’une vraie- Croix. 008 — byzantin et de l’ogive, sous cette forme spéciale à Anjou que nous venons ensemble d'étudier. Et maintenant souffrez, Messieurs, que je me tienne à votre disposition, dans la mesure de mes forces, pour vous signaler les principaux débris que renferme cette salle, toujours hospitalière. Parcourons ses nefs et tâchons que de cette visite, renaisse plus laborieuse que jamais la Commission archéologique. Il le faut bien dire, la mort, les infirmités de l’âge et certains chan- gements de domicile de ses principaux membres avaient fait le désert autour d'elle; la jeunesse lui manquait, mais elle lui revient et avec vous, Messieurs, reviendra le succès. Quant à vous, Mesdames, qui nous faites l’honneur de votre gracieuse visite, merci! Nous ne souhaitons rien tant que d’en voir le retour. Nos études cesseront d’être arides, le jour où vous les accueillerez par votre présence. Notre cher collègue, M. d’Espinay, l’apprit à son avantage, lorsqu'il sut, naguëre, captiver l’attention et piquer la curiosité des dames de Loches, par sa char- mante conférence sur La vie privée au XII siècle. Or, ce qui s’est fait en Touraine, pourquoi ne réussirait-il pas dans notre contrée ? Avis à nos jeunes archéo- logues ! O0 = Hypocauste. — Baptistère. Sur l’édicule, au transport et rétablissement duquel notre Société a contribué de ses deniers, il existe trois hypothèses, mais qui ont cela de remarquable qu’elles se référent toutes à un monument chrétien des premiers siècles. Les uns y voient deux cuves baptismales, Vune pour les hommes, l’autre pour les femmes (Dictionnaire de Trévoux; M. de Bertou); quelques-uns y voient une cuve baptismale et un bassin oblonqg pour le bain sacré qui précédait le baptême par immersion (Dictionnaire de Martigny). Plusieurs veulent voir dans la piscine ellipsoïde une réserve d’eau et dans le bassin oblong /e bain liturgique (Paciaudi ; M. Palustre). Quant à la troisième piscine à main droite, mais en dehors, on ne peut guëre lexpliquer que par ce texte de M. d’Arbois de Jubainville, inséré dans l’un des Bulletins du Ministère de l’Instruction publique : « &ta « ut baptisandi infantes possent mijere (mingere) in « alterum latus. » Pour ce qui est de l’hypocauste rien ne s'oppose à sa présence dans un baptistère, depuis que nous avons eu la chance de rencontrer dans D. Martène (de Antiquis ecclesiæ ritibus), le texte suivant : « Sacerdos qui ad « cuppam stabat… hieme vero... in stubis calefactis et «in aqua cahda…. veneranda baptismi confecit sacra- «menta. » Traduction : « Le prêtre (c’est-à-dire saint Otton, — 209 — « apôtre de Poméranie), qui se tenait prés de la cuve, «administre le baptême dans l’eau chaude lhiver « après que les étuves ont été chauffées. » Est-ce assez clair ? En outre, les cuves où le saint baptisait par immersion, ne s’élevaient de terre que jusqu'à la hauteur du genou. Or, cette différence de niveau est, à quelque chose près, celle que l’on re- marque à notre édicule entre le dallage du dessus de l’hypocauste et les bords de la cuve ellipsoïde. Un esca- beau était nécessaire pour y monter, comme nous le fit remarquer M. J. Quicherat lors de sa visite au Musée Saint-Jean, en septembre 1879. Il y a loin de ces misérables cuves si semblables aux nôtres et dont se servait en Occident saint Otton, au baptistère de Constantin. Cela répond à ceux qui pour- raient objecter que ces petits baptistères n’existaient qu’en Orient. Bref, tout concourt à nous faire voir dans notre édi- cule un baptistère complet par immersion avec sa cuve, son bain sacré, son bassin infime et son hypocauste. Du reste, le tronçon de colonne qui s’y trouve en dehors, vers l’est, et quelques petits cubes de mosaique en verre qui furent rencontrés à l’entour, prouvent qu'un certain luxe byzantin ornait ce monument si rare et si respectable à tous égards. Cest votre honneur, Messieurs, d’avoir contribué à le sauver. Ailleurs, nous ferons connaître les noms des autres Sociétés et des personnes qui se sont associées à la réussite de cette œuvre ; mais sans attendre plus long- temps, nous ne pouvons résister au plaisir de vous citer M. Rohard, employé aux travaux municipaux de — 210 — la Ville, qui, d'accord avec M. le Maire, a su diriger, non sans une parfaite entente, le rétablissement si diffi- cile de notre édicule. Je ne puis oublier non plus M. Boireau, surveillant du Musée, qui s’est prêté avec la meilleure grâce à réunir les matériaux, à'les juxtaposer dans leur ordre voulu; opération d’une extrême délicatesse. Que tous les deux veuillent bien recevoir ici, en votre présence, Messieurs, nos sincères remerciements. V. GoDpARD-FAULTRIER. TRANSPORT DU PAPTISTÈRE AVEC SON HYPOCAUSTE DE LA PLACE DU RALLIEMENT AU MUSÉE SAINT-JEAN REDDITION DES COMPTES A Messieurs les Membres des Sociétés savantes qui ont contribué de leurs deniers à cette œuvre. MESSIEURS, Maintenant que cet édicule a été reconstitué à main droite, dans le parterre qui précède la grande salle Saint-Jean (fin de juillet 1879), il est bon de vous rendre compte de l’emploi des crédits que vous avez bien voulu ouvrir à cet effet. Le 31 mai il a été remis à M. Delcour fils, entrepre- neur, pour transport de l’édicule, montant à quatre cents francs, la somme de . . . . . 900fr. » Le 12 juillet, à M. Onésime Lorin, pour — 212 — Report: "me NN OUUIES fourniture de 30 hectolitres de chaux, les 6 mars, 14 maiet5 juin . . . à 97 » Le 23 juillet, aux sieurs Butteaux here ; pour douze mètres de sable et chaux en BABA it. De Re 49 49 Pour fondation de UPS AL TE NC CUN 9 » 315 fr. 49 Lesdits trois cent quinze francs payés par la Société d'agriculture, sciences et arts d'Angers. Vous saurez, Messieurs, que le travail de reconsti- tution commencé le 5 mai, a été très heureusement achevé, sur les données comparées de MM. Demoget, Parrot et Godard fils, comme aussi d’après diverses photographies, sous l’habile direction de M. Rohard, attaché au bureau de l'Ingénieur de la Ville et avec l’aide d’un très adroit maçon, l’un et l’autre, généreu- sement mis à notre service, par l'Administration muni- cipale ; aussi avons-nous pensé qu’il convenait de donner à ces deux derniers, en témoignage de reconnaissante satisfaction, un souvenir, ou plutôt la valeur de deux médailles, l’une de 40 fr. à M. Rohard et l’autre au maçon Blaise, sans oublier notre actif et intelligent gardien du Musée, le sieur Boireau, auquel nous avons cru devoir remettre, pour ses bons soins, en cette délicate affaire, une légère gratification de 15 fr. : total 80 fr., qui ont été prélevés sur les 300 fr. accordés par la Société française que fonda M. de Caumont, et que dirige au- jourd’hui M. Léon Palustre, avec non moins de succès. — 213 — Ceci nous mène à dire que les 300 fr. accordés par la Société française ont été employés comme suit : lo À M. Delcour fils, entrepreneur, pour transport de l’édicule, deux cents francs, ei. 200fr. 20 À MM. Rohard, Blaise et Boireau, pré- PAL Au lei 60 Total se référant au crédit de la Société 1ANGAISE Le à nos Ne re MOURIR il reste donc en caisse, provenant de cette Société, 20 fr. Ce n’est pas tout; M. André Joubert, littérateur dis- tingué, fils du sénateur, ayant voulu participer à la conservation de notre édicule, a remis 100 fr. C’est donc un total de 120 fr. qui seront employés à l'entretien du petit monument, jusqu’à ce que d’autres fonds puissent permettre de couvrir l’édicule, en son entier, d’une toiture à la façon de celles du Bas-Empire : tuiles plates à crocettes avec enfaiteaux. À cet effet, nous avons lieu de compter, au besoin, sur le bon vouloir de la Société académique d’Angers, qui, elle aussi, s’est empressée déjà de fournir à ses frais, d’intéressantes photographies, données au Musée Saint-Jean, par l'entremise de M. Parrot. L’intention de celui-ci, serait également de proposer à ladite Société qu'il dirige, un projet d'inscription lapidaire, relatant, en quelques mots, les noms des Sociétés, comme aussi ceux des personnes qui ont bien voulu s'intéresser à la conservation de notre édicule. À ce propos, quil me soit permis de citer ici spécia- lement M. Ernest Dainville, l’un de nos collègues, sans — 214 — l'intervention duquel d’assez délicates difficultésauraient pu s'élever avec l’entrepreneur du transport, difficultés qu’il a su prudemment nous faire éviter, à la satisfac- tion de tous. M. Dainville, soit dit en passant, est connu par son œuvre la plus remarquable : l’église Saint-Laud, de la- quelle M. du Sommerard me disait, lors de son récent voyage à Angers, que cette construction trés bien réussie, faisait grand honneur à l’architecte. Revenons à notre édicule, pour vous prier, Messieurs, de le visiter, afin de bien vous rendre compte si les éloges décernés à cette œuvre de restauration, sont réellement mérités. V. GODARD-FAULTRIER. LES SERMONS LATINS RIMÉS AU MOYEN AGE MESSIEURS, Je n'ai qu’une pelite communication à vous faire. Ces jours derniers, je parcourais les manuscrits de la Bibliothèque d’Angers : travail facile, grâce aux cata- logues de notre savant bibliothécaire, M. Albert Lemarchand. En feuilletant donc un manuscrit qui a pour titre: Sermones var (manuscrit latin, 245, xv° siècle, papier, in-folio, 2 col.), je tombe, folio 22 (nouvelle pagination), sur ces quelques lignes écrites confusément au haut de la page : Sermo factus per do- minum Petrum Rogertü cardinalem Rothomagensem in die Sanctorum Petri et Paul, in capitulo. Quel est ce Pierre Roger, cardinal de Rouen ? Je re- cours au Gallia christiana, et t. XI, col. 78, j'apprends en (pe que Pierre Roger est né dans le Limousin, qu’il est mort à Villeneuve d'Avignon, en 1352, et que dans sa vie il a fait de grandes choses. Il a été successivement moine de la Chaise-Dieu, archevêque de Rouen, cardi- nal sous le titre de saint Nerée et saint Achille, il a succédé au pape Benoît XII, en 1342, sous le nom de Clément VI, et c’est lui-même qui a acheté, le 9 juin 1348, la ville d'Avignon et son territoire de Jeanne, reine de Naples. Je recours à Trithème, à Possevin, je recours à Wading : tous ces auteurs le louent, louent surtout sa mémoire prodigieuse. Je re- cours à Fleury, et Fleury, livre XCIIT, t. XX, s'inspirant de certaines sources reconnues aujourd’hui pour men- songères, ne louenullement ses mœurs... Mais personne ne me parle des œuvres de Pierre Roger ni de notre sermon. Enfin, je m'adresse à Baronius, et je lis ces mots pré- cieux, Annal., t. XXV, col. 277 (dernière édition) : « Plurima reliquit illustria monumenta ob quæ inter scriptores ecclesiasticos annumerandus est. Ingens volu- men manuscriptum evolvimus in quo plures extant illus homiliæ de præcipuis Christi, Deiparæ et Sanc- torum festivitatibus , apud Bibl. Vatic., n° 4006, folio 224. » | Je conclus que Pierre Roger, ayant joué toute sa vie un grand rôle dans l’Église, mérite qu’on s'occupe de lui ; je conclus que, ses sermons étant inédits et ren- fermés dans la Bibliothèque du Vatican, le sermon de la Bibliothèque d'Angers ne manque pas de valeur. Ne vous imaginez pas, Messieurs, que nous allons trouver dans ce sermon la langue de la chaire, cette — 247 — belle langue de la science théologique, du zèle et de l’onction. Les mouvements oratoires, les élans du cœur, l'inspiration créatrice, vous les chercheriez en vain, dans les sermons latins du xrv° siècle et du xv° siècle, adressés, comme le nôtre, à des religieux. L’éloquence sacrée n'existe plus dans les monastères. Depuis la se- conde moitié du xur' siècle, les subtilités l'ont fait périr. On appelle sermon, alors, une certaine combinaison de puérilités laborieuses. Cest précisément à cet égard que le sermon du moine Pierre Roger me semble offrir de l'intérêt. Vous en jugerez par les premières phrases et les derniers mots. Principes apostolorum congregati sunt cum Deo Abraham (Ps. 46). Videtur mich quod libenter consue- verunt congreqart discipuli cum magistro, propter per- fectionem scientie aquirendam ; amici cum amico, propter consolationem mutue benivolentie impendendam ; mi- nistri cum domino, propter jussionem sue complacentie exequendam ; stipendari cum rege, propter remunera- honem justitie consequendam ; fil cum patre, propter portionem hereditarie substantie obtinendam. Desiderant enim boni discipuli instrui et profici utiliter et sapien- ter ; desiderant veri amici consolari dulciter et mutuo dulciter et frequenter ; desiderant boni ministri jussum Domini exequi fideliter et ferventer ; desiderant boni stipendarii remunerari liberaliter et decenter ; desiderant filii hereditari nobiliter et potenter. Se enim hoc docet. Propter primum dicitur : Congregate vos in domum discipline (Ec.xr) ; propter secundum dicitur. propter tertium dicitur.… ; propter quartum dicitur. SOC. D’AG. 15 ., . ) — 218 — propter quintum dicitur… Modo videtur michi quod sta gloriosi apostoli principes apostolorum, in ordine ad Deum : Fuerunt discipuli clarioris splendoris, Fuerunt amici fervencioris ardoris, Fuerunt ministri valencioris vigoris, Fuerunt stinendarii amplioris laboris, Fuerunt filii dulcioris amoris. Pierre Roger continue ainsi, sans trop détonner, pendant vingt colonnes in-folio. Voici les derniers mots : Ergo, Karissimi, secundum doctrinam beati Augqus- lini in sermone hodierno, festum sanctorum Aposto- lorum diem qui adversus peccatum usque ad sanquinem certaverunt, et, domino suo donante et adjuvante, vice- runt, sic celebremus ut amemus, sic amemus ut imite- mur, ut imitati ad eorum premia pervenire mereamur. Quod nobis concedat qui est benedictus in secula seculo- rum. Amen. Cet amphigourique sermon n’a rien d’étrange pour l’époque : il est composé selon les règles. Au xrie siècle, les prédicateurs, qui ont alors cultivé l’éloquence sacrée avec tant de zèle, remarquant cer- taines rimes dans saint Augustin, dans saint Grégoire- le-Grand et dans Bêde le Vénérable, leurs principaux modèles, s’appliquèrent à faire passer ces rimes dans leurs homélies. Quelques prédicateurs même firent des sermons rimés depuis le premier mot jusqu’au dernier. — 219 — Les jours de grande fête, ils exposaient la morale, démontraient le dogme avec des cadences ; et, dans un temps où les vies de saints versifiées étaient à la mode, ils trouvaient de bon goût de faire des complaintes sous le nom de panégyriques. Par exemple, saint Anselme de Cantorbéry chante ainsi (Bibliothèque nationale, ms. lat. 2,662, folio 12) la douleur de sainte Madeleine au tombeau du Christ : Audivimus, fratres, Mariam Ad monumentum foris stantem, Audivimus Mariam Floris plorantem : Videamus, si possumus, cur staret, Videamus et cur ploraret ; Prosit nobis illam stare, Prosit nobis illam plorare. Stabat et circumspiciebat Si forte videret quem dihgebat : Plorabat vero quia sublatum estimabat Quem querebat. Or, Messieurs, le xu° siècle fit autorité dans tous les âges suivants : autorité pour la latinité, autorité pour la grammaire, autorité même pour la théologie, puisque, d’après la Réforme de 1366, les étudiants de la Faculté de théologie devaient porter ou faire porter aux leçons, pendant les quatre premières années, le texte de la Bible ou le texte du Livre des Sentences de Pierre Lombard, évêque de Paris, mort en 1160. Encore les théologiens du moyen âge s’appliquaient moins à la — 220 — Bible qu'aux commentaires sur le Livre des Sentences, qui préparaient beaucoup mieux à la dispute, le plus important de tous leurs exercices (Ver. Stat. d’Arg., 464 ; ap. Ch. Thurot, De lorganis. de l’Enseigne- ment, 140). Eh bien, le xn° siècle fit aussi autorité pour la prédication, et l’on ne tarda pas, ce qui arrive toujours dans les âges de décadence, à raffiner sur ses défauts. Les rimes que les prédicateurs du xn° siècle avaient combinées par fantaisie furent soigneusement rédigées en préceptes. Je viens de découvrir, à la Bibliothèque nationale de Paris, deux traités, l’un sur les rimes et l’autre sur le vocabulaire à l’usage des prédicateurs. Ces deux traités sont une trouvaille, parce qu’ils nous expliquent, à eux seuls, les bizarreries de la plupart des sermons latins prononcés, dans les cloîtres, pendant la dernière partie du moyen âge. Le traité sur les rimes (Bibliothéquenationale, ms.lat., 15,965, xiv° siècle, 2 col.) a été composé par un moine franciscain du nom de Thomas Thudert. Il nous vient d'Italie. « Il a été acheté à Rome, lit-on à la rubrique, le 6 septembre 1406, par M. Pierre de Bruxelle. Il a été écrit le 19 septembre 1401. » Je ne sais comment il est venu à la Bibliothèque nationale. Cest dans le chapitre VII de ce traité que sont con- tenues les rimes (folio 188, recto : Sequitur septima et ultima particula que versatur circa ritimorum forma- cionem). Mais, d’abord, avant de rimer, comment faut-il diviser ? Rien n’est plus simple. Vous ramènerez votre sermon à un seul mot qui vous servira de sujet. Vous prêchez sur la fête de saint Jean-Baptiste, par exemple, vous prendrez le mot Johannes ; vous prêchez sur la fête des saints Anges Gardiens, vous prendrez le mot Angelus. Or, autant vous avez de lettres dans le mot choisi, autant vous compterez de divisions. Ce sont des acrostiches. Ainsi, dans le mot Johannes, nous avons sept lettres, car la lettre À ne compte pas: « # non debet inter htteras vel pro littera alicujus nominis nume- rari, et hoc racione sue imper fectionis, el per consequens non expedit quod pro ea aliquis ritimus derivetur ; est hic tantummodo nota aspirationis. » Donc sept lettres, donc sept divisions seulement. Quel sera le sens de ces divisions ? Le sens de chaque division sera déterminé par le sens du mot correspondant à chaque lettre du mot sujet. Ainsi, la lettre J commençant le mot Johannes, le sens de ma première division sera .Justus… Enfin, régle toute naturelle encore, chaque division rimera ou avec la division précédente ou avec la suivante : plus les divisions rimeront entre elles, mieux le sermon s’annon- cera. Reprenons le mot Johannes : « Per J denotatur quod Johannes est justus in operacione ; per 0 denotatur quod Johannes est honestus in conversacione ; per à denotatur quod Johannes est amicus #n exhibicione ; per n denotatur quod Johannes est nominatus a parentibus , per n denotatur quod Johannes est nutritus 2x vrtu- tibus ; per e denotatur quod Johannes est electus excel- lenter ; per s denotatur quod Johannes est subditus reverenter. » Il ne reste plus qu’à faire les sept dévelop- pements. Ces divisions viennent d’elles-mêmes : mais les rimes demandent un peu plus d’attention. Il y a, en effet, sur les rimes cinq règles générales et douze règles particu- — 2922 — lières. « Je n’en donne que douze, dit modestement l’auteur ; il y en a beaucoup d’autres, sans doute : mais avec douze un prédicateur sérieux (sermocinator seriosus) avec un peu d'esprit (st fuerit expediens) se tirera d'affaire. » En résumé, d’après les cinq règles générales : 4. il faut que la rime flatte l’oreille ; 2. il faut que le nombre des syllabes soit égal dans les phrases qui riment (c’était le nombre des syllabes qui faisait loi, et non pas la quantité) ; 3. On tolère que le nombre des /ettres des mots qui riment soit inégal ; 4. [Il faut que les deux dernières voyelles des mots qui riment soient sem- blables ; 5. On tolère qu'un mot soit remplacé par deux, pourvu que le nombre des syllabes des deux mots réunis soit égal au nombre des syllabes du pre- mier mot. Du reste, Messieurs, pourquoi ne vous citerais-je pas le texte ? Il vous donnera quelque idée des libertés que prenait bravement le latin d’alors. Prima requla: Ritimus sic debet esse formatus quod quadam sui dulcedine et delectacione auditorum alhciat aures. Secunda requla est : Omnes ritimi membri debent esse equalium diccionum et quoad numérum et quoad mensuram. Ita quod si primus ritimus sit trium diccio- num, eodem modo 2%, 3%, et etiam L°, si tot essent, Et si prima diccio primi ritimi est bisillaba, prima diccio 2i ratimi debet esse bisillaba ; et similiter prima diccio 3i rütimi sit bisillaba et sic de ceteris, si plures in una ET. serie essent. [tem si secunda diccio primi ritimi est trisil- laba, 22 diccio 2i ritimi debet esse trisillaba, et sic de 3° et Lo, si lot essent, Item si 3a diccio primi ritimi esset quadrisillaba, 32 diccio 2 ritima debet esse quadrisillaba, et sic de singulis, ut in hoc exemplo habetur : Salus hominis proponitur, Sensus demonts confunditur, Cursus sideris dirigitur. Tertia requla est quod sillaba aliquanao est unius littere, aliquando duarum, aliquando trium, aliquando vero constat ex 40r. Exemplum prima et secundi in hac diccione : amo, que est bisillaba, seu duarum sillaba- rum, quarum prima est una littera, videlicet a ; 22 vero sillaba constat ex duabus litteris, videlicet m et o. Exemplum 3ù in hac diccione sensus que est duarum sillabarum, quarum quelibet constat ex tribus ltteris. Exemplum quart in hac diccione scrutabor que constat ex tribus sillabis, quarum prima est quatuor litterarum, 2a duarum, 32 trium, ut expresse videtur. Et tunc patet quod, quamovis una sillaba plures continetur [contineat] litteras quan alia, tamen non variat mensuram diccro- nis, ut patet in hiis duabus diccionibus amabor et scru- tabor, quarum quehbet est trisillaba. Et prima hujus diecionis amabor constat ex una liltera, et prima hujus diccionis scrutabor constat ex quatuor litteris. Quarta requla est quod sermocinator debet conart pro posse quod in dicciontbus, que in vt ritimi proponuntur, vocales sint similes. Que requla intelligi debet maxime in penultima et final de vocalibus. Et si requla non — 224 — servatur de penultima et ultima, servetur sine fallo (?) de ultima. Unde non bene sociarentur iste due dicciones deficiens et contaminans, nec in principio aliquorum ritimorum, nec in medio, nec in fine, quia ultima vo- calis prime diccionis est e, ultima vero 2° diccionis est a. Sed iste due dicciones deficiens et subjiciens bene sona- rent in principio ritimorum, et in medio, et in fine, guoniam penultime et ultime vocales utriusque diccionis sunt similes. Quinta requla est quod ritimis licet ponere duas dic- ciones loco unius, îta quod quando in uno ritimo poritur dicao trisillaba, in alio possunt poni due qua- rum una sit monosillaba, alia bisillaba, ut 1n hoc exemplo : Justus quilibet summo opere coronari [conari] tenelur : Animi [animum] dirigere : nam hoc est utihitatis, Ad Deum recurrere : nam hoc est necessitatis, Mundumque despicere : nam hoc est salubritaus. Ubi apparet quod in principio primi ritimi ponitur illa diccio animi [animum] que est trisillaba. Et in principio 2 ritimi ponuntur due dicciones loco unius, videhcet 1sta diccio ad et ista diccio Deum, quarum prima est monostllaba et 2 bisillaba, ut apparet. In principio vero 3i ritimi ponuntur due dicciones, scilicet _ esta diccio mundum, ef ista diccio que. Similiter potest fieri quando in uno ritimo ponitur diccio quadrisillaba : in ao ritimo possunt poni duæ quarum quelibet est bisillaba, vel quarum una sit monosillaba et alia trisil- — 225 — laba, ut in istis exemplis : Apostoli in hoc mundo vide- runé : Verbum patris revelatum humanata deitate, Signum legis mundo datum prophetata veritate. Ubi videtur quod ista diccio revelatum posita in primo ritimo est quadrisillaba, et alie due in 2° ritimo corres- pondentes, scilicet ista diccio mundo ef ista diccio datum, sic se habent quod quelibet est bisillaba. Item : Apostoli in hoc mundo viderunt : Verbum patris revelatum deitate humanata, Signum legis jam firmatum verilate prophetica. Ubi apparet quod ista diccio revelatum in primo ritimo posita est quadrisillaba, et alie due in 2 ritimo correspondentes. Sed ista diccio jam ef ista dhccio firma- tum sic se habent quod prima monosillaba et 22 trisil- laba. Deinde notandum quod de rilimis, seu de formacione ritimorum, non potest tradi plena tradicio, eo quod rüimi modis innumerabilibus possunt sine dubro. variart. Des douze règles particulières, neuf établissent irré- futablement qu’une phrase bien composée doit com- prendre deux mots au moins et pas plus de dix. Pas plus de dix ! C’est l’usage qui le veut: « Quia non haben- tur in usu tales ritimi, ut apparet in sermonibus qui cotidie fiunt. » Les trois autres enseignent des lours qui — 226 — ne regardent que les prédicateurs expérimentés. Les voici : Decimum genus ritimorum est quando sermocinator in secunda parte ritimi conatur corrigere alios, erigere alios auditores ad consideracionem eorum que in prima parte continentur, ut in hoc exemplo : Coles [caules] almi [alvi] sinqularis gignunt libera- cionem : obsecro, respice. Vites claustri virginalis ferunt benedictionem : obse- cro, SUscipe. Paiet in 1stis ritimas quod dicebatur. UÜndecimum genus ritimorum est quando in 2 parte rüimi redditur causa prioris partis ritimi, ut in hoc exemplo superius posito, videlicet isto : In suis quilibet summo opere conart tenelur : Animum corrigere : nam hoc est utihitas [utilitatis|, Mundum despicere : nam hoc est salubritatis. Duodecimum genus, et ultimum quantum pertinet ad hoc ritimorum genus, est quando.ex prima parte ritimi infertur aliquid in 2 parte per modum conjunctive, ut in hoc exemplo : Qui mihi ministrat me sequatur, et ubi ego sum, ülluc [illic] minister meus erit (Johannes 49 Capitulo). In quibus verbis : Aliquid promittitur, quod est dulcoris : Igitur inci- piamus. Aliquid subjungitur, quod est honoris : Tgitur non desistamus. Aliquid concluditur, quod est valoris : Iqitur perve- mamus. — 227 — Primum ibi : Qui mihi ministrat ; Secundum ibi : Me sequatur ; Tertium ibi : Et ubi ego sum, illic minister meus erit. Vous souriez de pitié, Messieurs. Mais un docteur, dit Thomas Thudert, ne doit pas prêcher autrement !: « Nam unusquisque doctor sic dicere tenetur. » Ces règles que je viens de vous énumérer ne sont encore que les règles élémentaires. Ne croyez pas, Messieurs, que le prédicateur ait le droit de recourir à tous les mots. Non, non ; il y a des mots réservés pour la chaire, et ces mots réservés ne peuvent entrer que dans certaines combinaisons réservées, et ces combinai- sons réservées ne peuvent entrer qu'à certains cas réservés de la déclinaison. Ici j'emprunte mes renseignements à un autre traité de prédication, également inédit, également tiré de la Bibliothèque nationale et du même manuscrit latin et composé par le moine Astazius, également de l’ordre de Saint-François (Ms. lat., 15,965, folio 135, recto : De arte sermocinandi sécundum aliam edicionem fratris Astazüi magistri in theologua, ordinis fratrum minorum). Peut-être cet Astazius est-il un de ces Astesanus, pré- dicateurs du xive siècle, dont parle Wading (Script. ordin. min., p. 4 et 48). Quoi qu’il en soit, Astazius, docteur en théologie, et scotiste sans doute, est un fort savant homme. D'abord, règle générale : Le prédicateur ne peut pas se servir de l’Écriture sainte, telle qu’elle est ; il faut qu’il prenne la peine de l’orner, de l’arranger, enfin de l’accommoder au goût des auditeurs : « Verba Scripture — 228 —- Sacre debent esse ornata et pont curiose, ut alhciant audientes, et ut sint magis solliciti ad audiendum et intelligendum eorum informacionem et ad ea avidius retinenda. » Puis, que le prédicateur n’oublie pas le principe des principes : ce ne sont ni les pensées, ni les sentiments, mais les mots, le choix des mots, la terminaison des mots, l'agencement des mots, qui font l’éloquence : « Scien- dum quod iheologia utitur proprüs vocabulis, aut no- minibus plenitudinem significantibus, desinentibus in osus, ut frucluosus ; aptitudinem significantibus , desi- nentibus in bis, ut amabilis ; nominibus eciam desi- nentibusinivus,utrepressivus ; nominibus desinentibus in alis, ut eternalis ; nominibus' eciam desinentibus in io, ut dilectio ; nominibus desinentibus in ax, ut verax, etc., etc. Ceci posé, il faut savoir combiner les substantifs entre eux. Les substantifs terminés en a, par exemple, peuvent s’allier au nominatif et au génitif de la façon suivante : Superbie voluntas tumor, Iracundie temeritas furor, Accidie infirmitas torpor, Invidie iniquitas livor. Vel sic : S'uperbia cordis, 1re demencia, Accidie torpor, Invidia fratris. — 229 — Vel sic : Avaricie cupiditas, fervor ; Luxurie feditas, fetor ; Malicie crudelitas, rancor ; Gastrimergie qulositas, horror ; Per fidie crudelitas, error. Vel sic de his que pertinent ad bonos mores : Innocentie bonitas, decor, sanctitudo ; Misericordie pietas, dulcor et dulcedo ; Penitentie austeritas, rigor, certitudo ; Justitie equitas, vigor, rectitudo, etc., etc. Il faut savoir aussi combiner les adjectifs avec les substantifs. Les adjectifs terminés en osus, par exemple, peuvent s’allier à des substantifs terminés en 20, en 4, en as, en wmn, ra, or, ido, bra. Je vous fais grâce des exemples, qui sont innombrables. Lorsque les adjectifs sont ainsi unis, à quel cas est-il plus convenable de les employer ? Cela dépend du tem- pérament de chaque adjectif, Il ya des adjectifs qui ne sont bons qu'au nominatif, et d’autres qui ne sont bons qu’à l’ablatif, et d’autres qui sont bons au nominatif et à l’ablatif. L'auteur pousse le dévouement jusqu’à nous les donner tous par ordre alphabétique. Ainsi, pour citer les deux premiers adjectifs : Anxiosus s'accorde volontiers ‘avec contricio, tristicia, penalhtas, metus, dolor, amaritudo, et cela, nominative et ablative, au nominatif et à l’ablatif. L’adjectif affectuosus, qui suit, et qui va sans difficulté avec dilectio, amicitia, caritas, incendium, nexus, amor, ne s'emploie, lui, qu’au nomi- natif : nominative tantum ! — 230 — Il v aurait encore à vous lire des passages curieux sur le rôle éloquent des prépositions, particulièrement de la préposition contra, et surtout de la préposition per. C’est grâce à la préposition per qu’Astazius a pu cons- truire cette belle phrase, modéle de brièveté, dit-il, et, par conséquent, la perfection même : nota enim quod quia quod (sic) brevius dicitur melius dicitur. Aquila est : In visu acutissima per secretorum divinorum cogni- conem, In volatu celerrima per preceptorum divinorum imple- cionem, In gradu altissima per subditorum regimen et prela- cionem : Sic beatus Johannes fuit In visu acutissimus, Volatu celerrimus. Gradu sublimissimus. Ce sont des moines, ce sont des maîtres en théologie qui ravalent ainsi jusqu’au ridicule le génie de l’élo- quence chrétienne ! Sans doute les moines du xxr° siècle recherchaient trop dans leurs sermons les rimes, les jeux de mots, les chutes de phrase amenées avec effort : mais, du moins, ils ne couraient pas toujours, aux dé- pens de la pensée et du sentiment, après ces procédés mécaniques d'un goût si dépravé. Dans les homélies de saint Bernard, de Hugues de Saint-Victor, d’Isaac de l'Étoile, d'Adam de Perseigne et de tant d’autres, quelle haute philosophie, que d’ineffables transports, que de larmes saintes ! Ici, il n’y a rien au delà d’une combi- — 231 — naison puérile de mots, si ce n’est la sotte vanité qui s’en attribue le mérite. Ainsi, il faut qu’Astazius, pour terminer dignement son {raité, vante encore son savoir- faire ! « Ex predichs poterit studiosus multiplicare, dilatare, ordinare et componere sermonem suum placi- bilem et bonum. » | Tel est donc le sermon de Pierre Roger; tel en est le texte, telles en sont les théories. J'ai pensé que ces extraits du manuscrit de la Bibliothèque d'Angers et du manuscrit de la Bibliothèque nationale feraient dans nos Mémoires un article de quelque nouveauté. Vous me permettrez de vous l’offrir, Messieurs, pour payer ma bienvenue. L. BourGAIN Professeur d'Histoire à la Faculté Catholique des Lettres. OBSERVATIONS sur l'abus que font certains naturalistes des lermes suivants : intelli- gence, idées, mœurs, caractère, habitudes, éducation, ete., en les appliquant aux ani-. MAUX. Ce travail lu à la Société d'Agriculture en 1879 par Mer Bourquard avait soulevé quelques contradictions relatées au vingt et unième volume des Mémoires notamment à la page 285. ; L'auteur invité à nous donner communication de son manuscrit pour le présent volume, nous fait pré- venir qu’il se propose de placer à la suile des Obser- vations, une Étude sur la psychologie des animaux el sur la portée de leurs facultés, et nous prie d'insérer la note suivante : « Les résultats de son travail donneront une écla- « tante confirmation aux conclusions qu’il a présentées _ «et soutenues en 1879. Il refuse absolument d’attri- « buer à l'animal des idées, de l’intelligence, de la « moralité, de l'art, parce que l’animal n’a pas en « partage les facultés de saisir le vrai, le beau, le bien, « ni les facultés d'introduire dans ses œuvres ces « formes mentales d’un ordre supérieur. » SAINT-HICHEL DU TERTRE D’ANGERS ! CHAPITRE XI LA JOURNÉE DES MOUCHOIRS ET L'OCCUPATION PROTESTANTE. Nous venons d’assister à la formation des partis. Les camps se dressent; les drapeaux se déploient; les chefs sont choisis et désignés. Il nous reste à décrire l’action, qui n’est autre qu'une participation dans la grande lutte, qu'un reflet du grand drame national. Notre cité s’émeut aux événements d’Amboise; ces événements produisent la Journée des Mouchoirs. La surprise d'Angers par les Huguenots, en 1562, n’est en France qu’une épisode de la levée générale de bou- cliers. | La Journée des Mouchoirs, racontée par Louvet au tome vii de ses manuscrits, me semble inédite. Elle a eu notre paroisse pour théâtre, et les principaux acteurs du drame sont des paroissiens de Saint-Michel. L’occupation d'Angers, au contraire, a été racontée 1 Voir les Mémoires de la Société (1877-1878), page 973 (1880), page 179. SOC. D’AG, 16 — 234 — par M. Godard dans son histoire Anjou et ses monu- ments. En dehors de quelques détails inédits, je n’indi- querai que ce qui se lie à mon sujet dans l’organisa- tion de la paroisse. L’incurie, la licence des mœurs, les fautes sans nombre du gouvernement de Henri IT étaient de nature à favoriser l’hérésie. Mais, sous ce règne, l’autorité royale conserve encore son prestige. La fin désas- itreuse et soudaine du monarque précipite la France dans un vrai cataclysme. Le roi mourant laissait quatre fils en bas âge, dont trois vont lui succéder. Le quatrième, connu sous le nom de duc d'Alençon et d'Anjou, va nous devenir fami- lier par son règne dans la province et par son séjour en notre ville. Mais, avant lui, un autre prince occupera notre scène, pour laisser en notre cité des traces prolongées de son passage. Ce sera le duc Louis de Montpensier, de la maison de Bourbon, l’oncle du premier Condé et d'Antoine de Bourbon, père de Henri IV. Très .ardent catholique, ce prince, au début de nos guerres reli- gieuses, a le commandement des armées royales et la garde de nos provinces. Il vient, en cette qualité, répri- mer nos émeutes, créer notre défense et approprier aux dangers du temps notre organisation communale. François Il, l’aîné des fils du roi défunt, arrivait au trône, comme Charles VIII, dans les plus tristes condi- tions de développement physique et de santé, et, lui aussi, circonscrit de révoltés non moins redoutables. Mais il lui manque une sœur, comme Anne de Beau- jeu. Il a bien pour épouse une femme énergique; mais — 235 — cette infortunée compagne est vouée au malheur dès ses plus jeunes ans : c’est Marie Stuart, la fille de Jacques V d’Ecosse et la nièce du prince de Guise. Angers a vu cetie sympathique et mélancolique figure. Notre vieille cité a hébergé cette victime aux jours de son enfance, dans sa séduction et sa candeur, quand l’auréole de trois couronnes venait s’offrir à son jeune front. C’était en 1548; elle arrivait de son pays d’Ecosse, à l’âge de huit ans, pour épouser le Dauphin, plus jeune qu’elle d’une année. Débarquée à Brest en juillet 1548, elle se rendait à Paris à petites journées. Il lui faut deux mois pour attemdre Angers, où elle est attendue pour s’y reposer. Rien ic1, d’ailleurs, n’est négligé pour sa réception. La volonté royale s’en est affirmée dans une lettre de Henri IT au corps de ville, en date du 925 août. « Il ordonne qu’on ait à aller au-devant de la petite roine avec la meilleure compaignie de gens de qualité; qu’elle soit receue, honorée, traictée et accompaignée tant ainsi que si c’élait sa propre fille ‘. » Le duc d’'Etampes, gouverneur de Bretagne, recom- mande de recevoir la jeune reine avec le poële et les rues tendues. « Elle entrera, dit-il, venant de Nantes, par la porte Saint-Nicolas et devra loger chez Bar- rault. » Tel était le cérémonial prescrit, qui fut, en effet, scrupuleusement accompli. Au temps où nous sommes, à l’avènement du roi François Il, les Guise sont les seuls protecteurs du couple royal et aussi de la foi romaine. (est cette der- nière influence qu’on veut leur ravir en leur enlevant 1 Archives municipales, AA 4. — 236 — le roi à Amboise. Mais les conjurés les trouvent sous leur garde, entourés de partisans dévoués, accourus sur l’ordre du roi de toutes les provinces du royaume. Angers, dans ce groupe fidèle, a fourni son contingent, levé à son de trompe et rendu en six jours, sous les ordres du seigneur de Thévalles ‘, Cette manifestation et cet empressement fut loin de refroidir et de décourager les Huguenots angevins. Les yeux fixés sur le point de la lutte, ils y correspondent sur place par d’incessantes manifestations, tant de jour que de nuit. Ce n’était qu'à grand’peine qu’on arrivait à comprimer l’émeute au moyen d’un guet de nuit per- manent” et par des mesures énergiques « contre les émo- tions et conspirations que aulcuns malheureux et us cieux pourraient faire en ceste ville*. » Battus à Amboise, traqués à Angers, les Huguenots ne peuvent encore résister. Des immolations nom- breuses' sont la conséquence de leur défaite. Mais ni potences ni bûchers n’effraient les sectaires. Toujours en action, ils profitent des faiblesses et des inconsé- quences du pouvoir pour créer alors le prêche des Halles. Les premiers dans nos murs et clandestinement, ils préparent une revanche que va leur offrir la jour- née du 14 octobre. Ce jour est celui fixé pour la tenue des Etats de la Province, appelés à l’occasion de la convocation des Etats généraux du royaume, pour le 10 décembre, en la ville d'Orléans. Les trois Ordres devaient se rendre, 1 Archives municipales, BB 28, fol, 206. ? Archives municipales, BB 28, fol. 228. $ Archives municipales, BB 28, fol. 208. — 237 — dès le matin, au palais de justice d'Angers, pour y élire leurs députés et formuler leurs doléances. Déjà, par avance, toutes les paroisses du royaume avaient été mises en demeure de préparer ces doléances et de plus, à Angers, les Etats de la ville les avaient réunies, afin de les amener à une formule unique pour la commune '- « C'était en conséquence, nous dit Louvet, que le lundi quatorzième jour d'octobre mil cinq cent soixante, les Etats tenurent à Angers pour depulter hommes capables pour envoyer aux Etats généraux de France -assignés à tenir en la ville d'Orléans à raison des troubles qui estaient au royaulme de France faicts par les Huguenots, laquelle assemblée des dicts Etats fut faicte au pallais royal d'Angers, rue Saint-Michel, où présidait noble homme Guillaume Lesrat, assisté du lieutenant général Clément Louet et du seigneur de Thévalles, commandant les Angevins à Amboise”. » Deux discours, le matin, occupèrent la séance. Le premier fut prononcé, au nom de la noblesse, par le moine apostat Salvert, en sa qualité de seigneur du Riz. Le second par le célèbre avocat Grimauldet. Celui-ci était le fils de l’apothicaire Pierre Grimauldet, qui avait été échevin en 1504. François Grimauldet, dont nous parlons, demeurait rue Saint-Jacques, près le Pilori. Déjà célèbre au barreau d'Angers, il était entré au présidial en 1558 en qualité d’avocat du roi. Il avait donc, dans la circonstance, la double influence du talent et de sa haute dignité *. 1 Archives municipales, BB 28, fol. 231. 2 Journal de Louvet. — Revue d'Anjou, p. 257. 8 Dictionnaire historique, Port, t. II, p. 311. — 238 — Salvert se donnait pour le candidat chaudement patronné de la noblesse. Il arrivait, en effet, escorté d'un groupe de seigneurs initiés au complot et parta- geant ses idées. Il protestait, d’ailleurs, de son Tentes ment au roi et de la pureté de sa foi‘. Grimauldet, plus habile encore, se montra plein de séduction. Nous trouvons dans le bénédictin Roger le récit fidèle de son discours, et ce discours, vieux de trois siècles, aurait encore aujourd’hui son succès. Il récriminine contre les privilégiés, contre les heureux du temps, contre le clergé, la noblesse, la magistra- ture. Il signale leurs faiblesses et stigmatise leurs vices. Puis il considère le pauvre bonhomme de peuple, comme il l’appelle, assujetti à toutes les misères, en proie à toutes les privations. Il s’apitoie sur son sort et solli- “cite des réformes. Grimauldet fut applaudi. Habilement exploité, son thème eut du succès comme il en aurait de nos jours, et c'était sous son influence qu’on devait voter l’après-midi. Mais voilà qu'à la reprise de séance un orateur demande la parole. C’était un jeune homme du nom de Louis Marquis, bachelier en droit et praticien en cour laie. Dans une réplique habile, il réfute les arguments de ses adversaires, démontre qu’on allait être la dupe d’un complot huguenot; que Charles du Riz, dit Sal- vert, le candidat à la députation, était non seulement Huguenot, mais pasteur et chef des Huguenots. Le moine apostat Salvert est alors repoussé, et soudain croule avec sa déconfiture tous les projets des sectaires. ! Louvet, VII, vol. M. — 239 — Dans leur désapointement, leur colère n’a plus de bornes; ils tirent leurs armes, jusqu'alors dissimulées. Munis d’épées et de pistolets, ils courent sur leur adversaire, le jeune Marquis, qu’ils saisissent et foulent aux pieds. Les catholiques indignés volent à son aide, et la mêlée se produit. C’est alors que pour se reconnaître, et sur un mot d'ordre donné d’avance, tous les Huguenots arborent leur mouchoir à leur chapeau, d’où est venu, pour la désignation de cette émeute, le nom de Journée des Mouchoirs, que par dérision Louvet appelle la Journée des Morveux. Dans la lutte engagée, il se fait des victimes, le sang coule en plusieurs endroits. Le pénitencier de l’église d'Angers, le chanoine Jean de la Barre, tombe percé d’une épée. Que fait la police en ce grave moment? Elle est aux ordres du prévôt Quetier. Mais Quetier est lui-même Huguenot et dans tous les secrets de l’émeute. Aussi veut-il épargner ses frères et favoriser leurs projets. Dans le tumulte, dans la bataille, c’est la victime qu'il saisit, c’est le bachelier en droit, le jeune Marquis, qu'il relève, battu, contusionné, meurtri. Il est, pour Jui, la cause du tumulte. Appréhendé et garotté par ses sergents, il le jette en prison. Heureusement qu'inter- vient le lieutenant général Louet, qui, de son autorité, le délivre et le rend à la liberté. La nuit seule sépare les combattants, qui se quittent Ja menace aux lèvres et la vengeance au cœur, pour se retrouver le lendemain. Dés le matin du 15, en effet, le palais est assiégé de nouveau. La rue Saint-Michel et le — 240 -—- Pilori, nous dit Louvet, étaient encombrés de Hugue- nois, quand survient Montpensier à la tête de ses sol- dats, faisant main basse sur les sectaires, qu’on immole sans pitié. Mais Les chefs ont disparu, on les recherche en vain. À défaut de leurs personnes, on saisit leurs biens, on démolit leurs maisons. L'ordre rétabli et nos premiers besoins satisfaits, Montpensier va nous quitter. 11 se hâte d’aller reprendre position devant ses ennemis; mais, avant son départ, il tient à assurer la sécurité de la ville, à la mettre à labri d’une revanche. Pour cette fin, il n’a ni soldats ni armes à nous laisser; il faut qu’il trouve, en nos murs et dans les habitants, notre propre défense, par une première création de garde municipale. L’ordon- nance qui la prescrit est du 15 novembre 1560. « Nous enjoignons, dit le prince, à tout manant et habitant en général et sans aulcun excepter, prendre toutes armes offensives et défensives, même hacquebutes et pistolets, pour soy ayder et servir pour la tuition, garde et défense de la dite ville, et se tenir prêts à faire monstre *. » Cette garde, aux ordres du maire, devait être com- posée de cinq compagnies commandées chacune par un capitaine, et chargées en outre de la garde de l’une des portes de la ville*. La compagnie qui avait la garde de la porte Saint-Michel devait se former sur les paroisses Saiñt-Maurille et Saint-Michel. Son capitaine, désigné à l'élection, fut Jehan Lemaczon, procureur du roi au 1 Archives municipales, EE 1. ? Archives municipales, BB 28, fol. 282. — 241 — siège présidial'. La mort du roi François If, au 5 dé- cembre, suspendit ces projets. La royauté française, après ce règne, cesse de per- sonnifier les intérêts de la foi romaine. Catherine de Médicis, cette nièce du pape Clément VIT, si effacée au temps du roi son mari, devant l'influence usurpée de Diane de Poitiers, prend en main le pouvoir sous les rêgnes de ses fils Charles IX et Henri IT, et la mobilité de sa direction et aussi de ses principes fera le déses- poir des catholiques autant que des protestants. Cet abandon de la foi traditionnelle motivera la Ligue et donnera raison, en notre ville, à la formation d’une aristocratie municipale, que nous trouverons à l’œuvre jusqu’à la consolidation du pouvoir de Henri IV. La délivrance de Gondé, la tolérance des prêches, le colloque de Poissy et l’édit de Saint-Germain sont les gages successifs de cette politique que nous venons d'indiquer. L'effet s’en produisit aussitôt à Angers. La rentrée des armes au château, sur un ordre du roi, vint para- lyser l’organisation de la garde municipale. Le prêche des Halles supprimé par Montpensier, fut aussitôt réta- bli sous Ja direction du prieur des Augustins, Jehan de V'Espine, qui venait d’abjurer sa foi”. Des assemblées nocturnes se produisaient, et les sectaires y venaient nombreux et armés, au grand effroi des catholiques, qui, eux aussi, demandaient les armes qu’on leur avait enlevées *. Les cordeliers, qui se voyaient plus particu- 1 Journal de Louvet, 1854, p. 279. 2 Dict. historique, t. IT, p. 120. Archives municipales, BB 29, f° 14. — 242 — lièrement menacés, sollicitaient des munitions et vou- laient fortifier leur couvent. Dans ces conditions, le conflit ne se pouvait différer. Le mot d'ordre, en efiet, fut donné par toute la France pour un soulèvement général au 1er avril 1562. Or- léans, dès le 2, tombait aux mains du prince de Condé. Angers avait son importance comme place de guerre. Elle était pour lors vivement convoitée par les Hugue- nots; mais, pour la prendre de force, il fallait un siège en règle, et une surprise par intelligence clandestine était beaucoup moins hasardeuse et bien plus dans les mœurs et habitudes des Réformés. Ce fut donc ce moyen qu'ils tentèrent et qui leur réussit à souhait. Angers se composait alors de trois parties distinctes : le château, la cité et la basse ville. Le château était sous le commandement d’un gouverneur au choix du roi, avec une garnison à ses ordres aux jours de péril. Ce gouverneur était alors un gentilhomme breton nommé M. de la Faucille. La cité, qui possédait la cathédrale et l'évêché, inté- rêt de premier ordre dans une lutte religieuse, était, en termes propres, ce qu'on appelait le cloître de l’église d'Angers, c’est-à-dire l’asile et la propriété exclusive du chapitre de Saint-Maurice, de ses suppôts ou employés. Geinte encore de sa vieille et solide muraille gallo-romaine et fermée de portes, par privi- lège récent du roi François Ier, elle constituait une seconde citadelle qui commandait la basse ville, avec accès facile au château lui-même. La basse ville, c'était la capitale de l’Anjou féodal, la forteresse de Saint-Louis, la résidence du roi René, — 243 — la commune de Louis XI, de Charles VIII, de Henri IL, avec ses vieilles collégiales et abbayes, son Université, ses grandes écoles, sa rivière, ses ports, ses halles, ses foires, ses marchés, sa mairie, son présidial. C'était la vraie ville, la ville civile et commerciale, mais sous l'influence d’une domination de la cité. La surprise de la cité devait donc entrainer fatale- ment celle de la ville entière. Mais, dans cet asile privé et sacré, 1l fallait pouvoir rencontrer une intelligence, un compère qui put secrètement et ténébreusement offrir asile aux conspirateurs, recueillir et dissimuler leur armement, et manifestement on ne le pouvait trouver que dans les rangs du chapitre lui-même. Ce Judas se rencontra; ce fut le chanoine Dupineau, homme perdu de mœurs et pour cette cause discipli- nairement privé de l’assistance au chœur et des gai- gnages incombant à chacun des membres du corps. Très froissé, très humilié d’une mesure appliquée à si bon droit, il résolut de s’en venger, füt-ce même par l’apostasie et la trahison. Il accueillit les propositions des Huguenots, et leur vendit ses irères et son Dieu. Ce fut en vertu de ce monstrueux contrat que, dans la soirée du samedi 3 avril et dans la matinée du dimanche 4, il recueillit isolément dans sa maison les sectaires influents qui s’y présentérent avec leurs armes dissimulées, et l’odieux forfait se put accomplir à la grande surprise et à la grande peine des catho- liques. Je ne décrirai point le sac de Saint-Maurice, le bris des serrures, l’enfoncement des portes, l’imposante et — 244 — majestueuse résistance du doyen Jean-Hector Serpin, le pillage du trésor, la profanation et la destruction des images et des reliques. Je renvoie au 2% volume de l’'Anjou et ses monuments de M. Godard, pages 419 et suivantes. Je dirai seulement que, après une vaine ten- tative sur le château, on se rabattit sur la basse ville, qui tomba sans résistance au pouvoir des Réformés. Mais si le commandant de la Faucille, aidé de quelques chanoines, fut assez heureux pour préserver sa forte- resse, il ne pouvait que s’y maintenir, sans pouvoir rien oser contre la place, ainsi livrée à la merci de ses oppresseurs. Angers tout entier se trouvait de la sorte au pou- voir des Huguenots, qui ne tardèrent pas à y consti- tuer leur autorité. Le seigneur de la Barbée fut établi gouverneur de la ville et de la province, ayant sous ses ordres, comme général d'armée, Hercule Saint-Aignan, seigneur Des- marais, plus connu sous la qualification de capitaine Desmarais; comme maire de la ville, un gentilhomme appelé la Ville au Faurier, qui lui-même avait dans son conseil les noms de Le Royer, Pierre Aurays, Reverdy, etc. L'église Saint-Maurice ne fut pas la seule pillée et profanée. Celle du couvent des carmes, la chapelle Saint-Sauveur, les églises paroissiales de Saint-Samson de Saint-Aubin des Ponts-de-Cé, eurent le même sort. Toutes les autres églises de la ville, solidement fermées et gardées à l’intérieur par les catholiques, furent pré- servées, mais inabordables aux fidèles; dans ces jours de deuil, tout exercice du culte y demeurait suspendu. UT Les Réformés, au contraire, triomphaient en nos rues. Trop à l’étroit dans le prêche des halles, ils appro- prient à leurs dévotions l’église du couvent des Augus- tins, à l’instigation de son prieur apostat, Jean de l'Espine. Rentré ainsi en possession de son couvent, il en fit les honneurs au grand pontife des Huguenots, à Théodore de Bèze, accouru à Angers pour y apporter ses félicitations et réglementer le culte hérétique. Le présidial tout seul à Angers faisait de la résis- tance. Dès le premier jour, le lieutenant général Clé- ment Louet avait protesté contre les violences commises et en avait dressé procès-verbal. Au 15 avril, en outre, en plein asservissement, il survient une lettre du roi défendant d'apporter aucun aide au prince de Condé ; le président Lesrat ne se contente pas d’une publica: tion d'audience, il ordonne que le titre royal lui-même soit lu et proclamé à son de trompe par toute la ville. Chargé de la mission, le sergent Le Gauffre allait en être victime. Les Hugenots s’étaient emparés de sa per- sonne et voulaient l’immoler, quand survinrent à son aide le lieutenant général et le maire, Gohin de Mon- treuil, qui furent assez heureux pour l’arracher au massacre. Angers subissait depuis plus d’un mois un asservisse- ment dont on ne voyait pas le terme et que Montpen- sier seul semblait pouvoir conjurer. Ce prince était alors en Touraine, aux environs de Chinon, surveillant les tentatives de Condé, mais igno- rant les événements survenus à Angers. Desmarais, d’ailleurs, est en mesure contre son ennemi. Il ne se contente pas de garder les murs et les issues de notre — 946 — ville; il en surveille au loin les abords. Maître des Ponts-de-Cé, possesseur du château de Rochefort, il couvre ainsi sa place de guerre et la met à l’abri d’une surprise. Tromper sa vigilance en traversant isolément ses lignes n’était pas sans péril; mais tenter l’aventure avec un imposant renfort, c'était le comble de la plus folle audace. Ce projet pourtant, conçu par un bour- geois du nom de François Rigault, allait être couronné du plus complet succès. Rigault, qui a müri son plan dans son esprit, vient au château pour l’y soumettre, et naturellement une idée de délivrance ne pouvait man- quer de séduction pour le commandant de la Faucille. Rigault n’eut donc pas de peine à lui faire accueillir son projet, quelque aventureux qu’il füt. Il put alors, le 5 mai, avant le jour, muni d’une lettre pour le prince de Bourbon, sortir du château et tenter sa fortune. Avant midi, il est au camp de Mont- pensier. Celui-ci, surpris, étonné, est séduit pourtant de l’audacieux courage de notre Angevin. Il appelle l’un de ses lieutenants, un gentilhomme gascon, Léau- mont de Puygaillard ; il lui adjoint soixante de ses plus intrépides soldats, et il confie le tout à la hasar- deuse direction de Rigault. Le soir du même jour, à la nuit tombante, la coura- geuse escorte atteint le pied du mur du château, et sur un signal de Rigault la porte des Champs s'ouvre devant eux. Les voici dans notre citadelle, parfaitement ignorés de Desmarais. Moins de vingt-quatre heures ont suffi pour ce premier succès. Enivrés de cette chance, nos aventuriers voient l’aveugle sécurité de — 247 — leurs ennemis; ils les considèrent dormant de leur meilleur sommeil, et soudain l’idée de les surprendre domine leur volonté et leur fait oublier leurs fatigues. Le 6 mai, jour de l’Ascension, aux premières lueurs du crépuscule, ils descendent silencieusement dans la cité et tombent comme la foudre sur l’Evêché, quartier général des Huguenots. Surpris ainsi dans leur som- meil, ceux-ci, dans un instant, sont culbutés et mis en pleine déroute. Ils fuient et descendent à toutes jambes la rue Baudrière, essayant sur les ponts, derrière une barricade improvisée, une première résistance. Mais le bruit de la déroute a mis soudain les catholiques sur pied. Ge nouveau concours détermine un succés non moins foudroyant. Les Huguenots fuient encore et se voient vite acculés au mur de ville le long de la Turcie. L’escalader, le franchir est l’unique ressource, la seule chance d'échapper à la rage d’adversaires qui ne connaissent pas de quartier. Salvert donne le signal et se tue dans une chute malheureuse. L'hôtel de ville, sous les ordres de son chef, la Ville- au-Fourier, essaye de se défendre, mais la résistance fut courte, et il fallut se rendre. C’en était fait. Angers était délivré, et dès le même jour, nous dit Louvet, Messieurs de la ville s’assem- blèrent en l'hôtel de la ditte ville, où M. de Puygail - tard se trouva accompagné de gentilshommes et de capitaines et grand nombre de bons catholiques, comme aussi se trouvaient Malatery et le receveur Bouju, huguenots, accompagnés d’autres huguenots, « où il fut conclu que les dicts huguenots rendraient la ville au roy et mise entre les mains de M. de Puygaillard, — 248 — suivant les lettres de M. de Montpensier, et les armes de tous les habitants rendues de part et d’autre dans vingt-quatre heures, et rendraient les clefs des portes de la ville dans six heures, laquelle conclusion fut publiée par les quarrefours ordinaires, en une heure après midi dudict jour, en présence dudict Malatery*. » Le foudroyant succés des catholiques à Angers, dans la matinée du 6 mai 1562, était un vrai coup de théâtre. L’écrasante domination huguenote disparais- sait en ce jour comme frappée d’une baguette de fée. Dans les plans, dans les prévisions manifestes de Mont- pensier, Puygaillard ne devait que défendre le château et concourir au siège de la ville. Dans ce but, des déta- chements, sous les ordres d’intrépides capitaines, nous arrivaient successivement, suivis du prince lui- même à la tête de son armée. Mais, à leur grande sur- prise, ils n'avaient tous, à leur entrée dans nos murs, qu’à constater une victoire. 1 Journal de Louvet, 1854, p. 263. L. RONDEAU. RAPPORT SUR LES Travaux de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts d'Angers PENDANT L'ANNÉE 1880 Présenté par M. HERVÉ-BAZIN, Secrétaire général, à la Séance du 14 décembre 1880. Nous pouvons, Messieurs, être satisfaits du résultat de nos travaux pendant l’année qui vient de s’écouler. Le nombre de nos collègues s’est élevé, les lectures mensuelles ont été suivies avec intérêt, et la création du Salon de lecture a donné à notre Société une activité nouvelle. Un rapide coup d’æil sur les onze derniers mois va vous convaincre que cette appréciation n’est point exa- gérée. C’est aux mois de janvier et de février 1880 que nous ayons reçu, avec une joie que vous pouvez comprendre, MM. l'abbé Brisset, D’ Duhourcau, Delahaye, Guérin de la Roussardière, Semery, René Bazin, G. Bricard, Huault- Dupuy, Bodinier, Dauge, Meignen, Clamens, Bordereau, M. l’abbé Bazin, curé de la cathédrale, MM. André SOC. D'AG. 17 — 250 — Meauzé, de Chataux, M. l'abbé Bourgain, et un peu plus tard, à la séance de mai, M. le curé de Saint- Joseph, M. Ledroit, M. Auriau, M. l'abbé Liütter, et M. de Tarlé. Tous ces nouveaux collègues nous pro- mettent un précieux concours pour l’année prochaine, et portent presque au maximum le nombre des membres titulaires prévu par le règlement. On faisait remarquer à la séance de janvier que la plupart de ces candidatures étaient dues à la création du Salon de lecture. Vous vous rappelez, en effet, que ce Salon a été ouvert dès le début de l’année, et qu’une circulaire fut lancée à cette occasion, en même temps qu’un avis dans les journaux. Les réformes que le Bureau se propose d'apporter à l’organisation de ce Salon de lecture en augmenteront encore, nous l’espé- rons, l'intérêt et l'utilité; mais nous pouvons, dès à présent, constater qu’il a été régulièrement suivi toute l’année, et presque tous les jours, même pendant les vacances, par un grand nombre de membres. Permettez-moi de laisser de côté tous les détails et d'en venir rapidement à nos séances. Le bulletin de 4879 vient de vous être distribué : il est deux ou trois fois plus considérable que celui des années précédentes. C’est une preuve de votre activité. Vous allez pouvoir juger, par l'examen des travaux de l’année 1880, que le bulletin, dont on commence l’impression ne le cèdera en rien au précédent. À la séance de janvier, vous avez écouté avec toute l'attention qu’elle méritait, la très intéressante étude de M. de Capol sur l'agriculture en Anjou et le libre échange. Notre collègue, dont la compétence ne saurait — 251 — être niée en matière économique, nous a montré l’inva- sion croissante du bétail, des viandes mortes, des blés provenant de l'étranger et surtout d'Amérique, afin d’é- tablir, à l’aide de statistiques officielles, que sous le ré- gime du libre échange absolu, notre production nationale était incapable de lutter contre cette concurrence étran- gère. Vous n’avez pas oublié les conseils pleins de pré- voyance adressés par notre collègue aux éleveurs de bétail et aux cultivateurs de chanvre dans nos vallées. La discussion qui a suivi cette savante étude n’a fait que mettre en relief la sagesse de ces conseils. Vous rappelez-vous, Messieurs, le froid qui sévissait alors, les orages qui jetaient bas une partie de la toiture de notre local, le vent qui soufflait en tempête, la neige qui rendait si difficile la circulation, et fondait ensuite sur nos livres et nos collections de mémoires! Notre cher collègue, M. le D' Grille, voulut alors reconforter notre courage et ranimer notre zèle ; le sujet que lui dicte la muse suffit à dérider tous les fronts : Quam juvat immnites ventos audire calentem! ce que nous pourrions traduire librement ainsi : Qu'il fait bon au coin du feu, quand le vent souffle au dehors, et que le D’ Grille veut bien faire entendre ses charmantes poé- _sies! — et que des indiscrets pourraient interpréter encore de cette façon : Qu'il fait bon le soir au coin du feu de ce cher docteur, qui court toute la journée, dans la neige et par le vent, pour aller secourir les malades et consoler les pauvres gens ! La séance de février fut une des plus intéressantes de J'année : M. Godard-Faultrier, une des gloires de la Société d'agriculture, sciences et arts, et certainement — 252 — Jun de ceux qui lui ont procuré le plus de triomphes dans les réunions des Sociétés savantes, a bien voulu nous lire son remarquable Mémoire sur deux statues sépulcrales du x1v° siècle, mémoire destiné à la réunion de la Sorbonne. C’est ainsi que chaque année M. Godard enrichit notre bulletin. Espérons que cette année encore notre savant collègue découvrira quelques débris des vieux âges, quelque morceau du vieil Anjou, que son fils gravera pour nous, et qui fera l’ornement de nos prochains mémoires. Par une coïncidence singulière, ce même jour, M. l’abbé Hy nous entretenait de certaines familles de mousses, qui ornaient peut-être les vieilles statues dont parle M. Godard, et qui, en tout cas, étaient assez peu connues dans la science pour que M. l’abbé Hy fut assuré, en présentant son travail aux Sociétés savantes de la capitale, d'obtenir un très grand suecès. Je ne voudrais pas offenser la modestie de notre collègue : qu'il me permette cependant de lui dire, au rom de tous, que la Société est fière de le compter parmi ses membres, et que le passé nous répond d’un brillant avenir. Quelques jours après, nos deux collègues, ainsi que MM. Faligan, Perrin et Lelong, étaient délégués pour nous représenter à la Sorbonne. Votre secrétaire géné- ral n’a pas à vous entretenir de ces réunions annuelles, mais il se croit en droit de vous rappeler les éloges ac- cordés aux travaux de M. Godard et de M. l'abbé Hy. C’est à la séance de mars, Messieurs, que vous avez accompagné M. Loir-Mongazon dans son ravissant voyaye à Salzbourg et aux mines de sel, voisines de cette — 253 — ville. Quelle heure charmante nous avons passée avec ce conteur accompli, qui a le grand art de se dissimu- ler derrière ses personnages, de telle façon qu’on croi- rait vivre avec eux! Quelle poétique physionomie que celle de ces vieilles cités allemandes que M. Loir-Mon- gazon décrit avec tant de finesse et d’uu trait si rapide. Voilà un collègue bien compromis : quand on a donné un tel travail, on est obligé d'en donner d’autres, et M. Mongazon peut être sûr qu’il n’échappera pas à nos poursuites. Il a vu la Hollande : qu'il raconte son voyage de Hollande à ceux qui, moins heureux, sont retenus au foyer ! M. Tarnier, doyen de la Faculté des sciences, pré- sente ensuite à la Société plusieurs portraits malitaires d’une glorieuse galerie qu’il réunit, à l'usage des écoles primaires. À la séance d'avril, vous avez entendu M°' Bourquard, combattant la neutralité religieuse en matière scienti- fique. Notre savant collègue prend à partie un travail publié dans les Études religieuses de janvier 1868, dans lequel on soutenait que les doctrines religieuses n’ont aucune influence directe sur les conditions des sciences profanes, soit qu’elles procèdent par déduction, comme les sciences mathématiques, philosophiques et morales, soit qu’elles procèdent par induction, comme les sciences physiques et naturelles. M5 Bourquard s’est attaché à démontrer que cette thèse était contraire à la tradition et à la saine raison. Puis, de la philosophie nous passons à la jurispru- dence, et M. d’Espinay nous entretient des Etablisse- ments de saint Louis. Notre Président flaite notre — 2954 — patriotisme local, en nous rappelant, après M. Viollet, que cette œuvre considérable est une compilation, dont une partie, la plus importante peut-être, comprend la Coutume d'Anjou. Le reste a été copié sur la Coutume d'Orléans, avec renvois à l’usage de France et à un règlement écrit de procédure. M. d'Espinay croit, en outre, qu'il conviendrait d’ajouter à ces éléments des usages non écrits de procédure. L'ensemble paraît avoir été composé à Orléans en 1272 ou 1273. La séance du mois de mai nous rappelle, Messieurs, un triste souvenir : la mort de notre jeune et déjà savant collègue, M. Hermite, ravi à la science par une longue et cruelle maladie de poitrine. M. le D° Maison- neuve nous a lu une noûce biographique du plus haut intérêt sur l'ami dont nous déplorons la perte; vous vous rappelez, Messieurs, cette longue énumération des travaux accomplis par M. Hermite à trente ans, travaux qui suffiraient à remplir une vie. La mort de ce jeune savant, comme celle de M. l’abbé Bellanger et celle de M. Bennchet, en 1879, a été une perte irréparable, non seulement pour l’Université catholique, mais pour notre Société, À la séance suivante, la dernière de l’année, vous avez entendu, pour la première fois, M. l'abbé Bour- gain, professeur d'histoire à la Faculté des lettres. Notre collègue nous a donné lecture d’une éfude sur un ser- mon de Pierre Roger (Clément VD), conservé à la biblio- thèque d’Angers, et nous a fait connaître le caractère de l’éloquence de la chaire au xiv° siècle. M. l'abbé Bourgain nous donnera bientôt, nous l’espérons, l’occa- sion de l’applaudir encore. — 255 — Puis, vous avez suivi de nouveau notre cher collègue, M. Rondeau, dans ses études sur le vie] Angers. C’est toute l’histoire de notre cité qui se déroule devant nous, aux séances de février et de juillet ; cette étude, l’une des plus intéressantes qui aient été faites sur ce sujet, indique très clairement le mouvement des esprits à travers les siècles : ce doit être un grand charme pour notre collègue de fouiller les vieux papiers où il retrouve tant de souvenirs; c’en est un plus grand encore pour ses collègues de l’écouter et de le suivre dans ses récits. Le Bâton! le bâton dans toutes ces acceptions ! Tel est le titre de la charmante pièce de vers lue par M. le D' Grille à cette dernière séance. Notre cher collègue nous a donné du bdton pendant quelques minutes, mais nous en redemandons. La pénitence est douce, docteur, el si vous ie voulez bien, nous recommencerons. Vous savez, Messieurs, qu'il avait été question de réorganiser chacune de nos sections : nous avions com- mencé par la section d’archéologie, et certainement ceux d’entre nous qui ont accepté ce rendez-vous du 9 juillet au Musée Saint-Jean, ne l’oublieront pas de sitôt. Avec quelle bonne grâce M. Godard et M. d'Es- pinay nous ont promené à travers ces magnifiques salles, cette vieille chapelle Plantagenet, ces débris de toutes sortes arrachés au vandalisme moderne, et avec quelle science nos collègues nous ont révélé l'usage et le nom de ces mille objets! Espérons, Messieurs, que la section d'archéologie va renaître cette année et reprendre le cours, trop longtemps interrompu, de ses travaux. Je ne vous parlerai pas de la séance de novembre, dans laquelle nous avons applaudi M. l'abbé Hy et — 256 — M. Rondeau. Le procès-verbal vient de vous être lu. Qu'il me suffise de vous dire, comme conclusion pra- tique, que l’ensemble de tous ces travaux formera un volume considérable et très sérieux. Nous prouverons ainsi aux plus incrédules, que la Société d’agriculture, sciences et arts, vit, travaille et se développe, et qu’elle mérite tous les encouragements, ceux qu’on lui refuse aussi bien que ceux qu’on lui accorde. Permettez, en terminant, à votre Secrétaire général, de vous remercier de l'honneur que vous avez bien voulu lui accorder jusqu'ici. Obligé de résigner ses fonc- tions parce qu’il n’a plus le loisir de les remplir comme il conviendrait, croyez qu'il n’en restera pas moins attaché à votre Société, et qu’il fera, comme par le passé, tous ses efforts pour activer son développement et ses travaux. Hervé-Bazin. > e —é— PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES SÉANCE DU 3 JUIN 1879!. La séance est ouverte à huit heures du soir, sous la présidence de M°' Sauvé. | Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté. Sur la proposition de M. Hervé-Bazin, la Société décide que la pétition rédigée par M. Gueyraud sera autographiée, pour que chaque membre puisse en rece- voir un exemplaire. S M. le Président communique aux membres présents une lettre de M. Quantin, imprimeur à Paris, offrant des prospectus d’un ouvrage de luxe, qui va être publié sous ce titre : « La Renaissance en France. » Sur le rapport verbal de M. Gueyraud, M. de Capol, candidat présenté à la dernière séance, est admis à l’unanimité. La parole est ensuite donnée à M. Léon Cosnier, qui achève la lecture de son étude sur M"*° Rosalie Barbot et le vieil Angers. M. Maisonneuve, professeur à la Faculté des sciences, donne à la Société des renseignements écrits sur la prétendue découverte par M. de Saporta, d’une fougère 1 Ce procès-verbal ayant été omis au précédent Bulletin, nous avons cru devoir le publier cette année. — 2958 — fossile dans les schistes ardoisiers de Trelazé. D’après les savantes recherches de M. Hermite, notre con- frère, la prétendue fougère ne serait autre chose que des arborisations ou dendrites de sulfure de fer qui se serait épanché par un canal, creusé probable- ment par des animaux entrés dans le schiste avant qu'il ne fût durcei. Cette question présente un certain intérêt en raison des publications de M. de Saporta et des conclusions transformistes qu’il en tire. Le travail de M. Hermite a été soumis à la Société géologique de France et accueilli avec la plus grande faveur. M. Mai- sonneuve nous promet de nous tenir au courant de la suite qui sera donnée à cette intéressante discussion. La séance est ensuite levée à neuf heures et demie. Le Secrétaire général, Hervé-Bazn. SÉANCE DU 6 JANVIER 1880. ! La séance est ouverte à huit heures sous la présidence de M de Kernaëret. Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté. M. Hervé-Bazin, secrétaire, rend compte de la réu- nion de la Commission chargée par la Société, dans sa séance du 6 décembre dernier, d'organiser le Salon de lecture. L’abonnement à toutes les Revues choisies a été pris par l'entremise de la Société bibliographique, qui veut bien nous accorder la remise qu’elle fait à ses membres. Le Salon est ouvert depuis le 1° janvier; — 259 — malheureusement la plupart des Revues ne sont pas encore arrivées, Des remerciements sont votés à M. Rondeau, tréso- rier, qui a bien voulu nous promettre de déposer sur la table du Salon de lecture le Correspondant. La Société délègue ses pouvoirs à M, le D' Grille, à l'effet de s'entendre avec les délégués des Sociétés de médecine et d'horticulture pour obtenir la réparation de notre local commun, et surtout de la toiture, fort endommagée par les neiges. Par suite de la démission de M. Gavouyère, la Société nomme M: de Kernaëret second Vice-président, en remplacement de M. le doyen de la Faculté de droit M, l'abbé Ravain présente la candidature de M. l'abbé Brisset. M. Maisonneuve présente celle de M. le D' Duhour- cau, lequel fait hommage à la Société de ses ouvrages sur les eaux de Cauterets et sur leur application à cer- tains cas spéciaux. M. Hervé-Bazin présente M. Dominique Delahaye, M. Guérin de la Roussardière, avocat, M. Semery, avo- cat, M. René Bazin, professeur à la Faculté de droit, M. Georges Bricard, avocat, et fait remarquer que toutes ces candidatures sont dues à l’organisation du Salon de lecture. M. Lelong présente M. Huault-Dupuy et M. Bodi- nier. C M. Lucas rend compte en quelques mots des Mé- moires de l Académie nationale de Caen (1879) et du Bulletin de la Société des sciences, lettres et arts de Pau (1877-1878). IL analyse avec quelques détails un — 260 — chapitre intéressant des études de législation comparée de M. Lanfranc de Panthou, inséré dans les Mémoires de l’Académie de Caen. M. Lelong rend compte des Mémoires de l’Académie Delphinale et M. Hervé-Bazin analyse les deux derniers numéros de la Romania. MF de Kernaëret veut bien se charger de nous rendre compte, à la prochaine séance, du recueil de la Société havraise. M. l'abbé Ravain accepte, dans le même but, le remise du Bulletin de la Société d'émulation de la Seine-Inférieure, et M. l'abbé Hy se charge des mé- moires de la Société de statistique de l’Isère. M. Godard rend ensuite compte de l'emploi du cré- dit de 300 francs accordé, il y a un an, par la Société pour aider au transport des édicules de la place du Ral- liement au musée Saint-Jean. Le compte rendu financier sera inséré au Bulletin. M. de Capol commence la lecture de son travail sur l’agriculture en Anjou et le libre-échange. La fin de cette lecture est remise à la séance de février. Enfin, M. le D' Grille veut bien nous donner ce qu’il a appelé « nos étrennes poétiques », et nous lit une charmante pièce de vers destinée à nous faire prendre en patience le rude hiver que nous traversons, en nous rappelant les charmes du Coin du feu : « Quam juvat immites ventos audire calentem! | La séance est levée à dix heures un quart. Îl est convenu que dorénavant les séances commence- ront à sept heures et demie. Le Secrétaire général, Wervé-Bazin. — 261 — SÉANCE DU 3 FÉVRIER 1880. La séance est ouverte sous la présidence de M, d’Es- pinay. En l’absence de M. Hervé-Bazin, M. Lucas prend place au bureau en qualité de Secrétaire provisoire, et lit le procès-verbal de la séance précédente, qui est adopié. M.le Président annonce qu'il a reçu de }!. le ministre de l'instruction publique l'avis que la réunion des Sociétés savantes de France se tiendra à la Sorbonne le 31 mars prochain et les jours suivants. La Société d'agriculture, sciences et arts d'Angers, est invitée à envoyer des délégués à cette réunion. L’assemblée délègue MM. Godard-Faultrier et Hy. M. le Président a le regret d'annoncer la démission de M. Mourin, qui, nommé recteur de l’Académie de Nancy, n’a pas cru devoir continuer à faire partie de notre Société dont il ne pouvait plus suivre les séances. Il rappelle en quelques mots les titres littéraires de M. Mourin, particulièrement son Histoire des Comtes de Paris, qui a obtenu le prix Gobert, et propose de le nommer membre honoraire. Cette proposition est adoptée. Des remerciements sont votés à MM. Maisonneuve et Lelong pour le zèle si louable avec lequel ils ont mis en ordre et classé les trésors de notre bibliothèque, travail considérable auquel ils ont consacré bien des semaines et qui est aujourd’hui terminé. M. Maisonneuve demande et obtient les 100 francs nécessaires pour l’achat d’une — 262 — armoire destinée à de nombreux livres encore sans abri, Les candidats présentés à la dernière séance sont admis. Ce sont MM. l’abbé Brisset, D' Duhourcau, Dominique Delahaye, de la Roussardière, Semery, René Bazin, Georges Bricard, Huault-Dupuy et Bodinier. De nouveaux candidats demandent à faire partie de la Société. Me de Kernaëret présente M. l’abbé Bazin, curé de la cathédrale, M. fluguet de Chataux, avocat, ancien magistrat, M. André Meauzé. M. Godard-Faultrier présente MM. Meignen, Cla- mens et Bordereau, peintres-verriers. M. Maisonneuve présente M. Dauge, directeur de Pu- sine à gaz. Il sera statué sur l’admission de ces divers candidats à la réunion prochaine. MF Sauvé vient occuper à ce moment le fauteuil de la présidence et donne la parole à ME” de Kernaëret pour le compte-rendu du dernier recueil de la Société ha- vraise, qui contient entre autres travaux intére sants une traduction du poème de Béowulf. M. l’abbé Hy rend compte des derniers mémoires de la Société de statistique de l'Isère, et M. l'abbé Ravain, du plus récent bulletin de la Société d’émulation de la Seine-Inférieure. M. Ravain fait hommage à la Société, au nom de M. Hermite, professeur à la Faculté des sciences d’An- gers, de trois notes sur le terrain silurien des environs d'Angers, déjà lues à la Société géologique de France. M. Godard-Faultrier lit un intéressant mémoire sur — 263 — deux statues sépulcrales du xiv° siècle, classées au musée Saint-Jean, M. Hy lit une savante étude sur certaines familles de mousse. La Société autorise la présentation de ces deux der- niers travaux à la réunion des Sociétés savantes à la Sorbonne. M. Rondeau continue la lecture de son histoire de la paroisse Saint-\iichel-du-Tertre. L'heure avancée ne permet pas à M. de Capol de con- tinuer le travail qu’il avait commencé à lire à la précé- dente séance sur le libre-échange et l’agriculture en Anjou. Cette lecture sera mise en tête du prochain ordre du jour. La séance est levée à dix heures un quart. F. Lucas. SÉANCE DU 2 MARS 1880. La séance est ouverte à huit heures moins un quart, sous la présidence de M. d’Espinay. M. le Président dépose sur le bureau plusieurs ou- vrages qui sont offerts à la Société et lui communique une lettre de M. le maire du Mans invitant les membres de la Société à visiter une exposition d’art retrospectif, qui s’ouvre au Mans dans quelques jours. MM. Faligan, Perrin et Lelong sont délégués pour assister, avec MM. Godard-Faultrier et Hy, à la réunion des Sociétés savantes qui se tiendra à ls Sorbonne à la fin du mois. — 264 — MM. l'abbé Bazin, curé de la cathédrale, Huguet de Chataux, André Meauzé, Meignen, Clamens, Bordereau, peintres-verriers, Dauge, directeur de l'usine à gaz, sont reçus membres de la Société. M. le Président donne successivement la parole aux membres de la réunion chargés des rapports et lectures à l’ordre du jour. | M. de Capol achève la lecture de son important et ins- tructif travail sur le libre-échange et l’agriculture en Anjou, Il nous montre l'invasion toujours croissante du bétail, des viandes mortes, des blés provenant de l’é- tranger, et surtout d'Amérique, ct établit, à l’aide de statistiques et de chiffres officiels, que sous notre sys- tème de libre-échange, la production nationale est inca- pable de lutter contre la concurrence étrangère. Il signale la situation peu satisfaisante des cultures et de l’élève du bétail dans notre département et donne à nos propriétaires, éleveurs et agriculteurs, des conseils pleins de sagesse et de prévoyance. M. l’abbé Ravain rend compte du dernier volume des Mémoires de l'Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, et M. Hervé-Bazin appelle l'attention de l’assemblée sur quelques-uns des articles du dernier numéro de la Revue des questions scienti- fiques. M. Loir-Mongazon, professeur d'esthétique à la Faculté des lettres, lit la relation d’une excursion qu'il a faite à Salzbourg et aux mines de sel voisines de cette ville. Ce récit, qui dénote à la fois un observateur fin et judi- cieux, un arüste enthousiaste des merveilles de la na- ture et de la poétique physionomie des vieilles villes — 265 — allemandes, un écrivain aussi spirituel que distingué, est écouté avec le plus vif intérêt et chaleureusement applaudi. M. Tarnier, doyen de la Faculté des sciences, pré- sente ensuite à la Société plusieurs portraits militaires d’une galerie qu’il réunit à l’usage des écoles primaires et régimentaires, et quelques récits destinés à conserver à la postérité le souvenir d’actions héroïques accomplies le plus souvent par d’obseurs et cependant glorieux Français. L'œuvre du savant doyen a été hautement remarquée par d’illustres généraux. Qui s’en étonnerait après l'avoir entendu lire la notice consacrée à Jeanne- d'Arc, aux femmes de Livron, et surtout la mort héroïque, en septembre 1870, de ce jardinier, devenu immortel, Jean Deforges, de Bougival ? C’est une noble pensée, a observé M. le Président, que celle de fixer dans l’histoire les noms de ces obscurs héros du patrio- tisme français, et de buriner pour la postérité des actes sublimes, qu’il serait désolant de laisser effacer par le temps et, qui, racontés à certaines dates, aux anni- versaires par exemple, ne peuvent qu’entretenir dans le cœur des jeunes générations l’amour de la patrie. La séance est levée à dix heures. Le Secrétaire général, Hervé-Bazix. SOC. D'ÂG. 18 ST SEANCE DU 20 AVRIL 1880. La séance est ouverte à huit heures un quart, sous la présidenc de M. d'Espinay. M. J'abbé Ravain, faisant fonction de Secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance précédente. Ce procès-verbal est accepté sans observations. Le compte rendu de la réunion des Sociétés savantes à la Sorbonne est renvoyé à la séance suivante par suite de l'absence des membres qui s’y étaient rendus comme délégués. L M. l'abbé Ravain annonce ia candidature de M. l’abbé Bourgein, docteur ès-lettres, professeur à la Faculté des lettres de l’Université. M de Kernaëret est chargé du rapport sur cette élection. La parole est alors donnée à M. Rondeau, qui conti- nue la lecture de son travail sur la paroïse Saint-Michel. Dans ce chapitre d’une histoire qui nous restitue a physionomie de notre antique cité, l’auteur nous initie aux progrès et aux vicissitudes du collège et de la nation d'Anjou pendant le xv°, le xvi° et le xvne siècles. ‘fl nous montre l’Hôtel-de-Ville transféré de la rue du Grand-Talon à la place des Halles, et termine par un récit de Bourdigné, faisant la description des grands jours de justice dans le palais qui est actuellement le tribunal de commerce. ME Bourquart prend ensuite la. parole. Sa thèse a pour titre : de la Neutralité religieuse en matière scien- tifique. — Un écrivain, dans les Études religieuses, — 267 — (numéro de janvier 1868) a soutenu que les doctrines religieuses n’ont aucune influence directe sur les conelu- sions des sciences profanes, soit qu’elles procèdent surtout par déduction comme les sciences mathéma- tiques, philosophiques et morales, soit qu’elles procèdent principalement par induction, comme les sciences phy- siques et naturelles. Cette thèse est contraire à la tradition; car la science ancienne à toujours porté la marque de son origine; la neutralité qu’on préconise n’a commencé à être appli- quée qu’au xvin° siècle. Elle est contraire à la saine raison, car : 1° Toute science se rattache à Dieu ; 2° Toutes les vérités dérivent d’une vérité première; 3° Toute vérité a son point d'appui dans la vérité métaphysique ; 4° Enfin, la raison humaine ayant été rachetée et augmentée par la Rédemption, aucun domaine scienti- fique ne peut dépendre exclusivement de la raison. Tertullien, saint Augustin, saint Thomas, Bossuet, Pie IX, Léon XIII, ont enseigné cette doctrine. A la suite de cette lecture, une conversation, dont malheu- reusement nous n’ayons pu suivre les détails, s'engage entre plusieurs membres. Enfin, la séance se termine par la lecture d’un tra- vail de M. d’Espinay sur un ouvrage important de M. Viollet. Cet ouvrage, fruit de recherches savantes, traite de l’origine d’une œuvre juridique intitulée : les Établissements de saint Louis. D'après l’auteur, cette œuvre qui date de 1272 ou de 1273, et qui paraît avoir été composée à Orléans est, — 268 — non une œuvre individuelle, mais une compilation dans laquelle on peut reconnaître : 4° Des parties appartenant à la Coutume d'Anjou ; 2° D'autres appartenant à la Coutume d'Orléans; 3° Des renvois à l’'Usage de France; 4° Des renvois à un règlement écrit de procédure : : éléments auxquels, suivant M. d’'Espinay, il convien- drait d’ajouter des Usages non écrits de procédure. D'après M. Viollet, cette œuvre serait sans autorité officielle. Cependant elle passait généralement pour pro- mulguée par le roi, ou du moins publiée avec son autorisation, si bien qu’on la nommait généralement les Établissements le Roi. | Il semble à M. d’Espinay que, sur ce dernier point, M. Viollet n’établit pas suffisamment sa thèse et ne réfute pas suffisamment ses adversaires. Il n’en est pas moins vrai que ce travail est extrêmement remar- quable. La séance est levée à neuf heures et demie. J.-R. Ravain. SÉANCE DU 18 MAI 1880. La séance est ouverte à sept heures et demie, sous la présidence de M. d’Espinay. Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté. M. le Président donne communication d’une lettre de M, le Maire d'Angers, demandant le local de la — 269 — Société pour le Cours de paléographie qui sera fait tous les jeudis, à quatre heures, par M. E, Lelong. M. le Président ajoute qu’il a immédiatement répondu à M. le Maire qu’il était heureux de pouvoir mettre le local de la Société à la disposition du nouvel enseignement, et que les membres de notre Société applaudissaient à l'initiative prise par notre confrère. M. l'abbé Bourgain, professeur à la Faculté des lettres, et présenté à la dernière séance, est admis à l'unanimité. M, l'abbé Ravain présente la candidature de M. le curé de Saint-Joseph; *:# de Kernaëret présente celle de à, l'abbé Litter ; M. Hervé-Bazin présente celle de M. Ledroit, propriétaire. Une discussion s'engage à ce momententre plusieurs membres pour aviser aux moyens d'obtenir une assis- tance plus nombreuse aux séances. M. Maisonneuve propose de donner des jetons de présence qui, à la fin de l’année donneraient droit à une diminution de la cotisation ; l’assemblée décide que le bureau devra en délibérer et présenter un rapport au commencement de l’année 1880-81. M. Hervé-Bazin propose de tenter la réorganisation de la section d'archéologie, dont les intéressants travaux se publiaient avant 1870, et de commencer par des pro- menades archéologiques, soit au musée Saint-Jean, soit à la cathédrale, en attendant le mois de er Cette proposition est adoptée. M. d’Espinay et M. Maisonneuve rappellent que toutes les sections avaient été déterminées en 1879 et que les Présidents étaient chargés de les réunir et de — 270 — provoquer des travaux. Mais la plupart des présidents nous ont quittés, et il y aura lieu de recommencer ce travail d'organisation au retour des vacances. MF de Kernaëret rend compte des Mémorres de l'Académie de Reims, et M. d'Espinay des Mémoires de la Société des Antiquarres de Normandie. M. le Président émet, à cette occasion, le vœu que notre Société puisse bientôt, comme celle de Normandie, publier des documents inédits relatifs à l'Anjou. La parole est ensuite donnée à M. Maisonneuve, pro- fesseur à la Faculté des sciences, pour lire une notice biographique sur M. Hermitte, notre ancien collègue et professeur à l’Université catholique d'Angers. M. Mai- sonneuve exprime à cette occasion tous les regrets que doit faire éprouver aux membres de la Société d’agri- culture, sciences et arts, la mort prématurée d’un savant qui donnait tant d’espérances, et dont les tra- vaux faisaient tant d'honneur à la ville d'Angers. La séance est ensuite levée à dix heures. Le Secrétaire général, Hervé-Baziwn. SÉANCE DU 3 JUILLET 1880. La séance est ouverte à sept heures et demie, sous la présidence de M. d’Espinay. Vingt membres assistaient à la séance. Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. — 271 — M. le Président rend compte de la correspondance. M. Tarnier remercie la Société de l'accueil fait par elle à l'ouvrage qu’il se propose de publier et dont il a lu des fragments à une précédente séance. Le titre de cet ou- vrage sera : Ærstoire abrégée des qloires militaires de la France depuis son origine jusqu’à nos jours. M. Quantin, éditeur, soumet à la Société Le premier numéro de la Revue des Arts décoratifs, pour laquelle il sollicite un abonnement. La lettre de M. Quantin est renvoyée à la commission de la Bibliothèque. Sont admis comme nouveaux membres : M. l'abbé Pineau, curé de Saint-Joseph ; M. l'abbé Litter ; M. de Tarlé, avocat: M. Charles Auriau ; M. Ledroit. Avis de leur admission sera donné à ces nouveaux merbres. M. Meauzé rend compte des Travaux de l Académie des sciences de Toulouse (1° semestre 1879). M. Hervé-Bazin rend compte de la visite faite au musée d'archéologie. M. l'abbé Bourgain donne lecture d’une étude sur un sermon de Pierre Roger (Clément VI), conservé à la bibliothèque d'Angers, et fait connaître le caractère de l’éloquence de la chaire au xiv° siècle. M. Rondeau continue la lecture de ses études sur l’histoire de Saint-Michel-du-Tertre; le chapitre dont il donne communication traite de l’introduction du pro- testantisme dans la paroïsse Saint-Michel. — 272 — Une poésie humoristique de M. le D’ Grille, intitu- lée : Le Bdton, termine la séance. E, LELonc. SÉANCE DU 23 NOVEMBRE 1880. La séance est ouverte à huit heures, quinze membres étant présents. Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté. M. le Secrétaire général expose que l'allocation du Conseil général, soit une somme de 500 francs, n’a pas été portée au budget départemental. La Société décide que des démarches seront faites pour obtenir le - rétablissement de ce crédit. Notre XXI° Bulletin, année 1879, est présenté. IL sera remis d’iei quelques jours à tous les membres. M. Maisonneuve rappelle qu'il avait été proposé d’ac- corder des jetons de présence aux membres présents. Cette question est remise après les élections du bureau. La parole est ensuite donnée à M. l’abbé Hy, qui nous lit son travail sur les herborisations de la Faculté des sciences pendant l’année 1879-1880. La Société décide que cette savante étude sera imprimée dans notre Bulletin. M. Rondeau continue la lecture de son travail sur la paroisse Saint-Michel du Tertre. La séance est levée à dix heures. Le Secrétaire général, Hervé-Bazin. — 2173 — SEANCE DU 14 DECEMBRE 1880. La séance est ouverte à huit heures. Trente membres sont présenis. M. d'Espinay présente la-candidature de M. Bonne- ville. M, de Tarlé est chargé du rapport d'usage. M. d'Espinay donne ensuite lecture de son travail sur la Fée Mélusine ; il suit à travers les âges et à tra- vers les pays, les transformations de cette curieuse lé- gende. Puis, M. Éliacin Lachèse nous lit une étude musi- cale, présentée sous une forme très originale et ayant pour titre : Deux Promenades. M5 Bourquart demande pourquoi son étude sur l’a- bus des termes d'intelligence et de moralité appliqués aux animaux n’a pas été insérée au Bulletin de 1879, et se plaint de la rédaction du procès-verbal de la séance du 15 juillet 1879. — M de Kernaëret, président du comité de rédaction, répond sur le premier point qu'il avait écrit à M5' Bourquard de vouloir bien lui adresser son Étude, et que sahñs doute sa lettre ne sera pas par- venue à notre collègue. Sur le second point, il est ré- pondu à M° Bourquard que les procès -verbaux ne peuvent contenir l’analyse complète des thèses lues aux réunions, et doivent surtout s'appliquer à reproduire les discussions orales. Il est impossible, au surplus, de revenir après seize mois sur un procès-verbal qui avait été adopté à la séance suivante, d’après le règlement. La Société décide que le travail de MF Bourquard sera inséré dans les prochains Mémoires, et l'incident est déclaré clos. — 274 — . M. Rondeau, trésorier, présente ses comptes de fin d'année. Nous avons, pour l’année 1880, un excédant de recettes d'environ 1,000 fr. ; mais l’année prochaine, si nous n’avons plus de subvention, nous serons réduits à nos propres ressources, et il y aura lieu de diminuer certaines dépenses. La question est renvoyée au bureau. L'assemblée approuve les comptes de M Rondeau et. le remercie de ses bons soins. M. Hervé-Bazin lit ensuite un rapport sur les travaux de l’année, et annonce qu’il n’a plus le loisir de conti- nuer les fonctions de Secrétaire-général. M. le Président veut bien témoigner le regret que la Société éprouve de cette résolution; mais M. Hervé-Bazin n’en conti- nuera pas moins à faire tous ses efforts pour le déve- loppement et les progrès de la Société. Il est ensuite procédé aux élections de fin d'année. M. d'Espinay est élu Président de la Société ; MF: Sauvé est nommé à l'unanimité Président hono- ‘raire ; M. Pavie est élu vice-président ; M. l’abbé Ravain, secrétaire-général ; M. Lelong secrétaire ; M. Maisonneuve est réélu archiviste ; M. Rondeau, trésorier. La séance est levée à dix heures. Le Secrétaire général, Hervé-Bazin. LISTE DES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ POUR 1881 : COMPOSITION DU BUREAU PRÉSIDENTS D'HONNEUR MM. Comte de Falloux, membre de l'Académie francaise. Chevreul, membre de l'Académie des sciences. ME: Freppel, évêque d'Angers. Jac, premier président de la Cour d'appel. PRÉSIDENTS HONORAIRES MM. J. Sorin, inspecteur honoraire d’Académie, Ad. Lachèse, docteur en médecine, ME" Sauvé, recteur des Facultés catholiques, BUREAU POUR L'ANNÉE 1881 MM. D'Espinay, président. Victor Pavie, vice-président. L'abbé Ravain, secrétaire général. Lelong, secrétaire. Rondeau, trésorier. Dr Maisonneuve, bibliothécaire-archiviste. anciens présidents de la Société. — 276 — MEMBRES HONORAIRES MM. S. E. le cardinal Régnier, archevêque de Cambrai. Montrieux, ancien maire d'Angers, ancien député. Dufaure, membre de l'Académie francaise. Le commandeur J.-B. de Rossi, associé étranger de l'institut de France, à Rome. Louvet, ancien député, ancien ministre. L'abbé Crépon, chanoine honoraire, ancien curé de Notre- Dame. Bellanger (Philippe), avocat, ancien bâtonnier de l'Ordre. Textoris, capitaine en retraite. De Lens, inspecteur honoraire d'Académie. Mourin, ancien maire d'Angers, recteur de l'Académie de Nancy. MEMBRES TITULAIRES MM. Affichard, avocat, bâtonnier de l'Ordre. Allard (Gaston). = Auriau (Ch.), commissaire-priseur. Ballu-Blaive, inspecteur de l’'Enregistrement, à Orléans. Baraudon, conseiller à la Cour. Bardin (l'abbé). Bazin (l'abbé), archiprêtre de la Cathédrale. _Bazin (René), professeur à la Faculté de Droit. Beaumont (l'abbé de), chanoine honoraire. Berger (Eugène), député de Maine-et-Loire. Billard (Gabriel). Bodinier (Guillaume). Bonneville, ancien officier. Bordereau, peintre-verrier Bourgain (l'abbé), professeur à la Faculté des Lettres. Bourquard (M£'), professeur à la Faculté des Lettres. Bricard (Ernest), docteur en médecine. Bricard (Georges), avocat. — 2717 — Brisset (l'abbé), aumônier du Lycée. Capol (de), ingénieur eivil. Cars (comte Charles des), à Sainte-Christine. Chapin, notaire. Chevallier (l'abbé), curé de Combrée. Choyer (l'abbé), chanoine honoraire. Clamens, peintre-verrier. Cosnier (Léon). Dainville (Ernest), architecte du département. Dauge, directeur de l'usine à gaz. Delahaye (Dominique), manufacturier. Dolbeau, imprimeur. Duhourcau, docteur en médecine. Dusouchay, architecte. Dussauze, architecte. D'Espinay, conseiller à la Cour. Fairé (Alexandre), avocat, ancien bâtonnier de l'Ordre. Fairé (Paul), avocat. Faligan (Ernest). Falloux (comte de), membre de l’Académie francaise. Farcy (Louis de). Faugeron (Hector). Freppel (M£), évêque d'Angers. Gardais (l'abbé), supérieur de l’'Externat Saint-Maurille. Gillet (l'abbé), aumônier de l'hôpital de Beaufort. Godard-Faultrier, directeur du Musée d’antiquités. Godard (Hippolyte), docteur en médecine, à Tigné. Grille, docteur en médecine. Grimault (l'abbé), chanoine de la Cathédrale. Guérin de la Roussardière, avocat. Guillet (l'abbé), curé de Noyant. Guinoyseau, ancien manufacturier. Hervé-Bazin, professeur à la Faculté de Droit. Huault-Dupuy. 1 Huguet de Chataux, avocat. Hy (l'abbé), professeur à la Faculté des Sciences. Jac, premier président de la Cour d’appel. à — 278 — Joubert (André). Kernaëret (ME: de), professeur à la Faculté des Lettres. Lachèse (Adolphe), docteur en médecine. Lachèse (Paul), imprimeur. Ledroit, ancien notaire. Le Guay (baron), sénateur de Maine-et-Loire. Lelong (Eugène), avocat. Lemarchand, bibliothécaire en chef de la Ville. Lemoine, horticulteur. Lenoir-Maunoir, notaire honoraire. Lieutaud, docteur en médecine, directeur du Jardin botanique. Litter (l'abbé), professeur à la Faculté de Théologie. Loir-Mongazon, professeur à la Faculté des Lettres. Lucas, avocat, professeur à la Faculté de Droit: Maisonneuve, docteur en médecine et ès-sciences, professeur à la Faculté des Sciences. Maricourt (ME), doyen de la Faculté des Lettres. Meauzé (André), directeur d'assurances. Megnen, peintre-verrier. Mérit (l’abhé), curé de Saint-Pierre, à Saumur. Mieulle (de), conseiller général. Pasquier (l'abbé), professeur à la Faculté des Lettres. Pavie (Victor). Perrin, avocat, professeur à la Faculté de Droit. Perrochel (vicomte Fernand de), député de la Sarthe. Pessard (l'abbé), vicaire général. Pineau (l'abbé), curé de Saint-Joseph. Pinoteau, commandant d'état-major en retraite. Ratouis (Paul), ancien juge de paix, à Montpellier. Ravain (l'abbé), professeur à la Faculté des Sciences. Richecour (de), avocat, professeur à la Faculté de Droit. Rondeau (Louis), ancien négociant. Sauvé (ME), recteur des Facultés catholiques. Semery, avocat. Subileau (l'abbé), supérieur du Petit-Séminaire. Tarlé (de), avocat. Tarnier, doyen de la Faculté des Sciences, LISTE DES SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES ABBEVILLE. Société d'émulation. Aix. Académie d’Aix. ALGER. — Association scientifique algérienne. Amiens. Académie d'Amiens. — Société des Antiquaires de Picardie. AnGERs. Société d'horticulture. — Société industrielle. — Société académique. ANGOULÈME. Société archéologique de la Charente. ARrRAs. Académie d'Arras. Aurux. Société Éduenne. AuUxERRE. Société des sciences historiques et naturelles. - Bayonne. Société des sciences et arts. Béziers. Société archéologique. Borpreaux. Académie des belles-lettres, sciences et arts. Boston. American academy of arts and sciences. — Society of natural history. Bresr. Société académique. Caen. Académie de Caen. — Société d'agriculture et de commerce. — Société linnéenne de Normandie. CHALONS-SUuR-MARNE. Société d'agriculture, commerce, sciences et arts. CHALON-SUuR-SAoNE. Société d'histoire et d'archéologie. CHerBourG. Société académique. CLERMONT-FERRAND. Académie des sciences, belles-lettres et arts. — 280 — Disox. Académie des sciences, arts et belles-lettres. Douar. Société d'agriculture, sciences et arts. Éprnar. Société d'émulation des Vosges. GRENOBLE. Académie Delphinale. — Société de statistique de l'Isère. La Rocuerre. Académie des belles-lettres, sciences et arts. Lavaz. Commission historique et archéologique de la Mayenne. LE Havre. Société havraise d’études diverses. LE Mans. Société historique et archéologique du Maine. — Société d'agriculture, sciences et arts. LE Puy. Société académique. ” Lire. Société des sciences, agriculture et arts. Limoces. Société archéologique et historique du Limousin. Lyon. Académie des sciences, belles-lettres et arts. — Société d'agriculture, d'histoire naturelle et des arts. Macon. Académie de Mâcon. MarsEILLe. Société de statistique. Meaux. Société d'agriculture, sciences et arts. MonrauBan. Société archéologique de Tarn-et-Garonne. — Société d'agriculture. — Académie des sciences et lettres. Monrpezrier. Société d’horticulture et d'histoire naturelle. Mouus. Société d’émulation de l’Allier. Murxouse. Société industrielle. Nancy. Académie de Stanislas. — Société d'archéologie lorraine. Nanres. Société académique. Nevers. Société nivernaise des lettres, sciences et arts. Nice. Société des lettres, sciences et arts. Nimes. Académie du Gard. OrLÉANS. Société d'agriculture, sciences, lettres et arts. — Société archéologique et historique de l'Orléanais. Paris. Comité des travaux historiques et des sociétés savantes. — 281 — Paris. Institut de France. — Académie des inscriptions et belles-lettres. — Académie des sciences. — Société centrale d'agriculture. — Société centrale d’horticulture. — Société philotechnique. Pau. Société des sciences, lettres et arts. Perpianan. Société agricole, scientifique et littéraire. PuiLADELPHIE. Academy of natural sciences. Porriers. Société des antiquaires de l'Ouest. — Société d'agriculture, sciences et arts. Reims. Académie de Reims. Rocæerort. Soctété d'agriculture, belles-lettres, sciences et arts. Romans. Bulletin d'histoire ecclésiastique et d'archéologie religieuse du diocèse de Valence. Rouen. Académie des sciences, belles-lettres et arts. — Société libre d'émulation, commerce et industrie. SAINT-ÉTiENNE. Société d'agriculture, industrie, sciences et arts. SanrT-Lo. Société d'agriculture, archéologie et histoire natu- relle de la Manche. Sainr-Omer. Société des antiquaires de la Morinie. SAINT-QUENTIN. Société académique. Sens. Comité archéologique. SENS. Société archéologique. Touron. Académie du Var. Tourouse. Académie des sciences, inscriptions et belles- lettres. — Académie des jeux floraux. Tours. Société d'agriculture, sciences et arts. — Société archéologique. Troyes. Société académique. Vazence. Société d'archéologie et de statistique de la Drôme. VALENCIENNES. Société d'agriculture, sciences et arts. Vannes. Société polymathique du Morbihan. SOC. D’AG. ï 19 __ 289 — Venpome. Société archéologique du Vendômois. Verpun. Société philomatique. VersaiLces. Société des sciences morales, lettres et arts. — Société d'agriculture et des arts. Vesouz. Société d'agriculture, sciences et arts. Wasxin@Tron. Patent office. — Institut Smithsonien. TABLE DES MATIÈRES. Notice biographique sur M. Henry Hermite. — M. LE D'MPAEMAISONNEUVE: eee. coaster ect Les Sources des Établissements de saint Louis, par M. Paul Viollet. — M. G. D'EspiNay............. Sn De te ee Note sur les herborisations de la Faculté des Sciences d'Angers. — M. L'ABBÉ Hy....................... L’Agriculture en Anjou devant le libre-échange.— M. G. DE DABOLS en crie ace ets a tas te ne ere le ete dre ADR tue Deux promenades. — M. E. LacHÈse.........,....,.... La Fée Mélusine. — M. G. D'EspiNaAy................... Nouvelles archéologiques. — Visite de la Société d’agricul- ture, sciences et arts au Musée d’Angers.— M. V. Goparp- PAT oecoucaoaonvucooderubeococcocb ion root Transport du baptistère avec son hypocauste de la place du Ralliement au Musée Saint-Jean. — M. V. Goparp- RADLTRIERE es es Ve oc eee cles Manet se die ojebe 0 se AA sie Les sermons latins rimés au moyen âge. — M. L’ABBÉ MRBOTDRGAIN Te ec eee ee en ele ia PEU Saint-Michel-du-Tertre d'Angers (suite). — M. L. RONDEAU. Rapport sur les travaux de la Société d’agriculture, sciences et arts d'Angers, pendant l’année 1880. — M. Hervé- BAIN RACE NE RL AU LR an séobovone Pages. 1 69 89 175 181 196 211 215 233 249 — 284 — Procès-verbaux des séances : Séance du 3 juin 1879......... RE RP NEC —- 6 janvier 1880..... on NT CO Ce — 3 février ........ FER PARC ee RU — À UNALS ere tele en eue ee PR Na ne 5 — 20.avrilees PRE SON En à le : — 18 mai........ AU OAERS pe RO RE tas — 3 juillet ........ Do RE Re SPP CRE : — 23#n0VeMbTE eee. rene re de 1:14 décembre. 220 actes eo Do Liste des Membres de la Société. ............... SRE Liste des Sociétés correspondantes...................... ANGERS. IMPRIMERIE LACHÈSE ET DOLBEAU. NS