EE rs TA en? Debian ss : AS ; can orére pér A D7 TAC E , ; : sk ñ ” : AC < pr LS AUS er Es aees Dre ha sgh ER ES RTE EX Ü M? ARR He a: È DE LA MÉMOIRES SCIENCES ET ARTS D'ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D'ANGERS) NOUVELLE PÉRIODE TOME SEPTIÈME — 3° CAMHHER ANGERS IMPRIMERIE DE COSNIER FT LACHÈSE Chaussée Saint-Pierre, 13 1864 OCIÈTÉ IMPÉRIALE D'AGRICULTURE | SOMMAIRE Evêques et momes angevins, ou l’Anjou ecclésiastique. — Livre Ile: L'Église d'Angers en facedes Barbares, Francs, Bretons et Normands, du ve au x° siècle. — M. l’abbé PLETTEAU. Le Tombeau de René Benoist. — M. le prince Aug. GALITZIN. M. Vallon, professeur d’hippologie à l’école impériale de cavalerie de Saumur. — M. Ad. LACHÈSE. Caléchisme agricole, par M. Du Chevalard, président de la Société d'agriculture de Montbrison. — M. Bizanp. Le Sommeil d’un enfant, poésie. — M. Jules QuELIN. Revue bibliographique. : Le sculpteur angevin Biardeau ; Découvertes archéologiques dans le Morbihan ; Journal historique de l’ambas- sade du maréchal de Belle-Isle, à Francfort, en 1741. — M. Paul LACHÈSE, ÉVÈQUES ET MOINES ANGEVINS OÙ L’ANJOU ECCLÉSIASTIQUE LIVRE DEUXIÈME. L'Église d'Angers en face des Barbares, Frances, Bretons et Normands. DU CINQUIÈME AU DIXIÈME SIÈCLE. Sommaire : Clovis en Anjou. — Saint Aubin. — Saint Maur. — Saint Martin de Vertou. — Saint Lézin — Saint Maimbœuf. —- Charlemagne en Anjou. — Retour et malheurs des invasions. — Le moine Absalon. — Le chapitre de la cathédrale. L’occupation saxonne dura deux années à Angers, Incendie d'Angers, sans être inquiétée par les Francs. Ceux-ci campés dans - ‘par £ les Francs. la Gaule belgique, sur les bords de la Somme, chevau- chaient par bandes guerrières, quelquefois jusqu’à la Loire, incendiant les villes, dévastant les campagnes et préparant la Gaule armorique à une conquête défini- SOC. D’AG. 9 — 130 — tive. Un assaut, favorisé peut-être par la trahison, livra Angers à leur chef Childéric. L'incendie, allumé par les vainqueurs, consuma les édifices, les églises, la cathédrale consacrée par saint Martin et jusqu’à la mai- son de l’évêque Fumère, successeur de Thalaise. Vaincus sur terre, les Saxons gagnèrent leurs barques cachées dans les roseaux de la Maine, pressés de retrouver la Loire et l’Ücéan, véritable patrie des pirates. Les Francs descendirent le plateau d'Angers jusqu’à la Loire, mais ils n’osèrent la franchir, et salisfaits d’avoir un instant contemplé l’entrée du riche et vaste pays, qui s'étend des bords du fleuve jusqu’à la Garonne et les Pyrénées, conquis et parcouru depuis un demi-siècle par la cava- lerie des Wisigoths, ils remontèrent vers le nord à travers la ville incendiée. Invasions L'année qui précéda la ruine d'Angers, avait vu la chute de l’Empire romain; sa décadence de cinq siècles s’était terminée en 476 par la prise de Rome et la fon- dation d’un empire barbare en Italie. Les forêts du nord versaient incessamment sur le Rhin, le Danube, les Alpes et les Pyrénées, à travers les cités ouvertes et les provinces sans défenseurs, des bandes, des armées, une émigration innombrable de peuples, les Germains, les Slaves, les Scandinaves, le ban et l’arrière-ban de la barbarie. L'Empire tombé, tout une moitié du genre humain, longtemps déshéritée du soleil et de l'or, ac- courait au midi à la liquidation de l'immense héritage ; de lorient à lPoccident la barbarie croulait sur le monde civilisé. Les Vandales prenaient l’Afrique, les Hérules, l’Italie ; les Goths se contentaient pour l'heure de la moitié de l’Empire. — 131 — Dans ce morcellement du monde par l'épée des Bar- Les évèques bares, restaient encore intactes et indépendantes en Dire Gaule, les vastes provinces que limitent l'Océan, la es Frances. Loire et la Seine, détachées de l'Italie depuis un demi- siècle, et liguées sous le nom de Confédération armo- ricaine pour la défense de leur nationalité. Mais le temps et les divisions des tribus avaient détendu les liens de cette confédération, sans soldats et presque sans gouvernement, les cités n'avaient pour les dé- fendre que l’autorité morale et désarmée des évêques. Les Bretons avaient donné les premiers l'exemple de l'isolement; affectant une brutale indépendance, ils étaient sortis de la confédération, vivant de pillage aux dépens du Maine et de l’Anjou, et se flattant que leur éloignement, la stérilité de leurs terres et la tris- tesse de leurs rivages battus par les tempêtes de l'Océan, ne tenteraient pas l’avidité des conquérants de l'Empire. A l’est de la Gaule, sur les bords du Rhône et au pied du Jura, régnait la tribu puissante des Bur- gundes; au midi, derrière la Loire, la nation belli- queuse des Wisigoths; tous, livrés à l’hérésie d’Arius, persécuteurs de l’Église et mettant leurs armées au ser- vice de leur prosélytisme religieux. Au nord de la Gaule, campait sous ses tentes de guerre la nation païenne des Francs, arrivée la dernière au partage de l'Empire, mais suspendue comme une menace sur la Gaule armorique. Pressés de se choisir leurs maîtres, et libres encore de se donner, les évêques de l’Armo- rique préférèrent des païens qu’ils se flattèrent de con- vertir par le spectacle de la civilisation catholique, à des barbares ariens, tyrans des évêques et persécuteurs Les évêques gallo-romains ne déses- pèrent point de l’avenir de la société. — 132 — de Rome chrétienne; ils ouvrirent les cités aux Francs; ils leur donnèrent les peuples; du moins ils favorisérent leurs établissements sur les bords de la Somme, de la Seine et de la Loire. Jamais la société et même l’Église ne parurent me- nacées d’une ruine prochaine, comme dans les dernières et sinistres années du cinquième siècle. La chute de Rome marquait la fin du monde ancien; une autre société allait se former, nouvelle, inconnue et mena- çante. Sous la marche des Barbares, les lois, les mœurs, les institutions de l’Empire, des provinces et des cités, l'édifice grandiose de administration impériale comme l’organisation plus humble des municipalités; tout le système du vieux monde gisait sur le sol, aussi impuis- sant à renaître qu’il l'avait été se défendre. A la ruine politique de l’Empire correspondait dans les âmes une ruine morale. Des consciences, qui en d’autres temps, eussent été honnêtes et religieuses, fléchissaient par faiblesse sous la pression des événements extérieurs ; la destruction de la société avait pour réplique au-dedans d'elle-même la destruction ou l’affaiblissement des idées saines et de la morale. Elles doutaient de la liberté et de la Providence, qu’elles commençaient à maudire. La sagesse déçue, tant d’espérances trompées, l’irrésistible nécessité qui livrait aux Barbares les villes, les provinces, l'empire, la patrie perdue, la spoliation imminente, tout un ordre de choses, qui faisait partie de l’exis- tence individuelle, abimé sans retour, l’orage qui em- portait le vieux monde sans qu’on pût découvrir les signes précurseurs de l'avenir; tous ces maux qui frap- paient le cœur du citoyen et l’âme de l’homme, fai- — 133 — saient naître au fond des consciences le désespoir, qu’elles exhalaient en implacables malédictions contre les hommes et contre Dieu. Les âmes, même déses- pérées, ne restent pas inactives; chassées du monde, elles se replient sur elles-mêmes; la société, qui se sentait mourir, donnait ses dernières heures à la vo- lupté. Les Barbares, qui avaient détruit la société, sem- blaient incapables d’édifier un monde nouveau. Ils se jouaient du frein nécessaire des lois, de la propriété, du respect de la liberté et de la vie humaine; tous ces principes sacrés, sur lesquels les sociétés reposent et qui les font prospérer, ils les méprisaient avec un or- gueil impie, étrangers à l’idée du droit qu'ils rempla- çaient par la force et la violence. Persécuteurs de l'Église, ils incendiaient les monastères et les temples, ils pour- suivaient les prêtres pour les massacrer ou les réduire en esclavage; ils joignaient au meurtre le sarcasme et la dérision des choses saintes, sanguinaires comme les empereurs romains, et devançant le cynisme de Rabe- lais et le rire de Voltaire. La gloire des grands et saints évêques du cinquième siécle fut de ne pas désespérer du salut de la société; ils crurent à la puissance surnaturelle de l’Église, pour guérir la défaillance de leurs concitoyens et civiliser les Barbares; leur optimisme chrétien s’inspira de la foi dans la Providence. Ils convertirent les Francs; à ces barbares, en qui se personnifiait l'indépendance et le génie de la destruction, ils apprirent le respect du droit, de la propriété, de la vie et de la liberté de l’homme; ils en firent des hommes, et par ces mains qui avaient Clovis vient à Angers. Lézin, né à Angers, évêque de Tours. — 134 — détruit Je vieux monde, ils jetèrent les fondements des sociétés modernes. Le baptême de Clovis à Reims, commença la con- version des Francs et fit leur fortune politique. Sentant le sol affermi sous ses pas, grâce aux évêques, entre le Rhin et la Loire, Clovis s’enfonça dans la stérile Bre- tagne pour la conquérir. En 509, il prit Vannes qu'il voulut livrer au pillage; mais il n’y trouva que la pro- messe d’un tribut que les Bretons ne payèrent jamais. Dégoûté de son expédition, il voulut visiter Angers, qui était la frontière de son nouvel empire du côté de la Bretagne et de l’Aquitaine, et le traita avec faveur. Angers, brûlé par Childéric, fut rebâti par son petit- fils Clovis; il en dota les églises et laissa à l’évêque Fumère l'administration civile et politique de la cité. IL fonda même Saint-Serge dans la prairie de la Maine ; c'élait, du moins, l’orgueilleuse tradition du monas- tère, transformé plus tard en abbaye bénédictine; les institutions ont leur vanité comme les individus ; Saint- Serge, fondé cent cinquante ans plus tard, aimait à confondre son berceau avec celui de la monarchie fran- gaise. . C'était alors la religion qui formait les villages et agrandissait lenceinte des villes. Un nouveau monas- tère s’éleva à Angers, au pied de la cathédrale, entre les murs de la ville et le cimetière des chrétiens; il eut pour fondateur Lézin, évêque de Tours, qui lui donna le nom de monastère de Saint-Étienne. Lézin était d'Angers. Après un pèlerinage en terre sainte, il avait pris l’habit monastique à Saint-Venant de Tours, et depuis dix ans il dirigeait son monastère, — 135 — lorsqu'il fut élevé sur le siége épiscopal de saint Martin, Clovis, au retour de la bataille de Vouglé, qui lui donna l’Aquitaine, reçut à Tours, de ses mains, les insignes de consul et de patrice, que lui envoyait l’em- pereur d'Orient, Anastase. Il y avait dans la Gaule con- quise un reste de Gallo-Romains, riches et influents, très-ouverts au passé mais fermés au présent, qui con- sidéraient l'indépendance nationale et les royautés barbares comme une atteinte aux droits de Rome impé- riale. Le pouvoir légitime était resté pour eux à Cons- tantinople, et au milieu des révolutions qui, en chan- geant la face du monde, avaient déplacé les droits, ils dataient les événements du règne des empereurs du Bosphore. Clovis, chaussé à Tours par l’évêque Lézin des sandales de patrice et revêtu des habits de consul, cessa d’être un usurpateur; il greffa le droit sur la conquête et régna sur la conscience par la grâce de Dieu et la volonté d’Anastase, empereur d'Orient. Mais les droits de l’empire sur la Gaule étaient ané- antis, S’ils avaient jamais été certains, et c’est la néces- sité et le bien qu'ils font aux peuples, leur accord avec les idées et les intérêts qui fondent la légitimité des pouvoirs. L’évêque angevin, assis sur le siége de Tours, pensait avec saint Remi de Reims et ses autres col- lègues, que sans se préoccuper des réclamations de l'Empire, la mission des évêques était de pourvoir au salut de leurs concitoyens. Faire reposer la Gaule fati- guée du despotisme romain, des guerres civiles et étrangères, sous un pouvoir unique, fonder sur les ruines des monarchies ariennes des Burgundes et des Wisigoths une monarchie catholique et gallo-germaine, {er concile d'Orléans. Eustoche et Adelphe, évêques d'Angers. 16 — fermer sur le Rhin les invasions, civiliser par l’Église les Francs que la Providence leur offrait pour instru- ments de leurs desseins; tels étaient les espérances et les desseins patriotiques des évêques qui accueillirent Clovis et lui donnérent la Gaule; le succès de cette politique reconstitua la société et fonda la monarchie française. L’évêque de Tours conduisit Clovis au tombeau de saint Martin. Le barbare y apprit à vénérer une autre puissance que la force matérielle; il s’agenouilla devant le tombeau et manifesta encore sa dévotion pour le patron des Gaules par des terres et des privilèges accordés à son Église; il promit à l’évêque de faire connaître la route du pélerinage à ses compagnons. Doter le tombeau de saint Martin fut désormais pour les rois francs le moyen facile et profitable au prochain d’expier le vol, l'incendie et le meurtre; les proscrits politiques y cherchèrent un asile; les âmes pieuses y tournérent leurs regards ou vinrent y prier ; le tombeau passa même pour être doué de lesprit prophétique; les pélerins affluèrent pour pleurer leurs péchés ou pour connaître l'avenir; Tours devint la Delphe chré- tienne el la ville sainte des Francs. Par les conseils de Lézin, Clovis rassembla en 511, l’année même de sa mort, un concile national des Gaules à Orléans; ce fut le premier tenu dans cette ville, et l’évêque d'Angers, Eustoche, qui avait succédé à Fumère, y assista. Le concile soumit à l'autorité des évêques les abbés et les religieux des monastères, adopta pour la Gaule la fête des Rogations, régla la distribution des revenus de l'Église et des offrandes des — 137 — . fidéles qu’il consacra à l'entretien du clergé, au soula- gement des pauvres, au rachat des prisonniers de guerre et à la délivrance des détenus, victimes du fisc mérovingien. Il défendit et maintint contre les Barbares le droit d'asile, accordé par les lois romaines aux églises et aux maisons des évêques. Mais il défendit qu'à l'avenir personne n'’entrât dans la cléricature qu'avec le consentement du roi ou du magistrat pré- posé à l’administration de la justice; soit que dans ce décret il ait obéi à une pression de Clovis, qui voulait - se tenir à la porte des ordres sacrés, pour ny laisser entrer que les sujets de son choix; soit, avec plus de vraisemblance, que les évêques aient voulu réprimer un abus qui tendait à faire de l’Église le refuge des lâches et la nourrice des fainéants. Des Gallo-Romains, en effet, pour fuir les charges croissantes de l’impôt, le service militaire, les mille vexations infligées aux vaincus, se réfugiaient en grand nombre dans le sanc- tuaire, asile privilégié et respecté des Barbares. Eustoche, évêque d'Angers, qui assista au premier concile d'Orléans, est un personnage inconnu; son successeur, Adelphe, a laissé moins de traces encore dans l’histoire, et, après un épiscopat de dix années, il céda la place en 529 au moine saint Aubin. Né en Bretagne, aux environs de Vannes, et de race celtique, Aubin appartenait à l’illustre famille d’Albinus, l’un des fondateurs de la Confédération armoricaine, qui, après avoir obtenu le respect des Romains, ses ennemis, était demeuré populaire chez ses compatriotes, comme un héros de l’indépendance. Dés sa jeunesse, Aubin avait embrassé l’état religieux à Tintillac, monas- Saint Aubin. Légende de saint Mars au Ronceray. — 138 — ière breton, suivant les uns, angevin, suivant d’autres, qui le placent à Saumur et le confondent avec Nantilly. Il y avait trente ans qu'il gouvernait son monastère, lorsqu'il fut appelé à l’évêché d'Angers pour succéder à l’évêque Adelphe. C'était un homme d’un caractère énergique, qui allait à de hautes vertus un zêle ardent et une inflexible volonté. Habitué à l’austère discipline du cloître, qui n’admet ni résistance, ni discussion, il gouverna son diocèse, comme il avait gouverné ses moines, gardien vigilant des lois de l’Église et les met- tant sous la protection des censures ecclésiastiques, persécuteur des abus, ne ménageant guëre les volontés rebelles, mais dévoué à son diocèse et ne jugeant au- cune œuvre indigne d’un évêque dès qu’elle était utile à ses frères, austère à lui-même et conservant sous l’habit épiscopal l'humilité et l’abnégation du cénobite. Tel fut saint Aubin sur le siége d'Angers; on vit dans ce généreux évêque l’austérité, la liberté sainte et le zèle apostolique d’un autre moine, également de race celtique, de saint Colomban, qui, vers la même époque, prêéchait la pénitence à la cour débauchée des Méro- vingiens et la réforme aux prêtres et au clergé d’Aus- trasie. Cette vaste et antique forêt, séjour antique des Druides, qui descendait de la Bretagne jusqu'à la Maine par Nyoiseau, le Lion-d’Angers et Avrillé, avait autrefois caché sous son ombre et dans les plis de ses vallons les assemblées des premiers chrétiens, au temps d’Auxilius et des persécutions romaines. Un lieu était resté particulièrement célèbre; c’était le Ronceray, consacré déjà par la dévotion et le pélermage de — 139 — d'Anjou. Saint Maurille ou ses successeurs ÿ avaient bâti une chapelle souterraine, et, la hache ayant dé- friché l’entrée de la forêt vierge, des religieuses vinrent habiter le lieu désert et y fonder un petit monastère. Ce fut dans cette chapelle remplie de traditions reli- gieuses et solitaire, que saint Aubin reçut la consécra- tion épiscopale des mains de saint Melaine, évêque de Rennes et son ami. Saint Mars, évêque de Nantes, et deux autres évêques, assistérent à cette auguste céré- monie. Pendant le sacrifice, saint Melaine distribua des eulogies à ses collêgues, qui, se conformant à l’usage de l’Église, les consommèrent en signe d’union avec le sacrifice et de fraternité. Saint Mars, élevé dans des prin- cipes rigides, et songeant au jeûne du jour et à l’henre peu avancée, laissa glisser l’eulogie sous son manteau, et la tint en réserve. Le soir il cheminait sur la route de Nantes, lorsqu’exténué de fatigue 1l porta la main sous son manteau pour en retirer l’eulogie sacrée ; mais il ne trouva qu’un serpent à la place du pain qu’il cherchait. IL comprit la faute qu'il avait commise dans la cha- pelle du Ronceray ; il courut sur les pas de saint Melaine, déjà sorti d'Angers, pour la lui confesser. La pensée que la faute avait été commise à Angers décida saint Melaine à renvoyer l’évêque de Nantes à saint Aubin; mais saint Melaine avait été après Dieu l’offensé, et l’évêque d'Angers voulut que saint Mars retournât lui demander l’absolution. La nuit était déjà venue, et un si mince croissant de lune se dessinait au ciel que la terre restait plongée dans une profonde obscurité. Saint Mars n’hésita point; aussi docile le soir et soumis que le matin 1l avait été atiaché à son sens propre, Mission. du Craonnais. — 140 — il reprit sans murmure le chemin déjà parcouru. Il rejoignit saint Melaine, tenant à la main son affreux reptile, et criant merci. L’évêque de Rennes, touché de compassion et des pleurs de son ami, rompit par ses prières le charme diabolique; le coupable, repen- tant et absous, consomma aussitôt l’eulogie, craignant quelque nouvel accident, et se promit de réformer ses principes sévères et ses tendances jansénistes. Vraie ou fausse, la légende est vénérable par son anti- quité, et si l'authenticité peut lui faire défaut, elle prouve du moins par la punition qu’elle inflige à saint Mars et qui est restée longtemps populaire en Anjou, qu’une théologie trop sévère n’a jamais été en honneur sur les bords de la Maine. L'institution des paroisses, commencée par Thalaise, mais que le malheur des invasions saxonnes et franques avait presque interrompue sous ses successeurs, se développa et s’étendit sous l’épiscopat de saint Aubin. Il fonda les Ponts-de-Cé, Luigné et Aubigné; dans ces lieux encore déserts, il bâtit des églises qui fixérent autour d’un centre commun les populations dispersées à l'ombre des villas. Nulle part son zèle ne s’exerça avec plus de persévérance et de succès que dans la partie occidentale de l’Anjou. Là, au nord de la Loire ct presque aux portes d'Angers, commence une cam- pagne d’un caractère indécis, qui ne frappe pas comme la Bretagne par un aspect sauvage et désolé, mais qui a perdu, sous le ciel de l’Anjou, la grâce de ses coteaux et la richesse de ses vallées. Le Craonnais est un pays de transition, où se rencontrent la Bretagne et l'Anjou pour se tempérer l’un par l’autre. Cachée sous les châtai- — 141 — _gmiers et les chênes, la terre s'y déroule en une vaste _ plaine monotone etsans horizon, où les côteaux et les val- lonslaissentune trace à peine sensible, et qu'arrosent l’Er- dre, l’Argos, la Versée et l’Araïze, ruisseaux noirs et paresseux, gonflés l’hiver et que le soleil d’été boit d’un seul trait. À l’ombre de ses genêts, de ses haïes et de ses grands arbres, qui abritent des maisons en schiste ardoisier, sombres et basses, espèce de forteresses rus- tiques, si bien tapies sous les ronces qu’il faut les heurter pour les découvrir, l’'austère campagne monte tristement des bords de la Loire par des prés et des champs sévères jusqu'aux landes et aux grèves de la Bretagne. À sa fron- tière, cependant, l’Anjou reparaît avec sa belle nature et à son extrémité la plus occidentale il crée une imita- tion de la vallée de la Loire, moins l’étendue des hori- zons du fleuve et leur tranquille majesté. La gracieuse contrée de Pouancé déroule en face de la Bretagne sa campagne riche et variée, ses étangs, ses prairies, ses coteaux couronnés de forêts, de chênes et de châtai- oniers, qui descendent avec grâce jusqu'aux eaux calmes et transparentes de la vallée. i Les paysans du Craonnaiïs, barbares et presque païens, sans villes et sans bourgs, vivaient au sixième siècle, dispersés dans les campagnes, et ne se réunissaient par bandes que pour piller leurs voisins. Établis entre Anjou et la Bretagne, ils ne voulaient appartenir à aucun de ces deux pays : ils se disaient angevins quand ils envahissaient la Bretagne ; mais, lorsque le pillage les ramenait sur les bords de l’Oudon et de la Mayenne, ils redevenaient bretons, perdant et recouvrant tour à tour, dans le flux et reflux du brigandage, leur natio- Monastère à Angers de saintGermain d'Auxerre. — 142 — nalité. Saint Aubin, touché de leurs misères, se fit leur apôtre et leur civilisateur. Il aima le Craonnais comme une seconde patrie, qui lui rappelait la Bretagne, sa terre natale. Il rassembla autour de lui les habitants nomades ; il leur parla de l'Évangile, qu’ils connais- saient à peine, leur fit abattre les chênes druidiques et quitter le bord des fontaines sacrées. Il apprit à leurs bandes faméliques à vivre de la culture des terres; il bâtit des églises et des villages, Saint-Aubin de Pouancé, Saint-Aubin du Pavoil, Gené. Sa mission fut signalée par des prodiges; 1l guérit des aveugles à Gené et à Châteaugontier. La conversion du Craonnais occupa son zèle, consuma ses forces, et au milieu de ces popula- tions brutales, mit quelquefois ses jours en péril. Il fut l’apôtre et le premier civilisateur du Craonnaïs, ce fut là en Anjou la gloire de son épiscopat. La Gaule avait ses traditions chrétiennes, qui s’al- liaient naturellement à ses souvenirs civils et politiques, car ses premiers évêques avaient été les défenseurs des cilés et les civilisateurs des peuples encore barbares. Le culte des traditions fait l'honneur et la force d’un peuple qui apprend le respect de lui-même, la sainteté et la grandeur en célébrant ses saints et ses grands hommes. Les traditions rattachent le présent au passé, la sagesse des vieux âges à l'expérience des temps nou- veaux; elles ménagent pour l’avenir l’éclosion des germes du passé. Elles font de toutes les générations, qui tour à tour ont été la patrie, comme une seule et même gé- nération, qui, à travers les changements qu'amène dans les mœurs et les institutions l’irrésistible marche des idées, garde son identité, a, dans le cours des âges, ses ee jours de deuil etde triomphe, et marche vers un avenir mystérieux et sans doute progressif, sous l’œil et la main de la Providence. Les traditions de l’Anjou furent chères à saint Aubin. Il: favorisa le culte de saint Mau- rille, que la reconnaissance du peuple avait canonisé; il rassembla les souvenirs encore récents du saint évêque et fit composer sa vie. L’Anjou conservait dans son histoire le nom d’un évêque qui lui était cependant étranger; c'était saint Germain d'Auxerre, le défenseur de sainte Geneviève, l'adversaire éloquent et victorieux de Pélage dans la Grande-Bretagne, qui avait, au dernier siècle, préservé l’Anjou et l’Armorique d’une invasion d'Alain, par sa seule autorité morale. Saint Aubin fit bâtir, à Angers, un monastère qu’il dédia à sa mémoire et à son culte. Il fut aidé dans cette œuvre pieuse et patriotique par le roi Childebert, chef de la branche mérovingienne, qui régnait à Paris, et par l’évêque de celte ville, un autre saint Germain, son ami el son biographe futur. Le nouveau monastère fut bâti autour de Notre-Dame-du-Verger, qui vit s'élever sur sa cha- pelle souterraine une église destinée à porter plus tard le nom de saint Aubin et à recevoir les disciples de saint Benoît. Presque à la même époque, vers 534, saint Aubin bâtit à Angers l’église ou la chapelle de saint Denis, voisine dans le cimetière des chrétiens de Saint- Pierre et de Saint-Maurille. Un mal, proscrit par la raison naturelle et par l'Église, menaçait en Gaule la pureté du sang humain et l'honneur du mariage. Les noces incestueuses du fils et de la belle-mère, des beaux-frères et belles-sœurs et des parents les plus rapprochés, tolérées dans le Troisième concile d'Orléans. — 144 — monde paien et pratiquées par les Barbares, devenaient fréquentes et presque habituelles, depuis que les princes mérovingiens et les leudes en donnaient le puissant exemple. Nul évêque ne s’éleva avec plus de fermeté et de constance contre un si déplorable scandale, que saint Aubin. L’excommunication qu'il lança plusieurs fois, lui valut des inimitiés puissantes et faillit lui causer la perte de la vie ou de la liberté. Le troisième concile d'Orléans, réuni en 538 sous la présidence de Loup, archevêque de Lyon, auquel il assista et dont il semble avoir été le régulateur, pro- nonça pour l'avenir la nullité des mariages incestueux et l’excommunication contre les coupables. Mais lorsque saint Aubin demanda que l’excommunication s’étendit indistinctement sur tous les mariages antérieurs, le concile, sévère seulement pour la perversité, ne voulut point frapper ceux qui les avaient contractés de bonne foi. Il obligea même le bouillant prélat à réconcilier à l'Église un leude qu’il avait excommunié; saint Aubin lui envoya une eulogie, en signe de paix et d’union, mais l’incestueux, en la mangeant, mourut étouffé. Cet accident, ou ce miracle, détermina l’évêque d'Angers, qui taxait le concile d’indulgence pour avoir épargné les incestueux de bonne foi, à faire successivement les voyages d'Arles et de Paris pour consulter l’évêque saint Césaire et le roi Childebert sur la conduite qu’il devait suivre dans son diocèse. La réponse de l’évêque et du prince ne nous sont point connues, mais la conduite de saint Aubin, qui se soumit au décret du concile, permet de croire qu’elle ne lui fut pas favorable. Les Francs traitaient le droit de propriété avec aussi — 145 — peu de respect que les lois de la morale; les confisca- tions, la spoliation violente et impunie, les effroyables exigences du fisc y portaient chaque jour de si rudes atteintes qu’on pouvait prévoir le moment où il serait nié en théorie comme il était foulé aux pieds en pra- tique. Le concile d'Orléans défendit aux évêques l’alié- nation des biens ecclésiastiques et prononça contre les ravisseurs la peine de l’excommunication. C'était pro- clarner le droit de la propriété, car l’Église n’est pas propriétaire en vertu d’un principe distinct du droit commun. Mais les Barbares, spoliateurs et immoraux, avaient assez de perspicacité pour s’apercevoir que l’épiscopat était en Gaule la grande force morale, et qu’en der- nier ressort, non-seulement les affaires religieuses, mais encore les intérêts politiques dépendaient de la volonté des évêques. Se trouvant bien depuis un demi- siècle de leur libre concours, ils songèrent à leur asser- vissement. Déjà ils portaient la main sur les élections épiscopales, et par des sujets de leur choix, pris parmi les Gallo-Romains ambitieux ou même parmi leurs gros- siers compatriotes, ils songeaient à se créer une manière d’épiscopat ignorant, mais servile. Un des canons du concile d'Orléans consacra l'indépendance de l’Église ; il maintint l’antique et libéral usage de l'élection des évêques par le clergé et le peuple, et celle du mé- tropolitain par les évêques de la province. L’immixtion légitime du pouvoir politique dans le choix des évêques eût été à cette époque de barbarie et de confusion so- ciale l’asservissement de l’épiscopat et la ruine de l'Église en Gaule. SOC. D’AG. 40 — 146 — La grande influence de saint Aubin au concile d’Or- léans le rattache à l’histoire générale de l’Église, et lui marque un rang honorable parmi les saints et patrio- tiques évêques, qui mainlinrent au sixième siècle les traditions salutaires de la discipline ecclésiastique et raffermirent en Gaule la société ébranlée. Mais le troi- sième concile d'Orléans ne fut qu’un épisode de sa vie; il la consacra à son diocèse, à des travaux moins éclatants, aussi mériloires cependant, qui durèrent trente années, et dont l’église d'Angers a recueilli les fruits. Il mourut en 550 à l’âge de quatre-vingt-dix ans, et il fut enterré auprès de ses prédécesseurs dans l’église Saint-Pierre, au milieu du cimetière des chré- tiens. Son corps y demeura cinq années, honoré du ciel par des miracles et des hommes par un nombreux pélerinage. Eutrope, son successeur, le transféra en 559 dans le monastère de Saint-Germain d'Auxerre. La crypte de Saint-Pierre était le sanctuaire vénéré qui possédait le corps de saint Maurille; Euirope voulut que son illustre et saint prédécesseur eût le sien dans la crypte de N.-D. du Verger, bâtie autrefois par saint Hilaire, et devenue le centre d’un monastère construit par saint Aubin lui-même. La mémoire de saint Aubin ne le cède en Anjou qu’à celle de saint Maurille. Il ne se rattache pas comme son prédécesseur à la fondation de l’église d'Angers, et aux souvenirs populaires de saint Martin. Les peuples admirent le zèle apostolique et ar- dent, qui réprime les abus; mais ils réservent leurs préférences pour la mansuétude et les grâces aimables de la sainteté. L'abbé T, PLETTEAU, LE TOMBEAU DE RENÉE BENOIST Ce n’est pas la pierre qui recouvre les cendres de cet illustre Angevin que J'ai découverte, mais une pla- quette imprimée en l’honneur du Pape des Halles à Paris, en 1608, « chez Estienne Colin, rue Sainct- Jacques, à l’Escu de Bourgongne, prés les Jésuites. » Étant vraisemblablement l’unique possesseur de cette rareté bibliographique, je crois en devoir à l’Anjou la description. Elle se compose d’une harangue adressée par Gerard, Ardenois, à Messieurs de Sainct-Eustache : « Que nos jours sont de courte durée, leur dit le pané- gyriste, que nostre vie est peu de temps vie en ce mondel La rose n’est pas sitost fanée, ny le vent si prompt en sa course, que la carrière de nos années fuyardes est brefve. Nostre naissance est nostre mort, et les pauvres humains chétifs animaux d’un jour, à peine ont cogneue la lumière, — 148 — que la mort leur sillant les yeux, les endort d’un somme de fer en une nuict éternelle. « La vie n’est qu’un rien, ou si c’est quelque chose, » C’est doncque une fumée, une bouteille d’eau ? » L’hommen’estpluslost né qu’iltrouve son tombeau, » Carsa mort est hélas ! de sa naissance esclose. » » Nostre commencement est sa fin. C’est un serpent qui mort sa queue, une petite bleuette de feu aussi tost esteincte qu’allumée, un viste esclair qui ne dure qu’un seul clain- d'œil. Non certes, nous ne vivons pas, puis que les degrez de nos jours sont autant de pas à la mort, et que courant en la lice de ceste vie, nous allons heurter au trépas. Arrière doncque, arrière les désirs de prolonger les fils de nos ans, puis que nous mourons en vivant, et que nostre plus long jour en terre n’est qu’un disner de Leonidas, pour soupper tous à l’autre monde. » Quoy! souhaitter un bien long therme, les années de Tithon, les siècles de la Sibile Cumane?La mort estun grand heur, voire la plus chère récompense de nos plus belles ac- tions. Cleobis et Biton furent parJupiter autrefois ainsi sala- riez : ouy, leur piété donna fin à leurs jours, et le loyer plus grand, dont les Dieux pouvoient les combler, fut un somme éternel, qui à tous deux pour un jamais leur ferma la pau- pière. Ah! que c’est un grand bien à l’homme (comme le jugeait Apollon) qu’estre despouillé de la vie. » Hé! que c’est une chose douce de quitter nos misères, et que la sentence du Silexe à Midas est bien véritable : « Bon de jamais ne naistre, ou promptement mourir. » » Mais quoy, messieurs! vostre perte vous afilige, et semble que la joye soit toute morte en la mort de vosire — 149 — | pasteur : pasteur, l’honneur des doctes, clair et luisant so- leil, qui des rayons de son sçavoir a fait voir la lumière où ne logeoient que des ténèbres. Non, ne plaignez point ce trespas, si vous n’enviez son bonheur : il vit content au ciel, loing ec à l’escart de nos afilictions ; sa vietoute saincte et toute pure luy a gaigné ce bel héritage, et sa doctrine est le Zéphire qui portera par l'univers les bien flairantes odeurs de sa vivante réputation : ouy, les beaux rayons de ses vertus n’auront jamais d’occident, tousjours, tousjours verte sa gloire,et tousjours son nom voltigeant parla bouche des sçavants hommes. Bien favory du Ciel qui meurt pour vivre en cette sorte, tout chargé de louanges, tout blanc en son intégrité, et qui n’aprit jamais à vivre que pour heu- reusement mourir. Mourir, quoy celuy là qui a donné la vie de l’âme à tant de vertueuses âmes ? et qui du miel sa- cré distillant de ses lèvres d’or a tant repeu de François? Mais c’est un chemin commun, il estoit engendré mortel, et pour toucher aux portes du Ciel, il faut cy bas faire nau- frage. C’est en ce debris qu'il perd une vie caduque et fresle pour gaigner une éternité. Ne lui envions pas, messieurs ; ses mérites le portent là, et vrayment le monde n’avoit point de prix assez grand pour cet athlète invincible. Le laurier estoit peu pour un si beau triomphe, et la couronne des bien-heureux digne de ses labeurs lui devoit estre donnée là haut, puis que la terre n’en avoit point. Ah! que son contentement vous doit estre cher, messieurs, hé ! combien vous devez congratuler à son bon heur. » Jusques au jour de ce trespas, vous l’avez possédé en- tier, tout voué au public, tout consacré au bien de sa pa- trie, voire mesme en sa mort il veille encore sur sa pa- roïsse, et comme il exhalle ses derniers soupirs, ses yeux tournez vers vostre templesemblentavec mille regrets perdre l’usure de la lumière pour ne plus voir un peuple qu'il a — 150 — tant aimé. Ouy, il emporte au ciel le soin de vous et de vostre republicque : car ceste passion est comme essentielle à son âme. Et cependant qu'heureux ainsi parmy les sainctes intelligences, il sollicite le Seigneur et le rend pro- pice à vos voeux, le docte Tonnelier qui luy succède en ses vertus aussi bien qu’en sa charge, se porte avec un soin pa- reil au salut de sa paroisse : et suivant le chemin battu par ce sage et pieux pasteur, il s’en va gaigner parmy vous au- tant de réputation que vostre affection estoit grande à son devancier : duquel si la mémoire vous touche, et si la resouvenance vous en est chère et agréable, dictes devots dessus sa tombe. « Puisse tousjours le ciel favorable respandre » Et le miel et le laict sur ceste saincte cendre! » Le sieur Gérard ne se borne pas à entremêler de vers sa prose, le trépas de son héros lui inspire en- core les stances suivantes : « Plorez muses plorez, et que la douleur face Un gros rus de vos pleurs surgeonner sur Parnasse, Plorez vostre Benoist caché dans un cercueil ; Puis vestues de noir, quittez là vos carolles, Vos guitares, vos luthes, vos harpes, vos violles, Afin que rien qui soit ne charme vostre dueil. Ce tout sçavant Mercure, à qui dès l’âge tendre Vous fistes les secrets de vos beaux arts apprendre, Gist en un froid tombeau, nourriture des vers; Quatre ou cing pieds de terre hélas! renferme ore Celuy dont les vertus et le sçavoir encore, Pour bornes de leur gloire ont eu tout l’univers. — 151 — Muses que vous perdez ! que vous perdez mignonnes, Perdant ce beau Athlete orné des neuf courones, Vostre gloire se meurt en ce triste trespas : Parnasse n’est plus rien qu’une sombre tanière, Car las! pourriez-vous bien conserver la lumière Où vostre beau soleil ne vous la darde pas ? L'Église en son Benoist haulte eslevant la creste, Et les cahiers sacrez dont il fut l'interprète, S'adveillent en sa mort, pleurent sur son départ : Le Collége sacré des Sorbonistes graves Va rendre tous ses sens à la tristesse esclaves, Et partant aux regrets où tout chacun a part. Bref c’est un deuil commun, une perte commune, Aux grands comme aux petits tristement importune, Mais ses paroissiens sont sur tous atteincts de dueil, Ainsi que vrais enfants leur bon père ils regrettent, Et pour dernier devoir de main prodigue jettent Rose, lis, crême et vin sur son piteux cercueil. Puis vient l’épitaphe du conseiller et confesseur du roi. L'ombre dit au passant : Ne va point dessus ce tombeau Faire de tes pleurs un ruisseau, Si dans le ciel tu me veux suivre, Il faut mourir ainsi pour vivre. N’accuse de rigueur le sort, Et ne lamente sur ma mort; Une belle mort est suivie Toujours d’une éternelle vie. — 152 — Quoy ! penses-tu qu’en mon trépas Je cessay de vivre ça bas? Non, mon scavoir peint en maint livre Dure plus que gravé en cuivre. Comme un aigle je vay changer Ma vieillesse en printemps léger. Pour vivre une vie seconde, L'homme ainsi doit mourir au monde. Le passant réplique incontinent à l'ombre : Vis donc heureux, et si par feis Tu te ressouviens des François Belle âme, ore faict nouvel astre, Chasse loing de nous le désastre. Ce curieux hommage rendu à la mémoire de René Benoist prouve la considération dont il était légitime- ment entouré de son temps, considération que Je me fais un plaisir de rappeler pour qu’elle rejaillisse sur la gracieuse province qui n’a pas cessé de fournir à l'État d’intelligents ouvriers et de fidèles serviteurs à l'Église. Prince AUG. GALITZIN. M. VALLON Professeur d’hippologie À L'ÉCOLE IMPÉRIALE DE CAVALERIE DE SAUMUR. Messieurs, Il y a deux ans environ vous aviez bien voulu, sur ma proposition, accorder le titre de membre correspondant de la Société impériale d'agriculture, sciences et arts d'Angers à M. Vallon, professeur d’hippologie à l’École impériale de cavalerie de Saumur. Lorsque je vous de- mandai cette faveur pour M. Vallon, je le connaissais peu personnellement, mais je savais avec quelle supé- riorité il faisait ses cours à l'École; j'avais pu surtout apprécier un grand ouvrage dont il nous avait confié l'impression, et J'étais parfaitement sûr d'avoir désigné à vos suffrages un aimable et savant collègue. Tout a marché avec une rapidité effrayante depuis ce temps- là, Messieurs, et, au moment où M. Vallon venait de terminer la publication de son Traité d’hippolôgie, le jour même où, sur son amicale invitation, mon fils — 154 — allait à Saumur pour régler avec lui les derniers comptes d'impression, M. Vallon éprouvait des symp- iômes qui donnaient les plus vives inquiétudes à ses nombreux amis, à l’École tout entière. Les visites se succédaient d’une manière incessante à l'hôpital mili- taire, et chacun s’éloignait épouvanté, en recevant le plus sinistre bulletin. Rien en effet ne put éloigner le terme fatal; et le mardi 6 décembre 1864, M. Vallon mourait, âgé de quarante-cinq ans. Je ne puis mieux vous faire connaître la position de M. Vallon à Saumur, qu’en vous donnant connaissance des hommages qui ont été rendus à sa mémoire au moment de son inhumation. Les principales autorités s'étaient rendues à l'invitation de M. le général com- mandant l’École, et entouraient le cercueil avec MM. les officiers de l’état-major. Un médecin-vétérinaire prin- cipal, détaché du ministère de la guerre, un comman- dant, un capitaine écuyer et un médecin-vétérinaire portaient les cordons du poële. La musique de l’École ouvrait la marche. Sur le bord de la tombe, M. le gé- néral Crespin a prononcé un discours dont j'extrais les passages suivants : « Un vide irréparable vient de se produire à l’École, et, je ne puis le dire assez haut, votre concours em- pressé, votre recueillement, accompagnent un honnête homme à sa dernière demeure. » Vallon (Alexandre-Bernard), né le 2 octobre 1819, à Gap, département des Hautes-Alpes, entra au service comme jeune soldat, le 8 décembre 1840, et fut in- corporé dans le 4e régiment de chasseurs de France. Un an après, il passa en qualité de canonñer au — 155 — 12e régiment d'artillerie; là, mettant à profit les loi- sirs de son humble métier et les ressources d’une in- telligence d'élite, il s’'abandonnait à son goût inné pour le travail et acquérait, livré à lui-même, les) bases d’une instruction aussi solide que variée. » Tant d'efforts et de persévérance ne pouvaient rester longtemps inaperçus. L'École vétérinaire de Lyon lui fut ouverte et le compta bientôt parmi ses meilleurs élèves. — Couronné quatre années de suite, il obtint à sa sortie le diplôme de vétérinaire en 2% au 4e chas- seurs d'Afrique. De nobles fatigues l’attendaient à ce nouveau corps; elles servirent de prélude à quatorze campagnes consécutives. » Vallon, Messieurs, n’était pas seulement l’homme du devoir ; il joignait à une abnégation peu commune une bravoure incontestable. » Le 16 mai 1843, il prit une part honorable au combat de Taguin, et sa conduite le fit citer une pre- miére fois à l’ordre de l’armée, cette récompense des grands cœurs. » Six mois plus tard, il se distinguait encore parti- culièrement à l'affaire d'Oued-Mélah ; enfin, le 14 août 1844, de patriotique mémoire, il assistait à la bataille d'Isly. — Son sang-froid, son énergie, un cheval tué sous lui, tels furent ses titres à une troisième et der- nière citation, bientôt suivie de sa promotion au grade de chevalier de la Légion d'honneur. » 4892 venait de s'ouvrir, apportant à nos colonies le reflet de notre paix intérieure : le repos dont jouis- sait l'Algérie permit à Vallon de revenir à ses études favorites : les résultats ne se firent pas attendre. Dès — 156 — le 28 mai, une mention flatteuse du ministre de la guerre signalait à l’attention du public l’Essai topogra- phique sur la subdivision de Mostaganem, dans ses rap- ports avec la médecine vétérinaire, et valait au brillant écrivain la direction supérieure du Haras de cette localité. » Dans ce tranquille milieu, Vallon put donner essor à son esprit investigateur et pratique. I y publia un mémoire sur les Fièvres typhoïides du cheval, et obtint pour cet ouvrage une citation élogieuse, que devançait d’ailleurs un légitime succès. Là, toutefois, ne devait pas se borner la bienveillance du ministre : vétérinaire de {re classe le 95 avril 1854, Vallon recevait au mois de juin suivant une mission spéciale pour Tarsous (Syrie), et rentrait en France le 95 mars 1855, après lavoir remplie avec une rare sagacité. » L'École de cavalerie venait de perdre à cette époque un écuyer savant et honorable : M. de Saint-Ange aban- donnait un professorat distingué de trente années : le souvenir de ses nombreux et anciens élèves, l’accompa- gnant dans la retraite paisible qu’il s'était réservée, ne laissait pas que de rendre délicat le choix d’un succes- seur. Vallon seul pouvait accepter le legs du passé; sa modestie l’écarta des rangs des candidats, et il dut au choix de l'Empereur le poste envié de directeur des Haras d’études. » Appelé ainsi à une chaire de premier ordre, il avait arrêté le plan d’un grand traité sur l’hippologie, fruit de ses dernières veilles, lorsque, agité comme d'un pressentiment funeste, il eut l’idée de reporter ses souvenirs sur cette terre aimée d'Afrique, qu'il ne — 157 — devait plus revoir, et publia sa Notice sur les chevaux de Tlemcen. Une lettre de félicitation du ministre de la guerre répondit à cette inspiration d'adieu, et rien, dés lors, ne put le distraire des fonctions pénibles du professorat. » À peine comptait-il quarante ans, et le 17 jan- vier 1860, il était promu au grade le plus élevé de la hiérarchie vétérinaire ; décoré de l’ordre du Medjidié, officier de la Légion d'honneur, chevalier du Lion de Zœhringen, membre de plusieurs sociétés savantes, Vallon avait largement payé sa dette et pouvait mon- irer sur sa poitrine, avec une juste fierté, le prix de vingt-quatre années d'activité et de dévouement; mais chez cet homme de bien, la source en était intaris- sable. » Sa santé s’est affaiblie graduellement, sans que jamais une plainte se soit échappée de sa bouche, sans que son ardeur pour le travail ait jamais été ralentie ; il a su jusqu’à la fin maîtriser ses souffrances, et pa- raître à la fin ce qu'il était aux premiers jours. Il est mort en chrétien. » J'en ai dit assez, Messieurs, pour graver dans vos pensées aitentives la mémoire de ses rares talents. Tous, il vous a fait juges de ce zèle bienveillant, de cet esprit toujours jeune, sévère pour lui-même et sans cesse indulgent pour autrui; son abord, plein d’aménité, le faisait rechercher et estimer à l’envi, son érudition, connue et admise dans le monde militaire, ne s’impo- sait à personne; son nom faisait autorité, sa parole faisait foi. » Tel est, Messieurs, le résumé de la vie simple, stu- — 158 — dieuse, utile et sans reproche de M. le vétérinaire prin- cipal Vallon. » À cet éloge si touchant, prononcé par l’homme le plus autorisé à parler au nom de l’École de cavalerie, au nom du gouvernement, permettez- moi d’ajouter deux phrases empruntées au discours d’adieu prononcé par M. Goux, vétérinaire principal envoyé par M. le ministre de la guerre pour le représenter à cette triste cérémonie. « Dans les positions si diverses et souvent si diffi- ciles que Vallon a occupées, il a donné de nombreuses preuves d’un caractère froid, sérieux, d’un esprit juste et observateur, d’une instruction solide, de connais- sances variées et étendues, d’une intelligence rare, d’une érudition profonde et d’une expérience pratique bien raisonnée; aussi a-{-il été maintes fois l’objet de propositions exceptionnelles. » Pendant les quatorze années qu’il a passées en Afrique, de 1842 à 1855, il a fait de nombreuses et fougueuses expéditions; il a apporté, comme toujours, dans l’accomplissement de ses devoirs de vétérinaire, un zéle, une activité, un dévouement dignes des plus grands éloges, et qui, depuis, ne se sont jamais dé- mentis. » Ces paroles du représentant de M. le ministre font en même temps l'éloge de M. Vallon, et indirectement celui de l’ouvrage dont j'ai déjà eu l’honneur de vous parler, et dont je vais fâcher de vous présenter une rapide analyse. Lorsqu'il y a neuf ans M. Vallon fut nommé profes- seur d’hippologie à l’École impériale de cavalerie, 1l — 159 — avait réuni tous les matériaux nécessaires pour rem- placer aussi dignement que possible le savant M. de Saint-Ange, qui avait fait le cours pendant 30 ans. En- couragé par le brillant succès qu’obtenait chaque année son enseignement, M. Vallon rédigea l’ensemble de ses leçons et le soumit à M. le Ministre de la guerre, qui, après lavoir fait examiner par les hommes les plus compétents, l’adopta pour l’enseignement hippologique dans l’armée, par décision du 1er juin 1863. C’est alors que M. Vallon publia successivement un Abrécé d’hippologie à l’usage des sous-officiers de ca- valerie, en un volume in-12; puis un Cours d’hippo- logie à l’usage de MM. les officiers de l’armée, de MM. les officiers des haras et de toutes les personnes qui s’occupent des questions chevalines, formant deux très-forts volumes in-8° de 700 pages chacun, avec un grand nombre de gravures sur bois. L’anatomie, la physiologie, l'hygiène et les maladies du cheval sont décrites dans ce bel ouvrage avec les plus grands dé- tails, mais je veux surtout appeler votre attention sur un chapitre spécial, celui intitulé : Races françaises et algériennes. Après avoir pendant 14 ans parcouru l'Algérie, après avoir passé une année au milieu des tribus les plus nomades de la Syrie, après avoir dirigé pendant plu- sieurs années le haras de Mostaganem, puis celui de Saumur, M. Vallon connaissait mieux que personne les diverses races de chevaux, et rien n’est plus intéressant que la description qu’il fait des chevaux orientaux, des chevaux européens, des chevaux français, en ratta- — 160 — chant ces derniers aux différents dépôts de remonte aujourd’hui organisés en France. M. Vallon, je le dis avec plaisir, car je partage en- tièrement son opinion, préfère à tout autre cheval le pur arabe, et je suis certain de vous intéresser en vous citant la description qu’il fait de ce superbe animal : € Le cheval arabe présente un ensemble de caractères qui le distinguent de tous les autres et le font facile- ment reconnaître; quiconque a vu un de ces beaux types, le reconnaît toujours. » Nul autre n’a tant de grâce, d'harmonie et d’en- semble dans les formes, et des aplombs aussi réguliers. Ses membres, nerveux et secs, sont bien proportionnés pour le tronc. L’avant et l’arrière-main sont dans une harmonie parfaite : le premier, pour embrasser large- ment le terrain; le second, pour chasser la masse du corps en avant. La charpente osseuse offre les meilleures dispo- sitions physiques et physiologiques, et le système mus- culaire présente les plus belles conditions de dévelop- pement et d'énergie. » On lui reproche son défaut de taille; mais ce reproche est trop absolu, car, dans cette race comme dans toutes les autres, la taille est en rapport avec la quantité et la qualité des aliments que les animaux reçoivent. Elle est élevée dans les pays fertiles; petite dans ceux qui ne le sont pas. Le cheval des contrées arides, rocheuses et accidentées, comme le Nedj, n’a que 1,40 au plus; tandis que celui qui vit dans les pays riches et fertiles, tels que les plaines de la Mésopotamie, arrosées par l’Euphrate ou le Tigre, dans — 161 — les vallées de la Békaha, d’Antioche et de l’Oronte, dans le Hauran, en Syrie, atteint jusqu’à 1m,58. » La tête du cheval arabe peut être prise pour type de beauté dans l'espèce. Elle est bien attachée, légère, très-expressive et pleine de physionomie. L'homme le moins versé dans les connaissances hippiques y dé- couvre facilement le haut degré de race, d'intelligence et de douceur qui distingue ce cheval de tous les au- tres. Elle offre un développement trés-remarquable à sa partie supérieure, dù à la dilatation de la cavité crâmienne, landis que sa partie inférieure est aiguë et courte ; le front est large et haut; les oreilles sont pe- tites, très-mobiles et bien écartées ; les yeux grands, à fleur de tête, rayonnants de douceur et d'intelligence ; les paupières entourées d’un cercle noirâtre qui donne à l’œil une expression particulière ; la face courte et le chanfrein droit; les naseaux bien ouverts et très-mo- biles ; la bouche moyennement fendue ; les lèvres minces, mais très-fermes; les branches du maxillaire laissent entre elles un large espace dans lequel vient se loger un larynx volumineux. » Le cheval arabe n’a pas la rapidité d’allures du cheval anglais de course; mais il a plus de fond, et ses mouvements sont plus gracieux, plus trides et plus cadencés, en liberté, il est le plus bel animal de son espèce. » Il est d’un tempérament sanguin et nerveux que décèlent la finesse de sa peau , de ses poils et de ses crins longs, -soyeux, aux reflets brillants; la fermeté de ses chairs ; la dureté de sa corne. » Le cheval arabe supporie ‘admirablement les pri- SOC, D’AG, 41 — 162 — vations, et se contente d'aliments et de boissons que ne prendraient pas les chevaux européens; il résiste par- faitement aux fatigues, et les courses qu’il fait étonnent lés personnes qui n’ont pas l’habitude de le voir à l'œuvre. Sa riche organisation lui permet de vivre cons- tamment en plein air et de passer impunément d’une chaleur excessive aux froids de plusieurs degrés au- dessous de zéro. Sa douceur et sa docilité sont pro- verbiales : elles le rendent d’un dressage facile et prompt. » Je vous disais tout à l'heure que M. Vallon décrivait les chevaux de chaque pays en parlant des différents dépôts de remonte. Voici ce qu’il dit des chevaux de Maine et Loire : « La population chevaline est hétérogène dans ce département. On y, trouve une race de petits chevaux, particuliers au pays; une dégénération de la race bre- tonne , apte aux travaux agricoles, mais trop com- mune pour l’armée; des chevaux issus du croisement des deux races ; enfin des produits de ces deux races avec des étalons anglais ou anglo-normands, de pur sang ou de demi-sang, du dépôt d'Angers. Ceux-ci for- ment une espèce métis, connue sous le nom de chevaux angevins, qui fournit à l’armée bon nombre de chevaux de trait et de selle, sans caractères particuliers , mais ressemblant au type anglo-normand. Les meilleurs des- cendent des étalons de demi-sang; ceux qui sortent du pur sang ont la poitrine étroite, les membres grêles, de mauvais aplombs et sont trop irritables. » Mais l’espèce équine présente des différences dans Maine-et-Loire. Les arrondissements de Beaupreau, de — 163 — Segré, d'Angers sont les plus riches et produisent les meilleurs chevaux. À Beaupreau et à Segré, on trouve de la distinction et du cachet. L’arrondissement d’An- gers fait bien aussi. Celui de Baugé donne des chevaux de petite taille et communs. Celui de Saumur fait peu de chevaux de selle. » Maine-et-Loire est plutôt un pays de production ‘que d'élevage. Les éleveurs vendent leurs poulains dès l’âge de dix-huit mois à deux ans à des marchands qui les conduisent en Touraine, en Limousin, en Auvergne, en Normandie. Le peu qu’ils élévent sont livrés au commerce ou à la Remonte, lorsqu'ils ont atteint leur quatrième année. » L'hygiène laisse beaucoup à désirer. La plupart des éleveurs enferment les chevaux, en hiver, dans des écuries basses, chaudes, humides, où l'air et la lu- mière ne pénètrent que difficilement. Le pansage y est à peu prés inconnu. Les chevaux restent dans les prés, les marais, les jachères, jusqu’au moment où les neiges ou les inondations obligent à les en retirer, et ne re- çoivent d'autre nourriture que celle qu’ils trouvent. Ces conditions hygiéniques nuisent au développement du cheval, à ses qualités physiques, mais elles le ren- dent docile, doux, sobre, rustique. Aussi, ceux qui réunissent les conditions nécessaires pour entrer dans l’armée s’acclimatent-ils facilément et promptement dans les corps, et une fois acclimatés, y font-ils un bon service. » Le dépôt d'Angers achète dans Maïne-et-Loire des chevaux pour toutes les armes, surtout pour la cavalerie légère, l'artillerie et la ligne. » 168 — M. Vallon avait été très-flaité et très-heureux du titre que vous aviez bien voulu lui accorder, Messieurs, et, ce qui le prouve, c’est qu’il s’en prévalut dans une circonstance dont il est bon que la Société conserve le souvenir. Plusieurs jeunes gens des meilleures familles de l’Algérie étaient sur le point de terminer leur édu- cation militaire à Saumur. M. Vallon pensa qu'il serait utile pour ces jeunes gens de ne pas quitter notre superbe et fertile Anjou sans avoir pris connaissance de nos principaux établissements d’horticulture et des plus belles cultures de nos environs. Il écrivit donc à votre Président et lui demanda, de la part de M. le Ministre de la guerre et de M. le Général commandant l'École, s’il ne pourrait pas lui faciliter les moyens de mettre à exécution un semblable projet. Je m’empressai d'aller en parler à M. André Leroy, j'en écrivis à M. le comte de Falloux, et, assuré de leur complet assenti- ment à tous deux, je me hâtai de répondre à M. Vallon que ses protégés seraient parfaitement admis à suivre tous les travaux exécutés Journellement dans les im- menses pépinières de M. Leroy, et à étudier la plus belle agriculture dans les champs si bien cultivés du Bourg-d’Iré. En principe, la pensée de M. Vallon était belle et grande, mais la mise à exécution n’était pas aussi facile qu’on pouvait le croire, et nous n’avons plus en- tendu parler des jeunes officiers algériens. Vous le voyez, Messieurs, comme soldat, comme savant, comme écrivain, M. Vallon laisse, en mourant bien jeune encore, un nom digne d’être conservé avec bonneur et distinction dans nos archives, comme il le sera dans celles de l’armée. AD. LACHÈSE, CATÉCHISME AGRICOLE M. DU CHEVALARD PRESIDENT DE LA SOCIÉTÉ D'AGRICULTURE DE MONTBRISON. Messieurs, L'apparition d’un livre sur l’agriculture est toujours accueillie par vous avec empressement et faveur ; aussi, dans votre avant-dernière séance, avez-vous décidé qu’il vous serait rendu compte de l'ouvrage dont l’auteur, M. du Chevalard, a bien voulu faire l'envoi à notre Société. À mon seul titre de dernier entré dans votre hono- rable compagnie, je dois le privilége, dont Je suis pas- sablement effrayé, d’avoir été désigné pour vous parler du livre de M. le Président de la Société d'agriculture de Montbrison, et je vais essayer de m’acquitter ainsi de la première tâche qu’il me soit donné d’accomplir devant vous. — 166 — En France, depuis le Théâtre d'agriculture, d'Olivier de Serres, beaucoup d’excellents ouvrages théoriques et pratiques ont été publiés sur la science agricole. Tous ont pour but l’enseignement et l’application de cette science, mais tous s'adressent à des intelligences déjà formées, soit par l’étude, soit par la pratique ; aucun n’est élémentaire et ne peut être de prime abord, compris par la jeunesse. Plusieurs revues et journaux agricoles ont paru, mais ils se bornent presqu’exclusi- vement à enregistrer des faits, sans s'attacher à re- chercher les causes, les moyens qui peuvent amener et produire les effets qu'ils racontent. Tous ces ouvrages d’ailleurs, dont le mérite est incontestable, sont d’un prix élevé; l’agriculteur campagnard est économe et le plus grand nombre ne pourrait, il faut en convenir, les lire avec fruit, faute d’une instruction spéciale élé- mentaire. M. du Chevalard a trouvé qu’il y avait là une lacune. Il a pensé que pour disposer l'habitant des campagnes surtout à étudier une science qu'il met chaque jour en pratique, sans autre guide le plus souvent que la routine, il fallait, dès son enfance, lui donner le goût de la science agricole, lui faire comprendre les avan- tages de la profession que plus tard il exercera avec d'autant plus de goûtet de fruit, que les connaissances élémentaires qu'il aura acquises à l’école, lui facilite- ront l’étude des excellents ouvrages dont j'ai parlé, et les moyens de profiter des bonnes leçons qu’il y pourra puiser. Pénétré de cette pensée, l'honorable Président de la Société d'agriculture de Montbrison a eu l’heureuse — 167 — idée de publier, sous le titre de Catéchisme agricole, un livre contenant les notions élémentaires de l’agriculture, destiné aux écoles primaires, et de joindre au Caté- chisme religieux, qui doit être le premier livre de l’en- fance, un Catéchisme agricole écrit dans un tel esprit, que ce livre est réellement le complément du premier; car si, pour l’enfant, la connaissance de Dieu doit pré- céder toutes les autres, celle de sa destinée, qui est le travail et surtout le travail de la terre, doit nécessai- rement l'accompagner. Et d’ailleurs, cette sévère parole * de Dieu : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front! » n'est-elle pas à ce sujet un commandement formel ? La forme du dialogue adoptée pour le Catéchisme religieux est celle que l’auteur donne à son Catéchisme agricole. L'expérience a prouvé que la forme du dialogue est le mode d’enseignement le plus à la portée des jeunes intelligences, dont il aide et guide la mémoire. L'auteur n’a pu avoir l’intention de publier un traité d'agriculture. Il est évident qu’un livre pareil eût été inutilement placé aux mains de jeunes écoliers de sept ans. Il a voulu seulement faire donner aux élèves des écoles primaires des notions qui pussent les aider plus tard dans l'étude et la pratique de l’agriculture, et leur inspirer le goût de la science agricole. Ces notions ce- pendant sont complètes et pour maintenir le Catéchisme agricole, toujours à la portée des jeunes intelligences auxquelles 1l est destiné, à mesure que ces jeunes in- telligences se développent avec l’âge, l’auteur à divisé son ouvrage en trois parlies. — 168 — La première ne contient que des notions générales isolées de leur application. La seconde traite des diverses spécialités de culture et des pratiques agricoles consacrées par l'expérience, sans toutefois remonter aux causes par lesquelles elles peuvent être justifiées. ’ La troisième partie offre des explications simples qui, sans aborder le domaine de la science, doivent mettre les enfants à l'abri des erreurs et des préjugés, soutiens de la routine, et leur inspirer le respect et l’amour de la science. Dans cette troisième partie, l’auteur explique trés- sommairement et de manière à donner aux enfants le désir de les étudier, ce que sont les sciences qui se rattachent à la science agricole, telles que la géologie, la physique, la chimie, la mécanique, la zoologie, la botanique, les mathématiques. Tout cet ouvrage est écrit dans un style clair et concis qui convient à tout livre classique. Les questions et les réponses s’y enchaînent et sont graduées, de telle sorte que les enfants trouveront du plaisir plutôt que de l’ennui à l’étudier, et que leur intelligence et leur mémoire doivent comprendre et retenir avec la plus grande facilité les leçons qu’il contient. Touten donnant de précieuses et complètes notions d'agriculture, M. du Chevalard s’est attaché à inspirer à l’écolier les meil- leures pensées de religion, d’amour de la famille, de probité, qui font que son Catéchisme forme bien, comme il le dit dans sa préface, le complément du Ca- téchisme religieux. Je ne veux pas, Messieurs, fatiguer votre bienveillante 160 attention par une plus longue analyse du livre de M. du Chevalard. En terminant, j’observerai seulement qu’il est évident pour moi que cet ouvrage, que J'ai lu avec le plus grand intérêt, serait appelé à rendre d'immenses services s'il était, comme il devrait l'être, enseigné dans les écoles primaires. Et si on ne s'étonne pas de ce que M. le Ministre de l’agriculture ait voulu encou- rager la publication de cet excellent livre en y souscri- vant, on est pourtant surpris qu'il ne compte pas encore parmi les livres classiques de l’enseignement primaire. Il existe en France des écoles secondaires et des écoles supérieures pour l’enseignement agricole. Pour- quoi donc toutes les écoles communales ne devien- draient-elles pas des écoles primaires d’agriculture ? N’appartiendrait-il pas à notre Société d'appeler l’at- tention de l'autorité sur cette question ? Messieurs, nous devons à l'honorable M. du Cheva- lard des remerciements pour sa précieuse communica- tion, et Je vous propose de prier notre honorable Président de les lui adresser au nom de notre Société. BIzARD. LE SOMMEIL D'UN ENFANT Ïl va dormir. Voyez! Sa main tient quelque chose Qu'il voudrait retenir; Mais le sommeil l’atteint et son petit doigt rose Ne veut plus obéir. Le joujou tombe à terre, Quoique tout endormi l'enfant y songe encor; Sa tête a rencontré l'épaule de sa mère : Doux oreiller aux rêves d’or! Mon Dieu! qu’il est heureux ! et que je voudrais être Au temps où je dormais ainsi! Et qu’il me fût donné, simple enfant, de connaître Que chaque âge apporte un souci! Comme je prierais Dieu qu’il garde ma faiblesse! Oh! que je formerais de vœux Pour que faible enfant il me laisse, Ou, s’il ne le voulait, pour qu’il m'ouvrit les cieux! — 171 — Comme je le prierais de me laisser ma mère, Et son doux sein pour oreiller ; Afin d’avoir toujours pour dormir sa prière Et son baiser pour m'éveiller, Comme je le prierais de me laisser mes songes, Car à peine arrivé du ciel, Je pourrais dire sans mensonges La gloire et les splendeurs du royaume éternel. Car nos songes toujours viennent de quelque chose Gravé dans notre souvenir, Et de quoi parlerait cette âme à peine éclose, Sinon du ciel pour le rouvrir ? Et pour aller chercher dans ce lieu de délices Les images que d’ici-bas Elle peut voir sans artifices, Mais qui fuiront bientôt. et ne reviendront pas! Le rêve a fui, sur sa face Nulle trace Du transport qui fait pâlir, Et sa bouche, si vermeille, Est pareille Au bouton qui va s'ouvrir. Sur ce front pur et candide Où la ride N’ose creuser son sillon, — 172 — Respectant, dans son outrage, Ce visage Où du ciel luit un rayon ; Sur ce front parfois se penche L'âme blanche De quelque ange gardien, Et la mère radieuse Et rêveuse, Dit : O mon Dieu, qu'il dort bien! Dors, cher petit, dors. mon ange, Je t’arrange Pour l'instant de ton réveil, Si tu promets d’être sage, Le breuvage Qui donne le teint vermeil. Dors, mon amour, sur ta joue Où se joue, Pleine de sérénité, La milice fraîche éclose, Blanche et rose, Dont le ciel est habité ; Sur ta joue où se reflète, Je le guette, Un rayon pur et divin, Mes baisers auront bien vite Mis en fuite Tout ce gracieux essaim. — 173 — Et le bel ange immobile Va tranquille S'étendre dans son berceau, Et le jour à la fenêtre Va paraître Sans voir s'ouvrir le rideau. Et depuis longtemps l’aurore Se colore Des feux rayonnants du jour; La lumière emplit l’espace, Le bruit passe, Qu'il dort encor notre amour ! Mais tout à coup frémit la blanche mousseline ! La jeune mère tressaillit, Approche avec amour et tendrement s'incline Sur le bord du cher petit lit. Heureuse mère ! écoute, écoute, et que ton âme Se suspende à son premier mot... Tu l’auras ce doux mot que ton amour réclame De ton frais et gentil marmot. _&'est à toi qu'il le doit, car c’est lui qui s'empare De tous les rêves de bonheur; U’est lui qui les recueille et se les accapare, Ce cher despote de ton cœur ! Pourquoi donc montres-tu tant de sollicitude, Quand plane un danger menaçant ? — 174 — Pourquoi de nos plaisirs laisses-tu l’habitude , Si ce n’est pour cet innocent ? Que fais-tu donc ainsi sur ce berceau penchée? Tu guettes un geste, un soupir. Tu veux que du sommeil, à peine détachée, Son âme à toi vienne s'ouvrir; Et que te racontant le pur et chaste songe Où se jouent mille chérubins, Ton âme transportée avec elle se plonge Dans ces enivrements divins. Regarde... et saisis bien la lueur vacillante Qui brille en ses yeux entr’ouverts ! Ne dirais-tu pas voir la lumière tremblante De l’étoile qui sort des mers? Car l’œil est une étoile, à la voûte de l’âme Attachée ainsi qu'au ciel bleu. L'une de notre cœur attend toute sa flamme, Et l’autre la reçoit de Dieu. Et l’œil de ton enfant, ainsi que cette étoile Qui du ciel réjouit nos yeux, Son œil, à jeune mère, à ton âme dévoile Toute l’immensité des cieux. Et pressant sur ton cœur cette tête si chère, Tu t’abîmes dans ton amour! Et l'ange souriant te dit : Petite mère, Laisse-moi t’embrasser : Bonjour! JULES QuELiN. REVUE BIBLIOGRAPHIQUE. Le sculpteur angevin Biardeau. — Découvertes archéologiques dans le Morbihan. — Journal historique de l’ambassade du maréchal de Belle-Isle, à Francfort, en 1741. Messieurs, Il y à déjà plusieurs années, notre cher et si re- gretté collègue, Philippe Béclard, publiait dans les Mémoires de notre Société une courte notice sur le sculpteur Biardeau. Après avoir énuméré les œuvres remarquables desculpture ancienne que possède l’Anjou : les Saints de la Barre, la Vierge de Nozé, l'autel de la chapelle des Ursulines, le saint Michel du May, il con- tinuait ainsi : « En faisant cette énumération d'œuvres sculptura- les, répandues sur là surface de notre département, j'ai voulu montrer, de la façon la plus claire, que nous avions eu, au temps passé, des artistes parmi nous. Je n’ai point cherché à décrire; tous ces objets sont connus, et depuis longtemps ils préoccupent l’opi- mon publique. Mais l’opinion publique, qui semble prendre à tâche de se fourvoyer, n’a rien trouvé de — 176 — mieux que de renouveler l’erreur des Bénédictins de Solesmes. Ceux-ci, vous le savez, ont mieux aimé supposer une troupe d'artistes nomades, que de cher- cher leurs sculpteurs à leurs portes, soit dans la bril- lante école de Tours, soit dans le pauvre village de Loué; de même, à propos de nos statues, on a fait revenir tout exprès, au xvlie siècle, une nouvelle troupe d'artistes italiens, et vous pouvez voir, dans la cha- pelle de la Barre, un placard imprimé qui attribue formellement les Saints à des étrangers inconnus. Mais, plus heureux que les sculpteurs de Solesmes, voici que notre grand artiste, secouant la poussière d’un vieux manuscrit, vient se montrer à nous, et revendiquer son œuvre. » Suivent trois extraits de Lehoreau, d'Alexandre Lenoir et de Piganiol de la Force, relatifs aux Saints de la Barre, à des Vierges placées en 1638 sur les portes du Mans, à l’autel des Agonisants des Pelits-Augustins de Paris, œuvres du sculpteur Biardeau, originaire du Mans, disent les deux premiers, OHSIANE d'Anjou, selon Pi- ganiol de la Force. « Voilà, dit en terminant M. Béclard, tout ce que j'ai pu découvrir sur ce grand artiste, oublié depuis bientôt deux siècles. On sait à peine quels sont ses ou- vrages ; on ne sait absolument rien de sa vie, qui s’é- coula sans doute tout entière à créer des chefs-d’œuvre dans le silence de l'atelier. Il est permis de conjecturer que Biardeau voulut d’abord se fixer à Paris, et que, n'ayant pas réussi dans cette ville, au gré de ses dé- sirs , il prit le parti de venir en Anjou. Il travaillait à l’autel de la chapelle des Pères-Augustins, près du Ron- ceray, lorsqu'il mourut, vers la fin du xvire siècle. » Depuis que ces lignes sont écrites, des documents certains sont venus jeter un jour tout nouveau sur l'existence de cet artiste. Dans le tome IT des Archives d'Anjou, M. Marchegay avait publié intégralement le marché passé entre Biar- deau et les religieux de l’abbaye de Saint-Nicolas d’An- gers pour la confection de l'autel et des statues de la Barre, avec les quittances de l’éminent sculpteur. Aujourd’hui, M. Port reproduit dans la Revue des So- ciétés savantes (tome III, page 85) une série de docu- ments que je ne puis qu'indiquer ici, mais que devront consulter tous ceux qui voudront dorénavant connaître la vie ou les œuvres de Biardeau. Ces documents concernent spécialement des différends qui s’élevèrent entre les Oratoriens de Saumur et lui, à l’occasion de la construction de l’église de Notre- Dame des Ardilliers, et qui durent singulièrement en- traver sa carrière. [ls durérent en effet depuis le pre- mier marché fait entre les deux parties, le 8 avril 1654, jusqu’à la mort de Biardeau, survenue au mois d’oc- tobre 1671. Il s’était chargé d’abord seulement de faire un autel à Notre-Dame. M. de Servient ayant en- suite donné 40,000 livres pour reconstruire l’église, il entreprit ce travail considérable; mais ses plans étaient mal combinés, il rencontra des difficultés d'exécution imprévues, si bien qu'au bout de peu de temps il vit qu’il courait à sa ruine; 1l voulut résilier son traité, et de là des pourparlers, des discussions dont les docu- ments reproduits par M. Port nous font connaître toute la suite lamentable. SOC. D’AG, 12 — 178 — Biardeau, semble-t-il, n’était pas riche. En effet, à la suite d’une requête des Oratoriens, on fit un inven- taire des différents objets garnissant les deux chambres composant tout son logis. L’une servait d'atelier; dans l’autre se trouvait le mobilier suivant : « Une couchette à quatre pilliers avec une housse de meschante serge verte, une couverture de laine blanche, un lict de plume et une paillasse; » Item trois mortiers de marbre noir, une scie à scier pierre, un coffre de bois fermé à clef, duquel avons faict faire ouverture de sa serrure, qui est cassée et attachée par dessous avec deux crampons, dans le- quel s’est trouvé ce qui s'ensuit : » Un récheau de fer, un soufflet, une cramaillère, un gril, un crochet, le tout de fer, un boisseau, deux sacs, une pelle et une pincette de fer, une carabinne à rouet, un vieil canon, un vieil mousqueton et fuzil, une corde, trois platz et deux assiètes d’étain, une poille à frire, un poillon de cuivre jaune, deux chau- drons, l’un grand et l’autre petit, un crochet à pezer, une broche, une petite cuillière d’étain, une petite lampe et un petit chandellier de cuivre et quelques potz de terre; toutes lesquelles choses nous avons faict re-- mettre dans led. coffre. » Et sur le fonds dudict lict avons trouvé un modelle de vase de fruicts de terre; » Plus un portrait du deffunct roy Henry qua: triesme. » Par un singulier hasard, la maison qu'habitait Biar- deau et qui lui avait été prêtée par les Oratoriens pour lui et ses ouvriers, était la maison du Jagueneau, où — 179 — plus tard devait faire pénitence Mme ‘de Montespan dé- laissée. Outre les documents concernant Notre-Dame des Ar- dillers, M. Port nous en fait connaître un autre d’un haut intérêt, c'est le « marché pour la reconstruction du grand autel des Carmes d'Angers et le tombeau de messire Hercules de Charnacé, ambassadeur de France, par François Picard et Pierre Biardeau, » le 5 mars 1638. « Plus feront, dit le traité, lesd. entrepreneurs, les portraictz dud. deffunct seigneur de Charnacé et de deffuncte madame sa compagne et espouze, en buste, priants, aussy de terre recuiste, à proportion du des- saing, qui sera d’un pied et demy de haulteur, chacun avecq leurs armes laillées en relief sur tuffeau. » Assurément tout n'est pas dit sur Biardeau; son existence ne nous est que bien imparfaitement connue ; mais ce qui est certain, c’est qu'il est l’auteur de tra- vaux considérables, et dont quelques-uns sont en- core justement admirés. C’est de plus, qu’il habita bien longtemps Angers, s’il n’y est pas né. Toutes les pièces, en effet, que cite M. Port, datées de 1638, 1656, 1657, 1665, portent qu’il demeurait dans notre ville, paroisse de la Trinité. Biardeau eut deux filles, nommées Françoise et Marie; toutes deux demeuraïent aussi à Angers, pa- roisse de la Trinité. Après sa mort, il y eut une tran- saction entre elles et les PP. de l’Oratoire; elle nous apprend que Marie était alors « femme séparée de biens et d'habitation de Louis Garreau, marchand. » Nous ne pouvons que prier M. Port de continuer la — 180 — publication de ces documents si précieux; nul n’a mieux que lui le secret des richesses enfouies dans le trésor de nos archives départementales. Parmi les sociétés savantes des départements voisins, une de celles qui ont le plus de droits aux encourage- ments et aux éloges de tous les amis des sciences his- toriques et archéologiques, est la Société polymathique du Morbihan. Elle s'occupe avec un zèle trop rare au- jourd’hui de toutes les recherches qui peuvent éclairer l'histoire des monuments primitifs de la Gaule. Vous savez combien le Morbihan offre de monuments celti- ques ; il suffit de nommer Carnark, Locmariaquer, pour donner une idée de ces richesses sans pareilles. M. René Galles, sous-intendant militaire, dirige avec une intel- ligence et un désintéressement qu’on ne peut trop louer, les fouilles qui viennent nous révéler les richesses en- fouies depuis tant de siècles sous les tumulus. C’est à lui que l’on doit la conservation à la France des ré- sultats de ces fouilles, car, sans sa généreuse initiative, l'exploration des monuments eût été faite pour le compte de l’Académie royale d'Irlande. Le Bulletin de la Société polymathique du Morbihan, du deuxième semestre 1863, contient une note sur un dolmen découvert sous la tombelle de Kercado en Carnac, et deux autres notes sur des recherches entre- prises sous des tombelles à Locmariaquer. Ces recher- ches, toujours fructueuses, ont mis au jour une infinité d'objets curieux, et doivent être, pour les savants qui les entreprennent, la source de véritables jouissances, en même temps qu’elles seront d’un grand secours pour la science archéologique. — 181 — Je ne puis mettre ici sous vos yeux tous les résultats de ces curieuses explorations, mais les travaux que nous trouvons dans le Bulletin de la Société polyma- thique nous font connaître deux faits particulièrement intéressants. Le bourg de Locmariaquer cest placé entre deux tu- mulus; celui de Manné-er-H’roëk, au sud, et celui de Manné-Lud au nord. Ils ont été fouillés en même temps. Le Manné-er-'roëk est une tombe, et sur une des pierres précédant la crypte et en protégeant l'entrée, est une inscription dont le sens nous échappe aujour- d'hui. Voici quelle est à ce sujet l'opinion de sir Samuel Fergusson, membre de l’Académie royale de Dublin : « La pierre inscrite que vous avez eu la bonne for- tune de trouver, sous la butte de César, nous paraît avoir une très-grande valeur ethnologique. Les dessins qui la couvrent ont un caractère sui generis, qui diffère complétement de tout ce qu’on a trouvé jusqu'ici en Eu- rope. Il est impossible de regarder l’arrangement de ces dessins, sans être frappé de l’interposition d’une espèce de panneau au milieu de l’armée de celtæ qui le précèdent et le suivent, absolument comme on trouve, sur les monuments égyptiens, au milieu des hiérogly- phes, un cartouche contenant le nom du personnage que l’on a voulu rappeler. Ces haches ont-elles, en effet, un sens hiéroglyphique, ou est-ce simplement une représentation des armes favorites du chef dont le nom peut être exprimé par les caractères compris dans le panneau ? Sans l’aide d’un plus grand nombre de ma- tériaux, il serait téméraire de se prononcer sur une pareille question. .…. — 182 — » Gette sculpture (celle du panneau) présente essen- tellement un caractère non européen; en la considé- rant, on est tenté de s’écrier : Comme c’est asiatique! et chaque ligne de ces dessins extraordinaires semble dire : Nous ne sommes l’œuvre d'aucune des races euro- péennes existant aujourd hui; sil en est ainsi, nous re- gardons ici une page de l’histoire de l’homme qui n’a Jamais été ouverte, et chacun de ses traits devient d’un immense intérêt. » Le Manné-Lud semble n'être pas seulement une tombe comme le Manné-er-H’roëk. Des fouilles ayant été entreprises vers l’extrémité orientale de ce tumulus, ont donné aux explorateurs les résultats suivants : « Ici, dit M. René Galles, la fouille à ciel ouvert est facile, car nous ne rencontrons, sur une épaisseur de plus de quatre mètres, que des vases desséchées, faciles à trancher, et qui se maintiennent parfaitement, quoique coupées verticalement. » Notre tranchée, que nous dirigeons parallélementau grand axe de la tombelle et un peu au sud de cette ligne, a rencontré, à 5 mêtres environ de son origine, c’est-à-dire à 10 mêtres du bout du tumulus et à 4m,40 au-dessous du sommet, un alignement curviligne de petits menhirs juxtaposés et noyés dans les vases. » La flèche de la courbe ainsi formée a 0®,35, et la corde, longue de 7m,30, est à peu près dirigée du nord au sud. » Notre tranchéc n’ayant encore que cette dimen- sion, nous ignorons, jusqu'à présent, si l'alignement de pierres debout se prolonge dans toute la largeur du tumulus. — 183 — » Nous avons découvert cinq menhirs dans la région nord, formant une longueur de 3m,40, et sept dans la région sud, donnant celle de 3m,50. Ces deux por- tions sont séparées par une pierre debout de 0®,40 de largeur, mais dont la plus grande épaisseur est dirigée de l’est à l’ouest, tandis que les autres présentent la leur dans le sens de l’alignement : cette pierre forme ainsi comme un nœud dans cette espèce de chapelet. » Sur chacune des cinq pierres du nord, nous avons trouvé le squelette d'une tôle de quadrupède, que nous regardons comme appartenant à la race chevaline. » Les mâchoires surtout, munies de leurs dents, sont parfaitement conservées, à tel point qu’il ne serait nul- lement impossible de reconnaître à l’arasement de la table de ces dents, l’âge du cheval auquel elles appar- tenaient. Nous avons soigneusement recueilli ces os- sements. » À 2,60 de l'alignement dont nous venons de parler, en marchant vers l’ouest, c’est-à-dire en s’enfonçant dans le tumulus, nous avons rencontré un alignement parallèle, composé de pierres un peu plus fortes, mais non plus juxtaposées, de telle sorte que, pour former la longueur du premier, il n’y a que quatre pierres au lieu de treize. » Le sol de l'allée formée par ces deux lignes n’est autre que le roc naturel; il se trouve au même niveau que la surface supérieure de la roche granitique mise très-clairement en évidence par la coupure que la route d'Auray à faite, à l'extrémité est du tumulus, dans la butte artificielle et dans le terrain qui la supporte. » Au-delà de la seconde rangée de pierres, celle de — 134 — l’ouest, nous trouvons, à partir du niveau que nous venons d'indiquer, un galgal de pierres de petit échan- tillon dont nous ignorons la profondeur, mais qui semble ainsi s’enfoncer au-dessous du sol naturel voisin, celui-ci paraissant, à partir de ce lieu, subir une dépression naturelle ou artificielle. Nous croyons de- voir faire remarquer que la surface de toutes les pierres de ce galgal offre une coloration rougeâtre très-sen- sible. D’ailleurs il existe toujours, au-dessus, une épaisseur de vases, profonde de 4m,40. » En différentes régions de la paroi septentrionale de notre tranchée, nous avons rencontré de singulières portions de galgal semblable à celui que nous venons de décrire. Elles affectent la forme d’un segment de berceau cylindrique et s’interrompent brusquement, complétement noyées dans les vases. Pour reconnaître leur destination, nous aurons à les suivre perpendicu- lairement au sens de la fouille. » Ajoutons enfin que les vases sont, par-c1, par-là, perforées suivant une direction horizontale, et, le plus souvent, perpendiculaire au grand axe du tumulus. Les trous ainsi formés ont, au maximum, 0m,08 de dia- mètre, mais leur longueur varie et atteint 4 ou 5 mêtres : ils sont sans issues à l’extérieur, et nous les avons trouvés remplis d’une poussière fine, couleur de rouille, dont nous avons rapporté des échantillons. » Telles sont, jusqu’à présent, les circonstances cu- rieuses que nous avons à noter, elles prouvent déjà, d’une manière évidente, que , sous ce: tains tumulus, il y a autre chose que les dolmens auxquels nous avons jusqu'ici borné nos recherches; elles viennent à l'appui Doha ie, 2, à — 185 — de l’opinion que nous avons émise, dans un précédent mémoire, que le tumulus peut avoir eu pour destina- tion de recouvrir, non-seulement la tombe d’un chef, mais tout l'emplacement consacré par les rites des fu- nérailles, et, peut-être, par les sacrifices accomplis à leur occasion. » Il n’est impossible, à moins d’abuser de votre atten - tion, de continuer ces citations. Mais je vois là un exemple à suivre. Nos collègues du Morbihan nous montrent le chemin. Si notre pays est moins riche en mo- numents anciens que la Bretagne, il nous cache encore bien des richesses, et pour les découvrir il ne faut qu’une chose : le vouloir, avec résolution et persévé- rance. La Revue des Sociétés savantes (mars 1864) contient un document fort intéressant et original. C’est le journal historique de l'ambassade du maréchal de Belle-[sle à la diète de Francfort, par Le sieur Tassin, son chef de cui- sine. L’horizon de cet historiographe est fort restreint, il ne dépasse guère ses fourneaux ; cependant ce Journal nous apprend plus d’un fait que l’on ne trouve peut- être pas ailleurs, et la simple lecture suffit pour que chacun en apprécie la parfaite véracité. Par exemple, Tassin ne néglige jamais ce qui rentre dans sa spécialité; il note avec soin les détails suivants : . © Le bœuf, le veau, le mouton, ysont bons (à Francfort). Ils s’y vendent quatre sous la livre, dans les bonnes maisons. Le gros gibier se vend le même prix, un gros hèvre communément vaut 17 à 18 sous. Les poules et les poulardes y sont assez bonnes. Gommunément il s’y consomme beaucoup de légumes. On y mange des soupes — 186 — faites avec de l’avoine et du millet. Les Allemands font assez grande chère, mais mal arrangée. » Ensuite il examine ce qui se passe autour de lui et nous fait connaître les particularités suivantes : « Les enterrements des luthériens sont singuliers : quand il en meurt un, l'usage est de garder le corps pendant trois jours. On l’embaume, et une vingtaine d'écoliers de l’âge de 15 à 920 ans viennent chacun de ces trois jours, couverts de manteaux bleus, chanter quatre à cinq fois à la porte du mort et aux portes des parents. » Le jour de l’enterrement ces écoliers ouvrent la marche en chantant, viennent ensuite une vingtaine d'hommes, en manteaux noirs et crêpes, gants blancs, chacun un citron à la main, à leur tête on porte une croix. — Puis un carrosse de deuil, les chevaux cou- verts de housses. Ce carrosse a la forme d’un char avec un dais dessus. Le corps est placé sur ce char et sous ce dais, dans une bière de bois noir, bien sculptée et lissée, recouverte d’un drap noir. fl » Suivent cinq ou six carrosses de deuil, à l’ordi- naire. » Dans le premier est le ministre ou prêtre luthérien, en manteau court, et qui porte au lieu de rabat une fraise à la cent-suisse autour du col. » Dans les autres, se placent les parents et amis du défunt. » À la porte du cimetière, huit des plus proches pa- rents prennent le corps du défant et le portent dans la fosse. » Pendant qu’on le couvre de terre, le ministre fait —— 187 — un sermon, et les écoliers chantent à force de voix des cantiques. » Le sermon fini, toute la compagnie va faire un bon repas, à la sortie duquel on donne une demi-pis- tole à chacun. » I n’y a ni luminaire ni prêtres à ces enterrements. » Lorsque le corps passe devant une église luthé- rienne, une bande de peuple monte autour, chante el joue des instruments. » Il y a des enterrements qui coûtent jusqu'à deux mille écus. » À cette époque, les Français étaient peu aimés de l’autre côté du Rhin. Tassin nous en rapporte deux preuves convaincantes. M. le maréchal de Belle-Isle avait fait faire à Mayence une centaine de bois de lits pour les domestiques. « Ces bois de lits étant arrivés à Francfort par eau, furent chargés sur des charrettes pour être conduits du port à l'hôtel de M. de Belle-sle, qui était dans le quartier marqué pour l'électeur de Bavière. Aussitôt une multitude de menu peuple et des enfants de 15 à 18 ans arrêtent les charrettes et brisent les bois de lits avec une insolence inouie..……. Aucuns des gens de M. de Belle-Isie ne jugèrent à propos d’aller montrer leur nez dans cette bagarre, et ils firent bien. » « Comme la suite de M. de Belle-Isle était nom- breuse et qu'il avait ordre de paraître avec éclat, on avait fait faire, pour augmentation, une cuisine de 100 pieds de long sur 45 de large. Il y avait été employé huit milliers de planches de sapin, outre la charpente, qui était considérable. Ce bâtiment était presque achevé ei en élat d'y pouvoir fre le manger, lorsque le 17 — 188 — avril, sur les huit heures du soir, le feu y prit. En une heure de temps il fut entièrement consumé. Il n’a pas été possible de découvrir les auteurs de cet incendie. » Quelques personnes l’ont attribué à des gens mal intentionnés qui n’aimaient pas les Français. Toutes les circonstances pouvaient le faire supposer, car des coups avaient déjà été donnés aux gens de la maison et aux Français par les Allemands, qui disaient haute- ment que quand les Français seraient brûlés, il n’y aurait pas grand mal. » M. le comte de Pappenheim, grand-maréchal hé- réditaire de l'Empereur, accourut porter des secours à la tête de cinquante hommes dela garde. Ces hommes restèrent dans l’hôtel, que l’on qualifiait de palais, pour empêcher quelque mutinerie, et l’on conseilla aux Français de se retirer et de laisser éteindre le feu par les nationaux. » Je ne prétends point excuser de telles manières d'exercer l'hospitalité. Il n’en est pas moins vrai qu’il n’est pas étonnant qu'après tant d'années de guerres, suivies de toutes les ruines et de toutes les misères, les Allemands aient eu peu de sympathie pour notre représentant. Le maréchal de Belle-Isle semble ensuite n'avoir pas complétement répondu aux vues de son souverain, qui lui avait ordonné de ne rien épargner pour rendre son ambassade brillante, et le sieur Tassin fait à ce sujet quelques réflexions plus qu’indiscrètes. Cependant la fête du roi étant arrivée, le maréchal la célébra avec une grande magnificence. Elle dura quatre Jours, et Tassin nous en donne ainsi le détail : — 189 — « Le premier jour, jeudi 24, on servit deux tables de vingt-cinq couverts chacune, matin et soir; elles fu- rent couvertes de tout ce qui était le plus recherché à Francfort. » Le vendredi 25, il y eut une messe solennelle au Dôme, qui est l’église cathédrale des catholiques ro- mains. » Toute la noblesse catholique y assista. M. de Belle- Isle était revêtu de son magnifique costume de l’ordre de Saint-Louis. » Douze carrosses, remplis de la noblesse de la suite de l'ambassadeur, partirent du palais de l'ambassade pour se rendre à l’église. Cent domestiques revêtus de leur livrée entouraient les carrosses. » Au retour de la messe, il y eut deux tables de vingt- cinq couverts, auxquelles se placèrent tous ceux qui faisaient partie du cortége. » Dans la soirée, les comédiens français donnèrent la comédie gratis au public. » Pendant ce temps le palais fut illuminé, et l’on tira sur l’eau un feu d’artifice. » On avait dressé au bord de l’eau plusieurs tentes dans lesquelles les dames jouaient et prenaient le thé, le café et les rafraîchissements. » Après le feu, toute la compagnie revint souper au palais du maréchal. » Le samedi 26, il y eut aussi grande table. » On tira Voie sur la rivière. Le prix consistait en deux écuelles d'argent couvertes et leurs assiettes. » Les mariniers étaient revêtus de costumes qui leur avaient été donnés par M. le maréchal. — 190 — » Ensuite la compagnie alla souper au palais. » Le dimanche 97, il y eut déjeuner et diner. » Le soir, on servit quatre tables. Une en fer à cheval où il y avait cent personnes. » On servit sur cette table : onze pots à loïelles à cuvetles (sic), quatre-vingt-quatorze entrées ou relevés, trente plats de rôts, quatre-vingt-deux entremets, cent trente plats de fruits, quatre-vingts compotes. » Les trois autres tables, de vingt-cinq couverts chaque, furent servies à proportion. » On but à la santé du Roi, du Dauphin et de la Reine. À chaque santé on fit une décharge de cent boîtes, car, quoiqu'il y ait du canon dans la ville, ce n’est pas l'usage de le tirer. » Après le souper, le bal commença dans deux salles de cent pieds chaque, ïl finit à cinq heures du matin. » Pendant le bal on distribua toutes sortes de rafrai- chissemients. » L'on avait illuminé tous les environs du palais, et l’on distribua des tonneaux de vin dans plusieurs quar- tiers de la ville. » L’ambassadeur d'Espagne, dont le palais était proche de celui du maréchal de Belle-Isle, le fit illu- miner avec des grands flambeaux de cire blanche. » Les Allemands furent bien étonnés de voir la ma- gnificence de l’ambassadeur de France. Ils ne savaient plus que dire. » L'ambassadeur d’Espagne était M. de Montijo, l’un des ancêtres de notre impératrice. Le but de l’ambassade, du maréchal de Belle-Isle était l’élection d’un empereur d'Allemagne. Le roi de ann actdeuct 0 — 191 — France, suivant un traité de 1658, avait le droit d’en- voyer un représentant à la diète de Francfort, à cause de l’Alsace et de la Lorraine. Le 24 janvier 1742 eut lieu l'élection; l'électeur de Bavière fut nommé d’une voix unanime. Le couronnement eut lieu le 10 février, et Tassin nous fait connaître une curieuse cérémonie qui le suivit : « Après le couronnement, qui a eu lieu dans la ca- thédrale, l'Empereur doit retourner à pied à l’hôtel- de-ville. On dressa à cet effet, depuis l’église jusqu’à lhôtel-de-ville, un parquet couvert de drap bleu et blanc, sur lequel l'Empereur retourna à pied et sous un dais, revêtu des habits impériaux et la couronne sur la tête. Son frère, l'électeur de Cologne, marchait encore à ses côtés. » Le peuple a beaucoup crié : Vive l'Empereur ! » Immédiatement après son passage et pendant même que les gardes étaient encore sur le parquet, le peuple s’est jeté sur le drap et l’a arraché par lambeaux. » L'Empereur étant rentré à l’hôtel-de-ville, M. de Pappenheim , grand maréchal de Empire, monta sur un très-beau cheval, et, tenant de la main droite une espèce de demi-boisseau d’argent, il poussa son cheval dans un tas d'avoine, contenant environ six charretées, dressé en monceau sur la place. Après être ainsi entré trois fois dans ce tas d’avoine et avoir rempli sa mesure jusqu'aux bords, il la vida sur le tas, et alla ensuite descendre de cheval à la porte de l’hôtel-de-ville, où mangeait l'Empereur, et lui présenta la mesure d'argent. » Aussitôt le peuple se jeta sur l’avoine, emportant ce qu’il put. — 192 — » Ensuite un des grands officiers de l'Empereur vint couper un morceau de bœuf qui cuisait depuis trois jours dans la même place, dans une cuisine faite exprès avec des planches, et l’alla porter à l'Empereur. Le peuple se jeta alors sur le bœuf comme il venait de le faire pour l’avoine, le dépeça et l’emporta, ainsi que la cuisine, qui fut abattue à coups de hache. » Il y eut ensuite des distributions de pain et des fontaines de vin. » Un grand nombre de pièces d’or et d'argent furent aussi jetées au peuple des fenêtres de l’hôtel-de-ville. » Dès le 24 février, le maréchal de Belle-Isle partit de Francfort pour la France; les officiers de sa maison se mirent en route seulement le 20 avril. Ils s’arrêtérent à Lunéville à la cour du roi de Pologne, mais Tassin ne semble pas avoir dépassé le seuil de la cuisine. « Colombel, dit-il, le maître d'hôtel, est un homme poli qui fait bien les honneurs de sa maison. Il y a trois chefs de cuisine dans le même goût, qui ont sous eux des aides. Ils reçoivent très-bien leurs amis » Ici s'arrête le récit de Tassin, récit tout au moins amusant et certainement vrai, mais qui nous apprend, une fois de plus, qu'il n'y a point de héros pour son valet de chambre. PauL LACHÈSE. D RES Der SENTE RE ES ETES Æ,