UNIVtRSITV 0^ B.c. LIBRARY 3 9424 00126 3323 / <* -■ :'■ X à République Française îj Xifcerté-Egalité-ïraternité 1 \tr^r~'^:Y-is. mn /C- E^ NVX Prix Municipal de Gymnastique STCKAGE ITEM PHCCESS IKG-CNE Lpl-F20i3 U.B.C. LIBRARY MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CEMRALE Droil.i de reproduction et de traduction réservés pour tous les jxiys, y co)))/iris la Siirtle et la Nni-vcge. TYpiir.mi'iriF. kii:min-iiii>iit i;t r;"'. — mksmi. (F.ritr.). Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of British Columbia Library http://www.archive.org/details/mesgrandeschasseOOfo EDOUAUD FOA. EDOUARD FOA EXPLORATEUR MES (;iUM)ES CHASSES DANS L'AFRIOUE CENÏKALE OUVRAGE ILLUSTRÉ DE 76 GRAVURES DESSINÉES KN CuLhABOllATIOX Par MM. Emile BOGAERT et Paul MAHLER D'APUKS LE.S DE8.«I.VS ET LKs D O C U M E S T S DE I.'AUTEUl! VMWS I. Il; U A ilM K 1) E FI UM 1 X - 1) I DOT HT ( ' ' ' l.MI'KKMIil i;S DE l'INSÏITL'T, KL'E JACoJ!, 5G 1895 M. FREDERICK COURTENEY SELOUS C. M. Z. S. LV. VAILLANT TUEUR DE LIONS l'auTEUH EXPÉlilMENTÉ ET VÉRIDIQUE DE « .4 Iliiiilci-'s Wdndcriii!:;^ in Soiilli A/'ricti » JE DÉ DIT, ci; livre en témoicnalie de ma sincère admiration Edouard EOA INTRODUCTION. Je fus cliargé, en 1891, crime mission privée ayant pour but l'exploration minutieuse des territoires avoisinant le Zambèze, surtout au Xord, après avoir traversé l'Afrique Australe pour y étudier les colonies du Cap et du Transvaal. Ces territoires peu connus et intéressants sous tous les rap- ports offraient bien des sujets d'observation, tels que les mines, leur exploitation et leur rendement, le système local de coloni- sation, la main-dVeuvre, les produits, etc. Mes recherches dans les pays nouveaux, au Nord du Zambèze et sur le Zambèze même , consistaient en des études géogra- phiques, hydrographiques, géologiques, climatologiques, oro- graphiques et zoologiques. Tels furent les motifs et le but principal de mon voyage. Mais j'en avais un autre : la passion de la chasse jointe au désir intense d'être face à face avec la grande faune africaine. Je ne suis pas de ces amateurs qui chassent par désœuvrement ou pour suivre la mode, pendant trois ou quatre mois de l'année, qui ont la patience d'attendre, à un endroit donné, un animal que leur meute leur amène, ou bien encore de suivre à la course, pendant plusieurs heures, un pauvre cerf ahuri ; je ne comprends guère CHASSES DANS I. AFRIQI E CENTRALE. ,1 INTRODUCTION. raltrail des tirés au lapin dans un lieu habituel, ni les massa- cres de grouses et de faisans que Ton fait en Angleterre. Ce que je rêvais, c'était Fimprévu, l'animal, dangereux ou non. rencontré au coin d'un fourré, sa ruse instinctive déjouée par l'expérience humaine, sa défense quelquefois désespérée, et enfin sa mort, due à la fois à la sûreté de main, au coup d'œil, à la prudence et à l'habileté du chasseur. Cette passion tient de la rage, du délire; elle m'a fait oublier quelquefois même l'intérêt de ma propre conservation; mais, en revanche, elle fut ma seule compensation, ma seule distraction pendant les années où je vécus dans les bois, privé de tout, loin de tous, sans un livre, restant souvent pendant des mois sans une lettre d'Europe; elle m'occupa, me fortifia et fit de moi un marcheur infatigable ; elle m'évita les regrets, ces lon- gues heures de réflexion, où, le cœur gros, on pense à son pays, à ceux qu'on aime; enfin, la nuit venue, harassé de fatigue, je dormais toujours d'un sommeil réparateur, revoyant souvent en songe les péripéties cynégétiques de la journée. Voilà surtout ce qui me décida à tenter les aventures dans des pavs inconnus, d'un accès réputé difflcile, peuplés de noirs belliqueux et indépendants; c'est cocpii me fit supporter, le cœur léger, des fatigues, des tracas continuels, la faim même, me sou- tenant dans mes découragements ; et aujourd'hui encore , si je regarde en arrière pour revoir ces années, j'en oublie les maux, et n'y retrouve que les bons moments ; je pense aux braves gens qui partagèrent mes dangers et mes triomphes, et je ne puis retenir de gros soupirs de regrets. J'avais déjà chassé en Afrique, au cours des différents voyages que j'y ai entrepris. Avant la campagne de Tunisie, sur le Bou- ras ou lac de Tunis, j'avais tué des grèbes, des canards, des macreuses, et, dans les petits bois de notre future colonie, force lièvres, perdrix, cailles et grives. Au Sud de l'Algérie, j'avais poursuivi la gazelle; puis, plus LMUODUCTION. m tard, au Dahomey, tué de nombreux crocodiles et fait des hé- catombes de sarcelles; quelquefois aussi , j'avais essayé, sans grand succès, delà chasse à l'antilope, au sanglier et au léopard. IVfais je rêvais de plus hautes destinées. Ce ne fut que pen- dant mon dernier voyage que j'eus le bonheur de me trouver dans des pays à peu près sauvages. Dans quelques-uns même, l'homme n'avait pas encore posé le pied. .J'y rencontrai toute la faune tant cherchée, depuis le gigantesque éléphant jusqu'à la plus mignonne antilope, sans oublier les grands fauves. Ma bonne étoile me servit à souhait; peut-être l'y ai-je un peu ai- dée, car je comptais être plus heureux en choisissant ces re- mous. Mon temps fut divisé en deux parties : 1" la marche de l'expé- dition et les études dont j'étais chargé, qui feront l'objet d'un récit à part; 2" les chasses. Ce sont ces chasses, datant d'hier, vivantes dans mon esprit, que je vais essayer de raconter; je tenterai d'en décrire les différentes péripéties , simplement , fidèlement , d'après mes impressions et mes notes. Le lecteur n'y trouvera, au début, que des aventures plutôt banales; mais il se souviendra que j'ai eu à faire mon appren- tissage, à acquérir des notions précises non seulement sur le tir, mais encore sur l'art de reconnaître une piste. Dans ces pavs, où, à défaut de chiens, le chasseur doit lire sur le sol et les objets environnants pour y prendre toutes ses informations, l'œil a besoin d'une longue pratique pour découvrir rapidement et sûrement tous les indices. Au fur et à mesure que je m'avançais dans les pays moins fréquentés, mon expérience augmentait, et, en même temps, les animaux devenaient plus variés ou plus dangereux à pour- suivre. C'est alors que commencent ces aventures dont quel- ques-unes faillirent me coûter la vie, et auxquelles j'échappai souvent par un hasard providentiel. IV INTRODUCTION. J'ai joint à mon récit, chaque fois que le cas s'en est présenté, des renseignements sur notre existence étrange et nos vicissi- tudes, quelques descriptions des pays traversés, des renseigne- monts sur les coutumes des indigènes, enfin une esquisse des habitudes et des mœurs de la faune que j'ai rencontrée. Je souhaite que les chasseurs et les naturalistes y trouvent quelque chose de nouveau et d'intéressant. CHAPITRE PREMIER Préparatifs de départ. — Armement et équipement. — 'N'oyage de Lisbonne au Cap de Bonne-Espérance. — 'N'isites au Cap et au Transvaal. — Chasseurs Boers. — Excursion du côté du Crocodile River. — Première chasse dans r.Vfrique australe. — Outarde et gazelles. — Premières étapes. Ouelqucs jours avant mon départ, je m'étais fait mettre en relations, à Londres, avec un Anglais, M. T., qui revenait de TAfrique Australe et avait, disait-on, beaucoup chasse là- bas. .Je désirais obtenir de lui des renseignements précis au sujet des armes à emporter, des munitions nécessaires, des régions à préférer, tant au point de vue de la commodité du voyage qu'à celui du gibier à rencontrer. M. T. me donna gra- cieusement toutes les indications en son pouvoir et, de plus, me fit faire la connaissance d'un de ses amis plus expert encore 6 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. que lui en matière de chasse. Ce fut d'après les conseils qui me furent donnés par ces messieurs, joints à une foule de rensei- gnements récoltés de toute part, que j'achetai mon équipe- ment. Avant d'entreprendre un voyage d'aussi longue durée et des chasses peut-être périlleuses, je devais veiller à mon arme- ment avec un soin tout particulier. M. Galand, le fabricant d'armes bien connu, dont je suis client depuis bientôt douze ans, voulut bien se charger de m'exécuter, sur des mesures spéciales en ce qui concerne la longueur des crosses et des armes, leur poids, leur portée et leur réglage, des carabines rayées, doubles, dont je n'ai eu qu'à me féliciter. Ces armes consistaient en : 1° Un express rifle (calibre anglais 577) d'une puissance et d'une solidité peu communes, d'une précision telle que, à l'essai sur chevalet fixe, ses balles se couvraient les unes les autres à 100 mètres. Il tire une charge de poudre dépassant 11 grammes et des balles qui varient comme poids et composition. Je les dé- crirai plus bas. Cette arme a tué les neuf dixièmes des pièces que j'ai inscrites au tableau pendant mes trois années de courses dans les bois, et elle est aujourd'hui l'objet auquel je tiens le plus au monde; 2" Une carabine rayée à double canon, calibre 12, plus courte, ayant moins de portée, mais lançant une balle à pointe d'acier à laquelle rien n'a jamais résisté, comme on le verra lorsque je raconterai ses effets dans le crâne épais de l'hippopotame. Pour la chasse aux grands animaux, cette arme est un auxiliaire puissant ; 3*^ Une carabine rayée double du calibre 8, chargée à 14"'" 8 de poudre et lançant une balle de quatre onces et quart, pour les géants des forêts, comme le rhinocéros et l'éléphant; d'une solidité et d'une résistance peu communes, mais d'un poids proportionné, cet engin destructeur, qui est, en somme, un petit PREPARATIFS DE DEPART. 7 canon, a tué quelquefois d'un seul coup un de ces gigantesques pachydermes. Ces armes, l'express surtout, m'ont donné de tels résultats, une telle satisfaction, que j'en ai été émerveillé et que j'ai plus d'une fois, du fond des forêts, adressé à M. Galand les remer- ciements sincères que je lui renouvelle ici. Avec un fusil bien réglé, il y a peu de mérite à tirer juste. En plus des armes qui précèdent, j'emportais des couteaux à dépecer, des haches, un gros harpon, un filet de pèche, des lignes, des hameçons, sans parler du matériel considérable destiné à l'expédition : tentes, campement, ustensiles divers, instruments, etc. Je devais partir seul, afin d'avoir plus de temps pour orga- niser notre expédition; trois camarades devaient me rejoindre ensuite au Transvaal, par les courriers suivants. J'allai m'em- banjuer à Lisbonne pour le Gap de Bonne-Espérance. Je fis le voyage de Lisbonne au Cap fort agréablement, en compagnie de deux de mes amis, les frères Beddington, de Londres, qu'une excursion de chasse de trois mois amenait également dans ces parages. Je laisse à deviner au lecteur le sujet continuel de nos conversations à bord. Ce ne furent, pendant les dix-huit jours du voyage, que dissertations sur les armes, les munitions, la partie vitale à atteindre chez les diffé- rents animaux, des aventures de fox-hunting, de grouses, do sangliers, de crocodiles, sans cesse revenant sur le tapis. Le livre ancrlais si intéressant de IM. F. C. Selous sur ses exploits dans l'Afrique du Sud en 1874, alors que la civili- sation n'y était pas encore arrivée, les aventures nombreuses et si vraies du chasseur de profession, nous donnaient la fièvre, à un tel point que, en arrivant au Cap, les Beddington éprouvèrent le besoin subit d'augmenter leur armement, déjà fort respectable , et d'ajouter à leur matériel de nouveaux en- gins de destruction. 8 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. A Capc-ToNvn, grâce à des lettres crintroduction, je fus reeu d'une façon charmante par le Directeur du Muséum, dont le collaborateur, un de nos compatriotes, M. P., me fit, avec amabilité, les honneurs de ses collections, fort complètes, ma foi! Mes amis et moi, nous passâmes de longues heures devant les spécimens empaillés d'antilopes, d'éléphants, de rhinocéros et de girafes, enviant secrètement le bonheur de ceux qui les avaient tués. On nous apprit que ces animaux ne se rencon- traient plus que fort loin, à des mois de voyage dans l'intérieur, et mes amis en éprouvèrent une grande déception; ils ne pou- vaient arriver jusque-là. Quant à moi, j'y allais, dans ces pays, j'étais appelé à y rencontrer un jour ces grands quadrupèdes, et cet espoir me réjouissait. 11 3' a encore des éléphants dans la colonie du Cap et dans le district de Port-Elisabeth, mais le gouvernement anglais les a pris sous sa protection , et la chasse en est défendue depuis bien des années. Partout où nous allions, nous ne voyions que cornes d'anti- lopes, peaux, plumes d'autruches et autres trophées analo- gues (i). « Tout cela vient de l'intérieur, » nous disait-on inva- riablement quand nous prenions des informations. Pendant le trajet en chemin de fer du Cap à Kimberley, nous avions traversé des plaines immenses s'étendant à perte de vue et rappelant exactement celles de la Cran; ce ne pouvait être le gîte d'aucun animal. De Kimberley, pour nous rendre à Johannisburg, nous pri- mes le coach, espèce de diligence sans ressorts, attelée de dix chevaux qui traversent au galop les ravines, les champs la- bourés, galopant sur les pierres au mépris des pauvres vo^^a- (1)11 est d'usage, au Cap, au Trausvaal et au Natal, dans les clubs et dans les liotc'ls, d'urncr les halls de cornes d'antil()])es. montées sur des écussons en chêne. ^■ISITES AU CAP ET AU TRANSVAAL. 9 geiirs qui arrivent au relais cahotés d'une façon lamentable, les membres meurtris et criblés de bleus. Cependant le pays avait changé. Le- Transvaal, avant son dé- veloppement actuel, a dû être un beau pays de chasse : à chaque instant, sous la voiture même, des compagnies de perdreaux, des lièvres, des cailles, si grasses qu'elles pouvaient à peine Une vue de [Kiturages au Transvaal. voler, se levaient pour disparaître de nouveau dans les fourrés voisins; je ne parlerai pas des secrétaires (2), des khoorhans (3) et autres grands oiseaux qui abondent dans la région. Le deuxième jour du voyage, qui dura soixante-dix heures, nous aperçûmes, à notre grande joie, un animal gracieux qui s'éloignait par bonds, et que les grandes herbes eurent (1) Synonyme de serpentaire. (2) Yaal khoorhans {Olis scolopacea) espèce d'outarde. CUA>SF.S DANS l'aFKKjIK CKXTI!\I.K. 10 MES GRANDES CHASSES DAxNS L'AFRIQUE CENTRALE. bientôt dissimulé à nos regards : c'était la première antilope. Un de nos compagnons de voyage, un Boer, nous apprit que c'était un reedbuck [Cervicapra arundinacea). Devenu plus communicatif, le Boer voulut bien nous parler de ses exploits cvnégétiqucs et nous raconter comment ses compatriotes poursuivaient autrefois la girafe sur leurs petits chevaux indigènes; lui-même en avait tué plusieurs; mais les temps avaient bien changé. La population blanche était venue d'Europe, la fièvre de l'or avait lancé dans toutes les directions les prospectors avides de gain ; une foule de gens avaient suivi l'industrie minière et vécu de ses besoins; les villages étaient devenus des villes, et des cités étaient nées en rase campagne. Tous les nouveaux arrivants avaient séjourné dans les bois au début, tuant ou blessant des quantités d'animaux sauvages qu'ils chassaient autant par nécessité que par goût, et, peu à peu, la région s'était dépeuplée : les éléphants, les girafes, les autruches avaient complètement disparu , et c'est tout au plus si l'on voyait de temps à autre quelques antilopes ; encore fallait- il s'éloigner de la civilisation et se rapprocher des frontières du Transvaal, près de la rivière des Crocodiles, qui forme la limite Nord de cette république. C'est de ce côté que mes amis résolurent de se rendre; je ne pouvais les accompagner, ayant à faire tous mes prépara- tifs pour notre prochain départ; aussi, en arrivant à Johannis- burg, nous séparâmes-nous; je n'entendis plus parler d'eux jusqu'à mon retour en Europe (1). Après un voyage à Natal, dans le but de me procurer des ap- provisionnements , un chariot et des bœufs , destinés à trans- porter notre matériel vers le Nord, après de nombreuses visites aux mines de diamants et d'or, je fis la connaissance d'un (1) MM. licddiiiKton, que j'ai revus à Londres dernièrement, ont fait pendant quatre mois de très belles chasses dans les environs du Limpopo ou rivière des Crocodiles, mais ils n'ont malheureusement i)as rencontré de .grands animaux. EXCURSION AU CROCODILE RIVER. 11 M. M., Boer qui remplissait un emploi important auprès du gouvernement à Pretoria. II me proposa, avec cette urbanité qu'on a, au Transvaal, pour tout ce qui n'est pas anglais, une excursion de quelques jours dans une de ses fermes, située près de la rivière des Crocodiles, avec la promesse de m'y montrer de vrais Buslimen et du gibier. Comme mes futurs camarades de voyage n'étaient pas encore signalés au Cap, j'acceptai cette invitation, et nous partîmes à cheval, un soir, avec J\I. M. J'avais le vif désir d'étudier de près les Bushmen, ces petits êtres dont la race est aujourd'hui pres- que éteinte. J'espérais recueillir quelques renseignements nouveaux sur leurs mœurs, et surtout obtenir de mon nouvel ami, chasseur aussi, pendant les quelques jours que nous pourrions passer en- semble, bien des détails sur le pays. Ses conseils me furent fort utiles par la suite et m'évitèrent, comme on le verra , de nom- breux déboires. Tout d'abord, ce qu'il m'apprit sur le paj's, me fit renon- cer à mon idée première de faire notre voyage à cheval du Transvaal au Zambèze. Nous allions entrer, aussitôt après avoir quitté le pays des Boers, dans la région infestée par la mouche tsé-tsé, qui tue, en les piquant, tous les animaux domes- tiques; les chevaux étaient de plus exposés, dans ces régions, à une maladie terrible (1), tellement commune, que ceux qui y survivent sont l'exception, et s'achètent à des prix d'or, étant désormais à ral)ri du fléau. xVdmettant môme que nous eussions acheté des chevaux salted (exempts du mal), nous étions presque sûrs de les perdre à cause de la tsé-tsé (2) ; nos bœufs étaient sans doute destinés à y périr, mais nous ne pouvions nous passer d'eux. J'espérais tout au moins qu'ils vivraient assez longtemps (1) Espèce de pneumonie. (2) Je décrirai plus loin cette terrible mouche et ses mœurs. 12 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. pour nous conduire à destination, espoir qui ne se réalisa pas. Donc nous irions à pied, en chassant : cela nous formerait à la marche dès le début, nous donnerait de l'appétit et nous per- mettrait de mieux voir le pays ; ce serait un peu dur dans les premiers temps, mais on s'y ferait. Je me faisais ces réflexions tout en visitant la propriété de mon nouvel ami, située au pied des monts Zoutpansberg. C'est un petit hameau ou groupe de fermes appelé Ratlachter, à peu de distance de la rivière des Crocodiles. L'aspect de tout était riant et prospère : du bétail splendide, des prairies, de jolis ruisseaux aux ondes claires, ombragés çà et là de bosquets sombres; au fond, des collines couvertes de végétation tachetée par endroits de feuillage jaunissant, un terrain accidenté sous un ciel d'automne calme et serein; nous étions au seuil de l'hiver, du bel hiver de l'Afrique australe, si doux qu'il épargne les plantes les plus délicates. Le lendemain, à l'aube, mon hùte et moi nous partions à che- val pour la chasse. Nous devions nous séparer un peu plus loin, et aller chacun de notre côté avec quatre ou cinq Cafres. J'avais mon express que je portais à l'épaule, comme j'avais vu faire à mon compagnon. Un des Cafres venait derrière moi avec un fusil lisse, pour le cas où nous aurions vu de la plume. Gela me semblait étrange de chasser à cheval ; cela est exces- sivement agréable pour poursuivre le gibier, mais pour tirer juste, on est obligé démettre pied à terre. Ily a d'autres incon- vénients : certains fourrés sont absolument impraticables à un cavalier, à cause des branches basses, souvent couvertes d'é- pines, que l'on y rencontre ; de même, on ne peut traverser une broussaille ou une forêt épaisse, à vive allure, parce que l'on doit éviter mille obstacles. Mes Cafres marchaient devant, interrogeant tour à tour l'ho- rizon et la terre où ils voyaient des signes encore incompré- PREMIERE CHASSE DANS LAFHIQLE AUSTRALE. 13 hensibles pour moi. Les springbiicks ont passe par là cette nuit, me dit \\\\\ d'eux on mauvais anglais (l). Je fus émerveillé de cette perspicacité, et, descendant de ma monture, je me fis expliquer comment il savait que c'étaient des springbucks et d'après quels indices il voyait que leur pas- sage remontait à la nuit; mais je ne compris pas grand'chose à ses explica- étions en ce les collines allant de Tune une éclaircie , jeter un coup plaine voisine, mes se mirent guement quel- passaitauloin, peine percep- timai à environ Après s'être d'eux me (grand oiseau), trant le petit tions. Nous moment dans dont j'ai parlé, à l'autre; dans nous p ù m e s d'œil dans la et mes liom- à regarder lon- que chose qui un point noir à tible que j'cs- oOO mètres, concertés, l'un dit : JJig hird en me mon- point noir, et de ses mains il m'indiqua presque la taille d'une autruche ; il ajouta qu'il fallait laisser mon cheval et me traîner à terre, afin que l'oiseau ne me « look » pas. Après avoir fait le tour de la colline, ce qui nous rapprocha considérablement, je descendis dans la plaine et nous nous mîmes à ramper dans les herbes. Un des hommes regardait de temps à autre par dessus la vé- gétation de façon à voir si nous restions dans la bonne direction et si l'oiseau était encore là. A 120 mètres environ, notre gibier leva la tète d'un air in- (1) Si>ruifihv.ck., nom aiif^lais de la gazelle [Gazella cuc/iore^. 14 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. terrogatif, il allait sans doute prendre son vol ; mais je voulais tirer au fusil de chasse et j'étais encore trop loin. Le noir me dit : (( Non, non, rifle, » c'est-à-dire de tirer à balle. Je voyais un oiseau d'une taille supérieure à une dinde qui semblait sur le point de s'enfuir en se dirigeant vers une éminence rocailleuse et nue où j'allais l'apercevoir beaucoup mieux. Profitant d'un arbre, je me levai lentement, dissimulé derrière le tronc, et, vi- sant avec soin, je tirai mon premier coup de fusil L'oiseau était couché sur le côté, battant de l'aile ouverte. Mes Cafres se mirent à courir de toutes leurs forces et je les suivis. Cet oiseau, que je ne connaissais pas, était une outarde {Otis tarda on Otis kori), conmie me l'apprit mon hôte. Elle était énorme et mesurait 85 centimètres de longueur de la naissance du cou à celle de la queue; son poids était de 22 ki- logrammes. La balle avait traversé le corps diagonalement ; si je l'avais tirée à plombs , l'outarde m'aurait certainement échappé. Un des Cafres ayant pris l'oiseau sur ses épaules partit pour le porter à la ferme; nous continuâmes notre journée. Vers dix heures, mes hommes signalèrent encore des traces des gazelles dt'jà vues le matin; il devait y en avoir une douzaine environ. Après deux heures de marche, au moment où nous voyions déjà dans le lointain la foret bordant la rivière des Crocodiles, nous aperçûmes une petite troupe d'antilopes détalant dans la plaine. « Go, go, » me dit le Cafre, en faisant de ses mains le signe d'ajuster avec un fusil, et je partis à fond de train. Le sol était dur, les herbes rares ; les gazelles commencèrent à perdre leur distance; à ce moment, nous courions parallèlement, mais je n'osais lâcher les rênes de mon cheval pour tirer, craignant qu'il ne se jetât à terre; je ne pouvais ajuster d'une seule main, mon fusil étant trop lourd et les antilopes se trouvant tout à fait à ma gauche, à environ 80 mètres. Ul TARDE ET GAZELLES. lô A un certain moment, comme nous approchions d'un bois, j'arrêtai mon cheval, je sautai à terre et je tirai au hasard dans La troupe qui fuyait; mais mon émotion était trop forte : mes deux coups furent perdus. J'allais remonter à cheval ; mes Cafrcs qui accouraient me firent signe de rester à pied : Springbuck go sit clown for biish, criait le polyglotte, voulant dire sans doute que les antilopes fatiguées de notre course s'arrêteraient certainement dans le bois pour souffler. Un des hommes garda mon cheval, les autres prirent la piste et nous pénétrâmes dans les massifs quelques instants après. Le soleil commençait à être chaud et l'ombre nous fit une impression agréable de fraî- cheur ; la vue éblouie par le miroitement extérieur se trouvait également reposée par ce demi-jour. Les Cafres aperçurent les gazelles, dès leur entrée dans la forêt; quant à moi, j'écarquil- lais en vain mes yeux; au bout d'un moment pourtant, comme le dindon de la fable, je vis bien quelque chose, mais je ne dis- tinguais pas très bien. A ce moment, mes guides m'entraînèrent dans une direction tout à fait opposée; n'y comprenant rien du tout, je voulus connaître le motif de ce détour; personne ne })ut me répondre. Enfin, l'un d'eux gonfla ses joues, fit des yeux énormes et avec de grands balancements de bras dans la direc- tion des antilopes, me fit comprendre ou plutôt deviner, à l'aide de cette pantomime, dont je ne pus m'empêcher de rire, que le vent nous était défavorable. Le détour dura plus d'une demi- heure. Nous nous étions placés du côté opposé à l'entrée du bois, ayant les antilopes entre nous et cette entrée. Je parvins alors avec des précautions infinies à m'approcher à environ 150 mètres; mais je distinguais très mal les animaux. Comme il ne fallait pas perdre de temps, je tirai sur une antilope sans savoir si c'était la croupe ou l'épaule que j'ajustais. Il se trouva que c'était l'épaule. La gazelle tomba foudroyée, un trou béant à l'endroit où la balle était sortie. Le soir, après une poursuite nouvelle, j'en abattis une autre. IG MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CExNTRALE. Telle fut ma première journée de chasse dans rAl'rique aus- trale. Mon ami me complimenta sur mes succès, il admira surtout l'outarde qui est devenue excessivement rare. De son côté, il avait tué trois gazelles et un watcrbuck ou antilope kob [Kobiis ellipsiprymmus), le tout en trois heures, sans descendre de son cheval. 11 me raconta qu'autrefois les gazelles étaient nombreuses, que les Boers se réunissaient, les cernaient à cheval et en tuaient, en une journée, plusieurs centaines ; la viande séchée et salée leur servait de vivres de réserve. J'ai toujours entendu dire que les Boers étaient des tireurs merveilleux; j'ai d'ailleurs aperçu des cibles presque partout en traversant le Transvaal. Ils excellent au tir à cheval, et l'arme dont ils se servent est le Martini Henry. Les Boers di- sent souvent que celui qui n'atteint pas une côte de mouton à 100 mètres n'est pas un tireur ; pourtant ce petit os est facile à manquer à cette distance, surtout à cheval. Les Boers descendent, comme on sait, des anciens Hollan- dais établis au Cap, mélangés d'abord avec des Français, hu- guenots exilés à la suite de la révocation de l'Edit de Nantes et dont un grand nombre firent de ce beau pays leur patrie adoptive, puis avec des Anglais qui commençaient à arriver dans la colonie hollandaise. Boer veut dire paysan, fermier : ils le sont tous, ce qui ne les empêche pas de voyager, de chasser surtout beaucoup ; et si les vieux Boers pouvaient écrire leurs souvenirs, nous y trouverions de fameuses histoires de chasse. Au commencement du siècle actuel, on nous cite des partis de Boers ayant passé une saison dans le fly-vountry et revenus avec les dépouilles de rjuatre-vingt-treize éléphants ! Conmie les temps sont changés ! Je tuai encore une gazelle le lendemain et pris congé de PREMIERES ÉTAPES. 17 monliôte, après une coiirle visite à un campement deBuslimon. Quelques jours après, mes compagnons tic voyage, MM. Jlan- ner, Smith et Jones arrivaient à Pretoria, et nous nous mettions en route pour le Zaïubèze, en longeant la rivière des Eléphants, qui ne mérite plus aujourd'hui le nom qu'elles porte (I). Le début du voyage fut monotone et pénible pour tous; c'étaient les premières étapes forcées sous le soleil d'Afrique; nous marchions vers l'inconnu, nous éloignant chaque jour davantage de cette civilisation que deux d'entre nous ne de- vaient jamais revoir. (1) Le gibier qui existait autrefois dans ces régions avait fait baptiser de nom- breux endroits : c'est ainsi qu'on voit, au Transvaal, les rivières des Élépliants, des Elands, des Crocodiles; au Natal, celle des Buffles, etc., etc. ciiaSjks dans l AFr.iiiii: mnmulk. CHAPITRE II. La brousse africaine. — Notre personnel. — Campement sur le bord de la ri- vière des Crocodiles. — La vie au camp. — Chasse à Téland et au guib. — Premières traces de buffles et de lions. — La mouche tsé-tsé et ses ravages. — Harde de zèbres. 11 est à constater que nous ne possédons pas de nom pour la partie sauvage de l'Afrique, tandis que FAsie et l'Amérique ont été mieux partagées. Aux Indes, on appelle jungles les terrains non habités, couverts de végétation vierge, où abonde la faune locale ; et tout le monde a entendu parler des savanes d'Amérique. Nos troupiers, dans les expéditions coloniales, ont donné à la campagne soit africaine soit tonkinoise le nom de brousse. Les Anglais possèdent un mot, « ihe hush », qui rend bien l'idée de pays inculte, d'un endroit où la civilisation n'a pfls pénétré et où, seule, la nature gouverne le règne animal et le règne végétal. C'est là que se dérouleront à l'avenir, à peu d'exceptions près, toutes mes aventures; et j'ai voulu signaler, une fois pour toutes, qu'en me servant des mots brousse et broussailles, je voulais leur donner l'acception du mot anglais, et non désigner simplement les touffes d'arbustes très rameux dont parle notre dictionnaire. Pour suppléer à cette lacune de notre langue, j'emploierai les mots petites, hautes, courtes, épaisses brous- LA BROUSSE AKHICAINH. 10 sailles, pour donner au lecteur une idée de l'aspect général, si changeant, de la végétation tropicale. C'est dans cette brousse que notre chariot à bœufs accom- plissait un parcours journalier moyen de 20 à 25 kilomètres. Nous partions à pied en même temps, et, sur tout le chemin, nous cherchions à nous distraire en chassant ou en cherchant des insectes. Nous nous éloimiions souvent considérablement de notre route, mais nous nous retrouvions toujours au cam- pement du soir. J'avais emporté des fusées que l'on devait lancer tous les quarts d'heure, si nous n'étions pas rentrés à la tombée de la nuit ; elles servaient à remettre dans leur di- rection ceux qui s'égaraient. Notre personnel se composait d'un Hottentot conducteur de bœufs, que j'avais surnommé Macaron (1), de huit Cafres, sa- voir : deux aides-conducteurs, trois auxiliaires, doux chasseurs, un cuisinier, et de trois domestiques. Je prenais chaque matin les chasseurs, et je courais le pays en quête de gibier. Les premiers jours, mes compagnons ve- naient avec moi ou s'en allaient de leur côté. Mais la santé de Smith était déjà fort ébranlée, et Hanner, n'étant pas en- core acclimaté, se ressentait beaucoup de ses fatigues; quant à Jones, il n'avait pas la passion de la chasse : la pêche, en revanche, était son occupation favorite dès qu'il rencontrait un cours d'eau. Quatre ou cinq jours avant notre arrivée à la rivière des Crocodiles, nous aperçûmes, à un kilomètre à peine du chariot, une harde de gazelles qui comptait de 150 à 200 têtes; elles étaient en plaine, et le vent nous était défavorable. Après un long détour, nous arrivâmes en rampant à 180 mètres du trou- peau; Hanner et Smith étaient d'un côté; moi, de l'autre. Nous tirons en même temps et nous abattons chacun notre animal ; (1) Par euphémisme de son véritable nom contenant deux clic/>-'< : M'ak'on. 20 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. pendant la fuite, j'ai la chance d'en tuer un deuxième, grâce à un coup de hasard, ce qui portait à (juatre springbucks le ré- sultat de la journée. Mes camarades surtout étaient enchantés; c'était leur première antilope. Ce soir-là, il y eut festin au camp. Les Cafres, en pareille occasion, mangent au point de s'en rendre malades; on se de- mande comment tant de nourriture peut bien entrer dans un si petit corps. Toute la soirée et une partie de la nuit les noirs engloutirent de la viande coupée par petits morceaux, rôtie sur des charbons ardents; ils eussent continué jusqu'au lendemain, si je n'avais mis le holà. Le noir est ainsi fait : il ne pense jamais à l'avenir et con- somme souvent en un jour des provisions suffisantes pour une semaine; en revanche, il sait se contenter de peu aux temps de misère. Il nous arriva souvent plus tard des jours de disette après l'abondance : les noirs se nourrissaient alors des débris de peaux qu'ils avaient dédaignés tant que nous avions eu de la viande. Le 8 juin, 18 jours après notre départ de Pretoria, nous ar- rivâmes au point où la rivière des Crocodiles quitte le Trans- vaal et se dirioc nord-ouest sud-est vers la mer. Nous étions dans le pays de Gaça depuis une semaine environ. Après avoir choisi un endroit propice au campement, je donnai le signal de l'arrêt. Nous campions ordinairement de la façon suivante : Macaron iustallait le chariot au milieu du camp et attachait ses bœufs autour; nous faisions, à 5 ou 6 mètres plus loin, et de chaque côté, plusieurs feux; les noirs se mettaient 4 ou 5 autour d'un foyer ; nous avions aussi le neutre ; nous formions ainsi quatre groupes occupant les coins d'un carré dont le centre était représenté par l'attelage et le chariot. Ouand il pleuvait, ce qui arrivait souvent, on se réfugiait sous le chariot et dedans ; je voulais ménager les tentes et les garder pour la deuxième f^tiil LA VIE AU (AMP. 'Jl partie du vovagc, ce dont j eus à me léllcilor plus laiil. Le feu de bivouac est une distraction ; on le regarde parfois pendant des heures entières, étendu, sur sa natte ou assis, les irenoux entre les mains, suivant d'un œil distrait les trans- formations des charbons ardents, tout en se laissant en même temps aller à ses pensées, et fumant une bonne pipe. Avant de nous distraire et de nous réchauiïer, les feux avaient servi à cuire notre repas : chaque foyer avait sa mar- mite, destinée aux occupants; on causait ainsi tout en don- nant un tour de cuiller, en goûtant à la sauce, en ajoutant du sel ou du poivre, pendant que les domestiques mettaient sur une nappe nos assiettes de fer émaillé et nos couverts d'étain. Le repas fini, on fumait une pipe, on devisait encore des inci- dents de la journée et de ce qu'on prévoyait pour le lendemain, jusqu'à ce que le sommeil se fît sentir. Tous les groupes cau- saient ainsi, d'habitude, jusqu'à 10 ou M heures du soir. Les noirs sont très bavards, lorsqu'ils ont bien mangé; nous nous endormions souvent ^Dercés par leurs conversations intermina- bles, incompréhensibles pour nous. Peu à peu cependant , tout se calmait, et Ton n'entendait plus que quelques pétillements du bois vert, le bruit régulier des mâchoires de quelques-uns de nos ruminants, le cri monotone des grillons des alentours; au ciel, pas un nuage, des milliers d'étoiles; autour de nous, l'ombre, la nature endormie... Quand on campe ainsi, il faut entretenir les feux toute la nuit. Comme on est plusieurs, il est rare qu'un des dormeurs ne s'éveille pas de temps en temps ; il attise le foyer ou ajoute du bois. J'ai cependant remarqué plus d'une fois, pendant mes voya- ges, le feu complètement éteint et mes gens dormant d'un som- meil voisin de la mort, surtout après les grandes fatigues. Mais, à la rivière des Crocodiles, nous étions en pays inconnu, sans grande confiance, passant nos premières nuits à décou- vert. On dort peu en pareil cas. 22 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. Le jour de notre arrivée sur les bords de la rivière des Crocodiles, nous étions à la veille de nos malheurs. Quelques remarques faites par nos guides m'avaient donné à supposer que le gibier était nombreux dans ces parages, et les chasseurs m'avaient décrit par gestes de grands animaux cornus : des antilopes sans doute. Il y avait quelque chose de plus, que nous apprîmes le lendemain : nous entrions dans la région in- festée par la terrible mouche tsé-tsé, et nous devions nous attendre à rencontrer celle-ci d'un moment à l'autre. C'était la mort de nos bœufs : il n'y avait pas de remède en notre pou- voir, nous ne pouvions que nous résigner à notre sort. En attendant de le connaître , je me décidai à me mettre en chasse le lendemain dès l'aube. Les indigènes d'un petit village voisin étaient venus nous rendre visite , et l'un d'eux s'était chargé, mo^^ennant paiement, de conduire notre convoi au campement du lendemain ; un autre avait consenti à venir avec moi, afin de me montrer l'endroit où il y avait du grand gi- bier et pour me guider ensuite vers le camp. Smith souffrait fortement des fièvres; je me préparai donc à partir avec Hanner et les chasseurs. Le lendemain matin, tandis que le ciel se teintait légèrement de violet et que les coqs du hameau voisin chantaient déjà, par intervalles, la venue de l'aurore, nous avalions à la hâte un peu de café noir bouil- lant pour nous réchauffer. Les nuits étaient froides (6 ou 8" environ), un peu humides, et l'on éprouvait au réveil le besoin de se réconforter. Sitôt après avoir quitté le camp, nous nous séparâmes : Hanner prit d'un côté et moi de l'autre. Dans la chasse à la grosse bête, les occasions sont si rares que, lorsqu'on est ensemble, l'un des chasseurs doit souvent céder son tour à l'autre. Il faut non seulement se séparer, mais s'éloigner de quelques milles , afin que les coups de fusil du voisin ne fassent pas fuir votre gibier. CHASSE A l'ELAND ET Al' GllB. •2-3 Nous descendîmes sur le bord de la rivière, afin d y relever des traces; c'est là que Ton aperçoit généralement les indices les plus sûrs, les animaux venant d'ordinaire boire la nuit dans les régions abritées. On parcourt une partie de la rive et l'on peut choisir Tanimal ([ue son importance désigne de pré- férence aune poursuite. Ce matin- là, nous vîmes des traces de gazelles, de bres, de ùus/i- gazelle harna- d'élands. Ces valent être au ou sept, et nous poir de les rat- nous mîmes aus- leur piste, sans travers plaines, saille s , mar- sans un arrêt , jusque vers Nous traver- tits bois , par- frique Centrale , grande partie {niopanétrees T(He S l.'AFniQLE CF-NTliALE. 5 34 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTHALE. A trois OU quatre cents mètres, une harde de zèbres rei^ardait curieusement notre agitation; les gracieux animaux firent quel- ques gambades, et, le vent les ayant sans doute renseignés sur la nature de rennen.i. ils s'enfuirent au galop et disparurent dans la forêt. CHAPITRE III. Quehiues mots sur les peuples de TAfi-ique australe. — Gagou. — Cliassc à Torix, au duiker et au porc-épic. — Pêche sur la Sabi. — Sanp.lier et hippo- potames. — Perte de bœufs. — Camp environné par les lions. — Bœuf tué par un lion. — Chasse au buffle. — Chargé par Tanimal furieux. — Arrivée au Poungoué et à Quilimane. Les populations dont nous traversions les villages par inter- valles paraissaient tranquilles. Nous avions déjà parcouru di- verses régions et remarqué que les gens étaient sinon avenants tout au moins obligeants, moyennant paiement, bien entendu. En sortant du Transvaal, immédiatement sur ses frontières, étaient les Macalacas, puis, vers le Nord, les Maloïos, Oumlen- gas, Mandamdas, Mandovas. Tous étaient de race zouloue et appelés par les Portugais, Landins de Gara. Ces noms ne dé- signaient que des tribus différentes reconnaissant comme chef suprême Goungouniana, successeur du chefGaça. Les mœurs de ces noirs sont assez curieuses. Ils sont pâtres dans tous les districts où la tsé-tsé ne règne plus (car il est certain qu'elle a autrefois couvert le pays en grande partie); ils se nourrissent de viande, de lait caillé, de maïs et de sorgho. Leur costume consiste en un kaross (peaux diverses cousues ensemble) dont ils s'enveloppent les épaules ; autour des reins, ils portent d'autres peaux; autour du cou et aux poignets, des rangées de perles et de verroterie. Les femmes ont à peu de chose près le même costume. L'armement consiste en plusieurs 36 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. sagaies avec un grand bouclier en peau Je buille; on leur voit rarement des fusils. Au physique, le type est très beau; c'est certainement une race privilégiée; mais, à ma connaissance, les peuples de la Côte d'(Jr leur sont de beaucoup supérieurs encore. Les Lan- dins ne manquent pas de courage ; ils ont résisté pendant de longues années à l'autorité portugaise et luttent même encore contre elle. Leurs cases sont en paille, arrondies, avec une ouverture très basse sur le côté. Les villages et la population sont très clairsemés dans la région que nous avons traversée ; il se peut que d'autres parties du pays soient plus peuplées, mais notre voyage s'est effectué presque entièrement en pays inha- bité. Le gibier, par contre, a toujours augmenté au fur et à me- sure que nous nous avancions, et en proportion du manque d'ha- bitants. Tous les jours, du matin au soir, je continuais ce que j'appellerai mon apprentissage, prenant des chasseurs indigè- nes dans tous les villages visités, pour remplacer ceux qui me quittaient, caries noirs restent rarement plus de quelques jours loin de chez eux. Je finis par en trouver un qui baragouinait quelques mots d'anglais, ayant longtemps séjourné avec un Ecos- sais et chassé dans le Matabélé contii^u au territoire où nous nous trouvions. Je l'engageai jusqu'à la rivière Poungoué, moyennant sa nourriture et une brasse de calicot par jour (i). Il s'appelait Gagou, c'est-à-dire, en zoulou, le fin, le rusé, et il justifiait ce surnom ; il était, à la chasse , d'une sagacité et d'une expérience remarquables en ce qui concernait les em- preintes, les habitudes des animaux : il trouvait des indices ré- (1) Ce prix était énorme, si Ton considère que ces noirs travaillent six jours pour deux brasses et demie (5 mètres) et en se nourrissant eux-mêmes. Le calicot très ordinaire est la monnaie courante dans le pays : on achète ainsi tout ce dont on a besoin. GAG or 37 vélatciirs, non senlement sur le sol, mais sur les végétaux. J'avais enfin mis la main sur un bon professeur que je pouvais comprendre, et ses leçons ne furent pas perdues. La tsé-tsé augmentait de plus en plus ; nous en étions cou- verts. Ses piqûres douloureuses et répétées nous donnaient des Une case au Zuulinilaiul. accès de rage; j'ai indiqué comment, avec un couteau, on peut attraper l'insecte; ce fut Gagou qui, pour la première fois, me montra ce stratagème que tous les noirs de l'Afrique centrale pratiquent également. Pour soulager mon exaspération, je m'arrêtais froidement au milieu d'un fourré, j'attrapais des tsé-tsé, et, sortant d'une petite trousse de poche de minuscules ciseaux, je prenais plaisir à les torturer à leur tour : je commençais par leur couper les pattes 38 MES GRAiNDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. par petites tranches, tout doucement; je passais ensuite à Tai- ii'uillon et aux ailes ; loin de les tuer, je les gardais ainsi vivan- tes dans mes mains, et, lorsque j'en avais cinq ou six, j'allais les déposer délicatement au soleil, ce dont elles ont horreur, l'étant donnée leur vitalité extrême, je suis certain qu'elles sur- vivaient encore plusieurs heures. J'ai eu quelquefois le cou et les bras tellement criblés de pi- qûres qu'ils en étaient enflés; le seul remède, en pareil cas, est la patience: on éloigne les mouches en se battant continuelle- ment le cou et le dos avec une Ijranchc chargée de feuilles ou avec une queue de buflle. Les traces de buffles étaient de plus en plus nombreuses; nous en avions suivi plusieurs , sans jamais arriver à voir ces animaux. Le buffle est grand marcheur; il ne craint pas de mettre 20 et jusqu'à 50 kilomètres entre son gîte et son abreu- voir, et comme il voyage surtout la nuit , il est difficile de le rattraper en quelques heures. J'avais toujours entendu parler du buflle d' Afrique {Bubalus cafer ou Bos cafer) comme d'un animal très dangereux, sur- tout lorsqu'il est blessé ; et c'est avec un mélange de crainte et de curiosité que j'essayai à plusieurs reprises, sans succès, de l'apercevoir. La marmite de l'expédition n'était pas pour cela restée sans venaison; deux jours après l'aventure de l'éland, j'avais tué deux kobs, le lendemain, un gemsbock ou algazelle [Oryx ga- zella) après une poursuite de cinq heures. Mon premier coup lui avait cassé la cuisse, et, sur trois pattes, il nous mena au pas gymnastique pendant près d'une demi-heure; je lui mis dans le ventre une deuxième balle qui n'eut d'autre résultat que d'accé- lérer sa course; à plusieurs reprises, je me jetai sur la terre, épuisé par cette trotte interminable sous le soleil brûlant, et Gacrou lui-même était ruisselant de sueur. La troisième balle perfora les poumons de l'algazelle et nous rendit la piste vi- CHASSE A L'ORYX. AU DllKER ET AU PORC-KPIC. 39 sible en la couvrant d'une traînée de sang. Le quatrième coup enfin l'abattit, plusieurs heures après. On se l'ait difficilement une idée de la fatigue et de la peine qu'il faut quelquefois S(^ donner pour capturer ces animaux. Le jour suivant, je tuai un duiker [Cephalophus ocularis). Le Ivot). petite antilope qui ne va que par bonds énormes de 2 ou 3 mètres et qui vous part souvent entre les jambes, comme un lièvre; sa taille n'excède pas 50 centimètres au garrot. Vers le soir, j'avais aperçu aussi un porc-épic, qui prit, en compagnie du duiker, le chemin de la marmite. Sa chair fut trouvée délicieuse et de beaucoup supérieure à celle du lapin. En arrivant sur les bords de la Savi ou Sabi, Jones avait in- 40 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. stalle son arsenal de pêche ; il avait d'abord donné la mission de lancer Tépervier à Macaron, qni n'en avait jamais vu un de sa vie, et qui, s'étant jeté sur la tète une grêle de plombs, avait refusé de recommencer; heureusement, un des noirs con- naissait Tusage du iilet ; il s'oiïrit à suppléer le Ilottentot et on lança ainsi deux éperviers sans relâche , de 4 heures du soir à 7 heures, tandis que tous les hommes, et même Hanner, munis de lignes de pêcho et installés sur le bord, décimaient les in- fortunés habitants de la rivière. Le résultat donna plus de 20 ki- los de poisson, en grande partie des silures {Glanis siluris), des mulets {Mugi'l africrinus). et des carpes {Ci/prinas carpio). Quant à moi, après avoir vu boire notre attelage et contem- plé un instant les exploits des pêcheurs , j'allai faire un petit tour avec Gagou et deux hommes, afin que notre dîner fût com- plet. Jones s'était chargé des entrées; à moi de trouver un rôti. En amont de l'endroit où péchaient nos amis, et cherchant des pistes tracées, nous arrivâmes sans bruit sur le bord de l'eau. A travers l'épaisse végétation qui borde toutes les ri- vières dans ces régions, Gagou aperçut et me montra en face, sur l'autre rive, un sanglier qui descendait pour boire. Le cours d'eau avant à peu près 70 mètres de large, le coup était magni- fique; l'animal entra dans la vase qui bordait la végétation, et, en s'y vautrant, se montra presque de profil : je le clouai raide mort dans cette posture. La difliculté était de l'aller chercher, la rivière étant profonde à l'endroit où nous étions. Nous craignions que les loups, dont nous avions aperçu une bande quelques minutes auparavant, ne dévorassent notre gibier pendant notre absence , attirés par l'odeur du sang; on verra plus tard qu'ils en sont coutumiers. Je décidai donc de rester où j'étais, surveillant ainsi le san- glier, pendant que mes hommes iraient traverser le gué en face duquel nous avions campé, et. prenant en même temps un ca- marade de renfort, viendraient chercher l'animal par l'autre rive. SANGLIER ET HIPPOPOTAMES. 41 Pendant que j'étais ainsi seul, dissimulé au milieu des ar- bustes, j'entendis à quelque distance de moi, peut-être à 8 ou 10 mètres, deux ou trois poussées d'un souffle puissant et sonore, puis un luuit de branches brisées, du clapotis d'eau et la res- piration d'un animal qui devait être énorme. En une seconde j'eus l'idée, d'abord, que c'était un rhinocé- ros qui me sentait (nous en avions vu plusieurs pistes le matin); puis, que je n'avais pas mon calibre 12 à pointe d'acier, attendu que Gagou le portait; enlin, (pie la fiiile était impossible. Je T(He (le geinsbock ( Onjx (jazella). cherchais déjà du regard un arbre où me jucher, si l'animal faisait encore du bruit, et, au même moment, à 30 ou 40 mètres au milieu de la rivière, un hippopotame fit retentir les environs de son rugissement sonore. Si j'eusse été plus expert, j'aurais deviné que, à côté de moi, il y avait un autre hippopotame couché à terre ; son souffle seul aurait dû suffire à me l'indiquer; mais j'avais encore bien des choses à apprendre. Dès que le sanglier fut enlevé, je m'en re- tournai bêtement au camp, perdant, ce soir-là, sans m'en dou- ter, l'occasion de tuer un hippopotame. Le soir, à la lumière des feux, nous vîmes un vol de ca- nards sauvages qui descendait à la rivière. Après avoir envoyé CIIVSSF.S DAX-; I.'AFnilll F, CENTl; VLF..
    SES DANS I-'AFniQLE CEMIi.U.F,. 1" 130 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. terait une pintade; nous en avions vu en elVet de nonil)reiises traces autour de la mare; nous avions entendu les cris nasillards qu'elles poussent soir et matin; mais je ne voulais pas de coups de fusil dans la journée. Je lui promis de le satisfaire le soir. .l\dlai visiter Tendroit où, la veille, j'avais vu les lions, bien décidé cette fois à tenter un coup hardi; mais on conçoit aisément que j'en fus pour mes peines et que de semblables aubaines ne se rencontrent pas tous les jours. Je tirai un reed- buck [cei^vicapra arundinaceci) et deux kobs pendant la journée, après avoir passé deux heures sur la piste de buflles A^oisins mais invisibles. Le séchage des viandes étant achevé, à l'exception d'un des kobs, je me préparai à lever le camp le lendemain matin à l'aube. Les hommes étaient venus me dire qu'il y avait du poisson dans la mare et qu'ils voulaient le prendre pour le fumer avant de partir; comme cette opération remue la vase et rend l'eau imbuvable, je renvoyai la pêche au soir, après le repas, lorsque tout le monde aurait fait sa provision d'eau pour le lendemain matin. A la tombée de la nuit, une détonation formidable nous ap- prit que le chasseur de pintades venait de juger le moment op- portun soit pour se suicider, soit pour foudroyer un de ces vola- tiles. Quel ne fut pas mon étonnement, quelques instants après, en le voyant rentrer au camp tellement chargé d'oiseaux qu'il pliait sous le faix. Un coup de ma canardière calibre 8, avec une charge de sept onces et demie de 4, en avait abattu vingt- trois; le vol était, parait-il, de plus d'une centaine. Les noirs étaient émerveillés de ce que l'on pouvait faire avec les fusils des blancs, étant donné qu'ils ignorent l'usage du plomb de chasse. Aussitôt après l'achèvement des préparatifs — emballage du beltong, roulage des tentes, etc., — nous allâmes procéder à la pêche de nuit. Les indigènes opèrent de la façon suivante pour Un joli coup T ^ \ ** * '^K"^^ W 1- ,•:/ / / \ L •w ^ ?'^'-:^ef v^^' ' ■ 152 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. encore de temps en temps quelques pièces, mais le gibier était fort loin et on s'exposait en rentrant la nuit à des rencontres avec les pillards qui rôdaient aux environs, se préparant ainsi de tout près à leurs attaques de nuit. Les Mafsitis se faisaient encore plus audacieux depuis que nous avions abandonné la montagne pour aller vivre dans les bois. Ils se jetaient en plein jour sur les gens d'Oundi qui cul- tivaient leurs champs, les tuant ou les faisant prisonniers, ou subissant un sort analogue suivant les résultats de la lutte. Ils se poursuivaient mutuellement dans les bois, se battant, se bles- sant ou se tuant partout où ils se rencontraient. J'avais donc à craindre, soit de les rencontrer moi-même en grand nom- bre pendant mes promenades, soit d'apprendre à mon retour qu'ils avaient pillé mon camp. Un matin, sur la piste d'un kob, j'aperçus des traces de sang qui m'étonnèrent : je n'avais ni vu ni, par conséquent, blessé l'animal ; en regardant de plus près je vis une empreinte humaine se dessinant sous celle delà bête; elle était donc antérieure à son passage, et pourtant ce sang n'avait été répandu que depuis une demi-heure à peine. Cette énigme me fut expliquée quelques mi- nutes après : en passant le long d'un fourré, je vis un homme étendu la figure contre terre, une profonde blessure au côté, dans une mare de sang; il était encore chaud, mais déjà mort. Je le soulevai pour voir sa figure; c'était un homme d'Oundi; frappé d'un coup mortel avec une sagaie, il s'était enfui et était tombé en cet endroit. Le kob avait passé au pas le long du ca- davre et avait pris la fuite dès qu'il l'avait senti. J'envoyai un homme dire au roi qu'un de ses sujets gisait dans la brousse, mais il me fit répondre que cela lui était bien égal. Afin d'èmpôcher les vautours de toucher au corps, je l'avais fait couvrir de feuillage le matin, et je repassai le soir afin de le faire enterrer : il n'avait, paraît-il, pas de famille. Nos provisions diminuaient rapidement et l'homme que j'en- DRUX Rr-F-DBUCKS DTN SEUL COUP. 153 Tcte (le Klipspringer {on'otraQus sallator.) voyais réo'iilièrement constater à la ri- o vière Tétat des eaux me répondait inva- riablement qu'elles n'avaient pas baissé, ou tout au moins d'une quantité a})pré- ciablo. Les pluies continuaient, plu§ lé- gères le jour, très fortes le soir. Je fis, à cette époque, un coup dou- ble... unique dans mes souvenirs: deux reedbucks d'une seule balle. Les ayant aperçus de loin qui se dirigeaient vers une nappe d'eau ou marécage bordé de grandes herbes et , d'un côté seulement, par une petite forêt assez touffue, je m'étais dissimulé derrière les herbes, avec des précautions infinies; j'avais traversé le bois en diagonale et m'étais approché à portée sans qu'ils eussent soupçon de ma présence. N'étant pas pressé, je repris haleine pendant que l'un d'eux buvait ; au moment où je l'ajustais, je vis l'autre qui s'avançait dans l'eau également et je pensai que peut-être le même projectile pourrait leur servir à tous deux. J'attendis qu'ils fussent bien de niveau et alignés. Je pressai alors la détente. La balle passa à travers le pre- mier, éclata en sortant, entra chez l'autre , et le tua égale- ment ; ils ne firent pas un pas. Le reedbuck est une antilope de la taille d'un âne à peu près , mais beaucoup plus mince et étroite de corps. Voilà ce qu'on appelle, je crois, ne Tèie de reedbuck. pas gaspiller des munitions : CHASSES DANS l'aFKKjLE CENTriALE. 20 154 MES GKA.NDHS CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. je dois dire que j'ai en la chance de ne jamais être à court de cartouches. Malgré tous mes efforts, je ne réussis pas à écarter la faim de notre camp; elle se montra encore vers la fin de janvier au moment où nous espérions pouvoir passer la rivière à gué. Les pièges, les stratagèmes étaient toujours insuffisants, et il faut en avoir fait Fexpérience pour savoir ce que quinze bou- ches peuvent consommer d'aliments en une journée. Je n'ai jamais vu de gens affligés d'un appétit pareil : apportais-je un klipspringer ou oréotrague (1) de la taille d'un chevreau, il y en avait juste pour un repas. J'abrégerai ce récit de nos misères, en disant que nous continuâmes à vivre ainsi jusqu'au jour où, las de cette exis- tence, je me souvins qu'autrefois, sur la côte occidentale d'A- frique, sur les bords du Volta, j'avais vu les indigènes con- struire des pirogues d'un seul morceau d'écorce. Je voulus essayer d'en faire autant et tentai de fabriquer deux embar- cations de ce genre. J'y réussis, et nous pûmes enfin traverser les rivières; sans vivres, n'ayant pour subsister dans les bois que des cryptogames, du miel, ou, à l'occasion, du gibier, nous mîmes presque vingt jours pour revenir. En entrant dans la région montagneuse de Tchiouta, le gibier manquait, et, quand Hanner nous revit, il y avait soixante-dix heures que nous n'a- vions rien mangé, marchant toujours dans l'eau jusqu'aux che- villes, sous une pluie battante, après trois mois de famine, de dangers et de privations (2) . (1) Nanoiragus oreolragus. {Orcoiragus saltalor.) (2) Nous avions disputé aux vautours, en route, les débris complètement pour- ris d'un éléphant. Malgré mes exhortations trois hommes ne purent résister au désir de manger de cette charogne. L'un d'eux mourut en cliemin, les autres en arrivant à Tchiouta ; tous montrèrent les mêmes sympômes d'emi)oisonne- ment. %4jNax>' — - — CHAPITRE VIII Temps meilleurs. — Retour à Makanga. — Excursion au Nord, chez les Azimbas. — Campement de chasse. — .\fiut au lion. — Singes et phacochères vivants. — Gaétan et Fanchonnette. — Mon record. — Les oiseaux insectivores. — Le koudou et les loups africains ou cynhyônes. — M(x;urs des antilopes. — Chat- tigre sur un arbre. — A l'affût. — Loutres. — Les bruits nocturnes. — Cliasse aux buffles. — Buffle blessé. — Léopards tués à l'affût. Quelques jours après mou retour à Tcliiouta, je fis reprendre à l'expédition le chemin du pays des Atehécoundas, afin d'y refaire un peu ma santé. Les privations, les aliments aussi peu substantiels que variés, m'avaient fatigué et je n'étais pas fâ- ché de revenir dans un pays où le gibier était abondant et où, même sans chasser, on trouvait à manger son soûl. Le pays des Atehécoundas était, sans contredit, à cette époque, l'endroit le plus agréable à habiter pour un voyageur, pourvu qu'il ne craignît pas, bien entendu, les noirs traîtres et méchants qui en forment la population. A part cet inconvénient, tout était réuni pour nous procurer un séjour agréable : une altitude moyenne de 450 mètres, un air relativement sain, des forêts bien peuplées en animaux sauvages, des villages où l'on trouvait en abondance ce dont on avait besoin (1). Je chassai pendant deux mois environ, faisant des excur- (1) Aujourd'hui, tout cela a bien cliangé; le roi Tchanetta est mort; son rem- plaçant a lassé par sa tyrannie jusqu'au dernier de ses sujets. Les cultures pé- riclitent, les animaux sont pourchassés, éparjjillés par des indigènes maladroits, et, à certains moments, la famine commence à se montrer. lûG MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. sioiis cynégétiques et géographiques en même temps, courant d'une extrémité du pays à l'autre. Comme les animaux que j'ai abattus sont déjà connus du lecteur, s'il a pris la peine de me suivre jusqu'à présent, je ne citerai que pour mémoire buffles, élands, kobs, guibs, reedbucks, phacochères, etc., et j'arri- verai immédiatement à une partie de chasse de quelques jours que je fis après la saison des grosses pluies au nord de Makanga, dans une région abrupte et sauvage, loin de toute population, et dont les sites admirables resteront toujours gravés dans ma mémoire. Nous avions traversé, avant d'y pénétrer, une immense plaine rase, parsemée d'une maigre végétation à laquelle les indigènes donnent le nom de Damba-Lanitché. Au pied du mont Foulankoungo qui limite cette plaine au N.-E., nous avions aperçu des empreintes de gibier, dont la direction menait à l'endroit dont j'ai parlé, et dont le nombre nous décida à camper quelques jours. En plus du fidèle Msiambiri et des porte-fusils, j'avais avec moi des chasseurs que le roi de Makanga m'avait recommandés comme très experts à la lecture des pistes. Nous étions à peu près dans les mêmes conditions topogra- phiques qu'à la Louiya, lors de notre voyage en Maravie; nous avions trouvé une mare d'eau isolée où les animaux sauvages se désaltéraient, mais il y en avait une seconde à trois kilo- mètres delà, aussi fréquentée. Que faire? Impossible d'être auprès des deux à la fois. Je résolus donc de poster du monde à l'une jour et nuit, afin d'empêcher les animaux de s'en ap- procher, tandis que je me tiendrais aux environs de l'autre. Je détachai trois de mes hommes, avec mission de demeurer sur le bord de la mare, d'y crier, d'y faire du bruit, de tirer au besoin des coups de fusil, pour éloigner les hôtes de ces lieux, désireux de se désaltérer. Il parait que, dès leur arrivée, ils aperçurent des traces rc- AFFUT AU LU).\. 157 cciites de lion. X'osaiil pas passer la nuit à terre, ils con- struisirent dans un arbre une plate-forme très ingénieuse où ils s'installèrent commodément clia(|ue soir. De mon côté, je gardais chaque nuit les abords de l'eau; mais, depuis ma dernière aventure, tout en laissant toujours la place du lion, j'avais soin de coucher du côté opposé; je désirais vivement faire sa rencontre en plein jour, mais ne me souciais pas du toul de sa visite pendant mon sommeil. La première nuit pourtant, le grand fauve nous manifesta son haut mécontentement, sa colère même, de notre instal- lation dans ses domaines. Ses rugissements firent trembler le sol pendant deux ou trois heures, puis ils allèrent en s'é- loignant jusqu'au moment où tout rentra dans le silence. Le lendemain, comme la journée n'avait pas été fructueuse ( je n'avais tué qu'une femelle de koudou (1) et un sanglier ) et que je ne m'étais pas fatigué, je me disposai à passer la nuit à l'ailut dans l'espoir de voir arriver le lion. Je comptais sfir la lune qui se levait à dix heures pour me te- nir compagnie presque jusqu'au matin. Les abords de l'eau étaient nus et sur la blancheur du sol j'espérais apercevoir mon visiteur. Je me plaçai dans un taillis à huit mètres du bord, adossé à un arbre; Msiambiri s'installa à côté de moi, mais il ne tarda pas à s'endormir profondément. Le reste des hommes était campé à une centaine de mètres plus loin et, en me penchant, j'apercevais de derrière mon arbre les feux mi- éteints. J'avais, quelques minutes auparavant, entendu un coup de fusil; mes sentinelles de l'autre côté l'avaient sans doute tiré. Je me demandais sur quel animal ce pouvait être? A la cin- quième pipe, je commençais à me dire qu'il valait décidément mieux dormir roulé dans sa couverture que de rester ainsi (1) Elle est plus petite que le mâle et ne porte point de cornes. 158 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. dans rimmidité (!)• Au même instant, comme pour me répon- dre que je n'étais pas seul, le lion se mit à rugir à une dis- tance qui eût pu paraître inquiétante. Poussant Msiambiri du coude, je continuai à écouter la voix puissante de ce noc- turne promeneur, espérant qu'il se rapprocherait encore davan- tage. Une heure se passa ainsi, puis subitement je n'entendis plus rien. Etait-il parti ou venait-il boire silencieusement? Tout à coup Msiambiri me toucha le coude en me montrant, le bras allongé, le coin d'un fourré en face, où l'ombre d'un gros arbre interceptait les rayons de la lune. « Regardez », me dit- il à voix basse. — « Je ne vois rien, » répondis-je. . . — « Moi non plus maintenant, mais il y a quelque chose là., tenez, voyez à côté de ce morceau de pierre... par terre... son ombre ». En effet, la couleur de l'animal était tellement semblable à celle du sol, que la seule chose qui décelât sa présence était l'ombre noire qui le suivait; ce devait être le lion sans aucun doute. On voyait sa longue queue, sa tête grosse et ronde... il s'arrêtait, redressait sa taille pour écouter et continuait son chemin vers l'eau, se trouvant à ce moment à une vingtaine de mètres de moi, sur un terrain légèrement en pente. Ni mon compagnon ni moi ne pûmes distinguer l'animal , malgré la lune. J'eus à me faire ce raisonnement : la lune est à droite ; d'après sa hauteur et la ligne qui dessine l'échiné de la bête sur le sol, celle-ci doit se trouver à telle place. En effet, une ligne droite, tirée de l'ombre du dos à la lune, devait passer exactement au dessus de la bête? En regardant fixement, ce point, d'abord imaginaire, devint plus distinct, car la bête se rapprochait; à douze mètres environ, avec une vue excellente, on la voyait, mais tout juste. J'avais ma canardière, charo-ée comme d'habitude de oros- (1) En mars, avril, mai, la rosée est .si abondante qu'elle ressemble à une Ijluie fine. L".\ LEOPAHD POUR UN' LION. 159 ses chevrotines; mon canon était parfaitement visible, mais le point de mire m'échappait. Néanmoins, comme il n y avait pas de temps à perdre, je visai lentement, avec soin, et je pressai la détente Un grondement sourd, des rugissements étouffés se firent entendre, tandis que l'animal se traînait le nez contre terre. Je lui envoyai immédiatement un second coup de peur qu'il ne m'échappât et il resta cette fois sans mouvement. Au bout d'une demi-heure, voyant qu'il était insensible aux pro- jectiles de toutes sortes, pierres, branches, que nous lui lancions, je m'aventurai hors de mon affût et je constatai que je n'avais pas tué un lion, comme je l'avais espéré, mais bien une pan- thère ou léopard. Le premier coup lui avait brisé la poitrine et les pattes de devant, le deuxième, tiré par derrière, avait cassé l'épine dorsale et troué le crâne. L'effet de ma canardière à quelques mètres était décidément foudroyant. Quoique désappointé, je considérai que ma nuit n'était pas perdue et j'allai me reposer de mes exploits, après avoir posté deux hommes pour empêcher l'approche de la mare. Le lendemain, j'appris que le coup de fusil que j'avais entendu pendant la nuit, à l'autre abreuvoir, avait été tiré sur un élé- phant! .Je faillis me frapper la tête contre un arbre de désespoir ! Je m'arrachai les cheveux! Oui, un éléphant était venu boire, et mes hommes l'avaient manqué, ou, tout au moins, l'avaient laissé partir. J'allai voir ses traces : hélas! ce fut ma seule conso- lation; il était inutile de le suivre; effrayé parle coup de feu, atteint peut-être, il avait dû faire pendant la nuit une cinquan- taine de kilomètres. Je n'attendais que la rencontre d'une piste fraîche pour me mettre à chasser l'éléphant, mais ce jour-là il eût été fou de tenter de le rejoindre. Depuis deux jours que nous les empêchions de boire, les ani- maux commençaient à avoir très soif; aussi, dès le matin, remar- quai-je dans notre rayon un mouvement inaccoutumé et je courus me poster à l'endroit même où j'avais passé la nuit, en 100 MES GRANDES CHASSES DANS LAFRIQUE CENTRALE. ajoutant à cet abri des branchages et des feuilles afin de me dissimuler complètement. Cela n'eut aucun succès ; quelques singes seuls m'honorèrent de leur visite et me firent passer un moment amusant. 11 y avait là plusieurs familles de cynocéphales babouins. Un couple sur- tout, dont l'enfant faisait le récalcitrant, était particulièrement comique ; la mère, à plusieurs reprises, avait repoussé son reje- ton qui voulait se cramponner à elle; le père intervint, se jeta sur son fils et le mordit tellement fort que le petit cria plus d'un quart d'heure et alla se tapir tout penaud à quelques mètres. Après avoir bu, la bande resta à l'ombre tout près de l'eau, ayant ses vigies sur les arbres. Tous me voyaient fort bien ce jour-là, mais ils comprirent sans doute que ce n'était pas à eux que j'en voulais. Une femelle de guib arriva sur ces entrefaites, au petit pas, regardant et écoutant autour d'elle de ses grands yeux et de ses grandes oreilles. Les singes ne se dérangèrent pas; elle n'eut pas peur d'eux non plus. Tout à coup la troupe déguerpit. L'antilope, après être restée seule une minute, sentit ce quelque chose que les quadrumanes avaient sans doute vu, et s'esquiva rapide et légère. C'était deux de mes hommes qui m'apportaient une capture qu'ils venaient de faire : deux jeunes cynocéphales (jui semblaient n'avoir que quelques mois, à en juger par leur taille, et qu'ils avaient attrapés à la course. 11 faut que j'enlève ici quelques illusions à ceux qui croient que, chez certains animaux, l'amour maternel l'emporte sur l'instinct de la conservation, .l'en prendrai un exemple chez l'es- pèce de singes dont je viens de parler. La femelle porte son pe- tit sur la poitrine, où celui-ci se fixe seul en mettant ses mains et ses pieds autour de la taille de sa mère ; la guenon a donc toute sa liberté de mouvements. En plaine ou dans des endroits où les arbres sont clairsemés et peu élevés, le singe ne peut pas lutter de vitesse avec un homme agile. La guenon ((ui y est GAETA.N ET FANCHONNETTE. 161 poursuivie fuit un instant avec son rejeton ; mais, dès qu'elle perd du terrain et est serrée de près, elle s'empresse de s'en dé- barrasser pour fuir plus à Taise; le petit, jeté ainsi, se sauve sur un arbre où il est facile de s'en rendre maître. Mes hommes avaient opéré de la sorte. Ils s'étaient mis quatre à la poursuite de deux femelles, et les petits avaient été capturés sans peine ; c'est d'ailleurs de cette façon que l'on se procure presque tous les singes vivants. Les deux jeunes captifs furent attachés au pied de ma tente et ne cessèrent d'attirer par leurs cris tous les singes des envi- rons, au nombre desquels devaient se trouver leurs mères. Ce fut un concert de cris aigus ou rauques selon l'âge, d'aboie- ments et d'imprécations à notre adresse dans la langue simies- que ; on dut tirer des coups de fusil pour s'en débarrasser. Nos deux nouveaux pensionnaires furent baptisés des noms de Gaétan et Fanchonnette ; le premier se traduisait parGaetano en portugais, mais le second fut toujours prononcé Tchoneti par mes hommes. Ils furent gâtés par tout le monde; on faisait des gorges chau- des de leurs moindres gestes ; loin de les taquiner, on leur don- nait plutôt trop à manger. Huit jours après, Gaétan se mettait debout et buvait à un gobelet en le tenant de ses deux mains , tandis que Fanchonnette fumait la pipe, en éteignait le foyer et mangeait le tabac. Les noirs leur avaient taillé des vêtements comme ceux que portent les mulâtres portugais et ne leur don- naient plus que les titres de mzoungo et de doua (monsieur et madame)... Ces deux singes ayant été pris très jeunes furent très vite ap- privoisés; au bout de trois mois, on ne les attachait plus et ils nous suivaient dans nos marches, courant autour de nous comme des chiens et grimpant sur les épaules des porteurs lorsqu'ils étaient fatigués... Mais revenons au jour de leur capture. Un de mes hommes, CUASSES DANS I.'aFUKjLE CEXTliALE, 21 162 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. nommé Gavetta, prit également deux petits phacochères vi- vants. Lui seul, à ma connaissance, était capable cVun pareil tour de force, caries phacochères, petits ou gros, courent avec une grande rapidité. Ce garçon était d'une telle légèreté et d'une telle vitesse à la course qu'il m'attrapa même plus tard de jeunes antilopes. Après le départ des singes, je restai plusieurs heures à l'affût; mon buisson était-il trop près de l'eau ou les animaux m'a- vaient-ils vu? C'est ce que je ne saurais dire. Je changeai de cachette et allai me poster à quarante mètres environ de la mare, dans un endroit qui me parut plus favorable. Heureuse inspiration, car, à peine installé, je pus voir arriver en face de moi une harde d'élands précédée du plus gros mâle que j'aie jamais aperçu. Je gardai l'immobilité d'un rocher, tandis que leurs yeux perçants exploraient les environs. Ils s'avancèrent bientôt vers la mare et le vieil éland se plaça tellement mal que je ne pus tirer, le voyant de face. J'attendis donc qu'il eût fini de boire, certain qu'il ne sortirait pas à reculons, mais bien en tournant à droite ou à gauche, et se montrerait ainsi de côté; en effet, il tourna lentement et je visai au cœur, aussi sûr de mon coup que si je l'avais déjà tué. Tout en l'ajustant, je choisissais, du coin de l'œil, une femelle bien placée pour recevoir mon second coup ; et, lorsque les deux détonations se suivirent, à deux secondes d'intervalle , je pus voir mes deux élands quitter la harde et s'en aller au petit trot, indice certain d'une grave blessure. Je rechargeai aussitôt et, les ayant fdés (1) un instant à travers les arbres, je leur envoyai encore à chacun un projectile dont la répercussion m'ap- prit qu'il avait atteint le but. J'ai déjà décrit les symptômes de la blessure au cœur; ils se re- (1) Filer, terme de chasse à tir : suivre une pièce en la visant pendant qu'elle s'éloigne. OISEAUX INSECTIVORES. 163 produisirent exactement chez mon éland mAle lequel tomba tout à coup comme une masse à environ cent mètres de moi. La fe- melle, atteinte au foie, les intestins hachés, s'arrêtait pour ren- dre, lorsque ma deuxième balle au garrot la jeta à terre. J'en- voyai le coup de sifflet spécial qui indi({uait aux hommes de venir en nombre et, une demi-heure après, les élands défaits s'en al- laient au camp par quartiers. Gaë-tan et Fanclion nette. . A propos des élands, je dois signaler encore ici un oiseau noirâtre, aux ongles acérés, au bec pointu, qui se nourrit des parasites spéciaux au buffle, au rhinocéros, au sanglier et aussi à Téland lorsque ce dernier, devenu vieux, a perdu tout son poil, est alors gris et glabre comme le buffle (1). (1) Ce petit oiseau appartient à deux espèces que Ton voit toujours ensemble 164 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. La peau épaisse des gros animaux que je viens cVénumérer, se couvre de parasites fort semblables, comme forme, aux ixodes (1) des chiens et qui sont fort recherchés de ces oiseaux; ceux-ci rendent aux quadrupèdes de véritables services en les en débar- rassant. A l'aide de leurs ongles , ils s'accrochent dans toutes les positions au cuir de la bête, ayant tout à fait Tair, dans cette posture, du pic collé au tronc d'un arbre. Loin de les chasser, ceux auxquels ils sont utiles les laissent se poser où ils veulent, sans s'en occuper, et il n'est pas rare de voir marcher un éland ou un sanglier avec une vingtaine de ces oiseaux; sur leur dos, attachés à leurs flancs ou voltigeant au-dessus de leurs tètes dans les branches des arbres voisins. Dans ce cas, la vue de cette variété de pics, ou leur cri parti- culier, est pour le chasseur un indice presque certain de la présence de l'une ou l'autre des bêtes dont il s'agit. Ses cris, par contre, ont l'inconvénient, il est vrai, de donner l'éveil à l'a- nimal s'il ignore l'approche du chasseur; le buffle entre autres, qui a l'oreille dure , est souvent sauvé par ses petits compa- gnons; aussi ne les quitte-t-il jamais de l'œil. Souvent, à l'afl'ùt, alors que le gibier ne m'apercevait pas, les oiseaux m'ayant vu en voltigeant au-dessus de ma tête le faisaient fuir par leurs cris ; mais quelquefois c'était trop tard. Ce fut le cas, le soir du même jour, pour un vieux phaco- chère : pendant sa fuite, une balle le rattrapa et lui brisa la jambe, une autre l'acheva, et les pics s'envolèrent pour ne plus revenir. Le lendemain fut la mémorable journée où j'établis mon record de onze pièces tuées en vingt-quatre heures. Je dois dire que ce fut la seule fois que cela m'arriva et j'ai toujours {Bouphaga africana et Textor erythrorhynchus) ; une troisième variété qui loge dans des troncs d'arbres {Tockus criilhrorhynchus) se rencontre également. (1) Ixodes ricinns, appelé vulgairement « lique ». Ceux dont il s'agit sontde même forme, mais multicolores sur le dos. MUN KECORD. 165 été habitué à considérer comme un résultat très satisfaisant de tuer deux ou trois bétes du lever au coucher du soleil, et comme un résultat moyen d'en tuer une. Mon record comptait trois élands, deux zèbres, un kob, trois reedbucks, un guib et un koudou. J'étais placé ce jour-là dans des circonstances tout à fait exceptionnelles; des deux mares d'eau qui existaient dans la région, l'une était gardée et je me tenais à l'autre; les animaux n'avaient pas bu pendant plus de trois jours; depuis notre arrivée, il n'avait pas plu, ce qui leur enlevait même le moyen de se désaltérer en suçant l'eau des feuilles (1), et le soleil de plus avait été assez violent. Si l'on songe que deux seulement de ces animaux tombèrent raides morts , et que chacun des autres demanda une poursuite plus ou moins longue, on comprendra que j'aie eu besoin de me reposer après ces exploits. En lisant ces récits, n'allez pas croire que ces pays soient tel- lement giboyeux qu'il suffise de se promener à travers bois pour tuer quelque chose : ce serait une grave erreur. Un voyageur qui n'est pas chasseur pourra parcourir la région pendant des années sans jamais apercevoir autre chose que des traces d'ani- maux. 11 faut au contraire s'entêter à leur recherche et suivre leur piste souvent pendant des heures entières pour arriver à les apercevoir; il faut prendre toutes les précautions dont j'ai parlé, ne pas faire de bruit, avoir bon vent, etc., toutes choses dont le voyageur indifférent ne se préoccupe pas. Je le répète : sauf ces occasions exceptionnelles où le manque d'eau réunit en un seul point des quantités de gibier, il faut de longues marches et beaucoup de sueur pour capturer une moyenne d'une ou deux antilopes. Puisque je parle de chasseur, je dois en faire connaître un au lecteur : le loup africain ou cynhyène, qui poursuit les animaux (1) C'est ce qu'on appelle érucir, en terme de vénerie. 166 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. en plein jour, donne au spectateur occasionnel lillusion d'une chasse à courre sans autre équipage que la meute. Les grands fauves sont aussi des chasseurs, mais leurs exploits restent ignorés par Thomme, tandis que la cynhyène lui fait concur- rence et vit même à ses dépens. Le loup africain est d'une couleur gris noirâtre, avec quel- ques taches feu au bas ventre et quelquefois sur les flancs ; son poil est long, sa queue en panache, ses oreilles grandes et droites, sa tête en tout semblable à celle du loup ou du gros chien, aussi bien anatomiquement qu'au point de vue de l'ex- pression. Sa taille est celle d'un grand braque, et il aboie comme lui. La seule difl'érence qu'il ait avec le chien, difi'é- rence peu appréciable d'ailleurs, est que ce dernier a quatre doigts aux membres postérieurs et cinq aux membres anté- rieurs, tandis que le loup dont il s'agit a quatre doigts aussi bien devant que derrière. Cette analogie qu'il a avec la hyène lui a fait donner le nom de chien-hyène ou cynhyène. Ses mœurs sont très curieuses ; il vit en troupes nombreuses et force à la course les antilopes de toutes tailles ; doué d'une grande vitesse, il finit par les fatiguer et à peine sont-elles tombées épuisées qu'il les dévore en quelques minutes. A défaut de grandes pièces, il se contente de petites gazelles et au be- soin de charogne. J'en avais souvent entendu aboyer la nuit, mais je n'en avais jamais vu, lorsque je fls connaissance un jour avec eux d'une façon étrange. Ils chassaient dans la même région que moi, d'après ce que me disaient leurs empreintes, et je n'y faisais pas autrement attention. Vers le soir, après des peines inouïes, la journée ayant été sans résultat, je finis par m'approcher d'un koudou en me dissimulant derrière des ajoncs et je le blessai grièvement. Il se mit à fuir néanmoins au milieu de touffes de végétation, ce qui m'empêchait de tirer de nouveau sur lui. Jugeant par les rougeurs qu'il ne pouvait aller loin, je me mis ^ST il- V 1 1 # 1G8 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. à suivre la piste. Tout à coup, j'entendis assez au loin de véri- tables rugissements, des cris rauques comme ceux du cerf qui rait, mais plus prolongés, de vrais cris d'agonie. Je m'étonnais qu'une antilope, dont la mort est toujours silencieuse, fit un pareil vacarme. Je hâtai pourtant le pas et arrivai en quatre mi- nutes environ à Tendroit où je pensais avoir entendu le bruit... Je me trouvai face à face avec une meute de loups qui montrèrent les dents à mon approche et s'éloignèrent néanmoins d'une vingtaine de mètres; là, ils s'arrêtèrent et, me faisant face, se mirent à aboyer. Quant au koudou, sauf la tête et les jambes, il n'en restait plus rien... Je tuai deux loups afin de me venger. Une autre fois, vers le soir, j'étais assis à terre, allumant ma pipe et regardant à quelques pas de moi mes hommes qui attachaient une antilope avec des lianes pour la transporter au camp. Tout à coup, un kob magnifique débuche sur ma droite à toute vitesse, passant comme Féclair entre moi et mes hommes, suivi à une dizaine de mètres par une bande de vingt loups. Je me lève, je jette ma pipe, je file le kob et je le roule d'un coup très heureux à l'extrémité postérieure de l'épine dorsale, coup qui le met hors de combat ; mais à peine est-il à terre que mes hommes et moi nous accourons en poussant de tels cris que les loups abandonnent la partie et s'esquivent à la hâte. Ils m'a- vaient fait une fois chasser pour eux, je venais à mon tour de profiter du fruit de leurs peines : c'était ma revanche. Entre chasseurs, on se doit de ces politesses. J'ai parlé un peu plus haut de la chasse à l'affût. Il convient, à ce propos, de citer quelques traits des mœurs des antilopes et autres bêtes. Pendant mes longues heures de station patiente dans l'immobilité, il m'a été donné maintes fois de les observer et d'étudier notamment les rapports que les difTérents animaux ont entre eux. Certaines espèces fraternisent tandis que d'autres se tien- nent absolument à l'écart les unes des autres. MOEURS DES ANTILOPES. 169 Ainsi Téland, lo kob, le bubale, vont de compagnie, quel- quefois avec le zèbre, tandis que le guib, la gazelle, sont tou- jours isolés ou entre eux. Il en est de môme de l'antilope noire ou harrisbuck [hippotragiis niger) dont je n'ai pas encore eu occasion de parler, parce que je ne l'avais pas rencontrée à Tépoque de mon arrivée à Makanga; elle tient à rester seule de Je me trouvai face à face avec une meute de loups.... son espèce et donne des coups de cornes aux autres bêtes pour les éloigner. Il n'y a pas à en douter : le danger pour ces animaux est tou- jours à l'endroit où ils ont coutume de boire; on dirait qu'ils le sentent et ils semblent ne se décider à s'approcher de l'eau qu'à regret et comme poussés par le besoin. Le lion, le léopard, l'homme les y attendent; ils sont forcés de baisser la tète, de descendre généralement en contre-bas, ce qui leur dérobe la vue des alentours; de plus, ils ne peuvent CHASSES DA.NS L'aFI'.HJLE CENTRALE. 22 170 MKS GHANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. entendre convenablement pendant qu'ils ont le mufle dans Feau et qu'ils avalent le liquide. J'ai toujours profité de ce moment pour remuer, sur de n'être pas entendu. Tout cela constitue pour eux une période critique; aussi voit-on Tantilope surveiller les environs quelquefois pendant une heure sans se décider à boire. C'est seulement à la dernière extrémité, et lorsque les abreu- voirs de niveau sont desséchés , que le gibier fréquente les mares ou flaques d'eau situées dans un fossé ou assez pro- fondément enfoncées pour dérober le voisinage à sa vue, une fois qu'il y est descendu. Les moins méfiants sont les reedbucks et les kobs ; les derniers à venir sont les élands et les zèbres. Il est très curieux d'ob- server le manège des animaux en pareille occasion : ils vien- nent d'abord franchement jusqu'au bord de l'excavation, re- gardent longuement la végétation qui l'entoure, puis jettent les yeux de tous côtés et restent ensuite immobifes comme plongés dans leur contemplation. Après un moment, au lieu de s'avancer davantage, ce qu'on pourrait les croire disposés à faire, ils s'en retournent tranquillement comme s'ils n'avaient plus soif du tout. Ils vont rejoindre les camarades qui ne les ont pas quittés des yeux, sans doute pour leur raconter ce qu'ils ont vu. Quel- quefois, une feuille qui tombe, un poisson qui saute, le moindre bruit les fait fair comme des fous; mais ils ne font que quelques mètres et s'arrêtent, ayant l'air de se reprocher leur effroi non motivé. A la deuxième tentative, ils s'aventurent, à descendre quelques pas, et, après deux ou trois fuites comme la première, arrivent enfin au bord de l'eau. Aimant les endroits où l'eau est claire et reposée, ils s'avancent toujours de quelques pas afin d'éviter la vase qui est sur les bords; ils se mettent enfin à boire et, pour un instant, paraissent oublier tout; ils se désal- tèrent longuement comme s'ils voulaient en prendre pour plu- sieurs jours. Ils s'arrêtent une ou deux fois, écoutent et recom- mencent jusqu'à ce qu'ils soient gorgés d'eau. MŒURS DE LA FAUNE AFRICAINE. 171 Le sano'lier et le rhinocéros se roulent au contraire sur les bords, se couviant Je boue, se vautrant dans la vase; ils boi- vent ainsi, couchés le |)lus souvent sur le ventre. Le premier est. aussi méfiant que les antilopes dans les préliminaires, tandis que l'autre y va sans préambule en marchant au vent. Le lion et le léopard vont également à Teau sans hésiter. Certaines bêtes restent muettes, telles le kol) et le bubale; l'éland et le buffle mugissent comme le bœuf, mais plus bas : on ne peut les entendre que de très près. Le sanglier fait le bruit particulier à son congénère domestique ; le reedbuck glapit d'une façon perçante lorsqu'il est effrayé : on dirait presque le cri d'un jeune chien; le guib aboie également par intervalles, d'une voix plus basse ; le rhinocéros corne à la course, comme les chevaux qui ont ce défaut. Les mâles de toutes les espèces d'antilopes font entendre un certain bruit à certaines époques de l'année, au moment de l'accouplement, et les faons crient jusqu'à ce qu'ils cessent de teter. Qu'elle s'en serve ou non, aucune espèce ne manque de voix , car la souffrance et l'a- gonie leur arrachent des sons quelquefois retentissants. Je n'ai pas besoin de parler du cri harmonieux du singe, qui est d'ailleurs connu; le vieux cynocéphale aboie d'une voix pro- fonde. Le kob, le bubale, le reedbuck et même le sanglier se rencontrent généralement dans un rayon de trois ou quatre kilomètres autour de l'eau : ils ne s'en éloignent pas davantage; leur présence est un signe certain qu'il y en a aux environs, et le voyageur qui ne connaît pas le pays peut la découvrir en suivant leurs traces anciennes et récentes (1). Le zèbre, l'éland, l'antilope noire, au contraire, s'en éloi- gnent beaucoup et voyagent souvent une nuit entière pour aller boire et s'en retourner; aussi ne peut-on tirer de leur (1) C'est ce qui a valu au kob le nom de Walerback. 172 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. présence dans une région la certitude qu'il s'y trouve un en- droit où se désaltérer. Dans les lieux que l'homme ne fréquente pas, tous ces ani- maux boivent de jour, généralement aux heures chaudes de la journée, à partir de dix heures du matin jusqu'à midi ou une heure. Ils vont ensuite viander (1) et reviennent au cou- cher du soleil. Dans ce cas, leur nuit est consacrée au repos. Si, au contraire, les populations sont voisines, ou si l'homme a coutume de les poursuivre, ils font l'inverse, se reposant pendant la chaleur du jour dans des retraites épaisses et cjuit- tant leur reposée la nuit pour aller au gagnage (2). C'est pourquoi on voit, en général, beaucoup de traces et peu de gibier. En pareil cas, il faut chasser dans les lieux découverts jusqu'à dix heures environ, continuer sous couvert et dans les endroits plus touffus jusqu'à quatre ou cinq heures, et revenir de nouveau en plaine à ce moment. Les antilopes, quelles qu'elles soient, ne passent jamais la nuit sous bois : les orands carnassiers v auraient facilement raison d'elles ; elles choisissent , au contraire , des endroits très découverts, où il y ait pourtant assez d'herbes et de petites broussailles pour les aviser de l'approche d'un ennemi, et où, au moindre bruit, elles puissent fuir aisément. Selon les espèces, une harde se compose d'un nombre différent d'individus ; chez la gazelle il peut atteindre plu- sieurs milliers; chez l'impala, une centaine ou deux; chez le kob, l'éland, le zèbre, une vingtaine; chez le bubale, dix à quinze (3). Le guib , le reedbuck . le bluebuck (4) , l'antilope noire , sont toujours isolés ou par couples. (1) Terme de vénerie : brouter. (2) Terme de vénerie : pâturage. (3) Ces chiffres représentent le maximum. (4) La plus mignonne des antilopes : j'en parlerai tout à riieurc. MOEURS DE EA FAUNE AFRICAINE. 173 De juillet à novembre, les mùlcs et les femelles vivent en- semble ; ils se séparent ensuite et restent en bardes du mCMue sexe où le plus âgé prend la direction; souvent il est fait exception à cette règle en faveur de Texpérience et de Tinstinct. Si un animal de la bande a été blessé et s'est guéri, c'est lui qui la dirige, quels que soient son sexe et son âge : les autres lui reconnaissent un savoir qu'ils ne possèdent pas, et, en ef- fet, il est fort diiïicile d'approcber d'une troupe conduite par un ancien blessé. A défaut de ce dernier, s'il y a une femelle avec son faon, le commandement lui revient, sa sollicitude pour son petit étant la meilleure des sauvegardes. Les faons naissent généralement de février à mars, ils tettent quatre ou cinq mois. Dès qu'un animal est blessé, il quitte aussitôt la barde, pour ces deux raisons, je pense : 1° sa blessure le met en état d'infériorité et il ne pourrait suivre ses camarades dans leur fuite; 2" ceux-ci le chassent eux-mêmes parce que le sang qu'il perd attire l'homme et le lion sur leurs traces. La preuve que l'animal se sait facile à suivre n'est -elle pas dans les mille tours et détours qu'il fait lorsqu'il perd du sang, espérant ainsi dépister ceux qui le cherchent? Il faudrait dix volumes pour décrire les mœurs de tous les animaux qui peuplent les forêts, depuis la petite gerboise jus- qu'à l'éléphant, le seul et véritable roi des animaux. Chaque espèce a ses habitudes, sa nourriture et son gîte préférés ; elle a un faible ou un défaut dont le chasseur doit tirer parti, et c'est ce que vous enseigne peu à peu une vie conti- nuelle dans les bois. On en a vu un exemple dans la façon d'at- traper des singes vivants. En voici un autre. Une fois que nous allions nous asseoir au pied d'un arbre creux, un chat-tigre bondit hors de l'excavation et s'enfuit; mes hommes s'écrièrent : « Dépêchons-nous de le suivre, et il est à nous. » — Pourquoi? — Parce que le chat-tigre n'a 17-4 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. pas de rapidité à la course, qu'on le force facilement, et que, s'il ne trouve pas de trou à portée, il monte sur un arbre. C'est ce qui arriva. Nous étions deux ou trois qui courions fort bien; le chat-tigre nous eut bientôt sur les talons malgré ses détours et ses sauts à travers les taillis; il grimpa alors à un arbre où je le tuai facilement. J'avais appris ce jour-là quelque chose de plus. Quand on a étudié de près et qu'on connaît bien la façon d'agir de chaque animal, on arrive à trouver la manière de le capturer. J'ai inventé deux ou trois pièges, qui, tout rudimen- taires qu'ils fussent, ont fait de fort bonne besogne ; j'en repar- lerai plus loin. Le métier de chasseur consiste à détruire des animaux, j'en conviens, mais il n'exclut pas l'admiration que l'on éprouve en étudiant leurs mœurs; il m'est arrivé quelquefois même de les épargner pour cette raison. Ainsi, un matin, à l'affût, je vis arriver près de l'eau une famille de bluebucks; on eût dit des élands vus par le gros bout d'une lorgnette. On se souvient que cette antilope, la plus mignonne de toutes, ne mesure que 0'",26 de hauteur et pèse à peine quatre kilos; elle est admi- rablement proportionnée et laisse une petite empreinte qui est, en miniature, celle du kob. Elle a une petite paire de cornes droites longues de 6 centimètres au plus, et sa couleur est celle du reedbuck. Or, ce jour-là, je vis arriver le mâle, la biche et le faon dont on se figurera aisément la taille d'après celle du père; il eût tenu à l'aise sur la main ouverte. Ces bijoux de la nature, ces gracieux petits êtres, prenaient pour s'approcher de l'eau les mêmes précautions que les grandes antilopes; il faut dire que, s'ils n'ont pas à craindre le lion, ils ont aussi des ennemis de taille proportionnée. Je les vis boire et les admirai pendant longtemps, mais je ne tirai pas, comme bien l'on pense ; non que je les aie jugés trop petits MŒURS DE LA F.MNF Al- HICAIXE. r.lLielnuk {cephalophus monlicola.) pour dépenser une cartouche; mais parce que, à mon avis, ces jolis animaux n'ont pas été faits pour nourrir riiomme ; ils sont comme ces fleurs délicates qu'on admire sans y toucher. Le bluebuck {cephalophus pi/gmeus) habite les fourrés très épais, les taillis sombres; les indigènes lui attribuent la fa- culté de sauter dans les arbres et de s y accrocher par les cornes, mais je n'ai jamais pu vérifier cette assertion. Je n'en ai d'ailleurs aperçu qu'à deux reprises : à l'affût près de l'eau, le jour dont je viens de parler, et une autre fois pendant que je me traînais à plat ventre dans la boue et les feuilles trempées, cherchant à m'approcher de la retraite d'un rhinocéros. Je me reposais un instant, quand un bluebuck passa tout à côté de moi sans soupçonner ma présence. En dehors des félins, il est des animaux qui se voient rare- ment de jour et qui peuplent les bois dès que la nuit est tom- bée. De ce nombre sont le fourmilier, quelques espèces de civettes, le blaireau, la loutre sur le bord des rivières, etc. Les serpents, les crapauds, que gênent le soleil et la lumière, choisissent également ce moment pour faire leurs promenades; on voit par leurs traces, le matin, qu'ils ont étendu leurs excursions fort loin. Les feux de campement ont le grand avantage de tenir tout ce monde nocturne à distance respec- tueuse : les crapauds forcent pourtant la consigne, à la pour- suite des insectes nombreux que la lumière attire dans son rayon; ils payent de leur vie cette imprudence. Je n'ai vu qu'une fois, de jour, sur les bords de la rivière Revougoué, où j'étais à surveiller des hippopotames, les ébats d'un couple de loutres dont on entendait le soir les hou-hou 176 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. monotones; j'en tuai une, mais Tautre ne reparut plus. Le poil de Fespèce africaine est moins long, plus rude et plus gris que celui de la loutre d'Europe. Je ne pourrais citer sans en oublier, quoique je les aie enten- dus continuellement, tous les bruits qui frappent l'oreille du chasseur dans le silence des nuits, alors que, immobile dans lobscurité, il attend le fauve méfiant qui ne vient pas. 11 y a le grillon dont le cri strident résonne plus ou moins loin, et, par intervalles, le cadzidzi, gros hibou qui vient toujours vous faire visite et auquel les indigènes, ressemblant en cela aux gens de nos campagnes, attribuent le don de porter malheur. Je ne l'ai jamais aperçu ou plutôt je ne l'ai aperou que fort mal, lorsque, perché sur une branche nue , sa silhouette se déta- chait sur le ciel ; il pousse des notes saccadées : hù hù hi-hi- hi. Sa curiosité satisfaite, il s'en va d'un vol lourd. 11 y a des grenouilles au coassement européen, et dont les têtards, en- core dépourvus de voix, sifflent comme des grillons; des lou- tres qui font hou-hou; un grand oiseau de proie (1) au chant diurne et nocturne à la fois, qui chante avec sa femelle le duo que voici. Madame roucoule : « Diti diti ». Monsieur répond dans le lointain, d'une voix basse : « Doutou doutou », et cela dure pendant des heures. Ces oiseaux ne se nourrissent que de colimaçons énormes qui sont particuliers au pa3's. L'empla- cement de leur nid est trahi par les coquilles nombreuses que l'on trouve au pied des arbres. Des chauves-souris au vol capricieux et invisible , mais qui se devinent par leur petit cri aigu, tournent autour de vous. Parfois, des hérons ou des canards en voyage passent dans le ciel, poussant dans l'éloignement une note rauquc ou un cri nasillard ; la tourterelle chante aussi par intervalles , mais sans régularité, quoiqu'on lui fasse la réputation d'indiquer (1) Les indigènes l'appellent Nyangomba. ISKllTS .NOCTURNES. 177 exactement les heures; elle ne peut malheureusement pas rem- placer le coucou, ce qui serait pourtaiU liien commode pour les chasseurs sans montre. Kiiliii . le venl aussi pousse dans le feuillao-e des bruissements irréouliers. Si j'ajoute à tous ces bruits, les aboiements des chacals et des loups, les cris des recdbucks et des guibs, les ricanements ou les sanglots de l'hyène, les rugissements du léopard et du lion, qui s'y mêlent de temps en temps, on aura une idée de cette musique des bois. Vn vrai concert! Des animaux que je viens de citer, il est rare que plusieurs ne se fassent entendre à la fois : le silence n'est jamais tout à fait complet. Au canq^, on a de plus les ronflements des dormeurs sur divers tons, un pétil- lement subit du feu, et, comme complément, la musique à la fois délicate et terrible des moustiques. Mais au moment où l'aube jette sa première lueur dans le ciel, tout rentre dans le calme. Les petits oiseaux commencent leurs gazouillements. Dans les endroits habités, la voix du coq s'entend aussi à de grandes distances. Les bois reprennent leur aspect habituel, c'est-à-dire qu'ils semblent déserts, tandis qu'une tourterelle isolée chante encore, désormais seule à trou- bler la tranquillité... Revenons-en maintenant à la chasse. Pendant l'année 1892, avant l'achèvement de la saison des pluies, c'est-à-dire avril, je passai encore plusieurs semaines à la poursuite des buffles. J'étais dans une région assez peu peuplée et tellement boisée qu'on avançait avec peine en se frayant un passage à travers un inextricable réseau de branches, d'arbustes et de lianes. Des buffles avaient établi leurs quartiers dans le pays et, chaque jour, connaissant leurs habitudes , je les retrouvais dans les retraites qu'ils affectionnent, aux heures chaudes de la journée. J'en tuai ainsi une vingtaine en un mois; pendant ce laps de temps, je fus chargé plusieurs fois et risquai d'être éventré en chacune de ces occurrences. Comme j'ai déjà raconté au lec- CIIASSES DANS l'aFRIQLE CENTRALE. 2.3 178 MES GRANDES CHASSES DANS LAFRIQUE CENTRALE. teur une do ces aventures, et qu'elles se ressemblent tontes, je lui en épargnerai le récit. C'est toujours au milieu d'une végétation épaisse, où vous l'avez suivi aux rougeurs, que l'a- nimal vous attend, immobile et très bien dissimulé. 11 se pré- cipite sur vous à l'improviste, et il faut avoir tout son sang-froid et sa présence d'esprit pour le regarder venir. Pour prouver que le buflle est parfaitement vulnérable au front à travers la masse cornne qui lui couvre une partie de la tête, je citerai ici un coup que j'essayai en pareille occasion. Le buffle blessé était allé se réfugier dans un fourre placé perpendiculairement au chemin qu'il venait de parcourir. Je 1 entendis tout à coup renifler à quelques mètres ; je m'arrêtai immobile et fis monter Msiambiri sur un arbre, afin que d'en haut il essayât d'apercevoir notre ennemi. En efl'et, à peine était-il au sommet, qu'il me fit signe qu'il le voyait; avec cette adresse et ce sentiment inné de l'orientation et deladirection qui caractérisent les chasseurs indigènes, il re- marqua l'animal un instant, prit des points de repère, descendit et, à l'aide d'un petit détour, me mena près d'un gros arbre d'où on devait l'apercevoir. Je risquai un œil. Juste en face de moi était l.e buffle qui m'attendait. Sa piste passait entre nous, et il supposait que j'allais venir en suivant les traces de son sang. Il était immobile, prêtant l'oreille, la tête placée na- turellement. D'où j'étais, je ne voyais que son vaste front couvert par les cornes, son œil noir brillant, ses oreilles et quelques centimètres de son échine , à une distance de dix mètres; le reste du corps était caché par la végétation ainsi que le mufle et l'extrémité des cornes. Je n'avais donc pas le choix; je pris mon calibre 12 à pointe d'acier et je tirai au front, sortant de ma fumée avec une pré- cipitation facile. à comprendre; mais, aucun bruit ne suivant celui de ma carabine, je revins à mon poste d'observation et constatai que le buffle n'y était plus; sur le sol, sa masse CHASSE AU BUFFLE. 170 noire se devinait ; mais élail-il mort ? Pour plus de prudence, j'en- voyai encore une balle dans l'ombre et, comme rien ne re- muait, j'y allai voir, avançant insensiblement, le doigt sur la détente, lt> fusil près de l'épaule, IVeil et l'oreille aux aguets. Le bufllo était mort : ses cornes, son cerveau, la base du crâne étaient traversés et la balle loq-ée dans les chairs du cou. Si Ton examine soigneusement les cornes du buffle, on verra qu'elles lui tiennent lieu d'os frontal et que la plus grosse épais- seur au dessus du cerveau n'excède pas cinq ou six centimètres. Cornes di^ Ijullle apparlcnanl à ma coUeclioii. Une balle doit donc facilement y pénétrer, à condition d'être tirée bien de face. Si, au contraire, l'animal a la tête levée, la surface étant frontale en oblique, il est à craindre qu'il n'y ait ricochet. Je tuai encore deux léopards dans la même région que les buffles. Le camp étant loin, il m'arriva de laisser de la viande dans la jungle, faute de temps pour l'emporter; le lendemain, ma viande avait disparu, comme de juste ; je trouvai des débris d'ossements sous tous les buissons et partout des traces de lions, d'hyènes et de léopards. Voulant mettre à profit une si belle aubaine, j'apportai le lendemain une cuisse de buflle que j'attachai solidement, afin 180 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. qu'elle fût dévorée sur place, et je me postai sur uu arbre assez élevé, presque immédiatement au dessus, avec ma ca- nardière chargée, comme toujours, d'une large poignée de chevrotines. La lune était magnifique, mais, malgré le soin que j'avais pris d'ététer tous les buissons voisins et même d'en" abattre quelques-uns, on n'y voyait pas du tout. Vers le milieu de la nuit, je commençais à avoir très som- meil, lorsque les hj'ènes me rappelèrent au sentiment du de- voir. J'entendais bien craquer la viande en bas, et d'abord je crus que ces vilains animaux s'en régalaient. Toutefois, comme ils continuaient à ne pas se rapprocher de moi, je finis par comprendre ([uils se tenaient à distance , attendant leur tour, comme ils le font lorsqu'un animal plus fort, léopard ou lion, est en train de déjeuner. Aussi me décidai-je à tirer; je savais parfaitement l'endroit où était l'appât, sans toute- fois le voir. Au bruit de ma détonation, rien ne répondit. A cette distance (je pouvais être à six ou sept mètres), mon fusil devait avoir couvert la viande d'une couche régulière et serrée de projectiles. Vers le matin, les hyènes se firent encore entendre, mais personne ne sembla plus s'approcher de l'arbre. Dès que le jour parut, je vis en bas un léopard mort, tué raide dans la position où il était lorsque j'avais tiré : dressé sur la cuisse du buffle, il mordait la viande, tandis que ses griffes y étaient en- core enfoncées ; il avait six chevrotines rien que dans la tête et dix-neuf sur les autres parties du corps. Le lendemain, la même scène se renouvela, mais le léopard partit en renâclant, en rugissant de douleur, et je l'entendis s'éloigner pendant plus d'un quart d'heure. Une autre fois, croyant encore avoir affaire au félin, j'abattis une hyène, et la nuit suivante, je tuai un deuxième léopard qui alla mourir à deux mètres de l'appât. Le lion seul me tenait toujours rigueur. Ilprofitait toujours de ce que j'étais absentpour 181 VN AITIT DK MIT. .,.„■„. ,uau.c.- les restes de la viande ; mais, jusqu'à présent, nons -r :rrr M:::nX-^ou.e. et, co.n. on uuaiui ou oi -.,....,_ .o r,f nn fi attendre. va le \ou\ noire deuxième rencontre ne se fit pas attendi Défenses ( le rliinoccTOS de ma collection. CHAPITRE IX. Retour au pays des Atcliécounda.s. — Voyage chez Mouana-Maroungo. — A la re- cherche des élépliants. — Campement dans les marécages. — Nous apercevons un troupeau d"élépliants sans pouvoir les poursuivre. — Une nuit au milieu des moustiques. — Chasse aux impalas. — Mtalité des petites antilopes. — Animaux survivant à leurs blessures. — Capture d'un kob vivant. — Soins à prendre pour apprivoiser les antilopes. — Antilopes noires. — La Sitoutounga. — Les fourrés épineux. — Retraites à rhinocéros. — Rodzani, Maonda, Tam- barika et Tchigallo. — Une page de mon carnet de chasse. — Le guib et ses mœurs. — Chasse à courre aux flambeaux. — Camp chargé par un rhino- céros. — Poursuite et mort de mon premier lion. — Quelques mots sur les mœurs du lion. Ma visite dans FOuest terminée, je retournai au pays des Atehécoundas, avec Fintention de me diriger cette fois A^ers l'Est et de commencer l'exploration des territoires situés entre Makanga et la rivière Chiré. Je désirais d'abord aller au nord- ouest chez Mouana-Maroungo, pays dont le roi seul était connu de nom et où personne n'avait encore pénétré. D'ordinaire, lorsque je posais aux indigènes mon éternelle question : « Y a-t-il des éléphants de ces côtés-ci? » ils me répondaient invariablement que l'éléphant était partout et nulle part, voulant dire par là que ses habitudes sont si irrégulières, ses marches tellement longues, ses voyages si continuels, qu'on pouvait le rencontrer à un kilomètre du village, tout comme ne le voir jamais après des mois de poursuite. A LA RECHERCHE DES ELEPHANTS. 183 Aussi, en arrivunl chez .Mûiianu-Maroiuigo, m'apprètais-jc à la réponse habituelle, quand, à mon grand étonnenient, le roi me répondit : « Rencontrer des éléphants? Oui... peut-être, en allant près de Tchipembéré (un chef voisin), pa- tchipeta (l) ici niatopé », ajouta-t-il (dans la vase et les ajoncs), voulant désigner de grandes plaines qui se rencontrent dans les vallées au sud de son pays, et qui constituent, pendant les pluies, de véritables marécages. Nous nous rendîmes aussitôt chez Tchipembéré, Theureux voisin des éléphants, et nous arpen- tâmes son pays et les plaines en question. Quoiqu'elles fussent presque desséchées à cette époque de Tannée, on y enfonçait en- core fort bien et il n'était pas difficile de reconnaître notre passage : quelqu'un qui aurait eu la constance de nous suivre aurait cer- tainement trouvé que nous avions beaucoup trop marché. Les empreintes d'éléphants étaient loin de manquer, mais il n'y avait pas de piste fraîche, c'est-à-dire datant de la demi- journée ou tout au moins du matin. Une troupe d'éléphants avait en effet fréquenté l'endroit à plusieurs reprises : leurs traces se retrouvaient bien à des dates différentes, mais, pour le moment, après quatre jours de prome- nade, nous n'avions rien appris de plus satisfaisant. Décidé- ment, ^louana-Maroungo et Tchipembéré étaient des fu- mistes. Nous nous étions beaucoup éloignés, fatigués et privés pour rien. J'avais eu avec d'autres animaux plusieurs occasions ma- gnifiques dont je n'avais pas voulu profiter de peur de faire du bruit et d'efTrayer les éléphants qui devaient se trouver dans le voisinage, et que je ne trouvais pas. Le 19 mai au soir, comme il n'y avait point d'eau à la ronde, sauf un trou au milieu du marécage, nous nous décidâmes à (1) On appeHe Ichipcla ou tséré/ia de grosses herbes très épaisses et dures qui résistent aux flammes et qui continuent à hérisser le sol après que le feu a passé. 184 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. camper ù une ciiKjiianlaine de mètres de là, dans un endroit un j)eu moins humide. Les rosées étant très abondantes, je fis dresser un toit détente au milieu du marécage, tandis qu'il fai- sait encore jour, afin que les moustiques me trouvassent pré- paré à les recevoir avec une bonne moustiquaire bien fermée. Au moment où Fou achevait ces préparatifs et où les hommes allaient partir pour trouver du combustible, ce qui constituait un voyage de plus de deux heures, je contemplais vers l'ouest le soleil qui allait disparaître derrière les collines de Thorizou, envoyant ses reflets rougeàtres sur l'immense plaine où nous nous trouvions. J'avais le vent de dos, une petite brise dont j'augu- rais bien si elle durait, car elle nous chasserait les moustiques. Je regardais le vague, l'éloignement, plongé dans je ne sais plus quelles pensées, quand, tout à coup, j'entendis derrière moi une exclamation qui m'arrêta le cœur et la respiration, un seul mot qui me fit une impression prodigieuse : Ndjovo! ncljovo! (l'éléphant! l'éléphant!) cria liodzani, un de mes chas- seurs, et tout le monde suivit la direction de son doigt En- tre nous et les collines dont je viens de parler, sept colosses, sept énormes masses grises, à plus de quinze cents mètres de nous, marchaient lentement à la file indienne allant du nord au sud. Je sautai sur mon casque, sur mon fusil, mais Msiambiri me dit tristement : « Mzoungo (Monsieur) que voulez-vous faire? la nuit arrive, il n'y a pas de lune et ces éléphants vont nous sentir dans un instant ; nous n'avons pas même le temps de nous enfuir pour leur enlever notre vent. » Msiambiri avait raison!.. En tête marchait un gros mâle qui levait sa trompe à chaque instant. A l'aide de ma lorgnette, j'a- percevais ses grandes oreilles qu'il balançait d'avant en arrière. Le jour baissait de plus en plus; mais je vis tout à coup les élé- phants s'arrêter brusquement, faire face à notre direction, le- ver leurs trompes au dessus de leurs têtes et avancer leurs 'f^/' '^ -"^rr^^ -^ AU MlLlf'U DES MOUSTIQUES. 185 oreilles puis, ils firent volte-face, le dernier devint le pre- mier et, au pas de course, ils s'éloignèrent rapidement dispa- raissant dans le crépuscule : ils nous avaient sentis. Je laisse à penser Timpression que j'éprouvai en face de cette mauvaise chance qui s'aclianiait après moi. Après quatre jours de marches fatigantes, les éléphants m'apparaissaient à la nuit tombante, par un temps mi-couvert, et, qui plus est, j'étais placé de façon à leur laisser prendre mon vent immédiatement! Quel beau résultat ! Cela valait-il la peine de m'être privé de chasser depuis quatre jours, d'avoir à peine dormi, à peine mangé ^ Dès que les gigantesques pachydermes eurent disparu, la brise cessa comme par enchantement. Cette ignoble brise ! Elle voulait bien mettre les éléphants en fuite, mais continuer en même temps à nous débarrasser des moustiques eût été une trop grande faveur. Et les moustiques arrivèrent par centaines, par milliers, par nuages épais! Personne ne dormit au camp; les hommes ne purent rester en place qu'en s'entourant de grands feux de paille qui demandaient des allées et venues continuelles et tout le monde pour les alimenter. Autour de ma moustiquaire, il y avait une telle quantité d'insectes que leurs bourdonne- ments à l'unisson donnaient l'illusion de lointaines fanfares de chasse. J'avais vu beaucoup de moustiques dans ma vie. Je me rap- pelle surtout, entre autres, une nuit terrible passée autrefois sur le ^\^hémé (1), où mes compagnons et moi, sans fermer l'œil, passâmes la nuit debout, nous promenant à grands pas et nous donnant sur le corps des claques retentissantes. Mais c'était à peine comparable à ce que nous souffrîmes au milieu de ces ma- récages ; malgré les feux, les hommes ne purent bientôt plus ré- sister aux terribles insectes ; ils firent des torches de paille et (1) Fleuve de la côte occidentale d'Afrique formant la limite ouest duDahomoy. CHASSES DANS l.'AFr.lfJLF. CF.N"TriAI.F,. 2'é 18G MHS GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. allèrent se baigner au trou d'eau voisin à la lueur des llam- beaux, afin de soulager la douleur causée par ces milliers de piqûres. (Humt à moi, je m'endormis vers le matin et me réveillai peu après la figure et le front boursouflés. Par des petits trous im- perceptibles échappés par mégarde à un raccommodage soigneux, des quantités de moustiques étaient entrés dans ma mousti- quaire; mais, gonflés de mon sang, ils ne pouvaient sortir ou ne retrouvaient pas les ouvertures par lesquelles ils avaient pé- nétré; j'attendis le jour et les tuai jusqu'au dernier. (Hiand j'eus fini, à voir mes mains pleines de sang, on eût dit que je venais d'égorger une antilope. Mais le dicton « à la guerre comme à la guerre » peut s'appli- quer à la chasse; tous ces petits tracas, ces vicissitudes sont inséparables de l'existence du chasseur : c'est le complément inévitable de la vie dans les bois. Je ne m'en plains pas. Aujourd'hui, je considère la. rencontre de l'animal cherché comme dépendant de circonstances en dehors de votre volonté, ce qui peut également s'appeler chance ou hasard ; il faut néan- moins aider à ce hasard de toutes ses forces, être patient, calme, et surtout infatigable. Mais, à cette époque, j'étais beaucoup moins blasé sur ces émotions et je considérais comme un mal- heur irréparable ma rencontre manquée avec des éléphants : je ne cessai, pendant des journées, des semaines, de me répéter que j'étais excessivement malheureux et que la déveine s'achar- nait après moi. Pour me consoler de cette mésaventure, je me mis à pour- suivre sans relâche une harde d'impalas que j'avais aperçue plu- sieurs fois et je me servis du stratagème que j'ai déjà décrit, qui consiste à les affoler par une poursuite acharnée. L'impala est l'antilope dont le poil est le plus doux et la cou- leur la plus délicate; elle a le ventre blanc et le reste du corps d'une couleur qui tient entre le fauve clair et le café au lait. VITALITI-; DES PETITES ANTILUPES. 187 Eclairé (.rune certaine façon, sou poil soyeux a des reflets rougeàtres. Le mâle, seul a des cornes qui sout d'uue forme très élégaule. Sauf ([u'elleala tète un peu forte par rapport au corps, l'impala est plutôt élancée et gracieuse. Chez elle, comme chez toutes les antilopes, j'ai constaté une force de vitalité extraordinaire. Un jour, une de mes balles at- teignit le ventre d'une d'elles; le projectile, en éclatant, ouvrit complètement l'abdomen et les intestins s'en échappèrent avec beaucoup de sang. Pendant plusieurs heures, nous ne suivîmes que des rougeurs, puis, nous trouvâmes, accrochés aux branches et aux épines, des débris de lioyaux sanguino- lents que l'animal s'était arrachés dans sa fuite. Mes hommes les ramassaient au fur et à rnesure et, après les avoir vidés, les roulaient, Msiambiri disant avec raison que, si nous perdions Tanimal, nous aurions au moins un plat de tripes. La pauvre béte devait soutfrir atrocement, mais elle ne tomba pas; malgré ses blessures, elle continua à fuir, le ventre vidé, les veines à sec : elle finit par s'arrêter près de trois heures et demie après avoir été blessée. N'ayant plus la force de marcher, elle se cacha en se mettant contre une branche grosse et basse qui partait presque horizontalement de terre ; elle était si bien dissimulée qu'on ne lui voyait que les quatre pieds à mie vingtaine de mètres sous bois; j eus un grand détour à faire pour pouvoir Tachever. Je pourrais citer des centaines de ces exemples de vitalité, surtout chez les petites antilopes. Horriblement mutilées par un projectile qui tue raide les plus gros animaux, elles trou- vent souvent la force de vous échappe r ou de vous forcer à des poursuites dont elles ne valent pas la peine. Une bête de grande taille est presque hors de combat lorsqu'elle a une jambe cassée; dans ces conditions, un éland, un buffle, sont perdus. Les petites ont Tair de n'en courir que mieux : j ai vu une 188 MES GRANDES CHASSES DANS LAKh'U.tl E CENTRALE. femelle de giiib avec un membre de devant cassé, fuir avec une telle rapidité que je crus l'avoir manquée; mais au bout de cinquante mètres, elle tomba, fit plusieurs tours sur elle-même emportée par 1 impulsion, se releva et partit de plus belle pour retomber encore. Les antilopes survivent souvent à leurs blessures; j'ai vu dans des districts où je n'étais jamais venu, des animaux blessés par d'autres chasseurs et qui conduisaient une harde. On les reconnaissait généralement à leur air méfiant, à leur démarche différente des autres, à une légère boiterie, à une em- preinte déformée, etc., etc. Pendant une de mes chasses à raffut, je blessai un jour à la jambe un kob qui s'enfuit avec les autres et ne laissa pas de traces de sang. Deux ou trois jours après, je vis arriver le kob, boitant péniblement, ayant le membre enflé et douloureux et ne pouvant avancer qu'avec la plus grande difficulté; j'envoyai aussitôt des hommes qui n'eurent pas de peine à le capturer et je le fis transporter au camp. On le coucha sur l'herbe, je pansai sa jambe malade qui pouvait encore guérir et je le laissai à distance, attaché à un arbre. Tel fut son effroi de voir des hommes autour de lui, de sentir leur odeur si redoutée, qu'il était couvert de sueur et qu'il mourut deux heures après. Les animaux adultes s'habi- tuent rarement à l'homme, tandis que, pris jeunes, ils s'appri- voisent avec la plus grande facilité. J'ai eu pendant plus d'un mois un jeune bluebuck, auquel une femme d'un village voisin venait donner à teter deux fois par jour, moyennant un sa- laire très élevé. Il commençait à connaître tout le monde, à venir quand on l'appelait. .J'avais un grand feutre que je met- tais dès que le soleil était descendu et qui restait sur une petite caisse dans un coin de ma tente; il sautait sur la cas- sette et se couchait dans le chapeau. Il haïssait évidemment Gaétan et Fanchonnette et les évitait avec le plus grand soin. L'ayant laissé dans un village, pendant une absence, j'appris A.NTILOI'ES Al'l'iaVOlSEES. 189 à mon retour qu'il étail mort; les enfants avaient dû s'en amuser. Les antilopes ne pouveni vivre que si on ne les touche pas; rien ne leur est plus désagréable que (Tèlre prises, d'être })alpées, d'ètn^ liixM's par une jambe, d'être manipulées sans soin, et cela a pour eilet de les faire dépérir. Plus tard, quand elles sont grandes, une légère caresse de la main sur la tète ou sur le dos sulïit. C'est ce qui explique l'état généralement prospère des animaux ([m- l'on garde dans les jardins d'accli- matation : ils sont en dehors de la portée des passants. Quant aux singes, Gaétan m'ayant mordu un jour violemment à la cuisse, il fallut la prière de mes hommes pour m'empècher de lui faire lier connaissance avec ma carabine; je le poursuivis néanmoins à coups de pierres sur l'arbre où il s'était réfugié et je n'eus de repos que je ne l'en eusse fait tomber. .J'en lis ensuite don à Hanner qui fut mordu également et se vengea à coups de pied. S'il y avait eu disette, je les aurais mangés, mais je me contentai d'en faire cadeau au chef du village de Mtchèna, où ils sont encore. Je les ai revus peu de temps avant mon départ et j'ai eu de la peine à les reconnaître, tellement leur taille avait augmenté; eux m'ont paru, au contraire, fort bien me reconnaître, et Gaétan en me voyant s'est mis à crier comme si on l'écorchait vif. Ma garde-robe commençait à devenir très succincte au moment où je chassais les impalas; aussi essayai-je de mettre à profit leur joli pelage pour me confectionner une veste solide. Je fis d'abord assouplir et tanner leur cuir à la façon indi- gène, je décousis ensuite un vieux gilet qui me servit de pa- tron, j'ajoutai des manches en toile à voile et j'eus- une veste tellement solide que je n'ai jamais pu l'user; je la possède encore. Après avoir poursuivi les impalas pendant quelques jours et en avoir mangé une quinzaine, je quittai les plaines pour ren- 190 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. trer sous bois; jV rencontrai des traces nombreuses crantilo- pes noires. L'antilope noire (1) dont j'ai déjà donné une idée en parlant des mœurs des animaux, est une espèce tout à fait distincte des autres et avec laquelle la rouanne dont j'ai parlé (hippotragus leucopheus) est la seule qui ait quelque res,sem- blance comme formes. Celle dont il s'agit ici n'est noire que lorsqu'elle arrive au terme de sa croissance et de son développement. A vrai dire, son poil est plutôt brun très foncé. Elle a des taches blanches au ventre et sur le chanfrein, et ses cornes, posées presque sur les yeux, se recourbent gracieusement en arrière. Elles tou- chent le dos pour peu que la bête soit vieille, lorsqu'elle lève la tête. Avant Tàge mur, elle est d'un brun d'autant plus clairqu'elle est plus jeune : c'est pour cela qu'il y a des harrisbucks de toutes les teintes, depuis le rouge bai jusqu'au noir presque parfait. Les cornes poussent d'abord droites : elles ne se recourbent en arrière qu'à partir de trente centimètres environ. L'antilope noire affectionne tout particulièrement les bois sombres; elle ne se montre à découvert que le soir après le coucher du soleil, ou le matin avant son lever. Ses fumées sont plus allongées que celles des autres ruminants de son espèce et ses pinces plus écartées. La taille d'un mâle adulte, supérieure à celle d'un kob ou d'un bubale, se rapproche de celle du koudou. Ses membres antérieurs semblent plus longs que les autres à cause de l'élévation extrême du cou et du garrot qui sont bordés d'une crinière et donnent à l'échiné une pente marquée vers la croupe. A propos des diversités de couleur du pelage chez les ani- maux de même espèce, j'ai entendu bien des discussions tendant à faire supposer qu'il en existait plusieurs variétés. Or, l'expérience et une observation continuelle m'ont appris (1) Hippotrarjus itirjer. Les Anglais la nomment « harrisl^uck ». COULEUR DES ANTILOPES. 101 qu'il n'y a qu'une seule variété de chacune des antilopes que j'ai citées : si leur pelage diffère, c'est pour des causes di- verses, dont les principales sont l'âge et le milieu habité. Je parlais à l'instant des antilopes dites noires, dont la cou- leur varie du bai au châtain presque noir. Le kob offre la par- ticularité contraire : son poil devient plus clair et plus court au fur et à mesure qu'il vieillit. Le jeune faon est marron foncé, ^' ^ ^ }]^â'''^''i'':-J '-^^'^'l' - Anlilopc noire {hippotragus niger). tandis que le vieux mâle est gris clair; le premier a le poil tellement long qu'on croirait à une espèce différente, le second l'a tout ras. L'éland, mâle et femelle, perd avec l'âge sa couleur jaune et les raies transversales de son dos; son poil tombe, et la peau devenue plus visible lui donne une teinte gris clair, puis gris foncé ; certains vieux taureaux sont bleu ardoise, et cette particularité les fait distinguer aisément au milieu du troupeau. Le bubale passe par des transformations analogues, mais la 192 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. dilTércnce du jaune entre un jeune et un vieux sujet est moins grande. Le koudoii perd également ses stries dorsales; mais, comme il est toujours grisâtre, il change peu; son poil seul devient plus rare. Ces indices de couleur, la dimension et Tusure des cornes et du pied font connaître Tâge d'une antilope. J'ai découvert vers le milieu de 1892, dans un seul district limité à quelques lieues carrées, une espèce d'antilope très rare, dont M. Selous parle dans ses ouvrages (1) et dont il n'a vu qu'un seul spécimen : la siloutoiinga, comme il l'appelle, d'après les indigènes du haut Zambèze. Cette espèce a ceci de curieux que le mâle et la femelle adultes ne sont pas de même couleur. Celle-ci a la teinte du reedbuck, mais avec une taille plus élevée, tandis que le mâle est de couleur gris foncé presque noir, lorsqu'il est vieux ; jeune, il est comme le koudou. Il ressemble beaucoup à ce dernier : même forme de tête et de cornes; mêmes marques blanches; seulement sa taille est moins élevée. Je n'ai tué qu'une sitoutounga mâle; mais j'ignorais ce que ma trouvaille avait de précieux. Quand je l'appris, j'avais déjà jeté ou coupé la peau, ne lui croyant pas de valeur, et je retour- nai sans succès dans la région où je l'avais rencontrée; je n'y tuai que des femelles. Pour une centaine de celles-ci, il y a à peine quatre ou cinq mâles. De plus, cette antilope se tient dans des fourrés inextricables d'épines, très sombres, enchevêtrés de lianes, où on risque à chaque pas de tomber sur un rhinocé- ros : en pareille occurrence on serait perdu, car on ne peut faire un pas sans s'écorcher et s'arrêter pour dégager ses vê- tements ou sa peau, on ne marche qu'avec un sabre d'abattis (1) A Hunler's wanderings in South A frira. ANTILOPES NOIRES. 193 pour s'ouvrir uu chemin. Avec beaucoup de patience, de peine et d'écorchures, j'arrivai à tuer quelques femelles sitoutoun- gas, mais c'est le mâle qui m'intéressait. Un jour, je faillis me rencontrer dans ces jungles épaisses avec un éléphant femelle accompagnée de son petit; nous l'enten- dîmes distinctement, un de mes hommes et moi. Ce noir, chararé le lendemain par uu rhinocéros, ne dut son salut qu'à un arbre sur lequel il monta... bravement. L'arbre était couvert d'é- pines énormes, courtes, aigïies et recourbées. Le malheureux, dès que le danger fut passé, ne pouvant descendre, se laissa tomber sur un buisson aussi épineux que l'arbre : il nous fallut tout un jour pour extraire les pointes restées dans sa chair; son corps n'était qu'une plaie. Mais tout cela ne se passa qu'un an après et je ramène le lecteur en 1892, au moment où, fatigué des plaines, je chassais sous bois l'antilope noire. Jamais je ne vis animal plus méfiant et plus difficile à ap- procher. Toujours sur le qui-vive, restant sous des couverts jonchés de feuilles sèches où le moindre pas est facilement perceptible, le harrisbuck nous gardait à distance. Néanmoins, en faisant avec mille précautions un pas environ toutes les minutes, je finis par arriver à portée. Je ne voyais que la croupe d'un des animaux, un des plus petits, et, ayant remar- qué le chef du troupeau qui avait une paire de cornes magnifi- ques que je désirais m'approprier, j'attendis immobile pendant plus d'une demi-heure. Les antilopes étaient également aux écoutes, mais, comme rien ne remuait plus, elles durent penser que nous avions abandonné la partie. Le vieux mâle se mon- tra enfin, explorant les environs et m'offrant un coup magnifique dont je profitai immédiatement : la balle le frappa avec fracas et il roula à terre, l'épine dorsale brisée. Ses cornes mesu- raient l'",23 de longueur, sa taille l'",59. Rodzani qui était allé pour l'achever avec le sabre d'abattis avait failli être at- teint d'un furieux coup de ces cornes. CUASSES DANS L'AFKlylE CEMIIALE. 23 194 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. C'était aussi un précieux auxiliaire pour moi, ce llodzani. 11 était du pays des Magandjas, à l'est de Makanga, et avait pour la chasse une passion encore plus prononcée que celle de Msiambiri. Il s'attacha à mon service beaucoup plus pour avoir le plaisir de m'accompagner à la poursuite des animaux que pour le payement qu'il recevait. Sa ténacité à la marche et surtout à rechercher les indices, quelquefois presque invi- sibles, d'animaux blessés, était extraordinaire. A peu près du môme âge que Msiambiri, il avait de commun avec lui un appétit fabuleux en cas d'abondance; il faut ajouter que nul mieux qu'eux ne savait jeûner à l'occasion, tout en marchant sans trêve ni repos du matin au soir. Maonda, un autre passionné, se joignit à ma petite troupe. Originaire de Tchipéta, au nord-est d'Oundi, il avait long- temps habité Makanga qu'il avait fini par quitter à cause des persécutions du roi, pour le compte duquel il avait long- temps chassé. Il ne demandait d'autre payement qu'un peu de viande. Jamais personne ne l'avait vu sans son fusil et un sabre d'abat- tis que je lui avais donné, et qu'il astiquait toujours avec sol- licitude. Il en entretenait le fil avec tant de soin qu'il égorgeait une antilope avec cette arme comme il eût fait avec un rasoir. Aussi le tchissinga (sabre) de Maonda était-il proverbial au camp; pour le mettre hors de lui, on n'avait qu'à faire sem- blant de prendre son sabre par erreur pour aller couper du bois : cela réussissait toujours. Installé au dépeçage d'un animal, barbouillé de sang des pieds à la tête, coupant, taillant sans relâche avec son cher sa- bre , Maonda était dans son élément et n'eût pas cédé sa place, l'eût-on nommé roi des Magandjas. Rodzani et Maonda n'étaient que chasseurs, ou, ce qui est plus exact, limiers ; car ce ne fut que dans les grandes cir- constances que je les autorisai à faire usage de mes fusils. RODZAM, MAONDA, TAMBAUIKA ET TCIIIGALLO. 105 Mais Msiambiri occupait un poste plus important en ajoutant à ses fonctions celles de valet de chambre. Vers le milieu de 1892, mon état-major compta deux nou- veaux personnages : Tambarika et Tchigallo , jeunes indigènes Magandjas, tous ilcux bons chasseurs. Le premier surtout avait mérité son nom par son adresse au fusil, qualité très rare chez les noirs. Msiambiri portait généralement mon calibre 12; Hodzani et Maonda se relayaient pour le transport de mon calibre 8 ; mais Maonda, Tambarika et Tchigallo avaient toujours leur appa- reil indigène, c'est-à-dire le fusil à baguette (1), la poire à poudre, la cartouchière à balles, plus le sac à capsules, ce qui ne les empochait pas de se distribuer les petits colis que nous prenions avec nous : nourriture, gourdes, mkombo (cale- basse à boire), haches, etc. Pendant que nous chassions, l'expédition avançait toujours, et, en racontant mes chasses, je ne fais que le récit de ce qui se passait soit sur les flancs soit en avant de la colonne , à une distance plus ou moins grande du centre d'opérations. Je partais toujours en avant, emmenant avec moi des gui- des, tandis que les Arabes ou Hanner, quand il ne chassait pas, se rendaient à l'étape convenue; je rejoignais mes gens le soir, ou bien j'envoyais à temps prévenir soit de m'attendre là, soit de continuer sur un point indiqué. Lorsque le pays n'of- frait aucune ressource en gibier, je ne m'éloignais pas de la colonne. Hanner chassait aussi, mais d'une façon beaucoup moins suivie que moi; il tuait néanmoins une bonne quantité de gibier, ce qui fait que nos hommes avaient toujours un peu de viande à ajouter à leur ordinaire, tandis que nous pouvions nous délasser, nous, des éternelles conserves ou du fade et antipathique koukou (poulet africain). (Il D'anciens fusils de munition à capsules vendus par les Portugais pour la chasse à l'éléphant. 190 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. Je dressais lentement mes itinéraires, consacrant au moins une heure par jour aux observations barométriques et astro- nomiques, et je n'ai jamais omis, en relatant une de mes chas- ses, d'y ajouter des notes propres à augmenter ma connais- sance du pays. Chaque journée a été consignée ainsi sur des carnets qui ne me quittaient jamais et dont je tire aujourd'hui tous ces souvenirs. Voici une journée prise au hasard dans mes notes, et qui donnera une idée de ma façon de procéder; cela pourra intéresser ceux qui sont désireux de chasser en pays inconnu. CHASSE. — CARNET X" 8. — 8-9 Mai 1892. — Parti 8 heures 3/4, après la pluie, temps couvert, humide, avec sept hommes. Direction S.E.-S. —Passé bois Mféfé 10" 1/2. Piste éléphant de trois jours. O.-E. Chasse au buffle. Campement à Phapa (Magandja). Arrivé au pied Sa- lambidoua (montagne). Détour S. -S. 0.0. — 3'' 1/2 de marche. — Em- preintes kobs et bubales du matin. — Traversé le Mitarara, petite rivière à sec (sa direction N.E.-S.O). — Buprestes et hyménoptères, bouteille bleue. Sable rouge. Direction S. O. — Collines de Mféfé N. E, à peine visi- bles. — 2** : vu un koudou de loin, cornes seulement, sous un arbre. — Rampant, arrivé 80 mètres, impossible tirer à cause des branches : dit à Tambarika de faire détour et jeter pierre. — Koudou débusqué à la course à travers les broussailles, tiré mais probablement manqué. — Campé le soir O. de la montagne. — Trou d'eau O. exact du pic supérieur à une demi-heure de marche. — Attaché hamac, pluie fine. — Lion rugit pendant la nuit. — Passé sans doute près de nous : entendu son ron- flement. — Piste invisible sur la pierre, — rosée abondante. — Parti avant le lever du soleil, direction O. — Gisements granit, schiste ardoi- sier abondant, mica en paillettes sable d'un petit ruisseau N.-S., affluent Mitarara, nom inconnu. — 7'' 1/2 : vu antilope noire lisière forêt basse, à travers arbustes, mis balle en plein poitrail, roulée par terre, repartie à la course, point de jambe cassée, pourrait mener fort loin, abandonnée. — Cherchons piste de buffle. — Vers 10'', aperçu deux élands très loin : ont fui aussitôt. Suivi la piste plus d'une demi-heure, : trois femelles. — Sortant d'une petite ravine, levé la tête avec précaution et aperçu une d'elles à environ 100 mètres. — B-B (bonne balle), — perforation poumons, — sang projeté naseaux comme arrosoir, — suivi rougeurs, — animal est à nous; — marché gros quart d'heure. — A certain endroit sur le ilanc dune petite colline, éland fait l)rus(]ue détour vers un arbre UNE PAGE DE MON CARNET DE CHASSE. 197 qui, seul, projetait un peu donibre autour de lui. — En y arrivant trouvé l'éland; — il était venu à l'ombre pour se reposer, avait rendu énormé- ment de sang- et était mort sur place, — très p^rande femelle, — C. T. B. (cornes très belles) garrot 1"',57. — Deux heures de repos. — Dépe- çage et déjeuner à 100 mètres plus loin, à Tombre maigre de quelques ar- bres rabougris. — Retour à 1*'. — Aperçu vieille piste rhinocéros. — Point de buffle. — Tchigallo resté en arrière avec viande, Maonda allé chercher porteurs près de Mféfé; retour avec les autres par S. de Mféfé. — A 2'' 1/2 la Bou(|ua, ruisseau direction N.-E; arrivé Mféfé 5'' 1/2, Phapa () heures. — Viande arrivée G'' 1/2. — Traversé en sortant forêt Mféfé N. petit massif de /bw/^s (amandiers sauvages). — Bauhinias ra- bougris sur tout le parcours à cause terrain rocailleux. — Trois car- touches (cartouches brûlées). 10 Mai. — Parti avant l'aube, etc., etc. Pendant mes trois ans de pérégrinations, j'ai collectionné une trentaine de ces carnets contenant les chasses, les notes de voyage, le journal, les dépenses, les observations astro- nomiques, les noms du personnel, etc., etc. Je variais de mon mieux le genre des chasses, soit en fré- quentant des endroits spéciaux à une espèce, soit en ne pour- suivant qu'une seule variété parmi les autres ; mais ce dernier moyen était rarement couronné de succès ; il me suffisait de désirer des élands pour ne rencontrer que des bubales ou des kobs. Parfois, l'occasion étant trop bonne, je ne la lais- sais pas échapper. D'autres fois, au contraire, les élands cher- chés étant proches, je m'abstenais de tirer sur les autres ani- maux, qui toujours, dans ce cas, m'offraient des coups de fusil admirables. C'est l'histoire des gens qui lèvent des lièvres et des perdreaux lorsqu'ils sortent avec leur canne et qui, re- venus le lendemain avec un fusil, rentrent le soir à la maison sans avoir rencontré le moindre gibier. Un jour que j'avais des élands en vue, une troupe de bubales resta à nous regarder de si près qu'on eût pu les atteindre avec une pierre; mes hommes se désolaient : « Tirez, Monsieur, mais tirez donc! voyez comme ils sont près! » et je refusai à voix basse. J'eus 198 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. raison duilleiirs, car ce jour-là je fis une chasse à l'éland qui est unique dans mes souvenirs. Je la raconterai en son temps. Il est donc très difficile de s'appliquer uniquement à la poursuite d'une espèce spéciale et de réussir à la rencontrer, à moins qu'elle n'ait une région favorite. C'est le cas du giiib, surnommé antilope harnachée , à cause des raies blanches qui partent de son épine dorsale en descendant sur les flancs et la croupe, et qui, avec des points blancs sur les fesses, lui donnent vaguement l'air d'être couvert d'un harnais blanc. Les indigènes l'appellent Mbaouala; dans certaines régions, ils attachent à son nom une légère idée de superstition, parce qu'il habite les endroits sombres et toufl'us dont ils font leurs cimetières. En réalité, le guib recherche tout particuliè- rement les endroits très abrités (1) : on le trouve partout où il y a des fourrés épais et de l'ombre. Or, les cimetières offrent toutes ces conditions, parce que les usages s'opposent à ce que le feu y pénètre jamais; les végétaux y acquièrent par consé- quent un grand développement. Auprès d'un des villages où nous campions, mes hommes si- gnalèrent à plusieurs reprises des guibs dans les environs. Ils se tenaient dans un grand bois épais et sombre, où les hyènes faisaient rage dès que la nuit était tombée. Dans la partie la plus proche des habitations reposaient les morts du village, et leurs sépultures n'occupaient qu'un coin. Je pouvais donc parcourir les autres parties du bois sans froisser les usages indigènes qui permettent à ceux seuls qui vont enterrer un mort de passer dans un cimetière et de piétiner les tombes. Un léger tertre et des débris d'ustensiles de ménage indiquent l'emplace- ment de celles-ci. Le guib mâle a la réputation de charger son agresseur tout comme un buffle, quand il est blessé; quoique je n'aie ja- (1) Les Anglais l'ont d'ailleurs nommé 5«sA6«/'î«^er (sau- teur de rochers). LES OREOTRAGUES. 233 se distingue par un front très large, de petites cornes droites beaucoup plus espacées que celles du duiker, un poil raide et épais qui ressemble plutôt à des piquants et qui s'arraclie très aisément. Aux heures chaudes de la journée, oii aperçoit les oréotra- gues étendus à Tombre, toujours Sur des rochers et dans la position du sphynx. Ils sont assez paresseux à ce moment-là et vous laissent approcher sans trop de peine à une centaine de mètres avant de se déranger. Le matin et le soir, au con- traire, on les voit rarement, car ils fuient et disparaissent au moindre bruit. Voyant qu'en dehors des buiiles, il n'y avait guère autre chose, je retournai au camp, la chaleur étant, pour je ne sais quelle cause, si intolérable ce jour-là qu'on ne pouvait respi- rer; le canon de nos fusils nous brûlait les doigts sous les ar- deurs du soleil et mes hommes se plaignaient que le sol en faisait autant à leurs pieds, dans les endroits découverts. Aussi le séchage marchait-il admirablement : le beltong allait être prêt le soir même à être empaqueté. Dès mon arrivée, je vis revenir de la mare mon cuisinier, Vatel, qui nous raconta que, étant allé pour se baigner dans un des trous voisins, il avait aperçu, en s'approchant du rivage, quantité de caïmans qui s'arrachaient les derniers lambeaux de chair restant sur les carcasses d'hippopotames laissées la veille. Comme je n'avais rien de mieux à faire, je pris mon express, quelque chose à manger, ma gourde, ma pipe, du tabac, et j'allai m'installer sur les bords de la mare, à l'ombre d'un arbre, à vingt mètres de l'eau, caché, en partie, par de la végétation. En arrivant, j'avais aperçu une dizaine de caïmans, et notam- ment un ou deux très grands. Tous ces reptiles avaient glissé à l'eau aussitôt mon approche, ce qui prouve qu'ils y voient de fort loin, et, après être restés à fleur d'eau pour me voir venir, CHASSES DAXS L'AFniQLE CF.STIIAI-F. 30 234 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. ils avaient fini par disparaître. J'en profitai pour me cacher, et quand l'un d'eux risqua de nouveau un œil à la surface, les environs paraissaient aussi déserts et aussi tranquilles qu'avant mon arrivée. Bientôt tous les hideux reptiles émergèrent de nouveau, na- geant lentement en tous sens, mais se rapprochant insensible- ment de la rive. J'avais reconnu les deux à la taille supérieure et je les surveillai avec soin, tout en mangeant sans bruit ; Lun d'eux, encouragé par un jeune caïman qui était déjà hors de l'eau, finit par atterrir avec les mouvements lents et hypo- crites qui caractérisent ces vilains animaux. Un autre le suivit de près et ils montèrent sur la berge à l'assaut des carcasses nauséabondes. Arrivés tout près, ils se montrèrent à moi de profil, m'offrant deux coups admirables. Le grand ouvrit la bouche pour saisir je ne sais quoi : une balle au cou le cloua raide mort ; son compagnon perdit deux secondes à tourner pour se jeter à l'eau et eut le crâne fra- cassé; tous les autres disparurent de nouveau. Je courus sur la rive, je pris par la patte l'un des morts qui eût pu glisser dans la mare, je le tirai un peu plus haut, le plaçant bien de profil dans la position du sommeil, et je repris ma cachette. Personne n'a- vait bougé au camp. Quand j'étais à l'affût, on avait ordre d'attendre mon coup de sifflet pour se montrer. Une demi-heure s'écoula pendant laquelle je terminai mon repas et allumai ma pipe. Les caïmans apparurent de nouveau, et vo3\ant deux de leurs camarades qui semblaient déjà à la besogne, sortirent de l'eau presque en même temps au nombre de sept ou huit. Je choisis encore deux victimes: l'un fut tué raide au cou; l'autre, tiré à la volée, eut l'épine dorsale cassée près des membres postérieurs, coup très heureux qui me permit de recharger et de l'achever, tandis qu'il se traînait pénible- ment en se tortillant et ayant l'air d'esquisser la danse du ventre. Comme ces cadavres encombraient la rive, gênant le pas- CHASSE AU caïman. '235 sage des autres s'ils revenaient, ou me les cachant en partie, je n'en laissai qu'un et empilai les autres en un tas à quel- ques mètres plus loin. Mais les bons reptiles étaient devenus plus méfiants ; il fallut plus de deux heures pour que l'un d'eux, affamé, et négligeant sans doute les précautions nécessaires, montât à moitié corps sur la berge pour se rendre compte de la situation. Encore eut-il presque aussitôt des remords, car il fit un mouvement pour rebrousser chemin; mais, hélas! la halle de l'express plus rapide que la pensée... même d'un caïman, vint lui dire un mot derrière l'oreille, et — il resta avec les camarades. N'importe : mon petit stratagème commençait à être usé ; aussi quittai-je la place avec la consolation d'avoir passé mon temps à détruire des bêtes tout aussi malfaisantes, sinon plus, que les fauves des forêts. Je choisis le plus gros caïman, dont je désirais garder la peau et le crâne; il mesurait 3™, 20. Je sifflai mes hommes; ils l'attachèrent par la queue et le traînèrent jusqu'au camp au pas gjninastique. Jamais de son vivant le charmant animal n'avait tant couru, surtout à reculons. Le jour après, une reconnaissance aux environs n'ayant amené aucune découverte notable, je pensai à ces deux hippo- potames qui avaient abandonné sans égards leur malheureuse famille et avaient fui vers des régions moins dangereuses. Notre beltong étant parfaitement réussi, je désirais le garder pour mon usage et celui de Hanner, et je songeai que l'on pouvait en trouver d'autre en cherchant quelque peu du côté où les deux gros fuyards avaient dirigé leurs pas. Seulement, comme, en cas de réussite, nous aurions à camper sur place, je laissai mon camp actuel à la garde des Arabes et du cuisinier, ne pre- nant avec moi (pie les chasseurs ainsi qu'un petit bagage et quelques provisions. Comme il faudrait être aveugle pour ne pas suivre la piste d'un hippopotame, nous n'eûmes aucune peine à nous assurer 236 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. non seulement du chemin parcouru, mais encore de Tendroit exact où les animaux étaient descendus, dans une mare lon- gue, étroite et ombragée. Nous n'y arrivâmes que vers deux heures du soir, après un parcours que j'estime à 28 ou 30 kilo- mètres. Comme les rives portaient des traces de sorties appar- tenant aux mêmes animaux et datant seulement de deux jours à peine, il était certain qu'il n'y avait que nos deux hippopotames en cet endroit. Restait à savoir si c'étaient des sorties défini- tives ou les excursions nocturnes habituelles à ces pachyder- mes. Cette dernière supposition se trouva confirmée par des em- preintes retournant à l'eau et datant du jour même au matin. Les animaux étaient là. Comme pour nous prouver que nous étions dans le vrai, la tête de l'un d'eux émergea tout à coup de l'eau et souffla bruyam- ment. Ne soupçonnant pas notre présence, il resta plusieurs mi- nutes à la surface ; nous étions cachés par de la végétation et nos conversations étaient faites, comme de coutume, à voix très basse, presque en chuchotant. Le camarade ne tarda pas à se montrer aussi. Msiambiri af- ILi'ma qu'il le reconnaissait pour un de ceux que nous avions blessés auparavant, assertion que je trouvai tant soit peu ris- quée, car, pour l'homme, rien ne ressemble autant à un hippo- potame qu'un autre hippopotame. Au lieu de les tuer dans l'eau, ce qui était«d'autant plus aisé que nous étions à peine à dix mè- tres d'eux, je décidai do les attendre le soir à leur sortie, car j'avais remarqué qu'ils avaient jusqu'alors toujours suivi le même chemin pour aller pâturer, La lune était dans son plein et je voulus essayer ce sport d'un nouveau genre. Je ne pouvais guère compter tirer sur les deux, et, il était probable, que s'ils étaient ensemble, le second retournerait à l'eau, où je pourrais le tuer le lendemain, à condition de faire bonne garde la nuit pour l'empêcher de partir. Mes chasseurs ne comprenaient pas mon refus de profiter NOUVELLE CHASSE A L-HIPPOPOTAME. 237 de roccasion (|ui s'offrait à moi de tuer facilement les deux ani- maux à quinze mètres. Avec leur esprit essentiellement pratique, ils ne concevaient pas ce désir de changer, de varier ma chasse, d'aller chercher la dilTiculté et les hasards d'une poursuite de nuit, quand j'avais le gibier pour ainsi dire à portée de la main et en plein jour. Mais, comme ils savaient que je ne faisais cas de leur avis que lorsque je le leur demandais, ils se contentè- rent de se communiquer mutuellement leur étonnement, tout en s'éloignant avec moi de la mare. Comme les hippopotames ne sortaient d'habitude qu'à la nuit tombante, je voulus faire un tour dans les environs en atten- dant cette heure. Après avoir marché assez longtemps et aperçu bon nombre de pistes fraîches que nous n'avions pas le temps de suivre, nous avions essayé de revenir par un détour, mais nous nous étions trouvés dans une région dont l'herbe n'avait pas été brûlée. Haute comme un homme, sèche et bruyante, entre- mêlée d'épines cachées, cette végétation était presque impé- nétrable; il y faisait de plus une température très élevée, l'air ne pouvant circuler. Supposant que ce n'était qu'un mauvais pas à traverser, nous nous y étions engagés, fendant cette masse avec peine, parant des deux mains les épines qui fouettaient notre visage et écorchaient nos jambes, levant les genoux jus- qu'à la ceinture et faisant de lentes et laborieuses enjambées. Je pensais, tout en me livrant à cet exercice, combien seraient diminuées les ressources c^-négétiques d'un pareil pays, si le feu n'existait pas : en pareil cas, l'homme devrait renoncer, en xVfrique, à la poursuite des bêtes sauvages. Je suis certain qu'on lions entendait venir à plus de cent mètres. Chose étrange! les animaux discernent parfaitement au bruit des herbes sèches, si c'est un de leurs pareils qui marche ou un homme. La différence est sensible et facile à établir pour l'oreille humaine, mais on s'étonne que les animaux puissent s'en apercevoir. Le bruit que fait un buffle ou une grande antilope dans l'herbe 238 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. sèche est intermittent ; c'est une suite de bruissements qui s'ar- rêtent avec l'animal, quand il reste aux écoutes ou qu'il mange : chacun de ses pas se compte ainsi, comme ses arrêts. L'homme, au contraire, marche sans s'arrêter, à moins qu'il ne cherche à faire comme les animaux. Il m'arriva plusieurs fois d'imiter par- faitement, courbé dans l'herbe, l'échiné d'un animal occupé à paître ; pas à pas, avec beaucoup de patience et un bon vent, je me suis fort bien approché du gibier; mais, en revanche, que de temps perdu, que de fatigue, quelles précautions exagérées! Plus nous avancions, moins la jungle devenait praticable : im- possible d'en sortir. Le sol était criblé de pistes d'éléphants faites au moment des pluies, alors que la terre était molle, et qui, durcies maintenant, étaient dissimulées par la végétation; autant de ces trous, autant de chances de se donner une entorse. Que de fois, pendant mes années de chasse, je m'y suis tordu les pieds! Que de fois à l'improviste, en courant, j'y suis tombé de tout mon poids sur mes chevilles pliées! Jamais je n'ai rien eu, sinon, peut-être, une douleur passagère. Ah ! l'excellente école pour se faire les articulations!... Les hommes s'arrêtaient à chaque pas pour s'arracher des épines de la plante des pieds. Nous mîmes à peu près une heure pour faire un kilomètre. Enfin, nous nous retrouvâmes sur le bord du Kapotché, à une distance de notre mare que nous ne pouvions estimer. J'aurais pu mettre le feu aux herbes, mais j'avais peur que l'incendie durât trop longtemps et ne gênât ma chasse du soir en effrayant les hippopotames et les empê- chant de faire leur promenade nocturne. Quoique nous eussions marché longtemps, nous ne devions pas être loin de leur rési- dence. Nous prîmes par le lit à sec du fleuve, préférant encore mar- cher dans le sable brûlant plutôt que dans les hautes herbes, et fûmes étonnés d'arriver bientôt à destination. Comme j'avais en- core une heure de jour, je mis tous mes hommes à ramasser du A L"AFFUT. 239 bois pour faire des fo^^ers tout autour de la mare, le soir. Les hautes herbes se voyaient à portée de fusil au nord-est; j'avais bien fait de ne pas y mettre le feu, car la lueur eût été visible du bord de l'eau. A la nuit tombante, je me postai sous le vent à deux mètres du sentier, dans un fourré, avec Maonda, qui avait dans la nuit une vue étonnante. Les autres se placèrent un peu plus loin, sur le sentier aussi, avec ordre de tirer si l'hippopotame arrivait jusqu'à eux, et nous attendîmes immobiles et silencieux. J'avais mon calibre 8 chargé avec deux cartouches à éléphant, et, à deux mètres, je crois fort que le choc devait en être considérable pour l'animal ; en cas d'imprévu, je tenais aussi ma canardière prête. Les heures passèrent au milieu des bruits divers que j'ai dé- crits; des animaux que nous ne pûmes reconnaître, mais que. nous sûmes le lendemain être des élands, des kobs, des bubales, vinrent boire et occuper les longueurs de l'attente. Les hippo- potames mugissaient à nous rendre sourds, mais ils n'avaient pas l'air de vouloir encore se mettre à table. La lune était macrni- fique; je voyais tout juste le sentier et une éclaircie de 4 ou 5 mètres où l'animal devait passer. Détachant une feuille de mon carnet de notes, je la passai à l'extrémité de mes canons, de fa- çon que ce morceau de papier blanc éclairé par la lune m'aidât à viser. Derrière moi, j'avais ménagé un passage bien propre, afin de pouvoir filer avec rapidité, si besoin était. Jusqu'alors j'avais toujours entendu parler de chasses à l'hippopotame dans Feau; mais à terre, c'était une nouvelle expérience, et peut-être me préparait-elle des surprises désagréables contre lesquelles je devais me prémunir; c'était de la prudence la plus élémen- taire. En admettant que l'animal chargeât, il eût été sur mon fusil immédiatement ; je répondais d'être sur pied et hors de portée en deux secondes, mais ce temps m'était insuffisant pour lui faire face avantageusement : il faut se souvenir que je m'étais posté à deux mètres, c'est-à-dire presque à bout portant, et 240 MES GRANDES CHASSES DANS LAFRIQUE CENTRALE. un hippopotame moj-en a au moins 2"^, 80 à 3 mètres de lon- gueur: par conséquent, rien qu'en se tournant il serait sur moi. Je fis placer Maonda à plat ventre sur le bord de l'eau, à ma gauche, ses pieds me touchant presque; il devait surveiller les hippopotames et, s'ils se préparaient à monter, me prévenir en remuant un de ses pieds. Comme il était complètement immo- bile, je crus à plusieurs reprises qu'il dormait et je le poussai pour le réveiller, mais il faisait bonne garde. Enfin son pied re- mua et encore... et encore... et je compris qu'il allait y avoir du nouveau. En effet, je n'eus pas plus tôt repris mon fusil qu'une masse sombre apparut à l'extrémité del'éclaircie en même temps que les mugissements s'arrêtaient. Maonda se remit à côté de moi et m'écarta légèrement le feuillage afin que je pusse viser. L'animal semblait d'autant plus grand qu'il était plus rappro- ché; il me semblait également plus élevé parce que j'étais assis à terre. Dans la demi-obscurité, cette apparition me fit une cer- taine impression, bien que j'eusse conscience de ne pas courir le moindre danger tant que je n'aurais pas tiré. L'hippopotame s'avançait lourdement... Je couvrais déjà son épaule de mon papier blanc et il avança encore. . . Je le suivis avec mes canons... Quand il arriva bien en face de moi, je pressai la détente de droite, puis celle de gauche, je sautai sur mes pieds en lançant le fusil dans l'herbe et fis un bond vers l'issue que je m'étais préparée. M'arrètant, je vis le brouillard de ma fumée se dissiper au clair de lune, je regardai l'endroit : le sentier était vide. — « Il est retourné à l'eau », me souffla Maonda. En ef- fet, j'avais entendu une chute dans la mare. La partie était per- due. Immédiatement je préparai ma revanche : « Allumez les feux sur les bords et brûlez les herbes », dis-je. Un homme présenta comme de coutume une brassée de paille que j'allumai avec une allumette prise dans ma cartouchière et bientôt six foyers flambèrent ; les autres hommes allèrent avec une torche mettre le feu à cette végétation épaisse dont j'ai parlé, LES HEHBES EN FET. ?41 en commençant auvent. Bientôt erimmcnses llammes illuminè- rent le ciel et Thorizon; les craquements des parties vertes qui éclataient dans le feu se succédèrent avec un bruit de fusillade ; le ciel incandescent se refléta dans Fonde, et je crus assister à quelque apothéose de féerie. 11 faisait si clair que la lune en était ternie et que les hippopotames durent pouvoir lire leur journal au fond de Feau. L'un d'eux devait plutôt y écrire son testa- ment ; car, en allant voir avec des torches l'endroit où j'avais tiré sur lui, nous y vîmes du sang et les marques d'une chute. 11 avait dû tomber, se relever aussitôt et retourner brusquement dans la mare. Plus rien à faire jusqu'au matin. Mes hommes devant veiller à tour de rôle et entretenir les feux, je m'endormis sur une botte de paille, pendant que le bruit des flammes s'éloignait vers le Nord et que leur lueur rougissait encore l'horizon. Aucun événement ne vint troubler le calme ; les feux durent tenir tous les animaux à distance. Quant aux hippopotames, on les entendait souffler, mais on ne les distinguait pas : ils ne mettaient probablement que le nez dehors. J'étais éveillé avant le point du jour, voulant terminer cette chasse et sécher mon beltong dans la journée. J'envoyai les hommes installer des séchoirs et préparer des liens ; il fallait que nous pussions terminer dans la matinée, ou tout au moins au commencement de l'après-midi. Nous n'étions que cinq et je ne voulais tuer qu'un seul hippopotame ce jour-là. Je me de- mandais comment nous ferions pour tirer l'animal ou tout au moins l'amener à terre. Aux premières lueurs de l'aube, nous vîmes un des hippopo- tames flottant à la surface , ce qui indiquait que le blessé était mort dans la nuit, peut-être aussitôt son retour dans l'eau (l). (1) I^a première balle s'était enfoncée un peu au-dessous de l'épine dorsale et de la jointure des omoplates, faisant dans le foie un trou énorme; quelques centimètres plus haut, l'animal fût toml)é sur place. Le deuxième projectile CHASSES DANS l/AFIilQLE CE.NTllAl.E. 31 24-2 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. A l'aide d'une longue branche, il fut pouss».- légèrement vers la rive, et enfin amené près du bord le moins escarpé. Nous dû- mes renoncer à lui faire faire plus d'un tour : il fallait donc le dépecer à moitié plongé dans l'eau, ce qui avait l'inconvénient de rendre celle-ci imbuvable. Aussi tînmes-nous conseil. Tambarika émit une idée fort juste qui fut adoptée : l'ani- mal étant couché sur le côté, le dos au quart plongé dans l'eau et les pieds à sec, on enlèverait les membres du dessus, ce qui le rendrait plus léger et nous permettrait de le rapprocher davantage, Nous boucherions les artères avec de l'argile mouil- lée afin d'empêcher l'hémorragie et pour éviter aussi de cor- rompre le contenu de la mare. A cinq que nous étions, l'opération fut longue et laborieuse; les membres énormes furent enfin détachés et les boyaux sortis de l'abdomen; il fallut des soins infinis pour éviter de les crever et d'en répandre le contenu. La carcasse de 1 hippopotame offrait alors la forme et les dimensions d'une embarcation où quatre personnes se fussent assises à l'aise ; nous n'eûmes pas grand peine à la tirer à terre, et à trois heures toute la viande était sur les séchoirs, tandis que nous prenions notre repas à l'ombre d'un gros arbre. Nous n'avions plus qu'à nous reposer; dans un ou deux jours il serait temps d aller parcourir les endroits nettoyés par le feu. A peine la terre s'est-elle refroidie que, de la racine même des herbes brûlées, de petits brins d'herbe verts se montrent : en une semaine, ils atteignent quelques centimètres de longueur. Tous les animaux herbivores en sont particulièrement friands, et, s'il y en a dans la région, on est sûr de les trouver sur les tapis de cendres broutant ces jeunes pousses l'une après l'autre. Le lendemain, nous avions le deuxième hippopotame à décou- per : j'avais Tintent ion de le tuer le soir même afin qu'il flottât avait pénétré dans le cou et manqué la colonne vertébrale, le traversant pres- que de part en part. C'étaient deux bonnes balles pour un tir de nuit. SUITE I-:T fin des hippopotames. 243 (lès cinq hciirosdii matin. Vers quatre heures, pendanl (juo j'at- tendais le moment opportun pour donner le coup de grâce à la pauvre bète, nu^s chasseurs faisant la chaîne passaient à leurs camarades sur un arhre loulela viande des séchoirs : il eût ('té dangereux de la laisser exposée; nous étions eu petit nombre et nous l'tions sûrs d'attirer tous les fauves carnassiers qui se trou- vaient à la ronde. Rien que les os et la carcasse nous vaudraient certainement de nombreuses visites. Les lions, les léopards, les hyènes et les chats-tigres jugent fort bien de la quantité dliommes qui gardent un camp. Ouand on est nombreux, ils se tiennent à distance; mais, dans le cas contraire, ils sont fort ennuyeux : ils vous donnent des concerts à une proximité effrayante et rôdent tout autour de vous poussés par la faim, encouragés, rendus audacieux par leur supériorité numérique. Le dernier survivant d'une famille éteinte reçut le coup mortel avant la tombée de la nuit : une balle à pointe d'acier lui traversa le crâne de part en part. Comme je Fai dit, il m'en coûtait de massacrer ainsi des animaux, mais les provisions d'hiver étaient chose trop importante; la leçon de l'année précé- dente m'avait profité et je pensai que, lorsque les grosses pluies et les hautes herbes auraient rendu toute chasse impossible, je serais bien heureux d'avoir quelque chose à me mettre sous la dent. A Oundi, j'avais un peu trop ressemblé à la cigale ; cette fois, je ferais comme la fourmi. Rien, d'ailleurs, dans ces onze mille kilogrammes de viande fraîche ne fut gaspillé; le séchage m'en enleva déjà une bonne partie, le reste était pré- cieux et fut conservé comme tel. Dès le coucher du soleil, les cris éloignés des hyènes vin- rent justifier mes soupçons : les restes de l'hippopotame atti- raient déjà des amateurs. Je lis aussitôt amonceler tous les ossements à 2.") mètres du camp sous un arbre, dans lequel je montai moi-même, espérant que quelque hôte digne de mon fusil •2-14 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. daii^uorait venir au rendez-vous. Mes hommes s'étaient tous mis autour d'un grand feu, près de Farbre qui portait la viande, et loin do me gêner, la clarté qui était presque derrière moi m'ai- dait au contraire à distinguer les objets. Ma canardière sur mes genoux, j'attendais la lune qui ne se levait qu'un peu plus tard. Des rugissements éloignés de lions parvenant à mon oreille m'apprirent que ceux-ci n'avaient pas faim. Le lion ne rugit pas quand il est affamé : il se tait. Et c'est d'ailleurs facile à comprendre : lorsqu'il tonne de sa voix puis- sante, quel animal resterait aux alentours? Il ferait le vide au- tour de lui et mourrait faute de nourriture. Quand il est repu, au contraire, il se plaît à faire retentir les échos : il entonne un chant de victoire. Il en est de même de tous les animaux chas- seurs. Avez-vous jamais entendu un chat miauler quand il guette une souris ? La hyène, au contraire, qui en temps ordi- naire ne se nourrit que d'os et de charognes, annonce son approche par ses gémissements et ses ricanements lugubres. Il n'y avait pas un quart d'heure que j'étais sur l'arbre, et déjà deux ou trois d'entre elles avaient commencé à déjeuner, ce qui prouve qu'elles devaient mourir de faim; car, d'ordinaire, elles font de nombreuses allées et venues avant de se décider à s'approcher. Je ne voyais absolument rien. En revanche, j'en- tendais distinctement le cra({uement des os, le bruit des mâchoi- res, le glissement des griffes sur les os, la chute de ceux-ci tom- bant du tas et roulant à terre, puis des bruits plus éloignés m'indiquant que les animaux les emportaient. La lune une fois levée, j'aperçus très bien des masses gris noirâtres qui se mouvaient ; mais, sans leurs gémissements que j'entendais, j'eusse été fort embarrassé de dire si c'étaient des hyènes, des lions ou des brebis. Je compris que j'allais encore perdre mon temps, et, après deux heures d'attente, j'y renonçai; mes hommes là-bas n'étaient pas endormis, je les voyais éclairés par les flammes. Comme il y avait bien une quinzaine de hyènes LES HYENES. 245 autour de moi, je songeai uu instant à descendre simplement de Tarbre et à les... épater; mais je réfléchis que des chiens, fort doux à l'ordinaire, sont de très mauvaise humeur lorsqu'ils mangent, et il se pouvait que la hyène fût de même. J'essayai alors d'allumer une allumette sur mon arbre et de les faire fuir, mais, sauf deux ou trois que la clarté frappa de face et qui s'en allèrent un peu plus loin, aucune ne bougea. Hvèiie tachetée. A la faible lueur de l'allumette, en mettant une branche entre la flamme et ma vue, j'avais fort bien distingué, pendant quelques secondes, les animaux qui mangeaient. Mettant ce renseignement à profit, j'épaulai ma canardière d'une main, le canon appuyé sur ma jambe. Je frottai une allumette de la main gauche et, lorsque la lueur fut dans son plein, je logeai mes six onces de chevrotines dans la tête d'une hyène de grande taille. Cette fois tous les animaux disparurent et je pus descendre de mon arbre en paix. La bète que j'avais tirée était énorme : seulement, au lieu de l'atteindre à la tête, comme je croyais, je l'avais frappée au garrot, à trois mètres à peine ; la charge ayant fait balle avait 246 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. complètement brisé l'épine dorsale, on criblant le cou et les épaules. C'était une hvène tachetée (1). La nuit se passa sans autre incident; le matin, je fis traîner le cadavre vers un lieu découvert alln d'en être débarrassé par les vautours, ce qui ne demande que fort peu de temps. Ces oiseaux de proie, excessivement communs dans ces ré- gions, appartiennent à l'espèce dite buzard-dindon, à cause de leur ressemblance avec ce dernier volatile : même taille et même nudité du cou et de la tête qui sont d'une teinte rose ou rouge. Doués d'une vue extraordinaire, ils parcourent continuelle- ment le pays, se tenant à de grandes hauteurs, presque imper- ceptibles pour Fœil humain. Dès qu'ils aperçoivent un animal mort, ils commencent, dans les airs et au dessus de l'endroit où ils le voient, à décrire, quelquefois pendant plusieurs heures, un grand cercle où de nombreux camarades ne tardent pas à les joindre; ils descendent ainsi peu à peu et finalement se posent à quelques pas du cadavre (jamais sur lui) ou sur des arbres voisins. Après un autre moment d'attente, ils s'en appro- chent et commencent généralement par dévorer les parties molles, la langue, les yeux, etc. Quand ils sont tous à la be- sogne, une bête de la grosseur d'un cheval, est consommée en une heure vu leur nombre. Ils se retirent ne laissant que des os bien nettoyés que les hyènes finissent ou dispersent la nuit suivante . Souvent, pendant la famine, les vautours indiquent ainsi au chasseur l'endroit où gît un animal et, en s'y rendant, il peut trouver encore de la chair mangeable. D'autres fois (et plusieurs cas s'en sont produits en ce qui me concerne) ils vous font dé- couvrir une bête que vous aviez blessée, puis perdue et qui a fini par succombera ses blessures, alors que vous aviez renoncé à la chercher davantage. En revanche, à diverses reprises, ils (1) J"ai rapporté son crâne que j'ai donné au Muséum de Paris. LES MOEURS DU VAUTOUR. 247 m'ont mangé des pièces insuflisamment dissimulées. Car, pour éviter que les vautours ne prennent un animal qu'on vient de tuer et qu'on est obligt- de laisser sur le terrain, on a soin de le recouvrir de feuillage ou de paille afin de le cacher à la vue des oiseaux de proie. La viande que les vautours ont touchée répand une odeur inl'ecle : elle est immangeable; il faut arriver avant eux pour pouvoir en profiter. J'ai vu souvent ces animaux faire preuve d'une grande in- telligence. Ainsi, dans les districts où je chassais régulière- ment, les vautours nous suivaient fort bien du haut des nues, et, dix minutes après avoir abattu un animal, je voyais plu- sieurs d'entre eux descendre sur un arbre voisin, générale- ment élevé, d'où, immobiles, ils surveillaient tous nos mou- vements. Après avoir dépecé et emporté la bête, nous laissions toujours sur le sol quelques débris dont ils profitaient; nous n'étions pas encore éloignés que nous lés voyions descendre et se promener de leur drôle d'allure à l'endroit même que nous venions de quitter. Dans le cas où nous étions ainsi surveil- lés, il était parfaitement inutile de dissimuler la bête et im- prudent de la quitter. Il fallait toujours, au contraire, laisser un homme pour la garder. Aussi n'avait-on qu'à mettre bien à découvert ce qu'on vou- lait offrir aux vautours; c'est ce que nous fîmes ce matin-là pour l'hyène. Nous les vîmes descendre bientôt, tandis que nous dépecions notre hippopotame. Tchigallo, envoyé à l'autre camp pour donner de nos nouvel- les et m'en rapporter, m'apprit que tout allait bien là-bas : on faisait quelques pêches dans la mare. Les hyènes rôdaient cha- que nuit et un troupeau de buffles avait passé la veille au soir. De notre côté, ce soir-là, nous avions achevé notre travail et, le séchage du lendemain une fois terminé, il ne nous nian- quait plus que des porteurs. Cela allait devenir assez monotone, 248 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. car il ne restait pas le plus petit hippopotame dans la marc. Le lendemain, dès Tanbe, j'allai faire un tour avec Msiam- biri et Tambarika, avec l'intention de parcourir les espaces nouvellement brûlés et de rechercher Tcndroil oVi les animaux allaient boire; je ne tardai pas à le découvrir, ce qui n'était pas très difficile. Rappelez-vous que tous les animaux doivent boire pour vivre et que certains d'entre eux ne s'éloignent pas beaucoup de l'eau ; on n'a qu'à choisir une piste fraîche de kob, de phaco- chère ou de bubale, et, soit dans l'une des directions, soit dans l'autre, on est sûr de savoir où il a bu. Il faut, bien entendu, distinguer sans hésitation une piste fraîche d'une de la veille, sans quoi on s'exposerait à refaire toutes les pérégrinations de l'animal, ce qui vous mènerait fort loin. L'eau une fois trouvée (une petite flaque de quelques mè- tres à l'ombre de grands arbres), je pus me rendre compte du gibier qui y venait : une troupe de zèbres, plusieurs élands, des kobs, des phacochères et un vieux buflle solitaire avaient bu pendant la nuit. Ce dernier ne devait pas être loin, ses traces étant fraîches, et je me mis à sa poursuite; mais il marchait aussi, et ce ne fut que vers midi que je l'aperçus sous un arbre à plus de deux cents mètres. Il ne se savait pas suivi : il nous tournait le dos, chassant les mouches avec sa queue et paraissant très tranquille. S'il avait eu des oiseaux insectivores avec lui, nous aurions eu de la peine à appro- cher; mais, à cent mètres, je n'en voyais aucun auprès de lui; j'avançai donc encore, sans le moindre bruit, sans un froisse- ment, ayant l'air immobile, mais faisant néanmoins du che- min. L'expérience m'avait démontré que, pour mettre le buffle hors de combat à la première balle, il faut l'atteindre à la jonction des omoplates et de l'épine dorsale. Le coup est diffi- cile, mais il a deux avantages : un peu plus haut, on man- que totalement, ce qui évite de mal blesser la béte et de la CHASSE AU BL'FFLI-:. 249 rendre furieuse; un peu plus bas, ou casse les omoplates et ou traverse le cœur. Si on touche juste, la bête est jetée à terre et ne peut plus se relever. J'élais arrivé à quarante mètres du buftle qu'il ne se doutait pas encore de notre présence : néau- Gibier à rabrcuvoir. moins, en vieux solitaire qu'il était, il se tenait debout, Toeil et l'oreille sur le qui-vive, avec cet air inquiet caractérisant les animaux qui ne comptent que sur eux-mêmes et ne peuvent se relâcher de leur vigilance ni jour ni nuit. Je substituai une balle pleine à la balle expansive de l'express , car la bête était énorme, et, après m'étre reposé et bien calmé, je tirai avec soin — En sautant de côté, je vis que j'avais obtenu le ré- sultat désiré ; la balle avait frappé au bon endroit, la béte était CUASSES DANS L'AFniyCE CENTRALE. 32 250 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. incapable de nuire. C'était la première fois que cela m'arrivait; jusqu'alors j'avais toujours eu à achever mes buffles et plu- sieurs d'entre eux m'avaient chargé furieusement. Dès que le vieux solitaire avait mordu la poussière, Msiam- biri qui portait mon grand couteau de chasse s'était précipité pour l'achever avant qu'il se relevât. J'accourais également, l'arme prête pour le cas où l'animal se serait remis sur pied; mais il ne pouvait y arriver, il se débattait, creusant la terre de ses sabots et de ses cornes. Tambarika prit une branche énorme, lui en asséna deux coups formidables sur le front, juste entre les yeux, pour l'étourdir, tandis que Msiambiri lui ou- vrait la gorge. J'étais maintenant fort embarrassé. Comment transporter tant de viande ? Il n'y avait pas à hésiter : il fallait d'abord la faire sécher afin d'en diminuer le poids, puis envoyer tous mes hommes la chercher et la porter à celui des deux camps, qui serait le plus rapproché. Mais lequel était-ce? Je n'en avais pas la moindre idée. Laissant Msiambiri auprès du buffle, j'em- menai Tamljarika qui devait montrer le chemin aux autres. Le hasard voulut que nous fussions à peine à une heure de marche du camp des Arabes. Je gardai un de ceux-ci pour rester avec moi près de la petite mare, tandis que le cuisinier, Tam- barika et les autres chasseurs allaient rejoindre Msiambiri avec des récipients d'eau, pour passer la nuit là-bas , sécher la viande et rentrer ensemble au camp aussitôt que le beltong serait prêt, c'est-à-dire le lendemain. J'attendais d'ailleurs, ce jour-là ou celui d'après, des nouvelles de mes émissaires. Laissant l'Arabe tout seul au camp, je suivis le sentier qu'ils avaient tracé dans les cendres et qu'ils devaient reprendre à leur retour. Je voulais aller leur faire comprendre qu'ils eussent à venir d'abord à mon camp qui était sur leur che- min, au lieu de se rendre directement à celui où j'avais laissé les Arabes. ARRIVÉE DE NOUVEAUX PORTEURS. 251 Comment le leur indiquer? Je n'eus qu'à suivre leurs traces jusqu'à un certain endroit. Là, je semai des feuilles sur la terre; je mis une branche en travers et une marque coupant leur sen- tier; cela voulait dire : « Arrêtez-vous ici ». Puis je coupai à travers le pays nouvellement brûlé en traînant les pieds pendant les cent premiers pas. Ces marques signifiaient, en langage des bois : « ^'enez par ici ». Je retournai ensuite au camp, certain de les voir arriver d'un moment à l'autre. Ces sortes d'indications sont fort en usage parmi les chas- seurs ou les indigènes; c'est ainsi que ceux qui sont en avant montrent aux retardataires par où ils sont passés, au croisement de deux sentiers ou même en pleine forêt. Lorsque le sol est trop accidenté, on casse de petites branches de loin en loin toujours de la même façon, et cela indique le chemin à un œil exercé, aussi bien que les serpentins d'un rallye-paper. Le soir même, vers quatre heures, mon domestique envoyé en avant par les Arabes arriva avec vingt hommes de Tchidoundou, annonçant le reste des porteurs pour le lendemain soir. De leur coté, mes chasseurs rentraient avec la viande de buflle. Je fis faire des charges de beltong le soir même et rentrai au grand camp le lendemain, ayant fait effacer le signal pour que ceux qui arriveraient vinssent directement par la route primitive. Dès le soir nous avions 265 porteurs prêts à marcher. Seulement ils demandaient un jour pour se reposer, ce que j'accordai. Ayant donc encore vingt-quatre heures à passer dans ces lieux, je décidai que cinquante hommes, sous la direction d'un Arabe, retourneraient à Tchiouta pour y apporter mon beltong et le mettre en lieu sûr, dans ma maisonnette. Je trouvais inu- tile de le trimbaler avec moi tout le long du voyage. Mon camp avait repris l'aspect qu'il avait la veille de la fuite des porteurs. Vers le milieu de la nuit, j'entendis dans le loin- tain un fracas qui dura plusieurs heures : c'était un immense troupeau de buffles qui passait, s'approchant sensiblement. Le 252 MES GRANDES CHASSES DANS LAFRIQUE CENTRALE. bruit que fait une troupe cVélépliants entendue de très loin res- semble ù celui des buflles entendus de près; aussi met-on un moment à discerner à qui on a affaire. Mes nouveaux porteurs s'excitaient outre mesure : ils me de- mandaient de leur tuer des buffles, car le morceau de viande que je leur avais fait donner à leur arrivée était le premier qu'ils eussent vu de longtemps. Ils ne tenaient pas en place. Je leur promis que, dès qu'ilferait jour, je ferais mon possible pour leur procurer de la viande. Quand je voulus me mettre en route, avec mes compagnons habituels, plusieurs des nouveaux venus voulurent se joindre à nous, mais je trouvai cela inutile et je refusai. Néanmoins, Fun d'eux nommé Tchissamba insista tant, déclarant qu'il était chasseur aussi, qu'il serait content de nous suivre, etc., etc., que je consentis à l'emmener avec deux de ses camarades, me disant qu'après tout ils serviraient peut-être à quelque chose. Cet homme qui avait tant insisté pour venir, qui se faisait un plaisir de nous accompagner, qui s'était pour ainsi dire imposé à nous, devait mourir misérablement le soir même, au camp, des suites d'un accident terrible. Que l'on nie, après cela, les arrêts de la destinée ! La chasse se passa comme celles que j'ai décrites : nous sui- vîmes les buffles plus de trois heures. Lorsque la chaleur se fit sentir, ils s'arrêtèrent à l'ombre : nous avions devant nous une troupe de près de quarante tètes, qui s'était détachée de l'im- mense troupeau que nous avions entendu défiler pendant la nuit. Lo premier buffle que je tirai fut tué raide d'un coup mala- droit, car je le visais au garrot et c'est derrière l'oreille que la balle entra : il faut dire cju'il était de trois quarts, la croupe vers moi. Le deuxième, un gros mâle qui dépassait ses camarades de près de vingt centimètres, s'éloigna tout seul perdant beaucoup de sang. Nous étions partis au pas gymnastique derrière le troupeau et ENCORE DES BUFFLES. '254 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. je pus tirer encore trois fois; la première et la troisième, je maïKjuai; mais, la deuxième, je cassai la jambe à une femelle qui roula par terre et qui fut achevée immédiatement d'un se- cond COU}). Le troupeau nous ayant distancés, je fis couvrir les buffles morts et me mis à la recherche du gros mâle qu'il était facile de suivre aux rougeurs. Il était entré, naturellement, sous bois, dans la broussaille épaisse, et, comme de coutume, dès ce moment, notre vie était à la merci des circonstances. Je m'é- tais souvent arrêté pour écouter, mais, n'ayant rien entendu, j'avançais avec la plus grande précaution. Derrière moi, très près, venait Msiambiri, comme moi l'arme prête, le doigt sur la détente, le canon en l'air. A quatre ou cinq mètres, avec un fusil à pierre, Tchissamba, le porteur qui avait tant voulu nous suivre. Les autres venaient un peu plus loin. Tout à coup, un grand bruit se fit derrière moi : nous avions passé devant le buffle sans nous en apercevoir ! L'animal sortit comme la foudre... Je me retournai et le couchai enjoué, car il se présentait de profil; mais, au moment où je pressais la détente, je vis devant moi le malheureux Tchissamba que le buffle chargeait! Ne pouvant tirer de peur de tuer l'homme, j'attendis une seconde pendant laquelle il disparut Je tirai alors mes deux coups, le buffle tomba sur les genoux, labou- rant la terre de son mufle, et, pendant qu'il cherchait à se rele- ver, Msiambiri lui déchargea les deux coups de mon calibre 12 presque à bout portant... Une des balles traversa le cou de l'animal et laboura la terre de l'autre côté, la deuxième lui brisa l'épine dorsale. Je l'achevai d'un coup derrière l'oreille. Dès que la fumée fut dissipée, je cherchai des yeux le malheureux que j'avais cru seulement renversé par la béte furieuse... 11 était là, gisant dans l'herbe, le ventre et le flanc ouverts, perdant son sang, sans connaissance, les intestins sor- tant par la plaie béante! Il avait reçu un coup de corne! MORT HORRIBLE D'UN NOIR. 255 Je n'essayerai pas de peindre la doiilenr que j'éprouvai en voyant ce spectacle : il sera toujours présent à ma mémoire ; j(» ne puis y penser sans (jue les larmes me montent auxj-enx. Mais il ne fallait pas perdre de temps : deux branchés furent coupées ; on y installa des traverses et des herbes, et nous portâmes le pauvre blessé jusqu'au camp. J'essayai de le rap- peler à lui, d'arrêter Thémorragie, de remettre les intestins dans le ventre et de bander la plaie, mais on ne survit pas à une pareille blessure : l'ouverture avait plus de vingt centi- mètres, le foie et peut-être Testomac étaient touchés, le péri- toine^ était déchiré, sans compter tout ce que je ne pouvais voii'. Le malheureux reprit connaissance; je lui fis avaler du rhum, le seul cordial que j'eusse dans ma pharmacie. Il mourut une heure après dans une espèce de somnolence, sans s'être rendu compte de son horrible état. La mort de ce pauvre garçon me fit beaucoup plus de peine, à moi, qu'à ses camarades. Le soir, autour des feux, ils devi- saient en riant, comme de coutume, de choses et d'autres, sem- blant avoir déjà oublié celui d'entre eux qu'on avait enterré au coucher du soleil. Poires à poudre de chasseurs iiidisenos. CHAPITRE XI. Dans les i)ays sauvages. — A la poursuite de l'éléjjliant. — Les oracles d"une arai- gnée. — Rencontre d'éléphants; la chasse et la mort. — L"éléphant a le cœur tendre. — Dépeçage. — Concert de hyènes. — Chasse au buffle. — Rencon- tre subite et mort d'un lion. Pondant la fin de Tannée 1892, je fis de jolies chasses; je tnai nne assez grande quantité de gibier dans les pays situés au nord de Makanga. Mais tous ces exploits n'arrivaient pas à me satisfaire : je voulais chasser Téléphant , et jusqu'alors les circonstances n'avaient pas encore répondu à ce désir. Vingt fois j'étais arrivé trop tard sur sa piste, vingt fois j'avais appris qu'on en avait aperçu la veille de mon arrivée ou le lendemain de mon départ. Les pluies commencèrent vers la fin d'octobre, comme l'an- née précédente, légères et intermittentes au début, torrentielles un mois après. C'était le vrai moment d'aller chercher l'élé- phant : les noirs le chassent surtout à cette époque. Aussi me décidai-je à tenter la chance comme eux. Laissant mon expédi- tion cantonnée à Makanga avec Hanner et prenant avec moi un très léger bagage, je me dirigeai vers le nord de ce pays, accom- pagné de ma fidèle troupe de chasseurs, ayant l'intention de profiter de ma présence dans ces parages, pour noter soigneu- sement les ramifications montagneuses qui le couvrent, ainsi que A LA POURSUITE DE LELEPIIANT. 257 les sources de plusieurs cours d'eau qui charrieut de For et qui, partis de la région sous forme de petits ruisseaux, vont, deve- nus grands fleuves, se jeter dans le Zambèze. C'est le cas de la Louyia et du Kapotché. Il laiil avoir mené la vie de chasseur d'éléphant pour pouvoir se faire une idée de l'existence que nous menâmes pendant trois mois. A cette époque de l'année, qui représente l'été sur le ca- lendrier renversé de l'hémisphère austral, le soleil, quand il se montre, est d'une chaleur intolérable : toute la forêt est en feuil- les ; le moindre buisson, le plus petit massif étend ses ramifica- tions vertes de tous cotés; on se fraye avec peine un passage à travers l'épaisseur de la végétation. Le tout est presque toujours très mouillé, le matin surtout ou après la pluie, et chaque arbre vous arrose, dès qu'on le frôle, d'une averse rafraîchissante; c'est un bain continuel quand il ne pleut pas. Au contraire, en cas de pluie, on reçoit philosophiquement l'ondée sur le dos pendant quelquefois plusieurs heures; il pleut sous les arbres comme ailleurs. Le soir, tout le bois mort étant trempé, on ne peut faire de feu ni sécher ses effets, et on mène, c'est le cas de le dire, une existence de poisson. Le grand avantage d'être nu comme les noirs, c'est que l'eau ne fait que glisser sur la peau en la rafraîchissant , et le premier rayon de soleil vous sèche pres- que immédiatement; aussi gardais-je les jambes et les bras nus ; souvent même, j'ôtais ma chemise. Je n'ai d'ailleurs plus eu à prendre cette peine quand les trois que j'avais emportées ont été complètement mises en pièces. J'étais ainsi aussi vite sec que les noirs , tandis que rien n'est plus dangereux que de garder sur le corps pendant plusieurs heures des vêtements trempés... Mais revenons au début de la saison, lorsque nous commen- çâmes à chasser l'éléphant aussi assidûment ({ue les profession- nels. Nous installions le camp dans un endroit bien silencieux, bien calme, près d'une rivière, d'une nappe d'eau, d'une mare CHASSES DANS l'afhhjle cextralr. 33 258 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. quelconque; on le dissimulait à l'aide de feuillage, non à cause des animaux, mais à cause des hommes : d'autres chasseurs pas- sant en cet endroit et découvrant notre bagage ne se fussent fait aucun scrupule de prendre ce qu'il leur fallait ou peut-être le tout, car personne ne restait au camp; les quelques hommes que j'a- vais, en dehors des chasseurs, venaient avec nous (il n'y en avait que cinq) portant dans des petits paquets tout ce qu'il fal- lait pour le cas où la poursuite des éléphants durerait plu- sieurs jours. J'avais pour mon compte, par exemple, une mar- mite roulée dans un hamac, une couverture (ce qui constituait d'ailleurs toute ma literie), cinq kilogrammes de riz, du sel, une petite pharmacie de poche, des allumettes, du tabac et une petite gourde de cognac ; les hommes, deux ou trois petites outres pleines de farine et une marmite dans un fdet. Venaient ensuite, dans la main de chacun, les objets que le lecteur connaît déjà : haches indigènes pour couper les os, couteaux à viande, sabre d'abattis, mkombo ou calebasse à boire, baguettes à feu, quel- quefois une sagaie, etc. Dans la cachette à laquelle je donne le nom de camp, on ne laissait que les vivres de réserve, mes deux chemises et ma paire de souliers de rechange, des cartouches et le sel à beltong. Ce n'est pas beaucoup, si l'on veut, mais cela était précieux. Et l'on errait ainsi dans la jungle des journées entières, sous la pluie ou les éclaircies de soleil, regardant la terre, toujours la terre, cherchant les empreintes indicatrices. Il y avait certai- nement des éléphants dans la région; mais c'était toujours la veille qu'ils avaient passé ! Nous revenions au camp le soir, retrouvant notre route au milieu de cette forêt inextricable, grâce à l'instinct merveilleux qu'ont les noirs de la direction suivie, harassés de fatigue, ayant fait au bas mot depuis le matin une quarantaine de kilomètres. Dans les environs du camp, on recueillait en tas tout le bois mort et on le garantissait ingénieusement delà pluie au nioven de toitures d'herbes; mais il fallait dissimuler ces COURSES INUTILES. 259 dôpots comme le reste, car ils révélaient clairement notre présence. Je ne me déconrageais pas; j'avais résoin d'être patient. Chaque matin, je repartais ^aiment à travers les bois : Tlierbe mouillée par la pluie ou par la rosée, qui est si abondante en cette saison qu'elle se distingue à peine de la pluie elle-même, les ondées distribuées par les arbustes, les épines, les guêpes qui abondaient et qui vous piquaient cruellement cliaque fois que, par mégarde, vous frôliez leurs nombreux nids dans le feuillage, le soleil qui ne nous délivrait des bains que pour mieux nous rôtir, tout me laissait indifférent. Les noirs, moins résolus que moi, trouvaient cette existence rude. Ils n'osaient se plaindre, d'ail- leurs, mais leur visage avait perdu sa gaîté habituelle. Quant à moi, tandis que d'un pas devenu automatique j'arpentais les forêts, l'esprit ailleurs, je rêvais de chasses à l'éléphant couron- nées de succès. « Malgré tout, me disais-je, il faudra bien (pi'un jour je finisse par en rencontrer; le calme et la persévérance sont toujours couronnés de succès ». 11 y avait environ quinze jours que nous sillonnions le pays en tous sens, quinze jours que le soleil nous trouvait en mar- che à son lever, nous laissant le soir à son départ encore en route, à la recherche du géant des forêts (1). Nous avions bien rencontré quelques autres animaux; mais, comme un coup de fusil s'entend de loin, je n'avais pas tiré. Nous ne mangions donc que notre riz et notre farine bouillis avec un peu de sel, dont la provision avait déjà deux fois été renouvelée. Enfin, un -natin, Msiambiri s'arrêta tout à coup en me disant (1) Il faut se rendre compte que, dans les pays dont il s"agit,ct par rapport à leur étendue, les éléphants étaient devenus fort rares; il y en avait bien encore quelques-uns, mais, traqués continuellement, ils menaient une existence nomade, ne s'arrêtant que pour manger ou dormir quelques heures. Il fallait ilonc parcourir le pays jusqu'à ce que le hasard nous mît face àface avec eux, et, même à ce moment, que de fatigues encore en perspective ! 260 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. que nous allions enfin savoir si oui ou non nous verrions les élé- phants, et il me montra à terre un trou circulaire, grand comme un bracelet, silu('> dan s un endroit découvert. Sur mes questions, nu^s hommes m'expliquèrent que cette excavation était le loge- ment d'une énorme araignée, très rare, appelée « Bouï », qui est la providence des chasseurs d'éléphant, car elle leur dit toujours la vérité. Prédit-elle que la chasse sera infructueuse, ils rentrent au village sans retard. Pour obtenir Toracle, on jtrcnd de Teau, on en verse tout doucement dans le trou et on attend : si la béte, habituellement invisible, montre ses pattes et rentre aussitôt, cela veut dire : « Non )>. Si, au contraire, elle sort entièrement du trou et quelquefois même se promène un instant dehors, c'est : «Oui ». J'étais moi-même enchanté d'être iixé par le perspicace ara- chnide surFissue de mes pérégrinations fatigantes. Nous nous mîmes en cercle aune certaine distance du trou; au milieu, Maonda, le plus ancien, s'accroupit tout près et commença l'évocation : « Bouï, lui dit-il, voilà trois semaines que nous al- lons dans les bois, de la nuit jusqu'à la nuit : nous n'avons plus de pieds et nous n'avons pas vu l'ivoire; dis-nous, faut-il retourr ner au village? Dans ce cas, rentre vite dans ta maison. Si nous devons avoir de l'ivoire et de la viande, sors te promener au jour ». Et il versa un peu d'eau de ma gourde dans le trou : quatre pattes velues, réunies comme les doigts d'une main de singe, se montrèrent aussitôt près de l'orifice; nous nous écar- tâmes de quelques pas, en silence, les yeux fixés sur l'in- secte. Après un instant d'hésitation, une énorme araignée velue, de la taille d'un œuf de pigeon, jaunâtre, sortit à la course , fit quarante centimètres en droite ligne , s'arrêta in- décise et, brusquement, faisant volte-face, rentra chez elle à la charge, comme quelqu'un qui s'aperçoit subitement qu'il a oublié son parapluie par un temps douteux. L'ESPOIR RENAIT. 261 De joie les hommes sautèrent en l'air, la fatigue fut ou- bliée, la gaîté apparut sur tous les visages et, de mou côté, il me sembla que le veut de Tiusuccès avait cessé de souffler; la forêt dont j'étais las me parut riante, mon vêtement sec (il pleuvait), mon estomac parfaitement garni, la chasse une bien Ix^lle chose. Par une coïncidence inexplicable, les nuages s'cntr'ouvrirent en ce moment, et Phébus vint nous caresser, comme pour en"acer de ses rayons les traces du passé et ou- vrir l'ère nouvelle. En tous cas, me disais-je , cette brave araignée nous aura toujours procuré un peu d'agrément ; nous en avons eu pour notre argent, ce qui n'est pas le cas, dit- on, à la foire an pain d'épices. On se coucha ce soir-là aussi bredouille que d'habitude, avec quarante kilomètres de plus sur la conscience; mais les hommes étaient tout à fait enchantés. Dieu me pardonne! ils devisaient déjà sur la confection du beltong, sur la succu- lence de telle ou telle partie de l'éléphant! Les uns tenaient pour la langue, d'autres pour les rognons; on se serait cru au camp de l'abondance. La foi est une belle chose, et, si contagieux sont certains sentiments entre les hommes, que je m'étendis ce soir-là dans mon hamac, en me demandant moi- même : « Maintenant que le premier éléphant est tué, où et quand rencontrerai-je le deuxième ? » Et pourtant, il ne faut pas se moquer de l'oracle; la bonne araignée avait raison. Deux jours après, à sept heures du matin, nous tombâmes en arrêt devant des empreintes d'élé- phants datant d'un instant à peine. Il y en avait trois : deux mâles, dont un très gros, et une femelle. Ils allaient douce- ment, mangeant en chemin, comme en témoignaient les débris d'écorce, de branches et de feuilles fraîches trouvés sur la piste, et, au dire des hommes, nous devions certainement les voir. Vous connaissez ces énormes rouleaux compresseurs que des 262 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. machines })romèncnt sur les routes pour écraser le ballast. Figurez-vous qu'un de ces C3lindres ait passé dans la foret vierge : des herbes couchées pour toujours, des branches énor- mes brisées, des arbres déracinés, des arbustes jonchant le sol, une traînée de près de deux mètres de large où vous marchez aussi à Taise que sur une route départementale , telle est la piste d'un troupeau d'éléphants. En évitant les ornières que les pieds de ces animaux creusent dans le sol, on peut donc avancer fort commodément dans leur sillage, et, natu- rellement, on y fait trois fois plus de chemin qu'en se frayant un passage dans la jungle. Le vent était bon, nous allions très bon train. Vers une heure, nous vîmes des fumées que mes hommes, en les tâtant du pied, trouvèrent encore chaudes. A notre droite et à notre gauche, la jungle était excessive- ment dense. Un certain fruit, particulier à ces régions, que les indigènes appellent matondo, semblait particulièrement abondant; comme l'éléphant en est friand, nous pensâmes que les animaux y faisaient une halte , et le bruit que nous enten- dîmes vint justifier cette hypothèse. L'éléphant qui mange fait beaucoup de bruit; il brise des branches énormes dont les craquements se répercutent loin dans la forêt : pour rapprocher les fruits qui sont hors de sa portée, il casse leur support, car, n'a^^ant qu'un organe de préhension, il ne pourrait, comme nous, tenir la branche cour- bée et en même temps manger les fruits. Dès que nous entendîmes le bruit, je laissai derrière moi les quelques porteurs et m'avançai avec mes chasseurs. Je pris mon calibre 8 et Msiambiri fut chargé de se tenir immé- diatement derrière moi; dès que j'étendrais la main, il devait me passer mon 12 à pointe d'acier. En entrant dans la forêt, les éléphants s'étaient séparés et avaient décrit trois pistes à peu près parallèles, à quelque dis- tance l'une de l'autre. Nous suivîmes le plus gros et nous CHASSE A LELEPHANT. 263 pùmos le voir (luelqiies minutes après à cinquante mètres en- viron, nous tournant prescjur le dos. Le vent nous força à passer à sa droite. Le second se montrait un peu plus loin et à gauche : je ne savais pas où était le troisième. Nous quittâmes la piste, nous dissimulant derrière la végé- tation, ce qui n'était nullement diriicile. A quarante mètres, je m'arrêtai, mais mes hommes me dirent que je pouvais appro- cher encore, ce que je fis; à quinze mètres à peine de la bète, je vis pour la première fois Féléphant distinctement : sa taille paraissait considérable, ses immenses oreilles étaient en mou- vement, et il avançait lentement, mangeant quelque chose qui se trouvait à hauteur de sa tète : sa trompe s'étendait en avant toute droite, puis se roulait de nouveau et portait dans sa bouche des poignées de feuillage. Deux grosses défenses blanches tranchaient sur la couleur sombre de la tète. Je le voyais de côté, mais un arbre était entre nous, et j'eus à changer de place. Ce déplacement me permit de voir le troi- sième éléphant, un peu à notre droite, immobile derrière un massif, à trente mètres à peine. Je décidai que je donnerais le premier coup au plus gros et que je tâcherais ensuite d'at- teindre l'autre, pendant que mes hommes achèveraient le pre- mier. Msiambiri viendrait avec moi. Après quelques secondes de réflexion, je lâchai mon énorme projectile sur la bète qui était devant moi, en visant soi3 mâle est ovale, eelui de la feiuclle plus roinl. L'un et F autre sont munis sur \r bord de cinq onyles, mais ces ongles ne font j)as de manjues sur le sol : ils se confondent dans la ligne extérieure du pied (1). La peau est épaisse d'environ trois à quatre centimètres , avec quelques poils rares et irréguliers sous la Irvre inférieure, Téchine, le ventre, les flancs, et une touffe au bout de la queue. L'oreille, immense, couvre, lorsqu'elle est à plat, le cou et la plus grande partie de l'omoplate : son extrémité inférieure aflleure la pointe de l'épaule ; l'animal ne cesse de la faire mou- voir en avant et en arrière, ce qui paraît, lorsqu'il est de face, doubler la largeur de sa tète. Ses défenses, partant de la mâchoire supérieure, représentent, comme on sait, les incisives. S'il se sent en danger, l'éléphant même accablé de fatigue ne se couche pas : il reste debout, appuyé à un arbre, il repose quelquefois sa tête en appuyant ses défenses de la même façon sur une branche transversale. Quand il est en pays tranquille, exempt d'inquiétude, il se couche à terre, mais, à ma connais- sance, jamais sur un terrain horizontal; il s'adosse, il s'appuie à un remblai quelconque, à une éminence, étant, par le fait, moitié couché moitié debout. Continuellement il lève la trompe en Fair et analyse les émanations, surtout s'il est chef de troupe. Ceux qu'il mène sont moins méfiants. Un chasseur adroit peut s'approcher à sept ou huit mètres d'un éléphant sous bois ; en plaine, si le vent lui permet de venir de derrière ou de côté, il peut arriver à trente mètres de lui ; de face, à soixante. Mais, une fois que la bête a senti le chas- seur, elle part en courant ; plusieurs heures de voyage sont alors nécessaires pour calmer sa frayeur. L'allure habituelle d'un troupeau d'éléphants en voyage est le pas ordinaire à (1) On taille dans ces ongles des bracelets que les chasseurs déléphants ap- pellent ddn porte-honheur; les Françaises n"ont donc pas été seules à employer ce mot. 294 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. Tamble qui équivaut au pas accéléré d'un homme. Elfrayés, ils vont à un trot qui équivaut au galop cVun cheval; quant à la charge, je Tai décrite plus haut. Le meilleur endroit à atteindre pour tuer un éléphant est le cœur. Son emplacement est assez difficile à indiquer théorique- ment; néanmoins, je puis dire qu'il correspond au coin supé- rieur droit d'un carré dont les trois autres sommets seraient : le bout de l'oreille, le coude et un point sur la ligne extérieure de la poitrine pris à la mémo distance du coude que le bout de l'oreille. A une dizaine de centimètres au dessus, en droite ligne, se trouvent l'aorte ou veine principale et les poumons. Frappé au cœur ou à la veine qui le soutient, l'éléphant chan- celle et s'affaisse sur place, ou bien fait encore quelques mètres si la blessure n'est pas exactement au centre de l'organe ; mais il est hors de combat : sa mort est l'affaire de quelques minutes, après une très courte agonie. Si, au contraire, ce sont les poumons qui sont atteints plus ou moins grièvement, le géant reste encore sur pied quelquefois une demi-heure avant de succomber; il se réfugie dans des massifs où la nature lui permet de se dissimuler aussi bien, malgré sa taille, que le moindre écureuil. Ce n'est pas qu'il veuille y attendre l'homme, comme le buffle : il cherche à y mourir en paix. A bout de forces, souffrant le martyre, il charge presque toujours celui qui vient le déranger à ce moment. D'autres fois, ayant les poumons perforés, — ce qui se distingue au sang rejeté par la trompe et au bruit rauque de la respiration, lorsqu'on est près de lui, — il parcourt encore de longues distances et finit par tomber épuisé. Naturellement si l'on peut toucher l'éléphant derrière l'oreille ou entre l'œil et l'oreille, il s'affaissera raide mort; mais ce coup se présente rarement, la balle peut faire ricochet au lieu d'atteindre la cervelle, tandis que l'animal offre presque toujours son flanc, ce qui rend aisé le coup au cœur. La fracture d'une jambe le met hors de combat sans le tuer : MOEURS DE LELEPHA.Xr. 295 je crois avoir déjà fait remarquer que, plus les animaux sont gros, moins ils peuvent se passer d'un de leurs mendjres. Sur trois jambes la petite antilope fait des kilomètres, tandis que Téland se traîne à grand'peine, et que le buflle ne va plus que ]>iir petits sauts. L'éléphant, lui, est complètement immobilisé, i^orsqu'il a la jamjje cassée, vous pouvez aller déjeuner, vous reposer, faire une autre chasse, vous le retrouverez à votre retour, à peu près au même endroit. En revanche, sa colère, sa fureur sont sans égales, tout ce que sa trompe peut atteindre est arraché, brisé; il pousse des cris et des coups de trom- pette, comme pour proclamer au loin son désespoir d'être réduit à l'impuissance ; il est charitable de ne pas prolonger ce supplice moral et physique. Bien entendu, ce n'est jamais à dessein que l'on casse une jambe à un éléphant; c'est généralement par un coup maladroit qui a eu pour but le cœur et qui a dévié acciden- tellement. Quel que soit l'endroit où l'os est brisé, — coude, radius, cubitus, cheville ou doigts, — l'animal est immobilisé. La quantité de nourriture nécessaire à un éléphant, en vingt- quatre heures, est considérable. On sait qu'il est exclusivement herbivore, mais il convient d'ajouter qu'il choisit ses aliments avec grand soin, qu'il tâte les fruits avant de les cueillir et qu'il laisse ceux qui sont verts ou piqués. Les feuilles tendres, les herbes fraîches, ainsi que l'écorce de certains arbres, entrent dans son alimentation. Il casse de petites branches et les épluche délicatement, tout en marchant. Ses fumées, à part leur grande taille, ressemblent à celles du cheval, du zèl)re, de l'hippopotame et du sanglier (1), mais il ne digère pas les fruits qu'il avale sans les mâcher : on les retrouve intacts dans les fumées, et le chasseur, s'il connaît l)ien sa foret, discerne si l'éléphant y a (1) C'est un des caractères (jui distinguaient le genre d'animaux que les anciens naturalistes apiiclaient les pachydermes et qui aujourd'liui forment trois ordres particuliers : les Proboscidiens (éléphants), les Porcins (hippopotames, rhino- céros, sangliers) et les Jumentés ou SoUpriles (cheval, zéhre, âne). 296 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. fait ou non son repas do la veille, car les fruits indigènes ont leur région respective, bien marquée selon la nature du terrain, le voisinage ou Tabsence des cours d'eau, etc. L'éléphant nage fort l)icn et traverse les fleuves avec la plus grande facilité ; il aime beaucoup l'eau. D'après les renseignements que m'ont donnés les indigènes, la femelle porte environ quatorze mois (seize lunes). A sa naissance, le jeune éléphant a la trompe presque rudimentaire, c'est-à-dire excessivement courte en proportion de celle de ses parents ; il tette sa mère avec le coin de sa bouche en déplaçant sa trompe et en penchant la tête de côté. Il n'a pas plus de trois pieds lorsqu'il vient au monde et se promène à l'aise sous le ventre de sa mère qui le met ainsi à l'ombre pendant qu'elle marche. Elle n'a que deux mamelles pectorales. Telles sont en quelques mots les observations que j'ai faites l)endant mon existence dans les bois. L'éléphant est de tous les animaux celui qui m'intéresse le plus : j'éprouve pour l'énorme béte un mélange d'admiration et de curiosité; il m'impose par son intelligence, sa force, ses mœurs étranges : introuvable, invisible malgré sa taille, il apparaît tout à coup au chasseur dans le majestueux décor que lui a préparé la nature ; il n'est nulle part et partout, il court quatre-vingts milles en une nuit, surgit pour disparaître encore, et souvent sa trace est seule à raconter son histoire. Quant à la chasse à l'éléphant, je la tiens pour la plus fati- gante, la plus dangereuse qui existe. Il meurt chaque année, dans la région fréquentée par les chasseurs de Tête, un certain nondjre d'entre eux, tués, blessés ou piétines par des éléphants. Trois Européens, à ma connaissance, rien que dans \o. bassin du Zambèze, ont trouvé une fin tragique dans une lutte avec un éléphant furieux. Aussi est-ce le })lus beau coup de fusil yU^éi^. Jn^^l^.^^ In nie icloiiitnnt j'dpei(,ois un seipenl. Je mis lentement en joue et, suivant de mon guidon sa marche lente et souple au milieu des arbustes, je fis feu à un instant propice... Je ne vis plus rien, mais un rugissement étouffé me dit que mon projectile était arrivé à son adresse. En ce moment, pour- (pioi moi, si prudent d'ordinaire, tellement habitué à recharger immédiatement mon arme que je le faisais sans m'en apercevoir. 302 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. pourquoi me suis-jo avancé imprudemment, mon fusil basculé, ouvert, cherchant à mettre une cartouche dans le canon vide? J'étais cependant bien calme : jamais je ne l'ai été davantage. Pourquoi ai-je commis pareille sottise? Jamais je n'ai pu me l'expliquer. Ce n'étaient pas les fumées du vin, je ne buvais que de Teau depuis un an; ni une insolation, jamais je ne m'é- tais mieux porté!... On a dans la vie de ces moments inexpli- cables d'absence, de paralysie intellectuelle. Je m'avançais donc le fusil ouvert dans la main gauche, la car- touche dans la main droite. Devant moi, un massif. Je le tourne, et me voici face à face avec le lion qui rampe à ma rencontre dans la position du chat aplati qui va sauter sur une souris : avant d'avoir fait un mouvement, je le vois se soulever, se détendre... 11 est en l'air... Un rugissement me déchire l'oreille... Je ne sais comment, mais j'ai sauté de côté et il m'a manqué... La bête se ramasse de nouveau pendant que je recule, cherchant en même temps à fuir, à fermer mon fusil et à éviter le bond qu'elle va faire... De tous cotés des buissons épineux que je sens, que je devine sans me retourner!.. Le lion est efl'rayant à voir... il râle, sa gueule est pleine de sang... il s'élance de nouveau sur moi : un saut de trois mètres ! De nouveau, je l'évite, cherchant toujours à fermer ce maudit fusil, mais la bête ne m'en laisse pas le temps : de sa gueule découlent des glaires et du sang : elle n'a plus la force de rugir — Encore elle se ramasse : cette fois la voici sur moi... je la vois en l'air... elle retombe lourdement... ses pattes aussi sont rouges... Elle agonise... Dans sa fureur elle saute encore et m'éclabousse la ligure de son sang, finissant même par me toucher légèrement, par déchirer ma chemise... Mais elle ne se relève plus. Je ferme enfin mon fusil! Mais c'est bien inutile : la bête se raidit dans une dernière contraction; le lion, cette fois, est mort. Je me laisse tomber à côté de lui n'en pouvant plus : mes idées sont con- fuses; il me semble que je viens de faire un rêve, que j'ai déjà PLUS DE PORTEURS. 303 vu cette scène autri^fois. Tout cela en quelques secondes à peine. Je regarde autour de moi : partout du sang, sur les herbes, sur les plantes, sur les arbustes; le lion en est couvert. Le cœur avait été touché, le coup était mortel, mais, malgré cela, quels J ajji icii ois une pisle do lion sauts cette béte agonisante a pu faire ! Quelle puissance de vi- talité! Le cœur haché, les veines déjà vides, elle a fait cinq bonds, dont un de près de quatre mètres! La première émotion passée, j'appelle pour qu'on me donne à boire; je crie, je siffle : personne ne répond. Je me lève, je prends mon sifflet, mais je m'épuise en vain : mes hommes sont bien partis. Les poltrons! ils ont eu peur et se sont cachés. Mais alors ils devraient finir par répondre. Eh bien, non : il n'y a 304 iMES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. j)Ci'soiiiie aux environs. Je me perds en conjectures : serait-on allé chercher du secours ? et où ? et pourquoi ? Au bout d'un moment, ne voyant personne, je pense que le camp est loin et qu'il me faudra plus d'une heure pour y arriver. J'ai aussi à enlever la peau de ma victime : je me mets à la hesog'ue et je dépouille ma lionne, car c'est une femelle. Je la mesure auparavant à l'aide de ma bretelle de fusil laquelle est marquée à cet effet : je trouve 2", 65 du nez au bout de la queue et 0'",78 au garrot, ce qui est une fort belle taille; son poids est considérable : je puis à peine soulever le cadavre par le milieu; il doit peser plus de IGO kilogrammes. Je laisse la tête adhérente à la peau et, attachant le tout en un paquet, je le passe au bout d'un bâton que je mets sur mon épaule à côté du fusil. Je re- prends le chemin du camp et , lorsque j'arrive au ruisseau, le jour tire à sa fin. Je n'entends pas de voix, tout est bien calme : me suis-je trompé? Mais non : voilà bien là-bas l'arbre où j'ai déjeuné : il n'y a plus personne. En approchant, je vois les restes des feux; l'un d'eux n'est pas éteint; voici à terre quelques poi- gnées de paille et du bois mort apporté pour la nuit. Tout à coup, je me souviens que, sur une colline à notre droite, nous avons vu trois ou quatre cases en arrivant. Je puis y être en une demi- heure et je me mets en marche. J'arrive et je trouve un petit ha- meau où les habitants font pour moi tout ce qui est en leur pouvoir; ils mettent une hutte à ma disposition. Je m'y couche, me demandant ce que peuvent bien être devenus mes hommes, et fort ennuyé. J'étais en haillons et j'allais arriver ainsi à Tête. On n'est certes pas difficile sur le costume dans ces pays; néan- moins, lorsque j'étais dans les villes, je quittais mon appareil guerrier : chassant pour mon plaisir personnel et non pour me montrer, j'aimais à pouvoir me présenter partout décemment recouvert d'un complet blanc. Or, où trouver une âme charitable qui me prêtât des effets jusqu'à ce que j'en eusse fait venir d'au- tres? J'avais peine à croire que mes hommes eussent voulu me DESTRLCTIOX DIN SANGLIER. 30r) voler : jamais pareille clio^^c ne m'était arrivée, et iraillenrs je n'avais avec moi que quelques mètres de calicot. Le matin, je demandai aux gens du village de me donner un homme pour venir avec moi jusqu'à Tète, lui promettant qu'il recevrait là-bas jjour eux uiqietit cadeau que je voulais leur faire. Je dépouille ma lionne Un d'eux se proposa, mais, avant de me laisser partir, le plus ancien du hameau me demanda de leur tuer un sanglier. Tous les matins à pareille heure, une famille de ces animaux prenait ses ébats près d'un petit ruisseau à quelques minutes de marche. J'acceptai de bon cœur et, m'étant rendu à l'endroit indiqué, je vis en effet une bète adulte à quatre-vingts mètres; sans chercher les autres, je l'abattis et rentrai au village, pressé CHASSES DAXS l'aKHIOIK CK^TRALE. 39 306 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. de partir. Je fis rouler la peau de la lioune qui avait passé la nuit sur un boucan, en attendant que je pusse la faire sécher conve- nablement, et je me mis en route avec un homme cpii la portail. Je repassai par remplacement de notre camp, avec le projet de chercher si, par les empreintes, je pourrais savoir de quel côté mes hommes étaient allés ; je n'eus pas de peine à me con- vaincre qu'ils avaient continué leur route vers Tète. Pour le coup, je nV comprenais absolument plus rien. Je marchai toute la journée et, après avoir passé la nuit en route, dans un village du nom de Msendjé, je revis le Zambèze à Binga, à onze heures du matin. Je traversai le Revougoué pour me rendre à Matoundo, exactement en face de Tète, et quel ne fut pas mon étonnement, en y arrivant, de voir tous mes hommes se précipiter vers moi , avec des exclamations impos- sibles à rendre dans notre langue, des cris, des danses! Ils m'entourent et, après m'avoir parlé tous à la fois, ils se re- tournent vers Tchigallo et Canivetti, les abreuvant (Finsultes et allant jusqu'à leur donner des coups. Le Alliage s'assemble autour de nous; je rétablis l'ordre, et, pour achever de compren- dre , — car je me doute maintenant de ce qui est arrivé, — j'interroge chacun à son tour. Tout le monde s'assied à terre autour de nous et les plus anciens répondent. « Nous étions tranquillement au camp, nous avions entendu votre coup de fusil, disent les porteurs (1), et nous avions déjà mis l'eau pour Vincima sur le feu, lorsque Tchigallo et Cani- vetti sont arrivés en courant, nous racontant que vous étiez mort tué par le lion, qu'ils vous avaient vu mort et dévoré, qu'il fallait tout de suite aller remettre ce qui vous appartenait au Grand Blanc (gouverneur) de Tête , afin qu'on ne dise pas que (1) J"ai déjà dit que, dans le calme dos forêts, on entend un coup de fusil à do grandes distances. EXPLICAÏIOxXS. 307 nous vous avions tué pour vous voler. Nous avons voulu aller voir si c'était vrai, mais nous y avons renoncé tant Tchigallo et Canivetti se lamentaient, tant ils disaient que Tendroit où vous étiez était loin, et en dehors de notre chemin. Nous sommes donc sur-le-champ partis pour Tète, En y arrivant, nous avons tf^r^' Je trouve mon camp déserte. dit au Grand Blanc ce qui vous était arrivé ; nous lui avons re- mis tous vos bagages et il nous a dit que deux d'entre nous (Miranda et T'unt'ama) resteraient pour servir de guides, car il allait y envoyer de suite des soldats pour voir. Quant à nous, nous sommes partis hier pour retourner chez nous, mais nous avions honte d'y revenir sans le mzoungo (blanc) ». J'interroge ensuite les deux hommes qui étaient avec moi lors de l'aventure. Tchigallo répond : 308 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. « Dès que le Mauvais Esprit (le lion) vous a sauté dessus, nous avons fui, eroyant que vous fuyiez comme nous ; puis, nous avons (Mitendu le lion rugir et puis rugir encore et, comme vous n'avez pas tiré, nous avons cru que vous étiez mort; car, si vous aviez vécu, vous auriez tiré. Canivetti avait peur de s'approcher. Moi aussi. Je ne savais pas me servir du fusil de Msiambiri. Alors nous avons perdu la tète; nous avons eu peur qu'on dise que c'est nous qui vous avions tué, nous avons pris la fuite, puis nous avons pensé aux charges (colis) et nous sommes allés ap- peler les porteurs. » — « Ainsi, leur dis-je, vous avez eu peur et, au lieu de vous approcher quand vous n'avez plus entendu le lion, au lieu de laisser les porteurs venir voir par eux-mêmes, vous avez menti, vous m'avez laissé deux jours et deux nuits sans lit, sans tente, sans nourriture ; je vais vous punir. Tenez bien celui-là, dis-jc aux porteurs qui se jetèrent sur Canivetti, je me charge de l'autre. » Je mis Tchigallo contre un arbre, la face tournée vers le tronc et bouclai mon ceinturon autour des deux; prenant en- suite de la main d'un des porteurs ma baguette de cuir d'hip- popotame qu'il avait en guise de canne, j'administrai moi- même à mon chasseur une correction si sévère qu'il en perdit connaissance : son dos n'était qu'une plaie. Son camarade eut le môme sort. Je pansai ensuite les deux hommes moi-même. Personne n'avait murmuré : on savait la punition méritée; quelques-uns même, la trouvant insulhsante, continuaient à in- sulter les deux coupables. Je confiai ceux-ci à la garde du chef de Matoundo jusqu'à mon retour, et je traversai le Zambèze avec les autres. En débarquant à Tête, le premier Portugais qui m'aperçut, le brave M. Anacletti Nunez, faillit tomber à la ren- verse : mon costume sommaire, quelque peu négligé, ma façon de débarquer sans qu'on sût d'où je venais, le bruit de ma mort, lui firent supposer que j'étais un revenant. Chez le gouverneur où je me rendis immédiatement, ce fut la même chose. La ru- r.\ REVENANT. 309 iiieiir publique paraît aux g-iMis plus di^nc tic foi que révidenee.- Ou mettait plus de peine à admettre (pie je u'étais pas mort, qu'on n'en avait eu âme croire tué par un lion. Aux yeux du monde, j'avais beaucoup moins de mérite à m'ètre tiré de cette aventure qu'à y laisser ma vie. Le gouverneur de Tète, ([ui rtait alors le lieutenant Mesquito de Solla, m'accueillit, comme toujours, d'une façon charmante. Il me Ht rendre mes bagages et me proposa de faire punir les hommes qui étaient cause de tout ; mais je lui répondis que c'é- tait fait. Il avait envoyé à ma recherche une expédition compo- sée du juge Gomez, avec quelques soldats, et il fit expédier des courriers pour l'inviter à revenir en lui annonçant que j'étais à Tète. Déjà malheureusement, un de mes compatriotes, qui se trou- vait à Tète, M. Gaston Angelvy, ingénieur au corps des Mines, avait écrit en Europe que j'étais mort (1). J'en fus désolé à cause de ma famille et de mes amis à qui je craignais que cette nou- velle n'allât porter un coup douloureux. Après avoir terminé mes achats et passé quelques jours agréa- bles en compagnie de M. Angelvy, que des études sur le bassin liouiller retenaient encore quelques mois à Tête, je repris le chemin de la jungle. M. Angelvy m'avait fait cadeau d'un appareil ingénieux dont l'invention est due à M. G. Trouvé, ingénieur électricienà Paris, et qui est destiné à rendre de grands services dans les chasses de nuit : c'est un projecteur électrique qui ne s'éclaire qu'à vo- lonté et qui s'ajuste sous les canons de telle façon que son cen- tre lumineux soit exactement convero-ent avec la liû'ue de tir à une distance de trente à cinquante mètres. Ce projecteur est re- (1) En effet, la Gironde et le Temps annonç;iieiit dans leurs numéros du 5 avril 1803 que j'avais dû être mangé par un lion vers le 15 janvier. Par bonheur, j'a- vais écrit en Europe, à la date du 21 janvier, une lettre qui était déjà parvenue à destination, de sorte que l'information put être immédiatement rectifiée. 310 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQLE CENTRALE. lié à une petite pile portative en même temps que très puissante qu'on met à volonté au repos ou en action et qui est parfaitement suf'lisante pour Tusage auquel elle est destinée. On produit, au moment voulu, au moyen d'un commutateur, le jet de lumière (jui éclaire soudain Tobjet sur lequel on dirige le canon : on peut ajuster aussi sur son arme une petite mire électrique lumineuse. Mon compatriote n'avait malheureusement plus que fort peu des produits chimiques destinés à alimenter la pile, aussi n'ai-je pu m'en servir qu'une fois, mais cette expérience suffit pour me démontrer qu'à l'avenir, pour mes nouvelles tentatives cynégé- ti({ues et surtout pour les alTùts de nuit, la pile et les guidons lumineux Trouvé doivent faire partie de mon équipement. La première et seule fois que j'aie pu essayer cet appareil, j'ai tué un léopard aussi net qu'en plein jour. Combien depuis j'ai regretté de n'y avoir pas recouru plus tôt, à cette invention si précieuse pour moi! Elle n'est pas connue, mais elle mérite de l'être, ne fût-ce que des chasseurs qui passent, en France, les nuits à attendre les canards sauvao-es. Après l'aventure dont je viens de raconter les détails, le reste de l'année 1893 se passa sans ramener de circonstances aussi périlleuses, aussi désespérées que celles qui en avaient marqué le début. Je continuai à mener de front les explorations et la chasse; mais, pour ne pas fatiguer le lecteur, je ne lui en racon- terai que les journées où la recette fut exceptionnelle. Au mois d'avril, après un voyage infructueux à la recherche d'éléphants, nous revenions dans le nord-est de Makanga, du coté delà source de la rivière Revougoué. La petite troupe n'a- vait pas changé : c'étaient toujours mes fidèles compagnons, y compris Tchigallo qui, une fois remis de sa correction, avait re- j)ris sans rancune (et seulement parce qu'il savait le châtiment mérité) le fusil et le sabre d'abattis. Nous avions déplus qua- tre porteurs. Un matin, après une nuit rendue fort désagréable par la pré- APPAREILS I-LKCTRIQITS DE M. TUOLAE. 311 Mire électrique luniiiieusc de M. G. Tniuvi-, soiico de nombreux mousti- ques, nous nous étions remis en marche. Le temps était très couvert et, quoique les pluies lussent moins violentes vu la saison avancée, une averse ('tait venue subitement nous forcer à déguerpir et à cher- cher refuge sous un bouquet de grands arbres où nous avions allumé notre feu, attendant patiemment, tout en mangeant du beltong, que le temps nous permît de continuer notre route, puisqu'il n'y avait pas de gi- bier ({ui valût la peine qu'on se mouillât. Nous étions sur un plateau très élevé qui côtoyait à pic un ancien lit de rivière, fort large et couvert de haute végétation, mais situé à plus de dix mètres au dessous de notre niveau. Tout à coup monte de cette vallée un fracas de branches qui nous met sur pied. Tambarika s'élance en avant pour voir, et, ^"- -''"'- il'//. ~ Z'^' Lrf: t - - . Projecteur électrique de M. G. Trouvé. 312 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. arrivé au bord de rescarpcmeiit , se retire subitement, levant les bras, gesticulant, se démenant comme un possédé. Nous nous approchons, et nous voyons trois éléphants en train de fourrager dans la jungle à soixante-dix ou quatre-vingts mètres de nous. Nous reculons tous, faisant avec crainte la même question : «Le vent! d'où vient le vent? » Comme, avec la pluie, nous ne pouvons nous servir de notre système ordinaire qui con- siste à faire voler avec le pied un peu de poussière pour voir le côté où le vent la poussera, je bats le briquet, et la fumée légère qui sort de la mèche nous a bientôt rassurés (1). Nous descendons rapidement dans la vallée, non sans avoir cherché un endroit un peu moins dangereux que celui où nous nous trouvions, et nous nous approchons des éléphants qui n'ont pas Fair de soupçonner notre présence. Arrivé à quarante mètres d'eux, je ne les vois plus du tout; les herbes à l'endroit où nous sommes sont si hautes, la végé- tation si serrée, que nous disparaissons dessous comme des louis dans le gazon. Nous entendons fort bien les énormes bêtes qui continuent à briser des branches, mais il est impos- sible de les apercevoir. Msiambiri qui est grimpé sur un arbre les voit, mais à distance; elles ont marché depuis que nous ne les voyions plus. Je prends le parti de tirer, croyant éviter ainsi une poursuite comme celle de décembre. Ce fut une grosse sottise. Ces éléphants étaient sans soupçon; ils igno- raient notre présence et, avec un peu de patience, j'aurais pu les avoir tous les trois. Il y avait un jeune mâle et deux fe- melles, tous d'une taille ordinaire et portant des défenses peu (1) Les chasseurs indigènes prennent une poignée de poussière qu'ils sèment lentement lorsqu'ils tournent un éléphant; ils ne quittent pas leur main des yeux et jugent ainsi du moment où ils ne peuvent plus avancer sans être sen- tis. A défaut de poussière, la cendre, les feuilles sèches pulvérisées, la fumée (légère) remplissent le même office. DERNIERE CHASSE A LKLKIMIANT. 313 dévoloppt'os. Au Ii(ni trattriulrc, et par crainte de les laisser m'éeliapper, je tirai sur Tiiii d'eux à cinquante mètres avec mon calibre 8 qui, à cette distance, n'avait aucune précision. La balle fut perdue, les éléphants déguerpirent, et nous res- tâmes cinq jours à les poursuivre. Le sixième jour, un d'eux m'olTrit un coup assuré à trente mètres : la balle lui perfora les poumons, nmis, comme une leyon me suiïisail, j'augmentai sans tarder la distance qui me séparait de la béte. Bien m'en prit, car la trompette se fit entendre, et, au moment où l'éb''- phant partait à fond de train sur Maonda qui était resté dans son vent, je lui tirai un deuxième coup qui le fit arrêter net puis rebrousser chemin quelques mètres. Il resta ensuite immobile, la tète basse; comme il était à soixante mètres de moi, et que l'express seul est sûr à cette distance, je pris un projectile plein en plomb durci que je substituai à la hâte à la balle expansive; pendant que l'éléphant immobile était au même endroit, je tirai à la naissance du cou, entre ce dernier et la racine de l'oreille, et l'éléphant s'abattit, déjà épuisé et blessé grièvement aux pou- mons et à la trachée artère. Cet éléphant, le dernier que j'aie tué, était une femelle. Deux mois après, je parcourais le pays des Magandjas situé tout-à-fait à l'ouest de Makanga, et qui, d'après les dernières conventions internationales, est moitié dans la sphère d'in- fluence du Portugal, moitié dans celle de l'Angleterre. Mon camp était en pleine brousse, dans un endroit où passe la route tout récemment construite de Katounga à Tête. J'a- vais l'habitude de partir tous les matins dans la même direc- tion, à cause du vent, et d'aller tuer une antilope pour le repas de mes hommes et le mien. A un kilomètre sous le vent et à notre droite, se trouvait une mare où les grands animaux ve- naient souvent. Un matin, au moment où nous passions en cet endroit, un bruit lointain vint nous faire prêter l'oreille; ce même bruit, nous l'avions entendu un soir. — Pembéré! CHASSES DANS L'AllilQUK CF.NTl'.AI.F.. 40 314 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. (rhinocéros), dit Tambarika; aussitôt nous prîmes le vent pour en sortir à ancfle droit et nous allâmes nous cacher derrière des arbres, ce qui dura moins de temps que je n'en mets àTécrirc. Le bruit se rapprochait rapidement : c'était un souffle puis- sant et saccadé, ressemblant, en beaucoup plus sonore, à celui d'un cheval qui corne ; c'était aussi le fracas de branches bri- sées que le lecteur connaît déjà : son intensité croissante prou- vait la rapidité avec laquelle la bête arrivait. Devant l'endroit où nous nous tenions cachés était un gros arbre renversé dont le tronc n'avait pas moins de cinquante centimètres de dia- mètre et élevé d'environ un mètre au dessus du sol. Non pas un , mais deux rhinocéros, le premier surtout énorme, arrivèrent avec la vitesse de chevaux lancés au galop, sautèrent le tronc d'arbre et, passant devant nous au même train, dispa- rurent bientôt comme ils étaient venus. J'étais tellement près du lieu de leur passage que je n'avais pu viser : au moment où mon canon suivait le premier, il s'était trouvé brusquement arrêté par l'arbre derrière lequel j'étais caché et, lorsque j'avais fait le tour, je n'avais pu voir que l'énorme postérieur du der- nier pachyderme disparaissant dans l'éloignement. J'eus des regrets cuisants d'avoir perdu cette occasion, mais jamais je n'aurais cru que le rhinocéros qui a l'air si lourd et si apathique put galoper à cette allure. J'oubliai bientôt cet incident ; je tuai une petite antilope et je rentrai au camp. L'après-midi (le vent ayant tourné), j'allai d'un autre côté sans penser aux rhinocéros. Mais le lendemain matin, au même endroit et à la même heure, comme nous repassions, ils nous chargèrent encore. Cette fois, je me mis trop loin; ils passèrent à quarante mètres à travers les arbres. Je suivis leur piste en sens inverse pour voir d'où ils venaient et elle me conduisit à la mare dont j'ai signalé la pré- sence. Le soir, j'allai m'y embusquer sur un arbre, mais les rhinocéros ne revinrent que la nuit : la lune était insuffisante, les nuages en mouvement ; j'entendis les pachydermes se vautrer UNE ATTAQUE DE FOURMIS NOIRES. 315 dans la boue liquide, mais je ne vis rien, et, le matin, ils avaient disparu. Le soir, je revins encore sur mon arbre. Je n'y étais pas depuis un quart d'heure qu'une invasion de fourmis noires faillit me faire casser la tète. C'était à en devenir fou. Ces in- sectes sont terribles; ils enfoncent leurs crocs dans votre chair et serrent tellement que, quand on veut les arracher, leur tète reste adhérente à votre peau. Ils pénètrent sous vos vêtements, vous mordent cruellement en mille endroits à la fois, et je dé- lie l'homme le plus maître de lui-même de ne pas faire à ce mo- ment-là des contorsions et des grimaces à rendre des points aux meilleurs clowns. Avant d'avoir eu le temps de sentir une piqûre et de compren- dre ({uelle en était la cause, j'en étais couvert. Je sautai ou plutôt je me jetai à bas de mon arbre au risque de me rompre le cou. Rodzani plongea dans la mare pour se soulager : la crainte des crocodiles, s'il y en avait eu, ne l'eût pas empêché de le faire. Quant à moi, tout en dansant un pas d'un nouveau genre et grinçant les dents de rage et.de douleur, j'oubliai les rhinocéros et la création entière, je me déshabillai aussi vite que je pus, et me mis ensuite à tirer, à arracher, à frotter pen- dant une demi-heure, sans songer qu'il faisait tout à fait nuit, que mon fusil était sur l'arbre et mes vêtements un peu partout. Si un fauve affamé avait passé par là il n'eût eu aucune peine à trouver son diner. Inutile de dire que ce soir-là il me sembla plus raisonnable d'aller frictionner mes nombreuses plaies avec une lotion phéni- quée (1). J'étais tout endolori, mes jambes surtout et la partie de mon individu sur laquelle je m'assieds avaient beaucoup souf- fert. Souvent, dans la brousse, on marchait par mégarde sur une fourmilière en marche, mais on en sortait à la hâte et on se dé- (1) Ces fourmis sont carnivores et peuvent être fort venimeuses, surtout lors- que, avant de vous attaquer, elles ont mangé quelque substance animale en décomposition. 310 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. barrassail de^ quelques fourmis qui avaient réussi à grinq^er sur nous; mais avoir affaire à une colonne entière vous attaquant à la faveur Jes ténèbres, c'est terrible (1). Le lendemain matin, je me postai à l'endroit habituel, et cette fois j'avais pris mon calibre 12 à pointe d'acier (car il est presque impossible de tirer sur un but mouvant et rapide avec un fusil de la taille et du poids de mon 8), Les rhinocéros arrivèrent; seulement j'attendis pour me cacher de voir la direction qu'ils prenaient, ce qui leur permit aussi de nous sentir plus longtemps et de ne pas dévier de leur chemin comme les autres jours. Chaque matin, notre vent , qui a le don de mettre ces ani- maux en colère, leur faisait exécuter cette charge dans la direc- tion où ils nous sentaient; dès que nous en sortions à angle droit, soit à droite soit à gauche, ils passaient entraînés par l'impulsion, mais ils n'avaient plus de but du moment où leur nez ne les guidait plus. Etant plus près cette fois, je visai d'abord presque de face, puis de protil, et, au moment où le premier était en face de moi, je fis feu soigneusement sur lui et trop vite sur son camarade. Le premier était atteint au cou, avait l'épine dorsale brisée et était tombé pour ne plus se relever; le second était complète- ment manqué, à en juger par la désinvolture avec laquelle il disparut, sans même jeter un dernier regard à son compagnon de steeple-chase. Celui-ci reçut encore une balle avant de mou- rir. Il était énorme : il mesurait l"*,?.") du garrot à la terre, et, quoique sa corne eût un peu moins de longueur que celle de celui tué à Oundi, ses dimensions étaient supérieures. C'est en cette année 1893 que j'ai abattu les plus beaux (Ij La même aventure m'arriva un jour sur la côte de Guinée (près de la plage de Godomé), à l'affût au léopard : seulement les fourmis étaient rouges, tout aussi mauvaises, et exhalant une odeur fétide. Sans y penser, je m'assis pour me débarrasser des fourmis, à côté du clicvreau ([ue nous avions attaché à un i)i(iuct. comme appât. Si le léopard avait sauté (mi ce moment...! MON DERNIER LION. 317 spécimens de ma collection et que, en particulier, j'ai tué le plus gros des hippopotames que j'aie jamais vu : ses défenses sont à peu près uniques comme taille et celles que j'ai mesurées dans les Muséums, soit de Paris, soit de Londres, n'ont rien d'approchant. (Voir page 225). Son poids devait dépasser 1800 kilogrammes, sa longueur était de 3", 9 1 . Enfin, en août, ce fut le tour de mon dernier lion dans des circonstances assez curieuses. J'é- tais campé sous de grands arbres, à cent mètres d'une mare, la seule qui se trouvât dans la région. Il était midi, j'avais tué une ou deux antilopes dans ma matinée, et les hommes, après avoir mis la viande à sécher, se reposaient. J'avais dressé ma tente et m'ap- prêtais à prendre une heure de repos, la chaleur était insup- portable, lorsque, entr' ouvrant ma tente, je vis un lion énorme qui passait, allant boire à cent mètres à peine de mon camp dont il ne soupçonnait pas l'existence. Sauter sur mon express, prendre deux cartouches dans ma poche et, tout en pantoufles, emboîter le pas derrière lui, fut l'affaire d'une seconde. Je ne dérangeai personne, mais Tambarika me voyant sortir avec précipitation se souleva et s'aperçut que je suivais du regard un lion : le fauve descendait lentement le talus menant à la mare et disparaissait dans le trou. Je me précipitai en étouffant le bruit de mes pas, sachant que quelques minutes me suffiraient pour arriver, mais qu'il .II' vis un lion ciioiiiic. 318 MES GRANDES CHÂSSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. nV avait pas Je temps à perdre. Derrière moi, je vis du coin de Tœil plusieurs de mes hommes qui arrivaient aussi. J'attei- gnis le bord, et, me penchant derrière un arbre, je vis le lion remonter le talus. Je calculai que, en arrivant en haut, il verrait les hommes qui étaient en arrière, qu'il s'arrêterait une seconde à les regarder et qu'il me donnerait ainsi le temps de tirer. J'attendis immobile , mais le cœur battant au souvenir de cette lutte où j'avais été si imprudent. Le lion arriva sur le haut du talus comme je l'espérais, vit mes hommes qui s'accroupirent soudain, s'arrêta... et, au moment où il allait se remettre en route, reçut mon coup de feu au milieu des omoplates. Il tomba sans autre bruit qu'une plainte étouffée, avec un soubresaut, un étirement, et ce fut tout. Quant à mes hommes, je vis, en me retournant, que l'affaire de Tête leur était sur le cœur et que cette fois ils voulaient me défendre ; tout mon monde était là avec fusils, sagaies, sabres d'abattis, flèches et autres engins de destruction; il n'était pas jusqu'au cuisinier Vatel qui ne fût venu avec son grand couteau à beltong. Cette fois, le lion eût eu affaire à forte partie. Mais si la leçon n'avait pas été perdue pour mes gens, elle l'était encore moins pour moi, et je m'assurai que le lion était bien mort avant de m' avancer vers lui. Il avait une taille presque aussi considérable que celui que j'avais tué l'année précédente... Sur ces entrefaites, le mois de septembre arriva et je me rendis à l'est du lac Nyassa dans le but de rentrer en France en allant directement par terre à Zanzibar. La mauvaise volonté des indigènes, l'état de santé d'Hanner et des Arabes, une foule d'autres circonstances indépendantes de ma volonté me for- cèrent à renoncer à ce projet et à rebrousser chemin parle Chiré et le Zambèzc. Je me rendis donc à Tchiromo sur le Chiré. J'y chassai en- core un peu. En face et au nord de cette localité se trouve une grande plaine, VElephani inarsh oVi Livingstonc avait compté ' m^ >> V '■«* ^.h^'*- Tambarika. Macula. EocUani. Tchigallo. MES CHASSEURS FIDÈLES. RETOUR EN FRANCE. 319 vingt ans auparavant clos lroii|i('aux do huit ooiits ôlôplianls. Inutile de dire qu'aucun élé})hanl n'a posé le pied dans cette région depuis plus de dix ans. Mais il s'y trouve des troupeaux do buffles tellement faciles à approcher que la chasse en devient puérile. J'allai un matin faire une petite promenade avec Hanuer et, au petit trot, de huit heures et demie à dix heures, j'abattis cin(j buffles sans mémo prendre le temps de fumer une pipe! .l'on avais assez : ce n était pas amusant du tout ! One nous étions donc loin des régions où une journée de fatigue est quelquefois nécessaire pour tuer un de ces animaux ! Une fois cependant je fus chargé à outrance par une femelle blessée et Hanner assista en spectateur à cette petite scène. A l'heure qu'il est, il ne doit ])lus rester beaucoup de ces infortunés ruminants s'ils n'ont pas ou le bon sens d'abandonner la région. Cette chasse au buffle fut notre dernière' promenade dans la jungle de l'Afrique Cen- trale. En octobre, je descendais le Chiré, puis le Zambèze, et je m'embarquais pour la France. J'arrivai à Paris vers la fin de dé- cembre 1893, après avoir passé près de trois années pleines de fatigues, mais de bonheur, au milieu de pays encore vierges, en- touré de cette nature africaine, de cette faune intéressante que j'ai essayé de dépeindre rapidement en racontant mes aventures au lecteur. TABLKAl' DE MES CHASSES DE 1801 A 1893. I. _ AU FUSIL : A. Anlilopcs cl gros aitim(nt.r : 319 pi; ces. DÉSIGNATION DES ANIMAUX. 1891 1892 1893 Total Éléphants. Rhinocéros. » 1 2 1 3 » o 2 Hippopotames. Buflles. 8 5 24 o 12 19 41 Elands. » 14 8 22 Antilopes noires. 1 () 2 9 Kobs. 8 ;5i 10 49 Bubales. 7 13 13 33 Impalas. Reedbucks. » 1 o 9 2 4 7 14 Phacochères. 4 16 5 25 Duikers. 1 2 1 4 Oréotragues. 1 0 )) 7 Antilopes roan. 6 » » 6 Guibs. 2 () 4 12 Zèbres. 3 <) 5 17 Koudous. 3 5 5 13 Bluebucks. » » 2 2 Lions. )) 2 2 4 Léopards. 2 4 5 11 Hyènes. Chat tigre. 1 3 1 2 » 6 1 Loups. Caïmans. » 2 2 3 1 2 3 7 5G 170 0.3 319 B. Menu gibier : 271 ini'ces. 11 Babouins et singes divers, 143 pintades, 2 lièvres, 1 perdrix, 5 péli- cans, 1 marabout, 1 secrétaire, 1 koran, 41 oies sauvages, 12 oies noires à aile armée, 47 canards, 5 aigles pêcheurs, 1 grosse outarde. II. — PRIS AU LACET, AU PIÈGE, EMPOISONNÉ : 102 pièces. 18 civettes, 02 pintades, 2 léopards, 1 liyèïie, 2 clials tigres, 17 rats de canne (espèce d'agouti). III. — PRIS VIVANTS : 12 pièces. 2 phacochères, 5 antilopes, 1 civette, 2 singes, 2 oies. TOTAL GÉNÉRAL : 704 PIÈCES. APPENDICE •• — L'ai't do roconuaîtro sûrement une i)iste. — Les espèces. — Ti'aces diverses : sur le sol, sur la végétation basse, sur les hautes herbes, sur les arbres. — Animaux blessés. — Konseiguements tournis par le sang. — Traces de nourriture. — Déchaus- sures de lion et de loup. — Les fumées; leurs apparences; leurs différences. — Laissées de félins. II. — Les parties vitales. — Conformation des félins, des ruminants et des paeh\-- dermes. — Où il faut frapper selon l'endroit où on est placé, — Conseils aux chas- seurs sur les différents projectiles à emi)loyer. Il lie laul ])a.s croire, après avoir lu loul ce qui précède, (pi'il n'y ail pour tuer des animaux (pi'à se rendre dans les forèls de rAIVicpic cl à avoir beaucoup de cartouches : comme je l'ai déjà dit, au contraire, celui ({ui se promène dans la jungle pourra y rester des années et des an- nées beaucoup de ^-cns sont dans ce cas) sans y voir autre chose cpie des arjjres, de la terre et du l'euillage. T^es aninuuix dé|)loient autant de luse pour échapper au chasseur que celui-ci doit inventer de stratagè- mes pour les tuer. Il faut une existence continuelle dans les bois; on doit y passer chaque minute de sa journée, pour que tous les détails concernant les animaux et les végétaux vous deviennent familiers. En général, toutes les bêtes de ces régions sont très difficiles à chasser : il n'est pas une pièce de gibier, petite ou grande, ([ui ne m'ait cMÙté des heures de fatigue, et si, dans ces récils, pour épargner au lecteur des détails ennuyeux, je ne lui ai parlé que des résultats oblemis, cpi'il n'aille pas s'imaginer qu'ils l'ont été sans peine. CHASSES DANS I.'.VFninlT, CEMliALE. -H 322 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. La eliaiite ne consislo, pour le eliasseur. (|ii"à se Irouvei' dans la même région que le gibier qu'il désire rencontrer. Si elle lui est favorable, tout le reste dépend de lui. C'est à son expérience, à sa sagacité, à sa pa- tience qu'il devra la victoire : sans ces qualités, le meilleur tireur revien- dra bredouille et exténué. Il serait trop long de décrire en détail loul ce qui constitue cette ex- périence du chasseur; mais comme la première connaissance à posséder est celle des pistes 1 . j'en dirai rapidement quelques mots. L'art de reconnaître sûrement une piste au premier coup d'œil est indispensable pour la poursuite du gibier dans des pays comme ceux dont il s'agit, ovi on est privé du chien, ce puissant auxiliaire que l'homme possède partout ailleurs et qui éviterait par son odorat et son instinct tant de travail et de fatigues. Malheureusement, il ne vit pas dans ces régions, non que le climat lui soit défavorable, mais parce qu'il y ren- contre la tsétsé. l'eimemi commun de tous les animaux domestiques. Il y a bien des chiens indigènes qui ressemblent beaucoup à ceux que les Kabyles et les Bédouins possèdent pour garder leurs gourbis, mais ils ne sont bons qu'à attraper les gros rongeurs ou parfois les petites an- tilopes, quand ils les voient : ils chassent à vue. Pourtant, M. Selous, dans les dernières chasses qu'il a faites dans l'Afrique du Sud, parle de quelques chiens indigènes auxquels il tenait beaucoup et qu'il avait dressés à tous les genres de poursuite. Je n'ai jamais pu en faire au- tant. Il faut donc, en général, se priver de chiens, et une grande pratique est nécessaire pour se passer de leurs services. L'animal écrit ce qu'il est sur le sol et sur les objets qui l'environnent : il y écrit son sexe, sa taille, son allure, ce qu'il fait, le chemin qu'il suit, le moment où il passe. Il faut pouvoir lire sans hésitation tous ces ren- seignements cjuels que soient la nature du sol, sa résistance et le genre de végétation. On reconnaît quel est l'animal par l'empreinte de son pied ou de sa patte. Les différents genres sont faciles à distinguer les uns des autres : (1) Los antilopes ont teUement de ressemblance avec le cerf que je ne puis mieux faire que d'employer, dans les explications qui vont suivre, les termes adoptés en vénerie pour les signes extérieurs auxquels on reconnaît ce qui a trait au passage d'une bête en un certain endi-oit. Le lecteur qui s'occupe de vénerie me comprendra mieux, et celui qui y est étranger se familiarisera avec le vocabulaire de la grande chasse. A moins d'inventer de nouveaux termes, je n'en ai d'ailleurs pas d'autres à ma disposition. APPENDICE. 3v»:5 les Félins, les Runiiiirtiils, les Pachydermes, les Quadrumanes, les (".aiii- (lées, les Porcins, les Rongeurs, etc. Mais dans chacmie de ces ramilles il l'aul savoir l'aire des distinctions, recomiaître si on a alTaii-e au sanulier ordinaire du au phacochcre, ;i tel ou ti'l genrcd'anlildix's parmi ci'lles ([ui ont la même taille, etc. Si on examine plus en détail les empreintes des mend)res d'une même famille et d'une même espèce, qui sendjlent identi- ipu^s ;i première vue. on reccuiiuiîl (piil n'y en a pas deux ([ui soient sem- Idables. Ceci est très important, car, si on n'est pas expert, on s'expose à |)rendre le change et à suivre tous les animaux au lieu de celui dont on avait vu la piste au début. On ne lit pas seiilenieiil les traces sur le sol, mais encore sur la végéta- lion (jui le couvre et sur ceHe qui s'élève au dessus. Sur le std, couvert ou non de végétation, on voit les mar'ols. Les (piatre ])ie(ls sont à peu près de même taille ,1 . Chez les Félins, la patte se compose des tloio-ls v[ du talon ou paume. Ils sont séparés ^n\v une r;timii-c prdfonde cpii s'appelle \d fossette. Les ])attes postérieures sont plus petites (pie celles de devant. (]liez les Canidées, au bout des doig-ts et selon l'ào-e de l'animal, on aperçoit plus ou moins profondes les marrjucs des ongles. On nomme empreinte l'impression de ces dilTérenles formes sur le sol. Chez les sangliers, la pince est seule bien visible sur le sol ; elle varie de grosseur, de longueur, de pointe, selon l'âge de la bête. Le talon se voit moins bien, sauf sur un terrain meuble; les erg-ots éo-alemenl. Ou appelle traces les mai'ques du sanglier, et même quelquefois ses pieds, mais je leur laisserai le nom d'« empreintes >> pour éviter la confusion. Les empreintes se voient naturellement plus ou moins ])ien selon la nature du sol. S'il y a de la végétation, des herbes piétinées, on leur donne le nom de foulées. Sur un terrain dur, rocailleux ou non, les em- preintes sont presque nulles ; on les appelle alors des êgratigniires. Il est très difficile et très long de suivre une antilope sur un lit de cailloux. Dans la terre molle, au contraire, elles sont piquées et faciles à suivre : on dit alors f|u'il fait « beau revoir ». Dans le premier cas, il fait « mau- vais revoir ». La première chose à chercher dans une empreinte, après qu'on l'a re- connue, est sa date : les herbes froissées sont plus ou moins fanées, suivant que l'animal est passé depuis plus ou moins longtemps, la coupe du sol si petite qu'elle soit) est de même fraîche ou sèche; contient-elle de la poussière, on recherchera quand il y a eu du vent : on fait avec son pied une empreinte à côté pour juger de la différence de fraîcheur. Les fumées et autres indices ([ue nous étudierons ;i part viennent encore aider f2i. .)e suppose que la date soit satisfaisante, (pi'il y ait à peine un inslani (pie ranimai a passé : il l'aiil savoir (pielle était son allure pour juger de la distance fju'il a ])u parcourir depuis. Au pas, la pince est fermée, le (1) La sole est gcncralcnifiit rayce, veinée de inaniues qu'on aiipollo aran/cles, mais on ne peut les voir sur le sol qu'exceptionnellement. (2) S'il a plu depuis le passage de la bète. la jikiie dénaturant beaucoup les em- preintes, il faut rediiublcr d'attention; on dit alors que les voies sont surpluées. c: js _ «j — ■ ?3 =0 M ^ „ 326 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. pied bien à plal I . le lùpèdc est diag'onal, le pied de dcnit''i'e est oxaclo- niont sur !«■ lahm di' celui d(> devant, loi-stpic ranimai nunrhc bien, c'esl- à-dire de la l'aboli particulière à son espèce 2t. Au trot, les cpialre marques sont espacées l'une de l'autre sur deux li- g-nes parallèles, l'empreinte est plus profonde, le pied plus penché en avant, la pince un peu plus écartée, surtout derrière. Au galop, ou dans la fuite, les battues sont plus éloignées, le talon invisible, les pinces très (luvertes i selon les espèces^, surtout si l'animal est effrayé. Elles marcpient profondément sur le sol. la terre est projetée en arrière, et les membres postérieurs glissent souvent en chassant trop vivejnent. Le plus difficile est la connaissance du sexe. Le mâle adulte se dis- tingue d'abord par la taille: il marche généralement bien, tandis que les femelles et les faons ont souvent de l'irrégulai-ité dans l'allure. Chez certaines espèces, la forme du pied diffère totalement selon les sexes : chez l'éland , par exemple , le pied du mâle adulte se rapproche de celui du bufile (femelle), mais on l'en distingue aisément, surtout si on exa- mine la piste à contre-ongle ou contre-pied c'est-à-dire en allant eji sens inverse du chemin parcouru par l'animal. Le pied de la vieille fe- melle ressemble assez à celui du mâle, lorsqu'elle atteint la taille de ce dernier, mais on le distingue assez aisément par le talon; en outre, elle tarde généralement dans son allure. Le tableau de la page précédente donne une idée des différentes empreintes d'animaux. En général, les antilopes marchent plutôt sur la pince que sur le talon; les petites espèces ne posent presque pas le talon à terre, sauf à l'arrêt. iL'arrêt se reconnaît à ce que les empreintes sont à plat et j)lus profondes.) Les endroits piétines son! générah'ment ceux où l'animal a mangé. Sur un sol terreux, sans cailloux, où l'herbe est clairsemée ou par boucpiets, il faut examiner non seulement le sol nu, mais les touffes d'herbe où le pied a pu poser. Les Félins ont de grosses pattes molles (pii s'aplatissent encore da- vantage en posant sur la terre et n'y laissent des empreintes que si elle est ramollie. Les gros Pachydermes sont lourds, mais ont les pieds de largeur proportionnée et très plats en dessous: ils n'cnloncent guère dans le sol que s'il est gras. Les antilopes, au contraire, ont les extré- (1) Il faut nôaumoins se souvenir que la conformatiim du jjied de l'antilopo veut • lue la pince soit un peu plus basse et i)ar conséquent i)Uis onfuncée que le talon. (2) Certains individus de la même famille ?rtr(/en<, c'est-à-dire impriment les pieds postérieurs en arrière de ceux de devant. On les reconnaît alors l'acilemont. APPENDICE. 327 miles pelilos en propurlimi de leur (■(n-|)s. d leur poids pdilc siu- une surface relalivemeiit étroiie. ilure el anguleuse : c'est p()iir([U()i leurs empreintes sont bien marcpiées v[ visibles, alors ([ue celles des g-ros ani- maux qui précèdeni ('cliapitcnl ;i l'obserN alion. Examinons uuiinlciiaiil les indices qui viennent compléter les informa lions fournies par une empreinte. Us son! de plusieurs sortes , mais je les diviserai en trois calé<>'ories : les traces sur les végétaux, les traces sur la terre (autres que les euqircintes el les fumées. Les traces sur les végétaux sont d'ahoi-d les empreintes faites en ter- rain complètement couvert de végétal ion cl ipii se déforment considéra- blement parce que ces végétaux, après avoir cédé sous le |)ied. se relè- vent plus ou moins complètement: ici. l'animal iie marche plus fpie sur l'herbe, des petites plantes, des lianes, des feuilles, de petites bran- ches, etc. Si ces végétaux sont lendres et que l'aninial soit lourd, ils restent aplatis et pour ainsi dire incrustés dans son empreinte; mais, en général, après avoir été froissés un instant, ils se relèvent ([uoique meur- tris. Ces meurtrissures sont un précieux indice de temps: par eUcs. on peut connaître le passage d'un animal à un quarl d'heure près, en en faisant de nouvelles, comme je l'ai dit, auxquelles on coiupai-e leur degré de fraîcheur; l'herbe fanée peut avoir une journée, nuiis lorsqu'elle est jaunie, elle a toujcuirs au moins vingt-quatre heures. « une rosée et ini soleil >'. conmie disent les indigènes. Ce qui précède ne concerne que des foulées dans de la végétation très basse. Dans les grandes herbes, au con- traire, il est rarement nécessaire d'y avoir recours, car l'animal couche ces herbes sur son passage et quelques unes d'entre elles restent dans cette position : c'est ce que l'on appelle des abattues. Elles donnent clai- rement la direction et indiquent une piste du jour, car la fraîcheur de la nuit les relève (1). Les bêtes à grandes cornes, comme le koudou, le bufile, laissent aussi des traces dans les branches à la hauteur de leur, tète : ce sont des ra- meaux couchés dans le sens de la marche de l'animal ou bien brisés et pendants; ils indiquent la taille de l'animal et. par le degré de fraîcheur de la brisure, le temps qui s'est écoulé depuis son passage ; on les nomme des portées. Les félins, lions, léopards, chats-tigres, etc., aiguisent leurs griffes sur le tronc des arbres, ce qui laisse des maniues, des essais. (Ij .V moins qu'elles ne soient couchées par de lourds animaux comme l'éléphant, le rhinocéros, l'hippopotame, ou bien par des troupcau.x, ce qui les bi-ise elles tue. 328 MES GRANDES CHASSES DANS L'AFRIQUE CENTRALE. Les animaux .(|ui pcM-tleiU du san^- on niaculonl les rouilles à haulour do lour blossuro et. selon la façon dont les tacli(>s sonl laites et leur hauli'ur. on ju^'o de la taille do l'animal ot de l'ondroil où il est alloiul. Des (gouttes de sang- projetées eonnne par un arrosoir indi(|uenl qu'il esl rendu par les naseaux et (pie la bête est louoliéo aux poumons. Un gros jet de sang, do grandes taches sur toute la haulour de hi lièlo, indiquent que la grosse veine du bras est ouverte et (pie le sang coule tout le long du membre. Si la jambe est cassée, elle traîne à terre laissant un sillage ou elle fait des dégâts à droite ou à gauche. Une mare de sang in- ilicpio un arrêt: des gouttes espacées, une marche au pas, ou au trot selon leurs intervalles il). Les chutes de la bête, ses oIToi'ts pour se rele- ver, la trace du membre brisé, se lisent clairement sur la V(''gétation. Une goutte de sang tous les trois ou fiuatre mètres est (ptehpiol'ois le seul indice que possède le chasseur : par exemple, sur les rochers ou bien les hautes herbes. Les animaux atteints aux intestins, au haut du foie ou de la rate, vomissent et laissent des traces de nourriture. Un gros jet de sang, une course au galop, des demi-chutes, indi([uoul une Idossnre au cœur; l'animal gît sûrement dans le voisinage (2i. Autour d'un endroit piétiné, ou même sur une pisie au pas, on trouve des débris do feuilles et de végétaux, indiquant (|uo l'animal mangeait : ce sont des morceaux de feuilles, quelquefois mouillés de salive et échap- pés aux lèvres de la bêle, ou bien le reste de ce (pi'il a coupé avec les dents. L'éléphant laisse des traces jusque dans les hautes branches des arbres. Le sanglier fouille le sol de son gi-oin ou de ses Ijoutoirs. la terre est rayée, labourée; on appelle ces marques dos houlis ou eermillis. On peut domier le même nom à celles que fait le rhinocéros avec sa corne. Ces animaux ainianl à se vautrer dans la l'ange laissent leur souille (empreinte du corps) sur la boue au bord des mares oîi ils ]trennent leurs ébats; ([uand ils en sortent, ils maculent de vase les feuilles ([ui les tou- chent ot font ce (pi'on appelle des /loitz/ircs : ces doux sortes d'indices renseignent sur leur taille et sur le moment de leur passage. Le lion, lorsqu'il a fait ses laissées, les enterre comme le chat, en les couvrant de terre avec la patte de devant : le lou]), avec les [»altos de dor- (1) 11 faut nMiiar(|ucr qiio (|iiolquefois le sang cosse tout à coiip: lu blossuro pont s'être fermée nalin-elloriiout i)ar suite d'un caillot de sang, (;tc. (2) La couleur et l'état du sang indiquent exactement le temps écoulé. Voici à peu j)rés comment on peut faire les différoucos : un quart d'heure, l'ose; luio domi-hoiiro, plus foncé; trois (piarts d'heure, coagulé; une Ikhuv, soc et foncé: le londomain, noir. APPENDICE. 320 i-i("'i'i' cl vinlciniiiciil. I.'liyriic cl le léopard les laissi-iil sans s'en (iccu[)t'r (lavaiilap>: r'i'sl |)(mf(nu»i on liH)nvc lonjonrs les laissées de ei'S derniers animaux et jamais celles des antres, f.es mai'(|iies faites sur la terre [)ar le lion e| le loiip s"a|i|iellent erai donc que de la balle express expansive (à tube) et de la balle pleine. La première est excellente pour toutes les chasses aux félins (de jour) et pour les antilopes jusqu'à l'éland inclus; la seconde, pour le buffle et les grands animaux. Il y aune condition à remplir toute- fois : c'est de la mettre au jjon endroit. Voici, pour servir à ma démonstration, le dessin d'un scpielette de buf- lle: mais comme j'ai (h'jà dil cpi'il suffit de casser une jambe aux gros animaux pour les arrêter, nous considérerons celle conformation simple- ment comme étant celle des ruminants en particulier et des quadru- pèdes en général; j'y ajcuile le cœur, les poumons et le foie. Nous possédons maintenant toutes les parties vitales dont la détérioration peut arrêter l'animal quel qu'il soit. Le cœur d'abord, naturellement. Son emplacement est à peu près tou- jours au même endroit cliez tous les quadrupèdes; sa hauteur diffère pourtant jibis ou moins au dessus du point A ou limite inférieure de la poitrine. C'est ionjoiirs là (|u"il l'aiil viscM', quelles (pie soient les circonstances. .V sa partie supérieure et antérieure, le cœur est enveloppé partiellement par les poumons, l'animal étant vu comme dans mon exemple. Or voici (1) Dans les uouvolles chasses que je compte l'aire prochainement, je ne prendrai ipie deux express-rifles et je laisserai en Fi-ance les armes (5noi-mes dont j'ai parlij dans ce livre. APPENDICE. 33:5 la lij^iiL' AB ([iii iiidi(|iu' le ((iiliuMlu (.nvur au poiiil (). Si (Ui loiu'lic un 1)011 plus liaul cl sur la lurnu' ]ij;n(> on niaïKjue le cœur, mais on allciul les i)oumons, autre partie vitale essentielle, mais qui, une fois perlbrée, l)eut laisser quelquefois une heure de vie enecn-e à l'animal. I^lus haut, (le V à G, c'est la colonne vertébrale que l'on touçli(>: coup fatal à n'importe (|uelle bcte et ipii la jette instantanément à Icrrt', la laissant désormais impuissante à se relever. Si, au lieu d'aller tro]) haut, notn^ halle dévie lalcralcmcnl. nous sui- vons à peu ])rcs la lio-nc (ID et nous avons la chance de IoucIut, à droite. Squelene de hiiHle. les i)oumons, à gauche, l'aorte (plus sensible encore (pie le cœun, les poumons ou la pointe de l'épaule. On voit qu'en visant au cœur on a, dans celle région de nondjreuses (hances: mais il arrive souvent que l'animal soit en partie caché par de la végétation et àliu-agcs au TransvanI 0 Tête de spriiii;l)ii( k i;j Un campement au Traiisvnal 21 Tète de l)uslil)uck -ia Tétc d'cland du Cap -2' La fusec sillonna l'espace (runc liaiiici; de feu 2!» I.a mouche tsé-lse 31 lue case au Zoulouland ;{" I.C kol) a!» Tète de gemsljock il lu des bœufs était étendu sur le sol të Chargé ])ar un hullle furleiix .';3 Une vue du Zanibcze '>:i Sur le Zambéze, prés de Scnhora Maria.. 5" Les hippopotames (il Tète de waterbuck GO chasse aux caïmans 75 Les gorges de Kébraba>s:i s."; Chasse au koudou «i» Tète de koudou 89 Ciiasse au léopard à l'affût de nuit 93 Une cascade dans les montagnes de Tchiouta !)- Une première trace d'élèidiant 103 Couteaux de chasse et outre en peau de bouc IOj Tète de bubiilf 108 Tète de bubale 109 Le phacochère 113 Passage d'un guéàdos d'homiin' 117 Une belle journée de chasse 127 Un joli coup de canardieie 131 Calebasse à boire, haches du pays, lances, baguettes à faire du feu 133 Tète d'antiloi)e roan 139 Termitière et cryptogames ivi ."^lon premier rhinocéros 1 '(9 Je découvre un cadavre cncoïc chaud., l.'il Tèle de reedbuck l.'iS Tète de klipspringcr l.">3 (iui'Ian et l'anchonuelle -163 Le loup africain I(i7 .le me trouvai face à face avec une meute de loups IG9 Rande de loups en chasse 171 Tète de bluebuck 17.-; Cornes de buflle appartenant à ma col- lection 179 Défenses de rhinocéros de ma collection. I«l .l'aperçois pour la première fois une troupe d'éléphants is.'i Antdope noire I!)l Mon premier lion -205 Lion et lionne 213 Mes fusils favoris 2I() Chasse à l'hippopotame 225 Défenses d'hippopotame 225 Une mare d'eau dans la forêt vierge 237 Hyène tachetée 245 Gibier à rabreuvi>ir 249 Trou[)eau de buflles de Cafreric 253 Abreuvoir à éléphants dans la forêt vierge 203 Zèbre 2(i9 Filets de pèche indigènes 273 Végétation tropicale 277 Poursuivi par un éléphant 289 La rivière Poi.fi au ])ays de Makanga 289 En me retournant j'aperçois un serpent. 301 La lionne blessée sauta sur moi à plu- sieurs reprises 302 J'aperçois une piste de lion 303 Je dépouille ma lionne 305 Je trouve mon camp déseité 307 Mire èleclrif|ue lumineuse de M. G. Trouvé. 311 Projecteur électrique de M. G. Trouvé... 3li Je vis un lion énorme 317 Mes chasseurs fidèles 319 l'ac-similc des empreintes de diffcrcnis animaux 325 La balle express .331 S(|uelette de buflle 3.33 Mesures à poudre el bracelets indigènes. .334 TABLE DES MATIERES CIIAIMIi;!-: IMîK.MIi:!!. iNTHonrCTION 1 Préparatifs de départ. — Armement et équipement. — Voyai^e de Us- bonne au Cap de Bonne-Espérance. — Visites au Cap et au Trans- vaal. — Chasseurs Boers. — Excursion du côté du Crocodile River. — Première chasse dans l'Afrique Australe. — Outarde et /ïazelles. — Pre- mières étapes 5 CHAPITRE II. La brousse africaine. — Notre personnel. — Campement sur le bord de l;i rivière des Crocodiles. — La vie au camp. — Chasse à l'éland et au guib. — Premières traces de buffles et de lion. — La mouche tsé-tsé et ses ra- vaaes. — Harde de zèbres 18 CHAPITRE m. Quehpies mots sur les peuples de l'Afrique Australe. — Gagou. — Chasse à l'ori.x, au duiker et au porc-épic. — Pêche sur la Sabi. — Sanglier et hippopotames. — Pertes de bœufs. — Camp environné par les lions. — Bœuf tué par un lion. — Cliasse au buffle. — Chargé par l'animal fu- rieux. — .Xrrivée au Poungoué et à Quilimane. 35 CHAPITRE IV. Sur le Zanibèze. — L'liipi)0})otame., ses mœurs, sa description. — La façon de le chas.ser. — Dans les gorges du Luputa. — Chasse au kob. — Troupe de singes. — La prairie aux serpents. — Mon costume de basse habituel. — Apparition d'un koudou i)oursuivi ])ar un lion. — Les lutt(>s nocturnes des fauves et de leur proie. — Caïman et crocodile : leurs moeurs. — Une chasse au caïnujn. — Arrivée à. Tête 54 CilAPlTRE Y. Msiambiri. — Quelques détails sur mon équipement. — Les gorges de Kébrabassa. — Fin de la navigation du Zambéze. — Camjjcment sur le CHASSES DANS l.'AFItKjlE CFNTHAr.K. 43 338 TABLE DES MATIERES. Pages, sable aux catarartos do Kébrabassa. — Concert de lions dans les gorges. — Nuit sans sommeil. — Koudou tué dans les collines après une pour- suite fatigante. — Chasse de nuit au léopard. — Moustiques nombreux. — Mort d'un léopard. — Nous pénétrons dans TAfrique Centrale. — Loin de la civilisation. — Tchiouta ; les gorges et leur beauté. — Départ de Tchiouta. — La première trace de l'éléphant 78 CHAPITRE M. Le pays deMakanga et son roi. — Poursuite d'un bubale. — Sa mort. — Harde de zèbres. — Une famille de phacochères. — Une 1)clle journée de chasse. — Le feu et ses bienfaits en Afrique. — Une première rencon- tre avec des lions. — Lebeltonget la viande boucanée : leur préparation. — Les piquets de séchage. — Disposition et arrangement du camp. — Les brochettes indigènes. — Hyènes affamées. — Mort de l'une d'elles. — Un joli coup de canardière. — Une pêche de nuit 106 CHAPITRE VII. Voyage d'Oundi. — Arrivée au mont Mbazi. — Combat contre les indigè- nes. — Les Mafsitis. — Pluies diluviennes. — Les rivières changées en torrents. — Prisonniers dans le pays. — Après l'abondance, pénurie ab- solue. — Famine. — Iguanes, rats, porcs-épics, lézards, termites, chenilles et miel. — Le petit oiseau « Guide à miel ». — Les abeilles sauvages et leurs habitations. — Triste fin d'année. — Mon premier rhinocéros. — Découverte d'un cadavre dans les broussailles. — Deux reedbucks d'un seul coup, — La famine reprend. — Passage de rivières sur un morceau d'écorce. — Souffrances et retour à Tchiouta 134 CHAPITRE VIII. Temps meilleurs. — Retour à Makanga. — Excursion au Nord , chez les Azimbas. — Campement de chasse. — Affût au lion. — Singes et pha- cochères vivants. — Gaétan et Fanchonnette. — Mon record. — Les oi- seaux insectivores. — Le koudou et les loups africains ou cynhyènes. — Mœurs des antilopes. — Chat-tigre sur un arbre. — A l'affût. — Lou- tres. — Les bruits nocturnes. — Chasse aux buffles. — Buffle blessé. — Léopards tués à l'affût 155 CHAPITRE IX. Retour au pays des Atchécoundas. — Voyage chez Mouana-Maroungo. — A la recherche des éléphants. — Campement dans les marécages. — Nous TABLE DES MATIÈHES. 33'.» l'ases. apercevons un troupeau d'éléphants sans pouvoir los poursuivre. — Une nuit au milieu des niousticiues. — Chasse aux impalas. — Vitalité des petites antilopes. — Animaux survivant à leurs hlessures. —Cap- ture d'un kob vivant. — Soins à prendre pour apprivoiser les antilopes. — Antilopes noires. — La Sitoutounga. — Les fourrés épineux. — Re- traites à rhinocéros. — Rodzani, Maonda, Tambarika et Tchigallo. — Une page de mon carnet de chasse. — Le guib et ses mœurs. — Chasse à courre aux flambeaux. — Camp chargé par un rhinocéros. — Pour- suite et mort de mon premier lion. — Quehiues mots sur les mœurs du lion . . . .• 1^2 CHAPITRE X. Voyage au nord-est de la Maravie. — Rapports de l'Européen et du noir. — Sur les bords duKapotché. — Es.saims de tsétsés. — Chasse à l'iiippo- l)otame. — Nageur au milieu des ca'imans. — Sept mille cinq cents kilo- grammes de viande. — Un mutin. — Fuite de deux cents porteurs. — A la recherche de porteurs. — Campement en forêt. — L'oréotrague. — Chasse au ca'iman. — Autre chasse à l'hippopotame. — Chasse à l'hyène et au buffle. — Le vautour et ses mœurs. — .\rrivée de nouveaux por- teurs. — Chasse au buffle. — Accident grave à l'un des hommes de l'ex- pédition et sa mort 217 CHAPITRE XI. Dans les pays sauvages. — A la poursuite de l'éléphant. — Les oracles d'une araignée. — Rencontre d'élépliants : la chasse et la mort. — L'é- léphant a le cœur tendre. — Dépeçage. — Concert de hyènes. — Chasse au buffle. — Rencontre subite et mort d'un lion 256 CHAPITRE XII. (Jliasse à l'éléphant. — Les chasseurs de Tête. — Gâteaux de miel. — Dix-sept jours de poursuite, — Une charge désespérée. — Les femelles sans défenses. — Quehjuos mots sur les mœurs de l'éléphant. — Dis- tance parcourue en 17 jours. — Chasse aux nsoualas. — Un .serpent mal disposé. — Poursuite d'un lion. — Lion blessé. — Lutte avec la bête. — Fuite de tous mes porteurs. — Arrivée au Zambèze. — Punition de Tchigallo et de Canivetti. — Un revenant qui débarque à Tête. — Rencontre d'un compatriote, — Le projecteur électrique de G. Trouvé. — Dernière chasse à l'éléphant. — Encore une charge. — Une charge quotidienne de deux rhinocéros. — Une attaque de fourmis noires. — 340 TABLE DES MATIÈRES. Pages. Mort d'un rhinocéros. — In hippopotame énorme. — Mon doi-nier lion. — Une dernière chasse au buffle. — Retour en Fi-ance 274 APPENDICE. I. — L'art de reconnaître sûrement une piste. — Le.s espèces. — Traces diverses sur le sol, sur la végétation basse, sui' les hautes herbes, sur les arbres. — Animaux blessés. — Renseijinements fournis pai- le sang. — Traces de nourriture. — Déchaussures de lion et de loup. — Les fu- mées; leurs a])parences; leurs différences. — Laissées de félins 321 II. Les parties vilales. — Conformation des félins, des ruminants et des pachydermes. — Où il faut frapper .selon l'endroit où on est placé. — Conseils aux chasseurs sur les différents projectiles à employer 330 T.MîI.E HES CUAVIRES Il^^ -*»a«K>OcO?g* -^l%Inivershy of British Columbia Library S»5t». DUE DATE ^^ FORM 3IO V ILU IQ:' T. AGRICULTURE .FORE^TRY : LIBRARY^, =1 UJ X |!-lJ I \^^^iefiim^&0^^p^m*^ 'il WA •"/y: BM 'm