f\cf\ 0/so ,-i- f^Irr^J. i^JSr- ^ibrarg of t^^ glus^um OP COMPARATIVE ZOOLOGY, AT HARVARD COLLEGE. CAMBRIDGE, MASS. The gifl uf -- No. /éO MEMOIRES COURONNÉS AUTRES MÉMOIRES. MÉMOIRES COURONNÉS AUTRES MÉMOIRES, PIHLIKS PAR l'académie royale DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE REEr.lOIJK COLLECTION ■'%-S^ — TOtlK X. BRUXELLES, -M. HAYEZ, IMPRIMEUR DE l/ACADÉMIE ROYALE. 1860. I^c) ^ DE L'ASSOCUTION SES RAPPORTS AVEC L'AMÉLIORATlOiN DU SORT DE LA CLASSE OUVRIÈRE; ÉD. DUCPETIAUX, INSPECTEUR GÉNÉRAL DES PRISONS ET DES ÉTABLISSEMENTS DE BIENFAISANCE, MEMBRE DE l' ACADÉMIE ROYALE. (Mémoire lu à la séance publique de la dusse des lettres du M mai i860.) T0.ME X, DE L'ASSOCIATION SES RAPPORTS AVEC L'AMELIORATION DU SORT . DE LA CLASSE OUVRIÈRE. La classe des lettres de l'Académie avait mis au con- cours, pour 1860, la question suivante : Quelles sont les applications utiles et pratiques du principe de l'association pour ramélioration de la condition des classes ouvrière et indigente ? — L'examen des mémoires envoyés par les deux concurrents qui ont répondu à cet appel a prouvé que le caractère et l'importance du problème posé n'avaient pas été bien compris. Un programme développé eût peut- être amené un autre résultat. Sans avoir la prétention de combler cette lacune , nous croyons néanmoins rendre hommage k la pensée qui a dirigé l'Académie , en lui soumettant quelques vues et quelques données qui , le cas échéant, pourront faciliter la rédaction d'un travail vrai- ment digne de son attention. ( ^ ) I. La classe laborieuse, dans la longue série des temps, a été soumise successivement à des régimes très-divers : esclavage, servage, corporations, liberté. Chacun de ces stages, si nous pouvons nous exprimer ainsi, a constitué un progrès réel sur celui qui l'avait précédé. Nul ne peut contester que la condition des ouvriers en général ne soit meilleure aujourd'hui qu'elle ne l'était au siècle dernier. L'ancien régime des corporations constituait un privilège, un véritable monopole au profit de certains producteurs et au détriment des consommateurs; il subordonnait le travail à une foule de restrictions qui lui enlevaient toute liberté. Son abolition a restitué au travailleur le plus pré- cieux des droits, celui de disposer de sa personne et de concourir librement à l'œuvre de la production selon ses aptitudes, ses goûts et ses besoins. Les procédés indus- triels ont été perfectionnés et assainis; le labeur matériel a été allégé par l'emploi des appareils mécaniques; cer- tains objets de première nécessité, les étoffes, les meu- bles, les ustensiles ont diminué de prix; l'accès de la propriété a été ouvert et facilité aux cultivateurs; des in- stitutions nombreuses ont fait jaillir de toutes parts les sources fécondes du savoir, de la moral isation, de la pré- voyance; les crèches, les salles d'asile, les écoles de tous les degrés, les sociétés d'assistance mutuelle, les caisses d'épargne et de retraite, les secours médicaux, les con- seils de prud'hommes, la protection des enfants dans les manufactures, les contrats d'apprentissage, le patronage exercé par les chefs d'industrie, l'amélioration des habi- tations et d'autres mesures encore qu'il serait trop long { s ) (réiuimérer lémoignent d'un mouvement vraiment chré- tien et civilisateur qui , loin de se ralentir, acquiert chaque année plus de force ei d'importance, et constitue l'une des gloires les plus réelles de notre époque. Et cependant à côté de ces améliorations et de ces pro- grès que d'obstacles encore, que de causes incessantes de souffrance, de démoralisation et de misère! La liberté du travail, consacrée en principe, existe-t-elle bien en réalité? La grande industrie ne fait- elle pas une con- currence mortelle à la petite industrie, à l'atelier qui ne possède ni les mêmes ressources, ni un outillage et des machines aussi perfectionnés, ni des capitaux aussi con- sidérables, ni un crédit aussi solide? L'artisan, le petit maître, kleine meisler, comme on l'appelle en Allemagne , ne se voit-il pas obligé d'échanger son indépendance rela- tive contre la dépendance de l'ouvrier pour aller se con- fondre dans la masse des salariés? et les salariés eux- mêmes ne sont-ils pas exposés à toutes les chances et à toutes les perturbations occasionnées par les crises com- merciales et industrielles? Les exigences et l'exagération de la concurrence conduisent à l'abaissement des salaires ; ceux-ci sont souvent mal répartis ou insuffisants. Le tra- vail des femmes surtout est rétribué d'ordinaire d'une manière vraiment déplorable, et tend incessamment à se restreindre (l). La multiplicité excessive des intermé- (1) Le salaire des femmes dans la plupart des industries où on leur fait la part du travail, est réduit au taux le plus bas et souvent insuffisant pour pourvoir aux premiers besoins de l'existence. Les enquêtes qui ont eu lieu et les recherches faites en divers pays, ont fait ressortir cette insuffi- sance avec de vives couleurs, et établi Pintime corrélation qui existe pour les ouvrières, entre un labeur excessif et mal rétribué et les désordres phy- siques et moraux qui affligent une fraction notable de la classe laborieuse. Vn écrivain français, M. Ed. Texier, faisait aussi remar(iuer récemment la ( 6 ) diaires augmente d'une manière factice le prix des pro- duits, des denrées, des marchandises, sans profit pour les producteurs et au grand détriment des consommateurs. Il s'ensuit que la classe ouvrière oscille incessamment entre la médiocrité et le malaise, entre les exigences d'un tra- vail pénible et prolongé outre mesure, et les embarras et les anxiétés du chômage, entre le salaire et l'aumône. Cette situation se résume chez nous par l'inscription per- manente sur les registres de l'assistance publique de neuf cent mille individus des deux sexes et de tout âge, de la moitié des ouvriers salariés et de près du cinquième de la population totale du royaume (1); elle trouve son expres- trisle situation de la femme pauvre dans notre société, par suite de Pacca- parement des métiers féminins par les hommes. Aujourd'hui il y a des hom- mes qui s'emparent du dé de la couturière et du fer de la repasseuse, des hommes se font modistes; dans les magasins de nouveautés où il s'agit d'auner des rubans, de montrer des étoffes et de faire voir de la dentelle, il n'y a plus que des commis de magasin. Dans la plupart des grandes villes la demoiselle de boutique disparaît de plus en plus. Autrefois c'étaient les femmes qui faisaient le service des hôtels et des restaurants, maintenant ce sont les hommes qui servent à table, font les chambres, balaient les escaliers, secouent les tapis et lavent la vaisselle. Étonnez-vous donc, après cela, que l'agriculture et la navigation manquent de bras quand le sexe robuste vient usurper l'aune, le dé, l'aiguille, le balai , le tablier de service, la place au comptoir de la fille de magasin, tous les métiers en un mot qui appartiennent essentiellement à la femme. Étonnez- vous aussi que tant de pauvres filles ne sachent plus que faire en présence de cet accaparement excessif. Le plus grand malheur d'un pareil état de choses, c'est qu'il précipite dans l'inconduite et le libertinage un grand nom- bre de femmes qui auraient honorablement vécu ) dépend principalement de l'état de transition dans lequel nous nous trouvons, et de circonstances accidentelles qui peuvent être plus ou moins efficacement combattues et neutralisées. Les mesures qui peuvent être prises à cet efï'et corres- pondent à l'une ou à l'autre de ces théories : la théorie de dépendance ou de protection et la théorie d'indépen- dance. En vertu de la première de ces théories, l'ouvrier, que l'on confond d'ordinaire avec l'indigent, est un mineur et un incapable qui, de ce chef, doit être l'objet d'une incessante tutelle; il faut qu'une puissance supérieure et bienfaisante veille à tous les actes de sa vie et le suive, pour ainsi dire, du berceau à la tombe: tombe-t-il ma- lade? on le traite gratuitement; manque-t-il d'ouvrage? l'administration publique doit lui en donner et faire fonc- tionner l'atelier national à défaut de l'atelier particulier; son salaire est-il insuffisant? l'assistance officielle pour- voit au déficit; le prix des denrées et des objets de pre- mière nécessité subit-il une augmentation? on les lui fournit, si ce n'est pas gratuitement, du moins à prix ré- duit; ses enfants sont admis sans rétribution dans les écoles publiques; âgé ou infirme, l'hospice lui ouvre un asile secourable, et lorsqu'il meurt, l'autorité, pour com- pléter son œuvre, se charge de sa sépulture. Cette sollici- tude émane assurément de la source la plus pure, mais le rôle et la charge qu'elle impose à la société et à l'État ne dépassent-ils pas sinon leurs ressources, du moins les limites de la mission qui leur est assignée? Voilà ce que se demandent avec anxiété les hommes qui ne se bornent pas à envisager le présent, et dont les regards se portent vers l'avenir. ( 10 ) Quelles sont les conséquences inévitables de l'applica- tion de cette théorie? Accoutumé à compter sur autrui, l'ouvrier se laisse aller au courant des événements; il vit au jour le jour sans se préoccuper du lendemain ; la pré- voyance lui paraît une vertu parfaitement inutile; l'éco- nomie ne se présente à ses yeux que sous la forme d'une privation pénible qu'il n'a garde de s'imposer. Le senti- ment de l'indépendance et de la responsabilité s'afl'aiblit en lui à mesure que les ressorts qui devraient l'entretenir et le stimuler se détendent et s'affaissent. De ce relâche- ment au paupérisme la pente est rapide, et l'on éprouve une sorte d'épouvante en considérant le grand nombre de ceux qui l'ont déjà descendue et qui ont perdu à jamais la volonté et la force nécessaires pour la remonter. La théorie d'indépendance a un tout autre caractère, et conduit à des résultats diamétralement opposés. Elle reconnaît dans l'ouvrier un être libre, responsable, doué des mêmes facultés et des mêmes droits, soumis aux mêmes exigences et aux mêmes vicissitudes que les autres citoyens; elle lui enseigne qu'il doit compter avant tout sur lui-même, et que l'amélioration de sa position dé- pend essentiellement de ses propres efforts; elle évite et répudie tout ce qui serait capable de porter atteinte aux sentiments qui doivent constituer sa force, d'affaiblir l'énergie et la persévérance sans lesquelles il succombe- rait sous les rudes épreuves de la vie; elle l'arme pour la lutte, le prémunit contre toute défaillance, l'encourage, le relève s'il tombe, et lui met incessamment sous les yeux la satisfaction du devoir accompli, l'honneur sauve- gardé, l'estime et la considération que commande la vertu, quelque humble que soit la sphère dans laquelle elle se manifeste, et avant tout l'obéissance à la loi divirjc qui a ( ii ) imposé à l'homme l'obligalion du travail et lui en a promis la suprême rétribution dans les cieux. Dans cette théorie, la ligne de démarcation entre la classe ouvrière et la classe indigente est positivement tra- cée et scrupuleusement maintenue; au lieu de subordon- ner, comme on le fait d'ordinaire, certains avantages et certaines exemptions à l'inscription sur les registres de l'assistance publique (1), on doit s'efforcer de faire consi- dérer cette inscription comme un moyen extrême, auquel il n'est permis de recourir que lorsque tous les autres ont (1) Dans le mode d'organisalion des secours publics, on semble avoir pris à tâche d'encourager et de développer l'imprévoyance. L'offre appelle et surexcite la demande. Aussi l'accroissement du nombre des indigents inscrits en Belgique, qui, dans l'espace de 22 ans, de 1828 à 1850, a été de 356,891, alors que celui de la population n'a pas dépassé pendant la même période le chiffre de 741,000 habitants, indique-t-il bien plus l'action du système de l'assistance et des abus qui y sont malheureusement inhérents, que le degré réel de la misère. ^ En attachant à la qualité d'indigent certains avan- '^ tages, tels que la délivrance gratuite de passe-ports, de feuilles de route, » de certificats et de papiers divers , l'admission aux bureaux de consulta- • tiens gratuites d'avocats et aux avantages du pro Deo (exemption des ' frais de justice), les secours médicaux et même, dans un grand nombre » de localités, l'admission gratuite des enfants dans les écoles commu- » nales, etc., on encourage, à certains égards, les inscriptions sur les re- » gistres des pauvres. Il s'ensuit qu'un grand nombre d'ouvriers laborieux, ■> qui gagnent un salaire suffisant pour satisfaire aux besoins ordinaires de « l'existence, se voient contraints en quelque sorte de solliciter l'aide des > bureaux de bienfaisance et de se soumettre à la formalité de l'inscription , •^ pour échapper aux embarras d'une gêne momentanée et remédier à cer- " tains accidents extraordinaires. En étudiant les rapports qui existent dans >^ certaines localités entre le nombre des indigents et l'importance des " dotations destinées à les soulager, on observe que ce nombre s' accroît >' souvent en raison des moyens d'assistance; plus il y a de secours et "^ plus il y a de demandes , de telle sorte que si la quantité des aumônes ■' pouvait encore augmenter , il y aurait toujours des mains nouvelles ■^ ouvertes pour les recevoir. " {fiapport décennal sur la silnation admi- nistrative du royaume, 1841-1850.) ( 12 ) failli; loin de se féliciter à priori du vaste déploiement des établissements et de la richesse des dotations atîectés aux administrations de la bienfaisance publique, il im- porte d'en scruter la valeur et d'éliminer soigneusement de cette organisation tout ce qui pourrait fournir un pré- texte ou un aliment à l'imprévoyance; toute œuvre d'as- sistance, enfin, doit être soumise à un contrôle sévère et être répudiée sans hésitation , si elle est en opposition avec les principes que nous venons de poser. Cette théorie, si simple en apparence, qui défie toute contradiction, et qui pourrait môme être considérée comme un lieu commun, contient cependant en germe toutes les améliorations et toutes les garanties; elle dé- gage la charité des erreurs et des faux entraînements qui la font dévier de l'orbite qui lui a été tracée par la divine sagesse; elle la soumet à une règle immuable et lui donne la lumière qui doit diriger son action; seule celte théorie réalise l'idée chrétienne, en s'inspirant de la notion de la dignité de l'homme créé à l'image de Dieu, et du véri- table amour du prochain. C'est surtout pour l'avoir mé- connue et violée que les misères de tout genre se sont accumulées dans le champ du travail , et que l'ouvrier s'y fraye si péniblement sa voie entre les souffrances réelles qui l'atteignent à chaque pas, et les fallacieuses promesses et les prétendus soulagements qui n'allègent momenta- nément son fardeau que pour le rendre ensuite plus insup- portable. ÎT. Entre ces deux théories mises en présence, laiiuelle faut-il choisir? De ce choix, qu'on ne se le dissimule pas , dépendent en grande partie l'ordre, la sécurité et le ( 15 ) bieii-êlre de la société. Il est difticile, nous le savons, de. renoncer aux habitudes prises, de quitter la route battue pour s'engager dans de nouveaux chemins, d'aborder de nouvelles éludes et de dépouiller de vieilles erreurs. Mais ne vaut- il pas mieux après tout faire face franchement et courageusement à celle difficulté et essayer de la vaincre, que de s'obstiner dans un système que condamne l'expé- rience, et dont les vices en s'aggravant pourraient devenir incurables? Et d'abord, c'est notre conviction et elle sera partagée par tout homme de bonne foi qui examinera la question au même point de vue que nous, il faut modifier profon- dément tout le régime de l'assistance. Au principe de la subvention qui a généralement prévalu jusqu'ici , il importe de substituer, dans la mesure la plus large possible, le principe de la prévention qui a été trop négligé. L'assis- tance publique doit être strictement circonscrite, céder le pas à la charité particulière, et au lieu du rôle d'agent principal accepter celui de simple auxiliaire. Comme beaucoup d'autres, nous avons aussi été séduit par ses promesses, par l'apparente régularité et l'économie de ses ressorts; mais lorsque éclairé par la pratique, nous sommes allé au fond des choses et nous avons interrogé impar- tialement les résultats, nous avons dû reconnaître que la centralisation et le monopole n'étaient pas moins dange- reux, moins énervants et moins stériles en fait de bien- faisance qu'en fait d'administration et de politique. Lorsqu'elle se pose comme la suprême dispensatrice des remèdes capables d'alléger les misères et les souffrances qui affligent la société, l'assistance publique et officielle tend à décourager les efforts particuliers; elle accepte un fardeau et une responsabilité sous lesquels elle ne peut ( 1^ ) manquer de succomber; elle promet beaucoup et donne peu : c'est là surtout la raison de son insuccès; elle fait naître des espérances qui ne sont pas et ne peuvent être réalisées (1); elle entretient le mal qu'elle est impuissante à guérir; elle oppose de vains pallialifs là où il faudrait employer les remèdes héroïques. La trompeuse sécurité qu'elle inspire a plus qu'aucune autre cause contribué à maintenir la classe ouvrière dans cet état de sujétion, de torpeur et de marasme, auquel il importe de l'arracher au plus tôt et à tout prix. Est-ce à dire que nous partageons l'opinion de certains économistes qui, trop exclusifs, voudraient laisser l'ou- vrier seul et abandonné dans sa lutte contre les difficultés et les maux qui viennent l'assaillir, de crainte d'affaiblir et d'étouffer en lui le sentiment de la responsabilité person- nelle? Ce serait tomber d'un excès dans un autre. Dans une société civilisée et chrétienne, chacun se doit à tous et tous se doivent à chacun; il suffit d'y laisser agir libre- ment cette impulsion intime, cet élan irrésistible qui portent l'homme à venir en aide à son semblable, de se reposer sur la charité qui puise avant tout sa force et sa règle dans l'esprit religieux. Cette charité ne crée pas de droits, mais elle implique une obligation sacrée à laquelle on peut se fier sans crainte. Par son incertitude même, la variété de ses formes, sa facilité de transformation, elle échappe aux inconvénients de l'assistance publique; elle (1) Les hospices et les bureaux de bienfaisance en Belgique ont ensemble un revenu évalué, en 1855, à 14,036,041 fr.; dans ce chiffre, les secours pro- prement dits sont représentés par une somme de 11,525,816 fr. , dont 4,624,159 fr. pour les hospices et les hôpitaux, et 6,899,677 fr. pour l'as- sistance à domicile. Si l'on répartit cette dernière somme entre les 900,000 indigents inscrits en 1850, on a pour chacun environ fr. 7 50 C par an, ou l'équivalent à peu près de cinq journées de travail ! (do ) est mieux à même de soulager les misères réelles sans créer de fausses espérances; en tendant la main aux pau- vres, elle les relève et ne leur imprime pas au front ce sceau fatal qui les parque irrévocablement dans les limbes des assistés officiels; si elle se trompe, et certes elle n'est pas à l'abri de Terreur, cette erreur est facile à réparer, et n'a pas du moins d'effet permanent et durable. Est-elle impuissante? s'agit-il de ces souffrances qui défient la prudence humaine, d'une de ces œuvres de haute pré- voyance sociale commandée en quelque sorte par la sé- curité et l'honneur du pays? Que l'assistance publique intervienne dans ce cas avec la toute-puissance de ses res- sources, la science et le dévouement de ses administra- teurs. Telle est sa véritable et sa seule mission : suppléer à l'insuffisance de la charité privée et non se mettre à sa place, seconder son action loin de l'entraver, lui tracer au besoin la marche à suivre, et abdiquer chaque fois que le zèle des particuliers, s'élevant à la hauteur des besoins à satisfaire, est en mesure de la remplacer. En se main- tenant dans ces limites, son utilité sociale ne peut être contestée; avec ce juste partage d'attributions et de devoirs entre elle et la charité libre et privée, on brise à jamais le funeste enchaînement qui fait ressortir logiquement le droit au secours du monopole, ou seulement de la prépon- dérance de l'assistance officielle, qui associe invincible- ment au droit au secours le droit au travail , pour aboutir à un paupérisme incurable et préparer l'avénemeni du com- munisme. ( i<> lU. La théorie (rindépendaiice n'aboutit donc pas à l'isole- nienl et à l'abandon; elle appelle, au contraire, le con- cours libre et spontané à l'œuvre commune , l'assistance réciproque et fraternelle, le patronage, sauf à subordon- ner celui-ci aux conditions et aux règles que nous venons de poser en ce qui concerne la bienfaisance et la charité. Le patronage peut s'exercer de diverses manières, selon les circonstances et les besoins; Taulorilé publique, les chefs d'industrie, les simples particuliers, les ouvriers eux-mêmes, tout les premiers, lorsqu'ils se sont élevés par leur moralité, leur intelligence et leur zèle à la hau- teur de cette mission, peuvent et doivent s'en partager les devoirs. Le patronage est le lien qui doit unir les agents qui, à des titres divers, sont préposés à l'œuvre de la production; il établit et maintient l'accord et l'harmo- nie entre le patron et l'ouvrier, et procure à celui-ci une direction et un appui sans lesquels il lui serait le plus souvent impossible de surmonter les difficultés de sa position; il est surtout nécessaire pour faciliter la tran- sition entre l'ordre ancien et l'ordre nouveau, et préparer les applications de la théorie d'indépendance avec toutes ses conséquences légitimes. Au lieu de maintenir le tra- vailleur dans un état de perpétuelle minorité, il s'attache à lui ouvrir les voies de l'émancipation. Les moyens à mettre en œuvre à cet effet varient à l'infini et se plient à toutes les exigences et à toutes les situations. Ainsi le patronage de l'État et des administra- tions publiques peut embrasser la création des caisses d'épargne et de retraite, de sociétés de prévoyance pour ( 17) certaines industries et certaines catégories de travailleurs, la propagation, la diffusion et le perfectionnement de l'enseignement populaire à tous les degrés, l'institution de conseils de prud'hommes, la protection des femmes et des enfonts dans l'atelier industriel, les mesures d'assai- nissement et de salubrité, la suppression ou l'abaissement des impôts qui pèsent sur les objets de première néces- sité, l'institution de récompenses pour les actes de cou- rage et de dévouement, de prix d'ordre, de propreté, de moralité, l'encouragement des inventions et des perfec- tionnements susceptibles de faciliter le labeur et d'amé- liorer la condition des ouvriers, etc. (1); — le patronage (1) La Belgique a fait depuis quelques années de grands progrès dans celte voie 5 nous nous bornerons à citer la création des Caisses de pré- voyance pour les ouvriers mineurs (1839-1844), pour les ouvriers du che- min de fer de TÉtat (1858), pour les pêcheurs, les pilotes et les marins (1859-1850); — la loi du o avril 1851, qui autorise le Gouvernement à reconnaître les Sociétés de secours mutuels dont le but est d'assurer des secours temporaires soit à leurs membres en cas de maladie, de blessures ou d'infirmités, soit aux veuves ou aux familles des associés décédés, de pourvoir aux frais funéraires, de faciliter aux associés l'accumulation de leurs épargnes pour l'achat d'objets usuels, de denrées, ou pour d'autres nécessités temporaires; — la loi du 8 mai I80O qui institue, avec la garantie de l'État et sous la direction du Gouvernement, une Caisse générale de retraite à l'effet de fournir à toute personne prévoj'ante des ressources certaines pour sa vieillesse, au moyen de la constitution d'une rente via- gère; — la loi organique sur les Conseils de prud'hommes, du 7 février 1859 ; — le développement d'un large système d'instruction primaire et popu- laire sous l'empire de la loi du 23 septembre 1842; — les encouragements donnés aux écoles-manufactures, aux ateliers d'apprentissage et de perfec- tionnement, à l'enseignement des beaux-arts, aux sociétés de musique et de chant d'ensemble, aux publications utiles; — la création, en vertu de la loi du 3 avril 1848, des écoles agricoles de réformes pour les jeunes indi- gents, mendiants et. vagabonds; — l'institution de récompenses pour les actes de courage et de dévouement, de décorations honorifiques pour les artisans et les ouvriers qui se distinguent par leur habileté et leur bonne conduite; — les mesures de tout genre prises pour atténuer en faveur de la classe ÏOME X. '2 ( 18 ) des chefs d'industrie et des associations constituées avec leur concours, quoique moins large et circonscrit dans un cercle plus local, peut comprendre à peu près les mêmes objets, en prenant pour modèle ce qui se pratique dans plusieurs établissements industriels d'Angleterre, de France, d'Allemagne, de Belgique, etc. (1); — enfin le ouvrière, les résultats du renchérissement des denrées, des crises indus- trielles et commerciales , pour Tassainissement des centres de population , la construction de bains et lavoirs publics, de maisons d'ouvriers, etc. — Récemment encore le Gouvernement vient de soumettre aux délibérations de la Législature des projets de lois relatifs à l'organisation d'une caisse centrale d'épargne sous la garantie de l'État, à la révision et au perfection- nement de la caisse de retraite, au travail des femmes et des enfants dans les manufactures, à la suppression des octrois, etc. Mais tout en applaudis- sant à ces manifestations généreuses, on ne peut s'empêcher d'exprimer un doute et une crainte : c'est que l'État ne se pose d'une manière trop exclu- sive le promoteur et l'agent principal, indispensable du patronage et de l'amélioration du sort des classes laborieuses, et ne contribue ainsi à sup- primer ou à paralyser l'initiative des associations et des particuliers. Il ac- cepte par suite une charge qui dépasse ses forces, l'expose à de sérieux embarras et peut entraîner des conséquences périlleuses. Qu'il fasse, au con- traire, franchement appel à la liberté, qu'il en favorise l'expansion et le développement ; c'est le seul moyen de dégager prudemment sa responsa- bilité et d'imprimer en même temps une impulsion rapide et féconde aux réformes qui doivent reposer avant tout sur l'action libre et spontanée des intéressés. Comme le disait récemment M. Léonce de Lavergne {Revue des deux mondes , février 1800), en parlant de la doctrine de la liberté économique : « Il faut en pénétrer la société tout entière, l'introduire dans y< les mœurs, dans les idées, dans tous les ordres de fails et d'intérêts. Rien «. n'est plus contraire à ce noble et fécond principe, que l'appel incessant aux e secours «le l'État. Les monopoles dont on se plaint n'ont pas d'autre origine. » L'État n'a charge que des intérêts généraux. Dès l'instant qu'on s'habitue j> à chercher hors de soi, hors des lois qui régissent tout le monde, un point n d'appui exceptionnel et privilégié, le véritable esprit d'entreprise dispa- n raît, et en encourageant quelques efforts partiels, faibles et mal dirigés, » l'État brise le seul ressort qui puisse agir partout à la fois , parce qu'il se » retrouve tout entier dans chaque personne. ^ (1) Dans un ouvrage que nous avons publié il y a quelques années {De ( i^ ) patronage iles particuliers et des ouvriers sur leurs com- pagnons de travail consiste surtout dans les conseils, l'au- torité des bons exemples, les efforts individuels pour venir en aide aux institutions utiles et féconder leur action (1). On comprend que nous n'entrions pas à cet égard dans des détails, fort intéressants sans doute, mais qui dépas- sa condition physique et morale des jeunes ouvriers et des moyens de l'améliorer. Bruxelles, 1843, t. Il, cliap. VIII : Du concours des chefs d'in- dustrie à l'œuvre de l'amélioration du sort de la classe laborieuse)j nous avons fait ressortir l'importance et la nécessité du patronage exercé par les chefs d'industrie sur les ouvriers employés dans leurs établissements, et nous avons donné des détails intéressants sur la manière dont il s'exerce dans divers pays. Le Congrès de bienfaisance, réuni à Bruxelles en 1856 et à Francfort en 1857, s'est aussi occupé de cet objet, et les comptes rendus des travaux de ces deux assemblées , contiennent un résumé presque complet des mesures prises dans l'intérêt des travailleurs par les industriels et par les associations constituées pour leur venir en aide. Nous citerons notam- ment les grands et utiles établissements de MM. Dollfus, Burkhardt, Kœcli- lin,Scrive, etc., en France; — Asiiton , Salt,Strutt, Marshall , Greg, Wilson (de Belmont), Akroyd, etc., en Angleterre; — Mullensiefen, Borsig, etc., en Allemagne; — Biolley, Pauwels, des Sociétés de la Vieille-Montagne, de John Cockerill, etc., en Belgique. Il y a là une étude à faire et un enseigne- ment dont la propagation pourrait être féconde. (1) Comme exemple de l'influence bienfaisante que l'action de simples ouvriers peut exercer sur leurs compagnons de travail, nous nous bornerons à citer l'initiative prise par un ouvrier typographe de Bruxelles, M. Dauby, qui a ouvert récemment des conférences morales et économiques pour les jeunes travailleurs, et qui, dans une série de publications populaires, s'at- tache à enseigner aux ouvriers les moyens d'améliorer leur condition en pratiquant sincèrement et courageusement leurs devoirs. (V. Le livre de Vouvrier, ou conseils d'un compagnon. Brux., 1857. — Commentaire et explication de la nouvelle loi organique sur les Conseils de prud'hommes en Belgique, principalement destinés aux ouvriers. Brux., 1859. — Les classes ouvrières en Belgique. Parallèle entre leur condition d'autrefois et celle d'aujourd'hui. Brux., 1860.) M. Daùby est en outre l'auteur d'une intéressante monographie du compositeur typographe de Bruxelles, insérée dans le recueil : Les ouvriers des deux mondes , publié par la Société inter- nationale des études pratiques d'économie politique. Paris, t. II, 1859. ( 20) seraient les limites qui nous sont assignées. Nous voulons cependant essayer de faire ressortir par quelques exemples la véritable portée du patronage et l'écueil qu'il doit s'at- tacher à éviter. — S'il s'agit de construire des maisons d'ouvriers, on s'abstiendra de les louer à prix réduit, et l'on s'attachera à trouver des combinaisons qui facilitent leur acquisition par les locataires. — Dans les associations formées pour l'acquisition en gros de certains articles de première nécessité, on doit avoir garde de revendre ces mêmes articles en détail au-dessous du prix coûtant. — Les secours accordés par les sociétés mutuelles doivent être calculés strictement d'après les rétributions des partici- pants, sans les dépasser. — L'enseignement ne doit être gratuit que pour les véritables indigents, et il convient que les ouvriers y contribuent dans la mesure de leurs res- sources; c'est le seul moyen de leur en faire apprécier l'im- portance et la valeur. — En un mot, la contribution pro- portionnelle doit être la condition essentielle des œuvres de patronage, et cette condition n'admet que de rares exceptions. En procédant autrement, on dénature le pa- tronage, on lui donne, sinon le caractère, du moins l'ap- parence de l'aumône; on retombe par suite dans les incon- vénients et les vices que nous avons signalés plus haut, la tutelle se prolonge outre mesure, sous un autre nom, sous d'autres formes, pour aboutir inévitablement aux mêmes résultats. IV. Mais la première et la plus puissante garantie de l'éman- cipation de la classe ouvrière réside dans l'instruction et la moralité. C'est vers ce but que doivent se porter tous les efforts de la société, des amis sincères du peuple, des (21 ) ouvriers eux-mêmes, les premiers intéressés à se dégager des langes dune ignorance séculaire, et à s'élever à la dignité de citoyens d'un pays libre et éclairé. De la diffu- sion de ces deux éléments, instruction, moralité, dépend le degré de force, de richesse, de bien-être, de tranquil- lité de la société; il n'y a pas de thermomètre plus infail- lible pour le mesurer avec précision. Avec cette diffusion , tous les progrès sont possibles; sans elle les projets les mieux élaborés, les institutions les plus bienfaisantes sont frappés d'inanité. Où en sommes- nous sous ce rapport? Consultons la statistique des écoles : elle nous dit qu'en Belgique près de deux cent mille enfants restent encore privés du pain de l'âme, et celte privation s'étend de génération en géné- ration (1) ; — parcourons les relevés des opérations de la (1) D'après le recensement général du 31 décembre 1856, la population de la Belgique s'élevait à 4,529,461 habitants (2,271,783 du sexe masculin, et 2,257,678 du sexe féminin); sur ce nombre il y avait 699,751 enfants âgés de 7 à 14 ans (353,953 garçons et 345,778 filles). Le relevé du nom- bre des élèves de toutes les écoles primaires publiques et privées, au 31 dé- cembre 1857, donne un chiffre de 511,096 (262,695 garçons et 248,401 filles). De la comparaison de ces éléments il résulte qu'à cette dernière épo- que, et bien que la population eût subi un certain accroissement pendant l'année à laquelle se rapporte le relevé, 188,635 enfants (91,258 garçons et 97,357 filles) ayant atteint l'âge d'école, ne participaient pas au bénéfice de l'enseignement scolaire. Dans ce nombre il s'en trouvait sans doute qui re- cevaient l'instruction dans la famille ou dans des établissements spéciaux , mais il est évident que la grande majorité restait privée de toute instruction. Le recensement accuse un nombre de 446,598 enfants âgés de 2 à 6 ans accomplis, qui sont censés être confiés aux soins maternels; mais on sait combien ces soins font défaut ou sont insuffisants dans un grand nombre de cas. Pour y suppléer on a reconnu la nécessité de créer des salles d'asile ou écoles gardiennes, qui servent en quelque sorte de préparation aux écoles primaires. Or, le nombre des asiles n'étant que de 378 au 51 décembre 1857, fréquentés par 32,355 enfants des deux sexes, il y a encore à combler à cet égard une importante lacune. (V. Rapport sur la siluation de l'imtruction ( 22) milice : ils nous apprennent que plus du tiers des jeunes gens, l'élile et l'espoir du pays, appelés à s'armer pour sa défense, ne sait ni lire ni écrire, et qu'un autre tiers ne possède guère que la notion des choses les plus élémen- taires (1); — .pénétrons dans un atelier au hasard et inter- rogeons les ouvriers qui s'y trouvent : cette épreuve, nous l'avons faite à diverses reprises, et à peine avons-nous ren- contré un ouvrier sur dix ayant une instruction primaire que l'on pût considérer comme sulïisante (2); — visitons primaire en Belgique, présenté aux Chambres législatives le 14 mai 1859. S"»^ période décennale, 1855-1857.) (1) En 1857, le nombre des miliciens s'élevait, pour le royaume entier, à 40,675. De ce nombre 14,026 étaient privés de toute instruciiou , 4,195 savaient lire seulement, 8,824 savaient lire et écrire, et 15,168 avaient une instruction plus étendue. Le degré d'instruction des autres était inconnu. Ces chiffres donnent les proportions suivantes pour 1,000 miliciens : Ne sachant ni lire ni écrire * 5iu Sachant lire seulement 105 Sachant lire et écrire 217 Ayant une instruction plus étendue .... 324 Degré d'instruction inconnu 11 ToTÀt 1000 (Rapport triennal, f 855- 18^7.) Sur 1077 miliciens fournis, en 1850, par la capitale et appartenant à toutes les classes, il ne s'en trouvait que 687 qui sussent lire, écrire et cal- culer; 508 étaient complètement illettrés, et 82 ne possédaient que des notions tellement incomplètes qu'elles équivalaient à une absence totale d'instruction. Le nombre des illettrés est donc de 562 par 1000, soit de plus du tiers des jeunes gens âgés de dix-neuf ans; et cette proportion serait bien plus considérable encore si l'on ne comptait que les miliciens apparte- nant à la classe ouvrière. (2) L'enquête instituée il y a quelques années par le Gouvernement belge sur la condition des classes ouvrières et le travail des enfants et des femmes dans les établissements industriels, a révélé à ce sujet des faits vraiment déplorables. Nous nous bornerons à en citer un seul, qui permet cependant de juger de l'ensemble, c» Dans notre enquête, y> disent les au- (25 ) les habitations du peuple : presque nulle part nous n'y voyons de trace de culture intellectuelle; chez les ou- vrières, et dans les campagnes en particulier, l'absence de cette culture est poussée à un point qui dépasse toute croyance. — Dans les prisons, les dépôts de mendicité, les écoles de réforme, dans tous les asiles ouverts aux misères physiques et morales, nous retrouvons l'expression de la même déchéance (1), et la preuve des conséquences où elle conduit un grand nombre d'infortunés. Il est leurs du mémoire de la Société de médecine de Gand {Enquête, tome III, page 431 ), « sur 1000 ouvriers nous en avons compté : Sans instruction aucune 790 Ayant su lire et écrire mais ayant tout oublié. 61 Sachant imparfaitement lire et écrire. . . . 101 Sachant bien lire, écrire et chiffrer .... 48 Total 1000 » Ce résultat si fâcheux a encore été aggravé par rinlerrogaloire des femmes. » Sur 1000, nous n'en avons rencontré que 88 qui sussent lire et écrire » même imparfaitement, une dizaine d'autres avaient été à l'école, mais " elles n'avaient rien retenu de ce qu'elles avaient appris, ou plutôt elles » n'avaient relire aucun fruit des leçons. >> (1) 11 résulte des relevés recueillis dans les Maisons centrales, que sur 1000 con d'excès sont nombreuses, et si à cela on ajoute le nombre de débits clan- » destins, dont l'existence est signalée dans les documents parlementaires, « on sera effrayé des résultats d'un pareil état de choses » La commission administrative de la Caisse de prévoyance établie à Mons, en faveur des ouvriers mineurs, signalait aussi naguère cet abus et ce danger. « On remarque avec peine, « disait-elle, « chez un grand nombre de ces ou- vriers, que l'absence des principes religieux, le défaut d'ordre et d'économie, l'imprévoyance pour les besoins à venir, l'ivrognerie, le libertinage, le relâ- chement de tous les liens de famille marchent de pair avec le manque d'in- struction. Il ne faut pas chercher ailleurs que dans l'abus du cabaret la cause ^ D'après un relevé fait par la Commission , la proportion de ces débits variait de 1 sur 17 habitants (à Jemmapes) à 1 sur 50 (à Eugies). Dans les 12 corn- (28) et de nouveaux ferments d'agitation et de désordre. Igno- rant, démoralisé, l'ouvrier reste le jouet et la proie pré- destinée du premier agitateur venu, qui fait miroiter à sa vue le tableau de ses privations et de ses souffrances mal- heureusement trop réelles, et de ses droits prétenduement méconnus. Ces vérités, il faut ne pas cesser de les faire retentir à son oreille et mettre tout en œuvre pour les faire péné- trer dans son cœur. Ce n'est pas en flattant l'ouvrier que l'on préparera sa régénération. Avant qu'il puisse exercer ses droits, il importe qu'il connaisse ses devoirs et com- prenne la nécessité de les pratiquer. S'il veut fermement s'élever, qu'il en puise la force en lui-môme; qu'il rompe le cercle vicieux qui l'enlace et comprime ses élans géné- reux; qu'il répudie sans hésiter tout ce qui le dégrade, l'ignorance, l'imprévoyance, l'intempérance, l'immora- munes du Borinage, le nombre des cabarets était de 1,644 pour une popu- lation de 58,870 habitants, soit 1 pour moins de 56 habitants ! La consommation du genièvre seul, ce poison de Tâme et du corps, s'est élevé en Belgique à 22,961,400 litres en 1857, et au chiffre énorme de 35,664,700 litres en 1858, représentant une valeur de 25,182,055 francs, au prix moyen de 65 centimes par litre, déduction faite des quantités livrées à l'exportation {Rapport de la Commission permanente des Sociétés de secours mutuels pour 1858). Lorsque Ton considère que cette consomma- tion est presque exclusivement limitée à la classe ouvrière, et même à une fraction dé cette classe qui ne présente au plus que 5 à 600,000 adultes, on recule épouvanté à l'idée seule de cette source active et permanente de démo- ralisation. On prétend que les travailleurs ne peuvent pas faire d'économies et , par suite, songer à se constituer une position indépendante en recourant aux moyens que pourrait leur suggérer la plus vulgaire prévoyance. Les rensei- gnements qui précèdent répondent à cette allégation. Si les ouvriers em- ployaient utilement les millions qu'ils jettent annuellement au cabaret, au grand détriment de leur santé et de leur moralité, ils pourraient se consti- tuer une réserve qui s'augmenterait rapidement et qui leur permettrait de défier les revers qui les menacent incessamment. Ce sont, en effet, les petites ( 29) lité, l'irréligion, les vices, les excès, les défaillances de toute nature; qu'il dépouille la robe du vieil esclave pour revêtir celle de l'homme devenu libre par la toute-puis- sance de sa vertu. Son avenir, sa dignité, son indépen- dance, son bien-être dépendent de ce suprême effort. Il n'est ni institutions politiques, ni réformes économiques capables de sauver une société ou une classe d'où les croyances morales et religieuses auraient disparu. Qu'on ne se méprenne pas d'ailleurs sur la portée de nos paroles et sur nos intentions. Lorsque nous parlons d'une manière collective de la classe ouvrière, de sa situa- tion, de ses misères et de ses besoins, nous n'ignorons pas qu'il y existe de grandes différences, des contrastes de toute espèce, que de vives lumières s'y projettent au mi- lieu des ombres, et que c'est surtout dans les rangs des travailleurs que l'on rencontre ces vertus d'autant plus épargnes qui constituent en définitive les grands capitaux. Nous en verrons plus loin la preuve , lorsque nous passerons en revue les applications utiles du principe de l'association faites dans divers pays. Mais pour aider à entrer dans cette voie, il est indispensable de prendre certaines mesures que nous avons indiquées et discutées ailleurs. Voy. entre autres : De la condition physique et morale des jeunes ouvriers, t. II, pp. 21 2 et suiv. — Budgets économiques des classes ouvrières en Belgique , pp. 235 et suiv. — On peut aussi consulter les Comptes rendus des débats du Congrès international de bienfaisance de Bruxelles (t. I", p. 287; t. II, pp. 250, 2G4, 274 et 286), et de Francfort-sur-le-Mein (t. P'", pp. 229 à 259; t. II, n° XVII, pp. 233 et suiv.). La dernière de ces assenablées a adopté a Tunanimité la résolution suivante : « Le Congrès reconnaissant que Vusage y> habituel des boissons fortes influe d'une manière très-défavorable sur la y> santé, le bien-être et la moralité des classes ouvrières; -=- estime qu'il est n du devoir des Gouvernements, comme des particuliers et des associations, i> d'étudier sérieusement et d'appliquer les moyens propres à mettre un » terme aux maux constatés. » La Chambre des représentants de Belgique, dans son adresse au Roi en réponse au discours du trône qui a inauguré la session de 1 859-1 8G0, a exprimé un vœu analogue qui, il faut l'espérer, ne restera pas stérile. ( 50) grandes, quelles sont plus modestes et plus ignorées: Tordre, Taclivité, l'esprit de famille, la frugalité, la pa- tience, la résignation, et ce que l'on pourrait appeler l'héroïsme de la charité. II appartient à ces hommes d'élite de prendre les devants, démarquer les jalons et les étapes sur la route, et d'agir par le conseil, par l'exemple, par l'autorité que leur donne leur position favorisée. Le peuple reconnaîtra en eux ses vrais apôtres et abandonnera pour les suivre les faux prophètes qui l'égarent. V. Ces préliminaires étaient indispensables pour expliquer notre pensée et faire ressortir les phases successives de la transition entre la théorie de dépendance et la théorie d'indé{)endance. Notre exposition nous paraît maintenant claire et précise : assistance, patronage et assurance, as- sociation, tels sont les degrés de l'échelle que le travail- leur doit gravir pour atteindre le but final de sa destinée terrestre. Beaucoup, sans doute, resteront au bas ou sur les échelons intermédiaires, mais les bons, les forts, les courageux parviendront au sommet et stimuleront les au- tres à suivre leur exemple. Nous avons vu qu'il fallait à cet effet trois choses essentielles : la suppression de tout obstacle au développement du sentiment de prévoyance, de dignité, d'indépendance et de responsabilité chez l'ou- vrier; le concours d'un patronage actif et bienveillant qui l'aide à surmonter les difficultés semées sous ses pas, qui encourage et facilite son initiative; la diffusion la plus large de l'instruction et de l'éducation populaires en s'étayant avant tout sur le seul fondement solide, la reli- gion. Il s'agit, en un mot , de faire ressortir l'Individualité ( 51 ) du travailleur au lieu de l'absorber, et de lui frayer la voie de la véritable liberté, en Taidant non-seulement à en revendiquer les droits, mais à en pratiquer les de- voirs. La théorie d'indépendance trouve son expression la pins élevée et la plus utile, et sa réalisation définitive et intégrale dans l'association. Au précepte : Aide-toi, le ciel t'aidera , elle ajoute celui-ci : Aidez-vous les uns les autres; l'union fait la force. C'est la mise en pratique, de la loi divine : Aimez votre prochain comme vous-même. Nous sommes ramenés ainsi à la question posée par l'Acadé- mie . Quelles sont les applications utiles et pratiques du principe de l'association pour l'amélioration de la condi- tion de la classe laborieuse? et l'on en comprend désor- mais la signification et l'importance. Cette question est complexe; pour la résoudre, il faut la diviser en définissant d'abord l'association elle-même, en déterminant ensuite ses conditions et ses limites, et en passant enfin en revue les exemples que nous fournissent les pays où l'on a essayé d'en appliquer le principe. Comme nous l'avons déclaré en commençant, nous ne vou- lons présenter, à ce sujet, qu*un aperçu très-sommaire, destiné uniquement h indiquer quelques-uns des éléments d'une solution que d'autres pourront aborder après nous d'une manière plus complète. VF. L'association groupe et unit les forces qui , isolées et disjointes, sont frappées d'impuissance; elle est destinée à remplacer, pour les ouvriers, l'ancienne organisation des corporations, en la dépouillant de ses inconvénients ( 52 ) pour en rétablir les avantages; elle peut s'appliquer à tous les besoins, se plier à toutes les exigences, revêtir les formes les plus variées; elle est non-seulement un in- strument d'amélioration matérielle, mais encore un puis- sant moyen de régénération et d'élévation morale. Alors que l'association s'étend incessamment dans les diverses sphères sociales, n'est-il pas à désirer que la classe labo- rieuse participe dans une juste mesure à cette organisation si féconde? Ce que l'on a fait pour les routes, les canaux, les chemins de fer, les banques, les assurances, le dévelop- pement des grands établissements industriels et commer- ciaux, pourquoi les agents les plus utiles et les plus nom- breux de la production et de la distribution des richesses ne le feraient-ils pas à leur tour pour sauvegarder leurs intérêts et se prémunir contre les dangers qui peuvent les menacer? Le but vers lequel il faut tendre n'est pas seu- lement de placer les travailleurs dans une situation où ils puissent se passer des secours et de la tutelle d'autrui, mais encore de les mettre à même de travailler et de vivre dans des rapports qui ne soient pas des rapports de simple indépendance, de les pousser à s'entr'aider, de les unir par les liens d'une fraternelle solidarité, de rattacher leurs intérêts à ceux des chefs d'industrie et des autres classes de la société , de manière à prévenir toute possi- bilité de malentendu, de froissement et de discorde. Ce n'est que par l'association que ce progrès peut être réa- lisé. Quelque simples et incontestables que soient ces no- tions, elles sont encore généralement peu comprises et, les préjugés aidant, rarement appliquées. La révolution française de 1789 les a complètement méconnues, par réaction sans doute contre l'ancien régime corporatif dont (55) on voulait effacer les derniers vestiges et jusqu'au souve- nir. Ainsi le décret du 17 juin 1791 débute par Tarticle suivant : « L'anéantissement de toutes les espèces de corpora- !> lions de citoyens du même étal ou profession étant une j> des bases fondamentales de la constitution française, » il est défendu de les rélablir de fait, sous quelque pré- » texte et quelque forme que ce soit. » Cette interdiction est encore renforcée par l'article 2 qui porte : « Les citoyens d'un même état ou profession , » les entrepreneurs, ceux qui ont boutique ouverte, les 2> ouvriers ou compagnons d'un art quelconque, ne pour- 3> ront, lorsqu'ils se trouvent ensemble, se nommer ni » président, ni secrétaire, ni syndic, ni tenir des regis- » 1res, prendre des arrêtés ou délibérations, former des » règlements sur*leurs prétendus intérêts communs, d « La Constituante, «dit M. Michel Chevalier (1), « fut entraînée si loin de la liberté par son zèle à paralyser l'esprit contre-révolutionnaire, qu'elle se prit à nier que les hommes qui exercent une même profession puissent avoir des intérêts communs. Ainsi fut érigé en système l'isolement de l'individu dans le travail. C'est la plus grande faute de celle illustre assemblée, et ce n'est pas seulement dans l'industrie qu'elle l'a commise... Pour avoir facilement raison de toute résistance, elle tenta de faire une société où tout individu restât isolé dans sa fai- blesse en face de l'État tout puissanl. » Celte pensée domine toute la législation française, et on la retrouve notamment dans les dispositions du code pénal relatives aux coalitions. Ces dispositions qui ont (î) Lettres sur V organisation du travail. Tome X. 5 ( s-!' ) continué à être en vigueur en Belgique jusqu'à ce jour, y soulèvent en ce moment, à l'occasion de la révision de la législation pénale, un débat qui ne pourra manquer d'aboutir à la reconnaissance du principe de la liberté d'association formellement consacrée par la Constitution. L'opinion des principaux économistes est d'ailleurs favo- rable à ce principe. Les témoignages et les arguments sur lesquels nous pourrions l'étayer sont nombreux; nous nous bornerons à en citer quelques-uns qui rentrent plus parti- culièrement dans l'esprit de la thèse que nous avons posée. « Il faut, » dit i\L Rossi (1), « que, à la faveur de la législation, l'association puisse se plier aux phases diverses du phénomène de la production et à celles du fait encore plus compliqué delà distribution de la richesse. » Une grande liberté de formes et de solides garanties , une généralisation hardie des faits industriels et une pon* dération savante des intérêts divers qui peuvent se trouver en conflit, tel est le travail législatif que l'association ré- clame impérieusement. Le moment est arrivé de s'élever par l'élude des faits particuliers aux faits généraux, aux principes législatifs de la matière... Les associations in- dustrielles sont probablement destinées à changer la face du monde... » Ces lignes étaient écrites en 1858; dix ans après, la ré- volution de février en France donnait naissance à un mouvement prononcé vers l'association. La classe ou- vrière racclamait comme une sorte de panacée univer- selle, et au lieu d'en jeter avec prudence les fondements pour en développer graduellement le principe fécond, elle (1) Observations sur le droit civil français , considéré dans ses rap- ports avec Vétat économique de la société. (Revue de législation et de JUniSPRUDEXCE , t. XI, p. 5.) (5b) en voulait immédiatement l'application intégrale. On sait quelles ont été les conséquences de ce mouvement désor- donné et trop précipité. L'Assemblée constituante les avait prévues , tout en accordant ses symphaties et son concours aux propositions qui lui étaient soumises. C'est dans ce sens que s'exprimait le rapporteur du comité des travail- leurs, M. Corbon, au sujet d'une proposition tendant à encourager les associations , soit entre ouvriers, soit entre patrons et ouvriers : « Il n'est assurément personne, » disait-il, « dans cette assemblée, qui ne veuille de tout son cœur l'élévation progressive des classes tenues jus- qu'ici dans l'infériorité. Et pour notre part, nous avons l'intime conviction qu'un jour viendra où la plupart des travailleurs auront passé de l'état de salariés à celui d'as- sociés volontaires, comme autrefois ils ont passé de l'état d'esclaves à celui de serfs, et comme de serfs ils sont de- venus salariés libres. Mais cette transformation sera l'œu- vre du temps et des efforts particuliers des travailleurs. L'état doit y aider sans doute ; mais quelle que puisse être sa part dans la lente réalisation de ce progrès, elle doit être, elle sera de beaucoup inférieure à la part qu'y de- vront prendre les ouvriers eux-mêmes. Il faut que le tra- vailleur soit le iils de ses œuvres, et que s'il possède un jour, d'une manière ou d une autre, l'instrument de son travail , il le doive avant tout à ses propres efforts. » A la même époque, cette même question était posée devant un comité nommé par le Parlement anglais. Parmi les volumineux documents et les témoignages recueillis à celte occasion, nous distinguons l'avis exprimé par M. Stuart Mill, qui conclut à la nécessité de faciliter aux ouvriers toutes les applications utiles du principe de l'as- sociation, pour améliorer leur sort. ( 36 ) « Quand même, » dit-il, a il serait évident qu'ils ne pourraient réussir, il importe du moins qu'on leur per- mette de tenter l'expérience, et que cette expérience se fasse dans des conditions qu'ils puissent considérer comme loyales et favorables. Et en admettant que cette expérience faillisse, les efforts tentés pour assurer sa réussite seraient encore un excellent enseignement pour les classes ou- vrières, sous le double rapport moral et intellectuel.... Les avantages que donne la possession d'un capital con- sidérable constituent, qu'on le veuille ou non, un véri- table monopole dans les mains des riches; il est tout naturel que les pauvres désirent obtenir ces mêmes avan- tages par l'association, l'unique moyen qu'ils puissent employer à cet effet. C'est là un désir parfaitement légi- time, et l'on doit faire des vœux pour qu'il se réalise. » « Vous pensez donc, » demande le président du co- mité, « qu'il serait juste et d'une bonne politique de per- mettre aux ouvriers de poursuivre celte expérience sous des garanties raisonnables, de telle sorte qu'ils puissent, s'ils sont dans le vrai, en retirer les bénéfices, et que s'ils sont dans l'erreur, ils en subissent les conséquences? » — « Certainement, et il y aurait en tout cas ce grand avantage, qu'en supposant que les associations n'embras- sassent qu'une petite fraction de la classe ouvrière, elles produiraient à peu près les mêmes effets salutaires sur l'esprit de ses membres que si elles en embrassaient l'en- semble; car si Ion parvenait à créer un certain nombre de ces associations, et si l'on reconnaissait qu'elles peu- vent maintenir leur position, qu'elles fonctionnent bien ou passablement, ou même qu'elles ne peuvent soutenir la concurrence contre les capitalistes proprement dits, les ouvriers seraient les premiers à constater et à reconnaître, ( 'W ) dans celle dernière hypothèse, que rinsuccèsne provient pas de l'action de la législation, mais nniquement de la force des circonstances on de l'absence des qualités néces- saires chez les associés. Il s'ensuivrait que ceux qui con- tinueraient à être employés comme salariés par les chefs d'industrie comprendraient que cette position n'est pas l'effet de la contrainte, mais bien le résultat de leur libre choix, et qu'à tout prendre, il vaut mieux accepter le ré- gime du salaire que de courir les chances incertaines de l'association. » M. Greg, dans un remarquable article publié naguère dans la Revue d'Edimbourg (1) , exprime la même opinion. Après avoir fait ressortir les chances diverses que peut présenter l'association des travailleurs, il ajoute: « Il existe parmi eux, comme nous avons eu fréquemment l'occasion de l'observer, un mécontentement longuement et profondément enraciné au sujet de la rétribution du travail. Plusieurs sont convaincus que la répartition des profits entre eux et ceux qui les emploient, du produit de l'action combinée du capital et du travail , n'est pas équi- table; qu'en qualité d'agents principaux de la production , ils ne reçoivent sous forme de salaires qu'une part insuf- fisante et disproportionnée à leurs services, tandis que le capitaliste, le chef d'industrie, retire un bénéiice énorme d'un capital qui, sans leur concours, resterait stérile. Toute personne un peu au courant des principes de l'éco- nomie politique reconnaîtra certainement que celle opi- nion est généralement mal fondée et diamétralement oppo- sée à la vérité; mais elle est entrée si avant dans l'esprit de l'ouvrier, et elle a été confirmée avec tant d'audace (I) N° d'avril 1852. Investments for the worhing classes. par les assenions mensongères de certains orateurs et de certains écrivains, qu'il n'y a que l'expérience qui puisse en désabuser. Il est donc à désirer que les travailleurs puissent, autant que possible, acquérir la notion pratique des difficultés et des incertitudes des entreprises indus- trielles et autres dans lesquelles ils sont engagés; que leurs intérêts soient mis en regard de ceux des capitalistes qui les emploient; qu'ils apprennent par leur propre expé- rience quels sont en réalité les profits du capital dans l'in- dustrie. Aussi longtemps que toute satisfaction ne leur sera pas donnée à cet effet, ils continueront, et non sans raison, à se montrer mécontents, jaloux, soupçonneux., Ils n'en seront pas peut-être, en définitive, plus riches, mais certainement ils deviendront plus sages et s'accommo- deront mieux de leur sort quel qu'il soit. Ce serait de tous les moyens le meilleur, selon nous, pour détruire ce sen- timent d'hostilité sourde ou déclarée qui existe trop sou- vent entre le patron et l'ouvrier. Le premier, nous en avons la certitude, aurait tout à gagner à cette épreuve quel qu'en fût le résultat. En admettant que le lien d'association s'établisse entre eux , sous une direction forte et librement acceptée, il est évident que l'établissement ou l'entreprise trouverait dans l'accord des intérêts un nouvel élément de succès. Les économies seraient soigneusement étudiées, les procédés seraient simplifiés et perfectionnés, les perles de toutes espèces évitées, l'énergie qui commande le succès ne ferait nulle part défaut, tous avantages qui ne peu- vent exister au même degré dans les entreprises conduites d'après la routine ordinaire. 11 en serait comme si le maître était présent partout et surveillait personnellement tous les détails comme l'ensemble de son affaire; mais l'avan- tage principal consisterait en ceci : dans l'hypothèse du ( o9 ) succès, le travailleur cesserait de jalouser la prospérité du palron, parce qu'il y participerait dans une juste noe- sure;en cas de non-réussite, il apprendrait à s'abstenir de toute fausse accusation et à se contenter de son salaire. L'ardente controverse entre le capital et le travail, en ce (|ui concerne la répartition du bénéfice dû à leur commune action, recevrait la seule solution satisfaisante qu'il soit possible de lui donner, en combinant les deux intérêts j)rétenduement opposés dans une même expérience pra- tique. » Ces principes ont prévalu en Angleterre. Un acte du 50 juin i8o!2 (15 et 10 Vict. c. 51) donne toute facilité pour la création de sociétés industrielles, commerciales et de prévoyance, en les affranchissant des formalités onéreuses, des complications et des lenteurs qui existaient auparavant, tandis qu'un autre acte du 19 avril 1859 (22 Vict. c. 54) réforme la législation relative aux coalitions d'ouvriers dans le sens de la liberté la plus large, et res- treint les pénalités prononcées par la législation antérieure (Act G Geo. IV. c. 129) aux seuls cas de violence, de menaces, d'intimidation et de rupture de contrats. VII. Le principe d'association admis, il convient d'en déter- miner les conditions et les règles. On comprend tout d'abord qu'il ne peut être question ici que de ses applica- tions dans la sphère économique et industrielle. L'asso- ciation politique a un tout autre caractère et un autre but dont nous n'avons pas à nous occuper. Celte distinc- tion est essentielle, et c'est surtout pour avoir confondu deux éléments absolument dissemblables que les essais (40) d'association tentés en France et ailleurs à la suite de la tourmente de 1848, ont soulevé des craintes et des répul- sions nombreuses, et ont abouti la plupart à un avorte- ment qu'il était facile de prévoir. En se renfermant dans ces limites, l'association doit en premier lieu être libre et volontaire, exclure toute idée de contrainte, pouvoir se suffire à elle-même et se procu- rer les instruments et le crédit dont elle a besoin, sans recourir à l'intervention et à l'assistance de l'État. Il faut qu'elle respecte à la fois les droits de l'individu, de la famille et ceux du travail, et quelle ne puisse en aucun cas constituer un instrument de violence, d'exclusion ou de monopole. Elle doit accepter enfin toutes les conditions de la concurrence qui sont les conditions de la liberté même du travail. Laissons encore parler ici le rapporteur de la commis- sion de l'Assemblée constituante de France dont nous avons déjà invoqué l'autorité : « On a fait croire aux tra- vailleurs, » dit M. Corbon, « que tous leurs maux sont le résultat de la concurrence. On a conclu de l'abus à la suppression de l'usage, et l'on a fait une théorie qui au- rait , a-t-on prétendu, la vertu de détruire la concurrence sans détruire la liberté. » Il est bon que les ouvriers sachent que c'est là tout simplement une impossibilité. » Comment en effet détruire la concurrence? Sera-ce par l'aulorilé? l'autorité serait immédiatement renversée. Ce sera donc au moyen d'une association universelle? Mais comment une association pourrait-elle avoir la puis- sance de tout absorber? Elle pourrait sans doute absorber les deniers de l'État, si l'État pouvait y consentir; elle pourrait, par ce moyen, ruiner quelques fabriques; puis ( ''1 ) elle serail infailliblement ruinée elle-même, attendu que d'après les statuts généralement admis parmi ceux qui veulent Tassociation ainsi comprise, le temps du travail est fort court et le salaire fort large. Or, comme c'est tout le contraire dans l'industrie privée, c'est évidemment celle-ci qui finirait par avoir le dessus dans la lutte. » Ainsi donc, en principe, il faut se soumettre à la concurrence, sauf à en réprimer les abus, comme on ré- l)rime les abus de la liberté; en fait, il faut se soumettre à la concurrence, puisqu'il n'est pas possible de la dé- truire. » Le temps est beureusement venu , » ajoutait l'bono- rable rapporteur, « où ces graves questions vont être por- tées à la tribune nationale, d'où l'on pourra prémunir avec autorité les travailleurs contre les idées avec les- quelles on n'a obscurci que trop d'intelligences. » La discussion fera voir ce que valent certaines doc- trines qui , sous des formes austères , et en affectant le lan- gage du dévouement et de l'amour, ne font appel, en dé- finitive, qu'à l'égoïsme, et déterminent contre la société des haines d'autant plus profondes, qu'elles surexcitent tous les appétits chez des individus qui manquent du né- cessaire. » Pour l'amour du peuple prémunissons-le contre des erreurs dont il subit le premier les conséquences les plus désastreuses. Et puis empressons-nous d'ouvrir la carrière de l'association aux travailleurs qui donneront des gages de capacité et de bonne volonté, et l'ordre moral sera rétabli. i> Ces sages paroles, prononcées au fort de l'agitation ré- volutionnaire, portent encore aujourd'hui leur enseigne- ïflent. Elles font ressortir la distance qui sépare les rêves ( 4^ ) et les utopies du communisme et ôa socialisme des com- binaisons licites et pratiques qui peuvent venir efficace- ment en aide à la classe ouvrière, en lui ouvrant les per- spectives et en lui aplanissant la voie de l'indépendance et du véritable progrès. Envisagée de ce point de vue, l'association des travailleurs dépouille tout danger et com- mande toutes les sympatbies. VIIÎ. Nous ne faisons qu'effîeurer, pour ainsi dire, le problème que nous avons devant nous. Pour le traiter sous toutes ses faces et en essayer la solution complète, il faudrait étudier les divers modes d'association, leurs avantages et leurs inconvénients, les conditions propres à assurer le succès et les écueils qu'il importe d'éviter. Ce travail , nous l'avons déjà dit, pourra être entrepris par d'autres si, comme nous l'espérons, on comprend enfin la nécessité d'aborder sérieusement et résolument en Belgique la plus importante des questions sociales. Il existe sur ce sujet de nombreux documents qu'il conviendrait de consulter, et que nous indiquons en note (1). On y trouvera des ren- (I) M. Bûchez, V Européen, 1831-5-2. A. Ott, Associations ouvrières , 1838. ^ Leclaire , Des améliorations qu'il serait possible d'apporter dans le sort des ouvriers peintres en bâtiments , 1843. L. Blanc, L'organisation du travail, 1845. Michel Chevalikb, Lettres sur V organisation du travail^ 1848. CoRBOX, Alcan, elc, journal l'Atelier, 1840-50. M. ViLLEUMÉ, Des associations ouvrières. (Petits traités publiés par rAcadémie des sciences morales et politiques de France.) 1849. M. Fkugeray, L'association ouvrière , industrielle et agricole , 1851. A. CocHUT, Les associations ouvrières , 1831. (43) seignements du plus haut intérêt sur le développement graduel de l'esprit d'association dans plusieurs pays, sur les combinaisons qui y ont été réalisées jusqu'ici, et sur les résultats qu'on en a obtenus. Ce mouvement n'en est encore d'ailleurs qu'à son origine. Il ne faut pas s'étonner dès lors si l'extension de l'association au travail n'a guère fait de progrès, et si les essais tentés dans cette direction ont en partie échoué. Il en est ainsi de beaucoup d'entre- prises qui commencent; lorsque la base sur laquelle elles reposent est juste, cet insuccès momentané n'infirme nul- lement leur bonté et leur valeur intrinsèques; il prouve seulement qu'il faut joindre la persévérance à l'initiative L. Reybaud, Mémoire sur les associations entre ouvriers. (Journal des économistes, n"' de juillet et août 1852.) Vicomte A. Lemercier , Éludes sur les associations ouvrières, 1857. A. Ott, Traité d'économie sociale, ou l'économie politique coordonnée au point de vue du progrès , 1851. .T. Stuart Mill, Principes d'économie politique , 1854. CoNGnÈS Ii\TERNATIOi>IAL UE BIENFAISANCE DE BRUXELLES, Compte TCUdu , 1857. V. A. IIuBER, Reisebriefen aus Belgien, Frankreich und £ngland, 2 band. Hamburg, 1855. Ibid., Der gegenwàrtige Stand der cooperativen Jssociation in Eng- land. Leipzig, 1858. H. Scuul7e-Deeitzch, Forschutz-Fereine als Folksbanken. Prahtische Jnweisung zu deren GrUndung und Einrichlung. Leipzig, 1855. Ibid., Die arbeitendenKlassen und das Associations-JFesenin Deutsch- land. Leipzig, 1858. Ibid., Jahresbericht filr i858 ilber die aufdem Princip der Selbsthilfe der Credit-Bedilrftigen am dem kleineren imd mitlleren Gewerbstande berukenden Deutsche n Forchutz-und Creditvereine. Braunschweig, 1859. Dielnnung der Zukunftfurden deutschen Handwerker und Jrbeiter (publication périodique). Leipzig. W, R. Grecj, Jnvestments for the working classes. London, 1852. J. Lechetalier S'-André, The prospects of co-operative associations in England. London , 1 854. ( ^^^^- ) et puiser dans les difficiillos mômes la connaissance des moyens propres à les surmonter. Les applications variées du principe de Tassociation peuvent être ramenées à quelques modes principaux, qui constituent des sortes de stages successifs : la mutualité, la participation, l'association partielle ou intégrale. Elles peuvent se diviser aussi en associations économiques ou dis- tribulives destinées à satisfaire aux besoins physiques, in- tellectuels et moraux des travailleurs, à les garantir contre les atteintes de la maladie, de la vieillesse et des infir- mités, et à leur procurer les objets de consommation et les instruments de travail aux prix les plus bas et aux conditions les plus favorables, — et en associations indu- strielles ou productives, qui s'appliquent plus particulière- ment au travail. Parmi les associations de la première catégorie, on peut ranger à certains égards les caisses d'épargne, surtout lorsqu'elles sont créées par les intéressés ou dirigées avec leur concours, les sociétés de secours mutuels, les assu- rances sur la vie, les caisses de retraite, les sociétés coopé- ratives telles qu'elles existent en Angleterre et en Alle- magne, les banques populaires à l'instar des banques d'Ecosse, les sociétés de prêts et d'avances, enfin les associations constituées entre ouvriers dans un but intel- lectuel, moral et même de simple agrément. Parmi les associations qui rentrent dans la deuxième catégorie, sont comprises les diverses combinaisons du principe de la participation des travailleurs aux bénéfices des entreprises, les associations agricoles telles que les fruitières^ les associations industrielles proprement dites formées soit entre patrons et ouvriers, soit seulement entre ouvriers. (4a) Il suffît de celle simple énuméralion (1) pour faire res- sorlir l'étendue de la sphère ouverte à la prévoyance, à l'aclivilé et à la persévérance des travailleurs. 11 y a là un but utile et généreux vers lequel peut et doit se diriger leur légitime ambition. Au lieu de se plaindre de leur sort et de porter envie à celui des autres, qu'ils se met- tent courageusement à l'œuvre pour l'améliorer : s'ils le veulent, ils le peuvent. Dans noire pays en parliculier, la législation ne leur oppose nul obstacle; la Conslilution qui proclame de la manière la plus large le droit d'asso- ciation, existe pour l'ouvrier comme pour le chef d'indus- trie; les dispositions pénales relatives aux coalitions qui pouvaient à certains égards porter ombrage, sont à la veille d'être réformées et remplacées par la simple défense de recourir aux moyens d'intimidation , de contrainte et de violence, et d'enfreindre la loi des contrats; la liberté du travail est reconnue et garantie; le Gouvernement et la Législature ne se font pas faute de favoriser le mou- vement d'émancipation et d'élévation auquel la classe ouvrière ne peut manquer de participer dans la mesure de ses forces et du développement de son instruction et de sa moralité. L'ouvrier qui s'est conslilué une épargne qu'il peut augmenter peu à peu, n'est plus un simple pro- létaire; s'il participe à une sociélé de secours mutuels, et s'il parvient à faire un premier dépôt à la caisse de re- traite, il jette la première assise de son indé[)endance; les diverses combinaisons qui peuvent lui élre offertes pour (1) Pour ne pas allonger cet exposé qui peut-être dépasse déjà les limites que nous lui avions assignées, nous en éliminons les détails concernant les divers modes d'association que nous nous bornons à indiquer, mais en même temps nous croyons faire chose utile en donnant à ce sujet quelques rensei- gnements dans un appendice qui forme le complément de notre travail. (46) acquérir son habitation, tendent à i'ëlever à l'état de pro- priétaire. Les voies de Tassocialion hii sont ouvertes, et l'appel qu'il ferait à l'appui et au concours des chefs d'in- dustrie et des particuliers pour en réaliser les combinai- sons possibles, ne pourrait manquer d'être entendu. Tous ces progrès et d'autres encore qui n'en sont que les corollaires, conduiront à persuader de plus en plus les travailleurs de la nécessité et de la possibilité de se constituer un bien-être modeste, mais assuré, à l'aide de leurs propres efforts, par l'exercice bien entendu de la li- berté. L'essentiel est de ne pas contrarier ce mouvement, d'écarter tous les obstacles qui pourraient l'enrayer, et de mettre tout en œuvre pour le diriger sûrement vers le but qu'il s'agit d'atteindre. On échappera ainsi au plus grand des dangers qui puissent menacer la société, celui de lais- ser supposer à la classe ouvrière que ses intérêts sont op- posés à ceux des autres classes de la population; loin d'être en opposition, ces intérêts sont au contraire identi- ques, de telle sorte que toute souffrance qui afflige la pre- mière de ces classes, rejaillit inévitablement sur la der- nière. La prospérité générale ne peut être que le résultat et l'expression, pour ainsi dire, de la prospérité particu- lière des citoyens sans distinction de catégories, de pro- fessions, à tous les degrés de l'échelle sociale. Que les ouvriers soient donc bien convaincus que c'est de leurs qualités personnelles et de leurs forces combi- nées que doit dépendre avant tout leur destinée. Telle est la loi de l'avenir, celle que dictent la justice et la vérité : au lieu de nous insurger contre elle, tous nous sommes également intéressés à en préparer et à en faciliter l'avé- iiement. APPENDICE. Dans le mémoire qui précède nous avons fait ressortir Tim- portance du triple principe de la mutualité, de la solidarité et de l'association pour ramélioration du sort de la classe ou- vrière. Cette démonstration ne serait pas complète si nous ne relayions sur des exemples et sur des faits positifs; en les groupant par pays, il nous serait facile de prouver que la po- sition des ouvriers dépend essentiellement du plus ou moins de développement des institutions destinées à constituer et à garantir leur indépendance. Cest ainsi que dans le canton de Genève, où, pour une population de G0,000 habitants on compte 220 associations diverses, destinées à pourvoir à tous les besoins (4), la classe laborieuse est j)lacée à un niveau bien supérieur à celui qu'elle occupe dans d'autres contrées moins favorisées sous ce rapport. Mais quelque intérêt que puisse présenter cette revue, elle exigerait un travail auquel nous n'avons pas le temps de nous livrer. Pour atteindre d'ailleurs le but que nous nous propo- sons, il nous suffira de résumer brièvement quelques données sur les institutions de prévoyance et les associations créées (1) Voir le travail de M. G. Moynier sur les Associations genevoises, dans le Bulletin de la Société genevoise d'utilité publique , u° 10, 2"' tri- mestre, 1860. ( 48 ) dans des buts divers par les ouvriers, dans leur intérêt ou avec leur concours, que nous empruntons aux publications officielles ou tout ou moins à des sources dignes de foi. On y trouvera un enseignement pratique qui vaut mieux que tous les arguments. Ce qui s'est fait dans tel pays peut se faire dans tel autre sous l'empire des mêmes nécessités et dans des cir- constances analogues. Les bons exemples sont féconds, et leur autorité répond d'avance aux objections que pourraient sou- lever les vues que nous avons exposées. 1. Caisses d'épargne. Ces institutions peuvent être rangées à certains égards parmi celles qui ont la mutualité pour base; elles renferment en quelque sorte le germe de lindépendanee des 'classes labo- rieuses, en les mettant h même de déposer avec sécurité leurs économies pour en faire ensuite l'emploi le plus conforme à leurs intérêts. La constitution et l'organisation des caisses d'épargne varient selon les circonstances et les besoins : l'État, les provinces, les communes, les associations, les chefs d'in- dustrie, les ouvriers eux-mêmes peuvent en prendre l'ini- tiative, les gérer, les garantir. Quoique d'origine récente, les caisses d épargne se sont rapidement développées parce qu'elles répondaient à un besoin général; elles existent sur une échelle plus ou moins large dans presque tous les pays ci- vilisés. Dans le royaume uni de la Grande-Bretagne et de l'Irlande, on compte 597 caisses d'épargne. Le nombre des déposants était, en 1858, de d, 585,203, et la somme des dépôts, y compris ceux effectués par les sociétés de secours mutuels, s'élevait à 58,572,090 liv. st., soit environ 980,000,000 de francs (1). (1) La GraïKle-Dretagne possède aussi des iiistitulions d'une grande utilité , et qui ne leiidenl pas moins de services que les caisses d'épargne { ^*9 ) En 1857, les 570 caisses d'épargne de France avaient en dépôt fr. 271,oo9,I6û 87 c% répartis entre 9oG,H8 li- vrets (I). En Autriche, l'encaisse des caisses d'épargne s'élevait, au 5! décembre 1853, à 90,000,000 de francs. Dans le royaume de Saxe, le montant total des dépôts était, à la fin de 1832, de 7,100,000 thalers, soit environ 26 millions de francs. Le nombre des déposants était de d 27,000, pour une population de 1,800,000 habitants. La Suisse, dont la population est évaluée à 2,500,000 habi- tants, possédait, au 51 décembre 1855, 1G7 caisses d'épargne, qui avaient 181,000 déposants; leurs dépôts s'élevaient à plus de 60 millions de francs. Il y a donc en Suisse 27 millions de francs de dépôts par million dhabitants, .tandis qu'en France il n'y a que 9 millions de francs de dépôts par million d'ha- bitants. En Danemark, pour une population de 2,a00,000 habi- tants, on compte 155 caisses d'épargne. Au 51 décembre 1855, il y avait plus de 175,000 déposants. Les sommes déposées s'élevaient à 107 millions de francs. Depuis le 51 décembre 1855 jusqu'au 51 décembre i855, malgré le renchérissement des subsistances, la somme due aux déposants a augmenté de près de 52 millions de francs. Les caisses d'épargne danoises fonctionnent presque toutes comme banques de prêts dans l'intérêt des petits industriels, des marchands et même des sim- ples ouvriers (2). aux ouvriers. Ce sont les offices i)our la transinlssiou de petites sommes iVaLYgenl ( money order offices). Ces institutions sont au nombre de ^2,560 et s'accroissent chaque année. Elles ont transmis en 1858 6,689,596 sommes, s'élevant ensemble à 1:2,66:2, lOo liv. st. Il serait à désirer qu'elles lussent imitées dans les auti-es pays. (i) Rapport et compte rendu de la caisse d'épargne de Paris pendant Vannée i8o7. (2) Congres de bienfaisance de Bruxelles, 1856, t. I^'f : discours de M. David, conseiller d'État à Copenhague, p. 15. Tome X. 4 ( oO ) Quarante-huit caisses d'épargne (saving's banks) existent clans l'État de Massachusetts (Étals-Unis); le nomhre des dé- j)Osants était, à la fin de septembre 1852 , de 97,500; le mon- tant des dépôts s'élevait à 18 millions de dollars, soit environ 02 raillions de francs; la moyenne de chaque dépôt était de 1)50 francs. La population du Massachusetts est de 99u,000 âmes; ce qui fait environ 1 déposant sur 40 habitants. En 1857, à New-York, les caisses d'épargne présentaient un dépôt accumulé de 57,700,000 dollars, soit près de 190,000,000 de francs, dans 16 établissements, par 160,027 déposants. La moyenne des dépôts est de 256 dollars (1,298 fr.). Ainsi, dans six pays (non compris l'Autriche), pour une population globale de 68 millions d'babitants, les seuls dépôts aux caisses d'épargne ont créé une réserve toujours disponible de plus de 1,700 millions de francs (1). Indépendamment des caisses d'épargne proprement dites, auxquelles participent tous ceux qui désirent faire fructifier leurs économies, on a institué depuis quelques années en An- gleterre, en Allemagne, en Hollande et ailleurs, des caisses plus modestes , auxquelles on a donné le nom depeiiny banks (banques de sous), qui reçoivent jusqu'à la moindre pièce de monnaie. Nulle institution n'est plus propre à inculquer et à encourager les habitudes de prévoyance chez les enfants, en leur faisant apprécier la valeur de la somme la plus minime, et à déterminer les ouvriers, par un premier essai, à recourir ensuite plus largement aux établissements d'un degré supé- rieur. Les penny banks se sont rapidement propagées en An- gleterre , et il n'est pas de district industriel qui n'en possède une ou plusieurs. Le dernier rapport sur les opérations de cette institution à Birmingham, nous apprend qu'à la fin de 1858 elle avait reçu 75,51 8 dépôts , représentés par une somme de 9,4^8 liv. st., 5 s. 5 d. (2). (t) Ed. DrcPETiAix. Bwlgcts économirjups des cla.'iscs ouvrières en Belçfique , pp. 285 et 286. (2) The friendof (he peoplc. A journal of social science , n" 5. IHGO. ( M ) Eli Belgique, rinstitiitioii des caisses d'épargne est depuis quelques années restée stalionnaire, si même elle n'a décliné. Elle n'existe que dans quelques villes, à Bruxelles, à Liège, à Toiirnay, à Malines, et la caisse de la Société Générale, la seule qui ait de l'importance, n'avait reçu, au 51 décembre 1857, de 23,806 déposants et de 1,748 administrations publiques, qu'une somme de 19,228,640 fr. On sait que le Gouvernement a présenté récemment à la Législature un projet de loi pour la création, sous la garantie de l'Etat, d'une caisse d'épargne générale, qui, au moyen de ses succursales, fonctionnerait pour tout le pays. ■ 2. Sociétés de prévoyance. Si la Belgique est restée en arrière en ce qui concerne les mo} ens de faire fructifier les économies des travailleurs , elle peut présenter avec un légitime orgueil tout un système de jirévoyance fondé avec le triple concours. du Gouvernement, des industriels et des ouvriers , en faveur de plusieurs bran- cbes d'industrie, telles que l'exploitation des mines, celle des chemins de fer de l'État, la marine, le pilotage , la pèche, etc. Ces associations qui accordent des secours en cas de maladie ou d'accidents, et des pensions aux vieillards, aux infirmes, aux veuves et aux orphelins, comptent plus de 90,000 mem- bres, et leur recette annuelle dépasse 2 millions de francs. A côté de ce groupe imposant, les établissements métallur- giques , les grands ateliers de construction de machines , les principales fabriques d'étoffes de laine, de coton, de hn, ont aussi leurs caisses de secours pour les malades, les blessés, etc. Des institutions analogues existent en plus ou moins grand nombre dans les pays étrangers (1). Elles rentrent plus spécia- (i) V. Congrès de bienfaisance de Bruxelles cl de Francfort S. M. Com])tes rendus des sessions de 1836 et 18o7. ( S2 } Icment dans la catégorie des œuvres de patronage, bien que dans plusieurs on ait aussi appliqué le principe de mutualité et d'association, en appelant les ouvriers à participer directe- ment à leur création et à leur gestion. o. Sociétés de secours mutuels. Les sociétés de secours mutuels constituées entre ouvriers embrassent les combinaisons les plus diverses, tout en se rattachant au même principe, celui de mutualité. L'acte an- glais du i5 août 18o0 (13 et U Vict., ch. CXV) qui codifie les dispositions antérieures concernant ces associations {friendly societies), résume de la manière suivante les opérations qu'elles peuvent embrasser : 1" L'assurance d'une certaine somme d'argent à payer à la mort d'un membre, à sa veuve, à ses enfants, représentants ou héritiers, ou destinée à défrayer les frais de funérailles; 2° La constitution de secours, de redevances ou de dota- tions en faveur des membres ou de leurs proches, dans l'en- fance, la vieillesse, en cas de maladie , d'accidents, d'infirmi- tés, ou dans d'autres situations auxquelles peut s'appliquer le calcul des probabilités ; 5" L'assurance du mobiher, des provisions (stock) j etc., contre tout dommage provenant du feu, des inondations , nau- frages ou autres causes naturelles, susceptibles d'être éva- luées par le calcul; 4" L'application utile des épargnes des membres, pour les mettre à même de se procurer plus économiquement des den- rées, du combustible , des vêtements ou d'autres objets de pre- mière nécessité, les instruments et les matières premières pour l'exercice de leurs métiers, de pourvoir à l'éducation de leurs enfants ou de leurs proches; o" Les moyens de faciliter l'émigration des membres et de leurs familles. ( ■>-^) D'autres associations établies sur le même principe, ont pour objet Ja constitution de fonds destinés à la construction d'babitations (benefit building societies); ces fonds, constitués au moyen des souscriptions des membres , servent à faire des avances à ceux d'entre eux qui le désirent. Les associations de ce genre sont temporaires ou permanentes : les unes sont formées entre un nombre limité de personnes, dans un but spécial et déterminé, et cessent de plein droit lorsque ce but est atteint; les autres étendent indéfiniment le cercle de leurs membres et de leurs opérations, et offrent ainsi un emploi permanent aux épargnes et aux contributions dont on leur confie la gestion. Dans ce dernier cas , les payements exigés des emprunteurs sont calculés de manière à les mettre à même de rembourser les avances qu'on leur a faites, dans un temps donné, au moyen du versement mensuel d'une certaine somme qui comprend le capital et Tintérèt. Les autres membres, les prêteurs j re- çoivent à l'expiration d'un certain nombre d'années, une somme plus ou moins considérable, équivalant au montant de leurs souscriptions, en y ajoutant les intérêts composés accu- mulés à leur profit. En 1851 , d'après M. Scratcbley, il existait en Angleterre environ 1,200 de ces sociétés, dont les revenus annuels réunis dépassaient la somme de 2,400,000 liv. st. Les sociétés pour l'achat de terrains (freehold land socie- ties), sont constituées pour l'achat en commun de propriétés qui sont ensuite divisées et revendues par lots aux sociétaires. Elles ont principalement pour but d'étendre la franchise élec- torale, en créant des propriétaires possédant une terre repré- sentant un revenu de 40 schellings. Ces associations , d'origine récente, se sont rapidement multipliées. Elles comptaient déjà, à la fin de 1849, 14,281 membres, possédant ensemble 20,475 lots. En novembre 1851 , leur nombre s'élevait à plus de 100, avec 05,000 membres; elles avaient distribué 05,000 lots pour une somme totale de 400,000 liv. st., et le capital souscrit dé- passait 2,000,000 (le liv. st. ( -''^ ) Des documents ofUciels (1) constatent qu'en Angleterre, chaque village, chaque hameau a sa société de secours mutuels, tandis que les villes en comptent parfois des centaines; leur nombre dépasse celui de toutes les institutions analogues de l'Europe entière. D'après M. Scratchley, il existait en 1849, dans le Royaume- Uni, 10,455 de ces associations, qui s'étaient soumises à la formalité de l'enregistrement (enrolled); elles comptaient i, 600,000 membres, dont les contributions annuelles réunies dépassaient 2,800,000 liv. st., et avaient accumulé un fonds permanent de 6,400,000 liv. st. Il y a en outre un grand nom- bre de sociétés non enregistrées. V Union de Manchester seule en possède 4,000, avec 264,000 membres, qui versent annuel- lement 400,000 liv. st. 11 faut y ajouter les puissantes associa- tions des Forestiers, des Druides^ etc. — En résumé, le chiffre total des sociétés mutuelles était, en 1851, de 55,225, et le nombre de leurs membres s'élevait à 5,052,000; le montant des souscriptions annuelles représentait une somme de 4,980,000 liv. st. (126,990,000 fr.), et le capital de réserve celle de 11,560,000 liv. st. (289,680,000 fr.).La totahté de la popu- lation adulte du Royaume-Uni peut être évaluée à 7 millions dindividus; près de la moitié de ce nombre, sans distinction d'âge, de sexe, de riche ou du pauvre, participe aux béné- fices des sociétés mutuelles (2). Ce développement est vraiment prodigieux, et témoigne de la puissance que prête l'association aux classes laborieuses, et de l'action féconde des petites épargnes pour les mettre à l'abri des chances défavorables qui peuvent les atteindre. L'Allemagne et d'autres pays encore sont entrés dans la même voie, mais sans y marcher aussi rapidement. En France, les sociétés de secours mutuels sont aussi en progrès. Au 51 dé- (I) Tteport of the rer/islrarof friendly socicfies m Engîand, 1857. (:2) W. R. Greg. Incestmenls for the u-orkiny claasea. (Edinburgli Revie^Y, april lbji\) (33) cembre I808, elles étaient au nombre de 3,8C0, composées de 500,980 membres, dont 58,066 lionoraires et 448,914 par- ticipants. Parmi ces derniers on comptait 587,194 hommes et 61,720 femmes. Les recettes de l'année se sont élevées à 7,769,814 francs, et les dépenses à 6,777,574 francs. L'avoir total, y compris le fonds de réserve, était représenté par une somme de 20,755,450 francs (i). Dans les Pays-Bas, on comptait, en 1854, 596 caisses pour les cas de maladie et les funérailles ; 522 de ces associations pour lesquelles on a obtenu des relevés , avaient 272,924 par- ticipants, soit 84.27 sur 1000 habitants. Leurs recettes se sont élevées à 1,099,042 florins j leurs dépenses à 757,517 florins, et 14,816 membres ont participé aux secours. Les caisses de prévoyance , fondées à l'instar de celles de Liedke à Berlin , se sont aussi rapidement développées dans les Pays-Bas depuis quelques années; elles étaient, en 1854, au nombre de 45, dont 42 comptaient 5,749 participants. Les versements ont été, la même année, de 56,625 florins, repré- sentant les petites épargnes hebdomadaires des ouvriers, qui leur sont restituées, a^ec ou sans intérêt, en ari^ent ou en provisions, au comincncement de l'hiver ou de la mauvaise saison (2). En Belgique, une enquête ouverte en 1850 parle Ministre de lintérieur, a constaté l'existence de 211 sociétés de secours mutuels, comprenant 24,567 membres. Depuis cette époque, une loi du 5 avril 185! a accordé en Belgique, comme dans la Grande-Bretagne et en France, certains avantages aux asso- ciations de ce genre qui solliciteraient la reconnaissance légale ou l'approbation de leurs statuts; mais malgré les efforts persé- vérants de la commission permanente préposée à Texéeution (4) Bapport sur la situa/ion des sociétés de secours mutuels en France. Année 1838. (2) M. DE Baumhauer. Notice sur les institutions de prévoyance dans le royaume des Pays-Bas. Compte rendu des débats du Congrès intepiia- tional de bienfaisance de Bruxelles, t. II, p. 81 et suiv. (oC) de la loi, 27 sociétés seulement avaient, jusqu'à la fm de iSIiS, rempli les formalités voulues pour jouir des bénéfices assurés par la législature (1). Lorsqu'on la compare à l'Angleterre et même à la France, aux Pays-Bas et à l'Allemagne, la Belgique, en ce qui concerne les institutions d'épargne, est dans un état d'infériorité qui s'explique difficilement, et auquel il importe de mettre un terme. Nous ne faisons d'exception que pour les sociétés do prévoyance dont nous avons parlé plus haut (§ 2). On pourra d'ailleurs consulter avec fruit Tintéressante notice publiée à ce sujet par M. A. Visschers en 4856 (2). — On nous répondra peut-être que chez nous les circonstances ne permettent guère aux ouvriers d'économiser, que leurs salaires suffisent à peine à leurs besoins les plus pressants. Cela peut être vrai pour le plus grand nombre; mais à côté des ouvriers qui vivent pour ainsi dire au jour le jour, il en est d'autres qui pourraient assurément réserver une partie de leurs gains, relativement élevés , pour les éventuahtés de l'avenir, au lieu de les gaspil- ler, comme ils le font trop souvent aujourd'hui, en dépenses inutiles ou même funestes. Nous citerons particulièrement les ouvriers mineurs et ceux qui sont employés dans les usines métallurgiques, les verreries et autres industries analogues. Il est de notoriété que cette classe de travailleurs est de toutes la plus imprévoyante. Et cependant l'expérience des années écou- lées prouve qu'ils ne sont pas plus à l'abri que les autres ou- vriers des crises et des accidents qui, en ralentissant le travail industriel, ont pour résultat de réduire leurs ressources et de les plonger dans la détresse. Franklin a dit : « Si vous voulez être riche, n'apprenez pas » seulement comment on gagne, sachez aussi comment on (1) Rapport de la commission pernmnenle pour les sociéiés de secours mutuels sur l'exercice de 18o8. (2) Aperçu sur les institutions de prévoyance de la Belgique. — Compte rendu des débats du Congrès international de bienfaisance de Bruxelles. Session de 18oG, t. 1'»', p. IG5 et suiv. ( ^ ) ï ménage. » Ce précopie devrait cire toujours présent à l'es- j)rit de l'ouvrier. Il n'y a rien d'impossible à celui qui veut Icrmement. Ce que peuvent les travailleurs anglais, allemands, français, les ouvriers belges le peuvent aussi bien qu'eux, et peut-être mieux encore à certains égards. Les salaires des der- niers ne sont pas inférieurs à ceux des premiers. Qu'ils sacbent donc profiter des exemples qu'ils ont sous les yeux, et qu'ils tiennent à bonncur de ne pas se laisser distancer de plus en plus et de regagner le temps perdu. 4. Unions de métiers (ïrade's unions). Ce genre d'associations est particulièrement propre à l'An- gleterre. Elles ont ostensiblement pour objet de fournir à leurs membres des secours temporaires en cas de chômage; mais elles sont en réalité constituées surtout au point de vue de la défense des intérêts des ouvriers. Sous ce rapport, elles ont été imitées sur le continent, où plusieurs sociétés de secours mutuels sont organisées dans le même esprit. Les Unions de métiers en Angleterre sont nombreuses et puissantes; elles embrassent une fraction notable des travail- leurs, surtout dans les districts manufacturiers, et disposent de capitaux considérables. Pour juger de leur importance, il suffit de citer un seul fait. Lors de la grève des fdaleurs de Preslon, en 1854, les sub- sides qui leur furent fournis, pendant trente-six semaines, par l'Union des ouvriers de Blackburn, s'éleva à la somme énorme de 97,000 liv. st., soit 2,425,000 francs (1). Combien une pareille force financière serait féconde en grands résul- tats si elle était bien dirigée ! Rien de plus prudent, de plus légitime que de constituer un fonds de réserve pour les temps de crise et de chômage. Si (1) Quaricrîy Bevieic. ArUcIe sur les coalitions (rouvriers. (o8) 1rs Tnions de méliers se Ijornaieiit à pourvoira ectle évenhin- Ii(é et à ce besoin, elles seraient irréprocbables, et on ne pour- rait assez les encourager et les applaudir. Malheureusement elles servent le plus souvent d instruments à de funestes coa- litions qui entraînent avec elles la ruine de leurs ressources et le malheur de leurs sociétaires. Ces coalitions se sont renou- velées fréquemment depuis le commencement de ce siècle; aucune n'a eu de résultats favorables pour les travailleurs. Ils y ont seulement perdu des sommes énormes. La Quarlerly Review, dans un article récent sur les coalitions douvriers, nous donne à cet égard des renseignements d'un intérêt poi- gnant. Elle constate, par exemple, que la grève des filateurs de coton à Manchester, en 1810 et 1829, leur a occasionné une perte de 550,000 liv. st. (15,750,000 francs); celle des filateurs d'Ashton et de Staleybridge, en 1829 et 1830, une perte de 250,000 liv. st. (0,250,000 francs) ; celle des ouvriers de Preston, en 1830 et 1854, une perte de 360,000 liv. st. (9,180,000 francs); celle des ouvriers en bâtiments à 3Ian- chester,en 1833, une perte de 72,000 liv. st. (1,800,000 francs); celle des ouvriers mécaniciens, en 1855, une perte de 45,000 liv. st. (1,075,000 francs), etc. Tout compte fait, voilà sept coalitions seulement qui figurent, il est vrai, parmi les plus sérieuses, qui ont entraîné pour les ouvriers une perte sèche de plus de 32 millions de francs. Ajoutez à cela la perte corres- pondante des fabricants, non moins considérable peut-être, et les souffrances inséparables de perturbations aussi profondes, et Ton comprendra combien il importe que les ouvriers et les patrons puissent concilier leurs intérêts, qui sont après tout identiques, sans recourir à des moyens qui ne peuvent que les compromettre. La coalition n'est d'ailleurs qu'une des formes et un des résul- tats de l'association; elle ne peut en slrict droit être interdite lorsqu'elle n'est pas accompagnée de violences , de menaces et de désordres. Veut-on en prévenir les abus? Qu'on éclaire les ouvriers, qu'on les initie aux mérités élémentaires de l'économie I ( 'M ) politique j qu'on leur dt'niontre par des exemples où condui- sent inévitablement ces mouvements désordonnés, et l'exer- cice mal réglé et aveugle d'une liberté qu'ils doivent tenir à honneur de maintenir intacte et respectée. Une histoire popu- laire des coalitions en Angleterre, serait sous ce rapport d'une grande utilité. Les chefs d'industrie, de leur côté, doivent re- connaître quil dépend d'eux en grande partie de prévenir tout fâcheux conflit en ne déviant jamais, envers les travailleurs qui leur prêtent leurs services, des règles que leur prescrivent la bienveillance, l'humanité et la justice. Sous ces réserves, les Unions de métiers n'ont rien que de # licite, et, comme le disait naguère la chambre de commerce de Liège, le moyen d'éviter les coalitions violentes, c'est de per- mettre les coalitions paisibles. 5. Associations ayant un but moral, d'instruction ou iVagrèment. L'association peut être appliquée non-seulement dans l'in- térêt de l'amélioration physique des ouvriers, mais encore dans l'inlérêt de leur amélioration morale. S'il est des sociétés qui méritent d "être encouragées, ce sont surtout celles où les ou- vriers se réunissent le soir, les dimanches et les jours de fête, pour s'instruire par la lecture de recueils scientifiques, par l'audition de quelques cours ou par des conférences. C'est ce que les Anglais connaissent et pratiquent beaucoup sous le nom de Mechanic^s institutions. Par une loi de 1845, le Par- lement a affranchi ces associations de toute contribution lo- cale (1). On peut ranger sur la même hgne les sociétés qui, sur le (1) Nous avons donné des renseignements détaillés sur l'origine, l'or- ^'anisalion et les progrès des Instituts d'ouvriers {Mechanics institutions) dans nou-e ouvrage sur la Condition des jeunes ouvriers, t. II, p. 17G et suiv. (CO) continent, poursuivent un but analogue (Sociclés de Saint- Joseph y de Saint -François Xavier j etc.). Eu Allemagne, les Sociétés catholiques de compagnonnage, qui ont pris naissance à Elberfeld, en J844, comptent en ce moment plus de 30,000 membres répartis entre 250 centres. Plusieurs sociétés de se- cours mutuels, en France et en Belgique, ont une double desti- nation, celle de donner des secours matériels et celle de contri- buer à l'instruction et au bien-être moral de leurs membres. La création de salles de réunion, de lecture, de bibliothèques cir- culantes, de sociétés de musique et de chant d'ensemble rentre %dans le même cadre, qu'il faut s'efforcer d'élargir de plus en plus. En Belgique, dans une trentaine d'établissements indus- triels, les ouvriers ont organisé des sections d'harmonie et de chant qui contribuent à les distraire en resserrant entre eux les liens de confraternité. D'après un relevé fait il y a quelques années, et qui maintenant doit être augmenté dans une pro- portion assez notable, on comptait dans le royaume 461 so- ciétés de musique instrumentale (symphonies, harmonies ou fanfares) avec 12,400 exécutants, et 258 sociétés de chant d'en- semble avec plus de 7,000 exécutants (1). Il conviendrait de recueillir tous les faits semblables, de leur donner la plus grande publicité; ce serait le moyen de stimuler les ouvriers et de les déterminer à suivre les exemples qu'on leur aurait mis sous les yeux. C. Caisses de retraite ^ sociétés d'assurances sur la vie, etc. Nous ne citons ces institutions que pour mémoire ; bien qu'elles puissent rendre de grands services à la classe labo- rieuse, et que celle-ci soit grandement intéressée à profiter de leurs combinaisons bienfaisantes, elles ne rentrent pas cepen- (1) V. De la Condition phi/.siquc et morale des jeunes ouvriers . t. II, p. 232 el siilv. ( «1 ) dant dans le cadre des associations proprement dites, et nous n'avons pas dès lors à nous en occuper. 7. Institutions et associations de crédit. La constitution du crédit pour les travailleurs est un objet de la plus haute importance, et qui, dans plusieurs pays, a fixé sérieusement l'attention de ceux qui s'intéressent à leur bien- être et à leurs progrès. En Ecosse, une ère nouvelle a été ouverte à cet égard par un système de banques qui viennent également en aide à toutes les classes de la population. Ces banques s'occupent de toutes les opérations de change, de banque et de finance. Elles escomptent des billels à ordre, reçoivent des dépôts d'argent et payent un intérêt pour toute somme déposée. Elles se chargent aussi des transferts , des re- couvrements commerciaux et autres; elles ouvrent des crédits aux habitants; elles émettent des billets au porteur ou effets de circulation. Pour obtenir l'ouverture d'un crédit en compte courant, il suffit de présenter la garantie de deux personnes connues et solvables, qui se portent caution pour la somme demandée et les intérêts. Le crédité profite du crédit ouvert au fur et à me- sure de ses besoins , mais la banque se réserve de surveiller ses opérations et l'emploi qu'il fait des fonds empruntés. S'il man- que aux règles que lui prescrit la prudence, le crédit est sus- pendu ou retiré. L'emprunteur est tenu en outre de verser dans la caisse de la banque, sans aucun délai, toutes ses recettes. Cette con- dition produit plusieurs avantages ; elle assure au banquier des rentrées journalières qui lui permettent de balancer ses comptes; aucune somme ne reste sans emploi; l'argent circule incessamment et féconde sans discontinuité le champ du tra- vail. L'emprunteur n'a pas l'embarras de la conservation de ses ( oa ) espèces; il n"est pas exposé à la tentation de faire des dépenses inutiles; enfin, il fait fructifier à chaque instant les plus petites portions de son capital. Une grande partie des fonds qui alimentent les banques écossaises proviennent des dépôts effectués par les ouvriers de Glasgow et des autres localités industrielles, par les travail- leurs des campagnes, les boutiquiers, les domestiques. Le mi- nimum de ces dépôts est fixé à 1 liv. st. La liquidation des in- térêts a lieu tous les six mois; c'est à cette époque que les dépositaires viennent ordinairement ajouter le fruit de leurs économies jusqu'à ce que raccuraulation de leur petit capital leur permette d'acheter vme habitation, d'étabfir un métier ou un commerce, ou de louer une petite ferme. Ces institutions fonctionnent donc à la fois comme banques d'escompte et de dépôts, comme maisons de prêts et comme caisses d'épargne. Tous les économistes leur payent un juste tribut d'éloges, et ce qui prouve leur excellence c'est que de- puis qu'Adam Smith en a parlé avec tant d'estime dans son ouvrage, c'est-à-dire depuis 1 775 , elles n'ont subi aucune mo- dification. Les banques écossaises ont été et sont encore l'un des prin- cipaux instruments de la prospérité du pays; elles rendent l'échelle sociale abordable aux plus humbles citoyens. Le tra- vailleur qui possède un degré d'intelligence, d'énergie et de moralité capable d'inspirer de la confiance, est assuré d'obte- nir les avances qui lui sont nécessaires. L'habileté et l'esprit d'ordre commandent, pour ainsi dire, le capital. Les classes laborieuses sont convaincues, en Ecosse, qu'il n'y a que leur indolence et leur mauvaise conduite qui puissent les empêcher de parvenir à la considération et à l'aisance. ï.e désir d'amé- liorer leur position est naturellement entretenu et stimulé par la facilité qu'elles ont à y réussir. De là, un esprit d'indépen- dance et un sentiment de dignité personnelle que l'on trouve très-rarement ailleurs dans les mêmes classes. C'est à cette cause j)rincipalemcnt qu'il faut attribuer l'industrie et Icco- (05 ) nomie des Écossais, et la légèreté rcîalivo du fardeau que le riche y supporte pour le soulagement des pauvres. En Irlande, un acte du 24 août 1845 (6 et 7 Vict., c. XCI) règle tout ce qui concerne rinstitution des Sociétés de jjvèls {loan fund societies) qui fonctionnent à peu près comme les banques d'Ecosse dans l'intérêt des ouvriers. Ces sociétés reçoi- vent aussi les moindres dépôts et font des avances sur garantie personnelle et morale jusqu'à concurrence de la somme de 10 liv. st.; ces avances sont remboursables par payements suc- cessifs , échelonnés selon les circonstances et la position dans laquelle peuvent se trouver les emprunteurs. Les sociétés de prêts remplacent avantageusement les monts- dc-piété qui, pour certaines avantages éphémères, créent le plus souvent des inconvénients et des abus permanents. Le nombre de ces sociétés enregistrées en Angleterre, en 1854, était de 504. Elles disposaient d'un capital de i 78,0 il liv. st., fourni par les dépositaires et les actionnaires. Pendant la même année, le montant des sommes prêtées s'est élevé à 686,483 liv. st., le nombre des demandes d'avances a été de 160,647 et celui des avances accordées de 155,860, soit en moyenne d'un peu plus de 5 liv. sterling par prêt. Les intérêts et les frais payés par les emprunteurs représentent la sonniie de 28,1 15 liv. st., et les intérêts distribués aux déposi- taires et aux actionnaires se sont élevés à 18,985 liv. st. En Allemagne, la question de l'organisation du crédit moral a trouvé un commencement de solution dans l'institution des banques populaires [Vorsclniss-Vereiiiej Handiverker-Bcmkeii), dont 31. Schulze-Delitscb est l'infatigable promoteur (1). Ces banques sont établies par des associations formées par acte public passé entre les personnes disposées à y prendre part, et composées de membres effectifs qui désirent y trou^ er du crédit, et de membres honoraires qui y apportent le concours (1) Voy. à la page 45, riiidlcatiou des ouvrages qui se rapporlent à ce institutions. ( G4 ) (le leiii' sympatliic et de leur bienveillance. Les uns et les autres payent un droit d'entrée extrêmement minime, et une cotisa- tion mensuelle qui l'est encore davantage. Lorsque le nombre nécessaire d'adhérents a signé les statuts, l'association est consti- tuée, et tous sont engagés solidairement pour les emprunts que la société doit contracter en dehors de son sein, et qui sont nécessaires pour faire des avances à ses membres, avances qui sont proportionnées au crédit moral dont jouit celui qui les demande. Au commencement, tout est extrêmement modeste; les ban- ques n'empruntent que le moins possible, et ne peuvent, par conséquent, prêter beaucoup. Vis-à-vis des prêteurs, la ga- rantie est dans la solidarité des membres de l'association; vis- à-vis des emprunteurs, dans leur solvabilité, leur caractère moral, et, de plus, dans la signature d'un plus ou moins grand nombre d'autres associés qui appuient leur demande lorsqu'il s'agit d'une somme un peu considérable. Les limites extrêmes des prêts varient entre 20 et 2,000 ou même 4,000 francs, avec possibilité de renouvellement partiel ou total sous cer- taines conditions. Les bénéfices que la société réalise en prê- tant à des taux plus élevés qu'elle n'emprunte, sont employés : j" à payer les intérêts des sommes empruntées; 2" à former un fonds de réserve; 3" à augmenter le capital des associés, c'est- à-dire le compte créditeur de chaque membre. Néan-noins le dividende doit rester accumulé jusqu'à ce qu'il atteigne un cer- tain chiffre; alors le membre, de simple associé, devient ac- tionnaire. Ainsi la société acquiert peu à peu un capital qui lui est propre, et elle arrive à la seconde période, où elle peut prêter sur son propre capital. Cette période est d'ordinaire atteinte après sept à huit ans d'existence (I). (1) M. H. D.VMETH, pi'ofesspur à l'académie de Genève, dans un cours donné dans cette ville, a communiqué des renseignements complets sur les l)anques populaires d'Allemagne , dont le principe se rapproche beaucoup de celui des Unions du crédit de Belgique. On consultera avec fruit, en ce (pii concerne ces dernières institutions et l'organisation populaire du crédit général, les diverses publications de M. IIaeck , à Bruxelles. ( «.'i ) L'organisation de ces associations varie d'ailleurs selon les circonstances, les localités et les besoins; ici elles se forment entre personnes appartenant à des professions diverses, là entre artisans et petits maîtres (A^/emei/ciSfer) appartenant aux mêmes métiers, cordonniers, tailleurs, ébénistes, tisserands, relieurs, cloutiers, etc. Elles se chargent dans ce dernier cas de l'achat en gros et aux conditions les plus favorables de ma- tières premières et d'instruments de travail qu'elles revendent ensuite en détail et au prix coûtant à leurs membres. On a éva- lué l'économie qui pouvait résulter de ce mode d'achat à 40 et 50 pour cent, ce qui permet d'abaisser proportionnellement les prix des objets fabriqués ou confectionnés, et de soutenir une concurrence qui devenait impossible lorsque la petite in- dustrie se trouvait seule et isolée en présence de la grande industrie. La réunion des petites ressources balance ainsi les avantages du capital proprement dit. Dans un rapport publié en 1859, M. Schulze-Delitzch donne la liste de 118 associations populaires de crédit organi- sées depuis quelques années seulement (1850-1858) dans les divers Etats de l'Allemagne. 45 de ces institutions, dont il ré- sume les comptes, comptaient ensemble plus de 10,000 asso- ciés; elles ont accordé, en 1858, des avances ou des prolonga- tions de crédits jusqu'à concurrence d'une somme de 2,086,030 thalers (7,500,000 fr.). Le montant des bénéfices répartis entre les membres a été pendant la même année de 104,004 thalers (575,000 fr.), outre une réserve de 14,555 th. (52,000 fr.), et le capital dont elles disposaient à la fin de l'exercice s'élevait à 718,109 th. (2,000,000 fr.).Le total des pertes pendant l'année n'a pas dépassé 90 th. (350 fr.). Nous retrouvons ces mêmes institutions dans les Pays-Bas, sous le nom de Hidp-hanken (banques auxiliaires). Ces ban- ques fonctionnent dans l'intérêt du petit commerce, de la pe- tite industrie, des laboureurs et des ouvriers. La plus ancienne, celle de Middclbourg, date de 1849. Elles étaient, en 1850, au nombre de 29. dont 8 ont été fondées par les départcnienls de Tome X. 5 { «fi ) ]a Société d'utilité publique. Les caisses font des avances sous la garantie morale ou la caution de deux personnes bien fa- mées et jouissant d'un certain crédit; l'intérêt est fixé d'ordi- naire à 5 ou 4 pour cent pour oO semaines. Les prêts varient de 2 fl. 50 c. à 50 ou 100 florins. La caisse de Harlem prête jus- qu'à 200 florins à celui qui a remboursé, aux échéances fixées, au moins deux fois les sommes empruntées antérieurement. Les remboursements s'effectuent par termes et très-régulière- ment. La caisse de Zwollc n'a en , pendant les six premières années de son existence, sur 59,750 fl. prêtés, que 429 fl. 76 c, ou un quart pour cent, de non-valeurs. Quatre caisses, établies à la Haye, à Breda, à Leeuwarden et à Groningue, fonc- tionnent exclusivement dans l'intérêt des ouvriers, artisans et petits commerçants israélites , et leur font des prêts gratuits. Quelques caisses, comme celles de Dordrecht, de Middelbourg et de Leeuwarden, avancent, de l'argent sur des brevets de pension ; d'autres se sont affiliées aux caisses d'épargne qui leur fournissent les capitaux nécessaires à leurs opérations. Cette combinaison , que nous ne pouvons assez recommander, procure aux caisses d'épargne un placement facile et utile de leurs fonds de réserve, et aux caisses de prêts l'avantage de faire des emprunts à un intérêt modéré. On remarque que, parmi les emprunteurs, les cordonniers et les tailleurs figurent au premier rang. Les personnes mal famées ou adonnées à la bois- son, les cabaretiers et les débitants de liqueurs spiritueus^^s sont exclus de toute participation au bénéfice de ces institu- tions (1). 8. Associations coopératives. Le mouvement coopératif {coopérative movement) en An- gleterre date de la fin des grandes guerres, et a acquis, depuis quelques années surtout, un grand développement. On en doit (1) M. De Baum'hauer. A^o^/ce 5ur les instilu fions de prévoyance dans les Pays-Bas. Compte rendu des débats du Couprès Uilernalioiial de bien- faisance de Diuxellcti, l. II. ( ^' ) en grande partie l'inilialive à Robert Owen qui en fit dutiles applications à rctaJjlisscment de New-Lanark en Ecosse. Mais, depuis, le grand réformateur se laissa égarer par des théories qui aboutirent à des échecs successifs. Quant au principe même de la réforme, il se rapproche beaucoup de celui qui a présidé quelques années après à iinstitution, en Allemagne, des banques populaires: l'ouvrier doit assurer son indépendance et son bien- être par ses propres efforts; il faut qu'il s'aide lui-même, s'il veut vaincre les obstacles semés sur ses pas; il doit se constituer un capital à l'aide de la réunion des ressources et des économies partielles des travailleurs, et eeux-ci doivent s'associer pour jouir des avantages qui ont été jus(iue-là le privilège exclusif des grands établissements. Les associations créées dans ce but peuvent, comme nous l'avons déjà dit, se diviser en deux catégories principales : les associations économiques ou cUslributives, qui oht surtout pour but de satisfaire à certains besoins, à Tachât de denrées, de matières premières, d'instruments de travail, d'objets de con- sommation usuels, et les associations proditctives ou d'in- ' dustrie coopéralive, dont nous parlerons dans un paragraphe suivant, qui se rapportent particulièrement à l'exercice ou à l'exploitation en commun de certaines industries. M. le professeur Iluber qui a réuni les renseignements les plus complets sur ces institutions et qui en a fait ressortir le caractère et les bienfaits (1), nous apprend qu'il existait, en 1856, en Angleterre et en Ecosse, au moins 500 associations coopératives d'ouvriers [icorking men coopérative associations) qui comptaient plus de 25,000 membres, et dont les opéra- tions s'élevaient à plus de 500,000 liv. st. par an. Parmi ces associations, il y en avait 200 au moins de distributives {coopé- rative stores), dont une douzaine produisaient elles-mêmes la farine ou le pain qu'elles consommaient [coopérative mills). Plusieurs ne se bornent pas à pourvoir à la consommation de (1) Voy. à la page 45 Tindication de ses publications. — Consulter aussi l'exposé présenté au Congrès international de bienfaisance de Bruxelles : (Ximpte rendu, t. 1 , p. 102 et s, ; l, Il ,. p, 1G2 et suiv. ( 08) leurs membres, et étendent leur eorameree au public en général. L'une des principales, celle des Pionniers (1) de Rochdale {Rochdale équitable pioneers' coopérative society), est issue de la coalition (strike) de i844. Elle commença à cette époque avec 28 membres qui avaient réuni un modeste capital de 28 liv. st.; elle louait une petite boutique; ses affaires, la pre- mière année, représentèrent une somme de 710 liv. st., et un profit net de 52 liv. st. Quinze ans après, en 1859, le nombre de ses membres s'élevait à 2,703 et son capital à 27,060 liv. st;, formé en grande partie au moyen des mises des associés qui varient de 2 à 100 liv. st. Elle possède de vastes magasins, et le montant de ses opérations a représenté, la même année, 104,012 liv. st.; le profit réalisé a été de 10,759 liv. st., ou 59 pour cent du capital social (2). Les ventes se font presque (1) Ce mot né se rapporte pas à la profession exercée par les membres, qui appartiennent* comme dans plusieurs associations ouvrières distribu- tives, à différentes branches d'industrie. Le mot de pioneer, pionnier, s'entend, en Amérique, des hommes qui sont les premiers à défricher les parties encore vierges de rOiiesî, et qui précèdent la colonisation régu- lière. C'est par analogie qu'on Ta appliqué à Tassocialion de Rochdale. (2) Le relevé qui suit fait ressortir l'extension progressive des affaires de la société : ASXÉKS. >01MBRB de membres. MONTANT du capital. CHIFFRE PROFITS des opérations. réalises. 1844 1845 1846 1847 1848 1849 1830 1851 1832 1833 1854 1835 1856 1857 1858 1859 28 74 80 110 140 390 600 630 680 720 900 1,400 1,600 1,850 1,950 2,705 Liv. st. 28 181 252 286 597 1,193 2,299 2,785 3,471 5,848 7,172 11,052 12,920 15,142 18,160 27,060 Liv. st. 710 1,146 1,924 2,276 6,611 15,179 17,658 16,552 22,760 55,564 44,902 65,197 79,788 7 1 .689 104,012 Liv. st. 32 80 72 117 561 889 990 1.206 1,674 1,765 5,106 5,921 5,470 6,284 10,739 [Thefriendofthepeople. March 1860.; ( en) exclusivement aux sociélaij'cs ou aux agents des autres associa- lions du même genre; elles ont lieu au comptant en ajoutant au prix de revient une légère augmentation destinée à couvrir les frais, les intérêts, à constituer le fonds de réserve et à payer aux actionnaires un dividende proportionné à l'impor- tance du mouvement des affaires. Celles-ci embrassent l'achat en gros et la revente en détail d'articles de première nécessité, de viande, farine, pain, charbon, pommes de terre, d'étoffes et de vêtements confectionnés. L'établissement a 4 succursales, et emploie 28 agents, commis, domestiques, etc. Il abat en moyenne chaque semaine 4 bœufs, i2 moutons, 1 veau et plusieurs porcs. Telle est l'économie apportée dans sa gestion , que l'ensemble des frais, y compris le loyer des locaux, les con- tributions, etc., ne dépasse pas 2 *l^ pour cent du montant des dépenses, ou moins de la moitié de ce qu'ils sont évalués dans un établissement particulier. L'association des pionniers a aussi une part d'intérêts dans un moulin à farine et dans une fabrifpie de coton organisés d'après le même mode coopératif, qui lui livrent les articles dont elle a besoin avec de grands avantages quant au prix et à la qualité. L'importance seule du moulin est représentée par un mouvement annuel d'affaires de 50 à 60,000 liv. st. Il est fait une retenue, chaque année, de 2 Vg pour cent sur les bénéfices nets pour satisfaire aux besoins intellectuels et moraux des associés; on a installé à cet effet un local avec une bibliothèque et une salle de lecture, où les membres se réunissent pour s'instruire, se distraire et s'oc- cuper de leurs intérêts communs. Une association fondée en 1842, à Coventry, pour procurer du charbon à meilleur marché à une centaine d'ouvriers pau- vres, comptait en 1854 plus de 830 membres, possédait un magasin {stoi^e) parfaitement assorti d'articles de première nécessité, un moulin et une boulangerie faisant des affaires pour i 8,000 liv. st., et payait un assez fort dividende à ses actionnaires. Elle avait de plus pris à bail quelques centaines d'acres de bons terrains qu'elle sous-louait en petits lots à ses { 7(») membres, aux conditions les plus équitables, pour les faire participer aux bienfaits de Vallotment System. L'association de Coventry est, du reste, l'une de celles où Tcsprit de commu- nauté, de fraternité, où la satisfaction des besoins intellectuels et moraux sont le plus largement développés. Elle possède un cabinet de lecture, une bibliothèque, des caisses de secours, de prêts, etc. L'association des ouvriers chapeliers à Manchester, qui com- mença en 1852 avec 50 liv. st., fruit d'épargnes faites de longue main, possédait en 1854 un capital, provenant de profits nets, de 458 liv. st., après avoir vendu des chapeaux pour i,020 liv. st. — Le Bacup flour mill donne un dividende de 5 liv. st. 5 sch. sur des actions de 25 liv. st. Le Moidm du peuple [People's mill], à Leeds, a été établi en 1847 par une association de deux cents ouvriers, dans le but de se procurer au plus bas prix possible de bonne farine, sans passer par les exigences et s'exposer aux fraudes de la meunerie ordinaire. L'opposition que l'association rencontra tout d'abord chez les meuniers l'obligea à acheter un mouhn pour son compte, qu'elle organisa d'après les procédés les plus perfectionnés. C'est de cette époque que datent son déve- loppement et sa prospérité. La première mise de fonds avait été de 21 schel. par associé; l'acquisition du mouliiî entraîna la nécessité d'emprunter une somme de 9,000 liv. st., hypothé^ quée sur la propriété. Cette somme est aujourd'hui complète- ment remboursée, et la propriété est quitte et libre [freehold). L'association possède un capital de 12,000 liv. st., et le nombre de ses membres s'est élevé à 5,500. Pendant les cinq années de 1852 à 1857, le capital engagé ou circulant s'est élevé à 7,689 liv. st., le montant annuel des opérations à 55,950 liv. st. et les bénéfices annuels à 1,788 liv. st. On a calculé qu'in- dépendamment de rintérét et des dividendes perçus par les actionnaires en raison de leur mise de fonds, ils jouissaient d'une diminution de 50 pour cent sur les prix du détail, avec l'avantage d'obtenir toujours des farines d'excellente qualité. ( 71 ) En outre, les opérations du 3Ioul in du peuple ont eu une si grande influence sur le commerce ordinaire, en ce qui con- cerne tant la qualité que les prix qui dépendaient jusque-là d'une espèce de monopole de fait des meuniers, que l'écono- mie qui en a résulté pour les consommateurs en général s'est élevée en quelques années à plus de 500,000 liv. st. Nous ne voulons pas multiplier ces exemples que l'on a imi- tés dans plusieurs autres pays par l'institution d'agences de subsistances, de sociétés alimentaires ou restaurants économi- ques, de sociétés pour l'achat de provisions d'hiver et d'autres articles de consommation usuelle, qui rentrent aussi plus ou moins dans le cercle des opérations des sociétés de secours mutuels (1). Toutes ces institutions, toutes ces tentatives, quelles que soient les circonstances qui les aient motivées , les chances qu'elles aient subies, tendent à confirmer cette vérité, qtie louvrier peut s'aider de mille manières, et qu'il n'est si minces ressources, si faibles économies qui, réunies, ne puissent con- tribuer elïicacement à améliorer sa condition. 9. — Associations pour le travail. — Participation des ou- vriers cmx bénéfices des industriels et des entrepreheurs. — Sociétés entre patrons et ouvriers. — Sociétés ouvrières proprement dites. — Associations agricoles. Nous abordons ici un sujet immense et qui a donné lieu à de longues et vives controverses. Nous devons éviter (Je nous y engager, en déclarant tout d'abprd que nous n'entendons exa- miner aucune des théories mises en avant par certains réfor- mateurs contemporains. Ce que nous recherchons ce sont des faits pratiques , des renseignements positifs que chacun puisse (1) Ed. Ducpetiaux. Budgets économiques des classes ouvrières en Belgique, p. 260 et suiv. — Compte rendu des débats du Congrès inter- nalional de bienfaisance de Bruxelles, etc. ( 72 ) vérifier et dont on ne puisse répudier Tautorité sans mauvaise foi. Les associations pour le travail peuvent se diviser en deux catégories principales, celles contractées entre patrons et ou- vriers et celles contractées entre ouvriers seulement. ï. Les associations de la première catégorie ont surtout re- vêtu jusqu'ici le caractère de la participation , qui consiste à associer, dans une mesure plus ou moins large et sous des formes diverses , les ouvriers aux bénéfices des maîtres et des entrepreneurs. On trouve des exemples de ce mode d'association dans les temps les plus reculés , dans certaines marines de la Méditer- ranée, dans les pêcheries et dans rcxploitation des mines. Il y a longtemps que, dans le commerce, l'usage est établi d'inté- resser les commis aux affaires, en leur donnant une part dans le^ «profits. Le travail à la pièce, qui est de plus en plus entré dans les habitudes de l'industrie manufacturière, est aussi une sorte d'application du principe de la solidarité entre le maître et louvrier, qui sont également intéressés à ce que la produc- tion soit active. Dans plusieurs établissements on donne aux mécaniciens et à leurs aides les chauffeurs, outre leur salaire fixe, une prime proportionnelle à la quantité de charbon qu'ils écono- misent. Pareillement, il y a des établissements où, pour dimi- nuer le déchet des matières premières, on alloue aux ouvriers une partie de l'économie qu'ils font, par exemple la moitié. On a commencé ainsi par les cas les plus simples. Mais peu à peu on s'est élevé à des cas plus complexes. Ainsi, quelques entre- preneurs de travaux publics ont intéressé à leurs entreprises, non pas les ouvriers, il est vrai, mais leurs employés, en leur donnant des parts diverses de l'économie obtenue sur les devis généraux. M. Micliel Clievalier [Organisation du travail, let- tre XIV) cite, entre autres, MM. Séguin, qui, de leur aveu, ont tiré un grand avantage de cette pratique. — Le directeur de la manufacture de elaccs de Saiut-Gobain v a eu recours, il ( 75 ) y a quelques années, avec un égal sucées (I). Il réunit ses ou- vriers et leur dit : « Si , avec la même quantité de matières premières employées jusqu'à présent, vous obtenez une plus grande masse de produits manufacturés, ou, ce qui revient au même , si vous obtenez une égale quantité de glaces avec une plus petite masse de matières premières, vous entrerez en partage des bénéfices qui seront dus à votre plus grande application. » Cette proposition a été réalisée. Chaque ou- vrier avait un intérêt direct, qui était en même temps celui de l'entrepreneur, d'économiser la matière première, d'ac- tiver la main-d'œuvre, et, au bout d'une année, les résultats ont été tels, que certains ouvriers ont eu un excédant d'un sixième sur leur salaire habituel; et cet excédant avait pour corrélatif d'accroître en même temps le bénéfice de l'entrepre- neur. Le célèbre économiste anglais J. Stuart Mill, dans ses Principes d'économie politique (t. II, c. 7), cite aussi plusieurs exemples d'association entre les maîtres ou entrepreneurs et les ouvriers. — Sur les navires américains qui font le com- merce de la Chine, on a Ihabitude de donner à chaque matelot une part des profits du voyage, et c'est à cette circonstance que l'on attribue la bonne conduite des matelots et la rareté des collisions entre eux, le peuple et le gouvernement du pays avec lequel ils sont en relation. Ils ont en effet un intérêt commun à sauvegarder. — Dans le rapport annuel sur les finances, présenté au Congrès des États-Unis par le ministre de la trésorerie, M. Walker, en décembre 1847, cet adminis- trateur attribue au système de la participation en usage sur les navires baleiniers de l'Amérique du Nord, la supériorité qu'a acquise sa patrie dans l'industrie de la grande pêche, « su- périorité telle », dit-il, « que les autres nations ont dû nous abandonner même les parages les plus éloignés de nous (2). » (1) Constitutionnel français du mois de janvier 1844. \i) MiciirL Chevalier. Organisation du travail . lettre XIV. ( "i ) . L Kléo fait le tour du monde. Un voyageur anglais ( i ) nous ap- prend que « dans les ateliers eliinois à Manille, le propriétaire met en œuvre toute ractivité de eeux de ses compatriotes qu'ij V emploie, en donnant à chacun une partie des ])énéficçs du jnétier, ou en réalité en en faisant autant de petits associés dans ses affaires, dont il a soin de garder la part du lion, de telle manière qu'en se réservant des profits pour avoir bien administré, il leur procure aussi des bénéfices. Ce système est appliqué sur une si grande échelle qu'on donne habituellement même aux coolies une part du profit au lieu dun salaire fixe, et ce système paraît convenir à leurs idées; car bien qu'ils soient les ouvriers qu'on a le plus besoin de surveiller lorsqu'ils travaillent pour un salaire déterminé à l'avance, ce sont les plus actifs et les plus utiles que l'on puisse trouver lorsqu'ils ont dans TalTaire le plus minime intérêt. )> Nous retrouvons le même système dans les mines de Cor- nouailles, en Angleterre (2). Ces mipes sont exploitées en parti- cipation; des groupes ou associations de mineurs traitent aviec Tagent qui représente le propriétaire de la mine, pour en ex- j)Ioiter une certaine partie et mettre le minerai en étîjt d'être vendu, moyennant un tant pour cent du prix de ce minerai. Ces contrats se font ordinairement à des époques régulières, Jous les deux mois en général, et ils sont consentis en société par des hommes habitués au travail des mines. Ce système a ses désavantages, par suite t|c l'incertitude et de l'irrégularité des gains et de la nécessité de vivre longtemps sur le crédit qui en est la conséquence; mais il présente des avantages qui font plus que compenser ces inconvénients. Il développe une intelligence, une indépendance, une élévation morale qui metjtentia condition et le caractère du mineur de Cornouailles bien au-dessus de la moyenne de la classe ouvrière. Le docteur (1) Mag-Mickino. Souvoiir.s de Mainlle el des Philippines i)vnd'àiil les années 18-i8, 18-i9 cl i8ri0. (2) liABBAGE. Économie des maclùnes et des manufactures , c\\. XXIV. — J. Sti VKT Miu.. Principes cï économie politique , t. U, cb. 7. { 7!i ) Barham nous apprend que t'es mineurs sont non-seulement intelligents comme ouvriers, mais quils possèdent une instruc- tion pratique très-étendue. « Us ont, » ajoute-t-il, « un carac- tère et une indépendance qui ont quelque chose d'américain : les contrats laissent aux entrepreneurs liberté absolue de faire entre eux tels arrangements qui leur conviennent, si bien que chacun sent, comme associé de sa petite entreprise, qu'il traite avec celui qui l'emploie sur le pied d'égalité. » En voyant cette hase d'intelligence et d indépendance de caractère, nous ne sommes pas surpris d'apprendre « qu'un grand nombre de mineurs habitent des maisons à eux, bâties sur des terres qu'ils ont louées pour trois générations ou quatre-vingt-dix- neuf ans; et que sur les 281,541 liv. st. déposées aux caisses d'épargne de Cornouailles, les deux tiers appartiennent aux mineurs (1 ). » D'après M. Babbage, M. ïaylor a introduit ce même système dans les mines de plomb du Hantsliire , dans celles de Skipton, du Yorkshire, et dans quelques-unes des mines du Cumber- land, et « l'on doit désirer », ajoute-t-il, « qu'il devienne gé- néral, parce qu'aucun autre mode de payement n'offre aux ouvriers un gain aussi exactement proportionné à l'activité, à l'intégrité et à l'habileté qu'ils peuvent déployer. » Il a été appliqué aussi depuis longtemps au salaire des équi- pages des baleiniers. « Les profits de la pêche au filet sur la côte méridionale de l'Angleterre, » dit encore M. Babbage, « sont partagés de la même manière : la moitié du bénéfice re- vient à celui qui fournit la barque et le filet, l'autre moitié est partagée par portions égales entre ceux qui s'en servent, et qui sont tenus de faire aux filets les réparations nécessaires. » Nous retrouvons le même usage en Belgique et dans d'autres pays. Il paraît cependant que les résultats qu'il donne ne sont pas partout également satisfaisants. Nos pêcheurs de Blanken- (1) Samuel Lainc Essai couronné sur les causes et les remèdes de la détresse nationaie. { '(> ) Lcrglie nV ont pas trouvé l'aisance. Mais cela lient en grande partie à des circonstances indépendantes du principe adopté pour la répartition des produits de la pêche entre les pécheurs et les propriétaires des barques et des filets, qui négligent le plus souvent les moyens de perfectionner une industrie restée stationnaire depuis un grand nombre d'années. En France, un entrepreneur de peinture en bâtiments, M. Leclaire, fit dès 4845 un essai qui, à cette époque, fixa sérieusement l'attention (1). Cet industriel comprit qu'il était bon, surtout pour les chefs de grandes entreprises, d'organiser leurs ateliers de façon à réunir leurs propres intérêts à ceux des ouvriers, afin de s'attacher ceux-ci; dans ce but, il offrit la perspective de primes ou d'un accroissement de salaire , à tous ceux de ses ouvriers qui remplissaient les conditions de capacité , de bonne conduite et d'assiduité au travail. Il ne s'agissait pas d'une association proprement dite, mais « tout simplement, » comme le disait M. Leclaire lui-même, « de distribuer à un certain nombre de ses employés, qui sauront mériter cet avantage, une part des bénéfices. » Il restait le maître unique et absolu de son établissement, prenait et renvoyait les ou- vriers à sa volonté, choisissait ceux auxquels il accordait des primes, faisait ou réglait tous les marchés, fixait les appointe- ments et les salaires de chacun. Chaque année, avant de par- tager les bénéfices, il prélevait : 1° toutes les dépenses de l'en- treprise, tous les frais et pertes, y compris la patente, les autres impots et le loyer; 2'' les intérêts de tous les capitaux engagés et des salaires eux-mêmes, c'est-à-dire du fonds entier, tant fixe que de roulement, le tout à raison de 5 pour cent; 5" enfin, 6,000 francs qu'il s'allouait pour son traitement de directeur, et, en outre, 1,000 francs pour son logement per- sonnel. Lors du partage, M. Leclaire faisait connaître conscien- (1) V. Des amcliorations qu'il serait jiossible d'apporter dans le sort des ouvriers peintres en bâtiments, jiar M. Leclaire. — M. Droz, dans la seconde édition de son Économie politique (pp. 247 à 251 ) , a donné de curieux leuseignemenls sur rétablissement industriel de M. Leclaire, ( r,) cieusement le chiffre total des prolits de l'année, mais sans donner aiieiin détail et sans qu'on pût lui en demander. La ré- partition s'en faisait pour tous, y compris le directeur, au prorata des appointements ou salaires gagnés par chacun dans le cours de l'exercice. Dès la première année de son application complète, le sys- tème de M. Leclaire réussit d'une manière remarquable. Aucun de ceux de ses ouvriers qui avaient travaillé pendant trois cents jours n'avaient gagné moins de 3,500 francs, et quel- ques-uns avaient gagné beaucoup plus. Les salaires les plus élevés de son atelier étant de 4 francs par jour ou 1,200 francs pour oOO jours de travail, les 500 francs de surplus repré- sentaient le chiffre le plus bas qu'avait obtenu chacun des ouvriers qui avaient travaillé 300 jours, pour sa part dans les bénéfices. M. Leclaire décrit lui-même en termes énergiques l'amélioration qui s'était manifestée dans les habitudes et dans l'attitude de ses ouvriers, non-seulement à l'ouvrage et dans leurs relations avec leur patron, mais dans d'autres temps et sous daufres rapports, amélioration qui témoignait de plus de respect pour les autres et pour eux-mêmes. Ce système était encore en -vigueur en 1848, et 3L Michel Chevalier nous apprend que l'activité des ouvriers faisait plus qu'indemniser M. Leclaire, même pécuniairement, de la part de profits à laquelle il avait renoncé en leur faveur (I). L'exemple de 3L Leclaire a été imité par un autre industriel à Paris, avec un égal succès. M. Paul Dupont, propriétaire d'une des plus vastes imprimeries de la métropole, à la suite de laccroissement de ses affaires, et dans le louable but d'épar- gner le chômage à ses ouvriers, se décida, en 1848, à former une société en commandite au capital de 700,000 fr., non com- pris le fonds de roulement, pour l'exploitation de son établis- sement. Dans une réunion du 2a mars de la même année, il ^^1) Voir aussi J. -S. Mili>. Principes d'économie politique. — M. Vit- LLRMÊ. Dca associations ouvrières , 1849. ( 78 ) disait à ses actionnaires : « Accordons franchement a nos ou- vriers une part clans les bénéfices, en faisant concourir, dans une proportion déterminée, le capital argent et le capital tra- vail. Ce mode est le plus moral et ne livre rien aux chances du hasard: rendant chaque ouvrier sociétaire intéressé, nous pourrions espérer de lui une plus grande part de zèle et de dévouement pour une maison qu'il considérerait comme sa propre chose... En outre de ce bénéfice, un jeton d'argent se- rait accordé à cliacun des ouvriers présents, comme une sorte de consécration de l'union plus intime que nous allons con- tracter avec eux. » L'assemblée générale des actionnaires, se rangeant à cette opinion, adopta à Tunanimité la résolution suivante : « La participation des ouvriers aux bénéfices est admise en principe, à partir de 1848; elle sera fixée à 10 pour cent sur les bénéfices nets. » Les employés des bureaux ne sont pas compris dans ladite participation; mais ils recevront un jeton tous les ans, sans préjudice des gratifications que le gérant jugera à propos d'ac- corder à ceux qui les auront méritées. » La somme revenant aux ouvriers sera productive dintérèt à cinq pour cent, et employée à la formation d'une caisse dont les statuts seront ultérieurement discutés. » Cette combinaison fut accueillie avec gratitude par les ou- vriers, et fonctionne encore sans le moindre embarras et au gi'and avantage de tous les intéressés. Les résultats de l'asso- ciation obtenus jusqu'à Tannée i8JiG se résument dans les chiffres suivants : ( 79 ) ANNÉES. BÉNÉFICE.S de la société. 10 p. 0)0 pour les ouvriers. NOMBUE des ouvriers. P.\RT de chacun. 1849 1850 1851 ; 1852 i 1855 ! 1854 1855 Fr. 20,668 22,000 25,796 26,015 40,000 25,010 54,000 Fr. 2,066 2,200 2,580 2,602 4,000 2,561 5,400 158 147 135 145 165 155 188 Fr. c. 15 08 14 97 19 11 18 19 24 54 16 52 18 88 La part de chaque ouvrier ne lui a pas été remise intégrale- ment; une portion a été prélevée ehaque année pour payer les jetons dargent, pour soulager des familles d'ouvriers décédés, l)Our acheter des livrets de caisse de retraite pour la vieillesse à d'anciens ouvriers, et même pour fonder un prix destiné au meilleur éloge de rimprimerie. Indépendamment de ce prélèvement, fixé dans des propor- tions très-minimes, la caisse des actionnaires a pourvu large- ment à la plus grande portion de toutes ces dépenses. En résumé, chaque ouvrier a vu saccroitre le montant de son livret de 15 à 20 francs par an, et lorsque l'on considère que les intérêts se capitalisent à 6 "/o Tan, on voit que Tassocia- tion dans les hénéfices est véritablement pour eux une asso- ciation sérieuse et lucrative (I). D'ailleurs, il faut moins con- sidérer ici le profit pécuniaire que les avantages moraux qui résultent de cette sorte de solidarité entre le patron et les tra- vailleurs qui lui prêtent leurs services. La Compagnie du chemin de fer d'Orléans prit In résolu- tion d'associer ses employés dès 1844; le mouvement de 1848 (1) V. v^^' A. Lemercier. Etudes sur les associalions ouvrières, 1857, chap. V. (80) nV a donc été pour rien. Le prélèvement sur le produit net de l'entreprise varie de 5 à i 5 "/o, selon la quotité du dividende attribué à chaque action. Il est partagé annuellement entre les employés et les ouvriers attachés à poste fixe à l'exploita- tion , dans la proportion du traitement ou du salaire dont chacun d'eux a joui dans le cours de l'année. Un tiers de la somme lui est remis en espèces, un tiers est versé à la caisse d'épargne, le dernier tiers à la caisse de retraite pour la vieil- lesse. Mais avant toute répartition, il est opéré une retenue du 10™*= de la somme à répartir, jusqu'à concurrence dun chiffre maximum de 250,000 francs pour le fonds commun de secours et d'encouragement. Le conseil d'administration déter- mine les sommes qui doivent être prises sur ce fonds, pour être attribuées aux employés qui, dans l'exercice de leurs fonctions, ont reçu des blessures, contracté des maladies ou des infirmités qui les mettent dans l'impossibilité de continuer leur service, aux familles de ceux qui ont succombé par suite des mêmes circonstances ou d'événements extraordinaires, et aux employés qui se sont distingués par leur zèle et leur dé- vouement. Sous l'empire de ces dispositions , la compagnie a partagé : En 1844, fr. 60,468 50 c» entre 719 employés, soit 6,8 % du Irailemenl; 1852, 1,149,491 65 » 2,800 » soit 34,11 % » 1855, 1,770,320 oO » 3,5(55 » soit 49,9 »'o » 1854, 1,387,47» 68 » 4,397 » soit 25 % » 1855, 1,608,029 54 » 4,837 » soit 27 % » Ces chiffres sont éloquents, et montrent l'intérêt réel et sérieux des employés à la prospérité de la compagnie (I). Les exemples qui précèdent et qui ont été imités dans plu- sieurs autres établissements, sous des formes diverses, mais avec des succès également constants et avérés, résolvent, pen- sons-nous, la question posée. « Il est hors de doute» , dit M. Michel (1) Mous roinovons pour dos renseignements plu^ complels à l'ouvrnge de M. le v»<= A. Lcmcrcicr, cilé ci-dessus. ( 81 ) Chevalier (I), « que toutes les fois quil sera sincèrement et loyalement accepté et pratiqué de part et d'autre, le système de la participation proprement dite, ou, pour parler d'une manière plus générale, le système de l'association entre les patrons et les ouvriers, dont la participation est une forme particulière, tendra à changer profondément le caractère de l'industrie par l'influence qu'il exercera sur les hommes, par la conduite qu'il fera tenir à chacun. C'est très-propre, en effet, à inspirer en permanence, aux ouvriers un sentiment de conservation, un esprit d'ordre et de concorde, une dignité qu'il ne serait pas facile de leur communiquer autrement. Les luttes sourdes qui existent entre les ouvriers et leurs patrons, et qui occasionnent tant de petits dégâts mille fois répétés, tant de fausses manœuvres, lorsqu'elles n'éclatent pas par d'effrayants désordres, disparaîtraient hientôt comme par en- chantement. Les nouvelles conditions morales où l'on serait placé alors ne pourraient manquer d'avoir des conséquences matérielles fort heureuses. Il n'est pas douteux, que la somme des bénéfices en serait accrue; dans certaines fabrications raccroissemcnt serait considérable. » M. Léon Faucher, dans ses Etudes sur V Angleterre, dit aussi avec une éloquente raison : « J*ai la ferme conviction que le premier fabricant qui aura le courage d'appeler ceux qu'il emploie au partage de son gain annuel ne fera pas, en résultat, un sacrifice. Il est clair que cette concession attirera près de lui les meilleurs ouvriers, que le travail s'accomplira avec plus de soin et de zèle , et que les produits gagneront en quantité et en qualité. Il s'établira de cette manière entre les ouvriers et les maîtres une solidarité intime, à l'épreuve du temps et des circonstances. Les coalitions cesseront du côté des ouvriers, car elles n'auront plus d'objet. La cheminée de la manufacture deviendra comme le foyer de la nouvelle com- munauté, et les bohémiens de la civilisation industrielle au- ront enfin une patrie , un foyer. » (i) Lettres sur l'organisation du travail . \k 28i el suiv. Tome X. 6 ( S'> ) Mais quelque désirable que soit rapplication de ce système, elle est malheureusem^ut cireonserite dans des limites qu'il est impossible de dépasser; dans beaucoup d'industries, elle est complètement impraticable;^ dans d'autres, elle présente- rait des difficultés qui défieraient les meilleures intentions et décourageraient le zèle le plus persévérant. C'est une raison de plus pour qu'on ne néglige aucun mx>yen de l'introduire là où les obstacles matériels n'existent pas. Le système d€ la par- ticipation peut d'ailleurs revêtir des formes très-diverses, et donner lieu à d€s combinaisons qui varient selon les circon- stances et la nature des travaux ou des entreprises. Le prin- cipe d'où il émane est fécond , l'esprit de bienveillance et de fraternité est ingénieux et inventif, et l'on peut se reposer sur lui du soin de propager une réforme qui ne peut avoir que de bons résultats. IL L'association intégrale entre patrons et ouvriers réali- serait le système de participation dans son expression la plus large et la plus élevée ; mais ici l'expérience et les exemples foat presque entièrement défaut. Il ne faut pas s'en étonner : toute association suppose des chances égales, une part pro- portionnelle dans les pertes comme dans les bénéfices. L'ou- vrier, par la nature même de sa condition et en considérant son intérêt bien entendu, ne peut accepter ces chances et courir le risque de pertes que supporterait aisément le fabri- cant ou le capitaliste, mais qui l'écraseraient, lui, sans qu'il put jamais se relever. L'égalité que l'on établirait en principe n'existerait pas en fait. L'intérêt du maître mis en regard de celui de l'ouvrier, son associé, serait toujours prépondérant : de là des conflits sans cesse renaissants auxquels nulle associa- tion, quelque parfaits que fussent ses statuts, ne pourrait résister. En France, à la suite du vote du décret du 5 juillet i84^, qui ouvrait un crédit de 5 millions pour encourager la créa- tion de sociétés ouvrières, il se forma quelques sociétés entre patrons et ouvriers; mais elles neureut qu'une durée éphé- ( 83 ) mère. Une seiiîe a survëcii , celle des facteurs de pianos, à Paris. M. le vicomte Lcmercicr, dans ses Études sur les asso- ciations ouvrières (ch. IV), donne un résumé de ses statuts, qui déterminent les apports respectifs des associés, le mode de rétribution du travail, la répartition des bénéfices, etc. La société s'adressa au Gouvernement pour obtenir un prêt sur le crédit de 3 millions; n'ayant pu réussir, la plupart des membres se retirèrent; quinze seulement persévérèrent dans leur projet et fondèrent l'association qui existe encore. Ces bommes com- menç.aienl; aveu dus ressources bien faibles une entreprise qui exige des avances de fonds ass'cz considérables; ils ne perdirent pas courage. Quelques-uns, qui avaient travaillé à leur compte, apportèrent 2,000 francs en outils et matériaux; le fonds de roulement fut formé par 10 francs versés par chaqiie socié- taire et l'aide de quelques ouvriers non associés ; il ne put dépasser fr. 220 50 c'. Les débuts furent ceux de toutes les associations non encouragées, c'est-à-dire des plus pénibles; il fallut la vente de quelques pianos pour préserver les associés dé la misère. C'est à ce moment que se passa un fait touchant, (]ue noiis ne résistons pas à citer : le premier dividende fut de fr. 6 61 c" par sociétaire; il fut décidé que 5 francs seraient prélevés pour les besoins de la famille, et que le surj)lus ser- virait à un repas fraternel destiné à célébrer le premier succès de l'association. D'après les statuts modifiés , l'apport social a été fixé à 1,000 francs par sociétaire; la société est restée en nom col- lectif, le travail continue à se payer aux pièces. Ces ouvriers, qui n'ont reculé devant aucune privation , qui ont débuté avec quelques outils et le bon vouloir de quelques fournisseurs, se sont créé un capital de 100,000 francs. Ils sont maintenant vingt-dciix associés, plus quatorze auxiliaires qui, à la suite d'une année de noviciat et après avoir fourni un apport de ijoOO francs, deviendront sociétaires. Ces trente-six ouvriers gagnent chacun en moyenne 2,000 fr. par an. Les vingt-deux sociétaires ont eu, en ISoG, 9,000 francs de bénéfices à partager au prorata de leurs journées de travail. Leur maison rivalise, pour la perfection de leurs instruments, avec les facteurs de pianos les plus renommés; elle a reçu une mention honorable h l'Exposition universelle de Londres, et une autre à l'Exposi- tion de Paris. Cet exemple répond à beaucoup d'objections; il prouve qu'avec de la persévérance, de l'ordre, de la moralité et un esprit de véritable fraternité, il est possible de surmonter des obstacles qui, au premier aspect, seraient de nature à arrêter les plus déterminés. Il est vrai que l'association dont nous ve- nons de parler rentre bien plus dans la catégorie des associa- tions ouvrières proprement dites que dans celle des sociétés entre patrons et ouvriers. Cette dernière attend encore son type complet. L'avenir nous dira s'il peut être réalisé. IIL Les associations constituées entre ouvriers peuvent être temporaires ou permanentes. Les premières sont constituées pour des entreprises qui n'exigent que de la main-d'œuvre et où les ouvriers n'ont pas besoin de faire des avances de fonds. Ces associations sont d'une pratique facile ; elles doivent être recherchées par les travailleurs qui y gagnent plus, en général, que dans les travaux où ils sont simples salariés. En France , à la suite de la révolution de février, on en a fait divers essais que cite M. Léon Faucher dans son rapport à l'Assemblée na- tionale en 1849; les })lus remarquables sont l'association des ouvriers paveurs de Paris et celle des ouvriers terrassiers du chemin de fer de Limoges. « Suivant nous», dit M. le V"" Le- mercier (i), « les associations temporaires peuvent vivre à côté des entreprises ordinaires, comme les associations à long terme peuvent exister à coté des ateliers hbres. Dans certains cas, les premières pourront servir de germes aux secondes ; des ter- rassiers, des maçons, des menuisiers, qui auront entrepris ensemble un travail , qui auront apprécié le plus capable d'entre eux, pourront le choisir comme gérant de leur associa- it) Études sur les associations ouvrières, p. :2iG. { 8!i ) lion ; les bénéfices de l'entreprise temporaire serviront d'ap- port social à chaque sociétaire, et une association ouvrière de plusse trouvera créée dans de bonnes conditions d'existence. » Les associations permanentes présentent plus de difficultés, et celles-ci n'ont été surmontées jusqu'ici que dans quelques rares circonstances où les conditions essentielles à la formation et à l'existence des sociétés, l'identité du but, la moralité, la persévé- rance et l'esprit de fraternité des associés étaient heureusement combinés pour la réussite. On connaît le mouvement qui s'est opéré dans cette voie, en France, il y a quelques années. De toutes les tentatives faites à cette époque il n'est resté que des vestiges qni attestent cependant la force et la vitalité du prin- cipe auquel elles doivent leur origine. M. le V'^ Lemercier a résumé avec une entière impartialité les phases diverses de ce mouvement et les résultats auxquels il a abouti. Parmi les asso- ciations qui ont survécu, il en cite quelques-unes qui, aujour- d hui encore, poursuivent leurs opérations avec plus ou moins de succès. Elles peuvent être divisées en deux catégories, celles qui ont participé au crédit de 3 millions ouvert en 1849 au gou- vernement pour encourager, au moyen de prêts, les sociétés ouvrières qui présenteraient des garanties suffisantes, et celles qui se sont constituées sans ce concours et qui se sont dévelop- pées par elles-mêmes à l'aide de la seule liberté. Dans la première catégorie figurent : 1° L'Union des veloutiers de Lyon, qui, d'après ses délé- gués, donne annuellement de l'occupation à mille tisseurs et à mille personnes environ de professions accessoires, telles que metteuses en main, teinturiers, dévideuses, ourdisseuses, car- tonniers, etc. Elle atteint un chiffre d'affaires évalué à deux miUions ou deux millions et demi par an. Cette association a reçu un prêt de 200,000 fr.; elle continue à fonctionner régu- lièrement et réalise certains bénéfices. 2° V Association d'ouvriers bijoutiers en doré, à Paris. Fon- dée en 1843, cette société ne comptait d'abord que quatre ou- vriers, n'ayant pour toutes ressources que leurs épargnes, se (80) montant à peine à 200 fr. Aidés par quelques partisans de leurs idées, ils augmentèrent peu à peu leur personnel et leurs affaires, et créèrent jusqu'à quatre succursales à Paris. « Cette association,» disait en 1849 M. Lefebvre-Duruflé, « nous a paru reposer sur les bases propres à former réellement une bonne et durable association. Quoiqu.e séculière, elle est fon- dée sur une pensée religieuse. L'autorité dirigeante en est forte dans sa constitution et douce dans son exercice. L'amélioration morale des rnepibres est le but de la société, plus encore que le succès dargent , qui cependant ne lui fait pas défaut. Enfin , l'harmonie la plus parfaite paraît régner dans cette petite com- munauté, dont les résultats seraient beaucoup plus concluants si les membres en étaient plus nombreux. » Son gérant est le même depuis longues années; plie a reçu un prêt de 24,000 fr. de l'État. L'association est en i)Qpi col- lectif; le capital actuel (1856), représentant les bénéfices réa- lisés et les retenues effectuées sur les salaires, est de 53,000 francs, et le chiffre des affaires est, en moyenne, de 100,000 fr. par an. 5" V Association des menuisiers en fauteuils, à Paris, s'est constituée en 1848 avec un capital de 504 fr. 20 c', dont 369 fr. en outils et 155 fr. 20 C en argent. Eii 1856, le capital s'élevait à 51,800 fr., composé de 25,000 fr. prêtés par l'État et de 6,800 fr. versés par les associés, à raison de 100 fr. cha- cun. Ayec ce chiffre l'assQciation fait, en moyenne, 400,000 fr. d'affaires par an. Les bénéfices annuels sont évalués, en moyenne, à 1 1,000 fr. Les associés sont au nombre de 68, dont 8, y compris le gérant, sont en nom collectif et ont comparu à l'acte social; les 60 autres sont participants. L'association em- ploie en outre plus de 100 auxiliaires. 4** V Association fraternelle des ouvriers en limes s'est con- stituée en 1848 entre quatorze ouvriers qui avaient réuni entre eux la somme de 2,280 francs en matériel, et à peu près 500 francs en argent. Elle a reçu un prêt de TÉtat de 10,000 francs. En 1856, elle comptait 54 membres, doni 17 associés en (87 ) nom collectif et 17 auxiliaires. Son capital, comprenant les bénéfices accumulés et les retenues opérées sur les salaires, s'élevait à 25,000 francs, et la moyenne du chiffre de ses affaires était évaluée à 80,000 francs par an. 5" L Association des imprimeurs, sous la raison sociale Remquet et C'"% a été créée en 1848 pour l'acquisition et l'ex- ploitation de l'ancienne imprimerie Renouard. Les acquéreurs étaient d'anciens ouvriers de l'établissement, au nombre de 15, réduit aujourd'hui à 15 par le décès de deux d'entre eux. Ils se sont adjoint une trentaine d'ouvriers auxiliaires ayant droit à une part dans les bénéfices, partageables selon leur ancienneté. L'acquisition a été faite et le fonds de roulement constitué au moyen d'un prêt de l'État de 80,000 francs. Le remboursement de ce prêt a lieu successivement, au moyen de retenues faites aux associés, et qui, en 1856, s'élevaient déjà à près de 45,000 francs. A la même époque, l'actif était représenté par une somme de 182,036 francs et le passif par une somme de 85,792 francs , laissant un avoir net de 98,244 francs provenant tant des béné- fices que des retenues faites aux associés, des intérêts de ces retenues , etc. Malgré celles-ci , on a constaté que les ouvriers associés recevaient des salaires supérieurs à ceux des ouvriers imprimeurs des autres ateliers. En résumé, un état officiel rédigé par les bureaux du minis- tère du commerce constate que, sur les 56 associations aux- quelles des prêts avaient été consentis par l'Etat, il en restait encore, à la fin de 1855, 9 à Paris et 5 dans les départements. Le tableau ci-après des sociétés établies à Paris fait connaître leur situation à la même époque : (88) IXDCSTRIEii. MONTANT des prêts. FORME DE tA. SOCIETE. CAPITAL ctuel (i). CHIFFRE d'affahfs. Ébéiiisles Moiiuisiers en fauteuils. Fabricants de limes . . Fahric. d'instr. à vent. Décorât, sur porcelaine. Arconniers Imprimem\s Imprimeurs Bijoutiers . -5,000 [ 19 en nomcollect. / 50 auxiliaires . . . / 8 en nom coUect. 25,000 ) 60 intéressés . . \ 100 auxiliaires . . 1 7 en nom collecl. 17 auxiliaires . . 10,000 2i,000 6,000 20,000 80,000 18,000 24,000 12 en nom collect. 15 auxiliaires . . 8 en nom collect. 1 1 en nom collect. 14 en nom collect. 50 auxiliaires . . 6 en nom collect. 6 en nom collect. 8,000 90,000 25,000 10,000 5,000 25,000 80,000 25,000 55,000 200,000 500,000 80,000 70,000 40,000 200,000 120,000 45,000 100,000 (I) Ces chiffres représentent les bénéfices réalisés et les retenues effectuées sur les salaires. Dans CCS associations presque tous les travaux sont payés à la tâche d'après des tarifs qui sont revisés de temps en temps, et basés sur les prix en usage dans la profession. Parmi les sociétés de la deuxième catégorie, qui n'ont reçu ni avances ni encouragements du Gouvernement, M. Lemercier en cite deux qui méritent de fixer particulièrement l'attention. 1" V Association des ferblantiers-lampistes , k Paris, se con- stitua en 4848 dans les circonstances les moins favorables. Le conseil d'encouragement lui ayant refusé son concours pour un prêt de FEtat, elle réunit un premier fonds de 500 francs au moyen de quêtes et de cotisations pix)visoires; quelques ouvriers (89) prêtèrent des outils et des matériaux valant à peu près 400 francs. On loua un très-modeste local , rue du Faubourg-Saint- Denis, pour 500 francs par an ; installée, l'association resta avec iO francs en caisse. Le travail faisait absolument défaut; la première commande fut celle d'une lanterne de 42 francs, et elle resta longtemps unique. Aussi, à la fin de l'année, la so- ciété se trouvait réduite à trois personnes, fort peu assurées du pain de leur journée. Tant de sacrifices et de dévouement reçurent enfin leur récompense : le travail vint; au mois de juillet i849 , la société comptait 14 ouvriers; son capital s'élevait à 710 francs en argent, lorsque, par un nouveau malheur, ces chères écono- mies, si difficilement amassées, furent volées, et l'association se trouva de nouveau sans ressources. Cette nouvelle épreuve, si peu méritée, émut les autres associations ouvrières. Elles se cotisèrent pour venir en aide aux ferblantiers-lampistes, et leur envoyèrent environ 3 ou 400 francs. Cet argent, si néces- saire, fut accepté à titre de prêt, et rendu jusqu'au dernier sou. Depuis cette époque, les diflîcultés ont été successivement aplanies; l'expérience a instruit les associés; les statuts ont été modifiés; le fonds social, constitué au moyen de versements mensuels des membres et de prêts garantis par l'association , a toujours été en croissant. A la fin de 1856, l'association comptait 45 membres devant fournir chacun un apport de 1,000 francs, au moyen de versements successifs imputés sur leur part de bénéfices; elle occupait un local spacieux et com- mode d'un loyer de 2,400 francs , possédait un fonds de rou- lement de 5 à 6,000 francs et un matériel estimé au moins à 7 ou 8,000 francs. L'association est en pleine voie de prospérité et son avenir est parfaitement assuré. Ses membres, tous ouvriers d'élite, gagnent plus que les ouvriers non associés du même métier, tout en s'imposant les retenues destinées à compléter leur part du capital social. 2° V Associât 1071 fraternelle des ouvriers tourneurs en chaises, a passé a peu près par les mêmes péripéties pqur ( «0) aboutir au même résultat. Elle commença en 1848 avec un fonds social de 518 francs en argent, et de 150 francs en outils. Le nombre des associés était, à cette époque, de 15; en i8oG, ils étaient 47, et occupaient en outre 25 à 50 ouvriers auxi- liaires dans lintérieur, et 40 à 50 personnes, tant hommes que femmes, au dehors. La mise de chaque associé est fixée à d,000 francs, payable en argent ou imputable sur sa part de bénéfice. L'association est en nom collectif; elle est adminis- trée par deux gérants responsables, dont le mandat est illimité et qui ne peuvent être révoqués que par délibération de la société; le loyer du local qu'elle occupe s'élève à 3,500 francs; le fonds de roulement est approximativement de 5 à 7,000 francs. Les bénéfices nets s'élèvent environ à 9,000 francs par an. Les ouvriers , malgré la retenue qu'ils subissent pour parfaire le fonds social, gagnent des salaires égaux et même supérieurs aux bons ouvriers de leur corporation employés chez les pa- trons, L'Angleterre nous présente aussi quelques spécimens d'as- sociations ouvrières. M. Greg (1) en cite huit à Londres, com- posées de tailleurs, de couturières, d'imprimeurs, d'ouvriers en bâtiments, de facteurs de pianos, de cordonniers et de boulangers, qui paraissent être dans une situation assez flo- rissante. D'autres ont été établies dans les provinces; on en trouve la liste dans l'ouvrage de M. J. Lechevalier sur les AssO' dations coopératives en Angleterre. — En Allemagne, on a fait des tentatives dans le même sens, parmi lesquelles nous remarquons l'association des ouvriers cordonniers à Delitzch, et celle des ouvriers tailleurs à Gotha, dont M. Schulze-Delitzch parle dans son ouvrage sur les classes ouvrières et les associa- tions allemandes. IV. L'association pour le travail a trouvé aussi quelques applications dans les campagnes, mais seulement sur une échelle limitée et à titre temporaire. Ainsi, dans les pays de (1) Invesfmcnts for Ihe workiug classes. (91 ) petite et moyenne cnltiirc, où les propriétaires et les fermiers ne sont pas assez riches pour acheter et posséder seuls certaines machines agricoles destinées à économiser les bras et à activer la besogne urgente, l'association s'établit temporairement. Des spéculateurs font passer dans les fermes les machines à battre, à moissonner; tous les ouvriers agricoles se réunissent pour faire fonctionner la machine dans le champ du voisin, à condi- tion que le voisin la fera fonctionner dans le leur. Dans le canton de Genève , la Société des outils d'agricul- ture de la commune de Meyrin a été fondée, en 1 854, dans le but d'acheter des instruments aratoires perfectionnés qu'elle loue aux agriculteurs qui ne pourraient que rarement les acquérir pour eux-mêmes vu leur prix élevé. Cette société se compose de 22 membres; elle possède un capital de d,000 fr. divisé en 40 actions de 25 fr. Les intérêts de ce capital sont couverts au moyen dp prix de location des instruments, sans que la société cherche à réaliser d'autres bénéfices. Les Sociétés des battoii^s à blé de Vandœuvres, Chancy et Saconnex [le grand) sont con- stituées dans le même but, sauf qu'elles restreignent leur action l\ l'achat et à la location des batteurs dans les trois communes où elles sont établies (1). Le type le plus ancien et le plus connu d'association rurale est la Fruitière dans les montagnes du Jura et dans quehpies districts de la Suisse. Rien de plus simple que le mécanisine de cette association. On loue une petite maison composée de deux pièces, Tatelier et la laiterie, et d'une cave servant de magasin. Dans l'atelier on dispose une vaste chaudière en cuivre sur potence pivotée, destinée à recevoir le lait de 100 t^ 200 vaches, reçu préalablement dans les grands vases de 1^ laiterie. Un seul homme, appelé le fruitier, suffit pour confec- tionner chaque jour un, deux ou trois fromages de GO à 80 livres. Ces fromages sont déposés au fur et à mesure dans un (1) G. MoYMER. Le5 associations genevoises. (Bulletin de la société ge- novoise d'utilité publique, iv 10, 1860.) ( !>2 ) magasin où le fruilier les sale et leur donne les soins qu'ils réclament. Tous les jours la quantité de lait apportée par chaque lai- tière est notée sur deux tailles de bois; l'une reste entre ses mains, l'autre à la fruitière. On sait donc exactement la contri- bution fournie par chaque associé. Quand viennent les époques de vente, on traite avec des marchands qui achètent en gros et chargent des convois. Puis sur le prix des ventes, on pré- lève les dépenses de loyer, combustible, ustensiles, entre- tien, etc.; on paye le fruitier, dont les gages augmentent avec le bénéfice général selon un taux convenu, et les membres de Tassociation se partagent le reste, proportionnellement à la va- leur de leurs versements respectifs. Dans quelques localités, il existe encore des associations entre les cultivateurs d'un même village, pour s'entre'aider les uns les autres en cas de maladies ou d'absences légitimes. Si un champ reste forcément en friche, tous les associés se réunissent pour le cultiver, l'ensemencer ou le récolter; et lorsqu'une nécessité analogue prive un autre associé de tra- vailler son champ, il est sûr que le même service lui sera rendu. Ces associations dans le travail sont plutôt des associa- tions fraternelles; elles sont inspirées par le grand mobile de tout ce qui est bien : par la charité (1). Mais il nous faut renoncer à prolonger cette énumération, et à entrer à ce sujet dans des détails qui nous mèneraient trop loin. Ce que nous voulions établir, et nous croyons y être parvenu, c'est la possibilité de constituer l'association des ouvriers pour le travail sur une échelle plus ou moins large, dans certaines conditions et pour certaines professions. Les débuts sont sans doute difficiles, mais lorsque les obstacles n'arrêtent pas l'association dans ses premières opérations, ils enseignent aux ouvriers le courage, la persévérance, l'esprit de dévouement et de sacrifice ; ils leur démontrent l'importance (1) V'*' A. Lemercier. Éludes sur les associations ouvrières, p. 192. ( »5 ) du rôle que le capital joue dans l'industrie, et les ramènent à des idées saines et pratiques qui font promptement justice des espérances exagérées et des utopies qu'ils avaient entretenues jusque-là. Les associations ouvrières ont donné lieu à des jugements très-divers; certains publicistes ont proclamé à pr/orn'inanité des efforts que l'on pourrait faire pour les constituer; d'autres ont prédit leur chute infaillible à la suite de tentatives pénibles pour consolider leur existence et assurer leur durée. 11 y a eu en effet de nombreux cas d'insuccès, des chutes regrettables, mais enfin le principe a triomphé , et l'existence et la prolon- gation d'une seule association prouvent plus que toutes les déconvenues. L'expérience a d'ailleurs dégagé des vérités qui peuvent ser- vir à éclairer les voies de l'avenir. M. Villcrmé (1), qui est peu favorable, en principe, au développement des associations ou- vrières, reconnaît cependant qu'à la condition de renoncer au caractère utopique et aux tendances révolutionnaires qui enta- chaient certaines sociétés constituées à la suite du mouvement de 4848, elles peuvent aspirer à la vie et assurer à leurs mem- bres un bien-être réel. Selon lui, l'association des ouvriers avec les fabricants n'est possible que dans des limites fort res- treintes. Celle des ouvriers entre eux a plus de chances de succès, mais le cercle de son application est circonscrit par la nature même des industries. Il admet comme les plus faciles à réaliser et à faire réussii* : 4" Les associations fondées pour exécuter à prix fait des travaux d'une durée limitée, et qui ne demandent pas un trop long apprentissage, dont la main-d'œuvre constitue la plus grande dépense, et dont le payement doit être prochain; 2^ Les associations pour une exploitation d'une durée plus longue, composées de quelques membres seulement, mais actifs, laborieux, économes, tranquilles, de bonne conduite, (1) Des assovialtous ouvrières. { 94) possédant déjà quelques épfrrgnes, se connaissant parfaitement, a}ant confiance les uns dans les autres, et s'occupant, à l'ex- clnsion de toute autre chose, de mener à bien et honorable- ment leur entreprise. M. le vicomte Lemercier, dont les intéressantes et Conscien- cieuses Études sur les associations ouvrières nous ont fourni une partie des éléments de notre travail, aboutit à peu près aux mêmes conclusions : « Tous les ouvriers sans exception , » dit-il, « si ce n'est peut-être les utopistes incorrigibles et émé- rites, reconnaissent que Fassociation ne peut être improvisée en un seul jour et par un coup de baguette ; ik avouent que son succès n'est possible que k^ntemcnt et graduellement, parla conviction et non par la force. Quanta nous, » ajoute-t-il, M. Augustin Cochin, dans une appréciation du livre de M. Le Play : Les ouvriers européens {{) , après avoir constaté les résultats du mouvement sociétaire de ^1848 et les ruines qu'il a laissées après lui , se demande ce qu'il faut conclure de ces faits : « Que les associations ouvrières sont condamnées? Nullement. L'expérience ne voue jamais des erreurs aux ténè- bres sans mettre des vérités au jour. » (1) Vuh'le Corvespondanl . n" du 25 juillet 1856, p. 556. ( 'J3) Les erreurs condamnables les voici : » L'absurde rêve de renouveler le monde par une oi'ganisa- lion universelle , fontaine de Jouvence de la vieille humanité ; ^ La théorie de l'égalité des salaires; oppression du bon ouvrier, privilège du paresseux; > La prétention de se passer de maître et de capital, de s'en rapporter, pour le bon ordre, à l'harmonie des caractères et de n'être ni dirigés ni servis; (dans les associations qui l)rospèrent, il a fallu accepter une direction sévère, très-sou- vent une discipline fort rude, chercher une clientèle, deman- der du crédit, et ajouter des auxiliaires aux associés); » La croyance que le monde industriel tout entier est prêt à l'associa tion, et que la majorité des ouvriers en coïicoit le désir et en possède les conditions; la confiance enfin que l'as- sociation peut toujours conjurer le chômage, les crises et les accidents de tout geru'e, » « Mais, d'autre part, » ajoute M. Cochin, « il est juste de louer les efforts consciencieux, presque héroïques, de nom- breux ouvriers pour se suffire à eux-mêmes et s'aider mu- tuellement. Au lieu d'une règle générale, l'association n'est qu'une exception, cela est certain. Mais , si le but est beaucoup plus loin qn'on ne pensait, si les ouvriers capables de former et de continuer une association solide sont peu nombreux, ce but pourtant, en le dégageant des passions politicpies, est loua- ble , et ces ouvriers sont dignes d'eneouragement. » .... On se précipite à l'association égalitaire pour échouer encore; mais la sage réaction de l'expérience fait revenir et s'arrêter au point juste, qui est quelquefois l'association entre patrons et ouvriers, plus souvent Tassociation des ouvriers entre eux, presque partout la mutualité, de jour en jour plus variée dans ses applications, et partout enfin la fibre mais effective union de ceux qui travaillent et de ceux qm diri- gent, ou le patronage chrétien.... » M. J. Stuart Mill (1), après avoir passé en revue les appli- (1) Principes ciéconomie poliliquc , t. 11, chap. 7: De l'avenir pro- bable c/c'6" classes laborieuses. (9G) cations faîtes en France du principe de l'association ouvrière, se montre confiant dans l'avenir de ce principe : « Quoique les associations existantes, » dit-il, « puissent être dissoutes ou forcées de s'expatrier, leur expérience ne sera pas perdue. Elles ont duré assez longtemps pour montrer un type du pro- grès futur; elles ont fait voir comment on pouvait changer la société en combinant la liberté et l'indépendance de l'individu , avec les avantages moraux, intellectuels et économiques de la production en conmiun; elles ont donné l'exemple d'un pro- cédé par lequel , sans violence ni spoliation , sans même trou- bler les habitudes et les calculs de la société actuelle, on pouvait réaliser, au moins dans lindustrie , les meilleures aspi- rations de la démocratie, mettre fin à la division de la société en deux classes, l'une industrieuse, l'autre oisive, et effacer toutes distinctions sociales autres que celles résultant de ser- vices sérieux et honnêtes. Des associations comme celles dont nous avons donné la description sont un cours d'éducation qui enseigne ces qualités morales et actives par lesquelles seules on peut mériter et obtenir le succès. » Sans partager la confiance presque illimitée de l'éminent économiste anglais dans la toute-puissance du principe qu'il préconise, nous pensons néanmoins avec lui que les applica- tions utiles et pratiques de ce principe peuvent et doivent se multiplier de plus en plus , et qu'il importe d'écarter tous les obstacles qui, directement ou indirectement, pourraient gêner ou entraver le développement régulier et pacifique de l'asso- ciation dans la sphère du travail et des besoins de la classe laborieuse. Nul ne peut méconnaître l'importance du problème posé; aussi avons-nous cru faire chose utile en réunissant quelques éléments susceptibles d'aider à sa solution. D'autres que nous poursuivront et compléteront cette étude qui, quoi qu'il arrive , sèmera des germes et portera des fruits. FIN. HISTOIRE DÉ L'ORIGINE ET DES PROGRÈS DE LA GRAVURE DANS LES PAYS-BAS, jusqu'à la fin du quinzième siècle- PAR JULES RENOUVIER. (Mémoire oouroiiiié le ûô scpleinbre I8j>9. ) Tome X, HISTOIRE L'ORIGINE ET DU PROGRÈS DE LA GRAVURE DANS LES PAYS-BAS, .IlISQr'A LA FIN DU QUINZIÈME SIÈCLU. Eslo vmbile ptirlnr,' ' (PiîIlCATORlll, CUltO X. ORir.l>ES ET PROPAGATION DE LA GRAVURE DANS LES PAYS-BAS. La gravure est k' dernier venu des arts gothiques et le plus hâtif des arts de la renaissance, de là son humilité, ses tâtonne- ments et son attrait. Elle n'est que l'ombre de la peinture, de la sculplure et de l'orfèvrerie, mais cette ombre a annoncé Timpri- merie et reflété bientôt en art original la nature, le temps et Ihomme. Quand s'ouvre le XV"^ siècle, l'art chrétien aboutissait dans ses tendances théoriques au paroxysme dtinc beauté qui prenait le pointu pour sublime, le menu pour idéal et où le dispropor- tionné et l'impossible entraient comme éléments essentiels. Heu- reusement les perfectionnements matériels avaient marché dans un sens entièrement opposé à cette théorie. Les historiens, nom- ( -M breux aujourd'hui, qui adoptent pour système la beauté exclusive de l'art gothique se méprennent quand ils font honneur au prin- cipe religieux des qualités qu'ils trouvent aux grands artistes du XV'^*= siècle. Ces artistes ne sont pas des révolutionnaires , ils tra- vaillent dans le sein de la cité et de régHse qui les nourrit; mais ils n'en sont pas moins les plus fins interprètes de l'esprit de nou- veauté et de liberté qui agite leur temps; ils professent et prati- quent lamour de la nature, la considération de lindividu, l'étude du nu, Tattrait des passions, qu'ils choyent même alors qu'ils veulent les châtier, et atteignent ainsi, par leurs moyens propres, un but plus didactique et plus humain que moral. Les exemples viendront en foule dans le cours de cet exposé; j'établis seulement ici d'une manière générale que les peintres du XV ""^ siècle ont, autant qu'ils l'ont pu, renversé les barrières qui resserraient l'art du moyen âge et qu'ils ont délivré pour jamais l'imagination du fantôme des images aclieiropoietes {absqiie ma?m facta), créé par l'esthétique des moines, en la retrempant dans le sentiment de la nature vivante et dans la science antique. Ce naturalisme et ce pa- ganisme, dont on veut leur faire des flétrissures, furent les instru- ments dont ils se servirent pour aboutir à un idéal d'expression, à une vérité de représentation et à une variété de formes infinies; infinies en ce sens qu'on n'en connaît pas encore le dernier mot. C'est au milieu du développement excessif qu'avaient pris toutes les branches de l'art ogival, à la suite de Tarchitecture, de la cise- lure, l'émaillerie, la miniature et la calligraphie, au moment de la plus grande propagation delà plastique et de limage comme moyen de culte, dinstruction et de curiosité, que parut la gravure, l'im- pression à l'encre d'une figure ciselée en relief ou en creux sur le métal ou sur le bois, art nouveau qui allait faire pénétrer dans les maisons l'enseignement qui débordait 1 Église. Pour sufiire à tous les besoins de cet art nouveau, un véhicule de facile accès, le pa- pier de chiffons, venait de surgir, aussi favorable à l'impression que le parchemin avait pu l'être à l'écriture et à la miniature. Au fait matériel delà découverte sattachc un grand intérêt; mais comme il échappe {)ar son obscurité à toute constatation authentique, l'imagination y a suppléé. Les auteurs friands d'anec- (S ) dotes ont pris au pied de la lettre les légendes. Papillon, histo- rien de bonne foi, mais manquant du sens critique, a raconté qu'il avait vu neuf estampes, représentant les chevaleureux faits d'A- lexandre, que le chevalier Cunio et sa sœur Isabelle, jumeaux de Ravenne au nom desquels s'attache une légende intéressante, avaient gravées en relief sur des tables de bois au moyen d un petit couteau et avaient ensuite marquées sur le papier, signé et dédié au pape Honorius IV, ce qui les faisait remonter à Fan 1284 (1). D'un autre côté, le savant hollandais Junius rapporte que Laurent Coster, en se promenant dans un bois auprès de Harlem, détacha des écorces d'un hêtre et s'amusa h en faire des lettres et des fi- gures qu'il imprima sur du papier ["2). Enfin Vasari a écrit que Finiguerra avait inventé la gravure en passant un papier humide sur l'empreinte en soufre noircie de ses plaques niellées (5). Que ces histoires soient véritables, fausses ou arrangées , on n'y sau- rait trouver l'origine positive de la gravure; elles se placent au berceau de l'art moderne, comme des légendes, semblables à celles que l'on raconte sur les commencements de l'art antique ; aux histoires de Craton, de Sauria, ou de la fille de Dibutade in- ventant le dessin en traçant sur un mur la silhouette de son amant. Plus on parvient à connaître d'estampes incunables, plus on se persuade que l'origine de la gravure est un fait complexe et qui ne saurait être précisé quant au procédé, à linventcur, au pays et à la date; tous les documents connus n'aboutissent qu'à des géné- ralités et à des hypothèses. Mais la critique esthétique vient don- ner à ces hypothèses la clarté nécessaire à Ihistoire. (1) Papillon, Traité historique de la gravure sur bois, 1. 1 , p. 83. 1700, — D'excellents auteurs acceptent comme vraisemblables les faits racontés par Papillon : de Murr, Zani, Eméric David, Ottley; d'autres les ont rejetés : Heinecken, Lanzi, Mariette, Chatto, etc. (2) De l'Invention de V Imprimerie, ou Analyse des deux ouvrages pu- bliés sur cette matière; par Mcerraan. Paris, 1809; in-S". Le texte de Junius y est traduit et commenté. (3) Vasari, Marc Antonio e ullri inaglialori in slompe; t. IX, j). 2n6. Firenze, Lemoniiier, 1855. ( aldini le lurent en Italie dans la leur. ( « } Au inomeiit où riiiiprinierie coininença à se répandre, la gra- vure sur bois y trouva un nouveau débouché. Mus par le désir d imiter les manuscrits, les imprimeurs empruntèrent aux rubri- cateurs et aux miniaturistes leurs lettres ornées et leurs figures. Depuis longtemps les planches des livres de Cologne et de Nurem- berg ont été remarquées, mais jamais il n'a été fait d'examen chronologique et comparé des nombreux livres à figures sur bois qui sortirent, dans les trente dernières années du XV°' siècle, des presses de TAllemagne, des Pays-Bas, de lltalie et de la France. C'est là pourtant qu'est l'histoire de la gravure en bois la plus féconde et la plus sûre, et par elle une histoire du dessin aussi cu- rieuse qu'instructive. De savants bibliographes, Maittaire, Panzer, Hain, Brunet, ont supputé ces précieux incunables; ils ont même quelquefois compté les planches en bois qui les distinguent; mais Tappréciation esthétique des figures était encore plus éloignée de leur but que l'appréciation littéraire des textes. Dibdin seul a voulu relever ses catalogues des beaux livres de lord Spencer par la remarque des figures qu'ils contenaient; on peut regretter, tou- tefois, quil l'ait fait avec plus d'humeur que de véritable critique. 11 reste à montrer que les diverses écoles y paraissent avec toute leur virtualité, et qu'indépendamment des questions curieuses d'origine auxquelles leur examen peut donner lieu, les livres de Pfister publiés à Bamberg, de Gunther Zaincr et d'Antoine Sorg, à Augsbourg ; de Ruw ig , à Mayence ; de Jean de Westphalie , à Louvain; de Bellaert, à Harlem; de Gérard de Leu, à Gouda et à Anvers; d Ulric Galle et de Lignamine, à Rome; de Johanncs, à Vérone; de Luca Antonio Giunta, à Venise; de Guyot Marchant, de Vérard et de Vostrc, à Paris; de Guillaume Leroy et Matthieu Husz, à Lyon, contiennent les plus précieux monuments de 1 art de la gravure en bois. La diffusion et l'anonymie de toutes ces planches ont beaucoup contribué à leur discrédit; le moment est venu de les trier, d'en révéler la manière , et faute de noms d'ar- tistes que l'érudition n"a point encore su trouver, d'en attribuer le mérite aux imprimeurs et aux libraires qui en firent les frais : ils étaient, eux aussi, dans ce temps des artistes. Quelles que soWiU les lumièi'cs que Ton puise dans lexamen dc^ ( 9) livres à figures, de date et de lieu bien eouiius, pour la détermi- nation des écoles, il reste toujours beaucoup d'incertitude en pré- sence des monuments plus anciens. L'ambiguïté se présente surtout quand il s'agit d'indiquer le point de départ des estampes primi- tives entre les Pays-Bas et les pays rhénans : pour s'entourer de tous les éléments de discernement, il importe de se rendre compte de la civilisation comparée des deux pays. Une prééminence incontes- table appartient aux Pays-Bas; ils la doivent à l'organisation des gildes d'ouvriers et au gouvernement des ducs de Bourgogne, qui, selon les expressions des chroniqueurs, avaient amené des siècles doi'és et fait de la Flandre une terre de promission. Au milieu des fermentations populaires, du faste de la cour, de la prospérité industrielle, de l'exubérance architecturale, une école de pein- ture, qui peut le disputer aux plus grandes écoles d'Italie, avait été fondée à Bruges par les Van Eyck, et ses excellents principes s'étaient propagés à Gand, à Bruxelles, à Harlem, à Louvain. L'imagier Claux Sluter avait élevé la sculpture à un degré de perfection non moins extraordinaire. C'est sous ces influences que les germes de la gravure et de l'impression paraissent éclore, tout à fait inaperçus au milieu du mouvement pittoresque et littéraire , mais portant dans leur style des signes inévitables de leur prove- nance. A ce moment les métiers se rangent en confréries sous le patro- nage d'un saint avec l'écu et la bannière de leurs armes, ils rédigent les statuts de leurs serments; et dans leurs registres figurent avec les peintres les artistes ou les ouvriers travaillant les images par tous les procédés jusqu'à celui de l'impression. Les chambres de rhétorique organisent leurs fêtes, leurs concours et leurs repré- sentations dramatiques dans les principales villes. La langue fran- çaise devient même alors prépondérante, au moins pour la cour et les classes éclairées; les chroniqueurs nationaux des Flandres l'ont adoptée; les poètes varlets de chambre du duc font briller cet esprit raffiné bien qu'amphigourique de tendresses et de sym- boles, cette na'ivc dévotion à la Vierge et aux dames dont nous avons les modèles dans les œuvres de Pierre Michault et d'Oli- vier de la Marche. Ne nous étonnons pas de voir s'infiltrer jusque ( 10 ) dans le plus vulgaire des arts du dessin la subtilité de composition et la recherche d'expression mêlées à un fonds de réalités ingé- nieusement observées, qualités que ne feraient pas supposer les moyens rudimentaires dont la gravure dispose au moment où elle vient à poindre : Visage elle a fait angféliquement Qui en couleur passe le firmament Et en fraischeur la rosette novelle : Le remananl ne fust fait autrement Que son voulsist par très-grand parement Mettre son corps comme ymage en chapelle, Ainsi bone est, et belle , et telle, qu'elle Mieux désirer on ne peut à plaisir j Car advis m'est que pour une pucelle On ne pouvait au monde mieulx choisir (t) ! De cet idéal descendons aux modèles de beauté que purent avoir les artistes, et ne craignons pas de les prendre grands, car même à Tétat d'enfance l'art reçoit inévitablement l'empreinte de la beauté régnante; il ne sagit pas encore, sans doute, de types fixés, mais seulement des traits généraux de physionomie, et des particularités de costume qui furent la ressource des plus petits dessinateurs. Les princesses de la cour de Bourgogne n'ont pas laissé de por- trait célèbre ni de beauté historique. Les peintures qu'on ren- contre dans quelques collections (2) n'ont pas, dans la manière inefïicace avec laquelle les physionomies sont rendues, ce degré qui donne la vie, mais elles restent précieuses pour le costume. On consulte avec plus d'intérêt les sculptures qui en ont été con- servées dans les tombeaux de Dijon et de Bruges, et les char- mantes statuettes de bronze réunies à l'hôtel de ville d'Amsterdam; enfin, nous les connaissons, par les chroniqueurs. La dernière comtesse de Hollande et de Brabant, Madame Jacques de Bavière, (1) Ballade extraite d'un manuscrit de la Bibliothèque des ducs de Bourgogne; par Téditeur de la Danse aux Jmugles. Lille, 1748; in-12. (2) Portraits des duchesses de Bourgogne au musée de Lille. — Portrait de •lacqueline de Bavière au musée d'Amsterdam , etc. ( Il ) était « coiiite beaiicop et gaye, fort vigoreuse de corps et non » proprement sorte à homme foible (I) ». Le duc Philippe le Bon avait rencontré dans sa troisième femme, Ysabeau de Portugal, une j)rincesse dévole et triste, mais il s'en était dédommagé : c'était, suivant un chroniqueur, « le plus damerct et le plus envoiseux » que Ton sçut (2) , )• et suivant un autre, qui parle plus explicite- ment, « avoit en lui le vice de chair : estoit durement lubrique et » fraisle en cet endroit : à souhait de ses yeux complaisoit à son » cœur et au convoict de son cœur multiplioit ses délicts (5). » On a trouvé dans les comptes de sa maison en même temps que des artistes, des ménestrels et des fous, qu'il avait à sa solde, le nom d'une dizaine de maîtresses (4). Aucune n'a acquis de la célébrité, si ce n'est celle qu'il avait prise à Bruges et dont il voulut, au dire d'une légende indiscrète, mettre en réputation le genre de beauté tout particulier par l'institution de la Toison d'or (5). A défaut de figure plus précise, nous avons du moins son costume. Si l'habit ne fait pas le moine, la robe fait bien la femme. Dans l'une de ces fêtes allégoriques si amplement décrites dans les chro- niques , la princesse de joie, chargée de présenter au duc le cha- pelet de fleurs, est une « très-belle dame jeune, vcstue d'une « robe de soye violette, richement brodée et estofîée d'or, et lui » partaient imes manches oultre la robe, d'une moult belle soye, » escrites de lettres grégeoises, et estoit son chef paré de ses che- » veux beaux et blonds, et par-dessus une locque affuléc d'un voici » moult enrichy de pierreries (G) ». La description la plus exacte du costume de Boui'gogne nous est donnée par Jean Duclcrc, con- seiller de Philippe le Bon : <( En 1460, les dames et demoiselles ne portoient plus nulles (1) Georges de Chastellain , chronique du duc Philippe, p. 61). Coll. Buchon. (2) Olivier de la Marche; cliap. VII. Collection universelle des Mémoires ; t. VIII. p. 59. (-5) Chaslellain , Elo(je du bon duc Philippe, p 507. Coll. Buchon. {'{) L. de Laborde : Lts Ducs de Bourgogne. (5) Colornies, Recueil de pnrticularilés. — P. Colomesii Opuscula^ p. 127; Parisiis, lOOS; in- 12. Il cite Vossius, une chronique tlamande et Favin, ThéiUrf d'honneur. (0) Olivier de la Marriie. Uiô Chap. XXIX, Coll. unie. I. IX, p. 4. ( 12 ) )) queues à leurs robes, mais eiles portoient bordures de gris, de -) letisses de velours et aultres choses de largeur d"un velours de b haut; elles portoient sur leurs chiefs, bourlets en manière de » bonnets ronds et diminuant par-dessus de la hauteur de demi- ^) aune ou trois quartiers de long, aucunes moins aucunes plus, et » déliés couvier chefs par-dessus pendans par derrière jusques en » terre avec ceinture de soye de la largeur de 4 ou 5 pouces, les >^ tissus et serures larges et dorées pesant 5, 6 ou 7 onces d'argent; » de larges colliers d'or en leurs cols de plusieurs façons. En ce » temps aussy les hommes se vestoyent sy court, que leurs chausses « alloient presque jusques à la forme de leurs fesses; ils fesoient » fendre les manches de leurs robbes et de leurs pourpoints si bien » qu'on voyait leurs bras, parmy une déliée chemise quils por- » toient, la manche de la chemise estoit large; ils avoient longs » cheveux qui leur venoient par-devant jusques aux yeux et par- » derrière jusques en bas; sur leur tête ils portoient un bonnet de >' drap d un quartier ou d'un quartier et demi de hauteur, et les » nobles et riches grosses chaînes d'or au col; avec pourpoint de » velours ou drap de soye, et de longues poulaines à leurs solliers » de ung quartier ou quartier et demi de long, et à leurs robes gros » maheutres sur leurs épaules pour les faire apparoistre plus gros » et plus fournis; leurs pourpoints étoient garnis de bourre et s'ils » n'étoient ainsy, ils shabilloient touts longs jusques en terre de 1) robes ; tantôt en habit long, tantost en habit court; et n'y avoit si >• petit compagnon de mestier qui neut une longue robe de drap « jusques aux talons. » Le type qu'à travers ces alibiforains on peut soupçonner n'est pas celui qu'ont mis en circulation Lucas de Leyde et les artistes flamands de la renaissance, ni celui de Frans Floris et d(^ peintres imitateurs de l'Italie; encore moins celui de Rubens et des peintres naturalistes du XVII"" siècle. Mais c'est un type flamand bour- guignon; il consiste, ce me semble, en une figure serrée dans sa ( omplexion , assez charnue de formes , mais allongée et subtile aux extrémités, gracieuse et religieuse dans sa naïveté, mais expressive et même hardie dans sa matérialité. Ses traits conviennent à la nature flamande encore enveloppée dans le sentiment gothique; { 13 ) ils ne sont qu'indiqués dans nos estampes embryonnaires , ils pa- raissent avec tout l'éclat d'un art consommé dons les tableaux de Van Eyck : depuis la composition mystique de l'Ai^neau (1), où se montre une si vive compréhension de la nature et de l'idéal, jus- qu'au Portrait de deux fiancés (2) , où la réalité est si profondé- ment étudiée qu'on y voit revivre une individualité tout entière, corps et àme. Mais nous avons du même type des modèles plus vulgaires et d'une comparaison plus facile dans les manuscrits enrichis d'ima- ges faits au commandement des ducs Philippe le Bon et Charles le Téméraire, et de. la main de quelqu'un des miniaturistes qui rayonnèrent de l'école de Bruges. Tels sont la Bible moralisée en latin et en français de Philippe le Bon (5), le Bréviaire de l'église de. Salisbury (4) , le Roman de Renaud de Montanhan (5) et plu- sieurs autres qui ont été cités et en partie décrits par MM. Paulin Paris (6) et Léon de Laborde (7), et qui ont de grandes inégalités de mérite et des différences de dates qui s'étendent de la fin du XIV'"- siècle à la fin du XV"^ On trouve dans les nombreuses miniatures de ces manuscrits des figures poupines à tournures déjetées et extrémités prolongées, d'un dessin et dune ordon- nance quelquefois pleins d'adresse et desprit, souvent faits de pratique et dune complète puérilité, corrigeant toujours à force de naturel les textes mystiques de la Bible ou les phrases alambi- quées du roman à côté desquels elles sont placées. Le Bréviaire a des compositions d'une telle richesse liturgique , des figures de vierge d'une piété si expressive, des têtes d'enfant et de vieillard d'une réalité si vive, qu'elles ont mérité d'être attri- (1) Les panneaux en sont disséminés à Gand et à Berlin. (2) A Londres, National Gallery. (ô) Bibliothèque nationale, n" C829 et 6829'. (4) Ibid. Fond Lavalière, n" 82. Décrit dans le Catalogue LavaJlidre, t. I, p. 273. (5) Bibliothèque de TArsenal. (6) Manuscriis français de la Bibliothèque du Roi, t. II, p. 25. Paris, 1858;in-8". (7) Les Ducs de Bourgogne , 1. 1, Introduction, p. lxxxiii et suiv. Paris, 1849. ( 1-4 ) buf'îos aux Van Eyck (1). Il me suffira de ciln- ici la iiiiiiialuic de V Adoration des Rois, qui présente en effet la plus parfaite analogie de style avee le tableau de la Vierge cm donateur du Louvre; je la signale à eause de la légende française qui l'accompagne : Alons en Jhèrusalem saleur le roys le roy. Cest une circonstance que nous remarquerons dans plus d'une estampe flamande de celte époque. Le Renaud, qui ne peut revendiquer des auteurs aussi illustres, n'en a que plus d'affinité avec nos estampes primitives. Ces figures, compassées dans leurs mouvements, étirées dans leurs membres, puériles dans leurs dispositions, restent toujours piquantes de naturel et précieuses d'expression. Ce sont des marionnettes avec des têtes de cire et des costumes merveilleux où Ton voit tous les affiquets dont nous venons de donner la description daprès les chroniqueurs, et bien d'autres qu'ils nont pas voulu décrire, comme la toilette intime de Ysanne parlant d'amours avec Maulgis en la chambre de la royne, qui se compose dune robe d'étoffe lilas à pli de corps, déboutonnée jusqu'au-dessous du nombril et dune chemise de gaze. Les divers personnages qu'elles représen- tent : prêtres psalmodiant, religieuses en guimpe, Renaud armé comme le saint Georges des chapelles portatives de Dijon, Maulgis et Oriande assis dans un treillis à côté d'une fontaine, d'une le- vrette et dun pot de giroflée, le roi Murgalant nu dans sa cuve baptismale, Charlemagne en chemise et la couronne en tétc dans l'intérieur de son tref, sont la chair et les os dont nous voyons Tombre dans nos estampes. J'ai trouvé jusque dans les petits coups de burin dont nos graveurs composeiU leurs hachures, rimitation des petits traits de pinceau ou de ]>luine dont ces miniaturistes forment leurs ombres. Si 1 on veut bien maintenant considérer les personnes, les insti- tutions et les habitudes qui dominent dans lAllemagne, un spec- tacle un peu différent se présente aux regards. De l'autre côté du Rhin règne Frédéric III, empereur connu dans Ihistoire par son \\) M. Waagen y reconnaît la main de Hubert, de Jean et de leur sœur Mar- {fueiite. Handbook of Painting , transi, from the german of Kugler. Germait and Dutcft Srhnols : p. 77. London, 1854. ( 13 ) caractère peu chevaleresque, ses allures pesantes, ses mœurs cliiches. Olivier de la Marche, qui le vit à Besançon, nous le peint » habillé d'un pourpoint h gros cul à la guise de Behaigne et d'une « robe de drap bleu-brun et avait un chaperon par gorge dont la ») patte venoit jusques à la selle, et estoit découpé à grands lam- » beaux, et portoit en son chief un chapel gris a court poil et sur » son chapel une petite et estroite couronne d'or (1), » Comme Phi- lippe le Bon, il envoya chercher une femme en Portugal, mais lim- pératrice Éléonore, la mère de Maximilien, ne fait pas plus de figure que la duchesse Isabeau, mère de Marie de Bourgogne, dans le récit que nous ont laissé les ambassadeurs de Frédéric auprès du roi de Portugal. Les qualités de la fiancée ne sont célébrées que sous les formes d'un panégyrique officiel; les fêtes du mariage célébré à Rome ne se distinguent des banalités accoutumées dans ces occasions que par les grandes chasses qui les accompagnent. Qu'attendre en effet de ces comtes sauvages (wildgrave , comités Inrsutiy sylvestres, comme on les appelle) que des preuves de force corporelle? quelles femmes trouver en la compagnie de gens dont Commines nous atteste la grossièreté : « Les gens du duc di- y> soyent que ces Allemands estoyent ords et qu'ils jettoient leurs » houseaux sur les Hts richement parés (2). » De la Bourgogne, en effet, comme de Tltalie pleuvaient alors sur la pauvre Allemagne les reproches d'ignorance et de barbarie; elle les justifiait même dans sa poésie. Par une circonstance unique dans l'histoire littéraire, la poésie en Allemagne paraît alors dévolue aux artisans, les maîtres chanteurs sont organisés en corporations, comme tous les métiers, et divisés en apprentis, compagnons et maîtres. Les plus célèbres, à Mayence , à Colmar, à Nnr(>mberg, ont laissé des poëmes , des contes et des jeux que l'on ne cite guère que comme des épouvantails de grossièreté et de licence. (1) Olivier de la Marche, ch. VII, p. 55, 1442. — M. de Barante, Histoire des Ducs de Bourgogne , Vf, p. 190, éd. Delloye, 1839, a trouvé moyen de traduire ce passage en le travestissant. (2) Mémoires de Messire Philippe de C'owmmf.v ,ch. x.wvi, p. 80. Paris, 1579. ( !<•> ) A Cologne, il est vrai, avait hrilh' . au ('oniiiienccinciU du XV"" si('ck', iiiu' ('colc de peinture dont on eonnait mieux les tableaux que les maîtres, et qui a pour quaiitc's prineipaîes un idéal très-religieux, des formes arrondies, des eouieurs elaires et fondues. Mais Cologne, à eause de sa prospérité commerciale, de la puissance de sa bourgeoisie, de la cour magnifique de ses archevê- ques et du développement de son architecture, est une cité excep- lionnellc par ses arts comme par sa situation sur les bords du Rhin. Elle constitue un point intermédiaire entre les Pays-Bas et l'Allemagne. C'est aussi le seul point où paraissent des estampes qui puissent disputer d'ancienneté avec celles des Pays-Bas. La trace de Técole de Cologne se laisse dilïicilement soupçonner dans ces premières gravures allemandes : elles gardent au milieu de riiiératismc le plus naïf un sentiment cru de la nature et une tendance prononcée à l'exagération laide. Mais il faut se rap- peler que l'influence des maîtres Wilhem et Stephan fut courte et bornée ; leurs imitateurs laissèrent perdre toutes leurs bonnes qualités; elles n'avaient pas prévalu en Westphalic et en Souabc, où paraissent aussi des écoles dont les peintures sont caractérisées par la grossièreté de Texprcssion , la sécheresse et la grimace des contours. On sait d'ailleurs que l'influence des maîtres flamands s'était étendue aussi en Allemagne, en ce sens qu'on y imita leurs qualités les plus communes, h une époque où eux-mêmes avaient laissé dégénérer les plus pures traditions des Van Eyck. On ne voit pas que l'Allemagne produise, au XV '"^ siècle, une école quelconque de miniaturistes. Cette pénurie à l'endroit d'un art qui touche de si près à la gravure est un argument de plus en faveur de la thèse qui rapporte aux Pays-Bas les plus précieux et les plus remarquables anonymes gravés sur bois et sur cuivre. D'un autre côté, on rencontre en Allemagne des suites de des- sins à la plume relevés d'une enluminure légère et accompagnés de noms ou de courtes légendes manuscrites, dont les grosses lettres présentent la plus complète analogie avec les écritures du XIV™*" siècle et dont les figures , par la nullité de leur composition, ia maladresse de leurs attitudes et la monotonie de leurs expres- sions, sont les précédents innnédials des ouvrages des tailleurs de ( 17 ) hois. Un libraire a iinpoi'lé à Paris, vn 1855, un recueil de ee genre ])résentant 84 sujets de l'Aneien et du Nouveau Testament (I), dont lintérèt n'était pas dans la distinction de la main-d'œuvre et la supériorité de l'artiste, mais dans le procédé en traits inégaux se serrant quelquefois et s'épaississant sans se croiser et se compli- quer de hachures , procédé qui fut le point de départ de la gravure en bois. Le catalogue attribuait ces dessins à un maître de l'école d'Alsace ou de Bavière; on s'aventurerait moins, je crois, en cher- chant leur origine sur les bords du Rhin, où fut le berceau de Tart aHemand. Leur signalement résulte surtout des airs de tète soignés, mais béatifiés dans un sourire uniforme, et ne prenant une expres- sion mahgne que dans quelques figures judaïques; il résulte peut- être aussi des costumes caractérisés surtout par de longues robes à festons et à grelots. La gravure, dans ses premiers tâtonnements, ne suit donc pas les mêmes phases que la peinture, mais elle répond aux mêmes tendances, et dans ses applications plus vulgaires, elle porte peut- être l'empreinte plus vive des mœurs. Quant à sa marche propre, voici comment je l'aperçois. Lorsqu'on jette un coup d'œil sur la carte d'Allemagne d'Orte- lius, après y avoir pointé les lieux signalés conmie des ateliers de gravure, et qu'on cherche à se rendre compte de leurs relations, eu égard au style des ouvrages et.aux délimitations géographiques, on aperçoit trois courants distincts, bien qu'ils ne soient ni égaux ni réguliers. Le premier, le plus lointain, vient des villes maritimes de la Hollande et de la Flandre; le second s'établit sur le Rhin; le troisième pénètre dans les villes à l'est de la Franconie et de la Souabe. Il y a donc, pour employer la langue des arts, trois écoles : la néerlandaise, la rhénane et la franconienne- souabienne. La première se caractérise par son affinité avec les peintures et les miniatures des disciples de Van Eyck; la seconde , signalée d'abord par des ouvrages hiératiques qui lui assurent une haute antiquité, tend, par sa position intermédiaire, à se ramifier et à se croiser avec (1) Catalogue de livres, Tross, 1855, n" 98, avec le fac-similé de rmi des dessins. Tome X. 2 ( 18) les autres par le Brabant et par l'Alsace; la troisième, la plus ré- cemment développée, représente l'élément tudesque le plus pro- noncé et se rattache aux sculptures des artistes de Nuremberg. Dans quelle ville des Pays-Bas était placé l'atelier d'où sortirent les plus anciennes estampes de l'école néerlandaise, estampes isolées ou planches des livres des pauvres? On l'ignore; mais l'hon- neur n'en peut revenir qu'à l'une de ces grandes communes qui étaient devenues, par leurs corporations d'ouvriers , leurs établis- sements religieux et leurs familles patriciennes, les centres les plus actifs de la hberté et de la civilisation. Bruges , Gand, Harlem , Lou- vain, Anvers, Bruxelles, Bois-le-Diic possédèrent consécutivement les ateliers où s'alimenta l'imagerie du XV""^ siècle. Les artistes y sont poussés par le désir de suffire à des populations recherchées dans les objets de leur culte, mais faciles et crédules dans leur curiosité et insatiables dans le plaisir et l'instruction qu'elles reçoi- vent par les représentations de l'art. Les contrées du Bhin ont toujours formé un pays intermédiaire entre la Néerlande et la haute Allemagne dont les Hmites à l'ouest et à l'est n'ont jamais été bien fixées; et les villes du Rhin, formant confédération de petites républiques avec états électifs et corpora- tions prenant une part importante au gouvernement, au commerce et aux ouvrages d'art, ont eu fort anciennement aussi des ateliers de gravure et d'impression. Cologne tint le plus important. Sa situa- tion entre le haut et le bas Rhin, sa prospérité commerciale, la suprématie de son archevêché et jusqu'à son dialecte participant de deux autres, le belge et le bas saxon, y facilitaient la fabrica- tion des estampes et des images légendaires propres à être répan- dues dans les diverses provinces. Mayence, Strasbourg, Baie vin- rent ensuite; Bocholt, une petite ville de la Westphalie voisine du Rhin, dut à son atelier une importance toute particulière. En pénétrant dans les contrées de l'intérieur, la Souabe et la Franconic, on rencontre les principaux atehers de gravure à Augs- bourg. à Ulm, à Nuremberg et jusqu'à Landshut en Bavière, c'est- à-dire dans les villes que l'histoire du XV™* siècle signale encore pour le rôle de leurs institutions. Les liens sont nombreux, en effet, entre l'histoire générale et ( 19 ) l'histoire de l'art. Mieux on connaît les annales des villes, le per- sonnel de leurs corporations, le culte de leurs saints, plus on se familiarise avec leurs coutumes et avec leurs types populaires, plus il est facile d'arriver à la détermination de leurs ouvrages d'art jusques aux plus petites estampes, parce que les images ne sont qu'un hiéroglyphe des types, -des mœurs et des idées qui ré- gnent; il reste à l'interpréter. Il LES ESTAMPES EN OUVRAGE INTERRASILE OU CRIBLÉ. Les estampes les plus hiératiques dans leur style , les plus ar- chaïques dans leur travail sont analogues aux ouvrages de gravure sur cuivre décrits par Théophile dans le plus ancien traité pratique de l'art gothique qui nous soit resté, au chapitre De Opère interra- sili (i); elles sont faites de points, de hachures et de fleurons re- levés en hlanc sur fond noir, avec un mélange de traits noirs qui indiquent une comhinaison de la gravure en creux et en relief. Leur effet, inverse de celui qu'aurait produit la plaque d'orfèvrerie si, au lieu d'être frottée d'encre et imprimée, elle eût été dorée, niellée ou émàillée, se compose principalement de contours épais, de vêtements en guipure et de fonds pointillés et gaufrés. Elles sont restées inconnues à Heinecken, à Bartsch et à Otley. Un amateur de Nuremberg, en 1618, Paul Behaim, cité par de Murr, les avait signalées dans son catalogue sous le nom de Ge- schroten Arheit ; mais cette expression, reprise récemment par M. Sotzman , n'avait été comprise ni par Murr ni par Bartsch (2). Zani les a aperçues, il les attribuait à lun des vieux maîtres alle- (1) Théophile, Essai sur divers arts, lexle et trad. publ. par M. Ch. de l'Es- calopier, pp. 253, 235. Paris, 1843; in-^". (2) Bartsch, Le Peintre Graveur, t. XIII. Essai sur l'histoire de la dé- couverte de l'impression dès estompes , p. 5. (20 ) mands ou flamands qu'il a souvent remarqués, sans jamais les bien déterminer, il maestro ai ciiscini ed abiti ricamati (1). M. Du- ehcsne, qui en avait vu quelques-unes au cabinet des estampes, in- formé qu'un M. ITill, amateur de Manchester, avait trouvé sur une Vierge tenant V enfant Jésus, gravée dans cette manière extraordi- naire, le nom de Bernard Milnet, se hâta de ranger sous ce nom, qui paraissait être français, toutes les estampes du même genre et notamment un saint Bernard où il lisait la date de 1454. Sans les déterminer davantage , M. Duchesne les croyait gravées sur bois (2). En 1839, iM. Léon de Laborde les signala avec plus d'exactitude comme faites d'un travail pointillé en blanc sur fond noir avec une régularité semblable aux trous d'un crible , et les appela pour cette raison gravures criblées et genre criblé; il les dit gravées en relief et en creux tout à la fois sur des plaques de métal par les orfè- vres du XV"^ siècle. Le savant critique y reconnut différentes mains, il ne se refusa pas du reste à admettre parmi les graveurs dans ce genre Bernard Milnet, et il donna le trait de linscription conte- nant ce nom d'après le fac-similé que M.Hill avait fait exécuter à Anvers en 1820 (ô). 11 suffit d'examiner ce fac-similé où on lit dans la marge inférieure : Bernardinus Milnit (4), pour être persuadé que la Vierge n'est pas de la même main que le saint Bernard, et que Tinseription n'est peut-être que le bout d'une légende faisant allu- sion à la singulière faveur que saint Bernard , Mellifluus Doctor, avait reçue de la Vierge, faveur reproduite dans beaucoup d'autres estampes gothiques, où l'on voit le saint Virginis ubere instar filii pastîts, selon les expressions de Paquot (5). S'il fallait voir là une (1) Enciclopedia délie belle arti, parte sec. Parma, 1817-1892, 9. vol. in-8". (2) Essai sur les Nielles, 1826; in-S". (3) La plus ancienne gravure du cabinet des estampes est-elle ancienne? Extrait de l'Artiste. 1840. (4) Il fui tiré à 25 exemplaires, envoyé à M. Van Praet et à M. Duchesne. M. Hill disait, dans sa lettre à M. Van Praet, qui a été conseivée à côté de l'es- tampe au déparlement des' imprimés de la Bibliothèque nationale : « Le nom de r Bernhardinus Milnet, en bas du fac-similé, pourrait être mieux copié, mais j'es- «• père cependant que vous le trouverez assez lisible. » J'ignore ce qu'est devenu l'original, mais j'ai entre les mains l'exemplaire qui fut envoyé à M. Duchesne. (fi) Molanus, De Hisloria SS. Tmaginurn , p. ô->6. Lovani, 1771; in^". { 21 ) signature contre l'usage général du temps, le premier mot seul s'appliquerait au nom de l'artiste Bernhardimis ; le second Milnit serait le verbe : pour miniavit ou illuminavit , l'œuvre étant on effet plutôt d un miniaturiste que d'un sculpteur ou d'un peintre. Les estampes interrasiles, dont le nombre aujourdhui connu dépasse la centaine, sont toutes anonymes; la seule date qu'on y ait lue, celle du saint Bernard du cabinet de Paris, est 1474 et non 1454, comme on l'a avancé; la forme en équerre du troisième chiffre ne permet pas d'incertitude. Mais il n'en est pas moins cer- tain qu'il y en a de beaucoup plus anciennes. Sans tenir compte de celles qui n'ont d'autre signe d'antiquité que la barbarie de leui- exécution, indice toujours équivoque, il y en a que le style des figures et de l'ornementation reporte aux premières années du A^yme siècle , si ce n'est plus haut; Tusage, bien que circonscrit, en continua assez longtemps. Voici les plus remarquables de celles que j'ai rencontrées : 1. La Vierge dans sa gloire (cabinet des estampes). Elle est debout sur le croissant, tenant l'enfant Jésus sur le bras droit et une fleur dans la main gauche, la tète couronnée d'étoiles, les che- veux épars et le corps entouré d'une gloire rayonnante, avec un cadre formé de nébules et historié de la tête du Sauveur, des bustes des apôtres, et dans les angles des symboles évangéliques. L'expression sérieuse des têtes, le travail en hachures menues, la pureté du tracé ogival flamboyant, placent cette pièce assez haut dans le XV"'' siècle, c'est une plaque d'orfèvrerie qui n'é- tait point faite pour être imprimée, car les inscriptions y sont à rebours, les figures et les ornements y paraissent tout en blanc sur un fond noir très-réduit et produisent l'effet opposé à une niel- lure. Quelques parties , les rayons , les cheveux, ont reçu , après l'impression, une enluminure jaune et les têtes une teinte de chair qui aide à l'effet de la gravure. 2. La Nativité (cabinet de Berlin). Cette pièce, d'une composition bien entendue dans un système où la perspective est impossible, d'un dessin expressif, malgré l'épaisseur de ses traits, et d'un tra- vail habile, varié et pittoresque, avec encadrement ogival riche, se { 22) ressent des meilleures écoles de peinture du XV™" siècle; on y re- marque un ccu portant deux espèces de palmes en sautoir dont j'ignore l'attribution et que j'ai cherché vainement parmi les armoi- ries de la basse Allemagne et des Pays-Bas d'où il paraît provenir, 3. Une Sainte debout tenant une fleur d'une main et un vase de Vautre, dans un champ de fleurs et im cadre de branchages (collections Révil, Robert Dumesnil, etc.) (1). Elle n'est remar- quable que par Ihiératisme de l'expression et la symétrie du pro- cédé où le pointillage et l'enluminure se combinent d'une manière assez heureuse. 4. Le Christ de douleur (cabinet de Berlin). Il est affaissé sous la croix. Dieu le Père le regarde du haut des nues; un ange vient l'assister. Le dessin de cette pièce est gros mais plein d'expression . et le travail criblé, moiré et étoile est dun bon effet encore augmenté par une enluminure. 5. La Vierge allaitant V enfant Jésus (cabinet de Berlin). Ici les vêtements ne sont marqués que par les hachures les plus sobres, et les chairs se détachent sans modelé sur le fond criblé; mais le trait épais est ferme et hardi; la ligure de la Vierge et celle de l'Enfant m'ont paru rappeler les types de Roger Van der Weyden; elles sont, encadrées dans une arcade à trois cintres et à colonnettes. 6. Sainte Catherine (cabinet de Paris) accroupie près de sa roue et portant une banderole : Cû. florile septë in, carpio Xum. gra- matica. loyca. arit. geo. ast. mu. Cette figure posée de dos avec la tête de profil, les cheveux épars, et enveloppée d'une robe à plis épais d'où sortent des bouts de bras, et qui s'enlève en découpure sur un fond resté nu, n'est pas d'un artiste, mais elle a un aspect très-archaïque, et la criblure en est faite avec beaucoup de soin. Quelques personnes l'ont jugée la plus ancienne du genre; Ihabilc dégradation de la criblure qui y paraît rend l'assertion douteuse; (1) Catalogue de la rare et précieuse collection (V estampe s du cabinet de M. R., par Defer. Paris, 1858; in 8", n" 12. Elle esldéciite sous le nom de sainte Marguerite, comme une gravure sur bois. — Catalogue d'estampes anciennes du cabinet de M. lî. D., par Del'er. Paris, 1855, in-S», n> 2. Elle est désignée iri sous le nom de sainte Vierge, comme une pièce en bois, gravée et dessinée dans le goMi de ]?crnard Milnel. { 25 ) elle est faite dans le même système que le saint Bernard de 1474. 7. Le Sauveur jeune (cabinet de Paris). Il est nu, assis sur un coussin, la croix sur l'épaule, à côté la colombe tenant une bande- role avec quelques mots allemands; les traits ressentis de cette figure avec les cheveux en volutes, les doigts longs, les pieds carrés et les yeux de face sur un profil prononcé, appartiennent au style allemand. Elle ressort tout en blanc sur un coussin brodé, avec un fond criblé et semé de fleurs et d'animaux. On trouve souvent parmi les pièces primitives des images semblables destinées à rap- peler la solennité du nouvel an. 8. Saint Christophe (cabinets de Paris et de Munich). Il marche appuyé sur une massue entre deux rochers très-élevés; l'enfant Jésus sur ses épaules a son manteau soulevé parle vent; l'ermite tient sa lanterne dans un traillis sur le rocher; un ange sur le som- met à gauche déroule un phylactère à inscription latine; un autre phylactère se déroule à droite. Malgré la sauvagerie des figures et l'inexpérience du dessin qui paraissent dans cette pièce , on doit y remarquer la variété et Ihabileté du travail interrasilc dans le fleurs du terrain , dans les vêtements et dans la dégradation des criblures. 9. Sainte Elisabeth, Sancta Elisabeth alumna pauperum (ca- binet de Munich) (1). La sainte est debout et tend une chemise à un pauvre agenouillé devant elle ; plus loin deux femmes distri- buent du pain et du vin à des pauvres ; composition de 9 figures bien disposées dans un intérieur cintré. Ce n'est pas riiabileté de la ciselure qui est à louer dans cette pièce, mais la liberté du tra- vail dans un genre qui en comporte peu, l'expression des têtes, la disposition des draperies et la taille élancée de la sainte, qui sont d'un artiste d'une bonne école des Flandres. 10. Jésus et la Samaritai7ie (cabinet de Munich). Cette pièce est dun travail criblé fort élémentaire et d'une expression imagière , mais elle se signale par une marque locale : l'écu de Cologne est (1) Toutes les pièces du cabinet de Munich que je cite ont été reproduites dans un recueil publié par M. Robert Brulliot : Copies photographiques des plus rares gravures criblées , estampes, gravures en bois, etc., du XF^ et du XFI" siècle, qui se trouvent dans la collection d'estampes à Munie h- Munich, 1854; 10 livraisons in-fol. ( 24 ) gravé au-dessous de la margelle du puits entre les deux figurej*. 11. Saint Georges délivrant la fille du roi de Lydie. Il y a deux estampes différentes de ce sujet au cabinet de Paris et au cabinet de Munich; la première a une inscription latine dans des phylac- tères, la seconde une légende allemande : Ritter sanct Georg j beit Gott vor uns; l'une est dune expression aussi barbare que le saint Christophe cité plus haut, mais d'un très-joli travail; l'autre plus négligée de facture est d'un dessin assez pittoresque. 1:2. La Vierge debout tenant V enfant Jésus (cabinet de Berlin )o Deux anges soulèvent son manteau sous lequel s'abritent divers personnages, papes, rois, évêques, moines, etc. : Sub tuam pro- tectionem confugimus. Les figures principales expriment la can- deur; plusieurs têtes des adorateurs paraissent des portraits. Les manteaux sont en point de guipure avec des plis noirs profonds, le fond supérieur est nu, la composition est encadrée de plusieurs traits et d'un ornement courant de feuilles et de fleurs naturelles. Elle a reçu une légère enluminure. 13. Suint Michel pesant une âmej sanctus Michael prepositus Paradisi (cabinet de Berlin). Cette estampe est remarquable égale- ment par la simplicité et la douceur de son expression, par son encadrement de tiges et de fleurs et par la variété de son travail interrasile produisant, comme dans la pièce précédente, l'aspect de la plus belle dentelle et un effet augmenté par une enluminure fort adroite. Nous aurons bien souvent l'occasion de remarquer, à l'avantage des artistes flamands et allemands, combien les enlumi- nures apposées à leurs estampes primitives furent sobres, intelli- gentes et ménagères des travaux de la gravure, que les enlumi- neurs français couvrirent au contraire longtemps de dorures et de couches épaisses de couleur. 14. Le Couronnement de la Vierge (cabinet de Berlin). Elle est agenouillée devant la Trinité assise sur un trône ogival à dais flam- boyants flanqué d'anges portant des cierges et concertant. Le style des figures est encore tout hiératique; les yeux sont dessinés de face sur des Ictes de profil et les détails anatomiques fortement accusés; mais l'expression ne manque pas de bonhomie. 15. La Messe de saint Grégoire (cabinet (h- Berlin). Image de ( 25 ) lettres d indulgence remarquable encore par l'expression bon- homme des figures, par la variété des robes gaufrées et par la disposition de l'autel, des colonnes, des fenêtres historiées. La collection du musée britannique possède quelques-unes de ces estampes interrasiles, et M. Waagen, qui les a énumérées, a cru pouvoir leur assigner des dates approximatives : 1450, pour une pièce représentant V Ascension , et plusieurs sujets de la vie de Jésus-Christ; 1460 pour un saint Roch; 1470 pour un Christ devant Pilaie (I). Sans contester précisément les assertions d'un critique très-versé dans la connaissance des ouvrages d'art de cette époque, je puis dire, en comparant ces estampes avec celles qui ont été décrites précédemment, qu'elles sont loin de présenter autant d intérêt, soit par leur mérite, soit par leur ancienneté, et M. Waagen ne les a autant remarquées, sans doute, que parce qu'il connaissait moins les richesses en ce genre des autres cabi- nets. V Ascension est pauvre de formes et barbare d'expression; il y a des détails ogivaux dans le siège de la Vierge, et d'autres traits, que M. Waagen qualifie de romans, sont plutôt dénués de tout style; la variété des procédés interrasiles me ferait penser qu'elle est postérieure à la date indiquée, et, dans tous les cas, moins ancienne que la plupart des pièces citées précédemment. Ce qu'il y a de plus remarquable dans cette pièce, c'est la juxtaposi- tion des différentes scènes qui la composent et qui la rapprochent des représentations des livres des pauvres , et aussi la présence de deux écus placés entre des tourelles qui peuvent donner de la tablature aux dépisteurs de blasons. Le plus beau spécimen d'ouvrage intcrrasile que possède le musée britannique est une estampe in-4° en hauteur, représen- tant Saint François recevant les stigmates à côté d'un autre moine endormi. L'expression de la tête du saint, l'ampleur des draperies, la richesse du fond brodé, fleuri, peuplé d'animaux et terminé par des édifices, y dénotent une main habile dans l'ou- vrage interrasile, non étrangère à la science de la perspective, et par cela même, sans doute, appartenant à une époque déjà avancée (1 ) Treasures ofart in Great Britain, 1. 1, p. 28fi. London, 1 854 5 ô vol. in 8". ( i!6 ) du XV™* siècle; toutefois, comme nous le verrons par plus d'un exemple, ce n'est pas la barbarie et la maladresse des procédés qui constituent la preuve la plus certaine de l'ancienneté d'une estampe. La plupart des estampes interrasiles connues existent en épreuves uniques; toutes représentent des sujets religieux. Deux 014 trois, l'Adoration des Rois , à Berlin, l'Homme de douleurs, Jésus et la Vierge tenant les iîistrume?îts de la Passion, à Paris, reproduisent des sujets gravés par des graveurs connus, tels que les maîtres de l'Alphabet et de la Madone d'Einsilden, sans qu'on puisse décider quels sont les originaux. S'il est logique de croire que ces maîtres d'un talent primesautier n'ont point été copistes , les conditions de l'iconologie hiératique impliquent de nombreux emprunts fait par des artistes à desimpies imagiers. Cependant, plusieurs pièces criblées indiquent, par la régularité de leur fac- ture, que le procédé fut encore pratiqué dans la seconde moitié du XV"'« siècle. La seule marque positive aperçue sur les estampes interrasiles est un écu de Cologne, et ce fait a une grande importance, parce qu'il vient confirmer l'idée qu'on pouvait avoir de leur style et de leur exécution, et qu'il s'accorde avec toutes les circonstances de l'histoire de l'art allemand. L'école de peinture qui vint, à la fin du XI V""^ et au commencement du XV"^ siècle, jeter tant d'éclat à Cologne , et dont les ouvrages principaux sont classés sous les noms de Meister Wilhem et Meisler Stephan, est parfai- tement connue dans sa manière : des figures au ton de couleur chaud et fondu sur un fond d'or, des têtes tout arrondies se singularisant quelquefois par la pointe du menton avec des ex- pressions peu vivantes, mais douces et régulières, des altitudes tant soit peu affectées. Dans les derniers ouvrages et dans ceux où le peintre avait à rendre une scène trop compliquée, ou vou- lait serrer de trop près la nature, on a même observé que cette peinture devenait plus crue qu'agréable, et touchait à la grimace, qui devint plus tard l'écueil de l'école allemande. Rien de plus conforme à cette manière que la plupart des estampes interrasiles. toute distance gardée, d'ailleurs, entre deux arts qui ne sont pas alors liés l'un h l'autre comme ils l'ont été depuis, et toute cou- ( 27 ) cession faite aux graveurs, du hiératisme plus grand qu'ils gar- dent dans certaines images et de Texigence de leurs procédés d'orfèvrerie. Il nous paraît évident que les fonds criblés et gau- frés des graveurs interrasiles représentent les fonds dorés des enlumineurs et des peintres. Le temps le plus propice de leurs estampes fut celui des tableaux à fond d'or; leur pays fut celui où, malgré cette donnée ingrate , les artistes obtinrent de la pein- ture les plus grands effets qui en eussent été obtenus avant l'introduction liabituellc de l'huile dans les couleurs. Le rapport du criblé à la dorure est si vrai que lorsque les émaux du blason durent être rendus sans couleurs par des hachures, Tor fut marqué par des pointillés (I). Cette origine bien constatée, est-il certain que toutes les estampes du même genre viennent de Cologne? On ne saurait l'affirmer. J'ai admis que leur fabrication avait duré jusquà la fin du XV™^ siè- cle, il faut admettre également qu'elle a pu se propager de Cologne à d'autres villes de l'Allemagne, des Pays-Bas et même de la France. Les points de contact et les motifs d'imitation étaient nombreux entre les trois pays pour des estampes de piété qui devaient être l'objet d'un colportage fréquent et lointain. Il est vraisemblable que ce furent les interrasiles qui inspirèrent aux graveurs de ca- ractères de Mayenee les fonds noirs et semés de leur lettres ini- tiales , et aux graveurs des heures de Paris les fonds noirs et criblés de leurs vignettes. On a signalé enfin, dans ces derniers temps, en Allemagne, des livres imprimés où se rencontreraient des gravures de ce genre que les Alîernand's nomment Geschrotene Arbeit ou Metallschnill. Ce sont les Sept joies de Marie avec 8 gravures, La Passion de Jésus avec 20 gravures et une autre passion avec 8 gravures. Le (1 ) Viilson de la Colombière a revendiqué comme une invention à lui la repré- sentation des métaux par la taille douce; mais cet héraldiste dut accepter les anciennes données et certainement il avait vu partout sur les initiales des livres, sur les cuirs des meubles, sur les coffrets et sur les selles, l'or marqué en gaufrures et en pointillages. Ménestrier cite plusieurs exemples de gravure des émaux antérieurs à Vulson de la Colombière, dans la Nouvelle méthode raisonnée du Blason. Bourdeaux, 1698 5 in-12. ( 28 ) lieu d'impression de ces livres en allemand et en caractères mo- biles n'est pas connu non plus que l'auteur des estampes, et ce n'est que par supposition qu'on a dit que le premier avait été im- primé par Pfister, que leurs gravures étaient d'un même graveur, que ce graveur était de Munich, et que leur date pouvait être fixée entre 1450 et 1460 (1). Les interrasiles proviennent foncièrement des orfèvres, ainsi que je l'ai indiqué. La confection n'en resta pas sans doute exclu- sivement dévolue à leur corporation. Plusieurs semblent avoir été gravées sur un métal plus mou que le cuivre; on pourrait même les croire quelquefois taillées sur bois. Les ouvriers adonnés à la fabrique des saints et des cartes purent, dans maintes circon- stances, imiter les effets d'orfèvrerie; mais tous les procédés de ces estampes se rapportent à la pratique des orfèvres. Nous ne connaissons pas les règlements et le personnel des cor- porations des orfèvres de Cologne, mais s'il était permis de mettre plusieurs de ces ouvrages sous le nom de l'orfèvre le plus célèbre, (îomme on a mis sous le nom des deux peintres cités par les docu- ments les tableaux les plus recomraandables de l'école, nous indi- querions ici Jean Steclin , qui a été célébré dans la Couronne manjaritiqiie de Lemaire des Belges : Car chacun scait la main fort prompte et seure De Hans Steclin , qui fui né à Coulongne(2). Hans Steclin est, sans doute, le même orfèvre qui est nommé, dans un compte de 1458 des archives de Lille, Hance Steclmij demourant à Vahnciennes (3), et il mérite d'être considéré comme un de ceux à qui la gravure est redevable, avec d'autant plus de raison que, suivant les recherches de M. Harzen dont nous aurons à parler, son nom semble n'être que la corruption française de la (1) Falkestein cité par Hamman : Des Arts graphiques , p 190. Genève; 1857; in-12. (2) La Couronne margaritfque , imprimée à la fin des lUuslruHons de Gaule par Jean Lemaire, pp. 70 et suiv. Lyon, J. de Tournes. 1549, in-fol. (ô) Les Ducs de Bourgogne , p. 360. ( 29 ) profession de graveur, steecher, et que son fils, Gilles Steelin , au- rait aussi une plaee à réclamer dans rhistoire de la gravure. Nous connaissons mieux la condition des orfèvres des Pays-Bas. Dans plusieurs villes, ils formèrent corps de métier avec les pein- tres et les imagiers sous le patronage de saint Luc, et dans dautres avec les armuriers sous le patronage de saint Éloi. A Gand, où étaient les plus riches ateliers d'orfèvrerie des provinces flamandes, la corporation , dont on possède les registres depuis 1400, a laissé de singuliers monuments qui prouvent l'usage journalier qu'on y faisait des plaques de cuivre. C'est sur des tablettes de cuivre^ ({u'ils inscrivaient les noms des élus annuels de la corporation: on en conserve encore plusieurs à l'hôtel de ville aux dates de 1454, 1472, 1480, etc. Ces noms sont écrits en lettres gothiques au burin et accompagnés de quelques fleurs et de petites figures de marque frappées par leur poinçon même; les marques, un coq, une étoile, une patte d'oiseau, nont aucune importance au point de vue de l'art, mais il est bon d'observer qu'au tirage elles donnent des épreuves où les figures en relief viennent en blanc sur fond noir (1). Il n'est pas inutile de constater que les ouvriers flamands ne furent pas étrangers au travail des nielles, qui servit si bien ail- leurs d'acheminement à la gravure. On voit un de leurs ouvrages conservé chez M. le duc d'Arenberg. C'est une pièce d'argent ronde, de quatre centimètres environ de diamètre, formée de deux plaques très-minces soudées par le dos. Elles représentent, l'une sainte Anne sur un trône gothique accosté de deux anges, avec la Vierge agenouillée qui lui présente l'enfant Jésus; l'autre, /a messe de saint Grégoiî^e.Ls^ niellure, imparfaitement remplie, laisse voir le travail de hachures que ce genre comportait (2). On arrivera à une attribution plus précise de plusieurs estampes (1) Il en a élé lire récemment quelques épreuves qui ont élé données à des amateurs. On en trouve un fragment reproduit sans une exactitude suffisante , dans Vffistoire de l'Orfèvrerie , par MM. Paul Lacroix et Séré, p. 54. Paris, 18o0; gr. in-8". (2) Les nielles de M. le duc d'Arenberg viennent d'être décrits, avec tout le in désirable (. Vni, 1H58. ( 30) interrasilcs par l'étude des inscriptions qui les accompagnent; leur idiome local quand elles sont allemandes, leurs caractères d'une forme assez particulière fourniront des jalons; leur provenance peut aussi servir d'indice. Jusqu'à présent, le plus grand nombre de ces estampes paraît venir de l'Allemagne. Je puis, cependant, en terminant ce que je sais de ces curieux incunables, parler d'une estampe interrasile qui se trouve interca- lée dans un manuscrit français : c'est le Livre des Angeles compilé par frère franchois eximenes cor délier , à la reqiieste de Mess' Pierre Dartes, chambellan de Jeh. par la grâce de Dieu roy d'A - ragon. Van mil IIP quatre vingt et douze (i). Il paraît écrit vers le milieu du XV"'^ siècle et a appartenu d'abord à un couvent de la Flandre; il n'a pour ornements qu'une initiale et un encadre- ment fleuronnés à la première page, et dans le corps du volume quelques lettres rubriquées qui paraissent faites au patron. Avant le chincquisme traittié qui parle haultesse et noblesse de Mons" saint Michiel, le scribe a réservé une page blanche où est collée une estampe haute de 23 cent, et large de 1 9 cent., représentant saint Michel tenant la croix et l'épée levée, en robe longue, chevelure bouclée, baudrier à banderoles flottantes, et foulant aux pieds le mauvais ange sous la forme d'un chevalier avec casque et cuirasse. La scène se passe dans une salle carrelée à parois cri- blées et' ouvertures ogivales flamboyantes. Au bas dun premier encadrement cintré et orné d'un petit rinceau est l'inscription : Archangele. deû. MichaeL et ora. p, nobis.; il y a un second enca- drement formé de nébules et d'étoiles et contourné de symboles évangéliques semblables à celui qui se trouve à d'autres estampes du même genre, telles que la Vierge dite de Milnet et le saint Bernard de ^474.Quantau style, la pièce ne saurait donner lieu au même rapprochement, et tout ce que l'on en peut dire c'est qu'il est hiératique : les traits de la tête sont anguleux, les plis des draperies épais, et l'ensemble ne manque pas d'un certain idéal. Le travail interrasile est assez varié, compliqué de petites ha- (1) Ce volume appartient à la bibliothèque de T Arsenal, et M. de Montaiglon à qui j'en dois la communication , se propose de le faire mieux connaître dans un article de la Revue unioerselle des arts. ( 51 ) chures au burin, et relevé d'une enluminure en rouge, vert et jaune assez intenses; je n'oserais, la provenance du manuscrit bien constatée, en rien conclure de certain sur l'origine de la pièce , car nous rencontrerons des exemples frappants d'emprunts faits par les scribes français du XV""* siècle à l'imagerie étrangère. Le livre des saints Anges, dont on connaît plusieurs manuscrits du XV"^ siècle avec miniatures, fut imprimé à Genève dès 1478 et à Lyon en 1486. Maître Guillaume Le Roy, auteur de l'édition lyonnaise, y mit même des gravures sur bois, mais elles n'ont ab- solument rien de commun avec celles-ci ni pour le style ni pour le travail. Il me reste à citer un exemple authentique de la persistance et de la propagation du genre interrasile; je le trouve dans un exem- plaire des matines de la Vierge à l'usage du diocèse d'Elne, imprimé à Barcelone par M" Jean Rosenbach, allemand, l'an 1516 (1). Des six planches les plus importantes qui ornent ce petit livre, cinq appartiennent à la manière criblée. Le style rudi- mentaire des figures exclut toute idée d'importation allemande, et l'on peut reconnaître leur origine espagnole dans la grossièreté de leurs traits, aussi bien que dans l'inscription de la planche qui représente saint Jean, dont le nom se trouve écrit S. IVANUS. (.a plus originale est celle de l'office des morts, où l'on voit un prêtre et son acolyte auprès d'une tombe et au-dessus deux cava- liers fuyant à l'aspect d'une mort qui les menace. A travers la bar- barie du dessin, le travail reste précieux par ses façons en creux et en relief et par ses effets interrasiles. Il atteste chez les orfèvres de Barcelone les mêmes pratiques que nous avons vues à Cologne et à Gand, et le secours qu'elles fournirent encore, en 151 G, à un imprimeur d'heures. (1) Matutine béate Marie Firginis serundum usum Elnensis dioecesis. Impressum Barcinone per magistrum Joannem Rosenbach allemanum, anno saintis, M. D XVI. Petit in-S". ( 52 III. LES ESTAMPES SUR BOIS PRIMITIVES. L'impression d'ouvrages gravés, pratiquée accidentellement par les orfèvres au commencement du XV"^ siècle, devint l'occupation plus essentielle d'ouvriers travaillant le bois en rf^lief. Ce mode do gravure offrait des ressources plus faciles et plus pittoresques qui firent reléguer dans l'imagerie les enjolivures de l'ouvrage in- terrasilc, dont les résultats, quant aux reliefs des figures et à la différence des plans, étaient à peu près négatifs. Des documents compulsés dans les Pays-Bas et en Allemagne font connaître dans les corporations la place de ces premiers graveurs sur bois. La confrérie de saint Luc d'Anvers, dont on a des documents authentiques dès l'an 1442, comprenait avec les peintres, les sculp- teurs en bois et en maçonnerie, les verriers et les enlumineurs, les prinlers, heilige printers , figur printers, beeldeken prin- îers (i); les premiers auteurs qui connurent ce texte pensèrent que les printers étaient des imprimeurs en caractères et en con- clurent que l'imprimerie était en usage dans les Pays-Bas et parti- culièrement à Anvers avant le milieu du XV™« siècle. Cependant les faits dès lors connus ne confirmaient pas tous cette thèse. On trouve dans le liggere de la confrérie une nomenclature de cespri»- fers depuis 1470 jusqu'en 1502, et Ton n'y voit figurer aucun des imprimeurs connus pour avoir pratiqué à Anvers au XV™^ siècle, si ce n'est Mathias Gocs ou Van der Goes, qui est porté en 1487. (1) François Mois, Mémoire sur V Imprimerie d'Jnvers, rédigé en 1776 et imprimé dans le Bulletin du Bibliophile Belge, 1. 1 , p. 75. — Des Roches, Nou- velles recherches sur l'origine de V Imprimerie , Mémoires de l'académie de Bruxelles, t I, p 50ô; 1777, in-^". - Lambinel, Recherches sur Vorigine de l'Imprimerie, p. 401. Bruxelles, an Vif; in-8 ; et Origine de l'Imprimerie d'après les titres authentiques, l. I , p. ô!)o; Il , p. 240. Paris, 1810, 2 vol. in-8". ( .33 ) 11 lie s'agissîùl en cfîeL (luc doiivricrs se servant de moules de bois où ils entaillaient les traits d'un saint, d'une madone et quelques lettres de légende, et qu'ils imprimaient sur papier à l'aide du froton, d'abord en détrempe brune, pour le contour des figures, et ensuite en couleurs à l'aide de patrons. Ils en vinrent à graver sur bois et à imprimer de la même manière de petits livres d'ensei- gnement, fort répandus sous les noms de Douai, de Facet, de Doc- trinal. C'est ainsi qu'il faut entendre le Doctrinal getté en molle, acheté à Bruges et à Arras, que Ton a trouvé mentionné dans les mémoriaux de l'abbé de Saint-Aubert de Cambrai, en l'an 1443 ( l). Ghesquière, qui, le premier, publia ce document, a voulu y voir un livre imprimé en caractères de fonte. Il était parvenu à recon- naître que \csprinters n'étaient que des imprimeurs d'images, de saints et de figures grossières, puisqu'il avait trouvé, dans le regis- tre des archives de la confrérie, que les imprimeurs proprement dits et les libraires n'étaient entrés dans la confrérie qu'en 1537 et qu'ils y avaient été contraints; mais il n'en concluait pas moins, comme les auteurs précédents, que les Pays-Bas avaient des maga- sins de livres imprimés dès le milieu du XV"'*' siècle. i\l. Bernard, le dernier historien de l'imprimerie, est arrivé aux mêmes conclu- sions: les mois jeté en moule lui paraissent synonymes de ceux-ci : imprimé en caractères de fonte mobiles; et il s'en étaye pour con- firmer la légende de Coster de Harlem (ti). En considérant le seul côté par où notre sujet touche à la grosse question de l'origine de l'imprimerie, il me semble que l'on force la signification des faits connus, et je me borne à constater que les printers avec leurs (1) Esprit des Journaux. Juin 1779, pp. 2-'-2 el suiv. Lettre de M. Ghesquière sur deux pièces relatives à l'histoire de Timprimerie. (2) De V Origine et des Débuts de V Imprimerie en Europe, t. I, p. 07, ou t. II, p. 417. Paris, imprimerie impériale, 1855, 2 vol. in-S". M. Bernard s'est rangé à l'opinion commune, qui ne voit dans \e?, printers que des imprimeurs d'images; il eût été cependant plus conforme à sa thèse d'en faire aussi des typographes, et ce n'était pas p!us difficile que de faire un livre en caractères mobiles du Doctrinal rjetté en molle, de Bruges. Les expressions de lettres moulées ou en molle ont été usitées en effet j)0ur dé.signer la typographie; mais ai>pa- ravant les carliers se servaient d'un moule de bois pour la confection de leurs cartes, et les printers jetaient, comme eux, en molle des ligures et des lettres. ÏOjIE X. 3 ( 54 ) images, leurs plaeards et leurs iivrels même jetés en moule ne sont pas plus des imprimeurs que Papiii ne fut linventeur de la ma- chine à vapeur. Si, occasionnellement, ils usèrent du moule en fonte et de la mobilité du caractère, ce que je ne sais et veux pour- tant bien croire, quand des praticiens d'imprimerie rafiirment, ils n'en firent pas leur instrument; ils ne fiu'cnt que des graveurs et des imprimeurs en taille de bois; s ils firent des livres imprimés, ce ne fut que les livres des pauvres. Une confrérie de Bruges, sous le patronage de saint Jean-Baptiste, dont on connaît les statuts en 1454, se composait d'hommes et de femmes dont les professions avaient rapport à l'instruction pre- mière et aux arts qui concourent à la fabrication des livres, parmi lesquels on voit les vinghetle makers , miniaturistes; les printer- vercoopers, marchands d'images; les verlkhters, enlumineurs; les priiiterSy imprimeurs ; les scilders, peintres ; les bcelde makers, faiseurs d images. Van Praet, qui a cité, après d'autres, le registre de la confrérie de Bruges, a reconnu que ces imprimeurs ne pou- vaient être que des imprimeurs de livres en planches de bois ou d'images (I). Les comptes de cette confrérie mentionnent, dès 1454, Joannes Brilo, dont le nom a été retrouvé dans un curieux colophon d'un opuscule français de Gerson : Cest cy la copie des deux cjrans tableaux esquels tout le contenu de ce livre est escript qui sont atachées au dehors du cœur de l'église Notre-Dame de Tereicane. Ghesquièrc en avait tiré parti pour revendiquer un imprimeur à Bruges au milieu du XV™" siècle. La Serna, Lichtenberger et Van Praet ne voient dans ce Jean Briton ou de Brit qu'un calligraphe qui avait voulu célébrer son art dans des vers latins écrits à la fin de la copie, manuscrite ou tracée au patron, de l'ouvrage de Gerson, qu'il disait imprimée en caractères, mais qui ne le fut en réalité qu'en 1480, par Jean Veldener (2); ce dernier point est certain. (1) Notice sur Colart Mansion , pp. 12 et 96. Paris, Dobiire, 1829; in-S». (2) La Serna Santander , Dictionnaire bibliographique du XV^^^ siècle, 1. 1, p. 353, et t. II, p. 448. Bruxelles, an XIII. — Lichtenberger, Initia typogra- phica, p. 145. Argcnlorati, 1811 ; in-4". — Van Praet, Notice sur Colart Blan- sion, pp. 10 et 94. — Voyez les articles de Ghesquière , de M. le baron Declcr ( 55) Bi'ilo ii"est pas riinprimeur de l'ouvrage en GO pages décrit par La Serna; mais est-ce à un manuscrit dans la forme ordinaire ou exécuté à l'aide de patrons découpés, de caractères percés à jour sur des placjues de cuivre, que s'appliquent les termes du colo- plion? Jspice jnesentis scrîpture gracia que sit, Confer opus opère, spectetur codice codex, Respice quant munde, quam ter se , quamque décore, Imprimit hoc civis Brugensis Brilo Johannes, Inveniens artem nullo Dionstrante mirandam , Instrumenta quoque tion minus îaude stupenda. Il est difficile de croire que les tableaux composés par Gerson, pour rinstruction et doctrine de tous les chrétiens, n'aient pas été accompagnés de quelques figures; mais même en les réduisant à de simples légendes de lettres, il est difficile de ne pas voir là la profession de l'art du printer, préoccupé de la nouveauté et de l'importance des procédés qui lui permettaient de faire un ou- vrage semblable à un autre et d'en multiplier avec la même pro- preté les exemplaires. Il faut s'en tenir à ces généralités et renoncer à saisir, dans les Pays-Bas comme ailleurs, le leurre d'une invention : les plus sa- vants s'y sont laissé prendre. Un auteur belge, dont j'ai déjà cité les recherches pour fixer l'origine de l'imprimerie dans le Crabant, ne manqua pas dy trouver aussi l'origine de la gravure. C'est un passage d'une chro- nique rimée, de 4518 à 1550, qui lui fournit le premier graveur prétendu, Lodewije van Vaelbeke in Brahant, joueur et faiseur de vielles ou de violons et inventeur de stampiën. Les philolo- gues des Pays-Bas en prirent texte pour disserter sur la significa- tion du mot : la plus probable et la dernière qu'on lui ait donnée est celle d'un air de danse (1). et (le Mercier de Saint-Léger, dans l'Esprit des Journaux. Juin et novembre 1779, janvier et avril 1780. — M. Motlieley a reproduit une grande initiale de ce livre, The Typogrophy of the fifteen century. London, 1845; in-fol. (1) Alvin, Les Commencements de la (jraiure aux Pays-Bas, p. 12. Brux. (56 ) IJcineckcii cite une estampe des recueils de Marolles au cabinet de France, représentant deux soldats debout et une femme assise ayant un chien sur les genoux, petit in-folio, qu'il regarde comme la plus ancienne de celles qui ont été gravées en bois dans les Pays- Bas, et qui est marquée : Gheprint f Antwevpen hy my Phillery de figursuieder (4). Liclitenberger cite cette inscription comme une preuve que les printers n'étaient pas des imprimeurs de livres; La Serna se demande pourquoi ce Phillery , qui devait être de la corporation d'Anvers , ne serait pas le graveur du Spéculum (2) ; Zani, qui a jugé cet artiste digne d'une note dans son dictionnaire, le fait travailler en 1480, mais déclare n'avoir pas vu au cabinet du Roi l'estampe citée (ô). La méprise pouvait continuer long- temps. Heureusement Chatto, qui en a rencontré deux exemplaires au Musée britannique, a relevé depuis longtemps une bévue que trop d'auteurs ont acceptée sur la foi d'IIeinecken : le figuriste en question s'appelle Willem et non Phillery; loin d'être un des pre- miers graveurs des Pays-Bas, ce n'est qu'un méchant graveur suisse du XYL"" siècle. Le travail de sa taille et le costume de ses figures ne permettaient pas de doute sur le temps dans lequel il avait travaillé. On a trouvé, de plus, l'original dont il s'est servi dans une estampe d'Lrse Graft datée de 1547 (4). Je n'aurais pas relevé cette erreur au milieu de toutes celles qui se sont glissées dans les livres diconographie ancienne, si on ne la trouvait re- produite par les auteurs les plus récents et les plus érudits (5). Un auteur contemporain a cité, comme le plus ancien texte où il soit fait mention d'un graveur sur bois, un passage d'un obi- tuaire d'un couvent de Nordlingcn qui s'arrête au connnencement du XV'"'= siècle; il y est question d'un Fr. H, Luger, laycus, opti- mus incisor lignorum (6). Dueange avait trouvé les termes de (1) Idée (jénéraU , 197, 4. Initia Ujpographica , p. 140. (2) Dictionnaire bibliographique , l. I, p. !j4. (3) Encidopedia ^p. ôô4, part, l; l. XV, p. 334. (4) À Trealise on wood Engraving , p. 375, 1839. (5) Bcrnartl , De l'Origine et des débuts de V imprimerie , l. I, p. 7, 1845, (0) Revue universelle des arts. Bruxelles, 1858; 8"" vol. Art. de M. 31icliiels: Sur le Progrès de la gravure en bois en France, p. 195. (57) iiicisor h'gnontm dans une cliarto do -1235; il résulte bien des épitliètes qui y sont jointes dans l'obituaire de Nordlingen, qu'il s'agit d'un artiste plutôt que d'un coupeur de bois, comme l'enten- dait Ducauge ; mais il reste à prouver qu'il était graveur et non simplement seblpteur. L'intervention du premier n'est prouvée que par l'emploi de termes relatifs à l'impression, au papier. En Allemagne, les artistes adonnés à la gravure et à l'impres- sion des blocs de bois prennent le nom de kartenmachers , faiseurs de cartes, formschnelders , tailleurs de formes, hriefmalers, pein- tres de brefs et brtefdruchers. On les trouve mentionnés dans les livres de ville d'Augsbourg , dès 14 j 8, d'Ulm et de Nuremberg en 1435-1449 (4). Ils ne forment généralement entre eux qu'une corporation, et ils ont été bien signalés par Heinecken, pour le sens générique de leurs noms (2). Briefj du latin brève, a la signification précise de litlera, episiola et celle plus étendue de chartœy papiers; ils se rapprocbent en ce sens de ceux qu'on a appelés en France feuilletiers et dominotiers. Les images à la fabrication desquelles ils se livraient ne consistaient pas seulement en pièces isolées, elles formaient des suites déter- minées de sujets : là Passion, le Credo, les douze Apôtres, l'Alpba- bet, imprimés sur la même feuille et pouvant être découpés comme des jeux de cartes pour l'instruction et l'amusement des enfants petits et grands. L'imagerie de nos jours a conservé ces procédés. Plusieurs auteurs ont fait remarquer comme une preuve de la propagation antique des ouvrages des formschneiders, que toute feuille imprimée, sur bois et enluminée, et en général toute estampe, s'appelle, en Allemagne et en Suisse, un saint, Ilcdgen , HelgeUj Ileiligen (5). On a tiré des livres de ville les noms de quelques-uns de ces (1) De MuiT, Journal ziir Kunstgesch.^ 2 Theil, S. 99. —Jackson et Clialto, J Treatise on wood Engraving , p. 55. (5) Idée générale d'une collection d"" estampes, p. 240. (ô) Bieitkopf, rersuch den Ursprung der Spiel Karten. Leipzi^j, 1784; in-4''. — Éméiic David, Histoire de la Gravure, p. 167. — Cliatlo {J Treatise on wood Engramng, p. 59) rapproche dans le même sensl/elgen et Dominos, qui étaient le nom viiii^aire donné, en France, aux images de saints sur bois et enluminées. ( ôS ) artistes: Ihuis Wachler,hriefmahr l\ Ulm, 4434 (1), Hans von Pcdersheym, hriefdrucker à Francfort, en -1459, et cVaiitres que nous aurons à nommer plus tard. Aucun d'eux n'est connu dans les annales de rimprimerie, dont l'art fut dès son invention très- distinct de celui dont il est ici question. Bois DU CABINET DE Paris. — Maintenant que nous connaissons les ateliers où se sont fabriquées les gravures sur bois qui, les pre- mières, vinrent défrayer la curiosité et la dévotion publiques, il reste à signaler celles qui ont été conservées. Si nous n'en pouvons déterminer ni l'auteur, ni Tannée, ni même le pays certain, nous y trouverons du moins des indices de manière, des procédés et des principes que la critique peut interpréter et où elle peut puiser des éléments d'attribution et de classification; les premières et les plus nombreuses des pièces que je décrirai succinctement appartiennent au cabinet de Paris, où elles sont réunies sous le titre de Graveurs anonymes sur bois. \. Le Jugement dernier (in-4'', en hauteur). Les nombreuses figures de cette estampe, tracées à gros traits avec des parties mates et imprimées en détrempe bistre inégalement impartie, sont remar- quables par leur distribution par compartiments. Dieu y paraît en haut dans sa gloire en vessie de poisson, la Vierge la tête en- veloppée, saint Jean à côté d'elle, les bienheureux dans deux enceintes crénelées, les ressuscites en deux bandes à la partie inférieure. Les types en sont laids mais religieux. La pièce a reçu une enluminure rouge, verte et jaune. 2. Saint Cassien (in-4'', en h.). Il est debout en habit épiscopal, sa crosse au bras, la main levée et les doigts percés de stylets; les traits gros, les plis droits, les mains faites de pièces rapportées, donnent à cette estampe Faspect d'un vitrail avec ses armatures. L'enluminure y paraît aussi essentielle. 5. Jésus priant au jardin de Gethsémani (111-4% h.) (2). Jésus est (1) Ulm 's Buchdrucherhunst , von D. Hassier, p. 6. Ulm*, 1840, 111-4". (5) Il y a une seconde estampe du même sujet, de format plus grand et de composition très-peu différente. Les têtes d'une expression plus petite, les plis des draperies plus multipliés, le terrain fleuri, indiquent une époque postérieure et un travail où la manière allemande se prononce davantajje. (59) agenouillé à droite , les mains jointes devant deux petits ar- bres; trois apôtres sont groupés, les yeux fermés ou clignotants, à gauche, sous deux autres arbres; la terrasse est formée par un treillis cadenassé; le trait gros des figures, les physionomies sé- rieuses, les cheveux à peine ondulés, les arbres à feuilles trifides se détachant en blanc sur un fond noir, assignent à cette pièce une date reculée. Le Christ, allongé de formes, la tête penchée exprimant la douceur, vêtu d'une robe à grands plis allongés, à manches larges, est d'un sentiment pittoresque. Une enluminure à teintes légères avec des rehauts dans les têtes s'harmonise par- faitement à la gravure, et lui donne l'effet d'une mosaïque mal- heureusement empâtée de noir dans quelques parties du fond. 4. Jésus mis au tombeau (in -8°). Cette pièce est d'une exécu- tion peu intelligente et d'un dessin barbare, mais bien marquée des signes les moins douteux d'ancienneté : les plis droits, les feuilles d'arbres angulaires et festonnées en noir, les nombreuses surfaces noires de teinte inégale et attestant par ses effets d'es- tompé l'emploi du frotton plutôt que de la presse. 5.. Jésus mis au tombeau (in-4°, 2916). Maria aiileni Magda- lene et Maria Joseph aspiciebant ubi poneretur. Aux signes ar- chaïques ordinaires que je viens d'énumérer, cette pièce réunit une grande expression. La composition en sept figures, vêtues de longs plis et deux anges tenant la banderole, est confuse, mais d'un dessin plein de grandeur. L'encre en est plus noire que dans les pièces précédentes, mais imprimée au rouleau. 6. La Vierge et l'enfant Jésus (in-12, h., 2949). Elle est à mi- corps, coiffée d'un voile et tient l'enfant Jésus nu couché sur son bras droit, et portant à la bouche le doigt qu'il vient de tremper dans un plat placé dans sa main droite. On peut remarquer ici la simplicité du dessin, la petitesse des traits et la candeur des phy- sionomies. 7. La Vierge debout et l'enfant Jésus (in-8*', h.). Elle a les che- veux tressés et une lourde couronne; lenfant Jésus tient dans la main droite son pied gauche. Elle est dans un portique à trilobés, fronton et pinacles de style orné plutôt que flamboyant, à fond imbriqué; les nimbes et les parties architecturales seulement ont ( M ) reçu une enluminure jaune. Le Irait empâté et Ijîen senti , le dessin expressif, quoique incorreet, donnent à cette pièce du caractère et quelque accointance avec l'école flamande. 8. Sainte Anne assise tenant sur ses genoux la Vierge dïui côté, l'enfant Jésus de l'autre (in-8"). Cette pièce, remarquable par la carrure du dessin et la multiplicité des hachures parallèles, par les plis brisés de ses draperies et la naïveté d'expression des figures, accuse plus d'analogie avec les graveurs des livres xylographiques, particulièrement dans le cantique, et avec l'école flamande. 9. La Vierge debout tenant une longue fleur et tendant la main à l'enfant Jésus qui chevauche sur un bâton (in-8^). La Vierge a les cheveux nattés autour du front et le long des joues; elle est vêtue d'une robe à corsage étroit, longue jupe, et d'un manteau à plis an- gulaires; l'enfant Jésus a les jambes nues et le corps couvert d'une jaquette qui laisse voir la nudité. Le trait est gros, mais ferme; le dessin, manqué dans les pieds et dans les mains, a du style dans les tètes et dans les draperies; la composition montre de la re- cherche et de la gentillesse. L'encre noire, bien venue à l'impres- sion, atteste une plus grande perfection de tirage; enfin, la pièce a reçu l'enluminure qui se reproduit sur la plupart de ces pièces, en rouge, jaune et vert. On lit en haut un nom en écriture go- thique, qui est sans doute celui du propriétaire primitif de la pièce : Vincentius a Thorathea Kolghamer. 10. La Vierge en buste portant dans les mains Venfant Jésus qui lui caresse la joue ( in-i"). Le dessin de cette pièce , formé d'un contour des plus élémentaires, est arrêté dans les doigts, les cheveux, les ornements du manteau; l'expression des figures est des plus petites. L'enluminure y est d'un effet tout hiératique, et les chairs modelées par des demi-teintes. 41. La Vierge debout sur le croissant de la lune (in-4% h., 20 i 4). Elle est coiffée d'une haute couronne, environnée de sa gloire et des quatre symboles évangéliques. A une certaine maussaderie dans les bouches, je jugerais la pièce allemande; mais ce défaut peut être personnel à l'artiste; l'expression des figures est sérieuse, et la lourdeur de leffet tient à l'enluminure et au fond noir ajoutés. 42. L'enfant Jésus nu sur un linge. Il tient l'image de la (41 ) sainte Face, et un pliylaetèrc effacé. La figure naïve et le trait a Tencrc, pale et coloré an patron, indiquent un travail contempo- rain des livres xylograpliiques. 15. V enfant Jésus nu sur un tapis, tenant un papegai. Au- tour de lui le globe , un colîret ouvert où perche le Saint-Esprit , une colombe, le soleil , le globe terrestre, un panier, des conins et des phylactères : Fil cjut iar. Le terrain fleuri , la taille d'un con- tour ferme et le dessin tourmenté des jambes indiquent une époque avancée et le style allemand. 14. L'enfant Jésus nu sur un coussin, avec un phylactère : Fin (fut felig iar, Getruckt zu Bazel, in dem ior als ma nach der gehurt Christi. Zusend fun der und funff iar. Le style et la taille indiquent, comme dans la pièce précédente, une époque avancée du XV"'" siècle. \ 5. Sainte Madeleine (Maria Magdalena) (in^"). Elle est debout, tenant son calice, coifTée dun bourrelet à mentonnières, les che- veux sur les épaules, et vêtue d'une tunique et d'un manteau à })lis brisés ramenés sur le ventre. La figure est courte, les pieds dissimulés et la physionomie inexpressive; derrière s'étend une draperie fleurdelisée; l'encre pâle a mal marqué la gravure à l'impression, et l'enluminure cache en partie les ciselures qui sont remarquables par leur système de gaufrure. iij. Sainte Catherine [Katherina) debout, tenant le glaive et la roue. (In-4"). Pièce analogue à la précédente. 47. Le Calvaire (in-S''). La Vierge est agenouillée au pied du crucifix. Madeleine et Jean sont debout; deux anges recueillent le sang des plaies et des mains. Les figures sont faites d'un trait gros, mou et sans hachures; l'encre est bleuâtre et d'impression inégale. La pièce est encadrée d'une large bande de fleurs et de feuilles ménagées en blanc sur un fond noir et ressortant encore à travers le coloriage vert^ rouge et jaune. 18. Sainte Véronique (in-4°, h., 2912). Elle est debout avec de grands yeux de face et un nez de profil, tenant son linge marqué de la sainte Face ; le trait carrément mené , les parties noires fes- tonnées du nimbe et l'enluminure légère caractérisent dans celte pièce le procédé xylographique primitif. (42) 19. La sainte Face, dans un nimbe à croix fleuries et quatre lobes : Vera faciès Christi. Le type en est immobile et hiératique, dans le dessin aussi bien que dans Tenluminure. 20. La sainte Face, sur un linge fixé à quatre clous surmonte de deux clefs et accompagné d'un écu armorié. Je ne cite point cette pièce pour sa gravure, dont le trait ferme indique un moment avancé du XV™'' siècle, mais pour ses armoiries écartelées de bars et de massacres qui paraissent appartenir au Wurtemberg. 21. Saint Christophe (in-8°). Cette figure faite d'un trait gros et simple, avec des draperies à plis droits, un arbre à feuilles feston- nées en noir, et imprimée légèrement d'une encre noire, a autant d'archaïsme que le saint Christophe de d42o; l'expression reli- gieuse n'y manque pas d'ailleurs. 22. Saint Augustin (Sanctus Augustinus pontifex pr. me) (in-S", h., 2922). Inscription manuscrite. 11 est debout, tenant sa crosse d'une main et un pli de son manteau de l'autre; il s'incline vers un enfant qui a sa cuiller à la main; le trait simple et le style élé- mentaire de cette pièce peuvent seuls la faire citer. 25. Zes évêques martyrs, suite en douze cartes sur une feuille. On y voit une grande variété de supplices, comme ceux qui sont, dans la légende, attribués à saint Cassien : les doigts percés de stylets; à saint Léger : les entrailles dévidées; à saint Érasme les yeux vrillés, etc.; la façon en est tout élémentaire, mais le dessin déjà grimaçant est d'apparence allemande. 24. Le Calvaire en cinq figures (in-4.% h.). Cette pièce se trouve encore fixée aux gardes d'un manuscrit allemand delà bibliothèque de l'Arsenal (1). Les figures sont au trait, d'un dessin ferme et non sans roideur, mais expressif et même beau dans les têtes; les extrémités sont cependant défectueuses , et on y voit des chaussures en noir; on lit sur le collet du soldat LVNGÏNVS et sur le nimbe de saint Jean VEREFILIVS. La quatrième figure à di'oite est tron- quée, la pièce encadrée d'un double trait carré a reçu une enlu- minure légère. (1 ) Ce volume , qui m'a été obligeamment communiqué par M. le conservateur Paul Lacroix, porte sur une de ses gardes la date manuscrite de 1484. ( i3 ) Bois nu cabinet de Berlin, des bibliothèques de Bale, de Bruxelles et du Musée britannique. — Aucun des cabinets de 1 Europe n'est peut-être aussi riche que celui de Paris en incu- nables sur bois, mais il n'est pas de collection importante qui n'en renferme d'intéressants. Voici ceux que j'ai pu rencontrer dans les bibliothèques étrangères. Au cabinet de Berlin , on en a recueilli plusieurs en leur assi- gnant hardiment pour date le commencement ou le milieu du XV""'^ siècle. \. La Vierge tenant l'enfant Jésus et une 'pomme. Elle est debout dans une gloire rayonnante, entre quatre anges, dont un pose la couronne sur sa tête, et quatre pigeons dans les angles garnis de phylactères, avec légendes en vieux flamand [\). Le contour est gros mais d'un dessin très-ferme, sans hachures, et colorié à trois teintes ; le style accuse beaucoup d'analogie avec les ouvrages flamands ou hollandais de l'origine la plus connue. 2. Saintes Barbe et Catherine. Ces deux figures ont des traits épais et relevés de teintes jaunes, des attitudes hiératiques, des airs sérieux, des draperies lourdes, et pourtant elles ne manquent pas d'agrément. 3. Saint Jérôme pansant la patte du lion. Le saint fait son opéra- tion entre un pupitre et un rocher où perche un pigeon ou un papegai; un trait gros, des formes allongées et une expression sou- riante impriment à cette figure un caractère d'archaïsme prononcé; les inscriptions manuscrites dont elle a été chargée par ses antiques possesseurs, annoncent combien elle leur a paru vénérable. Je ne citerai qu'accessoirement deux autres pièces rsamfe Véro- nique et saint ChrislopJie, qui n'ont guère pour signes d'ancien- neté que la grossièreté de leur exécution. Les gardes d'un psautier de 4477 (in-8°), à la bibliothèque de (1) Cette pièce, déjà bien signalée pour son antiquité par Tancien conservateur du cabinet de Berlin, M. Schorn, qui me la montra en 1853, a été reproduite par M. Holtrop, directeur de la Bibliothèque de la Haye, qui en a relevé les légendes flamandes et Ta rapprochée d'une estampe connue à Bruxelles par sa date de 1418. Monuments typographiques des Pays-Bas au XF"^^ siècle. ô'°* livraison. La Haye, 1857; in-4". ( '-'^ ) Bàlo, conservent encore deux images non moins remarquables par leur composition mystique que par leur facture primitive. Elles sont intactes, dans toutes leurs marges, avec leur coloriage en foçon de cartes et telles que les colla sur les ais de son volume le premier propriétaire de ce psautier. La première, au commen- cement, représente le crucifix placé au-dessus d'un bassin de sang et d'argent monnayé et d'une coucbe d'àmes en peines, avec le calice, le Saint-Esprit et le Très-Haut dans un coin, figuré par une tète énorme au milieu de sa nébule. Une légende, dans un pbylactère perpendiculaire, occupe une partie de la pièce : i?o/ie Ihu qui es veriis \ fous mië qui regnavit Iota \ terra et i7iebriavît ëa et I redeniit nos siio sâgïie. La seconde, à la fin , représente le crucifix tendant les bras à saint François. La roideur des figures, les traits carrés et l'enluminure donnent à cette pièce beaucoup d'arcliaïsme; elle porte aussi une inscription latine, mais cette inscription est manuscrite et postérieure. A Bruxelles, parmi les pièces recueillies avec zèle par le direc- teur de la Bibliotlièque royale, j'ai vu une estampe de fabrique primitive : saint Hubert. Il est agenouillé devant le crucifix, l)lanté entre les bois du cerf, et accompagné de ses cbiens et de son cbeval; dans le liant, un ange porte une banderole avec lé- gende en vieux flamand; le travail, bien que moins serré, et l'im- pression rappellent la manière de la Bible des pauvres. Parmi les plus anciens bois du Musée britannique, j'ai remar- qué en première ligne les pièces suivantes : Sainte Anne assise sur un trône à dais ogivaux de style orné, tenant sur ses genoux, à droite, la Vierge assise , à gaucbe, l'enfant Jésus nu et debout qui reçoit une poire des mains de sa mère; la pièce (gr. in-fol., en b.) est enluminée avec intensité, mais les faces l)yzantines, les yeux grands ouverts, les doigts allongés, l'expres- sion biérati(jue de la composition, non moins que le trait gros à lencre pâle imprimée au rouleau , indiquent une époque reculée; en outre, l'ampleur des draperies, le calme des mouvements y ajoutent beaucouj) de style. Si Ton pouvait rigoureusement appli- (pier aux i)roductions de la gravure les mêmes lègles qu'à celles de la sculplure golliique, on pourrait croire cette composition du ( tô ) XIV'"*' siècle, tant clic est exempte des petitesses qui envahirent Tart au XV""^ siècle. La Résurrection de Lazare (in-4", en li.). Composition de plus de quinze figures : Jésus à gauclie, entre deux Saintes Marie, tend les bras au ressuscité, soutenu par un apôtre à tète chauve qui se penche vers le sépulcre; on voit dans le fond la ville de Jérusa- lem; des phylactères à inscriptions latines accompagnent les figures de Jésus, d'une Marie et d'un jeune homme du groupe opposé. Le travail de cette pièce indique des procédés plus avancés; le trait est plus mince, et il y a quelques hachures espacées dans les fonds. Les figures sont courtes, toutes enveloppées de draperies à plis droits, les airs de tète ne sont pas beaux, les extrémités ne sont pas bonnes, mais l'expression est touchante et indiquée en quel- (jucs traits; la gravure est enluminée avec beaucoup de sobriété et d'harmonie. Une autre estampe de la même* collection : La messe de saint Grégoire, a été décrite par M. >Yaagen (1) et jugée, à cause de la pureté du style des draperies, ne pouvoir être postérieure à la période de 1450 à 1440. Je ferai remarquer cependant qu'on voit dans cette planche un assez bon nombre de hachures disposées avec intelligence dans les plis des vêtements, et que le texte des indulgences occupant plus de la moitié inférieure de la planche est imprimé en lettres mobiles. L'expression sérieuse mais petite des figures justifie, aussi bien que l'idiome de ce texte, l'origine allemande de la pièce. Les estampes citées plus haut appartiennent à une école plus distinguée. Le style allemand est encore mieux marqué dans une autre estampe du Musée britannique, Jésus devant Pilale (in-fol., en h.) , qui fut trouvée collée sur la couverture d'un exemplaire du livre: Vitœ sanctorum Patrum. Nuronberg , Cohurger , 1478. Le trait large et imprimé au rouleau, bien qu'à l'encre noire, avec un trait carré seulement en haut, les plis des draperies droits, les doigts allongés, sont des indices d'une date reculée, peut-être du commencement du XV""' siècle. L'origine allemande se trahit aux (1) Treasurcs ofJrt, l. I, p. i287. ( '"C ) têtes, qui ont de gros yeux, des traits pointus, des expressions tournant à la charge, bien que sérieuses : Jésus a la bouche bou- deuse, Pilate les jambes croisées , les cheveux bouclés et surmontés d'une couronne ogivale. Une noie manuscrite récemment placée au bas de cette estampe indique une plaque tumulaire de Tévéquc Henri Spiegel von Bes- senby, mort en 1580, dans la cathédrale de Paderborn, sans doute comme offrant une composition semblable. J'ai déjà signalé les rapprochements à faire entre les plaques tumulaires gravées et nos estampes primitives. Bois DATÉS. — Toutes les estampes que je viens d'énumérer sont sans date écrite; quelques pièces portant une mention d'année ont été plus célébrées dans l'histoire de la gravure; elles sont, par leur manière, analogues à celles que j'ai décrites et ne font que con- firmer les inductions précédentes; on va voir que leur inscrip- tion, encore sujette à controverse, n'apporte point à la critique son secours le plus important. La comparaison de pièces nom- breuses, présentant, dans leurs sujets variés, le développement de procédés similaires, fournit des renseignements plus lumineux et plus féconds, aussi leur ai-jc donné la première place. L'estampe datée qui a fait le plus de bruit est le saint Chrislophe avec la date de i4!2ô, trouvée par Heinecken sur la garde dun manuscrit au couvent de Buxheim, en Souabe (1). Cette pièce fameuse a soulevé des discussions qu'il importe de résumer. Heinecken et de Murr qui, les premiers, la firent connaître par leurs relations et par des fac simile, virent dans sa date et dans le lieu où elle était trouvée une preuve à l'appui de leur système favori sur l'origine allemande de la gravure en bois. Ottley, qui en publia aussi un très-bon fac-simiie, fait dans la bibliothèque de lord Spencer, où la précieuse estampe avait passé, considéra qu'elle paraissait imprimée à la presse et non au frotton, à l'encre noire et non en détrempe, comme les estampes primitives allemandes, et la rapprochant d'ailleurs d'uneautre estampe, de rAiinoncialwit (I) Le manuscrit Laus Firginis et Tcslampe sont encore aujourd'iiui dans la bibliothèque Spencer. Dibdin , t. I. ( " ) trouvée dans le inciuc iiianiiscrit, il en trouva le style trop bon ])our des artistes allemands et plus eonforme au style italien pri- mitif. Il crut donc pouvoir prononcer que les deux pièces prove- naient non de l'Allemagne, mais plutôt de Venise ou de quelqnc ville dans les États de cette république (i). Cependant une autre épreuve du saint Cbristophe avait été acquise par le cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale, et M. Duchesne nliésitait point à la donner comme identique à celle de lord Spencer (2), lorsqu'une enquête ayant été provoquée, en 1817, par Sa Grâce et les pièces mises en présence, on crut reconnaître qu'elles étaient toutes les deux anciennes, mais tirées de deux blocs de bois diffé- rents. Dibdin, qui consigna ce résultat, décida d'abord que l'épreuve de Paris n'était qu'une copie de celle de Londres et pensa qu'elle pouvait avoir été exécutée vers 1460; se ravisant ensuite, il conclut que l'estampe de Paris n'était qu'un exemplaire du fac-similé de Murr (5). M. Sotzman porta ses doutes plus loin, l'existence de deux estampes différentes avec la même date indi- quait, selon lui, que cette date n'était pas celle de l'exécution de Testampe, mais qu'elle était seulement commémorative d'un évé- nement ou d'une prière se rattachant à saint Christophe; l'es- tampe devait être, selon lui, rejetée parmi les produits de la seconde moitié du XV'"'' siècle (4). (1) Hislory of Engraving , p. 92. — M. de Laborde croit que Harlem et d'auties villes dans les Pays-Bas ont fait anciennement usage des presses et de Tencre et atli'ibue ces deux estampes aux Pays-Bas. (2) Cette identité est maintenue dans toutes les éditions de la Notice des estampes exposées à la Bibliothèque roya/e jusqu'en 1855, où sa description est suivie de celle phrase : Quand on pense qu'une simple feuille de papier a pu traverser un espace de quatre siècles, etc. Si le vénérable conservateur ne tenait qu'à l'antiquité du papier, ses collègues des manuscrits auraient pu lui en fournir qui avaient traversé quelques siècles de plus. (ô) J bibliographical antiquariam and pittoresque tour in France. London, 1821. P^orjage bibliographique et trad. par Licquet. Paris, 1825. — L'opinion dernière, à laquelle se rangea Dibdin, est consignée dans la 2'"'^ éd. du Bibliogr. tour. London, 1829. (4) Jelkste Geschichtc der Xylographie et Raumer's historisches Taschen- buch. Lepzig, 1837. Ailleurs M, Sotzman a pensé qu'un L avait pu être omis ( iS ) 31. de Labordc csl venu appuyer ropinioii émise en dernier lieu par.Dibdin. Le saifit Chrislophe du cabinet de Paris n'est, selon lui, qu'un exemplaire de la copie qui fut faite, en 177G, par le graveur Roland pour le journal de Murr, roussi par une teinte de café. Il a constaté lidentité par un fac-similé de la planche de Roland, où se voient les mêmes amaigrissements de traits que dans l'estampe du cabinet. Le fac-similé du fac-similé donné par Ottley de l'estampe de lord Spencer, placé en regard, accuse des contours plus francs et un trait constamment i)lus large. Ce saint Christophe de lord Spencer est donc, selon M. de Laborde, le seul authen- tique, et il n'y a pas de raison plausible pour infirmer sa date (I). On a cité une autre épreuve ancienne du saint Christophe de 14:25, en Allemagne (2). Depuis, le professeur Hassler en a signalé, dans la bibliothèque de Râle, une troisième dont l'ancienneté ne peut être mise en doute, puisqu'elle est mentionnée sur les cata- logues antérieurs à la gravure de Roland (o). Je ne sais ce que produira dans le débat 1 examen de ces épreuves ; mais le point le plus essentiel à considérer pour l'histoire est le mérite de l'œuvre. Or, dans le saint Christophe original, ce mérite n'est pas mince. Chalto, qui a examiné avec soin l'estampe de lord Spencer (4), y a fait ressortir avec perspicacité des figures bien dessinées, fautives dans la date , qui serait alors 1475. M. Pinkerton avait déjà vouiu y lire rigcsimo terno , au lieu de tercio , c'est-à-dire 1460. (1) La plus ancienne gravure du cabinet des estampes de la Bibliothèque royale, est-elle ancienne? Extr. de l'Jrtiste , 1859, in-4''. (2) Murr l'avait vue chez M. de Birkenstocli, à Vienne. M. de Laborde a mis en doute son existence; mais M. de ReifTenberg a constaté qu'elle se trouvait, en 181 4, avec la collection entière de M. Birkenstocli , chez M. de BlitersdofT, ministre de Bade à Francfort. {La plus ancienne gravure connue avec une date, j). 52. Bruxelles, 1845.) (3) Les Ducs de Bourgogne ,i. I,p. L.\vni,en note. J'ai vu, en 1857, ce saint Christophe dans un des volumes de la collection de Bâie. A l'examen rapide qui m'a seulement été permis par un bibliothécaire peu complaisant, je l'ai trouvé roj'jné dans les mar[;es, collé en plein et assez semblable à l'exemplaire de Paris. {A) Elle est imprimée, dit-il, en une matière de couleur noire, semblable à l'encre d'imprimerie, et enluminée, après l'impression, au moyen du pinceau. Le dos étant collé sur la couverture du volume, il n'a pu s'assurer si l'impression a été obtenue à la presse ou au l'rollon (a Trealiss , p. 61). ( 49 ) seulement aux extiéinilés, de la perspeelive, une taille large, libre et habile à indiquer en quelques traits les ombres des draperies. Il en attribue la gravure, avec celle de V Annonciation trouvée dans le même manuscrit, aux formschneiders d'Augsbourg, d'Ulm et de Nuremberg. Cette gravure est, dit-il , supérieure à tout ce qui a été fait en Allemagne depuis 1462, date des fables de Bamberg, jusqu'en 1495, date de la chronique de Nuremberg (i). Ces qua- lités, qui semblent étonner le critique anglais, tiennent, indépen- damment du mérite de l'artiste, à Tétat général de l'art, tel que nous aurons plusieurs fois l'occasion de le constater en Allemagne et dans les Pays-Bas, et h la déchéance quil subit dans le cours du XV'"'' siècle. Les livres des pauvres dans leurs éditions successives révèlent la même dégénérescence que les gravures en bois isolées et les gravures jointes aux livres imprimés; la multiplication ex- cessive de celles-ci et l'abandon qui en fut fait aux mains d'une foule de méchants artistes ne contribuèrent pas peu à ce résultat. Quelle que soit la valeur particulière du saint Christophe, il n'en est pas moins certain qu'il va parmi les pièces anonymes des exem- ples plus anciens et plus significatifs de la gravure. L'histoire de l'art n'en est plus à dépendre d'une date plus ou moins réelle ap- posée sur une pièce. Les auteurs qui, à défaut de critique, se sont attachés exclusivement à des découvertes de dates ont commis de singulières erreurs. La bibliothèque de Lyon possède une estampe qui a passé long- temps pour être datée de l'année 1384. Cest le portrait d'un mé- decin de Nuremberg représenté a mi-corps dans un portique, un chat et un chien sur chaque épaule, avec l'inscription en marge : PETER SCHLOll^sG WUNDARZ IN NVllNB. 1584 (2). Zani, qui (1) Il n'y a que M. Duchesne qui trouve la plus gfraiule preuve de son anli- (juilé dans la grossièreté de la gravure et \a défectuosité du dessin {Moyen âge et Renaissance y article Gravurk); et Tassertion reste à Tusage de ceux qui traitent superficiellenient Thistoire de l'art du dessin. Yoy. Jacques Cœur et Charles TU ou la France au A7 "••' siècle, t. II, p. 102, par M. Clément. Paris, 1833; in-S". (2) Thierry {Guide des amateurs et dss étrangers dans Paris, t. II, p. 427, 1787), (jui la signala le picmiti-) l'indique comme placée en tète d'une Légende Tome X. 4 ( -àO) en fit iiiciUioii sans connaîlri^ la pièce, ne se prononça pas (1). Ottley regrette qn'auenn anteur français n'ait vérifié la date donnée à cette estampe, qui comblerait pcnt-étrc une lacune regrettable à l'origine de la gravure en bois (2). Chalto avait pensé que la date devait être lue 1584 (5), et Joubert, qui lisait bien 1384. rappor- tait cette date à Texistcnce du médecin et non à la composition de l'estampe (4). Il suffit d'avoir jeté les yeux sur cette figure vêtue dun pourpoint étroit, de chausses bouffantes à la suisse avec la brayette saillante et dun petit manteau à rebras, encadrée dans un portique à pilastres fleuronnés avec cartouche à compartiments et cintre surbaissé, pour être assuré qu'on a devant les yeux un ou- vrage de la fin du XVI'"^ siècle. La rapidité pittoresque des tailles indique aussi une main habile dans sa négligence; je la croirais plutôt flamande que française : elle est, en tout cas , assez différente de la manière dont on taillait alors le bois à Lyon. Le cabinet de Vienne possède aujourd'hui une estampe pré- cieuse : le Martyre de saint Sébastien y accompagnée d'une pièce xylographique en 14 lignes avec la date de 1457 qui a été décrite dorée. — DelamVine {Bibtiothèque de Lyon. Catatogue. Histoire de V Impri- merie^ t. I, p. 45), dit que M. Adamoii, bienfaiteur de la Bibliothèque de Lyon, acheta cette estampe au piix le plus modique, dans une vente de livres, et la fit relier en tête d'une Legenda Sanctorum , éd. s. d. Il en donna ensuite la des- cription sans en garantir l'authenticité, w Cette estampe, extraordinaireraent rousse et pleine de taches, fut envoyée à M. Chevalier, de Paris, qui l'a blanchie; elle représente un vieillard vêtu d'une simarre et la tête couverte d'un chaperon orné de plumes. Ce médecin porte sur ses épaules un chat et un chien, attributs distinclifs de ceux qui se consacrent à l'art de guérir et qui subsistent encore à la porte de quelques-unes de nos pharmacies. » (1) Materiali per servire alla storia dell origine et de progressi dell in- cisionc in rame et in Icgno , p. 82. Parma, 1802. (2) History of Engraving , p. 88. (ô) A Treatise on wood Engraring, p. 88. (4) Joubert , Manuel de V amateur d'estampes. Paris, 1821, o vol. in-S". Dans V Histoire de Lyon, par M. Montfalcon. Lyon , 1851 -53, ô vol. in 8", qui est non la meilleure, mais la plus récente et la plus élégamment impri- mée, on semble admettre encore comme possible l'authenticité de l'estampe de 1384. Les anciens artistes de Lyon sont d'ailleurs tout à fait négligés dans ce livre. (31 ) pai' Ht'inecken, par Chatto el par Ottley (1). Je regrette d'aïUant plus de ne pas connaître cette pièce, que je tiens de juges très- compétents qu'elle est gravée plus finement et plus artistement que la plupart des incunables sur bois. Selon la description plus récente et très-détaillée qui en a été donnée dans la notice du ca- binet de Vienne (2), la taille en est nette, limprcssion noire pure et vive, et le dessin rappelle celui de l'école haute allemande. On a, enfin, beaucoup disserté, à Bruxelles, au sujet d'une es- tampe représentant la Vierge et Tenfant Jésus entre quatre saintes, dans un jardin, et datée de 1418; elle a été trouvée à Matines, collée à Tintérieur d'un vieux coffre (5). M. de Reiffenberg, qui en fit faire l'acquisition pour la Bibliothèque royale, soutint avec beaucoup de zèle l'authenticité de sa date et la conformité de son style avec celui des ouvrages de Van Eyck; il ne convainquit pas tout le monde. M. de Brou, artiste et savant très-versé dans la connaissance des miniatures gothiques, déclara que la date de 1418 était inadmissible, et, se fondant principalement sur le cos- tume, sur les plis du corsage et les manches dans les robes des figures de femme, qu il comparait avec les figures de plusieurs manuscrits de la Bibliothèque de Bourgogne, il conclut que l'es- tampe ne pouvait avoir été exécutée qu'après i4G0 (4). On était bien assuré, en voyant cette pièce, qu'elle était l'ouvrage dun an- cien prinier, tirée, comme les cartes, avec une encre à la dé- trempe et des couleurs au moule, au frotton et au patron; mais comme elle avait subi d'assez graves altérations et une restaura- tion dont on ne pouvait mesurer la portée, 1 hésitation sur sa véritable date était commandée. Au premier examen , je me suis refusé à admettre celle qui paraissait indiquée par les chiffres. (1) Neve Nachrichten von Kunstlernd Kunstsachen , S. 143. Dresden und Leipizg, 1786. — Treatise on wood Engramng , p. 70. — History ofJEngra- ving , p. 96. (2) Die Kupferslichsammlung der Hofbihliothk in TFien^ von Frédéric Pxiller von Barlz, p. 271. Wien, 1854. (ô) La plus ancienne gravure connue avec une date. Mémoire par M. le baron de Reiffenberg, avec un fac-siraile. Bruxelles, 1845; 10-4". (4) Quelques mots sur la gravure au millésime de i4f8 , par C. D. B. Bruxelles, 1846, in-4'', 7 pi. ( 32) L'a3'ant revue tîcpuis et Irès-scrupuleuscmcnt examinée, je dois dire que la plaee où ils sont est intacte, et que je ne trouve plus de raisons pour ne pas les accepter. Les motifs allégués à ren- contre, pris du style et du costume , ne sont pas tellement absolus qu'on ne les trouve conciliables; la mollesse et la rondeur du des- sin, la multiplicité des plis qu'on y remarque comparativement au saint Christophe , h. la Vierge de Berlin et à d'autres pièces d'une ancienneté bien reconnue, quoique sans date, peuvent tenir à la main qui l'a tracé. Le premier développement de l'art du dessin a, aussi bien que sa marcbe subséquente, ses fluctuations et ses particularités dont il faut tenir compte. Quant au costume, il était alors, comme aujourdbui, sujet à des cliangements et à des re- tours dont nous ne pouvons préciser le commencement et la fin : les corsages à plis et les manches larges, qui sont les pièces les plus essentielles dans lestampe de Bruxelles, se trouvent dans les peintures et les miniatures qui remontent à la première moitié du XV"'^ siècle, comme dans celles qui appartiennent à la seconde; les dessins de miniatures donnés par M. de Brou en fournissaient plus d'un exemple, et l'on en peut voir un des plus remarquables dans la peinture à l'huile de i440, qui vient dctre découverte dans la grande boucherie de Gand (1). Admettons donc que Bruxelles possède une estampe gravée sur bois de 1418, ce n'est sans doute ni le premier ni le meilleur des jiroduits de l'art des printers néerlandais, mais c'est le plus ancien (le ceux ou Foù ait pu Ijre une date. Les estampes des y)rùi/ers sont, comme celles des orfèvres, toutes de sujets religieux; elles avaient pourtant leur emploi dans la mai- son plutôt que dans l'église, non point pour être encadrées et mises sous verre, mais pour être collées au bahut, à la cahière, au châlit; de là vient qu'elles ont presque toutes péri. Quelques- unes ont pu se conserver comme le saint CJtristopJie de Buxheim dans les gardes des gros livres de couvent; les plus petites se glis- saient dans les livres de prières; celles qui portent un petit Jésus (1) Peinture murale à l'huile; notice par M. Ed. De Busscher. Extrait des Bulletins de l'Académie royale de Belgique. 1855, in S". (53) tout nu étaient des étrcnncs écliangécs dans les familles à la solen- nité de Noël et au renouvellement de Tan, et quelquefois des cadeaux plus tendres. J'en ai vu une chez M. Sotzmann, de Berlin, où l'enfant Jésus s'étale au-dessus d'une rose. Nous avons dit les caractères particuliers de leur fabrication , leur encre brune à la détrempe, leur enluminure; elles se distinguent encore des gra- vures postérieures par l'épaisseur et la bavure de leurs traits et l'absence totale des hachures. Ces règles posées, on ne saurait affir- mer cependant qu'il n'y en ait pas de fort anciennes imprimées à la presse et à l'encre noire, et faites d'un contour plus précis et marqué de quelques hachures par un travail qui les assimile aux interrasiles : les pavés en damier, les arbres imbriqués et les fonds gaufrés indiquent quelquefois des pratiques semblables;, enfin on en trouve qui sont si délicatement taillées qu'on les prendrait pour des gravures sur métal ou en creux. Les procédés parfaite- ment distincts dans leur pratique générale se confondent dans des cas isolés, parce que les ouvriers, quoique séparés dans leurs mé- tiers, tendent à s'imiter dans leurs produits. Je ne saurais déterminer mieux la provenance de ces estampes; plus que les interrasiles, elles échappent à une localisation pré- cise et bien plus encore à une attribution personnelle; leur facture plus commune a gagné rapidement les pays occupés par l'art gothique , des États bourguignons et rhénans à l'Allemagne supé- rieure, à ritalie du nord et à la France. Avant qu'on eût atteint le milieu du XV°"= siècle , le commerce les avait déjà répandues en tout lieu; en 1441, les maîtres dans Fart et métier des cartes et figures imprimées de Venise se plaignaient de ce que leur art était tombé en discrédit, à cause de la grande quantité de cartes à jouer et de figures imprimées qui étaient venues de létranger, et obtenaient du sénat un décret qui interdisait l'entrée de tout ouvrage de ce genre, soit imprimé, soit peint sur toile ou sur papier, images d'autels {ancoiia) ou cartes à jouer (i). Quel- ques années après, on en expédiait d'Ulm des ballots, pour être (1) Ce décret a été publié pour la première fois dans les Lettere pittoriche , t. V,p. Ô2I, et par Lanzi, Ouley, Zanî, Eniéric David, etc. (54) écliangt'es contre des épiceries et autres marchandises (1). La gra- vure était donc dès son origine débordée par l'imagerie; aussi faut-il résolument séj)arer l'une de l'autre, si l'on ne veut pas que l'histoire de lart dégénère en une nomenclature sans ordre et sans terme. Tandis que l'art vivant et progressif marque ses pas dans chaque lieu, à chaque moment, par quelque signe intelligible, Timagerie routinière s'immobilise et s'atrophie. Nous en voyons un exemple remarquable, sans sortir du XV""* siècle, dans une estampe du cabinet de Paris qui représente une madone de style byzantin, dessinée d'un trait gros sans hachures, imprimée à l'encre, au frotton et coloriée selon le procédé des cartiers, mais dont l'in- scription, développée autour du cadre et dans le soubassement, nous donne l'auteur et la date : Michel Schorpp, mdler zu Ulm, d496. Ce peintre, dont le nom est omis dans tous les dictionnaires, même dans celui de Zani, n'était qu'un imagier qui, de son temps où le dessin et la taille de bois prenaient tant d'essor, n'avait rien oublié et rien appris; s'il n'avait pris le soin de signer son estampe, on aurait pu la prendre pour une gravure des premiers temps. (1) Rubrique d'une chronique de 1474, cité par Heinecken : Idée générale y p. 245. — Neve Nachrichten , p. 139. 1786. ( 55 IV. LES LIVRES DES PAUVRES. Los livres des pauvres, lîbri patiperum , sont mentionnés déjà dans Théophile (I); il n'est point douteux que le moine artiste entendait par là les suites reliées d'images et de textes théologi- ques qui servaient à Tinstruction et à l'édification des fidèles. Ces livres n'étaient pas des ohjels de luxe comme les manuscrits à mi- niatures et devaient être à la portée de ceux qui ne pouvaient les payer qu'un prix modique; mais on présumerait trop de Fétat des populations ignorantes du XV'"'^ siècle, si l'on croyait, comme heau- coup d'auteurs qui ont littéralement accepté le titre donné au plus célèbre de ces lÏYves, Biblia pauperum, qu'ils étaient uniquement destinés aux pauvres, au peuple. Quel qu'en fut le prix, pour si claires qu'en fussent les figures, pour si courtes qu'en fussent les lettres, le peuple ne pouvait ni les acheter ni les lire; ils étaient surtout à l'adresse des prédicateurs des pauvres, des pau- vres clercs, ainsi que l'a signalé Chalto (â). La préface du Spécu- lum salvationis, livre de même nature et de même objet que la Bible des pauvres, s'explique en termes précis : propter paupercs predicalores hoc apponere curavi. L'ouvrage composé par saint Bonaventure, sous le même titre àeBibliapaiiperimi, dont Camus cite une édilion de 1490, était composé d'extraits à l'usage des prédicateurs. Le Dklionarius paiiperum, dont on connaît plu- sieurs éditions, de 1498 à 4310, avait la même destination : inci' pit summula omnibus verbldlviniseminaloribuspernecessaria (3). On appelait Thésaurus pauperumj le livre de médecine pratique, (1) Diversarum artium schedula, p. 234. Paris, 184o5 in-4''. (i2) J Trcatise on wood Engraving , p. 101. 1839. (3) Notice d'un livre imprimé à Bamberg, p. 10. Paris, an VII; in-4''. ( se ) composé par Jean XXÏ (1). Cet usage rend parfaitement eompte de l'esprit mystique et figuré dans lequel sont composés les livres des pauvres. Les légendes servaient à la paraphrase du catéchiste, les figures échaulFaient son imagination et pouvaient être mon- trées du doigt pour frapper l'auditeur. Ce n'était que la continua- lion de l'enseignement des ignorants par les figures qui avait été de tout temps pratiqué par lEglise, selon la parole de saint Gré- goire : Q«0(/ legendbus scriptural hoc idiotis praesiat pichira cernentibus : quia in ipsa etiam ignorantes vident quod sequide- beant : in ipsa legent qui literas nesciunt : unde etpraecipuegen- iibus pro lectione pictura est (2). Les livres des pauvres furent dahord manuscrits et exécutés par les moyens les plus rapides des scribes, les dessins à la plume et l'enluminure des rubrieateurs. Ansgarius, moine du couvent de Corbie, au IX™® siècle, envoyé pour évangéliser la basse Saxe, avait composé des livres de ce genre, selon le témoignage des chro- niqueurs allemands : Per numéros et signa conscripsit libros indigitatos pigmentorum vocabulos (5). Quelqu'un avait même voulu se servir de ce texte pour attribuer à Ansgarius la Bible des pauvres xylographique. On cite cependant en divers pays des ma- nuscrits des principaux de ces livres, que les exemplaires xylogra- phiques ne reproduisirent pas toujours exactement, mais qu'ils curent pour modèles (4). (1) II fut imprimé à Anvers par Marlens d'Alosl, en 1476. Lambinet, Recher- ches hist., etc., p. 288. Bruxelles, an \1I. (2) Pétri Zornii Historia Bihliorum pictorum, p. 73. Lipsiee, 17405 '^^-^°' (ô) Heinecken, Idée générale d'une collection d'estampes, pp. 519, ô21, (4) Meerman cite une Bihlia paitperum en trente-huit figures, manuscrit du XII™' ou du XIII™* siècle, de la bibliothèque de W'olfenluitel. Or?"^mes fî/po- graphicae , p. 525. J'en ai vu une à Leipzig, chez M. Weigel, qui était dessi- née sur une feuille in-plano, de façon à être enseignée aux fidèles comme une carte géograph'que ou comme un de ces tableaux que promènent dans les foires les chanteurs de complainte. Les bibliothèques de Paris, de Londres et de Bruxelles contiennent plusieurs manuscrits du Spéculum qui ont été cités par M. Guichard [Notice sur le Spécu- lum, p. 111. Paris, 1840),M. Waagen [Treasures of art.,1 ^p. ÔIO) et M.Alvin {Les Commencements de la Gravure aux Pays Bas, p. 22. lîrux , 1857; in-S"). (37) Les figures des livres des pauvres étaient done faites eomnie les miniatures, à l'imitation des peintures et des bas-reliefs des églises. Dans ees monuments, les sujets ne se trouvent point placés d'une façon arbitraire; ils ont souvent l'ordre didactique qui se rencontre dans les livres. Une suite de ce genre était représentée sur les vitraux de l'église d'Hirscbau. en Souabe, et Lessing, qui la vit, crut y trouver la preuve que la Bible des pauvres xylograpbiquc avait été gravée à Hirschau {!). Ileinecken en avait déjà signalé d'analogues à Brème et dans les peintures et les sculptures de plusieurs autres anciennes églises (2). Les miniaturistes et les écrivains, malgré la promptitude de leur travail, ne pouvaient suiïire aux conditions de multiplicité et de bon marché exigées pour ces publications populaires; elles échu- rent de bonne heure aux mains des 'printers et des kartenmakers. Quant à la question de savoir quel est le moment et quel est le lieu précis de leur apparition, bien que les monuments qu'il s'agit ici d'examiner offrent plus de prise à la critique et à l'histoire que les estampes isolées, on n'a point eu de résultat certain. Meerman, le champion déterminé des prétentions de la ville de Harlem à la découverte de limprimerie , en signalant les exem- plaires de livres à planches de bois qui se trouvaient dans cette ville 5 nhésita point à reconnaître dans les plus anciens et les plus remarquables un produit des presses de Laurent Coster qui, suivant lui, avait inventé, vers 1450, l'impression des planches de bois en même temps que limpression des lettres mobiles (o). Cette opinion, soutenue avec beaucoup d'érudition, mais appuyée sur des traditions hollandaises et des documents insuffisants, ne fut guère acceptée qu'en Hollande. Heinecken, qui avait vu beaucoup de ces livres dans les diverses contrées de l'Europe, les a décrits avec soin (4); mais il les a classés dans un ordre arbitraire, en confessant qu'il ne connaît avec (1) Guichard, Notice sur le Spéculum humanae salvationis, p. 111. Paris, 1840. (2) Idée générale d'une collection d'estampes , pp. oOo, note d., et ô20, (ô) Origines typographicae, 1. 1, pp. lOjet suiv. Kagae Comilum, 176o,in-4°. (4) Idée générale, pp. 292 et suiv. (58) cerlitiido ni rorigiiie ni IVpoqne des diverses éditions. Tout en se méfiant de la grossièreté de l'exécution comme signe d'antériorité et en reconnaissant certaines éditions comme copies et comme postérieures, il n'a pas su prendre d'autre règle de classification qu'une hypothèse patriotique. Pour lui, les plus anciennes et les plus originales sont toujours allemandes, faites dans le goût lourd et gothique des premiers dessinateurs et peintres de Fécole des- quels est sorti Martin Schœn, ou des anciens sculpteurs et tail- leurs en hois qui se mêlaient de dessiner, tandis que les éditions postérieures et les copies sont toujours flamandes. Dans son sys- tème, les premières précèdent de quelques années fimprimerie ou bien sont contemporaines; les autres n'ont été faites qu'après que la découverte se fut répandue. Zani n'avait pas examiné un assez grand nombre d'exemplaires des divers livres des pauvres pour oser s'écarter du jugement d'Heinecken; il les tient aussi pour des ouvrages allemands, il les croyait seulement un peu moins anciens, et plaçait, vers 1460 et 4470, les éditions originales des plus recommandables (1). Ottley soumit à un nouvel et minutieux examen les trois prin- cipaux livres xylographiques. Par une suite de preuves plus maté- rielles encore qu'esthétiques, il établit un classement plus ration- nel dans leurs éditions et arriva à cette conclusion qu'ils étaient originaires des Pays-Bas. Il les regardait comme le produit d'essais informes d'imprimerie précédant la découverte de la typographie faite en Allemagne, et les croyait gravés par un même graveur sur des dessins d'artistes différents appartenant aux contrées de la Hollande ou des Flandres, alors plus florissantes que celles de l'Allemagne. Leur date était, selon lui, de 1420 à 1440 (^). Beaucoup d'autres auteurs se sont évertués à l'appréciation des livres xylographiques, tant pour leurs rapports avec la découverte de l'imprimerie que pour leur importance dans Thistoire de la gra- viu'c; mais ils n'ont fait que reproduire avec moins d'autorité les jugements déjà cités, ajoutant quelquefois des observations utiles. (1) Enciclopedia , l, I, p. 11. {'!) ffislory of Engraving, chap. III, p. 99. ( 59) mais \v plus soiivcnl embrouillant par une critique insuffisante les questions intéressantes qui se rattachent à leur élude (1). MM. Solzman et Waagen, les derniers iconopliiles qui en aient parlé avec autorité, ont reconnu que les livres des pauvres sont de souche néerlandaise, que les graveurs en bois qui y travaillè- rent tirèrent leurs dessins des miniatures appartenant aux manu- scrits. Selon ces savants, leurs planches sont composées dans la ma- nière propre à l'école des Van Eyck, et cette manière, qui se fait remar(|uer par sa tendance réaliste, paraît s'infiltrer dans les arts dépendant de la peinture de 1420 à 14G0; depuis environ 1420 pour les miniatures, 1440 pour les gravures en bois, 1460 pour les gravures sur cuivre. L'Allemagne, qui subit ensuite l'influence de la même école, ne fit que copier les mêmes planches avec plus ou moins de fidélité et de succès (2). Il semblait que tous ces travaux allaient être résumés dans une (1) Papillon {Traité historique de la gravure en bois, 1760) et Fournier (Dissertation sur l'origine et les progrès de l'art de graver en bois , 1758, in-12) avaient déjà très-bien décrit les livres xylographiques. Lambinet en a dési- gné plusieurs exemplaires nouveaux {Recherches sur l'origine de l'Imprime- rie, p. 6 J.Bruxelles, an VII). La Serna Sautander {Dictionnaire bibliographique choisi du XF""' siècle, t. I, pp. .53 et suiv.; t. H, p. 207, Bruxelles, an XIII; 3 vol. in-S") s'est attaché surtout à réfuter Meerman et attribue les livres xylo- graphiques, soit aux Allemands, soit aux printers d'Anvers ou de Bruges. — W. A. Chatto {j4 Treatise on wood Engraving. London, 1839), à côté de quel- ques opinions excentriques, comme la réfutation du terme générique de Bible des pauvres, et l'attribution de VJpocalypse xylographique à des artistes grecs, a reproduit soigneusement les écus armoriés qui peuvent éclairer l'origine de plusieurs planches. — Dibdin {Bibliotheca Spenceriana, 1. 1. London, 1814) a donné de bons fac-similé d'éditions moins connues et produit quelques observa- tions singulières, comme celle qui est relative à V Histoire de la P^ierge par le Cantique des Cantiques, imprimée, croit-il, plutôt avec des planches de métal, étain ou fer blanc, qu'avec des planches en bois, — Brunet {Manuel du libraire; 1842) a résumé toutes les observations bibliographiques et donné comme conclu- sion que les productions xylographiques ont précédé la découverte des caractères mobiles et peut-être même ont paru dès 1420 à Harlem; mais il s'est abstenu de toute appréciation personnelle et surtout de toute critique esthétique, (2) Sotzman, Serapcum, n° 13; 1842. — Waagen, Treasures of art, t. I, p. 500; 1853. (CO) publication dispendieuse, entreprise à Londres, sous ce titre : Principia typographica , The Block-Books {\); mais l'auteur est resté au-dessous de sa tâche. En rassemblant un grand nombre de fac-similc lithographies de la ])lupart des livres xylographiques connus, selon la division maintenant ctabhc entre les originaux liollandais et les copies allemandes , il n'y a pas mis Tordre néces- saire pour la comparaison et la critique. M. Sotheby a reproduit aussi en grand nombre les marques ou pontuseaux qui se rencon- trent dans les papiers, sans en tirer les lumières qu'il avait sans doute espérées. Les pontuseaux, en effet, présentent peu de parti- cularités saisissables, et le commerce exporta de bonne heure les papiers assez abondamment pour dépayser toutes ces marques de fabrique. On sait particulièrement qu'au XV"*^ siècle, les Flandres recevaient le papier des fabriques de France. Les questions qui se rattachent à l'origine et h l'analyse des livres des pauvres sont donc loin dêtre résolues. Sans nous livrer à la description comparative qui devrait être faite de ces précieux in- cunables et de leurs différentes éditions, si on voulait en faire l'histoire complète, nous essayerons, en examinant les principaux, de déterminer la manière de leurs graveurs, dans ses rapports avec celles que nous avons déjà vues dans les estampes isolées, et de marquer leur place dans l'art du XV'''^ siècle. BiBLiA Pauperum. — La Bible des pauvres, Hisioriœ ou Figiirœ Veleris et Novi Teslamenti, dont la Bibliothèque nationale possède trois éditions des plus anciennes en quarante planches, les unes en- luminées, les autres sans enluminures et une édition en cinquante j)lanches, nous offre le plus remarquable exemple de ce catéchisme ligure, où les scènes de 1 Ancien et du Nouveau Testament étaient placées en emblèmes, les unes vis-à-vis des autres et accompagnées (le vers léonins qui en expliquaient le sens symbolique en le gra- (1) Or Xylographie delineations of scripture hislory issued in Hoîland, l'ianders and Germany, during the fifleen century exemplified and consi- dered in connexion witli the origin of priniing. ■ — ^ ivork contemplated by the Lait Samuel Sotheby and carried ont by his son Samuel leigh Sotheby. { 61 ) Vaut clans la mcmoire. Clia(iue sujet est encadré de compartiments d'architecture en style ogival primitif, avec colonnettes à base évasée portant un tailloir cubique et des rinceaux horizontaux on un double arc en cintre surbaissé à espaces trifoliés. Ces compositions souvent trop simples ont quelquefois un excellent arrangement, comme on peut le voir dans IcsVierges folles descendant les degrés de Venfer; les Enfants de Béthel se moquant du prophète Élie et la Transfiguration. Les figures, assez bien proportionnées, quoique avec des têtes généralement trop grosses pour le corps, et plus grosses pour les hommes que pour les femmes, décèlent, sous leurs linéaments rudimentaires, leur expression grossière et leur taille faite à tâtons, une certaine habileté et un esprit subtil : elles ne tombent pas dans la charge et la grimace, malgré leur naïveté copieuse, si ce n'est dans quelques personnages, où elles étaient indiquées, comme le démon de la Tentation et le géant de la Victoire de David. Les têtes sont variées, étudiées dans la réalité et quelquefois très-heureuscjnent expressives; les mains sont souvent l'énssies, les jambes élégantes dans les doiniées de la chaussure en pou lai nés. Le Christ et la Vierge, qu'il serait intéressant de bien saisir ici, n'ont pas de type bien arrêté : l'art est sorti de l'hiératisme sans savoir se fixer; mais ils sont du moins vivement sentis dans leurs attitudes et bien en scène au milieu des autres personnages. Pour résumer la manière du dessinateur dans ces défauts et ces qualités, je dirai qu'il est adroit par instinct et maladroit par ignorance. C'est peut-être le caractère le moins trompeur de la primitivité de l'artiste. L'habileté de sa main et la vivacité de la composition sont trahies à chaque instant par l'inexpérience du procédé. Il a le contour trop timide ou trop appuyé, mais il sait accentuer les traits essentiels, les rides, les muscles, les chevilles, les plis des vêtements : ses corps, qui paraissent épais dans leurs draperies prennent une tournure svelte dans les rares nudités qu'il se permet. Toutes ces façons archaïques du dessin ont leurs analogies dans la taille, et je ne comprends pas conniient Heinecken, Zani et Ottley ont été amenés à distinguer dans ces planches un graveur (62 ) différent du dessinateur. Les tailles sont épaisses, épargnées et n'obtiennent pas des effets d'ombre; mais elles accentuent et va- rient les objets dans leurs aspects : les chevaux, les moutons, les arbres même, malgré le système arrêté et puéril avec lequel ils sont façonnés, produisent à peu de frais un ensemble souvent pittoresque. Dans plusieurs scènes, r adoration des Rois, la Reine deSaba, etc., le tailleur a cherché son effet dans quelques ornements ressortant en blanc sur des fonds noirs, imitation des procédés de la gravure intcrrasile. Une certaine inégalité s'aperçoit, il est vrai , dans la main-d'œuvre; plusieurs, parmi les dernières principale- ment, sont d'une exécution inférieure et peuvent être l'ouvrage d'apprentis, mais elles sont bien le produit du même atelier; l'ar- tiste qui le tenait emprunta plus d'une fois sans doute ses dessins aux peintres de miniatures et de vitraux, aux sculpteurs de por- traits et de boiseries; il occupa aussi probablement plus d'un ou- vrier et d'un apprenti; mais tout porte à croire que, dans ce temps où les artistes étaient praticiens et manouvriers plus qu'ils ne l'ont été depuis, la main qui dessinait sur le bois était le plus souvent la même qui le taillait et qui l'imprimait. L'impression, qui se fait remai^uer par sa teinte et par son inégalité, était obtenue au frotton et non à la presse, sur un seul côté du papier, non pas avec cette encre à l'huile noire et com- pacte qui fut adoptée par les inventeurs de limprimerie, mais avec une couleur bistre détrempée à l'eau (1), qui donnait des effets doux et légers comme ceux du pinceau et du crayon. Nous avons déjà rencontré cette impression au frotton et en détrempe bistre dans des estampes isolées, dans les cartes et les gravures sur bois du style le plus ancien; en la retrouvant dans les livres xylogra- phiques de première origine, nous devons y reconnaître le signe matériel le plus certain d'antiquité. L'encre d'imprimerie produit, dans la gravure sur bois, une ligne de démarcation non moins posi- tive que, dans la peinture, la couleur à l'huile; nous pouvons, du moins, tenir pour antérieures à la découverte de limprimerie les estampes à détrempe bistre. (1) Meerman la dit préparée avec de la suie de cheminée el de l'amidon dé- la^'és à l'eau. {De l'Invention de l'imprimerie^ p. 201.) ( 03 ) Les qualitcs qui rcssorlent de toutes ces observations appartien- nent à une école de dessin déjà faite et considérable, ayant pour don principal le sentiment vif de la réalité en même temps qu'un esprit subtil et mystique. Cette école ne peut être que celle qui florissait dans les provinces néerlandaises gouvernées par Philippe le Bon , duc de Bourgogne, sous l'influence des Van Eyck. Le goût d^allégorie mystique , d'imitation réelle et de ])atience technique qui brille du plus vif éclat dans les pluscélèbres tableaux de Hubert et de Jean est celui qui domine dans toutes les compositions de la Bible des pauvres, comme il est celui qui, dans un autre ordre d'idées, inspire la poésie de Pierre Micbault. Une analogie immé- diate résulte de la comparaison qu'on peut faire de ces planches avec les miniatures attribuées à l'école des Van Eyck. Il ne faut pas oublier cependant que nos gravures sur bois a])partiennent , par leur genre et leur destination, à un mouvement de Fart anté- rieur à cet état de perfection auquel le portèrent les grands pein- tres. On peut leur appliquer parfaitement les obseivations faites par M. VVaagen sur le Missel du duc de Bedfort, au Musée brita- nique; ce manuscrit fut exécuté à l'époque de son mariage avec la duchesse Anne de Bourgogne, sœur de Philippe le Bon, en 14!2o, et présenté au roi d'Angleterre Henri VI, à son couronnement en 1451; il porte, avec les armoiries du duc et de la duchesse, les devi- ses françaises : A vous entier. J'en suis content. Les miniatures offrent, selon les remarques de M. Waagen, des figures à propor- tions trop courtes on trop fluettes, des draperies gothiques, des extrémités pauvres; mais les attitudes y ont un caractère indivi- duel ; les tètes ont quelquefois une expression très-noble et les compositions sont ingénieuses (1). Les costumes employés dans la Bible des pauvres sont assez variés, souvent de convention ou de fantaisie, mais quelquefois actuels et locaux, et alors ils se rapportent bien à ce que nous savons des modes de la cour de Bourgogne pendant la première moitié du XV"'' siècle: ce sont, pour les hommes, de courtes Jacques avec manches en mahoitre, des chausses collantes et des chaperons (1) Treasures of Jrl, I. p. 127. ( C4 ) a longues écliarpL'S pcndanles; pour les femmes , des eottes et jupes plissées à manches larges et des coilFes à hennins ou bour- relets en toute conformité avec les prescriptions de Cupido dans la danse aux aveugles : Je fais chausser estroit et estroit saitidre Je fais lever ces bonnets et atours Sy haultemetit qu'ils ressemblent à tours. Les édifices présentent aussi quelques particularités curieuses : des pignons à redents ou à feuilles en crochets, des tourelles à màchecoulis et quelques dômes surmontés du croissant, souvenir toujours présent depuis les croisades de la terre sainte. L'édition en cinquante planches de la Bibliothèque nationale est citée par M. Waagen comme la plus ancienne, celle où l'on retrouve le mieux l'empreinte du style des Van Eyck (I): le savant profes- seur n'avait pas vu sans doute alors qu'il a prononcé ce jugement, les trois exemplaires en quarante planches sur lesquels j'ai fait les observations qui précèdent. En les confrontant, je n'ai pu voir dans l'édition en cinquante planches qu'une copie avec quelques diffé- rences; ses planches sont d'un mérite inférieur, plus incorrectes de dessin, plus grimaçantes d'expression, plus grossières de taille. Il faut renoncer à prendre la maladresse pour signe d'antiquité; à l'origine de l'art comme depuis, les bons artistes n'ont jamais copié les mauvais. La gravure ne marche pas d'un trait uniformément progressif et ne va pas toujours régulièrement du pire au mieux; souvent le progrès est accompli d'un saut par un bon artiste et suivi d'une série en décadence opérée })ar de mauvais imitateurs, jusqu'à ce qu'un talent original surgisse de nouveau. Il se produit (1) Treasures of y/rt, p. ô02. Ileinecken, qui a décrit ccUe édition la cin- quième, la déclare d'un [jraveur différent, et Jiésite sur sa date. L'impression en teinte brune et le nombre plus considérable d'inscriptions lui paraissent des signes d'antériorité; la forme des lettres et la finesse de la gravure lui semblent des signes contraires, {fdée générale, p. 509.) Ottley, qui n'en a parlé, il est vrai, que d'après Ileinecken, la croit postérieure, d'un artiste inférieur et non éloigné des ouvrages plus gothiques d'Israël Van Mecken. [Hislory nf Engra- ving , p. loi.) (65) alors dans les types du dessin le inèinc phénomène qui a été ob- servé dans les types numismatiqiies : la dégénérescence graduelle d'un type donné jusqu'à l'apparition d'un type renouvelé. Ici on verra cette dégénérescence se traduire par le grossissement des têtes, la complication des fonds, la charge des expressions, l'exagération des costumes; dans la taille, on peut observer moins de simplicité et de précieux; les ornements blancs sur fond noir que j'ai re- marqués dans les éditions précédentes ont enfin totalement disparu. Il se peut, malgré les difTércnces que je viens de signaler, que cette édition, qui fut faite en imitation et par surcroit, ne soit pas fort éloignée, quant à la date et quant au Heu, des éditions anté- rieures; le succès et l'utilité du livre durent en multiplier rapide- ment les éditions et les copies dans les Pays-Bas et la basse Alle- magne; mais je vois poindre ici précisément les façons de l'école allemande que nous allons voir mieux accusées dans des éditions dont la postériorité ne sera plus contestée. La trouvaille faite à Cologne d'une des i)lanches de bois qui auraient servi à cette édition en cinquante planches (1), que je n'ai apprise qu'après avoir écrit les observations qui précèdent, vient fortuitement les confirmer. Heinecken a décrit quatre ou cinq éditions de la Bible des pau- vres avec inscriptions allemandes (2). Les unes sont imprimées de la même manière, avec quelque différence seulement dans l'arran- gement des inscriptions et dnns la teinte de l'encre; les autres ont cela de particulier que le texte en est imprimé en caractères mo- biles. Les planches portent l'empreinte de mains différentes, mais elles se font toutes remarquer par un germanisme dans le style et une infériorité dans la composition, par rapport aux éditions pri- mitives, qui ne peuvent laisser le moindre doute sur l'origine de celles-ci. De plus, quelques-unes portent des dates et même des noms de graveur ou d'imprimeur. La plus connue est celle qui fut imprimée à Bamberg, en 1462, par Albert Pfister que nous rencontrerons plus loin. (1) Des arts graphiques destinés à multiplier par l'impression; par J. M. lleiman Hamnan, Genève, 1857, in-I2 , p. 5L (i^) Idée générale j p. 323. ToîîE X. 5 ( eo ) Deux monograinines, écussons marqués de divers emblèmes, un renard et des canifs, des frètes et un éperon, avec les dates de 1 470 et 147d, ont été recueillis par Heinecken sur deux autres Bibles des pauvres allemandes; ils ont été reconnus ensuite comme appar- tenant à deux ou trois graveurs en bois, Frédéric Wcdier, maler, signant aussi des lettres initiales F. W.; Hans Hornung et Hans Sporer, qualifié aussi Hans l^riefmaler ou Huns huchdruker (1). La manière de ces bois, bien qu'assez ferme et se tenant le plus près possible des originaux qu'elle copie, ne montre, comme ha- bitudes propres, que le grossissement des tètes et la charge de l'expression caractéristiques de Fécole allemande; mais cette école, malgré ces mauvais penchants, eut ses artistes originaux que nous étudierons. La Bible imprimée dans l'intégrité de son texte, dès 14do, eut bientôt dans 1 imagerie, dont elle ne cessa pas detre lobjet, des interprètes plus dignes que ce libripagus et ce buch- drucker. S'il pouvait, après ces explications, subsister quelque doute sur l'origine hollandaise de la Bible des pauvres, il disparaîtrait devant une circonstance qui nous reste à noter et qui est de découverte récente. Au moment où les hbraires allemands copiaient et alté- raient, comme nous voyons, les gravures de ce hvre; elles sub- sistaient encore dans les Pays-Bas et passaient dans plusieurs im- primeries. Un libraire hollandais, Pierre Van Os, deBréda, établi à Zwolle, depuis 1479, y imprimait, en 1488, 1489 et 1490, des livres où il employait quelques-uns des bois qui avaient servi aux premières éditions de la Bible des pauvres, en se bornant à les scier pour les intercaler dans son format. C'est ainsi que l'on trouve les planches représentant les élus daiis le giron d\ibrahani et les damnés emmenés par le diable, dans le Livre des abeilles; celles de la descente du Saint-Esprit et l'échelle de Jacob, dans la Vie des Pères, et beaucoup d'autres planches de divers formats dans une Passion et Vie de Jésus-Christ. Nous reviendrons plus loin sur les livres de P. Van Os. Ce qui rend la trouvaille plus (1) Nachrichten von Kunstlern, L II, p. 141). — lieller, Monogrammen Lexicon, p. 574. — BiuUiot, I, 021)2, (67 ) démonstrative, c est que ces bois anciens se ti5iivent mêles à des bois de fabrique contemporaine, dont le travail fait ressortir toute la difTércncc. On trouve encore un assez grand nombre des bois de la Bible des pauvres, reproduits dans une Passion imprimée en J488, à Hasselt (1), et la ils se trouvent aussi mêlés à d autres bois de fabrique plus grossière et plus récente. Ces particularités ne nous conduisent pas à pouvoir mieux fixer le lieu où parut pour la première fois la Bible des pauvres. Si Ton était tenté, dun côté, de le rapproclier de Zwoll, ville de la pro- vince d'Overyssel, que nous retrouverons dans l'histoire de nos artistes, d'un autre côté, on est rejeté vers une petite ville de la province de Liège, dont l'imprimerie anonyme n'est connue que par trois ou quatre éditions; mais nous n'en sommes que mieux admis à conclure l'ancienneté relative du livre primitif. Sa célé- brité le fit recliercber des imprimeurs, alors que dans leurs éta- blissements nomades, ils se mirent en quête des figures qui pou- vaient le mieux vulgariser leuj's livres. C'est à cause de cette célébrité que, dans notre examen des livres des pauvres, nous avons donné le premier rang à la Bible, mais ce n'est pas le plus ancien. lliSTORi JoHANxMs. — Le bibliographe Maittaire (2) regardait l'Apocalypse, ^i'sform Johannis evangelisiae ejusque visiones apo- cali/plicae, comme le premier livre imprimé sur des blocs de bois au rouleau. C'est celui où Heinecken a vu le plus de traces des pro- cédés propres au cartier et la gravure peut-être la plus mai for- mée; mais comme le dessin pouvait être d'une main différente et qu'il trouvait ici plus de na'iveté et d'expression, il ne le plaçait qu'après la Bible des pauvres (5). Toutes les éditions qu'il décrit sont pour lui d'origine allemande, et il s'est Attaché à réfuter 3Ieer- man. Ce dernier, en décrivant l'exemplaire de l'Apocalypse de (1) Die Passie ende dat liden ons fferen Jesn-Chrisli. 1488. 111-4". Cataî. bibl Hag., n-^ 6\S. (2) Annales typographici ab arlis invenlae origine usque ad annum V6'67 , t. L Kagae Com., 1719. 5 t. eu o vol. in-4''. (ô) Idée générale, pp. 534 et o48. { 68) Harlem , trouvait ses figures j)lus rudes et plus gotliiques que celles de la Bible des pauvres et du Spéculum, mais en eonsidérant les lettres comme semblables à celles de ce dernier livre et de forme belgique plutôt que germanique, il le croyait sorti de latelier de Harlem, à une époque postérieure h Coster (1). Chatto , s'attachant davantage à la critique esthétique, sans s'aventurer à dire si ces planches ont été gravées -en Allemagne, en Hollande ou dans les Pays-Bas , trouvait dans leur dessin le style grec, tel qu'il pouvait être au commencement du XV""* siècle; et de plusieurs rapprochements pris dans les sujets, aussi bien que de quelques signes particuliers, tels quun croissant et une croix grecque tracés sur des écussons, il concluait qu'on doit attribuer à un artiste grec, chassé de son pays avant la prise de Constanti- nople, en 1455, les dessins de l'édition primitive. Cette opinion aventurée, aussi bien que les épithètcs échap- pées aux auteurs qui l'ont précédé, s'explique par le caractère plus hiératique de Ylllstoria Johannis. Les compositions y sont élémentaires, les figures ramassées, graves et grossières, sans être barbares, et d'une expression si peu mobile qu'elles échap- pent h l'appréciation comme ouvrage d'art et prêtent à l'antiquité qu'on veut imaginer. Le dessinateur n'est pas dépourvu de savoir ni même de grandeur, mais il cherche l'effet religieux plus que l'agrément; il se prive plus par système que par impuissance des petites rcssourccis de la main-d'œuvre. La taille en est réduite à la structure la plus rudimentaire, les terrains sont à peine marqués de brins d'herbe, les cheveux sont bouclés uniformément; l'im- pression est aussi plus baveuse et plus semée de ces clairs que laisse l'usage du rouleau; enfin, le caractère apocalyptique des sujets n'ajoute pas peu à rarcha'isme général. Mais il est absolu- ment impossible de prendre pour byzantin un ouvrage où se voient des chausses étroites et pointues, des Jacques courtes, des bon- nets et des armures fort semblables à ceux que nous connaissons déjà, où se rencontrent des pignons et des tiacés d'architecture ogivale qui ne sauraient appartenir à l'Orient. Je comprendrais (1) Origines (ypographicaej I, p. 255. (09) plutôt l'opinion de M. Sotznian, qui donnnit à cp livre, comme à tous les antres, nne origine néerlandaise; quelques figures, no- tamment les anges, y ont nne doueeur de physionomie qni les rapproche des figures de la Bible des pauvres; la Vierge entourée d'étoiles de la planche 1 9'"% n'est pas sans rapport avec la Vierge des hvres flamands. Cependant, à tout considérer, YHistoria Johannis vient d'un autre atelier, qui me paraît à la fois et le plus ancien et le plus marqué de tendances allemandes plutôt que flamandes, sans cependant s'éloigner encore beaucoup de celles-ci. Les nombreuses éditions de ce livre viennent jeter en- core plus d incertitude sur son origine. Les observations qui précèdent ont été faites d'abord sur l'exem- plaire de la Bibliothèque nationale et sur celui de l'hôtel de ville de FLirlem, qui sont de la même édition, celle qui est cotée la seconde par Heinecken , et qui portent tous les caractères de la plus grande originalité; ils n'ont pas de feuilles manuscrites in- terposées. J'ai vu d'autres exemplaires qui répondaient à diffé- rentes éditions, parmi les six qui ont été décrites par Heinecken, mais sans pouvoir me rendre compte du classement qui en est fait, ni en substituer un autre. Qui aura maintenant la bonne fortune de pouvoir consulter et comparer un aussi grand nombre d'Apoca- lypses xylographiques? Tout ce que je puis dire, c'est que celles qui paraissent conformes à l'édition qu'il appelait la première, sont des copies allemandes très-caractérisées par leur dessin plus gothique. Ars moriexdi. — Le plus vulgaire des livres des pauvres fut VArs moriendi. C'est un sermon en onze images sur les tentations diaboliques et les conseils angéliques qui viennent assaillir un agonisant. Quelques mots de la préface parlent de l'utilité de ces images pour les moribonds et indiquent l'usage que le prêtre en faisait dans les exhortations de la dernière heure. Ce livre de cir- constance fut exécuté d'abord sur des tables de bois et ne tarda pas à être exploité par rimjjrimerie. A la fin du XV'"" siècle, il y en avait des éditions en tout pays, latines, flamandes, alle- mandes, italiennes, françaises et même anglaises, avec des va- riations plus considérables dans le texte que dans les figures, (70) brancliof; toutes issues cViinc souche commune. Où donc cette souche avait-elle pris sol? La question rencontre les mêmes obscu- rités où nous avons déjà cheminé, et se résout de la même ma- nière. Il n'est pas facile de se reconnaître entre les éditions décrites par Heinecken comme première, troisième et quatrième, sur des exemplaires incomplets, jugés sans critique et reproduits avec peu de fidélité (1). M. Waagen , qui parle de l'édition décrite la première par Heinecken, d'après un exemplaire de la biblio- thèque dcWolfenbuttel, sans dire où il l'a vu, la tient pour bol- landaise (2). Il faut plutôt chercber cette édition primitive dans celles que Heinecken a décrites ensuite sur un exemplaire de Harlem , et qu'il reconnaît lui-même comme d'un meilleur goût : elle m'a du moins paru telle à Harlem et ailleurs où j'ai pu l'entre- voir (5); elle est tout à fait comparable, dans son impression en détrempe aussi bien que dans le dessin de ses figures , aux origi- naux des ouvrages xylograpbiques que nous avons déjà examinés, en gardant, cependant, des différences de main appréciables. Les figures ont de la correction, de l'expression et même de la gran- deur dans leurs draperies à plis droits et anguleux; le travail, fait de tailles courtes et serrées, est dans d'autres habitudes que celles des livres qui se trouvent placés à côté dans les vitrines de Harlem: ils ne peuvent être sortis des mêmes ateliers. Au reste, toutes les éditions xylographiques latines et en dé- trempe conservent dans leurs planches une distinction que l'on ne soupçonnerait pas d'après les descriptions d'IIeinecken, ni d'après ses reproductions. J'en citerai une seule pour indiquer le genre de ces compositions : Temptatio Dyaholi de desperatione. Le mori- bond gisant dans le lit est assailli par des démons cornus, fourchus et femelles, qui lui montrent ses péchés en écriteau. L'un d'eux lui donne la représentation du plus cher de ses souvenirs: une jeune fille en cheveux à côté d'un jeune homme coiffé d'un bonnet élégant avec la terrible sentence : Fornicaveris pérît unis es. L'exemplaire de Mariette que Heinecken a décrit et dont il a (1) Jflée générale, pp. 399 et suiv. (2) Treasures of Art , p. 308. (3) Chez M. Tiiéo. Wei^el, à Leipzig. ( 71 ) fait sa seconde édition, est aujourd'hui à la Bibliothèque nationale, et nous y voyons d'abord l'opinion du savant iconographe français au sujet des livres xylographiques. Elle se résume dans un titre qu'il avait fait imprimer pour le livre dont il avait reconnu la va- leur et qu'il sauvait ainsi d'une destruction certaine. L'iconographe de Dresde n'a pas rapporté ce titre qui contrariait sa propre opi- nion sur l'origine des livres des pauvres: Ars Moriendi opus , si structtiram spectes, nullius momenti; sed qiiod ah eo typographia ars nobilissima exordhim sumpserit, multi pretii. Laurentius Joannis Costerus , civis Harlemensis , exaidebat, ut aiunt, circa anmtm R. S. H. CI3 CCCCXL. E ptdvere in qiio forsan adîmc jaceret eindt, et nilidiori tecjumenio decoravit P. J. M ariette hihlio- pola parisiensis, 1738 (i). Mariette acceptait, comme on voit, Torigine hollandaise des livres xylographiques, mais il n'a pu mettre en parallèle leurs diverses éditions et faire la part de l'Allemagne. Celle-ci se fait remarquer, outre son format plus petit, par sa taille, dont le trait fort et hardi admet de petites ha- chures nuiltipliées, quelquefois en pointe comme dans les gravu- res sur cuivre, quelquefois même croisées dans les fonds. Les types des figures paraissent aussi plus petits et plus laids; l'encre, bien qu'en détrempe, est plus foncée que dans les plus anciennes plan- ches. Ces circonstances nous la font regarder comme allemande. L'assertion de Heinecken, qui y trouve les marques de la plus haute antiquité, ne peut que confirmer cette opinion, puisqu'on sait quil faisait consister ces marques dans la dose de germanisme quil trouvait aux figures. M. Guichard (2) est, depuis, le seul auteur qui ait publié une description des éditions de VArs moriendi qu'il a pu connaître, en commençant par l'exemplaire de Mariette. Il a même essayé riiistoire de ses transformations; mais tout en critiquant l'ordre (1) Ce volume, petit in-4°, relié en maroquin rouge avec dentelles, doublé de moire, inscrit sur le dos: Jrs moriendi a Lauren Castero, est enfoui à la Bibliothèque nationale sans numéro d'ordre, comme la plupart des xylographiques et des incunables. (-2) Recherches sur les livres xylographiques, {Bulletin du Bibliophile. Paris, Techener, 1840-41.) ( 72) suivi avant lui, il n'en a pas donné un meilleur, parce qu'il n"a pas corroboré ses notices littéraires et bibliographiques par une appréciation éclairée des figures. La critique, plus avancée aujour- d'hui sur la diirérence des styles et leur marche, fournira un guide plus sûr à qui se trouvera en mesure de collationner toutes les éditions. Je croirais, pour ma part, avoir assez fait, si j'étais par- venu à faire distinguer l'original hollandais et la copie allemande. L'appréciation devient plus facile avec les éditions où intervien- nent des textes en caractères typographiques, et il est bon de les examiner, parce qu'elles font ressortir l'ancienneté des autres. Parmi les éditions de VA)'S moriendi^ exécutées avec des carac- tères typographiques, la Bibliothèque nationale en possède une en treize planches qui est, je crois, la septième décrite par Heinecken. Bien qu'en texte latin et assez fidèlement imitée des premières éditions, quant aux procédés xyiographiques, elle est toute de style allemand avec des traits carrément menés, des figures per- dant la justesse de mouvement, des types absolument dépourvus de beauté, des expressions grossières et même grimacières. Les mêmes planches, avec des différences provenant seulement du tirage, se retrouvent dans une édition, en texte allemand, qui porte le nom de l'éditeur Ludwig ze Vlm. On peut même penser que celle-ci est plus ancienne que l'autre, car le texte y est imprimé sur des feuilles séparées et collées ensuite aux feuilles des planches. Hans Sporer, dont nous avons rencontré le nom parmi les copis- tes, a signé aussi, en 1475, en se quaUfiant de peintre de cartes, Jiat diss pucli pm/f maler, une édition de VArs moriendi qui a été décrite par Ileinecken et signalée pour l'usage qui s'y montre encore des procédés des cartiers. Mais cette persistance des moyens mécaniques n'a point empêché la marche de l'art. Toutes les fois qu'on revient à la comparaison de ces éditions avec quelques planches primitives, on ne peut s'empêcher de constater la véritable dégradation qui a gagné la gravure en bois , quant à la pureté du trait et à la distinction des types, même alors que quelques progrès se sont introduits sous le rapport du modelé des figures et de l'efTet du tirage. Tous les signes de cette allure con- tradictoire, corruption d'un côté, amélioration de l'autre, s'aper- (75) çoivcnt encore dans les planches cFun Ars moricndl exécuté à Nuremberg par l'imprimeur Jean Weisenburger, prêtre, qui exer- çait son art au commencement du XV!'"*^ siècle (1). Ce n'est pas seulement en Allemagne que l'art éprouva ces mo- difications. Les imitations faites en Hollande donnent lieu à des observations analogues. Une édition en langue hollandaise, impri- mée à Delft en 1487 (2), que Heinecken cite sans lavoir vue, a des planches très-intéressantes pour Ihistoire de l'art dans les Pays- Bas : les figures, souvent originales, y sont d'un mouvement vif, quoique d'un pauvre dessin, mais leurs attitudes et leurs expres- sions, bien qu'exagérées, ne le sont pas de la même façon que dans les planches allemandes : elles conservent quelque chose de leur premier naturel. Je citerai la première planche où la 3Iort sort dun tombeau armée d'un long dard, et celle qui représente la tentation de rimpatience, où le moribond chasse à coups de pieds prêtre et servante. La taille n'est pas non plus sans distinction : elle est sobre et devient j)ittorcsque et colorée sans s'alourdir, mul- tipliant ses hachures en les brisant quelquefois jusqu'au pointillé. Voilà donc un graveur hollandais qui travaille sur son propre terrain et qui se tient assez écarté des habitudes allemandes pour nous faire voir la tradition des graveurs xylographiques continuée dans leur pays. Je ne poursuivrai point ici l'examen des imitations de VArs vioriendi qui furent faites en France et en Italie. Elles trouveront plus naturellement leur place dans les écoles et avec les imprimeurs (1) Elle est dccrilc par Heinecken , p. 424, et je Ta! rencontrée au Musée bri- tannique. (2) Een notahel boeck ghenoemt Dat sterf Boeck, et au colophon : Totlieve Gods en lot slichtinge en beteringe aire kerstë niêschë is dit boeck dat genoet is Ars .uoriendi; dat dit caste va stervê vole ynde. Te Delfin HoUat , int iaer os Hlre MCCCCLXXXFITII, avec les armes de la ville de Delft. Visser ne cite cette édition que d'après le P. Lelong, et Heinecken dit ne l'avoir pas vue. Je l'ai trouvée avec la précédente à la bibliothèque du Musée britannique. Koning cite une autre édition hollandaise de 1488 dont toutes les figures sont, dit-il, fidèlement imitées de VJrs moriendi de Harlem. H signale, dans l'édition de Delft, après la 11""' figure, une planche copiée d'après la Bible des pauvres. (Bissertatwn sur l'origine de l'imprimerie. Amsterdam, 1819, in-S".) ( 74) de CCS pays. Mais il me reste à parler d'une édition qui en fut faite sur des planches de cuivre imprimées encore sons forme de livre. L'Art de mourir gravé sur cuivre, qui est au Musée britannique, se compose d'un cahier de douze planches alternant avec onze pages blanches sans titre ni texte. La première planche représente la Vierge allaitant Jésus dans les vastes plis d'un manteau tenu par deux anges, et les autres reproduisent les sujets ordinaires du livre dans des compositions plus simples, avec des personnages moins nombreux. Le contour fort, affecté par le burin, indique limitation de la gravure en bois; la sobriété des hachures, disposées en un seul sens dans les plis des draperies, indiquent les débuts de la gravure au burin; le style sérieux, les grandes draperies, les terrains semés de fleurs rappellent les ouvrages des Pays-Bas, et cette affinité est d'autant plus sensible que nous pouvons connaître la manière dont on traduisait, en Allemagne, la même composition, par les imitations qu'en ont laissées le maître de 14G6 et après lui Martin Zeissinger (1). M. Waagen considère ce livre, daprès le dé- veloppement de la gravure, le style des draperies et des costumes, comme un ouvrage fait dans le Bas-Rhin de 1400 à 1470. Je ne sais si, par cette expression, il la rapproche de l'Allemagne ou de la Hollande: c'est sans doute Cologne qu'il veut désigner plus parti- culièrement (2). lïiSTORiA YiRGJiMS EX Cantico canticorum. — La production la plus distinguée peut-être et la plus pure parmi les livres des pau- vres fut Vllistoria Virginis Mariae ex Cantico canticorum : tous les auteurs, depuis lîcincken, en ont relevé le mérite. Le sujet prêtait à la mysticité, à la grâce, et l'artiste a poussé de ce côté toutes ses qualités sans sortir des données toutes réelles de son école. La me- (1) V Ars moriendi du maître de 1466, qui n'est pas décrit pas Barlsch et que M. Ducliesne se proposait de décrire d'après la colieclion de M. Douce {Foyage d'un iconophile, p. 304), est aujourd'hui à Oxford. La copie qu'en fit Martin Zeissinger est aussi au Musée britannique. Barlsch (t. VI, p. ô81), qui cite les pièces sans indiquer leur origine, ne veut pas pourtant qu'elles soient du maître qu'il ne désigne que par les initiales M. Z. (2) Treasurcs ofJrt, t. I , p. Ô09. ( '■') sure de la composition, le calme des figures dans leurs mouve- ments, joints à une certaine afféterie dans l'expression, indiquent un talent tout nouveau ; il est encore primitif, il fait ses arbres en if, ses treillis et ses gloires en feston; mais ses végétaux sont plus variés; on y distingue le lis, la vigne, le pommier; il donne à ses physionomies des airs monotones, mais il groupe avec une simpli- cité pleine d'art et au milieu de détails naïfs , l'époux, lépouse, les trois suivantes et l'ange qui forment le fond de ses seize composi- tions. L'époux avec ses cheveux longs, son nimbe crucifère, sa tunique et son manteau traînant, a une figure juvénile et doucereuse, la taille longue et la démarche mesurée; l'épouse avec sa couronne et son nimbe , vêtue de la cotte à plis et du surcot à larges em- manchures, se fait remarquer par des traits plus mignons et plus allongés. Les têtes sont loin, du reste, d'avoir une beauté régulière, mais, dans leurs airs quelquefois niais et pauvres, elles expriment toujours la douceur et la tendresse. Je décrirai seulement quelques planches. Dans la première, l'épouse s'avance en compagnie de l'époux, suivie de deux vierges entre des phylactères : Osculet me osciilo oris siii...j vers un clos où des moines franciscains se livrent à des tra- vaux domestiques et agricoles : Veni in Jiorfum meum. Dans la troisième, l'époux assis à côté de l'épouse lui présente un calice surmonté d'un oiseau : Favns disHllans labia tua mel et /ac. L'ange agenouillé près d'un tonneau, à côté de trois vierges, va tourner le robinet ; Bibi vinuni meum cum lacté meo. Dans la sixième, l'époux se dresse sur son lit à côté duquel se tiennent les trois vierges: Pessidum hostii mei aperiam dilecti meo. Dans la quatorzième (4), (1 ) L'ordre n'est pas le môme dans toutes les nomenclatures, et Zani, qui a donné du livre la plus ample description , en suit une autre. {Encidopedia , part. II, t. VI, p. l 'Hfî). Celle-ci est d'après l'exemplaire très-beau et tout à fait exempt d'en- luminures que possède la Bibliothèque nationale. L'exemplaire décrit par Hei- necken et Zani , et celui de la Bibliothèque sont de la deuxième édition et en encre noire; il faudrait voir la première édition, Die P^oersinicheit von Maria, en teinte brune et à léjQfendes flamandes, à Harlem. Il n'y a que neuf planches au ■Musée britannique. Complet. (7C) l"('poiisc s'avance vers deux vierges : Lampaclcs ejifs sicut lampades ignîs. Deux donataires homme et femme en costume bourgeois sont agenouillés à côté d'un phylactère : Si dederit Jiomo omnem substajitiam siiam. Plusieurs planches portent des écussons armoriés tenus par divers personnages ou suspendus à des murs de ville, et l'on a voulu y chercher des indices pour l'origine du recueil. Zani les avait déjà signalés sans oser les interpréter. W. A. Chatto, qui a re- produit toutes ses armoiries et y a constaté des signes héraldiques applicables à des villes et à des familles d'Alsace et de Wurtem- berg, en a conclu que l'ouvrage avait été composé dans ce pays (1) ; il a même vu dans une de ses planches (2) , une allusion au concile de Bàle, tenu en 1459, qui avait nommé un pape, Amédée de Sa- voie, sous le nom de Félix V, en opposition avec Eugène IV; l'expli- cation me semble fort aventurée. Quant aux armoiries, j'y trouve des figures appartenant aussi bien aux Pays-Bas qu'à l'Allemagne: Taigic à deux têtes est dans Técu d'Anvers, le lion rampant sur lécu de la Flandre, de la ïlollandc et de la Gueldre, la croix pleine sur reçu dUtrecht, et la fleur de hs est sur l'écu de l'Artois. Les poissons, dont Chatto argumente en faveur du Wurtemberg, se trouvent même, ainsi que d'autres signes, employés ici, les rosaces, les clefs en sautoir, sur des éeus des corporations de métiers des villes de Flandres. En considérant le style de ces planches, Chatto y trouvait une grande conformité, particulièrement dans les figures de femme, avec le style d'un peintre graveur de l'Alsace bien connu. Martin Schongauer, selon ses conjectures, devait avoir étudié les sujets de Vnistoria Virginis ou avoir été élevé dans une école dirigée par lartiste qui avait dessiné et gravé ses planches, ou sous un maître qui en avait pleinement adopté la manière. Schongauer reçut cer- tainement pour sa part, comme nous le verrons, linfluence de l'école néerlandaise; mais les circonstances en sont ici trop forcées. M. Waagen sest, je crois, plus approché de la vérité, quand il a (1) ^ Treatise on wood Engraving , pp. 9ô et suiv. London , 1830. (-2) La 19"", !a ^H'"'' dans l'ordre de Zani. (77) reconnu dans les compositions du plus parlait des livres des pau- vres l'influence de Roger Vander Wevden. Roger, de Bruges ou de Bruxelles, était en effet le peintre domi- nant de l'école néerlandaise de i440 à 1450. Élève de Jean Van Eyck, il comptait lui-même des disciples à Bruges, à Gand, à Har- lem, en Allemagne : Schongauer de Colmar recevait ses leçons. Il ne se bornait pas à faire pour les églises et pour les souverains des tableaux qui étaient recberchés jusqu'en Espagne et en Italie, mais, comme tous les peintres de ce temps, il s'adonnait aux ouvrages les plus modestes : il peignait des miniatures pour les manuscrits, des écussons pour les décorations communales. Quoique les parti- cularités recneiîlies de son œuvre ou de sa vie n'en indiquent rien, il a probablement fourni des dessins pour la gravure qui surgissait de son temps. Plus dune gravure sur cuivre et sur bois a dû se rapporter à sa manière, dont le propre était une sévérité expressive dans les sujets religieux et une élégance un peu maigre et aiguë dans les formes. Mais ne donnons pas tout aux riches; gardons-nous d'attribuer au maître le plus célèbre toutes les œuvres où nous voyons un reflet de son génie, et laissons à Fauteur anonyme de YHistoria Virginis sa part doriginalité comme des- sinateur et graveur libripage. Ce graveur, est dans Texécution , supérieur à celui de la Bible des pauvres et même à celui du Spa- cidum; son dessin a plus d'élégance, sa taille a plus de vivacité; il adopte un système de hachures moins uniforme, et obtient, par l'impression, une sûreté d'effet qui indique un moment plus avancé. La plus ancienne édition connue de ce livre est imprimée à teinte brune avec des légendes en langue hollandaise et le titre que nous allons transcrire : Dit is die voertsieniclien van Marie der mod' Godes. En is gehetë in latû. Catïi. On n'en connaît que deux exemplaires, l'un à Harlem (I), incomplet, l'autre au Musée bri- tannique. MM. Sotzman et Waagen en ont reconnu l'originalité. Otlley avait déjà victorieusement combattu l'opinion de Heinecken, qui montre plus particulièrement, dans ces remarques, le peu de (1) Meemian le (lit acquis des héritiers de Gosier {Origines tijpograpfiicae , p. 194). Il tigure aujourd'hui, dans les vitrines de rilôtel de ville, au nombre des moaumcnls rassemblés en l'honneur de Gosier. ( 78 ) sûreté de sa critique et les préventions germaniques de son esprit. Les seize planches doubles de cette édition sont d'une délicatesse de dessin et d'une finesse de taille incomparables. Les attitudes, les draperies, les expressions et les petits détails de fleurs et d'oi- seaux respirent le style néerlandais le plus pur et ne laissent pas le moindre doute sur son origine. L'édition latine à laquelle les mêmes planches servirent, sans doute, donne aussi la meilleure idée du livre. Il ne passa pas entre les mains des copistes vulgari- sateurs et négligents qui en dégradèrent tant d'autres. PoMERiujî spiRîTUALE. — Lcs qucstious Ics plus cmbarrassantcs que soulève l'étude des livres xylographiques , et qui sont relatives à leur date, à leur pays, à leurs rapports avec les manuscrits et avec les textes imprimés en caractères de bois , reçoivent beaucoup d'éclaircissement par l'existence d'un livre de la Bibliothèque de Bourgogne que j'ai fait connaître dans mon premier travail sur les graveurs du XV™" siècle : c'est le Pomerium spirituale de Henri de Pomerio ou Van den Bogacrde. La composition de ce livre en douze images avec légendes gravées sur des blocs de bois, imprimées au frotton et appliquées sur des places réservées d'un texte manuscrit en vingt-trois feuillets, contenant la paraphrase du sujet repré- senté et de la légende, présente tous les caractères d'un livre de pauvre prêcheur (1), avec une variété très-intéressante des pro- cédés que nous avons vus employés dans les livres précédents. Sa date bien certaine et deux fois répétée au colophon du manuscrit, An no D ni M' CCCC" XL\ est encore la seule qu'on ait rencon- trée parmi les nombreux xylographes. Enfin, on a pu constater à Bruxelles une circonstance remarquable : à la fin du volume se trouvaient jointes les deux premières planches de la Bible des pau- vres. Les gravures du Pomerium sur lesquelles un second examen me permet de revenir ne présentent pas la même distinction que celles des plus beaux livres: le dessin en est plus lourd, les figures (1) Il fut imprime en fiançais par Vcrard, sons le litre de: Fergier céleste; mais Brunel ne noie pas de fuj^uics à ce livre, qui est de la fin du XV"^*^ siècle. { -0 ) ont des tctcs plus grosses; dans le travail, les tailles plus allongées sont aussi plus grossières; les sujets n'y sont pas encadrés comme dans la Bible ou le 5/iec?i/ir»?, à l'exception du seplième,qui présen- tait un sujet dintéricur; enfin, les planches sont imprimées avec une encre plus noire et plus pâteuse. Malgré cette infériorité rela- tive, il n'en reste pas moins empreint des qualités de l'école flamande. Un auteur belge qui a parlé des livres des pauvres pour y trou- ver des preuves en faveur de l'origine de limprimerie en Belgique, thèse déjà soutenue par Des Roches, et qui a donné a leurs planches le nom de xylotypes (1), avait déjà cité \e Pomerium spirituelle y en disant qu'on trouve quelquefois ses planches réunies en un petit volume et sans texte manuscrit, ce qui prouve, selon lui, qu'elles sont antérieures à ce manuscrit. De ce que l'auteur du livre profès de l'abbaye de Groenendael (FiV /(//s Vallis) a fait figurer, dans les planches, un premier emblème de son nom, il conclut que H. de Pomcrio ou Yan den Bogaerde, en a été aussi le graveur et l'impri- meur. Pour nous, l'existence d'une édition du Pomerium sans texte, fùt-elle admise sur je témoignage de M. Dumortier, ne prouverait pas qu'il est antérieur à la date de 1440. Quant aux titres de H. de Pomerio, comme graveur, voici sur quoi ils s'appuieraient. Le né- crologe de labbaye de Groenendael (^2), enregistrant à son rang , Ilenricus Pomerius octavus prior Vallis ViridiSj vir midtum inlernus et coniemplalivus , énumère les opuscules de dévotion qu'il avait composés, et dans le nombre le Spirituelle Pomerium cum suis figuris. Si le nécrologe eût voulu parler de figures faites par ce prélat, il nous semble qu'il se serait exprimé autrement; nous lisons seulement, après la nomenclature de ses titres litté- raires et théologiques, quil mourut en 1469, âgé de 87 ans. Pater poster. — Il y a un autre livre xylographique où l'on trouve la circonstance remarquable d'un texte manuscrit flamand : (1) Dumortier, Noies sur V imprimerie. {Bullelins de VJcadémie royale de Belgique, t. ViJI, 1841.) i3,in-8«. (80) c'est VExerlium sttperPaier noster, enseignciiicnt figuré de loraison dominicale fait à un frater par Yoralio, sons la forme d'un ange. Il se compose de dix planches d'un papier fort, collé, de l'épaisseur des cartes, où les figures, imprimées dlm seul côté, dune encre assez noire, mais au rouleau , sont suivies de dix à douze lignes ma- nuscrites en flamand au bas de chaque page, indépendamment de quelques arguments, titres et phylactères flamands ou latins, écrits aussi à la main. Le style en est hiératique et plutôt imagier qu'artiste; mais l'expression en est sérieuse, et Ion doit remarquer, dans lordon- nancela superposition confuse des personnages, dans les draperies les plis longs et multipliés, dans la taille l'absence complète des lîachures. L'enluminure légère que ces planches ont reçue ne dissi- mule aucun de leurs traits. Je signalerai encore, pour lintérét de la composition et du costume, la planche de la Tentation : Et ne nos inducas in templationem. Les femmes représentant les diverses tentations assises à table avec le frère : Superhia, Concupiscentia Garnis, Gida, sont vêtues à la mode bourguignonne, avec des cor- sages plissés et de hauts chaperons détroussés Jusqu'à la ceinture. Tandis qu'elles excitent leur convive au plaisir : Coronemiis nos rosis anieqnam marcescant , la Mort vient le prendre aux épaules, et un diable saisit son âme au-dessus de sa tète. VExercitiam super Pater noster eut une autre édition, qui dif- fère de la précédente par le style aussi bien que par la eontex- ture (1); les planches, également au nombre de dix, portent en tète une inscription xylographique en latin de cinq lignes, et elles sont collées au dos dun texte manuscrit latin avec prologue. Les figures sont faites d'un trait gros, mais précisément accusé, et dune main déjà habile, comme il paraît aux tètes, aux mains sèches, aux plis savants, au hachuré , qui marque à propos les fonds et les plis. En jugeant, par comparaison avec la précédente, le travail de cette édition latine, on y voit la main d'un artiste déjà capable d'expres- (1) Ces deux éditions sont à la Bibliothèque nationale avec beaucoup d'autres A^lographes et incunables du plus grand prix. J'en dois la communication à la bienveillance exceptionnelle de M. le conservateur adjoint, Ricliaid. (81 ) sion, d'un tailleur de bois s'excrçant à rimitalion des dessins à la plume, et dont la gravure n'a pas même eu besoin d'enluminure pour produire quelque effet. Dans l'édition flamande, on ne peut voir que l'œuvre d'un cartier étranger même à la confection des caractères xylograpbiques. Quelle que soit la date relative des deux éditions, la supériorité du style paraît donner à l'une une priorité que larcliaïsme du travail ferait donner à Fautre. Elles appartien- nent à deux moments de l'art entre lesquels l'effort particulier des artistes peut amener quelque confusion, mais dont l'ordre n'est pas moins logique. Ce livre, resté inconnu à Heinecken, a été décrit d'abord par La Serna Santander [i ), et depuis plus exactement par M. Guichard (2). Ce dernier, tout en regardant les figures de l'édition bollandaise comme plus grossières, les croit cependant originales. Il a été in- voqué aussi par deux auteurs belges en compagnie d'un autre livre de la même sorte, VAvé Maria j qui n'a point été décrit, comme un des monuments de l'imprimerie primitive des Pays-Bas. M. Du- mortier attribue le Pater noster à l'auteur du Pomcrium, H. Van dcn Bogaerde; mais toute la preuve qu'on peut alléguer de cette attribution, c'est qu'il y a dans la liste des livres de ce prieur, donnée par le nécrologe de Groenendael : fres diversas expositiones super orationi dominica; l'auteur n'ajoute même pas ici cum suis figuris. Selon les recbercbes de M. Goctbals, qui manquent tout à fait de précision (o), ces livres, ainsi que d'autres du même genre, seraient l'ouvrage de Guillaume Van Apsel, de Breda, cbartreux de la cba- pclle de Notre-Dame. Il était écrivain de livres ascétiques et babile dans tout ce qui pouvait servir à leur ornement et à leur conser- vation : relieur, graveur sur bois et sur cuivre. M. Goetbals va jus- (1) Dictionnaire bibliographique du XF'^^ siècle, t. II, p. 402. (2) Recherches sur les livres xylographiques. {Bulletin du Bibliophile , 1840-1841.) (ô) Goellials, Lectures relatives à l'histoire des sciences , des lettres et des arts en Belgique , I, p. 23. Bruxelles, 1837; 4 vol. in-8°. Je ne sais quelle est la source que l'auteur désigne sous le nom de Mémoires de l'ordre des Chartreux. Van Apsel n'est pas mentionné dans les Annales ordinis cartusicnsis. Tome X. 6 ( 8i! ) qu'à lui attribuer aussi la composition du Spéculum et du Caidi^ cum. Bien qu'il y ait à l'aire la part des moines dans la publication des livres des pauvres et des estampes primitives, l'admission de Guillaume Van Apsel et de Henri Van dcn Bogaerdc au rang des heiligeprinters est toute hypothétique (1). Spéculum humanae salvatioisis. — 11 est temps d'en venir au livre le plus célèbre après la Bible des pauvres, livre plus répandu, plus populaire peut-être et certainement plus disputé : le Spéculum humanae salvalionis. C'est un poëme mystique en vers léonins sur la rédemption du genre humain, flanqué d'images empruntées à l'Ancien et au Nouveau Testament. Il se distingue d'abord des autres livres par l'importance plus grande que prend son texte à côté des figures. Dans le système de Meerman, c'est le principal monument de la xylographie et de rimprimerie primitives établies à Harlem en d4!20. Les preuves savantes qu'il en a données ont été combattues par Heinecken, la Serna Santander et Lambinet; elles ont été soutenues par Ottley et plus récemment par des auteurs hollandais qui en font une question de patriotisme (2). Les études de deux auteurs français, fort compétents dans ces questions diffi- ciles, sont encore venues appuyer les prétentions de Harlem (5). H ne m'appartient pas de discuter bibliographiquement, après tant d'autorités, le rang à tenir entre les éditions du Spéculum, les unes avec texte latin,lesautres avec texte hollandais, ou plutôt entre (1) On trouve, dans les comptes publiés par M. de Laborde, un Henri Vnn Boegaerden, cilé,cn 1405, parmi les ouvriers menuisiers consultés pour taxer le prix de la reconstruction des halles de Bruxelles {Les Ducs de Bourgo^/ne , t. I, Introduction, p. ixxviii), et Guillaume Van Axpoele, nommé, en 1419, parmi les peintres de Gand {ibid., p. lxiv). (2) De Vries, Éclaircissemenls sur V Histoire de rinvention de rimprimerie, trad. du hollandais par Noordzieck. La Haye, 1845; in-8". Ce livre paraît avoir gagné M. Brunet à la cause de Harlem. 11 contient une réponse victorieuse à M. Guichard, mais il m'a paru encore fort embrouillé dans ses éclaircissemenls et dépourvu de documents certains. (3) M. de Laborde, Débuis de V Imprimerie à Strasbourg, pp. 18 et 10. 1840; in-8". — M. Aug. Bernard, De C Origine et des débuts de l'imprimerie en Europe, t. I, pp. 13 et suiv. Paris, imprimerie impériale, 18o3j '2 vol. iû-8". (83) tous les exemplaires qu on en eonnaîl; car ils présentent chacun quelque particularité qui ne permet pas de les confondre. Je tiens seulement pour constate que, parmi les premières, il y en a une qui, sur ses cinquante-huit feuillets, en a vingt imprimés xylogra- phiquement en encre brune identique pour les figures et pour le texte, et que toutes les autres ont leur texte imprimé typographi- quement, c'est-à-dire en caractères mobiles de fonte et en encre noire différente de celle des figures. La première de ces circon- stances a fait supposer qu'il existait une édition tout entière xylo- graphique qui avait précédé les autres; la seconde a servi de base à tous les arguments qui tendent à établir que la typographie a été découverte par Costcr, à Harlem, en 1420. La preuve ne me paraît pas plus rigoureuse pour le Spéculum que pour les autres livres des pauvres. J'ai été frappé du désaccord qUe présente cette juxta- position des planches et des caractères, deux ouvrages dont Tun est parfait dans ses procédés et l'autre informe et aussi mal réussi dans la confection et le tirage de ses lettres que dans leur adap- tation aux planches : on voit là deux arts en présence, celui des printers déjà émérite, et celui des typographes inexercés; mais le lieu et la date n'en sont pas pour cela mieux précisés. J'en reviens à mon objet : l'examen des planches, qui sera peut-être un fil dans ce dédale de supputations (I). Ces planches disposées par couples de sujets en tcte de chaque feuillet sont les mêmes dans les éditions latines et hollandaises. Leur style indique la même origine que la Bible des pauvres et un talent un peu plus avancé. La composition en est plus simple et le travail plus sobre peut-être, mais le dessin est plus fin et plus habile dans ses extrémités et ses draperies, les formes plus élégantes et empreintes quelquefois d'une grâce marquée. Plus (1) J'ai fait mes observalions sur les exemplaires de toute édition qui se trouvent à Paris (Bibliothèque Richelieu), à la Haye, à Harlem et à Lille. Le bibliothécaire de cette dernière ville, M. Paeile, entièrement rallié au système de M. Bernard, n'a point hésité à cataloguer le bel exemplaire hollandais de sa bibliothèque sous le nom de Coster prototypographe et à Tannée 1430, avec des observations qui confirment toutes les raisons alléguées en faveur de Harlem. Catalogue de la Bibliothèque de Lille. 1858} in-8". { «i ) d adresse et plus de sûreté de Irait se montrent aussi dans la taille du bois. Le contour des figures est quelquefois si délicat qu il rend l'effet de la plume la plus légère et la plus ferme dans ses tracés (4). Les costumes, plus simplement traités, appartiennent aux mêmes modes; les ornements des encadrements sont plus finis, les édifices mieux en perspective, les terrains plus fleuris; mais avec des arbres toujours façonnés en if. Il y a aussi des détails d'un tracé ogival plus flamboyant dans quelques parties, comme dans le trône de Salomon. Pour sentir toutes les qualités d'un artiste quel qu'il soit et par- ticulièrement d'un gothique, il faut s'accoutumer à sa manière et le parcourir tout entier. Je citerai, cependant, dans ces planches, qui comprennent cent seize scènes, celles qui m'ont paru le mieux faire ressortir le maître : Dans la Créatmi cVÈve, Dieu a une expression élevée; la femme qui sort de la côte masculine est charmante dans ses petites formes. Dans la Tentation du démon, Eve est aussi d'une attitude finement sentie. Dans diverses scènes de la vie de la Vierge, Marie, ordinairement plus jeune que dans la Bible des pauvres, est aussi d'un type plus régulier et d'une expression plus religieuse. J'ai remarqué encore : David se déchaussant devant le buisson ardent, V Ivresse de Noé, la Fuite en Egypte, Moïse enfant brisant la couronne de Pharaon, la Concubine Apemen posant sur sa tête la couronne de son amant, Jonas jeté à la baleine, les Vierges sages et les Vierges folles. Toutes ces pièces pourraient être louées à divers titres , et quel- ques-unes sont de petits chefs-d'œuvre de composition, de dessin et de taille. Mieux encore que dans la Bible des pauvres , il est facile (1) M. Waagen en a porté un jugement très-favorable et très-juste : Les com- positions sont bien comprises, dit-il, les motifs, soit en mouvement, soit en repos, sont parfaits et souvent mcme gracieux; les proportions généralement bonnes, le dessin excellent; les draperies, avec quelques plis aigus, sont bien entendues; rexécution en courtes hachures est simple mais délicate. Il pense que les dessins ont décidément le cachet de l'école de Van Eyck, et qu'ils furent sans doute faits en Hollande. Trcasures of art , I, pp. 311 el Ô12. (8M d'y reconnaître un élève de Van Eyck, en tenant compte d'ailleurs de la distance voulue entre un peintre de première volée et un tire-page très-modeste, mais libre dans ses allures. Ici encore, on a voulu séparer l'art du dessinateur et celui du graveur en balançant l'habileté de l'un par l'impéritie de l'autre (1). Je crois qu'il faut y voir l'œuvre d'un seul artiste appartenant à la même école flamande que l'auteur primitif de la Bible des pauvres y mais d'un moment un peu plus avancé et d'un talent plus subtil. Quelques planches témoignent, il est vrai, de la négligence et de l'inégalité; elles sont sans doute le fait des apprentis inévitables dans des ouvrages de longue haleine. Parmi les plus négligées, on rencontre encore un esprit de composition qui sent le maître. Ce maître peut-il être Coster? L'historien Junius, écrivant en 1370, les lui attribue en ces termes : Inde etiam pinaces totas figiiratas adcUiis characteribus expressit. Quo in cjenere vidi ab ipso excusa adversaria, operorum rudimentum, paginis solum adversiSy haud opistographis : Is liber erat vemaculo sermone ab auctore conscriptus anonymo, titulmn praeferens Spéculum iwstraesalutis, etc. (2). Si ce témoignage était réellement historique et désintéressé, il faudrait bien l'accepter, quoique éloigné des faits qu'il rapporte; mais il fait partie d'un long récit légendaire, où les plus minutieuses circonstances et les plus oiseuses, l'endroit de la ville, l'heure de la journée, sont rapportées de préférence. Cette légende englobe la taille des écorces de hêtre (faginos coriices) pour premier essai des lettres, l'encre plus vis- queuse et plus tenace que l'encre d'écriture, la gravure et l'im- pression des figures; puis les caractères de plomb et d'étain, dont (1) Guichardj Notice sur le Spéculum humanae salvationis ^ p. 33. Paris, 1840. (2) Hadriani Junii Ilornani medici Batavia , ex ofScina Planliniana. 1 588 ; in-4°. J'en prends le texte dans les livres de MM. Guichard et Bernard, qui ont donné intégralement tout ce qui se rapporte à cette question , et Tout exactement tra- duit, avec des commentaires qui sont des plaidoyers, l'un de la cause allemande, l'autre de la cause de Coster. De VOrigine et des Débuts de l'imprimerie en Europe, I, pp. 61 et suiv. Paris, 1853. Notice sur le Spéculum humanae sah vationiSj pp. 83 et suiv.'Paris, 1840; in-S", ( sc) les débris avaient servi à fabriquer des vases à vin qu'on voyait encore du temps de Junius, dans la maison de Laurent. Elle attribue au même auteur non le Spéculum seulement, mais tous les livres xylographiques et tous les Donals trouves en Hollande; enfin, elle est couronnée par un dénoùment romanesque qui, en intéressant le récit, le fait cadrer avec les faits survenus depuis. La critique ne peut y voir que Tainpiification d'une tradition attestée par beaucoup d'autres auteurs, avant et après Junius, dans des termes plus vrais quoique moins précis, et confirmée seulement aussi dans nu sens général par les monuments- Toutes les pièces écbafaudées sur la personne de Laurent fils de Jean dit Coslar, viennent à rencontre de la vie d'un artiste, et les monu- ments disparates ramassés à Tbôtel de ville de Harlem, sous le titre de Musée Coslerien, seraient faits pour convertir le partisan de Coster le plus déterminé. A côté des beaux livres xylographiques que nous connaissons, ÏApocali/pse, V Aride mourir, le Cantique et le Miroir en trois exemplaires, on voit, dans ce musée, un petit bloc taillé en lettres grossières pour l'impression d'un Ilorarium , un tableau généalogique de la famille Coster, manuscrit orné de quelques lettres et dun encadrement à fleurons sans aucune ana- logie avec les ornements qui peuvent se trouver dans les livres, et une carte, valet de cœur, de très-petit format. Tout cela est donné conime ouvrage de Coster, et pom^ la plus grande édification des visiteurs, on y a joint un petit portrait de Laurent Jansson, dont la gravure simule grossièrement lancien travail au frotton. On sait en Hollande que ce portrait, comme ceux des peintres Albert Van Ouwater et Jan Van Hemsen qui l'accompagnent, n'est qu'une fraude d'un graveur de Harlem, Cornelis Van der Berg travaillant en i7G0. En limitant notre opinion aux renseignements acquis, nous sommes donc fondé à croire que Coster a eu quelque part aux travaux d'imprimerie xylographique qui se sont faits en Hol- lande ; mais nous ne saurions dire laquelle. Nous ne saurions surtout l'étendre à la composition et à la gravure dun ouvrage tel que le Spéculum. S'il était établi qu'il a été fait à Hai'lem, l'école de peinture (jui y fut représentée par plusieurs élèves de Van Eyek fournirait des auteurs plus vraisemblables. Les droits de la (87) critique revendiqués, je ne me suis pas dispensé dans ma visite à la proprette ville de Harlem et sur la plaee du Grand -Marche, de poser le chapeau devant la statue de bronze de Laurent fils de Jean, Tun des précurseurs de Gutcnberg. Les grandes découvertes sont complexes et notre hommage est insuffisant, s'il ne s'adresse pas aussi à tous les auxiliaires qu'a reçus l'inventeur que la re- nommée a couronné! A Ihistorien de la gravure primitive, il ap- partient surtout de revendiquer la part des inconnus. Il n'existe pas d'édition en langue allemande du Spéculum xylo- graphique; la première traduction qu'on en connaît fut publiée, jointe au texte latin et aux autres ouvrages, par un imprimeur dAugsbourg, avec des gravures différentes, que nous rencontre- rons au milieu de celles que firent paraître les imprimeurs alle- mands. C'est là que nous devons renvoyer, aussi , les autres édi- tions allemandes et typographiques décrites par Ileinecken et par M. Guichard. La manière toute différente de ces nouvelles édi- tions n'a point empêché les auteurs de donner à l'Allemagne les éditions originales latines. Pour Ileinecken, c'est tout son système et il ne s'en est pas départi à l'égard d'un seul livre. M. Guichard connaissait trop peu l'histoire des arts pour s'en faire un autre. Après avoir analysé les aigumenls fournis par les principaux au- teurs , tant du parti hollandais que du parti allemand , il s'est rangé à celui-ci ; fc\ute de critique esthétique, il a appuyé l'opinion émise ])ar Lessing et basée sur la ressemblance des peintures d'IIirschau en Souabe, avec les sujets de la Bible des pauvres et de ceux-ci avec \c Spéculum (I). On serait aussi bien admis à soutenir son origine italienne, par celte raison qu'il existait un manuscrit du Spéculum italien {^) où tous les sujets du livre se trouvent en miniatures, avec les seules différences de style dans les figures, ks costumes et les édifices commandés par Fart du pays. Ici heu- (1) Notice sur le Spéculum humanae salcationis j pp. 110 et suiv. Paris, 1840, in-8°. (2) Invipit prohemium cujusdam nove compilationis édite sub anno Do- mini M' CCC" 24", nomen Mcro auctoris humilitale siletur. Sed titulus sive nomen operis est Spéculum humanae salvationis. Bibliothèque de V Arsenal. Théologie, n*^ 384, in-fol. (88) rcuseracnt mieux encore que pour les autres livres, l'érudition et le goût concordent à prouver que ces planches n'ont pu être gra- vées qu'en Hollande. Les bois du Spéculum subsistèrent plus longtemps que la vogue des livres des pauvres, et nous les trouvons, en 1 485, à Culembourg employés, par l'imprimeur Veldener, dans une édition hollandaise en petit in-4% avec ces seuls changements qu'ils sont ici sciés en deux et leurs sujets dédoublés , imprimés en encre noire et aug- mentés de douze nouvelles planches. Sur ce fait, plusieurs auteurs se sont posé la question de savoir si Veldener ne serait par l'au- teur des premières éditions anonymes et le graveur des planches primitives. Schoepflin, Santander et d'autres (1) ont trouvé cette attribution plus raisonnable que celle qui était faite à Coster. Vel- dener ne borna pas là ses publications avec planches, et nous ver- rons plus tard ce qu'il put être comme graveur; mais, pour ne pas laisser suspendue la question ici posée , nous dirons que les gravures du Spéculum n'ont aucun rapport avec celles qu'il mit à ses autres livres; elles y font chsparate, comme les gravures de la Biblia dans les livres de Van Os : c'étaient des ouvrages d'un autre temps déjà hors d'emploi quand il les utilisa. L'auteur d'un mémoire manuscrit envoyé à l'Académie de Bel- gique sur la question qu'elle avait mise au concours-en 1857, avait pris le parti de placer à Liège, par une série d'hypothèses, le berceau de la peinture et de la gravure , et acceptait aussi Velde- ner comme le graveur des premières éditions sans date du Spécu- lum ; pour cela, il le faisait travailler à Liège entre les années 1428 et 1448, en tirant des preuves d'un manuscrit exécuté dans cette ville, en 1428, par un moine de l'abbaye de Saint-Laurent que le graveur aurait copié, et d'un autre manuscrit de la Bibliothèque de Bourgogne exécuté en 4448, dont les miniatures seraient à leur tour des copies de l'œuvre du graveur. L'auteur, niant ensuite le séjour de Veldener à Cologne, le faisait venir de Liège à Louvain, (1) Vindiciae iypographicae, p. 19. Argentorali, ]7^0. — Dictionnaire bibliographique choisi du XV""^ siècle, 1. 1, p. 40. Ijrunelîy, an XIII. — Enci- clopedia di Zani, part. H , 1. 1 , pp. 212 et suiv. (89) à Utreclit et à Culomboiirg; mais on a fait voir la futilité de toutes CCS assertions (1). M. Harzcn, de Hambourg, qui a étudié le Spéculum avec toutes les lumières d'une critique savante et ingénieuse (2) , a été aussi amené à croire que Veldener était le graveur du Spéculum, au moins pour une partie, à cause de la concordance qui se trouve entre les douze planches qu'il ajouta à l'édition de 1485 et celles des anciennes éditions, et à cause de l'analogie de ces mêmes planches avec celles du Fasciculus temporum et de VEistoria scmctae crucis. S'expliquant ensuite sur l'origine des trois livres des pauvres, la Bihiia pauperum , le Caniicum canticoriim et le Spéculum, qui lui paraissent d'origine flamande et de la même main, M. Harzen conjecture que ces ouvrages doivent être attri- bués à l'une des congrégations des frères de la vie commune, qui furent des premiers à se servir de la découverte de l'imprimerie pour pubher des livres servant à l'instruction du peuple, mais qui n'y mirent pas leur nom. Ce point lui paraît résulter de la composi- tion propre du Spéculum faite de figures tirées par le procédé des cartiers, au moyen du frotton , et de textes en caratères mobiles qui n'appartiennent qu'à des imprimeurs. Les frères seuls ont pu, suivant M. Harzen, réunir dans leur atelier deux métiers alors séparés et rivaux. La maison à laquelle on peut plus vraisembla- blement attribuer celte composition, est celle du prieuré de Saint- Martin à Louvain , qui avait un atelier d'imprimerie à laquelle Veldener appartenait peut-être en qualité de clerc, et d'où il put sortir vers 147G pour fonder un établissement d'imprimerie, en reprenant le matériel des frères et les planches de bois de leur fonds. La composition de toutes ces planches devrait être alors rapportée à la période de 1460 à 1470. M. Harzen l'a ainsi fixée, par ce motif (1) Les commencements de la Gravure aux Pays-Bas; rapport à TAcadé- mie de Belgique sur le concours de 1857, par M. Alvin. Bruxelles, 1857; in-8°. (^2) Ueber Mter und Unsprung des friihesten Ausgabcn der Heilspigeh Oder des Spéculum humanae salvationis; von E. Eâizen^Jrchiv. fiirdieZeich- nendenKunste,n° 1. Leipzig, 1853; in-S». L'article a été analysé par M. Ch. Rue- lens : Sur le Spéculum humanae salvationis. Extrait du t. Il, 2"^'* série, du Bulletin du Bibliophile belge. Bruxelles, Heussjier, 1855; in-8'\ (00) que les éditions flamandes du Specidinn ne peuvent pas être fort éloignées des nombreuses éditions allemandes qui en furent faites en 147i2, 1476, 1478, ete., et eneore, parée que la date de 1464- se trouve sur un alphabet xylographique sorti de la même main qui a gravé les planehes de la Bible des pauvres. Enfin, pour pousser plus loin ses conjectures en cherchant quel pouvait être lauteur et le dessinateur primitif de ces gravures qui nont point été sur- passées au XV"'"*' siècle, et qui dénotent certainement un peintre et un des meilleurs de son temps, M. Harzen s'est arrêté à Thierri Stuerbout, peintre de la ville de Louvain, qui travaillait en 14C^ et 1408, dut mourir à Louvain bientôt après cette date, et, comme on peut le supposer, laissa à Veldener des planches plus ou moins préparées (1). M. Harzen reconnaît dans les planches de la Bihlia, du Canikam et du Spéculum, aussi bien que dans les tableaux connus de Stuerbout qui se trouvaient dans la collection du roi de Hollande, les proportions grêles et le style que l'on peut attendre dun peintre de l'école de Roger de Bruges, d'un confrère de Memling : et tous ces rapprochements de temps, de lieu et de style lui font considérer comme probable lidentité du maître de ces livres des pauvres avec Stuerbout. On a vu les raisons qui nous em])ècheraient de fixer ainsi la date et l'auteur de la Bible et du Spéculum, et nous ne saurions nous ranger à l'avis de M. Harzen, tant sur l'identité de main de ces deux livres que sur l'analogie du dernier avec les ouvrages de Veldener. L'interventioii des frères delà vie commune imaginée par M. Harzen ne nous paraît pas plus admissible. Ce ne sont pas les moines seule- ment qui, au moyen âge, ont été des artistes sans amour-propre et sans notoriété. Hs prirent, il est vrai, quelque part à l'imagerie et à rimj)rimerie; mais cette part est minime en comparaison de celle des corporations civiles; Veldener n'était pas un clerc de prieuré à Louvain, m.ais, en sa qualité d'imprimeur, le suppôt de l'université, admis dans ses registres en 1475 (2). (1) On sait aiijourd'iiui que Stuei-boul n'est mort qu'en 1476. The earhj fleemish pn'nter, hy Crowe and Cavalcaselle, j). 292. London, 1857 5 in-H". (2) Refjislic du lecteur de runiversité, aux archives communales de Louvain, communiqué par M. Éd. Van Even. (91 ) Puisque j'ai nommé Bogcr Van dcr \Ycidqn à propos du Ca^i- ticwUy je ne puis trouver mauvais qu'on nonmne Thierri Stuer- bout à propos du Spéculum. Ce serait j)Ourtaiit trop d honneur pour nos printers de leur donner pour dessinateurs direets d'aussi grands peintres. Quand on considèj'e leurs beaux tableaux, tels que la Cène et le Murhjre de saint Erasme de Téglise Saint- Pierre à Louvain (1), on reste convaincu qu il nV a de rapport possible entre cette peinture sublime et notre pauvre gravure qu'un rappro- chement d école. L'école de Louvain, en rapport immédiat avec celles de Bruges, de Harlem, de Gand, de Bruxelles et de Cologne, fournit, comme les autres, sa part d'influence. Stuerbout,qui était de lïarlem et y avait travaillé avant de s'établir à Louvain, peut être mis en avant plus spécieusenjent qu'un autre; mais il y avait, dans ces ateliers, un nombre sufiisant d'artistes de tout acabit, attesté par les tableaux anonymes qu'on en trouve encore, ponr qu'on ne soit pas obligé de tout donner aux maîtres en évidence. Dans l'état de nos renseignements sur tout ce personnel, on ne peut faire que des attributions générales. Celles-là du moins sont certaines; car, outre les analogies de goût qui frappent les regards attentifs, on y trouve les mêmes vicissitudes. Nous verrons, en effet, la gravure sur bois, en avançant vers le XV"^'" siècle, frappée de la même déchéance qui a été remarquée pour les écoles de peinture, perdre , au milieu de la complication de ses procédés matériels et de la nuiltiplication de ses produits, la distinction première des incunables. S'il s'agit maintenant de la date, nous sommes forcés de rester dans la même généralité : le Spéculum est l'ouvrage d'un de ces printers qui florissaicnt dans les villes flamandes et hollandaises des États de Bourgogne avant la découverte de l'imprimerie. Ce printer d'images et de planches xyîographiques paraît s'être asso- cié pour cette publication à un compagnon, possesseur inexpéri- incnté de caractères mobiles et d'une encre noire et grasse. Ce (1) Ces tableaux, attribués autrefois à Meniling, ont été restitués à leur véri- table auteur, grâce aux documents publiés par MM. Schayes et Ed. Van Even. La Cène fut faite pour la confrérie du Saint-Sacrement à l'église Saint- Pierre de Louvain et achevée en 1408, (92) compagnon ncs'étant pas fait connaître dans les annales de l'im- primerie, qui restent muettes pour la période comprise entre les années 1440 et 1473, on en a conclu, d'une part, quil travailla avant cette époque et à Harlem; de l'autre, qu'il est postérieur et venu d'Allemagne : il suffit de croire que la somme des faits inconnus dans cette partie de Tliistoire de l'art dépasse celle des faits connus pour repousser cette alternative. Logiquement, la composition du Spéculum se place précisément dans l'époque intermédiaire, qui est la plus remplie d'essais et d'efforts dissé- minés, infructueux et inconnus, ayant pour objet l'impression. Les bibliographes hollandais, qui se piquent de quelque critique, conviennent qu'ils ne donnent le Spéculum à Harlem et à Costcr que parce qu'on n'a pas établi que l'impression ait été faite ailleurs et par un autre. Cet autre inconnu doit pourtant être réservé et maintenu par l'histoire tant que le droit de Coster n'aura pas été prouvé par des documents certains. Un auteur, dont jai cité plus haut la grande compilation, a dépassé même les Hollandais dans le désir de trouver une person- nalité à l'auteur du Spéculum. En considérant la dernière planche du livre où sont représentés le prophète Daniel debout devant le roi Balthazar assis, et au-dessus des phylactères, vides des mots cabalistiques que le Seigneur avait écrits et que le prophète est censé expliquer, înanus Domini scrfpsit injmriete, il a trouvé à ces personnages un costume plus particulier que celui qui est em- ployé dans les figures des autres planches, et il conjecture que celle-ci forme le colophon symbolique du graveur ou de l'impri- meur. Son nom et la date du livre devaient occuper les phylactères laissés vacants à ce propos et ensuite enlevés. De conjecture en conjecture, M. Sothcby croit que le prophète juif pourrait bien être le portrait de Laurent Janszoon lui-même, dans le costume de Coster de l'église Saint-Bavon, expliquant sa découverte avec tous les résultats qu'il en attend à l'individu placé devant lui. L'attitude de celui-ci exprimerait même la surprise que doit lui faire éprou- ver une pareille communication plutôt que la position convenable à un roi de Babylone (I). Cette bourde ne mériterait aucune attcn- (I) The hloch BooTiS, l. 1. London, 1858; 3 vol. in-4°. ( "3 ) lion si la planclie dont il est question ne donnait pas lieu à quelque rapprochement curieux. Les imprimeurs primitifs ont quelquefois, en elîet, placé leur portrait au frontispice ou au colophon de leurs livres; nous en rencontrerons plus dun exemple. L'un d'eux, Jac- ques de Breda, établi à Deventer depuis 1487, voulant marquer ainsi quelques-uns de ses livres, a fait faire une copie de cette figure de Daniel, dans la dernière planche du Spéculum et, pour qu'on ne s'y trompe pas, a ajouté son nom dans le phylactère su- périeur, Jacobus de Breda. On rencontre cette marque dans son édition de V Art poétique d'Horace et ailleurs (1). Croirons-nous, avec M. Sotheby, qu'il était persuadé, en prenant cette figure dans le Spéculum, qu'elle représentait le portrait defimprimeur de ce livre? Nullement; il suffit de voir qu'elle rappelle les figures d'au- teurs présentant leur livre au roi, pour s'expliquer cet emprunt. Cependant une autre considération a pu le déterminer, c'est celle de la figure de Daniel qui, dans certaines villes des Pays-Bas, passe pour le patron des imprimeurs, en sa quahté d'interprète des lettres occultes (2). Liber Antechristi. — On a contesté justement à l'Allemagne l'origine des plus beaux Hvres xylographiques, mais on ne saurait aller jusqu'à lui dénier d'avoir pu montrer quelque invention dans l'art du tiripagus. Le Liber Antechristi, hie hebet sich an von dem Entkrist, composé de trente-neuf planches avec figures et légendes superposées, gravées et imprimées sur des blocs de bois, à teinte brune , appartient à la plus ancienne manière des kartenmakers et porte tous les symptômes du style de l'école allemande. Les sujets ne sont point encadrés de portiques ogivaux; l'ordonnance en est sans art; les plans mal entendus; les édifices rares, très- pointus et maladroitement faits; les costumes peu soignés; la plu- part des personnages , parallèlement alignés, visent au laid dans leur expression; l'esprit n'y vient point corriger la rudesse de la taille , et pourtant un ami déterminé du gothique ne les trouverait (1) Holtrop, Cataloyus librorum saec. XF° impressorum in Bibt. Rcgia Hagana. 1856, in-S", p. 1r3ô, n"' 330 et suiv. (:2) Molanus, De Historia SS. Imaginum, p. 332. Lovanii, 1771 ; in-i". ( '^'^ ) pas sans originalité. Ilcinccken, qui a un si grand faible pour son pays, trouve les figures de V Apocalypse dessinées avec plus d'in- telligence et gravées avec moins de grossièreté que celles des Can- tiques (I). Dibdin s'extasie sur la planche représentant la nais- sance de l'Antéchrist et de son suivant diminutif, sortant du ventre et de la tctc de la mère mourant en travail de ces deux diables (:2). Mais toutes les scènes ne sont pas faites avec cette vivacité de trait; leur composition est d'ailleurs toute prise dans une poé- tique que nous croyons plus particulière à l'Allemagne, avec une tendance naturelle vers le laid et le facétieux. Il est vrai , les nom- breux diablotins jouant un rôle dans ces scènes ne pouvaient pas être traités bien sérieusement. Je n'y prendrai que deux exemples : la seconde planche de la feuille 4, représentant le Libertinage de r Antéchrist, est traitée dans la même donnée que tant d'artistes ont suivie en traitant le sujet du Bivium. Un jeune homme à longue robe est assis dans un clos entre deux damoiselles, l'une à cheveux longs, l'autre coiffée d'un voile. Il embrasse celle-ci pen- dant qu'un démon se tient auprès et qu'un ange plane au-dessus. L'histoire de FAntechrist est, dans ce livre, suivie des quinze signes du jugement dernier formant quinze planches. La der- nière, occupant la feuille entière et représentant le Jugement der- nier, est une des plus soignées et donne le parangon de la ma- nière du graveur : le Christ avec la face entourée de cheveux et de barbe et le torse assez précieusement fait, la Vierge avec la tète enveloppée d'un voile et le corps tout chargé de son manteau, j sont d'une expression assez piteuse , mais la scène entière manque totalement de grandeur et d'élévation. Quoique toutes les éditions de V Antéchrist soient allemandes, on n'en a pas fait un classement complet et certain. Dibdin croyait l'exemplaire de la Bibliothè({ue Spencer qu'il a décrit plus ancien que ceux qui avaient été décrits par Ileinecken; il en reculait la date jusqu'en i430. On voit à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, dans un recueil de fragments xylographiques formé par M. Dau- (1) Idée générale; p. ZOL (2) Bibliolh. Spencer, t. I, n"^ C. (95) non , deux feuillets dëtachés qui paraissent appartenir à une autre édition. Les planches y sor/o accompagnées dun texte manuscrit en trois ou quatre lignes avec initiales rubriquécs. Ueinecken a connu à la Bibliothèque de Gotha une édition de YEntkristj d'une autre main que l'édition originale, mais impri- mée de la même manière et portant le nom de l'artiste : Der Junghannss PrijfmaUr lias das piich zu Xuremherg, 1472. Il en cite enfin une copie postérieure plus lourdement dessinée et plus grossièrement gravée, imprimée avec des lettres de fonte. i\[eerman, moins injuste envers l'Allemagne que Ueinecken ne l'avait été envers la Hollande, a admis du moins que plusieurs livres xylographiques furent imprimés originairement en Allema- gne, et cite particulièrement comme tels le Liber Antechristi cl YArs memoratîdi (i). Ars memoraxdi. — Si Ton jugeait de l'antiquité d'un livre des pauvres par le Iiiératisme de ses représentations , le premier rang appartiendrait à YArs memorandi nolahlUs per figuras Evange- lislarum. Ces tétramorphes des visions d'Ezcchiël et de Jean, dressés sur leurs pattes et portant toutes sortes d'objets embléma- tiques destinés à servir de signes mnémotechniques pour autant de chapitres de la Bible indiqués dans le texte, ont un sens trop symbolique pour 1 art; il y a tout autant de beauté dans la figure de Brahma à quatre têtes et à quatre bras que dans cette image mul- tii)1e, destinée à remémorer les six premiers chapitres de l'Évan- gile de saint Jean : un aigle dressé à trois têtes, les ailes déployées , portant un hibou, des poissons, un luth et une roue (2). Cepen- dant en n'examinant que quelques figures humaines, qui se ren- contrent dans les quinze feuilles doublées dont se compose ce livre, on y trouve une certaine adresse à rendre la tcte, le geste, et même l'expression , en peu de traits qui sont le fait d'un artiste. La gravure est d'ailleurs élémentaire, en contours gros, hachures (1) Origines typogrophicac, I, p. 245. (2) Schelhorn en a donné Texplicalion (létailléc. Jmoeîiilates lilterariae, t. I, p. \. Francof., 1750, 14 t. in-S". Ces figures trop savantes prouvent bien que CCS livres s'adressaient aux pauvres clercs et non au pauvre peuple. (96) rares et terrains nuls. Lïmprcssion est eu teinte brune au frotton et le texte est imprimé aussi sur des blocs de bois avec des lettres initiales au trait ménagées pour la miniature. Un bibliographe allemand qui a étudié ces incunables avec beau- coup d'érudition, Schelhorn, le considérait comme un des premiers livres xylographiques. Dibdin et Chatto ont eu la même opi- nion (1). Ileinecken, qui y trouvait un dessin et un goût presque les mêmes que dans les figures de l'Apocalypse, des lettres plus grandes que dans tous les livres de cette espèce et ressemblant beaucoup à celles que l'on trouve sur les tombeaux de l'Allemagne , pensait du moins que c'était le premier livre qui eût paru avec un discours ajouté à chaque image et occupant alternativement avec celle-ci une page entière (2). M. \yaagen, qui en a parlé le dernier, le croit, comme la plupart des auteurs, d'origine allemande. Quelle que soit la date que l'on donne en effet à VArs memo- randiy l'Allemagne avait plus d'un kartenmaker capable de des- siner et de graver ces planches, témoin le saint Christophe. Mais ce n'est pas cet ouvrage qui lui permettra de disputer la supré- matie de la gravure en bois au Buchdriiker des Pays-Bas. Ce livre-ci ne fut jamais publié avec texte flamand, mais Ilei- necken parle de deux éditions dont l'une serait d'une impression plus pâle et d'un dessin plus informe que l'autre. On en cite plu- sieurs copies sous différents titres dont la plus connue est celle qui porte en texte des distiques de la composition du moine Pierre Rosenhem, Phortzheim, 1302 (2). Heinecken dit que les figures en sont mieux dessinées et gravées avec plus de finesse; mais l'original lui paraît plus expressif par son goût d'antiquité. Il est certain que , tout en témoignant quelques progrès dans le métier de la taille, ces copies, même alors qu'elles n'exagèrent pas les travers du dessin allemand à la fin du XY'"*' siècle, montrent une (1) Dlbdin, Bïbliotheca Spencer iana, 1. 1, p. 4. — Jackson et Chatlo, J trea- tise on ivood Engraving , p. Iô9. 1859. (2) Idée générale , p. 395. (ô) Memorahiles evangelistarum figurae , Fhovecae, 1502, et précédem- ment: Jrs memorativa, à Cologne, par Guidenschaff de Mayence, imprimé de 1477 à 1487. ( !'7 ) altération déplorable des ({ualitcs naïves qui relèvent les planelies primitives. Defensorium ViRGiMTATis. — La question de l'immaculée con- ception doima lieu à la composition du plus singulier des livres des pauvres; Ilisloria Vircjinis Mariae per figuras ou Defenso- rium inviolalae Yircjinis, qui ne fut pas moins répandu que les autres, à en juger par les nombreuses éditions citées parles biblio- grapbes sous divers litres (1). La trop grande naïveté du livre en aura fait supprimer les exemplaires. Le pas toujours facile de la naïveté à la stupidité y est en effet résolument francbi. On y voit représentée, après les quatre docteurs de lÉglise et la salutation angélique, une suite de sujets pris dans Fhistoire naturelle, sur- naturelle, chrétienne, païenne, avec un argument tiré des Pères docteurs ou poètes et un distique qui les représente en preuves de la possibilité physique et morale d'une conception miraculeuse. Voici l'exemple tiré d'Albert le Grand : la figure représente deux hommes sciant une pierre des deux côtés de laquelle est une effigie royale : homo si in lapide vi celi pingi valet, cur almi spiritûs opère Virgo non generaret. L'édition en seize planches décrite par Ileinecken , dans le cabi- net de Girardot de Préfond, est maintenant au Musée britannique. Elle est imprimée à l'encre noire avec des figures à grosses tailles, de rares hachures, des parties empâtées, et avec des caractères d'imprimerie. Cependant le style assez sérieux de ces figures, leurs mouvements et leurs draperies adroites indiquent de bons modèles. On en a signalé une édition primitive et néerlandaise à la bibliothèque ducale de Gotha (2). Celle que j'ai rencontrée à la bibliothèque de Bruxelles est aussi typographique, et ses figures, de manière allemande, rappellent, par le style, celles des pre- miers imprimeurs d'Augsbourg. Le Musée britannique possède encore une édition à l'encre noire, de format plus petit, dont les figures portent, malgré leur (I) Briinet en déci-it plus de six. Manuel, 4'"'' édil., l. II, p. 588. 1842. {•2) Waagen, Treasurcs of JrU t. I, p. SOC. Ï03IE X. 7 • tl*aît gros et cstoiiipc et rcnluiiiinurc qui les couvre, des traees plus marquées d'une origine raj)proeIiée des Pays-Bas. Enfin, on voit, à Londres et h Paris, une autre édition qui porte une date etles initiales d'un graveur que nous avons déjà rencontré dans une copie de la Bible des pauvres, F. W. 4470. M. Waagen la place au second rang et la croit antérieure à l'édilion décrite par Heinecken. Elle est imprimée, il est vrai, en encre moins noire, et ses légendes sont en caractères cursifs xylograpliiques. Je la crois cependant postérieure. La taille a des hachures plus multipliées, les figures y sont exagérées, grimaçantes et chargées de détails puérils étrangers aux autres éditions. Saint Augustin a des lunettes, un lapin se réfugie sous les jamhes de Danaé, représentée, elle aussi, comme exemple de grossesse immaculée. C'est par de pareils traits que l'esprit allemand se trahit. Frédéric Walter est un dessi- nateur arriéré qui réunit des habitudes rudimentaires aux recher- ches d'une époque plus avancée, et qui manque du talent qui fait pardonner les unes et les autres. ToDTENTANZ. — C'cst bicu à l'Allemagne qu'appartient, par son esprit et par son style, le livre xylographique dei' Todtentanz. On n'en connaît que deux exemplaires, lun et le plus complet à la bibliothèque d'Heidelberg, l'autre à la bibliothèque de Munich. Je ne puis en parler que d'après les livres de Falkenstein, de M. Brune t et de M. Sotheby, qui l'ont mentionné. Cette danse se compose, dans l'exemplaire de 3Iunicîi, de 20 planches enluminées portant les couples de figures accompagnées de quatrains dialogues et d'un texte manuscrit de 27 feuillets. La première et la dernière représentent le prédicateur. Dans la pre- mière de la suite, on voit le ])ape assis tenant un livre et un bâton et la Mort assise à côté de lui soufflant dans une cornemuse; dans les autres, l'empereur, limpératrice, le roi, le cardinal, le patriar- che, l'archevêque, le duc, lévèque, le comte, l'abbé, le chevalier, l'avocat (JKvisl), le sacristain (IwrJier), le médecin, le noble, la dame, la nonne [cJilosler frarc) , le marchand, le cuisinier (choch)^ le gueux (petlar), le paysan, lenfant, la mère. Le sujet de l'en- fant, qui est le 23"'% est traité avec quelque dilférence dans les ( m ] deux exemplaires. Dans eclui de Munich, l'cînlaniau berceau étend les bras comme la Mort approche. Dans l'exemplaire d'îîeidelberg, la Mort, enveloppée d'un manteau et le crâne eoilîé, saisit l'enfant par la main droite pour l'entraîner. Selon M. Sotheby, à qui j'em- prunte cette description, ces planches sont d'un dessin très-gros- sier et moatrant, aussi bien que l'exécution technique, un artiste très-peu exercé (I). Autant qu'on peut en juger d'après la repro- duction de la planche de l'enfant donnée par Falkenstein (-2) et par celle du chevalier reproduite par M. Leber (5), ces gravures ont plus de rudesse que celles des livres précédents. La figure de la 3Iort, la tête, les épaules et le bas du buste entourés d'une dra- perie, tire par le bras un enfant assez informe, et il n'y a pas d'autre expression que celle qui peut résulter des trous qui lui servent de traits et lui creusent le ventre. En Allemagne comme en France, la danse des morts était, dans le cours du XV""" siècle, le sujet de peintures murales et de poésies vulgaires. Les plus célèbres de ces peintures étaient celles de Bàle, qu'on dit faites vers H40, et l'on cite, dans la bibliothèque de Munich, quatre manuscrits des textes rimes en haut allemand, les mêmes que ceux des livres xylographiques cités plus haut. C'est sans doute à ces vers que fait allusion un imprimeur de Paris, Geoffroy de Marnef, qui donna, en 4490 et en 1499, une édition latine de la danse des morts avec un titre singulier qui a fort intri- gué les bibliographes : Chorea ah eximio Mambro vcrsibus ale- incinicis édita et à Pelro Desrey trecasio qiiodam oratore nuper emendata. Ce titre ne prouve pas, comme Tavaient cru quelques savants (4), qu'il y avait un poète allemand nommé Macaber, auteur primitif de la Danse macabre (5); mais il indique que la (1) The block Books. London, I8085 ô vol. in-4o. (-2) Geschichte der Buchdruckerkunst. Leipzig, 1840; in-4''. (ô) Catalogue des livres imprimés, manuscrits , estampes et cartes à jouer. Paris, 1859; 4 vol. in-8«. (4) Biographie universelle, t. XXIV, p. 10. Paris, Michaud, 1820. (5) M. Fortoiil avait déjà relevé celle assertion, dont le premier auteur était Fabricius,maisil n'a connu aucune des éditions allemandes. J^ssa/^wr les poèmes et les images de la Danse des Morts, en tête de la Danse des Morts dessinée par floWein, etc. Paris, Labitle; in-lG. ( 100 ) Danse f/es J/or/s versifiée et gravée en livre est d'origine allemande. Nous en avons la preuve dans les volumes de Munich et dîleidel- berg, dont le caractère xylographique établit la date; ils sont an- térieurs aux livres de Paris, qui traitèrent le même sujet dans la manière française avec tant d'éclat et d'originalité, et aux livres allemands, où nous le verrons encore dans le cours du XV""' siècle. Le bibliothécaire de lord Spencer a fait connaître les fragments d'une autre danse des morts allemande trouvés dans la couverture d'un manuscrit du XV"'^ siècle, à Munich. Les groupes disposés de deux en deux sur chaque feuillet sont ceux de l'empereur, du roi, du duc, etc. La Mort y est représentée en chairs et en muscles avec le crâne dénudé et entortillée d'un serpent qui va s'attacher à la victime; ce seraient, d'après le bibliographe anglais, les plus anciennes planches que Ton ait de cette suite dramatique. Je n'ai pas la prétention de parcourir jusqu'à ses dernières limites le cycle des livres des pauvres : il y en a tant qui se sont perdus et qui peuvent encore se retrouver. Ils ne finirent pas tout d'un coup à la venue de l'imprimerie : l'art des printers se main- tint quelque temps à côté d'elle et se répandit en nombreux livrets de qualité inférieure jusqu'à la fin du XV"' siècle. Tel fournira peut-être à qui aura la chance de le rencontrer un élément nou- veau de solution pour les questions que nous avons soulevées; leur nombre fera voir jusqu'où pouvaient s'étendre, par la seule publi- cité de la gravure, l'instruction et la curiosité publiques : Les sept Péchés capitaux ^ en hollandais, décrit par Koning (1) et attribué à Coster; Liber Regum, décrit par Dibdin (î2), et classé, par Sotheby, parmi les hollandais ; Temptationes DemoniSj décrit par Sotheby et classé parmi les hollandais; Die acht Schaltheiloi , décrit par Falkenstein ; Symholum apostolorinn, de la bibliothèque de Munich, décrit par Falkenstein; (1) Dissertation sur V origine de V imprimerie. Anislerdam, 1811); in-S". ("2) Tour in France. Loiulon, 1821 ; ô vo!. in-8". ( 101 ) Confesslonale j de la biljliollR'quc de Tarcliidiacrc de Derby, décrit par Dibdin (1); Ilorologium seu passio CJirisliy Gcrmaniee , de la bibliothèque deBamberg, décrit par Hellcr et par Guichard; Medilationes deNovo Testamenio, Gerraanice^ de la Bibliothèque nationale, décrit par Guichard; Mirahilia Romae, Germanice, décrit par Guichard, Dibdin et Sotheby; Die Kunst cyromantia , décrit par Heinecken. Mais, parmi ces livres, il y en a plusieurs, tels que la Chiromancie du docteur lïarlieb , qui portent improprement le titre de xylo- graphes, car ils sont imprimés à la presse et avec un mélange plus ou moins considérable de caractères typographiques; on leur a prêté plus d'importance qu'ils n'en méritaient, parce que la gros- sièreté et la maladresse de leur exécution leur donnaient un air dantiquité. Je décrirai, comme un des plus anciens exemples de ces livrets ignorés, quatre feuilles avec des figures et des légendes xylogra- phiques imprimées d'un seul côté qui appartiennent à la Biblio- thèque nationale. M. Sotheby, à qui elles furent d'abord com- muniquées (â), les a désignées comme étant deux suites d'alphabets illustrés à l'usage des enfants. Il sullît de les considérer pour voir combien cette désignation est erronée. C'est une suite de figures en trois bandes sur chaque feuille, une âme, des anges, des diables et Jésus, groupées en diverses scènes sur l'éternel sujet de la vie éternelle avec des titres mystiques : TrostlicJikeit, Weisheil , Warheitj etc. Ces scènes sont marquées en outre par des lettres alphabétiques de a h z; mais ces lettres, qui ne se suivent pas ré- gulièrement dans chaque bande, ne sont que des points de re- père pour l'ordonnance et l'explication du tableau. D'autres livres xylographiques, tels que \a Bible des pauvres et V Apocalypse , (1) Réminiscences of a literary life. Lontlon, 18ô6j 2 vol. in-8'\ (2) M. Richard, conservateur de la Bibliothèque nationale, a bien voulu me com- muniquer la note laissée à la Bibliothèque par M. Sotheby, qui déclare les avoir décrites imparfailemenl dans son livre (t. H, p. lOSj, d'après des fac-simile,pris à Paris, en 1817, j)ar M. Fox. ( 102 ) avaient, comme on sait, des lettres alphabétiques destinées a fixer l'arrangement des planches ; ici elles fixent Tarrangement des scènes sur la planche. Ceci nous démontre exactement Tusage des livres pour renseignement du peuple entre les mains des clercs. La lettre indiquait à celui-ci la place où il avait à mettre le doigt pen- dant qu'il débitait son sermon en paraphrasant la kigende. Cet usage a disparu; mais on croirait qu'il en subsiste quelque chose dans ces tableaux légendaires que les chanteurs de complaintes expliquent sur les j)laces publiques une baguette à la main. Alphabet. — Le dernier dont je m'occuperai est V Alphabet gro- tescfiie , production originale qui a servi de modèle à deux graveurs des plus anciens. Elle a été décrite avec beaucoup de soin par M. Chatto , et M. Jackson en a gravé, en fac-similé exact, quatre planches (I), d'après lexemplaire du Musée britannique, le seul alors connu (2). Je me bornerai à signaler, après l'étude que j'ai pu faire des exemplaires originaux de Londres et de Bâle, les par- ticularités de composition et de style qu'il présente. Après tant d'ouvrages mystiques, on est frappé de l'apparition de ce petit livre d'un usage tout séculier et de sujet satirique. 11 est sans texte, mais composé de 22 feuillets reliés en volume (3), et il s'assimile par là aux livres xylographiques. Par son exécution et par son moyen d'enseignement figuré, il peut être assimilé aussi aux suites de saints et aux jeux de cartes qui exercèrent beaucoup (1) J Treatise on wood Engrnving, p. loi. London, 18-'9; in-8'\ Les mômes planches ont été reproduites par M. de Laborde. Nouvelles Recherches sur l'ori- gine de l'imprimerie. — Débuts de l'imprimerie à Mayence et à Bamherg f p. 19. Paris, Tecliener, 1840. (2) On a annoncé depuis la découverte faite à la bibliothèque de Bâle, par le j)rofesseur Hassler, d'un autre exemplaire de VJlphahet x}lo[jraphique portant la date de MCCCCLXIIII. (L. de Laborde, Les Ducs de Bourgogne, 1. 1, 1849, p. i.xvm.) Cette date, écrite sur TA, ne pouvait se voir dans JVxemplaiie de Londres, où celle lettre se trouve tronquée et réduite à Tliomme debout, du jambage de droite. (ô) 21 lettres et 1 fleuron. L\S et le T manquent. Vk et le V sont mutilés. Il est précieusement consei\é dans son élal de vétusté et dans son |)auvre premier babil de parchcMuin. ( 105 ) les prltUers. Mais , à cùtc do productions où rardiaïsnic soûl faisait pardonner la ])auvreté du talent, on est frappé plus enoore de la distinction de ses figures. Avec ses traits menés carrément et quel- ques hachures courtes et parallèles, le dessinateur montre, dans les altitudes singulières auxquelles l'ohlige la forme des lettres, une grande hardiesse de main, des extrémités correctes, des draperies hien jetées et des têtes spirituelles. Ses expressions, bien que comi- ques, ne dégénèrent point en charge, la dispi'oportion forcée de ])lusieurs figures est encore sauvée par l'adresse des agencements. Dans les données de la taille de bois rudimentaire et de l'impres- sion en détremj)e où se tiennent les graveurs de la Bible, du Mi- roir et du Cantique des pauvres, le graveur de Y Alphabet atteint leur plus grande force et appartient à leur meilleur temps ou à leur école la plus distinguée. Sa manière a toute la liberté pos- sible dans les limites de la gravure gothique. On juge bien de la dextérité que le dessin avait acquise, dans un art encore tout noué, par la dernière planche qui représente un rinceau de fleurs avec une redondance que lart du XV'"*' siècle n'a point dépassée. Entre toutes les représejitations où la fantaisie de l'artiste s'est donné pleine carrière, jongleurs, amoureux, combats et monstres, tous agencés en lettres, on a remarqué la lettre K dont l'artiste a formé une composition charmante : une jeupe fdle qui caresse ron amant agenouillé à ses pieds et exprimant sa passion sur son phylactère : mon cœur avez, le second mot exprimé en rébus ])ar un cœur. Cette légende est considérée avec raison comme une confirmation de l'origine bourguignonne de l'ouvrage déjà bien attestée par le style. M. Douce, (|ui avait vu le livre en 1810, le croyait sorti de 1 ate- lier hypothétique de Harlem. Ottley, qui écrivit une note à son sujet, dans le catalogue manuscrit de la collection d'estampes du Musée britannique, lui assigna pour date le milieu duXV""= siècle et })0ur auteur un artiste hollandais ou flamand ; en remarquant ensuite le mot London écrit sur une lame d'épée dans la figure de la lettre L, il crut qu'il pouvait avoir été gravé en Angleterre (1). M. Chatto, (1) Les opinions e l'Origine de l'imprimerie , t. I, p. 97. M. Bernard , reprenant l'ancienne thèse de Giiesquière, a fait de ces termes, syno- nymes pour lui d'imprimés, l'un des principaux arguments de sa thèse. M. de Laborde n'est pas aussi affirmatif dans le même sens, mais il l'appuie en citant j)lusieurs passa-jes où molle et presse sont en effet synonymes. Nul doute que rex})ression en molle n'ait été appliquée aux produits de l'imprimeiie; mais elle Tétait auparavant à d'autres ouvrages, et notamment à ceux desprinters. Le moule était et est encore aujourd'hui la pièce principale de l'art des carliers. Le doc- trinal jeté en molle que Jean le Robert envoya quérir à Bruges en 1445 et celui qu'il envoya à Arras en 1451 et qui avait été acheté à Valenciennes, n'étaient, comme l'avait pensé Van Praet, que des livres sur planches de bois. Ils avaient coûté l'un vingt sous tournois, l'autre vingt-quatre gros. { 108 ) ialla ciim paîronis. Et tempore moi Bamherge quidam scidpsit integram hihliam super lamellas, et in quatuor septimanis totam bibliam in pergame?ia suhtili presignavît scripltira. Ce passage a été cité par plusieurs auteurs (1) qui lont diversement interprété pour le faire concorder avec leur thèse dans la question de l'ori- gine de rimprimerie. On ne l'explique bien qu'en l'appliquant d'abord aux livres des pauvres, où les figures tenaient le premier rang et qui, au moment où écrivait Paul de Prague, étaient les plus répandus. L'imprimerie de Bamberg, qui y est désignée, était, comme nous le verrons, principalement occupée de livres à images. Albert Pfister, que nous trouverons parmi les premiers imprimeurs, était d'abord un savant formschneider ou, selon Tex- pression savante de Paul de Prague, un tire-page; en France l'im- pression s'appelait encore, en 1476, lettre tirée, litteratirata (S2). (1) Mensel, Camus, Daunou, Sanlander, de Laborde, etc., qui l'ont tiré d'une notice sur le manuscrit de Paul de Prague insérée ôam\a Bihliothèqtie Polonaise. Varsovie , 1788 ; in-8''. Le premier mot y avait été lu libripagus. M. Bernard ( De l'Origme et des débuts de V imprimerie , 2"''= part., p. 56) a donné une version plus correcte d'après M. J. Muczkowski , bibliothécaire de l'université de Craco- vie, où on peut lire ciripayus ou tiripagus. 11 assimile avec raison cet artisan au dominolier. L'éljmoloffie est toute trouvée en nommant aussi le feuiîletier qui , dans les anciens statuts , est associé au dominolier et pratique comme lui l'art des papiers écrits, imagés, reliés en jeu ou en livres appliqués sur des planches ou sur le mur. (2) Unum librum in pargnmeno scriptum de liltera tirata et in lingiia franciae , inventaire manuscrit de 1470, cité par Ducange : Glossarium , V° TiRARE. ( loa ) V. LES ESTAMPES AU BURIN PRDIITIYES. A coté de tous les artistes qui étaient amenés par les pratiques de leur métier à la fabrication des estampes, il faut faire une large place aux peintres. Dans les anciennes corporations, ils étaient as- sociés aux orfèvres, aux batteurs d"or et aux imagiers, et, dans leur ait propre, ils se livraient à des ouvrages qui font présumer Tem- j)loi des procédés afférents à limpression. Dans les plus anciens do- cuments français, on voit les peintres associés aux selliers (1). Les sceaux de la corporation des faiseurs d'images et selliers de Bruges portent une Vierge avec l'enfant Jésus entre deux selles (2). C'est que les selles gothiques étaient des ouvrages d'art par les orne- ments peints et dorés et par les figures dont elles étaient em- preintes. Les peintres avaient aussi le privilège de l'exécution des miniatures dans les missels et autres livres. A Gand, lorsqu'en 1463, les enlumineurs furent admis à la franchise de la profession, pour le quart de la rétribution exigée des peintres, il leur était défendu d'exécuter les miniatures (5). On apprend, par les inven- taires, que leur art s'étendait à beaucoup d'objets tombés depuis dans l'industrie commune, tels que les cahières et faudesteuils, les coffrets, les paix, les écussons. Il n'est donc pas nécessaire, pour leur mettre le burin à la main et leur faire tirer des empreintures, de supposer qu'un orfèvre de Florence le leur ait indiqué par ses nielles. Lorsque, parallèlement aux estampes interrasiles et sur (1) Livre des Métiers d'Etienne Boileau, publié par M. Depping; p, 209. Paris, 1837; in-4''. {'■2) Sceaux des métiers de Bruges, dans une charte de 1361, publiés par M. de Saint-Génois. Messager des sciences historiques. Gand, 1842. (o) Notice sur l'ancienne corporation des peintres et sculpteurs à Gand; par E. De Busscher. Bulletins de V Académie royale de Belgique ^ t. XX, p. 8. BnixeHcs, ISoôj in-8\ bois, noiisi'cncoulroiis des estampes exécutées au burin gravant en creux et directement sur le cuivre, et que nous remarquons dans ces estampes plus petites, moins nombreuses , et moins anciennes peut-être, mais portant les mêmes caractères d'impersonnalité, une plus grande distinction de style et une exécution plus fine, plus pittoresque et n'exigeant plus le secours de l'enluminure, nous sommes autorisés à les afFectcr, pour une certaine part, aux pein- tres. Les sujets profanes qu'on rencontre dès l'abord dans les bu- l'ins, plutôt que dans les inteiTasilcs et les bois, montrent aussi qu'ils relèvent de goûts plus indépendants et plus artistes. C'est ici que l'on trouvera quelques pièces marquées plus décidément au, ([ui a été gravé plusieurs fois et dont un exomplaii-e en rond, ( 1--^ ) croire de son invention, la Vierge, sainte Agnès, sainte Barbe ci sainte Catherine dans des formes rondes, le roi David, la Véro- nicfue n'ont ni originalité dans le dessin, ni aisanee dans la gra- vure. Une eomj30silion j)ins considérable sur un sujet mondain à figiUTs nombreuses, ii)ie Partie de plaisir thins un clos, montre des figures longues et maigres, nn travail qui a de la finesse et du moelleux. La naïveté des airs de tète et l'appropriation de la scène y apportent de l'agrément; l'un des jouvenceaux tend son verre à un varlet, qui tire le vin de la citerne, où on l'avait mis à rafraîcbir; l'une des demoiselles met a la porte un fol qui pré- ebait la sagesse. Les pièces signées B...R (planche des monogrammes, n" 8) ont été, depuis Marolles, baptisées du nom du Maitre à l'ancre (1). Il est possible que le nom d'Ancker, donné au graveur de Zwoll par Christ et par Zani, et contesté justement par Brulliot , n'ait été que mal appliqué, et convienne mieux au graveur dont maintenant nous nous occupons; mais, en attendant le document qui en jus- tifie, il est plus sûr de ne voir dans cette ancre qu'un cbifl're dorfévre comme ceux que nous venons de rencontrer. Si l'on ne connaissait de ce maître que les petites pièces les plus faciles à ren- contrer, on ne lui trouverait qu'un burin vétilleux et duriuscule. La Vierge assise dans la galerie d'un cloître (B. 5), très-pauvre de dessin, ne se recommande que par une certaine intelligence de la perspective, La plus considérable des pièces connues de Bartscli, la Femme adultère, est une composition de dix figures, si singu- lière et si peu expressive qu'on en comprendrait difficilement le sujet, s il n'était écrit dans les banderoles placées au-dessus des deux groupes de figures- Les types des têtes tiennent de Martin Schongauer et le burin en est trcs-alourdi; mais son talent prend plus de consistance dans deux estampes qui n'ont point été dé- avec la date de 1480, a élé attribué au maître de 1400 et pourrait l'être aussi au maître au plumetis, prouve seulement deux choses : 1° que Guillaume de Beichenau, évêque d'Eichsladt en Franconie, était un amateur de gravures; 5" que les orfèvres, graveurs des pièces de ce genre, gardaient volontiers les plus vieilles et les j)lus dures façons de buriner. (J) lîartsch, t. VI, p. 594; 5 pièces. Brulliot n'en a pas connu davantage, ( ^^0) crites par Bartscli, et que Ton trouve Tune à Paris et l'autre à Bâle. La première représente Jésiis en croix les bras èlendus sur les deux larrons. Les trois corps occupent le haut de la planche, dont le bas reste nu, à peine marqué d'un peu de terrain. L'expression n'en est pas élevée, le dessin est ferme, la gravure avancée de modelé. On la croirait postérieure au XV"''' siècle , si le burin n'y trahissait les vieilles habitudes du maître de 1466. La seconde, plus intéressante par son sujet que par sa gravure, qui est lente et lourde, représente une partie d échecs entre un pape et un roi interrompue par la Mort. Le roi est assis et le pape debout à côté d'un évêque devant la table de jeu ; un groupe de neuf figures et un enfant sont placés après le roi. Derrière le pape et l'évêque paraissent sept figures entre lesquelles la 3Iort s'avance pour pousser son pion. Au fond, un ange, les ailes éployées, tient un sablier; au-dessus s'étendent des phylactères vides; une marge inférieure, disposée aussi en phylactère et tenue par une autre Mort en buste, est également restée sans inscription. (Long. 50 cent., haut. 21 c.) Cette absence d'inscriptions est fort regrettable, car elle nous aurait appris quelque chose du sujet, qui est sans doute politique, et nous en sommes réduits aux con- jectures. Il y avait, vers ce temps, un démêlé assez vif entre le pape et le roi de France, à l'occasion de la Pragmatique sanction, frein mis à l'omnipotence papale émané précisément d'un concile de Bàle, sous Charles VII, et dont Louis XI n'avait pas manqué d'ap- puyer sa politique. Paul II intriguait beaucoup à ce sujet lorsqu'il mourut en 4471, et Louis XI avait alors un fils âgé d'un an. Il resterait à trouver comment le graveur allemand fut amené à composer ce placard sur la politique française et papale et celte espèce de danse de la Mort. On pourrait rassembler, sous le titre d'École de Martin Schoen- gauer, plusieurs autres estampes anonymes ou à monogrammes inconnus : je ne me suis attaché qu'à celles qui, en exploitant la manière du maître, montrent sa propagation dans diverses con- trées de l'Allemagne. Malheureusement nous ne savons pas où tous ces graveurs de seconde main travaillèrent. L'un d'eux, qui n'est connu (pie par les copies qu'il a données de Sehongauer, a ( 107 ) placé entre ses initiales /. C. un ccn armorié en chef de trois cou- ronnes (l).(P]anchcdes monogrammes, n" 9.) Cela suflit, je crois, pour indiquer qu'il travailla à Cologne, et que c'est à tort qu'on lui a appliqué le nom de Jean de Cidmbach. Nous ne pouvons douter que Cologne n'ait été un marché im- portant d'estampes et n'ait possédé, au XV™^ siècle, des ateliers de gravure; cependant nous n'en trouvons d'autre preuve que les petits écussons que nous avons constatés sur de rares pièces. C'est encore sur des présomptions qu'on y a placé un graveur qui clôt pour ainsi dire la série des maîtres gothiques, en prolongeant leur manière jusque dans le XVI™" siècle. Cet artiste, appelé le maître S., reste aussi indéterminé pour nous que les maîtres primitifs. C'est que, confiné à de petites pièces de dévotion et assujetti à son métier d'imagier, il n'a pas cherché les manières en vogue; il n'a échappé à limpersonnalité qui enveloppe tant d'artistes gothiques que parce qu'il a pris soin de marquer d'une petite lettre S. la plupart de ses estampes. Bartsch l'a mal connu; en décrivant sous ce mono- gramme seulement onze pièces, dont deux étaient gravées d'après Lucas de Leyde, il l'a classé avec la foule des monogrammes du XVI""' siècle. Le maître 5. a pu travailler en effet jusque-là : on connaît à sa marque un saint Simon et un aaint Thomas qui portent les dates de loi 9 et Joi^O. Mais nous verrons, dans les textes qui accompagnent quelques-unes de ses estampes, des dates fort antérieures. La composition et la manière de tous ses ouvrages portent les stigmates du XV™*" siècle. M. Passavant, qui a recueilli, au musée de Francfort, ces deux pièces, pense que le maître était moine dans quelque couvent des Pays-Bas. M. Sotzmann, qui a pu voir, au musée de Berlin, un grand nombre de ses ouvrages, croit, de son côté, qu'il était orfèvre, vu le caractère de ses inscriptions en lettres carrées et hérissées tracées entre des lignes parallèles, et qu'il était de Cologne. Un manuscrit latin conservé à Berlin, contenant des prières (!) Rarlsch, t. VI, p ô8i?; 14 pièces. Le Manuel de V amateur d'estampes , l. Il , p. 73, les mêle encore avec des pièces du XVI' siècle, sous le nom de Hans de Culmbach avec un autre monogramme. ( 188 ) d'indulgences et des opuscules ascëti(jues (1), porte quarante-huit petites gravures collées en guise de lettres ornées, sur des places réservées par l'écriture et représentant des sujets afférents au texte et rappelés par un titre rouge à la marge. La première prière est une indulgence pour ceux qui visiteront la chapelle de Saint-Reinold. Les estampes, toutes de la même main et la plupart signées S., sont d'une très-petite manière avec des formes trapues mais non maladroites, et d'une gravure assez fortement omhrée. Elles ont reçu une enluminure maladroite qui ne cache })as le travail de burin. Son style allemand mais non exagéré, aussi bien que sa gravure prononcée en couleur, convient aux écoles du Rhin. La première indulgence est du pape Sixte IV, qui siégea en 1471, et l'un des opuscules contient les statuts de Vinihisoire de saint Reinold donnés, en 1440, par rarchevèque de Cologne, Thierri de Meurs, qui mourut en 1405. Ces dernières dates ne peuvent être celles de la publication manuscrite et des planches gravées qui s"v joignent; mais on ne saurait regarder ces planches comme posté- rieures de beaucoup à la première date. L'œuvre du maître S., au musée de Berlin, contient un grand nombre de pièces de dimensions plus ou moins petites, d'un style mesquin, qui se relèvent par leur burin empâté donnant du relief et de Texpression aux figures et par la richesse des ornements (1) Voici i'inlitulé des fascicules qui composent ce volume commençant par un calendrier : 1" Thz ev Jpocalypsy XXI : Subscripfam orationem edidit Sixtus papa quarlus et concessit eis dévote dicentibus coram ymaginem béate Firginis Marie m sole undecim milita annorum indulgentiarum. La première vijjnette représente la Vierge du rosaire devant laquelle sont agenouillés le pape, l'em- pereur et deux autres figures. 2» Spéculum passionis Dnice monlisque Calvarie ascensus cum contem- platione amarissime passionis... o' Incipit régula S'' Jugiistini episcopi et incipiunt statuta indusorii sancti Bcinoldi Theodoricits Dei gratia S' colonie ecclesie archiepiscopus... Anno Domini ridlksimo quadringentesimo quadragesimo octavo, efr. Ce fas- cicule est sans vignettes. 4" Incipit planètes beati Bcrnardis abbatis de Passionc Domini , etc. ( isy ) ogivaux qui les entourent. Au milieu de toutes ces suites de la vie de Jésus et de la Vierge, on rencontre six médaillons de la vie de la Vierge disposés dans un encadrement feuillage, flamboyant et historié de deux petits sujets des saintes Barbe et Catherine, qui m'ont paru le chef-dœuvrc du maître. Mais on peut distinguer encore : la Vierge montrant le sein à saint Bernard, formant le disque d'un miroir surmonté darcaturcs et de pinacles ogivaux avec un pied accosté de deux figures; la Vierge dans un paysage présentant l'enfant Jésus à sainte Anne; saint Aucjustin en pied dans tin portique ogival avec inscription en lettres gothiques hérissées semblables à celles des gravures criblées; 5. Augustinus ora pro nabis. Une des plus jolies pièces représentant le Martyre de saint Laurent, auquel assiste Dieu le père, porte, dans son encadrement ogival, deux écussons, l'un avec un chiffre, /. 5. entrelacés, l'autre avec les trois couronnes de Cologne, qui nous donnent sur le maître quelques indications de plus. Quant à son nom , nous n'en sommes pas plus avancés. Il reste à chercher, comme tant d'autres, parmi ceux qui firent partie de la corporation de Cologne de 1480 à 1500. Le cabinet de Paris possède,* entre autres estampes du maître S., la Passion en quatorze pièces rondes équarries par des orne- ments ogivaux et accompagnées par de petites scènes bibliques. Cette suite se fait remarquer par des figures exagérées, des dra- peries lourdes, des membres épais; le travail du burin est fin, d'un contour allongé, arrondi et très-appuyé. La Résurrection, pièce in-folio composée du Christ debout au milieu et de toutes les scènes de ses apparitions, est singulière par la disposition de ses sujets dans des terrains péniblement faits avec des figures rondes, inégales et des édifices mal en perspective. Mais la gravure, soi- gnée de travail et curieuse de costumes, fait bien connaître cet artiste ou plutôt cet imagier qui fut en possession d'un burin fort et brillant, et mêla, en orfèvre, les qualités solides d'un métier avancé à toutes les petitesses gothiques; car je ne doute pas qu'il ne fut orfèvre; j'en ai pour preuve la nullité et la lourdeur de (piebpies glandes figures qu'il exécuta, la multiplicité et la disposi- ( 160 ) tion de ses petites pièces en médaillon et eompartiments travaillés pour l'effet, quelquefois à la façon des nielles, et tout relevés d'or- nements gothiques, les pièces en modèle d'orfèvrerie comme mi- roirs; enfin, quoique la presque totalité de son œuvre soit composée de sujets pieux, il y a plusieurs pièces qui, comme Belhsabée à la fontaine, V Homme agenouillé sur une houle et couronné par deux femmes, la Conversation galante , ont des nudités ou des libertés, dont il ne serait pas convenable d'accuser gratuitement un moine. Après Berlin, c'est au Musée britannique qu'on trouve réunis les plus nombreux et les plus jolis ouvrages du maître S. Outre des Vies de Jésus en médaillons ou cartouches , il traita tous» les petits sujets de la foi et de la légende disposés dans toutes les formes et jusqu'aux plus petites dimensions; les uns plus rudi- mentaires et paraissant des commencements du maître, les autres plus achevés, trahissant la même manière par des figures aux mouvements pesants, des airs toujours les mêmes et un travail varié, mais toujours plus occupé de l'efFet décoratif que du dessin. Un grand nombre de ces estampes ont été enluminées; quelques- unes particulièrement destinées aux livres de prières, des ma- dones et des ecce Jiomo, ont même reçu un coloriage plus intense et des dorures qui les font ressembler à des émaux. Il y a dans le nombre de ces pièces, et surtout parmi celles qui ont été décrites par Bartsch, des ouvrages qui paraissent d'un travail plus avancé avec des figures ou formes plus accentuées. Il faut sans doute les considérer comme les productions dernières du maître qui travailla longtemps et subit linfluence de maîtres postérieurs. Le maître S. ne fut artiste que dans la même acception où le furent plus tard Wierix ou Collaert, et fut le fournisseur le plus fécond de la petite imagerie dévote; mais il a sur eux la supé- riorité de son temps : il fut le premier et le plus vaillant parmi les graveurs au burin qui détrônèrent la miniature. Il a un plus grand mérite, si l'on considère seulement les progrès du burin et l'aptitude à ombrer avec force et intelligence; il fut toujours, sous ce rapport, le premier et le plus coloriste parmi les devan- ciers des petits maîtres. ( 101 ) Franz Von Bocïiolt. — La première ville qui paraisse inscrite sur des estampes et en possession dim atelier de gravure public et permanent est Boeholt, petite localité de l'évèchc de Munster, en Wcstpbalie, assez rapprochée du Rhin, pour qu'on ne s'étonne pas d'y voir installé un élève du maître de 14C6 et de Martin Schongauer. Tel nous apparaît Franz Von Boeholt, qu'une tradi- tion faisait berger au pays de Bcrg et le plus ancien graveur (I). Samson et les Apôtres qu'il a imités du premier, la Nativité et la Tentation de saint Antoine qu'il a imitées ou copiées du second, démontrent son apprentissage. L'analogie indiquée par Mariette entre deux de ses apôtres et les prophètes de Baldini est exacte (2); mais elle s'applique aux gravures originales du maître de 14G6, et ce sont celles-ci qui passèrent probablement les monts et furent copiées avec des changements nécessaires dans les attributs. Franz Von Boeholt atténua les extrémités osseuses et les expressions étranges; mais il eut un dessin plus commun, un burin plus lourd, plus dur et en même temps moins fixé. La sagesse et la propreté de ses lignes ne sont déjà point à dédaigner au moment où nous sommes; mais trois ou quatre pièces de choix que j'ai vues au 3ïusée britannique m'ont paru attester chez lui un talent personnel assez distingué; ce sont : La Vierge y denii-figure enveloppée d'une draperie, vue dans une fenêtre ronde et tenant l'enfant Jésus au-dessus d'un coussin brodé, présente une tète modelée avec finesse. Le trait, quoique lent, est d'une grande pureté : on croirait qu'il a gravé d'après quelque bon peintre, peut-être Schongauer lui-même. — Saint Michel (B. 8G) et Saint Christophe , pièce non décrite, se recom- mandent par le même goût. Deux Paysans se gonrmant, sujet traité d'une manière aussi précieuse que vraie, avec un fond de cabaret rustique et un jeu de quilles, vient, enfin, relever d'une manière piquante cet œuvre où manquent le nombre et la force, mais non le soin. (1) Heineckon, Idée générale, p. 222. Bartsch, t. VI, p. 77; ô8 pièces; t. X, planches des monogrammes, n' 77. (2) Jbecedario. Paiis, 183ô, l. I", i>. 55. ïojiii: X. 11 ( 182) Israël Van Mecken. — L'atelier de Rocholt prit bientôt une grande extension et, sous la raison de commeree Israël zu Bociiolt ou IsRAiiL Van Mecken (planche des monogrammes, n" iO) (1), répandit au loin ses estampes. Les reelierehes faites à 3îecken ou Meckenen, petite ville sur la 3îcuse (dans le duché de Gueldre, voisin de lévèché de ^îunstcr), ont constaté lexistenee dun Israël Van Meckenen, orfèvre, mort en J a05 (2). La tradition en men- tionnait deux, et comme, dans cet a?uvre très-considérable, on rencontre deux portraits différents, deux degrés de manière et des variations marquées dans la signature, Heinecken, Zani, Ottley, s'étaient déterminés à y trouver deux graveurs. J'avais vu d abord comme eux. Bartsch, tout en reconnaissant quil y a eu deux Israël, le vieux et le jeune, ne voit dans loeuvre qu'un gra- veur. Les différences d'exécution quon y remarque tiennent, selon lui, aux changements que làgc et Texercice apportèrent à son métier. Beaucoup de connaisseurs partagent cet avis. D'un autre côté, il faut renoncer à trouver dans cet Israël un peinti'C, comme je lavais cru. L'attribution des tableaux de Munich nest qu'une opinion des frères Boisserée, qui s'en sont pei'mis bien d'autres aujourd'hui toutes réfutées. Quelle que soit roj)inion que l'on adopte sur un ou deux Israël, le résultat pour l'histoire de la gravure ne saurait changer. L'œuvre ne peut être scindé en deux parts distinctes et constituer deux manières. Il faut toujours 'le considérer ensemble. Les initiales ne présentent ])as Tordre et la signification que leur a imposés Zani. Il confine, d un côté, au maître de 1466, de l'autre à Albeit Durer. Il résuine et vulgarise toute la gravure allemande pendant le dernier tiers du XV'"'" siècle. Mais il sera toujours dilïieile d'admettre qu'une seule main ait produit le nombre et la variété d'estampes qui sortirent de cet atelier. Bartsch en a décrit deux cent trente-six pièces, auxquelles il ajoute, en appendice, quatre-vingts numéros, dont j)lusieurs (1) Planches (les niono,^iamines do Hai-tscli, n" lt)i*. {'2) On j^ai'de au Musée britannique un dessin pris surla p!aque de son louîbe.iu inde iaer unses Herren MV^ en TU, qui a élé repi-oduii par Olllev. ('eUe ilale et celle de 150:2 marquée sur une Viei^je ( D. 40) sonl les seules dates positives. Je ne sais sur quelle auloiilé Zani fi\c !a nioil du dernier de ses Isiae! à lji7. l 105 ) sont des suites gi'avées (kuis un goût approchant ou iudicpices par d'autres. Il y a là, comme dans les œuvres que nous avons pré- cédemment considérées, l'ouvrage d'un chef d'atelier et de plusieurs apprentis. La confusion se trouve augmentée parce qu'on y trouve des copies de tous les maîtres, et, ce qui est pire, des éditions des planches anciennes avec les marques dlsraël substituées. Aussi, tout en admirajit le courage de celui qui voudra bien en entre- prendre le catalogue ou l'analyse, je me bornerai à quelques observations. Le portrait des maîtres par eux-mêmes est dun usage assez neuf pour qu'on le remarque. Dans les œuvres précédentes, nous ignorions jusquau nom et au pays de l'artiste : le voici lui-même en effigie avec sa femme. Fkjuracio facieruui Israelîs et Ide ejiis iixovis. — Ce sont des tètes d'un trait dur et dun hachuré sobre et doux, ressortant sur un fond noir semé d'arabesques, avec une physionomie pleine de réalité. Israël imberbe, les yeux à demi clos, le nez saillant, la joue déjà plissée; Ida, l'œil ha, la bouche petite et boudeuse, le nez fort, les seins relevés, portant une coiife haute chaperonnée sous le menton. L une de ces tètes est rappelée dans une pièce de saint Luc, qui repj^ésente le dessinateur offrant à la Vierge assise une de ses images qu'il crayonne encore ; ici l'artiste vieux et ridé est coiffé d'un bonnet derrière lequel passent de longues bou- cles. Israël Van Meckenem Goltsmlt. — Celui-ci est barbu, et coiffé d'un turban, l'œil et les traits plus accentués. 11 est gravé d'un burin plus dur, plus régulier et plus avancé de travaux. Bartsch a indiqué quelques rapports d'Israël avee le maître de 1466, dans la copie de Ja Vierge (n" 29) et de l'évangéliste saiiit Jean. Il a aussi copié la plqs belle pièce, la Patène, et bien qu'elle soit anonyme, on ne peut douter qu'elle ne sorte de son atelier. Mais il y a des pièces qui, sans être des copies, prouvent des rap- ports non moins certains : ce sont celles où il a tout à fait imité sa manière : VEcce homo (n" :2I8), sainte Véronique {Append., p. 501), sont gravés de telle façoa qu'on pourrait aussi bien les attribuer' au maître lui-mcmc. Et voici une autre pièce dont le ( l«4 ) travail cii pluinetis cl le dessin liniicle constattnl également Fan- ciernieté, le Christ et la Vierge soutenant un ècu, groupés avec les symboles évangcliqnes, l'agneau et la main du Très -Haut, et surmontés de deux bustes de prophètes portant une banderole : En petit vidtus non est qui celo latet. Elle est signée Israël (I). Israël eut recours à des maîtres moins connus, comme Franz Vou Boeholt, Wenceslas d'Olmutz, le maître ^. A\ S., en Allemagne, et même dans les Pays-Bas, le maître Overe t, le maître ÎT'. (planche des monogrammes, n" 12) et Jérôme Bosch, soit en copiant, soit en acquérant leurs planches dont il changeait les marques. Il s'attaqua particuhèrement à Martin Schongauer. Son œuvre renferme plus de vingt copies de ce maître, parmi lesquelles sont les plus célèbres : la Mort de la Vierge et la Tentation de saint Antoine. Ces copies dénotent une altération considérable de la pureté des types, et un maniement du burin plus minutieux et plus appesanti. Vers la lin de sa carrière, il prit copie des pre- mières pièces publiées par Albert Durer, le Seigneur et la dame, les Quatre Sorcières, la Vierge au papillon, la Petite Fortune; mais, loin d'être soutenue par son modèle, sa main débile n'y laisse paraître qu'un dessin rapetissé et une gravure des plus molles. Israël, déterminé copiste et marchand plus qu'artiste, a commis sans doute plus de délits de contrefaçon que nous n'en pouvons découvrir; mais il a compromis davantage son école par sa manière vulgaire de graver, par l'exagération qu'il a apportée aux types germaniques. Dessinateur sans invention, sans esprit et sans scru- pule, il ne rendit bien que la grimace germanique et gothique, se faisant un style où la disproportion des têtes et des membres n'est plus une incohérence. Je n'essayerai pas de démêler ce qu'il put mettre d'original dans les nombreux sujets de sainteté qu'il a traités, parce que j'y remarque d'autant plus de défauts, et même de ridicules, qu'ils paraissent neufs, ses meilleures pièces étant celles dont il a pu prendre l'idée chez d'autres. C'est ainsi qu'on pourrait citer la Vierge sur un trône à dais gothique , entre sainte Cathe- (1) Elle est au cabinet de Paris j le catalogue Weber, en 18j5, en décrit une épreuve anonyme. ( ic^ ) rine, saint André et un donateur agenouillé (1), qui est assez délicatement faite et rapprochée des maîtres flamands, et plusieurs autres scènes de la vie de la Vierge qui sont les modèles de son travail le plus exercé et de son goût le plus cultivé. La Vierge montant les degrés du temple (B. 52), l'indulgence du Psautier de la Vierge (B. 48)et/e Sauveur bénissant dans une chaire (B. 144), sont des morceaux qu'on peut croire originaux, et dont on peut apprécier le mérite, une fois que l'œil est fait à la beauté très- germanique du maître. Le côté le plus piquant de l'œuvre de 3Iecken est dans les sujets de couples amoureux quil a représentés à la promenade, à la chasse, à la danse, faisant de la musique et en conversation intime au jardin et dans la chambre. Ces figures sont aussi curieuses par leur tournure hasardée et leur air vif que par la recherche de leurs costumes. Le burin a mis à les rendre un soin tout particulier; il y a, comme dans les meilleures pièces, des seconds plans et même des lointains heureux. L'artiste a donné une moralité à cette série, en traitant aussi l'apologue vulgaire de la vieille et du jeune homme, du vieillard et de la jeune fille, et du mari battu par sa femme; il a fait aussi une Danse de morts dans de petits médaillons en façon de nielles (six sujets dans des ronds, B. Jol) qui mérite plus d'attention qu'on ne lui en a accordé. Il suffirait, enfin, pour donner une idée de sa verve dans le genre satirique, d'une descrip- tion plus fidèle de la pièce intitulée par Bartsch : la Danse pour le prix, et que l'on pourrait appeler plus pertinemment : les Cou- reurs de bague. Une jeune fille, coiffée d'un voile, vêtue d'une robe juste au corps et ample à la jupe et chaussée de patins à double pointe, debout dans une salle, présente délicatement sa bague entre l'index et le pouce; quatre prétendants, accompagnés d'un ménétrier, gambadent en rond autour d'elle, et témoignent de leur passion pour le bijou; le premier et le plus élégant de mise est prêt à le saisir; le second, un vieux fol en lèche de plaisir sa marotte; le (1) Je ne la vois pas dans Barlscli; elle est signée du % gothique, initiale du prénom de l'artiste. ( IfiG ) troisième s'étîro et se renverse; le quatrième, un rustre, semble n'y pouvoir atteindre. Toutes ces figures sont touchées avec pré- cision et d un burin qui accuse la subtilité des formes. Au fond et dans une tribune par laquelle on voit du pays, dix personnes, dans des attitudes variées et très-finement accentuées, assistent à la scène, qui est ainsi habilement disposée dans un disque pour servir sans doute de modèle à un plat d orfèvrerie. Le triage fait, on voit qu'Israël a son mérite indépendamment de tout ce quil put faire dans son métier. Car il était avant tout orfèvre; sa supériorité comme tel paraît dans les ornements et dans ce que Sandrart appelle gyri folioriim et alahandœa (1). On trouve ordi- nairement dans ses estampes à sujet un burin pesant, où la mollesse des hachures tranche avec la sécheresse des contours; mais, dans les pièces d'ornement, il acquiert une plénitude qui le distingue même entre tantdautres habiles graveurs dans ce genre que pos- séda l'Allemagne; Le nom de Bocholt sur plusieurs pièces, celui d Israël à toutes les époques, et particulièrement sur une pièce dornement que n'a point connue Bartsch, mais qui est décrite de visu par Sandrart et par Zani : To Bocholt iste gemaet in dem bisdoin van Monster, et en marge, /sraë/ (2), établit de la manière la plus certaine le siège de cet atelier, qui fut le foyer le premier en vogue et le plus actif de la gravure sur cuivre au XV™^ siècle. Un chroniqueur allemand contemporain disracl, Wimpheling, rend témoignage de la réputation de ses estampes : Icônes Israelis Alemani per universamEuropcun desideraniur Jiahenturqne apic- îorilnis in sammo precio. L'on ne comprend pas pourquoi Bartsch, qui a cité ce passage (5), ne veut pas que l'auteur par icônes entende des estampes. Ce mot usité pour les images portatives, s'applique ici parfaitement aux images sur papier. Les peintres en faisaient cas< parce que facilement elles fournissaient des motifs de compo- sition à leur génie en défaut. Le crédit des estampes d'Israël au- près des peintres est encore attesté [)ar Lomazzo, qui les cite à côté de celles de Mantegna, et gourmande les peintres qui se dispensent, (1) Jcadeinia artis piclorice , p. 207. Nuremb., lG8ô, in-fol. (5) Encidopedia , part. I, t. XIII, p. 405. (j) Le l^'inlte-ilravcur, t. VI, p. lt'2. { 10- ) en y puisant toiil(S leurs idi'os, de li'availler suivant la nature et selon leur génie propre : lo dico dt (jiiella gran quaiiiUa dinven- iioni disi'fjiuile sopra h carie posie in stanipa, rilrovale moder- juiincnle in Gurniania du Israël Melro et in ludia da Andréa Manlcgna (I). En France même, un miniaturiste prit ces estampes allemandes pour guide-àne, et le cas est assez curieux pour qu'on le décrive. C'est dans un exemplaire d heures de la Bibliothèque Richelieu (:2), qui a appartenu à la famille des ducs d Orléans, à en juger par 1 écu armorié de trois fleurs de lis et dun lambel représenté sur quelques miniatures; l'auteur s'appelait Dumont, ainsi qu'on le lit dans une Oraison par vers collatéraux en latin contenant par leste le nom de l^acteuY : Dulcis Yuigo Multis Optio Nitida TuiiRIS. Sur une quarantaine de miniatures que j'ai comptées dans ces heures : calendrier illustré, initiales historiées, grands sujets de la vie et de la passion du Christ, il y en a près de la moitié qui sont peintes sur les gravures mômes dlsraël. L'artiste a collé l'es- tampe en papier sur sa feuille de vélin pour lui servir d'esquisse, et a peint dessus, en ajoutant des ornements pour remplir sa l>age, en corrigeant quelques exagérations des figures et en recou- \iiu\i le tout si bien, (piil est quelquefois dilïicile d'apercevoir l'ouvrage de gravure. Telles sont les miniatures du feuillet 7, le Sauveur au niilieu d'une patène (B. i4'2), où la pièce ronde d'Is- raël a été carrée avec quatre figures de prophètes, changée dans le fond du paysage et modifiée dans le dessin de la figure princi- pale, et la miniature du feuillet 18, la Nativité (B. 6), où l'es- la!ni)e a été allongée et corrigée dans la maigreur des extrémités. D'autrefois le minialuriste a épargné ses couleurs, et l'on voit à nu la gravure dans les tailles du fond; souvent les initiales du graveur n'ont été qu'imparfaitement recouvertes. La suite de la Passion, qui est ici eomj)lète (B. iO-î!l), présente les traces les ])îus patentes de ce plagiat. (1) Trattalo deW arle délia pitlura, p. 482. Milano, 1585, in-^". (-2) l'orulsColborl, AHl]. ( 1C8 ) La plupart des autres miniatures sont des copies d'estampes d'Israël ou d'autres Allemands moins connus , quelquefois telle- ment exactes, qu'on voit dans le maniement du pinceau l'imita- tion des coups de burin, d'autrefois réduites et traitées dans un système d'enluminure plus dégagée. On voit des exemples de ces divers travaux dans la Salutation angèlique du feuillet 9, V An- nonciation aux bergers, du feuillet 20, et dans plusieurs sujets du calendrier, où sont représentées les occupations des saisons et des scènes familières. Plusieurs initiales de ce calendrier sont des copies en petit de l'alphabet xylographique que nous avons vu déjà re- produit par le maître de 4464. On y voit entre autres la fameuse lettre : Mon cœur avez; dix-sept autres lettres figurent sur le fond d'or d'une miniature, au miheu du volume, représentant un calendrier perpétuel circulaire, où elles forment sur quatre rangs les mots AVE MARIA GRACIA PLENA; dans les initiales de la deuxième partie du volume, le miniaturiste a imité en grisailles les lettres de l'alphabet d'Israël (B. 210-213). Malgré tous ces larcins, notre miniaturiste était fort habile de ses mains. Nous avons fait remarquer déjà son adresse à corriger le dessin d'Israël, à le franciser; on le tiendra pour un véritable artiste, si on le juge sur quatre ou cinq miniatures dont rien ne nous fait suspecter l'originalité ; ce sont : VEnfant Jésus sur un coussin, au feuillet 17; V Adoration des Mages, au feuillet 22, la Présentation au Temple, au feuillet 24, et le Jugement de Sa- lomon, au feuillet 34; ces compositions nous transportent loin de l'école allemande. Ce n'est qu'en obéissant aux instincts de l'école française, depuis longtemps en rapport avec celle de Bruges, que le miniaturiste est parvenu à ce degré de réalité na'ïve, à ce mé- lange de simplicité dans les gestes et de sentiment délicat. Le temps n'était pas encore venu où ces dons, propres aux artistes français, devaient se perdre au contact des écoles étrangères. ( m ) ïOcole «les Pny.«i-ltn.«(. J'ai placé hypothctiquement à Cologne l'atelier de plusieurs gra- veurs primitifs, parce que la situation intermédiaire de celte ville et les fluctuations de son école de peinture s'accommodaient bien au caractère ambigu de leurs estampes; et j'ai rattacbé à ce jalon les œuvres plus déterminées qui se produisent du côté du haut Rhin, en Alsace, et du côté du bas Rhin, en Westphalie, parce que les ateliers des deux pays montrent des rapports originaires et permanents. Vient un moment où des inclinations locales se pro- noncent. Après une période d'échange et d'abâtardissement, les goûts naturels reviennent à nouveaux frais; par les progrès de leur art, les graveurs ont conquis la prérogative des écoles. Alors seu- lement nous pouvons décrire une école des Pays-Bas et une école de la haute Allemagne. Le Maître de Zwoll. — On a recueilli dans les mémoriaux de la ville de Zwoll un passage qui indique parfaitement un artiste natif de Cologne et établi en Hollande : Eodem tempoî'e (i478) aderat quidem devotissimus juvenis dictus Joannes de Colonia qui dum esset in seciilo pictor fuit optùmis et aiirifaher (1). S'ap- plique-t-il au graveur qui a signé ses estampes I. M. Zwoll (plan- che des monogrammes, n° 10) (2) et que l'on appelle le maître a la navette? Les critiques allemands qui admettent aujourd'hui cette version , l'appuient par l'attribution à ce Jean de Cologne de quelques tableaux qui ne portent pas de signature : V Adoration des Rois du musée de Berlin, les Israélites ramassant la manne, du musée de Paris; mais le doute persiste, parce que le nom du peintre ne s'applique pas parfaitement au monogramme, et parce que les tableaux cités ne sont pas en complète analogie avec le style des estampes, autant que j'ai pu en juger. Jai retrouvé plus facilement le type de leurs figures dans un dessin qui représente aussi V Adoration des Rois, que l'on a exposé dans le cabinet d'es- (1) De la Borde, Les Ducs de Bourgogne , t. Il, p. m. (2) Planclios di^s mnnoff ranimes de îîarlsrli, n" 1HI, ( 170 ) lampes du miii.cc de Berlin. Ce qu'il y a de certain, c'est, que nous avons un maître graveiu' qui marque ses estampes du nom de la Aille où il travaille, Zwoll. Cette indication de l'atelier, que nous venons de trouver à Bocholt, et que nous allons voir bientôt à 'slîertogenbosch^ est le fait le plus intéressant à constater dans rhisloire de la propagation de la gravure : l'artiste est plus pressé de publier son adresse que son nom. Sans analyser ici la manière du maître de Zwoll, je donnerai lin- dication de trois de ces estampes, non décrites ou incomplètement connues par la description de Bartscli , et qui peuvent servir toutes trois à mieux marquer la place du maître dans l'histoire de 1 art flamand. La Vierqe un livre à la main avec l'enfant Jésus qui lient des cerises. Les deux figures sont vues dans une fenêtre à pilastres gothiques ornés de statuettes et de pinacles sous un rideau. Cette pièce, qu'on voit au cabinet de Berlin et chez 3i. le duc d'Aren- berg, à Bruxelles, est d'un dessin pur et d'une gravure délicate, bien propres à confirmer la réputation faite à ce maître comme le graveur le plus direct de l'école Van EycListe. Le type qu'elle rap- pelle le mieux est celui de Roger Vander Weyden. On sait par 1 histoire aujourd'hui bien connue de Roger, que cet élève de Van Eyck avait pris sa part de la décadence de l'école de Bruges. Vers J460, époque avancée de sa carrière, ses tableaux nîontrent un style gagné par la sécheresse des formes maigres et un goût em- preint de rigorisme (1). C'est dans celte voie exagérée, toujours plus facile, qu'il est suivi .suj'tout par le maître à la navette, et il n'est pas nécessaire pour cela d'établir de relation directe entre les deux maîtres : la tendance en est commune à tous les artistes de ce temps. La Vierge et saint Bernard. La Vierge, qui présente l'une de ses mamelles en la pressant pour faire jaillir le lait sur le saint, est se.r une chaise dressée sur une table d'autel entre deux chan- (I) Roger Vamlei- Weyden ) par W. Waiilei-s, Revue niiivirseUe des artfi, l. Il . 1855, p. 28. L'auleup, qui a recherché de près ou de loin toutes les circon- stances de la carrière de Roi>er, n'a rien rencontré qui ait Irait à .îean23, et p. 51 , n" 20. ( 173 ) d'une vigueur exlraordinaire d'effet. Les mains ont de l'analogie avec celles de Martin Scliongauer. Dans son opinion, cette es- tampe est d'origine néerlandaise et environ de l'année H70. Ve- nant ensuite à quelques pièces d'armoiries extrêmement finies, dont une avec figure de femme, il juge au costume, aux souliers pointus et au style entier d'exécution, qu'elles doivent être con- sidérées comme néerlandaises et faites vers l'an 1480 (1). L'estampe dcSalonion devant une idole porte l'inscription ainsi transcrite : o. vere. t, dont M. Waagen ne parle pas; aurait -elle quelque rapport avec le nom de l'artiste? je suis tenté de le croire, en trouvant dans les tables des artistes de Bourgogne, Bertcl- mens Overlieet, reçu maître orfèvre de Gand en 1448, Gillelin Van Overlieet, maître orfèvre de la même ville en 1470 (2). Toute- fois la place de cette inscription sur un chapiteau, et lliabitude constante des graveurs primitifs de placer, dans certaines parties des édifices ou des vêtements, des lettres plus ou moins signi- ficatives, mais nindiquant jamais leur nom, rendent le fait dou- teux (5). Cette circonstance peut cependant servir à désigner le maître mieux que la date hypothétique de 1480, et mieux encore que les lettres A. N. qui sont marquées sur deux écus d'une de ses pièces d'ornement. M. le conservateur Klinkhamer a fait un catalogue des pièces du cabinet d'Amsterdam, au nombre de 75, sans y comprendre celles qui avaient été connues de Bartsch, et sans se prononcer sur leur attribution, ni même sur leur mérite supérieur à celui des autres gravures des maîtres inconnus du XV"'' siècle (4). Il ne signalera donc pas suffisamment le maître et son œuvre. Les pièces capitales n'y sont pas assez distinguées des pièces d'une valeur inférieure, ni même des pièces où l'on reconnaît une main diffé- (1) Treasures of Art , 1. 1, p. 291. (2) Les Ducs de Bourgogne, par M. de Laborde, t. I, p. 535-569. 1849. (ô) En lisant celle inscription sur Texemplaire du Musée britannique, la pre- mière lettre peut être prise pour un Q, et il y a encore après le T une lettre in- certaine ; mais cet exemplaire est un mauvais état. (4) Les estampes indécrites du Musée d'Amsterdam, in-S", 1857, extrait de îa Revue universelle des arls. ( 174 ) rente; mais nous y voyons constatée lexistence d'un atelier vail- lant, qui ne peut être confondu avec ceux que nous avons déjà rencontrés. Cet atelier se présente, comme ceux de Bocbolt et de 1466, avec un nombre et une variété destampes suliisants pour attester un foyer actif, un maître et des apprentis , et il porte tous les indices dïin milieu différent. A défaut de renseignements positifs, on avait induit son origine hollandaise du lieu actuel des estampes; les sujets mêmes, aussi bien que la manière dans laquelle ils sont traités, trahissent les instincts et les habitudes de Ja Hollande. La critique des artistes, qui se trouve si bien de les comparer avec leurs devanciers, ne s'éclaire pas moins en les com- parant avec leurs successeurs. Les écoles changent, mais sous même ciel persistent mêmes goûts. Pour rendre compte de cet œuvre, j'en ferai trois parts : la première et la plus nombreuse, formée des sujets religieux, se fait remarquer déjà par des compositions moins hiératiques, des expressions plus .réelles et une recherche déjà grande des effets de lumière. Jénumérerai, pour m'en tenir au^): pièces essentielles, Dieu le Père, Jésus et le Saint-Esprit avec des anges en adorai lion; VEnfant Jésus sous un dais d'architecture à ornements végé- taux ; la Tète du Christ sur un autel; le Christ et la Vierge en buste sur une même feuille; l'Ecce hopio ; lu Tète de saint Jean sur un coussin dans un plat ; sainte Anne sur un trône avec la Vierge à ses genoux; la Vierge donnant le sein à V enfant Jésus, sur un trône couronné de feuillages; la Viergis tenant Venfanl Jésus nue saint Jean fait jouer avec des pommes ; saint Martin ; saint Christophe; saint Georges; saint Sébastien; l'Assomption de la Madeleine; Deux .Yonnes accroupies sous des phylactères ; Deux Moines accroupis, dont, l'un feuillette un livre d'estampes ; ce sont les pièces qui m'ont le mieux montré une prédominance marquée de Teffet sur le dessin, de Texpression sin^ la rectitude, et \m moelleux d'exécution qui rompt souvent avec la sécheresse golhiipie. Les deux pièces les plus remar(iuables peut-êti'e de celte suite religieuse sont la Visitation et la Marclie au Calvaire (1). (l) Elles onl êlO connues de Bartsch, t. X, pp. 2 et 4. En décrivant le Calvaire, ( 17îi ) Dans la Visitation, la scène se passe sur le seuil dune j)orle go- thique, clans nn elos semé de ileurs, avec un fond de foièL et un paysan qui entre })ar la porte du clos. La Marche au Calvaire est; composée de dix figures échelonnées au pied d'inie colline avec heaucoup d'habileté; il y a sans doute dans les airs sérieux de quelques tètes et dans les extrémités la sécheresse des maîtres pri- mitifs; mais quelle vie et quelle réalité dans les soldats du cortège ! (luelle douleur dans la Vierge et saint Jeanî le Christ lui-même, qui tombe sous sa croix, est d'une fort belle expression. La seconde partie conjprend les sujets de mœurs (jui sont ici traités avec un esprit et un amour tout particuliers : le Lai clAris^ tote ; la jolie scène, où la maîtresse d'Alexandre chevauche le phi- losophe, est représentée conformément au fabliau de Henri d'An- deli, dans un verger, avec une terrasse au fond, où paraissent Alexandre et un courtisan pour se moquer de la faiblesse d'Aris- tote; le Turc à cheval; le Jeu de caries; la scène se passe entre une demoiselle qui tient la carte, trois jouvhieeaux qui la serrent de près, un vieillard écarté et une femme qui fuit dans le fond, à la lisière d'un bois; le Madrigal à trois voix ; la Chasse au faucon, où les dames sont montées en croupe des cavaliers; la Chasse au cerf; le Vieux Autoureux et la Jeune Fille; la Vieille Amoureuse et le Jeune Garçon , qui sont d un travail difFérent et d'un dessin plus fortement accusé; les Deux Amants; ils sont assis sous un arceau de feuillage, à coté du pot d'œillets et de l'aiguière à rafraîchir; les Paysans allant au marché. Lu plus remarquable de ces pièces, le chef-d'œuvre même du maître, est Je Mort et le Vif (\). Le mort nu montre un cnrps décharné et une tète chauve d'un modelé et d'une force d'expression indicibles; le vif est un jeune homme à lair charmant dans ses habits de fête, mais il sent déjà la main froide qui se pose sur son épaule; un crapaud et un serpent paraissant dans les herbes du sol ajoutent a l'eiFet de cette pièce extraordinaire. Uarlsch repousse raUribulioii faiîo par Heinecken de cette pièce à Wartia Sclion- gauer . sans eu substituer d'autre. (1) Cette |)ièfe est aussi au cabinet de Vienne. M Fi'iediiek \w Harlscli en a donné une description plus romantique que celle de M. kiinkijamer, Die kupftr- sticlaaintnlunj. Wien , 18j4j in-8'j p. 100. ( 170 ) Le travail de l'outil dans les meilleures de ces picees est si ve- louté, qu'on les dirait faites à Feau-forte avec les finesses de pointe connues ensuite par Rembrandt; Bartscli, qui a remarqué cette délicatesse de taille dans une pièce, le Turc à cheval, la croit obtenue sur une planche d'étain; il en aurait dit autant sans doute du 3Iort et des Deux Amants, qui sont de la même facture; M. Klinkliamer, qui pratique aussi Teau-forte, ne parait pas dou- ter qu'elles ne soient faites au burin. Il a remarqué sur plusieurs pièces les traces de cuivre, et il dit que l'exécution en est libre et fait penser à des dessins à la plume, vu que Tencre dont on se servait à cette époque était plus fluide et donnait plus de moel- leux aux épreuves. Cette allégation est insuffisante, car toutes les estampes contemporaines de celles-ci, bien que tirées avec la même encre, sont d'une exécution sèche. Quoi quil en soit du procédé de notre maître, il suffit de reconnaître que son exécution a des qua- lités inconnues des autres maîtres gothiques , tant de ceux que nous avons placés à l'école rhénane que de ceux de la haute Alle- magne. Il garde les traditions des peintres Van Eyckistes tout autant que le maître de i4G6, et si on le compare au plus habile de ces burinistes, à Martin Schongauer, on le trouve inférieur sans doute, quant au dessin et à la beauté des types, mais il reste au-dessus de lui comme graveur pittoresque et lumineux. Il y a de la petitesse et de la laideur dans ses airs de tête, quelque chose de court dans toutes ses figures; mais il se relève partout dans sr's pièces familières par la recherche de son costume encore tout em- preint des modes bourguignonnes. On remarquera aussi la dispo- sition de l'artiste à encadrer ses compositions dans des arceaux de feuilles et de branches qui tournent si heureusement à l'ornement architectural, en se recroquevillant dans les angles. On ferait une troisième ])art dans l'œuvre du maître Overct avec les petites pièces de fantaisie et d'ornement, écus et lambre- quins historiés de figures de marmousets et de culbuteurs; mais dans ce genre, il n'a point égalé la verve des graveurs allemands : c'est là d'ailleurs que sont les indices les plus nombreux d'un tra- vail vai ié, qui ne fut point dans une seule main. Cette diversité de sujets, parmi lesquels beaucoup sont des coin- ( 177 ) mandes de commerce, forait croii« que la résidence de cet atelier fut à Amsterdam. On ne sera pas du moins tenté, comme pour Zwoîl, d'en faire un moine. Bien que j'aie trouvé, parmi les orfè- vres, quelque nom approchant de celui qui pourrait être le sien, je dois dire qu'il ne tient rien de l'orfèvre dans sa manière. Il a les libres allures et le sentiment réaliste du peintre, et il est le digne prédécesseur des eaux-fortistes hollandais du XVII"'*' siècle. Si les graveurs qui vinrent après lui, malgré tout leur talent, lui tenaient de moins près, c'est qu'ils avaient été gagnés par la rectitude de dessin et la sécheresse de gravure de l'école allemande. Le maître W.... — L'attribution à l'école flamande des pièces por- tant le monogramme de ce maître (planche des monogrammes, n" 12), faite par Oltlcy (1), a été confirmée, non que l'on ait appris davantage sur leur auteur, mais par la notion plus claire que Ion a eue du faire de l'école. Ce qu'il y a de tudesque dans les formes ne peut plus donner le change, maintenant que nous savons combien les artistes flamands dégénérèrent de la pureté qui distinguait les Van Eyck et se rapprochèrent de leur voisins allemands. L'habileté générale du dessin, la beauté des détails d'architecture ogivale qui relèvent la plupart de ces compositions, le burin gras et souvent frais et moelleux avec lequel elles sont exécutées laissent peu de doute sur leur provenance. On trouve bien quelques fonds d'archi- tecture et quelques détails flamboyants dans les pièces allemandes marquées d'un IF et attribuées par Bartsch à Wenceslas dOlnmtz , mais elles ne sont pas traitées avec la même adresse et la même liberté de burin. On ne peut guère non plus mettre sur son compte des pièces marquées seulement du signe qui suit ordinairement le W et qui paraissent des copies allemandes {2). L'estampe la plus remarquable de son œuvre, catalogué par (1) Ifistory of Engrading , p. 624. (2) Bartsch a bien distingué céue marque, comme étant d'un copiste du maître de 1406 (t. VI, p. 5ô), de notre marque TF..... appartenant à un maître re- marquable et original; mais il ne hasarde rien sur la patrie de cehii-ci (t. VI, p. 56). M. Friedric Ritter von Bartsch Va classé après le maître de 1480, à Técole uéerlàndaiae-y anEyck'isle y Kupferstischsammlung, p. 100. Vitnne, 1054 ; in-8f'. Tome X. i2 ( 178 ) Bartsch en trente et une pièce*, est la Généalogie de la Vierge qu'on trouve aux cabinets de Paris et dAmstcrdani. Les deux per- sonnages au côté du trône ont leurs noms écrits, et les figures ne sont pas dun type élevé, avec leur stature un peu courte, leurs traits arrondis et riants; mais le travail du burin est fin et doux, les draperies éclairées par petites places, et l'effet général est pit- toresque. Les pièces où ion peut ensuite le mieux étudier sa ma- nière sont : Le Calvaire j d'une gravure fine et moelleuse, les Apôtres, dans des niches ogivales, et une Vierge qui n'est point décrite par Bartsch ni par Ottley, mais qu'on rencontre au Musée britannique: elle est représentée à mi-corps, un sein découvert, tenant sur ses deux mains l'enfant Jésus dans une fenêtre d'un tracé ogival très - orné. Cette pièce se distingue par la grâce un peu longue des formes, par le grignotis de la gravure et l'effet des ombres dans les plis des draperies. Le maître a fait ensuite des pièces dorfévrerie, d'architecture et de mobilier, dans la mode ogivale, où il montre mieux encore les ressources de son burin. Il a produit enfin quelques sujets nou- veaux dans l'iconographie gothique. Ce ne sont pas les scènes jnon- daines, comme dans lœuvre du maître Overet, qu'on y trouve, mais des scènes militaires : soldats sous la tente, alignements de piétons et de cavaliers; encensoirs et ciboires d'un côté, arque- buses et épieux de l'autre, souvenirs de la Flandre de 1480, par- tagée, comme tant d'autres pays alors et depuis, entre le sabre et le goupillon, ces deux sceptres du monde. Brulliot, qui a donné sous ce monogramme la notice de onze pièces à ajouter aux trente et une décrites par Bartsch, n'a pas dé- couvert le nom du maître; d'autres ont voulu y voir Jacob Walch ou Walck, architecte-orfèvre de Nuremberg travaillant de 1470 à ijOO, qui serait le maître de \\^olgemuth (1). Nous verrons la part des artistes allemands dans des pièces marquées d"un mono- gramme à peu près semblable. Ici nous sommes en présence d'un graveur plus ancien et d'une autre école. S'il suffisait, pour être (1) Notices sur les graveurs qui nous ont laissé des estampes marquées de monogrammes, à. 11, p. 502. Besançon , 1808. ( 179 ) assure de le connaître, de trouver des orfèvres flamands de la fin du XV"''' siècle dont le nom commence par un W, nous n'aurions que l'embarras du choix: Jcm de Wilde, maître orfèvre de Gand en 1479, ou Arnde van Willebeke, orfèvre de la même ville en 1481 (1); voici même un architecte Hcrmand Waghemacher, à Louvain, en 1481, pour ceux qui croiraient qu'un architecte seul a pu dessiner ces épures de tracé ogival flamboyant, où pa- raissent des nervures festonnées d'un modèle tout particulier à la Belgique. Il est prudent cependant d'attendre des renseigne- ments plus directs avant d'inscrire l'un de ces noms parmi les gra- veurs. Le 3IAITRE L. Cz. — Il faut décidément placer à l'école hollan- daise le maître qui s'est servi du monogramme L. Cz. Par sa gra- vure grasse et colorée , son dessin pittoresque et fin , il donne une manière tout à fait complémentaire de celle des maîtres précé- dents. Bartsch s'est borné à décrire deux pièces, les seules que possède le cabinet de Vienne : la Tentation et l'Entrée à Jéru- salem, sans ajouter un mot sur le maître. La beauté de ces es- tampes aurait dû attirer sur cet artiste un peu plus d'attention. J'ai dit ailleurs un mot de la première, qu'on voit aussi au ca- binet de Paris; la seconde, qui se trouve à Berlin, à Dresde et à Paris, est plus remarquable encore par la finesse de ses expres- sions et la qualité moelleuse de son burin. Le Christ jeune avec son grand front, ses yeux expressifs, ses longs cheveux, sa barbe soignée, n'est pas sans analogie avec le type de Martin Schon- gauer; mais c'est le seul rapprochement que l'on soit tenté de faire. Notre maître est, par sa facture, tout à fait différent des Allemands. J'ai fait connaître de plus la Vierge assise sur un gazon et la Chasteté datée de 1492. Tout ce qu'on pourrait re- procher à ces deux compositions, charmantes de finesse et de simplicité, c'est d'être un peu alourdies par le soin extrême du travail (2). Voici deux autres pièces qui, sans avoir la même im- (1) Les Ducs de Bourgogne, t. I, p. 581. (2) M. Duchesne a cité une autre pièce datée de 1497, et qui serait la repro- duction d'une estampe du maître de 1466, la Sainte Faee portée par saint { 180 ) portnncc, n'ajoutent pas peu à l'opinion que nous devons avoir de ce talent plein de finesse et d'éclat : Le Christ en croix entre la Vierge et saint Jean, au cabinet de Berlin, n'est qu'une petite pièce ronde sur un sujet bien souvent traite dans rimaii;erie primitive. Le trait pur, l'expression douce et le travail délicat qu'on voit ici témoignent dun sentiment pro- fond et d'une vive intelligence du burin. Sainte Catherine, donnée par le D'" Jegher au cabinet de Paris, montre ces qualités du gra- veur appliquées à Texécution d'un costume précieux ; cornettes bollandaises, robe brodée à manches larges. Le nom de Lucas Corneliszoon s'adapte parfaitement aux ini- tiales L. Cz. Malheureusement la biographie de cet artiste, telle que nous la connaissons , ne cadre pas aussi bien avec l'œuvre. Lucas, fils de Cornelis Engelbrecht (1), est cet artiste dont Van Mander et Sandrart nous ont raconté quelques circonstances sin- gulières (2) : il fut surnommé den Kock , le cuisinier (5), parce quil avait dû pour vivre ajouter cet art à celui de la peinture, et, malgré cela, ne trouvant point à subsister à Leyde, il passa en Angleterre, où il fut accueilli par Henri VIIL II était né en 1495, il ne peut donc être le graveur de pièces dont l'une porte la date Pierre et par saint Paul {Foyage d'un iconophile, p. 576); mais Ton ne sait s'il ne le confon) Bailsch , t. YI , p. 344. (3) £nciclopedia , iturt 11, t. Y!(II, p. 50. Des Types m{ T/'"** siècle, p. 7o. ( 189 ) de penser qu'il avait aussi gravé au burin et que ses ouvrages se trouvaient parmi le grand nombre d'estampes signées W., qui pa- raissaient avoir été publiées à Nuremberg, à la fm du XV""' siècle. Mais toutes les pièees bien examinées, il ne s'en trouve pas où l'on puisse reconnaître précisément le talent du maître. Si l'on persiste à croire que Wolgemut, pour qui l'art fut souvent un métier, n'a pas pu rester étranger au développement de la gra- vure au burin , les estampes qu'il fit ou fit faire sur ses dessins sont encore à cbercber. Nous constatons parfaitement, depuis les indications données par Bartsch , parmi ces pièces marquées W, l'intervention d'un graveur en cuivre, Wenceslaus d'Olmutz, qui, suivant une car- rière parallèle à celle d'Israël, quoique avec moins de succès, tra- vaille en copiant au commencement Martin Schongauer, à la fin Albert Durer, et produit dans l'intervalle des estampes dont l'ori- ginalité est fort absorbée par le métier. Son nom se trouve écrit sur la Mort de la Vierge , copiée de Martin Scbongauer, avec la date : 1481 , Wenceslaus de Olomucz, ibidem. Malgré le sens qui semble s'attacbcr au dernier mot, il n'est pas probable que l'ar- tiste, né à Olmutz, ait publié toutes ses estampes dans cette petite ville de la Moravie. Mais nous avons vu plusieurs autres ateliers de gravure s'établir aussi dans des villes très-secondaires. Après les copies de Martin Schongauer qui occupent la moitié de l'œuvre connu de Wenccslas et dénotent un graveur lent et même dur, un dessinateur assez habile et assez expressif dans les tètes, j'ai remarqué deux pièces qui sont aussi marquées Wy et n'ont point été décrites : la Vierge couronnée par deux anges, allaitant l'enfant Jésus, petite pièce ronde gravée d'un burin petit et court, mais piquant dans ses expressions, chiffonné dans ses draperies et marquant bien ses ombres : c'est celle qui porte les traces des traditions les plus anciennes; et la Femme de Vorfévre. Je crois qu'on peut donner ce nom à une petite pièce in-46 carré qui repré- sente une femme derrière un établi pesant des pièces d'orfèvrerie ; le dessin en est anguleux et le burin timide , mais elle est expres- sive, des plus curieuses par le costume et tout à fait semblable à la Joueuse de luth atipapegai, que Bartsch donnecomme douteuse. ( 190 ) La Cène, représentée dans un intérieur gothique, et le Mar- tyre de saint Barlhélemy , qui paraissent les pièces où Ion peut le mieux mesurer la forée personnelle du maître, donnent des phy- sionomies assez originales, des formes accentuées à la façon de Nuremberg. La gravure ny manque pas dadresse, mais elle de- vient appesantie dans les accessoires et les fonds. Ces habitudes et la fermeté de travail qu'il a montrée dans les pièces à écussons et dans les dessins de ciboire , indiquent suffisamment qu'il était orfèvre. Les estampes qu'il a faites sur six sujets d'Albert Durer sont d'une exécution lourde qui ne pei'met plus de douter quelles ne soient des copies, et je reconnais, pour ma part, l'erreur dans laquelle j'étais tombé à la suite d'Ottley (i). J'avais cité, dans ce même livre, d'après 3L Duchesne, une estampe de Wolgemut que cet iconophile donnait à la fois comme une caricature sur Rome, et comme le premier essai à l'cau-forte. Quand j'ai vu la pièce au Musée britannique, je n'y ai plus trouvé qu'une «stampe très- proprement gravée, comme il convenait à un placard, et repré- sentant un monstre né, dit-on, à Rome en 1496. 11 est décrit par Lomazzo dans des termes qui s'appliquent parfaitement à la gravure de Wenceslas portant la même date : Un mostro cou la testa iVasino, et il ventre, le mammelle , la nalura, la mano, il braccio destro^ el collo, et le gambe, che havevano contorno natu- rale; na oiel resto fatte a scaglie, col piede destro d'aquila, et laltro di bue, et in loco di cnlo con una faccia Immana et una coda soîto che haveva forma di collo di serpe, con una testa di serpente en cima, et il brachio manco in guisa d'un mozzicone(''2). La naissance d'un tel monstre a pu être prise pour un miracle et une allégorie dans l'Allemagne déjà très-gagnée par l'hérésie ; mais voir dans l'estampe qui en fut faite une caricature composée à l'occasion de discussions entre quelques princes d'Allemagne et la cour de Rome, est une idée tout à fait personnelle à l'ancien con- servateur du cabinet des estampes de Paris. (1) Des Types. XV'"'' siècle, p. 8ô. Voyage d'un iconophile., p. 350, 1834; in-S". • (2) Lomazzo, Tratlato dclV Jrte délia pUlura. Milano, p. 637, 1585 5 in-S". ( 191 ) On doit rallier à l'école de la haute Allemagne plusieurs pièces anonymes ou à monogrammes qui n'ont pas d'autre mérite que de faire cortège. La difficulté qu'elles donnent à débrouiller est toujours compensée par l'expectative de quelque découverte, de quelque lueur dans un champ de ténèbres (l). Je ne m'arrêterai qu'à l'un de ces monogrammes, H. W. (])lanche des monogrammes, ir 14), qui s'éclaire déjà dune date et d'un nom. Bartsch en a décrit trois pièces, dont une porte la date de 4482. Brulliot en cite quatre pièces de plus, dont une porte la date de 1481; et voilà maintenant que M. Nagler en nomme le graveur Ilans von Windshcim. Windshcim est une petite ville connue par son Slu- diensclnde , entre Nuremberg et Bamberg. Je ne connais de ce maître que deux pièces d'après les photographies du cabinet de Munich, intitulées le Passage de la mer Ronge et la Décollation de sainte Barbe. Elles répondent parfaitement à ce qu'on peut attendre d'un graveur haut allemand plus rapproché encore du maître au plumctis que de Martin Schongauer; mais je ne sais pourquoi M. Robert Brulliot a appelé la seconde de ces estampes gravure criblée. Le sujet de la première est aussi inexactement décrit. Ce n'est pas le passage de la mer Rouge ni le frappement du rocher, connue avait dit Brulliot, mais la sortie de lÉgypte avec l'un des miracles qui la précédèrent (Exode, chap. VII) : La Lutte du seri)cnt de Moïse arec le serpent des magiciens, sujet traité depuis par Poussin, fort différemment, il est vrai, dans un tableau qui a été gravé par Poilly. L'école de la, haute Allemagne tira plus de lustre de deux gra- veurs fort originaux, Mathieu Zasinger de Nuremberg et Mair de Lanshut, en Bavière. J'ai assez disserté sur ces maîtres, et je ny reviendrai que pour appuyer sur leurs rapports avec les maî- tres précédents. La suite de YArs moriendi a été contestée par Bartsch ; mais on sait aujourd'hui qu'elle est copiée d'une suite semblable du maître de 1466, et on peut bien supposer que ces (1) Barlseh les a ramassées dans son sixième volume; plusieurs se rattachent à l'école rhénane, par l'imitation des ouvrages de Schongauer, et des autres maîtres qui eurent leur iniluence sur l'école de la haute Allemagne. ( 192 ) petites estampes trcs-timidement gravées, tirées au revers d'un texte, sont un ouvrage de sa jeunesse. Quant à Mair, le soin qu'il prit de tirer ses estampes à deux teintes m'a été encore confirmé par la vue des estampes conservées au Musée britannique ; mais on voit, par ce que j'ai dit des estampes de Fite Stoss, qu'il n'est pas même le premier graveur en clair-obscur. Il en est de ce pro- grès comme de beaucoup d'autres : les racines en sont toujours plus prolongées qu'on ne croit. J'espère en avoir justement indi- qué la source au milieu des sculpteurs coloristes de Nuremberg; les cartiers en avaient, d'un autre côté, montré bien d'autres exemples. vu. LES GRAVURES SUR BOIS DANS LES LIVRES IMPRIMÉS AUX PAYS-BAS. Les villes des Pays-Bas ne reçurent des établissements d'impri- merie qu'après beaucoup d'autres villes allemandes et italiennes. Ce n'est que dans la période de -1475 à 4485 qu'on voit l'impri- merie gagner successivement Alost, Ulrecbt, Bruges, Goude, Louvain , Anvers , Bruxelles , Gand et Harlem. Ces ateliers n'eu- rent pas d'abord autant de fécondité que ceux de l'Allemagne et ne firent pas peut-être une aussi grande place dans leurs livres à la gravure sur bois. Ces circonstances ont aidé le patriotisme de Hei- necken et des partisans de l'Allemagne à prendre le change dans la question de l'origine des livres xylograpliiques. Ils ne se sont pas rendu compte d'une décadence de la civilisation flamande et d'un changement de direction dans les arts qui s'opéra vers 1470. L'établissement de l'imprimerie coïncide avec la mort de Philippe le Bon , avec les guerres et les violences du règne de Charles le Téméraire, avec la ruine de beaucoup de villes flamandes. L'Aile- ( l'J5 ) magiic, (Hii rcccAail an coiiiincncoincnt le ton des Pa\,s-Bas, le donna à son tour; ses dessinateurs et ses graveurs, d'abord imita- teurs, firent prévaloir leurs penehants, elles Pa}s-Bas, trop sou- Aent, oublieux de leurs traditions, seront maintenant tributaires. Cette révolution est éeritc dans Tliistoire par le mariage de 3Iaric de Bourgogne avee le fils de l'empereur Frédéric III, larelii- duc Maximilien. Si les liistoriens n'avaient pas expliqué tous les changements d'institutions et de mœurs qui en résultèrent, nous en pourrions voir l'expression populaire dans les \ers du poêle lauréat, chargé de célébrer ce mariage et l'entrée des deux époux en Belgique : IVunc idem popuîus unus et aller crit Belgicus hic Gallus jam nunc Germanus hahet, Germanus paritcr Belgicus esse volet (1). A l'esprit français ou bourguignon succéda, en effet, res])rit alle- mand: aussi clairs que le poëte dans ses distiques, nos graveurs ont retracé le fait dans leurs estampes. L'influence allemande fut d'abord prépondérante dans le Bra- bant, le pays le plus voisin de l'Empire et celui où lidiome rap- proché rendait les communications plus faciles. L'histoire de la peinture a déjà constaté les nombreux rapports qui s'établirent entre les écoles des deux pays, et en particulier entre l'école de Cologne et celle de Louvain. La plupart des bibliographes belges considèrent Thikrri Mau- TENS comme le premier imprimeur de la Belgique. Dibdin lui ac- corde aussi l'honneur d'avoir le premier introduit des gravures dans ses livres. Suivant cet auteur, le premier livre avec date des Pa} s-Bas, Spéculum conversionis peccaîoriim du chartreux Rivel, imprimé à Alost en 1473, contiendrait des gravures sur bois co- piées de celles du Spéculum humanae salvationis (2). Nous n'avons pas à nous immiscer dans ces questions de priorité; il importe seu- (1) Bruni, Carmen saphicum. Louvain, Jean de Weslphalie, 1477. Je re- viendrai toul à Theure sur ce livre. (2) Bibliolheca Spenceriaiia, t. IV, n" 1)08. La date du livre est donnée comme de 1474 et l'aulcur en reproduit deux planches. Tome X. 15 ( 194 ) Icmcnt de relever l'erreur où est tombé le bibliographe anglais. Les exemplaires du Spéculum de Martens, rpie j'ai vus, ne con- tiennent pas de planches. Les bibliographes cpii l'ont cité, La Scrna Santander (1), Lambinet (2), Brunet (5), Vander Meerseh (4), n'en indiquent pas non plus. On ne voit pas dans les nombreux et beaux livres latins imprimés ensuite par Martens à Alost, à Anvers et à Louvain, sous la marque de l'ancre sacrée qui lui a fait doiuier le nom de TAlde des Pays-Biis, que la gravure en bois ait été mise à contribution par lui, autrement que par accident. J'ai vu sur un livret imprimé à Anvers, sans date, avec îa marque du château d'Anvers (5), une planche où la taille flamande est carrément menée, représentant la madone aux sept épées fichées dans le cœur. Il faut donc se garder de donner aucun sens qui intéresse l'art du dessin à Tépitaphe qui se lisait sur son tom- beau, et à la qualification qu'on lui donnait de premier graveur ou imprimeur de lettres, eerste ktterdruckere. liOuvain. Louvain, capitale du Brabant, Ait, comme Paris, son univer- sité accueillir rimprimerie, s'honorer de loger sous son toit les ouvriers qui la lui apportaient de Cologne et les admettre comme ses suppôts. En 1472, 1475 et t474, Jean Veldener et Jean de Westphalie furent admis dans son corps (6). Ce fut aussi la pre- mière ville des Pays-Bas où la gravure en bois parut associée no- tamment à l'imprimerie. (1) Dictiommire bibliographique du Xf '"'^ siècle, t. I, p. 295. (2) Recherches stir l'origine de l'imprimerie, p. 284. Bruxelles, an VII. (ô) Manuel du libraire, t. IV. (4) Recherches sur la vie et les travaux de quelques imprimeurs belges , n" 1, p. 2. Gand, 1844; in-8". (5) Ouodlibetica decisio perpulchra et dolosa de septem doloribus Chris- tiferae T irginis. Imprcssum Antverpiae per me Theodricum Martini. {Catal. Bibl. Hag., n» 140.) (6) Leur réception est consignée dans le re^yislre du recteur de l'université, qui m'a été obligeamment communiqué par rarchivislc de Louvain, M. Edouard Van Lven. ( 190 ) Jean Veldener, du diocèse de Wurzboiirg, figure sur les regis- tres de Tuniversité à dater du 50 juillet 4473. 11 y a donc lieu de penser que le Belial de l'édition sans date, connue par la lettre adressée de Cologne, le 7 août 1474, à Jean Veldener, maître de Tart d'imprimerie , et jusqu'ici attribuée à Cologne, a été réelle- ment imprimée à Louvain. La lettre indique tout au plus que Vel- dener avait passé par Cologne en venant de Wuzsboiirg, son pays, à Louvain. Mais cette édition est sans gravures; on n'y voit pas même l'écusson de l'imprimeur. Ce n'est qu'en 1470 que Veldener imprima, dans les bâtiments de l'université, le Fasciculus tein- porum à sa marque. Le soin qu'il prend de signaler les planches de ce livre dans le colophon (1) indique Timportance d'auteur qu'il y attachait. Cependant ce ne sont que des copies des planches de l'édition originale, publiée à Cologne en 1474, par Arnold Ther- Hoernen. La différence d'exécution qu'on y peut remarquer con- siste en des tailles plus alourdies et plus nombreuses, avec quelques accessoires de plus, végétaux et édifices. Les petites additions que s'est permises le dessinateur, telles qu'une petite vue du temple de Jérusalem, Templum Domini, donnent une assez pauvre idée de son talent. La vue de Cologne y est réduite à de petites proportions. La figure du crucifix manque. I^e Sauveur de la page 20, copié librement de celui de Ther-Hoernen , placé sur un sol montueux et garni d'herbes, le pied sur le globe, tenant un livre ouvert et enveloppé d'un manteau (pii flotte au vent, montre un dessin plus tourmenté et plus petit, un travail plus avancé de gravure. Les deux écus, à la fin du volume, qui forment la marque de Veldener sont ornés de branchages plus compliqués que ceux de Ther-Hnernen. La notion exacte du Fasciculus de Veldener répond déjà à toutes les conjectures que l'on avait faites sur l'imprimeur de Cologne et de Louvain et que nous avons rapportées, et réfute Popinîon de ceux qui, comme Heinccken, voulaient qu'il eiU rap- porté de Cologne les bois des premières éditions du Spéculum des (1) Per me Johannem Feldener summa diligentia majorique impensa nonnullis additis imaginibus ( l'J« ) |)au\r(.'s, aussi bien que tic ceux qui, conuiie Schoepflein et San- ta ndcr, croyaient qu'il avait pu les graver lui-même. Veldener n'est encore parla qu'un élève de l'école du Rhin, un compagnon des ateliers de Cologne associant la gravure sur bois à la typo- graphie de la manière la plus timide. Veldener publia aussi à Louvain, en 1476, un Formulaire de hllres pour les enfants (i) de Charles Virulus [Manneken, petit homme), fondateur et régent de la pédagogie du Lis de Louvain, et y mit pour illustration une fleur de lis, marque de l'établissement, le castriim Cesaris, marque de la ville de Louvain, et ses écussons ; il plaça encore ici un témoignage de son amour- propre d'artiste : Accipilo hiitc artifici nomen esse magistro Johanni Veldener : eut q. certa manu insculpendiy celandi, in- torculandi , caracterandi assit mdusiria : adde et figurandi et effigiandi et si guid in arte secreti est quod tectius oculitur, etc. Nous avons là une définition, plus précise que celle de Paul de Prague, des opérations qui concouraient à la composition d'un livre avec des planches: la gravure du caractère, la fonte, le tam- ponage et la presse , le dessin et la reproduction des figures. Vel- dener publie qu'il les pratique toutes, même celles dont l'art fait toujours un secret. Cette assurance avec laquelle il parle de lui l'a fait prendre pour un grand artiste. Ce n'est pas d'aujour- d'hui que la hâblerie en impose. Tout explicite qu'il a été sur son art, Veldener fut un graveur sur bois fort inférieur à beaucoup d'autres qui n'ont point parlé. Mais nous le retrouverons à Utrecht et à Kulemburck (2). Jean de Westpualie, de Paderborn ou de Haecken, suivant qu'on lui donnait le nom de sa province, de son évèché ou de son \illage, reçu dans l'université de Louvain, le 7 juin 1474, et qui prend le titre de ingeniosus ariis impressorie vir magister, est regardé par plusieurs auteurs comme le premier qui ait intro- duit l'imprimerie dans les Pays-Bas. Pour nous, il se signale (1) FiruU formulae epistolares, in-fol., décrit par La Sorna; Dictionnaire , III, 455; et Lambinet, Becherches , p. 271. ('-*) Ses livres sont dcciits dans le calaloj;tic de ia Dibliolhèque royale de la Haye, pp. lU et suiv. 1850 j iii-^". ( l!»7 ) d'alxird \y,\v nii Irail (ios ])his curieux dans lo.s nii)ialr>; do>; inipri- meurs et des graveurs. Il prit pour mar([ue sou ])orlrail gravé sur bois, imprimé en noir ou en rouge et placé au beau milieu d'une assez longue inscription qui termine ses livres et ({ui con- tient la mention expresse de cette marque, meo solito signa cou- sigiiando. La tête y est de profil , à longs cheveux, coiffée d'un liant bonnet et se détachant en clair sur un fond ombré. On la trouve sur deux livres : Justiniani inslitutioneSy 1 475 , et /. Fabri Brevia- rium super codicem, 1475 (1). L'innovation ne dut pas être bien accueillie, car on ne trouve plus cette marque sur les livres qui sortirent ensuite de ses presses. Mais limprimeur, publiant, en 1477, les vers du poëtc lauréat Bruni, sur l'arrivée de Maximilien en Belgique et sur son mariage (2) , voulut faire à l'Empereur les honneurs dun portrait et employa les mêmes procédés. Le buste est de profil avec des cheveux coupés carrément sur le front, longs par derrière. Il a une couronne de perles et de petites fleurs; on peut apercevoir quelques traces de collier sur la poitrine et de fourrure sur l'épaule. Les traits bien connus du prince, le menton carré et le nez montueux ne permettent pas d'hésiter sur l'attri- bution. Ce petit bois, remarquable comme le plus ancien portrait gravé de Maximilien, ne l'est pas moins par son travail (5). Il res- (1) Ces portraits sont notés par Hain 4024 et G844. Lambinet a donné un fac- siniile exact du premier, Recherches sur VorUjine de l'imprimerie , p. 216. Bruxelles, an VU; in-8". Cet auteur nous dit que Jean de Westphalie a suivi Tusage pratiqué plus anciennement par les cartiers et graveurs d'images, qui scellaient leurs ouvrages de leur écusson, de leur monogramme, de leur anneau, de leur portrait. Il ne manque à son assertion que les exemples et les preuves de cet usage plus ancien. (2) Ludovici Bruni poetae laureati carmen saphicum ad agendas Beo grattas in adventu illustrissimi domini Maximiliani ducis Austriae navi- gue Burgundiae ducis. Ego Joannes de JFestfalia.... opusculum istud in florentissima universitate lovaniensi impressi féliciter anno 1477; in-4°. (o) M. Visser, qui a remarqué ce portrait comme tous les autres bibliographes, le trouve très-mal gravé. Be Vinvention de l'imprimerie /jar 3Ieerman. Notice des livres imprimés dans les Pays-Bas, p. 258. Paris, Schoell, 1809, in-8°. Lambinet en dit autant. Ces savants auteurs, si attentifs aux chiffres et aux réclames des incunables, avaient les yeux bouchés sur le mérite des figures qu'ils contiennent. ( 198 ) sort en blanc sur fond noir, imprimé d'une encre foncée, mais qui paraît frottée, et tandis que les cheveux et les habits sont d'un contour incertain et anguleux , la léte est dans tous ses traits fine- ment indiquée. Je ne saurais dire où Jean de Westphalie trouva le modèle de cette gravure. Est-ce en Italie, où nous verrons plus tard ([uelquc chose d'analogue, est-ce dans les ouvrages des orfèvres? C'est un travail isolé, le produit d'un art qui hésite dans ses procédés. Mais est-il de la main de l'imprimeur? Troisième question à la- quelle il n'est pas plus facile de répondre qu'aux deux autres. On trouve bien encore parmi les livres nombreux imprimés par Jean de Westphalie deux éditions avec figures : /. Andrcue tractalus super arboribus consancfumitaiis , 1480, et Legenda S. Anne, 1496; je ne les ai pas vues, mais quoi qu'il en soit, elles ne feraient sans doute pas de l'imprimeur un graveur. Un autre imprimeur de Louvain, Egidiusvan der Heerstraten, a été l'objet de quelque attention de la part des bibliographes, parce qu'il avait pris, dans la souscription d'un livre, le titre de Magister artis impressorie qu'il fut obligé d'effacer ensuite, à cause de quelque rivalité de métier (1). Il publia, en 4484 et 1487, un Boccacius de praec lavis mulieribus qui mérite d'être comparé, pour les figures, à celui que Johan Zeiner avait publié en 1473. Je les ai vus tous deux à long intervalle, et tout en reconnaissant que l'artiste de Louvain avait emprunté ses sujets à l'artiste d'Ulm, il m'a semblé qu'il les avait différemment exécutés. Son dessin est négligé, sa taille lourde, mais il y a dans ses attitudes et ses expressions, une modération et une douceur qui doivent être mises au compte d'une autre école. Ses costumes sont aussi d'un autre goût. L'originalité du graveur de Van der Heerstraten s'annonce par 1q grande planche du premier chapitre de pva jiarente prima , où Adam et Eve, dans leur nudité, ont quelque grâce, où les péchés capitaux, c[ui nichent dans les feuillages de l'arbre, ne sont }>as sans gentillesse. Le jardin est planté de grandes fleurs et clos par un nuir surmonté d'une dentelle gothique. On peut enfin recoiniaîlre (1) Lambinct, 1810, t. II, p. 88. { 109 ) lin £;ravour de^ Pays-Bas au travail dos tailles plus nombreuses et plus courtes. Les planches les plus remarquables de l'atelier de Louvain sor- tirent des presses moins connues de Louis de Ravescot. Il publia, en 1488, à l'adresse de l'université, l'ouvrage de Pierre de Rivo sur l'année, le jour et la fête du dimanche de la Passion (i), qui contient quatre grandes planches remarquables, sinon par la taille, qui est assez grosse, du moins par le dessin et l'expression, qui ne peuvent venir que d'une école vaillante. La première planche représente la Vierge avec l'enfant Jésus dans un portique ogival et l'auteur agenouillé devant elle avec cette légende : Adsit ad iîiceptuni sancta Maria mecum^les autres représentent la Cène, le Calvaire et la Résurrection. Le titre porte deux écus, l'un marqué de la fasce de Louvain , l'autre d'un emblème qui doit être de P. de Rivo, professeur de théologie h l'université de Louvain. Lambi- net (2) décrit dans la souscription un autre éeusson et le por- trait de Louis de Ravescot. Je n'ai pas vu cette particularité dans l'exemplaire qui est passé sous mes yeux. Le même auteur cite une planche de l'Annonciation dans un autre livre de Louis de Ravescot : Boni accursii compendinm elegantiarum Laurentit Vallensis; in-i% sans date. Ornxclles. Bruxelles, où les ducs de Bourgogne avaient tenu leur cour, et qui était alors la résidence de Maximilien et de Marie, possé- dait, comme les principales villes des Pays-Bas, sa communauté de librairiers imprimeurs et faiseurs d'images; mais Timprimerie proprement dite y fut apportée par les Clercs ou Frères de la Vie COMMUNE, qui employèrent des planches de bois dans l'une de leurs éditions. Cet ordre, fondé à Deventer par Gérard de Groot, sous la règle de Saint-Augustin, avait, au XV""*" siècle, de nom- (!) Pétri de Rivo opus responsivum ad epistoîam apologieam Pauli de Middelhurgo de anno die et feria Dominicae passionis. 1488, in-fol. Catah BihlHag., nM52. (2) Recherches, p. 279. { 200 ) hrcuscs maisons dans les Pays-Bas et clans la basse Allemagne et des écoles publlcjnes placées sous le patronage de saint Grégoire et de saint Jérôme, qui ont bien mérité des lettres et des arts en se livrant à la transcription des manuscrits (J). Thomas a Kempis, le plus célèbre des calligrapbes , élait sorti d'une de leurs écoles. On est fondé à croire que beaucoup de ces petites estampes anonymes de dévotion, gravées sur bois ou au burin et que leur vulgarité dérobe à toute détermination, sortirent de leurs labora- toires. Ils furent des premiers a pratiquer l'art de l'imprimerie. Le Bréviaire, le Psautier et le Saint-Jcan-Chrysostôme qu'ils impri- mèrent à Val -Sain te -Marie dans le Rliingau et à Bruxelles, sont célèbres parmi les incunables. Suivant Lambinet, il est probable qu'ils apprirent le mécanisme de la typographie à l'université de Louvain, chez Jean de Westphalie, ou plutôt à Cologne, où ils avaient une maison. La souscription d'un de leurs livres imprimés à Bruxelles, en 147G, indique une circonstance curieuse dans l'his- toire de l'impression. C'est que les graveurs de caractères prirent d'abord pour modèles les lettres des manuscrits autographes qu'ils avaient à imprimer (2). Je ne vois qu'un livre sorti des presses des Frères de la Vie commune portant des planches de bois. Elles ne sont pas d'une manière distinguée; mais le sujet d'importation allemande peut servir de point de comparaison pour la reconnaissance d'un groupe de graveurs brabançons qui se signalent par leur goût allemand. Ils ne méritent pas le nom d'école, si l'on ne considère que les rares illustrations qu'ils prêtèrent à Timprimcrie; mais on doit croire qu'ils ne se bornèrent pas là, et chercher les autres productions de leur atelier dans les limbes des anonymes et des inconnus. Légende sanctorum Henrici imperatoris et Kunegimdis impé- ratrice vircjhnim et conjugum^ summa cum diligeniia in famosa civitate Bruxellensi per fratres communes Vite in Nazareth, (1) Lambinel, Recherches sur V origine de V imprimerie, ^. ô'fi]. An. VII; in-S". La Serna Sanlander, Dictiomiaire bibliographique , tom. I, page 517. An. XIII. (2) Ex originali ipsius auloris manu cfflgiatum.... JrnoUli Geilhoren, Gnotosoh'tns sive spéculum conscienliarum. Bruxelles, 147G. ( 201 ) nnno Domini 1484, iii-4" (1). Le premier feiiillcl porte riinnge des deux saillis assis sur le même banc, l'Empereur à gauelie (enanl son sceptre, portant la (iouronne par-dessus son chapeau ; Tlmpé- ratrice à droite avec la couronne par-dessus sa cornette et son voile, tenant une boîte sur ses genoux. Entre eux et sur un petit autel est placé l'enfant Jésus debout vêtu d'une robe longue (pii, de chacune de ses deux mains étendues suspend une seconde cou- ronne sur leur tète. Ces figures sont d'un type assez simple, mais d'un dessin roide et carré; la taille en est faite à gros traits angu- laires avec des hachures espacées, uniformément distribuées et placées jusque par delà le trait carré. Cinq vers latins sont écrits en légende : Po&t mortem carm's socies nos Xpe heatis Tstorum meritis aîque plis precibus. Je ne les cite point pour la beauté de la poésie, mais parce que leur forme oratoire indique l'usage populaire de l'estampe. A la dernière page sont les armoiries impériales : un aigle éployé cou- ronné tenant dans ses serres un écusson écartelé, avec quatre vers flamands en légende. L'examen de ces bois, les seuls qu'on ait encore rencontrés dans les éditions des Frères de la Vie commune, fournit une réfutation suffisante des conjectures qui ont été émises sur la coopération des frères à la gravure du Spéculum et sur leurs accointances avec Veldener. Les planches de la légende des saints Henri et Cunégonde n'ont pas plus de rapport avec le livre des pau- vres qu'avec les livres particuliers de l'imprimeur de Louvain et de Culem])urch. Bi*ug;es* L'influence allemande, provoquée par le mariage de Marie de Bourgogne et prépondérante dans le Brabant, eut ses hmites. Les villes de la Flandre et de la Hollande , plus éloignées que le Bra- (1) Il a été décrit par Lambinet, Recherches, p. 356, comme le septième livre imprimé à Bruxelles. Ce bibliographe a jugé ses gravures sur bois assez bien exécutées. ( 202 ) bant, y échappèrent davantage. Bi'iiges, où l'école des Van Eyck avait laissé des traditions qui ne pouvaient s'effacer, persévéra dans un goiit qui se signalait par des tendances françaises. Ses llhrarlers, dont nous avons vu les anciens titres, se sont immor- talisés par la commande qu'ils firent à Memling d'un tableau pour leur corporation. CoLARD Mansion, Ic scul imprimcuc connu à Bruges dans le i^yme siè(.]e a employé presque exclusivement le français dans ses éditions. Il avait été, dès looi, confrère de la corporation de saint Jean-Baptiste; mais littérateur et calligrapbe plutôt que gra- veur, il préféra toujours les miniatures aux planches gravées pour l'ornement de ses livres; il employa pour initiales des lettres peintes et des traits manuscrits à l'encre de couleur. Cependant, le miniaturiste manquant, ou sollicité par le désir d'une composition plus économique et d'un débit plus facile, lïmprimeur finit par admettre des planches gravées dans l'espace qu'il réservait pour les miniatures. Les Métamorphoses (VOvUle moralisées , grand in- folio, imprimé en 1484, parut avec trente-sept planches seulement, dont dix-sept grandes occupant les deux tiers de la page et qua- torze petites occupant, en hauteur, la moitié d'une des colonnes du texte. L'Ovide de la façon du docteur Thomas Waleys, dominicain, translaté et compilé par Colard Mansion, a heureusement servi de prétexte a des figures toutes nouvelles dans rimagerie gothique, et l'imprimeur nous en avertit dans sa préface : Je vueil premiè- rement par ordre distinxfiier et descrire la forme et figure de ceidx et celles que les anciens par leur simplasse cuidèrent et avec ce creurent estre dieux et déesses.... Combien que par avant lien aye veu aucun acteur ne luivre autentique qui me ait dit ne enseifjnye aucune chose , ne peintre qui en ait aucune sculpture ne ymaige fait, fors que je me suis trais devers très -révérend et très -vénérable maistre Françoys Dupré, poète et grand histo- rien et très-expert en éloquence auquel je me suis conseillye... La gravure sur bois se prête promptcmcnt à l'innovation, et pour excuser la gothicité qu'elle garde dans ses représentations antiques, n'oublions pas qu'elle se met en harmonie avec un texte tout plein d'impropriétés. ( 205 ) Les grandes plnnches représentent des sujets mythologiques avec des personnages actuels dans une mise en scène flamande : Saturne sur son trône entre Jupiter, Junon, Neptune, Pluton et Vénus : Jupiter lui doit coper les génitoires desquelles il sourt une joue pucelle nommée Vénus; Paris enlevant Hélène; du Roi Pompilius et de la Fondation de Rome. La grande dimension de ces figures ne fait quaccuser mieux la petitesse du dessin et la niaiserie de l'expression ; mais les formes y sont plutôt épaisses que tourmentées et les airs plutôt plats que grimaçants. Les cos- tumes des femmes sont à la mode bourguignonne avec robes à manches, chaperons pointus, cornettes rabattues et patins. La gra- vure en est peu avancée, les traits pesants, sans manquer d'adresse, sont renforcés de rares hachures, de petites tailles, et quelque- fois de points qui ne produisent aucun effet d'ombre, mais ils décèlent rentenle des plans et des lumières. Les terrains sont quel- quefois semés de plantes rudimenlaires et quelquefois émaillés de parties noires dans les carreaux du pavé ou les chaussures des personnages. Ces caractères, si j'ai su les lire, contrastent avec ceux de la gravure allemande. En cherchant, daillcurs, la ma- nière flamande dans ces bois, il ne faut pas oublier que le graveur n'y donnait pas toute sa force, parce qiVils étaient le plus souvent destinés à être relevés par une enluminure qui n'était point, comme Teniuminure allemande, un simple lavis à rehauts, mais une vé- ritable miniature qui ne laissait plus rien voir du trait gravé. Les petites planches représentent la suite des principaux dieux et déesses, Ces figures restent fort épaisses, malgré leur prétention à la gentillesse, mais n'en sont pas moins piquantes comme exhi- bition du premier Olympe flamand : Comment Vénus doit estre figurée et de ses inclinations; la déesse au milieu de suivantes nues se donne des grâces sous la cornette. Dyane est vétuc d'un corsage étroit et d'une longue jupe à retroussis, P/t. TOJIE X. 14 ( 210 ) saint Anastasc traîne par nn cheval jusqu'à un saint roi étranglé par deux femmes. Le (ravail de celle planche est assez primitif; sa dimension dépasse le texte , et l'on dii'ait que l'imprimeur a pro- lité d'un hois destiné à une image isolée; elle présente enfin cette particularité qu'elle est imprimée des deux côtés du papier. Utrecht n'est pas autremciit mémorahle dans les annales de rimprimerie; et nous pouvons suivre, à Culemhurch, ville de Hollande peu éloignée, Veldener, qui y transporta ses presses et y publia quehfues livres d'une importance capitale dans l'his- loire de la gravure. Le plus célèbre est le Spéculum en hollandais, (le Spiegel OJiser hchoudeinsse , petit in-quarto de 1485 (1), où il inséra les cent seize bois du Spéculum j après les avoir dédoublés pour les adapter à son format et en y ajoutant douze autres planches de même dimension. Cette édition était, en outre, distin- guée par la marque à deux écussons de l'imprimeur (:2) , par une initiale lleuronnée et par une planche tinale représentant le buste de David, au-dessus des tables de la loi, au bas de lacpielle sont trois écussons : Culemhurch , Ostenriich, David. Le point le plus délicat de la controverse soulevée par cette édition porte sur les douze planches qui ne se trouvaient pas dans le Spéculum xylogra])hique. Comme elles y sont disposées de la même manière, mêlées avec toutes les autres, qui ne sont pas d'une parfaite homogénéité entre elles, et qu'elles ne présentent pas de différence de travail très-sensible, Veldener les a faites, a-t-on dit; donc il a pu faire les premières, donc il est le graveur du Spéculum et des autres livres des pauvres (3). Le raisonne- (1) Calai. Bihl. Hag., p. 209, n"537. On en elle deux exemplaires, fun à Harlem, Tautre chez lord Spencer. J'en ai vu un à la Haye et un autre à Bruxelles. (2) Sur l'un est un triangle surmonté de girouettes en croix qui doit appar- tenir à Culemburcli; sur Tautre le nom de Veldener. L'imprimeur variait un de ses écussons suivant la ville où il imprimait et les laissait quelquefois vides. Il a varié même, sous ce rapport, les exemplaires d'une même édition : dans l'exem- plaire du Spiegel qui est à la Haye, le deuxième écu est vide; dans celui de Bruxelles, il porte le nom de Veldener. (•3) Heinecken , Meerman, les auteurs intéressés à soutenir l'origine alle- mande des livres des pauvres, aussi bien que ceux qui les disaient hollandais, ( 211 ) ment n'est pas rigoureux. Les planches du Spéculum forment une telle exception dans ce qu'on peut appeler l'œuvre de Veldener, en y comprenant toutes les gravures insérées dans ses livres, qu'il est évident que l'auteur de celles-ci no peut avoir fait les autres. La conjecture la plus plausible, c'est qu'il les aura achetées du fonds d'un ancien printer. Quant aux planches de supplément, si, comme il parait, elles sont de la même main que les premières, avec cette seule infériorité d'un travail à la suite et plus négligem- ment imprimé, rien n'empêche de croire que Veldener les a eues de la même source, alors qu'elles n'avaient pas été utilisées. La déchéance où tombèrent les livres xylographiques par la décou- verte de l'imprimerie vient donner à ce fait beaucoup de proba- bilité. Ce qui nous reste à dire des autres livres de Veldener achève la démonstration. La même année que le Spiegel parut, à Culemburch, V Histoire de la Sainte Croix, en hollandais (1), qui est encore un livre des pauvres, en ce sens que les gravures y ont plus d'importance que le texte. Il contient soixante-quatre planches imprimées au recto et au verso, de trente-trois feuillets, portant un quatrain hollan- dais en légende, et représentant les scènes variées de l'bistoire légendaire de la croix, depuis Adam et Seth jusqu'à l'offrande de la relique faite à l'autel par des négociants. Dibdin a cité et reproduit comme spécimen la scène où Seth met son père au tombeau. Je citerai de plus, comme caractéristiques du travail, les Trois Arbres dont se composait le bois de la croix et le Martyre d'une sainTe attachée nue à une colonne et fouettée par un bourreau vis-à-vis d'un évèque et de trois personnages : ce sont ces planches que Heineckcn, et après lui M. Guichard et 3L Harzen, ont voulu rap- procher de celles du Specidnm. J'ose dire qu'ils ne les ont vues qu'à ont reconnu que les douze planches ajoutées par Veklener aux cent seize des édi- tions primitives étaient du même travail. Dibdin {Bihliotheca Spenceriana , t IV, p. Î86) les a jugées différentes. (1) M. Guichard {Notice sur le Spéculum, p. 53) indique ce livre d'après Hain (n» 8717), qui ne fait que le citer, Heinecken, qui en a donné une des- cription sommaire {Idée générale , p. 461), et la Bibliolheca Hulthemiana , t. I ,p. lUj n' 191. C'est cet exemplaire de Van Hullhcm que j'ai vu à Bruxelles. ( 21i ) une distance tout à l'ait trompeuse. La dimension est à peu près Ja même que celle du Spéculum, mais c'est le seul rapprochement (}ue Ton puisse faire entre elles. Les planches de \ Historié van het Heilige Kruys nont j)as d'encadrement ogival, les ligures sont disproportionnées à la scène et les tètes aux figures; le dessin est lourd, détestable aux extrémités, donnant aux airs une précision uniforme; la taille manque absolument d'adresse ou du système qui en tient lieu quelquefois; il semble bien que l'artiste a voulu faire ses arbres naturels, ses plis ombrés, ses cheveux frisés; mais il échoue dans tous ses effets. Il est enfin gauche même dans les fleurs du terrain et les ornements gothiques où excellait toujours le gra- veur du Spéculum. Il y a donc entre ces deux ouvrages la dislance d'une époque et de plus celle dun art tout entier. Je n'oserais même attribuer les planches du livre de la croix à Veldener; car il me semble que pour peu qu'il fut artiste et qu'il se fût proposé l'imitation des gravures du Spéculum qu'il venait d'imprimer, il aurait mieux réussi. Bref, on ne voit dans ces gravures ni les rudiments qui seraient les indices d'une école à son début, ni l'avancement qui serait le résultat d'un exercice prolongé du mé- tier. L'on peut conclure que si Veldener fut graveur, ce n'est que dans l'acception la plus restreinte : imprimeur, il fit comme beau- coup de ses confrères, il prit ses planches de toutes mains , tom- bant quelquefois sur des ouvrages de maître et réduit souvent à des ouvrages de compagnon apprenti. Il offrit un dernier exemple de cette discordance dans le Kruidboeck in dyctsche, qu'il im- prima à Culemburch , en 1484 (1). On y trouve pour frontispice le bois du Spéculum qui représente l'arbre de Jessé ; dans le corps du livre des figures de plantes qui sont la copie en sens inverse de celles de Y Herbarius de Mayence, et pour colophon encore un bois du Spéculum, le péché d'Adam et Eve. (1) Catal. Bibl. Hag., n'' 558. Il y a aussi, à la bibliothèque de la Haye, Pédi lion en latin de cet /rcr6arm5 donnée, la même année, par Veldener; mais on n'y trouve plus les planches du Spéculum. ( 213 ) Barleiii. Qaollcs que soient les traditions sur un atelier primitif d'im- primerie et de gravure fondé à Harlem par Coster, parmi tous 1rs livres et les fragments de textes rattachés à cet atelier par les bi- bliographes partisans de sa cause, il n'y a pas, le Spéculum mis à part, un seul spécimen de bois taillé en image, lettre ornée ou enseigne. Jacob Bellaert fut le premier qui les inaugura, en 1484, avec son enseigne typographique placée sous les armoiries de Harlem, genre de marque particulière aux Pays-Bas : un dragon ailé tenant un écu dans un portique surmonté d'un entrelacs où se suspend 1 ccu armorié de la ville : une épée surmontée d'une croisette entre quatre étoiles (1). Les ouvrages publiés par Bellaert, avec planches, sont en assez grand nombre. Le plus ancien serait un Dat Liden ende die Pas- sle, de 1485, avec trente-deux planches (2), qui ne sont que la reproduction des planches d'un livre imprimé par Gérard Leeu, à Gouda, en 1482. Dès ces premiers essais, les imprimeurs font des échanges qui rendent difficile à faire la part de chaque atelier. Voici ce que j'ai vu de celui-ci : Boec des Gulden Throens, 1484 (5). W a quatre planches qui se répètent cinq ou six fois en tête des vingt-quatre chapitres, et qui ne sont que des variétés de la même scène ascétique que j'ai déjà décrite d'après les planches de l'édition d'Utrecht, dont celles-ci no m'ont paru présenter qu'une reproduction ou une copie. Bellaert avait publié aussi, après Gérard de Leempt, une édition du Sielen Troest; mais on ne voit pas dans la description de M. Iloltrop que ce livre ait d'autres gravures que sa marque. Der Sonderen Troest ofteprocess tusschen Belial ende Moyses , (1) Cette marque est reproduite dans les Recherches bibliographiques sur quelques impressions néerlandaises , par Dupuy de Montbrun. Leide, 1850; in-8°. (2) Il n'est point à la Haye et n'est cité par aucun bibliographe; mais je l'ai aperçu dans la bibliothèque de M. Enschedé, à Harlem. (ô) Catalog. Biblioth. f/ag., n" 16. ( 214 ) i 484 (I). Sans m'occnper de savoir jusqu'à quel point les plan- ches sont, pour rinvention, la copie de celles que le livre de Jacques de Theramo avait eues déjà en Allemagne, je suis assuré qu'elles sont originales par l'exécution. La première , placée en frontispice et de toute la grandeur de la page, est la réunion de plusieurs scènes, le Baptême du Christ à l'angle inférieur de droite, le Passage de la mer Rouge au milieu, le Déluge au fond, et en haut la Chute des anges rebelles et le Péché d Adam et Eve. Les autres forment une suite occupant la demi-page du texte à lon- gues lignes en tète de chaque chapitre. La taille en est pesante, mais réservée dans les mêmes petites proportions que nous ver- rons désormais caractéristiques de l'école hollandaise. On ne voit pas ici que le dessinateur ait tiré parti des sujets singuliers du livre ; il a pourtant montré sa vaillance dans la scène où le diable vient plaider la cause de l'enfer devant le roi Salomon siégeant à coté de son greffier; et l'imprimeur, content de cette planche, l'a répétée en tète de plusieurs chapitres, pour tous les tribunaux où le diable vient porter sa plaidoirie. Boeck van den Proprieleyten der dinglien, L48Ij (2). L'encyclo- pédie du moine anglican Barthélémy de Glanville avait été, avant cette année, imprimée plusieurs fois, en latin et en français, à Co- logne et à Lyon; mais les éditions de Cologne n'ont pas de planches et celles de Lyon ont des planches différentes. Maître Bellaert était de Zerixzee; on se convainc en voyant les figures qu'il donna à son édition, que s'il ne les fit pas lui-même , il les obtint d'un vail- lant artiste tout près de lui. L'artiste a donné dans ses planches, occupant la page entière et en douze tableaux, toute rencyclopédie : i° le lion, la porte et répée de Harlem au milieu de rinceaux de feuillages et de fruits où courent des hommes, des singes, des quadrupèdes et des oiseaux; 2° Dieu sur le trône dans un triple cercle rayonnant et un carré tout noir; 3" la chute des anges: ils sont précipités sous la forme d'animaux diaboliques dans une eau entre des rochers au-dessous (1) Catal Bihliolh, Hag., n» 17. (2) Ibid., n» 18, Brunet parle d'une édition hollandaise de 1479, mais il n'y indique pas de figures. J'ai vu celle de Cellaert à Paris , à la Haye et à Harleni. ( 2i;; ) (lu troiip (lo Dieu; i" In crc'ntion de la femme : elle est représentée nue , les jambes éeartées, clans l'enceinte du paradis et au-dessus de 1 homme debout, les mains étendues, le ventre ouvert pour montrer les viscères; 5" la vie humaine représentée en plusieurs comparti- ments, où Ton voit successivement les jeux de l'enfance, la chasse, la conversation, la maladie, la chirurgie et la mort; 6" la terre au milieu des cercles détoiles cantonnés d'anges; 7" les douze mois représentés en médaillons; 8° les oiseaux; 1)" les poissons; 10° une ville fortifiée entourée d'eau, avec un fond de rivière qui serpente très-curieux de perspective; 14° les végétaux; 12° les animaux. La nouveauté et la grandeur de ces compositions n'échapperont à personne. Le style n'en est point élevé ni spirituel, mais il est sérieux; les figures à longue stature avec des têtes sans agrément ont des mouvements naturels, des costumes vrais. La gravure par- cimonieuse, mais variée et intelligente dans la perspective, a des tailles courtes, horizontales, quelquefois trop symétriques, quel- quefois trop grossières, mais elle atteint, dans quelques planches, une grande supériorité. Le tableau des douze mois montre un mou- vement et une souplesse de taille remarquables, le tableau des végé- taux présente une grande variété de plantes naturelles et cultivées l'endues avec une finesse, une légèreté et un amour qui suffiraient seuls pour prouver la patrie du graveur. Enfin, l'exécution géné- rale de ces planches démontre une filiation directe des livres des pauvres. On y trouve les bonnes habitudes et les procédés de l'école hollandaise, le dessin pur, la taille sobre, la disposition par compartiments, les impressions d'un seul côté et jusqu'à l'en- luminure légère à teintes jaunes, vertes et violettes. Dans aucun autre pays, nous l'avons vu, les graveurs sur bois ne travaillaient ainsi, ceux mêmes que nous venons de voir en Flandre ont des (pialités apprises qui ne se trouvent point ici. Après son Propriétaire universel, Bellaert voulut faire son his- toire ancienne, et il en emprunta le texte à la littérature française : Historien van Troijen , 1485 (1). C'est la traduction du recueil (!) Brunet est le seul auteur où Ton trouve celte édition citée; la mention qu'il en fait est des plus succinctes et sans indication de figures. L'exemplaire ( iilfi ) mythologique ctclicvalcrcsqiie sur les malheurs de Troie, de Raoul Lefcvre, chapelain du duc Philippe le Bon. Ce livre avait été, dès i4G4, l'objet de beaux manuscrits à miniatures, puis d'une édition imprimée sans date et sans nom de ville ni d'imprimeur; mais on le prend pour le premier livre imprimé en français et aux frais du duc de Bourgogne, suivant les uns, par William Caxton, qui le tra- duisit ensuite en anglais, et, suivant les autres, par Ulric Zell à Co- logne, vers i46G (1). Il reçut ses premières illustrations (2) dans le pays où avaient été exécutés les manuscrits, où florissaient des corporations de faiseurs d'images, et le graveur n'eut rien à em- prunter au dehors; même dans les sujets où l'invention ne lui appartient pas , il garde son originalité. Le frontispice, visiblement imité dune miniature, est entouré d'une vignette à rinceaux fleuris animés d'oiseaux, de singes à cheval sur des monstres et d'un buste de hallebardier, taillé avec beaucoup d'adresse et de liberté. Il représente le duc de Bourgogne vêtu d'une robe ouverte et trahiante, portant les cheveux longs, un chaperon à plumes et le collier de la Toison d'or; l'auteur lui pré- sente son livre en fléchissant les genoux. Derrière ces figures, on voit un tronc d'arbre où est suspendu un écu à bande échiquetée et, dans le fond, un rivage avec deux personnages : l'un debout, qui paraît être encore le duc, et l'autre monté sur une embarcation. Le style de ces figures frappe d'abord par la longueur et la maigreur des membres, la mesquinerie des expressions. Leur manière s'ac- cuse davantage encore par la taille faite en hachures horizontales mêlées à d'autres toutes en points. La suite des planches placées en tête des chapitres et occupant la largeur des deux colonnes du texte (5), a des figures plus petites que j'ai vu est à la Bibliothèque nationale, où on le retrouverait peut-être sous la cote Y^ (454). On y voit à la fin du deuxième livre et au colophon la marque de Bellaert et de Harlem. (1) Bernard, De V Origine de l'imprimerie , t. II, pp. û63 et suiv. (2) Brunel indique une édilion de Jacques Maillet, 1484, avec des figures en bois ; mais ce n'est sans doute qu'une erreur de date. (ô) Les initiales sont rubriquées avec quelques ornements , et le rubricateur a voulu aussi mettre la main à quelques planches en touchant de son pinceau les branches de quelques figures. ( 217 ) OÙ cette mesquinerie de style est corrigée par une naïveté plus grande et par la variété de la composition. Les sujets, tous affé- rents au texte de cette Iliade gothique, présentent le plus sin- gulier pot pourri. On y voit, au premier livre, le Couronnement de Saturne par les mages de lilc de Crête, dont la mise en scène est d'une puérilité primitive; son Mariage avec sa sœur Cybèle, la Naissance de Jupiter, Persée délivrant Andromède, Hercule étouf- fant les serpents, deux dragons énormes qui grimpent à son ber- ceau en présence des deux mères effrayées; puis de nombreuses batailles disposées en scènes plus simples dans un champ plus étendu, où le paysage tient plus de place que dans les batailles des livres italiens ou français. Le deuxième livre est occupé par les combats d'Hercule; le plus remarquable est le combat contre trois lions , où le héros, les lions et les fleurs du terrain ressortent en blanc sur un fond tout noir. Cet elïet, imité des gravures intcrra- siles, se retrouve dans quelques planches. Le troisième livre est rempli par les sujets de la construction et de la destruction de Troie, avec force répétitions de batailles, sans qu'il y manque le cheval entrant sur ses roulettes au milieu des maisonnettes qui représentent Ilion. L'artiste a été mieux inspiré dans une scène mythologique qui s'intercale au milieu de ces sujets d'histoire : le Jugement de Paris. Ce bois est taillé avec autant de fermeté que de délicatesse, et la composition en est heureuse. Dans un paysage bouché d'arbres au feuillage divers, et traversé par un ruisseau avec des bords en zigzag tout garnis de fleurs, Mercure s'est en- dormi à droite, à côté de son cheval attaché à un arbre, et Paris, en longue robe et haut bonnet, tend la pomme à la première des trois déesses rangées devant un monticule à gauche. Elles ne sont velues que de leurs pantoufles et de leurs hennins, dont le voile transparent descend sur leurs charmes; elles sont également ris- quées dans leurs formes, mais sans perdre ce grain d'élégance qui appartient à l'école. Si la distinction de l'école hollandaise ne perçait pas dans les naïvetés du dessin et dans les pratiques de la taille, on la retrouve- rait encore dans les costumes bourguignons, les jaques courtes et les robes traînantes, les bonnels à plumes, les souliers à longs ( 218 ) Lors, les jupes à plis, les boiiiTclcts on pointe ol a long voile. Epistelen ende Evangelien metlen sermoenen, 1486 (I). Ce vo- lume, de format petit in-({narto, a une suite de planches occupant les trois quarts de la pai^e à longues ligues. Les sujets de la vie du Christ qui y sont traités amènent quelquefois des compositions intéressantes : le Massacre des innocenls avec ses petites figures disposées dans une campagne et proprement costumées; les iVoces de Cana, où la table est précieusement mise, on Jésns, la mariée à côté de lui, se tenant les mains dans ses manches, et le serviteur qui verse le vin, posent excellement dans leur naïveté; la Présen- tation au temple, où le petit Jésus paraît debout sur Tautel entre deux colonnes; la Cène disposée en composition circulaire, dont rexéeution n'est pas moins remarquable par son système de tailles et de hachures toujours petites quoiqne assez variées. Là comme dans le dessin, on surprend encore la tradition des anciens maî- tres hollandais et les graveurs des livres des pauvres. Doctrinael des tyts , 4486 (2). Le Doctrinal du tem})s présent de Pierre Michiel ou Miehault, secrétaire du duc Charles de Bourgo- gne, avait été d'abord écrit en français et imprimé à Bruges i>ar Colard Mansion; mais cette édition n'a pas de gravures. II avait été aussi imprimé à Lyon, et cette fois-ei avec des figures qui ont pré- cédé celles de l'édition hollandaise, et qui ont été vues peut-être par le graveur de latelier de Bellaert. On peut le supposer en voyant quelques scènes composées de la même manière, et la taille prendre ici une largeur et une rapidité qu'elle navait pas dans les livres précédents; l'exécution de ces planches est, du reste, si exer- cée et si bien d'accord avec le style de l'atelier que nous connais- sons qu'on peut les tenir pour originales. Elles forment une suite de divers sujets, dont quatre se trouvent répétés, et qui occupent la page entière de format petit in-quarto. Ils représentent d'abord lAuteur offrant son livre au duc de Bourgogne, et lAuteur mené par la Vertu dans son jardin; puis les douze Ecoles souterraines où (1) Catal. Bibl. Ha(j., n» 19. (3) Ibid.y n» 20. Brunet, qui décrit les éditions de Bruges et de Lyon, n'a pas connu celle-ci. ( 219 ) il assiste aux diverses doctrines, et enfin l'École de la vertu où siè- gent Justice, Prudence, Tempérance et Force. Le Doctrinal, ainsi que plusieurs des livres précédents, ne portent pas le nom de Bel- laert, mais on y a reconnu ses caractères, et il y a la même grande marque que nous avons décrite en commençant. Le dernier livre tité de l'atelier de Bellaert est le Boeck van den Pelglieryuij 148C (I), autre production d'un poëme français du bernardin Guillaume de Guilleville, qui avait été imprimé d'abord à Lyon avec des gravures. Ces rapports avec une école française, dont nous verrons la fécondité, sont d'autant plus à re- marquer, que l'on n'avait guère vu jusqu'ici les imprimeurs bol- landais que les yeux tournés vers l'Allemagne; nous en trouverons d'autres exemples. Les petits bois qui illustrent l'édition de Bel- laert ne sont pas proportionnés au format in-folio et ne s'adaptent au texte en deux colonnes que par leur juxtaposition, d'où l'on peut induire qu'ils ont été faits pour une autre édition. Ils ne se distinguent pas par leur exécution , qui reste plus pauvre que celle des livres précédents, et quant aux sujets, je n'ai remarqué que la figure du pèlerin endormi. Nous les retrouverons en plus grand nombre dans une édition du livre donné àDelftpar un autre imprimeur. Je viens de produire les titres de l'un des ateliers de taille de bois les plus vaillants de la Hollande. Qu'on en fasse l'attribution à Bellaert l'imprimeur, ou, ce qui est moins conjectural, à un maître inconnu de quelque corporation de faiseurs d'images, il appartient bien à Harlem. C'est peut-être l'argument le plus puissant qu'on puisse faire valoir en faveur de l'opinion qui fait venir de cette ville le Spéculum des pauvres, et je ne vois pas que les fauteurs de cette tbèse s'en soient avisés. Meerman n'a fait que citer Bellaert en mentionnant quelques-uns de ses livres sans y indiquer des ligures; le dernier et le plus cbaud des avocats de Harlem ne l'a pas même nommé (2). H doit désormais être mis au rang des impri- meurs qui ont le plus contribué à l'avancement de la gravure. (1) Catal. Bihl IIag.,no^]. (2) Bernard, De l'Origine de l'imprimerie , t. H, p. 421. ( 220 ) iteirt. A Delft, où Jacob Jacobszoon et Maiiricius Vemantszoon avaient imprimé, dej3uis 1477, une Bible en hollandais et plusieurs livres vulgaires qui n'avaient dautres planches que la marque des li- braires et les armes de la ville , on voit bientôt les livres popu- laires se garnir de gravures. A leur marque et à leurs caractères, on les juge du même atelier place sous le nom de Jagobsz. v. d. Mier, mais ils ne portent pas d'ailleurs de nom d'imprimeur. Le premier que j'aperçois est la Somme rurael, 1485 (1), tra- duction du livre de droit coutumier de Jean Boutillier, conseiller du roi à Paris, qui avait été imprimé à Bruges en 1479 par Colard Mansion. Il ne contient qu'une planche occupant la moitié de la première page in-folio, mais elle est d'un grand style : le roi y est représenté sur son trône, le globe à la main, entre deux groupes de courtisans. Ces figures ont d'excellentes attitudes, des physiono- mies expressives, des draperies correctes. Le graveur montre son habileté jusque dans le tapis, dont les ornements ressortent en blanc sous les pieds des personnages. Le volume porte, en outre, un S. initial élégamment fleuri et, à la fin, pour enseigne deux écus soutenus par un lion, l'un aux armes du duc, l'autre marqué de trois feuilles. Le livre le mieux fait pour recommander les presses de Jacobsz. fut un Passionael de J. de Voragine, en deux parties : Winter Sluck et Somer Sluck, 1487 (2). Il y a dans chacune de ces parties une grande planche de frontispice qui représente l'imprimeur agenouillé, le chaperon sur l'épaule, devant une femme assise à son pupitre, et deux suites de sujets de la vie des saints de deux gran- deurs sur deux colonnes de texte ou sur une seule : ces planches montrent dabord tant de supériorité de composition qu'on pour- rait les décrire toutes; le style en est sérieux, le dessin ferme, le (1) Catal. Bibl. Hag., p. 1G4, n" 436. (2) Catal. Bibl. lîag., n" 44 L II y en a une édition antérieure , n" 438, qui n'est pas coniplôle et qui paraît contenir moins de fi^jurcs. ( ^21 ) sujet ordonne avec maîlrisc. La taille, même grosso} ée et souvent négligée, surtout dans la seconde partie, laisse toujours ressortir ces qualités pittoresques. Je me borne à citer parmi les grandes pièces de la partie d'hiver : le Christ debout sur le globe ayant devant lui l'agneau, et de chaque côté deux anges qui tiennent le j)allium et deux groupes de saints; les Quatre Saints couronnés, saint Martin, sainte Catherine encadrée de rinceaux; la Nativité, le Massacre des innocents entre des pilastres ogivaux; la Tentation de saint Antoine, la Présentation au temple, la Conversion de saint Paul, saint Hubert. Dans ces dernières surtout, les figures s'arrangent avec une verve étonnante; le paysage esrt bien com- pris et les costumes sont des plus intéressants. Dans la partie d'été, les pièces les plus remarquables sont saint Georges, l'Invention de la croix, le 3Iartyrc de saint Jean, le Martyre de saint Érasme, les Onze mille vierges. A côté de toutes les pauvretés qu'étale la gravure typogra- phique, on ne s'expliquerait pas la distinction des planches de cet atelier, si l'on ne songeait à l'école de peinture qui florissait h Harlem dans le même temps. Ce ne sont pas ici, comme dans les livres des pauvres, de simples rapports de traditions avec l'école Van Eyckiste, ce sont des modèles directs qui paraissent l'ournis à nos graveurs par Dicrick Stucrbout et par Gérard de Saint-Jean. C'est ainsi que l'une des planches que nous venons de citer dans la seconde partie du Passionael de Jacobszoon a la })lus grande analogie de composition avec l'un des tableaux les plus connus de Stucrbout, le Martyre de saint Erasme. Deux autres livres de Jacobsz., Die Vier Uterste, 1486, et Evan- gelien eiide Epistolen , 1486, conservés au musée Meerman Wes- trenin de la Haye (1), portent des gravures qui ajoutent à la part (1) Ils sont décrits par M. Hollrop, p. 246, n"' 620 et 627, mais ne sont point aussi abordables que les livres de la Bibliothèque royale , dans la maison retirée où leur ancien possesseur a voulu les renfermer avec plus de soins pour leur conservation que de facilités pour leur élude. Le musée Westrenin n'est ouvert au public qu'une fois le mois. Je ne connais des Évangiles que l'édition de 1488 qu'on verra plus loin, et des Quatre Fins que l'édition de 1489, qui ne contient } Catal. Bibl. Hag., n° 405. ( 225 ) Jurande planche représente raulc'ur en pèlerin, eoiffé d'un bonnet l'ourré, le bâton à la main, dans une campagne ayant en vue la Jérusalem céleste ; et dans la suite des petites planches , nous le voyons, au milieu des aventures de son pèlerinage, escorté par sa dame, Grâce de Dieu, et enfin au lit dagonie, où la mort, une femme coiffée d'un turban, armée d'une faucille et portant une bière sur lépaulc. lui monte sur le corps. Nwolle. La ville de Svvoîle , déjà célèbre par l'atelier du Maître à la na- vette, devint, grâce aux presses de Peter Van Os ou Peter Os van Breda, Tun des magasins les plus féconds de la gravure sur bois hollandaise. Dès 1480, cet imprimeur publia un psautier latin, où l'on note des figures et sa marque, et jusqu'en 1500, il ne cessa de produire des livres en hollandais, auxquels était dévolue l'illus- tration : les Gestes des Romains , la Consolation de rame, les Evangiles et Épîtres, la Vie de Jésus-Christ, la Vie des Pères, le Passional , le Livre de la Mort et les Sermons de saint Ber- nard. La marque de ces publications est d'abord un grand écu à la croix de la ville, tenu par un ange dans un cadre cintré, et ensuite deux petits écus suspendus à un chicot et marqués l'un de la croix, l'autre d'un sigle particulier à l'imprimeur. On ne rencontre pas dans les nombreuses gravures qui ornent ces livres le degré d'originalité que présentent ceux de Harlem et d'Utrecht; quelques-uns, cependant, parmi les plus anciens, méritent d'être décrits. La circonstance la plus digne d'attention , c'est que l'im- primeur employa, à diverses reprises, des bois ayant appartenu à la Bible des pauvres : il les avait acquis de la même manière que Veldener avait acquis ceux du Miroir des pauvres. L'entourage qu'il leur donne prouve également qu'ils sont plus anciens que son temps. L'emploi de vieux bois est un fait si commun dans les imprimeries en Hollande comme ailleurs, qu'on ne peut plus s'en étonner. Le livre Der Sielen Trost (1). imprimé par Peter Van Os, en (1) Catal. Bihl. Hag., n» 488. Tome X. 15 ( na ) 1485, a cinq planclies, dont la première représente Moïse, le Sei- gneur et le veau d'or, avec quelques figures éparses et grossiè- rement taillées dans un champ vide ; les suivantes ont plusieurs sujets inégalement composés, les uns en petites figures, encadrés dans des compartiments h arcades, les autres, en plus grandes figures, isolés et remarquables par une large exécution au trait que l'imprimeur ne conserva pas dans ses bois postérieurs. Ces sujets sont tous pris dans le livre, qui n'est qu'une explication du Décalogue en exemples interprétés par un clerc à un jeune homme. La plus grande originalité de ces bois consiste dans leur disposition en sujets multiples pour la même planche, disposition évidemment imitée de la Bible des pauvres et qui est particulière aux graveurs de ce pays. C'est dans le Der Bien Boeck, 1488, version hollandaise du Liber Apum du moine de Cantimpré, que l'on signale pour la première fois l'emploi fait par Peter Van Os de deux bois de la Bible des pauvres (1); on en pourrait trouver dans d'autres, tels (jue les Vies des Pères, 1490, et le Livre de la Mort, traduction et copie de VArs moriendi, dont Peter Van Os publia deux éditions en 1488 et 1491 (2). Mais celui de ses livres où ils sont ramassés en plus grand nombre est Die Passye ende dat Leden ons Heren Jhesu Cristi mitlen figuren, 1483 (5). A l'exception de la planche de titre, qui offre Jésus sous le pressoir mystique, toutes les plan- ches de ce livre sont celles de la Bible des pauvres. Limprimeur n'a fait que les scier, y compris les petites figures des prophètes, en supprimant seulement les légendes. La seule différence qu'on y peut apercevoir provient de l'impression, qui est ici en encre noire et pâteuse. Le Passionaelc ofte Gulden Légende mitlen marlirologium y 1490 (4), ne contient, dans les 415 feuillets de ces deux parties, (1) Ils ont été reproduits en fac-similé par M. Sotheby, Principia typogra- phica the Block Books , vol. 1 , pi. XLIII, p. 191. London, 1858; 5 vol. in-4". (2) Cnt. Biblioth. Hag.. n"' Gô3 et 500. On peut trouver cette dernière à la Bibliothèque nationale. (•■>) Ihid., n ' 41)4. (4) Ibid.. n'^ 498 et 004. Les deux parties sont à la Bibliothèque do Bruxelles. ( ^27 ) ({n'unc dizaine de planches. La première est empruntée au Pas- sionael de Veldener que nous avons décrit et suivie d'un H initial à grandes fleurs dans le goût des initiales ramifiées du même imprimeur. Les autres, occupant tantôt la page entière comme celle-ci, tantôt la demi-page, ne se font remarquer que par l'appe- santissement de la taille et la dégénérescence du dessin. J'en cite- rai deux: La Salutation angélique; ces longues figures, lourdement dessinées et empêtrées dans leurs vêtements, appartiennent à la plus ancienne manière des tailleurs de bois hollandais. On ren- contre cette planche dans plusieurs autres livres de Peter Van Os. Un iconographe qui la cite, en décrivant un volume de 1490, Dat Vader Boeck, que nous venons de mentionner, la rapporterait à la date de 1475 (1). Hérodiade portant le chef de saint Jean sur la table oii son père et sa mère sont assis. Ici c'est le dessi- nateur qui l'emporte, et on aperçoit sa recherche des formes et du costume à travef s la grossièreté de la taille. Ce n'est pas seulement à la Bible des pauvres que Peter Van Os emprunta des bois; la planche de titre de son livre de Passion et plusieurs planches de son Passionael , que nous venons de voir, avaient déjà paru dans la Vie de Jésus-Christ imprimée, en 1482, par Gérard Leeu, à Gouda. La file de martyres en frontispice du même Passional avait déjà figuré dans celui de Veldener à Utrecht, et nous trouverions bien d'autres emprunts dans les livres qui vont suivre, si nous n'étions entraîné ici par le courant d'un travail plus général. Les bois les plus nombreux et les plus mêlés se rencontrent dans les Sermones Bernardi, in duytsche, 1495 (2). La grande planche de frontispice représente saint Bernard la crosse à la main devant la Vierge, qui lui présente le sein droit, et l'enfant Jésus nu debout sur un coussin. Jésus prend une fleur de ses mains. Les deux figures divines sont vues à mi-corps dans une fenêtre; sur l'appui sont le livre du saint, le coussin et un vase, (1) Recherches bibliographiques sur quelques incunables précieux de la bibliothèque de M. le duc d' Jrenberg , p. 34. Gand, 1849; in-8». (2) Catal. Biblioth. Hag., n" 504. CeUe édition est décrite aussi par M. de Brou, Recherches bibliographiques , p. 35. ( 228 ) et à travers s'aperçoivent les murs d'une ville; deux phylactères font parler les personnages : Monslra te esse mah^eni — ecce Be. Le bois est taillé épais mais plein d'effet, et l'expression piteuse; la composition est empruntée à un bon peintre qui paraît être le Maître à la navette. On le trouvait déjà, selon le témoignage de M. de Brou, dans les éditions de saint Bernard données par Peter Van Os, en J484 et 1485. De toutes les autres planches qui occu- pent la demi-page du texte, ou des espaces plus petits, et qui représentent les sujets ordinaires de la vie du Christ, je ne citerai que deux sujets du petit Jésus qui sortent un peu de la banalité. Le premier, chargé d'un lourd manteau, apparaît à sainte Cathe- rine; le second est dans une gloire et un arc ogival, entre sainte Anne et la Vierge; toute la composition encadrée par un chapelet et des nébules. Un mélange encore plus grand de bois de tout acabit et des exemples plus nombreux d'emprunts et d'abâtardissement se montrent dans le Boec van den Leven ons liefs Heren Jesu- Christi, 1499 (1). Je n'y remarquerai que la planche du titre : le Christ montrant la main dans un portique orné, tapissé et enca- dré d'un phylactère : Speciosus forma pre filiis hominum; mais cette planche appartenait déjà à un imprimeur d'Anvers, Claes LeeUy qui se fit connaître, après Gérard Leeu, par un petit nombre de livres. Gouda et Anvers. Ghkrakrt Leeu, établi à Gouda, en Hollande, en 1477, y im- prima, dès 4480, des livres en latin et en hollandais importants par leurs gravures sur bois. Ils avaient pour marque l'écu écar- telé de la ville de Gouda, soutenu par deux lions et les deux écus de l'imprimeur attachés à un chicot. Le premier de ces livres est le Dialogus creatvrariim oplime (1) Catal. Bihl Haff., n" 50fi. Il y en a aussi une édition antérieure, n" 505. C'est à ce livre qu'appartiennent les planches rerueillies dans un volume du t-abinet des estampes, marques des imprimeurs. ( 229 ) morulisaius jocundis fabiilis plenus , 1480 (I), première édition latine d'un recueil d'apologues qui eut un grand succès dans les Pays-Bas et en France. Leeu le fit reparaître bientôt après en hol- landais, 1481 , et en français, 1482 (2), avec les mêmes figures. Les figures dont le Dialogue est illustré sont loin de présenter la pureté de dessin et le mérite de composition que nous avons reconnus dans le Propriétaire de Bellaert; mais, à défaut de qua- lités plus sérieuses, on y trouve des études familières et naturelles très -locales et très -curieuses à observer, comme les embryons d'un art qui doit produire un jour, dans ce genre, les ouvrages les plus accomplis. La première page est entourée d'un feuillage courant tracé d'un trait gros et hardi; cet ornement initial, imité des impressions de Veldener, se retrouve dans d'autres volumes de Leeu à la même date. La première planche représente les faces du soleil rayon- nant et de la lune en croissant au milieu des nuages, et ces faces ont un air hollandais très-prononcé. Le texte est ensuite parsemé de toutes sortes de représentations : montagnes, arbres, gemmes, métaux, instruments, plantes, oiseaux, animaux, singes, onocen- taures et satyres , au milieu desquelles sont quelques figures hu- maines, pêcheurs, chasseurs, laboureurs et moines, de propor- tions courtes et trapues, mais d'un mouvement assez vif et d'une expression cocasse. Toutes ces figures sont faites d'un trait gros et presque dépourvu de hachures; je citerai, pour donner une idée des compositions qu'elles comportent, le dialogue 51""% De Man- dragora et Venere : la déesse est debout devant la plante informe, nue et des formes les plus pauvres, tout en étant fort ressenties, tenant un linge (jui ne la drape ni ne la cache et coiffée d'un hennin déployé; le dialogue 58""% De Syrene et Luhrico : ils nagent à ren- contre l'une avec un gros ventre en queue de poisson , l'autre en (1) Catal. Bibl. Ilog., n" 415. Dibdin l'appelle, a very magnificent and early production of Gérard Leeu' s press. {yEdes AUhorpianae , n° 1105.) J'ai vu cette édition à la bibliothèque Richelieu. (2) Traduit par Colard Mansion, Gouwe, Gérard Lyon, 1482. Le seul exem- plaire connu est à la bibliothèque Richelieu Brunet en a donné la description avec un fac-similc de la marque de Gérard Leeu. Manuel, l. II, p. 74. ( 230 ) robe; le dialogue 121""% De Homme et Millier e : l'homme est vêtu d'une longue robe, les mains dans ses manches, les pieds dans de grands souliers et coiffé d'un chaperon à cornettes retombantes; la femme est parée d'une robe à longs plis brisés, retroussée sur la jupe et coiffée d'un hennin à deux voiles; enfin le dialogue 423"% De Vita et Morte: la Vie est représentée par un jouvenceau vêtu d'une jaque courte, le faucon au poing; la Mort par une femme encore charnue dont la tête seule est cadavérique. Dat Leden ende die Passie ons Heren Jesu Christi, 1482 (1). Ce volume offre une suite de trente-trois planches occupant les trois quarts de la page petit in-quarto. Le dessin en est gros , mais animé , l'expression vive et même grimacière ; les taillés de hachure sont courtes et serrées : une enluminure ad hoc n'en relève pas peu l'effet. Ces figures, avec leurs grosses têtes, leurs habits épais et leurs airs placides et rusés, sont des études déjà précieuses de réa- lité, et plus d'une anticipe sur les goûts de l'école. Dans la pre- mière, la Dispute avec les docteurs, Jésus est déjà vieux; dans la seconde, un juif sous son chaperon se bouche le nez; dans la Des- cente aux enfers, l'enlumineur a marqué tant qu'il a pu la nudité de nos premiers parents. Die Vier Uterste, 1482 (2) : c'est la plus ancienne édition hol- landaise du Cordial des Quatre Novissimes , l'un des livres le plus souvent imprimés dans toutes les langues du XV""^ siècle. Il n'y a qu'une planche en frontispice d'une taille ferme, mais de peu de travail, avec des hachures courtes et espacées. La Mort y est repré- sentée fauchant un sol planté de fleurs où se tient un groupe de cinq personnages. Van den Seven Sacramenten^ 1484 (3). Il y a ici la représenta- tion des sept sacrements d'un dessin roide et d'une taille déchi- quetée dans la façon hollandaise la plus prononcée. Les bois, faits pour un plus petit format, n'occupent la largeur des deux colonnes de celui-ci, in-folio, qu'au moyen d'une rallonge formée d'un de ces petits bois primitifs fort curieux par l'actualité de leur représenla- (1) Catal.Bibl.Hag., n"419. (2) Ce volume est dans la bibliothèque de M. Enschedt% à Harlem. (5) Catal. Bihl Hag.,rx- 421. ( 231 ) lion. Ici c'est la figure d'un inaîlre caractérisé par son auniônière, et d'un compagnon, son disciple, qui porte un double chaperon. Les armoiries de la ville de Gouda se rencontrent dans la marque d'une édition hollandaise du roman de Godefroy de Bouil- lon, qui n'a point reçu d'attribution certaine (I). Cette marque est formée par un château où sont arborés deux drapeaux accostés par les lettres G. D. et fixés sur un éléphant; l'un des drapeaux porte les armoiries de Maximilien, l'autre la fasce et les six étoiles que l'on voit sur l'un des écus de Gérard Leeu. Ce livre est illustré de vingt-quatre gravures sur bois occupant soit la page entière, soit la demi-page du texte in-folio; la première représente le pape Urbain préchant la croisade; on remarque parmi les autres : le Couronne- ment de Godefroy, cinq personnages debout, dont deux papes et un roi, posent la couronne d'épines sur sa tcte; la Vue de Jéru- salem, les Phénomènes célestes arrivés à la mort de Godefroy, la Mort du roi Baudouin et des sujets de batailles qui sont fort peu appropriés au texte. La taille de ses bois en petites hachures serrées avec des noirs intenses me paraît postérieure à la date de i486, qui est généralement assignée à l'édition. Le conservateur de la bibliothèque d'Arenberg, qui possède ce rare volume, dit avoir vu plusieurs de ses planches reproduites dans une édition anversoise des actions de Maximilien appartenant au XVI™'' siècle. Anvers, célèbre par sa gilde d'artistes, ne fut pas des plus em- })ressées à recevoir des établissements typographiques; mais, par sa prospérité croissante avec la décadence de grandes villes fla- mandes, elle attira bientôt des imprimeurs établis d'abord en Hol- lande et en Flandre: Thierri Martens, d'Alost, et Gérard Leeu, de Gouda. Mathys Goes ou Van der Goes, qui y imprima le premier, et dès 1482, des livres en langue vulgaire, mérite d'autant plus notre attention, qu'il porte le même nom qu'un peintre célèbre de l'école de Van Eyck; mais on ne trouve des gravures en bois dans ses livres qu'en 1487 et dans des livrets latins, où elles ne pou- (I) Godevaerts Fan Solocn , Brunet, t. II, p. 4ii:2' L)e Biou, Recherches bibliographiques, p. 48. C'est l'exemplaire déciit que j'ai vu à la bibliolhéque «l'Arenberfî- ( 252 ) vaient avoir de l'importance (1). Je n'ai distingué que ses mar- ques : un écu au lion rampant tenu par un sauvage et un vaisseau avec drapeaux déployés armoriés de l'aigle à deux têtes, d'une porte de ville et de son chiffre, un M, surmonté d'une croix re- croisetée. En 1485, Gérard Leeu transporta ses presses à Anvers, et là il put donner un nouveau développement à l'illustration de ses li- vres. Il arbora alors pour enseigne le château d'Anvers, édifice crénelé percé de fenêtres à plein cintre et flanqué de tours à pinacles avec drapeaux déployés et un aigle au sommet. Ce sont d'abord des traités de dévotion et d'éducation, en latin, dans les- quels les figures, en plus petit nombre, indiquent une destination populaire. Gemmula vocabulorum, d484 (2), avec un frontispice représen- tant Jésus au milieu des docteurs; Moralissimus Catho, 1485, avec une planche qui est censée représenter Caton, mais où l'on voit en réalité le maître et le compagnon que nous avons déjà rencontrés plusieurs fois, l'un avec sa sacoche à la ceinture, l'autre avec le chaperon sur l'épaule ; Libelhts de modo confitendi et pe- nitendi, 1480, dont le titre porte un pénitent le bonnet à la main s'inclinant devant le confesseur en chaise; Logicalia duodecim tractatuum, i486 (5), qui nous montre, dès la première page, le magister dans sa chaire gothique avec cinq disciples. Ces bois se prêtaient aux différentes éditions du même livre et souvent aussi aux frontispices de livres divers. Gérard Leeu fit plus de frais pour les Fables et la Vie d'Ésope qu'il publia d'abord en hollandais, i485, et puis en latin; cepen- dant le grand portrait d'Ésope, représenté au milieu des figures de ses fables , et les sujets nombreux m'ont paru n'être que la repro- (1) Sermones quatuor novissimorum, 1487. Confessionale , 1490. Cafa/. Bihl. Hag., n"^ 165, 167. Le bois cité dans un autre opuscule, Libellus de raplu animae Tundali , etc. (/6^rf., n'^ 264), qui représente Tondal et la Mort, a peut- être plus d'intérêt. (2) Catal. Bihl. Hag., n»' 170, 171 , 172 , 173. (5) Ihid., n" 50ô. — N" 174. J'ai vu Tédition latine de 1486 à la bibliothèque de Bruxelles. ( 255 ) cluction des bois d'Ulni eld'Augsbourg; la taille à gros traits le plus souvent sans hachures et les façons goguenardes des figures m'ont paru du moins indiquer une copie servile. On trouve des figures sinon meilleures du moins plus fla- mandes dans nombre de livres dévots publiés ensuite par Gérard Leeu : Boeck van.den Leven ons Heeren Jhesu Christi, 4487; Hoofkijn van devocien, 4487; Va7i die Gheestelike KintscheytJesu ghemoraliseert , 1488; Een Devoet Exercitie van den dochteren van Syon, 1492, et d'autres qui ont été cités par Lambinet et ailleurs (4); mais il faudrait, pour les décrire, des bibliographes plus attentifs aux figures. J'ai remarqué dans le livre de la Vie de Jésus-Christ des bois de plusieurs dimensions et de tailles plus ou moins grossières attestant la variété de la manière flamande. J'en ai noté quatre ou cinq : le Christ debout dans un portique avec un phylactère , Ego sum via, veritas et vita; une femme assise dans une chaire au milieu des livres, scriptura, et l'auteur agenouillé invoquant le Très-Haut perché dans sa nébulc; la Créa- tion dans une série de cercles concentriques où Dieu introduit le premier couple et souffle la vie aidé des quatre vents; le Paradis d'où sortent les quatre fleuves sacrés. Le Jardin de dévotion a quinze planches représentant un jardin avec arbres, fontaine et croix, où la dame Pénitence paraît seule ou en compagnie des dames Temperancia, Fortitudo , Justi- cia, Prudencia et Obediencia. Ici elle cueille des fleurs, là elle boit à la fontaine; puis efle est percée d'une flèche et enfin elle reçoit Jésus-Christ. Dans les dévots exercices figurent, en deux planches, d'autres dames remplissant leur rôle mystique auprès du chrétien : Caritas, Oratio, Cognitio, Fides, Spes , etc. Ces figures manquent généralement de pureté dans les contours; les airs sont maussades, les extrémités incorrectes; la taille est sou- vent négligée et, cependant, on ne peut s'empêcher d'y recon- naître les traditions du Cantique des pauvres. Gérard Leeu pubha, en 4490, une édition latine de l'histoire (1) Lambinet, Origine de l'imprimerie , t. !1, pp. 2^5 et suiv. Paris, Nicolle, 1810. Holtrop, Catal. Bibl. Hag., n" 178 5 etc. ( 234 ) de la Calomnie d'une belle-mère, autrement appelé le Roman des Sept Sages de Rome (1), et il y mit une quinzaine de gravures dont le dessin est intelligent, quoique grossoyé, et témoigne du mouvement qui s'introduit dans l'école flamande. Le graveur a pris soin d'expliquer ses sujets en marge; en voici trois : De Profectioiie septem Sapientium cum filio régis adpatrem, cou- sultisprius astris; Quod regina provignum introducit in cubi- culum, quodque eum de stupro sollicitavit renitentem : elle a déjà posé sa robe et lui montre ses charmes; De adventu fdii régis contra novercam et ipso exitu judicii : elle est deshabillée devant le roi et la foule. Les presses de Leeu ne produisirent rien de plus intéressant que le roman français de la belle Vienne : Cy commence Listoire du très-vaillant chevalier Paris et de la belle Vienne (:2) Com- ment Paris et Edouard fêtaient les aubades devant la chambre de Vienne Comment Dynne et Vienne allèrent visiter le père de Paris lequel était malade.... Comment Paris se partit de Vienne et le laissa en l'église.... Cy fînist Listoire j emprientée en Anvers par moy Gherard Leeu. Je viens de parcourir le volume en notant les plus remarquables de tous les sujets chevaleresques et amou- reux qui en décorent presque toutes les pages, à moitié hauteur. Ils sont composés d'une manière animée avec des figures allongées de tournure, bien posées, adroitement costumées et disposées avec intérêt, mais elles laissent à désirer du côté de l'expression, qui est généralement niaise. Les traits et les gestes sont également mesquins , avec de petites tètes , des yeux ronds , des airs plus souvent maussades que jolis, des jambes arquées; cependant ils ne tombent pas dans la grimace des Allemands. La gravure est re- marquable par ses petits traits et ses petites hachures ombrant peu, mais adroitement, et imitant les traits courts d'une plume quelquefois baveuse et toujours ramassée. Ce système de tailles (1) Historia calumniae novercalis, 1490. Catal. Bibl. Hag., n" 196. Brune t, Manuel du libraire y t. IV, p. 259. Dibdin, yEdes Allhorpianae , t. II, \^. 148, f'n a reproduit quelques gravures. (2) Ce livre n'est pas dans les bibliothèques de la Haye et de Bruxelles, mais on le trouve à Paris, Bibliothèque nationale, coté Y"* 222. ( ^55 ) courtes et ralliées, tranche essentiellement avec la manière alle- mande, qui allonge ses tailles et les embrouille; il reste toujours caractéristique des graveurs flamands. Il y a aussi, dans les vignettes de la belle Vienne, de jolies pièces de costume bourguignon ; les gentilshommes portent des chausses étroites et pointues, des chaperons sur leurs longs cheveux et une daguette suspendue à la ceinture, la pointe en l'air. En ceci, connue en beaucoup d'autres détails, on trouve des similitudes avec les miniatures des romans manuscrits des enlumineurs de l'école de Bourgogne, appartenant à la fin du XV*^ siècle. 11 se pourrait que nos planches ne fussent que l'imitation de quelque manuscrit de l'Histoire du vaillant chevalier Péris, à moins qu'on n'aime mieux supposer que l'artiste ne fût un vieux miniaturiste qui, la miniature n'allant plus, se sera adonné à la gravure sur bois. Gérard Leeu n'eut ici d'autre mérite que d'avoir su l'em- ployer. Un autre livre français , intéressant par ses estampes, serait du aux presses de Leeu, si l'attribution indiquée par M. Brunet est exacte : c'est le poëme chevaleresque le Chevalier délibéré y sans lieu ni date, portant pour marque une forteresse composée de plusieurs tours sur un éléphant et seize planches (1). Cette édi- tion est introuvable, mais les bois qui lui ont appartenu ayant passé dans d'autres mains et servi à d'autres livres , on peut les retrouver là; ils sont très-reconnaissables à leurs figures portant écrits les noms français des personnages. Une planche repré- sentant V Acteur et Entendement assis à table et servis })ar un moine a été placée dans le Vaderboeck de Peter Van Os (2). Deux autres planches : Cest le cloître de Souvenance et ï Acteur et Entendement debout, se rencontrent dans une édition du même livre imprimée à Leide en 1501 , par Jan Seversoen (5), et l'on en (1) Manuel du libraire, t. III, p. 27. (2) Ce livre est placé à la suite de l'édilion de Peter Van Os de 1490, dans le volume que j'ai vu à la bibliothèque de Bruxelles; mais il peut appartenir à une édition plus moderne. (5) Ces deux volumes sont à la bibliothèque d'Arenberg. 11 n'y a dans cette chronique qu'un nombre restreint de bois, tels qu'un petit portrait de Phi- ( 256 ) voit un plus jçrantl nombre dans la chronique de Hollande du même imprimeur déjà datée de 131 7, où les bois se trouvent mêlés avec des bois de toute sorte, les uns imités de la chronique de Nuremberg , les autres pris dans l'école de Lucas de Lcide. Entre toutes les imprimeries hollandaises, l'imprimerie de Gérard Leeu est celle dont les bois furent le plus tôt et le plus loin dissé- minés. Un imprimeur hollandais du siècle dernier, annotant, dans un catalogue, un recueil factice de bois pris dans les livres de Gérard Leeu, avait déjà remarqué leur passage d'une imprimerie à l'au- tre (i); il avait constaté que les planches delà Vie de Jésus-Christ, de 1482, étaient passées en totalité dans un livre de Bellaert, im- primé à Harlem en 1485, puis dans l'édition imprimée en 1488, par Claes Leeu, peut-être frère de Gérard, et qu'on les trouvait encore en tout ou en partie en 1490 à Zwoll, dans le Passionael de Peter Van Os, en 1496 à Gouda, dans des heures dévotes des Frères conférenciers. On a depuis observé d'autres migrations de ce genre. Ce sera désormais le travail des bibliographes d'en suivre la piste. Il ne faut pas oubher que les imprimeurs sont plutôt des entrepreneurs de gravures que des artistes. Les graveurs inconnus, compagnons ou maîtres tailleurs d'images qu'ils faisaient travailler, pouvaient quelquefois rester propriétaires de leurs bois et fournir la même besogne à plusieurs imprimeries. W reste à signaler dautres livrets de prières, imprimés par Leeu en 1491 et 1492: les Heures de sainte Anne, le Psautier de saint Bernard, la Couronne mystique de la Vierge (2), où Ton voit de petites figures d'une très-jolie tournure et d'une physio- nomie pleine de sentiment, qui dénotent une influence différente de celle de l'Allemagne, jusqu'alors prépondérante en Flandres: lippe «le Bourgogne, qui puissent rappeler les premières éditions illuslrées que Ton trouve encore à Anvers en 1497. (1) Note de Jean Enschedé, insérée dans un recueil de la IJibliolhèque S'^-Ge- neviève, sous le titre de Xylographica , oe. 1110. La bibliothèque vénérable de cet amateur est encore conservée, à Harlem , par son petit-fils. (2) Ils sont décrits avec «Pautres par Lambinet, Origine de V impr imerie , 1810, t. n, p "280, e» par Holirop, Catal Bibi Hag., n"^ 198 et suiv. ( 257 ) c est 1 imitation des heures françaises. Elle se trahit surtout dans Tencadrement des pages, vignettes fleuries, eourant sur un fond alternativement clair et noir. Adrien Van Liesvelt, qui imprima, à Anvers, après Leeu, et qui paraît avoir hérité de ses caractères, fut celui qui donna le plus de développement aux heures hollandaises. Il y en a, sous divers titres flamands et latins, de 1494, 1495, 1496, 4497, 1498 et 1499 (1). Ces heures ont attiré les éloges de Dibdin et de Brunet et mériteraient une monographie. Je n'ai pu les voir qu'en gros. Tout en imitant les heures françaises dans les ornements et dans l'arrangement des bois, elles gardent leur manière flamande; il y a dans les figures un mouvement et dans la taille une intensité qui à leur tour trouvèrent, en France, beaucoup d'imitateurs. Il y aurait encore d'autres imprimeries à fouiller, si Ion voulait voir le fond de la gravure anversoise à la fin du XV""^ siècle. On en trouverait chez Godefroy Back, chez Roland Van den Dorp. Je ne m'arrêterai plus que devant une imprimerie dont on voit la maison, représentée avec une enseigne au Mortier d'or, et des écus aux armes d'Anvers et aux chiffres personnels, à la fin d'un petit livre de Matthieu de Cracovie, daté de 1500 (2). En attendant qu'on apprenne le nom du maître, il semble qu'on fait plus ample connaissance avec lui et avec ses confrères, en voyant le banc sur lequel ils venaient s'asseoir et la croisée où ils appendaient leurs écus. • Schiedam. Le tailleur de bois le plus distingué qu'ait eu la Hollande au ^yme siècle travailla à Schiedam, petite ville près de la Meuse; les deux Hvres qu'il y publia forment toute l'histoire httéraire et typographique de la cité et de l'artiste. On ne sait pas même le nom de celui-ci. Le Chevalier délibéré, imprimé en la ville de Schiedam en Hollande, avec une planche finale des armes de la (1) Catal Bihl. Hag., w' 225, 226, 227, 601. Manuel du libraire, t. IV, p. 804. (2) SaHchlic sterven, ghcprent ta Jntwerpen,in die grote Gulden Mortier, aen die Marct , 1500, in-S". Catal. Bihl. Hag., n" 252. ( 258 ) ville, deux écus tenus par un ange, a quatorze planches, sujets du poème, de la grandeur des pages petit in-folio, et une quinzième planche plus petite représentant trois crânes sous un arceau gothique très-orné. L'artiste est entré tant qu'il a pu dans l'esprit du poëte, en représentant toutes ses allégories en personnes ou en objets, dans une suite d'aventures où 1 on a voulu voir tantôt l'his- toire de l'auteur, tantôt celle de Charles le Téméraire; mais j'avoue n'avoir pas cherché à interpréter toutes les histoires fournies par Olivier de la Marche : la première, Cy sarme monte et embastone Lacteur pour entrer en saquette, où ficfurent : Lacteur, Votdoer, Pouvoir, Pensée, Coraige, Aventures et Bon Espoer, avec leurs noms écrits sur leur personne ou sur les objets; la quatorzième : Cormnent Entendement enseigne Lacteur à se conduire et faire les armes, etc. Il y faudrait un amour pour notre ancienne poésie qui ne fût point rebuté par la 'dose somnifère propre au talent du capitaine des gardes et maître d'hôtel des ducs de Bourgogne. Mais j'ai été fort intéressé par le style et par le travail de ces planches , qui sont assez neuves. Les figures sont bien plantées et bien vêtues, les tètes non jolies mais naturelles, expressives, même ridées sans grimace; la facture en est carrée, serrée et en même temps pitto- resque ; des hachures petites , serrées , parallèles , très-variées dans leurs emplacements; des fonds intérieurs ou extérieurs très- fournis d'ameublement et de paysages avec des arbres, des eaux indiquant bien la Hol^nde, y constituent une originalité réelle. Enfin plusieurs de ces compositions sont intéressantes à divers titres : la huitième. Comment Lacteur s'est fourvoyé devant le palais Damours où Désir vouloit qu'il entrât, mais Souvenir l'en a destourîiè; la neuvième, Cy monstre Fresche Mémoire à Lacteur les sépultures des anciens ti-espassés ; la dixième , Cy devise la bataille faitte entre messire Débile et le duc Philippe de Bour- gogne; la onzième. Comment le duc Charles de Bourgogne comba- tyt Accident; et la douzième, Comment Accident abatit la duchesse Daustrice. Dans les nombreuses figures qui se développent sur plusieurs plans, on voit l'habileté du dessinateur qui varie ses physionomies et ses attitudes et compose de petits tableaux pleins de vérité. La sûreté e( les ressources pittoresques de son oulil ( 25!» ) paraissent enfin jusque dans la planche des trois crânes, où les dé- tails sont étudiés, la carie des os rendue avec le même soin que le feuille des ornements. Le graveur de Schiedam fut inspiré d'une manière plus origi- nale encore dans le second livre que nous connaissons de lui, et qui a pour sujet la légende de la sainte locale , la Vierge Lydwine : Vita aime Virginis Lydivine de Schiedam (4), portant la date de 1498, les écus de la ville semblables à ceux que nous avons vus dans le volume précédent, deux autres écus plus petits avec l'in- scription ex Schiedam ad sanctam Amiam et, en outre, la mention que les dépenses de cette édition, traduite du vulgaire en latin, ont été faites par les maîtres de la fabrique de Saint-Jean-Baptiste de Schiedam : il se compose de vingt-six planches ayant environ 9 cent, de haut, sur 7V2 de larg.; le titre porte une planche au recto et au verso. La première représente Fauteur écrivant sur une planche attachée à sa chaise, et devant lui la sainte debout coiffée d'une couronne, les cheveux dénoués, tenant un crucifix d'une main et une fleur de l'autre; la seconde représente la sainte se retournant pour donner la fleur à son ange gardien. Les autres planches en tête des chapitres déroulent les principaux événe- ments de la légende : arrivée d'un vaisseau avec lointain de mer; chute sur la glace avec une scène de patineurs en perspective. Sainte Lydwine, accablée de maux depuis cette chute, passa presque toute sa vie dans son lit, et on l'y voit, non aussi dégoû- tante que le dit la Vie des saints, mais dans des scènes plus que naïves, brûlée du feu Saint-Antoine, consolée par son ange gar- dien, visitée parle Christ, qui lui imprime ses stigmates, nourrie du lait que la Vierge fait jaillir de ses mamelles sur ses lèvres; on (1) Brugman, Plta Lydwine, Prologus in vitam aime Firginis Lydwine et haec est translatio tercia per venerabilem patrem fratrem Johanem Brugman anno Dni M" CCCC" LFI° pro tune conventus fratrum minorum apud y^ndomarum lectore composita.... hoc opus Dei favenle gracia ex- pletum Sciedamis anno M" CCCC XCVLII"... non est pretereundum si- lentio quod.... magistri fabrice Sciedammensis Sci. Johannis Baptiste has impensas fecerunt ut viri docli qui eloquio latino plus gaudent et vulgari non dedignavit. J'ai vu ce volume in-8" à longues lignes à la Bibliothèque S*'^- Geneviève. ( 240 ) la voit à la fin étendue dans sa bière. Dans une dernière planche, la bienheureuse reparaît, dans sa splendeur, tenant sa fleur et son crucifix, et présentant par les épaules un donateur agenouillé à la Vierge et à sainte Anne assises sur un banc, ayant au milieu d'elles l'enfant Jésus. J'ai déjà bien noté cette gravure remarquable par ses petites liachures serrées. Le dessin prend ici peut-être plus de sérieux et de distinction, les attitudes sont excellentes de naturel, les têtes petites et pleines de finesse dans leurs plus simples indications, tous les détails charmants de vérité et de localité. Voilà donc l'école hollandaise qui fut si admirable dans les peintures que suscita la manière Van Eyckiste, et que nous avons vue si distinguée dans les graVures au burin d'Overet, la voilà qui obtient, dans ses gravures sur bois, un mérité non moins exceptionnel. Ainsi se refait, sous l'œil du chercheur attentif, la trame de l'art dans toutes les bran- ches où le temps semblait l'avoir rompue. Si l'on veut bien rassembler les lambeaux déchirés, les fils embrouillés dont j'ai essayé de faire une histoire de la gravure aux pays qui s'étendent de la Zélande, en remontant l'Escaut, la Meuse et le Rhin, jusqu'en Suisse, sans franchir les limites du Xyme siècle, sans aborder l'époque où la gravure passe pour avoir fourni ses véritables monuments, on reconnaîtra qu'elle se pré- sente avec une valeur que les historiens de l'art n'avaient pas suf- fisamment dégagée. La gravure est restée obscure à l'origine , parce que c'est un résultat multiple, appelé par les besoins de divers arts, à peine un art lui-même, dénué de toutes les quahtés qui font briller une découverte. Les premières estampes en feuilles volantes furent nombreuses, mais vouées à une prompte destruction par leur indigence aussi bien que par leur succès. Trois ou quatre épaves nous font lire des dates : 1418, 1425, 1446, 1451. Ces exemples suffisent pour nous apprendre que la gravure était, dès la première moitié du XV""* siècle, diversifiée dans ses procédés de travail en creux et en relief, sur le bois et sur le métal , ainsi que dans ses modes ( m ) d'impression en détrempe brune, en encre noire et en coloriage. Il n'y a pas de marque de provenance; on constate au même moment, dans les corporations de métiers, les artistes qui pou- vaient l'exercer. Des imprimeurs, en 1417, à Anvers; en 1442, à Bruges; des tailleurs de formes et des faiseurs de cartes, en 1418, à Augsbourg; en 1455 et 1449, à Ulm et à Nuremberg; des orfè- vres, en 1458, à Cologne; en 1454, a Gand; des peintres partout affiliés à ces corporations. Une première division peut donc être faite entre les productions des Pays-Bas et celles de l'Allemagne. Elle est aidée par les traits de physionomie innés qui se particula- risent dans les figures, elle est contrariée par l'inaptitude trop fréquente de l'artiste, et elle reste le plus souvent incertaine, à cause des relations d'usages entre les deux contrées. Les graveurs primitifs sont peu disciplinés dans leurs modèles de dessin ; mais, en les prenant à la portée de la main, ils ne pu- rent que traduire les types, les mœurs et les modes; ils le firent plus vite que les sculpteurs et les peintres, et ils donnèrent à leurs ouvrages une consécration plus générale. Ils apprirent ainsi les qualités essentielles de leur art, l'effet de contour et de lu- mière qui lui suffit pour lutter avec des arts plus brillants; ils affrontèrent directement avec la ressource de leur planche la représentation de la nature et l'expression de la pensée. A ce moment correspondent deux artistes qu'on peut les premiers ap- peler des maîtres, l'un de 1464, l'autre de 1466; ils ne se nom- ment pas , et leur patrie demeure encore indécise entre les pays de tous les côtés du Rhin, comme s'ils devaient rester les inter- prètes plus généraux de leur art toujours mêlé. Les imprimeurs et les tailleurs d'images , avant limprimerie ty- pographique, avaient aussi fait des hvres où les figures trônaient au-dessus des lettres pour le plus facile enseignement de tous. Sans qu'on puisse certifier de quel point ils sont premièrement sortis, les plus recommandables sont faits dune manière suivie qu'on peut déjà qualifier de style, et qui a la plus grande analogie avec les ouvrages de l'école la plus pure et la plus féconde des Pays-Bas, celle des Van Eyck. On s'assure ainsi que leur origine n'est point éloignée des villes où celte école fut florissante, de Tome X. IG ( Wi ) Bruges, de Harlem, de Loiivaiii ou de Gand. Un seul de ees livres, daté d'un nionaslère près de Bruxelles, en 4440, est venu eonfir- nier les données de la critique. Il s'en était produit aussi en Alle- magne , et les éditions en avaient été partout multipliées. Leur nom restitué de Livres des pauvres indique bien le earaetère de lart dont ils furent la production la plus distinguée. Cet art touche, d'un côté, aux plus parfaites créations du dessin, de l'autre, il en subit toutes les vulgarités et en sanctionne toutes les décadences. Quand l'imprimerie eut fait explosion , quand la lettre eut pris dans le livre toute la promptitude et toute la place qui lui appar- tenaient, un coin fut encore réservé à la gravure, principalement dans les textes en langue vulgaire, et là elle trouva de nouveaux éléments de représentation. Ses planches ne sont que de faibles échos du roman , de la chronique et de la légende ; ils se prolon- geront pourtant à de longues distances, ils nous font parvenir aujourd'hui des accents que nous n'entendons plus dans les textes. Aux ateliers d'imprimerie, la gravure dut encore de se locahser davantage. Établie à cette faveur dans les villes les mieux dotées d'institutions libérales, elle y attira les meilleurs artistes, elle y suscita des légions dont plusieurs prirent rang d'école. Deux graveurs représentent lart dans sa plus grande force : le beau Martin de Colmar, et ce Hollandais auquel on ne trouve un nom et une patrie que par conjecture. Après eux, on en peut nommer dix , et marquer dix ou douze en divers lieux qui four- nissent au matériel des trois écoles. Les premiers seuls sont assez solides dans leur méthode, assez inventeurs dans leur idéal pour être la gloire de leur pays et de leur temps , pour servir d'exemple à de longues générations d'artistes. Les maîtres illustres du XVI'"'' siècle, Albert Durer, Lucas de Leide et Holbein prendront leur essor sans briser cette tradition. Au XVII'"*' siècle , au sein de la plus heureuse indépendance et de tous les raffinements de l'art accompli, Bembrandt et Van Ostade s'en souviendront quelque- fois: aujourd'hui encore, si l'art peut se retremper, i! le devra en [larlie à un reajard jeté vers cette source lointaine. lu: 'V WyXH Monoè''fti>Ti""s 4 o3°-Ç°'^« |t6é° 1'k'()'^' ~^y^^ HENRI DE GÂND SES DERNIERS HISTORIENS, PAR N. J. SCHWARTZ, PROFESSEUR A l'uNIVERSITÉ DE LIEGE. (Mémoire présenté le 7 juin 1858.) Tome X. AVANT-PROPOS. Depuis que l'^on a commencé à traiter l'histoire de ia phi- losophie comme une branche distincte et importante de l'his- toire générale de l'esprit humain, la philosophie du moyen âge, et notamment celle de Henri de Gand, a été souvent exa- minée avec une certaine prédilection. Brucker, Tiedemann, Tennemann, dans leur Histoire générale de la philosophie; Huel, dans ses Recherches historiques; Lajard, dans l'Histoire littéraire de la France (vol. XX), et Rousselot, dans le Diction- naire des sciences philosophiques (vol. li), ont consacré des mémoires étendus et érudits à notre célèbre compatriote. Mais il nous a semblé que ces auteurs n'ont pas toujours apprécié sa doctrine comme elle doit l'être, pour en saisir la vraie portée. C'est ce que nous entreprenons de démontrer dans ce travail. Pour arriver à établir notre opinion sur une base historique et solide , nous avons cru devoir esquisser .(4) rapidement le mouvement de la pensée philosophique au moyen âge, avant le moment où Henri de Gand commença à exposer sa doctrine dans les écoles de son temps. SOMMAIRE. \. Point de départ et caractères essentiels de la philosophie du moyen âge. 2. Tendance intellectuelle, morale ou mystique. 3. Début de la scolastique. 4. Le réalisme et le nominalisme. Scot Érigène, Amaury de Chartres , David de Dinanto, Roscelin, saint Anselme, Abeilard. 5. Réaction. Saint Bernard, Hugues de Saint-Victor, Pierre Lombard, Odon de Tournai, Simon de Tournai. 6. Point culminant de la scolastique au treizième siècle. 7. Albert le Grand embrasse l'ensemble de la science ; part de Tex- périenccj son rapport à la science antérieure. 8. Saint Thomas d'Aquin donne une systématisation complète de la science au point de vue intellectuel. Sa méthode; sa Théodicée d'après sa Somme contre les Gentils; les créatures; l'âme humaine; leur fin; les deux modes de la vérité divine; l'entendement -agent; l'entendement passif; la volonté. 9. Saint Bonaventure. Division des sciences; analyse de l'itinéraire de l'âme vers Dieu ; il développe le point de vue mystique. 10. Henri de Gand se rapproche de ces docteurs. 11. Sa théorie de la connaissance. Les sens; la raison; les idées abso- lues et divines; erreurs des historiens de Henri de Gand et notamment de Rousselot. 12. Théorie de la substance et des universaux. L'idée n'est pas inter- médiaire, comme le prétendent ces mêmes auteurs. 13. Théodicée. Comment nous connaissons Dieu; preuves de son exis- tence; rapports de la doctrine de Henri avec celle des Pères de l'Église, de saint Augustin en particulier; les attributs de Dieu ; les idées créatrices. { 6) 14. Anthropologie. Définition de rhoninic; erreur de Rousselotj le corps, rame et ses facultés. 15. Morale de Henri de Gand. Importance d'une volonté droite et de l'éducation; caractère de la société civile; droit de propriété; devoir de l'individu et de l'État; point de communisme. 16. Appréciation générale. Henri de Gand est d'accord avec saint Augustin et ses prédécesseurs immédiats; il n'est pas le restaurateur du platonisme au moyen âge. 17. Coup d'œil sur l'influence générale que la scolastique a exercée sur la civilisation du moyen âge et sur celle des temps modernes, tant sous le rapport intellectuel que sous le rapport moral et mystique. HENRI DE GAND SES DERNIERS HISTORIENS. Fides quaerens intellectum. (Saint Anselme.) 1. Aujourd'hui, la civilisation du moyen âge est assez connue pour qu'on puisse l'appeler une des grandes phases de l'esprit humain: c'est, dans l'histoire de l'humanité, une glorieuse et féconde période, qui fonda le droit public des nations occidentales, couvrit le sol de monuments prodigieux et organisa la science en de vastes et magnifiques synthèses. Cette science, en effet, em- brasse le monde sensible et le monde intelligible , la créature et le créateur, l'homme et Dieu, dont elle s'efforce de ramener les rap- ports infinis au rapport primordial, qui a été établi dans l'idée divine et créatrice. A la suite et sur les traces des Pères de l'Eglise, dont ils sont les héritiers légitimes , les philosophes du moyen âge, fidèles au but du christianisme, qui consiste à restaurer tout ce qui concerne l'homme déchu , regardent la philosophie comme l'amour et l'étude de la sagesse, et la sagesse comme la connais- sance de toutes les choses divines et humaines. Aussi pour eux , la philosophie ne s'adresse pas seulement à une de nos facultés , elle s'adresse à Ihomme tout entier, elle lui demande un actif emploi («) de toutes les forces dont il dispose : sa raison et son cœur, son intelligence et sa volonté. Placés dans la société et dans le temps, ils savent que toutes les questions qui intéressent l'homme indivi- duel ont déjà occupé le genre humain, dont le témoignage et les traditions ne sauraient être niés ni même altérés sans détruire ou altérer la science elle-même. Ils savent aussi qu'au-dessus de l'homme se trouve Dieu et qu'entre lui et la raison humaine, il n'y a pas un rapport d'égalité ; que cette raison a besoin d'un Dieu, mais qu'elle ne le comprend pas. Ils arrivent ainsi à constater un côté mystérieux des choses, insaisissable à la raison pure, dans le sens ordinaire du mot. Mais là ne s'arrête pas leur pensée : par leur profonde analyse de l'intelligence, ils trouvent dans l'âme une faculté mystérieuse, qui y répond, qui saisit les principes de prime abord par un élan spontané, et qui les livre ensuite à la raison pour les transformer et changer la foi en lumière : Fides quaerens intellectum. C'est ainsi qu'ils reconnaissent qu'il y a moij qu'il y a l'individu, cause libre et personnelle, qui pèse et discute tout témoignage, qui contrôle toute autorité , qui accepte et rejette celle du genre humain , celle de la conscience et celle de Dieu même, et qui peut aller jusqu'à se substituer à toute autorité. Ce n'est pas encore là la portée entière de leur pensée; ils sont convaincus qu'il y a des vérités qui seront à jamais insaisissables à la spéculation pure : c'est se tromper beaucoup, disent-ils, avec saint Augustin, que de croire qu'on peut connaître la vérité, quand on vit encore dans le mal (i). C'est ainsi qu'en pénétrant avec ce même Père dans les replis les plus intimes de l'âme humaine, ils sont parvenus à constater psychologiquement l'existence d'un ordre surnaturel et à y rattacher la philosophie rationnelle et naturelle pour la féconder d'une manière aussi vraie qu'admirable (2). 2. Des éléments qui viennent d'être constatés dans la pensée philosophique du moyen âge, il résulte clairement que la science avait alors deux tendances générales distinctes : l'une intellec- (1) Op., t. I, p. 605. (2) Les preuves à l'appui de ces données seront fournies dans les numéros suivants. Bossuet nous semble avoir exprimé cette suite d'idées dans l'admirable phrase : Malheur à la connaissance stérile qui ne se tourne pas à aimer. { 9) tuelle, Vautre morale et mystique. Sans doute, ces deux tendances doivent coexister et. s'unir dans la science objectivement consi- dérée; mais dans l'homme, si parfois elles se rencontrent heureuse- ment alliées, souvent aussi l'une ou l'autre prédomine, ou même règne exclusivement. Ainsi, dans le moyen âge, à une époque donnée et chez quelques hommes, la tendance intellectuelle fut victorieuse; plus tard et chez d'autres hommes, la tendance mo- rale et mystique l'emporta : entre ces deux triomphes éclatants, en quelques âmes d'élite, l'harmonie, une savante et douce har- monie s'établit. Cette harmonie, qui constitue la beauté souveraine de la pensée philosophique du moyen âge , ne s'aperçoit pourtant pas au premier coup d'œil d'un observateur ordinaire : il faut l'exa- miner à fond et la contempler sans prévention, avec une persévé- rante attention; il faut la dépouiller de la forme un peu austère et un peu âpre qui l'offusque et la cache. Il en est de la scolastique comme de la pensée philosophique de Socrate, selon Platon : on ne peut la comparer mieux qu'à ces figures de Silènes , qui parais- sent extérieurement de peu de valeur, et qui, au dedans, renfer- ment les plus belles , les plus magnifiques statues (i ). 5. La scolastique n'arriva pas à cette hauteur tout d'un coup; non, comme les autres développements de la vie humaine, elle eut ses phases diverses, ses périodes de début, de splendeur et de décadence. Elle naquit au milieu des efforts déployés par l'ÉgUse pour guérir les plaies nombreuses, que l'invasion et les guerres des barbares avaient faites aux provinces de l'empire d'Occident. Dans sa sollicitude maternelle pour tout ce qu'il y a de vrai, de noble et de grand dans la société humaine, cette Éghse employa toute son activité pour faire entrer dans son sein les nations romano-germa- niques et slaves, afin de les initier avec sa puissance divine à la vie religieuse et scientifique. Elle fut efficacement secondée dans cette tâche importante et glorieuse par un prince magnanime, dont le souvenir vit immortel dans l'histoire du monde moderne et dont la Belgique prétend avec quelque raison avoir été le berceau : ce fut Charlemagne, qui appela près de lui Alcuin, célèbre par son (1) 5'î/mj505îMm , discours (rAlcibiade. ( 10 ) savoir et sa supériorité professorale dans les écoles dTork : ce savant se rendit à l'appel de ce prince et vint se fixer dans les Gaules. D'après ses avis et sous sa direction, les écoles déjà exis- tantes furent restaurées, de nouvelles furent établies dans diverses parties de l'Empire, près des monastères de Tours, de Ferrières, de Fontenelle, de Fulde et ailleurs, tandis qu'aux portes mêmes du palais impérial, Alcuin organisait un enseignement régulier, destiné au prince et aux membres de sa famille. Le clergé , alors dépositaire de la science sacrée et de la science profane , entra aussi avec ardeur dans les vues si larges et si sages de Charlemagne, les seconda de toute son énergie et prit fortement à cœur la culture des lettres, des sciences et des arts. On peut même dire que, malgré les désordres amenés par les luttes souvent renouvelées des suc- cesseurs de ce prince , le développement de la philosophie prit un tel essor qu'à la fin de la première phase (XII™^ siècle), la scolas- tique nous présente déjà des hommes très-remarquables par leurs connaissances philosophiques, et, nous aimons à le constater, dont plusieurs appartiennent, par leur origine, à la Belgique. Profitant des ressources qu'offraient la littérature chrétienne et la littéra- ture ancienne, on aborda avec une vive curiosité l'examen de différents problèmes, mais sans le secours d'une méthode bien arrêtée, d'une manière fragmentaire, sans embrasser l'idée chré- tienne dans toute son étendue et dans toute sa portée. D'où sur- girent bientôt plusieurs erreurs, amenées surtout par les débats du nominahsme et du réaUsme , débats regardés par plusieurs mo- dernes comme le fruit des vaines subtilités dialectiques du moyen âge, mais qui, au fond, se rattachent aux problèmes les plus élevés de lontologie et de la métaphysique appliquée. C'est ainsi que la nécessité des sens, la vivacité avec laquelle leurs impressions nous affectent, et ce mélange fréquent qui s'établit en nous entre les représentations sensibles et les conceptions intellectuelles, ont con- duit certains philosophes à ne regarder la pensée que comme une sensation plus ou moins transformée : dans ce cas, il n'y a plus qu'une connaissance d'objets individuels ; les idées universelles sont illusoires et vides : c'est le nominalisme. La connaissance des objets sensibles au moyen de formes générales non sensibles ; les (H ) concepts d'un ordre purement intellectuel , supérieur à toute la réalité sensible; l'universalité et la nécessité d'une foule de vérités connues, universalité et nécessité qui ne peuvent provenir du caractère individuel et contingent des phénomènes sensibles; enfin la nécessité d'un élément permanent dans le flux des choses sen- sibles ont montré celle d'admettre des idées pures, supérieures à tout l'ordre sensible; de là l'école réaliste. Toutefois les réalistes, d'accord sur ce point principal, c'est-à-dire sur l'existence des idées pures ou des universaux, se sont divisés relativement à l'ex- pHcation du phénomène. Les uns ont regardé les idées comme subsistantes en elles-mêmes, comme des êtres nécessaires, dont dépendrait la réalité des choses comme aussi la connaissance qu'on peut en avoir : c'est la doctrine de Platon. D'autres ont considéré les idées comme de simples formes de l'entendement : c'est l'opi- nion d'Aristote. Enfin, selon une troisième classe de métaphysi- ciens , les idées universelles ne subsistent pas en elles-mêmes et séparées entièrement de l'entendement humain; toutefois, elles ne laissent pas de représenter une raison générale des choses, en laquelle il y a une vérité fondée sur la vérité infinie de l'enten- dement divin. C'est ainsi qu'ils corrigent les théories de Platon et d'Aristote, en les ramenant dans les hmites de la vérité. D'après eux, il existe des individus, mais non des universaux, abstraction faite des individus; il existe une vérité nécessaire, source de toutes les vérités applicables aux individus. Quand nous voyons l'uni- versel dans le particuher, le nécessaire dans le contingent, nous devons cette connaissance à la lumière qui nous éclaire tous, et qui, en nous créant, nous a communiqué une étincelle de sa lu- mière, comme aussi aux objets que notre intelligence peut con- naître. Il est facile de comprendre quelles graves erreurs devait occasionner la moindre confusion de ces divers éléments de la pensée philosophique. 4. En effet, le réahsme fut déjà poussé par Scot Érigène dans les abîmes du panthéisme et repris plus tard dans le même sens par Amaury de Chartres et son disciple, David de Dinanto. Selon Scot Erigène , la nature se partage en quatre genres : le premier com- prend la nature qui crée et n'est pas créée; le deuxième, la nature ( 12 ) qui crée et est créée tout à la fois; le troisième , celle qui est créée et ne crée pas; la quatrième, qui n'est point créée et ne crée pas davantage. Le premier représente Dieu; le second les idées di- vines; le troisième la création en général; le quatrième, identique au premier , est encore Dieu , mais Dieu sous une autre face : c'est le retour de toutes choses en Dieu , qui en est la fin comme il en est le commencement (1). Pour Amaury de Chartres, Dieu est tout et tout est Dieu : la créature et le créateur sont un même être. David de Dinanto, d'après saint Thomas d'Aquin, affirmait que Dieu est la matière universelle et que les formes ne sont que des accidents imaginaires. Ces sophistes furent ainsi conduits à une négation complète de la vraie science et du christianisme. Le nominalisme eut pour champion principal Roscelin de Com- piègne, qui soutenait que toute vérité repose sur l'expérience sensible, qui ne nous montre que l'individuel et le particuher; d'où il concluait que l'universel n'a pas de réalité et qu'il n'est qu'une abstraction vide , qu'un son de la voix , flatus vocis. Saint Anselme de Cantorbéry réfuta victorieusement ces erreurs en montrant que les idées universelles sont des principes réels, des principes de vie, et comme notre esprit en connaît l'existence et la réalité par une expérience intime et irréfragable, on ne sau- rait les faire passer pour des abstractions. Elles ont leur cause dernière dans l'entendement divin, qui renferme en lui les types créateurs de tout ce qui existe. Cette théorie de saint Anselme fut accueillie avec une faveur marquée et maintenue avec vigueur dans les écoles du moyen âge. Déjà Guillaume de Champeaux l'embrassa avec ardeur, mais en l'exagérant jusqu'au point de compromettre la réalité des substances particulières et indivi- duelles. Selon lui, V universel, c'est-à-dire, le genre est quelque chose de réel, et les individus qui le composent ne diffèrent nullement entre eux dans leur essence, mais seulement dans leurs éléments accidentels (2). Alors parut Abeilard. En opposition avec le réalisme de Guillaume, facilement altacpiablc si l'exposé (\) De Divisione naturac. (2) Abailanl, ép. J, 1>. ( i5 ) qu'il nous en a laissé est vrai , il reprit le nominalismc de Rosce- lin, en le modifiant à sa guise pour le faire rentrer dans les écoles dont il était banni. Suivant lui, les universaux ne sont pas un souffle de la voix, de purs mots; ear de purs mots ne sont rien et les universaux représentent certainement quelque chose à notre esprit, que ne saurait concevoir le pur néant. Ils ne sont pas non plus des choses réelles , des réalités , puisqu'ils ne résul- tent que des ressemblances des individus entre eux, qu'on nomme genres et espèces. Que sont -ils donc pour Abeilard? des concep- tions de l'esprit humain. Cet esprit devint ainsi le maître absolu dans le domaine de la vie et de la science, qui se règlent sur la nature des principes et des idées universelles. Sous les coups de cet esprit et de sa dialectique sans frein, la religion s'évanouissait, l'Évangile s'identifiait avec la philosophie , la foi se subordonnait à la raison et la morale devenait si souple et si facile qu'elle ad- mettait l'indifférence des œuvres et déclarait le péché une suite inévitable de notre nature (1). Du conceptualisme superficiel d'A- beilard naquit, dans le domaine de la logique, la secte des corni- ficiens, dont le formahsme creux et vide ne garda aucune mesure dans le travail de la pensée et ne fut au fond qu'un scepticisme déguisé, si admirablement dépeint et fouetté par Jean de Sahs- bury, dans son Metalogicus. 5. Les excès de ces hardis novateurs, dont, ^elon le même écrivain, l'esprit consistait à s'élever contre les règles et les tradi- tions établies, pour fonder sur la curiosité publique quelque nou- veau système , amenèrent des réactions énergiques. Au miheu de ces audacieux disputeurs, qui prétendaient rabaisser tous les mys- tères au niveau de leur raison individuelle, la Providence, comme toujours dans les grandes crises intellectuelles et morales, suscita un homme de génie, un homme dune sainteté éminente, pour arrêter le mal et y porter des remèdes efficaces : ce fut saint Ber- nard, dont les écrits pleins d'onction et de conviction ainsi que l'éloquence entraînante parvinrent à ramener les esprits égarés (1} Cousin, OEuvres inédites d'Jbeilard, IntroducL, pp. 137 et 524.— Introduct. ad Theolog., pp. 974, 977 et 982. — Ethica, c. IIL ( H ) dans la route de la saine doctrine et à porter par là même un coup mortel aux abus de cette dialectique aventureuse. Vécole de Saint- Victor devint l'héritière de l'esprit de saint Bernard, et continua la lutte qu'il avait soutenue avec tant de succès pour la cause de la vérité. C'est dans ces circonstances que parut dans la chaire de Saint-Victor, au XIP^^ siècle, un esprit supérieur, dont le nom est entouré d'éclat dans l'histoire de la scolastique : c'est Hugues d'Ypres, dont la Belgique peut s'enorgueillir à juste titre , et dont l'Allemagne, mais en vain, voudrait la dépouiller (1). On le nommait la langue de saint Augustin, et saint Thomas le regar- dait comme son maître. Peu fait pour les luttes solennelles et le zèle éclatant de saint Bernard, Hugues, à l'ombre et dans la soli- tude du cloître, enseignait à ses religieux avec applaudissement la philosophie telle que les Pères l'avaient établie dans leurs im- mortels écrits. Pour Hugues, la philosophie est l'amour de cette sagesse qui ne manque de rien, ayant et contemplant tout en soi, le passé, le présent et l'avenir : intelligence vivante, parce qu'elle n'oublie jamais rien; raison primordiale des choses, parce que tout a été fait à sa ressemblance. C'est à cette sagesse que la philo- sophie humaine doit rester soumise , comme la raison doit se su- bordonner à la foi (2). Selon Hugues, l'âme humaine arrive à cette philosophie par degrés et par des ascensions successives. « Elle » aborde les corps par les sens, en réfléchit la figure par l'imagi- )> nation, les examine par la réflexion, éclaire leur nature par » l'intelligence, en confie le souvenir à la mémoire. La faculté la » plus élevée de l'âme conçoit cet ensemble de perceptions et le » porte soit devant la méditation, soit devant la contempla- » tion (3). » C'est au moyen de ces facultés que l'âme doit tendre à la connaissance du monde , d'elle-même et de Dieu. Tout dans le monde matériel offre des traces, des symboles de la Divinité; mais la connaissance de soi-même surpasse de beaucoup celle du (1 ) Nous établirons l'origine belge de Hugues de Saint-Viclor, dans un mémoire spécial et destiné à faire connaître sa doctrine. (2) De Eruditione didascalticâ , lib. I, cl; lib. II, c. II. C'est un traité d'études, où Hugues raconte comment il s'est formé et instruit. (3) De Anima, lib. II, c. I-XV. ( 15 ) monde sensible, parce que l'âme est infiniment élevée au-dessus de la matière. Dans la nature extérieure, l'élément intelligible est voilé et doit être mis à nu par la réflexion et la méditation; dans elle-même, l'âme le contemple immédiatement et sans ombres; elle s'élève donc avec plus de promptitude et de sûreté à l'intui- tion, quoique toujours imparfaite, du souverain bien, auquel ten- dent toutes ses aspirations , pour lequel elle a été créée de Dieu , qui est lui-même ce but recherché et ce bien suprême. C'est pourquoi Hugues déclare la vie contemplative supérieure à la vie active , parce que la contemplation rapproche l'âme davantage de Dieu , l'unit plus intimement à lui et la rend plus propre à pro- duire la vraie vertu et la véritable science (i). C'est ainsi qu'en suivant les traces de saint Bernard et de Denys VAréopagite, Hugues de Saint- Victor jeta les fondements de cette théorie mo- rale et mystique qui sera développée avec éclat et plénitude par saint Bonaventùre et suivie partiellement par Henri de Gand. Mais si la tendance mystique, sortie de ce qu'il y a de plus noble , de plus spontané et de plus indépendant dans le coeur hu- main , commença à déployer sa puissante influence sur la science chrétienne, la tendance intellectuelle fut aussi amenée sur le théâtre des écoles; elle fut même employée avec plus d'étendue et de succès pour combattre les aberrations de la dialectique no- minaliste et les rêves du panthéisme réaliste , au moyen desquels Amaury de Chartres et David de Dinanto avaient égaré une foule d'esprits superficiels. Pierre Lombard, par son Livre des sentences, fidèle reproduction de la pensée des Pères de l'Église et de toute la tradition du passé, devint l'organe le plus avoué et le plus influent de cette réaction. Cet ouvrage célèbre resta , pendant des siècles , le manuel suivi dans les cours publics. D'autres intellectua- listes y prirent aussi une part active et glorieuse, et ce qui est plus intéressant pour nous, c'est qu'ils appartenaient à la Bel- gique. C'est ainsi qu'Odon de Tournai est un des philosophes qui, au moyen âge, ont répandu la plus vive lumière sur le problème des universaux. Selon lui, les universaux sont les substances (1) De Anima, Prolog. ( 16 ) réelles des clioscs, et ces universaux sont de leur nature simples et exempts de composition. Ils ne constituent pas des touts com- posés de parties distinctes, comme l'homme (jui se compose de ràrae et du corps, ou comme le corps qui comprend plusieurs membres ; mais l'universel est tout entier dans chacun des indi- vidus de sa catégorie, sans se diviser, sans se multipher; il de- meure invariablement le même et immuable, quels que soient les accidents des individus qu'il supporte (1). Odon n'attribue cette existence réelle qu'aux espèces et non aux genres ; distinction essentielle et que l'on ne trouve pas nettement formulée chez les autres réalistes du moyen âge. C'est la raison qui perçoit l'espèce par le genre et les différences; ce sont les sens qui saisis- sent l'individu par les accidents ou propriétés. Les universaux sont du domaine de la raison pure, intérieure; les individus relè- vent de la connaissance sensible extérieure ou des organes cor- porels (2). Simon de Tournai embrassa aussi le réalisme intellectualiste et acquit une réputation immense dans les écoles de philosophie de l'université de Paris. Il obtint plus tard une chaire de théo- logie où il se fit remarquer par la subtilité, la clarté et justesse avec lesquelles il exposait sa doctrine et donnait les solutions les plus inattendues des difticultés qui lui étaient proposées. Sa réputation devint si grande que les écoles ne pouvaient contenir le grand nombre de personnes, et surtout de docteurs qui se mêlaient aux étudiants pour entendre ses leçons. Il en conçut un orgueil tel que sa raison s'égara et que sa langue devint muette : ce que la légende du moyen âge nous présente comme un châtiment divin. Simon s'appliqua surtout à réfuter le matérialisme dans Épicure, son principal représentant dans l'histoire du passé, et le dualisme des Albigeois, qui n'était qu'une nouvelle forme du manichéisme an- tique. Son réalisme éclate particulièrement dans sa Théodicée et dans les pages magnifiques qu'il consacre, dans sa Somme, au dogme de la Trinité. Peut-être est-ce là cette leçon remarquable , (1) 13, Odon, De Peccato originali. Analyse de M. le prof. Labis. (2) Même analyse, dans la Revnii catholique de Louvain, S"^"" livr. de 1850. ( 17 ) qui iiiipiTssioiHia si vivcnicnl ses niidilcin's ({uiîs le prièrent de !a leur donoer par écrit pour qu'ils pussent en garder le souvenir (I). G. Ce fut ainsi que les débats du nominalisnic et du réalisme excitèrent et vivifièrent ractivité philosophique au XI"" et au XII'"'' siècle. Mais au Xîll"''" siècle, le développement de la scolas- tique atteignit son point culminant. Ce siècle, en effet, nourrissait un vrai enthousiasme pour tout ce qu il y a de grand et délcvc dans la vie et la science. Un livre entier ne suffirait pas à nommer les hommes illustres de cette époque , à mentionner les institutions fondées pour répandre les lumières et multiplier Faction de la charité, à énumérer les monuments impérissables jetés comme par enchantement sur toutes les plages de l'Europe, et à redire les entreprises tentées en faveur de la civilisation. Sous la puis- sante influence du catholicisme, tout semblait dans le monde ap- pelé à des développements admirables, à une exubérance de vie inconnue jusqu'alors. L'université de Paris était comme le foyer d'où rayonnait la lumière sur toutes les sciences spéculatives et morales, et au moyen de ces sciences, ce centre de l'activité in- tellectuelle la plus vive exerçait sa féconde influence sur la civi- lisation des nations romano- germaniques. Ce fut là le fruit de cette énergie vivifiante avec laquelle l'idée chrétienne s'était em- parée des âmes. Toutefois s'assimiiant tout ce qu'il y a de vrai dans Ihumanité, celte idée ne repoussait pas les conquêtes de la science grecque. Mais tandis que l'originalité aventureuse et la liberté fantastique de Platon furent presque complètement rejetées, le formalisme d'Aristote, que l'on connaissait maintenant mieux et par les travaux des Arabes et par des versions plus complètes et j)}us fidèles, fut accueilli avec une préférence marquée et devint comme le moule où Ton jeta la pensée chrétienne. Cette préférence du Stagirite s'explique facilement, si l'on observe que la scolaslique, basée sur des principes immuables et universels, n'avait qu'une clîose à faire : c'est de les développer et de les exprimer dans des formules simples et claires. Or, ces formules étaient données dans la logique d'Aristote. Suivant lui, toute science se compose de (1) Histoire lia. de la France, vo!. XVI , p. 389. TOMH X. 2 ( 18) trois choses : de principes, de définitions et de démonstrations, c'est-à-dire de syllogismes qui consistent à déduire les idées les unes des autres, d'eu montrer, par conséquent, renchaîncment et les rapports. Ces procédés convenaient parfaitement à une science qui naissait toute faite et qui, avec raison, se proclamait immuable. Tel est Vêlement aristotélicien dans la scolastique. Et peut-être ne se trompera-t-on pas en attribuant à Ihcureux emploi de cet élément la supériorité de la science moderne sur la science ancienne dans la méthode et l'exposition philosophique. Il en est tout autrement de la série des affirmations qui se dégui- sent sous les formules et la méthode scolastique : elles n'ont aucun air de parenté avec l'aristotélisme, du moins pour le fond même et la portée des idées. C'est ce que prouve jusqu'à lévidencc l'examen d'un seul article de la Somme de saint Thomas d'Aquin. 7. Dans la foule de docteurs illustres que nous présente la seconde phase de la scolastique, il n'en est que trois dont lobjet de ce mémoire nous oblige de parler encore avec quelque détail : ce sont Albert le Grand, saint Thomas d'Aquin et saint Bonaven- ture, parce qu'ils se trouvent dans des rapports directs avec Henri de Gand. Dt\jà avant les travaux de ces docteurs, on avait reconnu toute l'importance du formalisme aristotélicien pour la pensée philoso- phique et théologique. Mais on ne l'avait pas encore introduit dans toute la sphère des idées nouvelles. Pour arriver à ce ré- sultat, il fallait saisir toute la portée, toute l'étendue du péripaté- tisme. Cette tache était réservée aux investigations persévérantes et universelles d'Albert le Grand, comte de Bollstiidt, que, pour cette raison même, son époque honora du nom de Grand, Albert le Grand est, sans contredit, l'écrivain le plus fécond, le plus savant et le plus universel du moyen âge; aussi s'acquita-t-il de sa tâche de manière que le développement ultérieur de la philoso- phie chrétienne repose principalement sur ses travaux aussi consi- dérables dans les sciences philosophiques et théologiques que dans les sciences positives et expérimentales. Non- seulement il com- menta la plupart des écrits d'Aristote, en mettant soigneusement à profit les travaux de ses devanciers, mais il y ajouta même des ( l'J ) traités nouveaux, afin de iburnir une encyelopédie qui embrassât tous les domaines de la science. Suivant toujours la méthode du Stagirite, il s'appuie sur l'observation des faits, se sert des sciences naturelles comme d'instruments propres à diriger l'esprit humain dans ses investigations et à le faire remonter graduellement du connu à l'inconnu, des choses créées au Créateur, des choses visi- bles aux choses invisibles, c'est-à-dire à la plus élevée des sciences, à la métaphysique (1). Aussi maintient-il la division de la philoso- phie en métaphysique, mathématique qI physique , parce qu'elle lui semble conforme à la marche que lesprit humain suit naturel- lement dans son développement successif. Ces considérations montrent ce qu'Albert le Grand a fait pour la science en général, et quel est son rapport à la philosophie des époques antérieures. Le caractère dominant de ses recherches, c'est d'unir la raison et la foi, la science et la tradition et d'y faire ressortir le point de vue théoîogique (-2). D'après lui, la philo- sophie et la théologie partent toutes deux de l'expérience; lune des faits sensibles et naturels, Tautrc des données intelligibles et révélées. Sans doute, la raison humaine peut se convaincre par elle-même de l'existence de Dieu et connaître jusqu'à un certain point la nature de l'Etre suprême par la considération de ses œuvres. Mais cette connaissance purement naturelle est très-infé- rieure à celle qui vient de la révélation. Toutefois, selon Albert, l'une et l'autre sont, dans l'esprit humain, susceptibles de déve- loppement et peuvent s'étendre d'après la mesure de son perfec- tionnement moral. D'où l'on voit que, dans la pensée d'Albert, l'expérience naturelle et l'expérience surnaturelle, la raison et la foi s'unissent dans une unité harmonieuse. Selon lui, dans Tintel- ligénce humaine, il y a toutes les idées en germe, car elle est faite à l'image de Dieu. C'est de cette assimilation que lui vient la faculté de concevoir la forme ou la substance des choses par la lumière des universaux, qui ne sont que les idées divines réali- sées dans ces choses. L'esprit humain, par sa ressemblance avec (1) Voy. le prologue du Traité de la physique, Op., t. II. (2) Voy. la Somme de théolog. sub initio. ( 20) la vérité première, renferme comme une semence de toute vérité. Nos connaissances ne s'effectuent pas tant par la perception des choses extérieures que par la lumière que Dieu nous dispense et qui se réalise en nous au moyen des choses naturelles, produites par les idées créatrices de Dieu, de même que notre esprit est sorti d'un acte créateur et divin. D'après Albert, les choses sont donc connaissables et notre esprit est fait pour les connaître conformé- ment à la vérité, qu'il aime naturellement, comme il s'aime natu- rellement lui-même : connaître et aimer cette vérité, tel est le bien suprême, tel est le terme final de cet esprit (l). Telle est la tendance générale de la doctrine d'Albert le Grand : sortie du christianisme, elle rectifia les erreurs introduites dans la spéculation par un faux emploi du péripatétisme et par la théorie^ panthéiste des Arabes sur la nature des choses et sur celle de la connaissance. Aussi ses disciples ne feront-ils que la reproduire en la dégageant de cet esprit de digression , qui souvent en embarras- sait la marche et en offusquait la simplicité. 8. Parmi ces disciples, saint Thomas, issu des comtes d'Aquin, occupe sans conteste le rang le plus élevé : c'est encore le nom le plus illustre qu'ait produit l'école. Aussi le maître avait-il assez pénétré dans l'esprit du disciple pour prophétiser sa glorieuse destinée dans la science. Après avoir entendu les explications de son jeune auditeur sur une question ardue, il s'était écrié que le bruit de sa doctrine serait entendu dans le monde entier. Ce qui distingue, en effet, la doctrine de saint Thomas, c'est une pro- fondeur incomparable, une étendue qui embrasse toute la sphère do la pensée chrétienne et une rigueur de méthode qui ne se re- lâche jamais. Ce docteur pose d'abord la question , expose ensuite les difficultés et les objections et les réfute; d'où découlent déjà des preuves indirectes qui ouvrent la voie aux preuves directes. Ce sont des armes bien trempées, prises dans un arsenal où la rouille ne se montre jamais. Saint Thomas, bien que mort à un âge peu avancé, a beaucoup écrit. Outre la Somme de théologie, qui a rendu son nom immor- (1) Summa de creaturis. De Inldkclu et IntdWiiblU , c. H. (21 ) tel, il composa un grand nombre d'autres ouvrages, parmi les- quels sa Somme contre les Gentils nous semble mériter ici une attention particulière, parce qu'elle nous donne une idée précise de son génie philosophique et nous montre ce qui ie distingue et de ceux qui l'ont précédé et de ceux qui lui ont succédé dans le do- maine de la spéculation. 11 s'y propose surtout de poursuivre par la voie de la raison ce que cette raison peut découvrir de Dieu. Il se présente à nous, dit-il dans Yintrodiichon , 'première}}ient la considération de ce qui convient à Dieu en lui-même; deuxième- ment, la manière dont la créature procède de lui; troisièmement , l'ordre des créatures envers lui comme envers leur fin. Saint Thomas parle d'abord de Dieu et de ses attributs, Avant de démontrer que Dieu est, il fait voir qu'on peut le démontrer. Que Dieu soit, disaient quelques philosophes, on ne peut pas le démontrer, parce que c'est une chose connue de soi-même. Oui, de soi-même, répond saint Thomas, mais non pas par rapport à nous. Rien d'aussi visible que le soleil; une chouette, pourtant, ne peut le voir. Suivant Aristote, notre intelligence est aux vérités les plus évidentes par elles-mêmes ce que l'œil de la chouette est au soleil (1). Dautres pensaient que l'existence de Dieu ne pouvait être établie que par la foi , mais non être démontrée. Saint Tho- mas fait voir, par l'exemple des philosophes, qu'on peut étabhr l'existence de Dieu par cette démonstration qui conclut de l'effet à la cause. Quant aux preuves particulières de l'existence de Dieu, comme cette existence n'était révoquée en doute par aucun de ses adversaires, il ne fait ici que les indiquer. Dans la Somme de théo- logie, il en développe cinq qui reposent toutes sur le rapport des effets à leur cause. Ces effets requièrent: 1" le mouvement ou un moteur primitif; 2° une cause efficiente; 3" un être nécessaire; 4" une volonté souveraine; 5" une intelligence souveraine. Après ces considérations , saint Thomas s'attache à montrer ce que Dieu est : en quoi, observe-t-il , on réussit mieux en montrant ce que Dieu n'est pas, attendu que, ne voyant pas encore Dieu en lui-même, mais seulement dans ses créatures, qui en présentent (!) ex et XI. (22 ) des vestiges, des images imparfaites, nous devons toujours nous élever au-dessus de leur être et nous élancer au delà de la sphère où elles se meuvent. Il observe pareillement avec son coup d'œil juste et profond que les mêmes mots appliqués à Dieu et aux créa- tures, présentent un sens qui n'est ni tout à fait le même, ni tout à fait différent, mais analogue et semblable. Il y a une distance infinie entre Dieu et une créature quelconque : le même mot ap- pliqué à l'un et à l'autre, ne peut donc présenter entièrement le même sens. Cependant, malgré cette distance infinie, il y a de Dieu à sa créature le rapport de la cause à l'effet; le même mot, appliqué à l'un et à l'autre, présentera donc une certaine ombre de ressemblance (1). Cette observation, quelque simple qu'elle paraisse au premier regard, trahit encore le génie pénétrant de saint Thomas et montre la source de toutes les erreurs de la pensée philosophique. Ces erreurs viennent en effet de cette erreur première que le jnême mot appliqué à Dieu et aux créatures a tout à fait le même sens : par exemple, que Dieu est de la même manière que l'homme tstf tandis qu'il y a une distance infinie entre ce mot dans les deux phrases. Effacer cette différence, c'est supposer que Dieu et ses créatures, c'est la même chose. C'est ce qu'ont fait David de Dinant, en disant que Dieu est la matière première; Amaury de Chartres, en supposant que Dieu en était l'être formel; certains philosophes (les néoplatoniciens et les Arabes), qui en faisaient 1 àine du monde. La Divinité, dit saint Thomas, est appelée quel- quefois l'être de tout, dans ce sens qu'elle en est la cause, qu'elle en est Texemplaire, mais non qu'elle en soit Tesscnce (2). Tout ce qu'il y a d'être, de bonté, de perfection dans les créa- tures quelconques, se trouve en Dieu dune manière surémjnentc, d'une manière plus parfaite que dans les créatures mêmes (3). Les créatures n'ont d'être et de perfection qu'autant qu'elles participent par assimilation ou imitation à la perfection divine. Les divers de- (1) Contra Gentes , 1. 1, c. XIV. — C. XXXIl, XXXIII et XXXIV. - Sum. (jHciest., 15, art. 4. (^2) Contra Gentes, I. I, c. XXVI ot XXVII. (ô) Summa, 1,9,4, ;iit, 2. (23 ) grés de cette particij3ation , c'est ce qui distingue les créatures entre elles. Comme Dieu voit en lui-même les degrés infinis, auxquels son infinie perfection est participable ou imitable, il connaît ainsi, d'une connaissance propre, toutes les créatures en lui-même. La divine essence, quoique une, est ainsi la similitude pi'opre et la raison de ce qui est intelligible (1). C'est pour cette raison que la connaissance et la considération des créatures sont utiles pour Finstruction des bommes, qui en ap- prennent à mieux connaître celui qui les a faites; elles sont utiles aussi pour réfuter les erreurs qui peuvent altérer l'idée de Dieu. Ignorant la vraie nature des créatures, les idolâtres en ont fait des dieux : les manichéens (les albigeois) ont inventé deux dieux; d'autres (Platon, les Arabes) ont supposé les actions humaines nécessitées par les astres (2). La vérité est que Dieu, Etre suprême, est la cause de tous les êtres : il les a créés , c'est-à-dire faits de rien, sans aucune matière préexistante, non par une nécessité quelconque, mais par une volonté libre. La distinction des créa- tures ne vient donc pas du hasard, ni de la matière première, comme le prétendent certains Arabes, mais de Dieu qui a voulu représenter ses perfections infinies par cette merveilleuse diversité des créatures. Pour cela il convenait qu'il y eût des créatures intel- ligentes, comme représentant plus parfaitement celui qui a tout fait par sa puissance souveraine. Parmi ces créatures se trouve l'âme humaine, réunie au corps de la manière la plus intime; elle n'est pas éternelle, comme La pensé Platon, mais seulement immortelle; elle n'est pas de la substance de Dieu, ni transmise par génération, mais créée par Dieu de rien , en même temps que le corps auquel elle est unie (5). Elle est la forme du corps, c'est-à-dire que tout ce que fait ou manifeste le corps, c'est par elle qu'il le fait. Le corps se nourrit, digère et végète : c'est l'âme qui le fait sous le nom (Vdme végétative. L'homme rit ou pleure, soupire ou s'irrite : c'est l'âme qui le fait sous le nom d'âme appétitive. Lhomme voit, en- tend, etc. : c'est l'àme qui le fait sous le nom d'âme motrice. (1) Contra Gentes, 1. I, c. LIV. (2) L. II, cl, II et III. (3) L. II,c. LXXXllI-XC. ( 24 ) L'homme, enfin, pense, veut, contemple Finlelligible : c'est l'âme qui le fait sons le nom dV/me intellective (1). Tontes les créatures sont faites pour une fin : c'est la fin dernière, au delà de laquelle nulle créature ne désire plus rien, c'est Dieu lui-même. Dieu, étant la fin de toutes les créatures, doit donc les y diriger par des voies proportionnées à chacune d'entre elles : c'est le gouvernement général de sa Providence. Parmi les créatures de Dieu, comme nous lavons déjà vu, il y en a d'intelligentes et libres, que non-seulement il dirige vers leur fin, mais qui doivent s'y diri- ger elles-mêmes; de là pour ces créatures un gouvernement spécial, qui nécessite, pour le genre humain déchu, une révélation posi- tive (2). Cette révélation nous donne l'idée de la Trinité, et explique d'une manière positive tous les rapj^orts de la vie humaine. Toute- fois, si la raison se montre spontanée et active dans l'étude de la puissance créatrice, qui éclate dans tous les êtres de cet univers, elle ne l'est pas moins dans celle des vérités révélées ; elle peut les déve- lopper, les expliquer, les établir scientifiquement et les rendre con- cevables jusqu'à un certain point, bien qu'elle ne puisse pas ton- jours les comprendre dune compréhension complète et entière (5). Mais, se demande saint Thomas, comment se fait-il donc qu'au miiieu de tant de lumières naturelles et de lumières surnaturelles, la connaissance de Dieu s'étouffe quelquefois dans l'homme? Par V iniquité , répond le Docteur angélique. L'œil perd la vue des objets quand les rayons du soleil ne la lui donnent plus; de même celui qui se détourne de Dieu , prenant en soi son point d'appui et non plus en Dieu , celui-là perd la lumière de l'esprit. Donc pour s'élever à Dieu, il faut vaincre cet obstacle. Alors Dieu, ce soleil divin , rend visibles les autres vérités : on est, comme dit Platon, au terme de la course (rt'/o; r^/iairocux;] (4). 1! y a, en effet, relativement à nous, dit saint Thomas, deux modes de la vérité divine; car la raison a un double ternie et deux degrés de perfection; un premier degré où la conduit la lumière (I) Snm. Iheol., I" part., q. 50-75. (•J) Contra Génies, I. III, c. I. (ô) Summ. theoL Prolog. (4) Sum.j I'^' pr.i'l., d'après GiM!i-y : De la Connaissance de Dieu, vol. II. ( 2y ) . naturelle, et un second où la conduit h\ lu niièra surnaturelle. En elTet, d'après le Docteur angéliquc, daccord en cela avec les Pères de FÉglise, Dieu est lumière, Fliommc peut voir la lumière qui est Dieu directement ou indirecteinent. Ce sont là les deux degrés de i'inteliigijjle divin dont saint Thomas parle avec tant de préci- sion dans lintroduction de sa Somme contre les Gentils. Naturelle- ment l'homme ne voit que le second degré , c'est-à-dire le reflet ou rimage de la vérité incréée dans le miroir des créatures ou le mi- roir de l'àme. 3Iais il y a un plus haut degré de lumière dont l'es- prit humain a quelque naturel désir. Cet esprit veut voir la cause première elle-même en elle-même. Cette vue, c'est la vue de l'essence de Dieu, la vue directe de la lumière qui est Dieu. C'est pourquoi ce degré est dit celui de la lumière surnaturelle, Dieu étant au- dessus de toute nature (1). Voilà, dit Gratry, une description pré- cise de ce monde intelligible qu'a entrevu Platon; mais Platon tra- vaillait seul sous les ténèbres de l'ancien monde; tandis que saint Thomas travaillait sous le soleil du christianisme , soutenu du tra- vail, de l'expérience et de la sagesse des innombrables témoins de la lumière. Telle est la véritable raison de sa supériorité dans cette grave question. Telle est encore la supériorité de sa psychologie sur celle d'Aristote, malgré la similitude des termes. D'après saint Thomas, l'être et l'action de Tàme ne sont pas une seule et même chose, comme en Dieu qui est acte pur : l'union de l'àme et du corps ne ressemble pas à celle du pilote et de son navire , comme le croit Aristote, elle a lieu depuis la nutrition jusqu'à la sensation; au-dessous de la vie organique, le corps tient à la physique des corps bruts; au-dessus de la vie sensitive est Ventendement agents qui n"est pas le même dans tous les hommes, comme le veut encore Aristote, comme le voulaient aussi ses adhérents arabes : chacun a le sien, sans cela l'individualité voulue par le Créateur serait man- quée, ce qui est absurde. L'entendement, s'il le veut, n'a rien de commun avec le corps : d'où, après la mort, l'àme séparée de son cor])s, ne conserve que l'exercice de Ventendement agent et de la volonté, quoiqu'elle reste toujours la racine de toutes les facultés (!) Sum. C. G. Prolo[|f. Grati-y, ouvr. cité. ( 20 ) organiques. Quand on demande^ si l'entendement agent peut être passif, saint Thomas, combattant encore l'opinion d'Aristote , répond : oui, de Vahsoln, de Viudverscl, de Y être en soi, de la c/îiiddité, qui sont ses objets respectifs , mais qu'il ne possède pas intégralement, parfaitement. C'est donc en tant qu'il peut connaî- tre un peu plus aujourd'hui qu'hier qu'il est passif ou en puissance de son objet. Vintelligeiice est l'ensemble des facultés de connaître; Ventendement est la plus haute de ces facultés; la raison est Ten- tendement déduisant ou induisant selon un principe pur(l). Dans la partie pure de Tàme, à côté de l'entendement, est la volonté, qui est la faculté du but absolu ou bien du bien suprême, comme l'entendement est la faculté de l'objet absolu ou du vrai suprême. D'où la volonté peut s'appeler appétit iiitellectif, pour la distinguer des tendances sensuelles, que l'on appelle appétits sensitifs. Comme l'entendement domine les sens dans l'ordre spé- culatif, la volonté domine les passions dans l'ordre pratique. La volonté et l'entendement ne se dominent pas l'un l'autre, ils se servent mutuellement, et sont, comme leurs objets respectifs, le vrai et le bien qui se tiennent. A cause de son entendement et de sa volonté, l'homme est libie, parce que ces deux puissances rap- portent ou, comme dit saint Thomas, collationnent les actions au vrai et au bien absolu; il sait, enfin, le pourquoi de sa détermi- nation ou de son choix : donc le choix, qui est le signe du libre arbitre, peut être défini des facultés qui le fondent : une pensée volitive ou une volition ïntellective; cependant être libre est plutôt synonyme de vouloir que de penser {^). C'est au moyen des idées et des principes , qu'ici nous n'avons pu qu'esquisser brièvement, que saint Thomas s'est élevé infini- ment au-dessus de Platon et d'Aristote; qu'il a donné un système admirable de la science chrétienne tout entière. Il fit un emploi judicieux et sage des principes ])hilosophiques pour atteindre ce grand but. Sous ces rapports, on peut le dire hardiment, ses con- tem[)orains et ses successeurs n'avaient rien à ajouter. Sans con- tredit, il est le plus profond et le plus illustre représentant de (1) Sum. theol., 2'"'^ part., sect. 1, q. 59-75. (2) r comme la cause de tout? » Selon Henri comme selon les Pères , Dieu n'est donc pleinement connu que de lui seul; il ne saurait l'être parfaitement des hommes, à qui il est impossible de pénétrer son essence. Mais du spectacle de la création ils peuvent conclure sa puissance, sa bonté, sa sagesse; d'où il suit que Henri s'accorde encore avec eux, et aussi, croyons-nous, avec les exigences de la saine raison, quand ailleurs il affirme qu'incontestablement la nature et l'essence de Dieu peuvent être connues par lliomme dans son état présent sur la terre. Asolute igitur concedendum nunc quod quidditas Dei et essentia ah homine est cognoscibilis , 7ion solum in futuro, sed etiam praesentia (1). H établit avec raison qu'il y a une différence e.itre avoir l'idée de Dieu et comprendre Dieu. H ne faut pas prendre une connaissance limitée pour une complète ignorance, ni une ignorance relative pour une privation absolue de connais- sance. Évidemment, Henri veut dire que la nature et l'essence de Dieu peuvent être connues par la magnificence de ses œuvres, bien que cette connaissance ne puisse jamais ici-bas quêtre in- complète et partielle. C'est pourquoi un Père de l'Égiise a dit, en se servant d'une image populaire, que Dieu, en tant qu'il est infini, est tout à la fois quelque chose que nous voyons et que nous ne voyons pas, comme la mer et le ciel (2). C'est par cette théorie que le Docteur solennel rectifia aussi l'opinion d'Avicenne et d'autres philosophes, qui prétendaient que l'idée de Dieu ne peut être l'objet de la science. 14. A part cette contradiction, que Rousselot croyait avoir trouvée dans la Théodicée de Henri, et qui n'en est plus une, cet historien applaudit à ce que Henri dit touchant Texistence de Dieu. Pourtant, à vrai dire, il n'y a ici rien de nouveau. Henri suit encore les traces des Pères et notamment celles de saint Augustin. Selon (1) Summ., art. 24, art. 1. (2) S. Epiphanes, Hser., 1. XX, n'' 8. ( 4i ) le grand évéqiie d'Hippone, Dieu nous donne trois révélations naturelles de lui-même, dans le monde sensible, dans le monde intelligible, et dans notre âme. Mais nous nous élevons à lui par un acte du cœur plutôt que de l'intelligence : lïdée vient après le sentiment. « Dieu est amour, dit ce Père, et les fidèles s'uniront à » lui dans l'amour, rappelés du bruit du dehors aux joies du » silence. Oui, Dieu est amour. Pourquoi courons-nous donc des » hauteurs des cieux aux profondeurs de la terre à la recherche )) de celui qui est avec nous, pourvu que nous voulions être » avec lui (i). » Le Docteur solennel prend la même voie pour démontrer Texistence du premier être; il se fonde sur l'anticipa- tion {praecogniiio) ou sur le germe que Dieu a placé dans Fàme en la créant; mais combien il est resté ici au-dessous de ses devan- ciers? Ils nous disent que l'âme est unie à Dieu; que cette union ou parenté de l'âme avec Dieu s'efTectue de deux manières : elle s'opère et par les idées, vestiges de la divinité, qui sont essentielles à l'âme, et par les communications immédiates, qui existent entre l'âme et Dieu. « C'est en vous-même, dit saint Grégoire de Nysse, » que vous trouverez tout ce que vous pouvez embrasser de la » vue de Dieu. Dieu, en vous créant, s'est représenté lui-même )) dans son œuvre. Lavez avec soin toutes les souillures qui se sont » amoncelées autour de la divine copie, et la beauté de Dieu res- » ])lendira (!2). Le verbe de Dieu, dit saint Cyrille, éclaire tout )) homme venant en ce monde, non en l'instruisant, comme » feraient un ange ou des hommes, mais plutôt à la manière d'un )) Dieu, en le créant. A tout être qui vient au monde, il donne lui )) germe de sagesse ou de connaissance divine; il insère en lui une M racine dintelligence, et ainsi, en formant l'animal raisonnable, )) il le rend participant de sa propre nature, et il envoie dans son )) esprit comme des émanations éclatantes de son ineffable splen- » deur, par une opération que lui seul connaît (3). » Écoutons maintenant encore le peintre de la vie intime de l'âme sur ïa^ (1) De Trinitate, VIII, 7, 85 Quodlib. 1, q. 1. Summ., art. 22, q. 1. (2) Orat. 6 , de Beatilud. Prolog, de anima. (ô) Lib. I, in Evang. Joann., t. IV, p. 75. (4S ) communications immédiates qui existent entre Tâme et Dieu. « Exilés, dit saint Augustin, de la région de l'immuable joie, sans » cependant que tout commerce soit absolument rompu , Dieu n'a » pas voulu que nous cherchions dans ces choses passagères et » temporelles l'éternité, la vérité, la béatitude. C'est pourquoi il )) nous a envoyé des apparitions accommodées à notre état présent » dans le pèlerinage d'ici-bas, pour nous avertir que ce que nous » cherchons n'est pas ici, mais qu'il nous faut retourner vers cette » région dont nous dépendons certainement, puisque nous cher- » chons ici-bas ce qui n'est qu'en elle (1). » Le reste de la Thêodicée de Henri de Gand est encore conforme à celle des Pères. Dieu est pour lui l'Etre infini, la vraie réalité, l'unité essentielle. L'éternité est sa vie; c'est une vie sans fin, pos- sédée à la fois tout entière et dans sa plénitude; car étant absolu et ne pouvant, dès lors, subir aucun changement, il jouit de la vraie vie, qui est la vie éternelle, tandis que tout ce qui est changeant et successif ne vit pas véritablement, chaque changement étant une espèce de mort : omnis variatio quaedam mors (2). Selon le Doc- teur solennel, l'acte de la vie divine est donc sans intermittence, sans défaillance et sans limites. Dieu, pour nous servir du langage de récole, est pour lui un acte pur. En Dieu, l'opération ne pro- duit aucun terme distinct de soi , mais le produit de son opération est son opération même, comme le terme de la joie et de la con- templation n'est autre que la contemplation et la joie elles-mêmes. La vie divine est donc un acte permanent. Dieu contemple et aime la vérité absolue, qui est lui-même. Tel est l'objet éternel de son activité. Il est intcnigence infinie, et c'est elle quil faut contempler pour concevoir la création des choses finies. En Dieu il faut, selon Henri, nécessairement admettre une double connaissance: 1'' une connaissance qu'il appelle théorétique et qui consiste dans Tintui- tion de lui-même : Dieu se connaît comme Dieu, comme absolu- ment parfait; cette connaissance est, de sa nature, infinie comme son objet ; 2° une connaissance qu'il nomme pratique, et qui se (1) De TrinitaU, IV, 1. Z?e lih. arhilr., II, 41. (î?) Summ., ait. L>0, q. ô. Conf., art. 25-30. (40) réalise au dehors par la création : elle embrasse donc de son regard tout le fini, tout le créé, tout le contingent, tous les possibles. Par la nature même de cette dernière connaissance, Henri est conduit à admettre dans lïntelligence divine une idée de tout être qui a une nature propre : car c'est de cette idée que tout être tient son essence et sa cogiioscibilité (1). Aussi la vérité d'une chose consiste, pour lui, dans une certaine conformité et une certaine équation, selon son degré de perfection et sa propre nature , avec ce qui lui correspond de perfection dans lessencc divine. Tout ce qui ne cor- respondrait pas à une telie idée ne pourrait exister : ce serait le néant (2). De là aussi que la fausseté d'une chose nest au fond que Fimitation défectueuse de l'être d'une autre chose; c'est une sorte de mensonge naturel. De ces considérations, Henri conclut que toute créature tient sa nature d'une idée divine, puisque les idées, qu'il appelle aussi, avec certains Pères de TÉglise, raisons sémi- nales des choses, ne sont pas seulement en Dieu, mais qu'on les trouve aussi dans la nature, où elles se manifestent comme causes secondes (5). Toutefois, ces raisons séminales ne sont dans les choses que par emprunt, par participation, au moyen de 1 acte de la toute-puissance créatrice de Dieu. Ces choses ne sauraient même continuer à subsister sans lintervention constante de Dieu, puisque c'est lui qui les a fait sortir du néant avec le temps, par un acte libre de sa volonté toute-puissante (4). Car l'indépendance de Dieu est absolue, et toute doctrine qui admet à cet égard le dogme de la nécessité est aux yeux de Henri un crime de lèse-ma- jesté divine. C'est donc par cette intervention continuelle du Créa- teur que les êtres conservent leur nature propre et leur existence individuelle au milieu du flux incessant du monde des phéno- mènes. L'influence que Dieu exerce ainsi*sur ses créatures est de deux espèces : elle est ou naturelle ou surnaturelle : celle-ci ne concerne que les êtres doués d'intelligence et de volonté et s'appelle (1) Quodlib., 5, q. 3; ibid. 7, q. 2. (i>) Ibid., 1, q. 7, 8 et 9. (ô) Summ., art. 25, q. 3; art. 50, q. 4, d'après M. Lajaid. lib., 7j q. 2 5 ibid., 1 , q. 7, 8 et 9. (47) grâce (i). Mais si les droits de Dieu sont ainsi maintenus comme ils doivent l'être, les créatures ne perdent rien de la réalité de leur être; car les raisons séminales des choses ne sont pas seule- ment en Dieu, mais aussi dans ces choses elles-mêmes, où elles se montrent actives. a. Tels sont les principes fondamentaux de la doctrine de Henri de Gand; ces principes, il les applique aussi h l'étude de l'homme considéré dans sa vie individuelle comme dans sa vie sociale. Pour Henri, en efFet, la couronne de la création visible, c'est l'homme. Selon lui , l'homme n'est pas un composé de corps et d'àmc, c'est un corps animé d'une àme intelligente, c'est une âme raisonnable unie à un corps organisé. Mais si l'âme n'est pas moins faite pour le corps que le corps pour l'àme, ce serait attri- buer au Docteur solennel une erreur immense, une erreur impos- sible à un philosophe chrétien , que de lui faire dire que le corps fait partie de la substance même de lame, comme le fait pourtant M. Lajard. Car Henri dit positivement que l'homme est engendré par l'homme quant au corps, et que ce corps est animé d'une àme immortelle, formée par le Créateur (2). D'où l'on peut voir pour- quoi il regarde l'àme comme Vacte parfait et la forme parfaite du corps : sans elle, ce corps ne serait pas véritablement un corps humain, ses organes ne pourraient se développer et arriver à leur destination parfaite. Sous ce rapport, il n'y a aucune différence entre Henri de Gand et saint Thomas d'Aquin : notre précis de la psychologie du Docteur angélique le démontre à l'évidence. D'où nous croyons pouvoir inférer, contre M. Lajard, qu'il n'y a pas d'identité entre l'animisme Stahl, de le phrénologisme de Gall et la doctrine de Henri. Car, tandis que ces dernières hypothèses sont évidemment entachées de matérialisme, on ne saurait en trouver la moindre trace dans la psychologie du Docteur solennel. Selon lui, le corps se transmet par la génération; mais l'âme im- mortelle, par conséquent aussi spirituelle, est créée immédiatement de Dieu. Cest pourquoi il repousse encore avec raison la définition (1) QiiO(llib.,7. q. 5. (y) Quodiib., 3, q. 14, lo; ibid., 7, q. 16 5 ibitl., 12, q. 10; ibid.. 9, q. 14. ( i8 ) ([lie Platon donne de rhoinme : ce philosoplic regarde le corps comme une enveloppe dont l'àme est revêtue depuis sa chute, depuis sa sortie du lieu céleste, où il lui fut donné de contempler les idées éternelles (J). Le corps est pour elle un véritable embar- ras qui doit disparaître; c'est un instrument qui doit être brisé et détruit pour que l'àme puisse retourner à son état de contem- plation primordiale. Tel est sans contredit le vrai sens de la définition platonicienne. Rousselot en a donc méconnu le vrai caractère, la vraie portée, sans quoi il ne l'aurait pas préférée à celle de Henri de Gand, qui est vraie, parce qu'elle exprime la vraie nature de l'homme; elle est vraie parce qu'elle est conforme au christianisme, qui regarde l'homme tout entier comme une œuvre de Dieu, comme suscep- tible de perfectionnement et destiné à l'immortalité. Henri est donc, dans cette grave question, bien loin, bien au-dessus de Platon, et c'est cet éloignement, cette supériorité qui l'a préservé d'une erreur qui dégrade l'homme, d'une erreur qui fut condamnée par le christianisme dès les premiers jours de son existence. Rous- selot s'est donc laissé égarer par un amour déplacé de Platon. Par tous les développements que nous venons de donner sur la doctrine de Henri de Gand, on a pu remarquer qu'il a pénétré profondément dans la nature intime de l'àme. D'après sa théorie de la création, il ne pouvait ne pas lui accorder une unité par- faite. C'est d'ailleurs ce qu'il exprime formellement en la nommant l'acte parfait du corps. Cette unité de l'àme, il la fait bien res- sortir, en montrant que l'activité et la passiveté dans l'intellect ne résultent pas de deux intellects distincts , l'un actif, l'autre passif, mais que ce sont deux modes du même être. Selon lui, dans la pensée comme dans la sensation, il y a tout à la fois activité et pas- siveté : telle est la nature primitive et essentielle de l'âme. H l'amène aussi l'imagination à cette unité, en sorte que ces trois formes de l'intellect sont entre elles, comme la lumière, la cou- leur et la vue. Une conséquence naturelle de cette manière d'en- viager l'àme, c'est de déclarer erronée la conception d'Aristote (!) Phèdre-Phédon. ( -49 ) touchant 1 identité de lintelleel actif dans tous les hommes. Henri de Gand, par la nature de la raison et de la sensibilité, et plus encore par le dogme de la création, déclare rintellect personnel dans tout homme, bien qu'il y ait aussi une portée générale. Il at- tribue aussi le même caractère h la sensation : c'est ce que ses derniers historiens ont établi avec une grande lucidité. Mais quand ils en prennent occasion d'accuser d'autres scolastiques d'avoir admis plusieurs âmes distinctes par leur théorie de l'intellect passif et de rinteîlectif actif, nous ne pouvons plus être de leur opinion. L'un d'entre eux est resté dans la généralité de l'accusation ; nous n'avons donc pas besoin de nous en occuper; l'autre cite comme exemple Albert le Grand. Celui-ci, selon Rousselot, n'aurait pas maintenu l'unité de Fintellect dans sa division psychologique. Ce- pendant le maître de saint Thomas d'Aquin et de Henri de Gand dit positivement que Tàme est une comme le point : Anima punc- tum est, hoc est, substantiel posita in continno. Elle est comme une ombre de lintelligence divine, umbra intellectus divini, c'est-à-dire l'image de l'unité infinie, incréée. Elle est donc aussi intelligence et offre deux aspects : elle est active (agens) en tant qu'elle saisit la lumière qui vient de Dieu, et passive en tant qu'elle reçoit cette lumière ( in quo lux recipitiir). H reste donc établi qu'Albert ne porte aucune atteinte à l'unité de l'âme par sa théorie du double intellect : la terminologie est péripatéti- cienne et la pensée chrétienne (1). Mais ce que le maître n'avait énoncé que dans une formule assez vague et assez obscure , son disciple le plus profond l'expose avec une clarté et une précision telles qu'il n'y a plus lieu à la moindre équivoque : nous lavons déjà constaté dans notre précis de la psychologie de saint Thomas. Ce n'est donc ni son maître ni son condisciple, et peut-être aussi son second maître, que le Docteur solennel a voulu combattre par sa théorie de l'intellect, sans quoi il faudrait dire qu'il ne les a pas compris. La seule différence qu'il y ait entre eux et lui, c'est qu'il rejette la terminologie péripatéticienne, ou plutôt encore, il la désapprouve; car s'il admet la passiveté et dans la sensation et (l) De animé, 3. Tome X. 4 ( SO) dans Vintellection, ses prédécesseurs les regardent aussi comme passives; saint Thomas dit même que rintellecl est réceptif ou passif de l'absolu ou de l'universel. do. Il nous reste à parler brièvement de la dernière partie de la doctrine de Henri de Gand : c'est la morale qui encore se rattache parfaitement à ses principes et à ses tendances îjénérales. Suivant le Docteur solennel, l'homme dans sa carrière terrestre a besoin de connaître trois choses : Dieu, lui-inême et les êtres au milieu des- quels il déploie son activité et tend vers Dieu comme vers sa fin. La connaissance de lui-même repose sur les germes déposés dans son âme à son origine, tandis qu'il ne peut acquérir celle des choses muables qu'au moyen des sens externes. Cette double connais- sance lui procure celle de Dieu, but et terme de son activité (1). Cette activité est libre; car si la volonté dans ses décisions a besoin d'une idée préalable, ces décisions ne sont pas toujours des con- séquences inévitables d'une idée objective; la volonté n'en est pas nécessitée; elle peut même préférer un bien moindre à un autre qui aurait plus de valeur, ce qui pourrait être un grand mal et qu'il faut éviter. C'est pourquoi Henri déclare qu'une volonté droite est d'un prix inestimable : elle a pour lui une valeur bien supérieure à la connaissance parfaite. Et d'où lui vient cette supériorité? Du principe dont elle émane, c'est-à-dire de l'amour de Dieu, qui est d'un prix infiniment plus élevé que l'illumination de l'àme sans fer- veur, sans élévation à Dieu et sans union avec lui (2). Ici se mani- feste donc clairement la tendance mystique du Docteur solennel. Il en est si pénétré que sa parole en devient comme brûlante et comme inspirée. Bienhem'cux, s"écrie-t-il, ces homme choisis et pri- vilégiés, à qui Dieu a accordé des dispositions naturelles au bien, de nobles instincts et des élans divins avec un cœur prompt à les suivre; plus heureux encore sont-ils quand Dieu anime et seconde leurs efforts par les dons d'une faveur toute gratuite (5). Mais plus le regard du Docteur solennel s"élève, plus aussi il s'étend, plus (1) Quodiib., l,q. 12, 15, 1o et 16. (2) Ibid., l,q. 14. (3) Ibid., 9, q. 10. (SI ) aussi il devient profond : dans Tindividu, il voit la famille, il voit la société entière. Un père, favorisé de Dieu et de la nature, eon- tinue-t-il, en engendrant un fils qui lui ressemble, donne origine à une noble race dont la durée égalera la transmission de cette ressemblance ; mais elle s'éteindra dès qu'un de ses descendants corrompra par son plomb lor pur de ses ancêtres. Il donnera le jour à des êtres qui lui ressembleront dans leur triste vie (1). Que demande maintenant Henri pour éviter un si déplorable malbeur? Pas autre cbose que ce qui avait formé et nourri son cœur dans la maison de ses ancêtres, développé et fortifié son intelligence dans les écoles publiques au milieu de sa nation, si attachée aux traditions séculaires de ses pères, au milieu du christianisme qui avait civilisé le monde païen et le monde barbare, c'est-à-dire, il demande une bonne éducation , une éducation chrétienne. Alors aussi la société civile et politique sera bien constituée et appuyée sur des bases solides et inébranlables. Alors on verra que , dans cette société, tout ne peut pas être commun entre tous; que la propriété personnelle ne peut être anéantie sans entamer la société humaine elle-même (2). Néanmoins, d'après le Docteur solennel, les biens particuHers de findividu ne peuvent lui appartenir de manière qu'il ne soit point obligé à contribuer au bien commun, quand les circonstances de temps et de lieu l'exigeront dans l'in- térêt de tous. Peut-être, en établissant ces principes, Henri de Gand pensait-il aux tendances communistes des Albigeois , qui voulaient détruire la propriété personnelle et particulière pour assouvir leur soif de jouissances sensuelles. Peut-être encore avait-il en vue le farouche égoïsme des barons et des seigneurs de son siècle que les rois de France, notamment saint Louis, durent souvent contraindre par la force des armes à sacrifier une partie de leurs intérêts privés à la commune patrie. Du reste, il tâche aussi de démontrer la vé- rité et la nécessité de ces principes. Suivant lui , la loi fondamentale d un État, c'est que, dans toutes les relations politiques, le bien commun, supérieur au bien-être privé, et par son importance et (1) Quodlib., 9,q. 18. (2) Ibid., 4,q. 20. (b2) par son étendue, soit préférée au bien particulier et individuel. C'est pourquoi même la droite raison {recta ratio) ordonne de sacrifier jusquà sa vie quand le bien-être de lÉtat le commande; de même que la conscience morale prescrit d'accepter la mort plutôt que de se souiller d'une faute mortelle (1). Mais si l'individu se doit ainsi à FÉtat, Henri n'oublie pas de rap- peler à l'État ce qu'il doit à l'individu, au citoyen. L'État est obligé de garantir les droits des personnes, de protéger les propriétés particulières et privées avec autant de soin et d'énergie que les propriétés communes et publiques (2). Ces données sur la morale de Henri de Gand nous semblent suffire pour en caractériser les tendances générales et la confor- mité avec les principes qui dominent l'ensemble de sa doctrine. 16. L'aperçu que nous venons de présenter de cette doctrine, bien que très-succinct , et destiné surtout à rectifier quelques erreurs de ses derniers historiens, nous montre dans le Docteur solennel un esprit profond et vraiment philosophique; il sait suivre la pensée à travers toutes ses évolutions, sans jamais perdre de vue l'unité de la doctrine. H règne un accord parfait entre toutes les parties de cette doctrine : la théorie de la connaissance, celle de la substance et les universaux s'harmonisent entièrement avec la théorie de la création et, par conséquent aussi, avec la Théodicée. Sous tous ces rapports, Henri s'accorde aussi parfaitement avec les Pères de l'Église et surtout avec saint Augustin, guide principal des docteurs du moyen âge. C'est ainsi que, d'après le grand évêque d'Hippone, notre âme est une lumière créée, où subsistent, sous un mode particulier, accommodé à notre faiblesse, les vérités immuables, les idées absolues , que nous voyons au-dessus de notre âme dans la lumière incréée. Immuables, ces vérités existent au- dessus de l'âme humaine; en ajoutant quelque chose du nôtre, nous jugeons, par elles, des choses de ce monde (5). La raison humaine, dit-il, a pu aller jusque-là; mais dès qu'elle arrive aux choses divines, elle se détourne, elle ne peut regarder en (1) Quodlib., 1 , quaest. 20; ibid., 12, q, lô. (2) Ibid., 11, q. 18. (5) In Evangcl. Joann. Tract, 35. ( ti3 ) face, elle palpite, elle se trouble, elle est ravie d'amour, elle reçoit le reflet de la lumière divine; éblouie de cet éclat, ce n'est pas un clioix spontané, mais la fatigue qui la ramène à ses ténèbres ac- coutumées. Dans cet état, elle a besoin du secours de Tinfaillible sagesse, qui, par la parole révélée, lui ménage une lumière plus douce et comme des ombres carressantes qui tempèrent l'éclat trop vif de la vérité (1). C'est aussi cette même sagesse qui a créé chaque chose d'après sa raison ou idée propre. Or, ces raisons, ces idées, où devons-nous croire qu'elles subsistent, si ce n'est dans la pensée du Créateur? car il n'avait pas les yeux fixés sur un modèle situé hors de lui : le penser, ce serait une opinion sacri- lège (2). C'est ainsi que Platon est jugé, corrigé, dépassé. Cette opinion sacrilège est en effet celle du philosophe grec. Dans le Timée, il nous dit que Dieu, auteur de l'univers, est simplement imitateur des êtres réels [/ui/u}^r\î; rw cvrcov); or, ces êtres, ce sont les idées qui sont indépendantes de lui; qu'il ne crée pas, car il ne crée absolument rien. Aussi, dans le système de Platon, la réalité et l'idée ne se correspondent jamais : l'idée ne pénètre jamais cette réalité d'une manière véritable et efficace; elle con- serve toujours son caractère transcendant et n'entre jamais en une véritable communication avec la réalité contingente et visible; elle reste toujours un principe purement extérieur, un principe étran- ger et inefficace dans le monde; elle est dépouillée de cette énergie créatrice, qui pourrait faire sortir d'elle une réahté quelconque. Tout reste ainsi dans les limites de la pure possibilité et ne devient jamais une réalité actuelle et vivante. Il en est tout autrement de la vraie philosophie, professée par les Pères de l'Église et les plus illustres parmi les scolastiques. Selon cette philosophie , les idées ne sont que les notions des choses telles qu'elles existent dans l'intelligence divine, en un mot, les idées sont les conceptions de Dieu relatives aux choses créées. Ces conceptions ne sont pas l'ab- solu lui-même, car elles n'ont pour objet. que le fini et le relatif. (1) De moribus Ecclesiae cathoïicae, 1. 1, ch. VII, p. 1120. (2) De div. quaest., 83, q. 40, 2; De vera Relig., 113; De civitate Dei, 8,0,11, 10, ô. (Voy. la note B.) (84) C'est aussi pour cette même raison que, dans ces conceptions ou idées divines, se trouve exprimé le rapport du relatif à l'absolu et de l'absolu au relatif; ce rapport se réalise par suite de l'énergie créatrice des idées, d'où jaillit toute vie, vie qui, étant la réalisa- lion de ce rapport, doit être considérée comme la vraie vie; elle constitue cet ordre que nous appelons divin, et dans lequel Dieu j l'absolu, est la cause, la source et le but de toute vie et de toute existence. Cet ordre divin, où le rapport existant entre l'absolu et le relatif n'est jamais interrompu, ne pourrait subsister dans son unité, si les idées créatrices des êtres qui y vivent n'étaient pas la pensée du Dieu un et vrai, si ce Dieu n'embrassait tous ces êtres par sa puissance, si en debors de lui il y avait un monde d'idées éter- nelles et indépendantes, daprès lesquelles le monde visible serait façonné, constitué et ordonné. Car, dans ce cas, nous aurions un monde en dehors du monde divin , des idées efficaces en dehors des idées divines, une vérité en dehors de la vérité divine, une fin des choses en dehors de la fin divine et générale, par consé- quent, un ordre de choses en dehors de Tordre divin. De cette manière, lidée de Dieu cesserait d'être pour nous une idée vraie et juste : Dieu ne serait plus l'absolu, le seul et l'unique Dieu, le premier et le dernier, le très- haut, l'infini, Timmense, le tout- puissant; il serait ce qu'est le dieu de Platon, un dieu impuissant et borné, à côté duquel le destin , les idées et la matière possèdent une puissance véritable, indépendante, éternelle cl absolue. D*où viennent maintenant ces erreurs si énormes dti plus grand pen- seur de la Grèce, du plus illustre représentant de la philosophie abandonnée à ses propres forces? La raison réelle et essentielle s'en trouve dans son impuisscmce à concevoir l'idée d'une cause absolue. Et quelle est la source véritable de l'immense supériorité des Pères et des docteurs du moyen âge? C'est précisément cette notion de cause absolue qui leur est olTerte par le dogme chré- tien de la création dans son application la plus vaste j la plus com- plète et en même temps la plus incontestable : car, sans ce dogme, rexistence du monde ne peut être exphquée; avec ce dogme, des horizons nouveaux, supérieiii's à toutes les hypothèses bornées des anciens, se sont ouverts à la pensée humaine. La matière n'est ( ss) pins pour les penseurs elirétiens, eomme pour Platon, un fantôme qui couvre la création d'un voile funèbre, et montre à l'esprit, dans le lointain infini, une obscurité impénétrable. Chez les Pères et les scolasti(pies, tout est serein, tout est riant, tout est lumi- neux : l'esprit, avec sa personnalité entière, peut se reposer à tout jamais sur l'auteur infini de tout son être et le terme glorieux de sa destinée finale. La comparaison que nous venons de faire entre Platon, d'une part, saint Augustin, les scolastiques et Henri de Gand en parti- culier, d'autre part, et que Ton pourrait étendre à toutes les par- lies de leur doctrine respective, cette comparaison montre jusquà révidence qu'il n'y a entre eux qu'une similitude doctrinale tout extérieure, tout au plus une similitude de tendance. Platon est dépassé de toute la hauteur et de toute la supériorité que possède la pensée chrétienne sur la pensée païenne. D'où nous croyons pouvoir légitimement conclure que les derniers historiens du Doc- teur solennel se sont trompés en lui attribuant la restauration du platonisme au moyen âge, en opposition avec la direction d'idées qui dominait alors dans les écoles. Car, comme nous venons de le démontrer jusqu'à l'évidence, le platonisme tel qu'ils l'entendent, tel qu'il se trouve exposé dans les écrits de son auteur, ce plato- nisme est inconciliable avec le christianisme, et par conséquent aussi avec la scolasîiqtie; puisque celle-ci, dans sa tendance géné- rale et dans ses plus illustres représentants, resta toujours fidèle à l'esprit auquel elle devait son existence; elle resta toujours subor- donnée à la pensée chrétienne, malgré les cris de quelques voix discordantes dans l'harmonie universelle; son principal but fut même d'expliquer cette pensée et de la défendre au besoin. A ce sujet, le Docteur solennel nous dit positivement que la vérité phi- losophique n'est qu'un degré pour arriver à la vérité théologique : Veritas philoi^ophka et veritas iheologica in omnibus concordant ^ et est veritas pkilosophica manuductiva ad tJieologiani et gradus ad illatn (\). Il pensait, comme Albert le Grand, comme saint Thomas d'Aquin, comme saint Bonaventure, que le ehristianisnie (1) Summ., ait 7, art. 15. est ia vérité complète, la vérité entière, à laquelle on ne saurait rien ajouter, rien ôter sans en altérer la nature et la portée, il croyait avec ces illustres docteurs que ce que l'esprit humain peut faire de plus profitable pour son vrai progrès, c'est de Tétudier à fond, de le méditer avec persévérance, de le développer avec une rigueur consciencieuse, afin de produire ainsi une science vrai- ment universelle, une science vraiment digne de ce nom, en un mot, une science chrétienne. 17. Voilà donc ce que faisaient ces docteurs du moyen âge, cjue Ton a pourtant accusés d'avoir lancé la science dans des voies funestes aux vrais progrès de l'esprit humain (1). Assis au banquet sacré de la science, ils y prenaient leur part des joies pures et profondes de Tintelligence et de la foi; ils s'y abreuvaient du vin le plus pur de la vérité; ils y puisaient ce feu sacré, ce foyer in- térieur d'idées, qui s"épanouissait au dehors dans ces compositions grandioses, qu'on appelle sommes et qui, parleur style en quelque sorte ogival, peuvent se comparer à ces dômes merveilleux qui ornent nos cités et dont toute la beauté n'est aperçue que par l'artiste initié à tous les secrets de l'art. Leur philosophie, c'était leur vie, c'était leur cœur, c'était leur esprit, c'était leur âme rompant les digues de la chair, quittant le sein qui la portait et se jetant tout entière dans l'àme d'autrui. Aussi, elle produisait des effets éton- nants, dont les suites heureuses n'ont jamais cessé de se faire sentir dans la civilisation générale du monde. Placés à la tète de l'enseigne- ment publie, et destinés par suite à guider les peuples dans la voie de l'avenir, ils marchaient le flambeau de la science théologique et philosophique à la main. Formant cette chaîne sacrée de maîtres, que les néoplatoniciens, ivres de panthéisme, n'avaient fait que rêver, ils se passaient successivement ce flambeau toujours plus éclatant, et, pendant huit siècles, du haut de leurs chaires, ils faisaient descendre sur l'élite des esprits réunis à leurs pieds et suspendus à leurs lèvres, les flots de cette féconde lumière qui, après s'être répandue sur les familles et les cités, débordait ensuite sur la politique, sur les sciences et les arts. Car, en sortant de là, (1) Bist. lut. de France, vol. XVI, Discours préliminaire. ( ^7 ) ils se trouvaient niéh's aux aiïairis religieuses, publiques et parti- culières, et j)rotégeaient, en la représentant, lidée du droit que les futurs fondateurs de nos sociétés modernes essayaient souvent de confondre avec la force de leur épée et les caprices de la victoire. Ils leur montraient que le droit repose sur une loi qui doit tendi'e à réaliser les conditions de la félicité commune, puisque 1 homme, par sa nature, est destiné à vivre en société de ses semblables. Mais là ne s'arrêtait pas leur pensée; large comme le christianisme dont elle jaillissait, elle embrassait dans un commun amour toutes les nations de la terre , pour leur révéler la vraie nature de leurs relations réciproques. Albert le Grand avait déjà indiqué les vraies bases du droit véritable des gens; elles furent posées par saint Thomas d'Aquin, et les principes qui régissent les nations mo- dernes entre elles demeurèrent distincts du droit meurtrier des anciens. Si les circonstances des temps et l'imperfection des idiomes modernes ne leur permirent pas de produire des chefs-d'œuvre littéraires, au moins ils surent conserver ceux que l'antiquité leur avait légués, et c'est ainsi que la seolastique sauva, dans le pan de sa robe, le génie de la civilisation moderne. L'art aussi leur doit la gloire dont il rayonna dans ces siècles si souvent méconnus, si sou- vent nommés barbares par l'ignorance et la haine, d'abord parce que la vie et l'inspiration artistiques dérivent de la science reli- gieuse dont ils avaient le secret; ensuite parce que plusieurs d'entre eux se firent même les architectes de nos cathédrales, les sculp- teurs des statues et les dessinateurs des verrières qui les décorent. C'est ainsi que se formèrent les sociétés modernes sous l'égide de la religion; c'est ainsi que se développaient la mâle raison et la puis- sante intelligence des peuples européens, qui, aujourd'hui, tien- nent le sceptre du monde. La théologie et la philosophie, se don- nant la main comme deux sœurs qu'unit une douce et solide amitié, parcouraient ensemble le champ des connaissances hu- maines et le fécondaient de plus en plus dans leur pacifique en- tente. Elles avaient surtout à cœur de faire briller comme le soleil une vérité que l'esprit moderne, emporté parle torrent des révo- lutions , n'a que trop méconnue , que trop foulée aux pieds et dans la vie et dans la science : c'est que l'empire du monde est dû à l'idée ( »8) divine, et qu'il ne faut jamais se prosterner devant la brutalité du fait, même quand on Ta rendue possible. Mais si elles traçaient ainsi sa rouleà Fintelligenee humaine pour la préserver de Terreur etla mettre en pleine possession de la vérité, elles n'oubliaient pas cette autre faculté par laquelle l'homme vit plus encore que par l'esprit. Elles avaient entendu, dans le cœur humain, un soupir plein de regret et d'amour, qu'il pousse vers les cieux perdus, mais espérés toujours. C'est le souvenir mélan- colique que l'homme emporta de FÉden et que Dieu daigna lui laisser dans l'exil pour ramener vers la patrie ses pensées et ses vœux. Ce fut ce souvenir que rêva Platon (I) et qui avait charmé, sous la tente du désert, les longs jours des patriarches, et élevé les chantres inspirés de Sion au-dessus des réalités grossières de la terre, en leur faisant entendre, dans les grands spectacles de la nature, une voix douce et triste qui les entretenait de Dieu, de la vanité du temps présent et d'un meilleur avenir. La parole évan- gélique, descendue des hauteurs du Thabor et du Calvaire, vint en- suite écarter complètement le voile qui couvrait ce souvenir et en expliquer toutes les tendances mystérieuses. De là naquit le mysticisme, cette autre face de la pensée du moyen âge, fleur délicate et tendre, fruit aussi de cette sensibilité chrétienne, qui répandit ses charmes sur les conceptions philosophiques, qui em- bauma de son suave parfum la poésie sacrée, et parfois aussi les chants profanes des troubadours; elle retentit même jusque dans les harmonies tant vantées dun grand poëte moderne, qui, depuis qu'il roule parmi la chair et le sang, n'est plus qu'un ange déchu, qui s'est brisé les ailes et sest survécu à lui-même. C'est ainsi que 1 homme abuse souvent de sa liberté pour altérer et corrompre les meilleures choses. Bon comme tous les sentiments que Dieu met dans notre âme, le mysticisme peut être mal compris et mal ap- pliqué. Vivant et énergique, comme tout ce qui jaillit du cœur, il peut dégénérer en sentimentalité fiévreuse et délirante jusqu'aux erreurs de ï Evangile éternel, et aux folies théosophiques de Jacob Bohnie. Il faut donc le régler; vague et indécis par lui-même, il a (1) Plato statum inrioccntiae som7uavit. Henri dp. Gand, Summ. thcol. ( 59) besoin d'être discipliné. De là la nécessité de principes et d'une doctrine qui puissent empêcher l'homme de s'égarer lui-même et d'égarer les autres. La scolaslique les établit encore avec une pré- cision rigoureuse et une profondeur étonnante, et en réglant ainsi tous les rapports de l'homme avec Dieu , elle fit resplendir les magnificences de la science chrétiene tout entière. Apparet domus inlus et allia longa palescunt. [jEneid., lib. II, v. 483.) MOTES, A. Après avoir réfuté le scepticisme sorti de Técole d'Abailard, et dont les ravages se faisaient sentir dans toutes les sciences, même dans les sciences naturelles, comme l'atteste Jean de Salisburyj après avoir donné en faveur de la science, toutes les raisons capables de convaincre un esprit bien fait, Henri, dans la question 2 de Tarticle 4" de sa Somme j montre que Thomme peut acquérir la connaissance de la vérité au moyen des facultés naturelles de son âme, sans le secours particulier de la lu- mière divine : « Multum est inconveniens, ut Deus animam humanam fecerit intcr M res naturales, et sibi non praeparaverit instrumenta naturalia quibus « poterit in operationem aliquam îiaturalem sibi dehitam., cum illa prae- » pararit aiiis rcbus inferioribus. Muîto enini minus Deus quam natura » aliquid operatur frustra, aut déficit alicui rei in sibi nccessariis. Opera- « tio autem aniniae humanae propria naturalis non est alia quam scire » et cognoscere. Absolute ergo concedere oportet quod homo per suam » animam, absque omni divina illustratione, potest aliqua scire aut cogno- » scerc, et hoc ox puris naturalibusj contrarium cnim valde multum de- ( 60 ) » rogat dignitali aniinac et humanae nalurae. Dico autem ex puris natu- « ralibus, non ambigcndo generalem influentiam primi intellcgentis quod » est primum agens in omni actione intelleetuali et cognitiva, siciit « primum movens in omni motu cujuslibet rei naturalis. « Telle est la portée que Henri accorde à la connaissance au point de vue subjectif. Mais quelle est maintenant sa portée objective? Est-ce que Tobjet ne lui apporte pas des limites qu'elle ne saurait franchir, des conditions qu'elle ne saurait remplir par elle seule? Henri le croit et doit le croire par suite de toute sa théorie. Car, selon lui, la vérité est le rapport des choses à leur modèle, c'est-à-dire à l'idée créatrice. Une chose est appelée vraie en tant qu'elle est conforme à son modèle et quelle en exprime toute la réalité (1). La vérité divine est le modèle immuable et éternel de toutes les créatures : notre intelligence ne peut donc connaître les choses dans leur vérité que lorsqu'elle les connaît conformément à leur type, c'est-à-dire à l'idée divine (2). La parfaite connaissance de la vérité ne peut donc venir que de la ressemblance de vérité imprimée dans l'âme par la vérité première et typique relative- ment à l'objet cognoscible. Toute autre connaissance, dérivée d'un type formé par abstraction, est imparfaite, obscure et nébuleuse, au point qu'on ne saurait en déduire un jugement certain touchant la vérité d'une chose (5). Or, dans son état actuel (déchu), l'homme ne peut atteindre, par ses seules forces naturelles, les règles de la lumière éternelle, de manière à y voir la pure vérité des choses. Il lui faut le secours de Dieu, et ce secours. Dieu le dispense à qui il veut : il n'y a aucune nécessilé de sa part (A). II faut donc dire d'une manière absolue, que par ses forces ou notions naturelles, l'homme ne peut obtenir la vérité complète, pure (absolue) d'aucune chose, mais qu'il a besoin de l'illustration de la lumière divine (5). Se fondant sur ces divers passages , M. Jourdain , dans son ouvrage sur la philosophie de saint Thomas d'Aquin (6), accuse Henri de Gand d'in- décision dans sa méthode j d'admettre l'inspiration et de ne pas la défi- nir, de ne pas la distinguer de la raison et de la foi ; de déclarer la raison (1) Sum., art. 9, 14. (2) Ibid., no 15. (3) Ibid. , 2i. (4) Ihid., 26. (o) Ihid., 27. (fi) T. II, p. 3G. Ce livre ne nous est parvenu qu'après avoir terminé ce mémoire. ( 61 ) incapable d'atteindre Tidéal divin, et impuissante en matières qui ne sont pas du domaine exclusif de la théologie; de se contredire et de favo- riser le sccpliscisme après Tavoir combattu. Malgré la hauteur qu'il se plaît à reconnaître dans la doctrine de Henri, il la croit erronée, et lui préfère celle de saint Thomas, qui laisse à la raison sa libre allure jus- qu'à ce qu'elle soit obligée de s'arrêter devant ses propres ténèbres et son incontestable ignorance. Sur ces divers points d'accusation , nous nous permettons de présenter quelques observations au savant historien de saint Thomas d'Aquin. Nous avouons d'abord que nous n'avons remarqué aucune indécision dans la méthode de Henri de Gand : elle part des idées absolues ou créatrices et y revient toujours : c'est ce que nous croyons avoir fait ressortir dans notre mémoire, de manière à ne plus devoir y revenir. Nous n'y avons pas non plus rencontré l'inspiration dont parle M. Jour- dain : tous les développements que Henri donne sur la théorie de la con- naissance, des universaux, de l'àme, de la création en général et sur la Théodicéc, il les puise dans la raison en rapport avec la source des idées créatrices, des types immuables de toute vérité et de toute existence; par là il déclare cette raison parfaitement capable d'atteindre l'idéal divin ; il a grand soin de ne pas confondre les idées généralisées avec les idées générales ou absolues; il nous avertit de ne pas chercher la pure vérité dans les types formés par abstraction et dans les raisonne- ments qui les ont amenés par la voie de la réflexion; il nous montre la réalité de l'idée absolue, telle qu'elle se trouve dans l'âme. Loin donc de favoriser le scepticisme, il lui enlève tout appui. Mais comme, dans la région des idées absolues, la raison rencontre un côté mystérieux des choses qu'elle ne saurait expliquer par ses propres forces, elle se su- bordonne à la théologie pour y puiser une solution des difficultés qui l'avaient arrêtée dans sa marche. Henri distingue donc nettemnet le do- maine de la raison et de la philosophie de celui de la foi et de la théo- logie : nous l'avons déjà vu dans notre mémoire. H attribue donc à la philosophie le rôle et l'importance qu'elle mérite, sans exalter et agrandir la théologie : celle-ci est pour lui la reine des sciences, comme elle Test pour saint Thomas. Pour l'un comme pour l'autre, la philosophie n'est destinée qu'à servir la théologie : elle ne saurait avoir un rôle propre , une valeur originale, abstraction faite de la fin générale de la raison humaine, c'est-à-dire de son rapport à Dieu. Âpres ces observations générales sur la critique de M. Jourdain, con- (62) sidérons les passages qu'il cite à Tappui de son opinion, et voyons s'ils ne sont pas d'accord avec notre exposé de la doctrine de Henri de Gand, et s'ils ne mettent pas cette doctrine dans un rapport essentiel avec celle de saint Augustin f de saint Bonaventure et même de saint Thomas. D'après tous les passages cités dans cette note, Henri admet trois sources de la connaissance: d» les perceptions sensibles; 2'^' les notions résultées des perceptions et des raisonnements auxquels elles ont donné lieu. Ces notions ne sont vraies qu'autant qu'elles sont en harmonie avec la vérité première; 5" les idées absolues ou typiques, qui renfer- ment la vérité complète des choses. Maintenant, que dit Henri sur la connaissance de ces idées? Est-elle refusée à l'esprit humain? Non; seu- lement il ne la possède pas uniquement par ses propres forces dans son état actuel. « Nunc autem ita est, quod homo ex jmris naturalibus attin- » gère non potest ad régulas lucis acternac, ut in eis videat rerum since- » ram verilatem (s., n" 26 j. « Comment donc peut^il parvenir à la vue de ces règles de la lumière éternelle? Solum illmtrationc luminis dimni, uniquement par Tillustration de la lumière divine. Saint Thomas dit aussi : « Que la raison naturelle de l'homme n'est autre chose que le reflet « de la clarté divine dans rame. « {Exposit. in David ^ sp. 36.) Pour- quoi? parce que les types de la vérité imprimés en lui ne se réveillent qu'au contact de cette lumière divine. Comme il voit les objets sensibles dans la lumière sensible, ainsi il voit les objets intelligibles dans la lu- mière intelligible ou éternelle : tel nous semble être le vrai sens des passages cités par M. Jourdain. Ajoutons qu'il reconnaît qu'un souffle de mystiscisme contenu circule à travers cette théorie et échaufîe les froides analyses de l'école : pour lui, Henri est un esprit du premier ordre, qui SËjit allier la réflexion et Tenlhousiasme; mais il croit qu'il a placé la condition suprême de la science au-dessus de la portée de l'homme, et môme prononcé des malédictions contre la science humaine. Nous ne savons pas comment concilier les différentes parties de cette appréciation. Seulement, d'après notre explication des textes cités, elle semble porter à faux. Henri dit uniquement que l'esprit humain doit être dans sa vraie condition pour arriver à la vraie science, à la vérité complète. En cela, il est d'accord avec saint Bonaventure, qui dit que l'esprit ne peut connaître qu'aidé de la lumière divine ; qu'il ne peut sortir de l'abîme où il est tombé, que par celui qui l'a fait. Saint Thomas lui-même ne dit-il pas que la raison ne peut par elle seule connaître l'universel, puis- qu'elle est passive dans cette connaissance, qu'elle ne peut connaître ( 63) rien sans le secours de la lumière divine ! Elle a besoin du secours de celui qui est la source de l'universel. Et Albert le Grand ne dit- il pas encore, que notre âme connaît la vérité des choses par suite des germes de vérité implantés en elle depuis son origine? Mais remontons plus haut le courant de la pensée chrétienne et entendons le maître de tous les docteurs du moyen âge. D'après saint Augustin, notre âme voit au-dessus d'elle la lumière qui Taide à voir fout ce qu'elle voit en ne considérant qu'elle-même .-« Etiam supra se vidct illud quo adjuta videt quidquid etiam » se inlelligendo videt. « De là même la distinction que le grand évêque d'Hippone fait entre la lumière illuminante et la lumière illuminée. D'après lui, la claire vue, la vue compréhcnsive d'une chose, marque infaillible de la vérité, nous vient par l'instruction de Dieu, bien que nous y coo- périons. Vous m'avez instruit, 6 mon Dieu, dit-il, par des moyens se- crets et merveilleux. La vérité est donc, selon lui, notre véritable maître j les hommes ne sont que des moniteurs. De là la profonde différence qu'il établit entre la foi et la raison : on croit les choses passées sur la parole d'un témoin digne de foi. Pour les objets de notre intelligence, nous consultons la vérité qui préside au dedans de notre esprit. C'est le Christ, c'est-à-dire l'immuable vertu de Dieu et son éternelle sagesse, qui nous répond, dans une mesure proportionnée à notre bonne ou mauvaise conscience. Si notre esprit se trompe, ce n'est pas la faute de la vérité consultée, pas plus que ce n'est la faute de la lumière extérieure, si les yeux se trompent. Ces considérations nous semblent suffire pour établir la parfaite con- formité de la théorie du Docteur solennel avec celles de saint Augustin, de saint Bonaventure et môme, jusqu'à un certain degré, avec celle du docteur Angélique. Il est évident que ce dernier docteur, en parlant de la raison, entend toujours la raison formée par le christianisme, qui s'adressant à une autre raison, même placée en dehors du christianisme, peut lui faire découvrir et comprendre des choses auxquelles, par elle- même, elle n'aurait jamais songé et qu'elle n'aurait jamais trouvées par ses propres forces et sans le secours de la lumière d'en haut {sine illus- Iratione luminis divinij, comme s'exprime Henri de Gand. Quant au rapport de subordination où Henri met la philosophie à l'égard de la théologie, il lui est encore venu des Pères de l'Église et notamment de saint Augustin, et saint Thomas lui-même, tout en lais- sant à la raison son allure spontanée et libre, n'entend nullement la soustraire à l'empire de la théologie; car, selon lui, la philosophie ignore { 64 ) les rapports essentiels où Thomme doit se trouver pour accomplir sa destinée. Du reste, Henri de Gand ne méconnaît point la valeur propre de la raison : toute sa théorie, si hautement spéculative, en fournit les preuves les plus saillantes; seulement il conteste à cette raison la puis- sance de découvrir la vérité complète, entière, pure [vcritatem smceram)^ sans le secours de la lumière divine [sine iUustratione luminis divini). Et rhistoire de la philosophie de tous les âges n'est-elle pas là pour con- firmer Texactitude de sa théorie ! 15. Notre manière d'envisager les idées de Platon comme des substances indépendantes, d'accord avec celle de saint Thomas d'Aquin, se trouve confirmée par un grand nombre de passages de ses Dialogues. L'idée est pour Platon Félément commun (ro Kcr/ov)^ identique et permanent (Thée- lète). C'est aussi l'objet de la science (Phèdre, 265). Cet élément com- mun, Platon le conçoit comme séparé du monde sensible, comme substance en soi. D'après le Phèdre (247), c'est dans le tcttÔ; ÙTrspovpa.vio:^ que les dieux et les âmes pures contemplent l'essence pure et incorporelle, la justice, la sagesse et la science, qui sont élevées au-dessus de tout deve- nir, qui ne sont pas dans un autre être, mais dans leur essence pure : c'est là seulement que se trouve le champ de la vérité. Le Symposium nous dit que la beauté primordiale n'est dans aucun être vivant, ni dans le ciel ni sur la terre, mais qu'elle est éternellement en elle-même et pour elle-même dans une forme unique et toujours la même [clùto kx^' o-.ôzd ^cf&' a-jTio fio-^:cirJè; âd cv, p. 211); elle n'est point atteinte par les choses qui y participent. Les idées sont les types de tout ce qui est (ïiméc, 28, Aj; existant par elles-mêmes [aùrx kx^'xÔto.)^ et séparées des choses qui y participent (%c^/,',Parme?iî£Ze, 128), elles se trouvent dans le lieu intelligible (totto; vo^^toc), et ne peuvent être aperçues par des yeux corporels, mais uniquement par l'esprit; les choses visibles n'en sont que des ombres. (Bép., VII, 517, A). La raison divine (Nctîç) les contemple, quand elle forme les choses contingentes; pour ce motif, elles sont pour elle les modèles inévitables, dont elle ne saurait s'écarter. Les idées ne (65) sont donc pas les pensées de Dieu , en ce sens que Dieu les aurait pro- duites : Dieu les voit, et c'est en les voyant qu'il les pense. Platon s'ex- plique nettement à ce sujet dans le Parmenide; les idées, dit-il, ne sau- raient être les pensées subjectives d'aucun esprit : /Wj^ rôJv drî^v 'iY.aaxov / roÙTOiv yci^/xcc^ xm oùâj./xov o-.ôzrZ xpoT/jx^f lyyivé'j^at allo^t ■/;' £v ■djvy^aiç. Si ce n'étaient que des pensées, ajoute Platon, tout ce qui participe aux idées devrait être pensant. [Par., 152, B.) (1) (1) L'auteur de ce mémoire a trouvé, dans une bibliothèque de la Belgique, le manuscrit du traité de Virginitate, par Henri de Gand , traité que les auteurs de V His- toire litléruire de la France n'avaient pu retrouver dans ce dernier pays, ni même en Italie. Il compte publier une notice détaillée sur ce manuscrit et en faire connaître le fond et la forme. FIN. Tome X. NOTE LES TREMBLEMENTS DE TERRE EN 1857, AVEC SIPPLÉMENTS POUR LES ANNÉES ANTÉRIEURES; FAR M. Alexis PERREY, PKOFKSSBIR A LA I Af VLTÉ I>ES SCIKNCKS DK DI.IIIN. (Présenté à la séance du S novembre 1889.) Tome X. NOTE SlIK LES TREMBLEMENTS DE TERRE EN 1857, AVEC SUPPLÉMENTS POUR LES ANNÉES ANTÉRIEURES. L'étude des tremblements de terre semble prendre de jour en jour plus de développements. De nombreux et importants travaux sur ce phénomène , auquel j'ai consacré tout le temps dont je puis disposer, ont paru dans ces dernières années; c'est pour moi un encourage- ment qui, joint à la haute bienveillance dont m'honore l'Académie, doit soutenir et soutiendra mon zèle dans ces recherches pénibles et dispendieuses. Je divise en trois parties la note que j'ai l'honneur d'offrir aujour- d'hui à l'Académie. La première est consacrée, comme par le passé, aux suppléments pour les années antérieures jusqu'à i843. La deuxième est spécialement consacrée aux tremblements de terre ressentis au Chili. Dans ces dernières années, le phénomène, qui est si fréquent dans cette région seismique remarquable, a été l'objet d'observations suivies et faites avec ensemble. M. Luiz Tran- coso de Coquimbo (la Serena), dont la science déplore la perle récente, s'était voué comme nous à l'étude des tremblements de terre et était parvenu à se créer de nombreux correspondants dans les (4 ) diverses provinces ilu Chili. Ce sont MM. Ranion Jaras, à Copiapo, Winceslao Campnsano et D. José-Ant. Martinez, à Freiiina, D. Ro- mualdoLillo, à Ronc.iiïua, D. Manuel Ant. Mardanes,àSan Fernando, D. Juan Agustin Berrios, à Curacavi, D. Pedro Matus, à Cliillan, D. Juan Ant. Cereceda, à Lampa, D. Teleforo Mandiola, à Pabellon, D, OliiJfario Olivares, à Chanarcillo, D. Zoila Molina, à Colin (20 kll. à rO. de Curico), D. Dionisio Tapia , à Linares, D. Joaquin Villa- rino, à Conception et D.Juan J. Hodriguez, à Aneud. Un parent de M. Troncoso, se trouvant à Paris pendant le prin- temps dernier, m'a fait demander mes catalogues. Il retournait au Chili, avec le zèle et l'ardeur dont tout ami des sciences se sent enflammé dans un grand centre intellectuel et scientifique. 11 m'a fait espérer que les observations si heureusement commencées dans son pays seraient poursuivies. Dans cette partie, j'ai relevé aussi les secousses njentionnéesdans le grand ouvrage (1) de M. le lieut. J.-M. Gilliss, à la bienveillance duquel j'en dois un exemplaire. Qu'il me soit permis de lui en expri- mer publiquement ma vive et sincère reconnaissance, ainsi qu'à M. Cl. Gay , membre de Tlnslilut de France, auquel je dois la con- naissance de nombreux documents recueillis et publiés par M. Luiz Troncoso. La troisième partie est consacrée aux tremblements de terre en -1857. Elle n'est pas moins riche que mes catalogues des années pré- cédentes, quoique je n'aie pas encore reçu les renseignements que j'espère sur le tremblement de la Basilicate. Enfin, j'avais préparé une quatrième partie comprenant la des- cription de nombreuses éruptions volcaniques depuis 1845. Mais, pour ne pas allonger indéfiniment cette note déjà bien étendue pour un travail académique, j'ai dû me contenter de les signaler simple- ment à leurs dates. Plus tard, je pourrai peut-être les faire rentrer dans un de mes catalogues annuels. (1) The U. S, Naval Astronomical Expédition lo ihe soulhern hémisphère durinff the years 1849-50-51-52. Washington, 1855, in-4% vol. I, II, III et VI. Les autres n'ont pas encore paru. I PREMIÈRE PARTIE, SUPPLEMENT. Je coiniiiencerai celle parlie par 1 extiail suivant d'une lettre que M. C. Vesselowski , secrétaire perpétuel de l'Académie impériale des sciences de Sainl-Pélersbourc;, m'a fait Thonneur de m'écrire le *^/23 juillet 1859, en inenvoyant de nombreux renseignements im- primés el manuscrits. C'est le résultat de trois années d'observations faites au Kamtschatka. « M. Kegel, agronome, qui a été envoyé par le gouvernement russe au Kamtschatka, pour étudier le pays au point de vue des res- sources naturelles et y faire des essais sur l'introduction de la culture des différentes plantes alimentaires, y a tenu, en 1842, 1843 et J844, un registre météorologique dans lequel il a noté tous les cas de Iremblemenls de terre. Comme ce registre n'est pas publié, ajoute M. Vesselowski , j'en donne ici un extrait, en faisant remarquer qu'il se rapporte à la zone conjprise entre les 55'' et 55" lat. N., car c'est sur ces parages (port Petropavlovvsk, village Milkovo el côte occi- dentale de la presqu'île) que s'étendirent les pérégrinations de M. Kegel, pendant lesquelles il faisait ses observations. Les dates sont d'après le nouveau style. » 1842. — Le 29 janvier, 9 h. '2 du malin , sur la côte occidentale de la pres(iu'île du Kamischalka, trois secousses souterraines. ( fi. ) — Le 10 février, 7 h. du malin; le -2-2 février, à niinuil; le 4 avril, 7 h. du matin et le 19 décembre, \ h. du matin , sur la même côte, quatre autres tremblements notés par M. Kegel. 1843. — Le 4 février, 1 h. du matin, sur la même côte du Kamtschatka, tremblement nouveau. — Le 9, 10 h. '/2 du soir, autre tremblement. — Le 10, 10 b. du soir, encore une forte secousse (M. Kegel). — Le 8 mars, 7 b. du soir, à Hawaï (Sandwicb), une secousse. On ne dit pas si l'éruption du Mauna Loa, commencée en février précédent, durait encore. — Du 1 1 avril au 17 mai, le volcan de Ternate a eu 25 érup- tions dont plusieurs ont été très- fortes et pendant lesquelles la montagne a lancé beaucoup de fumée, de cendre et de lave; elles étaient accompagnées de fortes détonations et de bruits souter- rains. — On a renjarqué comme une particularité extraordinaire qu'une multitude de cbenllles avaient apparu tout à coup au pied du volcan; au bout de 8 à 10 jours, leur nombre avait rapidement diminué, et elles avaient enfin complètement disparu sans avoir fait beaucoup de mal. — Le 27 avril, de nuit, à Hawaï, une nouvelle secousse. — Le 25 mai, vers 7 b. 10 m. du matin, à Buitenzorg, très- fortes secousses pendant deux minutes. A Batavia, elles étaient di- rigées du SO. au NE. — Le 2 juin, 4 b. ^4 du matin, sur la côte occidentale de la presqu'île du Kamtschatka, tremblement (i\L Kegel). — En juillet, à Hawaï, deux secousses dont une de nuit. — Les 25 et 26 octobre, à Sienne, plusieurs secousses. — Le 5 novembre, 5 h. du matin , dans le port de Petropavlowsk, (Kamtscbatka), trois secousses. — Le 6, 11 b. du matin, nouvelle secousse, faible (M. Kegel). — Le 15 décembre, 10 b. du matin, à Hawaï, dernière secousse de l'année. — Le 27, 1 1 b. '2 du matin, dans le port de Petropavlowsk, une secousse très-forte. — Le 28, 10 b. du soir, encore une secousse (M. Kegel). — En celle année, le Kliutscbewsk (Kamtscbalka), qui sétait ( 7) reposé complètement depuis 1841 , a signalé son réveil en vomissant des laves. — Le mont Reignier ou Rainier (au nord de la Californie) a eu aussi de violentes éruptions en 1841 et en 1845. 1844. — Le 18 février, 6 h. Va du soir, à Hawaï (Sandwich), une secousse violente. — Le même jour, à Sienne, une secousse médiocre. — Le 1 I mars, 8 h. ^U du soir, dans le port de Petropavlowsk, deux secousses assez fortes. — le 19 mai, midi, au village de Milkovo (Kamtschatka), une secousse. C'est la dernière notée par M. Kegel. — Le 6 juin , vers 8 ou 9 h. du matin, à Zermatt (Valais), fort tremblement avec détonations semblables à celles du tonnerre. On y a ressenti plusieurs secousses de 1840 à 1845. — Le 26 juillet, éruption de lave du volcan de San-Miguel Ro- totlau, près de la ville du même nom , dans l'État de San-Salvador. Les forces volcaniques y sont très-actives. — Le l^"" septembre, entre 7 et 8 h. du matin, à Tîle Hawaï, une secousse. — Le 25 octobre, en descendant vers Takamte (Ethiopie, 15°!' N., lat. 57''5' long. E. 1480 m. d'altitude, lieu de halte dans les Haddas), M. Ant. d'Abbadie entendit comme un coup de canon tiré vers Imakullu. Cette année, il y eut, vers la côte au NE. de Imakullu, comme un fort coup de canon. On crut au naufrage d'un bâtiment européen et l'on mit en mer une barque qui ne découvrit rien. Là-dessus le cadi assure que pareille méprise était arrivée il y a 20 ans : mais on n'explique pas ce bruit. Ce que nous avons entendu , ajoute mon ami d'Abbadie, paraît être du même genre. 11 y eut cette année, dit-il encore, un fort tremblement de terre à Imakullu (15"58' lat. N., 57^11' long. E.), bourg sur la terre ferme et près de Muçaww'a. Les naturels dirent que de fortes chaleurs s'ensui- vraient, et c'est ce qui a eu lieu à Muçaww'a, sur la mer Rouge. — " Quand la terre tremble, dit ailleurs M. d'Abbadie, des vapeurs en sortent souvent et à Muçaww'a, où les tremblements sont habituels, le qobar abonde [Sur le tonnerre en Ethiopie, p. 67 et 86 du tir. à part). (8 ) — En 1844, la terre a tremblé à Kokbekty, dans la province de Semipalatinsk (Russie). Je ne puis en donner la date mensuelle. 11 y a encore eu deux iremblements dans les années suivantes. 1845. — Le 23 janvier, à M h. ^k du matin, le Gedeh, situé dans la régence de Préanger (Java), lança une colonne de fumée noire qui dura jusqu'à 5 b. de l'après-midi. Au moment où elle parut, on entendit un roulement qui ne dura pas longtemps. — Le 12 février, vers 2 h. ^k ou 5 b. du soir, en Élbiopie, trois tremblements, le 1^'' étant le plus fort. Voici ce qu'en dit M. Ant. d'Abbadie, dans son mémoire sur le tonnerre, p. 86, 88, 92 et 94 : « 11 fut observé dans le Gondar (Abyssinie, par lat. 12°56' N. et long. 55"10' E. et 2307 m. d'altitude), dans le Acage bet, le Abun bel, Dangyage, etc. Quelques murs en pierres sècbes tombèrent. Je ne m'en aperçus pas dans Qan bet, où je calculais des azimuts et Imit à dix personnes près de moi ne s'en aperçurent pas non plus. On nous a dit à cet égard qu'il y a huit ans il y eut un tremblement à Gondar. « A Wuzaba ( 12"6 lat. N. et 35°3 long. E , sur le bord de Wa- gara, du côlé de Gondar), on ressentit trois secousses. Il en fut de même à Nabaga (11 '59' lat. N., 35° 18' long, et 1880 m. (?) d'alti- tude) en Fogara (partie du Bagemdir, près le lac Tana) et les pas- leurs assurèrent qu'il y eut une légère secousse la nuit suivante. A ce propos, un vieillard me dit qu'il y eut une secousse à Gondar, quand Ras. Gugsa et D. Zawde se battirent à Samona bar. I) Le tremblement de terre ne se lit pas sentir à Bahr dar (sanc- tuaire au bord du lac Tana, par lat. 1 r36' N.; long. oS^'S' E. et 1870 m. d'altitude), mais bien à Qnarata (sanctuaire du Dara,en Bagemdir, par lat. WHd N.; long. 55*^8' E. et ait. 1910 m.), et à Angata Kidana mihrat, en Meça (pays borné au N. par le lac Tana et au S. par le petit Damot), il y renversa l'église. Selon les gens venus du Gojjam (lai. 10" à 11" N. et long. 33"7 à 36° 1 E.), le trem- blement se fit sentir vers 3 h. du soir. » Il sévit dans le Lasta (à l'E. du Bagemdir, par 12" lat. N. et 36^8 long. E. et 2600 (?) m. d'alt.), où il renversa une haute colline et engloulil un village; niais je n'ai pu avoir les noms des lieux. On me dit à ce! égard qu'il y a longtemps un tremblement de terre en- ( 3 ) gloutit un village près Daiubaça, ville sancUiaiie dans le pelil Da- niot parlai. 10°55', long. o5°0' el ait. 2778 m.). i) On dit qu'en Wara Haymano (pays Galla , près le Wallo), trois personnes périrent dans une crevasse. On m'assure à Baso que le tremblement se fit sentir en Inarya (vallée arrosée par le Gibe, lat. 7"8 à 8°5, long. 34° V2 et ait. 1820 m.), ce qui est confirmé par Amba, qui dit qu'on le sentit dans KalFa, royaume dont Bonga est la capitale, et qui se trouve par 6 à 7° Va lat. et o3°6 long. » Enfin, il se fit sentir légèrement en Gudru , province au S. de Baso et sur la rive gauche du Abbay (par 9°5 à 10° lat., el 34^6 a 55° long, el 2440 m. d'ail.); de mémoire d'homme, il n'y eut là un autre tremblement de terre. [Lu/ïi sirbe , u la terre dansa, » disent les Galla). » Ainsi ce tremblement paraît s'être étendu sur 6"V'3 lat. (de 12°3 à 0°) et 3°V2 en long, (de 3C°8 à 33°V'2). Comme j'en connais excessi- vement peu dans ce pays, j'ai cru devoir donner tous ces détails. — Le 21 juillet, 6 h. */2 et 7 h. du soir, à Amboine, deux fortes secousses. — Le 22, légères secousses encore. Llles paraissaient venir de l'E. , mais la plupart étalent verticales et toutes accompagnées d'un bruit semblable à un grondement. — Le 7 décembre, dans l'après-midi, dans le Rare (Grand Damol, Ethiopie), trois secousses accompagnées d'un bruit faible comme d'un coup de canon très-lointain. La troisième m'étourdit seule- ment, dit M. d'Abbadie, /. c, p. 114. Vers 7 h. du soir, il y eut une autre petite secousse. Les points culminants de cette terre sont les monte Amara (9°1 1' lat., 54"49' long, et 3190 m. d'ail.) et Balballa (9" 21' lat., 54°36' long, el 3300 m. d'alt.). — Le 21 , de nuit, l'île Hawaï, une secousse médiocre. 1846. — Le 26 janvier, 5 h. 6 m. 26 s. (t. vrai) du soir, à Saqa , bourg et marché principal de Jnarya (par 8" 12' lat., 34^28' long, et 1820 m. d'ail.), tremblement très-léger. L'air était calme. — Le 14 février, 7 h. du matin, à l'île Havvaï, secousse légère. — Le 15 juin, de nuit, à Hawaï, secousse médiocre. — Le 24, de nuit encore, autre secousse semblable, — Le 19 septembre, à Églisau (Suisse), tremblement léger. ( 10) — (Sans date mensuelle). A Rajecz, au S, de Silleiu dans le co- milat de Thurocz (Hongrie), une secousse. — En celle année, Guérin et de la Roche Poncie ont vu fumer le volcan de l'île Iwo-Sima , au Japon. 1847. — Le 29 mars, entre 9 et 10 h. du malin, à l'île Hawaï, une secousse. — Le 8 avril , vers 5 h. 7^ Ju soir, à Ternate , une forte secousse du N. au S. et de quelques secondes de durée. — En août (ou fin juillet?), à Saint-Nicolas (vallée de la Visp, Valais), tremblement qui a eu lieu, dit-on, 5 ou 4 jours avant l'éruption du Vésuve. Ce volcan a vomi de la lave le 2 et le 5 août, — Le 11 septembre, 9 h. du soir, à Saint-Nicolas (Valais), deux fortes secousses avec bruit. Une heure plus tard, légère secousse à Herbriggen , dans la même vallée. — Le 4 octobre, vers 5 h. du soir, à l'île Hawaï, une secousse violente. — Le 12 du même mois, au malin, le volcan de Fuego (Guate- mala) lançait de la fumée, a A l'horizon, dit mon compatriote, M. Arthur Morelet, se dessinaient les trois volcans; une légère fumée flottait comme un panache sur celui que les Espagnols ont nommé naïvement volcan de Fuego. » — Le 17, \\ h. du soir, à Tjiandjaer (Java), trois secousses con- sécutives; la première fut très-forte et dura 10 secondes. Au 29 elles n'avaient pas encore cessé, mais alors l'éruption du Guntur com- mença à se calmer. — Le 26 novembre, un nouveau volcan, entre ceux d'Antuco et d'El Descubezado ((^hili), fit éruption. Pendant plusieurs jours, il remplit l'air d'une odeur de soufre en ignition et sa fumée fut visi- ble de Talca pendant plus d'une année. Quoique le cône ait plus de trois cents pieds d'élévation, comme il est dans l'intérieur des Cor- dillières, on ne l'aperçoit pas do la plaine. L'émission de la fumée avait entièrement cessé en avril 1852, et à cette époque, aucun volcan, depuis la latitude de Copiapo (27° S.) jusqu'à l'Antuco (27''7') ne donnait des signes d'activité. — Le 27 décembre, 10 h. ^/a J» malin, dans la résidence de Tegal (Java) , une légère secousse. ( Il ) — En 1847, la terre a encore tremblé à Kokbekly, province de Semipalatinsk (Russie). La date mensuelle manque. 1848. — En février (jour non indiqué), 5 h. du soir, à l'île Hawaï, une forte secousse. — Le 19 avril, vers 8 h. du soir, deux nouvelles secousses légères. — Le 15 mai, 2 h. ^j^ du soir, à Chanlibun , fort tremblement du N. au S. ou du NE. au SO. La terre se mut tout à coup comme si elle eût été minée; on entendait un bruit ou plutôt un fracas souter- rain plus fort que le roulement du tonnerre. Toutes les maisons furent ébranlées; on ne parle pas de dommages, mais le S'nnjupore free press du 14 septembre ajoute (1) : On vit sortir de terre une matière filamenteuse meiischenshaar , semblable à des cheveux. On en voyait partout : dans les bazars, sur les chemins, dans les champs et dans les endroits les plus durs. Ces cheveux se tenaient debout et adhéraient au sol. Mis au feu, ils brûlaient comme des cheveux d'homme; en un mot, on les aurait pris pour de véritables cheveux. Les eaux de la rivière de Ghantibun furent fortement agitées; elles devinrent complètement blanches; il s'en dégageait beaucoup de bulles qui crevaient à la surface. Ce tremblement n'a pas été ressenti à Bangkok où le ciel fut très- pur pendant toute la journée. — Le 15, à 8 h. ^/4 du matin, à Saint-Nicolas (Valais), une secousse avec bruit très-fort. — Le 17, à Sienne, une secousse très-légère. — Le 18, 11 h. du matin, à Kediri (Java), trois nouvelles se- cousses pendant Téruption de Keloet; la dernière fut assez forte. — Le 2 juin, vers 2 h. */2 du soir, à Saint-Nicolas (Valais), nou- velle secousse avec bruit. — Le 4, 3 h. du soir, à Tjiringin, résidence de Banlam (Java), une première secousse très- légère. Le 6, un peu avant 1 h. du matin , une légère secousse, et peu après, à 1 h., deux autres secousses très-légères. Le 7, vers 10 h. du matin et le 9, à 4 h. ^h du soir, deux nouvelles secousses légères. (1) Javnsche Courant, 3, à 9 h. 20 m. du soir, qui dura 15 se- condes; c'était la cinquième de la journée. Ce jour-là, on en ressentit aussi plusieurs à Anjer; celle de 3 h. du soir fut assez forte. Le lendemain, il y en eut encore deux dont une très-violente. La date du 24 n'est pas signalée pour Tjiringin. Du 27 juillet au 7 août, on n'a pas compté moins de 17 nouvelles secousses dans la résidence de Bantam. Quelques-unes ont été assez violentes, mais n'ont pas causé de dégâts importants. — Le 17 juillet vers midi, dans le Samhar (Qualla entre l'Ethio- pie et la mer Rouge), non loin d'imakullu, où M. d'Abbadie se trou- vait le 20, tremblement léger qui ne fut pas assez fort pour réveiller le savant voyageur. Les gens du pays disent que ces phénomènes précèdent la pluie, ce qui fut vrai cette fois. Le i" août, vers minuit, à Imakullu, bourg sur la terre ferme et près de Muçaww'a (par 15" 5S' lat , 37" 1 T long, et 10 mèlres ( 13 ) d'altitude), fort trenibleiiient allant du S au N. ou du N. au S. Vers :2 h. du matin, secousse plus faible que la précédente. Le 3 (heure indiquée), tremblement allant du SO. au NO. {sic), direction qui , selon M""^ de Goulyn , est affectée par tous les trem- blements de terre ici. Selon Astifanos, le mouvement commença au SO. Je m'en aperçus seulement, dit M. d'Abbadie, par un choc si léger, que je me crus frappé au NE. par une autruche étourdie qui court la maison. Selon madame D..., les plus forts tremblements sont au mois de mars, dans la saison malsaine de ce pays; les habi- tants en présagent la pluie. Lors du phénomène qui ne dura qu'une demi-seconde environ , l'orage était dans toute sa force sur le daga d'Ethiopie, mais le tonnerre n'élait pas appréciable, bien que plu- sieurs éclairs fussent directs. Le 6, vers 5 h. du soir, à Imakulu et à Baie , une légère secousse toujours dans le même sens. Vers 4 h., ajoute notre savant voya- geur, nous vîmes de loin le harif; il m'atteignit une heure plus lard à mi-chemin, enlre Bâte et [makullu. La poussière très-fine s'accu- mula dans mes oreilles et dans ma bouche, mais ne fit pas mal à nies yeux, qui sont pourtant si sensibles. L'obscurité fut telle qu'à trois pas de distance on voyait un homme conime une ombre. Nous eûmes peine à suivre la route, et 50 Éthiopiens se perdirent, quoique ayant pour guide un natif de Imakullu et son chameau. Ce harif dura deux heures au moins; on en a vu de trois heures. Le 10, vers 5 h. V2 du soir, secousse plus forte qu'à l'ordinaire, car les assiettes en tas se firent entendre. C'est la dernière signalée par M. Antoine d'Abbadie, dont le journal s'arrête au 9 octobre. Il dit ailleurs que les tremblements sont habituels à Muçawvv'a, ville et port de la mer Rouge (par 15° 37' lat. et 37^ 14' long.), et que, quand la terre tremble, les vapeurs en sortent souvent et que le qohar abonde. 1848. — Je lis dans le Javasche courant du 6 septembre, n** 72 : « On apprend par des rapports arrivés de la résidence de Kediri que le Keloet a continué à donner des preuves d'activité souter- raine; il a encore vomi de grandes masses d'eau semblables à celles qui ont déjà plusieurs fois causé des inondations. Les chemins, dans le district de Blitar, ont été fortement endommagés, beau- ( 14- ) coup de ponts ont été emportés, la route de N£;rowo au chef-lieu est coniplélement abîmée; la e^rande rivière de Kediri est obstruée, en beaucoup d'endroits, par la boue et la cendre qu'a vonnes la montagne, et la navigation est interrompue. » — Tous ces dégâts ne provenaient-ils pas de l'éruption du 16 mai de la même année? — Le 21 novembre, à Sienne, une secousse légère. — Le 3 décembre, 8 h. ^U du malin, h Havvaï, une nouvelle secousse légère. — (Sans date mensuelle). A Schemacha (Caucase), dix- huit tremblements de terre dans l'année. — En 1848, il s'ouvrit un nouveau cratère dans le voisinage du volcan d'Awatcha (Kamtschatka). Il lançait encore des nuages de fumée en 1854 ((1. de Dittmar). 1849. — Le 29 janvier, 9 h. 53 m. du matin, à Ischim, gouver- nement deTobolsk (Sibérie), deux secousses avec bruit sourd qu'on a comparé à celui d'un fort ouragan, et qui finit par une détona- tion comme un coup de canon. Direction du NO. au SE. La popula- tion se trouvait alors réunie en grande partie dans la cathédrale dont la voûte se fendit; il n'y eut pas de malheurs à déplorer. Le tremblement a duré une minute et s'est étendu dans les environs sans y causer de dommages importants. Les chevaux qui se trou- vaient sur la place du marché sont tombés sur leurs genoux. — En cette année, il n'y a pas eu de tremblement de terre à l'île Hawaï. 1850. — Le 12 mars, à Padang (Sumatra) , tremblement. — Le 5 avril, 1 1 h. \., du soir, à Coire (Grisons), fort tremble- ment. — Le 12, éruption du volcan el Nuevo (volcan de las Pilas) dans le Nicaragua. L'éruption de lave s'est fait jour au pied du volcan, presque dans la plaine. — Le 31 mai, à Padang (Sumatra), tremblement du N. au S. et d'environ 20 secondes de durée. — Le 29 août, de 9 à 9 h. ^'., (sic), à Padang (Sumatra), trem- blement faible de 30 secondes de durée. — Le 28 novembre, avant 2 h. V2 du matin, à Toerbel, dans la vallée de la Visp (Valais), tremblement long et fort. ( 15 ) — Nuit du 15 au 16 décembre, tremblement dans divers lieux de la Suisse. Le 16, entre 1 et 2 heures du matin, à Soleure, une secousse. Dans la nuit du 16 au 17, à Schwilz, autre secousse. — (Sans date mensuelle). A Hilo (île HaAvaï), deux secousses seulement dans l'année. 1831. — Le 12 janvier, 7 h. du soir, à Hawaï, une forte se- cousse. — Le 7 février, 11 h. 52 m. du soir, à Imst (vallée supérieure de rinn, dans le Tyrol), une secousse de l'O. à TE. et de 2 ou 5 secondes de durée. — Le 4 mars, après minuit, à l'île Hawaï, une secousse faible. — Le 14, 7 h. 50 m. du soir, à Padang (Sumatra), tremblement ondulatoire très-fort du N. au S. et d'une demi-minute de durée. Le 15, 3 h. ^2 du matin, autre tremblement très-faible. — Le 14 mai, 2 h. du matin, à l'île Hawaï, une secousse légère. — Le 19, 11 h. 50 m. du matin, à Derbent (Caucase), une se- cousse assez forte du SE. au NO. et de deux secondes de durée. Elle a été précédée d'un bruit souterrain. — Le 2 juillet, 10 h. ^k du matin, à Stawropol (Russie, prov. non indiquée), tremblement accompagné d'un bruit souterrain. H se propageait vers l'O. et a duré quelques secondes. — Le même jour (heure non indiquée), à Honth (Hongrie), une forte secousse. Nous avons déjà signalé un tremblement à Comorn ce jour-là. — Le 4, 1 h. 5 m. du matin, à Padang (Sumatra), fortes se- cousses d'abord verticales, puis ondulatoires du SE. à l'O. (sic); durée, 20 secondes. Elles provenaient probablement, dit-on, de la montagne de Talang. Le 5, vers 9 h. 8 m. du soir, encore une couple de secousses. — Le 14, 10 h. 20 m. du soir, à l'île Hawaï, forte secousse. — Le 16, vers 7 h. du soir, à Tiflis, tremblement léger de l'O. à l'E. Le 19, 5 h. du soir, dans les terres de Kwarel, cercle Telaw (gouvernement de Tiflis), très-fortes secousses qui pourtant n'ont causé aucun dommage. ( ic ) — Le 30, en Suisse, tremblement qui fut trà'î-fort in Judi- karien. — Le 9 août, 7 h. du soir, à Oni, cercle de Ratschin (p:ouverne- ment de Kulaïs), tremblement acconipagné d un fort bruit sou- terrain. — Le 2!, vers le matin, à l'île Hawaï, une secousse médiocre. — Le 25, 6 h. du matin, à Oni (cercle de Ratschin), autre trem- blement qui s'est renouvelé à midi précis. — Le 27 décembre, midi et demi, à Jelabuga (s^ouvernement de Wjatka), tremblement qui a duré trois secondes. Les maisons en pierres ont été moins ébranlées que les maisons en bois, notam- ment dans les rues Nabereshmaja et Potrowskaja. - Le 29, il h. Vi du malin, à Padang (Sumatra), tremblement du N. au S. et de 5 secondes de durée. 1852. — Le 7 janvier, 5 h. du matin, à Padang (Sumatra), se- cousse très-forte et ondulatoire de l'E. à l'O. pendant une minute. — Le 22 février, midi précis, à Derbent (Russie d'Asie), deux secousses très-sensibles de 10. à TE. Le toit d'une seule maison a été endommagé. — Le 31 mars, 4 h. '/4 du soir, à Hawaï, une secousse très-forte. — En hiver, le Sematschik (Kamtschatka) eut une petite érup- tion avec forte pluie de cendres. — Le 6 avril, 10 h. ^1^ du soir, à Padang (Sumatra), deux se- cousses ondulatoires avec trémoussement. — Le 26 juillet, 4 h. du matin, à Orpiri (gouvernement de Kutaïs), tremblement si fort que les vieillards ne se rappelaient pas en avoir éprouvé un semblable. 11 a duré 6 minutes, et, chose remarquable, il ne s'est pas étendu à plus de six verstes autour du bourg d'Orpiri. — Le 26 août (?), après 1 h. du matin, à Tiflis, tremblement assez fort et précédé d'un bruit souterrain. Le Calendrier russe, auquel j'emprunte ce fait, écrit 44 août (v. st.), mais le place aux phénomènes de septembre. — Le 5 octobre , à Soleure (Suisse) , tremblement pendant la nuit. — Le 19, 4 h. ^/i du matin, à l'île Hawaii, une forte secousse. — Le 11 novembre, 7 h. du matin, tremblement à Padang. Je (17) l'ai déjà signalé comme ayant ébranlé la côte occidentale de Su- matra; Padang n'était pas cité. — Dans le courant du mois, éruption du volcan d'Antuco (Chili), laquelle durait encore au 8 janvier 1853, lorsque M. Smith en fit l'ascension. — Le volcan deVillarica, situé à deux degrés à peu près plus au sud, brûlait aussi à la fin de l'année 185^, ainsi que deux autres moins connus, le Llayma et le LIogoî, situés entre les deux précédents (Gilliss, U. S. JVaval Aslrononiical Expédition, 1. 1, pp. 4 et 5). Tout ce qui est relatif au Chili fera l'objet d'une note spéciale. — Le 16 décenîbre àShanghaï.(Chine), deux fortes secousses. — Le 50, 4f h. 55 m. du malin, dans la ville de Pjatigorsk (Cau- case), secousses assez fortes accompagnées de bruit, mais de courte durée. 1853. — Le 15 janvier, à Sienne (Toscane) , une secousse légère. — Le 18, 9 h.^D m. du soir, à Tiflis, tremblement du N. au S. et de quelques secondes de durée. Pas de dommages. Le même jour, 9 minutes plus tôt, àDelishan, trois secousses consécutives; la première et la troisième furent faibles, mais la seconde fut si violente qu'un balcon d'une maison en pierre tomba. Cette secousse paraît avoir eu lieu de l'E. à l'O. Au même moment on éprouva à Tschubucbly, station de poste sur le bord du lac de Goktschin , à ^0 verstes de Delishan, sept violentes secousses consécutives. Les habitants épouvantés s'enfui- rent dans l'église qu'ils ne voulurent pas abandonner avant que le tremblement fût passé, quoiqu'un mur de l'édifice eût élé renversé. Plusieurs maisons se sont écroulées, douze ont élé fortement en- dommagées; cependant personne n'a péri. — Ces secousses ont été aussi ressenties dans l'île de Ssevan, où se trouve un couvent arménien. Le "^O et le 21, à Tschubucbly, nouvelles secousses, mais beau- coup plus faibles. — Le 25, à Sienne (Toscane), une nouvelle secousse. — Le 5 février, entre 3 et A h. du matin, à Neucbâtel (Suisse) , une secousse. — Vers minuit du 17 au 18, à Bacberach (Prusse rhénane) , une première secousse faible. ^ Tome X. 2 { 18 ) Le 18, on a éprouvé, non pas doux secousses, mais trois à Bacheraeb (et non Bacharrach, comme je l'ai écrit clans un de mes précédents catalogues). La troisième a eu lieu entre 5 et 5 h. du soir. Ce tremblement a été circonscrit sur un espace de A 'Vi milles du S. au N. et de 6 milles au plus de l'E. à l'O. (Notice de M. Nog- geralh, dans le Zeils. d. d. gcolog. Grsells., l. V, pp. 479-484.) — Le 2 mars, 5 h. du soir, à Tîle Hawaï, une forte secousse. Le 8 (heure non indiquée), autre secousse, légère. Le 11 , 4 h. Vi du matin , encore une forte secousse. Le 17, 4 heures du matin, dans la ville de Telaw (gouvernement de Tiflis), tremblement violent d'environ 60 secondes de durée. — N'est-il pas du 18? A. P. Le 18, 4 h. du matin, à Tiflis, une secousse accompagnée d'un bruit souterrain assez fort , mais sans dommages. Le même jour, 5 h. 59 m. du matin, au village de Ssabui, tremblement qui n'a pas duré moins de 50 secondes. Les chiens hurlèrent, le mortier des murailles tombait en beaucoup d'en- droits. Au fort Bjeshanji, à la station de Zarskije-Golodzy et dans la ville de Ssignach, le tremblement fut moins fort, il ne dura que 15 secondes. Cependant les habitants s'enfuirent des maisons qui oscillaient d'une manière visible. — Le 2 mai, 10 h. '>2 du soir, à îrkulsk (Sibérie), secousse du SE. (sic), avec bruit souterrain; tous les meubles ont élé mis en mouvement. Durée, 5 secondes. Au lever du soleil, le ciel était pur; à 10 h., il s'éleva un fort vent du NO., le ciel se couvrit, il tomba beaucoup de neige le reste du jour et, à 9 h. du soir, le thermo- mètre était descendu au-dessous de zéro. — Dans l'été, à Sillein (Hongrie) et dans les environs, trem- blement. — Le 15 octobre, vers minuit et demi, sur plusieurs points des domaines ou possessions (Grundstueckes) d'Achalkalak (lUissie), tremblement qui n'a duré que quelques secondes. — En octobre, éruption du Kliutscbewsk. (Voyez au 17 fé- vrier 1854.) — Le 13 novembre, dans le village de Païmut (qui est environ ( ^^ ) à 100 kilomètff'S à Test (nkogmnt, 61 "17' lat. N. et 161° do'o6" lonc;. 0. de Gr.) clans les possessions russes américaines, on a res- senti une secousse qui avait une direction du S. au N « Les trem- » blemenls de terre, ajoute le P. Netzvelof, qui tient un registre » météorologique à Ikogmut, sont ici un phénomène assez rare, et » le dernier qui a eu lieu est arrivé il y a 60 ans avant cela. » (Lettre citée de M. C. Vesselowski). — Le 16 décembre, 5. h. î22 m. du soir, à Derbent ( Caucase ), une secousse. Le 20, minuit trois quarts et 6. h. 10 m. du matin, nouvelles secousses de quelques secondes de durée. 1(S34. — Du 19 janvier au 28 février, pendant un séjour de cinq semaines à Lima , M""^ Ida Pfeiffer a ressenti trois tremblements. Le premier, dit-elle, a été très-considérable, mais sans dommages; le deuxième a été accompagné d'un bruit souterrain semblable au tonnerre qui dura à peu près 40 secondes, et le troisième ne se manifesta que par des secousses très-faibles. — Le 2 février, à Oran (Algérie), fortes secousses. — Le même jour, dans la soirée, la ville de Bakou (presqu'île d'Apscbérou) parut éclairée d'une manière extraordinaire. Les ha- l)itants montèrent sur les toits de leurs maisons et aperçurent, dans la région de Ssaljany ou plutôt dans la direction du Pciit Feu de Bakou ♦ une flamme sortant des montagnes voisines; elle s'éleva d'abord ta une grande hauteur, diminua ensuite et ne se montra plus que comme une réverbération des nuages fortement éclairés. Le phénomène ne dura pas plus de 20 minutes. Suivant le rapport des Tartares qui habitent dans le voisinage de la montagine, l'érup- tion aurait cessé parce que le sable et les cailloux qui forment les bords du cratère seraient tombés dans l'intérieur. — Le 4, éruption du mont Karagusch. Vers 8 h. du soir, la partie SE. du cercle de St'hemacha fut éclairée par une lumière gigantesque qui s'éteignit bientôt et se ralluma ensuite; elle éiait visible à 250 versles. A la monte date, vers 8 h. du soir, par un temps calme et un ciel pur, on vit tout à coup de B.ikou , une colonne de feu s'élever au-dessus de l'horizon du côté du sud : des nuages de fumée s'amoncelèrent au sommet, à la hauteur d'une ( -'^^ ) cinquantaine de toises [Faden , brasses). Le phénomène dura envi- ron une heure. On sut plus lard qu'il provenait d'une éruption vol- canique, qui s'élait faite au sommet du mont Karagusch, qui se trouve à 40 verstes de Bakou, sur la route de Ssaîjauy. Les habi- tants du voisinage assurèrent que la montagne avait vomi un tor- rent de lave argileuse qui avait recouvert un espace circulaire de 500 toises de diamètre, que la surface s'était crevassée en plusieurs endroits et présentait sur les bords de ces crevasses l'aspect de scories volcaniques. Les pâtres, qui se trouvaient au pied delà mon- tagne au moment de l'éruption et qui virent le phénomène à une distance de cinq verstes du sommet, ont rapporté qu'ils avaient d'abord entendu un léger bruit souterrain dans la montagne et que ce bruit s'était renouvelé en augmentant d'intensité, jusqu'au mo- ment de l'éruption. Toute la surface supérieure de la montagne fut alors couverte de boue et de pierres qui étaient lancées à une très- grande hauteur, avec un fracas étourdissant, la fumée montait en nuages noirs que sillonnaient des flammes (sic) magnifiques. Enfin, il se forma une colonne de feu d'une hauteur immense, qui dura une heure et illumina tous les environs. Le feu s'éteignit ensuite et le bruit cessa. Le lendemain , la boue argileuse qui s'élait rassem- blée dans le cratère, était devenue si dure qu'on pouvait marcher dessus dans les endroits où elle avait brûlé. Au reste des éruptions ignées considérables se sont produites en grand nombre dans cette région, surtout entre 4844- et 1849, sur rOuplidagh, le Nahalath et le Tourandagh, mais je n'en connais ni les dates, ni les détails. — Dans la nuit du M au 18, le sommet septentrional du Schi- velutsch (Kamtschalka ) s'écroula et cet accident fut accompagné de véritables coulées de lave, qui n'ont pas cessé depuis. (Cosmos, t. IV, p. 402, d'après G. de Dittmar.) C. de Dittmar ajoute (Bull, de la classe phys.-maih. de l'Acad. des se. de S'-Pélersbourg, t. XIV, p. 246, 1836), que le Kliutschewsk qui avait été en repos depuis 1841 et s'était rallumé en octobre 1855, en vomissant des laves, interrompit tout à coup sa période d'acti- vité, au moment de l'éruption du Schivelutsch, et recommença à fumer quelques semaines plus tard, pendant que le Schivelutsch, (21 ) inaclif depuis un temps immémorial, restait en pleine éruption. Le courant de la lave atteignit la rivière Jelowska , et les cendres furent portées jusqu'à Tigil. — Le 29 mars, vers 8 h. 29 m. du soir, à Bex et à Villeneuve (Vaud), une secousse. Le même jour, vers 8 h. ^U du soir, à Toerbel (Valais), une forte secousse. — Le 2 avril, M'"'' Ida PfeiiFer vit fumer le Cotopaxi. Le 5, il y eut une éruption violente de fumée, s échappant en épaisses colonnes, du milieu desquelles le feu se détachait en zig- zags d'éclairs, dépassait les nuages de fumée et retombait en pluie épaisse sur la terre. — Ce phénomène lumineux , remarque M. de Humboldt, serait-il l'effet d'un orage volcanique, causé par l'évapo- raîion? Depuis 1851 , ajoute-t-il (Cosmos, t. IV, p. 714), les érup- tions sont fréquentes. — Dans mon catalogue pour 1854, je disais, d'après le D"" Moritz Wagner : « Depuis longtemps on n'a pas vu de fumée sur le Cotopaxi. » — Le 25 , de 9 à 10 h. du soir, et le 26 , de 1 à 2 h. du matin , à Toerbel , quelques autres secousses. — Du 22 au 28 mai, à Emd et à Siders (au-dessous de Toerbel), forte secousse dans la matinée. Quelques jours avant le 28, dans la vallée de S*-Imier (Suisse), une secousse. — Le 5 1 , aux environs du village de Mjassojedowo (cercle de Tula) , on entendit un bruit extraordinaire, qui ressemblait à 'celui du ton- nerre et qui dura quelques secondes. Le ciel était pur. On reconnut ensuite qu'il s'était fait un affaissement dans une forêt de la couronne : le sol s'était enfoncé sur un espace de 400 toises carrées. Des chênes de plus de 1 2 toises de hau teur avaient disparu dans l'abîme sans fond qui s'était formé et rempli d'une eau jaune jusqu'à 15 toises au-des- sous de la surface du sol. Cet effondrement se trouveà gauche de l'an- cienne route d'Orel à Tula, à 20 versles de cette dernière ville, h 3 verstes de Mjassojedowo et à 8 toises d^ la nouvelle chaussée. Non loin de là, se trouve un autre effondrement semblable qui s'est fait il n'y a pas longtemps. Au même endroit, on en voit encore un autre qui date de dix ans; il a aussi eu lieu tout à coup et forme (22) encore un gouffre de 50 toises carrées, dans lequel il n'y a pas plus de i Va arschin d'eau. Toute celte région esl formée d'un sol humide et couvert d'épaisses foréls. — Le 5 juillet à Sienne (Toscane), une secousse. — Le 'iO août, 4 h. du soir, à l'île Mawaï, une forte secousse. — Le 12 septembre, 6 ''2 heures du soir, à Josopl;sthal, district de Litschau (basse Autriche), forte secousse avec bruil, semblable à l'explosion d'une mine; les murs et les fe[]êlres tremblèrent. L'air était calme, le ciel pur et le baromèire extraordinairement haut. A 9 h. et 9 h. 15 m., encore deux faibles secousses. Le 15, 2 h. V4 du matin, une violente secousse, semblable à la première et suivie d'une autre faible. A 4 h. VU et 9 h. du uialin, puis à 7 h. du soir, nouvelles secousses légères. L'air était calme et pur, le baromètre plus haut encore que la veille. Quelques jours auparavant on avait entendu des roulements souterrains. — Le 16, de 4 h. 20 m. à 7 h. du soir, sur la côte de Wexford (Irlande), mouvements extraordinaires des eaux de la mer. On a cru qu'ils étaient dus à une secousse de tremblement de terre qu'on n'a pourtant pas senti. — Le 15 octobre, i h. du matin, sur la pente occidentale du Campo-Marzo, bruit souterrain qui s'approcha lapidement en venant du SE., dura 6 ou 7 secondes, et lut sni\i d'une violente secousse. On assura à raîiteur de cette observation, M. Balenzeula y Ozory (1) que ce phénomène y est si fréquent que les habitants y sont habitués et n'y font pas attention. — Le Campo-Marzo est une montagne composée de basalte, de serpentine, de strass et d'autres l'oches plutoniques; elle se trouve dans la province de l^ontevedra (Galice), à 4 lieues au sud de Santiago (Saint-Jacques de Compostelle), où l'on entendit cette détonation très-faiblement et sans ressentir la secousse. — Le 28, U h. V^^du soir, à Ismaël (Russie), deux légères se- (1) Mémoire sur la Génj^nosie et l'Agriculture de la province de Pontevedra (Comia. de M. Casiauo de Prado, insjjecleur {général des mines en ts])agi]e). (23) cousses (lu NE. au SO. A Odessa, i \ h. ^'2 du soir, une secousse accom[)agi)ée d'un bruit souterrain. Dans les étages supérieurs, les meubles, les fenêtres et les portes ont tremblé Dans le faubourg Moklawauka, le tremblement a été un peu plus fort. A Tiraspol, même heure qu'à Odessa, bruit souterrain très-léger. — Le 29, 8 h. du soir, à l'île Hawaï, une forte secousse. — Le 29 novembre, minuit un quart, à Toerbel (Valais), forte secousse du N. au S. avec bruit. — Le 10 décembre, à Sienne (Toscane), une légère secousse. 1855. — Le !''■ février, dans les environs de Lilschau (basse Autriche), tremblement. — Le 5 mars, 5 h. du matin , à Pjatigorsk (gouv, de Stawropol) , tremblement avec plusieurs explosions souterraines. On n'a remar- qué aucun changement dans les sources minérales. Mais, le 13 dé- cembre, les sources îbermo- sulfureuses, connues sous le nom d'Alexandrow, ont tout à coup cessé de couler vers 9 h. du matin; on ne dit pas pendant combien de temps, ni qu'il y ait eu tremblement de terre ce jour-là. — Le 18, 8 h. 1/2 du soir, à l'île Hav^^aï, forte secousse de plusieurs secondes de durée. — Le 22, aux Philippines, tremblement qui dura quatre minutes et lenversa ou endommagea beaucoup de maisoûs. Il fut accom- pagné d'une violente éruption de l'Albay. — Le 28, à San Remo (Piémont), une nouvelle secousse. — Le 1^'" avril, 4 h. du matin, à Toerbel (Valais), secousse vio- lente. — Le 5 mai, 1 h. 16 m. 40 s. du soir, à Tiflis (Caucase), faible secousse du NO. au SE. — Le 24, 9 h. du matin , à l'île Hawaï , secousse longue et assez forte. — En mai, juin, juillet et août, à Josephsthal, secousses très- fréquentes (à diverses heures), mais moins violentes que celles des 12 et 15 septembre 1854. Elles ont eu lieu en général, lorsque le baromètre était très-haut. — Le H juin, 7 h. 46 m. du matin, à Tiflis (Caucase), deux fortes secousses. { 24 ) — En juin, jour non indiqué, 4 h. */2 du soir, àTtleHawaï, une forle secousse. — Le 21 juillet, 5 h. du matin, à Neuchâtel (Suisse), une se- cousse. — Le 26, vers 6 h. 40 m. du soir, à San Germano (roy. de Naples), secousse légère, instantanée, verticale et suivie d'un bruit sou- terrain. — Le 5 août, 8 h. */2 du soir, à l'île Hawaï, secousse verticale assez forte. — Sans essayer de reproduire ici tous les renseignements qui ont été publiés sur le tremblement du Valais, je donnerai le journal des secousses parvenues à ma connaissance. Le 25 août, 9 h. 2/4 du matin et i h. V2 du soir, à Toerbel (dans la vallée de la Visp), secousses avec bruit. Elles y ont été très-fré- quentes. M. le pasteur Tscbeinen en a tenu un journal (1), dont je vais traduire des extraits; mais, pour ne pas trop allonger mon tra- vail, je ne noterai que les dates qui ne sont pas signalées dans mes précédents catalogues. — Le 25, 6 b. */4 du soir, à Toerbel, une forle secousse. — Le 17 septembre, 8 h. du matin, à l'île Hawaï, une secousse. • — Le 20 et le 21, à Toerbel, les murs ont craqué plusieurs fois; mais on n'a pas noté de secousse. — Le 24, 6 b. ^k du matin, à Viège, tonnerre souterrain; à Toerbel, de nuit, fort tremblement. — Le 2 octobre, à Toerbel, bruits souterrains et craquements des murs et des cloisons. — Le 4, 3 b. du soir, à Unterbaecb, bruit sans secousse. — Le 5, 8 b. du soir, à Toerbel, tremblement léger. — Le 6, 1 h. du soir, à Unterbaecb, deux secousses. — Le 7, 1 b. du matin, à Unterbaecb, fort bruit. — Le 9, 2 h. */2 du matin, à Toerbel, fort tremblement qui s est renouvelé à 7 b. et à 9 b. ^'2 du soir. (1) Fierleljahrsschrift der Naturf. Gesells. in Zurich ,11 Jahrg., cali. 1, pp. 28-48 et cali,2, pp. lGU-198, 1857. Cf. Volger, Untersuchungen ueber das Phacnonien der Erdbeben in der Schweii, 5 vol. in-8". Nous en avons rendu coaipLe dans les Nouvelles JnnaJes des voyages ^ janv, 1859, pp. 100-109. — A minuit du 10 au il, foile secousse avec tonnerre souter- rain; puis frémissements du sol et craquements des cloisons. — Le 15, 5 h. du soir, à Unterbaecli, léger mouvement. — Le d 6, 3 h. du matin, à Toerbel, tremblement léger. — Le 22, bruits et frémissements du sol. — Le 25, 8 h. V2 du matin, léger tremblement. Bruits et fré- missements du sol dans le jour. — Le 24, de 9 h. à 10 b. du soir, bruits et frémissements du sol. — Le 26, 10 h. du soir, faible tremblement. — Le 2 novembre, 7 h. du matin, à l'île Hawaï, une forte se- cousse. — Le 4, 3 h. V'4 du matin, à Toerbel, une forte secousse avec bruit, — Le 0, 3 h. du soir, tremblemenL — Le 6, 4 h. du matin , tremblement qui s'est renouvelé dans le jour. — Le 7, 4 b. ^/i du matin, fort tremblement avec bruit; à 5 h. du n)atin, une forte secousse qui s'est renouvelée trois fois dans le jour. — Le 8 et le 9 , bruits et frémissements du sol. ' — Le 9, 9 h. du soir, secousse avec bruit. — Le 10, 5 b. du matin, phénomène semblable (1). — Le 11, rien. — C'est le premier jour non signalé par des se- cousses, des bruits ou des frémissements du sol depuis le 25 juillet. — Le 12, 3 h. V2 du matin, à San Carlo, dans la vallée d'An- zaska, une forte secousse, et à 10 b. ',2, une autre secousse. A Toer- bel, 3 h. ^k du soir, faible secousse avec bruit. Le 13, 5 h. ^'2, 3 b. ^/4 et 10 h. du soir, à Toerbel, nouvelles secousses. Le 14, 0 b. du matin, secousse avec bruit. Du 13 au 27 , tous les jours et toutes les nuits, bruits et frémis- sements du sol. (I) Toutes ces citations sont relatives à Toerbel. Quand je ne signale pas de localité, c'est que le fait se rapporte à b dernière citt^e. (2C) Le 28, H h. ^k du malin et 5 h. *(2 du soir, faibles secousses. Le 29 et le 50, bruits et fréinissemenls du sol. — Le 1*^^ décembre, 10 h. du malin, Ireniblement. Du fî au 12, bruils et fromissemenls du sol tous les jours et tou- tes les nuits. ^- Le 5, 7 h. du matin, à Goronlalo, résidence de Manado (Cé- ièhes), ihux ("ortes secousses consécutives, qui ont fait quelque mal et lézardé les maçonneries du nouveau fort. — Le 13, 1 h. V-4, 5 h. V4 et 8 h. du soir, à Toerbel, secousses médiocres avec bruit. Le 14, frémissemenls la nuit. Le 15, 6 h. ^k(sic), long bruit souterrain suivi d'un frémisse- ment du sol. Le IQ, avant 7 h. du matin, tremblement léger. Le 17, bruits et frémissements. Le 18, vers midi et 2 b. ^'n du soir, légères secousses avec bruit. Le 20, de nuit, deux tremblements légers. Le 21 , 10 b. du matin , léger tremblement. Le 22, frémissements du sol avec bruils. Le 25 , 10 b. Vi du matin, forte secousse. Le 21, de nuit, deux ou trois petites secousses. Le 26, 9 h. V2 du matin, secousse avec bruit sourd. Le 28, 10 h. du soir, deux fortes secousses avec bruit, dans l'in- tervalle d'une minute. Le 29, bruits et frémissemenls du sol. Le 50, de minuit à 1 h., faible secousse; à 1 b , forte secousse qui s'est renouvelée à 8 b. du soir avec bruit. Le 51 , bruils et frémissements du sol. Le môme jour, 7, 8 et 9 h. du soir, à Unlerbaecb, légères se- cousses. — Le 29 et le 50, à l'île de Banda, bruits souterrains provenant du volcan. 1856. Janvier. — Le 5, 1 1 h. du soir; le 5, 5 b. ^U du matin; le 7, 8 h. ^/4 du soir; le 10, 9 b. ^k du soir; le 12, 2 b. '/^ du soir; le 16, 9 h. VU du soir; le 17, 0 b. ^,U du soir , et le 28, 7 b. du soir, à Toerbel, secousses plus ou moins fortes. Tous les jours, bruils et (27) frémissements du sol, sauf le '24 et le 25 dans lesquels on n'a rîen remarqué. Le a, 4 h. du lualin, à Uiileibaoch, forle secousse; bruit à 10 h. du matin. Le G, 8 h du soir, forte et courte secousse. Le 17,5 h. du matin, forte secousse et, à 7 ii. du soir, secousse légère. — Le 8, 4 h. du matin , à Vîle Hawaï, une forte secousse. — Le 2G, 8 h. 45 m. du soir, à Josephsthal (basse Auîricbe), deux secousses consécutives et très-fortes. A 9 h. 5 m., autre se- cousse faible avec bruit dans le lointain. Le 27, 42 b. 45 m. du matin (sic), autre secousse, si forle que toutes les glaces qui se trouvaient sur une table (dans la fabrique) ont vibré. L'air était trouble et humide; le baromètre cette fois était très-bas. Direction du SO. au NU ou du S. au N. Les lieux situés jusqu'à 4 ou 2 lieues dans les montagnes (Eulenberge) ont seuls éprouvé la secousse. — Dans le courant du mois, éruption du volcan de Fuego (Gua- temala); les cendres recouvrirent le pays à 40 mètres de distance. Février. — Le 4, 9 h. du soir; le 9, 7 h. JO m., 7 h. *i2 et 8 h. 20 m. du matin; le 14, 5 h. ^2 du malin et le 24, 5 h. V4 du matin, à Toerbel , secousses médiocres. M. Tscheinen ne signale que le 17 comme n'ayant rien offert de particulier; tous les autres jours ont encore été marqués par des bruits, des frémissements du sol, le craquement des maisons, etc. Le 2, 7 b. du soir, à Unterbaecb , légère secousse. Le 9, 7 h. du malin, forte secousse; à 8 b. ^hi et 9 b. ^/4, détonations. Le 44, 7 b. V^ du matin, détonation. Le 14, 6 b. du malin, secousse mé- diocre. Le 27, 5 b. ^k du matin, bruit sourd. — Le 1 3 , au point du jour , dans la ville de Govi (gouv. de Tiflis), deux secousses. La première ne fut remarquée que par quelques per- sonnes; mais la seconde fut si forte que tout le monde se leva et se sauva dans les rues. Mars. — Le 2, 40 h. du matin, sur la côte de Whitby (Yorks- bire) , mouvements extraordinaires des eaux de la mer. — Du 2 au 7 inclusivement, à Viége (Valais), secousses quoti- diennes suivant M. Kluge. Le 5, avant 5 h. du malin; le 9, 6 h. ^'2 du soir; le 15 , 1 h. du (£8) soir; le J8, 5 h. ^ii du matin et 5 li. *i2 du soir; le 19, 2 h. '/s du soir et 7 h. ^Ja du malin, à ïoerbel, secousses. Les 10, i", 21, 2i,28, 29, 30 et 51 n'offrent rien de particulier dans le journal de M. Tscheinen. Tous les autres jours sont marqués par des bruits et des frémissements du sol. Le 9, 7 b. du soir, à Unlerbaech, forte secousse; le 43, 1 h. du soir, mouvement avec bruit; le i8, 5 b. du matin, secousse; le 20, bruit et mouvement. — Le 9, à Brousse , tremblement. — On lit dans la Presse du 50 mars : « Un tremblement de terre épouvantable a eu lieu au Japon. La ville de Joddo (Jédo?) a été dé- liuite, 10,000 maisons ont été renversées; 50,000 personnes ont péri. Avril, — Léo, 0 h. 40 m. du matin et 9 h. du soir; le 6, 6 h. du malin et le 13, minuit (sic), à Toerbcl, secousses. — Le 4, du 7 au 15, le 16, les 23, 24, 23 et 26, bruits et frémis- sements du sol ; les autres jours, rien. Le 4, midi, à Unterbaecb, mouvement qui se renouvela dans la nuit. Le 6, dans la matinée, trois secousses médiocres. — Le 3, vers minuit, à Kvvareli, village du Caucase, tremble- ment accompagné de bruits souterrains. Il dura deux minutes. — Le 12 (n. st.) (1), 4 b. du malin, à Sselenginsk (Sibérie), pre- mière secousse accompagnée d'un bruit, ou pour mieux dire d'un bourdonnement ou sifflement souterrain comparable à celui que produit le passage d'un boulet de canon dans l'air. Vers 4 b. 50 m., on entendit un bruit souterrain semblable à celui d'une voilure sur un chemin inégal et raboteux, mais sans secousse. A 4 h. 52 m. on entendit de nouveau un bruit souterrain qui fut accompagné d'un sifflement per^tant et d'une secousse qui dura environ 5 secondes. Le crayon d'un seismomèlre- pendule marqua sur le sable des ligues dirigées NO. — SE. — Un négociant qui se trouvait au centre du lac liaikal a raconté que la secousse avait eu lieu vers 3 h. Va (il n'avait pas de montre, l'heure n'est qu'esliniée). Ses chevaux s'arrêtèrent subitement et reculèrent même avec une inquiétude manifeste; les (1) Toutes les dates, pour rii:mi)irft,sonl dans le nouveau st^le. ( 2!) ) voyageurs remarquèrent que leur voilure avait éprouvé une secousse et ilsenlendirent un roulement souterrain. Peu de temps après, les chevaux se jetèrent de côlé et s'arrêtèrent de nouveau: cetle fois on entendit encore un bruit souterrain, maison ne ressentit pas de secousse. De nombreuses crevasses se formèrent dans la glace dont l'eau était couverte. La glace qui couvrait le lac Gussinoje (près de Sselenginsk) fut aussi fendue. Mai. — Le 2 , 10 h. ^U du matin ; le 4 , 4 h. et 5 h. ^k du soir; le 18, 5 h. Va du matin; le 20, 10 h. du malin et le 28, 6 h. du soir, à Toerbel, secousses. — Les 5, 9, 10, M, d4, 17,19, 21,22, 23, 24, 26 et 27, bruits et frémissements du sol. Hien, les autres jours. Le 9 et le 11 , à Unterbaech, légers mouvements; le 28, 6 h. du soir, forte secousse. — Le 25, vers J2 h. 45 m. de la nuit, à Sselenginsk (Sibérie), une nouvelle secousse précédée d'un bruit souterrain et suivie d'une deuxième douze minutes plus tard. Cheminées renversées. Le seis- momètre-pendule a marqué la direction nord-sud. Le même jour, 1 h. du malin, à Troizko-Ssavvsk, à Kjachta et dans les environs, tremblement très-fort du NE. au SO. 11 fut pré- cédé d'un bruit souterrain que les uns ont pris pour le roulement du tonnerre dans le lointain , et d'autres pour le bruissement du vent qui soufflait du NO. et remplissait l'air de nuages de sable. Mais lorsque à midi {sic) et quatorze minutes, toutes les maisons tremblé^ rent, que les plâtres se détachèrent des murs, que les sonnettes, les meubles, les lustres, etc., furent mis en mouvement, il fallut bien reconnaître l'effet d'une commotion souterraine. Une minute et un quart plus tard, eut lieu une seconde détonation peu sensible. Le ciel était couvert de nuages épais; le thermomètre indiquait ô^^li IL Il est à remarquer que le bruit et le mouvement furent plus intenses dans la partie septentrionale de Troizko-Ssawsk que dans la partie méridionale qui n'en est distante que de 1 *r2 versle. Ils furent plus intenses dans tout le Kaufmanns-Ssloboda de Kjachta, qui est à 4 versles de la ville. Ce tremblement fut aussi fort à Ssloboda Ust- Kjachta, qui se trouve à 22 versles au NO. de Kjachta, mais à peine à Kiransk, qui se trouve à la même dislance à l'est de Troizko- Ssawîrk. (30) Nous nvôtîs déjà signalé (catalogue pour I806) une secousse à Mnimatcliin pour ce jour-là. Nous avions dit, d'après M. Boue, qu'elle avait ébranlé 500 milles carrés dans le cercle de Kjachta. — Le 26, 10 h. du soir, au village de Nischnij Kushebar (prov., de Minussinsk, gouv. de Jenissei), une première secousse, faible et de quelques secondes de durée. Le 27 , 2 h. du matin, nouvelles secousses dans un intervalle de cinq minutes. Elles ont été beaucoup plus fortes, sans causer de dommages. On les a ressenties, mais plus faiblement, dans d'autres localités delà province. — On lit dans la Presse du 7iO mai : Les tremblements de terre ont cessé de se faire sentir à Viège même; mais il n'en est pas ainsi dans la vallée latérale qui y aboutit; à Stolden, par exemple, et ail- leurs, il ne se passe pas de jours sans qu'on éprouve quelques se- cousses. Juin. — Le 2 , 2 b. du soir; le 22, 10 h. du soir; le 25, de 10 à 4 I h. du soir; le 26, 1 1 h. ^'4 du matin et 1 h. du soir; le 27, 8 b. du soir et le 30, 10 h. du soir, à Toerbel, secousses. — Bruits et frémissements du sol les 1, 3, 4, 5, 6, 12 et 28. Les autres jours ont été tranquilles. Le 22, 4 h. et H du soir, à Unîerbaecli, bruit souterrain. Le 26, 10 h. ^I<2 du malin et le 27, à 8 h du soir, cboc et bruit. — Le 7, à Sienne, une secousse prolongée. Juillet. — Le 7, 2 h. et 5 h. du matin, dans l'île de Timor, lé- gères secousses du N. au S. et de 5 à 6 secondes de durée. — Dans la nuit du 8, 0 h. 16 m. 45 s., à Tifîis, violente secousse du JNO. au SE. — Je l'ai indiqué (Catal. 1856) d'après M. Pistolesi, comme ayant été ressentie sur une étendue de oOO verstes carrés jusqu'à Troizko-Ssawsk. Il me semble (|u'il y a eu ici confusion. Le Kalender fuer des Jahr 1858 (publié à Saint-Pétersbourg) donne les dates des 14-15 mai et 26 juin (v. st.) et nous l'avons traduit textuellement comme nous avons traduit l'article relatif au 23 mai dans le calendrier pour 18.^7. — Le calendrier pour 1858 cite aussi le tremblement ressenti à Scbemacba le 23 juillet, mais sans autres détails ({ne ceux que nous avons déjà publiés. Seulement il indique une source. « Jour, des Min. des Inncrn, septembre 1856. » (51 ) - Le 16, 2 h. du malin; le 17, 4 h. et 10 h. V^ f^" nialîn;le 2.1 (heure non indiquée); le 27 midi et le 28 dans la soirée, à Toerbel, secousses. — M. Tscheinen ne signale des bruits et fiénnssements du sol que du 8 au 15, et encore sans détails précis. M. Lehner ne signale rien , dans ce mois, pour tjnterbaech. Août. — Le 4, 7 h. ^j^ du malin et dans la soirée; le G, 2 h. 5/^, 5 h. iO et 20 m., et 9 h. V^ i'" soir; le 7, 2 h. 2 h. 7^, 4 h. V^, 6 h. s/4, 7 h. 10 m., 8 h. ^4 du malin , 1 b. et 5 h. du soir; le 8 , 1 h. 55 m. du malin et 4 b. ^4 du soir; le 10, 10 b. ^/^ du matin; le 11, 10 b. ^1,4, midi s/i, 10 b. «/^ et 1 1 b. V'.^ du soir; le 16,9 b. 1/2 du soir; le 22, 4 b.du matin, le 28, 5 b. ^/2du soir et le 50, 9 b. 50 m. du soir, à Toerbel, secousses. • — Les 1, 2, 5, 12, 15, 14, 18, 23 et 24 sont les seuls jours où Ion n'a noté ni bruits, ni fréniissemenls du sol. Le 4, 8 h. du malin, à Unlerbaecb, forte secousse; le 6, 5 b. du soir, deux secousses, à 5 b. V^ deux autres; le 7 , 5 b,, 5 b. et 7 b. du matin, secousses; le 8, 2 b. et 4 b. du soir, secousses ; le 1 1 , 11 b. du matin, Icaère secousse; le 15,8 b. du malin et 2 b. du soir, grand bruit, pas de mouvement; le 28 , 4 b. du matin et 5 h. du soir, secousses. Je trouve ailleurs (I) sans détails : secousses dans le Valais : le 4, une; le 6, plus de buit; le 7, quatre; le 8, trois; le U , deux; le 26, une; le 28, une; le 50, une. — Nuit du 6 au 7 , à Gorontalo (Célèbes), violentes secousses; les fortifications ont éprouvé quelques dommages, (domine à Manado les pluies ont alterné avec des coups de vent de fouest jusquVn décembre. Septembre. — Le 5, 10 b. du soir et à diverses reprises ; le 10, 4 b. 20 m. du soir; le 11,1 1 s/4 du soir (?) ; le 27 , 1 1 V^ et 1 1 ^/^ du soir, à Toerbel, secousses. — Les 2, 4, 6, 7, 9, 15, 16, 22, 24, 26, 29 et 50 n'ont été signalés par aucun bruit, ni mouvement. Le 2, 5 b. du soir, à Unterbaecb, bruit et léger mouvement; le 10, 4 b. du soir, légère secousse; le l(), 6 b. du soir, frémisseaient pen- (1) rierteJjahrssch. d. ?iaturf. GescUs. in Zurich, II. Jahrg. Ileft 2, p. 100. ( S2) dant 10 minutes et le 26, 5 h. du matin, mouvement ondulatoire. — Le 18 et le 23, à Manado (Célèbes) , secousses très-foiios. — Le volcan actif de la petite île dé Uoeang, dans le voisinage immédiat de l'île de Tagoelandang, lança alors à plusieurs reprises des colonnes de fumée qui firent craindre une éruption prochaine aux habitants de cette derrière île. — Le d9, vers 4 h. du soir, à Erlenbach dans le Simmenthal (Suisse), une secousse de plusieurs secondes de durée. Dans la nuit du 25 au 24, vers 10 h. ^k et 1 1 h. du soir et vers à ou 3 h. du malin, plusieurs personnes ont encore ressenti quelques secousses — Dans le courant du mois, éruption d'un volcan nouveau ( Montagne de Santa Anna , au Mexique) ; suivant M. E. Kluge, elle aurait duré jusqu'en mai 1857. Octobre. — Le 5, vers midi, à Erlenbach, deux nouvelles se- cousses du S. au N. La première, plus faible, a duré deux secondes; l'autre a été un peu plus longue. — Le 8, 7 h. Vgisic); le 10, vers 3 h. du matin; le 12, 7 h. '/^du soir; le 15, vers iO h. du soir; le i6, 2 h. 50 m. du soir; le 25 , 7 h. du soir; le 28, 2 h. ^'r, du soir; le 29, 10 h. du soir; le 50, iO h. du soir et le 51 , 10 h. du soir encore, secousses à Toerbel. — Les 6. 7, 15, U, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 25, 2i, 26 et 27, bruits et fré- missements du sol. Le 10, de midi à 4 h., à Unterbaech, trois secousses; le 12, 5 h. du soir, deux bruits ordinaires et le 16, 6 h. du soir, bruit avec mouvement. Je trouve encore ailleurs : Le 5, une secousse dans le Valais; le 12, une secousse et le 19, deux autres. — Nuit du 7 au 8, dans la résidence de Kediri et dans le district de Malang (Java), tremblement déjà signalé. — Les habitants ont été réveillés jusqu'à 5 fois dans la nuit ; la seconde fois les secousses ont été très-fortes et persistantes. On y reçoit ainsi de temps en temps l'avertissement que le Keloed est un voisin dangereux qui pourrait bien à l'improviste causer quelque malheur. — Le 10 , vers 1 1 h. V^ du soir, à Banda, trois faibles secousses verticales. (53) — Le 2-4, vers 9 h. V^ du soir, à Manado (Célèbes), légère se- cousse. — Le 26, 11 h. 10 m. du soir, à Tjikadjang, dans le voisinage du Papandajang (Java), une secousse très -forte d'environ 2 se- condes de durée. Une loge à café fut renversée à Tjiboeloe. Novembre. — Le 5,5 h. du matin; le 7, 2 h. du matin; le 8, 10 h. ^2 du soir et le 15, dans la nuit, secousses à Toerbel. — Le !'='■ et le 14., bruits et frémissements du sol. — A partir du J9, M. le pasteur Tscbeinen a continué ses observations à Graechen. 11 a noté des bruits et de fréquents frémissements du sol les 20, 21, 22, 25, 24, 28 et 29. Je ne trouve rien pour ce mois dans le journal qu'a tenu M.Lehner, à Unterbaecb. — Le 5, vers II h. du soir, à Erlenbach, dans le Simmenlhal (Suisse), dernière secousse, très-faible. — Le 9, 5 b. '/.2 du soir, à Ternate, secousse légère. — Le même jour, M h. V^ du soir, à Cilly (Styriej, une secousse. • — Le 12, dans la matinée, sur toute l'île de Banda Neira et la Grande Banda, trois secousses horizontales de l'ouest à l'est; les fenêtres ont vibré; un léger bourdonnement s'est fait entendre au Goenoeng Api. Le 12 encore, de nuit, dans la ville de Kapal (province de Ssemi- palatinsk), tremblement du N. au S. et de 5 secondes de durée. 11 fut accompagné d'un bruit souterrain. — Le 24, 2 h. 25 m. du matin, à Kiscbinew (Bessarabie), trem- blement léger et sans dommage. — Nous avons cité une secousse pour cette nuit à Galatz (Moldavie); c'était la deuxième de l'année. Décembre. — Les 6, 18 et 19, à Unterbaecb, bruits; le 20, 6 h. du soir, mouvement; le 25, \ h. du matin, bruit et mouvement; 5 h. du matin, une secousse; le 50, bruits dans la matinée. Le 17, 7 h. V'i du soir; le 18, 7 h. I/2 du soir; le 19, 5 h. du malin; le 20, 6 b. et 10 h. V4 du soir; le 27, 1 h. du matin; le 28 , 7 h. ^\i du matin et le 51, 8 b. ^h du soir, secousses à Graechen. — Les 2, 5,4, 5, 16, 21 et 25, bruits et frémissements du sol. Je dois ajouter qu'on en a généralement noté les jours où des secousses sont signalées. Tome X. 3 (34) — Le 16, vers I h. du matin, à Tagalvvaroe, chef-lieu du dis- trict de ce nom, dans la division de Krawang (Java), trois légères secousses ressenties aussi à 18 milles de distance an nord, à Tol- lokdjambe, où les Eumprens furent réveillés. — Le 21, à midi, à Tifiis, plusieurs fortes secousses consécutives. Pas de dommages. — Nous avons signalé, d'après M. Boue, à la date du 25, une secousse dont les calendriers russes, que nous devons à M. Vesselowski, ne font aucune mention. — Le 22, tremblement au collegio di S. Lazarrio. — Ce tren)ble- ment, ainsi désigné par M. J. Schmidt, n'est-il pas le môme que celui que j'ai signalé à la même date pour Guastalla et Plaisance? — Le 26 , vers 5 et o h. du matin , fort tremblement du INO. au SE. à Metelia {sic). Où se trouve cette localité si brièvement indi- quée par M. Schmidt. Ne s'agit-il pas de Metelin dans l'Archipel ? — Le 26 ou le 27, au mont Iloen-Bano, dans la partie occiden- tale de Timor, éruption qui a causé la mort de deux personnes tuées par les pierres que lançait le volcan. Ce fait est d'autant plus re- marquable, ajoute-t-on , que c'est la première éruption d'un volcan à Timor, au moins dans la partie occidentale de l'île (I). — Du 15 octobre 1857 au 15 janvier 1858, M. de Montigny, consul de France en Chine, a éprouvé un tremblenient de terre sous-marin en traversant la Malaisie. (1) Voyez deux articles que nous avons publiés « suc les phénomènes seis- miques à l'île de Timor », dans les Nouvelles Jnnaks des voyages, aoûl et décembre 1858, pp. 12i)-lôC et pp. 3i»ô-ô05. DEUXIEME PARTIE. TREMBLEMENTS DE TERRE AU CHILI. 184-7. Octobre. — Le 8, à Coquimbo, 17 secousses; le 9, 7 secous- ses; le 10, !2; le 11, !2 encore et 1 chaque jour du 12 au 17 inclusi- vement. Ce tremblement s'est étendu de Copiapo jusqu'aux points situés au sud de Santiago; mais nous n'avons pas d'autres détails. M. del Barrio fait remarquer que sur Ml directions observées à Coquimbo, on a noté 49 secousses de l'E. à TO.; 52 verticales; 12 du SE. au NO.; 9 du NE. au SO.; 5 du N. au S. et 6 circulaires. Ces chiffres forment un total de 1 15. Novembre. — Le 26, un nouveau volcan, entre ceux d'Antuco et d'el Descabezado, fit éruption. Pendant plusieurs jours ^ il remplit l'air d'une odeur de soufre en ignition, et sa fumée fut visible de Talca pendant plus d'une année. Quoique le cône ait plus de 500 pieds d'élévation, comme il est dans l'intérieur des Cordillières, on ne l'aperçoit pas de la plaine. L'émission de la fumée avait entière- ment cessé en avril 1852. A celte époque aucun volcan, depuis le parallèle de Copiapo (lat, 27° S.) jusqu'à celui de l'Antuco (57° 7') ne donnait des signes d'activité. 1848. Mai. — Le 11, tremblement à Valparaiso. 1849. Mars. — Le 18, à Coquimbo, tremblement. Mai. — Le 9, 8 h. % du malin, à Coquimbo, secousse précédée d'un grand bruit. A midi 20 m., deuxième secousse de 14 secondes de durée, et précédée d'un bruit ordinaire. ( 3- ) nomènes pussent en donner la date précise. Il résolut de faire Fas- ccnsion du volcan le lendemain, sous la conduite d'un capitan de amigos, sorle d'agent indien, dont le voisinage des Pehuenches.des Pampas rend l'escorte nécessaire. 11 remonta pendant cinq heures une belle et romantique vallée, d'où il jouit constamment delà vue de l'Antuco, et atteignit à Castillo de Vallenar, ancienne station militaire, théâtre de fréquentes et rudes escarmouches avec les fiers Pehuenches et les sauvages bandits de Pinchiera, et qui n'est plus aujourd'hui qu'un amas de ruines. Après avoir déjeuné dans la mai- son d'un guide, la caravane s'enfonça dans les gorges des montagnes au milieu de belles forets arrosées de ruisseaux dont les eaux cris- tallines embellissent cette scène sauvage qui se développe de tous les côtés. Après avoir monté pendant une heure, ils atteignirent le sommet d'un rocher granitique, d'environ oOO pieds, du haut du- quel la vue était magnifique : en face, l'Antuco, noir et désolé; au sud, la Sierra Belluda, abrupte crête alpine, couverte de neiges éternelles, d'où se précipitent d'innombrables cascades dans les val- lées; au nord, une chaîne moins élevée, mais encore pittoresque; et à leur pied la rivière Laja qui n'est ici qu'un romantique ruis- seau écumant à travers une gorge profonde, et dont le volume des eaux s'augmente de distance en distance de celles des torrents qui s'y précipitent en chutes presque verticales. A partir de là, ils marchè- rent pendant trois heures sur des scories, du sable volcanique, des cendres et autres produits évidents d'anciennes explosions, et attei- gnirent ensuite une énorme coulée de lave durcie, vomie par quel- que éruption antérieure. Au delà, ils retrouvèrent delà végétation, du gazon et des broussailles avec des baies sauvages, et un peu plus loin une autre petite coulée de lave scoriacée. En escaladant le cône du cratère éteint, d'environ trois cents pieds de hauteur, ils se trou- vèrent immédiatement en face du nouveau cratère, ayant le lac de la Laja au-dessous d'eux et à l'est. Ils se proposaient de passer la nuit dans cet endroit, en vue du volcan qui brûlait; mais une tem- pête qui éclata tout à coup et la pluie qui tomba à torrents les for- cèrent à chercher en arrière un abri sous des arbres. De là, ils virent encore la lueur de l'éruption pendant la nuit, mais ils n'en enten- daient pas les explosions; de grand malin, le lendemain, ils mon- ( b8 ) tèrent sur une coîlîne, où Ils eurent la plus belle vue du phénomène que la pluie les avait enipêcliés de contempler. » M. Smith dit que l'Anluco est nn côtie régulier dont la pente a 45° d'inclinaison. 11 est couvert de nt'i£:;es perpétuelles qui descen- dent jusqu'au tiers de sa hauteur à peu près [for ahoulone thlrdof the distance frnm ils apex dowinoards)', elles sont noircies par des averses de sable et de cendres qui les recouvrent par intervalles. Quoique. non visibles à une grande distance, la lumière et la fumée sont incessantes au sommet; on les y a remarquées depuis un temps immémorial. Cette dernière éruption a formé deux petits cratères, aux deux tiers environ de la hauteur de la montagne, sur le flanc septentrional; le courant de lave a formé sur le bord du lac, où il est descendu , un bourrelet ou mur de plus de 250 mètres de large et de 15 mètres (yardsj d'épaisseur. Il est noir comme le volcan lui- même et les autres masses qui, dans le voisinage, présentent la plus grande et la plus terrible scène de désolation qu'on puisse voir. Au milieu de ces pics neigeux, le lac, sans un seul arbre sur si^s bords, ni un seul oiseau qui vole à sa surface, paraît tout à fait privé de la vie : ces lieux marqués par le plus grand développement des phénomènes de la nature n'oft'rent qu'une région inhospitalière dont le silence n'est interrompu que de loin en loin par les tonnerres des volcans, la violence des nuages et les cris des Pehuenches. )) L'éruption avait à peu près cessé lorsqu'ils arrivèrent; ils vi- rent encore de petites coulées de matière en fusion qui s'en échap- paient de temps en temps, mais sans explosion violente. On enten- dait en même temps un bruit semblable à celui d'une charrette ou plutôt de cent charrettes chargées de fer, qui rouleraient sur un ter- rain inégal. » — Entre lAntuco et le Villarica se trouvent deux autres volcans qui étaient en activité à la fin de I85f> : ce sont le Llayma, près de la source de la rivière Impériale, et le Llogol , qui en est à quelques lieues. 1855. Janvier. Le 7 (heure non indiquée), à la (Conception, trois secousses accompagnées de bruit; chaleur suffocante. — Le 15, 9 h. 50 m. du soir, à Santiago, secousse de deux se- condes de durée. (59) Le 17, 3 h. ^'4 (lu soîr, à Coquimbo, secousse du SE. au NÔ. sans bruit. Février. Le I''^ 5 h. 16 m. du soir, à Santiago, secousse de 12 secondes de durée, peu forle, mais bruit bien nirirqué. Le même jour, 1 1 h, V2 du soir, à Coquimbo , tremblement qui a duré plus de 80 secondes et a été précédé d'un bruit court. — Le 5, minuit 35 m., à Santiago, secousse de 5 secondes de durée. — Le même jour, 4 h. */-2 du soir, à Coquimbo, secousse du SE. au NO.; pas de bruit. — Le 25, vers 9 h. (du soir?), une secousse verticale et sans bruit; elle a duré 75 secondes. Mars. Le 2, midi , deux secousses à deux minutes d'intervalle; la première n'agit pas sur le pendule , la deuxième l'inclina de l'E. à l'O. — Le JO, midi 28 m., à Santiago, secousse de 4 secondes de durée. — Le 18, 1 b. du soir, à Coquimbo, mouvenjent lent du N. au S. et de 55 secondes de durée. Le même jour, 2 h. 4 m. du soir, à Santiago, une secousse qui dura 17 secondes. — Le 19, 3 b. du matin , à Coquimbo, tren)blement léger et sans bruit. — Le 20, 6 b. 13 m. du malin, à Santiago, secousse qui ne dura qu'une seconde. — Le 51, 11 b. 54 m. du soir, secousse de 6 secondes de durée. Avril, Le L^ 9 b. ^/4 du soir, à Coquimbo, secousse verticale; durée, 5 secondes; sans bruit. — Le 18, 7 h. ^/i du matin, secousse verticale, forte, rapide et précédée d'un bruit léger. — Le 24, midi ^i, grand bruit, peu de mouvement. — Le 28, 8 b. du matin, tremblement vertical, lent et précédé de bruit. Le 30, 4 b. ^/i du matin , secousse de l'E. à l'O. , forle, courte et précédée de bruit. Mai. Le 4, 6 b. 20 m. du soir, à Santiago, secousse de 7 secondes de durée. ( 00 ) — Le 11, 5 h. 55 m. du soir, à Coquimbo, secousse faible avec petit bruit. — Le 12, 6 h. '/2 de la nuit, secousse verticale, de 18 secondes de durée et précédée de bruit. ■ — Le 16, 11 h. 57 m. du matin, à Santiago, une première se- cousse; trois minutes après, autre secousse de 5 secondes de durée. Juin. — Le io, 2 h. 24 m. du soir, une secousse de 4 secondes de durée, en 2 périodes, accompagnée d'un grand bruit. Le 18, 6 b. 50 m. du matin, secousse de 2 secondes de durée. Le même jour, 2 b. 55 m. du soir, à Coquimbo, deux secousses de l'E. à rO., à 5 secondes d'intervalle et sans bruit. Le 19, 2 b. 52 m. du soir, tremblement qui a duré C5 secondes avec bruit simultané. Le 24, 7 b. 25 m. du soir, à Santiago, secousse qui n'a duré qu'une seconde. Le 29, Il b. 26 m. du matin, secousse de 9 secondes; durée en deux périodes et accompagnée d'un grand bruit. Juillet. — Le 5, minuit un quart (12 b. 15 m. du matin), à San- tiago, secousse de 2 secondes de durée, en deux périodes, accompa- gnée de beaucoup de bruit. Le 11, \ 1 h. Vi du soir, à Coquimbo , légère secousse du N. au S. précédée de bruit. Le 18, 5 b. 16 m. du soir, à Santiago, secousse de 12 secondes de durée, accompagnée de beaucoup de bruit. Le 25, midi trois quarts (12 b. 45 m. du soir), secousse de 8 se- condes de durée. L'beure n'est indiquée qu'à 10 minutes près. Le 28, 7 b. 50 m. du soir, secousse de 5 secondes de durée. AS h. 25 m., une nouvelle secousse de 7 secondes de durée, en deux pé- riodes. Le 29, 2 b. 52 m. du soir, une secousse de 10 secondes de durée. Août. — Le 6, 1 b. du soir, à Coquimbo, légère secousse avec bruit atmospbérique. A 7 h. Va, autre secousse de l'E. à l'O. avec bruit semblable. Le 7, 9 h. 5 m. du matin, secousse verticale et sans bruit. Le 9 , 10 b. 25 m. du soir, trois secousses de l'E. à l'O., à 4 se- condes d'intervalle et sans bruit. { «1 ) Le 25, 9 h. 24 m. du soir , à Santiago, secousse de 4 secondes dé durée et accompagnée de beaucoup de bruit. Le 27 , 4 b. 41 m. du soir, secousse d'une seconde de durée, pré- cédée d'un bruit sourd, mais très-sensible. Septembre. — Le 7, 5 h. 55 m. du soir, à Coquimbo, grand tremblement du N. au S., précédé d'un très-grand bruit. Le pendule seismique oscilla circulairement. Le 9, 8 h. 55 m. du soir, courte secousse du SE. au NO., sans bruit. Le même jour, 9 h. d4 m. du soir, à Santiago, une secousse. Le 18, 5 b. 8 m. du soir, une secousse de 15 secondes de durée. Le 19, 12 h. 55 m. du malin, secousse de 3 secondes de durée; elle fut presque insensible, mais le bruit fut prolongé. Le 24, i2 h. 40 m. du matin , secousse de 7 secondes de durée. Octobre. — Le 9, 7 h. 53 m. de la nuit (soir) , à Coquimbo, mou- vement lent pendant 10 secondes et sans bruit. Le 14, 2 b. 46 m. du soir, à Santiago , secousse de 5 secondes de durée. A 10 b. 13 m., autre secousse de 2 secondes, précédée d'un bruit prolongé et sensible. Le 15, 7 h. du matin , à Coquimbo, bruit sonore pendant 10 se- condes, suivi d'une secousse de l'E. à l'O. et de 5 secondes de durée. Le 16, vers 7 h. du soir (7 h. 5 m., à 10 m. près), à Santiago, bruit prolongé et secousse presque insensible qui n'a duré qu'une seconde. Le 20, 8 b. ^k du matin , à Coquimbo, lente secousse de l'est à l'ouest; pas de bruit. Le 21 , 4 h. du soir, grand bruit accompagné d'une forte et courte secousse de l'E. à l'O. Le 22, 4 h. 58 m. du matin, à Santiago , secousse de 8 secondes de durée. Le 25, 6 b. 40 m. du soir, à Coquimbo, forte secousse du N. au S. et sans bruit. Durée, 5 secondes. Le 26, minuit 39 m., à Santiago, secousse de 7 secondes de du- rée, avec grand bruit. Vers 5 b. ^îa du matin, autre secousse de 5 secondes de durée. Novembre. — Le 9, 0 b. 33 m. du matin, à Coquimbo, bruit terri- ( <■>'-» ) Lie, prolongé etrnivi d'un mouvement à peine sensible du NE. au SO. Le M, 7 h. 10 m. du matin, grand bruit et courte secousse de lE. à 10. Le 17 , 6 h. du soir, courte secousse du N. au S. Le 19, 5 h. 40 m. du malin , courte secousse de l'E. à TO., précé- dée d'un grand bruit prolongé pendant 15 secondes. Le 21 , 7 h. 1 1 m. du malin , à Santiago , secousse de 2 secondes de durée. Le même jour, 3 h. 55 m. du soir, à Coquimho , deux secousses consécutives de l'E. à l'O. Durée, 12 secondes. Pas de bruit. Le 27, 7 b. 50 m. du matin, légère secousse du SE. au NO. sans bruit. Décembre. — Le 10, 2 h. 25 m. du soir, à Santiago, deux se- cousses dans un intervalle de 7 secondes, assez fortes, surtout la dernière. Le 17, 2 b. 50 m. du malin, à Coquimbo, bruit terrible qui se prolongea pendant 25 secondes et fut suivi d'une secousse de l'E. à 1*0. et de 18 secondes de durée. Le 25, 1 h. 45 m. du malin, à Santiago, secousse de 10 secondes de durée, avec grand bruit. Un quart d'beure après, nouvelle secousse. — Suivant des nouvelles de Yalparaiso, en date du 1" janvier 1854, on y éprouvait fréquemment de légères secousses. {Amherst express , îehvuary 17,1854.) — Du 1" septembre 1855 au 28 février 1854, il n'y a pas eu de tremblement de terre à la Punta Arenas (détroit de Magellan). Le phénomène y serait beaucoup moins fréquent qu'au Chili. {Anales de la Universidad de Chile, 1854, p. 505.) 1854. — Janvier. — Le 11, 9 b. 15 m. du matin, à Santiago, secousse de 7 secondes de durée. Le 14, 7 b. 10 m. du soir, à Coquimbo, grand bruit suivi d'une longue secousse verticale. Quoique peu forte, elle a causé des dégâts dans une mine de cuivre dans le Cerro de Ciuz de Cana, à six lieues au sud-est de Coquimbo. Quatre ouvriers étaient cujployés à la mine; un d'eux se trouvait dehors. Averti du danger où se trou- vaient ses camarades, il alla chercher du secours à une lieue de dislance, et, trois jours après, on put retirer les trois malheureux ( 65 ) sains et saufs. M. Troncoso fait observer que les secousses verticales sont les plus dangereuses pour les mines. Le 1 9 , minuit trois quarts { ! 2 h. 45. m. du matin) , à Santiago , une secousse d'une seconde de durée. A (h. non indiquée) 40 m. du soir, deux autres secousses séparées par un inlervalle de Jl se- condes. Le même jour, 2 h. 20 m. du soir, à San Felipe, secousse de deux secondes de durée; bruit très-long et distinct. Le 20, Il h. 45 m. du malin, secousse de trois secondes de du- rée; bruit très-long et distinct. Le 21, 3 h. 7 m. du matin, à Coquimbo, courte secousse verti- cale, sans bruit. Le 22, 8 h. 5 m. du malin, courte secousse verticale précédée de bruit. A 10 h. du soir, autre secousse verticale, sans bruit. Le 20, 6 h. *k. du malin, trois secousses consécutives. Durée, 5 secondes. La dernière fut circulaire. Février. — Le 5, 2 b. ^!i du soir, secousse de TE. à 10., précédée d'un bruit fort. Le 20, forte secousse verticale, sans bruit. Le 24, il b. 24 m. du soir, à Santiago, assez forte secousse de 5 secondes de durée. A Valparaiso (même beure et même minute), elle fut très-forie et accompagnée de bruit. Elle fut aussi notée au même moment à San Felipe. Le 26, 6 b. 50 m. du malin , à Santiago, secousse de 5 secondes de durée. A Valparaiso ( 11 h. 50 m. aussi), elle fut précédée d'un bruit sourd. A San Felipe (i J h. 54 m. du matin), secousse de 4 se- condes de durée avec bruit très-long et distinct. Le même jour, 5 h. 0 m. du soir, à San Felipe, bruit et mouve- ment peu sensibles. Le 27, 8 b. 40 m. du soir, à Coquimbo, secousse verticale précé- dée d'un grand bruit. Mars. — Le 5, 5 b. tô m. du matin , à San Felipe, une secousse de 50 secondes de durée avec bruit très-long et distinct. A Santiago ( 5 b. 20 m.), elle a eu la même durée. A Valparaiso, on la ressenlit î» la même beure qu'à Santiago, et il y en eut une seconde à 2 b. 0 m. du soir. ( 6i ) Le 9, 9 h. 5 m. du matin, à Santiago, secousses de 2 secondes de durée. Le 15, 4 h. Vi du soir, à Coquimbo, petite secousse de TE. à l'O. et précédée d'un bruit court. Le 18, 7 h. ^/4 du malin, secousse du NE. au SE. [sic), avec grand bruit. Le 21 , 3 h. ^k du matin , deux secousses consécutives et sans bruit; la deuxième plus forte que la première. A 8 h. V'2 du soir, deux nouvelles secousses sans bruit. Le 22, 4 h. ^k du soir, deux légères secousses à 5 secondes d'in- tervalle. Le 25, 6 h. 58 m. du matin, secousse verticale très-violente et sans bruit. Avril. — Le 7 (heure non indiquée), deux fortes secousses de l'E. à rO., à 5 secondes d'intervalle. Le 8, 5 h. 25 m. du matin, deux secousses du NE. au SE. (sic), précédées de bruits effrayants et prolongés. Le 9, 2 h. 10 m. du soir, deux secousses très-fortes avec bruit et de 13 secondes de durée; la première venait de l'E. et la deuxième fut circulaire. Trois minutes après, bruit sourd et confus paraissant venir du N. A 11 h. 47 m. du soir, légère secousse du NO. au SE., sans bruit. Le 10, 2 h. 50 m. du matin, à Santiago, une secousse. Le môme jour, 5 h. 42 m. du matin , à Coquimbo, secousse très- légère de l'E. à l'O. Le 22, 8 h. 54 m. du matin, à Santiago, secousse de 5 secondes de durée. Le 25, 4 h. ^1a du malin , à Coquimbo, bruit effrayant qui précéda et suivit une secousse de 9 secondes de durée. Direction de la se- cousse, E. à 0. Mai. — Le 5, 5 h. *,'2 du soir, secousse de l'E. à l'O., sans bruit. Le 8, 7 h. du soir, petite secousse venant du NO. Demi-heure après, SL'cousse légère et de même direction. Le 15, il h. 5 m. du soir, à Santiago , secousse de 5 secondes de durée. A Valparaiso (heure non indiquée), secousse assez violente de quelques secondes de durée. ( 6o ) Le 16, midi, à Coquimbo, grand bruit suivi d'une secousse ver- ticale de 10 secondes de durée. Le d 9, 7 h. 10 m. du soir, à Santiago, une secousse. A 10 h. 50 m., nouvelle secousse de 2 secondes de durée, précédée d'un grand bruit qui paraissait venir du NE. Cette dernière fut ressentie à Valparaiso, au même moment. Juin. — Le 4, minuit 6 m., à Coquimbo, bruit effrayant accom- pagné d'un grand tremblement qui dura 28 secondes. Le 6, 1 1 h. % du soir, grand bruit suivi d'une secousse circulaire qui dura 10 secondes. Le li, o h. 5 m. du matin, à Santiago, secousse d'une seconde de durée. Le même jour, 5 h. 28 m. du soir, à Coquimbo, forte secousse verticale de 20 secondes de durée. Le bruit dura plus longtemps. Le 22, 10 h. 20 m. du soir, à Santiago, secousse de 4 secondes de durée. Le 30, 2 h. ^/i du soir, à Coquimbo, secousse verticale de 10 se- condes de durée, sans bruit. Juillet. — Le 4, 4 h. 45 m. du matin, à Santiago, secousse de 5 secondes de durée et accompagnée de bruit. Le 9, 10 h. 50 m. du soir, à Coquimbo, bruit profond et continu de; 15 secondes de durée, suivi d'une petite secousse de TE. à l'O. Ail h. 55 m., nouvelle secousse forte, impétueuse (sic), de l'E. à rO. et de 5 secondes de durée. Le 12, 1 h. 5 m. du soir, à Santiago, une secousse de 13 se- condes de durée. Le 1 3 , 5 b. 58 m. du matin , une secousse de 7 secondes de durée, précédée et accompagnée d'un bruit bien sensible. Le 25, 6 h. ^k du soir, à Coquimbo, secousse verticale précédée de bruit. Aoiit. — Le i", 1 h. 49 m. de nuit, légère secousse du NO. (sic)^^ avec bruit. Le 11,8 h. 15 m. du matin , à Copiapo, forte secousse avec bruit prolongé. Le 12, 3 b. 22 m. de nuit, à Coquimbo, bruit soutenu pendant 18 secondes et terminé par une forte secousse. Tome X. 5 (66) Le 15, 5 h. 50 m. du malin, très-forte secousse de l'E. à TO., avec bruit. Le 20, 9 h. 1o m. du malin, à Santiago, secousse qui dura une seconde seulement. Lé 25, 5 h. 42 m. du soir, secousse qui dura 5 secondes. Le 51 , 5 h. 50 m. du matin , secousse de A secondes de durée. Septembre. — Le 5, 7 h. 50 m. du malin , secousse d'une seconde de durée. Le 21, 42 h. de la nuit (sic), à Coquinibo, grand bruit suivi d'une secousse lente de l'E. à TO. Le 25, 4 h. 50 m. du soir, bruit sourd et très-fort pendant 6 se- condes; avant qu'il cessât, courte secousse circulaire. Le même jour, 10 h. 21 m. du soir, à Santiugo et à Valparaiso, secousse de 5 secondes de durée. Le 24, 7. b. 45 m. du malin, à Coquinibo, bruit prolongé, suivi d'une forte secousse de TE. à l'O. Octobre. — Le 2, 2 h. 10 m. du malin, à Valparaiso, secousse d'un mouvement suave (sic) et prolongé. Le 9, 2 h. 15 m. du matin, une secousse. A Santiago, même heure, elle a duré 8 secondes. Le 12 , 8 b. du soir, à Talca, une secousse. Le20, 2h.o0m.du matin, à Valparaiso, secousse en deux périodes. Le même jour, 6 b. 17 m. du matin, à Coquimbo , deux secousses précédées d'un bruit court; la première fut verticale, la seconde qui la suivit immédiatement fut circulaire et dura 18 secondes. Le 24, vers 5 b. du soir, à Valparaiso, tremblement cité par M. Meriam et non signalé dans les Annales de Chile. Le 51, 7 b. 50 m. du matin, à Talca, une secousse. Novembre. — Le 1", minuit et demi (12 b. 50 m. du matin), à Copiapo, tremblement. Le 3, 8 b. 50 m. du soir, à Santiago , une secousse. Le 4, 11 b. 50 m. du soir, à (-opiapo, tremblement très-fort. Le 6, minuit et demi (12 h. 50 m. du malin), à Talca, bruit avec peu de mouvement. Le même jour, 0 h. 58 m. du matin, à Coquimbo, secousse ver- ticale sans bruit précurseur. Durée, 18 secondes. ( 67 ) Le 7, 10 h. du matin, à Copiapo, trembîement. Le 9, 7 h. 55 m. du soir, à Coquimbo, secousse lente et peu forte de l'E. à rO. Le 15, 8 h. 15 m. du matin, bruit prolongé qui $e termina paf une secousse de l'E. à 10. Le 17, midi trois quarts (12 h. 45 m. du soir), à Valparaiso, tremblement très-fort et prolongé. Le 18, 2 h. du soir, à Copiapo, tremblement; bruit long, mou- vement court. Le 20, 1 h. 25 m. du soir, à Taica, fort tremblement avec bruit, en deux périodes de 20 à 50 secondes de durée. Le 2! , 8 b. du soir, à Coquinjbo, forte secousse verticale, sans bruit précurseur; niais le bruit commença au milieu de la secousse qui dura 20 secondes et se prolongea longtemps après. Lé 24, 9 b. 5 m. du soir, légère secousse du SE. au NE. (sic), sans bruit précurseur. Le 25, 1 1 h. */2 du matin, secousse verticale, sans bruit. Le 26, 6 h. 45 m. du malin, à Copiapo , tremblement peu Sen- sible. Le 27, iO h» *U du soir, à Coquimbo, secousse verticale précédée de bruit. Le 28, 4 h. 25 m. du soir, secousse verticale de 8 secondes de durée avec bruit précurseur. Décembre. — Le 1^^ 9 h. 45 m. du soir, à Valparaiso $ tremble- ment fort et court. Le 5 , 9 h. 55 m. du soir , à Santiago , une secousse. Le 8, 10 h. 0 m. du malin ^ nouvelle secousse qui ne dura qu'une seconde. Le 9, 9 h. 57 m. du soir, à Copiapo, secousse de courte durée. Le 14, minuit 40 m. (12 h. 40 m. du malin), bruit long, mouve- ment court et fort. Le 16, 2 h. 50 m. du soir, fort tremblement. Le 17, 9 h. 45 m. du soir, à Valparaiso, secousse de quelque durée. Le 19, 10 h. 55 m. du malin, à Santiago, une dernière se- cousse. ( «8 ) Le 30, minuit (12 h. 0 m. du malin), à Valparaiso, léger mouve- ment. 1858. — Janvier. — Le 10, midi 10 m. {12 h. 10 m. du soir), à Copiapo, bruit court, mouvement fort. Le 15, 1 h. 40 m. du matin, à Valparaiso, deux mouvements doux {suaves) et assez prolongés. Le 24, 1 h. 35 m. du malin , à Santiago, tremblement de 7 se- condes de durée, en deux périodes, séparées par un intervalle de 4 secondes; il fut accompagné d'un grand bruit. Le 50, 5 h. 0 m. du matin , à Copiapo, tremblement. Février. — Le 2, 2 h. du matin , à Cohelemu, tremblement. Le 5 , 9 h. 36 ou 45 m. du malin, à Santiago, secousse de 2 se- condes de durée. Le 14, 10 h. 17 m. du matin, à Parabellon, tremblement. Le 17, 1 h. 20 m. du matin, à Valparaiso, deux mouvements qui durèrent quelques secondes. Le 25, 4 h. 51 m. du matin, à Parabellon, tremblement très- fort. A 5 h. 0 m. du soir, autre tremblement très-léger. Le 24, 6 h. 52 m. du matin, à Conception , tremblement assez fort en deux périodes, la deuxième plus longue. A 10 h. 30 m., midi, 2 h. 0 m., 5 h. 0 m., et 7 b. 0 m. du soir, nouvelles se- cousses. Le même jour, 6 h. 45 m. du matin, à Cohelemu, fort tremble- ment de 9 secondes de durée. Entre 10 et 11 h. du matin, tremble- ment moins fort. Deux autres entre 2 et 3 h. et entre 5 et 6 h. du soir. Le 28, 8 h. 0 m. du soir, à Parabellon, tremblement. 3Iars, — Le 3, 4 h. 45 m. du malin, à Santiago , secousse de 3 secondes de durée, avec grand bruit. Le 6 , 8 h. 50 m. du malin , secousse de 2 secondes de durée. Le 11 , 4 h. 19 m. du soir, secousse de même durée. Le 14, 10 b. 13 m. du soir, secousse de 2 secondes de durée, peu de bruit, mais fort mouvement. Le 18, 2 h. du malin, à Papudo, tremblement accompagné d'un coup de tonnerre (phénomène inconnu dans le pays) et d'un fort grain. Le même jour, 2 h. 55 m. du soir, à Conception, une secousse. (C9) Le 23, 6 h. 30 m. du soir, à Valparaiso, tremblement assez fort, mais court. Le 28, 7 h. 6 m. du soir, oscillation légère et prolongée. Le 29, 9 h. 30 m. du soir, à Cohelemu, secousse peu sensible; durée, 8 secondes. Le même jour, 9 h. 45 m. du soir, à Conception, tremblement assez fort. Avril. — Le 8 , 10 h. 20 m. du matin , h Valparaiso , tremblement assez fort. Le 12, 1 h. 0 m. du matin, à Lampa, tremblement avec bruit. Le 13, 11 h. 30 m. du soir, à Cohelemu, secousse sans bruit; durée, \ seconde. A 11 h. 59 m., nouveau tremblement assez fort; durée, 3 secondes. Le 14, minuit (12 h. 0 m. A. M.) et minuit un quart (12 h. 15 m. A. M.), à Conception, deux secousses. Le 22, 6 h. 30 m. du soir, à San Juan (république Argentine), tremblement de 8 secondes de durée; bruit très-distinct, mouve- ment presque insensible. Le 27, 11 h. 0 m. du soir, nouveau tremblement, qui dura 5 se- condes. Le même jour, 11 h. Jo m. du soir, à Santiago, secousse qui ne dura qu'une seconde. Le 28, vers 5 h. du matin (5 h. 10 m. à 20 m. près), autre secousse. 3Iai. — Le 2, 10 h. 12 m. du soir, à Curacavi, deux secousses presque instantanées séparées par un intervalle de 6 secondes; pas de bruit. Le même jour, 10 h. 20 m. du soir, à Valparaiso, tremblement très-sensible. A Santiago (même heure), une secousse qui dura une seconde et fut accompagnée d'un bruit distinct et prolongé. Le 3,2 h. 13 m. du matin, à Lampa, tremblement. Le 4, 11 h. 3 m. du soir, à Curacavi, tremblement en deux pé- riodes, la première plus longue que la deuxième; il fut précédé, accompagné et suivi de bruit. A Valparaiso, 11 h. 10 m. du soir, deux mouvements forts et prolongés. A Santiago, Il h. 12 m., tremblement de 6 secondes de durée et accompagné d'un grand bruit. A Lampa, 11 h. lo m., secousse assez forte. (70) Le 8, 2 h. 0 m. du matin, à Rancagua, secousse de S secondes de durée avec bruit qui dura 5 secondes. Le même jour, 7 h. i2 m. du soir, à Freirina, secousse de o se- condes de durée. Trois secousses encore dans les 12 heures qui suivirent. Le 9, Il h. 15 m. du soir, à Rancagua, nouvelle secousse; le Lruit dura 10 secondes. Le 12, 4 h. 0 m. du soir, à San Juan (république Argentine), se- cousse de 5 secondes de durée. A 9 h. 0 m., autre secousse qui dura 6 secondes. Le même jour, 5 h. 5 m. du soir, à Curacavi, tremblement de deux minutes de durée. Le premier mouvement coïncida avec le commencement du bruit, le deuxième fut pins fort, le troisième diminua de force et se termina par un bruit plus intense. A Valparaiso , 5 h. \0 m. du soir, tremblement assez fort. A Santiago, 5 h. 10 m. du soir, tremblement très-fort, qui dura 9 secondes en trois périodes et fut accompagné de beaucoup de bruit. A 10 h. 3 m., autre secousse. A Lampa. 5 h. 15 m. du soir, secousse asse? forte. A 8 h. 0 m. et iO h. 50 m., deux nouvelles secousses très-courtes (momentanées). A Rancagua , 5 h. 46 m. du soir, secousse de 8 secondes de durée avec bruit qui dura 18 secondes. Le 20, 9 h. 57 m. du matin, à Santiago, secousse de 3 secondes de durée en deux périodes, la deuxième plus longue. Le 25, 4 h. 20 m. du malin, à Valparaiso, tremblement asse? fort, en deux périodes. Le même jour, A h. 30 m. du matin, à Santiago, tremblement en deux périodes et de 2 secondes de durée. Le 27, 1 h. 29 m. du soir, nouvelle secousse. On en indique encore une comme ayant été ressentie à Valparaiso après le 25; mais on ne signale ni le jour, ni Theure. Juin. — Le 5, 3 h. 45 m. du matin, à Rancagua, secousse de trois secondes de durée. Le 4, 4 h. 0 m. du malin, h Santiago, tremblement assez fort; il dura deux secondes et fut précédé d'un bruit intense. Le 20, 2 h. 0 m. du matin, à Valparaiso, tremblement très-léger. ( 7i ) _ Le même jour, 1 1 h. oo m. du malin, a Santiago, secousse qui ne dura qu'une seconde. Le intime jour encore, Jl h. 58 ni. du nuuin, à San Fernando, tremblement qui dura 5 secondes; le bruit dura deux minutes. Le 21, 1 b. 15 m. du malin, à Valparaiso, tremblement accom- pagné de beaucoup de bruit. A Santiago, 1 h. 16 m. du matin, le bruit commença 4 secondes avant la secousse, qui ne dura qu'une seconde. A Lampa, I b. 16 m. du matin , bruit intense, mouvement faible. Le même jour, 9 h. 15 m. du matin, à Lampa, nouveau tremble- ment très-court [momentaneo). Le 25, 2 h. 10 m. du matin, à Freirina, tremblement de 16 se^ coudes de durée; le bruit en dura 21. Juillet. — Le 5, 7 h. 45 m. du soir, à Valparaiso, tremblement d'un mouvement doux [suave], qui dura une minute. Le même jour, 8 b. 20 m. du soir, à Lampa, tremblement très- court {momentaneo). Le 11, minuit 40 m. (12 h. 40 m. du matin), à Santiago, une secousse. Le 20, 4 h. 44 m. du matin, autre secousse, suivie d'un bruit pro- longé. Le 29, 1 b. 50 m. du matin, à Copiapo, tremblement assez fort. Vingt-cinq minutes plus lard, à 1 h 55 ni., tremblement beaucoup moins fort. Août. — Le 4 , 2 b. 45 m. du malin , à Rancagua , tremblement et bruit; durée, 2 secondes. Le même jour, 5 h. 5 m. du matin, à Santiago, tremblement précédé et suivi d'un bruit intense. Le 8, 7 h. 50 m. du soir, à Conception, simple oscillation avec peu de bruit. Le 9, de 5 à 4 h. du malin , à Valparaiso , deux secousses accom- pagnées d'un bruit prolongé. Le 1 1 , minuit 56 m. (12 h. 56 m. du matin) , à Conception , trem- blement qui dura 40 secondes et fut suivi d'un bruit très-fort. A San Juan (république Argentine), minuit trois quarts (12 b. 45 m. du matin) , secousse de 8 secondes de durée. ( 72) A Chillan, minuit 48 m. (12 h. 48 m. du matin), secousse qui dura 3 secondes. Le même jour, 5 h. 15 m. du matin, à Valparaiso, le plus fort tremblement qu'on y ait ressenti depuis celui du 2 avril 1851. La mer fut agitée, les chaînes des ancres vibrèrent. A Piancagua, 5 h. 15 m. du matin, secousse en deux périodes, qui dura 2-5 secondes; le bruit se prolongea pendant 10 secondes. A Santiago, 5 h. 15 m. encore du malin, tremblement qui dura 18 secondes, en deux périodes séparées par un intervalle d'une seconde; la deuxième se termina lentement. Un bruit accompagna tout le phénomène. A 9 h. 41 m. du matin, nouveau tremblement qui dura 20 secondes; il fut accompagné d'un bruit sourd , qui com- mença lentement et se termina avec force. Le même jour encore, midi, à Freirina, secousse de 5 secondes de durée; le bruit continua après le mouvement. Le 27, minuit et demi (12 h. 35 m. du matin), à Valparaiso, tremblement prolongé. Le 29, 1 h. 50 m. du matin, à Copiapo, tremblement" court, peu de bruit. A 1 h. 55 m. du matin, phénomène semblable, mais un peu plus fort. Le même jour, 11 h. 15 m. du matin, à Freirina, secousse de 4 secondes de durée; bruit intense. Septembre. — Le 5, 7 h. 40 m. du soir, à Freirina, secousse de 3 secondes de durée; sans bruit. A 11 h. 20 m. du soir, nou- velle secousse qui dura 5 secondes. Trois autres secousses avant minuit. Le 1 2 , 1 h. 9 m. du matin , à Santiago , secousse sans bruit. Le 16, minuit 20 m. (12 h. 20 m. du matin), à Conception, tremblement médiocre {suave). A 11 h. 50 m. du soir, tremblement plus léger que le précédent. Le 20, 5 h. 1 m. du soir, à Santiago, secousse sans bruit. Le 21 , 10 h. 0 m. du matin, à Colin (20 kilomètres à l'ouest de Cuvico), tremblement. Le 22, 3 h. 30 m. du matin, nouveau tremblement. Le 23, 8 h. 19 m. du soir, à Freirina, secousse qui dura 3 se- condes; bruit. { 73 ) Le 25 , 8 II. 40 m. du soir, à Copiapo, Iremblement; bruit long et mouvement court. Le 26, minuit trois quarts (12 h. 45 m. du matin), à Conception, tremblement qui dura 10 s. avec beaucoup de bruit. Le même jour, 7 b. 32 m. du matin, à San Fernando, tremble- ment de 4 secondes de durée avec fort bruit; le mouvement aug- menta d'intensité et suivit le bruit. Quarante secondes après, mou- vement plus lent et moins intense; durée du bruit, une minute. A Cbiilan, 7 b. 53 m. du malin, secousse de 2 secondes de durée. A Colin, 7 h. 40 m. du matin, tremblement très-fort; le bruit qui suivit fut très-intense. A Valparaiso, 7 b. 55 m. du matin , secousse assez forte et pro- longée. A Santiago, 7 b. 58 m. du malin, tremblement de 19 secondes de durée, accompagné et suivi de bruit. A Hancagua, 8 b. 15 m. du matin, tremblement de 20 secondes de durée; le bruit très-intense dura une minute. A Freirina, 8 b. 15 m. du malin, secousse de 4 secondes de durée. A Conception, 8 b. 45 m. du malin , autre tremblement de 20 se- condes de durée, sans bruit. Le même jour encore, 9 b. 59 m. du matin, à Colin, tremble- ment nouveau, il fut léger. A 2 b. 50 m. du soir, bruit sans mou- vement sensible du sol. Le 50, 8 b. 57 m. du soir, à Copiapo, bruit et mouvements courts et peu sensibles. Octobre. — Le 6, 1 b. 45 m. du matin, à Conception, tremble- ment accompagné d'un biuit intense. Le 8, 6 b. 51 m. du soir, à Cbanarcillo, bruit prolongé pendant 50 secondes, mouvement presque insensible. Le 14, 9 b. 8 m. du soir, à Copiapo , tremblement fort et pro- longé, bruit faible. A Santiago, 9 b. 22 m. du soir, secousse de 7 secondes de durée, mouvement presque insensible. A Valparaiso , 9 b. 25 m. du soir, la secousse dura iO secondes. Le 17, 5 h. 45 m. du soir, à Santiago, secousse qui dura 4 se- condes et fut accompagnée de beaucoup de bruit. (74) Le 20, 2 h. 0 m. du matin, à Conception, tremblement court, pas de bruit. Le 28, iO b. 48 m. du soir, à Santiago, forte secousse qui ne dura qu'une seconde. Novembre. — Le \" , 10 h. A A m. du soir, une secousse. Le 4, 8 h. 15 m. du matin , une secousse. Le 7, 9 h. 50 m. du soir, une secousse. Le 28 , 1 i h. d 0 m. du soir , une secousse. Décembre. — Le 10, 5 h. 15 m. du malin, une secousse. Le H , 6 h. 20 m. du matin, une secousse. Le 17, 10 h. 37 m. du soir, une dernière secousse. Les journaux des localités autres que Santiago ne vont pas au delà d'octobre. Pour celle année, je nai pu voir que le journal des observations météorologiques faites à Santiago en janvier, février et mars. On y signale des tremblements aux dates suivantes, mais sans détails : 1856. — Janvier. — Le I", 1 1 h. 35 m. du matin. Février. — Le 22, 10 h. 45 m. du matin. Le 25, minuit 27 m. (12 b. 27 m. de la nuit). Mars. — Le 12, minuit un quart (12 b. 15 m. du malin). Le 16, 5 h. 10 m. du malin. Le 20, 1 b. 15 m. du matin. Le 25, 1 b. 40 m. du soir. On donne en note la date du 20. Le 51, niinuit 7 m. (12 b. 7 m. de la nuit). Suivant une lettre que M. Gay , membre de l'Institut, m'a fait l'bonneur de m'écrjre à la date du 7 avril 1858, il y en aurait encore eu 5 en juillet, 1 en août, 5 en septembre, 1 en octobre et 1 en no- vembre. 41 dates mensuelles manquent. En 1857, il y en aurait eu 5 en janvier, 5 en avril, 1 en mai, 1 en juin, 1 en juillet, 1 en septembre, 1 en octobre et 1 en décem- bre, 12 seulement dans l'année. TROISIEME PARTIE. TREMBLEMENTS DE TERRE EN 1857, -1857. — Janvier. — Le 2, à Tornios (province d'Alicante), deux nouvelles secousses peu intenses. Le 5, 7 h. '/2 du soir, à Graechen (Valais), deux ou trois légères secousses. Le 13, 4 h. du soir, à Unterbaecb , bruit et mouvenienl. Les j 6, 17, 18, i 9 et 20, dit la Gazette du Valais, d'après une lettre particulière: « On a ressenti sur plusieurs points, principa- lement à Graechen, presque sans interruption, tantôt des oscilla- tions du sol plus ou moins fortes, tantôt un bruit sourd semblable au bourdonnement d'une fournaise, des fluctuations du sol, suivies de légères secousses, puis des coups de tonnerre plus ou moins dis- tincts. L'auteur de la lettre ajoute que, depuis le premier jour où le tremblement de terre a jeté l'effroi dans la paisible vallée de Viége, il ne s'est presque pas passé un jour qu'il n'en ait été res- senti des symptômes, soit à Toerbel, soit à Graechen, ce qui fait 529 jours. » Le 20, 8 h. du soir, à Graechen, légère secousse avec bruit. Le 22, 9 h. ^U du soir, une légère secousse. Le 26, dans la soirée, secousse faible. Le 29, 5 h. du matin, à Unterbaecb , une secousse. Les 1, 6, 7, 9, 10, 1 1, 12, 13, 24 et 51, bruits et frémissements du sol à Graechen. (Le pasteur Tscheinen.) ( 7C) Le VirteJjahsschrifl d. ncit. Gesells. in Zurich, II Jalirg. H. 2, p. 210, signale les dates des 47, 18, 24, 25 et 28. Il fait remarquer qu'elles y ont lieu ordinairement dans la nouvelle lune. Le 7, 5 h. du matin, à Leipzig, secousse de 4 à 5 secondes de durée. Le 9, en Californie, plusieurs secousses. A Santa-Barbara, la première a eu lieu à 6 h. du matin; la deuxième à 9 h., elle a duré une minute et demie, c'est la plus forte qu'on se souvienne d'avoir éprouvée dans le pays; la troisième, à 10 h. du matin, a été assez légère. Dans l'après-midi , deux secousses faibles et une assez vio- lente. Presque toutes les maisons de la ville ont subi quelque dom- mage. Le sol s'est ouvert en plusieurs endroits et l'eau a jailli de terre à une hauteur de sept pieds. Dans tous les puits l'eau s'est élevée de 10 à 20 pieds. A Los Angeles, 8 h. ^k du matin, une forte secousse dont le mou- vement a paru de l'est à l'ouest. L'oscillation a été comparée à la houle de la mer. L'eau de la rivière et des zanjas a été refoulée en arrière ou s'est élevée au-dessus des bords. Les vibrations paraissent avoir duré quelques minutes. Pas de dommage important (1). A Monterey, le choc a eu lieu vers 7 h. du matin ; quelques vieux bâtiments en adobe ont été ébranlés. On a comparé le mouvement au roulis et au tangage d'une vague venant de l'ouest et du nord et courant au sud et à l'est. A San-Francisco, assez forte secousse à 8 h. '/4 du matin ; il y en avait déjà eu plusieurs dans la nuit précédente. A Sacramento , vers 7 h. */2 du matin , secousse sans dommages. A Stokston, elle paraît avoir été forte et avoir duré plusieurs minutes {?). Murs et cheminées renversés. On a aperçu dans les environs des masses de rocher qui auraient apparu tout à coup. Toute la côte sud a été très-vivement ébranlée. Des ouvertures de 40 pieds de large s'étendraient, dit-on, sur une longueur de 40 milles. (1) Suivant le New-York Tribune, du 28 février suivant, il y aurait encore eu à Los Angeles cinq ou six secousses dans le jour et la nuit, et on en avait compté une viiigtame dans les huit jours qui suivirent. (77) « On voit, dit M. Derbec (1), que le tremblement ne s'est pas fait sentir partout à la même heure. Il est probable que différentes se- cousses ont eu lieu à divers intervalles, et que quelques-unes ont été plus sensibles dans un endroit que dans un autre. » Je lis encore dans VEcho du Pacifique, du 16 mars 1 858 : « L'eau qui avait jailli de l'une des fissures dans la vallée, non loin de San- Luis Obispo, courait encore à cette époque (après plus d'un an) en quantité suflîsante pour faire tourner un moulin. Elle n'avait pas tari depuis son apparition; on n'avait pas sondé la profondeur de ce puits naturel. » — Le 9 encore, entre 1 et 2 h. du soir, dans la partie E. de New-York, secousse sensible. — Le H, vers dl h. ^jc, du soir, à Banda, première secousse, courte, mais forte; elle a été verticale et accompagnée d'un violent bourdonnement au G. Api. Le 16, vers 4 b. du matin , deuxième secousse légère de l'E. à l'O. Le 18, après 2 b. du soir, troisième et dernière secousse du mois; elle a été très-légère et dirigée du N. au S. Le volcan fumait plus qu'à l'ordinaire; le temps était étouffant. — Le 15, 10 h. 5 m. du soir, à Panama, deux secousses consé- cutives dont la dernière fut très-sensible. Elles semblaient venir du S. — Le 44, 5 h. et 6 b. du soir, h Valona (Albanie), légères se- cousses ondulatoires. — Le 15, dans la soirée, à Weissbriach (Autriche), légère se- cousse. — Le 18, 9 h. du matin, à Martinezet Benicia (Californie), une légère secousse. Le 20, 8 h. 30 m. du matin, à Santa Cruz et Mission San Juan, une forte secousse. Le 21 , 11 b. du soir, à Mariposa, une forte secousse avec détona- tion semblable à celle d'un canon dans le lointain. L'ondulation et le bruit ont paru se propager du NO. au SE. (1) Rédacteur de VÉcho du Pacifique, auquel j'emprunte ces détails; n" du 20 janvier et du 5 février 1857, édition semi-mensuelle. ( 78) — Le 22, 8 h. du malin, à Manado (Célèbes) , secousses légères. — Le 25, vers 4 h. ^4 du soir, dans la résidence de Kediri (Java), deux violentes secousses consécutives du S. au N. ou du SE. au NO. Pas de dommages. A Poerworedjo , vers A h. ^Z^, par un temps calme et une chaleur accablante, une courte mais violente secousse de TE. à rO., avec un bruit semblable au roulement du tonnerre. — Le 24, 7 h. 5 m. du matin, à Cambrai (Nord), une secousse très-faible. Elle a été plus forte dans quelques villages au S. et au SE. delà ville, à Lesdain, Remilly, Wambaix où un mur en pierres sèches s'est écroulé, à Crèvecœur où une cheminée est tombée, à Séranvilliers, etc. Suivant M. Tordeux qui a publié sur ce tremble- ment, dans les Actes de la Société d'émulation de Cambrai, t. XX V, une notice que je dois à son obligeance et dont je le remercie ici, le baromètre, le thermomètre, le vent, Tétat couvert du ciel n'ont pas paru avoir subi le moindre changement. — Le 24 encore, iO h. 5 m. du soir, à Trautenau (Bohême), une secousse suivie d'une deuxième cinq minutes après. Le baronjètre a constamment oscillé. La colonne mercurielle est tombée de oI5 à 514 lignes. — Le 25, vers 9 h. '/^ du matin, à Lyon, tremblement sur le- quel M. Fourhet m'a communiqué, avec son obligeance ordinaire, les documents que je vais transcrire : (c A Lyon , la commotion du sol a été accompagnée d'un bruit souterrain assez semblable à la trépidation et au sourd roulement d'une charrette lourdement chargée. Elle a été surtout sensible dans les quartiers élevés de Fourvières et de la Croix- Rousse. L'oscilla- tioh a été parfaitement sentie au camp de Sathonay. » Au Manège les chevaux se sont effrayés. (Sur la route du Bour- bonnais des ânes se sont arrêtés instantanément et refusaient d'avancer). Un attelage s'est arrêté de la même manière sur le quai Fulchiron. Aux étages supérieurs les oscillations horizontales ont été plus sensibles. Chez quelques personnes la plume ou le livre qu'elles tenaient en main leur a échappé. La secousse a été rude près du cours Napoléon. On a encore remarqué qu'un brouillard a enveloppé la ville; mais le phénomène est presque quotidien dans cette saison et à cette heure. ( 7!)) » La secousse a été sensible à l'Hôtel-Dieu, à la Faculté, à l'Ob- servatoire, à la place Sathonay et près du pont d'Ainay; plus sensi- ble dans les étages supérieurs qu'au rez-de-chaussée. On a remarqué une trépidation par soulèvement plutôt que tout autre mouvement. » Aux Brotteaux, rue Madame, la direction de la secousse a été SSO-NNE., avec exhaussement à partir du côté sud, faisant par conséquent incliner au nord, après quoi on retombait vers le sud, pour revenir vers la verticale. En somme, il y eut une panique sur- tout dans les étai^es supérieurs; des personries furent renversées de leurs chaises; de vieux murs furent lézardés; des pierres furent dé- tachées. La secousse a duré à peine trois ou quatre secondes. » Dans le département de l'Ain, il semblerait qtie l'ébranlernent a été plutôt produit par une explosion aérienne que par une secousse souterraine. Ce phénomène est plus remarquable par la violence du bruit que par la secousse elle-même. A Bourg, on n'a rien ressenti, mais on a dit avoir remarqué que la colonne barométrique était très- basse. A Rillieux, la secousse a été assez forte pour renverser sur une table un verre plein, pour ouvrir subitement des portes bien fer- mées. Quelques personnes ont même été effrayées au point de sortir de leurs maisons. » Ce tremblement a été assez fort à Oullins et Condrieux au sud de Lyon, mais non à Givors, Rive-de-Gier et Saint-Étienne. On ne l'a pas ressenti non plus à Tornay, ni à la Balme, près de Crémieux; mais à Raonne il a été manifeste. A Valence, rien, non plus qu'à l'Arguslière, au Norders (sud de Tanargue) , dans TArdèche. Ce dé- partement, d'après diverses informations, n'a rien ressenti. » M.Fournet m'a communiqué aussi une lettre de M. Bertrand de Doue, d'après laquelle ce tremblement a été renjarqué au Puy (Haute- Loire), par madame de B....; se trouvant à table pour déjeuner elle se leva en disant: a Je viens de sentir deux secousses extraordinai- res, et je ne serais pas étonnée d'apprendre qu'elles ont été occa- sionnées par un tremblement de terre. >» Il était 9 h. 20 m. et les deux secousses ont eu lieu à quelques secondes d'intervalle. Madaiile de B. habite une des parties les plus hautes de la ville: elle n'a pu rendre compte de la direction du mouvement. C'est la seule per- sonne qui s'en soit aperçue* Oii a noté que le baromètre était des- ( 80 ) cendu au-dessous de tempête (1) , sans que rien, dans les apparences de la température, donnât Texplicalion de cet abaissement. D'après les youmaita:, à Montluel (Âin), on a ressenti plusieurs secousses. C'était pendant la messe et elles ont causé une frayeur extrême qui a porté la confusion dans l'église. Elles étaient dirigées du S. au N. et accompagnées d'un bruit sourd semblable au ton- nerre dans le lointain. On cite encore Miribel. — Le 55 encore , 3 h. 20 m. du soir, à Beeston, près Nottin- gbam (États-Unis), secousse avec bruit, lesquels ont duré une mi- nute. Un pendule ad hoc de 53 pieds de long , s'est mu de l'O. à l'E. d'au moins un huitième de pouce. — Le 26, 4 h. V2 du soir, à Ternate, légère secousse. — Le 27, vers 3 h. du matin, à Benkoelen (Sumatra), forte se- cousse. Quelques murs lézardés. — Le 31, dans la matinée, dans la Campagne de Rome, tremble- ment douteux. — Le 51 encore, 7 h. jO m. du soir, à Parme, secousse ondula- toire dont le pendule séismographe a indiqué la direction de l'ESE. à rONO. Un séismographe a marqué la même direction. Elle a été accompagnée d'un bruit qui comme elle a persisté six secondes. On l'a ressentie à Guastalla, à Padoue et à Venise. Mais on n'a rien éprouvé à Borgotaro ni à Pontremoli (duché de Parme), non plus qu'à Milan, à Plaisance et à Gênes. Février. — Le 1^% minuit 12 m., à Parme, deuxième secousse, verticale et ondulatoire à la fois, assez forte et assez prolongée. Elle a été précédée et accompagnée d'un bruit semblable à celui d'un vent tempétueux qui a crû en s'approchant et qui n'a cessé qu'avec le tremblement lui-même. On l'a ressentie aussi à Reggio, mais moins fortement à Modène et à Mantoue, à Guastalla, à Colorno et à Borgo San Donnino. Mais Pontremoli et Borgotaro ne l'ont pas éprouvée. A Venise, minuit un quart, légère secousse ondulatoire du NE. a« SO. Durée, 5 secondes. A Padoue, minuit vingt minutes, se- cousse de deux secondes de durée. A Bologne, minuit trente minu- (1) II était aussi Irès-bas à Dijon, 724'""' 05, à 9 h. du matin. ( 81 ) tes, deux légères secousses de TE. à l'O,; un peu plus lard , encore une secousse semblable. — Le l^'" encore, vers 10 h. du soir, à La Rochelle (Charente In- férieure), une forte secousse. A Aytré, un bruit sourd comme celui d'une \oiture sur le pavé se fit entendre, accompagné d'un violent sitïlement dans les arbres. — Le 2 ou le o, 9 h. ^U du matin et 2 h. du soir, à Genève, se- cousses mentionnées par M. Schmidt. — Le 5, 2 h. après le coucher du soleil, à Salonique , forte se- cousse. — Le 5 encore, à Rome, légère secousse ondulatoire de quelques secondes de durée. Elle n'a été accompagnée d'aucun ro?«6o ou gron- dement souterrain. — Le 5, 6 h. 5o m. du soir, à San Francisco (Californie), deux secousses consécutives d'une seconde de durée chacune. Les rez- de-chaussée furent plus ébranlés que les étages supérieurs. On a éprouvé ces secouses à Oakland et à Stokton. On n'a rien senti à San José ni à Sacramento. — Le 6, vers iO h. 10 m. du matin, dans la haute Gruyère (Suisse), une forte détonation souterraine, assez semblable au bruit d'un ouragan ou à un roulement de char, sans secousse du reste. Elle a été suivie, à 7 ou 8 minutes d intervalle, d'une nouvelle commotion accompagnée cette fois d'une secousse, mais presque instantanée. — Le 6 encore, 9 h. du soir, à Manado (Célèbes), légères se- cousses. — Le 7, G h. du soir, à Unterbaech, une secousse; le 8, 5 h. du matin, léger mouvement; le 26, 5 h. du soir, mouvement sensible avec bruit. Le 8, au soir, à Graechen, légère secousse; le 15, 10 h. */'2 du soir, secousse avec bruit pareil à un fort tonnerre. On l'a ressentie aussi à Saint-INicolas. Le 19, 6 h. ^/i du matin, à Graechen, faible secousse. Le 2G, 1 h. ^'2 du matin, 5 h., 6 h. et 7 h. ^2 du soir, lé- gères secousses avec bruit. — Frémissements du sol et bruits les 9, 16, 17, 21, 23,24, 27 et 28. — Le 8, 1 h. du soir, à Âmboine, secousse légère. Tome X. 6 (82) — Le 9, 7 h. (lu matin, à Klagenfurt (Carinlhie), légère secousse. — Le même jour, à Allhasen et S*-Paul (Autriche), une secousse. — Le 10, 10 h. du soir, à Ternate, lé^çères secousses. — Le même jour, dans l'intérieur de Tîle de Cuba , tremblement léger. — Le 11, 10 h. ^2 du soir, à Péra (Constantinople) tremblement. — Le 14, minuit et demi, à Smyrne, première secousse de Tan- née, très-forte et dirigée du SO. au NE. — Le même jour, 4 h. 45 m. du matin, dans la vallée de la Fleschotte (Doubs) et sur les hauteurs voisines, une secousse. Elle a été constatée à Allenjoie, Fesches-le-Chatel, Dnmpierre-les-Bois, Fesches-l'Eglise, Badevel, Reaucourt, Monlbouton, S'-Dizier. Elle paraît avoir été circonscrite sur un espace de quatre lieues de long et deux de large. On n'a pas constaté la direction; mais, à Dam- pierre, on a distinctement entendu un bruit sourd qui a précédé une oscillation unique. — Les 16, 17 et 18, éruption du Volcano de Fucgo, dans le Guatemala. En voici la relation par un témoin oculaire : « Nous arrivâmes le 1 6 , à 7 h. * 2 du matin , à Amatitlan que nous quittâmes à 9 h., nous dirigeant sur Palin. Dès que nous eûmes traversé l'extrémité du coteau qui forme le point de partage de la chaîne de montagnes, nous aperçûmes le volcan. De son extrémité sud s'élevait perpendiculairement une colonne de fumée ressem- blant à un panache. Une portion de la colonne était noire comme du jais; les rayons du soleil faisaient resplendir l'autre d'une écla- tante blancheur. Par intervalles, on entendait distinctement des détonations semblables à celle de l'artillerie. La fumée augmentait à chaque instant, et garda la perpendiculaire pendant plus de vingt minutes, jusqu'à ce qu'une légère brise soufflant du nord l'inclinât vers le sud. » Le vent étant venu à fraîchir, la fumée s'étala horizontalement dans la direction du midi. Les détonations devinrent plus fréquentes vers 1 1 h. et un grondement continuel remplissait les intervalles. Ail h. ^'2, nous gagnâmes Esquintla ; le bruit augmentait ainsi que la densité de la fumée. Au crépuscule on n'apercevait pas de feu, mais on en put voir dès le matin du 17. (83 ) » Au point do jour, on voyait encore plus de fumée que la veille; elle s'élevait parfois au-dessus du cratère, mais jamais perpendicu- lairement, ayant toujours une propension à s'incliner vers le S. » A 8 h., les détonations se mulliplièrent et gagnèrent en force; elles continuèrent ainsi tout le jour. Le feu se distinguait à la nuit tombante et Ton apercevait avec une fumée plus abondante, des jets lumineux. Un torrent de lave de la plus brillante couleur des- cendit le talus de la montagne, tandis que le cratère lançait dans toutes les directions une pluie d'étincelles et de flammes. De grandes masses de pierres rougies au feu composaient sans doute ces étincelles, qui bondissaient en cataractes le long de la mon- tagne. » Tout à coup le torrent de lave sembla s'arrêter, comme si la dé- chirure qui lui donnait issue (du côté du S.), était bouchée, de sorte que vers 8 h. l'éruption semblait avoir perdu beaucoup de sa forcé, mais le bruit continuait toujours et les détonations étaient souvent plus violentes. i> A 9 h. la lave se fit jour de nouveau avec un grand fracas non loin de la première, et se divisa en deux immenses ruisseaux cou- rant vers le N. Ce spectacle le plus sublime et le plns*frappant con- .tinua jusqu'après dO h. Dans l'après-midi d'aujourd'hui (18), les nuages de fumée ont rempli tellement l'atmosphère qu'on ne distin- guait plus le sommet du volcan. Quant aux détonations et au bruit souterrain, ils continuent, avec bien moins de violence toulefois qu'hier. « • — Le 17, vers M h. */.j du soir, àTrenton, Vincinîto^vn, Mount Holly, Kurlington (New-Jersey), une secousse avec bruit sourd. Elle a duré 20 secondes et s'est étendue dans la vallée de la Delaware depuis Morrisville jusqu'à Philadelphie où on l'a aussi ressentie. — Le 24, à Kawaihae, dans Tîle d'Havvaï (Sandwich), la plus forte secousse que les résidents y aient encore sentie. — Le 25, vers 6 h. ^/^ du soir, dans la division de Gorontalo (Célèbes), secousse verticale qui a endommagé plusieurs bâtiments du gouvernement. Ce mois y a été marqué par une grande séche- resse; celui de mars l'a été par les pluies. — Dans le courant du mois, le Vésuve était en activité. ( 84 ) M. Guiscardi a trouvé les trois cratères de 1850 et 1855, remplis de lave. {Zeils. d, d. geoL Gesells. t. IX, p. 196.) — Le 2, H h. ^2 du soir, à Banda, légère secousse du SO. au NE. — Le 3, H h. '2 du soir, à Smyrne, une secousse précédée d'une vive lumière dans le ciel et d'un bruit dans l'air. Le 4, iO h. 5 m. du matin, secousse plus légère. C'était la troi- sième de l'année. — Le 5, vers 7 h. du soir, à San Francisco (Californie), deux secousses courtes et verticales. — Le 6, 7 h. 10 m. du soir, à Rhodes, première secousse. — Le 8, 9 h. */4 du soir, deuxième secousse; ces deux secousses, sans être fortes, ont été assez sensibles. On a prétendu qu'elles étaient le contre-coup de deux violents tremblements de terre qui auraient eu lieu aux mêmes heures à l'île de Nissiros, située au NO, et à 40 milles environ de Rhodes. Cette hypothèse, assez probable d'ailleurs, à cause de la grande quantité de soufre et autres matières volcaniques qui se trouvent sous les montagnes de Nissiros a cepen- dant, disait-on , besoin d'être confirmée. — Je n'ai pas appris qu'elle se lut vérifiée. — Le 6, vers 8 h. du soir, à Ashtabula (New-York), secousse légère. — Le 7, 3 h. 20 m. du matin, à Padoue, deux secousses consé- cutives, ondulatoires du NE. au SO. et d'environ deux secondes de durée. A Venise, 3 h. 30 m. une secousse de l'ESE. à l'ONO. d'environ trois secondes de durée; elle a été accompagnée et suivie d'un bruit sourd; des sonnettes ont été mises en mouvement. A Veglia, 3 h. 40 m. du matin, forte secousse ondulatoire du S. au N. et de 3 à 4 secondes de durée. A Trieste, 3 h. 54 m., forte se- cousse de 3 à 4 secondes de durée ; elle avait été précédée d'une autre petite et instantanée. A Laybach (Carniole), de 3 h. 56 m. à 4 h. du matin, cinq secousses. Le prenner choc a été très-violent et accompagné d'un bruit souterrain; oscillations horizontales du N. au S. (d'autres disent du SSO. au NNE.) et de 15 à 20 secondes de durée; cloches mises en branle, murs lézardés. Les autres chocs ont été moins forts; ils ont consisté en deux ou trois vibrations; le dernier a eu lieu à 4 h. avec bruit de roulement. (83) Le 9, M h. 50 m. [sic] y à Laybach et Trieste, tremblement du SE. au NO. avec bruit souterrain et de 3 secondes de durée. — Ce dernier tremblement m'a été communiqué par M. Boue qui d'ailleurs signale les secousses du 7. — Le 8, iO h. 1/2 ^" soir, à Milledgeville, en Géorgie (États- Unis) , forte secousse avec bruit. — Le 9, éruption du Bromo (Java); le volcan manifestait une grande activité depuis plusieurs jours. Il a lancé de grosses pierres avec un tonnerre souterrain. Il reposait depuis 15 ans. — Le il , 5 h. */2 du soir, à Banda, deuxième secousse du mois, légère et de l'O. à l'E. — Le 12, 6 h. 5 m. du matin, à la bonzerie d'Amikou, près de Nafa, dans la principale des îles Lou Tchou, par SG^IS'^O" lat. N. et 126°23'40" long. E. de Paris, première secousse constatée par le P. Furet, missionnaire apostolique. Elle fut assez forte pour faire craquer la maison en bois et dura 83 secondes. A 8 b. 45 m. du matin , nouvelle secousse, légère et de quelques secondes de durée. Temps calme. — Le 12, 1 1 11. du soir, à Graechen (Valais), légère secousse. — Le même jour, 6 h. du matin, on avait entendu du bruit avec peu de mouvement à Unterbaecb. — Le 19, 11 ^,'2 du soir, à Graecben, une secousse. — Le 20, 1 b. du matin , à Unterbaecb, fort mouvement et à 1 h. du soir, deux bruits. — Le même jour, 4 b. du matin, à Graechen, secousse forte et longue. Le 21 , léger tremblement dans le jour. Le 25, 9 b. du soir, deux secousses médiocres. Le 27, secousses faibles mais fréquentes dans le jour. Nuit du 29 au 30, petites secousses. Bruits et frémissements du sol, les 13, 14, 15, 28, 29, 30 et 31. — Le 14, 5 h. du soir, à Sanla Barbara et Monticito (Californie), forte secousse, très-courte, avec bruit intense. — Le 16, 7 b. du matin, à Raguse (Dalmatie), légère secousse de 1 ou 2 secondes de durée. — Le 18, le matin, à Banda, troisième secousse, plus sensible que celle du 1 1 , et de l'O. à l'E. encore. Très-peu de pluie dans le mois. ( 86 ) — Le 21 , vers i h. Ju matin , à iManado (Célèbes), deux secousses très-violentes. — La même nuit, vers I h. ^'2 du niatin, à Ternaîe, secousse d'une violence remarquable et du SO. au NE.; elle a duré une demi- minute et n'a pas causé de dommages. — Le ^21 , encore, entre 5 h. ^28 m. et 5 h. 56 m. du soir, à Cilli (Styrie), tremblement en trois secousses. — Le 22 (n. st.), dans la soirée, une éruption de lave et de flammes a eu lieu sur Tîle de Douanne (ou Duanna, dans le Kouv, près de l'embouchure de ce fleuve dans la mer Caspienne), à une demi-verste de l'endroit où se trouvent les pêcheries. L'île entière tremblait et plusieurs cratères se formèrent, projetant de la flamme et des laves. L'éruption a continué durant trois quarts d'heure en- viron, et on a vu, parmi les matières projetées, sortir une masse de feu, de la forme d'une gronde boule, qui s'élança assez haut dans les airs et disparut du côté de la mer. Les cratères se sont formés sur une étendue de terrain de près de quatre verstes. — Le 25,0 h. 27 m. du matin, à San Francisco (Californie), une légère secousse. — Le 27, à Sienne, une légère secousse. — Le 28, 5 h. 5 m. 40 s. (temps moyen), à Palerme, Iremble- mefit ondulatoire du NE. au SO. Il a duré six secondes. La pendule de Mudge s'est arrêtée à TObservatoîi^e. — Le 29, 5 h. ^'4 du matin, à Smyrne, secousse assez forte de l'E. à rO. Dix minutes après , autre secousse moins forte et verticale. — Le 30, 9 b. V2 du matin, autre tremblement léger. Avril. — Le 2, vers midi, à Boerzoeny, Maria-Nostra et les en- virons {Waizner Gebirge, Hongrie), tremblement avec bruit. — Le 6, 10 h. 24 m. du soir, à Neira ainsi que dans la Grande- Banda, une courte mais très-violente secousse du SO. au NE. Elle a été ressentie également dans les îles d'Ay, de Kosengain, Rhun et Pisang. Quelques personnes qui se trouvaient dans la baie entre Neira et la Grande-Banda, au moment du choc, ont aperçu une lueur, accompagnée d'un bruit sourd, semblable à celui que pro- duit la chute d'un objet très-lourd dans l'eau. A Banda, les murailles de la caserne d'artillerie ont été lézardées au point de la rendre inha- (87) bitable. Outre les anciennes lézardes qui subsislaient encore dans riiùpital militaire et des bannis, il s'en est formé plusieurs autres; d'autres édifices publics et {iarticuliers ont aussi été endommagés; à la baltei'ie de la Prévoyance , on remarque une crevasse borizon- tale de 7 mètres de longueur. Il y a eu aussi des dégâts à Poelo-Ay. En un mot, quoique plus court que celui de 1852, ce tremblement paraît avoir été aussi violent. — T.e 8, 6 h. 30 m. du matin , aux îles Lou Tcbou , une secousse assez forte qui n'a duré que quelques secondes. — Le même jour, 40 h. ^U du soir, à Stantz, Kindsberg etWeilseh (Styrie), mouvement vertical. — Le 9, i b. ^'i du matin, à Moucb, district de Kinnis (Asie Mineure), tremblement terrible. Les secousses, dirigées de l'E. à rO., se sont renouvelées pendant 36 heures. On en a compté \S ou 49 qui ont duré 25 à 30 secondes. Au premier cboc, quatre villages de la plaine de Boulaneuk ont été détruits. Ce tremblement doit avoir été, dit on, beaucoup plus fort vers l'est sur les frontières de la Perse. La première secousse a été ressentie mais faiblement à Erze- roum, où l'on en a encore ressenti deux autres dans le courant du mois. — Le 14, 4 11. du soir, à Unterbaecb, bruit. — Le 4 2, de 2 à 3 b. du malin, à Graecben et à Saint-Nicolas, trois secousses médiocres. Le 46, 40 b. du soir, à Graecben, fortes détonations qui se renouvelèrent pendant une beure. Les maisons tremblèrent et craquèrent. On ne dit pas qu'on ait ressenti des se- cousses. Le 22, 3 h. {sic), secousse avec fort bruit souterrain. Bruits et frémissements du sol les 4, 2, 4, 17, 48, 49, 21, 23 et 24. — Nuit du 42 au 43, tremblement à Smyrne. — Le 43, de nuit, à Olivenza (Portugal), secousse de force moyenne et de quelques secondes de durée. — Le 46, 3 b. 4 7 m. du soir, à Alger, secousse assez forte de bas en baut et de 5 ou 6 secondes de durée. — Le 20, un peu avant minuit, à Malaga (Espagne), tremble- ment léger. ( 88 ) — Le 2j, vers 7 h. du soîr, à Ternate, légère secousse, dont la di- rection n'a pas été remarquée à cause de la rapidité du mouve- ment. A Manado (Célèbes), même heure, elle a été violente et accom- pagnée d'un bruit souterrain. Ce bruit s'est renouvelé plusieurs fois dans le Minahassa. — Le même jour, iO h. */, du soir, à Constantinople, violente rafale de pluie, précédée d'un violent coup de vent, aussi brusque, aussi subit qu'une explosion. On a prétendu avoir senti une secousse de tremblement de terre. M. Ritter, ingénieur français, auquel je dois ce renseignement, et qui s'occupe avec zèle du phénomène, n'a pas remarqué cette secousse. — Le 22, entre minuit et minuit et demi, à Champignole et Van- nez (Jura), secousse assez forte. — Le 24, 2 h. ^U du matin , à Rhodes, légère secousse de quel- ques secondes de durée. Le 25, 6 h. */4 du soir, nouvelle secousse semblable. Pluies tor- rentielles pendant ces deux jours. Le baromètre a baissé de 4 lignes, chose extraordinaire, dit-on, dans ces contrées. — On lit dans \Echo du Pacifique du 24 (du 5 mai, édition semi- mensuelle): « Une secousse a été ressentie récemment à San-Gabriel et à San-José, à 9 milles de ios Angeles. » Des nouvelles du fort Tejon signalent de fréquentes secousses dans cette section du pays. » M. Trask n'en parle pas dans sa note sur les tremblements de terre en Californie , pendant Tannée d857. — Le 26, 5 h. Va du soir, à Dilli ou Dillé (Timor), légère se- cousse horizontale du S. au N. Le même soir, à Oekoesie, sur la côte septentrionale de l'île, à l'ouest d'Atapoepoe, tremblement violent et de longue durée. — Le 29, avant midi, à Banda, nouvelle secousse de l'est à l'ouest. Mai. — Le 0, 8 h. Va du matin, à Randa (vallée de la Visp), faibles secousses avec fort tonnerre souterrain. — Le 4, 3 h. du matin, à Graechen, forte secousse; 8 minutes plus lard, deux secousses légères et consécutives. (80) — Le G, 10 h. du matin , à Unterbaech, une secousse. — Le 8, 4 h. ^/2 du matin, à Graechen, forte secousse et à 5 h. du matin, mouvement à Unterbaech. — Le 9, minuit et demi, à Graechen , forte trépidation du sol. Le 12 et le 15, de nuit, petites secousses. — Le 17, 5 h. du soir, à Unterbaech, forte secousse. — Le môme jour, 6 h. du soir, à Graechen, forte secousse pré- cédée d'un bruit pareil au tonnerre. — Bruits et frémissements du sol les 7, 18, 19, 21, 28 et 29. — Le 3, dO h. du soir, à los Angeles et Monte (Californie), vio- lente secousse. — Depuis le 4 mai, dit la Presse du 15, le Vésuve est dans un état d'activé éruption ; pendant la nuit, il offre un spectacle des plus grandioses. — Le 7, 5 h. 15 m. du soir, à Schoessl (Autriche), faible se- cousse, plus forte aux environs vers le nord. — Le 9, 9 h. 20 m. du matin, à Smyrne, légère secousse qui s'est répétée quelques instants après. — Le 15, vers 10 h. *k du matin, à Dillé ou Dilli (Timor), nou- velle secousse du S. au N. et d'au moins 15 secondes de durée; elle a été tellement forte que si les maisons eussent été en pierre, elles auraient été renversées. Les hommes eurent de la peine à se tenir debout; beaucoup furent renversés. Dans la baie de Dillé, les eaux fortement agitées montèrent et baissèrent quatre fois d'au moins dix pieds du Rhin pendant la secousse. Le même jour, vers 11 h. V2 du matin , à Amboine, grand mou- vement des eaux de la mer [zeebevmg). — Était-ce un tremblement sous-marin local, ou le mouvement propagé depuis Timor? C'est ce que je ne puis dire. Pendant les trois jours et nuits qui suivirent, il y eut encore au moins 15 secousses du S. au N. à des intervalles d'une ou de plu- sieurs heures. Elles furent plus courtes et moins fortes que celles du 15. — Le 17, elles n'avaient pas encore cessé. Près de Dillé, il a paru une source nouvelle et, à un demi-mille ( yo ) anglais de distance, le rivage a été crevassé; il s'y est formé des flaques d'une eau tout à lait boueuse. A Hera, environ iO milles antjlais à Test de Dillé, la secousse du 15 a été très-violente. Le sol s'est affaissé sur plusieurs points et l'eau bouillonnait dans les cavités qui se sont fermées. A Coupang, sur la pointe méridionale, on n'a senti qu'une légère secousse; elle a eu lieu le !5. La nuit suivante et le lendemain, le phénomène s'est renouvelé à Atapoepoe, mais d'une manière peu remarquable. Aux détails que j'emprunte au Natuurkundig Tydschrift voor Nedeiiandsch lîulie, t. Xill, p. 464, j'ajouterai les suivants que je dois à M. Pegado, directeur de l'Observatoire de Lisbonne, Ils sont extraits d'un rapport du gouverneur de Timor, en date de Dillé, d6 juin 1857 et reproduit dans le Diario do Goherno du 16 no- vembre 1857. Je traduis littéralement : « Me réféiant à mon rapport n° 3^, en date du 15 mai dernier, je crois devoir ajouter à Votre Excellence que les tremblements de terre qu'on a sentis àDilli, depuis le 15 du dernier mois passé, n'ont pas encore cessé aujourd'hui d'incommoder les habitants et de produire de grands dégâts à Pulo-Camby. Dans cet endroit, avec le premier tremblement, a eu lieu un affaissement subit du sol qui a englouti la population de iMacdadi; la colline sur laquelle était situé le village a disparu; 56 personnes dont 1 5 fenjmes et 25 hommes ont péri; on ne connaît pas le nombre des enfants restés ensevelis sous les ruines. Ceux qui ont échappé au désastre se sont enfuis épouvantés dans les autres villages de la côte, et plus de cent individus se sont dispersés de divers côtés sans que je sache à combien s'élève le nombre des victimes; les malheureux fugitifs couverts de blessures étaient un objet de compassion pour quiconque les a vus. » Cette île, où l'on ne se rappelait pas avoir vu un volcan en érup- tion (1), a lancé de la fumée et du feu par différentes crevasses qui se sont ouvertes dans le sol. On m'assure que les tremblements sont permanents à Pulo-Camby, et que le sol a acquis une température si élevée qu'il est difficile de la supporter. A Dilli, les ruines n'ont (î) Nous en avons pointant cité un en décembre 1856. A. P. (91 ) pas été accrues par les secousses qui sont quotidiennes ; le fort seul , dont les murailles étaient lézardées en beaucoup d'endroits, a éprouvé de nouveaux dommages. )) Voici les autres renseignements que j'ai reçus de divers points de l'île de Timor. Le volcan de Bibiluto a fait éruption avec une violence extraordinaire et détruit en partie le village de Rainha de Viqueque; la rivière de Viqueque et la route deVimor sont obstruées ; heureusement on n'a à déplorer la mort de personne. Laclo, Lautem, Laleia et Balograde ont éprouvé le premier tremblement du 15; à Liquiea, la mer a le même jour inondé le village presque en entier. » A Praça, on commence à s'habituer à ce fléau; mais on vit dans l'inquiétude, et toutes les fois que les secousses se font sentir la nuit, on ne se couche plus. » — Le 21 , 10 h. 24 m. du soir (5 h. 10 m. à la turque), à Con- slantinople, deux secousses légères, la seconde plus sensible. Le même jour (heure non indiquée), fort tremblement à Brousse; on parlait d'un minaret renversé et de plusieurs personnes tuées. — Le 22, 5 h. du soir, à Kischenief (Russie), tremblement léger. 11 s'agit probablement de Kichineff en Bessarabie. — Le même jour, 7 h. 54 m. {sic) (malin?), à Raguse, secousse ondulatoire de deux secondes de durée. — Le 25, à Angeles {sic) (Californie), une légère secousse. — On dit qu'il y en a eu une violente au Fort Tejon. — Le 24, 8 h. 42 m. du soir, à Padang (Sumatra), deux violentes secousses, la première verticale et la seconde, aussilôt après, de l'ouest à l'est. Quelques piètres sont tombées, des murailles ont été lézardées. Juin. — Le 2, 10 h. du soir, à Komorn (Ho;igrie), tremblement du NE. auSO. Le 5, entre 4 et 5 h. du matin , nouvelle secousse du NE. au SO. A 7 h. du soir, autre secousse. Le 6 , à 8 h. 15 m. du matin , nouveau tremblement : cette fois, il était dirigé du N. au S. 11 s'y est probablement renouvelé le 7 encore. Le 9, 4 h. 47 m. du soir, violente secousse de l'E. à l'O. avec sourd tonnerre souterrain. — M. le docteur Roué en signale une ce jour-là à 5 h. du malin, conmie ayant duré 5 secondes. H ne parle (92) pas (les autres. 11 n'y en a pas eu d'autres dans le reste de l'année, et on n'y a pas ressenti le tremblement du 15 janvier 1858. — Le 7, 10 h. du matin, tremblement à Judenbourg, en Styrie. — Le même jour, à Dresde, Leipzig, Mittweida, Chemnitz, et dans une grande partie de la Saxe, une secousse avec bruit sourd. A Leipzig, on signale la direction de l'OSO. à l'ENE. A Géra, o b. 7 m., elle a duré 3 secondes. A Schoessl, 3 h. 10 m., faible se- cousse de ro à TE., et de deux secondes de durée. On a noté 3 b. 15 m. à Zweickau. Elle s'est étendue dans l'Erzgebirge, le Mittel- gebirge, le Ficbtelgebirge et le Tburingerwald. — Le 10, 5 b. :25 m. (sic), tremblement à Fiume. — Le 11, 0 b. 28 m. du matin, à Cuba, tremblement oscilla- toire précédé de forts coups de vent. — Le même jour, vers 3 h. du malin (7 b. 35 m. à la turque), à Brousse, une secousse assez forte. Le 13, dont la venue épouvantait lu partie crédule de la population, s'est fort bien passé, sauf une terrible averse qui a duré une beure. Le 13, midi, à Unterbaecb, bruit et peu de mouvement. Le 19, 1 b. du matin , détonation et léger mouvement qui se sont renouvelés dans la soirée. Le même jour, 6 b. */2 du soir, à Graecben, trois fortes secousses. Le 23, 11 b. du soir, secousse et tonnerre souterrain. — Bruits et frémissements du sol les 1, 18, 20, 22, 24 et 25. — Le 14, 3 b. du soir, à Constantinople, trois légères secousses. — Le même jour, à Humboldt Bay (Californie), une secousse. Le même jour, on en a ressenti plusieurs à l'île de Carmen, dans le golfe de Californie; elles se sont fait sentir à 90 milles au nord et au sud de cette île. — Le 16, vers 2 b. ou 2 b. ^/^ du malin, à La Cbâtre (Indre), légère secousse du NE. au SO. A Nobant (près La Cbâtre), les ani- maux en liberté n'ont pas semblé s'en apercevoir. Le rossignol et la caille n'ont pas interrompu leurs cbants. Des oiseaux en cage ont, au contraire, montré beaucoup de frayeur. A Bourg (Cber), secousse semblable vers 2 b. */2; elle n'a duré que quelques secondes. A Ponîgibaud (Puy-de-Dôme), 2 b. ^,'-4, secousses pendant 7 ou 8 secondes, de bas en baut, avec une légère oscilbition du N. au S. ( 93 ) Les meubles ont été agités à 12 ou 15 reprises conséculives pendant cet intervalle de temps. — Ail h. ^/4, deux nouvelles secousses avec bruit sourd, à quelques secondes d'intervalle; le timbre d'une borloge a sonné deux coups. Une troisième secousse moins forte que les deux précédentes, mais qui s'est prolongée plus longtemps, a fait s'agiter la batterie de cuisine. On cite encore Châteauroux, Ainay-le-Château , Montîuçon, etc., pour la secousse de la nuit; Cbandolle (10 b. du matin), Bellenaves (Allier) deux secousses venant du SE. et accompagnées d'un bruit souterrain. A Clermont (Puy-de-Dôme), 11 h. 28 m. du matin, une secousse de 5 ou 4 secondes de durée, avec bruit sourd semblable à celui d'une lourde voiture roulant sur le pavé. « Placé au second étage de ma maison, m'écrit M. Lecoq, mon collègue, professeur à la faculté des sciences, je n'ai pu distinguer aucune direction particulière à cette secousse; elle m'a paru foire osciller le sol de bas en haut et de haut en bas; mais il paraîtrait, d'après de nombreux témoignages, que sa direction était du N. au S., dans le même sens que les chaînes de montagnes qui limitent le bassin de la Limagne. Cette secousse a été assez forte pour déplacer de petits meubles et pour faire tinter des sonnettes dans les appar- tements supérieurs. » Environ 12 minutes après cet ébranlement, une nouvelle trépi- dation a eu lieu sans bruit et sans roulement souterrain; elle était moins forte, mais plus longue que la précédente. )) Le tonnerre s'est fait entendre, quelque temps après, accom- pagné d'une pluie d'orage et de quelques grêlons. » Plusieurs journaux ont rapporté une lettre écrite de Vichy-les- Bains, le 18 : suivant cette lettre, il y aurait eu ce jour là, entre 10 et 11 h. V'i du matin, deux secousses du N. au S. avec bruit sourd et prolongé. On affirmait que la source de la Grande-Grille avait cessé de jaillir au moment de la secousse et qu'elle avait repris son cours une demi-heure après, exhalant une légère odeur sulfu- reuse qu'elle n'avait pas auparavant. — La date me paraît fausse; la secousse doit être du 16; en ce qui regarde la Grande-Grille, le fait a été démenti. {M) — Le 19, 10 11. du malin, à Judenboiirg (Styrie), secousse de deux secondes de durée avec bruit de tonnerre. — Le 22, 5 h. du matin , à Marseille, légère secousse de quelques secondes de durée. — Le 28, vers i h. *k du soir, à Constantinople et dans les en- virons , une légère secousse. — Dans le courant du mois, le R. Titus Coan, missionnaire an- glais à l'île d'Hawaï (Sandwich), a fait une nouvelle visite au Kilanea. « Pelé, dit-il, était calme. Le dernier changement est 1 afïiiissement du vaste dôme d'environ 300 pieds de hauteur et de deux milles de circuit qui couvrait Taire du lac igné Fllalemaumau. Toute cette superficie n'est plus maintenant qu'un bassin profond , entouré d'une espèce de bourrelet, qui dans quelques endroits, se termine par des murs abruptes sur les deux faces intérieure et extérieure, et dans d'autres par des talus plus ou moins rapides et d'une pente inégale; il est coupé de nombreuses crevasses ou échancrures et cou- vert d'immenses masses de débris. Le fond de ce bassin dans lequel on remarque de nombreuses fissures et quelques cônes fume en plusieurs endroits. C'est près du centre qu'est le lac de feu qui brûle de temps immémorial; il est entouré d'un bourrelet de 20 à 50 pieds de haut. Il a une centaine de pieds de profondeur au-des- sous de l'orle et 500 pieds environ de diamètre. Lorsque nous en approchâmes, son activité était très-faible; mais une demi-heure après, la mère Pelé, comme pour nous faire honneur, commença le feu; la grande chaudière bouillonna avec fureur dans la partie méridionale; les matières fondues s'élevèrent en vagues énormes sur la croûte noire et durcie qui recouvrait le lac comme une couche épaisse de glace et qui, la brisant en fragments d'une vaste étendue, inclinèrent ces diverses sections sous des angles de 30° et les en- traînèrent au-dessous de la surface embrasée, de manière que le lac ne parut plus sur toute sa superficie qu'un liquide éblouissant de clarté dans une violente ébullition. Ce phénomène ne dura pas plus de trois minutes. 11 ne resta pas un pouce carré de la croûte solide. Tout était en fusion; et la chaleur rayonnante fut si intense que nous fumes tous forcés de nous jeter précipitamment en arrière quoique nous nous trouvassions à plus de cent pieds au-dessus du (9o ) lac. Nous étions sur le côté N. Aucun ne put s'approcher du bord luéridional. Après un court intervalle de temps, tout était calme de nouveau, et la surface du lac redevenait noire et solide. Pele avait baissé le rideau. Ces scènes se renouvelèrent durant la nuit comme nous pûmes le voir à la brillante clarté qui se développait de temps en temps. » Dans la même lettre (adressée à M. James D. Dana), M. Coan émet l'opinion que les laves de Téruption qui a commencé en 1855 au sommet du Mouna Loa et qui sont descendues à une distance de cinquante milles, sont sorties d'une seule ouverture — celle du grand cratère primitif. Juillet. — Le 5, 8 h. ^k du soir, à Potenza (Basilicate), secousse de 8 secondes de durée. — Le 6, midi, à Unterbaech (Valais), bruit et léger mouvement. Le même jour, 1 h. du soir, à Graecben, secousse de force ordi- naire. Le 16, 1^ h. (sic), nouveau tremblement. — Bruits et frémisse- ments du sol , les 5 , 4 , M et 2 1 . Le 23, dans l'après-midi, à Unterbaech, une secousse. Le 26, 5 h. du soir, mouvement et bruit. — Le 8, 5 h. ^'2 du malin, à Hilo (Hawaï), une légère secousse. — Le 11, 9 h. ^/u, du soir, à Mantoue, légère secousse ondula- toire qui parut être de TE. à TO. A Venise, 9 h. 55 m., légère se- cousse de l'E. à rO. et de 4 ou 5 secondes de durée. A Trévise, heure non indiquée, légère secousse. A Rovigo, 9 h. 29 m., forte secousse à la fois ondulatoire et verticale et de 8 secondes de durée. Elle sem- blait venir du NO. Des sonnettes ont tinté et une cheminée est tombée. — H y a encore eu deux autres secousses plus légères, l'une deux heures plus tard et l'autre après minuit. — Le 12, 0 h. 50 m. du matin, à Raguse, forte secousse de 2 à 5 secondes de durée, suivie d'une deuxième qui dura deux secondes; ■vers i h. 10 m., autre secousse beaucoup plus forte que la dernière et de 2 à 5 secondes de durée; elle fut précédée de bruit; à 1 h. 25 m., une autre plus forte que toutes les précédentes, de 3 ou 4 se- condes de durée et sans bruit. — Le 15, 10 h. 50 m. {sic), tonnerre souterrain. (9C ) — Le 15, 1 h. */4 après-midi, dans le district de KaguI (Bessa- rabie), colonie de Kubel, à 15 versles de Bolgrad et 484 verstes d'Odessa, fort tremblement accompagné d'un bruit semblable à un tonnerre lointain. Peu après tomba une grande pluie. — Le i6, à Josephsthal, district de Litchau (basse Autriche), secousse médiocre; plusieurs secousses les jours suivants. — Le 19, éruption du Vésuve. On écrivait de Naples, le 20: « Depuis quelque temps des bruits souterrains très-violents étaient signalés par les guides du Vésuve comme Tindice d'une prochaine éruption et, comme toujours, en semblables circonstances, donnaient de grandes appréhensions aux nombreux habitants des environs de la montagne. Depuis une quinzaine de jours, on observait en effet une fumée beaucoup plus épaisse et plus intense qui s'élevait en tour- billons du cratère, quand hier au soir, à la chute du jour, une longue traînée de lave de feu a été vue de Naples se dirigeant heureusement du côté d'Ottajano, dans la partie appelée Fosso del Faraone, ravin immense opposé à la mer » (Voy. aussi une lettre de M. Guis- cardi, Zeits. d. d. geol. Gesells., t. IX, p. 583-586, et un mémoire de M. Abich, ibid., p. 587-591.) — Minuit du 19 au 20, à Coire (Grisons), fort tremblement avec bruit. — Le 21, iO h. Vi du matin, à Pignerolles (Piémont), une se- cousse assez forte. — Minuit du 25 au 26, à Nicée (Nizea, sic), secousse légère qui s'est renouvelée le 26, vers 2 h. 50 m. du matin. — Ne fîuit-il pas lire Nizza, Nice? — Le 26, avant-midi, à Soleure, tremblement léger. — • Le 26 encore, vers midi et 1 h. du soir, à Aix-la-Chapelle, deux secousses remarquées à la gare du chemin de fer rhénan. Le 27, 11 h. '^U et 12 h. 1/.2, à Aix et dans les environs, deux secousses du SE. au NO., la dernière la plus forte. — Ce fait, em- prunté à un auteur allemand, M. J. Schmidt, est évidemment le même que le précédent signalé par les journaux français. M. le docteur A. Bouc donne aussi la date du 27 et cite encore Maes- tricht. ~ Le 27, à midi, le 28, 1 1 h. du malin , et le 29, 0. h. du soir, (97 ) à Josephsthal (Basse-Autriche), fortes secousses du SO. au NE. Air calme et étouffant; baromètre très-haut. — Le 27 encore, 7 h. 20 m. du soir, à Komorn ( Hongrie), légère secousse. — Le 30, I h. du matin, à Hilo (île Hawaï), une forte secousse ondulatoire. Aoiit. — Le 3, à Hilo (île Hawaï), tremblement violent. — Je cite ce fait d'après VEcJio du Pacifique du 12 septembre; il n'est pas mentionné dans la liste que madame Lyman a tenue des se- cousses depuis 1833, et dont je dois la communication à M. le doc- teur Winslaw. — Le 5, 1 h. du matin, à Terrego (province de Lerida), et Es- pluga (province de Tarragone), secousse de très- peu de durée. — Le 7, H h. 43 m. du malin, à Bayonne, tremblement qui m'est signalé sans détails par M. Llobet, de Barcelone, et que je n'ai pas trouvé mentionné dans les journaux. — Le même jour, 8 h. 50 m. (sic), à Valona (Albanie), légère se- cousse sentie plus fortement à Corfou. — Le 8, il h. du matin, dans le comté de Sierra (Californie), une forte secousse. A Rabbit-Creek, la direction a été du N. au wS. et la durée de trois secondes. Bruit semblable à celui du passage d'une voiture sur un pont. — Le 14, JJ h. 30 m. du soir, au cap de Bonne-Espérance, tremblement que M. de Castelnau décrit ainsi : « Deux secousses successives se sont fait sentir; la durée de chacune a été d'environ JO secondes et celle du phénomène entier de 40; elles ont été pré- cédées d'un bruit considérable et ressemblant à celui produit par les lourds chariots à bœufs, dont on se sert dans ce pays. Dans le Voisinage de la montagne de la Table, le mouvement a duré plus longtemps que dans les autres parties; la deuxième secousse a été plus forte que la première; les toitures des maisons ont été forte- ment agitées et quelques murs lézardés. A l'Observatoire, le phéno- mène n'avait nullement agi sur les instruments; la direction paraît avoir suivi le méridien. Les animaux ont éprouvé autant de terreur que les habitants, les chiens aboyaient et les chevaux frémissaient dans les écuries. On a ici (à la ville du Cap) la certitude que le trem- TOME X. 7 ( 98 ) blement de terre a été ressenti à 200 milles au nord el à 400 milles vers l'est. » Dans la baie de la Table, on a remarqué que les vagues ont déferlé pendant le phénomène avec une force plus qu'ordinaire, et tous les navires ont éprouvé une assez violente secousse. Le mouve- ment s'est également fait sentir en pleine mer, car le cap. Boisse, de la hsLVL\ue S olertia , (\m se trouvait à 400 milles au sud du Cap- Point et à peu près dans le même méridien (lat. 56°30' S.; long. IS^SO' E. ), rapporte que, par un calme parfait, la mer est devenue tout à coup très-agitée (m great confusion), et qu'il s'est trouvé lancé à 59 milles dans l'est. 3) Les tremblements de terre sont rares au cap de Bonne-Espé- rance... En 1843, on y ressentit, dit-on, une légère secousse. » — Je ne sache pas qu'on y en ait éprouvé depuis. — Le 20, 7 h. du matin, à Piiira (Pérou), les plus violentes se- cousses qu'on y ait jamais ressentie. Dans une lettre, en date du 30, on évalue leur durée à une minute quarante-cinq secondes et Ton ne parle pas de secousses postérieures (?). Toutes les maisons de la ville ont plus ou moins souffert. La rivière de Puira, dont le lit était à sec, a soudainement coulé; dans certains endroits, la terre s'est en tr'ou verte et a rejeté des eaux de couleur noirâtre. On ne se rappelle pas avoir jamais observé un phénomène semblable. — Les effets du même tremblemant ressentis à Paita ont eu de moins graves conséquences. — Le 21, 9 h. du matin, à Unterbaech (Valais), mouvement. — Le 22, après minuit, à Graechen, tremblement accompagné de bruits souterrains. — Le 24,4 h. V2 du matin, à Unterbaech, mouvement. — Le 27, dans la nuit et la matinée, à Graechen, secousses. — Le 28, mouvement du sol. — Bruits et frémissements les 10, ii et 29. — Le 28, après minuit, à Tarasp, Sternberg et Feltau (Grisons), secousses violentes. Dans la même nuit du 27 au 28 , à Genève, fortes secousses. — Le 29, à Tejon Beserve (Californie), une forte secousse. — Le 50, 1 h. ^'2 du soir, à Hilo (Hawaï), secousse légère. (99) — Du 18 aoùl au 21 septembre (dans le mois de moharrem), à Tebriz, Khaï et Jévessouk (Perse), secousses très-forles; beaucoup de bâtiments détruits. Septembre. Le \^\ 9 h. du matin, à Unterbaech (Valais), bruit; à 7 h. du soir, une secousse. Le 8, 8 h. ^'2 (sic), détonations et se- cousses. — Les 1 , 5, i 6, 17, 1 8 et 20, à Graechen , légères secousses et fré- missements du sol. — Au commencement du mois, il y a eu trois fortes secousses à Zeneggen (MM. Lehner etTscheinen). — Le 12, midi et demi, dans la vallée de Viége, nouveau trem- blement, violent. — Ce dernier fait que j'emprunte au Moniteur du 23 septembre ne se trouve pas mentionné dans les notes qu'ont tenuos M. Lehner, à Unterbaech, et M. Tscheinen, à Graechen. — Le 2, 7 h. 43 m. du soir, à San Francisco (Californie) , secousse légère, ressentie aussi à Sacramento, Marysville, Nevada, San Juan, Downieville et Camptonville. — Le 6, 1 h. 53 m. du matin , à Constantinople, légère secousse du N. au S. ou inversement; durée, quelques secondes. Elle a reveillé plusieurs personnes. — Le même jour, 6 h. 43 m. du matin, à Smyrne, légère se- cousse. — Le même jour, encore 1 1 h. ^k du matin, à Eglisau (Suisse), tremblement violent. — Le 9, 9 h. du matin, à Hilo (Hawaï),, secousse courte et vio- lente. — Le même jour, 2 h. 3 m. du soir, à Raguse (Dalmatie), se- cousse ondulatoire de 5 à 4 secondes de durée : elle avait été pré- cédée d'une petite secousse qui avait duré une seconde. — Le 10, 5 h. 23 m. {sic), à Oran (Algérie), fort tremble- ment. — Le môme jour, dans la soirée, à Potenza (Basilicate), secousse oscillatoire de l'E. à l'O. et de 5 à 6 secondes de durée. — Le 14, 2 h. du soir, à San Francisco (Californie), une légère secousse. — Le 17, 10 h. du soir, à Constantinople, une assez forte se- cousse composée de deux périodes dislincles, une onde douce et ( 100 ) longue, suivie à quelque distance d'un \iolent trémolo; la pre- mière onde a paru à M. Ritter (1) être une oscillation verticale et les autres des oscillations au nombre de il ou 18, dit- on, hori- zontales du NINO. au SSE. Des sonnettes ont vibré. Le phénomène a été ressenti à Péra et tout le long du Bosphore jusqu'à Buyuk- deré. Il était accompagné d'un bruit semblable à celui d'une roue à augets, tel qu'on l'entend d'une pièce voisine du coursier, ce brut étant augmenté du roulement monotone et sourd des transmis- sions. Durée de la secousse, 20 secondes au moins; d'autres la por- tent à 30. Le même jour, même heure, à Brousse, bruit souterrain sem- blable au fracas d'une forte artillerie, suivi d'une minute de calme auquel succédèrent des oscillations verticales de deux secondes et des oscillations horizontales de six secondes de durée et de l'E. à 10. ou du SE. au NO. Les animaux ont manifesté une grande frayeur avant et pendant le phénomène. Trente maisons environ ont été renversées, un plus grand nombre ont plus ou moins souffert. On dit que le palais du Muchir à Geumlek s'est écroulé ainsi qu'un Khan et le Dervend sur la route de Brousse. Mais il y a là de l'exa- gération. M. Ritter ne signale que l'écroulement d'une vieille mai- son en mauvais état. Suivant le docteur Verrollot, le centre du tremblement ne paraît pas avoir été à Brousse, mais bien à Yalova et Angori où sont les sources minérales et chaudes, côte méridionale du golfe d'Iskimid (mer de Marmara). Le tremblement a été fortement ressenti aux îles des Princes (même mer). Suivant certaine relation les secousses continuèrent à Brousse sans interruption, pendant toute la nuit, mais avec une violence de moins en moins grande et sans danger. D'autres ne signalent qu'une secousse vers minuit trois quarts (7 h. 10 m. à la turque) et, du reste, légère et sans accidents. Le 6, vers 5 h. du matin, à Brousse, une secousse très-forte qui endommagea encore quelques habitations. Elle paraît avoir été la (1) Ingénieur français au service de la Turquie. M. Riller veut bien m'aider «le son concours. Je suis heureux de Ten remercier pubiiqueraenl. ( 101 ) dernière; elle avait la même direction que la première. Elle s'est étendue jusqu'à Constantinople. M. Ritter indique 6 h. iO m. du matin. II ajoute, d'après un témoin oculaire, que les eaux des bains qui d'ordinaire sont à 29° R. marquaient le 48, au matin, 34° R. — De plus, à Kourou-Tschesmésur le Bosphore, au N. et près de Péra, un mur de pignon en maçonnerie a été sensiblement lézardé. Un puits d'une brasserie à Kourou-Tscbesmé, qui donnait une eau assez peu saumâtre pour être employée dans la fabrication des boissons, a subitement été pourri, c'est-à-dire qu'il n'a plus fourni que de l'eau très-chargée impropre à la fabrication; il a fallu en creuser un autre qui donne une eau excellente. Jusqu'à ce tremblement les caves de l'établissement n'étaient jamais inondées par le Bosphore. Depuis, l'eau du Bosphore y monte de 10 à 15 centimètres par le vent du S., c'est-à-dire quand le niveau du Bosphore s'élève. Le propriétaire attribue tout cela à un affaissement du sol. Mais un pareil affaissement eût été remarqué dans toutes les habitations qui longent la mer. Je l'attribuerais plutôt, avec M. Ritter, à une dislo- cation des murs et des enduits de la cave. — Le 49, 2 h. V4, à San Francisco (Californie), une légère se- cousse de l'E. à rO. et de quelques secondes de durée (Le Pays du 4 novembre). — YEcho du Pacifique du 24 septembre (édition semi- mensuelle), dit : hier... h la date du 49. Il y a donc erreur. C'est très- probablement la même secousse que nous avons rapportée au 44 d'après M. Trask qui a publié la liste des tremblements ressentis en Californie, pendant l'année 4857. — On écrit de Naples le 23 : « Les populations voisines de l'Etna et principalement les habitants d'Aci-Reale ont été surpris par une pluie de poudre de Naples; tout le pays environnant le volcan , jus- qu'à 6 milles de distance, a été couvert d'une couche épaisse de quatre centimètres de cette poussière, couleur de cendre, dont quelques grains étaient de la grosseur d'un pois. » Les détonations continuent à se faire entendre dans l'intérieur du volcan; un nouveau cratère vient, dit-on, de s'ouvrir au sommet de la montagne. Le Stromboli était presque éteint, il présente au- jourd'hui les mêmes phénomènes.... » ( 402 ) — On mande de Naples, sons la date du 24 : « Le Vésuve quî, après une longue éruption de 55 jours, avait cessé de vomir de la lave, a reconiniencé depuis trois jours à jeter des flammes qui s'élè- vent en gerbes magnifiques et qui pendant l'obscurité produisent un effet vraiment sublime. L'Etna aussi est en éruption. » — Le :29, 7 h. du soir, à Josepbstlial (Basse-Autricbe), une se- cousse aussi forte que celle du 1^2 septembre 1834. Temps sombre. Le 50, 7 h. du soir encore, la plus forte secousse qu'on y ait seulie. Les bâtiments ont tremblé jusque dans leurs fondements et les ar- bres ont éprouvé un violent mouvement. Même direction que pré- cédemment ou du SO. au NE. Temps calme et sombre, baromètre très-bas. Pendant ces secousses et pendant celles qui les ont précé- dées, on a entendu un roulement dans l'air assez semblable à celui que causaient les secousses sous les pieds. Octobre. — Le i*'', dans les environs de Litscbau (Basse-Autriche), tremblement. Le 4, 9 h. du soir, à Josepbsthal (district de Litscbau), faible secousse du S. au N. Temps calme et pur. Les secousses de 1857 ont été plus étendues que les précédentes. Pendant l'une de ces se- cousses une bonne boussole fut fortement troublée; la déclinaison occidentale diminua. On ne doutait pas que les secousses n'eussent leur foyer dans les montagnes voisines, les Eulenberge. — Le 2, l h. ^U du matin, à Graechen (Valais) , secousse avec bruit fort; dans la soirée, secousses légères et fréquentes. — Le 16, secousses légères dans le jour et, à 5 h. du soir, fort tonnerre souterrain avec tremblement. — Le 28, 5 h. 40 m. du soir, un long et fort tonnerre de trem- blement. — Bruits et frémissements du sol les 9, io , 14, 18, 24, 25 et 26. — Le 5, 8 h. du soir, à Constantinople, nouvelle secousse, très- sensible, mais unique et de I à 2 secondes de durée seulement. L'eau du Bosphore n'a pas paru agitée. Le ciel, m'écrit M. Ritter, était magnifiquement i^ur ; presque tout à coup, il se couvrit au zé- nith d'un voile brumeux qui lui-même ne tarda pas à se transfor- mer en cirro- cumulus. Les cirro- cumulus, après avoir entouré la lune d'une belle auréole, se dissipèrent. Ce rideau nébuleux a duré ( 105 ) peut-être une denii-heure et, chose singulière, le tremblement a suivi iuHuéiHalemeut la dissolution du nuage. Le ministre Ismael-Pacha a dit à M. Ritler qu'il avait ressenti une seconde secousse le 4, un peu après minuit. — Le 5, dans la matinée, à Comrie (Ecosse), tremblement léger pendant une pluie torrentielle accompagnée de tonnerre. — Le (), vers 8 h. du soir, dans la partie méridionale du Mina- hassa (pointe NE. des Célèbes), tremblement léger. — Le 7, vers 7 h. Vi du soir, à Catinje (Monténégro) , deux se- cousses violentes. — Le même jour, 7 h. 45 m. (sic), à Raguse (Dalmalie), secousse ondulatoire de 1 à 2 secondes de duvée. — Le 8, vers 4 h. du malin, à Saint-Louis (Missouri), une se- cousse suivie d'une autre 7 minutes plus tard. On les a ressenties à Sprengfield (Illinois) et ailleurs, A Centralia (Illinois), on a éprouvé, à la même heure, trois secousses dans un intervalle de cinq minutes. La première a renversé des cheminées. — Le il , 10 h. 30 m. du soir, à Rome , deux secousses ondula- toires, la première plus sensible. Le 13, dans la matinée, éruption dans la chaîne de Real del Monte (^lexique). Ce phénomène décrit par M. Burkart (1) qui le Regarde comme pouvant être classé dans les Erdbraenden (incen- dies de terre) ou peut-être dans les éjections gazeuses, plutôt que comme une éruption volcanique proprement dite, a eu lieu à une demi-lieue à l'ouest du petit village de Santorum (par 20°17' lat. N. et 100^53' long. 0 de P. à peu près), dans un ancien cratère connu, dans le pays, sous le nom de Puente de Dios. Les flammes s'élevaient à 8 et quelquefois à 18 pouces au-dessus du bord intérieur du cra- tère. Elles répandaient une odeur ammoniacale. M. Juan C. Hidalgo, ingénieur des mines, à Alotonileo (3 V-2 à l'ouest du Nuevo Volcan), attribue ces flammes, qui disparaissaient par intervalles, à l'inflam- mation d'une couche de charbon de terre. D'après son rapport adressé le 5 novembre 1857 au gouverneur de l'État de Mexico, elles brû- laient encore. (1) Ueber einem neuen Feueraushruch in dem Gebirge von Real del Monte in Mexico. — Zeilschrift d. d. geol. Gesells. IX, 4, p. 729-736. ( 104 ) — Le i9, 4 b. 9 m. du soir, à Trieste, Ugev tremblement ondu- latoire. Le docteur Boue donne la date du 10 et en rapporte un autre au 20, sans indication d'heure. — Le 19 encore, 6 b. 50 m. du soir, à San Francisco (Californie) , une forte secousse. — Le lendemain, à 0 b. 8 m., 0 b. 55 m. et i b. 45 m., du ma- tin, trois autres secousses; une dernière à 8 h. du matin, aussi forte que celle du 9 janvier. La population effrayée s'est levée. On les a ressenties à San José, mais non à Oakland. — Quelques jour- naux donnent la date du 22 et indiquent la direction du S. au N. — Dans la journée du 49, le Vésuve, en éruption depuis 22 mois, a lancé des cercles de fumée s'élevant verticalement malgré la vio- lence du vent. Des bruits tout particuliers se faisaient entendre souterrainement et semblaient annoncer un tremblement de terre. On a pu très-distinctement les observer à Portici, Résina, Torre del Greco et dans tous les villages environnant le Vésuve. Le 20, à la suite d'une explosion effrayante, qui a été entendue à plusieurs lieues de distance, le cône formé depuis le commence- ment de l'éruption de 4855 a sauté avec une si grande force, que toute la moitié du grand cône se trouvait couverte de débris de lave d'une très- forte grosseur. La force de l'explosion a été telle qu'elle a occasionné un léger tremblement de terre, constaté par les instruments de l'Observa- toire. On peut juger facilement du bruit effrayant qui se fit enten- dre par la destruction de ce cône qui atteignait une hauteur approxi- mative de 45 mètres. (Voy. la lettre de M. Guiscardi à M. Rolb, Zeits. d. d. geol. Gesells., t. IX, p. 562-564). — Le 24 , dans la matinée (?) , à Bologne (Romagne), légère se- cousse ondulatoire du NE. au SO. Le 23 , vers 3 b. ^U du soir, à Buffalo (New-York) , secousse très- forte avec bruit souterrain. M. C.-E. Wist a décrit ce tremblement dans V American Journal of science 2 nd. Ser., t. XXVI, n° 77, sep- tembre 4858, p. 477-482. Il le résume ainsi : » 4** Le maximum d'intensité a eu lieu à Buffalo et dans le voi- sinage. » 2° Les ondulations se sont propagées dans une direction ( 105 ) linéaire passant par Port Hope, Lockport, Biiffalo, Jameslown et Warren, qui se trouve sur un grand cercle peu différent du mé- ridien. » 5" L'intensité a diminué de chaque côté de cette ligne; elle a élé très-faible à Haniillon du côté de l'ouest et nulle à Rochester ainsi qu'à Hinsdale à l'est. )) A° Les limites de cette ligne ont été Port Hope (Canada), sur le lac Ontario, et quelque peu au sud de Warren (Pensylvanie). » J'ajoute qu'on a porté la durée à une minute (ce qui paraît exa- géré); qu'à Lockport le bruit est indiqué comme venant de l'ouest et qu'on n'a signalé la direction que dans une seule localité, à Warren , où l'on a cru reconnaître celle du SE. au NO. — Nuit du 24 au 25, à Aquila (Abruzze Ullér. II), très-forte secousse de 5 à 6 secondes de durée. — Le 27, 4 h. 25 m. du soir, près de Nafa (îles Lou-Tchou) , se- cousse de quelques secondes de durée. — On lit dans Vlllustrated London Neivs du 51 : « D'après les dernières nouvelles reçues de la Perse, des tremblements de terre avaient causé des dommages considérables, principalement dans l'Adherbidjan. La petite ville deTesong avait été entièrement ruinée. En Géorgie, le Kour (ancien Cyrus) avait quitté son lit et inondé plusieurs villes sur les rives. — Suivant M. le docteur Ami Boue , il y aurait des secousses à Schemaka et Bankore, dans le courant du mois. Novembre. Le 2, 6 h. 25 m. du soir, à San Francisco (Californie), une secousse de l'E. à l'O. avec bruit. Dans la nuit, nouvelles se- cousses légères. — Le 3, i h. 1 6 m. du matin , une secousse du SE. au NO., plus forte, de 5 à 7 secondes de durée et encore accompagnée du bruit ordinaire. [San Francisco Herald of Nov. 5). M. Trask n'en parle pas dans son catalogue annuel. Cependant VÉcJw du Pacifique des 11-20 nov. en signale encore une le 3, vers 3 h. du matin. — Le 3 et le 8, à Cbiavenna et Varenna, éboulements de rochers causés probablement, dit M. J. Schmidt, par de légères secousses de tremblement de terre. — Le 10, 2 h. du malin, à Menaggio, sur le lac de Côme, et dans ( -lOG ) les environs, tremblement très-violent accompagné de phénomènes curieux. Trois ou quatre grandes vagues soulevées sur le lac ont porté les embarcations jusqu'à la hauteur des maisons sur le rivage où plusieurs sont restées à terre; les autres ont été entraînées par le reflux. Des pierres ont été lancées du fond du lac (sic). Un rocher gigantesque s'est abîmé soudain à cinq milles de Menaggio et a augmenté la violence des vagues en élevant le niveau du lac. Deux femmes seulement ont péri. — Le A encore, 8 h. V4 du matin, à Zeneggen (Valais), faible secousse avec tonnerre souterrain, fort et prolongé; à Graechen, à Brigg et à Glis, le bruit a été très-fort. — Le 14, 4 h. */4 du soir, tremblement très-violent avec bruit. Frémissements du sol et bruits ordinaires les 1, 2, 3, 11, 12, 15, 15, 16, 17, 18, 20, 22, 27 et 29. (M. Tscheinen). — D'autres signa- lent deux fortes secousses à Briegg le 14, l'une à 4 h. et l'autre à 8 h. du matin. — On lit dans divers journaux français : « Le 4, vers 10 h. du matin, à Marseille, quelques fortes secousses du N. au S. et de quel- ques secondes de durée, avec grondement souterrain. » — M. Ruinet, ingénieur des ponts et chaussées à Marseille, m'a assuré que c'était simplement l'effet d'une mine trop chargée. — Le 6, dans le voisinage du lac de Ilopango (San Salvador, Amérique centrale) , tremblement assez fort qui a épouvanté de nouveau les villes de Cohutepeqne, San Vicente et Salvador, si for- tement ébranlées en 1854. Les secousses venaient d'une montagne au NO. du lac, au SE. du volcan de San Salvador. Elles ont duré jusqu'au 10. Presque en môme temps, l'ancien volcan de Masaya (Nicaragua) a donné de nouvelles preuves d'activité. Ce volcan qui, au temps de la conquête, était en pleine éruption et qui, après avoir vomi une épouvantable coulée délave en 1782, était resté en repos jusqu'à la fin de juillet 1853, époque à laquelle son sommet dénudé s'est cou- vert de nuages de fumée, a vomi du feu, des cendres et de la lave. Le grand village de Masatepe, sur la pente SO. du volcan, a été détruit par la lave et les conimotions souterraines. San Miguel qui se trouve dans le voisinage du volcan de même (107) nom, haut de 6,080 pieds, n'a pas ressenti de secousses; le volcan lançait des colonnes de fumée, et les Indiens assuraient qu'il s'était formé une grande fente dans le cratère, depuis Tascension qu'y avait faite le vice-consul de Prusse, le 6 mai de la même année. — Le 8, 5 h. ^5 m. du malin, à San Francisco (Californie), une secousse ressentie aussi à Oakland et à Bodega. C'est la seule que mentionne M. ïrask, pour le mois de novembre. — Le 14, à Padang (côte occidentale de Sumatra), une légère secousse. — Le 15, à Rhodes, tremblement. — Le 19, 8 h. 25 m. du matin, à Lisbonne, trois secousses mé- diocres et distinctes, d'environ trois secondes de durée et à peu près del'E.àl'O. Ce tremblement a été ressenti à Cintra; à Porto et Foz, forte se- cousse ; légère à Caldas. Elle a eu lieu vers 10 h. à Santarem. On n'a rien éprouvé dans quelques stations télégraphiques. Une interrup- tion passagère dans la ligne n'avait pas permis encore, à 4 h. du soir, de recevoir la réponse de plusieurs autres (M. Pégado direc- teur de l'Observatoire météorologique de Lisbonne). On cite encore Leiria, Aveiro, Vianna, Coïuibre, Guimaraens; c'est-à-dire, qu'elle aurait suivi la côte de l'océan Atlantique, dans la direction du SE. au NO. A Ança, forte détonation et murs lé- zardés. A Pontevedra (Galice), une légère secousse a eu lieu vers 9 h. du matin. On dit qu'elle a duré une minute (?). Le 21 , 8 h. du soir, h Lisbonne, nouvelle secousse ressentie avec plus de violence à Porto (M. Pistolesi). M. Schmidt donne la date du 22, même heure. — Le 22, 5 h. ^U du soir, à Cherchell (Algérie), une légère se- cousse. — Nuit du 24 au 25, à Dudiey (comté de Birmingham), légère secousse avec bruit. — Nuit du 50 novembre au i"^ décembre, vers minuit, près de Nafa (îles Lou-Tchou), violente secousse; temps calme. ~ Les 1, 4, 13, 22, 26 et 28, à Graechen (Valais), bruits et frémissements du sol. M. Tscheinen ne signale pas de secousse. ( 108) •— Le 7, vers 6 h. ^/g du malin, dans la terre de Paivo (roy. de Naples), on entendit un bruit comme celui d'une mine qui éclate- rait dans un lieu fermé et qui fut suivi d'un mouvement du sol. — Le 8, 10 h. 25 m. du soir, à Komorn (Hongrie), faible se- cousse du SE. — Le iO, 8 b. iO m., nouvelle secousse faible, venant de l'est. Durée, 2 secondes. — Le 9, 6 b. 25 m. du soir, à Smyrne, légère secousse. — Le d 1 , 7 h. ''k [sic), à Valona (Albanie) , secousse légère. Le i5, 4 b. 50 m. du soir, forte secousse. Le 46, l b. du soir, secousse légère, et à 9 b. 45 m., autre secousse faible. — Le 11, au soir, à Hernosand (Suède), fort tremblement du SE. au NO. Il était accompagné d'un bruit qu'on entendait facile- ment encore une beure plus tard dans l'éloignement. — Le 12, vers 10 b. ^'2 du matin, forte explosion au Vésuve, d'où s'écbappèrent simultanément trois courants délave qui s'arrê- tèrent quelques beures après. (Voy. la lettre de M. Guiscardi, au 20 octobre précédent.) — Le 14, 1 b. du matin , à Fiume (lllyrie), secousse avec bruit. — Le 14 encore, à Saint-Denis-du-Sig (Algérie), forte secousse venant du sud-ouest et de 15 secondes de durée. Les babitants du Sig qui, alors dans la province de Bone, ont été témoins de la se- cousse de 1856, affirment que cette dernière était beaucoup moins accusée. Par un pbénomène géologique, ajoute-t-on, ce tremble- ment, quoique on ne peut plus violent, n'a amené aucun accident. — Le 15, à Rbodes et dans l'île de Crête, nouveau tremblement. — Le 16, dans la matinée à Charleston (Caroline du Sud), une forte secousse qui s'est étendue jusqu'à Augusta. On ne dit pas dans quel état se trouve cette ville dont le nom est commun aux États- Unis. — Le 46, vers 10 b. ^U du soir, par un ciel pur et un temps calme, dans la Basilicate et la Principauté Citérieure, tremblement désastreux qui fit périr plus de vingt deux mille personnes. La pre- mière secousse fut ondulatoire et immédiatement précédée d'un bruit sourd qui se prolongea pendant toute sa durée, laquelle fut { 101) ) d'environ 20 secondes. Trois minutes après, deuxième secousse plus violente encore et de 25 secondes de durée. Trois autres secousses considérables dans la nuit et plusieurs moins fortes. Le centre du phénomène paraît avoir été près de la petite ville de Montemurro qui, sur 7,000 habitants, en perdit 5,600 et de Saponara qui, sur 4,000, en perdit 5,000. Montemurro, Saponara, Viggiano, Tramutola, Marsico Vetere, Marsico Nuovo, Spinosa et Sarconi ont perdu J 2,000 habitants sur 55,570. Dans le triangle, formé par les trois premières localités que nous venons de citer, le sol fut horri- blement bouleversé. On cite encore Polla qui a perdu 2,000 habi- tants sur 7,060; Padula, 500 sur 9,000; Pertosa, 218 sur J,100; Sassano, 185 sur 5,600; Montesano, 420 sur 4,800; etc. Au nord la vallée du Sele où se trouvent Brienza , Calvello , Saint- Angelo le Fratte, Puerno, Tito, Potenza, capitale de la Basili- cate, etc., a beaucoup souffert; Tito en particulier a perdu 500 habi- tants sur 4,959. Au S. de Potenza et à l'E. du foyer d'action, Laurenzana, Carleto, Guardia, Aliano, Armento, Galiicchio, Mis- sanello, Saint- Arcangelo, Caslel-Savauno et d'autres villes et villa- ges ont eu des maisons renversées. Les deux premières secousses se sont étendues vers le S. jusqu'à Reggio en Calabre, vers l'E. à Brindisi sur l'Adriatique, vers le N. à Vasto sur l'Adriatique et vers l'O., jusqu'à Terracine et à Naples. Dans cette dernière ville, la première secousse a eu lieu à 10 h. 10 m. du soir et a duré 5 secondes; deux minutes après, on a senti une deuxième secousse qui, comme la première, était du N. au S. et qui n'a pas duré moins de 25 secondes. Il n y a pas eu de dommages. Mais de Polignano à Manfredonia, sur l'Adriatique, toutes les mai- sons ont été lézardées. Cependant Melfi, qui avait été détruite par le tremblement du 14 août 1851 , n'a pas souffert de dommages. Les secousses, comme il arrive toujours après ces grandes catas- trophes, se sont fréquemment renouvelées jusqu'en mars et même en avril 1858. Je n'ai pas encore reçu les diverses notices publiées sur cette terrible manifestation du phénomène. Quoique les secous- ses aient été quotidiennes jusqu'à la fin du mois; je ne puis citer que les suivantes : Le 17, 5 et 5 h. du matin , à Naples, deiw nouvelles secousses. i (110) Le iO, 6 et 10 h. du matin, à Salerne (Principauté Citérieure), une secousse sans domniage. Le même jour, 6 h. du soir, à Naples, une secousse qui s'y est renouvelée le lendemain. Le 20, à Lagonegro (Basilicate), diverses secousses, plus rares et plus faibles. Le 22, vers 1 h. du soir, à Naples, une secousse. Le 24 (heure non indiquée), une secousse encore. Le 28, vers 9 h. du soir, à Sala (Principauté Cilérieure), une forte secousse. Le 29, 6 et 7 h. Va du soir, deux autres fortes secousses. Le même jour, 6 h. ^U du soir, à Polenza (Basilicate), une forte secousse ondulatoire, suivie de plusieurs autres dans la nuit. Tels sont les quelques renseignements que j'ai pu extriiire des longs détails donnés par les journaux quotidiens. Mais comme ce trem- blement a été un des plus désastreux qu'ait éprouvés le royaume de Naples, et que les secousses se sont continuées une grande partie ile 1858, je le reprendrai plus tard. — Du 16 au 17, à Bologne (Romagne), légère secousse accusée par le seismoraètre : heure non indiquée. — Le 17 (v. st.), 5 h. 25 m. du soir, à Kwischet (Caucasie), tremblement très-violent accompagné d'un gros tonnerre souter- rain. C'était le troisième de l'année. Le soir, à 5 h. 13 m., on en- tendit le bruit souterrain. — Le 18, 8 h. 20 m. du soir, à Liebenzell (Wurtemberg), dans la vallée et les montagnes voisines, une violente secousse dont la direction semblait être du nord au sud, et qui a duré plusieurs se- condes. Elle s'est étendue en Bavière. — Le 19, 9 b. du matin, à Charleston (Caroline du Sud), une secousse. — Ce doit être la môme que celle du 16; mais quelle est la date exacte? — Celle du 16 est donnée par le Tuscaloosa monitor, du 7 janvier 1 858, et celle du 19 par V American Journal of science, t. XXV, p. 136. Je préférerais cette dernière. — Le 20, 5 h 22 m. 50 s. du malin, à Agram (Croatie), trem- blement violent du SSE. au NNO. et de 5 V^ secondes de durée, avec bruit souterrain qui commença avec la première secousse et augmenta avec chaque oscillation. (IH) Le baromèlre à 336 lignes \'4 (de Paris) n'a pas varié. Suivant le professeur Zeithaninicr, la régularité de la pression atmosphérique fut troublée avant et après le phénomène. Deux minutes aupara- vant, l'aiguille des appareils télégraphiques fut agitée et dévia de G à T*' à l'ouest. — Le 22, à Brousse, quelques secousses. — Le 25, 7 h. du malin , à San Francisco (Californie), une lé- gère secousse. (M. Trask, de San Francisco.) Le 24, 5 h. 40 m. (sic), à San Francisco, quatre secousses à de courts intervalles. [La Presse du 18 février 1859.) — Le 24, 1 h. 55 m. du soir, à Windisch-Garsten (Carinthie), choc et ondulations de l'O. à l'E. Vers 9 h. et 11 h. du soir, nou- velles secousses. Le même jour, 2 h. et 4 h. du soir, à Rosegg (Carniole) et à Liezen, dans TEnnsthale, secousses qui se renouvelèrent vers 1 i h. et i h. de la nuit (M. J. Schmidt). — Le 24, 4 h. du soir, à Liezen et Admont (Styrie) , six chocs Fun après l'autre; durée, 4 secondes; bruit semblable au tonnerre. A 10 h. 10 m. et 11 h. 50 m. du soir, nouvelle secousse (M. le D'" Boue). Le 25, 0 h. 27 m. du matin, à Liezen , dernière secousse (M. Pis- tolesi). Le môme jour, 2 h. \i du matin, à Saint-Veit (Carinthie), une secousse de 5 secondes de durée ; mouvement de TE. à 10., avec bruit sourd semblable à celui d'une voiture. A Klagenfurt, même heure, elle n'a duré que deux secondes. On l'a ressentie à Tigring et Ossiach [Moniteur et Débats des 7 et 8 janvier 1858; M. Schmidt). Le 25, 2 h. ^k du matin, à Rosegg, cinq chocs, bruit sourd, di- rection SE.-SO, [sic) (M. Boue). Le 25 encore, 5 h. du malin, à Rosegg et Windisch-Garsten, tremblement qui s'est renouvelé à 11 h. ^/a du soir (M. Schmidt). M.Pistolesi indique 4 h. du matin pour Windisch-Garsten, et signale celle quatrième secousse comme plus faible que les précédentes. Le 26, 4 h. du matin, à Windisch-Garsten, nouvelle secousse (M. Schmidt). Le 28, nouvelle secousse en Carniole. Nuit du 28 au 29, à Rosegg, deux secousses encore (M. Boue). Le 29 , à Rosegg, nouveau tremblement (M. Schmidt). Voici ce que je trouve dons le Bulletin météorologique que don- nent les Sitzungsberichte de l'Académie des sciences de Vienne : « Le 24, 1 h. 47 m. du soir, à Admont, tremblement de 4 à 6 secondes de durée; six secousses consécutives du SO. au SE. [sic), avec bruit semblable à celui de la neige qui tomberait des toits ou à l'éboulement d'un rocher: les meubles tremblaient encore une ou deux secondes après. A 4 h. et 10 h. 10 m., secousses faibles; à i i h. 50 m., une autre plus forte qui dura à peine une seconde. » Le 25, vers 4 h. (sic), faible secousse remarquée par quelques personnes seulement. » Le 24, i h. 50 m. (sic), à Spital et à Windisch-Garslen, se- cousse horizontale du SO. au NE. et de 4 secondes de durée; tous les meubles furent mis en mouvement, plusieurs renversés; bruit souterrain, une maison lézardée. A 4 h. 30 m. du soir, deuxième secousse, verticale et accompagnée d'un roulement pareil au ton- nerre. A 10 h., troisième secousse, courte et peu sensible. Un peu avant minuit, quatrième secousse, verticale; durée, deux secondes avec roulement très-sensible. Quelques personnes prétendent avoir senti un faible mouvement à 6 h. du matin. Ces secousses ont été remarquées à Lulzen, Admont et Rottenmann, mais insensibles du côté d'Aussee et de Leoben. » Le 25 , 2 h. du matin , à Steinpichl , deux secousses du S. au N., et quelques minutes après, troisième secousse plus intense, plus longue et à la fois verticale et horizontale. » Nuit du 25 au 26, à Klagenfurt (Carinthie), secousse légère. » — Le 24, vers 2 h. du soir, dans la province de Semipalatinsk (Sibérie), tremblement qui s'est étendu du SE. au NO. M. Abramow a publié, dans le Wjàstnik de la soc. de Géog. de Saint-Pétersbourg , t. XII, une notice qui a été traduite dans le Zeits. f. allg. Erdk. Neue Folge, t. V, p. 168-172. M. Dietrich Reimer, éditeur de ce recueil, ayant eu la bonté de m'envoyer (avec beaucoup d'autres) la bonne feuille contenant la note de M. Abramow, j'en donnerai l'analyse. L'auteur n'a pas pu déterminer l'origine des secousses à l'est en dehors des possessions russes. Elles ont dû être ressenties dans la ( 115 ) province cliinoisLMle Gohdo. Tous les environs du lue Saisan (Dsai- sang de nos cartes) ont été ébranlés. Dans heaucoMp d'endroits, la glace du lac s'est brisée avec un bruit semblable à celui du canon vl l'eau a jailli par les fentes. On sait que le tremblement a été ressenli au SE. et l'on pense qu'il a commencé dans la province d'Urumtsi (Dihua-dsheu des Chinois), dans la Dschungarie, vers 44" lat. î\'. et 108° long. E. où il se trouve des volcans. La ville d'Ajagus (prov. de Semipalatinsk) , par 47''o0'8" lat. N. et 97n2'36" long. E. n'a rien senti. Elle s'est sans doute trouvée à la limite orientale de la zone ébranlée. Dans la ville de Kokbety, par 48'-45':25" lat. N et 100°4'47" long. E., le tremblement a été beaucoup plus fort que dans les lieîix situés au NO.; les murailles ont été crevassées; tout le monde a fui des maisons qui, pourtant, n'ont pas été renversées. Le tremblement a été précédé d'un bruit sourd et souterrain; il a duré 5 secondes. A Piquet Arkatsk, à 125 werstes au nord d'Ajagus et 147 V<2. au SE. de Semipalatinsk, il a été assez fort. Dans les environs de Buchlarminsk, par 49^36' i ^2" lat. N. et lOl^JS'SO" long. E. , il a été moins fort qu'à Kokbety. Dans la ville d'Ustkamenogorsk, par 49°56'48' lat. et I00°18'18' long., le tremblement a eu lieu à i h. 4 m. et a duré JO secondes. Le bruit souterrain qui l'a précédé n'a duré que 5 secondes. Des murs y ont aussi été lézardés et les habitants se sont sauvés des maisons. Il a été ressenti aussi dans le pays des Kirgises (in den Kosaken- Stanizen und in den Kirgisen-Auls). Dans la ville de Semipalatinsk, par oO^^A'^Iù' lat. et 97''5o'5r>' long, de l'île de Fer, il a eu lieu vers 1 h. 45 m ; il a commencé avec un bruit souterrain et duré 5 secondes. Tous les meubles et les mai- sons elles-mêmes ont été mis en mouvement. On a remarqué qu'il n'avait pas été également fort dans toutes les parties d(; la ville. De deux maisons voisines, l'une a été fortement ébranlée et l'autre n'a presque rien senti; mais ceci doit tenir à leur construction. Les instruments météorologiques n'ont rien présenté de remar- quable, d'après le tableau qu'en donne l'auteur qui n'a pas pu noîi plus déterminer la limite boréale du phénomène. Il s'e>t élenhi Tome X. 8 ( 11'* ) jusqu'aux mines de Siiijaenogorsk, gouvernement de Tomsk . sons la lat. de 54°9'18" et la long, de 99^59'58". L'auteur fait ensuite remarquer qu'il n'y a pas de volcans dans la province de Semipalatinsk et dans les steppes des Kirgises, mais qu'il y en a au SE. dans laDschungarie chinoise où le tremblement paraît avoir eu son origine. Nous ne le suivrons pas dans ces considéra- tions sur le Thian-Schan. Nous remarquons seulement qu'il y cite avec le Pechan (Montagne Blanche), volcan souvent signalé, le mont Agie (m. de feu), que nous ne nous souvenons pas d'avoir vu nommé. Cette montagne lance continuellement de la fumée et des flammes: les flancs en sont couverts de lave; aussitôt que cette lave se refroidit et devient solide, il se dépose à la surface des eflïores- cences de sel ammoniac, dont les habitants font usage en médecine. L'auteur termine sa notice par une revue rétrospective des trem- blements de terre dans cette région et donne la liste de ceux qu'on a ressentis à Irkutsk de 1828 à 1859. Il en signale dix-huit avec dates de mois, de jours et d'heures pendant ces 12 années. — Le 25, à Brousse, tremblement (M. Boue). — Le 26, à Tiflis (Géorgie), tremblement [Id.). — Le 27, à Kokbely (Sibérie) , tremblement violent que d'autres rapportent au 24 (M. Schmidt). — Le 27 encore, à Brousse, secousse courte, mais violente de rO. à l'E. Un mur s'est écroulé; une femme et un enfant ont été tués. Depuis une quinzaine de jours, éctivait-on le 6 janvier 1858, on a ressenti des secousses à diverses reprises. — Le 29 , nouvelles secousses. — Le 28, 5 h. 19 m. du matin, à Saint-Gervais (Savoie), à Bonneville et dans les environs, 4 fortes secousses de 2 à 3 secondes de durée. — Le 29, .5 h. 14 m. du matin , à Zara (Dalmalie), fort tremble- ment ondulatoire du NO. au SE. — Le 50, 5 h. 40 m. du matin, à San Francisco, tremblement qui me paraît être le m^me que celui du 25 ou du 24. FL\. TABLE MEMOIRES CONTENUS DANS LE TOME X. I. De l'associalioii dans ses rapports avec l'aniélioralion dii sori de lu t lasso ouvrière; par Ed. Ducpeliaux. '1. Histoire iW Torigine ot des progrès do la gravuro dans los Pays-Bas, jiisqu'i» la lin du quin/.iènio siècle; par Tulos Ronouvior. Mènioiro cou- loinié paj' la classe dos hoaux-aris. 5. Honri.de Gand ol ses derniers historiens; par N.-.I. Sohwartz. 't. Note sur los iromblomonls de terre en 1857, av