HARVARD UNIVERSITY L I 13 R .\ H Y MUSEUM or GOMPAEATIVE ZOÔLOGY. OxJu l^Cb^lAt iSdJalSj'il^- ^y^mm MÉMOIRES COURONNÉS ET AUTRES MÉMOIRES PIIBI-IES PAR l/ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, l>ES LETTRES ET DES REAUX-ARTS DE REI.GIQri €OI.I.RCTIOIV IM-«i°.— TOMK TL1L\ m \ BRUXELLES- F. HAVF.Z. IMPRIMEUR DF. L ACADEMIE ROYALE. Ocloke 1S75 MÉMOIRES COURONNÉS ET AUTRES MÉMOIRES. MÉMOIRES COURONNÉS ET AUTRES MEMOIRES PUBLIES PAR l'académie royale DKS SMËIKCKS, DtS LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE. €OI.I.Ii:CTION I^'-S». — TOME XXV. BRUXELLES, F. HAYEZ. IMPRIMEUR DE LACADÉMIE ROYALE. Ocfobre 18 75. THÉORIE DES ÉQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES DU PREMIER ORDRE; PAR M. Paul MANStON, PROFESSEUR A l" U M V i; R S i T É DE G A M). hnjressuin instruus, profjressum dirigas eyressum compleas ! S' Thomas. { Mémoire couronné par la classe des sciences, le 15 décembre 187^.) ÏOWL XXV. ^'') L^' AVERTISSEMENT. OBJET DE CE MEMOIRE. Le présent mémoire est un essai de réponse à la question mise au coneours par l'Académie en 1870 et en i87î2, et relative à la théorie des équations aux dérivées partielles du premier et du second ordre. MM. Imscbenetsky et Graindorge ont publié, l'un et l'autre, sur ce sujet, d'excellentes monographies, qui nous ont permis de nous borner, dans ce mémoire, à la théorie des équations du premier ordre. Leurs écrits, en effet, contiennent un bon résumé des travaux des géomètres sur les équations du second ordre, à part les études récentes de MM. Darboux et Lie, qui n'ont d'ail- leurs été publiées que par fragments. ( ,v ) Les mémoires de MM. Imschenctsky et Graindorge sont incom- plets sur la théorie des équations du premier ordre (*).Nous avons donc cru répondre au vœu de l'Académie, en essayant de faire un exposé des principales recherches des mathématiciens sur ce sujet, depuis Lagrange jusqu'à MM. Lie et Mayer. Nous avons fait précéder notre travail d'une explication dé- taillée du plan que nous avons suivi. [Conformément à l'avis des commissaires, chargés de juger notre mémoire, nous y avons fait un grand nombre de correc- tions et d'additions, qui sont placées entre crochets, ou signalées dans des notes spéciales.] IL LISTE DES OUVRAGES ET MÉMOIRES CITÉS LE PLUS FRÉQUEMMENT^ A. Traités de calcul intégral et monographies sur les équations aux dérivées partielles. L Lacroix. Traité du calcul différentiel et du calcul intégral. Seconde édition. Tome II, 1814, pp. 527-004, 672-690; t. III , 1810, pp. 70:2-708. Paris, veuve Courcier. IL BoOLi:. A Trcalise on differcntial Equations. Second édition. Cambridge and London , Macmillan and C", 1865, Un volume de 490 pages, avec un Supplémcnl de 255 pages. (*j Le inrinoirc de M. Graindorge contient, outre la théorie des équations du second ordre, les matières exposées dans nos §§ 1 (en partie), 3, 6, 16, 17, 18, 19, 20, 21. Cdui de M. Imschenelsky contient, de plus, nos §§ 9 et 29, et un chapitre sur les équations canoniques de la dynamique. M. Graindorge a aussi publié à part un résumé des travaux des géomètres sur l'intégration des équations de la mécanique. (**) Nous n'indicpions ici que les écrits cités assez souvent. ( V ) m. Serret. Cours de calcul différentiel el intégral. Tome II : Calcul intégral. Paris, Gaulbier-Villars, I8C8. IV. Imschenetsry : 1° Sur l'intégration des équations aux déri- vées partielles du premier ordre, traduit du russe par Hoiiel. Paris, Gauthier-Viîlars; Greifsvvald, Koch. 1869. Ce travail a paru d'abord dans les Archives de Grunert, t. L, pp. 278-474. 2° Étude sur les méthodes d'intégration des équations aux déri- vées partielles du second ordre d'une fonction de deux variables indépendantes, traduit du russe par Houel. Paris, Gauthicr- Villars; Greifswald, Koch. Ce travail a paru d'abord dans les Archives de Grunert, 1872, t. LIV, pp. 209-560. V. GraiiXdorge. Mémoire sur l'intégration des équations aux dérivées partielles des deux premiers ordres. Liège, Decq; Paris, Gaulbier-Villars, 4872 (Extrait des Mémoires delà Société royale des sciences de Liège j 2"'*^ série , t. V). B. Mémoires de Lagrange et de Jacobi. 1. Lagrange. I. Sur l'intégration des équations à différences partielles du premier ordre {Mémoires de Berlin, \11^^ p. 35; Œuvres, t. III, pp. 549-577. Paris, 1869). 2. Sur les intégrales particulières des équations différentielles (Mémoires de Berlin, 1774, p. 259; OEuvres, t. IV, pp. 5-108. Paris, 1869). Nous ne citons qu'une partie de l'article V: Des intégrales particulières des équations aux différences partielles, avec des remarques nouvelles sur la nature et sur l'intégration de ces sortes d'équations, pp. 62-89. 5. Sur différentes questions d'analyse relatives à la tbéorie des solutions particulières [Mémoires de Berlin, 1779, pp. 121-460; OEuvres, t. IV, pp. 583-654). Nous ne citons que l'article V : Sur ( V. ) l'intégration des équations aux dérivées partielles du premier ordre (Mémoires de Berlin, 1775, pp. 152-160; OEuvres, t. IV, pp. 624-634). 4. Méthode générale pour intégrer les équations aux diffé- rences partielles du premier ordre , lorsque ces différences ne sont que linéaires (Mémoires de Berlin, 1783 , pp. 174-190). 5. Leçons sur le calcul des fonctions. Nouvelle édition. Paris, Courcier, 1806. Leçon 20, pp. 553-400. 6. Théorie des fonctions analytiques. Nouvelle édition. Paris, Courcier, 1815. Chap. XVI, pp. 152-164. II. Jacobi. 1. Ueher die Intégration der i)artiellen Differential- gleichungen erster Ordnung [Journal de Crelle, t. II, pp. 317- 329). 2. Ueher die Pfaffsche Méthode, eine gewôhnliche lineâre Dif- ferentialgleichung zwischen 2?2 Variabeln durch ein System von n Gleichungen zu integriren {Ibid., pp. 547-557). 5. Ueher die Réduction der Intégration der partiellen Diffe- rentialgleichungen erster Ordnung zwischen irgend einer Zahl Variabeln auf die Intégration eines einziges Systems gewôhnli- cher Differentialgleichungen (Ibid.^ t. XVII, pp. 97-162). Ce mémoire a été traduit en français : « Sur la réduction de l'intégration des équations différentielles partielles du premier ordre entre un nombre quelconque de variables à l'intégration d'un seul système d'équations différentielles ordinaii'cs » (Journal de Liouville, t. III, pp. 60-96; 161-201). Nous citons la traduction française, en indiquant en même temps les paragraphes. 4. Dilucidaliones de aequationum differentialium vulgarium systematatis earumque connexione cum aequationibus differen- tialibus partialihus linearibus primi ordinis (Journal de Crelle, t. XXIIÏ, pp. 1-104). ( VII ) 5. Nova metliodus, aequationes differenliales partiales primi ordinis inter numerum variabilium qiiemcunquc propositas inte- grandi {Ibid.^ t. LX, pp. 1-181 ; reproduit dans le t. III des OEu- vres de Jaeobi, pp. 429-509). Nous citons les paragraphes. 6. Vorlesungen iiber Dynaniik von C.-G.-J. Jaeobi nebst fiinf hinterlassenen Abhandiungen derselben , herausgegeben von A. Clebsch. Berlin, Reimer, 1860. III. NOTATIONS ET CONVENTIONS SPECIALES. I. Lorsqu'une variable z est fonction explicite ou implicite des variables indépendantes Xi,X2,... nous désignons ses dérivées par rapport à x,, oc^, etc., par les notations contrairement à l'usage de Jaeobi, qui emploie, dans ce cas, les notations et réserve les d pour les dérivées des fonctions d'une seule va- riable. Nous employons les notations il, il (2) ^Xi ^x^ pour désigner les dérivées d'une fonction explicite f (xj, 0:2, . . .) de x^, Xj, ... par rapport à la lettre x,, à la lettre x^, etc., sans nous inquiéter si x^, Xi,... sont indépendantes l'une de l'autre ou ( VIII ) non. Les deux notations ])eiivent être équivalentes dans certains cas; la notation (1) sert à désigner une expression qui ne dépend pas de la forme des relations qui existent entre jî, x, , X2, ...; c'est l'inverse pour la notation (2). 11. La notation A. ••••A •eprésente le déterminant fonctionnel ^h ^fn Sx, Sx, ou ^h ^fn SXn ëx,, dx, fto, ^h dU dXn dx. 11 sera facile de discerner les deux cas, dans les applications que nous ferons de cette notation. m. Pour la commodité du langage, nous avons fait de dériver un verbe actif, ce qui est conforme à l'étymologie, sinon à l'usage. l^ PLAN DU MÉMOIRE ET NOTICE HISTORIQUE. Ce mémoire contient le résumé des recherches de Lagrange, Pfaff, Jacohi, Bour, Weiler, Clebsch, Korkine, Boole, Mayer, Caiichy, Serret et Lie, sur les équations aux dérivées partielles du premier ordre. Nous avons groupé les travaux de ces géomètres dans les sub- divisions suivantes : Introduction. Génération des équations aux dérivées partielles du premier ordre (§§ 1-4). Livre L 3Iéthode de Lagrange et de Pfafî (§§ a-15). Livre IL iMéthode de Jacobi (§§ 16-27). Livre IIL Méthode de Cauchy et de Lie (§§ 28-32). Appendice. Méthode de Lie comme synthèse des idées anté- rieures (§ 55). Cet arrangement est rigoureusement didactique, c'est-à-dire, que du commencement à la fin nous pénétrons de plus en plus profondément dans notre sujet. 11 est en même temps historique dans ses grandes lignes, à une exception près : la méthode de Cauchy est antérieure de beaucoup à tous les travaux résumés dans notre livre deuxième. Nous avons été amenés à placer la méthode de Cauchy à la fin de notre mémoire, avec celle de Lie, parce que cette dernière est la suite naturelle de la première, et que, réunies, elles constituent une étude plus approfondie de la question de l'intégration des équations aux dérivées partielles que les métbodes de Lagrange, de Pfaff, de Jacobi et de Bour. (M Dans notre Introduction, nous donnons d'abord, d'après La- grange (177-2 et 1774) et Lie (1872), la définition du problème de rintégration des équations aux dérivées partielles du premier ordre. Nous indiquons ensuite, d'après Jaeobi , deux moyens généraux et très-simples de faire disparaître la variable indé- pendante des équations en question. Nous montrons , contraire- ment à l'avis de Bertrand et d'autres géomètres, que le second procédé de transformation de Jaeobi n'est pas illusoire (§ 1). Les deux paragraplics suivants contiennent la théorie des équations aux dérivées partielles, à 5 ou à {n -\- 1) variables, telle que l'a découverte Lagrange en 1774, au moyen de sa féconde méthode de la variation des constantes arbitraires. Nous avons ajouté tou- tefois à l'exposition de Lagrange diverses remarques empruntées à Jaeobi et une méthode très-simple de génération des équations simultanées. Le dernier paragraphe est consacré aux vues de Lie sur le sujet traité dans les numéros précédents et à l'explication du paradoxe relatif aux constantes supplémentaires. Le livre premier contient l'analyse des travaux de Lagrange et de Pfafî. Nous avons exposé, avec piédilection, ces recherches déjà anciennes, d'abord parce ([u'elles contiennent le germe de maintes découvertes ultérieures, ensuite parce qu'elles sont susceptibles d'une foule d'applications que l'on traite plus simple- ment, par ces méthodes, que par les méthodes plus savantes de Jaeobi ou de Cauchy. Le premier chapitre traite des équations linéaires, dont La- grange a trouvé la théorie en 1779 et en 1783. Notre exposition ne difTèi'e de celle de nos devanciers qu'en ce que nous employons davantage la théorie des déterminants fonctionnels. Dans le der- nier paragraphe, nous donnons l'extension de la théorie de Lagrange faite par Jaeobi, en 1827. Il est assez étonnant que ces recherches du géomètre de Berlin soient passées sous silence dans tous les traités, et même dans les mémoires récents de Graindorge et Imscbenetsky, car seules, elles font comprendre l'étroite connexion qui existe entre les équations aux dérivées partielles et les systèmes d'équations différentielles du premier ( "1 ) ordre (voir le n° 52). En passant ^ nous avons fait connaître sous quel point de vue Lie considère les équations linéaires (n° 23). Le second chapitre contient l'analyse des travaux de Lagrange sur les équations non linéaires. C'est en 4772 que le géomètre de Turin trouva le moyen de ramener l'intégration des équations non linéaires à trois variables à celle des équations linéaires à quatre variables. Il revint sur le même sujet en 1774, pour faire connaître les diverses intégrales des équations aux dérivées par- tielles, et en 1806, pour expliquer un singulier paradoxe que pré- sente la théorie de l'intégrale générale. Nous faisons connaître la méthode de Lagrange sous ses diverses formes. En premier lieu, le grand géomètre observe qu'intégrer l'équation c'est trouver une valeur de p, telle que dz = pdx -{- Kdy soit intégrable. Ensuite, il indique le moyen général pour trouver une valeur de p avec une constante arbitraire, ce qui est le germe de la méthode de Jacobi. Enfin, il montre comment on peut déduire la valeur la plus générale de js, de la valeur la plus géné- rale de p, ce qui est le germe de la méthode de Pfciff. Jacobi, en eiïet, en appliquant la méthode de Lagrange, sous sa dernière forme, aux équations à n variables indépendantes, a été amené, en 1827, à refaire en sens inverse tous les calculs de PfaflF. Nous exposons ce curieux travail de Jacobi dans notre cha- pitre IIL Le géomètre de Berlin ramène lintégralion d'une équa- tion non linéaire à celle d'un système d'équations simultanées dont la solution est plus générale que celle de l'équation donnée. Pour particulariser cette solution et en déduire l'intégrale cher- chée, il est forcé de faire un changement de variables : (2/i — 1) variables x,, ..., x„, /)), ..., p„_, sont remplacées par les constantes de l'intégration des équations simultanées auxiliaires, et la ques- tion se ramène dès lors à lintégration d'une équation différen- tielle totale à (2?2 — i) variables. ( XIl ) Pfaff, dès 1814, avait suivi précisément une route inverse, comme nous le montrons dans le chapitre suivant. Pour intégrer réquation il considère l'équation différentielle totale dZ = p^dXi -t- ... -t- Pn-\dXn^i -4- ^dXn à 2>? variables, z, x,, ..., x„ , p, , ..., p„_i, et la transforme en une autre de même forme à (2w — \) variables. C'est précisément celle que Jacobi a trouvée en généralisant les dernières recherches de Lagrange, et Pfaff y arrive en intégrant le même système d'équa- tions que Jacobi. Les deux méthodes sont donc identiques, sauf que l'une est, plus clairement que l'autre, la généralisation de la méthode de Lagrange, et que Pfaff traite, en outre, le problème général de l'intégration des équations différentielles totales, qui porte son nom. Dans notre exposition des travaux de Pfaff, nous nous aidons de divers écrits de Gauss, de Jacobi et de Cayley. Le dernier paragraphe du chapitre IV contient, outre le problème inverse de Pfaff, la simplification introduite dans toute cette théorie, par l'emploi des valeurs initiales des variables comme constantes arbitraires. Le problènie général de Pfaff conduit à intégrer n systèmes d'équations simultanées donl chacun ne peut être formé qu'après l'intégration complète de tous les précédents. Jacobi, en ISôG, profitant d'une idée de Hamilton, montra que l'on peut former immédiatement ces n systèmes, si l'on prend , comme nous venons de le dire, les valeurs initiales des variables pour constantes arbitraires; de plus, s'il s'agit de l'intégration d'une équation aux dérivées partielles, il n'y a plus qu'un sys- tème à intégrer. Cauchy, longtemps auparavant, en 1818, était arrivé à ce dernier résultat, en employant aussi les valeurs ini- tiales des variables comme constantes. C'est à lui, d'ailleurs, quest due l'introduction de cette idée dans la science, mais Jacobi semble avoir ignoré les travaux de Cauchy. Tel est le cycle des recherches exposées dans notre livre pre- mier. Nous avons joint à chaque théorie les applications que l'on ( XIH ) rencontre ordinairement dans les traités, outre celles qui se trouvent dans les mémoires de Lagrange. De plus, nous avons donné dans un paragraphe spécial l'intégration d'une équation très-remarquable, due à Schlafli , et publiée par lui en 1868. Le livre second est consacré à la méthode de Jacobi et de Bour, aux perfectionnements de cette méthode dus h Weiler et à Clebsch, enfin aux méthodes de Korkine, de Boole et de Mayer qui s y rattachent de très-près. La Nova methodiis de Jacobi a été trouvée par lui en 1838 et publiée par Clebscli en 1862. Nous la faisons connaître dans nos deux pi'cmiers chapitres. Notre exposition ne diffère de celle de Graindorge et hnschenetsky qu'en ce que nous avons réuni dans un chapitre spécial, le premier, tout ce qui se rapporte aux con- ditions d'intégrabililé. En nous éloignant un peu de nos prédé- cesseurs et de Jacobi sur ce point, on trouvera peut-être que nous avons abusé des notations symboliques. Toutefois, le lecteur qui se sera familiarisé avec ces notations reconnaîtra que, seules, elles peuvent conduiie naturellement à la démonstration des prin- cipes de la méthode de Jacobi. Dans le chapitre III, nous donnons l'extension de celte méthode aux équations simultanées, due à Bour, en corrigeant la petite erreur qui s'est glissée dans l'expo- sition de ce dernier et dans celle des auteurs qui l'ont suivi. Cette erreur a été signalée par 31ayer, en 1871. Au point de vue histo- rique , il importe de remarquer que les travaux de Bour ne pro- cèdent pas de ceux de Jacobi, qui nont été publiés qu'en 1862. Liouviile, Bour et Donkin avaient trouvé, vers 1855 et 1854, les théorèmes fondamentaux de la IVovamethodus, sans avoir connais- sance de celle-ci. Dans le chapitre IV, nous reproduisons des calculs d'une admirable élégance, dus à Clebsch , et publiés en 1806, où réminent algébriste fait connaître une notable simpli- fication de la méthode de Jacobi, trouvée par Weiler en 1865. Les chapitres V et VI sont consacrés à des méthodes où l'on procède par changement de variables. Dans la méthode de Kor- kine (18G8), qui s'applique aux équations simultanées non linéaires, on dispose de la fonction arbitraire, qui entre dans l'in- { XIV ) tëgrale générale de l'une des équations données, de manière à satisfaire aux autres équations; on transforme ainsi le système en un autre qui contient une équation et une variable de moins. Les calculs auxquels nous avons été conduit pour démontrer les principes de cette méthode, auraient été extrêmement longs, si nous n'avions largement employé la théorie des déterminants. La méthode de Boole (1865) , qui s'applique seulement aux équations linéaires , procède à peu près comme celle de Korkine. Elle est exposée dans le dernier paragraphe du chapitre V. La méthode de Mayer(i87^), qui vient ensuite, s'applique aussi aux équations linéaires, dont elle ramène l'intégration à celle de certains systèmes d'équations différentielles totales. Chaque fois que l'on parvient à intégrer une équation de l'un de ces systèmes, on le transforme en un autre système contenant une équation et une variable de moins. Les nouvelles variables sont les valeurs initiales des variables primitives. En outre, au moyen d'une transformation de variables dun genre tout différent, on peut faire en sorte de n'avoir à considérer qu'un seul système. Quand il s'agit des équa- tions linéaires auxquelles conduit la méthode de Jacobi, un théo- rème de Mayer, analogue à celui de Poisson et Jacobi, dont il est un corollaire, introduit de nouvelles simplifications. Les méthodes de Jacobi, de Weiler et de Mayer, conduisent à chercher une intégrale de systèmes de 2 [n — 1), 2 {n — 2), ..., 2 équations différentielles ordinaires, ces systèmes étant respecti- vement pour les trois méthodes, au nombre de : . l,2,5,...(n-2),(/i-l), 1,2,2,... 2, 2, 1,1,1,... 1, 1. Les équations sont supposées ne pas contenir explicitement la variable dépendante. La méthode de Lie , dont nous parlerons plus bas, exige précisément le même nombre d'intégrations que celle de Mayer. Le li\re troisième contient d'abord l'exposé de la méthode de Cauchy. L'illustre géomètre l'a trouvée dès iSlS, en partant de (XV ) deux idées principales; l'une est le changement de variables, qu'il semble emprunter à Ampère, plutôt qu'à Lagrangc ou à Pfaff, car il paraît avoir ignoré les recherches de celui-ci; l'autre est l'introduction immédiate dans le calcul des valeurs initiales des variables, comme on le fait dans la théorie des intégrales définies. Si les recherches de Cauchy n'étaient antérieures à celles de Jacobi sur la méthode de Pfaff, on les prendrait pour une exposition simplifiée de tous les travaux analysés dans notre livre premier, y compris la théorie des équations linéaires de Lagrange. Quand il s'agit de trouver les intégrales de ces équations, sup- posées à trois variables, Lagrange et Monge cherchent d'abord les courbes qui peuvent engendrer les surfaces représentées par les intégrales. Une idée analogue donne à Cauchy les courbes ou variétés à une dimension, appelées caractéristiques par Lie, qui engendrent, pour ainsi dire, l'intégrale des équations non linéaires. Pfaff et Jacobi étaient forcés, dans la suite de leurs calculs, d'égaler à des constantes n de leurs (2>i — i) variables auxiliaires. Cauchy, dès le début, ne prend que (n — 1) variables auxiliaires, et il suppose immédiatement que ce sont les valeurs initiales des anciennes variables, ce qui le dispense du circuit par lequel Jacobi est arrivé, plus tard, au même résultat. Cauchy a donné une forme plus générale à sa méthode, en 1841 ; les valeurs initiales des variables peuvent être à volonté de nouvelles variables ou des constantes d'intégration. C'est ce travail de i841, auquel on n'a pas accordé suffisamment d'attention, qui est la base de notre exposition. Nous avons pu, grâce à lui, donner, avec une entière rigueur, la théorie de l'intégration d'une équation aux dérivées partielles, dans les cas les plus singuliers, par exemple, dans le cas des équations semi-linéaires de Lie (1872), rencontré inci- demment par Serrel en 1861; l'intégrale de ces équations est donnée par m relations entre [n -\- \) variables et n constantes arbitraires. Mayer a montré, en 1871, que la méthode de Pfaff, modifiée par Jacobi , ne donne jamais l'intégrale complète des équations homogènes par rapport aux quantités p; il en est de même de la méthode primitive de Cauchy. Mais quand on laisse à cette méthode toute son élasticité, si j'ose ainsi dire, elle conduit. ( XVI ) sans calcul, aux modifications de la méthode de PfafF et Jacobi , proposées [>ar Mayer. La méthode générale de Cauchy se prête très-bien aussi à une exposition rigoureuse des recherches de Serret (1861), relatives au cas où la méthode de Cauchy semble en défaut. Nous donnons ces recherches dans le chapitre II. Le chapitre suivant contient, d'après Mayer, un exposé de la méthode de Lie (1872) considérée comme une extension de la méthode de Cauchy. Dans cette méthode, on ramène l'intégration de (m -h 1) équations à (n h- m) variables indépendantes à celles d'une équation unique contenant n variables indépendantes, soit en cherchant une intégrale de m équations, soit après une simple transformation de variables. Dans ce dernier cas, on voit claire- ment que la méthode de Lie est la suite naturelle de celle de Cauchy. Combinée avec celle de Jacobi, elle s'applique à une seule équation à {n -+- 1) variables, surtout dans les cas les plus défa- vorables. Enfin, dans un court appendice, nous donnons, au moyen des idées de Lie lui-même, un aperçu synthétique des méthodes principales, qui permet au lecteur d'entrevoir leur fu^ion pro- chaine, entre les mains du géomètre norwégien. il) THÉORIE DES ÉQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES DU PREMIER ORDRE. INTRODUCTION. GENERATION DES EQUATIONS AUX DERIVEES PARTIELLES DU PREMIER ORDRE. .^ 1"'. néflnition de» éfjuatiottg attac tlét'ivécs pafiieiles ttt$ pt*e- ntief owdt'c. Moyen d'en faire dispat'ailfe la vat'iable dé- pendante. MtUer'pfélation géométrique de Ijie. 1. Définition deLagrange. Une équation aux dérivées partielles du premier ordre f{Z,X^,X^,...,œn,p^,p^,...,Pn) = Q (1) est une relation entre une variable dépendante z, n variables indépendantes Xj, Xa, ..., x„, et les dérivées premières dz dz dz de z par rapport à Xi,x.2,...,x,,. Elle est dite linéaire , si p,, p^, ,...,Pn n'y entrent qu'au premier degré. Intégrer l'équation (1), c'est trouver toutes les relations entre Tome XXV. "i (2) J3, X,, Xa, ... , x„, telles que les valeurs de z, p,, p^,..., p„ que l'on en déduit, rendent cette équation (1) identique. Plusieurs équations de même forme que l'équation (i) forment un système simultané d'équations aux dérivées partielles du premier ordre, soit qu'il y entre une seule fonction inconnue z et ses dérivées, ou qu'il y en ait plusieurs. Les géomètres s'étant presque exclusivement occupés du premier de ces deux cas, nous nous bornerons ici à l'étude des équations simultanées qui ne contiennent qu'une variable dépendante. Intégrer un système d'équations simultanées analogues à l'équation (i), c'est encore trouver toutes les relations entre z, Xi,Xi, ...,x„, telles que les valeurs de z, p^p^, ..., p» que l'on en déduit, rendent ces équations identiques. 2. Première méthode de transformation. Qu'il s'agisse d'une équation unique, ou d'un système, il est souvent utile de trans- former les relations données en d'autres qui contiennent une variable indépendante de plus, mais où la nouvelle variable dépendante n'entre que par ses dérivées partielles. Jacobi a donné, pour atteindre ce but, deux méthodes de transformation que nous allons faire connaître, en nous bornant au cas d'une équa- tion unique (*). Soit une équation aux dérivées partielles : f{z,X^,X,,...,œn,Pi,P,,.^.,Pn) = 0, (1) et ¥{z,x^,x^,....Xn) = 0,. (2) (*) La première méthode se trouve dans le mémoire de Jacobi, intitulé : Dilucidationes , etc. (Journal de Crelle, t. XXIII , pp. 18-20); l'autre, dans sa Nova methodus , § 1, et dans les Vorlesungen, leçon 51, p. 237. Cette seconde méthode est beaucoup moins pratique que la première, mais elle n'est pas illusoire, comme l'ont prétendu Boole, On the differential équations of dynamics (Philosophical Transactions, 1865, pp. 485-501) , p. 489, Bertrand. dans ses leçons au Collège de France, en 1852, 1855, 1868 (Graindorge, Mémoire, elc, p. 16, note), et, d'après lui, Imschenetsky, p. 45, Graindorge. p. 16, et Mayer (Mathematische Annalen, t. III, p. 457). Ces géomètres ont attribué à Jacobi une erreur qu'il n'a pas faite, celle de vouloir éliminer deux quantités y et t entre deux équations. Jacobi war dock nicht so kurzsicittigj lisait Clebsch à propos de cette prétendue erreur du grand géomètre. ( ■') une intégrale de cette équation. On aura : Sz Sz Sz Substituant ces valeurs dans l'équation (i), il viendra 'S? 3 ~Jz ~S L'équation obtenue au moyen de celle-ci, en changeant partout ô en f/, d¥ dV dx, dXr. , f\ Z,X,,...,Xn, ^'••M =0, .... (4) ' ' " ' dF _dF^ ' ' ^ ' lîz ~~dz est la transformée que nous cherchons. C'est une équation aux dérivées partielles entre une variable dépendante F et les variables indépendantes z, Xi,...,x„, dont l'intégration donne immédiatement celle de l'équation (1), comme nous allons le montrer. Soit ^{V,Z,X,,...,Xn) = 0 (5) une solution quelconque de l'équation (4). On aura : (6) £f S^ Jf dF _ ~Sz d¥ _ lôc[ d¥ ^Jxn dz Sf' dXi ^f ' ^ dxn ^f et, en substituant dans (4), ^•r. ^X^ SXn , ^ /|.,......-.,-^.--^-.--^|=0. . .(7i Sz Sz èz (4) Cette équation (7) ne contient pas de dérivée par rapport à F. En la comparant à l'équation (1), on voit immédiatement que réquation (5) est une solution de (1) pourvu que l'on y regarde F comme une constante (*). L'équation transformée (4) est homogètie par rapport aux déri- vées de F. Comme on le verra plus loin, les méthodes d'intégra- tion des équations aux dérivées partielles ne s'appliquent pas toujours directement à cette sorte d'équations. C'est là, sans doute, la raison qui a conduit Jacobi à employer une autre méthode de transformation. 3. Seconde méthode de transformation. Posons V = zt, (8) et supposons z indépendant de l, de sorte que dz On tire de (8) : rf<=» («' dy dif 1 dy 1 5"=-''^7=''' •^r=''" ""> Au moyen de ces valeurs (îO), l'équation (1) devient (dy dy \ dy i dy 1] \dt ' " dœ^ l dx^t dXntj qui ne contient plus explicitement ?/, mais où entre une variable t de plus. Soit F(?/,^,a;,,a;,,...,a;„) = 0 (12) une intégrale quelconque de celte transformée (11). En général, comme l'a remarqué Bertrand, il ne suffira pas de remplacer dans cette équation (12), i/ par zi pour que l'on ait une solution F(.^^^a•,,a;,,...,.T„) = 0 (13) (*) Comme on le voit, il est inutile de supposer l'équalion (5) résolue par rapport à F, comme l'ont fait Imsciienetsky, p. 44, et Graindorge, p. 17, pour démontrer le théorème dont il s'agit dans ce numéro. ( ^ ) de l'équation (I) d'où t disparaisse de lui-même. Mais on ne peut pas conclure de là que la seconde méthode de transformation de Jacobi soit, en général, illusoire. L'équation (15) est une intégrale, non de l'équation (1), mais de l'équation / dz \ fiz-^t~,X,,...,Xn,}\,...,Pn]=0, (14) OÙ z est regardé comme une fonction de t, x,, ... x„. Quand ou pose dans celle-ci y = zt, z dépendant de i, on est conduit à la transformée (II), et réciproquement de l'équation (II), on repas- sera à l'équation (14), en supposant uniquement y =^ zt. Ainsi, l'équation (15) est une solution de l'équation (14), parce que (li?) est une solution de ( H). Mais pour repasser de l'équation (11) à l'équation (l),il ne suffit pas de supposer y = zt, il faut aussi tenir compte de l'équa- tion (9) , qui exprime que z est indépendant de t. Par conséquent, on trouvera une intégrale de (1), au moyen de (15), en éliminant f entre cette relation et celle-ci. ' JF = 0 (15) qui est équivalente à (9) et où y est supposé remplacé par zt. Autrement dit encore, on trouvera une intégrale de (I), en éli- minant y et t entre les équations (8), (li>), (15). Remarque. Si l'équation donnée est homogène par rapport aux quantités p, on peut la mettre sous la forme (.,.........A.-M=o. . . . \ Pn Pn I f{z,x„....Xn,—^--—]=0 (!') La transformée ne contient pas explicitement t, ce qui est une nouvelle simplifi- cation, comme on le verra plus bas (n° 15). (6 ) 4. Définition d'une équation aux dérivées partielles , d'après Z/e(*). Quand on considère une variable x, qui varie de — oo à-t- oc, ou, plus généralement, qui prend toutes les valeurs imaginables, on dit qu'elle est susceptible de recevoir un nombre infini de valeurs. On peut dire, de même, que le système des deux variables jc, ?/, peut prendre oc^ valeurs, que le système des trois variables X, ?/, z, peut prendre oo^ valeurs, et ainsi de suite. En général, dire qne le système -»• , Xi 5 . . . , Xn , peut prendre oo""^* valeurs, signifie que chacune des variables peut recevoir toutes les valeurs imaginables. Si deux variables x, y , sont liées par une équation f{x,y) —0, X peut prendre oo valeurs, et à chaque valeur de la variable x en correspondra seulement un certain nombre de la variable y, dans ce cas, on dira que le système [x,y) n'a que oo valeurs, et non oe- comme dans le cas précédent. De même, {n-\- 1) variables liées entre elles par i,2,...,« relations seront dites avoir oc", oc"-',..., oc valeurs. Si l'on regardre x, ?/, ;:;, comme les coordonnées d'un point dans l'espace, l'ensemble des trois coordonnées x^y, z peut aussi être appelé point, et l'on pourra dire que l'espace contient oo^ points, une surface oj^ une courbe oo seulement. On peut conve- nir d'appeler points d'une manière générale, l ensemble de (« -4- 1 ) valeurs (^, Xi, ... , x„) dites coordonnées , et espace à (n -+- \)dimen- sionSj l'ensemble des points qui correspondent à toutes les va- leurs possibles de ces coordonnées. Si l'on considère parmi les oo"+' points de l'espace à(/i -t- 1) dimensions, ceux dont les coordonnées satisfont à l'équation f{z, a;i,...,.rn) = 0, (*) LiE,Nachrichteii de Gôtlingen, 1872, u>' 16, pp. 521-526, n» 25, pp. 475- 489, et pp. 151 s(iq. du grand Mémoire : Uehcr Complexe, insbesondere Linien- vnd Kugelcomplexe , mil Anwendung au f die Théorie partieller Differen- lialgleichungen {Mathematische Annalen, t. V, pp. 145-236). [C'est Cauchy qui s'est occupé, le premie'r, des espaces à un nombre quelconque de dimensions (Comptes rendus, t. XXIV, pp. 885-887).] ( 7) on a ime variété à n dimensions, contenant oo" points. L'ensemble des points représentés par deux, trois,..., n équations semblables, constituent une variété à (n — 1), (n — 2),..., 1 dimension. Les points eux-mêmes peuvent être dits de dimension nulle. Dans l'espace à 3 dimensions, on distingue, parmi les surfaces, celle dont l'équation est du premier degré ou le plan : pX H- ^Y — Z -f- P = 0. Le plan est déterminé si l'on connaît ses coefficients de direction />,(/, — 1, et l'un de ses points, x, ?/, z. Son équation, dans ce cas, est : p(X-œ)-^q(Y-y)-{Z-z) = 0. Un point et un plan passant par ce point constituent un élément de l'espace. Un élément de l'espace est donc déterminé par cinq quantités , dites ses coordonnées, et, par suite, l'espace en contient x^. Parmi les éléments de l'espace, ceux dont les coordonnées satisfont à l'équation f{d;ij,Z;p,q) = ^ sont en nombre oc*, et sont dits les éléments de cette équation, ou les éléments de la figure représentée par cette équation, si l'on peut ainsi parler. Par chaque point de l'espace, passent oo^ plans, dont oo seulement constituent, avec ce point, oo éléments de l'équation /". Ces 00 plans enveloppent un certain cône ayant le point commun pour sommet. En un certain sens, on peut donc dire que l'équation /*= 0, représente aux environs de leurs sommets, oo^ cônes ayant chacun, en ces points, oo plans tangents. Dans l'espace à (n -+- 1 ) dimensions, nous pouvons appeler Jo/a^^ la variété à n dimensions dont l'équation est linéaire par rap- port aux coordonnées courantes. Un plan passant par un point (z, Tj, ..., X,.) , a pour équation p, {\,-x,) -+-•■•-+- pn (X„ - X,,)- {Z-z) = 0, (8) et constiluc avec le point lui-même un élément de l'espace, dé- terminé par les (2/i -4- 1) coordonnées : L'espace contient oo-"''''' éléments. La figure représentée par l'équa- tion est l'ensemble des éléments, en nombre oo^" qui satisfont à ceCte équation. Ces éléments sont dits les éléments de l'équation ou de la figure correspondante. 5. Nouvelle manière d'envisager l'intégration des équations aux dérivées partielles. Pour Lie, intégrer une équation aux déri- vées partielles, à trois variables, par exemple, /■(^,.V,^,P,9) = 0, (16) c'est trouver toutes les figures contenant txi^ des oo* éléments représentés par cette équation, et telles que deux éléments infi- niment voisins satisfassent à l'équation dz=2KÎx-\-qdy (17) De même, intégrer une équation à (/i h- 1) variables f{z,œi,...,œn,Pi,...,p,^) = (i, (1) ccst trouver toutes les figures contenant oo" des oo^" éléments représentés par celte équation , et telles que deux éléments voi- sins satisfassent à l'équation : d3=p,cto^H ^ p,^dxn . (18) Si dans l'équation (IC), on suppose x, ?/, - constants, p, q varia- bles, les éléments, obtenus ainsi, satisfont à l'équation (17), puis- que l'on a : dx=zO, dy^O, dz = 0', mais ces éléments ne sont qu'en nombre simplement infini. De même les éléments représentés par l'équation (1) quand on y regarde le point comme fixe, satisfont à la condition (1 ) mais sont seulement en nombre oo""'. Les figures correspon- dantes ne sont donc pas des intégrales. Les équations (a) et (G) du n" 2, qui donnent oo""^' éléments de l'équation (4), transformée de (1 ), n'en donnent plus que oo" quand on suppose F constant. De même l'équation (12) du n° 5 et les valeurs de Jl , ^, ... , ^ que l'on en déduit, représentent oo"+* éléments de l'équation (il), et donnent, par suite, une intégrale de cette équation (M); mais si l'on suppose l'existence de la rela- tion (15) ou (9), ces éléments ne sont plus qu'au nombre de oo", et donnent une intégrale de l'équation (1). § 2. €iénéÊ*atio»» dfs éqnttliotis à tfois rafiables. Théoiric tic fjagvnnge ('). 6. Génération de ces équations, de trois manières différentes. Soit z = F{x,y,a,b) (1) une relation entre x<,y, z^où entrent deux constantes arbitraires a et b. On déduira de là : 2) = F'jx,y,a,b) q=¥\j{x,ij,a,b) (2) Éliminant o et 6 entre ces trois équations, on aura f[x,y,z,p,q)^Q, ou s = -^ (a:, ?y,p, r/), (3) équations aux dérivées partielles du premier ordre. (*) La distinction des trois sortes d'intégrales des équations aux dérivées partielles du premier ordre est due à Lagrange (Mémoires de Berlin, 1772, Œuvres, t. III, n« 12, p. S72 ; 1774, OEuvres, t. IV , n" 41 , p. 65, n° 47 , p. 74; Leçons^ etc., pp. 567 et suivantes). Voir aussi, Pfaff (Mémoires de Berlin, 1814-1815), pa^sfm, et Jacobi, Veber die Pfaff'sche Méthode, etc. (Journal de Crelle, t. II, pp. 548-549), et surtout, Vorlesungen, pp. 471-509. Nous nous servons principalement ici de l'exposition d'iMSCHENETSKY, cha- pitre I, pp. 9-19. Graindorge, I, pp. 1-9, est moins complet. Nous recommandons au lecteur une exposition plus simple de cette théorie, donnée plus bas à propos des équations simultanées, et qui ne semble pas avoir été remarquée (n° 12). ( 10 ) Si l'on remplace a et b par des fondions convenables de x et de y, il peut arriver que léquation (1) conduise à la même équa- tion (5); il suffira, pour cela, que les nouvelles valeurs de p eiq: ^F da ê¥ db Sa dx àb dx ^F da S¥ db ^ ^ Sady Sb dij se réduisent aux anciennes, c'est-à-dire que l'on ait : ^F da S? db _ ^F da ^^F db Sa dx Sb dx ' Sa dy Sb dy On déduit de ces dernières : fl, b S? ^ ^ a,b SF D -^ = 0, D = 0, (5) x,y Sa x,y Sb relations auxquelles on satisfait : 1" en posant 2" en posant <^F S? — =0, — = 0; (6) Sa Sb a. b D-^ = 0 ou b = 7ra, 7) TT désignant une fonction quelconque. Dans ce cas , les deux équa- tions (4j se réduisent l'une et l'autre à ^F ^F Stt 1 = 0 (8) Sa Sb Sa Les deux équations (6), ou les équations (7) et (8) suffisent pour déterminer les fonctions a et 6. Nous verrons dans le numéro suivant que toutes les solutions de l'équation (2) sont comprises parmi les solutions données, soit |)ar l'équation (1), dite intégrale complète de (2), ou par les équa- tions (i), (7), (8), où 7r est arbitraire, ce qui constitue Vintégrale générale, ou enfin, par les équations (1) et (G), qui fournissent la solution ou intégrale singulière. ( Il ) Géométriquement, l'équation (5) exprime une propriété des plans tangents aux surfaces représentées par l'intégrale complète, ou des enveloppes de celles ci, que donne l'intégrale générale, ou enfin des enveloppes d'im autre genre représentées par l'inté- grale singulière. Les premières enveloppes touchent les sur- faces (i), chacune suivant une courbe donnée par les équations (1), (7), (8) , les secondes en des points donnés par (i) et (G). 7. Toutes les intégrales de l'équation (3) sont données par {\), (l)e«(6),oi*(l),(7), (8). Soit z. = ^{x,ij) . (9) une relation satisfaisant à l'éq^uation (5), c'est-à-dire telle que M^.?/) = ^^^,2/,-,-j .(10) soit une identité. Posons : ^F _ (?^ dx dy ( 14 ) que Ton en déduil, donnent identiquement : A(J^, !/,-!, Pi. 7,) = 0, (10') appartient à l'une des trois classes de solutions indiquées plus haut. En effet, déterminons (( et 6, par les relations : P = Pi, Q = Qi^ (11') p et g étant les valeurs déduites de (2'). En comparant l'équa- tion (10') à f{x,y,z.,p,q) = 0, (5') et tenant compte de (1 1'), il viendra : On prouvera ensuite, comme plus haut, que les valeurs a et h déterminées par les équations (ii') satisfont aux équations (4'j, ce qui achève la démonstration du théorème (*). RE51ARQUE. L'intégrale générale, donnée par les équations (1') (7') (8') ne comprend pas, en général, la solution singulière, donnée par (!'), (6'). En effet, les équations (7') (8') donnent le plus souvent : dz dz da db là Jb qui n'a pas pour corollaires les équations (6). L'intégrale complète peut se déduire de l'intégrale générale, en (*) Les explicalious de ce numéro auraient été inutiles, si Imschenetskv, §6, pp. 18-19, GRAiNDORGE,n« 10, pp. 7-9, n'avaient laissé de côté le dénomi- nateur-^-. On sait, par la théorie des solutions singulières des équations différentielles ordinaires, que Ton doit soigneusement éviter de faire dispa- raître les dénominateurs de ce genre, parce que seuls, très-souvent, ils conduisent à la solution cherchée, quelque forme que l'on donne à la fonc- tion F, quand les infinis de ^ sont à une distance finie. Darcoux (Bulletin des sciences mathématiques et astronomiques, t. IV, p. 158, note 2) a méconnu l'importance de cette remarque. ( 13 ) faisant entrer deux constantes arbitraires dans n. Il est clair, d'ail- leurs, que l'on peut trouver une infinité d'intégrales complètes (*). 9. Exemples ("*). I. L'équation donne p-=b, q = bm, q = mp. La solution singulière n'existe pas, car les équations (G) sont dz dz — = 1=0, — = a;-f-wîy=0, da db dont la première est absurde. L'intégrale générale est donnée par élimination de a et 6 entre z = a-hb{x-i- mij) , b = 7ra, 0 = 1 -+- ;r'a (J7 H- m?/), ce qui conduit à z = X {x -\- my) , X désignant une fonction quelconque. IL Soit z = a-^bœ + yf{a,b). On aura : p = 6, q = f{a,b). (*) Lagrange (Mém. de Berl., 1774, OEuvres, l. IV, p. 80). La théorie complète des relations qui existent entre les intégrales complètes a été esquissée par Jacobi, Vorlesungen, pp. 471-509, et en divers endroits de ses mémoires, et par Mayer, Math. Annalen, t. III, pp. 449-432 et Nachrichten de Gottingen , 1872, n" 21 , pp. 403-420 ; mais ce difficile sujet ne peut être traité qu'au moyen de la théorie générale des transformations de Lie, que ce géo- mètre n'a pas encore publiée (voir Nachricblen , 1872, p. 484). C'est pourquoi nous nous contentons d'exposer la partie absolument nécessaire des recherches de ces géomètres. (**) Lagrange (Mém. de Berlin, 1774, OEuvres, t. IV, n" 39, pp. 63-64; n" 49, pp. 75 et suivantes). ( IG ) On tire de là l'équation : III. Équation de Clairaut généralisée. No\is appelons ainsi l'équation que l'on déduit de z ^= ax -^ h\i -\- f [a ^b) , en éliminant a et 6, au moyen des relations suivantes, trouvées par dérivation , p = « , q = b. L'équation aux dérivées partielles est donc z = px-\-q\j-\-f{p,q). L'intégrale générale de celle-ci est donnée par les équations : z ^= ax -\- hy -^ f {a,b) ^ b = 7ra ^ 0 = 0;-+- xjTu'a -t- 7- ^- t? ^'«• Sa db Elle représente une surface développable , enveloppe du plan dont réquation est l'intégrale complète. La solution singulière :; ^=ax-\-bij -\- f{a^ b) Sf Sf représente une surface tangente à chacun de ces plans en un point, ou à chaque surface développable suivant une courbe (comparez le n" 21). IV. Comme exemple d'équation de Clairaut généralisée, soit à résoudre le problème suivant : « Trouver les surfaces dont le flan tangent est à une distance constante h de l'origine des coordonnées. » L'équation du problème est 3 = px + qrj -^ h \/ 1 -+- p- -f- g-. (17) L'intégrale complète est l'équation d'un plan quelconque, situé à une distance h de l'orisine : z=^ ax -^by -\' hy \ -\- a^ -\- b^. La solution singulière est la sphère, a;2 + t/» 4- 2^ = /i', tangente à tous ces plans. L'intégrale générale représentera une surface développable quelconque circonscrite à cette sphère. Si l'on fait, par exemple, a7n -\-bn=:l , on trouve un cylindre de révolution; car cette relation équivaut, dans le cas actuel , à mp -+- nq = 1 à cause de p = a, q = b (voir n° 20). Si l'on fait h \/i -i-a'^-^b^ = k — ma — nb , on trouve un cône, qui sera encore de révolution, puisqu'il est circonscrit à la sphère. En effet, on a, dans ce cas : z =: ax -i~ bij -^ {k — ma — n6) , et z — k =p {X — m) '\-q{ij— n) , qui appartient au cône ayant pour sommet (m, «, k) (voir n'' 20). On peut remarquer, avec Lagrange , à propos de cet exemple, quil est impossible de déterminer tt de manière que l'intégrale générale z^=ax-\-y 7ra-\- h\/i. -f- a'^ -4- (ra)"2, a -4- ?ra . Tr'a 0 =. X -\- yTr'a ■+■ h i/i -\- a"" -\- {Traf représente la sphère. On ne peut, en effet, éliminer x, ?/ et z entre les deux équations que nous venons d'écrire et celle de la sphère. D'ailleurs, ces deux équations représentent une surface Tome XXV. 5 ( «8 ) dëveloppable, et l'on sait que la sphère, analytiquement parlant, est, comme toutes les surfaces du second degré à centre unique, une surface gauche; chaque génératrice est imaginaire, sauf en un point. 8 5. Génét'aliOÊt des équatio»»9 à un ttoênbfc f/uetconqtte €le rat'iabtes. Théot'ie de E,ag fange ('). 10. Génération de ces équations, de tt^ois manières différentes. Soit la relation z = ?{x,,x^,...,Xn,a,,a^,...,an) (J) On en déduit : ^F S? ^F ,^, ^^ = j^'^^ = W-'^" = ^ ^^^ En éliminant Oi, ...,«„, entre les équations (I) et C^), on trouvera une équation aux dérivées partielles du premier ordre : ou z = 'T'{œ,,x^,...,œn,]h,ih,'--,lh,) (5) Oji trouve la même équation (5) en supposant que «i , ...,«„ soient des fonctions de oc,, ...,a:„, telles que l'on ait : ^F (la, d¥ dOn êtti dXi àOn dXi SV da, S? dttn d«l dXn àQu dXn On déduit de ces relations, en posant ^ a, ...On Xy . , . Xn A =0, A = 0,...,A^:— =0 (b) Ja, êa.2 da„ (*) Nous réduisons ce qui se rapporte aux équalions à n variables indépen- dantes au strict nécessaire, les principes ayant été suffisamment exposés dans le paragraphe précédent. ( 19 ) On satisfait à ces dernières de diverses manières : 1" en posant ^F <^F ^F _ = 0, — =0,.,— =0, (6) ^Qi C^«2 ^«). équations qui suffisent pour déterminer les fonctions a; 2'' en posant d2'-^" = 0 (7) Cette équation (7) sera vérifiée chaque fois que les fonctions «,, «2,...,«„ne seront pas indépendantes les unes des autres. Soit M=(m-t-A;), et, pour simplifier les écritures, écrivons 6,, 62,..., 6„,, au lieu de a/,^.,, (//.^.a? •••? f^i• Pour satisfaire à l'équation (7), nous écrirons : 6j = T2(ai, «2,..., oa), (7;) bm=r,n{ai,a2,...,ak) (7;,) 9n aura donc, pour l'une quelconque des quantités 6, db Sr dtty Stt da^ Sr dùk dx Stti dx Sa^ dx m-i étant des constantes arbitraires. Tous les points de la variété (1) font partie de la variété (ô). Cherchons, en ces points de (5) , les éléments qui satisfont à la condition (2) ; pour cela , nous devons écrire les équations ^F ^F JF ^F ^ àJCi àZ àXn àZ (*) SoPHL'S Lie : Zur Théorie partieller Differentialgleichungen evster Ordnung, inshcsondere iiber eine Classification derselben (Nachrichten de Gollingen ,1872, pp. 473-489, n» 25), pp. 480-482. ( 25 ) En éliminant «,,..., a„, li,..., /,„_i, entre les équations (i) et (4), nous trouverons une équation aux dérivées partielles, dont tous les éléments satisferont à la condition (2) et auront leurs points sur la variété (1). Réciproquement, l'équation (5) représente tous les éléments définis par les équations (1) et (2). On déduit, en effet, de l'équa- tion (I) , en se servant de la valeur (2) de dz : U^i ^z ' \^Xn ^z (6»») On voit par là que (?i — îm) seulement des différentielles dx sont arbitraires, pour les éléments représentés par les équations (1) et (2). Pour éliminer m différentielles des équations (6), multi- plions ces équations respectivement par >i, >2j ••• >^»i-i ^t l'unite, et ajoutons-les; égalons à zéro les coefficients de m différen- tielles, en vue de l'élimination, puis les coefficients des autres, à cause de l'indépendance de ces différentielles restantes. Ces calculs nous conduisent aux équations (4). Ce sont les conditions néces- saires pour que les éléments qui satisfont aux équations (1) satis- fassent aussi à l'équation (2). Donc, enfin, les équations (1) et (4) représentent les éléments cherchés, et la résultante (5) de ces équations est l'équation unique de ces oo^" éléments. [II. Imaginons que les équations (I) soient résolues par rap- port à m des constantes, et appelons les [n — m) = k restantes, 6,, 62, ..., 6a. Supposons que les nouvelles équations ainsi obtenues soient les suivantes H^ (5,37,,. ..,a:„, &!,..., W — «1 = 0, (l'i) H«(s,a:,,...,cr„,?;„...,60-a,. = 0 (1m) { 26 ) En raisonnant comme dans le cas précédent, on sera amené à éliminer les quantités a, h et l entre ces m équations (i'), et les suivantes : La fonction H est définie par l'équation H = >! (Hi — r/,) -+- ;2 (Ho — a^lH h ;,n-i (H,„_i — a,„_i) -+- (H,„ - a,„), ou encore, H = >,Hi 4- /.Hg-h • ■ -t- >,«-! H»,-i -t- H,„ + A . en posant 0 = ; lOi -t- ; 2«2 H h )mi ftm-i -H a,« -h h. Les quantités a,, ..., «,„ nentrent pas dans les équations (4'); donc l'élimination des quantités a, 6, A, entre les équations (!') (4') revient à celle des quantités h et / entre les équations (4'). Enfin, si l'on considère la relation unique H - /» = 0 (1") et si Ton cherche l'équation aux dérivées partielles du premier ordre correspondante, on sera aussi conduit à éliminer les con- stantes 6 et X entre les équations (4'). Par conséquent , l'équation f{z.,œ,,....œ„,p,,...,ih,) = 0 (5) est celle des éléments représentés par les équations (1) et (2), ou (1') et (2), ou (1") et (2), et il suffira de trouver une solution (1") de cette équation (3), pour connaître implicitement la solution (r)ou(i).] 14. Classification des équations aux dérivées partielles. Des considérations précédentes résulte la classification suivante des équations aux dérivées partielles (*). L L'équation provient de (n -+- I) relations analogues à (1). (*) Lie, Ziir Théorie , etc. (Nacliric'liten,p. 485). ( 27 ) Dans ce cas, on peut éliminer les constantes a entre ces équations, ce qui conduit à une relation f{z,Xi,x^, ...,x„) = 0 qui ne contient pas les p. Cette équation représente, en un certain sens, oc"" éléments, savoir, en chacun des oc" points de cette variété à ?i dimensions, les oo" éléments obtenus, en faisant varier p^, ..., p„ de toutes les manières possibles. Ces éléments satisfont à léqua- tion (2), puisque les quantités dz. clx^, ...,f/x„, sont toutes nulles. II. Véqnalion (5) provient de n relations analogues à (1). On verra (n" 25) que, dans ce cas. Ton arrive à une équation linéaire. III. L'équation provient de (n — i ), (n — 2), ..., 2 relations analogues à{i). On trouve, de cette manière, {n — 2) classes d'équa- tions semi-linéaires, si l'on peut ainsi les nommer. Lie annonce qu'il est parvenu à les ramener aux équations linéaires. Nous n'avons pu reconstruire sa démonstration (*). La méthode de Cauchy, telle que nous l'exposons, s'applique directement à ce cas, comme au cas des équations linéaires (comparez n" 109). IV. L'équation provient d'une seule relation analogue à (l). C'est le cas ordinaire des équations non linéaires. [Plus simplement, l'équation (5) peut provenir d'une relation de la forme (1") contenant linéairanent I. n constantes; II. (« — i) constantes ; III. [n — 2) , {n — 5), ... 1 , constante ; ou enfin , IV. pas de constante.] [15. Des constantes supplémentaires (**). 11 arrive souvent, dit Jacobi, que les calculs qui servent à trouver une solution com- plète d'une équation aux dérivées partielles, conduisent naturel- lement à introduire dans cette solution un nombre de constantes, plus grand que celui des variables indépendantes; et l'on détruit la symétrie des calculs, si Ton pose un certain nombre des cons- tantes supplémentaires égal à zéi'o. On suppose d'ailleurs que ces (*) Lie, Ziir Théorie, etc. (iNaclirichlen, pp. 486-487). (**) Jacobi, Vorlesungen , pp. 475-481 , est à peu près le seul auteur qui s'occupe de celle question. II la traite d une manière analytique. Nous avons cru préférable et plus clair d'en dire ici quelques mots, en nous servant des idées fondamentales de Lie. (28 ) constantes ne peuvent pas se réduire à un moindre nombre, en prenant pour nouvelles constantes des fonctions des premières. Dans ce cas , au point de vue pratique , le mieux est de considérer les constantes supplémentaires comme des constantes ayant une valeur spéciale, mais quelconque. On en trouvera un exemple, plus bas, dans l'intégration de Vèqiiation de ScliUifli (§ 12). La manière dont Lie envisage la nature des équations aux dé- rivées partielles permet d'expliquer l'introduction de ces cons- tantes supplémentaires, comme nous allons le faire voir sur un exemple très -simple. Cet exemple nous permettra, en même temps, de faire comprendre comment il peut exister plusieurs intégrales complètes absolument équivalentes, pour une seule et même équation aux dérivées partielles (*). Trouver une surface dont le plan tangent fasse un angle cons- tant r avec un plan donné. Prenons le plan donné pour plan des xy et une perpendiculaire à ce plan, pour axe des z. L'équation du problème sera : IdzY (dzY 1 \dy} \dyl cos- /• On trouve aisément que les plans représentés par l'équation z — c = Xx -\-Btj, (4 ) où A2 -+- B2 = A-2 - 1 , satisfont à la question. L'équation (1) représente oo* éléments faisant un angle r avec le plan des xy; l'équation (2) et celles que l'on en déduit, p = \, q = B, (2') représentent les mêmes oo* éléments. Si Ion prend, au lieu de l'équation (2), l'équation {z - c) = A {x - a)-\- \^ {y ~ h) , (3) (*) Jacobi, Voïiesungen, pp. 491-309, s'occupe de ce sujet, qui n'est pas encore complètement élucidé. Voir, plus bas (§ 32), à propos de la méthode de Lie, quelques-unes des recherches de Mayer, sur lesquelles est basée l'expo- sition qu'il a donnée do la méthode du géomètre norvégien. ( 29 ) cette équation (5) pourra se réduire à la forme (2), et satisfera à réquation (1). Mais on peut aussi envisager cette équation (3) et celles que l'on en déduit p=.A, g = B, (3') comme représentant oc^ fois les a;* éléments représentés par (2) et (2'). En effet, pour chaque valeur de a et de 6, l'équation (5) a la même étendue que l'équation (2). L'enveloppe des plans représentés par l'équation (5), quand A2 -+- B^ = k^' — i, est le cône dont l'équation est : (z-c)' = {k'--\)[{œ-aY-^{y-b)'] (4) Ce cône est une surface qui satisfait à la question. Si l'on regarde r( et 6, comme des constantes arbitraires dans l'équation (4), elle est une solution complète; avec les équations {z-c)p = {k'-\){x-a), {z.-c)q = (k'-\){y-b), . , (4') la relation (A) représente les oc* éléments de l'équation (1). Mais si l'on suppose que c est aussi une constante arbitraire, les équa- tions (4) et (4) représentent une infinité de fois les mêmes oo* éléments. En un certain sens , les équations (4) et (4') représentent oc^ éléments de l'espace, comme les équations z^^d={k'-i)[(x-ar-\-{y-bf], (5) zp = {k''-\){x-a), zq = {k^-\){y-b) (5') Mais les oo^ éléments représentés par (5) et (5) sont tous dis- tincts, et il n'y en a que oo* qui soient représentés par l'équa- tion (1), ceux pour lesquels rf = 0; les éléments représentés par (4) et (4') satisfont tous à léquation (J), mais ils ne sont pas tous distincts; ce sont oo fois les oo* éléments de l'équation (1). En général, toute équation F(s,a^i, ...,a7„,ai,... ,a„,a„+i,-. ,«n+s) = 0, (6) ( 50 ) solution d'une équation aux dérivées partielles f{z,œij...,œn,îh,...,pn) = 0^ (') et contenant s constantes supplémentaires, représentera, avec les relations — -4-p, - = 0, (60 OC* fois les ûc^" éléments de l'équation (7). Nous supposons, bien entendu, que les relations (6) el (G) transforment l'équation (7) en une identité, sans quoi il n'y aurait pas, dans (6), s constantes supplémentaires , mais seulement un moindre nombre. En particulier, il y a un cas, où il est toujours facile cVintro- (luire dans une solution complète une constante supplémentaire. C'est celui où la variable z, ou l'une des variable x^, n'entre pas d'une manière explicite dans l'équation donnée. Dans ce cas, il est clair que l'on peut, dans la solution, remplacer, sans inconvé- nient, z par (2 — a) j x^ par (x, — a), a et «< étant des constantes arbitraires , puisque dz d{z — a) dz dz dx dx dXi d{Xi — Oi) Les constantes qui accompagnent celles des variables qui n'entrent pas explicitement dans l'équation donnée sont appelées, par les géomètres allemands, co)istantes additives. Faire varier une de ces constantes équivaut à une translation dans l'espace du système des éléments de l'éciuation. Il est clair qu'il suflit de trouver une solution avec (n — t) constantes non additives, pour une équation où manquent l variables. Il est facile, en effet, d'en déduire une solution avec n constantes arbitraires, en introduisant ï cons- tantes additives.! an LIVRE I. MÉTHODE DE LAGRANGE ET DE PFAFF (*). CHAPITRE I. ÉQUATIONS LINÉAIRES AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ("*). § 5. ÉfgnatioÊt» linéaii^cs anœ ttéê^irées pat'iieiles à flcttjc vaftables ietflépenetanles . 16. Génération de ces équations. Soient n et v deux fonctions données des variables x,y,z,cX ¥{u,v}=0, (1) (*) Nous résumons, dans ce premier livre, non-seulement les travaux de Lagrange et de PFAFF,mais aussi les premiers mémoires de Jacobi, qui relient entre elles les recherches de ces deux géomètres. f ) La théorie des équations linéaires aux dérivées partielles est due essen- tiellement à Lagrange, qui Ta exposée, sous diverses formes, dans les Mémoires de Berlin de 1779 et 1785, dans les Leçons sur la théorie des fonctions, leçon 20, et dans la Théorie des fonctions analijtiques , ch. XVI de la première partie Sur la vraie portée du procédé d'intégration exposé ici, voir le § 1 du mémoire de Jacobi : Dilucidationes , etc. (Journal de Crelle, t. 25). Au fond, on ne fait qu'établir la connexion qui existe entre la théorie des équa- tions linéaires différentielles simultanées et celles des équations linéaires aux dérivées partielles. Nous nous sommes aidé, dans notre exposition , de celle de Serret, Calcul intégral, pp. 599-608 , et de Boole, A treatise, etc., pp. 524-335, Suppl, pp. 50-69. ( 52 ) une relation quelconque entre ces fonctions. Il existe entre x, y, z et les dérivées partielles _dz_ _dz de z par rapport à x et à y, une relation indépendante de la forme de l'équation (1), et linéaire en p et q. Pour le montrer, dérivons la relation (1) par rapport hxeihy; il viendra : <^F (Su Su \ SF (Sv Sv \ 3F (Su iu \ SF [Sv Sv \ ru[-s7j^j:.]v-^s;[-s;j^r.V D'où, en éliminant les dérivées de F par rapport à u et au, Su Su Su Su c'est-à-dire : Sv Sv Sv Sv Sx Sz Sij Sz Su Su Su Su Su Su Sx Sij Sv Sv -\-V Sz Sy Sv Sv -+-Ç Sx' ^ Sv Sv Sx Sy Sz Sy Jx' Sz = 0: ou encore, en employant la notation des déterminants fonction- nels, u, v u,v u. V ?/, s z,x x,y Nous écrirons cette équation sous la forme abrégée Xp-t-Yr/ = Z., (-2) u, r u. V u, V X = D-^' V = D : Z = D— . en posant ( 33 ) 17. Système d'équations différentielles simultanées correspon- dant à l'équation (2) (*). D'après les propriétés des déterminants, on a : Su Su Su Jx^ Sy' Sz Sv Sv Sv Sx Sy Sz Su Su Su ~Sx' 1y' Jz = 0, Su Su Su Sx^ Sy' Sz = 0, Sv Sv Sv Sx Sy Sz Sv Sv Sv Sx Sy Sz ou encore X Su ,^ Su ^ — H-Y— -+-Z Sx Sy '£-■ X Sv Sv Sv (3) Il résulte de ces équations que les relations, u = a, V = b, OÙ a et h sont des constantes, forment un système intégral des équations : — = ^=^ (4) X~"Y Z On peut encore énoncer cette remarque sous une autre forme, en disant que les équations dx dz Z= — X, dx ont, pour système intégral, 11 = a, v = b] l\{u,v)=zA, F^{u, v) = B, OU encore, (S) (6) I A et B étant de nouvelles constantes arbitraires, et F, et F2 dési- gnant des fonctions quelconques. On peut, en effet, déduire les (*) Nous exposons la même chose, à propos des équations à n variables indépendantes, en employant plus encore les déterminants. Le lecteur jugera laquelle de ces deux expositions est préférable. Tome XXV. 4 34 équations (5) des équations (G) ou réciproquement. On peut aussi montrer directement que les différentielles f/Fi, dF^ sont identi- (luemcnl nulles, quand on suppose l'existence des relations (3) et (4). On déduit, en effet, de F, = A, au moyen de (4) et (3), e'cst-à-dire, 0 = 0. Réciproquement si ii = a, v = b sont des intégrales distinctes du système (4) où X, Y, Z sont des fonctions quelconques de x, y, z, e'cst-à-dire si les relations (3) existent, toute équation F{u,v) = 0. . (!) entre les fonctions i< et v, est une solution de l'équation Xp -t- Yg = Z. On déduit, en effet, de Téquation (1) : ^^F ^a ^F ^v /-^F ^u àF ^o\ hi ^^x àv rJx Vu àz ^0 èz! SF rJu rJT ^v pP ^u ^F ^i Su Sij rJv hj Yu Sz Sv Sz SF ou JF Jy l^F Su SF Sv lôY du = 0, Su Sz Sv Sz \Su Sz Sv Szl Ajoutons ces trois équations après les avoir multipliées respective- ment par X, Y, Z; il viendra : SF I Sa Su Su\ SF / Sv Sv Sv — -+-V— -f-Z— H-— X— -hY— -t-Z — 'ix Sy Szf Sv V Sx à y Sz 'SF Su SF Sv , -+-——-<-—— i^P H- Vf/ - Z) = 0. 'd(/ Sz Sv àz' ( 35 ) En vertu des équations (5), on déduit de là ce qui démontre le théorème. Ainsi, l'équation aux dérivées partielles (2) et les équations simultanées (4) se correspondent d'une manière remarquable. Deux solutions(C)dela forme (1) de l'équation (2) donnent immé- diatement le système intégral des équations (4), et réciproque- ment le système intégral (5) des équations (4), conduit immédia- tement à une intégrale (t) de l'équation de la forme (2). Nous allons voir que toute solution de l'équation (1) est d'ailleurs nécessairement de cette forme, ce qui ramènera complètement la solution des équations de la forme (2) à celle des équations de la forme (4), et réciproquement. 18. Intégration des équations linéaires aux dérivées partielles du "premier ordre à deux variables indépendantes. Soit ^ {x, ij,z) = 0 une solution quelconque de léquation aux dérivées partielles : Xp + Yg = Z. On aura, d'après le n" 2, ^à ^'p ^^ àœ dy àz Si, d'ailleurs, u = a, v = b, sont des solutions du système : dx cly dz on vient de voir que X— -+-Y hZ — =0, Sx Sy Sz ' / , ^i' Sv Sv X— -f-Y — -f-Z — =0. Sx Sy Sz ( 50 ) Éliminant X, Y, Z entre ces trois relations, il vient Jii; ôà Sa Jx Ty' Tz Su Su Su Ix Jy' Jz Sv Sv Sv Sx Sy Sz = 0, OU U, V = 0. X. y, ^ D'après une propriété des déterminants fonctionnels (*), il résulte de là que J- est une fonction de ti et de v, de sorte que toute solution de léquation donnée est de la forme (**) F{u,v)=0; d'après le numéro précédent, d'ailleurs, toute relation de eetfe forme est une solution. 19. Détermination de la fonction arbitraire; interprétation géométrique. A cause de la forme arbitraire de la fonction F, on peutim])Oser à la solution une condition telle que celle-ci : pour X = Xo, il doit exister entre v et z nne relation donnée, ir(rj,z) = (). («) Fr.isons x^jCq dans les fonctions n et r; nous aurons, })our celte val( ur Xq, M = uo (i', 2) (9) v = Vo (//,-) (10) (*) Baltzer . Déterminants ,^Xllï ^ n" 5, p. 114. (**) Lagrange n'a démonU-é celle réciproque que dans son mémoire de 1785. Dans ses aulres écrits sur ce sujet , avaiil et après 1785, il l'admet laeilement sans la démontrer. La forme que nous donnons à la démonstiation est em- |)rin;tée à Boole. ( Ô7 ) Eliminons y Qi z enlro ces trois relations, et soit F(f^,rj = 0 (il) le résultat de rdlimination, de telle sorte que Von puisse inverse- ment déduire (8) de (9) (10) (1 1) par élimination de u et v. Il est clair que la relation (1 1) satisfait à l'équation donnée et à la con- dition donnée, car, si Ton y fait oc = Xq, elle se réduit à (8). On peut s'imposer des conditions autres que celle que nous venons d'indiquer; pour les énoncer plus facilement, interprétons géométriquement la solution donnée plus haut. L'équation : Xp + Yg = Z (2) exprime une propriété du plan tangent à la surface j repiésentée par la relation F(w,r)=0 (1) Cette surface est évidemment engendrée par les courbes dont les équations sont 11 = a, V = b, (5) et qui sont assujetties à la condiiion exprimée par la relation : F(«,6) = 0 (12) On peut demander que cette surface passe par une courbe donnée parallèle au plan des yz : comme nous l'avons fait plus haut, ou par une courbe quelconcfue, dont les équations sont 'i{x,ij,z) = (i, x(œ,ij,z)=:0, ou qu'elle soit tangente à une surface donnée, ou qu'elle satisfasse à telle autre condition géométrique que l'on voudra. Dans chaque cas particulier, du moment que l'on aura la condition analytique (12j, on en déduira immédiatement l'équation de la surface. On voit, par là, que la détermination de la forme de F est une question de géométrie analytique à trois dimensions. ( 58 ) 20. Exemples. I. Equations des cylindres (*). Les cylindres dont les génératrices sont parallèles à la droite a: = az -\' a\ y =■ bz -\- b' , ont [)OLir équation finie : x — az='f{ij-bz), et, par suite, pour équation aux dérivées partielles : ap -4- Iq = 1 . Récii)roqucment ces équations n'appartiennent qu'aux cylindres. La chose est évidente pour la première. La seconde a la première pour intégrale, car le système d'équations simultanées correspon- dant dx du dz ~â~~b^T conduit immédiatement à l'équation suivante des génératrices qui sont des droites j)arallèles à une direction donnée : X — az^= a' , y — 6^ = b'. L'équation aux dérivées partielles des cylindres exprime que le plan tangent est parallèle à la direction des génératrices. IL Equations des cônes. Les cônes, dont le sommet est le point («, 6, c), ont pour équation finie : X — a lu — b z ~ c \Z — Cj et |)our équation aux dérivées parlielles : p {x — a) -\-q{y-b) = z — c. Si le sommet est à l'origine, cette équation prend la forme plus simple, z = px-hqy. (*) Nous donnons ces exemples élémenlaires pourêlre complet. ( 39) On trouve, sans peine, que cette dernière équation, qui exprime que le plan tangent au cône passe par le sommet, appartient exclusivement aux surfaces coniques; autrement dit, que l'équa- tion aux dérivées partielles a pour intégrale l'équation finie donnée plus haut. IH. Équations des cono'ichs. Quand on prend la directrice rec- tiligne pour axe des z, et le plan directeur pour plan des xy , on trouve pour équation finie des conoïdes : -& et pour équation aux dérivées partielles : px-\-qy = (). Celle-ci exprime que le plan tangent contient la génératrice qui passe par le point de contact. Lorsqu'on intègre cette équation, on retombe sur l'équation finie, ce qui prouve que l'équation aux dérivées partielles n'appartient qu'aux conoïdes. IV. Surfaces de révolution. On peut regarder une surface de révolution comme le lieu d'un cercle mobile : x^ -\- y- -{- z^ = a , a; cos a -t- // cos ;3 -\~ z cos y =^ b , dont le plan est perpendiculaire à la direction déterminée par les cosinus cos a, cos (3, (;os y, quand on suppose que l'axe de révo- lution a cette direction et passe par l'origine des coordonnées. L'équation finie des surfaces de révolution est donc : œ cos x -^- y cos 13 -\- z cos y = f {œ^ -+■ y^ -4- z^). On tire de là, en dérivant par rapport à x et ?/, et écrivant en outre une équation identique, pour la symétrie : cos X -hpcosy — îlf' .{x-^-pz) cos/3 -{- qcosy = ^'/ ■ {y-^ q-) cos y— cosy =^'/ • (z - 5). (40) D'où, immédiatement : P î — 1 cosa, cos/3, cos'X ou, en retranchant la première ligne, multipliée par z, de la seconde : îu q, —1 ^, y, - cos a , cos /3 , cos y 0. C'est là l'équation aux dérivées partielles des surfaces de révolu- lion. On peut encore l'écrire : piycosy — z cos /S) -^ q [z cos ck - œ cos r) = a; cos /3 — ?/ cos a. On remonte aisément de cette équation à l'équation finie des surfaces de révolution. Pour cela, on doit intégrer le système auxiliaire : dœ dy dz y, « cos /3 , cos 'X .-, X j cos^, cos« I ^, y cosôc, cos/3 Ces trois rapports sont égaux aux suivants, où les dénominateurs sont nuls et, par suite aussi, les numérateurs : xdx -+- ydy -4- zdz cos adx ■+- cos i3dy -H cos ydz \ X, y, z I ^, y, - cosa, cos ,3, cos 'y cosû;, cos;3, cos y cosix, cos;3, cos y Les relations : xdx -\- ydy -\- zdz = 0 , cos «)• Celle-ci étant linéaire, on pourra en trouver l'intégrale. On tirera de celte intégrale les valeurs des dérivées par rapport à p et à ^; on les égalera à x et à y; puis , entre les équations ainsi obtenues, et u = (z — px — qy) , on éliminera n , p et q. (*) Lagrange, Mémoires de Berlin, 1774, OEuvres, t. IV, iv 55, p. 85; Lacroix, t. II, p. 558, t. III, p. 708. Chasles, Rapport sur les progrès de la géo- méirie, pp. 90-91, Paris, 1870, indique divers travaux sur les équations de ce genre, en en attribuant la découverte à Monge. Voir, en outre, une note de M. Orloff, Bulletins de Bruxelles, 2^ série, t. XXXIII, pp. 11 51 22, puis Lie, Mathematische Annalen, t. V, p. 159, qui en donne une interprétation, au point de vue de la géométrie moderne. On appelle souvent transformalion de Legendre, la transformation effectuée ici. [Plï'cker s'occupe de rinlerpréta- lion géométrique de la tranformation de Legendre, dans ses Analylisch- geometrische Enlwickelungen. (Essen, 1851), p. 265, et dans le Journal de Crelle, l. IX, pp. 124-15-1.] ( '*-^) Cette méthode se simplifie dans le cas de rëquation de Clairaiit, déjà étudiée plus haut (n° 9) qui conduit, non à une équation aux dérivées partielles, mais à réquation u = f{p,q)- On fera, p=a, q = b, u = f{a,b), ce qui donnera Par conséquent, la relation du = — xdp — ydq sera vérifiée. On trouvera d ailleurs pour intégrale complète z =. ax -\- bij -\- f (a, b). II. Soit, en second lieu, l'équation : ^A (y, p, - - p^) = (if-2 iy,p^ - — p^) - h (y, P, - - P^)- On posera : ii^=z — pX] d'où du=qclij — xdp, du du 7ii~^^' 'dp~~^' L'équation donnée deviendra : du , du — A ilhP^ «) -^-y-fi iu^ P^ «) = A (!/, P, "), dp dij et rintégration s'achèvera comme dans le cas précédent. En particulier, si Ton a, z-px = f{ij,p) on trouve, pour équation transformée : "=/■(!/, P)- On fera ( 44 ) et pour déterminer z, quel que soit '^, l'on aura la relation z = œfij-\-f{y, 'ry), comme on le savait d'avance, puisque y joue, dans l'équation donnée, le rôle d'une constante. § 6. Équaîions linèai»*BS auac dérivées pat'ticUes coitlenant «f *• notnbt-e qttclcouqttc de variables 22. Génération de ces équations, cVaprès Lagrangc. Soient /^,, ii2,..;Uni ?i fonctions données des variables s, x^Xs, ...,x„,et F(m,,W2,...,îO = 0, (I) une relation quelconque entre ces fonctions. 11 existe entre z, Xi, ... , x„ et les dérivées partielles _ dz _ dz de z par rapport à x et à ?/, une relation indépendante de la forme de l'équation (1) et linéaire en pi, ... , p„. Pour le montrer, dérivons la relation ( 1 ) par rapport à x, , .1-2, ...,x„. Il viendra : JF (Su, Su, \ S? (Sun Su,, \ ^F (Su, Su, \ S¥ iSun S Un \ ^F (Su, Su, \ JF iSUn SUn \ Su, \SXn SS^ I SUnXSXn Sz I D'où, en éliminant les dérivées de F par rapport à Ui, u^, ..., w„ : = 0 Su^ Su, Su, Su, SUn Su,, SUn SUn Sx^ Sz Su. Su, SUn Su,, àXn Sz ( Vô ou en posant : Z=XiPi-t-X2P2 ^nPn^ . (-2) «1, Uç, H, 1*2) •••1 "n ...,X„ = D Wi,W2 "^1 ; ^ 5 '^S L'équation (2) peut facilement se mettre sous la forme d'un déterminant, contenant une colonne et une ligne de plus que le précédent : = 0, (12') àXn àXn Sx^ Enfin, si l'on suppose la relation (1) mise sous la forme ^(^J^l>^-2,---,^«)=0 (.1) de façon que ^x„ ^x,. Yz Jz Jz les équations (2) et (2'), transformées d'après le n** 2, devien dront ^Xi Z7^-+-x,-^ + .. + x,-— =0. àZ Sx. àX,i (4) SÔ SU^ Sllçi Su, Sz Sz Sz Sz Jj-i Sx^ Sx^ ' ' ' SXi Sa Su^ Su 2 Slln (4') ( 40 ) 0» D^'"""-----""^0 (4") Celte relation s'obtient en éliminant dz, fixi, f/xj, ..., rfx„, entre les équations d^=^0, dui = 0, ... , dî(„ = 0 (*). 23. [Génération des équations linéaires d'après Lie. D'après ce que l'on a vu plus haut {n° 15), on devra éliminer «i, «35 •••) «»o A,, >2? --î ^»-i? entre les équations î/, — «1 = 0, Mg — «2 = 0, ..., «„ — a,i = 0, i (t/i — «1) ■+- ^2 («2 — «2) -^ «- >•" -< ("»-» — «"-0 -^ ^'" — '^"• Les constantes a disparaissant d'elles-mêmes, on est donc ramené à éliminer les quantités 1 entre les équations: ckUi du,\ [du,, du, (du^ duA /du,, du„\ ce qui conduit à la même équation que la méthode de Lagrange.] 24. Système d'équations différentielles simultanées correspon- dant à l'éq nation {^). D'après les pro[)riétés des déterminants, si l'on remplace dans l'équation (4"), ^p pan/,, «25 ••• ou ?/„, elle sera encore vérifiée, c'est-à-dire que l'on a : Jî/, ^U, Su., -T--^^i-^ 1 H A„ ■:^ — Z-^-+-X,_^H--- + X„-^=0, (o,) Su,, Su,, Su,, (*) BooLE, Supplément, p. 65, déduit Tcquation (i') de celle remarque, au lieu de faire l'inverse , mais cela ne nous semble pas permis. (47 ) Ces équations expriment, non-seulement (juc les équations u^ = ai, ii^—a^,..^u„ = an, (6) sont, chacune prise à part, une intégrale de l'équation (2), ce que nous savions déjà, puisque la forme de F est arbitraire, mais aussi que, prises ensemble, elles constituent le système intégral des équations simultanées : dz dXi dœ.2 dœ,, ' iV Si l'on multiplie (5,) parg-^, (5,) par g;,..., (5„) par ^, ces multiplicateurs étant les dérivées partielles d'une fonction 'f(ui, î(i, ..., u„), et si l'on ajoute les résultats, il vient Z h Xj — - H H X„ = 0. dz f/j*! dXn Il résulte de là que l'on peut encore prendre, pour système inté- gral des équations (7), n relations distinctes de la forme : i3i(ui,?/2,...,z/„) = ^i,..., 'r„(î^i, (/2,...,iO=^«' • • • (8) et, en effet, on peut déduire de celles-ci les relations (5). Déplus, les équations (8) étant de la forme (1), satisfont à l'équation (^). On voit donc qu'il y a une correspondance exacte entre les équa- tions (i>) et (7), ce qui lie étroitement les solutions de celles-ci à la solution de celle-là et réciproquement. On peut établir directement cette correspondance entre les équa- tions (:2) et (7) comme suit. Supposons que Z, X,, ... X„ soient des fonctions quelconques de z, x,, ... x„, et soient Wi = «i, t/2 = r/2, ..., ^^, = a„, (6) des intégrales distinctes des équations dz dXi dx.2 dXn T ~ x7 ~ X, ~ ~ X, ■ • • .... (7) Je dis que la relation F(«/,,5 (1) ( 48 ) OÙ F désigne une fonction quelconque, est une solution de léqua- tlon On déduit, en effet, de (I) par dérivation, et en écrivant, en outre, une équation identique : dF §Ui ^ §F Su^ SUi d~J7, Su.^ SXi §F Su^ _ SF $u^ Su^ Sx^ ' di/2 Sx^ JF §Un dF -^Su,.§x,-^''^dz = '^ SF §u„ dF ^ •-^T— ^ -+-P2— =0, §u,, d j-2 dz rJF §Ui §F §u^ ^F ^M, ^F §U.2 §u^ §z §11^ §z §F hi„ dF •-+-T- — +;?„— ==0, dUn àXn dZ SF §u^ dF Multiplions ces équations par Xj, X2,..., X„, Z et ajoutons les résultats. Il viendra : SF I §11, §u. §u. §u,\ h / au, 7M< «5"l2 ^^n àXi dXg àX,i àZ , §f'r d// ^v -f-/ '§X, è'z dF (Pl^l + P2^-2 H ^ Pn^n " Z) = 0. dz Les relations (6) constituent des intégrales des équations (7), et, par suite, les relations {3} sont satisfaites. Les coefficients de ^F ^F JF §Ui au. 2 §U„ dans l'équation précédente, sont donc nuls, et, par suite, l'on a, en général : ( 49 ) 25. Intégration des équations linéaires aux dérivées partielles contenant un nombre quelconque de variables. Soit Wi = ai, u.2 = a.2,...,îtn = a„. (6) le système intégral des équations : dz dx^ dx^ dXn .-. Z Xj Xg x„ de sorte que l'on a les n équations distinctes : „ ^u. Su. Su. àZ SXi àXn dz àX, } (5) Je dis que toute solution de l'équation Z = /j,Xi -t- p.X^ H hpu^„ (-2) sera de Fa forme F(m,,w„...,w„) = 0 (1) Soit, en effet, • • <• > ^m » ^1 ) • • • 5 X,j, (*) Jacobi (Journal de Crelle, t. Il, pp. 321-323). On ne comprend pas pourquoi les traités de calcul intégral, publiés depuis l'époque (1827) où il a donné cette extension des recherches de Lagrange, ne fonl aucune mention de ce complément indispensable de toule théorie des équations linéaires aux dérivées partielles. Nous abrégeons Texposition de Jacobi, sans la modifier, par l'emploi des déterminants fonctionnels. ( S9 ) où entre l'un 3 quelconque des fonctions F. Comme la fonction F dépend des fonctions u , ce déterminant sera nul. Donc dF clF dF f/F Z, — H hZ,„-— 4-X,— --^.--t-X^— -=0,. . . (3) dZi dz,„ dXi dXn en appelant Z,, ..., Z„,, Xi, ... , X„, les déterminants mineurs de R, de sorte que X,- = (— 1 )»'•+'■ ^'D L'équation (3) est équivalente aux m équations : dz^ dz„, dXi dXn ^1 — 1 h l,n H- A, — 1 H A„ = U . . . {O,,,} dZi dz„i dxi dx,i Considérons maintenant le déterminant fonctionnel F,,...,F„, dFi dFg dF, dF^ Zi,.,.,z,n dz^ dz, dz^ ' dz^ où les A,x désignent des mineurs dont la valeur est donnée par la formule A,, = (- 1 ).+' D F.--F-.F.-H'.-.F-.. . On aura donc dF, dF„ . dF, dF^ An -— -+- A21 h • • • = 0, etc. dz-z dz. Multiplions les équations (5) respectivement par A^, A21, -.oA,,,!? puis par Ajg, A22, ..., A,„2, etc., et ajoutons, il viendra : Z.A + k,-fA„^+...+A„.,^]=0, (4.) 1 V dXi dXi Z„.A-t-2X,- A„„- 1 H A,»,.,—— =0 1 \ dXi dXij '"'»■ - (4„,) ( CO) Il est facile de simplifier ces relations. On a, pour chaque va- riable X, 'El ElÉîi EiË^=o dx dz-i dx dz,n dx c/F,„ d¥,n dz, d¥^dZr,,^^ dx dZi dx dz,n dx Multiplions ces relations par A,i, A,-2, .. . , A,„, , et ajoutons, elles donneront f/F, dF„j, dZi dx dx dx A cause de cette équation (5), les équations (4) prennent la forme très-simple découverte par Jacobi : Z. = X,^+X,^ + ...H-X„^, (6.) dXi dx.2 dXn Z,„=X,- hX^- 1 V-\n-— ^^"'> dXy dx.2 dXn 30. [Démonstration directe des formules (6). Voici une dé- monstration directe des m formules (6), qui n'a pas été remarquée encore, croyons-nous. Le déterminant fonctionnel est nul, parce que les {m -h n) fonctions i^i, ..., u^i et 2,, des varia- bles Zi, ..., 2,„, X,, ... , ic„ ne sont pas indépendantes, puisqu'il existe entre elles m relations (1). L'équation, qui exprime cette dépendance, savoir s, = o, est précisément l'équation (6,).] Si l'on remplace les A, par leur valeur, dans chacune des équa- tions (4), on arrive à une formule remarquable de la théorie des déterminants fonctionnels. Elle exprime la même chose que l'équation S,= 0, mais les relations entre les z et les «, suppo- ( Cl ) sées explicites dans cette dernière, sont supposées sous forme implicite dans la formule dont nous parlons. Nous croyons inutile de l'écrire. 31. Intégration du système (6). Si dans le système (6),Zi,...,Z„j. Xt, ...,X„, sont des fonctions quelconques, pour intégrer ce sys- tème, on cherchera d'abord les N intégrales ttj = a^ , Wg = «2 • • • • 5 Wn = «N , des équations dZi dz„i dXi dXn Toute fonction F des quantités u satisfera aux équations (5) et par suite égalée à 0, aux équations (6). On pourra donc prendre pour système intégral des équations (G), m relations de la forme F = 0. Réciproquement toute équation qui satisfait avec (m — \) autres, au système donné (6), est de la forme (1). En effet , on aura : Sj^ ^d^ ^'P dz,„ _ •^x^ ^Zi dXi ^z,n dx^ ' ^d) â • • • 5 *m > «^Ij • • • > '^'J ce qu'il fallait démontrer (*). (*) Cette réciproque n'est pas donnée par Jacobi. ( 62 32. Co?icliision générale. 11 résulte, des théorèmes démontré dans ce chapitre, que la solution d'un système : dyi cly^ _ dijk Y, Y, au moyen de {k — 1) relations : Ya (A) u^ = ai, 11^=: a.^^ Yi, Ya, ..., Wi, îh,..' étant des fonctions de iji, y^, ...■> entraine celle des systèmes d'équations suivants : (A -2), (A'-l). dy-, dy^ V- =v. î;^ H-Y.î;^ + etc., dî/, dy^ y. = (V. = etc. Y _Y ^ +YÎ^ Y, =Y. fi' +Y.f^e,c, dyi dy^ Yj =\a_i-- I-Ya-— , Y, =Ya_1-; hlA— — 1 f/y* - 1 dyk (B) Y, =V. dyk-i dyk dyk ^. dy^ dyk Ya_i=Y/ dyk-i dyk ' ( 05) dont le premier est réduit h une équation, et dont le dernier est le système (A) lui-même. La solution d'un quelconque des sys- tèmes (B) se compose d'autant de relations distinctes, de la forme qu'il y a d'équations dans le système. CHAPITRE ïf. MÉTHODE DE LAGRANGE POUR L'INTÉGRATION DES ÉQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES A TROIS VARIARLES ET DE QUEL- QUES ÉQUATIONS CONTENANT UN PLUS GRAND NOMBRE DE VA- RIABLES (*). § 8. idée géttét'ale de la méthode de Êjugrattge. 33. Idée générale de la méthode de Lagrange. Soit f{x,ij,z,p,q) = {), ou fj = K{x,ij,z,p), ..... (1) (*) Lagrange (Mémoires de Berlin, 1772, OEuvres, t. III, pp. 349-577) a ramené rintégraliou des équations quelconques du premier ordre à trois va- riables, à celles des équations linéaires aux dérivées partielles à quatre varia- bles et aussi du premier ordre. Il a réduit, comme on l'a vu dans le chapi- tre pr^ rintégration de celles-ci à celle des équations différentielles ordinaires, en 1779 ; cependant en 1785, il ne voyait pas encore clairement qu'il résulte de là que l'intégralion des équations aux dérivées partielles quelconques à trois variables est ramenée à celle des équations différentielles ordinaires, car dans son Mémoire de cette année, p. 188, il déclare ne pouvoir achever l'intégra- tion d'une équation non linéaire. C'est Charpit qui a montré, le premier, en 1784, dans un mémoire qui n'a jamais été publié, la connexion de ces trois questions : intégration des équations différentielles ordinaires, intégration des équations linéaires aux dérivées partielles, et intégration des équations non linéaires aux dérivées partielles. Nous empruntons ces remarques à Lacroix, î. II, n« 740, p. 548, et J.\cobi (Journal de Crelle, t. XXIII , p. 3). (64) l'équation donnée. Remplaçons q par sa valeur dans dz = iidx -+- qdy ; (2) il viendra dz = pdx-\- K{x,y,z,p)dy (o) La méthode de Lagrange, sous sa première forme, consiste à chercher, en général par tâtonnement, une valeur de p conte- nant une constante arbitraire a et rendant l'équation différentielle totale (5) intégrable; puis à en déduire z avec une seconde constante arbitraire b. Autrement dit encore, et sous une forme plus générale, on doit chercher une relation autre que (1) entre x, y, z, p, q, contenant une constante arbitraire, et telle que les valeurs de p et q qu'on déduit de cette relation et de (1), rendent l'équation (2) intégrable (*). La méthode s'étend sans peine à un nombre quelconque de variables. Soit f{Z,Xi,...,Xn,Pi..--^Pn} = ^, OU p„ = ^ {Z;X^, . . . , Xn,2hr ", P»-i) , (!') l'équation donnée. Remplaçons p„ par sa valeur dans dz z= PidXi -h p^dx^ H h Pnd3['„ ; (2') il viendra dz = PidXi -t- p^dx^ H h rdXn (3') 11 faudra trouver pour p^, pa? •••> />n-i des valeurs contenant chacune une constante arbitraire et rendant (5) intégrable. Plus généralement, il faut trouver (n — 1) relations contenant cha- cune (/^ — 1) constantes arbitraires et donnant, avec (4) , pour Pli Pit —iPni des valeurs qui permettent d'intégrer l'équation (2'). Telle est la méthode de Lagrange, sous sa forme la plus géné- rale. Nous allons montrer, sur quelques exemples, que l'on peut déjà, au moyen des indications qui précèdent, intégrer des équa- tions assez compliquées. {*) Lagrange, dans son premier mémoire, a indiqué la méthode générale pour trouver celte seconde relation, mais sans pouvoir la faire aboutir en général, puisqu'il ne possédait pas alors Tintégralion des équations linéaires. ( 65 ) 34. Exemples. I. Soit à intégrer les équations (*) : ^'^ q = ^ {p, y)' Oh aura dz = 2^dx -+- ycpdij, dz = pdx -t- k {p, ij) dij, équations immédiatement intégrables si on fait p = a. On trouve les intégrales complètes : z=: ax -i-b -\- xaij, z = ax -\-b -\-J% {a, ij) dy. En appliquant ce procédé d'intégration aux équations : pq=\, p^ -\- q^ -^\z=i m^, P =qu-^q-, on trouve les intégrales complètes : z = ax-h 6 H — ' a z:=ax -^ b -\ 5 Vnf y' yVy'-^Aa z^ax-\-b—~± l- ^- — -+-2al(î/-t-l/y2H-4a) . La seconde de ces équations répond au problème suivant : « Trou- ver les surfaces dont l'aire, pour une portion quelconque, est à sa projection sur le plan des xy, dans le rapport m : 1 ; ou encore : Trouver les surfaces dont les normales soient parallèles aux gé- nératrices d'un cône droit (Comp. n° 15). II. Soit à intégrer : 1° L'équation (**) fi{0C:P)=f,(y,q)- [*} Lagrange, Mémoires de Berlin, 1772, ler, S^e et S-^^ cas ; OEuvres, I. III, pp. 558-560. (**) Lagrange , Mémoires de Berlin , 1772 , i»"- cas, OEuvres, t. III , p. 561 ; Mémoires de Berlin, 1774, n° 50 , OEuvres , t. IV, p. 80. Tome XXV. 6 { 66 ) On posera On en déduira : d'où dz = f , (JT, a) dx -\- fi Oy, a) dy, 2° Soit de même à intégrer (*) F(A,A,...,A) = o, où II suffira de poser F{a^,a2,...,an) = 0 pour pouvoir déterminer, pif en fonction de x^^p^-f en fonction de a'2) ••• > ^c manière que dz = pidXi H Hp^dj:-,, deviendra intégrable après multiplication par -f. On peut rattacher à ces deux exemples la méthode dite par se- punition des variables ; on la trouvera plus bas (§19, n" 72;. III. Soit encore à intégrer l'équation (**) q = pf{x,y)-i-¥{x,îj,z), On aura dz = p[dX'\-f{x,ij)dy]-h Fdy. Intégrons dx -¥■ fdy, au moyen d'un facteur intégrant v, de manière que V {dx ■+■ fdy) = du . (*)Lagrange, Mémoires de Berlin, 1772, n«s 13-14; Œuvres, t. III, p. o74. (**) Lagrange, Mémoires de Berlin, 1772, S"»* cas, l. III. p. 567; idem, 1774, l. IV, n" 5-2, p. 82. ( 07 ) On éliminera x do F, en y introduisant u, puis on intégrera dz — Fdy = 0 au moyen d'un facteur intégrant V^ de telle sorte que, dans celte hypothèse , \{dz-Fdy)==d\], ou encore, en supposant u variable, que dU V (dz — Fdy) H du = dU . du En introduisant du et f/U dans la valeur de dz, il vient enfin dU \pdu] 'dU d\] ==\(dz— Fdy) H du= -f-—^. -*- r — du. du V I 'du Posons \p f/U h — = a V du et nous aurons, pour intégrale : V — au - b = 0. Ainsi, par exemple, si (j = p'^+{x'-hy'-i-z), u = x-^-\-y-^, v = ^œ, U = \{z-^u) — y, V = (:: 4- u)~ S et l'intégrale est - y H- 1 (s -t- a;2 H- î/2) _ a (œ"" -t- ?/^) — & = 0. IV. Soit enfin l'équation {*) q^p"'x f,x X M X f^z. Nous poserons p = Fi^;. F^z, F, et Fi étant des fonctions encore indéterminées. On aura dz = F^œ . F^z . dx -\- {F,œ)'" . f,x X f^y X (F^^)'» . f.,zdy. (*) Laguangr, Mémoires de Berlin, i772, 9'»^ cas, t. III , p. 569. ( 68 ) Si l'on détermine Fi et F2 par les relations il vient : dz adx TT- = --= + a"'f^ydtj , ^'a^ ^t\x qui est immédiatement intégrable. On trouve la même solution , par la méthode dite de séparation des variables (voir plus bas, § 19, n» 72). § 9. Méthode de Eittgrange pou»* l'itttégralion des équations aux dérivées partielles à tfois variables (*). 35. Cas où l'équation ne contient pas la variable dépendante. Soit f{^^y,P:q) = ^, ou q = K{œ,y,j)). (1) l'équation donnée. On sait que dz = pdx -*- qdy . , (2) Si l'on connaissait les valeurs de p et de q en x et y, on devrait avoir ^=^ (3) dij dx et l'équation (1) pour ces valeurs deviendrait une identité. On a donc : dq _Bic S-A dp dx <^x Sp dx ' Sf Sf dp Sf dq ^ — -+- — — -!- — -^ = 0 U') Sx êp dx Sq dx ^ ' Éliminons jj de la relation (4) ou de la relation (4'), au moyen (*) Outre les écrits cités au conuiienceinent du § 7, voir Jacobi, Vorle- siingen liber Dynamik, leçon 22, pp. 168-173. dp _ dy Sy. S-K dp ''S^'^Sp dx ' èx Sf dp Sf dp Sp dx Sq dy ( «9 ) de (5); nous trouverons que p doit satisfaire à l'une des équa- tions linéaires équivalentes : (S) -^-t-V-— -t- — — =0 (5') dx Sp dx Sq dy Réciproquement, si Ton connaît une solution des équations (5) ou (5'), la valeur de p donnée par cette solution, et la valeur cor- respondante de q donnée par (1), rendent dz intégrable, ou satis- font à l'équation (5). En effet, des équations (1), (5) ou (!), (5') on déduit l'équation (3). Ainsi, on trouvera toutes les, solutions de l'équation (1), en cherchant toutes les valeurs de p, qui satisfont à l'équation (5) ou à l'équation (5'), puis au moyen de (i), toutes les valeurs cor- respondantes de ry, et intégrant l'équation (2). En général, il vaudra mieux se contenter de chercher une valeur de p conte- nant une constante arbitraire «, et satisfaisant à (5'), puis la valeur correspondante de q, et enfin intégrer (3); on arrivera ainsi à une solution de l'équation (1) qui contiendra deux con- stantes arbitraires, et qui sera une intégrale complète. L'intégrale de l'équation [\) peut être trouvée, par des calculs plus symétriques, si l'on cherche une seconde relation fiix,y,p,q) = Q, entre x, y, p, r/, qui serve à déterminer p et q avec (1) de la ma- nière suivante. On a alors Sx Spdx Sqdx ' Sy Sp dy Sq dy Sx Sp dx Sq dx 1/1 + ^^-4-^^-^=0 Sy Sp dy Sq dy Éliminant, au moyen de la théorie des déterminants, dp dq dp dq dx dx dy dy ( 70 ) entre ces équations et l'équation (5) , il viendra : X, p y, q OU lLlù-^l^A^!L^A ^^l!Ii^o_ (6) ^œ ^p ^p ^x Sy Sq Sq $y 36. Cas général. Soit maintenant l'équation f{x,y,z,p,q)==0, ou q ^ y,[x ,y,z,p) (7) On sait que dz = pdx-k-qdy (2) Si l'on connaissait une seconde relation f,{x,y,z,p,q) = 0, (8) entre oc, y, z, p, q, on pourrait déduire, de cette équation et de réquation donnée, les valeurs de p et de ^, et en substituant ces valeurs dans l'équation (2), celle-ci deviendrait immédiatement intégrable. On devra donc avoir 'II^^, (9) dy dx ^" Sp $p rJq §q '3y àZ àX dZ pour toute relation (8) correspondant à une solution de (7). Supposons que l'on substitue dans l'équation (7) les valeurs de p el de q en X, y, z, déduites de cette équation (7) et de l'équa- tion (8); l'équation (7) deviendra une identité, et par suite on aura : <^q ^>c ^K Sp Sq Sk ^'K Sp , . q ^"^.i" Iplx' lz~'Sz ~Jp~Iz' *^" êf Sf Sp Sf Sq Sf ^f Sp rjf Sq ^ , — -4-— — --h — — =0, —H — ^ _L + ^_^=o. . . (10') èx ^p §x Sq Sx Sz Sp Sz Sq Sz Au moyen des équations (10), ou (10') et (7), on pourra éliminer ^1^ de l'équation (9'), qui deviendra ainsi : Sp Sk §P Sp ( $k \ Sk Sk SxSp hj Sz V Sp Sx ' Sz ' r 71 ) ou fpf/ ^P_lf ^(4-l)Mg-l)--""' Réciproquement, des équations (7) (H) ou (7) (11'), on peut déduire l'équation (9'). L'intégration de l'équation (7) est donc ramenée à celle de l'équation (11), ou de l'équation (H') d'où l'on suppose q éliminé. On peut aussi ramener l'intégration de (7) à la recherche d'une relation implicite (8). Pour cela, on tirera de (7) et (8), Sx Sp Sx Sq Sx ' Sx Sp Sx Sq Sx Sf Sf Sp Sf Sq Sf, Sf, Sp Sf, Sq Sy Sp Sy Sq Sy ' Sy Sp Sy Sq Sy ' ^ ^ ' S£ SJ_S_p_ ^_lfQ^Q f/i ^ll ^^^Q Sz '^Sp Sz'^ Sq Sz ' Sz'^ Sp Sz "^ Sq Sz Les deux premières de ces équations donnent : les secondes : les troisièmes x,p q.pSx y,fi v,q ^y z,p q. p Sz z, q p, q Sz Combinant ces relations avec (9) il vient : x,p y,q z,p z,q ou.eji changeant les signes, et ordonnant suivant les dérivées de/i îf^Sf Sf\Sf SfJ Sf Sf\ SfJSf Sf\ SfJSf Sf\ Ix'Sp'^ 'Sy'Sq~^^\ 'Sp'^ ^^Tq)~ ~S^\Sx '^^TzJ ~Sq\S^j '^^Yz]~ ^'^^^'' On arrive au même résultat, par la théorie des déterminants, en éliminant les dérivées de p et g entre (9') et (12). On peut aussi remonter des équations (7) et (15) à l'équation (9'). dx dy 1 du dz Sk dz dp Sk dx Sk Sk Sx ^ Sz -dp Sf Sp dx Sf Sq dy Sf Sq Sf Sf ^'Tp-^'^J^j dz Sf Sf Tx-^^Tz -dp -dq Sf Sp Sf Sf Sf Sf Tx-^^'T. Sy^^Sz (72 ) 37. Déduction de l'intégrale générale, de V équation fJiJ , fii'J ou (15). Les systèmes d'équations différentielles simulta- nées correspondant à ces équations, d'après le n" 52, sont : (n«) (lô„) Considérons l'un quelconque de ces systèmes; on tire immédiate- ment des deux premières équations dz == pdx -^ qdy , (14) relation qui peut donc remplacer l'une d'elles. Lagrange a ingé- nieusement déduit de là la solution d'un paradoxe analytique qu'il avait découvert lui-même. Le système (i JJ a pour solution un système u ^ a, V = b, IV = c, où u, V, w sont des fonctions de x, y, z, p, et a, b. c des constantes. Par conséquent, l'intégrale de l'équation (H) ou (H') est une rela- tion de la forme u z= (jf {;v , 10} (15) f étant arbitraire. « Cette équation (15), dit Lagrange, combinée avec l'équation donnée, f{x,y,z,p,q) (7) donnera les valeurs de p et q en x, y , z , qui , étant substituées dans l'équation dz = pdx -\- qdy (:2) la rendront susceptible d'une équation en x,y, z qui sera l'équa- tion cherchée. » ( 75 ) « Comme jusqu'ici , rien ne limite la fonction f {v , iv), il s'en- suivrait que l'équation primitive cVune équation du premier ordre à trois variables pourrait renfermer une fonction arbitraire de deux quantités; il est facile de se convaincre qu'il est impossible de faire disparaître d'une équation à trois variables une fonction arbitraire de deux quantités par le moyen de ses deux équations dérivées. » Cette objection n'est pas tout à fait exacte. On peut dire sim- plement ceci : il est assez extraordinaire, au premier abord, que l'équation primitive d'une équation du premier ordre à trois va- riables puisse dépeindre de la valeur de p, déduite d'une rela- tion (15) qui renferme une fonction arbitraire de deux quantités. Quoi qu'il en soit, Lagrange a très-bien expliqué le paradoxe que nous venons de faire connaître et a donné en même temps le moyen de trouver l'intégrale générale de l'équation (7), comme suit : Au lieu des variables x,y,z,p, qui entrent dans les équa- tions (il„) ou (141), nous prendrons u, v, w,p. L'équation (14) pouvant remplacer l'une des équations (IJJ ou (lia), « ^^^^ ^^ formule dz — pdx — qdy, les termes provenant de la variabilité de p 5 se détruiront mutuellement, puisque ces mêmes expres- sions » des anciennes variables en fonction des nouvelles, « ren- dent cette formule nulle dans le cas où u, v, w sont constantes. Elle deviendra donc de la forme : \jdu -h \dv -+- Wdw , dans laquelle U, V, W seront des fonctions de p, u, v , iv » (Lagrange). Au lieu de l'équation (14), on peut donc prendre Udw -f- Vrfy -h Wdio = 0 (16) Comme l'équation (15), qui est une solnlion de celle-ci, ne con- tient plus explicitement jo, il en sera de même de (16), de sorte que U, V, W sont exprimés au moyen de u, v,iv seulement. Au lieu d'intégrer la relation dz = pdx ■+■ qdy (2) ( 74 ) après y avoir remplacé p et q par leurs valeurs tirées de f{œ,y,z,j),q) = 0, (7) n=?{v,iv), (15) nous pouvons donc intégrer UdwH-Vf/y-f-Wt/ïo = 0, (16) en tenant compte de u= y(v, îo), (15) les fonctions u,v, w ne contenant pas {u,w) du = Q, ijui conduit à l'intégrale générale. Kn posant, au contraire, rftc = 0, dii=Q, 10 = X = c , u = ij — p = a , p on trouve deux relations, qui par élimination de p conduisent à l'intégrale complète {x — c) {y — a) =z z . On arrive encore à l'intégrale complète, en prenant pour déterminer p l'équation [y — p) = ci. On a p = y ~ a, g = -^ — , y — a dz = (y — a) dx H ^ — du, y — a ou dz zdy y — a {y — af ~~ L'intégrale de celle-ci est — - — = X — c, y — a ( 78 ) OU {X — c) (y - a), 40. Exemples dépendant de l'intégration d'une seule des équations auxiliaires. I. Exemples dépendant de l'intégration de dx dy. il On pourra intégrer cette équation , si l'on a : Sp c'est-à-dire, si Téquation donnée est de la forme : q = pF {x, y)-\-'-f [x, y). Dans ce cas dz = p (dx -i- Fdy) -+- f {x, y) dy. Si dx -h Fdy = 0 a pour facteur d'intégrabilité v, de sorte que V (dx -+- Fdy) = du, viendra : dz = ^-^-^'f{x,y)dy. V Supposons que l'on ait éliminé x de f et de v, en remplaçant cette variable par sa valeur en u et y; on devra avoir '© dy du On déduira de là "^ifi^v- Cette valeur de p contiendra une constante arbitraire ; la valeur de z en contiendra donc deux et donnera l'intégrale complète (*). (*) Lagrange, Mém. de Berlin, 1772; Œuvres, t. III, o°i<" cas, p. 562. { 70) Soit, par exemple, œq = py + xc'^+y^; on aura : df Il Cl Y X " du p = ^œije" -t- 2ax , q — "2i/e" -h e" -t- "2ay, dz = ije^'^+y^ C^xdx •+■ ^ydy) ■+■ e'^'-^y^dy -\- 2axdx ■+■ ^aydy, z = /ye^2+2/' -\-a{x^-\- if) H- 6. II. Exemples dépendant de Viniégration de dy = —^^-' Sk Sx, Jx'^^Jz On pourra intégrer cette équation, si l'on a : dp dx Sk ^, ^ ^ dy Sx Sz Cette équation linéaire aux dérivées partielles donne pour k ou q la valeur suivante : q = xV ip, y)-i-f (p, y,z— px). On déduit de là : dz = pdx +• xV (p, y)dy-\- f ip, y, z — px) dy Posons dp —F(p, y) dy = 0 , ce qui détermine p, et {z — px) = u; l'équation précédente de- viendra du — f (p, y,u) dy, d'où l'on saura éliminer p (*). Comme cas particuliers, nous citerons : P Celui où F (/',!/) = /y; alors P = '^iJ, du = fi^y, y,u)dy. fj Lagrange, Mém. de lîerlin, 1774; Œuvres, l. IV, n° 34, p. 85. (80 ) 2° Celui où F = 0; alors q = ?{P, y,z — px), ou z = px-\- f{p.,y,q). Dans ce cas : z = ax -i- II, du = '^{a,ij,u)dij. 3" Enfin, comme cas plus particulier encore, l'on peut considérer les deux équations qui ont été traités plus haut (n° 54, I, p. 05). Au reste, nous avons étudié auparavant l'équation la plus géné- rale dont nous nous occupons ici (n° 21). III. Exemples dépendant de l' intégration de dx — dp Posons ou — \- p — Sp Sx èz dp ^ p ^ Y {x,p) = 0. àX àZ Sp Pour trouver la valeur de y. ou q qui satisfait à cette équation linéaire, nous devrons intégrer le système auxiliaire: dx dij dz dp dq 1 ~ 0 ~~~p~ ¥ {x,p)~~Ô ' Soit T = a, l'intégrale de dp = F (x, p) dx ; tirons-en p = tt (x, a). On aura dz = ;r {x, a) dx, z — /r {x, a)dx = b; les autres intégrales sont q = c ^ y = d. Donc l'équation linéaire qui donne q, aura pour intégrale : 7 = f (?/, T, z —Jtt {x, a) dx). ( 81 ) La relation dz = pdx -4- qdy, devient dz = pdœ + f (y, T, s —J^r {x, a) dxy Posons, p=7v(x, a), el soit z = /V {x , a) dœ -^' V, il viendra : dz = pdx -\- dv = pdx -t- 'i {y, a,v) dy. On n'aura plus qu'à déterminer v par la relation : dv= f {y, a,v)dy. Remarque. Il est visible que ce cas ne diffère pas au fond du précédent, puisque les x et les y jouent un rôle identique dans les équations aux dérivées partielles. Nous nous contenterons donc de donner un exemple particulier, emprunté à Lacroix (*). L'équation : q = {z -\- pxf a pour intégrale : z H h^ = 0. X y -\- 0 IV. Exemples dépendant de l'intégration de dz dp Sx Sy. Sv. Sp Sx Sz Nous poserons, pour rendre cette équation intégrable : Sy. Sy. I S/-\ _^p_=F(.,p)(..-p_j. Cette équation aux dérivées partielles a pour système d'équations simultanées correspondant : dx dy dz dp dx 1 ~" 0 ~ p "~ pF (z, p) ~ 5tF (z, p) Soit T = 6 l'intégrale de dp = F(^, p) (/z, et soit p = 7r(z, h) la (*) TomeII,no741,p. S49. Tome XXV. 7 ( 82 ) valeur de p que l'on en déduira; on aura pour les autres inté- grales du système auxiliaire, r dz K T= pa. X — / = c . 11= d. L'équation en y, conduit donc à l'intégrale : Les équations de cette forme donnent pour dz la valeur /* dz dz = 7r{z,h) / •+- di^ ^f{^j^h.v)dxfy dz On posera il viendra : qui se réduit à l'équation intégrable : d\i H- f (ijj !■>, h) dg. = i). Cn cas particulier est celui où 7 = /-(/?, s). On a alors dz = pdx -\- y- (p , z) dij . La condition d'inlégrabiiité est, en supposant/; fonction de - seul. ;) = Trr, par cxcmj)lc, êz^''- ' \sz èp ^zr ou Donc qdp = pdq . q = ap ou K (p , z) ^= ap On tire la valeur de tzz de cette dernière relation. Cela fait, p = nz conduit à la valeur de x : X fdz ^ ( 85 ) D'aulrc part, q = anz donne fdz J ^- Pour que ces deux relations soient identiques, il faut que '\>\j ^= — ay -\- b, XX =■ — x -A- b. Donc, enfin, l'intégrale complète est: X -\- ay — h = / — ■ ' Cette solution ingénieuse est due à Lagrange (*). Application géoméiricjue. Trouver Véquaiion iVune surface dans laquelle la longueur de la normale comptée jusqu'au plan des xy soit égale à l'unité. L'équation du problème est : z^ {\ -t-jr-+-fy2) = l. Posons . p=z ,TZ^ q = azz , on aura : rZ' La solution sera donc x-\-ay = b - \/l -+- «2 \/\ - z.\ ou (x-^ ay — bY= (1 -+- a^) (1 - z^). C'est l'équation d'un cylindre de révolution, dont Taxe est rei)ré- senté par les équations : ; = 0 , X -\- ay — & = 0. On trouve pour solution singulière, d'après la règle générale, ; = ± 1. En procédant autrement, on arrive à une intégrale complète (*) Mémoires de Berlin, 177:>, OEuvres, t. III, 7'"^ cas, p. :i66 ; 177-i, Œuvres, t. IV, n« 51, p. 81. ( 84 ) qui représente la sphère. On tire, de l'équation donnée : q= Par conséquent, ^zdz = 2zpdj- -i- 2 (1 — 3^— jrz-)' * dij. Le premier membre est une différentielle exacte; il en sera de même du premier terme du second, si l'on fait p^ = (« — x). Dans cette hypothèse, soit il viendra 2(1 — vy'uiij = dv, ou i\-v) = iu-by-. Donc enfin : z^-h(x — af-^- (y — bf= 1. Remarque. Dans les divers exemples que nous venons de traiter, nous avons toujours employé la méthode du n° 58, qui consiste à tirer la valeur ôep de la solution n =a, de l'une des équations auxiliaires. Nous savions à priori que nous devions arriver de cette manière à rendre dz =^pdx -+- qdy intégrable. Nous venons de voir « posteriori qu'il est bien ainsi. 41. Quelques exemples dépendant de rintégration de deux des équations auxiliaires. I. Considérons les équations auxiliaires : dx dy dp Ces équations seront intégrables si -— el — -4- » — ^p ^œ ^z sont des fonctions de x, y et p seulement. Il suffît pour cela que z entre dans q au premier degré et soit multiplié par une fonction de y seul; autrement dit que q=F (x,y.p}-{- z'^ij. ( 85 ) Comme cas parlieiilior, nous pouvons citer celui où On a alors une équation qui ne contient plusz, et on peut lui appliquer la méthode du n" 35. Ainsi, l'équation px-\-qij = pq donne, de cette manière, p=zij-\-b-^x, q = x-\-h[i, ^h{z — o) — {x-\-hyY. Lagrange traite, par un artifice spécial , Téquation (*) : x\ \ U' 11 pose x = yu, p=fu, d'où ax = ydu -h udy , q = f{fu,ii) dz = yfiidu ■+- [fi'fu, u) h- u'fu^ dy. Il détermine -^ par l'équation b -^- ffudu = f{fu,u) -^ iifu, ce qui donne : ^ z = a -h- by -\- yj fudu. II. Les équations auxiliaires dx dz dp Sy. ^K - — X — p — Ip ^ Sp dz ^K dy, dp ity — dK K - p — dp conduisent de même à l'intégralion des équations aux dérivées partielles de la forme : ç = F {y, Z; p) -+- pxfy, q=-^yF{x,z,p), ou, au moins, la facilitent considérablement. (*) Lagrange, Mém. de Berlin, 1772, OEuvres, l. III, 6'= cas, p. 364. Avec cet exemple se termine l'analyse de tous les cas particuliers traités par l'habile géomètre de Turin. ( 86 ) CHAPITRE Ilf. EXTENSION DE LA MÉTHODE DE LAGRANGE AUX ÉQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES CONTENANT UN NOMBRE QUELCONQUE DE VARIABLES {*). § 11. VhéoÊ'ie. 42. Rédaction de la question à l'intégration d'un système d'équations différentielles simultanées. Soit donnée l'équation /■(z,œ,,œ^,...,Xn,Pi,p^,...,Pn) = 0 (1) Si l'on en connaît une solution, les valeurs de pi,pi, ..., p„, en (*) Cette extension de la méthode de Lagrange , vainement tentée par Char- piT, d'après Lacroix, t. II , n" 748, pp. 567-57i>, a été effectuée par Jacobi, dans le petit mémoire intitulé : Ueber die Intégration, etc. (Journal de Creile, t. II, pp. 317-329). Les calculs sont les mêmes que dans la méthode de PfafF, mais ils sont effectués dans un ordre inverse. Dans la méthode de Lagrange et Jacobi, on ramène Tintégration des équations aux dérivées partielles non linéaires à celle des équations aux dérivées partielles linéaires, ou à celle des équations différentielles simultanées correspondantes; c'est là l'idée fondamen- tale, qui conduit d'ailleurs à un changement de variables, comme on l'a vu au n" 37. Dans la méthode de Pfaff , au contraire , le changement de variables est l'idée fondamentale, et elle conduit au reste aux équations différentielles simultanées dont nous venons de parler. Comme on le voit, le travail de Ja- cobi, que nous analysons dans ce chapitre, est éminemment propre à montrer le lien qui existe entre la méthode de Lagrange et cille de Pfaff. C'est pour- quoi nous le plaçons ici, quoiqu'il n'ait eu absolument aucune influence sui- le développement de la science. [A. Meyer , dans l'écrit intitulé : Mémoire sur l'intégration de Véquation générale aux différences partielles du premier ordre d'un nombre quel- conque de variables (Mém. de l'Acad. de Belgique, t. XXVII, 3« pagination, pages 1-24), a reproduit le travail de Jacobi que nous, analysons ici, sans y faire d'addition essentielle.] (87 ) z, X;, Ta, ..., Xn que ion en déduira, rendront intégrahle l'équa- tion : dz = p^dx^-hP2rlx^-^ Hp„rfa-„ (2) Pnr conséquent, on aura : dpi clpk , . -r~ = -," ' ^ ' dxk dXi ou ^Pi Spi Spk Spk SXk ^Z àXi àZ Si Ton substitue dans (1) les valeurs de pi, ..., p„ dont nous par- lons, et que de plus, l'on remplace z par sa valeur, l'équa- tion (1) deviendra une identit'^ dont nous potirrons déduire, par dérivation : Sf ^f Sf dp, ^f dPn .^ , àXi àz àp, dXi ôp„ dXi Sf Sf Sf dp, _^ _^ ^f dp,, ^x^ ^z dp, dx^ àp„ dx.2 'sf ' '^f n dp, ' Sf dp',, — T ir Pu = ^— -, \- ... ^ —- -—- . . . . 4„) àXn àZ dp, dX„ rîp,, dXn Posons : Sf Sf Sf Sf Pi = ^ p, , . . . , P„ = ~p„ . . . . (5) Sx, Sz,^'' ' ' Sx,, Sz^ ' ^ ' Sf Sf P=P.y--^- -^Puir^ (6) Sp, dp,, Introduisant les conditions (3) dans les équations (4) et y ajou- tant une équation identique, qui n'est pas différente de (6), on arrive au système d'équations suivantes aux([nelles devront satis- faire les valeurs de z, pi, ..., p„ , déduites d'une solution quelcon- que de (1) : P-lL'l!!i_^ÎL'l!!i^....,.IL^ (7., dp, dx, Sp^ dx.2 Spn dx„ . lldp, Sf dp Sf dp, Sp, dx, Sp^ dx^ Sp,, dx,i ^ ^f dp,, Sf dp,, Sf dpn ._ . Sp, dx, Sp^ dx.j Sp„ dx,, Sf dz Sf dz Sf dz ,^ ^ Sp, dx, Sp^ dx^ Sp„ dXn (88) Il est essentiel de remarquer que, si l'on peut déduire les équations (7) des équations (4) et (5), on ne peut pas inversement déduire les équations (3) de (4) et (7). On peut donc conclure de l'analyse précédente que les valeurs de pi,/)2, ...,/?„, ^ en Xi, Xi, ... , x,, qui satisfont aux équations (7), contiennent les solu- tions de l'équation (1); mais la réciproque n'est pas vraie, en gé- néral : les solutions du système (7) peuvent ne pas satisfaire à (\). 11 résulte de là qu'il faut chercher, parmi les solutions du sys- tème (7), celles qui satisfont à l'équation (1). L'intégration du système (7), d'après le § 7 (voir particulièrement le n° 32), se ra- mène à celle du système ... (7a) dx. dXn dz dp. dPn S( Sf ~ P ~ p. K mno le ip. Spn ^f Sf Sf Sf n^^ n ^Z" _f_ ... -h — ^-f- Pt" h- P, h • • -H P„ Sx, Sp, Sœ„ Spn Sz '^Ih Sf les rapports qui entrent dans les équations (7J sont égaux à df autrement dit, une de ces équations peut être remplacée par rf/*=0. 11 résulte de là que l'une des intégrales du système (7«) est /=C2„,que nous écrivons /2„ = f2„; le système intégral des équa- tions (7„) pourra être représenté par les /"désignant des fonctions de z,x,, Xg, ..., x„, p,, p^, '-^Ptn les c des constantes. Le système (7) aura pour solution [n -+- 1 ) relations de la forme Reste à particulariser la forme des fonctions F de manière qu'elles donnent la solution de (1). ( 89) 43. Changement de variables. Posons, comme dans le cas des équations à trois variables : et déduisons, de ces 2/i équations, les valeurs des variables en fonction de Wi , «2 , . . . , ll2n - 1 , -. Si l'on introduit ces variables dans l'équation dz = p^dxi -+-••• H- Pndx„ , (2) elle deviendra : dz = Zdz -+- Uidw, H- Uadt/g -+-•••-+- U?»-! ^«2n-i- • • • (9) Il est facile de prouver que Z = i et que l'équation (9) ne con- tient plus z. En effet, on déduit des 7i premières équations (7a) Cette équation (10) peut donc remplacer l'une des équations (7), et il en est de même de l'équation (9), équivalente à (40). Or, les équations (7„) ont pour solution : qui donnent et par suite transforment (9) en Z= I. Ensuite F(W„W2,-..,"2n-l)=0 (H) est une solution des équations (7J et par suite de l'équation (9), ou de UidWiH nUg,, i2 Donc enfin, le système auxiliaire à intégrer est : 2 Sx^ 2^ dœ^ dœ^ dz — dp^ — dp^ _ — dp^ ~" ""T •^5 1 ^. ^-2 ?5 n. A cause des propriétés des déterminants, on a : ^,Xi -t- ^^X^ -f- T^X^ = 0 , Pi^i -4- P2?2 -+- P5?3 = 0 , ^,X, -\- \^X^ -f- ^3^75 = 1 , PiT, + p.r^ -+- Pg^Ts = 1 . Par conséquent, on peut tirer des équations différentielles : x^dx^ -\- Xidx.2 -f- x^dx. = 0, Pidpi -+■ p^dp^ -+- PsdPs = 0 , PidXi -+■ p^jdx^ -+- p-^dx- ^= dz=: — (x^dp^ -f- x.,dp.2 -t- x^dp.). {*) ScHLAEFLi , Sopra una equazione a differenziali parziale del primo ordine (Annali di matematica pura ed applieata , série 2^ t. TI, pp. 89-96). ( 95 ) La dernière relation donne encore : d {x^Pi -t- cc^p^ -^ iTgPs) = 0. On tire de là , en remarquant que ix- -t- xl -H xl) (pI -t- pI -}- Pi) — {x^pi -+- x^p^ -+- x^pj' = s\ -{- si -+- 5| , (3) trois intégrales qui sont comprises dans les équations suivantes : xl + xl -^œl = m^ s^ -+- s^ -f- s| = N2 (4i) {A.^} pl-hpl-\-pl^ ' X,p, + O^aZ^a + ^zPn = ^f COt f , (43) (4«) auxquelles il faut ajouter l'équation donnée : a^sl^a.,sl-\-a^sl=i: (1) X, m, £ sont des constantes arbitraires. IH. On a ensuite : J.ç, = x^dp^ + p^dx^ - x^dp^ — p^dx^ = ( — a?2^3 + Pj^^ -t- a^jH^ — Pi^r^) dz. Mais d'après les propriétés des déterminants : a^s^s.^ -+- O^j^a -H P3/T2 = 0 . Donc et, par conséquent, dSi = («2 — «3) s^s-dz. De même ds^ = (ttg — a J s^s^dz , dSj = (a^ ~ «a) SiS.idz. De ces équations une seule est distincte des précédentes, car on en tire : SidSi ■+- .'î^ds.2 -+- s^ds^ = 0, UiSidSi -h a^s^ds^ •+■ a^s^ds. = 0, qui conduisent aux relations (I) et (42). Nous poserons : du =: ^SiS^s^dz . ( 94 ) On aura : 2SjdSi = («2 — fls) du , ^s^cls^ = (a. — «i) du , '2s^ds- ^= (tti — «a) du , ou, en posant, pour abréger, ^^2 ■" ^'ô = ^l 5 f^3 ~~ ^1 = ^5 • ^1 ~ ^2 = ^ô: et intégrant : S^=:6lU-t- Al, si = b^u -\- A.2 , sl = b^u-\-A.. Les constantes A,, Aj, A5, à cause des relations (1) et (i^) sont telles que OjAi H- fl^Aj + OjA = 1 , A,-\-A,-^A, = '^. De plus on peut supposer Ai constante absolue, puisque u est une variable que nous choisissons arbitrairement (*). La relation qui existe entre n et z donne ensuite : -'-kf du i/(A, + b^u) (A2 -+- b^u) (Ag -+- 63W) IV. Cherchons une dernière intégrale . On a : Pidx^ — Xidpi = (pi^i -t-a^i^i) dz= {\ — a^sl) dz = {a^s\ -h o^^'^ dz p^dœ^ — œ^dp^ = (p^^a -t-^a^a) dz = (1 — a^s^) rf^ = («gÇ^ -h a^sl) dz Pzd^s - ^zdp^ = ip^-r^-^x^^^) ds = (! - a^sz) dz = (a, s] + «^5^) dz. Or: ^1, m- i ^1, 37"^ -+- a?| H- a;! I Pi , N col fi Pi , X,2h -+- ^aPa -+- ^5P5 ! '' ' " ' Donc : w^Pi = N COt £ . J?i — {X.2S^ — X^S.-,) , m^ ip^dœ^ — x,dp^) = x^d (oj^^^a — ^3^2) — (-^^a^s — ^s-^ ^^i- Posons : Na^i -= mf>^ cos e, , {x^s^ — j-j.Çg) == tnpi sin O^ , /j^ = ^-^ ~\- s: , (*) Nous avons vainement essaye de laisser Ai constante arbitraire et de rendre la solution du n<> 43 aussi symétrique que celle du n» 44. ( 93 ) ce qui est permis, puisque : {x^s. - œ^s^y + ^'xl = {.xl -\- xl) {si -+- si) - {x,s, -f- x^s^y + K'x; = (m^ — x]) (N2 - si) — (x,s,Y -t- ^'ocl = m' (N^ — si) = m^ (s; -t- «|). On aura : Xid {x.^s^ — œ^s^) = T7 Pi cos e^ (m sin O.dpj -+- mp^ cos 61^61) , m {x^s^ — x^s^ dXi = — ( — p^ sin e^fiO^ -t- cos O^dp) mpi sin ©^ . Par conséquent : m^ „ „ m- {si -+- si) ^„ m^ {p,dx, - x,dp,) = — p'dB, = —^ '- de, . On a donc les équations suivantes, en introduisant des quantités e^, 03 analogues à 0, : {si H- 5!) de, = N (agS^ + a^sl) dz, {sl-^s^^)de., = 'S{a^sl-i-a,s\)dz, {s\ -h s'I) de^ = N [aySi H- a^sl) dz. Les quantités Sj, .?;;, S3, ainsi que f/z, peuvent s'exprimer au moyen de y/. On peut donc écrire : /" <7,.s^ -+- a, si ~l ^dz, si -\- si 0 /" n.sl -+- ays\ — dz. sl-^sl 0 /'■' a,. s? -+- a. si -4 — ï^^-- sl + s'^ 0 Des trois nouvelles constantes -t, , «2, î'-s, une seule est arbi- traire. On déduit, en effet, des équations qui définissent ôj, 62, h • N- (x\ -\- xl -\- xl) = m" (p] cos- Q, -+- pi cos- e^ -+- pî cos^ Ô^) j = m^ fc'^ sin^* Oi -h p", sin^ 0.^ h- /;* sin^ y , ( 96 ) I plcos'Q,-\- pI cos^e^, OU ou encore, comme on le voit facilement : N2 = Pi cos N2 = pi sin^ 0, -t- pI sin^ ô^ -t- p^ gin^ 9^ . Si l'on fait îi = 0 dans ces égalités, il vient : N^ = (A2 H- A3) cos' «1 H- (A- -4- AJ cos' ^2 H' (Al -h A2) cos^ a , N' = (A2 -f- A.) sin' «1 -+- (A3 -+■ Ail sin' a^ + (Ai -4- A^) sin^ cc^ . équations équivalentes. On trouve une seconde relation de la manière suivante. On a identiquement : Si s^ s, ^1 (^2-^3 — ^3*2) + ^2 (^3«1 — ^1-^3^ + ^3 (^1*2 " ^2«l) = ^^ Remplaçant les différents facteurs de cette somme de produits par leurs valeurs tirées des équations qui définissent les 6, il viendra : Pi sin 2^1 -+- pi siu 20, + p] sin 263 = 0. Si l'on fait ?< = 0, on aura : (Ag 4- A5I sin 2û:i -4- (A. + AJ sin 2.^2 -1- (Ai H- A^) sin 2^3 = 0. On remarquera que les autres relations entre les quantités A et a sont équivalentes à celle-ci ; (A2 + A3) cos 2«i -h (A3 -h Aj) cos 2j'2 -4- (Al ■+- X^) cos ^x^ = 0. Pour plus de symétrie, nous poserons encore «1 H- o-'2 -+- «3 = on. Nous n'avons affaire qu'à cinq constantes, m, N, 7i, k et f; en effet, les quantités A s'expriment au moyen de N et A , et les quantités a au moyen de n et N. On remarquera que œ y z m m m dépendent seulement de N et 71 , z ne contient que k et N. I { 97 ) 45. Intégration de l'équation donnée. Prenons les quantités m, N, n, £, k et u pour nouvelles variables. L'expression p^dx^ -\- p.jdXçi -\- p^dx. — dz prendra la forme : — dk-^ P^dm ■+- Padn -+- PgdN , sans contenir rfe, puisque z, Xi, x^, Xg ne contiennent pas f ; ni du, puisque, d'après la théorie générale, si z était la sixième variable nouvelle, le coefficient de dz serait nul et que du = "-ISiSiS^dz. De même nous savons que Pi, P2, P3 sont indépendants de z et par suite de ic. I. CaUul de P,=p/^ + p/^ + p,^. On a : ri-)-'-' dm \mj donc dXi _ Xi dm~ m De même : dx.2 ^-2 (^J^ dm m dm Par conséquent : dXy dx^ dx ' ^'dm ^'dm ^ " dm 3 Pi^i-+-P^^2+P3^5 N - = — col £ . m m u. Calcul de P.. = p, igi h- p,^ + p, ^^ On a : CCI -h xt, -f- x'z = m . Donc Par suite : = S. dXi dn dXç^ dn dXs dn Pi, Pi dx^ dn dx, dx.2 dn "^""^ dn -hx. dx, dn dx dn '.^ -+-P3 dx, dn dx^ dn 'i'- rh- x,s^) d de doc, = — (mp, sin ').) = mp. cos 6, — — dn ^ ^' " '^' * dy, dn Na^i dx, dn ÏOME XXV. Donc enfin ( 98 ) dn I^eméme, ^ ^ dn dn D'où, en ajoutant, d'après la définition de n : d d.ôn 3?, = N— (a^ -+- a^ + ô^.) = N — — = 5iN . dn dn Par conséquent III. Calcul de P3 = p,^+p,^+p3^- ^.L'expression ^ est une intégrale définie entre les limites 0 et w, puisque N n'entre dans z qu'implicitement à cause des quantités A qui sont sous le signe d'intégration. Comme on peut faire w = 0, dans P3 sans changer sa valeur, on aura simplement : / ftoi dœ. dœ,\ Pour arriver à calculer cette expression , nous serons forcé de faire une hypothèse particulière sur Aj et a^. Nous supposerons A|= 0, «1 = n, ce qui ne changera rien aux calculs précédents, mais simplifiera les suivants en entraînant, pour u = 0, _ dû _ dai _ On a, comme plus haut : __ f/j-g dXs d dSçt ds^ L rrJi 4 — — Orr Sa ■ ' l tZ'gO -r Saut -r 1 "T^ OU-r — * 00:% ' • ' ' -^ dN ' dS dN ^ ' ' ' ^ ' f/N ' dN Exprimons {x^s^ — «2^3) 5 Sc^, s^ en fonction de N et de pi, et pi en fonction de Sj, qui ne contient pas N, et de N. On trouvera : œ^s^ — j-jSa = mpi sin Oj ; p\=z N^ _ «2 . ( 99 ) On tire de là : dN p, dN {a,_—a,)s, dN {a-, — a^)s.^ Par conséquent : N dO, N P.Xi = m S11101 — I- mpi cos ^i -ttt — , ^ {a^x^Sç^ + «s^s^s) Pi «N («2 — «3)^2-53 dO^ N N dN p, («2 — «3)^3 -+- ^3«3 [(«3 - «2) 4 — a^pl] \ dB. N = Na^i -— -4- ;^ ~- {a,sl — 1) (^aSa -H œ.s^). dh («2 — 03^^1*2^3 Comme on a encore ' dN {a^ — a^){sl-\-sl)s^s-, \ dN ' dsj Supprimons le facteur x, , et faisons t^ = 0, il viendra IV. Achèvement de l' intégration. Les calculs précédents ramè- nent l'intégration de l'équation donnée à celle de la suivante : COt £ dk = N dm -^ Ndn. m Choisissant pour A; une fonction quelconque de ni et w, il viendra : dk COt s dk dm m du Nous aurons ainsi k, N, cote exprimés au moyen de m, n. Donc Xi, ^2, X3, z seront des fonctions de m , n, n; l'élimination de ces trois quantités donnera l'intégrale générale (*). (*) ScHAEFLi donne une belle application de la solution précédente, au mou- vement d'un corps autour de son centre de gravité (1. c, pp. 94-96). ( 100 ) CHAPITRE IV. MÉTHODE DE PFAFF (*). § 15. T»^ansfo»*ntation de IPfaff. 46. Idh générale du problème de Pfaff. Pfaff a fait dépendre le problème de l'intégration d'une équation aux dérivées par- tielles du premier ordre du problème général suivant, qui porte son nom : Etant donnée une expression différentielle : XirfûCi -t- Xjda^a "• \-^mdx,n , (1) où X,, Xa, ... , X„, sont des fonctions de x, , Xs, ..., x,,,, la trans- former en une autre de la forme : > (U^dWi -t- Uad^a -^ h\}m-idUm-\) , (2) oùUi, Ug,..., U,„_iSont des fonctions de (m — 1) nouvelles varia- bles, t*i, ..., Urn-ït q^^i sont liées, ainsi que >, aux anciennes par des équations que l'on doit déterminer. Supposons ces équations de la forme : (*) Pfaff, Mcthodus generalis, aequationes differentiarum partiarum, nec non aequationes di/ferentiales vulgares , lUrasque primi ordinis^ inter quot cumque variabiles complète integrandi (Mémoires de Berlin, 1814-181o, pp. 76-136). Une analyse de ce mémoire a été faite par Gauss (Gôttingische gelehrte Anzeigen, 1*^' juillet 1815; OEuvres, t. III, pp. 231-241), et par Jacobi, Ueber die Pfaff'sche Méthode, etc. (Journal de Crelle, t II, pp. 347- 357), Sur la réduction, etc. (Journal de Liouville, pp. 161 et suivantes). Les mémoires de Jacobi et la petite note de Gauss contiennent divers perfection- nements de la méthode de Pfaff, que nous indiquerons plus bas. ( 101 ) On aura, pour l'une quelconque des variables , Xj, ..., a*,».!, ■^œ Sx Sx , dx^= —— dUi -+■ —— du^-i- •■• + dum-'. Sx OXm dX,n . . (4) Substituons ces valeurs dans l'expression (1). On trouvera: / SX^ ,^ SX^ ^ SXm~\\ ^ V SlUn-l SX:, SUn -\ hX„»_i Sx. Su. 3 diu, ' , SXi ,^ SX.2 ^ SXm~l ^ . . (o) Pour que l'expression (5) prenne la forme (2) , il faudra : 1° que le coefficient de dx„^ soit nul; 2° que les coefficients de dui, diii,...,cht„,_iSoient de la forme aUj, /Ua,.-? >U,„_i, U,,U2,..., U„,_,, étant des fonctions qui ne contiennent plus explicitement que les variables Ui, y^, ..., u„,. On devra avoir pour cela : d d log- > _ 1 dX dx,„ ^ dx,n A dx,n Les conditions précédentes s'exprimeront donc analytiquement comme suit : Xi Sx^ Su^ SXn Su, )X\. (6x) SXy SUm-\ Sx, -hX,H-l-r- = >Um-l, .". . [bm-l) SUm-i 1 dll],_ l d)U.2 yl\ dX,n >U2 ^^"» \ hX,„_i— h x,„ = o (6,„) Sx,, 1 d/U,»^i _ £^_^. . (7) '.U„,_i dx„ 1 dx„ 47. Détermination des relations qui existent entre les an- ciennes et les nouvelles variables. Cherchons les dérivées, par ( i02 ) rapport à x^, qui entrent dans ces dernières équations. On a: dX,n \ dXm ^U dX,n Su } Retranchons de cette équation celle que l'on obtient, en dérivant la relation (6J par rapport à w, c'est-à-dire : __ £îfi— /^l "^^1 d\m-i ëXm-l\ du \ du Sxm du SXm I -F X,— 1 hX,„_i -— p il viendra : £AU_/ dx,„ {*) Tout ce qui se rapporte à la résolution effective des équations (12) ne fait pas, à proprement parler, partie de la théorie que nous exposons ici. Sur les déterminants gauches et les pfafiiens , nous renvoyons à Baltzer, Dé- terminants, § III, n» 8, p. 21; § VIII, n<" 1-4, pp. 52-60; § IX, n"' 4-5, pp. 67-68. Pfaff et Gauss remarquent qu'il est impossible de résoudre le système (12) quand m est impair, mais n'en donnent pas la démonstration. Ja- coBi donne les notions les plus essentielles sur ce sujet dans le mémoire cité. Toutefois la théorie des pfaftiens est due surtout à Cayley , dont les travaux sont résumés et complétés par Baltzer, dans l'ouvrage cité. L'élégant artifice que nous donnons plus bas, pour résoudre le système (12) n'est pas dans l'ou- vrage de Baltzer (édition française). Nous l'empruntons à un petit mémoire de Cayley, où il est employé incidemment : Démonstration d'un théorème de ( m ) de celte manière, ces équations prendront la forme symétrique suivante : (1 , 1) dXi ■+- (1, -2) dœ.2-i h (1, m) dx,„ = X^da7,„-M, • • (13i) (2, i)dx,-^-{^, ^)dx,-^ h(2, m)dx,„ =X^dXm+i, • . (l^^) {m, i) dXi -+- (m, 2) dx.j,-[ H (wi, m) dx,n = X,ndXm-i.\ . • (13,„) Le déterminant de ce système linéaire est le déterminant symé- trique gauche : 11,12,13,..., im 21,22,25,..., 2m 31,32,33, ... , 3m G= ' ' ' ' mi, Or, celui-ci, comme on le sait, est le carré du pfaffien: (1,2, 3,..., m), si m est pair, et est identiquement nul, si m est impair. Il résulte de là que la transformation dePfaff n'est, en général, possible que si m est pair. Dans le cas où m est impair, pour qu'elle soit pos- sible, il faut que les déterminants qui sont au numérateur des inconnues dxi, rfxg, ..., soient tous nuls en même temps que le dénominateur commun, qui est le déterminant écrit ci-dessus; ce qui revient à dire que les équations (15) ne sont pas toutes dis- tinctes les unes des autres. Dans le cas où m est pair, Cayley a donné une méthode extrê- mement simple pour résoudre ces équations. Posons : - X, = (1 , m + 1) , — Xo = (2, m + 1) , . .. , - X,„ = (m, m -H 1). Jacobi par rapport au problème de Pfaff (Journal de Crelle, t. LVII, pp. 273-277), p. 275. En imitant le procédé de Cayley, nous avons pu trouver l'équation (15) sans nous servir des propriétés des déterminants adjoints, comme fait Baltzer. ( 106 ) On pourra écrire comme suit les équations (4 5) : (1,1) dXi -*- (1, 2) dX2 H h (1, m) diP,„-t-(l, m-t- 1) dXm+i = 0, (14J (m,l)da^i -t-(m,2) dx^ H h (m,m) dx,n -i- {m,m -{- 1) da7m-M= 0- (J^m) On a évidemment, dXi dx.2 (-2,3,4, ..., w,î?i-t- 1) ~ (3,4,5, ..., m -4- 1, 1) dx,„ dx„^+^ (m-+-l,l,2,...,m — 1) (1,2,3, ...,rw) les dénominateurs étant des pfaffîens. En effet, d'après la théorie de ces expressions remarquables, si l'on substitue ces valeurs dans les équations (14), on trouve pour résultat de la substitution les pfaffîens suivants qui sont identiquement nuls, comme ayant deux indices égaux : (l,l,2,3,4,...,m4-l),(2,l,2,3,4,...,m-Hl),(3,l,2,3,4,...,m-f-l),etc. Il est facile d'exprimer au moyen de Xi, Xg, etc., les valeurs de dxi, dx^, etc. D'après une propriété fondamentale des pfaf- fîens, on a : (2,3,4,...,m-4-1) = -(mH-l,2,3,4,...r7î) = — [(m-4- 1 ,2) (3,4, .... m) •+• {m-i-i ,3) (4,5. ..., m, 2) -h etc J , ou encore — (2,3,4,...,w-hl)=X2(3,4,...,m)-+-X3(4,o,...,m,2)H i-X^(2,3, ...,w-I). De même — (3,4,5,...,m-4-l,l) = X.(4,5,...,m,l)-+-X^(o,6,...,m,i,3)-i-etc., — (m-t-l,l,2,.5,...,m-l)=Xi(2,3,4,...,m-l)-t-X2(3,4,5,...,m— l,l)-i-etc. Dans le cas où m est impair, et par conséquent {m ■+- 1) pair, les équations (14) sont incompatibles , ou peuvent se réduire à un ( 107 ) moindre nombre. Il est facile de distinguer les deux cas. Multi- plions : la première par. . . (2,5, 4, ... ,m), la deuxième par. . . (3,4, 5, .. , m, 1), la troisième par. . . (4, 5 , 6, . . . , m , 1 , 2) , etc. et ajoutons les résultats; les coefficients de dx^, dx^, ..., dx„, se- ront des pfaffîens identiquement nuls comme ayant deux indices égaux. Donc le résultat final sera : [(l,m-h 1) (2,5, 4,..., m) -t- (2, m -4-1) (5, 4, ..., m, 1) -t- etc.] da;„t+i = 0, ou encore, (1,2,5, ..., m-hl) = 0 (lo) Dans le cas où m est pair, (w-+- i) impair, cette équation est sa- tisfaite identiquement; si m est impair, (m -h 1) pair, le premier membre de cette équation n'étant pas nul, en génércd, les équa- tions (14) ou (15) seront donc incompatibles. Mais , en 'particulier, si les valeurs de X,, ...,X„,, sont telles que(l, 2, 5, ..., Mi-+-i) = 0, les équations (13) se réduiront à un nombre moindre et seront compatibles. Cette équation de condition (15) peut prendre la forme suivante : X,(2,5,...,m)-t-X2(5,4,...,m,l)4-..--t-X„(l,2,...,m-l) = 0. (15') Elle a déjà été indiquée par Jacobi, qui l'a trouvée d'une ma- nière moins simple que celle que nous indiquons ici. 49. Extension de la méthode précédente de transformation (*). Considérons une expression différentielle (*) Gauss, Œuvres, t. III, pp. 255-254. Gadss fait remarquer que les trans- formations dont il s'agit ici ne sont comprises qu'implicitement dans le mémoire de Pfaff. Jacobi (Journal de Liouville, t. III, p. 201) expose à peu ( 108 ) Nous venons de voir qu'on peut la transformer en une expression On peut effectuer une transformation analogue dans le cas où il s'agit dune expression contenant un nombre impair de diffé- rentielles : Ûj = \\dyi -+- h Y2„_2%2»i-2-^ \2n-idljin-i. Pour cela, on transformera d'abord par la théorie précédente (Hj — Y2„_i dy^^^i), en regardant ^2„_, comme constant, de manière à mettre cette expression sous la forme : )., {Z,dZ^ H h Z2n-'odZ2n-ô)- On aura évidemment alors : û^ = ).j (ZidZy H ■+■ Zin--odZ-in-Z) -\- Zln-idyin~\. , expression où Zsn- 2 = Yan -1 — Il Zi H • • • -H Z2« - 5 "; • \ dyin-i àyin-i' Appelons première transformation, celle de Pfaff, dans le cas où m est pair, seconde transformation, celle que nous venons d'indiquer, d'après Gauss. Cela posé, en appliquant [n — i) fois la seconde transformation à l'expression £1,, on parviendra à la mettre sous la forme : Uidi/i -+- Ij^dv^ H H VndUn . Une expression différentielle il qui contient une variable et une différentielle de plus , prendra la même forme, si l'on emploie iine fois la transformation I, (/i — \) fois la transformation II. Dans près les mêmes Iransformalions dans un ordre inverse. Lagrange et Monge ont souvent employé des arlifiees de calcul semlilables à celui de Gauss que nous exposons dans ce numéro. ( 109 ) ce dernier cas, pour effectuer ces transformations, il faut inté- grer n systèmes d'équations simultanées analogues à (13), sa- voir : 1 système de (2/i — 1) équations simultanées, 1 » » (2?i — 3) » » 1 système de 3 équations simultanées, 1 équation unique. Dans le cas où il s'agit de transformer une expression fli conte- nant une variable de moins, il y a un système de moins à intégrer. Aucun système ne peut être formé qu'après l'intégration du précédent. Il résulte de là qu'en pratique les transformations de Pfaff sont extrêmement compliquées. § 14. W»ttég»*alion des équations diffé»*cniielles totales et des équations aux tlévivées pat^tielles du pfeiniet* ovdve pat* ta tnélhode de Pfaff, 50. Intégrale complète cVime équation dijférentieUe totale par la méthode de Pfaff. Soit à intégrer une équation différentielle totale entre 2/i ou [^n — 1) variables, par exemple, entre 2?i variables : On peut d'abord transformer cette expression, comme l'indique Gauss , en une autre de la forme : U/h/i -\- W^du^ H h U„dî/„ = 0. Cela conduit à Yintégrale complète donnée par les relations les a étant des constantes. ( 110 ) On peut aussi procéder autrement, en suivant la marche un peu plus simple indiquée par Pfaff. On transforme l'équation donnée en la suivante : Xait/OJai -i- XjaC/j-aa H h X2, 2«-i ^^2, 2«-i = 0 (i^) Pour pouvoir y appliquer la même transformation , nous posons ^-2 , 2» — 1 = ^1 j et alors on peut mettre (I2) sous la forme : ^sidXst + Xsado-ga H h X3 , ^n-^clTz, 2„-3 = 0 (1 5) Posons et transformons ensuite (I3) en On posera encore ^4,2«-5 = «3; et on continuera de cette manière, jusqu'à ce que l'on soit arrivé à X„,idj:„, 1 -t-X„,2a'a:'„,2-t-X„,3rfx„,3 = 0 (1,;) On posera L'équation donnera ensuite une intégrale de la forme : f{00n,i , a7„,2) = a„. L'ensemble des relations X-2, 2n-l = «I , Xi in -3 = «2 Xi 2)1 -5 = «3 Xn ,3 = «« r = a„ constitue une intégrale de l'équation donnée, avec n conslantes ( 111 ) arbitraires ; on peut l'appeler une mtégrale complète de l'équation donnée (1). On trouve aussi une intégrale complète avec n constantes arbitraires, quand il s'agit d'une équation différentielle totale à (2n — 1) variables, telles que (I2). 51. Intégrales que l'on peut déduire de l'intégrale complète. Dans la solution précédente, que l'on opère comme Gauss ou comme Pfaff, au fond, l'on met toujours l'équation sous la forme : VidUi -+- U-^dii^ -\ h UndUn = 0 ....... (a) et l'on intègre en posant : ^l^ = «1 , W2 = «2 , . . . , Vn = ttn . Mais ce n'est pas la seule manière d'intégrer cette équation auxiliaire (a). On peut aussi poser, avec Pfaff et Gauss : F étant une fonction quelconque, et associer à cette relation les {n — 1) suivantes, qui donnent avec F = 0, une intégrale de (1), dite intégrale générale : JF JF ^F Jacobi a fait remarquer que l'on pouvait encore trouver d'autres intégrales de la manière suivante. Posons : h\ (i/i, ^2,..., î/„) = 0, ..., Fk{Ui,no,..., î(m) = 0. On déduit de là : ^F, JF, c/Fi , — dUi -i--— du.2 H H -T— dUn = 0, àlll dUçi ou,, ^F, ^ ^Fa- , J-F, à'Ui du. 2 à Un ( 112 ) Éliminons k différentielles du entre ces équations et («) et égalons à zéro les coefficients des autres dans le résultat, nous trouverons ainsi (n — k) relations : Fa+i = 0, F*+2 = 0,...,F„ = 0, qui avec celles que nous avons choisies arbitrairement F, = 0, F, = 0, ...,F.= 0, constituent encore un système intégral de l'équation (I) (*). 52. Application à l'intégration des équations aux dérivées partielles du premier orr/re. Suivant une ingénieuse remarque de Pfaff, Tintégration d'une équation aux dérivées partielles : f{z,x,,œ,,...,œ^,lo,,p^,...,Pn) = 0 (^) revient à celle de l'équation différentielle totale : PidXi H h PndXn H- O.clpi H h Q.dpn-i -f- (— 1) dz = 0, . (3) où p,^ est censé remplacé par sa valeur déduite de la relation (î2). On peut appliquer la méthode précédente à cette équation (5). Pour cela , on posera œn + l = Pi, Xn + i=p2, ■■■,'^-2n-l=Pn-l, JC-2n = Z , Xi =i>i, ^2 =P2, ...,X„_| =p„_i, Xn—Pn, X„+,= 0, X„ + 2=0, ...,X2,.-1=0, X2„=-i. Presque toutes les quantités exprimées par le symbole seront nulles, de sorte que les valeurs de k^, ... , A'g,, se simplifie- ront beaucoup mais perdront en même temps leur forme symé- trique. (*) On trouve ainsi toutes les solutions, comme il est facile de le voir, en se reportant au n" 12. On trouve : ( H3 ) U _^^_<^^Pn dXn ' dz dx, dz dPi dpn dXn dz dœ.j dz ''2 — ~TZ '77. TT' _ dpn-i _ dp,, dXn ^'"-*~ dz dXn-i dz' _ dpn dXi dpn dXn-\ dp, dXi dz dxn-i dz dz dPn dpi dpn dpn- dpi dz dpn-i dz ' dXi dp„ dXn ~ dz dpi dz ' dx„-i dpn dXn kîn—\ = ; ^ r-, dz dpn-i dz dp,, dx„ kin = dz d Les équations différentielles de la transformation sont, d'après ces valeurs, en remarquant que chacun des rapports A: : X est égal à k^n dp,, dx,, Xa» dz dz et chassant dz : ; dpr. dpA . , dp,, dpi = ^- Pi -7- dx„ ; dx^ = — -— - d^„ ; \dXi dz 1 dpi ( dp,, dp„\ , , dpn , n-i=[ :r^ hPn -i -y- dx,, ; dXn -1 = — ; dx, \dXn-i dz I dpn-i dp. r" '' dp, dPn-i) Tome XXV. ( H4 ) Pour mettre ces équations sous une forme plus symétrique, nous remarquerons que, d'après l'équation (2), on a : IL. Sf dpn Sx dx Sf dPn Sp dp Sf Spn Spn Introduisant ces valeurs dans les équations de la transformation, elles deviendront : ia') dXi Sf dXn __dz _ ~" P ~ dp. Pi dP2 P. dpn P« Sp\ Spn si l'on pose, comme danj > le chapitre précédent : P.= - -IL- Sx^ Sf .,Pn: Sf SXn P =. Sp, Sf --^Pny^' SPn Ppaff est donc arrivé identiquement aux mêmes équations auxi- liaires auxquelles Jacobi est parvenu plus tard, en donnant à la méthode de Lagrange son extension naturelle (voir le § 11 tout entier). Comme nous l'avons déjà dit, les calculs se font de la même manière dans les deux méthodes, mais dans un ordre inverse. Dans la méthode primitive de Pfaff, on doit intégrer n systèmes d'équations auxiliaires analogues à («'), qui donnent ?i relations contenant ti constantes arbitraires. L'élimination dep,,;?2> ••••?/>« entre ces ii relations et l'équation donnée conduit à Yintégrale complète de l'équation aux dérivées partielles (2). La formation des autres systèmes auxiliaires (a') ne peut se faire que dans chaque cas particulier, puisqu'ils dépendent des inté- grales du premier de ces systèmes (*). (*) Sur le problème de Pfaff, voir les remarquables mémoires de Natani (Journal de Crelle, t.LVlII, pp. 501-328), de Clebsch (Journal deCrelle, t.LIX, pp. 190-19-2; t., pp. LX 195-251 ; t. LXI, pp. 146-179) et de Dubois-Reymond (ibid., t. LXX, pp. 299-313); puis divers écrits de Lie, dans les recueils de l'Académie de Christiania. ( 113 ) § 15. Simpliflcatiott de In *nèthode de Pfaff. JPt'obtétne inverse. 53. Simplification de la méthode de Pfaff pour V intégration des équations aux dérivées partielles par Jacohi (*). En suppo- sant, comme aux n"H2 et 45, que l'on intègre les équations auxi- liaires que nous venons de trouver, puis que l'on fasse un chan- gement de variables, on ramènera l'intégration de l'équation donnée à celle de C^dUi -4- h C2n-1 dUîn-V = 0, Ui, ..., ihn-i étant les constantes de l'intégration des équations auxiliaires , et les C étant définis par les relations : du du /Sfdz Jacobi , s'inspirant des recherches de Hamilton sur la dynami- que, a eu l'heureuse idée d'introduire dans cette théorie les valeurs initiales des variables, savoir Zq, acio, ..., x,,q, pio, ..., p„o et de (*) Jacodi, Journal de Liouville, l. III, pp. 171-182, § IX du Mémoire. Jacobi s'étonne que Pfaff n'ait pas trouvé la simplilication exposée dans les n»' 53 et 54. Mais la chose n'était pas si simple, puisque Jacobi lui-même n'y a pas songé quand il s'est occupé de la méthode de Lagrange. Il fallait, pour cela , introduire dans les équations les valeurs initiales des variables. C'est ce que fit Cauchy dès 1819; Jacobi n'a vu la portée de ce choix des nouvelles variables qu'en 1855, après les travaux de Hamilton sur la dynamique. C'est pourquoi il nous semble que l'on désigne à tort en Allemagne la méthode d'intégration que nous venons d'exposer sous le nom de méthode de Hamilton et Jacobi, puisque bien longtemps avant ces géomètres, Cauchy avait décou- vert, par une méthode plus directe que celle de Pfaff, les résultats retrouvés plus lard par Jacobi, d'une manière assez pénible. [M. Lie fait remarquer aussi, dans un de ses derniers mémoires, que la méthode de Pfaff, perfec- tionnée par Jacobi, doit s'appeler méthode de Cauchy.] ( il6 ) prendre l'intégrale qui entre dans lequation précédente entre les limites Zq et z. Il vient ainsi -fiH du du L'équation à intégrer se réduit à : OU , tout au long : Idœ,^ dœ,o , \ dœ„o , dXno ^ \ ^ + Pm — — dUi H H dUiu~l = 0 , \f/Wi f/!/2n-l / c'est-à-dire : 2Jiod^io H ^- P«oC?^no == 0 . On peut prendre pour système intégral de ces équations : a, , f/s, ..., «„ désignant des constantes. Delà, la règle suivante pour intégrer l'équation (1). Soit /i, ce que devient l'une quelconque des fonctions /"quand on y fait z = Zo. Tirez des relations : Ao = ^l» ••• »/2n-l,0 = ll2ti-l-> /2n,0 =: 0, les valeurs de Xio, ..., x„o, p,oi •••» P«o5 en fonction de î/i, ..., y^n-i- Soient trouvées ainsi les n relations : ^10=Fi(Wi,...,W2«-l), œ„o = ¥„{Ui,..., iiî„-i). Pour avoir Tintégrale complète de l'équation (1), il suffira d'éli- miner Pi , ... , p„ entre les équations après que les u sont remplacés par leurs valeurs. ( ^^7) Remarques. I. Si P = 0 en vertu de l'équation donnée, la mé- thode précédente donne pour une intégrale des équations auxi- liaires, z = Z(i. Dans ce cas, on ne trouve plus directement d'inté- grale complète, comme il est facile de le voir, et comme nous le montrerons à propos de la méthode de Cauchy, où la même exception se présente. II. Au lieu de prendre pour nouvelles variables les u et z, on peut prendre les u et un quelconque des x, ce qui rapproche davantage la méthode de Pfaff modifiée par Jacobi , de celle de Cauchy. La principale différence entre les deux méthodes con- siste en ce que Cauchy emploie {n — i) nouvelles variables fonc- tion des anciennes , et n constantes arbitraires dès le commence- ment des calculs, tandis que Pfaff et Jacobi emploient (2/i — \) nouvelles variables et sont forcés, dans la suite des calculs, d'en faire n égales à des constantes, ou au moins, comme nous venons de le voir, d'égaler n fonctions de ces variables à des constantes, ce qui revient au même. 54. Simplification de la méthode générale de Pfaff par Ja- cobi (*). Nous avons indiqué plus haut (n° 55), comment Jacobi, en s'aidant des travaux de Hamilton, a ramené l'intégration de l'équation (2) à celle du seul système (a). Nous allons faire con- naître comment il a pu, d'une manière analogue, former immé- diatement toutes les équations auxiliaires , dont on a besoin dans la méthode générale de Pfaff, pour intégrer une équation différen- tielle totale. Soit xln une valeur de Xj,,, pour laquelle x^ , Xa, ..., Xi;„_i pren- nent les valeurs xi', x'â, ... , x^„_i. Posons : X, =XÏ -\-{0^,n-xL)^i^ X, =X° ^{x,,^ — xl,)^„ X^ =Xl -t-(^2„— n ^^^^ ^^ nouvelles constantes. Les équations (6) et (7), après élimination de i , contiennent (2n — 1) constantes a,, ..., a„, i^'"*' iT"' ^^ sont les intégrales des(2;i — 1) équations rencon- trées par Pfaff dans la recherche de l'intégrale de (5). Imaginons, en effet, que l'on déduise des équations (G) et (7) les variables x en fonction de i , des a et des (3. Faisons varier dans les équations (G) et (7) a et p de Sa et c?|3, les x varieront de (?x. Cela posé, multiplions les équations (Gj), ..., (G„), (7,), ..., (7„) respectivement par êx,,^^^ , ^Xn+%-> ..• , f^J^a» » ^^i ? .- 5 ^«^ j en ajoutant les résultats, il viendra à cause de (4) , X.^a:, -^•••-f-X2„'J\r2„+ a(,Vj:, H h;3„.JcxJ = 0. ... (8) Dérivons par rapport à A, et cette équation donnera : 2XJ hl--^x-^1.3da = 0 (9) cl>. dx En multipliant les équations (6) par ^"^"^S — '-|f , et ajoutant les résultats, on trouve la relation suivante, évidente d'ailleurs d'après (5) : x.^ + ... + x,„^ = o, ( ^2J ) d'où , par variation , lx/-f^-^I~^X = 0 (10) Retranchons de l'équation (9), l'équation (10) et l'équation (8) divisée par >, il viendra 1 — ^œ — 2 —^X =0. On déduit de là, en égalant à zéro, les coefficients de (?Xi, ..., c^x^^, 'dk ^ \dï Jx^~^ ^~^lx^) r~ ' ^_/f^iï- ^^2. ^x„ \ x,„ _ dl Ad/ ^œ.2,,'^ ^ Ja ^J-a^/"" A ~ En écrivant, au lieu de j^ , la valeur : JX ^œ^ J^X ^^o^a,, les équations précédentes prennent la forme suivante : dX dX dX X ■ ce qui est le système auxiliaire de Pfaff. Remarques. I. Pour que les variations des x soient indépendantes en même temps que celle des a et des p, comme on le suppose plus haut, il faut que les équations (6) et (7) soient telles que ne soit pas identiquement nul. ( 122 ) II. Ce qui précède peut s'appliquer, en particulier, aux équa- tions auxiliaires auxquelles on est conduit quand on cherche l'intégrale de l'équation Si est une solution complète de cette équation, ou de dz = PidXi -\ h p„-idXn-\ — fdXn , on aura, pour intégrale des équations auxiliaires : dXi _ Sf_ dXn-i _ ^f dXn Spi dXn êpn~i dXn ~ SX^ ^^ Sz'"' dXn ~ SXn-i ^"~^ ^2 ' le système dz ^f Sf dXn ^Pi ^pn-l ^F ^F ^p ..., = ^_i— (11) contenant ^n constantes «,, ..., a,^, |3i, ..., (3„_i. On déduit ces résultats des précédents, au moyen des hypo- thèses du n° 52. La démonstration directe en est d'ailleurs très- simple (*). n BiNET (C. R.,t. XïV,pp. 654-660, t. XV, pp. 74-80), Cauchy, § II du mémoire analysé au Livre III (Exercices d'analyse et de phys. malh., l. II, pp. 261-272), Jacobi, Vorlesungen, pp. 364-369, ont employé le calcul des variations pour exposer la méthode de Pfaff modifiée par Jacobi ou des recherches équivalentes sur les équations aux dérivées partielles. Nous croyons pouvoir nous borner ici à donner une idée de ce mode d'exposition, à propos du problème inverse de celui de PfafF. On abrège considérablement les écritures par ce moyen , mais l'exposition devient moins claire. ( i25 ) Pn III. Puisque z = ¥ est une solution complète de l'équation f = 0, les fonctions F, ^j = ëxi' con- sidére'es comme fonctions des constantes, doivent être indépen- dantes, sans quoi il y aurait une relation entre ces fonctions et, par suite, z satisferait à une seconde équation aux dérivées partielles. Or, si cela était, cette équation et la donnée représen- teraient seulement au pIusoo^"~* éléments, et il en serait de même de z = F et de ses dérivées; par conséquent z = ¥ con- tiendrait au moins une constante supplémentaire, ce qui est contraire à l'hypothèse. On a donc, en posant ; ^F ^F ^ ,..., £^ ^^r SXn = (^t)"D 0 fif) 0 . . . (III) Il résulte de là que si l'on résout les équations (I) et (II), par rapport aux constantes, on trouvera des fonctions des variables indépendantes les unes des autres. En effet, par hypothèse, des équations (I), on peut déduire les valeurs des a, puisque le déter- minant fonctionnel des premiers membres par rapport aux a n'est pas nul. Des équations (II) on peut déduire les valeurs des constantes ^ à cause de l'inégalité (III) (*). (*) Jacobi, Vorlesungen , pp. 471-475. {!^¥) LIVRE IL MÉTHODE DE JACOBI (*) CHAPITRE I. PRINCIPES. § 16. Propu^iétés fondamentales des eœpvessions sytnboliques de JPoisson (**). 56. Définitions. Soient ^ et «r? et ^ s fonctions 6,, 63, ..., 6, de ces mêmes variables, de sorte que (*) La méthode nouvelle de Jacobi a été publiée par Clebsch dans le t. LX du Journal de Crelle en 1862, sous le titre Nova methodus, etc., puis dans les Vorlesiingen iiber Dynamik, leçons 21-25 et passim, en 1866; mais Jacobi possédait cette méthode dès 1838, comme il résulte des indications données plus bas, note 1 du § 17. C'est pourquoi celte méthode doit porter le nom de Jacobi, quoiqu'elle ait été retrouvée avant 1862, par Liouville, Bour et DoNKiN, dans ses traits essentiels (voir la note citée). Nous rattachons à la méthode de Jacobi les recherches qui en sont la suite naturelle. (**) Poisson, l/emo?/T sur la variation des constantes arbitraires dans les problèmes de mécanique (Journal de l'école polj'technique, 15^ cahier, p. 281), a le premier employé la notation (p, <^). La notation [p, >/'] s'est ensuite introduite d'elle-même. Nous proposons les trois autres notations symboliques pour simplifler les démonstrations du § 18. Nous suivons, en général, dans ce §16, l'exposition d'iMscHENETSKT, § 16, pp. 48-S2. ( i26 ) Nous poserons : (f,^) = 2 [f,^) = 2 (f,^] = 2 [p,^]=2 (^)=1 $f ^^ Jo;.- Sxi ^Pi dXi Sxi df £^ dpi Spi dXi Sf dj^ ^P. dPi df dXi dj>_ dxi dpi dp dXi d? d'p dXi dXi Sf l^ dPi Spi Au besoin, quand cela ne sera cause d'aucune ambiguïté, nous écrirons, au lieu de n'irajDorte quel de ces symboles, fp ou 'f,^, en supprimant les parenthèses et les crochets. On trouve immédiatement les formules suivantes : jjy = 0; y^=: — .//jj; y, — ^ == — V'.;; ; constante , -^ = 0 ; . (1) ^p, dpi à Xi dXi {Xi,Xk) = {pi,Pk) = {Xi,pk) = 0 (3) ( 1-'7 ) Si u désigne une des variables x ou p, on trouve encore, en supposant que D indique une dérivation par rapport à «, D (5',^) = (D^^) + (?,D^), (4,) D2(f,^) = (D2^'/')+2(Df,D^)-f-(f,D2^), (42) 1 1.2 (4«) dont l'analogie avec la formule de Leibniz pour la recherche de D"yi// est évidente (*). A priori, d'ailleurs, cette analogie doit exister puisque les expressions symboliques de Poisson sont des sommes de produits de deux fonctions, et cette remarque suffît pour démontrer les formules (4). 57. Développements des diverses expressiotis yif. On a immé- diatement par les propriétés élémentaires des déterminants : G,^)=2 df dp dx dx Sp' Sp S'i ^ Sf Sai _ ^ Sf Sttr Sf ^ Sp Sbi Sx Sai Sx Sa,- Sx Sx Sb^ Sx sp Sbs "^Ibslx Sf Sp sp = 2 Cette équation prend une forme remarquable si r = s = n, et si a = b =p, les p étant supposés fonction des x. Alors il vient, en développant le déterminant du second membre {f,'p) = {f,^) y 2 ^ilji^ '^^^^• (3) Spi Spk j Sxk Sx, la somme double s'étendant aux valeurs 1 , 2, 5, ..., n de i et k. (*) Les formules (4) sont données par Imschenetsky, pp. 51-32. ( 128 ) L'expression [y, S-p Sb, Sar Sx ' Sx Sb, Sx S^ Sbs "^ Sbs Sx S? _^ S'^ ^«1 _^ Sp . Sa, Sp Sf Sar S^ S'p Sb, Sar Sp Sp Sbi Sp S^ Sbs "^ Sb, Sp En développant cette expression , on trouve la formule [?,^] = {?,^)+l-^{?,b)-i-2-£{a,^)-i-ll-^{a,b). . (6.) En particulier, si r = s, «, = bi, i S

S

(^/l) rendent dz intégrable. En effet, s'il en est ainsi, on pourra trouver, par une simple quadrature, une expression pour js, contenant, outre les {n — i) constantes arbitraires a^, ctz, — , «„-<, une w'*"'' constante arbitraire provenant de l'intégration de dz. L'expression de z satisfera non-seulement à l'équation donnée, mais à tout le système H. Les conditions d'intégrabilité de dz, sont, comme on le sait, ^Pi ^Pk STTi SXk ... -T— =-— OU —-=—-,.. (i) ôXk dXi àXk àXi l et k recevant les valeurs 1 , 2, 5 , ... , ?î. On remarquera que ces conditions peuvent se mettre sous la forme (p.- — '-^mPa — n) = o (!') 6^. Seconde forme des conditions d'intégrabilité (*). On obtient cette seconde forme en remarquant que l'on a [H,-,H,] = (a.-,a,) = 0, (*) Jacobi, Nova meth., §§ 14-16. La relation qui conduit au théorème direct étant résolue par rapport à ^y— 7 — -j-^' conduit au théorème réciproque. C'est ainsi que fait Jacobi dans le § 16, résumé par Graindorge, IV, pp. 30-3o. Nous avons suivi Jacobi pour la démonstration du théorème direct, comme ( 137 ) et développant la première expression au moyen de la formule (6') du § 46, où l'on fait Il vient ainsi : 0= Hi, Ha.H-22 r— T— h; T— • à pi' épk' \dXk< àXi' I D'après les conditions (I), le second terme du second nombre est nul. Donc (H,, H,) = 0 (11) Réciproquement les conditions {II) entraînetit les relations (/). On a, en effet, identiquement : Pk = 7rk{Xy,...,Xn, H,,...,H„). Imschenetsky, § 11 , p. 35, et nous avons simplifié la démonstration donnée par ce dernier, n" 40, p. 55 pour le théorème inverse. Dans le § 14 de la Nova methodus, Jacobi donne une autre démonstration des formules (II), en se basant sur les formules ^IV) données plus bas. Soient, Pi = 'fi(a;i, ...,afr„, 01,0.2, Pj, ...,Pn),p.^ =t2 (ïi, ••• ,x„,ai,a^,p.,...,pn). Les relations Hi(Xi,...,x„,'fi,ta.P35-,Pj = «i,H3(xi,... ,x„.ti,t2»P3'--.PJ= a,, seront des identités. On tire de là , pour H = Hj ou H = H^. Sac êf^i ex êf^^ Sx ' ou Sx ~ Spi Sx op. 2 êx puisque p,, p^ ne contiennent pas x explicitement. On a de même , oH _ êU_ ^(pi — 4^i) 5H_ ^(p-2— ^g) op op, op op. 2 êp même pour p = pi ou p = 2. Il résulte immédiatement de ces formules \0Pi cp2 oPa ^Pi/ '^ ce qui donne l'équation (II) , quand Téquation (IV) existe. Celte démonstra- tion nous semble peu naturelle, parce que les théorèmes (III) et (IV) sont plus compliqués que II, ou au moins conduisent à des équations moins symétri- ques. Il vaut mieux démontrer ces théorèmes II et IV, indépendamment les uns des autres. ( 158 ) Donc, d'après la formule (8") du § 16, Jr, ^r, ^^p.-r, J-n- ^Ti Stt^ — - ^Xk ^^,- ) mv m,. rjw,. m. — i:77-i:7r-M'Hr^H,')-+-(r,.T,), Le premier terme du second membre est nul à cause des équa- tions (2) ; le second est nul parce que tt^ et tt^ ne contiennent pas les p explicitement. Donc la relation précédente se réduit à c'est-à-dire, à la condition (l). On arrive au même résultat, mais plus péniblement, au moyen de la formule (6 ) du § JO (*). 63. Troisième forme des conditions d'intégrabiiité (**). Sup- posons que Ion déduise des relations (H) ou (a), les expressions suivantes des p : p, = f,{x,,...,œ„,a,,p,,p.,...,Pn): ifj de sorte que chaque p est fonction des 2w lettres qui le suivent dans la série Pi , p2 , . . . , p„ . iTi , 0^2 , . . , a7„ , «1 , ffg , . . . , a„ . On aura identiquement : pi =fi {Xi,... .X,„ Hj,..., H,-, Pi+i, Pi+^>. ...,Pn), Pk = ?k (a?! , . . . , a;,, , Hi , . . . , Ha , pk^i , Pa+2, ■ . . , Pn)- (*) [mscheinetsky, n° 40, pp. 55-57. {**) Jacobi, Nova methodus , §§ ô, 4, 5, Ihéorème direct; § 6, énonce gé- néral; §§ 7 et 8, théorème inverse, résumé par Graindorge, n°' 24-26, pp. 20-25. Imschenetsky donne le théorème direct sous une forme un peu différente de celle de Jacobi, n" 41 , pp. 57-60 ; il évite la longue démonstra- tion du théorème inverse, comme on le verra à pro{)OS des théorèmes (VI), (VII) et (VIII), en note. Jacobi, Nova methodus, §§ 9, 10, 11 s'occupe de la marche générale de l'intégration. ( lôO ) Donc, d'après la formule (8") du § 16, rappelée plus haut : ïïr s; =<'""'='' ""> ou encore, comme il est facile de le voir, (Pi~ri,p,-fk) = 0 iUn La réciproque est vraie, c'est-à-dire que les équations (III) ont pour conséquence les équations (I) ou (II). Pour le montrer, re- marquons que l'on a identiquement. Pn= ?n [Xi, ^2, . .. , a?„, «1, a^, a-, ... , a„_i, rtj = .r„ . Nous allons montrer au moyen de ces formules, par un calcul de proche en proche : 1° que l'on a : dX„ oXi r que Sxk Sxi Pour démontrer le premier point, nous remarquerons que l'on a : SXn SXi dXn SXi SXn SXi Supposons que les relations (I) soient démontrées pour l'indice n. et les indices plus grands que i, on pourra remplacer par ^^i+\ ^^{+2 Sr, ^C^n' Sx, Sx, S^n Stt,, St, SXi^i , . . SXi+'i Sx, ( i40 ) ou encore par SXi+l SXi+'i ^Xn puisque est tt,^ est identique à y„. On aura donc, au lieu de la dernière égalité , SXn ^Xi SXn ^Xi c'est-à-dire, d'après (III), Jcc^~Jxi'~ Ainsi, la relation (I) subsiste pour l'indice n et l'indice i, si elle subsiste pour l'indice ti, et les indices supérieurs à i. Or, elle est évidente pour les indices n et ?i, donc aussi, de proche en proche, pour les indices tiei(n — 1), net (n — 2), n et (n — 3),..., n et I. Supposons maintenant, pour démontrer le second point, que la formule (I) subsiste pour les indices /r et ^■ -h 1 , A: et z -h :2 , . . . , A; et /i , k-{-l et if A; -H 2 et i, ... ,n et i, je dis qu'elle subsiste aussi pour i et k, et, par suite, qu'elle est généralement vraie. En effet, on a Ut ^Xk ^TT SXiV la somme s'étendantà toutes les dérivées de y, et de y^^, ce qui n'a pas d'inconvénient puisque les dérivées de y, par rapport au z- d'indice non supérieur à /, et de celles de ff,, par rapport aux r d'indice non supérieur à k sont nulles. D'après l'hypothèse, on pourra remplacer par 5 - — par — • SXk àX àXi dX D'ailleurs, d'après (111), le premier terme du second membre SXk ^or,i {Sp Sx Sp Sx SXi Syr^ dfi dfk Sfi Sfk Sxk Sxi dXk dXi Sxk Sxi ( 141 ) Donc, ^ _ ^ _ j^Pi ^^k_ ^?k Sril _ ^ (fP.- M _ fP* ^. Sxk Sxi c'est- à-dire : Sr Sx Stt Sx ) SiTTi-- Sp Sx Sp Sx Sxk Sxi~ \sp Sx Sp Sx Sx Sx Sp Sp On peut sans inconvénient, dans la dernière ligne, mettre i^i — ?i)» i'^k— fk) au lieu de (— ^;), (— fk) puisque t,, r, ne con- tiennent pas p. Donc S?ri STTk jf*-ïï; =<"■-'''• "'-■''• On peut transformer le second membre de cette équation d'une manière remarquable. On a, en effet, successivement, en dési- gnant par ^'i, ^'2? — j 9' n Ï6S valeurs de ^ données plus haut et égales aux tt, et reprenant l'avant-dernière expression de ce second membre : {7ri — fi^rk~fk) — —2 df\^_S_fj^ df'k Sf'k dx Sx dx Sx Sp Sp ^?i ^^i+i Sf'i Stt^ Sf'k Sfk+i Sxi^i Sx SXn Sx STTk^i Sx SfkSjTn Stt Sx Sp Sp lv2k Sf'k' (Jtt,' Sxk' STTi, S^k' {Sxk' Sxi> i' devant avoir les valeurs (^■ -h i), (/ -+- 2) , ... , 7i, A;' les valeurs (k -f- 1), [k H- 2), ... , n. Pour ces valeurs, on a, par hypothèse, STTi. SXk' Sxk> Sxi' = 0. ( 142 ) Donc enfin (jT, — p,-,n — Fa) = 0 (111") et Sxk ^JCi pour toutes les valeurs de i et de k. 64. Quatrième forme des conditions d'intégrabilité (*). Si l'on substitue dans les (m — i) premières équations oj, la valeur de /)„,, déduite de la m'^'"', puis la nouvelle valeur de p^_i dans les (m — 2) premières et ainsi de suite, on arrivera à 7« relations de la forme : Pi=^ii^i, ..,x„,ai, ...,a„,,jh„+i,...,p^), .... (^J (*) Jacobi , Nova meth , § 15, donne le théorème direct comme nous l'indi- quons dans le texte, la forme seule des formules étant différente; Graindorge a résumé celte démonstration , n" 27, pp. 23-29, Imschenetsky, n» 42, pp 60-62. Ni Tun ni Paulre ne s'occupent du théorème inverse. Jacobi, Nova meth., § 12, donne en outre la remarquable démonstration suivante du théorème et de sa réciproque; elle est déduite du théorème (V) donné dans le numéro sui- vant, en faisant (m -h 1 ) = k. Posons : pi=z^i{Xi,....Xu,ai,...,ak-i,pk,pk-hU..;Pn) = Xi [xi,. .., Xn, a^,...,ak-u'fk,pk-+-\,...,pn). pk=^'^k{xi,...,x„,ai... ,ak-\,ak.pk+l..'-;Pn) = 'îk (Xj,...,x„, a^,.. ,ak,pk+\. ••.,/?»)• On aura ^^ [pi — Xi) _ o (P« 0 [pi op op D'où [pi — Xi, Pk — 'fk) = ipi — '^,, pk - ?k) c'est-à-dire simplement : O'f/ ^ 'pk — ?k} opk Sx ' o'i^i Spk 0 (pk ~ op ÏIÛ. :) + — [pk opk - 'ik: , pk — '//.) , ■■] = 0. . . (1 (IV Pi - %. . p/. Jacodi fait très-bien remarquer que pi et pk peuvent représenter deux 7; quelconques, parce que dans les formules (V), on peut remplacer [in-\- 1) par un indice quelconque. Le théorème que nous démontrons ici en note est donc plus général que les théorèmes (III), (IV), (V). Jacobi ne démontre pas la réciproque de (IV), mais (IV"; entraîne (V) qui a pour conséquence (III) et par suite (II) et (I). ( 145 ) On démontre, absolument comme au numéro précédent, que les équations (I) (II) entraînent les suivantes et réciproquement : S-S=<'^-^"^ '-) {Pi-h,P/.-h) = 0, (IV) {Ti-4^i,Tk~'Pk) = 0; (IV") i et k sont supposés tout au plus égaux à m. 65. Cinquième forme des conditions d'inlégrabilité (*). Con- sidérons les conditions d'intégrabilité sous la forme (III), pour les indices 1, ^, ... m et (tn -t- 1) : (Pi — fi , Pm+l - fm+l) = 0 OU *ï>i = 0, (P-2 — ?2 . Prn+l — ?m-i-i) = 0 0^1 *2 = 0 , ipm-l — ?m-l, P»n4-1 — fm+\) =0 OU *m-l = 0, (Pm — ?m > P»«+l - fm+i) =0 OU <î>,„ =0, et voyons, ce qu'elles deviennent quand on y introduit les fonc- tions i>^,^i, ... , ^„,, à la place de y^, ^2, ..., 'f„,, par les substitutions indiquées au commencement du n" précédent. Je dis qu'elles se transforment dans les suivantes : {Pt — '^1» Pm+i — ?m-i-l) = 0 OU M, = 0, (Pa — ^2> P'n-i-l — ?m+l) = 0 OU ^2 = 0, (V) (pm-l ~ 'Pm-i, pm+l — Pm+i) = 0 OU T„,_ , = 0, (Pm — ^,n , Pm+l ~ fm+j) = 0 OU M,,, =0. ' La chose est évidente pour la dernière puisque i^,,, = v„,. Pour déduire Y,„_, = 0 de <î>„,_i =0, remarquons que l'on a : D Jacobi, Nova methodus, §§ 9-1 1 , Imschenetsky, n" 71, pp. 95-94 ; Grain- DORGE, n" 27, pp. 2d-29. ( 144 ) Par conséquent : Jx ^x ^'P,,, Sx OU Sx Sx Spn Sx On a aussi, pour tous les p, p,„_i et p^ non exceptés : S{pm-i — ^m-i) _ S {Pfn-i— fm-i) S (p^-l - fm-\) Sf,„ S^ Sp Sp,„ Sp Il résulte de là que S {pm-l — fm-i) , = {Pm~l - fm-l,Pm+l — ?m+i) H T (Fm, Pm+l ~ fm-hi); OU plus simplement : Spm On démontre de la même manière que : Sfm-i ^ Sf,n-i ^ Y^_5 = m^3 -H -; *m-2 "+- T "^ni-l •+■ — *,„ .- Sf, Sf, Sf, ^Pa Sp^ Spm Ces relations entre les W et les <î> prouvent que les équations (V) sont une conséquence des équations (III) correspondantes et réci- proquement. ( us ) 66. Sixième, septième et huitième forme des conditions d'intégrabilité (*). Les équations f peuvent être supposées mises sous la forme suivante : A(a7i,...,j^„,Pi,P2,P3,...,p„) = Hi = rt,, (/-j /s (,1-1,..., J7„,ai,a2,pg,...,p„)= «3, (A) /■„(a;,,...,a;„,a,,02,... ,a„_i,p„) = rt„ . (/;j En remplaçant p, par sa valeur ç;,(x,, ..., x„, «,,..., «„ ;),+,,..., pj dans /l, on aura l'identité On en déduit, en dérivant par rapport à l'un des x ou des p , Sx Sfk Sx Spk Sx Sp Sfk Sp Spk Sp {*) Jacobi, Nova methodus, §§ 30-52. Jacobi ajoute celte remarque: Si Ton remplace dans {fi, fk), (tp par/), soit dans l'une, soit dans l'autre, p étant plus petit que le plus grand des nombres i et A', on aura , en appelant fi' et /),' les nou\elles fonctions, d'après la formule (6) du § 16. On conclut de là que le théorème VIII reste vrai quand on remplace une constante Gp par sa valeur fp^ par la méthode de proche en proche; d'où en éliminant ainsi successivement toutes les constantes, on retombe sur (H,, Ha) = 0. Imschenetsky donne les théorèmes directs, n° 75, pp. 95-96; n" 84, pp. 111-112; la réciproque, en substituant H^à a;,,n»8o, pp. 112-115; il indique la démonstration de Jacobi, n''86, p. 115. Graindorge donne le théorème (VI) ou (VII), n" 52, pp. 53-55, et ne s'occupe pas du théorème réciproque. Tome XXV. 1 1 ( U6 ) Sous la seconde forme, la dernière formule subsiste même pour j) =p^. On a, d'après ces relations : (Pi — fi , A) = ^ (P' "~ ^' ' ^^* - î'*) ' iPi — '/'o /"«n+l) = -Z^ ( Pi — «^i , Pm+i — Fm+l) , {fi,h) = J-J-{Pi-fi,Pk-fk). àpi àfk Donc, d'après les formules (III) et (V) (/>i-p.-,A) = o, (VI) (i>— ^i,A) = o» (VU) (A,A) = o (VIII) 11 est clair que, réciproquement, les équations (VI), (VII), (VIII) entraînent (III) et (V) et par suite (I). Remarque. Nous avons ainsi quatre systèmes de conditions d'intégrabilité : l** Le système primitif (I); 2° le système (II); 5° le système (III) ou les équivalents (VI) et (VIII); 4** un système composé des équations (IV), des équations (V) ou (VII), puis des équations (III) nécessaires pour avoir autant de conditions que dans le système (I). Toutes ces conditions d'intégrabilité ont une forme éminemment simple que l'on peut représenter par (M,N) = 0. M, N étant deux des fonctions tt, ou H, ou 53, ou t/*, ou i/* et y, ou f et /i ou ^ et /", ou f. ( 147 ) CHAPITRE II. INTÉGRATION D'UNE ÉQUATION AUX DÉRIVÉES PARTIELLES DU PREMIER ORDRE. § 19. MEéthode de Jacohi quand les équaliotè» cheÈ'chée* tant fésotues pat* rappowi at*œ constante» {*), 67. Idée générale de la marche à suivre dans l'intégration des systèmes (II). L'intégration d'une équation aux dérivées partielles U, {Xj, ..., Xny Pi, Pi, ... , Pn) == a„ revient, comme on l'a dit plus haut, à trouver {n — I) relations semblables : H2 = «2J Hj = ûg, ..., H„ = a„, d'où l'on puisse tirer des valeurs de p,, p^, ... , p„, telles que dz = pidXi -+-••• -^ pjix^ soit immédiatement intégrable. Pour cela il suffît de trouver les intégrables des équations (II) du § 18, que nous écrirons comme suit : (H2»HJ = 0, (1) (H3,H,) = 0, (H3,H,) = 0, (2) {H„HJ=0, (H„H,) = 0, (H,,H3) = 0, (5) (H„_,,H,)=0, (H„_,,H2) = 0,...,(H„_,,H„_2) = 0,. . (ii-'l) (H„,HO = 0, (H„,H,) = 0,..., (H„,H„-i) = 0 . . (n-l) (*) 11 suffirait peut-être, dans Texposition de la méthode de Jacobi, de se borner à ce qui est donné dans le paragraphe suivant, comme a fait Jacobi lui-même. Mais au point de vue didactique, il vaut mieux faire connaître d'abord la mélhode du grand géomètre sous une forme plus symétrique, et qui peut d'ailleurs être utile en pratique, quand on ne sait pas résoudre les équations (H). Comparez à ce paragraphe, Imscoenetsky, § 18, pp. 65-72, à qui il est emprunté presque en entier, et GRAii\DORGE, VI, pp. 42-50. ( i48 ) 11 est clair qu'une solution H2 = f/2 du système (1) satisfait au système (2) d'après la définition de celui-ci , puisque la fonction H2 entre précisément dans l'équation [%). Donc, après avoir trouvé H2, il faudra trouver une autre solution H5 = a-^ du système (2). A cause de la définition de l'équation (Ss) , Hg et H3 satisfont au système (5); il faudra en cherclier une autre solution H4, afin de pouvoir former l'équation (44) (Hg, H4) = 0, et ainsi de suite. En résumé, chaque système (^) est identique au suivant, sauf qu'il contient en moins une équation (Hi+25 ^i+i) = 0, où H,^.i est la fonction qui satisfait à toutes les équations (^); il faut trouver une nouvelle solution du système (^) qui satisfasse, en outre, à (I[,..2,H,^0-O. 68. Intégration de l' équation {\) et du système(^). L'équation (i) est linéaire par rapport aux dérivées de H2, considéré comme fonction des p et des x : ^Xi J~Pi ^X,j êp,, ^Pi ^Xi èpn SXn Pour trouver l'intégrale H2= «25 il suffira de connaître une solu- tion de système correspondant (n° 52), à (2/* — \) variables dé- pendantes, ou d'ordre (2?i — \) : («) l]n(i fois H2 trouvé, on pourra former le système (2) (H,,HJ = 0, (H.,H,) = 0 (2) Pour en trouver une intégrale H3, on cherchera d'abord une solution 6) autre que H2, de (2i)ou (1), c'est-à-dire, une nouvelle solution du système auxihaire dont nous venons de parler, de sorte que l'on aura (ei,HJ = 0 (!') dXj dx, m. dx„ -dp. -dp, êx. — dPn ^Pn ^Xi ^Xn ( 149 ) Cela fait, on calculera les expressions suivantes : 6,= (e,,H,), O3 = (0,,H,), 0, = (Ô3,H,),..., c'est-à-dire que l'on vérifiera si ôj, B^, 6^, ne sont pas des solutions de (22). Je dis maintenant que l'on aura les cinq propositions suivantes : I. Les fonctions B^, 65, 64, etc., satisfont toutes à Téquation (2,), c'est-à-dire que (e„HO = 0, (",,H,) = 0, ^Ô,,HJ = 0,... En effet, d'après le théorème fondamental de Jacobi : (Hn y = (Hi , (0t , H,)) = - (0„ (H, , H J) - (H, , (H„ 9,)). Le second membre de cette égalité d'après (1) et (!') se réduit à -(e,,o)-(H,,o), qui est nul. La même démonstration se fait pour 83, 0^, etc. IL Toute fonction © (H,, H2, 9i, 02, ..-, 9,) des solutions anté- rieures de (1) ou de (2,) est une solution de cette équation. On aura , en effet : -^0 ^0 J0 J0 équation qui se réduit à (0, H,) = 0. IIL En cherchant, par le procédé indiqué plus haut, des solu- tions H2, 01, 62, ^35 .. , de l'équation (1), on arrivera, à la fin, à une solution 0,+, = {0,,H,), qui sera une fonction 0 des précédentes, et il en sera de même de toutes les suivantes. Les équations (a), en effet, ne peuvent avoir ( 150 ) que (2w — 1) solutions distinctes; donc la suite H2, 9i, 9-2, ..., con- tient au plus {'2n — i) fonctions, et l'on a 0.^.i = 0(H„H„9„9,,...,0,), pour i = [^n — 2), ou i < (2« — 2). La formule ^& ^0 ^5^0 ^Q ti.,.2 = (©,H,)=(H„H,) — -+-(H,,H,)_-*-(0,,H,) — -t- ..H-Ce^H,) — prouve d'ailleurs que la fonction suivante s'exprime de même, et cette conclusion s'applique à ôj+s, 0,^.4, etc. IV. On peut déterminer une fonction des solutions Hj, H2, e,, ... ,6i, de (2i) qui satisfasse en même temps à (23). Soit 9 cette fonction, on posera (9, H2) = 0, ou (9uH,)— -+-(9„H,)— -+-..-*-(9,,H,) — = 0, ou encore, 0, h 0, 1 h 9, h 9j ., — = 0, dont l'intégration dépend de la recherche d'une intégrale du système ddt df^i rf0i_i dOi^ .^. 9/ «+i Ce système devient, en introduisant une variable auxiliaire t dont la différentielle di est égale à chacun des rapports précédents : d^t . dO^ ^ dQi T = '- ^^ = »....,^=e(«.,«.,^6,,...,o,). On en tire l'équation : d% l dQ, d% d'-«9.\ — r = 0 a, , 0.3 , 01 , — » ) • • • } — — r • dV \ * " ' dt dt^ dt*-^ I Si l'on connaît une intégrale première de celle-ci : / dQ, d% d-*9,\ ( 151 ) on pourra écrire cette intégrale sous la forme : H3(H„H,,O,,...,0,)=a3, et ce sera la solution cherchée. Remarques I. L'intégration de l'équation (1) exige la recherche d'une solution du système (a), d'ordre (2« — 1); l'intégration de (2), la recherche d'une solution autre du système (o), d'ordre (!2« — 1), et d'un autre d'ordre [i — 1), c'est-à-dire d'ordre (2n — 3), au plus, ou d'ordre (2?i ~2), si l'on introduit une variable t auxiliaire. II. Les solutions ôi, 02, ôj,... , de (2i) donnent aussi autant de solutions du système (a), sauf si elles rentrent les unes dans les autres. C'est dans cette remarque que consiste le théorème de Poisson. Bertrand a remarqué que ce théorème est souvent illu- soire, quand on veut l'appliquer à la recherche de nouvelle solu- tion d'équations de la forme (a). Cela arrive si ôg, 63, .... sont identiquement nuls. Mais, quand il s'agit de l'intégration des équations aux dérivées partielles, c'est là précisément le cas le plus favorable (voir n" 71 . 1"). C'est là ce qui rend létude des systèmes canoniques de la forme [a) plus difficile que celle des équations aux dérivées partielles correspondantes. 69. Intégration du système (3) et des autres systèmes. On cherche une seconde intégrale 9, du système (2) ou de (5i), (og). On forme les expressions suivantes : c'est-à-dire que l'on vérifie si Qj, ôj, 65, ..., ne sont pas des solu- tions de (03). Ces fonctions 0^, 63, 64, ... seront des solutions com- munes de (5i), (ds). En effet, on aura pour la fonction 02? par exemple : (H,,0,)=(H,,(9,,H5))=-(O.,(H3,H,))-(H3,(H,,0,)), (H„O,) = (H,,(9,,H3)) = -(0,,(H3,H,))-(H3,(H„0J). Les seconds membres de ces relations sont nuls, en vertu des équations (2), ou des équations : (H„0.) = O, (H,,0,) = O (-2') qui expriment que 0, est une solution de (2). ( 452 ) La suite e,, 625 —5 dans le cas actuel comprendra au plus (2w~4) fonctions distinctes, parce que, d'après le numéro précédent, à cause du système (6), qui ne peut avoir au plus que (2?i — 3) solutions distinctes , il ne peut y avoir non plus que (2?i — 5) solu- tions distinctes H3, e^ , Ô2, ... , de (2). On trouvera, comme dans le numéro précédent, qu'il suffit de connaître une solution de l'équation : ,e., H3)- -^ -.. + ,.,, H,) _ = o, OU ou, enfin, du système :/e, • dO, dOi (6') h K 6i-^i 1 de H,, H2, H5, 61, 02, 65, . .., 0,, pour con- e. + i étant une fonction de H, naître la solution cherchée Hi^a^ du système (4). Et ainsi de suite pour les systèmes successifs. 70. Remarques I. Le système (3) exige d'abord , pour trouver 01, comme dans le cas précédent que l'on trouve une solution du système (a) d'ordre (2?i — i) , et une solution du système (6) au plus d'ordre (2/i — 3); ensuite pour déterminer H4, une solution du système (6), au plus d'ordre (2/2 — 3). H. En continuant, on verra sans peine qu'en résumé, l'inté- gration de (I) exige l'intégration d'un système d'ordre 'in — 1, savoir le système (a), (^2) " » >' 2« — 1,1 d'ordre 2/z — 8, (3) » » » in~i,[ >, 2/2-3, 1 d'ordre 2/?— S, {Il — 1) exige l'intégration d'un système d'ordre 2;? — 1, 1 d'ordre in — 3. 1 d'ordre 3 , i équation d'ordre 1. ( 155 ) En tout, il faudra donc chercher, au plus, ^, (fi j \ 1 -4- 2-t- 3 H h (il — \)=^ intégrales. 1 .2 En particulier il faudra chercher {n — 1) intégrales du sys- tème {a); puis, au plus, (»-etsky,§ 19,pp.73-79. ( 155 )^ où ^1, ^25 ". j 'im désignent des fonctions de r,, ... ,x„,p, , ... ,p„, telles que l'on ait, pour les valeurs de r et s comprises dans la suite 1,2,5,...,»!, Si l'on parvient à trouver des fonctions H, contenant les quan- tités x, les quantités p et les fonctions y, et telles que l'on ait (H.-,?.) = 0. (H.,Ha) = 0, en supposant, que dans ces fonctions H les fonctions f soient remplacées par des constantes, je dis que l'on aura aussi [H„H,] = 0, dans le cas où on laisse les fonctions ^ dans les fonctions H. En effet, la formule (6') du § 16, donne ( VIT J>rT [U,,U,] = {Ui, H*) -+- 2 (H,, fr) Y^ - (Ha, F.)— ^ OU [H,, H*] = 0. Cette remarque simplifie beaucoup la* recherche des fonctions H. Ainsi, en particulier, si l'on a : (F,.,Fs) = 0, (Hnî'r) = 0, pour trouver les fonctions Hg, Hj, ..., H„»^„ il suffira de poser : Hg = Fi , Hj = Fa î • • • , H,n4.l = f,n ■ ou même : H2 = Fi(Fi,?2,...,Fm), •.., H„,+i = F„,(Fi,Fî, ••■,?/«)> pourvu que les fonctions F soient indépendantes les unes des autres. Nous supposons naturellement m < 7i. ^ ( 136 ) II. Un cas remarquable , où il est facile de trouver des fonc- tions y satisfaisant aux conditions indiquées plus haut, est celui où les variables sont dites séparées. Nous prendrons un cas parti- culier pour nous faire comprendre. Supposons une équation aux dérivées partielles : ou Ei{œi,...,Xn,Pi,...,Pn,?, 'P, X) = «1, ô = d>{t^,..., tk,i\,r^,...,rk), % = %(Wi, ...,W/,5i,S2,...,sO, dz dz dz dz dx dy dt du de sorte que H,, ç», i^, % contiennent toutes des variables indé- pendantes différentes. Il est clair que Ton aura. {?, ^) = 0, ('f,%) = 0, i'^, x) = o. Par suite, on pourra poser Appelons Zi, z.^, z-^, z^ les «intégrales de ces quatre équations qui pourront se chercher indépendamment les unes des autres. La solution complète de l'équation donnée sera En effet, en premier lieu, on déduira de là, précisément les mêmes valeurs pour les p, les ^, les r, les s que de Zi, z^^ z-, z^; ensuite le nombre des constantes arbitraires sera [n -4-J -4- A' h- l). Car dans Zi entrent (^i — 1) constantes arbitraires, dans^g? [j — ^) et en outre «g, dans %, (/: — 1 ) et en outre aj, dans js*, (/ — 1) et en outre dans «4. Donc, en comptant encore la constante a, il y aura {n -\- j -^ k -¥■ l) constantes arbitraires. ( 157 ) III. Ces précieuses remarques nous permettent de traiter systématiquement quelques cas remarquables, déjà étudiés par la méthode de Lagrange (§ 8, n" 54), qui, au reste, conduit au résultat général que nous venons d'exposer : 1° L'équation a pour intégrale les constantes arbitraires a satisfaisant à l'équation /^(ai, a,» •••, ««) = 0. On ramène à ce cas celui où l'équation est de la forme Z = fiPi^P^: ...,p„)=:0, au moyen de la transformation du n" 2. En particulier, si z est une fonction homogène des quantités p de degré ii , il vient =('-fr [/■(«l,«2,---,««)]^'~' 2" L'équation /■(P1,P2,---, PJ=0, OÙ fj ne contient que x,et/)/, a pour intégrale : ^i étant la valeur de pi déduite de ^i= o, et les constantes a étant liées par la relation /^(rti,a2,..., a„) = 0. 5° L'équation z ■=■ f [X^ , 3^2 , ...^XmPit Pxi ■••■) Pnif OÙ /' est une fonction homogène de degré p-, par rapport aux p, devient, en appelant m = 0 la solution complète et posant : Jw Su iSu -i% = {^i , Hi) , !^3 = (î;2j Hj), etc. ^5 = (Pa^s) (- ^3) + (Pi^^s) (-+- ^3) + "^i* (Pi - P2) = — -+- «i^ï • ^1 Une l'onction 0 (H2, ^1, 1^2) satisfait à [%); elle satisfait à (2i), si elle est une solution du système (6) : d^_d^^ ou ^ = ^^oc^ . On retombe, en intégrant cette relation, sur la valeur ordonnée plus haut, et par suite on arrive à la même intégrale complète. § 20. IfMélhode de Jacohi sous sa fot*tne la plus sitnplB (^). 74. Idée générale de la marche à suivre. i° On déduira la valeur Pl = Fl(^l,-.-,^/M«l,P2»P3,---»Pn) = -/'ii de la première équation H. S"* Cela fait, l'équation (VI), du § i8, où f^ = fi{Xi, ..., x„, o„ p^,...,pj, savoir (Pt-^n,A2) = 0, (1) (*) Résumé de Jacobi, Nova methodus, §§ 9 à 11, §§ 18 à 22. Le même résumé se trouve dans Imschenetsky, §§ 20 à 22, pp. 86-121, Graindorge, VII, pp. S5-75, avec des exemples el quelques théorèmes donnés par nous dans les paragraphes précédents. Tome XXV. 12 I ( 462 ) donnera /a = ch, et l'on pourra en tirer et, par suite, de sorte que l'on aura (§18, IV') (Pi -^12,^2 -^22) = 0 00 5" On déterminera ensuite f-^ (xj, ...,x„, «i, «g, ps, ..., pj, au moyen du système (VI) : (Pi-^i2,A) = 0, {p,-'P,,,f,) = 0 (2) La fonction f^ trouvée, en l'égalant à une constante arbitraire «g, on pourra en tirer la valeur de/?3, que l'on substituera dans les valeurs précédentes de p^ et p^. On aura ainsi des équations de la forme Pi = i^l3 (^1 , • • » ^« , «1 , «2 , «ô , P4 , • • ■ , Pn) , P2=^25(^l--- , ^„,ai, «2. «3îP4, •••»?«), P5 = n (3Ci,..',œ,„a,,a^,a^,Pi,...,Pn) = à^,. Alors, d'après (IV) : (Pl-;'l3.P5-^53)=0, (P2-';'23,Pô-^33) = 0, (Pl-'^13»P2-^'23)=0.(2') 4° Soit ensuite f^ {x^, ...,x,j, «i,«2j «35 Pi^ -"^Pn) "ne fonction satisfaisant aux équations (Pi-^i3,A) = 0, (p,-à,,,f,) = 0, ip,~ô,,J,) = 0, . . (3) on tirera p^ de f\:^ a^, cl l'on pourra écrire Pi = ^14(^1 '•••» ^«'«1,02» 0^3, «4, Ps, •.-,?«), P2 = ^24(^l'---)^«)«n«2)«3,«4,P5. ••-,?«), P5 = "*'34(^U • 5^«)«l.ff2505l«45P5) "-^Pn), Pi=?i (^1 ) •• , ^;n «D ^2> O3. «45 PSJ •• , P«) = ^44- ( 165 ) Ces valeurs seront telles d'ailleurs, d'après (IV), que (/Jl-T^14,/^3-^34) = 0, (P-2 - ■^24,^3 — -^34) = 0, (/^1-^45P2 — W = 0. Et ainsi de suite. Si Ton appelle /l (.Xi. .,., x„, pi, ...,pj = «i l'équation donnée, on trouvera ainsi le système suivant, auquel nous adjoignons l'équation donnée elle-même: fAXn---->^n,(i,,p^,p-,...,Pn) = a2., /s (o^i , . . . , rr„ , «1 , «2 , P3 , . . . , p„) = aj , I ^_.l(a7^,...,a7„,«l,... ,an-',,Pn-i,7Jh) = «»-i, /„ («1 , ... , ir„ , «1 , . . . , a„ -1 , p„) = a»; et l'on en a déduit Pn ^ V/zn (^n ^2) • •• 5^M) ^n •• • 5 ^"^/î) ^^^ ^«» Pn-i = àn-i,n {Xi, Xo^ . . ■ , X„, a^. . . . , a„) = H-,, _ < , P2 =r''2« (Û7i,^2.---i^«i«n--- J«'î) = ''^2) 11 est clair, d'après le § 18, que ces valeurs de p satisferont aux conditions dintégrabilité. Toute la question est donc ramenée à trouver les solutions des équations (î),(:2),(3), etc. On va voir que ces intégrations sont plus simples que dans le cas où Ton cherche l'CS équations H, parce que le nombre des variables va sans cesse en décroissant. ' ( 164 ) 75. Intégration du système f2J. L'équation (1), écrite tout au long, prend la forme : Sxi SXj àpi 1 '^(Pi-^u)^'^A SP^ ' rlp^ ^(Pl-^il) ^U SXn Spn S (P, - à,,) Sf^ Sp7i Spn = 0, ou encore, en changeant les signes : SXj 2 Ux„, Sp„, §p„, Sx, ni équation linéaire par rapport aux dérivées de f^ , ne contenant que (2?î — i) variables, Xi , ... , x,^ , p^, ... , p„. Les équations diffé- rentielles correspondantes sont ; dx^ dx^ dx^ dx„ dp^ dp. ^■Pu ^'Pll ^^11 Sp„ Sx^ Sx. dPn 1 Sp, Sp, Sx,, Pour avoir la relation cherchée f^ = a^, il suffira d'en connaître une intégrale. Le système (2) se composera de deux équations .) 5 \Sx„^ Sp,„ Sp„, Sx, ni ' Sx^ 3 \Sx„, Sp„, Spm Sx,. Sx^ . (2,) qui contiennent chacun (2?i — 5) variables indépendantes. Soit ô, une solution de (2]), de sorte que (Ox,Pi-^i2) = 0. Posons, afin de voir si 0i satisfait aussi à (2.2), &2=(6l,P2-^22), % = {^,,P,-h,), ^4 = (e5,P2-^-22), etc. ( 16.3 ) Les fonctions 9i, 0^5 ^3) etc., satisfont aussi à (2i). En effet, l'on a : 0^1 - ^12 , y = (Pl - '^l^, (P2 - '^22 , ^l)) = - {îh - ^22 , (^1 , Ih - ^12)) — (^1 , (Pi - '^12 , P2 - 'r 22)) • Le second membre est nul, en vertu de l'équation (!') et de l'hypothèse sur 9. Donc (Ô2,Pl — ^2) = 0- De même (^3-,Pl-^2)=0, (^^4,Pl--^12) = 0. Il peut arriver deux cas distincts : 1" L'une des fonctions ô est identiquement nulle; dans ce cas cette fonction 0 est évidemment la solution commune des équations (2). 2" Une des fonctions 0 sera une fonction des précédentes et de ^2, constante dans (^j). Cela arrivera nécessairement avant que l'on ait calculé (2/i — 5) fonc- tions 0, puisque les équations différentielles simultanées corres- pondant à (2i) peuvent avoir au plus (2/i — 4) intégrales dis- tinctes. On verrait comme plus haut (n" 68) qu'il en serait de même de toutes les fonctions 0 que l'on pourrait calculer ulté- rieurement. Supposons que l'on ait trouvé ^ fonctions 5 distinctes. Soit 0 = 0(a:-„0,,...,0,). On aura : (^P2-^'22)=(^2>P2-'^22)7--+-(-i'/^2-W J^ -^ ' ' ' + i^i , P^ ' 'P22) J^ v' 1 F2 — r22; — ^^2» ^2 ''"Sx, '-'''' ''" SB^ ' J0 JO ^9 SB %^9, " SB^ '^'Si Par hypothèse : 0,-+i = 0(372, 9^,02 ■■•^^i)' On posera .^0 SB SB SB 0 H 0- — -i- . . - -4- 0 -— = 0 ' ^0, " SB^ SBi ( 166 ) équation dont Tintégration dépendra de celle du système dx^ _ dBi _ ddçi _dSz _ _ ddi-i _ de, ou de l'équation dx\ \ " '' dx^' dxl''"' dx'-'l Il suffira de connaître une intégrale première de cette équation : pour avoir la solution commune cherchée : En particulier, il sera facile de trouver /s dans le cas où 9,^.i = constante A;, car alors d'9, _ d'-*9^ _ et h = ^i-kx^. Il est clair, en effet , que si (9, , 'p.2 — ^^22) = ^î ^"i ^ {Bi-kx.,,p.^-à.,^)z={i. Remarque. On aurait pu commencer aussi bien par l'équa- tion (22) que par l'équation (2i). En tout cas, on ne rencontre plus ici l'exception qui rend illusoire la méthode exposée dans le paragraphe précédent. Si l'on a 63 = (9j , P2 - .^'gg') =: consianle déterminée A-, on prend simplement pour /s, l'expression (167) qui donne, en effet, comme plus haut. Un cas très-simple est celui où l'on a parce que l'équation auxiliaire se réduit à Elle se simplifie encore quand x^, 0i, ou x^ et 6^ manquent dans e. 76. Intégration du système (o). Les équations du système (3) contiennent (2w — 5) variables, c'est-à-dire deux de moins que le précédent. Ce système contient trois équations : Soit 9i une solution des deux premières, de sorte que (Pl-^13,^l)=0, (P2-^23, ^i) = 0. Substituons-la dans la troisième et formons la suite, K = KK , Ps - ^33) , h = (02 , Ih - ^33) . etc. On aura : (pl-^13»y = (Pl-^13,(0oP3-M = - (P3— «^33, (^1. Pi - ^13)) — (01, (pl - -^13, Ps - -^33)) . c'est-à-dire, d'après les équations (2') et la définition de 0, , (Pl-^3,02) = O.' De même (P2-^23,02) = O, c'est-à-dire que 02 est solution des deux premières équations (5). Il en est de même de 63, 04 , etc. ( 168 ) La suite des fonctions o comprend au plus (2n — 6) fonctions distinctes; on arrivera donc à une fonction 0,4.1, qui sera fonction des précédentes, et si l'on veut de x^, qui joue le rôle d'une cons- tante dans les équations (oj), (Sg). Soit Les fonctions 6,^.2, 0,+3, etc., s'exprimeront de même. Soit main- tenant ô(xg, 9i, ..., 0,) une fonction nouvelle; elle satisfait à (5,) et à (Sg), comme on le voit sans peine. Pour qu'elle satisfasse à (03), il faudra que l'on ait, comme dans le n*' précédent, df) dd dd ^dQ da?3 'dô, 'd02 dQi dont il suffira de trouver une intégrale fi = ai, ou une du sys- tème dœ^ _ dQ^ __ fZ02 _ _ rf0.- __ ou encore une intégrale première de d'e^ ( d0, d'-X B. I dB. d'-^BA - = e Lr3,0i, -^,..., — — 7 • ?*3 \ dœ^ dxl-^ 77. Intégration des autres systèmes et en particulier du der- nier. Il est évident que l'on peut continuer de la même manière rintégration des systèmes successifs (4), (5), ..., (n — i). Suppo- sons que l'on soit arrivé à ce dernier, qui est : (Pi — ^i,n-l,fn) = 0, (p.,— ./^2, „-2, A«) = 0 ... {fn-l — 4>n~l,n-l Jn) = 0 , OU encore : ^fn ^ ^'Pi,n-i Sfn ^i,n-i §fn _q ill—\) SX^ SXn Spn SPn ^Xn ' ^Xn-l ^Xn Spn ^Pn ^^n [n-in-i) ( IG9 ) On cherchera une solution de [n—ii); on en déduira d'autres solu- tions au moyen du théorème fondamental, puis, comme ci-dessus, une solution commune de [n — \i), [n — la)- Le théorème fon- damental de Jacobi en donnera d'autres , puis on saura trouver une solution commune aux équations [n — ii), [n — l,)» (^* — ^s); et ainsi de suite. On remarquera que l'intégration de [n — ii) dépend de la recherche d'une intégrale d'un système d'équations simultanées à trois variables, ou de la recherche d'une intégrale première d'une équation différentielle ordinaire du second ordre. Pour déduire de là une solution commune aux équations [n — I,), [n — I2), il faut encore trouver une intégrale première d'une équation qui est au plus du second ordre ; il en est de même dans la recherche des solutions communes aux 5, aux 4, aux 5... pre- mières équations (/î— 1). Par conséquent, on a tout au plus à cher- cher une intégrale première de {n — 1) équations du second ordre. En résumé, on voit que la méthode de Jacobi exige la déter- mination d'une seule intégrale de chacun des !ii!!^=J] systèmes d'équations. Parmi ces systèmes, il y en a 1 de l'ordre 2 {n — 1 ) servant à déterminer f^ , 2 V 2(n-2) . . A, 3 . 2(n-3) « >> A, n — lv 2 » « fn- C'est là le cas le plus défavorable. On conçoit bien que , dans chaque cas particulier, on peut introduire des simplifications, puisque, en général, dans l'intégration dechacun des systèmes(4 ), (2) ,...,(>* — i ), on peut commencer par telle équation que l'on veut. 78. Exemple (*). Soit l'équation : p, + [ùX^ -\- ^X^) Pa ■\- {ix^ -+- OX^) 2h-^ [^4 + ^5 (P2 — Ih)] Ps -^ -^ = ^ ■ (*) Nous l'empruntons à lascHENEisKr, n» 89, pp. 116-121. Graindorge, no 71, pp. 70-73, en donne un autre , emprunté à Ampère , que la méthode de Jacobi permet d'intégrer très-simplement. ( 170 ) 1'' 11 faut trouver d'abord une intégrale de (pi — ?ii) représentant le premier membre de l'équation donnée. Le système auxiliaire correspondant est : dXi dœ^ dXs dp^ dp^ dp^ dp^ On en tire dœ, _ d (pa — Ps) 1 ~ Îh — Pz et par suite on peut prendre l'intégrale de cette équation pour f^, c'est-à-dire poser : On tire de là, la valeur de p^, et on la substitue dans pi. On a ainsi Pi - -^12 = Pi -+- {^^2 + 2^3) (Pz + «S^"''*) -^ {^^-2 -+- 5^3) Ps + [J^4 -H ^5^26"^^ J Ps H ; P2 — -^22 = P2 — Pz - «26-^^^ . P4 ^° 11 faudra trouver une solution commune des équations On obtient une intégrale de la seconde équation en cherchant une solution d'un système contenant l'équation ou dûCçi 1 _#3 J^3 <^P3 0 ( i7i ) On pourra donc poser, puisque p^ = constante est l'intégrale de cette dernière, On aura ensuite : *^2 = - (Pi — 'Pi-2 , Pô) = - '^ iïh + a^e-^t) — 0P3 = — 701 — Sa^e-^t . La suite des fonctions 9 s'arrête ici. Il faut maintenant chercher une intégrale de et ce sera f^. On trouve : On tire des résultats précédents : 1 o 2 P2 - ^23 = P^~~ a.^e-'i - 036-'^', o îh — ^13 = Pi -+- etc. ô" On considère ensuite les équations (Pl-^3,/'4) = 0, ip,~-à,,,f,)=0, {p,-^,,,f,)=.0. J.a dernière a pour solution 9i = p^ = constante, qui satisfait également à la seconde. Ensuite : % = (62, Pi - ^,3) = - a,e--^Q, -^f- Cela conduit, par la méthode générale, à '-'■(-3- e-^i = — l.a^. ( 172 ) D'où P3-^54 = etc. P2 — ^24 = etc . Pi — '^14 = etc. 4° La dernière des équations : (Pi— ^U'A5)=0- (P2-^.4,/'5) = 0, (P5-'^54,A) = 0, {P4-jiXfj.z) -H niij.Xfj. {n^X^z -+- U2A.2Z -i- ■■■ -\- iiijXjjz) = (M??i X Aj:; H h M«//. X A^.;) -+- ImouXiXkZ. Donc : (MN - NM) z=I {Rui — NWi) X A^ -t- Iniûh (A.-A^t - XkAi)z, La première partie du second membre est d'elle-même une com- binaison linéaire des équations données; il en est de même de la seconde, à cause des équations (2). Donc enfin : On peut remplacer dans un système complet, un certain nombre d'équations, par un nombre égal d'autres équations qui sont des combinaisons des équations données, sans qu'il cesse d'être un système complet. 84. Réduction d'un système complet cl un système de Jacobi. Soient Il fonctions arbitraires, et déduisons les équations : B,^ = 0, B,3 = 0, 633 = 0, ...,B/>tS = 0, (5) ( 182) des relations suivantes : AgS = AgWi.BiS -+- Aal^a.BaSH h A ^ t^^. . i^^.^. , , ,^. .,Ufj..-B,j.Z, ( A/;.S=A^îfl.BiS -t- A^.îf2.B23 H h A/y.?i^..B^.3. / Le système (5) sera un système de Jacobi, c'est-à-dire que l'on aura identiquement (B,Ba - BABi)s = 0 (5) Faisons, en effet, dans les équations (4), successivement 2 = i » « 2w — 6 » » H<, de 2 équations différentielles d'ordre 2 pour trouver H„ . Toutefois il importe de remarquer que la simplification ne sera aussi grande que si les nombres analogues à r dans le para- graphe précédent ont toujours leur valeur maxima. Dans le cas contraire, la simplification s'arrête parce que l'on ne trouve plus des fonctions u en nombre sufiisant pour l'effectuer complète- ment. { 187 ) CHAPITRE V. MÉTHODE DE KORKINE ET DE BOOLE. [§ 24. SSéihode de tLo»*kine {"). 88. Idée générale de la méthode de Korkine. Dans la méthode de Clebsch et de Weiler, comme dans celle de Jacobi et de Bour, les systèmes d'équations simultanées sont traités absolument de la même manière qu'une équation unique, à laquelle on serait par- venu d'adjoindre, par bonheur, sans calcul, des relations entre les variables x, les dérivées partielles p^ et des constantes arbi- traires. 11 n'y a aucune différence entre l'intégration d'un système d'équations simultanées et l'achèvement de l'intégration com- mencée d'une équation unique. Dans les méthodes de Korkine, de Boole et de Mayer que nous exposons dans ce chapitre et le suivant, on part encore des idées de Jacobi, mais de plus, on élimine une variable, chaque fois que l'on parvient à intégrer une des équations simultanées. La méthode de Korkine s'applique aux équations quelconques, celle de Boole aux équations linéaires générales , celle de Mayer égale- ment, et de plus, spécialement aux équations linéaires auxquelles conduit la méthode de Jacobi. La méthode de Mayer contient en outre une autre idée, empruntée à la méthode de Cauchy, savoir, celle de l'introduction des valeurs initiales des variables, comme constantes. (*) Korkine, Comptes rendus de l'Académie des sciences de Paris, t. LXVIII, pp. 1460-1464, 1869, l^r semestre. Nous supposons que Ton fait disparaître la variable z des diverses équations, ce qui simplifie considérablement les calculs. La méthode de Korkine est la seconde méthode d'abaissement de Bour, comme il le dit lui-même. Le § 24 tout entier a été ajouté au Mémoire primitif, en 1874. ( 188 ) Voici en quoi consiste la méthode générale de Korkine. Soient h{Xl,---->Xn^Piy'yPn) = ai, (Il) /•„, (^i,...,a;„, Pi,...,p„) = a„z, {IJ m équations simultanées qui satisfont identiquement, pour les valeurs de i et /f, non supérieures à m, à la condition f^,,/-,) = 0 ou 2 Sx Sx ^, ^ Sp' Sp = 0. (2) Intégrons l'une des équations (I) , par exemple (4,„), et soit z-i-u==F{Xi,...,Xn,yi,...,yn-i), (ô) l'intégrale complète trouvée, u, yi, ..., î/„_i étant les constantes arbitraires. On sait, par le n" 15, que u accompagnées, comme nous le supposons ici. La relation (3) donne : SF S¥ P,-^^^,...,Pn-^^^ (4) Si l'on suppose que u soit une certaine fonction des quantités i/, on déduira de l'intégrale complète (5) une intégrale générale, si l'on y adjoint les relations. Ql — —-,... ,qn-l SF ou Qi = du dyt .. ,(?«-! Syn-i du d^i (3) Dans la méthode de Korkine, on se propose de déterminer la forme de la fonction u en î/j, ... , ^„_i, de manière que l'intégrale ( 189) générale de(I„J dont nous venons de parler, satisfasse aussi aux autres équations (Ij), ..., (i,H_i) du système. Pour cela, déduisons des équations (4) et (5) les valeurs de ^1 "> ^2 > • • • > '^n — 1 > Pi 5 • • • » Pn t en fonction de et substituons-les dans les équations (i). La dernière deviendra une identité, puisque les équations (5), (4) et (5) donnent une intégrale générale de (1„J. Les autres se transformeront en un système de {m — 1) équations simultanées entre yi,y-2, -", ym-i, ^15 •••5 7m- 15 jouissant des deux propriétés suivantes (*) : 1" Elles ne contiendront plus la variable x„; 2° Elles satisferont à des conditions d'intégrabilité analogues à l'équation (2), par rapport aux quantités y et q. On déduira de ce nouveau système de [m — 1) équations con- tenant {n — i) variables indépendantes, un troisième système qui contiendra une équation et une variable de moins, et ainsi de suite, jusqu'à ce que l'on arrive à une équation unique contenant [n — m) variables indépendantes. La méthode générale se simplifie un peu, quand quelques-unes des quantités p manquent dans l'équation /,. = 0. 89. Démonstration de la première propriété du système trans- formé (**). Soit, après l'élimination de Xy^ ..., a:„_i,^;i, ...,p„, dfi clx^ dfi dXn-i dfi §E énonce les propriétés en question sans les démontrer. ( 190 ) De mêmej des équations (3), on tire ^^F dœ^ ^^F dXn~i ^'F ^2/1^^1 dXn '^yjœn-i dXn ^l/i^OC, = 0, ^2F dx^ ^*F dxn-ï ^'F l-_ h- ^ — = 0. ^yn-l^X^ dXn ' ' SlJn-iSXn-i dXn S\Jn-\SXn L'élimination de -^'' ••• '^^^ entre ces équations, conduit à la relation dfi Jp dXn SXn dfi dXi df, dXn^l è^F ^^F è^yJXi Sy^SXn-i ^Vi^OCn S^F PF S^F Syn-\SX^ ^yn iSXn-l Syn-l^Xn = 0. Multiplions les colonnes de ce déterminant, respectivement par et ajoutons-les à la dernière; remarquons, en outre, que Sfm ^'F ^f,n PF _ ^Pl ■^^'Ji^^i ^Pn ^Ui^^n ^fm dp, Sf„, dp. \ dyi ^Pn dyi 0, puisque f„, est identiquement nul, après substitution des valeurs (4) des quantités p, et posons : U = dfi Sf,n dfi Sf„, dXi dpi dXn ^Pn ' il viendra ( i9I ) dfi ' > dXn-i lyJxZ^i' SXn S^¥ S^¥ Syn-l^Xi Syn-\SXn-i D'où, chaque fois que le déterminant gi,...,g„_i = 0. 37j, • •• 5 ^n — 1 ne sera pas nul, ce qui est évidemment le cas général, SXn Or, U est nul d'après l'équation comme on va le voir. En effet, on a : SXk l=zl^Pt ^XlSXk Par conséquent. 0 = {A,r;n) = 2 Sxk lu ^Xk 3pk ^X^ IL Ifrn ( 192 ) Ordonnons la somme du second membre par rapport à ^Pl ^P2 l'équation précédente deviendra <^fm(m ^ S fi ^^F ^ ^ S fi S^¥ \ Sfm Ufi S fi §^¥ S fi S^¥\ \SXn ' Sp.SxJXn ' ' Sp,, §XII~ -4- -— ^Pn OU, en abrégé, ^U dfi Sf,n dfi h • • • H = 0 , §P, dX, Sp„ dXn c'est-à-dire u = o. Donc enfin, on a aussi §9 Sx,, 0, c'est-à-dire que les équations transformées ne contiennent plus x„. 90. Démo7istration de la seconde propriété du système trans- formé. Considérons deux des fonctions /", par exemple , fi et f^ et soit posé, pour plus de facilité, après élimination des o;, au moyen des relations qui donnent les quantités q, A (^i'-'-'^«'j~'""']— =?{yi,-"^yn~i,qi,-.-,qn-i), A \x„...,Xn, — -^'-'^ — \ =à{îj,,...,yn-i,qi,...,qn~i). En remplaçant dans le second membre de ces égalités les quan- tités q, par leur valeur, on obtiendra les identités suivantes : / ^F ^F \ / ^F ^F \ , [ SF SF\ ( JF ^F \ (195) On déduit immédiatement de ces identités, en dérivant par rap- port à une quelconque des variables y : S? Sq, Sqn-\ Sy '■) [iq, Sy '" Sqn^i hj f'^ Sp^ §y Par suite, dans l'expression Spn Sy ' Spn ^y ^? S^ ^yi ^yi ^? H Sq! Sqi entre , avec le signe — , la somme suivante de déterminants : êf P¥ + • Sqn-i Syn-i^yi Sqi ^Qi ^yi^yi ^Qn-i ^yn-iSyi Sqi Or cette somme est nulle , car la quantité est multipliée par hjk^yi êqk Sqi ëqi ^q^ dans le déterminant correspondant à l'indice ^; mais la quantité est multipliée par hi^yk Sqi Sqk Sqk Sqi dans le déterminant correspondant à l'indice k. Donc tous les termes se détruisent deux à deux. Tome XXV. 44 ( i94 ) Il résulte de là que la quantité (u, é) est égale simplement à i = i ^Pt ^Ui ^Pn ^Ui ' sp, ^yi ^Pn ^y* Pour démontrer le second théorème de Korkine, il suffit de mon- trer que cette expression, que nous représentons en abrégé, par Ao ^? %■ ^ô /;.-, ^ est nulle. c? Pour cela, il faut trouver -|^ , l^r» et exprimer, en outre, que la substitution est telle que /i et f^, après la transformation, ne contiennent plus x„. Pour trouver —- , dérivons par rapport à q les valeurs des fonc- tions y, Po ..., p„, /y»^ /y» /v*^ ^2 4 *^1*^3 Prenons pour nouvelles variables aci, tf,, ^2,^3,^4, et le système se réduira aux deux équations : dz dz dz (Iz , dz dz dz dz dz dz CA,..)- + (A,«,) - + (AA)— +(A,«3) ^ + (A,«,) _ =0, Mais on a : A^Xj = 0 , AgMi = 2wi , A2W2 = 20^2 , A2W3 = 0 , A2t(4 = — 2 W4 , A3a7i = 0, A3Wi = 0, A-i/2 = 0, A-Wg = o-ga^'^ , A-W4 = 0. Le système devient donc : dz dz dz ^ du u. V-X.2 w, — -=0, —— = 0. dWi dx^ du^ dx^ On trouve comme solutions distinctes de la première , les fonc- tions X, qui satisfont aussi à la seconde. 11 en sera de même de ( 205 ) qui donne l'intégrale la plus générale du système des équations données, savoir : iCg ou V = x^x^ F {Xç^x\ — XiXl). Ce résultat s'accorde avec celui qui est donné par la méthode générale (*). (*) Collet (Annales de l'école norm., p. o7) traite encore les exemples suivants : dz dz dz dz dz , dz Intégrale générale : dz dz dz dz 20 X, x^- \-x^- x^-— = 0, dx dx^ dx^ dxj. dz dz dz dz x, hx x^- .T __ = 0. dxi *dx2 dx^ dxi Intégrale générale : Imschenetsky, n» 108, p. 138-141 , traite les équations suivantes ; Pi -4- (^4 + XiX.^ -h X^X^) Ps + (X^ +x^~'ÔXi]pi=0, Pa 4- [XiX^x^ -hx.^— x^x^) Ps 4- {x^x^ — x^)p^ = 0, dont rinlégrale générale est z = F (x^ — x^- x,x^— -^y Graindorge, no 84 , pp. 85-87 , donne l'exemple suivant : 2a;sP4 -^-xIps = 0, x\p^ — 'iXr^Pi + [x\Xi — Sjîs) P^ — 'îXiXiPi = 0. Intégrale complète : 2z + ax^Xi — axl 4-6 = 0. Il donne aussi, no 85 , pp. 87-89, l'exemple d'iMSCHENETSKY. ( 206 ) CHAPITRE VI. MÉTHODE DE MAYER POUR LINTÉGRATION DES ÉQUATIONS LINÉAIRES AUX DÉRIVÉES PARTIELLES AUXQUELLES CON- DUIT LA MÉTHODE DE JACOBI (*). § 26. MntégraHon des systètnes d^équaiions totales linéaires inlégÈ^ables compléienient. 94. Correspondance entre les systèmes simultanés d'équations linéaires et certains systèmes d' équations différentielles totales(**). Toute équation linéaire aux dérivées partielles est équivalente, comme on le sait, à un certain système d'équations différentielles ordinaires (n° 52). Une correspondance analogue existe entre un système d'équations linéaires aux dérivées partielles et certains systèmes d'équations différentielles totales. (*) Mater, Mathematische Annalen, l. V, pp. 448-470 : Ueber imbeschrànkt integrable Système von linearen totalen Differentialgleichungen und die simultané Intégration linearer pariieller Differentialgleichungen. Lie a comparé la méthode de Mayer à la sienne, dans les Nachrichteu de Gôltingen, 1872, n° 23, pp. 474-476. Mayer cite comme lui ayant été utiles pour établir sa méthode, ou comme ayant quelque rapport avec elle, outre les recherches de BooLE : Natani, Ueber totale und partieUer Differentialgleichungen (Jour- nal de Crelle, t. LVIII, pp. 301-528), et une note de du Bois-Reymond (ibid., t. LXX,p.312). C*) BooLE, Trealise, etc., Supplément, chap. XXV, pp. 74 et suivantes, s'oc- cupe de ces systèmes. L'analogie de sa méthode, exposée plus haut, avec celle deMayer, est évidente. Mais Mayer a eu de plus l'idée d'introduire les valeurs initiales des variables , comme l'a fait Cauchy. [Le second cahier du tome LVI des Archives de Grunert, qui a paru seulement en avril ou en mai 1874, con- lient,pp. 165-174, un travail intitulé : Zur Intégration eines Syste^ns linearer partieUer Differentialgleichungen erster Ordnung, von L. Zajacrkowski, où l'auteur expose, comme complément de la méthode de Boole, précisé- ment ce que nous résumons, d'après Maver, dans les n»» 94, 9o, 96; seule- ment, il démontre directement tout ce qui se rapporte aux conditions d'inté- grabilité.] (207 ) Soient, en effet, les m équations suivantes : dz dz dz dz A,s = - 1- «11 -— H- «12 -— H ho,„-— = 0, . . . (il) dx^ dij^ dy^ dijn dz dz dz dz doom d\ji dy^ dyn z et les a étant fonction des variables indépendantes x,, ... , aCm, 2/1» -5 2//:- Multiplions ces équations par des quantités quelconques >,, ..., ;,„ et ajoutons les résultats, nous trouverons : dz dz dz ^ -— (^lOii H h A,„ami) -+- dy, ■T-^(>iai»H H)„,«mn)=0 (2) dVn Toute solution des équations (1) est une solution de (2) et, par suite, égalée à une constante, est aussi une solution des équations simultanées suivantes, qui correspondent à l'équation (2) : dXi __ _ dx^ dj/j _ ^ dy^ ^1 >m -^i^uH HA„,a„,i ^i«i«H \->-mamn ou encore des équations différentielles totales que l'on en déduit : dî/i = «iid^i -+- OaidoTa H \-a,^idœ,n, (5i) <^y2 = «i2^^i-+-«22^^2H i-am^dx^, (Sa) dyn — ai^dXi-ha^Jx^-i h a„,ndXm (3„) Réciproquement , si une fonction z est telle que sa différen- tielle est identiquement nulle en vertu des équations (3) , il est clair que cette fonction est une solution des équations (1). ( 208 ) Il résulte de là que l'intégration des systèmes de forme (i) est équivalente à celle des systèmes de forme (5) et réciproquement. Clebsch ayant montré que, dans l'étude des systèmes de forme (1 ), on peut se borner à ceux qui sont tels que on peut aussi, comme on va le voir, se borner à étudier certains systèmes (5). 95. Conditions nécessaires d'intégrabilité complète (imbe- sclirankte Integrabilitat). Nous ne considérons ici que les sys- tèmes (5) qui proviennent d'un système de w équations entre {n -+- m) variables, de la forme ¥{œi,...,Xn^,iji,.,.,yn) = constante, par différentiation totale. Il résulte de là que les équations (5) ' que nous considérons, peuvent être regardées comme ayant pour solutions n fonctions y de x^, ..., o:^ et de n constantes arbitraires. On a donc : -^ = ahk, j— =««•*' W dXk oXi et par conséquent ; dahk dajk dXi dxh Nous employons ici le signe d pour la différentiation, parce que les a contiennent à la fois les x et les y. On remarque que dahk Sahk Sahk Sy^ dXi ~~ ^Xi ' ^y^ $Xi "^ ^ Sahk ^yn f après (4) : duhk ^(^hk ^cikk = h au — h • dXi dXi dyi Sauk ou encore, en tenant compte de la signification du symbole d'opé- ration Aj dtthk . / , ( 209 ) Par conséquent, les conditions (5) peuvent s'écrire sous la forme M{akk)-Ah{aik) = 0 (5') Les conditions (5) ou (5') sont en nombre n. "* "^~ . Elles doi- vent être satisfaites identiquement par les valeurs des y, puisque celles-ci contiennent n constantes arbitraires. Les conditions (5) ou (5') sont donc nécessaires pour que le système (3) ait un système intégral de la forme indiquée. Nous dirons que ces conditions définissent un système (5) complète- ment intégrable. On verra plus bas qu'elles sont suffisantes pour que l'intégration soit possible. On peut remarquer que les conditions (5') donnent *=" dz 2 [Ai(auk)-Ah{au)]--=:0, (6) pour une fonction z quelconque. Mais on a (§ 47, n° 58) : (A/A/, — A/iAj) ^ = 2 [A,- (ank) — A/, (a,/,)] -^ • c'yk Donc les conditions (5) entraînent les suivantes : AiAftS - A„A/:; = 0 (7) Réciproquement si celles-ci existent pour n fonctions z distinctes, il est clair qu'elles peuvent remplacer les conditions (o) ou (5'), d'après la tbéorie des déterminants. 96. Réduction du système (5) à m systèmes de n équations ordinaires du premier ordre. S'il y a vraiment n fonctions y qui satisfont aux équations (5), elles devront satisfaire en particulier aux n équations (4) suivantes : ]^ = ""'^ = «-'-"j^ = ^-' ^'^^ Tome XXV. 15 ( 210 ) OÙ 5C2 5 ••• 5 -^m jouent le rôle de constantes. Soient ?Ax,,.--,œ,„,y,,...,tjn) = c,, (8,) ^2(0^1, ...,^,„, 2/i,...,2/«) = C2, (82) ?n{x,,..,x„r,yi,...,ij,)=c^, (8„) le système intégral de (4i), où Cj, Cs,... ,c„ ne contiennent que On peut se servir de ces équations pour effectuer un change- ment de variables, consistant à remplacer î/,, ... , y,^ par Ci, .,., c„. Il est facile de former les équations différentielles totales qui doivent remplacer le système (5). On tire en effet de (8) : \^x, s y, Sx, Syn^ocJ Sf Jp Sy, Sf hj, :^ — dx. Sx, Sy, Sx, Sy, Sx.^ S? Sf Sy, Sf Sy, Sx„, Sy, Sx„, Sy„ Sx, ou encore ^/ Sf Sf I \Sxh Sy, ■ -+- «An T dXh» Les fonctions a étant, par hypothèse, les solutions de (4), on a ^= 0, et par conséquent les équations précédentes se réduisent aux suivantes, où nous employons le symbole d'opération A, m dCi = l\h9idXh, (9i) 2 m dc^^lAhf^d'^h, {%) dCr.^2knfndXh (9«) 2 ( 211 ) Il est clair, d'ailleurs, que Xi ne peut plus entrer dans ces équa- tions puisque les c ne contiennent pas cette variable. On peut le montrer encore comme suit. On a, à cause «le Aj-^ = 0 A.Xhf = AftAiP = 0, ou encore, d{Anf) cKM?) d{\h?) d(M'f) „. — ] ^-«ll — 1 — + «12 -, • *- «i«— 1 — =^' dœ^ diji dy^ dij,, ce qui revient à dire qu'après substitution des valeurs de ?/i,...,y„ dans Aft'^ la dérivée totale de A,/^ par rapport à aci = 0. Il résulte de là qu'après la substitution dont il s'agit, les équations (9) ne contiennent plus Xj. On peut donc, sans inconvénient, mettre à la place de Xj telle valeur particulière que Von veut, sans cjue les équations (9) changent. On voit que la transformation que nous venons d'effectuer remplace le système (5) par un autre contenant un nombre égal d'équations et une variable indépendante de moins. On peut rem- placer le système (9) par un système analogue contenant encore une variable x de moins et ainsi de suite, car le système (9) est évidemment complètement intégrable, puisqu'il est équivalent à (5). On voit donc qu'en continuant de cette manière, on peut ramener l'intégration de (5) à celle de m systèmes de n équations analogues aux équations (ôj. 97. Détermination de ces systèmes successifs. Si l'on introduit les valeurs initiales des variables y comme constantes, on peut établir immédiatement les m systèmes dont nous avons parlé à la fin du numéro précédent. Nous appellerons yio^y^o, •••? ^»o ces valeurs initiales correspondant à x, = Xiq. Pour le montrer, nous résoudrons les équations (8) par rap- port à ?/,, ... , ï/„. Nous trouverons ainsi yn = '^n{^l,--' ,^m;r^,...,Cn) (10,,) (212) Si l'on suppose que les c soient déterminés d'une manière conve- nable en fonction de X2, ... , x,,.^ , ces équations donneront la solu- tion des équations (5), et, par suite, on trouvera les n relations équivalentes aux équations (9) : _ ac, + • + j^<'^.. = (%. - jj^J d^. + •■ + («».- ,— ) étant des solutions du système (4i), on a èp, S'I. u„ Introduisons maintenant les valeurs initiales comme constantes. Posons f{Xi,...,œ„,,ÎJi...., Vn) = ? (^10,^2' •• : ^"M !/'lOÎ !/20' • • • , y„o) = Cl, et déduisons des n relations contenues dans cette équation : yi = 'Xc{Xi,---^^nnyio,---ryno), (10;) On aura , pour ces fonctions % comme pour les -p : ^//lO Xn ^Xn I ^Xn\ 1 ^Xn\ //lO ^yno \ ^^il \ ^^nil équations qui sont indépendantes de j*,, comme les équations ( 215 ) équivalentes (11) ou (9). Faisons-y Xi = x,o, elles ne changeront pas. Dans cette hypothèse, xi se réduit à î/,o, ... , %„ à y„Q et. par suite, le système (1 T) est remplacé par celui-ci : On a ajouté un 0 aux indices a pour indiquer que l'une des varia- bles a^i y a été .remplacée par sa valeur initiale a^jo- Il est clair que ce système (12) est encore complètement inté- grable. En effet, il a pour solutions le système intégral du pre- mier. On sait d'ailleurs que les conditions d'intégrabilité (5) ou (3') étant identiquement satisfaites pour une valeur quelconque de x, le sont encore pour la valeur spéciale Xiq. Il est facile d'écrire les systèmes successifs de n équations si l'on convient d'ajouter les indices 1, 2, 5, ... , {m — 1), aux indices des quantités y et a pour indiquer que l'on y remplace successivement x,, X2, ... , x,„_, parleurs valeurs initiales, mais cela est inutile, comme nous allons le montrer. 98. Réduction de l'i}itégration des m systèmes auxiliaires de n équations à celle d\m seul système. Il y a un cas où l'on parvient immédiatement à terminer l'intégration. C'est celui où la valeur spéciale de x,, savoir Xjo, est telle que pour cette valeur, tous les a qui entrent encore dans les équations (12) s'annulent. Dans ce cas, le système (12) donne //j(j = constante , . . . , y^^ = constante , le problème est complètement résolu et il est inutile d'effectuer aucune transformation ultérieure. Nous allons montrer que l'on peut dans tous les cas, par un changement convenable de variables indépendantes, faire en sorte que cette simplification se produise. Posons Xi = Xi (w, f<,„), ..,^m=-37,„(Mi,..., U,„) (13) 5 '^'^)ll,l 5 ( ^il4 ) Le système (5) deviendra : dyn^Kn(^l^l-^KndU2-i \-bmndUm, {Un) OÙ : b^i = 2-—aii,...^bmi — 2~-^an (15,) i '^Ui 1 dll^ bin= l-^—ain,-.-,b,„ri=Z- — a.n (15„) Ce système nouveau (14) sera complètement intègrable, puisque son système intégral se déduit de celui de (5). De même, si l'on pose ^z /=» dz BiS = — --*- 2 ^. — ' àUi j — i dllj on aura : ce qu'on vérifie aisément d'ailleurs par le calcul. Pour intégrer (14), nous cherchons d'abord le système intégral des équations et nous y ferons entrer les valeurs initiales ?/,o, ..., î/„o fl^i corres- pondent à la valeur Uio de ir,. Le système (14) sera remplacé alors par dljio^hiod^'--^ ^b„nodll,n, (17ft) dyno = hnodf(2-^ \-b„,„odu,„ (17„) Choisissons maintenant les équations (13) qui définissent la sub- stitution de telle manière que l'on ait dy,o = ^>d'j,, = 0,...,dij,, = 0 (18) ( 215 ) Pour cela , posons simplement ^1 ='2'io -t-(Wi — wio)^\-. (13;) ^m = ^mo -+- («1 — «lo) ^m , (15;„) y,, Va, ..., V,» étant des fonctions de î/i, i<2, ..., î^m qui laissent les variables x vraiment indépendantes, Xio, ...,x,„o d'ailleurs étant choisis de manière que les a restent finis et déterminés, enfin, tels que l'hypothèse u^^ = Uio ne rendant infinie aucune des fonc- tions V. On aura pour bfii, quelconque, h étant supérieur à 1 : bhk= (Ui — Uio) 2 1— «iA- j=l à II h Donc, pour iii = itiQ, 6,^^=0. Les équations (17) se réduiront donc aux équations (18). Ensuite, on aura hik = 2 aikVi, --h (m, — Mio) 2 T— «ÏA-, 1 = 1 , = \àU^ expression qui ne devient ni nulle ni infinie pour u = tfio? et par suite les équations (16) ne prennent pas une forme illu- soire. La solution du système (3) est donc ramenée à celle des équa- tions (16). On fera entrer dans le système intégral de (16) les valeurs initiales des y quand i/i = ii^q. On aura ainsi, avec les équations (15'), 2?i équations entre les x, les ?/ et les u. Éliminant les u, on aura le système intégral de (5). Remarque. La forme la plus simple des équations (15') est celle-ci ^,1 = ^'no -t- («1 — «10) W'O ( 216 ) les constantes étant choisies de manière que les a ne soient pas infinis pour u^ = î/jq. On a , dans ce cas, bik = au ■+• U^ttik -t- • • • -4- UmCLmk , bik = {U^ — Wio) «'A , ce qui montre que l'on peut transformer les équations données, d'une manière très-simple. § 27. MntégraSion «tes équations aisac dét'ivées pavtielles du pr'ctuiet^ ot^dt'e. 99. Intégration complète d'un système de Jacobî. Considérons maintenant les équations : dz dz dz AiS=- H «11-- H !-«,„-— =0, (Ij dx, diji dy„ dz dz dz A„,s=- ha^i-— H ha,„„-— =0 (1„) dœ„i diji dijn Pour en trouver le système intégral, nous le transformerons, par les substitutions ^1 =^10 -+- (wi — Wio) ^1 ^ • • (15;) ^m = ^mO-t- K — Wiolî'm, (1Ô;,) en celui-ci : dz dz dz BiS =—+611 —-+-.. .-t-6i„— = 0, (i;) dUy dy, dy^ dz , dz dz B„,s=- h6„,i-— H h6,„„-— = 0, (i;,) du m dy^ dy,, OÙ l'on a : i=m i = *>'^Vi bik = 2 ClikVk + ("i - Wio) 2 T— «i/o 6/,A- = («1 — Uio) 1 -r— «'■* • ( 217 ) Cela posé, on cherchera le système intégral des équations : j^r "' j^r''"'-''^r''"" ■ ' ' et l'on exprimera les constantes en fonctions des valeurs initiales 2/105 — î yno des variables y pour Ui = Uio- Ce système intégral sera en même temps celui des équations différentielles totales : dyi—biidui-^b.,^du^-^ h6,„irfWm, (l^i) dyn=bindUj-i-b.,„diL2-i h6,„„dw„, (14„) si l'on regarde ?/io, ..., y„o comme des constantes. Tirons des équa- tions qui donnent ce système intégral les valeurs de yiQ, ...,3/„o- Les équations ainsi trouvées 2/io = FiKj---'^''«,ï/o---.2//ï)» (l^i) satisfont encore au système (14), et par conséquent, d'après la correspondance qui existe entre les systèmes (14) et (1'), ces équations (18) constituent le système intégral de (1'). Elimi- nons-en Ui, ... , u„, par la substitution inverse de (15j et nous aurons la solution complète du système (1). Remarque. Les systèmes (1) doivent rarement être intégrés complètement. En général, on n'a besoin que d'une seule solution des systèmes de ce genre. 11 est donc de la plus haute importance de montrer comment l'on peut déduire une seule solution de (1) d'une seule solution des équations (1G). 100. Théorème de Mayer (*). On peut déduire une solution du système (1') de chaque solution du système (16). Soit F(Mi,W2,...,W;„,î/i,...,2/„)=conslante, (19) (*) Lie, dans les Nachrichten de Gôtlingen, 1872, n" "25, p. 475, a très-bien fait remarquer toute riniporlance de ce théorème de Mayer, qu'il n'avait pas rencontré dans le développement naturel de sa propre méthode. Au fond, ce théorème est une traduction, pour les systèmes ici considérés, du théorème de Poisson , ou mieux de Jacobi. ( 218 ) une solution du système (IG). Si l'on considère les solutions y,z = P« (««,,. ..,W«,|/lO,?/20,---v2/«o)' {-^") de ce système (JC), on sait que, pour i/^ = Wio, les quantités î/ij ..., ?/„ deviendront ^lo, ..., ?/,n. Donc, pour u^ = Uiq, on aura : lorsque les y sont remplacés par leurs valeurs dans F. D'après ce que l'on a vu plus haut, si l'on regarde ?/jo, ..., 2/no comme des constantes, les relations (20) satisfont aux équations (14), ou aux équations Or, on déduit de (21), dans la même hypothèse 0. ou encore : c'est-à-dire, B/.U = 0. On peut encore arriver à ce résultat, au moyen de l'équation B,F ^0, identique par hypothèse. En effet, on a B, (BftU) = Ba (B,U) = Ba (B,F) = 0 Donc BftU, quand on y substitue les valeurs (!20), a, comme U, une valeur indépendante de Hi. Mais pour u^ = Uio, comme ^, , ..., y„ deviennent ,^yio5 •••, y„oî U est nul et par suite B/JI aussi. Ainsi la fonction U est telle que Ton a : B^U = 0, B,U=0,. .,B„,U = 0, (-2-2) ( 219 ) quand on y remplace les y par leurs valeurs (20); de plus, par hypothèse, la première des équations (22) est identiquement satisfaite. Mettons maintenant l'équation (21) sous la forme yio=Ui (?/i,?/2, ...,«,„, ?/i,. .., y„, î/20, •••, ?/«o) • • • • (23) On aura, à cause de (22), identiquement encore : B,U, = 0: (24) puis, B,U, = 0. B3U, = 0,...,B„,U, = 0, (25) quand on substitue les valeurs (20) aux y. Aucune de ces équa^ tions (2o) ne peut être une conséquence de (25), parce qu'elles ne contiennent pas y^Q. Il peut se présenter deux cas. Ou bien toutes les équations (25) seront identiquement satisfaites comme (24); alors U, est une solution commune cherchée des équations Bz = 0. Ou bien, on pourra en déduire encore ?/2o, ••.5 ^/w en fonction des M, des y et des constantes restantes. S^il en est ainsi, on opérera sur les nouvelles valeurs trouvées comme sur (25). En continuant toujours de cette manière, ou bien on trouvera une solution commune des équations Bz = 0 , ou bien on arrivera à exprimer toutes les valeurs des y^ en fonction des y et de ii, et les équations ainsi trouvées seront équivalentes aux équations (20) qui donnent la solution complète des équations (14) et par suite des équations ({') ou (1) elles-mêmes. 101. Application à r intégration des équations linéaires aux- quelles conduit la méthode de Jacobi. La méthode de Jacobi, appliquée aux équations aux dérivées partielles du premier ordre, ramène l'intégration de celle-ci à celles de systèmes linéaires de la forme : A/=0, V=:0,..., A^/-=0, OÙ Sxh iJ.+i\Sxi Spi ^pi Sxij y étant le nombre des variables de l'équation aux dérivées par- ( 220 ) tielles donnée, et par suite (2v — fx) étant le nombre des variables indépendantes contenues dans le système kf\ savoir : Xi^X^,...^ Xy.,X/j.+i, ... ,a7v, P/J.+1, •-. ,Pv. En appliquant la théorie précédente, on devra faire m = fj-, n = 2 (v — /j.). Pour trouver une intégrale du système A/', il faudra donc en trouver une d'un système de 2 (y — ^a) équations ordinaires. La méthode de Jacobi conduit h v {v — 1) systèmes auxiliaires, contenant respectivement 2, 4, 6, ..., 2 (v — I) équations. Donc la méthode de Mayer pour intégrer une équation aux dérivées partielles nécessitera seulement la recherche d'une intégrale unique de 1 système de 2 (v — 1) équations différentielles ordinaires, 1 » 2 (y - 2) » » i » 2 (v — 3) » » système de 4 équations différenlielles ordinaires „ Cl On arrive à ce résultat en faisant p = 1 , 2, . . . , (y — 1 ) , dans la conclusion donnée plus haut. On remarquera que la méthode la plus favorable, celle de Weiler et Clebsch, exige un nombre presque double d'intégrations (voir n° 87). LIVRE m. MÉTHODE DE CAUCHY ET DE LIE CHAPITRE I. EXPOSITION GÉNÉRALE. TRAVAUX DE CAUCHY (*). § 2S. Cei« de» éqttalions A deux vat^inhMes indépendantes . 10^. Idée générale de la méthode de Cauchy , dans le cas des équations à deux variables indépendantes. Considérons l'équa- tion : f{x,y,z,p,q) =0, (1) et supposons que Xq, yo, Zo^po, qo soient les valeurs initiales de X; y, z, p, q liées entre elles par l'équation : /■(^O' î/o,So»Po,9o)=0 (2) (*) Cauchy. Exercices d'analyse et de physique malhéiiialique, t. II, pp. 238- 272. Le § I que nous analysons ici est la reproduction d'un article publié, en janvier et février 1819, dans le Bulletin de la Société philomatique. L'exa- men du cas spécial où la méthode de Cauchy est en défaut, a été fait par Serret, dans les Comptes rendus, t. LUI, pp. 598-606, 754-745, ou Annales de l'école normale supérieure, t. IIÏ, pp. 1-4Ô-161. C'est Bertrand, qui a signalé dans les Comptes rendus, t. XLV, pp. 617-619, Texislence de ce cas singulier, en prétendant, à tort, selon nous, qu'il se confondait avec le cas général. Ossian Bonnet (C. R. t. LXV, pp. 581-585) a donné une démonstra- tion de la méthode d'intégration des équations aux dérivées partielles du premier ordre à deux variables indépendantes , qui permet d'éviter la diffi- culté signalée par Bertrand. La méthode de Cauchy est aussi exposée dans Imschenetsky , pp 191-200. 11 renvoie pour les travaux de Serret à la 6'"«= édi- ( 222 ) Soit u une fonction de x et de ?/; on pourra imaginer que y, z, p, q soient exprimés au moyen de x et de u. Dans cette hypothèse, on aura : dz dy /j, dx dx ^= q^. ■ - (4) du du Dérivons l'équation (5) par rapport à ii^ l'équation (4) par rapport à x, et retranchons le second résultat du premier, nous trouve- rons : dp dq dy dq dy du dx du du dx On déduit ensuite de l'équation (i) : (5) iL^^^^!L^±^lL^^^^=o (6) ^x $y dx Sz dx Sp dx Sq dx ' ' ^±di_^SJ_dz__^SJdp_^Sldq_^^ . ..(7) êy du ^z du Sp du Sq du (4) et (o), ou multiplions (4) par— |^, (5) par — ^ , et ajoutons-les du du >V Substituons dans cette dernière les valeurs de $' ^Ç tirées de (4)et(o), ou mult à (7). Il viendra : du \èy $z dp dx j du \Sq dp dx J tion du Traité élémentaire de calcul différentiel et intégral de Lacroix, avec notes de MM. Hermite et Serret, t. II, pp. 257-282, ouvrage que nous n'avons pu consulter. Voyez aussi Serret, Cours de calcul différentiel et intégral^ t. Il , pp. 624-649. Cauchy a ajouté à son premier mémoire de 1819, des notes, à nos yeux, de la plus haute importance, où il généralise sa méthode d'exposition. Jacobi, Vorlesungen, pp. 364-376, a donné une exposition a posteriori de cette méthode ou plutôt celle de PfafF modifiée par lui; Mayer a montré le moyen de trouver en tout cas une intégrale complète dans le mémoire intitulé : Ueber die Jacohi-HamiUon\sche Integrationswethode der pariiellc Differen- tialgleichungcn erster ordnung (Mathematische Annalen, t. III, pp. iô3-452). L'exposition générale de la méthode de Cauchy, donnée par lui, en 1841, contient implicitement ces recherches de Mayer. ( 2i>5 ) La fonction M étant encore indéterminée, nous pouvons poser : H dY dii 4--^ — = ^. (9) àq àp dx ce qui réduira l'équation (8) à : Sf Sf $f dq ôij Sz àp dx Enfin, ajoutons à l'équation (6), l'équation (5) multipliée par — |^) l'équation (10) multipliée par — ^, l'équation (9) multipliée par — rfx ' ^^ viendra : Sf Sf Sf dp Sx Sz èp dx ' Les équations (5), (9), (10), (H) peuvent se mettre sous la forme suivante que nous avons déjà rencontrée (n° 57) : dx _dy _ dz __ — dp _ - dq Sf Sf ~ Sf Sf~Sf Sf~Sf Sf' ' ' " S^ J^ ^S^'^^^J^ Ji'^^^S^ Ty~^^^Yz Ainsi, toute solution de 1 équation (i) jouit de la propriété suivante : on peut choisir une fonction u de x et de ?/, telle que les équations (12) soient vérifiées, en même temps que l'équa- tion (4) !^=,^ W du du Il importe de remarquer que le système (12) ne contient que des dérivées par rapport à x; il conduira donc à un système intégral de la forme : .y = A(^,!/o,-o,f/o)^ (i^i) ^=fA^,yo^--o,qo), (1^2) p = A(^,î/o,^o,^o), {1^3) g = A(^,?/o,-o,go), (1^4) d'où l'on a supposé po éliminé au moyen de la condition (2), et où ( 224 ) u n'entre que dans les constantes de l'intégration de (12), savoir 2/oi ^0 5 7o- Ces constantes contiendront u de telle sorte que l'équa- tion (4) soit vérifiée. Réciproquement, tout système intégral (13), des équations (4) et (i2), où les valeurs initiales satisfont à la relation (2), donnera une intégrale de l'équation (i), telle que les valeurs initiales satisfe- ront à la même équation (2). La relation entre x, y, z s'obtiendra en éliminant u entre (Joi) et (log), et les valeurs de p et de q, trouvées par élimination de u entre (13i), (ID3) et (ID4) seront précisément^ et^- En effet, les équations (12) et (4) permettent de remonter aux équations (6) et (7), ou dœ du On déduit de celle-ci df = 0, ou /'= constante. Cette constante est nulle à cause de la condition (2). Donc, en premier lieu, les équations (12) satisfont identiquement à la relation (1). Ensuite, on déduit des équations (5) et (4) dz = pdx -+- qdij . Si donc l'on prend pour variables, x et ?/, on aura : dz dz dx ' dy L'intégration de l'équation (1) est donc ramenée complètement à celle du système des équations (12) et (4). 103. Détermination d'une intégrale de (12) satisfaisant à (4). Supposons que l'on ait déterminé le système intégral (15) des équations (12). Par bypotbèse, on peut le mettre sous la forme : y = yo-+-f'3^ — ^0) «/^il^rî/c-oî^o)- (*^*i) z=z^-\-{x —x^)à.^{x,yo,Zo,q^), (14.) 9=^0 + (^ — ^o)'/^4(^;yO,-05 7o) i^^i) ( 225 ) Si ces équations ne satisfont pas identiquement à l'équation (4), on aura dz dy , , „ — =0-^ + 1 4') du ^ du ^ ^ On déduira des équations (4') et (3), l'équation du dx du du dx dx comme on a trouvé (5) au moyen de (4) et de (3). Les équations (3), (4) , (5) , (9) et (10) donnent l'identité (7) ; de la même manière (3), (4'), (5'), (9) et (10) donneront une équation, qui en vertu de (7) deviendra : ^f dl Sf I_L_^_ J_ = o (15) On déduit de celle-ci : 1 = 1^6 ^0 op . Pour que I soit nul, il suffira en général que Iq soit nul. Or, on a : f è*<'->'i-[<-*'—-"][^*"-'t] Par conséquent, on doit avoir , -£!»_,„ 1^=0 (16) du du On peut satisfaire à cette équation des deux manières suivantes : l"* Si l'on suppose que pour x= Xo, on aura et l'équation (16) sera identiquement satisfaite. Dans ce cas, on trouvera l'intégrale générale, en éliminant ?/o ^t P^^ suite u, entre (15,) et [iù^) qui deviendront ; yi = fi{^,yo,?yo,?'yo}, ^^^'i) Tome XXV. iC ( 226 ) 2° On peut prendre pour Zq et y^ des constantes arbitraires qui ne contiennent pas u^ et q^ contiendra seul ii dans les équations (15). On arrivera dans ce cas à une solution complète contenant deux constantes arbitraires Zq et ?/o, en éliminant q^ entre les valeurs de ?/ et de z (*). 104. Examen dhme objectmi de Bertrand. Bertrand a fait, contre le procédé de démonstration précédent, l'objection très- spécieuse que voici. On pourrait, dit-il, au moyen de ce procédé, prouver que toute fonction yic qui s'annule pour une valeur Xq de X, s'annule pour toute valeur de x. En effet, posons TTX = • fX On aura : 1 1 f'x fX / TTxdx = / — dx = log. Donc x^ ^1 ' • '■ <• rxxdx fx = fx^e ^1 (14) Pour X, = Xo, yXi = ^Xo = 0, d'où il semble que l'on doive con- clure par le raisonnement de Caucby, que l'on a ^jx = 0, pour toute valeur de x, ce qui est absurde. Cette objection, très-juste en général, ne nous semble pas applicable au cas spécial traité par Cauchy. La fonction ttx, dans l'exemple de Bertrand, est liée de telle manière à la fonction yx que les zéros de celle-ci sont les infinis de celle-là et réciproque- ment. L'équation (14) prouve que j^ Ttxdx f^ e =^1 5 ./ TTxdx^ TTx, convergent vers l'infini, en même temps que Xj converge vers Xo , ou fXi vers ^Xq. (*) Les auteurs cités en tête de ce paragraphe, c'est-à-dire Serret el Lmschenetsky, ne se sont pas occupés de ce second cas, pourtant d'une importance capitale, et signalé par Cauchy dans les notes ajoutées, en 1841, à son mémoire primitif de 1819. Cela provient de que ces auteurs font u = y^, tandis qu'il faut laisser à u toute son indétermination afin de pouvoir faire, au besoin , u = j/^, ou ii = q^. ( 227 ) Dans le cas spécial traité par Cauchy, il n'en est pas de même. Posons : Il est clair que cette fonction tt, quand on y substitue les valeurs de y, z, p, q données par les équations (15) ne sera pas infinie , pour toute valeur de x , parce qu'elle contient des cons- tantes arbitraires ou mie fonction arbitraire. Par suite J TTdX ne peut devenir infinie que si tt := oo, pour x = Xq. En effet, si TT était infinie pour une autre valeur, en restreignant suffisam- ment l'intervalle (x — Xq), cette intégrale serait toujours finie. Il ne peut donc y avoir d'exception que si l'on a , à la fois, /■(a^o,2/o,Pyo,Po»F'^o) = 0, (IS) ^{Xo^yo,?yo,Po,f'yo) = ^ (i6) Cela ne peut arriver que si l'on prend la forme spéciale de la fonction f déterminée précisément par ces équations. Dans ces cas particuliers, si tt croît indéfiniment, en étant négatif, quand X converge vers Xq, l'intégrale J TTdX sera finie, ou infinie et négative. Dans ces deux cas, on pourra encore conclure I = Ode Iq = 0. Dans le cas contraire, il faudra calculer I directement. Si l'on trouve I différent de zéro, on peut en conclure qu'il n'y a pas de solution telle que pour x = Xq, z = y, rien de plus. Il se peut que l'équation ^ = oo , au lieu de donner une forme de f pour laquelle on n'ait pas, à coup sûr, 1 = 0, donne au contraire une valeur x = Xq, telle qu'il soit douteux que 1 = 0. Dans ce cas, si réellement I n'est pas nul, on doit conclure qu'il n'y a pas de solution qui permette de donner à a: la valeur ini- tiale Xq. Ce cas d'exception ne semble pas avoir été signalé. ( 228 ) 105. Remarques. I. Dans le cas où l'équation est linéaire et de la forme Pp + Q^ = R, les deux premières équations auxiliaires sont celles de Lagrange : dx dij dz et elles suffisent pour résoudre complètement la question (§ 5). II. Si les deux équations (Idj) (ISg) ne contiennent pas go 5 on en déduira : 2/o=Fi(a5,2/,z), z.^=f^{x,y,z)\ Par suite, à cause de Zq = ^?/o, on a pour l'intégrale générale : Celle-ci conduit à une équation linéaire. Les équations linéaires sont donc les seules qui conduisent à des intégrales du système auxiliaire telles que les valeurs de z et de ?/ ne contiennent pas go- La réciproque est évidente d'après la remarque précédente. IIL En exprimant que les valeurs données par les relations (15) satisfont à l'équation (4), quand on suppose go seul fonction dett, on trouve : £^ = /-^ relation qui prouve que /à et /i contiennent à la fois go? ou en sont toutes deux indépendantes, sauf dans le cas on fi^ = 0 (*). (*) Serret, qui fait u = y^^ z = fy^, q^ = f'^o, essaye de démontrer ce théorème comme suit. L'équation (4) donne, dans cette hypothèse: « Cette équation, dit-il, devant avoir lieu identiquement, les termes multi- pliés par ^ doivent se détruire. On a donc identiquement cqo '*tqo Ce raisonnement nous semble sans force probante, puisque f"yo n'a pas une valeur indépendante de celle de z^ et q^. ( 229 ) 106. Exemples. I. Soit l'équation (*) xij = pq. Les équations auxiliaires seront : dx dy dz dp dq q~ p~ '^Vq~ y ~ X ou, en multipliant par xy =pq : 1 pdx = qdy z=-dz^= xdp = ydq , 'est-à-dire : dx dp dy dq p ^ 9 r. , — = — , — =-^, dz = L.2xda):=--^ydy. X p y q X y On trouve immédiatement pour intégrales : X Xo y yo Po , , 2. Qo î — ^ — j « {x-^-œl) = '-^{y'-yl), P Vo Q Qo ^0 Vo avec la condition : '^oVo^PoQo' En multipliant entre elles les deux valeurs de {z — Zq), on trouve {z-zX = {x'-œl){y^-yl), intégrale complète contenant une constante supplémentaire Zo, si on regarde Zo comme arbitraire. Pour avoir V intégrale générale, il suffit d'ajouter à celle-ci la relation {z-z,)^-f^=^[x^-xl)y,, OU (--2o)îo = (^' — ^o)2/o» qui est d'ailleurs identique avec l'une des relations données plus haut {z-z,)x, = {x^-xl)p,, (*) Cauchy, Exercices, etc., t. II, p. 249. ( 250) quand on tient compte de po^o == ^o^/c II. Soit l'équation 2xz —px^ -+- qxy ■+■ q^x = 0 . Les équations auxiliaires sont : dx dy dz — dp — dq — x^ xy-\- ^qx q^x — '^xz px oqx Elles conduisent au système intégral suivant, où C = ^o ^ô" q = Cx% Xo C^a^e X 'x^ x^ / C'xl Cx^ X, I Ca^'A Les quantités Pq, q^, ?/o, Zq sont liés par l'équation ^x,z, — p,xl H- q.x^y^ H- qlx, = 0 . En éliminant C entre les valeurs de y et de z, on trouve l'inté* grale complète, A et B étant des constantes, {z — Ax') -\-{y — Bj7-»)2 = 0. Dans le cas actuel, on a tt =oo pour ac = a;o = 0. En effet, T = 2 x~\ On trouve I = lo (^"^5 équation qui n'apprend plus rien. Mais l'intégrale complète que nous venons de trouver n'ayant plus aucun sens, pour a:o= 0, nous pouvons conclure que nous trouvons ici le nouveau cas d'exception signalé plus haut. Il n'y a pas d'intégrale complète correspondant kq = fonc- tion arbitraire de u et telle que l'on puisse y faire x = 0. 231 § 29. Équations coitlenattt un notubve quelcottque de variables. 107. Réduction du 'problème à Vintégration d'un système d'équations simultanées. Soit réquation : f{Z,Xi,...,Xn,Pi,...,Pn) = 0 (1) Supposons que, pour x„ = x„0 5 les quantités z, Xi, ... , x„_i, Pi, ... ,p„ prennent les valeurs Zo, Xjo, ... , x„_,,0 5 ••• , Pio, - , Pns liées entre elles par l'équation : /^(^OJ ^10 5 •••5 ^nOj PlOî •••» P«o) = 0 . (2) La méthode de Cauchy consiste à prendre {n — i) nouvelles variables «i, u^, ... , u„-i fonctions de X|, ... , ic„. On pourra sup- poser réciproquement z, x^, ... ,x„_i, p,, ... , p„ fonctions de ?/,, u^, ... , w„_i, x„. Dans cette hypothèse, on aura : dz dXi dxn^i ^=P'5ï:^--*-^"-'i^-*-''" <^' dz dXi dXn-\ /.\ au du du l'équation (4) en représentant [n — 1), que l'on obtient en rem- plaçant successivement ti par u^ , u^, ... , iin-i (*)• Dérivons l'équa- tion (3) par rapport à u, l'équation (4) par rapport à x„, et retranchons le second résultat du premier, nous trouverons : dpn jdpi dx^ dpy dXi\ jdpn-i dXn-\ dpn-i dx„_i\ du \dXn du du dXnj \ dx,i du du dx^ j (3) (*) Nous employons celle manière abrégée de représenter [n — 1) équations plusieurs fois afin de pouvoir calquer le § 29 sur le § 28. Ainsi les équalions (5), (7), (8), (9), (10), (10'), (11) en représentent chacune (n — 1), obtenues en remplaçant u par Ui,u.2, ..,«<«-!, x par XifX^, ...^Xn-i, ou ppar pi,Pi, ...,p„-i. ( 252 ) On déduit ensuite de l'équation (i) Sf "-1 Sf dx ëf dz " ^f dp dœn l àX dXn àZ dX^ 1 ^P dXn "-* ^f dx Sf dz :L ^f dp _ 1 Jx du ^z du i Sp du Substituons dans cette dernière, les valeurs de ^j-^ tirées des équations (4) et (5), il viendra : 1 du \dx êz ^})n dXn] 1 du \§p èp^ dXn) (8) Les fonctions u étant indéterminées, nous ferons disparaître la dernière somme qui entre dans cette équation, en posant les [n — i) équations : ^f Sf dx /--/-7- = 0 (9) Sp Spn dXn L'équation (8) deviendra par là : M-l Le déterminant ^ dx iSf Sf Sf dp \ 1 du \^X ^ ^Z Sp^ dXn I Xi, .,., Xn—l U 1 n'étant pas nul, en général, d'après les conditions (9), qui ne contiennent pas explicitement les î/, les équations (10) équivalent à celles-ci : ^f Sf ^f dp ^X ^Z Spn dXn Enfin, on déduit des équations (G), (5), (10) et (9), comme on l'a vu dans le cas de deux variables indépendantes, f^.,,„f^^f ^=0 (,i) àXn àZ dp,i dXn I ( 233 ) Les équations (3), (9), (10'), (1 1) peuvent se mettre sous la forme suivante que nous avons déjà rencontrée (n" 42) : $f ~"' J"/- Sf Sf ~^f Sf~"'~ Sf Sf' Spi ^Pn ^Pi ^Pn ^^1 ^Z ëXn Sz Ces équations (12) ne contiennent pas les u. On en tirera un système de valeurs : chacune des fonctions /■ contenant x„, et les valeurs initiales Zo,Xio, .o.,x„_i^o, PiQ, ...,p„_i^o. Il est clair que pour achever la solution, il suffit de déterminer ces valeurs initiales en fonction des u, de manière à satisfaire aux équations (4). 108. Détermination dhme intégrale de (12) satisfaisant à (4). Substituons les valeurs (13) dans l'équation (4), et posons : dz dx, dxn~i du du du dPn "-' du Au moyen de (3), on déduira de celle-ci : "-' / dp dx dp dx \ dl 2 ~ ~ H (3') 1 \dXn du du dXnl dXn En substituant ces valeurs de ^et-^ dans (7), il vient ^f dl Sf _ SZ dXn SPn D'où , en faisant dzo 1 dXio dXn- i,o\ ^z — ^ PiO-7— H \'Pn-i,0 , ^= — -F7 du \ ^ du ^ du J Sf TTdx -. . (IS) ^Xn . . . (16) ( 234 ) Pour que 1 = 0, il suffit, en général, que Io = 0, ou : dZo dœ,o dx„-^,o du^ dUi dui dZQ dXjo dXn-i,o ,,^ . dUn—l dUn-i dUn-l On peut satisfaire à celle-ci de diverses manières (*) : 1° On peut supposer que Zq, Xio, ... , x„_i,o soient des cons- tantes arbitraires, et que p^o, ... , jo„_i,o soient des fonctions quel- conques des II , ou soient eux-mêmes les u. Dans ce cas , en éliminant les p^ entre les n premières équations (15) on trouvera Yintégrale complète : Y{Z,X,,...,Xn,Z^,X,Q,...,Xn-\,Q) — Q (18) 2° On peut supposer Z-o = f (^105 •••5 ^n-1,o), Pio=-r--,--'iPn-i,o = JCio>^20 5 ••• 5 ^n-1,0 étant des fonctions quelconques des ii, ou étant pris eux-mcmes pour les u. Pour trouver l'intégrale cor- respondant à cette hypothèse, il faut se donner préalablement la forme de y, afin de pouvoir éliminer les u entre les n pre- mières équations (15). Cette intégrale est Vi?itégrale générale. 5" Enfin, on peut satisfaire aux équations (17), au moyen d'hypothèses intermédiaires entre celles dont nous venons de parler. On peut poser, en même temps, ^0^^^ f (^10 :••'■) ^mo) ■) Xm+i,(i = constante, ... , Xn-{,Q = constante, Ao5^2oj --j^mojPm+i.o) "-t'pn-i.Q étaut dcs fouctions quelconques des ?i, et les autres p étant déterminés par les relations suivantes : Pu = ir— , • • • » Pmo = -j-— • dXi„ dXmit {*) Ce ne sont pas les seules manières de satisfaire à ces équations (n» 116. III). ( 255 ) 109. Remarques. I. Si l'équation donnée est linéaire et de la forme : les n premières équations auxiliaires sont celles de Lagrange : dXi dXn dz X^"'~x^~'z Elles -suffisent pour résoudre complètement le problème (§ 6). II. Si les n premières équations (13) ne contiennent pas lespo? on en déduira : i2?io = ^i(-»^n-î^«)'-"'^n-i,o=^«-i(s,a;i,...,a7„),S(,=J^„(5,a?j,...,a;„), ce qui donnera l'intégrale qui appartient à une équation linéaire. III. En exprimant que les valeurs données par les relations (13) satisfont aux équations (4) quand on suppose u = po? il vient : ■■^^"-'Jp,-,,.- Il résulte de ces équations que si {n — I) des fonctions /j, ...,/„ ne contiennent pas un des po, il en est de même de la n'^""'. IV. Si l'on déduit des n premières équations (13) , par élimina- tion des p, plus d'une et moins de n relations entre z et les x, on se trouve dans le cas des équations semi-linéaires , signalé par Lie (n° 14, III), et rencontré incidemment par Serret (n° 119). V. On peut donner de la méthode de Caucliy, dans le cas général, une interprétation géométrique symbolique dans un espace à (/i -+- 1) dimensions, d'après les idées de Lie. L'équa- tion (1) représente oo^'* éléments dans l'espace à (w -t- 1) dimen- sions. Les raisonnements des numéros précédents démontrent que les éléments de toute solution de l'équation (1) sont compris ( 256 ) parmi ceux qui satisfont au système auxiliaire (12) ; le système auxiliaire (i2) ne contenant que oo^" éléments, contient donc seu- lement les éléments de l'équation (I). Les équations (4) expriment simplement comment il faut grouper les éléments des équations (12), pour que l'on ait dz = p4xi -+-••• -+- P,^^^^- Cette remarque explique aussi pourquoi il suffît de considérer les n premières équations (12) dans le cas où l'équation donnée est linéaire. 110. Exemple. Soit l'équation (*) Les équations auxiliaires, après multiplication par Xi ... x„ =p, ...p^ sont : dz )^dXi =■■'= PndXn = — = X^dpi =■■'= Xndpn , c'est-à-dire dx^ __ dpi dXn _ dp^ a?i pi Xn Pn dz _p^ _ _Pn — XA1X< — — • ■ • — XnOiXn , n Xi Xn On trouve, pour les intégrales ^10 ^n 37jio Pio Vn Pm Pio / o 2 . P«o — ^ ('^i "^lo) — '■' V*^" ^noj) n x,„ x„o avec la condition : ^1 0 • • • ^MO = Pi 0 • • • P«0 . En multipliant entre elles les n valeurs de {z —Zq), on trouve —-(5 Sj,)" = [Xi X^^) [XI X^f) . .. {Xn — Xno)j (*) Cauchy, dans le mémoire cité, traite ainsi cette équation quand n = 3. Graindorge, n" 49, p. 50, n" 69, p. 65, intègre la même équation pour ?i = 3, par la méthode de Jacobi , sous ses deux formes. Voir aussi le n" 75, L ( ^237 ) intégrale complète qui contient une constante supplémentaire, si l'on regarde Zq comme arbitraire. 111. Cas d'exception apparente. Modifications de Mayer et Darboux. I. Si l'équation donnée est homogène par rapport aux/?, on a , à cause de /*= 0, et, par conséquent, la n'"'"'^ équation (12) donne pour intégrale z = constante. Il est impossible évidemment d'éliminer lesp^ entre cette équation et les {n — 1) relations (d5i),..., (15„_i), et par conséquent la méthode générale de Cauchy ne donne plus l'intégrale complète. Mayer a indiqué un moyen très-simple d'arriver, tant dans ce cas que dans le cas général, à une intégrale complète contenant comme constantes pio, -• > p»-i,o et Zq. Pour cela, considérons l'intégrale générale qui est telle que ^o = ^ô+Pio^ioH i-Pn^^,oX„-^,o (19) On aura, Zq étant une constante, Par conséquent, pour trouver l'intégrale complète correspon- dante, il suffira d'éliminer j^o, Xiq, ...,iP„_i,o entre les équations (15i), ... , (1d„) et (19). La chose est toujours possible parce que, les X se réduisant à Xq pour x^ = x„o , le déterminant D ^i ^-^^n~i n'est jamais nul, puisque pour x„= x^^, il est égal à l'unité". On peut donc trouver les Xq en fonction des x. Il est facile de généraliser ce qui précède. Posons '0 — ?{XiO,--",X»-i,0^yo»-o,9o)» (ôg) p = fA^>yo,Zoyqo)^ (ôs) Nous supposerons que l'on ait déduit des deux premières l'inté- grale complète 5 = M(a;,r/,7/o,So) (4) On aura, par conséquent : ^M m àX à y Si l'on veut avoir l'intégrale générale, on n'a qu'à supposer ( 240 ) et joindre à l'équation (4) sa dérivée par rapport à 3/0 : T--HT7-go = 0 (6) Les équations (4), (5), (6) sont équivalentes aux équations (3) et les remplaceront complètement dans ce qui suit (*). 113. Nouvelle forme de la valeur de I, trouvée par Serr et. On peut obtenir la différentielle totale de /'(x, y,z,p, q), en ajou- tant les différentielles de l'équation (5), ou des équations équi- valentes (4), (5), (6), multipliées par des facteurs tels que les différentielles dyo, dzo, dq^ disparaissent du résultat final. Il est évident que l'on doit multiplier par 0, ou laisser de côté l'équa- tion (G), qui contient seule q^. Multiplions les équations (1), (51)5(52) respectivement par [l^v, p. On aura : ' \ Sx Sx ^ Sx) IJ- ~ — ^-î'ir--t-P7-) dij — [J-dz -- vdp — pdq = 0 , m SN ^p^ si p, V, p satisfont aux relations : m s^ ^p ^y^ ^yo ^yo m SN sp ^J7-^'-'-j7-^Pjr'=^ Oi) OZq d^Q d^Q {*) Serret établit assez péniblement cette équivalence, en s'appuyant sur le principe insuffisamment démontré , que nous avons signalé au n" 103 en note. Il est facile de corriger ce petit défaut comme on l'a fait au numéro cité. Mais cette vérification à posteriori de la méthode de Cauchy est inutile, puisque tous les calculs de Cauchy peuvent se faire en sens inverse. C'est pour la même raison que nous avons supprimé la vérification à posteriori de la méthode de Pfaff modifiée par Jacobi et donnée dans les Vorlesungen. pp. 564-369. Voir aussi no 109, V. . ( 241 ) Il est clair que l'on a, d'après ces relations : c'est-à-dire, d'après la dernière des équations (7) : ^N <^P J2JVI ^aj^ ^^0 ^^0 ^^0 ^^0 s m p S m := — log h ^ log Sx SZn V Sll §Zn Remarquons maintenant que pour calculer l'intégrale J rdx, nous devons supposer n exprimé en x seul, par le moyen des équations (5) ou des équations (4), (5), (G). Nous pouvons donc nous servir de celles-ci pour transformer tt. Or, l'équation (6) qui est équivalente à (3i), mise sous la forme : ~^'~m donne m I Sm S'M drj\ m l -^^m Sm dy\ _ Jz, [sy.Sx'^J^j di)~Ji, [j^ "^ Szo^y dxj~^' Cette équation est vérifiée si l'on y fait : dy__p__^ dx V Tome XXV. 17 ( 242 ) En effet, elle devient, par cette substitution : ou encore, après multiplication par y, à cause des équations (7) : m I m\ M I M' On peut donc remplacer ^ par ^ dans la valeur de tt, qui devient ainsi : $ m S m dy d m 7r-= — loff H — log — — X -— = — log T— • Par conséquent, car M = ;j = Zopour X = Xo, et, par suite, {t^\_^_ = 1. 114. Examen du cas critique. La formule précédente nous permettra de discuter le cas où la forme de la fonction ^î/, à laquelle z doit se réduire pour x = Xo, est telle que l'intégrale f^T^dx a une valeur infinie et positive, telle par conséquent que — log— -=oc, ou — =0, quand x = x^. Dans ce cas, on n'est plus sûr, à priori, que 1 = 0, quoique 1^== 0. On devra donc vérifier, à posteriori, si l'on a vraiment I = 0. Quand il en sera ainsi, il existera encore une solution jj = M, se réduisant à z = (^y, pour x = x„, mais chose remarquable, elle est fournie par la solution complète, comme ( :24d ) Ta montré Serret. Les raisonnements de ce géomètre s'appliquent, non-seulement au cas où m est infini, mais encore à tous les cas, où cette expression, pour x = Xo, prend une valeur différente de zéro, (|j) étant différent de l'unité, pour x = Xq. Soit, en effet, pour x = x^, m — - = constante différente de l'unité, et supposons que s = M , pour x = x^, devienne z = fy, ou encore que pour x = Xo,y==yo,on ait Zo= fi/o* Les équations (5), ou les équations (4) (5) (6), doivent donc être identiquement satisfaites pour ces valeurs. Or, si Ton suppose ,^ = ^0, ?y = ^o» -o='f!/o, dans l'équation (6), celle-ci ne peut pas être satisfaite, à moins qu'elle ne le soit déjà pour quelque soit y. En effet, s'il en était autrement, on tirerait de (6) la valeur y = î/^, après substitution de X = X(^, ^-Q = ff/Q , Or, pour qu'il en soit ainsi, il faut que l'on ait, pour x = ûc^,y t- = 1, ce qui est contraire à l'hypothèse (*). (*) Ce raisonnement n'est vrai qu'en général. On admet que la fonction M est telle, que Ton ne puisse y faire x = Xq, y=:yQ^ sans que l'on ait, non- seulement M = z-Q, mais aussi 4^= 1. La valeur de ^ est donnée par réqualion (6); donc l'équation (6) doit conduire à la relation ^ = 1 , pour x = œQ,y = ijQ^ sauf les cas oii y^ n'existe pas dans cette équation. Serret est peu précis dans les raisonnements qui se rapportent à ce cas critique, qui a besoin encore d'être étudié plus à fond. ( 244 ) Ainsi ?/o disparaît de léquation (6) quand on fait x = Xq. Mais l'équation (C) est la dérivée de l'équation (4) par rapport à y^. Donc ?/o disparaît aussi de l'équation (4) quand on fait x =Xq, puisque la dérivée du premier membre de (4), c'est-à-dire le premier membre de (6) est identiquement nul pour x = Xq. Mais nous savons que l'équation (4), pour x = Xq, y = yo donne Zq = oyo', donc pour x = Xq simplement, elle donne z = oy. Dans le cas actuel, la fonction z^^^yQ est donc telle que la solution s = M donne z = fy, pour x = Xq, sans qu'il soit nécessaire d'éliminer î/o entre cette équation et l'équation (6) ; ce qu'il fallait démontrer. Autrement : dans le cas, le seul important, pour la théorie qui nous occupe , où |^ = 0 pour x = Xo, on a aussi, à cause de l'équation (6), t- =0, et, par suite, pour x = Xo, y^ n'entre plus dans l'équation (4). Ce raisonnement est plus simple que celui de Serret, et s'applique à des fonctions qui, pour x = Xo, y ==yQ, ne donneraient pas -^^ = i. 115. Exemple. Soit l'équation pqy — 2)Z-{-aq = 0, a étant une constante. Les équations auxiliaires — j^clx qdy dz dp dq aq pz pqij p^ 0 ont pour intégrale z = R[Zo {Zo — quo) + aq, [œ - x,)] , R étant défini par la relation : j = \/(-o - gyo? + 2ago {x - X,) . ( 245 ) On en déduit, pour l'intégrale complète : = iVI. Vo A Va I L î/o Vo D'ailleurs, — = R (3o — q.Vo) . Si Ton suppose Zq — q^y^ ^0, on a : m ^ a étant une constante. Or, si l'on introduit ces valeurs de z^ et de iJQ dans l'intégrale complète, on trouve que, pour x = ac^, il vient z = (Ky, ce qui est le résultat indiqué par le théorème de Serret. § 51. Erjutitiotis à u vat'iables. 116. Forme donnée d Vintéijrale générale dans les recherches de Serret, L'équation f{X,,... ,Xn,Z,p^,...,Vn) = ^, (1) conduit aux équations auxiliaires: dXi _ _ dXn _ dz _ - dp^ _ _ — dpn ^p^ Jp^i ^^^P ^Xi'^ ^"^ ^Z ^Xn ^^Z dont nous représentons les intégrales par les équations : ^i = A(^«,^io,---»^"-i,05-o^Pio,--- >P»-no), . . . • {ôi) Z=fn{OCn,OCio,-'-,^»-l,0,Zo,Pio,---,Pn-U'>),. ■ • • {on) pi—fn+i{OCn,Xl(,j---,^n-l,Q,Zo,Pio^'--^Pn-l.o) . • • {ôn+i) I. Soit F{Z,X,,...,Xn,Zo,OC,o,---:OCn_i,o) = 0 (4) ( 246 ) l'intégrale complète, obtenue par élimination des p^ entre les n premières équations (5). On pourra remplacer n des équations (5), par les suivantes qui donnent les valeurs des p : iF ^F ^ W ^F ^ II. Veut-on avoir l'intégrale générale, on posera (n° 10) : f>io = l — '••• ' P«-i,o = et on éliminera les x^ entre les ^^ premières équations (5), ou entre (4) et les équations suivantes déduites de (4) : SF ^F §F SF T— -^î^ioj-=0,...,— H/;„-,,o — = 0 .... (6) àX^Q ôZq dXn-i,Q àZ^ Les équations (4) (5) (6) sont équivalentes aux équations (5). III. On trouve des intégrales moins générales si l'on suppose, - = F(^io,---»^"-i.o), Pio = ^ — ,...,p„_i,o et, en outre, que les x^ soient liés entre eux par des équations : Les intégrales moins générales dont il s'agit, ou intégrales mixtes, sont doDnéespar les équations (n° 10) : F{z,x^,...,x„,Zo,x,o,.--,oo„-i,o) = 0, (4) 1 U— -+-T-p«o j-^=0, . . . (7,) ^F rJF "-'/JF J-F Sx,^ Sz SF SF "-1 / SF SF \ $fi ^ ,^ ^ àX„,Q d* ni+l \dXio 0-0 / °'^rnO Remarque. Dans ce dernier cas, on emploie, au fond, 7n va- riables auxiliaires x^o, ..•, ^,no et {n — m) fonctions arbitraires; ( 247 ) dans le cas de la solution générale, on emploie (n — 1) variables auxiliaires et une fonction arbitraire. 117. Nouvelle forme de la valeur de l, trouvée par Serret. Occupons-nous, en premier lieu, du cas où D ^--■^-' • n'est pas nul. Nous pouvons, dans ce cas, supposer l'équation (4) mise sous la forme : z = M{œ^,.,.,Xn,Zo,œ,Q,...,Xn-i,o), (8) et les équations (3) et (6) sous la suivante : ;,. = - = N.,....p„ = - = N„,. (9) L'ensemble de ces équations, qui est équivalent au système (5), va nous permettre de calculer I. On peut obtenir la différentielle totale df du premier membre de f=0, en ajoutant la différentielle de l'équation (8) et celle des équations (9), après les avoir multipliées par des facteurs p, vi, ..., y,^, propres à faire disparaître dz^^ dxio, ..., dx„_i^Q. On a donc : les facteurs /a, vj, v^, ... , v,^ devant satisfaire aux w relations : fj.—- hVj-— -H Hî/„-— =0,. . . . (Ht) Ui- Hv,- 1 \-v,^- =0. . . . (11„) ^Xn-l , 0 ^OOn- 1 , o àXn-l , 0 (248 ) D'après la valeur de df et la première de ces équations, on a : Vn-i ^-0 <^*0 J/- JN, ^z M V, Sz, èf Vn ^n JM Spn ^^0 V„ ^M ejai On devrait éliminer x, , ... , x,,_^ de cette valeur de tt, au moyen des équations (10); mais on peut auparavant transformer cette expression, au moyen des équations (10) elles-mêmes mises sous la forme : m On tire de celle-ci, en dérivant par rapport à x^ : ^Nn-l dXn-l ^X, m /<^Ni dx, <^Nn_l dXn-l <^N„\ — - — --\- ... -\ \ -\ = 0. ^Xq \^Zo dXn SXo dXn ^Zq ) Ces équations, à cause de (11), sont identiquement satisfaites par dXi Vi dXn-i Vn~i dXn Vn dXn Vn la valeur de tt peut s'écrire SZq dXi ^ ^ ^Zq dXn-l ^~ m dXn ^^M dXn ^Zo ^Z-o .yz^__ m ^^0 d m Par conséquent, en se rappelant que , pour x,^ = x,,o, m _ ( n9 ) on a : ,Xr TTdx ^jyi I = V"° =1,-—, ce qui est la formule de Serret. 118. Examen du cas critique par Serret. Supposons que la fonction « ait été choisie de telle sorte que — = constante différente de l'unité (12) pour x„ = x„o. Il se peut qu'il existe une solution de l'équation (1), telle néanmoins que pour Xj =Xiq,x^ = x^q, ..., x,j = a;„05on ait z = Zo = f [xiQ, X20, ..., x„_i,o)- Dans ce cas, je dis que cette solution n'est pas l'intégrale générale correspondant aux équa- tions (8) (9) (10), mais est l'intégrale complète, ou une autre solution intermédiaire entre l'intégrale générale et l'intégrale complète. En effet, lorsque les circonstances précédentes se présentent, les équations (10), à cause de l'équation (12), ne peuvent pas donner x^ = x^o, ... , x„_i = x„_i^q quand x^ = x„,0) car cela présuppose, en général, |^= 1. On doit donc admettre que pour x„^ x„Q, ces équations sont identiquement satisfaites, quels que soient x^, X2,..., x„_,, soit en restant distinctes, soit en se rédui- sant à un nombre m moindre que (n — 1). Considérons d'abord le premier cas. Supposons identiquement nuls, pour x,^ = XnQ, les premiers membres des équations (10). Il faut en conclure, que (;:; — M) ne contient pas x^o, x^o, .••? ^«-i,o quand x^ = Xnù, car les premiers membres des équations (10) sont les dérivées de {z — M), par rapport à x^Q, ... , x„_ ,,0 • Cepen- dantz — M = 0, pour Xi = Xio,-.-,a(;„ _i = x„_i,o, donnez =Zo = f{xio,...,x„_i^o) si x„ = x„o. Donc, pour x„ = x„o, on a Z =

AH H >«-l4'm-l — -i-m = 0, (13) >i, •••, Ki-i étant des constantes arbitraires, ou encore par F(3, a7i,...,a;„, >i,...,>m_i,a7,„o,... ,a7„_i,o) = 0, . . . (16) en représentant le premier membre par un seul signe fonc- tionnel. Les valeurs des p sont données par les équations : ou S¥ SF ^ 1. r> — 0 . . Sx^^Sz SF S'P, J^„»-i S^m Sx~^' Sx ' " ' '""' Sx Sx ' SF Sm-i,^^0J--.5^"-),0) (19) Il n'y a de modification dans les calculs qu'en ce que li, ..., ;,„_,. sont remplacés par pio,.-,Pm- 1,0, comme on le voit facilement. Posons, comme Serret, "17 = 1, (20) de manière que les équations (17) deviennent ^F ^F On reproduira la différentielle totale df du premier membre de l'équation donnée /"^^O, en ajoutant les différentielles totales des équations (20) et (17'), après les avoir multipliées par des facteurs //., vi, ..., v„ propres à faire disparaître les différentielles des 71 quantités A^, ..., /„,_,^ x„,o, ..., x„_ ^ o et ce. On aura â^F Sz ce ( S^F "-''Ux.^z-^ ■■■ -^>n SPn A cause de l'équation (20), ë^F S log co PF J^IOg CO Sz^ Sz '^X^Z ^x ^zjz et, par conséquent, la valeur de t devient : 1 / J" log co S log co J" log o:)\ ^=-[y- — + i' 1 -^; H h v„ — Vn \ àZ àXi dXn ) ( 255 ) On peut mettre cette valeur sous une forme plus simple, en en faisant disparaître les facteurs auxiliaires. En exprimant que les différentielles des l disparaissent de df, il vient : dZ àXi SXn fX——-^V^— 1 hv„— =0. dZ àXi SXn Le multiplicateur de dcc devant aussi être nul, on a, en outre, àZ ^Xi SXn égalité, qui se réduit, à cause des précédentes, à : àZ SXi §Xn Enfin, à cause de la disparition des différentielles (/x,„ovî c?x„_i 0 '• èzSXmd * Sx^SXmQ " ^Xn^XmQ ' ^^F _ S^Y PY SzSXn-UQ §xJXn-\,0 " SXn^XH~i,Q Toutes ces égalités entre les /x sont vérifiées, si l'on pose dXi dXji dz Vx~ ~ V^ ~ fj.' à cause des équations (14) et (i8). Donc enfin d log co dx^ ( 2o4 ) Pour Xi = Xio, ... , x„ = x„o 5 ^ = ^0} on a w = 1 . Donc J xdx Dans le cas où l'on a w = oc , au lieu de w = 1, pour x,^ = x^q, on n'est plus sûr que I = 0, en même temps que Iq. Dans le cas où I est nul malgré cette circonstance, il y a encore une solution. On reconnaît, comme dans les cas précédents, qu'elle est donnée par l'intégrale complète, ou une intégrale intermédiaire entre celle-ci et l'intégrale générale , et non par l'intégrale générale même (*). [Remarque. Si l'équation ■£-i-n{t,œ,,...,Xn,P,,....Pn) = 0 (21) dt conduit à des équations auxiliaires ayant pour solutions les rela- tions (14), on trouvera, par le n° lli, II, pour intégrale de cette équation semi-linéaire (21) : 2 = 4^-Pl0'^l-» hpm-l,0^m-l-4-V, (22) V étant la valeur de z déduite de (14^). Dans le cas actuel z n'entre pas dans les équations (14,), ... , (14^_i). L'intégrale (22) a été signalée par Darboux (voir n*' ill, II).] (*) Comme on le voit, la méthode générale de Cauchy est préférable à celle de Serret dans l'exposition de ce cas remarquable, surtout, quand on introduit dans cette théorie les idées de Lie sur les équations semi-linéaires. ( 255 CHAPITRE III. MÉTHODE DE LIE, CONSIDÉRÉE COMME UiNE EXTEiNSION DE CELLE DE CAUCHY. § 32. Exposition de Slayet* {^). \%Q. Moyen de déduire d'une intégrale complète, une inté- grale qui, pour x^ = x^o, soit une fonction dotmée des autres variables {**). Soit Z = Zf,-{-F{Xi,...,œn,Ci,...,Cn-i) (1) (*) Nous empruntons ce qui suit à deux notices de Mayer insérées dans les Nachrichten de Gôttingen de 1872, n» 21 , pp. 405-420 et n" 24, pp. 467-472. La première est entièrement consacrée à la théorie des transformations des équations aux dérivées partielles. Mayer fait remarquer que les diverses recherches de Jacobi sur ce sujet, tant dans la Nova methodus que dans les Vorlesungen, doivent être soumises aune révision sévère. De son côté, Lie (Nachrichten de 1872, p. 484) dit, à propos des recherches de Mayer, que sa propre méthode permet de traiter facilement la théorie générale des transformations. Nous avons cru, après ces déclarations, devoir laisser de côté toutes les recherches sur ce sujet, parce qu'elles n'ont pas un caractère définitif. Nous n'empruntons à Mayer que le strict nécessaire. [Notre travail était entre les mains de M. Quetelet, quand Mayer a publié tout au long (Math. Ann., t. VI, pp. 162-191) son exposition de la méthode de Lie sous le titre : Die LiE'sc/ie Integrationsmethode der ■partiellen Differentialgleichungen. Dans les §§1 et 2, pp. 162-166, il donne la démonstration directe des condi- tions d'intégrabilité d'un système d'équations aux dérivées partielles, seul emprunt qu'il fait dans son exposition à la méthode de Jacobi.] {**) Mayer, Nachrichten, 1872, n" 21, théorème I*»", pp. 407-409. Le mode de démonstration est emprunté au mémoire déjà cité du même auteur (Mathematische Annalen, t. III, pp. 449-450). Toute la fin de ce mémoire, pp. 449-452, est consacrée à la théorie des transformations. [Même théorème, dit théorème h^, mais spécialisé, dans l'exposition complète de Mayer (Math. Ann., t. VI, § 3, pp. 166-169). L'auteur énonce' explicitement les conditons algébriques relatives à la résolubilité des équations utilisées. Toutes les con- ditions de ce genre ont été laissées de côté dans notre exposition.] ( 2S6 ) une intégrale complète d'une équation aux dérivées partielles, où z n'entre pas explicitement. Posons : z = :^; + f-Fo+f;,, (2) F(, = F {^10 j ... , ^,;oj ^n ••• 5 ^» — Oî F; = F'(a;io,..-,^«-i,o). Tirons les valeurs de Cj, ... , c„_i5 a;io, ... , x„_i,o des 2 [a — \) équations : iE-=:£E^,..., JL_=-i^, (3) ^Y\ JFo jf; _ J^Fo ^^^ > • • ' substituons-les dans la valeur de Z et nous aurons une nouvelle intégrale de l'équation. En effet, dans cette hypothèse, on a : dZ _ JF dx Sx \Sc Se j dx \SXo SxJ dx ou, d'après les équations (3) et (4) , dZ _SF _ dz dx Sx dx Z est donc une solution de l'équation. Faisons x„ = x„o dans les équations (5); il est clair qu'elles seront satisfaites par les valeurs x, =x,0 5 ..., iï'„_i= x„_,,o- Donc si l'on fait x„ = x„o, dans (2) il vient Zx„ = a;no = -o-+-Fô(^i5--->^»-i) (o) Ainsi, on peut déduire de l'intégrale complète, une intégrale qui se réduit à la forme (5) pour x^ = x,,q. Cas particulier. Soit ^ô = MlO-' Y-bn-lXn-l,0, les équations (4) deviennent ^F ^ SF diTjo oXn-1,0 ( 257 ) et l'intégrale nouvelle, pour x,^ = x„o, doit se réduire à Remarque. Les équations (3), (4) peuvent donner plusieurs valeurs pour Xio, ..., ^n-i.o- I^ ^^ut choisir, pour les substituer dans (2), celles de ces valeurs qui peuvent devenir infiniment peu différentes de Xj, ... , x„_^, quand x„ approche indéfiniment de x„oi sans quoi, la démonstration donnée plus haut serait insuffi- sante. 121. Transformation d'une équation en une autre équiva- lente (*). Soit considérée une fonction f (37,, . .. , a?„, Xj^, ... f a7„_i), de n variables a;, et de (n — i) variables x\ Posons : i^ = îi_,...,_i^ = _^, .. .(6) ^X\ dx\ SXn-\ dXn-l et tirons de ces relations (6) les valeurs de x,, ...,ir„-i,en fonction de x.,...,Xn-i.Xn, — ' "•> • dx\ dx'n-i Soit ensuite, à cause de ces valeurs : V dx^ dXn~l) Je dis que les équations : d^ .. i dz dz \ ^ dz' I dz' dz' \ — +H'^a,;....,^i_„^„, — ,-,^=0, , . .(9) {*) Mayer, Nachrichten, n° 21, pp. 414-417, théorème IV, énoncé sans démonstration. [Math. Ann., l. VI, pp. 169-173, § 5, théorème II.] Tome XXV. 18 ( 238 ) seront telles, qu'en général, de toute intégrale complète de l'une, l'on pourra déduire une intégrale complète de l'autre et récipro- quement. Soit, en effet, s = 2o-t-F(a?i,...,a;„,Ci,...,c„_i), (10) une intégrale complète de (8). Posons : s'=s;-+-Fo-F + ?', (11) en appelant Fo l'expression : et éliminons de l'expression (11), Ci, ..., c„_i, arj,..., Xn-i, au moyen des relations : f!5 = ££,...,^!^ = JL (12) «^C, ^Ci ^Cn -^ <^C„_i iL=£L, ...,-££-= ^^ (13) La valeur de z' dans ce cas satisfera à l'équation (9). En effet, on a, pour x' = x'i, ..., a:,l_i : dz' dx' ~ \^c ^cj dx' \^x ^xjdx' ^x'^ ou, à cause des équations (12) et (15), £1 = ^ (14, dx' Sx' Ensuite : dz' _ y pPo ^F\ de V /££ _ i>\ ^^ ^P ^1" dXn ~~ \SC ScJ dXn \Sx Sxj dXn Sx^ SXn OU, puisque F est une solution de (8), et à cause de (12) et (13), dz' S

contenaient, outre les variables x et x', d'autres variables jî/i, ...,y,n, elles se comporteraient comme des constantes dans tous les calculs précédents et il serait inutile d'y rien changer. 12^. Transformation d\m système de deux équations (*). Considérons maintenant deux équations, à {n h- I) variables indé- pendantes ayant, par hypothèse, une solution commune avec n constantes arbitraires : ^K{œ„...,Xn,y,^^--^^;^]=0, .... (18) = 0 (19) dz ^^ I dz dy \ dx^ dx. dz ^ 1 dz dz dXn \ dXi dXn-\ Soit z = z^-\-f{x^,...,Xn,y,x\,...,Xn-^), (20) une solution de la première, avec n constantes arbitraires. On la (*) Mayeu, Nachrichten de Gôttiiigen, 1872, p. 467, dit seulement que Ton peut faire disparaître y de (19), si l'on connaît une solution complète de (18). 11 cite le travail de Korkine que nous avons analysé ci-dessus, § 24. Nous essayons de reconstruire la démonstration de Mayer. Si elle ne semble pas rigoureuse au lecteur, qu'il veuille bien admettre comme un postulat la disparition de y de l'équation (22), en attendant que Mayer publie sa démonstration. Il im- porte de remarquer que l'idée fondamentale de Mayer, savoir de faire y=yQ^ ne se trouve ni chez Korkine, ni chez Bour. [Notre démonstration est préci- sément celle de Mayer, mémoire cité, § 4 (Math. Ann., t. VI, pp, 173-176); seulement il donne une démonstration analytique de la non-existence de y dans l'équation (22) , tandis que notre démonstration est synthétique.] ( 261 ) trouvera en regardant x„ dans (18) comme une constante. Ser- vons-nous de la fonction v, pour transformer les précédentes en deux autres, d'après la règle donnée au n" 121. La première deviendra (121, Remarque II) ^'==0, , . . (21) la seconde : dz' I dz' dz' \ II est clair qu'à la solution commune des équations (18), (19), correspondra une solution commune des équations (21) et (22); or (21) exprime que cette solution ne contient pas y. Dans le cas où les deux équations sont quelconques, on peut faire deux hypo- thèses relativement à l'équation (22) : ou bien, elle contient expli- citement y, ou bien ?/ en a disparu. Dans le dernier cas, la solution complète de (22), avec n constantes arbitraires, est une solution commune des équations (21) et (22), et de cetle solution commune, on peut déduire une solution commune des équations (i8) et (19) avec /i constantes arbitraires. Si, au contraire, l'équa- tion (22) contient y. son intégrale complète sera de la forme les constantes contenant y. Pour trouver une solution commune des équations (21) et (22), on devra exprimer que dy équation qui déterminera une relation entre les n constantes, arbitraires, zô, e,, ... , c„_i. Par conséquent, contrairement à Ihypothèse, il n'y aura pas de solution commune aux équations (18) et (19) et contenant /* constantes arbitraires. Donc enfin, l'équation (22) ne contient |)as y , dans le cas où les équations (18) et (19) ont une solution commune contenant n constantes arbitraires. ( 262 ) 123. Simplification de la transformation précédente. Méthode générale de Lie, pour les systèmes simultanés (*). On peut sim- plifier la transformation précédente, au moyen de la remarque suivante. Puisque y n'entre pas dans l'équation (22), on peut, pour faire la transformation, supposer que ?/ reçoive une valeur quelconque. D'autre part (n" 120), d'une intégrale quelconque de l'équation (18), on peut déduire une autre intégrale qui prenne, pour ?/ = î/o, telle forme que l'on voudra. Donc enfin, pour faire la transformation de l'équation (19), on peut prendre, au lieu de la relation (20), la suivante ou même, ^ étant quelconque, comme î/o, On choisira la fonction '"■>- >• dtn \ dXi dXn-iJ Effectuons d'abord un changement de variables. Soient : (24^) tm = tmo -^{y— Vo) Ur. On aura pour les nouvelles dérivées de z^ que nous mettrons entre parenthèses, pour les distinguer du système primitif: Idz \ dz (dz\ dz dz dz dz — =---1- _-w^ -4-—- W4-.. .+—-«,„. dyj dy dt^ dl^ dt^ Les équations données peuvent donc être remplacées par le sys- tème suivant : /^j -*-K-^wA-*---^WmH„. = 0, (25) ( 264 ) Soit maintenant z — Zo-i-?ix,,...,œn-^,y,lll,".,Ur,„x\,...,x'n-l). . . (27) une solution complète de (25) , quand on regarde les u comme des constantes. Transformons, par la règle du n° 121, chacune des équations (26), en nous servant de la fonction ^ qui entre dans (27). Une quelconque de ces équations prendra la forme : — + H' = 0, (28) du H' étant déterminé par l'équation : ^ + (!/-?/o)H = -H', Xj, ..., Xn-i étant remplacés par leurs valeurs déduites des équa- tions : ^f dz' Sf dz' ) ••• » Sx\ dx\ ^Xn-\ dx'n-i Nous savons que nous pouvons faire y =yQ dans H'. Dans ce cas, — H' se réduit à 4^ où l'on a fait y = y^. On sait, par la remarque du n° 421, que f, pour cette valeur, se réduit à l'expression que nous appelons f^. Donc enfin, la transformée (28) devient du Su Par conséquent, la tranformation, dans le cas actuel, remplace les équations (26) par les suivantes : ^^^0 __ ^_.f^, (29) dUi Su^ dUm Su„, dont la solution commune est : Z\ — Z'^-\-f{x,^,...,Xn-i,(^,yo,U^ylh,'",'^m,x\,...,Xn-i), (30) qui contient n constantes arbitraires. ( 265 ) Comme on le voit, rintégration du système (25) (24) est ramené à celle de l'équation unique (2o), puisque de son intégrale (27), on déduit l'intégrale (30) du système transformé (29). De l'inté- grale (30) on déduit une autre intégrale quelconque, par le n° 120, puis l'intégrale des équations données par le n° 421 (*). 125. Mode iV a])plication de la méthode de Lie. Etant donné un système d'équations aux dérivées partielles du premier ordre à intégrer, on le ramène par la théorie précédente à une équation unique, Hi = 0. On cherchera, comme dans la méthode de Jacobi, une fonction H2 des x et des p telle que (H^, Hj) = 0. Au moyen de H2 = «25 on pourra ramener H, à contenir un p de moins. On traitera cette nouvelle équation comme la première, en profitant, à chaque nouvelle intégration, de la remarque suivante : chaque fois que l'on rencontre le cas le plus défavorable de la méthode de Jacobi, on emploie celle de Cauchy, et l'intégration est immé- diatement terminée (**). Comme on le voit, la méthode de Lie ramène sans cesse l'inté- gration à celle d'une équation unique, la méthode de Cauchy et celle de Jacobi servent ensuite à efîecluer l'intégration avec le plus de facilité possible. 126. [Démonstration directe du théorème fondamental de Lie, par la méthode de Cauchy (***). Le théorème du n" 124 revient à (*) Mayer énonce sans démonstration le théorème de ce numéro, dans le cas ou m = \, Nachrichten de Goliingen, 1872, pp. 469 et 472. [Démonstra- tion dans le mémoire cité (Math. Ann. t. VI, pp. 183-189), § 7, tliéorèmes VIII et IX. Maier applique la méthode aux équations linéaires homogènes, § 8, pp. 189-192. Les §§ -4 et S, pp. 179-183, sont consacrés au cas de deux équa- tions , dont il est inutile de s'occuper spécialement .] C'*) Lie, ï6/cZ,, pp. 488-489. Il est étonnant qu'une remarque aussi simple ait échappé à tous les géomètres, avant Lie. (***) Mayer, Directe Ableitung des Lie'schen FiindamentaWieorems durch die Méthode von Cauchy (Math. Ann., t. VI, pp. 192-196) et § I de la note plus générale, intitulée : Zur Intégration der partieller DiffercntiaJgleichung erster Ordnung (Nachrichten de Gôltingen, 1873, pp. 299-310).Mayer se sert de la valeur de Zq indiquée au n" IH pour éviter les cas d'exception. Il laisse quelques points de son exposition sans démonstration explicite. ( 206 ) ceci : il existe une solution de Téquation (25) qui est en même temps une solution des équations (26), On peut établir directe- ment ce théorème par la méthode de Cauchy. Écrivons comme suit les équations (25) et (26) : q-\- f {œi,...,œ„-i,y,Ui,...,u,n,Pi,...,Pn-i) = 0, . • (25') ^-i-fi{Xi,...,œ„_i,y,Ui,...,it,n,Pi,-'-7Pn-i) = 0,. . (26,-) dui Parmi les conditions d'intégrabilité simultanée de ce système, se trouvent m équations qui sont représentées par la suivante : £L_i^H-2(^^-iLi^Uo (M) ^Ui Sy \^Xk Spk Spk Sxkj La méthode de Cauchy appliquée h l'équation (25') conduit à la considération du système auxiliaire : . _ _te_ _ ^^ _ _ — dpk _ $Pk ^'' Spk ' Sxk On déduit de là le système intégral : ^* = %A(2/î^iO.---,^n-l,0,Pio) ••• jP^-l.OjWi,... ,t/J, . . (33) Pa = Fa (^,^lOî-- ,^«-i,o,Pio, ••• ,Pn-i,o,Wi,...,w„,), . . (34) z = z,-^J (ip.^-^) (35) Xio,..M^n-i, ,5Pd0 5 --jP»- 1,0 étant les valeurs initiales des variables pour y = y^, et z^ étant une fonction quelconque des ii qui con- tient une constante arbitraire z'q. Sous le signe d'intégration, on suppose les p^ et les x^ remplacés par leurs valeurs (35) et (34). Eliminons p^Q, ...,Pn-i,o entre les équations (33) et (35). Nous trouverons une solution Z = 2'o + F(a;i,... ,^,._i,î/,a;io,-.- ,^»-i.O)Wi, •■.,Wm) • • (36) ( 267 ) de l'équalion (25'). Je dis que, si la fonction z^ des ii est conve- nablement choisie, cette solution (56) satisfera également aux équations (2C'). Pour cela, il suffira que Zq ne contienne pas les u. Pour le montrer, nous devons dériver Z, par rapport à un w quelconque. Cela ne peut se faire qu'indirectement de la manière suivante : substituons dans l'équation (56) à Xi, ..., x„_i, les valeurs (53), on retombera sur la fonction z de y donnée par la relation (55), sous la forme : Z = 5;-t-F(%i,...,:t«_i, !/,^ioi---''3;n-i,o,Wi,...,wJ = 2'o-^F*. (37) On arrive au but cherché en égalant les dérivées des expres- sions (55) et (37) de z, par rapport à u. On déduit d'abord de (57) Soit, en éliminant les pQ , la valeur dep^, déduite de l'équation (54). On aura identiquement Puisque Z est une solution de l'équation (25'), on aura : -— = Pa- {œ„ ..., œn-i, 2/, o:,^, ••., a7„_d,o, Wi, ..., Wm), et. par conséquent, %.j-i,2/)^io,--,^»-i,o,Wi,...,w„t, parce que les fonctions %, , ..., %„_i, contenant, en général, (n — 1) constantes arbitraires /?io, ...,/?„_i,05 sont indépendantes les unes des autres. On a donc aussi, à cause de celte équation (59) Donc la solution Z de l'équation (25') satisfait aux équations (26'), pourvu que Zo? dans l'équation (55), ne contienne pas les u. 127. Remarques sur la méthode précédente. I. Si l'on applique la méthode précédente aux équations (25) et (24), on trouve pour déterminer Zq, les équations suivantes : -^-f-H,- (a^io, •••, a7»-i,o,2/o»Wi,...,w,„,Pio,...,p„_i,o) = 0 qui ne sont intégrables que si l'on a : iïïi = £ili (41) On ne peut donc pas appliquer la méthode précédente directe- ment aux équations (25) et (24). On voit, en même temps, que les conditions de réussite de la méthode résident dans les égalités /■io = 0,...,/-^o=0, OU dans les équations plus générales (41). La méthode est donc susceptible, en pratique, de diverses modifications. ^70 II. Les conditions d'intégrabilité (31), écrites au moyen de; fonctions K et H, prennent la forme suivante : i^'_ ^' y /^' ^ _ ^ ^A ( — 0 Si l'on fait décroître indéfiniment vers zéro, dans ces équations, les quantités 1/, ou si l'on fait converger chaque quantité i vers la valeur arbitraire fo? on verra que l'on peut égaler à zéro, dans l'équation précédente, l'expression qui ne contient aucun w en facteur, et le coefficient de chacun des u. On a donc : Sti S y VXk^2-)k ^Pk^Xkj \SxkSpk ^Pk^Xkj Toutes les conditions d'intégrabilité du système des équations (25) et (24) sont donc équivalentes aux conditions (54) et récipro- quement. Ainsi s'explique ce pai-adoxe, que les équations (5i), parmi les conditions d'intégrabilité du système des équations (25') et (26'), soient seules utilisées dans ce qui précède. III. D'après la remarque II du n° 55, le système intégral des équations (52) peut être représenté par les relations suivantes: «1, ... , a„_i étant des constantes, respectivement égales à pio, ..., 7?»-i,05 comme il est facile de le voir. Sous celte forme, on voit que le système intégral des équations (52) est aussi celui des équations analogues, obtenues en remplaçant y par «,, et / par fi. Cette remarque est très-importante dans Texposé de la méthodie de Lie, d'après les écrits du géomètre norwégien lui- même.l C-2^0 APPENDICE LA MÉTHODE DE LIE, COMME SYNTHÈSE DES MÉTHODES ANTÉRIEURES. § 33. JEaeposilioi» de I^ic (*). 128. Définition des caractéristiques. Les éléments d'une équa- tion aux dérivées partielles : f{z,x,,...,œ^,p,,...,p,^) = 0, (1) sont en nombre cc^". Si l'on cherche une figure qui en con- tienne oc", les coordonnées de chacun de ces éléments devront s'exprimer en fonction de 7i variables, par exemple, Mi, ..., t<„_i, x„. Si, de plus, ces éléments constituent une intégrale, ils satis- font (n° 5) à la condition dz=:p,dœ,-i----~\-pJx^, (2) (*) Cet exposé est fait d'après les écrits de Lie dont les titres suivent ; A. Kurzes Résumé mehrerer neuer Theorien (Vorgelegt der Académie zu Christiania, 3 mai 1872) (4 pages). B. Neue Intégrations méthode partieller Gleichungen erster Ordnung zwischenn Variabeln {ihid , 10 mai 1872) (7 p.). C. Ueher eine neue Integrationsmethode partieller Differentialgleichungen erster Ordnung (Nachrichlen de Gôttingen, 1872, pp. 321-326). D.ZwrrAeone partieller Differentialgleichungen erster Ordnung inshesondere iiber eine Classification derselben {ibid., 1872, pp. 473-489). Nous n'avons pas utilisé les écrits plus récents de Lie parce que cela nous aurait conduit à faire une exposition complète des transformations laiigentielles. Voici la liste de ces autres mémoires de Lie, rangés dans l'ordre où ils doivent être lus. 1. Zur analytischen Théorie der Beruhrungs-Transformationen (Ac. de Ch., 1875; pp. 237-262). 2. Ueber eine Verbesserung der Jacobi-Mayerschen Integra- tions-Methode {ibid., août 1873; p. 282-288). 5. Ueber partielle Differential- ( 27-2 ) c'est-à-dire que l'on doit avoir dz dXi dXn-\ _ = p._ + ...+p„_.__ + p„, (3) dz dx, dXu-i T^P^-y--^ t-p„-i— — (4) du du du En partant de ces relations, Cauchy a ramené l'intégration de l'équation (1) à celles des équations précédentes et des suivantes : 1 \\^Xi ^z Jp„ dxj du \^pi ^pn ^xj du ) ' (S) \^Xn. $z dXn I 1 ( ^^/ dx,i ^fi dx^ \ pourvu que l'on suppose, entre les valeurs initiales des coordon- nées de l'élément, la relation suivante : Parmi les éléments de toutes les intégrales qui contiennent l'élément initial, il y en a une infinité simple (oo^), qui sont communs à toutes ces intégrales. Ce sont les éléments qui sont tels que les coefficients des dérivées de a?, etp,, dans l'équation (5), soient nuls, quelle que soit la valeur de ces dérivées, ces Gleichungen 1. 0. {ihid., mars 1873; pp. 16-51). 4. Partielle Differential- Gleichungen /. 0., in denen die unbekannte Funktion explicite vorkommt {ihid., mars 1873, pp. S2-85). S. Neue Integrations-Methode eines ^n-glie- drigen Pfaffschen Problems [ihid., octobre 1873; pp. 520-343). Avec les pré- cédents ces divers écrits forment un total de 175 pages in-8«, presque entiè- rement nouvelles, sur la question de l'intégration des équations aux dérivées partielles. [Depuis que cette note a été écrite, ont encore paru les écrits sui- vants : Lie, BegriXndung einer Invarianten-Theorie der BerUhrungs-Trans- formationen (Math. Ann., t. VIll, pp. 215-303). Mayer, Directe BegrUndung der Théorie der Beruhrungstransformationen (ibid , pp. 304-312). Ueher eine Eriveiterung der hiE'schen Integrationsmethode (ibid., pp. 313-318). Ces deux écrits de Mayer ont déjà été publiés, avec moins de développements, dans les Nachrichten de Gôttingen, 1874, pp. 317 et suiv , 1873, n" 1 1, à l'en- droit indiqué dans la note du n" 126.] ( 273 ) éléments satisfaisant d'ailleurs à l'équation (4). C'est en expri- mant les conditions que nous venons d'énoncer que Cauchy a été conduit aux équations différentielles de cette série d'éléments, savoir : dXi dz — dpi dPi ^pi àXi dZ (8) Parmi ces éléments doit se trouver l'élément initial : Nous représentons les intégrales du système (8) par les équations S=/'«, ^i = /"o Pi=fn-hi, (10) les fonctions f dépendant de x„, et des valeurs initiales des variables. 11 faut remarquer que x„o est une constante supplé- mentaire et que p„o est une fonction des autres valeurs initiales, donnée par la relation (7). Nous pouvons donc énoncer ce théorème: Toutes les intégrales de V équation (1) qui ont en commun Vêlement (9), ou qui se touchent au point ont en commun une série tVéléments donnés par les équations (8) ou (10); autrement dit, elles se touchent le long d'une ligne représentée par les n premières équations (iO). Lie a appelé carac- téristique de f, Tensemble de ces éléments communs (*). Corollaire. Deux solutions d'une même équation f=Oj ont une caractéristique commune. En effet, des relations JF S^ S¥ S^ F — «I>. $Xi SXi Sx„_i BXn~\. {*) Mémoire B, théorème I"; mémoire C, théorème a, p. 525. Tome XXV. 19 ( 274 ) qui, à cause de f= 0, entraînent celle-ci : on conclut qu'il y a au moins un système de valeurs des. quantités a-, qui rendent égales les quantités z et /?, déterminées par les deux solutions. Ces solutions ont donc un élément commun et par suite aussi une caractéristique commune (*). 129. Méthode de Cauchy. On déduit des équations (10) une solution de (1), comme on l'a vu (n° 408), en assujettissant les valeurs initiales, considérées comme fonctions de {n — 1) variables u, à satisfaire aux relations : dZo fteio dœn-1,0 f.,-. du du du Il suffit, pour cela, de supposer j^o? ^lo? --î ^w-j,o constants. Eli- minant alors les quantités po entre les équations (10), on trouve la solution : On peut énoncer ce résultat comme suit : Toutes les caractéris- tiques de f qui passent par un point (zo, x,o, ..., x„ _ j, ) etigendrenl une intégrale de f (**). On satisfait encore aux équations (il) en posant et supposant que zl^pio, ...,p,HO, ^m + i,05 ... ? ^«o soient des cons- tantes (n° iH), ce qui conduit à un théorème corrélatif du pré- cédent, quand m==7î-^\. On voit, d'après ce qui précède, qu'en employant la théorie des caractéristiques, l'on peut donner une forme très- simple : 1° à la méthode de Cauchy, ou à celle de Pfaff modifiée par Jacobi, (*) Celle remarque est nouvelle, mais n'est pas utilisée dans la suite. (**) Mémoire B, remarque relative au théorème premier; mémoire C, remarque relative au théorème a, p. 323. ( 273 ) qui n'en diffère pas essentiellement; 2° à la modification apportée par Mayer à l'une et à l'autre. 130. Propriétés de deux éléments infiniment peu diffé- rents (*). Soit une solution de l'équation f= 0, de sorte que l'on a, entre deux éléments infiniment voisins , la relation dz = p^dx^ -4- h p„dXn ; autrement dit, Ton a : Si Ton fait varier infiniment peu Xi,...,x„, les quantités z, /)i, ..., p„ varient aussi infiniment peu. Donc deux éléments infiniment voisins d'une intégrale, ou passant par des points infiniment voisins, ont des coordonnées tangentielles infiniment peu différentes, ou sont infiniment peu inditiés V un sur l'antre. La réciproque de ce théorème est vraie : deux éléments infini- ment voisins et infiniment peu inclinés l'un sur l'autre sont tels que l'on a dz = PidXi -4- • • • -t- P„dXn' Soient, en effet, A et B deux éléments infiniment voisins et infi- niment peu inclinés l'un sur l'autre : (z, Xi, Pi) et (:; -\- àz, x, h- ^Xi, pi h- Api), Az, Ax,, Api étant infiniment petits. Appelons a et b les points (:;, Xi) et (z -h \z, xi -t- atj) Par le point a passe une solution de Caucliy, formée de toutes les caractéristiques contenant ce point, et rencontrant en un point (*) Noiis n'avons pas rencontré explicitement celle propriété dans les écrits de Lie. Le théorème corrélatif de Majer (n" 129, fin) peut fournir une dé- monstration dans les cas où ne subsiste pas le théorème équivalent à la méthode de Cauchy. { 27G ) c la caractéristique qui passe par B. Appelons C l'élément de cette caractéristique qui passe par c. Si l'élément B converge vers l'élément A, c converge vers a, dont il est, par suite, infiniment rapproché, ainsi que de 6. Il en résulte que les coordonnées de l'élément C ne peuvent différer qu'infiniment peu de celles de B ou de A, Représentons-les par (:; -4- A'z, Xi -t- ^'Xi, Pi H- ^'pi), et posons ^z = A'z -+- à"z, ^Xi = ^'xi H- à"Xi. Puisque A et c appartiennent à une même solution, on a A'Z = Pi^'Xi H h Pn^'Xn + £, £ étant infiniment petit du second ordre. De même à''z = {pj^ -+- A'Pi) A^a?! H h {pn + A'Pn) A"a7„ H- t', f' étant aussi du second ordre, parce que B et C appartiennent à une même caractéristique. Ajoutons ces deux relations, il viendra A^ = PiA5iH h p„Aa;„ -t- t", f" étant infiniment petit du second ordre. Donc, enfin, en pre- nant la différentielle de z, dZ = PiAXi-{ h Pn^SCn , ou dZ = p^dXi H h PndXn , ce qu'il fallait démontrer. Nous appellerons éléments mfiniment peu différents ceux qui jouissent (le la [)ropriété dont il est question ici. 11 résulte de là que, pour trouver une intégrale de f = 0, il faut et il suffit de trouver oo" éléments infiniment peu différents (..« 5). ( 277 ) lai . Co7igrnence caractéristique; variété caractéristique (*). Considérons deux équations aux dérivées partielles /■=o, ? = 0, ayant des solutions communes, et un élément A, commun à ces solutions et aux équations données. D'après le n° 128, les solu- tions communes et, par suite, les équations données, contiendront la caractéristique de /"qui passe par A; ensuite, pour la même raison, les solutions communes et les équations données contien- dront les 00 caractéristiques de f, qui passent par les éléments de cette caractéristique de f. Donc si des solutions communes de deux équations ont un élément commun, elles en ont une infinité double {oo2). L'ensemble de ces éléments communs s'appelle une congruence caractéristique des équations données, par rapport à l'élément considéré. Si l'on exprime analytiquement la génération des congruences caractéristiques, on reconnaît que les fonctions /"et '^jouent un rôle symétrique dans ces calculs. On en conclut que l'on peut considérer la congruence caractéristique de /"= 0 et ^ == 0, pas- sant par A comme l'ensemble des oo caractéristiques de ç? qui passent par les éléments de la caractéristique de f contenant l'élément A; ou, comme l'ensemble des gc caractéristiques de /' qui passent par les éléments de la caractéristique de ,p, contenant l'élément A. On peut étendre ce qui précède à un nombre quelconque d'équations /•=o, ^ = 0, .;. = o,... ayant des solutions communes, qui se touchent en un élément A. Par cet élément A , passe une caractéristique de /", qui est dans toutes les solutions communes et dans les équations elles-mêmes. Par chaque élément de cette caractéristique, passe aussi une caractéristique de ©, située dans les diverses solutions communes (*) Mémoire B, première partie du théorème II; mémoire C, première partie des théorèmes h et c. ( ^^78 ) considérées. Par chaque élément de la congruence caractéristique ainsi obtenue, passe une caractéristique de 'P , située dans toutes les solutions communes et dans toutes les équations, et ainsi de suite. Donc enfin, si m équations ont des solutions communes passant par un élément A, elles ont oo'" éléments communs à toutes ces solutions communes. L'ensemble de ces éléments com- muns s'appelle la variété caractéristicpie de ces équations. CoROLLAUtE 1. On prouverait aisément, comme au n° 128 , que deux solutions communes d'un système ont en commun une variété caractéristique. Corollaire II. Considérons deux équations simultanées /'= 0, f = 0, ayant une solution commune. Les caractéristiques de /"et de j, en un élément commun à cette solution et aux équations données , doivent se trouver resj)ectivement parmi les éléments de f = 0, et de f== 0. Il en résulte que y = 0 doit être une solu- tion des équations (8), et /"= 0, une solution des équations ana- logues où j remplace /'. On a donc relation que nous écrirons simplement /"^ = 0. C'est la condition d'intégrabilité simultanée de Jacobi et de Bour. La remarque pré- cédente s'appliquant à autant d'équations que l'on veut, permet de compléter tout système d'équations simultanées, comme on l'a vu (n" 79). 13^. Méthode de Lie (*). Si deux équatio?îS f = 0, satisfont à la coïidition ï'j = 0, le lieu des congruences caractéristiques qui passent par un point commun constitue une solution com- mune. En effet, d'abord , ce lieu se compose de oo"~^ congruences caractéristiques contenant chacune oo^ éléments, donc, en tout oo'' éléments. Pour le prouver, il suffit de remarquer que par le point donné [zq, xJ, passent oc"~^ éléments communs aux deux équa- (*) Mémoire B, seconde partie du ihéorènie II; mémoire C, seconde partie des théorèmes b et c. I ( 279 ) lions, que l'on obtient, en faisant varier de toutes les manières possibles pio, ...,p„_2,o, et déterminant Pn~i,o-, Pno? au moyen des équations données. Or, par chaque élément commun passe une congruence caractéristique; donc il y en a , en tout, oo"^^, con- tenant ûo" éléments. Ensuite, deux éléments infiniment voisins A, B parmi ce groupe de oc" éléments, sont infiniment peu différents. En effet, il est clair que deux éléments infiniment voisins ne peuvent pas, en général, se trouver sur deux congruences caractéristiques passant par des éléments non infiniment peu différents. Nous devons donc supposer les deux éléments voisins en question sur une même congruence caractéristique ou sur deux caractéristiques détermi- nées par des éléments infiniment peu inclinés l'un sur l'autre. \° Considérons d'abord deux éléments A,B situés sur une même congruence caractéris- tique. La caractéristique de /'passant par A , qui est une variété à une dimension, rencontrera la caractéristique de j passant par B, sur la congruence, qui est une variété à deux dimensions, en un élément C, infiniment voisin , en général , de A et de B, et par suite infiniment peu différent de l'un et de l'autre. Donc A et B diffèrent aussi infiniment peu, comme il fallait le démontrer. 2° Supposons maintenant que A et B soient sur les deux congruences caractéri- sées par les éléments initiaux (zq, x,o, p.o)? {^o-, ^,oîP.o -+- ^Pio)- Les coordonnées de A sont exprimées en fonction de x,,^,, x„, Zq, J^'io, PiO. 5i 1 on change dans les expressions de ces coordonnées, p,o en PiO -^ Ap-o, on obtiendra sur la seconde congruence, un élément C, infiniment voisin de A , et par suite de B. Puisque p,o a varié infiniment peu en passant de A en C, C est infiniment peu différent de A; il est aussi infiniment peu différent de B, puisqu'il est infiniment voisin de B et sur la même congruence. Donc enfin, A et B, sont, dans tous les cas, infiniment peu différents, et le lieu des congruences caractéristiques qui passent par un point commun, contenant oo" éléments infiniment peu différents les uns des autres, est une intégrale (n'' 150). ( 280 ) On démontre de même que le lieu des variétés caractéristiques de m équations satisfaisant aux conditions d'intégration simul- tanée et passant par un point, est une solution commune. Nous avons indiqué plus haut (n°* 124, 126 et remarque finale du n" 127) comment on peut donner aux équations une forme telle que l'on puisse trouver leur variété caractéristique et par suite leur intégrale commune. Dans le cas de deux équations seu- lement, on ne doit pas transformer les équations données (*). 133. Méthode de Jacohi. Considérons m équations aux déri- vées partielles : A = o,...,/-^ = o, satisfaisant aux conditions d'intégrabilité. Supposons que l'on ait trouvé, en outre, k = [n -\- \ — m) fonctions /",„+!, ... , [»+{•) ^"i satisfassent avec les précédentes et entre elles aux conditions fifi. = 0. Je dis que les équations ou celles que l'on en déduit, en les résolvant par rapport à 5 = F, p, = Fi,...,p„=F„, (F) représentent les oo^""^*""* éléments du système primitif, quand «1, ... , a^ sont des constantes arbitraires, et que, de plus, r = F est l'intégrale complète commune du système donné. Considérons, en effet, le système /•, = 0,...,/-,„ = 0, An+i = a,. Si l'on donne à o, une valeur spéciale , il ne représentera plus que oo'^"~'" éléments du système primitif, mais si on laisse «i arbitraire, il représentera de nouveau oo'^""^*"*" éléments; ces élé- (*) Nous avons cité au n» 127, le petit mémoire où Mayer indique les cal- culs à faire pour établir algébriquement la méthode de Lie, sous sa forme la plus générale. Comparez mémoire B de Lie, théorème III et IV. ( 281 ) ments seront les mêmes qu'avant l'adjonction de f^^y = «i? puis- que cette relation, prise à part, est satisfaite parles coordonnées d'un élément quelconque de l'espace, a étant arbitraire. On peut adjoindre, de la même manière, au système primitif les autres équations f= a, et obtenir ainsi le système (/*) ou (F), à la place du système primitif. Si l'on fait varier, dans les équa- tions (F), X,, ... , x„, de quantités infiniment petites, en laissant les quantités a constantes, ;::, pi, ... ,p„ varient aussi infiniment peu. Donc les éléments infiniment voisins du système (F) sont infini- ment peu différents et constituent une intégrale pour chaque valeur des quantités a. Donc j:; = F est l'intégrale complète com- mune et l'on a OU rfF = Fida;iH hF„c?^„. 11 résulte de la dernière observation, que l'on peut trouver la première équation (F) en intégrant l'équation dz = pidœ^ H H PndXn , où les quantités p sont remplacées par leurs valeurs déduites des n premières équations /*. Ceci suppose toutefois que l'on sache qu'il y a réellement une intégrale complète commune avec k constantes arbitraires, ce qu'apprend la méthode de Lie. Remarque. Ce qui précède contient essentiellement la méthode de Jacobi, c'est-à-dire le mode de détermination de z, au moyen des fonctions f; le théorème de Poisson et Jacobi , et les mé- thodes de Weiler, de Boole et de 3ïayer donnent les moyens de trouver les fonctions f, avec plus ou moins de facilité. 134. Conclusion. Les diverses méthodes d'intégration des équations aux dérivées partielles se groupent autour des mé- thodes de Cauchy, de Lie et de Jacobi. On vient de voir que la dernière consiste essentiellement en une transformation du sys- tème donné en un autre contenant une équation de plus. Si l'on ( 282 ) pousse cette transformation à bout, on trouve l'intégrale sans autre calcul. Mais on peut l'arrêter quand on veut, et, comme on l'a vu au n" 125, se servir de la méthode de Lie, pour réduire le système à une équation, que l'on peut intégrer par la méthode de Cauchy, chaque fois que la méthode de Jacobi n'est pas plus favorable (voir n°^ 125 et 70, IH). La théorie des lignes, des congruences et des variétés caracté- ristiques permet donc de fondre en une seule toutes les méthodes d'intégration des équations aux dérivées partielles du premier ordre. i cm) TABLE DES MATIÈRES. Pages. AVERTISSEMENT m 1. Objet DE CE MÉMOIRE ib. II. Liste des ouvrages et mémoires cités le plus fréquemment ... iv III. Notations et conventions spéciales vu PLAN DU MÉMOIRE ET NOTICE HISTORIQUE ix INTRODUCTION. génération des équations aux dérivées partielles du premier ordre. 5 1^''. néfinitioti des é.rjzmtions aux tlèyivées jtartiellcs (lu jtrctnier ovdre. moyen fVcn fuire (lisitar-aitre lu variable dêpentlante. Interpré- tatioti géométfitjue de l.ie ^ 1. Définition de lagrange '^• 2. Première méthode de transformation 2 ^. Seconde méthode de transformation ^ 4. Définition d'une équation aux dérivées partielles , d'après Lie ... . 6 n. Nouvelle manière d'envisager l'intégration des équations aux dérivées partielles '. 8 § 2. Génération tles éQttutions à trois variables. Théorie de ïï^agrange . 9 6. Génération de ces équations, de trois manières différentes 9 7. Toutes les intégrales de l'équation (8j sont données par (1), (1) et (6), ou(D,(7),(8) 'It 8. Extension de la théorie précédente au cas d'une relation implicite entre x,tj,z ^^2 9. Exemples ^^ % ;-). Génération des équations à mi» noinbrc Quelconque de variables. Théorie de Mi-agrange tO. Génération de ces équations, de trois manières difféi-entes ib. 11. Toute intégrale de l'équation (3) est comprise dans les précédentes . . 20 12. Génération des équations aux dérivées partielles simultanées .... 22 § 4. Génération des équations à un nombre quelconque de variables. ■ Théorie de ti'e . 13. Génération d'une équation aux dérivées partielles, au moyen de plusieurs équations primitives ' * 14. Classification des équations aux dérivées partielles 26 15. Des constantes supplémentaires . , ( 284 ) LIVRE I. Méthode de liagrange et de Pfaff. Pages, CHAPITRE I. ÉQUATIONS LINÉAIRES AUX DÉRIVÉES PARTIELLES 34 § O. JÈgti€ition.s linéaifes aux dérivées partielles à deitac variables 2. Méthode de Lie 278 133. Méthode de Jacobi 280 134. Conclusion 284 Tome XXV. 20 il) RÉSUMÉ QUELQUES OBSERVATIONS ASTRONOMIQUES ET MÉTÉOROLOGIQUES FAITES DANS LA ZONE SURTEMPÉRÉE ET ENTRE LES TROPIQUES; PAR J.-C. HOUZEAU, MEMBRE DE L'ACADÉMIE ROYALE DE BELdlliUE, (Présenté n la classe des sciences le 10 octobre 1874. Tome XXV. {^) L3) RESUME DE QUELQUES OBSERVATIONS ASTRONOMIQUES ET MÉTÉOROLOGIQUES FAITES DANS LA ZONE SURTEMPÉRÉE ET ENTRE LES TROPIQUES. Je vais extraire d'un journal d'observations tenu pendant un certain nombre d'années, et qui embrasse des sujets d'une grande variété, les annotations qui peuvent avoir le plus d'intérêt pour les astronomes et les météorologistes. Je ne me bornerai pas d'ail- leurs à rapporter les observations elles-mêmes. Je m'appliquerai à en faire ressortir les conséquences, et je me servirai de ces données soit pour établir quelques faits nouveaux, soit du moins pour montrer dans quel sens il serait utile de diriger, sur certains sujets, les recherches ultérieures. Un observateur réduit à ses propres forces ne doit pas, en effet, se borner à enregistrer mé- caniquement des faits. La somme d'observations qu'il peut réu- nir est trop limitée, pour qu'il espère de ce moyen mécanique une moisson réellement fructueuse. Mais en multipliant les re- cherches à certains moments et selon certaines vues, en accordant une attention spéciale aux particularités qui se révèlent, enfin en discutant lui-même des observations dont les détails, les difficul- tés et le degré d'exactitude lui sont mieux connus qu'à tout autre, il pourra parvenir à quelques résultats utiles. Le travail qui suit est divisé en deux parties , selon qu'il con- cerne l'astronomie ou la météorologie. (^; CHAPITRE 1. OBSERVATIONS ASTROINOMIQIES. Les observations de la l^umière Zodiacale et celles des Étoiles Filantes étant de celles qui peuvent se faire sans instruments, attirèrent naturellement mon attention dès mon arrivée dans les solitudes du Nouveau Monde. Je fus étonné que la Lumière Zodia- cale fût presque aussi difficile à observer dans le Texas occiden- tal qu'elle l'est sous le ciel de l'Europe moyenne. Les étoiles étaient cependant d'une grande clarté; et celles voisines les unes des autres , comme dans le groupe des Pléiades , par exemple , se sépa- raient et se détacbaient beaucoup mieux qu'en Belgique; elles perdaient cette espèce de nébulosité générale qui, dans notre pays, et dans l'observation à l'œil nu , rend cet amas stellaire un peu confus. Mais si les étoiles étaient plus nettes, la vision sans instruments ne portait pas cependant jusqu'à des astres d'une grandeur moindre; et comme en Europe, la Lumière Zodiacale ne paraissait qu'accidentellement. D'autre part, les déplacements fréquents auxquels je fus bientôt assujetti , m'empêchèrent de poursuivre alors, avec régularité, les observations de cette Lu- mière. J'en obtins cependant quelques positions qui , comme on le verra plus loin, sont précieuses, lorsqu'on les relie à la série d'une certaine importance que je réussis à faire plus tard. Cette série a été exécutée à la Jamaïque. Elle s'étend de dé- cembre 18G8 à juin 1869, embrassant un intervalle complet de six mois, dans lequel l'écliptique passe d'une situation extrême à l'autre par rapport a l'horison. Elle a été faite dans une plaine découverte à Hope Tollgate, au nord de Kingston, par IS*" 2' de (y) latitude septentrionale, et dans une atmosphère assez favorable pour permettre l'observation régulière, suivie, et pour ainsi dire journalière de cet intéressant phénomène. On verra en effet que dans une durée de 179 jours consécutifs, j'ai pu observer la Lumière Zodiacale dans 56 soirées, ce qui est énorme si l'on tient compte des nuages et des clairs de Lune. Ces observations n'étaient pas ici aléatoires comme dans d'autres ch'mats; on était à peu près certain de voir la Lumière Zodiacale se dessiner au ciel, pourvu que celui-ci fût serein et que la Lune ne jetât pas un éclat trop vif. Dans cette même durée j'ai cherché la Lumière Zodiacale le matin, avant le lever du Soleil, dans presque toutes les nuits claires et sans Lune. Mais avant l'aube, la visibilité du phénomène était beaucoup moins assurée, moins fréquente, lors même que la transparence de l'air permettait d'apercevoir des étoiles aussi faibles que celles visibles dans les heures du soir. Il ne reste au- cun doute dans mon espj^it que le fuseau du matin ne soit plus court et sensiblement plus faible que celui du soir. Un certain nombre de positions ont pourtant été obtenues dans la série du matin, et ces positions ont leur prix en ceci, que comparées aux observations du soir elles fournissent la situation simultanée des deux fuseaux, celui à l'Ouest et celui à l'Est du Soleil. Cette série d'observations a été interrompue par mon départ pour les mon- tagnes, où j'habite une vallée trop encaissée pour être à même de la continuer. La position de la Lumière Zodiacale sur la sphère céleste était déterminée en examinant par quelles étoiles, ou entre quelles étoiles, passait l'axe, ou plus exactement la ligne d'éclat maxi- mum. Ces comparaisons sont sujettes sans doute à une certaine incertitude. On trouvera dans le texte même des observations des remarques qui feront apprécier ces difficultés. Mais on reconnaîtra aussi, par la discussion de ces évaluations, que les erreurs vont rarement à 2° ou même I ° dans la position assignée des points. Des comparaisons faites le même soir, par rapport à des étoiles diffé- rentes, donnent souvent pour des points divers de l'axe, des latitudes ou distances à l'écliptique qui concordent à lèpres. Le 51 décembre 1868 au soir, on a pu prolonger l'observation de la Lumière Zodia- (6 ) cale pendant une heure et demie, ce qui est peut-être la plus longue durée consécutive pendant laquelle cette Lumière s'est trouvée sous l'œil d'un observateur. Or, dans tout cet intervalle , la position du fuseau lumineux, par rapport aux étoiles, n'a pas paru subir de changement appréciable; le jugement que l'on forme sur la position de l'axe n'est donc pas aussi vague, aussi incertain, aussi sujet à amendement, que quelques astronomes ont pu le supposer. Par de semblables comparaisons avec les étoiles, nous avons réuni, dans les 179 jours cités, 125 déterminations de points, c'est-à-dire i25 observations individuelles de la position de la Lumière, tant le matin que le soir. C'est, croyons-nous, la série la plus considérable, et surtout la plus régulièrement continue qui ait encore été faite. Nous ne voulons pas anticiper sur les résultats qui en ressortent, et que l'on trouvera exposés plus loin. Qu'il nous soit permis cependant d'indiquer qu'ils tendent manifestement à faire abandonner l'hypothèse que la Lumière Zodiacale soit située autour du Soleil et dans l'équateur de cet astre, ainsi que celle d'après laquelle cette Lumière serait répan- due sur Torbite de la Lune. C'est probablement encore plus près de nous qu'il faut chercher le siège de ce phénomène, dans une sorte de barbe ou aigrette dirigée de la Terre vers le Soleil, et présentante forme d'un secteur dont notre globe occupe le som- met. Ce qui nous paraît irrécusable , à la suite de la discussion de nos mesures présentée au § 9, c'est que la Lumière Zodiacale est dans le plan même de l'écliptique, et ne prend pas d'inclinaison, permanente ni périodique, de part ni d'autre de ce plan. § 1. — OBSERVATIONS DE LA LUMIÈRE ZODIACALE. Je vais commencer par rapporter les observations, telles que mon journal les contient. Lorsque je les ai commencées je ne pré- voyais pas qu'elles prendraient une importance suffisante pour être un jour publiées. De là, la forme un peu trop concise et parfois peu élégante du langage. Je crois cependant qu'il est préférable, ( 7) en présence des résultais que la discussion fournit , de présenter d'abord les observations elles-mêmes , dans leur teneur originelle, sans une seule modification. Des notes expliqueront le petit nombre de passages qui exigent des éclaircissements. 1861. — Au Texas. (Temps moyen de San Antonio.) \ février, 7^0"° soir. — Lumière Zodiacale belle, rougeâtre. Pointe sur 0 Piscium. 4 février, 7*'0'° soir. — La pointe de la Lumière Zodiacale me paraît à | de tt à o Piscium K 40 février, 7^1 5"° soir. — Vu la Lumière Zodiacale. Sa pointe est peu nette; elle semble à | de o à t Piscium. 10 avril, 7''55™ soir. — Pointe de la Lumière Zodiacale à 0,4 de § à (3 Tauri. . 1868 et 1869. — À la Jamaïque. (Temps moyen de Kingston). 1868. 12 décembre , de 7'^ à 7~^ soir. — L'axe '^ de la Lumière Zodiacale paraît passer sous p Capricorni, à une distance égale à 1,5 de celle de a à p Capricorni ; à |^ de A à /:x Capricorni ; sur 919 Mayer. 15 décembre, 7*^50"' soir. — L'axe de la Lumière Zodiacale passe : sous (3 Capricorni, à 1,0 de a à p; sur A Aquarii ; sur d Aquarii. * On nomme toujours la première l'étoile à partir de laquelle il faut compter la fraction indiquée de !a distance totale. 2 Ainsi que nous l'avons dit, nous avons appliqué le nom d'axe , peut-être improprement, à la ligne d'éclat maximum. Cette ligne se confond d'ordinaire avec l'axe de figure Mais nous avons observé plus lard que parfois elle en diffère sensiblement. (8) 17 décembre, 7*^30'° soir. — La Lune dans la Lumière Zodiacale au Sud de e Aquarii. Cette Lumière plus intense à l'Ouest qu'à l'Est de la Lune. Son axe passe plutôt au Nord qu'au Sud de d Aquarii. 18 décembre, 5^1 S*" matin. — Lumière Zodiacale difficile à voir, à cause de l'éclat de Vénus. L'axe me paraît passer à |^ de |3 à (î Scorpii, et à I de a à (5 Librae. 21 décembre b^ lO"* matin. — Lumière Zodiacale confuse et fort faible entre (3 et c? Scorpii. 22 décembre, S'^O"' matin. — Lumière Zodiacale à peine soup- çonnée, bien que le ciel soit remarquablement clair et les petites étoiles bien visibles. Vénus est dans cette Lumière, mais Vénus n'est pas aussi brillante que la Lune de quatre jours du 17 décembre au soir, qui était bien loin d'effacer la Lumière Zodiacale. Vénus est entre la tète du Scorpion et le carré de la Balance. Si l'on soupçonne la Lumière Zodia- cale ce matin, elle passerait à | de / h y Librae. 24 décembre, S^'IO'" matin. — Vénus un peu à l'Ouest de p Scorpii. Lumière Zodiacale incertaine, à peine visible. On soupçonne cependant un peu de lumière passant sur g Ophiu- chi. Cette lumière est blancbe, tandis que celle du soirest rouge. 25 décembre, C^^oS"" soir. — Lumière Zodiacale assez visible, malgré le clair de lune. L'axe paraît passer à environ ^ de 0 Capricorni à s Aquarii, et à | de c? Capricorni à |B Aquarii. 26 décembre, 7^'0™ soir. — Ciel à cumulus et clair de Lune. On voit très-bien cependant, au sud de S Capricorni et plus à l'Est, la plaque rouge de la Lumière Zodiacale, mais les nuages empécbent de déterminer sa situation exacte. 27 décembre, S'^O"' matin. — Ciel clair à l'Orient; cependant il est impossible de distinguer même une vague lueur de Lumière Zodiacale. La Lune est couchée, Vénus à l'Est de |3 Scorpii. Il n'y a pas encore de trace de l'aube du jour. 50 décembre, 7*'10™ soir. — La Lumière Zodiacale a beaucoup faibli depuis les précédentes observations du soir, mais elle est encore rougeâtre. Elle est aussi moins longue. La Lune n'est pas encore levée. L'axe passe à peu près à ^ de |3 Aquarii à â Capricorni , et à ^ de a à ô Aquarii. (9 ) 31 décembre, o''15'" matin. — Lumière Zodiacale à peine soup- çonnée à l'Est de a Scorpii, sous Vénus. Blanche comme les matins précédents. — — GHS"" soir. — La Lumière Zodiacale a manifestement changé de place, d'éclat et de teinte. Elle est beaucoup moins rouge que les soirs précédents et tend maintenant au blanc rougeâtre. Elle a repris de la force; elle est plus étroite et plus lenticulaire, plus pointue; et elle s'est manifestement portée au Midi *. L'axe passe iO' ou 45' au Nord de 0 Capri- corni, à | de o- à 6 Aquarii, et presque exactement sur a Aquarii, mais peut-être quelques minutes à son Nord. — — y^ôO"" soir. — Pas de changement appréciable. — — 8*'Io°» soir. — Pas de changement appréciable. Le crépuscule de la Lune levante commence à être sensible à l'Orient. 1869. 1 janvier, 5^0™ matin. — Clair de Lune; Vénus au Nord de a Scorpii. Pas de traces de Lumière Zodiacale. On a vu celle du soir, très -manifestement, dans des conditions de Lune semblables. — — 7^25"" soir. — La Lumière Zodiacale a repris un peu de largeur et un peu de rougeur. L'axe passe à |- de o Capri- corni à |3 Aquarii; à | de o- à O Aquarii; et à quelques minutes au Nord de 1 Aquarii. C'est à très-peu près la même position qu'hier soir. 2 janvier, /i-HO"" matin. — Clair de Lune; pas de traces de la Lumière Zodiacale. — — 5*^5" matin. — Vénus levée. Pas de traces de la Lumière Zodiacale. Il est vrai que la Lune est brillante et près du zénit. ^ Avant de se prononcer sur le caractère et la significalion de ces changements, il est bon de recourir à la discussion des observalions, et surtout à l'examen des effets qu'on peut attribuer à l'inégale transparence de l'air à différentes hauteurs (§ 9). ( 10 ) 2 janvier, 7^-20°' soir. — Base de la Lumière Zodiacale couverte par des stratus. Pointe bien visible; va peut-être un peu plus haut qu'hier. Axe sur ou quelques minutes Nord 1 Aquarii *. 5 janvier, 7^10™ soir. — Lumière Zodiacale faiblement rou- geâlre. Pointe manifestement de plusieurs degrés au delà de A Aquarii. Axe à | de c? Capricorni à /3 Aquarii; à | de c- à 6 Aquarii; à quelques minutes au Nord de >. Aquarii. 4 janvier, 4*^45"" matin. — La Lune brille fortement. Pas de traces de la Lumière Zodiacale. — — THO" soir. — La Lumière Zodiacale est beaucoup plus faible que la veille, mais toujours rougeâtre. Ne monte pas à ;. Aquarii. Axe passe à ~ de o- à 9 Aquarii. Quelques cumulus dans le voisinage. 5 janvier, 4H5™ matin. — Pas de traces de la Lumière Zodiacale. Clair de Lune. Vénus pas encore visible. ■ — — 7''0" soir. — La Lumière Zodiacale s'est manifeste- ment transportée au Nord. Axe passe à | de 6 à o- Aquarii (presque sur 6), et à | de ). à ;^ Aquarii. 6 janvier, 4^55'" malin. — Clair de Lune; Vénus levée. Pas de traces de la Lumière Zodiacale. — — 7^0™ soir. — Lumière Zodiacale revenue un peu Sud. Axe à I de 8 à 0- Aquarii, el h i de k k 1 Aquarii. — — 8^0"' soir. — On ne voit plus que la pointe, dont l'axe semble encore plus Sud qu'il y a une heure, et à peine à f de A à X Aquarii. Ces déplacements sont-ils dus à la dif- ficulté de bien juger? 7 janvier, S'^O"' matin. — La Lune proche ^ et brillante; Vénus présente. Traces douteuses de Lumière Zodiacale dans l'espace entre e Scorpii et 6 Ophiuchi. — — 7^0" soir. — La Lumière Zodiacale semble un peu < On comprend qu'il faut lire : Axe sur ). Aquarii, ou quelques minutes au Nord de celte étoile. ^ Le mol « proche » signifie dans le voisinage de la région qu'occupe la Lumière Zodiacale. ( n ) plus Nord qu'hier soir. Axe à 0,G de (5 Aquarii à ^ Capri- corni; à | de e à o- Aquarii; et à | de k à ^ Aquarii. 8 janvier, 5^1 S"' matin. — La Lune entre dans Scorpius, mais le croissant se rétrécit. Horizon clair; les étoiles du Scorpion magnifiquement visibles. Pas de traces de la Lumière Zodia- cale. 9 janvier, S'^IO" matin. — La Lune et Vénus dans le Scorpion, jetant assez de lumière sur cette partie du ciel. Pas de traces de la Lumière Zodiacale. 10 janvier, 7^50" soir. — Par une éclaircic on trouve l'axe delà Lumière Zodiacale à 0,3 de ;« à A Aquarii. Un peu douteux. \ 2 janvier , 7^25" soir. — L'axe de lumière ^ diffère manifestement de l'axe de figure. Il est plus Sud que celui-ci. La lueur s'étend donc plus loin au Nord en s'affaiblissant. L'axe de lumière passe à 0,4 de ^ Capricorni à (3 Aquarii; à 4 de 9 à i Aquarii , à 4 de o à cT Aquarii ; environ 43' Nord de 1 Aquarii ; et 20' =f: au Nord de ^ Aquarii. i3 janvier, 4^50"" matin. — Pas de traces de la Lumière Zodia- cale ; ni Lune ni Vénus. — — S^'iO'" matin. — Vénus levée; queue du Scorpion visible jusqu'à t. Pas de traces de la Lumière Zodiacale. — — 7''15'" soir. — Lumière Zodiacale belle. La position des bords varie en quelques minutes. J'ai remarqué précé- demment que ces bords s'altèrent par l'approche de nuages. Ces changements sont donc dus probablement à des inéga- lités dans la pellucidité de l'air. Il est toutefois manifeste ce soir que l'axe de lumière est au Sud de l'axe de figure, comme si une seconde lentille brillante était placée dans la partie Sud de la première. Les bords comprennent â Capri- corni et p Aquarii, et la lueur s'étend 1° environ au delà de chacune de ces étoiles. L'axe de lumière semble passer à 0,5 de â Capricorni à (3 Aquarii; à f de / Aquarii à 9 Aquarii; à f de (7 à 0 Aquarii ; à d 5' q^" au Nord de A Aquarii ; à | de f Aquarii à (3 Piscium. * L'expression est vicieuse, mais on en a défini le sens plus haut; c'est la ligne de plus grand éclat. ( 12 ) 14 janvier, o^oO"" à oHO™ matin. — Toute la queue du Scorpion levée. Vénus présente; pas de traces quelconques de la Lu- mière Zodiacale. A a^'So'" premières traces de l'aube du jour. Ciel parfaitement pur. — — 6*'55™ soir. — La Lumière Zodiacale apparaît ' avec les étoiles de 4^ à 5" grandeur de cette partie du ciel. La Lune dans la base de la Lumière. — — 7*^50'" soir. — Lumière Zodiacale comme hier soir. L'axe de lumière passe aux mêmes places. La Lune est un peu au Sud de cet axe, et par conséquent encore plus au Sud de l'axe de figure. Pointe apparente dans la longitude de 1 Pis- cium ou même au delà. 15 janvier, y'MO'" soir. — La Lumière Zodiacale a son axe de lumière en apparence beaucoup plus au Nord qu'hier; mais cela est dû sans doute à ce que la Lune, qui est dans cette Lumière, et bien au Sud de son axe de figure, fait pâlir davantage la partie méridionale. Axe de lumière apparent h ^ de ih i^ Aquarii; et à 0,4 de -j Aquarii à rPi^cium. 16 janvier, 3^30" matin. — Pas de traces de la Lumière Zodia- cale, même en cachant Vénus. 17 janvier, b^'SS™ matin. — Pas la moindre trace de la Lumière Zodiacale. Ciel clair au Levant. 18 janvier, 5''20™ matin. — Pas de traces de la Lumière Zodia- cale. 19 janvier, 5'M5™ matin. — Ciel très -pur. Traces d'une lueur blanche, confuse. Vénus levée. Cette lueur n'est pas lenticu- laire, mais oblongue, mal définie. Axe (incertain) à |^ de 6 Ophiuchi à Ç Serpentis. 20 janvier, 5^30'" matin. — Ciel très- pur. Les traces de Lumière Zodiacale, si elles existent , sont si vagues qu'il est impossible de les définir -. Ce serait entre 0 Ophiuchi et f Serpentis. * On entend par « apparaît » que la Lumière Zodiacale commence à devenir visible par suite de rafraiblissement du crépuscule. 2 C'est-à-dire qu'il est impossible de définir la situation de cette lueur incertaine. ( i3 ) 2i janvier, S'^oO" matin. — Pas de Lumière Zodiacale. Ciel pur. 22 janvier, 5^0™ matin. — Le haut du Scorpion couvert par un nuage, mais le bas de la queue bien libre. Pas de Lumière Zodiacale. 25 janvier, ^i^^'lO" matin. — Pas de traces de la Lumière Zodia- cale; ciel très-pur; Vénus pas encore levée. — — S'^dO™ malin. — Vénus levée. Ciel parfaitement pur; pas de traces de la Lumière Zodiacale. — — 5^55"" matin. — Premières traces de l'aube du jour. 24 janvier, 5*^15'" matin. — Vénus levée. Pas de traces de la Lumière Zodiacale. 25 janvier, o*'0'" matin. — Pas de traces de la Lumière Zodiacale; ciel clair. 31 janvier, 7''40™ soir. — Lumière Zodiacale, mais déjà un peu basse. 11 est visible cependant qu'elle a perdu de son éclat depuis la Lune précédente <. Elle a toujours sa teinte rou- geâtre. L'axe de lumière , qui ne paraît guère différer main- tenant de l'axe de figure, passe à 0,4 de > à r Piscium, ou à 0,6 de ). à p Piscium. La pointe va plus haut, mais mal défi- nie, le ciel n'étant pas parfaitement pur. 1 février, 7*^25" soir. — Lumière Zodiacale assez belle, mais décidément moins forte qu'à la lunaison précédente; pointe plus mousse et plus indécise. L'axe de lumière passe à 0,2 de cj> Aquarii à r Piscium; et à 0,5 de p h 1 Piscium. La teinte est peut-être un peu moins rouge qu'hier. 2 février, T'^O™ soir. — Lumière Zodiacale assez belle, un peu mieux définie qu'hier. L'axe de lumière, qui est comme le mois passé un peu au Sud de l'axe de figure, passe à 0,5 de f Aquarii à 9/ Piscium; et à 0,45 de p à / Piscium. 10 février, 7''20"' soir. — Après plusieurs soirées nuageuses, soirée découverte. Lumière Zodiacale un peu pâle, mal définie; pointe émoussée et douteuse, base épanouie. En un mot c'est une masse allongée assez informe, plutôt qu'une * C'est-à-dire depuis que le clair de Lune a interrompu les observations du soir. ( li ) lumière lenticulaire. L'axe d'éclat passe à environ 0,6 de ). à p Piscium. Si on assimile l'éclat de la Lumière Zodiacale à celui des étoiles voisines, j'estime qu'elle paraîtrait et dispa- raîtrait avec les étoiles de la grandeur 4,5 *. W février, o^^O'" matin. — Ni Lune ni Vénus. Pas de traces appréciables de la Lumière Zodiacale. Il semble cependant y avoir une vague blancheur sur la région du ciel dont p et 0 Sagitlarii sont le centre, et notablement au Sud de l'éclip- tique. — — T'^ôO" soir. — Lumière Zodiacale bien visible; éclat D environ. Il était au moins 4 le mois précédent 2. Ce soir des cumulostratus couvrent sa base. La partie supérieure passe à 0,4 de â Piscium à m Ceti. La pointe va plus haut, où est Jupiter, mais elle est émoussée. 12 février, h^^'lO"^ matin. — L'horizon de l'Est est clair. Pas de traces de la Lumière Zodiacale. Vénus n'est pas levée. Pas de restes de la blancheur qu'on croyait voir hier dans le Sagittaire. — — 5''50"' matin. — Traces sensibles de l'aube du jour. 15 février, 8^15'" soir. — Après la disparition des nuages et le coucher de la Lune on voit la Lumière Zodiacale, mais faible, à peine éclat o. Pointe très-mal définie, vers Jupiter. L'axe d'éclat passe à 0,4 de ^ Piscium à m Ceti. 14 février, 7^5o'" soir. — La Lune efface la Lumière Zodiacale plus qu'elle ne le faisait certainement en janvier. On distingue m Ceti et d'autres étoiles de o*" grandeur dans le voisinage de la Lune, qui n'a que deux jours et demi. Donc l'éclat de la Lumière Zodiacale est à peine 5. 15 février, 7**50™ soir. — Malgré la Lune on voit quelques traces de la Lumière Zodiacale, surtout à la base. Ce soir m Ceti est effacée ^, mais non (^Piscium. La Lumière Zodiacale s'élève ' Celle notation de l'éclat de la Lumière Zodiacale est expliquée plus loin, §5. * « Au moins 4 » veut dire que cet éclal égalait pour le moins celui des étoiles de i*" grandeur, et aurait été représenté par un chiffre plulôl inférieur que supérieur à 4 unités. ^ Par le clair de lune. (15) dans l'espace entre ces deux étoiles. Son éclat est donc au moins 5, tendant vers 4,5; soit 4,7. 16 février, 5''20 matin. — Beau ciel; Vénus pas levée. Pas de traces de la Lumière Zodiacale. — — THO"" soir. — Lumière Zodiacale effacée par la Lune. Celle-ci ayant grandi, les étoiles de S*" grandeur, et même beaucoup de celles de A"" grandeur de cette région , sont effa- cées. On peut donc conclure seulement que la lumière Zodia- cale est d'un éclat inférieur à 4. 17 février, 5''0"' matin. — Horizon clair; Vénus pas levée. Examiné le Sagittaire avec grand soin. Pas de traces de la Lumière Zodiacale. 18 février, 5'' 10™ matin. — Légère lueur blanchâtre vers |3 Capri- corni; Vénus n'est pas levée. Celte blancheur est mal définie et non lenticulaire. — — S^âS"* matin. — La lueur dont il vient d'être parlé se confond avec l'aube, et probablement n'était que les premières traces de l'aube. 19 février, o^'lO"" matin. — Faible lueur blanchâtre, mal définie, dont le centre, ou plus exactement l'axe, paraît au Sud de S Capricorni, à une distance égale à celle de a à /3 Capricorni. Cette lueur est bien un peu prolongée dans le sens de l'écliptique. Je lui donne au plus l'éclat 5,5. L'aube du jour la suit bientôt, et semble comme se confondre avec elle. 20 février, 5^'0'" matin. — Faible lueur blanchâtre, d'éclat 5 au plus, faisant légèrement saillie à l'Ouest. L'axe à environ 0,3 de e h h Sagittarii. 22 février, 5''15'" matin. — L'horizon Est est clair. Vénus n'est pas levée. Rien qui indique la présence de la Lumière Zodia- cale. 24 février, 4''50™ matin. — Pas de traces de la Lumière Zodia- cale. 28 février, S^O"» matin. —Beau ciel; pas de traces delà Lumière Zodiacale. — _ 8*^0™ soir. — Lumière confuse, visible à l'Ouest, malgré le clair de lune. ( i6 ) 2 mars, S^'lo™ soir. — Lumière Zodiacale bien visible, mais pas excessivement brillante ^ : éclat estimé, 4 au plus. Étroite, pointue. L'axe passe à 0,5 de o à j^ Piscium; à 0,5 de /x Ceti à a Arietis; à peine 1° Sud de 6 Arietis. 5 mars, THO"" soir. — Lumière Zodiacale belle; sa teinte rou- geâtre à la base. Etroite, lenticulaire. Éclat estimé 5,5. L'axe passe à 0,5 de o à j^ Piscium; à 0,45 de l^ Ceti à 4 Arietis; à 0,5 de /x Ceti à a Arietis; à environ U° au Sud de ^ Arietis. 4 mars, 7^50"° soir. — Malgré quelques nuages qui en couvrent une partie à la base, on voit bien la Lumière Zodiacale. L'axe paraît à 0,5 de c à j; Piscium; à 0,4 de §, Ceti à y Arietis; à 0,55 de §2 Ceti à a Arielis; 1° ou pas beaucoup plus au Sud de ê Arietis. 5 mars, 8^50°" soir. — Des cumulostratus ont occupé l'horison Ouest toute la soirée. Ils sont bas maintenant, et laissent à découvert une partie de la Lumière Zodiacale, qui près de ces nuages n'a guère que l'éclat 5. L'axe paraît passer à 0,4 de /x Ceti à ce Arietis; et à 0,2 de c? Arietis à /ïauri. 6 mars, THO"" soir, — Lumière Zodiacale vive (éclat 4); large à la base, mais se rétrécissant bientôt et terminée en lance comme ci-contre. L'axe passe à 0,5 de o à j^ Piscium; à 0,4 y L de /x Ceti à a Arietis; sur t: Arietis; à 0,15 de 6 Arietis à ' ' /'Tauri. 7 mars, 7^50" soir. — Lumière Zodiacale comparativement faible (éclat 5). Elle s'est visiblement portée au Sud. Étroite à la base, et pointue au sommet. Le ciel est bien clair et il n'y a pas de nuages. Le vent soufile fort du Nord. L'axe passe à 0,4 de 0 à fx Piscium, à 0,5 de [j- Ceti à a Arietis; à 0,5 de (? Arietis à /"ïauri. 9 mars, 7^50" soir. — Nuages vers l'iiorizon Ouest. On voit cependant la Lumière Zodiacale entre ces bandes de cumulo- stratus. Éclat 4,5. Passe sur tt Arietis; et à 0,2 de S' Arietis à /Tauri. iO mars, S^'SO'" soir. — Quelques nuages à l'Ouest; la Lumière * Bien entendu, « excessivement » est employé ici par comparaison. ( 17) Zodiacale paraît faible (éclat 5). Passe à 0,55 de A Tauri à y Tauri. 11 mars, 5*40" matin. — Horizon Est clair; pas de Lune ni Vénus; pas de traces de la Lumière Zodiacale. — — 7*'40'° soir. — Quelques nuages sont restés tard à l'Ouest. On voit maintenant la Lumière Zodiacale, mais faible (éclat 5), bien que les petites étoiles de cette région soient très-visibles. L'axe passe à 0,3 de ^ Geti à a Arietis; et à 0,5 de A Tauri à A Tauri. 12 mars, 4*^0'° matin. — Pas de traces de la Lumière Zodiacale. Horizon clair à l'Est. — — 5^0" malin. — Ciel pur; pas de Lune ni Vénus; pas de traces de la Lumière Zodiacale. — — S'^dO" soir. — Lumière Zodiacale faible (éclat 5); s'est portée un peu Nord. L'axe passe à 0,2 au plus de ê Arietis à /'Tauri. 13 Mars, 4^50*" matin. — Pas de traces de la Lumière Zodiacale. — — 7*»50'" soir. — Lumière Zodiacale assez belle; éclat 4,5. L'axe passe à 0,5 de j^ à o Piscium ; à 0,6 de a Arietis à pt Ceti ; à 0,25 de K Arietis à /' Tauri. 14 mars, 4^50"" matin. — Ciel serein; ni Lune ni Vénus; pas de traces de la Lumière Zodiacale. J7 mars, 5''3" matin. — Pas de traces de la Lumière Zodiacale. 18 mars, S'^O"' matin. — Pas de traces de la Lumière Zodiacale. — — S'^O" soir. — La Lune efface entièrement la Lumière Zodiacale. 22 mars, 4*'0'" matin. — Horizon Est bien clair; ni Lune ni Vénus. Pas de traces de la Lumière Zodiacale. 24 mars, 5''0™ matin. — Horizon Est serein; ni Lune ni Vénus; pas de traces de la Lumière Zodiacale. 29 mars, 8'' 15™ soir. — Lumière Zodiacale bien pâle; la Lune n'est pas encore levée. Le ciel à l'Ouest était couvert de cirrhostratus après le coucber du Soleil. Les traces qu'on en voit passent sur A Tauri. 1 avril, 8''15'" soir. — Lumière Zodiacale très -faible (éclat 6), bien qu'il n'y ait pas de Lune. Elle est aussi beaucoup plus Tome XXV. 2 ( 18 ) courte; à peine passe-t-elle les Pléiades. On soupçonne la pointe sur A Tauri et v Tauri. II est remarquable combien cette Lumière a pâli depuis janvier et février. 2 avril, 8*^0"" soir. — Lumière Zodiacale éclat 6. Passe plutôt au Nord qu'au Sud de A Tauri. A avril, 8*^10™ soir. — Lumière Zodiacale bien faible (éclat 6 à peine); difficile à voir. Semble se diriger sur A et l» Tauri. o avril, ^^SO" soir. — Lumière Zodiacale éclat 6. A 0,5 entre A et if Tauri. Partie supérieure très-incertaine. 6 avril, 7''55" soir. — Lumière Zodiacale éclat 5. Base assez belle et rougeâtre. Il est vrai que l'horizon Ouest est tout à fait sans nuages ce soir. Pointe peu nette; semble passer exactement sur A Tauri, et ne va guère au delà de v Tauri, Donc cette Lumière est beaucoup plus courte qu'elle n'a été en janvier et février. — — 8**0'" soir. — On ne voit plus la base, qui est couchée. La pointe est peu distincte; on donnerait seulement l'éclat 6 à ce qui se voit à cette heure. 9 avril, 7^50"" soir. — Lumière Zodiacale éclat 5,5. Axe sur A Tauri; se prolonge peu au delà. iO avril, A^^h"' matin. — Ni Lune, ni Vénus, ni Jupiter. Horizon net et clair. Pas la moindre trace de la Lumière Zodiacale. — — 8*40™ soir. — Lumière Zodiacale peu brillante; éclat 5,0 ou 5,5. Passe sur u Tauri, et n'est guère visible au delà. W avril, 5^55"' matin. — Ni Lune ni planète. Pas de traces de la Lumière Zodiacale. — — 4*^50'" matin. — Ni Lune ni planète. Pas de traces de la Lumière Zodiacale. — — 8^0" soir. — Lumière Zodiacale éclat faible, à peine H; beaucoup moins visible que la Voie Lactée. Ne s'élève guère au delà des Pléiades , en sorte qu'elle est non-seulement plus faible, mais beaucoup plus courte qu'en janvier. Sa pointe, peu distincte, paraît au Nord de A Tauri. La Lune nouvelle est couchée. 12 avril, 4*'30°' matin. — Horizon Est bien clair. Une faible lueur blanchâtre, à peine distincte, vers ô Aquarii. Ni Lune ni planète. 1 ( 19 ) 12 avril, 7H5™ soir. — Lumière Zodiacale éclat 5,5. Pas de Lune. Passe sur v Tauri , et nionle jusque vers t Tauri. 15 avril, 7''40'" soir. — Lumière Zodiacale éclat 5 environ; la partie supérieure assez visible, malgré le voisinage de nuages qui couvrent la base. Axe à ~° environ au Nord de u Tauri. Monte à r Tauri et au delà. La Lune nouvelle est couchée. 14 avril, 4^20'" matin. — Horizon Est serein. Pas de planète. Pas de traces de la Lumière Zodiacale. — — 7^50" soir. — Une Lune de trois jours efface la Lumière Zodiacale, qui supportait plus autrefois. Les étoiles de 5^ grandeur sont visibles à quelques degrés de la Lune. 15 avril, 4''20'" matin. ~ Horizon Est bien clair; ni Lune ni planète. Pas la moindre trace de la Lumière Zodiacale. 20 avril, 4*^30'" matin. — Premiers symptômes de l'aube. Horizon Est clair. Pas de traces de la Lumière Zodiacale. 22 avril, 4*»0™ matin. — Horizon serein; pas de Lune ni planètes; pas de traces de la Lumière Zodiacale. 23 avril, 4''20™ matin. — Horizon Est serein. Pas de traces de la Lumière Zodiacale. 28 avril, 7H5™ soir. — Avant le lever de la Lune; Lumière Zodiacale éclat 5 environ. Terne, montrant peu de rougeur. Mal définie. Axe à ^ de § à (3 Tauri. 29 avril, 7''50™ soir. — Pas de Lune. Lumière Zodiacale éclat 4,5 et peut-être davantage K A repris quelque rougeur. Est bien visible malgré des cumulostratus qui la coupent en deux places. Passe à environ |^ de | à (3 Tauri. 50 avril , 7*'25'" soir. — Pas de Lune. La Lumière Zodiacale paraît avec les étoiles de 4^ grandeur de la même région du ciel. Donc éclat 4. Passe à 0,45 de Ç à |3 Tauri. i mai, 7''30™ soir. — Lumière Zodiacale éclat 4 au plus. Passe à ^ de I à /3 Tauri; et sur 151) Tauri. Pointe mal définie. 0 mai, 7''oO'° soir. — Lumière Zodiacale éclat 5 à peine. Passe à ^ de §à (3 Tauri. Pointe au delà incertaine. 4 mai, 7^55™ soir. — Lumière Zodiacale éclat 5 au plus. Passe à-J de 6 à § Tauri. La pointe n'est qu'une masse informe. * C'est-à-dire plus brillante peut-être. ( 20 ) 6 mai, 7*'50'" soir. — Lumière Zodiacale éclat 5,5; informe, peu distincte. Axe (?) passe à 0,3 de (3 à § Tauri. 15 mai, i^'l^j"" matin. — Pas de traces de la Lumière Zodiacale. La Lune est nouvelle; elle n'est donc pas présente le matin. Vô mai, 4*'0"' matin. — Pas de traces de la Lumière Zodiacale. Ni Lune ni planètes. 17 mai 4''0™ matin. — Ciel parfaitement pur, Voie Lactée superbe; pas de Lune. Lumière confuse, nullement pointue vers ^Vh- cium. Cette Lumière, très-faible, se confond bientôt avec l'aube. Je ne la regarde pas comme la Lumière Zodiacale, mais comme les premières traces de l'aube elle-même. 27 mai, S^'IO"' soir. — Lumière Zodiacale éclat 4,5 ou même 4,0. La Lune n'est pas encore levée. Blancbélre, avec fort peu de rouge; assez mal définie. L'axe passe à * de jc à p Geminorum , et à I de c? à 9/ Cancri. En somme elle est plus belle que je ne l'ai vue depuis quelque temps. 28 mai, 8'' 15"' soir. — Lumière Zodiacale éclat 6; fort faible; il est vrai que le ciel n'est pas absolument pur. Passe sur K Geminorum. Il fait des éclairs, et par ces éclairs la Lumière Zodiacale semble se détacher mieux du fond du ciel. 50 mai, S'^âO™ soir. — Quelques nuages à l'horizon Ouest. Lumière Zodiacale très-peu visible; éclat 6 à peine. Vers K Geminorum. 2 juin, S^'iO*" soir. — Lumière Zodiacale éclat 5. L'axe passe à environ 1|° Nord de 0 Cancri. Nuages bas à l'horizon Ouest. Éclairs lointains dans cette direction. Ces éclairs ne font pas apparaître la Lumière Zodiacale *. 4 juin, 8''25™ soir. — Quelques nuages à l'horizon Ouest. L'éclat de la Lumière Zodiacale est 5,5 à peine. L'axe passe sur S Cancri. ' Celte dernière remarque csl une allusion à Tobservalion du 28 mai, dans laquelle on avait cru que la Lumière Zodiacale se détachait mieux du fond du ciel pendant les éclairs. Col effet n'est pas confirmé par Tobservalion du 2 juin. ( 21 ) §2. — LE FUSEAU DU MATIN EST PLUS FAIBLE QUE CELUI DU SOIR. Un premier fait paraît ressortir immédiatement des observa- tions qui précèdent, c'est que le fuseau du matin a moins d'éclat que celui du soir. Lorsqu'on en assigne la position, avant l'aube du jour, c'est presque toujours avec peu d'assurance, et en men- tionnant des difticultés dont il est rarement question le soir. Mais ce qui est décisif c'est le nombre considérable des matinées durant lesquelles il est absolument impossible de distinguer la lueur. Sur cinquante-quatre matinées d'observation, il y en a trente-cinq qui donnent un résultat nettement négatif, sans compter sept autres durant lesquelles l'insuccès pourrait être attribué au clair de Lune; tandis qu'après le coucher du Soleil, sur cinquante-six soirées propres à l'observation, il n'y en a pas une seule dans laquelle la Lumière Zodiacale soit absente. Il ne faut pas croire d'ailleurs qu'on puisse attribuer cette dif- férence à l'état de l'atmosphère. Le ciel était généralement aussi clair le matin que le soir. On voyait les petites étoiles jusqu'au même ordre de grandeur. Le journal mentionne expressément cette transparence. Ainsi c'est le cas en particulier le 8, le 21 et le 25 janvier. A la première de ces dates, la transparence était en quelque sorte à son maximum; le 21 janvier la pureté du ciel ne laissait rien à désirer; et le 23 du même mois cette pureté est indiquée comme parfaite. Pourtant ce dernier jour, pendant un intervalle d'une heure vingt-cinq minutes, on ne voit pas de traces de la Lumière Zodiacale , ni avant ni après le lever de Vénus. Les observations des i 1 et 12 février offrent un autre exemple très-digne d'attention. Le M février au matin, par un ciel con- stellé où ne brillent ni la Lune ni Vénus, on ne voit pas de « traces appréciables de la Lumière Zodiacale, » si ce n'est « une vague blancheur » au sud de l'écliptique , sur l'existence même de laquelle il reste des doutes. Le lendemain matin, 12 du mois, l'horizon est noté comme « clair; » Vénus n'est pas encore levée, ( 22 ) et il n'y a pas de traces de la Lumière Zodiacale, pas même la blancheur douteuse du jour précédent. Mais entre ces deux obser- vations négatives, dans le milieu de cet intervalle de vingt-quatre heures, se place l'observation du 1 1 février au soir, où la Lumière Zodiacale se voit aisément, malgré des nuages près de l'horizon, qui couvrent sa base. Un autre fait vient à l'appui des mêmes conclusions : c'est que le matin on ne peut définir qu'avec peine la figure de la Lumière Zodiacale, tandis que le soir le fuseau se dessine presque toujours assez nettement. Le soir on en distingue la pointe, finissant dans le ciel comme un large fer de lance, plus ou moins émoussé. Tandis que le matin les observations ne parlent pas de la forme allongée , pointue, de la partie extrême. Il n'y a guère alors qu'une tache vague, plus ou moins étendue en longueur, mais dont on ne distingue pas nettement la figure. Enfin ces considérations sont encore appuyées par les estima- tions de l'éclat (comparé à celui des étoiles). Le soir cette estima- tion était relativement facile, et donne souvent 4,0 ou 4,5, avec une moyenne générale peu différente de 5 , comme on va le voir tout à l'heure. Le matin c'est à peine si l'on a les éléments de comparaisons semblables. Deux fois seulement, les 19 et 20 février, on a hasardé un chiffre; le 20 l'éclat paraissait au plus 5,0, et le 19... 5,5 ou même plus faible encore. Pourtant ces deux matinées étaient des plus favorables, puisqu'elles figurent parmi celles dans lesquelles on a pu déterminer la situation du fuseau. 11 nous semble indubitable, en présence de ces rapprochements, que la Lumière du matin est éminemment plus faible que celle du soir. Cette infériorité est réelle, c'est-à-dire qu'elle ne dépend pas d'une différence dans la transparence de l'air. ^ O. ECLAT ABSOLU DE LA LUMIERE ZODIACALE. C'est seulement le 10 février que j'ai commencé à noter Téclat de la Lumière Zodiacale, par comparaison avec les étoiles de la même région du ciel. Il s'agissait de comparer cette lueur aux ( 25 ) étoiles qui paraissent en même temps qu'elle à mesure que Tob- scurité de la nuit se prononce davantage, ou bien à celles qui dis- paraissent en même temps que cette Lumière, par l'efFet soit des brumes, soit du elair de Lune. Nous n'entendons pas dire par là que la Lumière Zodiacale soit égale, photométriquement, à une plaque qui aurait partout l'éclat spécifique des étoiles de tel ou tel ordre. 11 s'agit seulement d'établir avec quelle grandeur d'étoiles la lueur paraît et disparaît, par suite de l'impression générale qu'elle fait sur nos yeux. J'ai réuni des évaluations de ce genre dans trente-six soirées différentes. C'est seulement après avoir commencé ces annotations que j'ai cherclié à établir, par mes souvenirs, quel avait été l'éclat général en janvier '. Le chiffre relatif à ce mois est donné seule- ment par comparaison avec les chiffres du mois suivant, après que la Lumière Zodiacale avait, à mon jugement, sensiblement faibli. Voici du reste les moyennes par mois des évaluations rap- portées dans le journal des observations : Lumière Zodiacale du soir. Mois. Éclat moyen. Remarques. Janvier. . . 4,0 Sous les réserves présentées Février. . . 4,5 plus haut. Mars . . . 4,6 Avril . . . 5,0 Mai . . . . 5,1 Juin. . . . 5,2 1869. L'éclat paraissait donc faiblir d'une manière continue. Avec le cliiffre 5,'2, les déterminations de la situation du fuseau, par rap- port aux étoiles voisines, étaient pourtant encore très-praticables, et passablement sûres. On trouve seulement deux mesures d'éclat le malin; non que j'aie négligé ce genre de recherches, mais à cause de la faiblesse ou de l'absence totale de la lueur. On a cité ces deux mesures ' Voir plus haut, § !«••, au II février 1869. (24 ) plus haut ', en faisant remarquer que, dans ces deux cas, malgré son peu d'intensité, la Lumière se voyait assez pour assigner sa situation sur la sphère céleste. On peut en inférer que quand cette observation devient impossible, la Lumière Zodiacale doit être plus faible que 5,5 , ce qui confirme la conclusion tirée des observations du soir. Que la Lumière Zodiacale est sujette à des changements réels d'intensité, c'est ce que les observateurs qui nous ont précédé ont presque tous affirmé. Les différences entre les notations 4 et 6, qui forment les chiffres extrêmes dans nos estimations, sont trop considérables pour être entièrement erronées. Elles repré- sentent le passage d'une étoile de la 4^ grandeur à la 6^ Mais les remarques inscrites dans mon journal, au temps même des obser- vations, confirment l'existence de ces changements. J'avais plus de peine à assigner la situation du fuseau en avril et mai qu'en décembre et janvier. Je citerai notamment les remarques pré- sentées sous la date du 1 avril, quand la Lumière était non- seulement plus faible, mais plus courte; et celles du 27 mai, moment où la lueur reprend subitement de l'intensité. Ces chan- gements sont trop considérables , trop bien accusés , trop limités à la Lumière Zodiacale, pour être l'effet des brumes et des nuages, dont on verra tout à l'heure le caractère et l'importance. Ce sont à nos yeux, comme à ceux des autres observateurs, des fluctua- tions réelles de l'éclat. La teinte rougeâtre paraît d'autant mieux appréciable que cet éclat est plus vif. Ce serait donc une teinte propre et perma- nente. § 4. — EFFET DES NUAGES. L'influence des brumes, et en général de tous les défauts de transparence de l'air, est sans doute considérable, lorsqu'il s'agit d'une lumière si faible, qui approche souvent de la limite de visi- bilité. Cependant nos observations contiennent d'assez nombreux < Au 5 2. ( 25 ) exemples dans lesquels on voyait la Lumière Zodiaeale à côté des nuages , ou même la pointe libre lorsque la base était couverte par eux. Mais ces nuages ont souvent de l'influence, même à dis- tance, et paraissent alors rejeter la Lumière du côté qui leur est opposé. De là peut-être la plus grande irrégularité des situations apparentes, et la plus grande importance des erreurs acciden- telles dans les latitudes assignées à la pointe, que présentent les observations faites dans nos climats boréaux. L'influence des nuages à dislance m'a laissé une impression plus profonde et plus nette que celle qui résulterait des notes de mon journal. Cependant ces observations sont suffisantes pour l'établir. Ainsi le fait est très-clairement indiqué le 13 janvier. Le 5 mars des cumulostratus très-bas couvrent la partie inférieure de la Lumière Zodiacale, et la pointe, bien que dans un ciel en apparence serein, est plus faible qu'à l'ordinaire. Le 10 mars il y a des nuages à l'Ouest, et la Lumière Zodiacale est affaiblie, l'éclat qui lui est attribué se trouvant au-dessous de la moyenne de ce mois. Le 11 mars des nuages qui occupaient l'horizon Ouest viennent seulement de disparaître; on voit bien les petites étoiles dans cette région du ciel, et pourtant la Lumière Zodiacale est notée « faible. » Enfin le 4 juin il y a des nuages à l'horizon du Couchant, et la Lumière Zodiacale, dans sa partie beaucoup plus élevée, ne se voit qu'avec une certaine difficulté. Les effets de l'inégale pellucidité de l'air peuvent aussi être mis en évidence d'une autre manière. La lueur s'étend parfois, en apparence du moins, plus loin au Nord de l'axe que du côté du Sud. Ce défaut de symétrie n'est probablement qu'un effet opti- que : on voit plus distinctement et plus complètement la partie supérieure du fuseau, tandis qu'il est plus difficile de distinguer la partie inférieure, qui se trouve plus rapprochée de l'horizon. Le bord de celle-ci s'arrête et s'efface plus vite. Nous renvoyons, particulièrement, à cet égard, aux observations du 12 et du 15 janvier. Mais quelle que soit l'influence des brumes, et celle que les nuages exercent parfois jusqu'à une certaine distance de leur corps apparent, la Lumière Zodiacale a pu cependant être ( 2G ) observée, bien des fois, non loin de ces nuages mêmes. Il n'y a donc là qu'un effet secondaire, entraînant au plus Tapplication d'une certaine correction '. § 5. — ÉTOILES DE COMPARAISON. Pour réduire les observations rapportées au § 1", il faut d'abord former un tableau des longitudes et des latitudes des étoiles qui ont servi de termes de comparaison. Nous avons employé à cet effet les données du dernier catalogue de la Société Astronomique de Londres. Les calculs ont été effectués en tenant compte des dixièmes de minute (d'arc); mais on se contente ci-dessous de présenter les résultats à la minute entière. Ce degré de précision est plus que suffisant dans des observations de ce genre. La précession est calculée pour l'époque moyenne où chaque étoile a été observée. Quelques-unes de ces étoiles forment des groupes binaires à grand espacement. Pour a Librae on a employé la position de «2, qui doit faire la principale impression sur l'œil nu. Pour A et u Tauri, / Librae, h et e Sagittarii, a et p Capri- corni, on a pris la moyenne entre les deux composantes. ÉTOILES. ÉPOQUE. LONGITLDE. LATITUDE. m Celi 1869, 12 9059' - 6«19' J Piscium 25 12.14 + 2.13 >î Piscium 18 24.59 + 5.22 T Piscium 1861, 11 24.59 + 1 .53 0 Piscium 10 1869, 18 25.48 25.55 - 1.38 4 Arietis 17 29.20 + 5.25 Nous revenons sur ce sujet au § 0. 27 ) ÉTOILES. ÉPOQUE. y Arietis Ç^Ceti . ^2 Ceti . a Arietis /Ci Ceti . TT Arietis ^ Arietis Ç Arietis /"Tauri . >f Tauri . >. Tauri . A Tauri . V Tauri . T Tauri . ,3 Tauri . Ç Tauri . . . 159 Tauri . . (3 Geminorum X Geminorum ■xCancri, . . ^ Cancri . . (X Librae . . 3 Librae . . L Librae . . y Librae . . ^ Scorpii . . /3 Scorpii . . g Ophiuchi « Scorpii . e Scorpii . 9 Ophiuchi 1869, 17 510 21' + 7» 9' 17 52.15 ~ 4.17 17 53.58 - 5.52 18 55.50 + 9.58 18 40. 6 - 5.55 18 45.18 + 1.7 18 49. 1 + 1 .49 20 50. 7 + 2.55 19 51.46 - 5. 56 26 58.10 + 4. 2 19 58.48 - 7.59 23 61.40 + 1.13 26 66.48 + 1.10 28 70.20 + 0.42 1861, 1869, 28 53 80.58 ; 80.45 + 5.22 1861, 1869, 28 55 82.51 82.57 - 2.15 55 87.45 + 5.15 40 111.25 + 6.40 40 111.50 + 3. 4 40 125.45 + 5.11 41 126.54 + 0. 4 1868 96 225.16 + 0.21 96 227.55 + 8.31 97 229.17 - 1.45 97 233.18 + 4.24 97 240.44 - 1.58 98 241.22 + 1.2 98 246.56 - 1.44 18G9 , 00 247.56 - 4.55 02 255.52 -11.42 04 259.54 - 1.49 ( 28 ) ÉTOILES. EPOQUE. LONGITUDE. Ç Serpentis j) Sagittarii 0 Sagittarii h SagiUarii e Sagittarii Aquarii . p Aquarii . /3 Piscium . T^Piscium . X Piscium . r Piscium , p Piscium . 1869, 1868, 1869, 1868, 1869, 1868, 1869, 03 12 12 14 14 04 Oo 97 99 95 00 01 93 93 04 93 14 00 02 02 03 02 06 04 07 08 09 10 2620 43' 286.51 287. 6 289.53 292.33 301 .59 302.11 309.34 312. 1 517.31 321.34 321.42 323.11 323.59 326.53 331. 0 331 .26 331.32 333.34 337.36 338.34 339.45 345.19 346.46 349.36 355 , 1 0 356.13 356.27 + 7058' - 5.46 - 7.42 - o. 5 + 5. 8 + 6.59 + 4.37 + 8. 6 - 0.34 + 2.16 + 8.38 - 2.34 + 1.57 - 0.40 -2.4 + 1.32 + 2.43 +10.40 - 1.15 + 4. 7 + 8.10 - 0.23 -1.2 + 9. 4 + 7.16 + 4.20 - 5.42 - 5. 7 ( 29 ) § 6. — RÉDUCTION DES OBSERVATIONS. Il est facile maintenant, d'après les indications du § 1", de déterminer la longitude et la latitude des points observés, situés dans la ligne de plus grand éclat de la Lumière Zodiacale. Nous rangeons en deux séries distinctes les observations du soir et celles du matin. Parmi ces dernières, le signe : : marque celles qui sont présentées comme douteuses. On a joint immédiatement, à côté de chaque observation, la distance du point déterminé au Soleil, telle qu'elle résulte de la simple différence des longitudes. [A]. Observations du soir. DATE. POSITION DES POINTS OBSERVÉS DANS LA LIGNE DE PLUS GRAND ÉCLAT. 1 févr., 7*^0"" S. 4 — 7.0 10 - 7.15 10 avril, 7.35 1861. 0 Piscium \ TT 2i 0 Piscium i c ai TT Piscium 0,4 ^ à ,3 Tauri 1868. Sud de 3 Capric, à 1 ,5 de a à /S Capr. j A à M Capricorni Sud de P Capric, à 1 ,0 de a à ,3 Capr. A Aquarii 0 Aquarii Un peu Nord 6 Aquarii 25M8' 25.15 25.5-2 81.58 -10 38' 72-33 + 0.43 -0.28 + 0.49 68.58 63. 9 60.47 12 déc. 7.15 13 — 7.30 — 7.15 302.11 323.23 302.11 317.31 331.26 331.26 + 1. 3 + 1 .35 + 2.14 + 2.16 + 2.45 + 2.50f 40.46 61.58 59.45 55. 5 69. 0 64.56 ( 30) DATE. POSITION DES POINTS OBSERVÉS DANS LA LIGNE DE PLUS GRAND ÉCLAT. 25 déc, 6>'35'»s. \ e Capricorni à f Aquarii. . I â Capricorni à /3 Aquarii . I i3 Aquarii à c? Capricorni . I a à 6 Aquarii 12' Nord 0 Capricorni . . . } ff à 6 Aquarii 5' (?) Nord 1 Aquarii . . . 1869. \ ^ Capricorni à (3 Aquarii . I 0- à e Aquarii o' (?) Nord ï Aquarii . . . 2' (?) Nord / Aquarii . . . = ^ Capricorni à |3 Aquarii . l a A e Aquarii 5' (?) Nord / Aquarii . . . \ a in Q Aquarii g 0 à ff Aquarii ..... i > à >i Aquarii i 0 à ff Aquarii I X à A Aquarii ^ ;. à X Aquarii 0,6 ,3 Aquarii à ^ Capricorni I e à ff Aquarii I X à A Aquarii 0,3 X à A Aquarii 0,4 ^ Capricorni à /3 Aquarii. 511«>29' 321.39 + 1.10 47. 2 18 19 20 21 22 25 24 30 — 7.10 h 31 — 6.45 1 janv., 7.25 2 — 7.20 3 -- 7.10 321.37 331.29 312. 1 333. 2 339.45 321.40 353. 8 559.45 559.43 521.59 552.50 339.45 + 4.54 + 6.41 -0.22 -0.14 -0.18 + 0.14 -0.26 -0.18 -0.21 + 1.10 + 0.45 -0.18 41.53 51.45 31.18 52 19 59. 39.56 51.24 58. 1 57. 0 37,53 48.44 55.59 25 26 27 28 29 30 51 52 55 4 - 5 — 6 — 7.10 7. 0 8. 0 7. 0 555. 2 551.42 559.21 551.58 538.19 558.40 521.59 551 .42 558. 2 -0.14 + 2.15 + 2.28 + 1.44 + 2.37 + 1.52 + 1.55 + 2.15 + 5.15 48.15 45.54 55.53 45. 9 51.30 51.49 35.49 45.52 50.12 54 35 7.50 7.25 558.15 521 .39 + 2.46 + 1.55 47.19 28.42 (51 DATE. POSITION DES POINTS OBSERVÉS DANS LA LIGNE DE PLUS GRAND ÉCLAT. 56 37 38 39 40 41 42 45 44 45 46 12 janv., 7*'2o'"s, 15 — 7.13 lo — 7.10 r 6 à t Aquarii I G à 0- Aquarii 43' Nord > Aquarii .... 20' Nonl '-^ Aquarii . . . . 0,5 S Capricorni à )3 Aquarii. i t à 6 Aquarii I 0- à 9 Aquarii 13' Nord ) Aquarii \ f Aquarii à /3 Piscium . . ^ A à >} Aquarii 0,4 ^Aquarii à 7^ Piscium. . 529' 552 559 543 521 529 552 559 543 359 547 + 1» + 1. + 0. -0. + 0. + 0. + 0. -0. -0. + 5. + 1. 56<>58' 59.12 46.48 32.22 27.45 53.15 58.55 43.48 31.56 45.10 31. 2 47 48 49 30 31 5d 54 33 51 ~ 7.40 1 févr., 7.25 2 — 7. 0 0,4 > à r Piscium .... 0,6 / à p Piscium . . . . 0,2 '-f Aquarii à y Piscium. 0,3 p à A Piscium . . . . 0,5 'f Aquarii à y Piscium 0,43 p à / Piscium . . . 10 11 15 7.20 7.50 8.13 0,6 1 di p Piscium . . . 0,4 S Piscium à m Ceti , 0,4 S Piscium à m Celi 535.53 533.36 546.10 555.48 546.56 555.52 + 0.19 -0. 8 + 0.58 + 0.56 + 1.27 + 0.14 555.56 11.20 11.20 45.19 45.40 52.55 42.51 52.19 41.53 47.56 45.32 42.35 36.15 66.27 41.55 47.25 55 17 65 29, 56 57 58 59 60 61 62 2 mars, 8.15 - 7.40 0,5 0 à >î Pi.scium . . . 0,5 p. Ceti à ce. Arietis , l«Sud^ Arielis. . . , 0,5 0 'à Vi Piscium . . . 0,45 Ç,Ceti à 4 Arietis, 0,5 p. Celi à a Arietis . 1°50' Sud è Arietis . . 25.27 58.49 49. 1 25.27 50.55 58.49 49. 1 (32) DATE. POSITION DES POINTS OBSERVÉS DANS LA LIGNE DE PLUS GRAND ÉCLAT. 65 64 4 mars, 7^30" s, 0,5 0 à >^ Piscium . . . 0,4 ^, Celi à y Ârietis . 0,33 ^2 Ceti à a. Arietis. 0,4 [j, Celi à a Arietis. . 0,2 c? Arietis à /"Tauri , 0,3 0 à >^ Piscium . . . 0,4 fi. Ceti à î Piscium . , . 0,3 [x Ceti à a. Arietis . 0,3 S Arietis à /"Tauri . TT Arietis 0,2 J" Arielis à f Tauri . 0,33 A à A Tauri . . . 0,3 [j. Ceti à a Arielis . 0,3 A à ;i Tauri. . . . 0,2 J" Arietis à /" Tauri . Q,ù y, -à 0 Piscium . . . 0,6 o. Arielis à \l Ceti . 0,23 Ç Arielis à f Tauri A Tauri A Tauri V Tauri 3' (?) Nord A Tauri . . A Tauri V Tauri 23027' 31.32 33.42 + lo32' + 0.17 -0.20 4O055' 47.20 31.10 66 67 68 69 70 71 72 73 74 3 — 8.30 6 — 7.40 » 7 — 7.50 38.24 49.34 23.27 38.24 45.18 49.26 23.33 58.49 49.30 + 0.38 + 0.16 + 1.32 + 0.58 + 1. 7 + 0.59 + 1.10 -0.33 -0.50 32.30 64. 0 58.33 31.32 36.46 62.34 58. 1 31.17 62.18 /£) 76 77 78 79 80 81 82 85 9 - 7.30 10 11 12 15 8.20 7.40 8.30 7.50 43.18 49.34 60.40 38.49 60.48 49.54 23.16 58.24 50.52 + 1. 7 + 0.16 -2. 0 -0.53 -1.55 + 0.16 + 5.16 + 0.58 + 0.41 53.^ 60. 2 70. 47.18 69.1V 37. 0 51.43 44.35 57. 1 84 83 80 87 88 89 29 — 8.13 1 avril, 8.13 2 4 - 8. 0 8.10 61.40 61.40 66.48 61.40 61.40 66.48 + 1.15 + 1.15 + 1.10 + 1.18 + 1.15 + 1.10 32 13 49.18 34.26 4820 46 22 31.50 ( 33) o -M S DATES. POSITION DES POINTS OBSERVÉS DANS LA LIGNE DE PLUS GRAND ÉCLAT. à Q H O Q en a 90 91 92 5 avril , 6 - 7''o0>«s. 7.33 1 A à M Tauri. 59055' 61.40 66.48 + 20 37' + 1.15 9 45038' 44.23 49.33 A Tauri V Tauri [voir § I à cette date]. . . 95 94 9o 96 97 98 99 1 9 — 10 - 11 - 12 - » 13 — 7.30 8.10 8. 0 7.43 7.40 A Tauri 61.40 66.48 61.40 66.48 70.20 66.48 70.20 + 1.15 + 1.10 + 1.25 + 1.10 + 0.42 + 1.40 + 0.42 4128 45 36 39.29 45.39 47.11 42.40 46.12 V Tauri 10' (?) Nord A Tauri 'j Tauri T Tauri 30' N V Tauri T Tauri 100 101 102 103 104 105 106 28 - 29 - 30 - 1 mai, 5 - A — 6 - 7.43 7.30 7.23 7.30 7.30 7.33 7.30 1 ç à |3 Tauri h ^'A ii Tauri 82.13 82.13 82. 1 81.31 81.31 81.29 81 .23 + 0.19 + 0.19 + 1.11 + 1.54 + 1.54 + 2.50 + 3. 6 45.27 42.29 42.20 40.12 58.13 36.36 34.53 0,43 ç à /3 Tauri i ç à (3 Tauri - C à i3 Tauri 1 /3 àç Tauri 0,3 p à ç Tauri 107 108 109 110 111 112 27 - » 28 - 30 - 2 juin, 4 - 8.10 8.13 8.20 8.20 8.23 ^ >i à j3 Geminorum ï J' à r Cancri K Geminorum K Geminorum 111.44 126.18 111.30 111.30 126.54 126.54 + 3.38 + 1.37 + 5. 4 + 5. 4 + 1.54 + 0. 4 45. 1 59.35 44. 9 42.14 34.26 52.31 1»30' Nord S Cancri S Cancri i i " ^ 1 Tome XXV. ( 34 ) DATES. POSITION- DES POINTS OBSERVÉS DANS LA LIGNE DE PLUS GRAND ÉCLAT. ■ri -, [B]. Observations du matin. 1868. 115 114 115 116 18 déo., ohlb^^m. » 22 - o. 0 24 — 5.10 \ !3 h. ^ Scorpii . I « à /3 Librae. . h L hy Librse : : g Ophiuchi : : . 241014' 224.42 250.37 246.56 + 00 17' + 5. 4 + 0.19 -1.44 25042' 42.14 40.22 26.25 1869, 117 7 janv., 5. 0 | f Scorpii à 0 Ophiuchi : : . 256.53-6.45 50.42 19 - 5.15 20 — 5.50 l 0 Ophiuchi à ^ Serpentis i 9 Ophiuchi à ^ Serpentis 260.57 261. 8 + 1.27 + 5.4 38.55 59.25 120 121 122 125 11 le vr.. 5.20 18 — 5.10 19 — 5.10 20 — 5. 0 p et 0 Sagittarii : : |3 Capricorni : : Sud de j3 Capric, à 1 ,0 de p à « Capr. 0,5 e à /t Sasittarii 286.58 502.11 502.11 291.40 -6.44 + 4.57 + 2.14 + 2.40 55.51 27.41 28.42 40.15 124 12 avril. 4.50 6 Aquarii : 551.26 + 2.45 51. 5 17 mai, 4. 0 J Piscium (?) 12.14 + 2.15 44.15 11 reste maintenant à examiner quels sont les faits qui parais- sent ressortir de ces observations. ( 5a § 7. — LA LUMIÈRE ZODIACALE EST-ELLE SITUÉE DANS L'ÉQUATEUR DU SOLEIL? Voilà déjà plus de trente ans que j'ai examiné cette question à l'aide des observations que l'on possédait alors, particulièrement les anciennes observations de Dominique Cassini '. Les compa- raisons n'étaient nullement favorables à l'hypothèse de cet illustre astronome. Ce résultat de nos recherches paraît avoir été remar- qué par Humboldt, car celui-ci renvoie à notre travail dans deux endroits différents de son Cosmos ^. Jones, en proposant une nouvelle théorie , admet que l'idée de Cassini n'est pas soutenue par le témoignage des faits. Pourtant il m'a paru utile de comparer encore à l'hypothèse cassinienne mes observations nouvelles. Cette série ininterrompue de six mois, exécutée dans le même lieu et dans les mêmes circonstances, s'y prétait éminemment. Or, on va voir qu'après cette discussion il ne peut plus rester le moindre doute sur la discordance complète entre l'hypothèse de Cassini et les faits. Mettons d'abord en regard les latitudes des points observés dans l'axe de la Lumière Zodiacale, et les latitudes qu'aurait montrées, au même moment et sous la même longitude, l'axe d'une lentille disposée selon l'équalcur solaire. Je prends pour cet équateur l'inclinaison et la longitude du nœud déterminées par Laugier. ' Mon travail est publié dans les Astronomische Nachrichten; Bd. XX] ; n» 492. * Al. de Humboldt, Cosmos., t. I, note 96 (éd. franc.), note 66 (éd. allem.), aussi t. m , part, ij , chap. 4. ( 30) [A]. Observations du soir. NUMÉnO. DATE. Latitude d'un point dans l'axe de la lAi- niière Zo- diacale. Latitude correspon- dante de l'Équaieur solaire. Différences. f Calcul — Observa- lion.) Moyenne des écarts par groupes. 1 1861. Février. 1 - 1038' - 3" 58' - 2° 0'\ 2 — — 4 + 0.45 - 5.14 - 5.57 ( - 20 59' 3 - — 10 - 0.28 - 2.29 -2.li 1 4 — Avril . . 10 + 0.49 + 5.58 + 2.49 + 2.49 5 1868. Décembre 12 + 1.5 - 4.59 - 5.42 6 — — . » + 1.55 - 6.16 - 7.49 7 _ _. 13 + 2.14 - 4.52 - 6.46 8 " — » + 2.16 - 5.48 - 8. 4 ) - 7.49 9 — — » + 2.45 - 6.56 - 9.19 10 — — 17 + 2.50 - 6.22 - 9.12 M 12 — — 25 + 1.56 + 1.10 - 4. 2 - 4.55 - 5.58 -6.5 1 - 5.51 1 15 _ _ 50 + 4.54 - -i-s' - 9 5 1 14 — ~ .> + 6.41 - 5. 7 -11.48 15 — — 51 - 0.22 - 5.22 -5.0 16 — — )) - 0.14 - 5. 7 - 4.55 17 — — >) - 0.18 - 5.52 -5.14 18 19 1869. Janvier. 1 » + 0.14 - 0.26 - 4. 7 - 3. 0 - 4.21 - 4.54 ) - 5.45 20 — — ); - 0.18 - 3.25 - 5. 7 21 — — 2 - 0.21 - 5.20 - 4.59 22 — — 3 + 1 .10 - 5.55 - 5. 5 23 — — » + 0.45 - 4.44 - 5.29 24 — — )) - 0.18 - 5.14 - 4.56 1 57 ) Lalitude Latitude Différences Moyenne NDMEUO. DATE. d'un point dans l'axe de la Lu- mière Zo- diacale. correspon - dente de l'Equateur solaire. ( Calcul — Observa- tion.) des écarts par groupes. 25 1869. Janvier . 4 - 0M4' - 40 58' 1 - 4° 24' 26 — . — 5 4 2.15 - 4.26 - 6.39 27 — — w + 2.28 - 4.57 - 7.25 28 — — 6 + 1.44 - 4.19 - 6. 5 29 _ >) + 2.37 - 4.46 - 7.25 - 6° 27' 30 _ __ - » + 1.52 - 4.47 - 6.59 31 — — 7 + 1.55 - 3.22 - 5.17 52 — )) + 2.13 - 4.11 - 6.24 55 — — y + 5.15 - 4.38 - 7.51 / 54 _ 10 + 2.46 - 4.17 -7. 5 3a — — 12 + 1.53 - 2.43 - 4.58 56 — — M + 1.7 - 5.24 - 4.51 57 — __ » + 1 .25 - 5.55 - 5. 0 58 )) + 0.22 - 4. 7 - 4.29 59 — » - 0.42 - 4.29 - 3.47 - 5.24 40 — — 15 + 0.48 - 2.56 ) - 4.43 41 — _ )) + 0.20 - 5.14 - 5.54 42 — _ .^ + 0.45 - 5.29 - 4.14 45 — — )) -0.8 - 4. 1 - 5.55 44 — _ )) - 0.59 - 4.25 - 5.44 43 — — 15 + 5.54 - 5.43 - 7.37 1 46 — - '^ + 1.2 - 4.14 - 5.16 47 51 + 0.19 - 2.41 - 5. 0 i 48 — — » - 0. 8 - 2.42 - 2.54 49 — Février 1 + 0.38 - 2. 4 - 2.42 \ - 2.55 50 _ » + 0.36 - 2.54 - 3.10 51 — _ 2 + 1.27 - 1.59 - 3.26 52 — — )) + 0.14 - 2.27 - 2.41 ) 1 ( 58 ) NUMÉRO. DATE Latitude d'un point dans l'axe (le la Lu- mière Zo- diacale. Latitude correspon- dante de l'Equateur solaire. Différences. (Calcul — Observa- tion.) Moyenne des écarts par groupes. 55 1869. Février . 10 - 0° 8' - I'>ô5' 1 - lo25'\ - 0.48 1 - 0"55' - 0.Ô5 ) 1 54 — — 11 - 1.12 - 2. 0 55 — — 15 - 1.12 - 1.45 56 _ Mars . 2 + 1.52 - 0.15 - 2. 7 ( 57 — — V - 0.55 - 0.19 + 0.56 58 — » + 0.49 - 0.21 - 1.10 59 — . — 5 + 1.52 - 0.10 - 2. 2 60 CI — — )'! + 0.15 - 0.55 - 0.11 - 0.12 - 0.26 + 0.45 \ - 0.47 62 — — >. + 0.19 - 0.14 - 0.55 65 _ _ 4 + 1.52 - 0. 5 - 1.57 64 — — ., + 0.17 - 0. 6 - 0.2Ô 65 - — ^ - 0.20 - 0. 6 + 0.14 l 66 _ _ 5 + 0.58 0. 0 - 0.58 67 — — « + 0.16 0. 0 - 0.16 68 — — 6 + 1.52 + 0. 4 - 1.48 69 — — « + 0.58 + 0. 6 - 0.52 70 — — » + 1.7 + 0.6 - 1. 1 / - 0.27 71 — — .. + 0.59 + 0. 6 - 0.55 72 — — 7 + 1.10 + 0. 9 - 1. 1 73 — — .> - 0.55 + 0.12 + 1.7 74 — — •^ - 0.50 + 0.15 + 0.43 / 1 75 9 + 1.7 + 0.24 1 - 0.45 \ 76 — — » + 0.10 + 0.26 + 0.10 77 — — 10 - 2. 0 + 0.55 + 2.35 78 — — 11 - 0.55 + 0.52 + 1.27 79 — — w - 1.55 + 0.41 + 2.14 ) + 0.24 80 — - 12 + 0.16 + 0.44 + 0.28 1 (39) NUMÉRO DATE. Latitude d'un point dans l'axe de la Lu- mière Zo- diacale. Latitude correspon- dante de l'Equateur solaire. Diflférences. ( Calcul — Observa- tion.) Moyenne des écarts par groupes. 81 1869. Mars . . 15 + 5° 16' + O05I' - 2045' 82 — — .1 + 0.58 + 0.42 + 0. 4 8o — — « + 0.41 + 0.50 + 0. 9 84 29 + 1.15 + 2.18 + 1.5 8a — Avril . . 1 + 1.15 + 2.26 + 1.15 86 — — « + 1.10 + 2.56 + 1.26 87 88 — — 2 4 + 1.18 + 1.15 + 2.29 + 2 54 + 1.11 ; + 1 « 9' + 1.21 89 — — « + 1.10 + 2.46 + 1.56 1 90 — — 5 + 2.57 + 2.Ô1 - 0. 6 91 — — 6 + 1.15 + 2.58 + 1.25 - 95 9 + 1.15 + 2.41 + 1.28 \ 94 — — 10 + 1.10 + 2.58 + 1.48 93 — — 11 + 1.25 + 2.42 + 1.19 / 96 — — 12 + 1.10 + 5. 0 + 1.50 ^ + 1.49 97 — — » + 0.42 + 5.11 + 2.29 [ 98 — — 15 + 1.40 + 5. 1 + 1.21 1 99 — — •^ + 0.42 + Ô.12 + 2.50 ' 100 28 + 0.19 + 3.56 + 5.57 \ 101 — — 29 + 0.19 + 5.56 + 5.57 102 — — 50 + 1.11 + 5.55 + 2.42 / ! 105 — Mai . . 1 + 1.54 + 5.50 + 2.16 \ + 2.16 104 — — 5 + 1 .54 + 5.45 + 2.11 1 105 — — 4 + 2.50 + 5.41 + 0.51 I 106 1 — — 6 + 5.6 + 5.54 + 0.28 / ! 107 27 + 5.58 + 5. 0 1 + 1. 2 \ 108 — — " + 1.57 + 6. 5 + 4.28 40 ) nomiSro. DATE. Latitude d'un point dans l'aie de la Lu- mière Zo- diacale. Latitude correspon- dante de l'Equateur solaire. Différences. (Calcul — Observa- tion.) Moyenne des écarts par groupes. 109 110 1869. Mai . . 28 30 + 5» 4' + 3. 4 + 4° 56' + 4.48 + lo52' + 1.44 + 30 19' 111 — Juin . . 2 + 1.34 + 5.49 + 4.15 112 — — 4 + 0. 4 + 5.41 + 5.37 [B]. Obsen nations du matin. 113 1868. Décembre . 18 + 0.17 + 3. 3 + 2.46 114 — — » + 3. 4 + 4.43 + 1.39 1 + 3.20 i 115 — — 22 + 0.19 + 4.28 + 4. 9 ( 116 — — 24 - 1.44 + 3. 2 + 4.46 ] li- 1869. Janvier. . 7 - 6.45 + 3.24 +10. 9 +10.9 ns 119 — — 19 20 + 1.27 + 3.4 + 3.14 + 3.12 + 1.47 ; + 0.8 + 0.58 ) 120 _ Février . 11 - 6.44 + 1 ,37 + 8.21 ^ \ 121 122 — — 18 19 + 4.57 + 2.14 + 0.54 + 0.52 - 3.43 1 - 1.22 1 1 ^ + 0.25 123 — — 20 + 2.40 + 1.6 - 1.34 ) 124 — Avril. . 12 + 2.43 - 3.20 - 6. 3 -6.3 123 — Mai. . . 17 + 2.13 - 4.43 - 6.56 - 6.56 Les écarts moyens des groupes, présentés dans la dernière colonne, offrent une allure éminemment systématique, dont il est impossible de méconnaître le caractère un seul instant. Les observations du matin , malgré toute l'incertitude qui les affecte. ( 41 ) présentent elles-mêmes un résultat analogue. On va d'ailleurs juger encore mieux de cette allure en réunissant dans un tableau concis les écarts moyens de chaque groupe , vis-à-vis de la date moyenne des observations. [A]. Ohservalions du soir. t/3 MOYENNE Nombre MOYENNE c/5 MOYENNE Nombre MOYENNE de la d'observa- des del » d'observa- des date annuelle. tions. écarts. z < date annuelle. tions. écarts. 1868 Décem. 15 6 - 7049' 1869 Mars 5 10 - 0°47' » — 25 2 - 5.51 » — 6 9 - 0.27 1869 Janv. 1 12 - 5.4o • — 11 9 + 0.24 n - 6 9 - 6.27 « Avril. 3 8 + 1.9 » — 15 13 - 4.43 1861 — 10 1 + 2.49 » Févr. 1 6 - 2.55 1869 — 11 7 + 1.49 1861 — 5 o - 2.59 » — 50 7 + 2.16 1869 - 11 o - 0.55 « Mai. 30 6 + 3.19 [B]. Observations di matin. 1868 Décem. 20 4 + 5''20' 1869 Févr. 17 4 + 00 25' 1869 Janv. 7 1 +10. 9 « Avril. 12 1 - 6. 5 B — 20 2 + 0.58 » Mai. 17 1 - 6.56 Il est remarquable que les observations de 1861 , intercalées à leur date annuelle, rentrent également dans l'allure générale, et confirment la loi des écarts. En présence de ce tableau, il est impossible de croire à des erreurs accidentelles. Ainsi l'hypothèse de Cassini ne représente pas les observations. Les maxima de la dernière colonne reproduisent pour ainsi dire, en grandeur, le chiffre de l'inclinaison de l'équateur solaire (qui est yO'), en sorte qu'on pourrait retrouver par la discussion des écarts la valeur employée pour cette inclinaison. Quel signe plus visible que les écarts sont le produit do l'hypothèse elle-même, et que ( 42 ) celle-ci ne représente les faits avec aucun degré appréciable d'ap- proximation ! Cette hypothèse doit donc cesser définitivement d'occuper les astronomes. Si l'on veut trouver une explication à la Lumière Zodiacale, il faut évidemment la chercher ailleurs. § 8. LA LUMIÈRE ZODIACALE EST-ELLE SITUÉE DANS l'oHBITE DE LA LUNE? Jones a supposé que la Lumière Zodiacale pourrait être située dans l'orbite lunaire*. Mes nouvelles observations, discutées à ce point de vue, sont aussi peu favorables à cette hypothèse qu'à l'ancienne théorie de Cassini. Cette circonstance ne diminue pas d'ailleurs le mérite des observations de la Lumière elle-même, recueillies durant l'expédition américaine par cet investigateur zélé. Je présente ci-dessous les latitudes des points observés dans la ligne de plus grand éclat (tels qu'ils résultent du § 6), en les com- parant aux latitudes des points correspondants de l'orbite de la Lune, c'est-à-dire des points de cette orbite placés dans la même longitude. Les calculs sont faits avec les éléments de Hansen. [A]. Observations du soir. DATE. Latitudes de points dans l'axe de la Lumière Zodiacale. Latitudes des poiuts cor- respondants de l'orbite de la Lune. Différences. ( Calcul — Observa- tion.) Moyenne des écarts par groupes. 1861. Février. 4 10 - 1"Ô8' + 0 45 - 0.28 + o" 7' + 5. 7 + 5. 7 I + 6"4o' + 4.24 > + o'>oo + 5.35 ' Son travail forme le volume III de l'ouvrage américain : Expédition to Japan. Il en avait paru un extrait dans Sillimaiis American Journal of Sciences , 1 855. ( 43 Laliludes de Latitudes des Différences. Moyenne NUMÉRO. DATE. points dans l'axe de la Lumière points cor- respondants de l'orbite (Calcul - Observa- des écarts par Zodiacale. de la Lune. tion.) groupes. 4 1869. Avril. . 10 + 0M9' + 2-16' + 1<'27' + 1°27' 5 1868. Décembre 12 + 1.5 + 1.55 1 + 0.50 6 — — » + 1 .55 - 0.18 - 1.51 J 7 8 — — 15 + 2.14 + 2.16 + 1 .55 + 0.11 - 0.41 f ) - 1.58 -2. 5 9 — — )> + 2.45 -1.5 - 5.46 \ 10 ~ — 17 + 2.50 -1.4 - 5.34 / ( 11 1-2 - — 25 + 1.56 + 1.10 + 0.40 - 0.14 - 1.24 ) 15 _ _ 50 + 4.54 - 0.16 - 3.10 i 14 — — » + 6.41 -1.7 - 7.48 1 15 — — 51 - 0.22 + 0.37 + 0.59 1 16 — — » - 0.14 - 1.16 -1.2 17 — — » - 0.18 - 1.51 - 1 .55 18 19 1869. Janvier. . 1 + 0.14 - 0.26 - 0.16 - 1.17 - 0.50 - 0.51 \ - 2. 0 20 — — )) - 0.18 - 1.51 - 1.53 gj "* — — 2 - 0.21 - 1.32 - 1.51 22 — — 5 + 1.10 - 0.17 - 1.27 23 — — » + 0.45 - 1.14 - 1.59 24 — — )> - 0.18 - 1.52 -1.54/ 1 23 _ _ 4 - 0.14 - 1.17 1 - 1. ù '■ 26 — — 5 + 2.15 - 1.11 - 5.24 27 — — » + 2.28 - 1.50 - 4.18 1 28 — — - G + 1.44 - 1.12 - 2.56 f 29 — — » + 2.57 - 1.46 - 4.25 ' ( , - 3.22 ( 44 ) 1 Latitudes de Latitudes des Différences. Moyenne NUMÉRO. DATE. points dans l'axe de la Lumière Zodiacale. points cor- respondants de l'orbite de la Lune. (Calcul — Observa- tion.) des écarts par groupes. 50 1869. janvier. . 6 + 1-52' - 1«47' - 5o59'| 51 — — 7 + 1.55 - 0.17 - 2.12 52 — — )) + 2.15 - 1.12 - 5.25 55 — — « + 0.15 - 1.45 - 4.58 j 54 _ 10 + 2.46 - 1.46 - 4.52 \ 55 — — 12 f 1 .35 - 0.18 - 2.15 56 — — « + 1.7 -1.5 - 2.10 57 _ — « + 1.25 - 1.15 - 2.40 38 — — » + 0.22 - 1.55 - 2.15 59 — — n - 0.42 - 2.20 - 1.58 -1.7 40 — — 15 + 0.48 - 0.19 ^ - 2o5r 41 — — « + 0.20 -1.0 - 1.20 42 — — .^ + 0.45 - 1.18 - 2. 5 45 — — .^ - 0. 8 - 1.55 - 1.45 44 — — « - 0.59 - 2.22 - 1.45 43 — — 13 + 5.54 - 1.52 - 5.46 46 — — " + 1.2 - 2.50 - 5.52 1 47 _ _ 51 + 0.19 - 5.11 - 5.50 48 — — 0 - 0. 8 - 5.15 - 5. 5 49 50 — Février. . 1 + 0.58 + 0.56 - 2.50 - 5.15 - 5. 8 1 - 5.49 > - 5.29 51 — — 2 + 1.27 - 2.52 - 5.59 52 — — n + 0.14 - 5.15 - 5.27 55 _ _ 10 - 0. 8 - 5.15 - 5. 7 54 — — M - 1.12 - 4.11 - 2.59 - 5. 2 55 — — 15 - 1.12 - 4.12 -5. ol (43 ) .... Latitudes de Latitudes des Différences. — Moyenne NUMÉRO. DATE. points dans l'axe de la Lumière Zodiacale. points cor- respondants de l'orbite de la Lune. (Calcul — Observa- tion.) des écarts par groupes. 56 1869. Mars. 2 + 1«52' - 4051' - 6«44' \ S7 — _ » - 0.55 - 5. 6 - 4.11 58 _ _ r. + 0.49 - 5. 8 - 5.57 59 — — 3 + 1.52 - 4.51 - 6.43 60 61 '^ + 0.15 - 0.55 - 4.59 - 5. 6 - 5.14 - 4.11 ; - 50 31' 62 _ _ .- + 0.19 - 5, 8 - 5.27 65 _ 4 + 1.52 - 4.51 - 6.43 64 — __ » + 0.17 - 5. 0 - 5.17 65 — — " - 0.20 - 5. 5 -4.45 66 _ 5 + 0.38 - 5. 6 - 5.44 1 67 — — « + 0.16 - 5. 7 - 5.23 68 _ ._ 6 + 1.52 - 4.51 - 6.43 69 — — .' + 0.38 - 5. 6 - 5.44 70 __ _ n + 1. 7 - 5. 8 - 6.15 ) - 5.36 71 — — 0 + 0.39 - 5. 7 - 5.46 72 — — 7 + 1.10 - 4.51 - 6. 1 73 — — .^ - 0.55 - 5. 6 - 4.11 74 - '^ - 0.50 - 5. 7 - 4.37 75 9 + 1.7 - 5. 8 - 6.15 76 — — .. + 0.16 - 5. 7 - 5.23 77 — — 10 - 2. 0 - 4.58 - 2.58 78 — — 11 - 0.55 - 5. 6 - 4.11 79 — — » - 1 .53 - 4.58 - 3.25 \ - 5.15 80 — — 12 + 0.16 - 5. 7 - 5.23 81 — — 13 + 3.16 - 4.51 - 8. 7 82 _ — » + 0.38 - 5. 6 - 5.44 83 — — » -f- 0.41 - 5. 7 - 5.48 I ( 46) • Latitudes de Latitudes des Différences. Moyenne NUMÉRO. DATE. points dans l'axe de la Lumière Zodiacale. points cor- respondants de l'orbite de la Lune. (Calcul — Observa- tion.) des écarts par groupes. 84 1869. Mars. 29 + 1M3' - 4034' -60 7') 80 — Avril. 1 + 1,13 - 4.34 - 6. 7 86 — — t + 1.10 - 4.44 - 5.54 87 88 — — 2 4 + 1.18 + 1.13 - 4.34 - 4.34 - 6.12 - 6. 7 ) - 6«15' 89 — — « + 1.10 - 4.44 - 5.34 90 — — 0 + 2.37 - 4.37 - 7.34 91 — — 6 + 1.13 - 4.54 -6. 7 93 9 + 1.13 - 4.34 - 6. 7 94 — _ 10 + 1.10 - 4.44 - 5.34 ' 93 — — II + 1.23 - 4.34 - 6.17 96 — — 12 + 1.10 - 4.44 - 5.54 \ - 5.53 97 — — >i + 0.42 - 4.35 - 5.17 98 — — 13 + 1.40 - 4.44 - 6.24 1 99 - - " + 0.42 - 4.35 - 5.17 ! 100 28 + 0 19 - 5.58 - 4.17 1 101 — — ■ 29 + 0.19 - 3.58 - 4.17 102 — — 50 + 1.11 - 3.38 - 5. 9 103 - Mai. . . 1 + 1.34 - 3.58 - 3.32 - 5.32 104 _ _ 3 + 1.34 - 3.58 - 3.32 i 105 _ _ 4 + 2.0O - 3.39 - 6.49 1 106 - — 6 + 3. 6 - 3.59 - 7. 5 l 107 27 + 3.58 - 1.42 - 5.40 1 108 _ _ >■■ + 1.37 - 0.26 - 2. 3 J 109 110 — — 28 30 + 3. 4 + 3. 4 - 1.41 - 1.41 - 4 45 - 4.45 \ - 3.13 111 — Juin. . 2 + 1.34 - 0.21 - 1 .33 \ 1 12 — - 4 + 0. 4 - 0.21 - 0.25 1 ' ( " ) Latitudes de Latitudes des Différences. Moyenne NUMÉRO. DATE. points dans l'axe de la Lumière points cor- respondants de l'orbite ( Calcul — Observa- des écarts par Zodiacale. de la Lune. tion.) groupes. [B]. Obser valions du mQtin. 115 1868. Décembre . 18 + 0ol7' + 5''21' + 5" 4'\ 114 115 — — n 22 + 5. 4 + 0.19 + 5. 7 + 5. 8 + 2. 5 / . 4.49 1 ^ '-''' 116 — — 24 - 1.44 + 4.54 + 0.58 ) 117 1869. Janvier. 7 - 6.45 + 4.Ô2 + 11.17 +11.17 118 119 - - 19 20 + 1.27 + 5. 4 + 4.19 + 4.18 + 2.52 + 1.14 ....3 120 — Février. 11 - 6.44 + 2.52 + 9.16 .121 122 — — 18 19 + 4.57 + 2.14 + 1.14 + 1.14 - 5.23 / > + 1. 5 -1. o( 125 — — 20 + 2.40 + 2. 7 - 0.55 12i — Avril. . . 12 + 2.43 - 1.59 - 4.22 - 4.22 125 - Mai. . . 17 + 2.15 - 4.Ô0 - 6.45 - 6.45 Si nous formons un résumé des groupes, comme nous lavons fait pour l'hypothèse cassinienne, nous trouvons : ( iS ) [A]. Observations du soir. c« MOYENNE Nombre MOYENNE MOYENNE Nombre MOYENNE de la d'observa- des delà d'observa- des -< date annuelle. tions. écarts. date ann lelle. tions. écarts. 1861 Févr. 5 3 + 5» 35' 1869 Févr. 1 6 - 5«29' « Avril. 10 1 + 1.27 >^ — 11 3 - 5. 2 ftlars. 3 6 10 9 - 5.31 - 5.36 1868 Décem. 15 6 - 1 58 - — 11 9 - 5.15 n - 25 2 - 1.10 « Avril. 3 8 - 6.15 1869 Janv. 1 12 - 2. 0 » — 11 7 - 5.55 c — 6 9 - 3.22 » — 30 7 - 5 52 « — 13 13 [13]. - 2.31 Observali o?is di Mai. /. iïiatin 30 6 - 5.15 18G8 Décem. 20 4 + 4» 58' 1869 Févr. 17 4 + 105' 1869 Janv. 7 1 +11.17 0 Avril. 12 1 - 4.22 » — 20 2 -1-2. 3 '* Mai. 17 1 - 6.43 On ne peut en aucune manière regarder ces écarts comme des erreurs accidentelles. Ce qui est bien digne de remarque, c'est que les observations de 18G1 , qui sont séparées de celles de 1869 par un intervalle de buit ans, presque égal à une demi-révolu- lion des nœuds de la Lune, donnent des écarts à peu près égaux, mais de signe contraire, à ceux de la dernière série, pour des époques correspondantes de l'année. C'est une preuve manifeste que la Lumière Zodiacale ne s'est pas déplacée, dans ce laps de buit années, avec l'orbite de notre satellite. On ne voit nulle part que cette Lumière affecte , par rapport à l'écliptique, une inclinaison qui approebe de celle de l'orbite lunaire. Des écarts moyens de 4 ou de 5°, se continuant pendant plusieurs mois, comme ceux que le dernier tableau signale, ne peuvent être d'ailleurs attribués aux observations. En effet, on voit celles-ci donner, dans une même nuit et dans des nuits voi- ( ^19 ) sines, des nombres qui souvent concordent à 4 ou à 2% pour les simples déterminations individuelles. L'hypothèse de Jones ne nous parait donc pas mieux ëtayée par les faits que l'ancienne hy})0thèse de Cassini. § 9. LA LUMIÈRE ZODIACALE A-T-ELLE UNE INCLINAISON SUR l'écliptique ? Dans la note insérée aux A stronomische Nachrichten, dont j'ai parlé plus haut, j'avais déjà fait remarquer que les anciennes observations étaient représentées d'une manière sinon précise, au moins plus satisfaisante, lorsqu'on s'abstenait de supposer une inclinaison. Les observations que je soumets dans ce mémoire montrent pleinement qu'en effet la Lumière Zodiacale ne peut être placée que dans le plan de l'écliptique. Ce que je soupçon- nais il y a trente ans, me paraît aujourd'hui un fait établi. Les erreurs des anciennes observations, erreurs portant d'ailleurs dans tous les sens , dépendaient sans doute de Timperfection de ces observations mêmes. L'idée que la Lumière Zodiacale est con- stamment dans l'écliptique laissera peu de doutes, croyons-nous, après que l'on aura examiné le tableau qui suit : [A], Observations du soir. ' — û ■M S DATE. i Inclinaison sur l'é- cliptique du grand cercle qui joint ces points au Soleil. o es ■a S u z DATE. III. Inclinaison sur l'é- cliptique du grand cercle quijoint ces points au Soleil. 1 1861. Fév., 1 -1°38' +1043' i 5 1868. Dec, 12 +10 3' +10 36' 2 — 4 +0.43 +0.46 6 — « +1 .33 +1.45 3 10 -0.28 -0.31 7 8 9 — 13 — n w +2.14 +2.16 +2.43 +3.29 +2.46 +2.55 MOY. . -0.28 -0.29 10 - 17 Moi. . +2.50 +3. 8 4 1861. Avril, 10 +0.49 +0.56 +2. 6 +2.36 Tome XXV. ( 50 1 z DATE. lîf. Inclinaison sur l'é- 1 cliptique du grand 1 cercle qui joint ces 1 points au Soleil. 1 d •S s z DATE. Latitudes de points dans l'axe de la Luniiùre Zo- diacale. Inclinaison sur l'c- clipti(|uc du grand cercle qui jointces points au Soleil. 1 11 12 1868. Dec, MOY. 25 » +10 36' +1.10 +2<'40' +1.36 34 35 36 37 1869. Janv., 10 _ 12 — n +2« 46' +1.55 +1. 7 +1.25 +0.22 +3M6' +3.59 +1.51 +2.14 +0.30 +1.23 +2. 8 o8 15 1868. Dec, 30 +4.54 +7.18 39 — >i -0.42 -0.53 U — « +6.41 +8.29 40 — 13 +0.48 +1.43 15 — 31 -0.22 -0.42 41 — » +0.20 +0.35 16 — » -0.14 -0.18 42 — f) +0.45 +1.12 17 — » -0.18 -0.21 43 — n -0. 8 -0.11 18 1869. Janv. 1 +0.14 +0.22 44 — « -0.39 -0.50 19 — » -0.26 -0.33 45 - 15 +3.54 +5.42 20 — « -0.18 -0.21 46 — » +1. 2 +1 . 20 91 _ 2 -0.21 -0.25 22 23 24 MOY 3 +1.10 +0.45 -0.18 +1.54 +1. 0 -0.22 MOY. , +1. 0 +1.37 47 48 1869. Janv., 31 +0.19 -0. 8 +0.28 -0.11 +0.57 +1.20 49 50 51 52 Févr., 1 — 2 — » MoY. . +0.38 +0.36 +1.27 + 0.14 +1 .10 +0.53 +2.43 +0.21 25 26 27 28 29 30 1869. Janv. 5 6 -0.14 +2.13 +2.28 +1.44 +2.37 +1.52 -0.19 +3. 5 +3. 4 +2.25 +3.20 +2.22 +0.32 +0.54 — 31 — 7 +1.55 +3.26 53 1869. Févr., 10 -0. 8 -0.14 32 — « +2.13 +5.12 54 — 11 -1.12 -1.37 33 MOY « +3.13 +4.12 55 — 13 MoY. . 1.12 -1.40 +2. 0 +2.45 -0.57 -1.10 ( ^1 d es ■a S DATE. Latitudes de i points dans l'axe 1 de la Lumière Zo- 1 diaeale. | Itfl 6 s: DATE. ji Ifit 56 1869. Mars, 2 + 1«32' +2«43' 80 1869. Mars 12 +0«16' +0''19' 37 _ -0.53 -1. 6 81 — 15 +5.16 +6.11 38 — » +0.49 +0.54 82 — >^ +0.58 +0.54 39 5 + 1.52 +2.47 85 — -^ +0.41 +0.49 60 61 +0.13 -0.33 +0.20 -1. 7 62 — V +0.19 +0.21 MoY +0.12 +0.50 65 64 - 4 +1.52 +0.17 +2.51 +0.25 63 — « -0.20 -0.26 84 1869. Mars 29 +1.15 +1.52 MOY. . 85 86 87 88 Avril , 1 2 4 +1.15 +1.10 +1.18 + 1.15 +1.56 +1.26 +1.45 + 1.41 +0.51 +0.46 66 1869. Mars, 3 +0.58 +0.48 89 _ 0 +1.10 +1 .29 67 — û +0.16 +0.18 90 _ 5 +2.57 +5.47 68 — 6 +1.52 +2.58 91 _ 6 +1.15 +1.44 69 70 — '• +0.58 +1. 7 +0.48 +1.20 71 — .) +0.59 +0.44 MoY. +1.25 +1.52 72 75 - 7 +1.10 -0.55 +1.54 -1.10 74 — )) -0.50 -0.54 95 1869. Avril, 9 +1.15 +1.50 94 ~ 10 +1.10 + 1.58 Mo Y. . +0.55 +0.47 95 — 11 +1.25 +2.11 96 97 98 99 — 12 » 15 +1.10 +0.42 +1.40 +0.42 +1.41 +0.57 +2.28 +0.58 73 76 77 78 1869. Mars, 9 — « — 10 — 11 +1. 7 +0.16 -2. 0 -0.55 +1.25 +0.18 -2. 8 -1.15 79 — » -1.55 -1.59 MOY. +1. 9 +1.40 ( 32 ) o •S 1 DATE. Latitudes de H points dans l'axe H de la Lumière /o- 1 diacale. Inclinaison sur l'e- clipliquedu grand ccrclequi joint ces points au Soleil. 1 6 ce -a S DATE. m. m Inclinaison sur l'é- cliptiquedu grand cercle qui jointces points au Soleil. 100 1869. Avril, 28 +0«19' +0" 28' 107 1869. Mai, 27 +3058' +5° 36' 101 — 29 +0.19 +0.28 108 +1.37 +1.52 102 — 50 +1.11 +1.47 109 — 28 +3. 4 +4.24 103 Mai, 1 +1.34 +2.26 110 - 30 +3. 4 +4.33 104 — 3 +1.34 +2.32 111 Juin, 2 +1.34 +1.56 105 — 4 +2.50 +4.43 112 - 4 +0. 4 +0. 5 loa — 6 MOY. . +3. 6 +5.24 Mo Y. . +1 . 33 +2.32 +2.13 +3. 4 [B]. 0 )servations du matin. i 113 1868. Dec, 18 +0.17 +0.39 120 1869. Fév., 11 +6.44 -11.23 114 — )) +3. 4 +4.33 121 — 18 +4.37 +9.52 115 — 22 +0.19 +0.29 122 — 19 +2.14 +4.38 116 ~ 24 MoY. . -1.44 -3.54 123 — 20 MOY. . +2.40 +4. 8 +0.29 +0.27 +0.42 +1.49 117 1869. Janv., 7 -6.45 -13.3 124 1869.Avri«,12 +2.43 1 +3.29 118 1869.Janv.,19 +1.27 +2.18 119 — 20 +3. 4 +4.49 125 1869. Mai, 17 MoY. . +2.15 +3.33 +2.13 +3.11 i On a donné partout à l'inclinaison le signe de la latitude, le signe -4- quand la Lumière Zodiacale paraissait au Nord de l'édiptique, et le signe — lorsqu'elle semblait au Sud. On forme à l'aide de ce tableau le résumé suivant : ( 55 ) [A]. Observations du soir ANNÉE. MOYEN NI- de la rvations. MOYENNE des MOYENNE des MOYENNE des DATE ANNUELLE. O l LATITUDES. INCLINAISONS. INCLINAISONS par mois. 1868 Décembre , 13 25 6 2 + 2" 6' H- 1 . 23 + 2» 36' + 2. 8 + 2«29' 1869 Janvier, 1 12 + 0.57 +1.20 j — — 6 9 + 2. 0 + 2.45 + 1.49 — — 13 13 + 1.0 + 1.37 — Février, 1 6 + 0.32 + 0.54 j 1861 — 5 3 - 0.28 ~ 0.29 + 0. 2 1869 — 11 3 - 0.57 - 1.10 — Mars, 3 10 + 0.31 + 0.46 + 0.47 — — 6 9 + 0.33 + 0.41 — — 11 9 + 0.12 + 0.30 , - Avril, o 8 + 1.23 + 1.52 1861 1869 — 10 1 7 + 0.49 + 1 . 9 + 0.56 + 1.40 + 1 .58 — — 30 7 + 1.33 + 2.32 — Mai , 30 6 + 2.13 + 3. 4 + 3. 4 m- 0 bservati ons du mati )i. 1868 Décembre 20 4 + 0.29 + 0.27 + 0.27 1869 Janvier, 7 1 - 0.45 -13. 3 — — 20 2 + 2.15 + 3.33 ; - 1.59 — Février, 17 4 + 0.42 + 1.49 + 1.49 — Avril , 12 1 + 2.43 + 3.29 + 3.29 — Mai , 17 1 + 2.13 + 3.11 + 3.11 Il n'y a pas lieu de s'étonner de la concordance entre les incli- naisons et les latitudes, puisque les premières ne sont guère qu'une forme différente d'exprimer les secondes. Mais un fait frappe d'abord, c'est la petitesse des unes et des autres, même ( 5M dans des parties différentes de iannée, et aussi bien le matin que le soir. Il n'y a dans les moyennes mensuelles aucun chiffre qui soit comparable soit à l'inclinaison de l'équateur solaire (7" 9'), soit à celle de l'orbite de la Lune (5° 9). On est étonné de voir combien les observations de 1861 rentrent bien, à leur date annuelle, dans la marche générale. La dernière colonne, où les moyennes sont prises en tenant compte du nombre des observa- tions, indique peut-être une légère variation périodique, à demi voilée par les erreurs accidentelles, mais d'après laquelle la Lumière Zodiacale aurait un peu plus de Sud en février que dans les autres mois de l'année. Nous allons revenir sur ce point dans un instant. Remarquons pour le moment que l'inclinaison est presque toujours du même signe le matin et le soir, ce qui entraî- nerait cette conclusion assez invraisemblable que les deux seg- ments du fuseau sont situés non dans le prolongement l'un de l'autre, mais selon les deux branches d'un V dont le Soleil occu- perait le sommet. Enfin les petites latitudes signalées par les observations sont presque toujours boréales, même à six mois de distance; indiquant ainsi une situation constante et nullement une oscillation. L'idée se présente alors très-naturellement que cette faible pré- pondérance vers le Nord n'est qu'un effet de l'imparfaite trans- parence de l'air. Les observations sont faites dans l'hémisphère boréal. Nous avons vu que les variations dans la pellucidilé de l'atmosphère rejettent, en apparence, la Lumière Zodiacale du côté le plus clair. Or le côté le plus clair c'est le côté supérieur, c'est-à-dire, pour l'observateur placé dans l'hémisphère boréal, le côté septentrional. Et cet effet doit être d'autant plus prononcé que la Lumière Zodiacale est plus couchée sur l'horizon du lieu. Il doit s'effacer au contraire quand elle se dresse par rapporta ce cercle. Eh bien, c'est en février que cette Lumière est le plus dressée. Et en février le déplacement de l'axe lumineux vers le Nord est aussi le moindre, et s'efface même presque entièrement, aussi bien en 1861 au Texas qu'en 18(39 à la Jamaïque. Cette remarque ne donne-t-elle point quelque probabilité à l'explication proposée? ( S5 ) Ce qui vient encore à l'appui de ces idées, c'est l'observation du 51 janvier au soir, dans laquelle on a spécialement noté que ce jour-là l'axe d'éclat coïncidait avec l'axe de figure. Cette circon- stance semblerait indiquer qu'à ce moment l'inégale transparence de l'air à différentes hauteurs n'avait pas d'influence sensible *. Eh bien ce soir-là aussi, l'axe est trouvé presque exactement dans l'écliplique. Mais il y a un moyen de soumettre à une nouvelle épreuve l'explication qui vient d'élre proposée. Groupons les inclinaisons d'après la distance des points observés au centre du Soleil. Nous obtenons ainsi, en nous bornant aux observations du soir, qui sont plus sûres : DISTANCE des NOMBRE MOYENNES POINTS OBSERVÉS des au centre du Soleil. d'observations. INCLINAISONS. 20" à oO" 2 + 2051' 30 à 40 20 + 2.20 40 à 50 43 + 1.46 50 à 60 51 + 1. 1 60 à 70 15 + 0.40 70 à 80 2 - 1.55 L'allure des chiffres est d'une régularité remarquable. La Lumière Zodiacale paraît avoir d'autant plus de Nord qu'on l'observe plus près du Soleil, et par suite d'autant plus de Sud qu'on se rapproche davantage de sa pointe. Celle-ci, dans ses plus grandes longueurs, est très-sensiblement dans l'écliptique. Maintenant on remarquera que la pointe est toujours plus haut sur l'horizon que la base, et que par conséquent si le déplacement vers le Nord n'est qu'un effet apparent des brumes voisines de ^ Voir plus haut, § (56) l'horizon, cet effet doit porter surtout sur les parties les moins élevées. Plus la hauteur apparente à laquelle on observe aug- mente, plus la Lumière Zodiacale se range exactement dans l'écliptique. II deviendrait alors inutile de supposer les deux seg- ments (du matin et du soir) dans une ligne brisée , fait qui man- que de simplicité . et qu'on pourrait seulement admettre après une démonstration rigoureuse, pour laquelle, comme nous venons de le voir, il n'y a point de base suffisante. De la coïncidence constante de la Lumière Zodiacale avec l'éclip- tique, on conclurait aussi que cette Lumière n'est pas afFectée d'une parallaxe. Il ne faut cependant se prononcer sur ce point qu'avec une extrême réserve. Notre série du matin ne permet pas, sous le rapport du nombre des observations ni sous celui de leur certitude, d'aborder l'examen d'une pareille question. Dans la série du soir, nos observations appartiennent aux mois de l'année durant lesquels l'écliptique était, dans sa partie considé- rée, fort incliné sur l'horizon. Ainsi, dans ces observations, la composante de la parallaxe en latitude ne pouvait être qu'une fraction presque toujours fort petite de la parallaxe de hauteur, laquelle était elle-même sensiblement moindre que la parallaxe horizontale. Il n'est donc pas établi, à nos yeux, que celle-ci n'existe poin-t. Il nous paraît même qu'une parallaxe horizontale plusieurs fois supérieure à celle de la Lune aurait pu passer ina- perçue, puisqu'elle se serait presque toujours réduite à quelques minutes sur la latitude. Il faudrait réunir des observations du soir dans les mois d'automne, quand la parallaxe a, sous les tro- piques, des effets plus sensibles, avant de se croire autorisé à décider cette importante question. § 10. — CONCLUSIONS SUR LA LUMIÈRE ZODIACALE. Nous pouvons conclure, croyons-nous , de ce qui précède : I. Que la Lumière Zodiacale n(; se montre pas sous des incli- naisons à l'écliptique qui approchent de celles de l'équateur solaire ni de l'orbite de la Lune. ( 57) II. Qu'elle ne passe en aucune manière par les oscillations apparentes qu'elle devrait présenter, si elle se trouvait située dans l'un ou l'autre de ces plans. IIL Qu'elle paraît au contraire demeurer constamment dans l'écliptique. IV. Que les seuls écarts entre les observations et cette dernière hypothèse, non seulement sont faibles et peu supérieurs aux erreurs dont ces observations délicates sont nécessairement enta- chées, mais qu'ils s'expliquent de la manière la plus satisfaisante par l'inégale transparence de l'air à différentes hauteurs appa- rentes. Ceci admis, on se demande en quoi consiste la Lumière Zodia- cale. Si elle est dans le plan de l'écliptique, elle dépend de la Terre, et l'on ne peut plus en reculer le siège à des distances considérables de notre globe. Si c'était un anneau , comme l'anneau pâle de Saturne, tournant autour de notre planète, il est extrêmement probable qu'il serait situé non dans le plan de notre orbite, mais dans celui de notre équateur. Au surplus, la consi- dération de la figure de la Lumière Zodiacale permet de résoudre les doutes à cet égard. Un anneau placé assez loin pour ne pas être atteint par l'ombre de la Terre paraîtrait continu , et les bandes du soir et du matin s'étendraient assez pour se rejoindre, ce qui n'est pas le cas de la nature. Si, au contraire, l'ombre de la Terre atteignait l'anneau, celui-ci ne finirait pas en pointe comme la Lumière Zodiacale, mais sa partie éclairée serait limitée par une courbe transversale analogue à la courbe crépusculaire. La Lumière Zodiacale affecterait alors quelque ressemblance avec un crépuscule tardif. La figure lenticulaire atteste, au contraire, que le corps a une terminaison réelle, en s'amincissant sur ses bords. On peut se le représenter, au moins provisoirement, comme un secteur, dis- posé sur l'orbite terrestre, du côté du Soleil , ayant son sommet à la Terre, et sa plus grande épaisseur à peu près dans le rayon vecteur de notre globe. Ce serait (sans préjuger les analogies) un appendice placé comme la barbe des comètes. Ce secteur paraît s'étendre dans un arc de 40° environ à partir du rayon vecteur, ( 58 ) du côté où la Terre se meut , et dans un arc de GO ou 70" du côté qu'elle quitte dans sa translation. Cette partie postérieure est aussi notablement plus brillante que l'autre. Ces remarques don- nent lieu de penser que le mouvement de transport de la Terre dans son orbite n'est pas sans exercer une influence sur la Lumière Zodiacale, influence dirigée dans le sens de ce mouve- ment. Quelques observations, notamment celles du 4 5 janvier 1869 au soir, permettent d'estimer la largeur du fuseau, par le travers du Soleil, à 25° environ. Le sommet de l'aigrette, reposant sur la Terre, ne prendrait donc pas d'un pôle à l'autre du globe. L'ef- fluve (si on l'appelle ainsi pour simplifier le langage et sans rien préjuger sur la valeur réelle de ce terme) partirait seulement d'une zone de notre globe comparable en largeur à la zone des tropiques, mais disposée des deux côtés du plan de l'orbite et non des deux côtés de l'équateur. § 11. ÉTOU.ES FILANTES. Les observations isolées de ces météores ont perdu une partie de leur intérêt depuis qu'on est parvenu à connaître leur éléva- tion et les principales circonstances de leur marche. Je me bor- nerai donc à rapporter ici l'observation d'un cas particulier qui a peut-être une certaine valeur pour les théories sur la formation de la traînée. C'est à cette observation que j'ai fait allusion dans un ouvrage publié précédemment *. « Le 15 juillet 1859, étant sur la route de San-Antonio à Seguin (Texas), l'aube du jour commençait à peine à être soup- çonnée à l'Orient. L'air était fort calme; le ciel portait de nom- breux cumulus légers, et un épais cumulostratus couvrait la Lune au Sud-Ouest. On ne voyait qu'imparfaitement les constel- lations. » A 4'' O'" mat. (temps moyen de San-Antonio), une étoile * Le Ciel mis à la portée de tout le mondes p. 147 (09) lilante de l'éclat de Vénus passa en droit chemin de Cassiopée vers le corps du Serpent, et entra ensuite sous le cumulostratus du Sud-Ouest, qui la cacha. Elle avait traversé plusieurs des cumidus légers sans être sensihlenient alfaihlie. Sa course était lente, et prit environ 10 secondes. Elle laissait une traînée de 8 à 10°. )) A environ |° derrière le corps de ce météore, et dans la ligne étroite que marquait la traînée, suivait un plus petit noyau, de l'écla t d'uneprimaire, mais d'un diamètre qui paraissait beaucoup plus petit que le noyau principal. La traînée en recevait un nouvel éclat, de manière à ne laisser aucun doute que ce second météore ne contribuât pour sa part à la formation de cette traînée, mais exactement dans le même sillon. » J'ai aperçu les deux noyaux en cet état, et je n'ai pas remar- qué que leur espacement variât sensiblement. Mais au bout de 6à7secondes, le plus petit noyau s'éteignit subitement, et la traînée n'eut plus qu'un générateur, comme dans les étoiles filantes ordinaires. i> C(.oJ CHAPITRE IL OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES. Les observations météorologiques que je vais résumer se com- posent, pour la plus grande partie, d'une série de cinq années faite à la Jamaïque, et que je continue assidûment. Le lieu d'ob- servation se nomme Ross' View, dans la vallée de Mammee River, au bord même de la rivière. La direction générale de cette vallée est du Nord-Ouest au Sud-Est. On peut prendre pour les coor- données de la station : Latitude septentrionale 18" 5', Longitude à l'Ouest de Greenwich . . 76.44 ^ o'i6'",9 , Altitude 290 mètres. Cette position géographique est déduite de celle du Fort Charles, à l'entrée de la baie de Kingston, déterminée par les officiers de la marine britannique. La distance de ce Fort à ma station n'est en ligne droite que de IG kilomètres, dans la direc- tion du Nord-Est. Le Soleil passe au zénit du lieu deux fois dans l'année, le H mai et le l^*^ août, restant au Nord pendant quatre-vingt-deux jours, ou les deux neuvièmes de l'année. Du l'^'" janvier au 15 juin 18C9, les observations avaient été commencées dans une station provisoire, à 4 kilomètres h rOuest-Sud-Ouest delà station définitive, et 140 mètres plus bas. ( Gl ) On a rendu les nombres comparables en faisant aux observations thermomëtriques de ces cinq mois et demi la correction con- stante — \%9. Ce chiffre est le résultat d'un grand nombre de comparaisons entre les deux stations. II en résulterait pour la diminution de la température avec la hauteur, i*' centigrade pour 74 mètres d'élé- vation. Celte loi de décroissance paraîtra rapide. Mais il faut faire attention que dans l'intervalle entre les deux stations, non seule- ment on s'élève, mais on se rapproche presque en droite ligne du massif des Blue Mountains, qui dépasse 2 200 mètres d'alti- tude, et qui est pour l'île comme un pôle de froid. En appliquant la même proportion à la température moyenne générale 22°,0 établie plus loin pour notre station définitive, il en résulterait pour la moyenne au niveau de la mer, par 48° de latitude Nord, sur la côte de Kingston 25%9. Nos observations sont faites régulièrement et sans interruption trois fois par jour : à six heures du matin, à midi , et à six heures du soir, temps moyen du lieu. Elles ne comprenaient pas d'abord la quantité d'eau tombée. C'est seulement au 1" janvier 1872 qu'on a établi l'udomètre, et qu'on a commencé à noter les crues et les troubles de la rivière. Le coefficient de sérénité a été inscrit depuis le l*""^ janvier 1870; la forme des nuages fait partie des données recueillies depuis l'origine. Nous n'avons pas cru cepen- dant que cette dernière particularité présentât un intérêt suffi- sant pour la comprendre dans les résumés qui vont suivre. 6-2 ) 0 TEMPERATURE A LA JAMAÏQUE. "S ^ r X rM l^ l^ o OC O _ ,^ -^ O o l^ o »o to •^ ;o CO CD CO JO lO lO -* S «71 G^l G^l G-l G^< S^« G'I G-l Gl G-l G-l G-l G-1 ,, lO 00 (Tl o lO r^ ■<* 1^ r-i ;r5 00 îO ««!' » G^l fT-l »n ■«i' lO CD 1- JO >s*l lO lO G-l •<* S (?1 (?T G-l (SX (M G^l G-» (SX G-l G-l G-l G^ G-l Si 1^ CO <-) 00 »o OO >o r- QO O lO ^ 00 ■0 oS G'i lO -^ iO CD CD ÎO ÎO ■^ "* to ** G^l (?! 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O g •^ ;o CO r- o O 00 00 1^ CD ■^ t^ (SX G'I S-l G^l CO CO G-l ■^ O "-"? 1^ 1- 00 O o o o o O O O OO et. s ^ ©■> Q^l G^l G-l G-l G-l -^ „ Ci lO o ,^ 00 rM 00 (SX ,^ ^^ l^-i G-1 ^, 2 00 t^ 1^ 1^ 00 Ci o o O O 00 l^ Cl a "" ■^ fS\ G^I Gl G^l ■-^ ^— G-l G^l ■^ _ (?1 lO 05 ■-<* CD O -^ 1- CD lO CO to ~* s l>. 1^ t^ C5 O .«-l o o O O Ci 00 a "" ^r< ■^ G^l (M (SX G-1 G-l G-l — o ^ 00 "^ O vr -^ CO 00 lO .^ OO ,^ -^ ■^ 1^ r^ 00 00 o O o o .^« 1^^ Ci Ci c; ■^ •r— (SX 171 G^l G-I G-l G^l o 00 ^^ 1^ -* lO :o 50 O OO I^ CD to r'^ ce 1^ 00 1^ o o » ^« o O O Ci t^ Ci •^ rs\ G^» G^l G-l G-l G-l ""■ P • 6 OJ c/ 0 . . -2 • O 05 rri r^ ro ■^ o t- lO «* t- o o ■^ ir3 ;ra >r5 ;o '^ co îO 20 ^ -* îO co iO , s O o o o o o o o o o o o" o t^ oc Ci *^ ■^ ÎO o Ci -^0 IO io (71 iO o ;o co -^ co CD lO îO ^ iO co iO 9 "8 ~ o o o o o o O O O o o o o ro «?r •îp ;o •^ to ;o 00 o ro o iO Ci iO ÎO co !0 ÎO in co xî co t- co co îO 9 ^ o o o o o o o o o o o o o ^ o o co in Ci o "^ lO S. r>. 00 o 00 r^ 00 s -^ ~* to to to to ro S'i G-1 •^ >* "^ IO ? o o o o o © o o o o o o o . -* ■^ IO 00 o t- ■«* oc IO o 2 lO ro to to fM i t^ fl s o o o o o o o o o o o o o t^ o ■^ en m rr "^ co iO ** o o Ci ^ w s oc on l^ rr> rr> o 00 (Xi 1^ o 1^ 00 iS a 9 "8 " o o O o o o o o o o o o o s» (?1 1^ co lO lO ro G^l (71 îO (Tl IO o -* oo Ci 00 00 00 00 00 00 Ci 00 00 00 « *" o o o o o o o o o o o o o 1 oc Ci rf^y G^l 1^ 00 co (M IO 00 o 00 l>. 00 00 Ci 00 co 1^ 00 00 l> iO co 1^ r-- O ■^ o o O o o o o o o o o o o oc o (^1 ,„ .^ o Ci (71 t^ ro iO r^ H< 1^ 00 rx) o I- Ci 00 (71 iO co ~ o o © o o "" o o o o o o o y5 • • • • • • • o ' • ■ OJ 9 ■a u S • • • • * * 1^ II 'W « .2 «5 *S s 2 ^ ^' iî rs '=> a. i < s S < s 3 s 5 O) h^ s. » » 5 + 6 Faible; bruit perceptible. 5 Oct. 27 9.10 s. » » 14 _ 9 Faible. 4 Nov. 5 8.31 s. » » 23 -10 Faible; bruit faible. 5 Dec. 3 9.34 m. » » 22 + 6 Bien sensible; bruit. 6 » 9 4.58 s. 12 à 15 » 28 + 7 Faible. La durée indiquée est celle du bruit. 7 1872, Janv.20 9.40 s. » )) 11 + 1 Faible; bruit faible. 8 Août, 1 7.37 s. » )) 27 - 3 Faible ; bruit très-court. 9 1873, Mars, 3 8.31 m. 12 Nà S 5 - 7 Faible, mais bruit assez durable. 10 Juin, 29 11.46 s. 6 NE à SO 6 + 8 Très-sensible, mais peu de bruit. Au milieu de la trépidation on ressent un soulèvement bien marqué, qui ressemble à certains égards à l'ex- haussement d'un vais- seau sur le dos d'une vague, et qui fait cra- quer faiblement la char- pente de la maison. Je représente ainsi le mou- vement de trépidation : Le même jour, tremble- ment de terre de Belluno et des provinces Véni- tiennes. 11 Août, 20 4.4 s. 4 NO à SE 28 + 6 Faible; peu de bruit. 12 Sept. 26 1.39 m. 8 NEàSO 1 5 +10 Faible; bruit cependant. §18. — PLUIE PAR CIEL SEREIN. Les annales de la météorologie contiennent un certain nombre d'exemples de pluies , généralement composées d'assez grosses gouttes, qui tombent par un ciel entièrement serein. Par les temps les plus chauds de l'été, dit Descartes, de larges gouttes { 77 ) de pluie tombent parfois avant que les nuages paraissent au ciel *. Tel est l'aspect le plus commun de ce phénomène; dans la plupart des cas, en effet, les nuages ne tardent pas à se former, et la pluie prend tous les caractères d'une pluie ordinaire. La plus longue pluie par un ciel bleu dont j'ai trouvé la mention , dans des recherches que je ne présente pas cependant comme complètes 2, est une pluie assez forte arrivée à Philadelphie le 23 avril 1800, entre 9 et 10 heures du matin, laquelle dura au moins vingt minutes ^. J'ai eu l'occasion d'observer, à la Jamaïque, une pluie par ciel serein , qui a duré treize heures consécutives , depuis le 7 mars 4875 à 4 heures du soir, jusqu'au lendemain à 5 heures du matin. J'étais alors dans un lieu nommé Abbey Green , par en- viron 1150 mètres d'altitude, au pied Sud-Ouest du Blue Moun- tain Peak. J'ai passé cette nuit dans la plantation de M. Henry Coppard, juge de paix, qui comme moi, et comme mes compa- gnons de voyage et les habitants du hameau, a été témoin du phénomène que je vais relater. La pluie était d'abord une pluie très-fine , qui se formait selon toute apparence autour de nous; c'est-à-dire que nous étions si près de la surface supérieure du nuage que le bleu du ciel n'était pas sensiblement altéré. Le Soleil brillait de tout son éclat à tra- vers cette pluie, et l'arc-en-ciel se voyait au-dessous de nous, à travers les vallées, n'ayant que la moitié inférieure, comme si l'eau vésiculaire eût fait défaut aux régions supérieures sereines. Un nuage, ou si l'on préfère un brouillard, enveloppait tous nos environs, au-dessous de nous. Mais il était seulement local, car par delà ce nuage qui couvrait l'Ile à nos pieds, l'on apercevait la côte méridionale (à 18 kilomètres) brillamment éclairée, et une grande étendue de mer où se reflétait un ciel pur. Cette vue * Descartes , Meleora; cap. V[ , sect. 16. 2 Ce n'est pas , on le comprend , dans un pays à peu près sans bibliothè- ques , surtout sans bibliothèques scientifiques , comme la Jamaïque , qu'on peut exécuter de pareilles recherches. 5 Rapportée dans le New-York Spectalor du 3 mai 1800, cité dans Silli- marCs American Journal of Sciences; 1«^ séries , vol. XXXVI, p. 178. ( 78 ) de la mer dans le lointain, par-dessus les nuages sur lesquels nous étions pour ainsi dire posés, et au milieu de cette pluie qui nous mouillait, formait une scène d'un caractère étrange, et d'une intéressante nouveauté. Bien que la pluie ne cessât point , le Soleil se coucha avec son éclat ordinaire; je pus suivre parfaitement son disque lorsqu'il s'enfonça derrière les montagnes où il disparut. Le vent s'éleva ensuite, et souffla bientôt par rafales, dans lesquelles la pluie nous fouettait au visage. Les gouttes étaient maintenant un peu moins fines, et la quantité d'eau paraissait plus abondante dans l'unité de temps. A sept heures du soir je disposai un vase pour la mesurer; j'y trouvai le lendemain matin 22 millimètres d'eau (qui ne font peut-être pas beaucoup plus des trois quarts de la quantité tombée), recueillis entièrement par ciel serein. En effet, quand la nuit fut venue, nous pûmes distinguer les étoiles non-seulement jusqu'à la 5^ grandeur, mais dans la plu- part des cas jusqu'à la G^ Le spectacle de la Croix du Sud, domi- nant l'horizon de la mer, pendant que la pluie battait sur les vitres comme dans nos climats du Nord, avait quelque chose d'ex- traordinaire. Les étoiles ne faiblirent pas un seul instant de la nuit, et la pluie ne s'arrêta point. Ce fut seulement vers cinq heures du matin qu'elle cessa presque subitement; et le ciel quelques heures plus tard se chargea de nuages, peut-être les mêmes nuages qui s'élevaient. A ma connaissance cet exemple est unique jusqu'ici, soit pour la durée extraordinaire du phénomène, soit pour le caractère que lui assigne la finesse de la pluie. C'est ce qui m'a engagé à relater minutieusement les circonstances dans lesquelles cette observa- tion a eu lieu. § 19. — PLUIE PÉRIODIQUE. On a souvent mentionné la régularité avec laquelle la saison pluvieuse se déclare, dans certaines parties de la zone des tropi- ques. AI. de Humboldt a consacré un article à « l'influence de la ( 79) déclinaison du Soleil sur le commencement des pluies équato- riales '. » Mais je ne crois pas qu'on ait encore signalé l'existence de pluies isolées périodiques. Il y a pourtant, dans le bassin de la mer Caraïbe et du golfe du Mexique, un exemple au moins d'une pluie abondante, qui revient sinon précisément à jour fixe, au moins avec une périodicité qu'on pourrait comparer à celle de certains essaims d'étoiles filantes. Cette pluie persiste pendant plusieurs heures, ou même une grande partie de la journée, et tranche assez sur le caractère du mois ou de la saison entière où elle se produit, pour se faire remarquer des observateurs attentifs. La périodicité de cette chute de pluie m'avait frappé d'abord pendant mon séjour dans le Texas occidental. Le climat de cette région est d'une grande sécheresse , et une pluie torrentielle, qui dure une partie de la journée, y attire vivement l'attention. Or je fus surpris de trouver qu'une de ces pluies, souvent l'averse la plus copieuse de toute l'année, se répétait à une époque fixe de l'été. Je ne recueillais pas alors l'eau tombée, les déplacements auxquels j'étais sujet ne m'ayant pas permis d'instituer des obser- vations météorologiques continues. Mais mon journal suffit pour constater le fait. J'en reproduis ici les extraits qui se rattachent à ce phénomène. Pendant plusieurs mois, avant et après les dates citées, il n'est fait mention que de pluies légères ou d'ondées peu durables, qui n'approchaient pas de la pluie dont je vais parler. « i septembre 18o8. — Pluie abondante. » « 4 septembre 1839. — Pluie torrentielle pendant une partie de la journée, continuant pendant la nuit du 4 au 5. Cette pluie rappelle celle qui eut lieu vers la même époque l'année passée, mais elle est plus copieuse encore. S'agirait-il d'un phénomène périodique marquant le déclin de l'été? » « 26 août 4860. — Une pluie très-forte prend dans l'après- midi, et dure pendant la nuit du 26 au 27. » ^ Annales de Chimie et de Physique, publiées par Gay-Lussac et Arago; 1818, t. VIII, p. 179. ( 80 ) « 2G août i861. — Orage à cinq heures du matin; pluie copieuse une partie de la journée. » En 1862 j'étais au Mexique, et je trouve dans mon journal cette mention , datée de Matamoros : « 24 août 1862. — Pluie abondante, à peine interrompue par intervalles, pendant toute la journée. Cette pluie se prolonge pen- dant la journée du 23. » Dans tout cet intervalle il n'existe d'autres mentions de pluies torrentielles et prolongées , comparables à celles que je viens de citer, qu'aux dates ; « 25 avril 1860 et nuit suivante, pluie froide très-forte, par un norther. » « 23 avril 4861. — Grande pluie qui continue pendant la nuit, avec norther. » Or il est assez piquant de remarquer que ces deuK dates sont encore presque identiques entre elles. Mes observations du Texas pourront d'ailleurs être contrôlées et complétées, par les météorologistes du « Service des Signaux » aux États-Unis, à l'aide du registre d'observations qu'on tient à l'Hôpital militaire de San Antonio, mais qui malheureusement n'est pas publié. Ajoutons pour le moment que dans les observa- tions du professeur C. G. Forshey, faites dans la vallée du Colorado près de Lagrange, on lit ce qui suit ^ : « 7 septembre 1857. — Première pluie abondante de l'année : deux pouces (51 millimètres). » En 1865, 66 et 67 j'habitais New Orléans, où je notai que les derniers jours d'août sont marqués par une très-grosse pluie qui dure plusieurs heures. Toutefois comme il y a, dans la Louisiane, d'autres pluies fortes dans la même saison, cette coïncidence n'est pas suffisante pour démontrer l'extension du phénomène dont nous venons d'entrevoir la périodicité. Mais lorsque j'examinai dernièrement le relevé de mes observations de l'udomètre à la Jamaïque, le retour de cette même pluie périodique, marqué par la quantité d'eau tombée, me frappa vivement. ' Texas Almanac; 1861, p. 196. ( 8i ) Ainsi je trouve pour Tenu recueillie à six heures du soir et tombée depuis six heures du matin : Le 25 août 1872 Le 24 août 1873 Le 26 août 1874 22.1 millimètres. 41.2 - 26.3 — Pour juger à quel point le phénomène est tranché, je donne ci-dessous la moyenne de l'eau recueillie en douze heures, pendant le mois d'août, dans mon udomètre. MO-ÏENNB MOYENNE EAU TOMBÉE (le l'eau recueillie la quantité d'eau dans REMARQUES AWXÉE. en 12 heures tombée les 12 heures citées. pendant le mois d'août. en 12 heures pendant lesquelles il a plu. sur la date citée. Alillim. Millim. Millim. 1872 2,2 6,2 22,1 1873 4,4 15,1 41,2 La rivière a ce jour-là la plus lorte crue du mois, et presque la plus forte de toute l'année. 1874 5,2 lô,ô 26,5 Première crue très-forle de l'année. Avant 1872 je ne recueillais pas l'eau de la pluie. Mais mon registre météorologique porte, j)our les années antérieures, les mentions suivante:^, auxquelles on trouvera certainement quelque intérêt : « 23 août 1871. — Pluie très-forte dans la journée. « « 25 août 1870. — Pluie très-forte, accompagnée d'orage. » « 22 août 1809. — Pluie toute la journée. » [Les journées entièrement pluvieuses sont extrêmement rares à la Jamaïque]. Enfin jajouterai que les annales de l'île transmettent le sou- venir de trois ouragans terribles, qui ont causé de grands mal- ToMi: XXV. 6 ( 82 ) heurs. Or tous les trois (oiiibent vers celle niénic époque du mois (l'noût, savoir : DATE ÉCART DE LA DATE par rapport à la moyenne. 20 août 1722 17 août 1775 28 août 1785 - 2J - 5 -t C Date moy. 22 août. L'église protestante de la Jamaïque célèbre tous les ans, par des prières publiques, l'anniversaire des deux derniers de ces désas- tres. En se bornant à nos seules observations, on trouverait pour la date du phénomène : [A]. Dam le Texas occidental et dans le Nord du Mexique. [B]. A la Jam aiqiie. ÉCART DE LA DATE ÉCART DE LA DATE ANNEE. par rapport ANNÉE. par rapport y la moyenne. à la moyenne. 1 sept. 1858. + ô.i 22 août 1869. - 2i 4 sept. 1859. + 6 25 août 1870. H 1 26 août 1860. - 3 25 août 1871. + 1 26 août 1861. - ô 25 août 1872. - 1 24 août 1862. - 5 24 août 1873. 0 26 août 1874. + 2 nées^robserv. iMoY. 29 août, par 5 an ié(\s d'obsorv. Moy. 24 août, par 6 ar { 85 ) Le sens de la dilTcreuee dans les dates moyennes, entre les séries [A] et [B] .s'accorderait avec l'idée que cette grande pluie se produit à la suite d'un« vent d'aspiration. » On conclura, je pense, de ce qui précède, qu'il y a dans le phé- nomène cité une périodicité réelle. Il y a un moment, après la plus chaude partie de l'été, auquel un refroidissement subit et Irès-général se produit, dans l'atmosphère qui repose sur le bassin de la mer Caraïbe et du Golfe du Mexique; et ce refroidissement détermine la chute dune pluie torrentielle, une sorte de petit déluge, presque à jour fixe. II sera intéressant de rechercher si ce fait météorologique se manifeste au delà de la région indiquée, et dans l'affirmative de déterminer jusqu'où il s'étend. Ce qui permet au phénomène d'une pluie périodique d'être si bien caractérisé, si visible, dans le Texas occidental, c'est la rareté des chutes d'eau atmosphériques dans cette contrée. Dès la seconde fois que j'avais été témoin du phénomène, l'idée de sa périodicité m'avait frappé, comme une possibilité. Il n'y avait, en effet, rien de comparable pendant toute l'année. La pluie notée le 7 septembre 1857 par M. Forshey était, dit cet observateur, « la première pluie de quelque abondance [the first good rain) de toute l'année. » Dans ce climat l'averse périodique a donc des caractères tellement tranchés qu'il est impossible de la confondre avec d'autres pluies. Ainsi prévenu, nous avons pu ensuite démêler ce phéno- mène à la Jamaïque, où, sans la circonstance du Texas, il aurait peut-être passé longtemps inaperçu. Sans dégager cette grande pluie d'une manière aussi nette, nous avons pu cependant la reconnaître, par l'importance qu'elle prend parmi les autres pluies. Cette circonstance est de nature à nous encourager dans cette voie de recherche. Serait-ce maintenant sans espoir de succès qu'on examinerait, par exemple, s'il n'existe rien de semblable dans les zones tempérées? Dans ces zones, les pluies sont, il est vrai, beaucoup plus fréquentes, et par conséquent moins distinctes les unes des autres; mais la quantité d'eau tombée en vingt- quatre heures révélerait peut-être certains cas anologues de périodicité annuelle. ( 84 § 20. — PHÉNOMÈNES PÉRIODIQUES NATURELS, AU TEXAS. Quelques observations des phénomènes périodiques naturels, au Texas, sur le Colorado moyen [en latitude 50° Nord] ont été publiées par le professeur C. G. Forshey. Celles qui suivent, faites entre le Nueces et le Colorado , sont simplement destinées à donner une idée générale des phénomènes les plus frappants, ou les plus intéressants pour les colons. Les journées de temps chaud n'y sont pas marquées par égard seulement au thermomètre, mais surtout par l'impression produite sur l'économie animale. i8S9. i860. 1861. Février, -17. — Première journée de temps chaud. Mars, 1. — Pleine feuil- laison des buissons-. Avril. 44 à 17. — Grande migration des oiseaux. — 27. — Apparition des mouches phosphores- centes (Elater). Janvier. 23. — Le cra- paud siffle. Février, 1o. — Première journée de temps chaud [continu ou presque con- tinul. Mars, 20.- Pleine feuil- laison des buissons de mezqu\Ue.{Prosopisfjlan- dulosa). Avril, 13. — Apparition des mouches phosi)hores- centes. Juin, 3. — Première pas- tèque [cilruUa vulgaris = Cuciirbita citrullus) au marché de San Anto- nio. — 5. - mezquitte. Floraison du Janvier, 7. — Journée chaude. — nuit du 24 au 25. — Neige [mentionnée § 21]. Février, 20. — Première journée de temps chaud. — 21. — Quelques espèces de fourmis re- prennent le travail. — 23. — Les oies [Anser canadensis) re- passent du Sud vers le Nord 1. Mars. 23. — Fcudlaison générale du mezquitte. Avril, 6. — Les mouches phosphorescentes se mon- trent. > En 18G2 elles ont repassé dès le 18 janvier, volant du Sud-Est au Nord-Ouest. 2 II s'agit des buissons de Prosopis glandulosa , ({ui par leur profusion donnent l'aspect à la contrée. 85 18i59. 1860. 1861. Novembre, 15 à 20. — Dé- feuillaison générale. Décembre. 1. - Dernière journée de temps chaud [continu]. — 2. — Fourmis cessent le travail. Novembre. i2l. — Dé- feuillaison du mezquitte terminée. Décembre 19. — Der- nière journée de temps chaud. Décembre. 1 à 4. — Dé- feuillaison générale du mezquitte. — 9. —Journée chaude [sporadique]. — '18. — Journée chaude. — 29. — Neige [mentionnée plus loin]." Ces indications, bien que très-générales, sulTisent cependant pour donner une idée du climat de cette importante région. Ainsi l'on voit des l'abord qu'il ne s'agit pas encore d'un été perpé- tuel, mais de deux saisons — un été très-long qui dure de la mi-février à la première moitié de décembre, et un hiver de deux mois, pendant lequel de grandes variations se produisent. Durant cet hiver, il y a des journées assez chaudes pour que l'artisan travaille en plein air sans habit, et il y a des coups de Nord qui forment de la glace, mais qui s'effacent du reste en quelques jours. On entrevoit pour ainsi dire l'hiver du Nord, dont on ne ressent que quelques attaques violentes, toutes passa- gères. La verdure cependant n'est pas perpétuelle. Les espèces au feuillage persistant, conime le chêne vert {Qiiercus virens), ne sont pas très-nombreuses ni très-répandues, au moins au Nord du Nueces. L'algarobe mezquitte est au contraire aussi commun que la bruyère dans nos landes. 11 forme la végétation buisson- neuse qui entrecoupe en tous sens les immenses prairies vierges. Or il }>erd ses feuilles au 4 5 novembre ou quelques jours plus tard, et ne les reprend que dans la première quinzaine de mars. Les oiseaux émigrants sont loin de s'arrêter tous dans le pays; on en voit un grand nombre, au contraire , continuer leur route, en automne, vers le Sud, pour repasser au printemps, à peu ( 86 ) près comme ils le font dans les zones tempérées. Et c'est aussi très-sensiblement à la môme date de l'année, fait qu'explique la rapidité avec laquelle se font les voyages des oiseaux. Les reptiles sont silencieux en hiver ' ; les élatères n'ont qu'une saison, qui commence à la mi-avril. Et les fourmis suspendent leurs travaux comme dans les latitudes septentrionales, mais c'est seulement du commencement de décembre jusqu'à la mi- février. Ces faits suffisent pour peindre clairement à l'esprit la cessa- tion du travail naturel. On n'est pas encore dans la zone où l'ac- tivité se continue sans interruption, et l'on ne doit pas compter par conséquent de cultiver indistinctement toutes les plantes tropicales. Les seules, en effet, qui réussissent sont les espèces annuelles, ou celles qui donnent leur produit à courte échéance; et celles-là même ne peuvent se comparer à ce qu'on les voit sous les tropiques. Le jus de la canne, par exemple, ne contient qu'une proportion réduite de sucre, et le fruit du bananier manque de saveur. 5^ 21. — iNORTHERS, GIVUE, NEIGE, AU TEXAS. Le trait le plus spécial du climat dans la région du golfe du Mexique, depuis la Floride et la Géorgie jusqu'aux Etats mexi- cains de ïamanlipas et de Nuevo Léon, et même au delà, ce sont les Norlhers, en espagnol IVorteros. Ainsi que leur nom l'indique, ce sont des vents du Nord , d'ailleurs passagers , qui amènent un refroidissement subit et considérable de l'air, comme si l'on était transporté pour deux ou trois jours dans la zone sub-arctique. Cette variation soudaine produit un effet d'autant i)lus sensible que les habitants, sachant combien elle sera passagère, ne sont pas préparés à y résister. Ainsi, dans les campagnes du Nord du Mexique, il est rare que les fenêtres des maisons soient garnies de vitres, et il n'y a point de cheminée dans les chambres ; en ^ Sauf toutefois quelques grenouilles. ( 87 ) sorte que quand le JVorfero se déclare, il faut tenir les volets fermés, et s'envelopper dans la couverture de laine que le Mexi- cain porte alors sur lui comme un manteau. L'existence et l'importance des Norlhers n'avaient pas échappé à Humboldt, bien que cet illustre voyageur ne soit pas venu dans le Nord du Mexique, il décrit sous le nom également espagnol de Nortes ces irruptions subites du courant polaire ^ La soudaineté avec laquelle ces attaques se produisent est faite pour étonner. Par une douce température, parfois supérieure à 20 ou même 25", on aperçoit tout d'un coup les arbres s'agiter à distance, dans la direction du Nord-Ouest. On suit au mouvement du feuillage le progrès rapide de la rafale. En quelques instants, les premières bouffées vous atteignent, produisant un sentiment de fraîcheur. Mais bientôt la poussière se lève en abondance, les bouffées sont extrêmement puissantes et serrées , et la tempé- rature baisse avec une rapidité extraordinaire. Ainsi le f^"" dé- cembre 1859, à quatre heures de l'après-midi , le thermomètre marquait 25°,5, lorsqu'un Norther se déclara avec une extrême violence; la température tomba rapidement; dès le milieu de la nuit on avait atteint le point de congélation, et au lever du Soleil le thermomètre marquait — 5°, 5, descendant de vingt- neuf degrés en quatorze heures. Un second Norther ayant suivi celui-ci à peu de jours de distance, le froid fut cette fois de — 9° (le 7 décembre 1859), le point le plus bas qu'on ait jamais observé dans la zone d'Austin et de San Antonio (par 200 à 250 mètres d'altitude). Les Northers sont parfois accompagnés de pluies froides. Ils se terminent en passant au Nord-Est, pour faire place, par cette transition régulière, au retour du courant tropical. J'ai noté pendant plusieurs années ceux des Norlhers qui fai- saient impression sur les hommes et sur la végétation, c'est-à-dire principalement ceux des mois d'hiver. On en trouvera ci - après le tableau : ' Al. de Humbolot, Essai sur la Nouvelle Espagne, t. I , p. 310. ( 88 ) MOIS. Il NOMBRE DE NORTIIERS. 1 1859 1860 18GI 1862 Janvier 3 0 1 2 ô 2 1 2 2 4 2 1 0 Février Mars Avril Septembre. 0 0 2 5 2 1 2 0 2 0 3 1 1 Octobre Novembre Décembre . * Léger. Total 15 11 12 12 Les observations qui précèdent ont été inscrites à différents points, dans l'espace entre le Brazos et le Rio-Grande. La formation du givre pendant la nuit, et les chutes (très-rares d'ailleurs) de neige, se rattachent si intimement awK Northei'S que j'en joindrai ici le relevé. Dans le Texas occidental, entre le Nucces et le Colorado, j'ai ohservé du givre, et parfois do la glace plus ou moins solide : Dans l'iiiver de 1858-59. — — 1859-GO. — - 1860-01. 10 fois, du 10 novembre au 25 janvier; 11 fois, du 12 novembre au 27 mars; 11 fois, du 1 novembre au 5 février La neige est notée : ■ Hiver de 1858-59 nulle; — — 1859-60 nulle; — —1860-61. .... Ie29décembre[2cenlimèlres par vent ONO, fondant le lendemain malin]; nuit du 24 au 25 janvier [6 cenlimètres par vent ONO, fondant dans le jour]. Ainsi, dans cette région , la neige est extrêmement rare, tombe par vent ONO, qui est le début des Norlhers, et ne résiste pas un grand nombre d'heures aux rayons du Soleil. 89 ) § 22. — OUAGE REMARQUABLE, AU TEXAS. Je terminerai ces extraits par la description dlin orage remar- quable, dont j'ai été témoin au Texas. C'est la seule circonstance dans laquelle j'aie vu la décharge électrique se ramifier et se fractionner pour ainsi dire, de manière à toucher chacun des nuages d'un ciel moutonné. Il y avait dans cette communication en détail des temps perdus, fort courts il est vrai, qui permet- taient de mieux suivre la propagation des changements électriques que chaque décharge déterminait. L'observation a été faite près de San Antonio. « Le mercredi 6 juin 18G0, vers G heures du soir, le vent était Sud, le ciel serein, quand un orage se forma rapidement au Nord- Ouest. Bientôt le vent frais du Nord se déclara, et amena un brouillard épais rasant la terre. Ce brouillard, qui obscurcissait tout à la ronde, passait par bouffées, entre lesquelles on pouvait voir les nuages du zénit se mouvoir en sens contraire (du Sud au Nord). Le brouillard n'amenait pas de pluie. Lorsqu'il fut tout passé, on vit à l'Ouest-Nord-Ouest du zénit un gros nuage noir, et le reste du ciel était pommelé, avec un voile général. De ce nuage sortaient, de moment en moment, vingt ou trente lances de foudre à la fois, montant vers le zénit, dans un secteur d'ex- pansion d'environ 120° autour du nuage. Elles passaient les pom- melures, en se répétant au delà, comme des ricochets, et mon- traient des formes crochues, entortillées, ramifiées, bizarres. Elles étaient étroites, courtes, fort passagères; on eût dit chaque fois un bouquet de fusées instantanées. Jamais je n'ai vu tant d'étincelles électriques à la fois. Leur course paraissait horizon- tale ou à peu près. Le temps était très-menaçant. Cependant, l'orage ne gronda pas longtemps, et il tomba peu de pluie. A 9 heures du soir, les derniers éclairs se montraient sur six ou huit points de l'horizon. » Tome XXV. 7 ESSAI CRITIQUE SUR LA PHILOSOPHIE DE S. ANSELME DE CANTORBÉRY; PAR M. l'abLéA. VANWEDDINGEN, UOCTEUK EIS FHIL0>0PH1E fcT EN THÉuLOGiE, ALMUNlEll DF. LA COUR. Devise : « Miter... quani priores tradituri, faiemur ea » ([uoque illorum esse niuneris, qui prirr.i quae- » rendi vias demonslraverunt . « l'ti.NE, Hisl. A'ntMr, H, 13 (13). (Couronné par la classe des lettres de l'Académie le 4 mai 1874.) Tome XXV. CO AVANT-PROPOS. La classe des lettres de l'Académie royale de Belgique avait inscrit la question suivante à son programme de concours de 1874 : « Exposer avec détails la Philosophie de S. Anselme de Cantorbéry, en faire connaître les sources et en montrer l'in- fluence dans l'histoire des idées. » Ce n'est pas sans quelque appréhension que je présente à TAca- démie cette étude sur la Philosophie de S. Anselme de Cantorbéry. Peut-être serai-je accusé de témérité, pour avoir osé reprendre une matière traitée déjà par des critiques éminents. Mais en l'in- scrivant dans son programme, l'Académie nous avertit que l'œuvre philosophique d'Anselme garde encore assez d'intérêt, pour qu'il soit permis d'y chercher des enseignements, sans encourir le blâme de présomption. Dans ce travail, nos devanciers ont été nos guides, et c'est pour nous une joie et une obligation de recon- naître tout ce que nous leur devons. Me permettra-t-on cet aveu? Si je réponds à la question de l'Académie, c'est que j'ai cru qu'en la posant, la savante Assem- blée a voulu engager les jeunes écrivains de notre pays à ne pas négliger les labeurs âpres mais utiles de la philosophie cri- tique. Nous sommes préparés, par l'éducation et l'esprit de race, à profiter des travaux des trois grands peuples européens aux- quels appartient l'empire de la pensée. Pourquoi leurs œuvres philosophiques nous laisseraient-elles plus indifférents que leurs productions scientifiques ou littéraires? Tout le monde le sait : il y a une différence profonde de formes et de procédés entre la Philosophie du XP siècle et la nôtre. La ( >' ) psychologie et l'idéologie ont pris le pas sur la Dialectique et rOntolot^ic abstraites. Aux problèmes qui passionnaient nos pères se sont ajoutes des problèmes nouveaux. — L'esprit même de la science s'est modifié. Ce n'est pas seulement une Doctrine, une Théorie absolue que l'on demande au passé. La méthode mo- derne, au moins aussi historique que spéculative, se préoccupe avant tout le reste d'établir et d'interpréter le sens général de la tradition philosophique. Elle l'envisage, dans ses dogmes univer- sels et primitifs, comme la spontanée et infaillible manifestation de la raison humaine. Elle cherche à en constater la signification , les défaillances et le progrès, parmi les vicissitudes des institu- tions et des idées. C'est de ce point de vue que nous voudrions qu'on jugeât ce Mémoire. L'aspect sous lequel se présentait la Philosophie à un lettré du XP siècle nous est bien connu maintenant, grâce aux beaux travaux des érudits français et allemands. Dans la première période du moyen âge, les régents des Ecoles cathédrales et monas- tiques expliquaient les Catégories et V Interprétation d'Aristote , non selon le texte original , mais d'après V Introduction de Por- phyre, la version et les gloses de Boèce, et l'abrégé des Prédica- ments du pseudo-Augustin. Ils élucidaient en outre des problèmes isolés de Dialectique et d'Ontologie. L'audacieux Jean Scot Erigène est le seul écrivain antérieur à Anselme qui rédigea une œuvre de longue haleine, conçue en dehors de la manière classique. Considérée en elle-même, la philosophie de S. Anselme de Can- torbéry n'a guère beaucoup à nous apprendre aujourd'hui. Mais elle inaugure une ère d'une haute importance. Elle marque le moment où le génie franco-germain associe l'Ontologie à la Dia- lectique , et les conceptions d'ensemble aux Monographies de l'âge précédent. C'est surtout comme symbole de cette féconde renaissance intellectuelle que le nom d'Anselme a conservé une si glorieuse auréole. — Partout, d'ailleurs, le Docteur de l'ab- baye de S'^-Marie se montre un spéculatif élevé, un métaphysi- cien supérieur à son siècle, allant d'instinct aux sommets de la science. Si parfois sa pensée s'égare, c'est à force d'originalité. S'il paye tribut à la dialectique excessive de son temps , presque tou- (III ) jours sa haute nature le ramène à de meilleures voies. — Ses his- toriens ont très-justement noté que c'est à propos des mystères sacrés que son intelligence prend un plus libre essor. Le pro- gramme de l'Académie nous interdit de le suivre sur ce domaine réservé. Il a été suffisamment exploité par des écrivains distingués. Nous n'avons, pour notre compte, qu'à nous occuper de ses œu- vres philosophiques. Le bilan en est assez considérable, et il suffit d'y jeter les yeux, pour voir combien Anselme a su élargir l'ho- rizon de la science. Elles se composent d'un Fragment d'Introduc- tion à la Dialectique , concernant la vraie signification des noms de Qualité et intitulé : du Grammairien ; du Dialogue de la Vérité, comprenant les principes fondamentaux de l'Ontologie; de quel- ques renseignements épars en divers traités sur la nature de la substance physique ; d'une double théodicée ou théologie ration- nelle , le Monologue et le Prosloge ' . Nous parcourrons successivement ces matières qui touchent aux principales questions de la Philosophie. Une dernière étude sera consacrée à l'exposition des vues du S. Docteur sur les rap- ports généraux de la Foi et de la Raison. En comprenant cette dis- cussion dans la philosophie d'Anselme, nous ne faisons que suivre l'exemple de la plupart des critiques. L'Académie prescrit aux concurrents d'indiquer les sources de la philosophie d'Anselme et d'apprécier son influence sur le mou- vement des idées. De fait, il n'est possible de bien pénétrer les vues de notre Docteur qu'à condition de connaître l'état où il trouva la philosophie et les maîtres qui la lui avaient enseignée. Auprès de ceux qui nous reprocheraient d'insister à l'excès sur ses devanciers et ses contemporains, que ce soit là notre excuse. La Dialectique est en un sens l'exorde naturel de la Pbilosophie. Nous nous conformerons à la nature et à l'usage, en traitant d'abord du Fragment logique de S. Anselme, le premier traité sorti de sa plume, mais, certes, son moindre titre à lagloirelitteraire.il suffira * Nous ne comptons pas, parmi les œuvres philosophiques de S. Anselme, les traités où il parle du libre arbitre. Presque tout entiers, ils se rapportent à la Théologie. (.V) d'élargir un peu ce cadre , pour y trouver Tïntroduction obligée d'un Mémoire qui se rapporte aux premiers temps de la Scolas- tique. Depuis Alcuin et la restauration des lettres sous Gliarle- magne jusqu'à Anselme, la Dialectique domina presque toute la Philosophie. Indiquer à grands traits la direction de ce mouve- ment de l'esprit humain, et montrer en quel sens il se rattachait à la doctrine d'Aristote , dont il se réclamait , voilà la préface que l'objet même de notre travail suggère. Dois-je parler de la forme de cette étude? Je demande seule- ment de pouvoir user, dans l'exposition des idées d'Anselme, de la même liberté qu'on a accordée à mes prédécesseurs. Tantôt nous reproduirons les textes eux-mêmes; tantôt nous en donne- rons le fidèle résumé. En tout cas, un système continu de notes permettra au lecteur un facile contrôle. C'est la manière suivie par MM. Hasse, Billroth, de Rémusat. Nous croyons que c'est la seule possible en un semblable sujet. Une certaine latitude peut être accordée au rapporteur de théories dont l'expression s'éloigne si fort de nos habitudes littéraires. Son grand souci doit être de rester exact. En m'attachant à la scrupuleuse analyse des doctrines d'Anselme, je devrai, presque à tout moment, me plier à une manière de raisonner et de parler qui n'est plus dans nos mœurs. Rien n'aurait été aussi facile que d'épargner cet ennui au lecteur et à moi-même. 11 eût suffi pour cela de prendre le sujet par les hauts côtés, et de su bstituer ce qu'on est convenu d'appeler les vues d'ensemble à l'étude minutieuse des textes. Seulement ce procédé aurait l'inconvénient de nous donner les vues fondamentales d'An- selme, tout en dissimulant leur physionomie. J'ai préféré sacri- fier l'élégance à la vérité, mais j'oserai alléguer, pour mon excuse, \e bénéfice des circonstances. Le XI^ siècle est Yépoque de transi- tion de la philosophie, et, pour une grande part, Anselme en a été l'instrument. L'Académie, sans nul doute, entend que je con- serve à ses spéculations tout leur caractère original. ev SOURCES PRINCIPALES. S.Anselmi ex Beccensi Abhate Cantuariensis Archiepiscopi Opéra, nec nonEadmeriMonachi Cantuariensis HistoriaNovoriim etalia opuscula,labore ac studio D. Gabrielis Gerberon, Monachi Congre- gationis S. Mauri.Ed. lI,correcta etaiicta.Lutcliae, apud Monta- lant, \ 721 . — Gerberon fut le treizième éditeur des œuvres d'An- sebiie. Lai "édition parut à Nuremberg en 1491. La meilleure, après celle du savant Bénédictin, est celle du Jésuite Théophile Raynaud (Lyon, 1650). Feu M. le Professeur Ubaghs a donné une édition et une traduction au Monologue et du Prosloge, d'après le beau manuscrit de lUniversité de Louvain (fin duXII^ siècle). D'ordinaire, nous suivrons cette traduction. R. Veder, Roterodamensis, Dissertatio de Anselmo Cantuariensi, Lugduni Batavorum, ap. Haak, 1852. — Point de vue positif. BiLLROTH, Dissertatio historico-critica de Anselmi Cantuar. Pros- logio et Monologio. Lipsiae, 1852. — Point de vue critique. Hasse, Prof' der Theol.zu "èouu^Anselm von Canlerhnrij. \. Theil : Das Leben Anselms. — II. Theil : Die Lehre Anselms. Leip- zig, 1845-32. Point de vue expositif. — Hasse, De ontologico Anselmi pro existeniia Dei argumento. Bonnae, 1849. De Rémusat, s. Anselme. Paris, 1854. Point de vue historico- critique. Franck, Anselm vonCanterburij. Tubingen, 1842, ap. Oseander. — Point de vue critique. i VI ] MÔHLER, Anselm von Canterhury, Mb. Quartalschrift, Jahrg. 4827-1828, Gesammt. Schrift. herausgegeb. von Dôllinger. Regensburg. 1839, l B., p. 52, seq. — Point de vue apologëtico- criliqiie. Abroell, De miiluo fidei ne rationis consortio. Diss. inaug. Wir- ceburgi, 18G4. HoEii^^E , Anselmi Ca?îtuarîensis pinlosophia cum alionim illius aetatis decretis comparaiiir ejusdemque de satisfactione doc- trina dijudicattir. Diss. inaug. Lipsiae, 1867 (Mémoire couronné par la faculté de théol. de Leipzig). — Point de vue critique et surtout thcologique. BoucHiTTÉ , Le Rationalisme chrétien à la fin du XP siècle. Mono- logiura et Proslogium de S Anselme, archevêque de Cantorbéry, traduits et précédés d'une introduction. Paris, Amyol, 184-2. A ces monographies, il faut joindre le grand commentaire théolo- gique et philosophique du cardinalJ. D\\G\]m]\E: S. A nselmitheo- logia comnientariis et Disputalionibus , tuni dogmaticis tiim scholasticis illustrata, auctore Joscpho Saënz de Aguirrc, Benc- dictinaecongregationisHispaniarumetAngliaegeneraliMagistro, in Salmanticensi Academia Doctore theologo. Salmanticae, ap. Perez, 1685, III vol. in-fol. Ce profond et savant ouvrage est le meilleur commentaire général du Monologue de S. Anselme. Les autres ouvrages moins spéciaux qui nous ont servi seront cités dans le cours de notre travail. Touchant l'authenticité des œuvres attribuées cà S. Anselme, voyez : Gerberon, Censura operum S. Anselmi, en tète de son édition. Théophile Raynaud, S. J. , t. XI, Éd. Lugd., Sijntaxis operum S. Anselmi. — Acta Sanctorum, 2î aprilis. M. A. Charma, S. Anselme; notice biographique j littéraire et philosophique. Paris, 1855. ESSAI CRITIQUE SUR LA PHILOSOPHIE DE S. ANSELME DE CANTORBÉRY. CHAPITRE I. DIALECTIQUE DC S. ANSELME DE CANTORBÉRY. De l'usage de la Dialcclique dans l'Église d'Occident jusqu'à Anselme de Cantorbéry. — Analyse et appréciation de son Fragment d'Introduction à la Dialectique ou du Dialogue : de Grammutico. — Sources et forme de la Dialectique, pendant la pre- mière période scolastique. On a nommé S. Anselme de Cantorbéry l'Augiistin du moyen âge. La postérité a confirmé ce titre. Elle honore dans l'abbé de Sainte-Marie du Bec le restaurateur des études métaphysiques en Occident, et le glorieux disciple du Docteur d'Hippone. Nouvelle coïncidence entre deux hommes qui se ressemblent par tant décotes! S. Augustin nous apprend, en ses Confessions, qu'il s'adonna de bonne heure aux catégories d'Aristote. Avec une candeur charmante, il rappelle qu'il les comprit sans le secours d'un maître *. Sa réputation de logicien était si bien établie qu'on lui attribua longtemps un résumé des dix Prédicaments. Aujour- * Confess.,\V; IC, 28. Tome XXV. i (2) d'hui encore, des critiques excellents lui font honneur d'un traité sur les principes de la Dialectique ^ — Comme son illustre maître, Anselme s'occupa avec zèle de l'art de disputer : il composa un Dialogue assez étendu sur la signification des noms de qualité. Ces deux génies si ardents à la spéculation, si enthousiastes de ridée, commencèrent par être de fervents et subtils logiciens. On Je conçoit aisément : aux premiers siècles de l'Église, la Dia- lectique fut loin d'avoir dans les écoles chrétiennes le rang qu'elle y obtint plus tard. — Ce qui importait aux Pères et aux Docteurs, c'était d'exposer la notion des dogmes sacrés, de les défendre contre les attaques des païens et des hérétiques. La nature même de ces assauts ne pouvait que nuire à la culture de la logique. Legnosticisme. en suscitant à la foi primitive un péril imminent, jeta quelque ombre sur les théories de Platon dont il préten- dait s'inspirer. Les Ariens et les semi-Ariens, si affolés de catégo- ries et de définitions, furent loin d'augmenter le crédit d'Aristote, le prince des dialecticiens. A coup sûr, jamais les Pères n'interdi- rent aux Chrétiens l'étude de la logicjue. Mais à leurs yeux c'était démence et impiété que de faire des maîtres Gentils les arbitres du symbole. Que Ion parcoure le diffus plaidoyer du D' Launoy Sur la fortune d'Aristote en l'Ecole de Paris (De varia Aristo- telis in Academia Parisiensi fortuné); qu'y lit-on? Trente-sept anathèmes contre la fausse sagesse des superbes s'ingéniant à ap})!i(juer à la parole évangélique les syllogismes et les règles de rOrganon! L'érudit polémiste en conclut à la proscription du péri- patétisme dans les écoles chrétiennes! Pour l'honneur de la Reli- gion, les Pères lui eussent répondu que son impatience contre Aristote l'entraînait un peu loin. S Basile reproche à Eunomius de décider de la divinité du Fils sur la foi du stoïcien Chrysippe^, mais cela ne renipéche pas d'appeler la Dialectique le boulevard des Dogmes ^. Grégoire de Nanzianze ne veut pas qu'on opine ' Cf. Praistl, Gcscltichte der Logik,l I, pp. 606 sqq. 2 Adv. Eunom., L '> In c. II Isaiœ. 'H yà-p r?^; ^iccIsktix^:; ^ôvxui^ ~f7%o; iari rcH; âoy- /xocaiv.... sur les mystères d'après Pyrrhon, Chrysipj)e et Aristole * : en revanehe, il loue très-fort la rare habileté de S. Basile, son ami, dans lart de la discussion, et sa connaissance de la logique ^. Ces Pères, aussi bien que Clément l'Alexandrin, SS. Grégoire de Nëo- césarée, Grégoire de Nysse, Cyrille d'Alexandrie, Eusèbc, ïhéo- doret, blâment chez les sectaires la manie de préférer leurs arguties à l'Evangile et d'altérer par une technologie vaine la simplicité de la Foi ^. Tous d'ailleurs raisonnent beaucoup et très-subtilement, alors même qu'ils rabaissent les prétentions de leurs adversaires. En plusieurs occurrences, S. Cyrille d'Alexan- drie et S. Basile remontrent à Eunomius qu'il s'égare en ses concepts logiques*; et S. Augustin reproche au Pélagien Julien d'Eclanc de dénaturer la notion de la substance ^. Il fallait l'érudition un peu partiale de Launoy pour trouver dans les réserves des Pères une accusation contre la méthode d'Aristoteî Il est vrai : la philosophie de Platon compta plus de partisans, aux premiers temps du christianisme, que celle de son rival. Les spéculations du chef de l'Académie, son spiritualisme ardent, sa théodicée pleine d'essor le signalaient d'avance à la sympathie des maîtres chrétiens. En cette époque d initiation convaincue et enthousiaste, les esprits devaient naturellement s'enchanter des élévations du divin Philosophe : ils se plaisaient moins aux rigides démonstrations de son disciple, préoccupé surtout de la nature, accusé de se séparer de Platon par dépit autant que par persuasion, et de protéger ses conclusions, par d habiles équi- voques, contre les démentis de l'avenir. — Mais les Pères les plus dévoués à Platon avouaient sans détour l'insuffisance de sa philoso- phie. S. Justin estime que dans cha([ue doctrine, il y a une part de ' Or. 26. 2 Or. 20. 5 Voyez, à ce sujet , les textes mêmes qu'allègue le D"- Pranti , reprenant la thèse de Launoy sur Thoslililé d» s Pères à la dialeciique Aristotélicienne : Geschichle der Logik in Ahendlande , t. II, p. 6. * Thesaur. Asser. XI cont. Eum. — Cont. Eunom., passini. 5 Con^7w/.,liv. V, 14;VI,I8. ( n vérité * : à son avis, Platon est le premier entre les philosophes; il a enipriinlc à Moïse, aux Egyptiens quelques principes divine- ment inspirés au chef du peuple hébreu -. Mais éloigné du foyer direct de la sagesse, il n'a pu en recueillir que de lointains rayons. C'est dans l'enseignement révélé seul que s'en trouve la pléiiitude^. — Clément comble la philosophie d'éloges. Il ne veut pas de ces esprits chagrins, entêtés à ny voir que des erreurs, à n'y trouver aucun avantage *. La vérité complète cependant est le prix de la foi au Christ : la sagesse profane ne va pas au delà des choses temporelles : elle ne fournit que la moitié de sa carrière, si elle n'est couronnée par la croyance ^. Au contraire, la Révéhuion n'a pas, à la rigueur, besoin de la philosophie : elle suffit au salut, bien que la culture de la science soit nécessaire au croyant parfait, au Gnostique ^. — Eusèbe et Théodoret trouvent le couronnement de la philosophie dans le christianisme : toutes les nobles tra- ditions des Platoniciens ont été des pressentiments de la révélation du Christ -'. — Ces déclarations précisent, justifient la pensée des premiers Docteurs. L'un ou l'autre d'entre eux a mêlé quelque enflure à son discours, à propos des subtilités d'Arislote, de l'ex- cellence de Platon ou de l'insuffisance de la piiilosophie : quel censeur sérieux voudrait s'en froisser? Les aspérités de la contro- verse, le goût de l'époque, le tempérament littéraire expliquent ces jugements. Ils ne peuvent préjudicier à l'ensemble de:? témoi- gnages. De bonne heure on avait compris dans l'Eglise comme dans le monde laïque, qu'au point de vue de l'enseignement, les traités du Stagyrite surpassaient les dialogues sublimes de Platon s. ' ApoL, I, cbap. 44. ' Ad Graec. coliort., chap. 3-9. "» ApoL, II, chap. 13. — Dial. cinn Tryphone , chap. 8. * Strom., I, chap. 7, 15. 5 Ibid., I, chap. !2. « Ibid., chap. 0, 7, 20. ' Préparât, évang., liv. XI, XtlI. — Graec. a/fect. curât. — Serni. 1 et V. » Les modernes rendent hommage à ce jugement de l'antiquile : « Con- naître Aristott', connaître rAristotélisme , c'est mieux connaître, non pas seu- ( S) A l'école d'Alexandrie même, S. Anatole, contemporain d'Ammonius Saccas, et Hieroclès expliquent ses doctrines. Déjà vers le milieu du IV^ siècle, Tlsagoge de Porphyre, cette ofTicielle Introduction à rOrganon, est vulgarisé dans le monde latin par Marins Victorinus. Vraisemblablement à la même époque, Albinus commente le traité de Vliiterprétation; un peu plus tard, Vegetius Prsetextatus et Tul- lius Marcellus écrivent des explications sur la logique aristotéli- cienne; S.Grégoire deNazianze abrège l'Organon; S.Jérôme traduit les excellents Commentaires d'Alexandre d'Aphrodise; S.Augustin rédige un manuel de Logique, et Marcianus Capella (470) compose le traité des Arts libéraux qui fut classique jusqu'à la fin du X^ siècle. — Au siècle suivant, Boèce met en latin l'Organon et la Métaphysique d'Aristole, traduit et commente à deux reprises risagoge, et dote les maîtres d'école d'une foule de traités de logique formelle; Simplicius et Philopon consacrent à Aristote d'érudits Commentaires; Cassiodore écrit son livre de Arlibiis uc disciplinis libercdium litterarum qu'Isidore de Séville ne fit que résumer au livre II de ses Étymologies. A son tour, Jean de Damas enrichit l'Église grecque dun manuel de Dialectique, qui exerça une influence considérable jusque sur les premières écoles de l'Occident. La fortune d'Aristote dans l'Eglise fut, pour la plus grande part, due au caractère méthodique et rigoureux de ses écrits. Comme professeur, nul maître ne l'égalait. Certes, la doctrine profonde qui partout se cache sous les formes un peu austères était bien digne de lui assurer un crédit universel. Mais quand il n'aurait composé que 1 Organon , sa manière lui eut conquis le lement le passé de l'esprit humain, mais son élat actuel.. 11 a fait la logique et fondé la science de la pensée de telle sorte que, depuis lui , comme le dit Kant, elle n'a fait ni un pas en avant ni en arrière .. Il n'est point de philo- sophe qui put aujourd'hui même remplacer Aristole : Descartes , Leibnilz, Kant n'y suffiraient pas. » — Dict. des sciences phil. — ylr/. Aristote, par M. Barthélémy de Sainl-Hilaire.— Je ne fais que rappeler cet éloge du savant traducteur d'Aristole. On le trouvera un peu enthousiaste peut-être! Mais il explique mieux que tout ce que nous pourrions dire là-dessus la faveur du Slagyrile au moyeu âge. (e ) monopole des classes et des Académies. Des circonstances excep- tionnelles vinrent le lui assurer pour une longue suite de siècles. Indiquons-les rapidement. 11 faut s'en souvenir sans cesse, dès qu'on aborde une œuvre dialectique de la première période du moyen âge. Les grandes invasions des barbares avaient été beaucoup moins préjudiciables à la culture des sciences que celle des Francs. Avec ces conquérants farouches, les écoles et les lettres, honorées et glorieuses sous les rois Bourguignons et Visigoths, entrèrent dans une décadence prolongée. Les Mérovingiens n'étaient pas faits pour ranimer les arts et la civilisation. Dans l'Église même, des liommes mélancoliques, gagnés par la commune contagion, désespèrent de l'avenir, estiment qu'il faut s'en tenir aux leçons des ancêtres. Mais en général les évêques, les abbés, les moines résistent à l'apathie funeste. Des conciles veillent à l'érection des écoles : les paroisses elles-mêmes en auront, non-seulement les résidences épiscopalcs. Les abbayes de Lijugé, de Lérins restent des foyers de lumière. Au Vï*. siècle, l'école d'Arles, dirigée par l'évêque Césaire, et celle de Reims conservent, propagent le feu sacré, un instant si menacé. S'il faut en croire Thomassin, en 540, les élèves d'Orléans reçurent le roi Contran avec des acclama- tions écrites en latin, en grec, en hébreu. Malgré ces efforts, la culture générale diminuait dans les Gaules, où elle avait été si florissante. Négligées d'abord, les lettres deviennent maintenant suspectes. Ceux qu'on vante pour leur intelligence sont des cher- cheurs avides , mais mal secondés. Au VllI^ siècle, l'ignorance et la barbarie régnaient presque sur tout le continent. Charlemagne fit servir sa puissance à remédier à un fléau que lui seul pouvait conjurer. Il voulut donner à ses sujets des maîtres capables d'inaugurer une ère nouvelle. Le cou- vent irlandais de Bangor, l'école épiscopale d'York, les abbayes de Weremouth et de Rhutscclîe étaient restés fidèles aux traditions littéraires de rarchcvêquc Théodore et de l'abbé Adrien, ces moines érudits que le pape Vitalien avait envoyés, en 668, dans la Bretagne insulaire. On y cultivait les sciences des Hellènes, et ce fut sans doute dans ces nobles asiles que les Bretons puisèrent l'amour des langues classiques, qui les distingue encore aujour- (7 ) d'iiiii. En Italie, les Lombards protégeaient les lettres. Le roi Didier avait comblé d'hofmeurs Paul Warnefiied de Fréjus, litté- rateur illustre, qui préféra la solitude du Mont-Cassin aux faveurs <^u monarque. Ce fut de là qu'en 78^ Charlemagne le ramena en France pour y travaillera la restauration scientifique qu'il médi- tait. Mais à Alcuin surtout, le docte recteur dTork, revient le titre d'instituteur des premières écoles franques. 11 amena avec lui des lettrés de son pays dont les noms et les travaux ne sont qu'im- parfaitement connus. La métbode d'enseignement d'Alcuin allait pour longtemps fixer l'avenir de l'enseignement académique. Dès lors la |)rédominance de la Dialectique fut décidée. De fait, Alcuin adopta comme programme des classes la divi- sion célèbre des Arts libéraux connue sous le nom de Trivium et Quadriviitm. Empruntée piobablement à Martianus Capella, elle avait été indiquée déjà par Cassiodore et Isidore de SéviUe. Tout le monde sait que le Trivium comprenait les Arts : la Gram- maire, la Rbétorique, la Dialectique; le Quudrivium embra.ssait les Sci('nce^H libérales : la Mu>ique, l'Astrologie, l'Arithmétique, la Géométrie *. — La logique d'Alcuin était celle d'Isidore de Séville et de Cassiodore dont quelques écrits lui ont été longtemps attri- bués. Son Manuel de Dialectique est emprunté en grande partie à léerivain espagnol: ce n'est qu'un ensemble de règles verbales, de divisions et de sentences de logique formelle. — Son élève Fré- dégise est un esprit d'une trempe différente. Labbé de S. Martin de Tours aime les problèmes ontologiques. Mais il les résout selon la métbode nominale qu'une culture extrême de la formule avait déjà inoculée aux esprits. Très-sérieusement, il prononce que les noms privatifs, les ténèbres, par exemple, expriment un être substantiel ! Ne sont -elles pas, dit-il, susceptibles du plus et du moins? L'Écriture n'en parle-t-elle pas à l'instar d'une essence? — Ce n'est là qu'un détail; mais au début d'une insti- tution, ces premiers linéaments présagent l'avenir. Le D"" PrantI * Voyez sur l'origine du Trivium et du Quadrivium la discussion intéres- sante de M. Haureau, Hist. de la Phil. scoL, nouv. édit.,I, chap. II. Paris, 1872. (8) ne consent pas à voir dans la préoccupation de Frédégise un presscnliment de la querelle des Universaux. Assurément! Mais ce que nous trouvons chez le premier disciple influent d'AIcuin, c'est la manie d'objectiver les notions de l'esprit, les catégories logiques, comme les noms de privation. Qui Tignore? C'est de cette disposition que naîtront les développements compliqués de la fameuse controverse! — Dès l'origine la logique formelle, à son insu sans doute, préjugea les plus profondes questions de l'ontologie. Trop souvent dans la suite ce sera son rêve et sa folie ! Raban-Maur, l'élève de l'abbaye de S. Martin de Tours, et le maître de Fulde, s'occupa plus de doctrine générale et de théolo- gie que de Dialectique. Mais il entend que les jeunes clercs s'exer- cent avec soin à cette science des sciences^ au syllogisme surtout : ils apprendront ainsi à confondre l'hérésie, à défendre le dogme. Du reste, s'il faut approfondir Aristote, il veut qu'on n'oublie pas Platon 2. ~ Par Raban, par Haimon d'Halberstadt, son collègue, la Dialectique, après avoir pris possession des écoles de Bre- tagne et de Gaule, fit son entrée dans celles de la Germanie. Nul doute qu'en Belgique elle n'ait été accueillie par Francon de Lobbes (855-003). L'aventureux et spirituel Ratlière de Liège fut réputé le premier des philosophes de l'académie palatine d'Othon le Grand. Notger passe pour avoir traduit l'Interprétation d'Aris- tote; l'Écolâtre Adelman de Liège eut le nom d'un dialecticien hors de pair. Quand on parle de Dialectique au IX" siècle, peut-on nommer Jean Scot Erigène? Véritable signe du temps! Ce métaphysicien, ce réaliste sans égal, si emporté contre la Logique formelle, lui consacre des développements extrêmes, très-fastidieux, malgré de fines remarques. Fort longuement il disserte sur les figures et les modes du syllogisme, les échappatoires de la discussion, les instances et les divisions! Avec cela, le sens qu'il attache à la Dialectique n'est pas bien clair. Il y voyait autre chose que la * Hist. de la phil. scoL, 1. 1, p. 129. » De InstU.clericVw. III, pp. 20 sqq. Cf. Hisl. liltér., vol. V, p. 136.' science des formes du concept. — Cet art de la dispute, dit-il, (jue les Grecs ont nomme Dialectique, n'a-t-il pas pour objet véri- table la substance, d où émanent toutes les divisions qui servent ensuite de sujet à ses thèses, et cela en passant par les genres les plus communs, par les genres moyens et jusque parles espèces les plus particulières, et en remontant ensuite selon les régies de la régression les mêmes degrés, jusqu'à la substance d'où ces formes sont dérivées, pour retourner en ce terme de leur éternelle ten- dance ' ? — Ce discours est un peu embrouillé, mais il se com- prend : par Dialectique, Scot entend surtout celle de Platon; le procédé d'analyse et de synthèse qui s'élève du relatif à 1 absolu, pour redescendre de l'universel aux individus. Les vues du hardi Irland;»is, nouvelles au IX** siècle, étaient une réminiscence du Timée. Mais navait-il pas traduit le Faux-Denis, disciple des Néo- platoniciens, et ceux-ci n'avaient-ils pas ajouté la théorie de l'éma- natisme au sysième de Platon? D'excellents arbitres estiment que Scot fut panthéiste. La définition que nous avons rappelée est équivoque, comme sa métaphysique toute entière. Peut-être le réaliste irlandais ne voyait-il dans le procès dialectique que le dédoublement subjectif des formes de l'Être, dans son évolution progressive, éternelle. Ce serait l'extrême conséquence de l'éma- natisme, le rigoureux corollaire du dogme de l'unité de substance. En ce cas, entre la logique d'Hegel et celle de Scot, la ressem- blance sérail grande : elle pourrait aller jusqu'à l'identité. — Ce qui nous intéresse, c'est de rencontrer chez le métaphysicien de la cour de Charles le Chauve le même goût de sublilisme, la même profusion de formules que chez ses devanciers. — C'est qu'il avait * « Nonne ars illa quae a Graecis dicitur Dialeclica et definitur bene dispu- • tandi scientia, primo omnium circa oùa-ixv veluli circa proprium sui princi- » pium versalur, ex qua omnis divisio et muliiplicalio eorum, de qusbiis ars » ipsa disputai, inchoat per i^cnera generalissima mediaque gênera usque ad » foî-mas et species specialissiraas descendens el iterum complicationis regulis >^ per eosdem gradus, per quos degredilur, donec ad ipsam oCaixv, ex qua » agressa est, perveniat, non desinit redire in eam, qua semper appétit « quiescere. » — De divis. nalurae, liv. V, p. 4. — CL Prantl, op. cit., t. II, p. 28. ( 10 ) été, comme eux, élevé dans la discipline du Trivhim. LIsagoge, les Catégories, l'Interprétation étaient les manuels de toutes les écoles. On en subissait l'influence, même lorsqu'on sortait des routes baltues et que l'on connaissait le Timée. — Aus^i bien que leurs prédécesseurs, le pseudo-Uaban ; l'élégant psycboiogue Eric d'Auxerre en ses Gloses sur les catégories; Uemi d'Auxerre, l'une des premières gloires de l'Académie de Paris et le commentateur de Martianus Capella; Odon de Cluny, son élève; Abbon de Flcury dans son Traité des concUisions ; les régents de la célèbre école de S'-Gall, et avec eux, Gunzo de Navarre, Gautier de Spire s'occu- pent avec prédilection des Prédicaments et des règles de la discus- sion. Gerbert lui-même consacre une Dissertation à montrer que le terme Rationnel est d'une signification plus large que la formule : se servir de la Raison. Il est vrai que ce tbème logiijue de la puis- sance et de racle, le conduit au seuil d importants problèmes d'ontologie. D'autres maîtres, en cela, furent moins beureux. Adal- bert de Laon dans un Traité sur l\irt de bien argumenter, pose gravement que rien ne se fait sans cause; c'est un princij)e tenu par les philosopbes! Or, voici une mule boiteuse, inutile : il faut trouver la cause de son inutilité. Il semble qu'Adalbert, et son 06- jectant sup[)osé. Foulques d'Amiens, n'y parviennent point. Le Docteur finit par conclure que ce pourrait bien être la malice du diable qui a rendu la mule inutile ! Mais quant à l'ami qui, dans un toui'noi dialectique a conscFili à servir d'adversaire oflicieux, celui-là, s'exelame-t-il, est d'une incontestable utilité ' ! — Il est per- mis de trouver qu'Adalbert entend étrangement la rechercbe des causes. Mais après un trait pareil, on ne s'étonnera pas de rencon- trer, au XI^ siècle, un poëte inconnu cbantant les Catégories en hexamètres latins ! La prédiction de Martianus Capella s'est véri- * Âp. Prantl, t. II, p. 59. « Philosophi nihil sine causa tradunt fier!. — » Ergo quoniam tiujus mulae inutilitis solertia daemonum effecla est, absque » ulla conlradiclioiie omnimodis iiiutilis est. Hac re mula probnlur inulilis, » non amicus qui sibi ipsi adversaiius vice funcius est alterius. o — De modo recte arguinentandi et praedicandi Dialogus, S. Pez, Thés. Anecd., 1, p. xxni. { Il ) fiée : la Logique est la suzeraine du Triviiim ; tous les arts libé- raux, ses vassaux désormais, s'unissent à reconnaître, à pro- elamiT sa gloire. Celle-ci néanmoins devait éprouver quelque amoindrissement. Béraiiger. arcliidiacre de Tours, avait attaqué la transubstanlia- tion du corps du Seigneur dans la sainte Eucharistie. Sur quelles raisons s'appuyait-ilpour combattre le dogme chrétien? En grande partie sur les plus ineptes chicanes logiques. — Après la consécra- tion, le pain et le vin restent présents sur l'autel : sans cela, com- ment se vérifierait la proposition : le pain et le vin sonl la matière du Sacrement? N'est-il pas de l'essence des propositions d'être élei'uclles? Comment attribuer quelque chose à un sujet, si ce sujet a cessé d'exister? De quelle façon enfin le pain, le vin cesseraient-ils d'exister dans la divine Eucharistie? Par corrvp- tion du sujet préexistant? Mais les accidents insé| arables de la substance demeurent sur l'autel ! On tient que le pain et le vin sont le corps et le sang du Christ : ils existent par conséquent, loin davoir été détruits! Dira-t-on quun nouveau si\']ct est pro- duit surnafurelleinent par la consécration? Mais le corps et le sang du Sauveur existent depuis longtemps : on ne peut donc sou- tenir qu'ils sont engendrés par l'action sacramentelle*! — Ainsi argumente l'Archidiacre. L'adversaire principal de Béranger fut Lanfranc, premier Ré- gent de l'École de Sainle-Marie du Bec, et prédécesseur d'Anselme de Canlorbéry en celte charge. Lanfranc lui-même passait pour un maître consommé en l'art de disputer. Il s'y était exercé à Bologne, déjà célèbre par ses professeurs de droit. Lorsqu'il vint au Bec oublier ses rêves de gloire humaine, il y fut bientôt nommé Écoiétre, et son habileté valut au monastère naissant une bril- lante renommée. Dans sa Moimgraphie sur les écoles de la Gaule, Launoy récite quelques témoignages qui en font foi : « La réputa- tion de Lanfranc, écrit Guillaume de Malmesbury, qui le nomme le troisième Caton, se répandit jusqu'aux confins extrêmes du * De S. Cœiia, tractât odv. Lanfrancum, pp. 66, 67, 70, 79. Édit. Vischer. Berol , 1854. (12 ) monde latin, et le Bec devint une illustre et considérable Aca- démie... Depuis son entrée dans la vie monastique, ses disciples n'avaient que Dialectique à la bouche •... » D'autres chroniqueurs assurent que, pour l'entendre, les clercs, les fils des grands sei- gneurs, les maîtres vantés, de puissants laïcs et toute espèce de nobles gens accouraient de la Gascogne, de la Bretagne, de la Flandre à l'abbaye normande ^. « Lorsqu'il interprèle saint Paul, écrit Sigebert de Gembloux, en toute opportunité, il propose la thèse d'après les règles dialectiques, fait instance et tire ses con- clusions ^. » D'après Milon Crispin, contemporain de S. Anselme, Lanfranc contribua pour une large part à la renaissance des lettres *. Guillaume de Poitiers et Mathieu Paris vantent sa dex- térité aux affaires à l'égal de son savoir^. Aussi Tépitaphe de Lan- franc composée par Philippe de Bonne-Espérance lui promet-elle, dans un latin barbare, une glorieuse immortalité : Per te florenles artes valuere latinae , Gratta de vobis ecce triumphat ovansl Volontiers les chroniqueurs décernaient ces éloges pompeux 1 C'est pour avoir été le maître d'Anselme que Lanfranc est sur- tout illustre. Quelques-unes de ses œuvres recommandent sa mémoire; mais elle s'éclipse devant le souvenir du grand méta- physicien qui fut son élève, et lui voua une gratitude éternelle. Toutefois, Lanfranc se devait à lui-même, il devait à l'Eglise de rétorquer les subtilités de Béranger. 11 lui rappelle que les mys- ^ « Publicas scholas de diaiectica professas est... ubique discipuli inflalis » buccis dialeclicam ruclabanl. « — Guill. Malmesb., De Gestis reg. AngL, liv. I, fol. 116; liv. III, fol. 61. 2 Orderic. Vital, ad ann. 1069. Ap. Hauréau, 2<= édit., ouv. cit., p. 237. — Mabillon, Ann., liv. LVIII, n° 44, 5 '( ... ubicumque opportunitas locoram occurrit, propoiiit, assumit, con- • cludit. » De scriptor. ceci., chap. CLV. Édil. Fabric, p. 112. * Vit. Lanfr., chap. I, dans l'édilion des œuvres de Lanfranc de Doni d'Achéry. ^ De Gestis Guilleimi Ducis , p. 198. — F»7. Abbat. S. Albani. Cf. d'Achéry. p. 21. ( 13 ) tères de la foi veulent être décidés par voie d'autorité, non par des raisons dialectiques *. Mais il le suivit sur son terrain; et Guitniond, son élève, nous apprend qu'il confondit honteuse- ment son adversaire, à propos d'une vétille logique ^ ! Ainsi, jusqu'au XI*' siècle, la prépondérance de la Dialectique estle phénomène le plus éclatant de la vie littéraire. Les métaphysiciens, comme Erigène;les rares psychologues eux-mêmes, comme Héric et Gerhert, sont de zélés dassificaleurs de concepts. — Le savant historien de la Philosophie scolastique croit qu'au temps de Dé- ranger l'Église changea d'attilude à l'égard de la Dialectique. IJ en trouve la preuve dans les condamnations sévères qui frap- pèrent l'Archidiacre, et dans le jugement d incompétence lancé contre les Logiciens par Lanfranc et saint Pierre Damien. Au fond, rien n'avait changé ! L'Église primitive condamnait, nous le savons, l'abus de la Philosophie : elle n'entendait pas qu'on demandât aux syllogismes des Péripatéticicns la décision des vérités de la Foi. Mais cet excès évité, les Pères honoraient les Logiciens. C'est la même règle qu'on suit au XF siècle, qu'on suivra toujours. Lanfranc hlàme la frivolité d'un Doc- teur appliquant aux mystères \es principes de \ Herméneia sur la signification des propositions : voilà tout! N'allons pas signaler dans une si juste plainte le commencement d'une période de réaction contre la raison I — En tout cas, cette période fut courte! Anselme, aux yeux des plus prévenus, passe pour un très-hardi métaphysicien. Nul, autant que lui, n'aimait la raison, la philoso})hie. Mais il voulait qu'elles reconnussent la Raison absolue, leur règle naturelle. Nous avons dit que la prédominance de la Logique dans les classes de Philosophie s'explique par le caractère didactique de cette discipline, telle (jue l'avait formulée Aristole. La for/ne nomi- nale, artificielle qu'elle présente dans les écrits des premiers maîtres a une autre cause encore. Les seuls traités de l'Organon connus de ces Docteurs étaient les Catégories et Vluterprélation, * Cf. De corp. et sang. Domini, Ed. Giles, II, p. 160. Oxon, t85i. ' Cf Bibl. partr. Lugd., l. XVIil, p. 441 : De corp. et sang. Domini. ( 14 ) le dernier dnns la Irijdiiction de Boèce, l'autre dans le résumé du pseudo-Augustin. M. Hauréau pense, sur la foi de Richer, auditeur de Gerhert à Reims (985), que ce maître y commentait déjà les premiers livres de la logique aristotélicienne, selon la version de Victorinus ou de Boèce*. Le même critique, après M uratori et Jour- dan, signale dans le catalogue de la bibliothèque de l'abbaye sarde de Bobbio, le texte grec des Prédicaments. Il est avéré que Ger- bert ciie les catégories dans son traité De Rcdionali et ratione uti. La traduction du fameux traité en allemand ancien 2, faite par les moines de S'-Gâll, reproduit également le texte latin de Boèce; mais celui-ci était peu répandu. Cest encore le savant conserva- teur de la Bibliothèque nationale qui nous informe que la plus ancienne copie de la vraie traduction de Boèce, conservée dans ce riche dépôt littéraire, remonte au Xll'^ siècle. Nous apprenons d'Abélard que, même de son temps, les deux premiers traités de lOrganon étaient seuls aux mains des Latins ^ Vers 1 128, il est vrai, le clerc Jacques de Venise traduisit les deux Analytiques, les Topiques et les Sophistiques : sa version, cepen- ' Voici ce texte, tel que nous le communique M. Hauréau: « Dialeclicam « ordine libroi'um percuirens, dilucidis senleiUiarum veibis enodavii (Ger- » bertus). In primis enim Porphyrii Isagogas, id est, Inirodueliones, secun- V dum Viclorini rheloris iraiislationem; inde etiam easdem secundum Manlium » explanavit. Calhegoriarum, idest, Praedicamentorum , libruni Aristotelis >> consequenter euucleans, Péri Ermeneias vero, id est de Interprelatione, )) librum cujus laboris sit aplissime monstravit. Inde eliam Toinca, id » est argumentoi'um sedes, a Tuliio de Graeco in lalinum translata, et a » Manlio corisule sex commenlariorum libris dilucidala, suis auditoribus « inlimavit. » {FJist.^ liv. III, chap. XLVI.) — Hauréau, Hist.de la pliil sco/., 2'- édil, pp. 97-98; \b7± ' Voir la remarque du D"" PrantI , t. II . p. 62. 5 « Sunl autem 1res, quorum seplem codicibus omnis in hac arte >> eloquenlia lalina armalur Aristolelis duos lantum, Praedicamentorum » scilicetel Perl Krmeneias libros usus adhuc latinorum cognovit, Porphyrii » vero unum qui videlicei de quinque vocibus conscriplus, génère scilicet, » specie , differenlia, proprio et acc/r/e/i/e, introduclionem parai ad ipsa « prnedicamenta; fîoe^/iiï autem quatuor in consuetudinem duximus libros, • videlicet Divisionum et Topicorum cum Syllogismis (am calegoricis quam » h^'polhelicis. « — Ap. Cousin. Ouv. inéd. d'Abélard, p. 228. ( 13 ) dant, ne paraît pas avoir trouvé grand accueil. D'après le D'' Pranll, un Anonyme de cette époque mentionne l'ensemble de la traduc- tion de Hoèce ; de fait M. Ravaisson, auquel nous devons tant de renseignements précieux, a trouvé dans un catalogue de livres du même siècle, le nom des Anulijtiques K Toulefois, les deuxièmes Analytiques n'étaient pas bien connus des Régents: la Métaphysique d'Aristote, quoique traduite par Boèce, ne fut lue dans Ic^ chaires de Paris qu'au commencement du XIII" siècle. De la sorte, privés de la Métaphysique, où plus d'une fois le Slagy- rile établit le fondement objectif de la théorie de la connaissance; n'ayant pas même pour s'orienter les Analytiques postérieurs, cette partie capitale de la Dialectique, les premiers Maîtres étaient ils bien coupables en donnant une importance souvent risible à la Logique formelle? Les Catégories et le traité piesque grammatical de V Interprétation ne les poussaient-ils pas d'eux- mêmes à la formule, aux distinctions de mots? Le Timée de Platon, à la vérité, avait été traduit par Chalcide; mais il n'était pas entré fort avant dans la circulation littéraire. Jean Scol Eri- gène le connaît, l'invoque; ce n'est qu'au Xll^ siècle que Guil- laume de Couches en fait l'objet d un commentaire. Il serait inju-te de ne pas faire la part de ces circonstances, aussi graves que fài'iieuscs. — Il arriva néanmoins, malgré la Logique, parfois à son occasion, que les recherches des Régents prirent un caractère ontoîogi(|ue. Dès le seuil du Ti'ivium, le problème de la substance qui en soulève cent autres, ouvrait aux penseurs les horizons de la Métaphvsique, encore couverts de nuages. Les spéculations de Scot Érigène avaient dû laisser une impression profonde aux fer- vents cbercheurs, et un secret désir de s'aventurer dans les régions explorées par cet audacieux. Le souvenir des grandes spéculations patristiques si capables d'enthousiasmer des âmes neuves, ardentes et pleines de foi; et plus que tout le reste, l'essence même des Dogmes chrétiens ne pouvaient manquer de mêler presque à chaque instant l'Ontologie à la Logique. Les nom- breux travaux sur la Christologie à propos de l'Adoptianisme, sur » Voir la savante discussion du D"" Pranll , t. II, pp. 99-108, et M. Ravaisson , Rapport sur les bibliothèques de l'Ouest , p. 404. ( 16 ) l'Eucharistie à l'occasion de Béranger accéléraient ce mouvement des idées. C'est ainsi qu'en des siècles peu favorisés, une providen- tielle compensation rétablit l'équilibre de l'esprit humain : là où les GloFsaleurs et les interprètes posaient, saus le vouloir, ia borne de la formule, la Reîie;ion, d'un doigt triomphant, montrait l'au- delà, la N^Jture, llufini. Nous avons rappelé les causes de la prépondérance de la Dia- lectique dans les premières écoles du moyen âge. Ajoutons seule- ment que, sans nul doute, les formes de la pensée pouvaient par- faitement entrer dans le cercle des recherches philosophiques. La parole étant le véhicule de l'idée, et l'idée le calque des èlres, qui voudrait blâmer un penseur de s'occuper des mots? Alors même que des causes fortuites feraient laisser dans l'ombre leur portée objective, sous les signes, sous le langage ne peut manquer de se présenter la réalité. « Dans une bonne classification, dit M. de Rémusat, la Dialectique, comme science, ne devrait s'appliquer qu'à la Dialectique même ; partout ailleurs, elle n'est que procédé et instrument; elle ne devrait pas même comprendre la Logique proprement dite, dont elle n'est que la suite ou la dernière partie. Mais s'il plaît de l'appliquer à tout, de tout encadrer dans ses formes, de chercher dans les notions qu'elle emploie et dans les règles qu'elle pose, les éléments de toute science, de se servir enfin d'elle comme d'un critère universel, on le peut faire, et elle devient alors, au lieu et place de la philosophie, la reine des sciences, la science universelle ; elle obtient les titres de disciplina (lisciptinanim j dux iiniversae scienliae , sola dicenda scienlia. Sera-ce que la philosophie aura été réduite en essence à la seule dialectique? Non, c'est qu'elle aura été exclusivement ramenée aux procédés et au langage de la dialectique. Elle en aura sans doute souffert; la réalité ne peut, sans violence et sans dommage, passer comme par le laminoir d une méthode exclusive; ce qui est artificiel est toujours étroit, et le fond n'échappe jamais aux vices de la forme. Mais pourtant, ainsi contrainte, la science n'aura pas été supprimée. La scolastique n'a donc pas été la philosophie ré- duite à la dialectique, mais aux formes de la dialectique *. » Nous * Abélard, t. I, p. ôOÔ, édit. 18io. ( ^7 ) croyons que la philosophie scolastique, dans sa période la plus glorieuse, n'a pas besoin de cette justification. Les Docteurs du XIII* siècle surent parfaitement retrouver dans Arislote, et dans leur propre génie, les fondements de l'objectivité de la connais- sance. Mais les paroles de M. de Rémusat s'appliquent, dans une juste mesure, à de nombreux Régents des premières Acadé- mies, alors que les conditions de la vie scientifique étaient si précaires. Venant d'un critique très-familier avec le moyen âge, elles devraient du moins inspirer quelque réserve aux hom- mes de notre temps, si ardents à décrier le passé sans le con- naître K Ces remarques faites, nous pouvons aborder la partie dialec- tique de la philosophie de saint Anselme de Cantorbéry. Nous avons prononcé plus haut le nom de Lanfranc, le premier Régent de l'École du Bec. Disciple de ce maître célèbre, Anselme de Cantorbéry pouvait- il manquer de s'adonner à la Dialec- tique? C'est en étendant ses investigations à l'ensemble des grandes vérités de la Philosophie et de la Religion qu'il a mérité rimmorlalilé. La nature l'avait fait métaphysicien. Il nous apprend lui-même que les questions de mots, comme les recherches grammaticales, lui donnaient beaucoup d'ennui l Ce profond esprit fut conduit à devenir dialecticien à la manière d'Alcuin et de Lanfranc. Nul doute : on l'exerça si fort aux subtilités du Trivium, qu'il se donna une passion artificielle pour l'art du raisonnement! Il mêle des antithèses dialectiques jusqu'à sa correspondance familière. C'est ainsi que se plaignant à son maître de ce que celui-ci lavait appelé du nom de Père, il écrit ces paroles que nous n'essayerons pas de traduire : « Cur quod des- > truere non potestis per oppositam negationem, subverlere * Pour la connaissance el l'appréciation du mouvement dialectique dans la première partie du moyen âge, nous nous permettons d'indiquer au lecteur le 11^ volume de Touvrage du D"" Prantl, Geschichte der Logikin Abendlande, pp. 1-160. Seulement il est bon d'avertir que le savant criiique (le Munich se montre d'une sévérité excessive envers les premiers régents des écoles. ' Ép.,\\\. I, Ep. 55. Tome XXV. 2 ( i8 ) • lentalis per re/ativam oppositionetn? Precor ilaque ut quoties » litlcras dignalionis vestrac siiscepero aul videam ciii scnbitis, » aiit non vidcani eut tion scnhltls *? » Devenu le successeur de Lanfranc dans !a charge d'Écolâlre et de Prieur, plus tard élevé à la dignité abbatiale, Anselme aura enseigné en son couvent les matières du Trivium 2. H nous a laissé un souvenir de ses leçons dans le Dialogue du Gram- mairien ou , si l'on veut, rfw Dialecticien; car au Xh siècle on assimilait fréquemment ces deux appellations. Autre signe de ce temps-là I Sigcbert de Gembloux assure que le Dialogue n'était que le commencement d une Introduction â la Dialectique ^. Nous devons nous arrêter à l'examen de cet écrit. 11 est le premier, selon toute apparence, que composa notre Docteur, mais aussi le moindre en mérite et en importance. Sous la forme dialoguée, ordinaire » Ép., liv 1 , Ep. 48. 2 D'après don Gerberon , Anselme devint Prieur en 1063, et abbé en 1079. — Ce fui durant son piiorat (ju'il écrivit le Dialogue : De Grammalico ^ le Monologue, le Prosloge, la Réponse à Gaunilon , les Dialogues de Vcritate , de Casu Dtaholi. de Lihertate arbitrii et la plupart des Méditations. — Il fut sacré Archevêque de Canlorbéry en 1095. Un an auparavant, il avait composé le traité : De Incarnatione Verbi qu'il acheva plus lard. Les livres Cur Deus Homo y De ConcepLu Virginali , De Processione Spiritus Sancti, entin les traités De VoJunlate , De Concordia praescientiae dirinae et libcri arbitrii , îi^s Épttres De Azymo et De numéro Sacramentorinn l'ureiit les fruits litlé- laires de son archiépiscopat. Le saint mourut en 1109, à Page de 76 ans. Il était entré au Bec en 1060, à l'âge de 27 ans. ^ Dans la préface des Dialogues contemporains De Verilale, De libertate arbitrii, De Casu Diaboli , écrite durant les premières années de son prioral, Anselme dit ; « Quartum (dialogum) edidi, non inutilem, ut puto, ) introducendis ad Dialeclicam, cujus initium est De Grammatico. ^^ Édit. Cerberon, p. 109. — On connaît le témoignage de Sigebert : ^ Scripsit...' •^ alium librum introdueendis ad Dialeclicam admodum ulilem cujus initium " est : De Grammatico. » — De Script. Eccl , p. Ifi8, ap. Fabric, Bib. Eccl., [>. iî i. — Cf. Eadmerum, Vit. S. Anselmi , liv. I, p. 6 : ^« Scripsit et quartum •■ (dialogum), quem intilulavil De Grammatico. In quo cum discipulo queni • secura dispulantem inlroducit dispulans, cum mullas quaesliones dialecticas » proponjt et solvil, tuni qualitates et qualia, quumodo sint discrète acci- » pienda exponit el instruit. » — - Chronic. Becc, p. 6, ap. d'Achéry. ( Ji^ ) aux leçons de lépoque, il offre l'image fidèle d'un cours de Logi- que au XI* siècle. C'est un curieux échantillon de la Dialectique pseudo-péripatéticienne, interprétée dans les classes, parles maî- tres du Trivium. Transportons-nous par l'imagination dans la salle scolastiquc de l'Abbaye du Bec. Elle est modeste, pauvre même, car le mo- nastère est d'assez récente fondation; et l'on sait que lorsque le juriste Lanfrane y vint sacrifier ses espérances de renommée mondaine, le Bec passait pour le plus misérable delà contrée. — Là se rencontraient, comme auditeurs ou comme hôtes, Lanfrane, neveu du maître d'Anselme '; Osberne, son enfant de prédilec- tion, conquis au Christ au prix de bien des larmes et de douces remontrances '^; Maurice qui sera plus tard le correspondant lit- téraire du laborieux Docteur ^; Gislebert qui fera pénétrer la méthode de Lanfrane et d'Anselme dans son abbaye de Westmin- ster ^; Guidon, auquel cera confiée bientôt la surveillance des jeunes élèves ^; Riculphe, sacristain du couvent et le témoin des miracles du Saint ^; Anselme de Laon, Ihonneur d'Anselme, et l'un des futurs fondateurs de Y Université des nations de Paris (^j. Tout près du maître, ce moine au front chargé de pensées est le clerc Boson, dont l'âme troublée a trouvé tant de charmes dans l'amitié d'Anselme qu'il ne peut plus se séparer de lui \ Ceux-là et toute la nombreuse couronne d'élèves et d'amis qui entourent le maître apportent à la leçon une attention, une ardeur ex- trêmes 9. D'après l'exposé de l'élève, le thème du Dialogue est, selon < Cf. %,liv.I,ép. 22,31. ' 11).,% 31. '^ £'p., liv. I, ép. 35,51 ; liv. II, ép. 8. ^ Cf. Basse, Anselm von Canterhury, 1. 1, p. 57. ^ Ép.t liv. I, ép. 31. ^ Eadmer, vu. Ans., p. 6, ap. Gerberon. 7 Hist. lut. de la France, l. X , pp. 1 82 sq. « Eadmer, /. c.,p. 12. 9 » Uude bona fama ejus (Anselmi) non modo Noiniannia tota est ropersa, » verum etiam Francia iota, Flandria tota conliguaeque his terrae omnes : ( 20 ) l'habitude, tiré des Catégories, c'est-à-dire de la version boé- lienne de ce traité. Ce fut très-probablement un texte des Catégo- ries annoté par le Commentateur qui a donné occasion au Dia- logue. Quoi qu'il en soit, il s'agit, entre les interlocuteurs, de déterminer si un Nom qualificatif, celui de Grammairien, par exemple, désigne formellement, c'est-h~d\re d'ioie façon immé- diate et première j la substance ou plutôt la qualité. Le disciple a l'esprit en suspens à ce sujet. Il lui semble qu'il y a des arguments d'égale valeur pour les deux alternatives *. Le maître, désireux de faire apercevoir à son élève la différence et le rapport entre le sujet substantiel et ses qualités {inter quale et qualitatem , pour parler avec Eadmer), l'invite à produire ses raisons. — L'élève commence ainsi : Tout Grammairien (conservons l'exemple, il est de Boèce), tout Grammairien est un homme, et tout homme est une substance. Tout ce qu'il y a d'être substanîiel dans le Grammairien lui vient uniquement de ce qu'il est homme. Il semble donc que le qualificatif : Grammairien désigne avant tout la substance. — Mais, d'autre part, que le Grammairien désigne la qualité, c'est ce que déclarent expressément les philosophes qui se sont occupés de ces matières, et ce serait impudence que de mépriser en ce sujet leur autorité! Or, continue le disciple, il y a d'évidence erreur dans Tune des deux opinions. Je prie le maître de me la montrer ^. Nous voilà, dès le début, en pleine dispute logique. Que le lec- « quin et mare Iransiit Angliamque replevit. Exciti sunt quoque gentium » lïiulti nobiles, prudentes clerici, strenui milites alque ad eum confluxere, • seque et sua in Ipsum monaslerium servilio Dei Iradidere. » — Eadmer , op. cit., p 8. * Discip. « De Grammalico pelo, ul me certum facias ulrum sit sub- « stantia, an qualilas; ul hoc cognilo, quid de aUis quae similitcr deno- » minative dicuntur, sentire debeam, agnoscam. — Magist... Die primum, » cur dubiles! — D. Ideo, quia videlur ulrumque posse probari neces- • sariis rationibus, esse scilicel et non esse. — M. Proba ergo. » Chap. \. Édil. Gerberon, t. II, p. 143. ' « Ul quidem Grammaticus probelur esse siibstantia, sufTicit quia omnis » Grammaticus homo, et omnis homo substanlia... Quod vero Grammaticus » sit Qualilas aperte fatenlur Philosophi qui de bac re traclaverunt : quo- ( 21 ) leur me pardonne si j'ose l'y introduire! Marcianus Capella a peint la Dialectique de son temps sous les traits d'une Furie au front livide, amaigrie jusqu'aux os et les cheveux entortillés de couleuvres. Hélas! si funèbre que soit le portrait de la Muse du Trivium, qui oserait dire que Capella Ta fait trop fidèle? — Mais indiquons, sans plus dç retard, l'origine de la discussion. Tout aride qu'elle est, elle touche à des questions dont se préoccupera plus d'un siècle! Aux yeux d'Aristote, l'être réel, la première substance est V in- dividu, « ce qui n'est pas dans im snjet, ni ne s'affirme d'un sujet. » L'essence, ou si l'on veut la notion spécifique, universelle s'affirme des types individuels : dans la réalité elle ne subsiste qu'en eux. Ceux-ci , au contraire , ne peuvent ni s'affirmer d'aucun autre, ni subsister ailleurs qu'en eux-mêmes. Vindividu, le type particulier est seul le terme concret de l'expérience et de la percep- tion :seul il s'offre à l'esprit comme l'unité réelle j subsistant daug sa totale et complète réalité; c'est pour cette raison qu'il est nommé par Aristote la première substance et le dernier sujet *. Le maître ajoute dans les Catégories, que si les premières substances ve- naient à disparaître, toutes les autres réalités disparaîtraient avec elles ^. Cependant outre lindividu, il y a l'espèce, le genre. Sans doute ceux-ci ont leurs caractères distinctifs aussi bien que les « rum auctorilalem de his rébus est impudenfia improbare. Item, quoniam « riecesse est ul Grammalicus sit aut subslanlia aiil qualitas, et quodlibet » horum sit allcrum non sit , et quodlibet non sit, alterum necesse est esse : » quiiiquid valet ad inslruendam unam partem , destruit alteram; et quicd- » quid unam débilitât, alteram roborat, •■ Chap. l. * Oùah (?e kariv vj xvpicÔTa.rd zs jcat tt/jcotw; xcci /x(i.Xi(7T(x XeyofjcévTj yj y-JJTt' xaB'Ô7zoxsiy.évov zivoq, Xéy srcct fivjTS êv unoK£t/u.évrjô zivi sariv , oiov èriq àvdpcùnoç ^'~ 0 r'cç, "iTTTicq. Categ., chap. III, n" 1. Tô U7rox£ifx.£vov S(T%aroy, o iiyjxézi xar' xX/ov y.éyerai. Met., liv. V (al. IV) chap. 8. M^ oùaw zâiv Ttpuzav ovaiûv , dSôvcczov rcôv àXXuv zi Sivat. Categ., chap. 3. ' '\av rU zàv âeuzépuv oùcicôv fcâvezai /xèv ôpLoiui; tw o-j/jf^ar/ t^ç npcffi}- { T> 1 types individuels. Arislote lui-même en l'ait la remarque. Mais c'est pour noter que l'Espèce et le Genre ne sont pas à propre- ment parler des substances (r^'d'f T/).La notion universelle, s'alïir- raant de plusieurs êtres, se dit d'un sujet et existe dans un sujet. Elle est en un sens plutôt une qualité qu'une réalité subsistant par soi {yrcbv Ti). Les Dialecticiens lui ont donné le nom de sub- stance second e.Toulefo'is les critiques notent qu'Aristote a reconnu une grande différence entre cette qualité substantielle ou l'espèce, et les simples modes de l'être. La substance première, l'individu ne peut se concevoir sans la substance seconde : cet homme-ci ne peut être pensé à part de l'humanité. Au contraire, les déterminations modales, celle du Grammairien, par exemple, n'ont pas avec les individus un rapport nécessaire et détenniné. C'est pourquoi Aristote les nomme des qualités adhérentes et extrinsèques , en opposition avec l'espèce qu'il appelle la qualité inhérente et intrinsèque ^ On aperçoit déjà ce qui a pu brouiller l'élève d'Anselme. — Le /jixllo'j TTotov ri a)/}ixcf.b!=i. Categ.^ cbap. 3, n» 16. — Je ne puis m'empêcher, en transcrivant ce texte, de rappeler les paroles qu'écrit à ce propos le D"^ Pranll : « Man sieht hier handgreiflich . wie gewisse Grundzùge, welche • tief ontologisch bei Aristoteles gedachl waren, i n der Schule verknôcherlen und n nur mehr formale bedeutung hallen. Der Ausdruck §tùrepai cùgioli kommint • den gesammten schriften der Aristoteles aufnich ein einziges mal vor » (l. I, p. 243). — C'est le lieu de dire que le critique de Munich doute irès-forl de l'authenticité du fameux Traité. Toutefois ses arguments reposent plutôt sur des conjectures internes que sur des raisons tout à fait convaincantes. — Voyez M. Barthélémy de S'-Hilaire, Logique d'Ar., t. 1, Préface. * M. de Rémusat écrit à ce sujet : « La substance qu'Aristote refuse au genre, c'est la substance première ou proprement dite, car il appelle les Genres et les Espèces substances secondes, parce qu'ils expriment des attri- buts subtantiels (et non accidentels) de l'individu. » {Abélard, 1. 1, p. 535.) — Nous venons d'apprendre de M. Prantl qu'il n'est pas certain que l'appellation de substance seconde soit d'Aristole lui-même. iMais, entendue comme le veut M. de Rémusat, elle est conforme à ses idées. — Voir dans M. Hauréau, t. I , pp. 55 et suiv. les développements sur la doctrine générale d'Arislole concer- nant la substance. — On doit également consulter le D"* Pra>tl. vol. I, pp. 187 et suiv., 217 et suiv. ( 25) Grammairien semble d'évidence un nom de qualité. Mais en même temps il désigne un individu, c'est à dire une substance première. Dans le Trivium cette équivoque pouvait causer quelque émotion! Ce n'est pas tout. Le Grammairien implique un être très-réel. Or, la Qualité est la troisième des catégories; et les Catégories, de l'aveu répété du maître, n'expriment pas de vraies réalités : elles sont simplement la formule vei^bale des manières d'être de la substance. 11 est vrai qu'Aristole range aussi la substance parmi les Catégories. Par là, il aura simplement voulu avertir que tous les êtres complets de la nature sont des substances premières, des individus *. Néanmoins, dès qu'on les envisage au point de vue de l'espèce, c'est-à-dire de la substance seconde, ces mêmes êtres ne sont plus qu'un type abstrait, un universel logique. Sous ce der- nier rapport, l'aflirmation d'Aristote sur le concept purement conceptuel des Catégories se vérifie aussi de la Substance. — Seulement, c'est la remarque de MM. Barthélémy de S'-Hilaire et Hauréau, en ce qui concerne la signification des noms de qualité, le langage du maître et des Glossateurs est loin d'être explicite. Ceux qui ont lu l'Organon et la Métaphysique savent si l'observa- tion est exacte! Quoi d'étonnant qu'un Professeur du XI'^ siècle ait voulu simplifier, à la manière de son temps, l'exposition d'un point encore embrouillé aujourd'hui, et qu'on estimait très- grave? Boèce, l'auteur classique des Ecoles venait accroître cet embar- ras. Dans son interprétation des Catégories, à l'occasion des termes quali/îcatifsj il explique celui de Grammairien par le nom d'une personne, d'une substance première : celui d'Aristarque. Ailleurs, il apporte ce même terme de Grammairien comme exemple de la Catégorie de la qualité. Nous croyons, avec le D' Prantl, que cette équivoque fut l'occasion de la présente dispute, qui trou- blait fort régents et écoliers, au témoignage d'Anselme ^. — Enfin dans ses notes sur Porphyre, Boèce insinue que le Stagyrite distribue les êtres en deux grandes classes, l'une comprenant les < Cf. DE Rémusat, Abélard, I, p. 334. * De Grammatico, chap. XXI. ( 24 ) substances, l'autre les accidents, auxquels il subordonne les neuf Catégories. Or parmi celle-ci, la Qualité occupe le second rang. — En présence de toutes ces ambiguïlés au moins apparentes, on pouvait s'informer, dans un cours de Logique formelle si le titre de Grammairien désignait une substance ou bien un accident, à l'in- star des autres noms de qualité ! Il est temps de résumer, avec la patience qu'elle exige, l'aride discussion. L'élève d'Anselme doute s'il faut considérer les noms adjectifs en général comme des noms de substance ou comme de simples noms de qualité. Nous avons entendu les motifs de son scrupule. — Vos premières conclusions, lui répond le maître, ont été déduites de leurs prémisses en toute rigueur. Vous vous trompez uniquement en ce que vous croyez que les deux énoncialions, — l'une: le Grammairien est un bomme et par conséquent une sub- stance; l'autre: le Grammairien désigne la qualité, — ne peuvent être vraies en même temps. Je voudrais vous montrer qu'elles peuvent très-bien coexister *. Avant tout, ne pourriez-vous pas indiquer vous - même ce qui paraît vicieux dans votre précé- dente argumentation? Là-dessus, après d'assez longs circuits, s'adressant à son élève, il fait ce raisonnement : nul homme ne peut être conçu à part de la rationalité. En concluez-vous que nul bomme n'est un animal? C'est pourtant une semblable argumen- tation que vous avez faite à propos du Grammairien (chap. III) 2. * • Argumenta, quae ex utraque parle posuisti necessaria sunt;nisi quod » dicis, si altenim est, alteruni esse non posse. Quare non debes a me exi- » gère, ul alleram partem esse falsam ostendam, quod ab ullo fieri non » potest : sed quomodo sibi invicem non répugnent aperiam , si a me fieri ;> potest : sed vellem ego prius a te ipso audire quid his probationibus luis » objici posse opineris. •> Chap. II. ' « M. Die ergo in ipsa propositione quod intelligis. — D. Omnis homo • polesl iutelligi homo sine Grammatica. — M. Concedo ; assume. — D. Nullus « Grammaticus potest intelligi Grammaiicus sine Grammatica. — il/. Junge.. >» Vide ergo ulrum habeant communem lerminum : sine quo nihil efficiunt. — » D. Video eas non habere communem teiminum, et idcirco nihil ex eis cou- • sequi (chap. IV). — M. Conficitur ergo quia esse Grammatici non est esse )) Hominis, id est, non esse eamdcm deûnitionem utriusque... Non tamen indo » consequiturGrammaticumnonessehominem,sicuttuintelligebas.» (Chap.V.) ( 23 ) Cette observation conduit l'élève à exposer d'une manière plus complète ses prémisses qui reviennent à celles-ci : nul Grammai- rien, en tant que Grammairien, ne peut être pensé à part de la Grammaire. L'homme, e)i tant qu'homme, n'implique d'aucune façon le concept de Grammairien (cliap. IV-V). Anselme montre ensuite en quel sens la qualité de Grammairien ne s'affirme pas de l'homme, ainsi que l'avait dit l'élève. L'homme, en tant qu'homme, ne peut certes être considéré comme un Grammai- rien. Suit-il de là que le Grammairien n'est pas un homme? (Chap. VI.) La conclusion de cette observation est que le nom qualificatif Grammairien et les adjectifs en général ne signifient pas simplement la substance, mais bien la qualité spéciale qu'ils énoncent (chap. VII) ^ — Hélas! ces trop abondants détails n'ont pas persuadé l'élève. Si l'essence du Grammairien n'est pas celle de l'homme, objccte-t-il, comment répondre à celui qui tiendrait que le Gramniairien n'est pas un homme? (Chap. VIIL) C'est précisément la doctrine d'Aristote qui brouille son esprit^. Selon le Slagyrite, le Grammairien se dit d'un sujet. Com- • « Non enim dici potest quia nuUus Grammalicus intelligi valet aliquo » modo sine Grammatca; aul omnis hnmo valel quolibet modo intelligi sine y> GramnKstJCR : nam omnis homo qui Grammalicus est, potest intelligi homo » sine Graiiimatica, et nullus homo potest inlell gi Grammaticus sine Gram- « malica. Quapropt^r non possunl confieere Grammatieuni nequaquam esse * hominem. » (Chap. VIL) — « Quare intellii^i tiebel illa tua argumentatio hoc » modo : si esse Giammatici non est simpliciter esse hominis; (jui habet 0 essentiam Grammalici, non ideo sequilur, ut habeat simpliciter essentiam » hominis. Similiter intelligendum est quia simpliciter homo non sequilur » Grammaticum, id esl, si Grammalicus est, non sequilur ul sit simpliciter » homo; ita vero nihil aliud sequilur, nisi nullus Grammaticus est simpliciter « homo, D. xMhil clarius. » (Chap. VIIl ) 2 « D. Aristoteles ostendil Grammaticum eorum esse quae sunl in suh- » jecio : et nu'lus homo esl in subjecto : quare nullus Grammalicus esl » homo. M. Noluil Aristoteles hoc cousequi e suis diclis : nam idem Aristo- » teles dicit quemdam hominem, et hominem , et animal Grammaticum. — V Respoude mihi : cum loqueris mihi de Grammatico, unde te intelligam » loqui; de hoc nomine , an de rébus quas signifîcat? — D De rébus. — vj M. Quas ergo res sigiiiûcat? D. Hominem et Grammaticam... M. Die ergo : ( '2i\ ) ment le Grammairien signifierait-il dès lors la substance dont Aristote affirme qu'elle n'est pas dans un sujet, ni ne se dit d'un sujet? — Vous oubliez, réplique le maître, qu'Aristote décompose logiquement le Grammairien dans l'homme, Vanimal et la qua- lité de Grammairien. Le Grammairien n'est [)as dans un sujet; il est substance première en tant qu'il désigne un certain itidividu humain; il est dans un sujet non comme substance seconde, mais comme simple accident intrinsèque, c'est-à-dire en tant précisé- ment que Grammairien (chap. IX). Quant aux formules d'Aristote, elles ne prouvent pas que le Grammairien ne soit pas une substance. Car, en une certaine ma- nière (secundum quid), le Grammairien n'est pas dans un sujet; il désigne un genre ou une espèce et il se dit de la nature com- mune. C'est un homme. Sous ce rapport, il appartient à Y espèce. C'est encore un animal et en cela il appartient au genre. — Enfin le Grammairien, en réalité, est un être individuel. Socrate est homme, animal et Grammairien (chap. X) ^ — Le disciple ne peut rejeter l'argumentation du maître : pourtant il ne se rend pas encore. 11 note que les Manuels de Dialectique, à propos de la Homo est snhstantia, au in subjectol D. Non est in subjeclo, sed est sub- stantia M, Grammalica , est qualilas et in subjecto? D. Ulrumqueest M. Quid ergo mirum, si quis dical quia Giammalicus est substantia , et non est in subjecto, secundum hominem, et : Grammalicus est qualilas et in subjecto, secundum Grammaiicam. » (Chap. IX.) * « M. Mémento diciorum Aristotelis, quae paulo ante dix!, quibus dicit Grammaticum et primam et secundam substantiam ; quia et hommem queradam , et hominem et animal , Grammaticum dici teslatur : sed lamen. unde probat, Grammaticum non esse piimam, aut secundam substantiam? D. Quia est in subjecto, quod nulla substantia est : et dicitur de piuribus, quod primae non est : nec est genus, aut species , nec dicilur in eo quod quid; quod est secundae. M. Nihil horum, si bene meministi quae j;im diximus, aufert Grammatico substantiam : quia secundum aliquid Grammaticus non est in subjecto , et ut genus et species ; et dicitur in eo quod quid : quia est et homo,qui species est; et animal quod est genus ; et haec dicuntur in eo quod quid. Est eiiam individuus, sicut homo et animal : quia quemadmo- dum quidam homo est (D. Gerbeion a lu mal : et) quoddam animal; ita qui- dam Grammalicus est individuus. Socrates enim et homo et animal est et Grammalicus. » (Chap. X.) ( ii7 ) Catégorie de la qualité , en donnent pour exemple le Grammai- Hen, tandis qu'ils n'apportent jamais cet exemple en parlant de la substance. En outre, le Grammairien, selon le Maître, est roui ensemble un nomde(/Ma///e et un nom de SM6sfawce, puisqu'il exprime V homme et de plus la Grammaire! Mais le terme homme exprime également et la substance humaine et toutes ses diffé- rences, par exemple la sensibilité et la mortalité. Jamais cepen- dant, comme exemple d'un nom de qualilé , on n'apportera le nom i\ homme (chap.XI) *. — Anselme répond en faisant ressortir la différence des deux cas allégués. Par concomitance , dit-il, le nom d'homme désigne, dans leur ensemble, toutes les notes essentielles de 1 être humain, mais directement ce mot porte sur la substance. C'est, ajoute-l-il avec un sens plus profond cette fois, que la substance est le principe des autres attributs qui ne peuvent exister sans elle ', tandis qu'elle-même peut être * «' D. Nullalenus itaque credam sine aliqua alia ralione traclalores Dialec- « ticae tam saepe et lam sludiose in suis libris scripsisse quod idem ipsi col- » loquentes dicere erubescerent : saepissime namque cum volunl ostendere » qualitatem, aul accidens subjungunl : ut Grammalicus et similia : cum » Grammalicum mai>is esse subslanliam quamqualitalem aul accidens, usus » omnium loquenlium alleslelur; et cum volunt aliquid docere de sub- « stanlia, nusquam proferunl, ul Grammalicus, aul aliquid hujusmodi. « (Chap.XI). ^ « M. Nempe nomen Ijominis per se , et ut unum , significat ea ex quibus « constat lotus homo, in quibus subslanlia principalem locum tenet, quo- « mam est causa aliorum , et habens ea non ut indigens illis, sed ul se indi- » genlia. Nulla enim est diirerentia substantiae sine qua subslanlia inveniri » non possil, el nulla differenliarum ejus, sine illa polesfexislere. Qua- » propler, quamvis omnia simul velul unum lolum, sub una signilicalione uno » nomine appellentur homo : sic tamen priucipaliter hoc nomen esl signiticali- » vum el appellativum subslanliae... Grammalicus vero non significal hominem » el Grammalicam, ul unum; sed Grammalicam per se el hominem per aliud >' significal : el hoc nomen quamvis sil appellativum hominis, non tamen « proprie dicitur rjus signifîcativum, el licel sil signilicalivum Grammalicae, » non lamen proprie esl ejus appellativum. Appellativum aulem nomen « cujusiibel rei nunc dico quo res ipsa usu loquendi dicilur : nullo enim usu » loquendi dicilur: Grawmar/ca est Grammalicus, aul Grammalicus est » Grammatica; sed homo est Grammalicus et Grammalicus est hom,o. •> (Chap. XII ) (28) conçue sans les différences modales (chap. XI). Sur une nouvelle instance de l'élève, Anselme ajoute : Pour vous faire toucher du doigt votre erreur, supposons qu'un être différent de l'homme ait connaissance de l'art grammatical. En maintenant votre senti- ment, vous devez nécessairement le tenir pour un être diffèrent de l'homme, mais dont la définition soit néanmoins : un homme sachant la Grammaire [chu]). XJII)! D'eux-mêmes, les noms qua- lificatifs impliquent uniquement la possession de la qualité. Mais par concomitance ils indiquent soti sujet. C'est pour cette raison qu'instinctivement nous les rapportons à celui-ci, et que nous prenons aisément un nom de qualité pour un nom de substance. En pure dialectique, c'est là une erreur. Aristote a vu et indiqué ce rapport, lorsqu'il a rapporté le nom de Grammairien à la Caté- gorie de la qualité (chap. XlV-XV-XVl) '. — Et à propos de Caté- * « M. Ponamus quod sit animal aliquod rationale , non lamen hoïno, quod et » sciât Gramniaticam, sicut homo... Est igilur aiiquis non homo sciens Gram- » maticam. — D. Consequilur. 3/. Sed lu dicis in Grammatico intelligi bomi- > nem. D. Dico. — M. Quidam ergo non-homo est homo, quod faisum est. » D. Ad hoc ratio deducitur. M. Non ergo vides , quia Grammaticus non ol» » aliud magis videlur signiRcare hominem quam albus; nisi quia Grammalica » soli homini accidit, albedo vero non soli homini? (Chap. XIII.) D. Satis mihi » probasti Gramniaticum non significare Hominem... Exspecto ut Gramma- » lieum oslendas signifîcativum esse Grammalicae. . quoniam dixisti Gram- » maticum significare Grammaticam per se et hominem per aliud, peto ut ^) aperte mihi has duas signifîcationes distinguas, ut inteiligam quomodo )) Grammaticus non sit significativum ejus quod aliquo modo significat ; aut » quomodo sit appellalivura ejus cujus significativum non est... Nomen equi » (v. g.),etiam priusquam sciam ipsum equum album esse, siguificat mihî » equi subslantiam per se, et non per aliud. Nomen \ero aibi {\. g.), equi » subslantiam significat non per se, sed per aliud 5 id est, per hoc quod scio » equum esse album; cum enim nihil aliud significet hoc nomen quod est ') albus quam haec oratio quae est habens albedinem; sicut haecoralio per y, se constituit mihi inlelleclum albedinis, et non ejus rei quae habel albedi- >j nem, ita et nomen. (Chap. XIV.) — Cum enim in detinitione nominis vel » verbi dicitur, quia est vox significaliva; intelligendum est non alia signi- » ficalione quam ea quae per se est (chap. XV)... Cum vero dicitur quod )) Grammaticus est gua/îVas, non recte nisi secundum tractatum Arislotelis » de Caiegoriis dicitur. « (Chap. XVI.) ( 29 ) gories, le maître rappelle à l'élève que leur but direct est d'exprimer la signification formelle des modes de l'être fini, mais nullement l'être qu'ils présupposent (chap. XVII) '. C'est la spécia- lité des Dialecticiens de s'en tenir à cette signification directe des mofs (chap. XVIII) 2. Cette réflexion amène enfin Anselme à remar- quer qu'un même mot peut appartenir à plusieurs Catégories. Le ' « Non fuit principalis inlenlio Aristolelis , hoc in illo libro ostendere (scili- cet, quia omne quod est aut est subslantia , aut qualitas, aut quanlitas,etc.), sed quoniam omne nomen , vel verbum aliquid horum significat : non enim inlendebat ostendere quid sint singulae res, née quarum rerum sint appel- lativae singulâe voces, sed quarum significativae sunt. Sed quoniam vnces non signiflcant nisi res, dicendo quid sit quod voces signifleant, necesse luit dicere quid sint res. « (Chap. XVII.) * « Quare quia constat Grammaticum non significare, secundum hauc divisionero, hominerriy sed Grammalicam , incunctanter respondebo, si quaeris de voce , quia est vox significans qualilatem ; si vero quaeris de re, quia est qualitas... Non enim movere nos débet quod Dialectici aliter scribunt de vocibus , secundum quod sunt significativae ; aliter eis utuntur, secundum quod sunt appellativae ; si et Grammatici aliud dicunt secundum formam vocum , aliud secundum rerum naturam. (Chap. XVIII.) M. Rem quidem unam et eamdem non pufo subdiversis aplariposse praedicamentis, licet in quibusdam dubitari possit... Unam aulem voeem plura signilicantem non ul unum non video quid prohibeat pluribus ali- quando supponi praedicamentis, ut si aibu?» dicitur qualitas et habere. — D. Cur aulem non est homo, secundum divisionem Aristolelis, substantia et qualitas, quia ulrumque significat : quemadmodum est albus qualitas et habere, propler ulriusque significalionem? M. Aestimo huic in!erro- gationi illud posse sufficere quod supra dixi, quia est principalite.r siiinifi- cativum substantiae et quia illud unum, quod significat, substantia est; et non qualiter sed quale : albus vero nihil principalius, sed pariter significat qualitatem et habere , nec sit unum ex his, quod magis sil hoc ve! illud, cujus sit albus significativum. (Chap. XIX ) M. Unum non fit ex pluribus nisi aut compositione partium quae sunt ejusdem praedicamenli, ut animal constat ex corpore et anima; aut convenieniia generis el dilïerentiae unius vel plurium; ut corpus et homo; aut specie et proprietalum colleetione; ut Plato. Illa vero quae (v. g.) albus significat... sunt accidenlia « jusdem sub- jecli; quod tamen subjeclum albus non significat quia omnino nihil signi- ficat aliud, quam habere et qualitatem. Quare non fit unum ex his quae albus significat. (Chap. XX.) M. Non agilur utrum omnis qui est atbus sit ( 50 ) mot Blanc, parcxcn)[)Ie, est réductible aux Catégories de la qualité et de celui qui la possède. Le terme homme ap()arlientà la seule catégorie de la substance. C'est que l'homme individuel est un tout organique, concentrant tous les éléments qui le constituent, dans l'unité de son être. Le qualificatif Blanc, au contraire, n'implique pas une unité pareille, car il n'a de réalité qu'en la substance qui possède la Blancheur (cbap. XIX) *. Si l'adjectif Blanc, par exemple, signifiait directement quelque chose de blanc, qui ne voit que l'expression quelque chose de blanc se ramènerait logi- quement à : Quelque chose de Blanc-blanc , et ainsi à l'infini? — Cette fois, on le pense bien, l'élève est dûment persuadé! Le maître termine sa dispute, en rappelant les débats que son objet provoquait entre les graves Dialecticiens. Dussent-ils renverser son argumentation, elle n'aurait pas été sans fruit. N'aurait-elle pas fourni matière à une discussion sur les Catégories? )) aliquid, aul sil qui habet (albediiiem) ; sed utrum hoc nomen sua significa- " tione coiilineal id quod dicimr aliquid, aul qui babet, sicut homo continet » animal : ul quomodo homo est animal ralionale morlale, ita aibus sit » aliquid habens albedinem, aut qui habet albediiiem... ^/^ws ergo non est » aliud quam qui albedinem habens est? D. Non aliud... 31. Idem est igilur n albus, quam qui a. bus est. D. Sic sequilur. 31. tJbicunque ilaque ponitur » albus, recte pro eo accipitur qui a'bus est? D. Non possum negare. M. Si » ergo albus est qui albus eslj esteliam : qui qui albus albus çst est; et si « hoc, est eliam qui, qui, qui-albus-est, est, est; et sic in iufinilum. D. Non ■' hoc minus consequens , nec minus absurdum est , quam ut saepe sil aliquid » aliquid... Salis apparel quia per album non significatur aliquid habens « albedinem, nec qui habet albedinem, sed lanlum habens albedinem; id )> est, qualilas et habere,.. Quam ralionem in omnibus quae sine com- « plexione dicuntur,et similiter signilicanl quaelibel plura, ex quibus non fit '■> unum , valere video : nec aliquid bis, quae in hac dispulalione asseiuisli, « objici recte posse existimo M. Nec mihi nunc vidclur : lamen quoniam scis « quanlum noslris lemporibus Dialeclici cerlenl de quaeslione a te proposila , 1) nolo te sic his, ({uac diximus, inhaerere, ul ea perlinaciter teneas; si quis *> validioi'ibiis argumenlis haec destruere et diversa vabieiil adstruere : quod " si conligeril, saltem ad exercilalionem dispulandi nobis haec prolecisse 1) non negabis. » (Chap. XXI.) * Cet exemple tiré de la blancheur est classique : il se relrouve partout chez Arislole d'où il passa aux Glossateurs : Voyez , entre autres, VHerme- neia, cbnp. IX et chap. XII. — Mélaph. Aiv. YU ,c\mi>. IV. ( ôl ) Nous avons dû reproduire les principales parties du Dialogue de Grammallco , le seul traité où Anselme s'occupe de Dialectique. Si rapide que soit notre analyse, elle nous a paru trop longue en- core : elle le paraîtra surtout au lecteur. Nous ne surprendrons personne, en ajoutant que le premier Traité de notre Docteur a été l'objet de jugements contradicloires. Les doctes écrivains de Y His- toire littéraire de France estiment que le Dialogue inaugura en Occident une ère de progrès pour la science logique M Avec une urbanité exquise, M. de Rémusat l'appelle un bon livre sur un point de Dialectique ^! Le D"" Hasse de Bonn, en général fort complaisant pour son auteur, admire Tbabileté magistrale avec laquelle S. Anselme y traite des Catégories ^! M. Cousin déclare que le Dialogue n'a pas plus de valeur que le mor- ceau aussi ennuyeux, aussi insignifiant de Gerbert : de ratio- nali et ralione uti *. Le D"" PrantI en est encore plus mécontent : C'est un jeu prolongé et sans esprit, dit-il, basé sur des textes empruntés à Boèce, où l'on se donne le stérile labeur de soulever, puis de résoudre à fond des difficultés qui n'en sont pour aucun homme sensé. Le Dialogue restera une preuve de l'impuissance du réalisme jusque dans la sphère de la logique^. — Je n'aperçois pas trop ce que le réalisme vient faire ici. Mais j'ai hâte de confesser que le Dialogue serait, par lui seul, une bien médiocre recommandation [)0ur la mémoire d'Anselme. Si tous ses écrits eussent présenté un caractère pareil, ils n'auraient eu pour la postérité qu'un intérêt purement archéologique, comme les traités de Frédégise et des autres Glossaleurs. Sous ce rapport du moins, notre Dialogue offre quelques curio- sités, il nous apprend mieux que nul document antérieur ou conlcm()orain , sous quelle forme apparaissait aux premiers Doc- leurs du moyen âge, la Dialectique d'Aristote. Pour eux les Catégories avec leur appendice de Y Interprétation étaient tout » T. VII, p. 151. ^ Saint Anselme, p. 102. 3 S. Ans. von Cant., l. II, p 76. * Op i.ned.Abœl.,^.i()'2. * T. il, p. 89. ( 32 ) Aristole. Ils ignoraient que c'était là le moins important des livres de l'Organon : il n'avaient pas le moindre doute au sujet de son authenticité '. Comme les genlilslionimes d'un seul quar- tier, ils n'avaient garde de scruter curieusement ses origines. Beaucoup d'entre eux prenaient pour une vraie traduction des Prédicaments le court résumé du pseudo- Augustin. Déjà Andronicus (50 av. J.-C), le premier interprèle d'Aristote après Tyrannion l'éditeur de ses œuvres; déjà Adraste (150 ap. J.-C.) avaient opiné que la première partie seulement (chap. 1-IX) était l'œuvre du Maitre. Les Régents du Trivium l'ignoraient. Ah! s'ils avaient pu du moins se renseigner sur la portée du trop fameux Traité! Aux yeux du Stagyrite, les Catégories étaient les attributions les plus générales de la substance pre- mière, c'esl-à-dire de l'Être individuel. Celui-ci ne peut subsister, dans la réalité, qu'avec des formes déterminées; les détermina- tions dont il est susceptible peuvent se ramener à certains types dont le nombre est fixe, limité. Ces prédicables généraux de la substance, Aristote les a nommés les Catégories (Kciyyj Kxn^ycpoC- fi£i-a). 11 en énumère trois principales : la Substance (cùaix), la Passion { Tcocdoç ) et la Relation {^rpôq zt). Ailleurs, il y ajoute les six déterminations suivantes : la Qualité (ttoiov), la Quantité (ttogov), le Lieu [mu), le Temps (^c-t'), VAction (mielv). 11 compte encore parmi les catégories la Position (^ft/o-Oa/) et la Possessioti (èxstv). Le D"^ Prantl estime que le caractère peu circonscrit des Catégo- ries de la Possession et de la Position, réductibles à celles de la substance et du Lieu, montre assez qu'Aristote n'a pas entendu dresser un inventaire rigoureux des Prédicaments. Il n'aura voulu qu'indiquer les principales déterminations de l'être, au point de vue du discours , du jugement énoncé. — C'est ce qu'il déclare en plusieurs endroits de la Métaphysique 2. La significa- tion formelle, î;er6a/e des Catégories était insinuée dans la version * Voir dans le D' Pranll les motifs de ses doutes louebanl l'authenticité des Catégories; t. I, pp. 90-91. - Voir les preuves de ce point dans Prantl, l. I, pp. 185 et suiv.; p. 203 sqq. ( 35 ) de Boèee ' ; Anselme y a trouvé ce renseignement. Mais sur le rapport ultérieur des prédicables avec la réalité, l'Organon restait muet. Le traducteur latin ne suppléait pas à ce silence. Il cormaît le vrai sens des catégories 2, mais il oublie par malheur d'indi- quer le lien qui rattache la Dialectique et le concept à la nature, à la réalité. — De la sorte isolés des autres parties de l'Organon, les Prédicaments poussaient d'eux-mêmes les esprits dans la voie des abstractions verbales. La subtile terminologie dont la seconde partie du Traité contenait tant d'exemples, et plus encore, la forme vague des trois dernières Catégories qui devaient donner tant de soucis à Abélard, à Gilbert de la Porrée et même à Leib- nitz, renforçait ce péril. 11 avait été préparé de longue main par l'enthousiasme de Boèce lui-même pour la dizaine catégorique! Ne l'avait-il pas nommée t la pléiade sacrée des sciences, la clef de la Philosophie, le nombre auquel il est interdit de rien ajouter-' » Le Dialogue de Grammalico est presque en totalité inspiré par le classique consulaire. La manière dont Anselme y expose la caté- gorie de la qualité et jusqu'aux termes où il la décrit (chap. II; VI); la décomposition du concept de Grammairien en substance indivi- duelle : un homme déterminé, Aristarque, par exemple, en genre Animal; et en différence spécifique : Grammairien (chap. IX); la définition qu'il donne de la seconde substance (in eo qiiod quid) (chap. X); la division des mots en significatifs et en appellatifs (chap. XII); les remarques sur le rapport de la qualité de Gram- mairien avec la substance (chap. XIII), et sur la signification pre- * « Eorum quae secundum nullam complexionem dicunlur singulum aul « substantiam significat, aut quantitalem , aul qualilalem, aut ad aliquid » autubi, aut quando, aut situm esse, aul habere, aul agere, aut pâli. • Categ. IV, in l3œTH. Versio>e. 2 .. Decem praedicamenla quaedicimusinfinitarum in vocibus significalio- » num gênera sunl ; sed quoniani oninis vocum significatio de rébus est, quae » voce significanlur, in eo quod significanies sunl, gênera rerum necessario > significabunl. — Non de rerum generibus neque de rébus, sed de sermo- ■> nibus rerum gênera signilicanlibus in hoc opère tractalus habelur. » — Praef. P.oëthii ad Corn, in Categor. ToMB XXV. 5 ( 34 ) mière et immédiate des noms de qualité (chap. XllI ; XVI); tout cela est emprunté à Boèce. C'est à la même souree qu'il faut lapporter les oppositions, les conversions, les jeux de mots dialectiques, les dilemmes apparents, enfin les nombreuses alter- natives logiques, Tune des particularités du Dialogue. S. Augustin aussi a pu fournir occasion au Dialogue. On ren- contre, dans le traité de Quanlitule animœ , un passage où le doc- teur d'Hippone parle du « Grammairien », en des termes que Ton ne saurait lire sans penser à Anselme. — Augustin cherche la défi- nition du Grammairien. Voyons, dit-il, si celle-ci est correcte : Le Grammairien est un animal raisonnable mortel qui est Gram- mairien. 11 est certes erroné de dire ; tout homme raisonnable mortel est Grammairien. Et cependant si nous faisons subir à la proposition une simple conversion , nous obtenons ce sens-ci qui est exact : Tout animal raisonnable et mortel qui est Grammairien est un homme ^ 11 serait superflu d'insi-ter sur Tanalogie de ce passage avec le principal objet du dialogue de S. Anselme. Si le disciple de Lanfranc eût ramené ses longues explications à la re- marque d'Augustin, en l'étayant de quelques exemples, la Philo- sophie y aurait perdu assez peu, et nous aurions pu épargner au lecteur de trop longs ennuis! Mais ce laconisme n'était pas dans les mœurs. Ne fallait-il pas apprendre aux élèves du Trivium à rai- sonner selon les règles? Dans une classe de Logique, il n'était pas * « Sed tenlemus eam, si placet (deliiiilionem hominis), ulrum vitio non >^ vacillet, quo illa hominis, cui Gramnialicum est addilum, esse hominem » dictum est animal rationale morlale Grammalicum : eo que peccare islam » definilionem ,quod conversione vera est, cum prima enuncialione sii falsa. >■ Namque falsum est : omnis homo animal ralionale morlale Grammalicum >^ est; quamvis verum sil ; omnc animai ralionale morlale Grammalicum »■ homo est. Ergo ideo viliosa est haec deiînilio, quod niliil quidem praeter « hominem sed non omnem liomim m tenel. « — De Quanlitate animae, chap XXV. — Notons ici radjtclif mortel qui peut paraître étrange dans la définition dePhomnie, et que nous retiouvons presque partout au moyen âge. Ce terme venait à Augustin de Platon. Les Scolasliqut s purent le tirer aussi de VIsagoge (p. 16 de ia Irad. de M, dn Sainl-ttilairc), ou de Boèce, in Top. Cicer.^ p. 804. — De Consul, phil.^ liv. 1 , p. 898. — Voir de liémusat, Abé- Inrd, t. I , q. 379. ( 3S ) plus permis aux disciples d'aller à la vérité tout droit, qu'au ma- lade de Molière de guérir sans l'avis de la Faculté. Je n'ai garde de faire l'apologie des longueurs et des raffine- ments logiques du Grammairien. Ils ne se rencontrent pas uni- (juement dans ce premier traité. Les Dialogues théologiques, le Monologue et le Prosloge n'en sont pas tout à fait exempts; nous le verrons en son lieu. .Mais il faut le dire : c'est à Porphyre et aux glossateurs, en partie aussi aux circonstances, de porter la responsabilité de ces défauts qui choquent si fort nos habitudes (Tesprit Pour peu qu'on se rappelle les exemples de ses devan- ciers, l'on est même obligé d avouer que le Dialogue d'Anselme accuse un certain progrès. D'après le D*^ Prantl, si sévère pour le Fragment dialectique, ce fut l'erreur d'un grand nombre de maî- tres de logique dassimiler les énoncés catégoriques aux détermi- nations réelles de la substance, et de confondre absolument la notion, l'expression verbale et la réalité objective. Eh bien! cette aberration, du moins ici, Anselme ne l'a pas commise. Il déclare, au chapitre XVII, que lintention d'Aristote, en ce traité, a été uni- quement d'énoncer la signification formelle et immédiate des mots. Le croirait-on? La question des noms de qualité, qui a paru si oiseuse à M. Cousin et qui l'est en elîet, exerça le zèle du fameux dialecticien du Pallet. Elle élait bien vraiment à l'ordre du joui'! — a Soit posée la question, dit M. de Rémusat : un nom signifie-t-il tout ce qui est dans la chose à laquelle le nom a été imposé, ou bien seulement ce que le mot même dénote et ce qui est contenu dans l'idée qu'il exprime? Âbélard se décide pour celte dernière opinion, qui était celle d'un certain Garmond contre Guillaume de Champeaux. . Chacun de ces noms ne signifie que l'idée qu'il excite dans l'esprit. » A ce propos Abélard entre dans des détails fort semblables à ceux de notre Dialogue. Le savant critique ajoute : « Il y a dans cette opinion de Garmond, adoptée par Abélard, contre le sens apparent de quelques mots d'Aristote et de Boèce, une tendance louable à subordonner la Dialectique à la psychologie '. » Accordons cela : seulement, • Ahélanl, l, I, p. 593. ( 36 ) avant Tinconnu qui s'appelle Garmond, et avant le Palatin, Anselme avait écrit un traité exprès dans le même esprit. Que ce soit là encore une excuse du Dialogue! Nous avons entendu nommer tout à l'heure Guillaume de Champeaux auquel on se complaît à assimiler Anselme. M. de Rérausat vient de rappeler que sur le point capital de la sùjnifl' cation des mots, il était en désaccord complet avec Garmond, avec Abélard, et avec Anselme par conséquent. Guillaume, le patriarche des réalistes, tient pour la signification réelle des noms de qualité j Anselme, malgré les obscurités de Bocce, tient pour la formelle, et il prélude en cela au chef de l'école conceptualiste ! La néfaste réputation d'ullra-réalisrae qu'on a faite à notre Docteur serait-elle un vain épouvantail? Notre Dialogue, presque entièrement négligé des critiques français, contient quelques renseignements à cet égard. On a été jusqu à accuser Anselme de préler une existence réelle à toutes les abstractions de l'esprit, et même aux qualités accidentelles des êtres. « Il n'hésite pas plus, a dit de lui M. Hauréau, à compter parmi les substances, c'est-à-dire parmi les choses qui vivent et les êtres qui pensent, la couleur en soi que l'homme en soi '. » Le docte académicien avait écrit ailleurs : « L'humanité, la sagesse, la couleur, sont, à proprement parler, des substances universelles'^. »M. Rousselot n'avait pas été moins sévère le 11 faut le dire, écrit ce savant dans l'étude qu'il consacre à notre Docteur, Anselme est le promoteur de cette ridicule tendance des philo- sophes du moyen âge à réaliser des abstractions : il est pour beaucoup dans le mauvais côté de la scolaslique ^. » Nous exami- nerons Tidéalisme d Anselme quand il sera question de sa méta- physique et de sa doctrine sur la substance physique. Il ne sera pas inopportun cependant de montrer, dès à présent, qu'à tenir compte de ses principes dialectiques, Tanathème dont on l'accable ne peut tomber sur le fond de sa doctrine. * Alhenœum français, 18 fév. 1854. « Mis t. de la Phil. scol., I, p. 201. 2 Éludes sur ta phil. dans le moyen âge , chap. VII. ( 57 ) Au chapitre XIX, le naïf disciple demande au maître pourquoi le mot Homme ne désigne pas immédiatement la substance et la qualité, tandis que l'adjectif Blmic implique les Catégories delà qualité ei de la possession ? A cette question Anselme répond que le sujet Homme désigne de soi 1 être substantiel dans son unité complète : le quale et non la qualité. L'adjectif Blanc, au con- traire, désigne directement la qualité de l'être; il n'emporte pas un sujet invariable. Or, pour comprendre la valeur de cette explica- tion, il faut se souvenir qu'au chapitre XIX, S. Anselme oppose le concept de la substance, de l'être individuel et complet à celui des autres catégories , au nombre desquelles la Qualité tient le pre- mier rang. N'eût-il pas dès lors été absurde (pi'il prît la couleur et les qualités pour des substances ^? Cela ressort mieux du cha- pitre XX. Là Anselme afïîrme que le qualificatif Blanc ne signifie pas de soi la substance. Comment a|)rès cela aurait-il enseigné que la a couleur en soi » est un être substantiel; bien plus, que c'est un être vivant et pensant, une sorte de monade, si l'on veut? — A ce même ordre d'idées appartient un passage du chapitre XVL L'élève objecte au Maître qu'il ne peut se rallier au sentiment de ceux qui rangent l'appellation le Grammairien dans la Catégorie de la qualité. On ne répondra jamais, dit-il, à celui qui demanderait : Qu'est-ce qu'un Grammairien? C'est un nom de qualité. Anselme établit qu'il est parfaitement exact que le Grammairien seul implique la connaissance de la Grammaire. La Grammaire, dit-il dans son archaïque langage, ne possède ni par soi, ni même en tant qu'elle est unie à l'homme, la connais- sance de la Grammaire! Et il cite à cette occasion l'exemple du guide précédant un voyageur. Sans doute le premier seul devance l'autre. D'autre part, le guide ne peut cire considéré comme le premier qu'à condition d'avoir derrière lui quelqu'un qui le suive. Celui-ci toutefois n'a avec le premier qu'une relation purement accidentelle 2. < Voir les citations plus haut , pp. 29-30. ' « M. Grammalica namque, nec sola, nec cwm homine habet Gramma- » ticam, sed homo solus, id est, absque Grammalica, non est Grammaticus, » quia absente Grammalica . nullus esse Grammaticus polesi; sicul qui prae- (58) Cette explication donne beaucoup d'hilarité à M. Prantl. Elle y prête. Le critique de Munich dénonce avec une ironie anière la façon superficielle dont Anselme envisage ici les rapports des êtres. 11 aurait dû voir cependant qu'il y avait un certain motif de se réclamer dans l'occurrence d'un accident purement extrin- sèque. Quelle est la notion qui se dégage de la trop candide compa- raison? Qu'aucune qualité ne subsiste en soi comme un tout com- plet et séparé, mais seulement dans le sujet qu'elle informe. Voilà pourquoi Anselme la compare à celui qui est guidé par un chef de file. Celui-ci seul précède les autres; mais afin qu'il puisse les précéder, il faut qu'un second le suive. Ainsi de la qualité, de l'accident. Ils n'existent pas à part de leur sujet. Ces détails sont étranges! Un homme moderne n'entend qu'avec une stupeur irri- tée de semblables remarques. Mais quand il s'agit de Logique for- melle, au XI'' siècle comme en tout temps, il ne faut s'étonner de rien ! Il se trouva, dit-on, des maîtres qui prêtèrent quelque entité mystérieuse aux qualités, aux accidents. Anselme était vanté comme le fondé de pouvoir de ces excès. Eh bien ! son sentiment est que les accidents n'existent que dans la substance, nullement en eux- mêmes. C'est en ce sens qu'il écrit ailleurs : « II y a beaucoup de choses ou pour mieux dire d'essences qui ne sont pas simplement des substances. Qui voudrait nier, dit-il, que la volonté et les changements de la volonté soient des réalités, bien que ce ne sont pas des substances? Car il y a beaucoup d'êtres (de non- néants), en outre de celui qui est, à proprement parler, la sub~ stance '. » — Dans son premier traité, le Docteur a professé la même doctrine qu'il tiendra dans le Dialogue de la Vérité, où il écrit qu'il y a une grande différence entre le rapport de la vérité « cedendo ducit alium , el solus est praevius ; quia qui sequilur non est n praevius , nec separalim , nec sic ul ex illis duobus unus fiai praevius; et » solus, non est praevius, qui nisi sit qui sequalur, praevius esse non • polest. « * « Nec voluntalem , nec voluntalis conversiouem pulo negari posse aliquid « esse. Nam elsi non suni sub s tantiae , non lamen probari potesl eas non » esse esseatias : quoniam multoe sunt essentiae praeter illam quae proprie « dicilur substaiitia. — De Casu Diaboli , chap. VIII. ( 5î) ) idéale avec son expression et celui de la couleur avec le corps. — Car, assurc-t-il, le corps est pour la couleur la condition de l'existence. Si le corps lui-même existe, la couleur existe. Le corps vient-il à périr, il est imj)ossil)le que la couleur lui survive •. C'est encore conformément à ces vues que dans le Monologue, Anselme nomme, sans plus d équivoque, les couleurs des accidents et établit un rapport assez étroit entre elles et les relations pure- ment extrinsèques de la substance 2. — Tout cela n'empêche pas l'historien de la Philosophie scolastique d'avancer qu' « après avoir posé en principe que les noms des qualités et des essences sont des noms univoques, S. Anselme a dû nécessairement consi- dérer la blancheur et l'humanité comme des substances univer- selles ! » Une pareille extravagance a pu être professée par quelques ultra-réalistes : il paraît injuste d'en accuser Anselme. Certes, pour sa gloire, on souhaiterait qu'il eût moins sacrifié à la Dialectique outrée, aux frivoles diOicultés nominales dont s'en- chantaient les hommes de son temps. Anselme était privé des œuvres d'Aristote, qui aurait pu l'éclairer sur la portée réelle de la Dialectique; il n'avait entre les mains que les fragments les mieux faits pour égarer sa pensée! Que man(iua-t-il aux maîtres de la première période du moyen âge, que manqua-t-il à Anselme pour atteindre complètement au véritable sens de l'Organon et des Catégories? F^n saisir, en dégager Vêlement objectif, et trouver en lui le principe générateur de toute la philosophie du Stagyrite. Il faut indiquer sommairement ce point : c'est le meilleur moyen de compléter, selon le vœu de l'Académie, l'appréciation critique du morceau que nous venons ' i< Quapropler (verilas) per significationem liabet esse, et per eam mu- « tatur ejus rectiludo : quemadmodum color per corpus habet esse et non >^ esse. Exislente namque corpore , colorem ejus necesse est esse; el pereunle « corpore colorem ejus manere impossibile est. « — De Verilate, chap. XIII. ' .' Omnium quippe quae accidentia dicuntur, alla non nisi cum aliqua >> parlicipanlis varialione adesse et abesse posse intelligunlur, ut omnes « colores; alia omnino nuliam vel accidendo vel recedendo mutationem circa »> id de quo dicuntur, effîcere noscuntur, ul quaedam relationes. ^ [MonoL, chap. XXV.) ( 40 ) d'analyser, si étrange de forme et de fond pour un liomnic moderne. La Logique d'Aristote a été, de nos jours, l'objet d'une véritable restauration. Des critiques consciencieux, en France aussi bien qu'en Allemagne, ont montré sa portée objective, e( le lien étroit qui, dans la pensée du Maître, la rattachait à l'onto- logie, à la psychologie. Trop souvent on s'est complu à ne chercher dans l'Organon que les règles de la discussion verbale. Que de disputes roulèrent sur la question : La logique est-elle une science; n'est-elle qu'un art? M. Barthélémy de S. Hilaire note qu'Aristote n'avait pas laissé le problème indécis. Il rappelle à ce sujet l'exorde des premiers Ana- lytiques qui sont l'âme de la logique aristotélicienne : « D'abord nous dirons le sujet et le but de cette étude : le sujet, c'est la dé- monstration; le but, c'est la science démontrée. » Cette déclaration est tout un système. — La science, l'assimilation de Vôtre par l'esprit implique un rapport direct de la raison avec la réalité. Elle s'appuie sur ce double fondement : les formes nécessaires de la pensée et les objets eux-mêmes. En tant que ces formes s'expriment par le langage, par la proposition, la démonstration scientifique s'assure un nouvel élément d'objectivité. «* La logique, dit le savant traducteur d'Aristote, n'est pas pure de tout empi- risme : le langage est la source où elle a puisé tous les éléments primitifs dont elle a bâti plus tard son solide édifice. L'étymo- logie même de son nom en fait foi, et l'esprit humain n'a jamais su mieux discerner, ni mieux exprimer le rapport de deux choses indissolubles, qu'il ne l'a fait dans la langue grecque, en rattachant grammaticalement la logique au langage, soit du dedans, soit du dehors '. » Ainsi selon Aristote, la Logique se fonde avant tout sur la constatation des formes et des lois de la pensée, du « verbe interne, » pour parler le langage des derniers Analytiques. Par là, elle se relie à la psychologie, et trouve dans le fond de l'âme sa raison , sa lumière. Le concept dégagé par l'esprit des multiples phénomènes, la perception de l'être substantiel, en un mot, voilà < OEuvres fV Aristote, l. L p. 11. ( n ) son principe gcnéraUur '. Le principe d'identité ou de contradic- tion fournit la formule de l'unité essentielle que renferme chaque concept particulier. La réalité ne nous offre que des élrcs indi- viduels ; aussi le sujet immédiat de tout concept complet est l'individu, la substance première. — Mais en présence des êtres individuels, renlendernent, l'intellect actif, en vertu de sa loi eonslitutive, se sent spontanément poussé à négliger les attributs contingents, accidentels, pour fixer son regard sur l'essence coexistant aux individus. Cette abstraction primitive le conduit à former la notion universelle, en laquelle se rencontre la réalité ' • La substance, dans l'acception la plus exacte, la substance première, la substance par excellence, est celle qui ne se dit point d'un sujet, et ne se trouve point dans un sujet: par exem|ile, u)i homme, un cheval. « — Catég.^ chap. V. — ^- De Texpéiience, ou bien de tout l'universel qui s'est arrêté dans l'âme , unité qui, par delà les objets multiples , subsiste toujours, et qui est une et identique dans tous ces objels, vient le principe de l'art et de la science: de l'jFi, s'il s'agit de produire des choses; de la science, s'il s'agit de con- naître les choses qui sont... Au moment oîi l'un de ces concepts qui n'offrent aucune ditTérence entre eux , vient à s'arrêter dans l'âme, aussitôt l'âme a l'universel ; l'ètie particulier est bien senti, mais la sensibilité s'élève jusqu'au général. C'est la sensation de l'homme, par exemple, et non pas de tel homme individuel, de Callias. Ces concepts servent ainsi de points d'arrèl jusqu'à ce que s'arrêtent enfin dans rame les idées indivises, c'est-à-dire universelles. Ainsi, par exemple, s'arrête l'idée de tel animal jusqu'à ce que se forme l'idée d'animal, qui elle-même sert aussi de point d'arrêt à d'autres idées. » — Deux Analyt., liv. Il , chap XIX. — De ces passages nous rapprochons celui-ci qui clôt le XIII*- livre de la Métaphysique : « La science ei le savoir sont doubles en quelque sorte : il y a la science en puissance et la science en acte. L2i puissance éVdui , [)ouv ainsi dire, la matière de l'universel et l'in- détermination actuelle, appartient à l'universel et à l'indéterminé, mais l'acte est déterminé : tel acte déterminé porte sur tel objet déterminé. Cependant, l'œil voit accidentellement la couleur universelle, parce que telle couleur qu'il voit est une couleur en général. Cet A particulier qu'étudie le Grammairien est un A en général. » — El encore : « Le sujet est une essence, soit qu'on le considère comme matière... soit qu'on le considère comme la forme et la figure de l'être, c'est-à-dire cette essence qui est séparable de l'être, mais séparable seulement par la conception. « Met , i. VIII, p. 1. — « Tous les rai- sonnements ont pour principe Vesseîice, tout raisonnement part, en effet, de Vélre déterminé. » Ibid.^ t. VII, p. 9. ( 4-2 ) nécessaire et les notes accidentelles, l'immuable et le changeant , l'un et le multiple. — De la sorte, le problème d'Heraclite, déses- pérant de retrouver l'élément stable, permanent des choses parmi le flux incessant des apparences , semble résolu. Par delà les objets de sensation, l'esprit atteint les formes intelligibles de l'être, c'est- à-dire l'uniTcrsel, le genre et l'espèce auxquels se ramène, en dernier ressort, la multiplicité des choses il est clair d'ailleurs que la démonstration fondée sur l'élément universel seule fonde h science ; la vraie philosophie s'occupe de la substance, non de ses accidents ^ — Le concept, tel qu'Aristote l'entend, est donc le produit d'une double réalité : de la nature et de l'esprit '^. Mais afin que les concepts soient féconds, il ne suffît pas qu'ils soient classifiés, réunis ou séparés par la Proposition. — Les jugements ne nous mènent à la vérité, à la certitude qu'à la condition de montrer le lien nécessaire des conclusions avec leurs pré- misses ou leurs principes. Pour cela, il est besoin de fixer leur mutuel rapport, au moyen d'un terme commun, appelé pour cette raison le moyen terme, ou la cause de la conclusion. Voilà le but du syllogisme démonstratif ou de la Démonstration pro- prement dite, à laquelle Arislote consacre de si prolixes déve- loppements. — N'est-ce pas là, en résumé, tout le sujet de rOrganon? Classification des concepts [Catégories); énonciation des concepts {Interprétation); démonstration évidente, ou lois et combinaisons du syllogisme, et analyse des fondements de la Démonstration {Premiers et Deuxièmes Analytiques. C'est la * « Il n'y a pas de démonstration pour les choses périssables. Pour elles , il n'y a pas non plus de science proprement dite. « Dern. Anal^i. I, p 8. ' Le rapport des mois aux idées, des idées aux choses est exprimé au com- mencement de VHcrméneia : ^i Les mots dans la parole ne sont que l'image des modifications de Tàme; et l'écriture n'est que Timage des mots, que la parole exprime. De même que l'écriture n'est pas identique pour tous les hommes, de même les langues ne sont pas non plus semblables. Mais les mo- difications de rame, dont les mois sont les signes immédiats, sont identiques pour tous les hommes, comme les choses, dont ces modifications sont la représentation fidèle, sont aussi les mêmes pour tous. «> (Ghap. I.) —Notons- le : pour confirmer celle déclaration si nette sur Vobjectivité de la science, Aristote renvoie à sa Physique, c'est-a-dire à l'étude directe de la réalité. ( 43 ) partie slricleineiU scieiilifiquc de Ja Logique, ou \A podiclique , comme l'appelle Aristote, aboutissant aux déductions nécessaires, absolument certaines. — La Dialeclique, selon lui, s'occupe de la démonstration simplement probable : elle est snrlout exposée dans les Topiques et dans les Sophistiques ^ Envisagée de la sorte, la Logique d'Arislote n'est autre chose que le développement méthodique du concept humain, dans toute sa vivante réalité. C'est l'expression de son plus récent interpiète, le D'^ Prantl, et c'est la vraie ^. La science, pour Aris- tote, n'a pour objet que les êtres réels : et à ses yeux, nous le savons, la Logique est une science. Les causes ou sources de dé- monstration dont elle s'occupe sont les éléments de la réalité même : la matière des êtres et la forme qui l'actualise, le principe * Sur l'importance de la division de la Logique en Apodicliqite ou démon- stration nécessaire, et en Dialectique ou demon>\ràl\on simplement probable, voyez le D'" Praistl, t. I, pp. 96 el suiv. — M Barth. de Saint-Hilaire, Mémoire sur la Logique d'Arist , t. II, pp. 59 et suiv. — Aristote lui-même indique la distinclion au premier chapitre des Prem. Analytiques , et au chap. II des Dern. Anal. * Qu'on nous permette de citer ces paroles du D' Pranll: « Die Apodeiktik >> sucht und entwickelt das Ka.06Xo'j der menschlichen Denkens (c'est-à-dire le « concept universel). Hierin beruht das veriiâltiiiss der Logik zur TzpuTif « fdo'jO'jix, insoferne die erstere von der leizteren gelrennteine einige dis- » ciplin bildet, und zugleich in so liefer uebereinslimmung mit jener sich « entwickell, dass sie schlechlin aus keinerlei anderen grundsàtzen beruht, » als auf jenen, welche eben die sogenannten meiaphysischen sind. Gelrennt n ist die Logique, insoweit «Jas menschlicliedenken elwasanderes ist, als die » objective wesenheit liberhaupt; insoweil aber letzlere nur durch das • denken der menscheu als eigenthum und produkl wird und hiemit die » erkenntniss als die identitâl des subjectiven und objecliven auftritt, ist « Erkenntniss-princip und Seins-princip ein und das nemliclie. Wir werden « sehen, dass bei Aristoleles, der « Begriff « das princip der arisloteiischen « Logik ist; dieser aber nerm///é'/^ maieriell das erkennen und formel! das « denken, er enihalt als schopferisclier begriff den aristotelischen Gruiidsatz • der entwicklung, das heisst der Ueberganger vom Potenziellen zum » Actuelleti, und hierin steht er als unenireissbare einheit von Logik und » Metaphysik fesl, er ist die Grundsaule beider, und vermittelsl seiner Iritt » auch die Logik selsbt als lebendiger enlwicklungs-process auf. • efficient et la raison finale. C'est la réalité qui nous fournit les con- cepts de CCS causes. Lorsque, dans ses raisonnements, l'esprit garde les lois imposées par la nature à la pensée de l'homme, lorsqu'il part de prémisses démontrées, ses conclusions sont certaines, véri- tables. En ce cas, « savoir ce que c'est une chose, se confond avec savoir pou7 quoi elle est. » Certes, ce n'est pas directemerU à la Logique qu'il appartient de décider de la vérité objective de nos jugements : c'est le rôle des sciences particulières de prononcer sur les thèses qui sont de leur compétence. Mais les règles fixées par l'Apodictique pour tirer de ces principes spéciaux, préalable- ment constatés, de légitimes conclusions, ont dans l'essence même de la raison leur base, et aussi leur valeur immuable, absolue. Dans l'acte de la connaissance, la réalité externe <;t l'esprit s'unissent pour engendrer la notion; le monde externe se repré- sente aux sens et à l'entendement. Arisiolc lient que « l'esprit ressemble à l'œil corporel ' » atteignant les êtres du dehors; qu'il embrasse tout ensemble, en ses aperceptions, et les vérités sen- sibles, contingentes, et les principes immuables, éternels'^. Selon lui, il y a identité entre lintelligence en acte et l'intelligible, puis- que la faculté de percevoir les essences est lintelligence même, et qu'en cela consiste le caractère transcendant, divin de la raison ^. — C'est conformément à ces théorèmes qu il appelle lescoficlusions du syllogisme démonstratif des vérités nécessaires qui ne peuvent être autrement qu'elles sont ^. De fait, les notions que la Logique reçoit de la Physique, de la Psychologie, de l'Ontologie, elle apprend à l'esprit à se les assimiler; elle les coordonne et les enchaîne d'après les lois constitutionnelles de l'intellect, organe de toute science. Elle ramène les conclusions particulières aux principes nécessaires, immédiats, indémontrables ^, et par-dessus tous les autres au principe de contradiction '•. « Ces axiomes < Eth. Nicom., liv. 1 , p. 4. * Ibid,, liv. VI, p. 12. ^ Met., liv. XII, p. 7. ^ Dern. Anal., liv. I , p 4. ^ Dern. Anal., liv. I, pp. 8, 9. ♦^ Voir Dern. Anal., liv. I , pp. 1 1, 3:2 .el surtout it/e«.,liv. IV. - Voici en quels (45) eux-mêmes, dit Aristote en terminant ses Derniers Analytiques, ne dérivent pas de connaissances plus notoires qu'eux ; ils ne sont pas en nous dès l'origine, cachés en quelque sorte dans les profondeurs delà conscience*. Certes, « nous avons en nous la faculté de les acquérir; » mais ils n'en sont pas moins le produit de la sensation et de l'induction, puisque celles-ci seules nous termes Aristole monire le fondement de ce principe dans la nature, en ratta- chant ainsi à la question des Principes évidents déduits par l'entendement, le grave problème de Tobjeclivité de la science : « Admettre un pareil principe (la possibilité simultanée des contraires), c'est détruire toute substance et toute essence. On est forcé alors de prétendre que tout est accident; il faut nier l'existence de ce qui constitue l'existence de l'homme et l'existence de l'animal... Alors il faut ou bien que tout ce qu'on affirme, en même temps on le nie, et que tout ce qu'on nie, en même temps on raffirme ; ou bien (n. b.) que d'un côté, tout ce qu'on affirme, en même temps on le nie, tandis que de l'autre, au contraire, tout ce que l'on nie, on ne l'affirmerait pas en même temps. Mais, dans ce dernier cas, il y aurait quelque chose n'existant réellement pas. Et ce serait là une opinion certaine. Or si le non- être est quelque chose de certain et de connu, l'affirmation du contraire doit être plus certaine encore... Si tous les hommes disent également vrai et faux, de tels êtres ne peuvent ni articuler un son ni discourir, car en même temps ils disent une chose et ne la disent pas. S'ils n'ont conception de rien, s'ils pen- sent et ne pensent pas tout à la fois, en quoi dilTèrent-ils des plantes? » — Tout le monde voit qu'en rapprochant ces raisonnements du principe de la légitimité et de l'objectivité des facultés, on peut les opposer à Kant aussi bien qu'à Protagoras. * Der. Anal., t. II, p. 19. — Nous nous permettons de rappeler encore quelques autres explications d'Aristote sur le double élément de la connais- sance. — « La démonstration se tire de principes universels, et l'induction de cas particuliers. Mais il est impossible de connaître les universels autrement que par induction; c'est par l'induction, en effet, que sont connues même les choses abstraites, quand on veut faire comprendre que certaines d'entre elles sont dans chaque genre, choses d'ailleurs dites abstraites, bien qu'elles ne soient pas séparées, en tant que chacune d'elles forme un objet distinct. Or induire est impossible pour qui n'a pas la sensation : car la sensation s'ap- plique aux objets particuliers ; et pour eux, il ne peut ij avoir de science, puisqu'on ne peut pas du tout la tirer d'universels sans induction, ni l'obtenir par l'induction sans la sensibilité. » Ibid., t. I, p. 18. — « Ce qui rend bien évidente la supériorité de la démonstration universelle, c'est que quand de deux propositions, on sait la supérieure, on sait aussi en quelque façon la { 46 ) mettent en rapport avec l'universel, virtuellement contenu dans les types particuliers. Mais le jugement sur la vérité des principes ainsi obtenus relève en dernier ressort des facultés de Vinlelli- gence. « Parmi celles-ci, écrit le Stagyrite, la science et l'enten- dement sont éternellement vrais, et comme il n'y a que l'enten- dement qui puisse être plus vrai que la science même, c'est l'entendement qui s'applique aux principes. C'est l'entendement qui est le principe de la science *. » Nous nous trompons fort, ou ces dernières applications achè- vent de montrer toute la portée objective et l'élément spiritualiste de la Logique Aristotélienne. La Démonstration a pour facteurs proposition inférieure, et on la possède en puissance... La proposition univer- selle est toute d'entendement; la proposition particulière n'aboutit qu'à la sensation, « Ihid., p. 24. — «■ La science ne s'acquiert pas non plus par la sensation, car bien que la sensation se rapporte à telle qualité générale et non pas seulement à tel objet particulier, il n'y en a pas moins nécessité de sentir une chose spéciale, dans tel lieu et dans tel moment, v ïhid., chap. XXXI. — Cf. Met., t. I : « Aucune des notions sensibles n'est à nos yeux le vrai savoir, l)ien qu'elles soient le fondement de la connaissance des choses particulières. Mais elles ne nous disent le pourquoi de rien. « — Ibid., t. IIÏ, p. 4. — « Dirons-nous qu'il n'y a rien en dehors des choses particulières ? Alors il n'y aurait rien d'intelligible, il n'y aurait plus que les objets sensibles, il n'y au- rait science de rien, à moins qu'on ne nomme science la connaissance sensible. 11 n'y aurait même rien d'éternel, ni d'immobile, car tous les objets sensibles sont sujets à destruction et sont en mouvement. Or, s'il n'y a rien d'éternel, ia production elle-même est impossible. » — Sur l'accusation de sensualisme mise au compte du Stagyrite par quelques intuitifs, notamment par quelques onlologistes modernes, voyez Prantl. t I , p. 114; B.\rth. de S.\int-Hilaire, Mém. sur la Log. d'Arist., t. II, pp. 15 et suiv., et Préface à la Logique d'Arisl. Pour quiconque a lu Arislote, il est trop clair que Leibnitz n'avait pas besoin de corriger l'axiome faussement attribué au Stagyrite : « Nihil est in inteliectu quod non prius fuerit in sensu : eircipe intellectum! « L'excep- tion avait été faite par Aristote. — Le D"" Prantl note, non sans une fine ironie, qu'il est très-vrai qu'Arislote compare l'intellect, dans son élément potentiel, à une tablette enduite de cire , mais encore vierge de caractères. Seulement ceux qui de là arguent contre son sensualisme oublient qu'il com- pare l'intellect agent à la lumière rendant visibles les couleurs. {De l'Ame, t. m, p. 4.) * Dern. Anal., liv. II, chap. XIX. Ce chapitre ne peut être assez médité. C'est l'àme de l'Apodiclique d'Aristole. ( 47 ) les concepts de V intellect, engendrés par l'abstraction des types individuels, et Vexpressionàc ces concepts : son objet, ce sont les conclnsio7is nécessaires. Son but suprême, c'est de conduire l'esprit, par l'induction et la sensation, jusqu'aux premiers prin- cipes indémontrables , terme de l'évidence immédiate et de la lumière supérieure de l'entendement. La Logique est de la sorte rattachée à la nature et à l'ordre réel, à la Métaphysique et à la Psychologie, par sa double base, qui est Vètre individuel et la faculté aperceptive de l'esprit: elle trouve son couronnement dans l'entendement, la réalité par excellence, le Ciitère irréductible. Ces considérations sont empruntées surtout à lOrganon : si Ton en rapproche les raisons prises dans les autres traités du Maître, le côté posilif de sa doctrine apparaîtra dans un plus grand jour encore. Quel est le principe qui domine toute la philosophie d'Aristole? Nous n'hésitons pas à dire que c'est celui de la légitimité et de la portée objective des facultés et des ten- dances primitives, innées des êtres. Implicitement, ce principe inspire tous ses traités. C'est à l'entendement, éternellement vrai, (iu'il subordonne les axiomes premiers de toute science. Voilà, en propres termes, la conclusion de sa Logique. Sa Métaphysique s'ouvre par la constatation de la spontanée et naturelle aspiration (le l'homme vers la connaissance et la vérité. Son Économie poli- tique repose toute entière sur notre besoin instinctif de vivre dans létal de société. Sa Physique consacre cette vue féconde ])ar la loi de la finalité progressive des êtres de la nature. Qu'est-ce (jue cette finalité universelle, si ce n'est l'infaillible mouvement des êtres vivants vers leur fin propre? Ainsi l'ont jugée Gôtz, Riese, Brandis. Rappelons enfin la thèse fondamentale de l'action motrice de la première Cause sur les causes secondes où nous trouvons, avec des jtiges célèbres, le dernier mot de l'idéologie, de la morale et de la théodicée d'Aristote. De tout cela, nous avons, ce semble, le droit de conclure que sa Philosophie et sa Logique, au premier chef, présentent à l'esprit une portée réelle et un caractère objectif qu'on a vainement tenté de méconnaître *. ' L'ouvrage de ce siècle, qui rappelle le plus rOrganon est bien, à notre avis, le traité complet de Logique du D-- Hoppe {Die Gesammte Logik Pader- ( 48 ) En même temps, elles sauvegardent les droits et la suprématie de l'entendement; la conclusion des Derniers Analytiques, aussi bien que sa Métaphysique, absolvent à jamais Aristotc de Taccusation de sensualisme qu'on a tant de fois et si légèrement articulée contre lui. Certes, on peut regretter qu'il se soit montré si avare de développements sur la partie transcendante du problème de la connaissance. Le censeur de Platon voulait-il éviter de fournir lui-même un prétexte à des doctrines séduisantes, ré- centes encore et contraires à sa nature sévère et très-peu enthou- siaste? Ce qui est sûr, c'est que sa réserve a laissé une lacune dans son œuvre : lui-même nous a fourni des matériaux pour la combler, mais elle servira longtemps de thème aux récrimina- tions de ceux-là qui préfèrent l'idéologie mystique de Platon à la méthode expérimentale, mais parfois un peu trop réservée de son glorieux disciple. — Platon fut un écrivain d'une inimitable éloquence; Aristote, dans tousses ouvrages, se montre surtout professeur. Ses livres, véritables traités ésotériques , supposent les développements de l'école et renseignement du Maître. De là, l'exactitude, la solidité, mais aussi la sécheresse, la concision des sentences, et surtout, leurs détails souvent excessifs, obscurs parfois. born, 1H68). Nous osons signaler cet ouvracfe aux amis de la philosophie sérieuse. Voici, en deux mots, la délinilion de la Logique selon Hoppe, et tout son point de vue : « Die Logik isl die lehre von der that der Denkens. >^ Form \>-l das eigrie producl der Seele seibst, und dièse ist stets das Abbild » eines t^rgebenen Producl s. Die Logik reift mit der Psychologie und mil der » Naturkunde (p. o)... In vier worten liegt der thatbesland der grisligen » Ihatigkcit, die Sich mit dem Ueberselzen dessen beschàftigt, das in der » Wirklichkeit vorliegt. Dièse vier worte sind : Object, Eindruck, Bild, • Keiinzeichnung. Die Dingc Ireffen miltelst der nerven unsere im Gehirii '> wohnende Seele und machen einen eindruck. In folge dièses eindrucks n eiitslehl ein Bild in der Seele, und dièses liild wird gi^fassl, indem wir uns » Kcnnzeichen an demselben merken. Das gekennzeichnete bild is das Speci- » lische producl der Seele, der begriff, auf versehiedener stufe der voUen- » dung, von anderen auch Vorstellung oder Idée, am Zweckmassigsten >^ jedoch Begriiï gf^nannl, weil in dem Kennzeichniss des Bildes ein Erfassen, » Ergreifen, B( sitznehmen liegt. « (P. 28). — Voyez au.ssi D' Diirning de Berlin : NalWrliche Didlektik. Berlin, 1865, pa«smj. ( 49 ) C'est la fortune des œuvres magistrales d'être vouées à l'exploi- tation des esprits vulgaires qui trop souvent les déflorent, en les abaissant à leur médiocrité. Le D"^ Prantl a montré d'une ma- nière saisissante comment un Aristotélisme bâtard sortit de la méprise des commentateurs du Stagyrite, entêtés à perdre de vue l'élément objectif de sa Logique *. S'il faut en croire Ammon et Diogène Laërce, les plus anciens Péripatéticiens Théophraste et Eudème auraient déjà rédigé bon nombre de traités de Logique formelle. Andronicus de Pihodes, celui-là même qui publia les livres d'Aristote transportés à Rome par Sylla, fut probablement aussi un Dialecticien. Pour Herminus, Aspasius et Galène, la Logique n'est plus que Vart de discuter avec métbode. Les Catégories, et le classement des notions, voilà désormais son thème prin- cipal, sa fin suprême. On sait tout le bruit que l'on fit à propos de la figure du syllogisme que Galène prétendit ajouter aux trois formes trouvées par Aristote î En vain Boélhus de Sidon, pour ramener les esprits à l'étude de la réalité, tenta de mettre la Physique à la tête du programme philosophique et se distin- gua par des vues larges et sérieuses. En vain Alexandre d'Aphro- dise signala le rapport qui unit l'Apodictique à l'Ontologie, et mérita le titre d'Interprète par excellence que la postérité lui a conservé. Ce ne furent là que des éclairs au milieu des ténèbres du formalisme d'école. Les Stoïciens, malgré l'esprit positiviste de leur philosophie, ne virent dans la Logique que les Catégories et les détails de l'argumentation. Parmi les Syncrétistes, rê- vant de concilier Platon et Aristote, Apulée écrivit dans le même esprit son traité Sur V Interprétation, vraisemblablement traduit du grec. Porphyre s'ingénia à introduire les jeunes disciples dans les Catégories, par le livre des Cinq voix appelé à devenir le Manuel classique du moyen âge. L'historien philosophe de Munich va jusqu'à avancer qu'il eût mieux valu pour la Logique de ne pas être cultivée du tout que de tomber dans la poussière où le traité de Porphyre l'ensevelit! 11 est certain que son Introduction fonda pour longtemps la suprématie de la Dialectique nominale. ' Ouv. cit., t. I, pp. 316, o77. Tome XXV. 4 ( 50 ) Proclus, Ammonius, Marius Victorinus, Marcianus Capella, et plus que tous les autres Boèce raffermirent de plus en plus. Des nombreux livres du Consul , les premiers Docteurs ne possé- daient que ses commentaires et ses traités de Logique formelle. Boèce l'éclectique devint l'un des instituteurs du pseudo-Péripa- tétisme! Personne du moins ne le niera : à peine Arislote fut-il mieux connu en Europe, par ses Analytiques et sa Métaphysique, que les maîtres chrétiens donnèrent à sa doctrine une interprétation plus digne d'elle. Albert le Grand fut l'initiateur de ce mouvement. Grâce surtout à cet encyclopédique génie, l'Ontologie revendique ses droits et la réalité réclame la place des vaines distinctions. Son disciple, S. Thomas d'Aquin , poursuit l'œuvre commencée. La valeur objective des principes et des causes, en logique et en mé- taphysique; l'infaillibilité des tendances primitives des êtres et le concours de la Raison absolue avec l'esprit de Ihomme comme facteurs de la certitude; et, chose remarquable! la connaissance directe et habituelle du moi ou du principe pensant, base de la Psychologie moderne; tous ces points graves sur lesquels la plèbe des Glossateurs s'était depuis des siècles si étrangement égarée,sont maintenant compris et signalés aux penseurs à venir. Phénomène commun à toutes les rénovations fécondes: la Scolas- tique est à peine en possession des éléments qui jusqu'alors lui avaient manqué qu'elle s'élève à son apogée. Comme représentants de l'alliance de la Raison et de la Foi, S. Thomas d'Aquin et S. Bo- naventurc ne seront plus dépassés : on peut douter s'ils eurent des égaux. D'emblée, ils associèrent en une synthèse grandiose les principes générateurs de l'Académie et du Lycée, en lesquels lesprit humain avait personnifié sa double faculté : l'intuition et la raison '. Par leurs soins à restituer le vrai texte d'Aristote, les Docteurs devancent leur époque. iMais arrivé à ce point, le génie scientifique rencontre de nouveau Tancien obstacle : il décrit une ' La porlée objccHve de la mélhotle scolaslique a été supérieurement trailée, au point de vue des objections d'Hermès, par H. Kleutgen. S. J. Phil. der Vorzeil. Édit. Munster, t. Il, passim. — Voir aussi l'Introduction. ( ol ) courbe rentrante qui le ramène aux plus mauvais jours de la Logique formelle. Les maîtres avaient discerné avec un tact surprenant les fondements objectifs de la Logique, de Tldëologie, de la iMëtapbysique. Ils n'eurent pas le temps d'achever, de vulga- riser la restauration de la science. — Un contemporain de saint Anselme, Psellus le Byzantin, avait écrit sur l'Organon d'Aristote des gloses dont le formalisme superficiel surpassait tout ce qu'a- vaient connu les âges précédents K Au temps même de saint Thomas d'Aquin, Guillaume de Shyreswood, Docteur en Sor- bonne, et plus tard Pierre d'Espagne, utilisèrent ces commentaires dans leurs Sommes logiques dont l'Europe fut inondée. Ces Recueils n'étaient pas sans mérite, mais on s'attacha trop souvent à leur partie purement dialectique. Ce fut une calamité! il n'est pas douteux que les Summae logicales j réimprimées jusqu'au XVP siècle et à leur tour commentées, n'aient donné occasion au retour de la formule nominale dans les écoles. On a beaucoup vanté, de nos jours, la réaction de Guillaume dOccam contre la philosophie de son siècle. Un sceptique, un agresseur des Papes devait apparaître comme le héraut du progrès aux hommes de ce temps -ci! D'Ockam est un psychologue perspicace : le génie de la critique lui est familier; fort habilement, il montre les défauts de la méthode ultra-réaliste, ardente à créer des enti- tés imaginaires, à reconnaître une réalité à toutes les abstrac- tions de l'esprit. Mais s'il chasse ces chimères, il en rappelle d'au- tres, aussi vaines et plus odieuses. Le croirait-on de ce fier ennemi des rêveries métaphysiques? Son goût pour les puéri- lités de la dispute va au delà de tout ce que toléreraient ses admirateurs. Faiblesse bien faite pour enseigner la modestie, pour conseiller l'indulgence ! Très-souvent ses fastidieuses sub- tilités rappellent celles que nous avons détestées dans les Ré- gents de la première période. Est-ce la faute de son iiomina- lisme extrême, exagéré encore par ses successeurs? Je ne sais, mais à partir de l'apologiste fougueux de Louis de Bavière, * Sur Psellus et l'esprit de la Logique Byzantine, voyez PRAisTL,t. II, p. 263. ( 3-2 ) la Logique devient de plus en plus verbale et frivole. Jean Buridan, Albert de Saxe, Paul de Venise et la foule de leurs imitateurs remplissent leurs épais volumes de dissertations tou- chant les syllogismes hypothétiques, la conversion et le déve- loppement des propositions, les recettes mnémotechniques. — La décadence de l'esprit est ainsi toujours marquée par la recru- descence de la formule. C'est une loi de l'esprit humain. Quand il n'y a plus de philosophie, quand la science est négligée ou mécon- nue, il reste les Régents de Logique. Ne sachant penser, ils tien- nent à s'en donner au moins l'apparence : alors, avec un aplomb qui n'a d'égal que leur médiocrité, ils analysent, décomposent, combinent les formes du raisonnement. Incapables de trouver un objet à la raison, ils dissèquent et anatomisent l'instrument, ils classifient les facultés. Puis, ne soupçonnant rien des rapports de la nature et de l'intelligence, ils prononcent que leurs Caté- gories sont la réalité, et que ceux-là sont des téméraires ou des rêveurs qui la cherchent par delà ! C'avait été l'erreur des premiers exégètes d'Aristote : ce fut celle des derniers Glossateurs du moyen âge. On sait l'issue de ces aberrations. Après y avoir eux-mêmes sacrifié avec ferveur, Pierre d'Ailly et Gerson finirent par se lasser d'une discipline devenue si indigne d'Aristote et des traditions du XIIP siècle! Les protestations devinrent unanimes surtout, lorsque la Renais- sance eut répandu en Italie et en France le goût des lettres et l'amour de la beauté esthétique tant dépréciée par les incultes glossateurs. Pétrarque flagelle ces philosophes dont la dialectique fait toute la science, voilant de leur toge solennelle et d'un pédan- tisme inouï leurs risibles disputes. Boccace, Léonard l'Arétin, Plé- thon, Laurent Valla déplorent que la philosophie se voie trans- formée en une exégèse sans esprit, portant sur les mots et sur les combinaisons des mots. L'un des prélats les plus distingués de ce temps, Énée Sylvius, résume le vice de l'enseignement acadé- mique en signalant la manie des écoliers de s'adonner aux Glossa- teurs , au lieu d'étudier Aristote et les maîtres dans l'original *. • « Maximum autem hujus (Viennensis) vilium est, quod nimis diutinam " operam in dialecticis nimiumque lemporis in re non niagni fruclus feruul; (53 ) On commentait les Commentaires des Commentaires ! Cepen- dant les lettrés de l'Italie fouettaient de leur verge satyrique les hommes de la glose. De leur chaire où se pressait la jeunesse de l'avenir, les humanistes grecs et latins lisaient à leurs audi- teurs charmés les textes des anciens apportés en Europe par les nobles exilés de Constantinople. Une deuxième fois, maintenant avec la faveur des Pontifes , la Grèce vaincue apportait à l'Occident ses lettres et sa sagesse. La conscience humaine en appela comme d'abus contre la Logique formelle. Mais, comme il a coutume d'ar- river dans les réactions violentes, la Scolastique fut, par malheur, enveloppée dans sa ruine. L'ancienne méthode vit commencer son agonie entre les invectives polies des maîtres italiens , les sarcasmes de Vives et d'Erasme, et les premiers grondements de la Réforme. François Bacon rendit son échec plus imminent en montrant qu'elle était aussi funeste à la connaissance de la nature qu'à celle de l'esprit. On pardonna à Bacon ses exagérations, ses erreurs, son iujustice de confondre l'Àristotélisme et la grande Scolastique avec la Logi- que dégénérée. On n'entendit que ses dénonciations, on les acclama. Malgré ces analhèmes, nous retrouvons la Dialectique abâtardie et les leçons qu'elle inspirait dans l'école averroïste de Padoue. Elle ne s'éteignit officiellement qu'en l'année 1051, où mourut Créraonini, le dernier et l'un des plus habiles représentants de cette école K Qui oserait dire qu'elle est tout à fait morte? Les esprits étaient trop fascinés par le charme des œuvres littéraires pour revenir sérieusement aux doctrines d'Aristote et des Docteurs du XIII^ siècle. Les premières discussions phi- losophiques inspirées par la Renaissance mirent en question, il est vrai, la prééminence des deux chefs de la philosophie ' qui magisterii arlium lilulo clecorantur, hac una in aite maxime exami- >^ iiantur... Qui libros Arislotelis et alioruni philosopliorum habeaut, raros •> inveiiies,comwien/«nïsplerumque uluntur. " ^neas Sylvius, î'p., p. 163; ÂP. Prantl, t. IV, p. 160. Sur l'extension de Tabus, voir toute la première partie de ce volume. * Cf. M. Renan, Averroës et rAverroïsme , 5« édil., p. 408.— Sur l'attitude des humanistes de la Renaissance à l'égard de la Logique, voyez les textes rapportés par Prantl, l.IV, pp. 139-172. (54) grecque. Mais il y avait trop d'animosité chez les combattants pour aboutir à un résultat sérieux. L'œuvre qui consacra l'avéne- ment de la science nouvelle fut, à proprement parler, le Discours sur la méthode de Descartes. Si le réformateur s'était borné à faire, dans les éludes philosophiques, la part plus large à la psy- chologie, à l'étude de la conscience, il n'eût fait que ramener les chercheurs aux voies fécondes qu'avaient déjà ouvertes Albert le Grand et saint Thomas. Mais Descartes compromit dès le début son système en frappant de suspicion les facultés humaines et les tendances primitives de la raison dont Aristote et les Scolas- tiques avaient maintenu les droits avec un soin jaloux. Quoi que l'on ait dit, il fonda l'école psychologique et lui donna une vive impulsion. Seulement, pour avoir enveloppé d'un doute illégi- time jusqu'aux principes de la connaissance il ruina la base même de la certitude. Étrange vicissitude de la pensée humaine : la philosophie du XV^ et du XVP siècle était tombée pour avoir méconnu l'élément objectif de la connaissance et s'être perdue en de folles querelles de mots : Técole nouvelle fut frappée, dès l'origine, d'une incurable faiblesse, pour avoir, à son tour, oublié le lien qui relie les facultés humaines à la réalité, la Psychologie à l'Ontologie. Faut-il le noter en terminant cette première étude? Après la réforme de Descartes, qui dédaignait la Logique; après les dé- clamations des Ecossais, si ignorants d'Aristote qu'ils dénigraient, la tentative de Kant, qui voulut refaire la Dialectique « comme science, « ne fut pas plus heureuse. M. Barthélémy de Saint- Hilaire estime que Kant n'a connu l'Organon qu'à travers des souvenirs bien effacés! îl est possible qu'il l'ait ainsi connu. Mais la façon dont il en parle semble trahir plus qu'une mémoire vacillante! Quoi qu'il en soit, la ruine de la logique Kantiste fut due à la même cause que la chute des méthodes précé- dentes? Kant prétendit instituer la Logique pure, comme il rêvait une Métaphysique pure, affranchie de tout rapport avec les contingences de l'observation, avec la réalité. C'était mécon- naître la nature, et retourner par une autre voie aux errements des Glossateurs. Kant, aussi bien que Descartes et dans une ( 53) plus large mesure, fournit dans ses contradictions insignes la preuve de l'inanité de son système. Les critiques ont observé (jue ce novateur si dédaigneux de l'ordre objectif lui emprunte presque naïvement une foule d'éléments : la conscience de l'identité personnelle; les concepts du temps et de l'espace; les formes mêmes de la pensée et le langage extérieur, expression du verbe interne; les Catégories fondamentales de sa Logique, la Quantité, la Qualité , la Relation, la Modalité qu'il justifie préci- sément au nom de l'absolue nécessité avec laquelle elles s'im- posent à la raison * ! Est-il étonnant que la gigantesque tentative du penseur de Kônigsberg, malgré ses mérites de détail , n'ait pas répondu à son programme? — Les meilleurs esprits retournent cbaque jour davantage aux fortes doctrines de l'Aristotélisme complété et élargi par les travaux des grands Docteurs chrétiens, et confirmé en ses points essentiels par les découvertes de la science moderne. ' Voyez VHisloire de la Philosophie du D»" Ueberweg , vol. III, art. Kant. ol rintrod. de M. Barth. de Saint-Hilaire, à la Logique d'Aristote, pp. xxxi et suivantes. (So) CHAPITRE II. PRINCIPES DE MÉTAPHYSIQUE GÉNÉRALE ET d'iDÉOLOGIE DE S. ANSELME DE GANTORBÉRY. § 1- Analyse du Dialogue de Veritate et des principes fondamentaux de la Métaphysique d'Anselme. — Doctrine de la Vérité absolue , raison dernière de la Vérité relative; Exemplarisme. — Critique; sources et influences de ces doctrines. — Idéologie d'Anselme. Implique-t-elle l'Ontologisme? Nous savons déjà que la Métaphysique d'Aristote ne fut expli- quée dans les écoles de Paris qu'au commencement du XIIP siècle, où elle y fut apportée d'Orient. Le Maître lui avait donné des noms divers. Il l'appelle Première Philosophie et lui assigne pour objet les notions transcendantes, communes aux diverses bran- ches des sciences, et l'étude de la Cause première des êtres. Considérée sous ce dernier aspect, la Métaphysique reçut aussi d'Aristote le nom de Théologie naturelle ^ On le voit : elle ne comprenait pas uniquement, ainsi que son nom semblait l'indi- quer, les matières que le Maître avait placées après les recherches de physique; elle s'offrait surtout à l'esprit comme la connaissance des principes généraux de la raison , et de la suprême Cause du monde. La Métaphysique présentait dans l'antiquité une extension assez différente de celle que lui ont attribuée les mo- dernes, depuis la classification inti'oduite dans les études par Christian Wolff. * Sur raulhenticilé de la Métaphysique d'Arislole, voyez rinlcressanle [ntroduction des iraducleurs, MM. Pierron et Zévort , de l'École normale, p. xciii. Ëdit. Paris, 1840. — Les savants auteurs y résument, avec une judicieuse et sobre critique, les travaux de Brandis, Bekker, Ravaisson. etc. ( '>7 ) Mais bien avant le Xll^ siècle, la nature même des Dogmes et les travaux des Pères avaient rappelé la Métaphysique dans les écoles cathédrales et monastiques. Par la forme et le nombre de ses écrits, le Docteur d'Hippone était naturellement destiné à devenir le maître par excellence de l'Ontologie chrétienne. « Sa philosophie, a pu dire Ozanam, renfermait en germe tout le travail de la scolastique. » Cela seul indique déjà le genre des premières recherches spéculatives du moyen âge. Aussitôt qu'elle fut cultivée d'une manière sérieuse, la Métaphysique embrassa surtout l'analyse du concept général de la Vérité, la détermination de l'essence idéale des êtres, enfin l'étude de la Cause première et de ses rapports avec l'univers. C'étaient les sujets préférés des contemplations d'Augustin, le disciple de Platon et des Alexandrins. Parmi les régents des écoles, Anselme de Cantorbéry fut le premier qui étendit ses méditations à cet ensemble de problèmes. Il ne les réunit pas encore en une syn- thèse unique; il n'écrivit pas une Somme. Mais il les approfondit tour à tour, avec une liberté d'esprit et un élan que ses devan- ciers n'avaient jamais portés à un si haut degré. Partout il se montre élevé, hardi même, sans alarmer les droits d une ortho- doxie scrupuleuse. En métaphysique pure, il inaugure les contem- plations sur la Vérité en soi , cette source féconde où viendront puiser sur ses pas, Albert le Grand, Thomas d'Aquin, tous les penseurs des âges de foi. En théodicée, il trouve la démonstration fameuse qui a gardé son nom et qui préoccupa les scolastiques, Descartes, Leibnitz, Kant, Hegel et jusqu'à nos contemporains eux-mêmes. Ceux qui ont pratiqué ses études théologiques sur la très-sainte Trinité et l'incarnation du Verbe, sur la concordance du libre Arbitre et de la Grâce savent qu'en ces difficiles sujets, Anselme fut loin de suivre l'ornière de la routine. Un homme du W siècle, capable d'élargir de la sorte les frontières de la science devait être un penseur d'une puissante initiative. C'est avec émotion que l'on salue cette grande et douce figure, ce moine fervent enivré des délices de l'extase, mais préoccupé jusqu'à son dernier souffle de montrer à la raison tout ce qu'il lui est donné d'entrevoir ici-bas de la vérité, des mystères, de l'Absolu ! ( 58 ) Nous allons, sans plus de retard, entendre la doctrine d'An- selme sur la vérité en soi, sur la forme intelligible des êtres^ et sur le rapport des vérités et des essences finies avec la Vérité ab- solue.. Au chapitre XVIIF du Monologue, S.Anselme avait déduit l'éternité de Dieu de l'éternité de la Vérité. — Les propositions vra/eS; avait-il observé, doivent avoir été telles de tout temps. Dieu qui est la Règle suprême de toute Vérité ne peut être lui-même circonscrit à un point déterminé de la durée. // doit être éternel. — Le fond de cet argument est emprunté à S. Augustin. Parlant des connaissances de faits dont notre esprit perd souvent le souvenir, ce Père écrit : « Mais si la vérité est effacée de notre intelligence par l'oubli de ce que nous savions auparavant, elle n'en demeure pas moins dans la Vérité. Car il sera toujours vrai que ce qui fut et n'est plus à présent a été : et là (dans la vérité supérieure), il est vrai que cela a été d'avance qui plus tard a existé de fait; et que ce qui n'existait pas encore existait là comme une chose future ^ d Entendons maintenant le raison- nement d'Anselme lui-même : « Que celui qui peut le faire, dit-il, se représente par la pensée, à quelle époque de la durée ceci n'a pas été vrai , savoir : qu'il y aurait quelque chose dans l'avenir, ou quand elle finira; et à quelle époque ceci ne sera pas vrai, savoir : qu'il y a eu quelque chose dans le passé. Que si ces deux négations extrêmes ne peuvent être admises, et si ces affirmations, au contraire, vraies toutes deux, ne peuvent être vraies sans la vérité, il est impossible même de penser que la vérité ait un com- mencement ou une fin. D'ailleurs, si la vérité a eu un commen- cement ou doit avoir une fin, avant qu'elle commençât d'être, il était vrai que la vérité n'était pas; et lorsqu'elle aura cessé d'exister, il sera vrai qu'il n'y a plus de vérité. Or, le vrai ne peut être sans la vérité; la vérité aurait donc été avant la vérité et la * .• Sed et si de animo nostro ablata faeril, cum id quod scimus oblili fue- » rimus, manet in ipsa verilate. Semper enim verum erit fuisse illud quod » eral, et non est : et ibi verum erit jam fuisse quod erat, ubi verum erat, « anlequam fieret, futurum esse, quod non erat. • — Conl. Faust Manich.. liv. XXVI, chap. V. ( s'J ) vérité serait donc encore après que la vérité ne serait plus : con- clusion absurde et contradictoire. Soit donc que l'on dise que la vérité a un commencement et une fin; soit que l'on tienne qu'elle n'a ni l'un ni l'autre, elle ne peut être limitée ni par un commen- cement ni par une fin. La même conséquence s'applique à la nature suprême, puisqu'elle est la suprême vérité *. » Celte argumentation, tout à fait dans le genre de S. Augustin, devint l'occasion du Dialogue de Veritate que nous allons avant tout examiner. Très-fastidieux dans le développement des détails, ce traité n'en est pas moins d'une réelle importance pour l'inter- prétation de la philosophie d'Anselme. Les vues qu'il y développe sont d'un caractère tout à fait général : c'est par elles qu'il convient de commencer l'examen de sa métaphysique. — Un disciple a demandé au maître, si de la conclusion précitée du Mo- nologue, il suit que partout où l'on dit qu'il y a vérité, il faut entendre par ce mot Dieu lui-même? En d'autres termes, le con- cept de la Divinité et celui de la Vérité sont-ils au fond identi- ques, et quelle idée faut-il se faire de leur mutuel rapport? N'est-il pas curieux d'entendre le successeur de Lanfranc énoncer un de ces problèmes qui charmèrent Platon, et dont la solution devait passionner, cinq siècles plus tard, Bossuet, Malebranche et Ar- nauld? « Pour satisfaire à la question, répond Anselme à son élève, cherchons ensemble la définition de la Vérité, car je ne me sou- viens pas de V avoir rencontrée jusqu'ici. » — Nous allons suivre Anselme dans cette recherche. Mais ne l'oublions pas : la forme esthétique, en philosophie comme en histoire, est une conquête de l'esprit moderne qui l'a redemandée à l'antiquité. Souvent dans la première période du moyen âge surtout, les détails doi- * « Cogitet qui polest quando incepit, aut quando non fuit hoc verum, i> scilicet, quia futurum erat aliquid,aut quando desinet aut non eril hoc » verum, scilicet, quia praeterilum erit aliquid. Quod si neulrum horum » cogilari polest, el ulrumque hoc verum sine verilate esse non polest, im- » possibile esl vel cogilare quod veritas principium aul finem habel. » {Mon., chap. XVill.) ( 00 ) vent être excusés au nom de l'idée. Gela est particulièrement vrai des traités écrits pour les écoles. Le Docteur de Sainte-Marie du Bec procède par induction dans la recherche qu'il vient d'annoncer. — 11 se demande avant tout ce qu'est la vérité dans le Discours ou dans la Propositioti. Après ce que nous savons de la prédominance de l'élément verbal dans la Dialectique du Trivium, quoi de surprenant qu'un Maître du XP siècle commence son analyse par l'examen des mots? — La vérité du Discours, observe Anselme, ne dépend évidemment pas de renonciation matérielle. Les mots en eux-mêmes ont tou- jours et nécessairement leur sens naturel. D'autre part, l'objet du Discours n'est pas inhérent à celui-ci : il ne peut constituer par conséquent que le terme extrinsèque de la vérité. Pour être vraie, il faut que la proposition participe de la vérité, c'est-à-dire qu'il y ait en elle un élément intrinsèque, en vertu duquel elle soit dénommée vraie. Ni renonciation en soi, ni aucun de ses élé- ments ne peuvent d'eux-mêmes lui communiquer la vérité. Elle sera vraie, lorsqu'elle exprimera l'être de ce qui est en réalité : elle sera vraie, quand elle exprimera ce qu'elle doit exprimer, en vertu de sa destination naturelle. Dans la proposition, la parole, la phrase, il importe de distinguer ce qu'elles expriment de fait (id ad quod significandum facta est), et ce qu'elles doivent expri- mer, en raison de leur nature, eu égard à la fin pour laquelle l'homme a été doué du langage {id quod accepit significare). La parole a été instituée pour signifier la vérité. Le Discours l'ex- prime-t-il en réalité? il répond à sa destination formellement, complètement. Ne rend-il pas l'être des choses? il n'a qu'une vé- rité matérielle, extérieure. Cette dernière forme de vérité ne peut être absente du Discours, car il est de l'essence des mots de signifier leur objet. La première forme, au contraire, implique que l'homme fasse bon usage de la parole, et se serve des expres- sions pour construire des phrases correspondant à la réalité. C'est cette vérité que nous entendons, quand nous disons : la Pro- position est vraie. La vérité libre du Discours ne se rencontre pas, à proprement parler, dans les propositions qui ont pour ob- jet la définition ou la simple énonciation d'une essence, indépen- ( «I ) dântede toute manière de nos jugements personnels (Chap. Il) *. Mais si la rectitude, pour parler avec Anselme, ou le rapport de la parole et de son objet fonde la vérité du Discours, elle la con- stitue également pour Vopinion, pour la pensée. Celle-ci est vraie, quand elle est conforme à la réalité. Et de ce chef encore, nous pensons vrai, quand nous pensons ce que nous devons (Chap. III) 2. * « M. Quando est enuntiatio vera? D. Quando est quod enunciat, sive 1) aflBrmando, sive negando... M. An ergo libi videlur quod res enunliata sit y> Veritas enuntiationis? D. Non. M. Quare? D Quia nihil est verum nisi par- » licipando veritalem, et ideo veri veritas iu ipso vero est; res vero enun- » ciala non est in enuncialione vera, unde non ejus verilas, sed causa veri- » lalis ejus dicenda est. Quapropler non nisi in ipsa oralioue quaerenda mihi V videlur ejus veritas, M. Vide ergo an ipsa oratio, aut ejus significalio, aut V aliquid eorum, quae sunt in definilione enunliationis sit quod quaeris? V D. Non pulo... Quia si hoc esset, semper esset vera; quoniani eadem ma- » nent omnia, quae sunt in enuntiationis definitione; et cum est quod enun- » tiat, et cum non est : eadem est enim oratio, et eadem significatio, et » caetera simiiiler. M. Quid igitur tibi videlur ibi veritas? D. Nilii! aliud scio, » nisi cum significat esse quod est; tune est in ea verilas, et est vera... » M. At cum significat quod debot, 7'ecte significat? D lia est... M. Ergo non » est illi aliud verilas, quam recliludo. D. Aperle nunc video veritalem hanc )) esse rectiludinem. M. Simililer est, cum enuntialio significat non esse quod V non est... Alia igilur est recliludo et verilas enuntiationis quia significat ad » quod significandum facta est; ab"a vero, quia significat, quod accepit signi- » ficare. Quippe ista immutabilis est ipsi oralioni (se. significalio materialis V verborum); iila vero mulabilis (se. sensus formalis) : hanc namque semper » habet; illam vero non semper; islam enim naluraliler habet, iiiam vero, » accidenlaliler et secundum usum... Cum vero eadem oratione significo esse 1) quod non est; non ea recte utor : quia non ad hoc facta est : et idcirco » tune non recla ejus significatio dicitur : quamvis in quibusdam enuntiatio- » nibus inseparabiles sint islae duae reclitudines, seu veritates : ut cum » dicimus ; homo animal est; homo lapis non est. De verilale significalionis 1) de qua incaepimus, intérim isla sufficianl. Eadem enim ratio verilatis, ^) quam in proposilione vocis perspeximus, consideranda est in omnibus )) signis , quae fiunt ad significandum aliquid esse, vel non esse, ut sunt ') scripturae, aut digitorum loqueia. /). Ergo transi ad alia. « (Chap II.) 2 « Qui putat esse quod est, putat quod débet, alque ideo recta est cogi- V lalio. Et ergo vera et recta est cogitatio, necob aliud, quam quia pulamus » esse quod est, aut non esse quod non est, non est aliud ejus veritas quam « rectitudo. « (Chap. III.) ( 62 ) Dans ce même sens, il est permis d'affirmer la vérité de la vo- lonté, au cas où celle-ci répond à sa fin, et se soumet aux obliga- tions qui lui sont essentielles. — Le péché, la faute sont dans l'ordre moral ce que l'erreur est dans Torde métaphysique : un écart du libre arbitre , déviant de sa voie naturelle, de la vérité de son être. — Ce qui vient d'être dit de la volonté donne à entendre en quoi consiste la vérité de Vaciion. I\'est-il pas écrit de TEsprit déchu et infidèle aux lois de la justice qu'il n'a point persévéré dans la vérité. Et encore : celui qui fait la vérité, vient à la lumière? Les causes physiques, ajoute Anselme, agissant avec nécessité et sans choix, participent de la vérité : répondant à la destination que leur a assignée la première cause, elles font ce qu'elles doivent, et ne peuvent manquer de cette forme de vé- rité. Mais la volonté ou la vérité libre peut seule produire des actes moraux méritoires (Chap. V) ^. Les perceptions des sens participent aussi, à leur façon, de la * « M. Sed et in voluntate dicit ipsa Veritas veritiilem esse,cuni dicit diabo- » lum non stetisse in veritate... Die ergo quid ihi intelligas veritatem? D. Non » nisi rectitudinem. Nam si quamdiu voluit quod debuit, ad qiiod scilicet « volunlatem aeceperat, in rectitudine et veritate fuit; et cum voluit quod » non debuit, rectitudinem et veritatem deseruit; non aliud potest ibi intel- » ligi Veritas quant reclitudo. « (Chap. IV.) ^ « M. — Verum in actioîie quoque nihilominus verilas credenda est, » sicut Dominus dicit : Quia « qui maie agit odit luccm, et qui facit verita- » tem, venit ad lucem... »> Unde sequitur quod rediludinem facere , est » facere veritalem. — Insjnce an onniis aclio quae facit quod débet, veritatem » facere convenienter dicatur. Est quippe actio ralionalis, ut dare elee- '■( mosynam ; et est irrationalis aclio, ut aclio ignis qui calefacit. Vide ergo » an convenienter dicamus Ignem facere veritatem? D. Si ignis ab eo a quo » habet esse, accepit calefacere, cum calefacit, facit quod débet. Igitur non » video quae inconvenientia sit ignem lacère veritatom et rectiiudinem cum V facit quod débet. M. Mihi quoque non aliter videtur. Unde animadverti » potest rectitudinem seu veritatem aclionis aliam esse necessariam, aiiam » non necessariam. Ex necessitate namque ignis facit veritatem el rectitu- )) dinem, cum calefacit, et non ex necessitate facit homo rectiiudinem cura » bene facit. — Cum ergo constelactionis veritatem aliam naturalem esse. aliam « non naturalem; sub naturali ponenda est illa veiitas oralionis quam sup a » vidinms ab illa non posse separari. Sicut enim ignis, cum calefacit, veri- ( 65 ) vérité. Appliqués comme ils le doivent , nos organes, dans leur état normal, sont les sincères et infaillibles rapporteurs des im- pressions sensibles. L'erreur qu'occasionne parfois leur lémoi^ gnagc ne peut leur être imputée. Elle est le fait de l'intellect trop pressé de métamorphoser les apparences en réalités, et de préci- piter ses jugements, avant d'avoir suffisamment éclairci toutes les circonstances qui accompagnent la perception. On connaît ces exemples : les lentilles colorées montrant les objets teints de leurs nuances diverses; le bâton apparaissant coudé à l'endroit où il est plongé dans l'eau. L'œil qui contemple ce dernier rend témoignage de la courbure apparente, mais c'est l'intellect qui, par une conclusion injustifiée, décide que le bâton est tronqué en réalité. D'autres fois l'erreur, dans les perceptions sensibles, naît de ce que l'on ne se met point dans les conditions requises pour le bon emploi des organes. D'eux-mêmes les sens représen- tent ce qu'ils doivent : donc ils sont vrais. (Chap. VI) ^ Mais, continue Anselme, et ceci est plus important — existe-t-il une chose qui n'ait reçu de la vérité suprême tout ce qu'elle possède de réalité, ou qui ne corresponde point à son idée dans tatem facit, quia ab eo accepit , a quo habel esse : ifa et haec oralio, scili- cet : dies est, verlitatem facit, cum significat diem esse, sive dies sit, sive dies non sit; quia hoc naturaliter arcepil facere. D. Nunc primum video in falsa oratione veritaiem. « (Chap. V.) < « D. Est quidem in sensibus corpoiis veritas, sed non semper: nam fallunt nos aliquando. Nam cuni video aliquando per médium vilrum aliquid, fallit me visus; quia aliquando nuntiat mihi corpus, quod video ultra vitrum ejusdem esse corporis, cujus est et vilrum; cum alterius sit coloris: ali- quando vero facil me pulare vitrum habere colorem rei, quam ultra video, cum non hal)eat. Mulla sunt alia in quibus visus et alii sensus fallunt. 31. Non mihi videtur haec veritas, vel falsitas iu sensibus esse, sed in opinione. Ipse namque sensus interior se fallit, non illi mentitur exterior... Cum fustis integer, cujus pars est intra aquam, et pars extra, putatur fraclus : aut cum puiamus quod visas noster vultus noslros inveniat in speculo : et cum multa alla nobis aliler videiitur visus et alii sensus nunliare quam sint; non culpa sensuum est, qui renuntianl quod possunt, quoniam ita posseacce- perunt, sed judicio animae impulandum est quod non bene discerinl, quid possint illij aut quid debeant. » {Chap. VL) ( U) la vérité immuable? Éviilemment non! Tout ce qui existe parti- cipe de la verî^e, puisque toutes choses sont conformes à celte règle primitive. Elles sont vraies parce qu'elles expriment, dans le monde des phénomènes, le type intelligible qui leur correspond dans l'infinie Pensée. Il n'y a dans les essences des êtres aucune fausseté, car leurs attributs reproduisent nécessairement leur exemplaire incréé. Les créatures ne sauraient s'écarter de ce modèle. Elles sont encore une fois ce qu'elles doivent être. — Voilà non plus simplement la vérité représentative de la per- ception de la pensée, de la parole, des actes, mais la vérité des espèces, la vérité constitutive de l'être (Chap. VII) *. Nous verrons plus loin l'importance capitale de ce point pour l'intelligence de l'Idéologie d'Anselme et de la Doctrine scolastique sur la certitude, en général. Nous savons dès maintenant ce qu'en- tend notre Docteur par l'axiome où la vague phraséologie du Pla- tonisme s'est comme incarnée : Les choses doivent participer de la vérité pour être vraies. — « Onuie veriim veritate verum est » avait déjà dit en ce sens son maître Augustin! Mais poursuivons. Quand nous disons que la vérité des êtres consiste à être de fait ce qu'ils doivent être, il faut bien entendre ces paroles, et distinguer avec soin Tordre de la réalité physique de l'ordre moral ^. Dans son éternelle sagesse. Dieu a décrété de respecter la liberté essentielle des êtres humains, et d'empêcher qu'aucune violence, aucune influence extérieure ni interne ne rompît l'équi- ^ « M. Jam considéra an praeler summam verilatem, in aliqua re veritas » sit inteliigenda,exceptis his quae supra conspecta sint... An putas aliquid » esse aliquando, aul alicubi, qiiod non sit in summa veritate, et quod inde ^) non acceperil quod est, in quantum est; aut quod possit aliud esse quarn » quod ibi est? D. Non est putandum. M. Est igilur veritas in omnium quae » sunt essentia : quia hoc sunt quod in summa Veritate sunt. D. Video ita ibi » esse verilatem , ut nulla ibi possit esse falsiias : quoniam quod faiso est, non M est. M. Bene dicis. Sed die an aliquid aliud debeat esse, quam quod est in >) summa Veritate? D. Non. M. Si ergo omnia hoc sunt ^ quod ibi sunl^ sine ^) dubio hoc sunt quod debent... Quicquid vero est quod débet esse, recte ') est... Igitur omne quod est, recte est. » (Chap. VII.) 2 « D. Secundum rei verilatem, quomodopossumus dicere quia quicquid est » ut débet esse; cum sint multa opéra mala quae certum est esse non debere... ( (i-i ) libre de la volonté. Dès lors, beaucoup de crimes et de délits devront exister en fait, bien qu'ils soient condamnés parla loi. Mais ce n'est là qu'une nécessité dans le sens impropre du mot, une nécessité de conséquence comme les pbilosophes l'appellent. — La vérité morale n'existe pas dans les actions coupables. Elles doivent être cependant : leur existence se justifie et s'explique dès qu'on les juge du point de vue supérieur de la responsabilité humaine et de l'ordre moral. Tout en les prohibant, Dieu doit les permettre pour sauvegarder notre liberté dont il a résolu Tinaliénable main- tien, et qui constitue le plus noble attribut de la création. — D'ailleurs une foule d'effets mauvais ou nuisibles à certains êtres ne sont qu'une suite des influences naturelles des agents créés. Il arrive fréquemment qu'une force physique, dans le déploiement de son activité, contrarie ou neutralise une force parallèle. De même, il y a des faits qui pourront être physiquement vrais, ou conformes à la nature, et moralement faux, c'est-à-dire s'écartant de la Loi supérieure qui les règle. Cent exemples divers ne prou- vent-ils pas qu'un même objet est susceptible d'attributs opposés, selon qu'il est envisagé sous des aspects différents * ? (Chap. VIIL) Jusqu'ici, ajoute Anselme, nous avons parlé de la vérité telle qu'elle se trouve dans les signes des idées : dans les représenta- tions sensibles, la pensée, le Discours. J'y ai ajouté la considéra- tion de la vérité des Essences : c'est que je trouve la plupart des philosophes indifférents à l'égard de cette question. Mais les actes extérieurs eux-mêmes peuvent devenir, en certains cas, les signes de la vérité. Dans un champ où les plantes vénéneuses se mêlent aux herbes salubrcs, je vois un homn)e cueillir des simples * « M. Scio le non dubilare quia nihil omnino est, nisi Deo aut faciente, aut permitlenle... Débet igitur esse pariter, et quod faciente, et quod permit- lente Deo fît... Idem igiliir débet esse el non esse. Débet enim esse; quia bene et sapienter ab eo, quo non permittente fîeii nonposset,permitlitur : el non débet esse, quantum ad illum, cujus iniqua voluntate concinitnr... MuUis enim modis eadem res suscipit diversis considerationibus coiiiraiia... Potesl igilur contingere ut debeat esse secundum naturam actio vel passio; quae secundum agentem vel patientem esse non débet; quoniam nec ille agere, nec iste débet pâli. » (Chap. VllI.) Tome XXV. 5 ( 06 ) et en manger. N'est-il pas évident que je serai cent fois plus persuadé par ce seul fait de linnocuité de ces aliments que par tout ce qu'il pourrait me dire là -dessus? — Celui qui aurait tout ensemble l'intuition des actes et celle de la vo- lonté qui les inspire, pénétrerait du même coup leur significa- tion et leur valeur morale. En un mot, les actions peuvent aussi devenir signes de la vérité et principe de connaissance (chap. ÏX) ». Les principes que nous venons de rappeler d'après S. Anselme, et dans l'ordre un peu bizarre où il les énonce, embrassent l'univer- salité des choses. — Mais par delà les êtres créés qui ne sont vrais que parce qu'ils sont ce qu'ils doivent être, l'esprit aperçoit la Vérité suprême, la vérité éternelle et absolue, ou, pour parler avec plus d'exactitude, Tlntelligence infinie. Est-elle Vérité parce qu'elle est ce qu'elle doit être? — Incontestablement, toutes choses doi- vent lui être conformes, et répondre au plan qu'elle a ordonné de toute éternité. Mais elle ne doit se conformer qu'à elle-même. Son Essence est sa Règle, f.es choses créées sont les ejfets libres de cette Vérité absolue; et, à leur tour, elles deviennent la cause de la vérité dans l'esprit qui les conçoit et dans la parole qui les exprime. Or, la Doctrine où s'embarrassait le disciple, à savoir que toute énonciation et toute formule vraies nont ni commencement , ni fin, semble trouver son explication dans, ces dernières remarques. 1 « M. Omnes de veritate significationis loquuntur, veritatem vero quae est ). in rerum essentia pauci consideranl. D Profuit mihi, quia hoc ordine me « duxisli. ilf Videamus ergo quam lata sit veritas signilicalionis. Namque non « solum in his quae signa solemus dicere; sed et in aliis omnibus quae dixi- ■0 mus, est significatio vera vel falsa. Si esses in loco ubi scires esse salubres >' herbas et mortiferas, sed nescires eas discernere , et esset ibi aliquis de >^ quo non dubitares, quin illas discernere sciret, tibique interroganli quae » salubres essenl et quae morliferae, alias vero salubres esse diceret esse, et « alias comederet, cui magis crederes verbo an aciioni ejus? D. Non tantum » crederem verbo quantum operi. M... Quod si ita deberel , verum diceret ; » sin autem, menliretur. In rerum quoque existentia est similiter vera » vel falsa signiticatio; quia eo ipso quia est, dicii se debere esse. » (Chap IX.) ( 67 ) Parcelle assertion, dit Anselme, je n'ai pas voulu poser l'éter- nité de la proposition, moins encore assimiler la vérité qu'elle contient à Dieu lui-même. J'ai seulement entendu indiquer parla le rapport transcendant de toutes les vérités particulières avec la vérité suprême. Toute vérité relative doit avoir sa cause et sa source dans l'intelligence du premier Etre. Les formules diverses, dans leur complexe multiplicité, subsistent éternellement dans sa prescience. A l'égard d'un certain terme de la durée, il a toujours été vrai qu'un nombre déterminé de faits ou d êtres cesseraient d'exister, qu'ils appartiendraient au passé; tandis qu'un certain nombre d'autres commenceraient à exister et seraient futurs par rapport aux premiers. Ces contingences diverses, tirant de la cause nécessaire toute leur part de réalité, sont pré- sentes dès l'origine à la divine Raison, ou, pour parler le lan- gage d'Anselme, à la Vérité substantielle. Là elles subsistent en leur formule éternelle, idéale. Dans l'ordre intelligible [)ur, toute créature, qu'elle soit conçue dans le passé, le présent ou l'avenir, toute énoncialion vraie impliquent une relation nécessaire avec l'Intelligence absolue. E7i ce sens , l'esprit peut légitimement con- clure de la vérité éternelle des énonciations à léternilé de leur principe suprême qui est Dieu (chap. X) *. Voilà comment, conclut ' « M. Summam aulem Verilalem non negabis esse rectiludinem ? D. Imo > nihil aliud illam po>sum faleri. M. Considéra quia cum omnes supra dicfae >' reclituclines ideo sunt reclitudines, quia illa in quibus sunt aut sunt aut ■' laeiunl quod dehent; sumnia Veritas non ideo est rectiludo quia débet ali- " quid. Omnes enim illi debent : ipsa vero nulli qulcquam débet : uec uUa » ratione est quod est , nisi quia est D. Inlelligo. M. Vides eliani quomodo ista 0 rectitudo causa sil omnium aliarum verilatum et recliludinum : et nihil sit ■• causa illius? D. Video et anlmadverlo, in aliis quasdam esse lantum e/[ecta : 'i quasdam vero esse causas eleffecla; ut cum veritas quae est in rerum exis- ■' lentia sit eCTeclum summae Verilaiis; ipsa quoque causa esl verilatis quae V cogilationisest, et ejus quae est in propositione; et istae duae veritaîes nul- « lius sunt causa veritatis. M. Bene considéras : unde jam intelligere potes * quomodo summam Veritatem in meo Monologio probavi non habere princi- - pium vel finem, per Veritatem orationis. Cum enim dixi, quando non fuit « verum quia futurum erat aliquid, non ita dixi, ac si absque principio ista » oratio fuisset, quae assereret futurum aliquid esse, aut ista veritas esset ( C8 ) Anselme, j'ai pu démontrer, dans le Monologue, l'éternité du pre- mier Être par l'analyse de la vérité dans les énonciations et dans les Discours. Et c'est de la même manière que nous pouvons appeler la vérité des choses leur rectitude, ou, pour expliquer ce mot, leur conformité avec leur destination essentielle, conformité appréciable à la seule raison (chap. XI) *. De ces données, Anselme déduit ultérieurement qu'en défini- tive la Justice et la Vérité sont des concepts mutuellement réduc- tibles. Seulement il répète que la conformité d'un être avec son type idéal ne devient la Justice que si elle est le résultat de la liberté, ou, pour parler son langage, de la spontcinéité. — Vouloir ce qu'elle doit, et le vouloir parce qu'elle le doit et qu'elle reconnaît celte fondamentale obligation, voilà pour la créa- ture, la loi du Bien moral. La raison a certes sa part dans l'ac- complissement des actions vertueuses; mais c'est la volonté qui les range définitivement dans la catégorie des actes bons. Tout cela envisagé, conclut Anselme, définissons la Justice la rectitude de Dt'us : sed quoniam non potest intelligi quando, si oratio ista esset, veritas un deesset ; ut per hoc quia non intelligitur, quando htâ veritas esse non potuerit, si esset oratio in qua esse posset, inlelligatur illa veritas sine prin- cipio fuisse, quae prima causa est hujus veritatis. Quippe verilas oralionis non semper potest esse, si ejus causa non semper esset. Etenim non est vera oratio quae dicit fulurum esse aliquid , nisi reipsa sit aliquid fulurum: neque aliquid est fulurum, si non sil in summa Veritale, Siniililer de illa intelligenduni est oratione quae dicit quia praeteritum est aliquid. Nam si nullo intelleclu verilas oralioni liuic, si facla fuerit, déesse poleril; necesse est ut ejus veritalis, quae summa causa est istius, nullus finis intelligi possil. Idcirco namque vere dicilur praeterilum esse aliquid, quia ila est in re : et ideo est aliquid praeterilum, quia sic est in Veritate summa. Qua- propter si nunquam poluit non esse verum : fulurum esse aliquid; etnun- quam poterit non esse verum. praeteritum aliquid esse; impossibile est principium summae Veritalis fuisse, aul fiiiem fulurum esse. » (Chap. X.) ' « M. Possunms igilur, ni fallor, diflinire quia veritas est reclitudo sola mente perceptibilis. D. Nullo modo hoc dicenlem falli video. Nempe nec plus , nec minus continet ista defmilio veritalis, quam expédiât : quoniam nomen reclitudinis dividit eam ah omni re, quae reclitudo non vocatur.Quod vero sola mente percipi dicilur, séparai eam ab rectitudine visibili. » (Chap. Xï.) (fi9 ) la volonté recherchée pour elle-même. Cette définition, ajoute le saint Docteur, est la traduction de celle de l'Écriture qui appelle les justes les droits de cœur *. Avant de quitter ce sujet, Anselme se demande si dans les véri- tés multiples qu'atteint l'esprit de l'homme, il n'y a pas au fond une seule et identique vérité? Celle-ci serait-elle multiple parce qu'elle se trouve en plusieurs êtres? Mais tout ce que nous avons dit plus haut montre que c'est un seul et même rapport qui réunit les choses diverses dans l'unité de la vérité : et ce rapport n'est autre que la conformité des êtres avec leur destination essentielle. Serait-ce renonciation, la formule matérielle qui constitue la vérité? Mais la vérité des choses, la justice des actions sont-elles contemporaines de leur expression? Naissent-elles ou périssent- elles avec celle-ci, comme la couleur disparaît avec son sujet? En suit-elle les multiples changements ? Toutes ces suppositions sont d'une égale fausseté ! La rectitude, la vérité des signes représen- tatifs, quels qu'ils soient, idées, paroles, propositions, ne dépend pas absolument de ceux-ci. Bien plutôt faut-il dire que les signes sont vrais, parce qu'ils sont conformes à la Vérité qui est toujours et qui ne périt point, quand même son expression viendrait à faillir. Dans toutes les choses justes, comme dans tous les signes vrais, se trouve un même principe constitutif. I^es créatures participent de celte justice et de cette vérité, en la mesure où elles réalisent la fin de leur être. Ce n'est que par un certain abus de langage qu'on dit : la vérité de la pensée, du discours, de l'action , etc. De la même manière, nous disons : le temps de ' « M Quoniam de reclitudiiie sola mente percepiibili loquimur ; invicem ■. sese diffîniunl verilas et reclitudo et justitia; ul qui unam earum noverit, •' el alias nescierit, per notam ad ignotarum seieiitiam perlingere possit; " imo qui noveril unam, alias nescire non possit... Constat quia illa juslilia » nou est in ulla natura quae recliludinem non agnoscil... D. Scio quia homo >' sponte, lapis naturaliter et non sponte facit. Quapi opter omnis voluntas » habet quid et cur : omnino namque nihil volumus, nisi sil cur velimus... « Voluntas ergo recta illa jusla dicenda est, quae sui rectiludinem serval prop- > 1er ipsam reclitudinem. Justitia igitur est rectitudo voluntatis propter se « servala. * (Ghap. XII.) (70) tel ou tel acte , de telle ou telle chose. Il n'y a qu'un seul temps auquel participent tous les êtres renfermés dans l'univers. Il n'y a qu'une seule Vérité substantielle et nécessaire j et elle n'est l'attribut d'aucun être fini. Elle est l'Intelligence absolue, type transcendant des substances créées, principe suprême de leur réalité et de leurs forces, en un mot, de toute la vérité de leur être. Tout ce qui est conforme à ce principe devrait, en rigueur, s'appeler sa vérité, sa justice (chap. XIII) *. Que Ton se rappelle maintenant la question qui donna occasion au laborieux Dialogue : Dieu est-il dans chaque vérité particu- lière? Son concept est-il aussi universel que celui de la vérité, et possède-t-il la même extension ? et l'on comprendra le sens de ces dernières conclusions. Non, les idées, les énoncialions vraies n'impliquent point, comme s'en informait le disciple, je ne sais quelle communauté de nature avec l'Essence infinie, avec la Raison éternelle. D'autre part néanmoins, nul être contingent n'est en état d'engendrer sa notion dans l'esprit, si ce n'est en vertu de sa conformité à son type idéal dans l'Intelligence de Dieu : toute proposition, pour être vraie, doit correspondre à l'Idée absolue; et la raison, à son tour, ne peut posséder la vérité, qu'à condition de vérifier, dans ses opérations spirituelles, l'image * « M. Quaeramus an sit una sola veritas in omnibus istis, in quibus veri- » latem dicimusesse, an ita siiil verilates plures sicut plara sunt in quibus » constat esse veritatem...Si plures sunt verilates secundum plures res, plures » quoque sunt recliludines... et sicul res ipsae in quibus sunt varianlur, sic » quoque cerliludines varias esse necesse est... Dico quia si reclitudo signifi- » calionis ideo est aiia quam volunlatis rectitudo, quia isla in voluntate, illa in » significatione est : habel suum esse reclitudo propter significationem, et se- » cundum eam mutatur,... quemndmodum color per corpus ha bel esse, et non » esse. Exislenle namque corpore, colorem ejus necesse est esse; et pereunte » corpore, colorem ejus manere impossibile est .. Ergo non existente signifi- « catione , non périt rectiludo , qua rectum est et qua exigitur, ut quod signi- » ficandum est significetur... Quia non ideo est reclitudo in significatione, » quia tune incipit esse, cum sigiiificatur esse quod est, vel non esse quod non » est; sod quia significatio tune fil àecundum rectitudinem, quae semper est : )> nec ob hoc abesta significatione quia périt, cum non sic ut débet, aut cum » nulla sit significatio : sed quoniam tune significatio déficit a non déficiente ( 71 ) qu'a conçue d'elle l'auteur des choses, et qui constitue son essence incréée. — C'est à ce prix que les êtres divers sont ce qu'ils doivent ètrej et qu'ils présentent la rectitude, la convenance supérieure dont Anselme fait, dans notre Dialogue, la formule générale de la Vérité. Le problème soulevé dans la dernière partie du Dialogue de la Vérité nous conduit naturellement à rechercher le sentiment de notre Docteur sur la Vérité première envisagée dans son rapport avec les êtres de la nature. A cet effet, nous allons grouper ici l'ensemble des considérations éparses sur ce point dans le Mono- logue, le Prosloge et les autres traités d'Anselme. Notons avant tout que, dans ses investigations sur ce sujet, Anselme présuppose constamment la contingence des êtres créés. 11 suffit de parcourir le Dialogue f/e Veritate pour se convaincre qu'aucun maître avant lui n'a marqué, avec une insistance pareille, la subordination des vérités particulières à la Vérité nécessaire et immuable, et, d'une manière plus générale, le rapport du relatif à VAbsolu. Comme il oppose dune manière saisissante la Vé- rité qui ne doit être qu'elle-même à la vérité des créatures qui ne sont que la représenlation terrestre et lointaine des idées divines ! Ce n'est qu'en tenant compte de ce point de vue que l'on comprend bien le sens de sa définition : « Une chose » rectiludine?...Si recliludo non est in rébus illis quae debent rectitudiuem, ') nisi cum sunt secumlum quod debent; et hoc solum est illis reclas esse : » manifestum est earum omnium unam solam esse rccliludinem... Una Ujitur » in omnibus illis est veritas... Improprie hujiis vel illiiis rei esse dicitur; )) quoniam ilia non in ipsis rébus, aut ex ipsis, aul [)e!' ipsas, in quibus esse ') dicilur, babet suum esse : sed cum res ipsae secundum illam sunt, quae » semper praesloest his.quae sunt sicut debent : tune dicitur hujus vel illius -' rei veritas : ul vei'ilas vocis, aclionis, volunlatis : quemadmodum dicitur ). lempus hujus vel illius rei; cum unum et idem sit lempus omnium quae > sunt in eodem tempore simul. Et si non essel haec vel illa res; non rninus " esset idem tempus : non cnim dicilur ideo tempus hujus vel illius rei, quia ') tempus est in ipsis rébus; sed quia ipsae sunt in tempore. Et sicut tempus, V per se consideratum, non dicilur tempus alicujus; sed cum res, quae in » illo sunt, consideramus, dicimus tempus hujus vel illius rei : iia summa » Veritas per se sul)sistens nullius rei esi ; sed cum aliquid secundum illam » est ; tune ejus dicitur veritas vel recliludo. » (Chap. XIII.) (7-2) est vraie quand elle est ee qu'elle doit être. » Le |)riiicij)e de la vérité, dans chaque être, est sa confontiilé à sa desHnatiofi essentielle j à la loi de son être, à sa tendance instinctive. — Mais il faut entendre comment il explique cette conformité, au point de vue de la considération idéale j métaphysique des choses. Les êtres créés, enseigne Anselme, bien que tirés du néant, ont néanmoins, avant leur apparition h l'être, une certaine existence dans la cause créatrice K Ils subsistent dans la Vérité, dans la Raison infinies. Cette existence peut être comparée au langage, au verbe intérieur par lequel l'artisan se représente les concep- tions de son génie. Seulement, la Raison divine ne puise qu'en elle-même la forme des êtres qu'elle appelle à l'exislence : de plus, pour les réaliser, elle n'a pas besoin, comme riiomme, d'un secours étranger : sa toute -puissante volonté lui suffit. Laissé à lui-même, Thomme ne pourrait même commencer son œuvre : le Créateur consomme la sienne sans nulle aide du dehors. Enfin, ce qui est la conséquence de son absolue autonomie, ses œuvres lui appartiennent de la façon la plu-; comj)lète -. Le langage de la Raison suprême ne peut être un phénomène accidentel : il est l'Essence même de Dieu se représentant à soi- même avec une parfaite science de sa perfection infinie. L'Être * « NuUo pacto fieri potest aliquid rationabililer ab aliquo, uisi in facientis » ralione praecedat aliquod rei faciendae quasi exemplum, sive ut aptius « dicalur, /brma vel similitudo aul régula. Palet ilaque quoniam priusquam •> fièrent universa, erat in ratioue suminae Naturae quid , aut qualia, aut quo- » modo futura essent. Quare cum ea quae fada sunt, clarum sit nihil fuisse » antequam fièrent, quantum ad hoc quia non erant quod nunc sunt, nec •) eral ex quo fièrent, non tamen nihil erant quantum ad ralionem facientis, » per quam et secundum quam fièrent. » [Mon. IX.) 2 « nia autem rerum forma quae in Ejus ratione res creandas praecedebat, ') quid aliud est quam rerum quaedam in ip.sa ralione locutio, veluti faber » faclurus aliquod suae artis opus, prius illud inlra se dicit mentis concep- -> tione. (/6.x.) — MuUam tamen in bac simiiiludine intueor dissiniililudinem. » nia namque (summa Natura) nihil omnino aliunde assumpsit, unde vel > eorum quae factura erat formam in se ipsa compingerel, vel ea ipsa id quod " sunt perficeret; faber vero penilus nec menle potest aliquid corporeum " imaginaudo concipere nisi id quod aut tolum simul aut per partes ex aliqui- ( 75 ) iniini ne produit rien que par lui-même. Reste donc (fue sa Parole créatrice n'est d aucune façon une créature. C'est l'Intelligence de Dieu, l'unique et ineffable Parole qui est le Verbe. Règle pre- mière de toutes choses, elle constitue de fait la suprême et im- muable Vérité, où se trouvent éternellement présentes les es- sences des créatures. Elle est la Sagesse et la Raison supérieures, dans lesquelles les choses préexistent, non dans leur forme con- crète et éphémère, mais selon leur type idéal dans l'Essence pre- mière et la première Vérité. N'est-il pas vrai qu'en l'homme vivant se rencontre la vérité ou plutôt la réalité même de l'homme, tandis que son portrait n'en exprime que la similitude. Les créatures sont une imitation des perfections infinies. Plus les êtres finis se rap- prochent de ce divin Idéal, plus grande est leur noblesse. Rien n'eût été créé, que l'Etre créateur n'en eût pas moins possédé et la compréhension de sa propre Essence, et celle des êtres distincts de lui. L'Esprit, le Verbe sont donc aussi nécessaires que Dieu lui-même *. L'acte |)ar lequel il pénètre les })rofonds abîmes de son être est aussi celui par lequel il connaît les créatures qui » bus rébus aliquo modo Jam didicit, née opus mente conceptum perficere, si » desit aut materia,aut aliquid sine quo opus praecogilatum fieri non possit... •> Quare in hoc differunt ab invieem illae in créatrice Substanlia et in fabro » suorum operum faciendorum intimae loculiones, quod illa necassumpta, » nec adjula aliunde, sed prima et sola causa sufficere poluil suc artifici ad ') suum opus perficiendum; isia vero nec prima, nec sola, nec sufficiens est >y ad suum incipiendum. Quapropter ea, quae per illam creala sunt, omnino » non sunt aliquid quod non sunt per illam ; quae vero per islam fiunt , penilus » non essent nisi essenl aliquid quod non sunt per ipsam. » (/6., chap. XI.) ' « Sed cum pariler, ralione docente, sit cerlum quia quidquid summa » Subslantia facit, non fecit per aliud quam per se ipsam, et quidquid fecit, » per suam inlimam locutionem fecit, sive singula singulis verbis, sive po- « tins uno verbo omuia simul dicendo,quid magis necessarium videri potest, " quam hanc summae Essentiae locutionem non esse aliud quam summam '* Essentiam? y) (76, chap. XII.) a Asserunt utique inexpugnabiliter ea quae jam inventa sunt, quia nihil « omnino potuit unquam aut potest subsistere praeter creantem spirilum et ') ejus creaturam. Hanc vero ejusdem spiritus locutionem impossibile est inter -> creata contineri; quoniam quidquid crealum subsistit per illam faclum est, » illa vero per se fieri non potuit. ~ Relinquitur itaque, ut haec Summi Spi- ( 74 ) . en sont les éphémères reflets Ml s'atteint lui-même dans l'infinie personnalité du Verbe : et il connaît les êtres distincts de lui, non par une image empruntée d'elles, mais dans sa propre raison. N'est-ce pas de cette manière que les œuvres de l'artiste subsis- tent dans son esprit, avant comme après leur réalisation '^? Certes , la science de l'homme est impuissante à pénétrer le secret de ce langage éternel. Les choses créées subsistent plus véritablement dans leur essence que dans notre science; elles ont également une plus parfaite subsistance dans la suprême Raison, leur principe et leur cause première. Celle-ci est cette Vérité sans commencement et sans vicissitude dont Anselme nous a parlé dans le Dialogue de Veritale. Cette Vérité ne se cache à aucun esprit, bien qu'elle ne » rilus loculio, cum crealura esse non possit, non sil aliud quam Summus » Spiritus! Denique haec ipsa loculio nihil aliud polest inleliigi, quam ejus- » dem Spirilus int(^Iligenlia qua cuncla intelligit. Quid enim est aliud illi rem » loqui aliquam, hoc loquendi modo, quam inleîligere? Nam non, ni homo. » non semper dicit quod inlelligit. Si igitur summe simplex Nalura non est » aliud quam quod est sua intelligenlia, quemadmodum est idem quod est sua » sapieiilia, necesse est ut simililer non sit aliud quam quod est sua locu- » tio... Non constat pluribus verbis (isla loculio) sed est unum Verbum, per » quod fada sunt omnia. » (76., chap. XXIX.) * « ... Quemadmodum in vivo homine veritas hominis esse dicitur, in picto >) vero simililudo sive imago illius veritalis, sic existendi verilas inlelligitur » in verbo , cujus essentia sic summe est, ut quodammodo illa sola sil; in bis )) vero quae in ejus comparatione quodammodo non sunl, et lamen per illud » et secundum illud facta sunt aliquid, aliqua imitatio iWms, summae Esseu- » tiae perpendatur. Sic quippe verbum summae verilatis quod et Ipsum esl » summa veritas, nullum augmentum vel detrimentum sentiel, secundum hoc » quod magis vel minus creaturis sit simile; sed potius necesse erit, omne » quod crealum est lanto magis esse et tantoesse praestanlius, quanlo simi- » lius est illi quod summe est et summe magnum est. Salis ilaque manifestum » est in Verbo, per quod facla sunt omnia, non esse eorum simililudinem , sed » veram simplicemque Essentiam; in factis vero non esse simplicem absolu- » tamque Essentiam , sed verae illius Essentiae vix aliquam imitalionem. » Unde necesse est non idem verbum secundum rerum creatarum simililudi- » nem magis vel minus esse verum, sed omnem creatam naturam eo alliori » gradu essentiae dignitatisque consistere, quo magis illi appropinquare » videtur. » (76., chap. XXXI.) 2 « Verbum quo (Dcus) creaturam dicil, noquaquam similiter est verbum ( 75 ) se manifeste pas également à tous. L'esprit qui s'cJève jusqu'à elle voit en quelque manière Dieu lui-même, puisqu'elle est identique à l'Essence infinie, et celui qui ne connaît point Dieu ne connaît point complètement la Vérité ni la vraie lumière. Cette Vérité ne trompe personne. Elle est au regard de l'âme ce qu'est le soleil à l'œil du corps. Elle ne salirait être fixée par l'esprit : son éclat est trop vif. N'en est-il pas de même du soleil? — Elle peut être nommée l'inaccessible lumière où habite la Divinité *. Consi- dérée dans son identité essentielle avec l'Essence de Dieu , elle est tout ensemble la vie, la sagesse, la bonté, la béatitude, l'éternité, V creaturae; quia non est ejus similitudo, sed principalis Essenlia; conse- » quilur igitur ut ipsam creaturam non dicat verbo creaturae. . Sinihilaliud » dicit quam se aut crealuram, nihil dicere potest nisi aut suo aul ejus verbo. » Si ergo nihil dicil verbo creaturae, quidquid dicil, verbo suo dicit. Uno igitur » eodemque verbo dicit se ispum et quaecumque fecit. (Ib., chap. XXXIII.) — » Quemadmodum opus quod fit secundum aliquam arlem, non solum quando » fit, verum et antequam flat et [)0slquani dissolvatur, semper est in ipso arte, » non aliud quam quod esi ipsa ars. Idcirco, cum ipse sunimus Spiritus dicit » seipsum , dicit omnia quae l'aela sunl, Nam et antequam fièrent, et y cum jam fada sunt, et cum corrumpunlur seu aliquo modo variantur, sem- 1) per in ipso sunt, non quod sunt in se ijjsis, sed quod esi idem ipse. Etenim » in se ipsis sunt essenlia mulabilis secundum immutabilem rationem 1) creata; in ipso vero sunt ipsa prima Esseiitia et prima exislendi veritas, » cui prout magis utcunique illa siniilia sunl, ita verius et praeslantius » existunt. (Ib., chap. XXXIV.) Quidquid igitur factum est, sive vivat sive » non vivat, aut quomodocumque sit in se, in illo est ipsa vita et veritas... » {Ib., chap. XXXV.) ^ f( Cum ergo et lioc conslet quia omnis creata substanlia tanto verius » est in Verbo, id est, in inlelligentia Creaioris quam in seipsa, quanto verius » existit creatrix quam creata essentia; quomodo comprehendal iiumana » mens, cujusmodi sit illud dicere et illa scientia, quae sic longe superior » et verioF est crealis substanliis; si nostra scientia tam longe superatur » ab illis, quantum earum similitudo distai ab earum essentia? — Summa )> autem Essentia non est nisi una, quae sola creatrix et solum principium M est omnium quae facta sunt. Ipsa namque sola fecit , non per aliud quam » per se, omnia ex nihilo... (/6., chap. XXX VI,) Cum constet quia sicul per- » tinet ad Ejus essentiam scientia et inlelligentia, sic ejus scire et inlelligere » non est aliud quam dicere, id est semper praesens inlueri quod scit et » intelligit. >> {Ib., chap. LXIII.) r '{] ) la synthèse de toutes les perfections divines, l'indivisible unité de l'Être absolu '. Ainsi la Vérité et la Boulé, qui n'est que le rapport de la Vérité avec la volonté, sont les attributs par excellence de l'Être absolu. Le mal, privation ou absence de l'Être et de la Justice, n'a aucun type exemplaire qui lui corresponde dans l'intellect divin ; il n'a point d'essence positive. Les choses auxquelles le vul- gaire donne le nom de Mal ne sont que les êtres ou les actes dénués de leurs qualités naturelles. Il en est ainsi des maux que nous concevons comme des privations proprement dites, la cécité par exemple; et aussi de ceux qui nous apparaissent avec un cer- tain caractère plus positif, comme la tristesse '. L'erreur est une ' « Si non invenisli Deum (uuin, quomodo est iile hoc quod invenisti,et » quod illum lam cerla veritate el vera certitudine inlellexisli? Si vero inve- » nisli, quid non sentis quod invenisti? Gur non le senlit Domine Deus, anima » mea, si invenil le? An non invenit, quem invenil esse lucem et verilalem? » Quomodo namque inlellexit hoc, nisi videndo lucem el veritatem? Aut » poluit omnino aliquid intelligere de te, nisi per lucem tuam et veiitatem » tuam? Si ergo vidit lucem et veritatem, vidit te; si non vidit te, non vidil » lucem el veritatem. An veritas et lux est quod vidit, et tamen nondum te » vidit, quia vidil le aliquatenus, et non vidit te sicuti es?.., Cur hoc, Do- » mine, cur hoc? Tenebratur oculus ejus intirmiiate sua, aut reverberatur >) fulgore tuo? Sed certe el tenebratur in se et reverberatur a te... Quanta » namque est lux illa de qua micat omne verum, et extra quam non nisi nihil » el faisum est! Quam immensa est , quae unico inluitu videt quaecumque » facla sunt, el a quo el per quam el quomodo de nihilo facta suiit! Quid » puritalis,quid simplicilalis, quid ceitiludinis et spiendoris ibi est! Certe, « plus quam a crealura valeat intelligi? {Proslog., chap. XIV.) Vere ideo hanc » non video, quia nimia mihi est; et lamen quidquid video, per illam video; » sicut infirmus oculus quod videt, per lucem solis videt, quam in ipso sole » nequil aspicere. Non potest oculus meus ad illam; nimis fulget, non capil » illam, nec suffert oculus animae meaediu intendere in illam... 0 summa et " inaccessibilis lux ! 0 iota et beata veritas, quam longe es a me, qui lam " prope libi sum! Quam remota es a conspectu meo, qui sic praesens sum » conspectui tuo ! (Chap. XVL) — » Et vila es, el lux, et sapientia , el beati- '^ tudo et aeternitas, el multa hujus modi bona et tamen non es nisi unum •' el summum bonum, tu tibi omnino sufficiens, et nullo indigens , quo omnia " indigent ut sinl el ut bene sinl. » (Chap. XXII.) ' Discip. « Sicut percipio in privalionemali aliquid aliud fieri quod bonum ( 77 ) sorte de mal intellectuel. A vrai dire, l'erreur ne peut être perçue avec une véritable évidence, ni subsister dans la pleine lumière d'une rigoureuse déduction. Elle peut seulement être Tobjet d'une perception imaginaire ou de quelque déviation du raisonnement. » dicimus,ita animadverlo în privatioue boni aliquid aliud fieri, quod malum » nominamus. Quapropter licel quibusdam argumenlis malum nihil esse pro- » bf tur : qiioniam malum non nisi vilium aut corruptio est quae nullo modo » sunt nisi in aliqua essentia; et, quanto magis ibi sunt, tanto magis illam » redigunl in nihilum,... licel, inquam, sic aul alio modo probeiur nihil esse » malum, non potest animusmeus, nisi sola fide acquiescere {de casu Diab., » chap. X.) — Mag. Multa... dicuntur aliquid, secundum formam loquendi, ') quae non sunt aliquid : quoniam sic loquimur de illis , sicul de i ebus exislen- fl tibus. Hoc ergo modo malum et nihil significant aliquid ; et quod signilicalur » est aliquid, non secundum rem, sed secundum formam loquendi... Malum » non est aliud quam non bonum aut abseiHia boni,ubi débet etexpedit esse '1 bonum. (/6,, chap. XI.) — Nulla essentia, quamvis mala dicalur, est nihil; nec -^ malam esse ut ulli esse aliquid. Nulli enim essentiae est malam esse quam '■< déesse illi bonum, quod débet habere. Déesse vero bonum quod débet adesse, » non est aliquid esse.Quare malum esse, non est ulli essentiae aliquid esse. » » {de conc. Virginis , chap. V.) Non est injustilia qualilas, aut aclio, aut '^ aliqua essentia, sed lantumabsentia debitae jusliliae... Malum vero esse vel " injuslum , est non habere juslitiam quam débet habere : quod non est » aliquid . Est autem aliud bonum quod dicitur conimodum,cujus contrarium » est malum, quod est incommodum. Hoc malum aliquando nihil est. ut cae- » citas : aliquando est aliquid, ut dolor. Sed hoc malum, cum aliquid est, » Deum facere non negamus... Itaque de illo tanlum malo, quod est injustitia, n per quam dicitur injuslum, certum est quia nunquam est aliquid; nec alicui •> rei est esse aliquid, injusiam esse. » {De concpraescientiae Dei cumlib. arh.y chap. Vil ) — S. Anselme répète ces explications, en termes identiques, dans la VIII« lettre du II» livre de sa correspondance, adressée à son cher Maurice qui lui avait demandé si le mal est une entité positive. Elle se termine ainsi : « Quod autem non est aliud quam absentia ejus quod est T) aliquid , itaque non est aliquid. Malum igitur vere est nihil , et nihil non est « aliquid : tamen quodammodo sunt aliquid (res malae); quia sic loa'V'rtnr rie « his, quasi sunt aliquid, cum dicimus nihil vel malum fecil : aut 7iihit, vel »^ malum est quod fccit; sicut dicimus, a//gwfrf vel bonum fecit, aut aliquid y> vel bonum est quod fccit. » — Il dit ailleurs : « Quomodo, inquam , conve- y> niant, et falsa intelligi, et inlelligfre esse : scicnlia comprehendere eœistere » ailquid, nihil ad me, tu videris. » {Contra /«s/pî'enfew, chap. VI, coll. Lih. dro Insip , § 6, passim.) { 78 ) Nous avons exposé la pensée d'Anselme louchant la Vérité con- sidérée en soi et dans son rapport avec les êtres de la nature. Nous devons à présent rechercher les sources de sa doctrine, sa valeur intrinsèque et sa part d'influence sur le mouvement des idées. Le lecteur l'aura observé déjà : le Dialogue de Ver itate , quoique postérieur au Monologue, se ressent beaucoup, malgré ses inten- tions métaphysiques, de la formation qu'Anselme avait reçue de Lanfranc. C'est un traité à l'usage des élèves du Trivium, et il faut en tenir compte. Mais à côté de l'élément pseudo-péripatéti- cien, ce qui domine en notre Dialogue, ce sont les spéculations sur la Vérité en soi. Voilà précisément la conception méta- physique que notre Docteur eut la gloiie de rappeler dans les Écoles. Le contraste de cette partie avec les endroits où reparaît la dialectique pure est extrêmement curieux. Si nous le signalons, c'est qu'Anselme est le premier Docteur orthodoxe qui associa, dans une aussi large mesure, l'esprit du Lycée et celui de l'Aca- démie. — Il y a, dans le Dialogue de Verilale, des distinctions, des divisions qui rappellent trop Porphyre et Cassiodore! Est-il question de la Vérité suprême, de lExemplarisme ou du rapport idéal des êtres créés avec Tlntelligence créatrice. Ton croit enten- dre des échos affaiblis d'Augustin. Anselme a dû être vivement impressionné à la lecture de ce puissant penseur. Rien d'émou- vant, à coup sûr, comme les élévations du Docteur d'Hippone sur les plus hauts problèmes de la métaphysique, écrites dans un style vigoureux et coloré, où se reflète toute l'exubérance de la nature africaine. Peut-être ces éloquents transports, ces métaphores har- dies ne sont-elles pas toujours le langage le mieux approprié à l'ana- lyse philosophique! Quoi qu'il en soit, pour quiconque aime le fond des choses, quel plaisir de reconnaître, sous les contours en- core un peu indécis de l'ontologie du Docteur de Cantorbéry les premiers traits de l'idéologie scolastique. Pourquoi n'éprouverions- nous pas à ce spectacle la joie que ressent l'artiste en présence de ces monuments contemporains d'Anselme, où l'on pressent déjà, dans l'arcade qui commence à fléchir, la grâce de l'ogive et les promesses de rarchitecture gothique? ( 79 ) Nous savons la définition de la Vérité qu'Anselme nous a laissée : Rectitudo sola mente perceptibilis. D'elle-même, elle est obscure. Le mot Rectitudo est loin d'être heureux. Il appar- tient à l'Éthique plus qu'à l'Ontologie. Qui sait si le désir de mon- trer l'identité essentielle de la Justice et de la Vérité n a pas con- duit le disciple de Lanfranc à les réunir en une formule commune? Le goût de l'époque allait volontiers à ces assimilations! La clarté et la précision de l'idée en ont souffert. Une doctrine féconde s'y cache néanmoins, sous des termes ambigus, et Anselme l'a rendue assez claire par la suite du Dialogue. Nous devons pénétrer dans sa pensée. Les Catégories d'Aristote ne définissaient pas la Vérité en soi : elles portaient cependant que la proposition est vraie ou fausse selon que la chose exprimée est ou n'est pas ^ En sa Métaphy- sique, le Stagyrite tenait qu'il y a enti^e la vérité et Vètre un inva- riable rapport 2, mais Anselme ne connaissait pas la version boétienne de cet ouvrage. L'explication des Catégories ne pouvait suffire à un spéculatif, à un amateur de l'absolu. Le traité de 1 In- terprétation, sorte de Gramuiaire philosophique, devait encore moins le satisfaire. Ce qu'Anselme voulait, c'était une définition objective, générale de la Vérité. Il ne l'a pas encore rencontrée, assure-t-il. Cependant son maître S. Augustin s'était ouvert à plu- sieurs reprises sur ce sujet, dans les Soliloques, dans les livres de lavraie Religion et du Libre Arbitre. Un disciple aussi diligent quel Écoiâtre du Bec n'avait pu négliger ces passages. Au fond, la définition d'Anselme ne diffère pas de celles de son maître — Augustin s'arrêtait de préférence à Vêlement ontologique du con- cept de la vérité, c'est-à-dire à la considération de iessence des êtres, considérée comme fondement de leur représentation dans l'esprit. Il rejette dans les Soliloques l'opinion de ceux qui con- fondent la vérité avec les perceptions sensibles ou avec la vraisem- ' Tw yàp clvcci to Tvpxy/u.cc ij /u.^, dXi^^; 0 \6yoq i^ ^pt:U^<; ïéyevxt. — Catég , ehap. XII, § 7 ; Cf. chap. V, § 24. — Nolons encore une fois la portée objective qu'Arislole assigne ici , en passant, à la vérité. ' Met, IX, 10. - Cf. liv. V, 29. ( 80 ) blance. « Ce qui existe, dit-il, cela est vrai '. » Dans le traité de la vraie Religion, il écrit que les choses sont vraies pour autant qu'elles participent de l'être; or, selon lui, c elles participent de l'être dans la mesure de leur ressemblance avec la première Cause 2. « Dieu est la Vérité-principe » avait dit encore Augus- tin en ses Sermons. C'est en cette Vérité que se trouvent les raisons ou Essences de tous les êtres créés. Il est vrai que, dans ce même livre de la vraie Religion que nous citions tout à l'heure, Augustin touche Taspect psychologique du pro- blème. — Nous y lisons celte définition : La vérité est V expres- sion de rêtre ^. Elle est presque identique à celle que don- nera plus tard Isaac, fils du traducteur arabe de la version syriaque d'Aristole, et que S. Thomas rapporte en ces termes ; Isaacus dicit in libro de Definilionibus , quod veritas est adœ- quatio rei et inlellectus *. — La genèse de cette définition célèbre est bien connue. Déjà Parménide d'Elée avait identifié la vérité et la réalité, l'idée et l'être. « L'Etre et la Pensée sont une seule et même chose ^ y> , voilà la maxime métaphysique qu'il a apprise de la Muse. Mais nul n'avait établi le rapport de l'être et de la vérité avec autant d'éloquence que le divin Philosophe, en sa République : « Celui qui connaît, demande Platon à son dis- ciple, connaît-il quelque chose ou rien? — Je réponds qu'il connaît quelque chose. — Qui est ou qui n'est pas? — Qui est, car comment ce qui n'est pas, pourrait-il être connu?... Nous tenons ceci pour certain... que ce qui est de toute manière est entiè- * « Verum esse \d quod est, non autem id quod videlur, aul quod laie est » quod videlur, quia etiamsi res non videatur, neque conforniitalem habeal » cum aliqua cognilione, nihilominus vera est. » {Soliloq. //, chap. V.) 2 « Vera in tanlum vera sunt, in quantum sunt : in tantum autem sunl, in « quantum principalis unius similia sunt. » {De vera Relig., chap. XXXVI.) ^ » Verilas est quâ ostendilur id quod est. » (De vera Relig., chap. XXXVI.) * Summ., I,q. 16, a. 2. ^ To yàp aùrb vceTv èariv ri- kx). qIvm. — Ap. Clem. xVlex. Strom., VI, p. 627 et Plotin, Enn. V, 1, 8. — Pour le sens de ces paroles, voyez Ueberwegg, Geschichte der phil., p. 59, et aussi Bergk, Index lect. Hal., 1 867-1 HC? (81 ) renient eognoscible, et que ce qui n'est pas du tout n'est pas du tout eognoscible? — Rien de plus certain ^ » — Les Néo-Pla- toniciens ne pouvaient qu'accepter avec enthousiasme cette vue de leur Maître. Plotin, en particulier, insista sur le lien de l'être et de la vérité ^. Les Alexandrins communiquèrent cette doctrine à leur disciple S. Augustin. On peut assurer que ce fut Anselme qui la transmit aux Maîtres des Écoles scolastiques. — Les choses sont vraies, nous a dit le docteur de S'*-Marie du Bec, pour autant qu'elles répondent à leur fin, à leur loi essentielle, à leur ten- dance instinctive. Tel est bien le sens de la formule : Res sunt verœ qiiando sunt ut debent. Au fond, voilà la vérité transcen- dentale, comme l'appelleront les scolastiques, identique à l'être des choses ^. Esse, et verum, et bonum convertuntur. Voulez-vous toucher le fond de cette définition obscure à première vue? Appli- quez-la à l'esprit humain! N'allons pas chercher dans la doctrine d'Anselme l'optimisme de Leibnitz, comme le veut Henri Ritter. Mais n'est-il pas exact que pour participer à la vérité et réaliser sa fin, la raison , dans le déploiement de son activité, doit se con- former à ses lois immanentes, constitutionnelles *? En répondant à ses tendances primitives et innées, en observant dans son exercice les conditions que lui dicte d'instinct la nature, l'esprit atteint son objet et vérifie le plan de Dieu. Pour parler avec Anselme, il est ce qu'il doit; et en même temps, il pose entre l'intelligible et lui l'équation d'où résulte la connaissance. De la sorte, la vérité ontologique embrasse, aux yeux de notre Doc- ' L. V,p. 476. - Ennead. V, 1 , 7. '• Albert le Grand n'est pas très-clair dans son appréciation de la théorie du Dialogue : De veritate. Il semble l'entendre d'une perception confuse delà vérité produite par les créatures : — « Dicendum quod in ordine primae Veri- » tatis, non acceptât (res creata) significare vag'a tantum significatione , sed ') significare rem sicut est ralione rei , significatione rei adaequata, et hoc » dico salva fide Anselmi, » {In Praedicamenlis, 1. II, c. XIII.) — Albert a raison , mais Anselme aussi . car il dit la même chose. On voit par cette citation comment le métaphysicien du Bec menait à l'ontologie les plus forts esprits du siècle scolastique. ^ Cf. Teisnem ANN, Gesc/?. der Phil., t. Mil, p. 151. Tome XXV. 6 { 82 ) teiir, la vérité psychologique ou l'assimilation idéale des êtres. En notre sujet, cette observation est capitale; tous ceux qui l'ont pénétré le savent. Mais j'ai hâte de le déclarer : cette manière d'envisager la question y jette quelque ombre. En s'informant de la nature de la vérité, c'est avant tout le rapport représentatif et le rôle assimilateur de l'esprit à l'égard des réalités qu'on cherche à fixer. L'usage a consacré cette manière de voir, et l'on étonne- rait fort aujourd'hui un amateur de philosophie, si l'on s'avisait de lui annoncer que les choses sont vraies quand elles sont ce qu'elles doivent être. La conception d'Anselme est profonde, mais imparfaitement formulée. — Les maîtres de la seconde période scolastique s'en aperçurent. La vérité des jugements tient une plus large place dans leur analyse philosophique que la vérité des essences. Souvent, ils laissent trop celle-ci au second plan. Les circonstances y aidaient, il est vrai. Aristote, désormais mieux connu, recherchait surtout la vérité non dans les choses, mais dans l'esprit '. Les Gloses des Arabes, notamment la doctrine d'Averroës sur V intellect agent, récemment introduites en France par les professeurs juifs des écoles de Montpellier et de Marseille poussaient activement les maîtres vers la psychologie. A l'instar des modernes, c'est la vérité subjective que considèrent les Doc- leurs. Mais les élévations d'Anselme sur la vérité des Essences ne seront plus oubliées! Sous ce rapport, il est curieux de comparer avec notre Dialogue la Question de S. Thomas d'Aquin intitulée également De Veritate , ou mieux encore le traité de la Somme théologique qui en reproduit les principales thèses. C'est là qu'on peut apprécier l'influence qu'Anselme a exercée sur les maîtres postérieurs, malgré leur prédilection pour les considérations psychologiques. Chose assez rare ailleurs! Son nom revient plu- sieurs fois dans le texte du Docteur angélique que nous venons de citer. Résumons-en rapidement la doctrine. L'être intelligible, dit S. Thomas, se dit par rapport à l'intel- ligence. Ce rapport est double : il est essentiel, s'il implique l'intelligence d'où l'être tire son essence; il est accidentel, s'il ' Cf. Metaph, VI, 3. — Cf. Th. Aq., De Verilate, art. 2, 3, 8. (83) implique simplement rintelligence qui te conçoit... D'où il suit quà parler rigoureusement j les choses sont dénommées vraies, par rapport à rintelligence dont elles dépendent. C'est de cette Vérité essentielle, poursuit S. Thomas, que se vérifie la défini- tion de S. Anselme de Cantorhéry, dans le Dialogue De Veritate. Il faut discerner, ajoute- 1- il, les êtres de la nature des œuvres de l'art et des signes de convention par lesquels l'homme a cou- tume de représenter la vérité à son esprit. Ceux-ci sont nommés vrais par rapport à notre esprit : la maison peut être dite vraie, si elle répond au type qu'en a conçu l'artisan dans son imagination : la parole est vraie, lorsqu'elle exprime une con- ception juste, et ainsi des autres signes. Mais la vérité des êtres de la nature se tire de la Raison de Dieu. Envisagée de cette dernière manière , elle implique l'Intelligence qui est le prin- cipe des êtres. Or, c'est là ce qu'a entendu dire le Docteur de Cantorhéry dans sa définition du Dialogue snr la vérité *. — S. Thomas tient avec Anselme que la vérité considérée au point de vue des choses est unique , en ce sens que, hien qu'il y ait ^ « Res intellecta ad intelleclum aliquem potest habere ordinem vel per se, " vel per accidens. Per se quidem habel ordinem ad intelleclum a quo de- » pendet secundum suum esse; per accidens auteni ad intdleclum a quo ■ cognoscibilis est. Sicut si dicamus, quod domus comparatur ad inlellectum » arlilicis per se, per accidens autem coniparalur ad inlellectum a quo non » dependet. Judicium aulem de re non sumilur secundum id quod inest ei per » accidens, sed secundum id quod inest ei per se. Unde unaquaeque res » dlcitur vera absolute secundum ordinem ad inlellectum a quo dependet. " Et inde est quod res arlificiales dicunlur verae per ordinem ad inlellectum '. noslrum, dicilur enim domus vera quae assequitur similitudinem formae » quae est in menle arlificis, et dicitur oratio vera, in quantum est signum •- intellectus veri. Et simililer res nalurales dicuntur esse verae, secundum •) quod assequuntur similitudinem specierum quae sunl in menle divina; ). dicilur enim verus lapis, qui assequitur propriam lapidis naturam, secun- « dum praeconceptionem intellectus divini Sic ergo veritas prindpaliter est V in inlellectu, secundarie vero in rébus, secundum quod comparantur ad » inlellectum, ut ad principium .. — Ad verilalem rei secundum ordinem ad ^> intelleclum perlinet... delinitio Anselmi, in dial. de veritate, cap. XII, V lalis : veritas est rectiludo sola menle perceplibilis : nam rectum est quod >' cura principio concordat. » Sum. th. I, q. 16, De veritate, art. l,m cojicl. ( 8i ) plusieurs essences ou formes dans les choses, cependant il n'y a qu'une seule Vérité selon laquelle elles sont dénommées vraies y et c'est celle qui préexiste dans la Raison divine. Et voilà encore ce qu'a professé S. Anselme en tenant qu'il y a dans toutes les choses vraies une seule vérité K — La vérité suppose le l'apport de l'être à une intelligence : s'il n'y avait aucune intelligence éternelle, il n'y aurait aucune vérité éternelle... Au sujet des choses actuellement existantes, il a toujours été vrai qu'elles existeraient un jour : dans leur cause dernière qui est Dieu, préexistait éternellement la connaissance de leur futurition. Quant aux énonciations (et à tous les signes conventionnels en général), elles sont dites vraies en un sens spécial, pour autant qu'elles présupposent la vérité du jugement, c'est-à-dire l'équa- tion de la chose et de l'esprit. Tout cela nous fait comprendre com- ment Anselme a pu définir la vérité une certaine conformité , en entendant par là la conformité des êtres à leur type exemplaire, dans la divine Raison ^. « Ainsi, dit ailleurs le Docteur Domi- nicain, la vérité se trouve, à proprement parler, dans l'esprit j elle est quelquefois attribuée aux choses, en ce sens que chacune d'elles réalise la loi de sa nature. Aussi Avicenna dit-il en sa Mé- ' H Siloquamur de veritale secundum qiiod esl in rébus, sic omnes sunt vcrae una prima verilale, oui unumquodque assimilalur secundum suam enlitatem. Et sic licet plures sint essenliae vel formae rerum,tamen una est verilas divini intellectus, secundum quam omnes res denominantur verae... — Diclum Anselmi verilalem habet secundum quod res dicuntur verae per coniparaiionem ad diviuum inlellecium. » {Ibid. art. 6, in concl.) — De Verit., art. 4, in concl. • « Res denominantur verae a veritale intellectus. Unde si nuHus intel- 0 iectus esset aeternus, nulla veritas esset aeterna... lllud quod nunc est, ex ' eo fulurum fuit, antequam esset, quia in causa sua erat ut tieret... Sola ' autem causa prima est aeterna Unde ex hoc non sequitur quod ea quae '> sunt, semper verum fuerii ea esse futura, nisi quatenus in causa sempi- 1 lerna fuit ut essent fulura; quae quidem causa solus Deus est. {Ibid., I art. 7, conc/., ad. 3.) — Proposilio non solum habet veritatem , sicut res ■ aliae veritatem habere dicuntur, in quantum implent id quod de eis ordi- ' natiimest ab inlellectu divino; sed dicitur habere veritatem quodam spe- ' ciaii modo, in quantum signitîcat veritatem intellectus ; quae quidem con- > sistit in conformitate intellectus et rei. » — Ibid., art, 8, ad. 5. C 83 ) tapliysiquc , que la vérité n'est que la propriété inhérente aux êtres d'engendrer dans l'esprit leur véritable concept, comme elles, de leur côté, correspondent à leur type inercé subsistant en la Raison divine *. — Dans la Question De Veritate , S. Tho- mas appelle cette propriété des êtres « le fondement de leur vérité 2. 0 D'après S. Thomas, le concept de la vérité emporte donc avant tout la conformité du jugement avec son objet; mais cette con- formité est, en suprême ressort, fondée sur l'Idée divine, type transcendant de toute réalité créée : de la nature aussi bien que de l'esprit de Thommc, prédestiné à la concevoir. Anselme, le métaphysicien, 1 homme des causes premières, s'est surtout atta- ché à cette dernière considération. Ce ne sont pas les formes multiples de la vérité qui passionnent son esprit : c'est le lien qui les réunit dans la pensée infinie. C'est encore l'un des traits carac- téristiques de son génie. — Nous permettra-t-on de dire à ce sujet toute notre pensée? Il y aura toujours un fond épais d'ob- scurité dans les conceptions du genre de celles que nous venons d'exposer. La vérité psychologique y est comme encbevêtrée à la vérité ontologique. Une grande contention d'esprit doit être dépen- sée à démêler cette toile de Pénélope. Nous l'avons éprouvé chez S. Anselme. Ecoutons un passage analogue de S. Augustin, son maître, son initiateur à cette manière de philosopher? « L'âme est l'œuvre de Dieu, dit le Docteur dTIipponc^... Car toute chose vraie est vraie par sa participation à la vérité , et l'àme n'est ce qu'elle ' H Licel verum proprie nou sit in rébus, sed in mente, res tamen inter- dum vera dicitur secundum quod proprie actum propriae naturae conse- quuntur (c'est le faciunl quod clebent d'Anselme). Unde Avicenna dicit in sua Melaphysica, quod verilas rei est proprietas uniuscujusque rei , quod slabilitum est ei, in quantum talis res nota est de se facere veram aestima- tionem , et in quantum propriam sui rationem quae est in mente divina imitalur. » — Sum. cont. Gent.,l. I, c. LX. * Art. 1 , in conclus. ^ » Credendum itaque est et intelligendum , neque ullo modo dubilandum , quod recta fides habet, animam sic esse a Deo tanquam rem quam fecerit, non tanquam de natura cujus est ipse, sive genuerit, sive quoquo modo { 86 ) est que pat'ce qu'elle est une àme véritable. Toute âme doit donc à la vérité d êlre en réalité une âme... Or la vérité est Dieu.» — Sans contredit, voilà des antithèses et des rapprochements qui causent quelque surprise! Cependant, cette forme de considérations eut un rare crédit. En l'Être nécessaire, la vérité n'est que l'Essence absolue se comprenant elle-même. Toutes les perfections divines sont Dieu lui-même. S. Augustin avait mis dans un puissant relief cette théorie si belle. Il ne fit que l'appliquer en substituant, en mainte occurrence, la formule abstraite des attributs au nom con- cret de la Divinité. En soi, ontologiquement, rien de plus exact. Mais de pareilles substitutions qu'imitèrent après Anselme des maîtres nombreux, présentèrent quelque danger à de moins fermes esprits. Cette habitude, en se généralisant, engendra la manie de prêter une sorte de réalité aux notions de l'esprit. En un temps où la Dialectique formelle rendait déjà ce péril imminent; à la veille de la dispute sur les Universaux,on pressent tout ce qu'une sem- blable coutume réservait de mécomptes, d'embarras. Les formules n'avaient pas mené l'esprit à la réalité, aux choses : bientôt l'on s'imaginera que les abstractions psychologiques sont, à quelque degré du moins, les choses mêmes. Ce sera contraire à Arislote, à Augustin, à Anselme! Mais une Logique excessive et incomplète a préparé les maîtres à cette méprise funeste. Ils neTéviteront pas. Demandez à Guillaume de Champeaux, à Bernard de Chartres, à Gilbert de la Porrée! — Ainsi Nominaiisme et Réalisme, voilà le Charybde et le Scylla où s'en va pour longtemps rouler la pensée. Elle n'en échappera qu'au jour où elle s'avisera de chercher dans la nature et dans l'histoire la base et le contrôle de toute philoso- phie qui tient à ne pas être une chimère. Ce ne sera pas de sitôt! Ce n'est pas seulement la vérité et ['Essence divine qu'Augustin identifia : il affirma en outre l'identité fondamentale de la vérité et de là justice. « Il a été dit à Dieu, écrit-il dans sa lettre à Consentius : protulerit. Omne quippe verum a veritate verum est ; et oranis anima eu anima est, quo vera anima est. Omnis igilur anima a veritate habel ut omnino anima sit .. Non igitiir cum a veritate anima est, a seipsa est. Est aulem verilas Deus. » — Lib. 83, Quaest. q. 1. ( 87 ) Ta loi est la vérité. Qui ne voit par cette parole que tout ce qui est conforme à la vérité est en même temps juste? » Nous avons déjà reconnu l'affinité de la doctrine générale d'Augustin sur la vérité avec celle d'Anselme. Se tromperait-on beaucoup en signalant dans les paroles précitées la source du rapprochement des notions de justice et de vérité que nous avons admiré dans le Dialogue? Mais, ce qui domine les vues du Docteur de Cantorbéry, ce qui en fait volontiers oublier les obscurités, c'est sa tentative de mon- trer le lieu de la vérité ontologique avec la vérité subjective de l'esprit. Nous approfondirons la portée de cette doctrine si grave. Anselme a tenté d'écrire la démonstration classique d'une théorie dont S. Augustin avait indiqué les principes. Nous l'avons vu; à l'époque où le génie grec était à l'apogée, Arislote signala le rapport de la Dialectique et de la nature. L'humble moine du XV siècle qui osait établir le trait d'union de l'idéologie avec l'on- tologie et la théodicée, la relation fondamentale de la vérité et de l'être j a pour cela seul mérité l'immortalité '.C'est d'après ces intui- tions puissantes, non d'après les détails, qu'il faut juger sa philo- sophie. Qu'en un essai, où nul ne le précéda, sa plume ait oscillé quelquefois; qu'il y ait gnrdé les procédés imparfaits d'une époque presque barbare , ces taches fâcheuses ne peuvent nuire à sa gloire î La doctrine de la vérité ontologique qu'Anselme ramena dans les Écoles n'en sortira plus. Nous avons déjà remarqué que les Docteurs de la seconde période scolastique s'adonnèrent d'une manière plus spéciale à l'étude de l'élément subjectif de la con- naissance, que notre Docteur avait trop négligé. Après la réaction de la Renaissance contre la Dialectique dégénérée, les penseurs du XVIP siècle revinrent, en France surtout, aux spéculations de leurs devanciers sur la vérité en soi. Tout le siècle de Louis le Grand est plein de ces vues! Nul, en cette époque, ne les résuma avec plus d'éloquence que l'Évéque de Meaux. Que l'on nous per- mette de reproduire ici une page de son livre De la connaissance de Dieu et de soi-même. Ce ne sera pas un hors-d'œuvre. Elle est le magnifique commentaire de la Doctrine d'Augustin et d'Anselme. 4 ( 88 ) • a Toutes CCS vérilés, dit ce grand homme en parlant des prin- cipes absolus, et toutes celles que j'en déduis par un raisonnement certain, subsistent indépendamment de tous les temps ; en quelque temps que je mette un entendement humain, il les connaîtra, mais en les connaissant, il les trouvera véiités, il ne les fera pas telles : car ce ne sont pas nos connaissances qui font leurs objets : elles les supposent. Ainsi ces vérités subsistent devant tous les siècles, et devant qu'il y ait un entendement humain : et quand tout ce qui se fait par les règles des proportions, c'est-à-dire tout ce que je vois dans la nature, serait détruit, excepté moi, ces règles se conserveraient, dans ma pensée, et je verrais clairement qu'elles seraient toujours bonnes et toujours véritables, quand moi-même je serais détruit, et quand il n'y aurait personne qui fût capable de les comprendre. Si je cherche maintenant, où et en quel sujet elles subsistent éternelles et immuables, comme elles sont, je suis obligé d'avouer un être, où la vérité est éternelle- ment subsistante, et où elle est toujours entendue; et cet Etre doit être la Vérité même, et doit être toute yérité; et c'est de lui que la vérité dérive dans tout ce qui est et ce qui s'étend hors de lui... Il y a donc nécessairement quelque chose qui est avant tous les temps et de toute éternité : et c'est dans cet éternel que ces véri- tés éternelles subsistent... Ces vérités éternelles que tout enten- dement aperçoit toujours les mêmes, par lesquelles tout entende- ment est réglé, sont quelque chose de Dieu, ou plutôt sont Dieu lui-même. Car toutes ces vérités ne sont au fond qu'une seule vérité *.» A cinq siècles de distance, ne croirait-on pas entendre un écho ennobli du Dialogue de Veritate? Mais nous devons plus spécialement étudier la doctrine de notre S. Docteur sur les rapports de la Vérité absolue avec les êtres de la îiature qui en sont l'expression diverse. Cet exa- men nous ramène à la théorie des Idées divines. Il faut mon- trer qu'en cette importante matière, Anselme a repris au seuil du moyen âge les vues de S. Augustin qui lui-même avait enrichi la Philosophie chrétienne des plus nobles conceptions de Platon. * Connaissance de Dieu et de soi-même, c, IV. ( 89 ) En dépit de leur époque, de leur culture si différente, ces trois penseurs avaient entre eux une singulière affinité d'esprit : tous les trois médiocrement intéressés aux contingences du monde sen- sible; tous également avides de saisir les éléments supérieurs de la science, et par dessus tout le reste, la source de l'universelle har- monie. Rappelons sommairement le système géfiéral du fondateur de l'Académie. C'est le meilleur moyen d'apprécier dans quelle mesure S. Anselme, et avant lui S. Augustin, se sont rapprochés de sa doctrine. Pour Platon, aussi bien que pour Aristote, la science digne de ce nom, doit manifester à l'esprit les principes absolus, l'essence même des choses. Les sensations ne nous révèlent que des phé- nomènes passagers, des réalités contingentes. Les perceptions organiques varient d'ailleurs, avec les dispositions du sujet qui les éprouve. La connaissance sensible ne peut nous donner qu'une simple opinion conjecturale (âS^x) touchant les êtres de la nature. Les atomistes Ioniens et les disciples d'Heraclite en concluaient que la science était impossible. Platon, qui avait le sentiment de la vérité trop vif pour la nier, attribua à l'esprit la faculté d'at- teindre, dans ses intuitions, les essences mêmes des êtres, stables et permanentes parmi le flux incessant des formes extérieures *.La Raison , d'après lui, saisit par delà les types particuliers « Vidée uni- que (xaf îâéa.v fxiav) à laquelle nous rapportons les choses, et d'après laquelle nous les nommons 2. » Par l'Idée, le divin Philosophe semble entendre l'exemplaire éternel et immuable des êtres. Dans ' Cf. sur le point de vue de Platon le beau travail de M. H. Martin : Étude sur le Timée, t. Ier,le commencement surtout.— M. Martin insiste sur les rap- ports de la philosophie de Platon avec la doctrine pythagoricienne. « Suivant les Pythagoriciens, dit ce critique, quelque chose de fixe et que la science pou- vait saisir, dominait sur les objets passagers : c'étaient les nombres. Par une heureuse transformation, Platon en fit des idées, c'est-à-dire des types généri- ques, dont les images multiples se reproduisent suivant lui, dans les choses périssables. Ainsi Platon trouva moyen de ne pas nier les changements perpé- tuels des objets sensibles, et cependant de proclamer en même temps l'exis- tence de cet élément stable dont il sentait la nécessité. >> - République , 1. VI , vers la fin. ( 90 ) le Parménide , l'Idée « est la forme naturelle des êtres, subsis- tant par elle-même*. » Il ajoute, dans le Timéej qu'il est nécessaire de poser l'espèce (l'idée spécifique) comme immuable, sans fin. ni commencement, comme n'accueillant en soi aucun élément venu du dehors, et ne s'ajoutanl elle-même à aucun autre être, inaccessible d'ailleurs aux perceptions des sens, et ne relevant que du seul intellect. — La substance des êtres physiques, considé- rée dans sa généralité, l'espèce en un mot, n'est qu'une copie, une représentation participant d'une certaine manière, que malheu- reusement Platon n'a pas assez déterminée , des archétypes supé- rieurs : de leur union et de la matière naissent les réalités con- tingentes et individuelles qui constituent l'univers. Celles-ci ne peuvent par elles-mêmes nous élever à la science : elles nous provoquent néanmoins à la réminiscence des Idées que l'éme a connues dans une vie antérieure. Ce réveil intellectuel est produit dans l'esprit tantôt par la conformité de forme des êtres sensibles avec les Idées, tantôt par leur dissemblance ^. C'est par induction {èTroLyooyi;) que nous nous élevons du contingent au nécessaire , des types individuels aux catégories générales et aux notions absolues. Les idées , selon Platon, s'étendent à toutes choses : aux genres, aux espèces, aux substances, aux qualités accidentelles, aux figures, aux nombres, et peut-être aux pri- vations elles-mêmes 3. Elles constituent pour l'intelligence une hiérarchie progressive; les degrés de celle-ci sont les diverses notions universelles; ces termes suprêmes consistent dans les idées-mères du Vrai , du Bon et du Beau en soi , convergeant dans l'idée du Bien ^. L'induction intellectuelle qu'il expose dans le * Ta iièv eiâij TaDfi'wWfp nccpcf.^el'y^a.Ta. iard-vv-i uv ryj fôci^i, rà ^a/^At roÙTOi; éoixEvoLi KsX. etvai è/uoiûiiaroi.. — VI. ^^ Phédon, p. 74, sqq. •' Parmemde, p. i 30. * République, i. VII ; p. 517. « Dans le monde intelligible, la dernière Idée est ridée du Bien, qiCon voit à peine , mais une fois qu'on Ta aperçue, on doit conclure qu'elle est la cause de tout ce qu'il y a de bien et de beau; que, dans le monde visible, elle produit la lumière et le roi de la lumière; et que dans le monde intelligible, dont elle est elle-même la souveraine, elle produit la ( 91 ) Philèbe, Platon l'appelle la marche dialectique de l'esprit {mpdu ^loLÏEyiTtx^). — Les développements qu'il a donnés en divers passages de ses œuvres à cette Trilogie idéale forment, avec la conception des Idées, l'élément caractéristique de sa Philosophie. C'est par là qu'il a complété le cycle métaphysique inauguré par ses devan- ciers. Parménide avait mis en lumière les rapports essentiels de VÉlre et de la Vérité. Socrate avait montré le lien de VÊtre et de la Bonté. Son illustre disciple reprit les vues de ces Maîtres et les compléta, en établissant les relations de l'Essence avec la Beauté essentielle, aussi bien qu'avec la Vérité et la Bonté *. A l'induction synthétique, Platon fait succéder le procédé de déduction [6ia.voioi). Celui-ci consiste dans le groupement des idées déjà acquises, dans l'analyse de leurs rapports et des conséquences qui en découlent. L'induction est le côté ontologique de la science : la déduction en est la partie logique ou formelle. Les deux facteurs s'unissent d'ailleurs, sans se confondre, dans toutes les opérations rationnelles. Mais la déduction suppose l'induction comme le raisonnement implique la raison ^, et la raison la na- ture. — Les idées ont elles été conçues par Platon comme douées d'une existence séparée ainsi que l'alTîrment Arislote, et de nos jours MM. Staudenmaier et Martin, ou bien les a-t-il regardées comme identiques avec l'Essence divine elle-même, voilà un point que les interprètes débattent encore ^. Quoi qu'il en soit, c'est vérité et rintelligence. » — « Considère celte idée comme le principe de la science el de la vérilé; tu ne te tromperas pas en pensant que l'idée du Bien en est distincte et les surpasse en beauté. » * « Si nous ne pouvons saisir le Bien sous une seule idée, saisissons-le sous trois idées: celles de la Beauté, de la Proposiiion (convenance) el de la Vérité » — Phileb., Il, p. 461. — Sur la place du Beau dans la doctrine platonicienne des idées, voir les belles études de M. Charles Levéque : La science du Beau, vol. II, p. 311, sqq. - Voir sur tous ces points le travail hors de pair de M. Janet : Essai sur la dialeclique de Platon, surtout pp. 110 et suiv. ^ Cf Nourrisson, Owîd Plalo senserit de Ideis? Thèse pour le Doctorat. — M. Halréau, I, p. 49. — Laforêt, Hist. de la phil. ancienne. — Martin, Éludes sur la Timée,\, au commencement. — Staudenmaier, Philosophie des Christenthums, p 82, sqq. — H. Ritter, Geschichte der Phil., 1. VIII , c. III, coll. J. Brucker , Histor. doctrinae de Ideis, sect, I , § ô. {n ) dans la contemplation des idées (NoD^,) que se trouve Je but de la sagesse et la vraie philosophie. Le divin Philosophe ex])lique cette contemplation par Tinfluence du Logos ou de l'Ame du monde répandue dans l'univers. C'est elle qui guide et élève l'esprit de l'homme jusqu'à la vue du pur intelligible, comme elle meut les autres êtres à leurs opérations propres. En cela, Platon reste con- séquent à un principe vrai en soi, mais qu'il exagère au profit d'un idéalisme excessif: d'après lui, la connaissance n'est possible qu'à condition que les propriétés de l'objet se communiquent en réalité au sujet lui même [yiyvc^xjxcadoii rcô o/uoLmto c/xotov) K L'esprit de ces vues fondamentales de Platon se retrouve chez le Docteur du Bec. Dans le Dialogue de Veritate, nous l'avons entendu, par delà la vérité du discours, de l'opinion, de la sensation, s'en- quérir avec une prédilection marquée, de la vérité de l'Essence des choses (chap. VII), que les philosophes négligeaient trop, à son avis; il nous avertit que la raison supérieure de la vérité n'est visible qu'au seul regard de l'intelligence (chap. XI). Là en- core, il enseigne qu'il est du sage de ne pas s'arrêter aux formes multiples de la vérité, mais de fixer l'esprit sur la Vérité en soi, principe unique, dont participent toutes les choses vraies, persistant malgré leur altération ou leur ruine, immuable parmi le flux des phénomènes (chap. XIII). Nous le verrons en trai- tant de la Théodicée : la notion du Bien absolu est aussi tout à fait prépondérante pour Anselme : elle constitue à ses yeux la synthèse harmonique du Beau, du Vrai, de toutes les perfections de l'être. Mais la ressemblance de la philosophie de Platon et d'Anselme est bien plus frappante encore, en ce qui concerne les rapports de la Vérité substantielle avec les êtres de la nature. — Perfec- tionnant les vues incomplètes d'Anaxagore de Clazomène qui, le premier, attribua à une intelligence supérieure au monde l'harmonie de ses lois, Platon voulait que l'univers soit l'œuvre d'un Etre souverainement sage. « Oui, dit-il, dans le Sophiste, les autres animaux, les éléments dont se composent les corps, * Cf. D»" Heinze , Die Lelire vom Logos in der griechischcn Philosophie, p. 69. — Oldenburg, Schmidt, 1872. (93) ie feu, l'eau et tous les êtres frères de ceux-là, nous savons que Dieu en est l'artisan et le père, et qu'ainsi, ce sont les ouvrages d'un art divin *. » — « Mais quoi! s'écrie-t-il ailleurs, nous persuadera-t-on aisément qu'en réalité le mouvement, la vie, l'âme, l'intelligence ne conviennent pas à l'Etre absolu? Que cet Être ne vit ni pense et qu'il demeure immobile, immuable, sans avoir part à l'auguste et sainte intelligence ?2 n Dans le Timée, il compare la Cause suprême à l'artiste qui, l'œil toujours fixé sur l'être immuable, et se servant d'un tel modèle, en reproduit l'idée et la vertu. — Si le monde est beau, si celui qui l'a fait est excel- lent, il l'a fait évidemment d'après un modèle éternel ^. — Dieu, dit-il, pense à produire une certaine image mobile de l'éternité, et en même temps mettant l'ordre dans le ciel, il forme sur le mo- dèle de l'éternité immuable dans l'unité, l'image de l'éternité se mouvant d'après le wom6?'e, c'est ce que nous appelons le temps *.» — Voilà la Raison ordonnatrice des choses, identique à Dieu. Mais outre ce principe, Platon en a reconnu un autre immanent à la nature elle-même. Bien que ce point reste obscur, la seconde Cause semble se confondre avec le Démiurge, l'Idée du Bien, peut-être même avec l'Unité ou la Monade embrassant toutes les Idées ^. — Quel est le rôle de ce second principe dans la Cosmologie platonicienne? D'après le divin Philosophe, la matière est éter- nelle comme Dieu, mais indéterminée à recevoir n'importe quelle forme. Dans la matière première flottent au hasard les éléments des choses. Platon les appelle Tair, l'eau, la terre, le feu. Ces germes sont la matière seconde de l'univers. D'elle-même, celle-ci est dans une agitation confuse produite par une âme déréglée et aveugle. Au sein de ce chaos, la Raison divine introduisit l'har- monie. Pour cela, elle engendra d'abord l'âme du monde en lui communiquant une parcelle de sa divine Essence, une parcelle de l'âme élémentaire du Chaos, et un troisième facteur composé * Sophiste, Irad. Cousin , pp. 317-318. 2 IbicL, p. 248. = Timée, \). 116. * Timée , p. 57. ^ Cf. Heinze, Op. cit., p. 66. ( 94 ) des deux autres principes. De la sorte, l'âme du monde est le lien qui relie la matière désordonnée et Vidée rf/vme. Car Platon le note avec soin : les formes qui constituent l'àme du monde sont les imitations des êtres éternels ou des Idées. — Exempt denvie, dit-il, le suprême ordonnateur a voulu que toutes choses fussent autant que possible semblables à lui. En conséquence, il mit l'in- telligence dans l'âme, l'àme dans le corps, et il organisa l'univers de manière qu'il fût, par sa constitution même, l'ouvrage le plus beau et le plus parfait *. — On voit comment, en cette théorie, le monde peut être regardé comme un être vivant [X^ov ïii^uxoy hvcvy rf ), une image du Dieu intelligible, un Dieu devenu acces- sible aux sens. L'homme, il est vrai, n'a pas été formé par Dieu, mais par les divinités secondaires. Seulement la Cause suprême a recommandé à celles-ci d'imiter les dispositions qu'il avait obser- vées lui même dans la production des dieux inférieurs -. Sous ces explications, en grande partie fantaisistes, se rencontre partout la doctrine de l'Intelligence suprême, principe ordonna- teur et type harmonieux de toutes les réalités et de toutes les vérités relatives. Est -il besoin d'en signaler l'accord avec les en- seignements d'Anselme? — Le plan idéal de l'univers subsistant de toute éternité dans la pensée divine; les formes , pour parler avec Anselme, ou les Idées de tous les êtres créés concentrées dans le Verbe, comme tous les types, d'après le langage de Platon , subsistent dans le Démiurge; et jusqu'à la notion des quatre prin- cipes élémentaires et de la matière première, voilà autant de dogmes de la métaphysique platonicienne que nous retrouvons chez S. Anselme. Ce n'est pas que le Docteur chrétien se soit certainement inspiré du divin pbilosopbe. Il ne le cite nulle part, et M. de Rémusat estime qu'il a très-bien pu l'ignorer ^. Il n'est pas ira- ' Timée, 29, passim. ^ Sur la cosmologie de Platon en général, voyez l'analyse de M. Laforêt, Hist. de la philos, ancienne, I, p. 4'27, sqq. — Ueberwegg, Zeitschrift. fur Philos., vol. XLII, 1863, p. 177, sqq. — Henri Martin, Op. cit., t. II, passim. — BoECKn, Gesamm. Kleiner schrifl., vol. III, p. 294, sqq., 1866. ^ S. Anselme de Cantorbénj, p. 458. ( 9o ) possible cependant qu'il ait lu la traduction du Timée parChalcide. Mais Anselme s'était formé à l'école du Docteur d'Hipj)one. Au début de sa carrière pliilosophique, Augustin avait signalé, dans l'instinctive tendance de nos facultés vers la science et dans la joie que celle-ci nous procure, le premier fondement de la certi- tude de nos connaissances K Tant de siècles avant Descartes, il avait montré que le doute implique la pensée et l'existence, et que le scepticisme se réfute par les considérations qu'il invoque pour se légitimer 2. Il avait consacré à l'analyse de la conscience, du wo«, des développements d'une sagacité surprenante. Anselme ne s'ar- rête pas à ces préliminaires qui accusaient une époque plus exer- cée à la réflexion philosophique. Mais Augustin devait lui servir de maître dans la féconde doctrine des Idées divines qui touche à tous les sommets de la science. « Vidée, a dit un Platonicien cé- lèbre, par rapport à Dieu est sa connaissance; par rapport à nous, le premier intelligible; par rapport à la matière, sa forme; par rapport au monde sensible, l'exemplaire; et en elle-même, elle est l'essence des êtres ^. » Les Idées étaient tout cela dans l'Académie*. De fait, les contemplations de Platon sur le monde intelligible avaient causé au Docteur africain une vive admiration. Les travaux ' « Ex naturali instinctu beatos esse velle iiiest omnibus. » ( De Trinit.^ 1. XIII.) — « Hanc vilam beatam omnes voluiit; hanc vitam quae sola beala est » omnes volant; gaudium de veritale omnes votunt.... Et cum amant beatam » vitam, quod non est aliud quam de veritale gaudium, iilique amant etiam )) verilatem. » {Confess., 1. X, c. XXIII.) — Ailleurs il avait écrit ces signiû- catives paroles : « (Ad beatiludinem) nalura compellit cui summe bonus et » immutabililer beatus Creator indidit hoc. » {De civ.Dei, I. XIX, c. XIII.) ' « Tu vis te nosse, sois esse te? — Scio. — Unde scis?— Nescio. — Simplicem » le sentis, an mulliplicem?— Nescio. — Moveri te sois?— Nescio.— Cogitare te X scis?— Scio. » (SoUL, II, 1 ) — « Omnis qui se dubitantem, inlelligit, verum » inlelligit, et de bac re quam inlelligit , cerlus est. Omnis igilur qui ulrum sil w Veritas, dubital, in se ipso habel verum, unde non dubilet, nec ullum verum » nisi veritale verum est. Nonitaqueoporteteum deverilatedubilarequi poluit » undecunque dubitare. » {De vera Relig., 75.)Cf. Z)e civ. Dei,l XI, c XXVI. ' "Y.ffTi âè xccl i] Mèx w; /xèv Trpo; QeOé/ vévfai^ aùrou' w; §è -npoq y/jux^^ vo^TOv TTpÙToV w; âè TT^oq rijv v))^y, lier pou' u; ^£ rpà; rov cÙ'jO\^tov xoa- fiov ^ yrapx^ei'yfxcc w; c?è tt/jo; a.ÙT>jv s^£Tat,o/x.éui^ , oùaicf., — Alcinol's, Intr^ in Plat , c. IX. ( 9^. ^ De haeresihus , haer. 70, De peccat. oriy., c. XXXI. — De aîmna et ejus origine , l . I , c. XIX. ( 97 ) Jes créatures, toutes les espèces ont été produites d'après leur idée propre. Or, ces Idées où subsistent-elles, si ce n'est dans l'intelligence du Créateur? Certes, il n'a pas eu besoin de quel- que chose de distinct de lui-même, pour produire d'après elle ses œuvres *. — Voilà la thèse fondamentale de l'Exemplarisme d'Augustin. Comme il y prend soin d'établir la parfaite simpli- cité de la raison divine î Mais il faut entendre les développe- ments principaux qu'il donne à sa théorie : ils sont la véritable source où puisa Anselme de Cantorbéry. «r C'est Platon, écrit le Docteur d'Hippone, qui paraît le pre- mier s'être servi de ce nom d'Idées (à propos des formes intelli- gibles des êtres). Mais si la dénomination n'existait pas avant qu'il l'eût mise en usage, il ne s'ensuit pas que la chose même n'ait pas existé, ni qu'elle n'ait fixé l'esprit de personne. Seulement il arriva que les philosophes lui donnèrent des noms différents... Est-il vraisemblable qu'il n'y ait pas eu de sages avant Platon, ou que les choses qu'il appela Idées ne leur aient été con- nues?Ne sont-elles pas un objet d'une importance si haute, que sans les connaître, nul ne peut prétendre à la sagesse? Nous pou- vons appeler les Idées en latin formes ou espèces, si nous tenons à une traduction littérale. Celui qui les nommerait Baisons (ra- tiones) s'écarterait des lois de l'interprétation. Celles-ci, en effet, sont nommées en grec '^ôyoi, et non Idées. Toutefois, en faisant usage de ce terme, on ne se trompe pas sur les choses mêmes 2. — * {De civ. Dei, I. XI, c. X.) — « Dictus est in Scripluris Sanclis Spiritus i> sapientiae multiplex, eo quod mulla in se habeat... et ea omnia unus est, 1) neque enim muliae sed una sapienlia est, in qua sunt immensi quidam ) alque infiniti thesauri rerum intelligibilium, in quibus sunt omnes invi- » sibiles atque incommulabiles rationes rerum etiam visibilium et mulabilium » quae per ipsam factae sunt. » {De civ. Dei, 1. XI , c. X.) — « Quamobrem 1) quod plurimorum hominum ibi ratio est, non ad ipsum horninem perlinet, >> quanquam miris rursum modis ad unum omnia redigantur. » {Ep. ad ffebrid., c. XIV. — « Has rationes ubi arbilrandum est esse, nisi in ipsa » mente Creatoris? Non enim intra se quidquam positum inluebalur, ut » secundum id conslitueret , quod conslituebat; nam hoc opinari sacriiegum » est. » {Lib.83 quaest. q. 4Q.) * « Ideas Plalo primus appellasse porhibetur, non lamen si hoc nomen, TojîE XXV. 7 (98) Nous tenons donc que les Idées sont les formes par excellence, et les raisons fixes et immuables des choses : elles ne sont pas pro- duites dans le temps, mais éternelles et toujours les mêmes, et leur siège est rintelligence divine. Et bien qu'elles n'aient ni com- mencement ni fin, elles sont la règle de tout ce qui est suscep- tible de commencer et de finir, et tout ce qui commence ou finit est formé d'après elles *. » Mais Augustin élucide la manière dont les Idées des choses subsistent en rintelligence créatrice, sans aucune trace de divi- sion, sans aucun fractionnement de l'Idée divine. — Dieu ne les voit pas au dedans de lui, dit-il, comme nous voyons dans notre esprit les fantômes des corps, absents de nos yeux, ni comme nous les représentons à l'imagination, d'après des choses aperçues au- trefois... Comment les voit-il?... D'une manière propre à Lui seul. Toutes choses sont en Dieu, par la science de l'ineffable sagesse, concentrée dans le Verbe, et le Verbe est tout. Comment cela? Il est « l'art de la toute-puissante sagesse de Dieu... et en elle tout est un, comme elle-même est une, et procède de l'unité, avec la- quelle elle constitue Tunité. Là (dans ce Verbe), Dieu connaît tout » antequam insiilueret, non eral, ideo vel res ipsae non erant, quas ideas » vocavit, vel a nullo intelleclae, sed alio l'ortasse alque alio nomine ab aliis )) alque aliis nuncupatae sunt. Licetenim cuique rei incognilae, quae nullum » habeat usitatum iiomen, quodlibet nomen imponere. Nani non est verisimile, » sapienles aut nuUos fuisse ante Plalonem : aul istas quas Plato, ut dictum » est, ideas vocal, quaecumque res sint, non intellexisse. Siquidem tanla in » eis vis constituilur, ut nisi bis intelleclis, sapiens esse nemo possit... Ideas )) latine possumus vtl formas vel species dicere, ut verbum a verbo irans- » ferre videamur. Si autem raliones eas vocemus, ab inlerpretandi quidem » proprietate discedimus. Rationes enim Graeee Aoyoi appellantur, non ideae ; « sed tamen quisquis hoc vocabulo uli voluerit , a re ipsa non errabit. » {Ibid.) * « Sunt ideae principales formae quaedam, vel rationes rerum sta- » biles atque incommulabiles, quae ipsae formalae non sunt, ac per hoc )) aeternae, ac semper eodem modo sese habentes,quae in divina inlelligenlia » conlinentur, et cum ipsae neque orianlur, neque intereant; secundum eas » tamen formare dicilur omne quod oriri et inlerire potest, et omne quod )) oritur, et interit. » {Ibid.) ( 99 ) ce qu'il produit par sa sagesse. Les temps passent et se succèdent, mais dans la science divine, il n'y a ni changement, ni succes- sion. » — noverat? Porro si noveral, ubi nisi apud ipsum, apud quem Verbum erat', « per quod fada sunt omnia?... » (/6/d, V, c.XIII.) — Quis aulem religiosus et ■ vera religione imbutus, quamvis nondum possit haec intueri , negare tamen " audeat, imo non etiam proliteatur, omnia quae sunt; id est, quaecumquein " suo génère propria quadam nalura continentur, ul sint, Deo auctore esse ■' piocreala, eoque auclore omnia quae vivunt vivere, alque universam rerum ■» incolumitalem, ordinemque ipsum quo ea quae mulanlur, suos temporales « cursus cerlo moderamine célébrant, summi Dei legibns conlineri el guber- » nari ? Quo conslitulo atque concesso , non opinor eum qui noverit vel i inconcusse credat, quod Deus haec omnia fecerit, esse tam excordem ut ■> Deum quaenon noverat kc'isf,e arbiu-elur... Quis igiluraudeat dicereDeum ■' omnia irrationabililer condidisse? Quod si recte dici et credi non potest , ' restât ut omnia ratione sint condita... Singula igitur propriis sunt creala » rationibus. » {Lib. 83 quaest. q. 46.) ( 100 ) donner d'après cela son œuvre : ce sérail là une opinion sacri- lège! Donc les types de toutes les choses créées et créables sont contenues dans Tlntelligence divine, et dans la divine Intelligence, il ne peut rien subsister qui ne soit éternel et immuable. Si Platon appelle ces raisons supérieures des choses les Idées ^ celles-ci non-seulement existent, mais elles existent éminemment, parce qu'elles sont éternelles, et que de cette manière elles persévèrent immuablement. Tout ce qui existe à quelque degré, existe en vertu de sa participation à ces Idées *. » — « Avant leur produc- tion, écrit-il ailleurs, certes les créatures n'existaient pointa » — Comment donc Dieu a-t-il connu ce qui n'existait pas? « 11 ne produit rien sans en avoir connaissance. » Il a donc créé des êtres dont il avait connaissance : il connaissait ceux qu'il n'avait pas en- core produits. Par conséquent, « avant leur création, elles étaient et elles n'étaient pas. Elles étaient dans la science de Dieu : elles n'étaient point encore dans leur nature ^. » — a L'artisan fait une boîte, dit Augustin en son naïf langage. D'abord celle- ci existe dans sa connaissance de l'art. Car si là il n'y avait pas (l'image de) la boîte, il n'y aurait aucun moyen de la fabriquer... Dans lart elle existe invisiblement : visiblement, dans l'œuvre produite... La boîte façonnée n'est pas vie : la hoiiG selon l'art est vie, parce que l'esprit de l'ouvrier est vivant, et c'est là que se trouvent toutes ses œuvres avant leur réalisation. De la même façon, mes bicn-aimés frères, la sagesse divine par qui toutes choses ont été créées, contient selon l'art tous les êtres avant leur ' H Novil omnia Deus Pater in seipso... tanquam seipsum, et in Filio tan- » quam Verbum suuin, quod est de his omnibus, quae sunt in seipso. » {De Trin., XV, c. XIV.) « Nam si hae rerum omnium creandarum creatarumve ') laliones in divina mente conlinentur, nequein divina mente quidquam nisi '. aelemum atque incommulabile potest esse; alque lias rerum raliones prin- " cipali's appellal ideas Plato : non solum sunt ideae , sed ipsae sunt verae, 0 quia aeternae sunt; et ejusmodi atque incommulabiles manent, quarum participatione tit, ut sil (juidquid est, quoquomodo est. w (Lib. 83 q. ut»i supra.) /* « Haec anlequam fièrent non eranl. « {De Gen.ad litt., V, c. XVIU.) "* « Proindeantequam fièrent, et erant et non erant. Erant in Dei scientia, » non erant in sua natura. » {Ibid.) ( iOi ) création. D'où il suit que, bien que toutes les œuvres de cet art divin ne soient pas douées de vie, néannïoins en Dieu toutes sont vie*. — Aussi l'ange saint connaît-il plus excelleniment les créatures dans la sagesse de Dieu , dans l'art divin d'après lequel elles sont créées qu'en elles-mêmes. L'Ange a été fait par Dieu de manière à connaître les choses sous leur double aspect : et en Dieu, et en elles-mêmes, en Dieu, par une connaissance lumineuse [diiirnà), en elles-mêmes, par une connaissance crépusculaire {nocturna)^. * C'est assez de citations. L'Académie nous interrogeait sur les sources de la métaphysique de S. Anselme. Nous pouvons conclure que si Platon a été le précurseur de notre Docteur, S. Augustin fut son véritable instituteur dans la théorie des Idées divines. Nous avons retrouvé, dans la célèbre Question XLVI ,dans les livres de la Trinité et dans le traité sur S. Jean, non-seulement les traits généraux, mais encore chaque détail de la doctrine d'Anselme. 11 eut un autre maître. Un contemporain du Docteur d'Hippone avait formulé, lui aussi, la doctrine de l'exemplarisme, dans un langage dont l'élévation fait plus d'une fois songer à Platon. Faut-il nommer le pseudo-Denys, surnommé TAréopagite, qui vécut pro- bablement vers le milieu du V* siècle? Déjà commentées dès le VIP siècle par S. Maxime de Constantinople, le champion des ' « Faber facit arcam Primo in arle habet arcam : si eiiim in arle non » haberet, non essel unde fabricando illani profenet. Sed arca sic est in arte, i' ut non ipsa arca sit quae videlur oculis. In arle invisibililer est, in opère » visibililer eril... : Arca in opère non est vila, arca in arle vitaest : quia ). vivit anima aitificis, ubi sunt ista omnia, antequam proferantur Sic ergo » fratres carissimi, quia sapienlia Dei, perquam fada sunl omnia, secundum >j arlem continet omnia, antequam fabricel omnia : hinc quae fiunt peripsam " arlem, non eonlinuo vita sunt, sed quidquid faclum est, vita in illo est. * (Tract. I in Ev. Joan.) — « In illo (Deo) erant, non sicut creatura, quam fecit, " sed sicut vila et lux hominum, quod est ipsa sapientia et ipsum Verbum. Uni- >' genilus Dei Filius. — (/) bilia esse comprehendei-it , ac sic a specie corporum iisque ad humaiiam )) menlem perveniens, cum et ipsam mutabilem invenerit, qitod nunc docta, » nunc indocta sil, constitula tamen inter incommulabileni supra se verila- » lem, et mutabilia infra se caetera, ad unius Dei laudem atque dilectionem M convertere, a quo cuncta esse cognoscH, dodus videri potest, sapiens » autem esse nullo modo. » {De doct. Christ , II, c. XXXVIII.) — Augustin passe en revue tous les êtres créés, et partout il constate des degrés dans leur perfection. Il continue ainsi : « Quod recipit majus et minus, sine dubi- >> talioiie mutaî)ile est. Unde ingeniosi et docti et in his exercilati homines » facile coîlegerunt, non esse in eis rébus primam speciem, ubi mutabililas » esse convincitur, Cum igiturin eorum conspeclu et corpus et animusmagis » minusque speciosa essent, si autem omni specie carere possent, omnino » nulla essent, viderunt esse aliquid ubi prima esset et incommulabilis spe- )) oies, et ideo nec comparabib-s : atque ibi esse rerum principium rectissime )> crediderunt, quod faclum non esset, et ex quo facta cuncta essent. » ^ « Quid igitur aliud agimus, cum studemus esse sapientes, nisi quanta » possumus alacritate ad id quod mente contingimus, lolam animam nos- » Iram quodamraodo colligamus , et ponamus ibi atque stabiliter inOgamus, ut >i jam non privato suo gaudeat quod implicavit rehus transeuntibus , sed )) omnibus temporum et locorum affeclionibus appréhendât , id quod unum » atque idem semper est? » {De civ. Dei, VIII , c. VI.) ( 106 ) ctres mêmes qui ont clé produits et, avec eux, se révèlent votre puissance et votre Divinité. Car, en cliercliant en moi-même en vertu de quel principe je louais la heaulê des corps célestes et terrestres, et quelle règle m'aidait h juger d'une manière complète des choses phissahles d'ici-bas et à prononcer que telles d'entre elles (levaie)U être de telle façon et non autrement; cherchant, dis-jc, à juger de ces conclusions, j'étais arrivé à trouver au-dessus de ma raison changeante l'immuahle et réelle éternité de la vérité. Et ainsi, m'élcvant de ce monde des corj)s jusqu'à Tâme qui reçoit ses impressions au moyen des sens, et de là à sa force inté- rieure, jarrivai à la faculté intellective à laquelle il appartient de juger les sensations des organes corporels. Mais celle-ci même se reconnut pei'fectible : elle s'éleva à sa notion idéale et se dégagea de ses représentations diverses, afin d'atteindre Vêlement intelli- gible qui s'y trouve mêlé... Et ainsi elle parvint jusqu'à ce degré su])érieur où le regard vacille. Alors j'ai comj)ris, Seigneur, vos invisibles attributs au moyen des choses créées, mais je n'ai pu en soutenir l'éclat '. — L'esprit de riiommCj dit encore le grand Docteur, observe d'abord, au moyen des organes du corps, les *■ u Eram certissimus quod invisibilia tua a constilutione iiiundi per ea » quae facla sunt inlellocla conspiciuntur, sempilcrna quoque virliis et divi- >» niins tua. Quacrcns onini, undo appi'ohaicm |)ulel)riliidint'm corpoium sive » caclcsliiim sivo leiT('striijm,el (juid milii praosto cssel iiitegro de mutahi- » libiis judicaiili ci diccnti : Hoc ita débet esse, illud non ita : hoc ergo » quaerens unde judicarem, inveneram incomniulal)ilem et veram verilalis » aelernitatpm, supra mentem meam commulabilem. Atque lia fçradatim a » corporihus ad senlionicm per corpus aiiimani, atque indc ad cjus inleriorem » viin,cui sensus corporis inlenora amiuntiarel , et quousque possunt bes- » liae; aUiue iiule rursus ad raliocinanlem potenliam , ad quani lefeiiur judi- V caiiduni (juod smniuir a seusibus eorporir,. Quae si (juoque in me conipeiiens » mu(al)ilcm eicxil se ad inlelligenliam suam et obduxil coj^nilionem a coii- » suetudine, subirahens se conlradiccntibus lurbis phaiiiasmatum ul inve- » nirel,quolumine aspergerentur, cum sine ulla dubitatione clamarel incom- » mulabile i)raef('ren(him esse mulabili; unde iiosset ipsuin iiieommutabile. » quod nisi aIi(iuo modo nossel, nullo modo illud mulabili certo praeponeret. » El prrvenil ad id quod est in ietu Irepidaniis aspeetus. Tune vero invisibilia » tua per ea quae facla sunt, inlelleetu conspexi , sed aeiem (igere non \> evalui. « (Confess , Vil, c. XVII; coll., c. X.) — « Intravi in intima mea, ( 107 ) choses créées et en acquiert la connaissance selon la mesure de l'humaine faiblesse. Ensuite il rcclicrehe leurs causes et s'elîorce de parvenir d leurs raisons immuables et supérieures y renfer- mées dans le Verbe de Dieu , et de cette manière il tâche de com- prendre par l'intelligence les ()crfections cachées de la Divinité au moyen de ses créatures K — Selon Augustin, il y a donc dans rame un instinct rationnel qui la porte à rechercher le type commun des êtres individuels. Le raisonnement, lui, découvredans ces formes essentielles la représentation des archétypes éternels. Certes, arrivé à ce haut sommet où s'entrevoit le rapport idéal de la Cause créatrice et de la Nature, 1 esprit mortel se sent incapable de s'y arrêter longtemps. Mais la lumière qu'il a[)erçoit sur ces hauteurs se découvre assez à lui pour qu'il puisse affirmer que les principes universels des êtres, leurs lois et leurs raj)ports sont perçus par tous les esprits, invariables, indépendants de la pensée des hommes *. Ces vérités constituent la règle supérieure à laquelle doit se soumettre la raison , si elle ne veut pas s'égarer. Tous ceux qui ont souci de les scruter peuvent la reconnaître ^. » iiHravi et vidi qualicumque ociilo animae mono, supra eumdem oculum » animae meae, supra nmentem meam lucern Domini incommunicahilem, non » hanc vulii^arem et conspicuam omni cariii. » (Ibid.) ' « Meus liumana prius haec quac facta sunt, per sensus corporis oxperi- » lui', eorum((ae noliliam pro iiiliiniilalis huruanae uiodulo ca[)it; el dcindo » quaerit eorum causas, si quomodo possil ad eas pervenire piincipalilcir » atque inconiniutabililor maiuMilrs iii V(M'1)0 Doi, ae sic invisibilia ojus peroa » quae facla suni., inlcllecta conspicore. » {De Gen. ad litler., IV, c XXXII.) ■^ « Judicamus haec secundum illas inleriores régulas veritalis quas com- )) muniter cernimus : de ipsis vero nullo modoquis judical... Si aulem esset » aequali^i mcntibus nosiris haec verilas, mulabilis eliani ipsa esset. M(Miles » enini nosirac aliquando cain minus, ali(|uan(l(» plus vident, et ex eo falenlur » se esse mutabiles; cum illa in se mancns nec pioliciat , cum plus a nobis » videtur, nec dclicial cum minus; sed intégra et incorrupta et conversos » laetificct lumine et averses puniat caecilale. » (De Hb. arb , II, c XII ) 5 « Quid quod eliam de mentibus nosiris judicamus, cum de illa (incom- » mulabili veritate) nullo modo judicare possimus? Dicimus enim, minus » intelligit quam debe^t, aut lantum (pianlum débet inlelligit. Tantum autem » mens débet inteliigere, (juantum piopiiisadmoveri atf|ue inhaerere poluerit » incommulabili verilati. Quare si nec inlerior nec aequalis est, restât ut sit » superior alque exccllentior. » (ïbicJ.) ( 108 ) La connaissance de cette vérité n'est le patrimoine d'aucune intel- ligence particulière, mais la lumière à la fois publique et secrète de toutes les raisons créées *. Celles-ci étant produites d'après l'idée qui leur correspond dans la suprême intelligence, il est clair que les lois de leurs facultés sont calquées sur ce type éternel. Envisager à ce point de vue la nature de rame, les principes immuables de la science, des arts et des mœurs, c'est remonter jusqu'au Verbe, jusqu à Dieu ^. C'est porter le regard vers le Livre où sont écrits les principes de l'équité, qui ne se trou- vent dans notre cœur que parce que la Vérité les y a imprimés comme un cacbet sur la cire ^. Cette Vérité n'est autre que Dieu, * « Quapropter nulle modo negaveris, esse incommutabilem veritalem » haec omnia quae incommulabiliter vera sunt continenlem, quamnon possis » dicere luam vel meam vel cujusquam hominis, sed omnibus incommuta- » bilia vera cernentibus, tanquam miris modis secretum et publicum lumen » praesto esse ac se praebere communiler. » (Ibid.) * « Sublimions ralionis est judicare de istis corporalibus, secundum ra- » tiones incorporales et sempilernas : quae nisi supra menlem humanam » essent, incommutabiles profeclo non essent; atque in his nisi subjunge- » retur aliquid noslrum, non secundum eas judicare possemus de corpora- » libus. Judicamus autem de corporalibus ex ratione dimensionum atque » figurarum , quam incommulabiliter manere mens novit. » {De Trin., XII, c. II.) — Cf. Ibid., XII, c. Vil : « Ex qua parle conspeclam consulit veri- » latem, imago Dei est (mens); ex qua vero inlenditur in agenda inferiora, » non est imago Dei ; ut non maneat imago Dei nisi ex qua parle mens hominis )> aeternis ralionibus conspiciendis vel consulendis adhaerescit.» — « Salis est » quod islas tanquam régulas et quaedam lumina virlutum et vera et incom- » mutabilia, et sive singula, sive omnia communiler adesse ad contemplan- » dum eis, qui haec valent sua quisque ratione ac mente conspicere, pariter » mecum vides, cerlissimumque esse concedis... (De lih ar6 , II, c. X; XII.) ' « Neque enim in sua nalura , cum procul dubio menle ista videantur, » eorumque mentes conslel esse mutabiles, has vero régulas inmmtabiles » videat, quisquis in eis et hoc videre poluerit : nec in habilu suae menlis, » cum illae regulae sinl ju.«liliae, mentes vero eorum (hominum malorum) » conslel esse injustas. Ubinam sunt istae regulae scriplae, nisi in libro lucis » illius quae veritas dicitur ? Unde omnis lex justa describitur, et in cor homi- )j nis qui operatur justiliam, non migrando sed tanquam imprimendo trans- » ferlur, sicut imago ex annulo et in ceram transit , et annulum non relin- « quit. » {De Trin., XIV, c. XV.) ( 109 ) en qui, de qui, et par qui subsistent toutes les Vérités finies, comme II est lui-même la vie, la félicité, la bonté, la beauté et la lumière universelles '. Mais, dit Augustin, la lumière de la Vérité, identique à Dieu, est incessamment active dans nos esprits. La créature contin- gente a besoin , pour chacun de ses actes , du concours et de l'as- sistance de la Cause première. Sans ce continuel secours, notre raison serait inerte et impuissante, à l'instar d'un œil très-bien organisé, mais privé de lumière. Tout ce que l'homme, suivant sa capacité individuelle, peut savoir sur Dieu et les choses intelli- gibles, il le doit à cette influence. Quoique immatérielle et intel- ligente, l'âme a besoin d'être éclairée par une lumière invisible, comme l'air, pour être lucide, a besoin de la lumière corporelle. C'est surtout à cette clarté qu'il faut rapporter toutes les vérités que nos raisonnements atteignent. Notre raison est aussi une lumière, mais une raison illuminée, dépendante de la lumière illuminatrice : ainsi notre être tout entier dépend de Celui qui est à la fois le principe de notre existence, la force de notre esprit et la loi de notre volonté '^. Lui seul est la lumière par * « Si enim nalura riostra essel a nobis, profecto et nostram nos genuissemus » sapienliam, nec eam doclrina, id est aliunde discendo percipere curaremus • » et nosler anior a nobis profectus et ad nos relatus, ad béate vivendum » sufficeret, nec bono alio quo frueremur, ullo indigeret. Nunc vero, quia )) nalura nostra, ut esst't Dewm /laè^^f a(/c/or{Solil. /, c. 1.) — « Aliud aulem est ipsum » lumen quo illustratur anima ut omnia vel in se vel in alio veraciter intel- » jecia conspiciat: nam illud ipse Deus est, haec aulem crealura, quamvis » rationalisel inlellectualis ad ejus imaginem facta, quae cum conatur lumen » illud intueri, palpitât intirmitale, et minus valet. Inde est lamen quidquid » intelligit sicut valet. (De Geii. ad lilt. XII, c. XXXI.) — «De universis » quae intelligimus, non loquentem qui personal loris, sed intus ipsi menli » praesidentem consulimus veiitatem, verbis fortasse, ut consularaus, ad- )) monili. » {De Magistro, c. XI.) — « Spirilus ad imaginem Dei nullo )) dubitante factus aceipitur, in quo est intelligenlia verilalis : haeret enim » veritali, nulla inlerposita crealura... (De lib. arb. III, c. 16 et 17.) Eam » sic illuminât de se ipso, ut non solum illa quae a veiilate monstrantur, sed y> ipsam quoque proficiendo perspiciat verilalem. » {In Ps. US, serm. 8) ( IH ) des corps K Sa lumière nous apparaît dans son entier éclat lorsque l'esprit, au-dessus même des lois immuables et des vérités générales, se tourne vers la Vérité par essence, où toutes les autres ont leur source et dont elles diffèrent plus encore que le ciel ne diffère de la terre ^. N'avons-nous pas entendu Anselme de Cantorbéry reproduire, avec moins d'ampleur, il est vrai, la plupart des principes de l'idéologie augustinienne? C'est sans contredit des textes que nous venons de rappeler qu'il s'est inspiré. L'Académie demande que nous émettions un jugement critique sur cette doctrine, comme nous l'avons fait précédemment à l'égard des vues d'Anselme sur la vérité en soi. C'est le lieu d'avouer que la doctrine des Idées en Dieu est loin d'avoir con- quis la faveur de tous les bistoriens de la philosophie. Déjà l'au- teur du Traité des Genres et rfesJ^spèces opposait à l'Exemplarisrae le dilemme connu : « Les universaux sont ou créés ou incréés, engendrés ou non engendrés. S'ils ne sont ni créés ni engendrés, il n'y pas eu de création ^. » En cela, comme l'a dit M. Rous- selot, il raisonnait comme si les idées avaient été données pour • « In nalura incorporali sic intelligibilia praeslo sunt mentis aspectibus , » sicutista in locis visibilia et conireciabilia corporis sensibus. « {De Trin., XII, c. XIV.) — « Sed quemadmodum illi qui in luce solis eligunt quod -) libenler aspiciant et eo aspeetu laelificanlur, in quibus si forle fuerint vege- i) leoribus sanisque et forlissimis oculis praedili, nihil libentius quam ipsum >) ^olem contuenlur, qui eliam caetera quibus infirmiores oculi deleclanlur, » illustral : sic forlis acies menlis et végéta, cum mulla vera et incommula- " bilia certa ratione conspexerit, dirigit se in ipsam veritatem qiia cuncta » monslrantur , eique lanquam inhaerens, obliviscitur caetera, et in illa simul » omnibus fruilur. « {De lib. arb., Il, c. XIII.) ' « Adducorque ut assenliar quantum in suo génère a caelo terram tantum » ab intelligibili Dei majeslate spectamina illa disciplinarum vera et certa ». differre. » {SoUL, 1. I, c. V.) — Cf. M. Nourrisson , Phil. de S. August., t. I, pp. 88-115 et t. Il, pp. 291-305. ■'• « Suiil aulem qui... illam divisionem... sic faciendam esse dicunt : Quid- )> quid est , aul genilum est aut ingenitum ; universalia autem ingenila dicun- » tur, et ideo coaeterna , et sic secundum eos qui hoc dicunt,... non Deus ali- .' quorum faclor est. « (Éd. Cousin, p. 517.) ( 112 ) des êtres éternels comme Dieu, et distincts de lui. C'est très-vrai. Mais, aujourd'hui encore, le dilemme du dialecticien anonyme semble brouiller plus d'un penseur. Notons avant tout que l'unilé supérieure des Idées dans la raison divine et leur identité avec l'Essence absolue sont établies par Anselme de la façon la plus explicite. Il professe, sous ce rapport, la doctrine de son maître, S. Augustin : Omnia in Deo unum sunt K « Les choses sont en Dieu, affirme Anselme, selon un certain langage de rintelligence, semblable à celui de l'artisan qui, voulant faire un ouvrage de son art, le conçoit d'abord dans son esprit et s'en entretient avec lui-même. — Par ce langage intérieur, j'entends ici, non ce qu'on fait en pensant aux mots qui expriment les choses, mais ce que l'on fait lorsqu'on voit par la force de la pensée les choses mêmes, soit futures, soit déjà existantes ^. » Or, ce type des êtres créés qu'atteint la science divine, ne lui est pas fourni par la créature; Dieu le trouve dans sa propre intelligence, une et simple comme son essence elle-même. « Le Verbe par lequel (la Sagesse suprême) parle la créature n'est pas le Verbe (l'image) de la créature, puisqu'il n'en est pas la ressemblance, mais l'essence première. Il s'ensuit que l'Esprit suprême ne parle pas par la créature, par le Verbe de la créature. Par quel Verbe parle-t-eîie donc la créature , si elle ne le fait pas par le Verbe de la créature même... S'il ne parle rien d'autre que lui-même ou la créature, il ne peut rien parler que par son Verbe ou par celui de la créature. S'il ne parle rien par le Verbe de la créature, tout ce qu'il parle, il le pai'le par son Verbe. C'est donc par un seul et même Ver6e qu'il se parle lui-même et tout ce qu'il a fait ^. » — Le langage d'Anselme est quelque peu embarrassé en cet endroit, parce » De Trin. VI, c. X. 2 Les archétypes, les Idées n'ont pas plus en Dieu une existence séparée de son Essence , que la vérité ou l'essence de l'homme vivant n'est en rien distincte de l'individu humain. Après cela , Anselme a pu écrire ceci : « Jamais absolument rien n'a pu exister outre l'Es- prit créateur et sa créature. Or, il est impossible que le langage de cet Esprit soit au nombre des choses créées, car tout ce qui a été créé a été fait par ce langage, lequel n'a pu être fait par lui-même... Reste donc que ce langage de l'Esprit suprême, ne pouvant être une créature, n'est pas autre chose que cet Esprit lui-même. 11 n'y a qu'une Essence suprême, qui seule est créa- trice et l'unique principe de tout ce qui a été fait '^. » — Pour Anselme, il n'y a pas de multiplicité réelle d'idées dans l'Intelli- gence divine : celle-ci est aussi indivisible et aussi simple que l'Essence de l'Absolu elle-même. Entre les types incréés des choses et Dieu, entre ces types eux-mêmes, il n'y a qu'une dis- tinction virtuelle. Les Idées divines ne sont que les différents modes de représentabilité de l'Essence divine, conçue comme l'exem- plaire transcendant des êtres de la nature. Que les idéologues qui ont fait du Logos une hypostase de second ordre, aient mérité l'accusation d'altérer la simplicité divine, cela se conçoit. » Monol. , c. XXXI. * « Asserunt utique inexpugnabiliter ea quae jam inventa sunt, " . nihil » omnino poluit unquam aut potest subsistera praeter creantem Spirilum et » ejus creaturam. Hanc vero ejusdem Spirilus locutionem, impossibile est » inter creata conlineri ; quoniam quidquid creatum subsistit per illam factum » est, illa vero per se fîeri non potuit... Relinquitur itaque, ut haec summi )) Spiritus loculio, cum creatura esse non possit, non sit aliud nisi summus » Spiritus? » {Monol., c. XXIX.) Tome XXV. 8 ( lU) Platon, dont le vrai sentiment à ce sujet est resté douteux, semble placer l'unité des Idées dans le Démiourge , distinct peut-être du Bien suprême '. Philon paraît refuser aux Idées l'existence éternelle et les explique par une sorte de fractionnement des la Raison divine 2. Selon Plotin et tous les Néoplatoniciens , le JVouSj ou l'Esprit ordonnateur, apparaît comme un principe dis- tinct de la première hypostase, de l'Unité absolue ^. Des vues sem- blables se retrouvent chez les Gnostiques, chez les Valentiniens en particulier. Chalcidc, le traducteur latin du Timée, distingue en la divinité l'Agent et l'Exemple ou Prototype de l'univers, auquel on croit qu'il assigna une subsistance séparée*. A l'entrée du moyen âge , Jean Scot Erigène poussa aux mêmes erreurs. On sait qu'il distribuait les êtres en quatre espèces. La première comprenait l'Essence créatrice incréée [Dieu); la deuxième était créée et créatrice tout ensemble (/es /f/ees exemplaires des choses); la troisième, créée et non créatrice {les êtres de Viinivers) ; la qua- trième enfin , non créatrice et non créée [Dieu comme Fin der- nière et But suprême de la création)^. — De l'avis presque unanime des critiques, Scot aurait considéré les Idées comme existant en soi, et formant des types distincts, localisés en dehors de l'essence divine. Henri de Gand, assez obscur sur ce point, semble admettre des Espèces idéales, qui jouiraient d'une forme réelle et néces- saire 5 à part de l'Essence infinie ^. Un certain nombre de théo- sophes de la Renaissance se rapprochèrent de ce sentiment, en supposant entre Dieu et la nature un médiateur incréé. Mais les grands Scolastiques ne furent jamais complices d'aberrations pareilles. Duns Scot, le plus enclin de tous à reconnaître droit * Cf. D"" Heinze, Lehre vom Logos in die griechischen Philosophie, p. 66. 2 Cf. Quis rerum dknnarum haeres.. Éd. Mang., I, p. 491. — Voir la cri- tique de Heinze, Lehre vom Logos, p. 227, sqq. 3 KiRCHNER, Die PhiL des Plotin, p. 53. * Cf. Hauréau, I, p. 101. 5 Dediv.nat.,\. I, c.l, III, XII, XIV, XVI; 1. Il, c. II, XIX ;1. III, c. II, XIX, XXV. 6 Voir sa Somme, arl. 11, q. 23, 25. ( 113 ) de cité aux abstractions, renverse d'un mot ces rêveries renou- velées des Alexandrins. La subsistance que certains Docteurs assignent aux Idées, dit-il, et qu'ils estiment nécessaire afin que Dieu parvienne à les connaître, doit, certes, être connue elle-même de la suprême Intelligence. Si celle-là peut être perçue par Dieu sans le secours de ces entités, pourquoi n'afïirme- rait-on pas la même chose des Idées? * — Un grave interprète des Scolastiques, Suarez, s'écrie avec quelque humeur qu'il ne peut venir à l'esprit d'aucun chrétien qu'il existe un être néces- saire quelconque qui soit distinct de Dieu ^. — C'est très-vrai. Mais nul Docteur n'a exprimé plus franchement cette doctrine qu'Anselme, qui la résume dans l'énergique formule : u II n'existe rien, en dehors de l'Essence créatrice et sa créature. » Le reproche d'avoir altéré le vrai concept des Idées divines ne peut lui être adressé ^. Ces explications pourraient suffire si la théorie des Idées divines n'était devenue l'occasion d'un malentendu persistant chez les cri- tiques. Il y en a, et des plus considérables, qui s'irritent dès qu'on parle d'exemplaires des choses, d'archétypes divins, alors même qu'on se garde de les séparer de Dieu. Écoutons à cet égard les paroles de M. Hauréau touchant les textes d'Anselme allégués plus haut : « Ce n'est plus ici , dit-il, la thèse de Jean Scot et de Gerbert, localisant hors de la substance ^ In I Dist., ô6. 2 « Neque potuit in meiilem alicujus docloris catholici venire, quod essen- ^) tia creaturae ex se et absqiie efjicientia libéra Dei sit aliqua vera res, ali- » quod verum esse reale habens, distinctum ab esse Dei. » {Metaph., disp.31, sect. 2.) s Furieux contre les ultra-réalistes qui avaient mérité leurs fureurs, les nominalistes tombèrent en un excès opposé. Biel va jusqu'à atténuer les expli- cations d'Anselme, pour qu'on n'y cherche pas un appui aux doctrines de D. Scot: « Ad Anselmum, cum inquit : Creatura in Deo est crealrix essentia — y> illa de rigore est faisa : sed hoc complexum : creatura in Deo valet : causa y productiva creaturae quae est in Deo est creatrix essentia. » {In /, D. III, q. V.) — Si Biel, au lieu de censurer une ligne isolée, se fut souvenu de l'ensemble des considérations d'Anselme, il n'eiit pas incriminé sa doctrine pour dire, après cela , la même chose que lui. ( 116 ) divine les exemplaires éternels des choses; c'en est une autre qui se rapproche plus peut-être de celle de Platon, et qui semble braver avec moins d'arrogance la critique du sens commun. Elle sera reproduite au XII'' siècle; au XIIP elle jouira de la plus grande faveur, et nous aurons occasion de la faire mieux connaître, quand nous parlerons d'Albert le Grand et de S. Thomas. Nous ne pou- vions négliger de noter en passant qu'elle se trouve déjà claire- ment exposée dans le Monologium ^ » Sans doute, il est impossible de trouver dans les écrits d'àn- selme la moindre trace d'une localisation des Idées en dehors de la Pensée divine ! Le docte auteur de l'Histoire de la Scolastique le reconnaît. Mais à part cette erreur, nous avons quelque intérêt à juger la théorie de l'exemplarisme elle-même. Un juge éminent nous avertit, et rien n'est plus exact, qu'Anselme l'accrédita dans les écoles. Lorsqu'elle paraîtra dans les livres de ses successeurs, ceux qui l'estimaient presque inoffensive chez le Régent du Bec, lui décerneront de sévères épithètes. Celles-ci, dès qu'elles sont méritées, doivent retomber sur le prieur de S'^ Marie du Bec. Que faut-il penser de leur justesse? Après avoir analysé la doctrine du réaliste Bobert de Melun sur les archétypes divins, M. Hauréau écrit ceci : « Les nomina- listes disent simplement : Dieu ayant voulu le monde, sa volonté s'est faite : le monde a été créé. La foi n'enseigne pas autre chose. C'est la métaphysique platonicienne qui va plus loin. Celle-ci dis- lingue la volonté de Dieu de son intelligence, son intelligence de ses idées : elle partage même ses idées en deux catégories, les idées universelles et les idées particulières, et les combine à sa fan- taisie pour produire ses effets divers. Jeu frivole de l'imagination qu'elle appelle la science de Dieu^. » Plus loin, à propos du Docteur Angélique, le même savant assure qu'il n'a « rien de plus pressé que de réaliser en Dieu toutes les règles de sa fausse idéologie, de telle sorte qu'il voit dans l'entendement divin comme éternelles, comme universellement multiples, toutes les idées qui sont venues * Ouv. cilé, I,p. 280. » Ibid., p. 498. ( H7 ) à l'intelligence humaine de la considération des choses nées *. » Voilà sans ambages ce que pense M. Hauréau de la théorie trans- mise par Anselme à Albert le Grand et à S. Thomas, et complétée par ces deux Docteurs. Ce jugement est grave : il appelle l'exa- men. Si nous insistons sur ce point, c'est précisément parce que parmi les maîtres de la philosophie séparée, il n'en est peut-être aucun qui expose la doctrine scolastique avec autant de profon- deur et de justesse que M. Hauréau. Le philosophe qui admet l'acte créateur doit reconnaître qu'il s'accomplit avec une infinie sagesse. Nous ne connaissons Dieu que par analogie : dans l'analyse de l'inteliection divine, la philo- sophie nous prescrit une circonspection modeste. Est-ce s'en dé- partir que d'affirmer le rapport intelligible des êtres avec leur cause libre et éternelle? Y a-t-il de la présomption à se repré- senter le Créateur sous le symbole d'un artiste n'exécutant ses chefs-d'œuvre que d'après leur immuable idée ^? Peut-on voir en cela « le Dieu de l'anthropomorphisme... les illusions de la fausse sagesse?» Que l'on se garde, au vœu de Kant, d'outrer les analogies entre la création des choses et nos humaines opérations, c'est un excellent conseil : il aurait pu profiter à plus d'un réaliste. Albert le Grand, après avoir écrit, comme Anselme, que les Idées sont une même chose avec l'Essence divine, insinue qu'il vaut mieux parler d'une seule Idée en Dieu que de l'idée de plusieurs êtres ^. 3Iais lorsqu'on établit, avec S. Thomas, que les types exem- plaires ne constituent pas le principe déterminant de la connais- 1 Ouv. cité, l'-^ édit., t. II, p. 212. ' Kant lui-même s'exprime sur l'ordonnance harmonique du monde d'une manière assez semblable à celle des partisans de l'exemplarisme. Voir A^an/s sdmmtl. kleine Schriften. — Konigsberg und Leipzig, 1797, 1 vol., p. 457, seq. — Kritik der Urtheilskraft, § 77, p. 544, 5^ éd., 1799. s « ... Dieendum quod ideaesunt in mente divina, secundum quod ars est » omnium creatorum : sic enim praehabet et simpliciter habet species et ra- y> tiones omnium creatorum , quae sunt idem quod ipsa mens divina. » {Sum., p. 1, Tr., 15, q. 15, Membr., -2, a. 1). — « Dieendum est ergo quod licet rationes >) in Deo et ideae sunt una virtus et una lux et essenlia, dicuntur tamen plures » rationes et ideae propter p/ura/«7afew ideatorum. » [Comp. theol. veritatis, 1. l,c. XXV.) (118) sance divine; que la Pensée divine, en son acte simple, éternel se représente par une vue simultanée toutes les réalités capables d'imiter, à quelque degré, l'Essence absolue : qu'y a-t-il d'irra- tionnel en cette conception? Dieu, se connaissant parfaitement, ne saurait ignorer les formes diverses d'après lesquelles ses créatures peuvent refléter sa perfection souveraine? Il s'atteint ainsi, du même coup, et comme l'Essence infinie, et comme l'Exemplaire transcendant de toutes les réalités. C'est encore M. Hauréau qui a écrit : « Dieu a pensé le monde sans aucun doute avant de le faire : il l'a voulu tel qu'il l'a fait, mais cette reconnaissance de la volonté libre, intelligente de Dieu suffit pour rendre un compte raisonnable et orthodoxe de l'inefl'able mystère de la création : qu'importe-t-il ensuite de localiser dans l'entendement divin une multitude d'entités idéales dont on ne saurait définir ni l'origine, ni la nature; sans altérer par cette définition l'idée pure de l'es- sence de Dieu •? » Certes, cela n'importe guère. Qu'on nous dise cependant en quoi Anselme , Albert , Tbomas d'Aquin ont excédé cette vue! Le Docteur Angélique, très-justement accusé de repro- duire en ce point la pensée d'Anselme, enseigne que l'Essence divine renferme en soi les perfections de tous les êtres, non « par manière de composition, mais par manière de perfec- tion... L'Intelligence divine, dit-il, peut comprendre ce qu'il y a de perfection en toute chose, en comprenant comment chaque être imite sa propre perfection, et aussi dans quelle mesure il s'en éloigne... L'essence propre d'une chose différant de l'essence propre d'une autre chose, et la distinction étant principe de plu- ralité, il faut bien mettre dans l'intelligence divine une distinction et une pluralité de formes, en ce sens que les archétypes de la suprême Intelligence sont l'essence propredes diverses créatures.» — Mais il faut l'entendre expliquer cette multiplicité : « Puisque, dit-il, c'est de cette façon que Dieu connaît le rapport d'assimilation de chaque créature avec son essence, il s'ensuit que les diverses Idées en Dieu sont multiples et distinctes pour autant que Dieu voit que les créatures peuvent lui ressembler de plusieurs ma- * Tome P"", p. 375. ( H9 ) nières. C'est là le sens d'Augustin, quand il dit que Dieu crée d'après une forme différente riiomme et le cheval, par exemple, et qu'il afiirme que les choses sont multiples en la suprême raison. C'est encore en ce sens qu'on peut en une certaine manière soutenir l'opinion de Platon, enseignant que toutes les choses corporelles sont faites d'après les Idées ^ » Aussi S. Thomas ajoute qu'en toute hypothèse, il n'est pas possible que les Idées aient en Dieu une distinction vraiment réelle, même à titre d'entités idéales. S'il en était ainsi, dit-il, « ou bien ces foruics seraient une seule et même chose avec Dieu, et dans ce cas, il y aurait en lui une cer- taine pluralité , ce que nous avons réfuté plus haut : ou bien, elles seraient surajoutées à TEssence divine, et alors il y aurait en elle quelque accident ^. » H y a plus : dans les notes marginales de la Somme philosophique, il écrit: « La pluralité des idées ne pose en Dieu aucune composition réelle : car les idées ne sont pas 1 « .. Divina Essentia in se nobilitates omnium entium comprehendit, non per modum compositionis, scdper modum perfectionis... Intellectus igitur divinus id quod est proprium unicuique in essentia sua comprehendere potest, intelligendo in quo ejus essentia imitatur et in quo a sua perfec- tione déficit unumquodque... Quia vero propria ratio unius distinguilur a propria ratione allerius, (distinclio autem est pluralitatis principium), oportet in intellectu divino distinctionem quamdam et pluralitatem ratio- num intellectarum considerare, secundum quod id quod est in intellectu divino, est propria ratio diversorum. Unde quum hoc sit secundum quod Deus intelligit proprium respectum assimilalionis, quam habet unaquaeque creatura ad ipsum, relinquilur quod rationes rerum in intellectu divino non sint plures nisi secundum quod Deus cognoscit res pluribus el diversis modis esse assimilabiles sibi. Et secundum hoc Augustinus dicit quod Deus alia ratione fecit hominem et equum; et rationes rerum plura- iiter in mente divina esse dicit... In quo etiam salvatur aliqualiter Platonis opinio ponentis ideas , secundum quas formantur omnia quae in rébus ma- lerialibus existunt. » (Cont. GenL, I, c. LIV.) 2 « Non autem haec muliitudo (idearum) sic intelligi potest, quasi multa intellecta habeant esse distinctum in Deo; ista enim intellecta aut essent idem quod essentia divina, et sic in essentia Dei poneretur aliqua multitude, quod supra multipliciter est remotum; aut essent superaddita essentiae divinae, et sic esset in Deo aliquod accidens, quod supra impossibile esse ostendimus. » {Co?it. Gen., 1 , c. LI.) ( d20 ) comme des entités subsistant en lui, ni les termes de ses per- ceptions diverses *. » Dans sa Somme de théologie, le Docteur Angélique se demande comment les multiples concepts des créa- tures n'altèrent point l'infinie simplicité de Dieu? Il répond qu'à la vérité la distinction et l'ordonnance des effets impliquent la préexistence de leurs formes exemplaires dans l'Esprit créateur. Seulement, le fondement de cette distinction est l'Absolu se conce- vant comme la source et la règle de toute réalité. Ce ne sont pas les créatures, c'est Dieu seul qui est le principe de sa science des choses possibles. L'Infini connaît celles-ci en se connaissant soi- même, non-seulement en tant qu'Essence infinie, mais aussi en tant que Cause toute-puissante et sage, capable d'évoquer du néant une multitude d'êtres offrant quelque vestige de son illimitée perfection ^. La diversité des Idées est purement virtuelle. Elles sont le terme extrinsèque de l'unique Pensée qui révèle à Dieu le plan et les détails de l'œuvre créé. Le Docteur Dominicain en- seigne qu'elles forment une partie intégrante de la vie divine ^. Simagine-t-on que, dans l'immuable Essence, ce grand génie ait localisé, comme autant de termes séparés, les archétypes des créatures? — M. Hauréau connaît ces explications : elles * « Mullitudo intellectorum a Deo non inducit compositionem in Deo neque » realem, cum in intelleclu non sint quasi res quaedam apud ipsum exis- » tentes neque habitualem siciit habilus scientiae noslrae mixtus est ex mul- » titudine objectorum. « (Ap. Migne, c. LUI.) 2 « Hoc quomodo divinae simplicilati non repugnet facile est videre, si qiiis » consideret ideam operati esse in mente operantis sicut quod intelligilur. )) non autem sicut species quâ intelligitur, quae est forma faciens intellec- » lum in actu... Non est autem contra simplicitatem divin! intellectus » quod multa intelligat, sed contra ejus simplicitatem esset, si per plures » species ejus intellectus formaretur... Sic igitur in quantum Deus cognoscit )) suam essentiam ut sic imilabilem a laii creatura cognoscit eam ut propriam » rationem et ideam hujus creaturae... Unde secundum quod sunt plures » rationes inlelkctae ex una essentia, secundum hoc dicuntur plures ideae... » Respeclus multiplicantes ideas non sunt reaies respectus..., sed sunt res- » pectus iulellecti a Deo. » {Summ. th., I , q. XV, a. 7, concL — Ad 4™.) ^ « Cum omnia quae facla sunt a Deo sint in ipso ut intellecta, sequitur quod omnia in ipso sunt ipsa vita divina » {Ibid., q. XVIII , a. 4.) ( 121 ) montrent que les exemplaires divins n'ont pu être assimilés par S. Thomas aux espèces conceptuelles de la psychologie scolas- tique. Celles-ci sont la cause au moins partielle de notre science; elles sont de toute façon distinctes les unes des autres; elles opè- rent la transition de la faculté à l'acte de la connaissance; elles suivent les phases et les progrès de notre intellection. — Nous ne sommes pas de ceux qui tiennent l'idéologie de S. Thomas pour fausse. Ni les remarques du D'^Reid ni celles de Kant n'ont pu nous faire apercevoir cette fausseté; mais quand elles l'auraient démon- trée, nous nierions hardiment que l'Ange de l'Ecole ait appliqué à l'intelligence infinie son analyse de la raison humaine, de manière à com])romettre le mystère de l'Unité absolue. Veut-on mieux s'en convaincre? Qu'on nous dise ce qui sépare le Docteur Angélique du chancelier de Paris, Godefroid des Fon- taines, justement loué par M. Hauréau pour la sobriété et le bon goût de son idéologie. « En Dieu, écrit ce ferme et judicieux esprit, il ne faut rien mettre qui soit comme un élément tempo- raire de la production des choses : il suffit de la forme intelligible qui est elle-même la raison eificiente, dès que s'y ajoute le concours de la volonté. Et c'est là la cause formelle exemplaire, tout à fait comme pour l'homme l'art de la médecine, et la maison dans l'esprit (de l'artisan). Avant que les choses existent de fait, elles n'ont d'autre essence que leur essence connue (de Dieu)... Per- sonne ne pourra s'aviser d'établir cette division dans l'acte créa- teur; savoir, d'abord l'existence d'une idée, et puis, au moyen de cette idée, la constitution de l'existence M » — D'Occam, le plus ardent censeur des superfluités psychologiques, ne s'éloigne au fond ni de Godefroid des Fontaines, ni de S. Thomas. A ses yeux l'Idée divine n'est pas autre chose que la créature de Dieu en tant qu'elle lui est présente avant sa production. Les Idées sont en Dieu, non comme des entités physiques, mais comme les effets connus de sa puissance. Entre elles et les idées de l'homme, il y a cette différence que chez celui-ci l'idée suit son objet, tandis qu'elle le précède en Dieu. En ce sens Occam * Cf. M. Hauréau , ouv. cit., II , p. 308. ( 122 ) avoue que les Idées sont en Dieu virtuellement. Quant à expli- quer la distinction des archétypes par des entités douées au sein de l'intelligence divine de toutes les attributions de sujets réels, selon lui, c'est imaginer de pures chimères '. — Les Princes de la philosophie scolastique peuvent souscrire à ces explica- tions. Elles sont contraires aux exagérations de quelques ultra- réalistes. Henri de Gand séparant vraisemblablement dans les créatures l'être d'essence de l'être d'existence, et leur recon- naissant une forme intelligible et éternelle, distincte des Idées divines ^; quelques Scolistes entichés de distinctions y trouvent un juste anathème. Mais dans leur signification sérieuse, elles ne sont pas contraires à S. Thomas, à Albert le Grand, à Anselme. — D'Occam ne voulait voir dans les Idées que le terme de la préscience créatrice. En réalité cette assertion, présentée avec la nuance d'exa- gération familière au bouillant agitateur, ne peut bien s'entendre qu'à condition de reconnaître, dans le concept divin, la règle même de son opération. Qu'on nous dise comment les créatures peuvent exister dans la préscience du Créateur, autrement que dans leurs idées exemplaires! Celui qui se donnera la peine de lire sur ces points les réflexions de Suarez, s'apercevra bien vite que tout ce débat est secondaire, s'il n'est tout à fait oiseux ^. Valait-il la peine qu'on se donna à l'éclaircir? Que d'autres en décident! Mais hâtons-nous de le remarquer : les philosophes sensés qui s'y arrêtèrent étaient loin d'affirmer que les formes exemplaires ont dans l'Intelligence absolue une distinction réelle, à la manière des espèces intelligibles. Ils tenaient qu'en réalité il n'y en Dieu qu'un seul concept réel, embrassant la totalité de tous les individus susceptibles d'exister, parlant qu'il n'y a en Dieu qu'une seule Idée. — Les Idées qu'on nous représentait comme, « univer- sellement multiples, » éternellement distinctes les unes des autres, » correspondant aux abstractions venues « de la considération des choses nées, » n'ont qu'une pluralité purement virtuelle, fondée » /6iU,p.449. 2 Voir sa Summ. theol., art. 2, 9, 23, 25. ' Melaphys., disp. XXV, sect. 1. ( 125 ) sur le rapport transcendant de l'Absolu avec les réalités finies, capables d'en exprimer, dans le monde des phénomènes, une pâle et lointaine imitation. Voilà ce que déclare, avec le Docteur subtil lui-même, Suarez, le fidèle rapporteur des doctrines de l'École '. Après les paroles que nous avons entendues de la bouche de S. Thomas, nous n'en serons pas surpris. Aussi M. Hauréau louant celte fois en Richard de iMiddleton un psychologue fin et prudent, avoue-t-il que son analyse de la divine Intelligenee revient à la thèse de S. Thomas « ingénieusement, mais librement interprétée. » Eh! qu'enseigne donc le Doctor solidus de lÉcole franciscaine? « Si la pensée divine n'est, avant le temps, qu'une seule pensée, cette unique pensée renferme la diversité qui, dans le temps, doit se produire, hors de sa cause; en ce sens, on peut dire que toutes les choses furent éternellement pensées par Dieu ^. » Quelle différence y a-t-il entre Tunique Pensée compre- nant l'infinie variété des êtres, et entre la pluralité logique des formes terminant l'unique Idée, dans laquelle la cause créatrice embrasse dès l'origine les effets successifs de sa libre activité? — Ainsi, la théorie de fexemplarisme, en sa portée sérieuse, finit par triompher d'une querelle plus spécieuse que redoutable! Dés l'aurore du moyen âge, Anselme l'avait énoncée avec une remar- quable précision, en la ramenant à cette formule dont s'inspi- rèrent ses successeurs : « Le langage de l'Esprit suprême, comme il ne peut être une créature, n'est pas autre chose que cet Esprit lui-même. » Rarement on lui a fait un honneur de sa sagacité : nous avons dû le revendiquer pour lui. Nous connaissons à présent les idées de notre Docteur sur les principes fondamentaux de l'Ontologie, l'esprit de sa philosophie * « Alque eodem modo et ralione, esse, quod appellant essentiae, ante » effectioiiem aut crealionem divinam, solum est esse potentiale objectivum, •> ut mulli loquuiitur, seu par denominationem exlrinsecam a potenlia Dei, « et non repugnantiam ex parte essentiae creabilis. Neque potuit in mentem » alicujus Doctoris calholici venire, quod essentia creaturae ex se, et absque » efïicentia libéra Dei sit aliqua vera res, aliquod verum esse reale habeat » distinctum ab esse Dei. » {Metaph., d. 31, s. I.) 2 Cf. M. Hauréau : ouv cit., II, p 279. ( 124 ) elles sources principales qu'il a pu mettre à profit. Mais veut-on pénétrer plus avant en la pensée du rénovateur de la Métaphy- sique chrétienne dans les Écoles du Xl« siècle? Nous croyons qu'il est très-possible de reconstruire sur des textes empruntés à ses divers ouvrages une doctrine à peu près complète de la con- naissance, telle que l'entendait le Docteur de Cantorbéry, et avec lui, la plupart de ses contemporains. Nous allons le tenter. Cet essai d'Idéologie rationnelle nous offrira une vue d'ensemble de leur idéologie. Il sera le couronnement naturel de nos précédentes observations. Les scolastiques se souciaient assez peu de codifier leurs idées avec l'esprit de synthèse qui distingua leurs succes- seurs. Cela est surtout vrai d'Anselme qui ne songea jamais à ré- diger un Traité méthodique de Métaphysique ou d'Ontologie. C'est dans quelques textes, égarés dans l'ensemble de ses écrits, qu'il faut chercher les éléments d'une doctrine générale. Que ce soit une excuse pour l'aspect fragmentaire, pour l'aridité de notre analyse. Aujourd'hui , le premier problème qu'on pose au seuil de la Philosophie, c'est Texamen de la faculté de connaître. Ne semble- t-il pas très-naturel de se renseigner sur la puissance d'un instru- ment, avant que de s'en servir? Si Descartes n'eût fait qu'inviter la raison à s'interroger sur ses litres à la certitude, sans compro- mettre d'avance cette recherche, en isolant systématiquement nos facultés de la réalité et l'esprit de la nature, qui donc l'eût blâmé pour cela? Mais la question de l'aptitude de la raison à saisir la vérité objective se posait autrement devant l'esprit des scolas- tiques que devant celui des hommes modernes. Ils la résolvaient d'une manière plus directe. Ils en appelaient avant tout à la loi instinctive de l'intelligence, à sa tendance spontanée à savoir, à connaître, ou ce qui revient au même, à réaliser sa fin propre : (le facere quod dehent d'Anselme). Au fond, c'était la méthode de leur maître Aristote. En outre, ils rattachaient la solution du problème à la théorie de l'Exemplarisme, au rapport des êtres contingents avec l'Intelligence Absolue. Anselme s'est raUié à cette doctrine , déjà préconisée par S. Augustin. Il est clair que la plus universelle loi de la nature est celle de ( 125 ) la légitimité et de V infaillibilité des instincts primitifs des êtres. Chacun d'entre eux porte en soi, avec des aptitudes et des facultés distinctes, une tendance originelle et irrésistible vers un but et des actes déterminés. Ce mouvement spontané, comme l'appelle Aristote, est tout ensemble la loi et la fin immédiate des êtres vivants, la condition de leur perfectionnement, l'expression vivante de leur activité. Il constitue l'élément le plus objectif et le plus certain de l'observation scientifique *. Eh bien! quel est, à l'envisager sous sa forme la plus générale, l'objet primitif des aspirations de l'intelligence, de ïinstinct rationnel de l'homme, pour me servir d'une expression consacrée dans les sciences et adoptée par les meilleurs critiques? N'est-ce pas la possession actuelle de la vérité? Sans doute, la vérité , dans son développement complet, n'est pas une abstraction. Nous l'avons vu : avec Platon et Augustin , Anselme est arrivé bien vite à la concevoir sous le symbole d'un Être Infini et personnel. Mais il n'en est pas moins certain que la loi primordiale, la tendance spontanée de l'espèce humaine, c'est le progrès par Tacquisition de la vérité. Dans sa théorie de la connaissance, Platon montre que la science présuppose cette aptitude de nos facultés. A la différence des Sophistes, il ne discute pas ce préliminaire : il le ^ Entendons ici les paroles si précises de M. Henri Martin en sa Philoso- phie spiritualiste de la nature , p. 163. « Toute critique de nos facultés intel- lectuelles, écrit le savant Doyen de la Faculté de Rennes, suppose la croyance à la légitimité de ces facultés. Si nous douions de l'autorité de quelques-unes, il n'y a pas plus de raison de croire à celle des autres, même de la conscience de soi. A moins de vouloir se jeter dans un nihilisme impossible, il faut donc, de toute nécessité, attribuer une valeur absolue aux idées à priori, comme celles de cause, de substance, de temps, d'espace, de possibilité, de néces- sité, de réalité, qui sont les formes invariables de la pensée, et aux principes nécessaires qui en sont les lois, par exemple, au principe de causalité, à celui de substance, à celui d'identité, à celui de contradiction et à celui de raison suffisante. Il faut croire que ces form.es sont en rapport constant avec la réa- lité, et que ces lois sont les lois de Têtre. » — L'ouvrage si exact en général et toujours si consciencieux de l'infatigable écrivain devrait être le Manuel d'In- troduction d'une philosophie sérieuse. La valeur prépondérante des tendances instinctives y éclate à chaque page. ( 126 ) signale comme impliqué dans le désir inné de connaître. « L'édu- cation, dit-il, ne se fait pas de la manière que certaines gens le prétendent. Ils se vantent de faire entrer la science dans une âme où elle n'est point, comme on donnerait la vue à des yeux aveugles. Le discours présent montre que chacun a dans son âme la faculté ei Voi^gane par lequel il apprend. Cet organe, il faut en faire ce qu'on ferait de l'œil, s'il était impossible de le tourner des ténèbres à la lumière, autrement qu'avec tout le corps : il faut, dis-je, tourner cet organe avec l'âme tout entière, de la vue de ce qui 7îaît vers la contemplation de ce qui est (èx rov yiyvo/uêvou ek La capacité de l'esprit pour la vérité est donc, pour le fondateur de l'Académie, un principe premier. Aristote n'eut pas en cela d'autre sentiment que son maître. « L'homme, dit-il, à la pre- mière page de sa Métaphysique, est destiné par sa nature à con- naître la vérité. » On le sait : c'est à l'expérience, au fait, à l'histoire que s'adresse ce sévère et positif génie , pour fonder la science de la pensée. — Il ne trouve le fondement de la certitude, écrit un de ses plus récents interprètes, ni dans la conscience immé- diate de la loi naturelle, comme Socrate, ni dans la vision des Idées divines avec Platon, mais bien dans l'universelle et instinc- tive tendance de l'âme à connaître et à atteindre la vérité ^. C'est * iîep., Vll,p.518. * Der Aristotelische Gotteshegriff mit Beziehung auf die chrislliche Got- tesidee^ van D^ Gotz. — Leipzig, 1871. — Voir surtout, p. 11. — « Aber « schon hier tritl der empirische standpunkt offen vor Augen, den Aristo- » teles bei seiner belrachtung tiber die eigenthùmlichen und ursprûnlichen » Merkmale des Menschenwesens, und inbesondere des Menschengeesles ein- » nimmt.Wahrend Socrates und Plato von ummitelbar gegebenenThatsachen )) des Bewuslseins ausgeben und der eine die eigene Vernunfl aïs ein Theil- » weisen derGottheit, der andere die richlige Meinung als Grundiage ailes » Wissens, und namentlieh den besitz der Ideen als Erbtheil aus einem vor- « welllichen Dasein belrachtet, so fasst Arisloleles den IMenschen zunâcbst » nur nach seinem aùssern geschichtiichen Dasein anf, und das characte- » risliche und ursprùnliche, das er an ihm findet, is weder ein unmittelbares » Sichselbtsbewisseii , noch ein gegebenes Goltesbewusslsein, sondern eben » nur ein dem Menschen von Nalur inwohnender Trieb zum Wissen. » — Cf. H. Martin, op. cit., p. 115. (127) en ce sens que le Maître nomme Vétonnement la source de la science , puisqu'il suppose tout ensemble et la faculté d'être impressionné par les phénomènes, et le désir naturel de s'expli- quer la cause des effets observés *. Tout le procès rationnel, le passage de la sensation h l'aperception des caractères essentiels des êtres, la combinaison méthodique des multiples vérités acquises par l'induction reposent sur la prédestination de l'homme à la certitude, à la science. — Cette première assise de la philoso- phie d'Aristote, que nous retrouverons chez Anselme, est toute prise dans la réalité. Pour l'entendre complètement , il faut la rapprocher d'une autre vue importante de sa Métaphysique. Les formes (susp'yèixt) qu'Aristote considère comme les prin- cipes actifs à l'égard de Vêlement passif des êtres (âôva^i;) ^, sont à ses yeux des Types innés, se développant dans la nature: ils constituent la Fin immédiate, la Loi immanente des êtres de l'univers. L'évolution harmonique, la finalité interne des choses est le dogme fondamental de la Cosmologie d'Aristote ^. La légitimité des tendances instinctives de nos facultés en est l'expression dans le monde intelligible. Sans conteste, cette doctrine est l'un des plus considérables progrès qu'il ait fait réaliser à la Philosophie. Elle présuppose la véracité de nos facultés apercep- tives. La nature n'inspire jamais un besoin absolu et cependant impossible à satisfaire. Une expérience toujours fidèle a fait de ce principe la moins douteuse des lois du monde organisé. Ce serait forfaire au déterminisme scientifique que d'en excepter l'homme, le plus parfait des êtres vivants. Nous l'avons dit : ce premier fondement de la connaissance 1 Met., 1, 2, lo. ' De Anima, III, o. 3 Voyez là-dessus la savante élude du Dr Heiiize : Die Lehre vom Logos ^ p. 71. — L'auteur y rappelle surtout les textes suivants : i^ âè fvai; oôBèv àlSyioç,^ oùBàv fx.d.r'i^v noifi. [De cœlo , II, 11.) — \^ §é (^ùgi;, ùk rùv hSn'xpfjié vcov 7ro/e7 to ^sIti'jtov. (De part, an, IV, 10.) — cri rijv '^ùaiv opôJ^Ev h nxGiv SX Tw rJuvarùv 7Totov(joi.v rs xâ)),/(7-oy. (De vit. et mort., A. — Voir aussi RiTTER,IH,264;297, etc. ( 128 ) rationnelle, les Docteurs chrétiens l'insinuent plutôt qu'ils ne l'analysent. Augustin nous a signalé sans trop s'y arrêter Vinstincl naturel, ainsi qu'il l'appelle, qui pousse l'homme à rechercher le bonheur et la science, et fait donner des réponses justes aux ignorants eux-mêmes. Avec son maître préféré Anselme présup- pose comme avérée l'aptitude originelle de l'esprit pour la vérité. Écoutons ces paroles du chapitre LXVIH du 3Ionologue. « Il suit (de nos précédentes observations), dit-il, que la créature raison- nable ne doit s'appliquer à rien autant qu'à exprimer par des actes libres l'image qui lui a été imprimée jyar la force de la nature. En effet, par cela que, d'une part, elle doit au Créateur ce qu'elle est, et parce que, d'autre part, sa plus noble faculté est de se rappeler, de connaître et d'aimer le Souverain Bien, il s'ensuit qu'elle ne doit rien désirer avec une telle ardeur. II est clair que l'âme humaine est une créature raisonnable. Il faut en conclure qu'elle a été faite pour aimer au-dessus de tout l'Essence suprême ^ » « L'homme, dit le S. Docteur en la XIX^ Méditation, est com- posé de deux éléments, d'un élément spirituel et d'un élément cor- porel. L'âme, parce qu'elle est spirituelle, tend d'elle-même vers les choses supérieures. » — Nous le savons : tout le Dialogue de la vérité se réduit à signaler le lien de la vérité avec la loi innée des êtres et leur conformité à leur tendance originelle. Aucun Docteur n'avait insisté, à l'égal d'Anselme, sur ce principe. Il est vrai que, dans son application à la perception de la vérité, il le rappelle sans le démontrer. Un scrupule pareil ne pouvait * « Consequi ilaque videtur, quod rationalis creatura nihil tantum débet » studere quam hanc imaginem, sibi per naturalem potentiam impressam , » per voluntarium effeclum exprimere. Etenim praeter boc quia creanti se » débet hoc ipsum quod est, huic quoque, quia nihil lam praecipuum posse » quam reminisci et intelligere, etamare summum bonum cognoscitur, nimi- )) rum nihil tam praecipue debere velle convjncilur.... Hinc itaque salis pa- » tenter videtur, omne rationale ad hoc existere, ut sieut ralione discrelionis » aliquid majus vel minus bonum sive non bonum judicat, ila magis vel minus » id amet aut respuat. Nihil enim apertius quam ralionalem creaturam ad hoc » esse factam, ut summam Essentiam amet super omnia bona. » ( 429 ) venir à un homme du XP siècle, moins encore à un contemplatif, à un mystique aussi fervent que le vénérable Maître du Bec. Mais il est manifeste que la science ne peut être qu'objective; elle représente à l'esprit non de pures modifications, mais la réalité des choses. Loin de s'identifier avec des perceptions simplement relatives ou contingentes, la vérité constitue la règle, la loi ab- solue de nos jugements. C'est à elle, comme le disait Anselme dans le Dialogue de Veritate, que toutes nos pensées doivent être conformes afin d'être vraies. — Le Stagyrite avait signalé en un mot l'objectivité des principes. Il enseigne qu'en dernière analyse, la connaissance se ramène à quelques axiomes certains et évidents de Tordre spéculatif et de l'ordre pratique. Par là, il maintient, d'une part, le principe générateur de toute sa philosophie : Tinfail- libilité des tendances primitives des êtres, qui ne sont que l'expres- sion vitale de leur nature: et d'autre part, il rejette à l'avance le sentiment des fidéistes de toutes nuances, ne voyant dans les aspirations primordiales des facultés humaines qu'un instinct aveugle, fatal. Ces principes, ces axiomes, il les nomme évidents par eux-mêmes; non-seulement ils sont vrais en soi, mais ils manifestent immédiatement leur vérité à l'esprit qui les conçoit. Us relèvent, d'une façon directe, de la lumière supérieure de l'entendement. L'impossibilité évidente d'être autrement , Yo'ûh , selon Aristote, le critère des démonstrations scientifiques *. — De fait, l'esprit ne se sent-il pas dominé irrésistiblement par les vérités -principes? Ne percevons-nous pas les essences métaphy- siques des choses, et par-dessus tout les lois essentielles du Vrai, du Bon, du Beau, comme autonomes, comme indépendantes de l'appréciation de tout esprit créé, comme empreintes d'une né- cessité sans exception? Leur indépendance à l'égard de nos juge- ments personnels n'est-elle pas aussi réelle que celle de nos sen- sations à l'égard de notre volonté, que Kant et Fichte eux-mêmes sirKTTij^i] KxOôXou xcci 6i ô.vûiyK'xîuv 70 â'oivx'y Kaiov oÙk kv§éxeva.i aXic.3; e%£/v. — Anal, post.yl,'^^. Tome XXV. 9 ( 150 ) ont fini par avouer *? Ce sont ces vérités qu'Augustin appelait les principes innés. S'expliquant là-dessus dans ses Rétractations, il assure que par cette appellation il a voulu désigner les vérités supérieures, que tout esprit bien dirigé aperçoit à la lumière de la Vérité immuable qui l'assiste et le guide dans la connaissance. — Ces axiomes et ces lois, connus de leurs violateurs eux-mêmes, s.int en quelque sorte imprimés dans notre âme par la première Cause. Le regard de l'esprit les atteint par une intuition si prompte qu'on peut dire, par métaphore, qu'ils nous sont innés ^. Le Docteur du Bec ne pouvait, en son temps, entrer dans ces détails, mais au fond il se rallie à cette doctrine. C'est le carac- tère irréductible d'évidence objective qu'il signale dans les démon- strations qu'il nomme des arguments nécessaires, pleins de raison vraie et de lumière ^. C'est l'objectivité des propositions évidentes qu^il consacre dans les nombreux passages du Dialogue de Veritate et du Monologue, où nous l'avons entendu poser dans la Vérité suprême la règle à laquelle doivent se conformer les opinions et les jugements ^. ^ Voyez là-dessus des aveux peu suspects et très-curieux chez le D"" Von Hartmann, Philosophie der Unbewusste, p. 293. 2 « Illud quod dixi omnesarles animam secum attulisse mihi videri : née » aliud quidquam esse,id quod dicilur discere quam recordari ac reminisci; » non sic accipiendum est quasi ex hoc approbelur anima vel hic in alio cor- » pore, vel alibi sive in corpore, sive extra corpus aliquando vixisse... Fieri » enim potest, sicut jam in hoc opère supra diximus, ut hoc ideo possil, gw/a » natura intelligibilis est, et connectitur non solum intelligibilibus, verum )) etiani inimulabilibus rébus, eo ordine facta, ut cum se ad eas res movet » quibus connexa est, vel ad seipsam, in quantum eas videt, in tantum de » his vera respondeat... Item dixi quod disciplinis liberalibus eruditi, sine » dubio in se illas oblivione obrutas eruunt discendo, et quodam modo refo- » diunt. Sed hoc improbo. Credibilius est enim propterea vera respondere de » quibusdam disciplinis, eliam imperitos earum, quando bene interrogantur, » quia praesens est eis, quantum id capere possunt lumen rationis aeternae, )> ubi haec immutabilia vera conspiciunt. » — Retraci., I, c. VIII, p. 4. — Cf. De Trin. , XIV, c. XV. 3 Ralionis nécessitas {pvéî. du Monol.) — probationibus necessariis — (c, LXIV) ; vera ralione explicare (c. LXV). * Lib. 83 Quaest., q. 52. ( 131 ) Anselme lui-même a fait l'application de ces principes. Aucun Docteur n'avait, avant lui, mis en une telle lumière le caractère de l'évidence rationnelle, comme critère fondamental de certitude. — Augustin, son maître, avait écrit ceci : « L'esprit qui comprend une chose autrement qu'elle nest en réalité, ne la comprend pas. Car rien ne peut être véritablement compris que de la manière qu'il existe véritablement *. » — Déjà dans le Dialogue de Veri- tate, Anselme avait enseigné que la Vérité est dans la pensée, lorsqu'elle atteint l'être des choses. Mais il va plus loin. Toute sa fameuse preuve de l'existence de l'Infini tirée de son idée repose sur le principe de l'évidence objective. En ce point, Anselme s'exagérait la portée de sa doctrine. Je fais uniquement observer qu'il y avait pénétré plus avant qu'aucun de ses contemporains. Certes, enseigne notre Docteur dans sa dispute avec Gaunilon, il est très-possible que l'homme conçoive des idées fausses ou qu'il s'enchante de chimères. Mais lorsque de fait il comprend une vérité en se démontrant avec une pleine évidence sa né- cessité, il n'est pas admissible que l'erreur se mêle à une pareille démonstration. Cette distinction est développée au cha- pitre IV de la Réponse à l'Insensé. Nous aurons à l'examiner plus tard. Le langage où Anselme l'exprime est fort obscur : quoi d'étonnant? c'est la première fois qu'un homme formé par la dialectique pseudo-péripatéticienne formule la loi de l'évidence ^î « Si j'avais dit, écrit notre Docteur, que cet Etre (celui qui ne peut être pensé que sous le symbole de VEtre le plus graiid) ne peut être conçu comme n'existant pas, vous-même peut-être i De Gen. ad litt., XII, c. XXV. 2 « Si enim dixissem , rem ipsam non posse intelligi non esse, fortasse tu » ipse, qui dicis quia secundum proprietatem verbi islius falsa nequeunl » intelligi, objiceres, nihil quod est posse intelligi non esse; falsum est enim » non esse quod est : quare non esset proprium Dei non posse intelligi non » esse. Quod si aliquid eorum quae certissime sunl polest intelligi non esse , » simililer et alia cerla non esse posse intelligi. Sed hoc utique non polest » objici decogitatione,s,i bene consideretur. Nam elsi nuUa quae sunt possunt » intelligi non esse , omnia tamen possunt cogitari non esse, praeler id quod » summe est. » ( 1Ô2 ) qui soutenez que, dans le sens propre du mot, les choses fausses ne peuvent pas se concevoir j m'objecteriez-vous que rien de ce qui est ne peut se concevoir comme n'étant pas, puisqu'il est faux que ce qui est ne soit pas, et que par conséquent il ne serait pas exclusivement propre à Dieu de ne pas pouvoir être conçu comme n'étant pas; que si quelqu'une des choses qui sont certainement peut être conçue comme n'étant pas, d'autres choses certaines peuvent également être conçues comme n'étant pas. — Mais certes cette objection ne saurait être faite à l'égard de la pensée^ si l'on y réfléchit bien. Car quoique aucune des choses qui sont ne puisse être conçue comme 7i' étant paSj toutes cepen- dant peuvent être pensées comme n'étant pas, excepté l'Etre qui est au-dessus de tout. » — Le lecteur remarquera sans peine cette distinction entre le concept et la pensée, La pensée, pour Anselme, est la formule absolue qui ne touche que l'ordre méta- physique. Le concept est la notion concrète saisissant l'être dans sa réalité physique actuelle. Mais la règle qui, selon lui, gouverne la pensée aussi bien que le concept, cest la grande loi de l'évidence objective. Voilà la vérité que cachent les expres- sions tourmentées, ambiguës que nous venons d'entendre. Notre Docteur l'exprime par l'application du principe de contradiction, le plus simple, le plus évident mais aussi le moins fécond des axiomes. En cela, il se conformait à Thabitude de son temps. Anselme ajoute qu'il y a une différence essentielle entre les représentations fausses et les vérités certaines : « Quant à l'objec- tion que vous me faites, dit-il à Gaunilon, que les choses fausses et douteuses de tout genre peuvent être conçues et être dans l'intelligence aussi bien que l'Etre que j'ai défini, je suis surpris devons voir ici en opposition avec moi, qui voulais prouver une chose encore problématique et qui me contentais de démontrer d'abord que cet être se conçoit et est dans l'intelligence comme une chose quelconque, afin de pouvoir examiner ensuite s'il est dans l'intelligence seulement comme les choses fausses, ou bien s'il y est de plus en réalité (in re), comme les choses vraies *. » * « Quod autem objicis , quaelibet falsa vel dubia simililer posse intelligi et ( l"> ) Si nous réfléchissons qu'Anselme appelle les démonstrations certaines et légitimes des arguments nécessaires et que Boëce, après Aristote, avait répété à satiété que le caractère propre de ceux-ci est de montrer à l'esprit leur absolue certitude, on tom- bera d'accord que , sous la forme encore vague et mal définie des premiers essais métaphysiques, le Docteur de Cantorbéry a, le premier, dans les écoles du moyen âge, appliqué le critère de l'évi- dence objective des propositions. L'irrécusable et immédiate intui- tion de la réalité, manifestée par l'expérience et la raison, a été professée par lui comme le signe suprême de la connaissance et de la vérité. Mais il est temps d'indiquer comment, dans l'idéologie des Scolastiques, et d'Anselme en particulier, la certitude objective de nos connaissances est le corollaire naturel de la doctrine de l'Exemplarisme, c'est-h-dire des rapports essentiels de l'intelli- gence créée avec la Cause première. 11 n'est pas admissible que le plus parfait des êtres orga- nisés ait été produit par Dieu au hasard, ou créé d'après un type défectueux. Comme toutes les autres créatures, il réalise dans tout son être Tune des multiples imitations de l'Absolu. Pour ne pas être, dans l'universelle harmonie, une anomalie désavouée par l'expérience et la raison, il doit porter en soi les facultés capables de lui faire atteindre la vérité, l'être des choses, où le portent avec une invincible force, ses tendances innées, ses intimes aspirations. Ce serait ébranler la stabilité et l'uni- formité générale des lois de la nature que d'assigner pour objet à l'esprit la perception de formes purement subjectives, aux- quelles ne répondrait aucune réalité. Seul de tous les êtres vivants, l'homme est doué de raison : c'est en ce sens surtout qu'il est l'image de Dieu, comme Anselme l'enseigne après Augustin. Cette raison doit avoir un objet réel : cette image, en ses traits esseinintellectu,quemadmodum illudquod dicebam: mirer quod hicsensisti contra me dubium probare voleiitem , cul primum hoc sat erat, ul quolibet modoillud inlelligi et esse in inlellectu ostenderem;qualenus consequenter consîderarelur utrum esset in solo intellectu , an et re ut vera. » (G. VI.) { 134 ) vraiment essentiels, ne peut offrir avec son auguste original une monstrueuse difformité. La connaissance de la vérité en soi, la connaissance de la réalité est, dans ses limites naturelles, l'ina- liénable lot de l'esprit humain. Ce n'est pas tout. Les êtres distincts de l'homme sont, comme lui, des représentations de la Substance infinie. Ces imilations partielles ne subsistent sans doute que dans les individus. Toute- fois, les types individuels présentent à l'analyse un double élément : l'un nécessaire et unique, qui est l'essence commune; l'autre accidentel et divers, constitué par les attributs particuliers. Par là, ils prêtent un légitime fondement à l'abstraction et à l'ef- formation des notions générales, dont les multiples combinaisons forment l'une des plus considérables parties de la science. Quant aux Idées transcendantes et absolues , elles sont fournies à l'es- prit de l'homme, d'abord par l'analyse de sa tendance instinctive à saisir l'essence des êtres et la cause des phénomènes [Vérité)', — puis, par la constatation de la loi anthropologique, de V impé- ratif catégorique, comme parlait Kant, ordonnant à la volonté créée de se conformer à la volonté suprême et d'obéir aux lois essentielles que la raison lui découvre [Bonté morale); enfin, par le sentiment de Tharmonie et de la splendeur des choses (Beauté). Ces trois idées-mères, sources des sciences et des arts, nous apparaîtront dans toute leur réalité, lorsque nous nous serons élevés jusqu'à la Substance suprême, en laquelle subsiste, dans sa vivante unité, la plénitude de Têîre. — N'est-il pas vrai qu'interprétée avec discrétion , la théorie de rexem})larisme fournit une base assurée à la perception de la vérité objec- tive 1 ? En rattachant l'objectivité de nos connaissances à la théorie de l'Exemplarisme, et en dégageant cette théorie des erreurs qui, si * Voyez sur ce point la dernière partie de Touvrage : De la connaissance intellectuelle de M. Liberatore, S. J. p. 536, et Suarez, Metaph., D. VIII, S. VII, p. 29. — « Quia intellectus creatus est quaedam participatio divini intel- » lectus cui natus est conformari in intelligendo, si vereinteliigit; ergo hoc » ipsoquod esse dieitur verum, quia est conformabile intelleclui divino,polerit )> etiam dici verum, quia est conformabile iiitellectui creato vere intelligenti. ( 133 ) souvent, s'y étaient glissées, notre Docteur imprima aux esprits une direction d'une extraordinaire importance. Peu de temps après lui, un Maître célèbre, auquel il n'a manqué que la mesure dans l'audace, pour être l'un des plus grands métaphysiciens du moyen âge, exposa avec une vivacité singulière le lien de la Vérité objective et de l'Exemplarisme. Nous voulons parler de Gilbert de la Porrée. Ecoutons l'excellente analyse de son Idéologie que nous donne M. Hauréau : « La raison voit d'abord, par l'in- termédiaire des sens, les formes nées unies aux corps; ensuite, elle les sépare intellectuellement de ces corps et les conçoit comme permanentes, mais, qu'on le remarque bien, cette concep- tion n'est pas conforme à la nature des choses, puisqu'elle vient de Vabslraclion, c'est-à-dire de la disjonction de ce qui est uni dans la nature. Est-ce donc là que s'arrête la raison? S'en tient- elle à cette science conceptuelle, qui lui fournit, il est vrai, une notion, mais une notion purement subjective de la forme, de Vidée. Non, sans doute : de l'idéalisme critique (j'aimerais mieux : psychologique) , la raison s'élève à l'idéalisme transcendantal (c'est le mot propre dont Gilbert fait usage : nativa omnia trans- cendens); après avoir recueilli les idées, elle veut contempler ces idées, et les contemple en effet, dans leur principe, dans leur exemplaire éternel. Parvenue à ce degré suprême de la connais- sance, la raison est enfin satisfaite. Les sens l'avaient informée de ce que c'est que le périssable : elle avait acquis, au moyen de l'abstraction, l'idée intellectuelle de la forme concrète; et elle ne s'est élevée jusqu'à la vérité pure, jusqu'à la vérité vraie, si l'on peut ainsi parler, qu'en franchissant la limite du contingent, pour atteindre le nécessaire, l'absolu, l'éternel K » Avec sa magistrale précision, S. Thomas d'Aquin expose des idées pareilles dans ses deux Sommes 2. « Que l'on demande, * Ouv. cit., J, p. 305. 2 « Cum quaeritur ulrum anima humana in ralionibus aeternis omnia coguo- » scat, dicendum est, quod aliquid in aliquo dicilur cognosci dupliciler. Uno » modo sicut in objecta cognito, sicut aliquis videt in speculo ea quorum » imagines in speculo résultant : et hoc modo anima in statu praeseniis vitae » non potest videre omnia in ralionibus aeternis; sed sic in rationibus aeternis ( 136 ) dit-il, si l'âme humaine connaît toutes choses dans les idées élernelles, il faut répondre qu'on peut de deux façons con- naître quelque chose dans une autre. D'abord, comme dans un objet déjà connu, par exemple, lorsque quelqu'un voit dans un miroir les choses dont les images s'y réfléchissent. De celle ma- nière-là, l'âme, en l'état de la vie présente, ne peut voir tout dans les Idées éternelles, mais les Bienheureux connaissent tout en ces Idées, puisqu'ils voient Dieu et toutes choses en lui. Mais, d'une autre façon, on dit qu'une chose est connue dans une autre, comme dans le principe de sa connaissance. C'est ainsi que nous disons que nous voyons dans le soleil les choses que nous voyons par la lumière du soleil. Et dans ce sens, il faut dire nécessaire- ment que nous voyons tout dans les Idées divines, en tant que nous connaissons toutes choses par la participation à ces Idées. Car la lumière intellectuelle qui se trouve en nous, n'est pas autre chose qu'une certaine ressemblance que nous participons de la lumière iticréée, dans laquelle sont contenues les Idées éter- nelles. » Et il ajoute ces paroles qui semblent inspirées par le Dialogue de Veritate : De même que toutes les raisons intelligibles des créatures existent primitivement en Dieu et sont dérivées de Lui dans les autres intelligences, pour qu'elles parviennent de fait à comprendre, ainsi elles sont aussi dérivées dans les êtres pour qu'ils puissent subsister. — Dans la Somme philosophique, S.Thomas écrit : L'âme et les autres créatures sont vraies dans » cognoscunt omnia Beati qui Deum vident et omnia in ipso. — Alio modo, » dicitur aliquid cognosci in aliquo sicut in cognitionis principio, sicut si diea- » mus, quod in sole videntur ea quae videntur persolem. Et sic necesse est » dicere quod anima humana omnia cognoscat in rationibus aeternis, per » quarum participationem omnia cognoscimus. Ipsum enim lumen intellec- » tuale quod est in nobis,nihil est aliud quam quaedam participata simililudo » luminis increali, in quo conlinentur rationes aelernae. Unde in Ps. IV, 6, « dicitur: Multi dicunt : Qnis ostendit nobis bona? Gui quaestioni Psalmista » respondet, dicens: Signatum est super nos lumen vultus tui, Domine: » quasi dicat, per ipsam sigillationem divini luminis in nobis omnia demons- » trantur. » — Swm., I, q. 84, a. 5. * « Sicut igitur animae et res aliae verae quidem dicuntur in suis naluris » secundum quod similitudinem illius summae Naturae habent, quae est ipsa (137) leur espèce respective, selon qu'elles portent en elles la ressem- blance de la Cause suprême qui est aussi la suprême Vérité, puisque son être et son intelligence sont identiques : de même la connaissance de l'âme est vraie selon qu'il y a en elle une ressemblance avec la Vérité que Dieu lui-même possède... C'est pour ces raisons, ajoute le Docteur Angélique, que la Glose expliquant les paroles du Psaume II, v. 2 : Diminutae sunt veritates a filiis hominum dit que de même qu'une seule figure produit de multiples représentations dans un miroir, ainsi de la seule Vérité première résultent les multiples vérités dans l'esprit humain. Il y a certes des vérités desquelles on juge différemment. Mais il y a des vérités sur lesquelles tous les hommes sont d'ac- cord , comme les premiers principes de l'intellect tant spéculatif que pratique, précisément parce que (en ces points) la ressem- blance de la divine Vérité se communique universellement à tous les esprits. Ainsi, tout ce qu'une intelligence connaît d'une ma- nière certaine, tout ce qu'elle voit en ces principes d'après lesquels elle juge (toutes) choses, en les ramenante ces premiers axiomes, tout cela elle le voit dans la Vérité divine, dans les » verilas, cum sit suum intellectum esse : ita id quod per animam cognitum » est, manifestum est in quantum illius divinae veritatis quam Deus cognoscit » simiiitudo quaedam existit in ipsa. Unde et Glossa super iliud psalmi (XI, 2) : » Diminutae sunl veritates a filiis hominum , dicit quod sicut ab una facie » résultant multae faciès in speculo, ila ab una prima veritate résultant multae )) veritates in menlibus hominum. Quamvis autem diversa a diversis cognos- » cantur et credantur vera, tamen quaedam sunt vera in quibus omnes » homines concordant, sicut sunl prima principia intellectus tam speculalivi » quam practici, secundum quod universaliter in mentibus omnium divinae » veritatis quasi quaedam imago résultat. In quantum ergo quaelibet mens » quidquid per certitudinem cognoscit, in his principiis intuelur secundum » quod de omnibus judicatur, facta resolutione in ipsa, dicitur omnia in )) divina veritate, vel in rationibus aeternis videre, et secundum eas de omni- » bus judicare. Et hune sensum confirmant verba Auguslini in libro Solilo- » quiorum (1. 1, c. VIII) qui dicit , quod scientiarum spectamina videntur in » divina veritate sicut visibilia in lumine solis, quae constat non videri in ipso )) corpore solis, sed per lumen quod est simiiitudo solaris claritatisin aère et » similibus corporibus relicta. » {Cont. Gent , 1. III, c. XLVII.) — Ci. De ve- rit.j q. X, art. 11 et 12. — Op. 70, De Spirit. créât. ( 158 ) raisons éternelles, et de la sorte, elle juge tout d'après ces principes. Et ce sens du Psaume est confirmé par ces paroles de S. Augustin dans les Soliloques, 1. I, chap. VIII, où il assure que les prmcipes des sciences sont perçus dans la Vérité divine, comme les choses visibles dans la lumière du soleil. Certes, les objets ne sont pas aperçus dans le corps même du soleil, mais dans la lumière qui est un vestige de la clarté de l'astre répandu dans l'air et sur les autres corps. — Écoutons encore cette formule devenue célèbre : Les choses créées, dit le S. Docteur, sont la règle de l'esprit humain, et elles sont réglées par l'intelli- gence de Dieu. Sous le premier rapport, elles sont le principe de notre science qui doit se conformer à elles. Sous le deuxième rapport, elles sont le terme de la Raison divine dont elles doivent exprimer les Idées K Le Docteur Séraphique ne se sépare en rien, sur la présente matière, de son glorieux ami. Dans un opuscule longtemps inédit, mais dont quelques fragments viennent d'être publiés, Bonaventure combat l'assertion de certains platoniciens de son temps, qui prétendaient que toute connaissance est puisée dans les Idées divines. Voici comment il conclut contre eux : L'Idée éternelle, dit-il, est requise, dans la science humaine, et comme règle et comme agent, non en ce sens qu'elle en soit le facteur unique dans sa clarté absolue, mais bien le co- facteur de la raison créée, selon une perception conforme à la condition ter- restre La connaissance certaine est l'attribut de l'âme, en tant que celle-ci est V image de Dieu, et voilà pourquoi elle y atteint les raisons éternelles des choses.... Mais notre âme n'est pas une image complète de la Divinité : en même temps qu'elle perçoit ces raisons, elle saisit les formes engendrées par l'abstraction des attributs accidentels, comme son objet * « Divina verilas est mensura omnis veritatis. Veritas enim nostri inlel- » leclus niensuratur a re quae est extra animam. Ex hoc enim intelleclus iioster » verus dicitur, quod consonat rei, Veritas autem rei mensuratur ad intellec- v> tum divinum qui est causa lerum .. sicut veritas arlificialorum ab arte » artiûcis... Divina igitur veritas est prima summa et perfectissima verilas. » {Ibid., I. I,c. LXII.) ( 139 ) propre et déterminé; et sans ce secours, elle ne saurait, dans la vie présente, s'élever à la connaissance par la seule lumière des Idées divines *. » Ce serait une chose infinie de rapporter les principaux textes des Docteurs qui consacrent le lien de la certitude objective et de la doctrine de l'Exemplarisme; ils démontrent l'impression pro- fonde que les vues d'Anselme avaient causée aux penseurs. Rap- pelons seulement, pour finir, ce passage du célèbre Cusa. Nous citons ce philosophe, parce qu'il touche à l'aurore de l'âge mo- derne et qu'il est curieux de l'entendre témoigner de la persis- tance de cette théorie féconde que le Docteur de Cantorbéry eut le mérite de rajeunir et de transmettre aux écoles chrétiennes. — Après avoir montré dans l'abstraction le procédé propre de l'es- prit, Cusa continue ainsi : La raison est comme une semence divine, s' assimilant intellectuellement les exemplaires des choses. Elle doit à Dieu, en même temps que cette faculté, d'avoir été jetée dans une terre où elle peut fructifier et parvenir à la con- naissance des divers êtres. Sa force primitive lui eût été donnée en vain , si elle n'eût pas reçu également le moyen de passer à Tacte. — Dans sa nature rationnelle, dit-il encore, l'âme a reçu de son Créateur ce privilège et cette puissance, car elle exerce ses actes à la ressemblance de soti Créateur. Et comme le Créateur, par la création, produit les choses réellement existantes, ainsi l'intelligence qui est son image engendre par son opération l'image des choses réelles. Selon Cusa, pour Dieu, créer, c'est produire ' « Ad certitudinalem cognitionem necessario requirilur ratio aeterna ut )) regulaus et ratio motiva, non quidem ul sola et in sua omnimoda clarilate, » sed cum ratione créa ta, et ut ex parte a nobis contuita secundum statum » viae... Quoniam igitur certitudinalis coguitio competit spiritui, secundum » quod est Imago Dei, ideo in hac cognitione aeternas rationes altingit. — » Rursus, quia non ex se tota est anima imago, ideo cum tiis (rationibus) n intelligit rerum simili ludines abstractas a phantasmate tanquam proprias ^) et dislinctas cognoscendi rationes , sine quibus non sufficit sibi ad cognos- » cendum lumen rationis aeternae quamdiu est in statu viae. » — Quaestio anecdota : « An rationes aeternae sint ratio cognoscendi in omni certitudinali » cognitione ? » Ap. R. P. Fidelem a Fanna , Ratio novae collectionis operum S. Bonaventurae. — Taurini, 1874, p. 228; Conclus. ( 140 ) les Essences, et pour l'esprit, comprendre, c'est se les assimiler. Mais d'après Anselme, la certitude et l'objectivité de nos con- naissances résulte encore du concours continuel de la première Cause avec l'être raisonnable, dans l'acte de la perception intellec- tuelle.— Laissée à elle-même, la créature tirée du néant y retom- berait incontinent : sans cesse elle doit être soutenue par la pre- mière Cause. Or, cette dépendance originelle implique l'assistance active, ou pour parler avec notre Docteur, « la présence conser- vatrice » et le concours non interrompu de la Divinité avec l'esprit de l'homme. « Il n'y a qu'un insensé, dit Anselme, qui puisse douter que toutes les choses qui ont été faites ne se con- servent et ne continuent à exister par l'assistance de Celui-même par l'action duquel elles ont reçu de rien l'existence qu'elles ont. — Il serait absurde de dire que puisque rien de créé ne peut exister hors de l'immensité du Créateur et du Conservateur, de même le Créateur et le Conservateur ne sauraient d'aucune manière dépasser l'universalité des choses créées : il est clair aussi que l'Essence suprême soutient et surpasse, enferme et pénètre tous les autres êtres ^. » — C'est à la même doctrine qu'il faut rapporter ^ « Unde quia mens est quoddam divinum semen sua vi complicans omnium » rerum exemplaria notionaliter ; lune a Deo a quo hanc vim habet , eo ipso » quod esse recipit, et simul et in convenienti terra locatum, ubi fructum » facere possit, et ex se rerum universilatem notionaliter explicare, alioqui » haec vis seminalis frustra data ipsi esset, si non fuisset addila opportunitas * in actum prorumpendi. » {De mente, c. V.) — « At quoniam intellectualis » nalura hoc et hanc nobilitatem non habet, nisi a Crealore suo (nam opera- » tur in similitudine Creatoris sui), sicul creando veras res producitj ita intel- » leclus imago ejus, operando producil simililudines verarum rerum. Creare » enim est essentiare, et intelligere est assimilare. » {Cribat. Alcor., II, c. III.) 2 « Dubium autem non nisi irrationabili menti esse potest, quod cuncta quae » facla sunt, eodem ipso sustinente^ vigent et persévérant esse quamdiu » sunt, quo faciente de nihilo habent esse quod sunt. — Quod quoniam esse V aliter non polest, nisi ut ea quae sunt facta vigeant per aliud et id a quo ^) facta sunt vigeat per seipsum, necesse est ut, sicut niiiil factum est nisi » per creatricem praesentem essentiam, ila nihil vigeat nisi per ejus serva- » tricem praesentiam. » {Mon., c. XIII.) — « At quoniam absurdum est, ( 141 ) les éloquentes élévations du Prosloge sur la Vérité et la Lumière divines, critère et loi de la science humaine. Dieu, comme cause première, aide donc ses créatures à déployer leur activité essen- tielle, et les guide à leurs opérations. Il serait impie autant qu'erroné d'admettre dans l'intelligence divine un exemplaire défectueux, et dans la réalité, un être dont les tendances primi- tives pussent être déçues. Mais il serait cent fois plus absurde de supposer un concours de la première Cause avec l'esprit humain , conduisant celui-ci à l'erreur, ou ce qui revient au même, l'in- duisant à prêter à de simples formes de l'entendement, une réalité objective. Cette conclusion est d'autant plus rigoureuse dans la philosophie d'Anselme, qu'il nous a signalé la perception de la vérité comme la fin propre de la créature raisonnable. En mettant en relief l'influx perpétuel de la Raison absolue sur l'intelligence de l'homme dans le phénomène de la connaissance, Anselme adoptait à son insu l'un des plus féconds enseigne- ments de la sagesse antique. — Platon, dont le génie se rapproche en bien des points du sien, donne pour fondement à la science la présence active de l'idée du Bien (zo uavov), ou de Dieu dans notre âme. « Tiens pour certain, dit-il à son élève, que ce qui répand la lumière de la vérité sur les objets de la connais- sance, ce qui donne à Tàme la faculté de connaitre , c'est l'Idée du Bien. Comprends qu'e//e est la cause de la science et de la vérité, en tant qu'elle peut être connue *. » Il ajoute, dans le Premier AlcibiadCj que le haut sommet de l'àme est habité par la sagesse, et qu'elle a un caractère divin '^. En son poétique langage, le divin Philosophe compare les âmes à des plantes célestes, se mouvant dans une atmosphère divine, aspirant la vie de Dieu et s'épanouissant dans sa lumière^. Malgré les tendances » ut scilicet, quemadmodum nullatenus aliquid creatum polestexire creantis » et foventis immeusilatem , sic creans et fovens uequaquam valeat aliquo » modo excedere faclorum universitatem,liquet quoniam ipsa est quae cuncta ') alia portai et superat, claudit et pénétrât. » {Ihid., c. XIV.) « RépubL, VI , p. 508. * Alcih., I, pp. 135-134. 3 Timée, pp. 89, 90. ( 442 ) si différentes de son austère génie, Aristote se rallie à son maître sur le point qui nous occupe. Il n'est pas aisé de déterminer tous les détails de sa doctrine sur les facteurs de la connaissance. Aristote s'étend, en général, fort peu sur la part de l'intervention divine dans les choses d'ici-bas. Il loue néanmoins Anaxagore, pour avoir, le premier, reconnu comme la cause du monde un Esprit Intelligent. 11 blâme Empédocle, qui dénia à Dieu la con- naissance des événements terrestres *. Un critique contemporain avertit que s'il parle presque à chaque page de la finalité de la nature, il associe la Divinité à ce développement harmonique *. On conciherait toutes les vues du Stagyrite en notant que, selon lui, l'action du premier Moteur sur les causes secondes n'im- plique que le simple déploiement de son activité, sans aucun changement dans son essence ^. Du sein de son immuable éter- nité, l'Absolu exerce sa féconde influence sur tous les mondes. Par une sorte d'harmonie préétablie, si l'on veut, toute la na- ture tend vers le Souverain Bien, comme vers la Fin Univer- selle, vers le Désirable sans désir. « L'Être immobile, écrit Aristote en sa Métaphysique, meut comme objet de l'amour. Il est un Être nécessaire et, en tant que nécessaire, il est le Bien... Tel est le Principe auquel sont attachés le Ciel et la Terre *. » Conformément à l'esprit général de sa philosophie, le Stagyrite veut que le principe matériel de la connaissance ou Xintellect passif iycv; TraQi^r/xa;) est mû et mis en acte par le principe formel ou Vintellect actif [^v hrslex^'ia 7roi\)7ixê;). L'intellect actif est séparé du premier, impassible, immortel. Aristote l'appelle l'élément divin dans l'homme ^. 11 a si fort insisté sur son rôle dans la * .^é^^,!. III, (al. II), cl V. 2 Decœlo,\. I, c. IV.— Cf. Kleutzen, P/iî7. der Formi, III, p. 823. * De an.^ III, 5 : "0 voy; ( -noi^jTiKé,;) x^piaTo^ kxï ù-Tzct-^q koù â/utyiii; r-^ oùa'ia uv svépyeix — Kat zariv b jah toicvtoç vovq ( tt(x.6})tu6ç ) rw Tràvra * L. XII, c. VII. ^ Le traité du Monde rappelle les mêmes pensées. Les critiques allemands tiennent, en général , ce livre pour supposé. Leurs raisons ne nous paraissent pas convaincantes. En tout cas, le Monde est si plein des idées de la mélaphy- ( 143) connaissance que, selon d'excellents critiques, il a paru l'identifier avec le premier Moteur lui-même pensant dans l'âme humaine. Avec des nuances diverses, c'est le sentiment de Trendelenburg*, de Tiedemann 2, de M. Ravaisson ^, auxquels se rallie aussi M. Re- nan*. Ces interprètes avouent que cette sorte de Raison imperson- nelle ne rentre guère dans le cadre de la philosophie aristotélicienne, si expérimentale et si sévère. Avec Gôtz ^, Biese ^, Heinze ^5 nous sique d'Arislole que nous voulons le ci 1er. « De tout ce que la nature renferme, dit-il,Dieu est le conservateur: il est l'auteur de tout ce qui s'y accomplit; mais non à la façon d'un ouvrier ou d'un être vivant exposé à la lassitude ou accessi- ble à la peine: sa puissance ne connaît point d'obstacle ; parelle il soumet toutes choses à son empire, celles-là même que leur distance semble éloigner le plus de lui... Nous croyons que c'est là la meilleure doctrine et la plus digne de Dieu, que de reconnaître la puissance célesle pour le principe de l'universelle inté- grité... Par un seul et simple mouvement, Dieu étend sa force aux êtres les plus voisins de lui, et par ceux-ci elle se transmet aux plus éloignés jusqu'à ce qu'elle pénètre toutes choses... Lui-même, malgré son invisible nature, se fait ainsi connaître par ses œuvres à la créature mortelle... Il retient et affermit le vaste agrégat de l'univers, il lui assure sa durée, il le conserve : non certes par une présence locale sur cette terre imparfaite, mais à la manière d'une pure Essence dans l'espace pur... Au résumé, ce qu'est au navire le pilote, au char le conducteur, au chœur le chef, ce qu'est la loi à la cité et le général à l'armée, voilà ce qu'est Dieu pour le monde. Toute la différence est que ceux-là sont exposés au labeur, aux multiples agitations, aux soucis nombreux. Lui réussit à tout sans peine, sans trouble, sans infirmité. De sa stable demeure, sans se mouvoir soi-même, il meut et ordonne toutes choses à son gré, de la façon qu'il juge opportune suivant les diverses formes et les diverses natures. En cela il ressemble à la Loi immobile en elle-même, mais réglant à l'égard de ceux qui s'y conforment, les différents intérêts de la chose publique... (C. VJ.) Ce Dieu unique a été nommé de noms divers d'après les effets qu'il produit ici-bas... Le grand Platon tient que toutes ces appellations désignent le même Être, et cela est évident... C'est avec lui que doit entrer en rapport dès le principe, celui qui aspire à une vie heureuse et fortunée ! » * Voir sa savante édition du Traité de l'Ame, p. 17S. 2 Geist der specul. phiL, t. IV, p. 147. ' Essai sur la Met. d'Arist., I, p. 583, sqq. * Averroës etVAverroïsme, p. 1.^3. s Die Arist. Gottes idée, p. 18. 6 Die phil. der Arist. , 1 , 337. ■^ Die lehre vom Logos, p. 72, sqq. ( 144 ) croyons qu'Aristote a enseigné le concours de la Cause première avec l'esprit humain dans l'acte de la connaissance, et non le dogme de la Raison divine, apparaissant passagèrement dans l'âme. Il assure bien, écrit le D' Heinze, que l'intellect actif res- semble au plus haut point à la Raison suprême, et qu'il est l'élé- ment divin de la connaissance; mais, nulle part, il n'affirme claire- ment leur identité. Cette identification, ajoute ce savant, serait une contradiction manifeste avec le principe capital de la Théodicée d'Aristote : l'immutabilité absolue du premier Moteur et l'unité de la vie de l'âme. — Disons encore que, dans ses deuxièmes Analy- tiques, Aristote envisage constamment lintellect actif comme la partie supérieure de rintelligence, élevant à l'universalité les faits de la sensation *. Ce qui reste certain parmi les obscurités de détail, c'est qu'Aristote, aussi bien que Platon, reconnaît hautement l'in- flux du premier Etre dans le phénomène de la connaissance. — Quant aux Stoïciens, ils considéraient l'activité supérieure de la créature comme un développement de la Force essentielle, du Logos s'incarnant dans la raison de l'homme 2. Philon et les Néo- platoniciens tinrent au fond la même doctrine. Pour ceux-ci, le Démiourge, émanation et image de l'Unité suprême, se représen- tait à son tour dans les phénomènes. Les Germes des choses (lôyoi ans inlerru|)lion. — Origène, développant ces vues si hautes, montre dans le Verbe Tunilé centrale des Idées et la lumière toujours présente à la raison. Il Tappelle avec Philon l'Idée des Idées {'rJécf. iS^w). Nous l'avons entendu plus haut : ce fut Augustin qui, plus que tous les autres Pères, assura à la doctiine du concours de l'InleHigence absolue avec la raison créée la faveur des philosophes chrétiens. Au seuil du moyen âge, son noble dis- ciple lui reprit ses principaux enseignements. Nul doute que la fortune qu'ils eurent dans ki suite n'ait été, pour une grande part, ro'uvre d'Anselme. Mais, depuis iMalebranche, cette théorie idéologique a provoqué < Adv. Cent., c. XL. — De Incarn. Verbi , c. XLH. — Or. Il , Cont. Arianos, . XLVIII. - JpoL, I, c. XXXII, XLVI; IbiiL, II, c. VI, VIII, XIIL ' Cont. Cels., VI, c. LXIV. — Cf. Staudenmaier, Philos, des Chris^enth. I, p. 822 seqq. Tome XXV. 10 ( 146 ) des malentendus qui sont retombés spécialement sur le Docteur de Cantorbéry et sur saint Augustin, son maître. — Ce serait déna- turer étrangement la doctrine que nous venons d'entendre, que de représenter l'action de la Raison divine sur l'esprit humain comme une manifestation immédiate, quoique partielle et obscure encore, de la divine Intelligence. — Sans infirmer en rien ses précédentes explications sur l'élément supérieur de la connais- sance, le Docteur d'Hippone a pu tenir que les païens ont vu la vérité immuable de loin, autant que l'homme (sans une grâce surnaturelle) peut la voir, c'est-à-dire le créateur parla créature, l'artisan par Toeuvre, le fabricateur du monde par le monde, selon la théologie de saint Paul ^ Augustin ajoute que les principes des sciences sont aussi différents de la majesté de. Dieu que le ciel l'est de la terre -, et qu'il est impossible de voir les Idées divines si ce n'est dans la vie bienheureuse ^. Il semble qu'il ait pressenti l'abus qu'on devait faire de quelques-unes de ses expressions, lorsqu'il nous avertit que, dans sa philosophie, la vision d'une chose signifie simplement « sa présence rendue sensible de quelque manière »,et que tout ce qui est manifesté à l'esprit est pour celui-ci une lumière *. Après avoir consacré de si prolixes développements au concours de Dieu avec l'intelli- ' « Haec et philosophi nobiles quaesierunt , et ex arte artificem cognove- y runt. . Deum esse quandam vitam, aelernam, immutabilem, intelligibilem, » intelligentem, sapientem , sapienles facieiitem,nonnulli etiam bujus saeculi » philosophi viderunt, veritalem flxam, stabilem, indeclinabilem, ubi sunt V omnes rationes reriim omnium creatarum... Nam quod viderunt eliam ipsi -) quantum videre ab homine potest, creatorem per creaturani, faclorem per ■> facturam , fabi'icalorem mundi per mundum, Paulus Aposlolus leslis est. » [Serm. oo, de Verbis Domini.) - « Adducor ut assentiar quantum in suo génère a caelo terram, tanlum ab » intelligibili Dei majeslale speclamina illa disciplinarum vera et certa dif- 0 terre. » — R. Bene moveris. — De lib. arb.^ c. VIII. ^ ( Has ideas non posse vider!, nisi visione beata. » — Lib. 83 quaest. — q.46. * (« Aliud est enim videre, aliud eslloium videndo comprehendere-Qi/ando- » quidem id videtur, quod praesens ulcunque sentilur. » {Ep. 112, c. VI.) — « Videntur enim quae praesto sunl , unde et praesentia nominantur, vel » animi vel corporis sensibus. » (/6irf., c. II.) ( I" ) gence humaine, comment Augustin décrit-il le procédé par lequel l'esprit s'élève à la connaissance de Dieu ? II nous dit que c'est par le spectacle des cicux , l'ordre des saisons, les harmonies des nomhres et surtout par la considération de l'élément ahsolu que l'esprit atteint en ses perceptions intellectuelles, que nous devons monter, comme par autant de degrés, jusqu'aux choses divines '. C'est en éliminant par la pensée les limites des perfections créées que nous arrivons à concevoir le Bien sans bornes , la Cause pre- mière et nécessaire ^. Anselme alïirme à plusieurs reprises qu'il ne se sépare en rien de la doctrine de son maître. C'est déjà, on l'avouera, un très-fort préjugé contre ceux-là qui ont voulu faire de lui un défenseur de la vision directe de l'Intelligence divine, lieu des éternelles Idées! Mais veut-on se persuader tout à fait qu'Anselme n'a pu tenir rOntologisme? Qu'on examine sa pensée sur les preuves de l'exis- tence de Dieu! Demandez à un ontologiste comment il se démontre la réalité de l'Absolu : il vous convie bien vite à considérer le caractère éternel, nécessaire des Idées générales. L'éternité, la nécessité, dira-t-il, non sans quelque solennité, ne sont-ce pas les attributs d'un Être infini et nécessaire lui-même? De telles notes ne peuvent affecter de simples modifications de l'intellect. La présence des Idées générales dans la Raison implique donc l'existence de la Cause absolue qui en est le sujet. Voir ces Idées, c'est voir, obscurément du moins. Dieu lui-même. — Ce raison- < Voir surloiit De lib. arb., Il , c. XVI. — De Trin., VIII , c. VI, IX. - De vera relig., c. XXX. — De doct. Christ., Il , c. XXXVIII, pour la mélhode générale. — Pour ridée de l'ÈU-e nécessaire et 'infini, conçu comme la Vérité, la Sagesse, la Justice immual)le, absolue et personnelle Cf. De lib. arb., II, c. VI, VIII,IX,X,XI,XII; De Trin., \m.passim; XIV,c.XV; De veraBelig., c XXX, XXXI, XXXII, LU; Tract. 25, 3o, in Joan; De civ. Dei, XI, c. XXVII: De Mayisiro, c. XI, etc. — Sur l'idée de Dieu considéré comme la suprême harmonie, Cf. De Ordine, II; De Musica, VI, c. X, XIV; Ep., loi ; Serm. 17 De Verb. Ap. — Cf. M. Ravaisson, ouv. cit., vol. II, passim. - De Trin.y VIII, c. III. — Personne n'expose mieux, au point de vue spécial de la controverse avec les onlologisles, la doct-ine augustinieni e que A. Lépidi, en son livre précité, pp. 190 et suivantes. ( 148 ) nement, présenté sous vingt formes différentes, est d'une singu- lière fciiblesse. La faeullé abstractive de l'esprit suffît à dégager les types essentiels des choses et à les isoler de toutes les condi- tions de temps, de toute forme particulière. Mais en est-il moins vrai que l'argument précité est familier aux ontologistes? Eh bien, toutes les fois qu'il analyse le procédé par lequel l'homme s'élève jusqu'à Dieu, Anselme tient la commune doctrine des Docteurs. Dans les premiers chapitres du Monologue, il établit longuement l'existence de l'Être absolu par la considération des multiples degrés de perfection que révèlent à l'observateur les èircs de la nature *. Il signale ensuite la causalité transcendante de l'Absolu à l'égard des choses finies, ce qui l'amène à marquer leur rapport idéal avec la Raison éternelle, où subsistent les formes diverses représentées dans l'univers. — Traitant des noms par lesquels l'homme exprime la substance divine, Anselme insiste sur leur caractère purement analogique : < Puis donc qu il est certain, dit-il, que rien de ce qui appartient à cette nature ne peut être saisi par ce qu'elle a de propre, mais seulement par la vue de quelque chose que Ton puisse lui comparer au moins de loin, il est certain que l'on parvient à la connaître d'autant mieux que l'on prend, pour objet de comparaison une chose qui lui res- semble davantage 2. » Ici bas, nous ne connaissons la Divinité que par une vue spéculaire et à travers un voile énigmatique. L'âme humaine, faite à son image, est son plus fidèle reflet. — IVulle part, nous n'apercevons la moindre mention de l'identité des Idées absolues avec l'Essence ou l'Intelligence divine. La théorie des types exemplaires, si longuement développée par Anselme, provoquait cependant d'elle-même cette explication! 3Iais il faut l'enlendre dans sa réponse à Gaunilon de Marmou- tiers : « Puisque tout bien inférieur, dit-il, est en tant que bien semblable au Bien supérieur, il est évident, pour tout esprit rai- sonnable, qu'en nous élevant des biens inférieurs aux biens supé- ' C.I-V. * G. XVI. — « Cum igitur pateal quod nihil de hac Nalura possit percipi ■> per suam proprietatem, sed p^r aliud^ cf^rtum est quia per illud magis ad » pjus cognilionem aecedilur, quod illi magis per similitudinem proninquat. » ( U9 ) rieurs, nous pouvons en concevant ces choses au-dessus desquelles il est possible de penser quelque chose de plus grand, conjecturer beaucoup louchant 1 Être au-dessus duquel rien ne ])eut être pensé de plus grand •. » Voilà bien la démonstration accoutumée des Écoles, la preuve inductive de la Cause première. A qtioi aboutit elle, dans ia pensée d'Anselme? A permetlre des raison- riemenls, des conclusions vraies, sans doute, mais simplement approximatives et au fond inadéquates sur la nature d»; 1 Infini. D'une inluilioij des Idées divines, nulle trace chez notre Docteur. C'était néanmoins le cas d'en parler. — Il est vrai, les onlologistes prétendent que les Pères et les Docteurs ont professé deux sortes de connaissances de Dieu: l'une synthétique et primitive, résultant de la perception directe de l'Infini, sans interposition d'aucune idée intermédiaire; l'autre réflexe et analytique, provoquée par le spectacle des créatures. — Dans le jirésent débat, cette distinction ne sert en rien leur cause! En la dispute d'Anselme avec Gau- nilon, il s'agissait précisément de la dén^onslration de l'existence de Dieu tirée de son idée. L'habile péripatélicien avait touché au vif l'argument si cher au vénérable Prieur du Bec. Il lui op|)Osait l'impossibilité de trouver dans le monde créé et dans l'esprit une représentation adéquate de l'Infini. C'était assurément sou- lever la question de la preuve synthétique! S'il avait eu foi dans lintuilion des onlologistes, Anselme n'aurait eu qu'à signaler dans l'idée de ÏÈlre le plus grand le Dieu Infini qui s"y révèle! En décrivant la manière dont nous nous élevons par le spectacle du monde jusqu'à son Auteur, il nous avertit que, selon lui, l'idée de l'Infini est ujie Idée intermédiaire, un produit de l'analyseet de l'abs- traction. Un philosophe (|ui professe une telle doctrine, en de pa- reilles circonstances, j-ecommande-t-il Tontologisme? N'hésitons pas à le dire: Ou Anselme n'a })as vu toute la valeur qu'aurait eue pour lui l'argument tiré de l'intuition directe de la Raison Absolue; et ^ « Qiioniani iianique omne minus hoiium, in lanlum est simile majori » bono, in quantum est bonum , |)alet cuilibel lalionabili menli, quia de bonis » minoribus ad majora consct iidendo, ex bis quibus al.quid majus cogitari » polest, multa possumus conjicere circa illud quo nihil potesl majus cogi- » tari. » {C VIII.) { dSO ) dans ce cas que personne n'oserait admettre, quel intérêt les onto- logistes ont -ils à se réclamer de son patronage? ou bien, il a com- pris toute la portée de la question; et puisqu'il en est ainsi, impossible d'en faire un précurseur de Malebranche. C'est la réponse à Gaunilon qui nous éclaire sur l'opinion d'Anselme : en style auguslinien, il s'y rallie à l'ordinaire doctrine des écoles K Cela soit dit pour certains écrivains qui ont imaginé un double Anselme : le Régent du Bec et l'Abbé. Celui-là aurait tenu la théorie commune : celui-ci aurait été partisan de la vision. Franchement, le second Anselme ne paraît pas plus ontologiste que le premier! Quelques critiques ont cru trouver en divers textes de S. Anselme une négation plus directe de l'Ontologisme. Dans la partie du Prosloge où il expose la façon dont nous parvenons à la connais- sance de Dieu , il avoue qu'il est inaccessible à l'esprit de l'homme. « Seigneur, s'écrie-t-il, mon Dieu, mon Créateur et mon Répara- teur, dites à mon âme brûlante de désir, dites lui ce que vous êtes autre que ce qu'elle a vu, afin qu'elle voie purement ce qu'elle désire. Elle s'efforce de voir plus, et elle ne voit au delà de ce qu'elle a vu rien que des ténèbres. Ou plutôt, elle ne voit pas de ténèbres; elles n'existent point en vous : mais elle voit qu'elle ne peut rien voir de plus à cause de ses propres ténèbres. Pour- quoi cela. Seigneur, pourquoi? Son œil est-il obscurci par sa fai- blesse ou ébloui par votre splendeur? Oui, certes, il est obscurci en lui-même et ébloui par vous; en effet, il est arrêté par sa faible portée, et il est accablé par votre immensité : véritablement, ses bornes étroites le resserrent et votre grandeur illimitée le dépasse. Vraiment, Seigneur, c'est là la lumière inaccessible que vous ha- bitez : car il n'y a point d'autre être qui la pénètre pour vous y voir clairement; et la raison pour laquelle je ne vous vois pas, c'est ■ Malgré les déclarations si explicites d'Anselme sur l'emploi des intermé- diaires créés dans la démonstration de l'existence de Dieu, M. Hauréau écrit à ce sujet ces paroles : ^< Dans la doctrine de Platon , le fondement de toute certitude, c'est l'idée, l'idée pure dont l'origine est en Dieu. Dieu l'envoie directement à sa créature, sans faire usage d'aucun intermédiaire terrestre. Voilà ce que répète S. Anselme. » {Athenœum français, n" du 18 février 1854.) ( Vô\ ) ([u'elle est trop forte pour moi. Et cependant tout ce que je vois, je le vois par elle, de même que l'œil faible de mon corps voit tout ce quil voit par la lumière du soleil qu'il ne peut contempler dans le soleil même. Mon esprit ne peut pas regarder cette lumière en face : elle brille trop fort , il ne se l'assimile pas : l'œil de mon âme ne peut longtemps fixer son regard sur elle; il est ébloui par son éclat, il est dépassé par sa grandeur, il est accablé par son immensité, il est confondu par son étendue ^ » Il semble donc que toute la science de Dieu qu'Anselme reconnaît à l'esprit est purement analogique. Nous le connaissons indirecte- menty à peu près comme on connaît l'artiste à ses œuvres. — Ces considérations ne sont pas celles qu'on a coutume de rencontrer chez les ontologistes. Cependant ce n'est pas sur elles que je voudrais m'appuyer pour prouver qu'Anselme n'a pas enseigné la vision directe des idées. On pourrait répondre, non sans quelque succès, que dans toutes ces déclarations sur l'incom- préhensibilité dé Dieu, notre Docteur entend parler seulement de la compréhension de la Raison et de l'Essence divine. En plusieurs endroits, c'est la Sainte-Trinité qu'il désigne sous le nom de ' a Domine Deus lormator meus et relbrmalor meus , die desideranli ■> animae meae quid aliud es quam quod vidit, ut pure videat quod desiderat. ■ Inleiidil se ut plus videat, et niliil videt uKra lioc quod videt nisi tenebras; ' imo non videt tenebras, quae nullae sunt in le, sed videt se non plus posse » videre pi opter tenebras suas. Cur hoc, Domine, cur tioc ? Tenebratur oculus ^< ejus intirmit;Ue sua, aut reverberatur fulgore luo ? Sed certeel tenebratur ■' in se, et reverberatur a te. Utique et obscuratur sua brevitate, et obruitur tua immensitate. Vere et conlrahitur angustia sua , et vincitur amplitudine > sua. Quanta namque est lux illa, de qua micat omne verum, quod rationali « menti lucet! Quam ampla est illa veritas,in qua est omne quod verum est, ■• et extra quam non nisi nihil et faisum est!... (C. XIV.) Vere, Domine, liaec •■ est lux inaccpssibilis , in qua habitas; vere enim non est aliud quod hanc » penelret , ut ibi te pervideat. Vere ideo hanc non video, quia nimia mihi est; » et lamen quidquid video, perillam video; sicut inflrmus oculus quod videt, ' per lucera solis videt, quam in ipso sole nequit aspicere. Non potest inlel- » lectus meus ad illam ; nimis fulget,non capit illam, nec suffert oculus .' animae meae diù inlendere in illam. Reverberatur fulgore, vincitur ampli- » tudine, obruitur immensitate, confundilur capacilate. « (C. XVI.) — Voir de Aguirre : Theol. S. Jnselmi, I, p. 188. ( ^52 ) l'Être Suprême (Summa Natura). L'nrgiiment semblerait nul aux oiilologisles qui ne l'evendiquenl à la raison que la seule intuilion de l'infi/ii, eomme principe des Idées et des Vérités absolues. — D'autres écrivains ont également insisté sur quelques passMges de la Méditation XXI, où il est uniquement queslion de l'Essence et des attributs immanents de la Divinité. Anselme s'y exprime ainsi : « Si vous êtes partout, Seigneur, pourquoi ne vous vois-je pas j)résenl? Mais certes, vous liabitez une lumière inac- cessible. Et où donc est cette lumièie inaccessible? Connnent par- viendrai-je à cette lumière inaccessible, ou qui m'y guidera afin que je vous y voie?... Il n'y a aucun être ici-bas qui puisse y pénétrer pour vous voir... 0 suprême et inaccessible Lumière, ô sainte et bienbeureuse Vérité, que Vous êtes loin de moi qui suis si près de Vous! Vous êtes partout entièrement présente, et je ne Vous vois point I Je me meus en vous, je vis en Vous, et je ne puis m'aj)proclier de Vous! Vous êtes au dedans et à 1 enlour de moi, et je ne Vous sens j)oint ' ! » Dans ce passage, Anselme n'a pas parlé une seule l'ois de I au- guste Trinité. C'est bien de 1 Essence divine qu'il en-eigjie l'invi- sibilité essentielle. Mais à cela, les ontologistes répondront dere- chef qu'Anselme ne rejette ici que la vision claire de la Divinité en soi, imn une certaine vue de Dieu, en tant qu'il est 1 Etre Infini, le principe des Essences. — La thèse de l'intuition liniilée et obscure de l'Essence divine est, aux yeux des meilleurs juges, un pur leurre. Elle est d'autant plus illusoire, dans le préseiit débat, qu'en ro[)uscule tbéologique : Sur la procession du S, Esprit, Anselme lient expressément que « celui qui voit ce en quoi les * « Si ubique es, cur non le video |)raes«^ntem ? Sed eerle habilas lueeni y inaccessibiii m Et iibi est lux inacce.>S!bilis? aul quomodo accedam ad lucem » inacce-isibil; m? Aul quis nie ducet in illani, ut videam le in illa?... Vere i> enini non est aliqiiidquod hane penenel ul il»ile videal. . 0 summa et iuae- " cessibilis lux, o sancta et bcala veiiias quam loi g^'es a me, qui lam prope » sum libi ! Quani remola es a conspeclu meo qui sic praesens sum eoiispeolui V tuo ! UInque es tola praesens, el non video le! In le moveor, el in le sum. T» et ad te non possum accederoi Intra me et circa me es, el non senlio tel »> {Ed. 'Gerber. , |.p. 24 1 -U2.) ( 153) personnes Divines sont un ne peut voir l'une d'enire elles sans voir les deux antres ^)» Ce lexle insinue elairenient (jn'à son avis, l'apereeplion de risssenee divine implique celle de loule la Sainte Trinité. Quoi qu il en soit de cet endroit, je ne dissimule pas que les passages du Prosloge offrent, à des gens prévenus, quelque matière à eliieaner. Dans le ehanip clos de lexégcse, les disciples de Malehranche prétendront (pi'Anselme n'a rejeté que la vision claire de Dieu. A celle-là aussi, sans nul doute, ils appliqueront ces autres paroles de \ Homélie IV de S. Matlhiet( , où le S. Doc- teur dit que la vue distincte de la Divinité ne peut être le ternie de nos proj>res forces, mais que Jious y parvenons par la grâce de Dieu 2. Ils i]ionlreront les textes où il est écrit que l'œil de Tàme est trop faible pour fixer longtem])s son regard sur celle lumière. Vous voyez bien, diront-ils, qu'on peut la fixer au moins un peu, cette diviiîc lumière! Nous ne demandons pas davantage. — Ils indiqueront d'un doigt malin, dans la réponse à Gaunilon, la comparaison où Anselme représente Dieu comme le soleil que nous voyons sans en pouvoir soutenir léclat Je sais bien que le S. Docteur emploie la même comparaison à propos de la vision béatifique ^! Mais nos zélés contradicteurs n'auront pas grand souci de cela. Les passages du Prosloge leur sembleront décisifs. Ils le paraîlront un peu moins, dès qu'on les rapprocbe de la Réponse à Gaunilon qui leur est ])ostérieure en «laie. Là, pour nous, est la vraie, la com|)!ète solution du problème. C'est dans l'ensemble de sa doctrine qu'il faut cberchcr le sentiment d'An- selme. Prétendre l'extraire de textes isolés, ccsl faire un anacbro- nisme, et oublier les habitudes littéraires du Xi^siècle! — Ce qui est plus frivole encore, c'est l'engouement que mettent les ontologistes à tant se |)révaloir de la comparaison « du soleil », employée par Anselme, au sujet de notre connaissance de Dieu. « Tout ce que < « Quoiiiam qui vidot lioc in quo u7W7n surit Paler et Filius el Spiiilus i> Sauclus lioii potesl videre unum de his U'ibus sine aliis duuijus. » (C. XIX, Éd. Gerb. p. r.8.) 2 « Quae (Lux) inaccessil)ilis est viribus nostris, sed accedilur ad eam mu- j> neribus diviuis. » (Éd. Gerô., p. 164.) 5 Hom. IV, in Ev. Mat th., 1 c. ( 154 ) je vois, s'écrie le S. Docteur, je le vois par la lumière de Dieu , de même que l'œil faible de notre corps voit tout ce qu'il voit par la lumière du soleil qu'il ne peut contempler dans le soleil lui- même *. » Ils mettent en regard de ces paroles cet autre texte de la Réponse à Gaunilon : « Que si vous dites que l'on ne conçoit pas dans l'intelligence ce qu'on ne conçoil pas (ou ce qu'on ne comprend pas) entièrement , vous devez dire aussi que celui qui ne peut pas regarder la très-pure lumière du soleil ne voit pas la lumière du jour qui n'est autre que la lumière du soleil 2. » De ces passages on conclut qu'Anselme admettait î/^e certaine vision de Dieu, bien qu'elle ne fût ni complète, ni même distincte. Nous savons déjà que pour Augustin, voir c'est connaître :il en est de même d'Anselme. 11 a pris soin de nous indiquer en plus d'un endroit que la connaissance de Dieu est purement analogique, déduite de la considération des créatures. Pour justifier les paroles alléguées, n'est-ce pas assez que la connaissance de Dieu, en tant qu'il est le Principe exemplaire des créatures et la Cause supé- rieure de la science de l'homme est elle-même mêlée dombre, indirecte, semblable au reflet de la vision spéculaire? En soi Dieu est le radieux soleil de Vérité dont la clarté ne peut être contemplée que par les élus, à l'éclat de la lumière céleste: ses rayons descendent jusqu'à nous par la révélation et par la créa- tion, par le canal de la grâce et par celui de la nature. La science de Dieu communiquée par la parole révélatrice est à la fois « lumière et ténèbres, » comme parle Anselme après le pseudo- Dcnys. Dans leurs méditations le philosophe, le mystique peuvent remonter des créatures jusqu à la Cause première et parfaite, jusqu'à la lumière toujours présente à l'âme. Mais celle-ci même, la raison ne l'atteint qu'à travers le voile des phénomènes : elle ne saurait la fixer longtemps sans se troubler. L'œil de l'homme, ' « ... Quidquid video perillam (lucem) video; sicut intirmus oculus quod » videt per lucem solis videl quam in ipso sole nequit aspicere. » {Mono!., c. XVI.) 2 « Quod si dicis non inlelligi et non esse in intelleclu, quod non penitus ') intelligilur, die, quia qui non polest inlueri purissimani lucem solis, non •> videt lucem diei quae non est nisi lux solis. » (C. I.) { 155 ) entravé par les sens et le poids du corps, ne saurait s'arrêter à la contemplation de l'élément supérieur de la connaissance. Ce sommet de la spéculation donne vite le vertige : le regard est trop faible pour regarder en face la lumière qui brille sur ces bauteurs. Mêlant aux déductions rationnelles les fervents entbousiasmes de l'amour, Anselme traduit ces idées en ce cri où nous avons entendu vibrer toute son âme : 0 lumière suprême et inacces- sible! 0 Vérité totale et bienbeureuse! Combien tu es éloignée de ma vue, tandis que je suis si présent à la tienne! Tu es partout tout entière présente, et je ne te vois pas! Je suis en toi, et je ne puis m'élever jusqu'à toi! Tu es partout répandue, et je ne te sens point ! Cette interprétation n'est pas celle des ontologistes, sans doute! J'ose croire qu'elle est fondée en raison, et qu'elle seule est con- forme à la doctrine générale de notre S. Docteur. Disons aussi qu'elle est en parfaite barmonie avec les vues d'Augustin, auquel Anselme a emprunté sa comparaison tant exploitée. « La raison qui te parle, dit le Docteur africain, promet de montrer Dieu à ton esprit, comme le soleil se montre à tes regards. Les sens de l'âme représentent les yeux de ton esprit : les principes évidents des sciences sont le symbole des choses éclairées et rendues visi- bles par le soleil, comme la terre et tout ce qui s'y trouve. Dieu est celui-là même qui éclaire. Et moi, la raison, je suis dans l'esprit, comme la faculté de voir est dans l'œil ^ » Pour Augustin, Dieu est donc le soleil de l'âme, la lumière immédiatement pré- sente à notre esprit. Mais les vérités absolues ne sont pas w« rayon directement perçu de l'astre : elles ressemblent aux êtres qui reçoivent et réflécbissent son éclat; elles en sont essentiellement ' « Promittil enîm ratio, quae tecuni loquitur, ila se demonstraturam Deuni luae menti , ut oculis sol demoiislratur. Nam mentis quasi sunt oculi seiisus )' animae : disciplinarum autem quaeque certissima lalia sunt quae sole « illustrantur ut videri possint, veluli terra et terrena omnia. Deus autem est )i Ipse qui illustrât. Ego autem ratio ita sum in mentibus, ut in oculis sit » aspeclus. {SoUL, l,c. VIII ) ~ Voir sur tous ces points H. J. Kleutgen,S.J. Philosophie der Vorzeit, vol. II, p. 800 sqq , et la savante brochure du même écrivain : De VOntologisme. ( )S6 ) distinctes. Elles sont aussi éloignées de Dieu, comme nous i'a déjà appris Augustin, « que le ciel est distant de la terre. » — Notre raison enfin, nos facultés aperceplives mues et dirigées par Dieu correspondent, dans la comparaison, à la puissance optique de l'œil, apte à discerner les objets, grâce aux ondulations du fluide étliéré(|ui lui sonl immédiatement présentes. Augustin, en langage platonicien, explique ainsi sa comparaison. Mais en même temps le maître fait comprendre le disciple; ni l'un ni l'autre n'a cru à une vi-ion directe de 1 Essence absolue ou des exemplaires divins. Nous devions ces éclaircissements à la théorie idéologique d'Anselme, à cause des querelles qu'elle a soulevées en ces der- nières années. Pour notre compte, nous n'attachons qu'une fort médiocre importance à toute celte exégèse. Les Platoniciens de tous les temps ont un style trop affranchi de la précision scienti- fique, pour qu'il y ait grand profit à faire scrupuleusement Tana- lomie de leurs paroles. Le lecteur s'en est déjà aperçu. Comme S. Augustin, Anselme mêle sans cesse les élévations mystiques à ses conceptions d'idéologie : presque jamais il ne sépare la spécu- lation pure des données de la révélation. Cela est surtout vrai de ses développements sur la connaissance de Dieu. A tout prendre, l'intuition des idées en Dieu ne s*est pas plus posée devant son esprit que linduction péripatéticienne. A cette époque, pour un génie aussi large, aussi ardent, ces problèmes n'auraient eu qu'un médiocre intérêt. Même s'il avait vécu de nos jours, Anselme aurait souri quelque j)eu de reirervescence qu'ils causèi'cnt dans l'École. Il n'eût rien compris surtout à l'enthousiasme de ceux-là qui cherchent dans ses traités des armes pour la cause de l'ontologisme. Au-dessus des vues systématiques, il n'eut qu'un souci : celui de retracer les aspirations natives de l'âme vers Dieu, vers l'Infini, et le lien qui rattache l'esprit à l éternel Moteur. Là-dessus même, il s'est plutôt livré à de fervents épanchements qu'à uneexposilion raisonnée. Quel embarras de saisir, parmi ces monologues émus, le sentiment de notre Docteur sur les conditions de la science de l'Absolu? C'est pour ces motifs que nous l'avons cherché surtout dans sa réponse à Gaunilon, et dans ses vues générales sur les preuves de l'existence de Dieu. Nous nous croyons en droit de ( 157 ) résumer sa théorie h cet égard dans la sentencieuse formule du Monologue : « li est évident qu'on ne peut rien connaître de cette suprême Nature par ce qu'elle est elle-même, mais seulement par autre chose *. » La confusion (jue la théorie de l'intuition a introduite jusque dans les éléments de la science nous ohlige à placer ici une der- nière observation. Les Pères et les Docteurs mettaient dans le rapport des êtres crcês et de l'esprit humain avec l'absolue Rai- son le puissant soutien de l'objectivité de nos connaissances : mais ils n'ont jamais prétendu, avec les faux mystiques, faire de l'idée de Dieu la base loi^ique de I Ontologie, de la Morale, de l'Idéo- logie surtout. Ils tenaient que l'esprit de l'homme, allant du connu à l'inconnu, sélevant des créatures jusqu'à l'invisible Créateur, trouve avant tout dans Tévidence des premiers principes et dans les lois de ses facultés, la démonstration de la vérité. Nous l'avons entendu : Anselme lui-même n'a eu garde de méconnaître ce pro- cédé. Avec Aristole, il met dans l'absolue nécessité des notions, dans l'évidence, le signe de leur légitimité, le dernier critère de la certitude. Au point de vue de la pure méthode, l'Idéologie et la Métaphysique peuvent être traitées à part de la Théodicée : elles ont leur objet et leur sphère [)ropres; elles constituent des sciences distinctes, en un sens indépendantes. Elles possèdent dans la rai- son et la conscience leur rèu;le, leur principe. Ceux qui nient d'une façon absolue la possibilité d'instituer la logicjue et la psychologie en dehors de Vidée de Dieu, s'exposent à plus d'un mécompte. Leur zèle intempérant assure au scepticisme un crédit dont ils ne triompheront qu'en se jetant dans le panthéisme. — La source de cette erreur prolongée est connue. Certains esprits s'obstinent à confondre l'ordre ontologique des questions avec leur ordre logique, la réalité avec la méthode. L'Ab olue Essence est la suprême liaison et le Bien infini. Eile est la source supérieure de toute certitude. Pour être traitée d'une manière complète, la synthèse scientifique doit impliquer le rapport transcendant des intelligibles avec l'Intelligence première. Mais, comme le disait » G. LXVI. ( 158 ) déjà Plotin, c'est là le couronnement, la fin du procès rationnel, non son commencement. L'esprit, en vertu de sa loi constitu- tive, monte de l'effet aux causes, de l'être individuel au jjrincîpe universel, à Dieu. C'est seulement après avoir gravi ces degrés qu'il peut redescendre de Dieu aux créatures , et saisir dans toute leur splendeur ces rayons émanés de 1 Infinie Pensée, donnant à tout ce qui existe sa raison, sa réalité, son éclat. On le conçoit pourtant : la distinction de l'ordre réel d'avec l'ordre intelligible est tellement élémentaire qu'on ne peut exiger d'un philosophe qu'il l'expose en toute occurrence. Sans en contes- ter la vérité, les Docteurs ne pouvaient, à chaque instant, muti- ler à son profit, la démonstration complète du problème de la certitude. De là, en leurs plus nobles travaux, les considérations tirées des rapports de la raison créée avec rintelligence absolue. Leur idéologie est aussi élevée que féconde, mais elle présuppose des connaissances préliminaires, qu'ils ne pouvaient songer à rappeler sans cesse. Comme plusieurs de ses contemporains, Anselme fut beaucoup plus écrivain que professeur. On ne s'étendait pas beaucoup, au moyen âge, sur les questions de méthode. La théodicée avait pénétré si fort la i)hilosophie qu'on embrassait volontiers dans une même vue Tordre ontologique et l'ordre idéal •. Il en était delà philosophie comme des rapports de l'Église et de l'État : on en pouvait parler avec une simplicité confiante à une époque où l'élément divin était le centre commun où convergaient toutes les ^ iXous avions terminé notre ti avait, lorsque nous avons rencontré dans un livre de grand mérite d'un savant Italien l'expression des mêmes vues. Résumant le système du maître par excellence de la métaphysique chré- tieime, S. Augustin, voici comment s'exprime S. A. Lepidi : « Animadvertendus •1 est processus Auguslini in cognilione : ipse jysychologicus-theologicus nobis ) esse videtur . Psijchologictis quideni dum veritatem inquirit, tune enim a ) cognitione rerum creatarum incipit, polissime vero a cognilione sui , et aie ' gradatim , per lucem intellectivam quae est facullas animae, usque ad Deum ' assurgil. Thcolugiciis autem, cumaliis scientiam tradit, ac de rébus jiidi- , cat, tune enim aninms, juxta S. Doctorem , cognitione Dei iiiformatus atque imbuias^ idealitcr manens in Deo, tanquam in causa eniciente, exemplari, V fundamentali et ultima omnis entis et omnis veri, veluti e spécula, sùb illa ( IS9 ) sciences , toutes les institutions. Les susceptibilités de la critique, et aussi les excès de quelques idéalistes, nous obligent désormais à mieux délimiter dés domaines distincts. Au fond, ne nous en plaignons pas! Cette exigence a donné à la science de la précision, sinon de l'élévation, de la profondeur. Or, pour être qualités secondaires, la clarté et la précision n'en sont pas moins indispen- sables en philosophie. Par delà ces questions de détail, la noble Idéologie dont nous avons esquissé les principaux trails, ralliait chaque jour de nou- veaux partisans. Le Docteur de Sainte-Marie du Bec l'avait recommandée, avec le prestige de son autorité et de son orthodoxie, aux Maîtres des grandes Ecoles chrétiennes. S. Thomas d'Aquin, le plus influent des Docteurs, consacra ces vues en plusieurs endroits de ses œuvres. Voici comment il s'exprime dans son Opuscule sur le pré- tendu traité de la Trinité par Boèce : « Augustin dit très-bien dans son VIII^ livre sur la Genèse : L'air est éclairé par la présence de la lumière, et dès qu'elle se retire, il devient ténébreux. Ainsi notre esprit est illuminé par Dieu. C'est Dieu qui produit la lumière de la raison nalurelle dans l'àme , non par une lumière différente en chacun, mais la même pour tons. Il n'est pas sim- plement la cause de leurs actes, mais aussi de leur èivt.Dieu opère continuellement dans notre esprit, en ce sens qu'il y produit la lumière naturelle et qu'il la dirige lui-même, et de cette façon, l'esprit ne passe point à son acte (de connaître) sans l'opération delà Cause première. . Par cela que Dieu nous donne et conserve ) liice de omnibus judicat, ac onines docet. Hune processum magni habuit 1 Augustinus, eumque passim in suis operibus alteri anleponit. Et merito •> quidem; non enini decet sanctitatem scienliae crealae, quae est velulipurus I radius divinae lucis, a suo /b?}/e separari. In hujusmodi processu quoque ■) immensilas Dei, ac nosira dependenlia ab ipso in majori evidentia ponilur » et inslantius praedicalur. » — De Ontologismo, p. 219 , Lovanii, 1874; c. I, pp. 303r304. Voir mon compte rendu de cet ouvrage, Revue cath.^iv de mars, 1874.— Voyez aussi sur ces points délicats, LEJBMTz:Le^frf? à il/, iîemo/jd dans le Recueil DE PIÈCES, t. Il, p. 545, et \e Précis de philosophie de M.CIi.Bénard, prof, au lycée Cliarlemagne , pp. 494, suiv. et pp. 596, suiv.,7«' éd.; Paris ^ 1872. { 160 ) en nous la lumière naturelle (de la raison) et la dirige afin qu'elle voie, il est manifeste que la perception de la vérité doit lui être attribuée princi[)alement, de même que l'opération de l'ouvrier doit lui être attribuée plutôt qu'à l'art même '.» — C'est l'appli- cation du principe que le Docteur avait posé ailleurs : « Il n'est point besoin d'une nouvelle addition de luinière rationnelle pour la comiaissance des vérités auxquelles s'étend d'elle-même la rai- son naturelle, mais bien d'une opération divine. Car, à part de l'acte par lequel Dieu a créé les êtres et a donné à cliacun d'eux sa forme et la faculté de produire son opération propre, il opère encore dans les cboses, par son concours providentiel ^ en exci- tant et en dirigeant les énergies de chaque être vers ses opéra- tions propres '^. » — Un interprète exact des Doctrines thomistes, H. J. Kleufgen, écrit très-justement (ju'il n'est question dans ce passage que de la seule évolution naturelle delà connaissance. Des vues analogues se rencontrent chez S. Bonaventure. A l'égal d'Anselme, le Docteur sérapbique trouvait plus d'at- trait dans l'élément ontologique de la connaissar.ee que dans son côté psychologique. Il tient que « la Divinité est pré- sente à l'âme par la vérité. » L'àme, image de Dieu, lui est immédiatement unie, et directement illuminée par Lui; Dieu * u Sicut dicit Augusliims : Sicut aer illumiiialur a liiniiiie praesenle, » quod si lueril absens, continuo leiiebialur, ila meus illustratur a Dec, et » ila eliam lumen natarah stmper Deus causât in anima, non aliud et » aliud, sed id>m; non enim est causa fieri ejus solum, sed etiam esse ipsius. » In hoc ergo conlinuo Deus operatur ni menlp , quod in ipsa lumen natu- » raie causal et ipsum dirigil, et sic mens non sine operaiione causae pri- » mae in suam operaliouem procedil... Hoc ipso quod Deus in nobis lumen y nalurale cunservando causal, et ipsum dirigit ad videndum, manileslum est » quod perceptio verilalis sibi praecipue adscribi débet; sicul operalio arti- ^) ficis malais adscribitur artifici quam arli.» {Op., TOsup. fJœTH^f/f Trinilate.) 2 « Quamvis non requiralur novi luminis addilio ad cojjuiiionem eorum ad » quae naluralis ratio se exlendit, requiiilur lamen divina operatio: praeler » oi)erationem enim qua Deus naluras rerum instiluit , singubs formas el vir- » Iules proprias iribuens, quibus possent suas operaliones exercere, operatur « eliam in rébus opéra providenliae, omnium rerum virlutes ad actus pro- » prios dirigendo el volendo. » {Ibid.) ( i61 ) est tout ensemble l'objet et la cause efficiente supérieure de la connaissance *. 11 serait superflu de multiplier ces citations : il n'est pas un Docteur considérable du moyen âge qui n'ait déve- loppé des vues pareilles. Après l'émotion causée par la Renaissance, la doctrine des rap- ports de la raison humaine avec l'Intelligence absolue redevient la question prépondérante en métaphysique. Tout le XVIP siècle en est plein. Dans leurs impérissables livres, Descartes, Pascal, Bossuet, Fénélon,Leibnifz, Malebranche, Thomassin reprennent la théorie de l'exemplarisme, et l'appliquent à l'idéologie avec une ferveur qui chez l'un ou l'autre de ces beaux génies va jusqu'à l'exagé- ration. Remarquable fait î Ce furent les grands mystiques de la ' « Inlelleclum autem propositionum tune intellecius noster dicitur vera- » citer comprehendere, cum certitudinaliter scil iUasveras esse, et hoc scire •' est scire quoniam non potest faili in illa comprehensione; sic enim soit quod " Veritas illa non potest aliter se habere. Scil igitur verilalem illam esse ■> incommulabilem. Sed cum ipsa mens noslra sit commulabilis, illam sic in- '• commulabiliter relucentem non polest videre,nisi per aliquem lucem omnino " incommulabiliter radiantem, quam impossibile est esse creaturam mutabi- ■' lem. Scil igitur in illa luce quae illuminât omnem hominem venientem in » hune mundum , quae est lux vera et Verbum in principio apud Deum. — ■> Intellectum autem illationis tune veraciter percipit noster intellectus, •> quando videt quod conclusio necessario sequilur ex praemissis, quod non ' solum videt in terminis necessariis, verum etiam in conlingentibus, ut si " homo currit, homo movelur. Hanc autem necessariam habitudinem percipit ). non solum in rébus eutibus, verum etiam in non entilus. Sicut enim in ■> homine existente sequilur : Si homo currit, homo movetur, sic, etiam non » existente. Hujusmodi igitur illationis nécessitas non venit ab existenlia rei " in materia, quia est contingens, nec ab existenlia rei in anima, quia tune ) esset tictio, si non esset in re. Venit igitur ab exemplaritate in arte aeterna, -' secundum quam res habent aptitudinem et habitudinem ad invicem,ad » illius aeternae artis repraesenlalionem. — Omnis igilur, ut dicil Augusti- » nus in libro de vera Religione, vere ratiocinantis lumen accenditur ab illa '> Veritate et ad illam pervenit. Ex quo manifeste apparet,quod conjunctus,sit » intellectus noster ipsi aelernae Veritati ; dum nisi per illum docentem nihil ') verum potest certitudinaliter capere. Videre igitur per te potes veritatem » quae te docet, si te concupiscentiae et phantasmala non impediant, et se -' tanquam nubes inter te et verilalis radium non interponant. » {Itin., c. ÏII.) Tome XXV. M ( i62 ) fin du XVI* siècle qui préparèrent ce mouvement. En s'unissant à l'Infini dans l'exlase du céleste amour et des contemplations sacrées, l'esprit humain crut avoir retrouvé la vivante philosophie. Aux argumentations abstraites se substituèrent des preuves où la raison, le cœur, l'imagination et le sentiment reconnurent une persuasion , un charme suprêmes. Ce fut un progrès. Par malheur, les préjugés contre l'École, accrédités par les Cartésiens et les partisans de Malebranche, furent cause qu'on négligea parfois d'apporter, dans le plus délicat problème de la science, Texacli- tude et la mesure. Tandis que, sans trop s'en douter, l'on reproduisait les plus chères théories des Scolastiques, quelques écrivains oublièrent trop la réserve de leur langage. Ils voulaient des démonstrations plus réelles, plus complètes. Ils en trou- vèrent de fort éloquentes, mais elles furent formulées dans un style qui en compromit la précision. Sans doute, les premiers d'entre ces hommes illustres gardèrent dans leur supériorité même un préservatif contre un semblable écart. Bossuet parle de l'élément supérieur de la connaissance comme Augustin et Anselme. « L'homme ne pourrait dominer le monde, s'écrie-t-il dans un passage qui résume toute son idéologie, s'il ne tenait à Dieu, créateur du monde; s'il n'avait en lui-même, dans quelque partie de son être, quelque art dérivé de ce premier art, quelques fécondes idées tirées de ces idées originales, en un mot, quelque ressemblance, quelque écoulement, quelque portion de cet Esprit ouvrier qui a fait le monde. Oui, il y a au-dedans de nous une divine clarté : un rayon de votre face, ô Seigneur, s'est imprimé dans nos âmes. C'est là... la première Raison qui se montre à nous par son image ^ » Comme Augustin, Bonaventure, Thomas d'Aquin,il proclame que l'âme humaine imparfaite et bornée ne pourrait saisir l'immuable au sein des phénomènes éphémères qu'à condition « de se tourner à Celui qui est immuablement toute vérité. » Il s'écrie : « C'est dans cet Éternel que les vérités éternelles subsistent ; c'est là aussi que je les vois. Ainsi nous ' Sermon sur la mort, p. 210. — Ap. Gratry, De la connaissance de Dieu, Il , p. 64. ( 165 ) les voyons dans une lumière supérieure à nous-mêmes, » Mais lui-même nous explique ces paroles : a II faut donc entendre, dit- il, que lame faite à V image de Dieu, capable d'entendre la vérité qui est Dieu même, se tourne actuellement vers son original, c'est-à-dire vers Dieu, où la vérité lui paraît, autant que Dieu veut la lui faire paraître 11 est certain que Dieu est la raison primitive de tout ce qui est et de tout ce qui s'entend dans l'uni- vers : qu'il est la vérité originale, et que tout est vrai par rapport à son idée originelle '. » N'est-ce pas l'enseignement traditionnel sur le rapport de l'esprit créé avec la Raison absolue se révélant à l'âme dans les lois qu'elle lui a données? — Fénélon ne parle pas autrement : « C'est la lumière de Dieu , dit-il, qui nous découvre les objets Nous ne pouvons rien juger que par elle. Cette con- naissance même des individus où Dieu n'est pas l'objet immédiat de ma pensée ne peut se faire qu'autant que Dieu donne à cette créature lintelligibilité et à moi rintelligence actuelle. C'est donc à la lumière de Dieu que je vois tout ce qui peut être vu actuel- lement ^. » Il est vrai, le célèbre évêque de Cambrai écrit ailleurs que « le même Dieu qui me fait penser n'est pas seulement la cause qui me fait penser, il en est encore l'objet immédiat... Tout ce qui est vérité universelle et abstraite est une idée. Tout ce qui est une idée est Dieu même ^. » Mais nous ne pouvons voir autre chose dans ces paroles que la vive expression de la pensée qui possède tout entier Fénélon : que les idées et les essences univer- selles, considérées dans leur suprême raison, sont la représen- tation des idées divines, et qu'ainsi elles nous mènent jus([u'à l'Absolu lui-même. L'idée de l'Infini elle-même n'est à ses yeux qu'une « image, » non une vue directe ''. — Il n'en demeure pas moins vrai que la préoccupation trop exclusive du facteur trans- * Connaissance de Dieu et de soi-même , c. IV, pp. 5-9. 2 Traité de r existence de Dieu, II, c. IV, n» 58. 5 Ihid., n" 50. * Voir là-dessus l'étude du P. Gratry sur Fénélon, dans l'ouvrage cité, I, p. 120. L'éloquent académicien y établit avec bonheur la différence de l'idéo- logie du XVII^ siècle avec ce qu'il appelle « l'éblouissemenl » de Male- branche. cendant de la connaissance a porté quelque ombre dans la raéta- phvsique de l'éminent Cartésien : il n'a pas rappelé assez ce que les Scolasliques ont tant de fois répété : que l'Absolu n'est que le fondement des Idées de la raison, et qu'il en est lui-même aussi distinct que « la terre l'est du ciel, «pour parler avec S. Augustin. Ce fut Malebranche qui le premier érigea la confusion en sys- tème. « Malebrancbe, dit le P. Gratry, confond deux vérités. Malebranche croit que notre idée naturelle de Dieu est la vue de Dieu même, directe, immédiate. Selon lui, la vue des créatures et la vue de notre âme ne sont qu'une vue de Dieu : nous ne voyons alors que Dieu qui opère en nous, à l'occasion de notre âme et du monde, les impressions, les sensations, les sentiments, que nous attribuons au monde et à notre âme. Malebranche ne dit pas comme S. Paul : « Nous voyons Dieu par les créatures,» il dit rinverse : « Nous voyons les créatures par Dieu. » Il paraît oublier ce texte évangélique : « Nul homme n'a jamais vu Dieu. » Et de fait, avons-nous, tels que nous sommes et naissons en ce monde, la vue directe et immédiate de Dieu ? Qui le croira ? Mais on com- prend S. Paul; on comprend qu'en voyant la nature et notre âme, et toute la création, nous avons réellement une certaine vue indirecte et implicite de Dieu, puisqu'il est la lumière qui nous éclaire et sans laquelle rien ne serait visible K » Sans l'avoir voulu , Malebranche altéra pour des siècles la pureté de la tradition méta- physique. Une foule d'esprits d'élite s'éprirent de son rêve gran- diose. Leibnitz et Gerdil , tout en le ramenant à une meilleure forme , lie parvinrent pas toujours à resaisir, parmi ce brillant mirage, la sévère réalité. Au lieu de tant plaisanter à propos des Scolastiques. l'on aurait fait sagement d'imiter leur exactitude, et de chercher dans leur idéologie la grandeur et la beauté esthétique qui s'y trouvent, malgré la sécheresse des formes et l'austérité des détails» Mais ce qu'il faut admirer dans l'incomparable sénat des philo- sophes du XV' II" siècle, c'est l'unanimité avec laquelle ils signalent dans la Raison infinie la source et la règle supérieure de la science humaine. On l'a écrit avec justesse : les dissentiments partiels s'ef- < Ouv. cit.,I,p.418. — Cf. R.P.DEDECKER,CoMr5c/epsj/c/ sui esse suam imaginem, ad sui similitudinem lanquam ex ejus impressione • formalam. Quameumque enim rem mens, seu per corporis imaginationem, > seu per ralionem eupit veraciter cogitare, ejus ubique sjmiliiudinem, quan- ^' lum valet, in ipsa sua cogilatione conatur exprimere. Quod quanto verius » facit, tanto verius rem ispam cogilat; el hoc quidem, cum cogilat aliquid >) aliud quod ipsa non est, et maxime cum aliquod cogilat corpus , cJarius " perspicitur. Cum enim cogilo noium mihi hominem absentem, formalur » acies cogilationis meae in talem imaginem ejus, qualem iliam per visum ( 174 ) « Par le langage intérieur de l'esprit et de la raison, dit-il, j'en- tends non le cas où l'on pense les mots qui expriment les choses, mais celui où Ton représente, par la force de la pensée, les choses elles-mêmes, soit futures, soit déjà existantes. » Une expérience fré- quente nous apprend que nous pouvons parler la même chose de trois manières différentes. Ou nous exprimons les ohjets par des signes sensibles, c'est-à-dire qui sont saisis par les sens corporels, et alors nous agissons selon la sensibilité physique: ou nous repré- sentons à notre pensée, d'une manière non sensible, ces signes au dehors; ou enfin, nous n'usons de ces signes, ni d'une manière sensible, ni d'une manière non sensible; mais nous représentons les choses intérieurement dans notre esprit, ou par l'imagination qui reproduit les formes corporelles, ou par l'intelligence, selon la diversité de ces objets. Je parle l'homme d'une manière diffé- rente, lorsque je l'exprime en prononçant ce mot Homme j différente, lorsque sans le prononcer, je pense au même mot; différente encore, lorsque mon esprit se représente cet homme, soit en reproduisant l'image de son corps, soit en songeant à sa raison. En reproduisant l'image de son corps, je me repré- sente sa forme sensible; en songeant à sa raison, je songe à son essence universelle, essence en vertu de laquelle il est un animal raisonnable mortel. Ces trois manières de parler ont leurs diverses expressions. Mais les signes de celle que j'ai placée la troisième et la dernière, n'étant point empruntés à des choses qu'on peut ignorer, sont naturels et les mêmes chez toutes les nations... On peut dire avec raison de ces signes qu'ils sont d'autant plus vrais qu'ils sont plus semblables aux choses dont ils sont les paroles (les Verbes), et qu'ils les expriment plus exactement ^« Comme l'àme de l'homme ne se /)e;is^ pas tou- >' oculoruni in inemoriamaltiaxi; quae imago in cogilalione verbum est ejus- » dem homiuis, quem cogilando dico Habel igilur mens rationalis, cum se » cogilando inlelligit, secum imaginem suam ex se natam, id est cogilationem » sui ad similiiudinem suam quasi sua impressione formalam, quamvis ipsa » se a sua imagine non nisi ralione sola sepaiare possil, quae imago ejus ver- ) bum ejus est. « (C. XXXllI.) * « Mentis autem sive rationis loeutiouem hic inlelligo, non cum voces ( 175 ) jours, mais qu'elle se souvient toujours d'elle-même, il est clair que lorsqu'elle se pense, le Verbe naît de sa mémoire; d'où il suit que, si elle se pensait toujours, son Verbe naîtrait toujours de sa mémoire, puisque penser une chose dont nous avons la mémoire, c'est la dire dans notre esprit; et que le Verbe de cette chose n'est que la pensée même formée par la mémoire à la res- semblance de la chose '. — Disons en passant que M. Bouchitlé , le traducteur élégant du Monologue, s'étonne de ce qu'en ce passage un penseur aussi exercé qu'Anselme admette en Dieu un passé, puisqu'il parle de sa mémoire. Mais le D' Tennemann avertit avec raison qu'en ce texte la Mémoire implique la conscience de soi. Les textes que nous avons rapportés sont les seuls où Anselme y rerum significativae cogilanlur, sed cum res ipsae, vel futurae vel jam » exislentes, acie cogitationis in mente conspiciunlur. Frequenli namque usu » cognoscilur, quia rem unam tripliciler loqui possumus. Aut enim res loqui- » mur signis seusibilibus, id est, quae sensibus corporeis senliri possunt, » sensibiliter ulendo; aut eadem signa, quae foris sensibilia sunt, inlra nos V insensibiliter cogitando; aut nec sensibiliter nec insensibililer his signis » utendo, sed ipsas res vel corporum imnginatione vel rationis intellectu. pro » rerum ipsarum diversilale, intus in noslra menle dicendo. Aliter namque )' hominem dico, cum eum hoc nomine , quod est homo, significo ; aliter cum » idem nomen tacitus cogito; aliter cum eum ipsum hominem mens, aut per » corporis imaginem, aut per rationem intuetur : per corporis quidem imagi- 0 nem, ut cum ejus sensibilem figuram imaginatur; per rationem vero, ut » cum ejus universalem essentiam, quae est animal rationale mortale, cogitât. » Hae vero très loquendi varielales singulae verbis sui generis constant ; » sed illius, quam terliam et ullimam posui, locutionis verba, cum de rébus » non ignoratis sunt, naturalia sunt, et apud omnes gentes sunt eadem. Et » quoniam omnia alla verba propler haec sunt inventa, ubi ista sunt, nullum » aliud verbum est necessarium ad rem cognoscendam, et ubi ista esse non » possunt, nullum aliud est utile ad rem ostendendam, Possunt etiam non » absurde dici tanto veriora quanto magis rébus, quarum sunt verba, similia » sunt et eas expressius significant. » V « Quoniam namque mens humana non semper se cogitât, sicut sui semper y meminit , liquet cum se cogitai, semper verbum ejus de memoria nascere- ') tur. Rem elenim cogitare, cujus memoriam habemus, hoc ut est mente » eam dicere; verbum vero rei est ipsa cogitatio ad ejus similitudinem ex )> memoria formata. » (.¥on.,c. XLVIII.) ( 176 ) décrit ou plutôt esquisse la formation des concepts directs. — Disons tout de suite que ses explications se retrouvent chez quel- ques-uns de ses devanciers et qu'elles sont manifestement inspi- rées par le Traité de la Trinité, de S. Augustin, que lui-même nous a indiqué comme la principale source de ses écrits. La dis- tinction des facultés de l'âme, tirée de leurs opérations propres est indiqué déjà par Alcuin, Rhaban Maur et Gerbert.Ne semble- t-il pas que le commentaire du célèbre maître d'Aurillac : de Rationali et ralione uti, où il distingue entre l'application de la raison et sa nature, ait été connu d'Anselme? Ce qui est certain, c'est que sa doctrine de lame est tirée presque en entier des œuvres d'Augustin, principalement des X et XI" chapitres du Traité de la Trinité. Comme Anselme, le Docteur d'Hippone regarde l'âme comme le principe vivificateur du corps, la cause de son unité organique '. Elle est immédiatement présente à tout le corps et à chaque partie en particulier, et se perçoit elle-même en chaque sensation 2. Elle s'atteint également dans ses actes rationnels, avec conscience et une entière certitude. Les sens ne sont que ses organes ^. Curieux détail ! Augustin ' « In quolibet animante magna et mirabilis animae vis est, quae illam ■" compagem (corporeami ineffabili permixlione vitaliter continet, et in quam ^) dam sui moduli redigit unilatem : cum eam non indifferenter, sed ul ita ^) dicam indignanter patitur corrumpi atque dissolvi. » {De Genesi ad litter , HI,c. XVÏ.) * « Quadam enim interiore, non simulata, sed vera piaesentia (cogitai )- anima),., vivere se, et meminisse, et intelligere, et velle se. Novit enim V baec in se nec imaginatur, quasi se extra se illa sensu tetigerit, sicut « corporalia quaeque langunlur... Vivere se tamen et meminisse, et velle et '> cogilare quis dubilet? » {De Trin., X, c. X.) — « Intima scientia esl,qua )) nos vivere scimus. In quo prorsus non metuimus, ne aliqua vere similitu- V dine forte fallamur; quoniam certum est eum qui fallitur vivere. » {Ibid.<, c. XII.) — « Nam anima non modo universae moli corporis sui , sed etiam » unicuique particulae illius iota simul adesl. » [Cont. Ep. Manich,c.\\\.) — << Sensus est certe omnis passio corporis non lalens animam. » (Lib. de quant, animae, c. XXV.)— « Sentire non est corporis, sed animae per corpus.» {De Gen. ad lilt , c XVI. ^ « Sensus quo anima per corpus ulitur, ipsejam nomine proprio sensus » dicilur. )> {De quant, animae , c. XXIIÏ.) ( 177 ) signale déjà dans le système cérébro-spinal le centre de trans- mission des sensations *. L'origine de l'âme reste, à ses yeux, un mystère profond. Il se rallierait à la doctrine qui veut que chaque âme soit immédiatement créée par Dieu, n'était la difficulté qu'il y trouve à expliquer la transmission du péché originel. 11 avoue du reste que ce sentiment est commun dans l'Église 2. Disons qu'en ce point Anselme ne fut pas arrêté par les scrupules de son maître. — Pour Augustin, élevé à l'école de Platon, la Mémoire a la signification multiple que nous avons retrouvée chez son vé- nérable disciple. Tantôt elle désigne l'ensemble des vérités-prin- cipes, que la raison fait apercevoir à tout homme dès le début de la vie intellectuelle. Augustin se rappelle les Alexandrins, lors- qu'il écrit que ces vérités sont comme cachées dans les pro- fondeurs de l'âme ^. Ailleurs la Mémoire est le trésor des idées et des souvenirs *. Elle signifie encore la conscience de soi, l'existence aperçue par la réflexion. C'est en ce sens qu'Au- gustin a pu dire que la Mémoire est présente à elle-même par soi et non par une image, par une espèce intermédiaire ^. — L'âme est la Mémoire, écrit-il ailleurs : elle s'y atteint elle-même. ' « (Philosophi) ipsum langendi sensum .qui per lotum corpus est, abeodem '> cerebro dirigi dicunt per medullam cervicis, et eam quae continetur ossi- > bus, quibus dorsi spina conserltur, ut inde se lenuissimi quidam rivull, qui >' tangendo sensum faciunt, per cuncla membra diffundant. » {De Gen. ad lit., Vil, c. XIII.) - Ep., 28, 157. — De anima et ejus origine, I, c. XIX, '' « Unde et qua haec inlraverunt in memoriam meam? Nescio quomodo ; » nameum ea didiei, non credidi alieno cordi, sed in meo recognovi, et vera » esse approbavi , et commendavi ei, tanquam reponens unde proferrem cum » vellem. Ibi ergo erant, et antequam ea didicissem; sed in memoria non " erant. Ubi ergo? Aut quare cum dicerentur, agnovi et dixi : ita verum est, >) nisi quia jam erant in memoria, sed tam remota et retrusa, quasi in caveis » abditioribus, ut nisi admonenle aliquo eruerentur, ea fortasse cogitare non » possem? » {Conf., X, c. X.) * Conf., X , c. XVII ; De Trin., XIV, c. III , jmssim. s « Num et ipsa (memoria) per imaginem suam sibi adest, ac non per seip- » sam ? Nomino quippe memoriam et agnosco quod nomino. Et ubi agnosco » nisi in ipsa memoria? Nihil tam in memoria quam ipsa memoria est, cum « anima sit ipsa memoria. » {Conf.j X, c. XV ) Tome XXV. 12 ( 178 ) Depuis qu'elle existe, elle n*a jamais cessé d'avoir conscience d'elle-même, de se connaître et de s'aimer. A l'égard des choses passées, la mémoire implique le souvenir. Mais à l'égard du pré- sent, le rôle de l'âme peut aussi s'appeler Mémoire, puisque l'âme est toujours présente à elle-même, de façon à pouvoir être saisie par sa propre pensée *. L'âme de l'enfant, dit Augustin, « se connaît, bien qu'elle ne puisse se penser, puisqu'elle est à elle- même sa propre mémoire ^. » — Nous avons retrouvé ce même sens chez Anselme. La doctrine des Idées-images à également été empruntée à Augustin par Anselme. Écoutons ces passages du Traité de la Trinité : Il faut tâcher d'entendre, dit le grand Docteur, que, quelque chose que nous connaissions, celle-ci engendre en nous sa connaissance. La science est le résultat d'un double facteur : le connaissant (sujet) et le connu. Ainsi l'esprit, lorsqu'il se con- naît, est à lui seul le principe de sa connaissance : il est l'objet connu en même temps que le connaisseur. Et il ajoute : L'objet que nous découvrons (par le raisonnement) peut être appelé engendré : il ressemble à l'enfant qui est conçu. Et où donc est-il conçu, cet objet, si ce n'est dans Taperception? Là il est engendré, comme si son image y était produite. Car, bien que l'objet que nous cherchons existait en soi, sa connaissance cepen- dant n'existait pas encore de fait ^. — C'est encore à ce point * « Quapropler sicut in rébus praeteritis ea memoria dicitur, qua silut ^) valeant recoli et recordari ; sic in re praesenti, quod sibi est mens, memoria » sine absurditate diceuda est, qua sibi praeslo est, ut sua cogilatione possit •> inlelligi. » {De Trin., XIV, c. XL) ' « Cum vero se non cogitât (mens pueri), lamen noverit se, tanquam ipsa « sit sibi memoria sui. » {Ibid.,c. V, et passim.) 3 « Liquido tenendum quod omnis res, quamcumque cognoscimus , couge- » nerat in nobis notiliam sui. Ab ulroque enim nolitia paritur, a cognoscenle ■> et cognito. Itaque mens, cum se ipsam cognoscit, sola parens est notiliae » suae; et cognilum enim et cognitor ipsa est... Quae autem reperiuntur, » quasi pariuntur : unde proli similia sunt. Ubi nisi in ipsa notitia? Ibi enim ^) quasi expressa formantur. Nam, etsi jam erant res, quas quaerendo inveni- » mus; notitia tamen ipsa non erat, quam sicut prolem nascentem depuia- )) mus. ^) {De Trin., IX , c. XVIII.) — « Formata cogitalio ab ea re quam sci- ( ^79 ) qu'il faut rapporter les sentences si connues : Par les choses contenues dans la mémoire, l'esprit lui-même est stimulé. Nous conservons en nous (dans notre mémoire) la connaissance acquise des objets, à l'instar d'un verbe '. — Par l'organe du sens corpo- rel , nous touchons un corps : ainsi s'imprime dans notre esprit, non le corps, mais une certaine ressemblance de lui. Sans cela, il n'existerait pas de sensation qui nous révèle les êtres extérieurs dont nous sommes entourés 2. Nous avons entendu les sommaires explications d'Anselme concernant l'efFormation des concepts. Les critiques ont noté qu'elles se résument dans la doctrine célèbre des espèces in- tentionnelles. — « Ces termes : images, corporis imaginalio , si- mi litiido , impressio, exprimere, écrit M. Hauréau , qui sont employés par Anselme pour énoncer la théorie des idées-ima- ges, des idées représentatives, n'appartiennent pas au langage de l'ancienne philosophie... 11 <îst manifeste que dans le sys- tème psychologique de S. Anselme, toute perception produit un fantôme, que l'imagination est une faculté moyenne entre les sens et la raison, que la mémoire est pleine d'idées im presses, et que tout acte de la pensée est une espèce expresse. C'est ce que tous les réalistes et la plupart des nominalistes répéteront jusqu'à la venue de Pierre de Verberie et de Guillaume d'Oc- cam ^. » — Ce n'est pas ici que nous pouvons placer une discussion approfondie de la fameuse théorie. Presque à son insu , ou du moins sans insistance, Anselme, se rappelant S. Augustin, en a » mus, verbum est nuod in corde dicimus » {De Trin., XV, c. X.) — « Gor- » pora omuia quae vidimus oculis corporels, per ipsarum imagines, quas » memoria lenemus, etiam absentia cogilamus : quorum imagines intixae » in memoria recordando revisuntur. » [Ibkl., XII, c. I.) ' ' et cognitum, oportet quod in sensu sit simililudo rei sensil^ilis, quantum ad » ejus accidentia; in intellectu vero sit similitude rei inlelleclae. quantum ad >' ejus essentiam: verbum igitur in intellectu conceptum est imago velexem- » plar substantiae rei intelleclae. » {Cont. Cent., IV, c. XI.) — 2. « Phan- » tasmata cuni sint similitudines individuorum, et existant in organis cor- >' poreis, non liabent eumdem modum exislendi quem babet intellectus » humanus ; et ideo non possunt sua virtute imprimere in intelieclum possibi- » lem. Sed virtute inlellectus agentis résultat quaedam similitudo in intellectu » possibili, ex conversione intellectus agenlis supra phantasmata : quae qui- ( 185 ) l'homme analyse ses représentations sensibles, les modifications de sa conscience, les idées de sa raison, qu'y trouvera-t-il? Des produits dont les perceptions des sens et de l'esprit, s'assimi- lant les choses réelles, ont fourni les éléments, et c[ue la lumière de l'entendement a idéalisés, combinés, classés. — En ce sens, l'harmonie de l'ordre réel et de l'ordre idéal se démontre et par le caractère fatal, nécessaire, despotique, si l'on veut, des sensations, des phénomènes de conscience et des principes intel- ligibles, et i)ar la portée objective du langage, et par l'invincible et instinctive tendance de l'homme à trouver dans chacune de ses facultés le réflecteur vital, immanent de son objet propre. L'ob- jectivité de nos connaissances, le rapport de nos aperceptions avec les choses est un fait d'expérience, d'instinct, d'évidence; c'est un phénomène irréductible. Ce fut pour les nominalistes un honneur » naluram speciei (universalis, seu esseiitiae). Et per hune modum dicilur " abslrahi species inlelligibilis a phantasmatibus; non quod aliqua numéro forma quae prîiis fuerat in phantasmatibus postmodum Qat in intellectu possibili. » {Summ. th., I, q. 85, a. 1 ) — « Hoc ipsum quod lumen intel- leclus agenlis non est actus alicujus organi corporei, per quod operetur, • sulficit ad hoc quod possit separare species inlelligibiles a phuntasmatibus. » {De spir. créât.., a. 10 ad 6.) — 3. « Dicendum quod species inteliigibilis se " habet ad inlellectum ut quo inleliigit inlelleclus... Sed quia intelleclus supra " seipsum refïecTilur, secundum eamdem reflexionem intelligil et suum intel- ' ligere, et speclem qua intelligil. Et sic species inteilecla secundario est id - quod inlelligilur, sed id quod inteiligitur primo est res, cujus species intel- ■ ligibilis est simililudo. « {Summ. th., I, q. 83, a. 2.) — 4. « Anima quasi Uansformata est in rem per speciem, qua agit quidquid agit : unde cum ■ intelleclus ea informatus est actu, verbum producit, in quo rem illam dicit. ■' cujus speciem habet. « {De natura Verbi intellectûs.) — Cf. Qua^st. disp. de Veritate, q. X, art. 4. — Op. de Verilate, q. II, a. 2. ( 184 ) un signe manifestant vitaleraent à ces organes l'objet qui les pro- voque. Cet ébranlement perçu par l'esprit lui représente l'objet. Qu'on appelle la perception idée-intei'médiaire , espèce impresse sensible ou copie de l'objet, avec Aristote, c'est affaire de nom '.C'est un signe, une image de la chose, un pur occident du principe con- naissant, non une entité absolue. Les Scolastiques, S. Thomas en particulier, le disent sans ambages. Ils notent surtout que l'im- pression représentative ou révélatrice de l'objet n'est qu'un mé- diateur entre l'être et la faculté, et tiennent que les sens y saisis- sent leur objet propre, sans s'arrêter à l'impression même, à peu près comme nous verrions notre image dans un miroir de la même forme et de la même dimension que nous K C'était d'avance réfuter Arnauld et les Écossais. — Après que les sens ont exercé leur opération sur l'être sensible , et qu'ils ont atteint dans la modification du moi la forme représentative de l'objet, commence le rôle de l'intellect. Sa fonction naturelle est de spiritualiser l'espèce concrète, par l'élimination des attributs individuels, contingents qui la circonscrivent. Cette abstraction fondamentale fournit directement à l'esprit le concept universel, l'essence de l'être matériel. Enfin, déterminé par ce type idéal, l'esprit l'exprime dans son verbe intérieur, qui est la notion intelligible de l'objet, le terme final de la connaissance 2. ' '( Efficilur operc' na^wr«e ut in (specie) a'iiquid cernalur ; natura auieni » non agit aliquid superflue, et ideo non excedit spéculum hoc, id est id quod » in eo (speciei niedio) videtur. » {De natura Verbi inlellectûs.) ' « Inltlleclus non inlelligit nisi factus unum aliquid cum specie, sed ipsa » specie informatus agii tanquam aliquosui, ipsam (i. e speciem) lamen non » excedens. Species aulem sic accepta semper ducil in objeclumpnmu/». )) unde manifestum est quod ipsum verbum inlellectûs perlicilur per actum » rectum (i. e. directum)..., quuni sil unum agens cum quo el species ipsa » efficilur unum spirilualiler in paiticipando vitam ejus... Haec autem species » quam hahel inlellectûs advenit sibi a re quam ipse non eslinluitus, sed » sensus . Quia igilur res inlelligibilis eo ipso inlelligilur quo inlellecio for- » malur sua specie aclu, prius natura est informari quam intelligere, sed » non tempore... Prius enini jjafura est inlellectûs informatus specie, quae » est primum sufficiens inlelligendi (principium), quam gignatur verbum ; el » ideo intelligere in radiée prius est verbo, el verbum est terminus actionis » inlelleclus. « (Ibid.) ( ^85 ) L'idée, tant sensible qu'intelligible, n'est donc qu'une modifica- tion du moi, engendrant, accompagnant la perception même: elle est logiquement distincte de celle-ci, en ce sens qu'elle en est le principe et le couronnement, mais l'impression ou l'image sen- sible et l'idée intelligible sont des modalités de l'éme; elles s'iden- tifient avec le sujet pensant dans l'unité dun même acte, pour parler le langage de S. Thomas. Dans le rôle de ces facteurs, il n'y a pas d'antériorité chronologique, mais une pure succession d'ordre : ils impliquent si peu une distinction absolue, à la façon de « quelques sujets, » qu'ils coexistent d'une manière indivisible à l'aperception : enfin les représentations et les idées ne demeu- rent comme des sujets permanents qu'à titre de modifications de l'âme, dans le souvenir et dans l'imagination. — Ces prémisses posées, qu'y a-t-il de répréhensible à discerner et les espèces impresses des sens ou l'effet des mouvements des nerfs ébranlés par les objets extérieurs; et les espèces impresscs intelligibles produites par l'acte abstractif de l'esprit, démêlant dans les choses l'essence universelle; et les espèces expresses ou verbes recueillies par l'intellect passif, ainsi nommé, non qu'il soit une faculté sé- parée ou une pure puissance, mais parce que rintelligence est de sa nature destinée à recevoir et à exprimer le type essentiel engendré par l'abstraction. — Ces termes peuvent déplaire; ils furent loin d'être uniformément compris '; ils ont été, pour des esprits curieux de subtilités, l'occasion d'un risible morcelle- ment des facultés. Nous ne plaidons pas la cause des mots! Mais en fait, malgré la rigueur et l'esprit d'unité qu'elle s'efforce de porter en son analyse, la psychologie moderne, sous d'autres noms, reproduit ces distinctions de l'École 2. Sobrement inter- * Sur les différences de rintellecl actif et de rintelleci passif, tant chez les péripatéliciens que chez les scolastiques, voyez, entre aunes, le D»" Schneider, Unsterblichkeilslehre von Aristoteles , pp. 56-57, Wiceburgi, 1866. — L'au- teur insiste avec beaucoup de justesse sur la distinction purement formelle des deux intellects chez Aristole, p. 66. Nous entendrons tout à l'heure saint Thomas suivre en cela son maître. — Le D»- Schneider vient d'être enlevé, par une mort prématurée, à la philosophie qui espéraiten lui un critique distingué. 2 Cf. WuNDT : Nouveaux éléments de physiologie humaine, §§ 175 et sui- vanls. ( 186 ) prêtée, la doctrine paraît sage, exacte, conforme à l'esprit d'Aris- totc, et ce qui vaut mieux , à la nature. Ceci soit dit sur le fond de la question. Dans le langage encore peu fixé de la Psychologie expérimentale, elle garda quelques ténèbres, en ses détails surtout. Il ne manqua pas de Docteurs qui surchargèrent d'entités superflues le procès psychologique. Déjà Godefroid des Fontaines, l'un des plus spirituels penseurs du XIII* siècle, réclame contre cet abus que l'âge suivant devait porter à l'apogée. Mais il suffît de parcourir, par exemple l'opus- cule déjà cité de S. Thomas sur le Verbe * pour s'apercevoir avec quel pressentiment des vues de l'avenir, avec quelle sagacité, le prince desScolastiques décomposait le phénomène de la perception intellectuelle. — L'intellect , dit-il , lorsqu'il est informé par l'espèce, ' u Quum ergo intellectus informatus specie natus sit agere, terminus > autem cujusque actionis est ejus cbjectum, objectum aulem suum est quid- >) dilas aliqua cujus s|>ecie infornialur, quae non est principium operationis ■' vei actionis, nisi ex propria ratione illius cujus est species; objectum autem > non adest ipsi animae illa specie informatae,quum objectum sil extra in sua ' natura, actio aulem animae non sit extra, — prima aciio ejus per spe- » ciem est formalio sui objecti, quo formato inlelligil, simul tamen tempore » ipse format et formatum est, et simul inlelligit... sicut in principio actionis, •' intellectus et species non sunt duo sed uiium est ipse inleiiectus et species •) illuslrata , ita unum in tine relinquilur, similitude scilicet perfecla , genita ■" et expressa ab intellectu; et hoc lotum expressum est verbum, et est totum » rei diclae expressivum, et totum in quo res exprimilur; et hoc intelleclum » principale , quia res non inlelligitur nisi in eo , est enim lanquam spéculum » in quo res cernitur, sed non excedens id quod in eo ccrnitur. « De nal.Verb. intellect., 1. c— Cf. Sum. th , I, q 84 et suiv.— Cet important passage explique comment dans un autre texte cité par M. Hauréau, (II, p. 201). S. Thomas a pu maintenir une distinction modale entre les espèces et le fait définitif de la perception. Voir aussi Liberatore , De la connaissance intellectuelle , p. 61 , Tournai, 1803. — Il est tout à fait remarquable qu'Arnauld, tout en argu- mentant contre les idées représentatives, montre à son insu leur portée objective, en une spirituelle comparaison : « Ne serait-ce pas, dit-il, une chose ridicule de dire à une femme qui se regarde dans son miroir qu'elle ne voit que son miroir, sous prétexte qu'elle ne voit son visage que par le moyen de son miroir? » [Défense cont. Malebranche, p. 47). Si le D*" Reid eût songé à ces paroles, il eût moins insisié sur la connaissance purement subjective, à son avis , fournie par les espèces de scolastiques. ( 187 ) est en demeure d'agir. Or, le terme de tout acte est ?on objet : l'objet de rintelligence est l'essence, dont l'espèce (l'image) l'in- forme, mais cette image n'est le principe de l'opération et de Taction qu'en raison de l'objet même dont elle dérive : l'objet lui- même n'est pas présent dans l'âme informée par l'espèce, puisqu'il existe en réalité en dehors d'elle. Toutefois, l'acte de l'âme n'est pas externe pour cela; comprendre, en effet, est un mouvement vital : aussi, et en vertu de l'espèce qui le conduit à concevoir tel ou tel être, et en vertu de sa nature, le premier acte de l'inlelli- gence est l'assimilation de l'objet au moyen de l'espèce, et cet acte posé, l'intellection a lieu. Cest dans le même temps que l'esprit se représente l'objet, qu'il est représenté et qu'il est conçu. De même qu'au début de l'acte, l'iniellect et l'espèce ne sont pas deux êtres , mais que l'intellect et l'espèce perçue ne sont qu'une même chose, ainsi à la fin de l'acte, il n'y a non plus qu'un seul terme, à savoir la similitude parfaite de l'objet engendrée et pro- duite par l'intellect. Cette ressemblance est le verbe; on l'appelle la totale expression de l'objet, dans laquelle celui-ci est véritable- ment perçu. Il ressemble à un miroir où l'objet se reflète, mais à un miroir n'excédant en rien l'être qu'il représente K * Uu savant apologiste moderne de Tidéologie scolastique s'explique ainsi sur les idées-images. « Verbum mentale quodammodo duas faciès habet. » Faciès una est, secundum quam respicil substantiam intellectivam in qua >' est ; et sic est qualilas quaedam spirilualis, quae substanliae intellectuali » adhaerel. Faciès ailera, secundum quam assimilatio illa est relalio quaedam " respiciens objectum quod repraesental,est vicaria objecti; est nexus quidam ■' cognoscentis et cogniti ; est condilio sine qua realiler iiequiret subjici et ' manifeslariinlellectui; est demum perfectio idealis quae substantiam intel- ' leclivam formaliler perficit. — Quibus cognilis, dicimus quod si assimilatio •> illa primo modo considerelur, ipsa non est proprie terminus operalionis " inlelleclivae, quae directe fertur ad verilatem; sed solum est terminus ope- « rationis intellectivae reflexae, quae propriam suam cogitationem recogitat, » inquirens quale sil médium in quo formaliler ipsa cognovit veritatem. Si " vero liujusmodi assimilatio posteriori modo consideretur, tune ipsa est ' terminus immedialus et proximus actus menlalis; tamen secundum aiiud " ab ipsa. Est quidem terminus proximus et immedialus actus menlalis, » quia ipsa illa assimilatio est, quae proprie exercet aoluni inteligendi ; ac > in ipsa repraesentalive, seu idealiter est res quae cognoscitur. Est autcm ( 188 ) Voilà une explication qui paraît pleine de prudence et de réserve. Elle sauvegarde à la fois et l'objectivité de la connais- sance, et l'unité générale des opérations de 1 intellect. On a beau- coup vanté Guillaume dOccam pour sa critique des facultés. Venu après des réalistes d'un subtilisme exagéré, il eut le mérite de les rappeler au bon sens, à la froide raison. Ceux-là compromettaient la psycbologie scolastique par leurs abstractions frivoles; lui la simplifia trop. Excès opposé à d'autres excès! — D'Occam nie que les objets sensibles produisent des espèces intermédiaires anté- rieures à l'acte de la sensation. Elles ne sont rien de réel, pas même quelque entité comparable à celle qui existerait sur le miroir qui la supporte. 11 accorde toutefois que ces images accompagnent l'impression sentie de l'objet. Elles sont« imprimées «dans l'âme, grâce au concours de l'objet et de la faculté. 11 va jusqu'à avouer que l'espèce est le principe de la sensation. — En toute sincérité, découvre-t-on une différence sérieuse entre ces explications et celles » terminus proximus et immediatus secundum aliud ab ipsa ; quia id quod per )) ipsam el in ipsa cognoscitur, est aliquid diversum ab ipsa.» (A. Lepidi, De ontologismo, p. 63) — L'auteur montre ensuite la portée objective de nos connaissances, selon la psychologie scolastique, en rapprochant de nos idées représentatives la loi irréductible el primitive de l'évidence ; « Etsi ■'■> inleriori et ineluctabili expérimente percipiamus manifestationem et reprae- » sentalionem rei cognitae in quolibet cognoscente a luce ejus inlellectiva )) pendere necessario, quia sine ipsa nulla cognitio et nulla manifestatio veri )) esse polesl; lamen eodem interiori et ineluctabili e.xperimenlo sentimus, » quod res manifeslata a luce intellecliva creata sit aliquid sempiternum . » independens ab ipsa... Ex his igilur comperitur quod nulla sit nécessitas V comparandae imaginis cum re repraesentala per imaginem pro certitudine » habenda, quod imago illa existens in animo reipsa sit realitatis imago. » Elenim ipsa lux intellectiva immédiate per se, vel per legitimam applica- » tionem sui circa res cognitas, sine errore et fallacia hoc testificalur. Con- )) iroversia autem de Iransitu qui fit a cognilione rei , proul repraesenlaiur in » animo, ad cognitionem rei prout est in se, est contre versia quae declarari » potesl ostendendo per interiorem experientiam transitum illum esse natu- » ralem, ex nativo inslinctu provenienlem. » — A la base du procès idéologique, le savant thomiste place donc la grande loi des instincts primitifs el infaillibles reconnue par toute TÉcole, et dont Anselme le premier fit apercevoir Timpor- lance aux Docteurs. ( 189 ) des grands Docteurs? — Passant à la connaissance intellectuelle, d'Occam rejette la nécessité des espèces conceptuelles. « Ainsi que la sensation a été définie l'acte résultant d'un rapport entre l'objet externe et la sensibilité; de même la connaissance ou l'intellection sera dite avoir pour causes partielles la chose connue et la puis- sance intellective, l'intellect; ni l'un ni l'autre de ces actes ne réclame une espèce '. » Cette conclusion paraît un peu leste. Reste à démontrer que l'objet externe peut se représenter vitalement à la faculté organique et à l'esprit sans exercer sur eux une certaine impression, en d'autres termes, sans une espèce, sans un signe qui le manifeste; que l'intellect, puissance indéterminée de soi et spirituelle, peut connaître l'essence universelle, sans dépouiller l'objet de ses accidents matériels, sans exprimer ni recueillir lui-même cette notion essentielle. Voilà ce que ni d'Occam ni Arnauld ni le Docteur Reid n'ont montré : là pourtant était tout le problème! Ils ont, le premier d'entre eux surtout, par- faitement signalé les abus, les faiblesses de la théorie; ils n'ont rien mis à sa place ^. On les félicite de s'être arrêtés, en critiques avisés, devant l'inexplicable mystère de l'aperception intellectuelle! Nous estimons que les Docteurs n'ont pas démérité pour en avoir essayé l'interprétation. A bon droit, l'on peut douter que Durand et d'Occam se fussent contentés de définir Vidèe^ l'espèce, « ce qui ' Voir M. Hauréau, ouv. cil , II, 443. * Nous nous permettons de renvoyer ici le lecteur à l'analyse des facultés de Suarez, en son traité De Anima, 1. IIl et I. V, notamment aux c. II et IX du 1. III; aux c. I , VIII et X du 1. IV. — Suarez tient compte des critiques raisonnables de Durand, de d'Occam : il explique, en devançant la psychologie moderne, le rôle souvent travesti de rintellecl sur les espèces. Il élucide également quelques points obscurs des écrits de S. Thomas, dans l'esprit même du grand Docteur, et surtout la vraie nature de l'abstraction exercée par l'intellect actif sur les espèces. « Intellectum abstrahere speciem , nihil est » aliud quam virtule sua efficere speciem spiritualem repraesentalam eamdeni » naturam quam phantasma repraesentat; modo tamen quodam spiriluali : » illaque elevaiio a maleriali repraetalione phantasmatis ad f^piritualem reprae- ') sentalionem speciei inlelligibilis dicitur abstractio : ex quo aperte constat » abslraclionem non esse aclionem dislinctam a produclione speciei. » (L. IV, c.XljnMS.) ( 190 ) n'existe pas indépendamment du langage, »bien que ce bon mot soit de M. Cousin et que M. llauréau l'applaudisse! Ce que d'Occam rejetait avec dédain, c'était l'absurde antériorité des espèces aux actes de sentir et de connaître *. Il redoutait les entités oiseuses si clières aux ultra-réalistes, leur luxe d'abstractions. Nous avons entendu S. Thomas affirmer avec énergie l'unité des opérations diverses de l'esprit. Tous les Docteurs n'eurent pas cette réserve : qu'on blâme les auteurs, non la doctrine! Ces observations paraîtront bien étendues peut-être. Nous avons insisté quelque peu sur une théorie développée surtout dans les écoles après Anselme de Cantorbéry, et qui prêta à des malen- tendus graves. C'est que notre Docteur, en passant, s'y est rallié, qu'on lui en faisait un médiocre honneur, et que l'Académie nous demande un jugement sur sa psychologie. * Je sais bien qu'on nous objectera les paroles d'Arnauld disputant contre Malebranche sur ce même sujet : qu'on exprime la même chose en disant qu'une chose est objectivement dans l'esprit, ou bien qu'elle est connue de notre esprit. {Des vraies et des fausses idées, 1. c. ap. Hauréau.) — Mais Arnauld, après d'Occam, combat dans les espèces sensibles et intelligibles actuellement perçues leur distinction réelle de la perception et de l'intellec- tion finales. 11 rapporte à cet égard la thèse d'un maître es arts de l'ancienne université de Louvain (juillet 1685), et y loue le passage suivant : « Quomodo ■ inextensa et indivisibilis mens concipit extensum et divisibile spatium? Ubi '> et in quo percipit absentia et procul dissita corpora ? Indubie ni ideis ipso- '> rum, sed cave ne recentioris cujusdam somnio delectatus ideas ipsas aliquid » a perceptionibus diversum cogites. » (Arinauld, Défense contre la réponse au livre des vraies et des fausses idées , p. 36.) — Rappelons seulement ici le texte de S. Thomas : « Simul lamen tempore et ipse (intellectus) format y (verbum), et formatum est, et simul intelligit » (///) CHAPITRE III. VUES f)'anselme de cantorbéry sur la nature DE LA SUBSTANCE PHYSIQUE. Sens général de la question. — État de la doctrine jusqu'à Anselme. — Ses vues sur l'unité de la substance physique. — A-t-il admis l'unité numérique des essences réelles ou seulement leur unité spécifique? — Doctrine, sources et critique. Tout le monde connaît ces paroles d'Aristote : « L'objet de toutes les méditations philosophiques passées et futures, la ques- tion sans cesse renouvelée : Qu'est-ce que rétre?se ramène à celle- ci : Qu'est-ce que la substance ^? De fait, comme l'écrit Anselme de Cantorbéry, nous attribuons la réalité à tout ce qui n'est pas un pur néant 2. Mais dans un sens plus précis, l'être se dit surtout des choses qui subsistent par elles-mêmes, indépendamment d'un soutien extérieur. Or, cette indépendance constitue précisément le caractère constitutif de la substance. La parole d'Aristote se vérifie : l'être et la substance sont en ce sens identiques. En outre la division la plus élémentaire des êtres de la Nature est celle qui les groupe d'après leur ressemblance ou d'après leur diversité. Rechercher si l'existence réelle, et spécialement si l'existence substantielle est l'attribut propre de la collection elle- même, ou bien des facteurs semblables qui la composent, c'est poser, à un point de vue très-général, la question de l'être. — Mais d'autre part, déterminer la nature de l'élément essentiel et unique subsistant dans les types multiples et divers, n'est-ce * Melaph., \U,c. l. • De Fide Trinitatis, c. III. ( 492 ) pas aborder, en son aspect rudimentaire, la thèse fameuse des Universaux ? N'esi-\\ pas déjà évident que les deux problèmes présentent une connexion étroite et que leur solution présuppose des données communes? Au fond les questions de l'être, de la sub- stance, des Genres et des Espèces, des Universaux sont des formules synonymes. Le problème des Universaux peut être envisagé de plusieurs manières. Que l'on scrute la dernière raison des êtres de même nature, l'on aboutit bientôt à la doctrine des Idées-divines ou des Archétypes exemplaires, qui comprend une partie importante de l'Ontologie. Examine-t-on le mode de subsistance actuelle de l'élé- ment commun des êtres? C'est toucher à un grave mystère de l'Histoire naturelle : celui de l'Espèce. Préfère-t-on s'informer du procédé par lequel l'esprit engendre le concept des formes com- munes? On rencontre l'un des plus intéressants objets de la Psychologie et de l'Idéologie. Nous avons recherché la pensée d'Anselme sur les Idées exemplaires et sur les concepts psycholo- giques. Nous devons à présent étudier sa doctrine sur la manière dont subsistent les formes communes, l'élément universel en un mot, en dehors de leur cause idéale et dans la réalité physique. Mais en ce point surtout, il serait impossible de nous renseigner sur les sources de notre Docteur, selon le vœu de l'Académie, sans résumer l'histoire du débat dans la période qui précéda S. Anselme de Cantorbéry. C'est presque toujours la manière dont une question est posée à l'origine qui décide de sa solution. Nulle part on ne s'en aperçoit aussi bien qu'à propos des Essences et des Notions univer- selles? Les plus fervents admirateurs de Platon tombent d'accord que sur la nature des Idées, il s'énonça avec beaucoup d'obscurité. Sub- sistent-elles dans l'Intelligence divine, ou constituent-elles des types séparés, localisés en dehors du souverain Bien ou de l'Es- sence absolue, voilà la matière d'une dispute éternelle. Or, Platon' lui-même appelle les Idées « le genre des choses. » C'est ainsi que, dès l'origine, l'équivoque fut mêlée à la polémique. Cette ambiguïté , en un point si considérable , fâchait fort Aristotc. On ( 193 ) ne peut nier que le Stagyrite, sans dissiper toutes les obscurités du problème, ne soit explicite sur le caractère individuel de la substance physique, et, par conséquent, sur V existence pure- ment conceptuelle ou idéale des Universaux. « Il est impossible, dit- il, qu'aucun universel ne soit une substance, quel qu'il soit. Nul des attributs généraux ne marque l'existence déterminée, mais le mode de l'existence Rien d'universel n'a une exis- tence isolée des particuliers ^ » Certes Aristote était loin de ne reconnaître d'autre fondement à la connaissance que la sen- sation. Il parle avec le plus grand mépris des partisans de Démo- crite, les matérialistes dogmatiques de l'antiquité. Ceux-là qui font des sens le critère unique de la vérité aboutissent nécessai- rement, selon lui, au scepticisme universel, puisque les sensations varient comme les individus eux-mêmes^. Aussi insiste- t-il sur le caractère absolu des données rationnelles, et sur la nécessité de faire des idées générales l'objet principal de la philosophie ^ Tandis qu'avant lui , les Mégariens, comme Euclides, Stilpon et Antisthènes, concentraient l'existence réelle dans les seuls indi- vidus, Aristote convient que les notions universelles ne sont pas des concepts chimériques : il signale en maints endroits le fondement qu'ils ont dans la réalité. Mais, concernant le carac- tère conceptuel de la substance universelle, en tant qu'univer- selle, sa doctrine est tout à fait claire ^. — L'École de Platon était le symbole de l'élément synthétique de l'esprit humain, comme celle d'Aristote représentait son côté analytique et démonstratif. ' Met., VII, 15. — Oôâii/ rcov Kxf)6).ou vTzapyJ-jrMv c-Ji'i'x. sartv.— Ib., 16. '- Met., 111 , 6. •• Probi, XXX , 9. — Deux. Anal., l. I , c. XXIV ; l. II , c XIX. ^ Voir les témoignages concernant ce point dans Prantl, Geschichie der Logik, I, pp. 100-139, passim. — C'est à cette doctrine qu'il faut notamment rapporter: 1) Taperception de l'universel attribué au vovi. — Eth. Nicom., I, 4; 2) le double élément de la connaissance, l'un nécessaire et absolu, l'autre contingent et relatif (/6/d., VI, 12, 5(3); 5) l'aperceplion des éléments smibla- hles{Anal. poster., II, 19 ; Deanim , III, 7); 4) l'inclusion en puissance del'uni- versel dans les individus {Anol. post., I, 24, 31 ; Méiaph., III, 3, G). — Au fond, loule la doctrine du Concept (Prantl, I, pp. 24-263), repose sur le fonde- ment objectif des universaux ou des formes générales. ïoâiE XXV. 15 ( l'J'^ ) Sous les auspices des deux représentants de la philosophie ancienne , la dispute des Genres et des Espèces fut engagée dans des voies opposées. Elle n'en sortira plus. Il arriva que les Régents des Ecoles de la Restauration Carlo- vingienne se trouvèrent aux prises avec l'épineux problème, dès leur début dans la carrière philosophique. On le pense bien : ils furent, sinon tout à fait déroutés, du moins déconcertés très-fort par la manière même dont la thèse avait été posée. Elle avait été formulée par un éclectique. Porphyre, l'élève de Plotin, rê- vait comme son Maître et les Alexandrins, de concilier les doc- trines de Platon et celles d'Aristole. Il en résulta qu'il exposa la question en termes assez vagues, et que , dans la préface aux Caté- gories sur laquelle pâlirent tant de générations, il ne lui donna aucune solution précise. Tout le monde connaît le passage de Porphyre qui fournit occasion à la célèbre controverse. Mais il nous touche de trop près, pour ne pas être transcrit ici. « Puis- qu'il est nécessaire, dit-il, au patricien Chrysaore, son disciple, pour com|)rendre la doctrine des Catégories d'Aristote, de savoir ce que c'est que le Genre, la Différence, l'Espèce, le Propre et l'Accident, et puisque la connaissance de ces choses est utile à l'établissement des définitions et à tout ce qui concerne la division et la démonstration, j'essayerai de te transmettre dans un abrégé succinct, et en forme d'introduction , ce que les anciens ont ensei- gné à ce sujet, m'abstenant des questions trop élevées, m'arrêlant même assez peu aux plus simples. Ainsi je refuserai de dire si les genres et les espèces subsistent ou consistent seulement en de pures pensées; — si comme subsistants, ils sont corporels ou incorporels; s'ils existent enfin séparés des objets sensibles ou dans ces objets, et forment avec eux quelque chose de coexis- tant. Cette affaire est trop grosse, et demande des recherches trop étendues K » L'incertitude où l'éclectique Porphyre laissait les esprits des premiers Docteurs sur un problème qui touche à toutes les sciences ne fit que stimuler leur ardeur. Pour le résoudre, il n'avaient par ' Intr. aux Catég (V Aristote. — Préface, Irad. do M. Rarthélemy-S'-Hilaire. ( l'JS ) mallicLir que quelques livres de Dialectique ', c'est-à-dire des no- tions et des mots plutôt que des piineipes et des faits. Ajoutez à cela que, dans la formule porphyrienne, la substance est conçue en dehors de toute relation avec la Raison absolue. La question aurait été bien simplifiée, si dès l'origine, on eût nette- ment distingué les trois moments logiques de l'universel, si bien mis en relief par les grands Scolastiqucs, et insinués au commen- cement de ce chapitre : l'Universel considéré comme terme des Idées divines [Universelle ante res); l'universel envisagé dans le monde des réalités [Universale in rébus)', l'universel conçu par l'esprit [Universale post res). Mais Porphyre écrivait un Isogoge, une Préface aux Catégories, et l'on sait qu'Aristote se montrait froid à l'égard des Idées et de Texemplarisme. - Boèce imita la réserve du commentateur éclectique. Dans son commentaire sur Porphyre, il analysa en détail la genèse du concept universel aussi bien que la manière dont l'espèce, l'élément commun, subsiste dans la réalité. C'est sans contredit le côté important de la contro- verse, et Boèce l'expose en interprète habile. Il montre que l'uni- versel est le produit de l'acte abstractif de l'esprit, saisissant dans les individus l'essence commune à tous. Il tient que c'est le propre de l'intelligence d'atteindre la substance une et absolue des choses , comme c'est le caractère des facultés sensibles de percevoir le multiple, le particulier. Dans les êtres, « le semblable, » c'est-à- dire le genre, l'espèce sont concrets, sensibles, particuliers: dans l'esprit, ils sont abstraits, intelligibles, universels. Mais ils ont leur fondenient dans la nature : ce ne sont pas de pures combinaisons de la raison. — Ces explications étaient correctes. Elles ne rappelaient pas pourtant le lien naturel de la substance physique avec l'Intel- ligence créatrice. Cet oubli devait nuire à la claire compréhension de la thèse. Il est probable que Boèce entrevit la lacune; mais il laissait à une critique plus approfondie le soin de la combler ^. Était-ce discrétion d'esprit, diplomatie littéraire? Que le lecteur ^ M. de Rémusat a parfaitement mis en lumière Timporlance de ce point de départ. Ahélard, I, pp. 505 et suivantes. ^ in Porph. a se translalum, 1. I, p. 55. ( 196 ) décide! Boècc tenait plus qu'on ne l'a cru aux Alexandrins. Cela donne à réfléchir sur son silence. Un savant Italien qui a beaucoup écrit sur la présente matière, M. Liberatore S. J., veut qu'il y eut, dans les explications de Boèce, une autre cause de confusion, qui ne fut pas sans influence sur l'avenir. Nulle part Boèce ne distingue ce que les philosophes nomment runiversel direct de l'universel réflexe. Celui-ci im- plique un double moment logique. D'abord l'esprit recueille des types particuliers l'essence pure : ensuite, l'intelligence applique cette essence aux êtres réels ou possibles dans lesquels elle se trouve réalisée; il la conçoit comme Genre ou Espèce. La relation de l'essence commune avec les types multiples dans lesquels elle peut subsister n'appartient qu'à l'universel réflexe. Mais nulle part le consul n'exprime cette importante distinction. — Quand les Universaux devinrent l'objet d'un débat passionné, cet oubli produisit l'efîet qu'on aurait pu prévoir. Il y eut des philosophes qui s'absorbèrent si exclusivement à la considération du côté individuel des Universaux qu'ils ne se préoccupèrent en rien de la notion. réflexe; ils tinrent les Espèces pour de simples noms ou pour de purs concepts. D'autres, au contraire, s'arrétant au rap- port de l'espèce avec les êtres concrets dans lesquels elle existe en réalité, affirmaient l'universalité de l'espèce elle-même. Ce fut en partie l'origine du Nominalisme et du Réalisme outrés '. — Aristote avait déjà indiqué, dans cette confusion, l'origine du débat des platoniciens sur la même question : « Voici le motif de Terreur dans laquelle on tombe, dit ce grand homme ^ : on envisage à la fois la question, et sous le point de vue mathématique (expéri- mental), et sous le point de vue des notions universelles (métaphy- sique). Dans le premier cas, on considère l'unité et le principe comme un point, car la monade est un point sans étendue, et alors les partisans de ce système composent, comme quelques autres, les êtres avec l'élément le plus petit... Le point de vue de l'univer- sel amena à regarder l'unité comme le principe général ; d'un autre côté, on la considéra comme partie (intégrante), comme élément : • De la connaissance intellectuelle, trad. Sudre, p. 231. ^ Métapli.,Xm^S. ( 197 ) deux caractères qui ne sauraient se trouver à la fois dans l'unité. » Quanta Boèce, nous avons dit qu'il ne veut pas se prononcer sur le problème agile entre Aristote et Platon : à son avis, cela serait peu convenable. S'il a consacré un plus long développement à l'opinion d'Aristote, ce nVst pas qu'il la juge préférable, mais parce qu'il écrit sur les Catégories dontlePhilosoplie estl'auteurU Les maîtres des Écoles nouvelles n'eurent pas cette réserve. Le premier qui, d'assez loin, il est vrai, aborda la question, fut Jean Scot Erigène. Poussé dans les voies nouvelles par son génie aventureux , égaré peut-être par des textes inexacts ou mal compris du faux Denys, Scot donna à la thèse réaliste un développement excessif. D'après les meilleurs critiques, il nia la réalité substantielle des phénomènes au profit de la substance universelle d'où émanent successivement les formes éphémères. Il ne reconnaît pas une naiura creata à côté de la natura crecms, mais seulement une multitude d'apparitions émanées de l'Absolu et s'absorbant dans son sein , pour en émerger à nouveau , sans interruption et sans terme. Est-ce sur ces deux termes que Spinosa calqua sa distinction célèbre entre la nahtra naturans et la naiura naiurata? Ce qui est sûr, c'est qu'il y a entre les systèmes de ces deux penseurs une similitude assez grande. Scot tient que « V Essence existe par soi, en sa réalité propre; » que la quantité et la qualité, tout en s'étendant à toutes les autres catégories de l'être, n'abandonnent point pour cela leur nature particulière; » d'où il suit que l'être physique^ l'individu n'est point la sub- stance. — La Dialectique de Scot s'occupe avant tout de V Es- sence, comme de son principe propre : toute la diversité et toute la multiplicité des êtres commence par les genres les plus géné- raux et les genres moyens, en s'étendant aux formes et aux espèces les plus particulières, et en remontant par les mêmes degrés qu'elles ont parcourus, jusqu'à ce que toute cette multipli- cité retourne à l'Absolu dont elle est la fatale et progressive éelo- sion 2. Nous voilà loin du Lycée et de Boèce I ' In Porph. a se Iranslaty l, p. 55. - De cliv. naturae, 1. I, c. XXIL — Cf. Scot Erigène, par M. Saint-Réné- Taillandier, III, c. II, passim. ( 108 ) On comprend que les vues hardies de Scot durent vivement impressionner les esprits dans cette première Renaissance des let- tres. Elles ravivèrent, en la transportant dans un monde nouveau, la vieille, réternelle querelle des Éléates et des Mégariens, de Platon et d'Aristote, reflet du dualisme de la Nature et de l'Esprit, ce double pôle de toute philosophie. Le pseudo-Rhaban nous apprend qu'il y avait déjà de son temps un parti de réalistes, interprétant les Catégories d'Aristote dans un sens rigoureusement ontologique *. Sans doute ceux-là se réclamaient du célèbre Irlandais! A côté d'eux, l'esprit de réac- tion donna naissance à un mouvement nominaliste. La faveur de Koèce dans les écoles, et plus encore le bon sens qui se révélait dans ses explications sur les Universaux , assurèrent au sentiment d'Aristote un crédit qui alla toujours croissant. Le faux Rhaban professe la doctrine que tiendra un jour S. Thomas d'Aquin et l'Ecole presque entière. Se fondant sur Roèce, il tient que les Universaux n'existent pas physiquement, sous leur forme propre, quasi quiddam diversum. Il observe qu'il ne faut pas néanmoins refuser une certaine réalité aux Genres et aux Espèces : sans cela, notre science, qui est basée sur les notions universelles, n'aurait point de véritable objet. Le Genre, pour nous borner à cet exemple, est la ressemblance substantielle des diverses espèces recueillies j)ar l'esprit -. Ileiric d'Âuxerre, héritier des traditions de Fulde par son maître Haimon, partage le sentiment commun jusqu'alors, dans sa Glose sur les Dix Catégories , publiée par M. Cousin. Pour lui le lieu et les prédicables en général ne sont pas des réalités physiques. 11 ajoute que « le genre ne se dit pas de I animal selon le fait, la substance, mais ce mot Genre est le nom désignatif de l'animal, nom dont on se sert pour désigner qu'Animal se dit de plusieurs différents quant à ^ Corn, in Isag. — Cf. Cousin, Oiiv. inéd. d'Abélard, pp.x, lxxvi — Prantl, ouv. cil., Il, pp. 58-59. ^ ^ Nihil aliud osl goiuis quam substaiitialis siinililudo ex tliviMsis specie- » bus in cogilalionc collecla. — Ap. Cousin, ouv. inéd. d'AbcIard, p. lxxix. — Cf. Prantl, II, p. 40. ( 199 ) l'espèce •. » A propos de ce senliment, M. Hauréau rappelle qu'en même temps qu'Heiric rejette l'existence concrète des substances universelles, il leur reconnaît, aussi bien que Rhaban, une réalité logique, fondée sur leur ressemblance substantielle. Il définit en conséquence le genre cogitatio collecta ex singularum simililudine partium. Heiric, comme le fera plus tard Abélard, attribue aux mots qui expriment les concepts universaux une valeur objective. Aussi M. Hauréau l'appelle-t-il à bon droit un conceptualisle. — L'écrivain cacbé sous le pseudonyme de Jépa s'exprime également sur les Universaux dans le sens du réalisme modéré. Avec Boèce, il veut qu'autre soit leur manière de subsister dans l'esprit, autre leur subsistance réelle dans la nature 2. Quant à Rémi d'Auxerre, son langage est moins réservé. En son Commentaire sur les Noces de Mercure et de la Philologie de M. Capella, il insiste de préfé- rence sur l'élément transcendant de l'Universel. Cela étonne moins quand on réfléchit que Rémi passe pour s'être beaucoup adonné à la lecture de S. Augustin. Mais sa définition de la substance est ambiguë: « Est autem forma parlitio suhstant ialis ut liomo : homo est multorum hominuin substantialis imitas. » Ces paroles se rapprochent fort de la doctrine de Scot Erigène, établissant l'unité numérique de l'essence dans les divers t}})es de l'espèce. Ce sens paraît d autant plus vraisemblable, qu'ailleurs Rémi afTirme que le genre le plus universel, l'cjcr/a, l'Essence, comprend toutes les ' « Set! huie occurrimus tlicentes, geiius non praetlicari de animali secun- > dum rem, id est substanliam, sed designativum nomen esse animalis, quo " designatur animal de pluribus specie differentibus dici. » (Hauréau , ouv. cité, I, p. 492. - Voit* l'intéressante critique du D"" Prantl, II, p. 43. — Je signale au lec- teur le texte suivant : il donne la clef de plus d'un malentendu, en démou- îi-ant à révidence qu'en ce temps de barbare langage, le ierme subsislere s'employait aussi bien de Vexistence conceptuelle que de Vexistence réelle. ('.eux qui se sont occupés du problème des Universaux savent IMmpoi tance de cette remarque : « Prima quaeslio est, utrum gênera et species vere sint. » Sed sciendum est, quod non esset disputatio de eis, si non vere subsiste- ■\rent{\))> —Admirons maintenant, comment l'élément ontologique est tnchevêiié, sans transition aucune, à lélénKMit nominal: « IVam, poursuit Jépa, res ojnnes quae vere sunt, sine ois non esse possunt. » ( 200 ) natures, et que tout ce qui existe est portion de cette Essence. Certes, depuis Scot, ces paroles offrent quelque équivoque ^ — Il est dillicile déjuger du sentiment du célèbre Gerbert d'Aurillac, dont le Inngnge est assez peu constant. II signale avec beaucoup de clarté le fondement suprême des Essences universelles. C'est des types exemplaires qu'il entend parler, lorsqu'il affirme que les « différences substantielles, comme les Espèces et les Genres, sont douées d'une existence permanente 2. » On a trouvé lultra-réa- lisme dans ces paroles : « Les (types) intelligibles se combinant aux choses corruptibles, se diversifient au contact du corps. » La con- clusion semble un peu violente! — Dans les Gloses sur les Catégo- ries du Codex Viennensis ^, le savant éditeur, M. le D"" Barach, reconnaît le réalisme modéré d'Heiric et de Rhaban. Mais pour le Glossateur, comme pour Anselme dans le Dialogue de Grammatico, Vindividu est la Upuir^ oùaiy., la substance première. La seconde substance, dit- il, est, par exemple, l'homme, l'animal, dans les- quels on ne trouve pas des substances déterminées. — Par l'or- gane des sens extérieurs, l'esprit est averti. D'abord il recueille et fixe en sa mémoire les choses perçues au moyen de l'imagina- tion, puis il exprime par les mots les choses qu'il a pensées. Et comme les êtres particuliers sont nombreux, infinis en nombre, nous nous élevons à leur connaissance par le moyen de l'intel- lect. — La notion générale est déduite des types individuels... *. ' Cf. Hauréac, I, p. 145, sqq. — Prantl, II. p. 44. — Ueberwegg, H, pp. 114-Hd. 2 Cf. Hauréau, 1, p. 155. — Prantl, pp. 5ô et siiiv. ■3 Zur Geschiclitc des Nominalismus vor Roscelliii. — Nach bisher unhe- nutzlen handschriftiichen Qaellen der Wiener Kaiserlichen Ilofbibliolhek, von D"- C -S. Barach, 1860. — La publication de M. le professeur Barach est extrê- mement importante ; elle est la confirmation des vues du D"" Pranli touchant les origines du Nominalisme. * « Dicitur cerlior usia quam accidens, sic prior subslanlia polior quam » secunda quia maiiifestius signifient aliquid (f-^ 9). — Prima usia, id est )) primae substantiae sunt individua, ubi certiusagnoscuntur individua. Se- » cunda usia est ut homo, animal , in qua non sunt certae substantiae (f" 15). » — Scntiuntur VA quae quinquecorporis sensibus cognoscuntur; percipiun- y> lur qiiat' animo cl mcnle colliguntur. Per exlerioros scnsiis. ammonelur ( 201 ) Parlant du corps géométrique, produit de l'abstraction, il écrit : En ce corps-là (abstrait), se trouve rèuUsée la ligne, c'esl-à-dire la Longueur en soi (sans les deux autres dimensions). Non certes qu'un corj)s sans longueur et sans largeur existe dans la nature, mais il existe dans l'esprit. L'anonyme appelle les mots a les signes des choses. » — « Le nom est le véhicule de l'idée, l'or- gane au moyen duquel l'Idée, la conception de l'esprit est mani- festée '. » Certes, nous voilà loin de l'ultra-réalisme. Néanmoins ce nominalisme, comme rapjiclle le D"" Barach , peut aussi bien s'appeler Conceptiialisnie que le' système d'Heiric d'Auxerre, ainsi nommé, et très-justement par M. Hauréau. L'une et l'autre opinion se ramènent en réalité au Réalisme scolaslique. Cette remar(|ue a son importance. L'histoire de la pensée humaine, dès qu'elle s'écarte de la nature pour s'aventurer aux systèmes, devient une suite de contradic- tions. Au IX'^ siècle nous avons entendu Scot Erigène enseigner le réalisme ontologique, et compromettre par des vues outrées ce qu'il y a de vrai dans cette conception. — Au X^' siècle, Déranger jeta la suspicion sur le nominalisme, ou pour mieux exprimer son sentiment, sur l'individualisme. Si TArchidiacre de Tours rejette la transsubstantiation, c'est en grande parlie pour ses opinions nominalistes. Il les supposait froissées ])ar le dogme catholique. Admetlre des accidents physiques, à j)art de leur sujet normal, n'était-ce pas reconnaître des accidents absolus, subsistant en eux-mêmes 2? Béranger pressentait-il les vues élevées mais fan- taisistes de Gilbert de la Porrée sur la substance, ou avait-il pénétré » animus ad inlelleclum , et excitatur |>rimo sensibus. PoslmoiJum vero visa » apud se per quasdam imaginai iones et phaïUasias recollii;ilet animo (igit. » sicque meditala verborumofïicio exlrinsecus tundil Cum igilur multae res. )) et inlinitae sint, illarum solummodo cognHionem percipimus intelleciii » (f" i l).-~ Intellectus gencralium rerum ex parlicularibus sumptus est (f" 8). •- ' « Omnes 1 es propriis iiolulis signautur, id est demonslranlur, et nomina )> signa sunt rerum. Signa aut sunt rerum , aut signa signorum. Signa aulem » rerum primum in animo perceptarum sunt voces, verborum prolaliones. » * « Omne enim quod est aliud, est in eo quod aliquid est, nec potesl res .) ulla abquid esse, si desinat ipsum esse; et ne obscurum quod dico rema- » ncat , dical aliquis : Socrates est , Soerales justus est, nuUo modo Socrates ( ^2():> ) jusqu'au fond des conclusions de Scot? I^unfranc lui répondit que, dans le Mystère Eucharistique, la Cause absolue suppléait le rôle de la substance; et qu'ainsi la Foi était sauve, et la doctrine aussi. Vers cette éj)oque, un peu avant Uoscclin, le Noniinalisme, ou le système des rjiots comme on l'appelait alors, fut enseigné à Lille, par Maître Raimbert. Celui-ci eut pour adversaire Odon de Cambrai, ou Odoard dont le traité : de la Chose et de l Etre est le plus remarquable document de l'époque. Odon parle beau- coup des Universaux, en fort bon langage. La (pieslion des Uni- versaux est nettement posée pour lui. Il penche vers l'ullra- réalisme. i)ei)uis Déranger, les Docteurs orthodoxes devaient se <'omplaii'e à metire en l'clief le côté objectif du concept. D'ailleurs n'oublions pas (juOdon polémise contre Raimbert. Ces consi- dérations faites*, il est assez malaisé de décider s il rejette le Noniinalisme exagéré qui ne reconnaît aux notions universelles qu'une portée purement vocale, sans fondement dans l'idée et dans la réalité : ou bien, s'il attribue d'une façon absolue une j'xistence physique à la substance universelle. Odon n'ose pas souscrire à la théorie traducianiste de l'unité substantielle des âmes. Cela eût été conséquent cependant avec le dogme de l'unité de substance! — Ses contemporairts paraissaient assez embarrassés de choisir entre lui et Raimbert. Le D"" PrantI rapporte à ce sujet un texte fort plaisant d'Hériman de Tournai. Ce chroniqueur raconte que les disciples des deux écoles, à bout de syllogismes, s'en furent interroger un sorcier sourd-muet, sur le méiite des deux Maîtres. Sur Lavis du devin, la palme fut décernée au Pro- fesseur de Réalisme L — Heureux temps, où un brave magicien. " jusluseril, si Socralem esse non contini>ei"e!. » (De sacra Corna ^ Ed. Vis- sciiER, p. 84.) — « Repetilo dicn : quicunque nogal, posi consecraiionom • superesse panem et vinum in mensa doniinica, et lamen nobis haruni •> quancuiTHiue concodil enuiiciationuni, ipse se subverlil : ipso sibi necess:irio " conlrarius exislil. » {Ibid., p. 107.) — (^ Impossibile est, corruplo subjerio, » non corrumpi quod crat in subjecto. » {Ibid.,p. 194.) — Cf. les éclaircis- sements ingénieux de M. X. Rousselot sur le Noniinalisme théologiqiie de lîéranger. ' Le texte d'Hériman n'est pas seulement divertissant : il offre un intérêt scienliiiqne réel. Le ehroniijueur commence par nipporler au sujet d'Odon, ( -^05 ) *«ns oreilles et sans voix, semblait le plus sûr arbitre des querelles d'école ! Nous ne sommes renseignés sur les opinons de Roscelin , que par S. Anselme de Cantorbéry et par Abélard, qui fut son élève, avant de venir à Paris. D'après le docteur du Bec, le chanoine de Compiègne aurait tenu les substances universelles pour « un pur souflle de voix, pour un simple mot »: toute distinction entre le corps et la couleur , entre les corps concrets et leurs prédicables essentiels aurait été par lui rejetée. Il n'aurait reconnu la qualité de Substance qu'aux seuls individus, et nié que, même au point de vue de l'espèce, l'humanité pût être envisagée comme un homme unique. — Roscelin étendit ces maximes à la " qu'il ne lisait pas la dialectique in voce , à la manière des modernes , mais in re, comme Boèce et les anciens maîtres. » — Le conceptualisme de Boèce apparaissait donc à ses contemporains comme un certain réalisme. Certes, cela ania signifié que, comme Aristote son maître, il reconnaissait aux uni- versaux un fondement physique dans les individus eux-mêmes, à la différence des premiers nominalisles, dont le langage du moins faisait supposer qu'ils ne voyaient dans les prédicamenls que de purs êtres de raison (Cf. de Rémcsat, Abélard, L. II, cl, p. ^298 et suiv.) — On conçoit dés lors qu'Anselme ait pu se séparer avec éclat de Roscelin et de ses pareils, sans cesser d'être un disciple de Boèce que Lanfranc lui avait si diligemment expliqué, et que lui-même dut interpréter dans l'école de S'^-Marie du Bec. — Écoutons Hériman : « Unde et magister Rambcrtus qui codem lemjjore in oppido Insu- " lensi dialecticam clericts suis m voce legehal; sed et alii quamplures ma- gistri ei non parum invidebant, et delraliebanl suasque lecliones ipsius ■' meliores esse dicebani; quamoborem nonnulli ex clericis conturbati, cui " magis crederent haesilabant, quoniam magislrum Odardum ab anliquorum ^ doctrina non discrepare videbant... Unus itaque ex ejusdem ecclesiae cano- " nicis nomine Qualbertus... lanla senlentiarum erranliuniciue clericorum " varietate permolus quemdam pytlioiiicum surdum et mulum in cadem urbe >' divinandi famosissimum adiil et cui magistrorum magis osset credondum, '' digitorum signis et nulibus inquirere caepit. Protinus ille, mirnbile dictu! - quaestiont-ni illius iniellexil dexlramque manum per sinistrae palmam instar • aratri terram scindentis pertrahens digitunKjue versus magistri Odonis ■ scholam prolendens signilicabal docliinam ejus esse rectis.s;imam; rursus » vero digitum contra Jnsulense oppidum prolendens manuque ori admota •' exsutïlans innuebat, magistri Ramberti leclionem non nisi verbo.sam esse " loquacilatem. » (Ap, Pr.4>tl, II, 8:2.) ( Wi ) divine Trinité. Admettant trois personnes en Dieu, il en aurait fait, dit-on, trois entités distinctes, à la manière de trois Anges, de trois Iiommes. Selon lui, elles n'auraient eu qu'une imité pure- ment morale, résultant de la conformité de leur volonté et de l'égalité de leur puissance *. — Abélard reproche en outre à Ros- celin de n'avoir pas reconnu de parties dans les choses créées. A propos du texle évangclique rapportant que le Seigneur mangea une partie d'un poisson, il aurait assuré quil faut entendre cela d\ine' partie du mot Poisson ^i; Ce qu'il y aura probablement eu de vrai dans cette bouffonnerie, c'est que Ros- celin considérait l'individu comme la véritable Substance; il n'accordait pas aux parties une existence indépendante et com- plète. — Dans la réalité, dit-il lui-même en sa lettre à Abélard. le toit suppose l'existence du mur et de la maison, et ainsi du reste ^. — Qu'il ait cherché à prouver cela par de puériles sub- tilités, on peut le croire. Abélard, certes, ne mérite pas toujours créance, quand il accuse un adversaire; mais l'argument prêté h Roscelin est dans le goût de son temps. Roscelin était-il Nominaliste, au point de ne voir dans les concepts universels ou dans l'élément commun des êtres qu'un simple son de voix? Pour employer les termes consacrés jusqu'au XIV siècle, enseignait-il absolument la Dialectique in voce, à l'opposé de ceux qui l'enseignaient in re? Si l'on connaissait mieux la doctrine d'Arnulphe de Laôn et de Robert de Paris, qui furent condisciples de Roscelin, chez Maître Jean dit le Sourd, on pourrait mieux répondre à cette question. Mais on ne sait rien de l'enseignement de ces Docteurs ni de Jean lui-même. Ceux qui en ont parlé ont émis des conjectures : ils n'ont rien appris de certain. * De Fide Trinilatis ,c. II. — Cf. Joan. Sarisb. , Melaloy. . II. 17. — S. Ans., £■/}., Il , 41 : « Quia Roscelinus clericus dicil, in Deo tros personas esse très ah » invicem separalas, sieul sunt très angeli , ila tamen ut una sil voluntas et » poleslas , aut Palrem et Spiritum sanclum esse incarnalum , et Ires deos vere » posse dici, si usus admilieiel. « - Cf. Cousin, Inlrod. aux ouv. incd. d' Abélard. p, 90. "> Cf. Hauréau , /. f., p. 255, ( 203 ) Que de malentendus sont nés d'un nom! M. Hauréau termine son vaste travail sur la Scolastique par ces graves paroles : « S'est- il rencontré, pendant tout le moyen âge, un seul philosophe qui ait considéré les Universaux comme de pures voix, de purs noms? Nous ne le croyons pas; Roscelin lui-même, accusé par son disciple Abélard, d'avoir donné dans cette erreur, nous semble avoir été calomnié. Mais, qui se trouve à l'opposé des choses? les noms. Nier les choses, c'était donc réduire ces choses à des noms. Voilà ce qu'on s'empressa de dire; et les défenseurs de la thèse des choses furent aussitôt appelés Réalistes, Reaies; les défenseurs de la thèse contraire, Nominalistes, Vocales , Nomi- 7iales. Remarquons d'ailleurs qu'il ne fut pas trop malhabile de désigner par ce qualificatif les adversaires des essences univer- selles; il n'était pas, en effet, difficile de prouver que le Discours n'est pas un vain son de la Voix, et cette preuve faite, on se félicitait d'avoir confondu le nominalisme. Il est vraisemblable que Roscelin et ses partisans protestaient contre cette manière d'argumenter; mais leurs cahiers, leurs écrits nous manquent. Hâtons -nous toutefois de déclarer qu'on peut à la rigueur sou- tenir cette thèse des mots, bien ou mal développée par Roscelin... C'est en effet une chose qu'un nom, qu'un mot. On recherchait vainement, au sein des substances composées, un tout individuel- lement universel qui répondît à la définition donnée par les Réalistes : eh bien! cette chose est trouvée; c'est le son réel, très- réel que prononce la voix en désignant l'espèce... Ne considérons donc pas le Nominalisme et le Conceptualisme comme deux doc- trines défendues par deux écoles, mais comme une seule doctrine qui se compose de deux thèses; la thèse des concepts, qui sert à définir l'universel interne, le véritable universel; et la thèse des noms, plus ingénieuse que profonde, plus ironique que démon- strative, à laquelle se rapporte l'universel externe, considéré comme un tout réel, une essence, une nature indivisément com- mune ' ? » Tous ceux qui ont étudié dans les sources originales le problème scolastique se rallieront à cette conclusion. Nous avons * 11, p. oOo. ( 20G ) entendu qu'Hérimyn de Tournai nomme les Nominalistes les modernes et les oppose aux Réalistes qu'il appelle les anciens. Or, le D"" Prantl a établi que la doctrine des noms significatifs des idées et des clioses fut tenue par le pseudo-Rliaban, Jépa, l'ano- nyn)e édité par M. Cousin et par celui de S. Gall. Du temps d'Hériman de Tournai, on regardait comme anciens et comme réalistes, des maîtres qui tenaient l'opinion appelée plus tard Norninalisme ! En allant sans parti pris au fond des textes, on n'y trouvera, sur la nature de la substance physique, que deux sys- tèmes nettement accusés :/'?//' verboriim videntur esse asserlores.. » (yln/i. ^Bo/or., VI, ap.PKAxML, 11, p. 78.) ^ Cf. Sur la parenté des Nominalistes et des Mégariens : Rixner, Handbuch di-r gesch. der phiL, t. H , p. 182.— Ritter , Gesch. der phil., t. II , p. 182. — Voir aussi Ueberwegg, I , p. 101. ^ C'est le sentiment de M. de Rémusat , Abélard, II , p. 64. i Jean, abbé de Télèse, plus tard cardinal-évêque de Tuscoli, avait averti S. Aiisehiie que Roscelin se couvrait de son autorité : il l'engageait à lui répondre, afin d'éviter des désagréments pareils à ceux qu'avaient attirés à ( 208 ) il partageait leur manière de eoncevoir la substance, mais il se donna le tort d'en tirer des conclusions impies et fausses, concer- nant les mystères révélés. Si nous possédions de Roscelin un autre document que sa lettre à Abélard, muette sur le débat actuel, nous saurions s'il en appela aux vues d'Aristote et de Boèce, consignées dans le Dialogue de Grammatico. — Quant à S. An- selme le Métaphysicien, il devait sévèrement juger un esprit d'une nature si opposée à la sienne ^ Cette disposition dut s'aggraver lorsque Roscelin fit une malheureuse application de ses principes au Mystère de la Ste-Trinité. Quoi d'étonnant, si par une inévita- ble réaction, Anselme appuya surtout dans ses traités contre l'hé- rétique, sur le côté objectif de l'Universel, sur la distinction rationnelle de la nature et de. la personne, de la substance et des accidents ? Mais a-t-il enseigné l'unité numérique de la substance physique dans tous les individus de l'espèce, en ce sens que l'élément com- mun préexiste aux types particuliers, en dehors de sa cause exem- plaire, et reçoit les individus, à la façon de simples modifications Lanfranc une réclame de Béranger. Le S. Docteur, trop dédaigneux des menées intrigantes pour s'en soucier beaucoup, lui répond assez briève- ment. (£'p., II, 55.) — Dans le Traité de la Trinité ^ composé après son élévation au siège de Cantorbéry, il parle constamment des erreurs du « clerc français, » sur la foi des informations. (C. ï, III, Vi et passim.) — Il nomme Roscelin dans sa lettre à Foulques, évèque de Beauvais. {Ibid., Ep., XLI) et dans celle qu'il adresse à Baldéric. {Ep.^ Ll.) — Celle-ci ap- prend qu'Anselme avait écrit pour quelques amis une réfutation des erreurs imputées au « clerc franc. » Cette réfutation, imparfaite encore, avait été trop tôt communiquée à d'autres personnes, et celte circonstance fit que l'archevêque la reprit dans l'opuscule sur la S'<"-Trinité. Il y aura utilisé sa rédaction primitive. De là, à notre avis, la façon encore vague avec laquelle il s'y exprime sur Roscelin, dont il savait à celte époque le nom et les sentiments. (Cf. Gerberon , Censura libri seu epistolae de Trinitate, Op. ANs.,p. n) ' Il est certain que les nominalisles postérieurs, qui posèrent la question (Ml termes plus précis, repoussent toute solidarité avec le terminisme brutal imputé à Roscelin. Ils sont conceptualisles comme Abélard, comme Rhaban, ou comme Boèce ei Aristote. Voir Salabekt, Philosophia îiominalium vindi- cnla, p. 12, sqq. - ( 209 ) accidentelles? A-t-il reconnu une réalité substantielle aux formes générales et aux accidents eux-mêmes ? En un mot, est-ce à bon droit qu'on signale le Docteur de Cantorbéry comme le parrain attitré de Fultra-réalisme, comme l'un des principaux artisans des « abstractions réalisées, » inaugurées par J. Scot Erigène, et qui compteront de si nombreux partisans? Cette accusation, que nous avons déjà entendue ailleurs, est si fort accréditée contre Anselme; elle est patronnée par de si beaux noms, qu'il doit paraître bardi d'oser la décliner. Notre Docteur, nous le savons, avait été élevé avec soin par Maître Lanfranc, dans la Dialectique d'Aristote. Dans le Dialogue de Granimatico , nous l'avons entendu définir la substance. L'être auquel, selon lui, convient excellemment ce nom, est-ce Vuniver- sel? C'est là ce que doit tenir tout réaliste conséquent. Eb bien! pour Anselme, cr la substance première est l'homme individuel, Pierre ou Paul , par exemple. » — « Tout ce qui est affirmé de plusieurs êtres n'est pas la substance première, » ajoute Anselme. Qui ne reconnaît ici la doctrine d'Aristote et du classique Boèce ? « La substance, qui est principalement et par excellence telle, est celle qui n'est point affirmée d'un sujet ni n'existe dans un sujet, comme un homme déterminé j un cheval déterminé. On les nomme premières substances... parce que tous les autres attributs sont affirmés d'elle ou subsistent en elle *? » Après cette explication, écoutons la définition de la substance universelle donnée par Anselme. Il nie, dans le Monologue, que Dieu rentre dans la catégorie de la Substance, el pour le prouver, il lui suffit d'une rapide analyse, a Toute substance, dit-il, est ou bien universelle, commune à plusieurs substances selon Vessence, — ou individuelle, possédant l'essence universelle en société d'au- tres êtres (d'autres types de la même espèce). Qui donc s'imaginera que la suprême Nature puisse être comprise dans la classe des ' « Substantia quae proprie et principaliter et maxime dicilur, est quae » neque de subjecto aliquo dicitur, neque in subjecio aliquo est, ul quidam » homo et quidam equus. . Primae substautiae ideo quod aliis omnibus sub- V jacent, et alia omnia vel de ipsis praedicantur, vel in ipsis sunl , propler hoc » maxime substantiae primae dicunlur. » {Catég., c. III.) Tome XXV. 14 ( 210 ) substances, elle qui ne se divise point en plusieurs substances, et qui ne se réunit point à d'autres par sa participation à leur essence *. » Voilà une définition assez embarrassée ! Selon notre S. Docteur, la substance universelle créée serait celle qui se divise entre plusieurs substances^ qui existe en plusieurs sujets. Mais cette division se ferait de manière à ce que la substance soit com- mune à ces divers sujets selon l'essence {essetitialiter comraunis pluribus substantiis). Il y a certes quelque chose d'ambigu et de suspect dans ce terme de la division de la substance, engendrant les multiples individus. On le rencontre avec une portée ultra- réaliste chez Scot. Mais Boèce s'en sert dans un sens tout à fait péripatéticien ^. Porphyre, dans la version de Boèce, avait donné de l'espèce et du genre une définition qui ne diffère pas essentiellement de celle d'Anselme: « Collectivum multorum » in unam naturam species est, et magis etiam genus ^. ^ — Il sagit de constater ultérieurement par l'ensemble des doctrines d'An- selme, s'il tient qu'il n'y a qu'une seule substance, physiquement * « Constat igitiir, quia i lia substantia nullo conimuni subslantiarum tracîalii » includitur, a cujus essentiali communione omnis natura excluditur. Nenipe » cum omnis subslanlia iraclelur aut esse universalis — quae pluribus sub- » stanliis essenlialiter communis est, ut hominem esse commune est singulis )> hominibus; ~ aut esse individua quae universalem essenîiara communem » habet cum aliis, quemadmodum singuli bomines commune habent cum sin- y gulis ut bomines sint : quomodo aliquis summam .Naturam in aliorum sub- » stantiarum tractatucontineriinteliiget, quaenecin pluressubslantias sedivi- )) dit , nec cum alia aliqiia per essenlialem communioiiem colligit ? » (C. XXVll.) ^ P. E. « Omues hae dilFerentiae specificae nuncupanlur, generum eiîim spe- » cierumque ditferentiae sunt, sed generum quidem divisivae, specierum » autem conslilutlvae. » {Ad Porph. a se translat.^ p. 81; in Porph aVict. transi, p. li.) — « Nomen generis in très dividit formas » {De divis., p. 658.) — « Divisio namque multis modis dicitur : est enim divisio generis in species, « est rursus divisio, cum lotum in proprias dividitur parles; est alia cum vox « multa siguilicans in siguificationes proprias recipit sectionem; praeter bas » très, est alia divisio quae secundum accidens lieri dicitur : hujus autem est » triplex modus : unus cum subjeclum in accidentia separamus, alius cum » accidens in subjecla dividimus, lertius cum accidens in accidentia seca- » mus. » {Ibid., p. 659.) — Cf. Prantl, I, pp. 086-687. ' In Porph., l\l', Isagog., II. (211 ) el numériquement une dans tous les individus de l'espèce ; ou bien, s'il n'a voulu enseigner que l'unité essentielle, métaphysique de la substance, ou si Ton veut, du genre, de l'espèce. Ce qu'il ajoute ailleurs, au sujet de la matière première et informe où il voit « le substratum commun de tous les coi-ps qui se distinguent parleurs formes diverses*, «n'éclaircit en rien son explication. Cette manière d'envisager l'élément passif et indé- terminé du monde corporel recevant delà forme substantielle son acte et sa perfection, est empruntée à S. Augustin et à Platon, mais nous la retrouvons cîiez Âristote; elle n'élucide point la pensée de notre Docteur 2. Outre la définition de la substance universelle, Anselme nous a donné également celle de la personne. Elle est à ses yeux « la col- lection des propriétés unies à la nature ^. » » Les personnes humaines se distinguent entre elles, en ce que l'ensemble de ces propriétés chez l'une d'elles n'est pas iden- tique à celles d'une autre *. — Celte identité, selon lui, est impos- sible. « L'ensemble des propriétés de Pierre et de Paul n'est pas la même : et Pierre, dit-il naïvement, ne peut être nommé Paul ni Paul Pierre^. » — Avec cela, il tient comme Boèceque la personne ' « Non aulem dubitoomnem hanc muridi molem cum partibus suis, siciit )) vidimus, formatam constare ex terra et aqua el aère et igné, quae scilicet » quatuor elemenla aliquo modo inlelligi possunt sine his forniis quas conspi- » cimus in rébus formalis , ut eoruni iuformis aul eliam confusa nalura videa- » tur esse materia omnium corporum suis formis discretcirum. » {MonoL, c. Vil ) 2 Voir S. Alg., Confess., XIÎ , c. III, VI ; de Gen. ad litter., c. XIV, XV. — Platon, Tintée, passim.; Arist. , Melaph.^ VII; c. III. — Sur celte question voir SuAREz, Metaph., disp. XII! et Kleltgen, Phil. der Vorzeil, vol. I!J, pp. 236 el suivantes. ^ « Uiia cum natura proprielatum collectio. v (De fide Trin., c. VI.) * « Per hoc euim hominum personae diversae sunt al) invicem , quia unius- » eujusque proprielatum colleclio non est in alia eadem. » [De processione S.SpirHus,c.\X\U\.) ^ « biversarum vero personarum impossibilo est eanidem esse propricta- » tum co!leclionem, aut de invicem eas praedicari. Nam et Pttri et Pauii non y est eadem proprielatum colleclio; el Pelrus non dicilur Paulus, lîec Paulus » Petrus. « {De fide Trin., c. VI.) ( 21:2 ) « n'ost dite ([uc dune nalure douée de raison et individuelle. » — On le voit : à tout prendre, Anselme n'est pas beaucoup plus explicite sur la notion de la personnalité que sur celle de la sub- stance universelle. Disons toutefois, sans tarder, qu'il se rencontre dans un de ses traités théologiques, une phrase qui paraît recommander très-fort le sens ultra- réaliste. « l.orsque nous disons d'une manière démonstrative, écrit Anselme dans son livre sur la divine Trinité, celui-là ou cet homme, nous désignons /« persoy^^^e possédant, avec la nature, une collec- tion de propriétés : c'est par ces propriétés que Vliomme univer- sel devient singulier et quil se distingue des autres *. » — C'est le trait caractéristique des partisans de l'unité numérique de la substance, défaire de l'universel ou de la nature commune le premier terme du couîposé, une entité principale, dont les indi- vidus ne sont que des modifications secondaires. Dans le passage que nous venons de rapporter, Anselme semble s'exprimer en ultra-réaliste. Quelles que soient les nuances qui distinguent leurs théories, Guillaume de Cliampeaux, Gilbert de la Porrée, Guillaume d'Auvergne, et même Adélard de Batli, ont posé l'essence commune comme l'élément réel et unique en nombre, communiqué secondairement aux multiples individus de lespèce. Eux aussi assurent que « l'homme universel devient individuel grâce aux contingences personnelles. » Je sais bien que, pour Anselme, la question ne paraît pas avoir été conçue sous un aspect aussi précis. Mais a-t-il en définitive enseigné la priorité réelle de l'universel sur les individus en les- quels elle s'actualise ? Ou bien, malgré son oscillant langage, li'a- l-il revendiqué à l'essence que la priorité logique, en vertu de laquelle les types individuels sont considérés comme des facteurs déterminant l'espèce à telle ou telle forme particulière ? Que celui * h Cum vero démonstrative dicimus islum vel illum hominem, vel pro- » prie nom ine 7^6 wm, personam designamus, quae cum nalura colleclionem >) habet proprielalum, quibus homo commuais fit singulus el ab aliis sin- >' gulisdislinguilur. » {De fide Trin.^c. VI.) l '2\ô ) (jui désire s'éclairer là-dessus se garde d'oublier que les Nomina- listes eux-mêmes ont appelé l'acte de rindividuation le principe déterminant du genre, de l'espèce, considérés comme l'élément général , passif , indéterminé. Albert le Grand n'était pas ultra- réaliste; il n'en écrit pas moins « qu'absolument parlant, la sub- stance se dit de ce qui contient et détermine les natures particu- lières *. » S. Thomas n'hésite pas h voir dans l'essence le principe qui « cause l'être dans son propre sujet, » pour emprunter l'ex- pression de M. Hauréau. Et avant tous les autres, justement à l'endroit de sa Métaphysique où il j)rofesse que « le terme pro- ducteur est de même forme que le terme produit, bien qu'il n'y ait point entre eux identité de nombre, mais seulement identité de forme, » Aristote lui-même déclare que « telle forme générale se Idéalisant en tels os et telles chairs, c'est Socrale ou Callias ^. » — Ce serait s'abuser fort que de s'en tenir uniquement aux ex- pressions, en la présente matière. Le lecteur décidera tout h l'heure de la portée de celles d'Anselme. Qu'il ait la patience d'écouter les textes qui peuvent y répondre quelque jour. Des savants autorisés ont trouvé de spécieux arguments pour montrer qu'Anselme n'admit jamais Vessence universelle , à titre de substance. Ils citent à ce sujet les passages où il enseigne que la nature substantielle s'affirme par excellence des individus, et qu'elle se multiplie en raison de ceux-ci. « En chaque homme, écrit-il, par exemple, il y a tout ensemble etla nature parlaquelle il est homme comme les autres, et la personne par laquelle il s'en distingue ; eest ainsi qu'on le dit tel ou tel, ou de son nom j)ropre, Adam, Abel ^. » — « La substance, tient-il encore, se dit excel- lemment des individus : en effet, ceux-ci surtout sont affectés par * « Concedimus universalem naturam absolute die! de eo quod continel et » régit omnes naluras parliculares. » (Tr. de Anima.) 2 Met., I. VIT , G. VIII. — Cf. 1. IX , c. V. 5 « Licet enim in unoquoque hominesinml sint et nafwra, qua est homo » sicut omnes alii, et persona, qua discernilur ab aliis, ut cum dicitur ille , » vel iste, sive proprio nomine, ut Adam et Abel, etc. » {De conceplu Virg. et orig. peccato, c. 1.) la pluralité. » Et un peu plus haut: « Les personnes multiples sub- sistent de telle façon les unes à part des autres, qu'en fait il y a autant de substances qu'il y a de personnes : cela s'observe en plusieurs hommes, où l'on trouve autant de personnes indivi- duelles qu'il y a de personnes '. » — Certes, à première vue, ces textes paraissent clairs : autant d'individus, autant de substances numériquement distinctes. Cela semble bien la formule, le mot d'ordre des Péripatétieieus ! iMais quon ne s'y trompe pas! On trouve des phrases pareilles chez les ultra-réalistes les plus déci- dés : chez Guillaume de Champeaux, Gilbert de la Porrée, Ber- nard de Chartres. — 11 s'agit de savoir si pRV substance^ Anselme entend désigiier Vessence, la nature universelle, le genre, Vespèce assimilés auxindividus. Sans cette condition, il est évident queles passages allégués ne prouvent pas ce qu'on en tire. ~ Or, la sub- stance, dans le langage d'Anselme, expi-ime î'essi^;/ce déjà indivi- dualisée et envisagée dans son rapport avec les accidents. Le Doc- leur du Bec considère l'être substantiel dans sa signification strictement étymologique. Avec Aristote et Bocce, il l'attribue surtout à Vindividu, conmie il nous en avertissait dès le Dialogue du Gramuiairioi, à propos de la substance première. Quanta la personne, elle est pour lui Vensemble des accidents, en tant que reux-ci sont le signe distinctif des individus d'une même espèce. En fait, Anselme oppose la substance aussi bien que la personne à Vessence, à la nature. A celles-ci il reconnaît surtout lunité ; à cel- les-là la pluralité. Gilbert de la Porrée l'imitera un jour en cela. — Mais prouvons notre assei-tion. S'expliquant à l'endroit précité, sur le défaut d'exactitude, inévitable dans l'infirme langage humaindès qu'on l'applique aux choses divines, ils'exprime ainsi: « Toutes les personnes c{ui sont plusieurs en nombre subsistent à part les unes des autres, de telle manière que nécessairement il y a aaiani de substaîices que de personnes... Si donc quelqu'un veut ' « Subslantia princii)aliler dicitur de individuis quae maxime in pluraliîate » subsisluiil... Omiies plures pcrsonae sic subsistuiU separalim ab invicem, *' ut lot necesse sit esse substantias, quoi suut personae : quod in pluribus » liominibusqui quot personae lot individuae sunt substantiae, cognoscilur. » « {Monol , c. LXXVIII.) ( 215 ) dire à un autre ce que sont ces trois, il dira : le Père, le Fils et l'Esprit de tous les deux, à moins que poussé par l'absence d'un nom qui convienne rigoureusement, il ne choisisse un nom parmi ceux-là qui ne peuvent pas être énoncés au pluriel de l'essence suprême, afin d'exprimer par là ce qui ne peut pas Têtre par un nom entièrement propre, en disant, par exemple, que cette admi- rable Trinité est une Essence ou Nature, et trois personnes ou substances. Car ces deux noms-ci sont choisis plus convenable- ment pour exprimer la pluralité dans l'Essence suprême. » Écou- tons-en la raison ; Anselme la donne lui même : « C'est, dit-il, que le mol personne ne se dit que d'une nature individuelle raison- nable — et que la substance se dit principalement des individus qui subsistent surtout dans la pluralité. Car les individus se trouvent par-dessus tout le reste sous les accidents comme leurs supports ou soutiens, et c'est pour cela qu'on leur donne de pré- férence le nom de substance K » Cette explication parait nette. Anselme réserve l'appellation d'essence ou de nature à 1 élément qui donne aux êtres leur unité; la substance signifie, au contraire, le produit résultant de l'individuation. — Aussi ne voulons-nous pas opposer directement les endroits précités à ceux qui tiennent ' « ... Omnes plures personae sic sul)sislunl separalim ab invicem, ul toi ^> necesse sit esse substantias, quoi suiit personae; quod in pluribus lioniini- » bus, qui qiiot personae lot individuae substantiae sunl, cognoseilur. Quare y in sunima Essentia, sicut non sunl plures substantiae, ifa nec piures per- » sonae.-Siqui^iiaqueinde velilalicui loquiquidsunt lres,dicet essePalrem V el Filiiun et utriusque Spiritum, nisi forte indigentia nominis proprie eon- y venientis coactus elegerit aliquod de illis nominibus, quae pluraliter in- ^> summa Essentia dici non possinl, ad significandum id quod congruo nomine » dici non potesl; utsidicat illam admirabilem Trinitatem esse unam essen- > tiam vel naturam, et très personas sive substantias. Nam hnec duo nomina > aplius eliguntur ad signiûcandam pluralitaleni in summa Essentia, quia per- '> sona non dicitur nisi de individua rationali nalura , et substantia principa- >) iiler dicitur de individuis quae maxime in pluraiilate subsistunt. Individua >i namque maxime subslant, id est, subjacent accidenlibus, et ideo magis I proprie substantiae nomen suscipiunt. Unde jam supra manifestum est, ) sumniam Essentiam, quae nullis subjacet accidentilnis. proprie non posse > dici subslantiam. nisi sul)slanHa ponatiir pro essentia. « {Monol.,uhi supra.) ( 216 ) Anselme pour patron de l'unité numérique de l'essence, dans les divers types de l'espèce. Notre Docteur nous fournit un meilleur argument. — Il s'indigne contre les novateurs qui oseraient comparer l'unité des Personnes divines à celle de trois Anges ou de trois âmes. Par là, dit-il, ils introduisent la pluralité dans l'Infini. Pourquoi cela? — C'est que « deux Anges ou deux âmes ne se disent nullement d'une chose uîie en nombre, et aucune chose une en nombre ne s'aftîrme de deux Anges ou de deux âmes *. » Entendons-le donc bien. De l'avis d'Anselme, rien, ni la personnalité , ni ïessence ou la nature, ne se disent d'aucun être créé, à titre d'entité physique, de substance unique en nombre participée diversement par les individus. Dans son étude sur Duns Scot, M. Hauréau appelle le Docteur subtil un réaliste autant qu'on peut l'être, puisqu'il pose une autre unité réelle que l'unité numérable 2. Nous ne voulons pas rechercher ici le sentiment de Scot; mais c'est précisément cette unité dénon- cée par M. Hauréau que rejette ici S. Anselme. Tout le chapitre III de l'opuscule de la Trinité est le développement théologique de cette déclaration. Elle jette une assez vive lumière sur cette abstruse recherche. Ce n'est pas tout : dans son traité théologique Sur la Procession du S. Esprit, Anselme écrit ceci: «En ce qui concerne les personnes humaines, s'il y a une personne , il y a un homme, et s'il y a un homme, il y a une personne; s'il y a plusieurs personnes , il y a plusieurs hommes ; ci si ceux-ci sont multiples, celles-là aussi n'éviteront pas la pluralité ^. » Or lui-même nous avertit ailleurs ^ « Nempe de uulla iina eademque numéro re duo Angeli dicunlur, aiil » duae aniniae, nec unum aliquid numéro de duobus Angelis dicilur, aut de » duabusanimabus, sicut et Palreni et Filiuni diclmus de Deo uno numéro et » unum numéro Deum de Paire et Filio... Talem ilaque significat (Roscelinus) » pluralitalem et separalionem , qualem habent plures Angeli aut animae. id » est qualem hal)enl plures substantiae. » {De pde Trin., c III.) 2 IJist. de la phil. scol, II, p. 536. ■' « Nam in personis liominum si una est persona, unus est homo; et si » unus est homo, una est persona; item, si plures sunt personae, plures » quoque sunt homines; et si isti plures sunl, illae et pluritatem non efîn- » giunt. >) {De process. Spir. S., c. XXVIII.) ( 217 ) du sens qu'il al tache à l'expression homme ^ mis en regard des personnes : « Lorsqu'on dit homme, dit-il, on signifie seulement la nature commune à tous les hommes. Mais lorsqu'on dit d'une manière démonstrative celui-ci ou celui-là , on désigne la per- sonne qui possède avec l'essence la collection des propriétés en vertu desquelles l'homme devient individuel et se distingue des autres *. » Du rapprochement des deux textes d'Anselme, il suit que non-seulement les personnes, ou, pour parler en son style, les substances sont en même nombre que les individus, mais aussi que Yhomme, c'est-à-dire Vessence, la nature commune, se multi- plie avec eux. Cette fois nous obtenons une conclusion tout à fait contraire au principe fondamental de la doctrine nltra-réalisle. Il importe de la noter. Elle est bien faite, croyons-nous, pour y jeter quelque jour, et il est surprenant qu'elle ait été négligée jusqu'au- jourd'hui. Mais les réalistes modernes ont essayé de trouver dans les écrits d'Anselme des preuves indirectes en faveur de l'unité numérique et substanlieliede l'âme humaine. On sait que les Pères grecs et la plu- part des latins professaient la création divine de l'àme individuelle. S. Augustin toutefois avait pensé que l'on expliquerait plus aisé- ment la transmission de la faute originelle, en supposant une sorte d émanation spirituelle des âmes. Sans rien décider là-dessus, il lui paraissait que, dans cette opinion, leur vice héréditaire se com- prenait sans trop de peine. Ses disciples, S. Fulgence, Cassiodore, S. Grégoire le Grand, Alcuin , partagèrent l'hésitation de leur maître. Le créatianisme n'en fut pas moins la commune doctrine des Latins. Sauf quelques novateurs obscurs, aucun Docteur de renom ne paraît avoir reconnu l'unité substantielle et physique des âmes. En 1341, Macaire l'Arménien, qui peut-être avait puisé celte hypothèse aux livres d'Averroës, fut censuré de ce chef par Benoît XIL De nos jours cependant, quelques écrivains, < « Nam eum profertur homo, natura tanUim,quae communis est omnibus » hominibus, signilicatur. Cum vero clemonstralive dicimus istum vel Ulum » hominem, vel proprio nomine Jesum, personam designamus, (piae cum na- » tura collectionem habet proprietatum, quibus homo communis fil singulus » et ab aliis singulis dislinguitur. » {De ficle Trin., c. VL) ( 218 ) parmi lesquels je citerai surtout les Docteurs Klee et Berlepscli , ont cru au réalisme physique ou à runité physique des âmes, qu'ils estiment dériver les unes des autres, à peu près à la façon de lumières empruntées à un même flamheau. La partie théolo- gique de la querelle ne nous concerne pas. Cette hypothèse er- ronée se réclame à tort de l'autorité d'Anselme. — Déjà nous l'avons entendu rejeter explicitement l'opinion de ceux-là qui affirment, n'importe à quel litre, Tunifé numérique des âmes : « IVec iinum aliqind numéro de duobus Angelis dicilur aut de duabus animahus. » Si les mots ont un sens, ceux-ci semblent péremptoires. En outre, à l'occasion de sa dispute avec Roscelin, il proteste dans une longue suite de considérants dogmatiques contre ceux-là qui assimilent à l'imité des Personnes divines, non-seule- ment l'unité conceptuelle de la nature angélique et humaine, mais encore l'unité de puissance ou de volonté qu'on trouve dans les Anges ou dans les âmes. Anselme note avec insistance le caractère purement accidentel et contingent de cette double unité dans les esprits créés, et il l'oppose à l'unité nécessaire, substantielle de l'Être absolu. Le lecteur voit la conclusion des prémisses. Il n'y a donc aucun rapport d'identité, nulle véritable similitude entre l'unité divine et celle des substances spirituelles. Or, pour un réaliste conséquent, c'est le contraire qui est vrai. Toutes les âmes n'ont qu'une même et unique essence, une seule activité et volonté substantielle. La diversité entre elles vient uniquement des attributs personnels. Cela est si vrai que les réalistes contem- porains se réclamaient, pour leur théorie, de l'aisance avec laquelle elle leur permet d'élucider le mystère de l'unité d'essence dans la pluralité des personnes en Dieu. Une si complète lumière en un mystère que Ton s'accorde à regarder comme impénétrable, jette (juelque suspicion sur le système. Mais ce qui est évident c'est (]n'Anselme, de ce chef du moins, lui est de tout point contraire. Il nous reste à examiner les passages de ses œuvres qui ont été invoqués par les défenseurs de l'ultra-réalisme à l'appui de leur doctrine, lis se rejettent avant tout sur le célèbre texte de la Réponse de notre S. Docteur aux erreurs de Roscelin. a Puisque (ous doivent être avertis, dit Anselme, d'aborder avec une très- ( '-^1!) ) grande précaution les questions des saintes Lettres, on doit entièrement exclure de la discussion des questions spirituelles ces dialecticiens de notre temps, ou plutôt ces gens dialectique- ment hérétiques, qui pensent que les substances universelles ne sont qu'un souffle de voix , et qui ne peuvent comprendre que la couleur soit autre chose que le corps ou la sagesse d'un homme autre chose que lame. En effet, dans leur esprit, la raison à laquelle appartient la primauté et le jugement de tout ce qui est dans l'homme, est tellement enveloppée dans les représentations corporelles quelle ne peut pas s'en débarrasser et qu'elle ne sait pas distinguer de celles-ci ce qu'elle doit contempler seule et pure (de toute immixtion des facultés inférieures). Car celui qui ne comprend pas encore comment plusieurs hommes sont, qi(cmt à l'espèce f un seul homme, de quelle manière concevra-t-il dans cette nature très-secrète et très-sublime, comment plusieurs per- sonnes dont chacune est un Dieu parfait sojit un seul Dieu? Et celui dont lesprit est trop offusqué pour distinguer entre le cheval et sa couleur, comment distingnera-t-il entre l'unité de Dieu et la pluralité de ses relations? Enfin, celui qui ne peut comprendre que l'homme est autre chose que 1 individu, ne peut concevoir l'homme que comme une personne humaine, puisque tout indi- vidu humain est une personne; or, comment celui-là compren- drait-il que le Verbe s'est uni un homme et non pas une personne humaine, oest-à-dire que le Verbe divin a pris une autre nature, mais non pas une autre personne '? » Mais de bonne foi, que contient ce fragment, sans doute très- important dans notre querelle? Anselme se refuse à admettre ' « Clinique omnes, iil caulissime ad sacvae paginae quaesliones accédant, » sinl conimonendi; illi ulique noslri lemporis dialeclici (imo dialectice haere- » tici, qui non nisi flalum vocis putanl esse uni versâtes substantias, et qui » colorem non aliud queunl intelligere quam corpus, nec sapienliam hominis » aliud quamanimam), prorsusaspiritualium quaesMonum disputatione sunt » exsutÏÏandi. hi eorum quippe animabus ratio, quae et princeps et judex » omnium d bet esse quae sunt in homine, sic est imaginalionibus eorpora- » libus obvoluta, ut ex eis se non possit evolvere, noc ab ipsis ea , quae ipsa » solaet pura contempiari debet,valeal disceriiere Qui enim nondum iutelligit » quomodo plures homines in specie siiil unus homo ; qualiler in illa secretis- ( 220 ) que les substances universelles ne sont qu\in simple nom. Lui, qui avait insisté plus qu'aucun de ses contemporains sur la réalité objective des essences et sur leur rapport avec l'intel- ligence infinie, pouvait-il voir dans l'universel un souffle de voix? — Mais d'autre part, pour se rallier à la doctrine des idées objectives, pour attribuer aux Universaux un fondement dans la réalité et ne pas les réduire à des sons purement matériels, est-il besoin de soutenir Viuiité numérique , physique de la substance'/ Déjà Rbaban-3Iaur, Heiric d'Auxerre et l'Anonyme de Vienne, pour ne citer que ceux-là, ont répondu à cette question. On les vante comme conceptualistes : nous savons pourtant qu'ils n'éga- laient pas les notions communes aux rêves de la fantaisie. Bien avant que sa controverse avec Roscelin l'eût obligé aux pré- cautions qu'il dut employer dans la suite, Anselme avait posé la distinction entre la Personne et la Substance. Rendre raison de celle-ci, en la réduisant à un pur mot, c'était ramener la mul- tiplicité des personnes diverses à des différences accidentelles. N'admettre qu'une distinction nominale entre la couleur et le corps qu'elle informe, c'était mettre sur le même rang un accident, un prédicable, et l'essence même des êtres. Identifier absolument l'âme et la sagesse, la science, n'était-ce pas confondre grossièrement lacté contingent avec la faculté caractéristique et l'essence de rhomme? En tout cela, n'y avait-il pas le fait de ceux qui s'ob- stinent à ne juger des choses que sur les seules apparences , par l'imagination et par les sens? Anselme n'aurait pas tiré ces réflexions de son propre fonds qu'il les aurait entendues d'Au- gustin. Son maître, en une foule d'endroits, rappelle l'esprit des phénomènes sensibles à la contemplation de lessence immuable )) sima el altissima Natura comprehendet quomodo plures personae, quaruiu » singula quaeque est perfeclus Deus, sint uiiiis Deus ? El cujus mens obs- y> cura est ad discernendum inler equuni simnj et colorem ejus, qualiler » discernet iiiter unum Deum et plures relatioues ejus ? Denique qui non » potesl inlelligere aliquid esse hominem nisi individuum, nuUalenus intel- » liget hominem nisi humanam personam, Omnis enim individuus homo per- » sona est. Quomodo ergo iste inlelligel hominem assumplum esse a Verbo. » non personam , id est, aiiam naluram, non aliam personam esse assuni}»- » tam?» {Dcfide Tnn.,c.\l.) ( 221 ) et spirituelle. Il avait lu peut-être aussi les dénonciations de Jean Scot contre ceux-là qui ne réfléchissent pas qu'autre chose est le corps, autre chose son essence et qui s'égarent jusqu'à estimer la substance du corps sensible et matérielle. C'est d'une autre façon, notait Tlrlandais, que nous fixons les choses (es- sences), immuables par le pur regard de l'esprit, et que nous atteignons dans leur simplicité les choses composées *? — Notre Docteur juge qu'un homme aussi peu fait que son adversaire aux spéculations abstraites, ne devrait pas pousser la présomption jusqu'à scruter les rapports mystérieux des trois personnes divines. « Ne croyons-nous pas, nous autres chré- tiens, dit-il, que Dieu le Père, le Fils et le S'-Esprit ne sont pas trois Dieux, mais une seule Divinité unique en nombre comme en essence? » Comment le Dialecticien qui met absolu- ment sur la même ligne l'Essence et les Personnes peut-il sauve- garder le dogme fondamental de l'Unité dans la Trinité? On assure que Roscelin entend cette unité de la conformité de vo- lonté et de l'égalité de puissance, et qu'il prétend qu'on pourrait dire que les trois Personnes sont « trois choses » distinctes, trois substances, aussi bien que trois hommes ou trois Anges! Mais qui ne voit que cette comparaison détruit l'unité consubstantielle des divines Hypostases , en la réduisant à l'unité simplement générique et morale qui n'exclut nullement la pluralité numé- rique des substances? — Nous croyons en outre, ajoutait An- selme, que la deuxième personne de la Sainte Trinité seule s'est incarnée pour notre salut, et nous professons que notre Sauveur est vraiment Dieu. Roscelin , en ne reconnaissant aucune distinc- tion entre l'Essence et la personne, doit avouer que les trois * « Sed adversus eos qui non aliud esse corpus et aliud corporis essenliam » putant, in tantum seducli ut ipsam substantiam corpoream esse visibilem » et tractabilem non dubitent, quaedam breviter dicenda arbitrer... Quid ) ergo mirum aut ralioni contrarium, si similiter accipiamus magnificum » Boethium non aliud aliquid variabilem rem inleilexisse nisi corpus mate- )) riale?... Si aliter res per se immutabiles puro mentis conluitu perspiciantur » in sua simplicitate, aliter sensu corporeo in aliqua materia ex concursu earum ^) facta compositae? » {De divisione naiurae , 1. 1, c XLVII, LXl.) { 222 ) Personnes divines se sont inearnées , ce qui restaurerait l'hérésie de Sabellius. Ou bien il doit attribuer aux trois personnes de la Trinité, tout en les reconnaissant pour divines, trois substances ou natures séparées. Ce serait le comble du délire. — Enfin, c'est l'enseignement de la Foi que la Personne sacrée du Verbe a assumé en elle la nature humaine, et que de cette manière, le Fils de l'Homme est devenu le propre Fils de Dieu. Mais celte économie de l'incarnation devient impossible dès qu'on pose, avec Roscelin, la coexistence de deux Personnes dont les pro- priétés sont essentiellement distinctes et même opposées. Voilà en substance comment raisonnait Anselme. Mais pour sauvegarder toutes ces vérités, que faut-il admettre? Une seule chose : la distinction de la substance et de la Personne, de la substance et des accidents, de l'espèce et des individus qui la composent. Et quel est le facteur de celte distinction? La puis- sance abstractive de l'esprit, seule capable de contempler, p«r son seul et pur regard, pour parler avec Anselme, l'élément intelligible, l'essence universelle sans les accidents très -réels, mais contingents et multiples qui l'individualisent. Tout cela n'autorise en rien à affirmer l'unité numérique de la substance dans lous les individus de l'espèce. Tout cela ne permet pas d'inférer qu'il n'y a dans tout le groupe humain qu'une âme numériquement une, transmise par la génération à toutes les per- sonnes. On se rejette sur la doctrine d'Anselme concernant le péché originel. Écoutons les passages les plus vantés par nos Réalistes modernes. Anselme veut montrer comment la faute d'Adam a pu passer à ses descendants. Il observe d'abord que ceux-ci ont un lien réel avec l'auteur commun de noire espèce : a On ne peut nier, dit-il , que les enfants ne fussent en Adam, quand il a péché, mais ils étaient en lui, en tant qu'il est leur cause, ils étaient en lui matériellement et comme dans leur germe, mais ils sont en eux-mêmes personnellement, parce qu'en lui ils étaient le germe même en eux-mêmes, ils sont chacun une personne distincte; en lui, ils n'étaient pas différents de lui, en eux-mêmes ils sont autres que lui. En lui ils étaient lui, en eux-mêmes ils sont eux. (225 ) Ils étaient donc en lui , mais ils n'y étaient pas eux-mêmes parce qu'eux-mêmes, ils n'étaient pas encore. Peut-être quelqu'un dira- t-il : Cet être par lequel on dit que les autres hommes ont été en Adam est un néant et quelque chose de chimérique auquel on ne doit pas le nom d'être. Que celui-là dise donc aussi que cet être par lequel le Christ a été originairement en Abraham, en David et en d'autres patriarches a été un être négatif, faux ou chimé- rique : qu'il dise encore que ce n'est rien ce que Dieu a fait lors- qu'il a ordonné d'abord dans leurs germes toutes les choses qui sont produites d'un germe; qu'il dise de plus que c'est un néant ou quelque chose de vain, cet être sans l'existence véritable duquel les choses que nous voyons être ne seraient point. Car s'il n'était pas vrai que ces choses que la nature produit de germes préexis- tants ont été auparavant quelque chose dans ceux-ci, elles ne naîtraient point d'eux. Or, s'il est insensé de dire cela , ce n'est pas un être faux ou chimérique, mais un être réel et vrai ce par quoi tous les autres hommes ont été en Adam; ce n'est pas quelque chose de chimérique ce que Dieu a fait lorsqu'il les a fait être en lui; mais comme il a été dit, ils n'ont rien été en lui autre chose que lui, et par conséquent, ils ont été en lui tout autrement qu'ils ne sont en eux-mêmes ^. » Des textes allégués, les réalistes ont conclu qu'Anselme admet la thèse fondamentale du réalisme physique, non-seulement dans la création inférieure et matérielle, mais par-dessus tout dans la ' « Equidem iiegaii naquit, infâmes in Adam fuisse cum peccavit; sed in » illo cnusaliter, sive materialit-n* (a/, naturaliter), velut in semine fuerunt; » in seipsis personallter sunt; quia in illo fuerunt ipsum semen, in se singuli )) sunt diversae personae; in illo non alii al) illo, in se alii quam ille. In illo » fuerunt ille, in se sunt ipsi. Fuerunt igitur in illo, sed non ipsi, quoniam )) nondum erant ipsi. » Forsitan dicet aliquis : Islud esse quo alii homines in Adam fuisse dicun- » lur, quasi nihil et inane quoddam est, nec est nominandum esse. — Dicat ergo » illud esse fuisse nihil aut falsum sive vanum, quo fuit Christus secundum )> semen in Abraham, in David et in aliisPatribus; et quo omnia quae sunt ex » semine fuerunt non in semine; et nihil fecisse Deum, cum omnia quae pro- » creantur ex semine, ipse fecit prius in seminibus; et dicat nihil vel vanum » aliquid esse hoc, quod si vere non esset, haec quae videmus esse non ( 224 ) nature intelligente. D'après eux, il y enseigne qu'il y a dans tous les individus de l'espèce humaine deux substances, chacune numériquement une : la substance corporelle et l'àme. La pre- mière est transmise des parents aux enfants par voie de géné- ration : la seconde est communiquée à ces derniers par une véritable procréation, ou si l'on veut, par l'émanation d'une force spirituelle, qu'on peut considérer comme l'àme de l'enfant elle-même. C'est en ces propres termes que les réalistes modernes, précisément à l'occasion des textes d'Anselme, ont conçu leur système. On voit qu'en fait il implique l'existence réelle, et pJnj- sique de la substance universelle. Au point de vue purement philosophique où nous demeurons placé, il suffît d'examiner sans parti pris ces passages pour se convaincre qu'ils n'affirment que la descendance de tout le genre humain du premier couple créé, par voie de génération. En Adam se concentrait, à l'origine, toute l'humanité. Toutes les personnes qui ont existé dans la suite des temps sont issues de ce père com- mun, par l'organe des parents médiats. Elles étaient comme conte- nues dans le premier terme de la série. 11 y a plus : en vertu de la fécondité continue qui est le caractère et la loi de l'espèce (An- selme l'appelle Natiira propagandi], la même substance matérielle est transmise, parla génération, des parents aux enfants ^ Sous ce rapport, les individus ne sont pas seulement semblables, mais consubstantiels entre eux : c'est ce que professe Anselme dans l'exemple du germe, contenant en puissance l'arbre futur. Mais la )■ possent. Si enim verum non est, ea, quae natura procréât ex seminibus , ' in illis prius aliquid fuisse, nullo modo ex ipsis essent. Quod si iioc dicere » stullissimnm esl, non falsum vel vanum, sed verum et solidum esse fuit, )' quo fuerunt omnes alii homines in Adam; née fecit Deus inane aliquid, )• cum eos in illo fecit esse; sed, sicut diclum est, in illo fuerunt non alii ab » illo, et ideo longe aliter quam sunt in seipsis. » {De Conc. Virg. C. XXIil.) ^ « Cum fecit Deus Adam, fecit in eo naluram propagandi... Qui creavit » primum hominem sine parentum generatione, créât eliam eos, qui per )' creatam ab illo fîunl propagandi naturam. » (C. X.) — he. caractère maté- riel de la force propagalive est nettement indiqué au chapitre XVI... « Si » objiciuntur mihi Joannes Baplista et alii qui de sterilibus et in quibus K prae senectute natura generandi jam eral mortua propagati sunt.. » ( i-i:. ) subtaiice corporelle et psychique ne préexiste pas au premier couple de parents : elle ne reçoit pas surtout les individus parti- culiers comme autant d'accidents, ou comme une collection de propriétés. Au contraire, ce n'est qu'en eux qu'elle peut exister. Elle leur est immanente; elle finit et commence avec eux. On voit dans quel sens Ton peut et l'on doit dire qu'Adam a été le principe physique et actif de Tespèce humaine. Lorsque Anselme aiîirme que « tous les hommes ont été dans Adam matériellement et dans leur germe, que tout homme est un Adam par la propa- gation , » il n'a fait qu'enseigner la transmission de la faute d'ori- gine à toute la race humaine, par voie de descendance ou de (jénèralion *. Ce sont les termes du Concile de Trente : ils ne con- tiennent pas une libre opinion d'école, mais un dogme de foi. Quant à ce qu'ajoute Anselme que Tinclusion de toute Ihuma- nité en Adam est quelque chose de bien réel , point de difficulté non plus en cela! Le rapport de descendance des enfants à l'égard de leurs parents est certes très -réel, puisqu'il est basé sur le fait même de la génération. Anselme a raison de dire que ce n'est pas là quelque chose de chimérique, un pur néant. Cette conclu- sion est d'autant plus rigoureuse qu'il avait enseigné plus haut qu'à chaque personne individuelle est réellement assimilée la nature j l'essence elle-même. Mais en formulant cette doctrine, le Docteur du Bec n'a pas entendu expliquer la transmission du péché originel par le principe ultra-réaliste de l'unité numérique du corps et de l'âme des hommes. Entre ces deux doctrines, il n'y a aucun lien nécessaire. C'est ce qu'avouait récemment un savant critique. En sa Dissertation couronnée par l'Université de Leipzig, où il nomme Anselme un réaliste, le D*" Hohne conclut que ce système ne se retrouve pas dans sa théorie sur la trans- mission du péché originel ! En tenant compte de ces observations, l'on conçoit également * « Est quideui unusquisque filius Adae el homo per crealionem et Adam >i per propagalionem, el persona per iiidividuitatem, qua discernitur ab aliis... ^) Nani sicut Adam non se fecil hominem. ila non fecit in se naturam propa- » gaudi ; sed Deus qui eum creavil hominem , fecit in eo hanc naturam , ut de y iilopropagarentur homines. v (G. X.) Tome XXV. io ( 2^0 ) ce que signifie, sous la [)lume d'Anselme, a le péché de la Nature et le péché de la Personne. » — Le péché d'Adam, dit-il au cha- pitre XXI ÎI de l'opuscule Snr la conception de Marie, fut à la fois j)éché de la personne et péché de la nature; il fut le fait de la wlonlé propre de celui d'où est descendu tout le genre humain. Pour ses descendants, privés par sa faute des grâces surnaturelles qui devaient être le prix de sa fidélité, ce dépouillement fut sim- plement un défaut de la nature, non de la personne. Comme indi- viduSj ils ne pouvaient être justiciables d'un acte posé par Adam sans participation de leur libre arbitre. Mais en vertu d'un plan pro\identiel, la fidélité de notre premier Père à la grâce en assu- rait la transmission à toute Tespèce humaine. Au contraire, sa désobéissance entraînait pour tous ses fils la perte des bienfaits ijraluils et surajoutés à leurs perfections natives, que Dieu lui avait départis, pour qu'il les communiquât à chacun de uous '. — On voit quil n'est nullement requis d'embrasser le réa- lisme de l'espèce pour sauvegarder la solidarité morale du genre humain. ' « Est peccaliim a natuia, ul dixi, et est peccaîum a persona. llaque quod )' est a persona potest dici personale; quod auleni a natura natuiale, quod " dicitur oriiiinale; et sicut personale transit ad natuiam , ita naUuale ad per- V sonam hoc modo. » Quod Adam comedebat, hoc natura exigebal; quia ut hoc exigeret, sic > creaia eral. Quod vero de ligno velito comedit, non hoc voluntas naturalis, ' sed peisonalis, hoc est, piopria feoil. Quod lamen egit persona, non fe<;it > sine natuia. Persona enim erat , quod dicebatur Adam; natura, quod liomo. •> Fecit igitur persona peccatricem naluram ; quia , eum Adam peccavit, homo >' peccavit Siquidem non quia homo erat, ul vetitum praesumeret, impulsus » est; sed propria voluntate, quam non exigit natura, sed persona concepit, • allractus est. » Similiter fil in infantibus e converso.iNempc,quod in iilis non est justitia, » quam debent habere, non hoc fecit illorum voluntas personalis, sicut in " Adam, sed egeslas naturalis, quam ipsa natura accepit ab Adam. In Adam ' namque, extra quem de illa nihil erat , est nudala justilia quam habebat; et " ea seniper, nisi adjuta, caret. » Hac ratione, quia natura subsistit in personis et personae non suiit sine " natura, facil naluia personas infantium peccatrices. Sic spoliavit persona » naluram boiio juslitiae in Adam; et natura egens facla omnes personas, ( 2^27 ) Ces déductions tirent une nouvelle force de la doctrine d'An- selme sur l'origine de l'âme humaine. Notre S. Docteur tient, d'après l'opinion d Aristote et de tous ses contemporains, que le fœtus n est informé par l'âme qu'assez longtemps après la con- ception K Que suit-il de cela? Des deux choses l'une : Ou hien lame, la substance spirituelle, est transmise par un cmial cor- porel, le germe, par exemple; ou bien la substance spirituelle est créée immédiatement par Dieu. La première conclusion n'a pu être accueillie par un philosophe spiritualiste. Anselme d'ailleurs a clairement enseigné la seconde. Dans sa première Méditation, il s'adresse en ces termes à son âme : « Pénètre Dieu, aime Dieu et tâche d'exprimer en toi l'honneur de ta création , par laquelle tu as été créée à l'image de Dieu 2. » Or le créatianisme est l'anti- pode du réalisme psychique. Chaque âme étant le terme d'une opération créatrice spéciale, il est manifeste que, dans cette doc- trine, il y a autant de substances spirituelles distinctes qu'il y a d'individus dans l'espèce humaine. Cela est si vrai qu'Odon de Cambrai lui-même n'ose pas soutenir que, « dans la création des âmes, Dieu ne crée pas la substance , mais seulement la propriété, de crainte de paraître déroger à la souveraine toute-puissance, en quas ipsa de se procréât, eadem egestale peccalrices et injustas facit. Hoc modo transit peccatum Adae personale in omnes qui de illo naturaliter pro- paganlur, et est in illis originale sive naturale. » Unde patet magnam esse dislanliam inter peccatum Adae et peccatum eorum, quia ille peccavit propria voluntate, illi natuiali peccant necessi- lale, quam propria et personalis meruitillius voluntas. « * « Sicut in Adam omnes peccavimus, quando ille peccavii, non quia lune peccavimus ipsi qui nondum eramus, sed quia de illo futuri eramus; et tune facta est illa nécessitas ut cum essemus peccaremus, quoniam per imius inobedientiam peccatores constituti sunt multi. Simili modo de immundo semine, in iniquiiatibus et in peccatis concipi potest homo intel- ligi, non quod in semine sit immunditia peccati, aut peccatum sive iniqui- las, sed quia ab ipso semine et ipsa conceptione, ex qua incipit homo esse, accipit necessilatem lit, cum habebit animam rationalem, habeat peccali immundiliam,quae non est aliud quam peccatum et iniquilas. » (/6/(/..c.VII.) 2 « ... Inlelligas Deum, âmes Deum,et tuae elevationis digailatem, qrua ad imaginem Dci creata es, salubriler exprimas. » {Mcd., I , § 1 , p. 20ô.) ( 228 ) • ^ disant qu'elle crée seulement les accidents des personnes, et non les substances elles-mêmes *. » Anselme avait vécu dans un temps où la controverse entre Réa- listes et Nominalistes n'était pas formulée avec une complète net- teté. Nous avons vu qu'il règne une certaine indécision dans son langage. Boèce lui-même n'était pas entré fort avant dans le diffi- cile problème. La maladroite application que fit Roscelin de ses principes au plus auguste des Mystères chrétiens; la façon exa- gérée, exclusive dont il les exprima furent cause qu'Anselme s'occupât plus de défendre le Dogme que d'exposer une théorie générale sur la nature de la substance. Etonnant malentendu! Dans son ouvrage sur S. Anselme, M. de Rémusat nous avertit que notre Docteur n'a pas poussé très-loin la discussion des Univer- saux. Cela ne l'empêche pas de le représenter ailleurs comme un réaliste excessif^ \ Peu de temps après Anselme, Guillaume de Champeaux pro- fessa l'ultra-réalismc dans toute sa crudité. Le système de Guil- laume garde encore plus d'une obscurité. Selon les critiques, il aurait tenu Vîniité physique de l'Espèce^ dont les multiples iîidi- vidus ne seraient que les formes accidentelles et extérieures. Son opinion se résume dans cette phrase connue : « L'homme est une espèce, une chose essentiellement une à laquelle adviennent accidentellement certaines formes qui font Socrate ^. « A ce compte, * « Vix audemus dicere in creatione animarum Deum non creare substan- » tiam, sed proprietatem solam, ne derogare videamur omuipolentiae summae , » si sola accideiilia dicunlur in personis el non sul)stantias creari » {De pccc. orig., II, §20.) * Abélard, I, p. 359, — « S. Anselme , son puissant adversaire, se jeta par opposition dans l'excès du réalisme. » —Toute la discussion lhéologique,qui suit ces paroles, est assez faible. 5 « Homo quaedam species est, resuna essenlialiter, oui adveniunl formae » quaedam, et efficiunt Socratem : illam eamdem essentialiter eodem modo ') informant formae facientes Platonem et caetera individua hominis, nec ali- » quid est in Socrate praeler illas formas informantes illam materiam ad » faciendum Socratem, quin illud idem eodem tempore in Plalone informatum » silformisPlatonis.» {De Gen.elspecieb.,]).^ïô. — Cf. M. de Rémusat: AbéUird, II, p, 24.) — « Erat aulem in ea sententia de communitale universalium, ut eam- ( 229 ) dit M. de Rëiiiusat, l'universel serait attrihuable à plusieurs, en ce sens qu'une même chose serait en plusieurs, diversifiée unique- ment par Topposition des formes et conviendrait ainsi aux indi- vidus, soit essentiellement, soit subjectivement ^ » On sait qu'Abéiard répondait à cela qu'en ce cas, partout où ne se trou- vait pas Socrate, ne se trouvait point l'espèce humaine. Quoi qu'il en soit de cette observation souvent rappelée, Abélard fit faire un progrès réel à la question, en la ramenant à des termes plus précis. Il tient que les Universaux, comme tels, ne sont pas des mots ou des vocables matériels [voces, flatus), comme paraît l'avoir insinué Roscelin, mais des termes significatifs [sermoiies). Pour lui, l'Universel ou l'élément commun aux divers individus est ce qui naturellement peut être affirmé de plusieurs choses. » — «Lors- que l'espèce est dite être créée ou produite par le Genre, dit-il, il ne faut pas pour cela que le Genre précède ses espèces chrono- logiquement, ou dans l'ordre de l'existence, de sorte qu'il doive exister avant elles. En réalité, jamais le Genre n'exista que par quelque espèce : jamais animal n'exista qu'il ne fût raisonnable ou non raisonnable. De même les espèces existent en réalité avec leurs Genres -. » C'est ici la doctrine aristotélicienne de l'imma- nence de l'universel dans les choses, dit très-bien le D'^ Ueberwegg. — Si Abélard n'a pas résolu le problème scolastique, il a du moins écarté les points de vue extrêmes. Bernard de Chartres, Guillaume de Couches et Adélard de Bath cherchèrent à concilier, dans leurs livres, Aristote et Platon. «Ce qui nous tombe sous les sens, dit Adé- lard dans un texte dont j'emprunte la traduction à M. Hauréau, étant genre, espèce ou individu , à bon droit Aristote a dit que le » dem essenlialiter rem lotam simul singulis suis iuesse adslrueret indivicluis, » quorum quiciem milla essel in essenlia diversitas, sed soia multitudine acci- y denlium varietas. — Sic autem islam correxit senlentiam, ut deinceps rem » eamdem non essenlialiter sed individualiter (inditlerenler ?) diceret. » Cf. iM. Hauréau, I, p. 567. — Le savant critique y discute la variante indiquée, avec sa pénétration ordinaire. ' Abélard, II, p. 97. 2 futr. adtheol, If, 15, p. 1085.— T.f. DialecL, p. 458.- VoirPRAML, II, pp. ÎOOet suiv.; UEBEinvEGC, lî, p. 158. - de UKMi;sAT,.46t'/a/. c 111.) — « Universale tiiplicem hal)et considerationem, scilicet secuntluni » quod in se ipso est natura simplex et invariahilis, et secundum ([uod refer- » lur ad intelligentiam, et secundum quod est in isto vel illo. Primo quidem ' modo simplex est natura, quae dal esse et ralionem etnomen. - Per hoc » aulem quod est in isto vel illo, mulla accidunl ei... quod esl particulatuni » et individualum... Per hocautem quod est in inlellectu, dupliciler coiiside- » ratur, scilicet aut secundum relalionem ad iutelleetum Intelligentiae primae » cognoscentis et conscientisipsum, cujus radius quidam est. aut secundum >' relalionem ad inlellectum per absiraclionem cognoscenleni i|)sum... w (Ibid.) - ft Naturae commiini non potesl allribui inlentio universalilalis, nisi >' secundum esse ([uod hahel in inlellectu : sic enim solum esl unum de mul- - lis. — Ipsae aulem naturae quibus accidil iiUenlio universalilalis sunl in tient les Essences, sont de fait affirmés des individus eux-mêmes, mais pas les noms qui expriment les formes de l'esprit. Socrale est un homme : il n'est pas tme espèce, bien que Ihomme soit une espèce. — Et il écrit ailleurs : H y a des êtres qui existent hors de 1 âme, selon leur être complet, comme Thomme, la pierre... il y en a qui n'ont aucune sorte d'existence hors de Tàme, comme les rêves et les chimères, il y en a aussi qui ont un fondement dans la réalité, et en dehors de l'àme, mais dont la dernière raison formelle est le produit de l'acte intellectuel, comme cela se voit dans l'universel. Ainsi IHumanité est quelque chose de réel; mais dans la réalité, elle n'a pas la forme d'une Essence universelle. En dehors de l'esprit, il n'y a pas d'humantié commune à plu- sieurs individus : ce n'est que dans l'esprit qu'à l'humanité est attribuée la forme d'après laquelle elle prend le nom d'espèce L ) rehus; et propler hoc nomina communia significantia naluras ipsas praedi- » cantur de individuis, non autem nomina signiflcantia intentiones. Socrates » enim est homo, sed non est spccies, ([uamvis liomo sit species. » {Corn, in lib. de anima, 1. Il , lect XII.) * în I sent. disL, 19, q. 5, a. 1. — Cf. l'opuscule 48, de Universalibus : Transcrivons ces quelques lignes... « In liomine sic intelleclo (h. e. universali- » ter) est duo considerare, scilicet ipsam naluram humanam seu habens eam ; » et ipsam universalilatem, seu abstraclionem a diclis condilionibus mate- ) riae. Quantum adpiimum, homo dicil rem; quantum vero adsecundum, I dicit intentlonem ; non enim in re invenitur homo, qui non sit hic et nunc ; ^' et ipsa natura ut sic,dicitur esse prima intentio. Sed quia intellectus reflec- *» litur supra se ipsuni, et supra ea quae in eo sunt sive subjective, sive >) objective , considérât iterum hominem sic a se inlellectum sine conditionibus )' materiae; et videt, (juod talis natura cum lali universalitate seu abstrac- >' tione intellecta, polesl altribui huic et illi individuo, et quod realiter est » in hoc et in illo individuo ; ideo formai secundam intentionem de lali natura, » et hanc vocat universale, seu praedicabile vel hujus modi. » [Ibid., c. II.) — « Quia intellectus iiosler ea quae in re sunt conjuncta polest distinguere, " quando unum eorum non cadil in ratione alierius, el quum rationale in se >) consideratum non sit de ralione sensibilis: ideo ea separatim accipil. ). Quando ergo intellectus considérai in re il lut! in quo convenit cum aliis » vehu?,,illi rei conceptae altribuil inientionem universalitatis; inlentioni vero » universalitatis respondel extra, ut fundamenlum, illiid in cpio Socrates est )> conformis cum aliis rébus. » ( 254 ) On voit à la simple lecture de ces textes combien le problème a gagné en netteté chez les Docteurs du XIII'' siècle. L'esprit roma- nesque d'un nombre assez considérable de Scotistes et d'nltra- réalistes compliqua de nouveau la discussion. On tint qu'à part toute opération abstractive de Tesprit, il existe des formes uni- verselles. Selon ces maîtres, l'Essence, la Nature commune serait distincte des individus non-seulement en raison, mais d'une ma- nière formelle, et à part de toute réflexion psychologique. La nature subsiste, numériquement une, dans les multiples indi- vidus de l'espèce. Ces thèses dont l'exagération choque si fort provoquèrent la réaction de Guillaume d'Occam. D'après lui , l'universel , dit-il , exprime l'essence; il manifeste dans l'esprit la nature de l'être en dehors de l'esprit '. Le canoniste de Louis de Bavière pro- fesse que l'acte abstractif qui engendre l'universel n'est quune fiction, mais en même temps, il tient qu'en réalité lui corres- pond une entité semblable à sa forme, et qui est la nature même de l'être. Cette déclaration rappelle le fondement objectif des concepts généraux si clairement définis par les Maîtres du XllP siècle. Seulement, d'Occam insiste à l'excès sur le côté conceptuel du problème. On croirait entendre Roscelin. Le cri- tique était un partisan excessif de 1 école terministe accréditée par Psellus le Byzantin. Il considère les concepts universaux, comme des signes représentant, au point de vue du Discours et de l'expression, des individus d'essence semblable. L'universel n'a d'existence réelle, dit-il en certains passages, que dans le Discours. Mais, comme Abélard, il a soin d'ajouter que les Termes répondent aux concepts qu'ils manifestent, il est vrai que, pour lui, les mots sont des signes cirbitraires des idées. Il faut se sou- venir pourtant qu'à coté de Vuniversel considéré uniquement dans * Cf. G. BiEL : « Universale non est aliquid reale habens esse subjeclivum » (h. 6. objeclivum, comme diraient les modernes) née in anima, nec extra » animam, sod tanlum esse taie in esse objective (= subjective) quod babet » res extra in esse subjeclivo. » (In Sent., T , d. H , q. 8 ) — « Sed magis pro- » prie loquendo débet concedi quod universale exprimit vel explicat essentiam » subslantiae,h.e.naluram quae est substanlia. » {Summa totius log., I,p. 17.) ( 233 ) les mots, il distingue V universel naturel ou« symbole qui par sa nature peut être attribue à plusieurs êtres *. » Sans trop le sa- voir, Gabriel Biel a montré que d'Occam n'a jamais rejeté le fondement réel des Universaux 2. Il est regrettable qu'il n'ait pas exposé ses vues d'une façon plus développée et plus syntbétique. A rencontre d'Anselme de Canîorbéry, c'était un psychologue plutôt qu'un métaphysicien, et la licence des réalistes exalta ses tendances empiriques, au grand détriment de sa doctrine qui n'est pas toujours claire ni complète. Dans les limites que nous prescrit la nature de notre sujet, nous pouvons à présent porter un jugement général sur la manière dont la question des Universaux a été envisagée durant les premiers siècles du moyen âge La partie psychologique du problème ou la genèse des notions communes dans V esprit a été parfaitement traitée par les Docteurs, surtout par les Maîtres du XIII^ siècle. Ils établirent avec la dernière clarté que c'est le pro- pre de la raison de saisir, dans les êtres de la nature, l'essence pure et de la dépouiller, par l'abstraction, des attributs accidentels aux- quels elle coexiste dans la réalité. C'était nier l'existence concrète ^ « Quarla possel esse opinio quod niliil est universale ex natura sua, sed » tantum ex instilutione, illo modo quo voœ est universalis , quia nulla res ex )) natura sua habel supponere proalia re nec vere [iraedicari de alia re, sicut » nec vox, sed tantum ex inslilulione voluntaria. — Sed haec opinio non » videlur vera, quia tune nihil ex natura sua esset species vel genus nec e )) converso. » {In Sent , I, d. H, q. 8. — Ap. Prantl, 111, p. 557.) 2 Citons seulementle texte suivant : « Videtur opinio probabilior quod uni- » versale est conceptus mentis : id est, actus cognoscendi qui est vera qua- )) litas in anima, êtres singularis, significans univoce plura singularia aeque » primo. — Quorum singulorum est naturalis similitudo, non inexistendo. i> sed in repraesentando : propler quod dici potest fictum , similitudo, imago » vel pictura rei; etiam objeclum cognilum , sed non seipso, sed alio conceplu » refleœo. Est etiam uni versale vox vel scriptum aut quodcumque aliud » signum, ex instilutione vel volunlario usu significans plura singularia nni- )' voce. » {In sent., d. 11, q. 9.) — Notons que le rapporteur fidèle de Guil- laume d'Occam admet le fondement naturel des Universaux (naturalis simili- tudo). Mais, comme entité, l'universel n'a pas d'existence absolue; il n'a qu'une existence représentative, à litre de signe, de parole parlée ou écrite. ( ^23(3 ) et séparée delà substance universelle, et alTirmer en même temps le fondement des concepts généraux. Nous avons retrouvé les linéaments rudimentaires de cette doctrine dans Anselme de Cantorbéry. Restait la partie physique ou, si Ion aime mieux, physiologique de la question. Y a-t-il dans les êtres vivants un élément unique qui est transmis en réalité aux divers individus constituant une classe naturelle d êtres, ou pour parler exactement, une espèce? Pour répondre à celte interrogation qui posait le problème de la substance physique sous son véritable point de vue, nous devons rappeler qu'Aristote avait conçu le groupement des êtres de la nature selon leurs rapports naturels, notamment selon leur mode de génération... « Toute substance est engendrée par une substance synonyme, avait -il dit, et l'homme engendre un homme. » — El il rapprochait cette thèse de sa théorie sur la substance individuelle par cette grave explication :« Il est évident que les idées (universaux) considérées comme causes, et c'est le point de vue des ])arlisans des idées, en supjjosant même qu'il y ait des êtres indépendants des objets particuliers , sont inutiles pour la production des essences, et que ce ne sont pas les idées qui constituent les essences des êti*es. Il est encore évident que, dans certains cas, ce qui produit est de même nature que ce qui est produit, mais ne lui est pas identique en nombre : il y a seule- ment identité de forme, comme il arrive, par exemple, pour les productions naturelles. Ainsi Ihomme produit l'homme •. * La science des classifications était encore une de ces intuitions de génie où le Stagyrite devançait son temps et pressentait l'esprit moderne. Mais des préoccupations multiples empêchèrent de tirer de cette vue féconde tout ce qu'elle renfermait. Le senti- ment du Stagyrite touchant la génération spontanée des espèces inférieures jeta de l'ombre sur sa théorie de la substance. Les ultra -réalistes taillaient le monde réel sur le patron de leurs distinctions logiques , et le peuplaient des plus aventu- reuses chimères. Les nominalistes, qui d'ordinaire eurent plus « Met., XII, c. III; 1. Yll,c. VIII. ( î^">7 ) de souci de robscrvation , se donnèrent le tort de négliger le lien des phénomènes : ils méconnurent ainsi l'élément objectif des notions universelles, la nature commune aux multiples individus. Les conceptualistes se rapprochaient comme eux de la vérité^ mois leur langage flottait incertain, et accusait trop souvent le vague de la pensée elle-même. Au XIII^ siècle, on lit un grand pas vers une solution définitive. Albert le Grand et Thomas d'Aquin montrent dans la matière première et indé- terminée rélément simplement potentiel des êtres, qui ne peut être conçu comme réel que dans son union avec la forme : d'après eux, la seule matière réelle est le terme de la géné- ration ^ la matière engendrée K Le fait de la génération, là était bien la clé du problème! Les Docteurs le pressentirent. Toutes leurs recherches si abstruses sur la nature de la matière l)remière et sur le principe d'individ nation trahissent cette pré- occupation '^. Les modernes ont enfin rendu justice à ces discus- sions dont s'amusait l'élégante frivolité du dernier siècle. Le nôtre s'est mis à scruter à son tour Tentité ou la quasi-entité qui constitue le dernier fondement des déterminations de la sub- stance. La doctrine de la matière et de la forme se retrouve dans les théories des cliimistes contemporains. Mais au moyen âge, c'était plutôt par la spéculation que par l'expérience et l'analyse qu'on cherchait à connaître la nature. Après le Docteur Angélique qui avait regardé comme le principe de l'individuation la matière étendue, Duns Scot donna un tour plus métaphysique à la discus- sion. II distingua dans l'être la matière première, totalement < C'est dans le commentaire d'Albert le Grand sur le UherlV Principiorum (fue M. Hauréau signale ce passage suivant, le plus important qui jusqu'alors avait été écrit au sujet des Universaux. — a Singularitas creationi sive genera- tioni coaequatur, quia terminus generationis aut creationis est singidare.» — Mais il faut ajouter avec M. Hauréau que le langage du Docteur universel n'est pas toujours terme sur cet important sujet. (Cf. S. Th , Sum., 1 , q. 76, art. 2. — « Unumquodqiie hoc modo habct unitalem quo habet esse. » '^ Cf. Opusc. De natura materiae , c. 111. — De principio individualionis. — Voy. sur la doctrine de S. Thomas sur le principe d'individuation des êtres 1( s excellentes eonsidéralions de Scari.z, Met., disp. V, sect. III et suiv. ( 238 ) informe, mais réellement une et existante en soi : puis la matière seconde- première, ayant déjà reçu la forme substanlieile et devenue ainsi le réceptacle virtuel des formes; enfin la matière troisièmement- première ou la substance engendrée, l'individu procréé par l'essence commune et la forme réunies *. 11 est vrai : à mesure que la méthode expérimentale se répand dans les Écoles, le problème est résolu d'une façon plus concrète. Le savant Suarez admire que son collègue Fonseca y trouve tant d'aspérités. Pour lui, le principe d'individualion des êtres n'est rien autre chose que leur essence envisagée dans son ensemble, avec toutes ses propriétés. Chaque être est ainsi par lui-même, dit-il, son principe d individualion 2. Nous ne pouvons qu'indiquer en passant la solution de Suarez. C'est celle de d'Occam : Quœlibet res, eo ipso quod est, est hœc res. (In I Sent. D. II, Q. VI). Elle nous parait la vraie. Mais veut-on se convaincre combien elle est conforme à l'esprit de la science moderne? Écoutons ce passage où M. Hauréau, montre qu'au XIV^ siècle la science se simplifie, sur une foule de points, grâce à l'adoption d'une méthode meilleure, et à la déchéance de l'ultra-réalisme. a Ne voit-on pas du premier coup d'œil, écrit ce savant, com- bien de problèmes, si vivement débattus au XIIP siècle, se trou- vent écartés comme frivoles, par les principes mêmes de la doc- trine nominaliste? Il ne s'agit plus de rechercher quelle est la manière d'être de la matière séparée de la forme... Quelle est de même la nature de la forme séparée de la matière? La recherche du principe d'individuation, ce problème qui par son obscurité même avait tant d'attraits pour les scolastiques du siècle précé- dent, que devient-elle?... La cause, le principe de l'individualité est tout simplement l'acte générateur de la substance individuelle, l'acle émané de la cause intrinsèque , du suprême moteur ^. » Du moment où les Maîtres étaient parvenus à ces conclusions, la ' De rerum princip., q. Vin,a. 4. — Voir les éludes de M. Hauréau sur D. ScoT,lI, pp. 307-582. ^ Metaph., d. V, § VI. "^ Ouv. cit., II, p. 47 1\ ( 239 ) question de la substance physique était près de sa solution. Les querelles qui remplirent la fin du XIV'' siècle, et les disputes idéologiques dont elles furent suivies la retardèrent. La physio- logie moderne, sur ce point comme sur tant d'autres, est revenue à Aristole : non sans doute à l'Aristote des Glossateurs, mais à l'Aristote véritable, au disciple de l'expérience et de la nature. Qu'apprend l'expérience touchant l'élément commun des êtres vivants; qu'enseigne la nature? Qu'est-ce, selon elle, que l'uni- versel ùi re, l'Espèce en un mot? C'est la collection des êtres qui produisent des descendants ca|)ables d'en reproduire d'autres à leur tour, de même essence et de forme semblable. La fécon- dité continue, voilà donc le signe et le critère de l'espèce, de l'Universel physique. Ce caractère est en soi indépendant de toute considération de l'esprit. Par l'imagination anéantissez l'homme et la raison. La fécondité des êtres vivants , le prolonge- ment de leurs espèces ne seront pas détruits pour cela. Une essence identique se retrouvera dans tous les individus des mêmes groupes spécifiques. Créée avec le germe primitif, la vie de l'animal passe des parents aux descendants, comme l'eau de la source alimente au loin les réservoirs et les ruisseaux, pour employer une comparaison d'Anselme. Mais comment subsiste cette nature commune? Où Irouve-l-on ce caractère de la fécon- dité continue? Uniquement , dans les individus j dans les types particuliers. L'espèce, comme dit Cuvier, n'est que l'ensem- ble des individus descendus l'un de l'autre ou de parents com- muns*.— « Conçue comme être collectif » elle n'est, à proprement parler, qu'une abstraction , selon l'expression de M. Flourens 2. Elle n'a pas une existence séparée et concrète, en tant que substance universelle. Sous ce rapport, elle n'est pas la substance réelle, car celle-ci a été définie par Aristote aussi bien que par Anselme : « Ce qui n'est pas en un sujet ni ne se dit d'un sujet. » Elle est l'attribut exclusif des individus possédant, dans l'unité de leur être, le principe constitutif de leur existence et de leur * Règne animal, 1. 1", p. 16. ,2 Ontologie naturelle, p. 12. ( Ô40 ) activité. 11 est très-possible de concevoir, d'une part, que la sub- stance commune n'existe que dans les individus; et, d'autre part, qu'elle s'identifie de fait à chacun d'eux, et que par consé- quent elle est consubstantielle à tous les représentants d'une même espèce. La transmission de la substance corporelle aux multiples individus par voie de génération, et la doctrine d'Aris- totesurle caractère individuel de la Substance peuvent se conci- lier parfaitement. Que faut-il à cette fin? Rejeter les thèses de l'ultra-réalisme. Nier contre J. Scot Érigèneque, même dans les types particuliers, l'essence universelle subsiste par soi , comme une nature complète et séparée; contre Rémi d'Auxerre et Gilbert de la Porrée, nier qu'elle se divise entre les individus, comme si elle avait sur ceux-ci la priorité dans l'ordre de l'existence, et enfin, contre Guillaume de Champeaux et Guillaume d'Auvergne, nier qu'elle reçoive les types individuels comme de purs accidents intrinsèques. En mettant fin à cette étude, nous devons certes regretter que les déclarations d'Anselme touchant la substance ont été for- mulées d'une manière incomplète. Ce n'est pas notre faute s'il a fallu, non sans ennui et sans labeur, dégager sa pensée des nuages qui l'enveloppent. La question n'était qu'incidemment posée devant son esprit. Elle se produisait à Toccasion d'une discussion dogmatique, sur la foi de renseignements indécis. Moins heureux que Guillaume de Champeaux, Anselme neut pas la fortune de rencontrer un contradicteur vigoureux et précis, dont les arguments l'eussent obligé à déterminer, à éclair- cir ses idées. Mais en rapprochant les points principaux professés ou admis par le Régent du Bec, nous pouvons pénétrer sa doc- tiine ^ D'une part, lui, le chercheur des causes premières, le disciple ' Nous nous rallions enlièiement au jugement de M. de némusal qui veut qu'Anselme n'ait pas ixMiélré fort avant dans la grande querelle. Celle-ci com- mença à devenir tout à l'ail sérieuse au temps d'Abélard. — On comprend qu'en cet état de choses, nous ne puissions nous étendre sur les aspects divers du problème des Universaux, Nul, à notre avis, ne l'a analysé, en général, avec aulanl de lin(sse([ue Pauleur (.VAbé'ard, t. 1", p. 318, et l II, pp. 1-1 52, ( 241 ) de S. Augustin ne peut nier la réalité métaphysique de la sub- stance. Comme élément essentiel des individus; comme principe de leurs énergies et fondement général de leur classification naturelle , elle a une importance prépondérante pour le philosophe : elle ne peut être identifiée, sans distinction aucune , aux personnes, aux singuliers, ni surtout être réputée un néant, un vain son et une parole fugace. Il est vrai : l'essence universelle n'est pas directement objet de sensation : néanmoins, associée au com- posé par l'acte indivisible de la génération, elle peut en être sépa- rée par l'intellect, l'affranchissant des propriétés individuelles, et s'élevant, par delà les accidents, jusqu'à l'espèce simple, immua- ble, commune. De même les qualités, les parties inséparables de leurs sujets en sont toutefois distinctes : ce ne sont ni de purs concepts ni des formules sans fondement. En somme, qu'exige Anselme de lîoscelin? Que celui-ci admette au moins une dis- tinction de raison entre la personne et la nature, entre la substance et ses accidents. Très-justement il lui reproche de ne pas conce- voir que le Verbe ait pu prendre la nature de l'homme, sans accep- ter par le fait la personnalité humaine. Il tient que le chanoine de Compiègne introduit dans l'essence divine la distinction et la pluralité qu'il trouve aux choses créées, aux esprits, aux âmes. Il repousse avant tout l'assimilation de l'unité substantielle de l'Ab- solu et de l'unité simplement logique, conceptuelle des substances finies. De l'aveu d'un critique peu suspect de partialité à l'égard du Docteur de Cantorbéry, c'est la thèse de Heiric d'Auxerre et de Rhaban-iMaur, de l'école conceptualiste '. Nous permettra-t-on de le dire? A notre avis, il y a quelque 1 Voici comment M. Hauréau termine son examen des opinions d'Heiric d'Auxerre: « Les mots signiliant des pensées, des pensées recueillies de l'ob- servation des choses, Heiric se prononce à l'avance contre la thèst' merae voces, flatus vocis, qui sera, comme nous le verrons, imputée au chanoine Roscelin. Distinguant donc ce qui est, en effet, conventionnel, de ce qui est, il le dit, naturel, c'est-à-dire nécessaire, et plaçant les idées dans cet ordre, Heiric nous informe ainsi qu'il veut être inscrit au nombre des conceptua- listes, en la compagnie de Rhaban Maur. )> (I, p. 196.) — Voilà qui est bien dit. Seulement, l'on souhaiterait que M. Hauréau indiquât une opposition réelle entre la doctrine d'Heiric et celle d'Anselme. Tome XXV. 16 ( 242 ) engouement à montrer dans Anselme le héraut du réalisme physique, le sectateur prudent de Scot Erigène et le devan- cier de Guillaume de Champeaux ^ — La seule réalité qu'in- contestahlement il a reconnue à la substance universelle, c'est d'une part, sa forme transcendante, idéale en l'intellect divin; d'autre part, son existence abstractive dans l'entendement de l'homme, et son inclusion virtuelle dans l'être individuel. Pour emprunter son langage, l'universel est une chose, en ce sens que nous avons coutume d'appeler de ce nom tout ce qui participe de quelque façon à l'être. On peut l'appeler une Essence, mais à condi- tion de se souvenir que toutes lesessences ne sont pas des substances. Voilà les résultats de notre enquête sur les vues du Docteur du Bec. Ils sont bien loin de présenter un système complet sur le problème des Universaux. Mais on a trop parlé de l'ultra-réalisme d'Anselme pour quil fût permis de les négliger. S'il eût vécu quel- ques années de plus; s'il lui eût été donné d'achever le Traité de Vorigine des âmes qu'il méditait à la veille de sa mort, peut-être aurait-il laissé à notre curiosité des documents plus formels. Défi- nitivement nous saurions sW aurait partagé les idées de Guillaume de Champeaux, ou bien celles d'Abélard. Nous croyons sans diffi- culté que son langage a pu jusquà un certain point recommander le dogme de l'unité de substance. C'est de ce chef sans doute que le chroniqueur Ileriman lui a prêté la doctrine d'Odon de Cambrai. Mais pour quiconque a souci de l'approfondir, son sentiment vaut mieux que ses paroles. Tels qu'ils sont, les textes que nous possé- dons vengent sa mémoire de l'accusation d'idéalisme effréné dont on l'a chargée tant de fois; ils nous donnent le droit de penser qu'à part les vacillements d'une terminologie encore peu fixée, il aurait accepté sur les Universaux la doctrine des grands Maîtres du XI II*^ siècle, celle d Albert le Grand et de S. Thomas d'i^quin. Mais il est temps de quitter cet aride sujet. D'autres débats nous attendent, dans un plus intéressant domaine. Avec Anselme, allons en Théodicéc. * C'est aussi l'avis de M. Bouchilté, dans le reinarqual)le article qu'il a consacré à Anselnne, au I'"" vol. du Dict. des sciences philosophiques, el du D' H RiTTER, l. VII, p. 511 (i^J CHAPITRE IV. THÉODICÉE DE S. ANSELME DE CANTOUBÉRY. §4. De l'existence de Dieu : preuves tirées de la relation des êtres finis avec la Cause nécessaire et infinie. — Preuve dite à priori ou tirée de la seule idée de l'Étt-e le plus grand. — Critique ; sources. La Théodicée ou l'investigation rationnelle de la Cause pre- mière constitue la partie la plus importante de la philosophie de S. Anselme de Cantorbëry. Le premier, depuis la renaissance des lettres sous Charlemagne, il a écrit un traité étendu dont Dieu fût l'objet spécial. Les écrivains des grands siècles patristiques nous ont laissé d'admirables élévations sur la Divinité. C'est le mérite de notre Docteur d'avoir coordonné les principaux aspects d'un si difficile sujet. Cet homme du XI*' siècle, sorti de l'école des Dialecticiens, a su imprimer à sa Démonstration une telle ori- ginalité qu'elle nous charme encore aujourd'hui, et rallie les suffrages de ceux-là même qui s'en séparent en des points essen- tiels ^ Anselme tenta cette grave entreprise dans les deux Traités célèbres^ le Monologue et le Prosloge. Le modeste religieux ne les jugeant pas digne de prendre rang parmi les livres, avait d'abord appelé le premier un ^c Essai de Méditation religieuse, » * C'est avec toute raison qu'Eadmer, compagnon et historien du S. Arche- vêque de Cantorbëry, écrit au sujet du Monologue : « In tantum conlempla- » tionis divinae culmen ascendisse (AnseUiium), ut obscurissimas, et ante » tempus suuminsolilas de Divinitate et nostra fîde quaestiones , Deo rese- )> rante perspiceret, ac perspectas enodaret, aperlisque rationibus, quae dice- » bat, rata et calbolica esse probaret. » {Vit. S. Ans , 1. I.) ( 244 ) Exemplum meditandi de fuie *. L'autre portait pour titre : La Foi cherchant l'intelligence : Fldes quœrens intellectum. Ce ne l'ut que plus tard, sur les instances d'Hugues, archevêque de Lyon et légat apostolique des Gaules, qu'il leur donna une publicité plus grande, sous le nom àe Monologue ou Soliloque et de Prosloge ou Allocution 2. Quelques critiques estiment que le Monologue s'occupe surtout de Vexisience de Dieu, et le Prosloge de son essence intime. Nous pensons que les deux moments de la question sont exposés dans ces Traités avec trop d'extension pour qu'on puisse adopter la distinction que nous venons d'entendre. Nous partage- rons les vues du S. Docteur d'une manière plus générale. Avant tout nous examinerons sa démonstration de l'existence de la première Cause; ensuite nous nous occuperons de ses idées sur l'essence divine elle-même. Dans notre examen l'ordre logique sera notre unique guide : nous ne ferons aucun scrupule de prendre indifféremment les éléments de la discussion dans le .Monologue et dans le Prosloge, aussi bien que dans la critique de Gaunilon de Marmoutiers et dans la réponse d'Anselme à ce rude et fin dialecticien. Anselme reconnaît tout d'abord qu'il y a plusieurs manières de démontrer l'existence de Dieu; mais, dans le Monologue, il s'at- tache à une preuve qu'il estime tout ensemble simple et eflîcace. Il commence par noter que tout homme recherche le Bien, c'est-à-dire ce qui, à des titres divers, se révèle comme désirable à la volonté. Cela posé, voici, sans plus de retards, comment rai- sonne notre S. Docteur : Il est manifeste, dit-il, qu'il y a dans les choses que nous appelons bonnes des degrés divers, et que leur bonté est plus ou moins grande. Cela est vrai dans Tordre physique et sensible comme dans l'ordre moral et immatériel. Or, n'est-il pas clair que ces êtres, considérés précisément sous le rapport de la bonté, supposent un élément identique en tous? Cet élément, ajoute Anselme, ne doit-il pas être le principe, la forme immédiate ' Cf. Proslog.j proœm. 2 C'esl en effet le litre que porte le manuscrit de Saye. — Voir également les chapitres IV et IX du traité de la Trinité et de l'Inc. du Verbe — et les Lettres, 1. 1, lett. 65, 65; 1. II, lett. 17. ( 24d ) de la bonté à laquelle ils participent selon une diverse mesure et dans des ordres différents? De la sorte, tout ce qui est utile et honnête n'est véritablement bon que par cette forme de toute bonté. Or, ce qui est la cause de toute bonté des êtres doit être à coup sûr un bien excellent. Ce ne peut être que le Bien en soi , le Bienabsolu. Ce Bien subsistant par soi est d'évidence au-dessus de tous les autres êtres qui ne sont bons qu'à condition de participer h un certain degré à sa bonté. Il doit les surpasser donc de ma- nière à n'avoir parmi eux ni supérieur ni égal. iMais la grandeur, c'est-à-dire la perfection naturelle ou ontologique, est en raison directe de la bonté de l'Être ou du désir qu'il est capable d'engen- drer dans la droite volonté. îl y a donc un Etre souverainement bon et souverainement grand , supérieur à tous les autres êtres bons distincts de lui (c. I) *. Et de même que nous avons trouvé l'origine de toute bonté dans la participation des êtres à la Bonté en soi, ainsi leur perfection ne s'explique que par leur participation à l'excellence de cet Etre. Celui-ci dès lors se révèle à nous comme souverainement grand et souverainement bon, en un mot, comme l'Etre absolument supérieur à tout ce qui ^ « Facile est igilur, ut aliquis sic secum lacilus dicat : Cum lam innume- » rabilia bona sint, quorum [am mullam diversitatem et sensibus corporels ^) experimuret ralione mentis discernimus, estne credendum esse unum ali- » qiiid per quod nnum sunt bona quaecumque bona sunt, aut sunt bona » alia per aliud? Certissimum quidem et omnil)us volentibus advertere perspi- » cuum est, quia quaecumque dicuntur ad aliquid , lia ut ad invicem magis » aul minus aut aequaliter dicantur, per aliud dicuniur ; quod non aliud et » aliud , sed idem inlelligilur in diversis, sive in illis aequaliter sive inaequa- ^) liler considerelur. Nam quaecumque justa dicuntur ad invicem, sive pariter » sive magis vel minus, non possunl intelligi justa nisi per juslitiam , quae » non est aliud et aliud in diversis. Ergo, cum certum sit quod omnia bona, » si ad invicem conferantur, aut aequaliter aut inaequaliter sint bona, » necesse est ut omnia sint per aliquid l)ona, quod intelligitur idem in « diversis bonis, licet aliquando videanlur bona dici alia per aliud. Per aliud » enim videlur dici bonus equus, quia forlis est, et per aliud bonus equus, ^) quia velox est. Cum enim videatur dici bonus per fortitudinem et bonus per » velocitatem , non tamen idem videtur esse fortitudo et velocilas. Verum si » equus, quia est forlis aut veiox, bonus est; quomodo fortis et velox latro ( U(] ) existe. — Jusqu'ici nous ne faisons que reproduire rigoureuse- ment l'argumentation de notre Docteur. Poursuivons. Non-seulement toute Ja bonté et toute la perfection des cires émanent d'un principe unique qui est la Bonté et la Perfection suprêmes, il faut tenir en outre que ce Bien absolu est la Cause universelle de tout ce qui existe. Dans la pensée d'Anselme, cette conception est si étroitement rattachée aux précédentes observa- tions, que nous voulons tout de suite résumer ici le développe- ment qu'il lui donne. Tout ce qui existe, dit-il, est déterminé à l'existence par quel- que Être. Ce principe déterminant est-il unique ou multiple? Si tous les êtres de la nature sont produits par plusieurs principes, ceux-ci relèvent tous d'une seule cause, ou ils exisieni chacun par soi, ou bien ils se sont mutuellement déterminés à l'existence. Dans le premier cas, il est clair que cette cause primordiale serait l'Etre suprême. Celui que nous avons appelé déjà le souverain Bien. Les causes supérieures subsistent-elles par elles-mêmes ? S'il en est ainsi, cette force de subsister par soi , assimilée à ces multiples substances, sera elle-même la nature ou le Principe suprême , et » malus est? Potius igilur qiiemadmodum fortis et velox lalro ideo malus est ') quia noxius est, ila forlis et velox equus idcirco bonus est quia utilis est. » Et quidem nihil solel putaii bouum , nisi aut propler aliquam utilitatem, » ut bona dicitur salus et quae saluti prosunt, aut propter quamiibet honesta- » tem, sicut pulchritudo aeslimalur bona et quae pulchritudinem jurant. Sed » quoniam jam perspecla ralio nullo potest dissoivi pacto, necesse est omne » quoque utile vel honestum, si vere bona sunt, jjer idipsum esse bona per » quocl necesse est cuncta esse bona, quidquid illud si t. » Quis autem dubitet illud ipsum . per quod cuncta sunt bona, esse magnum » bonum ? Illud igitur est bonnm per seipsum, quoniam omne bonum est » per ipsum. Ergo consequitur, ut omnia alla bona sint per aliud quam quod » ipsa sunt, et ipsum solum per seipsum. At nullum bonum quod per aliud » est, aequale aut majus est eo bono quod per se est bonum. Illud itaque » solum est sumnie bonum, quod solum est per se bonum. Id enim summum » bonum est, quod sic supereminel aliis, ut nec par habeat, nec praestan- » lius. Sed quod est summe bonum, est etiam summe magnum. Est igitur » unum ali([uid summe bonum et summe magnum, id est, summum omnium M quae sunt. >• {Mon.^ 1.) ( 247 ) celles-ci ne méritent leur prééminence qu'en vertu de leur parti- cipation à cette force. Quant à supposer que ces causes se sont réciproquement donné l'existence, c'est une conjecture absurde. Comment une chose existerait- elle par l'être auquel elle-même est censée donner l'existence ? Des causes relatives ou dépen- dantes les unes des autres ne peuvent d'aucune façon se donner l'être et la subsistance. De la suite de ces considérations , il res- sort qu'il est impossible d'admettre plusieurs causes supérieures. Mais, en outre, tout ce qui ne possède l'existence qu'en vertu de la détermination d'un autre Être, existe d'une façon moins par- faite que ce qui dépend seulement de soi-même. Ce qui existe par soi existe seul véritablement. Il y a par conséquent un Etre qui existe par soi, excellemment, parfaitement. Qu'on l'appelle Essence, Substance, ou Nature, il est souverainement bon, souve- rainement grand et absolument supérieur à tout ce qui est. (C. III.) Mais il y a encore une autre suite de considérations qui démontrent cette même vérité. Voici comment Anselme la pré- sente : Nous observons que les êtres de l'univers offrent des degi^és inégaux de perfection. Or, il faut que cette échelle progressive s'arrête à un dernier échelon. Il y a donc nécessairement une nature tellement supérieure aux autres qu'elle n'est inférieure à aucune. Dira-t-on qu'il y a plusieurs natures de cette espèce ? En est-il ainsi, le principe de leur commune supériorité appartient à leur es- sence, ou bien il s'en distingue. Dans la première alternative, puis- que nous sommes en présence d'une seule essence, il devient mani- feste qu'il n'y aurait pas plusieurs natures, mais bien une seule; car de fait, dans la présente controverse, la nature et Vessence sont des termes identiques. Dans l'autre cas, c'est Vêlement com- muniqué à toutes ces diverses natures qui sera la substance ou la force suprême. Elles-mêmes ne peuvent être considérées comme supérieures à tous les autres êtres. Il y a donc une Nature, Essence ou Substance bonne et parfaite par elle-même, qui est par elle- même ce qu'elle est, et par laquelle existe tout ce qui est bon ou ( 248 ) grand, tout ce qui est quelque chose. Il est par conséquent l'Être souverainement bon, souverainement grand, l'Etre absolu- ment supérieur à tout ce qui est. (IV) *. jVous venons de résumer la première démonstration de l'exis- tence de la Cause nécessaire et absolue que nous rencontrons * « Quod cum ita sit,aul est iinum, aut siint plura, per quae sunt cuncta » quae sunt. Sed si sunt plura , aut ipsa referunlur ad unum aliquid per quod » sunt, auteadem plura singula sunt per se, aut ipsa per se invieem sunt. At » si plura ipsa sunt per unum, jam non sunt omnia per plura, sed potius per » illud unum per quod haec plura sunt. Si vero ipsa plura singula sunt per » se, ulique est una alicjua vis vel natura exislendi per se , qua babent ut » per se sint; non est autem dubium, quod per idipsum unum sint per quod » habent ut sint per se; verius ergo per ipsum unum cuncta sunt, quani per » plura,quaesineeo unoesse non possunt. — Ut vero plura per se invieem sint, » nulla patitur ratio; quoniam irralionalis cogitatio est ut aliqua res sit per » illud oui dat esse, nam nec ipsa relaliva sic sunt per invieem. Nam cum » dominus et servus referantur ad invieem, et ipsi homines qui referunlur )) omnino non sunt per invieem, et ipsae relationes quibus referuntur non » omnino sunt per invieem, quia eaedem sunt per subjecta. Cum itaque verilas » omnimodo excludat plura esse per quae cuncta sunt, necesse est unum » Ulud esse per quod sunt cuncta quae sunt. Quoniam ergo cuncta quae » sunt, sunt per ipsum unum, procul dubio et ipsum unum est per seipsum. » Quaecumque igitur alia sunt, sunt per aliud , et ipsum solum per seipsum. » At quifiquid est per aliud, minus est quam illud per quod cuncta sunt alia . » et quod solum est per se. Quare illud quod est per se, maxime omnium est. » Est igilur unum aliquid, quod solum maxime et summe omnium est. Quod » autem maxime omnium est, et per quod est quidquid est bonum, vel ma- » gnum, et omnino quidquid aliquid est, id necesse est esse summe bonum, » et summe magnum, et summum omnium quae sunt. Quare est aliquid quod. » sive cssentia, sive subslantia, sive natura dicatur, optimum et maximum )) est, et summum omnium quae sunt. Amplius; si quis inlendat rerum natu- » ras, velit, nolil, sentit non eas omnes contineri una dignitatis paritate, sed » quasdam earum distingui graduum imparitate... Cum igitur nalurarum aliae » aliis negari non possintmeliores, nihilominus pcrsuadet ratio aliquam in eis » sic supereminere, ut non liabeat se superiorem. Si enim hujusmodi gra- » duum dislinctio sic est infinita, ut nullus ibi sit gradus superior quo supe- » rior alius non inveniatur, ad hoc ratio deducitur, ut ipsarum mulliludo natu- » rarum nuUo fine claudatur... Est igitur ex necessitale aliqua natura , quae » sic est alicui vel aliquibus superior, ut nulla sit eut ordinetur inferior. » (il/on., m. IV.) ( 249 ) chez Anselme. Nous savons que, dans le Prosloge, il a joint à celle- ci son argument préféré, la preuve de l'existence de Dieu tirée de son idée. Avant de passer à Texamen de cette preuve fameuse, nous devons nous arrêter à celle-ci. Elle est d'une très-grande importance, mais en outre, de son intelligence dépend en partie celle de l'argument ontologique lui-même. Pour conclure à l'existence d'une première Cause parfaite en soi, Anselme en appelle avant tout aux degrés divers d'excellence et de bonté que présentent les êtres de l'univers. Il déduit de cette inégalité qu'ils n'ont qu'une perfection participée, qu'ils ne sont bons qu'en vertu de leur assimilation à un Principe indépendant, autonome qui est le Bien en soi. De cette façon, il établit à la fois et le caractère relatif du monde des phénomènes, et sa dépen- dance d'une Cause absolue et souverainement parfaite. Nous serons bref sur la forme de cette argumentation. Nous l'avons dit ailleurs : notre S. Docteur est un très-subtil dialecti- cien. Il sort de l'école deLanfranc,et l'on sait si ce maître célèbre faisait cas de la logique formelle! La portée ontologique ou objec- tive n'est jamais absente de ses vues. Mais l'enchaînement des différentes parties de la preuve n'offre pas toujours une suffi- sante rigueur. Le métaphysicien, bien souvent, domine, corrige le logicien I Les premiers chapitres du Monologue sont d'une teneur un peu lâche : ils trahissent une méthode en formation. Le point saillant, qu'on me passe l'expression, ne se profile pas avec assez de netteté, parmi les circuits de la démonstra- tion. Une certaine attention est requise afin de dégager des formes scoîastiques les conceptions empruntées à S. Augustin ou au Timée de Platon. L'esprit est surpris d'entendre S. Anselme conclure que la forme qui se retrouve dans les êtres diversement bons est le principe substantiel d'où leur vient de fait leur excel- lence propre. Celte forme est conçue par notre Docteur comme le Bien en soi, l'Être suprême, llnfini vivant et personnel! — Voilà un exemple remarquable de ces transitions brusques de la notion purement abstraite à l'ordre concret. Ce n'est pas le premier que nous avons relevé. Le procédé est familier à ceux qui se sont beaucoup préoccupés de formules et de distinctions. ( 2aO ) Cultivée à l'excès, isolée de la nature, de Texpérieuce positive, la logique empiète ainsi d'elle-même sur l'ontologie. L'histoire de la Philosophie est pleine de ses coups d'État. En ce sens, nous avouons qu'Anselme fut parfois porté à réaliser des abstractions. Mais en soi son premier argument est d'une profonde philoso- phie. Avec plus de rigueur, les Scolastiques , Thomas d'Aquin entre autres, le lui reprendront bientôt. Quel est le principe qui se cache sous la suite de considérations que nous avons repro- duites. Le voici : le degré, Vinégcde mesure dans la qualité implique son caractère accidentel et purement relatif. Cet axiome posé, l'existence actuelle d'êtres présentant des qualités, des excel- lences diverses et graduées, ne peut s'expliquer qu'à condition de présupposer l'existence d'une Bonté ou d'une Perfection abso- lue. Étendons un peu ces pensées. De fait, que nous révèle l'observation de la nature? Que\'esse?îce des êtres, leur attribut constitutif et spécifique subsiste d'une façon totale, indivisible, identique dans tous les individus de Vespèce. Cela est fondamental dans notre question. Le type naturel de l'homme n'admet aucune modification, aucune différence de degré. Les individus peuvent sans doute s'approcher ou s'éloigner du type esthétique ou moral de l'humanité, mais ils participent tous, dans une mesure égale, de l'essence humaine. De là l'adage : Plus et minus non matant speciem ; « le plus ou le moins ne tombent point sur l'espèce, » sur l'essence spécifique. Sous ce rap- port, aucune distinction entre les êtres; la différence commence avec les qualités surajoutées, avec les accidents qui revêtent et circonscrivent la substance. Ceux-ci sont susceptibles de degrés, de mesure. Ce sont ces variétés accidentelles qui distinguent les individus et caractérisent les races, les familles, les personnes. En chaque espèce, partout où il y a progression , partout où apparaît la mesure, Xinégalité dans laqualité, l'observateur est en présence de propriétés subordonnées, accidentelles. En de tels êtres, non-seulemejit il ne peut songer un seul instant à l'Absolu proprement dit, à la Bonté nécessaire et subsistant en vertu d'elle-même; il ne peut même être question d'une perfection simplement essentielle, fùt-elle d'ailleurs créée et contingente. ( 2S1 ) Or, les qualités individuelles dos agents physiques et immatériels de l'univers n'ont qu'une bonté mesurée par des degrés bien divers. Aucun d'eux ne se manifeste à la volonté avec l'attribut de l'absolu. Leur excellence est plus ou moins grande; elle n'est ni totale, ni indivisible. Ils présentent plus ou moins d'utilité, plus ou moins d'agrément, plus ou moins de grandeur morale : voilà tout. Au point de vue de la bonté, les êtres de la nature se posent devant le philosophe comme des êtres relatifs , dépendants, ils sont bons, ils n'ont point la bonté, comme disait Platon. Ils ne sont bons que dans la mesure de leur participation à la bonté. Mais une série d'êtres relatifs sans terme absolu est de toute façon absurde et contradictoire. Ce serait une progression où la somme des conséquents surpasserait celle des antécédents. Dès lors, et toute la collection des êtres créés, et chacun d'eux en particulier ne peuvent jouir de l'existence actuelle qu'en raison de la déter- mination d'une Cause absolue, d'une Bonté sans degré, souve- raine et nécessaire. Les propriétés de l'être, les accidents sup- posent et exigent la substance, comme leur sujet naturel, auquel les enchaîne un lien nécessaire. Avec combien plus de nécessité encore , les perfections bornées et relatives de la nature n'impli- quent-elles pas l'existence d'une Bonté absolue, subsistant par la seule nécessité de son être, et dès lors souveraine, parfaite ^? — C'est ce qu'avait montré Augustin dans un passage dont doit 1 Voici comment d'Aguirre s'exprime, dans son Commentaire scolaslique sur le Monologue : ... « Nec ipsa reialiva que adeo connexa sunt, dant sibi » esse invicem. Neque enim Dominus et servus, aut homines invicem relati, >) vel ipsae formae quibus muluo se respiciunt dant sibi esse invicem... Hoc » est quia non comparanlur inter se ut causae elïicientes, vel formales, ad » quas perlinel dare esse: sed subjecta quae denominantur invicem relata, « sunt causae eflîcientes, fundamentaque ipsarum relationum. Quamvis » reJalio absolute sil forma subjecti relati per illam , nullatenus est effîciens » aut formalis causa relationis sibi opposilae : sed dumtaxat est forma subjecti » in quo fundalur et a quo dimanat. Nulla igitur ratione locum habere potest , » ut plara aliqua, etiam relativa, sint per se invicem ad modum circuli. » {Disputât., XJI, sect. IV, § 3i.) — On voit combien les notions du relatif et de V absolu, approfondies pour la première fois au moyeu âge par Anselme, ont exercé d'empire sur les esprits. ( 252 ) s'être souvenu Anselme : « Toutes choses sont bonnes, dit-il, mais elles ont été faites bonnes : elles sont bonnes par l'opération de Dieu, non par elles-mêmes. Celui qui les a faites est d'une bonté excellente : car nul ne l'a fait : il est bon par soi ^ » A ces observations sont étroitement liées celles que présente Anselme dans le chapitre W du Monologue. Là il remarque que les diverses espèces des êtres de la nature forment comme une chaîne hiérarchique dont les anneaux présentent une perfection toujours croissante. Déjà la constatation des degrés dans les qua- lités lui avait permis dinférer leur caractère purement relatif: des degrés de perfection objective dans les divers ordres de créa- lion, il conclut au caractère relatif de la substance créée elle- même, puis à l'absolue infinité de la Cause qui l'a produite. Que là où il y a perfection bornée, il n'y ait qu'une existence parti- cipée, il est aisé de le concevoir. Mais Anselme approfondit l'argument : il affirme qu'il faut également admettre que cette série d'êtres dépendants et relatifs doit en dernière analyse se ramener à une Cause nécessaire et absolue. Celte déduction encore paraît claire. Voici où gît la difficulté : comment établir que cette Cause est non-seulement nécessaire , mais en outre qu'elle est infiniment parfaite ei unique dans son essence? Dans le Mono- logue Anselme glisse assez rapidement sur 1 infinité de Dieu. Bien que sa pensée aille au delà de ses expressions , il se contente de montrer l'existence d'une substance tellement supérieure aux autres <■< cju'elle n'est inférieure d aucune d'entre elles. » La raison peut-elle s'avancer plus loin; peut-elle établir Vinfiuité propre- ment dite ciT unité numérique delà première Cause? Nous croyons que oui : en indiquant ce procédé , nous achèverons d'éelaircir la doctrine de notre S. Docteur, selon le vœu de l'Académie. ^ « Omnia bona, sed facLa bona, et a Deo bona, non a se. Qui fecii haec , » super omnia est bonus, quia nullus euni fecit bonus, sed a se ipso bonus » est. » {Serm. Ilf de cliversis.) — « Aliud est bonum quod summe ac per >) se bonum est, et non parlicipalione alicujus boni, sed propria natura et » cssenlia : aliud quod parlicipando bonum el habendo. Habel autem de illo » Bono summo, ul bonum sit j in se tamen manenle illo, niliilque amittenle. » (Do Morih.Manich.,\. I.) ( 253 ) N'est-il pas vrai que la Cause absolue et nécessaire, dont nous avons démontré l'existence, a pour attribut immédiat ce que rÉcole appelle Videnliié de l'essence et de l'existence? L'Être nécessaire est VActe pur en lequel l'idéalité et la réalité se con- fondent dans l'unité d'une vie supérieure et ineffable. Or, l'induction prouve que la perfection des êtres est en raison directe de leur degré d'activité essentielle. La plante est plus parfaite que la matière brute, précisément dans le rapport où les forces qui l'animent l'élèvent au-dessus de X inertie et de la passivité de l'être inorganique. L'animal l'emporte sur le règne végétal dans la mesure de sa s[)ontanéité motrice et de ses instincts. L'homme occupe le sommet delà création terrestre, en raison de ses facultés d'intelligence et de liberté. A chaque échelon delà vie des êtres, l'indépendance, l'autonomie s'élèvent et la passivité décroît en une égale proportion. Dans les individus, autant que dans les espèces , la mesure de cette énergie imma- nente est celle de la perfection et du progrès. Mais l'Absolu s'offre à nous sous le symbole d'une Activité suprême, sans mélange d'aucune indétermination , d'aucune potentialité. Anselme lui-même, mieux qu'aucun de ses devanciers, a établi Vaséité, le caractère absolu du premier Etre. Il y revient sans cesse dans toute la première partie du Monologue, qui en est la laborieuse démonstration. Seule, la Cause nécessaire possède cet attribut, parce que c'est son privilège singulier d'exister par soi, et de trouver en elle-même le principe complet, indépendant de son existence et de ses opérations. Elle est sa vie, sa connaissance, sa béatitude propres. C'est assez pour conclure, en vertu de l'induc- tion signalée tout à l'heure, que l'Absolu n'est pas seulement la Cause nécessaire, mais qu'il est véritablement l'Etre parfait, infini. Notre S. Docteur est tellement imbu de cette idée qu'il se borne ici à l'indiquer. Faut-il s'en étonner de la part d'un disciple de S. Augustin, du pseudo-Denys et de Platon? Plus loin, il est vrai , il reviendra sur la notion de la perfection divine; mais ce sera pour l'analyser en détail. Il nous a avertis qu'il a songé surtout à écrire des méditations populaires sur l'existence du sou- verain Être. Leur but était ascétique autant que spéculatif. Dès ( 2o4 ) lors la transition logique de la nécessité à l'infinité a pu être négligée. — Anselme s'attache plus longuement à élucider Vunité essentielle de Dieu. Il s'appesantit si fort là-dessus que la preuve en perd peut-être quelque chose de sa clarté. Si l'on suppose, dit-il, la multiplicité des causes premières, admettra-t-on que toutes ensemble elles doivent l'existence à un seul principe? En ce cas, ce serait celui-ci, à l'exclusion des autres, qui serait l'absolu proprement dit. Certes, personne ne soutiendra qu'ils se sont réciproquement donné l'être; car comment concevoir l'action combinée de plusieurs principes relatifs et en soi indéterminés? Tient- on qu'il y a en ces divers êtres une forme nécessaire et absolue? Qui ne voit que c'est à celle-ci qu'il faut alors recon- naître le caractère de l'absolu ? Une argumentation assez semblable se retrouve au chapitre IV du Monologue. Que l'on conçoive un instant qu'il existe plu- sieurs natures ou Essences suprêmes : même, dans cette hypo- thèse, il est clair qu'elles présentent un même élément commun. Celui-ci ne peut être distinct de leur essence qu'à condition d'être lui-même ce principe supérieur que nous cherchons. Mais dès qu'on l'assimile à leur essence, il ne peut être multiple, puisque celle-ci est la même chez toutes en vertu de la supposi- tion. — Voilà les raisonnements d'Anselme *. La première de ces démonstrations offre un exemple de ces 1 « Haec vero natuia quae lalis est, aul sola est, aat plures liujusmodi et » aequales sunt. Verum si plures sunt et aequales , cum aequales esse non pos- » sint per di versa quaedam, sed per idem aliqw'd, illud iinum per qucd » aequaliler tam magnae sunt, aul est idipsum quod ipsae sunt, id est, ipsa » earum essentia, aul aliud quam quod ipsae sunt. Sed si nihil est aliud )) quam ipsa eaium essentia, sicut earum essentiae non sunt plures, sed una, » ila et naturae non sunt plures, sed una; idem namque naturam bic inlelligo « quod essenliam. Si vero id, per quod plures ipsae naturae tam magnae » sunt , aliud est quam quod ipsae sunt, pro cerlo minores sunt quam id per » quod magnae sunt. Quidquid enim per aliud est magnum, minus est quam » id per quod est magnum. Ouare non sunt sic magnae, ul illis nihil sit majus » aliud. Quod si nec per hoc quod sunt, nec per aliud possibile est taies esse » plures iialuras quibus nihil sit praestantius, nullo modo possunl esse naturae •■> plures hujusmodi. Restai igitur unam el solam naturam aliquam esse, quae { 255 ) constructions ingénieuses et conçues de toutes pièces en vue d'une conclusion entrevue d'avance. Toute l'argumentation, d'ailleurs très-subtile et pleine de finesse, repose sur cette affirmation que la « Force, » l'Activité absolue, infinie, qui serait com- mune à plusieurs êtres, constituerait elle-même l'Infini propre- ment dit. N'est-ce pas préjuger ce qui est en question : qu'il est impossible qu'il y ait plusieurs causes complètes, infinies chacune *? La deuxième preuve renferme, sous une forme compliquée par l'affectation dialectique, un raisonnement qui est au fond d'une capitale importance, à savoir : l'Etre absolu est à soi-même son principe complet d' individu ation. Du moment où l'on suppose, enseigne notre Docteur, que le principe d'égalité, commun à plu- sieurs êtres nécessaires, est identique à leur essence, il doit néces- sairement être unique, puisque leur essence est telle. Dévelop- pons un peu cette maxime : elle en vaut la peine. L'essence des êtres de l'univers est numériquement une; il n'y a pas deux ^y sic est aliis superior. ut nulli sit inferior. Sed quod laie est, maximum et » optimum est omnium quae sunt. Est igitur quaedam Natura quae est sum- )) mum omnium quae sunt. » Hoc autem esse non potest , nisi ipsa sit per se id quod est, et cuncla » quae sunt sint per i|)sam id quod sunt. Nam cum paulo ante ratio docuerit, » id quod per se est, et per quod alia cuncta sunt, esse summum omnium >) existentium, aut e converso id quod est summum, est per se ,et cuncta alia « per illud, aut erunt plura summa. Sed plura summa non esse manifestum V est. Quare est quaedam natura, vel subslanlia, vel essentia, quae per se est ') bona et magna, et per se est id quod est, et per quam est quidquid vere y aut bonum aut magnum aut aiiquid est, et quae est summum bonum , sum- ■<) mum magnum, summum ens, sive subsistens, id est , summum omnium » quae sunt. » (C. IV.) < Avec sa manière habituelle, d'Aguirre développe ainsi l'argument du S Doc- teur : « Posset quisquam occurrere rationi praejactae, dicereque, ex ea ad » summum convinci existentiam alicujus naturae ita perfeclae, ut nul- » lam superiorem habeat, ac proinde sit locus pluribus dits aequalibus » omnino inter se. — Eam vero evasionem sic fere praecludit Anselmus. ) Natura ita perfccta, ut nullam aliam superiorem babeat, aut est unica aut » multiplex, et aequalis in pluribus. Si unica est, erit profecto unus et solus » Deus : quo staïuto corruit polytheismus, seu pluralitas Deorum ab Ethnicis 256 ) espèces identiques. D'où vient en réalité la pluralité des indi- vidus? De ce que l'espèce ou l'essence n'est communiquée avec toutes ses perfections à aucun d'eux. Nul homme ne possède dans toute leur amplitude les facultés distinctives de l'humanité. — Chaque individu présente dans son indivisible totalité l'attribut constitutif de l'espèce; nul ne concentre dans sa personne toute l'énergie, toute l'activité dont les sens et l'esprit sont suscep- tibles. C'est que la perfection de l'espèce humaine n'a pas en soi sa raison; elle est communiquée aux individus par une Cause supérieure et distincte d'eux. Voilà ce qui fait que l'espèce peut subsister dans un nombre indéfini de personnes, et y revêtir des propriétés individuelles multiples. Ainsi la vraie source de la pluralité des substances, c'est leur potentialité , ou ce qui revient au même, leur contingence et leur imper- fection. Or, l'Être nécessaire est tel qu'en vertu même de son aséité et de sa nécessité, il possède en soi toute la plénitude de l'être. Voilà son critère essentiel. C'est pour cela que l'École, » conficla. — Si autem plures naturae sint et aequales, et aequalitatern )) habebunt, non per diversa quaedam, sed })er idem aliquid. Elenim ratione » praedicatorum essentialiter diversorum, nequeunt esse aequales, sed inae- » quâlesjcum omnes sijecies sint inter se inaequales , sicut niimeri. Ergo » oportet ut sint aequales per unum aliquid. Hoc aulem unum, per quod » aequales et adeo maguae sunt nalurae/Z/a^jaul est idipsum quod iîlae sunt, )) id est, ipsa earum essenlia; aut aliud quam quod ipsae sunt. Si primum » asseratur, profeclo sicut earum rerum non sunt plures essentiae, sed unum » aliquid, ut probatum est; sic etiam naturae non sunt plures, sed una. » Idem quippe hoc loco intelligitur nomine naturae et essenliae. Si autem » dicaîur secundum; certe id per quod plures naturae lam magnae suntevïl » aliud quam quod ipsae sunt : atque adeo illae minores erunt quam id per » quod lam magnae sunt. Quidquid enim est magnum ratione alterius, débet » esse minus eo, per quod magnum est. Ergo jam naturae illae non sunt ila » magnae, ut non sit aliquid iis majus, contra quam in solutione dicebatur. » Cum igitur, nec per id quod sunt, nec per aliud possint esse i^lures naturae « aequales, et ila magnae ut nullam superiorem habeant, nulla demum )> ratione fieri potest, ut sint plures ejusmodi naturae. Ergo de primo ad ul- » timum fateri debemus, unam aliquam et solam Naturam existere ila cae- » teris superiorem, ut omnes aliae sint inferiores, et illa omnium maxima « atque optima, absque aequali. » {Disp., XII, S. V, u. 45.) ( 2S7 ) après Arislote, le définira : VActe pur. Ce caractère essentiel lui appartient d'une façon exclusive et incommunicable; son infinie perfection empêche pour lui toute multiplication, toute pluralité dans l'essence. La Cause absolue ne peut être conçue que comme une substance numériquement une K Ce n'est pas quelque attri- but positif qui pourrait devenir pour elle un principe de pluralité, puisque en chacun de ces types multiples se retrouveraient les mêmes qualités; ce n'est pas non plus une imperfection, puisque l'Etre absolument indépendant ne peut être que parfait. Que l'on imagine un instant plusieurs Etres nécessaires, d'essence diatiticte. N'admettant, en raison même de leur simplicité, aucune note dis- tinctive, ils se confondraient fatalement dans je ne sais quelle monstrueuse unité. Nous devions ces développements aux vues un peu rapides d'Anselme. Nous connaissons à présent la portée de ses preuves, et nous les avons éclaircies, dans l'esprit même de notre auteur. A bien les entendre, elles ne sont que la démonstration de VEtre nécessaire, exposée dans le langage et selon l'esprit de Platon. Nous avons vu ailleurs que toutes les Idées, d'après le divin Philosophe, sont subordonnées à l'idée du Bien, Vidée des idées. C'est d'elle, dit-il dans la République, «que les êtres intelligibles tiennent non-seulement leur intelligibilité, mais encore leur être et leur essence ^. » Il affirme en ce même endroit que le Bien en soi n'est pas essence, mais surpasse encore l'Essence en dignité et en puissance. Ces maximes deviennent plus claires dans le Timée , où Platon identifie Vidée du Bien avec Dieu lui-même. Il considère l'idée du Bien comme la source et la mesure trans- cendante de toute bonté et de toute beauté créées. C'est d'elle que toutes les autres beautés participent. — On sait conunent Augustin popularisa ces conceptions dans les écoles chrétiennes. L'immuable vérité, d'après laquelle nous jugeons de toutes choses, est , selon lui, identique au Bien. C'est parce qu'elles ont reçu une certaine participation de la Bonté suprême, que les créatures se ^ Cf S. Tn. Sum, th., I, q. IV, in conci 2 Cf. L..VI. Tome XXV. 17 ( 258 ) révèlent comme bonnes à notre raison et à notre conscience '. Dans un tableau où son génie plein de chaleur et d'abondance se donne carrière, Augustin retrace avec grand détail les biens divers de l'ordre créé : l'heureuse variété des monts et des vallées, la fertilité des champs, Iharmonie des sphères célestes, les dou- ceurs du foyer, les services des animaux, la beauté des figures, les charmes de l'amitié, les attraits de la vertu, la mélodie des vers. Supprimez, continue le Docteur d'Hippone, supprimez la limite : considérez le bien en soi, si vous le pouvez. Voilà Dieu, qui n'est pas bon par la participation d'un autre bien, mais principe et bonté de tout ce qui est bon... Il n'est point tel ou tel être bon, mais le Bien qui est bon par soi... il n'existerait donc aucun bien changeant s'il n'existait un bien immuable. Aussi lorsque vous entendez parlez de tel ou tel bien , qui, à parler absolument, ne so;i^ pas même des biens, s'il était possible de négliger les biens qui ne sont tels que par leur participation à ce bien suprême; s'il était possible de faire abstraction de ces divers biens et de percevoir le Bien en soi, vous atteindriez Dieu lui- même 2. — Les critiques ont signalé ce texte comme l'une des sources les plus importantes de la théodicée d'Anselme. C'est avec raison. Tous les éléments de l'argument du Monologue s'y ren- contrent : les degrés d'excellence des créatures, le rapport des biens relatifs avec le Bien absolu, lunité de cette suprême per- ' « Desiderabitis quoddam bonum ? Quale bonum ? Omnis boni honum : >' cui non addatur qiiod sit ipsum bonum Dicitur enim bonus homo, et bonus w ager, et bona domus, bonum animal , et bona arbor , et bonum corpus, et )> bona anima. Adjunxisti , quoties dixisti , bonum est, Bonum simplex , ipsum » bonum, quo cuncta sunt bona ; ipsum bonum ex quo cuncta sunt bona.» [Enarrat. II in Psalm. 26.) '^ « ... Non amas certe nisi bonum , quia bona est terra altitudine montiumet ') temperamento coliium el planitie camporum, et bonum praedium amoenum » ac fertile, et bona domus paribus membris disposita el ampla et lucida , et » bona animalia animata corpora , et bonus aër modestus et salubris , et bonus » cibus suavis atque aptus valeludini... Quid plura et plura (bona memorem) ? » Bonum hoc et bonum illud, toile hoc et illud, et vide ipsum bonum, si » potes : ita Deum videbis, non alio bono bonum, sed bonum omnis boni. » (Dprrm.,VlII,c.III.) ( 259 ) fection où ils viennent converger. Sans doute Anselme appro- fondit plus encore qu'Augustin ces données métaphysiques * : le Docteur de la Grâce les mêle à une foule d'autres considérations dans son ouvrage consacré à l'élucidation de l'auguste Trinité; pour Anselme, elles font l'objet propre d'un traité distinct. Mais il est impossible de méconnaître la parenté d'idées d'Augustin et d'Anselme, et l'influence des écrits du Docteur d'Hippone sur le Docteur du Bec ^. L'argument que nous venons d'entendre acquit droit de cité dans les écoles les plus diverses. Les Docteurs mystiques l'accueillirent notamment par l'organe de Richard de S. Victor ^ et de S. Bona- venture ^. Thomas d'Aquin le reproduisit en plusieurs passages. Celui de la Somme théologique mérite surtout l'attention. « Il y a dans les êtres, écrit le Docteur angélique » du plus et du * Écoutons ici M. Bouchitlé : « Lorsqu'on opère sur les attributs de Dieu , comme l'a fait S. Augustin sur le bon, rinduclion la plus rigoureuse ne donne cependant pour résultat que l'idée abstraite et générale de bon, de juste, etc., selon l'attribut que l'on a choisi; concept vide, et tel que le donnerait la théorie nominaliste. Il faut donc s'élever plus haut encore, et résoudre ces attributs dans l'Être qui en est le lien et la substance. C'est ce que donne l'in- duction qui part de l'être perçu, comme fini, relatif, que l'expérience nous donne à tout moment, pour atteindre jusqu'à l'êlre inconditionnel, infini et absolu; c'est là ce que développe, avec une rigueur inattaquable, le cha- pitre III du Monologium. La supériorité appartient donc à Anselme. Mettre en lumière un principe avec une fécondité pareille, le retourner sous presque toutes ses faces, le corroborer par toutes les ressources d'une dialectique serrée et pénétrante, c'est en prendre possession, c'est se montrer, par la pleine possession du sujet, supérieur à tous ceux qui ont pu l'adopter et le défendre auparavant. » [Préf. de la trad. du Mon., p. xl.) — Il est très- vrai que notre S. Docteur expose plus scientifiquement la démonstration de l'absolu par le relatif. Mais qui ne voit qu'aussi bien que lui, S. Augustin résout les perfections, dont le spectacle du monde lui a fourni la notion, dans la Substance infinie. Je ne puis entrevoir de différence essentielle entre les vues du maître et celles de son noble disciple. 2 Nous ne faisons qu'indiquer ce point. Il a été mis en lumière par M. de Rémusat , S. Anselme, pp. 492 et suiv. — Bouchitté, Le rationalisme chré- tien , pp. XXXV et suiv. 5 De Tria , 1. I,c.VI. * Ilin mentis ad Deum, c. III. ( 260 ) moins dans la bonté, la vérité, la noblesse, et ainsi du reste. Mais le plus et le moins se disent de plusieurs êtres, selon qu'ils se rap- procbent différemment de quelque cbose qui est absolu : « ainsi ce qui est plus chaud se rapproclie du chaud absolu. Il y a donc quelque chose qui est la vérité, Texcellence, la noblesse suprême et par conséquent l'Etre suprême. Car le vrai , au plus haut degré, est aussi l'être au plus haut degré. Or, ce qui est l'Être suprême en un certain genre, est le principe de tout ce qui existe en ce genre : ainsi le feu qui est la chaleur suprême est la cause de toute chaleur... Il y a donc un Etre qui est la cause de tous les autres êtres, de toute bonté, et de toute perfection. Nous l'appelons Dieu K — Quant à la preuve de l'assertion que la vérité est en proportion directe de l'être, nous la trouvons insinuée dans la Somme philosophique. Elle est fort sommaire et empruntée à l'ordre abstrait. « Au IV*^ livre de la 3Iétaphysique, dit S. Thomas, Aris- tote montre qu'il y a une Vérité suprême, par ceci que de deux faussetés. Tune est plus grande que l'autre. Il faut donc qu'il y ait des vérités dont l'une soit plus vraie que lautre. Or, tout cela se dit par approximation de l'être qui est absolument le plus vrai. — De cela on peut ultérieurement inférer qu'il y a aussi un être qui est absolument le plus grand : celui-là, nous le nommons Dieu '^. » * a Invenilur in rébus aliquid magis et minus l)onum, el verum, et nol)ile, )) el sic de aliis hujusmodi. Sed magis et minus dicuntur de diversis, secun- i> dum quod appropinquant diversimode ad aliquid quod maxime est : sicut » magis calidum est quod magis appropinquat calido. Est igitur aliquid quod » est verissimum et optimum et nobilissimum, et per consequens maxime )' ens. Nam quae sunt maxime vera, sunt maxime entia, ut dicitur II Melaph. )) (lexlu 4). Quod aulem dicitur maxime laie in aliquo génère, est causa » omnium quae sunt illius generis; sicut ignis,qui est maxime calidus, est « causa omnium calidorum, ut in eodem libro dicitur. Ergo est aliquid quod » omnibus entibus est causa esse , et bonitalis et cujusiibel perfectionis, et » hoc dicimus Deum. « {Siun. th., I , q. II, art. 5.) 2 « Potest eliam et alla ratio colligi ex verbis Arislolelis in II libro Meta- » plujsicorum. Oslentlit enim ibi quod ea quae sunt maxime vera sunt et » maxime enlia. In IV etiam Metaphysicorum ostendit esse aliquid maxime ^ verum, ex hoc quod videmus duorum falsorimi unum altero esse magis )) falsum; unde oporlet ut alterum sit etiam altero verius. Hoc aulem est ( 201 ) L'identité de l'argumentation do S. Thomas avec celle d'Anselme est évidente. Mais le Docteur angélique insiste avec plus de force sur cet axiome : que Vèlre le plus parfait de la série doit être le principe de la série entière. Chose remarquable! pas plus qu'Anselme, S, Thomas ne l'a beaucoup élucidé. Cela a donné quelque souci à ses interprètes ^ 11 faut bien entendre sa maxime. Elle ne se vérifie qu'à un point de vue tout à fait général; elle ne doit pas s'appliquer aux individus, dit H. S. Kleutgen : l'homme le plus parfait de l'espèce n'est pas la cause des autres hommes. Mais lElre nécessaire infini en qui subsistent la justice accomplie, la Beauté suprême est de fait le principe transcendant des perfec- tions, des vertus et des beautés relatives. La divisibilité dans la perfection, le degré dans la bonté, impliquent la borne et la limite, la contingence. De même, en un sens plus large, l'être borné présuppose l'Etre sans borne, l'infini. Donc la dernière raison des choses est l'Etre universellement parfait, l'Absolu. Nous avons insinué déjà que la première preuve d'Anselme n'est qu'une des formes multiples de l'argument si connu du contin- gent et du nécessaire. Celui-ci fut proposé dans sa formule propre par Richard de S. Victor 2, Thomas d'Aquin ^, Duns Scot ^; dans la suite il devint dun usage presque général. La démonstration tirée de la mesure diverse des biens créés se fondit dans cet argu- ment et n'eut plus dans la Théodicée qu'une place secondaire. Il faut l'attribuer à la prépondérance chaque jour croissante de la philosophie d'Aristote. La méthode platonicienne entre pour longtemps dans une époque de déclin. Lorsqu'elle en sortira, au temps de la Renaissance, ce ne sera plus aux preuves de détail, mais à l'esprit général des systèmes qu'elle s'attachera. » secundum approximationem ad id quod est simpliciler et maxime verum.Ex » quibiis concludi polest ullerius, esse aliquid quod est maxime eus; et lioc )) dicimus Deum. » {Sum. cont. Gent., 1. 1, c. XIII.) 1 Cf. Philosophie der Vorzeit , III , p. 494. — L'argument de S. Thomas est longuement expliqué par A. Lépidi : Examen phil. theol. de Onlolog., p. 257. 2 De Trin., I , VI. ^ Sum. th., I, q. II, art. 5. ^ Sent, 1. I, d. II, q. 5, art.C. ( 262 ) Mais il est temps de suivre Anselme sur un autre terrain. Cest par la considération des créatures [a posteriori) qu'il a prouvé l'existence de Dieu. Il faut l'entendre sur la fameuse démonstra- tion dite a priori tirée de Vidée même de l'Etre le plus parfait. C'estcequ'on nomme rar^î«?}ie;jfo«/o/o^î^«ederexistencede Dieu. Ce n'est pas un facile labeur que de chercher à démontrer, avec une rigueur logique, l'existence de la Cause absolue, dans son unité, dans sa vie transcendante, parfaite. Les résultats de la re- cherche n'en compensent pas toujours l'austérité. Que d'ombres dans les preuves, que de doutes, quelles déceptions parfois! A cer- taines heures il semble que la solution soit trouvée : on reprend le procédé, on lexamine à nouveau. îlélas! on s'aperçoit qu'une fallacieuse formule ou qu'un terme ambigu ont égaré l'esprit: il s'est glissé dans quelque prémisse d'inoffensive apparence une secrète pétition de principe qui préjugeait la conclusion. — Il y a des jours où l'on croit toucher au but; l'esprit se repose dans une sereine clarté. Le lendemain de nouveaux nuages sont survenus; la raison flotte incei'taine, anxieuse. L'éternel problème reste là devant la conscience, comme l'Isis des anciens, muette et voilée. En sa solitude de Sainte-Marie du Bec Anselme avait connu ces angoisses de la pensée. Lui-même nous apprend, dans le Prosloge, que la démonstration du Monologue lui paraissait longue, compli- quée. Il rêvait une preuve moins embarrassée, plus directe. Quel noble souci pour un homme du XI'' siècle ! Rien que pour se préoccuper d'un pareil sujet, quel génie ne fallait-il pas au succes- seur immédiat de Lanfranc? Les pages où Anselme a consigné ses recherches gardent la trace émouvante de ses luttes intérieures, de ses mécomptes, de sa joie mêlée peut-être d'appréhensions. Son âme s'épanche en prières, en soupirs mélancoliques, en vives et ardentes actions de grâce. A travers ces lignes émues, l'on entrevoit avec respect et émotion, le front soucieux de l'illustre moine, sous les ombrages inspirateurs ou dans la cellule silencieuse de son abbaye nor- mande, au milieu de ses parchemins acquis par tant de sa- crifices. A-t-il trouvé la vérité cherchée? Ne s'est-il pas trompé quelque part dans sa démonstration? Ah! quel martyre causent en ( 263 ) un tel sujet ces perplexités étranges! Écoutons l'éloquent et can- dide aveu des peines d'Anselme : « Apres avoir, sur les in- stantes prières de quelques frères, dit-il lui-même, public un opus- cule (le Monologue), qui pût servir d'exemple de méditation sur les vérités de la Foi, à un homme qui recherche ce qu'il ignore, en raisonnant silencieusement avec lui-même, j'ai remarqué que ce livre.se compose d'un grand nombre de raisonnements enchaî- nés les uns aux autres, et dés lors j'ai commencé à chercher s'il ne serait pas possible de trouver une preuve unique qui, pour être complète, n'eût besoin que d'elle-même, et qui seule suffît pour démontrer que Dieu existe véritablement, qu'il est le Bien su- prême n'ayant besoin d'aucun autre, et dont tous les autres ont besoin pour être et pour bien être, ainsi que tout ce que nous croyons de la substance divine. Comme je tournais mes pensées souvent et avec beaucoup d'attention vers cet objet , tantôt je croyais être sur le point d'atteindre ce que je cherchais, et tantôt il me semblait se dérober tout à fait à la perspicacité de l'intelligence : désespérant enfin d"y parvenir, je résolus d'aban- donner cette recherche comme celle d une chose impossible à trouver. Mais lorsque je voulus éloigner entièrement de moi cette pensée, de crainte qu'en occupant inutilement mon esprit, elle ne me détournât d'autres études où je pouvais faire d'utiles progrès, c'est alors que malgré moi elle a commencé à me poursuivre avec une sorte d'importunité. Un jour donc que je me fatiguais à résister avec force à cette iraportunité, ce dont j'avais désespéré s'offrit, pendant la lutte même de mes idées, de telle manière que j'em- brassai avec une ardeur, nouvelle la pensée que je m'efforçais d'écarter. Pensant que si ce que j'étais heureux d'avoir trouvé était écrit, il pourrait plaire à quelqu'un qui le lirait, j'écrivis sur ce sujet et sur quelques autres l'opuscule suivant, où je fais parler un homme qui tâche d'élever son esprit à la contemplation de Dieu, et qui cherche à comprendre ce qu'il croit •. » Qu'a donc trouvé Anselme? De quelle manière s'est-il démontré le Dieu infini auquel il avait foi? — N'est-il pas vrai que la cause ' Prosl. proœm. ( 264 ) première s'offre à la raison et à la conscience, sous le symbole de rÉtrc au-dessus duquel il n'en existe pas de plus grand? « Dieu, avait dit S. Augustin, dans un texte bien connu et auquel on se rapporte nécessairement à la lecture de la preuve d'Anselme, Dieu est pensé par tous, même par ceux-là qui admettent, vénèrent et invoquent d'autres dieux dans le ciel ou sur la terre, comme quelque cbose au-dessus duquel il n'y ait rien de plus grand , de plus sublime... Personne ne peut se rencontrer qui prenne pour Dieu un Être au-dessus duquel il en existe un meilleur '. » Cela admis, qui pourrait nier l'existence actuelle de cet Etre suprême, à cause des négations insensées de l'impie? Quoi! lors- qu'il l'entend nommer seulement, l'athée ne se forme-t-il pas dans son esprit la notion de cet Etre suprême, quand même il ne concevrait point entièrement que de fait il existe? Sans doute, ajoute Anselme, — et il insiste là-dessus, — autre chose est avoir une chose présente à l'esprit, autre chose concevoir qu'elle existe en réalité. Voulons-nous le voir dans un exemple familier? Le peintre a déjà présent à son imagination le tableau qu'il va exécuter; mais il ne le conçoit comme existant qu'après l'avoir peint. Mais, du raisonnement fait tout à l'heure, il suit que, dans l'intelli- gence du moins, existe l'Etre le plus grand et la notion de bonté suprême. La raison en est claire : dès que l'esprit entend énoncer un tel Être, il en comprend la formule, et tout ce qu'on comprend existe dans l'intelligence. Or, par cela seul, continue Anselme, Vhomme peut se persuader que cet Être souverain n'existe pas uniquement dans l'intelligence. L'Être qui existerait non-seule- ment dans l'esprit, mais aussi dans la réalité, serait d'évidence plus grand que celui qui subsisterait dans la seule pensée. Il est donc contradictoire d'affirmer que l'Être par hypothèse le plus grand peut ne subsister que dans l'intelligence. L'Être suprême doit donc exister et dans la pensée et aussi dans la réalité ^. ^ « Deum ab iis etiam qui alios et suspicanlur et vocanl et coliint Deos.sive » in caclo, sive in terra, ita cogitari, ut aliquid, quo nihil melius sit, atque su- w blimius,illa cogitalio conelur altingere... hoc quisquam invenire potest qui » hoc Deum cretlat esse, quo melius aliquid est. » (De Doct. christ , I, c. VIL) ^ « An orgo non est aliqua talis natura, quia dixit insipiens in corde suo : ( 205 ) Bien plus : on ne peut pns même penser qu'il n'existe pas en réalité. Cela est évident pour peu qu'on réfléchisse qu'il est l'Etre le pl^s grand que puisse atteindre la pensée. Or, par delà l'Etre le plus grand conçu par l'esprit, nous pouvons nous imaginer la Cause suprême subsistant dans la réalité. Celle-là donc seule est l'Être suprême. La Cause infinie , l'Absolu ne peut être repré- senté que comme un Etre réel, non simplement comme une forme idéale. Cette vivante et souveraine Essence, c'est le Dieu auquel croit la conscience chrétienne. Si l'âme pouvait se figurer un être plus grand, la créature s'élèverait par cette supposition même au-dessus de l'éternelle perfection. Tous les autres êtres peuvent être pensés comme n'existant pas; l'Être suprême seul a pour attribut constitutif d'impliquer dans son concept la néces- sité de l'existence actuelle. Que si l'impie nie cela, c'est qu'il n'a pas compris ce mot : Dieu; c'est qu'il n'attache aucun sens à cette grande parole ou qu'il la détourne de sa vraie signification. A coup sûr, il n'entend point par Dieu Y Être le plus grand, car alors il verrait d'évidence qu'il est impossible de lui dénier l'exis- tence actuelle et objective *. Voilà l'argument ontologique d'Anselme; la preuve de l'exis- tence de Dieu formellement déduite de son idée. Plus que toute » non est Deus? Sed certe ipse idem insipiens, eum audit lioc ipsum quod » dico, aliquid quo majus cogitari nihil potest, intelligit quod audit, et quod » intelligit in intellectu ejus est, etiamsi non intelligat illud esse. Aliud enim » est rem esse in intellectu, aliud intelligere rem esse. Nam cum pictor prae- » cogitât quae facturus est, hab(>t quideni in intellectu, sed nondum intelligit » esse quod nondum fecit. Cum vero jam pinxit, et habet in intellectu , et » intelligit esse quod jam fecit. Convincitur ergo etiam insipiens esse vel intel- » lectu aliquid quo niliil majus cogitari potest, quia hoc cum audit intelligit, » et quidquid intelligitur in intellectu est. Et certe id quo majus cogitari » nequit, non potest esse in solo intellectu. Si enim vel in solo intellectu » est, potest cogitari esse et in re ; quod majus est. Si ergo id quo majus cogi- » tari non potest est in solo intellectu, idipsum quo majus cogitari non potest » est quo majus cogitari potest ; sed certe lioc esse non potest. Existit ergo » procul dubio aliquid, quo majus cogitari non valet, et in intellectu et in re. » {ProsL, c. II.) ' <( Quod ulique sic vere est , ut nec cogitari possit non esse. Nam potest ( 266 ) autre partie de ses œuvres, sou importance, sa céiébrité nous for- cent de nous y arrêter, malgré tout ce qui a été écrit à ce sujet. Faisons-en dès maintenant l'observation : l'argument du Pros- loge peut être considéré sous le point de vue dialectique et sous le point de vue ontologique. L'investigation du critique peut se porter sur la valeur des principes dans leur rapport avec la con- clusion, ou bien sur la réalité de chaque proposition , abstraction faite de leurs rapports logiques. Le pi-emier procédé s'impose avant tout à la discussion. Il est hors de doute que, dans la forme qu'il donne à son ar- gument, Anselme déduit Vexistence actuelle du Dieu infini de l'idée que l'esprit se forme du Souverain Etre. C'est là le carac- tère distinctif de sa preuve. Dès les premiers temps du christia- nisme, les Pères démontrèrent la spiritualité transcendante du pre- mier Être par la considération des idées absolues et des attributs essentiels des choses. Plus d'une fois ils prouvèrent son unité et sa grandeur par la notion de l'Infini.Nous avons entendu tout à Iheure Augustin établir la perfection divine par la suppression des degrés divers des biens créés, suppression fondée sur Vidée de la Bonté en soi. Mais à proprement parler, Anselme est le premier qui ait directement tiré Vexistence actuelle de Dieu de son idée, de la notion de V Absolu \ L'insensé lui-même, qui nie l'existence de » cogilari aliquid esse quod non possil cogilari non esse, quod majus est » quam quod non esse cogilari polest. Quare, si id quo majus nequit cogitari ^) potest cogitari non esse, idipsum quo majus cogitari nequit non est id quo » majus cogitari nequit; quod convenire non potest. » Sic ergo vere est aliquid quo majus cogitari non potest, ut nec cogitari ' possit non esse. Et hoc es, Domine Deus noster. Sic ergo vere es, Domine » Deus meus, ut nec cogitari possis non esse; et merito.Si enim aliqua mens » posset cogitare aliquid melius te, ascendcret creatura super creatorem, et » judicarel de creatore; quod valde est absuidum. Et quidem quidquid est )) aliud praeler te soium, potest cogitari non esse, Solus igilur verissime oui- » nium,et ideo maxime omnium habes esse, quia quidquid aliud est non sic est » vere, et idcirco minus liabet esse. Gur i laque dixit insipiens in corde suo *. » non est Deus, cum lam in promptu sit rationali menti le maxime omnium )) esse?cur, nisiquia stullus et insipiens? » (/ft/rf., c. IlL) • Soulignons ces paroles, alors si nouvelles et si étonnantes, du ch. IV de la Réponse à Gaunilon : « Non essel proprium Dec Jionposse intelligi non esse. ( 267 ) Dieu, dit- il, par le fait même de cette négation , a dans son esprit l'idée de l'Être le plus grand qui puisse être; car c'est bien sous ce concept que nous nous représentons Dieu. Or, cet Etre doit nécessairement exister en réalité; autrement, il serait possible de se représenter un Etre plus grand : celui qui existerait non-seule- ment en idée, mais aussi dans sa vivante personnalité; ce qui est contraire à l'hypothèse. Voilà le résumé de toute son argumentation. Très -vraisemblablement, Anselme n'a pas voulu simplement construire une démonstration logique, dans le sens que nous atta- chons aujourd'hui à ce mot. Ce qui est certain, c'est que sa con- clusion, considérée comme stricte conséquence, est inadmissible : elle empiète sur les prémisses. On souffre à plier un argument qui contient une vue d'un si haut génie aux lois de la dialectique élémentaire. Mais cela même n'est pas sans un grand intérêt. Qu'est-ce que l'idée d'un Etre, quelle que soit d'ailleurs sa na- ture? N'est-il pas clair que c'est sa formule idéale, logique? Tout raisonnement basé sur les idées pures ne saurait aboutir qu'à une conclusion purement abstraile. Celle-ci peut bien poser les attri- buts constitutifs de l'ordre intelligible; mais elle franchit les bornes de son domaine, dès qu'elle entre dans l'ordre de la réalité phy- sique, de l'existence réelle. Au point de vue du monde des exis- tants, les concepts formels, isolés des éléments fournis par l'obser- vation, sont aussi stériles que les faits sensibles le sont dans l'ordre métaphysique. «Quelle que soit l'évidence dans l'ordre idéal, dit très-bien Balmès, si l'on ne pose la condition d'existence ou de non-existence, le oui et le non demeurent indifférents à l'ordre réel \ y La nature de l'objet conçu ne change rien au raisonnement que nous avons opposé à l'argument d'Anselme. Il y a d'évidence un abîme entre l'Essence de l'Etre absolu et l'essence des êtres con- tingents. A la différence de ceux-ci , celle-là implique l'existence actuelle. Son essence et son existence, sa notion et sa réalité sont ' Phil. fond.^ 1. I, c XIV. — Nul n'a mieux traité ce point que Balmès. Le premier livre de sa Philosophie fondamentale n'est que la démonstration déve- loppée du principe que nous avons à\x rappeler ici. ( 268 ) en soi idenliques. Mais aussi longtemps qu'on se tient sur le ter- rain de la seule considération abstraite, ce rapport nécessaire de l'existence et de l'essence, dans la Cause absolue, n'est lui-même qu'un concept formel, hypothétique. Il peut se ramener à cette formule: L'esprit conçoit l'Absolu comme un Être dont la notion suppose l'existence actuelle. Donc si de fait l'Absolu n'est pas une chimère^ il n'a pas simplement une existence idéale, mais physique et réelle. Seulement, ce serait violenter la conséquence que de con- clure : l'esprit ne concevant l'Absolu que comme existant, son existence actuelle est renfermée dans son Essence métaphysique, dans son Idée. Donc l'existence de l'Infini est prouvée par sa seule idée. Veut-on pénétrer plus avant dans cette considération, et se demander pourquoi de l'Essence de Dieu on ne peut, sans saut logique, conclure à son existence, alors même que celle-ci est contenue dans son essence? C'est que notre connaissance de l'Absolu n'est qu'une connaissance simplement analogique, ce n'est point une connaissance intuitive. — Comment nous élevons-nous à l'idée de Dieu , de l'Infini? Par le spectacle de la nature, les aspirations instinctives de la conscience. Sauf peut-être Platon, à l'occasion de sa doctrine des idées, Aristote, les Stoïciens et toute l'école chrétienne, avec la plupart des philosophes modernes, professent que la notion de Dieu est le résultat d'une application spéciale du principe de causalité. L'Absolu en soi, comme terme de perception immédiate, n'est pas un intelligible proportionné au simple regard de l'esprit. Le sens intime atteste que notre connaissance de Dieu est le produit de l'exercice de nos facultés sur les intermédiaires créés, dont l'existence présuppose celle d'une Cause infinie et in- dépendante K Cette connaissance est médiate, en ce sens que l'idée ' D'Aguirre s'exprime en ces termes sur ce point : « ... Quoniam nos » de Deo non scimus quid sit, ea propositio {Deum exislere) non est per » se nota nobis; sed quam demonslrare opus sil per ea, quae sunt magis » nota qiioad nos; scilicet, per effeclus. — ... Dicendum est S. Doctorem » non fuisse conlrarium doclrinae hactenus tradilae : quin potius ei sutFra- » gium lulisse. Etenim in hoc ipso Monoiogio per quinque priora capita plu- » rimum laborat et alias atque alias rationes excogitat , urgetque ut probel ( 2G9 ) de Dieu présuppose i)lusieurs idées préalables dont elle est le terme logique. Que suit-il de là? Qu'il ne faut pas confondre, en ce qui concerne l'idée de l'Absolu ou de l'Infini , cette idée et son objet. En soi, l'essence de Dieu est réellement identifiée avec sa nature physique; à l'opposé des êtres relatifs, il n'y a aucune distinc- tion entre ces deux éléments. Nous entendrons bientôt Thomas d'Aquin le noter à propos d'Anselme. Celui qui aurait l'intuition directe de l'Infini percevrait son existence dans son essence, sa réalité dans sa notion. Mais le philosophe ne connaît Dieu ni par son essence, ni par quelqu'une de ses propriétés ; c'est S. Anselme qui nous l'a dit en propres termes. L'idée de Dieu, telle que nous la possédons, est, selon lui, simplement réflexe. Il la compare à la vision spéculaire. Celle-ci , prise en soi , ne nous montre que les linéaments extérieurs de l'objet reflété par le miroir, sans nous renseigner par elle-même sur le fait et le mode de la vie des êtres ^ » existeiUiam Dei : quod certe non nisi frustra faceret, si eani verilalem, per » se notam omnibus exislimaret... Quare argumenlo ex verbis iliis Anseimi » in Proslogio, et ad versus insipienteni pelilo, respondemus Inde non col- )) ligi existenliam Dei esse omnibus per se notam, sed sapientibus dumtaœat... )> Caeterum eadem connexio (essentiae et exislentiae Dei) immédiate et per se » nota est lis qui apprime in Metaphysica versati sunt. Etenim in hoc ipso con- )) ceptu objectivo Dei sive Entis a se, immédiate detegunt existentiam, veluti )) perfectionem explicitam ipsius, seu proprietatem immediatam qua non intel- » lecta, in obliquo sallem, conceptus objeclivus Dei , sive Entis a se, intelligi » omnino nequit. Quare ii oppositum exislentiae Dei cogitare non possunt... » Porro per conceptum objectivum significatum hoc nomine latino Deus^ siculi » et quocumque alio nomine ipsi aequivalente, juxta varias quarumlibet nalio- )> num linguas, intelligitur id quo majiis aut excellentius nihil cogitari valet. » (Disp , XI, seci. I, § 2; sect. Yl, § 49.) — D'Aguirre, ici, est plus apologiste que critique. ^ Le savant Valenlia, partageant en cela le commun sentiment de sa docte Compagnie écrivait à propos de notre argument: «Ut maxime evidens est audito y nomine Dei omnes cogitare aliquid quo melius cogitari non possit; tamen » non propterea sequitur omnes illico agnoscere esse Deum. Non enim id sta- » tim cogitant per actum aliquem judicii et assensionem quo sibi persuadeant « taie aliquid jam eœistere, sed persimplicem quamdam apprehensionem cui « quidem utrum aliquid laie melius tanquam verum et existeus objectum » respondeat non est notum donec argumentis aliquibus probetur. » {In S.Th , ( 270 ) Quoi qu'il en soit de l'élément ontologique renfermé dans l'ar- gument d'Anselme , et du sens réel qu'il lui attribuait, il faut tomber d'accord que sa forme dialectique est vicieuse. Que de fois n'est-il pas arrivé qu'une vérité sublime ait perdu jusqu'à sa va- leur véritable pour avoir été traduite d'une façon inhabile, selon les règles logiques ! La preuve du Prosloge en demeurera le plus solennel exemple. Un contemporain d'Anselme, Gaunilon de l'abbaye de Marmou- tiers, vit ce défaut et le signala. Le D' Staudenmaier estime que Gaunilon est un personnage de toutes les époques, et qu'il est le type du philosophe naturaliste luttant contre l'Idéalisme. Nous préférons croire, avec Tennemann, qu'il y a dans sa critique des objections qui sont restées vraies, malgré les réponses d'Anselme. Nous devons résumer tout de suite ce document d'une importance capitale en tout ce débat, mais qui porte, lui aussi, en sa rude fac- ture, l'estampille de l'époque ^ Gaunilon, comme la plupart de ses contemporains, n'a pas un 1. 1", d. 1, p. H, p. 1. — Cf. Fr. de LugOj deDeo uno, 1. 1, d. 14, a. 8.— Vas- QUEz, in S. Th., q. H, a. 1, c. IV. — Suarez, Met., d. 29, sect. III. — Veke- Nius, de Deo uno et Irino , Antv., 1655, p. 30. — Les Jésuites modernes tien- nent le mênie sentiment que leurs devanciers. Il suffira de citer Kleutgen, Phil. der Vorzeit., III , p. 757, éd. Munster, 1860. — Tongiorgi, Inst. phil, III, p. 319. — Nous ne connaissons que le P. Marin de Boyiesve qui, en son Cours de Philosophie, reprenne l'argument de S. Anselme, au moins d'une manière assez explicite. ^ Gaunilon ou Guanilon, comme le nomme Dom Martène dans l'histoire inédite du couvent de Marmouliers découverte à la Bibliothèque de Tours par M. Ravaisson, était né d'une famille noble de Thuringe. Il vécut d'abord dans les grandeurs et prit ensuite l'habit religieux au Grand Monastère (majus mo- naslcrium). 11 y mourut en 1085. Comte de Montigny, il avait possédé la tréso- rerie du chapitre S. Martin de Tours. — Voir M. Charma, Notice bibliogra- phique sur S. Anselme de Cantorberij, p. 242. u Dubitanti utrum sit, vel neganti quod sit aliqua talis nalura qua nihil » majus cogilari possil,lamen esse illam hinc dicitur primo probari : quod » Ipse negans, vel ambigens de il la, jam habeat eam in intelleelu, cum audiens » illam dici, id quod dicitur intelligit; deinde, quia quod intelligit, necesse » est ul non in solo inlellectu, sed eliam in re sit. Et hoc ita probatur : quia » majus est esse in inlellectu et in re quam in solo intellectu. Et ivi illud est ( 271 ) grand souci de l'arrangement méthodique de ses preuves. Ne lui demandez pas l'ordonnance progressive des raisons, ni la mise en relief des points saillants. Mais très-fermement il a vu le faible de la démonstration du célèbre théologien du Bec. Il commence par risquer quelques affirmations qui montrent bien qu'il avait compris à fond le passage du Prosloge qui sert d'introduction à l'argument. — On prétend, dit-il. que l'insensé qui nie Dieu l'a déjà dans son intelligence, puisque dès qu'on parle de lui, il conçoit ce que ce mot signifie. Mais , s'il en est ainsi , il faut éga- lement concéder que nous avons dans notre intelligence toutes les maximes fausses et toutes les idées chimériques. Dira-t-on que c'est le propre de l'idée de l'Absolu de subsister dans l'intel- ligence d'une façon particulière, de manière qu'on ne peut le penser sans le concevoir, ou sans voir du même coup son exis- tence, dans son concept? Mais en ce cas, il n'était pas besoin de distinguer aussi soigneusement ces deux choses : l'une, d'avoir la chose dans l'intelligence ; l'autre, de concevoir ultérieurement » in solo inlellectu, majus illo erit quidquid eliam in re fuerit, ac sic majus )) omnibus minus erit aliquo, et non erit majus omnibus; quod utique rèpug- » nat. El ideo necesse est, ul majus omnibus, quod jam probatum est esse » in inlellectu, non in solo inlellectu, sed et in re sit; quoniam aliter majus V omnibus esse non poterit. » Responderi forsilan potest, quod hoc jam esse dicitur in inlellectu meo, ). non ob aliud nisi quia id quod dicilur intelligo. Nonne et quaecumque » falsa, ac nullo prorsus modo in seipsis exislentia, in intellectu habere simi- » iiter dici possem,cum ea dicente aliquo, quaecumque ille diceret, ego intel- » ligerem? nisi forte taie illud constat esse ut non eo modo, quo etiam falsa » quaeque vel dubia,haberipossil in cogitalione,etideonon dicor illud audi- » tum cogitare vel in cogilalione habere, sed intelligere et in intellectu habere, » quia, scilicet, non possum hoc aliter cogitare, nisi intelligendo id est, w scientia coniprehendendo, re ipsa illud exislere? » Sed si hoc est, primo quidem, non hic erit jam aliud , idemque tempore » praecedens, habere rem in intellectu, et aliud, idemque tempore sequens, » intelligere rem esse; ul fit pictura, quae prius est in animo pictoris, deinde » in opère. Deinde, vix umquam poterit esse credibile, cum dictum et audi- » lum fuerit istud , non eo modo posse cogilari non esse , quo eliam potest » cogitari non esse Deus. Nam si non potest, cnr contra negantem au dubilan- » lem, quod sit aliqua lalis natiira, lola ista dispulatio est assumpla? » ( 272 ) quelle existe. En outre, si la seule présence de la notion de Dieu dans l'esprit conduit à l'affirmation de sa réalité ou de son existence en dehors de l'esprit, il s'ensuivrait qu'il suffirait de se représenter idéalement Dieu pour percevoir aussitôt son existence. D'où vient alors qu'on doive démontrer cette existence avec un si grand labeur, comme l'auteur du Prosloge le montre par son propre exemple? Le critique semble pressentir le sentiment de Leibnitz qui cherchait précisément à compléter la preuve d'Anselme en éta- blissant que, en Dieu, l'essence ou la possibilité intrinsèque du concept entraîne l'existence réelle. Mais il est tout à fait dans le faux lorsqu'il croit que l'existence de l'Absolu, supposé même qu'elle lut contenue dans sa seule idée, ne devrait pas être démontrée, ou du moins éclaircie, développée. Gaunilon poursuit en signalant la différence des conceptions de notre intelligence et de l'existence idéale des œuvres d'art dans l'esprit de l'artiste. Celles-ci, dit-il, sont en quelque sorte, avant d'être réalisées, une partie de rintelligence de l'artisan. Au con- traire, dans l'acte de perception, autre chose est la raison qui perçoit, autre chose le terme intelligible *. Le moine de 3Iarmou- tiers touche ensuite à la nature purement analogique de notre connaissance de Dieu. Nous ne le connaissons que par compa- raison, dit-il, et non en soi, ni d'une manière directe. Comment, en l'entendant nommer, pourrais-je le concevoir comme un Etre nécessairement existant? Je connais la nature spécifique de rhomme : néanmoins, si quelqu'un me parlait d'un homme dé- terminé, je ne pourrais de ce type générique inférer son exis- tence; car il se pourrait que de fait cet individu-là' n'existât point en réalité. A plus forte raison ne puis-je déduire l'existence actuelle de Dieu de son idée. Je puis comparer un homme déter- miné à d'autres individus de lespèce : mais cela est impossible pour l'Etre absolu, dont aucun autre être ne peut me donner la notion véritable, complète 2. « Lorsque j'entends nommer Dieu ou 9 •>• 2 § 4. (273 ) l'Être plus grand que tous les mitres, dit-il, je ne puis l'avoir dans la pensée et dans l'intelligence, sous une forme facile à saisir, comme celle sous laquelle je me figurais cet être dont je viens de parler, et qui pourtant n'existait pas. Je pouvais penser à un homme en vertu de l'idée d'un être vrai, idée dont l'objet m'était connu; mais je ne puis penser à Dieu que par l'entre- mise d'un mot, duquel seul on peut à peine, ou l'on ne peut nul- lement conclure à l'existence réelle de ce qu'il exprime. S'il est vrai toutefois, et l'on n'en saurait douter, que lorsqu'on pense sous cette forme et dans cette condition, c'est plutôt l'objet ex- primé parle mot qui fait l'objet de la pensée, que le mot lui-même, vrai seulement en tant que son de lettres et de syllabes, il faut remarquer que, dans ce cas, sa signification est conçue non comme elle le serait par celui qui connaît ce que cette parole exjnime et qui se représente l'être lui-même et la pensée véri- table, mais comme elle le serait par celui qui n'en connaît pas l'objet, et dont la pensée se détermine uniquement en vertu du mouvement imprimé à son âme par la parole qu'il a entendue, et à laquelle il s'efforce de trouver un sens; terme qu'il serait bien surprenant qu'il atteignît dans une complète vérité. Il est certain que les choses ne se passent pas autrement, dans mon intelligence, lorsque quelqu'un établissant qu'il y a un être plus grand que tout ce que l'on peut imaginer, j'entends et je com- prends ses paroles. C'est là ce que j'avais à répondre, conclut Gaunilon, et cette réponse me paraît répondre aux raisons par lesquelles on croit prouver que celte nature suprême existe dans mon intelligence •. » Après ces remarques superficielles, Gaunilon arrive au côté vraiment fort de son argumentation. Il nie que Dieu doive être conçu comme existant, précisément parce qu'on le considère ^ « Nec sic igitur, ul haberem falsum islud in cogilatione vel in inl.ellectu, » habere possum illud cum audio dici Deus , aut aliquid omnibus majus. Cum » quando illud secundum rem veram mihique notam cogitare possum , istud » omnino nequeam nisi tanlum secundum vocem , secundum quam solam aut » vlx aut numquam potest ullum cogitari verum . Siquidem , cum ita cogita- »^ tur, nontam ipsa vox, quae res est ulique vera, hoc est, lilterarum sonus Tome XXV. 18 ( 274 ) comme l'Être le plus grand. Pourquoi cela? Parce qu'on peut nier que de fait il existe un Etre absolu. Il faut donc avant tout démon- trer par un clair argument, qu'un tel Etre existe en réalité. Ce n'esl pas assez pour cela d'en appeler sans cesse à son existence idéale dans l'esprit: celle-ci n'est que le résultat d'une spéculation men- tale. L'esprit, lorsqu'il se représente l'Etre le plus grand, se forme une idée dont l'objet , dans son essence, lui est caché ^ En s'appuyant sur l'argument du Prosloge , dit Gaunilon en son singulier langage , on soutiendrait également bien l'exis- tence de ces îles qu'on pourrait nommer les Iles perdues, à cause de la difficulté de les trouver. Supposons que quelqu'un nous dise : dans ces îles, bien plus qu'aux lies fortunées, il y a une abondance extrême de toute espèce de biens; ce sont les plus riches régions de l'univers! Ce discours ne présentera aucune espèce de difficulté. Mais s'il ajoutait : Tu ne peux nier que ces » vel syHal)arum,quam vocis audilae significalio cogilatur: sed non ila ut ab » illo qui novil quid ea soleat voce significari, a quo scilicet cogilatur secun- » dum rem vel in sola cogitalione verani , verum ut ab eo qui iliud non » novil, et solummodo cogitât secundum animi molum illius auditu vocis « effeclum significationemque perceplae vocis conantem effîngere sibi; quod » mirum est, si umquani rei veiitate polueril. lia ergo nec prorsus aliter ^> adhuc in intellectu meo constat illud haberi, cum audio inlelligoque dicen- » leni esse aliquid magis omnibus quae valeant cogitari. « (§ 4.) ' « Quod aulem et in re necessario esse, inde mihi probatur quia, nisi ^> fuerit, quidquid est in re niajusilla erit, ac per boc non erit illud majus » omnibus , quod utique jani esse probalum est in intellectu. Ad hoc res- >) pondeo, si esse dicendum est in intellectu , quod secundum veritatem cujus- » quam rei nequit sallem cogilari, et hoc in meo sic esse non denego. Sed y quia per hoc esse quoque in re non potest ullatenus obtineri, illud ei esse » adhuc penilus non concedo, quousque mihi argumenlo probetur indubio. » Quod qui esse dicit hoc quod majus omnibus aliter non erit omnibus majus, » non salis attendit cui loquatur. Ego enim nondum dico, imo etiam nego » vel dubito, ulla re vera esse majus illud; nec aliud ei esse concedo quam » illud, si dicendum est esse, cum secundum vocem lantum auditam rem » prorsus ignolam sibi conatur animus etBngere. Quomodo igitur inde mihi » probatur, majus illud rei veritale subsislere, quia constet illud majus omni- » bus esse; cum id ego eousque negem adhuc dubitemve constare; ut ne in )j intellectu quidem vel cogilatione mea eo saltem modo majus ipsum esse ( 275 ) îles n'existent en réalité. En effet, tu les tiens pour les meilleures contrées du monde, et en les concevant de la sorte tu leur donnes véritablement une existence idéale. Or il vaut mieux qu'elles existent à la fois et dans ton esprit et dans la réalité. Autrement il serait possible de concevoir des régions supérieures à celles-ci, et qui de fait existeraient réellemerit. Un pareil raisonnement serait à coup sûr le comble de la démence. Eh bien, n'est-il pas absurde de conclure à l'existence du souverain Etre, parce qu'il se présente à notre esprit comme existant, à moins d'avoir prouvé que cette conception de notre intelligence est légitime ^ objective. Aussi toutes les fois qu'on voudra prouver à Tincrédule que Dieu existe en réalité en remarquant que, dans le cas contraire, il ne serait pas VEtre le plus grand, il pourrait répondre : Mais avant tout prouvez-moi simplement que cet Etre suprême existe; cela même est en question. Aussi , ajoute en terminant le tenace moine de Marmoutiers, au lieu de dire » dicam, quo dubia etiam milita siint et incerta. Prius enim certum mihi ne- » cesse est fiai, re vera esse alicubi inajus ipsum, et lum demum ex eo, quod » majus esl omnibus in seipso quoque subsistere, non erit ambiguum. (§ V.) » Exempli gratia : Aiunt quidam alicubi oceani esse insulam , quam ex » difficultate vel polius ex impossibilitale inveniendi, quod non est, cogno- » minant aliqui perditam; quamque fabulanlur mullo amplius quam de foi- » tunatis insulis lertur. divitiarum deliciarumque omnium ineslimabili uber- » taie poliere, nulloque possessore aut habitatore universis aliis, quas incoluiU » homines, terris possidendorum redundanlia usquequaque praeslare. Hoc ita )^ esse dical mihi quispiam , et ego facile dictum , in quo nihil est diflTicul- » tatis, inlelligam. Al si lune velut consequenter adjungat ac dical : Non )j pôles ultra dubitare insulam illam omnibus terris praeslanliorem vere esse » alicubi in re, quam in inteliectu luo non ambigis esse; et quia praeslantius » est non in inteliectu solo, sed etiam esse in re, ideo sic eam necesse est )) esse, quia, nisi fuerit, quaecumque alia in re est terra praestanlior illa erit. y ac sic ipsa jam a te praestanlior inteliectu praestanlior non erit. Si, inquam. » per haec ille mihi velit aslruere de insula illa, quod vere sil, ambigen- y> dum ultra non esse, aut jocari ipsum credam, aut nescio quem stultiorem » debeamreputare, ulrum me, si ei concedam, an illum, si se putet aliqua » certiludine insulae illius essenliam aslruere, nisi prius ipsam praestantianj )) ejus solummodo, sicut rem vere atque indubie exislentem, nec ullatenus » sicut falsum aut iiicerlum aliquid in inteliectu meo esse docueril. » (§ VLj ( 270 ) que lÂbsoIu ne peut pas être pensé comme n'existant pas, on dirait mieux qu'il ne peut pas être compris à part de Texis- tence réelle, ou qu'il n'est pas possible d'en avoir une connais- sance complète sans le concevoir comme existant. La raison en est en ce que le mot comprendre ne se dit que de la science véritable ou des notions adéquates, par opposition à la connaissance conjecturale ou erronée qui peut néanmoins être présente à la pensée. En ce sens je sais que je suis, mais je sais aussi que je pourrais ne point être; je comprends que l'Etre suprême existe et ne peut point ne pas exister. Mais quant à penser que je n'existe pas pendant que jexiste, j'ignore si cela m'est possible. Si Ton tient que je le puis, pourquoi ne pourrais-je point penser de même que lEtre suprême n'existe point? Et si l'on veut que je ne le puisse point, cette impossibilité n'affecte pas exclusive- ment le souverain Être, comme le suppose l'argument *. C'est ainsi qu'un contemporain traitait l'argument ontologique^. ^ (^ Haec intérim ad objecta insipiens ille responderit. Cui cum deinceps » asserilur taie esse majus illud, ut née sola cogitatione valeat non esse, et » hoc rursus non aliunde probatur, quam eo ipso quod allier non erit omnibus » majus, idem ipsum possit referre responsum et dicere : Quandonam ego » rei veritate esse taie aliquid, hoc est, majus omnibus dixi, ut ex hoc mihi >^ debeat probari in tantum eliam re ipsa id esse, ut nec possil cogitarl non » esse? Quapropter eerlissimo primitus aliquo probandum est argumenlo ali- » quam snperiorem, hoc est, majorem ac meliorem omnium quae sunt esse » naluram, ut ex hoc alia jam possimus omnia comprobare, quibus necesse » est illud quod majus ac melius esl omnibus noii carere. » Cum aulem dicitur, quod summa res isla non essenequeat coyitari, me- » lius fortasse diceretur, quod non esse aut eliam posse non esse non possit » intelligi; nam secundum proprielatem veibi istius falsa nequeunt inlelligi, » quae possunt ulique eo modo cogitari, quo Deum non esse insipiens cogi- » tavit. Et me quoque esse certissime scio, sed et posse non esse nihilominus « scio; summum vero illud, quod esl Deus, et esse et non esse non posse indu- )) bilanter intelligo. Cogitaie aulem me non esse, quamdiu esse cerlissime scio. » nescio utrum possim ; sed si possum, cur non et quidquid aliud eadem certi- » ludine scio?Si aulem non possum, non erit jam istud proprium Deo. » (§ VII.) ' Sur la réplique de Gaunilon , voyez Ritter , Geschichle der PhiL, l. VII, p. 536. — Tennemann, Gcschichte der PhiL, t. VIII, p. 158. D'' Hase, l. II,pp. 258-271. ( 277 ) Du reste, ce point là à part, le Prosloge paraît à Gaunilon un traité excellent, digne des plus grands éloges ^ Anselme lui ré- pliqua, et nous devons voir comment il sauvegarde, dans son apo- logie, la valeur de sa preuve de prédilection. Dès qu'il eut reçu par un de ses amis communication de la critique de Gaunilon , écrite à la suite d'une copie du Prosloge, ii voulut y répondre en détail. Les objections du comte de Montigny avaient fait impres- sion sur quelques esprits ^; notre Docteur était tenu d'y opposer une réfutation prompte et sérieuse. S. Anselme ne devait pas aimer beaucoup la polémique. Tou- jours l'homme d'intuition est, sur ce terrain-là, plus faible que sur celui de la spéculation pure. Il n'en redressa pas moins avec habileté les quelques exagérations de son redoutable adver- saire. Il va d'emblée au cœur de la question ; mais il faut bien le dire : dès le début aussi, il témoigne combien les attaques de l'adver- saire sont fondées. Votre foi et votre conscience, dit-il à Gaunilon, proclament Dieu l'Etre suprême, l'absolue Perfection ^. Dès lors si la Cause suprême n'existe pas dans l'esprit, c'est que celui-ci se forme de Dieu une notion fausse; mais si l'intelligence le conçoit avec exactitude, il faut que l'Absolu existe dans Vesprit. En outre, il existe chuis la idéalité. L'Etre absolument le plus parfait doit évidemment être conçu sans commencement. Or, tout être qui n'existe pas de soi et par soi implique dans son concept une exis- tence initiale ou , si l'on veut, il a commencé d'exister. Il est donc ^ Cela n'empêche pas M. Renan de donner comme un libre penseur ce Gau- nilon, et d'assurer que dans son Liber pro insipiente il avait osé faire l'apo- logie de rinsensé, qui a dit dans son cœur: « 11 n'y a pas de Dieu! « {Averroës, p. 282.) 2 Voir le c. V de la Réponse cV Anselme. ^ « Ego vero dico : si quo majus cogitari non potest, non inteliigitur vel » cogilalur, nec est in intellectu vel cogitatione , profecto Deus aut non » est quo majus cogitari non possit, aut non inteliigitur vel cogitatur, » et non est in intellectu vel cogitatione. Quod quum faisum sit, fide et » conscientia tua pro firmissimo utor argumento. Ergo quo majus cogitari » non potesl, vere inteliigitur et cogitatur, et est in intellectu et cogitatione. » (C. I.) ( 278 ) impossible de penser que l'Etre le plus partait n'existe pas réel- lement. Nous venons de constater, poursuit Anselme, plusieurs pro- priétés ou attributs de « l'Etre le plus grand. » Puisque nous per- cevons clairement ces choses, nous devons avouer que cet absolu lui-même existe dans noire pensée. Le niera-t-on pour le motif (jue celle-ci ne le pénètre pas d'une façon tout à fait complète? Mais si cela motivait une pareille négation, l'on pourrait égale- ment nier que l'œil voie la lumière du soleil, parce qu'il ne peut la fixer dans tout son éblouissant éclat. Il est donc avéré que nous avons dans l'iatelUcjence l'Etre absolument parfait, et cela précisément parce que nous le cmicevons. Or, cet être n'existe pas dans l'intelligence seule, mais aussi en réalité. C'est précisé- ment sa note caractéristique et incouDunnicahle que d'impli- quer le fait de son existence dans son idée, dans sa formule intelligible K Que l'adversaire montre un seul être distinct de l'Absolu, et possédant cette propriété, et l'on pourra lui assurer l'empire de ces Iles perdues au sujet desquelles il badine si plai- samment ^. Mais Anselme ne se contente pas de ces observations. Il con- state que, dans sa critique, Gaunilon a confondu le plus grand des ' cm. "^ « Fidens loquor, quia si quis inveneril mihi aliquid aut re ipsa aut sola )' cogitatione existens, praeter qiio majus cogilari non possit, cui aptare >' valeat connexionem hiijusmeae argumeiilationis, inveniam et dabo illi per- » ditam insulam amplius non perdendam. Palani auleni jam videlur , quo non » valet cogltari majus, non posse cogitari non esse, quod tam cerla ratlone y> verilalls existit; aliter enim nuUatenus exisleret. Denique, si quis dicit, se » cogitare illud non esse; dico quia , cum hoc cogitai, aut cogitai aliquid quo » majus cogitari non possit, aul non cogitai. Si non cogitât, non cogitai >) non esse quod non cogilat. Si vero cogitai, utique cogitai aliquid quod ■" nec cogitari non esse possit. Si enim posset cogitari non esse, cogitari » posset habere principium et finem; sed hoc non potest. Qui ergo illud >' cogilat, aliquid cogitât quod nec cogilari possit non esse; hoc vero qui » cogilat, non cogitai idipsum non esse; alioquin cogilat quod cogitari non » potest. Non igitur potest cogilari non esse quo majus cogilari nequil. » (C. III.) ( 279 ) Etres avec VElre le plus grand que l'on puisse penser. C'est de ce dernier seulement que se vérifie l'argument du Prosloge , puisqu'il serait contradictoire d'attribuer l'absolue et suprême perfection à un Etre existant seulement dans la pensée. Mais cela ne peut s'affirmer avec une égale évidence de l'Élre qui est en réalité le plus parfait. Un pareil être pourrait être pensé comme n'existant pas ^ Vous n'accordez pas, dit notre Docteur à l'adversaire, qu'il est impossible de penser l'Etre le plus grand comme n'existant pas. Cependant n'est-il pas vrai que si l'on nie l'existence actuelle de Dieu, c'est qu'on ne le conçoit pas comme il le faudrait. Et c'est précisément pour cette raison que j'ai basé tout mon raisonnement sur la notion de l'Etre au-dessus duquel on n'en peut penser de plus grand 2. A Toccasion de ces considérations, vous avez critiqué la comparaison du tableau et de son existence dans l'imagination de l'artiste : mais vous oubliez que jai uniquement fait cette com- paraison pour montrer qu'il y a certaines choses existant dans l'intelligence et qu'on conçoit parfaitement comme n'existant pas ^ ft Primum, quod saepe repelis me dicere quia quod est majus omnibus » est in inlellectu, et si est in intelleetu, est et in re; aliter enim omnibus » majus non esset omnibus majus. Nusquam in omnibus diclis mets invenitur » talis probatio. Non enim idem valet, quod dicilur majus omnibus, et quo » majus cogitari nequit ad pi obandum , quia est in re quod dicitur... Nam » quod non est potest non esse, et quod non esse polest cogitari potest non ') esse. Quidquid auiem cogitari polesi non esse, si est non est quo majus » cogitari 7ion possit... Hoc auteni non tam facile probari posse videtur de eo » quod majus dicitur omnibus... Quid enim, si quis dicat esse aliquid majus » omnibus quae sunt, et idipsum tamen posse cogitari non esse, et aliquid » majus eo, etiamsi non sit, posse tamen cogitari; an hic sic aperte inferri ') potest : non est ergo majus omnibus quae sunt, sicut ubi apertissime dice- » retur : ergo non est quo majus cogitari nequit? Illud namque aiio indigel w argumento quam lioc quod dicitur omnibus majus; in isto vero non est » opus alio, quam hoc ipso quod sonat : quo majus cogitari non possit. » (C.V.) - « Quare nec credibile potest esse, idcirco quemlibet negare quo majus » cogitari nequit, quod auditum aliquatenus intelligit, quia negatDeum, » cujus sensum nullo modo cogitât. Aut si et illud, quia non omnino inlelli- » gitur negatur, nonne tamen faciiius id quod aliquo modo quam id quoti » nullo modo intelligilur, probatur ? » (G. Vil.) ( 280 ) en réalité. C'est précisément à ces choses-là que j'ai opposé l'Être le plus grand. V^ous croyez que je ne puis me faire une idée de cetÉtre, parce que je ne le connais ni par son essence ni par un autre être offrant avec lui une ressemblance proprement dite. Mais ne puis-je, au moyen des biens créés, me faire une lointaine idée du Bien incréé et conjecturer en quelque sorte sa nature ? Par exemple, s'il y a quelque chose de bon impliquant un commencement, l'on peut penser que le Bien sans commencement est meilleur, et que le Bien sans fin comme sans commencement est supérieur encore: et qu'enfin le Bien sans fin, sans commencement et même sans aucun changement, est bien plus excellent. Ne peut-on pas rai- sonner de la sorte, même abstraction faite de l'existence de pareils Êtres ? De cette manière ne parvient-on pas à pressentir beaucoup de vérités, concernant l'Être au-dessus duquel on n'en peut pen- ser de plus grand ^ ? Si l'incrédule assurait qu'il ne peut même concevoir les termes de cette énonciation : VEtre le plus grand existe nécessairement , qui ne rirait de lui ? Celui qui nie l'existence de cet Être (de l'Absolu) conçoit du moins cette proposition négative, et par ce fait même, l'Être au-dessus duquel on n'en peut penser de plus grand. Il est certes possible de penser un Être qui ne peut point ne pas exister en réalité. Or, cet Être se manifeste d évi- dence à l'esprit comme plus grand que celui qui peut ne pas exister. Dès lors, dans l'hypothèse que fimpie se représente mentalement lÊtre le plus grand, il doit nécessairement admettre que cet Être existe aussi en réalité ^. ' C. Vlll. - « ... Cum dicilur : quo niliil majus valet cogitisri, procuî dubio quod audi- » lur cogitari et intelligi potest, etiamsi res iila cogitari non valeat aut intelligi » qua majus .cogitari nequil. Nam elsi quisquara est lam insipiens, ut dical » non esse aliquid quo majus non posslt cogitari, non tamen ila erit impu- » dens, ut dicat se non posse inlelligere aul cogilare quid dical; aut si quis « talis invenilur, non modo sermo ejus est respuendus, sed et ipse cons- )> puendus. » Quis(iuis negat, aliquid esse quo majus nequeat cogitari, utique intel- ^ ( 281 ) Je crois donc avoir démontré, conclut Anselme, qu'il existe réellement un Être tel qu'au-dessus de lui l'esprit n'en saurait concevoir de plus parfait. Et la portée de ma démonstration est telle que cet Être absolu dont on énonce le nom est posé comme réellement existant, en dehors de 1 intelligence, par le seul fait qu'on le conçoit et qu'on l'aiTirmc avec une si singulière nécessité. De cette proposition fondamentale découlent comme autant de corollaires tous les autres attributs de la Cause suprême K Nous savons à présent l'originalité et aussi l'erreur de la preuve d'Anselme. Elles consistent à induire directement rcxistence de l'Infini de son idée, de sa notion. Quant à admettre avec le Docteur Ueberwegg que par l'existence dans l'esprit qu'il attribue à l'Absolu, il mt entendu non la. simple représentation mentale, mais une sorte de forme idéale, comme en imagina si souvent l'Ecole réaliste, c'est, croyons-nous, une supposition ingénieuse, mais peu accep- table^. L'hypothèse de l'éminent et regrettable historien de la Phi- losophie est inutile pour l'intelligence de la doctrine d'Anselme, et, de plus, elle paraît tout à fait gratuite. De la discussion de l'ar- gument du Prosîoge,il ressort uniquement que celui-ci prétendait ^> ligil et cogilat negalionem quam facit, quam negationem intelligere aul » cogitare non potest sine partibus ejusj pars autem ejus est quo majus cogi- » tari non potest. Quicumque igitur hoc negat, intelligit et cogilat quo majus » cogitari nequit. Palam autem est, quia similiter potest cogitari et inlelligi » qnod non polest non esse; majus vero cogilat qui hoc cogitât, quam qui » cogitât quod possil non esse. Cum ergo cogitalur quo majus non possit « cogitari, si cogiialur quod possit non esse, non cogilatur quo non possit » cogilari Diajus. Sed nequit idem simul cogitari et non cogitari. Quare qui )) cogitai quo majus non possit cogilari, non cogitât quod possit , sed quod non » possit non esse. Quapropler necesse est esse quod cogilat, quia quidquid » non esse polest non esl quod cogilat. « (G. ÏX.) 1 « Puto, quia monstravi me non infirma, sed salis necessaria argumenla- » tione probasse in praefato iibello, re ipsa exislere aliquid quo majus cogi- » tari non possit, nec eam alicujus objeclionis infirmari firmilate.Tantam enim » vim hujus probationis in se continet significatio , ut hoc ipsum quod dicitur « ex necessilate, eo ipso quod intelligilur vel cogitalur, et re vera probetur » existere, et idipsum esse quidquid de divina substantia oportet credere. » (G. X.) 2 Geschichte der Phil , II, p. 181. ( 282 ) tirer directement l'existence réelle de TAbsolu de sa notion dans lesprit. C'est ainsi également que les plus anciens Docteurs qui se pré- occupèrent de sa démonstration, l'ont comprise. Thomas d'Aquin s'est expliqué là-dessus en plusieurs passages de ses deux Sommes. Nous devons nous arrêter quelques instants à ces graves éclair- cissements. Après Albert le Grand son maître ^, S. Thomas se demande, dès le début de sa Théodicéc, « si Dieu est un Etre connu par soi? » Nous savons déjà qu'en posant cette question, les Docteurs enten- dent examiner si l'existence de l'Etre absolument parfait est une vérité évidente par elle-même. Après Aristote, les Scolastiques appellent connues par soi les vérités principes, les axiomes fonda- mentaux des sciences, qui non-seulement sont vrais en eux- mêmes, mais qui se posent devant notre esprit dans la pleine lumière de ïévidence immédiate et sans avoir besoin d'une démonstration ultérieure. « Une proposition est connue de soi , dit S. Thomas, lorsque sa vérité se manifeste d'une façon évidente par l'énoncé de ses termes ; exemple : le tout est plus grand que ses parties. » En un autre passage, il avait appelé de ce nom les vérités évidentes par leurs termes, ce qui est le propre des premiers principes, des axiomes vulgaires que nul ne peut ignorer ^. Rete- nons cette dernière explication. Du moment où la question était ainsi posée,il est clair que, par rapporta Dieu, elle nepouvaitavoir qu'une solution négative ^. Ce qui est autrement sérieux, ce sont les rai- sons qu'on apporte pour nier l'intelligibilité immédiate de l'Absolu. 1 T. XVII, p. 62. Éd. Lugd., 1638. ^ « Illaper se esse nota dicuntur quae statim notis terminis cognoscuntur, )) sicul : cognito quid est totum et quid est pars, statim cognoscitur quod » omne totum est minus sua parle. » (Sum. cont. Gent., I, c. X.) — « Ex hoc )> propositio aliqua est per se noia quod praedicatum includitur in ratione » subjecti, ut homo est animal... Sum. th., I, q. II , a. I , in corp. » — Cf. De Verit., q. 10, a. 12. — Scot, In sent., I, D. II, q. 2. ^ D'Aguirre exprime parfaitement la doctrine de S. Thomas : « Ratio aulem » a priori hujus doclrinae videtur in eo sita, quod proprium sit primorum » principiorum, ut omnibus hominibus ratione utentibus per se nota sint. ( 285 ) S. Thomas noie que l'existence de Dieu est très-souvent niée ou révoquée en doute : donc elle n'est pas immédiatement connue de soi. Qui s'avise de nier les premiers principes? Ne sont- ils pas l'universel patrimoine de tous les esprits ? D'autre part, plusieurs ont cru que Dieu était un corps matériel ou même ïensemble de l^iuiivers. Tout en admettant l'existence de Dieu, Ton peut, par erreur, ne pas le concevoir comme l'Etre le plus parfait ^ — Au point de vue strictement logique, la remarque frappe en plein largument du Prosloge. C'est de lidée seule de l'Infini qu'Anselme déduisait son existence. Sous ce rapport-là celte idée ressemblait tout à fait aux axiomes, aux premiers principes que nul ne conteste. Certes, Anselme ne tient pas que la notion de l'Absolu soit aussi simple et aussi accessible à lintelli- gence que celle de l'eO'e et du non-éire, du tout et de la partie. Il nous a appris, dans sa réponse à Gaunilon, que cette notion est assez complexe, et que l'on ne parvient à l'idée adéquate de Dieu que d'une manière analogique,après certains raisonnements préalables. Il aurait sans doute répondu à S. Thomas ce qu'il répliquait à Gau- nilon : que penser Dieu comme un corps ou comme l'ensemble des forces physiques, ce n'était pas le concevoir du tout, mais substituer à son concept une chimère insensée. Il n'en demeu- rait pas moins certain que ces erreurs mêmes prouvaient que l'esprit n'a point de l'Infini une connaissance intuitive, qui lui permette d'inférer sa réalité de sa seule Idée. C'est là ce qui nous intéresse dans le raisonnement du Docteur Dominicain. S. Thomas écrit encore à ce sujet : Il est très-vrai, que pour » Talia sunt quae speclant ad habita m primorum principiorum specuiabilium, » ul : quodlibet est , vcl non est, et, omne totum est majus sua parte. Talia » eliam principia prima agibilia quae dicunlur principio juris communia, et » speclant ad synderesim : ut bonum est faciendum , et malum est fugien- » dum, etc.. Itaque lumine nalurae nobis generatim solum sunt per se nota « principia : qualia sunt quae spectant immédiate ad habitum principiorum , » seu specuiabilium, seu agibilium. Alqm proposilio baec Deus existit, non » est aliquod primum principium, nec speculabile, nec agibile. « (Disp. \T, sect. m, §28. * Yoy. Sum. th ,1, q. II, a. 1, ad l.- Cf. Sum. cont. Gent., 1. IIl , c. XXXVIII. ( 284 ) ceux-là qui voient à découvert Tessence divine, Vexistetice de Dieu est connue de soi, puisque son essence et son existence ne sont en rien distinctes. Mais Thomme ne voit point les essences des choses, celle de l'Être absolu surtout. Nous ne nous élevons à la cause incréée que par l'intermédiaire des créatures '. Pour déduire directement l'existence de l'essence même ou de la for- mule idéale de l'Infini, il faudrait que cette idée fût véritablement intuitive. Or cela ne peut être soutenu sérieusement, Anselme lui- même en tombe d'accord. C'est tout à fait dans le même sens que S. Thomas enseigne que l'existence de Dieu est immédiatement évidente en soi , mais non quant d nous. Le Docteur angélique veut dire que pour ceux qui ont l'intuition directe de l'Infini, son existence est saisie dans son essence même ^. Antoine de Gênes insinue à ce pro- pos qu"il paraît absurde d'appeler une chose évidente en soi, mais non quant à nous. C'est qu'il ne réfléchit pas sur la condition àHntelligihilitè immédiate que S. Thomas a si claire- ment exposée, dans le passage de la Somme philosophique rap- ^ « Dico ergo quod haec proposilio Deus est, quantum in se eslper se nola » est; quia praedicatum est idem cum subjecto. Deus enim est suum esse. — » Sed quia nos non scimus de Deo quid est, non est nabis per se nota, sed » indiget demonstrari per ea quae sunt magis nota quoad nos et minus nota )) quoad naturam,scilicel per eifectus... {Sum.th., I,q.2, a. 1 in concl.) — Quod » possit cogilari (Deus) non esse, non ex imperfectione sui esse est vel incer- » titudine, quum suum esse sit secundum se manifeslissimum, sed ex deWIi- » tate nostri inteilectus, qui eum intueri non polest per se Ipsum, sed ex )) effeciibus ejus. El sic ad cognoscendum ipsum esse, ratiocinando perduci- » tur... Sicut nobis per se notum est quod totum sua parle sit majus, sic >) videntibus ipsam divinam Essentiam per se nolissimum est Deum esse, ex » hoc quod sua essentia est suum esse. Sed quia Ejus essentiam videre non » possumus, ad ejus esse cognoscendum non per se ipsum, sed per ejus » eifectus pervenimus. « {Sum. cont. Cent., I. I, c. XI.) 2 « Respondeo dicendum quod conlingit aliquid esse per se notum dupii- >' citer. Uno modo secundum se , et non quoad nos , alio modo secundum se » et quoad nos. Ex hoc enim aliqua propositio est i)er se nota , quod praedica- )) tum includiturin ratione subjecti ut: homo est animal; nam animal est de « ratione hominis. Si igitur notum sit omnibus de praedicato, et de subjecto y> quid sit, proposilio illa erit omnibus per se nota, sicul palet in primis de- ( 28b ) pelé tout à l'heure *. Celle-ci fait le fond même du présent débat, la claire intuition du rapport de l'essence et de l'existence en Dieu pouvant seule permettre à l'esprit de passer de sa seule notion à sa vivante idéalité. S. Thomas s'exprime lui-même en ce sens. Supposons, dit-il, que par le nom de Dieu l'on signifie l'Être absolument le plus par- fait que l'on puisse penser. Il ne s'ensuit pas qu'un tel Etre existe en réalité. De ce que l'intelligence conçoit Tidée de cet Etre, l'on ne peut induire qu'il existe en dehors de l'intelligence^^. — C'est ce )) monslrationum principiis quorum termini sunt quaedam communia quae » iiullus ignorât, ut ens et non ens, lotum et pars, et similia, — Si autem » apud aliquos notum sit de praedicato et subjecto quid sil, propositio qui- » dem quantum in se est, eril per se nota , non tamen apud ilbs qui praedi- ^) calum et subjectum propositionis ignorant. » {Ihid.) — C'est tout à fait dans le même sens que Biel écrivait : « Cum dicitur propositio per se nota, » non excluditur notitia terminorum , nec nolitia terminorum est sufficiens » respectu talis uotitiaè : sed cum terminorum notitia etiam requiritur for- » matio propositionis. et ex consequenti voluntas imperans inlelleclui ut intel- » ligat. — Propositio « Deus est » quam format Beatus, cognoscens divinam » Essentiam in se est per se nota. » {In I , d. III, q. IV.) ^ Cf. Genuens, Elem. tlieol. christ., I. II, c. ï. — Déjà Argentinas avait tenu la même doctrine qu'Antoine de Gênes. (In I Seul., d. II, q. 1, art. 5.) — Ils ne faisaient que reproduire au fond de vieilles objections. (Cf. Henri DE Gand , Sum.^ p. 1 , a. 22, q. 2; Scot, in I, d. 2, q. 2. — Occam, in I, d. 3, q, 5; m /, q. 5. - « Dato etiam quod quilibet intelligat hoc nomine Deus sigiiificari hoc quod » dicitur, scilicet illud quo majus cogitari non potesi; non tamen propter hoc » sequitur quod intelligat id quod significatur per nomen esse in rerum na- » tura^ sed in apprenhensione intellectus tantum. Nec potest arguiquod sit » in re, niai daretur quod sit in re aliquid quo majus cogitari non potest, « quod non est datum a ponentibus Deum non esse. » {Sum. th., 1. c , ad 2"». — Cî.Sum.cont. Gent.yl. c.) — « Ex hoc quodmente concipitur quod proferturhoc » nomine Deus, non sequitur Deum esse, iiisi in intellectu. Unde nec opor- » tebit id quo majus cogitari non potesl , esse nisi in intellectu : et ex hoc non « sequitur quod sit aliquid in rerum nalura quo majus cogitari non possit. Et » sic nuUum inconveniens accidit ponentibus Deum non esse. Non enim incon- » veniens est, quolibet dato vel in re vel in intellectu, aliquid majus cogitari » posse, nisi ei qui concedit esse aliquid quo majus cogitari non possit, in » rerum natura. » ( 286 ) que Duns Scot explique d'une manière un peu difFérente en ces termes : « II faut interpréter comme ceci l'argument d'Anselme : Étant posée l'idée de Dieu, comme celle de l'Être le plus grand, il est impossible de petiser qu'il existe un Etre plus grand que lui ^ » S. Thomas ne fait que reprendre contre la preuve du Pros- loge les meilleures réflexions de Gaunilon. La question est éclaircie au point de vue dialectique. Sous la forme qu'il revêt dans le Prosloge, l'argument de S. Anselme n'est pas démonstratif. La conclusion excède les prémisses. Mais de fait, il y a dans sa preuve un élément objectif d'une importance et d'une portée extrêmement sérieuses. En exposant les principes de métaphysique d'Anselme, nous avons montré comment toute son idéologie repose, en définitive, sur le rapport de causalité des êtres relatifs avec l'Etre absolu. En raison de leur contingence, les êtres bornés de l'univers n'ont pu être appelés à l'existence physique que par l'acte d'une Cause né- cessaire et souverainement sage. S'appuyant sur cette considéra- lion, Anselme établit avec son maître Augustin que la Cause créa- trice porte, dans son infinie intelligence, les types exemplaires des choses qu'elle appelle librement à exister dans le temps. Dès lors, comme il nous l'a dit en son Dialogue deVeritate , Tordre réel est une sorte de reflet de la pensée divine, et réciproquement l'intel- ligence, la pensée de l'homme, doivent être considérées comme le miroir de la réalité. En haut l'Infinie Essence; en bas la Nature; entre ces deux extrêmes, l'esprit créé par Dieu pour s'élever à Lui par le spectacle de ses œuvres, voilà la synthèse de la métaphy- sique spiritualiste. C'est la suprême raison de l'harmonie ori- ginelle qui existe entre l'âme et l'univers, entre la vérité et les facultés humaines 2. L'esprit est fait pour atteindre, dans ses repré- sentations évidentes, dans ses déductions légitimes, l'essence des êtres. N'est-il pas clair que l'intelligence humaine, vivante image ^ De primo rerum principio, c. IV, ii" 24. — Ap. Hauréau, I, p. 208. 2 Cet ordre de considérations a été développé d'une manière remarquable par le D^" Billroth, dans sa monographie : Dissertât, hist. crit. de Anselmi Prosl. et 1/ono/. . (Lipsiae, 1832). — Voir aussi Ritter, Gesch. der PliiL, VII, p. 344. ( 287 ) de la Pensée divine, ne peut être le jouet d'une illusion où la précipiterait sa nature elle-même? L'erreur ne commence qu'avec les vaines imaginations (im«^maf/o) et les faux raisonnements. Nous avons entendu les Docteurs scolastiques signaler avec Aristote le caractère d'intelligibilité immédiate et d'infaillible évi- dence des vérités-principes. Anselme, lui, est allé plus loin. 11 a voulu déduire l'existence objective de l'Absolu de sa formule repré- sentative. Cette transition du monde abstrait à la plus concrète des réalités fut à la fois le signe caractéristique de sa Théodicée et son côté défectueux. Erreur sublime, je lésais! puisqu'elle est fondée sur l'essence de l'Infini , indistincte de son existence réelle; mais erreur toutefois; car, comme le répétait, avec son ferme génie, Thomas d'Aquin, le passage de l'idée à l'être, dans le cas qui nous occupe, ne serait justifié qu'à condition d'avoir l'intuition directe de Dieu et de percevoir sans intermédiaire la substance divine, dans sa vie ineffable et souverainement actuelle. Il semble que le Docteur de Cantorbéry ait pressenti lui-même, en de fugitifs moments, la vraie portée qu'il aurait dû donner à son argument. Plus d'une fois, il croit s'apercevoir qu'il ne suffît pas de se réclamer uniquement de Vidée logique de V Ab- solu, pour affirmer son existence. Dans sa réplique au moine de Marmoutiers, lélément ontologique tient une place bien autre- ment considérable que dans le Prosloge, Chose frappante! Dès le premier chapitre Anselme rappelle au subtil critique que sa foi de chrétien et sa conscience d'homme rendent témoignage de l'Etre absolument le plus parfait! Ce n'est donc pas seulement Vidée pure qui fournit la donnée fondamentale du fameux argument. Franchement, cet exorde de la réplique, cet appel à la doctrine de la foi devaient étonner le comte de Montigny. Ce que nous sou- lignons ici, c'est le témoignage de la conscience, dont parle An- selme. Nous n'oublierons pas ce mot là, et nous y reviendrons. Pour le moment, notons que le S. Docteur se rejette dès le com- mencement de la polémique sur l'ontologie : la transition dialec- tique de ridée à l'Être réel est reléguée au second plan. Aussi, quelques lignes plus loin, l'existence de Dieu est tirée non plus de l'idée logique, mais de Véternité du premier Etre et ( 288 ) de son évidente nécessité. « LTtre au-dessus duquel il n'est pas possible de rien penser de plus grand, écrit Anselme, ne peut être pensé que comme étant sans commencement. Mais tout ce qui peut être pensé comme existant et qui cependant n'existe pas peut être pensé comme ayant un commencement dans l'existence. Donc ce au-dessus de quoi rien ne peut être pensé de plus grand ne sau- rait être pensé comme existant sans quil existe. Si donc il peut être pensé comme existant, il existe nécessairement Je dirai plus : sans doute, ce qui est quelque part ou parfois n'est pas, peut même, quand il est quelque part et quelquefois, être pensé comme n'étant jamais nulle part, de même que quelque part ou parfois il n'est point... Pareillement ce qui n'est pas ici ou ailleurs, de même qu'il n'est pas ici, de même il peut être pensé comme n'étant nulle part. Pareillement encore, ce dont chaque partie n'est pas là et au moment où y sont les autres parties peut être pensé comme n'étant jamais nulle part quant à toutes ses parties et, par conséquent, quant à son essence entière... Mais ce au-dessus de quoi il est impossible de rien penser de plus grand , s'il est , ne peut être pensé comme n'étant pas; autrement s'il est, il n'est pas ce au- dessus de quoi il n'est pas possible de rien penser de plus grand; ce qui est contradictoire ^ » — A travers ce flux de paroles, l'on * '( Nam quo majus cogitari nequit non potest cogitari esse nisi sine initio. » Quidquid aulem potest cogitari esse et non est, per inilium polest cogitari » esse. Non ergo quo majus cogitari nequit cogitari potest esse et non est. » Si ergo potest cogitari esse, ex necessitate est. y Amplius. Si utique vel cogitari potest, necesse est illud esse. Nullus enim » negans aut dubitans esse aliquid quo majus cogitari non possit, negat vel » dubitat quia, si esset, nec actu nec inteilectu posset non esse. Aliter )) namque non esset quo majus cogitari non posset. Sed quidquid cogitari » potest et non est, si esset, possel vel actu vel inteilectu non esse. Quare, » si vel cogitari polest, non potest non esse quo majus cogitari nequit. M Sed ponamus non esse, si vel cogitari valet. At quidquid cogitari potest >^ et non est, si esset, non esset quo majus cogitari non possit. Si ergo esset » quo majus cogitari non possit, non esset quo majus cogitari non possit; » quod nimis est absurdum. Faisum est igitur non esse aliquid quo majus » cogitari potest; multo itaque magis, si intelligi aut in inteilectu esse potest. — IXi'p. à GauniL, c. I. ( 289 ) se convaincre que dès le début de sa discussion avec Gaunilon Anselme entrevoyait Ja nécessité d'assigner à la notion de l'Etre le plus grand une base en debors de la pensée. Partout des con- sidérations de l'ordre ontologique prennent la place de l'idée pure *. L'argument du Prosloge retrouve son fondement naturel dans la preuve cosmologique du Monologue. Il est très -vrai : les aveux de la réponse à Gaunilon enlèvent à la démonstra- tion d'Anselme beaucoup de son originalité. C'est le froid dispu- teur de Marmoutiers qui a ramené de la sorte l'illustre disciple de Platon à un sentiment plus fidèle de la réalité. Pourquoi celui-ci s'est- il laissé égarer dans le labyrinthe de la dialec- tique formelle, au lieu de s'appesantir sur le côté objectif de sa preuve? C'est à cela qu'il doit imputer sa défaite. Mais que dis-je, sa défaite? Il ne s'en doute même pas! Avec une candeur qui n'est plus de notre temps, dans le dernier chapitre de sa réplique, S. Anselme se félicite de sa démonstration triomphante! Il veut qu'à la suite du Prosloge, on place l'attaque de Gaunilon et sa propre défense. Dans sa bienveillance pleine d'humilité, le vénérable Docteur donne à l'œuvre de son adversaire de grands éloges. ' « Plus aliquid dicam. Procul dubio quidquid alicubi aut aliquando non est, » etiamsi est alicubi aut aliquando, potest tamen cogitari numquam et nus- )) quam esse, sicul non est alicubi aut aliquando. Nam quod heri non fuit et » hodie est, sicut heri non fuisse intelligitur, ita numquam esse subintelligi » potest; et quod hic non est et alibi est, sicut non est hic, ita potest cogitari » nusquam esse. Similiter cujus partes singuiae non sunt ubi aut quando sunt » aliae partes ejus, omnes partes, et ideo ipsumlotum, possunt cogitari » numquam aut nusquam esse. Nam, etsi dicatur tempus esse semper et » mundus ubique, non tamen illud tolum semper aut iste totus est ubique; » et sicut singuiae partes temporis non sunt quando aliae sunt, ita possunt » etiam numquam esse cogitari , et singuiae mundi partes sicut non sunt ubi » aliae sunt , ita subintelligi possunt nusquam esse; sed et quod partibus con- » junctum est, cogitatione dissolvi et non esse potest. Quare quidquid aii- » cubi aut aliquando toturn non est, etiamsi est, potest cogitari non esse. At » quo majus nequit cogitari, si est, non potest cogitari non esse; alioquin, » si est, non est quo majus cogitari non possit; quod non convenit. Nulla- » tenus ergo alicubi aut aliquando totum non est; sed semper et ubique » totum est. » (C. I.) Tome XXV. 19 ( ^290 ) 11 est temps de le noter, afin de mettre en son vrai jour l'élé- ment objectif de la preuve anselmienne : il y a deux manières de poser le problème de l'existence de Dieu. Par cet Être, on peut signifier la Cause suprême de l'univers, l'Etre nécessaire, ou bien l'Être absolument le plus parfait, l'infinie et vivante personnalité, réunissant dans son essence toutes les perfections véritables. Les démonstrations des anciens maîtres comprennent tour à tour ces deux aspects du problème. Souvent, dans leurs syllogismes sur le premier Moteur, ils semblent se préoccuper surtout de conclure à l'existence de la première Cause. D'autres fois c'est bien le Dieu infini et personnel qu'ils veulent montrer. C'est le cas des multiples arguments basés sur la swprême actualité de rÊtre nécessaire '. Ce dernier genre de démonstration fut en grand honneur dans lÊcolc : il présente certes une haute valeur; il est inattaquable à la critique. Mais il a la sécheresse des démonstrations abstraites; il ne s'adresse qu'à une seule faculté de l'homme, la raison. Avec Anselme, plus d'un penseur devait d'instinct chercher un autre procédé, inséparable du premier, mais plus vivant et s'adressant à toutes les facultés de l'àme. Ce procédé existe-t-il? Nous le croyons, et parmi les Scolastiques, Alexandre de Halès, Albert le Grand, S. Bonaventuf e et S. Thomas l'ont connu et pratiqué; nous le constaterons bientôt. Avec une puissance de raison unique en son temps, S. Anselme avait touché au phénomène central de la conscience humaine : son instinctive et universelle aspiration vers l'Infini. C'est pré- cisément l'argument dont nous entendons parler. Ce mot de conscience j appelé à un si grand retentissement dans la philoso- phie de l'avenir, notre S. Docteur l'a prononcé. — Ne nous l'avait-il pas dit dans le 31onologue et répété dans ses Méditations? Dieu conserve toutes choses « par sa présence toujours active. » La Cause universelle et première est nécessairement présente à l'esprit limité de l'homme; sans son concours persistant, la raison demeu- rerait inerte. Mais l'Absolu, principe des êtres relatifs, doit être aussi leur suprême Fin. Son action sur leurs facultés les conduit * Vofr plus haut, pp. 244 el suivantes. ( 291 ) à réaliser sûrement le but de la destinée humaine. Ainsi la con- tingence des créatures et la sagesse du premier Etre impliquent l'existence d'un concours naturel et immédiat de la Cause pre- mière avec les causes secondes, de Dieu avec l'homme pour guider sûrement celui-ci à accomplir la loi de son être. Prédestinés à nous élever vers Dieu , nous sommes avertis par l'effort spontané de la raison, par la tendance vitale de toutes nos facultés, à remonter l'échelle des créatures et à nous porter jusqu'au suprême Créa- teur, source dernière des contingences terrestres. L'imagination et le sentiment esthétique le représentent comme la Beauté idéale et parfaite; la volonté le poursuit comme le Bien sans limites; la conscience le reconnaît pour sa règle et sa loi; la raison voit en lui l'Absolu, possédant sans mélange les perfections dont l'esprit perçoit, dans le monde des phénomènes, l'éphémère et lointain reflet. Chacune de nos puissances cherche à s'unir à Lui selon sa nature spéciale. S'il se révèle d'une manière si universelle, si rapide à l'àme humaine, n'est-ce pas que celle-ci est faite par lui pour le connaître et pour l'aimer? C'est en vertu de cette prédesti- nation de ses facultés à monter jusqu'à Dieu, qu'elle est sa vmante image. '. Il se manifeste à elle, non comme le terme abstrait et indéfiniment progressif de Vèternel devenir, mais comme l'Etre actuellement parfait. Pour parvenir jusqu'à lui, nous n'avons be- soin que de nos énergies aperceptives, s'excrçant sur le spectacle du monde, sur l'activité intérieure de notre âme, et par-dessus tout, sur les aspirations de la volonté, cherchant dans le souve- rain Bien, vivant et personnel, son objet, sa règle et sa félicité. Comme Platon et Augustin, ses devanciers, Anselme avait connu cette ascension naturelle de l'âme humaine vers l'Absolu, sous la ^ Voici comment, en ce sens, un savant thomiste italien, A. Lépidi, a essayé d'expliquer naguère la démonstration du Prosloge. Écoutons-le : « Hujusmodi » imago quae est mens ralionalis, qualis ponitur ab Anselmo, non solum divi- > nas perfectiones manifeslal; verum eliam divinam existentiam. Modus ma- » nifestalionis ejus lalis est, ut non solum manifeslel esse Dei eo modo quo » effectus, mediaute raliocinio manifestât esse causae, verum eliam per mo- » dum imaginis,quatenus imago est; ila scilicet, ut intellectus videat Deum rt per mentem rationalem quia imago ejus est. » {De Ontologismo , p. 254.) ( 292 ) direction et 1 influence de ce premier moteur lui-même. Voilà l'élément objectif de l'argument du Prosloge. Il constitue le prin- cipe générateur de la Philosophie platonicienne. Pourquoi, en le signalant, Anselme ne s'est-il pas abandonné à la libre inspiration de son génie! — Mais formé à Fécole des dialecticiens, le Docteur se contenta de définir le lien de Vintellect avec V Infini. Dans le Prosloge, il représente Dieu sous la formule de VÉtre au delà duquel l'esprit n'en peut penser de plus parfait. C'est la notion de l'Absolu qui le préoccupe exclusivement Sa polémique avec Gau- nilon porta sur ce point : elle fut cause qu'Anselme s'attacha de plus en plus au concept, au rapport abstrait de l'Infini avec l'intelligence. Il s'absorba à contempler l'empreinte, là où il aurait dû scruter la faculté, et par elle remonter à son objet. C'était restreindre la démonstration , l'énerver par conséquent. Ce fut pour le S. Docteur un accident fâcheux; pour les logiciens, incapables d'atteindre à la vérité cachée dans sa thèse, un bruyant triomphe. Mais il reste à notre Docteur la gloire d'avoir, le pre- mier, entrevu la place d'élite que devait obtenir, parmi les preuves de l'existence de Dieu, l'argument psychologique tiré des rap- ports primitifs de l'âme humaine avec l'Infini. En ce point, il est tout à fait original. Nul ne l'a guidé à cette haute vue ^. Augustin a pu fournir des matériaux à sa conception : le relief qu'Anselme lui a donné n'appartient qu'à lui. S'il l'a développée d'une manière incomplète, c'est la faute de l'époque, peu exercée à l'analyse 2. I| a réuni du moins la plupart des termes de la * Un érudit néerlandais, le D"" Veder, écrit que, d'après Krùg {de Clenn- (he divinitatis assertore ac praedicatore. — Symb. ad fiist. phi!., Il, Lips.. !819), Targument dit ontologique aurait apparu, pour la première fois, dans l'Hymne de Cléanthe au Dieu suprême (éd. novis euris Merzdorf, Lips., 1835). Mais il a soin de noter qu'Anselme ne put connaître d'aucune manière rœuvre du poëte stoïcien! — Cf. Veder, Dmer/ai/o de Anseîmo Cantuariensi, Lugduni Batavorum, 1832, p. 110. ^ Sous ce rapport , nous sommes heureux de rappeler les conclusions du P.Gralry dans son étude surS. Anselme. (Co«/?a/ssa?ic^f/('Z>/ei/,I, Appendice.) — L'éloquent Oratorien , que nous pouvons désormais citer avec une si pure joie, s'exprime ainsi : « Si l'on demande à S. Anselme, dit-il, comment on arrive à cette idée du Bien suprême, il répond qu'on y arrive par la vue des { 295 ) l'éconde théorie : la contingence des êtres de la nature et de la conscience humaine; le concours et la direction de la première Cause; la prédestination originelle de l'âme à s'élever jusqu'à l'Absolu par le spectacle de la création et l'instinctif mouvement de ses facultés. L'Académie nous interroge touchant l'influence de l'argument d'Anselme sur les maîtres venus après lui. Elle nous permettra d'être court dans cette recherche. La docte dissertation de M. E. Saisset, les travaux de MM. Bouchitté, Hauréau, de Rémusat ont épuisé le côté historique de la question. Nous profiterons avec reconnaissance de leurs découvertes, en insistant sur certains points que ces savants n'ont pas compris dans leur critique. biens bornés {de minoribus bonis ad majora conscendendo). On passe de l'idée d'un bien, tel qu'on peut en concevoir un plus grand» à l'idée d'un bien tel qu'on n'en puisse concevoir de plus grand {ex iis quibus majus cogilari valet. Conjicere id quo majus cogilari ïieçi^iï); c'est-à-dire que de l'idée des biens linis {quod initium et finem habet) , on s'élève à l'idée du Bien infini {quod nec fînem habet nec initium). Tout bien inférieur, en tant que bien, a quelque ressemblance au Bien suprême {omne minus bonum in tantum est simile majori bono in quantum est bonum). Il y a donc un point d'appui pour arriver à l'idée de l'infini. C'est ce que la raison montre à tout esprit raisonnable {Cuilibet rationali menti), mais si quelque chrétien le nie, poursuit notre S. Docteur, il faut lui rappeler le mot de S. Paul : « Les choses invisibles de Dieu sont visibles dans la création. » ( 294 §2. De l'influence de l'argument d'Anselme sur les philosophes postérieurs. La preuve du Prosloge, dans la forme qu'Anselme lui donna, n'eut pas un grand succès parmi les Docteurs scolastiques. Il faut aller jusqu'à Pierre d'Ailly pour l'entendre rejeter au nom du scepticisme traditionnaliste *; mais dès le Xllh siècle, elle fut en défaveur dans l'École. La critique de Gaunilon avait eu quelque retentissement, et sa victoire sur le domaine de la logique n'était pas faite pour assurer la faveur à la démonstration d'Anselme. Toutefois il est probable que celle-ci donna occasion aux quelques arguments ontologiques de l'existence de Dieu, que nous rencon- trons chez les maîtres du moyen âge. Sans doute, Augustin avait pu les fournir ; mais qui voudrait nier que l'enthousiaste initiative d'Anselme n'ait contribué puissamment à les mettre en vogue? Nous savons déjà que S. Bonaventure, Richard de S. Victor, Thomas d'Aquin et Scot déduisent l'existence de Dieu des per- fections d'inégale mesure que l'on trouve dans les créatures et qui impliquent l'existence d'un Bien sans degré, principe de tous les autres. C'est l'argument qu'Anselme avaitdéveloppé au début du Monologue. — D'autres fois, pour prouver l'existence de la pre- mière Cause, les mêmes Docteurs arguent du concept de la vérité. « La Vérité, écrit le réaliste Guillaume d'Auvergne, existe avant tous les êtres créés, par soi-même et de soi-même, et cette pre- mière Vérité est Dieu ^. » Thomas d'Aquin et Duns Scot repro- duisent le même raisonnement. « Celui qui nie l'existence de la Vérité accorde par là même qu'elle existe, fait dire l'Ange de l'École à son interlocuteur; car si quelque chose est vrai , la vérité existe. Or, Dieu est la vérité; donc il existe ^. » On comprendrait ' Voir dans le Dict. des se. phiL, Part. Pierre d'Ailly par M. Bouchitlé. '2 De universo, p. 1, sect. I, c. XXXIIL ^ Sum. th.I, q. lî, art. 1,3. ( 295 ) mal cet argument si l'on ne se rappelait la doctrine établie par S. Thomas dans ses thèses sur la Vérité. Là le Docteur angélique prouve que toute vérité particulière suppose la Vérité absolue qui n'est pas distincte de Dieu. C'est sur cette donnée que s'ap- puie le raisonnement que nous venons de rapporter. — Dans le même sens Scot écrit : « Que la Vérité existe, cela est évident de soi. De fait, s'il n'y a point de Vérité, il est donc vrai qu'il n'y en a point. Or, Dieu est la Vérité ^ » N'y a-t-il pas une affinité remarquable entre ces considérations et la vue fondamentale du Dialogue de Veritate plaçant le fondement de la Vérité en Dieu lui-même? — En certains cas, l'argument du Prosloge lui-même est développé et transformé d'une manière remarquable. C'est ainsi qu'Alexandre de Halès, Albert le Grand et S. Bonaventure reprennent la preuve d'Anselme, mais en la corrigeant de son vice de forme. Ils établissent avant tout qu'il y a une Cause nécessaire. Ensuite, j)ar l'analyse de son concept objectif, ils démontrent qu'elle est la « Réalité par essence. » — « Cet être là est le plus vrai et existe le plus véritablement, dit Alexandre, qui non-seulement ne peut pas n'être point, mais ne peut même être pensé comme n'existant pas, puisqu'il est entièrement parfait: de sorte qu'il ne peut ne pas être, ni dans la pensée ni dans la réalité. Donc, s'il est démontré que Dieu existe de la manière la plus réelle, il ne peut pas ne point être, ni même être pensé comme n'existant pas ^. » Albert le Grand, interprétant la preuve de S. Anselme, dit qu'on peut l'accepter, en ce sens que « lÉtre possédant la plus certaine existence est celui qui est le plus éloigné du néant : or cet être est celui qui ne va pas de l'existence au néant ou du néant à l'existence, et dont il n'est pas même possible de se figurer la non-existence. ^ j> — Albert suppose démontrée la nécessité de la 1 Sent. /, dist. 2, q. 1. ^ Swn. univ. Tlieol, p. I, q. 3, Memb. 1. 5 « ... Siciit dicit Anselmus : illud maxime liabet esse qiiod maxime « dislal a non esse, quod scilicet non habet non esse post esse, nec esse » post non esse, nec potest cogitari non esse. » (Comp. theol. verit.., 1. I, c. I.) ( 296 ) première Cause : il en conclut son inrinité, mais il ne tire pas celle-ci de sa pure notion. Écoutons encore S. Bonavenlure : « Il a été dit à Moïse, écrit en son mystique langage le Docteur séraphique : Je suis celui qui suis... Que celui qui souhaite contempler les invisibles attributs de Dieu et l'unité de son essence, fixe avant tout son regard sur lÉlre lui-même et qu'il le reconnaisse avec assurance comme l'Être par soi, qui ne peut être pensé comme n'existant pas; car il est l'Etre ]mr, repoussant loin de lui tout mélange de non-étre. Et comme le néant n'a rien de l'être ni de ses attributs; ainsi, au contraire, l'Être n'a rien du néant, ni en acte ni en puissance, ni dans l'ordre de la réalité, ni même selon notre manière de conce- voir... Car il n'est point l'Être particulier, borné, mélangé d'indé- termination. L'Être pur est l'Être simplement, l'Absolu, la pre- mière Essence, l'Éternel, l'Actuel, le Parfait, la suprême Unité. Et ces vérités sont si évidentes, qu'il n'est pas possible que celui qui les entend bien puisse penser le contraire. L'une du reste est un corollaire de l'autre; de sorte que, du moment où il est posé que Dieu est l'Etre premier j éternel, simple, actuel et par fait y il est impossible de penser qu'il n'existe pas ^ » L'analogie de ces arguments avec celui du Prosloge est évidente. * ft Dictum est Moysi Ego sum qui sum... Volens igitur contemplari Del » invisibilia, quoad essentiae unitatem, primo defigat aspeclum in ipsurn » esse, et videal ipsum esse adeo in se certissimum, quod non potest cogi- « tari non esse; quia ipsum est purissimum, non occurilnisi in plena fuga » non esse, sicut et nihil in plena fuga esse. Sicut igitur omnino nihil, nihil » liabet de esse, nec de ejus conditionibus : sic e contra ipsum esse nihil » habet de non esse, nec actu nec potentia, nec secundum veritatem rei, nec » secundum aestimationem nostram... Sed hoc non est esse parliculare quod » est esse arctalum, quia permixtum est esse cum potentia. Esse igitur quod » est esse purum et esse simpliciter et esse absolutum, est esse primarium, » aeternum, simplicissimum, actualissimum, perfectissimum et summe unum. » Et haec sunt ita certa, quod non potest ab intelligente ipsum esse cogilari » bonum oppositum, et unum horum necessario inferl aliud... Undes/ Z)e«s » nominal esse primarium, aeternum, simplicissimum, actualissimum, perfec- » lissimum, impossibile est ipsum cogitari non esse j nec esse nisi ipsum » solum... » {Itiner. mentis ad Deum,c. V.) ( 297 ) Mais Alexandre de Halès et Bonaventure ont donné une base préalable et objective à la notion de l'Être parfait. C'est V exis- tence réelle de la Cause nécessaire j principe des êtres contingents et périssables. De la sorte ils évitent le subjeetivisme idéaliste du Prosloge; leur argumentation se rapproche des vues admises un peu tardivement par le Docteur du Bec, dans sa réplique à Gaunilon. Mais il faut entendre une preuve d'une bien autre importance, et trop négligée des critiques. En sa Somme philosophique , l'Ange de l'École constate qu'il y a dans l'esprit humain une tendance spontanée vers l'Infini. Où cherche-t-il la preuve de cette affirma- tion? Dans le fait que toutes les fois qu'on lui propose un terme fini quelconque, l'intelligence se porte comme d'instinct à un intelligible plus parfait. « Or, continue Thomas d'Aquin, cette originelle tendance de l'éme serait oiseuse, si dans la réalité il n'existait un Etre véritablement parfait. Un tel Etre ne peut donc manquer d'exister, et c'est lui que nous nommons Dieu. Par conséquent, conclut-il. Dieu est véritablement infini. » La signification de l'argument de S. Thomas ne saurait être ^ « Intellectus nosler ad infinitum in intelligendo extenditur, cujus signum » est quod qualibet quantitate finita data, iiilelleclus noster majorem excogi- » tare possit. Frustra autem esset haec ordinatio intellectus ad infinitum ,nisi >> esset aliqua res intelligibilis infinita. Oportet igitur esse aliquam rem intel- » ligibilem intinitam, quam oportet esse maximam rerum, et liane dicimus » Deum. Deus igitur est infinitus. >> (L. I, c. XLIII.) — Dans le manuscrit auto- graphe réédilé par M. Migne, S. Thomas modifie, en l'accenluant avec plus d'énergie encore, son magnifique argument. — « Omni finito polest aliquid » majus cogitari, ex quo declaratur quod inlelleelus noster habet quamdam » infinitalem respecta sui intelligibilis. IntelligihUe autem est res : Omni » autem potentiae respondet suus actus, cum potenlia ad actum dicalur. Gum ); igitur intelligibile sit actus et perfectio intellectus, oportet ponere aliquam » rem intelligibilem infinitam. Infiniti autem principlum non potest esse aliquid » finilum cum nihil agat praeler seipsum. Oportet autem esse aliquid quod » est praeler Deum impossibile esse. Est igitur Esse infinitum. » (Éd. Migne, I. I, c. XLIII, p. 98.) Cf. 1, III, c. L. « Nihil finitum desiderium inte- » lectus quietare potest, quod exiiide oslenditur, quod intellectus, quolibet » finito dato, aliquid ultra molitur apprehendere; unde qualibet linea finita » data, aliquam majorem molitur apprehendere, et similiter in numerls... » Allitudo autem et virtus est finita cujuslibet substantiae creatae. » ( 298 ) douteuse. L'Ange de l'École s'est formé à l'école d'Aristote. Il a sur les Platoniciens le capital avantage d'être très-peu mystique en phi- losophie. Pour lui, comme pour son maître, l'observation est à la fois le point de départ et le contrôle de toute bonne spéculation. Le fondement de sa preuve n'est pas énoncé d'une manière tout à fait explicite: il suffît néanmoins de méditer ses paroles, pour se convaincre qu'il n'est autre que Vinf'aillibilUé et la sta- bilité providentielles des lois de la nature. C'est bien là ce qu'en- tend le S. Docteur par cette prédisposition de la raison [ordinatio animae) à s'élever d'instinct vers un intelligible plus parfait. Son raisonnement est tout à fait dans l'esprit de la science positive. Incontestablement, c'est le plus vigoureux effort de la pensée, au moyen âge, pour instituer une démonstration anthropologique de l'Infini. Anselme était fort bien connu de l'Ange de l'École. Sa preuve du Prosloge aura indiqué à S. Thomas et la vue où le Docteur du Bec devançait son siècle, et l'erreur dont il devait se garder lui-même, en l'accueillant dans sa philosophie. Duns Scot devait subir également l'influence d'Anselme. Il a très-bien saisi la part de vérité renfermée dans son argument, tout en le modifiant dans le sens d'Alexandre de Halès et de S. Bonaventure. « L'objet de l'intellect, dit-il, est l'Être. Or, l'in- tellect ne trouve aucune contradiction dans le concept de l'Infini. Bien plus, il lui apparaît comme le suprême intelligible.... Ce qui peut légitimer jusqu'à un certain point la démonstration d'An- selme touchant la notion de l'Infini , c'est qu'e« cet oJ)jet l'intellect se repose entièrement j\\ a donc la qualité de premier intelligible, savoir de l'Etre (parfait).... Le plus parfait intelligible existe *. » Il est aisé de voir que, malgré l'époque, la preuve anselmienne avait fait une impression sérieuse sur les Scolastiqucs. Voici à son * « Iiilellectus ciijus objeclum est ens , nullam invenit repugnanliam inlel- » ligendo Elis infinilum, imo videlur perfeclissimum inlelligihile... Fer illutl » potest colorari ratio Anselmi de summo cogitabili... quia in tali cogitabili » summo summe quiescit intellectus; ergo in ipso est ralio primi objecti » intellectus, scilicet Entis... Vel coloralur sic : Majus cogitabile est quod » exislit, id est perfectius cognoscibile... Ergo perfeclissime cognoscibile » exislit. » {De primo principio, c. IV, iium. 24, 25.) { 299 ) tour le Docteur subtil qui y démêle le trait capital déjà signalé par l'Ange de l'École. « Dans V Infini, dit-il, l'esprit se repose complètement. » Nous savons la portée de cette parole. Elle est l'expression de l'affinité sympathique de l'esprit humain , avec la Vérité, et par-dessus tout avec l'Etre infiniment parfait, son prin- cipe et sa fin. Mais jusqu'à l'époque de la prétendue rénovation de la méthode philosophique tentée par Descartes , la preuve du Prosloge ne devint pas d'une véritable importance. La plupart des Doc- teurs, convaincus par les objections de Gaunilon, de S. Thomas et du Docteur subtil, l'abandonnèrent sans se soucier de la sou- mettre à une analyse plus approfondie. Nous ne répéterons pas les réflexions de Scot, de Guillaume d'Occam , de Biel sur ce point. Elles sont connues et ne fournissent aucun appoint nou- veau à la discussion. A mesure que la dialectique dégénérée du XIV*' siècle abaissait les esprits, l'élément ontologique. caché dans la démonstration du S. Docteur fut de plus en plus négligé. Gerson, le chancelier de la Sorbonne, allait jusqu'à écrire à propos d'un argument pareil à celui d'Anselme qu'il était de tout point inepte '. Durant la longue querelle des Universaux , on se préoccupa très- peu de la valeur des facultés. Sous ce rapport les camps rivaux étaient d'accord. Mais du moment où Descartes mit en question leur portée et crut trouver dans Vidée claire et distincte le seul refuge de la certitude dont il avait sapé toutes les bases, la démonstration a priori ne pouvait manquer de reprendre une place prépondérante dans la discussion philosophique. Le gentilhomme tourrangeau avait observé que nos diverses facultés étaient exposées à tant de méprises , d'illusions et de préjugés, que c'était bien mal assurer la certitude que de la con- ' « Nescio quis insipienlior sit, an is qui putat hoc sequi; an insipiens qui » dixit in corde suo : Non est Deus ... Si per hoc ille mihi velit affirmare de » insula illa quod vere sit, ambigendum ultra non esse; aut jocare ipsum » credam ; aut nescio quem slultiorem deheam reputare : ulrum me, si ei » concedam; an illum qui se putet aliqua certudine insulae illius essenliam » adstruxisse. » — In I, dist. III, q. II, ad finem. — Cf. Théoph. Raynaud, Theol. naturalisa d. V, q. 1, a. 2. — Vasquez, in I, d. XX, ad finem. ( 500 ) lier à des organes aussi précaires. Cependant, selon lui, dans cette universelle fluctuation, une chose restait inaccessible à l'erreur : c'était le fait même de la pensée impliquée d'évidence dans le doule. Dès lors la première vérité pour Descartes peut se formuler ainsi : Je pense, donc j'existe. Mais d'où lui vient ce privilège singulier de défier le doute? Précisément de ce que la pensée est comprise dans la claire idée du doute. Quelle sera dès lors la première loi de la certitude? L'idée claire et distincte des choses. Descartes applique ce raisonnement à la démonstration de l'existence de Dieu. Ici les analogies avec le procédé d'Anselme deviennent frappantes. Le philosophe français pose d'abord en thèse qu'il a dans son esprit, par-delà la notion des choses corporelles et limitées, l'idée claire de lÉtre infini. Il n'est pas difficile, dit-il, de trouver le principe du premier ordre d'idées. L'expérience, la réflexion y suffisent. Mais lidée de l'Infini ne peut venir à l'homme par cette source. Elle doit évidemment lui avoir élé communiquée par Dieu. « Parce que, dit-il, nous trouvons en nous l'idée d'un Dieu ou d'un Etre tout parfait, nous pouvons rechercher la cause qui fait que cette idée est en nous : mais après avoir considéré avec attention combien sont immenses les perfections qu'elle nous représente , nous sommes contraints d'avouer que nous ne sau- rions la tenir que d'un Etre très-parfait, c'est-à-dire d'un Dieu qui est véritablement ou qui existe, pour ce qu'il est non-seule- ment manifeste par la lumière naturelle que le néant ne peut être auteur de quoi que ce soit, et que le plus parfait ne saurait être une suite et une dépendance du moins parfait; mais aussi pour ce que nous voyons par le moyen de cette même lumière qu'il est impossible que nous ayons l'idée ou l'image de quoi que ce soit, s'il n'y a en nous ou ailleurs un original qui comprenne en effet toutes les perfections qui nous sont ainsi représentées... *. — Descartes exprime les mêmes idées dans sa Méditation III. « Par le nom de Dieu, dit-il, j'entends une substance infinie, éternelle, immuable, indépendante, toute intelligible, toute-puis- * Principes de laphiL, 1., art. 18. ( 301 ) santé, et par laquelle moi-même et toutes les autres choses qui sont (s'il est vrai qu'il y en ait qui existent) ont été créées et pro- duites. Or, CCS avantages sont si grands et si émincnts, que plus attentivement que je les considère, et moins je me persuade que l'idée que j'en ai puisse tirer son origine de moi seul. Et par con- séquent il faut nécessairement conclure de tout ce que j'ai dit auparavant que Dieu existe. Car encore que l'idée de la substance soit en moi de cela même que je suis une substance, je n'aurais pas néanmoins l'idée d'une substance infinie, moi qui suis un être fini, si elle n'avait été mise en moi par quelque substance qui fût véritablement infinie Et l'on ne peut pas dire que peut-être cette idée de Dieu est matériellement fausse, et par conséquent que je la puis tenir du néant, c'est-à-dire qu'elle peut être en moi pour ce que j'ai du défaut, comme j'ai tantôt dit des idées de la chaleur et du froid et d'autres choses semblables (apparentes souvent et fausses) : car au contraire, cette idée étant fort claire et fort distincte , et contenant en soi plus de réalité objective qu'aucune autre , il n'y en a point qui de soi soit plus vraie, ni qui puisse être moins soupçonnée d'erreur et de faus- seté *. » En cette même Méditation 111% Descartes donne une forme mathématique à la même considération. Toute idée objective exige une cause, dans laquelle sa réalité n'existe pas seulement d'une façon objective, mais formelle et transcendante. Or, nous avons l'idée de Dieu , et sa réalité objective n'est en nous-mêmes ni formellement ni éminemment : elle ne peut exister qu'en Dieu seul. Donc cette idée suppose Dieu pour sa cause. Donc Dieu existe. Dans le Prosloge, Anselme, nous le savons, se contentait d'ana- lyser l'idée de l'Être absolument le plus parfait en soi; et il en concluait son existence d'une façon directe. Descartes, qui pouvait connaître la critique du moine de Marmouticrs et les réflexions de S. Thomas, a voulu rendre la démonstration moins subjective 2. « Med.,l\l. ^ Sur la connaissance que Descartes a eue des écrits d'Anselme, voyez BoucHiTTÉ, ouv. cité, p Lxviii; et surtout M. Hauréau, Hist. littér.du Maine, t. l'^i", pp. 53o et suivantes. ( ûOL> ) Il s'est attaché à la cause de lïdée de l'Infini. Grâce à cet élément externe, il a cru assurer à la preuve le fondement objectif dont elle manquait auparavant. En cela il se trompait. Le fondement prétendu de la preuve de Descartes, l'assertion que Vîn/ini seul peut être cause de soti idée, est une nouvelle erreur ajoutée au vice de forme du Prosloge, je veux dire, à l'as- similation perpétuelle de l'ordre idéal avec l'ordre réel. Les con- temporains de Descartes ont très-bien relevé ce dernier point. Male- branche mentionne les savants qui regardaient l'argument comme un pur sophisme \ à moins de présupposer l'existence de l'Etre nécessaire. Un théologien hollandais, le D"" Catérus, donna à cette remarque des développements laborieux et un peu pesants qui font songer à Gaunilon 2. Mais ce qu'en écrivirent Huet et Buftîer rentre trop bien dans notre discussion, pour être passé sous silence. Leur censure est la meilleure critique de l'argument de Descartes, dans son application à la Théodicée. « L'argument de Descartes, dit Huet, devient plus clair, si on le ramène à cette forme : ce qui est souverainement parfait existe nécessairement. Cet Être infini dont j'ai l'idée dans mon esprit est souverainement parfait. Donc l'Etre infini et parfait dont j'ai ridée dans mon esprit existe nécessairement. — Je distingue la première proposition: L'Etre souverainement parfait existe néces- sairement, de la manière qu'il est. S'il est en réalité, il existe nécessairement en réalité. S'il existe seulement dans Tintelligence, il n'aura d'existence nécessaire que dans l'intellect. La seconde proposition est susceptible de la même distinction : — Cette chose infinie et souverainement parfaite, dont j'ai l'idée dans l'esprit, est tout à fait parfaite, mais selon l'être idéal. Car tout ce qui est en jeu ici, c'est une pure idée, et c'est de là que Descartes s'efforce de conclure que Dieu existe en réalité. Le sens de la conclusion est donc manifeste : Cet Être infini et parfait dont j'ai l'idée dans l'esprit existe nécessairement , quant à l'ordre intel- ^ Recherche de la vérité, 1. IV, c. XI , § IL 2 Voir les objections de Calérus eonlre les médit., 3, o, 6. — OEuv. de Des- cartes (Éd. Cousin), I, pp. 354 et suivantes. ( 505 ) ligible, mais non selon la réalité *. » — Buffîer n'est pas moins persuasif: « Des esprits sublimes ont pris le change, dit-il, appli- quant indifféremment à toutes les vérités internes et externes ce qui ne convenait qu'aux internes seules. Par là encore, et par la simple idée de Dieu , ils ont cru pouvoir prouver Vexistence de Dieu, parce que l'existence de Dieu est essentiellement renfermée dans l'idée de Dieu; mais ils ne prouvaient ainsi que l'existence de Dieu en idée, c'est-à-dire, ils prouvaient seulement que l'on ne saurait se former l'idée de Dieu sans y comprendre l'existence. Mais tout cela ne fait qu'une vérité interne, laquelle ne prouve rien à l'égard de ce qui est hors de notre idée et de notre esprit '^. » Dans sa réponse à Gaunilon, Anselme en appelait à l'identité de l'essence et de l'existence de l'Etre absolu, et c'était sur ce caractère distinctif qu'il basait son argument, selon lui applicable à Dieu seul. Descartes, pressé par de nombreux adversaires, revient encore avec plus d'insistance à cette observation. « De cette claire notion on passera sans aucun raisonnement, dit-iU à la connaissance de l'existence de Dieu. De fait, en lui l'essence et l'existence sont identiques. » Nous savons déjà que cela n'amé- liore en rien la preuve. Dans tout ce raisonnement, comme le répétait avec la ténacité de sa nation le professeur Catérus, ces considérations sont purement logiques et ne touchent en rien à la réalité, si l'on n'a démontré que de fait il existe un Etre nécessaire. C'est à l'analyse qu'il appartient de montrer ultérieure- ment son infinie perfection. Or l'existence de la cause nécessaire n'est pas le corollaire d'une idée, mais d'arguments a posteriori, tirés surtout de la considération de l'univers et des phénomènes de la conscience ^. ' Censura philosophiae cartesianae , c. IV, § VIII. '^ Éléments de Métaphysique, eiilret. IV, n» 49. ^ Nous nous faisons un plaisir de transcrire ici le grave jugement — pos- thume, hélas! — du D»" Ueberwegg sur l'argument cartésien: « Descartes » begeht hier den gleichen fehier, wie Anselm, die bedingung jedes catego- » rischen schlusses aus der Définition, dass nàmlich die Setzung der Subjectes » anderweilig gezichert sein miisse, zu vernaehlàssigen ; dieser vorwurf ( 504 ) II y a plus : nous avons vu que dans sa réplique à Gaunilon. Anselme, avec quelque embarras , il est vrai, se rejette sttr l'exis- tence d'une Cause nécessaire pour montrer ensuite, par l'idée même de cette cause, qu'elle ne peut pas être simplement un être logique, mais une vivante et infinie Réalité. Eh bien! ce même écart de procédé se retrouve chez Descartes. Il signale en sa pro- pre personne des imperfections et des limites; il en conclut à l'existence d'un Etre plus parfait. Mais ce retour à l'ancienne théodicéc ne l'empêche pas de s'en tenir à la démonstration idéa- liste, comme à la meilleure preuve de l'existence de Dieu. C'est une ressemblance de plus avec S. Anselme. Après ce que nous avons dit, nous pouvons être très-court sur le perfectionnement qu'un autre homme de génie tenta d'appor- ter à l'argument commun de Descartes et de S. Anselme. « La preuve, dit le grand Leibnitz, offre une remarquable beauté, mais elle a besoin d'un complément. Voici le point. Tout ce qui peut être trouvé dans la notion d'une chose peut être attribué à la chose elle-même. Or de la notion de l'Etre parfait ou de l'Etre le plus grand suit son existence. Donc l'existence peut être » wird him von dem die Ihomistiche Widerlegung der Anselmschen Argu- » mentes gegen ihn kehrenden Calterus in den objectiones primae mit recht » gemachl; seine nichtssagenden schlusse, dass wenn Gottist, die Existenz, » him zukommt, und wenn Golt fiugirt wird, er ais seiend fingirt werden )) muss. Zudem hat die Cartesianisctie form des Ontologisclien Argumentes » eineu Mangel, von dem die Anselm'sclie frei ist, dass namlich die Pramisse: » — das sein gehort zu den vollkommen heiten, — eine sehr besireitbare » Auffassung der seins als einer Pràdicales neben auderen Pràdicaten involvirt, )) wâhrend Anselm eine beslimmte art der seins , nemlich dass nich bloss in » unserm Geiste, sondern aucti ausserlialb desselben slatthabende sein als » etwass vollkommeresbezeichnet iiatte.Nur wenn Gott selbst und unser Got- » lesbegriff identificirt wurde, kônnte in dem Goltesbegriff aïs solchem die » biirgschaft der seins Gotles gefunden werden : den dass der GollesbegrifT » in dem wir ilm denken, eben vermoge dieser denkens in uns ist oder Exis- » tenz hat, ist freilich unleugbar und sogar selbstverslândlich ; aber jene » identiOcirung ist eben niciit Cartisianisch, der Descartes unter Golt, dem » schopfer der Welt. zwar das durch unscrn Gottesbegriff gedactite object » (ens), aber nicht diesen begriff selbsl veriteht. » Geschichte der PhiL, IJI, p. 55; Berlin, 1872, 5« aufflage. ( 305 ) attribuée à l'être le plus parfait, ou : Dieu existe. On prouve la mineure : L'Etre tout parfait ou le plus grand renferme toutes les perfections, donc il implique l'existence : celle-ci est certes une perfection; il est plus parfait d'exister que de ne pas exister. Voilà l'argument de Descartes. Mais en laissant de côté la notion de grandeur ou de perfection , on peut construire une preuve plus directe et plus ferme , de cette façon-ci : l'Etre nécessaire existe. Ou bien : l'Être à l'Essence duquel appartient l'Existence, ou encore , l'Etre nécessaire existe. Cela est clair d'après les termes mêmes. Or Dieu est un tel Etre {c'est sa définition). Donc Dieu existe. Cet argument est concluant , dès qu'on accorde que l'Etre parfait ou nécessaire est possible et n'emporte pas contra- diction ; ou ce qui revient au même, dès qu'il est possible qu'il y ait une Essence à laquelle appartient l'existence. Mais aussi long- temps que cette possibilité n'est pas prouvée, il ne faut pas se flatter que l'existence de Dieu puisse être parfaitement démon- trée par un tel argument.... 11 reste donc, afin de construire une démonstration géométrique de l'existence de Dieu, à prouver, selon la rigueur géométrique, et avec soin, la possibilité de Dieu *. Voilà sans contredit la plus spécieuse forme de la preuve dite à priori. Est-il besoin d'observer cependant que Leibnitz laisse le vice de l'argument cartésien parfaitement intact? La possibilité de Dieu ou de l'Être absolu est envisagée par l'illustre philosophe d'une manière purement abstraite. La majeure n'est que la for- mule qui exprime le rapport idéal de l'Essence et de l'existence, dans l'Être nécessaire, dans l'Infini. A moins de supposer dans le syllogisme im quatrième terme, Vexistence de cet Etre ne peut être affirmée, en la mineure, que d'une manière également abstraite. « De la combinaison de deux prémisses abstraites, dit très-juste- ment M. Cousin, il ne peut sortir qu'une abstraction. Le syllogisme est donc bon en lui-même, mais il n'a et ne peut avoir qu'une valeur syllogistique. L'existence que donne le syllogisme ne peut être ' Epist. ad Bierlingium, Éd. Korlhold, 1710, t. IV, p. 21. - Cf. Ep. ad Meierum, t. VI, p. 147. — Animadversiones ad Cartesii principia philoso- phica, t. V. — Nouveaux essais, 1. IV, c. X, § 7. Tome XXV. 20 ( 506 ) que l'existence en général, à l'état abstrait, c'est-à-dire sans réa- lité véritable. Leibnitz a donc perfectionné le syllogisme carté- sien, si Descartes a voulu faire un syllogisme; mais loin de fortifier la preuve cartésienne, il Va compromise. En logique , l'argument peut avoir l'autorité d'un syllogisme irréprochable, mais il manque du caractère objectif et réel auquel il prétende » — Ces réflexions suffisent. Je n'ajouterai qu'un mot : Leibnitz tenait à ce qu'on démontrât, selon la rigueur géométrique, la possibilité de Dieu. Mais qui ne voit que cette possibilité même, fondement de toute sa démonstration, aurait gardé le caractère des preuves géomé- triques, caractère abstrait, sans aucun lien avec la réalité de l'existence? Se figure-t-on d'ailleurs ce que peut être une preuve de la possibilité de Dieu ^ ? Il faut en dire autant de la confirmation que M. de Bonald essaya de donner h l'argument de Leibnitz. Elle se résume en ce que si Dieu n'existe pas, on ne peut assigner aucune cause dont il puisse recevoir l'existence. Donc il ne serait pas même pos- sible ^. — N'insistons pas. M. de Bonald renverse les termes de la démonstration de Leibnitz. Tout le monde voit qu'au fond il est d'accord avec lui. Il prouve que la possibilité externe même ferait défaut à l'Etre absolu, sil n'existait pas de fait. Mais M. de Bonald ne s'aperçoit pas que, lorsqu'il ajoute ensuite que cepen- dant la possibilité de Dieu n'est contestée par personne, c'est de la possibilité interne seulement que cela peut être affirmé. C'est la preuve précédente retournée : elle a ses défauts sans avoir sa clarté. 11 est impossible de ne pas se sentir frappé de cette persistance des plus nobles génies à restaurer le célèbre argument. Dès qu'on y réfléchit on en découvre le motif. L'existence de la Cause absolue se dégage avec une si grande évidence de l'observation du monde et de l'âme, que la droite raison s'y élève comme d'elle-même. < Leçons sur la phil. de Kant, 1844, p. 23S. 2 Kant a très-bien vu celte infirmité du raisonnement de Leibnitz. — Voir son ouvrage : Der einzig môgliche Beweisgrund zii einer Démonstration des Daseins Galles, t. VI, pp. 1-46; Éd. Leipzig, 1839. 5 Recherches phil., c. IX. ( 507 ) En présence de cet intelligible transcendant, qui est le dernier mot de notre destinée, la transition de l'ordre idéal à l'ordre réel est si rapide, qu'elle en est presque insensible. De très- éminents esprits n'ont pas toujours discerné les deux moments de la démonstration; c'est précisément que l'élément objectif de ridée de l'Infini s'est découvert à eux avec une si vive lumière qu'elle a paru se projeter sur la notion subjective elle- même. Veut-on se convaincre de la vérité de cette observation? Qu'on relise le passage où Descartes rend compte de la genèse de l'idée de l'Infini. « Et de vrai, dit-il, on ne doit pas trouver étrange que Dieu, en me créant, ait mis en moi cette idée, pour être comme la marque de l'ouvrier empreinte sur son ouvrage; et il n'est pas aussi nécessaire que cette marque soit quelque chose de différent de cet ouvrage même : mais de cela seul que Dieu m'a créé, il est fort croyable qu'il m'a en quelque façon produit à son image et ressemblance, et que je conçois cette ressemblance, dans laquelle l'idée de Dieu se trouve contenue, par la même fa- culté par laquelle je me conçois moi-même, c'est-à-dire que lorsque je fais réflexion sur moi, non-seulement je connais que je suis une chose imparfaite, incomplète et dépendante à'autvui, cfui tend et aspire sans cesse d quelque chose de meilleur et de plus grand que je ne suis , mais je connais aussi en même temps que celui duquel je dépends possède en soi toutes ces grandes choses aux- quelles j'aspire et dont je trouve en moi les idées, non pas indéfi- niment et seulement en puissance, mais qu'il en jouit en effet, actuellement et infiniment, et ainsi qu'il est Dieu. — Et toute la force de l'argument dont j'ai ici usé pour prouver l'existence de Dieu consiste en ce que je reconnais qu'il ne serait pas possible que ma nature fût telle qu'elle est, c'est-à-dire que j'eusse en moi l'idée d'un Dieu, si Dieu n'existait véritablement : ce même Dieu, dis-je, duquel lidée est en moi, c'est-à-dire qui possède toutes ces hautes perfections dont notre esprit peut bien avoir quelque légère idée, sans pourtant les pouvoir comprendre, qui n'est sujet à au- cuns défauts, et qui n'a rien de toutes les choses qui dénotent quelque imperfection. D'où il est assez évident qu'il ne peut être ( 508 ) trompeur, puisque la lumière naturelle nous enseigne que la trom- perie dépend nécessairement de quelque défaut *. » Ces explications sont d'une importance extrême pour la com- plète intelligence de l'argumentation de Descartes et de ceux qui l'ont accueillie en la modifiant. Quel est le point de départ caché de l'argument psychologico- ontologique de Descartes? C'est l'économie providentielle en vertu de laquelle la première Cause a doué la créature raisonnable sortie de ses mains, de facultés capables de la conduire à sa fin. Or cette fin est l'Infini lui-même. N'est-il pas rationnel qu'il y ait dans notre âme une certaine prédisposition à s'élever vers lui et, par conséquent à le reconnaître avec facilité? Descartes nomme cette prédisposition Vidée de Dieu. Nous pouvions nous y attendre de la part d'un homme qui avait mis dans les notions claires et dis- tinctes le critère de la vérité. Mais de quelle idée entend-il parler? Est-ce d'une idée innée, dans le sens propre de ce terme, source d'équivoques infinies? Descaries ne revendique, on le sait, que des facultés innées ^. Est-ce d'une idée immédiate et de simple vue? Il est très-vrai que Malebranche a repris dans ce sens son senti- ment et l'a donné pour fondement à la théorie de la Vision. Mais tout en reconnaissant le caractère original de la notion de l'Infini, Descartes ne l'a prise ni pour une idée innée, ni pour une vue directe de l'Absolu. II afïirme, après tout, qu'il ne la considère pas comme essentiellement différente de l'esprit humain. Il avoue, dans le passage précité, que cette idée présuppose la percep- tion de la contingence de l'être créé, et que c'est sur elle qu'elle est fondée. La même faculté, ajoutc-t-il, qui constate l'universelle dépendance des créatures, perçoit également l'existence d'une Cause nécessaire à laquelle elles doivent leur apparition et leur réalité. En cela, et ceci encore est d'une extrême gravité, il faut voir, selon Descartes, comme un dessein providentiel du grand ' Médit., JII. ^ « Cuni dicimus ideam aliquam nobis esse innalam, non intelligimus eam » nobis semper obversari, sic enim nulla prorsus esset innata, sed tanlum » nos habere in nobis ipsis facultalem illam eliciendi. » Resp. ad object. ter- lias , p. 89. ( 509 ) Ouvrier désireux de laisser son cachet sur son œuvre par excel- lence. L'âme se sent imparfaite, incomplète, dépendante; elle tend et aspire sans cesse à quelque chose de plus grand et de meilleur. Il en conclut que l'Etre dont elle dépend possède en soi toutes ces grandes choses auxquelles elle aspire. Qu'on rapproche mainte- nant de ces considérations cet aveu de Descartes : l'idée innée est, à rigoureusement parler, la faculté de la concevoir , et l'on pourra se rendre un compte exact de son raisonnement. Avec une confusion singulière il renferme la plupart des éléments de l'argu- ment de S. Thomas : l'analyse psychologique de la faculté de connaître, son aspiration instinctive vers une réalité supérieure, le rapport tout à fait spécial de l'Absolu avec notre esprit. Par malheur, Descartes laisse dans l'ombre le considérant le plus grave de tous; je veux dire la légitimité des tendances primitives et ori- ginelles des êtres. C'est une lacune d'autant plus déplorable que son idéalisme ne pouvait qu'égarer les esprits, sur le fond même de la démonstration. Il est vrai que pour assurer aux Idées claires une stable garan- tie, le réformateur se réclame de la véracité de Dieu qui n'a pu douer sa créature de facultés fatalement vouées à Terreur. Ce pro- cédé devait sembler étrange! En appeler à la vérité, à la sainteté de l'Être dont l'existence elle-même est en jeu ! Je sais bien que selon M. Bouchitté, par sa théorie de la véracité divine, Descartes n'aurait entendu autre chose que la loi instinctive de l'intelli- gence; ce que S. Anselme nommait veritas et S.Thomas ordinaiio aiiimae. Celle explication est très-plausible. Mais encore un coup, sur ce point aussi bien que sur l'innéité de l'idée de l'Infini , combien n'est- il pas regrettable pour l'auteur des Méditations d'avoir énoncé ses vues avec aussi peu de précision ! Plus que personne, il devait avoir souci de la clarté, en la question de la valeur des facultés. Où il aurait fallu placer des faits, des lois naturelles simples et fécondes, Descartes met un attribut de la Divinité, telle que nous la manifeste sa claire et distincte idée! Ce vice de raisonnement fut pour une très-grande part la ruine de sa méthode. Il la livrait aux justes réclamations des dialecticiens. Ses adversaires sérieux, ses détracteurs jaloux n'eurent qu'à i 510 ) ameuter contre lui la troupe bruyante des régents de logique. Son système eût été moins précaire qu'il aurait succombé sous la fronde de ces ergoteurs encore plus emportés que superfi- ciels. De la ihéodicée idéaliste de Descartes à l'Ontologisme, la transi- tion était aisée. Le critique avait insisté avec une prédilection marquée sur l'impuissance de l'esprit à s'élever par ses seules forces à l'Idée de Tlnfini. Dans cette idée et dans toutes les no- tions absolues qui n'en sont que les formules diverses; que dis-je, en l'essence de cbaque être créé, Malebrancbe prétendit voir l'In- fini lui-même se manifestant directement à la raison de l'homme. « Lorsqu'on voit une créature, dit-il, on ne la voit en elle-même, ni par elle-même, car on ne la voit que par la vue de certaines perfections qui sont en Dieu, lesquelles la représentent. Ainsi on peut voir Vesse?ice de cette créature, sans en voir Vexistence : on peut voir en Dieu ce qui la représente, sans voir qu'elle existe. C'est à cause de cela que l'existence nécessaire n'est point ren- fermée dans l'idée qui la représente, n'étant point nécessaire qu'elle soit, afin qu'on la voie. Mais il n'en est pas de même de rÉtre infiniment parfait : on ne peut le voir qu'en lui-même, car il n'y a rien de fini qui puisse représenter l'Infini. On ne peut donc voir Dieu qu'il n'existe; on ne peut voir l'essence d'un être parfait, sans en voir l'existence : on ne peut le voir simplement comme un être possible : rien ne le comprend, et si l'on y pense, il faut qu'il soit K ^> — « Les preuves de l'existence, dit-il ailleurs, et des perfections de Dieu tirées de l'idée que nous avons de l'Infini, sont des preuves de simple vue. On voit qu'il y a un Dieu dès qu'on voit l'Infini 2... » — Malebrancbe ajoute : « Cette propo- sition : // y a un Dieu, est par elle-même la plus certaine et la plus claire de toutes les propositions qui affirment l'existence de quelque chose ^. » Voici, dit-il encore, une démonstration fort simple et fort naturelle de l'existence de Dieu, et la plus simple « Recherche de la vérité, 1. IV, c. XI, § III. * Ibid., l. Vi, a*- part., c. VI. ^ Entretiens sur la Métaphysique , entr. II, § V. ( ôll ) de toutes celles que je pourrais vous donner. Penser à rien et ne point penser, apercevoir rien et ne rien apercevoir, c'est la même chose. Donc tout ce que l'esprit aperçoit immédiatement et direc- tement est ou existe... Tout ce que l'esprit aperçoit immédiate- ment est réellement. Car s'il n'était point, en l'apercevant, je n'apercevrais rien, donc je n'apercevrais point. Or, je pense à l'in- fini : j'aperçois immédiatement et directement l'Infini. Donc il est ». » Pourquoi Thomas d'Aquin et les Scolastiques après lui, reje- taient-ils l'argument d'Anselme? Parce que pour saisir dans l'Es- sence de Dieu son existence elle-même, il est nécessaire d'avoir l'intuition de l'Être divin. Malebranclie, lui, nie aussi que la simple notion psychologique abstraite de l'Absolu donne à l'esprit le droit d'en induire la réalité de l'Infini. Mais nous avons, selon lui, la vision directe de Dieu, et c'est pour cela seul que nous en avons la connaissance. Les arguments de l'existence de Dieu ne prouvent rien, si ce n'est à la condition d'être des preuves de simple vue. Dans son traité de V Existence de Dieu, Fénélon donna de nou- veaux développements à la théorie de Malebranche 2. L'illustre Gerdil les reprit avec éclat et les exposa avec une grande habileté pendant la première période de sa féconde carrière d'écrivain, en s'ingéniant à concilier les principes de l'Ontologisme avec les doc- trines du Docteur Angélique 5. Ce n'est pas ici le lieu d'approfondir cette nouvelle phase de la démonstration; ce serait sortir des bornes du sujet prescrit par l'Académie et oublier le but de ce travail ^. Nous l'avons dit ailleurs : la vision immédiate de l'Absolu est une théorie gratuite et, à nos yeux, inacceptable. Les ontologistes les plus habiles de notre temps, mitigeant la doctrine de Male- branche, mettent le principe supérieur de la raison dans Taper- ^ Entretiens sur la Métaphysique , Enlr. II, § V. 2 Part. II , n»' 53 et suiv. 5 Difesa del sentimenlo del P. Malebranche sulla natura sd origine délie ideej contra l'esame di Locke. — Cf. Lepidi, de Ontologismo , pp. 254-277. * Le R. P. Gralry a très-bien relevé les exagérations de Malebranche, dans sa Connaissance de Dieu, I , p. 400. ( 512 ) ception directe de l'Essence divine en tant qu'elle est la source des Idées générales. Nous savons qu'à propos de cette idéologie, ils se réclament de l'autorité d'Anselme. Son plus savant com- mentateur, le célèbre d'Aguirre ne trouve en ses écrits aucune trace de ce système. Je n'emprunterai à son vaste travail qu'une considération purement rationnelle : S'il se trouve un être, dit-il, dont la nature implique la vision de Dieu, celle-ci implique également l'union réelle (physique) de cet être avec une propriété ou une perfection propre à la divinité... Car la créature qui exige de sa nature la vision de Dieu exige du même coup d'être réelle- ment unie à l'essence divine, remplissant pour elle le rôle de médiateur intelligible. La vision des bienheureux elle-même ne peut avoir lieu qu'à condition que leur intelligence soit déterminée par l'Essence divine... Or l'Essence divine, en tant que principe de connaissance, constitue la propriété essentielle de Dieu, à cause de sa suprême actualité et de son identité avec lui. Il est démontré en effet par les philosophes que toute connaissance sup- pose l'union de l'objet et de la faculté : d'où il suit que l'intel- lect ne peut engendrer la connaissance de quoi que ce soit, sans être fécondé intrinsèquement, soit par son union immédiate avec l'objet, soit par quelque principe intermédiaire. Ce dernier ne peut exister par rapport à la vision de Dieu. La connaissance intuitive de la Divinité suppose donc l'union de l'intellect avec l'Essence divine, ou l'union de Dieu avec l'intellect, et cela comme principe déterminant à l'égard de celui-ci... En outre, toute créa- ture requiert, en vertu de sa nature, un complément soit sub- stantiel, soit intellectuel; elle l'exige comme une perfection propre, proportionnée et adaptée à son être... Si elle exige, à cet effet, une forme incréée d'un ordre supérieur, elle l'exige comme une qualité qui lui est propre. Donc elle s'égalerait et se mesurerait à elle : elle l'exigerait selon toute sa capacité et complètement *. Nous savons déjà combien cette interprétation est conforme à la ' « Quidquid exigit connaturaliter visionem Dei, exigit etiam unionem rea- » Jem cum aliqua proprietate vel perfeclioiie Dei propria... Quidquid exigit » connaturaliter visionem Dei, exigit quoque unionem realem cum essenlia (513 ) réalité. Dans sa réplique à Gaunilon, Anselme, pressé de s'expli- quer sur la façon dont l'esprit s'élève à Dieu, ne mentionne que le procédé familier aux écoles : le dégagement du concept de la Cause première de l'observation des choses créées. Mais contre Malebranche, les conclusions du cardinal d'Aguirre sont sans appel. Le subjectivisme idéaliste de Descartes et l'ontologisme des dis- ciples de 3Ialebranche appelaient une réaction. Elle tarda quelque peu à se produire, mais elle fut excessive comme le système qu'elle prétendait renverser. Ce fut Kant surtout qui l'inaugura. » divina, sub minière speciei impressae. Visio eiiim bealifica non aliter oritur » ab intelleclu creato, quam foecundato ab ipsa Divinitate, realiter sibi unita » sub miinere speciei impressae. Sed essentia divina sub munere speciei im- » pressae est proprietas seu perfeclio Dei propria; ulpote summe necessaria » et identificata cum ipso Deo. Ergo quidquid exigit connaturaliter Dei visio- » nem, exigit etiam unionem realem cum aliqua proprietate aut perfeclione )! propria Dei... — Cum enim ex philosophia compertum sit, ex objecto et » polentia pari nolitiam, inlellectumque non posse quidquam concipere nisi » intrinsecefoecundetur,vel per ipsum objeclum unitum inralione speciei, si » uniri potestj vel média specie seu vicaria, consequens est, ut, quandoqui- » dem répugnai species Dei vicaria in ordine ad visionem ipsius, necessario » praesupponatur unio essentiae divinae, siveejusdem Dei cum intelleclu sub » munere speciei... Ergo necessario débet liabere illum intelligibililer unitum, » seu intra se. Cumque nequeat habere illum sibi unilum média specie dis- » lincla , ad visionem consequens est ut debeat habere ipsam Divinitalem » conjunclam sub ralione speciei... — Natura exigens ab imrinseco compleri » subslanlialiter aut intelligibiliter per formam increalam allerius ordinis, » exigeret illum veluli perfectionem propriam, ut palet. Ergo adaequarelur « et commensuraretur cum illa : ac proinde exigeret eam adaequate et secun- » dum se lolam. » (S. Anselmi theologia, Tr. I , disp. X, s. III, §§ 25, 23, 51.) — Je me borne à celle citation. La Dispute X du Docteur de Salamanque est, dans son ensemble, une solide réfutation de l'ontologisme. Mais elle est écrite presque entièrement au point de vue théologique. Il faut signaler surtout la section IV. L'auteur y réfuie l'objection de ceux qui nient que l'union immédiate dont il vient de parler soit intrinsèque à l'intellect créé, sur ce motif que Dieu peut dételle façon s'unir à la raison qu'il lui découvre son Essence, dans la mesure où cela lui plaît. — C'est précisément la manière dont les onlologistes modernes les mieux avisés ont tempéré l'idéologie de Malebranche! ( 514 ) Nous n'avons qu'à nous occuper ici de sa théorie sur la connais- sance rationnelle de Dieu. Disons-le tout de suite ; le philosophe de la Raison pure est invincible contre tous ceux qui prétendent tirer directement l'existence de la Cause nécessaire et infinie de sa notion idéale. Kanta repris contre eux les objections de Gaunilon et des Scolas- tiques. Il y a ajouté quelques éclaircissements; mais il n'a pas apporté un seul élément original dans la discussion. Comme le moine de Marmoutiers, Albert le Grand, Thomas d'Aquin et Scot, Kant rappelle avant tout que les raisonnements fondés sur des formules logiques n'ont qu'une portée purement spéculative. Ce sont des abstractions doù l'on ne peut légitimement induire aucune conséquence touchant h l'ordre réel. Descartes et ses par- tisans ont coutume de parler d'une démonstration géométrique de Texistence de Dieu. Or, dit Kant, les preuves des géomètres, toutes leurs constructions n'ont qu'une portée spéculative. Dans leur rapport avec l'ordre réel, elles sont purement hypothé- tiques. Nous montrons que si le triangle existe, la somme de ses trois angles doit équivaloir à deux angles droits. Quant à prouver qu'en effet un triangle déterminé existe, la Géométrie ne l'essaye même pas. Que l'on ne répète plus, dit avec toute raison le critique de Kœnigsberg, que llnfini a ce privilège singulier qu'il s'affirme comme existant. Ontologiquement, cela peut être vrai j mais au point de vue de la démonstration, il serait puéril de ne pas reconnaître que c'est justement cette propriété qui est en question. Les notions de Tordre abstrait ne peuvent mener qu'à des conclusions logiques, et celles-ci n'impliquent par elles- mêmes aucun sujet réel. L'existence physique n'est nullement contenue dans les idées de la raison [)ure. Toutes les fois que de la non-répugnance du concept de l'Absolu, on a conclu à sa réalité, on a confondu la possibilité idéale avec la possibilité externe. A. l'analyser sérieusement, la proposition : VEtre abso- lument parfait est possible ^ donc il existe, présente à l'analyse un sens absurde. Elle revient à celle-ci : l'Être absolu n'existe point en réalité : donc il faut admettre son existence réelle. — Cette dernière remarque pourrait sembler exagérée en ce qu'elle ( 315 ) met sur le même rang l'Etre intini et le fini. Mais Kanl reste dans l'hypothèse qui prétend tirer Texistence réelle de l'Absolu de son idée logique, de sa notion idéale. Sous ee rapport tous les êtres sont soumis à des conditions pareilles. L'argument ontolo- gique se ramène à la relation logique des attributs et du sujet. Pose-ton ce dernier, il est clair que cette relation se vérifie en réalité et il répugne à la raison de la nier ou de la méconnaître. Mais qu'on supprime par la pensée le sujet lui-même , le rapport s'évanouit. Toute la question est de savoir si Ton peut nier l'exis- tence de l'Être absolu. C'est là précisément le problème. Ce juge- ment est-il analytique, demande Kant, ou bien synthétique? Dans le premier cas, c'est une énonciation purement idéale, elle ne porte pas sur Tordre de la réalité. Soutenir qu'elle est synthétique, c'est commettre une absurdité, puisqu'on ne peut soumettre un concept de ce genre au contrôle des sens ou de l'expérience.* L'idée de l'Être au-dessus duquel on n'en peut penser de plus grand présente en mainte occasion une grande utilité : Kant en tombe d'accord. C'est une base de raisonnements très-solide, mais elle est incapable, par elle-même, de nous conduire jusqu'à la réalité. Nous n'avons aucun moyen de vérifier si de fait les attri- buts que nous considérons comme les prédicats de l'Absolu se réunissent dans une synthèse vivante, réelle. Sur tout cela nous jugeons uniquement a 'priori j c'est-à-dire selon l'ordre logique. Or, selon Kant, le critère et le contrôle des jugements synthé- tiques doit se trouver dans la sphère du monde sensible. Il s'en- suit que même la possibilité de l'Être le plus grand ne peut être démontrée, comme s'en flattait Leibnitz. Tous ceux qui admettent l'argument ontologique sont dans le cas d'un homme qui s'affir- merait possesseur de cent thalers, sur cette raison que ceux-ci existent dans son idée ^ — Kant nous ramène presque aux « îles perdues » de Gaunilon ! Voilà les objections qu'oppose l'auteur de la critique de la Raison pure à l'idéalisme de ses devanciers. Kant, on le sait, fut * Kritik der reinen Yernunft: Elemenlarlehre, II Th., Il Ablli.,2 Buch., 3 Haupst., § IV. ( 516 ) incapable de reconstruire l'édifice qu'il avait renversé et dont , mieux que personne, il a signalé les défauts. On sait le résultat de sa critique; il est tout entier dans la phrase devenue fameuse: « Les lois qui gouvernent nos facultés ne sont que les points de vue différents de notre propre existence; les formes de la vérité sont également les modes de la pen?ée humaine. » Le philosophe appliquait sa conclusion à notre sujet en affirmant que l'idée de l'Être absolu n'est que le type transcendant de l'esprit, conception purement subjective qui nous laisse dans la plus complète incer- titude, dans une radicale ignorance concernant l'existence réelle de son objél. — Pour conserver la notion de Dieu et de la responsabilité morale, Kant finit par leur chercher un abri dans son postulat de la Raison pratique. Cela seul découvrait l'infirmité de sa théorie. Mais contre Descartes aussi bien que contre les idéalistes qui voudraient s'en tenir à la lettre d'Anselme, nous n'hésitons pas à dire que sa critique générale est invincible. Elle avait désespéré la raison. La nouvelle école panthéistique issue de lui la divinisa pour la venger. L'argument a priori revint en faveur. Déjà Leibnitz avait remarqué que Spinoza avait emprunté plus d'une considération sur la nature de Dieu à la philosophie Cartésienne. II est certain que le sophiste-géomètre avait systéma- tiquement insisté sur le rapport essentiel entre l'essence de Dieu et son existence. En plusieurs endroits de ses principes de philo- sophie et de l'Ethique, il définit Dieu l'Etre dont l'existence réelle dérive de sa notion. On devine la raison de cette insistance. Dans le théorème de sa démonstration , Spinoza mettait que la substance est « l'être dont la notion n'implique celle d'aucun autre être. » Il tenait comme axiome, que Dieu est l'être qui existe de soi, par le privilège réservé de la Cause absolue. Le corollaire suivait naturellement : donc il n'y a qu'une seule substance qui est Dieu '.Tout le panthéisme était dans l'ingénue conséquence, et c'était là ce que Spinoza voulait. Il appelait ce procédé de la philosophie à la maiiière des géomètres ! ^ Prmc.phiL, prop.V. — Ethica more geometrico demonstra(a,p. T, ûï. I. — EpisL 29. ( 517 ) Au rebours de Kant, Schelling, de tous les arguments de l'exis- tence de Dieu, ne voulut accepter que la seule preuve ontologique. « Si Dieu existe, dit-il, la seule cause de son existence, c'est qu'il est. Son essence et son existence sont une seule et même chose... Aussi la proposition Dieu existe est indémontrëe et absolument indémontrable, tout comme le premier principe de la philosophie critique : 3foi j'existe. » Quant à Descartes et Leibnitz qui, à la suite d'Ansehne, proposèrent l'argument ontologique, Schelling veut qu'ils ont fait preuve d'infiniment plus de sens critique que les dogmatistes curieux de prouver l'existence de Dieu à l'instar d'un vulgaire problème d'histoire. L'idée de l'Absolu, dit-il, n'a point manqué à ceux-ci, mais ils l'ont mal comprise. Le procédé réflexe qu'ils suivaient repose sur l'antithèse entre l'idée et l'être. Aussi dans leurs systèmes. Dieu n'est l'Absolu que pour autant que de son idée suit sa réalité. — L'Être divin, écrit-il encore, n'a pas été pour eux l'Absolu véritable, qui est tel par lui-même : ils ne l'ont conçu comme tel que parce qu'ils ne connaissaient aucun être plus grand ou plus excellent. C'est là une notion purement empirique, que tout homme incapable de s'élever au vrai concept de Dieu se forme en soi-même *. — Je n'ai garde de montrer l'injustice de ces dernières allégations. On comprend trop que le philosophe qui faisait du moi et du non-moi, de Dieu et de l'esprit une seule réalité devait répudier tous les arguments qui supposaient une distinction entre la raison humaine et le suprême intelligible. Plus encore que Schelling, Hegel assure que c'est en revenant à la preuve ontologique que la théodicée peut vivre. Mais veut-on savoir comment il la comprend? Avant tout, il faut que l'on n'aille pas établir une distinction entre Vidée de r Absolu et V Absolu lui- même. Ce sont deux choses identiques. Quant à ceux-là qui, comme Gaunilon, ont combattu la doctrine Anselmienne, Hegel estime qu'ils n'y ont rien compris. Ils se sont imaginé qu'Anselme a entendu parler de la notion psychologique de l'Infini, tandis » Philosophische Schriften, t. I^r, p. 152, sqq. — Neite Zeitschrift far spé- culative Physik, t. I^ï-, p. 38, seq. ( 518 ) que tout son raisonnement repose sur une intuition directe de l'objet pensé. Le sentiment intime de tout homme regarde comme imparfaite la représentation idéale, abstraite des choses. Nous portons en nous la conviction que la perfection de la science implique Videntité de l'idée et de son objet. Il est superflu de chercher à renverser le point de vue d'Anselme; il plonge ses racines dans les entrailles de l'esprit humain et de la philo- sophie. Le Docteur du Bec n'eut qu'un tort : c'a été de proclamer l'identité de l'essence et de l'existence, de l'idée et de la réalité pour l'Absolu seul, tandis qu'elle est l'universelle loi des êtres. — Ces dernières vues montrent assez l'abîme qu'il y a entre les doctrines d'Anselme et celles d'Hegel. Personne n'a aussi bien mis ce point en relief que M. de Rémusat. Écoutons-le : Pour Hegel, écrit l'éminent académicien, le mouvement de la pensée par lequel elle applique l'existence indéterminée à une réalité exté- rieure, qu'elle conçoit alors comme existante, en telle sorte que le moi est Vêtre ayant conscience de l'être , ce mouvement, dis-je, est plus que la représentation, il est le développement, la produc- tion même de ce qui est, si bien que la notion est le fond même de la réalité, et que la dialectique est l'ontologie. Or, comme cela ne peut être vrai de l'être en général, sans être vrai de tout l'être, de l'être absolu, ce n'est point une propriété particulière de l'être divin. H n'en est ainsi de l'être divin que parce qu'il en est ainsi de tout : ou plutôt c'est de l'être divin, de l'être absolu que cela est vrai, et cela même est l'être divin. Le mouvement dialectique est la vie divine, identique avec la vie des choses. Rien n'est que l'identique absolu, dont toutes les déterminations, toutes les diver- sités apparentes ne sont que des moments. Mais de ce système général, la première application a été la preuve ontologique de Dieu, qu'Anselme n'eut que le tort de croire un cas particulier, et qui, dès lors, s'appuyait sur une supposition qu'il était hors d'état de démontrer. C'est là pour Hegel le grand défaut de la preuve ontologique. Comment conclure, en effet, que Dieu existe de ce que Dieu est l'idée du Parfait, si l'on n'a pas démontré, ou du moins expliqué que Vidée contient la réalité j ou, comme il dit, a le pouvoir de s'objectiver elle-même? Tant que la notion ( ol9 ) de Dieu n'est pas identifiée avec la notion du Parfait, elle est dé- fectueuse, elle est imparfaite. Mais la détermination de perfection épuise, pour ainsi parler, sa détcrminabilité. Dès que Dieu est conçu comme le Parfait, l'unité de la pensée et de l'être, de la notion et de la réalité est supposée. C'est là ce que suppose l'ar- gument d'Anselme, de même que les philosophes en général, et Kanl lui-même, ont supposé l'existence d'un homme concret, dont la pensée n'était qu'une activité partielle, et par conséquent, n'at- teignait aucune totalité. Cependant, pour Descartes, pour Spinosa, même pour Leibnitz, la substance absolue est l'unité de l'être et du penser. Mais comment accorder cela avec la multiplicité, avec le dualisme de la philosophie ordinaire, pour laquelle l'idée n'est qu'une idée, c'est-à-dire une chose sans réalité? C'est de ce problème qu'Anselme suppose la solution. Le point de vue moderne, le progrès de ces derniers temps, est la recherche ainsi que la découverte de l'unité, sans laquelle il n'y a pas de preuve de l'existence de Dieu ^ » — Nous tenons de la bouche d'un rapporteur exact les raisons de préférence de Hegel pour la preuve de S. Anselme. Nous n'avons plus à les combattre ici. S. Thomas et, en certains points, Kant lui-même ont réfuté d'avance les sophismes du fondateur de la Logique de l'iden- tité. Nous avons entendu leurs principes : il serait oiseux d'y revenir. En terminant cette exposition , nous voudrions essayer de re- prendre les éléments acceptables de la démonstration d'Anselme, en tenant compte des rectifications qu'y ont introduites Alexandre de Halès, Albert le Grand, S. Thomas d'Aquin, S. Bonaventure et Duns Scot. Le grand Docteur Dominicain a basé son argument sur les tendances naturelles de la Raison, et sur son mouvement spon- tané et sans cesse progressif vers l'Absolu. Nous pouvons étendre ce raisonnement à tout l'ensemble des facultés de l'âme. Ce sera terminer de la meilleure manière, croyons-nous, cette partie de ' Ouv. cit., p. 515.— Voir, du reste, Vorlesimgen iiber reine Pliil.., 2 Ausg. II, p. 214. — Eîicijclopddie in arundrisse,'i Ausg , §§ 51 , 75, 76. — Cf. RixiNEr: Handbuch der Geschichte der Philos., II, p. 21. ( 320 ) notre travail consacrée, selon le vœu de l'Académie, à l'apprécia- tion critique de la preuve Anselmienne. Nous l'avons rappelé plus haut : chaque être vivant tient de la nature un instinct actif qui le pousse irrésistihlement à réaliser le but spécial de son espèce. Cet instinct spontané implique d'évidence l'existence réelle de son objet. Une tendance unanime, constante vers une fin déterminée et qui ne serait qu'une pure illusion sub- jective , serait une contradiction. L'admettre pour l'homme serait accepter, pour le plus élevé des êtres vivants, une anomalie sans exemple dans l'univers. Ce serait consacrer une solution de conti- nuité dans la marche de la nature, sortir gratuitement de l'obser- vation des faits, et s'inscrire en faux contre les principes les plus certains du déterminisme scientifique. En fait, l'infaillibilité des instincts primitifs et innés est la plus universelle et la mieux démontrée des lois du monde vivant. Tous les chefs d'école sont d'accord là-dessus. Nous l'avons reconnu : s'ils ne formulent pas toujours cette fondamentale loi, c'est que son évidence leur paraît au-dessus de toute démonstration. Elle est le principe géné- rateur de la philosophie et de la physique d'Aristote. La métaphy- sique et l'Idéologie des Docteurs Scolastiques s'appuient sur elle*. Nous avons entendu Anselme la rappeler comme une axiome in- contesté. Il serait aisé de montrer que Kant, Schelling et Hegel ont emprunté à ce principe presque tout ce que leurs doctrines contiennent de vérité. Leurs erreurs viennent de son oubli. Or, quel est l'objet propre de l'instinct supérieur de l'homme? quel est le terme de la tendance primitive de ses facultés? C'est l'Absolu, flnfini. Dès que l'homme parvient à la conscience de soi, il se démontre avec une irrésistible évidence, que les êtres changeants et impar- faits de l'univers n'ont pu être leur cause et leur fin. 11 se saisit soi-même comme dépendant, progressif dans sa vie intellectuelle aussi bien que dans sa vie morale; il en conclut à l'existence d'un Etre, Principe transcendant et personnel de tous les êtres , d'une Vérité et d'une Bonté nécessaires et dès lors absolues, d'une ^ Voir surtout S. Th. Sum. cont. Cent., II, c. 76. ( 521 ) beauté parfaite, splendeur et harmonie suprême, vivante règle de toutes les beautés périssables d'ici-bas. C'est le commun argument de toutes les Ecoles. — A cette déduction basée sur le monde exté- rieur correspond un phénomène psychologique, le plus grave sans contredit du monde interne, (i'est précisément celui-là que nous signale, avec sa profondeur accoutumée, le grand Docteur du moyen âge : je veux dire le mouvement naturel de notre âme vers le Dieu infini. Oui, ainsi que s en exprime S. Thomas, l'intel- ligence, en son essor indompté, s'élance plus loin que toute vérité circonscrite, fragmentaire, incomplète. La volonté recherche, comme l'objet de ses idéales amours, l'absolue perfection; l'ima- gination rêve la beauté sans ombre, la jouissance sans retour et sans mélange. — Rien de fini ou d'imparfait ne saurait satisfaire l'âme. La science , la possession des réalités terrestres ne font que stimuler son désir de Vau delà, de l'Absolu. L'homme rapproche ces deux considérations solidaires l'une de l'autre : l'existence d'une Cause nécessaire, infinie, prouvée par la nature de l'univers, et ses propres aspirations vers ce Principe supé- rieur. Il sent que cet élan vers l'Infini est sa tendance innée , et sa raison appuyée sur une rigoureuse induction et sur l'universelle observation des lois, la juge infaillible. — Mais si les inclinations instinctives des êtres sont légitimes, il faut d'évidence que leur objet existe véritablement. C'est à coup sûr comme la plus haute réalité que Dieu se pose devant la conscience. C'est l'Infini vivant et personnel que recherchent, dans la limite de leur capacité native, la pensée et l'inquiet sentiment de l'homme. Nul autre sym- bole ne serait l'expression adéquate de ses aspirations. Nous dédui- sons ainsi l'Infini objectif et de la nécessité même de la Cause du monde, et aussi de notre tendance naturelle vers l'Absolu, mise en regard de la plus universelle des lois physiques: la légitimité des instincts primordiaux dans toutes les classes d'êtres organisés ^ ' De Onlologismo, par A. Lépidi, p. 248; Louvain, Foiiteyn, 1874. — J'emprunte à cet excellent critique ce passage décisif, et avec d'autant plus de bonheur que lui-même a bien voulu me le signaler comme la meilleure preuve de la commune doctrine sur le point qui nous occupe : « Ralio » objectiva crealurarum talis est, ut habeat intrinsecam et naturaleni ordi- ToME XXV. 21 { 522 ) Faut-il le dire? Cette preuve n'implique ni une intuition directe de l'Absolu; ni le saut logique de l'esprit, inférant de l'élimination des limites Vejcislencede V Infini, i^u nom du procédé infinitésimal dont le terme n'est que îe seul Indéfini ; ni l'idée innée de Dieu; ni la foi ou l'aveugle instinct des Ecossais, de Jacobi et des Fi- déistes. L'extrême facilité avec laquelle la raison s'élève à l'Absolu à la vue des êtres créés, n'exige en rien ces précaires bypothèses. Il suffît, pour en rendre compte, de se rappeler Vévide?it rapport de l'être conditionnel avec une Cause nécessaire, et surtout la pré- sence toujours active de l'Absolu dirigeant les facultés elles ten- dances des êtres vivants, et les élevant jusqu'à lui-même, leur source et leur fin. Ces données suffisent à la raison pour qu'elle affirme l'existence de l'ÉtrePrincipe et lui attribue, dans un degré excellent, toutes les perfections compatibles avec la notion de l'Infini, L'universel consentement des hommes n'est que l'expression de cette croyance; loin d'en contenir la démonstration. Envisagée en ses caractères essentiels, elle se retrouve parmi tous les peuples du monde, Nous pouvons l'appeler, avec un critique illustre : « la loi de rhistoire *. » II n'importe d'ailleurs que la manière dont l'homme se repré- » nalioiiem in Deum, tauquam in ultimum {îuem. Hoc quisque animadvertere » polest in illo universali rerum consensu, secundum quem omnia conspirant » in umim; praesertim vero in inclinatione naturali animae intellectivae, )) quae ad Deum tendit, cum Deo conjungitur, eiquo naturaliter p^r se?isu?7j » religiosum subjicitur. Est autem res manifesta, quod iiequeat cognosci » hujusmodi naturalis rerum ordinatio ad Deum, quod nequeat senliri » viva illa inclinatio noslrae voluntatis in Deum, quin in ipsa et per eam Deus » cognoscalur. » {Ibid., p. 107.) * BuiNSEN, Dieu dans riiistoire. — Conclusion, p. 519. — «Nous pouvons con- stater que le sentiment de Dieu, inné à l'homme, parle avec une vérité infail- lible. Pour cela, nous n'avons besoin que d'avoir dans la raison cette même foi avec laquelle l'humanité croit à sa propre existence et à la réalité visible. L'historien, qui réfléchit sur l'histoire, est puissamment fortifié dans celte foi par l'observation que les plus nobles tribus de l'humanité s'y sont attachées dans tous les âges, selon la mesure où elles ont été éclairées, vertueuses et heureuses. » ( 52Ô ) sente le type concret de ses aspirations, varie selon les aptitudes elle degré de culture. L'Européen poli l'envisage autrement que le sauvage sans culture; le métaphysicien se le figure mieux que le vulgaire. Seulement, à cet égard, notons que l'Absolu peut être conçu sous son aspect rudiraentaire, grossier, ou bien dans sa forme scientifique. Au premier cas il sera considéré sous les traits d'un Etre supérieur à la nature, arbitre des œuvres, terme de la destinée. Ce type, nous le rencontrons jusque parmi les peuplades les plus abaissées, malgré les erreurs de toute sorte qui l'enveloppent. Cela est si vrai que lun des plus célèbres natu- ralistes de notre siècle, M. de Quatrefages, n'a pas hésité à faire delà croyance en l'Être suprême et à l'ordre moral, le critère distinctif de l'espèce humaine. Quant à l'Absolu considéré dans sa notion scientifique , son ca- ractère fondamental et transcendant ne disparaît pas non plus de la conscience humaine, quelles que soient les aberrations des hom- mes sur la nature de ses perfections. L'École ionienne, par exem- ple, comme les matérialistes, en général , voyait en lui le principe physique des choses; mais ce principe est la Force qui préside aux phénomènes, l'âme du monde, la source de toute harmonie. La raison n'est elle-même qu'une de ses manifestations. Ce n'est pas sur le caractère absolu de la première Cause que s'égare îe maté- rialisme, mais sur sa forme purement spirituelle , c'est-à-dire sur un moment déjà moins primitif de la question. — Cela est bien plus vrai dans la théorie panthéistique. Elle n'est que l'exagération du concept de l'Absolu, exagération funeste certes, mais bien dif- férente néanmoins de sa négation. Dans leur excessive théosophie, les panthéistes de l'Inde, aussi bien que les Éléates, tenaient Dieu pour la seule cause immanente des choses, toujours active parmi leur flux incessant. C'est Tensembie des produits cosmiques et de la Force supérieure qui s'y manifeste, que les Stoïciens nommaient Dieu ou Logos. Le principe daprès lequel la Force centrale se dé- termine n'est autre que la Fuudilé universelle. De Va sorte ils lui reconnaissaient la raison et l'intelligence. Ils oubliaient de poser cette intelligence comme personnelle, il est vrai; ils ne la con- cevaient pas à part des apparitions changeantes et progressives ( 524 ) auxquelles elle s'assimile, en son développement éternel; mais c'est que le problème de la personnalité fut, en général, peu approfondi par l'antiquité *. En souhaite- 1- on une preuve? Le système panthéistique est incompatible avec la liberté. Les critiques signalent l'inconséquence des Stoïciens s'évertuant à concilier le libre arbitre avec le dogme de l'évolution fatale des êtres. Niera -t-on pour cela que l'antiquité ait connu les conditions naturelles des facultés? Il serait puéril de le penser. — On ne peut assez s'en souvenir en toute cette question : autre chose est la complète et exacte conception scientifique de l'Absolu , autre chose ses lignes fondamentales. Laissée à elle-même, la raison prend aisément le change sur les formes abstraites de la question. Mais la nature redresse les excès et les défaillances de la pensée. C'est ainsi qu'à chaque instant, les panthéistes transportent à leur Cause universelle les attributs caractéristiques de l'individualité : l'intelligence, la sagesse, l'harmonie, la finalité. Ni la dépravation et le radînement des systèmes, ni des erreurs séculaires n'ont pu détruire, en ses éléments essentiels, l'instinctif mouvement de l'âme vers l'absolue Raison et l'absolue Bonté. Preuve manifeste qu'il lui est inné, qu'il est sa plus haute expression, sa suprême loi. En présence de ces considérations, concluons que la substance au- tonome, parfaite que la nature révèle, existe avec une absolue né- cessité. La cause que la raison assigne à la création est bien, comme le disait Anselme, YEtre au-dessus duquel on neii peut penser de plus cjrand, Celui qui seul existe par lui-même, et dont Texistence nécessaire constitue l'essentiel attribut^ Il est la Vérité absolue, car il est le princi])e des Idées, le Type incréé des Essences, et c'est grâce à sa direction incessante, à sa présence immédiate dans l'esprit que l'homme doit la connaissance de la sagesse. — N'est-ce point là une démonstration à la fois efficace et populaire de lexis- * Voyez à ce sujet Heinze, Die Lehre von Logos, 4872, art. Die Stoïker. passini. — Zeller, Philos. der Griechen, II, pp. 459 et suiv. ; Tubing., 1861. — TiiEyxiELETsiiVRG , Nothwendigkeit undFreiheit in der Griecli* Phil., p. 162. — Schneider, Unterblichkeitslehre der Aristoteles , p. 79; Passau, 1867. — BiESE, Philos, des Aristoteles, I, pp. 87-401, etc. ( 3-i3 ) tence de la Divinité? Elle n'est que l'expression scicntifi(iiic de l'universelle tradition des hommes, le témoignage de rame natu- rellement chrétienne. Elle comprend le « sentiment divin » dont Platon est rempli; » l'influx de l'intellect pur, « de l'acte précédant toutes les virtualités » d'Aristole; Timpression lumineuse du sou- verain Bien et la conscience intérieure de la Divinité que vantait Augustin; la « prédestination » providentielle de la raison à l'In- fini de S. Thomas et des Docteurs; le « dessein et la marque de Dieu » sur la créature de Descartes; la présence de l'Ahsolu dans Pâme humaine de Bossuet et de Fénélon. — Cette preuve n'est pas exclusivement spéculative, mais elle embrasse l'ordre pratique aussi bien que le raisonnement , puisqu'elle s'appuie sur toutes les facultés de l'homme. Vivante comme son objet, elle nous con- duit, selon le vœu de Pascal, à « un Dieu qui remplit l'âme et le cœur qu'il possède. » Certe^, cette démonstration de Tinfinitédu premier Etre n'est pas tirée de sa notion, de son idée. Elle est déduite de la manière toute spéciale dontl'Absolu se pose devant nos facultés, notre conscience, et tout notre être. En ce sens , elle présente avec l'argument du Prosloge une parenté réelle. Mais elle s'appuie ultérieurement sur l'infaillibilité des lois instinctives qui régissent le monde organisé. Sous ce rapport surtout, elle n'est que le développement des vues de S. Thomas d'Aquin, de S. Bonaventure et de Duns Scot. Il est trop clair d'ailleurs qu'elle n'atteint que l'existence de l'Être infini. Elle est en parfait accord avec la commune doctrine des Maîtres qui ne reconnaissent à l'homme qu'une science abstractive, ana- logique des perfections de l'Absolu, de sa vie intime, inaccessible au regard mortel. Elle est conforme de tout point à la tradition historique, contrôle nécessaire de toute philosophie sérieuse et positive. ( 320 ) § 5. De l'essence et des attributs de Dieu. Les considérations sur l'existence de la Cause première avaient d'elles-mêmes conduit Anselme à la concevoir comme l'Etre par soi, la Cause absolue et parfaite. Tout le développement de sa Tliéodicée n'est qu'une suite de corollaires logiques tirés de cette donnée fondamentale. Nous pourrons nous contenter de les ex- poser sommairement. Ce qu'il importe de noter ici, c'est l'or- donnance rigoureuse et systématique de cette partie de l'œuvre d'Anselme. La philosophie chrétienne n'avait jusqu'alors produit aucune démonstration d'une aussi sévère ordonnance. Le Mono- logue et le Proslogc, dans leur longue suite de chapitres, présen- tent l'évolution progressive du concept de l'Etre absolu. L'esprit est véritablement enchanté de rencontrer au seuil du moyen âge un monument d'une si haute et si puissante raison. Déjà les arguments du Monologue ont mis en évidence l'aséité de la première Cause. Les perfections changeantes, bornées des êtres de l'univers accusent leur dépendance d'une Cause trans- cendante, principe nécessaire et autonome de toute réalité. Mais comment faut-il concevoir l'acte primitif qui aj)pela à l'exis- tence les êtres bornés de l'univers? Question capitale qui a fait le désespoir de la sagesse humaine! C'est avec beaucoup de vé- rité que Lactance écrit que toutes les philosophies sont demeu- rées impuissantes à concilier la multiplicité, l'imperfection des choses visibles avec l'unité et l'excellence de la Cause absolue. De là les deux grands systèmes sur l'origine des choses, auxquels on peut ramener tous les autres : le Panthéisme et le Dualisme. Celui-ci cherche à rendre raison des contrastes du monde phy- sique et moral, en les attribuant à deux principes coéterncls et opposés; celui-là ne voit en elles que les phases progressives et nécessaires de TActivité absolue. ( 527 ) L'histoire des forjiics multiples que revêtirent ees deux sys- tèmes a été écrite par des maîtres célèbres. Rappelons seulement ici qu'aucune école de l'antiquité n'a clairement professé la doc- trine de la création substantielle. Hésiode, dans sa généalogie des Dieux, ne remonte pas au delà du Ciel et de la Terre. Les Ioniens tiennent le dualisme matérialiste de la J/ai/tTC et de la Force. Le Dieu de Platon n'est probablement que l'ordonnateur de l'éternelle ma- tière: celui d'Aristote est le Premier moteur vers lequel tend l'uni- vers, éternel comme lui. Le Dualisme apparaît dans les Principes actif et passif des Stoïciens. A côté de ces vues dualistes s'était de bonne heure développé le Panthéisme. Les Védas regardaient la Lu- mière comme la Source des êtres : ils la personnifiaient dans Brahma. — Bientôt les deux principes des Ioniens s'unirent dans une sub- stance primitive où ils se trouvèrent confondus. Les Éléates furent des panthéistes avoués : Xénophane professa la doctrine de l'Être pur, fonds universel des phénomènes; Parménide tint l'identité de l'Etre et de la pensée : c'est l'Hégcl de la Grèce antique. Les Néoplatoniciens éclectiques enseignèrent à leur tour l'émanation des êtres créés du sein du Démiourge , qui lui-même procède du Dieu suprême par une fatale et inconsciente opéra- tion. Plotin, Porphyre, Proclus s'accordèrent à refuser à la première Hypostase la production et la science des choses. C'eût été, selon eux, altérer la substance divine que de lui attri- buer un rapport même lointain avec le monde imparfait, péris- sable. De bonne heure, cette thèse de la dégénérescence de l'Etre pro- ducteur du monde avait passé de la Philosophie dans la Religion. Elle s'y était incarnée en des Mythes d'une saisissante poésie. C'est Bel se décapitant soi-même, et de son sang mêlé à la terre procréant le premier homme. C'est le Lohengrin du Nord dont le corps mutilé devient l'aliment vital de l'humanité. C'est le Taureau sacré mis à mort par Arhiman et engendrant le froment et le vin, la commune nourriture des mortels. C'est surtout Dionysios Zagrée massacré par les Titans, parce qu'il s'est apitoyé sur le sort de la terre et dont les membres jetés dans une chaudière seront les élé- ments du monde nouveau. Partout, dit l'un des plus profonds ( 328 ) mythographes de notre temps, partout dans l'antiquité païenne, la production du Cosmos commence le martyre de la Divinité; c'est qu'on se figurait la création comme un morcellement de l'Unité in- finie : « D'après la théologie des anciens , Dieu est sorti par amour pour les hommes de son existence isolée; il s'est sacrifié lui-même en créant les êtres et en leur communiquant une partie de sa vie. Le sang divin est recueilli dans la coupe du monde. Voilà le sens du gobelet magique que tient en main le Démiourge... C'est le double cornet de Bacchus dans lequel s'accomplit la magie de l'univers, le calice du salut que porte en sa main le Dieu Égyptien Seth ou Sérapis, ce maîtie de la vie et de la mort : enfin c'est le calice prototype de Tuniverselle communion, le S. Graal où les hommes puisaient l'aliment et la boisson de l'immortalité '.» — Quelle distance de ces théories fantaisistes au dogme de la Création ! La raison et l'expérience proclament que l'activité est proportionnée à rÉtre. Une nature bornée, successive, composée, implique une action finie, dépendante de conditions multiples, imparfaite et partielle par conséquent. Mais dès qu'on pose, ne fût-ce qu'à titre d'hypothèse, que la Substance infinie opère au dehors, son opération se manifeste à l'esprit comme un acte tout à fait autonome dans ses éléments constitutifs. Le produit de cet acte sera fini sans doute, c'est-à-dire substantiellement distinct de la Cause; celle-ci étant tout à fait simple, son essence ne peut ni se multiplier, ni se diviser sans perdre son éternelle immuta- bilité. Mais cette substance engendrée dans le temps et dans l'espace n'a pu être tirée à l'origine d'une matière préexistante : l'Absolu ne peut être subordonné dans ses actes à des principes étrangers. Cette causalité pure n'cst-elle pas plus conforme à la notion de TÊtre infini que les théories du Dualisme ou de l'éma- nation? Anselme est le premier Docteur scolastique qui ait exposé le concept de la création d'une manière scientifique et développée. Il l'a fait avec une précision et une force de raisonnement que l'école rationaliste a parfois méconnues, mais qu'elle a bien rare- ' D' Sepp, Jésus-Christ, II, c. LXI, ( 329 ) Les réalités perfectibles et indépendantes nous ont démontré l'existence d'un Être nécessaire et absolu. Ce principe admis, Anselme conclut que les êtres de l'univers ne peuvent exister de fait qu'en vertu de l'opération de la Cause première. Mais, celle-ci, demande Anselme, comment subsiste-t-elle dans sa vie intime ^? Nous avons vu qu'elle se révèle à l'esprit comme TÉtre suprême, quia de lui-même tout ce qu'il est. Dès lors il est impossible qu'elle ait reçu l'existence ou de soi ou d'une autre cause quelconque, ou d'une matière préexistante. Supposer cela, ce serait la rendre dépendante et inférieure à son principe, ou du moins admettre ^ « Quouiam igilui- non seniper eumdem habel sensum quod dicitur esse » per aliquid aut esse ex aliquo, quaerendum est diligentius quomodo per )> summam Naturam vel ex ipsa sinl omnia quae sunt El quoniam id quod est » per se ipsum, et id quod est per aliud, non eamdem suscipiunt exislendi )> rationem, prius separatim videamus de ipsa siimma Natura quae per se est, » postea de his quae per aliud sunl. ); Cum igilur conslel, quia illa est per seipsam quidquid est, el omnia alia » sunt per illam id quod sunt, quomodo est ipsa per se? Quod enim dicilur » esse per aliquid, videtur esse aut per efficiens, aut per materiam, aul per » aliquod aliud adjumentum velul per inslrumentura. Sed quidquid aliquo » ex his tribus modis est, per aliud est, el posterius, et aliquo modo minus » est eo per quod habel ul sil. At summa Natura nullatenus est per aliud , nec )) aliquid esl per nihil. Si igilur est aliquo modo ex nihilo, aul per se, aut » per aliud est ex nihilo. Per se aulem nihil polesl esse ex nihilo; quia si » quid est ex nihilo per aliquid, necesse esl ul id, per quod esl, prius sit. )> Quoniam igilur haec essenlia prior seipsa non est , nullo modo esl ex nihilo » per se. At si dicitur per aliam aliquam naturam oxtitisse ex nihilo, non esl » summa omnium, sed aliquo inferior; nec esl per se hoc quod est, sed » per aliud. Ilem, si per aliquid esl ipsa ex nihilo, id , per quod esl, magnum » bonum fuit, cum causa lanti boni fuit. Al nullum bonum polesl intelligi )) ante iliud bonum, sine quo nihil esl bonum; hoc autem bonum. sine quo » nullum esl bonum, satis liquel hanc esse summam Naturam de qua agilur. » Quare resnulla vel inteilectu praecessit, per quam i^ta ex nihilo esset. Be- » nique, si haec ipsa natura est aliquid aut per nihil aut ex nihilo, procul » dubio aut ipsa non est per se et ex se quidquid est, aul dicitur ipsa nihil; » quod ulrumque superfluum esl exponere quam falsum sil. Licet igilur )) summa subslanlia non sit per aliquid efficiens, aut ex aliqua maleria, nec 1) aliquibus adjuta sit causis ut ad esse produceretur, nullatenus tamen est » per nihil aut ex nihilo. quia per seipsam et ex seipsa est quidquid est. (C. VI.) ( 550 ) qu'en elle il puisse y avoir progrès, mutabilité, succession. D'un autre côlé, ne serait-ce pas le comble de la démence que de lui refuser Tcxistence, pouree motif qu'elle n'a point de cause '? Peut- on nier la réalité de l'Etre auquel tous les autres doivent leur existence? Un Être en est-il moins réel parce qu'il existe, par soi, sans changement et sans imperfection? -— Tiendra-t-on que son principe soit le néant? La première cause est-elle sortie de ce néant par sa propre force? En ce cas, ce ne serait pas le néant, mais bien cet élément immanent qui la détermine à l'apparition, qu'il faudra nommer sa cause. Nous voilà amenés à l'absurde hypothèse d'un être antérieur à soi-même. — Aurait-elle été pro- duite par un autre agent? Elle n'est donc pointée qu'elle est par elle-même, elle ne peut être considérée comme la suprême réalité ; elle est inférieure à celle dont elle a reçu l'existence! — En outre, ^ « Quae licel ex his, qiiae rationis iuce de summa jam animadverti sub- » stanlia, puteni nullatenus in illam possecadere, non tamen negligam bujus » rei probationeni conlexere. Quoniam namque ad magnum el delectabile » quiddam me subito perduxit liaec mea medilatio, nullam vel simplicem » peneque faluam objeclionem, mihi disputanti occurentem , negligendo \olo » praeterire. Qualenus et ego nihil ambiguum in praecedentibus relinquens, » certior valeam ad sequentia procédera ; et si oui forte quod speculor per- » suadere voluero, omni vel modico remoto obstaculo, quilibet tardus intel- » lectus ad audita facile possit accedere. » Quod igilur illa natura, sine qua nulla est natura, sit nihil, tam falsum » est, quam absurdum erit si dicatur, quidquid est nihil esse. Per nihil vero » non est, quia nullo modo inlelligi potest , ut quod aliquid est sit per nihil. » At si quo modo est ex nihilo, aul per se, aul per nliud , aut per nihil est ex » nihilo. Sed constat, quia nullo modo abquid est per nihil... Quomodo ergo » tandem esse inlelligenda est per se et ex se, si nec ipsa sibi materia extilit » nec ipsa se quolibet modo,iil quod non eral essel, adjuvit? Nisi forte eo » modo intelligeiidum videtur quo dicitur ; quia lux lucet vel luceus est per » seipsam et ex seipso. Quemadmodum enim sese habent ad invicem lux et » lucere et lucens, sic sunt ad invicem essenlia et esse et ens, hoc est, exis- » lens sive subsii-teiis. Ergo summa cssentia, et summe esse, et summe ens, » id est, summe existens, sive summe subsislens non dissimililer sibi conve- » niciit quam lux et lucere el lucens. » (C. VI.) — Voir les développements de d'Aguirre sur celle partie du iMonologue : Disp. XV et surtout Disp. XVI et Disp. XVII, XVill : De poientia inslrumentali et ohedienliali creaturae ad crcationem. ( 351 ) cet Etre auquel la cnusc première devrait son actualité, est certes un grand bien. Mais ce bien présuppose ultérieurement le prin- cipe de toute bonté, qui n'est autre que l'Etre suprême. Il est par conséquent impossible de concevoir, même comme un simple être de raison, la Cause qui aurait tiré rÉlre suprême du néant. — Enfin, dans cette supposition, il faut admettre Tune de ces deux conséquences, également insensées : ou bien que l'Absolu est lui- même le néant, ou bien qu'il doit son essence à un principe distinct de soi. En cette ardue matière, ajoute Anselme, cberchons un éclaircissement dans la nature pbysique. La lumière éclaire de soi, sans avoir reçu ni d'elle-même ni d'un principe distinct le pouvoir d'éclairer. Ainsi de cette suprêm.e Essence : elle subsiste de soi, d'une manière inelTable, sans causalité ni exlerne ni interne, dans l'absolue actualité de sa personnalité infinie. Voilà certes de subtils arguments; ils trabissent le XI" siècle, mais ils ne sont pas aussi vains qu'on serait porté à le croire. M. Boucbitté lui-même avoue qu'ils renferment quelque utilité M N'est-ce pas déjà un vrai mérite pour le Docteur de Cantorbéry, que de marquer avec une aussi grande fermeté l'aséité du premier Etre. Même à regard de soi-même, Dieu n'est le terme d'aucune causalité proprement dite, d'aucune détermination progressive. 11 est le Bien de Platon, VUn de Plotin et de Proclus. Que dis-je? le Dieu d'Anselme est autrement parfait. Son infinité n'est pas l'inertie immobile : Dieu n'est point un Boudba sacré, banni du monde au nom d'une excellence illusoire. C'est à ce grand Etre qu'Anselme attribue la création des êtres de l'univers. Mais en lui-même, pour l'exprimer en langage moderne, il est l'Absolu. C'est l'un des plus nobles mérites de notre Docteur d'avoir exposé, avec une telle insistance , ce concept fondamental de Dieu. Seulement, qu'on nous laisse dire ici toute notre pensée. En ce chapitre et en ceux qui suivent, Anselme s'appuie à l'excès sur le raisonnement abstrait. C'est un défaut que nous lui avons reconnu déjà. L'élément empirique, les doimées de l'observation et de la *■ Trad. du Monotogue, ad h. 1. ( 352 ) conscience ne sont pas assez fréquemment rapprochés des dilem- mes ou des alternatives logiques. De là une argumentation un peu vague et d'une extrême sécheresse. Mais la démonstration n'en est pas moins solide au fond. Les panthéistes et les maté- rialistes modernes, souvent si près de s'entendre dès qu'il est question de la genèse des êtres, croient avoir beau jeu des preuves d'Anselme et de celles qui leur ressemblent. L'Étre-Prin- cipe pour ceux-ci est le Moi universel ou bien l'Absolu qui n'est que la synthèse de la Pensée et de l'Etre, ou encore l'Idée indéterminée, la puissance du devenir. Pour ceux-là, c'est un atome doué d'une force primitive de mouvement, et fatalement prédestiné à des développement indéfinis. Mais ces gratuites affirmations ne suffisent pas à rendre raison de l'apparition des choses. Le Panthéisme antique des Ioniens et des Eléates considérait la Haine ou la limite fatale, si l'on veut, comme un des facteurs de l'existence. Fichte et Schelling ont senti également que V Absolu impersonnel ne pouvait suffire à expliquer l'origine des êtres finis et multiples. Avec plus de finesse que de raison, ils en appellent, comme en passant, à V ob- stacle occasionnant la réflexion du premier Principe sur lui-même, et impliquant ainsi la distinction des deux moments de l'Absolu, le subjectif ci Vobjectif, VEtre et la Pensée. Hegel pose Vactuation nécessaire, l'universel devenir de l'Idée indéterminée. Eh bien! contre ces sophismes nouveaux en apparence seulement, le vieil argument d'Anselme conserve une invincible vérité. Qu'est-ce que cette force, ce mouvement primitif? Une loi aveugle et fatale, principe inconscient d'harmonie, occasionnant par ses évolutions successives l'ordre universel? Mais il restera éternellement vrai qu'une loi dont le résultat général est l'ordre le plus parfait et le plus constant suppose en dernière analyse un moteur intelli- gent '. Celui-ci, principe de l'économie du monde, ne peut être le produit de ses propres effets , bien moins encore dun chimérique néant ou d'un hasard heureux. Toutes ces vaines hypothèses ne ' Cf. Kant, Der cinzig mogliche Beweisgrund zu einer Demonslration des Daseins Gotler, IV Abth. — § Das nolhwcndige Wesen ist ein Geist. — S'il ( 555 ) sont, pour employer un mot d'Aristote, que le langage de gens qui ne s'entendent pas eux-mêmes. — Mais surtout, cet obstacle, ce développement spontané et ce retour du Principe sur lui- même auxquels est si souvent revenu le Panthéisme dogmatique, quelles inventions, quelles rêveries! Ne l'oublions pas. C'est la première origine des choses qu'il s'agit d'expliquer. Dès que , pour en rendre compte, on a posé V Absolu, ce qu'on appelle ïobstacle, l'arrêt dans l'indéfinie progression, ne se conçoivent plus. D'où seraient-ils venus? C'est une condition nécessaire, dit-on! Elle est, certes, tout à fait nécessaire pour que l'es- prit puisse, jusqu'à un certain point, se sauver de l'absurde^ et se figurer comment, sans création, de l'illimité, de l'inconditionnel ont pu naître les contingences multiples, changeantes, bor- nées. C'est donc une loi intellige?ite , rationnelle. Encore une fois, puisque les phénomènes ne sauraient exister parle dévelop- pement de l'Absolu qu'à condition que celui-ci soit circonscrit entre des limites déterminées, il faut bien lui attribuer l'intelli- gence et la personnalité, ou bien placer au-dessus de lui une cause régulatrice douée de conscience et de raison. L'argu- mentation d'Anselme demeure vraie : sa forme seule a été ra- jeunie. Mais il faut l'entendre expliquer d'une manière plus appro- fondie l'opération créatrice. Comment a été formée , se demande Anselme, en précisant ainsi le sens de la question , la matière première de l'univers, le substratum universel ? Il pose le pro- blème dans les termes de la vieille physlcjne hermétique, et certes, sous ce rapport, de la façon la plus rudimenfaire '. Mais ce n'est pas de physique qu'il s'agit; nous sommes en ontologie, et M. Bouchitlé observe très-bien que c'est le concept de la créa- plaîl au lecteur de comparer celle élude avec le chapitre de la Critique de la Raison pure intitulé : Unmôglichkeit eines kosmologischen Beiveises von Dasein Gottes. (Éd. 1859, t. X, p. 484), il pourra se faire une juste idée de la mélhode de ce philosophe qui a mêlé, dans une si large mesure, la vérité el l'erreur, et dont la célébrité paraît surfaite à d'excellents Juges. < Mon., c. VII. ( 354 ) tioii seule qu'il nous importe ici d'élucider. Avant tout Anselme écarte la théorie de l'émanation. L'univers, dit-il, ne peut exister par soi, nous le savons. Il ne peut non plus avoir pris naissance par une sorte d'effusion de la divine substance. Pour- quoi cela? Si de la substance même de cette cause pouvait sortir quelque être inférieur à elle , une semblable émanation altére- rait l'infinie simplicité de sa nature '. Ainsi l'univers ne peut être considéré comme procédant substantiellement de la première cause. Il n'est point de soi ; il n'a pas sa raison dernière dans une sub- stance quelconque. L'Essence créatrice seule est de soi et par soi {ex se et per se}. Mais en outre, elle existe efi soi, sans que sa substance puisse se répandre au dehors, par un fractionnement in- compatible avec sa nature. — Reste donc que l'universalité des phé- nomènes est le terme concret de la causalité pure, de l'Absolu; ^ « Al si ex summae Natarae maleria potesl esse aiiquid minus ipsa, sum- » mum Bonuin mutari et corrumpi potest, quod nefas est dicere. Quapropter, » quoiiiam omue quod aliud est quam ipsa minus est ipsa , impossibile est )> aiiquid aliud hoc modo esse ex ipsa, Amplius , dubiuQi non est, quia nulla- » tenus est bonum per quod mutaiur vel coirumpilur summum Bouum. Quod 0 si qua rainor nalura esl ex summi Boni materia, cum nihil sit undecumque » nisi per summam essentiam, mutatur et coirumpilur summum Bonum per » ipsam. Quare summa essentia, quae esl ipsum summum Bonum, nullatenus » est bonum; quod est inconveniens. NuIIa igiiur minor natura malerialiler y est ex summa >Àatura. Cum igitur minor nalura eorum essenliam, quae per » aliud suut, constet non esse ve!ut ex materia ex summa essentia, nec ex » se, nec ex alio, manifest^jm est quia ex nulla materia est. » Quare, quoniam quidquid est per summam essentiam est, nec per ipsam » aliud aiiquid esse potest nisi ea aut facienle aut maleria exislenle, couse- ); quilur ex necessilate, Ut praeler ipsam nihil sit nisi ea facienle. Et quo- ') niam nihil aliud est vel fuit nisi illa et quae l'acla sunl ai) illa, nihil omnino » facere poluit per aliud , vel instrumentum vel adjumenlum, quam per seip- » saui. At omne quod fecil, sine dubio aut fecit ex aliquo velut ex materia, « aut ex nihilo. M Quoniam igitur certissime palet, quia essenlia omnium, quae praeler » summam essenliam sunl, ab eadcm summa essenlia facta est, et qui ex nuUa » materia est, procul dubio nihil apertius quam quia illa summa essenlia » lanlani rerum niolem, lam numerosam muililudinem, tam formose for- » niatanjjtam ordinale varialam, lam convenienterdiversam.sola per seipsam « produxit ex nihilo. » (C. Vli.) ( 535 ) en d'autres termes, qu'elle est faite de rien! — Mais il faut bien entendre ce terme : Anselme fait à ce sujet quelques instances dans le goût de son époque. On peut dire en trois cas dillé- rents qu'une chose est faite de rien '. On s'exprime parfois ainsi pour signifier que la chose en question n'est point faite du tout, à peu près comme lorsqu'on dit : Cet homme parle de rien, c'est-à-dire, il ne parle pas. On pourrait aussi compren- dre par là que le rien, le néant, est la matière dont la chose est faite; et Anselme ajoute que cette façon de penser et de par- ler serait absolument fausse. Enlin, nous pouvons dire qu'une chose a été faite de rien , pour nier qu'il y ait eu un élément préalable qui a servi à sa production. Dans cette dernière accep- tion, on tient que la puissance interne de l'agent est le seul prin- cipe auquel l'effet produit doive l'existence. « De cette manière, conclut Anselme, il est aisé de comprendre que l'essence créa- trice a tout fait de rien , ou que tout a été fait par elle de rien : c'est-à-dire que ce qui n'était pas encore a reçu l'être. Car lors- qu'on dit que cette Essence a fait ces choses, ou que ces choses ont été faites, on comprend nécessairement que lorsqu'elle les a faites, elle a fait quelque chose, et que lorsque celles-ci ont été faites , elles sont devenues quelque chose. C'est ainsi que lorsque nous voyons une personne élevée par une autre d'une position tout à fait basse, aux honneurs et aux richesses, nous disons : celle-ci l'a faite de rien ce qu'elle est, ou celle-là a été faite de rien ce qu'elle est par eelle-cf; c'est-à-dire : cet homme qui naguère était regardé comme rien, est, par le bienfait de cet autre, devenu quelque chose. » A part les antithètes et le style, il n'est pas possible de nier que le conce})t de la création ne soit exposé ici avec une grande netteté de vues. C'est là un mérite d'autant plus grand pour Anselme que de 1 « Tertia ioterpretalio, qua dicilur aliquid esse factum de nihilo , est , cum y inteUigimus, esse quidem factum , sed non esse aliquid unde sit factum. Per » similem significalionem dici videtur, cum homo , conlristatus sine causa, B dicitur contristalus de nihilo. Secundum igitur Imnc sensum si intelligatur, » quod supra conclusum est, quia praeter summam essenliam cuncla, quae y> sunl, al) eademex nihilo facta sunt, id est, non ex aiiquo; sicut ipsa con- ( 556 ) fait il était le premier, à son époque, à traiter en détail ce difticile sujet. Rien de mieux attesté : les Pères des premiers siècles ensei- gnent d'une voix la doctrine de la création : Jean-Jacques Rousseau seul a pu rêver, en cette matière, un dissentiment entre l'Église grecque et l'Église latine *. Mais il faut l'avouer : l'influence des doctrines néoplatoniciennes se fit sentir chez quelques écrivains ecclésiastiques. Quelque jugement que Ton porte sur l'orthodoxie du pseudo-Denys et de Jean Scot Érigène, par exemple, il est certain que leur langage est peu correct. On peut croire leur pen- sée meilleure que leur style. Mais il est sûr que celui-ci, au point de vue philosophique et dogmatique, mérite le blâme. Loin d'énon- cer la doctrine de la création ex niJiilo, qu'il passe entièrement sous silence, l'Alexandrin parle la langue des Emanatistes. Plotin , dont il s'était nourri, a exercé sur lui une influence malheu- reuse. Malgré cela, dans les passages où il enseigne que les prin- cipes des choses et les choses mêmes viennent de la Beauté suprême et préexistent en elle comme les nombres dans l'unité; qu'elle est l'essence de tout ce qui est, la cause de toute vie et de toute essence par la fécondité de son amour, nous ne saurions trouver, pour notre compte,, que des expressions ambiguës. Rien » clusio praecedenlia convenieiUer coiisequilur , ita ex eadem conclusione » lîihilincoaveniens subsequetur. » Ouamvis non inconvenieuler et sine omni repugnaulia , ea quae facla sunl » a créatrice subslantia, dici possinl esse facta ex iiihilo, eo modo quo dici » solet dives factus ex paupere, el récépissé quis sanilatem ex aegriludine, id » est, qui prius pauper erat nune est dives, quod anlea non eral, et qui prius V habebat aegriludineni nune hal)et sanilatem, quam antea non tiabebat. Hoc » igilur modo non inconvenienter intelligi polest, si dicalur crealrix essentia » universa fecisse de nihilo, sive quod universa per illam facla sint de nihilo, » id est, quae prius nihil erant nune sunt aliquid. Hac ipsa quippe voce, qua » dicitur, quia illa fecit, sive quod isia facla sunt. inlelligilur, quia cum illa » feclt, aliciuid fecit, et cum isla facta sunt, non nisi aliquid facla sunt. Sic « enim aspicientes aliquem de valde liumili fortuna , multis opibus ab aliquo » honoribusve exaltalum , dicimus : ecce fecit ille istum de nihilo, aul factus » est iste ab illo de nihilo, id est, iste, qui prius quasi nihilum deputabalur, » nune illo faciente vere aliquid existimalur. » (G, VIII.) ' Voir le complet développement de la Doctrine catholique à cet égard dans le Traité de Deo creatore du H. P. Franzelin, S.-J. ( 337 ) n'y accuse avec certitude l'émanalismc néoplatonicien. Dans le texte qu'à bon droit les critiques ont signalé comme le plus sus- pect ' , nous lisons que les choses subsistent en Dieu d'une façon incompréhensible, sans diversité, sans phiraliié. — Cela seul atténue beaucoup le reste, surtout si l'on tient compte des enseignements de Denys sur les Idées divines, sur l'essence de Dieu et l'égalité substantielle des trois personnes de la Sainte Trinité. Il n'en est pas moins vrai que le pseudo-Aréopagite parlait beaucoup plus comme un Alexandrin que comme un Docteur chrétien. — Jean Scot Érigène, son traducteur, dont les écrits devaient être connus d'Anselme, renchérit sur la diction vague et défectueuse de Denys. Il approuve celui-ci pour avoir dit que la Cause première seule subsiste réellement. Il appelle Dieu le prin- cipe , le milieu et le terme des choses , puisque l'univers est de lui , qu'il persiste en lui et qu'il tend vers cette fin universelle. Mais en outre, pour lui, la création est l'évolution de la substance divine, par l'intermédiaire des principes ou des causes originelles, c'est- à-dire, des idées. Cette émanation est éternelle, bien qu'elle se révèle dans le temps et l'espace. Tous les phénomènes subsistent dans l'essence même de Dieu. Aussi ne devons-nous pas conce- voir Dieu et le monde comme deux êtres distincts : ils ne sont qu'une seule et même chose. Le monde subsiste en Dieu; et dans le monde, Dieu est réalisé d'une manière ineffable : ITnvisible s'y rend visible, l'Incompréhensible s'y fait comprendre, le Voilé s'y découvre, l'Inconnu s'y révèle, celui qui n'a ni forme, ni appa- rence y appai'aît. L'Essence absolue s'épand dans les créatures comme l'eau de la fontaine dans le fleuve; au sein des multiples transformations des êtres, elle retrouve sa source primitive et rentre dans l'abîme, d'où elle est sortie un jour dans son mys- térieux essor. Scot veut que cette doctrine ne soit pas seulement applicable au mystère de ITncarnation, mais aussi à la Très- Sainte Trinité. Il affirme que sa théorie est tirée de Denys et de son commentateur Maxime 2. Les meilleurs critiques ont jugé qu'il » Voir l'Étude de M. le Df Laforèl sur Denys, i?erue de Louvaîn,miXïS 1868. - De div. nal., I, c. XII ; Cf. M. Hauréau, t. I , pp. 158 et suiv. Tome XXV. 22 ( 558 ) a singiilièrenient exagéré les vues de Denys. Mais il est à peine besoin de revendiquer la supériorité d'Anselme sur les deux écri- vains, qui avant lui s'étaient préoccupés du rapport originel des êtres avec la Cause suprême. Augustin son maître a certes pu con- tribuer à le préserver des aberrations de ses devanciers. Je ne puis m'empécber de traduire ici le passage du Docteur d'Hippone, que l'on se rappelle involontairement à la lecture du 31onologue. Expliquant les paroles de l'Épître aux Romains : Omnia ex ipso, et per ipsiim, et in ipso, Augustin écrit : « Le souverain Bien, en dehors duquel il n'en est point de plus grand, est Dieu. Il est donc le Bien immuable et immortel. Tous les autres biens sont par lui quoiqu'ils ne soient pas de lui. Par ces dernières paroles j'entends l'essence de Dieu elle-même. — Par lui sont les êtres, qui ne sont point ce qu'il est en soi. Par conséquent, si lui seul est immuable, les autres êtres sont changeants : il les a créés du néant. Il est si puissant qu'il peut créer de rien, c'est-à-dire faire de bonnes choses, de grandes choses et de petites choses de ce qui n'existe en aucune façon. Ce que dit l'Ecriture : « Il a dit et les choses furent faites » prouve à l'évidence que ce n'est point de sa substance qu'il les engendra , mais par sa parole et par son ordre. S'il ne les fit point de sa substance , il les tira du néant. Car il n'y avait aucune matière d'où il aurait pu les extraire. Aussi l'Apôtre dit-il très-justement : Toutes choses sont de lui, par lui, en lui. — Ex ipso : cela ne signifie point de sa substance [de ipso). De fait ce qui serait de sa substance pourrait être nommé ex ipso. Mais ce qui est pcw lui {ex ipso) ne peut signifier de lui {de ipso). Par lui {ex ipso) sont le ciel et la terre parce qu'il les a créés : non de lui (de ipso), car il ne les a pas tirés de sa substance '. » — Augustin, l'illustre défenseur de l'Exemplarisme, maintient en même temps, avec un soin jaloux, la doctrine de la création. Mal- gré la vive admiration que lui causaient les doctrines des Néopla- toniciens, il se prononce de la façon la plus explicite contre l'éma- natisme. Un tel maître fut pour Anselme un inestimable secours. Mais il lui revient le mérite éclatant d'avoir exposé le concept * De nat. conc. adv. Manich , c. I et XXVII. ( 559 ) rationnel de la création avec une telle précision que 1 on devra méconnaître ses explications pour l'attaquer désormais. — On sait combien M. Cousin a triomphé de la formule orthodoxe de la création ex nihilo. Hegel lirait Vêtre du néant, au nom d'un principe indéterminé qui s'appelle V éternel devenir. Tout récem- ment M. von Hartmann a posé « l'Inconscient »', le Principe uni- versel, comme une pure virtualité, dont les phénomènes sont les actes successifs, engendrés par une volonté désordonnée et par une idée harmonique. Ce néant, cette puissance indéterminée, germe de toute réalité, ne se conçoivent pas. Mais quelle extra- vagance y a-t-il à se représenter, avec Anselme et les Docteurs, l'opération externe de l'Absolu comme l'acte dans lequel, par sa vertu infiniment simple et féconde, il réalise en dehors de lui, selon leur essence propre, les types divers où sa raison recon- naît les imitations lointaines de ses perfections? — A mesure que son art devient plus parfait, l'artiste ne simplifie-t-il pas ses procédés d'exécution? A mesure qu'il s'affranchit des instruments extérieurs, son œuvre devient plus intime, j>lus personnelle. L'Etre en lequel il n'y a que causalité pure ne peut conserver, dans ses opérations, aucune dépendance. Dans son principe, son acte est intelligence et volonté libre : dans son effet, production absolue, donc création, et création ex nihilo. Le dogme de la Foi est la meilleure formule : il n'en est point de plus philosophique. Voulons-nous être convaincus de l'assertion? Écoutons M. Cou- sin exposer la conception qu'il préfère à la croyance chrétienne. « Qu'esî-ce que la création, qu'est-ce que créer, se demande l'illustre fondateur de l'école éclectique, avec sa délicate ironie? — Voulez-vous la définition vulgaire? La voici : Créer, c'est faire quelque chose de rien : c'est tirer du néant; et il faut que cette définition paraisse bien satisfaisante, puisqu'on la répèle encore aujourd'hui })resque partout. Or Leucippe, Épicure, Lucrèce, Bayle, Spinoza démontrent trop aisément que de rien on ne lire rien, que du néant rien ne peut sortir; d'où il suit que la créa- tion est impossible. » La conclusion est raide. Nous savons ce que M. Cousin, pour sa part, entendait par création. « En prenant une tout autre route, dit-il, nous arriverons à un tout autre résultat: ( 540 ) que la création est, je ne dis pas possible^ mais nécessaire... Dieu, s'il est une cause peut créer; et s'il est une cause absolue, il ne peut pas ne pas créer; et en créant l'univers, il ne le tire pas du néant; il le tire de lui-même, de cette puissance de création et de cau- sation dont nous autres, faibles hommes, nous possédons une portion, et toute la différence de notre création à celle de Dieu est la différence générale de Dieu à l'homme , la différence de la cause absolue à la cause relative K » Les lignes que nous venons de rapporter contiennent un exemple frappant de la puissance de l'esprit de système , sur l'une des plus fermes et des plus nobles intelligences de ce temps-ci. Je n'oserais croire que M. Cou- sin ait cru que, d'après Anselme et l'Eglise, le néant soit une entité positive d'où le monde ait été extrait par Dieu, comme le rêvait Leucippe. Il est revenu d'ailleurs sur ce préjugé, qui inté- ressait sa gloire. Ce qui est patent, c'est que cette « autre route » dont parlait le savant académicien n'est que la première, et selon lui la mauvaise route, prise à rebours. M. Cousin tient la création pour un effet de la causation pure, absolue. Et Anselme? Et nous tous, chrétiens? Enseignons-nous autre chose? — Mais on voulait arriver à une « création nécessaire, » pas seulement possible ! Cela changeait un peu la question. Eh quoi! créer' de rien est absurde! Voici bien autre chose : L'Absolu nécessairement dépen- dant du temps et de l'espace, et de la matière et de ses détermi- nations, et de la pensée, des erreurs et des défaillances de l'homme! Je n'éprouve aucune humiliation d'esprit à croire à la création substantielle. Mais je ne conçois pas du tout l'opération nécessaire de l'Infini mi dehors de lui. La théorie du moine du XP siècle, la définition « vulgaire» sourient autrement à ma raison ! Malgré ses mérites éminents de traducteur et de critique de S. Anselme, M. Bouchitté n'a pas mieux voulu entendre ce point. Il applaudit à la façon dont Anselme montre que la Cause absolue ne relève que d'elle-même. Mais il estime que la création detres distincts de Dieu emporte une imperfec- < Hist. de la phiL, 1841, V^ leçon. ( 541 ) lion dans le fond même de sa substance. « La nature suprême, dit-il, n'a pu donner naissance à quelque cho e d'inférieur à elle-même, sans j)artager cette infériorité; et d'un autre côté, rétre inférieur qui ne peut manquer dètre altéré, supposerait que cette altération existe jusque dans l'essence suprême qui lui aurait donné l'être; ce qui est impossible. Saint Anselme qui vient de montrer avec clarté que la substance suprême n'avait pu naître de rien, et qui a fait ressortir habilement l'absurdité d'une sem- blable condition, s'arrête ici impuissant devant un problème analogue. La subtilité malheureuse de son argumentation aboutit à une difficulté plus grande, h la création ex nihilo, qu'il inter- prète d'une manière plus malencontreuse encore K » M. Bouchitté croit qu'Anselme n'eût pas éprouvé cet embarras, s'il se fût sou- venu de l'explication de J. Scot Erigène. Celui-ci interprète le néant d'où émergea l'univers d'une manière mystique; il le prend pour l'omnipotente causalité de 1 Absolu, aussi inacces- sible au regard de l'homme que si de fait elle était un pur néant. — Voilà des raffinements. Nous n'avons pas à rechercher s'il y a une vue panthéistique sous la formule d'Erigène : M. Bouchitté repousse le panthéisme. Mais, ce péril écarté, la doctrine d'An- selme qu'on taxe d'impuissance et celle de Scot sont tellement similaires sur ce point, qu'il est impossible d'y apercevoir une dif- férence. En énonçant la création ex nihilo, on envisage le terme créé (terminus ad quem) : en rapportant le monde à la simple activité de la première cause, on considère le principe formateur (le terminus a qno). A ce dernier point de vue, nous pouvons appeler la création une théophanie, selon le langage de Scot, vanté par M. Rousselot, équivoque et suspect pour d'autres. Le censeur d'Anselme ajoute que celui-ci rentre dans une voie plus sûre en se rejetant sur la préexistence idéale des Créatures dans le Verbe. Certes le S. Docteur a tenu cette doctrine. Mais qu'on nomme un seul défenseur de la Création substantielle qui en cela ne l'ait pas imité! Qui s'avisa jamais, parmi les chrétiens, de méconnaître l'existence transcendante de l'univers dans la ' Ouv. cilé, XXVIl. ( 342 ) pensée de Dieu ? 11 est trop commode d'argumenter contre An- selme et contre les dogmes, en mutilant leur notion ! La « diffi- culté » dont nous a entretenu M. Bouchitté, et qui, par euphé- misme, signifiait l'absurdité de la Création, n'existe que dans l'imagination de ceux qui en défigurent la signification véritable. Je sais que le savant critique a proposé une autre explication, à la place de celle d'Anselme. II convient de la soumettre au juge- ment du lecteur : « Il est contradictoire, assure-t-il, de dire que l'univers a été fait de rien, à moins que l'on ne regarde comme rien la volonté et rintelligence divines Tout le monde est d'accord sur ce point. Mais la création ex nihilo a été imaginée contre les panthéistes qui, s'appuyant sur le principe que rien ne saurait être fait de rien, prétendent identifier la sub?tance du monde avec celle de Dieu même. Nous reconnaissons que le panthéisme se trompe; mais cette erreur n'empêche pas celle que renferme la création ex niliilo^ et l'on voit ici que toute la peine que s'est donnée Anselme pour la bien établir, n'a d'autre résultat, si ce n'est que rien veut dire ici quelque chose. Le seul sens raison- nable que l'on puisse attacher au mot nihilo dans ce cas , c'est d'y voir l'expression du principe absolu et non manifesté. Ainsi le monde est pour nous créé de rien , c'est à dire qu'il est la mani- festation partielle du principe insondable qui lui a donné l'être. Il est né de rien, c'est-à-dire que la cause qui lui a donné l'être nous reste inconnue, malgré son œuvre, et reste pour nous, quant à son contenu, comme si elle n'était pas *. » — Disons-le sans détour : tout ce qu'il y a de vrai dans ce passage, Anselme l'a écrit, l'a prouvé. Nul plus que lui n'a insisté sur l'existence idéale des choses dans le Verbe Créateur. Nul aussi n'a mieux caractérisé l'abîme qui sépare les êtres finis et changeants de la Cause immuable, infinie. Mais est -il exact d'ajouter que, malgré la création, a la Cause du monde rest«^ pour nous incon- nue, comme si elle n était pas ? » L'artiste qui vous révèle quel- ques-unes des œuvres de son génie ne vous le découvre pas en entier; on l'accorde. Ne le connaissez-vous pas mieux néan- ' Ouv. cilé, pp. 39 et suivantes ( 345 ) moins, à la vue de ses produclions ? Pour parler avec M. Bou- chitté, « est-il pour vous, comme s'il n'était pas? » Mais l'artiste divin est V Infinie intelligence ! Soit ! Ne déplaçons pas la ques- tion. On nous concède qu'elle s'est partiellement manifestée dans la création. Nous en avons donc une certaine connaissance, n'im- porte le degré, n'importe l'abime sans fond et sans rivages que recouvriront d'éternelles ténèbres. En toute sincérité, il semble que la création ex nihilo, expliquée par Anselme, est incom- parablement plus rationnelle que l'amendement qu'on voudrait lui substituer. A la suite des considérations sur l'acte créateur, Anselme éta- blit le rapport idéal des êtres créés avec leur Cause éternelle. Nous avons exposé en son lieu cette partie importante de la Métapby- siqne du S. Docteur. L'existence de l'univers, contingent et fini, n'est qu'une créa- tion continuée. Les créatures, enseigne Anselme, sont mainte- nues dans l'existence et dans leurs opérations propres par son incessant concours. Ce qui a été fait par un autre, ce qui ne possède pas en soi la raison de son existence, ne saurait non plus la conserver par sa propre vertu. L'activité de la créature imj)lique l'incessante assistance du premier Moteur : celui-ci les meut à leurs actes, non d'une ma- nière uniforme et mécanique, mais selon leurs diverses natures, comme nous le dira un jour S. Tbomas '. Avant lui, Anselme a mis en relief ce point capital de la tbéorie du concours de Dieu avec les créatures. Il la résume en cette formule : « Il est nécessaire que de même que rien n'a été fait si ce n'est par l'essence créatrice se rendant présente à son œuvre, de même rien ne se conserve que par la présence conservatrice de cette même essence... 11 suit de là que la Cause absolue soutient et excède, enferme et pénètre tous les autres êtres. C'est elle qui, dans un sens vrai, existe en tout et partout. — Par elle et en elle subsistent toutes les créatures ^. » ' Cf. De Malo,q. VI. a. 1. ad. 3. - « Deus movel voluntalem immulabiliter, » sed ob nalurani volunlalis motae quae indifTerenler se habet ad diversa , ^> non inducitur neces?iias, sed libertas. » * Mon, c. XII, XIII. ( 544 ) Ici encore Anselme s'inspire d'Augustin : « A chaque jour, écrit ce Père, Dieu continue de régir ce qu'il a créé, afin que ses créa- tures ne perdent pas leurs mouvements naturels, par lesquels elles agissent et vivent; afin qu'elles puissent être véritablement des prin- cipes actifs, et que chacune, selon son espèce, persévère dans son essence et ne retombe point dans le néant, comme ce serait le cas si elles étaient abandonnées par cet esprit de sagesse qui dispose toutes choses avec suavité '. » L'absolue et indépendante causalité du premier Etre a été mise en lumière par les considérations précédentes. Anselme essaye maintenant de pénétrer plus avant dans cette analyse de la pre- mière Essence. Il sait que les perfections que nous trouvons aux êtres créés sont à une infinie distance d'elle. Il veut néanmoins rechercher en quel sens il est permis de les lui attribuer. Cette partie de la synthèse théologique d'Anselme est d'une grande élé- vation; elle constitue l'une des plus remarquables parties de la théodicée scolastique. Avant tout, écrit le S. Docteur, il est clair qu'aucune for- mule basée sur la perfection des créatures ne peut énoncer, à proprement parler, la nature de l'Absolu, comme c'est le cas, par exemple, de la phrase: Dieu est plus grand que tout ce qu'il a fait; et d'autres propositions pareilles. Supposons que l'univers créé n'existe point, ce rapport de la première Cause à ses œuvres serait supprimé du même coup. En serait-elle moins parfaite cependant? Evidemment non, puisque son excellence ne dépend absolument que d'elle-même, et nullement d'aucun être créé -. A coup sûr cette manière de représenter la première Essence, * In Joh., c. V, V. 17. — Cf. De Genesi ad litler., c, IV; XII. 2 >. Itaque de relativis quidem nulli dubium, quia nuUum eorum substaii- » tiale est illi de quo relative dicitur. Quare, si quid de summa nalura dicilur » relative, non est ejus significativum snbstantiae. Unde hoc ipsum, quod )> summa omnium, sive major omnibus quae ab llla facta sunt, seu aliud » aliquid simililer relative dici potesi,manifeslumest quoniam non ejus natu- » ralem désignai essenliani. Si enim nulla earum rerum uniquam essel, qua- » rum relalione summa et major dicitur, ipsa nec summa nec major intellige- )) retur, nec lamen idcirco minus bona esset, aut essentialis suae magniludinis » in aliquo detrimenlum palerelur. » (C. XV.) (043 ) est bien différente de celle des Panthéistes. Pour ceux-ci Dieu n'est actualisé qu'à condition de devenir relatif; il vit dans l'ani- mal, il acquiert la conscience de soi dans l'homme. En un mot, la réalité concrète de l'Infini est le terme de son identification progressive avec les êtres et les phénomènes du monde. La façon de concevoir l'Absolu sous le symbole de la Cause transcendante, possédant en soi même le principe complet de son existence, de sa vie et de sa personnalité, paraît autrement conforme à la raison. C'est insister peut-être à l'excès sur le panthéisme. Nos devan- ciers nous y ont obligé. L'on sait que parmi les nombreuses accusations dont on a accablé les Docteurs scolastiques, celle d'avoir donné dans ce système est l'une des plus graves. Anselme a été jugé diversement sous ce rapport. Parlant précisément de la question qui nous occupe, M. Hauréau s'explique sur le Docteur du Bec avec une franchise digne d'un si pénétrant écrivain. « Son langage, dit-il, repousse tout soupçon de panthéisme.» Nous savons qu'il n'y a rien d'exagéré dans ce jugement. Il n'en est pas tout à fait de même de M. Xavier Rousselot. Sans doute, dans l'étude qu'il consacre à S.Anselme, ce savant affirme « qu'on aurait grand tort de croire qu'il cherche à lancer contre sa doctrine une accusation de panthéisme. » Mais il faut bien cependant qu'An- selme ait penché très-fort de ce côté, si nous en croyons M. Rous- selot. La doctrine d'Anselme, assure M. Rousselot, c'est l'Unité de l'être. Or, « cette unité est pour lui la réalité. » Le vrai c'est ce qui est; et tout ce qui est, est bien. Est igitiir veritas in om- nium qiiae sunt essentiel. Omne quod est, recte est. Donc leVrai et le Bien sont identiques et ne forment qu'une seule et même chose; d'où il suit encore que, au point de vue ontologique, le mal n'est pas, c'est une pure négation. Les êtres ou les individus sont des parties de l'être, comme les vérités particulières sont des parties de la Vérité. — M. Rousselot rapproche de ces pensées la doctrine de Scot Erigène, où il tient que le Bien et le Vrai sont des réalités substantielles.. Il en conclut que le Docteur normand n'a été que le continuateur habile du moine Irlandais '. Dans son ' Ouv. cilé, p. 255. ( 346 ) preniierouvrage aussi bien que dans son dernier, continue M.Rous- selot, il ne se soucie que d'une chose, c'est d'établir la Vérité une, réelle, ontologique, la réalité qui est en même temps la substance et la perfection infinie, communiquant la vie à toutes les choses particulières. Deux pages plus loin, M. Rousselot appelle cette vue fondamentale de la philosophie d'Anselme la doctrine de l'unité de substance. Après cela, le lecteur jugera de l'absolution de panthéisme octroyée à Anselme par son juge. N'est- il pas vrai que ces insi- nuations présentent deux inconvénients graves ? Elles échouent devant la clarté indiscutable des textes et tout l'ensemble de la théodicée d'Anselme; en outre elles sont conçues dans un sens tellement vague que nous avouons n'y comprendre que très- peu de chose. Quoi ! l'on constate des degrés dans la perfection des êtres de l'univers; de leur contingence l'esprit s'élève à la Per- fection en soi, à la Cause absolue. On met en lumière le rapport constant de la Vérité et de la Bonté avec l'Etre considéré sous la forme la plus générale. On montre enfin que les êtres mul- tiples qui remplissent la nature ne doivent leur réalité qu'à la causalité de l'Essence première... Mais de bonne foi, est-ce que pour cela l'on songe à admettre le dogme de Vunité de substance dans le sens de Spinoza ? N'est-ce pas, au contraire, le commun procédé de tous les Docteurs orthodoxes, si soucieux de mainte- nir entre les créatures et Dieu une distinction essentielle ? C'est ainsi queM.Hauréau lui-même a interprété Anselme. «Les phrases extraites par M. Rousselot du Dialogue sur la Vérité, dit-il, signi- fient que S. Anselme est avant tout curieux d'établir la nécessité d'une substance unique, suprême, souverainement grande, et sou- verainement bonne. Mais cette définition est celle de la substance séparée, et non pas de l'univers. Quant à ce principe interne des choses qui, suivant les termes du Monologium, subsiste en cha- cune et dans toutes, c'est la vie; ce n'est pas la cause de la vie, ce n'est pas Dieu... C'est l'unité théologique et non pas l'unité ontologique que S. Anselme recherche et prétend démontrer '. » ' Ouv. cité, p. 200. ( 547 ) A quiconque a lu notre Docteur, les explications du lauréat de l'Institut de France paraîtront autrement sérieuses que celles de M. Rousselot. Au fond, les Docteurs sont tous d'accord avec Anselme. Mais il serait inepte de les juger sur la foi de quelques expressions isolées. Alain de Lille, ce mystique si élevé, dans son curieux livre V Anti-CAaudianus y est rempli d'expressions qui, prises à la lettre, pourraient paraître panthéistes. Cela ne Tempéche pas de formuler en même temps le dogme de la création ex niliilo, et d'affirmer que Dieu est présent à tous les êtres créés en tant qu'il est leur Cause, mais non comme leur substance. Si la critique de M. Rousselot pouvait être accueillie, les Victorins, Albert le Grand, Thomas d'Aquin lui-même seraient des Alexandrins. Le Docteur angélique va jusqu'à appeler éma- nulion l'apparition originelle des créatures dans le monde de la réalité. Tous ces maîtres signalent l'éclatante transcendance delà Cause première par delà toutes les substances relatives. S. Thomas la déduit nommément de sa qualité de Principe et de Créateur des êtres finis, de l'ineffable actuaiilé du premier Moteur opposée à la passivité de la matière première, fond commun des choses. Il affirme que le rapport de communication qu'il faut reconnaître entre Dieu et le monde, ne doit pas être entendu de l'essence, mais uniquement de la ressemblance; il affirme, pour son compte, que c'est là tout ce qu'a voulu dire le pseudo-Denys. Il exclut toute identité essentielle entre le Créateur et la créature : ils sont, dit-il, de genres totalement distincts, et ne peuvent, pour cette raison, être l'objet d'une stricte proportion mutuelle. Ce n'est pas seulement le système de l'identité absolue qui est rejeté en ces passages de l'Ange de l'Ecole, I! s'y prononce en outre contre la doctrine que le D*^ Gunther a récemment mise à sa charge, et que ce savant nomme le semi-panlhéisme, parce qu'elle tient qu'entre l'Esprit infini et les substances spirituelles, il n'y a qu'une diffé- rence de degré ou de perfection et non une distinction d'essence'. ^ Voir sur ce point Kleutgen, Phil. der Vorzeit^ III, pp. 928 et suiv., et rexcellente élude sur la scolastique du D»" Matlès dans le Dict. théol de Welte et Welzer. ( 548 ) Ce qui nous importe, c'est quAnselme, de l'aveu même de lÉcoIe éclectique, défendit, dès l'aurore du moyen âge, les mêmes idées. Qui ne sait qu'en philosophie, en métaphysique surtout, ce sont bien souvent les nuances qui font la vérité et l'erreur des théories? Voici un penseur moderne qui a vécu au temps de Schelling et d'Hegel. Cet homme fera sagement s'il se garde d'une phraséolo- gie qui pourrait créer à ses doctrines une apparente affinité avec la philosophie de l'identité. L'ira-t-on cependant soupçonner de panthéisme sur cela seul que quelques-unes de ses expressions se rapprochent du langage de ces maîtres? Ce serait du fanatisme! En voici un exemple très-curieux : M. Bouehitté ne veut pas du panthéisme. Quon lise les pages finales de son introduction, si belle à beaucoup d'égards, à la traduction du Monologue ; il y a là des phrases qui se rapprochent de l'émanatisme jusqu'à en devenir tout à fait inexactes ; celle-ci par exemple : « LEtre ou la substance de l'univers, et avec elle les formes innombrables qu'il revêt ne peuvent être conçues que comme émanations passagères et de l'Être absolu et éternel, et des formes analogues qui sont ses attributs absolus et éternels comme lui. » Ce n'est pas nous qui, sur la foi de ces lignes, nous récrierons contre le pan- théisme de M. Bouehitté i Mais l'on peut trouver surprenant qu'à certains moments M. de Rémusat lui-même se préoccupe si fort, dans son exposition de la philosophie d'Anselme, de « pas- sages isolés, » qui se plient à de dangereuses interprétations ! L'effroi que cause au critique français la théorie d'Anselme sur le concours de l'Etre absolu avec les Causes secondes est quelque peu excessif, a De là, s'écrie-t-il, cette conséquence que là où Dieu n'est pas, il n'y a rien. Dieu est donc le principe immanent des choses; et survient aussitôt le danger de diviniser les choses. En bonne foi, est-i! possible de dire formellement que l'Essence suprême est en tout (in omnibus); que tout est d'elle, par elle et en elle {de illa, et per illam, et in illa) sans confondre le Créateur avec la création?... C'est qu'il y a un })oint dangereux où, peut- être par l'imperfection nécessaire du langage, la théologie la plus orthodoxe touche au Spinozisme. Mettons du moins en regard du ( 349 ) principe de la création continuée les mots de Platon : « L'auteur du monde estime qu'il vaudrait mieux que son ouvrage se suffît à lui-même que d'avoir besoin de secours étranger *. » Nous conce- vons fort bien, pour notre part, comment la cause seconde appelée à l'existence par la libre volonté du Créateur ait besoin pour s'y maintenir de son persistant concours : elle est distincte de lui par le fait de son origine ou, ce qui revient au même, par sa nature finie; pourquoi se confondrait-elle avec ce grand Être, sur ce motif qu'il la soutient de son énergie toujours active? Anselme ne tombe pas dans le Spinozisme, ce semble, pour enseigner la doctrine du concours. Mais son langage s'en rapproche, dit-on! Quimporte qu'il s'en rapproche, s'il ne l'exprime pas! Ce sont les idées qui font les doctrines , non les apparences. A côté des paroles de Platon qu'on nous vante, citons celles de S. Paul : « C'est en Dieu que nous vivons, que nous nous mouvons et que nous existons. » Mais laissons une bonne fois en dehors de la critique une exégèse intolérante ! Que la lettre se taise devant l'esprit, et les textes isolés devant l'ensemble ! Quels sont les attributs positifs que nous pouvons attribuer à Dieu ? Ce sont ceux-là qui renferment une véritable perfection. Il faut bien entendre cela. Considérée en soi, toute réalité est bonne. Un sage, dit Anselme, ne vaut-il pas mieux qu'un homme qui n'est pas doué de cette qualité, quoiqu'il puisse arriver qu'un juste dépourvu de science soit plus recommandable qu'un sage pervers? — Mais si l'on envisage les qualités d'une manière plus générale, on s'aperçoit à l'instant qu'il y en a dont la présence emporte la négation d'une perfection supérienrej tandis que les autres, au contraire, n'impliquent par elles-mêmes aucune imper- fection. Ce sont celles-ci que les Grecs appelaient re/i/a KOLz^yop^- para. La matérialité de l'être, par exemple, suppose la négation de l'intelligence. Mais la vie, 1 intelligence, la volonté libre ne suggè- rent à l'esprit qu'une perfection simple, sans aucune immixtion de défaut, sans négation d'une excellence supérieure quelconque. ' Ouv. cité. p. 502. — S. Anselme dit que toutes choses sont d'elles [ex il la, no7i de illa) , ce qui est différent. ( 530 ) Or, Dieu est l'Être au-dessus duquel on n'en peut penser de plus oTcind. Dès lors tous les attributs de la deuxième catéa;orie lui conviennent, mais d'une manière propre et transcendante. 11 est donc permis de lui attribuer la vie, la sagesse, la puissance, la vérité, la justice, la félicité, l'éternité et toute autre qualité meil- leure que ce qui n'est pas elle-même '. On peut dire que dans sa majeure partie, le Prosloge n'est que le développement de cette conception. Contentons-nous d'en indi- quer les principaux traits. Sous forme de prière ou de soliloque et dans une suite d'antillièscs, Anselme montre que Dieu, bien qu'il ne soit pas corporel, est néanmoins sensible, en ce sens qu'il connaît les choses physiques d'une manière transcendante 2. Il est tout-puissant, bien qu'il ne puisse rien qui soit contradic- toire, ou opposé à sa propre excellence et à la nature des choses: * « Et quidem si quis singula diligenter intueatur, quidquid est praeter » relativa, aut taie est ut ipsuni omnino melius sit qiiam non ipsum, aut taie » ut non ipsuni in aliquo melius sit quam ipsum. Ipsum aulem el non ipsum )) non aliud hic inlelligo, quam veruni non verum, corpus non corpus, et his y similia. Melius quidem est omnino aliciuid quam non ipsum, ut sapiens » quam non sapiens, id est, melius esl sapiens quam non sapiens. Quamvis » enim justus non sapiens melior videaîur quam non justus sapiens , non » lamen est melius simpliciter non sapiens quam sapiens; omne quippe non » sapiens simpliciter, in quantum non sapiens, est minus quam sapiens, quia » omne non sapiens melius essel, si esset sapiens. Simili ter omnino melius est » verum quam non ipsum, id est, quam non verum, el justum quam non jus- )) tum, et vivit quam non vivit. Melius aulem est in aliquo non ipsum quam » ipsum, ut lion aurum quam aurum. Nam melius est homini esse non aurum » quam aurum; quamvis forsilan alicui melius esset aurum esse quam non » aurum, ul plumbo. Cum enim utrumque, sciiicel homo et plumbum, sit » non aurum, lanlo melius aliquid esl homo quam aurum, quanlo inlerioris )) esset naturae si esset aurum, el plumbum tanto vilius est, quauto precio- » sius essel si aurum esset. » Cuin igitur quidquid aliud esl, si singula despiciantur, aut ipsum sit )) melius quam non ipsum, aut non ipsum in aliquo sit melius quam ipsum, » sicut nefas est putare quod snbslantia supremae naturae sit aliquid que » melius sit aliquo modo non ipsum, sic necesse est ut sit quidquid omnino » melius esl quam non ipsum. illa enim sola est qua penitus nihil esl melius, « et quae melior est omnibus quae non sunt quod ipsa est. » (G. XV.) 2 G. VI. ( 351 ) ce qui ne dénote pas l'impuissance, comme notre infirme langage pourrait le faire supposer, mais la suprême perfection K II est miséricordieux puisqu'il exauce nos prières, et impassible, car nos misères ne sauraient altérer son immuable félicité '^. Il est juste et en même temps sa bonté est si grande qu'elle pénètre sa jus- tice, puisque les méchants ne sont pas privés de ses bienfaits; il va jusqu'à rendre bons par la grâce non-seulement ceux qui ne le sont pas, mais ceux-là même qui sont positivement mauvais. Et cette bonté ne peut qu'être la plus haute justice. Qui oserait dire que Dieu pardonne injustement? D'autre part, néanmoins, c'est encore par justice qu'il punit les coupables ; c'est en cela que consiste la sanction des œuvres ^. Il y a plus, poursuit Anselme : dans leur acception ordinaire, les qualités impliquent la participation de l'être dont on les affirme à leur excellence respective. Cela suffit pour montrer qu'on les énonce d'une manière bien différente de la Cause absolue qui a de soi-même toute sa perfection. De là il suit que lorsqu'on dit, par exemple, qu'elle est juste par la justice, cela signifie qu'elle est juste par elle-même, puisqu'elle est la justice substantielle. Les qualités n'expriment pas autre chose que son essence : ce ([u'elle est j non pas ce quelle a ^. Dieu, comme Anselme le dit dans le Prosloge, EST la vie même dans laquelle il vit; il est la sagesse par laquelle il est sage, la bonté par laquelle il est bon [Prosl. CXII). C'est d'une manière ineffable et transcendante que l'Être suprême est l'ordre, l'harmonie, la beauté (XVII). Et ces qualités qu'on peut énoncer de la Cause absolue, parce qu'elles ne renfer- ment par soi aucune négation d'une excellence supérieure, elle les a infiniment, au plus haut degré (XV). D'où l'on voit que l'Absolu n'est que la synthèse transcendante de ces perfections simples de l'être subsistant par lui-même dans une immuable unité. Dieu est la vie, la sagesse, l'éternité, l'ensemble de tous les biens. 11 les a, non pas comme un tout composé de ces perfec- ' G. VU. -2 C. VIII. 5 C. JX-XII. — Cf. D'Aguirre, disp. XXIIl, sect. H. ^ Mon.,\\l. ( 3^2 ) lions, mais dans une si parfaite simplicité, qu'elles ne diffèrent en rien de sa nature : de sorte que tous les attributs sont en lui identiques (XVll-XVIU). Seul l'Absolu existe ainsi d'une manière inmuiable, dans l'unité de son être infini ^ (XVIII- XXII). Nous avons signalé déjà comme l'un des plus nobles mérites de la philosophie d'Anselme, le développement qu'il a donné au caractère absolu de la Divinité'^. Il a montré en elle l'absolue Vérité dont dépendent toutes les vérités relatives ou contingentes [Dial. de veritalé)', l'absolue Idée et l'absolue Causalité : il la représente en outre comme Vabsolne Perfection possédant d'une manière immanente et simultanée, tous les attributs de 1 Etre infini. Le savant d'Aguirre rappelle que toute la doctrine de l'aséité divine, considérée comme la note fondamentale de l'être divin, se trouve en germe dans les enseignements d'Anselme. Il veut, dit-il, que toute perfection simple soit attribuée à Dieu, au plus haut degré. Or, la perfection par excellence est bien celle de l'aséité; Anselme lui-même résout chacune des excellences divines dans leur possession autonome et complète. Il reproduit encore en cela le sentiment de ses maîtres de prédilection. « L'Être par soi, avait dit le faux-Denis, est antérieur (logiquement) à la vie elle-même, à la sagesse elle-même qui participent excellemment de rêti'c. Aussi, c'est en tant qu'^^re que Dieu est surtout glo- < ^< Es ist das Avesen des Absoluteii eben dies, durch sich seibsl zu sein, nuii so ist es auch unmillelbar, was es ist , iind so kann es sich zu nichts machen, was es nichl sclion ware, sondera einfach nur sein. In dem durchsichselbst- sein liegl die vollliommenste Idenlilàt mit sich, welclie ieden Gedanken aan ein werden auscliliessl Aber wohl, muss man sagen, liann das absolule nach aussen causal , causatif sich verhallen. Denn sein kann es allerdings nur es seibsl, bewirlœn aber, hervorbringeii, verursachen auch ein anderes; ja one dies vermogen wiiide es nichl einmal das absoiule sein, weil es dann an diesem andern eine schranke halte. Das sein aller andern ausser dem Abso- lulen isl aiso ein bewerklsein, causirlsein durch das Absolule zu fassen. w — Hasse, ouv. cit II. p. 190. '^ Rappelons encore ces paroles alors si nouvelles : « Non omnino non sunt (res crealie) quia per illum qui solus absolule est, de nihilo aliquid fada sunl. » Mon.^ c. XXIX. ( 355 ) rieux : c'est le plus primitif de tous ses attributs *. » «( Sans nul cloute Dieu est substance, écrit S. Augustin, ou pour mieux par- ler, Essence j cùaia, comme disent les Grecs... L'Essence a été nommée ainsi de celui qui est. Et qui donc est plus véritablement que celui qui a dit à son serviteur Moïse : Je suis celui quisuis : et tu diras aux fils d'Israël '.Celui qui est m'a envoyé vers vous ^î » C'est Anselme qui eut l'honneur de transmettre aux grandes écoles de l'Occident ces vues d'une si noble philosophie, et qui donnèrent naissance à des développements féconds. Nul ne s'in- spira mieux d'Anselme, sous ce rapport, que S.Thomas d'Aquin. Il porta la doctrine de VActe pur^ symbole par excellence de l'Absolu, à sa j)lus haute perfection, a L'Etre divin, dit ce grand homme , n'est qu'Être. Mais pour cela , il est loin d'être privé des autres perfections : au contraire il les possède en tous genres : il les contient d'une manière éminente; en lui, elles sont ime seule et même chose ; dans les créatures, elles subsistent dans la diversité. Voilà pourquoi en Dieu les perfections multiples se réunissent selon leur essence pure, à l'instar de celui qui, possé- dant dans une seule qualité la vertu de toutes les autres, aurait dans celle-là seule toutes les autres ensemble ^. » De la nécessité du premier Être dérivent son éternité et son immensité. — Dans le Monologue, Anselme établit avec de longs détails que Dieu n'a pu venir à l'existence dans le temps, puis- qu'il est par lui-même déterminé à l'être et qu'il constitue la règle et le principe de la Vérité (C. XVIII -XIX). Intelligence absolue, activité pure, il embrasse et excède éminemment tous * De divin. Nominib., c. V. 'i DeTrin., V, c. II. 3 De Ente et Essentia,c. VI. — « Sic similiter esse divinum, quamvis sit » esse tanlum, non oportet quod deOciant ei reliquae perfecliones et nobili- » laies, imo babet omnes perfecliones et nobililates quae sunt in omnibus » generibus; et habet eas modo excellentiori omnibus rébus... : quia omnes « in eo sunt unum, sed in aliis diversitatem habenl. Et hoc est quia omnes » illae perfecliones conveniunt sibi secundum suum esse simplex : sicut si » aliquis per unam qualitalem posset efficere operaliones omnium qualitalum, » in ilia una qualitate omnes qualitates haberet. » Tome XXV. 23 ( 354 ) les instants de la durée et tous les points de l'espace, sans être circonscrit par aucun d'eux, à la façon des êtres corporels (XX- XXIV), sans subir aucun changement parmi les perpétuelles vicis- situdes des réalités inférieures (XXV). A une Cause si parfaite, dit Anselme, aucun nom du langage humain ne saurait convenir rigoureusement. Avec un juste discernement , néanmoins, on peut l'appeler Substance, parce que l'existence substantielle est la plus parfaite que nous manifeste la nature. En outre, parmi les substances, la plus élevée est l'esprit immatériel. Nous avons éta- bli plus haut l'unité et l'incommunicabilité de sa nature. Dieu sera donc une substance spirituelle unique et autonome : en un mot, l'Être infini, vivant et personnel qu'a toujours reconnu l'huma- nité (XXVII). C'est ici, on le voit, une réminiscence de l'enseignement néo- platonicien. Après Clément l'Alexandrin , après Plotin etProclus, Augustin avait montré l'impropriété du terme de substance ap- pliqué à Dieu, essence infinie et simple, inaccessible à toute modification accidentelle ^ Le faux Denys, conformément aux principes de la théologie négative , tient que Dieu n'est pas substance, parce qu'il est au-dessus de toute substance, et qu'il possède en soi toute la plénitude de l'être. Scot Érigène, son traducteur, affirme à son tour qu'en raison de son incompréhen- sibilité essentielle, Dieu doit plutôt être nommé Néant que sub- stance 2. Avec plus de mesure que ces derniers philosophes, Anselme reprend ces idées, que S. Thomas d'Aquin développera dans sa Somme théologique, notamment dans l'admirable disser- tation des Noms de Dieu ^. * « Est tamen Deus sine dubllatione Substantia, vel si melius hoc appel- » latur Essentia quam Graci usiam vocant. Sed aliae quae dieunlur essentiae )> sive substanliae capiunt accidentia, quibus in eis fiât parra vel magna vel » quantacumque mutatio : Deo autem aliquid ejusmodi accidere non potest, » et ideo sola est incommutabilis substantia vel Essentia quae Deus est. v — De Trin., c. V, II. - « (Deus) per excellentiam nihilum uonimmerito vocatur. » (De Div.Nat.f p. 127, cf. DE Rémusat, p. 497.) 3 Q. XIII. ( 355 ) On voit y continue Anselme, qu'à strictement estimer les choses, à l'Absolu seul convient le nom dEtre ; les créatures relatives et subordonnées sont à peine dignes de ce titre. Elles passent du néant à une existence éphémère, bornée, continuellement chan- geante, prête à retomber dans l'abîme originel, si la première Cause ne la conservait •. Arrivé à ce point de sa théodicée, S. Anselme reprend l'in- vestigation spéculative du Verbe, et en prend occasion pour se livrer à l'examen approfondi du mystère de la S'^-Trinité, dans les limites où la raison peut pénétrer les données de la Révéla- tion. Cette partie appartient aux théologiens : achevons l'esquisse de la théodicée rationnelle. La suite des considérations auxquelles nous sommes jusqu'ici par- venus, dit le Docteur de Cantorbéry, s'appuie sur des arguments d'évidence scientifique. Mais toutefois cette évidence ne projette pas son éclat jusque dans les intimes secrets de l'Essence et de la vie divines. L'existence de Dieu est accessible à la démonstration; sa nature nous reste cachée. Quoi de surprenant en cela? Nous ne pouvons entièrement comprendre le rapport primitif de la première Cause avec les êtres distincts d'elle, et nous préten- < Je ne puis m'empècher de relever ici une distraction étrange de M. Bouchitlé. 11 veut que la signification attachée par Anselme à la sub- stance soit celle de Spinoza! (p. 102). Toute la théodicée d'Anselme, em- pruntée à celle d'Augustin, roule sur la transcendance du premier Être « qui ne se divise par aucun partage, » qui est « simplement et sous tous les rap- ports seul parfait, simple et absolu... » (C. XXVII, XXVIII, trad. Bouchitté.) La substance de Spinoza existe, il est vrai, d'une absolue nécessité, mais elle reçoit intrinsèquement les modes, c'est-à-dire tous les phénomènes , de sorte que « l'homme, par exemple, n'est qu'un mode, une affection exprimant d'une manière déterminée la nature de Dieu. » {Ethica, p. ii,prop. X.) — Les modes , c'est-à-dire les choses, Vunivers,ùéïismi fatalement de l'essence même de l'Absolu {Ethica, p. i, prop. I-XIV; p. II, prop. X, schol.) Dieu ne peiise et ne veut que dans la raison et la volonté de l'homme. En soi , en tant que natura naturans, comme l'appelle Spinoza, il n'a ni intelligence, ni arbitre. (/6/d., prop. XVIÏ, schol.)— Chez Anselme, transcendance de l'absolu; chez Spinoza, immanence et potentialité de la Substance unique, dans son éter- nelle évolution au dehors ; voilà deux concepts qui se ressemblent assez peu ! ( 556 ) drions atteindre jusqu'aux profondeurs de son Être! Ce que le sage découvre de l'Essence suprême, c'està sa lumière même qu'il le doit. Il voit Dieu, et tout ensemble il ne le voit pas; la clarté de la raison dont l'Infini est le Principe est mêlée de ténèbres. Dieu n'est que lumière , mais l'esprit de l'homme ne peut supporter son éclat, ni fixer sa splendeur. Son œil est trop infirme; il est arrêté par cette incomparable gloire {Pi^osL, XIV). La pensée ne peut s'y reposer, trop de lumière y resplendit! (Ib.j XV-XVI.) Nous n'en avons pas moins poussé aussi loin que nos forces l'ont permis, l'investigation de l'Absolu. Les conclusions auxquelles a abouti cet examen sont véritablement certaines, bien qu'elles n'apportent point à l'esprit une complète science en un aussi sublime et mystérieux sujet. Nous avons dû imiter ceux-là qui saisissent un certain côté de la vérité, sans l'égaler entièrement. Ils en parlent sans erreur, mais dans un langage analogique, imparfait. Nous atteindrons à une plus parfaite connaissance de ce souverain Etre, selon que nous prendrons pour échelle de comparaison, une nature créée plus excellente. — C'est par l'intermédiaire de l'âme humaine qu'on parvient le mieux à connaître la T)i\inhé (Moti.j LXVI-LXVIl). Non-seulement l'âme est le miroir de Dieu parce qu'elle peut se souvenir, comprendre et vouloir, et qu'elle reflète en soi l'image de l'adorable Trinité : en outre, il y a en elle, comme son signe caractéristique, la faculté d'aspirer au souverain Bien , de le comprendre et de l'aimer. Elle est le reflet lumineux de l'éternelle Intelligence, sa plus fidèle copie, et le plus sûr degré pour s'élever jusqu'à elle (Ib., LXVIII). Anselme, avant de terminer son examen rationnel de la suprême Essence, insiste sur les conséquences pratiques de cette étude. Nous savons, dit-il, que l'âme doit au suprême Créateur son existence, sa nature et ses énergies. Or, le propre de l'intelligence n'est-ce pas de discerner la souveraine excellence de tous les autres biens? Le devoir de la libre volonté ne consiste-t-il point à se porter vers cette perfection sans limites? N'est-ce point dans ce but que l'in- telligence et la volonté nous sont communiquées? Mais il n'est pas possible que l'être intelligent recherche par l'amour le souverain ( ^37 ) Bien, sans qu'il s'en souvienne et le comprenne dans la mesure possible à ses forces. C'est donc dans la pensée, Tintelligence et l'amour de l'Absolu que se trouve le dernier mot de la destinée humaine (LXVIil, LXIX). D'autre part, conlinue Anselme, l'âme ne peut renoncer au but de son existence par l'effet de sa libre volonté, ni d'une ma- nière involontaire. Elle aimera sans terme le Bien absolu ; son existence ne saurait donc finir. Le Créateur souverainement bon n'anéantira point l'àme pendant que celle-ci l'aime, puisque cet amour est la réalisation de sa destinée et l'accomplissement de la loi qu'il lui a donnée lui-même. Par conséquent, l'àme fidèle au précepte de l'amour divin ne saurait périr; elle vivra sans fin, d'une vie véritablement heureuse (LXIX). Au point de vue de la seule liaison, quelle sera cette félicité? Dieu a donné à l'être raisonnable la faculté de pouvoir le com- prendre et l'aimer, même dès celte vie. En quoi pourra consister l'éternel bonheur, si ce n'est dans la possession et la jouissance réelle de cette Essence suprême dont le désir et la pensée nous poursuivent? Est-il possible d'aimer la justice, le bonheur, l'in- corruptibilité, sans en désirer la possession? Et qui peut accorder à l'âme des biens si excellents, si ce n'est Celui qui les possède, celui dont ils constituent l'essence? L'homme recevrait en partage toute autre récompense que la possession de ce Bien parfait qu'il n'en serait ni consolé ni satisfait! — Et certes, si Dieu ne se donne pas lui-même, à l'âme affranchie des contingences terrestres, il ne veut pas qu'on l'aime pour lui-même. — Il est donc tout à fait certain que l'homme fidèle au grand devoir de l'amour de Dieu en ce monde, parviendra un jour à posséder, à voir, dans sa propre lumière. Celui qu'il entrevoyait ici -bas à travers le miroir et derrière le voile des choses. Pourquoi rechercher les faux biens qui ne sont pas Dieu lui- même? Lui seul satisfait aux désirs ardents du cœur de l'homme! En lui est la Beauté, la Liberté, la Félicité, les transports de la vraie joie, le rhythme de la suprême mélodie, la Sagesse, l'Amitié, la Concorde, la Toute -puissance, la complète sécurité. Voilà la béatitude promise à celui qui aura obéi avec fidélité à la loi de ( 558 ) la vie. Il s'en réjouira pour soi-même, et plus encore pour Dieu, que cette béatitude honore. Il la goûtera dans son être tout entier, et dans chacune des facultés de son âme. Cette félicité ne sera épuisée jamais. La joie des mortels transfigurés sera égale à leur amour, leur amour égal à leur connaissance de l'éternelle Beauté {Mon. LXX, ProsL XXVI). Mais au contraire, l'âme qui transgresse cette loi fondamentale de l'amour de Dieu s'expose d'une manière assurée à un malheur sans terme. Ce ne serait pas assez pour sa punition de perdre l'existence : elle ne ferait que retourner ainsi dans l'état où elle se trouvait, avant d'avoir trahi ses devoirs. La sanction de la loi ne trouverait pas sa consécration dans cette hypothèse. La divine justice ne discernerait en rien celui qui n'a point fait le mal , et celui qui a commis le plus grand des délits, en refusant un légitime hommage à la Divinité. L'âme infidèle jusqu'à la fin à Tordre établi par le Créateur soufl'rira donc, en punition de son iniquité, un malheur éternel, comme l'âme juste recevra, en prix de sa fidélité aux devoirs que la raison et la foi lui révèlent, une per- pétuelle récompense. Cette sanction de la loi implique pour l'âme une existence immortelle, affranchie des vicissitudes du temps. — N'est-ce pas l'arrêt même de la raison? (LXXI.) Nous avons dû résumer, dans cette sèche analyse, la trame de la théodicée rationnelle d'Anselme de Cantorbéry. Il ne nous est pas facile aujourd'hui de porter sur elle un jugement complet et impartial. Les doctrines d'Anselme , accueillies par les Scolas- tiques et développées en tous sens depuis tant de siècles par d'illustres esprits, sont devenues le commun patrimoine des Écoles chrétiennes. — Mais cela même est un des plus beaux titres de gloire de notre Docteur. Avant Anselme, aucun maître dans l'Église latine n'avait écrit un traité philosophique sur l'existence et l'essence de la Divinité considérée en elle-même et dans ses rapports avec le monde. Anselme a tenté cette entreprise, et autant qu'il était possible à un homme du XV siècle, il l'a réa- lisée avec un rare bonheur. On ne peut qu'admirer cet effort de la raison perfectionnée par la foi. Le solitaire de l'abbaye du Bec s'est proposé de chercher dans les seules lumières de l'esprit ( 359 ) les preuves de la Théodicée chrétienne. Il n'a voulu laisser sans réponse aucune objection, aucune difficulté sans éclaircissement. Sous ce rapport, il a poussé le scrupule jusqu'à l'excès. Le lecteur moderne se sent parfois impatienté de ces lentes allures, de ces distinctions subtiles. Ce sont ces laborieux essais qui ont fondé la science de la pensée. Ce qu'il faut louer sans réserve, dans le Monologue et le Prosloge, c'est la liaison générale des conséquences et des [)rémisses. Spinoza se réclamait de rencbaî- nement géométrique dans un livre où la rigueur apparente cachait mal les données systématiques et les habiles postulats' Tout le Monologue n'est qu'une suite serrée, progressive d'iné- vitables conclusions. Ce n'est pas encore le procédé scolaslique dans toute sa maturité, mais c'en est le prélude. Avec plus de liberté dans la forme, c'est la même sévérité d'analyse, quelquefois une plus grande élévation de raison. La manière syllogistique qu'emploieront les Docteurs du XliP siècle sera plus rigoureuse que celle de S. Anselme. Mais la Philosophie et la Théodicée, en particulier, garderont l'empreinte profonde de la méthode et des doctrines du Régent de S'^ Marie du Bec. Dans ses éclaircissements sur la Création, Thomas d'Aquin ne fera que développer ses idées. Les élévations d'Anselme sur l'cxemplarisme, la suprême perfection de l'Essence divine, sa nécessité et son actualité; ses explications sur l'éternité et l'im- mensité de Dieu; sur ses rapports avec les êtres et les phéno- mènes changeants de l'univers compteront parmi les plus belles pages de la Philosophie scolaslique. En ces points d'une capitale importance, le glorieux disciple de S. Augustin restera le précur- seur, et souvent le maître des grands théologiens du moyen âge. En mettant fin à l'analyse des œuvres philosophiques d'An- selme, qu'il nous soit permis de saluer une dernière fois cette douce et vénérable figure! Cet austère enfant de la solitude et des sacrés autels fut vraiment un puissant remueur d'idées, un pionnier avancé de la grande science de la pensée. Loin de gêner l'essor de son génie, sa foi l'assura, l'ennoblit, et lui ouvrit des voies nouvelles, à la hauteur de l'Infini! Au lieu de dessécher soii âme, la métaphysique lui communiqua cette sérénité, qu'on ( 360 ) dirait un reflet des éternelles lois. Lui , si âpre à l'argumentation, si élevé en ses vues, il montre dans ses Lettres, ses Homélies, ses Méditations un cœur d'une délicatesse pleine de grâce et d'ingénuité. Comme Augustin, son maître, comme S. Thomas d'Aquin, comme le Docteur sérapliique, il cultiva, autant que le souffrait son époque, les lettres, la poésie, la beauté esthétique, épanouissements divers de l'absolue Unité. Appelé de son cloître studieux aux hautes dignités de l'Église, l'homme de l'idéal se montra, par un rare exemple, fin diplomate, administrateur con- sommé. En des temps difficiles, il maintint l'indépendance de l'Autel contre un prince ombrageux , et son intrépidité sans fana- tisme lui en fit un admirateur, sinon un ami. En ce siècle agité et généreux, parmi les soucis mesquins et les affaires banales, la mémoire de tels hommes fortifie et console; elle venge la philosophie des dédains vulgaires; et si elle ne nous apporte pas un prochain présage de l'avenir, elle garde du moins le parfum d'un passé qui pourrait revivre, plus radieux encore, en s'illumi- nant de nos progrès. C'est un regret, peut-être une espérance. i3il) CHAPITRE V. DOCTRINE DE S. ANSELME DE CANTORBÉRY SUR LES RAPPORTS DE LA PHILOSOPHIE ET DE LA THÉOLOGIE. § 1- De la nature des arguments par lesquels on peut arriver à V intelligence des mystères. C'est l'honneur de la science moderne d'avoir consacré défini- tivement l'union de la méthode expérimentale et du raisonne- ment. Les théories gratuites, les conceptions abstraites resteront jusqu'à la fin des temps le délassement des spéculatifs. Mais le philosophique pur est désormais jugé : c'est une chimère et une erreur. Le pressentiment instinctif, providentiel des lois du monde matériel et du monde intelligible; leur vérification par l'expé- rience réitérée; enfin, l'expression du rapport des phénomènes avec leur cause, voilà la formule générale du déterminisme rationnel. C'est ainsi que l'a défini naguère son éloquent et pro- fond interprète, M. Claude Bernard, de l'Institut. Qui ne sait que c'est au fond la méthode d'Aristote, le philosophe de la nature? Mais si la Philosophie pure, sans le contrôle des faits est mise au rang des rêves, un nombre très-considérable de lettrés persis- tent à réclamer pour la raison une absolue indépendance à l'égard de ce qu'ils nomment, avec un dédain peu voilé, les Dogmes ecclésiastiques. Nous n'avons pas le moindre goût d'ouvrir, à l'occasion de la Philosophie d'Anselme de Cantorbéry, un tournoi théologique. Mais il faut bien mentionner la thèse du divorce entre la Vérité révélée et la Philosophie, puisqu'elle rentre historiquement dans ( 562 ) les limites de ce travail, et qirAiiselme a beaucoup parlé des rap- ports de la Raison et de la Foi. S'il faut en croire de très-habiles gens, tout penseur qui fait le moindre état des enseignements de la Foi trahit l'autonomie de la science; il l'asservit à un pouvoir étranger. Il y a dans cette vue une singulière confusion d'idées. Pour quiconque juge froidement les choses, ne paraît-il pas évident que les philosophes ne doivent pas plus s'alarmer de la Religion que de la Physiologie et de la Mécanique? Toute la dispute se réduit à une simple vérification. Le christianisme présente-t-il à l'adhésion de l'esprit des garanties suffisantes, aussi bien que les principes des sciences naturelles? Voilà ce qu'il importe de voir. Décliner cet examen, c'est mesqui- nement préjuger la question. Il est vrai que, sous ce rapport, les croyants sont désormais mis hors la loi. On leur a dit qu'il est inu- tile et vain de vouloir se démontrer la réalité d'une communica- tion supérieure de la Vérité religieuse. On ajoute que « pour la science, une explication surnaturelle n'est ni vraie ni fausse; ce n'est pas une explication. Il est superflu de la combattre, assure- t-on, parce qu'une telle hypothèse correspond à un tout autre état de resî)rit humain qu'à celui qui a définitivement prévalu, depuis que le principe d'induction est devenu l'axiome fondamental qui règle nos actes et nos pensées '. » C'est précisément au nom « du principe d'induction » que nous protestons contre cette sentence d'ostracisme. Elle frappe des croyances qui n'ont pas cessé de paraître raisonnables à d'éminents esprits, très-exercés à la cri- tique, à l'histoire. Il est moins aisé qu'on ne pense de faire abstraction du surnaturel dans l'étude des sciences historiques. C'est encore M. Renan qui a écrit ceci : i Demander à la science de ne pas s'occuper des choses dont s'occupe la religion, c'est lui demander de ne pas être. Qu'est-ce qu'un historien libre, à condi- tion de ne jamais dire un mot du plus grand des problèmes histo- riques, de celui qui est la clef de tous les autres? » Rien de plus vrai ! Mais en quoi déroge-t-il à la liberté de la pensée, celui-là qui, loin de la crédulité et de l'obstination, examine les titres de ' M. E. Renan, Lettre à mes collègues, p. 23. J ( 565 ) la Révélation évangélique? Sans contestation, en cet examen pré- judiciel, la raison ne relève que d'elle-même, de l'évidence, non d'une autorité extérieure. Dans la discussion de la légitimité de la Foi, l'esprit juge et conclut avec une autorité souveraine. Nous ne croyons, dit le Docteur angéliquc, que parce que la raison le persuade '. La Philosophie, nul ne le nie, a un domaine distinct de la Théologie; elle s'y meut avec une parfaite autonomie. Mais cette indépendance a sa limite; la raison finie est de sa nature subordonnée à la Raison absolue, sa source, sa règle et sa fin. Il n'y a en cela, ce semble, ni mysticisme, ni contradiction, ni ser- vitude. La foi a, dans un sens très-vrai, son fondement dans un' acte de raison : sans cela, on l'a dit très-justement , elle ne serait qulin attachement aveugle à une sublime hypothèse, la sanction d'une tyrannie que le Christ n'a pas voulue et que la conscience repousse. Mais si l'impartiale investigation établit la réalité d'une communication de la Vérité par Dieu à l'homme, n'est-il pas rationnel que celui-ci s'y soumette ? En ce cas , professer des thèses contraires à cet enseignement sans égal serait un caprice aussi insensé que d'opposer de vains systèmes à une doctrine scientifique d'une autorité incontestée. L'incrédulité absolue est ^ ft Non enim creclerel (chrislianus) , nisi videret ea (dogmata) esse cre- ^' dencla. » {Sum, th., 2^ 2», q. 1, art. 4.) — C'est le sentiment unanime des Docteurs. Tout ce qu'ils ont écrit touchant l'olîscurité des Mystères présuppose ce libre examen que ne relève que de la seule raison. Il importe de distinguer dans leurs déclarations ces deuxmoments du problème. Ils répètent nvecS.Am- broise, à propos de l'acte final de la Foi : « Si ratione convincor, fidem abnuo! » Mais ils disent tous avec lui : « Morale est omnibus qui tidem exigunt, ut » fidem adstruant. » {In Luc, I. II, c. I.) Et avec Suarez en qui Bossuet ac- clame toute rÉcoIe moderne : « Ante fidem necessarium est velle credere, et ^) ante hanc voluntatem necessarium est judicium quo voluntas inclinalur ad » volendum credere, quod non est aliud nisi judicium de credibilitate. Ergo » vel judicium illus est certum vel incertum : si certum est, est etiam evi- » dens; si autem est incertum, non est sufp,ciens ad credendum. » {De Fide, d. VI,sect. II,no4.) — De là le jugement doctrinal promulgué par Innocent XI : « L'adhésion de foi surnaturelle et salutaire est conciliahle avec une démon- stration simplement profcaft/e de la révélation. » — Voir ma Dissertation inau- gurale de Miraculo , p. 26 ; Louvain , 1867. ( 564 ) la négation de l'ordre, des lois constitutives de l'esprit humain. La théorie des deux Vérités contraires, celle de la Raison et celle de la Foi, a pu être défendue au déclin du moyen âge comme un adroit subterfuge. Mais qui se serait attendu à la voir restaurer, au XIX^ siècle, par des philosophes sérieux? Les Maîtres de la philosophie chrétienne ont constamment suivi la voie que nous venons de rappeler. Ils n'ont exigé la foi à l'Évangile qu'après avoir montré que la communication divine des Dogmes est un fait historique. Toutes leurs spéculations sur le concept, la filiation et les conséquences des vérités révélées présupposent cette démonstration préliminaire; elles reconnais- sent par conséquent l'autorité de la raison, ce reflet de l'Intel- ligence absolue, sans laquelle il n'est pas même possible d'aller à Dieu. Comment établissent-ils \e fait de la Révélation ? Ils évoquent avant tout la suite des témoignages qui en garantissent la réalité. Ils n'insistent pas moins sur les grandes manifestations surnatu- relles qui ont accompagné la prédication de l'Évangile, et qui continuaient à se produire sous leurs yeux. Justin, Théophile, Origène, tous les Apologistes ont suivi cette méthode positive et historique. Ce dernier l'appelle « la démonstration de famille » des chrétiens. -Vers 126 le philosophe Quadrat osait se réclamer auprès de l'Empereur Adrien de la résurrection de plusieurs morts opérée par la vertu du Christ, et dont quelques-uns étaient encore en vie '. Après lui Irénée -, Tertullien ^, Origène *, Atha- nase ^ Théodoret de Cyr 6, Irénée de Gaza 7, Ambroise 8, Augus- tin 9, Eusèbe '^^ nous ont laissé le récit des événements dont ils ^ Âp. EusEB., Hist. eccL, IV, c. 111. 2 Cont. Hœr. II, c. XXXIl. •^ De Prœscript.. c. XXX. — ApoL, c. XXXlll. ^ Con^ Ce/s., I,c.XLVl. s 1» Jpol. ^ Vie de S. Antoine, préface. ' Hist. religieuse., iiitrod. » Ep., XXII. ^ Deciv. Dei,X\ll,c.lX. ^0 Hisl. eccL, III, c. XXXVII; V, c Vil. - Voir Acta S.S. ad diem XIX sept. 1 I ( 565 ) furent eux-mêmes les témoins et les narrateurs. Tous en appel- lent à la perfection surhumaine de la Doctrine et de la personne du Christ, dont Strauss et M. Renan eux-mêmes ont écrit qu'il est en toutes choses le Type unique et inégalé, l'inaugurateur de la plus haute conception morale et religieuse. Sans doute, on peut rejeter « au nom de l'état actuel de l'esprit humain , » ces dépo- sitions émanées d'hommes d'une vertu et d'une culture pareilles, ralliés à l'Evangile par les prodiges mêmes qu'ils rapportent. Mais c'en serait fait à ce compte de la méthode positive. Ce serait consa- crer une école de haute fantaisie, sacrifier les faits aux idées. Nous avons prononcé tout à l'heure le nom de S. Augustin. C'est le maître préféré de S. Anselme de Canlorbéry. Il résume les droits et les devoirs de la raison, avant l'acceptation de la Foi, en d'énergiques sentences. Ce n'est pas injustement, dit-il, que nous avons la prétention de savoir non-seulement les choses que nous voyons, mais même celles que nous ne voyons pas, mais que nous croyons sur la foi de témoignages suffisants *. Ils se trompent étrangement, ceux qui s'imaginent que nous croyons au Christ, sans preuves du Christ. Y a-t-il des preuves plus con- vaincantes que les prophéties que nous voyons présentement accomplies 2? — « C'est ainsi, ajoute-t-il, que nous sommes con- duits à la science par une double route : par l'autorité et par la raison. Dans l'ordre du temps, c'est l'autorité qui est la pre- mière; en réalité, c'est la raison ^. » Quant à Anselme lui-même, il ne s'est pas occupé, dans ses écrits, de la preuve historique de la Révélation. Les Scolastiques se sont en général contentés à cet égard des recherches déjà faites par les ^ Ep., p. 147, de videndo Deo. 2 « Multum fallunlur qui pulant nos sine uUis de Clirislo indiciis credere )) in Chrislum. Nam quae sunl iudicia clariora quam ea, quae nunc videmus » praedicta et impleta ? » De fide rerum quae non videntur, c. V. ' « Ad discendum necessario dupliciler ducimur : aucloritate atque ralione. » Tempore auclorilas, re autem ratio prior est. » Co7it. Académie, III, 45-9. {De ordine,\. I, c. IX.) — Voyez encore Confess., X, 40; De utilit. credendi, VII , IX, XI, XVI; De Trinit., IX, 1 ; Retract., l, 1, 2; De lib. arhit., II, 7; Soliloq., Il, 1; Deverarelig.,c. 24, 2o; Enarrat. in Psalm. 118, Serm. 18; De civ. Dei, XVII passim. ( 566 ) Pères. Son biographe Eadmer nous apprend néanmoins qu'il avait voué de longues veilles à l'étude des Prophéties '. Il n'a fait qu'insinuer en passant le rapport abstrait de la démonstration surnaturelle ou du Miracle avec les vérités de la Foi. « Nous n'an- nonçons aucune vérité fructueuse pour le salut des âmes, dit-il, qu'on ne trouve dans l'Écriture de l'Esprit Saint, qui elle-même a été fécondée par le Miracle 2. » Mais Anselme a concentré toute son activité sur les Dogmes eux-mêmes. Ce qui l'intéresse, c'est de tracer les règles de la science de la Foi. Avant tout, il esquisse les conditions morales qu'exige dans le philosophe chrétien la recherche de la Vérité. Le Docteur de Cantorbéry sait que ce n'est pas uniquement par la raison que l'homme s'élève à la connaissance de l'Absolu, de l'Infini. Les dissipations et les révoltes des sens, les secrets penchants de la volonté exercent sur l'esprit un pouvoir d'autant plus fort qu'il est moins apparent. Le sage doit s'affranchir de ces entraves pour aller à la vérité : « Il faut d'abord, écrit Anselme, purifier le cœur par la foi, conformément à ce qui est dit que Dieu purifie le cœur par la foi (Act. XV, 9) ; il faut éclairer les yeux par l'observation des commandements , car « le commandement du Seigneur est lumineux et éclaire les yeux » (Ps. XVIII, 9); il faut devenir, par une humble soumission aux témoignages d'en haut, comme de jeunes enfants... De la sorte, en écartant ce qui appartient à la chair, il fautque nous vivions selon l'esprit, avant que nous discutions, en les jugeant, les secrets de Dieu ^. » ' Vita S. Anselmi, I. I, c. II. ^ « Sicut Deus in principio per miraculum fecit fmmentum et alia de terra » nascentia ad alimenlum hominum sine cullore et seminibus,ita sine luimana » doclrina mirabiliter fecil corda prophetarum el aposloloruni nec non et » evaiigelistarum fecunda salutaribus seminibus... Siquidem nihil uliliter ad » salutem spiritualem praedicanius, quod sacra Scriptura Spiritus Sancli mi- » raculo foecundata non protulerit aut inlra se non contineat. » {De conc Praesc. et lih. arb., c. VI.) ^ « Prîus ergo fide mundandum est cor... et prius per praeceptorum Domini » custodiam illuminandi suni ocuW, quh praeceptum Domini lucidum illu- » minaJis oculos... Prius, inquam, ea quae carnis sunt postponentes, secuii- » dum spirilum vivamus, qiiam profunda fidei dijudicaudo discutiamus... » {De (îdcTrinitatis, c.m.) ( 307 ) Anselme avait puisé celte doctrine de l'épuration du sentiment, non-seulement dans son cœur, mais aussi dans les écrits de S.Au- gustin, qui l'avait lui-même entendu professer à l'école de Plotin et de Platon : « Dieu de la force, s'écrie Augustin, convei'tissez- nous, montrez-nous votre face, convertissez-nous! Car quel que soit l'objet où se tourne mon âme hors de vous, elle se cloue à quelque peine; qu'elle s'attache à toutes les beautés hors d'elle- même, hors de Vous, beautés qui n'existent que par Vous, ces beautés naissent et meurent : elles commencent, elles s'élèvent, elles croissent pour atteindre le plus haut point: arrivées là, elles vieillissent et descendent... Ne sois donc plus vaine, o mon âme. Ne permets plus à ce tumulte de fermer l'oreille de ton cœur. Écoute : le Verbe, à toi aussi, te crie de revenir au lieu de l'im- perturbable repos. Là est l'amour que son objet n'abandonne pas, si lui-même ne l'abandonne pas * î » — Les païens eux-mêmes avaient connu celle purification du cœur qui leur faisait dire que philo- sopher c'est mourir. Plotin en particulier a décrit, avec la précision d'un ascète, l'austère épreuve du dépouillement imposée à l'amant de la sagesse ? N'est-ce pas lui qui disait « qu'après avoir purifié l'âme, il faut l'unir à Dieu avec qui elle a des liens de parenté ,61 que cette conversion ne commence pas à s'opérer après la puri- fication , mais qu'elle en est le résultat même ^ ? » Porphyre ne recommandait-il pas à Marcella de faire de son intelligence le temple de Dieu ^ ? « C'est l'écho des belles sentences de Platon : « Prenez les âmes dès l'enfance, dit le chef de l'Académie, coupez et retranchez en elles ce qu'y mettent les passions voisines de la génération : dégagez-les de ces lourdes masses attachées aux plai- sirs de la table et aux voluptés du même ordre; ôtez ce poids qui déprime le regard de l'esprit vers tout ce qui est bas. Aussitôt et dans la même âme, le regard devenu libre se tourne vers ce qui est, et y voit clair aussi bien qu'il voit clair dans les autres choses qui l'occupent actuellement *. » C'est surtout par les tendances du ' Voir aussi Confess., VI, p. 7, sqq. ^ Emi.,l, 1.11,4. 5 Lettre à Marcella, Éd. Mai. * iîep., 1. Vll,p. olO. ( 368 ) sentiment et de la volonté qu'Anselme se rapproche des Platoni- ciens. Sous ce rapport, il est permis de lui appliquer cette parole qu'on a dite de son maître : Qiiidquid est in Plalone vivit in Angustino. Mais abordons avec notre Docteur les conditions positives de l'étude de la Sagesse. Il insiste spécialement sur l'impossibilité d'une opposition réelle entre les Dogmes et les déductions certaines de la raison. « Lorsque la raison, dit-il, affirme quelque chose (touchant les mystères divins), et que nous ne pouvons ni le trouver dans les divines Écritures, ni le démontrer par elles, nous apprenons par la chose même s'il faut la rejeter ou l'accueillir. Si la conclusion rationnelle a un fondement certain, et que l'Écri- ture ne lui est en rien contraire, elle peut être affirmée d'après son autorité. Mais si, au contraire, l'Écriture est certainement opposée à notre sentiment, celui-ci parût-il inexpugnable, il ne faut cependant lui reconnaître aucune vérité ^» — Dans la préface de son Traité sur la Sainte Trinité, Anselme s'exprime ainsi sur la nature et le but de l'examen rationnel des Vérités révélées : « Quoique après les Apôtres, les saints Pères et nos Docteurs en grand nombre aient dit , touchant la raison de notre Foi, tant et de si grandes choses pour confondre l'impertinence et briser la dureté des infidèles, et pour nourrir l'intelligence de ceux qui, ayant le cœur déjà purifié par la Foi, trouvent leurs délices dans la raison de la Foi, raison qui, après la certitude de cette même Foi, doit être l'objet de nos vifs désirs; quoiqu'ils aient dit sur ce sujet de si grandes choses que nous n'espérions pas de trouver, soit de notre temps, soit dans les temps à venir, quel- qu'un qui les égale dans la contemplation de la vérité, toutefois * « Si qiiid ralione dicanms aliquando, quod in dictis ejus (S^* Scripturae) » aperte monstrare,aul ex ipsis probare iiequimus, hoc modo per illam cognos- » cimus, ulrum sil recipiendum aut respuendum. Si enim aperta ralione col- )j ligitur, et illa ex nulla parte contradicit, quoniam ipsa sicul nulli adversatur « veriiati, ita nulli favet falsitati, hoc ipso quia non negat quod ralione dici- » tur, ejus auctoritale suscipilur. At si ipsa noslro sensui indubitanler repu- » gnal, quamvis nobis ratio nostra videalur inexpugnabiiis , nulla lamen » verilate fulciri credenda est. » {De conc. grat. et lïb. arb., c. VI.) ( 5G9 ) je pense que personne ne doit être critiqué si, étant affermi dans la Foi, il veut s'exercer à en rechercher la raison.... Laissons les autres paroles par lesquelles la Sainte Ecrilure nous invite à en rechercher les fondements (de la Foi) : rappelons seulement celles-ci : « Si vous ne croyez pas, vous ne parviendrez pas à comprendre (Isaïe, VII, 9). Elle nous exhorte évidemment ici à nous efforcer d'acquérir l'intelligence, puisqu'elle nous enseigne de quelle ma- nière nous devons y arriver. Je conçois l'intelligence dont nous sommes capables dans la vie présente, comme quelque chose d'intermédiaire entre la Foi et la Vision céleste; je pense que plus on avance dans cette intelligence, plus on s'approche de cette Vision universellement désirée '.» ' « Quamvis, post apostolos, sancti Patres et doctores nostri mulli tôt et tanta de fidei noslrae ralione dicant ad confutandam insipientiam et fran- gendam duritiam infidelium, et ad pascendum eos qui, jam corde Gde mun- dalo, ejusdem fidei ratione, quam post ejus certitudinem debemus esurire, delectantur, ut nec nostris nec futuris temporil)us ulium illis parem in veritatis eontemplalione speremus ; nullum lameii reprehendendum arbitror, si fide stabilitus, in rationis ejus indagine se voluerit exercere. Nam et i!Ii, quia brèves dies sunt, non omnia quae possent, si diutius vixissent, dicere potueruntj et veritatis ratio tam ampla, tamque profunda est ut a mortali- bus nequeat exbauriri; et Dominus in Ecclesia sua , cum qua se esse usque ad consummationem saecuii proniiltit, gratiae suae dona non desinit imper- tiri. Et, ut alia laceam, quibus sacra pagina nos ad investigandam rationem invitât, ubi dicit : Nisi credideritis, non intelligetis, aperle nos monet intentiouem ad intellectum extendere, cum docet qualiter ad iilum debea- mus proficere. Denique, quoniam inter tidem et speciem intellectum, quem in hac vita capimus, esse médium inteiligo, quanto aiiquis ad ilium proficit, tanto eum propinquare speciei, ad quam omnes anhelamus, existimo. Hac igitur ego consideralione, licet sim homo parvae nimis scientiae, conforla- tus,af/ eorum quae credimus rationem intuendam, quantum superna gratia milii dare dignatur, aliquando conor assurgere, et cum aliquid quod prius non videbam reperio, id aliis libenter aperio; quatenus quid secure tenere debeam, aliène discam judicio. Quapropter, mi pater et domine, chrisliani:; omnibus cum reverentia amande et cum amore révérende, Papa Urbane , quem Dei providentia in sua Ecclesia summum constiiuit Pontificem, quo- niam nuUi rectius possum, vestrae sanctitalis praesento colispectui subdi- tum opusculum, ut ejus auctoritale, quae ibi suscipienda sunt, approben- tur, et quae corrigenda sunt emendentur. » {De Trin. prœm.) Tome XXV. 24 ( 570 ) On voit déjà quelle doit être, au sentiment de notre Docteur, Tattilude de la Philosophie à l'égard de la Foi. L'examen présup- pose la démonstration du fait de la révélation. 11 implique la croyance préalable des Mystères. C'est de la donnée divine que part le Philosophe chrétien. Elle est le fondement de ses investi- gations. Dans le domaine de la Doctrine sacrée, toute édification qui dévierait de cette base posée par l'infinie Intelligence et con- fiée par Elle à la garde de l'indéfectible Eglise serait vouée à une inévitable ruine. 3Iais aussi, dès qu'il s'est soumis à cette loi, ce doit être pour le chrétien éclairé l'objet des vœux les plus ardents que de pénétrer dans le sanctuaire intime placé sur le seuil de l'éter- nelle lumière, et dans lequel unissent leurs clartés la raison de l'homme et l'infinie Sagesse de Dieu. C'est conformément à ces ])rincipe qu'Anselme veut que le philosophe chrétien se borne à chercher comment ce que la Foi enseigne est ainsi en réalité, et s'interdise de poursuivre les raisons contraires aux Dogmes révélés *. D'après cette même règle, il « se propose de montrer que les questions de la Foi ne doivent pas être examinées par les premiers Dialecticiens venus, mais qu'elles doivent être dis- cutées avec modestie par des hommes versés dans les Saintes Lettres. » — Il fait cette remarque, dit-il, « afin de contenir la présomption de ceux qui, par une criminelle témérité, osent disputer contre un point quelconque de la Foi chrétienne, pour la raison qu'ils ne peuvent le comprendre par leur esprit. Ceux-là estiment, dans leur orgueil insensé, que ce qu'ils ne peuvent comprendre ne peut exister, au lieu d'avouer, avec une humilité vraiment sage, qu'il peut exister beaucoup de choses qu'ils ne peuvent comprendre. » 11 est patent que, d'après Anselme, le rôle de la Philosophie dans les choses delà Foi n"est pas négatif on hostile, mais positif et tendant à engendrer l'intelligence des Mystères, dans la mesure * « Nullus christianus débet disputare qiiomodo quod Ecclesia catholica » corde crédit et ore coiifitetur non sit, sed semper eamdem fidem indubi- » tailler tenendo, amando et secundum illam vivendo, humiliter, quantum » polest quaerere rationem quomodo sit. » {De fîde Trin., c. II.) ( 371 ) accessible à notre esprit. « Le véritable ordre exige, dit-il encore, que nous croyions les profondeurs de la Foi chrétienne avant de prétendre les discuter parla raison; mais aussi, il me paraît qu'il y aurait négligence, pour ceux qui sont ancrés dans la foi, à ne pas chercher à comprendre ce qu'ils croient. » — « Aucun chré- tien ne doit chercher à prouver comment ce que l'Église catho- lique croit de cœur et confesse de bouche nest pas en réalité, mais il doit en retenant sans aucun doute la même Foi, en l'ai- mant et en y conformant sa vie. s'efforcer avec humilité et de tout son pouvoir à trouver la raison qui démontre qu'elle est réellement ainsi. S'il parvient à comprendre, qu'il en remercie Dieu. S'il n'y arrive point, qu'il ne lève pas le front pour s'insurger, mais qu'il incline la tête en signe de soumission. » Anselme compare la folie de ceux qui veulent faire de leur raison la mesure de la Foi à des oiseaux nocturnes « assez sots pour lutter en plein midi contre l'aigle dont la prunelle fixe sans sourciller le soleil, tandis qu'eux ne peuvent voir le ciel qu'au sein des ténèbres. » — On sait que la comparaison d'Anselme a passé dans la langue des Scolasliques. A ces audacieux , notre Docteur rappelle que « plus nous sommes nourris des Saintes Ecritures, des dogmes qui fortifient l'âme par l'obéissance, plus sublime devient notre essor vers les choses qui rassasient l'âme elle-même. » — « Que personne, dit- il, ne se plonge dans les profondeurs des Dogmes divins, s'il n'a auparavant acquis la solidité de la Foi et la gravité des mœurs du sage : sans cela, en parcourant avec une imprudente légèreté les multiples détours des sophismes, il pourrait se prendre sans retour à quelque erreur *. » — Anselme développe ces vues en * « Sed priusquam de quaestione disseram, aliquid praemitlam ad com- » pescendam eorum praesumptionem , qui nefanda lemeritate audent dispu- » tare contra aliquid eorum quae fides christiaua confiletur, quoniam id intel- » lectu capere nequeunt, et potius insipienti superbia judicant nullalenus « posse esse quod nequeunt inlelligere, quam humili sapientia faleantur esse >' mulla posse, quae ipsi non valeant comprehendere. » NuUus quippe Christian us débet disputare quomodo quod catholica Eccle- » sia corde crédit el ore confitelur, non sll; sed semper eamdem fidem indu- ( 572 ) les appliquant au Mystère de la Sainte Trinité. Il tient que non- seulement la Philosophie ehrétienne présuppose la Foi, mais qu'en outre elle ne peut prélemlre qiià une connaissance partielle des Dogmes. « Si quelque (dialecticien), dit-il, nie qu'il soit pos- sible d'affirmer ti^ois choses d'une, ou utie de trois de façon à ce que ces trois choses ne soient pas affirmées réciproquement les unes des autres, ainsi qu'il se vérifie dans ces trois personnes et dans l'essence une de Dieu; s'il le nie, dis-je, parce qu'il ne trouve rien de semblable dans les autres choses, et qu'il ne le comprend pas en Dieu, qu'il veuille bien tolérer qu'en la Divi- nité il y ait quelque chose que son esprit ne peut pénétrer, et qu'il n'égale point l'être transcendant qui n'est soumis à aucune loi de temps, de lieu ou de composition aux créatures assujetties au lieu, au temps et à la composition de parties : qu'il croie que dans cet être il y a quelque chose qui ne peut se rencontrer dans celle-ci, et qui acquiesce à l'autorité chrétienne, sans disputer contre elle ^ » » bitaïUer tenendo, amando et secuiidum illam vivendo, huniililer quantum » potest, quaerere ralionem quomodo sit. Si potest iolelligere, Deo gratias » agat; sinonpolest, non immiltat cornua ad ventilandum, sed submitlat » capul ad venerandum. Citius enim potesl in se contidens humana sapieiilia )> impingendo cornua sibi eveliere, quam vi nilendo petram banc evolvere. » Soient enim quidam, cum ceperinl quasi cornua confidenlis sibi scientiae » producere, nescientes quia, si quis aestimat se scire aliquid, nondum » cognovit quemadmodum oporteateum scire, autequam habeant persolidi- » tatem fidei alas spirituales, praesumendo in allissimas de fide quaesliones » assurgere. Unde fît ut, dum ad iila , quae prius fidei sealam exigunt, sicut » scriplum est : Nisi credideritis , non intelUgetis, praepostere prius per » inlellectum conantur ascendere, in muîlimodos errores per intelleetus » defeclum coganlur descendere. Palam namque est, quia iili non habent » fidei firmitatem, qui, quoniam quod credunt intelligere non possunt , dispu- » tant conlra ejusdem fidei a sanctis Patribus confirmatam verilatem; velul » si vesperliliones et nocluae, nonnisi in nocle coelum videnles, de meridia- » nis solis radiis disceptent contra aquilas, solem ipsum irreverberalo visu » inluentes. » — De fide Trin., c. II. * « Al, si negat tria dici posse de uno et unum de tribus, ut tria non dican- » tur de invicem, sicul in bis tribus personis et uno Deo facimus, quoniam )> hoc in aliis rébus non videt, nec in Deo intelligere valet, sufferat paulisper ( 575 ) Les mêmes pensées se rencontrent également dans les autres traités spéculatifs d'Anselme. « Je n'essaye point, Seigneur, écrit-il dans le Prosloge, de pénétrer votre sublimité, je n'ai garde de lui égaler ma raison : je désire seulement, ew quelque degré, comprendre la vérité que croit et aime mon cœur. Je ne cherche point à comprendre afin de croire, mais je crois afin de comprendre. Car je suis persuadé qu'à moins de croire, je ne sau- rais comprendre '. » — « L'esprit qui médite sur Dieu, s'écrie-t-il dans le style emphatique de son siècle, est repoussé par son éclat, vaincu par sa grandeur, renversé par son immensité , confondu par sa compréhension '^. » — « Qui nous expliquera la façon dont l'infinie Sagesse se connaît et s'affirme? L'homme n'en peut savoir rien ou presque rien. » — « Nous ne saurions comprendre com- plètement, avait-il écrit auparavant, comment Dieu connaît les œuvres qu'il a réalisées dans le temps. Comment aurions-nous la parfaite intelligence de la manière dont il se connaît et se parle lui-même ^? » Anselme appliquait pratiquement, sa doctrine, quand , dans sa lettre à Foulques, évêque de Beauvais, il n'hésite pas à dire qu'il » aliquid quod iutellectus ejus penetrare non possit esse in Deo, nec com- ^) parel naluram, quae super omnia est libéra ab omui lege loci el temporis » et compositionis partium, rébus quae loco aut lempore claudunlur autpar- » tibus componunlur; sed credat aliquid in illa esse, quod in islis esse nequit, » et acquiesçât auctoritali christianae, nec disputet contra illam. » {De fide Trin., c. VIL) * « Non lento, Domine, penetrare alliludinem luam, quia nullatenus com- V paro illi intellectum meum; sed desidero aliquatenus intelligere veritalem » tuam, quam crédit et amal cor meum. Neque enim quaero intelligere ut cre- » dam, sed credo ut intelUgam. Nam et hoc credo, quia nisi credidero, non » inlelligam. » {ProsL, c. I.) ■^ « Non potesl oculus meus ad illam , nimis fulget , non capit illam, nec suf- » fert oculus animae meae diu intendere in illam. Reverberalur fulgore, vin- » citur ampli tudine, obruilur immensitate, confunditur capacitate. » {ProsL, c. XVII.) 2 « Si superior consideratio rationabiliter comprehendit incompréhensible » esse, quomodo eadem summa sapienlia sciai ea quae fecit, de quibus tam « multa nos scire necesse est, quis explicet quomodo sciai aut dicat se ipsum » de quia nihil aut vix aliquid ab homine sciri possibile est. » {Mo7i.,c. LXIV.) { 574 ) n'y a qu'une seule façon de justifier son orthodoxie et celle de son maître Lanfranc, qu'on croyait calomnié comme lui par l'im- prudent Roscelin, qui voulait faire d'eux des précurseurs de son Trithéisme *. « Je crois en Dieu le Père, dit Anselme, Créateur du ciel et de la terre, et je crois en un seul Dieu le Père (non en trois Dieux comme Roscelin). ^) — « Notre foi doit être dé- fendue contre les infidèles, non contre ceux-là qui se prévalent de l'honneur du nom chrétien. C'est juslice d'exiger de ceux-ci qu'ils conservent religieusement la promesse faite à leur bap- tême. A ceux-là nous pouvons montrer avec combien d'injustice ils nous méprisent. Le chrétien, lui, doit par la foi s'élever jusqu'à la connaissance, et non parvenir par celle-ci à la foi. S'il peut s'élever à l'intelligence des Mystères, il se réjouit : 1 «. De me aulem hanc veram omnes homines habere volo seiilentiam. Sic » teneo ea quae contitemur in Symbolo, cum dicinius : Credo in Deum Patrem » omnipotentem , creatorem coeli et terrae. El : Credo in unum Deum Pa- » trein omnipotente m factorem coeli et terrae. El : Quicumque vult salvus )) esse, anteomnia opus est ut teneat catholicam fidem, et ea quae sequun- » tur; haec nia christianae confessionis principia, quae hic praeposui , sic » inquam , haec et corde credo el ore confiteor, ut certus sim quia quicumque )) horum aliquid negare voluerit, et nominatim quicumque blasphemiam. » quam supra posui me audisse a Roscelino dici , pro veritale asseruerit, sive » homo, sive angélus, analhema est; et conûrmando dicam, quamdiu in hac » perstiteril pertinacia , analhema sil: omuino enim Christianus non est. Quod » si baplizatus et inler christianos est nulritus, nullo modo audiendus est ; )) nec ulla ratio aut sui erroris est ab illo exigenda, aut nostrae veritatis illi » est exhibenda; sed niox, ut ejus perfidia absque dubietale imiotuerit, aut » anathemalizet venenum quod proferendo evomuit, aut anathematizetur ab » omnibus calholicis , nisi resipuerit. Insipienlissinium enim et infrunitum )) est, propter uuumquemque non inlelligentem, quod supra llrmam petram » solidissime fundalum est, in nulantium questionum revocare dubielatem. » Fidesenim nostra contra impios ratione defendenda est,non contra eos qui se » christiani nominis honore gaudere fatenlur. Ab bisenim juste exigendum est j> utcaulionem in baptismale factam inconcusse teneant; llis vero rationabiiiter » oslendendum est quam irralionabiliter nos conlemnanl. Nam christianus >) per fidem débet ad intellectum proficere , non per intellectum ad fidem » accedere, aut, si intelligere non valet, a jide recedere. Sed cum ad inlellec- » tum valet peri ingère, deiectalur ; cum vero nequif, quod capere non potesl. » veneratur. » Ep.U,XL\l\^ad Fuie. ( 37o ) il vénère ce qui lui reste obscur. » — C'est dans le même esprit qu'est conçue lailresse au pape Urbain II, où il soumet au jugement du Pontife ses Traités de l'Incarnation et de la Trinité. «Comme la divine Providence, écrit notre Docteur, a choisie Votre Sainteté pour lui confier la conservation de la Foi et de la vie chrétienne ainsi que le gouvernement de son Église, il n'est personne à qui l'on puisse en référer mieux qu'à vous , s'il surgit dans l'Eglise quelque chose de contraire à la foi catholique, pour qu'il soit corrigé par votre autorité ; et si une réponse est donnée à l'erreur, on ne peut la montrer plus sûrement à aucun autre qu'à vous, pour qu'elle soit examinée par votre prudence. Ainsi de même que je ne puis adresser la présente lettre plus conve- nablement qu'à vous, je l'adresse le plus volontiers à votre sagesse, afin que si elle contient quelque chose à corriger, votre censure le corrige, et afin que ce qui est conforme à la règle delà vérité, votre autorité le confirme K » — N'oublions pas que Ros- celin se prétendait catholique, et voulait être traité comme tel. Dès lors, les paroles d'Anselme étaient tout à fait justes. Dans le plus original et le plus spéculatif de ses écrits, Anselme résume une dernière fois ses idées sur les rapports de la Raison et de la Foi. Il rappelle d'une façon saisissante que dans la Philo- sophie chrétienne, la croyance précède la démonstration. La fin de celle-ci est double : procurer au fidèle l'intelligence des Mys- tères, avec les saintes joies dont elle est la source; répondre, pour l'honneur de la Religion et le bien des âmes , aux objec- tions des infidèles et des impies. « Un grand nombre d'hommes, écrit notre Docteur, m'ont demandé souvent et avec beaucoup • « Quoniam divina providenlia vestram elegit sanctitatem, cui fidem et » vilam christianam custodiendam, et Ecclesiam suam regendam committe- » ret ; adnullum aliuni reclius relertur, si quid conlra catholicam fidem oritur » in Ecclesia , ut ejus auctoritate corrigatur; nec uUi alii tutius, si quid contra » errorem respoiidetur, ostenditur, ut ejus prudentiaexaminetur. Quapropter, » sicul nuUi dignius possum, lia nulli libentius praesentem epislolam quam » vestrae destine sapientiae; quatenus si quid in ea corrigendum est , vestra » censura casligelur. et quod regulam veritatis tenet, vestra auctoritate robo- » relur. » ( 576 ) d'insistance, par lettres et par paroles, de fixer par écrit le sou- venir des preuves de ce point de foi (l'incarnation du Verbe) que j'ai coutume de communiquer à ceux qui en enquièrent auprès de moi. En demandant cela, leur but n'est pas de parvenir par la raisoîi à la Foi, mais de se réjouir par l'intelligence et la con- templation des choses qu'ils croient (déjà), et aussi d'être prêts, dans la mesure du possible, de donner satisfaction à tous ceux qui demanderaient la raison de l'espérance qui est en nous ^ » — Boson, son interlocuteur, lui dit dans le même sens : « Je ne viens point te trouver, afin que tu dissipes en moi un doute contre la Foi, mais bien afin que tu me montres la raison de ma certi- tude... Permets donc que je me serve ici des paroles des infidèles. Car il est juste que nous qui cherchons la raison de notre Foi, nous nous servions des objections de ceux qui ne prétendent pas venir à la Foi sans la raison. Eux, sans doute, cherchent la raison parce qu'ils ne croient point; lions la cherchons, au contraire, parce que nous croyons : cependant ce qu'ensemble nous cher- chons, c'est une seule et même chose 2. » Voilà des textes d'une apparence bien théologique. Mais pou- 1 « Saepe et sludiosissime a mullis rogalus sum ei verbis et litleris, qua- )> tenus cujusdam quaeslionis de fide noslra rationes, quas soleo respondere » quaerenlibus,memoiiae scribendo conimendem 5 dicunl enim sibi placereeas, » et arbilraiitur salisfacere. Quod pelunl , non est ut per rationem ad fideni » accédant, sed ut eorum quae credunt, intellectu et conlemplatione delec- » tentur, et ut sint, quantum possunt, parati semper ad satisfaclionem omui >' poscenti se rationem de ea,qiiae in nobis est, spe. Quam quaeslionem soient V et infidèles nobis simplicitatem christianam quasi faluam deridenler obji- >i cere, et fidèles multi in corde versare; qua scilicet ratione vel necessitate ') Deus homo factus sit et morte sua, sicut nos credimus et confitemur, mundo » vitam reddideril; cum hoc aut per aliam personam, sive angelicam, sive » humanam.aut sola voluntate facere potueril. De qua quaestione non solum » litterali, sed etiam illiterati multi quaerunt et rationem ejus desiderant )) Quoniam ergo multi de hac tractari postulant, et licet in quaerendo valde » videatur ditïicilis, in solvendo tamen omnibus est inlelligibilis et propter » ulilitatem rationisque pulchritudinem amabilis, quamvis a sanctis Patribus » inde quod sufficere debeat, dictum sit, tamen de illa curabo, quod mihi Deus V dignabilur aperire pelenlibus ostendere. » {Cur Deus homo^ I, 1.) 2 Ibid. ( 3T7) vais-je omettre de rappeler le sentiment d'Anselme sur les rap- ports de la Raison et de la Foi? Nous n'aurions pas connu com- plètement l'esprit de sa Philosophie, si nous eussions néglige cet examen. Nous ne sommes pas les premiers, du reste, à nous oc- cuper de ce point de sa doctrine. Déjà le D'" Ritter avait apprécié son importance, dans l'histoire de la pensée au X^ siècle. Faut-il le dire? L'illustre historien a interprété si étrangement les vues du Docteur de Cantorbéry qu'il a justifié d'avance ceux-là qui y sont revenus après lui. Écoutons plutôt : « Lorsque nous considé- rons les idées d'Anselme sur les fondements de la science de la Foi, nous ne pouvons nous dissimuler qu'elles n'ont rien à dé- mêler avec la Foi chrétienne. Elles envisagent la Foi sous un esprit tout à fait général, comme la croyance convaincue de Vdme à une vérité suprasensible qui est l'objet de son amour et qu'elle re- cherche et exprime dans sa vie morale. C'est pour cela qu'An- selme regarde la Philosophie qui n'a confiance qu'aux sens comme une incrédulité véritable, et qu'il exige que nous fixions dans notre volonté et que nous éprouvions dans notre vie intime la force im- pérative des principes des sciences et des vérités générales, avant que nous songions à nous élever à leur connaissance K — Ainsi, au jugement du docte historien, la Foi dont nous a tant entretenu Anselme est la certitude et le sentiment des principes d'évidence rationnelle ! Les érudits ont leurs distractions , même en Alle- magne. Après ce que nous avons entendu de la bouche même d'Anselme, sur la raison des Dogmes, nous nous garderons de redresser celle que nous venons d'entendre. Pour nous, il sera aisé maintenant de résumer en quelques mots toute cette doctrine de notre Docteur. Par elle-même, la raison peut parvenir à se démontrer avec certitude toutes les vérités morales, et avant toutes les autres, l'existence d'un seul Dieu, Etre infiniment parfait, créateur et conservateur de l'univers, arbitre souverain des actions humaines. Elle établit avec l'évidence des faits histo- riques le fait de la Révélation et les critères de crédibilité de la Religion surnaturelle. Elle démasque la fausseté des sophismes * Geschichte der PhiL, VII, p. 532. { 378 ) opposés à ses Dogmes. Elle peut s'élever, dans une certaine me- sure, jusqu'à rintelligence des vérités révélées et de leur économie intime. Jamais cependant le voile qui couvre les Mystères ne sera entièrement écarté, durant l'épreuve terrestre. La Philosophie religieuse, ou, si l'on aime mieux, la Théologie spéculative d'An- selme est symbolisée dans le titre qu'il avait d'abord donné au Prosloge : Fides qnœrens inlellectum , et dans ces deux autres formules célèbres : Credo ut inteliigam, — Fides praecedit inlel- lectum : Je crois, afin que par la foi, je parvienne à la connais- sance '. La Foi est antérieure à la connaissance, c'est-à-dire que ce n'est qu'à condition de croire qu'on s'élève à une science véritable, vivante, complète de la Doctrine révélée. C'est l'enseignement de toute l'antiquité. V intelligence delà Foi d'Anselme n'est que la Gnose fondée sur la croyance que louait tant Clément d'Alexandrie, même à l'époque où les éclectiques de ce temps la compromettaient par leurs exagérations. C'est la re- cherche des raisons probables des Mystères, la connaissance de l'immuable en tant qu'il est accessible à l'esprit, dont parlent les premiers Pères. C'est l'exposition systématique de la Religion que recommande Origène ; la discussion des vérités nécessaires de Tertullien ; les raisons de convenance des Mystères que présen- tent tour à tour S. Athanase, les (!eux Grégoire, S. Basile, S. Hi- laire. Mais c'est Augustin qui suggéra surtout à notre Docteur ses principes sur les rapports de la Raison et de la Foi. Dans la Pré- face de son Monologue, il prie le lecteur de ne pas le décrier 1 M. Ampère, en son Hist. lill. de la France, t. III , p. 366, caracléiise très- bien le rôle qu'Anselme prescrit à la raison, dans Texamen de la question religieuse. Écoutons ces paroles qui résument le reste : « Son but n'est point de mettre les mystères à la portée de l'esprit humain, mais de tenter tout ce qui est possible à l'esprit humain pour se satisfaire [)ar la démonstration de ces mystères, après les avoir admis préalablement. On ne saurait s'élever à une plus grande hauteur philosophique, sans dépasser jamais les limites de la plus stricte orthodoxie. » — Dans son Histoire des révolut. de la philos, en France, t. P""^ pp go et suiv., M. le duc de Caraman présente aussi plusieurs idées ingénieuses et justes. Mais sa critique n'est pas très-forte. — Voir aussi M. DE Rémusat, s. Anselme de Caatorbéry, pp. 447 et suiv. ( 379 ) comme un novateur présomptueux, mais de commencer par étu- dier avec soin les Traités de S. Augustin sur la Trinité, et de le juger d'après ces livres. — « Je n'ai rien voulu affirmer, dit-il, que je ne pusse facilement défendre par les Saintes Écritures ou parla doctrine du bienheureux Augustin *. » — « En revoyant ce que j'ai écrit, dit-il, je n'ai rien pu trouver qui ne fût en complet accord avec les écrits des Pères catholiques, surtout de S. Augustin. » — De fait, les idées des deux Docteurs touchant la matière que nous traitons sont identiques. « Si quelque raison est apportée contre l'autorité des Saintes Écritures, dit Augustin, quelque subtile qu'elle soit, ce n'est qu'une trompeuse apparence, car elle ne sau- rait être fondée. Et de même, si l'autorité des Saintes Ecritures est opposée à une manifeste et certaine vérité de la raison, celui qui proclame cette contradiction manque d'intelligence. Ce n'est pas le vrai sens des Écritures qu'il allègue contre la raison, il n'a pas su le pénétrer; mais bien la signification qu'il leur prête ^. )> — Passant à l'usage positif de la Raison en matière de Foi, Au- gustin s'exprime en ces termes : « Si la foi ne différait point de la science, et s'il ne fallait avant tout croire les grandes et divines vérités que nous souhaitons comprendre, le prophète aurait dit en vain : Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas ^. » — Con- ^ Praef. ad Mon. - Ep l, LXXIV. - a Si ratio contra divinarum scriplurarum auctoritatem reddilur, quam- » libet acuta sit, fallit verisimilitudine; nam vera esse non potest. Rursus si » manifeslissiniae certissimaeque rationi velut scriplurarum sanclarum obji- » cllur auctorilas, non inlelligil qui hoc facil; et non scriplurarum illarum » sensum, ad quem penelrare non poluit, sed suum polius objicit veritali; » nec quod in eis, sed quod in se ipso velut pro eis invenit, opponit. » {Ep. U3 ad Marcellin , n" 7.) ^ « Nisi aliud essel credere . et aliud inleliigere , et primo credendum essel, » quod magnum et divinum intelligere cuperemus, frustra proplieta dixisset : » Nisi crediderilis, non intelligetis. Ipse quoque Dominus noster et diclis et » factis ad credendum primo hortatus est, quos ad salulem vocavil. Sed poslea » cum de ipso dono loqueretur, quod erat daturus credentibus, non ail : haec » est autem vila aeterna ul credanl, sed haec est, nequil, vita aeterna, ut » agnoscant te solum Deum veriim. et quem misisti Jesuni Chrisium. Deinde » jam credentibus dicit : Quaerile et invenietis : nam neque invenlum dici ( 580 ) sentius avait défini la Foi une affaire où l'autorité doit être recher- chée, et non la raison. Si vous exigez de moi ou de quelque autre, lui écrit Augustin, de vous faire comprendre ce que vous croyez déjà, changez donc votre définition de la foi, non afin de la mé- priser, mais afin d'arriver à comprendre par la lumière de la rai- son ce que vous tenez déjà par la fermeté de la croyance. — « Si quelqu'un, ajoute encore Augustin, me dit : je veux comprendre afin de croire, je lui répondrai : Crois, afin de comprendre ^ » — K Nous cherchons donc l'intelligence de la Trinité, écrit le grand Docteur, non d'une Trinité quelconque, mais de celle-là qui est la véritable Divinité... Vous qui entendez ces choses, attendez : nous cherchons encore : celui qui cherche l'intelligence de ces Mys- tères ne doit être repris par personne, à condition qu'il demeure très-ferme dans sa foi... La Foi assurée commence d'une certaine manière la connaissance 2... » Mais ici surgit une difficulté grave qu'il faut dissiper, avant d'aller plus loin. Malgré ces déclarations réitérées sur la distinc- tion des vérités rationnelles et des vérités révélées, S. Anselme affirme qu'il a composé le Monologue et le Prosloge dans le but de démontrer, par des vérités nécessaires et sans l'autorité des Écritures, ce que nous croyons de la nature de Dieu et des Per- sonnes divines. — « Dans la préface du Monologue, il écrit que ses confrères l'avaient prié de ne s'appuyer nulle part dans cet ouvrage sur l'autorité de l'Écriture, mais d'exposer dans un style clair, en des arguments à la portée de tous , et d'une facile discus- sion, les conclusions de chacune de ses recherches, telles que la » potest quod incognitum; neque quisquam inveniendo Deo fit idoneus, nisi » antea crediderit quod est postea cogniturus. » {De lih arb.^ 1. II, c. II.) ^ « Dicit mihi : Intelligam, ut credam. Respondes : Grade, ul intelligas. » Serm. XLIII. ^ « Trinitalem ergo quaerimus. non quamlibet, sed illam Trinilalem quae » Deus est... Expecla ergo quisquis haec audis : adhuc quaerimus , lalia quae- » renteni nenio juste reprebendil, si lamen in fide firmissimus quaerat... Cerla » euim fides ulrumque inchoat cognilionem : cognitio vero certa non perticie- >' tur nisi post hanc vitam. cum videbimus faciès ad laciem. » {De Trin., 1. IX, c. I.) — Cf. Laforèt , Coup d'œil sur Phist. de la Dogm., p. 25. ( 581 ) raison force de les admettre et que l'évidence de la vérité les montre '. » De même, en l'Introduction de son Traité sur la Rédemption (Cur Deus Homo?), « il cherche à réfuter les objec- tions des incrédules contre la Foi chrétienne, et à prouver par des raisons nécessaires, — comme si jamais il n'eût été question du Christ, — que nul homme n'a pu parvenir au salut sans lui '^. » — Au livre II du môme ouvrage, il montre par une démonstra- tion non moins manifeste, <( tout comme si l'on ne savait rien du Christ, que la nature humaine a été prédestinée à la bienheureuse immortalité dans tout son être , dans son corps et dans son âme : en outre, qu'il était nécessaire que l'homme parvînt à sa destina- tion, mais que cela ne pouvait se réaliser que par l'Homme-Dieu, et que tout ce que nous croyons à son sujet s'est accompli avec une absolue nécessité ^. » — De fait, les Théologiens notent 1 « Duo parva opuscula mea, Monologion scilicet et Proslogion, ad hoc ') maxime facta sunt, ut quod fide tenemus de divina natura et personis prae- >) ter Incarnationem , necessariis ralionibus , sine Scripturae auctoritate pro- >) bari possit. » {De fide Trinitalis, c. IV.) 2 « Quidam fratres saepe me sludioseque precati sunt, ut quaedam, quae 1) illis de meditaiida divinitalis essentia et quibusdam aliis hujusmodi me- » ditalioni cohaerentibus usilato- sermone colloquendo protuleram, sub quo- V dam eis meditationis exemple describerem. Cujus scilicet scribendae medi- y tationis magis secundum suam voluntatem , quam secundum rei facililatem » aut meam possibilitalem, liane mihi formam praestituerunt : quatenus V auctoritate Scripturae penitus nihil in ea persuaderetur; sed quidquid per y siugulas investigationes finis assereret, id ita esse piano stylo, et vulgari- V bus argumentis, simplicique dispulatione, et rationis nécessitas breviter » cogeret, et veritatis claritas patenter oslenderet. Voluerunt etiam, ut nec » simplicibus peneque fatuis objectionibus mihi occurrentibus obviare con- ') temnerem. » {Mon. Proœm.) 3 « Quorum prior quidem infideliuni respuentium christianam fidem, quia » rationi putantillam repugnare, continet objectiones et fidelium respon- » siones; ac tandem, re?no^o Christo, quasi nunquam aliquid fuerit de eo, » probat ralionibus necessariis esse impossibile ullum hominem salvari sine )) illo. In secundo autem libro similiter, quasi nihil sciatur de Chrislo, mon- » stratur non minus aperta ratione et verilate naturam humanam ad hoc insti- » tutam esse, ut aliquando immortalitate beata totus homo, id est in corpore » et in anima fruerelur ac necesse esse ut hoc fiât de homine propter quod » factus est, sed nonnisi per hominem Deum,atque ex necessilate omnia, » que de Christo credimus, fieri oportere. » {Cur Deus Homo, in praef.) ( 382 ) qu'Anselme a enseigné, contrairement aux autres Docteurs, l'ab- solue nécessité de la Rédemption et de l'Incarnation. — Comment concilier ces vues avec ses principes sur les rapports naturels de sa Philosophie et de sa Théologie? Comment en cela l'excuser d'un certain rationalisme ? Ce n'est pas une question théologique que nous soulevons, c'est une question de méthode générale; et nous avons d'autant plus le devoir de la poser, que plus d'un philosophe a accusé, en cette matière, notre Docteur d'hétérodoxie. Nous répondrons avant tout qu'en bonne critique il faut juger du sentiment d'un écrivain par l'ensemble de ses idées. Toutes les fois qu'il s'est agi d'exposer l'esprit de sa doctrine, nous avons entendu le Docteur de S^'-Marie du Bec déclarer que les Dogmes doivent être la base de l'investigation rationnelle. Ce n'est qu'en tenant compte de ces explicites déclarations que nous pourrons intepréter sainement les passages incriminés. Un esprit si émi- nent, un aussi orthodoxe Docteur n'a pu se contredire sur l'essence même de la Démonstration chrétienne. Mais il est rai- sonnable de chercher dans le contexte des passages incriminés la solution des difficultés que nous venons de rappeler. Le premier des textes incriminés appartient au chapitre IV du Traité de la Foi en la Sainte Trinité. Il suiïit de mentionner les considérations qui précèdent pour voir toute son innocuité. L'auteur se réclame des arguments « invincibles )» des Pères, surtout de S. Augustin. Il dit que ces preuves ont succédé à celles des Apôtres. C'est déjà tomber d'accord que les raisonnements d'Anselme, aussi bien que ceux d'Augustin, présupposent l'ensei- gnement révélé et s'appuient sur lui. Mais, loin de confirmer la doctrine des Ecritures, sa démonstration en serait l'antithèse, si elle avait pour but avoué d'entourer d'une complète évidence des Mystères dont les maîtres de la science sacrée attestent de concert l'obscurité et la transcendance. Aussi, quand il parle des spécula- tions du Monologue et du Prosloge conçues en dehors de l'Ecri- ture, Anselme dit simplement qu'on ne pourra, à son avis, ni les rejeter, ni les dédaigner. Mais nulle part il n'affirme qu'on peut parvenir à se démontrer les Dogmes complètement, d'une façon adéquate et avec une pleine évidence. ( 585 ) Le passage tiré de l'opuscule Ciir Deiis Homo? implique, au point de vue des rapports de la Philosophie et de la Théologie, une très-sérieuse difficulté. Il est certain qu'Anselme y annonce l'intention de démontrer par la seule raison et sans tenir compte des Écritures, tous les points de la croyance catholique concer- nant l'Incarnation du Verbe. C'est par des vues purement spécu- latives qu'il prétend établir la nécessité de toute l'économie de la Rédemption. Néanmoins, quelle est la marche que suit notre Docteur pour arriver à son but? Dans tout son raisonnement, il présuppose la donnée fondamentale de la chute originelle *. Ne l'oublions pas, cette vérité, la Révélation seule l'enseigne. En outre, dans la Préface de l'Opuscule dont nous nous occupons, le S. Docteur avertit qu'il va répondre aux objections des incrédules contre l'Incarnation. Or, dans le cas présent, ces objections s'ap- puyaient précisément sur le Dogme, loin d'en faire abstraction. Anselme ajoute que l'homme avait été créé par Dieu pour le pos- séder éternellement, et que le nombre de ceux-là qui doivent par- venir au salut est connu du Seigneur 2. Il y a plus : avec son maître Augustin, avec Jean Scot, Erigène, il présuppose le conseil divin de remplacer par d'autres créatures raisonnables les Anges déchus, dans la béatitude céleste. Il ajoute que l'homme a été soumis à la tentation de l'esprit du mal, pour permettre à une créature inférieure de surpasser en fidélité les hiérarchies supé- rieures 5. — Je ne fais que mentionner ces données. Elles appar- tiennent a la théologie, en partie à la mystique. Mais il sera certes permis de conclure que d'elles-mêmes, elles sont inaccessibles à la raison. Sans doute, dès qu'il les aura connues, le Docteur chré- tien pourra construire, à part de toute théologie positive (remoto Chi'isto), tout un système rationnel pour montrer que, dans l'hy- pothèse d'une réparation complète, l'Incarnation du Verbe fut la ' Cur Deiis Homo, c. XVI. 2 Ibid. 3 75/^. _ Cf. Augustini Enchirid. ad Laurenlium, c. XXIX. — De civ. Dei, 1. XXII, c. I. — Jo. Scot. Erig , de divisione naturœ, 1. V. — Ap. Abroell, de mutuo fidei ac rationis consortio , p. 84; Wirceburgi, 1864. ( 584 ) conséquence du péché d'Adam. Il n'en reste pas moins vrai que la base de l'argumentalion d'Anselme se trouve dans la doctrine de la Foi. 11 part de celle-ci pour s'élever à la connaissance des Mystères. C'est l'application de ses principes : Credo ut intelli- gam ; Fides procedeus inldlectum. Dans le développement de la théorie de la Rédemption, c'est à la raison seule qu'il emprunte ses preuves , « comme s'il n'était pas question du Christ. » 3Iais c'est du Christ, c'est des Ecritures ou de la parole révélatrice, qu'il a accepté tous les fondements de ses spéculations. La démonstra- tion ne serait entachée de rationalisme, qu'au cas où elle pré- tendrait à l'évidence absolue dont les mystères chrétiens ne sont pas susceptibles. Anselme parle beaucoup d'arguments nécessaires. Faut-il entendre ces mots dans toute leur rigueur? Nous allons demander la réponse à Anselme lui-même. Dans le Monologue , il dit en parlant de la Génération du Verbe , que c'est un Mystère supérieur à toute intelligence créée. Mais malgré son insuffisance à le pénétrer , celle-ci n'a pas le droit de refuser son assentiment à un Dogme dont elle s'est prouvé la vérité au moyen d'arguments nécessaires que ne con- tredit aucune raison évidente ^ « Anselme se demande ensuite comment peuvent coexister des preuves nécessaires et des Mys- tères. Il répond que ces preuves n'éclaircissent qu'une partie des Dogmes. » Nous pouvons les éclaircir partiellement, surtout au point de vue polémique. Nous pouvons montrer qu'on ne peut leur opposer « aucune raison évidente , » pour parler avec notre ^ « Videtur niihi bujus tam sublimis rei secreluni Iranscendere omnem » intellectus aciem humani, el idcirco conatum explicandi, qualiler hoc sit, » conlinendum puto. Sufficere namque debere exislimo rem incomprehensi- » bilem indaganli, si ad hoc raliocinando perveuerit, ut eam cerlissime esse » cognoscat , etiamsi penetrare iiequeat intellectu quomodo ila sit; nec idcirco » minus bis adliibeiulam fidei cerliludinem, quae probationibus necessariis 1) nulla alla répugnante ratione asseruntur, si suae naturaiis altitudinis incom- » prehensibiiitate explicari non paliantur. Quid autem tam incomprehensibile, » tam ineffabile quam Id quod supra omnia est? Quapropter, si ea quae de » summa essenlia hactenus dispulata sunt necessariis suntrationibus asserla, » quam vis sic intellectu penetrari non possiut ut et verbis valeant explicari, » nuUatenus tamen cerliludinis eorum nulat soliditas » Monol., c. LXIV.) ( 38a ) Docteur. Mais dans leur totalité, ils restent obscurs, comme il s'en explique avec tant d'énergie '. « Pour parler du Traité sur la Rédemption, je n'y veux élucider le grand Mystère, dit-il, qu'à une condition : c'est que si ma preuve n'est point confirmée par une plus grande autorité, bien qu'elle paraisse approuvée par l'esprit, elle ne soit néanmoins regardée comme certaine, qu'en attendant que Dieu m'inspire quelque cliose de mieux. Si je parviens à satisfaire en quelque manière à votre question , qu'il soit établi qu'un autre plus sage y répondrait bien mieux. Il est à noter que quoi que l'homme puisse dire ou savoir, en cette matière, les plus hautes raisons d'un si auguste secret lui res- tent cachées 2. » Anselme n'insiste pas moins sur l'impuissance de l'esprit à concevoir l'élection des prédestinés. « Dieu la réa- lise, dit-il; si nous ne pouvons la comprendre, il ne faut pas s'en étonner, mais souffrir avec vénération qu'il y ait dans l'abîme d'un pareil dessein un côté qui nous reste ignoré. » Aussi Anselme s'excuse auprès de Boson sur son incapacité de développer digne- ment le sujet qu'il l'engage à traiter. Les éclaircissements que nous venons d'entendre sauvegardent parfaitement l'obscurité essentielle des Dogmes. Même après le fait de la révélation, Anselme ne croit pas qu'on puisse démontrer d'une façon complète les Mystères de la Foi chrétienne. Mais si de la critique interne, nous passons à la critique externe, son senti- ' « Sed rursum, si ita se ralio ineffabilitatis illius liabet, imo quia sic est : » quomodo stabit quidquid de illa secundum Patris el Filii et Spirilus proce- » demis liabitudinem disputatum est? Nam si vera iliud ralione explicilum » est, qiialiler est il!a ineffabilis ? Aul si ineffabilis est, quomodo esl ita sicut » esl disputatum? Aut quodantenus de illa potuit explicari, el ideo nihil pro- » liibet esse verum quod disputatum esl; sed quia penitus non potuit com- » prehendi, idcirco est ineffabilis? » Ibid., c. LXV. 2 « Sed eo pacto quo omnia quae dico, accipi volo : videlicet ut si quid » dixero, quod major non confirmet auctoritas, quamvis iliud ralione pro- » bare videar, non alia certitudine accipiatur, nisi quia intérim niihi ita vide- » tur, donec Deus melius aliquid modo revelet. Quod si aliquatenus quaes- u tioni luae satisfacere potero, certuni esse debebit, quia et sapientior me » plenius hoc facere poteril, imo scieudum est, quidquid homo inde dicere vel « scire possit, altiores tantae rei adhuc latere rationes. » Cur Deus homo, c. II. Tome XXV. 25 ( 380 ) ment devient plus certain encore. Lui-même, en plusieurs endroits, affirme la solidarité de sa doctrine avec celle de S. Augustin. Le Docteur d'Hippone n'admit jamais qu'une démonstration analo- gique des Vérités de Foi. Toutefois comme Anselme, dans la spé- culation, son grand souci, c'est la valeur logique de l'argumenta- tion. « S'il s'agit des Vérités de Foi, répète Augustin, croyons sans aucune infidélité. S'il s'agit de leur intelligence, affirmons sans témérité. Là, il faut tenir l'autorité; ici, il ne faut recher- cher que la Vérité. » — Traitant de la Rédemption des hommes, il affirme que l'économie du salut fut de tout point parfaite, et conforme à la divine miséricorde; il ajoute néanmoins que « Dieu à la puissance duquel toutes les choses sont également soumises, ne manqua pas d'autres moyens pour nous sauver '. » Rien d'étonnant, après tout cela, que Duns Scot ne veuille accepter les « Arguments nécessaires » d'Anselme que dans un sens large, et non selon l'ahsolue rigueur des termes 2. Cette inter- prétation est fondée sur la terminologie du temps. La langue tech- nique n'existait pas au XP siècle. Ce n'est pas seulement Anselme, mais aussi Richard de S. Victor qui s'exprime de cette manière. « Je crois sans hésitation, dit celui-ci, que pour n'importe quelle démonstration de choses nécessaires, il ne peut manquer d'exister des arguments non-seulement probables, mais nécessaires ^. » Hu- gues de S. Victor mentionne aussi les preuves « qui engendrent la claire démonstration *. » Cela n'empêche pas ce dernier d'écrire ^ u Islum modum quo nos per mediatorem Dei et liominum Ctirislum Jesum » Deus liberare dignalur, asseramus bouum et divinae congruum dignitati, )j verum eliam oslendamiis , non alium modum possibilem Deo defuisse , cujus » potestati cuncla aequaliler subjacent. » {De Trin., I. XIII, c. X.) ' « Ad auctoritates Richardi et Anselmi dicendum, quod adducunt ipse. » sicut et caeteri doclores, raliones necessarias, sed non evidenter necessa- » rias : non euim omne necessarium est evidenler necessarium. » {Reporf. Pam, prol. q. 2, n» 18.) 5 « Credo namque sine dubio, quoniam ad quorumiibet explanationem quae » necesse est esse, non modo probabilia. sed etiam necessaria argumenta non » déesse, quamvis illa intérim conlingat nostram indusliiam latere. » (De rnn., 1.1,0. IV.) ^ « (Sunt quaedam signa) expressa imagine el perfecta similitudineconsig- » nata quae claram demonstrationem efjiciunl. » {De sacr. ^t/('/,l.I,p. ii,c.VI.) ( :^87 ) que « bien quo la raison ne puisse comprendre les vérités révé- lées, » ecpendant elle n'y contredit pas. Il appelle ces mêmes arguments des «preuves probables K » — Richard de S. Victor, malgré les assertions que nous venons dentendre, n'en partage pas moins le sentiment d'Augustin et d'Anselme touchant la trans- cendance des choses « dont on obtient la certitude parla Foi. » — II va dans son traité de la Trinité une distinction qui peut jeter quelque jour sur les dèmonstralions nécessaires de S. An- selme. Richard range dans cette catégorie les preuves déduites de la nature des choses et qui sont , par conséquent, immuables et éternelles, an moins pour celui qui connait leur essence. Les vé- rités contingentes sont celles qui ont leur source dans la libre volonté àe Dieu ou des créatures. Cette vue peut servir à l'intelli- gence d'Anselme. Dans le Monologue comme dansl'Opuscule :CAtr Deus Homo ? les spéculations du S. Docteur sont toutes basées sur des principes absolus, logiques ou métaphysiques. Les déduc- tions concernant l'existence de Dieu et son essence sont tirées du concept de l'Être le plus parfait. Les élucidations sur la très- sainteTrinitésont principalement basées sur l'anthropologie: lÉlre absolu, le Verbe intérieur, reflet immanent de l'objet perçu ; le nécessaire amour du premier Principe pour la parfaite image de son infinie Perfection , voilà les facteurs de l'argumentation. Naus savons, comme en avertira un jour le Docteur angélique, que tous ces symboles ne prouvent |)as encore l'unité essentielle des trois divines hypostases. Mais ils n'en sont pas moins fondés sur des idées logiques, et en ce sens , sur des considérations néces- saires. — Il faut en dire autant du principe d'où Anselme induit la nécessité de l'Incarnation, ou de l'impossibilité de restaurer l'ordre moral troublé par la chute d'Adam, sans une expiation accomplie par un Dieu incarné. Encore une fois, cette considéra- tion, elle aussi, est empruntée à l'ordre logique. Elle repose sur une hypothèse : la nécessité de sauver le genre humain déchu, pour restaurer le plan primitif de la création, et l'impossibilité de ' IhkL. p. in , c. XXVIII. — Sur toute celte question voyez la thèse du D"" Abroell : De mutuo fidei ac rationis consortio. Wuvzbourg, 1864. — Nous avons fréquemment suivi ce savant et soliiie travnil. ( 588 ) rénliser ce but sans une satisfaction accomplie par une personne infinie, dans un corps passible. Sans doute, — et Anselme a trop laissé ce point dans l'ombre, — le rachat de l'homme prévarica- teur présuppose un libre décret de la divine miséricorde, renon- çant aux droits vengeurs de sa justice. Cependant, en partant des postulats généraux qu'il avance , il a pu nommer ces preuves des arguments nécessaires. En tout cas, lui-même nous l'apprend : ces démonstrations restent inadéquates, parce qu'elles ont pour dernier terme rintelhgible absoki, l'Infini. L'esprit qui pourrait embrasser toute la portée de certains de leurs principes arriverait à plonger son regard jusqu'au cœur du mystère. Mais la raison bornée de l'homme n'entrevoit qu'en partie leur nécessité, leur extension : surtout, elle est incapable d'égaler la compréhension de la première prémisse d'où découlent les propositions subsé- quentes î l'essence de l'Etre absolu. Cest ainsi que d'excellents juges ont compris les paroles de Duns Scot au sujet de cette ques- tion. « Quoique les raisonnements de Richard, d'Anselme et des autres Docteurs, dit celui-ci, soient composés de vérités nécessaires, cependant leurs prémisses ne sont pas évidentes pour nous, en vertu des termes eux-mêmes K » Avant Scot, S. Thomas d'Aquin avait interprété dans ce sens le Victorin : Il a enseigné, dit-il, qu(^ les mystères considérés en eux-mêmes ont des raisons et des preuves nécessaires dans ITntelligence ou dans l'Essence divine, mais il na pas écrit que ces raisons sont accessibles à l'esprit humain '^. Nous n'hésitons pas à appliquer ces paroles aux démon- strations d'Anselme et des Docteurs qui ont adopté son langage ^. Je sais que deux autres maîtres illustres, Alexandre de Halès et S. Bonaventure, estiment que notre Docteur n'a entendu parler, *■ K Licet suntex necessariis, non tamen praemissae sunl necessario evi- rt dentés, quia non sunt nolae ex terminis nobis nolis. « {In I scnL, d. 42, q. 1, n" 4.) — Voir Denzinger, Relig. Erkennt., t. Il, pp. 107 et suiv. - Cf. S. Thomas, Quaest. disput., q. 14. ^ Noire Henri Goelhals (Gandavensis) se rapproche surtout de la phraséo- logie d'Anselme. — Cf. Quodlib., VIII, q. 14. - QuodL, XII, q. 2. — Voyez aussi GERSoy, Alphabet, XIII. — Cf. Suarez, De myst. S. Trin., I. I, c. XII. — D'Aguirre, Thcologia S. Anselmi, t. l*^^-^, disp. 1. — Kledtgen, T/ieol. der Vorzeil., l. III, ]).8Ô0, sq. ( 589 ) dans ses recherches sur la Rédemption que d'une nécessité de simple conséquence, ou logiquement postérieure au décret de l'Incarnation lui-même. Diiïicilement les textes se plieraient à cette exégèse. Nous préférons croire, avec Suarez, qu'Anselme a voulu parler d'une nécessité dans le sens large du mot, d'une haute convenance, à peu près comme nous l'avons entendu signaler ces arguments nécessaires, laissant toutefois aux Mystères, avec leur obscurité essentielle, leur impénétrable profondeur ^ Cette interprétation est d'autant moins gratuite que dans une de ses Méditations, notre Docteur lui-même assure que Dieu pouvait sauver l'humanité déchue de plusieurs manières, mais qu'il pré- féra l'Incarnation afin d'exalter sa miséricorde. Nous avons le droit de conclure des réflexions qui précèdent que la néces- sité de l'Incarnation n'a pu être par lui défendue que dans lliypothèse préalable du décret divin de pardonner la faute ori- ginelle et d'en exiger une rigoureuse et complète réparation. Qu'Anselme s'appuie dans ses conclusions sur ce que Dieu fait toujours ce qu'il y a de mieux et de plus convenable 2, cela ne doit pas nous faire changer de sentiment. Vasqucz ^ et Ruiz '* ont établi que les Pères dont le Docteur du Bec suit les tra- ditions enseignent à la vérité que, dans ses opérations au dehors {operationes ad extra), Dieu assure à chaque être créé la part d'activité la mieux appropriée à sa nature, et à lordonnance de Tensemble. Mais quant à la perfection absolue et même impos- sible, ils ne la requièrent que dans les actes immanents qui con- stituent la vie intime de la Divinité. SS. Athanase ^, Grégoire de Nazianze 6, Cyrille d'Alexandrie 7, Théodoret ^, Léon le Grand ^, et * Cf. Suarez, de Incarn., d. IV, sect. II, n. 4. ^ Cur Deus homo, c. X. •' In III P. S. r/i.,d. 1, n° 10. * De Trin., d. XCIIl, secL V. — Lugo traite admirablement toute celle ques- tion, au point de vue spéculatif. De Incarn., d. II . sect. I.— Dans ces docles pages l'optimisme est pressenti et réfuté d'avance. ^ Serm., III, coni. Ar. <■' Or. IX. ' De Incarn., ap. Euthim, lit. XIII. 8 Orat. cont. Graec, VI. » Serm. II de Nativit. ( 590 ) par-dessus tous, le maître principal dAnselme, Augustin, sont formels sur la liberté de la Rédemption et de l'Incarnation du Verbe '. Les passages où quelques-uns d'entre eux, S. Cyrille par exemple, semblent parler de la nécessité de l'économie actuelle, présupposent le libre conseil d'exiger de la faute d'Adam une satisfaction stricte 2, Il n'est pas douteux qu'Anselme aurait pu s'expliquer avec plus de précision en certains éclaircissements qu'il a donnés aux Dogmes. Parfois, l'alliance, nous dirions volontiers le mélange de l'élément révélé et de l'élément spéculatif nuit à la logique de ses argumentations. Les Docteurs postérieurs s'en sont plaints, quel- ques-uns assez vivement. Cette sorte de laxisme dialectique se con- çoit : Anselme est un esprit syntliétique, à la manière des Plato- niciens. Pour des hommes ainsi organisés, l'idée, le type rationnel est facilement représenté comme un fait, comme une réalité. A leur insu, la thèse se glisse dans l'argument. Cela est vrai dans les applications comme dans la théorie pure. Combien de tels procédés créent d'embarras, causent de surprises! Mais ces ré- serves faites ^, l'on aurait tort de prêter à la méthode d'Anselme, une afifinité réelle avec le semi-rationalisme théologique de quel- ques modernes. Le Docteur de l'abbaye du Bec n'a jamais tenu qu'on peut démontrer complètement les Mystères de la Foi, même après leur révélation. Ses déductions, parfois, sont contestables; ses paroles présentent quelques nuages; sa pensée, à cet égard, reste claire. Nous nous serions volontiers dispensé de le rappeler, n'étaient les suspicions soulevées contre son système par l'un ou l'autre critique. Ces dernières pages sont devenues quelque peu théologiques : ce n'est pas notre faute. Il nous reste, pour compléter notre Etude, à porter un juge- ment d'ensemble sur le mouvement intellectuel auquel se rattache la philosophie d'Anselme de Cantorbéry. • Voir le texte ciié p. 586 , note \,el Dr agone christiano, c. Xf . '^ Cf.PETAU, de Inc., 1. II, c. XIII. 5 Denis Pétaii, Lugo, Siiaiez, tous les grands Théologiens les ont très-for- mollement faites. ( 391 ) Nature caractéristique du procédé scientifique d'Anselme. — De la méthode scolastique. Nous venons de le constater : la Méthode de philosophie reli- gieuse de S. Anselme ne diffère pas, pour le fond, de celle des premiers Maîtres chrétiens. Il y a toutefois, dans ses écrits, un élément caractéristique tout à fait remarquable. C'est la rigueur scientifique des formes du raisonnement et révolution régulière des preuves. Anselme ne se sert pas du syllogisme, dans l'exposi- tion de la doctrine, comme cela deviendra Thahitude au XIII" siè- cle. Mais ses ouvrages présentent une suite d'enthymèmes, de ])ro- positions exclusives et distributives, que l'on ne rencontre pas, à ce degré , (;hez les écrivains de l'époque patristique. Presque jamais il n'use de l'argumentation pour formuler lui-même contre le Dogme des difficultés d'où l'esprit attend des lumières nouvelles. La démonstration est consacrée à la preuve directe de la thèse. L'objection semble, pour Anselme, d'une assez mé- diocre importance. Il s'arrête peu aux sophismes d'un adver- saire supposé, il les préoccupe. — Moins îechnique, moins arti- ficielle que la forme postérieure, celle de notre Docteur fixe peut-être mieux le regard de l'esprit sur les principes eux-mêmes. Quoi qu'il en soit, l'appareil dialectique des traités de notre S, Docteur, et l'ensemble organique qu'ils présentent sont un trait distinctif : ils ne se rencontrent, en une telle mesure, chez aucun écrivain antérieur à Anselme. De fait, c'est que la science était entrée dans une période nou- velle. La Méthode dite scolastique va régner universellement dans les écoles. Nous devons nous arrêter quelque temps à ce mouve- ment de l'esprit. Son appréciation rentre d'autant plus dans notre sujet, qu'on a coutume d'appeler Anselme le Père de (a Sco- lastique. ( 392 ) Les savants n'ont pas omis, on le pense bien, d'interpréter la restauration célèbre que nous venons de nommer. Lorsque les érudits expliquent les faits, ils transportent parfois dans la vie réelle le raffinement de leurs pensées. Volontiers l'iiomme de l'idée accommode les événements à ses conceptions grandioses ou ingénieuses. Eh! presque toujours, la simplicité de la nature déconcerte les systèmes laborieux ! Aux yeux de Tiedemann, la Scolastique n'aurait été que l'éluci- dation a priori des Vérités religieuses, dans laquelle, après l'exposition des raisons joowr et contre le Dogme, la conclusion est tirée, en forme syllogistique, d'Arislote, des Pères de l'Eglise et des systèmes ecclésiastiques ^ — A bon droit, le D"^ Tenne- mann estime que son prédécesseur n'a tenu compte que de l'as- pect extérieur du problème. Pour lui, il aime mieux voir, dans la Scolastique, l'effort de l'esprit, timide encore, mais aspirant à découvrir dans la philosophie, la connaissance des vérités suprasensibles, renfermées dans la révélation ^. — Môhler y signale un mouvement de la pensée cherchant à démontrer que « tout ce qui est chrétien est rationnel et que tout ce qui est rationnel est chrétien ^. » Cette vue brillamment développée dans * Gesch. derPhil.,i. IV, p. 125.— « Sie (die scholaslik) ist diejenige behand- » lung der gegenslande a p/'/or/, \vo nach aufstellung der meisteii fur uud » wieder aufzulreibenden Grunde, in syllogislisclie form , die Enlscbeidung » aus Arisloleles, den Kirchenvatern und dem herrschenden glaubens ge- » baude genommen wird. « — Tiedemann, malgré ses erreurs, s'est occupé bien plus séiieusement à démêler la nature de la Scolastique que Tribbecho- vius {De doct. schoL, c. III) et Campanella [De Gentilismo non retinendo). Ceux-ci ont vu dans la scolastique un mélange de vues grecques et arabes! 2 Geschichte der Phil., t. V, p. 28. ^ « Die scholaslik ùberhaupl kônneu wir jenen vom Ende der elflen bis » zum Anfang des sechzehnten Jahrhunderts dauernden versuch neniien , » das christliche als ralional , und das wahrhaft ralionale als christlich zu » erweisen; womit das bemùhen nolweudig sich vereinte, klar, scharf und » beslimmt die begrifF der chrisllicben lebren fotzuselzen. Denn nielits ver- » mag als Idée auCgefatzt zu werden, was in sich seibst unbeslimmt ist, » sobald sie klar gedachl worden. » — Gesammelle schriflen und Aujfatzen, herausgegeben von Dollinger, 1859, I, pp. 129 et suiv. (Anselm von Canler- bury). (593) la monographie d'Anselme de Cantorbéry, contient une grande part de vérité. Mais sa forme est un peu exclusive. Tous les Docteurs, depuis Clément l'Alexandrin et S. Justin, se sont proposé le but que Môliler assigne à la Scolastique. Est-ce d'un développement de la forme ancienne qu'a voulu parler le célèbre auteur de la Symbolique? En ce cas, l'explication serait plus juste. Mobler a voulu, sans doute, caractériser l'esprit général de la Scolastique, et l'opposer aux critiques mesquins qui n'y voient qu'un retour à la Dialectique d'Aristote '. Il est bien mieux inspiré, sans contredit, lorsqu'il y montre la démon- stration de la Foi elle-même. Mais ce n'est pas ce qui la distingue. Les Pères ont poursuivi le même but. M. Hauréau Ta écrit fort judicieusement: « Reconnaissons, dit- il, que nos Docteurs du moyen âge furent à la fois théologiens et philosophes; accor- dons même qu'ils osèrent demander à leur Métaphysique la solution des problèmes les plus redoutables, et disserter avec elle sur l'Essence même de Dieu; mais ajoutons aussitôt que les Pères les mieux famés avaient eu cetle audace 2. » Faut-il penser, avec d'autres écrivains, dont un consciencieux commentateur d'Anselme s'est fait l'organe, que les Scolastiques n'ont fait que coordonner systématiquement les écrits des Pères? Les Docteurs des âges de foi ont-ils pris pour base unique de leurs travaux les traités des anciens, comme ceux-ci s'étaient référés aux Écritures ^? — Soutenir cela, n'est-ce pas amoindrir à l'excès ' Voir Ibid., pp. 150 et suiv. 2 I,p.3. '» Le Di- Basse, dans son grand ouvrage sur la vie et les œuvres d'Anselme, dislingue dans riiistoire du symbole la Fo/ (Christenlhum als glaube), la con- science (Christenthum als bewusslsein), enfin la science (Erkenntniss).— Après une exposition habile et éloquente du mouvement de l'idée chrétienne jusqu'au moyen âge, il conclut ainsi : « Uni es kurz zu bezeichnen : den inlialt der theo- )) logie halte die Patristische spéculation erzeugt, die wissenschaftiiche form » aber fehile. Hier was es nun, wo das Mittelalter einlrat. Der Glaube balte » obgesiegt, das Dogma stand fest : jedes apologetische , jedes kirchlich-prak- » tische bedurfniss tiel hinvveg. Erst da also konnte ein rein-iheoretische inle- » resse entstehen, erst da die Erkenntniss sich selbslzweck werden. Unde » balte er in der alten kirche silh wesentlich um die herausetzung, um die ( 594 ) laScolastique? Je sais qu'à propos de celle-ci, le D"^ Hohne tient que c'est l'usage des esprits subalternes d'ordonner et de classifier les créations des penseurs de génie *. Mais qui voudrait ranger parmi ces intelligences secondes des Maîtres comme Anselme, les Vic- torins, Albert le Grand, Thomas d'Aquin, Bonaventure, Duns Scol? Pour citer quelques exemples, les vues de S. Anselme sur la preuve de l'existence de l'Etre infini, sur la nécessité de l'In- carnation, sur la nature de la Vérité, les magnifiques dévelop- pements donnés par Thomas d'Aquin à l'idée de la Création, à la Vie divine, à toute la Théodicée ne renferment-elles pas bien des traits originaux? Sans doute, au moyen âge, la science du Dogme avait accompli de très-sérieux progrès : les polémiques des six premiers siècles touchant les principaux mystères du Christianisme avaient circonscrit et précisé la Doctrine sur la plupart des })oints essentiels. C'est avec toute raison ({ue le D'^ Hasse relève ce point. Mais la question de l'Adoptianisme , la renaissance de l'Émanatisme alexandrin, sous Jean Scot Erigène, plus tard la controverse si subtile sur la procession du S. Esprit, le débat du Nominalisme et du Réalisme dans ses hauts som- mets et dans ses îipj)lications aux Mystères, les démêlés sur l'Eu- charistie, les disputes sur la liberté divine dans ses opérations )> objeclivirung des Glaubens gehandelt, so musste jelzt die umgekehrle bewe- » gung eintrelen, das subject sicli wieder des objects zu bemachtigeo , es D wieder in sich hereinzuzieheu, sieh zu assimiliren suchen, nur diesmal » denkend, iiicht glaiibend. » (Anselm von Canlerbiiry, p. 15.) 1 « Scholastici vocantup qui hoc munus subieriut el materiain (islam) a )> patribus jam coacervaîam in cerlani quamdam formam redigere studuerint. » Hane eiiim semper posteriorum curam esse conslat , quorum animi majorum )> ingenium et inveiuionem non adaequent. Ac laude graviore inde carere !) soleiil qui non tam de adaugenda rerum verilate quam de rerum oompo- » nendarum ordine el perspicuilnte bene mereanlur... lia vero duae res » minime inter se similes conjungi eoeplae sunl; nam quae credebnnt chris- » tiani tiHra omnem conceptum esse, ea praeter occlesiae auctoritatem vel u etiam r«/!on/6«s argumenlisque explicari el firmari, inde vero notionibus » circumscribi et cogitatione percipi posse videbanlur. — Anselmi Canl. Phi- » losophia cum aliorum illius aelalis decrelis comparatur. )> ~ Dissert. Aem., Hoehne (praemio donata), a Facult. Iheol Lipsiensi, 1867. ( 595 ) externes et sur le eoncours de la Grâce avec le libre arbitre, les discussions touchant le Panthéisme d'Amaury de Bène et de David de Dinant, la querelle sur l'intellect agent d'Aristote, tout cela, sans égaler toujours l'intérêt des grandes causes palristiques, fut cependant d'une incontestable gravité. Pour traiter de pa- reils sujets, il ne suftisait pas de systématiser les traités des Pères. Afin d"y réussir, il était besoin d'unir au sens traditionnel une grande finesse et beaucoup d'élévation d'esprit. — Ce n'est pas uniquement en des vues isolées, s'écrie Mohler, par intuitions instantanées, et sans atteindre à une claire conscience d'elle même que se manifeste l'originalité des Scolastiques : c'est en des conceptions nettement définies, accusées avec vigueur, ap- profondies sous tous les rapports '. L'un des plus sagaces critiques d'Anselme, le D*" Franck, ne dénonce pas seulement dans la Scolaslique ce mouvement de simple réflexion sur les doctrines des Pères sans originalité ni initiative : il reproche, en outre, aux docteurs de n'avoir pas saisi le concept fondamental, le principe interne et générateur des Dogmes. C'est à l'absence de ce fil conducteur qu'il attribue l'inextricable complication des disputes et les vaines subtilités qui, selon lui, divisèrent les Écoles. « L'on peut dire, écrit ce savant, que la Scolastique ne présente aucun ensemble systématique; elle a manqué d'un Principe, pour autant que par principe l'on en- tend la force interne qui meut h toift, se répand dans chaque partie et élève ainsi l'ensemble à l'état d'organisme. Par-dessus tout il faut mettre le défaut de la Scolastique, dans son ignorance de la méthode scientifique, consistant dans l'évolution progres- sive du Concept. La Scolastique s'est tenue sur le domaine de la réflexion; elle n'a eu de réalité que dans la spéculation intellec- tuelle sur les données révélées qui lui étaient communiquées du dehors -. » M. Franck est un disciple dHégel. Il y a dans sa critique une certaine confusion. Toute doctrine qui se pose comme révélée ' Op. cit., p. 130. " Anst'lm VG71 Canterbunj, dargeslelll von G.-F. Franck, pp. Si et suiv. ( 396 ) est par son essence extrinsèque, puisque son origine est surnatu- relle, et son contenu supérieur à l'intuition de l'esprit. Mais elle n'en a pas moins en soi un principe actif d'évolution. Comment cela? N'est-elle pas une manifestation de la Vie Intime de Dieu, se découvrant jusqu'à un certain point à riiommc? Certes le fotid de l'Essence infinie ne peut nous être connu. Mais est-il impos- sible à l'intelligence créée d'entrevoir, à la double lumière de la raison et de la Foi, quelques côtés de l'Absolu? Sans tenir avec les hégéliens, que la Vérité est la thèse ou le concept absolu posant fatalement son antithèse dans la nature et arrivant à la synthèse ou à la conscience dans la pensée de l'être raisonnable, ne peut-on chercher la loi fondamentale de l'Intelligence infinie, lien des mystères qu'Elle-méme a manifestés à l'homme, et qui expriment, dans une juste mesure, les mystères de l'Absolu? Anselme lui-même a trouvé le principe objectif de la science de l'Infini, je veux dire sa nécessité et son actualité suprême. Les autres Maîtres, Thomas d'Aquin et S. Bonaventure notam- ment, dans leurs études profondes sur la Théodicée et la très- sainte Trinité, n'ont- ils pas montré renchainement harmo- nieux des Dogmes, et réalisé celte conception organique de la théologie que vante M. Franck ? Ces Docteurs n'ont-ils pas ex- pressément signalé dans l'aséité et l'actualité infiniment simple de Dieu le principe interne, le concept fondamental, pour ainsi parler, de la vie immanente du premier Etre? Il est très-vrai; pour rendre compte des opérations extérieures de la Divinité, il faut d'après eux, à côté de cette nécessité de l'Essence absolue, reconnaître sa libre volonté. L'école de Hegel ne veut pas de ce deuxième facteur. Mais elle n'a pas le droit de blâmer les Scolastiques d'avoir faussé la démonstration des Dogmes , parce qu'ils n'ont pas jugé à propos de souscrire à ses thèses idéalistes '. ' Ajoiilons que malgré l'arrêt sévère qu'il rend contre la méthode scolas- lique. M. Franck est loin de n'y voir qu'une vaine exhibition de subtilités et de sophismes dialectiques. — 11 lui reconnaît de très-sérieux mérites. On a quelque peine à comprendre comment une science sans principe générateur ait pu échapper à une universelle médiocrité. ( Ô97 ) Croirai l-on qirapiùs une pai'ciilc son lente conli'c la ScoJas- lique, le D"" Franck y ait apeiçu un mouvement hostile à l'autorité de l'Église? Le critique allemand se rapproche en cela de M. Bar- tiiélcniy S. Hilaire, qui juge aussi que la Scolastiqueest, dans son résultat général, « la première insurrection de l'esprit moderne contre l'autorité '.» Baumgarlen-Crusius y dénonce égalementune école se mouvant en dehors de l'enseignement officiel , pour cher- cher a la pensée de plus vastes horizons et échapper aux lisières des Dogmes ecclésiastiques '^. M. Hauréau acclame dans les spécu- lations du moyen ége cet esprit révolutionnaire qui, souvent à l'insu des pieux Docteurs, sortait de leurs suhtiles disputes et préparait l'avènement du libre examen. Ne serait-il pas étrange qu'une méthode qu'on accuse si fort de passivité et d'imjuiissance , fut devenue l'organe de la critique émancipée? Qu'y a-t-il de vrai , qu'y a-t-il de précaire dansées vues ? Sont-elles conformes à l'histoire ? C'est d'après son esprit, d'après son concept fondamental qu'il faut juger d'un mouvement intellectuel. Là est son principe, sa source de vie, l'àme qui le meut, la force qui explique et relie ses multiples manifestations. Or, le principe de toute la Scolaslique est celui qu'Anselme le premier a formulé dans les sentences énergiques que nous savons : Credo ut inletlifjam ; Fidcs prœcedit intellecttnn. Les écarts que subira la science doivent être estimées par le critique à leur juste valeur : ce sont des con- tingences accidentelles, des déviations irresponsables ou des rup- tures avouées. On nous dit que déjà Jean Scot Érigène est un hétérodoxe : on cite au même titre Abélard, Gilbert de la Porréc, Amaury de Bène et surtout, après les orageux débats sur les uni- versaux, Guillaume d'Occam , le père de la critique moderne! Mais Scot, pour ses témérités mêmes, demeura solitaire, [)res- queen dehors du mouvement : son influence, Ritter l'avoue, a été insignifiante; Anselme ne le cite nulle part. Roscelin n'osa être trithéiste qu'en se prétendant disciple de Lanfranc et d'An- De la logique d'Aristote , t. II, p. lOi. Ibicl il, pp. 5'2i-52r). ( 5!)8 ) selmc, malgré ces maîtres. AUélard poussa fort loin la hardiesse : sa vanité et ses aventures l'avaient rendu suspect. Mais au juge- ment de très-habiles critiques, les audaces de son langage ont plus d'une fois dénaturé sa doctrine. Ce qui est capital, c'est que ce bouillant penseur rendit hommage à l'esprit de son temps. S'il ne fut pas orthodoxe, il se vanta de lélre, fit tout pour en per- suader l'Église et mourut admiré par Pierre le Vénérable, et loué par lui pour l'humilité et la foi de ses dernières années. Gilbert de la Porrée et Amaury de Bène ne se soucièrent pas davantage de se séparer des fidèles. Quant à Occam, ce n'est plus un scolas- tique, mais un rebelle, un dissident. A force de s'exagérer les enseignements du passé, il finit par le prendre en haine et se sépara de l'Eglise aussi bien que de TEcole. l)ira-t-on que la spéculation, l'analyse, la manie de tout scru- ter, d'abord pour la gloire de Dieu, puis par amour de l'idée, amenèrent la réaction contre les Dogmes ? Que les liens respectés d'abord finirent par être tranchés par le glaive de la discussion ? Eh ! du moment que le principe d'autorité, dont ils s'étaient dé- montré la légitimité, demeurait par eux respecté, les Scolasliques furent certes de très-indépendants penseurs. Mais en cela ils usèrent du droit que le Christ a assuré à tous les croyants. Qui fut plus hardi qu'Augustin? Quel théologien o-^a expliquer le Mystère delà R«'demption avec autant deliberté qu'Anselme de Cantorbcry?Scol n'était pas timide non plus, quand il faisait de son opposition à S. Thomas, le plus considérable des Maîtres, une sorte de système. — Les Docteurs se souvenaient des Pères. Sûre de leur orthodoxie, l'Église n'entrava point leur génie. Ilyavaitlongtemj)s qu'elle leur avait octroyé la charte de la vraie liberté scientifique, dont Vin- cent de Lérins s'était fait linterprète et le cham|)ion, lorscjn'il adressait aux pbilosoplies chrétiens ces paroles restées fameuses : « Que grâce à vos lumières, la postérité se félicite de comprendre ce que vos devanciers croyaient avec vénération, sans en avoir rintelligence. Enseignez les mêmes choses qui vous ont été trans- mises, de façon qu'en les présentant sous une forme nouvelle, vous n'inventiez pas des dogmes nouveaux... Il est juste de limer, de polir avec le temps les thèses antiques de la philosophie sacrée; ( 399 ) mais c'est un crime de les changer, c'est un crime de les allérer, de les mutiler. Qu'elles reçoivent une lumière, une clarté nou- velle, qu'elles gagnent en précision, mais que toujours elles con- servent leur plénitude, leur intégrité, leur nature ' ! » L'Eglise de- meura fidèle à ses traditions en condamnant les novateurs, comme autrefois, elle avait condamné les Semi-Ariens qui faisaient d'Aris- tote la règle des Dogmes, et plus tard le brillant Origène, le hardi Pelage. Voilà la loi qui, dès l'origine, régit la science religieuse, dans ses rapports avec la philosophie. Ce n'est pas de la Scolas- tique qu'est sortie la libre pensée : c'est de l'abandon de son principe fondamental. Nous n'aurions en garde de le rappeler, n'était la persistance de très-habiles gens à reprendre sans cesse cette assertion de haute fantaisie. Ce que nous venons de dire nous conduit au vrai sens du mou- vement scolastique. En quoi a-t-il consisté? La chose paraît bien simple. Dans une nouvelle application, proportionnée aux cir- constances sociales et intellectuelles, du principe chrétien -.Croire afin de comprendre. Les Pères avaient presque toujours écrit leurs œuvres, en vue des hérésies régnantes et du besoin immé- diat des âmes. De là le caractère fragmentaire , polémique de la science religieuse des premiers temps. En cette période, elle a pour objet des traités isolés. Les ouvrages encyclopédiques sont rares. Après les Principes d'Origène, la grande Catéchèse de S. Grégoire de Nysse, TEnchiridion de S. Augustin, la Règle de la vraie Foi de S. Fulgence de Ruspe, V Exposition de la Foi ortho- doxe de S. Jean de Damas, il n'y a presque plus rien à citer en ce genre. Mais voici qu'après les longues perturbations qui ont marqué la chute de l'empire d'Occident et les invasions barbares, l'Idée chré- tienne monte avec Charlemagne sur le trône de l'Europe. L'idéal du grand conquérant est d'assurer au christianisme la complète suprématie. Pour lui, comme pour ses contemporains, la Philo- sophie et l'Évangile ne sont pas seulement deux puissances amies, elles ne sont pas même séparées. La politique, les arts, les * Commonit., c. XXIII-XXIV. ( 400 ) sciences, s'unissent dans la vivante synthèse qui va constituer l'État chrétien. La grandeur de TÉtat, les intérêts de toute sorte, Ja ferveur rehgieuse du conquérant, l'esprit puhlic de l'époque commandaient et réalisèrent cette union des deux pouvoirs dont l'universelle primauté de l'Église fut le résultat. A la gloire de fondateur d'empire, Charlemagne ajouta celle de restaurateur des Écoles. Les nouveaux Régents ne purent avoir qu'un but : fondre en un seul corps de doctrine l'ensemble des vérités dont la société avait le patrimoine. Par un temps si éloigné de nos distinctions confessionnelles et doctrinaires , la science ne jjouvait exister que sous le symbole d'une Encyclopédie classique, dont la Religion était le fondement, le sommet, la règle. C'est en vue des Dogmes eux-mêmes que les maîtres s'occupent désormais des mystères. Le caractère harmonique delà science sacrée se sub- stitue au caractère polémique. Or l'enseignement officiel s'était conservé dans les monastères de l'Hibernie. Ce fut de là surtout que vinrent les professeurs des Franco-Germains. VEcole du Pa- lais, mère de Timmortclle Université de Paris, fut établie par Alcuin, selon les traditions du Quadrivium et du Trivium. Elle fut le modèle de toutes les autres, de celles d'Orléans, de S.Denis, de Lyon, et des écoles monastiques de S. Martin de Tours, de Fulde, de Corbie. Bientôt il y eut partout des maîtres et des disciples. A Paris même, outre l'école épiscopale, on compta de bonne heure un grand nombre d'Académies. M. Hauréau a écrit sur celte renaissance des lettres quelques lignes éloquentes qui montrent bien ce que le mouvement nouveau avait de contagieux, de pas- sionné. Nous voulons citer ces paroles. Le régime des Ecoles est d'une importance extrême pour rintelligence de la Scolastiquc. « Pour avoir acquis le droit d'enseigner aux autres, dit le savant historien, il fallait avoir fait quelque séjour dans les écoles de Paris : quiconque n'avait pas été entendre les régents de la grande École, passait pour ignorer même les rudiments de la science. Quand aux derniers confins de la Bretagne insulaire, aux plus lointaines retraites de la Calabre, de l'Espagne, de la Germanie, de la Pologne, un jeune clerc manifestait quelque inclination pour les hautes études, et semblait à ses supérieurs promettre un logi- ( 401 ) cien, aussitôt on l'envoyait à Paris. II partait seul à pied, traver- sant les fleuves, les montagnes, les mers, sous la protection des gens de guerre, ou même des gens de rapine qu'il rencontrait sur sa route. C'était une vie d'aventures et de périls qui le disci- plinait d'avance aux agitations et aux rudes épreuves de l'école. Chaque soir, il trouvait un asile dans le plus prochain monastère : si la nuit le surprenait loin d'une bourgade , il allait frapper au seuil de quelque maison isolée; et pour obtenir le plus coi'dial accueil, il lui suffisait de déclarer son titre d'écolier : ici 1 hospi- talité lui était libéralement accordée; ailleurs, elle lui était due, et la loi municipale punissait comme un délit toute infraction à cet article de la coutume: les écoliers ont partout le droit dasile '.» — C'était à la lettre l'épopée de la vie inlellectuclle. La scolastique, dans son ensemble, ne fut ainsi que l'expres- sion nouvelle donnée par la race franco-germanique aux rapports de la Raison et de la Foi. Transportez au temps d Origène ou d'Augustin les circonstances de l'époque de Charlemagne, et la fameuse méthode sera plus vieille de quatre siècles. En résumé, la science du moyen âge est chrétienne ou surnaturaliste dans son esprit; contentieuse et dialectique dans la manière; presque toujours aristotélicienne, parfois augustinienne dans la forme extérieure; systématique et bientôt encyclopédique dans l'en- semble. Elle se rattache essentiellement au mode général d'ensei- gnement de lépoque, la tradition des Écoles. De là son nom 2. La scolastique devint par excellence le nom commun de la philoso- phie et de la théologie, toujours unies, parfois presque confondues durant celte fervente période, et enseignées dans les écoles épis- copales, monastiques et privées. Entre la méthode scolastique et celle des Pères, il n'y eut qu'une différence de forme, non de nature. La philosophie scolastique, dit M. Ritter, ne pouvait * I, p. 2i. Cf. Brucker, Hist. Phil., t. III. — Kaulich, Gesch. der Schol. Phil, 1853. Pragg, t. I. — D"- Stôckl, Gesch der Phil. des M. A., 1. 1. * Cf. — D'après HEUMANN(praef. ad Tribbechovium : De doctoribus eccle- siasticis),\e mol Scoîasticus aurait été introduit ou employé pour la première fois en latin par Pétrone. (Safi/r.,1. IV.) — Cf Quintilien,/)^ causis corruptae eloq., c. XXIII. Tome XXV. 26 ( 402 ) être qu'un développement de la philosophie des Pères. Elles se distinguent moins par leur objet que par la forme même de leur doctrine *. » Cette interprétation accueille tout ce qu'il y a de vrai dans les explications diverses des érudits. Elle est bien simple, mais elle semble conforme aux faits. Anselme de Cantorbéry n'a pas vécu aux jours où la synthèse religieuse s'éleva à l'apogée. Mais il est le premier Docteur en qui le nouvel esprit franco-germanique parvint à sa maturité. Il applique successivement l'investigation analytique à tout l'en- semble des Dogmes. La science spéculative du moyen âge naît avec lui. Après les travaux de ses devanciers, l'on éprouve un saisissement profond en présence de son œuvre. — C'est la stupeur qu'on ressentirait à la vue d'un temple s'élevant au milieu d'une foret à peine frayée. Anselme n'a pu rassembler en un seul corps les matériaux divers de ses longues méditations. Sa vie fut trop mêlée au tracas des affaires , aux soucis de l'ad- ministration pour lui permettre de composer une Somme. Mais qu'^)n réunisse ses traités , et l'on verra qu'il a touché à tous les grands problèmes de la philosophie et de la théologie. Nous con- naissons ses enseignements sur la nature de la vérité , sur la sub- stance physique et sur l'essence de l'Absolu. Le D''Hasse entrevoit déjà dans le Monologue un rudiment de Somme. De fait, Anselme y approfondit tour à tour l'existence, la nécessité, l'actualité et les attributs de Dieu, sa causalité externe ou la création des choses finies, les relations de l'Être infini avec le temps et l'espace, le mystère de l'ineffable Trinilé, le sens de la destinée humaine, les devoirs fondamentaux de l'homme et la sanction de la loi morale. Il s'occupe ailleurs du concept de la liberté humaine , et montre que la chute ou la défaillance morale suppose toujours l'infidélité volontaire de la créature. Cet ordre de considérations le conduit h l'investigation du péché d'origine, des mystères de l'Incarnation et de la Rédemption qu'il explique avec une élévation et une hardiesse rarement égalées. De la sorte, il a parcouru presque en son entier tout le cycle de la Doctrine. La mort le surprit méditant un traité sur l'origine des âmes. • Gesch. der Phil., 1. VII, p. 235. ( 403 ) Certes ce caractère d'ensemble de l'œuvre d'Anselme marque un progrès immense. Pour avoir le premier réuni, dans une aussi large mesure, les spéculations rationnelles et les données du Symbole, pour leur avoir donné cette pbysionomie encyclo- pédique, Anselme a bien mérité le nom de Père de la scolastique que lui décerna la postérité. C'est assez de tenir compte de ces observations sur l'esprit général du mouvement scolastique, pour réduire à leur juste valeur le blâme que certains critiques ont infligé à notre Doc- teur, au sujet de sa manière de comprendre la science des Dogmes. S'il faut en croire M. Rousselot, Anselme aurait trahi la Philosophie, du jour où il se sépara de Roscelin : « Il semble, dit cet écrivain , que pour le Docteur de S'^'-Marie du Bec , la Phi- losophie ne puisse s'affranchir de la Foi : s'il consent à philo- sopher, c'est dans les limites de la croyance. » L'un des premiers, M. Rousselot a porté contre Anselme de Cantorbéry une accusation aussi grave. Elle ne frappe pas seule- ment le régent de S'^-Marie du Bec, elle atteint tous les scolas- tiques. Après bien d'autres ^ M. Franck et le M. D"" Hoehne ^ l'ont reprise dans leurs remarquables Mémoires sur la doctrine d'An- selme. Eux aussi estiment qu'il a mis la Philosophie en tutelle, grâce à sa condescendance pour les dogmes ecclésiastiques, dont il a fait la règle de toutes ses études. Il est difficile de discuter des assertions comme celles que nous venons d'entendre. — M. de Rémusat était mieux avisé, lors- qu'il avertit que les œuvres scientifiques doivent être jugées d'après les idées de l'époque qui les a vues naître ^. Les scolas- tiques partent du fait de la révélation divine des vérités de foi; c'est le principe, c'est la base de toutes leurs démon- strations. Leur formule célèbre : Philosophia Theologiae andlla a pu paraître obscure, froissante en sa rude simplicité. Bien entendue, elle se concilie avec le respect passionné de tous les * Franck, /. c, passim. 2 Hoehne, op. cit., § 1, p. 7. • S. Anselme de Cant., p. 454. ( 404 ) droits de la raison. S. Jean de Damas l'a transmise aux Docteurs, mais elle était connue de Clément l'Alexandrin et d'Origène *. Elle n'exprime que la subordination essentielle de l'intelligence finie à la raison absolue et son obligation de s'y soumettre, à condition que le fait historique de la Révélation soit prouvé. Schelling, la plus forte tête de la pléiade panthéistique, n'en jugeait pas autrement. On connaît ses paroles qui firent sensation en Allemagne : « Comme source spéciale de nos connaissances, la métaphysique est pour l'esprit un simple instrument, un organe, et en ce sens, en tant que moyen de connaître , elle ne peut avoir à l'égard de la Théologie, maîtresse de la vérité révélée, d'autre rôle que celui d'une science subordonnée. Ce serait tout bonne- ment une méprise que de faire de la destination naturelle de la raison un reproche a la Théologie. » Sans doute, les éléments bâtards de la scolastique dégénérée ont péri sans retour. La dialectique excessive et étroite, les stériles argumentations édifiées sur des hypothèses abstraites auxquelles, après une éclatante période de gloire, revinrent les régents du XIV^ et du XV^ siècle, la vogue de la formule, tout cela a fait place à une science moins arbitraire, à des démon- strations plus vivantes, La psychologie, la physiologie, l'obser- vation des faits ont pénétré jusque dans l'ontologie. Mais c'est aux thèses essentielles d'Aristote, de S. Thomas d'Aquin, de S. Bona- venture que reviennent chaque jour les plus fermes esprits^. Après tant de systèmes, après une confiance si généreuse et tant de fois trompée dans les conceptions nouvelles, ne serait-il pas temps de comprendre qu'en philosophie aussi , le mot de Platon contient la vraie, l'unique solution : « Tous les sages n^ont qu'une voix? » — Il y a une tradition philosophique. Son identité fondamentale est visi- ble , à travers les variations, les crises , les défaillances de la pensée. Elle ne peut être que l'expression de la raison humaine elle-même. La mission de la critique est d'en dégager le sens, d'en suivre le * Voir De scholasticorum senlentia : philosophiam esse Iheologiae ancillam , p. 2, sqq;Monaslerii, 1856. 2 Cf. Tarlicle du baron G. von Hertling, de Bonn : Les derniers efforts de laphil. allem. Revue générale : avril, 1875. ( 405 ) courant souvent troublé et interrompu , jamais tari. — Parmi tant de méthodes, quelle est celle qui est fondée sur la nature, sur la réalité, non sur des rêves personnels, sur des concep- tions sans contrôle? Quel est le premier principe de la doctrine d'Aristote, de Platon, disons mieux, de tout le genre humain? N'est-ce pas l'infaillible certitude et la portée objective des tendances originelles, primitives des êtres, des facultés? Nous avons vu que les scolastiques aussi bien que les Pères ont accepté ce principe. Il est la clef de voûte, cachée parfois, de leur Ontologie, de leur Idéologie, de leur Physique, de leur Théodicée. Au-dessus des entraves des temps; par delà les témérités et les faiblesses inséparables de tout grand mouvement intellectuel, il leur reste l'honneur d'avoir signalé cette vérité, de toutes la plus universelle et la plus féconde. — Et ajoutons-le, puisqu'il s'agit de choses si intimement unies : quel est le principe de la théologie spéculative des scolastiques? Au point de vue histo- rique, la Révélation de la suprême Intelligence, sous la forme d'enseignement religieux. Au point de vue de la théorie, l'effort de la pensée à se démontrer l'évidence de ce fait générateur, à pénétrer les données divines, à entrevoir leur lien mutuel et leur rapport avec les idées de la raison et les aspirations de la con- science. — N'est-ce pas une noble doctrine que celle qui tend à unir aux clartés de la science terrestre quelques reflets de cette lumière meilleure qu'appelait Platon * ? Mais n'est-ce pas tout l'esprit de la scolastique? Et qui donc l'a mieux caractérisé que son premier Docteur, dans le titre primitif du Prosloge : La Foi cherchant l'intelligence, Fides qiiaerens intellectiim? — C'est la formule chrétienne de la métaphysique du divin Philosophe, mettant la connaissance « dans le goût intime des choses célestes et immortelles ^. » C'est, en un sens excellent, la sagesse d'Aristote, nous avertissant que « l'homme, selon le conseil des doctes, doit apprendre à sortir de lui-même , à ne plus rien sentir de mortel, mais à vivre d'immortalité et de la vie du principe supérieur qui < Cf. OzANAM : Dante et la Phil. catholique : Préface. ' Tim., 90. ( 406 ) est en lui '. » — Par sa puissante pensée, par son commerce avec le plus fidèle représentant chrétien de l'antiquité, Anselme a restauré les dogmes principaux de la tradition philosophique. Là est son originalité, sa gloire, le secret de l'éclatant prestige, de la sympathie prolongée qui s'attachent à son nom ! Qu'im- portent, après cela, quelques lacunes dans son œuvre, quelques faiblesses dans ses argumentations ? Qu'importe que Gaunilon, ce Kant des anciens temps ^ ait opposé à la preuve du Prosloge des objections qu'on n'a pas encore réfutées ? L'humanité ne vit pas seulement de méthode, ni de démonstrations correctes, ni de froide et banale exactitude ? Qui se souviendrait aujourd'hui du zélé dialecticien de Marmoutiers si l'Abbé de S'^-Marie ne nous eût conservé sa censure? Seul, malgré les erreurs de détail, l'homme de génie, révélateur des principes et des grandes lois , donne aux idées une impulsion vivace. — Fils d'un siècle inexercé , le disciple de Lanfranc a renouvelé l'aspect de la philosophie et ouvert la voie aux grands scolastiques. Le premier, au moyen âge, il a signalé le phénomène central de la conscience humaine : sa tendance naturelle à l'Infini, à l'Absolu. Les pressentiments de ce hardi penseur agitent encore la science. Aussi longtemps qu'il y aura une philosophie, elle reconnaîtra l'empire d'Anselme de Cantorbéry î ' Ët/lic. ad Nicom , X, p. 7. c^;} TABLE DES MATIÈRES. Page Avant-propos . . Sources principales CHAPITRE I. DIALECTIQUE DE S. ANSELME DE CANTORBÉRY. De l'usage de la Dialectique dans l'Église d'Occident jusqu'à Anselme de Cantorbéry. — Analyse et appréciation de son Fragment d'Introduction à la Dialectique ou du Dialogue : de Grammatico. — Sources et forme de la Dialectique, pendant la première période scolastique 1 CHAPITRE II. PRINCIPES DE MÉTAPHYSIQUE GÉNÉRALE ET d'iDÉOLOGIE DE S. ANSELME DE CANTORBÉRY. § 1. Analyse du Dialogue de Veritate et des principes fondamentaux de la Méta- physique d'Anselme. — Doctrine de la Vérité absolue , raison dernière de la Vérité relative; Exemplarisme. — Critique; sources et influences de ces doctrines. — Idéologie d'Anselme. Implique-t-elle l'Ontologisme? .... 56 § 2. De la connaissance dans ses éléments préliminaires. — Idées-images. — Sources et critique l'^O ( 408 ) CHAPITRE III. ^ VUES DE S. ANSEL3IE DE CANTORBÉRY SUR LA NATURE DE LA SUBSTANCE PHYSIQUE. Pages. Sens général de la question. — Etat de la doctrine jusqu'à Anselme. — Ses vues sur l'unité de la substance physique. — A-t-il admis l'unité numérique des essences réelles ou seulement leur unité spécifique? — Doctrine, sources et critique i91 CHAPITRE IV. THÉODICÉE DE S. ANSELME DE CANTORBÉRY. § 1. De l'existence de Dieu : preuves tirées de la relation des êtres finis avec la Cause nécessaire et infinie. — Preuve dite a priori ou tirée de la seule idée de l'Être le plus grand. — Critique ; sources 243 § 2. De l'influence de l'argument d'Anselme sur les philosophes postérieurs ... 294 §5. De l'essence et des attributs de Dieu 326 CHAPITRE V. DOCTRINE DE S. ANSELME DE CANTORBÉRY SUR LES RAPPORTS DE LA PHILOSOPHIE ET DE LA THÉOLOGIE. § 1. De la nature des arguments par lesquels on peut arriver à Yintelligence des mystères 361 § 2. Nature caractéristique du procédé scientifique d'Anselme. — De la méthode scolastique 391 ERRATA. 367, note 1, lisez : Confes.s., IV; X, 15, ap. Gratry, Connaissance de Dieu, I, p. 213. \ TABLE MEMOIRES CONTENUS DANS LE TOME XXV. SCIENCES. i. Théorie des équations aux dérivées partielles du premier ordre; par M. Paul Mansion. {Mémoire couronné.) 2, Résumé de quelques observations astronomiques et météorologiques faites dans la zone surtempérée et entre les tropiques; par J.-C. Hou- zeau. LETTRES. 3. Essai critique sur la philosophie de S. Anselme de Cantorbéry; par ^ M. l'abbé A. Van Weddingen. {Mémoire couronné.) PUBLICATIONS DE l/ACADEMIE ROYALE DE BELGIQUE. Nouveaux Ménio^ves, tomes I-XIX (1820-1845); in-4". — Mémoires, tomes XX-XL ; tome XLl , \^' partie (1846-1875); in-4\ — Prix : 8 fr. par vol. à partir du tome X. niéiuoirps eoiironné.ti, tomes 1-XV (1817-1842); in-4". — .mémoires couronnée et IVIéinoiie.>« de$i savants ftransers, tomes XVI-XXXVIII ; tome XXXIX, i^'^ et 2^ fasc. (1845-1875) ;in-4". — Prix : 8 fr. par vol. à partir du lome Xll. Mémoires couronnés, in-8% tomes I-XXV; tome XXVI, \" fascicule. — Prix : 4 fr. par vol. Tables des Mémoires (1816-1837). In-18. ;%nniiaire, l'-^ à 41me année, 1855-187o; in-18. Fr. 1,50. iSuISetins, Ir-^ série, tomes I-XXIII; — 2^6 série, tomes I-XXXIX; in-8^ — Annexes aux Bulletins de 1854, in -8". — Prix : 4 fr. par vol. Tablex $^énérale.<$ des Bulletins : tomes I-XXIII, \^' série (1852-1856). 1858, in-8«, —2'"'^ série, lomes I-XX (18.57-1866). 1867; in-S". ESlhliograpliie académique. 1854; 1 vol. in-18. 1875; 1 vol. in-18. Catalogue de la bibliothèque de PAcadémie. 1850; in-S». Catalogue de la bibliothèque de M. le baron de Slassart. 1863 ; in-8o. Centième anniversaire de fondation (1772-1872). 1872; 2 vol. gr. in-8. Commission pour la publication des monuments de la littérature flamande. OEuvres tle Van Sltierlant : Der natuuen' BLOEME,tome l*"»*, publié par M. J. Bormans, 1857; 1 vol. in-S"; — Rvmbybel, avec Glossaire, publié par IM. J. David, 1858-1860; 4 vol. in-8"; — Alexander Geesten, publié par M. Snellaert, 1860-1862; 2 vol. in-S". — l^ederlandsche g^edicliten, etc., publiées par M. Snellaert, 1869; 1 vol. in-8", — Partlionopeus van BSloys, publié par M. J. Bormans, 1871 ; 1 vol. in-8". — Spegliel der 'Wysheit, door Jan Prael, publié par M. J. Bormans 1872; 1 vol, in-8\ Commission pour la publication d'une collection, des œuvres des ■ grands écrivains du pays. oeuvres de Chastellain, publiées par M. Kervyn de Lettenhove, 1865-1865, 8 vol. in-8". — l.e l" livre des Chroniques de Frolssart. publié par le même. 1865, 2 vol. in-8''. — Chroniques de Jehan le Bel . publiées par M. Polàin, 1865. 2 vol. in-8", — U Koumans de CIcomadès, publié par iM. Van Hasselt. 1866, 2 vol. in-8". — nitset contes de Jean et Uaudunin fie Condé, publiés par M. Aui^usle Scheler. J866, 5 vol. in-8". — IJ ars d'amour, etc., publié par M. J. Petit, 1866-1872, 2 vol. in-8". — «ilCuvres de Frolssart : Chroniques , publiées par M Kervyn de Letten- hove. 1867-1875,21 vol. in-8"; — Poésies, publiées par M. Scheler. 1870-1872, 5 vol. in-8"; — Glossaire , publié par le même. 1874, un vol. in-8". — Lettres de Conimines, publiées par M. Kervyn de Lettenhove. 1867; 5 vol. in-8'. - nits de ^Tatriquet de Couvin , publiés par M A. Scheler. 1868, 1 vol. in-8". — l.es CCnfances Osier, |)ubliees par le même, 1874, 1 vol. in-8. — Bueves de Commarehis, par Adenès li Rois, publié par le même; 1874. I vol. in-8''. — lii BCouman.ci de Berte ans graais pies , ])ublié i>ar le même. 1874, 1 vol. in-8'. Commission royale d'histoire. Collection de Chroniques belse» inédites, publiées par ordre du Gouvernement; 41 volunies in-4". Compte rendu des séances, l''« série, avec table (1857-1849), 17 vol. in-8". - 2""' série, avec table (1850-1859), 15 vol. in-8", — ô'"-- .série (1860-1872), II vol. )n-8". — 4""= série, tomes 1 et II (1873-1874). i%nnexes aux Bulletins, 15 volumes in-8". Commission pour la publication d'une Biographie nationale. Biographie nationale,t. I à IV. Bruxelles, 1866-1875; 4 vol. i>r. in-8".