ee paper M Leds PPT at Librarp of tbe Museum OF COMPARATIVE ZOÜLOGY. AT HARVARD COLLEGE, CAMBRIDGE, MASS. —Rhecifof VAS. Le Honrnek + No, /60 MÉMOIRES COURONNÉS MÉMOIRES DES SAVANTS ÉTRANGERS. AOHUO MÉMOIRES COURONNÉS ET MÉMOIRES DES SAVANTS ÉTRANGERS, PUBLIÉS PAR L'ACADEMIE ROYALE DES SCIENCES», DES LETTRES ET DES BEAUX=ARTS DE BELGIQUE. ee COLLECTION IN-8°.— Rome HE. (1° Partie.) tu BRUXELLES M. HAYEZ, IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE ROYALE. "1849. EXPOSÉ GÉNÉRAL DE L'AGRICULTURE LUXEMBOURGEOINE, OU DISSERTATION RAISONNÉE SUR LES MEILLEURS MOYENS DE FERTILISER LES LANDES DES ARDENNES, SOUS LE TRIPÉE POINT DE VUE DE LA CRÉATION DE FORÊTS , D'ENCLOS, DE RIDEAUX D'ARBRES , DE PRAIRIES ET DE TERRES ARABLES , AINSI QUE SOUS LE RAPPORT DE L'IRRIGATION ; Henri LE DOCTE , AGRONOME-CULTIVATEUR. MÉMOIRE Qui « obtenu lu médaille de vesmeil, décernée par l’Académie soyule des sciences , des lotires et des beaux-arts de Belgique. BRUXELLES , M. HAYEZ, IMPRIMEUR. DE L'ACADÉMIE ROYALE. 1849. EXPOSÉ GÉNÉRAL L'AGRICULTURE LUXEMBOURGEOISE, OU DISSERTATION RAISONNÉE SUR LES MEILLEURS MOYENS DE FERTILISER LES LANDES DES ARDENNES, SOUS LE TRIPLE POINT DE VUE DE LA CRÉATION DE FORÊTS, D’ENCLOS, DE RIDEAUX D'ARBRES, DE PRAIRIES ET DE TERRES ARABLES , AINSI QUE SOUS LE RAPPORT DE L'IRRIGATION, MÉMOIRE QUI À OBTENU LA MÉDAILLE DE VERMEIL , En réponse à l’une des questions du programme du concours de 1848, établi par la Classe des Sciences de l’Académie royale de Belgique. PAR Henri LE DOCTE, Agronome-Cultivateur. AUS DR APE EN RIRE PEAU RUN MA UUE Se ER ANT: Si AU RENE RE EU PRE UUNE EXPOSÉ GÉNÉRAL DE L'AGRICULTURE LUXEMBOURGEOISE. ne Des landes en friches, des bras oisifs, soni aussi stériles que des capitaux enfouis dans un coffre. (Rarxo. ) En répondant à l'une des questions posées par l'Académie royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles Sur les meil- leurs moyens de fertiliser les landes des Ardennes, sous le point de vue de la création de forêts, d'enclos, de rideaux d'arbres, de prairies et de terres arables, ainsi que sous le rapport de l'irri- gation, je ne me suis pas dissimulé la difficulté de la tâche que j'ai entreprise. Néanmoins, ayant considéré cette question comme essentielle- ment agricole, je n'ai pu résister à l'attrait qu'elle m'offrait, et j'ai cru devoir répondre à l'appel de l'Académie, dans espoir que mes vues pourront contribuer à la réalisation des vœux que lon forme relativement à la mise en culture de nos landes. Le défrichement des bruyères a déjà été, il est vrai, le sujet de plusieurs traités spéciaux ; mais je crois ne pas me tromper en affirmant que les nombreux mémoires qui ont été publiés sur (4) cette matière, n'ont pas produit tout l'effet qu'on était en droit d'en attendre. La fertilisation des terres incultes que renferme encore la Belgique, est une nécessité de notre époque : tout le monde l'a reconnue. Il est seulement déplorable que l’on n’ait pas à con- stater la même unanimité de vues sur les moyens que l’on pro- pose pour parvenir à la réalisation de cette grande mesure. Chacun a eu, en effet, un système qu'il a préconisé, et il en est résulté naturellement une confusion telle dans les idées des en- trepreneurs, que la question du défrichement a Nine plutôt que d'arriver à son terme. Cette confusion s'explique facilement : elle tient, d’une part, à ce que les Ardennes n’ont encore été ni explorées, ni étudiées dans un but tout spécial; de l’autre, à ce qu'il n'a encore été proposé aucun plan de culture raisonné qui soit susceptible d'exécution; elle tient enfin à ce qu'on ne peut encore affirmer aujourd’hui, si la mise en valeur de nos terres en friches pour- rait devenir une spéculation avantageuse et lucrative. 1l semblerait cependant, si l'on en juge d’après la multiphieité des écrits publiés sur le défrichement, qu'il doive exister des moyens assez étendus et assez exacts pour attirer la confiance des capitalistes, des propriétaires et des agriculteurs vers cette opération; mais si la question a été éclaireie par de nouvelles observations, il faut avouer aussi qu'elle a été singulièrement voilée par des données fautives ou exagérées, et que, par suite, les faits agricoles les plus intéressants et les plus délicats ont toujours été négligés ou mal interprétés. Je me plais à croire que mon travail sera assez complet pour faire jaillir la vérité et pour dissiper les derniers doutes qui existent encore relativement aux obstacles qui semblent mettre opposition au défrichement des Ardennes. Deux points surtout m'ont paru dignes de fixer l'attention de l'Académie; aussi me suis-je attaché à leur donner les développe- ments qu'exige leur importance. Le premier a rapport au climat; le second, à la nature physique du sol. (RSD) L'importance que j'attribue à l'examen approfondi de tout ce qui se rattache au climat et au sol, me paraît devoir être d’au- tant mieux appréciée, qu'il n'appartient pas à l'homme d’adoucir sensiblement la température de l'atmosphère, ni de modifier la texture de la terre par l'emploi du sable, de l'argile, sans être entraîné à des dépenses trop considérables, lorsque toutefois on ne peut obtenir ce résultat par l’action des instruments aratoires. Pénétré du danger des notions trop incomplètes, je me suis étendu sur tous les faits qui peuvent aider à la fertilisation et à la mise en culture des landes; et si parfois il m'est arrivé d’en passer sous silence, c’est que je les ai trouvés suffisamment dé- veloppés dans les ouvrages spéciaux sur la matière (1). Tel est le plan que j'ai cru devoir adopter pour répondre en- tièrement aux vœux de l’Académie. (1) Sous ce rapport, on pourra consulter les ouvrages suivants : Essai sur le défrichement des terres incultes de la Belgique, par S.-B. Bivort. Bruxelles, 1841. Dissertation raisonnée sur les meilleurs moyens de fertiliser les landes de la Cam- jine et de l’Ardenne, sous le triple point de vue. etc., par le même, Bruxelles, 1846. Essai sur la question du défrichement des landes et des bruyères et sur diverses usnéliorations , par Bonjean. Licge, 1845. Rapport de la deputation permanente du conseil provincial du Luxembourg. Arlon, 1844. Bulletin du conseil supérieur d'agriculture. Bruxelles, 1847. Défrichement des bruyères et autres terres incultes, circulaire du Ministre de l’in- terieur du 30 juin 1843, et délibération des conseils provinciaux (publiée par le Gouvernement). ù Essai sur l'amélioration de l’agriculture en Belgique, suivi d’un mémoire sur le défrichement des landes et bruyères, par Max. Le Docte. Liége, 1845. Nouveau système de culture spécialement composé pour la Belgique, ete., par le méme. Liége, 1845. Moyens de procurer immédiatement du travail à dix mille ouvriers, parle même. Liége, 1848. Le paupérisme en Belgique, par Ducpétiaux. Notice sur le défrichement des bruyères et sur la formation de colonies agricoles dans les Ardennes, par Raingo. Mons, 1844. Du défrichement des terres incultes considérées’ sous le point de vuc des intérêts sa- ciaux , par le même. Avril, 1846. (6) DU CLIMAT. Le climat d’une contrée est, sans contredit, une des choses Îles plus importantes à examiner pour quiconque s'occupe de la cul- ture des champs. Une terre présentant tous les caractèrés de la fertilité, rendra, si ellé n'est pas favorisée par un climat heureux, vains el inu- tiles les efforts de l'homme, et restera indéfiniment condamnée à la stérilité. Pour bien établir la Situation du elimat des Ardennes dans ses rapports avec l'agronomie, nous ne pourrions mieux y parvenir qu'en répondant catégoriquement aux objections qu'on ÿ à op- posées. D’après les allégations qui ont été formulées sur le climat des Ardennes on cite particulièrement : 40 Que la pomme de terre eu l'herbe des prairies périssent au mois de mai ou de juin par l'effet des gelées blanches ; 20 Qu'il ne suffit pas de bien engraisser et de travailler les terrains avec soin, pour assurer le succès des céréales : qu'elles sont atteintes des gelées lors de leur fructification ; 5° Que le froid et les gelées automnales, souvent trop préma- turées, dissipent en quelques nuits les espérances d'une riche MOISSON ; 4° Que la chaleur trop intense des étés chauds torréfie sou- vent les produits de la terre ; 5° Que la culture du seigle et de l’avoine est très-souvent imparfaite, quant au rendement; 6° Que la temipérature ordinaire ne permet pas la culture du froment ; 7° Que les grêles et les forts orages sont fréquents et les pluies rares ; 8° Que les grands vents font verser les récoltes. La plupart des auteurs qui ont traité du climat de l’'Ardenne, ont tranché toutes ces intéressantes questions locales d’une ma- (a) nière trop exclusive; les uns, en exagérant les faits; les autres, en n’en tenant pas un compte assez exact. Sans être aussi absolu, nous dirons qu'on ne doit pas se dissimuler que le climat est une des causes des pertes à déplorer dans la contrée qui nous occupe. C'est en recherchant l’origine de ces causes que l'on par- viendra sinon à les anéantir entièrement, du moins à en dimi- nuer la gravité : 1° Des gelées blanches. — Les pommes de terre gêlent dans les Ardennes au mois de mai ou de juin : c’est là un fait incon- testable: mais cette circonstance ne se présente que dans cer- taines parties du territoire et encore sont-elles très-circonscrites. Nous trouvons les motifs de cette congélation dans la nature humide des terrains auxquels on confie la pomme de terre. Un sol humide possède toujours une température moins élevée qu'un sol de nature sèche. Or, comme ils suivent tous les deux une progression à peu près identique dans les variations de l'atmosphère, il est évident que l’un se congèle beaucoup plus tôt que l’autre, lorsqu'il survient un abaïssement de température : c’est ainsi qu'un champ humide de pommes de terre peut être porté à l’état de congélation, tandis qu'un autre à côté, d'une nature plus sèche, peut résister aux intempéries du froid. Cest ce qui explique pourquoi on voit, dans certaines années, bon nombre de pommes de terre occupant les bas-fonds se geler aux mois de mai et de juin; tandis que d'autres dans le voisinage, étant plus élevées et plus sèches, n'éprouvent pas le moindre préjudice. De là on a tiré vaguement la conséquence que les tubercules gélent très-souvent dans les Ardennes. Si on a de semblables sinistres à déplorer dans ce pays, on ne doit les attribuer qu’au défaut de prévoyance; car il est toujours facile d'éluder les suites funestes de la gelée, de l'avis même des meilleurs observa- teurs, lorsqu'on a la précaution de cultiver la pomme de terre sur Je versant ou vers les sommités des terrains, et sur les flancs (160) des collines, où il n’y à jamais, comme dans les bas-fonds, un excès d'humidité. Les gelées blanches, produites par la radiation, se font aussi remarquer en Condroz et en Hesbaye, où elles ne sont pas à craindre. Doit-on done s'étonner si on les trouve en Ardenne et qu'elles s'y dessinent sur les terrains? Au reste, ce que nous pouvons assurer, €est que les gelées blanches ne font tort qu'aux pommes de terre des terrains humides; car, jusqu'à présent, per- sonne n’a escore eu l’occasion de constater qu'elles eussent pro- voqué la perte de ces plantes dans les terrains d’une autre nature. Gn doit convenir également que les gelées blanches se mani- festent sur les prairies permanentes par des effets nuisibles à la production du foin. Cette circonstance fâcheuse est due, comme pour les pommes de terre, à la présence constante des eaux; mais elle peut être annulée par des moyens qui seront indiqués ultérieurement, lorsqu'il sera question des prairies. Disons seu- lement ici que cet état de choses est la conséquence du mode vicieux d'irrigation qui est en usage. 2e De la fructification des céréales. — On observe très-sou- vent que les céréales placées dans certaines conditions, par exemple près des eaux stagnantes, avortent au moment de leur fructification ; mais c'est une erreur de croire que cette cause provienne des gelées au moment de la floraison. On sait que, par la puissance des émanations solaires, une partie des eaux se transforme en vapeurs aqueuses pour consti- tuer le brouillard, qui, en suspension dans l'air, retombe sur les végétaux sous forme de rosée pendant les nuits sereines. Loin de nous de supposer que cette rosée puisse entraver la produc- tion des graines, puisque les récoltes quelque peu éloignées des marécages ne sont point soumises aux mêmes influences funestes, alors qu'elles reçoivent de la rosée aussi bien que celles qui en- iourent les eaux. Ce que nous avons dit sur le refroidissement du sol s'applique aussi à l'atmosphère, dont la température est sujette à la même influence : plus le sol est humide et froid, plus aussi l'air am- (9) biant est froid. Cette circonstance paraît étre due à une des pro- priétés de l'eau, qui tend constamment à s'emparer du calorique des corps avec lesquels elle se trouve en contact. Ceux qui habi- tent le long des grandes eaux sont familiers avec ce grand abaissement de température. Ce fait peut très-bien se constater, même sans l'intervention d'un appareil, en été, après le coucher du soleil, dans les belles prairies situées entre Vilvorde et Bruxelles. Cela tient, comme ailleurs, à ce que cette immense plaine est naturellement humide et entourée par les eaux du canal qui la longe et par celles des fossés qui la sillonnent. Les eaux sont donc une cause de refroidissement, mais non de dépérissement des graines de céréales qui les bordent. Et cependant, si l'on consulte un grand nombre de eultivateurs ardennais sur les influences météorologiques des marais, on est tenté de croire que les gelées se reproduisent périodiquement à une saison très-avancée, en portant une atteinte funeste aux cé- réales à l’époque de la formation des graines. Pour peu qu'on cherche à approfondir ee prétendu phéno- mène, on reconnaît aisément l'erreur profonde dans laquelle on est tombé. En effet, de ces eaux croupissantes, s'exhalent con- stamment, pendant l'été, des miasmes et des vapeurs fétides qui ne sont pas moins nuisibles aux animaux qu'aux plantes prêtes à transformer leurs fleurs en fruits. Les plantes une fois arrivées à celte période phénoménale, l'hydrogène sulfuré, ear- boné et phosphoré, qui se trouve parmi ces gaz insalubres, arrête la formation des graines, probablement en entravant les fonctions du pollen, des étamines ou du pistil dans la féconda- tion. Les fleurs alors se fanent, tombent et ne produisent que des graines chétives et délicates. De ce fait, qu'on à souvent lieu de constater près des eaux stagnantes, on a conclu que, lors de la fructification, les gelées déciment les récoltes dans les endroits qui avoisinent les eaux dormantes. Ce que l'on prend pour l'effet des gelées blanches n’est, en réalité, qu'une simple conséquence de l'exhalaison des gaz. On doit en être d'autant plus eonvaineu, que cet état de (10) choses ne se présente jamais près des eaux pures et saines qui sont constamment renouvelées. L’avortement des graines n'étant pas le résultat des gelées blanches ou tardives, nous pouvons donc dire qu'il n’est pas aussi alarmant pour la végétation ardennaise qu'on pourrait le supposer. Comme la présence des marais et des terrains marécageux est la seule cause de cet accident, accident qui ne se présente que dans des parties très-circonserites du pays, il suffit d’expulser les eaux stagnantes en assainissant le terrain par des tranchées bien faites et bien entendues, pour qu'on n'ait plus des sinistres de cette nature à enregistrer. Il est très-peu de terrains, où l’eau est stationnaire, qui ne présentent assez de pente pour qu'on puisse en opérer le desséchement, ou tout au moins assurer l'é- coulement régulier des eaux. Par ce moyen, on pourra tirer parti des terrains restés jus- que-là improduetifs, et rendre un véritable service à la contrée, en assainissant ces lieux et en obviant ainsi à l'inconvénient des prétendues gelées que l’on croit généralement observer dans la saison avancée (1). 5° Des gelées automnales. — Quant aux gelées prématurées, il est hors de doute qu’elles seraient à craindre dans le cas où lon voudrait cultiver, comme dans nos autres provinces, des plantes-racines après les céréales ou en seconde récolte; mais hors de cette hypothèse, nous croyons être assez bien informé pour nous permettre de dire qu’il n'existe aueun fait qui puisse autoriser à maintenir cette prévention contre le elimat des Ar- dennes. 4° Des grandes chaleurs. — Les fortes chaleurs font un tort considérable à la végétation, surtout si elles se prolongent et si la pluie ou la rosée ne viennent pas remplacer dans le sol l'hu- midité évaporée par l’ardeur du soleil. Sans doute les terrains de / (1) Nous aurons l’occasion d’indiquer plus tard les moyens de tirer un parti avantageux iles terrains de cette espèce. (21401) l’Ardenne ne sont pas plus à l'abri de ce fléau que ceux des au- tres provinces de la Belgique; mais nous assurons qu'il y a exa- gération lorsqu'on prétend que le Luxembourg souffre plus de la sécheresse que les autres contrées; car, à l'exception de quelques couches végétales peu épaisses, reposant directement sur des bancs de roches ou mélangées avec une forte proportion de ces débris plus ou moins grossiers, on ne rencontre point de ter- rains en Ardenne qui soient accablés par la sécheresse. Au reste, tous les habitants sont d'accord sur ce point. Certes, les deux années qui viennent de s'écouler n’ont pas été exemptes de chaleurs intenses et continues; et cependant, les récoltés des Ardennes ont été des plus satisfaisantes, à l'excep- tion du seigle récolté en 1846, qui a été, comme partout, atteint d'une maladie dont les causes mystérieuses n’ont pas encore pu être découvertes. Ainsi, les grandes sécheresses qu'on s’est efforcé de faire pré- valoir comme un obstacle invincible au défrichement, ne sévissent pas avec plus d'intensité en Ardenne que partout ailleurs. Nous répondrons donc aux détracteurs de la transformation des terres en friche, que toutes ces assertions sont fausses, dénuées de fon- dement et en désaccord avec les faits elimatériques des lieux, et que, de mémoire d'homme, on n’a eu à signaler des conséquences fâcheuses de la sécheresse , sauf dans quelques cas fort rares, par exemple, sur les coteaux jonchés de pierres, lorsqu'une tempéra- ture forte et assidue n’est pas en rapport avec la nature hydrau- lique du terrain. 5° Du rendement des céréales. — Pour ce qui concerne le ren- dement souvent imparfait du seigle et de l'avoine, on doit accepter la justesse de l’'objection qu'on a faite à ce sujet, pour autant qu'elle s'adresse aux situations fortement inclinées au Nord; car, dans de semblables situations, ces plantes ne recoivent, d'une part, que la lumière diffuse ou très-imparfaitement les rayons solaires; et de l'autre, elles sont exposées à un froid d’une plus longue durée et d’une plus grande âpreté que les autres. Cependant, lorsque la nature physique du sol le permet, l'ha- (12) bitant des Ardennes eultive indistinctement toutes ces côtes, quelle que soit leur élévation, chaque fois qu'elles entrent dans le partage annuel des biens communaux. Maintes fois nous avons vu de très-belles récoltes sur des plans fortement inclinés au Nord, lorsque la s:ison ne leur était pas trop contraire. Ces récoltes semées sur écobuage ne répondent pas toujours, il est vrai, à l'attente des exploitants lors des saï- sons froides et rigoureuses. Les terrains à forte inclinaison au Nord demandent, en géné- ral, une plus forte dose de semences que ceux à surface horizon- tale ou inclinée au Midi, pour pouvoir donner à Fa moisson des récoltes également drues. On doit nécessairement convenir que cet inconvénient, Joint à celui qui résulte de la difficulté de les exploiter et d'y récolter habituellement de belles moïssons, rend ces terrains impropres à être livrés à une culture avantageuse de plantes annuelles. Mais il y a lieu, comme nous le verrons dans Ja suite, d’en tirer un bon parti au moyen de la culture arbustine. À part les conséquences funestes qui résultent du voisinage des marais et de la forte inclinaison du sol au septentrion, c'est une erreur de croire que le rendement et la maturité du seigle et de l'avoine soient parfois douteux en Ardenne. En général, dans tous les terrains et particulièrement dans ceux qui sont soumis à l'écobuage, ces plantes donnent annuellement une grande abon- dance de grains de bonne qualité, indice le plus infaillible et toujours certain d’une fructification heureuse. C’est donc à tort que les adversaires et les apologistes du défrichement appliquent des règles générales là où il n’y a que des exceptions. G° De la maturité du froment. — Quelques auteurs et agricul- teurs croient à la possibilité de cultiver avantageusement le fro- ment en Ardenne; d’autres sont d’un avis contraire et prétendent que les engrais ne pourront pas produire d'effet sur cette gra- minée, aussi longtemps qu'on ne sera pas parvenu à créer une température plus élevée, une atmosphère artificielle. Il existe deux moyens pour apprécier théoriquement la tem- pérature d’une contrée. Les physiciens et les physiologistes ont (15) démontré que chaque espèce de plantes exige une certaine quau- tité de calorique propre à sa nature, pour se développer et par- venir à maturité; c'est ce qui explique pourquoi chaque espèce de plantes a un climat qui lui convient; pourquoi les plantes exotiques, exigeant beaucoup de chaleur, ne produisent dans nos contrées que des fleurs ou des fruits imparfaits; pourquoi enfin l’on peut, dans les régions chaudes, récolter successive- ment plusieurs espèces de plantes dans le même terrain et la même année, tandis que, dans les régions tempérées ou glaciales, on peut à peine obtenir une seule récolte à maturité. Ainsi, pour connaître avec assez d'exactitude si la tempéra- ture d'une contrée est suflisamment élevée pour y assurer la maturité d’une plante qu'on désire y introduire, il suffit de con- naître la quantité de calorique qu'elle doit absorber depuis la germination jusqu à l'accomplissement intégral de sa fructifica- tion. On doit, en outre, savoir si la température est assez élevée pour céder la quantité de chaleur que la plante exige pendant tout le temps que dure la végétation. M. Boussingault nous fournit des données très-positives à ce sujet. Il résume dans un tableau synoptique la quantité de calo- rique exigé par chaque espèce de plantes. Malheureusement, il nous manque des données et des documents exacts sur la situa- tion climatérique des Ardennes, parce que ce genre d’études à toujours été négligé en Belgique. Il nous aurait fallu connaître, d'après une moyenne de plusieurs années d'observations, com- bien dure une saison depuis la semaille des céréales jusqu'à leur complète maturité, ainsi que le degré de chaleur produit pendant toute cette période de temps. Pour assurer le succès de ces ob- servations thermométriques, elles devraient être faites vers le sommet d'une colline ; l'appareil devrait être placé à l'abri du rayonnement nocturne, céleste et terrestre, et dans un endroit éloigné des lieux et des causes accidentelles qui pourraient faire varier l'instrument, On peut encore apprécier la température d'une contrée par son élévation au-dessus du niveau de la mer. En général, plus (14) un sol est élevé, plus il est froid et plus 1l devient impropre à la culture. « La végétation diminue dans les mêmes proportions que la chaleur; sur les hauteurs, les arbres et les végétaux sont toujours moins élevés et plus rabougris; plus haut il ne croît que des pins, et à une plus haute élévation encore, seulement certaines plantes de montagne (1). » Cet abaissement de température paraît être dû, d’après les connaissances que nous possédons actuellement en physique, à une diminution de densité ou de pression de l'air, à un décrois- sement de chaleur dans la réflexion des rayons calorifiques et à l'intensité du rayonnement nocturne. Plus on s'élève dans les ré- gions célestes, plus le rayonnement est intense et plus il est con- stant. La Hesbaye, le Condroz et les Ardennes, sont autant de con- trées qui, bien que très-rapprochées les unes des autres, pos- sèdent des températures différentes. Il n'est pas difficile, en effet, établir cette différence à l’aide du thermomètre ou bien par les retards qu'éprouve l'évaporation des neiges, et par les gelées toujours plus précoces en automne et plus tardives au printemps, à mesure qu'on se rapproche des pays de landes. Cette variation de la chaleur atmosphérique est principale- ment due à la plus ou moins grande élévation qu'oceupent les couches terrestres. En eflet, nous trouvons dans ies beaux tra- vaux de M. d'Omalius d'Halloy (2) que la Hesbaye est un pays plus ondulé que réellement plat, dont l'altitude est d'environ 200 mètres; que le Condroz est, tant par son élévation et sa situa- tion, que par ses productions, un intermédiaire entre l'Ardenne et les contrées basses du Nord-Ouest; il est formé de plateaux dont l'altitude ne paraît pas dépasser 250 mètres ; que l'Ardenne, plus élevée que les autres pays qui l'entourent au Nord, à l'Ouest et au Sud, est un vaste plateau dont l'élévation moyenne est de 5 à 600 mètres, et qui atteint 680 mètres à la baraque Michel, (1) Thaër, Principes raisonnés d’agriculture, t. IL, p. 251. (2) D'Omalius d’'Halloy, Coup d'œil sur la géologie de la Belgique; page 4 et suivantes ; Bruxelles, chez M. Haÿez, 1842. (15) près de Malmédy, aux confins de la province de Liége et du royaume de Prusse. Cette relation si évidente entre le froid et la hauteur, existe d'une manière plus frappante entre la Suisse et l'Italie, où les Pyrénées sont perpétuellement couvertes de neiges, tandis qu’une forte température se manifeste au pied de ces montagnes immenses. En prenant même la partie la plus élevée des Ardennes comme point de comparaison, nous trouvons qu'elle est de 480 mètres plus élevée que la Hesbaye, et de 330 mètres plus élevée que le Condroz. D’après une moyenne des observations météorologiques de quelques physiciens (1), la température atmosphérique di- minue d’un degré par 1495 mètres d’élévation. Mais l’on a remar- qué que ce chiffre ne correspond pas toujours avec le degré de refroidissement. C'est ainsi qu'en Europe, on constate que le décroissement de la chaleur dans les montagnes est plus rapide pendant le jour que pendant la nuit, pendant l’été que durant l'hiver. D'après la loi à peu près constante que nous venons d’énon- cer, il est facile de concevoir que la différence de température entre l’Ardenne, le Condroz et la Hesbaye, n’est pas assez grande pour qu'on puisse douter que la chaleur de la première contrée ne soit sufiisante pour produire la maturité parfaite du froment. Ce qui peut encore nous rassurer sous ce rapport, c'est que M. Dumont a vu, en Allemagne, cultiver le froment avec succès sur des montagnes bien plus élevées que celles des Ardennes. Mais est-il besoin de sortir de la Belgique, est-il nécessaire d'aller chercher si loin des comparaisons pour prouver que le froment peut se cultiver avec succès en Ardenne? Non; disons qu'entre Martelange et Arlon, on cultive cette graminée avec avantage, tandis que cette culture disparaît aussitôt qu'on quitte une cer- taine ligne de démarcation pour rentrer dans la partie ineulte; (1) Boussingault, Économie rurale considérée dans ses rapports avec la chimie , la physique et la météorologie. Paris. (16) et pourtant l'élévation du terrain est plus grande à Martelange, où le froment se cultiveavec profit, que dans ce dernier lieu, où il est inconnu. Si l’on consulte la carte géologique de M. Dumont, on trouve précisément à cette ligne, où la culture du froment cesse, une différence marquante dans la nature minérale du sol. C'est vrai- semblablement à cette cause, plutôt qu'à la température, qu'est due la plus ou moins grande réussite du froment,; car il n'est guère admissible que la température puisse varier d'une manière sensible entre deux points si rapprochés, lorsque aucune cause physique n’en provoque la variation. Ces observations et d’autres encore qu'il serait trop long de détailler, nous ont pleinement convaineu que le climat des Ar- dennes n'offre pas le moindre obstacle à la culture du froment. Cependant celle-ci a été tentée par plusieurs agriculteurs; mais elle n’a pas été continuée, parce que quelques-uns d'entre eux ont trouvé que la graine, tout en étant fort belle, donnait une farine d’une teinte noirâtre et de mauvaise qualité, circonstance qu'ils ont attribuée au climat. Nous avons voulu nous rendre compte de ce fait, et nos recherches à cet égard nous ont con- duit à pouvoir en constater la cause, qui est tout simplement due à la mouture défectueuse du pays. Après avoir obtenu de fort belle farine d’un froment crû en Ardenne et moulu en Con- droz, nous avons voulu, pour mieux nous assurer de la valeur de nos observations, répéter l'expérience d’une manière inverse; c'est à quoi nous sommes parvenu en faisant moudre en Ar- denne du froment erû en Condroz : ce froment ne nous a donné qu'une farine d’une qualité très-inférieure à celle du même gram passé dans un moulin bien conditionné. Cette différence entre la qualité des différentes farines provient nécessairement de ce que la plupart des moulins de l’Ardenne ne possèdent qu'une seule paire de meules. Si, comme nous croyons l'avoir suflisamment démontré, le climat est favorable à l'introduction du frement en Ardenne, on ne doit pas augurer de à qu'on puisse l'y cultiver en tous (ET) lieux sans distinction. Car les causes qui entravent la production du seigle et de l'avoine placés dans certaines conditions , se fe- raient plus spécialement remarquer encore sur le froment. Il ne serait done pas prudent d’en tenter la culture sur les flancs des collines exposées aux vents froids, non plus que dans les allons humides, ou bien à côté des dépôts tourbeux et rnarécageux non assainis. Si nous nous sommes plus spécialement étendu sur la possi- bilité d'introduire le froment dans les Ardennes, c'est moins pour cette plante elle-même que pour les autres, car le froment étant, parmi les végétaux agricoles, celui qui exige le plus de chaleur, il est évident que si la température est suflisamment élevée pour sa fructification , elle le sera à bien plus forte raison pour celle du seigle et de l'avoine. 7° Des orages accompagnés de grêles. — On a prétendu que les gréles et les orages sont très-fréquents en Ardenne. Gette opinion est inexacte : la contrée dont il s'agit est rarement vic- _ time des accidents de ce genre. Nous dirons mieux: elle est, plus que toutes les autres contrées de la Belgique, protégée contre ce fléau, car il est certain qu'on n'y voit presque jamais Îles ré- coltes ravagées par cet ennemi redoutable. Quant à la rareté des pluies, nous ne répéterons pas ce qui à déjà été dit à l'occasion de la sécheresse. Nous nous contenterons de signaler que les habitants en réclament rarement la pré- sence. : | 8° Des grands vents. — Les ouragans et les coups de vent sont à redouter dans tous les pays; ils sont heureusement peu communs en Ardenne. Il y a bien, dans cette contrée, des sai- sons venteuses; mais les vents qui peuvent faire fléchir les ré- coltes par leur intensité, n’y sont point à craindre. On ne doit cependant pas se dissimuler que pendant les deux années qui suivent celle de l'application du fumier sur le sol, on a sou- veut à déplorer le versement des céréales à une époque plus ou moins avancée; mais cette circonstance tient à une tout autre cause. 2 (18) Il est incontestable que Pair est plus vif et plus agité en Ar- denne, surtout vers la cime des montagnes , que dans les pays à situation basse; et il devient, par cela même, plus nuisible qu'ail- leurs à la culture des végétaux à épiderme tendre et à tige molle et délicate, qui ne souffrent que les expositions calmes. Pour ce qui concerne les plantes qui forment la base de l'agriculture, la végétation ardennaise n’a nullement à souffrir contre la violence des vents, pas même celle qui y est le plus exposée par sa situa- tion. On pourrait même affirmer que les venis qui y règnent babi- tuellement, semblent être en harmonie avec les besoins de la culture de cette contrée. « Les vents modérés sont utiles à la végétation en agitant les plantes; le mouvement qu'ils leur 1m- priment , l'espèce d'exercice qu'ils leur procurent, fortifient leurs fibres et paraissent agir favorablement sur eux (1). » C'est donc une erreur de croire que les grands vents sont nuisibles aux plantes de la grande culture; ils leur sont, au contraire, d'une utilité physique incontestable. Quand les vents sont forts et violents . dans un pays, dit M. de Gasparin (2), ils tendent à enraciner les plantes et ils impriment aux branches une flexion qui finit par devenir habituelle, tandis que, dans les régions caïimes, les plantes sont moins fortement enracinées et plus sujettes à verser lors des ouragans. En résumé, la culture des graminées et des pammes de terre doit être restreinte dans certaines limites locales qu’on ne peut dépasser sans s'exposer à les voir frappées des météores. Ces li- mites se caractérisent plus ou moins sur les terres, suivant que celles-ci offrent un plan élevé, profond par rapport à l'horizon, incliné au sud et au nord, sec ou humide, rapproché ou éloigné des marais. Cette classification des terrains ardennais, sous le point de vue du climat, peut encore se subdiviser par d’autres circonstances . (1) De Gasparin, Cours d'agriculture, t. IL, p. 192. (2) Id., ébid., t. 11, p. 193. (19) naturelles d'un ordre plus secondaire, qui peuvent également prendre part à l'augmentation ou à la diminution de chaleur des lieux : telles sont les pentes rapides exposées à lorient ou à l'occident, les plans très- montueux ou horizontaux, la di- rection des montagnes avec leurs ramifications, les abris natu- rels qui, d'un côté, offusquent et.concentrent les rayons so- laires, de l’autre, interceptent la libre circulation des vents glacials. Nous voyons que le climat des Ardennes à sa part de défauts ; mais pour peu qu'on s'attache à les corriger, il ne peut offrir rien de bien contrariant pour la végétation ; car à l'aide de quel- ques précautions, on parviendra sans peine à les anéantir, sinon en totalité, au moins en grande partie. Toutes les exagérations dans lesquelles on s'est laissé entraîner contre le climat ardennais, se résument à quelques cas excep- tionnels, qui peuvent, il est vrai, porter préjudice à la végéta- tion, mais qui, en définitive, peuvent être éludés de manière à faire produire tous les terrains incultes, toutes les surfaces vaines, quelles que soient leur situation et leur exposition. C’est ce que nous allons chercher à prouver en parlant du sol et de son amé- lioration. DU SOL ET DE SON AMÉLIORATION. D'après ce que nous avons exposé sur la nature du climat de l’Ardenne dans ses rapports avec la météorologie, on voit qu'il est indispensable, pour nous, d'établir une division dans les ter- rains d'après leur valeur et leurs caractères agronomiques, afin de pouvoir les envisager séparément selon leur nature physique. De cette manière, nous pourrons, avec plus de facilité, exposer leurs défectuosités et indiquer les moyens de les améliorer. Cette division sera faite de la manière suivante : (20 ) Division et répartition en zones des terrains Ardennais d'après leurs caractères agricoles. La zone À comprend : les terrains cultivés appelés communément ferres & champs. ne UT LE les prairies susceptibles d'irrigation. { 10 Les terrains submergés par les eaux permanentes ; ue ü N SES terrains fangeux et tourbeux. "UD — les terrains boisés. 1° D'une tres forte propension, et particulierement ceux dont le AUTRE ! les bruyeres propres , plan est au nord; - au remboisement. | 2 D'une nature pierreuse ; je Avoisinant les marais et non susceptibles de desséchement. 40 Dont les flancs donnent prin- RTE} FU : les bruyeres propres \ cipalement au midi; à la culture. . . . | 2 D'une légère déclivité aunord; | 5° À surfaces horizontales. DE LA 20NE À. — Terres à champs. On doit en convenir, l’agriculture du Luxembourg est très- arriérée et fait peu de progrès. Les raisons qui attachent le cul- tivateur aux idées et aux systèmes de ses ancêtres sont partout les mêmes; mais là plus qu'ailleurs, les agents, tant intellectuels que mécaniques, mis en jeu sont extrêmement vicieux et suran- nés. Partout on y reconnaît l'absence des premiers principes de l’art de cultiver la terre. Les assolements, la préparation, la con- servation et le transport du fumier, les labours, les semailles, les instruments aratoires, tout enfin décèle une agriculture non- chalante et sans vie. Il nous suffira de faire connaître séparément chacune des mé- thodes vicieuses dont l’agriculture de ces contrées est entachée pour faire comprendre toute l'importance des moyens à employer pour les combattre; le mal étant connu, il devient facile de trou- ver le remède. (21) Des ussolements. — Les assolements généralement adoptés dans les Ardennes pour les terres cultivables ou terres à champs, sont ainsi CONÇUS : 1re année. — Seigle fumé; 9me — Avoine; gme — Pommes de terre; me — Avoine ; pme — Avoine ; Gme — Prairie naturelle pendant 6, 7 ou 8 ans. ou bien : 1e année. — Seigle fumé; game — Avoine ; gme — Avoine et pomme de terre; ame — Avoine ; pme — Colza ou lin; 6me — Prairie naturelle pendant 6, 7 ou 8 ans. ou bien encore : ire année. —. Seigle fume ; game — Avoine ; gme — Colza ou avoine; 4ME — Avoine ; 5me — Prairie naturelle pendant 6 à 10 ans. Comme défauts de ces assolements, nous mentionnerons : 4° Qu'ils favorisent la production des mauvaises herbes, at- tendu qu’ils ne comprennent aucune plante à sareler, si l’on en excepte les pommes de terre; 20 Qu'ils épuisent le sol, puisque les céréales se succèdent sans cesse avec les plantes oléagineuses, et qu'il n’y a d’autres engrais que ceux produits par le domaine; 3° Qu'ils sont peu productifs en engrais et en plantes légu- mineuses pour le bétail, vice capital exelu de toute bonne exploi- tation. En effet, quels fourrages nous produisent ces assolements? Aucun, si ce n'est le maigre pâturage formé sur un terrain épuisé par une suite de récoltes et envahi par les plantes adven- tices. Il en résulte que le bétail, ne pouvant être retenu à l’étable, (22) à cause du manque de nourriture, est obligé de parcourir toute l'année ces chétifs pâturages de bruyères, ce qui fait que la pro- duction du fumier est à peu près nulle; et cela dans une contrée où il devrait, au contraire, être d’une abondance telle qu'il per- mit de faire produire du grain sur des terrains qu'à défaut d’en- grais, on est obligé de laisser reposer ou de mettre en mauvais gazon pendant plusieurs années, pour qu'il recouvre sa fertilité primitive. Comme amélioration à apporter dans ces assolements, on peut citer : 1° La culture des céréales en lignes (1). % L'introduction des plantes sarelées en lignes, dont la réus- site n’est plus douteuse, telles que les betteraves , les carottes, les rutabagas et les turneps, qui viennent si bien dans les terres arables quand ils sont intercalés entre les graminées, pour for- mer un aliment sain, abondant et succulent qui permettrait de nourrir copieusement le bétail à l'étable et de retirer ainsi un riche fumier. Ces diverses plantes ont de plus l'avantage d'aller puiser, par leurs racines pivotantes, la majeure partie de leurs sucs nourriciers dans le sous-sol et de nettoyer la couche arable. 3° L'introduction du trèfle rouge, du trèfle blanc et de la lu- puline avec addition de chaux et de plâtre. Ce dernier fourrage pourrait être pâturé sur place par les moutons et suivi d’une cé- réale, ce qui améliorerait le sol sans exiger d'engrais, tout en fournissant aux bêtes ovines une précieuse plante fourragère. 4 L'introduction du sainfoin. Cette plante nutritive, qui pro- spère si heureusement en Ardenne, lorsqu'on prend soin de lui procurer les éléments dont elle a besoin, donnerait une grande abondance de fumier sans exiger de l'engrais de ferme, et on ob- tiendrait par ce fourrage, comme par les prairies permanentes irriguées, un engrais très-actif. (1) On peut se convaincre de la bonté de cette méthode en visitant les belles cultures de M. le baron de Woelmont à Opleeuw, où l’on trouve actuellement les cinq sixièmes des céréales cultivés en lignes. | (23) 5° L'introduction du parcage sur les semis et des engrais verts (spergule, sarrasin, vesces), afin de suppléer en partie au manque d'engrais dans les premières années. | 6° La suppression des prairies permanentes non irrigables, pour les livrer à la culture. 7° La suppression momentanée du colza et du lin, quoique prospérant bien, jusqu'à ce qu'on ait obtenu une grande abon- dance d'engrais (1). Je croisutile de mentionner ici le système de culture actuelle- ment en usage dans le domaine de Maissin (Ardenne); il me pa- raît digne de la plus sérieuse attention. Assolement de six ans pour une culture de 42 hectares de terres arables. | 17° ANNÉE. 2me ANNÉE. DE ANNÉE. {Ame ANNÉE. De ANNÉE. OM ANNÉE. n—— —#hl | | | — Hectares. | Plantes. Plantes. Plantes. Plantes. Plantes. Plantes. Jectares, #ectares. Hectares. Hectares. Hectares. | Racines. Avoine ,orge. Tréèfle. Blé. | Fourrag.,ete. Blé. Ayoine, orge. Trèfle. Blé. Fourrag.,etc. | Blé. Racines. Blé. Racines. Avoine , orge. Trèfle. - Fourrag.,etc. |à “74 Blé. Fourrag., etc. Blé. Racines. ; | Avoine, orge, Trèfle. Fourrages (1), 5. Racines. Avoine, orge. Trèfle. Blé. colza, Jin, pavots, etc. Trèfle. Fourrag., etc. , | 7 | Racines. Avoine, orge. |l (1) Mélange d'avoine et de vesces fauchées avant la maturité. Cet assolement nous paraît convenable sous plusieurs rapports : a il permet de laisser müûrir les racines, ce qui ne pourrait avoir lieu si on voulait les faire suivre d’un blé qui, dans la loca- lité, doit être semé de bonne heure; b il place le jeune trèfle (1) Nous verrons. plus tard, s’il n°y a pas lieu de cultiver ces.deux plantes sans nuire au progrès de la culture. (24) dans les céréales qui suivent les racines, ce qui assure la réns- site de cette plante fourragère si importante dans une exploita- Lion; e le trèfle ne revient que tous les six ans sur le même terrain, quoique cultivé en quantité suffisante; d les céréales n'y figurent que pour une faible partie et ne se succèdent pas les unes aux autres; e la quantité d'engrais qu'il procure permet de cultiver quelques hectares de colza ou d’autres plantes indus- trielles, qui figurent pour 7 hectares avec les fourrages et les na- vets; f l'orge étant d'un placement plus facile et ayant une valeur commerciale plus élevée que l’avoine, peut se substituer en partie à cette dernière céréale; g enfin, à l'aide de la cul- ture en lignes, les Lerres restent constamment dans une grande propreté. Nous croyons que la eulture du topinambour serait aussi avantageuse en Ardenne. Nous aurions également voulu intro- duire dans les assolements, la féverole et le froment cultivés en lignes et sarclés; mais nos expériences ne nous permettent pas encore de décider si l'on pourrait cultiver ces deux plantes avec succès. Quant à nous, nous ne le croyons pas, d'autant plus que le froment et la féverole demandent particulièrement un sol compacte et alumineux, qu'ils ne rencontreraient pas dans cette contrée : admettant même que le froment y prospère, il est encore douteux que son rapport équivaille à celui du seigle et de l'avoine, qui réussissent parfaitement dans cette espèce de ter- Trains. Voilà les modifieations que nous voudrions voir apporter dans les assolements; mais avant tout, il faut tendre à la destruc- tion des mauvaises herbes. La culture des plantes-racines n'of- frirait pas, les deux premières années, des résultats bien bril-. lants, à eause du manque d'engrais; mais nous chercherons plus loin sil n’est pas possible de se procurer des substances fertili- santes, et de donner à celles que nous possédons dans nos éta- bles une valeur plus grande. Du fumier. — La méthode de préparer en Ardenne le fu- mier et les matériaux qu'on fait servir à Ja litière du bétail, est (25) très-différente de celle qu'on emploie dans les autres contrées de la Belgique. Ainsi, on a l'habitude d’y utiliser la bruyère, la fou- gère, et principalement le genêt comme litière, tandis qu'on livre la paille au commerce, lorsqu'on ne la fait pas servir de nourri- ture aux animaux domestiques. Le fumier séjourne deux, trois et quatre mois dans les étables sous le bétail : seulement on couvre tous les jours la partie supérieure de la litière d'une nou- velle couche de genêts. Ainsi préparé, il est consiaéré par les cultivateurs ardennais comme de meilleure qualité et d’une action beaucoup plus fertilisante que le fumier provenant d'une litière de paille, dont ils ne font pour ainsi dire aucun cas. L'action des engrais issus de plantes sauvages et placés dans les conditions d’assimilation convenables, ne saurait être dou- ieuse; l'engrais de genêts renferme de l'azote en quantité équi- valente, ou, à peu de chose près, à celle que contient le ligneux des céréales, ainsi qu'une quantité d’alcalis et d’autres principes utiles aux céréales. Cependant, c'est une erreur de croire que, la nourriture restant la même, le fumier de paille ne soit pas supé- rieur à celui formé de plantes sauvages; car on doit admettre qu'un engrais est d'autant plus propre à nourrir un végétal qu'il est composé de plantes ou de matériaux se rapprochant davan- tage de son espèce. C’est ainsi que le fumier de paille de seigle est meilleur pour une récolte de seigle, celui de paille de fro- ment meilleur pour une récolte de froment, ct, pour la même raison, celui de genêts meilleur pour une récolte de genèêts. Nous ne contesterons pas que le fumier de genêts procure, comme l'ont observé les cultivateurs qui en font usage, des effets plus durables dans les Ardennes; mais on ne peut pas pour cela tirer comme conséquence, qu'il est préférable au fumier composé de paille : si l'on remarque une action moins fertilisante de la part de celui-ci, cela tient à une cause particulière, jusqu'ici ignorée, qui influe défavorablement sur sa qualité dans certaines circonstances qui vont être spécifiées. Nous avons vu que le fumier de genêts doit avoir, d'après la théorie, une valeur moindre pour les céréales que celui de paille. (26) Examinons maintenant pourquoi il est préféré à celui-ci en Ar- denne. Si l'on fait attention à la rotation suivie dans cette contrée, on voit combien elle est longue et combien est forte la propor- tion des céréales qui y entrent; il s'ensuit que cette rotalion, s’ouvrant par une fumure, exige un engrais abondant et composé de tiges ligneuses pour pouvoir céder, en se décomposant lente- ment, ses principes aux plantes au fur et à mesure qu'elles en ont besoin, et fournir encore des sues et des gaz vivifiants à la dernière récolte qui clôture l'assolement. Or; quel engrais, mieux que le genêt, peut remplir cette fonction? Il nous suffira de dire que les matières stercorales qui accompagnent ce fumier agis- sent principalement la première et la seconde année de leur en- fouissement; après cela vient le tour du genêt, dont l'épiderme coriace n'a éprouvé qu'une légère décomposition dans les étables; de sorte que, par sa résistance, il peut nourrir les plantes pendant une longue suite d'années; tandis que si lon se sert d'un fumier mélangé de paille, il arrive que celle-ci, ayant moins de cohé- sion que le genêt, se trouve, après plusieurs mois de séjour dans les étables, réduite en un fumier court, fort consommé, qui n’est plus qu'un terreau gras. Ce fumier une fois appliqué dans le sol ne peut done plus avoir qu'une action temporaire, mais très- énergique : 1l n'agit guère plus que les excréments des animaux, parce qu'une grande partie de ses principes actifs, rendus solu- bles par la décomposition, disparaissent dans les couches sou- terraines ou se dissipent dans l'atmosphère. C'est ce qui explique clairement la préférence que l'on accorde au fumier de genêts. Pour peu que l’on raisonne, on ne tarde pas à reconnaître que l'assolement, ou plutôt la rotation des Ardennes, par rapport à la durée des engrais, est très-mal combinée; le fumier de genêts est placé dans des conditions qui favorisent sa plus grande action, tandis que celui de paille est mis dans les circonstances qui lui sont le plus contraires : il serait done absurde de tirer simple- ment, d'après les faits observés, des conséquences sur leur valeur respective. Si chaque engrais avait été employé avec discernement d’après (27 ) sa nature et ses propriétés; si l’on avait appliqué au sol le fumier de paille dans un commencement de décomposition, en en dimi- nuant de moitié la proportion ou le volume et en le faisant ser- vir à l'alimentation de deux ou trois récoltes seulement, on aurait sans doute retiré de celui-ci, les conditions restant les mêmes, des productions plus considérables que si l'on avait fait usage de fumier de genêts, de bruyères et de fougères. On sait qu'en Ardenne les terres de bruyères sont extrême- ment meubles, et qu'une fois converties en terres arables, elles acquièrent beaucoup de consistance, mais pas assez toutefois pour être extraites de la classe des terres meubles, qualité assez grande pour une contrée qui ne jouit pas d'un climat chaud et d’un été long. Dans une catégorie de terrains naturellement meubles, on doit chercher, autant que possible, à ne pas ameu- blir le sol davantage, surtout lorsqu'on peut s’en dispenser. On peut donc dire, d'après cela, que l'application du fumier de genêts, préparé et fourni en grande masse, comme il l'est en Ar- denne, constitue une-méthode vicieuse que la nature des ter- rains réprouve, d'autant plus que la première et quelquefois la seconde récolte qui suivent le dosage du fumier de genêts, ver- sent et se déracinent; circonstance qui n’est pas due, comme le disent quelques antagonistes du défrichement, aux vents vio- lents et aux pluies battantes, mais uniquement à la légèreté des terres. Si cette légèreté est encore augmentée par la grande quantité de genêts non décomposés, qu'on est obligé d'appliquer à la fois pour subvenir à l'alimentation d’une suite de récoltes que comporte l’assolement ordinaire, on comprendra que les plantes peuvent fléchir au moindre souffle de l'air. Ainsi, nous dirons que les assolements ne sont pas ol de manière à retirer tousles bons effets des fumiers de paille et de genêts; que le fumier de paille doit être préféré à celui de genêts, de bruyères ou de fougères, non-seulement pour sa composition chimique, mais encore pour la nature physique du sol (1); et (1) Dans les terrains tres-compactes, le fumier de genêts aurait peut-être droit à la préférence ; mais on ne rencontre que peu ou point de terres de cette nature en Ardenne. (28) enfin, que ces dernières plantes, servant à liter le bétail, peu- vent former un très-bon engrais lorsqu'elles sont à un degré avancé de décomposition qu'on n'obtient que très-difficilement dans les étables, attendu que, pour les réduire à cet état, on de- vrait les y laisser fermenter pendant sept à huit mois, ce qui ne serait pas sans inconvénients pour le bétail. Jl nous semble donc préférable, à défaut d’autres matières, d'en former des tas à l'air, en ayant soin de les arroser avec de l'urine et de les traiter avec des corps absorbants pour y retenir laleali volatil. Si l’on ne pouvait pas attendre le temps nécessaire à la fermentation voulue, il y aurait peut-être lieu alors d'em- pioyer la méthode Jauffret, tant préconisée par plusieurs pra- ticiens. Des semailles, des labours et des instruments aratoires. — Les semailles s’exécutent d’une singulière façon dans ce pays de landes. Pour mieux faire comprendre combien la plupart des cul- tivateurs s'attachent encore aux anciennes traditions et cherchent peu à mettre à profit les moyens puissants et expéditifs, il nous suffira de dire qu'on en voit encore se servir parfois d'un panier ou d'un chapeau pour ensemencer les céréales. L'époque de la semaille, comme celle de la fructification, est loin d’être fixe dans toutes les localités. Elle doit varier suivant les conditions des lieux, parmi lesquelles la température, le cli- mat, le sol et l'exposition prennent la part la plus large. L’expé- rience seule à done le pouvoir de décider quelle est la saison la plus favorable pour la sémination d’une contrée. Le mois de sep- tembre pour le seigle, les premiers beaux jours du printemps pour l'avoine , lorsque la terre a perdu en grande partie son hu- midité hivernale et lorsqu'on n'a plus à redouter les rigneurs du froid, telles sont les époques les plus favorables aux semailles. Anticiper ou laisser passer ces époques que la nature paraît avoir assignées au climat des Ardennes, c'est entrer en lutte avec elles et s'exposer à voir diminuer le rendement normal de la terre. Les semailles trop hâtives produisent des plantes qui pren- nent beaucoup de vigueur avant l'hiver, il est vrai, mais cette (29 ) vigueur prématurée, cette force factice provoque trop de séve et de sues dans l'organisme, et il arrive que ces fluides en trop grande quantité se dilatent en se congelant et nuisent ainsi aux tendres tissus et aux cellules des végétaux, dont ils peuvent même occasionner la rupture; et ces plantes, qui naguère en- core étaient pleines de vie, déclinent ou restent stationnaires au printemps. Cette espèce de léthargie dans laquelle elies tombent, nuit nécessairement à leur prompt et entier développement. Le résultat de la moisson établit cette vérité, comme elle trahit aussi la fausseté du principe des semailles tardives. Celles-ei se distinguent essentiellement des premières en ce que, à l'approche de l'hiver, les plantes se font remarquer par la délicatesse de leurs organes, tant aériens qu'intérieurs, à peine naissants el imperceptibles. Les feuilles séminales et le rudiment de l'em- bryon, étant minces et délicats, les alternatives brusques de la température et les premières gelées déciment ces jeunes plantes en raison directe de l'intensité du froid et de la faiblesse des ra- dicelles et des feuilles primordiales. Un grand nombre de culti- vateurs reconnaissent cette vérité; aussi, dans nos diverses pro- vinces, voit-on semer plus dru à mesure que la semaille s'éloigne davantage de son terme, et réciproquement. On peut sans doute réussir au moyen de l’une ou de l'autre semaille exécutée hors saison, lorsque la température est favo- rable, mais il est toujours dangereux de prendre ces faits excep- tionnels comme bases. Dans tous les cas, nous avons constam- ment eu lieu de remarquer qu'une semaille hâtive est moins préjudiciable qu'une semaille tardive. La semaille, on ne saurait trop le répéter, est une opération des plus importantes pour le cultivateur. C'est elle qui contribue le plus à augmenter ou à diminuer ses produits, et conséquem- ment ses revenus. Disons encore qu'une graine confiée à la terre hors saison donne, dans la plupart des cas, une plante plus rabougrie, ce qui peut compromettre, sans qu'on s’en doute, le ‘succès d'une entreprise. C'est assez indiquer que nous ne pou- vons approuver en aucune facon, la pratique vicieuse d’ense- (50) mener les terres en octobre, novembre et quelquefois décembre, sans une raisin majeure. De même, nous devons condamner sans restriction la coutume superslitieuse qui consiste à effec- tuer les semaiiles à jour fixe, sans s'inquiéter de l’état du sol mi de l'atmosphère. En Ardenne, toutes les graines se sèment sur un labour ou sur un léger hersage; après quoi, on fait passer la herse une seule fois pour terminer l'opération. Doit-on s'étonner après cela, qu'il soit nécessaire d'employer une grande quantité de graines pour obtenir des récoltes assez drues? Les trois quarts de la se- mence n'étant pas couverts de terre, restent exposés à l'air; une grande partie de ces semences se dessèche, se fêle ou est mangée par les oïseaux; les plantes peu enterrées périssent en partie par l'effet des gelées. On conçoit très-bien qu'il existe des terres dont la nature exige une plus forte proportion de graines que celle employée dans les cas ordinaires; cependant l'expérience nous a prouvé qu'un terrain bien préparé et soigneusement ensemencé aux époques voulues, ne demande pas plus de graines en Ardenne, que dans la Famenne ou le Condroz. On jette donc tous les ans une énorme quantité de semence qui reste sans fruit, et cela à défaut d’un procédé rationnel ! Les labours ne sont pas mieux exécutés que les semailles; mais il est juste de dire que, par la disposition des terrains à figures hémicyceles, ils sont plus difficiles qu'ailleurs. La charrue an- cienne est toujours grandement en faveur, et nous ne savons pas trop pourquoi, puisqu'elle ne retourne qu'imparfaitement cette terre si facile cependant à se laisser travailler en toute saison. On ne cherche aucunement à profiter des bienfaits que pro- eurent les labours réitérés sur la destruction des mauvaises herbes et sur la désagrégation du sol: on donne tout simple- ment un labour superficiel sur lequel on sème. On a objecté que plusieurs labours rendraient le sol trop meuble. Dans certaines années, cela existe réellement, surtout lorsqu'on emploie une grande abondance de fumier composé de tiges coriaces; mais on (51) obvierait à cet inconvénient, si l’on employait l'engrais comme nous l'avons indiqué, et si l'on se servait du rouleau, principale- ment après les semailles automnales et au printemps. Le par- cage serait aussi très-utile dans ce cas. Ces divers moyens de plomber le sol sont entièrement négligés en Ardenne, et pour- tant, où le rouleau et le parcage produiraient-ils de meilleurs effets que dans ce pays ? Le rouleau, ainsi que les charrues, les herses et enfin tous les instruments perfectionnés, sont inconnus en Ardenne; tan- dis que là plus qu'ailleurs, ils devraient être mis en pratique pour purger les terres des mauvaises herbes qui y abondent et pour approfondir la couche ecultivable. L'approfondissement du sol est une pratique dont l'efficacité est généralement reconnue par tous les auteurs et même par les cultivateurs ardennais. Il n’est cependant pas exécuté par ceux- ei, parce que, étant dépourvus d'engrais, ils ne peuvent pas ap- pliquer au sol, immédiatement après cette opération, la quantité de fumier qui lui est indispensable, ce qui rendrait la terre plus ou moins improductive pendant plusieurs années, et cela en raison directe de l'épaisseur de la terre vierge qu'on exposerait à la superficie du sol. On pourrait remédier à cette pénurie d'engrais, ou plutôt de fumier, en y ajoutant un principe azoté (1). Disons pour terminer qu'il est vraiment étonnant que le sei- gle, l'avoine, le colza, les plantes-racines et tuberculeuses réus- sissent si bien en Ardenne, et que le rendement d’un hectare de terre soit si élevé, avec les procédés vicieux que l'on y emploie pour atteindre ce but. Que serait-ce donc si l'on y introduisait les diverses améliorations qui viennent d’être mentionnées? Il y a là un beau sujet de réflexion pour ceux qui désirent le défri- chement des landes! (1) Nous aurons lieu de revenir sur ce sujet. DE La zone B. — Des prairies considérées sous le point de vue de l'irrigation, ainsi que sous le rapport de leur amélioration, de leur création et de leur destruction. De l'irrigation. — Un s'est généralement peu appliqué en Ar- denne, comme dans toutes les autres parties de notre pays, à étudier l’arrosement des prairies et à connaître l’action et la plus ou moins grande valeur des eaux sur la végétation. Aussi, est-ce là en grande partie le motif pour lequel cette opération laisse encore tant à désirer. ; Nous croyons utile d'entrer à ce sujet dans quelques explica- tions théoriques; et, dans l'espoir de rendre nos données plus profitables à l'agriculture, nous les généraliserons, sans sortir pour cela de la question. Au premier aperçu, on comprend assez difficilement comment les eaux, servant à l'arrosement des prairies, puissent avoir une influence si remarquable sur la croissance de l'herbe, à tel point qu’elles remplissent souvent à elles seules les fonctions des en- grais de ferme d'une composition si complexe. Il paraît encore assez surprenant que les eaux en général aient un degré de ferti- lité qui leur est propre; que les unes soient éminemment favo- rables à la production; que les autres, au contraire, portent avec elles un caractère de stérilité ou un principe délétère; et que celles-là, enfin, occupent un degré intermédiaire entre ces deux extrêmes. De même, il n’est pas moins remarquable que la mème eau produise des effets différemment marquants : ici, elle augmente considérablement le volume de l'herbage; là, elle reste moins profitable, et ailleurs son action est ‘nulle. Ce sont ces phénomènes qu'il importe d’abord de connaître pour pouvoir tirer tout le parti possible des eaux; mais pour faciliter la marche des investigations que nous aurons à faire plus loin, nous allons nous livrer préalablement à quelques éclaircisse- ments. Il est parfaitement établi par la science que les eaux de sources (5%) ne sont autres que les eaux du ciel qui tombent sur la surface du sol. Il est encore reconnu qu'en vertu de leur fluidité et de leur poids spécifique, elles filtrent entre les creux et les pores de la terre, dont elles pénètrent de plus en plus les entrailles jusqu’à ce que, rencontrant un obstacle, elles s’assemblent par goutte- lettes, dont se forment les filets d’eau qui constituent les fon- taines. Mais, pendant cette filtration à travers les couches de la terre, elles se chargent des matières et de tous les autres sues nourriciers solubles qu'elles rencontrent. De là l'origine des principes de fertilité des eaux de fontaine. Si, comme nous venons de le démontrer, Jeur fertilité est acquise aux dépens du sol lui-même, il est évident que plus celui-ci renferme de sels solubles, de principes fécondants, issus, soit de la désagrégation naturelle des argiles, soit de la désor- ganisation des engrais artificiels, plus aussi, à conditions égales, elles seront pourvues de ces substances et plus elles seront aptes à entretenir une bonne végétation. Si la richesse des eaux est inhérente à celle du sol qu'elles ont Lraversé , il est hors de doute qu'elles ne peuvent avoir partout la même nature et la même proportion de sucs nourriciers, puis- que, le plus souvent, chaque contrée de la Belgique présente des . couches géologiques différentes, et que celles-ci ont respective- ment une composition minérale qui leur est particulière. D'après cela, les eaux de terrains ardoisiers de Ardenne ne peuvent donc être identiques avec celles qui proviennent des ter- rains anthraxifère, houiller,, etc.; elles ne peuvent non plus avoir li même action sur les plantes. Cette donnée nous explique par- faitement pourquoi chaque localité nous présente des eaux qui ont des propriétés nutrilives qui leur sont propres. Elle nous indique aussi combien nos agriculteurs se trompent lorsqu'ils cherchent à apprécier leurs propriétés d’après leur limpidité ou leur plus ou moins grande coloration. Ce qui précède n'est relatif qu'aux eaux de source; passons maintenant à celles d’un plus grand courant. On sait que les ruisseaux, par leur adjonction, forment Îles D ( 54 ). rivières, et que celles-ci, en se réunissant, constituent les fleuves. Sil est donc bien constaté que toutes les eaux qui sillonnent notre pays proviennent du ciel, comment se fait-il qu’elles sont reconnues meilleures pour les prés que les eaux de fontaine, et d'où vient que plus elles sont grandes, plus aussi elles sont pro- fitables? Ceci s'explique facilement. En effet, plus une eau est grande, plus nombreuses sont les sources diverses qui la forment: or, comme celles-ei l'enrichis- sent chacune de ses sels particuliers, il s'ensuit qu’elle contient naturellement plus d'éléments fertilisants et qu’elle est plus pro- pre à nourrir les végétaux. À cette cause de fécondité sen joignent d’autres non moins importantes : 4° Les torrents causés par une pluie d'orage, par la fonte des neiges ou par toute autre cause, lavent les campagnes et en- traînent avec eux des matières terreuses et organiques qu'ils transportent dans les grands ruisseaux et dans les rivières; 2 Plus les eaux voyagent, plus elles reçoivent dans leur par- cours les résidus des égouts des villes et des villages, toutes sub- stances fertilisantes d'une puissante action. D'après cela, on ne doit plus s'étonner que les fleuves renfer- ment proportionnellement, en dissolution et en suspension, plus de matières utiles que les rivières, et celles-ci plus que les eaux de source, ce qui explique clairement leur plus grande faculté fécondante sur les prairies. M. Kümmer avait donc raison lorsqu'il disait : avec de l'eau on fait de l'herbe. aurait pu ajouter : avec de l'eau on fait des céréales. Nous citerons un fait remarquable pour appuyer cette opinion qu'on s'est plu à méconnaître, à savoir : que nous avons obtenu du froment et des plantes-racines par le seul moyen de l'eau chargée des sels et des gaz qu'on rencontre dans les diffé- rentes eaux servant à l'amélioration de nos prairies. Ces plantes étaient aussi riches et aussi bien constituées que celles qu'on rencontre dans les champs fertiles. On doit cependant se garder d'en conclure que toutes les eaux courantes svient aptes à donner (55 ) une semblable prodretion ; il faut pour cela qu'elles contiennent tous les éléments que chaque espèce de végétal réclame. On se tromperait également si l'on basait ses espérances uniquement sur la richesse des eaux : d’autres conditions sont nécessaires. Quoique riches, quoique renfermant tous les prineipes essen- tiels du foin, les eaux peuvent, dans certains cas, être défa- vorables à la végétation. Les eaux minérales, par leur forte proportion de fer, de même que celles issues des forêts, des tourbières et des marécages, sont pour la plupart impropres à l'irrigation. D'autres possèdent un principe d'infertilité qui ne se manifeste que sur les prairies avoisinant leur source : telles sont celles qui sont peu aérées ou qui contiennent une forte proportion de sels calcaires (carbonate, sulfate). Les premières s’oxygènent dans le sol des prairies au détriment de la végéta- tion, tandis qu'après avoir voyagé quelque temps à l'air libre, elles se modifient en prélevant ce gaz à l'atmosphère ambiant. Les secondes, au contact de l’air, laissent dégager peu à peu leur acide carbonique libre, lequel maintient les sels de chaux en dissolution ; ceux-ci se précipitent au fur et à mesure que l’éva- poration s'effectue, et vont obstruer les pores du terrain, les sto- mates des racines, de la tige et des feuilles des jeunes plantes, en enduisant celles-ci d’une légère couche de calcaire qui les af- fecte à tel point qu’elle peut arrêter leurs fonctions assimilatrices. Pour les eaux non oxygénées, celte action nuisible disparaît à une certaine distance du lieu où elles prennent leur source. Ceci ne s'applique spécialement qu'aux eaux de fontaine, car ces causes nuisibles n'existent pas dans les rivières un peu considé- rables; elles y sont toujours neutralisées dans leur parcours, ou par la présence des bases, ou par la masse des eaux : ce qui con- tribue encore davantage à généraliser ce principe, que les grands courants sont meilleurs que les petits pour l'amélioration des prés. Voilà donc ce qui démontre pourquoi la même eau peut agir d'une manière différente sur les plantes, et comment le même ruisseau peut causer sur une prairie de bons résultats, et sur une autre produire des effets diamétralement opposés. (56) D'autres causes dont on ne tient pas plus compte que des précédentes dans la pratique des irrigations, malgré leur grande importance, rendent plus généralement l’action des mêmes eaux diversement profitables. L'irrigation a pour but d'apporter l'humidité et la nourriture qu'exigent les plantes pour leur développement. On conçoit que cette opération doit être d'autant meilleure que le sol à arroser est plus sec. Comme la qualité et la croissance de l’herbage ne s'acquièrent qu'en raison directe de la présence de certains éléments nourri- ciers, il est certain que si l'eau apporte à la végétation tous les principes utiles dont le sol est dépourvu en tout ou en partie, les autres conditions étant réunies, l'irrigation produira des effets remarquables sur l'herbage. Si, au contraire, cette opéra- tion se fait sur une prairie moins riche et que le sol ne peut suppléer aux matières salines qui manquent aux eaux, il est évident que les résultats seront moins heureux que dans le cas précédent. Il est encore à remarquer, d’un autre côté, que les prairies ne sont pas aménagées de la même manière; les unes sont d'une nature plus ou moins hydraulique, acide ou enva- hies par les mauvaises herbes; les autres sont au contraire plus ou moins bien entretenues et présentent Les caractères physiques convenables. Or, comme toutes les prairies n'offrent pas les mêmes caractères, les mêmes constitutions physique et chimique et les mêmes expositions ; comme elles ne sont pas toutes com- posées de plantes qui se nourrissent des mêmes matériaux; comme il est prouvé que ces différentes conditions ont respecti- vement leur part d'influence sur la plus-value de la production, on ne doit pas être surpris si l'action des eaux d’un même ruis- seau, d'une même rivière, n'apporte pas d'homogénéité dans les produits des prairies, bien qu'aucune cause ne vienne en changer ja nature. Par ce qui précède, on voit que les principes qui doivent présider aux irrigations sont compliqués et ne peuvent, contrai- rement à l'opinion générale de nos cultivateurs, être ramenés à (37) une loi commune. On reconnaît aussi qu'il est indispensable d'apporter les soins nécessaires à l’entretien des prés pour rendre les arrosements profitables; il n'est pas rare en effet de voir doubler ou tripler la production d'une prairie par suite de quel- ques travaux exécutés avec intelligence. Il est à regretter que les analyses des terres et des eaux aient été négligées jusqu'ici en Belgique. Une série d'analyses de ce genre serait d’une utilité incontestable pour notre agriculture. La composition des eaux est surtout essentielle lorsqu'on doit créer de nouvelles prairies et de nouveaux canaux, et lorsqu'on veut utiliser un cours d'eau éloigné; car cette connaissance peut nous donner la valeur approximative des eaux, et par là elle nous permet de juger d'avance si l'établissement des conduits, etc., peut offrir quelques avantages. Toutes ces données, nous le répétons , sont de la plus haute importance dans une exploitation rurale, car il est impossible à un euluvateur de retirer tous les avantages des irrigations et des terres arables s'il n’a pas égard à l'action des eaux ou des engrais dans leurs rapports avec les terres et les plantes. L'eau courante ne manque pas en Ardenne; on la trouve dans les fonds. Toutes les vallées sont pour ainsi dire longées par une rivière ou par un ou plusieurs ruisseaux qui prennent leur source dans le pays. Cet exposé nous permet déjà de dire qu'elles portent généralement toutes avec elles le caractère mi- néral du terrain ardoisier, c'est-à-dire qu'elles sont entièrement privées de sels de chaux. Parmi les eaux qui ont fait l'objet de nos recherches, si nous faisons exception pour les eaux de l’Ourte, deux seulement nous ont donné quelques faibles traces de cette base. L'analyse nous a fait connaître encore que celles qui prennent leur source dans la partie centrale de l'Ardenné, contiennent communément des silicates, des carbonates, une faible proportion de sulfates et quelques traces de nitrates accompagnées de fer, de magnésie d'alumine, d’alealis et d’une faible dose d'ammoniaque. A part les sources issues des marécages et de quelques forêts ( 38 ) qui contiennent des principes incompatibles avec l'organisation végétale, les eaux renferment, en général, de l'oxygène et de l'acide carbonique libre. Si l’on va à la recherche des phosphates | et de la chaux dans les sols occupés soit par les prés, soit par les bruyères, on trouve qu'il y a également absence presque to- tale de ces corps; et cependant si l’on rapproche les analyses que l’on possède sur l'herbe des prairies, on reconnaît que le foin de bonne qualité n’en est pas exempt. Aussi la pratique reconnaît- elle dans l'application des substances qui renferment ces élé- ments, un moyen énergique d'accélérer le développement de l'herbe. Cependant je crois devoir mentionner que cette relation in- time entre la richesse des eaux et celle du sol n’est pas toujours constante. Dans un moment où je visitais une culture dans les environs de S'-Hubert, le propriétaire me fit remarquer une dif- férence notable sur l’action des eaux qui servaient à irriguer ses prairies. Je pris deux flacons de celles qui me parurent contenir un principe nuisible à cause de leur peu d'influence sur la pro- duetion du foin. Je priai M. Kupfferslaeger de faire l'analyse de ces deux eaux claires, limpides, sans odeur ni saveur. Il trouva : qu'un demi-litre de l’une laissait, après avoir été soumis à l'éva- poration, un résidu blanchâtre pesant un centigramme qui, re- pris à l'eau distillée, laissait indis$ous 5 milligrammes de silice; la partie soluble avait fourni du chlorure caïcique sans acide carbonique libre. Dans l’autre, le même volume soumis à l'éva- poration donna un résidu de 4 ? centigramme qui, repris à l'eau, laissa indissous 3 milligrammes de silice. Les 12 milligrammes restant consistaient en chlorure calcique et en faibles traces d’a- lumine, sans acide carbonique. Nous voyons par cet examen que ces eaux sont dépourvues de principes nourriciers. Aussi doit-on attribuer à cette circonstance le peu d'effet qu'elles produisent. On ne doit d’ailleurs pas se dissi- muler que les eaux en Ardenne sont moins propres à favoriser la végétation que celles qu'on rencontre dans les autres parties de la Belgique. Les ruisseaux et les rivières n’y reçoivent pas, comme ( 39 ) ailleurs, les canaux et les égouts des communes; ils ne charrient pas non plus en suspension des matières limoneuses. Ces circon- stances tiennent, d’une part, à ce que les eaux n'ont guère voyagé ou qu'elles sont originaires des Ardennes; de l’autre, à ce que les terrains sont filtrants et ne sont pas lavés par les grandes averses. Il est en effet surprenant de voir leur limpidité constante, aussi bien en temps de fortes pluies qu'en temps de dégel. De là suit donc que les eaux des landes doivent être considérées comme moins bonnes, moins nutritives que celles des contrées voisines. Nous verrons plus loin s’il n'y a pas lieu de leur procurer, par des moyens artificiels, les substances qui leur manquent pour l’organisation des bonnes plantes herbacées. Il ne serait pas possible de présenter des plans généraux d'irrigation pour l’Ardenne, et cela à cause de sa situation acci- dentée et des dispositions variées des surfaces occupées par les prairies : chaque système doit être appliqué et modifié suivant les circonstances locales. Ce pays ne se prête pas non plus, comme les beaux et grands plateaux de la Campine, du Brabant, des Flandres, ete., à l'introduction de l'arrosement par immer- sion ou par infiltration. La seule méthode employée et la seule susceptible d’être pratiquée, c’est l'irrigation proprement dite. Le cultivateur ardennais, on doit lui rendre cette justice, met le plus grand empressement à conduire et à distribuer les eaux sur les prés partout où le niveau du sol permet ce genre de travaux; sous ce rapport, il y a fort peu de chose à dire sur le système d'irrigation qui est porté, dans plusieurs cantons, à une grande perfection. Seulement l'application des eaux sur les plantes, aux diverses époques de l'année, laisse beaucoup à désirer. En cela, il existe, en Ardenne aussi bien que dans les autres contrées, un abus très-grave : celui d’arroser les prairies pendant la nuit comme pendant le jour, en temps de gelée ou de pluie, comme en temps de chaleur et de sécheresse, sans distinction aucune. L'eau a de précieuses propriétés qu’on ne sait pas mettre à profit par cela même qu’elles sont inconnues. Elle possède, entre autres, celle d'empêcher l'effet préjudiciable des gelées sur la ( 40 ) eroissance de l'herbe. C'est dans le mode d'utiliser les eaux en temps propice que l'on peut trouver un moyen économique de soustraire les prés au danger des grands froids. Nous croyons : utile de présenter quelques observations pratiques relatives à ce sujet; elles amèneront peut-être les propriétaires à saisir et à com- prendre leurs véritables intérêts. Pratique des arrosements. — Après l'enlèvement du regain ou avant de se livrer aux irrigations, la première précaution à prendre consiste à s'assurer de l'état des fossés, des canaux et des écluses; à curer et rétablir ceux qui sont défectueux, afin de pouvoir tirer profit des premières eaux qui, en cette saison, sont toujours plus chargées de matières fertilisantes. A cet effet, l'eau demande à être dirigée sur les parties du pré les moins bonnes et les plus difficiles à favoriser d’un courant. L'arrosement d'au- tomne exige moins de précautions que celui de printemps ou d'été. Pendant les mois d'octobre et de novembre, il est facul- tatif d'arroser continuellement sans inconvénient. Toutefois, si l'on avait une trop forte gelée à craindre pendant le dernier mois , il conviendrait de ne pas tarder à enlever les eaux; et dans le cas où l'on prévoirait que le gazon ne peut plus être ressuyé convenablement avant le retour des gelées continues, il serait préférable de les y laisser, lors même que la surface se couvri- rait d'une couche de glace; car le premier cas est plus à redouter que le second. En décembre, on continue l’arrosement en observant toujours de soustraire les eaux à la moindre apparence de gelée. On ir- rigue d'autant moins à l'entrée de l'hiver ou pendant cette sai- son, qu'on l'a fait beaucoup antérieurement ; l'aspect noirâtre de la prairie est, comme on sait, un signe caractéristique indiquant qu'elle a recu les eaux en quantité suffisante. Pendant la période hivernale, il convient de veiller à ce que l'eau ne fasse aucune irruption dans les fossés; cette prudence est surtout nécessaire lorsqu'il y a accumulation de neige et là où le sol se prête à la congélation. Lorsqu'on n’a pas pu prévenir cet inconvénient, il est très-important de ne pas attendre le (#1) printemps, comme cela arrive presque toujours, pour se débar- rasser de la glace qui couvre la prairie. On doit, avant cette époque, chercher à l’éloigner par de forts arrosements, car l'expé- rience nous démontre, toutes les années, que rien n'est plus per- nicieux pour les plantes prairiales que la disparition de la glace sons l'influence des rayons solaires. L'irrigation du printemps commande beaucoup de circonspec- tion : il est nécessaire de procéder par des interruptions, car la végétalion des prés commence très-tôt, et l'eau appliquée en grande quantité et donnée trop ou trop peu fréquemment ne pourrait que lui être nuisible. Si le temps est doux, on arrose tous les quatre jours, pendant 24 heures consécutives; cepen- dant, s'il gèle la nuit, on ne doit pas manquer de diriger l'eau sur la prairie le soir et de l’ôter le matin (1). En général, cette méthode peut être considérée comme la meilleure à suivre pour retirer en Ardenne les plus grands avantages de l'arrosement du printemps. La même règle est applicable à une foule d'autres contrées de la Belgique, où l'on peut disposer d’un courant plus ou moins fort, sauf à modifier les époques de l'arrosement selon l'état de l'atmosphère. Si le mois d'avril continue à être favorable , on peut arroser pendant trois ou quatre jours de suite; après quoi, on cesse l'opé- ration pendant 24 heures, et ainsi de suite. Si les nuits sont froides, on a soin de laisser couler les eaux pendant le refroi- dissement nocturne. Cette dernière considération ne peut en quelque sorte s'appli- quer qu'en Ardenne et là où les eaux sont constamment lim- pides : il serait dangereux, en effet, d'employer celles qui ne se- raient pas parfaitement claires, attendu que les dépôts vaseux qui se forment toujours à la surface du terrain, étouffent les jeunes plantes, ou sont tout au moins contraires à la végétation de cette époque. (1) Les gelées du printemps n'étant ni intenses ni constantes, peuvent ‘être éludées par les eaux durant la nuit. En hiver cette pratique serait très- vicieuse, (4) Quand on a été surpris par une gelée, il est nécessaire d'im- prégner d'humidité la surface du sol le matin, et d'arrêter le cours des eaux vers 9 à 10 heures. De cette manière, l'influence perni- cieuse des gelées blanches les plus intenses est détruite. Il est | notoire que chaque fois qu’on a à déplorer des pertes par suite des | gelées ou des refroidissements subits, causés par le rayonnement nocturne, cela tient au peu de précautions que l’on prend dans | les irrigations. On comprend combien il serait difficile d'exposer ici tous les | cas qui peuvent se présenter dans la pratique des arrosements, pendant le cours d'une année : c'est la température qui décide de | la marche à suivre; on ne peut donc pour cela, adopter une marche systématique. Ainsi, si les mois d'avril et de mai sont froids, il est indispensable d'irriguer beaucoup, et vice versa. Lorsque l'arrosement est constant à cette saison, on observe ordinairement un dépôt verdâtre qui se répand sur toute la prairie, et qui altère l'herbage. Cependant ce phénomène n'ap- paraît pas sur les parties déclives des prés, parce que le sol en est perméable et qu'il peut supporter sans inconvénients des arrosements abondants et réitérés. S'il pleut au mois de juin ou au commencement de juillet, on intercepte l’eau aux prairies; on arrose, au contraire, toutes les deux nuits si la saison est sèche. Cet arrosement, ayant une ac- tion directe et bienfaisante sur l'herbe qui doit succéder au foin, mérite tous les soins du cultivateur. Ainsi, huit à dix Jours avant la coupe, le sol demande à rester complétement sec. Les prés doivent rester un même laps de temps sans humidité après la fenaison, afin que les bouts des herbes restantes puissent se ci- catriser sans retard. Ceci observé, lorsque l’année n’est pas défa- vorable et qu'on destine les prairies à la production d’un regain, les arrosements nocturnes peuvent être continués pendant sept ou huit jours de suite, après quoi, l'on réduit l'irrigation à toutes les trois ou quatre nuits. En octobre, lorsque la température est encore e élevée, on ne lâche les écluses que toutes les deux ou trois nuits; lorsqu'elle nt. te (45) est basse, on fait une interruption d’un jour, et l’on continue ainsi en faisant pour la coupe du regain ce qui a été dit pour celle du foin. Cette opération finie, on recommence la répara- tion des fossés et puis l’arrosement automnal. Voilà les améliorations que nous voudrions voir introduire dans les irrigations des prairies. Mais la méthode que nous ve- nons d'indiquer n'est relative qu'à la culture ardennaise; elle a été basée sur la situation normale de l'atmosphère et la nature du sol. Elle pourrait donc offrir quelques inconvénients si on l'adoptait dans d’autres contrées sans modifier les règles qui viennent d’être prescrites. Disons d’ailleurs d'une manière générale, que les époques des arrosements doivent varier suivant l’état des’ chaleurs et des pluies, ainsi que d’après la quantité d’eau dont on peut disposer. La chaleur, le froid, l'humidité, les gelées subites, tempo- raires ou continues, sont tout autant de causes qui peuvent ap- porter des modifications dans la pratique des irrigations. Noublions pas non plus de dire que, dans une exploitation rurale un peu importante, il est indispensable qu'un homme aille tous les jours, pendant le cycle de la végétation, visiter les fossés et les canaux dans le but de faciliter le libre cours des eaux, d'empêcher leur débordement et, enfin, de veiller aux con- ditions qui doivent présider à toute irrigation rationnelle. Des améliorations des prairies. — Il ne suffit pas de faire ar- river les eaux sur les prairies par un bon système d'irrigation pour assurer le succès de la végétation. Si bonnes qu’elles soient, les eaux n'apportent que de faibles résultats, si l'état physique du sol n’est pas en rapport avec la nature et le développement des plantes. En Ardenne, ces conditions sont négligées; aussi, doit-on le dire, les bons effets de l’eau se trouvent en grande partie para- lysés par le mauvais état du sol, et l'irrigation n'apporte ainsi qu'un produit secondaire, comparativement à celui qu'on pour- rait obtenir par des soins bien entendus. Quand on examine dans leur ensemble les terrains que com- (44) prend l'exploitation agricole du royaume, on remarque que Îles parties affectées à la production de l'herbe sont précisément les plus néeligées. Cela se conçoit dificilement, surtout pour les Ardennes , où les engrais manquent, où les plantes fourragères sont pour ainsi dire inconnues, où, enfin, l'élève du bétail forme Ja principale industrie. Là, plus qu'ailleurs, ne devrait-on pasten- ter tons les moyens et mettre à profit toutes nos connaissances agricoles pour pousser les prairies à un maximum de rendement? Malheureusement , il n'en est pas ainsi; il semble même que tout ce qui touche à l’épuration des plantes parasites, à Pas- sainissement, etc., soient toutes peines perdues. En effet, il n'est pas rare d'entendre dire par des agriculteurs que les dépenses consacrées aux améliorations de ce genre dépassent très-souvent le surcroît des produits. D'où peut naître cette circonstance ? On se plait à l'attribuer aux décrets mystérieux de la Providence, au lieu d'en chercher la cause dans l'inexpérience des opérateurs. D'un autre côté, on appréeie souvent mal le fruit d'une amélio- ralion. Ainsi, on juge superficiellement à l'œil ce que la balance et la comptabilité seules ont le droit de décider. A l'œil peu scru- tateur, la valeur de l'augmentation de l'herbe produite reste sou- vent inappréciée, par cela même qu'elle ne procure pas, comme pour les plantes oléifères, les céréales, etc., un profit immédiat en numéraire. Pour l'homme exercé à juger sainement les pro- duits de sa culture, selon leur juste valeur, cet inconvénient dis- paraît : il sait considérer à juste titre l'herbe des prairies comme la richesse et le fondement de tout édifice agricole. Pour être impartial, on doit cependant dire qu'il y a en Ar- denne de nombreuses exceptions. On est frappé d'admiration à la vue des prairies de Houffalise, de S'-Hubert et de Bas- togne, qui, donnant le plus communément deux coupes de foin, possèdent une valeur foncière ne s'élevant pas à moins de 5,000 , 4,000 ou 5,000 franes l'hectare. Le canton de Neufchà- teau, que l’on ne doit pas oublier, se distingue également, sous ce rapport, par la richesse annuelle de ses productions. Mais on doit convenir qu'en général l'état des prairies offre un aspect (4 ) afHigeant ; elles ne donnent guère qu'une légère coupe de foim, et si celle-ci est abondante l'herbe est de mauvaise qualité, à moins que les zones sèches des plans inclinés ne soient entrete- nues et alimentées par les ruisseaux et les égouts des communes. Le sol des prairies irrigables se compose généralement de schiste ardoisier; il occupe tantôt les versants des collines et des montagnes, tantôt les bas-fonds; lune et l'autre de ces exposi- tions sont loin d'être identiques relativement à la production. Les prés élevés reposent sur des sous-sols perméables; ils sont secs et peuvent être rendus suffisamment humides par les irri- gations; le foin, quoique peu abondant, v est d'assez bonne qua- lité. Cependant l’on remarque que les mauvaises plantes oceu- pent en partie la place des bonnes. Les prés à situation basse ont une couche profonde et reposent parfois sur un sous-sol im- perméable ; ils péchent presque tous par un excès d'humidité, ce qui cause le plus grand obstacle à leur prospérité. Il est donc urgent de les dessécher partout où les frais peuvent être cou- verts par la plus-value de la production. De l'assainissement des prairies. — L'eau en permanence dans une prairie, intercepte toute communication aux agenis atmo- sphériques avec l’intérieur de la couche de terre où les racines sont implantées, et, par conséquent, empêche toute désagréga- tion, toute assimilation des principes salins et gazeux. Elle pro- voque aussi la présence constante d'un principe astringent sou- verainement contraire aux bonnes plantes fourragères. De là vient que les prairies, soumises aux influences d’un exeès d'humidité, ne sont propres qu'à l'accroissement de certaines plantes (sorte d'amphibie du règne végétal), &'une nature peu nutritive et fort peu recherchées du bétail, ce qui nécessite absolument le dessé- chement. Pour procéder avantageusement à cette opération, on creuse des fossés ou rigoles appropriées à là nature du terrain et abou- Uüssant à un canal de décharge. La quantité et la direction des fossés à établir doivent être subordonnées à l'état et à la cause de l'humidité du sol et à son plan d’inclinaison, de même que | (46) leur longueur et leur profondeur doivent être relatives au volume d'eau à recevoir. On pourra souvent faciliter l'écoulement des eaux en creusant et en remplissant de mousse des puits qui tra- versent la couche de terre onctueuse ou glaiseuse qui s'oppose à la filtration. Cette opération peut être très-avantageuse lorsque la couche imperméable n’est pas trop profonde, et surtout lorsque la pente du terrain ne permet pas d'enlever les eaux par des ea- naux de dérivation. À part les parties dont les frais d'établissement et d'entretien seraient trop considérables, nous affirmons que l’assainissement est de rigueur dans les prairies naturellement humides ou peu fangeuses. Cependant il est à remarquer que des agriculteurs du pays s'opposent à ce principe recommandé par tous nos agro- nomes. Les desséchements qu'ils ont tentés étant restés sans succès, malgré les peines et l'argent sacrifiés , ce système leur pa- raît préjudiciable. Il importe donc de rechercher les causes de ces faits étranges. Chaque espèce de plante, exigeant un genre de terrain spé- cial pour bien prospérer, devient d'autant plus souffrante qu'elle se trouve placée dans un terrain qui lui est plus étranger. Les sols humides, comme nous l'avons déjà dit, conviennent à cer- tains végétaux aquatiques, tandis qu'ils sont défavorables à la production d’autres plantes, telles que les graminées, les légu- mineuses , ete., qui demandent un sol privé d'humidité surabon- dante. Or, comme le desséchement a pour but d'apporter un changement dans l’état physique du terrain, il n’est pas surpre- nant que celte opération puisse devenir nuisible à la végétation des plantes existantes : mais de ce fait on ne peut raisonnable- ment tirer l'induction que l'assainissement d’une prairie compro- met toujours le produit de l'herbage. L’agriculteur intelligent n’a pas de pertes semblables à déplorer, parce qu'il sait les pré- venir : en changeant la constitution hydraulique de son terrain, il varie aussi l’'ensemencement et choisit les végétaux qui lui con- viennent. Cette règle n'étant pas observée en Ardenne, on s'explique (47) suffisamment la non-réussite des desséchements, ainsi que le petit produit qu'on obtient dans des terrains élevés et secs, en- semencés avec des graines provenant de prairies à situation basse et aqueuse, et réciproquement. De l'ensemencement des prairies. — On ne doit songer à for- mer les prairies qu'après s'être rendu maître des eaux; et parfois aussi doit-on avoir recours à un écobuage après le desséchement complet, avant de faire des ensemencements : par exemple, lorsque des matières végétales tourbeuses, etc., et des plantes nuisibles envahissent le sol. Mais le plus souvent, un bon assainissement suivi d’un hersage énergique ou d'un écobuage partiel, suffit pour préparer les prairies humides à recevoir les graines. Une méthode qu'on peut suivre avec avantage lorsqu'on se livre à des ensemencements complets, consiste à transformer préalablement la prairie en terre arable pendant deux ou trois années, lorsque le sol se prête mieux qu'en Ardenne à ce genre de culture. Les semailles totales ou partielles des prés peuvent s'effectuer sur l’ancien gazon ou après la carbonisation de celui- ei. Mais on doit surtout éviter l'emploi des graines qu'on recueille dans les fermes et qu’on sème tout simplement sur les prairies, sans s'inquiéter de leur qualité ni de leur espèce; sans songer même à les épurer des graines étrangères. Comme il vient d'être démontré que les terrains, suivant leur état d'humidité ou de sécheresse, exigent des plantes qui sap- proprient à leur nature pour produire abondamment , on ne doit done rien négliger pour nettoyer les graines en les associant, dans les proportionsles plus convenables, à la situation normale du sol (1). Cette méthode si profitable aux cultivateurs anglais (1) Comme le trillage et l’association des graines n’est pas d’une exécu- tion à la portée de tous, je crois utile de faire connaître que l’on peut trou- ver des semences toutes préparées chez MM. Vandendrisse, à Bruxelles, et Reul, à Liége. Quant au choix des diverses espèces de graines , selon les sols auxquels on les destine, je ne puis que renvoyer le lecteur au Cours com- plet d’agriculture théorique et pratique , d’économie rurale et de médecine vétérinaire; Paris, 1854, par une réunion d’agronomes sous la direction de (18) et allemands, est en quelque sorte inconnue en Belgique, ou au moins, elle y est fort peu mise en usage. On vise à l'économie, on craint de faire une dépense qui serait largement couverte après quelques moissons, et on court la chance de compromettre le succès de la production d'une prairie pendant une longue suite d'années. Est-ce là ce que l’on doit appeler économie? De la destruction des mauvaises herbes. — Parmi les mauvaises herbes qui croissent spontanément dans les prairies, on trouve des touffes abondantes de roseaux, de jones, de carex, elc.; on y rencontre aussi des orchidées, des ombellifères, des planta- ginées, des graminées (chiendent, etc.), des radiées, des eryp- togames (mousse, champignon), des crucifères, etc. Les plantes annuelles peuvent aisément être détruites, si elles sont fauchées avant d'être arrivées à maturité : on empêche ainsi la propaga- tion des graines. Si les plantes sont bisannuelles ou vivaces, le cas devient plus grave. Néanmoins, on parvient très-souvent à les enlever au moyen d'une herse à dents de fer et par l'apph- cation de la chaux caustique. Selon l'avis d’un cultivateur de la province de Liége, on par- viendrait à faire disparaître entièrement les jones et les char- dons d’un pré, en coupant ces plantes avec une faucille qu'on enduit de vinaigre très-concentré après chaque coup qu'on donne avec cet instrument. Cette opération, que je n'ai pu vé- rifier, mérite l'attention du cultivateur, car ce serait un moyen facile d'entretenir la culture des prairies. Le desséchement, aidé du chaulage, est un procédé qui suffit très-souvent pour arriver à la destruction des plantes usurpa- lrices; cependant, dans les terrains trop infestés, il ne suffit pas pour rendre la fertilité à un champ engazonné. On doit alors avoir recours à l’écobuage total ou partiel, suivant que la M. Vivien. I trouvera dans ce traité des ducuments précieux ou l'exposition complète de tout ce qui est relatif au bon choix des plantes herbagères, con- sidérées sous le double point de vue de la nature des sols et de leur vertu ali- mentaire. (49) surface se trouve plus ou moins envahie : on en obtient princi- palement un bon résultat lorsqu'il y a abondance de matières combustibles. L’écobuage détruit toute trace de plantes ; il mo- difie la densité et la texture du sol, et laisse des résidus fertili- sants assimilables. Toutefois on ne doit user de ce moyen de destruction que lorsqu'il y a nécessité, car de semblables travaux entraînent toujours le propriétaire à des frais assez considérables. Des engrais et des amendements. — Les substances calcaires sont indispensables à la production lucrative de l'herbe : l'aci- dité que recèlent les prés, l'absence totale de chaux dans leur composition et dans celle des eaux, sa présence constante dans les cendres des bonnes plantes prairiales, ete., sont tout au- tant de causes qui nécessitent l'application de la chaux ou de la marne sur les prés. La marne, et principalement la chaux caustique ou hydratée, qui agitinstantanément, sont appelées à apporter d'heureux résultats en agissant dans le sol à la fois comme amendement, comme stimulant et comme engrais. En Ardenne, on pense que ces substances, qu'on ne songe pas en- core à appliquer sur les prés, ne sauraient être utiles qu'aux terres labourables. Cette opinion est sans fondement. Il suffit de se rendre à Maissin ou à Neufmoulin, où la chaux a été essayée, pour s'assurer de toute son efficacité sur l’herbage. Les autres conditions d'assimilation étant remplies d’ailleurs, on peut porter à un quart et même à un tiers l'augmentation du produit herbacé par l'effet d’un simple chaulage. Pour rendre son appli- cation profitable et économique, on doit l'appliquer par petites quantités renouvelées tous les deux ou trois ans. Cette pratique est d'autant plus nécessaire en Ardenne, que l’eau qui traverse les prairies irrigables en emporte avec elle une certaine pro- portion. Inutile de faire observer que les terres récemment des- séchées doivent recevoir, la première année, un volume de chaux ou de marne plus grand que les années suivantes. De même, les sols ei-devant humides en exigent plus que les terrains naturelle- ment secs. Le plâtre et les cendres d'os, comme engrais et comme stimu- 4 ( 50 ) lants, méritent aussi l'attention des agriculteurs. Ces substances, tant recommandées par nos agronomes, fournissent les éléments essentiels des plantes. Nous avons obtenu aux environs de Bas- togne, dans un terrain où les légumineuses et les graminées restaient languissantes, une végétation vigoureuse dont le ren- dement s'est trouvé doublé au bout de deux ans par le seul effet de Ja chaux, du plâtre et des os préparés d’une manière parti- culière. Nous aurons l'occasion de donner des détails sur ces substances. Avant d'abandonner les améliorations à introduire dans les prairies, disons encore quelques mots du rouleau et de l'étau- pinoir à cheval. Ces instruments, inconnus en Ardenne, seraient d'un grand secours dans la culture des prairies, pour raffermir le sol trop poreux, pour rendre la surface plane, et étendre les mottes de terre el les taupinières. Tandis que ce travail, très-peu coùû- teux, serait favorable aux plantes herbacées, il faciliterait encore singulièrement leur fauchage. Vu la grande déclivité qu'offrent certaines prairies, il serait bon que le cylindre eût un timon; il fonctionnerait alors plus facilement et avec plus de sûreté. Il à sufli que MM. Le Docte et Crespel fissent usage de ces instruments puissants en Ardenne pendant une saison, pour que leur exemple fût imité par les habitants du voisinage. 11 serait à désirer que ces instruments fussent plus connus dans le pays : ils augmenteraient les revenus et épargneraient des dépenses qui trouveraient fructueusement leur place dans les améliorations qui viennent d'être exposées. Faisons encore remarquer que les prairies fauchables sont or- dinairement pâturées au printemps par les bêtes ovines. Cette méthode arrête la croissance normale de l'herbe et occasionne, sans que l’on s’en aperçoive, un tort marquant au propriétaire. Tout milite en faveur de son abolition, qui est aussi approuvée dans nos provinces les plus avancées en agriculture. Une question doit encore être résolue; il nous reste à savoir quelles sont les surfaces du territoire ardennaïis qu'il convient d’affecter aux prairies permanentes. (51) De la création et de la destruction des prairies. — Les prairies pérennes n’exigent point, comme les terres arables, des ensemen- cements annuels et des cultures réitérées aussi dispendieuses, ni des engrais pris dans l’intérieur de la ferme, puisque l’eau des Ardennes associée à quelques sels calcaires peut en tenir lieu; elles améliorent tous les jours davantage le sol parles débris que laisse chaque année la végétation, tandis que les céréales, les plantes tinctoriales, etc., produisent un résultat inverse; elles procurent des aliments abondants et nourrissants qui permettent d'élever et d'engraisser le bétail, d'entretenir les bêtes laitières et de trait, et de retirer ainsi des engrais essentiellement substantiels. Ainsi, plus les prairies seront étendues et productives, plus, à parité de conditions, elles permettront de tirer un bon parti de la basse-cour, et plus aussi on aceumulera la masse des engrais qui, à leur tour, permettront de réparer dans le sol eultivable les pertes annuelles qu'il éprouve par la continuité des exportations. Cet exposé sommaire, qui devrait toujours être présent à l’es- prit de tout cultivateur, nous démontre toute l'influence que peuvent avoir les prés sur le succès d’une entreprise agricole. Cest assez dire qu'on doit, autant que possible, chercher à augmenter leur surface et y apporter toutes les améliorations qu’elles nécessitent. Ce qui précède n’a rapport qu'aux prairies susceptibles d'irri- gations. Exposons maintenant notre manière de voir sur celles qui ne peuvent pas être entretenues par les eaux. Autant nous prônons l'existence et la création des prairies 1r- rigables , autant nous conseillons de détruire celles qui ne peu- vent pas l'être, pour les convertir en terres arables. Au premier aperçu , il semble inopportun et très-déplacé d'adopter cette me- sure, surtout en Ardenne. Que dira, par exemple, le fermier qui retire le tiers ou le quart de son foin des prés non alimentés par les ruisseaux, en se voyant obligé de réduire la surface des ter- rains formant actuellement la richesse première de son industrie, comme source d'engrais et d'aliments ? Certes, il refusera de se conformer à cette règle; et nous- même nous aurions de la peine à nous y soumettre, si nous (52) n'avions un moyen capable de réfuter toute objection. Ainsi, tandis que nous demandons à diminuer les terrains produisant des aliments et des engrais, nous sollicitons en même temps la création d'une autre source d'aliments et d'engrais, plus riche, moins onéreuse et obtenue sur une plus petite surface. La créa- tion de cette source réside dans les prairies artificielles. Les prairies artificielles, auxquelles on doit le grand pas qu'a fait notre agriculture, sont appelées à remplacer exactement, par leurs propriétés, les avantages que peuvent procurer les prairies irrigables. D'après les limites que nous avons tracées à notre tra- vail, nous ne pouvons énumérer ici leur caractère agricole. Nous nous contenterons de dire en passant que le sainfoin surtout procure une nourriture plus saine, plus nutritive que le foin des prés permanents, et donne même, lorsque c'est une variété à deux coupes, un rapport en fourrages plus élevé. Quant aux dépenses, l'érection des sainfoinières serait bien un peu plus coûteuse que celle des prairies; mais aussi les frais d’en- tretien de celles-ci sont beaucoup plus considérables. En somme, les recettes, pour un cours de neuf années, restent à l'avantage des champs artificiels. Mais supposons pour un instant que les dépenses se balancent de part et d'autre, on en induira encore que si la production, eu égard aux frais d'établissement et d’en- tretien d'une prairie artificielle, est équivalente à celle d'une prairie arrosée gratuitement, il est évident que celles non sus- ceptibles d'être bonifiées par les eaux doivent leur être beaucoup inférieures. il est reconnu par tous les agriculteurs que les prés non irri- gués sont en général moitié moins productifs que ceux auxquels l'eau vient en aide, lorsqu'ils ne reçoivent aucune substance fécondante. D'ailleurs, il est bien constaté aussi que, dans le premier cas, l'herbe est toujours de qualité inférieure, et que, pour la rendre abondante, on doit administrer des engrais de ferme au sol. Dès lors est-il encore rationnel d'admettre que ce genre de prairies constitue la véritable richesse d’une exploitation ? Non, car on pourrait même dire qu'un préjudice est le complément du main- ( 55 } tien d’un semblable système, par cette cause toute naturelle que si ces terrains engazonnés étaient métamorphosés en sainfoiniè- res, ils seraient susceptibles de donner à moins de frais une plus grande abondance d'agents fertilisants et de fourrages pour l'é- conomie, et cela sans devoir recourir aux engrais destinés à pro- duire des céréales. Ce n'est done point sans raison que nous voulons voir arrêter la création des prairies non susceptibles d’arrosement, et sup- primer celles qui existent pour y substituer la culture des plantes fourragères, qui peuvent les remplacer avec fruit. On doit tou- tefois excepter de cette règle les parties placées à proximité des villes où les engrais abondent et celles qui, pour une cause quel- conque, ne peuvent convenir qu'à la production de l'herbe. De même, lorsqu'on se livre sérieusement à l'élève des animaux do- mestiques, on pourra encore utilement réserver un ou plusieurs petits enclos, placés à la portée de l'exploitation, pour les livrer au pâturage des mères et du jeune bétail. DE La 20NE C. — Des terrains marécageux. Les terrains fangeux et submergés par les eaux peuvent être livrés à la culture, lorsque la fange n’est pas trop profonde et que le terrain permet l'écoulement des eaux et le défrichement complet de la masse. Dans cette hypothèse, on suit les indica- tions qui ont été prescrites, lorsqu'il a été question des prairies naturelles. Si, au contraire, on ne peut obtenir qu'un desséche- ment partiel, il y a encore un moyen d'en tirer parti en transfor- mant ces terrains en plantations de saules, d’osiers, de peupliers et d'autres arbres qui aiment ou ne redoutent pas l'humidité. Les peupliers du Canada offrent surtout une grande ressource pour les terrains humides de Ardenne. Voyons ce que dit à ce sujet la députation permanente de la province de Luxembourg : « La culture du peuplier dans les terres qui en sont suscep- tibles, telles que les bas-fonds, le long des ruisseaux et dans les gorges, donnerait aussi des produits d'autant plus avantageux, qu'on peut l’établir même dans les parties réclamées pour le pà- (54) turage, attendu que cette essence se plante en haute tige et n’empêche’pas la fréquentation des bestiaux. » Ce procédé a été suivi avantageusement par plusieurs par- ticuliers, et entre autres!, par la commune de Hotton, qui a planté 48 à°20,000 peupliers du Canada, offrant de grandes espérances pour l'avenir. Chaque peuplier, à 12 ans, coûterait 0,65 €‘; le produit des élagages que l’on ferait après 12 ans, jusqu’à 40 ou 50 ans, suffirait amplement pour couvrir tous les frais quelcon- ques, et on peut, sans exagérer, porter la valeur de chaque arbre à l’âge de 50 ans au prix de 16 franes. Il y aurait done avantage pour la commune à propager cette sorte de plantation (4). » Quant aux tourbières des Ardennes, il est difficile sinon im- possible de les convertir en plantations ou en terres arables à cause de leur grande porosité. Les terrains tourbeux peuvent devenir très-riches, sans doute, par l’écobuage; mais ce n’est qu'à condition que la tourbe restante soit mélangée, dans des proportions déterminées, avec une terre argileuse. Outre que ces opérations sont très-oné- reuses, on ne trouve pas en Ardenne cette argile confortable avec laquelle elle puisse s’allier. D'un autre côté, en appliquant directement de la tourbe sur les terres cultivables, on tombe- rait dans les inconvénients que présentent les bruyères, c'est-à- dire que cette tourbe deviendrait plus préjudiciable qu'utile en allégeant trop la couche arable. Les tourbières n'ont guère! de valeur que comme source de combustible, mais elles peuvent être très-recherchées si, comme il en sera parlé plus loin, on les considère comme source d'engrais cendreux ou de compost. DE LA 20NE D. — Des forêts. On n'est pas encore bien d'accord sur la question de savoir s'il convient de défricher les forêts pour les convertir en terres arables. Cherchons d’abord à résoudre ce problème. (1) Rapport de la députation permanente du conseil provincial du Luxembourg, sur le défrichement des bruyères et des terres vagues du Luxembourg, p. 295. (55) La chute des feuilles et le dépérissement des plantes donnent aux terrains une quantité notable d’humus et de matières végé- tales qui est d'autant plus forte que la forêt est plus ancienne ou plus peuplée d'arbres. L'expérience a prouvé qu’à l’aide d’un écobuage, les terrains de cette espèce peuvent produire une, deux et quelquefois trois récoltes consécutives sans l'interven- tion d'agents nourriciers extérieurs. Ces récoltes pouvant être converties en fumier dans l’économie, il en résulte que les ter- rains boisés offrent une grande ressource pour l'amélioration des terres vagues. Cette circonstance à fait prétendre, comme sil s'agissait d’une vérité qui n’a plus besoin d’être discutée, que le déboise- ment partiel est l'unique moyen d'arriver au défrichement des bruyères. Il faut cependant admettre que si le déboisement n’est que partiel , la fertilisation des landes, aux dépens des bois, ne peut s'exercer et s'étendre que sur un petit rayon du territoire. D'un autre côté, 1l serait déraisonnable de chercher à créer une source de richesses, par l’anéantissement de richesses existantes. On doit s'attendre à voir éclore sur la question des défriche- ments des mesures plus énergiques et plus en rapport avec les pressants besoins de la classe nécessiteuse; car ce moyen de défrichement offre des inconvénients graves qu’il importe de si- gnaler. Peut-on sans danger, diminuer la surface des terrains occu- pés par les bois ? Bien que les communes possèdent des forêts d’une grande étendue, les produits qui en proviennent tronvent néanmoins un placement avantageux. Ceci ne doit pas nous surprendre, attendu que l’Ardenne, par son éloignement des bassins houil- Jers, ne se voit pas seulement obligée de faire servir de combus- üble une grande partie de ses bois, mais qu'elle s'en fait même une branche de commerce, en pourvoyant d’écorces et de char- bons un grand nombre de tanneries et d'établissements indus- triels du pays et de la France. On peut donc dire que les zones de bois qui existent dans le Luxembourg y sont indispensables, et (56) qu'on ne pourra pas les restreindre avant que cette contrée ne soit à même de se procurer d’une manière économique le chauf- fage nécessaire. D'un autre côté, si aucun événement extraordinaire ne vient arrêter ou détourner le cours naturel des choses, l’Ardenne sera nécessairement peuplée dans un avenir peu éloigné. Voilà cer- tainement un motif principal pour maintenir intacte une pro- duetion qui deviendrait alors tout à fait insuffisante aux besoins de la consommation intérieure. Maintenant n'est-il pas à remar- quer aussi que la Belgique, par la création d'une foule d'établis- sements, de nouvelles voies de communication, etc., réclame impérieusement la conservation d’un de ses premiers éléments de prospérité? Le manque d'équilibre entre la production et la con- sommation démontre combien il serait dangereux de se livrer actuellement au déboisement. Les parties boisées de la province de Luxembourg sont pour ainsi dire les seules qui produisent des revenus aux communes. Pourquoi donc vouloir détruire une source inépuisable de ri- chesses , dans le seul but de favoriser le défrichement des landes d'une manière si incomplète? Ne possède-t-on pas, sans avoir recours au déboisement, suffisamment de terres incultes pour augmenter la production agricole ? En somme, il ne nous paraît ni rationnel, ni prudent de tenter le déboisement pour arriver au défrichement des bruyères; cette mesure serait incompatible avec la situation actuelle, et porte- rait, en outre, une rude atteinte aux intérêts des communes. Telle est la conséquence que nous croyons pouvoir tirer des ob- servations qui viennent d'être présentées. Nous avons dit que les forêts ont généralement une grande valeur en Ardenne; cependant on doit faire une exception pour celles qui, par leur situation, sont d’une exploitation difficile. C'est ainsi que l’on rencontre des parties boisées entourées de ter- rains tourbeux et fangeux qui, cédant sous le poids des chevaux ne laissent aucune issue aux voitures. La marchandise devant alors se transporter à bras d'hommes, diminue de valeur en pro- portion de la difficulté qu'on éprouve pour la transporter. (57) Pour faire comprendre combien ces obstacles sont préjudi- ciables à la vente, et combien il est urgent d'y parer, il suffit de mentionner que nous avons vu en maintes occasions échanger de beaux chënes contre des objets de la plus grande futilité. Cet exemple démontre parfaitement l'influence que les voies de communication peuvent exercer sur la valeur des produits de la terre d'un grand volume ou d'un grand poids. A la vérité, il n’est pas toujours facile de remédier aux incon- vénients que présente la formation des chemins dans la fange. Celle-ci s'étend quelquefois à une profondeur telle, que son des- séchement occasionnerait des dépenses considérables. Cependant, dans la plupart des cas, on parviendrait toujours, au moyen d’un ponton formé avec des billes transversales , à rendre praticables et exploitables des parties de bois qui sont pour ainsi dire dé- laissées entièrement. Ce sont là des faits qui échappent à l'appréciation du simple particulier, qui ne voit et n'a à voir que son intérêt du moment; mais ils doivent préoccuper une administration prévoyante et éclairée. D'autres améliorations importantes restent encore à faire dans les forêts : ainsi l’on pourrait favoriser la reproduction des glands, en enlevant, comme nous le verrons en parlant des en- grais, la partie superficielle ou l'excès des matières végétales qui jonchent le sol, pour les faire servir comme aliments des plantes annuelles. Au moyen de ce procédé, les arbres se multiplieraient sponta- nément dans les bois, et les communes gagneraient ainsi sous le rapport forestier et agricole. Les nombreux espaces vagues qui existent dans les bois, mé- ritent aussi de fixer l’attenlion des administrateurs. Tous ces espaces, qui ont souvent une grande étendue et qui ne produisent que des broussailles, des genêts et des bruyères, trouveraient leur utilité, si l’on y faisait, à l'époque des coupes ordinaires, des plantations de hêtres, de bouleaux ou d’essences résineuses. Lorsque ces parcelles sont suffisamment étendues et qu'elles ( 58 } occupent un plan régulier, on pourrait aussi, avant de les livrer au reboisement, les écobuer et y cultiver avec fruit les céréales et les plantes oléagineuses pendant deux ou trois années. On a déjà essayé de les mettre à profit en y cultivant des pommes de terre; mais quelques observateurs ont reconnu que cette plante est sujette à être dévastée par Les bêtes fauves. Il est done préfé- rable de les consacrer aux produits qui ne eraignent aucune dé- térioration de ce genre. Sous ce rapport, le colza peut être placé au premier rang, et il a, en outre, cette propriété remarquable de réussir admirablement dans un terrain nouvellement défriché. DE LA z0oNE Æ. — Du reboisement et des abris. Il existe en Ardenne plusieurs catégories de bruyères qu’on ne saurait conquérir fructueusement à la production des céréales et des plantes légumineuses ou industrielles; ce sont celles qui com- prennent les terrains en côtes rapides ayant leur versant au nord, les terrains qui bordent les eaux stagnantes, les marais dont l’as- sainissement est impraticable, et enfin, les terrains graveleux et pierreux qu'on ne peut aborder avec des instruments aratoires. Nous voudrions voir former là des plantations de haute nature, et particulièrement d’essences résineuses. Ce serait le moyen le plus assuré de retirer du sol la plus grande quantité de produits possible, et d'augmenter, sans faire de grands frais, la richesse territoriale du pays au profit des générations futures. En effet, les arbres issus des terrains exempts d'humidité surabondante, sont très-recherchés dans le commerce: ils ont en général une conformation plus régulière, un tissu plus serré et plus dense qui les rend très-durs et, par conséquent, propres aux diverses constructions. Bien que les bois qui proviennent des terrains humides soient proportionnellement plus légers et moins solides, ils sont néan- moins très-estimés à cause du développement rapide et de la taille gigantesque qu'ils acquièrent. On sait que les arbres sont peu exigeants sous le rapport de (59) la nature physique et minérale du sol et qu'ils peuvent croître dans les conditions les plus variées. Cependant, pour arriver à un maximum de production, il est essentiel de les approprier autant qu'il est possible aux terrains qui leur conviennent et avec lesquels ils sympathisent le plus. Le peuplier, par exemple, reste rabougri dans les terres sèches et arides, tandis que le sapin y prend de la force et y prospère. De là nous coneluons : « que » chaque terre doit être affectée à un produit donné, et notam- » ment à celui qui offre le plus de profits (1). » Or, pour appli- quer ce principe fondamental à la diversité des terrains compris dans la zone qui nous occupe, on arriverait à cette belle néces- sité de donner un plus grand essor à la culture des diverses es- sences de bois conifères et feuillues qui peuvent trouver dans le pays un emploi utile et immédiat. D'un autre côté, chaque arbre a, suivant son espèce et sa ma- nière d'être, un degré d’accroissement qui lui est particulier; ce- lui-ci n’acquiert sa grosseur et sa taille qu'avec lenteur; celui-là, au contraire, croît avec une rapidité étonnante; un autre, enfin, oceupe le milieu entre ces deux extrêmes. Cette particularité semble en tout point avantageuse à un système de boisement uniforme, vu que des plantations et des semis d’essences diffé- rentes, exécutés en même temps, donneront des coupes à des époques très-distinctes et assez éloignées les unes des autres pour que l'encombrement ne soit pas à craindre. Par cette disposition déjà si profitable sous tant de rapports, on ne serait pas obligé de jeter dans le commerce une trop grande quantité de bois destiné au même usage, et la marchandise trou- verait toujours un placement avantageux, ce qui procurerait aux communes des ressources inépuisables sans exiger de bien grands sacrifices. En général, les arbres sont d’une belle venue dans les Arden- nes, les conifères surtout, les pins sylvestres, les pins épicéas et les mélèzes y réussissent aussi parfaitement. On peut admirer près de Viel-Salm, près de Bastogne, et dans plusieurs autres lo- (1) J.-B. Bivort, Dissertation raisonnée, etc., déjà cité, p. 41. ( 60 ) calités des sapinières de différents âges d’une vigueur remar- quable. Il n’est pas rare non plus de rencontrer des sapins de la plus grande beauté sur des bancs de rochers presque nus et sur des couches de schiste en paillettes. Enfin, « l'expérience a dé- » montré qu'il existe des sapinières ayant atteint leur 49° année » de croissance, qui peuvent être évaluées de 4 à 5 mille francs » l'hectare (1). » D'après les renseignements fournis par les gardes généraux de l'inspection de Marche, l'opération du reboisement donnerait lieu aux ealeuls suivants, prix moyens : Plantation en peupliers de Ganada, frais par arbre . . . .fr. 65 Produit par arbre apres 50 ans..." 10 » é (NErais ee 150 » Reboisement en bouleau par hectare . Sadts ù à ll Produits . . 5,580 » ; aie Frais. . . . 2,310 » (2) Boisement en résineux, par hectare ie 2 À Produits . . 41,855 » Boisement en moitié bouleau et moitié résineux, { Frais. . . . 41,330 » par hectare. Produits . . 923,817 » (3) On voit par ces chiffres que les essences résineuses surpassent en production toutes les autres espèces de boïs et qu'elles peu- vent offrir de précieuses ressources pour les Ardennes, ressources qui ont, au reste, été très-bien appréciées par M. l'inspecteur général des forêts et par MM. Gihoul, Stéphens, ete. La députation permanente du Luxembourg a également com- pris toute la portée de la propagation des sapins dans cette province; elle a à cet effet pris l'initiative pour encourager les propriétaires à cultiver les arbres résineux, en faisant, de con- cert avec le Gouvernement, une distribution gratuite de graines de ces essences. (1) Rapport de la députation permanente du conseil provéncial du Lu- æembourg , p. 295. (2) Il est à remarquer que les frais et les produits sont calculés pour un terme de 80 ans, avec les intérêts composés. (5) Rapport de la députation , déjà cité, p.301, (61) Il existe plusieurs méthodes de pratiquer les semis et les plan- tations; mais il ne nous sera guère possible de les discuter, parce que ce travail nous entraînerait dans des développements que nous devons chercher à éviter chaque fois qu'ils ne paraissent pas indispensables à la solution de la question; nous ne pourrions d’ailleurs faire ici que répéter ce qui a déjà été dit à ce sujet dans des traités spéciaux (1). Nous nous sommes attaché, dans ce qui précède, à exposer les améliorations qui restent à faire dans l’économie forestière, à in- diquer comment les bois peuvent procurer par leurs débris une grande fertilité au sol, à démontrer l'urgence de maintenir in- tactes les forêts existantes et d'en augmenter la surface. il nous reste maintenant à examiner quelle devra être l'étendue des ter- rains à consacrer au reboisement et quelle influence salutaire cette opération exercera sur l’état de la culture. Les ressources qu'offrent aux Ardennes la plupart des essences résineuses ont fait supposer à plusieurs économistes et agro- nomes que le boisement est l'unique moyen de rendre ce pays productif. On est ainsi arrivé à dire que la majeure partie des terres vagues doit être convertie en forêts. S'il était bien reconnu que les landes de l’Ardenne dussent rester perpétuellement condamnées à ne produire que des plantes agrestes d’une utilité secondaire à l'humanité, nous concevrions un semblable système; mais en présence des résultats qui ont déjà été obtenus à la suite d’une culture bien organisée, il nous est permis de leur assigner une destination à la fois plus lucra- tive et plus en harmonie avec les besoins du pays. Les partisans du boisement complet ne nous paraissent d’ailleurs pas avoir fait (1) On trouve dans le Rapport de la députation permanente de la province de Luxembourg des détails très-intéressants sur les différents modes de semis et de plantations. Ces détails ont été fournis par Les inspecteurs forestiers et les gardes généraux. La députation a elle-même rassemblé, dans un petit opuscule intitulé : Le reboisement des terrains vagues au moyen d’ar- bres resineux , tous les documents nécessaires au succès des entreprises de ce genre. (62) la part des circonstances. En réfléchissant davantage aux consé- quences d'une production illimitée, ils seraient sans doute arri- vés à une conclusion toute différente; car on ne peut pas se dis- simuler qu'en doublant la superficie des terrains occupés par les forêts, on jetterait dans le commerce une quantité de bois excé- dant la consommation, ce qui en déprécierait fortement la valeur. Disons donc avec la députation permanente que « l’exploi- » tation agricole, par le travail continu qu'elle exige, par la » main-d'œuvre qu'elle procure, contribue seule efficacement au » bien-être et à l'accroissement de la population. Partout où » le défrichement est possible, il mérite avant tout d’être en- » couragé (1). » Nous admettons aussi avec la députation que « le reboisement » peut s’'opérer sur une vaste échelle sans nuire au progrès de » la culture (2). » il nous semble également très-logique de pro- poser avec elle le reboisement de toutes les terres que leur situa- tion ou leur nature rend impropres à la culture; maïs nous ne pouvons nous rallier à ses vues, lorsqu'elle croit qu'il serait avantageux de boïser les bruyères éloignées des centres de popu- lation. Car si l'on peut prouver, ce qui ne tardera pas à avoir lieu, que ces terres ne doivent leur stérilité qu'au manque de capitaux, de débouchés, de connaissances, etc., et que le climat ni le sol ne mettent aucun obstacle à leur culture, il est évident que les capitalistes , les sociétés particulières et Les propriétaires exploitant par eux-mêmes, ne tarderont pas à s’y installer et à y créer de nouvelles populations toujours disposées à se fixer par- tout où le pain leur est assuré. La désignation des surfaces à consacrer soit au reboisement, soit à la culture, mérite de fixer sérieusement l'attention de l’ad- ministration : c'est de là que doit dépendre la plus ou moins grande valeur que l’on fera acquérir au sol ardennais. Il est né- cessaire , si l’on veut procéder avec sagesse, de limiter le boise- ment aux terres incultes qui ne sauraient recevoir utilement (1) Rapport de la députation, déjà cité, p. 81. (2) Id., id., ib. (65 ) d'autre destination, et de réserver à la production des substances alimentaires toutes celles qui peuvent être converties en terres arables. Produire trop de bois, c'est, nous l'avons déjà dit, provoquer une concurrence désastreuse; produire beaucoup de denrées ali- mentaires, c'est empêcher l'exportation du numéraire, et contri- buer efficacement au bien-être matériel des elasses laborieuses, en maintenant à un taux modique les matières les plus indispen- sables à l'homme et en le mettant à même de les acquérir par le travail qu'on lui procure. En boisant toutes les parties de bruyères qui sont impropres à la culture, on arriverait peut-être déjà à fournir au pays plus de bois qu'il n’en consomme actuellement ; mais si, comme tout nous porte à le croire, la population continue à augmenter dans les proportions qu'on a constatées depuis dix ans, et que l'Ardenne soit destinée à devenir le siége de nouveaux centres de eonsom- mation, il est urgent de prendre d'avance des mesures pour que les générations futures ne puissent nous accuser d imprévoyance ou d’égoisme. D'ailleurs, en admettant même que la production dépasse la consommation, et que, par conséquent, la valeur du bois soit considérablement réduite, il existerait encore un moyen de ren- dre profitables les travaux de boisement que l’on aurait exécutés : ce serait de défricher, pour les rendre à la culture, toutes les forêts qui couvrent actuellement les magnifiques plaines de la province de Luxembourg et dent la nature et la situation ne met- traient pas obstacle à cette transformation. On pourrait aussi avoir recours au même procédé, dans le eas où l’on parviendrait, par un moyen quelconque, à transporter économiquement, au centre des Ardennes, la houille nécessaire aux habitants. On le voit, les Ardennes, le pays lui-même a le plus grand intérêt à ce que les zones incultes que la culture réprouve soient immédiatement livrées au reboisement. Par cette sage mesure, on se ménagerait de précieuses ressources pour l'avenir, et la province de Luxembourg en particulier se créerait des richesses qui ne tarderaient pas à augmenter sa prospérité. (GX ) Nous faisons des vœux pour que le Gouvernement, sans le concours duquel aucune grande entreprise n'est possible, insti- tue, dans la province de Luxembourg, deux commissions, l'une : forestière, l’autre agricole, pour aller de concert examiner les plaines des Ardennes, et désigner, après une étude sérieuse, quelles sont les parties qu'il convient de boiser et d’affecter à la culture des terres arables. Ces commissions pourraient aussi, pour compléter leur travail, former des plans d'assainissement et d'abris, et émettre leurs vues, relativement aux essences qu'il conviendrait de propager, suivant la nature et l'exposition des terrains qu'elles auraient à explorer. Toutes ces données pourraient être rassemblées dans un ta- bleau qui serait adressé au département de l'intérieur, pour être ensuite transmis aux administrations communales, chacune pour ce qui la concerne. En procédant d’après l'avis de cette commission choisie parmi des hommes compétents, on éviterait les erreurs qui se com- mettent actuellement, et l'on ne verrait plus planter des résineux dans des terrains propres aux arbres feuillus, et la culture ar- bustine n'occuperait plus les terrains propres à la production des céréales (1). Tant que l'on abandonnera les semis et les plantations diver- ses à la merci des communes sans avoir de plan bien tracé pour les démarcations, il est positif qu'on retombera incessam- ment dans le défaut que je viens de signaler et qu'on n'acquerra jamais les richesses que nous sommes en droit d'attendre du sol luxembourgeois. Des abris. — Tandis que le reboisement, opéré avec ensemble et discernement, offre une garantie de prospérité pour les Ar- dennes, comme une source de bois, ne servirait-il pas en même (1) Ayant déjà exprimé ce vœu, en 1847, à l’Académie royale des sciences de Bruxelles, nous avons vu avec une entière satisfaction qu’une commission forestière a été formée l’année suivante, par M. le Ministre de l’intérieur; les noms des honorables membres qui en font partie nous permettent de croire qu’elle saura comprendre sa véritable mission. (65) temps, comme l'ont déjà fait observer plusieurs auteurs, à pro- téger les terres arables et les prairies contre l’action des météo- res contraires à la végétation; convient-il de créer des abris en Ardenne pour garantir les zones cultivables ? L'action des abris est trop bien constatée par l'expérience des faits, pour que nous cherchions à en démontrer l'opportunité. Sans devoir recourir aux pays étrangers, on peut aisément, dans le nôtre, en apprécier la valeur. Qu'on jette un regard sur notre végétalion vinicole et agricole, soumise à l'influence des abris naturels et artificiels des montagnes et des forêts; qu'on porte son attention sur celle des prairies de Herve et des champs clô- turés des contrées flamandes, qu’on la compare à celle des plaines, et l'on concevra toute leur efficacité sur les plantes. Il va de soi que les abris tendent à adoucir la température ou à neutraliser le givre régnant; ils doivent avoir par cela même, en Ardenne plus qu'ailleurs, puisque le climat y est plus àpre que dans les autres contrées, une influence salutaire sur les végétaux annuels; mais il ne faut pas qu'on se fasse illusion : quand il s’agit du défrichement du Luxembourg, on s'exagère le plus souvent la situation météorologique, et par là l’action que les abris doivent y exercer. Ainsi, l'on écrit à tort que la mise en culture des landes est subordonnée à la formation préa- lable des agents qui peuvent en tempérer le climat. Notre plan systématique, ou plutôt la réparütion en zones agricoles et forestières des terrains, suivant leur nature et leur exposition, dément cette assertion , et l'expérience des lieux ne laisse pas de doute à cet égard. Il n'est pour ainsi dire aucun cultivateur ardennais qui ne soit moralement convaincu, quant au climat, de la bonne réussite des plantes qui forment l’apa- nage de sa culture, pourvu que le sol ait une exposition et un caractère physique semblable à ceux qui leur ont été assignés dans la zone F, bien entendu lorsque les autres conditions de fertilité s’y trouvent réunies. La production périodique des terres à champs non abritées est là pour démontrer à l'évidence, la justesse de notre opinion, ro F J ( 66) qui consiste à envisager Îles abris, non comme indispensables, mais seulement comme utile pour augmenter la richesse des productions des Ardennes. Nous pouvons done nous résumer en disant : que les abris, sont avantageux dans cette contrée, et qu'ils méritent d'être établis, partout ou le sol s'y prête sans trop d’inconvénients pour la culture. Les abris tendent principalement à garantir les plantes, soit d'un excès de froid ou de chaleur, soit d’un excès d'humidité ou de sécheresse, ainsi que des grands vents, dans les contrées où on se livre à la culture des plantes qui exigent une situation calme, un air peu agité. Cette action si opposée des abris tient principalement à leur espèce et à leur distribution. C’est assez dire que chaque loca- lité doit avoir un genre d’abris approprié aux circonstances phy- siques du sol, qu'on cherche à modifier, lorsqu'elles ne sont pas en harmonie avec la nature du climat. Il y a plusieurs espèces d’abris; les plus efficaces et les plus employés sont les enclos dits clôtures, formés d'arbres ou de haies vives, à basse ou à haute futaie, et les rideaux d'arbres. Convient-il de créer des clôtures en Ardenne, ou bien doit-on accorder la préférence aux rideaux d'arbres? Quelles sont les parties de terrain qui doivent être ménagées aux abris et de quelle essence ceux-ci doivent-ils se composer ? Les clôtures, soit de haies vives, soit d'arbres, ne conviennent particulièrement qu'à la petite culture et au sol dont la consti- tution physique réclame, comme celui de la Campine, la pré- sence d’une humidité artificielle. Les sols secs, sablonneux, pierreux, brûlants ou reposant sur une couche de gravier, appartiennent à cette catégorie de ter- rains qui réclament impérieusement la présence des clôtures pour devenir productifs. En Ardenne, nous ne saurions conseiller l'introduction des enclos; l’état du sol étant assez bien en rap- port avec celui de l'atmosphère, ils donneraient des résultats diamétralement opposés à ceux qu'on en attend; car les clôtures (NOTE en Ardenne auraient pour effet de condenser l'humidité, de fa- voriser la production des gelées blanches au printemps, et de retarder l’époque de la semaille et par suite celle de la moisson. On ne doit pas oublier que les terrains qui ne sont pas sili- ceux, naturellement chauds ou soumis à l'influence d’un climat favorable, gagnent généralement davantage en restant exposés à l'air libre, que lorsqu'ils sont entourés par de semblables abris. À ces considérations déjà suffisantes pour motiver le rejet des enclos dans la localité qui nous occupe, on peut en joindre une autre, non moins importante, celle de diviser la propriété. Le morcellement rend les angles des clos inaccessibles à la charrue, entrave la culture des champs, particulièrement celle en lignes, fait que les lisières qui se trouvent le long des clôtures reçoivent une façon de culture imparfaite, enfin, il augmente la distance du parcours en coupant les communications directes. On doit, par-dessus tout, éviter cette division dans les ter- rains agricoles, si l'on ne veut voir diminuer considérablement leur valeur locative. S'il est vrai que ce système d'abris ne peut convenir aux Ar- dennes, il peut, au contraire, être d’une haute utilité pour la Campine; là les clôtures sont indispensables pour y assurer le succès de la végétation de certaines parties de ses landes, et dès lors les inconvénients qui viennent d’être relatés ne doivent plus être pris en considération; ils disparaissent naturellement par les avantages qu'ils procurent d'autre part : entre deux in- convénients, on doit choisir le moins grand. Les terres vagues, en Campine, sont, pour la majéure partie, d’une nature sèche et quartzeuse. Les enclos de haies ou d'arbres y diminueraient les effets causés par le rayonnement nocturne, y maintiendraient l'humidité trop tôt évaporée par les courants atmosphériques et y assureraient, en partie, la germination ré- gulière des graines et le développement des plantes si souvent compromis. Les enclos, en Campine, auraient encore cela de précieux , qu'ils empêcheraient l'enlèvement et l'accumulation du sable que ( 68 ) les vents déplacent et dérobent. Les parties des zones les plus soumises à cette influence fâcheuse nécessiteraient des enclos multipliés et de petite étendue, qui ne pourraient guère être. livrés, il est vrai, à l’action périodique des instruments, c'est- à-dire à la culture des plantes annuelles; mais, en revanche, ils conviendraient parfaitement à celle des prairies artificielles destinées ou à être fauchées, ou à être pâturées par les animaux domestiques. Les enclos auraient, en outre, pour résultat de favoriser, comme dans le pays de Herve, la croissance de lherbe et de procurer au bétail un lieu qui contribue si puissamment à accé- lérer son développement en chair et en graisse, comme aussi à favoriser la production du lait. Ce n’est pas tout; cette disposition en petits clos aurait en- core l'avantage d'économiser la garde du bétail, et enfin, d'em- pêcher l'herbe d'être foulée par les animaux, par lalternation périodique des surfaces affectées au pâturage. On le voit, les clôtures de haies, et surtout celles de haute futaie peuvent avoir une action des plus profitables sur le défri- chement de la Campine; tandis qu'elles arrêteraient celui des Ardennes, en portant un préjudice plus grand que les avantages qu'on pourrait en retirer. Cette règle peut cependant avoir quel- ques petites exceptions. Les rideaux d'arbres, formant, suivant les diverses situations, des lignes droites, des angles aigus ou obtus, prolongés ou di- visés en massifs, offrent moins d’inconvénients à la culture que les enclos; ils s'approprient mieux aux circonstances locales que nous offre l'Ardenne, tout en étant un élément plus puissant pour détruire, ou tout au moins adoucir les causes qui contri- buent à rendre le climat plus ou moins rude pour la végétation. Ces causes on les retrouve principalement dans les vents régnant du nord au sud. Cette direction des courants froids n'est ce- pendant pas toujours celle qui est le plus à craindre. Il arrive parfois que des vents ayant une marche tout à fait opposée sont plus froids, et partant plus propres à arrêter le mouvement de la végétation. ( 69 ) Cette circonstance est dépendante des couches, plus ou moins froides, qu'ils traversent dans l'atmosphère avant d'arriver à la surface du sol; mais parmi les vents qui suivent une ligne pa- rallèle à l'horizon, ceux qui nous viennent du nord possèdent en général la température la plus basse et occasionnent le plus de refroidissement en Ardenne. C'est done contre ceux-ci que les plantes demandent à être abritées, et c'est en face de leur direction que les abris doivent être placés pour garantir les zones cultivables. De cette manière, les rideaux d'arbres ont deux effets mar- quants pour modifier et améliorer la température : le premier et le plus important empêche les courants de suivre leur cours en leur imprimant une autre direction. « Le vent qui passe par- » dessus la crête de l'abri ne se mêle pas immédiatement avec » l'air échauffé par le soleil qui est à son pied; ce mélange ne » se fait que lentement, et ainsi le calorique des couches infé- » rieures de l'air ne se trouve pas enlevé (1). » Le second con- centre les rayons solaires et réchauffe, pendant le jour, la colonne d'air ambiant qui protége les plantes contre le froid nocturne. Plus les surfaces à garantir sont étendues, plus aussi les abris devront être élevés. Si l'on veut connaître la distance que les abris peuvent protéger suivant leur élévation, on en mesure la hauteur, laquelle, multipliée par dix, donne la distance approxi- mative du terrain qui peut être abrité. Cette donnée, que j'ai eu occasion de vérifier dans les plaines et que J'ai trouvée exacte, pourra peut-être servir à faciliter la marche à suivre pour les démarcations. Les montagnes tiennent souvent lieu d’abris artificiels, les terrains exposés en plein midi, ou situés dans des bas-fonds. ayant une direction opposée à celle des vents dominants, peu- vent entièrement se passer de rideaux d'arbres. Ceux-ci doivent être créés principalement sur les surfaces planes et légère- ment inclinées, pour autant qu'elles aient une certaine éten- (1) De Gasparin, Cours d’agriculture, déjà cité , tom. 1, pag. 196. (70) due; car la formation des abris sur de petits rayons causerait plus de tort que de bien à la culture. La partie de l’est et du centre des Ardennes est la moins favo- risée de la température. Elle se trouve aussi précisément être celle qui possède les plus grands plateaux. Les plaines de bruyères y sont immenses, aussi permettent-elles d'introduire avec faci- lité un magnifique système d’abris. Aucun obstaele marquant ne s'offre pour empêcher l'établissement de rideaux d’arbres sur une base très-large. Des arbres qui conviennent le mieux à cet usage, sont ceux qui, dans un temps donné, acquièrent le plus grand développe- ment, qui se conservent le plus longtemps verts et qui forment les massifs les plus épais, sur une largeur donnée, sans nuite à leur croissance réciproque, et, enfin, ceux qui nuisent le moins à la culture et au sol par l'extension de leurs racines. Ces conditions nous conduisent naturellement à rejeter les arbres feuillus, pour accorder la préférence aux essences rési- neuses, partout où le sol n’est pas contraire à leur dévelop- pement. La largeur à donner aux zones destinées aux abris doit néces- sairement varier suivant les espèces d'arbres employés à les former. On a proposé une largeur de 400 à 200 mètres; nous pensons que 10 à 15 mètres suffiraient amplement pour attein- dre le but qu'on se propose en les établissant. Ainsi formés, les abris peuvent avoir une utilité en Ardenne que personne ne peut contester; mais on ne doit pas ignorer que ce genre d'opération exige des précautions. Le discernement, l'ensemble doivent surtout y présider pour en obtenir tous les bons effets qu'ils sont appelés à produire. De LA 20NE F. C'est dans cette partie de notre travail que nous constate- rons si le défrichement des terres vagues, destinées à la pro- qi) duction agricole, peut être utile au pays, ou bien si ces terres doivent rester éternellement condamnées à une complète stéri- lité. Nous aurons pour cela à examiner plusieurs questions très- importantes, dont on ne s’est jusqu'à présent que peu ou point occupé. De leur solution doit inévitablement surgir la vérité, qui elle- même mettra en évidence les moyens les plus sûrs et les plus directs pour arriver au défrichement des landes et des bruyères. Nous croyons pouvoir les aborder sans autre examen préalable. Quelles sont les causes qui arrêtent le plus les progrès du dé- frichement? Ces causes sont-elles réelles; peuvent-elles porter un obstacle sérieux à la mise en rapport des bruyères. Dans le cas où elles seraient réelles, ne peut-on les prévenir et les maîtriser ? Les causes qui concourent le plus à paralyser les progrès du défrichement ont été attribuées : 1° À l'âpreté du climat. — Nous avons déjà répondu à cette objection, et c’est alors qu'il a été démontré que le climat est effectivement une entrave à la réussite de certaines plantes, et que, dans certaines circonstances, il rend cette réussite douteuse; mais ces obstacles, exagérés par la malveillance, ne sont que locaux et peuvent être levés sans difficulté par la propagation des plantes sur lesquelles le climat ne peut exercer qu'imparfai- tement ses influences fâcheuses. Après tout, on ne doit pas être trop exigeant et vouloir que le climat soit approprié aux plantes que l'on voudrait cultiver; il faut, au contraire, cultiver les plan- tes qui conviennent le plus au climat. 2 A la nature physique du sol. — Après le climat, la nature physique des terrains est, sans contredit, ce qui doit attirer l'attention des défricheurs; car on ne doit pas perdre de vue que si l'alumine, par exemple, entrait pour une trop forte ou trop faible proportion, par rapport à celle du quartz, dans la compo- sition du sol, celui-ci ne pourrait guère être modifié et cultivé avec avantage; il ne conviendrait qu'à la reproduction très-cir- (72) conscrite de certaines plantes utiles à l'homme. L'importance de l'état physique du sol justifiera les développements assez longs dans lesquels nous allons entrer. La partie territoriale destinée à la culture proprement dite est, sous le rapport gévgnosique, presque entièrement composée de couches alternatives de schiste ardoïsier et de quartz. Le schiste est d'une cassure tendre; exposé à l'air, il est facilement atta- quable et se divise en fragments grenus; son état est schistoïde , sa tendance à se diviser en grands feuillets le fait distinguer, selon M. d'Omalius d'Halloy (1), du schiste argileux du terrain anthraxifère ; sa couleur est d’un gris bleuâtre, qui passe, comme le fait remarquer le même géologue, au verdâtre, au rougeûtre, au gris de cendre, etc. Il constitue un sol moyennement com- pacte et dense. Cet aperçu général n'est relatif qu'aux bancs de roche et aux strates enfouis dans le sein de la terre. Bien que formée par la désagrégation du schiste ardoisier, la couche arable est, sous cer- tains rapports, essentiellement différente du sous-sol. La couche superficielle est très-meuble, légère et filtrante, d’une coloration noirâtre ou d’un brun très-foncé qui passe communément au rougeûtre et acquiert de la consistance après quelques années de culture. Elle entretient la vie de plusieurs plantes agrestes et en particulier de la bruyère, du genêt, de la fougère; elle renferme une forte proportion d’humus acide, de détritus végétaux plus ou moins altérés. C'est à cette dernière circonstance qu'est dù principalement l'aspect hétérogène qui distingue la couche supérieure des landes de leur sous-sol et des terres à champs. Mélée avec de l’eau, elle ne forme point, comme celle de la majeure partie de la Bel- gique, une pâte liante. D'une épaisseur d'environ 50 à 50 centimètres, cette couche supérieure repose communément sur un sous-sol profond et per- méable; elle contient, lorsqu'elle est entièrement privée de ma- (1) Coup d’œil sur la géologie, en Belgique, p. 11, 1842. (75) tières organiques et prise dans toute sa profondeur, de 28 à 40 pour cent d'argile fine et de 60 à 72 pour cent de matières quartzifères et schistoïdes, qui jouent momentanément dans le sol l'office mécanique du sable; c’est ce qui explique pourquoi le sol acquiert de l’onctuosité par le progrès même de la cul- ture, alors que l’on constate une absence totale de matières vé- gétales. Voilà les caractères généraux des terres en friche; examinons maintenant les objections présentées et les circonstances qui ont pu leur donner naissance. Des personnes, probablement étrangères à la localité, ont prétendu que le sol des Ardennes est trop meuble pour assurer une végétation régulière. Si l’on prend indistinctement tous les terrains qui font partie du territoire ardenpais, cette allégation pourrait être fondée en partie, mais on ne doit pas perdre de vue que nous avons éli- miné de cette zone toute espèce de terrains qui tendraient à compromettre les récoltes : ceux dont il s'agit ici sont du nombre de ces derniers. La terre de bruyère, on le sait, est réellement trop meuble et trop légère, pour qu'on puisse y cultiver avec sûreté, notam- ment les premières années, la plupart des plantes qui forment l'apanage de notre industrie, sans apporter un changement no- table dans sa composition. Ces changements dont nous parlerons plus loin ne sont pas difficiles à opérer, attendu que le défaut de cohésion n’est heureusement pas, comme on le pense géné- ralement , le résultat de l'agrégation minérale du sol, mais bien celui de la présence des substances végétales. La preuve peut s’en acquérir en examinant attentivement le sous-sol, ou bien en jetant un regard sur les terres déjà soumi- ses à la production : elles sont, quant aux matériaux de roche qui jouent une action physique, d'une composition tout à fait homogène à celle des champs. Ce qui le prouve encore, sans avoir recours aux opérations analytiques, c'est que « ces landes, après » quinze ou vingt années de repos, sont écobuées et produisent (74) ». une récolte de seigle et une récolte d'avoine sans autre en- » grais que les cendres des gazons; voilà cependant les terres » qui, aux yeux de l’observateur superficiel, paraissent stériles » et sont condamnées pour lui, à une complète improduc- » tion (1) », et pourtant, les résidus résultant de l'écobuage ne sont pas de nature à apporter, par eux-mêmes, plus de compacité à la terre; ils tendent, au contraire, à l’alléger da- vantage. Pour ceux qui connaissent l’Ardenne, cette question n’en est plus une : tous les habitants de cette contrée savent qu'avec des engrais (fumier et chaux) ils parviendraïient aisément à conver- tir en quelque temps les landes en champs doués d’une grande fécondité, sans devoir pour cela modifier leur texture par une addition d'argile trop onéreuse. ‘© À côté de ces bruyères stériles qui se prolongent à l'infini, » ne trouve-t-on pas, principalement dans le voisinage des ha- » bitations, des portions de terre évidemment de même nature » et qui se couvrent chaque année des plus riches produits? Ne » faut-il pas en conclure qu'il n’y a qu’un pas à faire pour mener » ces vastes étendues de terrains au même degré de ferti- » lité (2)? » Un grand nombre de philanthropes et d'agronomes (3) qui ont présenté des considérations sur le défrichement, sont unanimes sur ce point. Si les terres de bruyère doivent leur fertilité à des engrais qui n’apportent pas de cohésion au sol, il est évident que l'opinion de ne pouvoir conquérir les bruyères à la produc- tion se trouve entièrement renversée. L'expérience des lieux nous autorise à admettre avec sûreté que la nature de l'agréga- tion du sol n’est point un obstacle sérieux à sa mise en valeur. Ce qui le prouve encore d'une manière péremptoire, c'est l’état (1) M. Max. Le Docte, Essai sur l’amélioration de l’agriculture en Belgique, p. 64. (2) M. Max. Le Docte, ouvrage cité, p. 63. (5) MM. Stiennon, Henroz, Bivort, Constant, Stephens, Bonjean, Raingo, la députation permanente. (75) de fécondité où se trouvent les terres à champs; car il est bien établi aujourd'hui que n'étant séparées des landes que par un simple sillon, elles ont la même nature minérale et qu'enfin, elles ont été soumises primitivement aussi à la vaine pâture. Cr, déterminer les caractères agricoles des zones dont ces terrains font partie, c'est exposer en même temps ceux des landes ; dé- montrer qu'elles sont productives, c’est prouver que les bruyères peuvent le devenir également et que le sol ne pêche pas, comme on le croit, par une disproportion d'argile ou de sable. Les considérations précédentes n’ont été formulées que pour détruire un préjugé funeste au défrichement. S'il est vrai qu'un peu plus d’affermissement au sol cultivable serait favorable à certaines plantes, il ne l'est pas moins qu'on pourra le lui don- ner par la culture même; n'en fût-il pas ainsi, qu'on serait encore en droit d'admettre que l’état de la terre est en harmonie avec celui de l'atmosphère, qu'il n'est, par conséquent, ni trop meuble ni trop compacte, et partant ni trop sablonneux ni trop argileux pour certaines récoltes, puisqu'elles y prospèrent heu- reusement. On se laisse ordinairement égarer dans l'appréciation physique du sol : la première chose à laquelle s'attache le laboureur ou le propriétaire qui étudie un sol, c’est de comparer ses caractères avec ceux des terres de son pays reconnues fertiles; les relations existantes par ce rapprochement décide, dans son esprit, de la valeur qu'il doit attribuer au terrain qu'il examine. Cette dédue- tion est-elle bien logique? On peut sans doute avoir des données plus ou moins précises, lorsque cet examen comparatif a lieu dans une même localité et lorsque les terrains sont d’une même nature géologique et minérale; mais en Ardenne, ces sortes d'évaluations ne peuvent qu'induire en erreur. En effet, chaque terre , pour devenir luxuriante, doit varier de nature et de composition, suivant les circonstances des lieux : plus le cli- mat est rigoureux, plus, à conditions égales, le sol doit être meuble. Le cultivateur habitué à travailler un terrain compacte, argi- (76) leux duquel il retire de belles moissons dans un endroit favorisé de la température et exempt de météores, se tromperait done singulièrement en prétendant que la nature de ce même sol est partout nécessaire à la belle production des mêmes plantes. Or, puisque le elimat est plus rigoureux et plus brumeux en Ar- denne que dans nos autres provinces , il s'ensuit que le sol arable doit être relativement plus meuble, comme il doit être, pour la mème raison, relativement plus profond, plus filtrant et d'une coloration plus foncée. On se méprend done quand on dit et qu'on éerit que les landes ne sont pas douées d'une bonne con- stitution physique; le moindre examen anéantit cette fausse idée. L'état d'ameublissement et de porosité dont on semble se plaindre, pour les terres déjà rendues lucratives, facilite l'ab- sorption des gaz et des rayons solaires, détermine l’'évaporation et la disparition des eaux surabondantes si nuisibles aux terrains compactes; 11 ramène par l'effet capillaire l'humidité des couches inférieures pendant les grandes sécheresses. Ajoutons encore, comme qualités précieuses que possèdent les landes, que l'épais- seur de la couche végétale ne fait jamais défaut, qu'elle est plus que suffisante pour tempérer l'action nuisible des saisons sèches ou pluvieuses, et qu'enfin, à raison de sa coloration foncée, le sol s'échauffe fortement en absorbant le calorique. Toutes ces dispositions sont des plus favorables au pays; elles tendent à pallier les refroidissements nocturnes et à rendre les labours et les menues cultures faciles et peu coûteuses (4). Si nous avions à comparer la nature physique du sol ardennais, nous ne pourrions faire un parallèle plus exact qu'en la confron- tant avee le terrain si riche et si fécond du bassin houiller qui borde là Meuse, connu sous le nom de rivage. (1) A cette occasion, nous signalerons. comme fait remarquable, que quel- ques heures après une forte pluie, on peut mettre, sans inconvénient, les attelages dans les champs ; tandis que, dans d’autres endroîts (Condroz). on doit, en pareil cas , retarder cette opération de plusieurs jours, (77) Par rapport à la question dont il s'agit, nous pouvons assurer l'avenir brillant du Luxembourg, en constatant que les relations entre le sable et l'argile se trouvent dans des conditions favora- bles à la végétation, comme aussi les autres caractères physiques inhérents au sol fertile. Comment a-t-on pu méconnaître si longtemps les avantages qui peuvent surgir de cette parfaite combinaison ? On sait combien la culture ardennaise est discréditée. La mauvaise réputation qu'on Jui a faite est tellement invétérée dans l'esprit de nos cultivateurs et de nos propriétaires, qu'ils repoussent indistinctement toutes les considérations qu'on pour- rait leur présenter sur l'amélioration agricole de cette contrée, Ils dédaignent tout essai tendant à en augmenter les produits, et toute cette apathie, toute cette répulsion est basée : 1° sur Je fait que quelques essais d'amélioration, tentés sans jugement et sans intelligence, ont échoué; 2° sur le préjugé, que si les bruyères étaient susceptibles de produire avantageusement, elles ne seraient certainement pas restées jusqu'à ce jour sans étre exploitées par un des nombreux écrivains qui préconisent le défrichement. L'étranger qui explore pour la première fois ce pays dans le dessein de sy établir trouve tout suspect : le climat, l'aspect des forêts et des landes immenses, des montagnes, des genêts et des bruyères, des marais et des tourbières, la végétation retar- dée, les mœurs, les coutumes, sont autant de causes qui agis- sent simultanément sur son moral : ce qui le rend sceptique et incrédule. D'un autre côté, le sol lui paraît non moins étrange : sa composition, sa coloration, sa filtration, sa proportion d'humus, tous ces caractères qu'il ne rencontre point dans le sol qu'il cultive, l'effraient et aident puissamment à lui faire ad- meltre, sans autre examen, les allégations fausses qu'on s'est plu à mettre en avant contre l'Ardenne; et peu désireux de tenter des essais qu'il croît totalement inutiles, il quitte le pays pour n’y plus revenir, etle prenant en aversion, il séme partout ses idées rétrogrades sur la prétendue ingratitude du sol. On a fait des essais infructueux en Ardenne, c'est incontes- ( 18 ) table, mais à quoi doit-on les attribuer? Pour résoudre conve- nablement ce problème, on aurait dû suivre attentivement toutes les opérations agricoles, toutes les nombreuses ramifica= tions qui se rattachent à la culture et qui ont servi de guide aux expérimentateurs. À défaut de cette observation constante, à la- quelle on ne peut pas prétendre, il est difficile sinon impossible d'apprécier avec justesse les véritables causes d’insuecès; car ils peuvent être tributaires de mille et une circonstances qui peu- vent avoir eu une action plus ou moins directe sur les résultats obtenus. Ces considérations motivent l'absence de toute réflexion à cet égard ; seulement, nous tenons à constater que si les bruyères sont restées jusqu'aujourd'hui improductives, cela ne tient pas à la nature du sol. La nudité qui caractérise les Ardennes prouve à nos yeux que l’industrie agricole, la mère de toutes les indus- tries, a été abandonnée à l'erreur et aux tâtonnements de l’im- puissance; car si des essais ont manqué, il faut avouer aussi que d’autres ont été plus heureux. Il n’est donc pas surprenant qu'il existe des opinions si controversées sur le défrichement, et que les capitalistes et les hommes pleins de dévouement, qui ne semblent vivre que pour la chose publique, s’en soient éloignés. 3° Au manque de capitaux. — Le numéraire en circulation est très-rare en Ardenne : les transactions, les ventes, les achats se font, pour la plupart, par des crédits et des échanges ; cepen- dant l’on ne peut attribuer l'état de stagnation dans lequel se trouve la culture ardennaïse au défaut de capitaux, vu que l’on y rencontre des propriétaires et des agriculteurs qui, ayant des fonds à leur disposition, ne cherchent pas plus que ceux qui en sont dépourvus à améliorer leurs domaines. « L’habitant de l’Ardenne est sobre autant qu'économe; mais » aussi il tient opiniâtrément à ses habitudes : ayant peu de be- » soins, il demande peu à la terre, et n’a point de motif qui » l’excite à améliorer sa position (1). » On ne doit pas se dissi- (1) Raingo, Votice sur le défrichement des bruyères, p. 6. ( 19 ) muler que, dans l'œuvre du défrichement, il ne faille beaucoup de capitaux, puisque tout est à acheter, tout est à créer. Ce qui éloigne les propriétaires du défrichement, ce qui les empêche de confier des capitaux à la terre, c'est la défiance qu'ils ont en tout ce qui concerne les opérations agricoles; cependant nous ne doutons nullement que les capitaux afliueront lorsqu'on aura prouvé d'une manière décisive qu'on peut les placer avec avan- tage et sécurité dans les entreprises du défrichement, car « ils » ne manquent pas en Belgique, et il est naturel qu'ils se portent » là où il y a des profits à réaliser. Lorsqu'il surgit une nou- » velle branche d'industrie ou de commerce, si elle promet » d'être lucrative, elle ne manque jamais d'entrepreneurs (1); » 4 Au manque de voies de communication. — Cette objection est aussi sans fondement. Depuis qu’on a reconnu la haute utilité des voies de communication en Belgique pour le transport des denrées, des engrais, des amendements et des marchandises de toute espèce, l'Ardenne, et surtout l’Ardenne luxembourgeoise, se trouve, contrairement à l'opinion générale, sillonnée par une grande quantité de routes et de chemins vicinaux propres à des- servir la majeure partie des exploitations rurales. L'arrêt porté à l’agriculture luxembourgeoise ne tient aucune- ment à l'absence des moyens de communication. Ce qui le démontre à l'évidence, c’est « qu'une grand'route des plus com- » modes et des plus sûres traverse l’'Ardenne luxembourgeoise » dans toute sa longueur. Eh bien, il y a tantôt 18 années qu’elle » existe, sans qu’elle ait eu pour effet d'amener la mise en cul- » ture des immenses étendues de bruyères qui la longent (2). » Disons plus, on n'aperçoit pas là plus qu'ailleurs la moindre amélioration. Loin de nous la pensée d’être opposé à l'érection de nou- velles voies empierrées; nous pensons au contraire, avec plu- sieurs auteurs, qu'une ou deux routes partant du centre de (1) Bivort, Dissertation raisonnée, déja citée, p. 6. (2) Bivort, id. id. p. 5. ( 80 ) l'Ardenne, se dirigeant vers les dépôts marneux et calcaires, seraient très-avantageuses au défrichement ; mais d’autres amé- liorations plus importantes et moins dispendieuses restent à. faire; elles méritent, plus que la création de nouvelles routes, d'attirer le placement des fonds qui seront alloués à l’agriculture. D° Au manque de prairies naturelles susceptibles d'irrigation. — Sil est vrai que, dans certaines parties de l'Ardenne, les prai- ries sont rares, il n'est pas moins réel qu'on peut en créer de nouvelles, en utilisant les cours d'eau délaissés, qui, il faut le dire, ne sont pas très-abondants dans les grandes plaines; mais il existe peut-être des moyens pour remédier en partie à cet état de chose, en élevant l’eau avec des machines hydrauliques, ou bien aussi en creusant des puits artésiens là où l'étendue et le plan des terres se prêtent à la conduite des eaux d'irrigation. Seule- ment il est à craindre que le coût de lenr établissement n'absorbe les bénéfices qui découleraient de cette innovation, qu'on ne doit d'ailleurs accueillir qu'avec une grande réserve, tant que l'expé- rience n'en sera pas venue garantir l'utile application en Ar- denne. Les plateaux de la Campine se prêteraient mieux d'ailleurs à la création de semblables essais. Dans tous les cas, là où l’eau est riche en matières fertilisantes et où la surface à irriguer a quelque importance, nous croyons qu'il y aurait un avantage décidé, lorsqu'il ne s'agit pas d’une grande élévation, d’exhaus- ser les eaux simplement avec une roue chargée de godets, fonce- tionnant gratuitement par la force motrice du courant. Quoi qu'on fasse, les prairies en Ardenne seront loin d'être abondantes, et cependant, on doit l'avouer, c’est le foyer de la production. À ce mal, nous avons indiqué le remède : si les terrains de bruyères ne nous permettent pas partout la forma- tion d'une quantité convenable de prairies naturelles irrigables, on peut, par une bonne culture, les remplacer par les prairies artificielles, surtout lorsque le sol se prête merveilleusement, comme dans les Ardennes, à la culture des plantes fourragères. Il existe dans le Brabant, particulièrement chez M. Streel, à (81) Tourinne-la-Grosse, des exploitations qui, sans prairie aucune, sont renommées par leurs productions annuelles et rivalisent même avantageusement avec les fermes voisines qui en possè- dent. Ce qui peut d’ailleurs nous convaincre que le défaut de prés irrigués n’est pas la véritable cause du peu de développe- ment que prend la culture de l’'Ardenne; c'est qu'on y voit des exploitations privilégiées, composées d'une grande quantité de prés, et où néanmoins on ne voit pas cultiver ni améliorer une quantité proportionnelle de terres arables. 6° Au manque de population. — Nous ne pouvons partager cette opinion, pas plus que les précédentes. Il y a en Ardenne des communes plus ou moins populeuses, où l'on peut se pro- eurer la main-d'œuvre avec facilité, pour exécuter les travaux de culture, et cependant presque jamais on n'emploie des bras étrangers à l'exploitation. Il est d'usage que chaque famille cultive la partie que le sort lui a dévolue dans le partage annuel des biens communaux ; cette part une fois cultivée, chacun reste dans la plus complète inaction. Cette indolence où croupit la population démontre suffisamment que si l'agriculture ardennaise reste assoupie, ce n'est évidemment pas à cause du manque de bras. C'est plutôt à Vapathie des habitants qu'on doit l'attribuer ; car il est constaté que l'extension de la culture des bruyères pourrait être triplée, si tous les bras libres voulaient se mettre sérieusement à l'œuvre. Cet état déplorable, que nous signalons malgré nous, n'est pourtant pas général. On rencontre parmi les habitants des Ardennes des hommes habiles et zélés; mais encore est-il qu'une grande partie préfèrent abandonner l'art agricole pour cher- cher dans une autre industrie leurs moyens d'existence : les uns s'occupent de dentelles, de filature; les autres confec- tionnent une grande quantité d'objets d'art, principalement en bois. Nous ne sommes pas contraire à toutes ces industries; loin de là, elles méritent d’être exploitées, comme l’a déjà fait remarquer (9) ( 82) M. Bonjean (1), afin que la position des habitants qui ne trou- vent point à s'occuper pendant les hivers longs et rigoureux, s'améliore par le travail et l'activité de l'intelligence. Seulement ce qui est surprenant et blämable à la fois, c’est la manière d'agir de nombreux propriétaires cultivant 100 ou 200 hectares de terre; ils se livrent au commerce et au débit des hoïssons; ils en font même leur occupation principale, au lieu de parcourir une carrière honorable et luerative, en s’adonnant uniquement à la culture des champs et à l'économie du bétail. On doit le dire, l'habitant ardennais, propriétaire ou laboureur, est moins cultivateur que commerçant ou berger. Nous le demandons à nos agriculteurs wallons et flamands, peut-on, lorsqu'on possède une exploitation rurale un peu con- sidérable, se livrer à une autre profession ? Ne trouve-t-on pas alors de quoi occuper les membres de toute une famille, pendant l’année entière ? Tout homme au courant de la bonne adminis- tration d'une ferme nous comprendra sans peine. Puisse cette réflexion trouver quelque écho dans l'esprit des cultivateurs ardennais et faire rentrer dans le cercle de l'agriculture des hommes qui, par leur position, peuvent si puissamment faire avancer l'industrie agricole! Le manque de population ne peut donc pas être considéré comme une des causes de la stérilité de l'Ardenne. Cependant, nous ne prétendons pas pouvoir tenir le même langage, quand il sera question de l’œuvre du défrichement général; non, loin de là, nous savons, au contraire, qu'alors les bras seront insufli- sants; mais qu'on se tranquillise sur ce point, il a été abordé et mûrement examiné par nos économistes. Du reste, il suffit, croyons-nous, comme pour les capitaux, de prouver que le dé- frichement peut marcher avec sécurité pour que ce prétendu obstacle disparaisse aussitôt. Si un corps de petites maisons commodes et peu coûteuses était construit aux frais des entrepreneurs, sans aucun doute, (1) Bonjean, Essai sur la question du défrichement , p.105. Liége, 1845. (85) il ne tarderait pas à être occupé par les familles laborieuses des Flandres, du Hainaut et du Brabant, où, certes, les bras oisifs ne manquent pas faute de travail. « 300,000 ouvriers des Flan- » dres se trouvent aujourd'hui sans ouvrage, par suite de la » cerise que subit l'industrie linière » (1). 7° Au maintien du parcours des bruyères communales. — Cette question est vaste, aussi n’avons-nous pas la prétention de la résoudre dans toute son étendue : ce qui touche à l'écono- mie politique n'entre pas dans le cercle de nos attributions. Nous laissons done à des hommes plus compétents le soin de l'embrasser dans tout son ensemble. Notre tâche, à nous, se borne à ne voir dans cette question que ce qui est relatif à l'économie rurale; aux hommes spéciaux à en tirer les consé- quences pour les appliquer plus spécialement aux intérêts de la société. Malgré l'avis de la députation permanente, qui dit que le dé- frichement, dans la situation présente, est généralement inu- tile (2), nous pensons en principe que le pâturage communal doit être aboli. Nous sommes porté à croire qu'à l'époque où la députation permanente a cru pouvoir consciencieusement for- muler cette opinion, les nombreux et puissants titres qu’on est en droit d'invoquer en faveur du défrichement n’existaient pas ; mais aujourd'hui tout nous convie à un revirement complet de l'agriculture luxembourgeoise: des circonstances imposantes l'exigent et des faits nombreux en constatent la nécessité et la possibilité. C'est ce que nos raisonnements antérieurs tendent à prouver; c'est encore ce qui sera démontré plus loin d'une manière plus évidente. Nous avons dit que le parcours commun des bruyères a, d’après notre manière de voir, la plus grande influence sur l'arrêt porté au défrichement. Puisque la députation permanente, qu'on se plaît à citer comme autorité, est d’un avis diamétralement op- (1) Bivort. Du défrichement des terres incultes, Bruxelles, 1844; p. 57. (2) Rapport de la députation permanente, p. 75. (82) posé, il n'est pas sans intérêt d'examiner si son opinion est fondée, en recherchant les causes qui semblent la motiver. On dit « qu'à l'existence du parcours commun se rattache » en partie l'existence même du bétail en Ardenne, et c'est de » ce bétail que doivent, pour ainsi dire, procéder toutes les » améliorations agricoles en même temps qu'elles doivent y » tendre (1). » « Les bruyères communales favorisent aux fa- » milles peu aïsées des émoluments qui leur procurent des » moyens d'existence (2). » Il est vrai de dire que l'existence du bétail, et par suite celle des habitants, se lie étroitement au parcours commun. Suppri- mer les pâturages sans créer une autre source d'alimentation, cest évidemment ruiner l'industrie du pays; mais alors ce ne serait plus un défrichement qu'on opérerait, ce serait une des- truction: la suppression des parcours communs n’est done pas un motif qui doit plaider contre le défrichement; car une autre source d'alimentation existe et est même infiniment plus féconde que celle dont il est fait usage actuellement en Ardenne. À l’époque de la création des chemins de fer, l'existence des rouliers, des aubergistes, des messageries, etc., elc., était étroi- tement liée aussi au maintien des anciennes voies de communi- cation. Devait-on y avoir égard? non sans doute. Il en est de même ici pour les pâturages communs. Nous avons, au sujet de l'économie du bétail, des vues qui seront peut-être loin d’être partagées en Belgique; nous aimons cependant à croire que leur justesse sera appréciée par les per- sonnes qui examinent mürement les choses. Le cultivateur luxembourgeois se plaît à tenir ou à élever une très-grande quantité de bétail : cet usage est, à notre avis, l’une des causes principales du peu d’élan donné à la culture, et par- tant au défrichement. En Ardenne, comme ailleurs, propriétaires et cultivateurs, (1) Rapport de la députation permanente, déjà cité, p. 75. (2) 1d. id. id. id. p- 76. (85) tout le monde est envieux d'un nombreux bétail; il suffit, pour être considéré comme un agriculteur habile et expérimenté, de posséder des écuries et des étables spacieuses et bien fournies. Combien l'on se trompe ! Qu'on n’aille pas déduire cependant que nous nous opposons à l'extension de l'élève des animaux do- mestiques; rien n'est plus loin de notre pensée. Nous sommes convaincu que la production de la terre est proportionnelle à la quantité de bétail; mais c'est à la seule condition que le dévelop- pement donné à l'élève soit en rapport direct avec l'abondance de la nourriture. Or, cette relation n'existe pas, et c'est ce qui nous autorise à dire que l’on tient un nombre trop considérable de sujets de l'espèce bovine et ovine. On dit cependant qu'avec un nombreux bétail on fabrique beaucoup d'engrais, et qu'avec ceux-ci on obtient de belles ré- coltes. Ce principe est incontestable, lorsque les conditions qui viennent d'être relatées sont remplies; dans le cas contraire, il est de toute fausseté, car, l'on doit dire, en pareil cas, qu'avec beaucoup de bestiaux on fait peu d'engrais, à défaut duquel la production reste nulle. Sans nourriture, on consomme les pailles comme aliments, et les bêtes, au lieu de prendre du développe- ment, s'atrophient et, par suite, l'économie ne produit ni en- grais, ni céréales, ni graisse. Voilà l’état dans lequel se trouvent l’Ardenne et un grand nombre de localités. Combien d’exploita- tions en Belgique n’eussent pas prospéré, si l’on eût fait une application Judicieuse de ce principe fondamental, qui consiste à proportionner Ja quantité de bétail aux ressources alimentaires que l'on a à sa disposition. Il semble, pour l'Ardennais principalement, que l'industrie du bétail doit atteindre le dernier degré de développement, que c'est la seule et unique ressource du pays; aussi surcharge-t-on les étables de manière à faire supposer que les habitants de la contrée qui nous occupe, préfèrent posséder 1,000 kilogram- mes de chair et d'os en six têtes de bétail qu'en deux, tant ils prodiguent l'élève et épargnent la nourriture. Quelles sont donc les suites d'un pareil système ? (86) Nous avons dit que le pâturage procure un moyen d'existence aux habitants; c'est un moyen, il est vrai, mais qui ne subsiste que par l'exclusion d’un autre moyen bien plus puissant et plus avantageux. Les landes et une partie des bois communaux sont, comme on le sait, soumis au pâturage commun. L’herbe qui y eroît est maigre, chétive et rare; les animaux domestiques de toute espèce y fourmillent une bonne partie de l'année et n'y trouvent que des aliments insuffisants pour se sustenter. Néanmoins les com- munes à grands territoires se trouvent mieux partagées. La vache et le mouton y ont, quoique péniblement, de quoi se rassasier : voilà pour la belle saison les ressources que procure l’Ardenne. Pendant le cours de l'hiver, lorsque le bétail a passé des montagnes ou des bois à l’étable, il se trouve dans une situation plus déplorable encore. Nous pouvons suivre ce que M. Bonjean a dit à ce sujet; nous aurons peu de chose à y ajou- ter : « Au printemps on compte sur le pâturage communal, en » automne, le bétail diminue de prix; on espère qu'il n'y aura » ni gelée ni neige. » On attend le printemps pour vendre plus cher, et * ce » printemps, ce bétail n’est plus en bon état : il a dû subir en » hiver l'absence des fourrages et des privations inouïes,; il est » devenu squelette; on le rue sur l'ombre de la végétation; » dans les bois, sur les premières pousses, où il gagne des ma- » ladies et cause, en tous cas, les plus grands dommages, alors » on ne respecte même pas la propriété du voisin: de là de » nombreux délits. Un intérêt mieux entendu devrait prévenir » de tels abus. Il est évident que dix têtes de bétail bien nour- » ries rapporteront plus de bénéfice que vingt autres qu'on » doit laisser dépérir. » (1) Nous trouvons en effet des faits palpables qui viennent con- firmer ce qui précède sur la situation de l’Ardenne. Un proprié- (1) Bonjean , Essai sur la question du défrichement des landes, déjà CiléP ip. SE (87) taire des contrées wallonnes est venu depuis peu s'établir à Mais- sin; il retourne les bruyères, forme des pâturages artificiels, etc. Du temps de l’ancien propriétaire, le bétail se composait de 50 à 60 têtes, aujourd’hui ce nombre est considérablement diminué : les étables ne comportent plus que 15 sujets. Ces changements si notables étonnèrent les habitants; ils cru- rent que cette manière de procéder ne pourrait conduire qu'à la ruine; mais bientôt ils s'apercurent que ces 15 bêtes laitières nourries aux carottes, rutabagas, etc., étaient en hiver ce que les leurs se trouvaient être dans la meilleure saison et qu'elles donnaient pour ainsi dire, à cette époque, autant de lait à elles seules que les 400 bêtes qui se trouvent dans le village (1). Aussi ce propriétaire, qui naguère encore faisait l'objet du ridicule, trouve déjà aujourd'hui des imitateurs. D'un autre côté, il n’est pas surprenant de voir tomber d'ina- nition le bétail qui va en hiver se désaltérer à la fontaine ou au ruisseau, sans qu'il puisse se relever ni se transporter spontané- ment au logis. Est-ce donc là ce que l’on entend par ressources principales de cette contrée, par industrie du bétail et produc- tion d'engrais, et enfin par bienfaits des pâturages communs? On doit l'avouer, de pareils faits ne peuvent qu'exciter la pitié; comment se fait-il qu'en présence de semblables résultats on trouve encore des partisans zélés du système actuel? La réponse en est toute simple : ces idées ne sont principalement approuvées que par des étrangers qui se laissent influencer sur l'état du cli- mat et au sol, ou enfin par ceux qui ne connaissent ni les res- sources ni les besoins du pays. Mais, nous dira-t-on, l'opinion émise à ce sujet par la députation permanente n’est que l’expres- sion des administrations communales, des grands propriétaires et des personnes non étrangères au pays et sainement instruiles sur la question. Nous apprécions la réflexion, mais nous n’en (1) Ce fait paraïtra sans doute dérisoire à celui qui ne connaît pas l’Ar- denne ; mais il acquerra plus de vraisemblance, lorsque nous aurons men- tionné que les trois quarts des vaches ne donnent pius de lait et que le produit des autres est pour ainsi dire nul pendant la saisun des neiges. (88 ) admettrons pas les conséquences. La députation, en s'adressant aux administrations communales et aux grands propriétaires du pays, a-t-elle puisé ses renseignements à la meilleure des sources? Nous nous permettons d'en douter, car, bien que ne suspectant nullement la bonne foi et les tendances bienfaisantes des per- sonnes mises en cause, nous devons toutefois à la franchise de dire que les notabilités de la contrée ont tout intérêt à conserver les biens communaux dans l'état où ils se trouvent actuellement. Soustraire ces terrains au parcours commun, c'est détruire une des principales sources de leurs revenus. Or, en s'adressant aux administrations communales, on mettait en lutte l'intérêt par- ticulier avec l'intérêt général, et dans ce cas, on sait ce qui peut arriver. Ajoutons encore que, très-arriérées dans l'art agricole, les communes espèrent peu du défrichement, à cause du manque continuel d'engrais. Voilà les causes principales qui semblent motiver la répulsion qu'éprouvent les administrations communales à livrer leurs bruyères à la culture, l'erreur dans laquelle la députation est tombée, et la tendance à rester dans le statu quo. On nous dit encore : « si le bétail luxembourgeois pouvait » s'écouler à l'étranger ou être plus recherché dans les marchés » de l'intérieur, ce serait le stimulant le plus actif pour l'intérêt » particulier, car alors, avec la perspective d’une vente avanta- » geuse, des efforts constants seraient dirigés vers l'amélioration » de la race, en même temps que l'on élèverait plus de bé- » tail (1). » Le bétail n’a point de débit précisément parce qu'il est mai- gre, et il est maigre à cause du maintien des pâturages communs. Il est vraiment étrange qu'on ne s'aperçoive pas que la vente ne peut être avantageuse qu'après avoir créé des aliments, et que l'augmentation du bétail ne peut s'effectuer qu'en raison des res- sources qu'offre la localité; done, dans la situation présente, (1) Rapport de la députation permanente, p. 64. ( 89 ) multiplier le bétail déjà trop nombreux ne ferait qu'aggraver le mal. Là ne se bornent pas toutes les objections posées par MM. les magistrats du Luxembourg : « L'élève des bêtes à laine est particulièrement une des indus- » tries importantes du Luxembourg; or, à cette industrie, il » faut de vastes pâturages; car elle tend à disparaître partout » où la grande culture efface insensiblement la bruyère, où l'on » s'occupe plus spécialement de l'élève et des bêtes à cornes. Ce » qui se passe dans les Flandres et dans le Brabant semble ré- » soudre cette question : est-il utile, au point de vue général du » royaume, de restreindre davantage encore l'élève de l'espèce » ovine? Pour obtenir plus de grains, nous aurons moins de » moutons, moins de laine, moins de viande; et pour ne pas être » tributaires de l'étranger pour un article de marchandises, nele » deviendrions-nous pas pour un autre, non moins important, » non moins essentiel (1)? » Nous ne pouvons nous rallier aucunement à cette manière de voir. I] faut, dit-on, de vastes pâturages, parce que l'élève des bêtes à laine est particulièrement l'une des principales industries du Luxembourg. Or, nous venons de voir que cette industrie et que les ressources qu'offrent les pâturages sont très-précaires; mais supposons pour un moment qu'il en soit comme le dit le rapport de la députation : que cherche et que doit chercher le eultivateur ? Évidemment c’est de trouver dans son domaine le plus grand revenu possible ; qu'il le trouve dans l'économie ani- male ou dans le produit du sol, cela lui est parfaitement indiffé- rent. Or, Loute la question est donc de savoir s'il y a pour lui un plus grand bénéfice à réaliser par la culture des bruyères que par le maintien actuel des landes. Nous croyons pouvoir nous abstenir de répondre à cette question : tout le monde, la dépu- tation elle-même, la résoud en faveur des terres arables. S'il en est ainsi, pourquoi vouloir soutenir une industrie se- (1) Rapport de la députation permanente, p.75. (90) condaire et ne pas la remplacer par une autre plus lucrative ? Et puisque le maintien de l’une arrête, selon elle, le développe- ment de l'autre, pourquoi ne pas réduire la surface des landes. pour augmenter celle des terres arables? La députation pense que si une loi décrète la vente des bruyères communales, on va restreindre davantage encore l'élève de l’es- pèce ovine et que l’on deviendrait tributaire de l'étranger, par ce fait que, pour obtenir plus de grains, nous aurons moins de moutons, moins de laine, moins de viande. Si le Brabant, les Flandres ont diminué leurs moutons en raison directe du développement de leur culture et par suite de la diminution de leurs pâturages, c’est qu’on a trouvé plus avan- tageux de consacrer ces derniers à la production des céréales, des plantes textiles et oléifères. Les mêmes motifs existant en Ardenne, c’est un titre de plus pour suivre leur exemple; mais nous ne devons pas en conclure que le défrichement doit aboutir aux mêmes résultats en apportant une diminution dans les bêtes ovines; car en Ardenne on ne peut pas, comme en Brabant ou en Flandre, adopter les mêmes systèmes, les mêmes procédés de culture ; on doit suivre, comme nous le verrons bientôt, une mar- che qui soit en rapport avec les conditions et les ressources qu'offre la localité. La réduction de la quantité de bétail n’est pas une consé- quence inévitable de la mise en culture des bruyères; non, nous possédons des moyens agricoles infaillibles que nous développe- rons plus loin pour obvier à cet inconvénient; il nous suffira de | dire ici que si les #/3 des pâturages d’une commune étaient livrés à la production des graminées et l’autre cinquième converti en prairies artificielles, on aurait déjà assez de nourriture pour tirer un parti avantageux d'une quantité de bestiaux presque double de celle qu’on possède actuellement et dont on ne retire que peu de profit. Ainsi, loin de diminuer l'élève des espèces ovine, bovine, che- valine ou porcine, par l'anéantissement des pâturages com- munaux, on ne ferait en cela que l'accroître considérablement. (91) Loiu de diminuer, comme le pense la députation , la production de la viande et de la laine, et d’être tributaires de l'étranger, nous suiverions une marche tout à fait opposée. De plus, ce qui est vrai pour le bétail en général, l'est principalement pour les céréales : le vœu des familles peu aisées serait accompli; elles trouveraient une répartition plus juste et plus équitable que celle qu'elles rencontrent dans les biens communaux livrés à la pâture; elles trouveraient, en outre, comme tant de milliers d’autres qui crient famine, des moyens d'existence dans les travaux qu'occasionnerait le défrichement. Peut-on, après cela, sous le point de vue du bien-être général du pays, comme sous le rap- port agricole, nier ou contester l'utilité de cette grande œuvre nationale ? Nous lisons encore : « La restriction serait-elle bien dans » l'intérêt luxembourgeois? Elle tendrait à enlever à l'Ardenne _» un avantage actuel, certain, pour lancer cette contrée dans » la voie d'essais dont le succès et le profit sont plus que problé- matiques (1). » Cette objection, si elle était fondée, serait tout à fait de na- ture à éloigner les défricheurs des landes; heureusement elle est incompatible, inconséquente même, avec ce qui a été allégué ailleurs par la députation. Nous serions le premier à dire, avec les honorables magistrats du Luxembourg, que la mise en cul- ture des bruyères ardennaises pourrait être un mal, si cette opération était d'un suecès problématique; mais il n’en est pas ainsi : lorsque nous aurons examiné successivement toutes les questions qu'il nous reste à résoudre, nous arriverons à des conséquences toutes différentes, et nous prouverons qu'il n'existe pas le moindre danger, pour les communes et les entrepreneurs, à se livrer activement au défrichement, et, après avoir passé en revue la situation agricole tout entière de l’Ardenne, nous arri- verons à pouvoir garantir le succès complet d’une entreprise qui a trouvé tant d'incrédules. S S (1) Rapport de la députation permanente, p. 75. (9) On a conseillé le partage des terrains communaux, afin que les familles devinssent propriétaires elles-mêmes. Cette mesure a été combattue avec raison par la députation permanente (1), sous le point de vue des intérêts sociaux ; mais les motifs qu'elle expose ne sont pas, comme elle le pense, suffisants pour prouver que l'envahissement des bruyères est un mal; car il existe d'au- tres moyens qui ont fixé l’attention des économistes pour parer à l'inconvénient qu'elle signale. Nous n'avons pas à nous enqué- rir des meilleurs modes d’aliénation, nous avons seulement, à ce sujet, quelques observations agricoles qu'il sera utile de sou- mettre à l'appréciation des légistes. Le partage des biens communaux serait un mal, en ce sens qu'il empêcherait la culture de se développer; cette règle ten- drait à réduire en petites portions ces vastes et belles plaines de bruyères qui offrent aujourd’hui une si grande ressource à l’érec- tion et à la prospérité futures d'établissements agricoles un peu considérables; et les conditions restant les mêmes, elle diminue- rait la production, comme nous l'avons indiqué en parlant des abris, tout en augmentant les dépenses annuelles. Adopter une telle mesure, ce serait éloigner de l’Ardenne les propriétaires, les agriculteurs, et partant les acquéreurs. Qu'’est- ce qui répugne tant à l’homme des champs qui désire devenir propriétaire d’un domaine en Ardenne ? C’est le morcellement de la propriété privée, qui ne se compose que de parcelles éparses, d'une figure géométrique bizarre et très-irrégulière, lesquelles occupent indistinctement toutes les positions; confondues avec les bruyères communales, elles s'étendent jusque dans celles des communes voisines, au milieu desquelles elles semblent être perdues. Ce spectacle est peu grave pour l'avocat, le médecin et les générations qui désirent laisser les choses telles qu’elles les ont trouvées; mais pour l'homme actif et qui aime la culture sur une grande échelle, pour celui qui est habitué à manier les in- struments aratoires, ce motif est d'une puissance suffisante pour (1) Rapport de la députation permanente, p. 76. (95) l'éloigner et le dégoûter entièrement des Ardennes. Combien ce pays ne se trouverait-il pas plus divisé encore, si l’on adop- tait, comme mesure d'aliénation, le partage entre chaque habi- tant ? On ne doit pas oublier que l’Ardenne, pour prospérer, a besoin des capitaux et des bras étrangers et que, pour favoriser le défri- chement, il faut aussi prendre les meilleures mesures qui tendent vers ce but. Nous trouvons dans ces-considérations la réponse au grief adressé contre l’envahissement des bruyères communales : « Il » nous paraît plus logique qu'avant d'entreprendre sur les » bruyères qui se trouvent dans le domaine communal, on com- » mence par soccuper du défrichement des bruyères parti- » culières (1). » On a proposé des baux à long terme. M. Max. Le Docte (2) a combattu avec raison cette opinion. Comme cet agronome, nous ne pensons pas que le fermier locataire aille et puisse aller aider au défrichement. Outre que pendant les dernières années du bail, le détenteur épuise ordinairement le terrain, pour en retirer les productions les plus lucratives, sans avoir égard à la production des engrais, il ne peut, comme le propriétaire, en retirer les mêmes avan- tages et faire prospérer son domaine. Le cultivateur n’a de res- sources que dans la vente de la production, le propriétaire la trouve encore dans la plus-value du sol. Pour le défrichement, tout est d’abord dépense; la matière n’ar- rive qu'après. Or, combien de cultivateurs seraient effrayés d’une semblable opération, s'ils n'étaient pas certains de rentrer dans leurs avances. Au propriétaire seul est dévolue la grande œuvre du défrichement; il y est doublement engagé par les sacrifices qu'il est à même de faire et de poursuivre, par la certitude qu'il possède d’en recueillir tôt ou tard les fruits et, enfin, par la per- ( 1) Rapport de la députation permanente, p. 65. (2) Max. Le Docte, Vouveau système de cullure, etc., p. 411. (9%) spective d'augmenter considérablement sa fortune privée, tandis que le locataire n'améliore qu'insensiblement, suivant ses res- sources. Naturellement craintif et timide pour l'avenir, il appré- hende avec raison qu’un événement ou l’autre ne vienne lui ravir la place qu'il occupe. Il suit de là qu’on devrait lui donner, pendant les premières années d'exploitation , les terres nouvellement dé- frichées, sans exiger de loyer. Aussi ne faut-il guère compter sur la présence des locataires pour aider à remplir le grand vide laissé ouvert par nos landes. Cette question, ainsi que celle qui se lie parfois à l'insolvabi- lité des locataires, nous fait rentrer dans les nouvelles vues qu'a émises M. Raingo (1) sur la formation des colonies agricoles. Pour terminer le chapitre qui a rapport au parcours commun des bruyères communales, répétons hautement que dans l'abo- lition de cet usage qui nous ramène à nos premiers pères, gif la question sine qua non du défrichement. 8° Au manque de débouchés. — La vente du bétail en Ar- denne s'effectue facilement; les chevaux sont en tout temps très- estimés; le bétail à cornes, les porcs gras, adultes ou jeunes, sont fort recherchés par les marchands et les bouchers de nos provinces; cependant le bétail à cornes, quand il est maigre, est peu demandé par les éleveurs et les engraisseurs de la loca- lité; mais nous venons de trouver le remède au manque de dé- bouchés, en hâtant le défrichement des terrains vagues. Quant aux produits du sol, le froment et le seigle ne suffisent pas à la consommation; le lin, le colza, la navette, etc., sous forme de graine ou d'huile, trouvent dans le Luxembourg et à l'étranger un placement immédiat. L’avoine, par sa surabon- dance, reste à bas prix. On trouve bien, dans l'intérieur de la Belgique, un débouché à cette céréale; mais les transports, qui sont à la charge du producteur, en diminuent beaucoup la valeur, et nous reconnaissons que, pour l’avoine, mais pour l’avoine seu- lement, l'objection qu'on a faite est fondée. (1) Motice sur le défrichement des bruyères, etc. (% ) Il nous reste, en conséquence, à savoir si l'on ne pourrait pas lui offrir un débouché constant, sans pour cela assujettir le culti- vateur à supporter des dépenses pour s'en débarrasser. Cette question est des plus importantes, en cas de défrichement, car le mal serait par ce fait considérablement augmenté. Il importe donc de remonter à sa source; celle-ci trouvée, il nous sera plus facile d’éclaireir cette question. La manière d'entretenir le bétail et les soins à lui donner étant corrélatifs au système d’assolement, on a raison de dire que celui-ci doit être combiné d’après les ressources et les besoins du pays; principe qui occupe peu l’agriculteur, qui se dit avec fon- dement : quelle influence peuvent avoir quelques têtes de bétail, quelques sacs de blé de plus ou de moins dans nos marchés? Cette influence est certainement nulle pour un pays, pour un canton pris d’une manière exceptionnelle; mais en est-il encore de même, lorsqu'on la considère sous un point de vue plus élevé et plus gé- néral? Évidemment non, les producteurs ne peuvent tenir ce lan- gage ni agir d’après ce principe sans se fourvoyer: la production, considérablement augmentée, établira une concurrence funeste, comme celle qui existe déjà pour le bétail maigre, et ne tardera pas à faire fléchir les prix des denrées; conséquence inévitable d’un engouement irréfléchi pour l'une ou l’autre production agricole. On remarque que l'avoine réussit parfaitement en Ardenne; n'est-il point désolant de voir que ce pays ne puisse tirer grand parti de cette graminée, dont la mévente n'est due qu'à l'encom- brement et au défaut de consommation sur place? Nous ne con- seillons cependant pas d’en restreindre la culture, parce que le sol, comme le climat ardennais, étant moins propre à la produc- tion de plantes variées, on doit lui assigner celles qui lui con- viennent le mieux, afin d'en retirer un grand produit : sauf à leur chercher ensuite un débouché qu’on trouvera naturellement, pour l'avoine, dans la propagation des chevaux employés aux tra- vaux agricoles. En Ardenne, on se sert du bœuf pour travailler la terre. D'un côté, ayant recours à l’écobuage au lieu de se servir dela charrue, ( 96 ) de l’autre possédant peu de culture et beaucoup de pâturages, les Ardennais remplacent assez avantageusement le cheval par les bêtes bovines, et d'autant mieux, que le plan des terrains culti- vés occupe un petit rayon et se trouve d'une exploitation diffi- cile; de sorte que le pas lent du bœuf ou de la vache se trouve en harmonie avec les exigences locales; mais si l’on vient à établir des fermes dans les bruyères communales, ces circonstances, qui militent en faveur du bœuf, disparaîtront, et la question du rejet ou de l'adoption du cheval ou du bœuf ne devra plus être envi- sagée que sous un point de vue économique. En laissant de côté ce qui touche à l'encombrement de l'avoine, nous n'oserions affirmer qu'il y ait, pour le cultivateur arden- nais, un plus grand avantage à tenir l’un ou l'autre de ces animaux comme bête de trait. Rien dans la culture ne porte obstacle à leur substitution réciproque. Ce point a été longuement discuté en Angleterre, et quoique Thaër surtout en ait fait l'objet d'une étude sérieuse et d’une série d'observations, rien n’est encore décidé; les opinions restent partagées. Nous avons tenu dans notre culture des bœufs pour le service agricole, pendant plusieurs années, nous n'avons pas eu à nous en plaindre; seulement nous avons remar- qué qu'ils finissent par rendre les domestiques apathiques en les babituant à la paresse. D'une autre part, en été, lorsqu'ils sont - le plus nécessaires, ils souffrent beaucoup de la chaleur et impa- tientent celui qui aime à voir marcher les travaux avec célérité et régularité. Ces considérations nous ont engagé à remplacer ces animaux par des chevaux; cette préférence est aussi accordée, en Ardenne, par un propriétaire intelligent. Par l'adoption du cheval en Ardenne, on augmenterait la consommation de l'avoine, par conséquent on n'aurait plus lieu de se plaindre qu'elle est à vil prix et qu'on ne retire qu'un pro- duit médiocre du terrain consacré à la culture de cette céréale; on trouverait sur les lieux mêmes un débouché en rapport avec la production. Nous en coneluons que l'introduction du cheval serait, en Ardenne, plus avantageuse et devrait être préférée à toute autre. Quant à l'exportation de celui-ci, quelque grand que (97) soit le développement du défrichement, il trouverait chez les marchands indigènes et étrangers un placement assuré. Nous l'avons dit, le cultivateur en particulier s'inquiète peu de l'influence que peut avoir son mode d'économie sur les dé- bouchés. Ceci doit surtout être le sujet de la prévoyance des administrations supérieures. Le Gouvernement devrait donc en- courager l'élève de la race chevaline en Ardenne, de préférence à celle du bétail. Celle-ci préoceupant constamment les habi- tants, prendrait toujours une extension assez grande, lors du défrichement; de sorte que, sans aucun sacrifice de la part de l'État, on remédierait à un mal qu'on attribue très-impropre- ment au défaut de communications. De plus, on créerait, par la consommation de l'avoine sur place, une quantité de fumier plus considérable, d'une plus grande énergie, et qui servirait si bien à l'amélioration du sol luxembourgeois. Les cultivateurs ont donc tort de suivre généralement tous les mêmes procédés d'économie; par là ils neutralisent mutuel- lement les bénéfices qu'ils pourraient retirer de leurs travaux; il faut, au contraire, que les cultivateurs s'adonnent, suivant les circonstances, les uns à l'élève des bêtes à cornes et des moutons, les autres à l'engraissement des bœufs et des pores à l'étable; que ceux-ci cultivent avec des chevaux, ceux-là, en petit nombre, avec des bœufs; en un mot, comme un fermier ne peut pas se livrer avec avantage à tous ces genres d'indus- trie à la fois, il convient qu'il adopte l’un ou l’autre de ces modes, selon que ses ressources pécuniaires , la nature et le plan de ses terrains, l'étendue de ses bâtiments et ses con- naissances personnelles le lui conseillent ou le lui permettent, Alors, un produit unique n'encombrera plus nos marchés, tan- dis qu'il y a souvent pénurie de plusieurs autres, au grand dé- triment du cultivateur. 9° À l'ignorance des principes de l'agriculture comme art et comme science. — Oui, c'est là la plaie principale qui porte le plus grand obstacle à la mise en culture des landes ardennaises. Nous sommes convaincu qu'une ferme exploitée au milieu des Î (98 ) landes par des hommes compétents, mettant en jeu tous les moyens que la science, la pratique et la prudence prescrivent, ne tarderait pas à produire immensément et à dissiper tous les doutes plus ou moins justifiés sur la possibilité de défricher avec avantage. 10° Au manque d'engrais. — La question des engrais est, sans contredit, une des plus importantes que nous ayons à trai- ter : c'est sur l'insuffisance de cette matière, qui est l’agent le plus actif de la culture, que les antagonistes du défrichement basent leurs arguments, et avec raison, car c’est l’engrais qui doit assurer le succès du défrichement. On est unanime pour reconnaître que la bruyère peut être rendue très-fertile; seulement elle exige de la chaux et des engrais qu'on croit ne pouvoir se procurer qu'à poids d'argent. Il y a du vrai dans cette assertion ; toutefois, nous ne saurions admettre que l’on ne puisse se procurer ces amendements sans faire des sacrifices que la culture ne soit en état de couvrir. Sans aucun doute, l'on ne parviendra jamais à se procurer les engrais nécessaires à toute culture, si l'on ne cherche pas les moyens de les obtenir et de les connaître, et si, en même temps, l'on ne s'efforce pas de recueillir ceux qui se trouvent naturelle- ment dans la localité. Il est patent que cette matière première ne manque pas en Ardenne; elle n’y est qu'inconnue : le genêt, la fougère, la bruyère offrent, comme nous l'avons déjà vu, une grande res- source dont les effets seraient immenses, si l'on avait le talent d'en tirer tout le parti possible, en préparant la matière pre- mière de la manière que nous avons indiquée en parlant du fumier, ou mieux encore par la méthode que voici : Dans quelques exploitations méridionales de l’Ardenne, nous avons vu utiliser, par un nouveau procédé, les genêts comme engrais. Il suffit tout simplement de couvrir de ces plantes, les chemins très-fréquentés qui avoisinent les corps de ferme; au bout de quelques mois, ces végétaux si recherchés dans le pays, sont décomposés, broyés, saturés des déjections animales et forment | ( 99 ) un engrais excellent que l’on conduit directement sur les terres et que l'on remplace immédiatement par d’autres plantes. Cette méthode rend un peu sales, il est vrai, les voies de com- munication; mais en revanche, elle est un moyen simple de fa- briquer économiquement de bons engrais appropriés aux exigences de la localité. Il nous paraît préférable, sous tous les rapports, et surtout en vue de l’économie, d'employer les genêts de cette ma- nière, que de les placer sous le bétail; c’est d'ailleurs l'avis de ceux qui ont déjà employé ce procédé. Il y aurait peut-être aussi un grand avantage à imiter cette pratique, pour convertir les plantes ligneuses, telles que les bruyères, le topinambour, en matières fertilisantes, qui s'ap- proprieraient mieux à la nature meuble du sol. Partant de cette idée, que l’Ardenne se trouve entièrement dé- pouillée d'engrais, les auteurs qui ont écrit sur le défrichement ont porté leurs vues sur la propagation du semis de genêt re- commandé par la députation permanente (4), sur la formation d'engrais mixtes faits au moyen de gazons coupés à 6 pouces d'épaisseur et placés dans les bergeries ou mélangés avec du fu- mier (2), et enfin sur la culture du topinambour. Ce sont, à la vérité, des sources d'engrais qui ne sont pas à dédaigner dans la situation où se trouve l'Ardenne, mais nous ne saurions croire qu'elles puissent contribuer beaucoup au succès du défriche- ment. Comme les frais, les produits et l'amélioration doivent tou- jours présider à toutes les opérations agricoles, nous sommes amené à dire que le sol occupé par des genêts est mal employé; celte plante prend en effet la place d’autres plantes qui ont une plus grande valeur sous le double rapport de la fertilisation et de alimentation, de sorte que vouloir lui consacrer une partie du sol, uniquement en vue de se créer une nouvelle source d’en- grais, ce serait se soumettre à une perte certaine. (1) Rapport, etc., p. 55. (2) Max. Le Docte, Essai sur l’amélioration de l’agriculture, etc., p. 105. ( 100 ) Quant à l'utilisation des gazons dans les bergeries, les frais de transport sont grands, et le maniement de l’engrais qu'ils ont formé est difficile. Nous ajouterons toutefois que le genêt, le to- pinambour et le gazon peuvent former de bons engrais, et que leur usage mériterait d'être propagé, si l’on ne possédait d’autres ressources plus actives et plus avantageuses pour arriver à la mise en culture des landes. Les feuilles des arbres, la mousse, la myrtille, etc., qui jon- chent le sol des forêts, méritent aussi, par leur action fertili- sante, d'être converties en engrais, soit dans les étables, soit à l'air libre en compost, dans les chemins ou par le système Jauffret. A ces mots feuilles, mousses, elc., nos agriculteurs à grandes exploitations, surtout ceux des pays wallons, se récrieront et ré- prouveront cette manière de procéder. Habitués à ne voir utiliser les feuilles comme litière que par les gens pauvres, tandis qu'ils ont toujours à leur disposition une grande quantité de paille, mais peu de bois où ils pourraient recueillir des matières végétales, ils regardent ces engrais comme secondaires pour améliorer et surtout pour entreprendre un défrichement. Dans la position où ils se trouvent, ils n’ont pas tout à fait tort de dédaigner cette source de fertilité; mais pour les Ardennes, où les forêts et ces végétaux abondent, on doit la considérer comme un puissant et économique moyen d'amélioration. On prétend, pour en motiver le rejet, qu'il n’y a que les pe- tits particuliers qui fassent usage de ces matières fertilisantes; cest là une erreur. Mettre en doute l’action de ces matières par cela même que le fumier qui en dérive donne ordinairement des résultats inférieurs à ceux des engrais ordinaires, c'est encore là une erreur qui résulte d’une fausse observation. Pour apprécier la qualité de deux engrais, il est indispensable qu'ils soient soumis aux mêmes conditions dans leur prépara- tion et leur dosage; de plus, ils doivent être appliqués au même sol, aux mêmes plantes, ete., afin qu'on puisse avoir sur leur pro- priété respective des données , sinon justes, au moins approxima- iives. Toutes ces précautions sont la plupart du temps négligées ( 101) par le cultivateur. De là provient en grande partie la divergence d'opinions sur l'efficacité d’une culture ou d'un engrais qu'on a éprouvé, et l'adoption aveugle d’un mauvais système. Ce résultat déplorable, qu'on attribue si volontiers à l'impuis- sance de la théorie et de la science, n'est, comme on le voit, qu'une conséquence de l'inexpérience. C'est là une de ces vérités qui devrait frapper davantage l'esprit de nos praticiens. L'action moins énergique du fumier des petites étables, com- paré à celui des grandes fermes, peut provenir de plusieurs causes inhérentes à l'exploitation elle-même, comme elle peut aussi être le résultat d’une nourriture moins abondante, moins substantielle. Nous avons vu nous-même employer cet engrais de feuilles et de mousse sur les bruyères des environs de Libin; mis en paral- lèle avec un fumier de genêts bien conditionné, nous avons trouvé une différence assez manifeste en faveur du premier. L'analyse nous fait aussi connaître que les feuilles et la mousse surtout, renferment une grande proportion d'alcalis et d’autres principes essentiels à la fertilité des terres cultivées. Pour qu'on puisse en tirer parti d'une manière fort simple, nous allons in- diquer une méthode avantageuse, qu'on pourra pratiquer dans un grand nombre de communes. Lorsqu'on possède des terrains à la portée des forêts, on enlève la partie supérieure de la couche, qui nest composée que de feuilles ou de détritus végétaux et qui empêche la reproduction régulière du gland; on en fait de petits tas assez massifs, qu’on laisse se dessécher par les chaleurs de Pété, et auxquels on met le feu. Les cendres provenant de cette combustion lente et incomplète sont répandues sur les champs; on pourrait même les appliquer sur un terrain déjà ensemencé; seulement il fau- drait alors exécuter l'opération de la carbomisation sur une parcelle voisine. On arriverait ainsi, sans frais de transport et par le secours de quelques ouvriers, à améliorer sensiblement une très-grande surface de terrain. La tourbe mélangée avec la terre et une forte proportion de (102) chaux caustique donnerait également un excellent compost, après une longue fermentation. À Ja rigueur, on se procurerait par ce moyen une grande abon- | dance d'engrais dans presque toutes les communes; mais nous pensons qu'il existe un moyen plus avantageux d'utiliser la tourbe. En effet, le compost ainsi formié contient encore en assez grande proportion des matières non décomposées qui, la première et la seconde année, tendraient à neutraliser sur les plantes l’activité produite par d’autres matières, par ce fait seul que le défaut de cohésion du sol est augmenté; c'est ce qu’on doit éviter avec d'autant plus de soin , que les terres de bruyère ne manquent pas de substances végétales analogues à l'humus. L'incinération, ou plutôt la combustion de la tourbe pour en étendre les cendres sur les terres, nous semble de beaucoup su- périeure à tout autre procédé, surtout que son aclion est ren- due plus immédiate, et que les terres réclament impérieusement la présence des matières salines dont les céréales et les légu- mineuses se nourrissent. Le tan, qu'on trouve en abondance dans les villes et gran- des communes de l'Ardenne, n’a pas encore été utilisé comme engrais, quoiqu'il soit très-riche en principes minéraux; mais il contient du tanin contraire à la plupart des plantes alimen- taires qui se cultivent sous notre climat. Le moyen qui a été in- diqué précédemment pour les composts avee la chaux peut être employé pour anéantir les caractères nuisibles du tan. Néanmoins, on trouvera sans doute en Ardenne plus avantageux de le réduire en cendres, après lavoir fait sécher au soleil. Le tan, la tourbe, les feuilles, etc. , ont l'avantage de pouvoir être réduits en un petit volume, et comme ils renferment beau- coup de matériaux utiles à la végétation, on peut les transpor- ter à peu de frais dans toutes les communes. On le voit, ce ne sont pas les substances fertilisantes qui manquent en Ardenne, comme on le eroit communément; nous disons mieux : c’est la contrée de la Belgique qui renferme le plus d'engrais végétaux. On trouve encore de toute part de la Her a — ! ( 105 j suie et de la cendre de bois en assez grande quantité. Il existe aussi dans chaque village un endroit qui recèle les dépouilles des animaux morts, lesquelles accumulées là en grande masse, res- tent perdues pour l'agriculture, comme celles qui sont jetées sur la voie publique par les bouchers. Ce n'est pas tout : on ren- contre encore cà et là des étangs délaissés recevant en partie les sues du fumier qui se perdent dans les chemins, ce qui augmente la valeur de la vase déjà si fécondante qu'ils récelent. On a donc lieu de s'étonner que les auteurs qui ont écrit sur le défrichement n'aient pas constaté la présence de cette matière première au centre de nos populations, afin de détruire un pré- jugé à la fois si erroné et si hostile à la fertilisation des landes. Les excréments humains solides ne sont utilisés qu'en partie; les excréments liquides ne le sont pas du tout. Leur effet sur la végétation est trop connu pour que nous nous en o€cupions ICI; bornons-nous à constater que l'on pourrait encore obtenir une assez forte quantité de ce liquide en Ardenne, si l’on voulait se donner la peine de le recueillir dans les hameaux et dans les villes qui possèdent des auberges, des hôtels, des écoles, des colléges ou d’autres établissements populeux. Ceci soit dit, non- seulement pour l’Ardenne, mais pour la Belgique entière. Jmitons ce qu'a fait M. Simons à l'établissement de Corfalie, où il a fait établir des pissoirs et des réservoirs à ses propres frais, à condition de pouvoir utiliser l'urine des ouvriers. Ce propriétaire, placé au centre d'un pays déjà avancé en eul- ture, devait cependant, bien moins que les propriétaires ar- dennais, se livrer à de semblables opérations et à de pareilles dépenses. La chaux est reconnue, dans le pays, comme ayant des pro- priétés fertilisantes merveilleuses : selon plusieurs observateurs, elle surpasse, par ses effets remarquables, presque tous les au- tres engrais sur les terrains de bruyères, qui recèlent tous un principe acide, ce qui indique, déjà en partie, l'absence de cette base. Les analyses viennent confirmer cette supposition. Sur vingt échantillons de terrains analysés, pris sur différentes ( 104 ) parties de l’Ardenne, dix-huit se trouvaient exempts de chaux; deux seulement en ont donné quelques faibles traces. Des recher- ches faites sur trois autres échantillons provenant des terrains cultivés, nous ont donné de la chaux en assez grande quantité; mais il est probable qu'elle y avait été déposée par la main de l’homme, fait dont nous n'avons pu nous assurer sur les lieux. Pénétré de la grande importance du calcaire ou d'un dépôt marneux, dans la partie centrale de P'Ardenne, nous avons fait plusieurs tentatives pour en découvrir; des sondages ont été exé- cutés en vain, même dans les couches de terre où nous avions le plus d'espoir d'en rencontrer. Cependant, selon M. d'Omalius d'Halloy (1), on rencontre dans le terrain ardoisier quelques petits amas de calcaire intercalés en stratifications; seulement ils semblent ne s'y trouver qu'en petite quantité et assez forte- ment mélangés de matières terreuses, ce qui les rend impropres à être employés en agriculture. La présence de ce calcaire, qui sort en quelque sorte des lois ordinaires de la formation des couches, ne serait-elle pas un in- dice qu'on pourrait en trouver un plus grand gisement ailleurs? Nous laissons à nos géologues le soin de répondre à cette ques- tion ; en attendant, nous pouvons dire que la chaux et la marne ne se trouvent pas en Ardenne; on ne la rencontre que sur quel- ques points de ses limites. Il est à remarquer qu'il n’est pas indifférent d'employer de la chaux provenant de l’une ou de l’autre carrière, car sa compo- sition et son action sur les terres sont loin d’être identiques. La chaux de Rochefort, par exemple, possède des caractères essen- tiellement distinets de celle de Marche : la première renferme environ un cinquième en plus de substances étrangères que la seconde. Aussi les personnes qui en font usage trouvent- elles une différence dans les résultats qu’elles en obtiennent. A dis- tance égale, la chaux de Marche doit être préférée à celle des en- virons de Rochefort. (1) Coup d’œil sur la géologie de la Belgique, p. 16. (105) Nous arrivons maintenant à nous demander si, dans la situa- tion présente, l'éloignement de la chaux peut empêcher le défri- chement. Les personnes qui répondent affirmativement à cette question sont, nous devons le croire, peu habituées à faire des avances pour améliorer les terres. Il est bien certain que le man- que absolu de cette substance, dans une contrée comme les Ar- dennes, entraverait singulièrement le progrès de l'agriculture ; mais le Gouvernement, dans sa sollicitude pour les intérêts agricoles, vient de trancher cette question en établissant des dé- pôts de chaux dans la partie centrale des Ardennes. Du reste, ne l'eût-il pas fait, qu'on aurait passé outre; car, après tout, que coûte un hectare de terre pour être entretenu constamment avec cet engrais? Un mètre cube et demi de chaux renouvelé tous les ans est plus que suffisant; or, le mètre cube pris à la plus grande distance (10 lieues) revient à 10 francs quand il est transporté dans une saison morte : cent hectares coûteraient done pour leur chaulage une somme annuelle de 1,500 franes. Que serait cette dépense comparée aux fruits qui résulteraient de l'amélioration qu'elle aurait procurée? Cette amélioration ne rendrait-elle pas déjà, l'année suivante, trois ou quatre fois la somme déboursée? Sans doute, pour l'homme dont les ressources ne permettent pas de faire des sacrifices à la terre, cette avance est considérable, mais elle ne peut faire reculer celui qui possède des capitaux, sans lesquels le défrichement est impossible. Ainsi envisagée, l'absence de la chaux ne doit pas être consi- dérée comme la cause de la stérilité des Ardennes, ni comme pou- vant arrêter sensiblement le début ni le succès du défrichement. D'après ce que nous avons vu, il n’y a que deux eauses indé- pendantes l'une de l’autre qui puissent entraver le défrichement: la première consiste dans le maintien du parcours commun des bruyères, la seconde dans l'absence &es connaissances agricoles, d'où résulte le manque de confiance en ce qui touche la transfor- mation heureuse des terres vagues en terres arables. Quant aux autres causes qu’on a cherché à faire valoir contre la mise en culture des bruyères, elles sont détruites, ou par ( 106 ) notre raisonnement fondé sur l’observation, ou par les moyens que nous avons indiqués pour combattre les obstacles existants. Les deux causes qui interviennent alternativement pour en- traver.le défrichement ne sont ni matérielles, ni insurmontables : nous détruirons la première en répondant à quelques questions qui nous restent encore à examiner; la seconde trouvera sa so- lution quand nous aurons démontré d'une manière péremptoire que la bruyère peut être cultivée avec avantage. Puisqu'on admet que les engrais assurent un bon résultat, il semblerait déjà que cette question est suffisamment résolue, at- tendu que nous avons prouvé l'existence des éléments de nutri- tion dans le pays et que nous avons indiqué les meilleurs procé- dés pour se les procurer économiquement et en abondance. Mais comme il est de la plus haute importance d'anéantir toute ob- jection hostile au progrès, nous essaierons de faire comprendre qu'il serait encore possible, même sans l'intervention des prai- ries naturelles, sans l’aide des engrais intérieurs ou de ceux que nous avons signalés, sans le concours des procédés chimiques qui, ordinairement ne sont pas à la portée de nos cultivateurs, de parvenir à entreprendre avec avantage le défrichement des terrains de cette zone sur une plus ou moins vaste échelle, alors même que l'on se trouverait dans la position la moins rappro- chée des dépôts calcaires. Si par nos efforts, si par de nombreuses observations locales, si, enfin, par des données positives et prudentes de l'agronomie, nous parvenons à la solution de ce beau et important problème, nous aimons à croire que la confiance renaîtra et que l'on ne méconnaîtra plus la possibilité et les besoins pressants du défri- chement. Pour opérer le défrichement est-il plus avantageux d'écobuer la partie supérieure des terrains de bruyères, ou bien est-il pré- férable de les relourner dans le sol à l'aide de la charrue? Il n’est pour ainsi dire aucune question agricole sur laquelle (107 ) on ait si peu d'idées dans notre pays que sur l’écobuage. A l'exception de la députation permanente du Luxembourg, tous les auteurs qui ont écrit sur les landes ardennaises, ont con- damné cette opération comme étant vicieuse et incompatible avec nos connaissances théoriques. On a dit qu'on détruisait l'humus et les matières végétales; qu'après avoir retiré un ou deux produits du sol, celui-ci se trouvait de nouveau frappé d’une stérilité complète; qu'on ameu- blissait le sol déjà naturellement trop meuble. Toutes ces objec- tions sont vraies et comme telles on doit les accepter dans beau- coup de cas; mais sous cette apparence de justesse, il existe des opinions fausses, des anomalies qu'il importe de signaler et de combattre. L'humus est une source d'acide carbonique, d'électricité et de chaleur; par sa grande porosité (propriété qu'il a en commun avec le fer, l'alumine et la poussière de charbon), il puise l'azote de l'air, sous forme d’ammoniaque, qu'il transmet ensuite aux plantes, et, lorsqu'il n'est pas dans un état de décomposition trop avancé, il leur cède ce même gaz aux dépens de sa propre substance. Voilà les propriétés heureuses de l’humus; mais un point qui nous reste encore à signaler, c’est qu'il peut, dans certains cas, comme cela a lieu en Ardenne, devenir nuisible à la végétation de deux manières différentes : par son acidité et par son abondance. Il est facile de vaincre l'acidité en faisant une application de chaux caustique, soit en écobuant, soit en retournant le gazon dans le sol; mais il n'en est pas de même pour la destruction de la grande quantité de terreau et de matières végétales qui s’y trouvent. L'humus n'est réellement utile à l'existence des végétaux que pour autant qu'il ne nuise pas par son excès à la consti- tution physique du sol, et, dans la situation présente, il est urgent d'en détruire la majeure partie, afin que la quantité restante soit plus en rapport avec le sol meuble, léger et poreux des Ardennes. ( 108 ) On comprend, d'après cela, que le terreau dans les bruyères, est non-seulement superflu, mais encore contraire au dévelop- pement des plantes. Cet engrais mérite, dans ce cas-ei, d'autant moins de considération, qu'il s'y trouve sus une forme impropre à céder ses éléments aux plantes dans un temps donné. On peut d'ailleurs trancher la question en deux mots : si l'on retourne l’humus et la bruyère dans le sol, c'est, dit-on, pour ne pas perdre leurs parties volatiles, qui disparaissent lors de la combustion; mais quoi de plus simple que de remplacer la partie combustible par des engrais verts? ne récupérerait-on pas par ce moyen, en deux mois de temps, la même quantité de principes que celle qui est enlevée par la carbonisation de l'humus et des plantes agrestes, pour la création desquelles la nature a mis 20 ou 50 ans? Cet engrais vert ne remplacerait-il pas avantageuse- ment celui qui est enlevé par l'écobuage, puisqu'il s'y trouve dans un état plus propre à donner de la consistance au sol et sous une forme qui se prête à une prompte et régulière décomposi- tion , et, par conséquent, à une bonne et heureuse assimilation ? La bruyère retournée dans le sol augmente naturellement son ameublissement ; après cette opération, deux ans au moins doi- vent s'écouler pour que son altération soit accomplie et avant qu'on puisse songer à y cultiver des plantes; et même, après ce laps de temps écoulé en pure perte, ne peut-on encore assurer le succès de la première semaille faite sur des engrais de ferme ordinaires. Ce fait s'explique d'ailleurs très-clairement, lorsqu'on consi- dère que les terrains de bruyère sont saturés de plantes à tiges coriaces et de détritus végétaux enfouis, laissant de grandes cavités qui, en hiver, se remplissent d'eau, ce qui favorise la congélation qui soulève la masse et déracine les plantes. L'’accumulation des matières ligneuses dans le fond de la cou- che arable est en outre sujette à deux inconvénients très-graves portant obstacle à la végétation : l’un qu'on peut prévenir et dont nous parlerons plus loin ; l’autre insurmontable, qui a pour effet de favoriser la présence d’une multitude de vers blanes et ( 109) jaunes qui, au printemps, mangent les feuilles et le cœur tendre des céréales à mesure qu'elles tendent à prendre du développe- ment. C’est ainsi que nous avons vu plusieurs hectares de bruyère, retournés à la charrue, littéralement rongés par ces insectes mal- faisants. M. Petit Pré à Neufmoulin, ayant suivi la méthode, si re- commandée par plusieurs auteurs, de retourner les bruyères à la charrue, a eu à lutter contre l'inconvénient que nous venons de mentionner : le sol s’est soulevé et ces vers si redoutables ont fait périr les trois quarts des céréales automnales; évidemment ces pertes n'eussent pas été à déplorer si lon avait détruit, avant l’ensemencement, les matières qui excitent leur appari- tion. C'est toujours de circonstances semblables que sont provenus les déboires qu'ont éprouvés en grande partie ces sociétés, ces rénovateurs que les antagonistes du défrichement se plaisent à signaler comme ayant fait des pertes considérables dans l'exploi- tation de la bruyère. De ces procédés vicieux vient aussi en partie le long cours qu'exige la transformation de la bruyère en un sol aussi fertile que celui des terres à champs. De ces observations théoriques et pratiques, de ces faits irré- cusables, nous pouvons conclure que certaines matières nuisent dans le sol par leur trop grande proportion ; nous pouvons égale- ment en déduire qu'il convient de les détruire d'une manière quelconque, et qu’on doit surtout éviter d'enterrer les végétaux ligneux, d'une décomposition lente, susceptibles d’alléger le sol. C'est assez dire qu'on ne doit pas non plus enfouir le gazon chargé de bruyères, lorsqu'il s'agit d'opérer le défriche- ment. La nécessité d'enlever l'excès d'humus et des matières végétales étant démontrée, il faut chercher les moyens les plus simples et les plus actifs pour atteindre ce but. Pour cela, l'écobuage nous paraît réunir toutes les condi- üons. Il est bien vrai qu'il ameublit un peu le sol quand on enlève une forte couche de terre avec les matières combustible (110) et lorsqu'on opère sur des particules argileuses; mais en Ardenne, l'écobuage n'ayant lieu qu'une fois, c'est-à-dire la première an- née de la mise en culture des bruyères et n'ayant principalement d'action que sur la partie organique, il est évident que cette opération, au lieu d’ameublir le sol, comme on le prétend, le rendra immédiatement plus compacte et plus dense puisqu'elle en détruit les causes de légèreté et d’ameublissement. À cette occasion, nous dirons avec M. le baron De Morogues : « il ne faut écobuer que pour défricher, l’écobuage ne procure » qu'une fécondité factice; cette pratique serait done mauvaise » sur les terres bien assolées et en bonne culture (1). » On pense que la terre est frappée de stérilité lorsqu'après un écobuage, elle donne une ou deux récoltes ; cette allégation est juste dans un sens, mais elle devient absurde lorsqu'on attribue cette stérilité à l'opération même de l’écobuage. La récolte qui suit la combustion lente des substances végétales est toujours d'une réussite assurée, ce qui prouve déjà, en quelque sorte, l'invraisemblance de cette objection; car si l'écobuage était con- traire à la végétation, il est hors de doute que leffritement se manifesterait la première année plutôt que la troisième et les suivantes. N'est-il pas plus logique d'admettre que les récoltes sueces- sives épuisent naturellement le sol sur lequel elles croissent ? Voudrait-on par hasard cultiver indéfiniment la même terre sans lui restituer les sucs que les plantes lui ont enlevés? Cette stéri- lité est sans aucun doute la conséquence de l'épuisement du sol par la récolte et non celle de l'écobuage. On en est d'au- tant plus convaincu, que les terres à champ gazonnées sont bien plus souvent soumises à cette pratique que les terres de bruyère, et cependantaucune marque d'improduetion ne se ma- nifeste, lorsqu'on leur restitue par des engrais les principes enlevés. (1) Cours complet d’agriculture, ou Nouveau dictionnaire d’agriculture théorique et pratique, d’économie rurale et de médecine vétérinaire, 9 vo- lume , p. 191 (note). Paris, 1855. ( 411 ) Notre opinion sur le système d’écobuage est loin de concorder avec celles qui ont été émises à ce sujet; mais plus qu'elles, la nôtre est basée sur la théorie et particulièrement sur la pratique. Voici, selon nous, quel est le mode d'action de l’écobuage sur les terrains qui nous occupent : 1° Il détruit l'excès des substances végétales qui s’interposent entre les molécules du sol, auquel elles nuisent par l’ameublisse- ment et l’acidité qu'elles lui communiquent ; 2° Il met à la disposition des plantes les produits organiques de l’humus, analogues à l'ulmine, etc., ainsi que toutes les ma- tières salines provenant de la combustion des végétaux et des argiles, lorsqu'on opère en partie sur la terre végétale ; 9° Il donne à l'argile qui se trouve en contact avec les ma- tières carbonisées, la propriété d'absorber et de retenir au profit de la végétation, les gaz utiles qui s’en échappent; 4° 11 purge parfaitement le sol pour plusieurs années de toutes les plantes adventices qui le couvrent, lesquelles donnent aussi des cendres qui peuvent servir aussitôt à la nutrition des céréales; 5° Il permet enfin de tirer parti du sol, plus tôt et plus avan- tageusement que par un autre procédé, tout en assurant immé- diatement le succès d’une ou de deux récoltes. Pour que l'écobuage soit bien conduit et qu'il puisse donner tout le fruit possible, il faut que les matières à écobuer n’éprou- vent qu'une combustion incomplète, de façon que les cendres qui en proviennent conservent une coloration gris-foncé. En Ardenne, cette opération laisse beaucoup à désirer : les produits cendreux qu'on en obtient sont généralement rougeñtres, indice toujours certain que le feu a été trop ardent et que les préeau- tions nécessaires pour le ralentir n’ont pas été observées. Le terrain de bruyère ne contiendrait-il pas des principes nuisibles à la végétation? Outre la réaction acide qu'offre la couche des bruyères et qu'on fait disparaître par l'application des substances calcaires, nous ( 4421) pensons qu'il recèle encore un autre principe de stérilité imhé- rent à tous les sols ferrugineux ou alumineux. Il est constant que les terrains d’une semblable constitution sont capricieux et sujets à compromettre momentanément le rendement des récoltes, lorsqu'ils sont nouvellement défoncés ou cultivés pour la première fois. Cette question d'infertilité causée par la terre vierge exposée à la surface du sol, a déjà beaucoup occupé les physiologistes et les agronomes. On a cru pouvoir en attribuer la cause à l’ab- sorption de loxygène par l'oxydation des corps métalliques que renferment les argiles. On a cru aussi qu'elle était due à la con- séquence d’un manque absolu d'hümus qui distingue la terre vierge ramenée à la superficie au contact de l'air. Si l’on examine attentivement ces deux opinions , l’on trouve que chacune d'elles a un côté vrai; cependant nous ne saurions les admettre en entier, car là ne réside pas la cause primor- diale du mal. Plusieurs observations nous donnent la certi- tude que cette infertilité qu'on remarque à la suite d'un dé- foncement ou de la mise en culture des bruyères est moins la conséquence du manque d'oxygène ou d'humus que de celui de l'ammoniaque. Nous ne chercherons pas à combattre ces dires par une discus- sion qui nous entraînerait trop loin ; nous ne ferons ici qu'expli- quer succinclement notre manière de voir à cet égard. Le fer et l'alumine ont une grande attraction pour l'ammo- piaque; lorsque ces deux bases dérivent de la désagrégation naissante des argiles, elles enlèvent et retiennent fortement le carbonate d'ammoniaque au détriment de la végétation, à me- sure que les eaux pluviales et les matières en décomposition pro- curent cet élément au sol. Ce n’est que lorsqu'elles en sont plus ou moins saturées, soit par le concours des engrais, soit par une longue exposition à l'air, qu'elles cèdent aux plantes une partie de cet agent azoté, pour en reprendre ensuile une nou- velle dose au profit de la végétation qui doit succéder. Voilà ce qui semble expliquer pourquoi, après le défoncement (115) de certaines terres et la mise en culture des bruyères ardennaises chargées de fer, les produits sont plus ou moins faibles , et cela en raison directe de l'épaisseur de la couche vierge enlevée au “sous-sol. C'est aussi pourquoi il faut une grande abondance d'engrais de ferme, ou un certain laps de temps pour modifier l’action momentanément préjudiciable de ces oxydes, qui, après quelques années, deviennent des agents terreux précieux pour la prospérité des plantes. Une expérience que nous n'avons pas encore eu occasion de renouveler, faite avec du carbonate d'ammoniaque, ainsi qu'une série de faits pratiques confirment nos idées. Si donc nous som- mes dans le vrai, si nous ne nous sommes pas laissé égarer par de fausses appréciations, l’on parviendrait, d'après ce qui précède, à corriger aussitôt les défauts causés par les labours profonds, en faisant l'application d’un engrais fortement azoté. Dans tous les cas, notre manière de voir, qui mérite d'être confirmée par de nouveaux essais, ne change en rien la question du défrichement des landes. Que l'infertilité qui nous occupe soit due à l'oxygénation des corps, au manque d’humus ou à la fixation de l’'ammoniaque, on pourra toujours y remédier par des moyens que nous indiquerons ultérieurement. Si, au contraire, aucune de ces causes d'infertilité n'existe réellement, alors la marche du défrichement sera d'autant plus simplifiée, et ces moyens ne feront que tendre fructueusement à l'amélioration du sol. Quelles sont les plantes auxquelles on doit avoir recours pour opérer le défrichement? La terre de bruyère, d’une réaction acide, ne convient qu'à certaines espèces de plantes : chacune d'elles a un sol où elle se plaît particulièrement, tandis que dans d’autres sols elle ne peut prospérer; en effet, pour la bruyère, le genêt, la fougère, les oxalis et une grande partie des plantes cultivées dans les serres, la terre de bruyère est indispensable, tandis qu’elle est nuisible 8 ( 114 ) à la plupart des plantes de la grande culture; le froment sur- tout vient mal dans les terrains de cette espèce. Ces exemples se renouvellent tous les jours, dans les bois de la Hesbaye, du Brabant, etc., récemment défrichés; aussi tous les agriculteurs savent très-bien que cette céréale n’y prospère qu'après plusieurs années de culture, ce qu'on peut attribuer à la disparition de lhumus et à la neutralisation de son acidité. C’est ainsi que le terrain de bruyère, impropre d’abord à porter des graminées, finit par se métamorphoser en terre cultivable d’un bleu rougeûtre, c’est-à-dire en terre à champs. Cependant parmi les plantes qui forment l’ensemble de notre agriculture, il y en à qui supportent plus ou moins bien le climat des Ar- dennes , l'acidité et l'ameublissement de ses terres vagues, pour autant que les conditions d'assimilalion soient réunies : telles sont le seigle, l'avoine, l'orge, les vesces, le trèfle, le sainfoin, le sarrasin, la spergule, la lupuline, la pomme de terre et le colza. Nous avons cru bien longtemps que la luzerne ne prospérait pas sous le climat des Ardennes, parce qu’elle redoute les grands froids et Les transitions subites de la température; nous avons donc eu lieu d'être agréablement surpris, en voyant une prairie du canton de Sibret, qui contenait une grande quantité de cette légumineuse, surpassant toutes les autres plantes par la taille el la vigueur. Près de S'-Hubert, on peut encore faire la même observation. On a remarqué que cette plante vit longtemps en Ardenne; on compte qu'il y en a qui datent de plus de 30 ans. Si ce fait pratique ne constate pas suffisamment la possibilité de la eul- tiver avec succès, il n’en est pas moins important, car:il nous rassure quelque peu sur les conditions climatériques; de plus, il nous promet une nouvelle voie d'expériences, de laquelle peut jaillir une source de produits formant la richesse de toute ex- ploitation, et qui peut exercer une gr.nde influence sur l'agri- culture ardennaise. Le sainfoin est de toutes les plantes celle qui doit fixer le ( 115) plus l'attention du cultivateur luxembourgeois; c’est lui qui peut le mieux remplacer les prairies permanentes non irrigables; c’est par lui, en un mot, que l’agriculture du pays doit se régénérer. Résumons succinetement ses propriétés : 4° Il croît dans tous les terrains et dans toutes les exposi- tions; nous l'avons cultivé là où on ne pouvait obtenir aucun autre produit; 20 Il s'accommode parfaitement du climat de la Belgique, où il résiste aux plus grandes gelées comme aux plus fortes séche- r'esses ; 3° Il a un rendement considérable : lorsqu'il est de la variété à deux coupes, il équivaut en valeur à une belle récolte de fro- ment; 4° Il est une des plantes qui donnent le fourrage le plus sain, le plus abondant et le plus nutritif; 5° Il exempte le bétail de la météorisation ; 6° Il améliore spontanément le sol. Après une sainfoinière rompue, on peut obtenir, sans engrais, plusieurs récoltes de céréales successives; 7° Il n’exige aucun entretien de fumure, car il puise sa nour- riture principale dans Fair par ses feuilles, et dans les profon- deurs du sol par ses longues racines; 8° Il est d'une longue durée; de là une économie très-grande dans les dépenses occasionnées par les ensemencements, les la- bours et les menues cultures ; 9° Il donne un fourrage fort précoce, ce qui est précieux pour toutes les fermes, et surtout pour celles des Ardennes, Sous tous les rapports, le sainfoin mérite d’être propagé; nous regardons aussi cette plante comme extrêmement précieuse pour les terrains sablonneux de la Campine; il suffirait de veiller, par un moyen quelconque, à ce que la germination fût régulière et à ce que les racines acquissent une certaine extension pour que la sécheresse permanente du sol ne soit plus à redonter. Nous avons dit que le sainfoin venait bien dans tous les ter- rains et sans engrais de ferme; mais qu'on ne se fasse pas illu- (116) sion, ce résultat ne peut être atteint que sous certaines condi- tions : 1l faut d'abord un terrain sec et propre, car cette plante souffre beaucoup de l'humidité et de la présence des mauvaises herbes; dans ce dernier cas, elle est peu productive et de courte durée ; il faut ensuite qu'elle trouve dans le sol les principes cal- caires qu'elle affectionne; si le terrain ne les contient pas natu- rellement, on doit y pourvoir par le plâtre, la marne, le chaulage ou bien encore par l'emploi d'os calcinés. Ces conditions étant remplies, il suflit, pour assurer la réussite constante de cette plante, pendant une longue suite d'années, d'exécuter à cha- que printemps, lorsque le terrain est bien essuyé, un ou deux hersages énergiques, au: moyen de la herse à dents de fer, et d'appliquer tous les deux ou trois ans, sur le champ qui en est emblavé, une dose convenable de ces engrais calcaires. Le trèfle incarnat entre aussi parmi les plantes qui méritent d'être cultivées en Ardenne; il produit une coupe de foin d'assez bonne qualité, quoique moins bon que celui du trèfle rouge; mais il a l'avantage de prendre promptement un grand dévelop- pement. On peut le semer en automne ou au printemps, pour le récolter quelques mois plus tard. Ensemencé avant l'hiver, il est bon à être fauché 45 jours ou 5 semaines avant les autres trèfles. Si, au contraire, il est semé au printemps, il donne sa coupe entre celles du trèfle rouge; c'est-à-dire à une époque critique pour les fourrages verts. Le trèfle incarnat peut rendre de grands services au début du défrichement. 11 donne toute facilité pour obtenir les premiers fourrages nécessaires au bétail. Le sainfoin et les autres trèfles ne donnent leurs produits que la seconde année de leur ensemen- cement. Il faut donc une plante qui, comme le trèfle incarnat, puisse procurer les aliments indispensables à l'économie pen- dant ce temps de disette. Le trèfle blanc, appelé vulgairement coucou, mérite aussi notre attention. Dans les pays à grandes cultures, il n’est plus guère cultivé; on croit mieux faire en le remplaçant par d’autres plantes à graines. (CANIN) En général, ce qui induit nos cultivateurs en erreur, ce qui les fait rester dans le s{atu quo, au lieu d'adopter une culture plus profitable, c'est le défaut d’une bonne comptabilité agri- cole. On ne voit de bénéfice que là où on obtient un produit immédiat en argent. On laisse de côté la bonification du sol qui doit servir aux récoltes subséquentes; on tient note des dé- penses, mais on n'en calcule pas les résultats. S'il est vrai que le trèfle blanc rapporte moins que les céréales et les plantes commerciales, lorsqu'on le destine au pâturage du gros bétail, il l’est aussi qu'on peut lui faire acquérir plus de va- leur en le consacrant uniquement au parcours des moutons à l’engraissement. Un hectare de trèfle blane, en Brabant, peut fournir la graisse à quarante moutons maigres de grande taille. Après la saison, chacun d'eux aura gagné environ sept francs de graisse et de laine, ce qui représente un produit annuel de 240 francs par hectare, sans employer pour ainsi dire d’autres aliments. On croira peut-être difficilement que ce produit puisse être comparé à celui des céréales et des plantes textiles, qui donnent une valeur de 300 à 600 francs à l'hectare; c'est cependant ce que nous allons chercher à démontrer par quelques considé- rations. Il y a pour toute dépense, dans la culture du trèfle blane, les frais de semences, qui sont minimes, ainsi que ceux occasionnés par le berger et son chien, qui doivent être répartis sur tout le troupeau de moutons. Pour les céréales et la plupart des autres plantes, on doit faire de plus grands frais d'ensemencement; des labours, des menues cultures et parfois des sarelages doivent être exécutés; enfin, le sol s’épuise en perdant les principes enlevés par les graines. Dans la culture du trèfle blanc rien de tout cela n’a lieu : on sème dans une céréale sans l’aide d'instruments aratoires; les sarclages sont superflus lorsqu'il est semé dru; les frais de trans- port, d'engrais de ferme, d’engrangement, ete., ainsi que ceux causés par le fauchage et le battage, sont entièrement supprimés (1148) par le pâturage, et celui-ei, loin d'effriter le sol , améliore beau- coup ; aucun cultivateur n'ignore qu'après un pâturage de l'es- pèce, on peut, année ordinaire, être assuré d'y avoir une belle et riche récolte de froment. Le trèfle blanc pâturé a de plus le mérite de laisser tôt le champ libre, de sorte qu'on peut convenablement préparer la terre pour la semaille, comme aussi celui de résister beaucoup mieux que les autres plantes aux insectes et aux caprices at- mosphériques. En voilà assez pour faire comprendre toute l'im- portance qu'on doit attacher à cette plante dans une exploitation rurale. En nous objectant que les transports des engrais et des ré- coltes, que les labours et les diverses préparations du sol ne doivent pas être pris en considération dans une ferme, on se tromperait; car il est bien reconnu que plus on tient de chevaux de trait dans une exploitation, moins les bénéfices sont élevés. Ne tenir que la quantité de chevaux strictement nécessaire est un principe assez connu de tout le monde pour que nous passions sous silence les motifs qui l'ont établi. Or, il est évident que si la culture d’une plante nécessite de grands travaux, ceux-ci exigeront à leur tour des journées et un nombre de chevaux plus considérable que l'adoption d’un autre système plus facile. Par conséquent les déboursés faits dans une culture, de quelque nature qu'ils soient, doivent être portés en compte, et dès lors on trouvera que notre assertion est juste, et que le trèfle blane, si avantageux à une exploitation, ne doit pas être dédaigné. Ce que nons avons dit pour les grands domaines des pays wallons, s'applique plus particulièrement encore à l'Ardenne, où le trèfle blanc prospère bien ; seulement on ne doit pas se baser, pour l'adoption de cette plante dans sa culture, sur le chiffre élevé que nous avons cité plus haut, car on pourrait se trouver déçu; ce chiffre peut être atteint dans le Brabant, mais non en Ardenne. La bruyère de laquelle on a retiré deux récoltes après l'éco- buage, donne un trèfle blanc d'une venue moyenne. Avec des ( 119 ) engrais excitants, on le pousse à un grand développement. Ce- pendant il n’est pas d'un rapport aussi élevé que celui que l'on rencontre dans les bonnes terres de la Hesbaye; la tige des plantes reste un peu plus petite et. plus fine : en somme, l'hectare de bruyère convenablement amendée et fumée avec les matières dont nous aurons.bientôt à traiter, permet d'engraisser trente- six à trente-huit moutons maigres de petite taille, dont la valeur augmente, par le parcours, de 5 à 5 !/2 francs par tête (1), ce qui donne pour la masse, par hectare, un boni d'environ 190 francs. On voit donc, d'après ces données, quelle peut être la ressource de cette plante et des moutons pour le défrichement de nos bruyères. C’est iei le cas de rapporter les réflexions auxquelles s’est livré M. Rieftel sur les travaux qu'il a exécutés sur les landes nues et incultes ; il s'exprime ainsi : « J'ai dû commencer le défriche- ment du domaine de Grand-Jouan avec une domesticité nom- breuse et l'emploi d'engrais pulvérulents achetés au dehors. Puis il a fallu essayer des spéculations diverses en bestiaux, dans le but de trouver l'engrais an meilleur marché. Nous avons fait des élevages et des engraissements de bœufs, des élevages et des engraissements de cochons. Les bêtes à laine nous ont ar- rêté assez longtemps. Un excès de prudence nous a conduit au métayage; et maintenant l'expérience et le calcul nous font reprendre de nouveau les bêtes à laine, comme une des bases les plus solides d’une entreprise agricole dans le pays des landes, et comme les meilleurs producteurs d'engrais (2). » On peut sans le moindre obstacle se livrer à l'élève de grands tronpeaux de moutons en Ardenne; on peut même sans incon- vénient substituer ceux-ci au gros bétail, et c’est à notre avis le (1) Le prix des moutons varie beaucoup suivant leur état de graisse. Celui que nous soumettons ici, est basé sur les résultats obtenus dans les environs de Martelange. (2) Chambre des Représentants, séance du 13 novembre 1846, no 18, — Enseignement agricole, — Exercice de la médecine vétérinaire , — Orga- nisation de l’école vétérinaire de l'État, p. 93. (4200 meilleur procédé, pour activer le défrichement et en retirer en même temps les plus grands fruits les premières années. On nous objectera peut-être, à cette occasion, qu'il faut toute espèce de bétail dans une exploitation pour qu'elle devienne floris- sante. Il se trouve des situations où cette considération peut être vraie; mais elle est fausse dans la plupart des cas. Les deux grands mobiles du cultivateur sont les bénéfices et l'amélioration et l'entretien de sa culture; or, quels animaux réunissent mieux ces conditions que les moutons? Ils améliorent le terrain, facilitent la culture, forment d'excellents engrais, sont d'un entretien économique et rapportent des bénéfices marquants. Cette allégation eût-elle quelque fondement pour la plupart des fermes du pays, encore est-il qu’elle serait sans influence, lorsqu'il s’agit d’un cas aussi exceptionnel que la mise en valeur des landes. On nous dira sans doute encore que les moutons ne forment pas d'engrais pour améliorer les terres, lorsqu'ils ne sont point nourris à la bergerie; ceci est très-vrai lorsque les moutons pà- turent des prairies naturelles ; alors la nourriture qu'ils consom- ment ne profite guère qu'à la production de l'herbe, tandis que le trèfle pâturé est excrété sur la couche arable, qui se trouve par ce fait instantanément améliorée. Ce motif n’est donc pas de nature à repousser les moutons; car s'ils ne font pas autant d'engrais au logis que les animaux nourris à la ferme, ils en font davantage suriles champs mêmes, ce qui épargne le transport et prévient la perte qui s’en fait ordinairement dans les fosses à fumier. D'ailleurs, ces animaux ne sortant que pendant quelques heures par jour, peuvent faci- lement , avec le concours des chevaux nécessaires à l'exploitation, convertir en engrais les pailles résultant du défrichement, sans qu'on doive les faire consommer comme aliment. La difficulté d'introduire le gros bétail au début du défriche- ment, consisie principalement dans le manque de nourriture, qu'il serait à cette époque peu facile de se procurer en abon- dance, sans nuire à une autre branche de l'économie, c'est-à- ( 4210) dire aux terres cultivables. Cependant il ne serait pas avanta- geux d’exclure complétement le gros bétail; car dans tout do- maine agricole, on retire du jardin, du ménage, etc., des déchets qui peuvent profiter à l’un ou à l’autre animal, et qui ne pour- raient être utilisés autrement. Ensuite, il faut nécessairement que l'exploitation fournisse le lait, le beurre et le fromage qui lui est indispensable; or, quelques vaches laitières seulement suffisent pour remplir ces conditions. Il est surtout essentiel, si l'on veut retirer tous les avantages que nous offre l'entreprise de la culture des terrains vagues, de ne tenir de bétail et de porcs que le strict nécessaire pendant les cinq ou six premières années du défrichement, les moutons étant sous tous les rapports préférables, attendu qu'ils sont, dès leur introduction, une source d'engrais et de bénéfices; tandis que l'adoption des bêtes à cornes nécessite, dès la première année, une grande quantité de nourriture, et partant plus de travaux, plus de chevaux et plus de dépenses. Les bœufs destinés aux travaux champêtres font cependant exception à cette règle, parce qu'ils remplacent une partie des chevaux et que la consommation reste la même. Le navet, le rutabaga, la carotte, la belterave sont des plan- tes dont l'utilité est constatée par tous nos agronomes; elles peuvent favoriser singulièrement la production du lait et de la graisse; elles pourraient être une grande ressource lors du dé- frichement, en permettant d'engraisser le bétail ou bien en donnant la faculté d'opérer un second engraissement de mou- tons, pendant l'hiver, comme cela se pratique à Maissin. Malheureusement la culture de ces racines a été jusqu’à pré- sent trop peu tentée sur les bruyères, pour qu'il nous soit permis d'en assurer le succès. Des auteurs ont prétendu que ces plantes réussissaient parfaitement en Ardenne; nous n'avons pu compren- dre s’ils voulaient parler des terres à champs ou bien des bruyères. Pour les terrains cultivés, c'est un fait déjà constaté par l'ex- périence; mais quant à ceux des landes, la réussite est encore à l'état d'incertitude. Nous avons essayé pendant deux années la (419920) culture des racines dans des terres récemment défrichées : la récolte de la première année a répondu très-mal à notre attente, celle de la seconde a été meilleure, sans toutefois être belle. Tant que l'expérience n'aura pas fait disparaître le doute qui plane encore sur la bonne venue de ces plantes, on ne pourra les comprendre parmi celles qui doivent figurer sur les landes dans les cinq ou six premières années de culture. Le colza de mars est une des plantes les plus lucratives qui se cultivent sur le territoire ardennais, et qui paraissent le mieux s'approprier au sol des bruyères. On dirait que l’Ardenne est le lieu de son origine, tant elle y prospère. La semaille se fait tont simplement sur un mauvais labour, analogue au hersage qui recouvre la graine sur des terrains envahis par des plantes nuisibles, et ayant déjà produit quatre ou cinq récoltes épuisantes. Malgré toutes ces conditions défa- vorables qui suffiraient, dans le Brabant, pour faire désespérer de sa réussite, le colza y donne néanmoins un produit abon- dant. Ce qu'il y a aussi d’avantageux, c’est qu'on n’a pas autant à craindre en Ardenne qu'ailleurs le ravage des pucerons, qui détruisent le germe des récoltes; cette circonstance favorable se remarque particulièrement sur les terrains de bruyère. Les matières végétales, servant de refuge aux pucerons, se trouvant détruites par la combustion, ceux-ei sont obligés de chercher ailleurs un abri qu'ils n’ont plus sur un champ écobué. Peut-être bien aussi la forte odeur empyreumatique qui couvre toute la surface du sol pendant la carbonisation, est-elle une des causes qui contribuent à leur destruction ou à leur éloignement. La culture du colza est facile et peu onéreuse. Comme le trèfle blanc, cette plante occupe peu le sol et permet de donner à celui-ci, toutes les préparations HÉRRET UNE pour les ensemen- cements en temps utile. Le colza mériterait d'autant plus d’être propagé en Ardenne, que le sol n’y est favorable qu’à la production circonserite de certains végétaux; car il importe que le cultivateur qui fait des avances pour l'amélioration de ses terres, puisse retirer le fruit SPORE TS CA ER (1923) de ses travaux, par la culture des plantes qui lui en offrent les moyens, c’est-à-dire , des plantes lucratives que ni le sol ni le climat ne réprouvent. Le colza est une des plantes qui épuisent le plus et qui res- titue le moins à la terre; il enlève de la couche arable, pour constituer ses graines, les principaux éléments de nutrition que réclament les céréales, les légumineuses, etc; ces éléments, parmi lesquels figurent des matières azotées, des phosphates, des sulfates , des alcalis, ete., sont extraits de l'exploitation pour être livrés dans le commerce, de là une perte constante aux dé- pens du sol. En présence de ces faits, en ayant égard surtout au peu de fécondité que possèdent les landes, il serait peu logique de con- seiller la culture du colza en Ardenne, à moins cependant qu'on ne trouve un moyen de restituer au sol les matériaux qu'il enlève annuellement. Ce moyen, nous croyons l'avoir découvert. La nature ne s’est pas montrée ingrate en favorisant la pro- duction de cette plante lucrative; il nous tarde donc d'arriver à ce sujet, pour indiquer comment l’on parviendra à en tirer un parti avantageux sans nuire aucunement à la fertilité de la terre. Le lin, sous le rapport des produits en engrais et en argent, a beauconp d’analogie avec le colza; il vient assez bien en Ardenne après le seigle qui suit l’écobuage, mais il y est mal cultivé : on fait usage de graines dégénérées, au lieu de se servir de celles qui nous arrivent directement deRiga. Étant toujours semé beaucoup trop clair, les tiges se développent hors mesure en grosseur, et rendent la filasse grossière. La manière d'extraire et de préparer la filasse est des plus surannées. Nous ne pouvons nous étendre ici sur les données qui se rattachent à la préparation du lin, elles nous conduiraient trop loin (1). Cette plante n’est guère cultivée en Ardenne que pour satis- (1) On peut consulter, à ce sujet, les Annales de Roville, par M. De Dombasle , et les ouvrages de MM: Le Docte et Thaër. (124) faire aux besoins des ménages; nous ne voudrions pas non plus en conseiller la culture sur une plus grande échelle. Nous ac- cordons la préférence au colza, qui, tout en exigeant beaucoup moins de travaux et de dépenses, donne encore un produit plus assuré et des revenus plus immédiats. Rien cependant n'empêche la culture du lin, pour autant que les conditions qui seront prescrites pour celle du colza soient observées; seulement, il ne nous paraît pas prudent de lui accor- der une trop large part dans les terrains exploités, à cause de la grande manipulation qu'il exige. La lupuline, comme le trèfle rouge, vient également bien dans les terres de bruyères : peu difficile sur la nature du ter- rain, elle donne un fourrage excellent, soit sec, soit vert. Cette plante est encore peu connue en Ardenne; elle a été essayée, avec succès, à Maissin, dans différentes conditions de culture, et les résultats qu'on y a obtenus permettent d'assurer qu'on peut, sans crainte, la faire entrer dans les assolements. Le sarrasin est aussi, comme la plante précédente, d'une culture facile, peu coûteuse et réussissant dans presque tous les sols; il acquiert un grand développement en Ardenne; mais la fructification des graines est tardive et irrégulière. Comme cette plante se cultive principalement pour Ja graine, et que ses feuilles et ses tiges ne sont guère estimées par le bétail, on ne peut encourager sa propagation comme source d'aliments on de produifs commerciaux; elle n'a de valeur véritable que comme engrais vert. La spergule, peu cultivée en Ardenne, offre beaucoup de res- sources au cultivateur qui a su l’apprécier. Sauf dans les terrains humides et argileux, elle vient généralement bien partout; elle a l'avantage de croître promptement; six semaines ou deux mois, selon les circonstances, suffisent pour qu'elle atteigne son entier développement; elle n’exige que peu de frais de culture. On rencontre beaucoup cette plante dans les sols sablonneux de la Campine, où elle prospère bien et augmente considérable- ment la production du lait de cette contrée. De même, la nature (13) des bruyères ardennaises paraît lui convenir parfaitement; nous en avons encore en ce moment deux hectares, d'une venue re- marquable, dont le produit est destiné à être employé comme engrais vert et comme pâturage. Lors de la mise en culture des landes, la spergule est destinée à jouer un grand rôle dans la production des aliments propres aux bêtes laitières et aux moutons. Les ponunes de terre viennent assez bien après un écobuage, lorsqu'on donne de la chaux et des engrais de ferme au sol. Nous n'avons pas encore eu l'occasion d'essayer ce tubercule dans la bruyère sans autre engrais que celui de basse-cour; nous ue savons pas non plus si des essais ont été faits par d’autres expé- rimentateurs. Dans tous les cas, l’extension à lui donner peut, au début du défrichement, être restreint sans inconvénient. L'on pourra, du reste, sans difficulté, cultiver cette plante avec les engrais admis par la pratique comme étant les plus propres à en assurer le succès. L'orge, l'avoine, le seigle, la vesce, sont des plantes dont la réussite dans les terrains de bruyère, est trop bien établie pour que nous nous y arrêtions. Nous connaissons maintenant Îles plantes principales qui con- viennent le mieux aux terrains de bruyère, et qui doivent nous procurer les plus grands et les plus prompts avantages pendant les cinq ou six premières années du défrichement; mais, pour leur donner une croissance parfaite, il faut des engrais : voyons donc où et comment nous pourrons nous les procurer. Où pourra-t-on se procurer la quantité d'engrais nécessaire pour entreprendre le défrichement, sans avoir recours à ceux que l'on rencontre en Ardenne. Ne pourrait-on pas utiliser des engrais intérieurs délaissés, et, enfin, ne saurait-on en créer par la culture elle-même ? Si l'agriculture belge a fait de grands progrès depuis un demi- siècle, cela ne prouve pas qu'elle soit arrivée à son dernier éche- (126 ) lon, et que les connaissances chimiques et physiologiques ne puissent, encore aujourd'hui, la faire progresser. Certes, si elle a acquis une réputation à l'étranger, réputation bien légitime d'ailleurs, elle ne laisse pas d’être très-arriérée dans certaines branches de l'économie rurale. Parmi ces branches trop négligées par nos praticiens, on peut citer celles qui ont rapport au rôle et à l'action des engrais et du sol sur la vitalité des plantes. Si ces connaissances avaient été plus répandues, les bruyères seraient depuis longtemps ren- dues à la fertilité, parce que depuis longtemps aussi nos prati- ciens auraient démontré les moyens de se procurer les engrais nécessaires pour en entreprendre le défrichement. Après une récolte de seigle et d'avoine qui suit l’essartement des bruyères, le sol se trouve, avons-nous dit, frappé de stéri- lité. D'après plusieurs examens analytiques, il se trouve privé presque entièrement de principes solubles propres à donner la vie à une nouvelle génération; on constate l'absence des matières organiques carbonées et azotées assimilables, ainsi que des sub- stances salines renfermant du soufre, du phosphore, de la soude et de la chaux. On rencontre quelque peu de silice, de potasse et de magnésie; le manganèse et le fer, qui entrent aussi pour une faible part dans l'organisation des plantes, s'y trouvent égale- ment en plus ou moins grande proportion. Comme il est reconnu que la potasse fait partie de la consti- tution des argiles des landes ardennaises ; comme on sait, d'autre part, que cette base se substitue à la soude dans les plantes, il ne sera donc pas nécessaire d'y pourvoir par des engrais (1). A l’aide d’une culture qui favorise la désagrégation, l'alumine, (1) On pourrait , au besoin, employer le sel marin, qui paraît remplacer les alcalis dans la terre végétale; mais je crois devoir rappeler ici que le chlorure de sodium est très-déliquescent, et qu’il attaque l’embryon des graines. Il est donc prudent de ne l’employer qu’en petite dose , de la renou- veler plus souvent après la germination des graines. lorsqu'on aperçoit les feuilles primordiales. On pourrait encore faire usage d’une terre fortement alcaline qui nous (127) la magnésie et la silice ne feront pas défaut , et le sol pourra am- plement suilire à entretenir une belle végétation, pour autant qu'on lui rende, sous forme d'engrais, la majeure partie des plantes qu'il a produites. D'après plusieurs déductions ingénieuses, M. Liebig est arrivé à penser que l'air, considéré sous le rapport du carbone et de l'azote, est suffisant pour entretenir une bonne végétation. Mais cette théorie s’est trouvée combattue par M. Henri Le Docte (4). Ainsi, nous pouvons, comme ci-devant, considérer ces deux élé- ments comme indispensables à la végétation, et veiller à ce que la couche arable en soit constamment fournie d'une dose suffi- sante pour assurer le développement des plantes. Il sera également nécessaire, afin d’avoir toutes les conditions de fertilité réunies, d'ajouter au sol des bruyères des matières contenant du phosphore, du soufre et de la chaux sous une forme d’assimilation convenable, et qui soient d'une préparation telle, que nos cultivateurs puissent se les procurer et les appli- quer sur les terres sans qu'ils aient des connaissances spéciales dans les manipulations chimiques. Quant à la chaux, nous savons déjà où nous la procurer, il n'en sera donc plus parlé ici. Les os, recueillis en Ardenne, et réduits en poudre fine, nous donnent le moyen de procurer le phosphore aux plantes, ainsi qu'une certaine quantité de chaux et de magnésie. On peut aussi relirer de cette même substance animale une quantité appré- ciable d'azote; mais comment y parvenir? D'un côté, les os non incinérés sont d’une dissolution extré- mement lente dans le sol, etletravail nécessaire pour Les broyer est arrive des frontières françaises ; elle se vend à fort bon compte, eton peut s’en procurer à volonté. Cette terre, qui est rougeâlre, m’a paru avoir été sou- mise à l’action du feu. Les renseiynements me manquent pour pouvoir don- ner des détails explicites sur cette malière fertilisante, dont l’action sera éprouvée cette année sur les landes. (1) Bulletin de l’Académie royale des sciences , des lettres et des beaux- arts de Belgique. Bruxelles, 1847, t. XIV, 2° partie, p. 446 à 457. (. 198 ) difiicile. La gélatine obtenue à l’aide d’une décoction est égale- ment une opération frayeuse, et présente des inconvénients dans son application. D'un autre côté, les phosphates des os calei- nés soit à l'air libre, soit en vase clos, sont bien, il est vrai, plus susceptibles d'être absorbés par les spongicles des plantes; mais aussi on perd par là une grande partie la matière animale qui se volatilise. Dans les opérations scientifiques on s'attache peu à l’économie, en agriculture, au contraire, elle doit être le grand mobile des hommes qui s'y livrent; il faut que les engrais aient une action prompte dans le sol, afin de rentrer immédiatement dans les frais qu'ils ont occasionnés; il faut en outre qu'ils soient d'un maniement et d'un transport facile, et obtenus à bon marché. D'après cela, aucune des préparations qui viennent d’être expo- sées ne peut servir utilement à l'amélioration des terres; mais on parviendra à rendre les os profitables en agriculture en procé- dant de {a manière suivante : Calciner en vase clos dans des tubes cylindriques, recueillir les gaz à l'aide de corps condenseurs, tels que l'acide sulfurique, et mieux encore le plâtre ou la poussière d'os acidifiée, après les avoir fait passer préalablement dans l'eau pour les purifier et les dégager des principes goudronneux qui les accompagnent. Traiter les résidus cendreux, afin de rendre leur action plus ma- nifeste sur les plantes, par de l'eau aiguisée d'acide sulfurique. Comme les cendres conservent toujours, après l'opération, de l’eau et une réaction acide, on peut les rendre facilement alca- lines et pulvérulentes en les mêlant avec de la terre très-sèche, qu'on soumet ensuile à l’action du soleil. Outre qu'on trouve une grande abondance d'os enfouis dans les champs, les étangs et les forêts des Ardennes, on peut encore s'en procurer une grande masse, en montant un abattoir pour les che- vaux mis hors de service par vieillesse ou par maladie; cependant, s'il s'agissait d'opérer le défrichement sur une vaste échelle, Azdenne deviendrait insuffisante pour produire cet engrais en antité nécessaire. (41290) Bien qu'ailleurs les os soient plus ou moins recherchés pour l'industrie, il s'en perd néanmoins encore considérablement. La Belgique est grande et peut en fournir à l'Ardenne, vu surtout qu'il y a facilité de transport et de communication. Néanmoins, nous pouvons encore examiner sil n'existe pas une autre source où l'on puisse se procurer le phosphore, si rare dans la constitution des terrains, et cependant si précieux pour les céréales et l’économie animale. Le phosphore ne se rencontre pas seulement dans les os, il se trouve aussi dans les urines humaines. Or, il existe en Belgique une énorme quantité de cet engrais perdu et délaissé. Cette urine, quoique très-fertilisante, reste sans valeur, principalement parce qu'elle ne peut se transporter économiquement au loin dans les campagnes. Ne pourrait-on pas en extraire le phosphore à l’état d’un composé pulvérulent au profit de notre agriculture et de nos landes? Cette question a été résolue affirmativement par M. J. Sten- house:(1); en effet, son procédé consiste à précipiter le phos- phore par de la chaux; le liquide est décanté, le précipité est desséché au soleil. De plus, il a cherché en même temps à con- denser l’'ammoniaque, ce qu'il a obtenu en ajoutant au liquide une petite proportion de charbon de bois pulvérisé qui facilite la précipitation et l'extraction du phosphate de chaux. La méthode qu'indique ce chimiste, et pour laçuelle il donne des détails, a été immédiatement essayée : elle nous a paru réunir plusieurs bonnes conditions; elle est simple et peu dispendieuse, tant pour l'ensemble de l'emplacement que pour les préparations ultérieures. A l’aide de quelques travaux manuels insignifiants et de quelques précipitants de peu de valeur commerciale, on obtiendrait ainsi un engrais très-puissant, qui représenterail pour les stations de la ligne ferrée un capital de plus de cent mille francs par an. Cet engrais extrait des urines contient, sous un petit volume, (1) Journal des travaux de l’Académie de l’industrie française, vol. XVI, p. 97. 9 (130 ) les principaux éléments de fécondité qui manquent généralement à nos terres arables. On y rencontre de l'azote, du phosphore, de la chaux, un peù de magnésie et du charbon de bois. Étant d'un transport facile, il peut être expédié dans toutes les parties de la Belgique et particulièrement en Ardenne, où il est si né- cessaire. En admettant qu'il n’y ait que la voie ferrée seulement, où l’on puisse recueillir le phosphore, nous pensons qu’on trou- verait déjà là, avec les os qu'on se procurerait dans le Luxem- bourg, amplement de quoi pourvoir et satisfaire aux exigences du défrichement. Les résultats que peut apporter une pareille en- treprise sur le rendement de notre territoire agricole nous pa- raissent mériter l'attention sérieuse du Gouvernement, car les avances qu'il faudrait faire pour les atteindre, sont trop insigni- fiantes pour être ajournées. Cette préparation, de même que celle qui est relative aux 05, demande une main quelque peu exercée aux opérations chimi- ques ; elle ne peut done être pratiquée par un grand nombre de nos agriculteurs. Le Gouvernement, par son concours, Jèvera cette difficulté, en créant, dans la partie centrale des Ardennes, trois ou quatre dépôts d'engrais préparés sous la direction d'un ou de deux hommes spéciaux. Tous ces engrais seraient mélangés, séparés ou associés, suivant les besoins de la culture, avant d’être livrés, contre remboursement et au prix coûtant, aux soins des cultivateurs. Le propriétaire, trouvant de cette manière, à la portée de son domaine, des engrais riches, économiques, purs et tout prêts à être confiés à laterre, s'empresserait d'utiliser des matières perdues jusqu'ici pour la production agricole dont elles augmenteraient bientôt la richesse; le Gouvernement rentrerait immédiatement dans les faibles avances qu'il aurait faites, et il aurait puissamment contribué au suceès de la grande œuvre qui nous occupe. La formation de ces dépôts est, à nos yeux, pour le progrès du défrichement, ce que sont les engrais de ferme ou les légu- mineuses pour la prospérité d'une exploitation rurale. Aussi faisons-nous des vœux pour que les premiers sacrifices que s'im- (151) posera le Gouvernement en faveur du Luxembourg soient faits dans celte direction. Pour atteindre réellement tous les bons effets de l’accumula- tion des engrais, il est indispensable de prouver d’abord à tous que le défrichement des landes est, non-seulement possible, mais avantageux, et que les substances mises à la disposition de chacun, par le Gouvernement, sont de véritables engrais. Or, bien que le scepticisme et le préjugé soient difficiles à dé- truire chez l'homme qui en est imbu, il se rendra à l'évidence des faits produits sous ses yeux, par l'expérimentation dont nous parierons ultérieurement. Pour en finir avec les matières phosphatées, nous citerons M. de Jonchay, qui a obtenu rapidement par elles la fertilisa- tion de ses landes. Nous lisons, en effet, dans la Sentinelle des campagnes : « M. de Jonchay essaya les os pour la première fois » il y a neuf ans, dans sa terre de Trancy (lisez Toucy), et s'en » trouva si bien qu'il résolut d'établir chez lui une fabrication » d'engrais (1). » M. Desaive fait observer, à cette occasion, que le lecteur ne doit pas perdre de vue que les bruyères mises en valeur par M. de Jonchay dans le département de l'Allier, sont dans des conditions infiniment plus défavorables que nos plus mauvaises landes de la Campine et de l’Ardenne, et que par- tout le résultat du défrichement présente un bénéfice tel, que les entreprises industrielles en donnent rarement d'aussi élevés par rapport à la mise de fonds. Le plâtre est la substance la plus propre pour procurer le plus économiquement à la terre de bruyère, le soufre, la chaux, et l’'ammoniaque des eaux pluviales. L'effet que produit cet en- grais est très-appréciable sur la croissance des plantes. Mais toutes celles qui font partie de la grande culture ne semblent pas se ressentir également de sa présence; c’est surtout sur les plantes légumineuses que la puissance végétative du plâtre est marquante, extraordinaire même. (1) Desaive, Bruxelles , le 25 novembre 1847 , n° 581. (132 ) Le colza parait aussi profiter de son action. M. Clément (1), d'après des expériences récentes qu’il a faites sur des terrains de bruyère, a trouvé que le plâtre augmentait sensiblement la pro- duction des céréales. Ce résultat est d'autant plus remarquable, quil est contraire à ceux obtenus ailleurs par nos agronomes sur d'autres espèces de terrains. Ne serait-il pas la conséquence de la différence qui existe dans la composition minérale des sols? C'est ce que nous ne pouvons assurer. L'action véritable du sul- fate de chaux n’est pas encore bien connue; nous pensons qu'on peut admettre, en attendant d’autres faits plus positifs, qu'il agit par le soufre et la chaux qu'il contient et qu'il fixe l’ammo- niaque de l'air au profit de la végétation. Quoi qu'il en soit, nous connaissons les plantes sur lesquelles l'action du plâtre est reconnue favorable et infaillible : cela nous suffit. Nous nous demanderons maintenant où l’on pourra s'en procurer en quantité nécessaire pour le défrichement des landes. La constitution du sol belge est peu riche en gisement de plâtre. Aussi n’en a-t-on pas encore découvert jusqu'ici qui puisse être exploité par l'industrie agricole; mais cette substance voyage facilement d’un pays à l’autre. C'est ainsi qu'il nous en arrive de la France, et qu’on en trouve des dépôts à Bruxelles et à Arlon. Notre pays n’est pas cependant sans plâtre; mais, comme nous l'avons déjà dit, tout ce qui a rapport aux engrais y est extrême- ment négligé. A laide de quelques recherches, on trouverait, dans le voisinage de chaque exploitation, des engrais en quantité qui restent perdus pour la production. Ces recherches on ne se donne pas la peine de les faire, on préfère courir au loin et payer le coût de la fabrication et du transport. C'est plus facile! Aïnsi, pour ne citer qu'un exemple qui aït rapport à l’engrais qui nous occupe en ce moment, nous dirons qu'on peut trouver chez M. Del- marmol, à Vedrin, plus de 300 voitures, à quatre colliers, de plâtre qui est là improductif, n'attendant que les agriculteurs (1) Clément, directeur des domaines royaux au château d’Ardenne; cor- respondance particulière. (135) pour être utilisé ;ilen est à peu près de même dans toutes les fa- briques de produits chimiques, où l’on jette des matières plus ou moins impures, mais propres à rendre un service signalé à l'agriculture du pays. Tous les cultivateurs demandent des engrais, le défrichement des landes aussi n'attend que cet élément de prospérité pour rap- porter annuellement plusieurs millions à la société. Comment s'expliquer l'apathie qu'on rencontre ? Nous avons pris plusieurs échantillons de la substance gyp- seuse de Vedrin; ils ont été, sur notre demande, analysés par M. Kupfferschlaeger, qui a trouvé 58,8 p. (0 de matières solubles dans l'eau, à chaud, lesquelles matières se répartissent comme suit : ACITeNSULUTIQUER ER ES ETS 60 RO COUE orme eo Mer CO MEME NC ATEN CE Chlorurersodique PEER EN NN 0 524 SON MON on ST Ter Sans pousser plus loin nos recherches, nous trouvons déjà ici une quantité de plâtre suffisante pour entreprendre le dé- frichement. Néanmoins ne laissons pas ignorer que M. P. Lebrun, de Louvain, est parvenu à fabriquer du plâtre artificiel, en faisant combiner directement du soufre avec de la chaux hydratée à la température ordinaire. Ce moyen, aussi simple qu'économi- que, est appelé à rendre un service éminent à notre agriculture. Aussi renvoyons-nous pour plus de détails à l'article que l’auteur a fait insérer dans la Sentinelle des campagnes (1). La spergule offre déjà, en Ardenne, une grande ressource pour le pâturage des bêtes des espèces bovine et ovine; elle peut en outre, en commun avec le sarrasin, être, employée comme engrais vert. Comme cette sorte d'engrais est appelée à jouer un grand rôle dans le défrichement et que sa véritable action est encore (1) Desaive: Organe des droits et des intérêts de la propriété. Bruxelles, 25 juin 1848, n° 471. (134) méconnue, nous croyons devoir nous y arrêter, afin de pouvoir faire comprendre toute la valeur qu'on doit y attacher. D'après les faits acquis à la science, toute plante se nourrit du sol et de l'atmosphère : du sol, en s'emparant des matières salines solubles et des gaz qui s’y trouvent au contact des spon- gioles; de l'atmosphère, en absorbant le carbone à l’aide de ses organes foliacés. Ainsi, il est évident qu'une plante enfouie sur place comme engrais vert, n'apporte au sol que des prinei- pes qu'elle a enlevés à Pair, c'est-à-dire du carbone; car, pour se constituer, elle tire du sol les matières salines et azotées qu'elle lui restitue lors de son enfouissement. Il ny a donc dans la pratique des engrais verts que le carbone puisé dans l'atmo- sphère qui puisse être considéré comme produit en faveur de la végétation. Cependant à cette cause de fertilité s’en joignent deux autres. En effet, le sol se trouve toujours pourvu de gaz et de substan- ces minérales qui disparaissent insensiblement par l'effet des eaux de pluie et de la chaleur solaire. Il y a donc là une légère perte de sues fertilisants qu'on peut prévenir en emblavaat la terre de plantes destinées à servir d'engrais vert; car celles-ci utilisent, pour se constituer, les matières qui tendaïent à se volatiliser ou à se laisser entraîuer daus les couches inférieures et les tiennent comme en dépôt, jusqu'à ce que la végétation suivante en ait besoin à son tour pour se former. Alors les plantes détentrices des principes nourriciers se décomposent après leur enfouissement dans le sol, et restituent en totalité, à celui-ci, les éléments qu’elles lui avaient enlevés et qui eussent été perdus sans retour en restant libres dans la terre. Pendant que les végétaux enfouis subissent les phénomènes de décomposition, il s'établit dans le sol des courants électriques ; il y à formation de chaleur et production d’une petite quantité d’ammoniaque, aux dépens de Fhydrogène de la matière en dé- composition et de l'azote de l'air ambiant. Cette électricité, cette chaleur, cette ammoniaque, concourent done aussi pour une part à l'accroissement de la végétation. (155) Toutes ces considérations expliquent le mode d'action des plantes enfouies; en somme, on peut considérer celles-ci comme un excellent engrais pour les terres dépourvues d'humus et de matières organiques susceptibles de céder le carbone, l'électri- cité et le calorique que la plante réclame pour se développer avec vigueur. Il nous est arrivé, dans des terres exemptes de substances végétales, mais riches en principes minéraux, d'en augmenter le produit de 5%; par le simple moyen d'une récolte de sarrasin enfouie sur place avant la floraison ; mais l'on ne peut pas pren- dre ce fait comme base, car il est juste de dire aussi que les terrains qui reçoivent communément des engrais de ferme se trouvent peu améliorés par l'enfouissement des récoltes vertes. Voilà ce que nous démontre une pratique de plusieurs années exercée dans différentes natures de sol et sous différentes circon- stances climatériques. Toutefois ce qui vient d'être dit n’est rela- tif qu'à la spergule et au sarrasin. Nous n’entendons nullement parler des plantes qui, comme le trèfle rouge, vont chercher la plupart de leurs principes alimentaires sous la couche arable. Les auteurs et les agronomes s'exagèrent, le plus souvent, l’action nutritive que doivent produire les engrais verts. Ainsi on nous dit qu'une fumure verte équivaut aux trois quarts d'une fumure ordinaire. D'autres prétendent que trois récoltes de sper- gule enfouies enrichissent plus le sol qu'une récolte de seigle ne l'épuise. Ces données peuvent être vraies pour quelques terrains exceptionnels, mais elles ne peuvent servir de règle générale : les agriculteurs qui s'y conformeraient se trouveraient fort souvent désappointés. En résumé, la pratique des engrais verts n’est véritablement utile et avantageuse que là où les matières végétales suscepti- bles de se décomposer promptement font défaut; là où les terres sont trop éloignées de l'exploitation pour pouvoir y transpor- ter économiquement du fumier; et enfin, là où l’on a princi- palement en vue la production de lhumus, de l'acide carboni- que. Envisagés de la sorte, les engrais verts sont d’une action ( 136) puissante sur la végétation. Les cultivateurs peuvent avec con- fance en faire usage lorsque les conditions d’une bonne culture se trouvent remplies. Nulle plante mieux que la spergule ne réunit, pour le défriche- ment, les propriétés que l’on recherche dans les végétaux qui servent d'engrais vert; elle s'approprie au sol des landes selon sa position et ses qualités physiques; elle y pousse avec une grande vigueur et acquiert en peu de temps son entier dévelop- pement. La semence est peu coûteuse; elle contient beaucoup de mucilage et se décompose facilement. Le sarrasin aussi réunit assez bien ces conditions; seulement ses tiges ligneuses réagissent plus ou moins défavorablement sur l'agrégation du sol ; la spergule étant moins coriace, nous sem- ble, sous ce rapport, préférable, surtout pendant les trois ou quatre premières années du défrichement. Ailleurs qu'en Ardenne, la spergule peut être obtenue entre deux céréales d'automne. Dans cette contrée, cela n'est pas possible, attendu que les étés y sont plus courts que dans nos autres provinces et que les semailles doivent être faites plus tôt; mais cet inconvénient n'est pas aussi grave qu'on pourrait le croire: car, sans déroger aux principes de l'agronomie, il est facile de l’intercaler entre les récoltes qui se coupent en juillet, août et septembre et les semailles qui s'effectuent au printemps. C'est donc à l’aide des engrais verts, si faciles à obtenir dans toute culture, que l'on parviendra à remplacer efficacement lhumus et les matières végétales détruites par l'écobuage, ou, en d'autres termes, que l'on produira artificiellement la carbone nécessaire aux plantes. Si l'on a fait attention aux engrais divers que nous venons d'examiner, en trouvera que les uns apportent du soufre et de la chaux, que les autres donnent du phosphore et de la magnésie, et que chacun d'eux procure une certaine quantité d’azote dont le sol se trouve presque entièrement privé après avoir porté deux récoltes sur écobuage. C'est par ces agents producteurs que lon parviendra à rendre aux landes la fertilité perdue , et (137) que l'on obtiendra des pailles pour la formation des engrais et des aliments pour entretenir le bétail; ou, ce qui revient au même, que l'on pourra se procurer les matériaux de fertilité pour entreprendre et mener à bonne fin le défrichement. Maintenant il nous reste à indiquer un autre moyen pour arriver à l'amélioration des landes. Est-il possible d'adopter la culture du colza sans nuire à la fécondité naturelle des terres arables? L'utilité de la culture du colza en Ardenne a été démontrée antérieurement. Nous savons déjà que cette plante y prospère bien et qu'elle offre un moyen de rentrer immédiatement dans les avances qu’on aurait faites pour les améliorations; mais nous avons aussi remarqué qu'elle épuise beaucoup et ne restitue rien à la terre. Il s'ensuit que le propriétaire se trouve dans l’alter- native on de devoir renoncer à la culture de cette plante lucra- tive ou de détériorer ses terrains. En conséquence, peut-on, dans la circonstance présente, adopter provisoirement la culture du colza sur une plus ou moins grande échelle ? D'après ce que nous venons de démontrer, il serait tout à fait déplacé de vouloir, dans un pays de landes où le besoin d'engrais est si grand, cultiver cette plante extrêmement épuisante, si l'on n'avait, par le concours de la plante même, la faculté de restituer au sol les principes qu’elle lui a enlevés. Cherchons à éclaireir ce point délicat. Enlever une récolte d’un champ où elle a erû, c’est lui en- lever toutes les substances fécondantes qui ont servi à sa forma- tion. Restituer au contraire en entier cette récolte à la terre, c'est lui restituer les sucs vitaux qu'elle a perdus. De plus, comme nous avons déjà eu occasion de le voir, on produit ainsi, au profit de la terre et de la nouvelle végétation, de l'électricité et du ea- lorique; on provoque l'absorption de l'azote de l'air, et on re- tient les matières salines et azotées qui auraient disparu peu à peu par l'action des pluies et de la chaleur solaire. Ces dernières substances, solubles au moment où elles sont entrées dans les plantes pour faire partie de leur séve, sont rendues au sol sous (158) une forme organique insoluble, mais dont la décomposition est plus ou moins bien proportionnée aux besoins et au dé- velüppement de la végétation. De sorte que le sol peut ainsi moins facilement perdre de ses qualités, et les plantes ont plus de chances de trouver les aliments qui leur sont propres à mesure qu'elles en ont besoin. On peut done affirmer qu’un sol recevant, sous une forme d'assimilation convenable, la totalité de la récolte qu'il a nourrie, se trouve plus riche, plus engraissé, plus pro- pre enfin à entretenir les céréales qu’au moment où l'ensemen- cement du produit qui a servi d'engrais s’est effectué. Nous savons d'avance que nos agriculteurs se refuseront à croire à la possibilité d'améliorer une terre par un semblable procédé, surtout lorsqu'il s’agit de plantes très-épuisantes. I ne peut cependant en être autrement : il est évident, en effet, que si les terres s’épuisent par la succession répétée des céréales et des plantes oléagineuses, c'est parce qu'on tire du sol tous les matériaux nutritifs pour les livrer au commerce sous forme de graines. I est encore certain que s'il ne se faisait aucune perte de ce genre au détriment du sol, celui-ci acquerrait spontanément une fertilité extraordinaire, puisque la désagrégation fournit tous les ans à la terre une certaine dose de matières assimila- trices. S'il n’en était pas ainsi, comment se ferait-il que depuis un temps immémorial on extraie de la terre les matières pre- mières de sa fécondité sons forme de graine, de lait, de beurre, de chair, d'os, de sang, etc., et que, malgré la déperdition d'en- grais qui se fait dans les fe:mes, elle semble s'améliorer ? Comment aussi expliquerait-on cette fertilité croissante des terres depuis un demi-siècle dans les exploitations du Brabant, où l'on ne fait pas usage d'engrais extérieur, où il n’y a ni prairie irrigable, ni luzernière, ni sainfoinière, ni plantes-racines cul- tivées pour rétablir les pertes annuelles causées par l'exporta- tion? Évidemment ce ne pent être que l'atmosphère et le résultat de la désagrégation progressive des argiles qui puissent les ré- parer et maintenir l'équilibre. (139) Or, si au lieu d'emporter constamment, comme par la méthode actuelle, les matières fécondantes d'une ferme, on les lui avait toujours restituées exactement, il est palpable qu'elle eût acquis aujourd'hui une fertilité bien autrement grande que celle qui existe , et qu’elle serait bien plus apte à produire de riches mots- sons. Par tous ces faits irrécusables, sur lesquels nous avons basé notre opinion, il est facile de comprendre comment nous par- viendrons à réparer l'épuisement du sol qui a porté du colza. Si les principes de la science sont vrais (et l’on ne doit pas en dou- ter), nous pouvons conclure avec toute sécurité qu'un terrain produisant du colza, ne récupère pas seulement sa fécondité primitive; mais qu'il est plus riche, plus propre à nourrir les cé- réales qu'avant l’époque où la semaille a été faite, si on lui rend, sous forme d'engrais, toutes les pailles et tous les principes con- tenus dans les tourteaux provenant de la récolte. Par ce moyen, on n’extrait des terres que l'huile proprement dite qu'on livre au commerce; cette huile est done la seule sub- stance que le cultivateur puisse regretter sous le rapport des exportations ou de l’effritement du sol. Or de quoi se compose- t-elle? Uniquement de principes tous extrêmement secondaires pour la production : on n’y rencontre que de l'oxygène, de l'hy- drogène et du carbone. La nature est suffisamment pourvue des deux premiers élé- ments sans qu'il soit nécessaire de les fournir aux plantes par des engrais. Quant au carbone, il ne fait jamais défaut dans les fe mes bien exploitées; d’ailleurs, durant la croissance du colza, les pailles et les feuilles puisent dans l'air, au profit du sol, une quantité de carbone bien plus considérable que celle qui est enlevée par les huiles. De là on peut déduire que la propagation du colza est une source de prospérité, une véritable conquête pour notre agri- culture; le cultivateur ardennais aurait donc doublement tort d'hésiter à y avoir recours pour améliorer en même temps ses champs, ses landes et, par conséquent, sa position. ( 140 ) Disons maintenant un mot sur la vertu des pailles et des mares de colza comme engrais. La paille de colza a déjà été employée comme engrais en Bra- bant. Le peu d'avantages qu'elle donne l’a fait abandonner. Nous l'avons aussi employée, sans plus de succès, dans notre culture; cependant cette cause de non-réussite n’est due qu'à sa mauvaise préparation et à son application défectueuse sur le sol. Cette paille est coriace et se décompose lentement; donc si l'on veut qu'elle ne réagisse pas défavorablement sur l'agrégation du sol, et qu'elle produise un effet instantané sur la végétation, il faut détruire sa cohésion par l’un ou l’autre des moyens que nous avons déjà indiqués. Cette précaution est surtout nécessaire à prendre pour les terrains des Ardennes. Tous les végétaux en général contiennent plus ou moins de sucs convenables à l'alimentation des plantes, pourvu qu'ils soient appropriés à Ja nature du sol et réduits à un état de décompo- sition proportionné au développement des plantes qu'on désire cultiver. La tige de colza doit donc être considérée comme un engrais, quoique moins riche et moins efficace que la paille des céréales, aussi cffrite-t-elle moins le sol que celle-ci. Quant aux tourteaux, ils ont une grande puissance végétalive, que tout agriculteur qui en a fait usage se plaît à leur reconnaître. C'est particulièrement dans les Flandres qu'on en peut apprécier la valeur, aussi y sont-ils toujours recherchés, malgré le prix élevé qu'ils atteignent quelquefois. Si done les tourteaux de colza produisent de beaux résultats sur des terres déjà fertiles, combien l'effet doit-il être plus ma- nifeste encore, sur les landes qui ne réclament que des engrais pour produire. Puisque les Flamands trouvent un avantage réel à se servir constamment de cet engrais pour entretenir et amé- liorer leur culture, à plus forte raison les Ardennais devront-ils suivre ce système pour l’entreprise du défrichement. Un propriétaire nouvellement installé en Ardenne n'a pas perdu de vue le mode d'amélioration pratiqué dans son pays. RS LU Re, EP TT mu MAT EE DH EPRIUE SE ent D US PT Te Pr SR TS ( 141 ) L'application des mares dans les champs cultivés lui donne des produits remarquables. Cest à l’aide de ce procédé qu'il a obtenu l'année dernière des céréales de la plus belle venue sur des ter- rains de bruyère complétement épuisés. Avant de faire l'application des mares de colza au sol, beau- coup de nos praticiens ont reconnu qu'il était préférable de leur faire subir une certaine macération. Cette pratique a pour effet d'en activer l'action fertilisante; mais elle n’est pas à l'abri de la critique. Pendant la fermentation que subissent les tourteaux, les sels volatils se dégagent; de plus, les frais causés par le transport et l'application difficile de cet engrais en bouillie, sont assez élevés. Outre que cette méthode ne peut guère être pratiquée dans une grande culture, elle est encore de nature à faire essuyer une perte considérable, comme nous allons le voir bientôt. Il y a certainement plus d'économie en appliquant directement les marcs de colza sur les terres. De nouvelles expériences, faites récemment dans le Hainaut et dans les Flandres, ont prouvé que cet engrais en poudre peut agir instantanément, lorsqu'on prend la précaution d’en faire usage 8 ou 10 jours avant les semailles, et de diviser ou de détruire, à l’aide d’une herse, la mince croûte blanchâtre qui apparaît sur la surface du sol 6 ou 7 jours après son application. Cette méthode peut très-bien être imitée en Ardenne, la pre- mière et peut-être bien la seconde année d'un défrichement; mais nous ne saurions plus admettre ce système aussitôt qu'il y au- rait possibilité de nourrir quelques têtes de bétail. Alors il serait préférable de faire servir d’abord les tourteaux comme nour- rilure avant de les confier au sol. Il est bien reconnu que l'huile ne constitue aucun engrais et qu'elle reste sans effet sur la végétation, par conséquent celle qu'on n'a pu extraire des tourteaux pour être livrée au commerce, et qui se trouve jetée avec eux sur le sol, est une valeur perdue sans retour; tandis que si l'on fait passer les tourteaux, si favo- rables à l'engraissement du bétail, par le canal digestif des (142 ) animaux, ceux-ci s'en assimilent l'huile pour la convertir en graisse. Tous les autres éléments qui se trouvaient primitivement dans les tourteaux, sauf quelques-uns peu importants, qui s’ex- halent durant l'acte de la respiration et de la transpiration, se retrouvent dans les matières stercorales, lorsqu'elles provien- nent des animaux adultes. Donc, sans occasionner ni frais de transport ni perte d'engrais, on peut, mieux que par tout autre procédé, retirer des tourteaux employés comme nourriture un produit élevé et un bon fumier d’une action immédiate. Encore une fois, nous arrivons à conclure avec fondemert, par tout ce qui précède, que la culture du colza exige peu de dé- pense, améliore le sol, procure un aliment excellent pour le bé- tail et donne de grands bénéfices. Voilà donc une des questions les plus ardues de l’agronomie résolue victorieusement : produire beaucoup, même par des plantes épuisantes, et améliorer en même temps son champ. Le caractère, l'existence et les moyens de créer des engrais organiques et minéraux manquants au sol des bruyères, ayant été démontrés, nous passerons maintenant à quelques autres considérations sur les assolements. Quels sont les principes et les observations relatives à la culture des bruyères, ou, en d'autres termes, quelles règles faut-il encore observer pendant les premières années de la mise en culture des landes ? D'après tout ce qui a été dit pour cette zone et les précé- dentes, relativement aux principes qui doivent servir de base à tout bon administrateur agricole, il nous restera fort peu de chose à dire sur les assolements. Retirer de la terre les plus grands produits et avec le moins de frais possible sans porter atteinte à sa fertilité, soit par lépui- sement soit par l'invasion des plantes nuisibles, est le résumé du grand problème des assolements, pour la solution duquel il faut introduire les améliorations et observer les règles suivantes : ion Se ic SOS EE FN EE d'OS Tor ES Si TR ee I EE =) He ( 145 ) 1° Écobuer au lieu d’enterrer la bruyère et l'humus au moyen de la charrue ; 2° Appliquer tous les ans ou tous les deux ans une petite dose de calcaire sur les terrains, afin de fournir aux plantes l'élément qu'elles réclament; de modifier tout principe astringent et d'aider à la désagrégation des argiles; 3° Observer ce même principe pour tous les engrais en pro- portionnant le dosage et la décomposition, suivant l'effritement du sol, suivant la consistance qu'il acquiert et suivant la nature des plantes qu'on y cultive; 4° Rendre artificiellement le sol plus compacte en le raffermis- sant à l’aide du cylindre, ou mieux encore, au moyen du parcage ; 5° Cultiver les plantes qui ne redoutent point le sol meuble des bruyères, et dont la pratique a confirmé la réussite. N'oublions pas que le sol des bruyères n'acquiert dela consis- tance : a, qu'après la destruction complète des végétaux et de lhumus; D, qu'après la décomposition des fibres -radicellaires qui se ramifient en tous sens dans l'intérieur de la couche arable; €, qu'après la réduction plus ou moins grande du schiste qui fait l'office mécanique du quartz sur la division du sol, ré- duction qui peut être accélérée par quelques cultures réitérées et l’exposition à l'air des diverses parties du sol arable. Quantaux mauvaises herbes, on n’a nullement à s’en inquiéter dans le principe du défrichement, puisque après l’'écobuage, les terres restent très-propres; on peut même, dans les assolements, introduire des plantes qui ne nettoient point le sol, ce qui, par tout ailleurs que dans les landes, serait très-blâmable. Du reste, tous les cultivateurs savent très-bien qu'une culture temporaire : de cinq ou six années, telle que nous la proposons, est sans incon- vénient pour la propagation des plantes nuisibles. Ce n’est qu’a- près cette époque que les mauvaises herbes seront à craindre; mais on peul toujours en prévenir l'envahissement par un nou- veau mode de culture approprié à l'abondance des fourrages et des engrais, à la richesse du sol et aux besoins qu'éprouve l'en- semble de l'économie. _ ( 144) Divers systèmes ont déjà été proposés pour être appliqués directement aux landes : on a voulu introduire en Ardenne des procédés de culture pratiqués ailleurs avec avantage, dans l'es- poir d'en obtenir un suecès égal à celui qu'ils procurent dans les localités où on les a empruntés; mais dans la plupart de ces pro- cédés, on a aussitôt reconnu un vice d'application locale qui a démontré le défaut de connaissance des entrepreneurs. En effet, on à observé chez les uns que les principes théoriques ou prati- ques étaient trop absolus; chez les autres, que l'étude du sol et du climat avait été négligée. Ï y a sans doute plusieurs moyens d'arriver à la fertilisation des bruyères; mais pour en tirer avantageusement parti, il est indispensable que le cultivateur se renferme dans les bornes tra- cées par l'art, la prudence, les ressources et les conditions loca- les; il faut, en outre, qu'il marche dans l'exécution de ses travaux avec précaution, mais d'un pas ferme, sans s'écarter en rien des principes dictés par la science et sanctionnés par la saine pratique. Comment se procurer du fourrage pour le bétail, et des en- grais pour les terres? Voilà la question qui a le plus inquiété les agriculteurs, et le plus éloigné les propriétaires des landes ar- dennaises; et cependant elle n'a encore fait que peu ou point du tout l'objet des recherches de nos agronomes, qui ont écrit sur les landes luxembourgcoises. Tout ce qu'on a fait, c'est de dé- montrer qu'on peut réaliser de grands bénéfices et obtenir des aliments et des engrais de ferme, après trois années de cal- ture, en supposant toutefois qu'on puisse faire, dès la première année, des achats de paille et de fourrage et créer des prairies naturelles. En partant de cette supposition, la marche du défrichement était des plus simples : les défricheurs n'avaient aucunement à s'inquiéter de leur installation; mais malheureusement on ne sait encore, aujourd'hui, où se procurer les matériaux néces- saires à alimenter et à liter le bétail!.. Où trouver les terrains qui peuvent former immédiatement des prairies naturelles irri- gables!.. Cette dernière difficulté peut être levée dans queiques (145 ) fermes privilégiées et à petites surfaces; elle n’est qu'insurmon- table lorsqu'il s'agit de mettre un vaste territoire en culture. Tous ceux qui ont le désir de s'établir au milieu des landes font naturellement les réflexions suivantes, devant lesquelles ils reculent découragés. Pour cultiver, se disent-ils, il faut des animaux domestiques, pour tenir du bétail il faut des pailles et de la nourriture, pour avoir celles-ci il faut des engrais. Or, comme il n’y a ni paille, ni nourriture, ni engrais à acheter en Ardenne, comment donc entreprendre de défricher la bruyère ? Cette question que nous considérons comme une des plus im- portantes du défrichement, est restée jusqu'ici sans solution; il importe done de la résoudre en entier avant que l'on puisse songer à rompre les bruyères. D'après ies considérations précédentes, les difficultés qui en- iourent ee problème se trouvent presque entièrement anéanties. Nous avons des engrais, il ne sufira plus que de bien les appli- quer au sol pour obtenir des aliments et @es pailles. Une fois parvenus au post de pouvoir confectionner des engrais dans l'économie et de restituer au sol ce qu'il a perdu, tout sera dit : la question sera résolue. Donnons d'abord un aperçu des systèmes de culiure adopiés en Ardenne : 1re année. — Seigle sur écobuage; Me je Avoine ; sue — Genèt pendant 2, 5, 4 ou 5 ans; ame — Bruyère pendant 15 ans. ou bien : 1re année. — Seïigle sur écobuage; ame — Bruyère pendant 25 ou 50 ans. ou bien encore : 1re année. — Seigle sur écobuage ; 2me — Genêt pendant 5, 4 ou 5 ans; me — Bruyère pendant 15, 25, 50 ou 55 ans. La première année de la mise en culture des bruyères on 10 (146) peut, comme dans les assolements précédents, faire suivre l’éco- buage d’un seigle, ou d’un seigle avec une partie d'orge, ou mieux encore d'un seigle avec une partie d'avoine, et une autre partie d'un mélange d'avoine et de vesces comme fourrage. Pour faire la rentrée du seigle et préparer les terres à recevoir des engrais verts et les semailles du printemps immédiatement après la récolte, il est indispensable d’avoir des chevaux pour cette époque, et, par conséquent, de la nourriture pour les sus- tenter. De là l'urgence de cultiver de lavoine et des fourrages au printemps sur écobuage, urgence qui serait d'autant plus manifeste, qu'on voudrait entreprendre, la même année, les ter- rains impropres à être essartés. Le seigle, l'avoine et l'orge, quoique venant très-bien dans des terrains écobués, sont d’un plus grand produit lorsqu'on y applique de la chaux. La seconde et la troisième année, au lieu d'épuiser compléte- ment le sol en emblavant la terre d’une avoine sans engrais, il est préférable d'y placer d’autres plantes, telles que le sainfoin, le trèfle incarnat, le trèfle blane, la lupuline, ete., lesquelles tout en améliorant, ou tout au moins en n'effritant pas la terre, procurent la nourriture verte et sèche nécessaire à l'exploitation. Le sainfoin ne peut se semer dans les céréales, ni en automne, pi au printemps, attendu que les sols écobués étant en ados, ont une surface impropre à la fauchaison de cette plante; la même observation doit être faite pour le trèfle rouge et la lupuline, qu'on destine à servir de nourriture. Après l'enlèvement de l'une ou de l'autre céréale crue sur l'éco- buage, il est nécessaire d’égaliser le terrain, de chauler, de plä- irer et d'y appliquer des matières phosphatées et ammoniacales, avant de lui confier du sainfoin. Il ne serait guère possible d’o- pérer cette semaille la seconde année, mais le printemps suivant on peut exécuter cette opération, et, afin d'activer la vigueur de cette légumineuse, on pourrait la faire précéder d'une récolte verte enfouie. La sainfoinière doit prendre une large part dans la culture: (147) c'est elle qui doit remplacer les prairies naturelles et fournir, à dater de la quatrième année du défrichement, la quantité de foin nécessaire au domaine, sans que l’on ait besoin de remplacer ce fourrage par des pailles, à moins toutefois que lon ne juge à propos de suppléer à ce foin par le trèfle rouge. Le trèfle incarnat ne pouvant être emblavé dans des céréales, doit être semé seul au printemps dans les mêmes conditions que le sainfoin , pour être récolté quelques mois plus tard. Cette plante sera cultivée jusqu'à ce que le sainfoin soit assez productif pour pourvoir à la nourriture d'été. Le trèfle blanc et la lupuline devant être destinés au pâturage des animaux de toute espèce, la surface consacrée à leur culture devra être proportionnée à celle qu'on aura donnée aux autres fourrages, ainsi qu’à l'espèce et à la quantité d'animaux qu'on désirera élever ou engraisser; mais, en tout cas, ces plantes ne peuvent revenir dans le même terrain qu'après une période de trois ou quatre ans. Comme ces fourrages sont destinés à être broutés par le bétail, l'obstacle du plan irrégulier des terrains n'existant plus, ils peuvent sans inconvénient être ensemencés dans les céréales ou de printemps ou d'automne indistinctement avec une nouvelle addition au sol d'engrais minéraux. Nous croyons devoir faire observer ici que l'on ne doit pas épargner la graine du trèfle blanc, surtout sur un écobuage, afin de l'avoir assez dru. En Ardenne comme ailleurs, il est gé- néralement semé trop clair, et, à cause de ces petites vues par- cimonieuses, on s'expose à compromettre en partie le produit d’une récolte. Les vesces, comme le trèfle incarnat, peuvent se semer dans les mêmes conditions que les légumineuses précédentes, et se ré- colter la même année. Cette plante à l’état sec doit pourvoir à l'existence des animaux pendant la saison où ils ne reçoivent plus d'aliments verts, jusqu'à l’époque où le sainfoin pourra le remplacer. C'est assez dire qu'elle demande d’être fauchée vers sa maturité, et que l'espace de terrain destiné à cette produc- tion doit être relatif au nombre d'individus à nourrir, ( 148 ) Le trèfle incarnat séché étant un mauvais aliment, quoique le seul qu’on puisse obtenir avant dix-huit mois, à cause de l'impos- sibilité de récolter la lupuline et le trèfle rouge semés dans les céréales, on ferait bien de le remplacer en augmentant propor- tionnellement le terrain écobué, afin de pouvoir y semer un mé- lange d'avoine et de vesces (appelé vulgairement mélonde, melkin). Cest l'unique moyen que nous ayons pour bien remplacer, pendant les deux premières années, le trèfle rouge et le sainfoin, qui, plus tard, formeront presque exclusivement la nourriture de tous les animaux domestiques. Il serait peut-être possible d'écobuer Les terrains de manière à leur conserver une surface unie, ce qui permettrait d'obtenir, dans les graminées, du trèfle rouge et de la lupuline pour sup- pléer aux autres fourrages. De même, on pourrait obtenir ces deux légumineuses semées seules dans des sols essartés à surface horizontale; mais alors le préjudice qu’elles causeraient serait plus grand pour l'exploitant que les avantages qu'il en retirerait. Du reste, cette méthode d'écobuer sans ados n'étant pas assurée par l'expérience, pour- rait compromettre la réussite des récoltes, et, dans cette hy- pothèse, nous ne pouvons la conseiller. On doit done nécessai- rement avoir recours à la culture de la vesce semée seule ou préférablement mélangée avec de l’avoine. Le colza, après une céréale, peut être cultivé au mois de mai de la troisième année sur des engrais verts et pulvérulents. A part les légumineuses , plus le sol contiendra de cette plante, plus les produits seront élevés et immédiats, et plus on aura à donner à la terre, l'année suivante, d'engrais organiques substantiels. Ce principe ne doit cependant pas être poussé à l’absolutisme; il faut qu'il soit proportionné aux exigences de l'exploitation, sans pouvoir froisser d'autres intérêts. L’étendue du domaine affecté à cette production doit être en rapport avec les autres branches de l'économie. C'est ainsi que plus les animaux à nourrir au logis seront nombreux, plus les plantes fourragères devront abonder et moins le colza devra ( 149 ) occuper de surface. Toute l'exploitation doit être organisée et dirigée de manière à produire les matériaux nécessaires et non à donner des résultats extraordinaires. C'est surtout en suivant cette sage maxime que l’entreprise des landes peut être couron- née de succès. Nous avons dit qu'au lieu d'épuiser complétement le sol par une avoine succédant à un seigle, il était préférable de la rem- placer par d’autres plantes moins détériorantes; cependant il convient de ne pas exelure complétement cette céréale de la eul- ture, vu le besoin qu'on en aura pour nourrir les chevaux. Par conséquent, une certaine étendue de terrain proportionnée à la quantité de bêtes à entretenir, devra parer à cette nécessité. A cet effet, une récolte verte qu'on enfouira avant l’ensemencement de l'avoine, sera accompagnée des autres principes fécondants pour prévenir l’effritement du sol. La présence de quelques bêtes de travail n’est nécessaire à l’ex- ploitation que vers le milieu de la seconde année, mais le nombre doit en être augmenté l’année suivante. On peut aisément se dis- penser de tenir d'autres animaux et un personnel avant le prin- temps de la troisième année du défrichement, époque à laquelle on pourra disposer des pâturages et où les travaux agricoles au- ront pris de l'extension. N'ayant done ni ménage, ni basse-cour avant cette époque, on pourrait se dispenser de cultiver la pomme de terre la première et la seconde année, d'autant plus que le jardin en procurerait assez pour les besoins du moment. Ce ne serait qu'à la troisième année que l’économie réclamerait ce tubercule. L'on pourrait à cet effet en planter de deux variétés, l’une précoce, l’autre tar- dive, après une céréale d'été ou d'hiver, sur un terrain graissé avec des matières minérales ou avec une récolte verte enfouie. La surface consacrée à cette production devrait être en rapport avec les besoins de la consommation, à moins que l'on ne jugeât plus convenable de s’approvisionner au dehors, ce qui, au com- mencement du défrichement, ne serait pas très-facile; car tous les entrepreneurs se trouvant dans le même cas, C'est-à-dire dans ( 150 ) la nécessité de faire des acquisitions, il en résulterait infaillible- ment une pénurie de produits. Il est donc plus prudent que cha- cun pourvoie à ses besoins par la culture de toutes les denrées qui lui sont indispensables, Toutes ces considérations résument le début du défrichement et lèvent les difficultés qui semblaient l'entourer. Ainsi, à l'aide d'un simple écobuage et d’un peu de chaux, nous obtenons, la seconde année, quelques fourrages et une grande quantité de paille de seigle, d'orge et d'avoine. La troi- sième année ,au moyen de nos engrais, nous créons, en amélio- rant le sol, des aliments de toute espèce pour l'entretien des animaux domestiques. Les engrais formés dans la ferme peu- vent, la quatrième année, être employés sur le sol en proportion du degré d’effritement causé par les récoltes. Le domaine étant appelé dès à présent à produire spontanément une grande masse d'engrais, sa fécondité doit en surgir infailliblement. La quatrième année, les difficultés sont aplanies, et nous croyons inutile de nous y arrêter. Avec la culture amélicrante du colza, avec les engrais verts et minéraux dont nous pouvons disposer, avec des sainfoinières en rapport, avec des pailles et des fourrages récoltés et des terres peu épuisées, on va loin! Une fois ces conditions remplies, une fois arrivé au point d’être en possession de ces agents fertilisants, il est très-facile à tout praticien de poursuivre un système de défrichement en rapport avec ses propres ressources et ses besoins. Ce procédé de défrichement au moyen de lécobuage est ex- trèmement avantageux aux défricheurs ; il leur donne toute lati- tude pour la construction des établissements ruraux (1); il faci- (1) Les coprs de ferme en Ardenne sont aussi dispendieux qu'incommodes; comme nous n'avons pas encore de fermes bien montées en Belgique, sous le rapport de l’économie et de la grande commodité, qui puissent servir de modèle, nous croyons que le moment opportun de mettre celte question d’ar- chitecture en concours , sera arrivé lorsqu'il s'agira de créer de nouvelies ex- ploitations en Ardenne. Nous ne faions aucun doute que deux plans de ferme avec devis et explications applicables à la localité, ne soient grandement utiles aux entrepreneurs de défrichement. (151) lite l'installation, les travaux agricoles, la production des pailles et des divers aliments. Le plan de culture que nous venons de parcourir, permet d'éclaireir de plusieurs manières la question la plus abstraite de l'entreprise des bruyères. On a pu voir qu'avec le petit nombre de plantes convenables aux terrains des landes, et la petite quan- tité d'engrais dont on peut disposer dans le principe, il est pos- sible de diversifier les systèmes et de se livrer indiiféremment aux diverses branches de l’industrie végétale ou animale. Cette marehe se simplifiera de plus en plus, à mesure que le sol s'améliorera et permettra la culture des plantes-racines. Voilà pour les terrains propres à être écobués.…. Nous avons prouvé précédemment l'utilité pratique de l'es- sartage; cependant cette application n’est pas possible sur toutes les landes. En effet, la 25° ou la 50° partie des bruyères étant soumises tous les ans au partage des communes pour être éco- buées, il s'ensuit que toutes les surfaces ne contiennent pas des bruyères et de l'humus en excès, que l’on trouve des terrains de tout âge, depuis un jusqu'à 25 ou 30 ans, tandis qu'ils ne peu- vent être livrés fructueusement à la combustion que lorsqu'ils sont âgés de 15 à 18 ans. On comprend done que les landes n'ayant point atteint cet âge, doivent subir un autre procédé de culture, c'est-à-dire qu'elles ne peuvent plus jamais être soumises à l'écobuage. Quoique les considérations que nous venons d'émettre nous pa- raissent déjà suflisantes pour résoudre la question que nous avons entreprise, nous croyons néanmoins utile, pour faciliter davan- tage la marche du défrichement, de présenter encore, avant d’a- bandonner ce sujet, quelques observations relatives à cette partie de terrains impropres à recevoir les produits fertilisants de l'es- sariage. Les terrains de l'âge de 1 à 15 ou 18 ans n'offrent pas tous les mêmes caractères de fertilité : on en rencontre qui sont plus ou moins chargés de bruyères, d'autres qui en sont à peu près dépourvus, de sorte qu’il est nécessaire de les classer. (152) On peut les diviser en deux parties essentiellement distinetes. La première, qui comprend toutes les landes n'ayant pas été écobuées, depuis 1 jusqu'à 6, 7 ou 8 ans, ou ce qui revient au même, tous les terrains exempts d'un excès de matières orga- niques pouvant être enterrées à la charrue sans inconvénient pour la culture. La seconde partie, qui embrasse celles d'un âge au-dessus de 6, 7 ou 8 ans et au-dessous de 15 à {8 ans, c'est-à- dire les terrains chargés de bruyères ou d’autres plantes d’un développement trop avancé pour être enfouies par un labour et trop peu pour nécessiter un écobuage. Il existe un moyen efficace pour détruire les plantes de cette dernière catégorie de landes. Il suffit d'y mettre le feu à l’une des extrémités du champ par un temps sec, comme nous l'avons vu pratiquer dans les vastes plaines de Freux. En une heure de temps, tous les végétaux ne forment plus qu'un cendrier fertili- sant (1). Après cette opération, on peut labourer sans plus avoir à redouter une trop grande abondance de matières végétales, attendu que celles qui se trouvaient dans la partie supérieure de la couche végétale ont été, peu de temps auparavant, enlevées par l'action de l'écobuage. Ceci observé, on peut réunir toutes les bruyères d’un âge au- dessous de 15 à 18 ans pour les soumettre au même système de culture, en faisant seulement attention que les landes sont d'autant meilleures qu'elles approchent davantage de 18 ans, terme extrême que nous avons cru devoir fixer pour ces deux ca- tégories de terrains. Le point de la question du défrichement qui nous a le plus in- quiété, fut de savoir : s’il était possible, sans disposer d'engrais de ferme, de faire produire les landes récemment écobuées et épuisées par une ou deux céréales. Nous nous sommes assuré de ce fait par quelques essais tentés avec des marcs de colza, de la (1) Pour exécuter cette opération, il est urgent de s’entourer de quelques précautions pour arrêter le feu qui se communiquerait indubitablement aux champs voisins, si l’espace qu'il doit parcourir n’était circonscrit par une bande de terre ou par plusieurs sillons tirés à la charrue. ( 1455 ) chaux et des récoltes vertes enterrées; ainsi qu'avec des engrais préparés chimiquement. Les résultats ont répondu affirmati- vement. Nous avons également opéré avec succès à l’aide des mêmes agents sur des parcelles de landes anciennement écobuées, mais desquelles on avait préalablement enlevé la partie supérieure de la terre surchargée de matières et de détritus organiques. Dès lors nous avons été entièrement rassuré et convaineu de la pos- sibilité d'étendre le défrichement sur tous les terrains que nous avons rassemblés dans cette zone. Les deux parties de terrain qui nous occupent en ce moment peuvent être livrées facilement et à volonté à la culture, vu que l'on peut attendre 2, 5, 4 ou 5 années, à partir du défriche- ment de la surface à écobuer, avant de les soumettre à l’action des instruments aratoires, ce qui permet de retirer préalable- ment de l'exploitation les engrais qui leur sont nécessaires. La mise en culture des terres vagues doit, dans tous les cas, commencer par celles qui sont propres à fournir un seigle après l’écobuage; car on ne doit pas perdre de vue que l'exploitation des terres qui ne peuvent en produire, exigerait immédiatement des travaux agricoles considérables : une basse-cour, un ménage, et partant des pailles, des aliments et des bâtiments que l’on ne pourrait se procurer alors facilement. La conversion des terres non susceptibles d’être écobuées ne doit donc être tentée qu'après deux ou plusieurs années; néan- moins, comme la nourriture doit être le moteur de toute entre- prise de ce genre, comme, d’une autre part, nous avons vu qu'il n'était guère possible d'obtenir des sainfoinières en rapport, qu'après la quatrième année de culture, nous pensons qu'il serait prudent et utile d'emblaver une petite partie de ces terres, la pre- mière ou la seconde année du défrichement, en sainfoin, sur des engrais verts et des engrais pulvérulents; on aurait de cette ma- nière une plus grande abondance de foin, qui faciliterait singu- lièrement la culture et avancerait la propagation des animaux domestiques d'un ou de deux ans. Il est à remarquer que la ra- (154) pidité de la marche du défrichement sera en rapport avec le nombre des chevaux qu'on pourra tenir, et que celui-ci sera pro- portionné à la quantité de nourriture dont on pourra disposer. Ce qui revient à dire, par induction, que : créer des aliments, c'est gagner du temps. Pour former les sainfoinières dont nous venons de parler, il est indispensable d’avoir, dès le principe, quelques chevaux (4) pour exécuter les labours et les semailles. La quantité d'avoine et de foin étant très-minime, on pourrait se procurer cette nour- riture dans la localité même. Les considérations qui devront guider le propriétaire pour mettre plus où moins vite en culture la surface restante , sont, comme nous l'avons déjà dit, la quantité de nourriture et les bâtiments nécessaires aux bêtes de travail. Une fois ces deux choses crées, 1l sera facultatif d'attendre la formation des engrais de ferme ou d'employer aussitôt les engrais verts et artificiels, pour semer les céréales, les légumineuses, etc., après avoir rendu la surface plane et régulière. Ceci exposé, nous ne croyons pas nécessaire d'entrer dans de plus amples détails sur la mise en culture des bruyères; nous ne ferions qu'étendre notre travail sans utilité dans des proportions démesurées. Nous disons sans utilité parce que tout cultivateur est à même, en ne s'écartant pas trop des principes décrits, de faire cette entreprise avec succès, au moyen des plantes et des matériaux dont nous pouvons disposer. Cependant, qu'on ne se fasse pas illusion, des difficultés surgiront dans l’œuvre du dé- frichement à mesure qu'on avancera; il en naîtra d’autres sans qu'on puisse les prévoir, mais non les surmonter. Néanmoins, il nous est permis de nous rassurer sur l'avenir; les plus graves inconvénients qui ont jusqu'ici arrêté la mise en culture des landes, ont été aplanis. L'industrie et le génie de l’homme sauront maîtriser les autres obstacles qui se présente- (1) Ces chevaux seraient nourris , soit à l'auberge , soit dans une écurie provisoire construite avec des gênels et des ÿazons. (155) ront. Toutefois, la prudence doit toujours présider à l’entreprise des bruyères; il faut se mettre en garde contre la routine et les préjugés, et ne repousser qu'avec une extrême circonspection les renseignements locaux confirmés par une longue expérience; et lorsque celle-ei est en contradiction avec la science, on doit lui donner provisoirement raison, jusqu'à ce que des essais et des observations aïeni fixé l'opinion. Ajoutez à cela du courage, de la constance et du discernement, la nature fera le reste. Tout n’est pas dit pour le défrichement, lorsqu'on a démontré Ja manière de procéder au début, lorsqu'on a fait connaître les moyens d'aplanir les obstacles que redoute le plus le proprié- taire, lorsqu'enfin on a indiqué comment avec des engrais l'on parviendra à rendre la bruyère féconde; il reste encore un point délieat à décider; c'est ce que nous allons faire en répondant à la question suivante : Les engrais ne sont-ils pas d'un prix trop élevé pour être employés à l'amélioration des landes; celles-ci pourraient-elies, au moyen d'une acquisition judicieuse de substances fertilisantes, devenir assez productives pour couvrir les dépenses qu'on devrait y consacrer ; enfin, les entrepreneurs trouver aient-ils un avantage au défrichement ? Nous ne nous dissimulons pas les difficultés de la tâche que nous nous imposons en soumettant la question qui précède à une discussion approfondie. Si nous osons l’entreprendre, c'est que nous avons toujours pensé que de sa solution dépend le succès du défrichement. Cette question résume toutes les autres. Tout le monde est d'accord pour dire qu'avec des engrais les terres incultes peuvent acquérir une haute fertilité; mais le prix des engrais et des travaux de culture dépasse-t-il ou ne dépasse- t-il pas la valeur des produits et de la bonification du sol qui résultent de leur application. C'est ce que personne n'a encore dit ni prouvé jusqu ici. Il nous a donc paru indispensable de jeter un coup d'œil sur les avantages d’une opération qui aurait pour but le défriche- (136) ment méthodique des bruyères pour les livrer à la culture et de faire voir si, en les soumettant à un système d’assolement quel- conque et en leur procurant les engrais qu’elles exigent pour devenir fertiles, on ne s'exposerait pas à des mécomptes. Toutefois, nous croyons utile, avant de poser des chiffres, de faire remarquer combien il serait difficile de préciser avec jus- tesse les dépenses et les produits qu'occasionneraient le défriche- ment et la mise en culture, pendant une période de cinq années, d’une surface donnée des terres incultes. Cette difficulté apparaît surtout dans toute son étendue, quand on considère que, dans les fermes les mieux administrées, il est déjà, pour ainsi dire, im- possible de prévoir, une année d'avance, les frais et les produits auxquels donnent lieu les travaux ordinaires de l'exploitation. Cependant, comme il ne s’agit ici que de prouver les avan- tages d’un défrichement accompli , il nous sera toujours possible d'arriver à une approximation assez exacte, en nous basant sur les essais et les observations pratiques que nous avons eu lieu de faire en Ardenne, ainsi que sur les renseignements que nous avons pu y recueillir. | Nous allons done nous livrer à des calculs; mais comme il nous serait impossible de poser des chiffres sans avoir préala- blement établi des assolements, nous diviserons une exploita- tion fictive de 100 hectares en deux parties égales, l'une pour les terrams susceptibles d'écobuage, l’autre pour ceux qui ont subi cette opération depuis moins de 18 ans, de manière à les soumettre à un mode de culture épuisant pendant 6 années. Les assolements qui vont être tracés doivent être moins con- sidérés comme un modele à suivre que comme une nécessité pour arriver à des déduetions; car ils ne peuvent être mis en pratique sans être modifiés. Il serait impossible d'ailleurs de spécifier un système de culture pour être généralisé, attendu qu'il doit être différent dans chaque localité et changer avec chaque circonstance nouvelle, chaque besoin nouveau. Tout ce que nous pouvons faire à cet égard, c’est d'en donner un aperçu, une idée pour servir de base aux assolements qu'on voudrait établir dans d’autres localités. (157) ‘SUDTUJUCIÉ S917N% SISIOAIP 9p J9 soique sop ‘sunuoyo sep ‘urpaef np ‘sjutw Au S2p quowoovedu ] B SOUIJSSP JUOS SJULISOI S9AL}IOU GF S9] DU BEL | 007 9p onb JUIUOIOSSE [ SUEP ajdur09 nu9} VIDS OU IF (Fr) :SOU409 V [IC19Q NP no suoynouwu s0p o$vanqçd 97 avd ooerd ans ass UT 9 ‘2910994 UZ[09 0j avd symnpoud xnvoitnog sop omaæed aun oo4v 9ss1bIS UT ç ‘Q 7 915106 Al OUVIGOOUL ‘e AUIOAY ‘e y ç 2109) ‘e « AUIOAY 27 UIOJUIUS y c2119)9p'°q *e DULOAY -e OUFOAY ‘e QUI0AY *e y y OI 1 Y & VZ[07) AJUVI CDN ùs UIOFUIES GI © © D G\ GI GI GI GI A ‘SaJUCId "S24AUJ29/T À a à *‘HANNV 29 ‘8 JUVIG O2, ‘eve OULOAY e 7 2506 ‘7 x VZ[09 GA OHUES tas 197109) y & 2419} 9P ‘4 ‘e UZ[0) 22100) 8.7 8400) SOU] OU 65 OO 7 SUN ‘x UOJUIES GI © D D GN GI GI GI GI ‘JUIOAY *vZ[07) ‘s JUVIOIOITE ‘ere ro 0S a UTOFUIRS ‘0 y £ 218106 7 919) 0p 4 *£ 21519$ ‘9 a 1 21008 Ms AMONT es ITOHAL g ç r U210) ‘x UIOJUIBS *SOJUVI < A GI GI GI Y ezc SZ100 ‘ge y & 21510 ‘y & y OUI0AY gr QUOI 1 Ï UIOFUILS ça ITOHAUE ‘;c 2140) 9p'd "a 1 210804 ga p U2107) "a y & QULOAY ‘9 & r 21006 HEAUTOTURES ‘SOJUVIŒ ‘SJIDASTVAS UT *So1ouor "UD UOTATO A2 LLMCENT ‘x 10110) pl ‘8 7 OUIOTOIT ‘a y U2[0) "OULIQ OL ZT UIOFUIUS G ‘SaJuv[d “XNUU9 LI 9P 994b 9SSIPISUT “XNU1O EL 9P 19 2er np ‘ouran,p AIVIIXO,T 0P ‘OJLOLIUOUEUIE 9119} LI 0P ‘S0,P SOIPU99 SP 29AL PSSIPISUT *S}J9A SIPIS UD ANS *S240199H | | 9P S040)904 GIF 2P 2UNMNI UO 9SUU D] ANOË SIUIWIJOSSF *S9H9009 24427 2) "49/29 QC “a6nQ09 -2,P Sajqudoosns DL] 2 ‘4DJ0 QG (158) Ces assolements possèdent, comme on peut le voir, une base améliorante. D'abord, la moitié des terrains qui les composent est consacrée à la production des plantes fourragères; en second lieu, une partie de l'autre moitié est emblavée de colza, qui aug- mente aussi la fécondité du sol; et enfin, les céréales ne se culti- vent que sur de petites surfaces et sont, abstraction faite du seigle, indistinctement consommées dans la ferme, circonstance qui augmente considérablement la production et la puissance des engrais. Il est facile de comprendre, par ce simple exposé, combien sont grandes les modifications que peuvent subir les assolements à introduire en Ardenne; et combien est étendue pour le cultiva- teur la faculté de se livrer à l'industrie de toute espèce de bétail, selon ses moyens et ses connaissances. Le plan de culture que nous venons de tracer est prineipale- ment combiné pour l'engraissement des moutons au pâturage; il est, en outre, arrangé de manière à procurer une grande fertilité au sol, et cela par la masse considérable d'engrais extérieurs qui seront employés pendant le cours de six années que durera l’as- solement. En agissant de la sorte, nous avons voulu décider la grande question du défrichement , qui consiste à savoir si l'on peut faire des avances aux terres incultes, sans risquer de les voir à jamais englouties; si, en un mot, il est possible de considérer les engrais dans le sol ardennais comme un capital réalisable, soit par les productions auxquelles il donne naissance, soit par l'accroisse- ment de valeur du sol. Avant de faire la moindre recherche sur les dépenses que né- cessiterait la mise en culture des landes par l’assolement qui précède, et sur les produits auxquels elle donnerait lieu, il nous paraît indispensable d'entrer dans quelques détails, relativement aux animaux domestiques qu’il conviendra de tenir dans l’exploi- tation, à la nourriture qui devra leur être administrée, au fumier à confectionner et aux engrais divers à employer. On sait déjà que, la première année, le défrichement ne s'opère A LT PASSES PR re (159) que sur la première moitié de l'exploitation, c’est-à-dire sur toutes les terres susceptibles d'écobuage. La semaille s'effectue done sans le concours des chevaux, ce qui permet de retarder de 15 à 16 mois la formation de la basse-cour. La seconde année, 12 chevaux suffront pour exécuter les labours, les hersages et les autres préparations du sol pour les semailles des deux assolements. La troisième année et les suivantes, 15 chevaux seront imdis- pensables pour continuer la culture sur le pied où elle sera pla- cée à cette époque, ainsi que pour faire le transport des engrais. Les bêtes à cornes et les autres animaux qui garnissent ordi- nairement les fermes, ne seront nécessaires que pour les be- soins du ménage. Ainsi, abstraction faite des moutons, 12 à 15 chevaux, 5 ou 4 vaches et 2 ou 3 pores, telle sera, à partir de la seconde année, la composition définitive du nombre de bêtes à nourrir (1). Comme nourriture, les chevaux recevront de l’avoine et du trèfle incarnat à l’état vert jusqu'à ce que les sainfoinières soient en rapport. La quantité d'avoine ensemencée la seconde année est sans doute insuffisante pour alimenter 12 chevaux et 4 vaches pendant toute l'année; on aurait pu l'augmenter, mais nous avons cru utile, pour ne pas amplifier nos calculs, de la maintenir à 8 hectares. On pourrait d’ailleurs y suppléer par la culture momentanée des fourrages mélangés, comme nous l'avons indiqué. Cest ce qu'il y aurait à faire si ce système était adopté. La dépense qui en résultera ne sera pas portée en compte, parce qu'une fois les sain- foinières en plein rapport, elles produiront plus de fourrage qu'il n'en sera consommé, et qu'il y aura alors ample compensation. (1) Les tourteaux de colza produits par l’exploïtation peuvent rendre un grand service à l’économie comme nourriture du bétail et des bêtes ovines, en permettant de tenir un plus grand nombre de ces animaux. Cette source d'aliments agrandirait évidemment les revenus de la basse-cour; nous avons préféré ne pas en tenir compte, afin que s’il existe une erreur dans nos cal- culs , elle soit à l'avantage de l’entreprise, ( 160 ) Les bêtes laitières auront, en été, un hectare de trèfle blane à pâturer et recevront du trèfle incarnat vert à l’étable. En hiver, elles seront entretenues, jusqu'à la production suffisante du sain- foin, c’est-à-dire environ ® ans, avec du foin acheté et des pommes de terre. Les pores seront également nourris avec des pommes de terre, du menu grain, des déchets de légumes, ete. En limitant à 22 ou 35 le nombre de têtes de gros bétail né-: cessaire à l'exploitation pour ses besoins intérieurs et extérieurs, on se met dans l'impossibilité de convertir en engrais, sous forme de litière, toutes les pailles provenant des 50 hectares de terre qui auront été écobués. Aussi avons-nous eu soin d'y sup- pléer par un nombreux troupeau de moutons qui, après avoir pâturé chaque jour, pendant quelques heures, sur le trèfle blanc qui lui est réservé, rentrera à la bergerie pour y devenir une vé- ritable machine à fumier. Il est à remarquer, toutefois, que, par suite du manque de pà- turage, le nombre des moutons ne saurait être bien considéra- ble la seconde année; mais cet inconvénient est moins grave qu'on ne serait tenté de le croire, attendu que si toutes les pailles de la première récolte ne peuvent être utilisées immédiatement comme litière, on pourra avec avantage, en réserver une partie pour fumer la quatrième récolte de l’assolement, et l'on parera ainsi à la disette de paille qui se manifestera nécessairement après la seconde récolte. Ainsi, par l'observation des règles que nous venons de décrire, on arriverait à mettre le domaine en état de se suffire à lui- même, quant à la nourriture des animaux domestiques et quant à la conversion des pailles en engrais. Ce point est essentielle- ment important, car il a toujours été considéré comme la pierre d'achoppement du défrichement. Observations relatives aux engrais. Puisque les tourteaux peuvent, comme nous l'avons vu précé- demment, être obtenus sans frais par la culture du colza, et que ( 161 ) les marcs qui proviennent des graines retournent directement au sol, il ne sera tenu de ce chef aucun compte d'achat ni de vente. Les os réduits en poussière et la terre saturée d'ammoniaque devront s'employer à faible dose par la raison qu'ils seront fré- quemment appliqués au sol. Sans être à même d'évaluer avec précision la quantité nécessaire à chaque hectare de terre, nous croyons pouvoir dire que le prix des os recueillis dans toute l’Ardenne et préparés économiquement par des personnes spé- ciales, ne s'élèvera pas à plus de 12 francs pour le dosage d’un hectare. L'extrait des urines (sels de phosphore, de chaux, de magnésie et d'ammoniaque), recueilli et préparé sous les mêmes condi- tions d'économie, ne saurait, d’après ce qui a déjà été dit, coûter très-cher au consommateur. Nous ne pouvons toutefois que faire des approximations, quant à son prix de revient et à son dosage pour une superficie donnée. En fixant aussi à 12 francs par hec- tare les frais qui seront occasionnés chaque fois qu'on fournira cette substance au sol, nous sommes déjà probablement au-dessus de la réalité; nous les maintiendrons néanmoins à ce taux. Le plâtre transporté en Ardenne coûtera 3 francs les cent kilos, ce qui portera le plâtrage de chaque hectare de terre à 9 francs; il serait cependant possible, comme nous l’avons déjà vu, de se le procurer à un prix inférieur, soit dans nos fabriques de produits chimiques, soit en formant du plâtre artificiel. La chaux prise sur les lieux coûte 6 francs 50 centimes le mètre cube; transportée à une distance de dix lieues, elle revien- drait à 10 francs. Or, en chaulant chaque année toutes les terres de l'exploitation, on peut estimer à un mètre cube et demi la quantité nécessaire par hectare. Ce dosage est insuffisant pour les terres nouvellement défrichées; mais on peut l'augmenter dans le début de l’entreprise et le diminuer dans les mêmes pro- portions après trois années de culture. Cette règle doit égale- ment être observée pour tous les engrais dont il vient d'être parlé, et notamment pour le plâtre, qu'il convient toujours d'ap- pliquer en plus grande quantité sur les plantes légumineuses. 11 ï ( 162 ) La spergule, considérée comme engrais, ne nécessite des dé- | penses que pour l'achat des graines d'ensemencement, lesquelles | s'élèvent seulement à 12 francs par hectare. Ces observations posées, nous pouvons examiner quels sont les frais et les produits qui résulteraient d'un défrichement mé- thodique de 100 hectares de bruyères. Pour faciliter les caleuls, nous ferons d’abord trois tableaux relatifs à la nourriture des chevaux, aux engrais et aux graines d’ensemencement, destinés à établir une moyenne par année pour chacun des objets qui seront mentionnés. Quantité de chevaux à nourrir pendant une période de sixæ années. arc ame sme Ame pme çme MOYENNE | pésienaTION. ANNÉE. | ANNÉE. | ANNÉE. | ANNÉE. | ANNÉE. | ANNÉE. | Par annce.}Ë | Chevaux . . Quantité d'hectares à engraisser pendant une période de six années. DÉSIGNATION are ame 3me 4me pme pe MOYENNE des engrais. ANNÉE. | ANNÉE. | ANNÉE. | ANNÉE. | ANNÉE. | ANNÉE. | Par année. |E 48hect. 160 » ashect.| » 27 hect.| 100 » |100hect.| 100 » 67 49 » 52. » f Engrais vert. » 40 hect.| 50 hect. Ë Chausamene » 100 » |100 » É Plâtre. : . . » 50 » |838 » » | Poussre d'os, terre AMmMO- niacale. . . » 50 » |S8 » ; Ext. d'urine. » 50 » 88 » | Tourteiux . » » » (165) Quantité d'hectares à enseinencer pendant une période de six années: NATURE 2me ame ) MOYENNE des récoltes. ANNÉE. | ANNÉE. par année. |} 1 Sainfoin. . . 12hect. » | Trefle blanc. 10 » 25hect.| 18 hect.| 20 hect. E| Seigle. . . . | 50 hect. 16 » |925 » |18 » H| Avoine . . . » 48 ni | 920» | 21:5 &! Trefleincarn. » 1] Spergule . . [| Colza . . . . Dépenses à effectuer pour la mise en culture de 100 hectares de bruyères, d'après le système d'assolement déjà indiqué, pendant une période de six années. DÉSIGNATION DES DÉPENSES: - SOMMES. Intérêts à 4 0/0, pendant six années, d’une somme de 14,560 francs, consacrée à l'achat de 112 hectares de bruyeres à 150 francs l’hectare {| Intérêts, pendant six ans, d'une somme de 26,300 francs, consacrée à la construction d’une ferme RE | Intéréts, pendant cinq ans, d’une somme de 13,100 francs, consacrée à l'achat de 12 chevaux, 4 vaches , 448 moutons eb2ICOChoNS ARE CHIEN MRC AIO | Intérêts, pendant 5 ans, d’une somme de, 3,500 francs , con- sacrée à l’achat du matériel d'exploitation: (chariots, charrues, herses, ete.) 1. . À RETORTER 4 Abstraction faite du bétail et de ce qui le concerne, les données qui précèdent sont puisées dans l’ouvragé de M. Max. Le Docte, Essaë sur l’unéliorution de l’agriculture, etc., pages 72 et 73. DÉSIGNATION DES DÉPENSES. ReEronT. « . « . . . Achat des engrais nécessavres pendant le cours > de l’assolement. Engrais verts . . . . . pour une année 324 fr., pour six ans. HIGhaux, 1 LE 00 id. 1,500 id. APTE RE EE id. 468 id. M Poussière d'os et terres Î ammoniacales . . . . id. 62% id, Extrait d'urine . , . . id. 624 id. : Achat des graines necessaires pendunt tout Le cours de Ll’assolement. Graines de sainfoin . . pour une année 190 fr., poursix ans. Id. detrefleblanc. id. 126 id. : | Id. deseigle . . . id. 384 id. ô Id-+ d'avoine... id. 318 id. | Id. detrèfleincarn. id. 53 id. ll) Id. de spergule. . id. 4 id. : I Id. decolza. . .. id. 28 id. À Achat d'avoine pour la nourriture des chevaux. A 12 chevaux. 5 kil. d'avoine par jour à chacun, pendant la | moitié de l’année; pour une année 10,950 kil., pour six ans 65,700 kil , à 15 fr. les 100 kil... . . . , . Dépenses accessoires pour l’ensemble du domuine. | Écobuage de 50 hectares de bruyères, à 70 fr. l’un Gages d’un maitre de basse-cour, d’un garcon de ferme, d’un berger et de deux servanies, par an 700 fr., pour six ans. Salaire de cinq ouvriers faisant l'office de domestique à l’é- poque des travaux, par an 1,200 fr., pour cinq ans . . . . Frais de moisson et de battage des récoles, par an 1,100 fr. pour six ans. + eee = + + + + + ! Extraction de l'huile des graines de colza, par an 400 fr., pour six ans Frius de réparations aux instruments aratoires ( maréchal, charron, bourrelier, ete ), par an 800 fr., pour cinq ans . A REPORTER. . . . . + fe SOMMES. fr. co. 13,183 » 1,944 » 9,000 » 2,808 » 3,744 » 8,144 » 1,140 » 156 » 2,504 » 1,908 » 518 » 24 » 168 » 8,041 » 3,900 » 4,200 » 6,000 » 6,600 » 2,460 » 4,000 » DÉSIGNATION DES DÉPENSES. Report. . . .. Frais de jardinage, par an 80 fr., pour 6 ans. . . .. . . . « Frais de ménage, nourriture de cinq sujets attachés à l’ex- Ü ploitation, par an 700 fr., pour cinq ans. . . . || Assurance contre l'incendie, la gréle et la mortalité des bes- tiaux, par an 800 fr., pour six ans Émoluments d’un directeur-gérant, par an 4,000 fr., pour six ans, Contributions foncière et personnelle, journées d'ouvriers employés à l'exploitation, voyages et dépenses imprévues, par an 1,500 fr., pour cinq ans 7,500 TorTAL GÉNÉRAL DES DÉPENSES . . . . 116,562 Produits réalisables par la mise en culture de cent hectares de bruyères, d'après le système d'assolement indiqué plus haut, pendant une période de six années. NATURE DES RECETTES. SOMMES. || Vente de 408 1/2 hectolitres de seigle à 13 fr. l’hect., pour une année fr.5,510 5015 POUR SCANS NV NES NE 31,863 » l Vente de 485 hect. d'avoine à 7 fr. l’hect., pour une année, dl /3,5951f0., pour SiX ans NN NN RATE 20,370 » à! Vente de 83 hect. d'huile provenant des graines de colza récoltées, à 65 fr. l’hect., pour une année 3,395 fr., pour SÉRIANS LA TER A RE Ar OU cie ie LE Léo 32,510 » || Bénéfices à réaliser sur l'engraissement au pâturage de 448 moutons à 5 fr par tête, pour une année 2,240 fr., pour STATS NL AE Aa AS TAN MM EL O0 ROMA LRE 15,440 » |} TOTAL GÉNÉRAL. . 0... . . 98,043 » Total général des dépenses . . . .. fr. 116,562 » Id. des recettes, . . . . . . 98,043 » | DÉRCIT AE 18-510) É 4 On trouvera plus loin des détails explicatifs concernant cet objet. ———— ———— ——— ( 166 ) Observations relatives aux deux tableaux qui précèdent. Il ne sera pas hors de propos de faire observer ici que les légumes, une grande partie des viandes, les pommes de terre, ete., sont produits par l'exploitation, ce qui réduit considérablement les dépenses pour l'entretien du personnel domestique, qui, d'ail- leurs, ne se compose que de cinq personnes, parce que nous croyons plus avantageux de prendre des ouvriers à la journée pour exécuter les travaux de labourage, de semaïlle, ete. Nous avons fait figurer dans le tableau des dépenses une somme annuelle de 1,200 francs destinée à couvrir les frais qu'oceca- sionneront ces travaux. Dans la première année du défrichement, il importe d'éviter, autant que possible, toute espèce de consommation. La popula- Lion étant insufhisante, on pourrait, comme cela se fait dans les établissements industriels, bâtir à proximité de l'exploitation des maisons auxquelles serait attachée une parcelle de terrain desti- née à être transformée en jardin. Ces maisons seraient louées à des familles étrangères qui seraient chargées du service de l’ex- ploitation. Ce système n'est pas nouveau, il est exécuté depuis nombre d'années en France et surtout en Angleterre, où il tend tous les jours à prendre une nouvelle extension. Nous voudrions que l’on en essayât aussi l'application en Belgique, et particulièrement en Ardenne, où tout est à créer, car les avantages qu'il présente sont incalculables. C'est ainsi, par exemple, qu'en fournissant des asiles conve- nables aux familles étrangères, elles seraient à la fois plus dis- posées à s'expatrier et à se dévouer au succès d'une entreprise qui leur procurerait le bien-être qu'elles ne trouvent plus chez elles. D'un autre côté, les propriétaires défricheurs seraient assu- rés de trouver toujours des bras, chaque fois que le besoin s’en ferait sentir, et en faisant une légère retenue sur le salaire des ( 167 ) ouvriers, ils se garantiraient l'intérêt des sommes avancées pour l'établissement de leurs demeures. Voilà, à notre point de vue, comment les Ardennes pourront se peupler; voilà comment il sera possible d'y voir former de nou- veaux centres de population, sans le moindre sacrifice de la part de l'État et des entrepreneurs. Passant maintenant aux taux que nous avons fixés pour le ren- dement eu moyenne des bruvyères défrichées, nous dirons que nous sommes resté dans les limites de la modération : nos chif- fres sont appuyés sur l'expérience des faits et sur les résultats que produisent le plus communément, en Ardenne, les défriche- ments bien exécutés. Nous avons encore consulté à ce sujet les travaux de M. Max. Le Docte (1), et quoique son mode de culture soit infiniment moins riche que le nôtre, sous le rapport des en- grais, quoique nous ayons consacré des sommes considérables à Vâchat de substances fertilisantes, afin de mettre promptement les terrains en valeur, nous avons cru devoir rester en-dessous des chiffres qu'il a posés; nous pouvons donc croire que nos données sont empreintes de quelque exactitude et que s'il existe une erreur, ce ne peut être qu'en faveur du défrichement, les dépenses étant portées à leur maximum d'élévation et les recettes au minimum. En ce qui concerne le colza d'été, le rendement en a été porté à 18 hectolitres par hectare; cette évaluation semblera peut-être exagérée; mais il est à remarquer que cette plante acquiert un développement extraordinaire sur le sol des Ardennes. Les culti- vateurs de cette contrée ne sont guère satisfaits d'une récolte de colza, si elle ne leur rapporte 22 à 25 hectolitres de semence ; nous avons vu des terres produire 39 hectolitres de graine par hectare, et cela après avoir porté antérieurement deux récoltes épuisantes, à partir de celle qui avait reçu une fumure (c'est presque fabuleux). Le rendement de l’huile varie suivant la pression exercée sur (1) Essai sur l’amélioration de l’agriculture, ouvrage déjà cité, p. 96. ( 168 ) les graines; il a été compté, dans notre tableau de recettes, à trente-trois parties d'huile pour cent parties de graines, c'est ce qu'on obtient généralement; mais ce n’est pas ce qu’on pourrait en retirer avec de bons pressoirs. En évaluant à 400 francs par année la dépense que nécessite- rait la séparation de l'huile d'avec la graine produite sur une étendue de 44 hectares de terre, nous avons supposé que l’on dût, comme aujourd'hui, confier cette opération à des mains étrangères. il serait cependant facile de faire de ce chef une éco- nomie notable, en construisant une huilerie agricole par asso- ciation pour desservir 10 ou 15 exploitations. De cette manière, les frais de vente.et d'extraction de l’huile deviendraient presque nuls, et l'on aurait l'immense avantage d’avoir des graines de colza bien exprimées, chose que l’on ne peut guère constater dans les circonstances actuelles. Quoique les calculs auxquels nous venons de nous livrer ne puissent être considérés que comme des approximations, ils ne laissent pas que de prouver à l'évidence qu'on peut tenter sans risque la fertilisation des landes de l’Ardenne; car avec une dé- pense de 18,519 francs on arrive, comme on a pu le voir, à donner à 400 hectares de bruyères une valeur égale à celle de 100 hectares de terres à champs, c’est-à-dire d'environ 80,000 francs, et encore est-il à remarquer qu'en estimant à 800 francs un hectare de bruyère, amélioré et renfermant un grand ca- pital en engrais, nous le comparons, pour le prix, à un hectare de terre à champs entièrement privé de matières fertilisantes. Les cultivateurs ardennais n’estiment leurs terres à champs qu'à cette somme de 800 franes, parce que, dans l’état d’épui- sement où elles se trouvent, ils n’ont jamais pu leur faire pro- duire de riches denrées sans frais considérables. À nos yeux, elles acquerraient immédiatement une valeur de 12 à 1,500 francs, si elles étaient cultivées par des mains habiles, parce que nous sommes convaineu qu'avec des engrais et du travail, le sol du Luxembourg peut devenir riche et fécond. En résolvant la question telle que nous nous la sommes posée, ( 169 ) nous ne nous dissimulons pas les dangers de la position dans la- quelle nous nous sommes placé; mais si elle nous est peu favo- rable, en compensation, nous avons l'espoir d'entraîner naturel- lement avec nous la conviction des hommes qui savent apprécier la valeur des données positives. Quant aux praticiens, nous savons d'avance que beaucoup d’en- tre eux ne partageront pas notre manière de voir aussi longtemps que l'expérience ne sera pas venue les éclairer. Nos idées s’écartent trop des leurs, pour qu’ils puissent les accueillir entièrement. En effet, une foule d'agriculteurs ignorent la puissance des éléments que nous mettons en jeu pour augmenter la fécondité des terres : les uns ne savent pas que les cendres d’os et les ma- tières ammoniacales peuvent être utilisées comme engrais; les autres n'ont jamais vu faire usage des engrais verts, et ne con- naissent pas l'influence salutaire des sainfoinières sur la produc- tion des engrais. Ceux-ci ne sont pas à même d'apprécier l'effica- cité du plâtre et des tourteaux; ceux-là refusent de croire que le colza puisse devenir une culture améliorante ou contestent que lon parvienne à améliorer sans le concours des prairies natu- relles, et presque tous, enfin, nient les bienfaits que la science est appelée à procurer à l’agriculture, dont ils ignorent même les premiers principes. Nous ne pouvons trop le répéter : le cultivateur, en général, recherche peu le progrès; il aime à rester dans la sphère qu'il s'est tracée; -en un mot, privé des lumières qui lui permet- traient de distinguer, dans les ouvrages, le bon du mauvais, il dédaigne tout ce qui est du domaine de la presse et n’y voit que des sophismes. Il nous serait donc difficile de recevoir son as- sentiment ailleurs que sur un champ d'expérience : l’homme borné ne sait que ce qui est grossièrement palpable ; il ne peut croire qu'à ce qu'il a vu. Aussi, quoiqu'il soit facile de se con- vaincre que nos raisonnements ne sont pas imaginaires, nous ne tenons pas, pour le moment, à avoir l'approbation de l’homme des champs, persuadé qu’elle nous sera acquise plus tard, quand nous aurons opéré et que nous pourrons lui dire : voyez, touchez... ( 170 ) Si nous avons employé toutes nos ressources pour chercher à prouver que le défrichement des bruyères peut être une opéra- tion avantageuse, c’est que les essais tentés par plusieurs pro- priétaires distingués de Ardenne, c’est que nos propres expé- riences ont démontré d’une manière irréfragable que l'erreur est venue se placer constamment à côté de la vérité, et que l'in- succès qu'on a eu à déplorer jusqu'à ce jour, dans beaucoup d’en- treprises de l'espèce, n’est dû qu'à l’imperfection des moyens qu'on à employés et non à des phénomènes célestes, ni à des causes insurmontables inhérentes au sol ardennais. Des deux choses l’une : ou le défrichement est possible et avan- tageux, ou il ne l’est pas. Si cette possibilité existe, nous avons indiqué les moyens de parvenir à la réalisation de cettre œuvre. Si au contraire, elle n'existe pas, alors la pratique et tous les agriculteurs ardennais sont en erreur, lorsqu'ils affirment qu'avec des engrais on peut transformer avec profit les bruyères en champs fertiles. La culture des landes, telle que nous l’entrevoyons, offre une grande sécurité; elle est d’une exécution facile et met la produc- tion des engrais en rapport avec celle des récoltes épuisantes, qui d'ailleurs se convertissent pour la plupart en engrais dans l'exploitation. Notre système a en outre l'avantage d'engager les proprié- taires à construire des habitations pour y implanter des familles étrangères laborieuses, et cela sans préjudice pour les com- munes et au profit de l’État, des capitalistes, des sociétés parti- culières et de la classe nécessiteuse. Si les principes tirés de la science et de l'art agricole, si les observations pratiques faites en Ardenne et recueillies dans les diverses parties du royaume, si les éléments qui nous ont con- stamment servi de guide ont quelque poids dans la question qui nous agite depuis si longtemps, nous croyons être dans le vrai, en disant que la province de Luxembourg est destinée à devenir le siége d’une activité assez grande pour calmer les inquiétudes du pays sur le sort des travailleurs. (171) Nous avons rassemblé tous les documents, tous les faits qui peuvent conduire au défrichement et en assurer la prompte exécution; tous les obstacles que semblait présenter cette im- mense opération ont été prévus et examinés; nous avons indiqué les moyens de les écarter ou de les éviter; il ne nous reste plus ‘qu’à répondre à une dernière question, qui nous servira de con- elusion : Peut-on, dès à présent, entreprendre le défrichement sur une grande échelle? Quels sont:les moyens de faire naître la confiance dans les opérations agricoles non sanctionnées par l'expérience, d'attirer les capitaux en Ardenne et de soulever toute opposition de la part des communes au sujet de la culture des landes? À nos yeux, il est de toute impossibilité d'entreprendre actuel- lement le défrichement des bruyères sur une grande surface. Pour défricher, il faut que de nouvelles mesures soient prises: il faut que l'on protége les entrepreneurs et qu’on leur accorde des encouragements; il faut que l'on fasse participer aux récom- penses honorifiques les hommes qui se dévoueront en prétant le secours de leurs lumières et de leur argent en vue de contri- buer au bien-être des Ardennes; il faut que la presse fixe l'at- tention des capitalistes sur les ressources de l'agriculture; 1l faut enfin et surtout que l'on démontre par l'expérience aux proprié- taires et aux cultivateurs, que mettre en culture, avec méthode, les terres improductives de l’Ardenne , ce n’est pas, comme on le prétend, ‘marcher vers sa ruine, mais bien augmenter la ‘somme de ses richesses et par conséquent, de son bien-être. Toutes ces conditions ne sauraient être remplies par l'industrie privée: au Gouvernement seul appartient cette tâche. Mais dans les circonstances actuelles, serait-il convenable que le Gouver- nement s’emparàt des bruyères communales pour les livrer à la culture; serait-il prudent qu'il allât exposer des sommes im- menses dans des opérations douteuses et sans avoir au moins la certitude que ses capitaux seraient utilement employés. Nous ne (172 ) pourrions, quant à nous, répondre affirmativement, sans mentir à nos propres convictions. Nous avons, il est vrai, émis des opinions appuyées sur des essais et de nombreuses autorités locales, qui tendent à renverser tous les doutes sur la possibilité de fertiliser Ardenne avec fruit; mais en présence d'une entreprise aussi grave, aussi importante et à laquelle se lient tant d'intérêts, il ne nous semblerait pas sage d'en commencer l'exécution, sans avoir d’autres garanties de succès que la participation aux vues d’un auteur dont le ju- gement n’est pas toujours infaillible. En agriculture, plus qu'en toute autre branche d'industrie, il faut agir avec circonspection et certitude, il faut procéder d’a- bord par la voie des iâtonnements et des essais en petit pour faire l'application en grand des bons résultats qu'ils ont donnés. Combien de fortunes dissipées seraient encore intactes, si l'on avait accordé à ce précepte toute la confiance qu'il mérite! Répétons-le donc: bien qu'aucun obstacle matériel ne paraisse s'opposer à la mise en culture des landes, le Gouvernement ne peut abolir le parcours commun, avant que l'expérience n'ait prononcé, d'une manière positive et absolue, sur les conséquences de cette mesure. Si les terres vagues de la province de Luxembourg sont res- tées si longtemps stériles, si elles ne sont pas encore une mine de richesses capable de soulager tant d'êtres malheureux qui attendent les lois qui doivent les sauver, cela tient aux adminis- trations communales, qui espèrent peu du défrichement, à la crainte qu'éprouvent les propriétaires, les cultivateurs et les ca- pitalistes, de consacrer leurs capitaux à l'amélioration des bruyè- es, et, enfin, au peu de confiance qu'a le Pouvoir dans cette spéculation. Prouvez à l'habitant des Ardennes que ses aisances commu- nales peuvent lui devenir plus productives par leur transforma- tion en champs fertiles, persuadez-le, par des faits, que son existence peut s'améliorer par la mise en culture des bruyères, et il se rendra avec empressement aux vœux du Gouverne- ( 175 ) ment et du pays entier, en cédant tous les droits qu'il possède. Démontrez en même temps aux propriétaires et aux agricul- teurs que la culture des landes est une belle et bonne spéculation, et ils ne tarderont pas à s’en emparer et à lui confier des ca- pitaux. Du jour où vous aurez fait tout cela, datera l'ère du dé- frichement, la régénération des Ardennes. Or, si l'expérience est appelée à produire toutes ces merveilles, pourquoi ne proposerions-nous pas au Gouvernement, pour qui toute question d'utilité publique est de premier ordre, de faire tenter immédiatement des essais, afin de dissiper entièrement les derniers doutes qui existent encore au sujet du défrichement, et de détruire ainsi les préjugés qui s'opposent au progrès de cette œuvre ? Le Gouvernement a déjà compris qu'il importe de frapper directement l'imagination des cultivateurs par des faits, pour les amener à modifier les principes vicieux sous lesquels ils croupis- sent; il a senti qu'il fallait plutôt, pour les convaincre, parler aux yeux qu'au jugement, et que le plus sûr moyen d'arriver à ce ré- sultat était de faire établir des fermes expérimentales où chacun serait libre d'aller puiser les connaissances qui lui manquent. Nous croyons aussi que l'établissement de quelques fermes modèles dans la province de Luxembourg aurait une influence des plus heureuses sur le progrès de l'agriculture de cette con- trée; mais comme tout porte à croire que la situation financière ne permettra pas au Gouvernement de s'imposer, dans un bref délai, les sacrifices qu’exigerait cette mesure, nous venons pré- senter un projet qui ne peut rencontrer un obstacle sérieux. Par le développement que nous allons lui donner, on pourra se convaincre qu'il est d’une exécution facile, peu dispendieuse et plus propre que tout autre à éclairer la marche du défriche- ment. On verra qu'il s'agit tout simplement de faire des expé- riences sur de petites superficies; mais des expériences telles que leur résultat soit appelé à donner non-seulement une solution définitive à la question, mais aussi la marche qu'il conviendra de suivre désormais pour arriver le plus promptement et aux moindres frais possible à la fertilisation des bruyères. ( 174 ) Pour abréger les détails que doit comporter notre projet, nous croyons utile de le présenter sous une forme toute particulière : À. Il sera tenté dans la province de Luxembourg des expé- riences agricoles destinées à lever les doutes qui existent encore relativement au degré de fertilité des bruyères qu’elle renferme. Afin d'opérer sous l'influence des différentes conditions où se trouvent les terrains, selon leur nature, leur exposition et leur élévation, ces expériences seront faites dans trois parties bien distinctes de l’'Ardenne : dans les plaines de S'-Hubert ou de Freux, dans celles de Bastogne et, enfin, dans celles de Houffalise ou de Viel-Salm. Quinze hectares de terre seront attachés aux bâtiments qué l'on construira dans chacune de ces parties; cette étendue de terre suffira amplement pour exéeuter tous les essais qui peuvent constater les améliorations dont le pays est susceptible. B. Sur chacun des trois champs d'expérience, on établira des bâtiments provisoires destinés au logement de deux ou troïs per- sonnes et de deux ou trois chevaux de travail; ces bâtiments seront construits avec le moins de luxe possible, non-seulement par économie, mais encore pour éviter li défiance des campa- gnards, qui savent parfaitement qu'avec de l'argent tout est pos- sible. 11 importera, à cette occasion, de limiter les dépenses à l'indispensable; car il faut ävant tout prouver aux cultivateurs qui suivront les opérations que les succès obtenus sont moins dus aux capitaux employés qu'aux procédés mis en usage. Envisagé de cette manière, notre plan pourrait être exécuté avec une dépense de moins de 60 mille franes pour quatre ou cinq années d'essais; cette somme ne serait en réalité qu'une avance faite dans l'intérêt de l'agriculture, et dût-elle même être com- plétement dissipée, ce qui est impossible, le Gouvernement ne devrait pas reculer devant ce sacrifice en considération du bien qu'il produirait au pays. C. Les Ardennes n’ayant jamais été parfaitement étudiées sous le rapport agricole, les essais à y faire devront être compliqués et nombreux; pour arriver réellement au but qu'on veut atteindre (.175 ) et afin d'avoir des données exactes sur tous les faits qui se lient étroitement au défrichement, les expériences devront être diri- gées de la manière suivante : 4° Quatre ou cinq systèmes de culture lueratifs et applicables à toutes les branches de l'industrie agricole seront exécutés sur les bruÿères épuisées par la production des céréales, sur les bruyères à enfouir à la charrue et, enfin, sur les bruyères à écobuer. 2° On pratiquera des semailles en lignes et des semailles à la volée, afin de voir lequel des deux modes est le plus avantageux. 5° Toutes les espèces de plantes qui forment la base de la pro- duction végétale et animale seront cultivées de telle sorte, que l'on puisse indiquer celles qui sont le plus profitables aux culti- vateurs. 4 On fera l'application de tous les engrais qui peuvent être utilisés au profit des landes, tels que fumiers de basse-cour, en- grais verts, engrais artificiels, ete. 5° Enfin, l'application du système Liebig et Jauffret formera le complément des essais. Si les expériences qui viennent d’être mentionnées sont faites avec toute la précision désirable et sont répétées pendant quatre ou cinq années, elles feront faire un progrès immense, non-seu- lement à l'argriculture ardennaise, mais encore à toute l’agricul- ture belge prise dans son acception la plus large. Il est inutile , croyons-nous, de faire remarquer que l'avenir du défrichement étant tout à fait subordonné aux résultats que lon obtiendra de ces expériences, il sera prudent de n’en con- fier la direction qu'à une personne compétente. D. Afin de rendre les opérations plus profitables à tout le royaume, on dressera chaque année le plan des essais qui auront été exécutés pour être distribué à toutes les administrations communales; ce tableau contiendra des données exactes sur l’es- pèce, la variété et le développement des plantes qui auront été cultivées ; sur la nature et le dosage, pour une surface donnée, des engrais employés; sur les dépenses et les recettes effectuées, et généralement sur tout ce qui pourrait contribuer à éclairer l'o- ( 176 ) pinion et à engager les capitalistes et les propriétaires à visiter par eux-mêmes les essais en plein champ. E. Pour mieux populariser en Ardenne les expériences tentées, les communes seront invitées à répéter tous les ans, sur une su- perficie de 1 ou 2 hectares, les essais qui auront le mieux réussi ; on aura soin, pour mieux en assurer le succès, de joindre à l'in- vitation ci-dessus mentionnée toutes les indications relatives à la culture des diverses plantes naturalisées, à l’espèce et au dosage des engrais employés, etc. Il ne nous semble nullement nécessaire de faire voir l'utilité qu'il y aurait à réaliser les vœux que nous venons d'exprimer dans le projet qui précède; bornons-nous à dire qu'une pareille mesure aurait pour résultat de résoudre entièrement, en 4 ou 5 années, d'une manière ou de l’autre, la question des défriche- ments, de dissiper les doutes qui restent encore à ce sujet et de faire affluer dans les Ardennes, en cas de réussite, des bras, des capitaux et des hommes intelligents, trois leviers à l’aide des- quels tout obstacle devient surmontable. De la manière dont nous avons répondu à l'appel de PAcadé- mie, il n'y a que les rochers nus qui aient échappé à nos inves- tigations. Les considérations nombreuses dans lesquelles nous sommes entré suffisent pour convaincre qu'il ne s'agit point ici de vaines utopies; mais bien d’une entreprise grave et sérieuse dont la réalisation doit faire époque dans l’histoire de la civili- sation. Si les vues que nous avons développées, vues à l’aide desquelles nous eroyons pouvoir réorganiser le travail pour les prolétaires, inspirent quelque confiance à la Société savante qui préside à ce concours, nous invoquons l'intervention de son influence pour la réalisation du projet que nous avons l'honneur de lui offrir. Ici se termine notre tâche, puisse le Gouvernement, tuteur des grands intérêts sociaux, comprendre la sienne et la mettre à exécution, en se rappelant que des landes en friche, des bras oisifs, sont aussi stériles que des capitaux enfouis dans un coffre! FIN. TABLE DES MATIÈRES. INTRODUCTION Du cLrmart. AURAEA Desteelées blanches MAPS MMM PALM De la fructification des céréales Des gelées automnales . Des grandes chaleurs . . . . . Du rendement des céréales, . . . . . De la maturité du froment. . . . . . . . Des orages accompagnés de grêles Des grands vents.— Conclusion . . . . . . . Du SOL ET DE SON AMÉLIORATION . . . . . . . HU Division et répartition en zones dés terrains ardennais, n après leurs CARACLÉ PES AB ICOIES RE INT OR EI NE DE LA 20NE 4. — Terres à champs. — Des assolements DHNURLIERE Re M PMU Re TE Des semailles, des VDouEe et des instruments aratoires . . BE La ZONE £. — Prairies naturelles. — De l'irrigation ; influence et mode d’action des eaux , etc. De la pratique des arrosements . . De l'assainissement des prairies . . . . . . De l’ensemencement. . . . . . De la destruction des mauvaises herbes Des engrais et des amendements . . ! De la création et de la destruction des prairies. . . . . . . DE La z0NE C. — Terrains marécageux. — Des moyens d'en tirer part Mesure itel o DOME LUE . : DE La Z0NE D. — Bois a forêts. — Convient il de défricher les forêts pour les convertir en terres arables? . . . : . 12 ( 176 ) pinion et à engager les capitalistes et les propriétaires à visiter par eux-mêmes les essais en plein champ. E. Pour mieux populariser en Ardenne les expériences tentées, les communes seront invitées à répéter tous les ans, sur une su- perficie de 1 ou 2 hectares, les essais qui auront le mieux réussi; on aura soin, pour mieux en assurer le succès, de joindre à l'in- vitation ci-dessus mentionnée toutes les indications relatives à la culture des diverses plantes naturalisées, à l'espèce et au dosage des engrais employés, etc. Il ne nous semble nullement nécessaire de faire voir l'utilité qu'il y aurait à réaliser les vœux que nous venons d'exprimer dans le projet qui précède; bornons-nous à dire qu’une pareille mesure aurait pour résultat de résoudre entièrement, en 4 ou 5 années, d'une manière ou de l’autre, la question des défriche- ments, de dissiper les doutes qui restent encore à ce sujet et de faire aflluer dans les Ardennes, en cas de réussite, des bras, des capitaux et des hommes intelligents, trois leviers à l'aide des- quels tout obstacle devient surmontable. De la manière dont nous avons répondu à l'appel de P'Acadé- mie , il n'y a que les rochers nus qui aient échappé à nos inves- tigations. Les considérations nombreuses dans lesquelles nous sommes entré suffisent pour convaincre qu'il ne s'agit point ici de vaines utopies; mais bien d’une entreprise grave et sérieuse dont la réalisation doit faire époque dans l’histoire de la civili- sation. Si les vues que nous avons développées, vues à l'aide desquelles nous croyons pouvoir réorganiser le travail pour les prolétaires, inspirent quelque confiance à la Société savante qui préside à ce concours, nous invoquons l'intervention de son influence pour la réalisation du projet que nous avons l'honneur de lui offrir. lei se termine notre tâche, puisse le Gouvernement, tuteur des grands intérêts sociaux, comprendre la sienne et la mettre à exécution, en se rappelant que des landes en friche, des bras oisifs, sont aussi stériles que des capitaux enfouis dans un coffre! FIN. TABLE DES MATIÈRES. INTRODUCTION Du cLimart. É Des gelées blanches . De la fructiñcation des céréales Des gelées automnales . . . . . . . Desisrandes chaleurs NE Capo men TerEVe Du rendement des céréales, . . . . . De la maturité du froment. . . . . . . . Des orages accompagnés de grêles Des grands vents. — Conclusion .: . . . . .. Du soL ET DE SON AMÉLIORATION . . . . . . . DMC Division et répartition en zones des terrains ardennais, ni après leurs CARACLÉTES ABTICOIES MERE IDE QRMETE LUE DE LA 20NE 4. — Terres à champs. — Des assolements Du fumier. . . US MT An ee ROSE Des semailles, des labouts et des instruments aratoires . . as DE La ZONE £. — Prairies naturelles. — De l'irrigation ; influence et mode d’action des eaux , etc. . . . . . . De la pratique des arrosements . . De l’assainissement des prairies . . . . . . Pelensemencement-WPA WMA De la destruction des mauvaises herbes Des'engrais etdes amendements": 4, OU IUT ON: De la création et de la destruction des prairies. . . . . . : De La 20NE C. — Terrains marécageux. — Des moyens ne tirer DATE ANA RSR ANS RL ARRLE . DE LA ZONE D). — Bois el forêts. — GONIENt il de éiriches ls forêts pour les convertir en terres arables? . . . : . 178 ) Les terrains boisés offrent-ils une grande ressource pour l'amélioration des terres vagues ? Peut-on sans danger, diminuer Ja surface des ter- rains OCCUPÉS par Ales/Dois 2 PANNE ES NE Quelles sont les améliorations à introduire dans l’économie forestière ?. De La z0NE E. — Reboisement et abris. — Quels sont les terrains qui conviennent le mieux pour le reboisement?. . . . . . Quelles sont les essences qui doivent être propagées?. . . . . . Quelle devra être l'étendue des terrains à consacrer au reboisement et qu’elle influence salutaire cette opération exercera-t-elle sur l’état de-la/culture? 1060 ana Er O ER Production/et(débouchés} ND PIC RON NE EEE Mesures qu’il y aurait à prendre pour favoriser la production forestière et'agricole du territoire ardennais/. 02000 0 ICONE Des aBris. — Quelle est l’action et la nature de l’influence des abris ? Convient-il d’en créer en Ardenne pour garantir les zones cultiva- bles ? Dans ce cas, quelles sont les parties des landes qui devraient leur être réservées ? Quelles sont les essences auxquelles il convien- drait de recourir ? Quel est le genre d’abris qui s’harmoniserait le mieux avec la position , le sol et le climat des Ardennes ? Quelle est la largeur que doivent avoir les abris pour qu’ils puissent attendre le but proposé 2%. LEP NAN NS DE La ZONE F. — Défrichement de landes. . . . . . . . . 17° question. — Quelles sont les causes qui arrêtent le plus le progrès du défrichement ? Ces causes sont-elles réelles ; peuvent-elles apporter un obstacle sérieux à la mise en rapport des bruyères? Dans le cas où elles seraient réelles , ne peut-on pas les prévenir et les maîtriser ? 1° De l’âpreté du climat . . . . 3 DO AMOR SRE 2° De la mauvaise nature des terres en che à REIN TERRES 5°Duÿmanque|deicapitaux 200 "EME ER ENRE 4° Du manque de voies de communication. . . . . . . . . 5° Du manque de prairies naturelles susceptibles d'irrigation . . . 6° Du manque de population. . . . sa ae MtaaMte AB Tee 7° Du maintien du parcours des bruyères rite NA dt S°Du/manque de débouchés = MEME MEME 9°PDe l'isnorance agricole A ME MMM ONCE SR RE 10° Du manque d'engrais dans la localité . . . . . . . . . Résumé tal) eee et ee EE nee te 2me question. — Pour opérer le défrichement est-il plus avantageux d’écobuer la partie supérieure des terrains de bruyères ; ou bien est-il préférable de la retourner dans le soi à l’aide delacharrue? . . . Pages: 61 62 64 70 85 { 179 | 9" quesiion. — Le terrain de bruyère ne contiendrait-il pas des prin- CipeS QUISIDIES ANA ES É tATION AE NEO EANENNE 4e question. — Quelles sont les plantes auxquelles on doit avoir re- cours pour opérer le défrichement , et quels sont leurs caractères AGTICOICS OP UE M RENAN ANNE EEE ARR Us 5m question. — Où pourra-t-on se procurer la quantité d’engrais né- cessaire pour entreprendre le défrichement, sans avoir recours à ceux que l’on rencontre en Ardenne? Ne pourrait-on pas utiliser les en- grais extérieurs délaissés, et, enfin, ne pourrait-on pas en créer par la culturetelle-même "0 MC ATROMÉ $ Gme question. — Quels sont les principes et les dune PlaL © à la culture des landes, ou , en d’autres termes , quelles règles faut-il en- core observer pendant les premières années de la mise en culture des HO RES AA AP OR A TRE EE A SAR un CAR 7me question. — Les engrais ne sont-ils pas d’un prix trop élevé pour être employés à l'amélioration des landes; celles-ci pourraient- elles, au moyen d’une acquisition judicieuse de substances fertili- santes, devenir assez productives pour couvrir les dépenses qu’on devrait y consacrer; enfin les entrepreneurs trouveraient-ils un avantagerauidéfrichement te 2" EMEA NN EE enr ObservationsieLirés Mme M REA NET ts Ness NAN Reese 8me question. — Peut-on dés à présent entreprendre le défrichement sur une grande échelle ? Quels sont les moyens de faire naïître la con- fiance dans les travaux agricoles, d’attirer les capitaux et les bras en Ardenne, et de soulever toute opposition de la part des communes auisujetdela culture desilandes 24h00 MEN NN tnnt able desimatieres Ve RAIDE ICILEQUNNIE ALU RNE EE ANR nas ai > — 195 142 155 166 ERRATA. Page 85, ligne 18me, Nous pensons... fèsez : nous posons. » 193, » 30me, Inférieurs..……. lisez : exierieurs. FIN. MÉMOIRES COURONNÉS ET MÉMOIRES DES SAVANTS ÉTRANGERS. MÉMOIRES COURONNÉS ET MÉMOIRES DES SAVANTS ÉTRANGERS, PUBLIÉS PAR L'ACADEMIE ROYALE DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE. ee COLLECTION IN=8°.—'MOME HHE. (9m: Partie.) BRUXELLES . M. HAYEZ, IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE ROYALE. 1849. AC EL MNINTES OR ANETANA ABOTANER EST À LE ME RER ME MÉMOIRE SUR LA CHIMIE ET LA PHYSIOLOGIE VÉGÉTALES ET SUR L'AGRICULTURE, EN RÉPONSE A LA QUESTION SUIVANTE , proposée par l’Académie royale de Belgique : EXPOSER ET DISCUTER LES TRAVAUX ET LES NOUVELLES VUES DES PHYSIOLOGISTES ET DES CHIMISTES SUR LES ENGRAIS ET SUR LEUR FACULTÉ D ASSIMILATION DANS LES VÉGÉTAUX; INDIQUER, EN MÈME TEMPS, CE QUE L'ON POURRAIT FAIRE POUR AUGMENTER LA RICHESSE DE NOS PRODUITS AGRICOLES. — L'ACADÉMIE DEMANDE QUE LE TRAVAIL SOIT APPUYÉ D EXPÉRIENCES. PAR Henrt LE DOCTE, Agronome-cultivateur. (Ouvrage qui « obtenu la médaille de vermeil au concours de 4848.) BRUXELLES, M. HAYEZ, IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE ROYALE, 1849. DU ï MÉMOIRE SUR LA CHIMIE, LA PHYSIOLOGIE VÉGÉTALE ET L'AGRICULTURE, EN RÉPONSE A LA QUESTION SUIVANTE, proposée par l’Académie royale de Belgique : EXPOSER ET DISCUTER LES TRAVAUX ET LES NOUVELLES VUES DES PHYSIOLOGISTES ET DES CHIMISTES SUR LES ENGRAIS ET SUR LEUR FACULTÉ D ASSIMILATION DANS LES VÉGÉTAUX. INDIQUER > EN MÊME TEMPS s CE QUE L’ON POURRAIT FAIRE POUR AUGMENTER LA RICHESSE DE NOS PRODUITS AGRICOLES; PAR Hevrt LE DOCTE, Agronome-cultivateur. (Ouvrage qui a obtenu la médaille de vermeil au concours de 1848.) eg MN | AR er. ( ! ne at MÉMOIRE SUR LA CHIMIE, LA PHYSIOLOGIE VÉGÉTALE ET L'AGRICULTURE. PREMIÈRE PARTIE. INTRODUCTION. La véritable gloire consiste à faire ce qui mérite d’être écrit et à écrire ce qui mérite d’être lu. PLINE. L'Académie, en demandant l'exposition et la discussion des travaux et des nouvelles vues des chimistes et des physiologistes sur les engrais et sur la faculté d’assimilation dans les végétaux, ne peut avoir eu d'autre but que de voir élucider, par des re- cherches suivies et des expériences exactes, certains points en- core obscurs de la physiologie végétale et de l’agriculture. . Envisagée dans un sens très-large, la question qui a fait l'objet de notre étude ne paraît pas susceptible, du moins quant à pré- sent, de recevoir la solution que l’on pourrait se croire en droit d'exiger. Cela résulte naturellement de l'examen des travaux les (4) plus estimés, où une foule de problèmes que la matière comporte ont à peine été effleurés, et probablement à cause des nom- breuses difficultés qui se présentent lorsqu'on veut pénétrer les mystères dont ils sont entourés. Ces difficultés, que nous cher- chons à rendre apparentes, moins dans le but de nous concilier une indulgence qui ne saurait nous faire défaut, eu égard à nos efforts et à nos sacrifices, que dans le dessein de prouver l'im- portance de la question que nous avons osé aborder, deviennent surtout visibles lorsqu'on réfléchit aux nombreuses contradic- tions qui caractérisent la plupart des nouvelles vues émises sur les engrais et leur faculté d'assimilation. Pour ne pas augmenter notre travail par un exposé de faits sur lesquels on est généralement d'accord, 1l nous a paru con- venable de négliger toute discussion sur les engrais qui n'ont qu'une valeur secondaire et dont les propriétés sont suffisam- ment connues; par le même motif, nous avons cru pouvoir nous abstenir d'entrer dans des détails sur l’utilité d’une bonne orga- nisation des bibliothèques rurales de l’enseignement et du crédit agricoles, sur les avantages que peuvent offrir les fermes mo- dèles et les voyages agronomiques faits à l'étranger, et enfin, sur la grave question du défrichement de nos terres incultes, question qui fait l’objet d'un concours particulier, lequel, il faut l'espérer, fera éclore des mémoires capables de satisfaire aux vœux exprimés par l'Académie et le pays tout entier. Tous ces points peuvent, dans notre conviction, contribuer efficacement au progrès de notre agriculture; mais ils ont déjà été amplement développés dans des ouvrages spéciaux et signalés à l'attention des autorités supérieures : M. le Ministre de l'intérieur, dans sa haute sollicitude pour les intérêts agricoles, a su les accueillir avec bienveillance, pour en faire l'objet d’un examen sérieux au congrès agricole qui doit s'ouvrir à Bruxelles le 21 septembre prochain. L'Académie, par le concours qu’elle a ouvert, a fait un appel aux physiologistes, aux chimistes et aux agriculteurs : nous y avons répondu. Notre travail aura-t-il le succès que nous lui (5) souhaitons ? Nous osons l'espérer, parce que cette œuvre est le fruit d’un travail réfléchi auquel nous avons voué un cadre très- large, dans la persuasion qu’elle ne peut avoir en cela que d'au- tant plus de mérite aux yeux de ceux qui s'occupent sérieusement des vrais intérêts de la science et de l’agriculture. Le mémoire que nous offrons est divisé en deux parties. La première est consacrée à l'exposition et à la discussion des tra- vaux et des nouvelles vues des physiologistes et des chimistes sur les engrais et sur la faculté d’assimilation dans les végétaux. Nous avons tâché d'y énumérer les sources où les plantes vont puiser leurs éléments constitutifs, en indiquant par quels or- ganes, sous quelles formes et sous quelles influences ils peuvent être absorbés. Nous y avons traité successivement et en particu- lier du carbone, de l’azote et des matières terreuses et alcalines. Après avoir mis en évidence leur faculté d’assimilation et leur action dans le sol, nous avons recherché leur aptitude à se dé- composer avant de s'introduire dans les spongioles et pendant l'acte de la végétation, en ayant soin de ne pas oublier de mentionner leur rôle, considéré sous le point de vue de la nu- trition , et leur importance, suivant leur rareté dans la nature et la plus ou moins grande difficulté de se les procurer. A la suite de cette exposition vient l'examen des nouvelles théories sur les engrais, dans lequel nous avons constaté ce qu’elles offrent de réel et de défectueux. Enfin, nous avons clôturé cette pre- mière partie par une conclusion renfermant un système nouveau que nous croyons destiné à jouer un rôle important dans la culture des terres arables. La seconde partie est entièrement consacrée à l'indication des moyens qui peuvent concourir à augmenter la richesse de nos produits agricoles. Là, nous nous sommes spécialement at- taché à démontrer la possibilité de faire produire à la terre des récoltes plus abondantes sur une plus petite surface et avec une dépense moins considérable; car, s'il est vrai que ce résultat puisse devenir la conséquence de l’utilisation des matières ferti- lisantes capables de remplacer les engrais de ferme ou d'y sup- (6) pléer, il n’est pas douteux non plus que le perfectionnement des pratiques agricoles soit appelé à venir puissamment en aïde au cultivateur qui voudra l’atteindre. Nous avons donc jugé indis- pensable de traiter des assolements, des prairies, de la culture des céréales en ligne, de la chaux, de la marne, des engrais de ferme et des instruments aratoires. Après avoir discuté ces différentes branches de l’économie rurale dans ce qu’elles offrent de plus obscur, nous avons émis des vues qui n’ont pas encore été spécifiées, et nous sommes arrivé ainsi à mettre à découvert les erreurs qui ont si souvent conduit l’homme des champs dans une voie irrationnelle et rui- neuse. Enfin, nous avons terminé par quelques réflexions sur l'érection d’une fabrique d'engrais propre à desservir les exploi- tations rurales et sur la création d’une société agronomique na- tionale ayant pour but la propagation des meilleures doctrines de l’art et de la science agricoles. L'Académie a demandé que le travail soit appuyé d’expé- riences : la première partie de notre mémoire est étayée sur des déducticns théoriques et pratiques, ainsi que sur les expériences que nous avons entreprises depuis plusieurs années sur l’assimi- lation du carbone et de l'azote, et sur l’action et l'application des sels minéraux et engrais verts. La seconde repose sur des faits acquis par la science ou préconisés par des agronomes distingués, ainsi que sur de nombreuses observations recueillies dans notre domaine agricole et dans diverses autres parties de la Belgique. Telle est la manière dont nous avons cru devoir envisager la question posée par l’Académie. Si nous sommes parvenu à la résoudre, nous serons heureux d’avoir contribué pour une part à ce que l'on se montre si fier d'augmenter dans le pays : l'ai- sance et le bonheur du peuple. | (7) Définition des engrais, des amendements et des stineslarts. Les noms d'engrais, de stimulant et d’amendement affectés aux différentes substances employées à la fertilisation de la terre ont toujours été si mal interprétés qu'ils offrent encore aujour- d’hui une véritable confusion dans le langage chimique et agri- cole. 1 importe de sortir de ce dédale et d’assigner à ces agents les caractères qui doivent les distinguer entre eux, afin qu'on sache ce que l’on doit définitivement entendre sous chacune de ces dénominations. En conséquence, nous comprendrons : Sous le nom d'engrais, toute matière qui nourrit et qui ali- mente la plante, soit par un, soit par plusieurs de ses éléments ; c'est-à-dire tout principe qui se convertit en la substance même du végétal ou qui allie chimiquement aux divers corps organi- ques créés durant l'acte de la végétation , n'importe les fonctions végétatives qu'il est appelé à remplir ultérieurement dans l’orga- nisme. La chaux, la cendre de bois, les phosphates alcalins ou terreux sont donc des engrais aussi bien que l’humus, l’'ulmine et les engrais de ferme; seulement, ils ont une origine, un ca- ractère extérieur, une composition et une action différentes; Sous le nom de stimulant et d'amendement, toute matière qui simule dans le sol l’action des engrais, mais qui n'agit qu’exté- rieurement ou indirectement sur les organes et le développement des plantes. La différence qui existe entre un stimulant et un amende- ment, c'est que le premier, dans le milieu réservé au pareours des racines, peut avoir à la fois une action chimique et physique, soit qu'en agissant sur les particules des argiles et des engrais, comme réactif ou comme dissolvant, il facilite et accélère leur assimilation , soit qu’en agissant comme condensateur des vapeurs aqueuses, des gaz et des fluides, ou bien comme conducteur et producteur du calorique et de l'électricité, il devienne ainsi dans le sol le trésorier de l’économie végétale. L'amendement, au con- traire, se borne à une simple action mécanique sur la texture ou l'agrégation du sol, soit en allégeant sa ténacité ou sa densité, (8) soit en augmentant sa cohésion ou son poids spécifique. Tel est le sens que nous croyons devoir attacher aux mots : engrais, stimulant et amendement. Documents. Nous donnons ici les expériences faites par M. De Saussure, pour constater si les plantes absorbent les substances dissoutes dans le même rapport qu’elles absorbent l’eau (1), et si elles font un choix de ces substances, lorsque celles-ci ne sont pas véné- _neuses (2). Ainsi, les deux plantes citées ci-dessous ont absorbé les sels dissous dans les proportions suivantes : BIDBNS, POLYGONUM. Chlorure de potassium 4, .« . + + + + «+ + + 16 14,7 ide rsSodiun Aie ert HN rens ele le Re DiRS 45 13 Nitrate de tChaux RON EN NIET 8 4 SullateldeRsoude RER NME ENT IC RON NON 10 14,4 Chlorhydrate d’ammoniaque. . . . . . . . . . 17 12 Ncétateldeichaux te 2 EURE MEME A Re RO 8 8 Sultate de CUIVre ne Ne Me lente tete lee 48 47 Gomme: has En AA SEE A ENST PaUE 32 9 SAT) HE PARIS LE I CHA HS 2 M AR CN ICE PP CS 2 LS RARE LE 8 29 Extraitidenterrenue re NE RE REP ENRE 6 5 (a) Le granit La roche Le calcaire DU MONT DRÉVEN | DUMONTLASALLE | DU RÉCULEY ET DE THOIVY renferme : contient : contient « HN Chaux. . . ï 1,74 98 (carbte). Alumine . . . . . 13,25 0,625 DSilice RECU 75,25 | Oxyde de fer . | — de manganèse &| Acide carbonique . il Pétrole il Perte . (1) De Saussure, Recherches chimiques sur la végétation , p. 247. (2) Id, id. id. p. 253. (9) Composition de trois terres différentes, telle que l'a trouvée M. Sprengel (1). Le n° 4 est une terre d'alluvion très-fertile, située dans la partie Est de la Frise, autrefois recouverte par la mer, mais que l’on cultive en céréales et en légumineuses depuis 60 ans, sans jamais la fumer. Le n° 2 est un sol fertile des environs de Gœttingen : il pro- duit d'excellentes récoltes de trèfle, de colza, de pommes de terre et de turneps; ces deux dernières plantes viennent particulière- ment bien quand elles ont été fumées avec du gypse. Le n° 5 est un sol très-stérile de Lunebourg. Matières salines solubles. C Matières terreuses finesetmatieres organiques (argile). Sables siliceux . N°4. N°92. Nes. 18 1 1 937 859 599 45 160 400 1,000 1,000 1,000 Les matières fines, séparées du sable et de la partie soluble, consistaient, sur 1,000 parties, en Matière organique. Silice . Alumine . Chaux PAR Magnésie. Oxyde de fer . — de manganèse. Potasse . . . Soude. . * , Ammoniaque . Chlore. . Acide sulfurique . — phosphorique . — carbonique. Perte . 57 51 91 59 18 4 8 1/2 8 1 61 30 81 1 3 1/2 2 trace. trace. 4 id, id. trace, id. id. 2 id. id. 2 5/a id. 412 15/4 id. 40 4ïlz id. 14 PRE 1,000 1,000 1,000 (1) J. Johnston, Éléments de chimie agricole et de géologie, p. 126 et suiv. Paris , 1846. (10 ) Composition du feldspath. (Berthier, Traité, etc., p. 608) (1). FELDSPATH. ÂALBITE. LABRADOR. ANORTHITE. Sie st Nr tie 65,9 69,8 55,8 44,5 AMuminele te RACE RE 17,8 18,8 26,5 34,5 BOtASSeN 0 AU AE Re 16,3 SOUTE PC UE Te » 11,4 4,0 Magnesiet ee ere APneNee » » » 5,2 Chant iMervreu pee ME TT ACS » » 11,0 15,7 Protoxyde de fer . 31e » » 1,5 0,7 Composition des cendres provenant des plantes récoltées à Bechelbronn (2). ACGIDES SUBSTANCES qui A] ONT DONNÉ DES CENDRES. | Pommes de terre. Betteraves champèt. h| Navets. A] Topinambours Froment Paille de froment | Avoine. . Paille d'avoine 1, Ë Trèfle . . {| Pois. . Î Haricots Feves . \ Carbonique. 13,4 16,1 14,0 11,0 Sulfurique. Magnésie, 5,4|51,5 59,0 533,7 44,5 15,9/29,5 5,0| 9,2 7,7/12,9 2,8124,5 6,5[26,6 11,9/35,3 11,5/49,1 Oxyde de fer, alu- mine, etc. trac.| 5,6 6,0| 8,0 4,1| 6,4 trac.| 13,0 id. | 1,5 0,5167,6 0,0155,5| 1,3 4,440,0| 92,1 5,3 1,5|trac. 14,0| id. = 0,5, 0,5| id. Charbon, humidi- té, perte: (1) Liebig, Chimie appliquée à la physiologie végétale et à l’agriculture, 2e éd. p: 124. Paris, 1844. (2) Boussingault, Économie rurale considérée dans ses rapports avec la chimie, la physique et la météorologie, t. IL, p. 327. Paris, 1844. (11) Composition des matières récoltées, desséchées dans le vide à la température de 110° centigrades (1). GENDRES COMPRISES. CEND. DÉDUITES. SUBSTANCES. Hydrogène. Cendres Hydrogène. Froment : 5,4| 2 6,0,44,4 | Seigle . re EN à 5 4,7 5,7145,3 HIFAVOIMES. 2402, + eo 5 6,6138,2 Paille defroment. . . . _,3|3 5,7|41,8 = MST ENEMONE TM 5 5,8142,1 — d'avoine . . se 5,413 1152,8| 5,7141,1 Pommes de terre. . : ) 6,1146,4 5) Betteraves champêtres ë 5,8 5 6,2|46,3 DNavets . à .-. . . : . [229 5,5l425| : 6,0/45,9 {| Topinambours. . : ) 6,2|46,1 f| Poisjaunes. . . . be 3, 6,4/41,3 f| Paille depois . . . te 55 5) 51,5) 5,6/40,5 1| Trefle rouge, foin. . . : ) ;! 5,4|41,1 1| Tiges de topinambours . b 5,4|45 1 5,6147,0 La cendre d’un bon foin a donné en I. 1,000 parties de lait ont 100 parties, suivant M. Haïdlen (2) : lBESS SU ea ro dote corde ONU Silice nn. … + + - * . . 60,1 | parties de cendres. Phosphate de chaux. . . . 16,1 REMPOOO RER 10 — Ceres os Ces cendres avaient la composition Cha ON TI ISTivante te) I. IT. MASRES EN EEE CU IS 0 Phosphatedechaux . 47,14 50,81 Sulfate de chaux + + … . 1,52 — demagnés. 8,57 9,45 HR dEIPOtASSC RE NN n 212 = defen"1/45 1:04 Chlorure de potassium . . . 1,5 Chlorure depotassium. 29,58 27,05 Carbonate de soude . . . . 2,0 SEMAINE C0 07789 85705 Rerte DA Me ee ses ue 028 Sonde PL RENE S 57 El GG (1) Boussingault, Économie rurale, etc., t. IL, p. 291. (2) Liebig, Chimie appliquée, etc., pp. 220 et 251. EXPÉRIENCES DE HERTWIG (1). Analyses de quelques cendres végétales (ANNaLeN DER Paarmac., t. XLVI). 100 PARTIES de terre. renferment : Bois de hètre. corce de hètre. Bois de sapin. Écorce de sapin. Feuilles de sapin. Feuilles de pin. Tabac de Havane. Tabac de Hanovre. |} Fanes de fèves de marais. Paille de pois I. Paille de pois II. Fanes de pommes |£ É | Carbonate de potasse. à 11,30 6,18] » |13,32 dosoude 3,02) 7,42 ,72/19,4 | 1,61116,06 Sulfate de potasse. . » |11,11/32,4 Selmarin . . . 8,64| 9,24| 0,28 Sulfate de soude . : 7,39| 1,09| » Silicate de potasse . 5, » » » Carbonate de chaux . 4,16 50,94|64,98 53,32151,38 40,00 59,50 49,73 43,68 41,61 Magnésie . + . . ,90! 5,60] 0,95 18,6 | 7,09| 4,27| 1,92 | 1,58 516! 6 5,41 Phosphate de chaux. . 3,45| 5,05} - %117,95| 6,43 ‘ [11,80 à 5,73 0,91 3,49 de manganèse Giles Se 7,81/15,54 20,81 4 Analysées par M. Thon. ium,cuivre. 344 250 P “P etc ie, Chlorure de potass f] Sulfate de chaux. Silice Perte 10,0 8,5 1,5 id. 10,9 « physiolo l e . Û [12 iquée gnésie, appl id. ie Analyses d'une bouse de vache (Hawcex) (2). de ma — defer. iebig, Chim Id. (1) L Phosphate de chaux (a) Chaux . (15) CHAPITRE PREMIER. DU CARBONE ET DE L HUMUS. Parmi les agents nourriciers, le carbone est un de ceux qui jouent le rôle le plus important dans la vie végétale. C'est cet élé- ment qui constitue avec l'eau les matières ligneuses, gommeuses, amylacées et sucrées des plantes. Mais d'où peut provenir le car- bone des plantes, sous quelles formes de combinaisons est-il absorbé, comment et sous quelles influences parvient-il à faire partie de l'organisation ? Le carbone des plantes peut provenir de l'acide carbonique de l'air ou du même gaz qui se dégage dans le sol par la décompo- sition des matières organiques. Pendant le jour, c'est-à-dire sous l'influence des rayons solaires, les parties vertes des végétaux en vie absorbent constamment dans l'air de l’acide carbonique, qui subit immédiatement une décomposition dans l'organisme. Les plantes retiennent le carbone et rejettent l'oxygène dans lat- mosphère. M. Boussingault a vu des feuilles de vigne, enfermées dans un ballon, prendre tout l'acide carbonique de l'air qu'on dirigeait à travers ce vase, quelque rapide que fût le courant (1). MM. Priestley et Senebier ont également démontré la décompo- sition de l'acide carbonique et l'émission de l’oxygène par les plantes soumises à l'influence de la lumière (2). Ce dernier chi- miste a aussi constaté que les plantes décomposent l'acide car- bonique qui se trouve dissous dans l’eau absorbée par les tissus ligneux. (1) Dumas et Boussingault, Æssaë de statique chimique des êtres orga- nisés, cle., p.23, 8" édition. Paris, 1844. (2) Liebig, Zntroduct. au traité de chimie organique, p. xzv. Bruxelles, 1845. (14) Plus les rayons lumineux arrivent directement, plus aussi la décomposition est rapide; cette faculté est, par cela même, con- sidérablement réduite à la lumière diffuse ou réfléchie. On a même reconnu que les végétaux exhalent, pendant la nuit, une assez grande quantité d'acide carbonique. Ce fait a laissé sup- poser longtemps que ce gaz était engendré dans l'organisme même, par l'union de l'oxygène de l'air ambiant avec le carbone fixé dans les tissus, comme cela a lieu pour les huiles volatiles et aromatiques, qui se résinifient par la présence de l'oxygène; mais on à pu enfin se convaincre, par de nouvelles observations, que l'acide carbonique, puisé dans le sol, contribue pour une part à l'émission nocturne signalée. Il semblerait même, selon MM. Dumas et Boussingault, que ce dégagement serait l'unique conséquence de la succion des ra- cines. Voici comment ils s'expriment : « On dit que les plantes produisent de l'acide carbonique pendant la nuit; il faut dire que les plantes, en pareil cas, laissent passer de l'acide carbo- nique emprunté au sol (1). » Cependant, nous ne pourrions nous rallier entièrement à cette opinion sans la voir appuyée sur des recherches et des expériences concluantes. Nous voulons bien admettre, avec ces physiologistes, que l'acide carbonique puisé dans le sol par les racines passe dans la tige, de là dans les feuilles et finit par s'exhaler dans l'atmosphère sans altération ; mais rien ne nous paraît prouver jusqu'ici que cet acide expulsé de la plante, pendant la nuit, dérive totalement de celui qui est aspiré du sol, et qu'il ne s’en forme point dans son intérieur, alors surtout qu'il est constant, comme le fait très-bien obser- ver M. Martens, « que les plantes renferment beaucoup de prin- cipes, tels que le tannin , des essences, ete., ete., qui, par leur seul contact avec l'oxygène, doivent produire de l’acide carbo- nique (2). » L’acide carbonique qui pénètre du sol dans les plantes peut (1) Dumas et Boussingault, Æssai de statique chimique, etc., p. 24. (2) Bulleiin de l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux- arts de Belgique, 1847, Il° partie, p. 450. (15) provenir, soit de l'air par les eaux pluviales, soit de l'oxydation des matières organiques, sous l'influence des rayons chimiques de la lumière. Ce gaz, aussi bien que celui qui est emprunté à l'atmosphère par les feuilles des plantes, concourt à la formation de leur partie organique. Cette assimilation aux dépens de Pair est proportionnelle à l'extension des organes foliacés; tandis que celle du sol est relative, dans la plupart des cas, à la quan- tité de matières combustibles qui sy trouvent en décomposi- tion. Mais le carbone des plantes ne peut-il pas aussi émaner d’une autre source? Certains principes organiques auxquels donne naissance la décomposition de lhumus, ne peuvent-ils pas être absorbés directement et produire ainsi un accroissement dans la masse végétale ? Le fumier, provenant des excréments solides et liquides des animaux, de la paille et d’autres matières végétales, déposé dans le sol et favorisé de l’action simultanée de l’eau, de l'air et de la chaleur, se décompose peu à peu au profit de la végétation et prend ensuite la forme d’une substance brune, noïrâtre et grasse appelée humus ou terreau. Dans les terres cultivables, l’action des substances organisées, réduites à l’état d’humus, continue à s'exercer, mais avec une certaine lenteur qui est proportionnée au degré de fermentation de la matière. Celle-ci, avec le temps, passe de plus en plus à une modification insoluble jusqu'à ce qu’elle constitue un corps stable indestructible appelé charbon ou pourri, dont l'effet utile, dans les terres arables, se borne à une simple action mécanique dont nous aurons lieu de parler plus loin. Le terreau ne provient pas seulement de altération spontanée du fumier, « il est aussi le résultat de la décomposition des êtres organisés qui vivent et meurent à la surface de la terre végétale. Chaque année, les racines, les tiges, les branches et les feuilles des plantes fournissent une grande quantité d’humus par leur destruction; il en est de même des animaux et des insectes qui, pendant leur vie et après leur mort, contribuent à le former par (16) leurs déjections et leurs dépouilles (1). » Il est donc facile, d'a- près ce simple exposé, de reconnaître que le terreau est loin d'avoir partout cette composition chimique identique qu’on lui prête généralement, et l’on conçoit, dès lors, qu'il peut se for- mer, durant sa décomposition, une variété de principes orga- niques, tels que les acides ulmique, humique , séique, sacchul- mique, etc., ete. (2), qui doivent avoir respectivement leur part d'influence sur la croissance des plantes. Nous ne nous arrêterons pas à étudier tous ces composés dans les rapports qu'ils ont avec la végétation. Cette étude ne saurait devenir profitable aussi longtemps que de nouvelles recherches ne seront venues soulever le voile dont quelques-uns d’entre eux sont encore couverts. Le seul point qui doive nous occuper ici est celui de savoir si la solution de l'extrait de terreau ou, pour nous exprimer plus clairement, si l'acide ulmique que l'on précipite d'une décoction alcaline peut acquérir, en présence des alealis, la propriété de pénétrer directement dans les plantes et de leur servir ainsi de nourriture. Le mode d'action de cette substance nous paraît devoir mériter un examen tout particulier, alors surtout qu'un grand nombre de chimistes considèrent ces pro- duits comme les principaux aliments des plantes. Nous cherche- rons donc à élucider le rôle nutritif qu'ils jouent et sur lequel nos physiologistes ne sont encore nullement d'accord. On avait toujours admis jusqu’en ces derniers temps que les plantes peuvent utiliser directement la solution de l'extrait de terreau; mais M. Liebig (3) est venu nier cette assimilation en s'appuyant sur les expériences de M. Hartig (4) tendant à prou- ver que les racines des plantes en vie et au contact d’une solu- tion organique d'humus n’aspirent que l'eau et laissent intacte la (1) Cours complet d’agricullure, ou nouveau dictionnaire d’agricul- ture théorique et pratique, ete., etc., tom. XVII, p. 295. Paris, 1854. (2) On obtient ces produits en traitant la tourbe, les lignites, la fibre li- gucuse, etc., par les alcalis. (5) Liebig, /ntroduciion au traité de chimie, etc., p. xs. (4) Id. id. id., P. GEVII. (17) matière extractive. Cependant M. De Saussure (1), ayant répété les expériences de M. Hartig avec les mêmes plantes, a obtenu un résultat contraire; car la liqueur, résidu de la végétation, lui a donné 2 centigrammes d’ulmate de potasse, qui contenait 9 milligrammes d’humus. Ce chimiste a pensé, d’après cela, que, dans l'expérience de M. Hartig , les racines des végétaux étaient dans un état de souffrance. Pour démontrer que les plantes absorbent dans la terre des matières organiques dissoutes qu'elles élaborent dans leurs vais- seaux, ou pour bien apprécier le mode d'action de l'acide ulmi- que, il convient que celui-ci soit associé à une base alcaline et que le sel formé soit disposé de telle sorte qu'avant de céder au pouvoir des racines, il ne soit point sujet à une altération spon- tance, ni à une réaction chimique avec les sels minéraux qui doi- vent l'accompagner pour assurer le développement des plantes. Il importe aussi d'opérer sur les plantes pendant toute la période de leur eroissance; il faut enfin prouver qu'il y a absorption de la substance organique dans le corps du végétal et que celle-ci peut être assimilée; car il pourrait arriver, comme cela à lieu pour la teinture de bois de Brésil, etc., que l'on constate sa pré- sence dans la séve, sans que ce fait indique qu'elle soit propre à l'élaboration. J'ai fait une expérience qui jettera probablement quelque lumière sur l'absorption directe et sur l'assimilation de l'acide ulmique. Bien que les difficultés qui entourent constamment l'établissement de semblables essais paraissent d’un ordre assez complexe, j'ai néanmoins cherché, comme on pourra le voir, à les soulever. Voici cette expérience : Nous fimes germer 42 graines d'avoine dans du sable caleiné, lavé et humecté avec de l'eau distillée. Après 16 jours d'attente, nous pûmes enlever, sans léser les racines, une partie des jeunes plantes produites, pour les suspendre au-dessus de plusieurs fla- (1) Le comte de Gasparin, Cours d'agriculture , seconde édition, t. I‘, p. 110. Paris, 1846. 9 (18 ) cons d'eau distillée, placés à l'abri des poussières atmosphéri- ques, dans un cabinet légèrement aéré. Trois flacons À reçurent des sels et des oxydes métalliques exempts de matières organiques, d'alcalis et de leurs radicaux. Trois flacons B reçurent le même traitement, plus 05,55 dul- mate de potasse (1) pour 100 grammes d'eau. Ces six flacons furent affectés à la nourriture de six plantes, c'est-à-dire que chacun des flacons À, recevant deux plantes pen- dant 48 heures, en était privé lorsque celles-ci étaient trans- portées dans les flacons P , où elles séjournaient pendant 6 heures du jour. Cette transmission des plantes d'un vase à l'autre eut lieu pendant le temps que dura la végétation. Pour empêcher toute décomposition et enlever toute trace de matières adhérentes qui auraient pu avoir quelque influence sur le développement des plantes, chaque fois que celles-ci furent changées de vase, la solution organique fut renouvelée et les racines convenablement lavées dans des bassines et avec assez de précautions pour ne pas mutiler les radicelles. Comme point de comparaison, deux autres plantes furent sou- mises à des procédés exactement semblables aux précédents, avec cette seule différence que, dans la solution des flacons B, la po- tasse du sel organique fut remplacée par un équivalent de potasse chlorhydratée. Enfin, deux autres plantes furent également traitées de la manière qui vient d'être indiquée; mais au lieu de plonger dans une dissolution de chlorhydrate de potasse, leurs racines baignaïent dans une dissolution de bicarbonate de cette base. Les feuilles primordiales de toutes les plantes conservèrent, les douze premiers jours, une belle vigueur. Il se manifesta en- suite une petite différence qui devint de plus en plus apparente en faveur de la solution de l'extrait de terreau et du bicarbonate de potasse. Les plantes traitées avec de l’ulmate tallèrent. Chaque (1) J'ai obtenu ce sel en faisant macérer du terreau des landes ardennaises avec une solution de carbonate de potasse. La matière filtrée et traitée par de l'acide sulfurique a donné un précipité qui , purifié de l'acide adhérent, a pro- duit, avec la potasse , l’ulmate dont il est ici question. ( 19 ) graine ensemencée produisit deux tiges d'assez belle venue, beaucoup moins riches cependant que celles qui se récoltent dans nos champs, et donna, en moyenne, 24 graines bien dé- veloppées. Les deux plantes qui avaient reçu un bicarbonate alcalin of- frirent, au moment d'accomplir leur fructification (1), une végé- tation plus belle et plus vigoureuse que celle traitée avec du chlorhydrate de potasse, mais elles furent moins riches que celles traitées avec des parties extractives solubles de lhumus. Ce rap- prochement entre les différents produits nous donne à croire que le carbone des sels minéraux carbonatés participe à la pro- duction organique des plantes. Les plantes privées de toute matière organique restèrent pro- portionnellement faibles et rabougries. Chaque graine ensemencée ne produisit qu'une tige; et celle-ci ne donna que 14 graines d'une assez bonne conformation. Les produits donnèrent : NOMBRE POIDS ne Er —- des DÉSIGNATION. DE TIGES DE GRAINES |TIGES ET GRAINES| . obtenues. ensemencées. sèches. || Avec ulmate . . Sans ulmate . DiFFÉRENCE. Les résultats de nos investigations sont, comme on peut le voir, très-tranchées en faveur de l'assimilation du carbone ou des éléments de l’ulmate. Ils ont été plus caractérisés que nous ne l'aurions cru ; car le produit organique résultant de la plus-value (1) Les tiges des deux plantes soumises à l’action du bicarbonate de potasse ont été brisées par suite de la chute d’un vase, cette circonstance a mis fin à mes observations sur l'influence de ce sel. (20) des plantes qui avaient reçu des matières extractives du terreau, renferme une quantilé de carbone relativement beaucoup plus grande que celle qui à pu être introduite par les racines, ce qui tend à nous faire croire que l'incorporation de la matière extrac- tive aura augmenté la surface absorbante des feuilles qui, à leur tour, auront enlevé à l'air la quantité correspondante de car- bone. La différence qui s'était manifestée, durant la végétation, entre les plantes traitées de manières différentes, nous démontrait déjà que la matière organique de l’humus était absorbée par les végé- taux et concourait à leur développement; mais, pour nous en assurer d’une manière plus positive, nous fimes plonger, pendant quelque temps, les racines de deux belles plantes provenant des flacons B dans une dissolution concentrée d’ulmate de potasse. Après quoi, elles furent extraites des vases et leurs racines furent parfaitement lavées. Les eaux de lavage réunies à celles du flacon furent soumises à l'examen. Nous pûmes constater en premier lieu que la solution, ramenée à un degré de concentration égale à celle préexistante, avait éprouvé une décoloration; puis, que l'extrait de la liqueur originaire avait perdu 10 centigrammes. Ce chiffre représente la quantité d’ulmate absorbée par les plantes dans l’espace de cinq jours. Ces plantes ayant, en outre, été expri- mées sans retard, nous avons pu, immédiatement après l’extrac- tion en faire analyser la séve, laquelle ne donna aucune réaction capable de déceler la moindre trace d'acide ulmique. Une partie de cette séve fut également analysée par M. De Koninck, et les recherches de ce chimiste ne donnèrent lieu à aucune observa- tion contraire. Puisqu'il n’a pas été possible de découvrir l'ul- mate de potasse en circulation dans les vaisseaux des plantes soumises à son action, nous sommes porté à admettre qu'intro- troduite dans les organes radicellaires, et peut-être bien aussi dans les tissus ligneux ou herbacés, la matière organique du ter- reau à dù sy uliliser instantanément. La séve dont il vient d'être parlé, renfermait une petite por- tion de potassium, combinée au chlore provenant d'un chlorure (21) calcique. La cendre de deux plantes (tiges et graines, flacons B) contenait une quantité très-appréciable de potasse carbona- tée; c’est-à-dire que la proportion de cet aleali fixée dans les deux graines semées était sensiblement plus faible que celle contenue dans les plantes auxquelles ces graines avaient donné naissance. Or, comme la base de ce chlorure et de ce carbonate se trouvait primitivement alliée avec l'acide ulmique, comme, d'une autre part, ces deux substances ne pouvaient ni réagir chi- miquement avec d’autres corps, ni s'introduire isolément dans les organes aspiratoires du végétal (à moins de supposer que les spongioles aient la faculté de les désunir et d'aspirer la base du sel à l'exclusion de l'acide, supposition qui n'est pas fondée si l'on s'en rapporte aux lois qui semblent régir l'absorption des corps par les racines, et qui devient tout à fait inadmissible d'a- près ce qui a été exposé plus haut), nous devons nécessairement conclure que l’ulmate de potasse cireulant dans la partie séveuse a dû y subir une décomposition sous l'influence du principe vital, d'abord pour que la plante ait pu s'approprier le carbone ou les éléments organiques de la matière extractive, et ensuite pour que le sel ait pu abandonner sa base au chlore ainsi qu'aux acides végétaux engendrés durant la végétation. Nous pouvons donc dire, en opposition à l'opinion de M. Lie- big, que l’humus doit agir favorablement sur la végétation au- trement que par la source d'acide carbonique qu'il offre, et que, contrairement aux recherches de M. Hartig, il doit acquérir dans le sol, par l'intermédiaire de l'eau et des alcalis, la faculté de céder directement du carbone aux plantes. Nous voyons, d'après ce qui précède, que la solution de l'extrait de terreau peut suppléer au manque d'acide carbonique de l'air et remplacer, jusqu’à un certain point, le même gaz qui est pro- duit dans le sol par l'érémacausie des substances organiques. Mais cette faculté n'est-elle point réciproque? Si, par exem- ple, on offrait aux plantes une atmosphère plus chargée d'acide carbonique, leur développement n'augmenterait-il pas propor- tionnellement? Si l'on mettait artificiellement au contact des (2) radicelles un courant d'acide carbonique, n’obtiendrait-on point un résultat analogue et, dans cette supposition , ne serait-il pas possible de remplacer, dans l'alimentation végétale, le carbone qui dérive des matières organiques empruntées directement au sol? L’extrait d’'humus, lhumus lui-même est-il réellement in- dispensable à la vitalité et à l'accroissement des plantes? Des végétaux croissant sur ün sol riche en substances minérales, mais privé d'engrais de ferme ou d’autres substances artificielles capables de dégager de l'acide carbonique, peuvent-ils tirer de l'air et du sol une quantité de carbone suffisante pour acquérir un grand développement ? Nous avons cherché à résoudre ces problèmes intéressants qui forment, en grande partie, la base d'une nouvelle théorie émise par M. Liebig; si nous nous abstenons de les aborder ici, c’est que notre intention est d'y revenir bientôt. CHAPITRE II. DE L'AZOTE, DE L'AMMONIAQUE ET DE L'ACIDE NITRIQUE. L’azote, dans la vie organique, joue un rôle extrêmement im- portant. On à cru longtemps qu'il n'y avait que les matières animalisées qui continssent cet élément; mais des recherches récentes sont venues confirmer sa présence, d'abord dans toutes les graines, et ensuite dans presque toutes les autres parties des plantes. Sous quelle forme et de quelle manière la nature offre-t-elle aux plantes l'azote renfermé dans les divers sucs, l'albumine, le gluten et les graines? (25 ) Quelle part prennent respectivement l'azote libre de l'air et l'azote des sels ammoniacaux et des azotates à l'acte d’assimila- tion dans les plantes ? C'est sur la connaissance de ces faits que s'appuie naturelle- ment la véritable théorie des engrais qui doit servir de pivot à notre agriculture. Nous expeserons donc sur ce sujet les opinions principales des physiologistes et des chimistes, et nous tâcherons, s’il y a lieu, de donner ensuite une solution satisfaisante aux ques- tions qui viennent d’être posées. MM. Priestley et Ingenhousz (1) ont été portés à admettre, par une suite d'expériences, qu'il y a absorption sensible d'azote pendant la végétation des plantes placées dans une atmosphère limitée, ce qui, selon eux, démontrait que les plantes possè- dent la propriété de s’assimiler l'azote de l'air. Ces expériences furent répétées avec des soins tout particuliers et continuées beaucoup plus longtemps par M. De Saussure (2); mais cet ob- servateur n'obtint pas des résultats semblables aux précédents; il crut même apercevoir une légère exhalation d'azote, ce qui lui fit supposer que les plantes ne condensent point sensible- ment ce gaz. Il ajoute que les expériences de MM. Senebier et Woodhouse confirment cette supposition. Si l’on examine les dispositions qui ont été prises pour assu- rer le succès de ces expériences, il est facile de voir qu'il n'était guère possible d'arriver à des résultats positifs et concluants. En opérant sous l’eau, comme l'ont fait les physiologistes que nous venons de citer, et en renouvelant la plante à plusieurs re- prises pendant le temps de l'expérience, on n’a pas pu éviter le mélange de l'air extérieur avec celui confiné dans le récipient où s’accomplissait la végétation. M. Boussingault (3) s’est livré à des expériences multipliées (1) Liebig, Chimie appliquée à la physiologie végétale, p. 327. Paris, 1844. (2) On pourra consulter pour les détails de ces expériences l'ouvrage de M. De Saussure : Recherches chimiques sur la végétation, p. 206. (3) Boussingault, Économie rurale, etc., t, IL, p. 309 et suiv. (24) sur la culture de diverses plantes formant une rotation quin- quennale. Après avoir dosé l'azote des engrais et celui contenu dans les récoltes, il a constamment trouvé que le premier excède le second, et il admet d'une manière générale que cet azote en excès provient de l'atmosphère. Il pense, en outre, sans toutefois pouvoir en préciser le mode d’assimilation, que ce principe peut entrer directement dans l'organisme des plantes, si leurs parties vertes sont aptes à le fixer, et que cet élement peut être porté dans les végétaux par l’eau, toujours aérée, qui est aspirée par leurs racines. Ce physiologiste ne se refuse cependant pas à croire qu'il existe dans l'air une quantité infiniment petite de vapeurs ammoniacales, comme l'ont observé plusieurs physiciens (De Saussure, Liebig). D'après ces expériences, on est porté à croire que l'azote des plantes a l'atmosphère pour origine : c'est d’ailleurs ce que vien- nent corroborer d’autres faits pratiques. On sait, en effet, que, dans les exploitations rurales, on exporte, toutes les années, une certaine somme d'azote sous forme de substances alimentaires, sans que la quantité d'azote qui se produit dans l’économie au détriment de la terre soit diminuée. Or, puisqu'il ne s’en pro- duit que peu ou point dans le sol arable, puisque, d’un autre côté, il n’est pas amené de l'extérieur une quantité d'azote pro- portionnelle à celle qui est annuellement jetée dans le com- merce, il paraît évident que cet élément de fécondité dérive de l’atmosphère. Mais sous quelles formes arrive-t-il dans les plantes? Voilà ce qu'il importe de savoir, et c'est ce que les expé- riences de M. Boussingault ne constatent pas d'une manière dé- cisive. L’excédant en azote constaté dans la récolte par ce physiolo- giste ne démontre pas, à nos yeux, que les plantes aient enlevé cet élément à l'atmosphère plutôt qu'ailleurs. La quantité d’am- moniaque que les eaux pluviales amènent sans cesse sur le sol, w’est-elle pas, par exemple, plus considérable que ne l'avaient d’abord prévu les physiciens, et n’aurait-elle pas pu contribuer ainsi à accumuler les principes albumineux, etc., dans les (25) plantes ? Les substances organiques, alors même qu'elles ne ren- fermaient pas de principes azotés, ne pouvaient-elles pas en créer sous une forme assimilatrice durant l'accomplissement des phénomènes qui accompagnent leur combustion lente? M. Boussingault (1) a tenté d’autres expériences dans une terre exempte de matière organique. Les conclusions de ses re- cherches ont été, à peu de chose près, les mêmes que les précé- dentes. Il a trouvé que le trèfle et les pois ont acquis, par la culture, une quantité d'azote appréciable à l'analyse ; tandis que, pour le froment et l'avoine, obtenus dans les mêmes conditions, il n'a pu constater un gain en azote. Comme la terre artificielle dont il a fait usage avait été préalablement calcinée et déposée dans un pavillon dont les fenêtres restaient hermétiquement fermées, on doit croire avec lui que le trèfle et les pois ont puisé directement leur azote à l'air. Cependant, il resterait encore à décider si l’eau distillée dont on s'est servi ne renfermait point d’'ammoniaque (2), si la terre artificielle ne renfermait point d'azote sous forme de nitrates ct si ces substances azotées n'ont point participé à la production des principes immédiats des plantes. Toutes ces circonstances, ainsi que plusieurs autres dont nous aurons bientôt à parler, jettent du doute sur la fixation de l'azote atmosphérique. M. Liebig (3) semble rejeter toute idée qui tendrait à laisser supposer que le gaz azote peut être assimilé; il dit, en s'appuyant principalement sur les résuliats obtenus par la plupart des expé- rimentateurs, qu'on n’a aucune preuve directe en faveur du rôle nutritif de l'azote atmosphérique, et que, jusqu'à présent, on ne pourrait pas même citer à cet égard des preuves indi- rectes. (1) Boussingault, Économie rurale, ete., t.1, p. 72. (2) L’eau distillée trouble toujours le sous-acétate de plomb , en raison du carbonate d’ammoniaque qu’elle renferme ; ce n’est qu’en ajoutant à l’eau, avant de la distiller, de l’alun ou un acide minéral qu’on peut l’en priver complétement (Liebie, Chimie appliquée, etc., p. 65). (5) Liebig, Chimie appliquée à la physiologie végétale, etc., p. 327. (26 ) On le voit, le rôle que joue l'azote de l'air sur le phénomène de la nutrition des plantes est encore très-obscur. Les recher- ches qui ont été tentées dans cette direction sont insuffisantes; les chances d'erreurs auxquelles les expériences ont été sou- mises, les résultats opposés auxquels elles ont donné lieu, ne nous permettraient point encore de nous prononcer avec certitude sur l’une ou l’autre des opinions émises, si de nouvelles expé- riences n'avaient été faites. Ces expériences, nous les avons en- treprises et nous nous réservons d'en communiquer les résultats, après avoir présenté quelques considérations sur l'azote de l'am- moniaque et de l'acide nitrique. L'existence de l’'ammoniaque dans l'atmosphère est aujour- d'hui bien établie. On a d'abord constaté sa présence dans les eaux pluviales et dans les eaux de neige; plus tard, on l'a aussi trouvée dans les eaux de fontaine et dans les eaux minérales; nous l'avons également rencontrée dans les tourbières ferru- gineuses de l’Ardenne luxembourgeoise. De l’époque de cette grande découverte date l'explication de nombre de phénomènes qui étaient restés jusque-là couverts d’un voile impénétrable. C'est aussi à partir de cette époque que M. Liebig a cherché à détruire cette idée que les plantes prélèvent directement leur azote à l'air, pour faire admettre que lammoniaque est seule em- ployée par les organes végétaux à produire les matières azotées qui y sont contenues. Cette théorie a pour base principale les déductions suivantes : « Puisque l’on trouve de l'azote dans tous les lichens qui poussent sur les rocs de balsalte; que les champs produisent plus d'azote qu'on ne leur en amène comme aliment; que l'on rencontre de l’azote dans tous les terrains, dans les mi- néraux mêmes qui ne se trouvent jamais en contact avec des matières organiques; que dans l'atmosphère, dans les eaux de pluie et de fontaine, dans tous les terrains, on retrouve cet azote sous la forme d’ammoniaque, comme produit de la destruc- tion des générations antérieures; que la production des prin- cipes azotés, enfin, augmente dans les plantes avec la quantité d’'ammoniaque qu'on leur offre dans le fumier animal, on peut (27) en conclure en toute sûreté que c’est l'ammoniaque de l'at- mosphère qui fournit l'azote aux plantes (1). » Sans partager entièrement les idées de M. Liebig, nous pen- sons néanmoins avec lui que l’azote de l'ammoniaque prend part à la nutrition des plantes. C’est là, du reste, une opinion que les physiologistes tendent à préconiser. Tous ceux qui ont porté leurs vues sur les applications agricoles reconnaissent l'efficacité de l’ammoniaque, ou plutôt des sels ammoniacaux, dans les en- grais. Ainsi, les démonstrations pratiques nous prouvent que, dans les céréales, la production du gluten est jusqu'à un certain point en rapport avec la somme d’azote contenue dans les engrais offerts à la terre. Or, puisque les engrais ne peuvent point céder leur azote aux plantes à l’état de gaz azote et que, sous nos cli- mats tempérés, et même sous les régions tropicales, les derniers produits de la putréfaction et de la décomposition lente ne peu- vent pour ainsi dire, se présenter que sous la forme d'ammo- niaque, il est naturel d'admettre que c’est de cet alcali que les plantes de nos terrains cultivés tirent la majeure partie de leurs aliments azotés. D’autres considérations viennent également appuyer cette théorie ; cependant, la relation qui existe entre l’azote des engrais et celui qui est contenu dans les végétaux, les faits pratiques sur lesquels nous venons de nous appuyer et les recherches faites par nos physiologistes ne suffiraient pas pour nous prouver que l’am- moniaque participe aux phénomènes de la vie végétale, si les ex- périences directes que nous avons entreprises dans ce but n'étaient venues lever les incertitudes qui planaient encore à cet égard. S'il est bien reconnu que l’'ammoniaque sert à entretenir le développement des plantes, ce n’est cependant pas un motif pour croire que celles-ci ne puissent emprunter leur azote à d'autres combinaisons azotées. La question de savoir si l'azote des nitrates peut ou non être utilisé dans l'organisme végétal a été maintes fois soulevée par (1) Liebig, Chimie appliquée à la physiologie, ctc., p. 81. (28 ) nos savants; mais, comme pour l’'ammoniaque, il y a absence d'expériences exactes. Voyons cependant à quelle opinion nous devons nous rallier. M. Boussingault (1) rapporte qu'on a fait, avec le nitrate, des expériences comparatives assez nombreuses, et qu’en admettant leur exactitude, on demeurerait convaincu de son efficacité sur le sol convenablement pourvu d'engrais organique. 11 nous dit aussi que M. Barclay, après avoir pris connaissance des essais tentés dans son voisinage, en a fait lui-même quelques-uns dont voici le résumé : Culture sur un hectare. DIFFÉRENCE RECOLTE, SANS NITRATE, AVEC NITRATE, en faveur du nitrate. {h À h. h. h. HMErOmenN te TE RON 27,50 51,25 4,175 PA le EE At AE UnEe 2,463 kil. 2,900 kil. 453 kil. Cet essai nous montre, à la vérité, qu'une application de nitrate de soude augmente la procuction organique de la plante; mais elle ne nous permet point de prévoir si l'augmentation produite est due à l'azote plutôt qu'à la base du nitrate. « On a longtemps observé que les parties les plus fertiles de l'inde (dit M. Johnston) sont celles dont le sol renferme le plus de salpêtre; que, dans plusieurs parties de cette contrée, le nitrate de soude donnait une force prodigieuse à la végétation; et l'on a fréquemment noté que, après une pluie qui suivait un orage, la végétation semblait rafraîchie et renforcée (2). » Ce professeur conclut de ces faits, qu'il n’y a pas de raison de dou- (1) Boussingault, Économie rurale, etc., t. II, p. 196 et suiv. (2) Johnston, Eléments de chimie agricole et de géologie, traduits de l'anglais, P. 26 et 27. Paris, 1846, ( 29 ) ter que l’acide nitrique agit d’une manière bienfaisante sur la végétation générale du globe , et que c’est de l'acide nitrique, produit dans tout l'univers et rencontré partout, que les plantes paraissent tirer une grande portion de leur azote. « Cependant, ajoute-t-il, si l'on considère la végétation en général et la plus grande quantité d'azote que contiennent les plantes sous tous les climats, elles doivent retirer de l’'ammoniaque une partie de cet élément; mais elles le puisent moins à cette source dans les régions des tropiques que dans les contrées qui jouissent d’un climat tempéré (1). » Ces observations nous paraissent de na- ture à faire admettre que l'azote des nitrates ne reste pas inerte dans l'acte vital des végétaux. Néanmoins, elles ne présentent rien d'assez décisif pour servir de point d'appui à la discussion. Si le nitrate de soude donne une force prodigieuse à la végé- tation, ne pourrait-on pas supposer que cette action est due, comme dans l'expérience précédente , à la présence des alcalis qui ont une puissance non équivoque sur les plantes ? Si, d'un autre côté, la végétation se trouve rafraichie et renforcée, ne pourrail-on pas croire, avec autant de raison, que cet état de choses est la conséquence de l'action de l'ammoniaque des eaux pluviales ou bien de l’eau elle-même ? Ces questions s'appliquent aussi à l'observation suivante, présentée par M. Thaër : « Les essais faits sur le salpêtre employé en très-petite quantité, ont présenté des résultats beaucoup plus sensibles que ceux qu'on a obtenus du sel marin (2). » Nous ferons cependant remarquer que cette observation a plus de valeur que les précédentes, en ce sens que le sodium du sel marin supplée à la soude dans les plantes; mais elle n’est pas assez concluante pour l’objet de nos recherches. M. Dumas (3) pense que l'azote arrive dans les plantes et ne 1) Cette conclusion, portée par M. Johnston, est contraire à une théorie de Ai. Liebig, qui fixera plus loin notre attention. (2) Thaër, Principes raisonnés. (5) Dumas et Boussingault, £ssai de statique chimique, etc., p. 28. (50 ) sy utilise que sous forme d’ammoniaque ou d'acide azotique. M. Davy, tout en acceptant avec une extrême défiance les résultats de sir Kenelm Digby, sur l'efficacité du nitre dans la culture de l'orge, consent pourtant à croire que l'azote du nitre peut concourir à la production de l’albumine et du gluten (1). Comme on a déjà pu le voir, M. Liebig a une opinion contraire; il nous enseigne que « l'acide nitrique et les nitrates n'ont pas été destinés par la nature à fournir de l'azote aux plantes (2). » Selon ce chimiste, il n'y aurait que l'ammoniaque qui fournirait l'azote à l'albumine végétale (3). Cette théorie est principalement étayée sur l'idée que les matières animales sont indispensables à la formation des nitrrères (4), d'où il découlerait que si l’on a lieu d'observer une augmentation de produits dans les terres contenant des nitrates, on ne peut en attribuer la cause qu'aux substances animales, aux alcalis et aux phosphates des parties animales. Les travaux de M. de Gasparin (5), ainsi que ceux de plu- sieurs autres chimistes, prouvent, en effet, que l'acide nitrique peut se former par la décomposition des débris animaux qui produisent de l'ammoniaque en nature; mais il n'est pas permis d'en inférer que la partie essentielle du nitre qui recouvre la surface de la terre provient des matières animales; car il est parfaitement établi dans l'esprit du savant appréciateur (6) que, sans addition de manières animales, on peut obtenir une nitri- fication rapide. M. Davy a également constaté qu'il se forme du nitrate de chaux et de poiasse dans un calcaire feldspathique ne renfer- mant aucune trace de matières animales (7); or, puisqu'il est (1) Boussingault, Économie rurale, etc., t. IL, p. 197. (2) Liebig, /ntrod. au traité de chimie organique, p. rxn. (3) Liebig, Chimie appliquée à la physiologie, etc., p. 324. (4) Id. id. id. p-515et suiv. (5) De Gasparin, Cours d’agriculture, t. 1, p. 198 et 129. (6) Id, id. t. 1, p. 129. (7) Liebig, Chimie appliquée à la physiologie, etc., p. 516. (51) prouvé clairement que des nitrates peuvent se former en l’absence de toute substance organique, il s'ensuit que si les terres nitri- fiées augmentent la production des plantes, cetteaugmentation ne peut être attribuée uniquement aux alcalis, aux phosphates, ete., des matières animales ; et, si rien jusqu'ici ne prouve que l'azote des nitrates ne contribue point pour une part à la formation des principes azotés des plantes, peut-on affirmer qu'il reste sans ac- tion sur leur accroissement ? La question de l'assimilation de l'azote des nitrates est loin d'avoir reçu une solution satisfaisante. Les résultats qu'appor- tent les travaux des hommes les plus éminents de la science ne sont encore appuyés que sur des faits vagues ou inceriains. Comme pour le rôle de l'ammoniaque, il y a, à ce sujet, absence d'expériences positives. Les contradictions que nous avons ren- contrées ne nous étonnent pas, car le problème est difhcile à résoudre. Qu'il nous soit même permis d’avouer que ce n’est pas sans avoir éprouvé les craintes les plus sérieuses que nous avons osé aborder les expériences qu'il nécessite et dont voici l'ex- posé : Expérience sur l'azote des nitrates. — Un champ graissé de- puis un an avec du fumier de ferme ordinaire reçut une cer- taine quantité de cendres de bois non lessivées ; après quoi, il fut partagé en cinq parties égales, et quatre d’entre elles reçurent du nitrate de soude dans des proportions différentes pour cha- cune d'elles. Le froment récolté donna pour un hectare : DIFFÉRENCE PRÉPARATIONS. GRAINES OBTENUES, en faveur des nitrates. Sans nitrates. . . . . eur 4,710 kilog. » Avec 15 kilog. de nitrates. : 1,827 — 117 kilog. 20 pi 1,931 224 — 25 Le 1,965 265 — 35 AE 1,555 » (32) Quoique la terre fût imprégnée de matières azotées fournies par une fumure appliquée l'année précédente, ces résultats nous indiquent néanmoins une différence marquante en faveur de l'azote des nitrates. Si le compartiment qui avait reçu 35 kilogr. de nitrates n'a pas été aussi productif que les autres, nous croyons devoir en attribuer la eause à la forte dose de sel employé. En opérant sur une terre privée de principes salins, peut-être la base du sel introduit aurait-elle agi très-favorablement sur la produc- tion; mais comme l'action de cette base cesse d’être perceptible lorsque le sol en renferme une certaine quantité, il nous paraît logique d'admettre que la différence n’a pu provenir de la soude du nitrate et que le sel a agi par l'azote qu'il contenait. Cepen- dant il ne serait pas impossible que la soude du nitrate eût fa- vorisé l'accroissement des plantes en provoquant l'assimilation des substances minérales du sol; nous avons donc cru indispen- sable, pour lever tout doute à cet égard, de faire de nouvelles recherches sur l'action de ce sel, et les expériences auxquelles elles ont donné lieu nous ont en même temps permis de consta- ter l'influence de l'azote atmosphérique et de l'azote de l'ammo- niaque sur le développement des végétaux. Expérience sur le gaz azote, sur l'azote de l'ammoniaque et des nitrates.— Comme matière propre à fixer les racines des plantes, uous employâmes du sable. Après en avoir enlevé l'argile fine qui l’accompagnait, nous le traitèmes par de l’eau régale et puis par des lavages soignés à l’eau distillée. À ce sable privé de tout principe azoté, nous ajoutâmes des sels et des oxydes métalliques dans les proportions suivantes : Carbonate de chaux . . . . 4,55 | Phosphate de magnésie . . . 5,14 — demagnésie . . . 1,18 — desoude. . . . . 6,14 Oxyderdelfer MEN MEN US S0N M Sulfate delchaux VENUE RE H080 — decalcium . . . . . 1,15 | Chlorure de sodium. . . . . 0,28 Hydrate d’alumine. , . . . 8,09 | Silicates alcalins. AN LAIT Phosphate de chaux . . . . 10,60 Cette terre artificielle, composée de 914,49 parties de sable | (35) quartzeux à gros grains et de 7,64 parties de matériaux ajoutés, fut placée en proportions égales dans quatre bassines en porce- laine déposées dans un cabinet vitré et bien fermé. Après en avoir traité une partie avec des sels azotés, nous confiâmes 8 graines de froment à chaque bassine, et lorsqu'elles eurent donné de jeunes plantes, nous en fîmes le triage: les six plus belles furent laissées. Pendant la végétation, le sable fut entretenu dans un état d'humidité convenable au moyen d'eau distillée préalablement traitée avec de l'acide sulfurique; en outre, toutes les plantes reçurent artificiellement de l'acide carbonique et de la silice gé- latineuse. Elles donnèrent à la récolte : PRODUIT. TRAITEMENT. Épis. Graines. À BASSINES. Sels sans nitrate et sans ammoniaque . Sels et nitrate de soude sans ammoniaq. Sels et hydrochlorate d'ammoniaq. sans MALTA TE ANT RARE NET ET MARNE Sels, nitrate et carbonate de soude sans ammoniaque . Ces résultats nous conduisent à plusieurs conséquences im- portantes : nous voyons 4° par À, qu'un principe azoté est né- cessaire aux plantes pour qu’elles puissent acquérir un dévelop- pement et une frucüfication parfaits : ce qui démontre que l'azote de l'air n'est pas utilisé directement; 2 par À et C, quon obtient une différence de 75,699 en faveur de l’ammonia- que : ce qui nous indique que l'azote de l’'ammoniaque a con- couru aux phénomènes de la vie végétale; 3° par Bet C, qu'on obtient, avec de l'ammoniaque, 95,169 de graines, et avec des nitrates, 9,943. Or, puisqu'il n'existe qu'une si faible diffé- rence dans le rendement entre B, traité avec du nitrate, et €, traité avec de l'ammoniaque, il s'ensuit que les plantes ont em- prunté l'azote des nitrates pour se constituer. On est d'autant 5 ( 54 ) plus convaincu de ce fait, que la bassine À, qui n’a pu porter que quelques graines chétives à cause d’un manque d'azote, exclut toute idée que les plantes aient pu emprunter leur azote à une autre source, 4° par D, qu'on obtient avec des nitrates et des alcalis carbonatés, 105,167, ce qui nous autorise à croire, puisqu'il n'existe pas de différence sensible entre ce produit et celui obtenu par B, traité avec des nitrates seulement, que le produit réalisé est la conséquence de l'azote des nitrates et non de celui des alcalis. Mais ces expériences sont-elles bien concluantes et peut-on admettre rigoureusement toutes les conclusions que nous avons tirées? Voilà ce qu'il importe d'examiner. Pour mettre nos essais à l'abri de toute critique, nous aurions dû savoir si les plantes traitées sans ammoniaque et sans nitrate ne contenaient pas une somme d'azote supérieure à celle qui est renfermée dans les six graines ensemencées. Bien que la récolte de la bassine À fût beaucoup plus faible que les autres, il ne serait pas impossible, à en juger par la quantité de graines produites, que celles-ci renfermassent avec les tiges, les feuilles et les raci- nes, une proportion d'azote relativement plus grande que celle qui était contenue dans les graines soumises à la germination. Ceci jette nécessairement du doute sur la fixation de l'azote at- mosphérique. En supposant même que l'analyse nous ait donné un gain en azote, aurions-nous pu certifier que cet excédant a été emprunté directement à l'air ambiant? Nous ne le pensons pas, et cette opinion est fondée sur plusieurs raisons palpables. D'abord, en arrachant, après la levée des graines, deux plantes dans chaque bassine, il a pu se faire qu’il soit resté dans le sable quelques fila- ments radicellaires capables de produire, par leur décomposition, une certaine quantité de gaz ammoniacal. Ensuite, quoique de grandes précautions aient été prises pour maintenir les essais à l'abri des matières organiques et du contact de l'air atmosphé- rique, il n’a pas été possible d'éviter toutes les causes qui pou- vaient en compromettre l'exactitude; l'air renfermé dans une (35) chambre contient toujours des poussières fines qui finissent par se précipiter. En troisième lieu, tous les corps étant soumis, par les changements de température, aux lois de la contraction et de la dilatation, et ce phénomène se perpétuant sans cesse, des échanges ont dû nécessairement avoir lieu entre l'air extérieur et celui confiné dans le cabinet où étaient établis les essais. Enfin, il a été difficile d'empêcher l'air atmosphérique, humide ou sec et toujours chargé d’une légère fraction de principes azo- tés, de pénétrer dans le cabinet chaque fois qu'on devait y entrer pour entretenir les plantes. Toutes ces particuiarités ne pou- vaient-elles pas influer sur le rendement de l'azote dans les: vé- gétaux? Et, dans la supposition où les récoltes obtenues sans sels azotés auraient produit une quantité d'azote supérieure à celle des graines, pouvait-on, dans de pareilles circonstances, en con- elure que cet excédant provenait directement de l'atmosphère? Nous devons l'avouer, considérées comme recherches scienti- fiques, nos expériences, de même que celles faites jusqu'ici sur l'influence des agents azotés, n'offrent pas assez de précision pour fonder une théorie incontestable. Nous avons donc jugé indispensable de faire de nouveaux essais cette année, pour bien éclaircir certains points encore obscurs sur l'assimilation de l’a- zote, et aussi dans le but de faire disparaître cette incertitude que les raisonnements les mieux établis ne sont pas parvenus à dissiper entièrement. Les tentatives qui ont pour objet de déterminer avec exacti- tude l'assimilation de l'azote ou des divers sels minéraux dans les plantes, ne sont pas aussi simples ni aussi faciles qu'on pourrait le croire de prime abord. Les travaux préparatoires qu’elles né- cessitent sont très-longs et très-minutieux; c’est seulement en opérant que l’on apprécie les difficultés qui se présentent simul- tanément et les erreurs innombrables auxquelles peuvent être assujettis des essais de ce genre, si on ne leur consacre des soins tout particuliers. Aussi, si nous avons cru devoir présenter ces observations, c’est moins dans le désir d'acquérir un titre à la bienveillance publique que dans celui de faire voir que nous avons (36) su non-seulement comprendre l'importance de l'expérience que nous allons rapporter, mais aussi chercher à lui faire acquérir une valeur égale à l'utilité qu'elle peut avoir. Expérience sur le gaz azote, sur l'azote de l'ammoniaque et l'azote de l'acide nitrique des nitrates.— Cette expérience fut faite dans une serre neuve, d’une très-petite capacité, avec du sable préa- lablement dégagé de son argile par de grands lavages et exempt de matières organiques et terreuses que nous avions expulsées en le traitant d'abord par de l'eau de pluie (1), et ensuite par de l'acide hydrochlorique à chaud, avant et après lui avoir fait subir une calcination. Cette opération une fois terminée, il fut soumis à de nouveaux lavages à l'eau de pluie et ensuite à l'eau distillée. À ce sable, composé seulement de quartz et d’une minime quantité de fer partiellement soluble dans les acides, nous ajou- tâmes des sels et des oxydes inorganiques dans les proportions qui ont été indiquées à l’expérience précédente. Nous étant assuré qu'il ne renfermait aucune trace de matières azotées, nous le dé- posâmes en proportions égales dans de grands bocaux en verre de même capacité. Nous transportâmes ces bocaux dans la serre, après en avoir purifié l'air, et nous en soumîmes une partie à différentes préparations qui avaient pour objet d'y introduire des azotates et des sels ammoniacaux. Dans la crainte que le fer contenu dans le sable ne s'oxydàt et n’engendrât ainsi de l'ammoniaque aux dépens de l'azote de l'air et de l'hydrogène de l’eau (question qui n’est pas encore bien décidée par les chimistes), il nous parut prudent de cultiver des plantes d'avoine dans de l'eau distillée contenant des sels minéraux et exemple de fer, d’ammoniaque et d’azotates. La serre resta hermétiquement fermée : tous les joints furent parfaitement calfatés. Pour intercepter toute communication de l'air atmosphérique dans l'intérieur, nous crûmes devoir y con- (1) L’eau de pluie dont je fis usage fut recueillie dans un état de grande pureté et portée à l’ébullition. De même, toute l'eau distillée ayant servi à l’arrosement des plantes fut privée de l’ammoniaque qu’elle pouvait contenir. (57) duire un courant d'air pendant le temps que dura la végétation des plantes. À cet effet, nous fîmes construire une cargniardelle (ou vis d'Archimède fonctionnant en sens inverse), qui fut placée dans une remise. Cet appareil était apte à purifier l'air, car après l'avoir aspiré directement à l'atmosphère, il le refoulait dans la serre en le faisant passer, au moyen de tubes en verre, dans quatre éprouvettes disposées pour cet objet et dans deux grands bocaux à trois tubulures. Les deux premières éprouvettes, dans lesquelles se trouvait de la pierre ponce étendue d'acide sulfurique très-concentré et souvent renouvelé, servirent à condenser les sels azotés et les malières organiques et minérales qui font accidentellement partie de l'air; les deux suivantes, dans lesquelles se trouvait du cear- bonate de plomb rendu légèrement humide, servirent à fixer l'hydrogène sulfuré (4). Enfin, les deux bocaux où se trouvait de l'eau distillée , furent affectés à la purification du courant qui se rendait dans la serre pour en sortir, après avoir accompli son rôle, par une cuverture proportionnée au volume d'air intro- duit; de telle sorte qu'il y avait constamment, de l'intérieur à l'extérieur, une légère pression que constatait la marche d'un petit ventilateur. Comme moteur, nous employâmes une machine électro-magné- tique (2) fonctionnant sans interruption (3). Avant de placer l'appareil, nous nous assurâmes qu’il pouvait retenir les corps que nous venons de signaler : l'ayant fait fonc- (1) Je ferai remarquer qu’une semblable disposition avait été prise pour étudier le rôle du plâtre dans la végétation, mais un incident regrettable est venu empêcher la continuation de mes recherches à ce sujet. (2) Cette machine ainsi que l'appareil dont il vient d’être parlé, ont été fort ingénieusement construits par M. Jaspar, fabricant d'instruments de physique et de mathématiques, à Liége. (5) Il serait intéressant de connaître la quantité de principes azotés et sul- furés que contient l’air atmosphérique. J'aurais pu arriver à cette connais- sance en dosant les matières fixées dans mon appareil pour un volume d’air donné; mais l’irrégularité du mouvement qui se manifestait lors du renouvel- lement des piles , ne m'a pas permis cet examen, (58 } tionner pendant trois jours consécutifs dans une atmosphère très- chargée de gaz et de matières qui font temporairement partie de l'air, nous pûmes nous convaincre, à l’aide de réactifs, que tout l'air destiné à être introduit dans la serre serait dépourvu de substances étrangères. Afin de pouvoir visiter les essais sans être exposé aux inconvé- nients que nous cherchions à éviter, nous crûmes devoir établir une petite chambre où passait le courant et dans laquelle il était possible de nous renférmer avec un appareil respiratoire jusqu'à ce que l'air qui s’y trouvait fût identique à celui de la serre. Pour mieux nous convaincre de l’action du gaz azote et de l’a- zote de l'ammoniaque et des nitrates sur l'organisation végétale, nous opérâmes sur trois plantes de différentes espèces : sur lPa- voine, le trèfle incarnat et la carotte. Plusieurs graines de ces plantes furent lavées, et, après avoir été ramenées à leur état normal par une douce chaleur, elles farent pesées. Une partie d’entre elles fut réservée pour les analyses ; une autre, d’un poids égal à un demi-milligramme près, fut placée dans le sable artifi- ciel, entretenu dans un état d'humidité convenable. Chaque bocal reçut trois graines d’une même espèce de plantes. Deux thermomètres placés à l'ombre, l'un dans la serre, l’au- tre à l'air libre, nous firent connaître le degré de température existant de part et d'autre, et nous permirent de modifier la cha- leur, au moyen d’un voile, chaque fois qu'il s’en produisait un ex- cès dans le lieu clos. Ajoutons encore que de la silice soluble et de l'acide carbonique pur furent procurés artificiellement aux plantes pendant leur croissance, et nous aurons ainsi une connais- sance des principaux détails qui se rattachent aux travaux pré- liminaires de nos expériences. Voici maintenant les résultats auxquels ces expériences ont donné lieu : La germination des graines fut heureuse; mais lorsque les plantes eurent donné leurs premières feuilles, une différence ne Laïda pas à se faire remarquer entre les produits traités diffé- remment : les plantes cultivées sans sels azotés devinrent livides , jaunes et restèrent pour ainsi dire stationnaires dans la marche (39) de leur développement. Les carottes et le trèfle parurent les plus affectés d’une privation de matières azotées. Nous erûmes même qu'ils succomberaient avant de parvenir au terme de leur fruc- tification. Le trèfle et l'avoine ne produisirent qu'une tige chacun pour chaque graine semée, et encore ces tiges étaient-elles fort déli- cates. Chaque tige d'avoine, tant dans le sable que dans l'eau distillée, ne donna que deux graines fines; seulement, les plantes qui avaient crà dans la première condition furent proportion- nellement plus riches en ligneux. Nous fûmes tellement surpris du peu d'extension des plantes traitées sans azote, que nous eussions nécessairement attribué ce fait à une erreur quelconque dans l'application des sels, si nous n'avions eu, comme point de comparaison, une végétation vi- goureuse par l'application des sels azotés (1). Ce qu'il y eut de plus remarquable pendant la végétation des plantes privées d'azote, et pour l’avoine principalement, c'est que les feuilles qui se développèrent les premières prirent sue- cessivement une teinte blafarde, et perdirent leur vitalité au fur et à mesure qu'il se formait d'autres organes à l’extrémité supé- rieure des plantes, sans qu'aucune cause délétère agit sur elles. Ce phénomène n’a pas échappé aux observations de M. Liebig ; voici l'explication qu'en donne ce physiologiste, et à laquelle nous nous rallions : « Lorsqu'il y a interruption de l'un ou de l'autre principe indispensable à l'accroissement des plantes, il s'effectue un partage dans la plante elle-même ; les parties miné- rales contenues dans la séve des feuilles déjà développées leur sont enlevées pour servir à l'accroissement des jeunes pousses, et, dès que la graine s'est formée, ces feuilles se mortifient en- tièrement (2). » (1) L'année dernière, nous avons pu faire la même remarque (quoiqu’elle fût moins saillante) sur des plantes de froment cultivées en l’absence de quel- ques principes minéraux (phosphore, alcalis). (2) Liebig, Chimie appliquée à la physiologie végétale et à l’agricul- ture, p. 176. (40) Parmi les plantes qui profitèrent des agents nitrogénés, les carottes restèrent les moins belles; néanmoins, elles acquirent -un volume au moins quatre fois plus grand que celles qui avaient été traitées sans matières azotées. Le trèfle fut d'une venue plus régulière et plus vigoureuse ; chaque graine produisit une tige. L'avoine talla et fut d'une beauté remarquable; chaque graine produisit tantôt deux, tantôt trois tiges surmontées de graines bien conformées. Les plantes qui purent profiter de l'azote des nitrates furent proportionnellement plus abondantes que celles qui n'avaient reçu qu'un sel ammoniacal; cependant, nous ne saurious assurer positivement si la potasse du nitrate n'a pas eu une certaine in- fluence sur cet accroissement. Par une disposition prise d'avance pour obtenir des plantes dans les mêmes conditions que les précédentes, 1l nous a été pos- sible d'étudier la germination des graines. De sept graines d’a- voine produites par des plantes développées dans du sable et de l'eau exempts de matières azotées, il n’en est que trois qui aient pu germer; tandis que de seize graines ayant profité du nitrate alcalin et du sel ammoniacal, quatorze ont parfaitement levé. Le tableau suivant va compléter le cadre de nos recherches; Jes résultats qui y sont consignés, obtenus par l'analyse des ma- tières organiques, ont été ramenés par le ealeul à la tempéra- ture O° et à la pression d'une colonne de mercure de 0",76 de hauteur. © “OLLUPPUOY,T L SIIINSPI SOI unos IoAnOd LE WATSON vananoord out “jofns 29 E 5019194997 $9p XP} P JUEJUISUOI U9 Ÿ9ISIUITI 99) “simpoard 599 op sun-sonbjonb op osffeue,] ar ua d ref ‘suorjrpuoo s29 suvp u4o quo inb sojuejd so[ Suvp 9x1 210Z8,P 9LUTUOS UT 2XJTEUL SA4QJUT 718498 [I U *“[UALI) NP Sd? 9[ SULP HPUUOP ?9 E [OS 509 ap YCG'8T l JUUAVOUL OJOAT, 096°G * ‘ oa}}04vr) | ‘O}VAJIU SUES 79 onberuouure sues ‘s1oG L95 ‘0% ; QULOAY 190% EX ? QUIOAY | * * * * (nuvojsuep on4 oque|d) Q}UAJIU SUEBS J9 onberuouue SUVS ‘S[0$ JeUALOUT OJOuZ, ‘sonbuoojonb 50304 oyoxg =1u op 1 onbeuruour É UE, p Soova op seq | ‘(s0084) ouumqyy aUI0AY JUUAVOUL OFFOUT, | Le LR. 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Mais les analyses qui précèdent, analyses qui ont été faites avec beaucoup de soins et que nous devons à l'obligeance de M. De Koninck, viennent prouver que les plantes peuvent entrer en jouissance de l'azote atmosphérique. Les résultats sont trop tran- chés en faveur de cette opinion, pour que l’on puisse soulever le moindre doute à cet égard. Toutefois, nous ne pouvons nous dispenser d'offrir quelques. observations sur ce point délicat. Ainsi, on ne doit pas trop se hâter de tirer d’une semblable conséquence des principes absolus pour les plantes qui se développent dans les champs; car, entre les produits qui viennent de fixer notre attention et ceux qui croissent en plein air, il existe cette différence que les pre- miers ont crû en l'absence de matières azotées, tandis que les seconds reçoivent toujours, par les eaux pluviales, une portion d'ammoniaque et d'acide nitrique dont ils peuvent disposer pen- dant le cours de leur existence. Il resterait done à savoir, avant de se prononcer catégoriquement, si la faculté qu'ont eue les plantes d'avoine, de trèfle , etc., d'emprunter l'azote libre, ne leur a pas été communiquée uniquement parce qu'elles ont été privées de toute substance nitrogénée. Comme les sels nitreux où ammoniacaux paraissent indispen- sables pour produire une végétation régulière, il est permis de croire qu'une plante croissant sans le concours d'un prineipe azoté éprouve un besoin très-vif de l’aliment qui lui manque pour remplir ses fonctions. Les efforts qu'elle doit faire pour s'en emparer doivent augmenter le travail organique; et, dans une semblable occurrence, sous l'empire et la surexcitation du prin- cipe vital, il ne serait pas impossible que l'azote de l'air, se substituant alors jusqu'à un certain point, dans les plantes, à l'azote des engrais lorsque ceux-ci font défaut , restât complé- (45) tement inactif, si elles étaient forcées de puiser cet élément à une autre source. Ce qui tendrait encore à faire admettre cette hypothèse, c’est que l'azote de l'atmosphère pouvant entrer en circulation dans la séve par l'absorption aqueuse des racines, est plus que sufi- sant pour faire profiter la végétation avec laquelle il est en contact et que, par conséquent, ce n’est pas par un défaut de cet élément que les végétaux ne s'en approprient pas la quantité qui leur est nécessaire pour prospérer. Or, si ceux-ci avaient réelle- ment la propriété d'effectuer cette assimilation lorsqu'ils sont en voie de développement normal, pourquoi, au lieu d'y prélever ce gaz dans les proportions de 18 à 22 centimètres cubes, n’en ont-ils pas pris une quantité plus considérable afin de se bien constituer ? On peut donc concevoir qu’une plante d'avoine, par exemple, cultivée en plein champ, n’absorberait aucunement du gaz libre pour se former, bien que, dans nos essais, elle en ait soutiré une quantité appréciable à l'analyse. Pour s'assurer de ce fait, il res- terait à décider, par l'expérience, si la présence de l’'ammoniaque des eaux pluviales on des engrais, dans les terres arables, n'an- nulerait pas l'assimilation de l'azote de l'air ambiant. La science et l’agriculture ont le plus grand intérêt à voir résoudre ce pro- blème : nous pensons qu'on pourrait y parvenir en procurant aux plantes, sous forme d’ammoniaque ou de nitrate, une quan- tité d'azote équivalente à celle qu’elles ont soustraite directe- ment de l'atmosphère pendant tout le cours de leur végétation. Quelles que doivent être les conséquences de cet examen, nous pouvons dire avec toute confiance, pour le présent et l'avenir, que nos expériences ont parfaitement démontré : 4° Que l'azote atmosphérique se prête à l'élaboration, et qu'une petile partie de cet élément est placée sous la domination du principe vital, lorsque les plantes végètent en l'absence de toute substance renfermant de l'azote en combinaison. De même, nous devons nécessairement croire, en attendant que des faits plus accomplis soient venus appuyer ou combattre les réflexions que (44) nous avons faites plus haut sur les phénomènes vitaux des plan- tes, que les céréales, les légumineuses et les plantes-racines, cultivées en plein champ, utilisent aussi, pour se constituer, une faible portion de ce gaz qui passe avec l’eau dans le mouvement ascensionne]} ; 30 Que l'azote des sels ammoniacaux, comme celui de l'acide nitrique des nitrates, sert à multiplier les organes de la nu- trilion aérienne et prend une part active à l'association des diverses parties organiques du végétal. On rencontre communé- ment, comme l'observe M. De Koninck (1), de l’azotate calcique dans les décombres des vieux bâtiments. La pratique agricole nous enseigne que plus ces matériaux sont anciens, plus leur emploi sur les terres devient efficace et plus les principes albu- mineux deviennent importants dans les céréales. D'après ce qui vient d’être établi, on peut, ce nous semble, déduire de cette relation que c'est l'azote de l’azotate caleique formé dans cette ciréonstance qui intervient dans l'acte de la végétalion et qui con- court à augmenter la production de ses prineipes immédiats; 5° Que le gaz azote peut encore indirectement faire partie de l'organisation des plantes en se transformant d'abord en acide nitrique ou en ammoniaque, par l'intermédiaire d'une force éleetrique, et ensuite en sels ammoniacaux, terreux ou alealins assinnlables ; 4° Que le développement d’une plante est étroitement lié à Ja présence d’un engrais azoté en contaet avec les racines. Lorsque eette condition nest pas remplie, la plante souffre visiblement; ses organes ne profitent qu’en raison directe de la petite quantité qu'elle peut soustraire de l'air et de celle qui est logée dans la graine qui lui a donné naissance. Son absence dans les terres arables, alors même que toutes les autres conditions de fertilité se trouvent réunies, arrête dans le végétal la condensation du carbone, de l'oxygène, de l'hydrogène et des matières salines et ierreuses. Une substance azotée doit conséquemment être con- (1) De Koninck, Éléments de chimie organique , p. 226. Liége 1859. ( 45 ) sidérée comme un des agents les plus essentiels de la nutrition. Envisagées sous un point de vue absolu, ces conclusions ne doivent rigoureusement se rapporter qu'aux plantes d'avoine, de carottes et de trèfle incarnat. Rien, jusqu'ici, n'établit si les lois qui semblent régir les plantes durant l'acte de l'assimilation de l'azote sont individuelles ou bien si elles sont communes à tous les végétaux. Nos expériences ne sauraient donc détruire entièrement cette opinion formée dans l'esprit de quelques phy- siologistes, que le gaz azote est impropre à servir de nourriture à certaines espèces végétales. Sans pouvoir non plus , en consultant les travaux des hommes compétents sur cette matière, préciser si les différents produits organiques azotés peuvent être considérés comme substances nu- iritives avant d’avoir éprouvé une décomposition spontanée dans le sol, nous pouvons admettre d’une manière très-générale que l'azote renfermé dans les végétaux dérive presque exclusivement de l’'ammoniaque ou de ses composés on des nitrates. Ceci admis, passons à l'absorption de ces sels. La forme sous laquelle les corps azotés sont communément offerts aux plantes est des plus faciles à saisir : le carbonate d'ammoniaque peut être fourni à la portée des racines, ou par les engrais, ou par les eaux pluviales. Par les substances azo- tées en voie de décomposition, il se forme continuellement du carbonate d'ammoniaque aux dépens de la malière elle-même. Une partie de ce gaz est entraînée dans le végétal; une autre partie reste condensée dans le sol, et une troisième se dissipe dans l'atmosphère. La présence de l'ammoniaque dans l'atmosphère n’est que mo- mentanée; à chaque condensation des vapeurs aqueuses , elle est ramence sur le sol; une partie de l'eau qui la tient en dissolu- tion s'évapore dans l’espace ; une autre cède à l'aspiration des ra- eines. Mais l'ammoniaque que contiennent les eaux de pluie n’est pas toujours introduite immédiatement dans le végétal. En pré- sence des corps poreux, tels que le terreau et l'argile, ou plutôt le fer oxydé et l’alumine, elle s’y fixe momentanément, si ces corps ( 46 ) n'en contiennent pas déjà une certaine proportion, pour être enlevée plus tard au profit de l’économie. En présence des sels terreux ou des chloro-sels, le carbonate d'ammoniaque peut éprouver une altération chimique dans ses parties et former différentes combinaisons; avec les suifates de chaux et d’alumine, il y aura un sulfate d'ammoniaque, un sul- fate ammonico-aluminique, un chlorure ammonique et des ear- bonates de chaux; avec les phosphates de chaux ou de magnésie soluble, il se formera un phosphate ammonico-calcique ou un phosphate ammonico-magnésique. Telles sont, du moins, les réactions qu'on peut produire artificiellement, telles doivent être aussi celles qui, sous les mêmes causes, doivent avoir lieu dans les terres arables. On n'ignore pas que les sels à base d’ammoniaque se dissol- vent avec facilité dans l'eau. Or, puisqu'il est bien établi que des plantes en croissance absorbent de l’eau en même temps que les matières salines qui y sont dissoutes, il est aisé de concevoir, bien que les racines aient une certaine faculté d'élec- ion, déterminée par les recherches de M. De Saussure, ou, ce qui revient au même, qu'elles absorbent toutes des substances miné- rales solubles en quantité variable, selon les diverses espèces de végétaux, et cela d’une manière indépendante du degré de fluidité de la solution, il est aisé de concevoir, disons-nous, que l'ammoniaque peut facilement et sous différents caractères faire partie de leur séve. Les combinaisons sous lesquelles elle peut s'introduire dans les spongioles sont donc nombreuses et sub- ordonnées à la nature de la terre. S'il est vrai que l’'ammoniaque, en présence de certains sels caleaires, peut subir une transformation, il n’est donc pas tou- jours permis, lorsqu'on en fait une application, de supposer qu’elle est absorbée par les racines à l'état où elle a été confiée à la terre. L'absorption des nitrates est tout aussi facile à concevoir : qu'il provienne de l'atmosphère ou des matières organiques, l'a- cide nitrique s'unit toujours aussitôt à une base et souvent à (2) la base d’un sel dont il a déplacé l'acide plus faible que lui ; de sorte que l'acide nitrique ne peut jamais atteindre aïnsi les chevelus des racines qu'il corroderait instantanément. Les nitrates neutres sont solubles dans l’eau; il n’y a guère que les nitrates basiques qui y soient insolubles. Dans la terre arable, la plupart de ceux-ci s'y dissolvent assez généralement avec le concours de l'acide carbonique et d'une dissolution saline. Les nitrates que l'on y rencontre le plus communément sont ceux à bases d'alealis, de chaux et d’ammoniaque; c’est aussi sous ces diverses formes que l'acide nitrique est rencontré dans des eaux de source et qu'il doit être charrié dans les plantes. Pour terminer le rôle que la nature paraît avoir assigné aux sels ammoniacaux et aux nitrates, dans le cours de la végéta- tion, nous aurions dû rechercher si les plantes de nos champs cultivés peuvent, comme le pense M. Liebig, puiser dans le sol une quantité d'azote suffisante pour présenter une végétation prospère, sans qu'il soit nécessaire de suppléer artificiellement par les engrais de ferme ou par les sels nitrogénés, les mares de colza, le sang, ete., à celle qui est apportée gratuitement de l'atmosphère. Cette question n'a pas manqué d'attirer notre attention. Elle deviendra plus tard l'objet de nos recherches. CHAPITRE IT. DES PARTIES QUI CONSTITUENT LA MATIÈRE INORGANIQUE DES PLANTES. Le carbone, l'azote, l'oxygène et l’eau, mis en jeu sous l'in- fluence des fluides impondérables, tels que la lumière, la chaleur et probablement aussi l'électricité, qui ne doit pas rester étran- gère au mécanisme de la végétation, sont les éléments primor- ( 48 ) diaux les plus essentiels de l'organisation de tous les êtres vivants. A la suite de ces agents, viennent se placer en second ordre les substances terreuses et alcalines, lesquelles, si elles ne sont pas nécessaires à l'existence des plantes, sont au moins aussi indis- pensables pour leur faire acquérir un développement normalet régulier. Peut-être même serions-nous dans Île vrai, si nous n'é- tablissions aucune distinction dans le rang physiologique que ces agents occupent dans le tourbillon de la vie végétale. On croit encore, d'après une ancienne théorie, que les ma- tières minérales, introduites par endosmose dans les spongioles, et ensuite, dans tout le végétal par l'attraction capillaire, ne sont pas essentielles à l'organisation. On considère encore leur pré- sence dans les plantes comme étant le résultat d’une circonstance accidentelle ou purement mécanique, ou bien comme de vérita- bles excrétions qui ne peuvent être éliminées au dehors. On ne peut sans doute prétendre que tous les matériaux imor- ganiques transportés dans Îles plantes y soient utles, quil ne puisse y en avoir dans le nombre de superflus, soit à cause de leur stabilité, soit à cause de leur nature ou de leur abondance, et qu'ainsi une partie ne puisse rester dans leurs organes sans coopérer aux phénomènes de la végétation et sans pouvoir être expulsés. Mais on ne peut s'empêcher de reconnaître non plus l'utilité alimentaire d'une grande partie des matières fixes qu'on rencontre dans leurs cendres, soit qu'en vertu des acides, des bases ou des sels qui les caractérisent, elles communiquent la solidité au végétal, donnent naissance à des réactions chimi- ques et favorisent la production des acides organiques, du calorique et de l'électricité, soit enfin qu'elles accomplissent d'autres missions dont la nature échappe à toutes nos recher- ches. Si toutes les matières minérales des végétaux ne sont réelle- ment que des excrétions ou des substances indifférentes à l'ali- mentation, comment se fait-il que les phosphates de chaux et de magnésie ont une action si manifeste sur les céréales? En vertu de quelle loi le plâtre double-t-il la récolte de cer- (49 ) taines familles végétales, et pourquoi les alcalis déterminent- ils un puissant accroissement sur d'autres plantes, qui restent visiblement affectées lorsqu'elles n'ont pas la faculté de les ab- sorber? La même observation ne peut-elle pas avoir lieu sur les plantes marines à l'égard du sel marin? Évidemment, les sels minéraux ne sauraient-être considérés comme des matières inu- tiles, déposées par la concentration de la séve contre les cellules végétales. On ne peut pas méconnaître qu'une fois introduits dans l'organisme, ils sont commandés par une force vitale à la- quelle ils obéissent pour créer, en s'associant chimiquement aux diverses matières organiques de la plante, cette grande variété de substance que nous présente le règne végétal. On a bien remarqué, il est vrai, que la quantité et la nature des cendres varient dans les plantes d’une même espèce selon les sols sur lesquels celles-ci ont crû; mais cela n'ôte rien à l'impor- tance qu'on doit attacher aux substances terreuses, comme cela ne prouve pas non plus leur indifférence, car on ne doit pas per- dre de vue que certains corps ont la propriété de se substituer dans l'appareil végétal, lorsque l'un d'eux fait partiellement ou complétement défaut dans le sol. Ainsi, là où il n’y aurait point d'alcalis de chaux ou de magnésie, ces bases ne pourraient faire partie de l'organisation, et la plupart des végétaux n’atteindraient pas leur développement normal. Mais si un sol exempt de potasse ou de magnésie renfermait de la soude ou de la chaux, ces mêmes plantes prospéreraient alors, parce qu'elles renfermeraient une quantité de soude ou de chaux qui remplacerait la potasse ou la magnésie absente et en ferait l'office. La proportion et la composition des matières minérales pour- raient donc varier dans les cendres d’une même espèce de plantes, sans que l'on soit autorisé pour cela à mettre en doute leur fa- culté alimentaire. Bien que les analyses ne nous apprennent pas à distinguer parfaitement les éléments qui font partie intégrante d'un végétal, et, par là, ceux qui lui sont essentiels et ceux qui ne sont qu'ad- ventices, elles nous font néanmoins connaître qu'il règne une 4 (0) grande identité dans les éléments constituant les mêmes espèces végétales. Ainsi, lorsque leurs cendres varient, quant à la com- position, suivant la nature des terrains, on y trouve toujours _ cerlains agents spéciaux et en quantité à peu près correspondante à la matière organique. A-t-on jamais rencontré des graines sans phosphore, des tiges de céréales sans silice, des trèfles sans chaux ni magnésie, des cressons sans soufre, des betteraves, des ca- rottes , des raisins et des plantes marines sans alealis ? Il y aurait done erreur, d’après cela, à admettre que la présence constante de ces matières spéciales dans les plantes soit due à l'effet du hasard, ou qu'elle n’y exerce qu'un rôle alimentaire peu im- portant. Ne trouve-t-on pas en effet la plupart des substances minérales fixées respectivement selon leur nature, non pas in- différemment dans l’ensemble de la plante, mais bien dans des organes particuliers et déterminés? Il faut done l'intervention d'un principe de vitalité, d’une faculté d'élection pour opérer celte assimilation, pour séparer et choisir certains éléments nourriciers de préférence à d’autres, et enfin pour les grouper chimiquement, selon leur nature, dans telle partie du végétal plutôt que dans telle autre. Ces observations nous conduisent naturellement à considérer la plupart des matières terreuses et alealines dans les plantes - comme de véritables aliments, comme une des conditions de leur solidité et de leur développement intégral : les faits qui vont suivre tendront encore à établir cette vérité. À la suite de plusieurs expériences tentées dans le dessein de déterminer les principaux agents de l’organisation végétale, on est arrivé à admettre que l'oxygène, l'eau, l'azote et l'acide car- bonique sont les bases véritables de l'alimentation, et que ces éléments peuvent suflire, sans le concours d’autres substances, à entretenir la vie de toutes les plantes. Il semble effectivement que toute végétation serait interrom- pue en l'absence de l’un ou l’autre de ces corps; mais il ne nous paraît pas bien prouvé qu'elle puisse avoir lieu sans l’adjonction des substances terreuses et alcalines, car dans toutes les épreuves (51) qui ont été faites dans cette direction, il n'a jamais été possible de: les éloigner entièrement. Que l’on opère sur des bourgeons, sur des boutures ou sur des plantes provenant de graines ger- mées, on en trouve toujours une certaine quantité dans le végé- tal soumis à l'examen; et, si petite que soit la proportion de matières fixes agissant sur une plante, elle peut y avoir une in- fluence très-grande sur son accroissement et sa vigueur. Ne voyons-nous pas, par exemple, le froment réclamer impérieuse- ment une base calcaire dans les terres qui n’en renferment point ; et, dans ces circonstances, n’a-t-on pas maintes fois constaté son rapide aceroissement par suite d’une très-petite absorption de chaux ? Il ne nous semble donc pas possible d'affirmer d'une manière absolue que l'existence d’un végétal peut avoir lieu sans l’inter- vention des substances minérales. Une plante, dont les racines plongent dans l’eau distillée con- tenant de l'acide carbonique et de lammoniaque, vit et acquiert un certain développement ; mais cette vie est languissante, ce dé- veloppement est très-imparfait. Si l’on vient à présenter à ce vé- gétal qui, à cet état, renferme déjà naturellement les principes minéraux de la graine dont il est issu, une petite portion de sels terreux et alcalins, il sort aussitôt de sa léthargie pour pren- dre une nouvelle force. Ce fait remarquable ne vient-il pas à l'appui du rôle alimentaire que nous avons assigné aux matières minérales? Ne donne-t-il pas aussi une preuve indirecte de plus que ces mâtières, dans le corps du végétal, sont les conditions de son existence? Une plante d'avoine ou de trèfle incarnat, par exemple, paraît se comporter à l'égard des sels minéraux, comme elle le fait à l'égard des matières nitrogénées : elle semble vivre de l'azote contenu dans la graine sans qu’on doive y suppléer artificiellement; et cependant l'azote est regardé par tous les physiologistes comme un des éléments les plus indispensables à sa vitalité. Il n’y a donc guère plus de raisons à présenter en faveur du rôle nutritif de l'azote des engrais qu'en faveur du rôle nutritif des matières salines minérales. (52) D'après ce qui précède, on serait assez enclin d’assigner aux matières terreuses et alcalines, que nous allons maintenant étu- dier séparément, un pouvoir nutritif aussi important que ce- lui de l'un ou de l'autre des éléments constituant la matière orga- nique; mais en attendant que des faits plus accomplis viennent déterminer les fonctions particulières qu’elles jouent respecti- vement dans l'économie, en attendant que ces faits viennent confirmer les vues que nous soumettons à l'appréciation des chi- mistes, nous ne pouvons que leur attribuer un rèle physiologi- que d’un ordre inférieur, lequel toutefois est indispensable pour produire des végétaux complets et d’une bonne conformation. SEcrion |". — Du soufre et des sulfales. La présence des substances sulfurées dans les diverses parties des animaux démontrerait déjà suffisamment l'existence de ce corps dans les plantes, si la composition de leurs cendres n'était assez bien connue. Le soufre paraît faire partie de presque toutes les plantes; mais la proportion dans laquelle cet élément y entre varie es- sentiellement suivant les espèces. Les sulfures, dans les terres arables, se transforment en sul- fates en absorbant de l'oxygène. Le soufre des plantes, n'importe le genre de combinaisons sous lequel il s'y trouve, doit vraisem- blablement provenir d’un sulfate. Comme l’observe M. Liebig , presque toutes les eaux de source contiennent des sulfates. « Le liquide qu'on obtient par la lixiviation du terreau fertile des champs ou des jardins, renferme toujours des quantités appré- ciables de ces sels (1); » nous devons donc admettre avec ce phy- siologiste que le soufre dérive des sulfates qui, dissous dans l'eau, sont prélevés du sol par les racines des plantes. Les sulfates alealins et ammoniacaux qu'on rencontre dans les terres sont très-solubles. Bien que le sulfate de chaux n'ait pas (1) Liebig, Chimie appliquée à la physiologie végétale, p. 87. (55) cette propriété à un si baut degré, l'eau en dissout néanmoins 1l4600, ce qui explique suffisamment leur absorption par les vé- gétaux. L'action des sulfates est, le plus souvent, très-énergique sur les plantes de la grande culture. Nous avons fait diverses appli- cations de sulfates de potasse et d’ammoniaque aux céréales et aux plantes-racines : ils ont toujours produit des effets assez remarquables, principalement dans les terrains de schiste ar- doisier quelque peu épuisés. Quant au sulfate de chaux, il est très-bien constaté, par tous nos agronomes, qu'il favorise le dé- veloppement du trèfle, du sainfoin, de la luzerne, des pois, des vesces, ete., dont il peut doubler et quelquefois même tripler la production dans certaines circonstances. Pour les autres plantes de la grande culture, l'opinion générale de ceux qui en ont fait des essais semble répondre négativement. Les sulfates doivent avoir une action d'autant plus forte que la terre arable est moins pourvue de ces sels et des bases qui leur sont alliées, et qu'elle doit nourrir des plantes qui réclament plus ou moins impérieusement leur présence. Outre que l’action des sulfates doit être subordonnée, comme celle de tous les autres engrais d’ailleurs, à la composition mi- nérale du sol et aux différentes plantes que l'on y cultive, la pro- jection, la nature hydraulique du terrain, ainsi que les circon- stances météorologiques , doivent avoir aussi respectivement une certaine influence sur l'effet qu'ils produisent dans l'accroisse- ment des plantes. Quant au mode d'action des sulfates alcalin et ammoniacal, il est encore aussi obscur que celui du sulfate de chaux. On a fait avec le plâtre des expériences nombreuses dans tous les pays, et encore n’a-t-on qu'une connaissance très-confuse du rôle qu’il joue dans la végétation. Les expériences ne manquent pas; mais aucune de celles qui ont été tentées ne réunit les conditions que la science est en droit de réclamer; de là les opinions con- tradictoires qu’elles ont fait naître. A la vérité, le rôle du sulfate de chaux, dans ses rapports avec (54) la végétation, est extrêmement vague; et, nous pouvons le dire franchement, il sera bien difficile de l'approfondir, ear il se lie trop étroitement à celui des sulfates alcalin et ammoniacal, à celui des carbouates de chaux et des sels à base de magnésie, dont la présence ou l'absence partielle ou totale dans le sol doit influer différemment sur son action. Reportons-nous à ce qui a été dit plus haut, et nous n’aurons encore qu'une idée imparfaite des difficultés qu'embrasse l'étude de ce sel. Pour arriver à cette connaissance, il faudrait éviter de faire les expériences sur une terre argileuse et à l'air libre, où les chances d'erreurs sont extrêmement multipliées. Il serait essen- tiel, au contraire, d'établir les essais dans un air pur, sur une terre artificielle d’une composition aussi simple que possible. Il serait aussi nécessaire, 4° de traiter la terre de quarante ou cinquante manières diverses avec les différents sels minéraux, en évitant surtout toute décomposition du corps dont on vou- drait étudier l'action et qui pourrait réagir sur éeux dont la présence est indispensable au développement des plantes; 2° d'o- pérer sur plusieurs espèces de plantes dont la séve et les cendres seraient analysées et dont les matières quiles composent seraient comparées à celles qui auraïent été confiées au sol; 5° de s'assu- rer si, pendant l'incinération des plantes, la température n'ex- pulse pas une partie du soufre qu’elles pourraient renfermer sous l'une ou l'autre forme de combinaison. Des expériences de ce genre bien dirigées, plus faciles, d'ail- leurs à décrire qu'à exécuter, seraient précieuses pour notre agriculture et pour le progrès de la science elle-même; mais comme elles n’ont encore été tentées qu'imparfaitement, il nous est tout à fait impossible de définir ou plutôt de débrouiller cette question importante du plâtre; nous ne pourrions émettre à ce sujet que. des théories hasardées déjà trop nombreuses, ou ré- péter ce qui a déjà été dit par nos chimistes et nos physiologistes. Il nous à donc paru utile d'abandonner la discussion pour ne pas grossir notre travail de vaines recherches. (5) Secrion IT. — De la silice, de la potasse, de la soude et des chlorures alcalins. La silice fait partie de la constitution d’un grand nombre de plantes; elle entre souvent en assez grande proportion dans les üges des céréales. « C’est élle, dit M. de Gasparin, qui forme les concrétions aux nœuds des graminées, qui compose l’épiderme extérieur et luisant du bambou, qui est un des éléments qui donnent aux végétaux leur solidité et qui constituent en grande partie leur squelette (1). Mais, ajoute ce physiologiste , son abon- dance dans la nature rend son rôle nutritif assez peu important. » Cette opinion a déjà été émise en maintes circonstances par M. Liebig, et nous la croyons fondée, pour autant que l'on restitue au sol, sous forme d'engrais de ferme, une partie des silicates qui lui ont été enlevés par les récoltes; mais s'il s'agissait de pré- lever à la terre la silice assimilable sans la lui restituer d'une manière quelconque, il est évident qu'elle firirait un jour par perdre sa fertilité naturelle, et que, par ce fait, cette substance acquerrait une plus grande valeur pour l’économie végétale. Nous aurons lieu de revenir sur ce sujet. La silice existe dans le règne minéral sous deux variétés de cohésion. La première, constituant le quartz, ou cristal de roche, est insoluble dans l’eau et dans les acides, à l'exception du fluoride hydrique. Sous cette forme plus ou moins réduite, la silice con- stitue le sable, qui ne peut exercer d'influence sur la végétation qu'en raison de son action mécanique. Dans la seconde variété, la silice existe le plus communément, sous forme de silicate; elle est unie en différentes proportions avec les alcalis, l'alu- mine, la chaux, la magnésie, le fer, le manganèse, ete., et contribue ainsi à la formation des différentes argiles qui consti- tuent la terre cultivable. Ces combinaisons silicifères sont plus ou moins solubles dans les terres, suivant leur degré de ténuité, (1) De Gasparin, Cours d'agriculture, t.1 , p.62. ( 56 ) suivant la proportion de chacune de ces bases par rapport à celle de l'acide, et enfin, suivant la nature des dissolvants avec les- quels elles sont mises en contact. « Lorsque la silice est extrêmement divisée, quand, par exemple, elle provient de l'oxydation du sulfure de silicium par son contact avec l’eau , elle est soluble (1). » Au rapport de M. Boussingault (2), la silice existe en quantité très-appréciable dans les eaux thermales, où la présence d’une matière alcaline favorise sa dissolution. MM. Payen et Kuppfer- schlaeger en ont aussi trouvé des quantités notables, le premier, dans l'eau jaillissante du puits de Grenelle et dans l'eau de la Seine; le second, dans les eaux de fontaine qui sillonnent les landes de l’'Ardenne. Nous avons nous-même constaté la pré- sence de la silice dans plusieurs eaux de source de la province de Liége. La plupart de nos chimistes paraissent d'accord sur ce point : que les alcalis favorisent la dissolution de la silice dans les terres arables. M. Liebig (3), admettant aussi leur faculté absorbante, et se basant sur la réaction que subit la chaux en présence des principes de l'argile, se demande s'il n'existe pas de substances qui, par leurs réactions chimiques, puissent rendre les éléments du sol susceptibles d’être absorbés par les organes végétaux, et répond affirmativement en plaçant en première ligne la chaux vive. Si l’on verse, dit ce physiologiste, un lait de chaux sur de l'argile plastique délayée dans de l'eau, ce mélange s'épaissit iustantanément; et quand on conserve ce dernier pendant quel- ques mois et qu'ensuite on le traite par un acide, l'argile se prend en une masse gélatineuse, ce qui n'aurait pas lieu sans addition de chaux. Aïnsi, continue cet auteur, pendant que la chaux se combine avec les éléments qui entrent dans la compo- sition de l'argile, celle-ci est devenue accessible à l'action des (1) Boussingault . Économie rurale ,t.1, p. 585. (2) Id. id. id. (5) Liebig. Lettres sur la chimie , p. 294 et 295. ( 57) réactifs; et, ce qui est plus remarquable, c'est que la grande partie des alcalis qu’elle contient est mise en liberté. La réaction de la chaux sur les principes de l'argile est trop bien établie aujourd'hui par tous les observateurs attentifs, pour que nous cherchions ailleurs d’autres faits capables de corro- borer les idées de M. Liebig, qui sont elles-mêmes basées sur les belles observations de M. Fuchs, de Munich. Les silicates alcalins se dissolvent aussi avec plus ou moins de facilité dans les eaux pluviales, suivant que l'acide s’y trouve plus ou moins en excès. Plus la quantité de celui-ci est grande, par rapport à la base du sel, plus ils résistent à l’action des men- strues. Mais généralement, on peut les considérer comme so- lubles dans les terres arables; car, de même que pour les silicates d’alumine et de chaux, ils finissent par céder à la faculté dissol- vante de l’eau aiguisée d'acide carbonique. Il n’y a aucun doute que l'acide carbonique aide puissamment à la dissolution des sels. C’est ainsi que des silicates de potasse et de chaux, délayés dans de l'eau saturée de ce gaz, se coagu- lent peu à peu et laissent apparaître, après un certain laps de temps, une gelée transparente, et une partie de la chaux et de la potasse passe à l’état de bicarbonates : la même transformation doit avoir lieu dans la terre arable, sous les mêmes influences. L’acide silicique, étant le plus faible des acides que nous pré- sente le règne minéral, se laisse éliminer par l'acide carbonique. Il s'opère ainsi un échange d'acide; et « au moment de la dé- composition des silicates, la silice, à l’état naissant, est soluble dans l’eau; cela explique comment elle peut passer dans les vé- gétaux par l'absorption des racines (1). » Il arrive, par les modifications qu'éprouvent certaines roches, comme l’a fait observer M. Berthier (2), que l'acide silicique est en- levé à l’état de silicates de potasse ou de soude, comme c’est le cas par exemple, pour certains feldspaths, qui abandonnent la pres- (1) De Gasparin, Cours d’agriculture, t. 1, p. 62. (2) Annales de chimie et de physique, t. XXIV, p. 107, 2% série, ( 58 ) que totalité de leurs alcalis pour passer à l’état de kaolin. Cette mé- tamorphose nous démontre que la silice pourrait bien aussi entrer dans les vaisseaux des plantes en combinaison avec les alcalis. Des expériences nous ont fait connaître qu'il était indifférent de fournir la silice aux céréales à l’état d'acide ou de silicate, vu au’elles peuvent l'absorber sous l’une ou l’autre de ces deux formes. Cette observation tendrait à prouver qu'il peut y avoir décom- position des silicates dans le sein du végétal avant qu'ils soïent fixés dans les organes. Les moyens que nous avons indiqués pour augmenter la proportion de la silice dans les terres, sont aussi applicables aux alcalis avec lesquels elle à une relation intime; car, lorsque ces bases salifiables sont silicatisées, la solubilité qu'elles acquièrent entraîne en même temps celle de la silice, soit que celle-ci reste alliée à ces oxydes, soit qu'elle éprouve une décomposition. La potasse et la soude, dit M. Rosé (1), ne forment qu'avec un petit nombre d'acides des sels insolubles ou peu solubles dans l'eau. De là vient que ces oxydes, à l’état de silicate, de carbo- nate, de nitrate, de phosphate, de sulfate, ete., provenant des engrais artificiels ou de la désagrégation du sol, sont: toujours aptes à pénétrer dans les plantes par la succion des racines: De cette grande solubilité vient aussi que les engrais, tels que la les- sive de la cendre de bois, l'urine, les chlorures et les sels alca- lins, ne produisent que des effets passagers sur le sol, et que la durée de leur action varie suivant la pluviosité des saisons. Les eaux de source contiennent presque toutes des sels à base d'alcalis. Ce sont les eaux pluviales qui, en traversant les couches de la terre, vont les transporter en pure perte dans les galeries souterraines. La grande porosité du sol contribue beaucoup à cette filration : nous verrons plus tard sil ny a pas moyen de remé- dier à un inconvénient aussi préjudiciable à l'agriculture. Outre que les chlorures, les carbonates, etc. alcalins peuvent agir comme stimulants, en fixant ou en rendant certains éléments (1) Rosé, Traité d’analyses chimiques, p. 5. (59) du sol assimilables, ils servent aussi à l'alimentation des plantes. La pratique agricole nous donne des preuves de la grande valeur que les bases alealines procurent au sol. D'un côté, les cendres de _ bois et des plantes marines les plus riches en ces principes, sont celles qui ajoutent le plus à la fertilité de la terre; de l’autre, les sels alcalins donnent aussi presque toujours une grande activité aux organes des végétaux, et par suite en augmentent le rende- ment. Cependant les faits pratiques ne sauraient déterminer jusqu'ici la véritable influence des alcalis sur les plantes, car les produits cendreux contiennent toujours différents sels, autres que ceux de potasse et desoude, qui ne restent pas sans action sur le sol arable. L'augmentation de produits résultant d'une application de sels alcalins, ne prouve même pas d'une manière absolue que l'accroissement de la récolte est dû à la potasse et à la soude exclusivement; car il faut aussi tenir compte des acides avec les- quels ces sels se trouvaient unis au moment de leur absorption, puisque ces acides peuvent exercer une influence heureuse dans l’économie végétale. Nous ne pensons pas qu'aucune expérience directe ait été en- treprise dans le but d'étudier l’action alimentaire des alcalis, des bases terreuses ou des acides minéraux qu’on rencontre dans les cendres des plantes : aussi, ne pouvons-nous encore apprécier la valeur alimentaire de chacun de ces corps pris isolément. Si les lumières de la physiologie et de la pratique agricole sont encore impuissantes pour qu'on puisse se prononcer sur ce point, elles nous apprennent néanmoins l'heureuse coopération de certains sels minéraux sur le développement organique des plantes. L'importance des phosphates et des sels alcalins pour la grande culture est si bien établie qu'on pourrait, sans s’exposer à tom- ber dans une voie d'erreurs, dresser des tableaux des équivalents des engrais, en déterminant leur teneur en phosphates et en sels alcalins, comme l'ont fait MM. Boussingault et Payen, pour leur contenu en azote. Si l'on fait attention aux engrais azotés les plus estimés, on trouve aussi qu'ils sont, pour la plupart, très- ( 60 ) abondants en phosphates et en sels alcalins. On ne doit pas non plus perdre de vue que ces principes sont peu répandus dans les terres cultivables, où les céréales doivent les trouver en abon- dance pour constituer leurs tiges et leurs graines, qui subissent le sort de l'exportation : en tout cas, la valeur relative des en- grais, telle que nous l'entrevoyons, faciliterait beaucoup le do- sage des engrais sur les terres, ainsi que les recherches des hommes qui se livrent à l'étude des progrès de notre agriculture. Les bases alealines s’allient avec les acides organiques qui se produisent dans l'économie végétale; leur absence, dit M. Lie- big (1), arrête le développement des végétaux et empêche consé- quemment la formation du sucre, de la fécule ou de la fibrine ligneuse, tandis que l’affluence des alcalis donne de la vigueur à ces plantes. Tout cela nous démontre donc parfaitement l'utilité de leur intervention pour la culture des plantes qui en sont abondamment pourvues. La potasse peut se substituer à la soude et réciproquement dans un grand nombre de plantes, et en particulier dans les cé- réales, sans que cette substitution leur soit préjudiciable. Cette observation, que nos essais sur l'assimilation de l’acide ulmique tendent à confirmer, a été faite, il n'y a pas longtemps, par M. de Gasparin (2): elle peut devenir très-importante pour le dosage des sels employés en agriculture. Cependant cette fa- eulté n'existe pas pour tous les végétaux : il en est qui réclament, pour prospérer, un alcali spécial. M. Boussingault (3) cite, comme exemple, la vigne, dont le fruit renferme du tartrate acide de potasse, et l’oseille, dont la feuille contient du bi-oxa- tate de la même base. Le chlorure de sodium a des propriétés qui se rapprochent beaucoup de celles que nous reconnaissons aux sels alcalins dans l'alimentation des plantes. M. de Gasparin fait à ce sujet une 1) Liebig, Chimie appliquée à la physiologie, p. 204. 2) De Gasparin, Cours d'agriculture, t. 1, p.105 et suiv. (5) Boussingault , Economie rurale, t. W, p.194, (61) remarque très-intéressante; voici comment il sexprime : « Les plantes à potasse, les céréales elles-mêmes, cultivées dans un terrain qui contient seulement du chlorure de sodium et peu ou point de potasse, suppléent à cette dernière par la soude, qui se trouve alors dans leurs cendres (1).» Comme il a été admis précé- demment que la soude se substitue à la potasse, nous devons donc croire, d’après cela, que le sodium du sel marin peut rem- plir les fonctions végétatives des alcalis dans la plupart des plantes. Les documents que nous possédons sur le sel marin suffisent d'ailleurs pour nous convaincre de son efficacité. Les données que nous fournissent MM. William Johnston (2) et DeSaive(3) parais- sent surtout être d’un grand poids en cette circonstance. D'un autre côté, des essais comparatifs très-nombreux ont été tentés en Angleterre sur diverses plantes de la grande culture, et tous ont parlé en faveur de l'application du sel. Cependant, il est à remarquer que toutes les expériences faites ailleurs n'ont pas apporté les mêmes résultats. C'est ainsi que plusieurs expéri- mentateurs ne sont même pas éloignés de croire à l’inefficacité du sel marin. Cette divergence d'opinions provient, pensons- nous, de ce que le mode d'action de cette substance est encore mal interprété et que l’on à trop souvent négligé d'étudier la nature minérale du sol sur lequel on l’appliquait. L'importance des chlorures alcalins est tout aussi difficile à pénétrer que celle du plâtre et des autres matières minérales; pour bien déterminer le rôle qu'ils jouent dans la végétation, suivant la nature des terrains, il nous faudrait des expériences directes et positives, que nous ne rencontrons nulle part, pas même dans les travaux scientifiques les plus modernes et les plus estimés. Quoi qu'il en soit, les chlorures alcalins sont toujours propres, (1) De Gasparin, Cours d’agriculture, t. 1, p. 105. (2) Observations sur l’emploi du sel en agriculture ef cn horticul- ture, etc. Bruxelles. 1847. (3) Des usages agricoles du sel. Mémoire couronné par l'Académie royale de médecine. Bruxelles. (62) par leur solubilité, à étre absorbés dans les organes végétaux; il est très-présumable que c'est sous cette forme que les plantes, dites marines, recoivent la majeure partie de leur soude. Mais si l'on s'éloigne des côtes de la mer et si l’on porte son atten- tion sur d’autres espèces végétales, l’on se tromperait, croyons- nous, en pensant que ce sel parvient toujours ainsi à être aspiré par les racines, vu « qu'une dissolution de plâtre, renfermant éu sel marin ou du chlorure de potassium, comme l’eau de la mer ou de la plupart des sources, peut être considérée comme un mélange de sulfate alcalin et de chlorure de calcium. » Lorsqu'on offre à une plante du plâtre et du sel marin à la fois, il est clair qu'elle se comportera, avec la dissolution de ces deux corps, comme si on lui avait présenté du sulfate de soude et du chlorure de calcium (1). » Il en est de même des chlorures potassique et sodique offerts à un terrain calcaire : une décomposition a lieu sous l'influence de l'humidité; il se forme un chlorure de calcium et un carbonate caleique. Les chlorures alealins semblent également subir une métamorphose en présence du carbonate d’'ammoniaque; ils donnent lieu à un chlorhydrate d’ammoniaque et à un carbonate de soude ou de potasse. Ce n’est pas tout : ce chlorure de calcium, provenant de la décomposition d'un phosphate ou d'un carbonate de chaux et de celle d’un chlorure de sodium ou de potassium, peut aussi réagir de la même manière sur le carbonate d’ammoniaque pro- venant des eaux pluviales, des engrais en décomposition ou de la réaction que produit le sulfate d’ammoniaque avec la craie Eumide: le carbonate ammoniacal volatil se transforme en un sel stable, de sorte qu'il y a, d’une part, un carbonate de chaux et, de l’autre, un chlorure ammonique. En appliquant des chlo- rures de sodium et de potassium sur une terre arable, ces com- posés peuvent donc entrer dans les vaisseaux des plantes sous les combinaisons les plus variées. Nous pouvons conclure de ce qui précède que l’action plus (1) Liebig, Chimie appliquée à la physiologie, p. 90. (65 ) ou moins grande des chlorures alealins dans le sol doit dé- pendre : : 1° De la présence ou de l'absence des corps susceptibles de leur faire subir un changement de nature ; 2° De la présence ou de l'absence des bases terreuses et alea- lines, car plus celles-ci sont abondantes dans le sol, moins les chlorures sont appelés à produire d'effet utile, et moins le do- sage doit être fort, et réciproquement; 5° Des espèces de plantes cultivées, car plus celles-ci sont riches en alcalis, plus aussi, les conditions restant égales, les chlorures doivent apporter d'effets favorables. Ces simples données, auxquelles nos expérimentateurs n’ont pas eu égard, expliquent d’une manière péremptoire les contra- dictions que ne pouvaient manquer de faire naître des essais tentés dans les conditions et les circonstances météorologiques les plus diverses. SECTION IE. — De la chaux, de la magnésie et des carbonates de ces bases. Personne n’ignore l'efficacité de la chaux caustique hydratée ou carbonatée sur les terres livrées à la culture. Là où l'élément caleaire n'existe pas naturellement, la chaux, la marne, la craie, le sable coquiller, ajoutent toujours un degré de plus à leur fer- tilité. Les terrains ardoisiers nous offrent un exemple de ce genre; on remarque, en effet, que les engrais calcaires sur les landes ardenpaises doublent et triplent souvent la production des céréales et des légumineuses. Rien ne doit nous surprendre en cela : on sait aujourd'hui que la chaux, ainsi que la plupart de ses sels, agissent sur la végétation, non-seulement comme ali- ments des plantes, mais aussi comme stimulants, et quelquefois comme amendements, lorsqu'ils sont employés à fortes doses. D'après quelques expériences comparatives faites sur les prin- cipes du sol et la cendre des végétaux, il paraîtrait que la chaux (64) et la magnésie pourraient se substituer réciproquement dans l'organisme végétal, lors de l'absence de l'un ou de l’autre de ces corps : cette observation a été faite par MM. Berthier et de Saussure dans des terres douées d’une grande fertilité. Cepen- dant, M. Licbig affirme que la magnésie se trouve dans toutes les plantes et que celles-ci ne peuvent se développer ni parvenir à maturité sans phosphate de cette base. Cette opinion mérite- rait, sous plus d’un rapport, d'être sanctionnée par l'expérience. Au rapport de M. Cordier (1), cette substitution aurait un inconvénient grave : la tige des plantes croissant sur un terrain privé de calcaire resterait faible, principalement dans les années pluvieuses, et les récoltes verseraient fréquemment avant la maturité. M. Thaër (2) cite une marne trouvée très-améliorante, qui contenait 20 p. % de carbonate de magnésie. D'après ces considérations, on peut, ce nous semble, envisa- ger le calcaire dans le sol comme nécessaire et utile à la conser- vation des récoltes lorsqu'il s’y trouve de la magnésie, et comme indispensable, lorsque celle-ci fait défaut. Quant à la magnésie elle-même, les observations précédentes nous montrent qu'on la trouve dans toutes les graines et dans toutes les terres les plus riches; elle doit done probablement se comporter comme la chaux et avoir une importance tout aussi marquante. Sans pouvoir assurer posilivement que ces deux bases ter- reuses soient indispensables à l'entretien des fonctions vitales, nous sommes toutefois autorisé à croire que l’une d'elles con- stitue un principe essentiel de l'alimentation végétale. On avait généralement admis jusqu’à présent que la magnésie calcinée frappe momentanément la terre de stérilité; mais MM. Davy et Lampadius (3) ont prouvé qu'elle n’a réellement que des qualités bienfaisantes. (1) Mémoire sur l’agriculture de la Flandre française, p. 232. (2) Principes raisonnés d’agriculture, 2° édit., tom. Il, pag. 168. Paris, 1831. (5) De Gasparin, Cours d’agriculture, t.1, p. 82. (65) La chaux caustique est soluble dans l'eau, laquelle, selon M. Boussingault, en dissout {/650°; appliquée sur le sol, elle se combine avec l'eau et constitue un hydrate de cette base. Son extinction lui fait acquérir une grande ténuité, qui augmente son degré de solubilité, et par conséquent son énergie sur les éléments constituants des argiles; soit libre, soit à l'état d'hy- drate, la chaux passe peu à peu à l'état de carbonate, en enle- ant l'acide carbonique de l'air ou des engrais dont elle active la décomposition. La magnésie provenant de l’ignition des roches calcareuses avec lesquelles elle se trouve souvent mélangée, est également caractérisée par les propriétés qui viennent d’être signalées pour la chaux, avec cette différence seulement que l’oxyde de ma- gnésie est insoluble dans l’eau, et que sa transformation en car- bonate s’exécutant moins rapidement, il donne lieu dans le sol à une réaction basique qui se continue plus longtemps. Les carbonates de ces deux oxydes terreux sont insolubles dans l'eau; mais alors comment parviennent-ils à être absorbés par les racines? Il en est de ces sels comme de tous les autres. Pour peu que l’on réfléchisse aux perturbations chimiques et physiques causées par les principes de l'air, l'électricité, la gravité et les alternati- ves du froid et de la chaleur sur les particules des roches ou de leurs débris, on parvient sans peine à s'expliquer leur change- ment d'état dans les terres arables. Nous ne remonterons pas aux causes de la dislocation et de la désagrégation des roches et des argiles ; bornons-nous à constater que leur solubilité s'obtient ai- sément par l'intermédiaire de l'acide carbonique que contient tou- jours le sol; car ce gaz, en contact immédiat avec les carbonates calcaire et magnésien, détermine leur dissolution respective; cette métamorphose les rend propres à passer dans les plantes. Ce qui est vrai pour ces carbonates l'est aussi pour la plupart des combinaisons de ces bases avec les acides minéraux. La propriété de l'acide carbonique de rendre solubles des sels stables est encore assez généralement méconnue; cependant une re ] ( 66 ) série de faits pratiques viennent la confirmer. Ainsi, aux abords des lieux où certaines eaux de fontaine prennent leur source, on voit ces eaux se dépouiller de leur acide carbonique et cette émission de gaz entraîner la précipitation des sels calcaires. Cette précipitation de matières terreuses dissoutes par l'acide carbo- nique se fait également remarquer, et d’une manière plus sensible encore, à la suite de l'ébullition des eaux chargées de gaz et dissolvant mal le savon. Ce qu'il y a de plus remarquable, c’est que la chaux, en enle- vant une certaine quantité d'acide carbonique, perd la propriété de se liquéfier dans l’eau, tandis que si cette quantité est aug- mentée elle ne résiste pas à son action. Les carbonates de chaux et de magnésie formés, passent alors à l’état de carbonates acides solubles, ce que l’on peut constater facilement à l'aide d'un courant d'acide carbonique dirigé sur de l’eau de chaux. Démontrer la faculté qu'ont les carbonates de chaux et de magnésie de passer dans les plantes, c'est aussi faire connaître celle de la marne, de la craie et du sable coquiiler, qui se dis- solvent sous les mêmes conditions. Cependant la magnésie et la chaux ne parviennent pas tou- jours dans les plantes à l'état d'oxyde ou de carbonate; elles peu- vent aussi, comme on a déjà pu le remarquer et comme il en sera encore question plus loin, y pénétrer sous d’autres formes, par exemple, associées à des acides métalliques. Les engrais calcaires qui viennent d’être mentionnés, une fois pompés par la succion des spongioles, doivent agir chimiquement dans les vaisseaux des plantes d’une manière à peu près identique, et cela en vertu du carbonate de chaux qu'ils renferment. Toute- fois, nous ferons observer que la marne fait ici exception; bien qu'elle aide au développement des plantes par son principe cal- caire, elle peut encore le favoriser d’une autre manière tout aussi puissante : tel est le cas pour certaines marnes qui recèlent des matières azotées et des chlorures alcalins propres à la nutrition. Chaque espèce de marne a d’ailleurs une composition chi- mique différente, et qui lui est propre. Au rapport de M. Ch. ( 67 ) Morren (1), une marne du pays de Waes, analysée par M. Ma- reska, contient : Carbonatelde chaux ee PE 0200) SES ENONCE SEE EL OT Aluminele Men Ie NON PEN NO; 19) Matières végétales . . . . . . . . . . 0,05 IDD GBAE os ob 0 o 0 D oùe do, 6. DA 5,00 Une marne recueillie à Leugny, par M. de Gasparin (2), renferme : au EPA T ARRETE RER PRE ee We NTI) 15 Partie insoluble dans l'acide chlorhydrique. - 120 Aluminetet{oxyde delfer 0 NN 15 Carbonaterde ChAU EE SES O0 Ghlorures alCalins PNEU EE SITE AR 720 18 Perte et matières organiques. . . . . . . 54 1,000 Azote pour 1,000 de matieres normales. . . . . . . . . 1,62 _ dérmatieresiseches PANNE ER ERA 6x En ne tenant même aucun compte des marnes, considérées comme amendement et comme stimulant, nous pouvons, par conséquent, avancer qu'elles doivent jouer respectivement un rôle nourricier variable selon leurs principes alimentaires cons- titutifs. L'analyse de ces substances peut done devenir en cela un bon auxiliaire pour notre agriculture, et mérite de fixer l'at- tention de nos analystes. Dans la seconde partie de cet ouvrage, nous aurons lieu de compléter nos idées sur les propriétés importantes de la chaux et de la marne, considérées dans leur rapport avec la végétation et la grande culture. (1) Moll, Manuel d'agriculture ou traité élémentaire de l’art de cul- tiver la terre, 5" édition , p. 58. Bruxelles , 1845. (Réflexions sur le mar- nage en Belgique, Ch. Morren.) (2) De Gasparin, Cours d’agriculture, t. 1, p. 78. (68 ) SECTION IV. — Du fer, de l'alumine et du manganèse. Le fer, l’alumine et le manganèse entrent aussi dans la composition des cendres des plantes; mais leur présence ne se constate que dans certaines espèces végétales, et seulement pour de très-faibles proportions. Les données que nous possédons sur le rôle et l’action de ces oxydes terreux ne sont que lrès-conjecturales; on n'en a fait qu'une étude très-circonscrite, et nous ne saurions dire encore sils exercent une action bienfaisante, s'ils font partie intégrante des plantes, ou enfin s'ils n'agissent point dans l'économie à l'instar de la chaux, de la magnésie ou des alcalis, lorsque la plante est privée partiellement ou en totalité de l’un ou de l'autre de ces corps : l'alumine trouvée dans la séve de certaines plantes, en combinaison avec différents acides organiques, tendrait assez à faire prévaloir cette dernière hypothèse. Dans tous les cas, la grande abondance d’alumine, de fer et de manganèse répandue dans les terres et leur petite propor- tion dans les plantes alimentaires rendent ces corps peu impor- tants pour l’agriculture : on concevra donc notre réserve à cet égard. Nous tenons seulement à signaler ce fait, que si le fer et l'alumine dans le sol contribuent puissamment au développement des végétaux, on ne peut guère Jusqu'ici attribuer cette action qu'à leurs propriétés physiques bien connues, et entre autres à celle qu'il importe de mettre en évidence, de condenser éner- giquement, au profit de la végétation, l'ammoniaque de l’atmos- phère et des engrais organiques en voie d’altération. Secrion V. — Du phosphore et des phosphales. Les phosphates sont, comme nous l'avons déjà dit, très-impor- tants dans l'alimentation végétale. Toutes les plantes en con- tiennent; les céréales surtout en consomment en grande quantité pour la formation de leurs graines. | (69) L’acide phosphorique, et, disons-le d’une manière générale, tous les acides minéraux, doivent avoir une action d'autant plus remarquable sur les plantes, que les bases avec lesquelles ils se trouvent unis, lorsqu'ils sont absorbés, font défaut dans le sol, et qu'elles sont nécessaires au mécanisme de la végé- tation. Bien que l'on constate souvent la présence d’un phosphate d'alumine dans le schiste argileux, on peut dire que l'acide phosphorique, dans le sol arable, se trouve presque toujours associé à la chaux, à la magnésie et quelquefois aussi aux alcalis. Ce ne doit donc être que sous une ou plusieurs de ces différentes combinaisons que le phosphore est extrait du sol par les spon- gioles. Les alcalis forment avec l'acide phosphorique des sels solu- bles. Quoique les phosphates alealins soient des principes impor- tants d'une grande quantité de graines, ils ne se trouvent pas, selon M. Liebig (1), originairement dans la nature. I est à croire, d’après cela, que ces phosphates sont créés dans l’orga- nisme même de la plante aux dépens d’un phosphate terreux et d’un sel alealin, à moins qu'apportés dans le sol par les engrais organiques, ils ne passent tout formés dans la plante. On sait que les combinaisons neutres de l'acide phosphorique avec les terres et les oxydes métalliques proprement dits sont insolubles dans l'eau, et ne se dissolvent que dans un excès d'acide phosphorique. Dans les terres, cette solubilité s’acquiert partiellement en présence de l'acide carbonique, du chlorure de sodium, des bicarbonates alcalins ou du carbonate d’ammo- nique; du moins c’est ainsi que les choses ont lieu dans nos laboratoires, pour le phosphate de chaux ou de magnésie, par le contact prolongé d’une solution de l’un ou de l'autre de ces corps. M. Liebig (2) a observé que le phosphate de chaux se dissout (1) Liebig, Des engrais artificiels, p. 4. (2) Liebig, Chimie appliquée à la physiologie, p.175. (70) avec autant de facilité que le plâtre dans de l’eau qui renferme du sulfate d’ammoniaque. À son tour, M. de Gasparin (1) expose que le phosphate de magnésie se dissout dans quinze fois son poids d'eau. Toutes ces observations expliquent comment l'eau, soutirée par les spongioles, peut emporter avec elle des phos- phates neutres dans le sein de la plante. Les chimistes et les physiologistes ont constaté la présence des phosphates dans presque tous les terrains; mais cette asser- tion ne nous permet pas de supposer qu'on les y rencontre par- tout en quantité suffisante, fût-ce même dans les terrains qui recoivent usuellement des engrais de ferme, lorsque, toutefois, ils appartiennent à un domaine isolé où il ne s'effectue aucune importation; car l'application de ces sels, en état d'être assi- milés par les plantes dans des terres de diverses natures assez bien assolées et récemment fumées, donne, dans la plupart des cas, un surcroît de produit en céréales. Ce fait remarquable, qui s'est présenté dans notre culture, trouve son explication : sachant que dans la composition minérale des terrains pris en masse, il n'entre qu'une petite fraction de phosphates, il est immédiate- ment éclairei si l’on veut bien prendre en considération la quan- tité de ce principe qu’on extrait journellement de la terre pour l'expédier, sans retour, sons forme de produits agricoles. Puisque les terres arables, livrées à une culture périodique, ne sont pas, sous ce rapport, convenablement restaurées par les engrais de ferme (et surtout par le famier des bêtes laitières) pour produire un maximum de récoltes, n’y aurait-il pas lieu de parer à cet état de choses? Cette question, si importante pour notre agriculture, peut être résolue affirmativement : les moyens d'y parvenir résident dans l'application des os. Tout le monde paraît d'accord sur ce point; mais il y a confusion dans les idées dès qu'il s'agit de savoir comment il convient de livrer cet engrais à la terre. Examinons done ses propriétés principales, et voyons quelle serait la meilleure manière de l'utiliser. (1) De Gasparin, Cours d’agriculture, tom. E, p. 97. (18) Les os ont une composition qui varie selon l’âge, l'espèce et les parties intestinales des animaux qui les ont produits. M. Jobn- ston (1) a trouvé que les os secs d’une vache renferment : 55 p. 0 de phosphäte de'chaux ; Geuxide mouton. uit les NO en Ceuxide cheval = RE NGT — Ceuxideveant een Ar UNS NES —- CEAUE PORC TA EME AMP RENNES ONE — L'effet des os se fait remarquer sur la plupart des plantes, et particulièrement sur celles qui sont riches en phosphates. M. de Gasparin (2) dit à ce sujet qu'un cultivateur anglais serait arrivé, au moyen de cette matière animale, à rétablir ses prai- ries qui étaient ruinées, tandis que des doses abondantes de fumier ne leur rendaient pas la fécondité perdue. D'un autre côté, M. Payen (3) établit que des os concassés , employés dans les proportions de 30 à 40 hectolitres par hectare, produisent des effets pendant 25 ans. Cet auteur ajoute qu'en Angleterre et en Allemagne, 10 hectolitres de cet engrais y remplacent 80 voi- tures de fumier pour un hectare. Ces observations indiquent la haute portée de cette substance pour la fertilisation des terres; mais on ne doit pas se faire illusion : elles ne peuvent, selon nous, servir de base en aucune manière, car une amélioration comme celle qui vient d’être signalée n'est possible que dans des cas tout à fait exceptionnels. On est naturellement amené à pen- ser que les terrains qui ont donné lieu à ce résultat extraordi- naire étaient entièrement privés des substances renfermées dans les os, ou bien que les engrais mis en parallèle étaient ou de qualité médiocre, ou chargés sur des voitures de très-petite capacité. L'action des os est encore différemment interprétée par nos physiologistes et nos agronomes ; c'est ainsi que MM. Drunque, Schwerz, de Dombasle et plusieurs autres expérimentateurs, vont (1) Jonhston, Éléments de chimie et de géologie , p. 275. (2) De Gasparin, Cours d’agriculture, tom. 1, p. 97. (5) Payen, Des engrais. Théorie actuelle, etc., p. 19. (72) même jusqu'à nier les effets de cette matière sur les plantes. Nous avons nous-même fait des essais dont les résultats semblent rejeter l'idée que l'on puisse assigner à cet engrais un grand rôle alimentaire. Mais si l'application des os a donné lieu à des observations si peu concordantes et si multipliées, on doit vrai- semblablement en attribuer la cause à ce que, dans l'exécution des expériences, on n’a pas eu égard à diverses circonstances particulières, telles que la nature minérale du terrain et des plantes cultivées, la cohésion et la composition chimique des os employés, ete., qui pouvaient en augmenter ou en diminuer la puissance, ” , | L'examen de ces circonstances devait nécessairement pré- sider aux essais pour les rendre concluants, fertiles en ensei- gnements et de nature à permettre l'émission d'une théorie fondée; car il est évident qu'en négligeant ces précautions et d’autres encore que nous aurons à exposer, il n’y avait pas la moindre possibilité d'éelaircir l'action et le rôle des phosphates des os, et d'arriver à des données capables de servir de guide aux agriculteurs. Ce qui peut entraver la décomposition des os et les maintenir en inactivité dans le sol, c’est la matière animalisée qui se trouve emboîtée dans la masse par une pellicule qui la fait résister aux agents destructeurs. « Le tissu organique de l'os, déjà difficile- ment attaquable par le fait de sa cohésion, devient encore moins altérable lorsqu'il est imprégné de graisse, et que cette graisse, en réagissant sur le carbonate caleaire du réseau osseux, a formé un savon de chaux qui résiste aux influencesatmosphériques (1). » « Les os, dans cet état, si difficilement altérables, ne doivent done exercer qu'une action insensible comme engrais, à moins qu'ils ne soient excessivement divisés. Ce qui confirme et expli- que encore l’observation pratique qui semblait anomale, c'est que, mis pendant 4 années dans la terre, les os ont à peine perdu 0,08 de leur poids, tandis que, tout récemment extraits des ani- (1) Boussingault; Économie rurale, t. I, p. 105. (75) maux et privés par l’eau bouillante de la presque totalité de la graisse, ils laissent facilement altérer leur réseau organique et perdent, dans le même temps, de 25 à 50 centièmes de leur poids (1). » Cette différente manière de se comporter des os frais et des os soumis à une décoction, doit avoir contribué à faire naître cette divergence dans les opinions, vu que ces derniers, se décompo- sant plus tôt dans le sol, doivent agir plus immédiatement sur les plantes, les autres conditions restant égales d’ailleurs. Une autre cause paraît encore activer l'assimilation des principes ali- mentaires des os. On a remarqué, dit M. Payen (2), qu'un mé- lange de cendres de bois rend plus efficace cet engrais, et que la chaux, la potasse et la soude, en faible dose, sont également favorables à son action; mais nous ne saurions déterminer, dans cette circonstance, comment agissent ces bases sur laccroisse- ment des récoltes. Est-ce comme engrais, ou bien est-ce en favo- risant l’assimilation des parties contenues dans les os? Nous avons admis, d’une part, qu'une solution alealine sur les phosphates de chaux et de magnésie détermine leur solubilité, et que la chaux rend solubles certains éléments du sol qui étaient impropres à l'absorption; nous avons admis, d'autre part, que ces mêmes principes servent de nourriture aux plantes. Dans une telle occurrence, on est naturellement porté à croire, d'après cette proposition, que la cendre de bois, la chaux et les alealis qui accompagnent les os, agissent à la fois comme matières ali- mentaires et comme stimulants. Selon M. de Gasparin (3), les os agiraient pendant 10 à 25 ans; mais leur effet se ferait surtout sentir les deux premières années. Nous ne saurions partager complétement cette assertion, car ce fait : que les os favorisent la végétation pendant une long ue suite d'années implique nécessairement l’idée que cet engrais se (1) Payen, Maison rustique du XX: siècle, t. 1, p.94. (2) Payen, Des engrais, Théorie actuelle , etc., p. 19. (3) De Gasparin , Cours d'agriculture, t. 1, p.527. (4) décompose difficilement, et qu'il ne peut exercer qu’une faible action sur l’accroissement des récoltes, principalement la pre- mière et la seconde année. Si nous nous en rapportons aux expé- riences que nous avons exécutées dans notre culture sur différen- tes espèces de terres où des phosphates de chaux et de magnésie solubles augmentaient d’une manière appréciable le rendement du trèfle rouge et des céréales, nous devons dire que, ni les os frais, ni les os macérés dans l’eau bouillante et réduits en poudre fine, ne produisent aucun effet sensible sur les récoltes, du moins dans les premiers temps : c’est ainsi que nous avons confié de la poussière d'os au sol, il y a déjà quatre années, sans que nous ayons pu découvrir, jusqu’à présent, le moindre indice d’une action quelconque. Nous sommes, en conséquence, amené à admettre que, sous cet état, les os ne sont guère propres à céder leurs principes constituants aux plantes et à être employés utilement en agricul- ture. On ne doit pas se dissimuler en effet que, pour qu'un en- grais acquière une haute valeur agricole, il faut non-seulement qu'il agisse sur plusieurs récoltes successives, mais encore que son action se manifeste l'année même de son application, condi- tions qui ne se trouvent pas réunies dans les os frais ni dans les os bouillis. Comment peut-on remédier à cet obstacle? Par l'incinération. L'expérience a démontré, dit M. Liebig (1), que l'efficacité des os, comme engrais, est plus grande lorsqu'ils sont caleinés et, par conséquent, dépouillés de leur matière animale, Cela tient, selon ce physiologiste , à la rapidité des effets du phosphate de chaux sur la croissance des plantes. Nous sommes assez porté à admettre cette considération, car cetie substance, soumise à l'action du feu, laisse des phosphates qui doivent se comporter exactement dans le sol à l'égard des plantes, comme ceux qui dérivent de la nature minérale du sol, et dont il a été question précédemment. (1) Liebig, Des engrais artificiels , p. 3 et 4. Ho) M. Liebig (1) recommande l'addition d’une certaine quantité d'acide sulfurique, dans le double but de rendre les os plus so- lubles et de changer les phosphates neutres des os en gypse et en surphosphates de chaux et de magnésie, lesquels ont été re- connus par beaucoup de personnes comme un engrais des plus efficaces. Il fait encore observer (2) qu'une solution d'os dans de l'acide hydrochlorique , répandue sur les terres en automne ou en hiver, rendrait non-seulement au sol un principe indis- pensable, mais lui donnerait en outre, la faculté de retenir toute lammoniaque qui y tombe par les eaux pluviales dans l'espace de six mois. Nous avons suivi ce conseil avec assez de succès; mais nous avons bientôt reconnu que la méthode présente une grande dif- ficulté dans son application : celle de devoir étendre la solution sur les champs cultivés. Prise sous un point de vue général , elle ne peut être employée qu'en horticulture. On verra, dans le cours de notre seconde partie, comment nous avons pu réussir à don- ner à cette belle théorie une direction plus avantageuse. Le procédé qui consiste à calciner les os pour en appliquer les résidus acidifiés sur le sol, après les avoir malaxés avec les engrais de ferme ou avec de la terre sèche, est celui qui nous a paru le meilleur, et que nous avons définitivement adopté dans notre exploitation. Par là, on accélère grandement la solubilité des sels phosphatés, qui ont alors une action instantanée sur les plantes, et l'on écarte les obstacles qui entourent la pulvérisation des os bruts. Cependant on a présenté comme objection que, par cette mé- thode, on élimine la matière animale qui doit aussi prendre une part à la formation des principes immédiats des plantes. Cette allégation est loin d’être dénuée de fondement. On sait, en effet, que la gélatine libre exerce une influence active sur la végéta- tion, soit que, décomposée dans le sol, elle passe dans les plantes (1) Liebig , Des engrais artificiels, p. 4. (2) Liebig, Chimie appliquée à la physiologie, etc., p. 263. (76) à état de sel ammoniacal, soit que, dissoute, elle n'éprouve pas une décomposition complète et que les radicelles l'absorbent di- rectement, Ainsi, par la calcination des os, on détruit une substance organique qui est appelée à imprimer tôt ou tard , et à mesure de sa décomposition, une puissance d'action incontestablement utile à la végétation; mais nous ne croyons pas que l'on doive prendre ici cette matière azotée en considération, car c’est elle, comme nous l'avons vu, qui entrave et ralentit l'assimilation des sels minéraux qui accompagnent. D'ailleurs, si la volatilisation de la matière essentielle de l’organisation des végétaux est le seul motif que l’on oppose à l'utilisation des os caleinés comme en- grais, ce motif n'est pas bien puissant : il suffit, pour lever la difficulté, de fixer, au moyen d'un appareil préparé à cet usage, le carbonate d’ammoniaque qui se dégage pendant la calcina- tion, par le plâtre humide ou par les cendres d'os légèrement acidifiées avee de l'acide sulfurique, après avoir tontefois con- densé dans de l'eau les principes goudronneux qui s'en échap- pent en même temps que les matières volatiles et qui ont une action délétère sur les végétaux. Ne serait-ce pas là un moyen à la fois facile et puissant de fournir économiquement au sol les éléments primaires des cé- réales et des légumineuses, et de retirer de cette matière les plus grands avantages dans le plus court délai? Voilà comment, selon nous, il est possible de rendre solubles et d’un grand effet les os d’une forte cohésion, sans leur ôter de leurs facultés nutritives. L'azote, le phosphore et les bases ter- reuses, rendus ainsi aptes à l'élaboration, constitueraient un engrais éminemment propre à déterminer un sureroît de richesse dans nos productions agricoles. | ENV ITeNU Se (77) CHAPITRE IV. LES MATIÈRES NITROGÉNÉES, TERREUSES ET ALCALINES SONT-ELLES DÉCOM- POSABLES ET DÉCOMPOSÉES DANS L'ACTE DE LA VÉGÉTATION ? Cette question n’a encore fait que peu ou point l'objet des recherches de nos savants, aussi est-elle difficile à résoudre d'une manière satisfaisante. Pour arriver à cette connaissance, il im- porte de savoir sous quelle forme les corps pénètrent dans les spongioles, de manière que l'examen de la séve, prise aux di- verses phases de la végétation, puisse nous indiquer quels sont les changements survenus dans sa composition; car chaque prin- cipe alimentaire, suivant le genre de combinaison sous lequel il entre dans le végétal, doit se comporter différemment à son égard et présenter une décomposition particulière dans l'orga- nisme. Comme la nature de ces principes, en faisant partie du tor- rent séveux, peut changer instantanément, l'analyse du jus exprimé d'un végétal ne peut nous apprendre distinctement sous quels composés ils sont introduits. Pour en arriver là, il faut des recherches spéciales qui n’ont pas encore été faites. Ainsi, il est indispensable d'éviter toute réaction chimique dans le sol, ce qui constitue une difficulté qu'il n’est pas possible de surmonter, à moins d'opérer seulement sur un sel à la fois, et isolé des autres sels qui auraient en même temps la faculté d'être aspirés dans le végétal, comme cela a eu lieu dans l'expérience que nous avons instiluée pour l'acide ulmique (1). N'ayant qu'un corps (1) Ayant réfléchi plus longtemps sur les moyens qu’il y aurait à employer pour éviter les résultats fâcheux qui accompagnent la réaction des sels dans le milieu où les racines sont implantées , je me suis assuré qu'il est possible de suspendre, sans inconvénient, une plante de céréales au-dessus de deux flacons remplis d’eau traitée différemment, et de faire plonger une moitié (78 ) soluble en présence d’une partie des spongioles, on pourrait alors se convaincre de la forme de composition sous laquelle il est absorbé, et examiner ensuite les transformations qu'il est susceptible d'éprouver dans l'organisme végétal. Cependant, si nous n'avons jusqu'ici aucune expérience di- recte qui puisse faciliter nos investigations, nous possédons des données générales sur l'état chimique des corps qui peuvent, d’après leur degré de solubilité dans le sol, être attirés par la succion des racines dans les conduits ascensionnels:; nous con- naissons aussi à peu près l’état sous lequel ils font communément partie de la séve et de la constitution des plantes. Si cette rela- tion ne nous permet point de résoudre le problème, elle nous viendra au moins en aide pour l'éclaircir. Dans notre opinion, les plantes ont la faculté de décomposer les corps qui leur sont amenés du sol par le mouvement ascen- sionnel des fluides. Nous nous fondons sur ce qu’elles possèdent une puissance très-énergique, une forceñncontestablement supé- rieure à celle de nos appareils électriques , force qui est prouvée par la décomposition d'un corps aussi stable que l'acide carbo- nique. Sans pouvoir assurer pourtant que tous les corps introduits dans le végétal soient décomposés avant de s’y fixer définitive- ment, nous pensons qu'ils éprouvent en grande partie un chan- gement de nature. Cest ce que les arguments qui vont suivre tendront à prouver. En laissant de côté l'opinion préconisée par Berzélius (1), que les produits organiques peuvent être des matières nutritives immédiates des plantes qui les élaborent dans leurs vaisseaux, tout comme cela se passe dans le règne animal, nous pouvons dire que l'azote des plantes tire sa source des nitrates ou des des racines dans l’un des vases et la seconde moitié dans l’autre. Cette dispo- sition faciliterait singulièrement l’étude du rôle , de l’action et des propriétés des sels sur les végétaux. (1) Berzélius, Rapport annuel sur les progrès de la chimie, p. 95, Qme année. Paris, 1842. ( 79) sels ammoniacaux, ou, ce qui revient au même, que l’un ou l’autre de ces deux sels, en l'absence de tout autre principe azoté, peut suffire au végétal pour les diverses fonctions qu'il est appelé à remplir. Ceci admis, il faut nécessairement croire à la trans- formation de l’un de ces corps avant qu'ils ne fassent partie inté- grante du végétal. Faire prévaloir une autre opinion, ce serait admettre leur assimilation directe, c’est-à-dire, sous la forme qu'ils avaient lors de leur aspiration dans Îes spongioles. Or, si l’on serute la composition des divers principes des plantes dans leurs organes respectifs, on trouve que l'azote est engagé dans une grande variété de combinaisons, telles que dans l’albumine, la quinine, la morphine, etc., etc., dont les caractères chimi- ques diffèrent essentiellement des matières qui lui ont donné naissance. Puisque l'azote contenu dans ces matières provient de l’ab- sorption des sels nitreux et ammoniacaux, il faut alors néces- sairement admettre, sil n'y a pas décomposition avant l'acte de l'assimilation, que ces sels font partie en nature de l’albumine végétale, etce., et dans un rapport proportionné à leur teneur en azote, etc. L'analyse de ces substances nous démontre qu'il n’en est rien, et nous en concluons que sil n'y a pas assimilation directe des sels nitrogénés introduits dans le végétal, ceux-ci doivent être modifiés et préparés à l'usage auquel ils sont des- tinés dans l’économie. La même observation doit également se faire pour les phosphates ammonico-sodique, potassique ou eal- cique, à moins de supposer que ces sels ne soient absorbés sans participer aux phénomènes de la nutrition; mais cette supposi- tion est invraisemblable, puisqu'ils augmentent, du moins en ce qui concerne les deux premiers, la production du gluten dans les céréales. En diseutant le rôle que joue le plâtre dans la végétation, M. Boussingault (1) fait remarquer que l'azote des plantes sou- mises à l’action du sulfate et du chlorhydrate d'ammoniaque ne (1) Boussingault, Économie rurale, 1. IL, p. 256 et suiv. ( 80 ) peut provenir de absorption de ces sels, parce que, dit-il, dans 100 kil. de gerbes de blé (paille et graines), il entre ordinaire- ment 800 grammes d'azote, et, dans les cendres, 42 grammes d'acide sulfurique et 22 grammes de chlore, alors que 800 gram- mes d'azote contenus dans les plantes exigeraient, pour former du sulfate et du chlorhydrate d’ammoniaque, 2,264 parties d'acide sulfurique et 2,056 de chlore. Il pense que ces sels, avant de pénétrer dans les plantes, sont changés en carbonates. Il n’est pas douteux, comme l'observe M. Boussingault, que le carbonate de chaux, dans un sol pourvu de l'humidité néces- saire à sa décomposition, ne réagisse sur les sels ammoniacaux dont il vient d'être parlé, et qu'il ne puisse s’introduire dans les racines à l'état de carbonate d'ammoniaque, puisque ce gaz se dégage d'une dissolution de sulfate d'ammoniaque lorsqu'on y ajoute de la eraie. Cette théorie peut encore être appuyée par ce fait, que les plantes renferment toujours du carbone en quantité plus grande qu'il n’est nécessaire pour former de l'acide carbonique capable de saturer l’'ammoniaque. Cependant, on ne peut l’admettre sans restriction et croire, avec M. Boussingault, « qu'il est ma- tériellement impossible que les sels ammoniacaux à acides inor- ganiques autres que l'acide carbonique, soient utiles aux plantes comme engrais (1). » Car rien ne paraît prouver que les 42 gram- mes d'acide sulfurique et les 22 grammes de chlore contenus dans 100 kil. de blé ne soient pas prélevés à l'état de sel ammo- niacal, et qu'ils ne puissent transmettre ainsi dans les plantes une partie de leur azote. Si l’on en juge d'après la solubilité constante de ces sels dans le sol, il est très-probable que c’est ainsi que les choses doivent se passer. Et puis, s'il est permis de croire que le carbonate cal-. aire réagit dans certains cas sur le sulfate d'ammoniaque, il ne doit pas l'être moins de supposer que le plâtre, en contact avec Valcali volatil, peut à son tour, suivant la nature hydraulique du (1) Boussingault, Économie rurale, t. Il, p. 256. (81) terrain et les variations météorologiques, être ramené à l’état de sulfate d’'ammoniaque propre à être soutiré dans les plantes. D'un autre côté, en supposant que l'azote des plantes ait été absorbé dans le sol à l’état de sulfate d'ammoniaque, doit-on retrouver, en ce cas, dans leurs cendres, exactement la quan- tité d'acide sulfurique conforme aux rapports ci-dessus établis? Il est bien avéré aujourd'hui que les végétaux ont, jusqu'à un certain point, la faculté d'excréter Îes matières inutiles à leur alimentation. C'est aussi ce qui découle d’une longue série d'ex- périeuces entreprises par M. Chatin (1) sur l'administration de l'acide arsénieux. Ces expériences tendent à prouver, en défini- tive, que les plantes sont douées, comme les animaux, de la fa- culté de se débarrasser par exerétion des substances nuisibles qu'elles ont pu absorber. Dès lors, ne pourrait-on pas admettre que le sulfate d’ammoniaque, dans la plante, soit décomposé en ses éléments ? D'un côté, par exemple, il donnerait de l'azote, qui serait fixé, et de l'hydrogène, qui formerait de l’eau ou d’au- tres combinaisons hydrogénées; de l'autre, il donnerait de l'a- cide sulfurique qui, en contact avec des carbonates terreux ou alcalins, s'unirait aux bases de ces sels pour être ramené dans le sol par la séve descendante, après avoir mis l'acide carbonique en liberté. Ce dernier gaz, sous l'influence de la lumière, se dé- composerait en oxygène, qui serait expulsé, et en carbone, qui serait assimilé, Le même raisonnement ne peut-il pas s'appliquer au chlorhydrate d’ammoniaque ? Les différents genres de décomposition que les sels peuvent éprouver dans l'organisme doivent d'ailleurs être très-nombreux; mais ils sont difficiles à saisir, et l'on ne peut offrir que des con- jectures sur ce point. Quoi qu'il en soit, et sans pouvoir affirmer si, dans nos expé- riences sur l'azote, le nitrate de potasse et le chlorhydrate d'am- moniaque ont été absorbés en nature par les spongioles, nous (1) Journal des travaux de l’Académie de l’industrie agricole, manu- facturière et commerciale de France, vol. XV, p. 5. Paris, 1845. 6 (82) pouvons tout au moins croire que ces deux substances ont été amenées dans l'appareil végétal sous forme d’un ou de plusieurs nitraies où d'un ou de plusieurs sels ammoniacaux. Ceci ad- mis, nous pouvons assurer que, sous le rapport de l'azote, les sels nitreux et ammoniacaux se substituent indifféremment dans les plantes; en conséquence, s'ils ne subissent point de modifications, il faut admettre que la série des produits nitrogénés change et n'est pas constante dans les végétaux, lorsque, d’une part, ils reçoivent un nitrate et, de l’autre, un sel ammoniacal , tandis que les autres conditions restent les mêmes. Une plante privée de toute substance nitrogénée assimilable qui reçoit, par exemple, du nitrate d'ammoniaque, doit proba- blement trouver dans ce sel deux sources distinctes d'azote, puisque, pris isolément et ramené sous d’autres composés, cet élément fait partie intégrante des plantes. Si, en effet, l'acide nitrique et l’'ammoniaque du nitrate d'ammoniaque cèdent res- pectivement leur azote, on doit nécessairement en conclure que ce sel subit une métamorphose dans la plante, puisque les prin- cipes immédiats ne varient pas de composition et qu'ils ne sont point identiques avec les corps qui ont servi à leur formation. M. Liebig fait remarquer que l'examen des propriétés et de la composition des sulfures qu'on rencontre dans les graines des céréales, dans les cotylédons des légumineuses, des pois, des lentilles et des haricots, dans la séve des végétaux, et surtout dans celle de nos légumes, a conduit à ce résultat remarquable, « que le principe sulfuré contenu dans le sue des plantes est identique avec l’albumine du sang et du blane d'œuf; que le principe sulfuré des céréales possède les mêmes propriétés et la même composition que la fibrine du sang; et enfin, que la partie essentiellement nutritive des pois, des haricots et des lentilles possède les mêmes caractères et la même composition que le caséum du lait (4). » Comme il a été démontré antérieurement que le soufre des (1) Liebig, Chimie appliquée à la physiologie, p. 85. (85) plantes doit provenir d’un sulfate absorbé, il est évident que si ce soufre n'y est point déposé à l’état de sulfate, ce sel doit être dénaturé durant l'acte de la végétation. Il est bien prouvé que les cendres des plantes donnent constam- ment des sulfates aux analystes ; il est également notoire que ces corps, par leur stabilité, ne paraissent pas se modifier par l'ac- tion de la chaleur produite pendant l'incimération; mais ces données n'autorisent pas à croire que le soufre se trouve dans les plantes sous une forme de combinaison oxygénée semblable à celle qui se trouve dans la cendre; car si, comme le constate M. Liebig, les végétaux renferment dans leurs graines, etc., certaines combinaisons sulfurées analogues à l’albumine, à la fibrine et à la caséine, il est hors de doute que les sulfates aspirés par les racines et concourant à créer ces principes, doivent subir une réduction dans l'appareil végétal avant qu'ils puissent être assimilés; et dès lors il ne serait pas impos- sible, il est même très-probable, que ces mêmes principes, en présence de la chaleur, de l'air ambiant et des gaz naïssants, se convertissent en produits sulfurés volatils, comme cela a lieu lors de la putréfaction de l'albumine des œufs, ete. Il se pour- rait également que, pendant l'incinération, leur conversion ait lieu en acide sulfurique, lequel se combinerait à l’une ou à l'autre des bases alliées aux acides végétaux, pour constituer un sulfate calcaire ou alcalin, que caractériseraient alors les résidus cendreux. Ne voyons-nous pas aussi le soufre, en contact avec un hydrate de chaux exposé à l'air humide, se transformer en sulfate calcique ? La manière de se comporter du chlorure de sodium à l'égard des plantes marines et des céréales, dans les terrains exempts d'alcalis, offre aussi une preuve palpable à l'appui de la désunion des corps avant leur élaboration. Nous avons eu lieu de démontrer antérieurement que le sodium du sel marin est utilisé dans le végétal sous forme de soude, ce qui implique nécessairement l’idée de son oxydation. Le chlore doit également changer de composition s’il reste allié à cette (84) base; mais il paraît que la sonde s'unit le plus souvent aux acides végétaux. D’après cela, le chlore doit s'en séparer pour être employé à d’autres fonctions; il s'associe probablement alors aux oxydes terreux ou à leurs radicaux, ou bien encore aux alca- loïdes. Ce qui est vrai pour le sel marin doit l'être aussi pour les chlorures potassique, ammonique et calcique; seulement ces deux derniers composés doivent offrir un autre genre de décomposition. Lorsqu'on fait absorber isolément du sel marin à une plante de froment qui croît dans un milieu privé d’alcalis, on trouve, après la maturité, dans le carbonate de soude que renferment les cendres, une quantité de sodium plus grande que celle qui doit correspondre au chlore qui à été absorbé par les racines à l'état de sel marin. Où est allé ce chlore? En appliquant une petite dose de sel marin à la même espèce de plantes, elle acquiert une grande vigueur ; si l’on augmente la dose, elle lan- guit. D'où vient donc ce phénomène ? Les plantes qui croissent en l'absence des alcalis doivent néces- sairement s'emparer du sodium du sel marin; mais le chlore, qui ne paraît guère faire partie des graminées, doit ou rester dans le végétal, ou être excrété pendant la végétation. S'il restait sans action utile dans la séve ou dans les parties cel- lulaires, on devrait alors l'y rencontrer en totalité après l'inci- nération, tandis que les cendres n’en contiennent qu’en petite proportion, comparativement à celle qui devrait s'y trouver pour saturer le sodium de la soude qu’on y rencontre. Nous devons donc conclure de ce fait que le chlore du sel marin charrié dans la plante, en est éliminé en grande partie par la voie feuillue ou radicellaire, à moins que, comme nous l'avons déjà fait observer, ce corps ne se volatilise en partie par le fait même de l'inciné- ration. Lorsqu'on offre du phosphore, de l'azote, de la chaux ou de la magnésie, sous forme de phosphates doubles, à une plante de froment qui doit porter graines, elle jouit visiblement de ces éléments lorsque le sol en est privé, et l’on retrouve alors dans ses cendres les mêmes corps, mais sous un tout autre genre de (85) composés. Si l’on fournit à une autre plante de même espèce ces mêmes principes sous forme de phosphate, de sulfate, d'hydro- chlorate et de carbonate de ces bases, on obtient un résultat analogue et tout aussi satisfaisant. Ceci nous porte à croire que les sels sont, suivant leur nature, décomposés et préparés par l'acte de la végétation, selon l’ordre sous lequel ils doivent être groupés dans l'organisme. Il existe constamment dans les plantes une grande variété d'acides végétaux qui, le plus souvent, sont unis aux bases miné- rales; ces sels sont détruits par l'incinération, et l’on retrouve dans la cendre des carbonates et des oxydes minéraux. En recher- chant sous quelle forme la potasse, la soude, la magnésie et la chaux pénètrent dans les plantes, nous trouvons qu’elles y entrent généralement unies aux acides inorganiques. On ne sau- rait ici admettre que ces bases salifiables, qui font partie de presque toutes les plantes, soient attirées dans la partie séveuse à l'état d'oxyde libre, caustique; dès lors nous devons dire encore une fois que la séve se modifie en s'infiltrant dans les tissus per- méables du végétal; car pour que les sels alcalins et terreux puissent abandonner leurs bases aux acides organiques, il est incontestable qu'ils doivent éprouver une désunion, une véri- table décomposition. Ces exemples de la métamorphose des corps dans l'appareil végétal pourraient être multipliés, si nous ne les croyions suffi- sants pour faire partager notre manière de voir. Cependant, qu'on ne l'interprète pas faussement! Certes nous ne contesterons pas que tous les corps pompés dans le réservoir ascensionnel des végétaux y subissent une modification, et qu'il n'y en ait pas dans le nombre qui puissent être élaborés directement, sans re- cevoir d’altérations chimiques dans leurs parties. C'est ainsi, par exemple, que la silice pure, absorbée par les racines, peut former, comme nous l'avons déjà dit, des concerétions aux nœuds des graminées, ainsi que l'épiderme extérieur du bambou. Il n'est pas impossible non plus qu'une partie du gypse des chlorures, emprunté au sol, soit fixée dans des organes spéciaux sans éprou- ( 86 ) ver de décomposition préalable, semblable en cela aux phosphates de chaux et de magnésie, qui paraissent se combiner directement à la matière azotée des graines, etc. Il cût été très-intéressant de déterminer les diverses modifi- cations qu'éprouvent les différents sels métalliques dans l'orga- nisme: cette connaissance nous eût naturellement fait savoir ce que deviennent indistinctement tous les corps après avoir été transportés du sol dans les végétaux; maïs nous ne pourrions émettre à ce sujet que des vues très-hypothétiques : les données que nous possédons sont encore trop incomplètes pour étayer une semblable discussion, aussi l’abandonnerons-nous volontiers à la méditation des chimistes et des physiologistes. CHAPITRE V. DES CIRCONSTANCES QUI PEUVENT MODIFIER L'ACTION DES ENGRAIS. Sous le point de vue de la nutrition végétale, il importe de ne pas oublier que chacun des corps que nous venons de passer en revue ne peut servir isolément à l'alimentation des plantes. On doit également se pénétrer de cette vérité, que toutes les conditions d’assimilation doivent se trouver en;même temps réu- nies pour qu'un engrais puisse agir utilement. Ces conditions, auxquelles on n’a eu jusqu'ici que peu ou point égard, expliquent, à nos yeux, la cause des contradictions qui existent sur l’action des diverses substances organiques et minérales employées en agriculture. Ainsi, tels expérimentateurs trouvent que le guano, les eaux (87) ammoniacales provenant du gaz de l'éclairage, les tourteaux de colza , la marne et la chaux, ont une grande puissance nutritive; tels autres les considèrent pour ainsi dire éomme inertes dans le sol. Ceux-ci ont remarqué que les azotates, le sel marin, le gypse, les chiffons de laine ou les os, sont des engrais énergiques et qui renferment une partie des éléments les plus indispensables de la constitution des céréales et des légumineuses; ceux-là, au con- traire, ont observé que leur présence dans la terre reste inappré- ciable et que quelques-uns y sont parfois plus nuisibles qu'utiles; d’autres, enfin, ne croient à l'efficacité d’un engrais que pour au- tant qu'il soit susceptible de fournir de l'azote ou des produits organiques tout préparés analogues à l’ulmine ou à l'acide ul- mique. Quelles sont donc les causes de ces divergences d'opinions; à quoi tiennent-elles et sous quelles influences peuvent-elles se modifier ? Il est vraiment étonnant qu’à une époque de lumière comme celle que nous parcourons, les intéressés les plus directs n'aient pas encore résolu un problème si important. Lorsqu'on veut se rendre compte de l'action alimentaire ou mécanique d’une substance, on oublie trop souvent qu'on ne doit accueillir qu'avec une grande réserve les résultats d'une expérience et les déductions auxquelles ils peuvent donner lieu, si l'on n'a pas en même temps éliminé entièrement les causes qui peuvent modifier ou paralyser les effèts de cette substance sur la végétation. Dans cet axiome réside toute la question. En effet, en physiologie comme en agriculture, on néglige presque toujours d'exclure avec soin les conditions spéciales aux- quelles est soumise l'existence des plantes et qui peuvent annuler nos efforts en rendant vain le fruit de nos recherches. Ainsi, un grand nombre d'expériences sont faites au hasard et sans discernement ; on en tire des arguments qui ne peuvent avoir aucune portée sur l’éclaireissement des lois qui président à la nutrition végétale; on sen empare pour combattre ou pour corroborer d’autres expériences aussi inexactes : de là l'origine de ( 88 ) ces contradictions multipliées et l'obscurité qui règne encore sur des points très-importants de Ja physiologie et de l'agriculture; de là, enfin, cette masse de données sans valeur dont on a tant de peine à tirer quelque profit. Les circonstances qui doivent être prises en considération, lorsqu'on scrute le pouvoir alimentaire d’un engrais quelconque, sont plus complexes qu'on ne le pense généralement; il nous a paru utile de rechercher les causes qui peuvent en modifier l'action: ja question nous a semblé mériter un sérieux examen. Pour qu'un engrais puisse agir favorablement sur les plantes, il est nécessaire : 4 Qu'il ne renferme point de principes contraires à la végé- tation; 2% Qu'il soit susceptible d’assimilation ; 5° Que sa décomposition ou sa solubilité soit proportionnée au développement de la plante; 4 Qu'il soit donné en proportion voulue; 5° Que le sol sur lequel on opère présente les caractères phy- sique et minéral convenables, sans offrir de réaction acide, et que l'engrais soit approprié à la nature des plantes selon leur exi- gence; 6° Enfin, que la terre ait une bonne exposition et qu'elle soit située sous un climat convenable et exempt de météores cen- traires à toute bonne culture. Les six points qui précèdent résument tout le problème; nous allons chercher à l’éclaircir davantage, en émettant quelques vues nouvelles qui pourront donner lieu, nous osons l'espérer, à plus d’un enseignement utile. Premier point. — Les substances acides, alcooliques ou éthé- rées, le sulfate de cuivre, etc., etc., qui accompagnent un engrais, annulent son action plus ou moins manifestement et portent même atteinte à la vie des plantes (1). Les résidus des raffineries nous offrent un exemple de ce genre : appliqués sur le sol im- (1) Soit en corrodant les fibres radicellaires, soit en gagnant les tissus inté- (89) médiatement après leur sortie des établissements, ils sont nuisi- bles, tandis que leur effet est bienfaisant lorsque, préalablement, ils ont été soumis aux influences de l'air. MM. Payen et Boussin- gault ont très-bien prévu le succès ou l’inefficacité dont peut être suivi l'emploi de cet engrais : dans le premier cas, le sucre contenu dans ces résidus donne, par la fermentation, de l'alcool, puis des acides acétique et lactique; dans le second, la matière que le noir renferme subit, par son exposition prolongée à l'air, une altéra- tion qui engendre de l’ammoniaque. Non-seulement il se forme alors des acétates et des lactates de cette base, mais l’engrais accuse encore une réaction alealine constamment favorable à la végétation. Le goudron est aussi une substance qui fait éprouver aux plantes des marques évidentes d’une lésion interne ou plutôt des symplômes qui ont tous les caractères de l'intoxication. C'est à cette circonstance que nous attachons en partie la non-réus- site en agriculture des eaux ammoniacales provenant du gaz à éclairage. Nous n'avons pas encore employé cet engrais, qui a été reconnu comme très-efficace par quelques expérimenta- teurs; mais si nous sommes bien informé, nous avons lieu de croire que les eaux ammoniacales déposées par le gaz de la houille au sortir du barillet, ne sont pas suffisamment épurées de leurs principes goudronneux, lorsqu'on les reçoit dans les citernes d’où on les extrait pour les transporter directement sur Îles terres. Deuxième point. — Une substance pourraît être considérée théoriquement comme un bon engrais, alors qu'elle serait impro- pre ou très-peu propre à servir de nourriture aux plantes. Tel est le cas, par exemple, pour les houilles, qui donnent souvent une proportion d'azote, de chaux, de magnésie et d'alcalis très- appréciable à l'analyse. Une matière pourrait aussi être considérée pratiquement rieurs, principalement les vaisseaux vasculaires, à commencer par la base pour arriver ensuite au sommet. ( 90 ) comme un engrais excellent, alors que son effet ne serait dû qu'à une action mécanique sur la texture du sol. Ainsi, le sable, la seiure de bois nouvelle, ete., mélangés à une terre ductile, simu- leraient le rôle que jouent les engrais. Troisième point. — 1 arrive qu'une matière riche en principes nourriciers n'exerce dans le sol aucune influence appréciable pendant plusieurs années, parce qu’elle se décompose avec trop de lenteur, tandis que la même substance, amenée à un état de décomposition plus grand, active fortement la végé- tation. De même, un engrais de cette nature, placé dans un terrain qui contient dés dissolvants, peut présenter une différence analogue. Les chiffons de laine des papeteries, pendant les pre- mières années qui suivent leur application sur le sol, ne sont pas susceptibles de céder leurs éléments aux plantes, aux diverses périodes de leur croissance. Ils ont été abandonnés, pour cette raison, par un bon nombre d'agriculteurs belges, qui n’en font aucun cas. Cet état de choses se trouve en quelque sorte justifié par le peu de désir que l'on éprouve naturellement à enfouir un capital dans le sol pour n’en retirer les fruits que dans un avenir éloigné. Cet engrais a été appliqué, dans notre culture, à la dose de 3,500 kilogrammes par hectare à l’état normal, plusieurs champs, comprenant environ 8 hectares, furent traités par cet engrais et ensemencés en pommes de terre, seigle et froment, et ce ne fut qu'à partir de la troisième année que son action devint manifeste. Cependant nous avons trouvé un moyen fort simple de le rendre plus avantageux. Ce moyen consiste à disposer la laine en gros tas pour lui faire subir une altération : quinze jours suf- fisent pour que le but soit atteint. Seulement, il importe qu'on veille à sa fermentation, car à la décomposition lente qui se ma- nifeste d’abord, succède une très-forte température dans la masse et avec elle une combustion rapide et une exhalation de gaz ammoniacal. Pour éviter cet inconvénient, on arrose souvent la masse qu'on recouvre d’une légère couche de terre, après l'avoir malaxée avec des corps condenseurs (plâtre, matières poreuses). (91) Ainsi préparés, les déchets de laine, enfouis dans les terres schisteuses et caleaires, ont fait, chez nous, l'effet d’un engrais très-puissant sur les plantes dont il vient d'être question. D'autres engrais, bien que contenant plus de matières utiles aux plantes, n’agissent, au contraire, que pendant une année seule- ment, et cela, à cause de leur trop grande solubilité. Il ressort de là qu'il n'est pas toujours permis d'apprécier la valeur relative des engrais employés en agriculture, d'après leur composition élémentaire, sans tenir compte de leur aptitude à l'assimilation. Il est évident qu'un poids donné d'azote, de phosphates où d'alcalis associés chimiqueinent à une substance dont la décom- position ou la solubilité est plus ou moins bien proportionnée au besoin des plantes, aura bien plus d'effet et de valeur qu’un autre dont la grande cohésion ou la grande solubilité rend l’action lente ou passagère. Quatrième point.— Une trop petite quantité d'engrais contribue peu au développement d’une plante; celle-ci reste languissante et ne peut profiter qu'en raison directe de la proportion d'aliments qui est mise à sa disposition. Une trop grande quantité d'engrais donne un résultat tout aussi pernicieux : elle aceumule dans les vaisseaux une trop forte proportion d'agents nourriciers, qui ne peuvent être élaborés et qui affectent visiblement la végétation. Cependant, tous les corps, soit gazeux, soit liquides, n'ont point au même degré cette tendance à nuire par leur excès. Les plantes supportent plus ou moins bien les uns, tandis que la présence des autres les ferait périr. Il est probable que cela tient à Ja stabilité diverse des corps ou à la plus ou moins grande facilité avec laquelle ils peuvent être éliminés par la voie des feuilles ou des racines. Cinquième point.—Une terre qui donne une réaction acide lors- qu'on la fait bouillir dans de l’eau filtrée est contraire à toute bonne végétation, du moins pour les plantes qui, comme les gramminées et les légumineuses, ne renferment point de tanin. Ce fait est très- remarquable sur les terres de bois ou de bruyères nouvellement défrichées, dans lesquelles on trouve ce principe immédiat de (92) plusieurs végétaux en nature; le froment et le lin, surtout, réus- sissent très-mal dans de semblables conditions. La vase déposée dans les étangs offre un caractère à peu près analogue au tanin. L'examen de la vase d'étang, riche en ma- tières salines et organiques azotées, nous fait connaître que sa solution rougit presque toujours fortement le papier végétal bleu, ce qui nous autorise à croire que les acides organiques libres doivent corroder les spongioles avec lesquelles ils sont en contact; et, sils sont introduits à cet état dans les organes des plantes, il ne serait pas impossible qu'ils y exerçassent une ac- tion toxique. C'est par ce motif que cet engrais est très-impropre- ment considéré par beaucoup de cultivateurs comme n'ayant aucune propriété nutritive. Employée dans notre culture, à la dose de 110 mètres cubes à l'hectare, sur une surface de 70 hectares de terres de diverses natures, la vase d'étang nous a, dans tous les cas, donné des ré- sultats très-satisfaisants, mais seulement lorsqu'elle avait été préalablement séchée à l'air et mélangée avec de la chaux caus- tique ou hydratée ; car, à défaut de cette précaution, elle était plutôt nuisible qu'utile dans le sol, durant les trois premières an- nées qui suivaient son application. L'état physique et chimique du sol, et son exposition par rap- port au climat, sont autant de circonstances qui peuvent modifier l'effet des engrais, et qu’il importe d'examiner avant d'établir an- eune espèce d'expériences. Un terrain d'une grande cohésion, humide ou submergé par les eaux, est très-contraire à la croissance de la plupart des plantes, et conséquemment à l’action des substances fertilisantes. L'explication de ce phénomène indiquera en même temps l'uti- lité de l’ameublissement et de la perméabilité des terres produits, soit par l'agrégation naturelle du sol, soit par l'application des amendements ou des engrais pailleux, soit enfin par la multipli- cité des labours. L'ameublissement du sol à pour effet d'augmenter la faculté absorbante des parties qui le constituent, de manière à fixer les (95 ) gaz utiles de l'air, de provoquer l'évaporation de l'humidité sur- abondante; de favoriser la dilatation et la désagrégation des argiles et, par suite, l'assimilation des matières salines qui entrent dans leur composition; enfin, d'activer l'érémacaucie des matières or- ganiques pendant la croissance des plantes, pour donner aux spon- gioles la faculté d'absorber les produits de cette décomposition. Un terrain compacte, aqueux ou baïigné par les eaux, ne pos- sède pas ces avantages : l’eau intercepte la libre communication de l'air dans l’intérieur du sol; l'acide carbonique et l'ammo- niaque des eaux pluviales ne peuvent arriver et se renouveler constamment autour des racines pour être absorbés par elles, et, en l'absence de l'oxygène, la partie organique des engrais reste inaccessible aux plantes. Voilà ce qui explique pourquoi il est nécessaire de saigner les terres humides et de ramener les terres compactes à un état de division et d’ameublissement con- venable pour les rendre productives. Ces précautions sont in- dispensables si l’on veut assurer le succès d’un engrais dont on désire éprouver la vertu alimentaire. Il en est de même des terrains siliceux qui pêchent par un défaut de cohésion ou d'hu- midité. Nous avons eru bien longtemps qu’une plante non aquatique, croissant dans une terre où les racines se trouvaient constam- ment noyées par les eaux, devait aspirer une quantité de liquide incompatible avec sa nature, de manière que le mouvement cir- culatoire, le mouvement ascensionnel de la séve et toutes les parties en fonction devaient se trouver en souffrance. Mais une remarque digne d'intérêt est venue combattre cette supposition : des plantes de froment, cultivées dans de l’eau distillée renfer- mant de l'acide carbonique ainsi que des sels azotés et terreux, se sont très-bien développées, et cependant, en agriculture, on est unanime pour reconnaître que cette espèce de céréale est une de celles qui redoutent le plus les terres humides. Nous sommes donc amené à croire que si les plantes craignent une humidité surabondante qui les rend molles et sans ressort, ce n’est pas à cause d'un afflux de séve aqueuse ou d’une trop grande absorp- (94) tion d’eau, mais bien parce que celle-ci s'oppose, par sa présence dans le sol, à l'accès direct des agents atmosphériques. On a cru aussi devoir attribuer l'efficacité de l’ameublisse- ment des terres à l'absorption de l'oxygène de l'air par les ra- eines des plantes, en prétendant que cette absorption radicellaire est une des conditions de leur existence. Les observations qui ont eu pour but de prouver que des végétaux périssent quand leurs racines sont plongées dans une eau stagnante, tandis que l'effet de la submersion est généralement moins nuisible lors- qu'elles plongent dans une eau courante, toujours plus aérée, tendent sans doute à démontrer la justesse de cette théorie; ce- pendant nous ne pouvons nous y rallier. l’action plus manifeste de l'eau aérée sur les plantes ne peut pas être due, eroyons-nous, à une absorption d'oxygène dans leur organisme. En effet, des plantes de froment meurent aussi dans les terrains même légèrement aqueux, avant d’avoir acquis toute leur croissance (tandis que, dans l'expérience qui vient d'être rap- portée, elles ont acquis une grande vigueur), bien que leurs ra- cines plongeassent dans de l’eau privée d'oxygène, mais pour- vue de tous les autres principes essentiels à leur alimentation. Nous arrivons donc à conclure que l'eau aérée agit plus favora- blement que l'eau stagnante, non-seulement parce qu'elle renferme plus d'oxygène que celle-ci, mais encore parce qu'elle contient plus d'acide carbonique et plus de gaz ammoniac dont le rôle nutritif nous est déjà connu; non pas parce que cet oxygène peut être introduit dans les racines des plantes avec ces deux au- tres gaz, mais bien parce qu'il prépare à l'assimilation des agents nourriciers autour des racines: Et puis, si les plantes qui vivent dans une eau stagnante ofirent plus d’affaiblissement que celles qui croissent dans une eau aérée, il faut aussi porter enligne de compte quela première est plus su- jette que la seconde à être entourée de miasmes putrides, dont l'ap- parition seule suffirait pour expliquer cette différence. Il est done facile de concevoir toute l'utilité de la perméabilité des terres et, par suite, l'importance des engrais poreux sur des sols compactes. (95) La porosité fixe les gaz et les émanations ammoniacales comme la coloration foncée des engrais et du sol absorbe et re- tient fortement le calorique nécessaire à la végétation. C'est à ces propriétés que l'on doit attribuer les beaux résultats qu’on ob- tient par la mise en culture des dépôts charbonneux qui se présentent dans les forêts des provinces de Namur et de Luxem- bourg. Les bons effets que l’on retire de l'application au sol ductile de l'argile cuite, du charbon animal , etc., explique aussi l'efficacité de ces caractères physiques. Cependant un excès de porosité ou d'ameublissement n’est pas moins nuisible que le défaut contraire à la fertilité du sol et à l’action des engrais. Les plateaux de la Campine, par la grande proportion de sable dont ils sont composés, ceux des Ardennes, où l'humus, les feuilles et les détritus végétaux abon- dent, ne peuvent, pour cette raison, convenir à la culture de cer- taines espèces végétales, telles que celles qui mürissent de bonne heure ou qui s'enracinent profondément. Les premiers sont secs et brülants, circonstances qui empêchent le sol de fournir régu- lièrement aux plantes, et particulièrement au froment, la dose de liquide suffisante pour l'accomplissement de ses fonctions vi- tales; les seconds sont sans consistance, et n'offrent point aux cé- réales tout l'appui qu'elles réclament pour se maintenir jusqu'à leur maturité dans une position perpendiculaire. On voit par ce qui précède combien un engrais peut agir différemment sur les mêmes espèces de végétaux, suivant son volume et sa porosité, el aussi suivant les terrains avec lesquels il est associé. La nature minérale d’une terre, pour l'examen d’un engrais, mérite également l'attention particulière des physiologistes et des agriculteurs. Îl ne suffit point de fournir de l’eau, des matières -azotées ou carbonées, ou des sels minéraux aux plantes, pour leur assurer un développement complet. On a vu des matières très- riches en carbone et en azote n’apporter que des résultats imsi- gnifianis, et cela, parce que les terres en contenaient déjà suffisamment ou parce qu'elles étaient privées de quelques prin- ( 96 ) cipes minéraux indispensables à la plante; la même chose doit se dire pour les engrais riches en substances minérales qui, w'étant pas en même temps accompagnés de matières carbonées . ou azotées, rendent la végétation stationnaire. Il est donc essen- tiel, avant de faire des expériences sur l’action d'un sel, de s'assurer si la terre en est privée partiellement ou totalement {conditions sans lesquelles il ne saurait agir), et de voir si elle renferme tous les autres aliments alcalins et terreux. Donnez des sels ammoniacaux à une terre calcaire renfer- mant des engrais azotés et calcaires ou privée de phosphates, il arrivera que les uns et les autres resteront pour ainsi dire sans effets; la plante prendra bien un certain accroissement, mais n'acquerra pas sa vigueur normale. Confiez à un terrain privé d’alcalis, mais riche en autres matières minérales et organiques, un engrais puissant qui ne renferme en lui-même que peu ou point de potasse et de soude, il ne produira pas de plantes aussi bien développées que s'il avait été traité tout simplement avec un engrais alcalin. Ce qui a trait aux alealis s'applique aussi aux phosphates et aux sels calcaires pour certaines espèces végétales. La nécessité de mettre en même temps en évidence tous les matériaux qu'affectionnent les plantes pour qu'une substance puisse devenir profitable à la végétation, est en quelque sorte tous les jours confirmée par l’application des engrais complets, c'est-à-dire qui contiennent la plupart ou la totalité des parties constituantes des végétaux. Elle explique aussi parfaitement les anomalies et les résultats négatifs qui ont lieu par l’utilisation des matières d’une composition simple ou ne renfermant qu'un ou deux éléments réclamés par les récoltes; car, pour que ce genre d'engrais puisse accomplir sa mission, il est évident qu'il a besoin d'être complété par l'addition d’autres principes qui lui manquent et que le sol ne peut lui fournir en quantité suffi- sante. Jusqu'ici on n'a pas assez consulté les propriétés des engrais et celles des terrains auxquels ils sont donnés; on doit savoir cependant que les uns et les autres ne répondent à l'attente qu’en (97) suivant une méthode logique; il convient, par conséquent, de pe pas négliger l'étude de leurs caractères respectifs. Chaque terre arable a, comme on sait, une composition minérale différente, suivant la nature des roches qui lui ont donné naissance. Dans l’une, les silicates abondent; dans l’autre, ils y sont plus rares; dans celle-ci, on rencontre peu de phos- phates terreux; dans celle-là, la potasse et la soude se trouvent en grande quantité, tandis qu'ailleurs elles font partiellement défaut. Iei, les terres sont extrêmement riches en matières sa- lines de toute espèce; là, elles sont au contraire très-pauvres sous ce rapport (1); enfin, plus loin, le sol se désagrége faci- lement, alors qu'ailleurs, il faut des excitants ou un temps beaucoup plus long pour rendre ses parties minérales absor- bables. Ce simple exposé nous démontre parfaitement que tout en- grais, quelle que soit sa nature, peut, ou rester nul, ou exercer une influence très-utile ou très-défavorable , suivant la richesse minérale du sol auquel il est appliqué. Or, s'il est bien établi que les terres, selon les diverses espèces de roches dont elles dérivent, ont toutes une composition chi- mique, une propriété agrologique différentes, on concevra aussi aisément qu'un même engrais ne peut y agir d'une manière uniforme. D'un autre côté, comme les plantes paraïssent plus ou moins exigeantes, sous le rapport de leurs éléments minéraux constitutifs; comme les unes réclament plus que les autres des silicates ou des phosphates, des sels calcaires ou alcalins, il sera tout aussi facile de saisir la cause pour laquelle chacune d'elles a une terre où elle prospère plus particulièrement, et de com- prendre comment un sol peut contenir les éléments essentiels des betteraves, des pommes de terre, des rutabagas, alors qu'il est en grande partie privé de ceux quisont indispensables aux cruci- fères et aux céréales; comment la culture arbustine ou résineuse se plaît spécialement dans une terre qui ne produirait que des (1) Voir les Documents, p. 8 el suiv. ( 98 ) trèfles ou des plantes oléifères languissantes; et enfin, comment certains terrains sont frappés de stérilité pour la majeure partie des végétaux, tandis que d’autres, doués naturellement d'une fertilité surprenante, conviennent à toutes les plantes alimen- taires et ne réclament point, pendant une longue suite d'années, l'intervention des engrais minéraux (1). Toute cette belle théo- rie a, du reste, été trop parfaitement comprise et discutée par M. Liebig, pour qu'il soit nécessaire de sy arrêter da- vantage. Nous arrivons done à admettre que chaque engrais, que chaque sel métallique doit varier, non-seulement d’après la composition chimique du sol, mais encore d'après l'espèce de végétal qu'on y cultive. Ainsi, à parité de conditions, la chaux doit jouer un rôle alimentaire actif sur les légumineuses riches en chaux, bien que, sous ce rapport, elle puisse ne constituer qu'un très-faible auxiliaire pour d’autres espèces. Ce qui est vrai pour la chaux, l’est aussi pour les autres matières salines et terreuses. Nous concluons encore naturellement de tous ces faits, qu'on a souvent jugé un engrais comme peu favorable à une terre et d'un emploi dispendieux, tandis qu’on l'aurait trouvé des plus profitables si l'on avait tout simplement eu la précaution d’opé- rer sur des végétaux d’une nature différente. Sixième point. — En agriculture, la position géographique qu'occupe le sol doit également être prise en considération. Lors- qu'on examine l'influence qu'exerce une substance quelconque sur les végétaux, il n’est pas non plus indifférent d'opérer sur des terrains à surfaces horizontales ou très-inclinées; car il se pour- rait, comme cela se remarqua souvent d’ailleurs, qu'un engrais, dans un terrain à surface plane, donnât une végétation riche et vigoureuse, tandis que dans un autre terrain tout à fait sem- blable, mais offrant un plan déclive, il ne produisit qu'une récolte chétive. La cause de cette différence peut être attribuée soit à ce que, dans ce dernier cas, les plantes ne reçoivent (1) Voir les Documents, p. 9. (99) souvent qu'indirectement les rayons lumineux, soit à ce qu'elles se trouvent frappées directement du givre régnant, soit enfin à ce que les pluies d'orage entraînent en solution et en suspension une partie des engrais qui y sont appliqués. Nous verrons, dans le cours de notre seconde partie, que la même observation peut être faite pour les engrais administrés en couverture, et pour ceux qui sont enfouis immédiatement, en été, sur des sols peu per- méables, en hiver, sur tous les terrains quelque peu inclinés. Une contrée est favorable à l’action d'une matière fécondante lorsque la température locale est en harmonie avec la nature des plantes cultivées; aussi une autre contrée peut-elle lui être nui- sible, lorsque des grands froids ou des météores interviennent pour en arrêter l’assimilation. Un engrais déposé dans un sol humide situé sous un climat sec et chaud, peut accélérer vivement la végétation, tandis que, dans un sol peu hygroscopique placé dans les mêmes conditions, la végétation resierait insensible et ne saurait profiter des meil- leurs principes alimentaires qu'on lui aurait procurés, et réci- proquement. De là suit qu'avant de poser des règles applicables au territoire belge, on doit se mettre en garde contre des essais tentés à l'étranger dans des terrains qui auraient beaucoup d’ana- logie avec ceux que nous cultivons, mais dont le climat chaud, brumeux ou froid , s’écarterait essentiellement du nôtre. Les saisons pluvieuses ou sèches peuvent également nous faire éprouver des mécomptes. Ainsi, on n'est nullement étonné qu’une matière nourricière ait peu d'effet dans un terrain alumineux, lorsqu'il survient des pluies fortes et continues, alors qu’elle donne des récoltes remarquables par des temps secs. À ces causes déjà nombreuses, qui doivent avoir une très-haute portée sur la plus ou moins grande action des engrais dans l’ali- mentation végétale, et qui peuvent conduire les expérimentateurs à tirer des conclusions erronées par suite d’un examen super- ficiel, viennent s’en joindre beaucoup d'autres encore. Ainsi, puisque le rôle ou l’action des engrais ne saurait s’exer- cer et devenir appréciable que sur des plantes qui peuvent croître ( 100 ) et se développer librement, il est clair aussi que des graines de mauvaise qualité, que des semailles trop hâtives ou trop tardives, c'est-à-dire exécutées hors saison, et faites dans des terres enva- hies par des plantes usurpatrices, ne pourront engendrer des plantes vigoureuses et d’une bonne conformation, et que, par suite, il y aura impossibilité de porter un jugement exact sur l'efficacité des engrais, dont on serait tenté de nier l’action pour expliquer le non-succès des récoltes venues dans ces con- ditions. Il est également notoire que les insectes, les maladies auxquelles sont exposées les plantes, ete., dont on ne tient pas toujours compte, sont autant de causes qui peuvent influer sur l'opinion que l’on se crée sur la vertu ou la plus ou moins grande activité des engrais. Tels sont les principes qui doivent guider les physiologistes, les agronomes et les agriculteurs dans le choix et l'application rationnelle des engrais; telles sont les faits qui doivent toujours être présents à notre esprit et avec lesquels nous ne saurions transiger sans éprouver des déboires, qui sont souvent les con- séquences fâcheuses et inévitables de l'absence d’une mûre ré- flexion. Nous trouvons, dans les explications qui précèdent, les motifs qui nous ont engagé à dire ailleurs que les expériences établies sur le sol arable, dans le dessein de découvrir les caractères végé- tatifs d’une matière azotée, terreuse ou alcaline, sont entourées de grandes difficultés. Nous pouvons maintenant ajouter, à cette occasion, qu'une épreuve directe, dans de semblables circon- stances, ne sufht point pour bien saisir, apprécier et lever tous les doutes qui existent à cet égard. L'action des matières alimentaires dépend donc d’un grand nombre de causes qu'on n’a pas jusqu'ici suffisamment méditées dans l'étude des engrais et dans la pratique de l’agriculture. On a, par exemple, fait des expériences sur le sel marin, sur les eaux ammoniacales des usines à gaz, ete., et après avoir appli- qué, sans plus de façons, ces matières sur le sol, où elles n'ont apporté aucun résultat digne d'attention, on est arrivé à pré- ( 10i ) tendre avec confiance qu'elles ne sont point susceptibles de nourrir et de provoquer l'accroissement des végétaux. A cela nous répondrons : ne voit-on pas aussi le fumier de basse-cour rester, pour ainsi dire, sans effet dans certaines terres; et serait-il logique, pour cela, d'affirmer que le fumier n'est pas propre à ranimer et à entretenir la végétation ? On a aussi essayé en agriculture d’autres substances, telles que le charbon de bois, etc., qui ont amené un surcroît notable dans les produits, et l'on a cru qu’elles jouaient un rôle nutritif important, tandis qu'elles n'avaient agi sur les plantes qu'indi- rectement, comme amendement ou comme stimulant. D'autres fois, on a semé des graines de froment et de seigle dans une terre graissée avec des chiffons de laine, des os pulvé- risés, ete., et, sans consulter seulement leur aptitude à se dé- composer, on à dit vaguement que ces produits ne méritaient point de porter le nom d'engrais. Voilà pourtant des arguments, rapportés dans ïes travaux d'hommes instruits, que l'on consi- dère comme concluants et qui, à nos yeux, ne peuvent avoir d'autre résultat que d’ajourner le progrès de la science et de jeter la confusion dans les idées de nos cultivateurs. Pour que des expériences établies dans un but physiologique ou agricole puissent avoir de la valeur, il est indispensable qu'elles soient dirigées avec toute l'exactitude que ce genre de travaux réclame. En effet, si l’on réfléchit un instant, à la mul- tiplicité des circonstances qui peuvent modifier l'influence des engrais sur les plantes, on voudra bien convenir avec nous que les erreurs peuvent se multiplier sans cesse et venir se placer à côté de la réalité. On voudra bien admettre enfin, que de grandes précautions, trop souvent négligées jusqu'à présent, sont néces- saires et doivent présider aux opérations, si l’on veut éviter de porter un jugement trop léger sur le rôle et l’action d’une sub- stance renfermant des principes utiles à la végétation. Répétons, pour en finir, qu'un engrais peut rester sans effet sur la croissance des plantes et qu'il peut même, dans certains cas, leur occasionner la mort. Disons qu’il est impossible que le meil- ( 102 ) leur aliment produise une action dans le sol où on le place, s'ils ne renferment ensemble, en quantité suffisante, et sous une forme d'élaboration graduée d'après les besoins, le earbone, l'azote et les sels alcalins et terreux indispensables aux diverses fonctions de l’économie végétale, et si enfin, les milieux dans lesquels les racines et les feuilles des plantes s'étendent ne se trouvent point en parfaite harmonie avec leur nature. Voilà ce que nous devons entendre sous la dénomination de bonnes con- ditions d'assimilation. | CHAPITRE VI. RÉFLEXIONS SUR LES PRINCIPES ALIMENTAIRES DES PLANTES. Nous avons signalé précédemment le degré d'importance des substances propres à l'alimentation végétale; nous aurons main- tenant à rechercher ici leur importance relativement à leur ac- tion, combinée avec leur rareté, leur prix vénal et la difficulté de se les procurer. Dans nos évaluations, nous prendrons pour base la composition des terres envisagée d'une manière générale, en laissant de côté les corps dont la nature semble être suffisam- ment pourvue. L'acide carbonique. — Ce gaz, aspiré de l'air par les organes foliaires et radicellaires, suffit, avons-nous dit, pour entretenir la vie des plantes, sous le rapport du carbone; mais cette source d'acide carbonique paraît être insuffisante pour maintenir une végétation régulière et complète. Cependant, il est des cas où l’humus, non métamorphosé dans le sol en matière charbonneuse, supplée au manque d'acide ear- bonique. Il arrive également que certaines plantes, douées d'un grand pouvoir absorbant, ne profitent guère d’un engrais herbacé; ( 105 } mais, en agriculture, ce dernier cas ne semble pas se produire. Quant au premier, il n’est qu'exceptionnel. Il faut done aux plantes alimentaires, pour qu'elles puissent prospérer, une somme d'acide carbonique artificiel susceptible de suppléer à celui qui leur est fourni par l'atmosphère, et que l’on peut produire par l'usage des engrais de ferme. Toutefois, comme cette matière première fait très-souvent défaut dans les exploitations rurales livrées à elles- mêmes, et surtout où les landes abondent, il nous paraît qu'une des questions qu'il importe le plus de résoudre pour le progrès de notre agriculture, et particulièrement pour nos défrichements, c'est de trouver un moyen facile et économique de la remplacer temporairement : on arrivera à ce résultat au moyen des engrais verts dont nous allons donner les caractères agricoles. L'impor- tance de ce problème, qu’on aura lieu d'apprécier plus tard, nous fait un devoir de bien étudier le rôle, encore mal interprété par nos physiologistes et nos agronomes, que ce genre d'engrais est appelé à jouer dans les différentes phases de la végétation. Des engrais verts. — Sous cette dénomination, on entend des plantes qui croissent sur un terrain et sont enfouies sur place avant la fructification, ou bien enfouies seulement après avoir subi une fermentation. Cette dernière méthode ne nous occupera pas ici : elle constitue la méthode Jauffret que nous exposerons plus tard. La pratique des engrais verts n’est pas nouvelle : elle était déjà connue des anciens; depuis lors, elle a pris une grande extension, principalement en Alsace, en Italie, en Toscane, en Lombardie, etc., où elle est employée avec beaucoup de succès. Les écrits des agronomes (MM. Thaër, Sainclair, De Dombasle, Schwerz) nous ayant fait connaître les avantages qui résultent de l'enfouissement des plantes vertes, il nous a été facile d’expé- rimenter ce moyen d'amélioration que nous n’avons pas tardé à adopter sur une grande échelle. « La pratique des engrais verts est utile, surtout dans les con- trées méridionales : elle assure des récoltes qui manqueraient faute d’une humidité suffisante, et malgré des fumures azotées ( 104 ) auxquelles cet auxiliaire est alors indispensable. Dans les parties septentrionales de l’Europe, les engrais verts sont bien moins utiles : aussi les Anglais s’en servent-ils peu, parce que là l’hu- midité du sol et de l'atmosphère ne font pas défaut générale- ment (1). » À la suite de cette exposition, il est presque inutile de dire que, dans les terrains secs et siliceux, on doit choisir des plantes aqueuses , à consistance molle, et les enfouir avant la floraison; tandis que, dans les terrains alumineux et humides, il est préfé- rable d'employer des végétaux plus ligneux et de les enterrer plus tard, lorsqu'ils ont atteint une plus forte cohésion, c'est-à- dire un peu avant leur maturité, De cette manière, on produit dans le premier cas, un maximum d'humidité, pendant la période de la végétation, et une grande division parmi les particules du sol, dans le second. Ces engrais peuvent donc agir favorablement comme amendement; mais, pour cela, nous le répétons, il est nécessaire que Ja nature des plantes servant d'engrais, ou tout au moins l’époque des enfouissements, soient subordonnées à l’état physique des terrains et à la nature des climats. Parmi les plantes destinées à être enfouies , on cite le seigle, la spergule, les fèves, les pois, les vesces, le lupin, le sarrasin, le maïs et le topinambour. Tout végétal vert, n'importe sa na- ture, peut, au reste, former un engrais lors de sa décomposition ; mais il y a plusieurs conditions qu'il importe d'examiner avant de faire un choix; telles sont : la croissance plus ou moins rapide du végétal, sa masse, sa faculté de se décomposer, la richesse de son herbage, le prix d'achat des graines d'ensemencement, etc. En faisant la part de ces considérations, nous devons accorder la préférence, pour tous les terrains secs et moyennement loa- meux de la Belgique, au sarrasin et à la spergule (Spergula maxima. Weïhe) comme réunissant le plus d'avantages. Dans notre pays, l'usage des engrais verts est peu répandu; cependant un grand nombre d'agriculteurs ont reconnu l'utilité (1) Payen, Des engrais , Théorie de leur action sur les plantes, p. 57. mt (105) de l’enfouissement de la seconde coupe de trèfle rouge. Cette plante a aussi été essayée dans notre culture comme engrais, et elle a toujours donné lieu à une grande augmentation dans la production. Néanmoins, nous avons cru devoir abandonner ce procédé; car, toute réflexion faite, nous avons reconnu que né- gliger de tirer parti dans nos étables de cet aliment précieux que la nature met dix-huit mois à créer et qui ne peut croître sur la même terre que tous les six ans, c'était une véritable perte pour l’économie rurale. Nous n’admettons les engrais verts comme réellement avanta- geux que lorsqu'ils sont l'objet d’une récolte intercalaire, c’est- à-dire lorsqu'ils peuvent être obtenus entre deux récoltes sans nuire à la production qui doit succéder à l’enfouissement : ce n'est qu'à ce titre que nous pouvons les envisager comme un puissant auxiliaire pour la végétation; et, sous ce rapport, le sarrasin, et particulièrement la spergule, méritent de fixer toute notre attention. Cette première plante étant généralement bien connue, nous nous occuperons plus spécialement de la seconde. La spergule demande un sol meuble et siliceux, où elle se plaît beaucoup; mais si, d’après certains agronomes, elle re- doute les terrains tenaces et alumineux, on ne doit pas, pour cette raison, être porté à croire que nos terres franches ne lui conviennent pas, pourvu qu'elles ne soient point naturellement onctueuses, humides. La culture de cette plante est très-facile : un simple déchau- mage après la moisson, lui suffit quand l’ensemencement est précédé d’un hersage très-superficiel et suivi d'un roulage (1). La spergule croît avec une rapidité étonnante, et, comme Île remarque M. Schwerz (2), il est aisé de la cultiver en seconde ré- colte, et même de l’'intercaler, en automne, entre deux céréales se (1) Pour accélérer l'opération, on peut se servir avec avantage, sur les surfaces planes et peu accidentées , de l’extirpateur à six ou sept socs. Cet instrument fonctionne parfaitement ; à l’aide de quatre chevaux , on retourne 2 ou 3 hectares dans l’espace de 12 heures. (2) Schwerz , Préceptes d’agriculture pratique, p. 197. Paris, 1842. ( 106 ) succédant la même année, sans porter atteinte à la seconde pro- duction des deux céréales. Il est cependant à observer que, dans la Famenne, le Condroz et les Ardennes, où les étés sont moins longs qu'ailleurs, le peu de temps laissé entre l'enlèvement des récoltes tardives et les semailles automnales ne permettrait pas d'arriver à ce beau résultat; mais il est possible de faire dispa- raître entièrement cette difficulté en adoptant provisoirement des systèmes de culture appropriés aux circonstances et aux exigences locales. Nous ne chercherons pas à donner l'idée de ces systèmes; quiconque s'occupe d'agriculture pourra les combiner d'après les ressources et les conditions particulières où il se trouve; il nous paraît préférable de nous appliquer à indiquer le rôle et l'action des engrais verts. Dix-sept hectares de terre, d'une nature un peu sèche et d'assez bonne qualité, furent ensemencés, au mois de juin, en sarrasin, qui fut labouré au commencement du mois de septem- bre. Le froment et le seigle qui succédèrent à cette plante furent d'une belle et bonne venue (1). D'après nos évaluations sur l'ac- tion de cet engrais, nous croyons pouvoir porter à un tiers la plus-value du rendement, comparativement à celui des mêmes espèces de plantes, qui ont crû sur les mêmes terrains non grais- sés et soumis aux mêmes conditions de culture. Voyons maintenant ce que l’on nous communique de la France. « M. De Dombasle a donné, dans ses Annales, la traduction de l'ouvrage spécial, où cet auteur (M. De Woght) a rendu compte de ses essais. Il affirme que si l'on sème consécutivement un champ de spergule pour être enterré en vert, en mars, Juin et août, on peut compter que l'effet de ces trois herbages équi- vaudra à 29 voitures de fumier ou à 29,000 kilogrammes par hectare, ce qui, dit-il, enrichit plus le sol qu'une récolte de seigle ne l’épuise (2). » L'avantage qui résulte de l'application des engrais verts con- (1) La même observation s’est produite pour de la spergule cultivée dans deux de nos provinces. (2) De Gasparin, Cours d’agriculture, t. 1, p. 563. À: D ( 107) siste en ce qu'ils agissent dans le sol, à l'instar du fumier, en procurant de l'humidité et de la porosité au sol, et en fournis- sant aux plantes, pendant leur décomposition spontanée, les principes nourriciers qu'ils renferment sous forme de gaz, de sels et de produits organiques. Un végétal prélève, par ses organes absorbants, foliaires et radicellaires, aux dépens de l’atmosphère et au profit du sol dans lequel il est enfoui, les gaz qu’il s'assimile pendant sa erois- sance. À ce gain de matières, s'en joignent encore plusieurs autres : le sol, avons-nous déjà dit, éprouve toujours une légère perte de gaz et de sels minéraux solubles par l'action des eaux du ciel et celle de la chaleur solaire. Or, comme les plantes en végétation ont la faculté d'empêcher en partie l'enlèvement des agents solubles en les emmagasinant dans leurs organes, il est clair que le sol renferme plus de principes utiles après qu'avant la culture des récoltes vertes. On sait encore qu'un engrais agit d'autant plus utilement que sa solubilité et sa décomposition sont mieux proportionnées aux besoins de la végétation en croissance. En conséquence, comme l’ammoniaque volatile et les matières minérales solubles du sol sont d’une assimilation plus régulière, après avoir été transformées dans les tissus des végétaux à enfouir qu'avant d'y être élaborées, il est évident que, à parité de conditions, une céréale ou une légumineuse profitera mieux des éléments nourriciers d’un engrais herbacé vert placé à sa disposition que des mêmes éléments qui pourraient se trou- ver isolés, ou à l’état de liberté dans la terre arable. On n'ignore pas non plus que les substances organiques, en se putréfiant, peuvent dégager de la chaleur, de l'électricité, et une portion d'ammoniaque formée aux dépens de l'azote de Y'air et de l'hydrogène de la matière en combustion. Ainsi, par la culture des récoltes à enterrer, il y a production de divers agents favorables à la végétation. Ajoutons encore que les en- grais verts ont aussi pour objet une économie de frais dans le transport des fumiers et dans les travoux accessoires, sur- tout lorsque les terres sont éloignées de rexploitation, ou lors- (108 ) qu'elles sont d'un abord difficile, et nous aurons une approxi- mation assez exacte de leur valeur agronomique. Cependant, qu'on ne se fasse pas illusion sur les effets que celle pratique est appelée à produire! Elle ne doit avoir prin- cipalement en vue que la conservation ou l’évaporation de l'hu- midité du sol et la création de l’humus ou de l'acide carbonique. Quant aux autres propriétés des engrais végétaux, elles ne doivent être considérées que comme secondaires. Ainsi, l'on se trompe, selon nous, en croyant qu'avec une ou plusieurs ré- coltes vertes enfouies on puisse se passer d'engrais de ferme : ce résultat ne peut être atteint que dans des champs privilégiés. L'action des engrais verts est entièrement subordonnée à la nature du sol : si celui-ci contient primitivement tous les éléments de fertilité, la récolte enterrée ne pourra nullement augmenter celle qui lui succédera, s'il ne renferme que les principes inorganiques des plantes, le développement de celles-ci sera en rapport avec le carbone et l'azote qu’elles pourront em- prunter à l'air et à la récolte enfouie en voie de décomposition; enfin, sil est privé d’un ou de plusieurs principes minéraux essentiels des graines, les autres conditions, fussent-elles même remplies, les plantes se trouveront arrêtées dans leur élan végé- tatif et ne jouiront aucunement des engrais verts. Nous ne répéterons pas ce qui a été déjà exposé ailleurs sur l’action des engrais en général, qu’il nous suffise de rappeler ici, qu'à l'enfouissement d’une récolte, on doit toujours joindre les matériaux que réclame la végétation, lorsque, toutefois, le sol et la plante enterrée ne peuvent les lui procurer. Puisqu'il a été démontré que le sol, pris dans les conditions ordinaires, manque souvent de matières azotées, de paosphates, d’alcalis ou de sels calcaires, nous pouvons dire avec toute sécu- rité que les engrais verts doivent, dans le plus grand nombre de cas, être associés à d’autres substances fertilisantes pour pro- duire des résultats satisfaisants. D’après ces considérations, il est aisé de voir que nous ne pouvons partager l'opinion que soutient M. De Woght, en disant ( 109 ) que trois récoltes de spergule enterrées équivalent à 29 voitures de fumier ou 29,000 kil. par hectare. Ce cas ne peut se pré- senter que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles; car il est certain qu'en retournant une plante &ans le sol sur lequel elle a crû, on ne fait que lui restituer exactement les principes minéraux et azotés qu'elle lui a empruntés pour se constituer; il n’y a en quelque sorte que le carbone enlevé l'atmosphère et une très-petite proportion d'azote qui puissent figurer comme gain; il est donc hors de doute que les plantes verles ne peuvent communiquer autant de matières nitrogénées, terreuses et alcalines que 29 voitures de fumier par hectare. Il est également notoire, pour la même raison, qu'elles ne peuvent enrichir le sol plus qu'une récolte de seigle ne l'épuise. Les engrais verts ne sont donc appelés à jouer un rôle réelle- ment important et avantageux que là où le sol est privé de matières organiques. Envisagés de cette manière, ils peuvent rendre un service signalé à notre agriculture, en procurant une nouvelle source d'acide carbonique dans les exploitations et dans les contrées où il y a pénurie d'engrais de ferme ou d'humus doux. De l'azote. — Il en est de l’azote comme du carbone; celui que l'air peut céder est, comme nous le verrons plus loin , insuffisant pour entretenir une végétation luxuriante; mais on le trouve en abondance dans les engrais animaux. On peut également se le procurer à bon compte sous forme de sels assimilables dans les fourneaux à coke, dans les résidus ammoniacaux du gaz de l’é- clairage, dans les urines, au moyen de corps condenseurs, et dans les marcs de graines oléifères, en faisant d’abord servir ceux-ci à l'engraissement des animaux domestiques. Le profit qui résulte- rait de ce régime pour le bétail compenserait la dépense, et l'on obtiendrait ainsi sans frais de l'azote, des phosphates et des alcalis pour la fertilisation des terres. Dans tous les cas, ne per- dons pas de vue que les corps poreux et certains sels calcaires sont des excipients utiles à l’agriculture, car ils fixent à la portée des racines l’'ammoniaque des engrais et de l'atmosphère; et ( 110 ) l'azote est la matière la plus chère, la moins répandue dans la nature et la plus nécessaire à l’économie. Après cet élément, les alcalis viennent se placer en seconde ligne; ensuite, le phos- phore; puis, le gypse et le sel marin; enfin, la chaux, la marne et la magnésie. Comme la potasse et la soude se remplacent mutuellement dans un grand nombre de végétaux, il est préférable d'utiliser cette dernière pour l'amélioration des terres, à cause de la modi- cité de son prix de revient. On peut d'ailleurs se procurer les alcalis à bon compte dans les déchets que laissent un grand nombre de nos fabriques de produits chimiques et dans la cendre de diverses plantes. Le phosphore peut être obtenu au moyen des os, qui, préparés comme nous l'avons indiqué, produiront de l’azote, lequel payera à lui seul le phosphate de chaux. Le phosphore peut encore être retiré des urines humaines en même temps que l'azote, par un traitement à l’eau de chaux et au charbon de bois pulvé- risé (1). Le plâtre se trouve facilement et à bon compte à l'étranger et même dans nos établissements industriels. Le sel marin serait, comme le tourteau, avantageusement employé à l'alimentation animale avant d'être transporté sur les terres : par cette méthode on couvrirait le prix d'acquisition de la matière. Au reste, l'hygiène recommande l'usage du sel comme une substance excitant les forces digestives de l'animal. Nous ne l'avons jamais employé régulièrement pour assaisonner la ration des bestiaux, mais les faits ne nous manquent pas. Nous tenons surtout à mentionner le suivant : il démontrera l'oppor- tunité de notre proposition : « Des expériences faites avec beau- coup de soin à l'institut agricole de S'-Geneviève ont démontré qu'un mouton bien nourri, augmentant de 1,500 grammes par mois, augmentera de 5 kilog., si l’on ajoute à ses aliments (1) Voir, pour plus de détails , le Journal des travaux de l’Académie de l'industrie française, vol. XVI, p. 97. Paris, 1845. (111) 3 grammes de sel par jour soit 90 grammes par mois (1). » Quant à la chaux, à la marne et à la magnésie, elles abon- dent dans notre pays; et, lorsqu'on les trouve à proximité des exploitations, les prix d'extraction et de transport sont très-peu élevés. À présent que nous avons étudié en particulier les propriétés et les caractères les plus importants des engrais et leur faculté d'assimilation dans les végétaux, nous allons passer en revue et discuter les nouvelles théories des engrais; elles paraissent offrir un grand intérêt pour l’agriculture. CHAPITRE VIT. EXAMEN ET CONCLUSIONS SUR LES NOUVELLES THÉORIES DES ENGRAIS. Outre les nouvelles théories que nous avons déjà examinées, il en existe encore d’autres parmi lesquelles on distingue les suivantes : 4° Le système Jauffret ; 20 Le système Johnston ; 3° Le système Bickes; 4 Le système Liebig. Nous pourrons les envisager séparément dans leur ensemble, et voir sil en est dans le nombre qui méritent réellement l’at- tention que semblent leur prêter les agriculteurs et les savants de notre époque. (1) Journal des travaux de l’ Académie de l’industrie francaise >t. XV, p. 54. Paris, 1845. (1142) SECTION ['e. — Système Jauffret. Le système Jauffret a principalement pour but de recueillir et d'utiliser toutes les parties des plantes sauvages, telles que : pailles de céréales, arbustes, tiges ligneuses, genêts, bruyères, jones, fougères, chiendents, mousses , feuilles, etc., afin d'aug- menter la masse des engrais sans le concours de bestiaux. A cet effet, les végétaux ou leurs débris sont disposés en gros tas, après avoir été triturés à l’aide d'une machine mue par des chevaux. Lorsque les parties offrent une grande cohésion, on les recou- vre de terre, et puis on les arrose de temps à autre, pour en activer l’'érémacaucie, avec une lessive dont M. Jauffret nous donne la composition de la manière suivante : 4° « Pour convertir en engrais 1,000 livres de paille ou 2,000 livres de matières végétales ligneuses vertes, qui produi- sent environ 4,000 livres de fumier, il faut environ 10 hecto- litres de lessive. 2 » Composition de la lessive basée sur la quantité environ des matières ci-dessus : LIiV. ONCES. Matières féeales et urines. . . . . . . . . . . . . . 200 » Suie de'cheminée 8500) 2 ee EN ME CREME RES DE Platrefen {poudre MER EUR ENT EP ECO OR) Cendres de bois non lessivées. . . . . . . . . . . . . 20 » Chaux:non'eteinte MR St OS ANNEE RE RE GORE Selmarin fs ep ANA AE PAT ee ARS US 14 » Salpétre/non-raffine ae IEEE SE » 50 Levain d'engrais, matiere liquide ou suc de fumier provenant d’une opération précédente (1). . . . . . . . . . . . 50 » Selon les expériences de M. Jauffret, douze jours suffisent pour obtenir le degré de fermentation voulu , lorsque l'opération est bien conduite; et 4,000 livres de cet engrais surpassent (1) Méthode Jauffret. (115) de beaucoup en valeur un poids équivalent d'engrais de ferme. Cette méthode est connue depuis nombre d'années, mais elle n'a guère obtenu, tant dans notre pays qu'à l'étranger, le suffrage et la sanction des cultivateurs; aussi est-elle générale- ment abandonnée. D'où provient cet état de choses? Nous avons fait, il y a environ six ans, une expérience avec cet engrais; mais elle ne nous a pas donné les beaux résultats que nous en attendions et qui nous étaient promis par l’auteur de Ja méthode. L’infructuosité de cet essai ne peut être que la suite de certaines imprévoyances qui, peu importantes à nos yeux, étaient en réalité assez graves pour faire avorter l'opération. En examinant attentivement la confection de cet engrais ainsi que la composition des plantes et celle de la lessive, on ne doutera plus que la matière qui résulte de leur décomposition pe soit un engrais qui favorise grandement la végétation; la lessive et les matières végétales se composent, en effet, de tous matériaux énergiques et d’une action puissante. Le peu d’exten- sion qu'a pris l’engrais Jauffret ne doit donc pas être le résultat de l'inefficacité des éléments dont il se trouve composé; car il est certain que ceux-ci doivent agir favorablement sur la plupart des terres arables douées d'un caractère physique convenable et en rapport avec la situation climatérique des lieux. La méthode Jauffret n’est pas cependant entièrement délais- sée; elle a des partisans, au nombre desquels nous pouvons ciler M. Simons, de Liége, qui, par des expériences compara- tives, principalement exécutées sur des récoltes de seigle ense- mencées dans des terrains de bois défrichés, a acquis la ferme conviction que l’engrais Jauffret peut remplacer les fumiers les plus actifs. Cette conviction est le résultat de comparaisons faites entre l'engrais Jauffret, le fumier de distillerie, le fumier de basse-cour et les chiffons de laine.-L'engrais Jauffret a tou- jours occupé le premier rang et a, en outre, révélé la belle pro- priété d'activer Ja végétation au point d'avancer de huit à dix jours la maturité des récoltes. M. Simons préconise l'emploi de cet engrais économique, S ( 114) auquel il se propose de donner plus d'extension ; mais il ne peut encore, quant à présent, donner des indications positives sur la durée de son action. Dans tous les cas, nous croyons, d'après ce que nous avons pu remarquer dans sa nouvelle exploitation, que cet engrais est susceplible de rendre de grands services à l'agriculture. Ces renseignements pratiques concordent assez bien avec les conclusions que nous avons pu tirer en envisageant la composi- tion de cet engrais; et, en admettant qu'il ne produise d'effet que pendant une seule année, il n’en reste pas moins vrai qu'il aurait son utilité incontestable pour les bois défrichés, et surtout pour les contrées qui, comme les Ardennes et la Campine, pos- sèdent des végétaux agrestes en grande abondance et des pà- turages chétifs qui ne réclament que le concours des matières fertilisantes pour devenir productifs. Si la propagation de ce système est restée jusqu'ici dans des limites fort circonserites, nous croyons que cela tient à deux causes qu'il ne sera pas inutile de signaler. La première consiste dans le peu de soins et de précautions qu’apportent la plupart des agriculteurs dans des expériences avec lesquelles ils ne sont pas familiers. La seconde provient de ce que le cultivateur se trouve dans la nécessité de préparer et d'associer lui-même des . substances qui lui sont inconnues ou qu'il n’a pas l'habitude de manier. Ne trouvant, d'une part, dans le pays, aucun dépôt de ces sub- stances où il puisse se les procurer économiquement, et la prépa- ration exigeant des soins minutieux; n'ayant, d'autre part, sous les yeux, aucune expérience qui puisse lui servir d'exemple, le cultivateur n’entrevoit, dans l'application du procédé Jauffret, qu'obstacles et embarras. 1] n'est donc pas étonnant que ce système soit si peu suivi, même dans les contrées où il pourrait contribuer puissamment au progrès de la culture. Ce n'est qu'en levant les difficultés que nous venons de signaler, qu'on par- viendra à lui faire acquérir une juste valeur dans l'esprit de l'homme des champs. (115) On a vu que, dans la préparation de la lessive, M. Jauffret prescrit l'emploi de la chaux caustique; on remarque aussi, dans le cours de son mémoire (1), qu'il recommande l'addition du même corps dans les urines et les matières fécales, à l'effet d’absorber l'odeur putride qui s'en dégage. On doit se rappeler aussi que cette tendance, ou plutôt cette manie d’allier la chaux avec des matières ammonia- cales, a déjà été combattue; en conséquence, nous nous borne- rons à dire que si l’on voulait obtenir un effet et une réaction diamétralement opposés, on ne saurait mieux y parvenir que par ce moyen. Selon notre manière de voir, lengrais Jauffret doit subir, dans sa préparation, quelques modifications pour acquérir réellement une grande énergie. La suppression de la chaux et l'addition du sulfate de chaux ou de quelques matières po- reuses, telles que le charbon animal, le charbon de bois pul- vérisé et la terre cuite, seraient, selon nous, les premiers changements que l'on devrait faire subir à la fabrication de cet engrais. M. Jauffret emploie aussi la chaux pour activer la fermentation de la matière; ce moyen est, à la vérité, assez puissant; mais n’en est-il pas d’autres à notre disposition qui, tout en activant la désorganisation des substances ligneuses , ajouteraient encore à la matière un degré de fertilité de plus, au lieu de le lui enlever, comme cela à lieu par l'application de la chaux ? A l'aide d’une solution d’aleali volatil ou d’un plus fort dosage de cendres de bois, d'urine ou de substances salines, n’obtien- drait-on pas, comme avec la chaux, la fermentation dans la masse? N'imiterions-nous pas en cela les Écossais, qui, en quel- ques jours, convertissent la sciure de bois en un riche terreau par le seul moyen de lurine? On pourrait encore, avec un avantage non moins certain, utiliser à cet effet Les résidus liquides qui s’écoulent des bouche- (1) Méthode Jauffret, p. 17. ( 116 ) ries on des papeteries. Ces résidus contiennent une forte quan- tité de chlorure de calcium qui, comme le plâtre, a la propriété de fixer l’ammoniaque et de fournir plusieurs de ses éléments aux plantes. On devrait aussi porter son attention sur les marcs de savonnerie, de saunerie et de verrerie, dont on ne fait, pour ainsi dire, aucun usage, et qui renferment cependant des sels actifs, tels que des chlorures, des sulfates, des carbonates, des silicates et des phosphates à base de potasse, de soude, de chaux , et qui seraient si utiles, comme engrais, dans la confec- tion des composts dont il s’agit ici. Get engrais, ainsi préparé et traité, aurait une grande puis- sance et ne coûterait presque rien ; il acquerrait sans doute une plus grande action , qui ajouterait sensiblement aux produits des graines de céréales, si, à cette composition, on ajoutait des os calcinés et réduits en poudre fine. M. D. Henrard nous fait connaître un autre système qui, en lui-même, se rapproche beaucoup de celui de M. Jauffret. Nous croyons utile de le rapporter, parce que nous pensons, avec l'auteur, que son application trouvera, en Belgique comme en Angleterre, son utilité et son importance. « Ce qui m'a surtout fait plaisir (en visitant les jardins de Chiswick), dit l’auteur, a été de voir un procédé de fabrication d'engrais qui pourrait être facilement appliqué à la Campine, à l'Ardenne, où l'absence seule des engrais empêche les grands défrichements. M. Thom- son m'a assuré que cet engrais valait, à peu près, celui qui pro- vient de bêtes à cornes. Voici le procédé : on prend du gazon, des feuilles, des herbes, de la bruyère, tout ce qui est suscep- tible de fermenter, d’être consommé; on en fait un tas élevé de trois pieds, étendu horizontalement, qu'on arrose ensuite d'eau mélangée d’eau ammoniacale neutralisée, provenant de la fabri- cation du gaz; on fait en sorte d'entretenir le tas dans une fer- mentation modérée par la fréquence des arrosements avec les deux substances indiquées; et il est utile, chaque fois qu'on arrose, de recouvrir le monceau avec un peu de terre pour em- pêcher la perte de la vapeur ammoniacale. (117) » Au bout de trois mois, l'engrais est convenable pour être employé. J'ai vu un terrain d’une qualité assez maigre, et qui était fumé avec cet engrais, produire des choux fleurs d'un dé- veloppement considérable (1). » SecrTion IL. — Système Bickes. Le système Bickes se résume en quelques mots : il con- siste à obtenir sans engrais de belles récoltes sur les terres les plus pauvres, à l’aide d’une préparation qu'on fait subir à Ja semence. Ce système, d'abord annoncé en Allemagne, en- suite en Belgique et en Angleterre, d’une manière pompeuse, a répandu dans le monde agricole une foule d'idées et d'il- lusions; mais on est rentré peu à peu dans la réalité des faits. | « Au printemps de l’année dernière (1845), rapporte M. Vil- leroy, une commission a été formée; M. Bickes a fourni des semences préparées par lui; elles ont été mises en terre en même temps que d’autres non préparées, et le résultat a été que les plantes provenant de graines préparées ou arrosées avec une eau préparée, ont été, dans leur végétation, les unes égales , les autres inférieures à celles qui n'avaient reçu aucune prépara- tion (2). » Une commission, pensons-nous, a également été nommée à Bruxelles, à l'effet d'examiner la prétendue découverte de M. Bickes, qui n’obtint pas plus de succès qu'en Allemagne. M. le baron de Woelmont, qui avait été engagé par M. Bickes (1) M. D. Henrard, Rapport sur un voyage faiten Angleterre eten Écosse, dans l’intérêt de l’agriculture et de l’horticulutre de Belgique. (Extrait des Annales de la Société royale d'agriculture , etc., de Gand, p. 7, avril 1845.) (2) Félix Villeroy, Journal d’agriculture pratique et de jardinage, 2e partie, p. 324. Paris, 1846. (118) à faire l'expérience de son système dans sa terre d'Op-Lieux, nous à fait part des résultats obtenus par plusieurs essais, et nous avons pu nous convaincre qu'ils ont été aussi négatifs que ceux qui viennent d’être cités. Envisagée sous le point de vue de la science, nous pouvons dire que cette préparation de semences, qui consiste, croyons- nous, à faire adhérer un sel ammoniacal à la graine au moyen d'une colle glutineuse, ne peut influer sur le développement du germe; car, avant l'évolution de la graine, l'embryon n'ab- sorbe de nourriture que pendant la germination, et alors il la trouve condensée dans la semence elle-même en quantité plus que suffisante pour l'exercice de ses fonctions. On doit cependant admettre que lorsque la semence a cédé les principes qu'elle renfermait pour constituer les jeunes or- ganes (feuilles, racines) d’une plante, le sel azoté qui accom- pagne la graine et qui reste à la portée des spongioles, doit servir à activer plus ou moins le développement du végétal, lorsque toutes les autres conditions de fertilité se trouvent réunies. Les expériences qui ont été tentées en Écosse et en Allemagne dans cette direction, viennent en quelque sorte confirmer cette opi- nion. Néanmoins, les légères fractions de sels qui entourent la pel- lieule de chaque graine étant insuffisantes pour sustenter une plante durant toute son existence, elles ne peuvent être consi- dérées que comme des auxiliaires utiles à la végétation. C'est ce que l'expérience devra encore décider avant qu'on puisse tirer de ce procédé des déductions pratiques. Dans tous les cas, il ne remplacera jamais les engrais de ferme dans le sol culuvable, comme le pense M. Bickes, et nous pouvons dire avec M. Maer- tens (4) qu'il est en opposition avec toutes les lois de la physio- logie. Nous extrayons de la Sentinelle des campagnes une méthode (1) Bulletins de l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux- arts de Belgique. 1847 , tome XIV, 2 part., p. 455. (119) nouvelle qui a beaucoup d'analogie avec celle de M. Bickes, et dont la pratique paraît déjà avoir constaté les avantages; on lit _ dans ce journal : « Dans ces derniers temps, on s’est beaucoup préoccupé en Angleterre et en Allemagne du procédé de trem- page des graines de semences dans de l'eau acidulée avec 1 p. en poids d'acide sulfurique ou hydrochlorique. Voici des faits rapportés par des journaux anglais et allemands : Un fermier écossais, M. Dalzie, aurait obtenu cinq hectolitres de plus par hectare, d’un ensemencement d'orge dont le grain aurait été trempé dans de l'acide sulfurique étendu d’eau. | » Un cultivateur allemand, suivant les Archives agricoles de Bayer, trempe toutes ses graines, grosses ou petites, dans un liquide composé d'acide sulfurique étendu de cent fois son poids d'eau; il les sort au bout de douze heures, et après les avoir égouttées, il les roule dans un mélange de moitié chaux tom- bée en poussière et moitié cendres de bois; il sème avant. que les graines aient pu sécher. Deux hectolitres et demi d'orge traité de cette manière donnèrent vingt-sept hectolitres, pen- dant que l’hectare voisin, qui n'avait pas eu sa semence trem- pée, donna sept hectolitres et 250 kilogrammes de paille de moins. » Un hectare semé avec de l’avoine trempée, donna 978 litres d'avoine et 500 kilogrammes de paille de plus qu'un hectare voisin, qui n'avait pas eu sa semence trempée. Ce cultivateur n'avait d’abord mis dans ses essais que quarante fois en eau le poids de l'acide; mais cette solution avait rougi la semence, et il remarqua qu'une partie des graines avait été détruite; mais de- puis qu'il met cent fois autant d’eau que d'acide, toute la graine lève parfaitement. » Dans les jardins de Chiswick, M. D. Henrard (i) a pu re- marquer que, parmi les graines de froment qui ont été trempées avant la semaille dans diverses solutions pendant 60 heures, celles sur lesquelles l'eau ammoniacale avait agi étaient supé- (1) Henrard, Rapport sur un voyage fait en Angleterre, etc., p. 7. ( 120 } rieures à toutes les autres en production. M. Henrard ajoute encore : « Ces expériences ont été répétées cinq fois, et toujours avec le même résultat; ce système a aussi été appliqué aux lé- gumes. » Si nous avions à nous prononcer sur cette méthode d’appli- quer les engrais, dont l'exécution n'exige ni déplacement ni grands travaux préparatoires, nous dirions qu'elle a obtenu notre sanc- tion, par ce fait que la graine se trouve accompagnée d’une sub- stance sulfatée ou ammoniacale qui, selon nos idées actuelles, doit agir favorablement sur le rendement des plantes; surtout si, outre ce sel qui accompagne les graines, le sol contient et vient offrir aux végétaux les autres conditions d’assimilation. Ce n’est qu'à ces conditions que ce système peut produire les avantages qui viennent d'être signalés; car il est aisé de comprendre que si la terre, recevant la graine ainsi préparée, ne possède pas déjà une fécondité naturelle, que si, par exemple, la terre, indépen- damment de la matière adhérant à la graine, ne recèle point les autres principes indispensables à l’organisation végétale, les effets de l'acide sulfurique ou du sel ammoniacal resteront nuls. Ce qui revient à dire : 4° qu'on ne doit pas s'attendre à obtenir dans tous les terrains des résultats aussi remarquables que ceux qui ont été rapportés dans les Archives agricoles de Bayer; 2° qu'à l'aide de ce système ou de celui de M. Bickes, on n’est point autorisé à croire qu'on peut se dispenser de faire usage d’autres engrais. Cependant nos renseignements ne sont basés sur aucun fait expérimental , attendu que ces systèmes nous sont complé- tement étrangers. En conséquence, nos idées ne sont que le fruit d'observations théoriques, et elles n’ont été exprimées que dans le but d'activer et d'utiliser les recherches des chimistes, et d’é- veiller l'attention des cultivateurs sur ces essais qui, à plus d'un titre, méritent d’être tentés. SECTION III. — Système Johnston. Le système Johnston a pour but de remplacer le guano, dont la valeur commerciale fait obstacle à son adoption générale dans la grande culture, par un guano artificiel dont le prix se- rait réduit de moitié; il propose le mélange suivant comme devant l'égaler en énergie, puisque, dit-il, d'après l'analyse, il contient les mêmes ingrédients que le guano naturel importé en Angle- terre : Poussière d'os . . . . . 515 kil.,coûtant . .fr. 47 50 Sulfate d’ammoniaque. . . 100 — APR IAE ESS Selmarin ete ee 00 — De lee TU DD Cendres perlées. . . . . 5 — CES 0 Sulfate de soude see . . . 11 — SAME NAAUR ENT) 531 kil., coûtant . .fr. 102 50 531 kilogrammes de cet engrais doivent produire le même effet que 400 kilogrammes de guano (1). Lorsqu'on connaît les principes constituants d’un engrais, il n’est pas difficile, à l’aide de nos produits manufacturiers, d'en préparer un autre qui se compose des mêmes éléments; mais il reste à voir s’il produira la même action sur les plantes. Quant à nous, nous ne le pensons pas. Si l’on examine attentivement les propriétés des corps qui forment ce mélange, et qu'on les compare à celles du guano, on trouve d’abord que ce dernier contient une matière organisée renfermant du carbone que l'engrais artificiel ne possède pas, ensuite vient le degré de solubilité des sels, qui est loin d’être le même. En effet, les poussières d’os sont très-peu solubles, tandis que le sulfate d’ammoniaque ou les alcalis des cendres le sont beaucoup; il n’y a done ici aucune similitude dans la (1) Johnston, Éléments de chimie, p. 222. (12) solubilité des corps; dans le guano, au contraire, la matière organique, à mesure qu'elle se décompose, met en même temps tous les éléments à la disposition des plantes. Il suit de là qu'on ne doit pas toujours avoir confiance dans le résultat que semble pouvoir procurer un engrais préparé synthétiquement. Cependant, il serait bien possible qu'en modifiant la solubilité des sels par un moyen quelconque, on parviendrait à leur faire acquérir une action fertilisante presque égale à celle du guano sur les plantes. M. Liebig s'est occupé de cette question, et il paraît l'avoir résolue : nous aurons lieu d'en parler bientôt. Quoi qu'il en soit, le guano artificiel ou naturel ne peut, dans aucun cas, remplacer l'engrais de basse-cour, parce que, comme l’'observent eux-mêmes MM. Johnston et Liebig , il ne renferme pas tous les éléments inorganiques des plantes (1). Secrion IV. — Système Liebig. M. Liebig s’est beaucoup préoccupé, dans ces derniers temps, de la question de savoir si, à l’aide de nos connaissances théo- riques et pratiques actuelles, on ne pourrait pas fabriquer chi- miquement, avec des substances minérales, un engrais qui pût remplacer , dans toute l'étendue du mot, les engrais de ferme. Par une foule d'observations, de déductions et de rapproche- ments ingénieux, M. Liebig croit pouvoir résoudre affirmati- vement l'important problème que son imagination a conçu, et il cherche à appuyer son opinion sur une foule de faits que nous aurons bientôt à examiner. En analysant attentivement les dernières publications de M. Liebig (2), on peut en déduire : (1) Liebig, Des engrais artificiels , p. 13. Bordeaux , 1846. (2) Liebig, Chimie appliquée à la physiologie, etc. Id. Traité de chimie organique. Introduction. Id. Lettres sur la chimie , considérée dans ses rapports avec ( 195 ) 1° Que l’engrais ne concourt pas à la production du carbone dans les plantes et qu'il n'y exerce aucune action directe; 2° Que le véritable effet des excréments solides et liquides des animaux consiste à restituer au sol autant de substances miné- rales qu'une série de récoltes lui en enlèvent ; 3° Que le carbone de l'atmosphère, joint à celui qui existe dans les débris laissés au sol après l'enlèvement des récoltes, suffit à l'alimentation végétale sans qu'il soit indispensable d'y suppléer par des engrais: 4° Que les cendres de la paille et de la graine, ainsi que celles des excréments solides et liquides des animaux, sont suffisantes pour faire produire une riche végétation au sol sur lequel elles sont appliquées ; b° Que l'azote de l'atmosphère concourt davantage à l’alimen- tation des végétaux que celui qui est fourni au sol par les en- grais, et que celui-ci n'est nullement indispensable pour rendre à la terre sa fertilité perdue; 6° Que l'ammoniaque est la source de tout l’azote que les plantes consomment; que, pour la plupart des plantes cultivées, notre ammoniaque est tout à fait inutile et superflue; que la va- leur d’un engrais ne doit pas être jugée, comme il est de règle en France et en Allemagne, d’après sa richesse en azote, et que son efficacité n'est pas proportionnelle à la quantité d'azote qu'il renferme; 1° Que si nous faisions évaporer l'urine, si nous faisions des- sécher et brüler les excréments solides avant de nous en servir: si enfin, nous fumions nos champs simplement avec les cendres de ces excréments et les sels des urines ainsi évaporées, nous obtiendrions absolument le même effet que si nous avions em- ployé le fumier et l'urine à leur état normal, ce qui prouve évi- demment que ces excréments n’agissent en aucune manière, ni par le carbone, ni par l'azote qu'ils contiennent. Pindustrie, l’agriculture et la physiologie végétale, 2% édit. Paris, 1845. Liebig, Des engrais artificiels. (124) Quoiqu'il ressorte parfaitement de ce qui précède que l'on pour- rait fort bien se dispenser de fournir au sol du carbone et de l'azote sous une forme assimilatrice, il est cependant à remar- quer que M. Liebig ne nie pas positivement leur influence salu- taire sur la végétation ; car il ajoute ailleurs qu'une addition de ces deux éléments lui imprime toujours une plus grande richesse. On le voit, les conditions physiques et climatériques du sol étant remplies, on parviendrait, selon M. Liebig, par le simple moyen d'une application de sels minéraux, à obtenir les plus belles récoltes dans les terres les plus maigres, et à rendre la fertilité aux terres les plus épuisées sans la présence d'engrais mixtes ou animaux et sans le concours de matières carbonées ou azotées. L'importance de ces conclusions relativement à un système d'agriculture scientifique, frappe l'intelligence la moins exercée. Nous regrettons seulement qu'il ne nous soit pas encore parvenu des faits précis que nous aurions pu étudier et comparer avec nos idées et nos expériences. Cependant, quelques essais paraissent avoir été tentés en An- gleterre, et, si nous sommes bien informé, on doit en avoir publié les résultats. Ces documents auraient considérablement facilité notre travail; mais nous ne croyons pas qu'ils aient été traduits, ce qui nous a empêché de les consulter. Le système de M. Liebig, système des plus importants, puis- qu'il résume tout l’art et toute la science agricoles, mérite, de notre part, un examen d'autant plus approfondi qu’il tend à ren- verser toutes les théories émises jusqu'aujourd'hui. La plupart de nos chimistes et de nos physiologistes modernes démontrent en effet, dans de nombreux écrits, que l'application usuelle d'une substance capable de dégager de l'acide carbonique et de l’ammoniaque est indispensable pour la culture des plantes. Il sera donc nécessaire, il sera du plus haut intérêt de chercher à éclaircir ces différentes opinions, de voir, en un mot, si les plantes peuvent réellement se développer et parvenir à maturité sans la présence d'un engrais carboné ou azoté dans le sol. (195 } Les expériences de MM. le prince de Salm-Horstmar (1), Wieg- mann et Polstorf (2), tendent à prouver qu'une matière carbo- née n’est pas nécessaire pour qu'une plante parvienne à maturité. Ainsi , plusieurs plantes (orge, avoine, etc.), ayant crû dans du sable pur, traité avec des sels minéraux et arrosé avec de l’eau distillée, fleurirent, fructifièrent parfaitement et donnèrent du grain mûr et bien développé; ces mêmes plantes venues dans du sable pur, sans sels, et soumises aux mêmes conditions, ne fleu- rirent qu'imparfaitement et ne fructifièrent point. Désirant apprécier à toute leur valeur les résultats de ces ex- périences, nous avons cru utile de les répéter sur du froment, du seigle, de l'avoine, de l'orge et de l’épeautre. Ges plantes furent semées dans du sable pur, préalablement calciné, traité avec de l’eau régale et puis parfaitement lavé. Placé à l'abri des poussières en suspension dans l'atmosphère, le sable fut entre- tenu, avec de l’eau distillée, dans un état d'humidité convenable, et reçut, pour tout engrais, des sels inorganiques parmi les- quels se trouvait l'ammoniaque (5). Les plantes restèrent long- temps languissantes et, quoique ayant repris quelque vigueur quinze jours avant la floraison, elles restèrent cependant chétives et petites, comparativement à celles d'une même espèce qui avaient crû dans nos champs : néanmoins, elles fructifièrent bien et donnèrent de belles et grosses graines. Parmi les nombreux essais de ce genre auxquels nous nous livrâmes, une particularité que nous croyons devoir rapporter nous causa beaucoup de surprise : des pommes de terre plantées dans du sable pur et soumises aux mêmes conditions que dans les essais précédents, donnèrent, pour chaque plante, une grande quantité de tubercules d’une grosseur vraiment remar- (1) Rapport annuel sur les progrès de la chimie, présenté, le 51 mars 1847 , à l’Académie royale des sciences de Stockolm , par Berzelius, p. 160. Paris, 1848. (2) Liebig, Chimie appliquée à la physiologie, etc., p. 554. (5) Il sera donné des détails à des expériences analogues citées plus loin. ( 126 ) quable. Ce résultat est d'autant plus surprenant que les fanes étaient extrêmement délicates et fébriles. On voit, d’après ces expériences, qu’une plante peut fleurir, fructifier et produire des graines sans l'intervention d’une ma- iière combustible, capable d’être assimilée directement ou de dégager de l'acide carbonique par le progrès de la fermentation. Ces essais prouvent, en outre, que si le ligneux n'a pas atteint toute la richesse de végétation qu'il était susceptible d'acquérir dans les circonstances ordinaires, il n’en est pas moins vrai que toutes les plantes sont parvenues à parfaite maturité et qu’elles ont donné des graines d'un poids satisfaisant. Mais ce qu'il importe de remarquer, c’est que ces graines ne se sont pas trouvées en rapport, quant à la quantité, avec celles qu'on ren- contre dans les épis de nos champs cultivés, c'est-à-dire que là où il ya, dans ce dernier cas, quarante ou soixante graines, il pouvait n'en exister ailleurs que trente ou quarante, bien que celles-ci fussent aussi volumineuses et aussi bien formées que les autres. Nous pensons que cet état de choses est uniquement dà à la débilité des organes aériens, et nous sommes porté à croire que si, dans le cas qui nous occupe, on avait fourni purement et simplement une dose suffisante d'acide carbonique, on aurait obtenu les résultats les plus satisfaisants sous tous les rapports. . Enadmettant les résultats des observations précédentes comme autant de faits, nous allons voir si nous pourrions, dès à présent, proclamer hautement la justesse des vues de M. Liebig, et ad- mettre, comme résolu, l'important problème qu'il s’est posé. Nous serions d'autant plus disposé à le faire que, dans les expériences précédentes, l'acide carbonique emprunté à l'air par les feuilles des végétaux a, seul, concouru à leur nutrition ; tan- dis que, dans les terres cultivables, les plantes pourraient absor- ber, outre celui de l'air, le carbone que procurent au sol les débris de la végétation et celui qui est naturellement amené par les eaux de pluie. Mais les expériences ne sont-elles pas trompeuses et n'in- (127) duisent-elles pas souvent en erreur? Les expériences des la- boratoires universitaires sont-elles toujours et en tout point confirmées par le grand laboratoire de la nature? C'est ce que nous allons voir, et le résultat de nos investigations servira peut- être à lever quelques doutes et à imprimer une marche plus rationnelle à la question. Quel est le fondement ou la base de la théorie Liebig ? Pour en donner une idée exacte, il est indispensable que nous reproduisions textuellement, de manière à les examiner chacun en particulier, les principaux faits sur lesquels il a basé ses raisonnements. I. « D'après tout ce que nous savons, l'humus est un produit de la putréfaction et de la combustion lente des plantes ou des parties végétales; il ne peut donc pas exister d'humus originel, de terreau primitif, car avant l’humus il y avait des plantes. « Où ces plantes ont-elles puisé leur carbone? Puisque ce n'est pas dans le sol, ÿ faut nécessairement que ce soit dans l'atmosphère (1). » En s’'arrêtant un instant sur les cataclysmes du globe terrestre et sur l'étude des corps organisés fossiles ; en réfléchissant en- suite sur les métamorphoses successives que l’on constate dans les règnes végétal et animal, depuis la création des êtres vivants, on arrive indubitablement à la conclusion que vient de porter M. Liebig, à savoir : qu'il ne pouvait exister d'humus originel, de terreau primitif. Et puisque les autorités scientifiques de notre époque ne sont pas encore parvenues à concevoir comment les végétaux auraient emprunté leur carbone, si cet agent eût existé à l'état solide, on est aussi conduit à admettre, avec M. Liebig, qu'il est impossible de supposer que les plantes aient soustrait nn que dans l’at- mosphère, et sous forme de gaz, le carbone que l’on rencontre dans tous leurs organes. Mais ce principe une fois admis, IE interprétation doit-on (1) Liebig, Chimie appliquée à la physiologie, etc., p. 17. ( 198 ) lui donner? Quel argument peut-on en tirer? La composition de l'atmosphère ou, en d’autres termes, le développement des plantes est-il aujourd'hui ce qu'il était autrefois? Nous ne le pensons pas !. S'il est bien avéré que le carbone des plantes a pour origine l'atmosphère, on ne peut révoquer en doute que le carbone des animaux qui se sont nourris du produit de l’économie végétale, ait été enlevé à la même source. Il est également certain que ce qui est vrai pour le carbone des animaux ou des végétaux en voie de développement, ne doit pas l'être moins pour celui des tourbes, des bitumes, des lignites, des houilles enfouies dans les divers terrains de sédiment, puisque toutes ces matières com- bustibles proviennent d'une végétation antérieure. Après cela, est-il même nécessaire de rechercher l'origine du carbone des roches calcaires et magnésiennes que l’on trouve enfouies dans les différentes couches géologiques, pour être con- vaincu que l'atmosphère a éprouvé, depuis les temps les plus reculés, des modifications importantes dans sa composition ? Non ; les considérations précédentes seules prouvent déjà sura- bondamment que, depuis l'apparition des premiers êtres orga- nisés, l'espace qui nous entoure est devenu plus pur et, par con- séquent, moins riche, moins surchargé de gaz acide carbonique. Or, puisqu'il en est ainsi, les végétaux d'autrefois pouvaient évidemment, bien mieux que dans les circonstances présentes, s'approprier, par la respiration aérienne, le carbone qui leur était nécessaire pour remplir leurs fonctions végétatives; et, en pré- sence d'un état de choses aussi différent, est-il possible d'en induire quelque juste conséquence quant à notre végétation actuelle? Si la végétation antérieure était riche et florissante sans l'interven- tion de l'homme, est-ce une raison de croire, avec M. Liebig, qu'il doit encore en être ainsi aujourd'hui? Puisque nous cons- tatons que l'air atmosphérique se trouvait, lors des premières périodes de la formation du globe, dans des conditions bien plus favorables qu'il ne lest actuellement pour nourrir les plantes, ou pour leur céder, dans un temps limité, tout le carbone ( 129 ) qu’elles réclament pour se constituer, est-il raisonnable d'en conclure que, si les plantes primitives ont pu croître prompte- ment et se développer avec vigueur, et cela sans le concours de terreau ou d'humus, celles que nous cultivons en ce moment doivent avoir aussi cette faculté et au même degré? Bien certai- nement, non. Laissons maintenant ce fait important après l'avoir indiqué ; admettons même pour un instant cette allégation toute gra- tuite, du reste, que l'atmosphère ait conservé en tout temps les mêmes propriétés, la même composition chimique, encore est-il que l'induction qu’en tire M. Liebig est erronée. Si les premières plantes ont pu acquérir du développement sans que le sol vint leur offrir du carbone, il est probable aussi que les premières générations ont été insignifiantes et que ce n'est que par un renouvellement continu de feuilles, ete., qu'elles ont pu atteindre le degré de croissance qu'elles possèdent actuellement. Les premiers végétaux, quelque faibles qu'ils aient pu être, ont laissé sur le sol quelques débris qui ont nécessairement fourni, par leur décomposition, une petite quantité d'acide carbonique. Ce gaz, joint à celui de l'air ambiant, a été utilisé au profit d'une seconde végétation, qui s'est trouvée plus riche que la première, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'une couche d'humus ait été formée. C’est ainsi du moins que les choses se passeraient à l'époque actuelle. Une expérience que nous aurons occasion de citer, quoique faite dans une tout autre direction, viendra appuyer la déduc- tion précédente; et d’ailleurs, on peut en apprécier la justesse sans remonter à l'origine des temps; il suffit pour cela de jeter un regard sur ce qui se présente tous les jours sous nos yeux. Qu'arrive-t-il, par exemple, lorsqu'on crée une forêt dans une terre en friche privée de toute substance végétale? Les dé- bris annuels, les branches, les feuilles, les racines, etc., ne constituent-ils pas, après un certain laps de temps, une couche d'humus souvent considérable? Ceite propriété qu'ont eue et que { 130 ) possèdent toujours les plantes d’accumuler à leur pied une cer- taine quantité de terreau, prouve-t-elle que l'atmosphère peut leur fournir suffisamment de carbone et que l'humus ne peut, sous ce rapport, leur être d'aucune utilité? Encore une fois, non. M. Liebig se demande où l'herbe des prairies, le boïs des forêts, prennent leur carbone, puisqu'on ne leur amène point d'engrais qui pourrait leur servir d'aliment; et il répond que c'est uniquement dans l'atmosphère. Nous savons déjà que les terrains boisés contiennent naturel- lement du terreau et que les arbres croïssent avee d'autant plus de facilité que le sol qui les porte en est mieux pourvu; d’un autre côté, nous lisons dans la Physiologie végétale de M. Licbig, que l’humus est une source d'acide carbonique. Or, puisque ce fait est si bien constaté, pourquoi lhumus des forêts ne procurerait-il pas aux arbres, comme aux autres plantes, l'acide carbonique qui s'en échappe lors de sa décomposition ? N’est-il pas plus logique d'admettre qu'une partie de ce gaz se dégage sous les branches et les feuilles, et forme ainsi une véritable atmosphère d'acide carbonique qui est absorbée par les organes aériens ? N’est-il pas bien établi aussi qu'une autre partie est mise en contact avec les racines par les eaux pluviales? M. Boucherie ({) n’a-t-il pas vu s'é- chapper du tronc d’un arbre en pleine séve des quantités énormes d'acide carbonique, évidemment puisé au sol par les racines? Sans qu'il soit nécessaire de parler des parties du terreau qui peuvent être directement absorbées dans l'organisme, ces consi- dérations nous paraissent suflisantes pour démontrer qu'il est impossible de croire avec fondement que les forêts et les prairies empruntent exclusivement leur carbone à l'atmosphère; car si ce que nous avons dit est vrai pour les forêts, il l’est également pour les prairies. Qu'une plante puisse végéter et fructifier sans le concours d'une substance carbonée dans le sol, c'est là un fait acquis; mais ce qui est douteux et ce que nos expériences contestent, (1) Dumas et Boussingault, Essai de stulique chimique, p. 25. (151) c'est que l'en puisse lui faire acquérir une égale richesse avec ou sans matière renfermant du carbone. M. Liebig approuve d’ailleurs cette manière de voir lorsqu'il dit : « On ne peut nier l'influence de l’engrais par rapport au carbone qu'il contient. » Or c’est là tout le fond de la question. Si, en mettant à la disposition de la plante tout le carbone qui lui est nécessaire, elle prospère, il est certain que si on ne lui en fournit pas du tout, elle restera d'autant plus chétive que les sels minéraux ne pourront servir à son développement que jus- qu à concurrence de l'acide carbonique qu'elle pourra enlever à l'air. Il est prouvé, par les propres caleuls de M. Liebig, qu'un hec- tare ensemencé en céréales produit en une seule récolte environ 2,000 kil. de carbone, s'il a reçu des engrais de ferme dans les proportions ordinaires. Mais nos propres essais nous ont aussi fait voir qu'en pratiquant un même ensemencement sur une terre qui n'aurait pas reçu de fumure capable de céder son car- bone aux racines, on peut évaluer que la récolte sera réduite d'un tiers ou d'une moïtié. Cela s'explique aisément : si une ré- colte augmente lorsqu'on lui fournit des engrais organiques, elle doit diminuer lorsqu'on leslui retire. Les expressions de M. Liebig ne sont pas moins convaincantes; laissons-le parler, on pourra mieux en juger : « Une plante dont la surface des feuilles n’est que la moitié d’une autre plante, absorbera dans le même temps autant de carbone que celle-ci, si on lui amène une quantité doubie d'acide carbonique. » Voilà ce qui explique l'influence Et de l'humus et de toutes les matières organiques en pourriture. Si la jeune plante n’est alimentée que par l'air, elle n’absor- bera qu'une quantité de carbone équivalente à la surface de ses feuilles; mais si les racines viennent lui offrir dans le même in- tervalle, par l'effet de l’humus, trois fois plus d'acide carboni- que, il est évident que cette plante s'accroîtra du quadruple, toutes les conditions nécessaires à l'assimilation étant réunies. il se formera alors quatre fois plus de feuilles, de bourgeons et 9 ( 132 ) de tiges, et de cette manière, le végétal augmentera ses surfaces d'absorption, qui se maintiendront en activité à une époque où 1l ne reçoit plus de carbone par les racines (1). » Suivant ce raisonnement, qui implique une contradiction avec ce qui est dit ailleurs, il est impossible de ne pas comprendre que les engrais, envisagés sous le point de vue de leur carbone, sont indispensables et exercent une influence très-grande sur la végétation. Le savant chimiste de Giessen établit ensuite par des cal- culs (2), que des surfaces égales de terres propres à la culture peuvent produire une quantité égale de carbone. En voici le ré- sumé : 2,500 met. carrés de forêts. . . . . . . . produisent 505 kil. de carbone. da — de praities NE — 509 — — — de better. (feuilles non compr.). — 440 — — _ dé céréalés . . . . . . . — 522 — (2) En admettant que ces calculs, qui semblent lier si intimement la végétation pérenne avec la végétation annuelle des champs, soient entièrement confirmés par de nouvelles recherches scien- üfiques, encore est-il que les inductions qui en sont lirées tom- bent naturellement et n'ont aucune portée sur la question qui nous occupe en ce moment, par le fait même, que le principe sur lequel elles sont appuyées, pêche par la base. En conséquence, nous pouvons couelure en toute sûreté que si, à surfaces égales, les forêts et les prairies produisent sans engrais fourni par la main de l'homme, autant de carbone que les betteraves et les céréales qui en ont reçu, cela tient à la faculté plus ou moins grande qu'ont les différentes espèces de plantes de S'assimiler le carbone de l'atmosphère et de créer, dans le sol, une couche d’humus qui, dans les forêts et les prairies, joue un rôle à peu (1) Liebig, Chimie appliquée à la physiologie végétale, etc. , p. 277. (@) Id. id. id. p. 16. (155) près semblable à celui des fumures répandues sur les terres ara- “bles. Il. « On peut augmenter le rapport des terres en y répandant de la chaux, de la cendre ou de la marne, c’est-à-dire des sub- stances qui ne peuvent point céder de carbone aux plantes. En approvisionnant le sol de ces substances, on détermine dans les plantes cultivées l'augmentation de leur masse, l'accroissement de leur carbone. » La stérilité des terres n’est donc pas la conséquence d’un manque d'acide carbonique ou d’humus, puisqu'on peut augmen- ter le rendement du carbone par des substances qui n’en con- tiennent point (1). » On doit se rappeler qu'une plante ne peut prospérer que lors- qu'elle a à sa disposition tous les éléments nécessaires à son ac- croissement. Un sol qui manquerait de chaux, de cendre, de marne, etc., resterait plus ou moins improductif, s'il renfermait toutes les substances minérales, mais en trop petite proportion, les végétaux ne prospéreraient, malgré toute l'influence de l’a- cide carbonique, qu’en proportion de sels minéraux qu'ils pour- raient s’assimiler. Une terre qui contiendrait, au contraire, tous les sels et les oxydes métalliques nécessaires sans contenir du car- bone, ne pourrait produire de végétation qu'en raison directe de l'acide carbonique que celle-ci pourrait soutirer de l'air. La même terre à laquelle on aurait ajouté la dose nécessaire d'engrais sus- ceptibles de fermentation, aurait augmenté la masse des produc- tions et en même temps l'assimilation d'une plus grande quan- tité de sels minéraux. Nous posons ces principes tirés de nos expériences, parce que nous croyons qu'ils faciliteront l'intelligence de ce qui va suivre. Certes, on ne peut nier que l'application judicieuse d’une cer- taine quantité de principes minéraux contribue à accroître la masse des végétaux et de leur carbone. Sous ce rapport, nous nous rangeons à l'opinion de M. Liebig. Nous savons aussi (1) Liebig, Chèmie appliquée à la physiologie, etc., p. 275 et 270, ( 134 ) très-bien que, par l'application de Îa chaux, de la marne, etc., on peut, dans les terres qui en sont privées, augmenter la pro- duction des récoltes et l'absorption de l'acide carbonique de l'air, puisqu'il ne s'y introduit qu'en raison des sels inorganiques que la plante absorbe. Mais est-ce là un motif suffisant pour ad- mettre que la stérilité d'une terre ne peut venir d'un manque d'acide carbonique? Non, cela prouve tout simplement que le sol était privé d'éléments contenus dans la marne et dans les cendres. Puisque dans les sols qui contiennent toutes les matières salines nécessaires, on augmente la production des plantes et en même temps l'absorption des sels minéraux, par une addi- tion d'acide carbonique ou de matières renfermant du carbone { fait que nous aurons lieu de démontrer plus loin), nous serions dans le vrai, aussi bien que M. Liebig, en affirmant que la stéri- lité d’une terre n'est pas la conséquence d'un manque de prin- cipes minéraux, puisqu'on augmente dans les plantes le rende- ment de ces principes avec des substances qui ne les contiennent pas. Nous croyons que l'argument sur lequel s’est appuyé M. Liebig pour prouver que l'acide carbonique est puisé à l'atmosphère plu- 1ôt qu'aux engrais, n’est pas plus solide que le précédent; d'ail- leurs nous allons nous expliquer d’une manière plus claire au moyen d'une comparaison. Supposons qu'une plante croisse sur un sol renfermant toutes les matières inorganiques, à l'exception des alcalis et du phos- phore assimiiable, et qu'elle ne possède pas le moindre vestige de carbone : il est clair que cette plante sera loin d'offrir une belle végétation; que l’on ajoute maintenant des phosphates alcalins, c’est-à-dire les deux principes qui lui manquent, les feuilles prendront de l'accroissement, et la plante sera sans doute plus à même de puiser dans l’atmosphère le carbone qui lui est nécessaire et qu'elle ne peut trouver dans le sol. Mais est-ce à dire que la plante sera arrivée à son apogée de dévelop- pement? Non, bien loin s'en faut. Si on lui fournissait encore de ( 155 ) l'acide carbonique, la proportion de son carbone augmentant, elie susciterait l'assimilation de nouveaux sels qui seraient restés sans emploi s'il n'y avait pas eu addition d'acide carbonique. Tout ceci nous fait voir que si l’on prétend qu'une plus grande masse de sels minéraux dans le sol augmente la proportion de carbone dans les plantes, il est parfaitement juste aussi de dire qu'une addition de carbone influe de la même manière sur l'assimilation des engrais inorganiques, et que ce n'est qu’à ces conditions qu'on peut obtenir le maximum de production. JIT. « Le rapport en azote d'une prairie qui ne reçoit pas d'engrais azoté est bien plus considérable que celui d'un champ de blé qui a été fumé (1). » « D'après l'indication des agronomes les plus dignes de foi, on gagne sur un arpent de prairie d'un bon rapport 1,250 ki- logrammes de foin. Les prairies donnent ceite récolte sans qu'on y amène des substances organiques, sans qu'on y porte un engrais carboné ou azoté. On peut doubler ce rapport par des irrigations convenables, par l'emploi des cendres ou du plâtre. Mais admettons que ces 1,250 kilogrammes soient le maximum de rendement : tout le carbone et tout l'azote de ce foin pro- viennent évidemment de l'atmosphère (2). » La conséquence que semble tirer M. Liebig des observations qui précèdent, est que tout l'azote et tout le carbone de lherbe des prairies proviennent de l'atmosphère, et que puisque celle-ci est capable de lui céder tout l'azote et tout le carbone dent elle a besoin, puisque les prairies qui ne reçoivent point d'engrais carbonés et azotés produisent une plus grande quantité d'azote et une quantité de carbone équivalente à celle produite par une même surface de terres ensemencées en céréales et engraissée, il est évident que l'atmosphère doit céder assez d'azote et de car- bone aux plantes cultivées (céréales, etc.) sans qu'il soit néces- saire d'y suppléer. (1) Liebig, Chèmie appliquée à la physiologie , ete., p. 282 et 9285. (G)MaTee id., id., p. 281. (136 ) Il en est de l'azote comme du carbone et des sels minéraux dans les plantes; s'il vient à manquer dans le sol, la végétation reste suspendue. Mais, selon M. Liebig, il ne fait jamais défaut, lorsque, toutefois, les terres labourables renferment tous les engrais minéraux des plantes; car, d’après lui, l'assimilation de l'azote, comme celle du carbone, serait subordonnée à la pré- sence des sels inorganiques, et les engrais animaux digérés, ainsi que les engrais de ferme, n’agiraient que parce qu'ils sont asso- ciés avec des substances minérales qui restituent au sol les divers matériaux inorganiques que les plantes lui ont enlevés. Que l’on puisse doubler la production d'une prairie par les irrigalions et par l'application des cendres, du plâtre et des os caleinés, lorsque le sol est privé de sels que les eaux, les cendres, les os et le plâtre renferment, cela est incontestable; mais que tout l'azote et le carbone d’une prairie soient fournis par l’atmo- sphère, nous ne pouvons partager cette manière de voir. Disons d'abord que par les irrigations on amène toujours dans le sol une certaine quantité de matières organiques azotées que les eaux tiennent en suspension. Disons encore que la plu- part des eaux renferment des gaz et des sels en dissolution, parmi lesquels se trouvent, comme l'ont observé plusieurs chi- mistes, de l'acide carbonique libre, des carbonates d'ammonia- que et des nitrates de la même base. C’est donc une erreur de croire que, par les eaux d'irrigation, on n'amène point sur les prairies des engrais azotés et carbonés; et il s'ensuit que, dans des circonstances semblables, on ne peut vraisemblablement conclure que tout l'azote et le carbone aïent été puisés dans l'air. D'ailleurs, il est facile de voir par ce simple fait qu'on ne peut, pour une surface donnée, établir de comparaisons justes entre la production en azote et en carbone des prairies et celle des terres cultivées en céréales. Pour ce qui concerne la cendre et les os, il est vrai de dire que l'emploi de ces engrais ne procure pas de l’azote et du car- bone aux prairies, mais doit-il en résulter que les plantes her- bacées enlèvent exclusivement leur azote et leur carbone à (137) l'air? Si ces matières provoquent une augmentation de produit dans les prairies, doit-il toujours en être de même dans les terres arables ? Nous avons démontré que les prairies et les forêts plus ou moins anciennes sont approvisionnées d'une couche de terreau qui va toujours en augmentant d'année en année. Nous savons aussi que l'humus des terres arables, livrées à une culture périodique, bien qu'entretenues avec des engrais de ferme, n'augmente pas sensiblement et quil finit par disparaître pres- que entièrement lorsqu'on néglige de restaurer le sol. En mettant en parallèle la culture pérenne avec la culture annuelle, on trouve donc cette différence marquante, différence à laquelle M. Liebig ne semble pas avoir égard, que, privées toutes deux d'engrais organiques artificiels, la première s'améliore en ce qu'elle accroît, chaque année, la quantité d’humus de la terre, tandis que la seconde suit une progression inverse. Or, en pré- sence de deux surfaces si différentes dans leurs caractères agri- coles et donnant des productions qui ont si peu d’analogie entre elles, est-il possible de se rallier aux inductions de M. Liebig ? S'il est vrai que lhumus subit une transformation dans le sol et qu'il profité à l'alimentation des plantes, il doit nécessairement en résulter que les arbres des forêts et l'herbe des prairies trouvent à cette source et dans l'air une quantité de carbone suffisante ou à peu près suffisante pour suflire aux besoins de la végé- tation. Il doit également résulter de ce fait qu'une accumulation de carbone dans les tissus ligneux peut avoir lieu par suite d'un dosage de chaux et de marne, tandis que les céréales, pla- cées dans les mêmes conditions, c'est-à-dire sans engrais de ferme, ne trouveraient dans les débris des êtres antérieurs qu’un faible auxiliaire, ce qui annulerait l'action des engrais cal- caires. Par conséquent, si l'application unique des produits cendreux ou du plâtre a une grande énergie dans les prairies, 1l n’est pas permis pour cela d’en conelure que le surcroît de carbone absorbé dérive exclusivement de l'atmosphère, et qu'en usant du même (138) procédé sur les champs cultivés, il doit s’y manifester une amé- lioration analogue. Quant à ce qui a rapport à l'azote, si l’on n'a pas perdu de vue ce que nous avons dit en parlant du fumier, des détritus végé- taux et de l'humus, nous saurons que toutes les plantes contien- nent, bien qu'en moindre proportion que dans les débris animaux, une certaine quantité d'azote. Que devient donc cet élément lors- que ces débris se changent en humus et que celui-ei se décom- pose? Peut-on nier qu'il soit absorbé par les racines et les feuilles des plantes? C’est à tort que M. Liebig n’envisage l'humus que comme une source d'acide carbonique, et nous apprécions trop l'opinion de M. De Gasparin pour ne pas dire avec lui « que le terreau doit agir en fournissant aux plantes l'azote que son analyse manifeste toujours, azote provenant des végétaux dont il est formé quand la décomposition de ces végétaux n’est pas trop avancée (1). Nous ne laisserons pas échapper l’occasion de rappeler ici que toute matière végétale susceptible de se décomposer, telle que lhumus, ete., donne toujours, comme produit de son altération, une cerlaine quantité d’ammoniaque, alors même que la sub- stance ne renfermerait point de principes azotés. Tout nous porte à croire que le principe ammoniacal, formé à la portée des radi- celles, est absorbé par celles-ci et élaboré ensuite par les diverses parties du végétal. Ce n’est pas tout : nous nous demanderons maintenant si Fhu- mus ne possède pas d’autres propriétés qui pourraient influer sur la production de l'azote et du carbone dans les plantes. Sans répéter ce qui a déjà été dit lorsqu'il a été question de cette substance, nous dirons avec M. De Gasparin, « que les ma- tières ligneuses ou poreuses possèdent éminemment Ja faculté de s'emparer et de condenser les gaz (ammonisque, acide ear- bonique, ete.) qui les entourent; que les matières charbonneuses et ligneuses sont les matières absorbantes les plus puissantes ; (1) De Gasparin, Cours d’agriculture , t.1,p. 108. (139) | qu'il est constant que le terreau, par son énergie absorbante, exerce une fonction très-importante dans la végétation, puisqu'il est, pour ainsi dire, le trésorier et l'économe de ces gaz, qu'il distribue aux différentes époques de l'année, tandis que, faute d'un pareil agent, les plantes n'auraient pas profité de ceux qu'elles n'auraient pu conserver immédiatement (1). » D'après tout ce qui précède, pourrait-on encore, sans s’exposer à entrer dans une voie d'erreurs, supposer que, par l'application de substances qui ne contiennent pas de carbone et d'azote, on double ou triple la production du foin et que tout le carbone et l'azote de celui-eï est puisé dans l'atmosphère? Il est bien vrai qu'une partie de l'ammoniaque et de l'acide carbonique, condensé et fourni aux plantes par l'intermédiaire de l'humus, a été puisée directement dans l'air; maïs sans humus leur incorporation n’au- rait pas eu lieu. On le voit : après les engrais minéraux, lhumus est la sub- stance la plus indispensable dans le sol; sans lui, Fherbe des prairies, le bois des forêts et les plantes cultivées ne crofîtraient que lentement, comme les plantes sauvages sur les rochers nus où leur développement n'est proportionné, lorsque les autres conditions de fertilité sont réunies, qu'à la quantité de carbone et d'azote que l'air est susceptible de leur offrir. Plus la quantité de terreau est grande dans une terre, plus aussi il y a production d'ammoniaque et d'acide carbonique, et moins les engrais carbonés et azotés deviennent nécessaires, et vice versa. Nous croyons inutile d'augmenter nos citations; on aura suffi- samment remarqué que la manière dont végètent les forêts et les prairies est tout à fait différente de celle des céréales, des légu- mineuses, etc., et qu'elle n'indique, en aucune façon, que celles- ci doivent se comporter de la même menière. Voyons maintenant ce que nous dit l'expérience : du foin, qui avait crû sur 56 mètres carrés de prairie d’une fertilité moyenne, (1) De Gasparin, Cours d’agricullure, t. 1, p. 109. ( 440 ) fut porté à l’incinération. Ces 36 mètres furent partagés en trois portions égales; la première ne reçut aucune espèce d'engrais, la seconde reçut les cendres de tout le foin incinéré, et la troi- sième fut engraissée avec de l'urine de vache. Le rendement des trois portions fut plus ou moins important, selon qu'elles avaient reçu ou non des principes plus ou moins actifs. Ainsi, la partie à laquelle on n'avait pas fourni d'engrais donna un produit ordinaire; la seconde, c'est-à-dire celle qui avait reçu les cendres, produisit plus que la première; et la pro- duction de la troisième, à laquelle on avait fourni des engrais liquides , fut supérieure aux deux autres, et donna un poids in- finiment plus considérable pour le même espace de terrain. Comment se fait-il que la portion engraissée avec les urines a procuré, comparativement à celle qui avait reçu des cendres en triple proportion, une plus-value d'environ un quart ? Il est pa- sitif, puisqu'on a procuré une addition de cendres à la seconde portion et qu'elle a, par conséquent, joui de tous les sels ter- reux nécessaires à l'accroissement de l'herbe, que cette augmen- tation n’est due qu'à la matière organique de l'urine ou à ses sels azotés. De ces expériences comparatives, nous pouvons tirer les conséquences suivantes : 1° qu'avec des cendres on augmente la fertilité d’une prairie lorsque celle-ci est pauvre en sels miné- raux; 2° que les cendres n'ont la propriété d'augmenter la pro- duction que jusqu’à concurrence de la quantité d'humus renfermée dans le sol; 3° qu’enfin les cendres, sur une prairie de bonne qualité, comme celle dont il vient d'être question, sont insufh- santes pour faire obtenir un maximum de production, puisque avec de l'urine on peut l'augmenter d'un quart, ce qui ne permet plus de douter que la présence d’une substance azotée et car- bonée dans le sol soit indispensable. IV. « Il faudrait encore se demander d'où l'azote est fourni aux champs de blé de la Hongrie, des environs de Naples et de Sicile, qui ne sont jamais fumés. La végétation des zones tem- pérées suivrait-elle d’autres lois que celle des zones chaudes ou torrides ? (141) » En Virginie, on a récolté par arpent, sur une seule et même terre, sous forme de froment, en minimum 11 kilogrammes d'azote, ce qui fait dans cent ans 1,100 kilogrammes. Pour que cet azote provint de la terre, il aurait fallu que chaque arpent eût reçu plusieurs cent mille kilogrammes d’excréments animaux! » Depuis des siècles on fait en Hongrie, sur une seule et même terre, des récoltes de tabac et de froment, sans y porter d'azote. Comment alors l’azote de ces récoltes proviendrait-il du sol? (1) » Si l'on compare notre végétation à celle de la plupart des pays à climats chauds, on'est à même de constater qu’elle est loin de présenter les mêmes caractères. Sous les zones tropi- cales, il suffit qu'une plante soit fixée dans le sol pour qu’elle acquière rapidement toute la vigueur possible, sans réclamer le secours des engrais. Cela seul n’indique-t-il pas déjà, bien que ce soit sous les mêmes influences et par les mêmes agents que les végétaux vivent, que les forces mises on jeu ont une action dissemblable ? L'usage toujours moins fréquent des engrais, sous le rapport de l'azote, à mesure que l'on avance vers le Midi, peut provenir en partie de l'existence d'une quantité très-appréciable de ma- tières végétales en décomposition dans les terrains qui n’ont pas encore été livrés à la production des plantes annuelles; mais plusieurs autres causes qu'il est utile de signaler y prennent également une part très-large. D'abord « on conçoit que l'air des régions chaudes où l’évaporation des grandes pluies se fait sur une vaste échelle, doit renfermer l’ammoniaque en plus grande quantité (2). » Ensuite, il a été admis que, contrairement à l'opinion de M. Liebig, l'acide nitrique des nitrates concourt, comme l'ammoniaque, à créer les diverses composés binaires et quaternaires des graines; or, on sait que toutes les fois que l'étincelle électrique traverse l'air humide, il y a production (1) Liebig, Chimie appliquée à la physiologie, etc., p. 288. (2) De Gasparin, Cours d’agriculture, tom. I, p. 124. : (142 ) d'acide nitrique et de nitrate d'ammoniaque. M. Boussingault affirme « qu'en considérant seulement les zones équinoxiales, on peut prouver que, pendant une année entière, tous les jours, et peut-être à tous les instants, il se fait une continuité de dé- charges électriques (4); » ce qui a d’ailleurs été confirmé par M. Liebig, lorsque, ayant analysé 77 résidus d’eau de pluie des zones tempérées, dont 17 provenaient d'orage, il constata que ces dernières renfermaient toutes de l'acide nitrique, et que parmi les 60 autres, deux seulement en offraient quelques traces. fout ceci nous conduit à dire que plus on se rapproche des climats chauds, plus les détonations sont fréquentes, plus la pro- duction d'acide nitrique y est considérable et plus les plantes ont la faculté de puiser leur azote dans le sol, où il doit rarement faire défaut. En troisième lieu « dans bien des contrées, les insectes morts sont un important engrais pour le sol; dans les pays chauds, une poignée de terre paraît quelquefois être composée à moitié d'ailes et de squelettes d'insectes. Les paysans de la Hongrie et de la Carinthie ramassent quelquefois, en une seule année, jus- qu'à trente charretées de mouches de marais; et dans les terres les plus fertiles de la France et de Angleterre, où les vers et les insectes se trouvent en abondance, la présence de leurs débris doit, en grande partie, concourir à les rendre si produc- lives (2). » On ne doit pas ignorer que les circonstances locales ont aussi la plus grande influence sur la répartition des pluies, et que, les latitudes restant les mêmes, les diverses contrées sont loin d'offrir une même humidité. Plus on se rapproche des climats chauds, moins les saisons sont variables, moins la végétation a à souffrir de l'humidité, de la sécheresse et des passages brusques du chaud au froid, toujours si nuisibles aux végétaux dans nos climats. (1) Boussingault, Annales de physique el de chimie, tom. LVII, p. 180. (2) Johnston, Éléments de chimie, elc., p. 178. (145) Îl est enfin à remarquer que, sous les tropiques, la chaleur naturelle supplée à la chaleur artificielle que procurent nos en- grais de ferme, et que, toutes les nuits, une rosée vient vivifier les plantes, non-seulement en leur apportant une humidité que l’'ardeur du soleil leur enlève pendant le jour, mais aussi en leur procurant des sels azotés dont elles s'emparent. Nous ne devons donc plus être aussi étonnés lorsqu'on nous dit que des terres produisent pendant cent ans du blé et du tabac, sans recevoir des engrais azotés et minéraux, et que des îles très-riches finissent par devenir stériles, non pas par un manque d'azote, mais bien, comme l’observe M. Liebig, par l'absence de substances terreuses. D'ailleurs, si l'on obtient, dans les régions torrides et tropi- cales, de belles moissons sans l'addition au sol de principes azotés ou carbonés, doit-on en conclure qu'il est possible d'obtenir le même résultat sous les climats tempérés. Pour démontrer combien ceite conclusion s'écarte de la vérité, il suffit de se demander comment il se fait qu'en Belgique et dans les pays limitrophes, où la nature minérale des terres présente une si grande variété sous le rapport de leur constitution, ces exemples d'une fertilité constante ne se soient pas présentés. Et puis, pour- quoi est-on obligé, pour obtenir de riches productions, de four- nir tous les cinq ou six ans, c’est-à-dire à chaque rotation, aux terres cultivées les plus riches en matières salines, des engrais animaux ou des engrais de ferme ordinaire? Incontestablement, c'est parce qu'elles ne contiennent ni carbone, ni azote en quan- tité voulue, et que, les lois de la nutrition étant partout les mêmes, des causes inhérentes à chaque situation climatérique viennent toujours exercer simultanément une influence sur la croissance des végétaux. V. « En Hollande, l'azote de l'urine et des excréments solides des vaches provient des végétaux des prairies qui l'ont eux-mêmes puisé dans l'atmosphère. C'est de la même source que dérive l'azote que contiennent toutes les espèces de fromage, quel que soit le pays qui les produit. (144) » Depuis plusieurs siècles, les pâturages de la Hollande et des Alpes suisses ont produit des millions de quintaux de fro- mage; chaque année encore ces pays en exportent des milliers de quintaux, et néanmoins cette énorme production ne diminue aucunement la fertilité des pâturages, quoiqu'ils ne puissent jamais recevoir plus d'azote qu'ils n’en contenaient auparavant. » Ces faits démontrent de la manière la plus positive que ce n'est point par une soustraction d'azote que les produits végé- taux épuisent le sol, puisque ce n’est pas ce dernier, mais bien l'atmosphère qui fournit aux plantes l'azote qu’elles contiennent. Il résulte encore des faits précédents, qu'en ajoutant à un champ des engrais exclusivement azotés, des sels ammoniacaux, par exemple, nous sommes dans l'impossibilité d'accroître sa ferti- lité; 1l est évident, au contraire, que sa productivité augmente ou diminue, en raison directe de la quantité de principes miné- raux qui existe dans les engrais (1). » Il est à supposer que les prairies de la Hollande et des Alpes suisses, lors de leur formation, contenaient des matières car- bonées ou azotées; car, puisque, de l'avis même de M. Liebig, elles n’augmentent ni ne diminuent sensiblement de fertilité lorsqu'elles sont pâturées, et que les productions sont belles, il est plus que probable qu'elles étaient à peu près dans le même état pendant les premières années de leur existence. La première récolte d'herbe a donc été formée de deux par- ties d'azote : l'une provenant du sol ou des engrais, l'autre de l'atmosphère. Que devient cet azote après avoir été ingéré dans le corps de l'animal ? Une partie est exportée sous forme de lait; l'autre est restituée au sol sous forme d’excrétions; de sorte que le sol se trouve encore une fois comme il était précédemment, c'est-à-dire pourvu d'une certaine quantité d'azote. L’azote fourni aux végétaux par l'atmosphère est exporté par le lait; mais celui qui est fourni par le sol lui est restitué par les exeréments, tout à fait comme si, en enlevant les produits de la (1) Liebig, Lettres sur la chimie, elc., p. 551. ( 145 ) prairie, on les avait fait consommer dans l'étable, pour les y reporter, après qu'ils ont servi à l'alimentation des animaux, comme on le fait avec le fumier. On doit conséquemment consi- dérer que cette prairie a été fumée comme si elle avait reçu des engrais de ferme dans un état de décomposition très-avancé. Des faits exposés par M. Liebig, il n'est pas permis de con- clure que ce n’est point par une soustraction d'azote que les produits végétaux épuisent le sol; car il n'existe pas le moindre motif pour croire que l'azote des excréments de la vache ne par- ticipe pas à la formation des principes immédiats du règne végétal, et qu'on puisse se passer d’une application d'azote sur une prairie et sur une terre labourable qui ne posséderait point une certaine réserve en humus ou qui ne recevrait pas d'engrais liquides ou solides d'animaux. Nous le répétons, rien jusqu'ici n'autorise à penser que l’on puisse se dispenser de fumer les terres. Quant à ce qui concerne l'impossibilité d'accroître la fertilité d'une terre au moyen de sels ammoniaeaux, cette allégation peut être vraie dans certaines circonstances, et nous admet- trons qu'ils ne peuvent produire des effets aussi longtemps que le sol ne contient pas une quantité suffisante de matières car- bonées et minérales; mais une fois ces conditions remplies, une fois que l'agrégation du sol et les conditions météorologiques ne s'opposent point au libre développement des plantes, nous croyons pouvoir nier l’assertion de M. Liebig; les expériences pratiques que nous soumettrons bientôt, nous ont constam- ment prouvé qu'une addition d'azote dans les champs, même fumés, augmente la production des pailles et du gluten dans les graines. Ces résultats , auxquels nous attachons le plus grand intérêt, renversent toute objection et parlent plus haut que des théories non appuyées sur une pratique éclairée. VI. « 4° Les plantes où l'azote se concentre pour ainsi dire dans les graines, les céréales par exemple, fournissent en somme moins d'azote que les légumineuses, les pois et le trèfle. ( 146 } » 2 Le rapport en azote d'une prairie qui ne reçoit pas d’en- grais azoté, est bien plus considérable que celui d’un champ de blé qui a été fumé. » 5° Le rapport en azote du trèfle et des pois est bien plus grand que celui d’un champ de pommes de terre ou de bettera- ves, qui a été beaucoup fumé (1}. » On le voit : d'après ce que nous venons de rapporter en ce qui concerne l'azote, et d'après ce que nous avons dit précé- demment au sujet du carbone, tout le système Liebig tend à prouver que les plantes, dans les terres labourables, trouvent assez d'humus, assez d'acide carbonique et assez d'azote dans les débris de la végétation pour présenter tous les caractères de la vigueur, sans qu'il soit nécessaire d'y suppléer par des engrais arlificiels. Nous sommes arrivés maintenant au point le plus important de notre diseussion : il importe de la trancher d’une manière claire et précise. Parlons d'abord de l'azote, et cherchons méthodiquement à apprécier les raisonnements de M. Liebig dans ce qu'ils ont de plus obscur. Si ce physiologiste mentionne que les céréales fournissent moins d'azote que les légumineuses, les pois et le trèfle, il nous laisse à supposer que les céréales sont fumées et que les légumineuses n'ont reçu aucun engrais. C’est à cette condition seule que ses déductions sont concluantes; car si les céréales se trouvent dans les mêmes conditions que les légumineuses, ete., c'est-à-dire sans engrais ou avec ces substances, il n'est pas éton- nant que ces derniers produits rendent plus d'azote queles autres, attendu qu'ils possèdent une plus grande faculté absorbante. Disons donc : 1° Si une récolte de céréales engraissée fournit en somme moins d'azote qu'une récolte de légumineuses, de pois et de trèfle, qui n’a pas reçu d'engrais azoté; (1) Liebig, Chimie appliquée à la physiologie, cie, p. 282 et 285. (147) 2% Si le rapport en azote d'une prairie qui n'aurait pas reçu d'engrais azoté et qui ne contiendrait pas de matières végétales et animales capables d'en fournir ou de fixer celui de l'atmo- sphère, est plus considérable que celui d’un champ de blé qui a été fumé; 5° Si le rapport en azote du trèfle et des pois non engraissés est plus grand que celui d’un champ de pommes de terre ou de betteraves qui a été beaucoup fumé, nous n'avons plus rien à dire, nous n’avons plus d’objection à présenter, et nous de- vons croire, théoriquement, quant à l'azote, à la justesse des vues du célèbre chimiste allemand et dès lors prétendre à leur réalisation ! Mais ici se présente un ordre de faits aussi important que celui qui vient d’être débattu : comment se fait-il que l’augmen- tation de rendement, produite par un sel ammoniacal, que l’on a déjà eu lieu de remarquer dans les prairies, se soit également manifestée par suite de l'application du carbonate d'ammonia- que liquide sur les céréales (froment, seigle, orge, avoine) dans des terres non fumées? Comment expliquer que, dans toutes les expériences, il se soit présenté, entre les portions ayant reçu de l'azote et celles qui en étaient privées, une différence d'environ un septième dans le poids des graines en faveur des zones azotées? D'où vient qu'à Manchester et dans plusieurs établisse- ments anglais on utilise, avec le plus grand avantage, sur les plantes herbacées, une matière azotée que l’on retire des os par une coction? Pourquoi, enfin, les engrais animaux non digérés, qui ne contiennent pour la plupart que quelques ma- tières terreuses, produisent -ils un effet si remarquable sur la végétation, tandis que d’autres engrais, soit minéraux, soit végétaux, qui renferment moins d'azote et plus de prin- cipes salins, ne présentent pas des résultats aussi satisfai- sants? Tels sont les faits qui peuvent être placés en opposition avec ceux qui militent le plus en faveur du système Liebig et qui semblent devoir modifier beaucoup d'opinions à cet égard. 10 (148) Venons-en maintenant au carbone. Si, comme le prétend M. Liebig, l'acide carbonique de l'air , suffit à l'alimentation végétale, comment le trèfle énfoui sur . place fait-il tant d'effet sur la production du froment qui lui succède , si ce n'est par le carbone et l'azote qu'il renferme? A cela on peut objecter que les sels minéraux qu'il contient ayant été en grande partie puisés dans le‘sous-sol par ses longues ra- cines, l'augmentation produite est le résultat du transport de ces sels dans la couche de terre àrable. En admettant cette hy- pothèse, il resterait à expliquer comment les vesces, le sarra- sin, le trèfle blanc, etc, toutes plantes à racines traçantes, en- fouies sur place, produisent une augmentation d'un quart et même d'un tiers sur les récoltes qui n’ont point reçu d'engrais verts. M. de Woght n’a-t-il pas remarqué que trois récoltes de sper- gules enfouies procurent autant d'effet que vingt-neuf voitures de fumier, et qu'elles enrichissent plus la térre qu'une récolte de seigle ne l'épuise (1)? Certes, il ne peut être ici question d’en- grais minéraux; or, si les céréales rencontraient assez d'humus, assez de carbone dans les débris des générations antérieures, comment trouveraient-elles dans les engrais verts un si puissant auxiliaire ? La réponse à cetie question ne saurait être douteuse, et elle est tellement coneluante que nous pourrions terminer ici notre discussion, si nous n'avions quelques expériences. à présenter à l'appui de ce qui précède et quelques observations à faire sur des points qui restent encore à examiner pour compléter la revue de toute cette belle et ingénieuse théorie. (1) De Gasparin, Cours d'agriculture, t. 1, p. 565. ee 2 (149) Essais tentés avec du sable calciné et bien lavé, en vue de déterminer l'action de l'acide carbonique sur les plantes. Composition de la terre artificielle employée. Craenla een MENU ARS ea UN EAU A EX 4,55 Carbonaie de magnésie. . . . . . . . 1,18 OXVde defense DATES AUS A ENCRTS 2,80 —Hidercalciun ie EME MENRRR ONE TE 2,77 = de manganèse © 1 5110 200 01, 1,15 Hydrate d'alumine MP ONE 8,00 Phosphaterdelchaux NP RER 10760 NUEMTATNES TES ee EE CA 12 EM Ee soude PRE NIN ere rer 5,14 Hydrate et sulfate d’ammoniaque . . . . 412,00 SulfateldelChAUX EEE CNE RENE OEM D 80 Chlorurerde sodium..." "Mme nt 0,28 SITICATES ICS EN NE NPA I TRE 7,00 Sable (à gros grains) .: . . . . . . . 993,59 1000,00 Trente vases furent remplis avec cette terre; chacun d’eux reçut. trois graines d'avoine, plus une certaine quantité de silice gélati- neuse qu'on dissolva dans de l’eau distiilée, laquelle servit ensuite à l'arrosement des plantes. De grandes précautions furent prises pour que les essais fussent placés dans les mêmes conditions. Quinze de ces vases furent disposés sur une pelouse à l'air libre et élevés à 0,40 au-dessus du sol (1) : = Trois vases, À, sans acide carbonique; Trois vases, B, avec acide carbonique en contact avec les ra- cines (2); (1) Ce lieu et cette disposition furent pris afin de garantir davantage les essais des poussières que les vents emportent toujours avec eux. (2) L’acide carbonique dont je fis usage était purifié. Ce gaz fut mis à la disposition des racines de deux manières : d’abord en dissolution dans l’eau distillée, servant à arroser le sable ; ensuite au moyen d’un tube fin courbé, aboutissant à une vessie remplie de gaz, et soumise pendant le jour à une { 150 } Trois vases, €, avec acide carbonique en contact avec les feuilles; Trois vases, D, avec acide carbonique en contact avec les racines et les feuilles; Trois vases, Æ, avec acide carbonique en contact avec les racines et les feuilles, plus un courant électrique (1). Les quinze autres vases reçurent exactement le même traile- ment que ceux-ci; ils furent déposés dans un cabinet à l'abri des matières organiques en suspension dans l'air et sous l'influence directe des rayons solaires. Les expériences ont présenté les résultats suivants : Vases placés à l'air libre. POIDS NOMBRE NOMBRE DES TIGES À DE VASES. D'EARNGERE et des graines. PAILLES. 8,61 29,04 27,64 12,92 30,11 légère pression. Un appareil à peu prés semblable servit aussi à établir un très-faible courant sur les feuilles des plantes, lorsqu'elles étaient frappées des rayons lumineux. (1) Tous les vases furent séparés entre eux, afin d'éviter toute erreur qui aurait pu résulter d’un dégagement d’acide carbonique. La même précaution fut prise pour les essais dont il va être question. ( 151) L’avoine qui avait crû dans le cabinet ou la serre parvint à ma- turité quinze jours plus tôt que celle qui était venue en plein ar. Bien que le thermomètre indiquât toujours une température plus élevée dans le premier cas que dans le second, ce surcroît de chaleur ne donna lieu à aucune augmentation dans l'abondance et la richesse des graines. Toutes les plantes végétant à l'air libre tallèrent davantage, circonstance que nous attribuons à ce que l'air contenu dans la serre ne fut guère renouvelé. Les graines levèrent parfaitement de part et d'autre; aucune distinction ne se fit voir pendant les trois premières semaines. Toutefois, les graines des vases C, à l'air, aussi bien que dans la serre, germèrent un jour plus tôt que les autres; les feuilles et les tiges, tout en prenant proportionnelléement plus d'accroisse- ment, restèrent turgides et d’un beau vert. Ce ne fut donc que vingt à vingt et un jours après la semaille qu’une différence se manifesta; les plantes des vases 4, à l'air, se Jaissèrent dépasser par toutes les autres, tant sous le rapport de la force que de la vivacité de la coloration. Chaque vase ne produisit que trois tiges peu vigoureuses et ornées seulement de quelques graines, présentant toutefois les caractères d’une bonne conformation. Les résultats que nous venons de signaler furent constatés également dans la serre, à cette seule circonstance près, que les plantes traitées avec ou sans acide carbonique présentèrent une différence plus saillante encore. - À part les plantes soumises à l’action de l'électricité et celles privées d'acide carbonique, toutes les autres manifestèrent une grande similitude, aussi bien dans leur croissance que dans la richesse de leurs tissus herbacés et de leurs graines; et, si l'on en excepte les plantes renfermées, elles offrirent une vigueur à peu près semblable à celle des végétaux de même nature cultivés en plein champ. Après la fructification, un vase de chaque essai fut enlevé, et les graines qui en provenaient, placées dans une terre humide, levèrent toutes bien. Nous crûmes devoir répéter les expériences précédentes dans (152 ) de l’eau distillée au lieu de sable, A cet effet, nous fimes germer des graines de froment, d'avoine et de carottes entre deux pièces de drap humides; après quoi, nous plaçimes le produit de cette gérmination au-dessus de flacons cylindriques en verre remplis d'eau distillée qui fut toujours maintenue à la même hauteur. Pour suspendre les jeunes plantes, nous employâmes de petits entonnoirs proportionnés à l'extension que prenaient leurs feuilles et leurs racines. Les résultats de ce nouveau genre d'essais furent à peu près conformes à ceux qui viennent d'être relatés; seulement, les plantes de froment, auxquelles on procura de l'acide carbonique, devinrent d'une beauté rare. | Chaque graine donna en moyenne trois tiges; celles de froment devinrent presque aussi riches que celles des céréales de même espèce semées en même temps dans notre jardin légumier. Les carottes donnèrent des produits beaucoup moins satisfai- sants; elles restèrent rabougries et pauvres en feuilles; quelques- unes périrent même, ce que nous attribuons à l'application d’une dissolution de sels trop concentrée. Nous suspendîmes également des carottes à semence et des pommes de terre dans de l’eau distillée pourvue de substances salines et d'acide carbonique. Les bourgeons poussèrent et les feuilles prirent de l'accroissement pendant un mois; à partir de cette époque, les plantes commencèrent à s’affaiblir; la putréfac- tion ne tarda pas à s’y mettre, les racines adventives qui s'é- taient produites se séparèrent de plus en plus des corps en pour- riture, et, enfin les plantes périrent. Pendant la végétation, nous fûmes très-surpris de voir l’eau de quelques flacons où étaient plongées les racines des plantes se colorer et finir par déposer au fond et contre les parois des vases un sédiment verdâtre assez volumineux. Nous erûmes d'abord que ce fait était le résultat de l'altération des racines; mais nous eûmes l’occasion de nous convaincre par la suite qu'il n’en était rien. Sans pouvoir expliquer parfaitement la présence de cette matière, nous sommes assez tenté de la considérer (.155 ) comme le résultat des excrétions des plantes. Cependant il ne serait. pas impossible de supposer qu'elle fût la conséquence de l'apparition ou de la reproduction de quelques corpuscules appartenant à l’une ou l’autre plante eryptogame. Quoi qu'il en soit de cette question, la matière filtrée et soumise à l’action du feu, donna lieu à une odeur empyreumatique inhérente à toute matière organique. Ce phénomène de coloration ne s'est pas présenté dans les dilutions étendues ni dans celles qui étaient concentrées et sou- mises à l’action d'un courant électrique (1). Dans tous ces essais, j'ai eu lieu de remarquer qu'aux diverses périodes de la végétation, les plantes donnent naissance à de nouvelles radicelles, et que l’évolution de celles-ci est loin d’être uniforme pour les mêmes espèces. Je me suis également aperçu que la lumière et les sels y avaient simultanément leur part d'in- fluence : l'absence de la lumière, comme celle d'un ou de plu- sieurs principes essentiels des céréales, augmente considérable- ment le développement des racines. Celle-ci, placées à l'obscurité et plongées dans un liquide qui renferme tous les matériaux néces- (1) Depuis longtemps déjà on a reconnu que l'électricité a une part active sur la germination et l’accroissement des piantes ; mais nous ne croyons pas qu'on ait jusqu'ici cherché à en faire une application à la grande culture. Nous avons fait cette année différentes tentatives dans le but d’éclaircir son mode d’action et de connaître l'influence qu’elle exerce sur les plantes et sur les forces productives de la terre, en établissant des courants électriques dans le sol au moyen de piles galvaniques. Je crois qu’il ne serait pas impossible d'appliquer cet élément de prospérité aux grandes exploitations rurales d’une manière directe et économique. Je suis d'autant plus disposé à conserver cet espoir que j’ai pu me convaincre, par des observations récentes, que la transmission du courant électrique dans Ja terre peut avoir lieu à une très-grande distance. En effet, deux feuilles, l’une en cuivre, l’autre en zinc, de 0",20 de longueur sur 0",05 de largeur, placées à une distance de 250" et réunies par un fil métallique, ont donné un courant très-appréciable au multiplicateur. Si les nouvelles expériences que je me propose de tenter dans cette direction sont heureuses, j'aurai l’hon- neur d'offrir l’année prochaine à l’Académie le résultat de mes investi- gations. ( 154) saires aux végétaux, restent touffues et prennent si peu d'exten- sion que leur longueur ne dépasse pas 0";15, tandis que, privées . de phosphate, de silicate et d'acide carbonique, elles donnent des filamentis irréguliers dont la longueur dépasse même 0,85. La culture des différentes plantes dans l'eau mérite d'être ré- pétée; elle offre un grand intérêt anx physiologistes, de pré- cieuses observations pour ceux qui font usage de la loupe et du microscope et un champ très-vaste aux nouvelles découvertes. Nous pouvons déduire de toutes les expériences qui précèdent : 1° Qu'avec des sels minéraux et de l'acide carbonique, on peut très-bien faire développer et fructifier les céréales dans du sable pur humecté ou dans de l’eau distillée; 2% Que le chiffre le plus élevé de la production se rapporte exclusivement aux plantes qui ont reçu une certaine propor- tion d'acide carbonique que l'air et les eaux pluviales n'ont pu leur procurer; 3° Que les plantes privées de matières organiques et d’acide carbonique artificiel restent relativement beaucoup plus faibles que celles qui en ont reçu ; 4° Que l'air atmosphérique ne peut fournir aux plantes crois- sant dans un sol entièrement privé d'engrais carbonés, la quan- tité de carbone nécessaire à leur développement; 5° Que la force assimilatrice d'une plante augmente avec la quantité de carbone qu’on place à sa disposition, lorsque toutes les autres conditions de fertilité se trouvent réunies ; 6° Qu'il importe peu que le carbone soit fourni aux plantes par les racines, par les parties foliacées ou par l'intermédiaire de ces deux organes à la fois, pourvu qu’elles en reçoivent une quan- tité suffisante pour l'exercice de leurs fonctions (1) ; 7° Que les plantes peuvent produire de belles et bonnes graines alors que les spongioles ne sont point entourées de substances combustibles. (1) J'ai pu voir, en dirigeant un fort courant d’acide carbonique sur deux plantes de froment, qu’un excès de ce gaz n'est pas, comme on l’a pré- tendu , sensiblement nuisible à leur vitalité. (155) Comme à l’époque de la maturation des graines les feuilles de beaucoup de végétaux, et entre autres celles des céréales, commencent à perdre leur teinte verte pour jaunir et se dessé- cher, comme les plantes ne puisent leur carbone dans l'atmo- sphère que par leurs organes verts, il était très-logique d'admettre que les plantes annuelles, fixées dans un sol exempt d'humus, ne pouvaient produire des graines abondantes et bien constituées. Si réellement les céréales n’ont plus la faculté d'emprunter leur carbone directement à l'air avant ou durant l'accomplisse- ment de la fructification des graines, ce dont nous n'avons pu nous assurer encore Jusqu'ici, nous devons croire, d'après nos essais, que, dans ce cas, elles en reçoivent une quantité sufli- sante de l'air par les racines, ou bien qu'au moment de leur af- faiblissement, elles en condensent une certaine quantité dans leurs tissus pour l'utiliser à l'époque qui sépare le dépérissement des feuilles de la maturité des graines. Cette supposition nous paraît d'autant plus vraisemblable que trois plantes d'avoine ont bien végété et bien fruetifié d’après les dispositions qui avaient été prises dans l'essai Æ. Si les tiges et les épis des graminées restent plus faibles et moins profitables dans les terres arables renfermant toutes les matières salines, mais privées d’une substance carhonée, cela doit tenir à une cause que nous aurons l’occasion de développer plus loin et qui nous permettra d'expliquer le vice du système Liebig; 8° Que si certaines substances (acides humique, ulmique, etc.) peuvent être absorbées directement dans le sol et concourir ainsi au développement organique des plantes, il n'en reste pas moins vrai qu'elles ne leur sont pas indispensables, lorsqu'on procure à ces plantes d’une manière quelconque le carbone qu'elles ne peuvent soustraire de l'air et de l'oxydation des ma- lières végétales ou animales enfouies dans le sol. Cependant nos expériences ne sont pas assez multipliées pour que cette opinion puisse s'étendre à tous les végétaux; nous ne pouvons encore, quant à présent, l'émettre que pour le froment, l’avoine et le trèfle incarnat. (156) L'assimilation de l'extrait de terreau qui a tant préoccupé nos physiologistes deviendrait done, d'après cela, d’une impor- tance secondaire. Cependant s'il est vrai que l’on parvient, par des moyens ar- tificiels, à produire de belles plantes, dans du sable stérile ou dans de l’eau pure, sans humus ou sans autre engrais de nature organique, il n’est pas moins évident qu'il est de toute impossi- bilité d'employer les mêmes procédés sur de grandes surfaces. Ces expériences ne peuvent done pas être appliquées directe- ment à l'agriculture; elles sont seulement appelées à en éclairer la marche. Elies ne nous permettent pas non plus de trancher d'une manière définitive la grande question de l'assimilation du carbone et de considérer, sous ce rapport, les vues de M. Liebig comme erronées; car si, avec des substances salines et azotées, on n'obtient qu'une faible production dans de l’eau ou dans du sable pur, ce n’est pas une raison pour croire qu'il doive en être abso- lument de même dans les terres arables, attendu que celles-ci renferment toujours des substances organiques végétales et ani- males qui peuvent profiter aux plantes. Le sable n'ayant donc pas été placé dans les conditions où se trouverait une terre arable privée d'engrais de ferme, nous avons été amené à faire de nouvelles expériences plus con- eluantes. Elles ont été établies de la manière suivante : Expériences sur l'action de l'acide carbonique et de l’'ammo- niaque. — Une cornue, armée d’un tube et contenant de l'urine et de la fiente de cheval, fut placée dans une prairie pauvre en hu- mus et engraissée, l'année précédente, avec des cendres de bois. On disposa l'appareil de telle sorte que l'orifice du tube alla, sous le gazon, effleurer les racines des plantes. Les matières entrèrent bientôt en décomposition; quinze jours suffirent pour qu'une touffe d'herbes se montrât plus forte et plus vigoureuse à l'em- bouchure du conduit qu'ailleurs. La même expérience fut répétée dans un pré nouvellement engraissé avec du fumier de basse-cour, et une légère différence se fit également remarquer. (187) Expériences sur l'action de l'acide carbonique. — Une terre épuisée, de qualité assez médiocre, n'ayant pas reçu d'engrais depuis huit ans, fut ensemencée, d'une part en avoine et, de l'autre, en sarrasin. Une surface de trois mètres carrés affectée à chacune de ces plantes reçut des phosphates, des sulfates et des carbonates à bases de chaux, de magnésie, d'alcalis et d’ammo- niaque. Au centre de ces deux surfaces, nous fimes arriver en contact avec les racines, et pendant le jour seulement, un très- faible courant d'acide carbonique. La surface engraissée avec des sels minéraux produisit pro- portionnellement plus d'avoine et plus de sarrasin que le reste du champ. La partie qui avait reçu artificiellement de l'acide carbonique donna des plantes plus drues, plus élevées et plus riches encore que celles dont il vient d’être question. La même expérience, aussi simple que facile à renouveler, fut également tentée sur du lin et de l'avoine dans une terre qui avait produit trois récoltes après avoir été fumée; elle donna lieu à des résultats à peu près semblables aux précédents. Bien que ces résultats aient été moins sensibles, il nous fut facile, sans faire usage de la balance, d'apprécier la différence entre les produits de chaque surface et de voir que cette différence élait tout à fait en rapport avec le dosage des agents producteurs employés. Cette plus-value de rendement pour une même surface ne peut done être due qu'aux sels et à l'acide carbonique artificiel employés. En conséquence, si des expériences faites sur une petite échelle ont quelqne poids dans la présente discussion, nous devons nécessairement croire et affirmer : 1° Que les sels minéraux, dans les sols peu riches en matières salines, augmentent la production des récoltes, et partant, celle du carbone; % Que l'acide carbonique artificiel, dans les sols renfermant des sels assimilables, provoque l'accroissement de la masse végé- tale et détermine par là une plus grande absorption de sub- stances minérales dans les plantes ; 5° Que le carbone offert aux végétaux par l'air atmosphérique, ( 158 ) les eaux pluviales et les débris des récoltes dans le sol, ne suffit point pour donner de riches et abondantes moissons. Passons maintenant à d’autres considérations non moins im- portantes; voyons si avec des engrais inorganiques préparés chi- miquement on parviendrait, tant sous le point de vue physique que chimique, à remplacer les propriétés des engrais de ferme dans les terres arables. Les principales propriétés du fumier sont : 1° De fournir aux plantes les divers matériaux dont elles se trouvent composées ; 2° De provoquer la désagrégation des argiles ; 5° De dégager de la chaleur et des fluides électriques ; 4° De diviser et d’ameublir le sol ; 5° D'absorber les rayons calorifiques, d’absorber et de retenir l'humidité, d'absorber et de condenser les gaz utiles de l'air au profit des plantes; 6° De se dépouiller des éléments qui participent à la erois- sance des plantes à mesure de leurs besoins; de suspendre cette élaboration pendant la saison hivernale où la végétation est pa- ralysée, tout en résistant à l'action dissolvante des eaux du ciel, qui emportent en pure perte les matières salines. Nous allons comparer ces propriétés par numéros d'ordre: 1° Si l'on fait exception pour le carbone, il est possible, à l'aide de substances minérales, de fournir aux champs cultivés les éléments qui constituent la matière organique et les cendres des plantes. On peut en eflet leur procurer : L'azote, par des nitrates alcalins, par le carbonate d'ammo- niaque, par le sulfate d'ammoniaque et par le sulfate de chaux et le chlorure calcique ; Le phosphore, par les phosphates de chaux et de magnésie (os caleinés), par le phosphate ammonico-calcique et le phosphate ammonico-magnésique (os rendus acides en fixant lammoniaque); Le soufre, par des sulfates de chaux, de magnésie, de potasse et de soude; Les alcalis, par la potasse (du commerce) et le chlorure sodique; ( 159 ) La chaux, par la chaux caustique, la marne et la craie; Les éléments de l'eau, la silice, le fer, l'alumine, le manganèse, la magnésie. Quant à ces derniers corps, ils se trouvent commu- nément répandus dans la nature en trop grande quantité pour qu'on ait besoin d'y suppléer. Cependant la magnésie ne fait point partie de tous les sols ; mais il est facile de pourvoir le sol de cette substance terreuse, d’abord par le sulfate, le carbonate, etce., de cette base, si elle fait absolument défaut dans la terre, ensuite, par le phosphate de magnésie des os, lorsque son absence n’est que partielle. Il est encore à remarquer que la silice susceptible de se dissoudre, quoique très-abondante dans la nature, entre pour un bon nombre de parties dans les tiges des céréales et finirait par manquer aux terres et par détruire ainsi leur fertilité natu- relle, si on ne leur restituait pas cet élément sous une forme quel- conque. Mais on pourrait, à cet effet, fabriquer économiquement un silicate alcalin avec les résidus vitrifiés qui proviennent des minerais de fer. Dans tous les hauts-fourneaux, cette matière silicée s'écoule à l’état de rouge-blane, ce qui donnerait toute facilité pour opérer un mélange et une réaction immédiate avec la potasse du commerce. La solubilité du sel formé permettrait, si on le jugeait nécessaire, de séparer le peu de matières étran- gères qui l’'accompagneraient. 20 et 5° La chaleur, les fluides électriques et la désagrégation des argiles produits par le dégagement de l'acide carbonique que procurent les engrais lors de leur décomposition, ne peuvent se produire à l’aide des sels métalliques qui n’ont cette faculté qu’à un très-faible degré. | 4° Les propriétés de diviser et d’ameublir le sol ne sont pas non plus données aux engrais minéraux, ou du moins les effets que ceux-ci peuvent avoir sont trop insignifiants pour quon puisse en tenir compte. Cependant on peut alléger jusqu'à un certain point les sols alumineux par des moyens mécaniques; mais les bons et constants effets du fumier sur la texture d'une terre compacte ne peuvent jamais être atteints. 5° L'absorption et la conductibilité du calorique, l'absorption ( 160 ) et la condensation des gaz et de l'humidité, sont toutes proprié- tés que ne possèdent pas les engrais minéraux. À l'exception du chlorure de calcium, du phosphate de chaux et du plâtre, qui condensent l’ammioniaque et les vapeurs, ils n’ont ce caractère qu'à un degré très-faible, comparativement aux engrais de ferme employés dans un état de décomposition plus ou moins prononcé, 6° Le degré de solubilité du fumier est une des propriétés les plus importantes qu'il possède. En effet, nous avons eu lieu de remarquer que les engrais minéraux et les engrais organiques ont une action très-diverse sur l’accroissement des végétaux; que les uns sont très-solubles et n’ont qu'une action momenta- née; que les autres, au contraire, sont doués d’une très-grande cohésion et n'exercent qu'une action lente dont le maximum d'in- fluence ne se manifeste que plusieurs années après qu'ils ont été confiés au sol. Nous avons également eu lieu d'observer que, pour qu’un en- grais soit réellement bon et utile, il doit avoir une solubilité semblable à celle des engrais de fermes ordinaires; c’est-à-dire proportionnée et graduée selon le développement des as selon les progrès de la végétation. Jusqu'ici où n'avait pu parvenir à modifier le degré de solu- bilité des différents sels terreux; mais, dans ces derniers temps, M. Liebig paraît avoir surmonté cette difficulté en cherchant à ré- soudre un des plus grands et des plus beaux problèmes qu'ait ja- mais offerts la science agricole. Nous allons extraire du Journal de l'Académie de l'industrie agricole, manufacturière et commerciale de Paris, la méthode qui y est indiquée; nous y trouverons quelques données intéres- santes sur lapréparation des engrais artificiels à l'aide desquels ce chimiste se propose de restituer au sol les éléments minéraux qui en sont retirés par la récolte. Fabrication des engrais. — « On s’est assuré depuis longtemps que la production d'une récolte sur une terre en état de culture, l'enlèvement et la consommation au loin de cette récolte, dété- rioraient cette terre d’une certaine quantité de composés miné- a (161) raux; et, en conséquence de cette observation, M. Liebig a conseillé dans la culture l'application d'engrais dé nature à ren- dre au sol les matières que les plantes particulières qui ont été cultivées lui ont enlevées pendant l'acte de la végétation. » On a observé aussi, par l'analyse chimique des marnes et des cendres des végétaux, que les carbonates alcalins ét le car- bonate de chaux pouvaient former des composés dont la solubi- lité dépendait de la proportion du dernier de ces carbonates dans le composé particulier. Enfin, on a trouvé que lesdits carbonates alcalins pouvaient constituer avec le phosphate de chaux un com- posé à peu près semblable, dans lequel le carbonate de potasse ou de soude était transformé en partie en phosphate de potasse ou de soude. » L'objet des perfectionnements dont il est iei question, est de préparer un engrais tel qu'il rende au sol les éléments miné- raux qui lui ont été enlevés par la récolte qu'il a portée, de modifier le caractère des matières alcalines employées et de les rendre moins solubles, de façon que les portions alcalines de l'engrais, qui sont naturellement solubles, ne soient point en- traînées et séparées dans le sol des autres ingrédients aussi facilement par le lavage des eaux du ciel; enfin, de combiner des carbonates de soude ou de potasse, ou tous les deux, avec le carbonate de chaux ou avec le phosphate de la mème base, pour diminuer la solubilité des sels alcalins, destinés à rendre au ter- rain les éléments minéraux dont il a été dépouillé par les récoltes. » Quoique les engrais qu'on fabrique par ce moyen présentent en combinaison diverses matières combinées avec les carbonates alcalins, on conçoït que ce n’est pas là le but qu’on se propose, puisque ces matières peuvent varier suivant les principes qu'il s’agit de rendre au terrain, indépendamment des substances minérales ci-dessus indiquées. » La quantité de carbonate ou de phosphate de chaux qu'on emploie avec les carbonates de soude ou de potasse varie égale- ment, suivant le degré de solubilité qu'on veut obtenir; ce qui dépend , du reste, des localités, puisqu'il est telles circonstances . ( 162 ) où 1l faut rendre la préparation plus ou moins soluble; par exemple, pour ce dernier cas, dans les lieux où la quantité moyenne des pluies est très-considérable; mais comme dans la pratique il serait difficile de préparer des engrais propres à con- venir rigoureusement à chaque localité en particulier, on fera connaitre plus bas des préparations moyennes propres aux cas les plus usuels. » De plus, comme les terres présentent une foule de diffé- rences de composition et qu'il serait impossible de donner des receltes propres à fournir les meilleurs résultats dans tous les cas, on indiquera seulement les préparations moyennes de na- ture à s'adapter à la plupart des terrains, en ajoutant ensuite quelques informations qui permettront de faire les applications dans les circonstances les plus avantageuses et d’avoir des en- grais pour chaque cas particulier. » Avant de fabriquer les engrais par cette méthode, on fait fondre le carbonate de soude ou de potasse, ou bien leur mé- lange, dans un fourneau à réverbère, semblable à celui dont on se sert dans la fabrication de la barille avec le carbonate ou le phosphate de chaux, et à ce composé fondu on mélange les autres ingrédients dont il sera question plus loin. Lorsque la composition est froide, on la réduit en poudre par un moyen mécanique quelconque, et c’est le produit qu'on obtient ainsi qu'on applique comme engrais sur les terres. » Afin d'appliquer ce mélange avec quelque précision , il serait bon de faire une analyse exacte des produits de la récolte pré- cédente, de manière à rendre au sol le même poids et la même proportion d'éléments minéraux que ceux qui ont été enlevés par cette récolte. » On prépare d'abord deux composés, dont l’un ou l'autre sert de base à tous les engrais et qu’on désignera ieï sous le nom de première et de seconde préparation. » La première préparation s'obtient en faisant fondre ensemble 2 parties ou 2 £ parties de carbonate de chaux avec une partie de potasse du commerce (contenant, en moyenne, sur 100 par- ( 165 } ties, 60 de carbonate de potasse, 40 de sulfate de la même base, 40 de chlorure de potassium, ou avee une partie de carbonate de soude et de potasse mélangés à parties égales ). » La seconde préparation se fabrique en fondant ensemble une partie de potasse du commerce et une partie de barille. » Ces deux préparations sont concassées et broyées ensemble; on y ajoute les autres sels et ingrédients ensemble aussi, et on opère le mélange; ou bien ceux des ingrédients qui ne sont pas volatils sont ajoutés lorsque les préparations sont à l’état de fusion, de façon que l’engrais représente, autant quil est possible, la composition des cendres des récoltes précé- dentes. Ce qui vient d'être dit suppose que les terres ont été amenées à un haut degré de culture; mais si l’on désirait obtenir une ré- colte particulière sur une terre qui n'aurait pas encore atteint cet état, alors on appliquerait d'abord un engrais convenable à la récolte qu'on veut obtenir, et ensuite l'engrais préparé sui- ant le mode précédemment décrit, pour rendre à la terre ce qu’elle a perdu par la précédente récolte. » Préparation d'un engrais pour une terre qui a porté du froment. — On prend six parties en poids de la première préparation, une partie de la seconde, et on y mélange deux parties de plâtre, une partie d'os calcinés et de silicate de potasse (renfermant six parties de silice) et une partie de phosphate de magnésie et d'ammoniaque. » Cet engrais est également applicable après l'orge, l’avoine et autres plantes du même caractère. » Préparation d'un engrais pour une terre qui a porté une récolte de fèves. — On prend quatorze parties en poids de la première préparation, deux de la seconde, et on mélange avec deux parties de sel commun, une certaine quantité de sili- cate de potasse (contenant deux de silice), deux parties de plâtre et une partie de phosphate de magnésie et d'ammoniaque. » Préparation d'un engrais pour une terre où l’on a récolté des navets. — On prend douze parties en poids de la première A1 ( 164) préparation , une partie de la seconde, une partie de plâtre et une de phosphate de magnésie et d’ammoniaque. » Ce même engrais est propre aux terres qui ont porté des pommes de terre et autres plantes semblables. » On a choisi les cas ci-dessus, parce qu'ils représentent les principaux produits cultivés en Angleterre, et on a donné des récoltes moyennes, utiles dans la plupart, et peut-être même dans tous les cas indiqués ci-dessus ; maïs on peut aussi préparer des engrais pour d’autres produits que ceux qu'on a spécifiés, ou composer des engrais particuliers, d’après l'analyse des cendres. » Les engrais ainsi préparés doivent être appliqués au sol dans des proportions égales, et même plus grandes que celle des éléments que la récolte lui a enlevés. » Il faut remarquer aussi que, lorsque la paille de froment ou autres plantes analogues qui exigent une grande quantité de silicate de potasse, est rendue au sol comme engrais, c'est le meilleur moyen de rétablir sa richesse en ce silicate; dans ce cas, il faut done, dans la préparation de l’engrais, faire abstraction ou du moins diminuer la dose de cet ingrédient. » En consultant les réactions qui doivent surgir de la fusion des carbonates alcalins avec les phosphates et les sulfates de chaux, on voit qu'il doit en ressortir des corps moins solubles que ne le sont les alcalis et plus solubles que le sulfate et le phosphate de chaux, c'est-à-dire un composé qui occupe un degré iater- médiaire entre les corps très-solubles et ceux qui le sont peu. Nous eroyons done que le but de M. Liebig est atteint; car ces corps, après l'opération, présentent les caractères que nous venons de signaler : la solubilité de l’un entraîne en même temps celle de l'autre; l’insolubilité de celui-ci corrige le défaut de celui-là avec lequel il est intimement associé. Ainsi , il résulte de la comparaison que nous venons d'établir entre les propriétés du fumier et celles des sels minéraux, qu'on ne peut pas, comme avec les engrais de ferme, produire avee les substances terreuses : 4° le carbone; 2 le dégagement de chaleur et des fluides électriques; 3° la division des terres glai- (165) seuses ou compactes; 4° la condensation de tous les gaz utiles aux plantes , l'absorption de l'eau et de la chaleur solaire, et la faculté de retenir ces fluides avec énergie. On conçoit déjà, dès lors, toute l'influence de l'humus sur la végétation. D'après cela, si nous admettons même, pour un instant, avec M. Liebig, que l'acide carbonique de l'air est suffisant, on voit qu'on ne parviendrait pas encore par une simple application de sels métalliques ou de cendres des plantes, à produire tous les effets salutaires que les engrais de ferme et les excréments ani- maux sont capables d'exercer sur les végétaux. Jusqu'ici, nous voyons donc, tant par nos connaissances ac- tuelles sur la chimie et sur la physiologie que par les essais exé- cutés, que les vues de M. Liebig ne sont point réalisables. Nous nous sommes beaucoup préoccupé du système de ce savant en ce qui concerne son application; il nous offrait un attrait si prononcé, une importance si grande, que nous n'avons pu résister au désir d'en connaître toute la valeur agricole par des expériences faites en plein champ et dont nous allons soumettre les principaux résultats. Ces expériences ont été dirigées de ma- nière à écarter, autant que possible, les chances d'erreurs qui auraient pu en altérer la justesse et la précision. Expériences. — Une terre maigre et effritée par plusieurs récoltes successives, d’une consistance moyenne, présentant les caractères physiques convenables, une légère déclivité et expo- sée au Midi, dans une contrée où le climat n’est pas contraire à la production des céréales, fut partagée en trois champs d’égale surface, séparés entre eux par une bande de terre de plusieurs mètres de largeur qu'on laissa inculte. Un de ces champs fut ensemencé en froment , un autre en seigle et le troi- sième en avoine. Après avoir été subdivisés en neuf parties égales, ils furent traités de la manière suivante : a. Ne reçut aucune espèce d'engrais ; b. Reçut la cendre de la paille et du grain de chaque espèce de céréales qui devait y croître et qui provenait d’une surface de terre d’un tiers plus grande; ( 166 ) c. Reçut la même proportion de cendres avec une récolte verte enfouie sur place; d. Reçut tous les sels minéraux des pailles et des graines (pré- parés chimiquement) (1), à l'exception des principes azotés et des principes dont le sol décèle la présence; e. Recut la même préparation que d, plus un sel ammoniacal; f. Recut la même préparation que e, plus une récolte verte enfouie sur place; g. Reçut du fumier de ferme à la dose de 95 voitures à l’hectare; h. Reçut l'engrais fourni à g, plus un sel ammoniacal; i. Reçut l'engrais fourni à k, plus un sulfate alcalin et des phosphates de chaux et de magnésie rendus acides et neutralisés. Les deux parties destinées à la production des plantes, qui devaient être enfouies à l’état vert et sur place, avaient reçu, avant l'ensemencement des céréales, une partie des engrais minéraux qui étaient destinés à celles-ei. Voici les résultats obtenus pour un hectare : 4 FROMENT. SEIGLE 1. AVOINE. | CHAMPS. ART De nn Rp { Paille. Graines. Pailles. Graines. Pailles, Graines. kil. hect. kil. hect. kil. hect. Aa du Rreuee 1,705 7,80 | 1,816 | 5,10 855 | 41,06 JÉSÉRARUIES 2,080 | 41,25 | 9,100 | 4,84 | 4,809 || 47,02 Done 5,922 | 24,77 | 5,400 | 8,88 | 3,371 | 31,21 no 2,065 | 11,30 | 4,899 | 5,04 1,466 | 18,08 Rp UNE 1,977 | 12,90 | 1,878 | 6,17 | 1,592 | 9,05 RÉ 1,485 | 923,62 | 5,517 | 9,96 | 3,573 | 53,42 (CHAR 2,315 | 922,10 | 5,525 | 9,15 | 3,492 | 392,47 RES 2,516 | 92,26 | 5,294 | 9,84 | 5,251 || 55,99 JAMES 2,570 | 94,52 | 5,296 | 9,90 | 3,616 | 35,02 4 Le faible produit du seigle doit être attribué à la maladie qui a causé, il y a trois ans, un M) sigrand tort à cette production. Ë RE EE EE NS AR SPA UE LOES (1) Ce composé de sels minéraux a été formé d’après la méthode qui sera indiquée plus loin. (167) Ce qu'il y éut de plus particulier pendant le temps que dura la végétation, c’est que le froment et le seigle, qui ne reçurent aucune espèce d'engrais, et ceux qui ne furent activés que par des engrais minéraux, restèrent extrêmement chétifs avant l'hiver; ils furent plus ou moins accablés par Îes gelées et res- tèrent dans un état de débilité et de langueur jusqu'au mois d’a- vril. Ce ne fut qu'à cette époque que ces récoltes commencè- rent à sortir de leur léthargie, alors que les autres, qui avaient reçu du fumier et des engrais verts, n'ayant pas eu à souffrir pendant l'hiver, parce qu’elles avaient acquis, avant cette saison, la force de résister à la rigueur du froid, présentaient tous les caractères d'une belle végétation. Les résultats de ces différentes expériences nous conduisent à plusieurs conséquences importantes; elles nous enseignent : 1° Qu'avec les cendres des plantes (pailles et graines) ou avec des sels minéraux, on augmente beaucoup la production des pailles et surtout des graines dans les terres épuisées par une succession de récoltes ; 2° Qu'avec les mêmes cendres, auxquelles on ajoute une ré- colte verte enfouie sur place, on double pour ainsi dire la pro- duction de paille et de grain dans un terrain appauvri; 3° Qu'avec des sels minéraux, on obtient une production à peu près équivalente à celle des terrains pourvus de cendres non accompagnées d'engrais vert. Il est à remarquer toutefois que les graines de l’avoine présentent une légère différence en faveur des sels minéraux qui ont reçu une préparation ; 4° Qu'avec des sels minéraux, parmi lesquels se trouve un sel ammoniacal, on constate une petite augmentation dans le ren- dement du froment, du seigle et de l’avoine; 5° Que la même préparation, à laquelle on ajoute des engrais verts enfouis sur place, porte le rendement des pailles et du grain à un chiffre très-élevé, plus élevé même qu'avec le fumier ordinaire ; 6° Que le fumier, accompagné d’un sel azoté, produit un effet plus sensible que celui auquel on n’a pas joint cette sub- (168) stance. Cependant la différence n’est bien appréciable que pour les avoines ; 7° Que le fumier de ferme ordinaire, auquel on ajoute des sels azotés, sulfatés et phosphatés, donne le maximum de production. Ces expériences, qui confirment les idées que nous avons dé- veloppées dans le cours de ce travail, démontrent à l'évidence que l'addition d'un principe carboné et azoté est indispensable aux terres à céréales qui ne contiennent pas d'engrais azotés el carbonés, ou bien qui n'ont pas une forte proportion d’humus, cas très-rares, excepté dans les bois, les bruyères et les prairies permanentes nouvellement défrichées. Nous ne voulons pourtant pas prétendre qu'il soit toujours nécessaire d'ajouter des engrais organiques au sol pour obtenir de belles productions en céréales. Ainsi, lorsqu'on détruit un chaume de trèfle ou des vieux champs de sainfoin , de luzerne et d'herbes prairiales, opérations qui s'écartent des conditions d’une culture ordinaire, incontestablement, nous devons nous ranger à l'opinion de M. Liebig et dire avec lui que, dans de semblables circonstances, les céréales trouvent dans le sol assez d'humus, assez de carbone et d'acide carbonique par les débris que laissent les végétaux après leur enlèvement. Mais qu'on ne se fasse pas illusion : cette fertilité du sol n'étant pas naturelle, il n’y a pas le moindre doute qu'elle ne serait que momentanée et que, après quelques années de production, c’est-à-dire lorsque le gazon aurait disparu, les champs récla- meraient de nouveau l'intervention de l'humus qu'ils ne con- tiendraient plus en quantité voulue pour donner de belles mois- sons. Nous n’affirmerons pas non plus que toutes les plantes doi- vent strictement recevoir un engrais combustible, loin de là; ce qui a été dit précédemment n’est relatif qu'aux céréales, et il n'est pas impossible que, dans le nombre des végétaux dont se composent l’agriculture et l'horticulture, on en rencontre dont l'organisation permette d'accroître leur masse d’une manière con- PE F =. ( 169 ) venable par le seul concours de l'acide carbonique de l'air et des débris organiques laissés par les récoltes. Ainsi, les pommes de terre, de même que les betteraves et les carottes à semences, nous paraissent, si nous pouvons en juger d’après nos expériences, avoir la faculté de se passer d’humus sous le rapport du carbone (1). Des observations récentes nous ont aussi prouvé que les légumineuses en général, par leurs nom- breuses feuilles, leurs rameaux abondants et leurs longues ra- cines, ont, mieux que les céréales, la propriété de s’assimiler le carbone de l'air et l'azote du sol. Malgré cette faculté que possèdent les plantes fourragères de s'emparer, plus facilement que les graminées, des gaz qui ont l'atmosphère et les différentes couches du sol pour récipient, nous ne pouvons néanmoins affir- mer qu’elles peuvent se passer complétement d'aliments ammo- niacaux ou carbonés pour devenir luxuriantes. A la vérité, on sait que les trèfles, les luzernières et les sainfoinières réussissent parfaitement dans les terres arables, sans engrais organiques azotés, après une succession de récoltes ; mais comme ces terres reçoivent préalablement des engrais de ferme, nous n’oserions (1) Il existe, sur les deux rives de la Meuse, entre Liége et Huy, de très- grands plateaux de terres d’alunières entièrement privées de débris organi- ques et frappées d’une stérilité absolue : à peine y voit-on pousser cà et là quelques plantes sauvages. Désirant voir tirer parti de ces terres improductives et étudier en même temps l’action des sels, j’y essayai la culture de 50 espèces et variétés de plantes (céréales, léyumineuses, farineuses, racines oléagineuses, etc.). Une partie du terrain consacré à chacune de ces plantes reçut des engrais de ferme ; une autre, des substances minérales et une troisième ne reçut point d'engrais. J'avais disposé ces essais de manière à les continuer l’année sui- vante; à cet effet, une surface assez grande fut emblavée de spergule pour être enfouie sur place. Les différentes semailles se firent immédiatement après une pluie; les graines levèrent bien, mais une sécheresse de deux mois vint bientôt faire succomber la plus grande partie des plantes. Je ne me dissimulais pas, avant l’exécution de ces travaux , combien leur était défavorable la nature physique du sol; je prévoyais enfin que des cha- leurs prolongées devaient nécessairement tout détruire. Cependant les ca- ( 170 ) pas dire que les légumineuses dont il vient d’être parlé soient susceptibles d'acquérir lemême développement sans trouver dans le sol un reste dé substances fécondantes. Maintenant, si nous jetons un coup d'œil rétrospectif sur les nouvelles théories des chimistes et des physiologistes qui ont pour but d'augmenter la richesse de nos produits agricoles, nous devons reconnaître que les différents systèmes que nous avons eu lieu d'examiner doivent, par une application judi- cieuse, avoir respectivement une grande influence sur les pro- grès de notre agriculture. Aucune substance minérale ne peut, il est vrai, remplacer l'éngrais de ferme dans le sol cultivable; mais l'addition d’une certaine partie de sels actifs à une autre partie de fumier peut contribuer, comme l'ont démontré les expériences, à augmenter considérablement les récoltes ét, par suite, à faire abonder les engrais de basse-cour là où ils étaient auparavant d'une rareté excessive. Nous terminerons ici notre discussion en disant que la science doit beaucoup à M. Liebig. Si elle n'avait pas possédé ce savant, rottes et les betteraves à semences, les pommes de terre résistèrent ; elles avaient déjà acquis une belle croissance lorsque des malveillants vinrent dé- truire les deux premières espèces de plantes, ce qui m’empêcha de continuer mes observations. Les pommes de terre de la partie fumée donnèrent d’assez belles fanes et produisirent, pour chaque plante, quatre à cinq tubercules de la grosseur d’un œuf de pigeon ; celles de la surface qui n’avait reçu aucun engrais, eurent des fanes un peu plus petites que les précédentes et huit à dix tubercules d’un volume comparable à celui d’une petite noix ; enfin, celles de la portion en- tretenue avec des sels et des bases salifiables ne produisirent que des fanes très-petites, mais, par contre, chaque plante était garnie de huit àneuftuber- cules aussi volumineux que ceux que l’on obtient dans les jardins légumiers. Le sainfoin résista assez longtemps à la sécheresse; quelques-unes des plantes périrent ; celles qui résistèrent eurent une belle couleur, mais elles ne se développèrent pas. Quelques plantes de navets dont les graines avaient été distribuées par le Gouvernement, ont également surmonté la privation d'humidité; il en est trois dans le nombre qui ont surtout été remarquables. (171) elle en serait encore à chercher dans les hypothèses l'explication d’une infinité de phénomènes: L'agriculture surtout est appelée à jouir de ses recherches importantes; et si ses travaux, comme tous ceux du reste qui décèlent la main d’un homme de génie, ne sont pas à l'abri d’une juste critique, il n’en est pas moins vrai qu'ils feront naître des idées de progrès et qu'ils contribueront à éliminer de l'aft agricole, le plus difficile et le plus important de tous, cette classe d'hommes vulgaires qui ne savent apprécier que ce qu'ils voient de leurs propres yeux. Si nous nous sommes aussi longuement étendu sur les nou- velles vues qui occupent si gravement l'esprit des savants et des économistes, c'est afin de bien établir les faits et de lever le voile qui les couvrait encore d'une certaine obscurité. Nous avons surtout dirigé nos observations de manière à leur donner une utilité toute spéciale, non-seulement en combattant des idées qui nous paraissent basées sur de fausses hypothèses, mais en- core en les destinant à servir d'appui à un système que nous voulons soumettre à la haute sagacité de l’Académie et que nous espérons voir se réaliser dans un avenir peu éloigné. Disons d'abord qu'il s'agit toujours de cultiver sans fumier en remplaçant, par des moyens artificiels, les engrais de basse-cour dont dépendent actuellement le progrès et la richesse de lagri- culture. li y a déjà bien des années qne ce problème est le sujet des méditations de nos chimistes et de nos physiciens. Ainsi Tull croyait que la terre, bien ameublie et bien divisée par des opé- rations, afin de faciliter l’absorption des gaz, pourrait sufire à la nutrition des plantes. Duhamel partagea aussi cette opinion; mais on ne tarda pas à en reconnaître la fausseté; il est vrai de dire qu’à cette époque on n'avait qu'une connaissance très-im- parfaite et très-superficielle de l’organisation et de la structure des végétaux : la manière dont on avait envisagé la composition du sol et de l'air n’était pas moins équivoque. Depuis, M. Bickes avait présenté son système, et croyait avoir trouvé le moyen de vaincre toute difficulté à l’aide d’une prépa- (172) ration de semences ; après ce système est venu celui de M. Liebig. Si M. Licbig, par ses savantes recherches, n’est pas encore parvenu à résoudre le problème dont il s'agit, il faut néanmoins reconnaître que ses derniers écrits, dans lesquels on trouve tous les développements relatifs à son système, y auront puis- samment contribué. Nous dirons plus : si l'atmosphère pouvait céder aux jeunes plantes la quantité d'acide carbonique qui leur est strictement indispensable, de nouvelles recherches nous pa- raîtraient superflues, et nous serions les premiers : à proclamer, qu'on peul culliver sans fumier. Toute Ja question réside done dans ces mots : trouver le moyen de fournir aux racines des plantes une quantilé donnée d'acide carbonique sans l'intervention des engrais de ferme. Nous sommes autorisé à croire que sa solution n'est plus très-éloignée, et si l'on réfléchit à ce qui a été dit précédemment, on comprendra de suite que les engrais verts sont appelés à y jouer un rôle important et à produire, avec le concours des substances salines et minérales, les résultats si désirés. Maintenant que nous connaissons les propriétés, tant physi- ques que chimiques, du fumier, de l'humus, des engrais miné- raux et des engrais verts enfouis sur place, il ne nous paraît pas nécessaire d'entrer dans de plus longs développements pour dé- montrer combien notre proposition, qui consiste à suppléer aux engrais minéraux par des engrais verts, présente de chances de succès. En effet, on concevra de suite que les différents sels, préparés d’après la méthode de Liebig pour leur donner plus de stabilité, et accompagnés d'engrais verts susceptibles de procurer le carbone aux plantes, remplaceront exactement le fumier dans le sol et auront toutes jes propriétés que possède celui-ci. Les sels ammoniacaux ne pouvant, à cause de leur volatilité, être rendus, comme les alcalis, moins solubles par leur fusion avec des sels stables, peuvent cependant être facilement dosés et confiés au sol pour chaque espèce de plantes, en se gardant toutefois d'en faire une application qui devrait servir à l’alimen- tation d’une série de récoltes : voilà pour la théorie. (175) Quant à la pratique, si l'on observe ce qui s'y passe, on re- connaît que les engrais verts enfouis ont une valeur infinie, quoique n'étant pas accompagnés de substances fertilisantes; mais combien leur puissance ne doit-elle pas être augmentée si l’on y ajoute toutes les matières salines nécessaires à l'accroissement des végétaux? Les faits répondent déjà pour nous; car les expé- riences précédentes ont fait voir que l'effet des engrais verts enfouis dans de telles conditions est supérieur à celui des en- grais de basse-cour. ù D'ailleurs, des expériences plus concluantes encore ont été tentées en plein champ sur les landes de l’Ardenne et dans les terres cultivées d'une de nos provinces du centre sur une sur- face de 19 hectares; les résultats en ont été trop remarqua- bles pour être passés sous silence. Nous allons donc en faire un exposé qui viendra à l'appui des vues que nous avons émises sur le système Liebig, et où l'on pourra puiser la conviction que notre système ne peut plus être considéré comme ayant encore à courir les chances d'insuccès qui résultent ordinairement d'une émission de vues exclusivement théoriques. Expériences. —Dix-neuf hectares de terres tantôt schisteuses, tantôt sablonneuses, assez profondes, à sous-sol imperméable, d'une nature un peu humide et épuisées par une succession de récoltes, furent ensemencés en froment et en seigle après avoir été traités différemment avec des engrais verts et des substances minérales (1). Toutesles graineslevèrent bien; le froment fut seulement un peu clair, mais il talla beaucoup vers la fin de l'automne. Les céréales qui avaient crû sur les surfaces entretenues avec des engrais ar- tificiels organiques et inorganiques, offrirent constamment un bel aspeet et l'espoir d'une récolte abondante. Cet espoir ne fut pas déçu : à l’époque de la moisson , les produits purent être com- parés à ceux des parties qui avaient reçu des engrais de basse- (1) On trouvera plus loin des observations relatives au dosage, à la prépa- ration , à l’application et au prix de ces substances. ( 174 ) cour. La végétation marcha des deux côtés avec beaucoup de similitude; la seule différence qui se fit remarquer, c'ést qu'à l'entrée de l'hiver, les plantes qui avaient profité des excrétions animales, quoique semées en même temps, étaient plus robustes et plus avancées que les autres : nous crûmes pouvoir augurer de là que les récoltes vertes enfouies n’exercent toute leur in- Îluence qu'au printemps. La sécheresse de la saison parut très- favorable à la nature physique des terrains, car les parties schis- teuses les plus humides donnèrent des produits plus faibles. Les céréales alimentées avec des sels minéraux seulement ne présentèrent, pendant les trois premières semaines après leur ensemencement, aucune particularité digne d’être signalée. A parür de cette époque, elles ne prirent plus guère de dévéloppe- ment, ni avant, ni après l'hiver. Comme dans nos expériences exécutées il y a deux ans, elles restèrent débiles, et assez languissantes pour nous faire croire un instant que nous ne récolterions pas une quantité de graines équivalente à celles qui avaient servi à l’ensemencement. Cette crainte paraissait surtout fondée à l'égard desterrains qui étaient pour ainsi dire entièrement privés de chaumes et de racines en décomposition. Cependant, vers la fin d'avril, le seigle commença à prendre de l'accroisse- ment; huit ou dix jours plus tard, le froment suivit la même marche, et tous deux finirent par présenter des tiges qui donnè- rent, pour la plupart, des épisordinaires garnis de bonnes graines. En somme, le froment produisit une demi-récolte; le rendement du seigle fut un peu plus élevé, et une partie de celui-ci fut même portée aux trois quarts d’une récolte moyenne. Quelques siilons laissés au milieu de chaque champ pour servir de point de comparaison et n'ayant reçu aucune espèce d'engrais, ne produisirent que des céréales fort maigres, qui payèrent tout au plus les frais de labours et d’ensemencement qu'elles avaient exigés. Dans tous les cas, il nous a semblé que toutes les plantes qui n'avaient point reçu d'engrais organiques ont eu à souffrir de la saison hivernale et des derniers froids. Telle a été la situa- tion de la récolte. (175) Nous aurions désiré pouvoir nous assurer de la production de chaque champ d'expérience et la préciser par des chiffres; mais plusieurs obstacles soni venus y mettre empêchement. Toutefois, les résultats de ces expériences, tels que nous les possédons, sont suffisants pour l'objet de nos recherches. Abstraction faite des petites zones attaquées de la sécheresse, la végétation a été partout bien tranchée. Le contraste frappant qui a existé pendant toute la croissance des plantes entre les produits engraissés différemment prouve à l'évidence le besoin d'une matière organique ou de l’humus dans le sol et son heu- reuse influence sur la production des tiges et des graines des céréales. Cet élément de fécondité est particulièrement indispensable pendant la première jeunesse des plantes; en son absence, l'ab- sorption de l'acide carbonique est circonscrite; les céréales ne bourgeonnent pas et ne donnent guère qu'une tige pour chaque graine semée, et, au lieu de prendre de l'extension, d'accroître leur masse et par là augmenter leurs facultés d’absorber et de retenir dans leurs tissus une plus grande quantité de nourriture, elles restent faibles, rabougries et ont à souffrir des moindres météores, de la moindre sécheresse, alors que de pareils acci- dents sont sans action aucune sur des sujets vigoureux et bien constitués. L'influence salutaire de l’acide carbonique puisé dans les pre- miers temps de la végétation paraît s'étendre sur tout l’orga- nisme et contribuer à donner des plantes vigoureuses. Nous allons maintenant donner la nature et le dosage des sels employés et présenter quelques observations sur leur applica- tion. Composition des sels pour une surface de quinze hectares deterres préalablement chaulées. Potasse du commerce . ete atante nat D IE: Phosphatelde soude PRE CR NC REC TE NO ZRE (176) Phosphate de chaux (des os). . . . . . . . . . . 406 kilog. Sulfateldépotasse CNE ETIENNE NN ES Sultateldetmacneste fi NUE EIRE ROSE GTA EME EME LEA DM PRO le PA ANNE Te ER AT 0 2 Nitrate desoude | die ER ENS EE RES ARC 00 RE Sulfate d'ammoniaque. : . . + à - D — Acidesulfuriquet({)e CR ET NCA RC CRC ER IS RES Prix des sels. — Les différentes substances qui viennent d'être mentionnées, prises en masse, ont pu être acquises au prix de 1,575 francs. Ce qui fait, pour un hectare, 105 francs. A cette somme on doit encore ajouter celle de 40 franes, représentant les frais occasionnés par la préparation, le transport, etc., des engrais. Ces chiffres sont sans doute très-élevés; mais il est à remar- quer que nous avons dû recourir à plusieurs fabriques de pro- duits chimiques pour obtenir ce qui nous était nécessaire. Il ne faut pas perdre de vue non plus que les matériaux étaient d'une assez grande pureté, ce qui a infailliblement augmenté les frais de fumure. Il serait possible, d'après nos évaluations, d'obtenir cette fumure à un prix de moitié moindre, en faisant des écono- mies que les circonstances ne nous ont pas permis de réaliser, et ce prix serait encore considérablement diminué si l'on savait tirer parti des engrais précieux qu'on laisse perdre ou qu'on né- glige d'utiliser. Nous aurons lieu de revenir sur ce sujet impor- tant dans la seconde partie de ce travail. Observations sur l'application des sels. — À l'exception du sulfate d'ammoniaque et du nitrate de soude qui ont été répandus séparément au printemps, tous les autres sels ont été appliqués au sol deux jours avant la semaille de chaque céréale, après avoir subi préalablement la préparation indiquée par M. Liebig pour leur conserver la stabilité voulue. Toutefois, cette préparation n’a pas été complète; il nous a été impossible d'obtenir la fusion (1) Cet acide sulfurique a servi en partie à acidifier les os qu’on a ensuite neutralisés ; la partie restante a été transformée en plâtre par une addition de chaux. WT) entière des sels calcaires, à défaut d'un fourneau affecté à cet usage, et la chaleur produite n’a pu donner qu'une réaction par- tielle. Plus nous avons cherché à approfondir le rôle et l'action des principes minéraux alliés aux engrais verts, plus nous avons acquis de confiance et plus aussi l'espoir d’une nouvelle conquête pour notre agriculture est venue nous encourager. Ce n’est pas à dire pourtant que tous nos essais aient réussi; au contraire, un grand nombre d'entre eux nous ont donné des résultats en- tièrement opposés à ceux que nous en attendions. Toujours nous avons attribué ces mécomptes à l'imperfection du dosage des sels employés. L'expérience nous a appris, en effet, 1° qu'un excès ou une trop faible proportion de matières salines font périr ou languir les plantes; 2 que les sels à base de potasse ou de soude et le chlorure de sodium surtout, doivent être administrés en faible proportion, si l'on ne veut communiquer au sol une ac- tion délétère sur les racines et les diverses autres parties des végétaux, action très-reconnaissable aux fortes excrétions, qui sont toujours des indices d’une altération ou d'une lésion inté- rieure; 3° que la potasse et la soude caustiques attaquent mani- festement les plantes de froment et d'avoine, même dans des dissolutions étendues. Ces observations ont été faites sur des plantes végétant dans des vases remplis de sable et d’eau distillée. Dans les terres ara- bles, ces accidents ne paraissent pas se produire avec autant de fa- cilité; car, en doublant la dose des sels qui avaient, dans le pre- mier cas, une action toxique, nous n'avons pu constater aucun effet, ni sur l'accroissement, ni sur l’affaiblissement des céréales. il est probable, d’après cela, que les oxydes caustiques se modi- fient dans les champs cultivés et y éprouvent une réaction chimi- que en présence des matières salines ou des principes constituants des argiles. Nous avons également remarqué que les céréales des sols secs se trouvent relativement plus affectées que celles des sols humi- des par une trop grande proportion de matières alcalines; nous | ( 178 ) eroyons devoir attribuer ce fait à la différence qui existe dans Ja concentration du liquide qui pénètre dans les vaisseaux des plantes. Il est à supposer que l’eau concentrée y dépose, par l'effet de son évaporation, une quantité de matières salines trop grande et incompatible avec les fonctions du végétal. La fusion des différents sels, exécutée d'après la méthode Liebig, ne pourra que modifier favorablement l’état nuisible des sels dans les terres qui les reçoivent en proportion trop forte. On doit en convenir, le dosage des matières minérales pour les terres arables est une opération bien difficile; non- seule- ment on doit avoir égard à la quantité de sels nécessaires à l’ac- croissement des plantes et à leur action corrosive, mais il im- porte aussi d'examiner scrupuleusement le degré d'épuisement du sol, sa richesse naturelle et sa plus ou moins grande faculté à se désagréger. Toutes ces difficultés nous ont en quelque sorte empêché de connaître exactement la quantité de matériaux qu'il convient d'appliquer au sol pour chaque récolte. Peut-être même de nouvelles recherches ne parviendront-elles pas à rendre cetie évaluation exacte, car, il doit en être des sels miné- raux comme de toutes les autres substances fertilisantes : leur action dépend de trop de circonstances météorologiques que l’on ne peut prévoir, et qui influent différemment sur les agents mis en Jeu, pour qu'on puisse en spécifier exactement le dosage. Nous n'avons done pû avoir en vue que de déterminer la moyenne des substances nécessaires au sol. Si nos efforts ne nous ont point donné rigoureusement ce résultat, nous sommes cependant par- venu, par les expériences que nous avons détaillées et par les travaux que nous possédons sur les analyses de la cendre des plantes, à des approximations (1) qui pourront servir de données à des expériences ultérieures. Puisqu'il a été démontré antérieurement que l'on peut obte- St nir avec facilité de la spergule propre à enfouir sans porter (1) Voir la composition des sels pour une surface de quinze hectares, p.175. (179) le moindre préjudice aux céréales qui doivent lui succéder, puisqu'au moyen des engrais verts et des substances salines minérales on peut restituer à la terre exactement tous les principes qu'une plante Jui a enlevés, il va de soi que toute question qui se rattache à la nature chimique du sol, en ce qui concerne son épuisement par les récoltes, est écartée. Cela se conçoit avec d'autant plus de facilité que l’on peut faire arriver, en un court délai, les terres cultivables au plus haut degré de fécondité, quoique ne renfermant pas un seul atome d'engrais et que, par suile, il est très-aisé d'en tirer le plus grand parti, sans avoir égard à l’effritement qu'occasionne une succession de céréales ou de plantes industrielles. On n'a done plus qu’à cher- cher les plantes les plus lucratives et à les cultiver suivant la nature du climat et du sol. 11 nous semble, d'après cela, que, dans tous les terrains pro- pres à la production des céréales, l'on peut prétendre à l'appli- cation de nos vues, qui ne sont, à proprement parler, qu'une extension de celles de M. Liebig. Cette opinion est encore fondée sur l'expérience suivante : Une surface de six mètres carrés de terre fut enlevée à une profondeur de 0,75 et remplacée par du sable lavé à grandes eaux. Cette surface fut partagée en deux parties égales : l'une reçut des matières salines minérales, plus trois récoltes de spergules qui avaient crû sans engrais organiques et qui avaient été en- fouies sur place; l’autre fut totalement privée d'engrais. Toutes deux furent ensemencées, partie en froment, partie en avoine, et arrosées avec de l’eau de pluie, recueillie dans un état de grande pureté et soumise à l’ébullition pour en expulser les gaz. Les plantes de froment et d'avoine de la surface non en- graissée levèrent bien, mais restèrent délicates et ne rendirent guère plus que la semence; quelques-unes d’entre elles portè- rent des graines incapables de germer. Les mêmes plantes de la partie fumée sortirent également de terre avec de belles appa- rences. En hiver, le froment parut souffrir; mais, comme l'a- voine, il talla parfaitement au printemps, s’orna de larges feuilles 12 ( 180 } et produisit de beaux et longs épis garnis de bonnes graines. L’avoine acquit surtout une beauté remarquable, et devint si pro: ductive qu'elle put être comparée avec celle des terres voisines entretenues avec des engrais mixtes. Voilà donc un sable complétement stérile Mine en deux an- nées à un assez haut degré de fécondité pour donner en abon- dance des céréales parfaitement naturelles! Or, en présence de faits si concluants, il nous paraît raisonnable d'admettre que les terres arables, qui contiennent toujours des matières salines , des débris organiques, etc., sont appelées à produire des résul- tats plus significatifs encore. Ainsi toute la question paraît donc résider dans l'agrégation et la situation climatérique du sol. Ces conditions de fertilité étant remplies, nous devons croire qu'il est possible de féconder avantageusement les terrains les plus maigres et d'arriver à faire produire de belles moissons dans des contrées restées a improductives. S'il nous est permis de jeter un dernier et consciencieux regard sur le système que nous offrons à l’Académie comme moyen d'aug- menter nos productions agricoles, nous dirons que nous ne dou- tons nullement de la possibilité de le mettre à exécution. C'est là, pour nous, une conviction que rien ne peut plus détruire; et si nous parvenons à la faire partager aux hommes qui gouvernent l'État, nous ne pouvons plus nous croire très-éloigné du but auquel tendent tous les esprits philanthropiques. Cependant, bien que nos vues paraissent entièrement réali- sables, il serait illogique de supposer qu'elles puissent être im- médiatement livrées au publie agricole pour être sanctionnées par la pratique. Cette opinion est fondée sur des raisons pal- pables. D'abord, il est évident que, pour tenter l'introduction d'un système aussi vaste dans une industrie qui redoute tant les inno- vations, il faut des précautions que tous les expérimentateurs ne sont pas aptes à observer, une fabrique spéciale de produits chimiques, dont le pays est encore privé et, enfin, des connais- ( 181) sances particulières que l'on rencontre rarement chez l'homme des champs. Le Gouvernement pourrait, il est vrai, suppléer à ces difficultés, en prenant les mesures qui seront ultérieurement indiquées , mais ce ne sont pas là les seuls obstacles. On sait combien est restreinte la foi qu'ontles agriculteurs dans les nouvelles théories et dans la possibilité des nouveaux progrès. Cela tient, d’une part, à ce que des vues hypothétiques sont venues trop souvent les égarer; de l'autre, à ce que les principes de la science sont encore, pour la plupart d’entre eux, l’objet du doute. Si donc, on veut initier les masses aux grandes amélio- rations , il est nécessaire qu’on commence par faire renaître chez elles cette confiance perdue, et cela d'abord en ne frappant plus leur imagination que par des faits acquis, positifs et surtout bien établis. Or, si le système qui nous occupe est destiné à réagir d’une façon ou de l'autre sur les esprits, et si l'on ne veut lui donner un titre de plus à la méfiance générale, il importe qu'il soit étudié encore, pendant deux, trois ou quatre années, par une série d'expériences publiques rationnellement exécutées sous le point de vue des dosages, par rapport à ja pluviosité des saisons et à la nature des différents sols. Attendons donc de nouveaux essais avant de nous exprimer positivement et rappe- lons-nous que des vues séduisantes et heureuses ont souvent failli, parce que l’on a cédé trop aisément à l'ambition bien naturelle d’attacher son nom à une découverte importante. En vouant tout notre temps à des recherches scientifiques, en consacrant tous nos moyens aux expériences qu'elles nécessi- tent, noùs avons eu à surmonter des difficultés qui, sans être spécifiées, n’échapperont pas à l'appréciation de nos juges. Nous pouvons donc croire qu'en payant notre dette au pays sous deux rapports bien distincts, nous aurons réussi à accomplir la tâche qui nous était proposée et à mettre le Gouvernement sur une yoie d'améliorations agricoles qu'il pourra désormais parcourir avec succès. DEUXIÈME PARTIE. INTRODUCTION. Si l'on a bien saisi les idées qui ont été développées dans le cours de la première partie de notre travail, on ne peut guère se dissimuler qu'elles soient appelées à réagir favorablement sur notre agriculture, puisqu'elles sont de nature à faire modifier et améliorer les systèmes de culture les plus perfectionnés et les mieux établis jusqu'ici. Comme, d’une part, les avantages qui doivent résulter de l’ap- plication des principes alimentaires minéraux ont été spécifiés chaque fois que nous en avons trouvé l'occasion , et que, de l'au- tre, la manipulation chimique de ces matières fertilisantes exige des connaissances et des appareils spéciaux que l’on rencontre rarement chez ceux qui se livrent à la culture des terres, il n'en sera plus question ici. | Nous nous bornerons donc à démontrer, dans le cours de cette seconde partie, la possibilité d'augmenter considérablement et im- médiatement le rendement de la terre par une culture prévoyante bien raisonnée et en rapport avec les lumières de notre siècle, sans que les améliorations à introduire nécessitent autre chose qu'une volonté persévérante, de l'ordre et du jugement. ( 183) Pour suivre pas à pas le cultivateur dans ses champs, il est indispensable que nous entrions dans des détails qui paraîtront peut-être Sécarter de notre but; mais il est à remarquer que ce sont précisément ces détails qu'il importe de discuter et qui peuvent jeter le plus de clarté sur les importantes questions que nous allons avoir à étudier. CHAPITRE PREMIER. DES ASSOLEMENTS. « L'assolement est une combinaison eulturale qui, proportion- née aux ressources de l'entrepreneur, a pour but de satisfaire aux besoins de l'exploitation et à ceux du pays (1). » Bien établir un assolement, c'est résoudre le problème le plus important et le plus difficile de l'agronomie; difficile, parce qu'il embrasse à la fois toutes les branches de l'économie rurale; im- portant, parce que c'est de là que dérivent la plus où moins grande abondance d'aliments et d'engrais et le degré de richesse d’une terre, d'un domaine. On a déjà beaucoup écrit sur les assolements, mais nous ne savons pas qu'on ait été à la recherche des principaux phéno- mènes que la pratique ignore, afin de mettre le cultivateur à même de discerner les vices et les défauts d’une culture, en fai- sant ressortir les moyens de rénovation. Ce point, d’où doit sortir un grand progrès agricole, nous a paru capital, aussi allons- nous l’aborder dans tout son ensemble. Toute agriculture perfectionnée doit avoir un assolement sa- (1) Ed. Lecouteux, Traité élémentaire de l’agriculture du département de la Seine, p. 155. ( 184 ) gement combiné : c’est le guide du eultivateur comme le bilan est celui de l'industriel. Cette vérité est souvent méconnue dans les campagnes; on n’en tient aucun compte; aussi voyons-nous tous les jours des cultivateurs qui, peu de temps avant les se- mailles, tergiversent et sont indécis sur l'espèce de graines et la quantité d'engrais qu'ils veulent confier à la terre. C'est là un défaut d'organisation qui a presque toujours des suites fâcheuses et qui provient nécessairement d'une imprévoyance à laquelle un assolement bien organisé peut seul porter remède en faisant connaître, longtemps à l'avance, les dispositions qu'il est urgent de prendre. Cependant il n’est pas permis d’être trop exclusif sur ce point, car il est des circonstances qui, comme les intem- péries des saisons, peuvent augmenter et retarder les travaux agricoles ; mais toujours est-il qu'à l’aide d’un bon assolement, les conditions restant les mêmes, on sortira bien plus victorieu- sement d'un mauvais pas. Sans doute il peut s'élever bien des objections contre l’éta- blissement d'une rotation ou d’un plan cultural; on a, par exemple, souvent recours à un argument qui consiste à dire qu'il n'est pas toujours possible de déterminer d'avance un assolement, attendu que, dans un grand nombre de cas, il doit être modifié. Cette allégation peut être applicable à un assolement mal con- ditionné; mais elle n’a pas le moindre fondement, sauf quelques rares exceptions, lorsqu'il s'agit d’un assolement pour lequel on prend en considération les circonstances que nous allons ex- poser. Pour qu’un assolement soit placé dans de bonnes conditions, il doit être basé d’après : 12 La nature physique et chimique du sol et du sous-sol, ainsi que d’après sa décelivité (sec ou humide, meuble ou com- pacte, profond ou superficiel, incliné ou horizontal, exposé au midi ou au nord, riche ou pauvre); 2 La nature climatérique des lieux; 3° La quantité d'engrais dont on peut disposer, soit qu'il pro- vienne de l'exploitation, soit qu'il provienne du dehors; (185) 4° La quantité de prairies permanentes attachées à l'exploi- tation ; 3° L’étendue et la salubrité des pâturages propres à nourrir, élever ou engraisser des bêtes des espèces bovine er ovine; 6° L’éloignement ou le rapprochement des voies de commu- nication ou des centres de consommation (pour l'exportation des produits et la haute valeur qu'ils peuvent acquérir }. 7° Le capital dont on peut disposer; 8° La quantité et l'étendue des bâtiments destinés à loger les animaux domestiques; 9 La plus ou moins longue durée du bail; 10° L'abondance des bras et le prix de la main-d'œuvre; 14° La grande variation dans la valeur intrinsèque des pro- duits du sol. Toutes ces conditions sont autant de circonstances locales qui doivent ou qui peuvent faire changer la combinaison d’un assole- ment. C'est assez dire qu'il n’est pas possible d'en présenter des modèles qui puissent être généralement suivis ; ét en admettant même que la nature du sol, le prix de la main-d'œuvre, etc., fussent les mêmes, il y aurait toujours une assez grande diffé- rence dans la quantité de prairies, l'étendue des bâtiments, le capital d'exploitation, ete., pour faire varier sensiblement cet assolement. Nous le répétons : un assolement doit être subor- donné aux causes accidentelles que présente l'exploitation, et il arrive même que l’on doit adopter deux ou trois modes de ro- tation pour une même culture là où la nature des terres est fort variée. On voit done combien nos agronomes se sont abusés en pro- posant des assolements qu’ils prétendaient applicables à tout un canton, à toute une province et même à tout un pays. Ce n'est point en exposant un ou deux bons modes de culture que l'on parviendra à résoudre la question des assolements; on n’arrivera à ce but qu'en établissant des principes généraux, en recher- chant, en diseutant et en combattant les opinions erronées sur lesquelles reposent les systèmes empiriques des pays à grande ( 186 ) culture qui sont susceptibles de grandes améliorations et qui : restent stationnaires par ignorance des premiers principes de l'art agricole. | Une fois les avantages et les inconvénients des différentsmodes de culture déroulés aux yeux du cultivateur, il lui devient très- facile de faire son choix d’après les circonstances et les conditions qui régissent son train cultural ; et il n’est plus embarrassé pour changer son assolement et y introduire les modifications qu'il juge utiles. C'est là, nous paraît-il, le seul et unique moyen de vider une bonne fois la question des assolements; aussi eroyons-nous y parvenir en divisant notre travail de la manière suivante : Secrion le. De la jachère. » HI°. Des céréales. » HI. Des plantes textiles et oléagineuses. » IV°. Des plantes fourragères-racines. » Ve. Des plantes fourragères proprement dites. Secrion |". — De la jachère. La jachère, ou le cours d’une année laissé entre la récolte d’une plante et l’ensemencement d’une autre, était déjà pratiquée par les anciens. De tout temps, on a eu lieu d'observer qu'une terre produit des récoltes incomparablement plus belles lors- qu'elle a été soumise aux différentes cultures que réclame la jachère; ce qui a fait croire à plusieurs praticiens que certaines terres se lassent de produire et ont besoin de repos. Cette opi- nion est encore partagée par beaucoup d'agriculteurs, qui n'ont pas voulu se départir de l’assolement triennal avec jachère; aussi a-t-elle quelque fondement. Pourquoi les terres restées en jachères produisent-elles, toutes conditions étant égales, des récoltes plus abondantes que les autres? La jachère ne pourrait-elle pas être avantageusement supprimée ? ( 187 ) Les labours multipliés que l’on donne pendent le temps que dure une jachère ont trois effets bien distinets : le premier, de détruire les mauvaises herbes qui tendent à envahir le sol; le second, de faciliter l'absorption des gaz par l’ameublissement du sol; et le troisième, de soumettre les diverses particules de la terre au contact de l'air et à l'influence des changements atmo- sphériques. L'absorption des gaz et les alternatives de la chaleur et du froid déterminent la désagrégation des argiles et la solubilité des sels alcalins et terreux propres à nourrir les plantes. Ainsi, sous un point de vue élevé de physiologie, nous pouvons dire que les labours et les hersages multipliés, donnés en temps con- venable , engraissent le sol et procurent aux plantes des aliments qui , sans le concours de ces moyens mécaniques, seraient restés inactifs pour la végétation. C'est là que réside lutilité bien re- connue de la jachère. Cependant elle est loin de présenter partout les mêmes avan- tages : ses effets sont tout à fait subordonnés à la nature mi- nérale du sol ou de ses éléments constitutifs. Les combinaisons métallifères ne sont pas, comme nous l'avons déjà fait remar- quer, semblables dans leur composition et leur stabilité. Il se trouve des argiles qui sont riches et d’une prompte désagré- gation; il en est d’autres qui sont pauvres et d’une désagréga- tion lente. Les premières, les conditions étant les mêmes, four- nissent naturellement de plus belles productions et ont moins besoin d'engrais ou de cultures réitérées que les secondes. Ce sont là, à la vérité, des faits théoriques, mais ils se trouvent tous les jours constatés par la pratique. En effet, ne rencontre-t-on pas souvent des terrains qui, tout en recevant des cultures mieux soignées et des engrais en plus grande quantité que ceux qui les avoisinent, ne produisent que des récoltes médiocres comparativement à ces derniers? Nous avons constaté l’utilité de la jachère; ici, nous faisons voir qu'elle à des effets diversement marquants; qu'un sol peut se passer de la jachère, tandis qu'elle est nécessaire à un autre (188) pour lui faire produire des récoltes également belles. La ri- chesse des argiles et les phénomènes de leur désagrégation expliquent donc ce que nos agriculteurs entendent par le besoin qu'éprouve la terre de se reposer après s'être fatiguée en portant plusieurs récoltes successives. La terre ne peut jamais se lasser de produire des récoltes lorsque celles-ci y trouvent de quoi se sustenter et se nourrir; c'est assez faire comprendre que l'opinion admise en Condroz et dans l'Entre-Sambre-et-Meuse, à savoir que le repos est aussi indispensable au sol qui produit toujours qu'à l'homme qui se livre à des travaux pénibles, est complétement fausse et erronée : la terre peut être comparée à une machine qui se meut indé- finiment lorsque les matériaux qui servent à l’alimenter sont remplacés à mesure qu'elle les consomme, et qui s'arrête aussi- tôt qu'ils viennent à faire défaut. Cette comparaison est justifiée par ce que l'on voit en Flandres et en Brabant, où, naguère encore, la jachère était le pivot de l’assolement et où, aujour- d'hui, à l’aide des engrais, on est parvenu à récolter sans inter- ruption les plus riches moissons. Sans doute, le terrain et le climat des Flandres et du Brabant n'offrent pas les mêmes caractères que ceux du Condroz et de l'Entre-Sambre-et-Meuse; mais comme ces circonstances ne peuvent nullement influer sur la fatigue qu'une terre, même bien engraissée, pourrait éprouver, il s'ensuit que toute objec- tion devient inadmissible. D'ailleurs, il ne faudrait pas chercher bien loin pour démontrer que ce raisonnement est fondé; ül suffit de mentionner que MM. le baron de Woelmont, d'Op- Lieux; le baron de Waha, de Plainevaux; D'Omalius, à An- thisnes; Paulet, à Modave; Jacob, à Neufchâteau; ete., se livrent avec succès, depuis plusieurs années, à des cultures alternes, sans donner le moindre repos à la terre. S'il était nécessaire d'acquérir d’autres preuves encore, on pourrait se demander pourquoi les jardins et les terres avoisinant les habitations des contrées où la jachère est encore usitée, produisent sans re- lâche toutes espèces de plantes. Évidemment, c’est parce que les ( 189 ) jardins sont bien fumés et convenablement entretenus, tandis que les terres labourables sont pauvres en sucs nôurriciers, mal cultivées et infestées de plantes parasites. D'après cela, il est permis de dire que la jachère est parfaitement inutile là où le terrain est bien fumé et exempt de mauvaises herbes; c'est donc vers ce but que doivent être dirigés les efforts des cul- tivateurs qui veulent supprimer la jachère, et ce sont précisé- ment là les points qu'ils ont négligés : 4° En maintenant des assolements vicieux et peu lucratifs sans y apporter la moindre modification; vicieux parce qu'ils épuisent le sol par une succession continuelle de céréales et qu'ils ne donnent que des engrais de médiocre qualité presque exelusi- vement composés de paille; peu lueratifs, parce que les terrains en jachère exigent beaucoup de frais de culture en restant impro- ductifs pendant une année, et que, produisant peu de fourrages, et ne pouvant conséquemment être fumés d’une manière conve- nable, ils ne donnent que de médiocres récoltes; 2° En conservant des méthodes de culture qui n’aident point à la destruction des mauvaises herbes, ni à la désagrégation des substances salines minérales. C'est ainsi, par exemple, que le déchaumage des terres, qui doit toujours être pratiqué immédia- tement après l'enlèvement de la récolte, ne se fait qu’à l'entrée de l'hiver, alors que le chiendent ({Triticum repens), etc., ont entièrement pris possession du sol. C'est encore ainsi que les profonds labours avant l'hiver , si nécessaires à toute terre hu- mide lorsqu'elle ne renferme pas un sous-sol de mauvaise qua- lité, sont tout à fait inconnus. Il est aisé de voir que l’assolement triennal a beaucoup à faire avant d'arriver à la perfection et qu'il est loin d’être profitable (1). Mais comment se fait-il alors que le système triennal avec ja- (1) On peut consulter l’ouvrage de M. Max. Le Docte, Æssai sur l’amé- lioration de l’agriculture en Belgique, etc., où l’auteur estentré dans des considérations et des calculs intéressants sur l’usage pernicieux de la jachere. En envisageant la question sous un point de vue pécuniaire , nous partageons entièrement les vues de cet agroneme et nous pensons avec lui que la ja- ( 190 } chère soit encore maintenu dans certaines parties de notre pays ? Comment se fait-il que les nombreux essais qui ont été tentés pour y introduire la culture alterne paraissent avoir échoué et avoir constamment prouvé que l’assolement triennal est préfé- rable à tout autre? Voilà des observations capitales qu'il convient d'examiner et dont il importe de se rendre compte avant de se prononcer définitivement. Recherchons donc comment ces essais ont été faits; ils jetteront peut-être quelques lumières sur la question. | La nécessité de supprimer la jachère a déjà été sentie; en Condroz surtout, on a souvent cherché à la remplacer par des pois, de la navette, des féveroles ou par des produits mélangés {moitié avoine, moitié vesces fauchées en vert). A ces plantes succédait une récolte d'épeautre ou de seigle comme sil s'était agi d’une terre restée en jachère. Il en est résulté que le rende- ment de cette récolte, comparé avec celui des récoltes provenant d'une terre restée en jachère, a subi une diminution d'un quart ou d'un tiers. On a aussi essayé de cultiver dans cette contrée, seigle après seigle ou épeautre après épeautre, en faisant suivre ces récoltes d'une avoine qui devait prétendèment remplacer la jachère; de sorte que la rotation était formée de la manière suivante : 1" année, épeaulre ou seigle; 2° année, épeautre ou seigle; 5" année, avoine. Naturellement, les résultats ont été aussi né- gatifs que les précédents. Ces faits prouvent-ils que la jachère ne peut être supprimée avec avantage? Nous ne le croyons pas; car si l'on compare une terre qui a produit une récolte, avec une antre qui a reçu toutes les préparations d'une jachère, on trouve cette différence énorme que la première s'est surchargée de mauvaises plantes et se chère «loit être exclue de toute exploitation bien coordonnée. Quant à ce qu’il dit concernant les effets heureux que produisent les labours réitérés sur le ré- tablissement des forces ou des principes utiles d’une terre, ils ne peuvent être mis en doute, et nous ne pouvons. sous ce rapport, nous rallier entière- ment à son opinion. ( 191) trouve épuisée des substances fertilisantes que lavoine, les pois, etc., se sont assimilées pour se conStiluer; tandis que la seconde s'est purgée des herbes qui vivent au détriment de la végétation, a été mise dans l’état d’ameublissement le plus fa- vorable aux céréales, et enfin, s'est acquise de la fertilité par la solubilité des sels minéraux solides. Supposons pour un moment que l’on ait tenté en Flandre et dans le Hainaut les expériences que nous venons de signaler; il est clair que si l’on avait suivi les mêmes procédés, la même différence se serait maniféstée entre la production d'une terre qui aurait produit une récolte épuisante et celle d’une autre terre qui serait restée en jachère pendant une année entière. Et pour- tant, en Flandre, on a trouvé le moyen de cultiver sans re- lâche les terrains les plus ingrats et de leur faire produire les plus belles récoltes sans l'intervention des jachères! En résumé, les tentatives malheureuses faites jusqu'à ce jour en Condroz pour supprimer les jachères, ne prouvent absolument rien en leur faveur; car les essais ont été dirigés de telle sorte qu'il a toujours été impossible de faire des comparaisons exactes entre les différents modes de culture. Nous sommes loin de contester la haute utilité de la jachère; nous dirons même qu'elle est parfois indispensable pour nettoyer une terre dont l'humidité favorise l'accroissement des plantes usurpatrices. Mais, dans aucun cas , elle ne devrait faire partie exclusive d’un système d’assolement ; elle ne devrait jamais être commandée à l'avance, comme cela a lieu dans l’assolement triennal, mais bien d’après les circonstances accidentelles dues au terrain ou à la saison (1). (1) I n’est pas toujours possible de supprimer la jachère, par exemple, lorsqu'il y a impossibilité physique d’aborder les champs d’une nature bumide ou sujets à de fréquentes inondations. Mais, pour les contrées dont il est ici question , la présence de ces obstacles est exceptionnelle. D’ailleurs , les ter- rains qui ne peuvent être améliorés convenablement par les moyens que nous allons indiquer ne sont guère propres à la culture des plantes qui entrent ordinairement dans la composition d’un assolement. Lorsque l’on rencontre ( 492 ) Tous les agronomes, tous les cultivateurs instruits et éclairés regardent la jachère systématique comme une plaie pour l'agri- culture. Nous partageons entièrement cette opinion, et nous dirons qu'à l'aide des connaissances agriculturales que l’on pos- sède aujourd'hut, il n’est pas très-difficile de remplacer la jachère par une culture alterne qui serait très-productive. Pour cela, il suffit de nettoyer, d'approfondir et d'ameublir le sol, ainsi que de produire beaucoup d'engrais de bonne qualité. C'est à quoi l'on parviendra : 4° En adoptant la culture des plantes fourragères et des plantes-racines sarclées; 20 En formant des prairies artificielles de trèfle blanc et de lupuline destinées , après avoir été pâturées pendant l'été, à la production des céréales d'hiver; 3° En déchaumant les terres aussitôt après l'enlèvement des récoltes ; 4° En approfondissant, avant l'hiver, la couche de terre cul- tivable à l'aide d'une charrue sous-sol (1), afin de corriger l'excès d'humidité de la terre et d'augmenter sa température; 5° Enfin, en recueillant les engrais, en leur faisant subir de bonnes préparations de manière à leur donner une plus grande force nutritive; et en les appliquant sur le sol de telle sorte qu'ils produisent un maximum d'effet. Secrion Il. — Des céréales. S'il est un point sur lequel l'agriculture belge laisse encore beaucoup à désirer, c’est celui qui concerne les différents modes des terres de cette catégorie , on ne saurait mieux faire que de les convertir, soit en bois, soit en prairies naturelles, soit en plantations d’arbres de di- verses essences, en les appropriant au sol d’après leur sympathie natu- relle. (1) Les avantages qui se rattachent à ces labours seront spécifiés au cha- pitre Des instruments aratoires. (193) de culture en usage et qui, il faut le dire, ne paraissent nalle- ment appuyés sur des observations théoriques. Chaque cultivateur à, pour ainsi dire, un assolement qui lui est particulier, et malgré cela, il est fort rare d'en rencontrer qui réunissent toutes les conditions d’une culture rationnelle, tant ils s’écartent des vrais principes de la science. Presque tous ont le défaut de faire revenir trop souvent les mêmes espèces de plantes sur les mêmes sols et de repousser les cultures sarclées et fourragères. Comme le fait observer Thaër, « aujourd'hui, comme depuis les temps les plus reculés, la terre donne des produits incompa- rablement plus beaux lorsque ceux d’une même espèce ne se suc- cèdent pas à la même place. » Anciennement on ne pouvait guère se rendre compte de ces faits mystérieux ; aussi a-t-on cherché bien longtemps et sans fruit à les éclaircir par des investigations réitérées. Si l'on n'est pas parvenu aux résultats qu'on voulait atteindre, il faut l'attribuer à ce que les sciences agronomiques n'étaient pas assez avancées. Aujourd'hui, grâce aux agronomes et aux physiolo- gistes modernes, nous pouvons, sans compromettre les faits, ürer de meilleures déductions pratiques et répondre catégori- quement à cet égard. MM. Thuin et Schwerts ont parfaitement compris ce que l'on entend par assolement; nous ne pourrions mieux faire que de rapporter iei leurs définitions : « L’assolement (dit le premier auteur) est l’art de faire alterner les cultures sur le même sol pour en tirer constamment les plus grands produits aux moin- dres frais possibles (1). C’est une rotation (ajoute M. Schwerts) dans laquelle deux récoltes de céréales se suivent immédiatement le moins possible, mais où une récolte qui salit ou durcit le sol est suivie d'une autre qui le nettoie et l’'ameublit (2). » (1) Cours complet d’agriculture ou nouveau dictionnaire d'agriculture théorique et pratique d’économie rurale et de médecine vétérinaire , t. 11, p. 556. Paris, 1854. | (2) Zdem , t. 11, p. 367. (494%) Si nous réfléchissons bien aux principes qui viennent d'être exposés, il nous sera aisé de voir que du système d’assolement doit surgir la bonne ou la mauvaise culture : c'est assez dire qu'il est la base fondamentale de toute exploitation rurale et qu'on ne saurait consacrer trop de soins et d'attention à un objet si digne d'intérêt. Les agriculteurs belges ne rêvent que céréales; c’est toujours sur ces plantes que se porte leur attention, parce qu'en général, ils les envisagent comme l'unique moyen d'augmenter la pro- duction du sol, tant en récoltes qu’en engrais, en se basant sur cette conséquence qu'avec beaucoup de paille on fait beaucoup d'engrais et qu'avec ceux-ci on obtient de plus beaux produits. Cette conséquence pourrait, à la vérité, être juste jusqu’à un certain point si les autres conditions de fertilité pour le sol étaient réunies; mais les éclaircissements que nous allons donner bientôt, prouveront que c'est une erreur très-grave de croire que la grande extension accordée à la culture des céréales est profitable à l'exploitation. MM. Deseimeris (1) et Max. Le Docte (2) ont d’ailleurs très-bien prouvé, dans des ouvrages récemment publiés, que la culture réitérée des céréales est pernicieuse à toute exploitation bien coordonnée. Ce dernier auteur à même constaté que la culture du froment, dans les pays riches, loin d'être plus avantageuse que les autres cultures, est, au contraire, celle qui donne le moins de profit aux cultivateurs , bien entendu lorsqu'on adopte son système. Il mentionne aussi ce fait important, fait acquis par l'expérience, que la culture alterne est seule capable de pro- eurer les engrais en abondance et par suite de pousser les terres à un haut degré de fertilité. Il est parfaitement établi que les plantes de la même famille, (1) Deseimeris, Conseils aux agriculteurs, suivis de rapports sur la question vilicole. Paris, 1846. (2) Max. Le Docte, Vouveau système de culture spécialement composé pour la Belgique. Liége, 1845. | | ; TR Me D M PIS le ie PES PT ee Ps (MIO) et surtout de Ft même espèce, se distinguent essentiellement des autres, par la nature et la quantité de leurs éléments consti- tutifs qu'elles ont pour la plupart tirés du sol dans lequel elles ont crü. Ces plantes vivant aux dépens du sol en y enlevant les divers sucs nourriciers qui leur conviennent, il est facile de compren- dre que plus nous cultivons la même plante sur le même terrain moins celui-ci conservera ses facultés productives. Si même il nous arrivait de cultiver successivement les plantes de la même famille, telles que les céréales, dans les terrains les plus ferules, nous finirions par les effriter complétement. Une terre exigeant 50,000 kilog. d'engrais de ferme pour pro- duire une série de récoltes par le système alterne, demandera une quantité double ou triple d'engrais pour produire d'aussi beaux résulats, en suivant un mode de culture où l'on rempla- cerait les diverses plantes-racines et fourragères par une succes- sion de blés. En effet, le fumier de basse-cour, dans les cas les plus ordi- naires, se compose d'un mélange de pailles qui ont servi comme litière et d'excréments solides et liquides des animaux. Si nous recherchons l’origine de ces matières excrémentitielles, nous trouvons qu'elles dérivent des aliments consommés. Or, le fumier, ou l'assemblage de ces substances, n’est, à proprement parler, qu'un composé d'aliments réduits en un plus petit volume par les animaux. Comme dans les fermes bien conduites, on administre pour pourriture, aux animaux domestiques, toutes espèces de plantes, telles que paille, foin, avoine, turneps, betteraves, carottes, féveroles, etc., et que ces plantes contiennent des principes par- ticuliers à chacune d'elles; comme, d'autre part, les substances alimentaires, servant d'abord à l'entretien de la vie animale, sont rejetées sans avoir éprouvé de perte réelle, il est hors de doute qu'en transportant ces matières sur les terrains, on y ap- porte aussi les principes nécessaires à toutes les plantes qui ont concouru à leur formation. 15 ( 196 ) Il est done évident que ce fumier renfermant les sues essen- tiels des céréales, des légumineuses et des racines, on pourra les y cultiver avec avantage Jusqu'à ce que le sol soit épuisé. Si, au contraire, on voulait ne cultiver que des céréales, en excluant les plantes-racines et les légumineuses, le sol ne tar- derait pas à devenir stérile et ne pourrait donner des pro- ductions qu'en raison des matières extractives qu'il contenait ou qu'il aurait reçues artificiellement par les fumures. On com- prendra aisément combien les engrais devraient être fréquem- ment renouvelés pour maintenir une végétation luxuriante de l'espèce. On sait que chaque espèce de plantes absorbe dans le sol des substances salines en quantités bien différentes; on sait encore que l’une se nourrit de la partie superficielle du sol et que lau- tre va chercher ses aliments dans les strates inférieures; nous ne devons pas être surpris, dès lors, qu'un sol épuisé par la production des céréales, ne le soit pas pour les légumineuses et les racines, qui y trouveraient encore assez de matières nutritives pour leur alimentation. On peut donc dire qu'une plante nuit d'autant plus à une autre qui croît à côté ou qui doit lui succéder, que celle-ci se rapproche davantage de son espèce. Pourquoi les céréales ne donnent-elles plus, comme autre- fois, des produits aussi abondants en graines pour une surface de terrain donnée, alors que nous possédons une plus grande quantité de paille? Pourquoi le rendement d’un hectare de terre se trouve-t-il diminué, quant à la production des graines, quoi- que nous puissions disposer d’une plus grande quantité d'engrais de ferme? Pourquoi entendons-nous dire par nos praticiens qu'ils ont trop d'engrais, que l'agriculture belge est arrivée à son apogée de perfection? Comment est-il possible d’augmen- ter le rendement des céréales là où l’on paraît se plaindre d'une trop grande masse d'engrais de ferme? La solution de ces ques- tions est fort simple. Ï n’est aucun cultivateur qui n'ait observé une diminution 1] (4950) sensible dans les graines de froment, de seigle et d'avoine là où se succédaient trop souvent ces mêmes plantes. Ce qui produi- sait, il y a un quart de siècle, seize ou dix-sept fois la semence qu'on confiait au sol, ne la donne plus que treize ou quatorze fois. La cause de cette réduction se trouve dans les principes qui viennent d'être exposés : elle est uniquement due à la part trop large qu'on accorde depuis un certain nombre d'années à la culture des céréales (1). Nous avons dit qu'il y a aujourd'hui augmentation de paille et diminution de graine; eet état de choses ne doit pas nous sur- prendre davantage, car, pour être convaincu qu'il ne peut en être autrement, il suffit de rechercher ce que deviennent la paille et la graine après leur maturité. La paille est employée à deux usages : à entretenir la vie des animaux et à leur servir de litière. Comme aliment, elle s'altère dans l'organisme; elle est éva- cuée à l’état solide et liquide (matières fécales et urines), et constitue, avec la litière, le fumier de ferme qui retourne en- suite au sol pour participer à la formation de nouvelles généra- tions. La graine, au contraire, au lieu d’être consommée dans l'exploitation pour se trouver, comme la paille, transportée sur les terrains sous forme d'engrais, est en grande partie livrée au commerce. La graine est, comme on sait, la partie de la plante qui renferme les sues nourriciers les plus actifs. En pratique comme en théorie, on remarque que le sol ne s'épuise d’une manière ap- préciable que lorsque la graine se forme et parvient à maturité. C'est donc elle qui enlève du sol, et par conséquent du domaine, la quintessence du fumier. Par quoi ces pertes constantes sont-elles réparées dans le sol ? Il ne serait pas raisonnable d'admettre que le sol fût assez (1) Nous aurons lieu de voir que la culture des plantes oléagineuses est capable aussi de provoquer cette diminution dans le rendement, (A8) riche pour continuer à fournir aux plantes, par sa désagré- gation, même à l'aide d'une jachère , les principes morganiques qu'elles réelament pour prospérer. Ce n'est pas non plus par des importations d'engrais artificiels, importations pour ainsi dire inconnues en Belgique, qu'on arrive à ec résultat. Le fumier est donc le seul agent fertilisateur dont on fasse usage. Le fumier contenant beaucoup des éléments de la paille, mais peu des principes du grain, il s'ensuit que si le rétablissement de la quantité équivalente des principes enlevés au sol ne s’effec- tue point, ce sont les graines, et non les pailles, qui en souf- frent le plus. C'est, du reste, ce que l’on constate dans une grande partie de notre pays, où l'on obtient de beaux résultats en pailles, parce qu'elles retournent sans cesse au sol qui les à données, et de faibles produits en graines, parce que celles-ci sont constamment transportées au dehors au préjudice de l’ex- ploitation. D'après tout ce que nous avons dit, on doit avoir remarqué que la culture des céréales est organisée sur une échelle trop vaste pour être en accord avec la science agricole, et qu'elle porte atteinte à la propriété en lésant les intérêts des cultivateurs aussi bien que ceux des propriétaires. Passons maintenant à d’autres considérations; examinons les différents modes de culture de notre pays; ils serviront peut-être à nous éclairer et à nous faciliter l'explication de quelques faits dont dépend beaucoup la solution d'une des plus intéressantes questions de l’économie rurale. Si l’on fait exception pour l’Ardenne, la Campine et les con- trées où le système triennal est encore en usage, il serait bien difficile d'énumérer les différents genres d’assolements qui sont adoptés dans les autres parties de la Belgique; ils varient de province à province, de canton à canton ct même d'une exploi- tation à l’autre. Cependant ils ont généralement tous pour base la production des céréales, des plantes textiles et oléagi- neuses, Les rotations les plus communes dans le Brabant et dans une ( 499) partie des provinces de Hainaut, de Namur, de Limbourg et de Liége, sont les suivantes : : 1re année, féveroles, pommes de terre, colza (sur fumure) ; 2e — froment; 3 — seigle; 4 — trefle; 5e — froment; 62 — avoine; Ou bien : Ou bien : re année , froment ouorge (sur fumure); | {re année, froment ; 2 — seigle, turneps enseconderé- | 2% — seigle ou avoine; colle; | 5 — trefle, féveroles ou vesces; 5e — avoine, colza; | 4e — froment; 4e — féveroles, trefle; | 5e — Jin, colza ou pommes de 5e — froment; | terre. Ge — lin, pommes de lerre; | En rapprochant ces divers assolements, on remarque que les céréales et les plantes oléagineuses se cultivent annuellement sur les #/5% de l'exploitation, et, si l’on fait abstraction des trè- fles rouge et blanc, qui peuvent être considérés comme plantes améliorantes, toutes les autres épuisent sensiblement le sol, puis- qu'elles parviennent toutes à maturité. Il devient également facile de comprendre comment les culti- vateurs peuvent avoir une abondance de paille et comment ils sont parvenus à être en possession d’une grande quantité d’en- grais de ferme. Nous allons maintenant chercher à savoir pourquoi, dans des circonstances semblables, avee beaucoup de pailles et d'en- grais, on ne peut pas atteindre le maximum de production ; pourquoi les cultivateurs ont pu se plaindre d’avoir trop de fumier de basse-cour, et tirer de là comme conséquence qu'il est impossible d'augmenter le rendement de nos produits agricoles. Il n’est personne qui ne sache que les engrais de ferme for- ment la base de notre agriculture; cela est si bien reconnu et si bien établi qu'il semblerait étrange d'entrer dans des considéra- tions à cet égard. Mais sous une apparence de vérité est caché ( 200 ) un mystère que nous allons chercher à éclaireir, car 1l est la cause des opinions erronées que nous combattons. En effet, si l'agriculture scientifique possède, comme les autres branches industrielles et commerciales, des principes généraux basés sur des connaissances théoriques dont on ne peut s'écarter sans cheminer dans une fausse voie, il n’en est pas tout à fait de même de l'agriculture pratique qui, avec ses principes fondamentaux, préconise souvent des maximes qui ne peuvent qu'induire en erreur. Pour ne citer que ce qui se ratta- che aux assolements et aux engrais, nous exposerons et exa- minerons le principe suivant comme le plus généralement admis par les praticiens : « avec beaucoup de paille on fait beau- coup d'engrais, et avec celui-ci on obtient les plus belles mois- sons. » Dans l'esprit de nos cultivateurs, c’est là que réside tout le secret de la production, et cette conviction est tellement invé- térée chez eux, qu'ils méconnaissent la théorie et se refusent à croire que cet auxiliaire puisse leur être de quelque utilité. Aussi on va voir où ce préjugé les conduit. Sans doute, dans les conditions d’une bonne culture, nous pouvons croire que plus il y a abondance d'engrais plus on est en droit d'espérer de belles récoltes; mais en est-il de même pour les exploitations où l’on a conservé des assolements empi- riques? Nous ne le pensons pas, car il suffirait, pour être dans la voie la plus prospère, de posséder des engrais en grande quantité sans égard à la qualité. Rien ne seraït alors plus facile que l’agriculture; il n'y aurait qu'à cultiver les céréales sur une grande échelle pour obtenir une masse considérable de pailles. Malheureusement la terre est exigeante et capricieuse; non-seui- lement elle veut qu'on lui donne des engrais en abondance, mais elle se refuse même de produire si ceux-ci ne sont pas de bonne qualité, c'est-à-dire bien préparés, bien conservés, riches en principes fertilisants et appliqués sur le sol de manière à produire de grands effets. C’est assez dire que les engrais où la paille intervient dans de grandes portions, ne possèdent qu'une RE AE ( 201 ) valeur infiniment petite, et que, par conséquent, tous les en- grais d'hiver, produits dans la plupart de nos exploitations, nont guère de propriétés actives. Quelles sont, en effet, les matières excrémentilielles qu'ils contiennent ? Tout simple- ment les éléments de la paille que l'on administre, à dé- faut de nourriture plus substantielle, à tous les animaux domes- tiques. Nous avons déjà prouvé par plusieurs déductions théoriques qu'un engrais de cette espèce ne peut avoir une action bien mar- quante, puisqu'il ne renferme que peu de principes des graines ; il réste à savoir maintenant si les observations pratiques ne vien- nent pas confirmer cette opinion. Pour cela, il suffit de men- tionner que les cultivateurs affirment unanimement que le fumier d'été est infiniment meilleur que le fumier d'hiver, et qu'il porte le rendement des céréales à trois ou quatre fois la semence en plus que celui-ci. À quoi faut-il attribuer cet état de choses ? Uniquement à la plus ou moins bonne qualité de nourriture. En effet, les bestiaux reçoivent, en été, au lieu de paille, une nourriture verte (trèfle, herbages, etc.) plus nutritive et donnant, par conséquent, des matières excrémentielles plus riches en principes fertilisants. On ne doit donc plus être étonné si 4,000 kilogrammes de fumier d'été équivalent à 6 ou 7,000 kilo- grammes de fumier d'hiver. Il est évident que la qualité des aliments donnés aux animaux domestiques doit influer considérablement sur celle des engrais qui en dérivent, et qu'il ne peut y avoir de bons engrais là où le bétail ne reçoit qu'une nourriture peu riche en principes azotés, sulfurés, phosphorés, ete.; c’est done en faisant acquérir par sa préparation et sa conservation une valeur nutritive plus con- sidérable au famier de basse-cour; c'est en fournissant une nour- riture copieuse et substantielle aux animaux pendant la période d'hiver, et en n'effritant pas le sol parles céréales, que nous par- viendrons à apporter d'utiles modifications dans nos assolements et à perfectionner notre agriculture. (202) Pour ce qui concerne la première question, celle qui a rapport au fumier, nous en ferons l'objet d’un chapitre particulier, et, quant à la seconde, nous tâcherons de lui donner une solution en parlant des plantes légumineuses et fourragères. Qu'il nous soit permis seulement, avant de passer aux plantes textiles et oléagineuses, de faire encore quelques observations sur les assolements des contrées wallonnes. Disons d'abord que ces assolements ne contenant pas, pour ainsi dire, de plantes sarelées, les récoltes épuisantes qui se succèdent favorisent éminemment la production des mauvaises herbes. Disons aussi que la longue rotation qui s'ouvre par une fumure, oblige le cultivateur à prodiguer au sol une très-grande quantité d'engrais, d'abord parce que celui-ci renferme peu de sues nourriciers, et ensuite parce qu'il est appelé à nourrir toute une série de récoltes épuisantes pendant les 6 ou 7 années que dure la rotation. Cette pratique est très-préjudiciable, parce que, d'une part, elle est une des causes du fléchissement des céréales que l'on a si souvent à déplorer, et que, de l’autre, elle occasionne une grande déperdition d'engrais en laissant se dissiper dans les couches inférieures du sol ceux qui étaient destinés à sustenter les dernières récoltes de la rotation. En résumé, on n'a jamais su apprécier la valeur d'une nour- riture substantielle pour les animaux domestiques; on n’a jamais compris qu'en leur donnant des fourrages riches et nutritifs on relire des engrais riches et nutritifs, tandis que l'inverse a lieu si le bétail est nourri avec des substances peu nourrissantes. Ainsi, en cultivant les céréales en grand pour obtenir une masse de paille, on effrite le sol et on ne fabrique que des engrais de minime valeur. On comprendra maintenant sans peine que l'extension à don- ner à la eulture du froment, du seigle, de l’avoine, de l'orge et en général de toutes les graminées, doit être limitée d’après la nature des terrains, les ressources en engrais et les circonstances locales ; mais elle ne peut, dans tous les cas, dépasser certaines bornes que l'ensemble de l'économie peut seul faire déterminer. ( 205 ) Secrion HE, — Des plantes textiles et oléagineuses. Îl est temps qu'on produise en quantité et à bon marché les sub- stances nécessaires à l'alimentation du pays; il est temps qu'on cherche à initier l'homme des champs aux nouvelles découvertes, qu'on lui indique les moyens d'augmenter la production des céréales en diminuant la surface des terrains qui leur sont con- sacrés, et qu'enfin on lui fasse voir combien la culture des plantes textiles et oléagineuses lui est préjudiciable. Bon nombre de nos praticiens admettent que certaines plantes, telles que le trèfle, le lin, le colza, améliorent le sol; ils s'ap- puient sur ee que le froment qui leur succède paraît être plus productif qu'après d'autres espèces de plantes; un grand nombre d’autres ont une opinion différente. Pour peu qu'on scrute dans la théorie et la pratique agricoles, ces opinions particulières disparaissent et se confondent en une seule. De ce que le trèfle est éminemment propre à la eulture des céréales, ce dont on ne doute pas, et de ce que, dans certaines parties de nos provinces, on obtient de meilleurs produits après une récolte de lin qu'après une récolte de trèfle, on n’est pas au- torisé à croire que ni l’une ni l'autre de ces plantes n'épuise le sol; car nous pouvons, dès à présent, admettre avec M. Bous- singault que tout végétal, n'importe sa nature et son espèce, épuise le sol sur lequel il a erû. Nous pouvons encore admettre que plus un végétal est nutritif ou riche en principes minéraux sanguifiables, plus il épuise la terre; que plus un végétal va chercher profondément sa nourriture dans le sous-sol et plus il laisse de débris sur la couche arable, plus aussi il améliore pour d’autres espèces de plantes. C’est ainsi que le trèfle ordinaire, la lupuline,'le trèfle blane, le trèfle incarnat, etc., laissent après leur enlèvement une grande quantité de feuilles, de chaumes et de racines sur le sol; ces débris organiques, composés d'éléments puisés en grande partie dans l'air et dans le sous-sol où les spongioles des graminées ne ( 204 ) peuvent arriver, servent, par leur décomposition , à nourrir et à sustenter d'autres productions. D'un autre côté, ces plantes, pres- que toujours récoltées vertes et ne portant, par conséquent, que très-rarement des graines, se distinguent essentiellement des cé- réales et des plantes commerciales ; il nous est done permis dé dire avec raison qu'il y a plus d'amélioration pour le sol de la part des premières que de la part des secondes, et que ces légumi- neuses sont éminemment propres à favoriser l'accroissement du froment qui leur succède. Mais cette action améliorante qu’elles exercent sur les céréales prouve-t-elle qu'elles ne s'emparent au- cunement des principes du sol pour se constituer? Puisqu'on trouve que le trèfle est nutritif et riche en sub- stances salines, puisqu'il est bien établi que ces substances ne peuvent avoir été acquises qu'au détriment du sol, il est évident que la reproduction de cette plante épuise le sol et le sous-sol d'une quantité égale à celle des sels minéraux qu’elle a enlevés, ou, ce qui revient au même, en raison directe de la vertu nutri- tive que nousilui reconnaissons, comme aliment et comme en- grais vert. On peut donc déduire de ce qui précède que le trèfle est très- épuisant quant à sa propre reproduction, et que cest à cette cause qu'est due, en grande partie, la nécessité où l'on se trouve de laisser, entre deux récoltes de cette légumineuse sur le même terrain, un temps plus ou moins long suivant la fécondité du sol (1). Si l’on considère le trèfle par rapport à la succession des cé- réales, il passe dans la catégorie des plantes améliorantes, en ce sens que, sans porter atteinte au suecès des générations qui vien- nent après lui, il ajoute, par ses débris empruntés au sous-sol, un degré de plus à la fertilité de la terre arable. On comprend maintenant que des plantes très-nutritives, telles que les légu- (1) Selon les chimistes et les physiologistes , les excrétions des plantes pa- raissent aussi porter obstacle à la succession non interrompue des mêmes plantes. D’après nous, iln'en est rien, et nous aurons bientôt l’occasion de pré- senter à l’Académie de nouveaux documents qui viendront appuyer notre opinion et lever les doutes qui existent encore à ce sujet. ( 205 ) mineuses, épuisent fortement le sol pour des récoltes de même nature, tandis qu'elles l’'améliorent pour les céréales. Mais peut- on attribuer les mêmes propriétés au lin, au colza, etc.? Ces plantes peuvent-elles, comme les légumineuses, être classées parmi les plantes améliorantes? Le lin, comme toutes les graminées, se nourrit de l’atmo- sphère et du sol; cependant le premier milieu ne participe pas autant à sa formation qu'à celle des végétaux foliacés qui, au moyen de leurs organes, peuvent absorber dans un temps limité une plus grande quantité de gaz. Cette maxime des physiologistes et des agronomes, disant que plus la croissance d’une plante est rapide, plus aussi le sol doit suppléer, par les matières qu'il renferme, aux principes que l'air ne peut lui fournir en quantité suffisante, dans un très-court délai, nous paraît applicable au lin; et l’on est porté à conclure que cette plante soutire du sol la majeure partie des éléments qui la constituent. Mais quels sont ces éléments et en quoi leur absorption pent- elle être nuisible aux céréales? Les corps, tels que l’azote, le soufre, le phosphore, ete., qui concourent le plus à la formation de la graine de lin et de colza, sont précisément ceux qui sont indispensables à toute plante por- tant graines. Si nous nous en rapportons aux analyses de M. Boussingault (1), nous trouvons que les tourteaux renferment une très- grande quantité d'azote comparativement à celle qui existe dans la graine des céréales. D'un autre côté, la pratique nous apprend avec quelle puissance les tourteaux de lin, de colza, de came- line, ete., agissent comme engrais sur les céréales, et avee quelle force ils activent la croissance et le développement de toute espèce de plantes. Ces observations nous conduisent naturellement à admettre que si les marcs d'huile, employés comme engrais à la surface (1) Boussingault, Économie rurale, 1. Il, p. 147. ( 206 ) du sol, favorisent plus particulièrement la production du lin et du colza que celle des autres plantes, c’est qu'ils renferment les éléments du lin et du colza en plus grande proportion; de même, s'ils ajoutent à l'accroissement des céréales, c’est qu'ils contien- nent une quantité notable des principes constituants des céréales. Il est évident, d’après cela, que le lin, doit figurer, comme le colza et la navette, parmi les plantes éminemment épuisantes, et avec d'autant plus de raison, que toutes les parties qui le for- ment sont non-seulement puisées pour la plupart dans la pre- mière couche végétale, où il ne laisse que peu de débris de feuilles et de racines, mais encore livrées au commerce au lieu d’être res- lituées au sol. Nous avons prouvé que toute plante épuise le sol; mais cette action détériorante peut devenir plus ou moins manifeste suivant que les produits sont consommés ou non dans l'exploitation. Ainsi, le trèfle blanc parvenu à maturité effrite fortement le sol lorsqu'on le transporte hors de l'exploitation ; il l'améliore con- sidérablement, au contraire, lorsqu'on le fait consommer par le bétail de la ferme. L'énonciation de ce fuit suffit pour démontrer combien la eul- ture des plantes oléagineuses doit diminuer la fécondité natu- relle d’une terre, là où elle est fréquemment renouvelée. D'ailleurs, si la théorie exclut la culture du lin et du colza de toute exploi- {ation bien coordonnée, ce n’est pas sans motifs, car elle prouve que la tendance des agriculteurs vers la production de ces plantes, doit nécessairement leur être fatale dans un temps peu éloigné. La pratique éclairée n'est pas non plus favorable à la culture des plantes oléaginenses; ct nous pouvons assurer que si l'on avait tenu un compte exact et rigoureux de tous les faits qui se rattachent à cette branche de production, on ne l'aurait pas ac- cueillie avec tant de faveur. Comme nous avons démontré que le trèfle est améliorant et que le lin, au contraire, est souverainement détériorant, il nous reste maintenant à savoir pourquoi le froment, dans certaines localités, est moins prospère après le trèfle qu'après le lin. ( 207 ) Il n'est nullement déraisonnable de supposer qu'une plante soit améliorante, lorsque celle qui lui suecède devient plus pro- ductive qu'une autre de la même espèce qui a erû après une plante de nature différente de la première. Mais avant de faire de telles comparaisons, avant de décider si une plante est améliorante ou épuisante, ne devrait-on pas tenir compte du nettoiement du sol, de la fumure et des labours multipliés que l’on accorde à l'une et dont l'autre reste privée? Cette condition nous semble indispensable pour rendre les observations comparables. La terre que l’on destine au lin recoit généralement deux la- bours avant l'hiver et un autre au printemps avant la semaille; elle est parfaitement ameublie, bien pulvérisée et surtout soi- gneusement nettoyée au moyen de sarclages multipliés. Après Ja maturité de la récolte, au mois de juillet, la terre est déchau- mée; on la purge de nouveau des plantes parasites par des fa- cons mécaniques, de sorte qu'elle recoit une demi-jachère. Cette terre est donc placée dans les meilleures conditions de culture : elle a recu des labours multipliés, des sarclages soignés et du fu- mier en abondance. À ces avantages, on peut encore ajouter celui d'une semaille hâtive et exécutée dans les temps les plus conve- nables, attendu que le sol est préparé longtemps à l'avance. Les terres de trèfle sont loin de recevoir des préparations aussi délicates : elles ne sont ni sarclées, ni fumées et ne re- çoivent qu'un simple labour. À ces inconvénients on peut encore ajouter ceux qui résultent d'une semaille tardive et faite sur des champs infestés de mauvaises herbes. Si l'on met en regard ces diverses circonstances, sera-t-il éton- nant que l’on obtienne des produits plus riches dans le premier cas que dans le second? doit-on attribuer la richesse et l'abon- dance de ces produits à la plus ou moins grande action amélio- rante des espèces de plantes, ou bien aux labours, aux sarclages, à la fumure et aux soins d’ensemencement? Il ne peut exister le moindre doute à cet égard; et on peut affirmer, sans craindre de s'écarter de la vérité, que les terres de trèfle, les terres de féveroles, etc., destinées à être emblavées de froment, seraient ( 208 ) infiniment plus fécondes en résultats que les terres de lin, si elles étaient amendées de la même manière et soumises aux mêmes conditions de fertilité. Admettons même pour un instant que cet avantage reste encore à la culture de lin; sil existait réellement, il n’y aurait pas de raison, ce nous semble, pour ne pas cultiver dans une exploitation de 200 hectares, 60 ou 70 hectares de lin ou de colza au lieu de 10 à 12 qu'on cultive au- jourd'hui. Mais alors comment se rétablirait l'équilibre dans la fertilité du sol? Quels seraient les végétaux destinés à produire la masse d'engrais qu'absorberaient les plantes textiles ou oléa- gineuses ? Disons done que les avantages qui paraissent ressortir de la culture du lin, pour le froment qui lui succède, sont éphémères et nous trompent. Évidemment, si l'on augmentait la culture du lin, on serait obligé de restreindre celle des plantes fourragères, et une semblable mesure serait tout à fait opposée à cette loi fondamentale de l’agriculture, qui dit que « plus les plantes épuisent, plus il faut en restreindre la culture et plus on doit augmenter la production des engrais au moyen de cultures four- ragères et racines. » Nous venons de faire remarquer pourquoi le froment peut, dans certaines circonstances, devenir plus productif après lin qu'après trèfle; il nous reste encore à savoir comment il se fait qu'on obtient un effet opposé dans certaines contrées. Le lin, comme toutes les autres plantes oléagineuses, épuise la terre aussi bien dans une contrée que dans une autre; aussi bien dans un sol riche que dans un sol pauvre; seulement, dans ce dernier cas, il l’'épuise d’une manière plus manifeste. On sait que dans une terre féconde on peut, sans engrais, retirer plusieurs récoltes abondantes, tandis que, dans une autre de moindre qualité, on n'obtient que des produits chétifs. Les essais comparatifs auxquels nous nous sommes livré dans di- verses localités, ne nous laissent aucun doute à ce sujet et nous permettent de tirer quelques conséquences importantes. C'est ainsi que nous avons reconnu qu'après chaque récolte de lin, la ( 209 } terre, de quelque nature qu'elle soit, S'appauvrit toujours des substances minérales qu'elle contient, et que la différence des produits qui lui succèdent est peu ou point sensible dans les terres de première qualité, tandis qu'elle devient de plus en plus marquante à mesure qu'on opère sur des Lerrains de qualité inférieure. Voilà comment nous expliquons que l'on ait pu assi- gner au lin des propriétés améliorantes dans certaines contrées riches, et détériorantes dans des localités moins favorisées de la nature et où la désagrégation des argiles ne peut fournir que peu de principes fertilisants. Nos dernières observations sur la culture du lin ont été faites depuis peu dans une exploitation importante; nous y eultivions annuellement 15 ou 20 hectares de plantes oléagineuses, qui étaient souvent d'une beauté remarquable, et malgré ce succes, nous n'avons pas tardé à abandonner cette culture, parce que nous avons reconnu, en prenant pour base huit années d'expé- riences, que la qualité du froment succédant au lin nous cau- sait tous les ans un préjudice de 110 francs à l’hectare, sans calculer la perte d'engrais que nous eût épargnée tout autre système d’assolement. Voilà comment les cultivateurs se sont laissé abuser par une production fictive; voilà comment on les a vus, au centre de cer- taines de nos provinces, se livrer à la culture en grand des plantes textiles ou oléagineuses, avec un engouement que la per- spective d'obtenir une plus belle production après lin qu'après trèfle pouvait seule justifier. Doit-on encore s'étonner après cela, si les céréales produisent beaucoup de paille et peu de graines? Doit-on encore être surpris s'il faut aujourd'hui 15, 20 ou 25 gerbes de froment ou de seigle pour obtenir 25 à 50 kilogram- mes de graines, tandis qu'il y a 20 ans, 10 ou 15 gerbes sulfi- saient pour obtenir cette quantité? Il semble étrange , d'après toutes les remarques qui viennent d'être faites, que les cultivateurs flamands puissent obtenir 50 hectolitres de froment par hectare, tandis que la moyenne des autres parties les plus fertiles de la Belgique n'atteint pas (ATOM) le chiffre de 22 hectolitres. Pourquoi done cette énorme diffé- rence ? I suflit, pour en trouver fa cause, de parcourir les belles cul- tures de nos deux Flandres : partout on y voit d'immenses pro- duits; mais aussi quelle différence dans les procédés de culture! Quels soins apportés aux labours à la bêche et aux sarclages à la main! Avec quel empressement on restitue au sol, après cha- que récolte de lin, de colza et de navette, au moyen de tour- teaux, de suie, de cendres de Hollande et de matières solides et liquides de lhomme, les éléments que les plantes lui ont en- levés ! On voit combien nous errons dans une fausse voie lorsque nous prétendons que les plantes industrielles (auxquelles on a donné à tort le nom d’économiques) améliorent le sol au lieu de l'épuiser. Comment serait-il possible d'expliquer cette prétendue amélioration, puisque nous reconnaissons dans les mares de lin, de colza, de cameline, de navettes, etc., un des engrais les plus actifs, et dont les Flamands, si justes appréciateurs des en- grais, font un fréquent usage ? D'où dérivent donc ces mares? ne proviennent-ils pas de la graine dont on a extrait l'huile; et cette graine n'est-elle pas elle-même issue du sol qui l'a pro- duite? Nous croyons ces considérations, sur lesquelles nous avons beaucoup insisté, suffisamment étendues pour démontrer que les plantes industrielles sont éminemment épuisantes, et nous con- cluons en disant que si l’on obtient du beau froment immédia- tement après le lin dans certaines contrées, c'est là un indice trompeur que cette plante n'épuise pas le sol ; car toutes l'effri- tent, et cette action reste diversement manifeste,suivant le degré derichesse de la terre végétale et la place que ces plantes occupent dans l’assolement. Nous avons lieu d'espérer aussi que, par les explications pré- cédentes, nous aurons réussi à faire voir qu'il y a des végétaux plus où moins productifs et plus ou moins propres à améliorer la couche cultivable; qu'il nous faut enfin ‘autant que possible, (211) introduire dans notre système de culture les végétaux qui réunis- sent à la fois les deux conditions, sans perdre de vue qu'en bonne agriculture il faut restituer au sol, toutes les fois que les circon- stances le permettent, les sucs nourriciers qui lui ont été enlevés. D'après cette loi, les plantes textiles et oléagineuses doivent être banpies de toute exploitation bien administrée, pour être rem- placées par les plantes fourragères dont nous allons étudier les propriétés agricoles. La règle générale que nous venons d'énoncer peut cependant recevoir des exceptions sans déroger aux véritables principes de l’'agronomie, par exemple, là où le sol est arrivé à un très-haut degré de fertilité; alors on doit proportionner la culture de ces plantes à l'étendue du domaine. Cette règle peut encore être uu- lement modifiée là où l’on remplace exactement, comme dans les Flandres, par des engrais extérieurs où par des procédés chimi- ques, les matières premières enlevées et perdues pour l'économie. Dans ces deux cas seulement, notre opinion se modifie; deve- nant alors zélé partisan de la culture des plantes commerciales, nous la recommandons autant que nous l'avons blâmée, d'abord parce qu'elles procurent un immense produit vénal, et ensuite parce que, occupant peu de temps le sol, elles permettent de donner, après leur enlèvement, plusieurs bonnes préparations à la terre qui aident à sa désagrégation et à son nettoiement. SECTION IV. — Des plantes-racines ou récoltes sarclées. Sous Ja dénomination de plantes-racines ou récoltes sarclées, on peut comprendre les suivantes : Les pommes ce ferre, Les rutabagas, Le topinambour, La betterave, Les lurneps ou navets, | La carotte. Nous n'entrerons pas ici dans les considérations qui se ratla- chent à la culture de toutes ces plantes; le rutabaga, la betterave et la carotte seront les seules plantes dont nous nous occuperons, 14 ( 242 ) parce qu'elles offrent le plus d'intérêt pour l’économie. Cepen- dant la pomme de terre donne aussi, par sa culture , un produit lucratif, car elle est la principale nourriture de l’homme et de quelques animaux domestiques, mais la culture de cette plante est assez vulgarisée dans nos campagnes, pour que nous croyions pouvoir nous dispenser d'entrer dans des détails à ce sujet. Le topinambour paraît aussi offrir de grandes ressources dans les terres vaines ou impropres à la reproduction des pommes de terre. il nous manque encore des données expéri- mentales assez précises pour nous prononcer pour ou contre cette culture; cependant, d'après les observations restreintes auxquelles nous nous sommes livré, nous sommes autorisé à croire, quoi qu'en pense M. D'Omalius d'Anthisne (1}, que cette plante serait avantageusement cultivée dans certaines parties de notre pays, non-seulement pour les tubereules, mais encore pour les tiges récoltées vertes ou sèches et devant servir de nour- riture au bétail ou hien d'engrais aux terres arables. Sous ce der- nier rapport, le tapinambour nous paraît être déjà une très- grande ressource pour les Ardennes, où il pourrait fort bien remplacer la culture du genêt, si toutefois, en l’appliquant au sol comme engrais, on prenait assez de précaution pour en détruire la cohésion par une décomposition préalable. Il nous paraît égale- ment qu'il serait avantageux de l'introduire en Condroz, parce qu'il permettrait de livrer à la production, sans entrer dans des frais bien considérables, une partie de ces faibles pâturages que l'on voit se dessiner sur les landes, au milieu des champs en culture. L'introduction du topinambour nous paraît plus utile en Condroz qu'ailleurs, à cause de la pénurie d'engrais dans la- quelle cette contrée se trouve, du peu d'aliments qu'elle possède pour le bétail, et enfin, à cause de la compacité de son sol, qui le fait souffrir de l'humidité. Cette plante convertie en engrais, comme cela se pratique si avantageusement à Bechelbroon, à (1) Rapports faits par la Société agricole de Liége. — Séance du 28 mars 1846. ( 213 ) Hohenheïm, ete., modifie favorablement l'état physique du sol en diminuant l'onctuosité de l'argile, et en provoquant ainsi l’éva- poration de l’eau surabondante. MM. Boussingault, Ch. Morren et Schwerz nous ont donné sur cette culture des renseignements très-intéressants; nous ne saurions mieux faire que de conseiller la lecture de leurs mé- moires sur ce sujet. Le turneps, qui peut être cultivé en seconde récolte, se distin- gue des autres plantes-racines, en ce qu'il permet de tirer du sol un second produit qu'on appelle récolte dérobée. Quant à ce qui concerne ses propriétés par rapport au neltoiement de la terre, au bétail et aux engrais, elles seront suffisamment établies dans un examen ultérieur. Quels sont les avantages qui résultent de la culture du ruta- baga , de la betterave et de la carotte? 1° Les plantes-racines, par leur culture, nécessitent l’alter- nation des récoltes qui, dans les assolements, a pour avantages la conservation dans le sol des principes nécessaires aux céréales, afin d'en assurer tout à la fois une production plus luxuriante et plus certaine; 2 Elles offrent plus de chances de réussite que la plupart des autres plantes par leur insensibilité aux variations atmosphé- riques ; 3° Elles permettent, par un sarclage et un buttage renouvelés deux ou trois fois au moyen de la houe à cheval, d'entretenir le sol dans un état de propreté et d’ameublissement tel, qu'il as- sure le succès des récoltes suivantes ; 4° Elles permettent de donner sans le moindre inconvénient plusieurs labours superficiels et profonds, qui activent la dés- agrégation du sol, si utile à tous les végétaux; 5° Elles permettent d'augmenter la richesse de la couche de terre cultivable aux dépens des couches inférieures. Si l’on n'a pas oublié un point de physiologie végétale qui a déjà été discuté, on doit se rappeler que c’est à l’aide des extrémités des fibres radicellaires que chaque plante tire, par un effet d’endos- (No) mose et de capillarité, toute sa nourriture du sol. Les filaments qui forment la continuation des racines vont nécessairement s'ap- proprier la plupart des sels qui contribuent à leur formation, dans la couche qui suit immédiatement la couche arable. Ainsi ces sels, qui ne pouvaient servir en aucune manière aux plantes à racines horizontales, sont utilisés par le rutabaga, la betterave, et la carotte, qui, d’un autre côté, ont encore la propriété de s'approprier, à l'aide de leurs organes, une quantité de gaz pro- portionnée à l'étendue de leurs feuilles pour constituer la ma- tière organique. Ces plaintes, transportées et consommées dans la ferme, servent de nourriture, d’abord aux animaux et ensuite aux plantes. 11 y a done ici gain d'engrais extrait de l'air et du sous-sol, engrais qui contribue à améliorer la terre à cé- réales ; 6° Elles permettent, comme aliment, de réserver, pour la con- fection du fumier, des pailles qui étaient destinées à être ingérées par les animaux domestiques, ce qui contribue encore à augmen- ter la somme d'engrais organiques; 7° Elles peuvent enfin servir, par leurs feuilles, riches en sub- stances salines minérales, ou comme engrais, ou comme aliment vert, à une époque de l’année où ce dernier est à la fois si rare et si précieux. Le nouveau système de M. Max. Le Docte (1), qui a pour base la culture des plantes-racines, est un des plus parfaits qui ait été adopté en Belgique; il consiste à cultiver un tiers de l'exploitation en plantes-racines, légumineuses, etc., un tiers en seigle suivi de turneps en seconde récolte, et le dernier tiers en froment. Ce- pendant ce mode de culture n’est pas sans inconvénient , et nous ne croyons pas avec son auteur qu'il puisse être généralisé, qu'il puisse enfin être appliqué dans les pays pauvres comme dans les pays riches, sans recevoir des modifications assez importantes. Quelques conditions nécessaires à son application paraissent porter obstacle à son adoption générale. En effet, ce système exige : (1) Vouveau système de culture. sr Sp 2 À: 7 (215) 1° Une terre riche et profonde; riche pour y cultiver seigle après froment, profonde pour y cultiver la betterave et la ca- rotle; 2 Un climat assez favorable aux racines pour les récolter de bonne heure et pouvoir pratiquer les semailles d'automne en temps opportun ; 3° Un grand capital en circulation pour subvenir aux frais de culture, aux dépenses qu'exigent l'achat et l'engraissement des bestiaux; 4 Des bâtiments spacieux pour loger les animaux à l'en- grais; 5° Un grand centre de population pour exéeuter les travaux qu'implique la culture des racines; 6° Une grande culture pour permettre aux instruments de fonctionner librement et sans entrave. Nous pouvons conclure de ces observations que le mode de culture proposé par M. Max. Le Doete ne peut être adopté en Ardenne, en Campine, dans la Famenne, l'Entre-Sambre-et- Meuse, le Condroz, le territoire de Herve et dans une partie des contrées flamandes. Sauf les capitaux et les bâtiments étendus qu'il exige, ce système pourrait, ce nous semble, en y introdui- sant l’avoine, être adopté et pratiqué en grande partie dans le Brabant, le Hainaut, les contrées flamandes à grandes cultures, ainsi que dans une partie des provinces de Liége, de Namur et de Limbourg. On doit avoir remarqué que M. Max. Le Docte exclut la culture de l'avoine par la raison que, selon lui, elle est moins lucrative que celle des autres céréales. Nous voulons bien, avec cet agro- nome, que l'avoine soit moins productive que le fioment ou le seigle dans certaines parties de la Belgique; mais cela n'au- lorise pas à croire qu'elle soit moins riche en tous lieux. Disons avec M. Schwerz, « chaque plante a, jusqu'à un certain point, un sol qui lui est propre ou qui du moins lui convient d'une ma- nière plus spéciale; un sol dans lequel on peut avec le moins de peine l'amener au plus haut point de perfection. De même, elle (216) a un autre sol qui ne lui convient pas et dans lequel elle ne peut réussir que par une température favorable ou au moyen d’une fumure extraordinaire. De là il suit qu’elle exige d’autant moins ou d'autant plus d'engrais que le sol lui convient plus ou moins, et en outre, que son produit est d'autant moins considérable qu’elle se trouve placée, en dépit de la nature, là où elle se plaît peu ou point (1). » D’après cela, si nous jetons un regard sur les vastes champs que renferme notre pays, nous ne tarderons pas à reconnaître qu'ils sont formés d’une variété infinie de parties constituantes, et à admettre, ainsi que nous l’apprend la pratique, qu'il y a des terrains plus propres les uns que les autres à produire de belles récoltes d'avoine ou de froment. On voit donc qu’une exclusion complète de l’avoine ne pourrait être généralisée; car nous ne devons pas chercher à cultiver le seigle dans une terre qui ne lui est pas propre et qui convient particulièrement à l’avoine. Nous dirons encore avec M. Schwerz, « qu'à force de travail et de frais, on peut faire des choses en dépit de la nature; mais rarement avec avantage (2). » C’est à l'agriculteur prati- cien qu'appartient la tâche d'apporter les modifications qu'il trouvera convenables, en les appropriant à la nature de ses terrains et aux conditions qui régissent son domaine agri- cole. Passons pour un moment à d’autres considérations; voyons quels sont les avantages pécuniaires de la eulture des plantes- racines. Pour faire acquérir aux plantes-raeines la plus grande valeur, il faut nécessairement leur donner une destination différente de celle qu'elles ont habituellement. La betterave, le rutabaga, employés à l’entretien du jeune bétail et à la production du lait, n'ont pas une aussi grande valeur que s'ils servaient à l’engrais- sement du gros bétail. C’est done en les convertissant en graisse (1) Cours complet d’agriculture, t. II , p. 381. (2) Ouvrage cité, t. Il, p. 582. (21%) qu'on parviendra à obtenir de ces plantes le plus grand produit possible. En effet, si nous nous en rapportons aux expériences de M. Max. Le Docte (1), nous trouvons que chaque hectare rap- porte annuellement, en betteraves, un produit de 74,000 livres, et en argent, une somme de fr. 596, 45 c°. Ce prix, qui nous pa- raissait d'abord très-élevé, a été confirmé par nos essais; une expérience de deux années nous a donné pour moyenne d'un hec- tare de betteraves, un produit de 30,200 kilogrammes, et en argent, une somme de 515 francs. Il est bon de faire remarquer que les terres sur lesquelles nos expériences ont été faites n’é- taient pas d'une nature très-riche, et nous sommes convaincu qu'on pourrait obtenir un chiffre plus élevé dans les ter- rains de première qualité. D'ailleurs, plusieurs observations que nous avons été à même de faire dans le Brabant et dans les Flan- dres, chez plusieurs cultivateurs qui ont adopté ce système d’en- graissement, nous permettent d'évaluer le produit d'un hectare de betteraves à 40,000 kilogrammes, ou sa valeur à 630 francs. Dans les environs de S'-Trond, où l'on cultive cette racine de- puis plusieurs années pour la fabrication du sucre, le rendement d'un hectare a été porté, d'après ce que nous avons appris, jusqu'à 59,000 et même 60,000 kilogrammes. Sans contester ce chiffre, nous dirons toutefois qu'il ne peut être pris comme base dans les cas ordinaires. La carotte, un peu moins productive en volume et en poids que la betterave, ne laisse pas que d’être très-avantageuse dans une exploitation rurale. On peut s'en servir, comme de la bette- rave, pour entretenir, élever ou engraisser le bétail. Tous les animaux en général, et particulièrement les chevaux, ont pour cette racine une préférence marquée. La carotte, qui consti- tue une nourriture aussi agréable que digestive, est snbstituée à l'avoine pendant l'hiver; chaque cheval de taille moyenne en reçoit tous les jours 30 kilogrammes coupés et hachés, plus 4 (1) Nouveau système de culture, p. 252. (218) kilogrammes de foin haché (1). Ce régime commence en dé- cembre et se continue pendant cinq mois. Ces données sont suflisantes, croyons-nous, pour démontrer clairement les avantages que nous offre ce genre d'alimentation; nous ajouterons cependant que la culture des carottes sur une grande échelle nous a constamment donné tous les ans, dans notre exploitation, une économie de 1800 à 2000 francs, ce qui a porté le rendement de l'hectare à 360 francs. D'après tout ce que nous avons dit, on aura reconnu que les cultures-racines sont appelées à jouer un rôle important dans l'augmentation et la richesse de nos produits. Si l’on jette un eoup d'œil sur le passé, on voit que l'agriculture est restée station- naire aussi longtemps qu'elle s'est refusée à admettre les plantes fourragères qui devaient la faire prospérer. La luzerne, lalupuline et le trèfle sont les plantes qui l'ont fait sortir de sa léthargie. Les agronomes étaient donc dans le vrai lorsqu'ils ont dit que de l’époque de l'adoption du trèfle date l'ère nouvelle de l'agricul- ture. Mais ces cultures, tout en ayant apporté d'heureuses mo- difications aux systèmes d'assolement, n'ont pas entièrement rempli le but auquel on les destinait, à savoir : le nettoiement du sol et sa désagrégation par des opérations mécaniques multi- pliées. Il est constant, en effet, que la jachère est encore une nécessité lorsque le sol est infesté de mauvaises herbes. Il est constant aussi que la culture des fourrages n’a été adoptée dans le principe que pour parer aux pertes qu'on essuyait en laissant la terre en jachère. Pourquoi done ne portait-on pas ses vues sur les plantes à racines pivotantes, alors qu'elles remplissaient toutes les conditions désirables ? Ces faits ne peuvent s'expliquer que de deux manières; voici comment : (1) La proportion de nourriture à administrer à un animal doit varier suivant l’âge, le développement , la santé et l’état de graisse où il se trouve. Comme le fait remarquer M. Desaive, on doit surtout, pour l’engraissement , éviter la satiété en mettant les aliments en rapport avec le progrès de l’embonpoint et la diminution de l'appétit. (Max. Desaive, les Animaux domestiques, p. 551. Liége, 1842.) (121190) La culture des fourrages-feuillus a été admise : 1° Parce qu’elle n'exige pas de frais considérables; 2° Parce que ses produits peuvent être utilisés dans l’écono- mie animale, sans gène, sans déplacement. La culture des fourrages-racines a été repoussée : 1° Parce qu'elle entrainait à de grands frais qu'on ne croyait pas pouvoir récupérer; 2° Parce qu'elle demandait des soins et des opérations qui ne pouvaient se faire qu'à bras d'hommes, 5° Enfin parce queses produits ne pouvaient servir que comme aliments aux bêtes à lait et aux élèves. Aujourd'hui que tous ces obstacles sont aplanis, que Îa culture a fait des progrès, qu'on ne craint plus de faire des avances à la terre, que l'on possède des instruments perfec- tionnés; aujourd'hui enfin qu'on est parvenu à donner aux ru- tabagas, aux betteraves et aux carottes une destination lucra- tive, il est à espérer, et nous le désirons vivement, que l'on profite de ces nouvelles découvertes pour adopter la culture des racines. Puisque ce sont les plantes fourragères-racines qui emprun- tent à l'air et aux couches inférieures du sol les substances qu'elles réclament pour prospérer ; puisque ces racines sont toutes con- sommées dans l'exploitation par les animaux domestiques; puis- qu'enfin ce sont elles qui produisent les engrais sans presque rien enlever à la couche cultivable, il est évident que plus un assole- ment comprendra de ces plantes, plus il produira de denrées et d'engrais de bonne qualité pour une surface donnée (1). (1) Une expérience aussi ingénieuse qu’utile a été tentée récemment chez M. Streel, à l'Espinette (Brabant), sur l'application à la culture du lin de la culture en lignes des carottes à collet vert. Les avantages qui paraissent en ré- sulter sont plus grands qu’on ne l'avait prévu. Toute l'opération consiste à confier la graine de carottes à la terre en même temps que la graine de lin. Les sarciages à la main qu’exige cette plante oléagineuse empêchent les mauvaises herbes de pulluler et d’envahir le champ; de sorte que, à l’époque de son arrachement, les plantes-racines ont Srcrion V. — Des plantes fourragères proprement dites. Parmi les végétaux qui devraient figurer dans la catégorie des plantes fourragères proprement dites, on pourrait comprendre les suivants : Le trefle rouge, La lupuline, Le trefle blanc, La spergule, Le trefle vivace, ; La luzerne, Le trefle incarnat , L’esparcette ou sainfoin, etc. Nous ne parlerons iei que du sainfoin, parce qu'il mérite plus que les autres plantes fourragères, d’ailleurs déjà très-connues, une attention toute spéciale, et que nous voudrions le voir oceu- per une plus grande étendue de nos terres arables. Quels sont les avantages qui résultent de la culture de l’es- parcette ? 1° L’esparcette est peu exigeante qnant à la nature des terrains et ne demande que peu d'engrais (os, plâtre, chaux) pour prospé- rer, attendu qu'elle va puiser une grande partie de ses aliments dans les profondeurs du sol à l’aide de ses longues racines; 2 Elle résiste aux plus fortes gelées et aux plus grandes sé- cheresses de nos climats; 3° Elle donne un rendement très-considérable. Naguère en- core l'esparcette ne produisait pas autant que le trèfle ou la luzerne; mais depuis que l'on a gagné une nouvelle variété à deux coupes, elle dépasse en production toutes les autres espèces de plantes, qui d’ailleurs exigent des engrais, des terres profondes déjà acquis une belle croissance sans avoir occasionné le moindre tort aux plantes filamenteuses. Aussitôt la récolte de lin terminée, on travaillelaterre, à plusieurs reprises, à l’aide de la houe à cheval ; les carottes, recevant ainsi des sarclages multipliés, donnent des produits qui, sans égaler ceux que l’on obtient sur jachère, sont incomparablement plus abondants que ceux semés à la volée ou obtenus en seconde récolte après seigle, orge, etc. ( 291 ) et substantielles. D’après nos observations et celles de quelques agriculteurs distingués de l’'Entre-Sambre-et-Meuse, qui se sont livrés à des expériences comparatives, ce précieux fourrage pro- duit en espèces l'équivalent d’une excellente récolte de froment, lorsqu'on laisse venir la seconde coupe à graines et qu’elle se trouve dans les conditions voulues ; 4° Elle laisse, après quelques années de culture, le sol con- sidérablement amélioré par ses débris annuels, et permet, lors- qu'on désire le mettre de nouveau en culture, d'y récolter des graminées avec suecès et sans engrais pendant plusieurs an- nées ; 5° Elle donne des produits pendant douze et jusqu'à vingt ans consécutifs ; elle ne demande pas, comme les autres plantes an- nuelles, à être ensemencée tous les ans : de là une grande éco- nomie de graines et de travaux de culture nécessaires à tout ensemencement ; 6° Elle constitue le fourrage le plus sain et le plus nutritif que l'on connaisse jusqu’à présent pour les animaux domestiques. « Consommée verte, l’esparcette n’a pas la dangereuse propriété de produire la flatuosité et la météorisation qui sont attachées au trèfle, et ses tiges ne deviennent pas ligneuses, comme celles de la luzerne, même à l'état de pleine floraison (1). » « On nour- rit moins bien un cheval avec de l’avoine et du foin médiocre de prairies naturelles qu'avec du foin d’esparcette tout seul. La graine, lorsqu'on ne peut pas en tirer parti autrement, est aussi une excellente nourriture pour les chevaux et passe pour être deux à trois fois aussi nutritive que l’avoine (2); » 7° Elle est, comme la luzerne et le trèfle incarnat, très-pré- coce et très-printanière et peut être fauchée verte quinze jours ou trois semaines avant les autres plantes herbacées, ce qui est très-important pour l’économie animale. (1) Schwerz , Culture des plantes fourragères formant la troisième par- tie des préceptes d’agriculture pratique. Paris, 1842, p. 160. (2) Ouvrage cité, p. 173. (22 ) Pour indiquer tous les avantages de l'esparcette, nous dirons qu'elle prospère, pour autant que le sol ne soit ni trop sale, ni trop humide et qu'on Jui fournisse l'élément caleaire, sil ne le possède pas naturellement. « On croyait autrefois que le sainfoin ne venait que dans les terres calcaires; mais sa réussite dans les grèves siliceuses de la plaine de Thionville et de plu- sieurs autres lieux prouve qu'il s'accommode de tous les terrains secs et pierreux ({). » Nous ne craignons pas d'affirmer que l'introduction de cette plante fourragère dans un assolement constituerait une branche intarissable de prospérité. Il suflira, d’ailleurs, pour faire re- marquer combien cette opinion est fondée, de dire que, depuis nombre d'années, nous avons ensemencé en esparcelte des ter- rains de nature pierreuse que l'on eitait dans le pays comme nio- dèles de la plus complète stérilité. Ces terrains, après avoir subi l'opération d'un épierrement superficiel nécessaire pour la fauehaison, ont donné des récoltes pleines de vigueur et même comparables aux productions de nos meilleures prairies na- turelles. Les avantages déjà immenses qui résultent de la culture de l'espareette ne sont encore que secondaires si on les compare avee ceux qu'elle procure, en permettant d'utiliser les terrains de qualité médiocre, qui ne donnent que de chétifs pâturages, et de les porter ainsi à un point de production sinon supérieur, du moins égal à celui de nos meilleures terres cultivées ou consacrées aux prairies. Il importe, néanmoins, qu'on ne se fasse pas illusion. Toutes les terres ne sont pas également propres à la culture de l'espar- cette; comme la luzerne, elle eraint le terrain humide et imfesté de mauvaises herbes: il est done essentiel d'éviter de Ja meitre dans de semblables circonstances, qui abrégeraient sa longévité, ear elle ne tarderait pas à succomber sous l'influence de lune ou de l’autre de ces causes. (1} Moil. Manuel d'agriculture, ou traité élémentaire de l’art du cul- tivateur , p. 150. Bruxelles, 5° édition. ( 2250) Nous avons vu attribuer l'insuccès de la culture de cette plante à une cause, tandis qu'il était dû à une autre. Ainsi, on à prétendu que cette espèce de prairies artificielles à des caprices et que son succès est souvent problématique. Ceux qui tenaient un pareil langage ne se doutaient sans doute pas que leurs mécomptes devaient être uniquement attribués à leur pro- pre inexpérience. À part les inconvénients qui viennent d'être signalés , l'esparcette réussit partout, pour autant qu'on lui four- nisse des sels calcaires en proportions convenables. Lorsque le sol ne pèche pas par un excès de plantes parasites, on peut aisément l'entretenir dans un état de propreté constante par des sarclages à la main; mais ces opérations étant très-coû- teuses , elles sont loin d’être possibles pour tous les cultivateurs. Il existe heureusement d’autres moyens à la fois plus expéditifs et plus économiques pour purger le sol des plantes adventices. La méthode que nous employons depuis plusieurs années nous paraît être assez bonne pour être rappelée ici : elle consiste à donner tous les ans aux terres emblavées d'espareette une cer- taine dose de sels calcaires, réduits en poudre, el à y joindre de la chaux caustique que l'on a soin d'employer en couverture par un temps sec; cette dose doit varier d’après la fécondité et d’après la nature physique et chimique du sol. Après avoir dis- posé la chaux en petits tas pour la faire désagréger, on la répand également sur toute la surface du terrain; on donne ensuite plusieurs hersages énergiques en sens opposés avec la herse à dents de fer. Il résulte de cette opération que les mauvaises herbes, qui tendent à occuper la superficie, sont en grande partie extirpées et détruites, tandis que les plantes fourragères ne sont nullement endommagées, comme on pourrait le sup- poser. La terre est aussi rendue plus meuble, circonstance qui permet aux agents aériens de pénétrer librement dans l’intérieur du sol pour aller augmenter ses propriétés végétatives. Quelques jours suffisent pour faire reprendre aux fourrages ainsi traités plus de vigueur et une teinte plus foncée qu'auparavant. Dans le but. de remplacer le sarelage à la main, nous avons ( 224 ) expérimenté plusieurs méthodes de culture. La semaille en lignes nous à paru, pour les terrains exempts de pierres, la plus propre à remplir ce but. Nous sommes parvenu, par ce procédé, à augmenter sensiblement la production des fourrages et, d'après une moyenne de deux années , la plus-value a été portée à un sixième. Si nous nous en rapportons à nos expériences, il ré- sulterait que les lignes d’esparcette doivent être distancées de 50 centimètres, et les plantes dans la ligne, de 6 à 8 centi- mètres. Il serait vivement à désirer que les cultivateurs, tant des con- trées riches que des pays pauvres, se livrassent à des essais que méritent , à si juste titre, des plantes aussi productives sous tous les rapports. Ces essais, dont la réussite n’est pas douteuse s'ils sont faits dans les conditions que nous venons de décrire, enhar- diraient les plus timorés, et l’on se familiariserait insensible- ment avec des procédés nouveaux, qui devraient à jamais faire tomber dans l'oubli des méthodes auxquelles on peut reprocher plus d'un vice et plus d’un défaut, Nous croyons avoir donné assez de détails sur l’utilité et les avantages de l’esparcette, pour nous dispenser d'entrer dans de nouveaux développements; ils n'offriraient d’ailleurs qu'un mé- diocre intérêt. Nous ferons seulement remarquer que partout où la nature physique du sol ne présente pas d'obstacles à sa culture, cette plante précieuse devrait, comme les plantes-racines, entrer pour une part sensible dans tout assolement perfectionné. Nous terminerons ce chapitre en disant que c'est à l'aide des légumineuses et des plantes-racines que nous parviendrons à faire produire à la terre 28 ou 30 hectolitres de céréales là ou elle n’en donne aujourd'hui que 20 à 22 hectolitres; que c'est à l’aide de ces plantes, des instruments aratoires perfectionnés et des engrais bien préparés et appliqués judicieusement sur le sol que nous pourrons rivaliser, sur une plus ou moins grande échelle, avec la culture jardinière si florissante de nos deux Flandres. ( 225 ) CHAPITRE IL. DES PRAIRIES. Les prairies naturelles offrent de grandes ressources dans une exploitation rurale. Sous le rapport de l'amélioration du domaine, elles procurent des avantages éminents, lorsqu'on sait donner à cette culture une juste extension en rapport avec la disposition des lieux. Malheureusement, dans beaucoup de localités, on s'est écarté de ce principe. Cest une erreur grave de croire qu'une ferme est d'autant plus productive et avantageuse qu'elle possède plus de prairies naturelles. Nous voyons, en effet, dans certaines parties du Brabant, des fermes qui ne possèdent aucune prairie naturelle et qui, par leurs riches productions, se distinguent cependant des exploitations voisines qui possèdent une grande quantité de terrains engazonnés. Nous croyons pouvoir poser en prineipe qu'à part quelques exceptions, les prairies naturelles ne sont réellement utiles et lu- cratives que là où elles sont susceptibles d'irrigation. C'est ce que nous allons démontrer. Personne n’ignore que, pour obtenir beaucoup de foin, il est nécessaire de restituer aux prairies, d'une manière quelconque, les engrais qu'elles perdent tous les ans par l'enlèvement des produits. Cette restitution s'opère ordinairement au moyen d'irrigations ou bien au moyen d'engrais de ferme solide ou liquide. Les eaux de source, d’étang et de rivière, dont on laisse s’im- prégner la terre dans certaines saisons de l’année, jouent, comme on sait, un rôle très-important dans la croissance de l'herbe. Cela s'explique : les eaux de rivière et d'étang, surtout lorsqu'on brasse le dépôt qui occupe le fond, déposent toujours sur le sol un limon qu'elles tiennent en suspension et qui est plus (22% ) ou moins riche en matières fertilisantes ; 1l est ordinairement composé de détritus animaux et végétaux et de matières ter- reuses. C'est cette matière limoneuse que nous trouvons déposée au fond des étangs, et qui constitue un engrais lrès-actif et de très-longue durée sur le sol cultivable, lorsqu'on a la précaution de le mélanger avec la chaux. Ces eaux contiennent, en outre, en solution, comme l'eau de source, des gaz et des matières salines propres à nourrir les plantes. Voilà comment les irrigations, soit par immersion, soit par infiltration, peuvent, toutes les autres conditions étant remplies, réparer les pertes continuelles qu'é- prouve le sol et lui ménager une végétation luxuriante, C’est sur ces propriétés que repose le système des irrigations émis par M. Kümmer pour la formation des prairies dans la Campine (1). Les engrais de ferme remplacent parfaitement l’action des eaux fertilisantes sur les prairies, lorsque celles-ci ont la propriété de conserver une humidité suffisante au développement de l'herbe. Mais, à nos yeux, cette pratique est vicieuse, en ce sens qu'elle empèche de tirer des engrais et des terres cultivables un parti plus lucratif. . Une prairie n'est réellement avantageuse que lorsqu'elle est susceptible de donner, sans dépense d'engrais, des aliments très- riches en principes sanguifiables et servant de nourriture aux animaux domestiques en remplacement des pailles, que l’on doit, autant que possible, utiliser sous forme de litière, pour consti- tuer ensuite un excellent engrais ou fumier exclusivement des- üiné aux terres arables. Mais lorsqu'une prairie ne peut être arrosée par les eaux, c'est-à-dire, lorsqu'on est obligé de l’en- tretenir aux dépens des engrais qui doivent être employés sur les terres à céréales, les résultats avantageux que nous venons de constater sont considérablement diminués, parce que les (1) « Il n°y a proprement dit de mauvaises eaux que celles qui contien- nent des substances minérales vénéneuses qui sortent des marais tourbeux , des grandes forêts , et qui sont chargées de principes acides et astringents. » (Kümmer, Défrichement des bruyères de la Campine, p. 9.) | 227 ) plantes annuelles qui occupent les terres subissent une diminu- tion proportionnée à celle des engrais dont on Îles a privées pour fumer les prairies. Si l'on obtient une grande quantité d'excellent foin en appli- quant aux prairies du fumier de basse-cour, ce n'est certes pas sans porter préjudice aux céréales et aux légumineuses. 1} pa- ait done plus rationnel de conserver les fumiers et les engrais liquides pour les terres arables, afin d'en retirer le plus grand produit, et de restreindre l'étendue des prairies naturelles qui ne sont point susceptibles d'irrigations. Nous ne ferions du reste, en cela, qu'imiter le système si renommé des Anglais et des Flamands, qui conduisent toutes les urines sur les terres eulti- vables (1). IL est à remarquer que l'importance qu'on attache aux prairies naturelles est d'autant plus grande que Ja culture d’une contrée est moins avancée et que celle des plantes fourragères v est moins connue, Au contraire, cette importance est d'autant plus minime que l'agriculture y est plus prospère et que les assole- ments comprennent plus de plantes fourragères, Partons des régions ardennaises ou campinoïises et passons par le Condroz, la Hesbaye, le Brabant, une partie de l'est de la province de Hainaut, et dirigeons-nous vers le centre du pays de VWaes; nous aurons ainsi parcouru successivement des contrées qui attachent différents degrés de valeur et d'impertance aux prai- ries permanentes. Dans le Luxembourg et la Campine, on les con- sidère comme la plus grande richesse du pays. Aussi en crée-t-on tous les jours de nouvelles dans les terres vaines ou cultivées, A l'exception des parties de prairies qui avoisinent les villes ou qui sont situées à proximité des fleuves ou des rivières, tels que l’Escaut, la Meuse, la Sambre, la Nèthe, etc., à mesure qu'on se rapproche des contrées riches du Hainaut et des Flan- (1) Nous aurons lieu de voir, en parlant des engrais liquides, une méthode à l’aide de laquelle on pourra les transporter sur les terres avec économie et sans inconvénients pour les travaux agricoles. æ Qt ( 228 }) dres, les terrains engazonnés diminuent de plus en plus et ten- dent même à disparaître presque entièrement. Si l'on s'en rapporte aux considérations qui ont été émises, au sujet des assolements, sur l'extension à donner à la culture de la luzerne, et surtout du sainfoin, il n'est pas difficile de com- prendre que les prairies d'une exploitation pourront avantageu- sement être supprimées lorsqu'on sera parvenu à produire ces précieux fourrages. D'un autre côté, sil est vrai que l'on peut déjà en retirer de grands fruits dans les cas ordinaires, combien: les possesseurs des prairies naturelles, qui ne peuvent être sou- mises aux irrigations, n'augmenteraient-ils pas leurs profits en les convertissant en terres arables destinées à la production de la luzerne et du sainfoin ? Il serait superflu de s'étendre davantage sur cetteméthode; les différentes considérations que nous livrons aux méditations des agronomes et des agriculteurs suffisent pour se persuader des avantages qui doivent surgir de son application Nous passerons done sans autre examen à la culture des prairies et à leur en- trelien. Les prairies proprement dites sont généralement négligées en Belgique. À quelques rares exceptions près, on ne voit de prairies bien soignées que dans le voisinage des villes et sur les bords des fleuves et des rivières, et là où elles sont entretenues et exploitées par des distillateurs ou par des spéculateurs. Au sein des campagnes, on ne remarque guère de pâturages of- frant cet aspect riant et enchanteur que l'on se plaît à admireraux abords des propriétés seigneuriales , et qui n’ont encore été jus- qu'ici qu'un objet de luxe tout particulier. Cependant le pays de Herve et le Limbourg méritent aussi, par leurs bonnes et'belles prairies, de grands éloges. Le pays de Herve surtout se dis- tingue essentiellement des autres par l'abondance et la supério- rité de ses pâturages, ce qui lui a valu la réputation européenne qu'il s’est acquise par son excellent laitage, par son beurre et son fromage si estimés. Comme dans le pays de Herve, nous voudrions voir les autres ( 229 ) contrées de la Belgique consacrer à l'entretien de leurs prairies ces soins et cette activité qui contribuent si puissamment à les rendre fécondes. Alors elles pourraient aussi captiver l'œil et ri- valiser avec celles qui font tant d'honneur aux gens laborieux qui y consacrent tous leurs soins. Ce but ne pourrait être atteint sans travaux préparatoires; et, d'abord, comme condition indispensable, il serait urgent que l'on fit disparaître les massifs de chardons, de jones et de ro- seaux, les plantains, les panais sauvages, la mousse et les diffé- rentes autres plantes nuisibles qui occupent une certaine surface de nos prairies permanentes et donnent une si mauvaise qualité au foin. Les végétaux nuisibles que nous venons de signaler sont les véritables ennemis du bétail et de très-mauvais voisins pour les herbages tendres qui les entourent. Leur destruction est done nécessaire si elle n’est pas indispensable. Ce résultat peut s’ob- tenir par des moyens aussi simples que faciles : le chardon périt lorsqu'il est fauché deux fois la même année par un temps de pluie et avant qu'il ait porté graines. L’eau contribue beaucoup à cet acte de dépérissement : elle pénètre dans le tube du col- let, et le végétal se gâte à sa base. Le plantain et le panais sauvage disparaissent bientôt d'une prairie lorsqu'on a soin de couper la fleur ou la tige avant la fructification. Le jone et le roseau, ou les autres plantes de cette famille, indiquent tou- jours un sol humide et aïgre. La destruction de ces plantes est plus difficile : cest en vain qu'on a cherché à y parvenir en les coupant sans cesse ou en les extirpant ; au contraire, leur vigueur n'en devenait que plus forte. C’est uniquement à l'humidité du terrain que l'on doit attri- buer la propagation de ces plantes aquatiques. C’est donc aussi en modifiant sa nature par des saignées à ciel ouvert ou par des canaux souterrains, comme cela se pratique si avantageusement en Écosse et dans une partie de l'Angleterre, que l'on parvien- dra à les faire disparaître entièrement. Cependant, lorsqu'il n'est pas question de terres cultivables, lorsqu'enfin il ne s’agit que ( 250 }) de prairies, la première méthode, qui est moins coûteuse que la seconde, nous parait préférable. Les tranchées à ciel ouvert ne faisant qu'un office purement mécanique, il serait aussi très-facile à ceux qui, par une cause quelconque, désireraient utiliser leurs surfaces, de pratiquer des galeries souterraines. Toutefois, avant d'entreprendre l'exécu- tion de travaux d’une telle importance, il est toujours bon d’étu- dier le sol, de s'enquérir de sa nature et de ses stratifications inférieures ou de la superposition des couches, car « un marais en plaine, provenant d’une couche de terre impénétrable et qui repose sur une couche perméable et meuble, peut être assaini par des forages, pratiqués de distance en distance, par lesquels on perce les couches imperméables, de manière que les eaux puissent se perdre dans la couche inférieure qui leur livre passage (1). » Après avoir obtenu d’une manière ou de l'autre un desséche- ment complet, il devient nécessaire de neutraliser les principes astringents du sol par un léger dosage de chaux simplement hydratée, renouvelé plusieurs années de suite, ou bien par la chaux carbonatée. Sous ce dernier état, on n’a pas à craindre sa causticité, et on peut, en conséquence, l'employer en plus forte proportion. Sous forme de carbonates, on peut se servir de marne ou de craie; mais les deux premières années, il est préférable d'employer la chaux non acidifiée, parce qu’elle agit plus instan- tanément. Il est à regretter que cet amendement, qui est en même temps un engrais, soit si peu connu en Belgique, alors qu'en Alle- magne et en Alsace son utilité est si bien comprise par tous les agriculteurs, qui en font usage sur les prairies. Nous l'avons nous-même employé sur des sols humides avec des avantages incontestables; les vésultats obtenus ont toujours consisté en produits plus drus, plus abondants et de meilleure qualité, ear il est clair qu'un sol aigre-acide communiquera toujours au foin (1) J-A. Schlipff, Manuel populaire d'agriculture, etc.; p. 18. Paris, 181 (er) (12611) qui en dérivera une saveur aigre et acide, qui est généralement repoussée par les animaux domestiques (1). La mousse est détruite au moyen de chaux réduite en poudre ou hydratée, que l'on applique avec précaution pour ne pas en- dommager l'herbe, lorsqu’aux premières chaleurs du printemps le gazon a perdu son excès d'humidité. On fait ensuite fonction- ner une herse, dont les dents de fer sont suffisamment rappro- chées les unes des autres pour entraîner la mousse, dont on forme des tas qui sont soumis à l'incinération, et qui fournissent ainsi, par leurs cendres, des engrais riches en sels alcalins. Jl arrive fréquemment que l’on doive opérer sur des prairies marécageuses ou tourbeuses, et qui, par le défaut de connais- sances suffisantes chez nos agriculteurs, ne peuvent être amé- liorées, et sont ainsi condamnées à rester dans leur état de stéri- lité primitive, tandis qu'elles seraient susceptibles de décupler leur rendement sans exiger l'intervention d’un bien grand capital. Un gazon où l'eau prédomine, donne toujours, comme on sait, une herbe aqueuse, aigre et de mauvaise qualité, qui est, dans la plupart des cas, insalubre et nuisible au bétail. On peut le modifier sensiblement en tenant compte de l'état du sol sous le rapport de son assainissement, de sa porosité et de son acidité. L'assainissement d'une prairie s'obtient assez facilement par un bon système de rigoles, lorsqu'elle offre un plan légèrement incliné et susceptible d'entraîner les eaux et de faciliter leur écoulement. On acquiert des notions sur la disposition des ter- rains à l’aide d'instruments peu coûteux, parmi lesquels nous citerons le niveau d'eau. Lorsqu'on désire obtenir l'assainisse- ment d'une terre qui souffre de l'humidité, il est toujours bon d'examiner la nature du sous-sol jusqu'à une certaine profon- deur, car l'humidité qui se manifeste ordinairement dans les vallons est due parfois à une accumulation d'argile plastique sur laquelle repose la couche végétale, Dans ce cas, quelques (1) Nous reviendrons plus tard sur ce point. ( 232 ) puits forés à travers la couche imperméable suffraient pour dé- terminer l'écoulement spontané des eaux. Une prairie marécageuse, et particulièrement tourbeuse, pré- sente une terre dont les parties constituantes sont d’une grande porosité. Dans cet état, elle est toujours nuisible aux plantes agricoles : 1° Parce qu’elle donne un accès trop direct aux fluides aériens lorsqu'elle ne contient pas d’eau et qu'un effet contraire’ a lieu lorsqu'elle en est submergée; 2 Parce qu'elle n'offre pas assez d'appui et de matières ter- reuses aux plantes et que, par suite, leurs tiges ou leurs parties herbacées fléchissent et versent; 3° Enfin, parce qu’elle laisse des vides entre ses molécules : l'eau en se congelant en hiver, augmente le volume de la partie supérieure du sol et déracine les plantes. Pour remédier méthodiquement à ces inconvénients, il est indispensable de renouveler le gazon après le desséchement com- plet du sol, en l’enlevant, soit par un labourage, soit par l’action de l’écobuage. Par la première méthode, on retourne à la char- rue la terre engazonnée et on y cultive des plantes annuelles ou bisannuelles, jusqu'à ce qu'elle ait perdu ses formes et ses caractères primitifs. Lorsque cette conversion en terre arable a duré trois ou quatre ans, on confie alors au sol de la bonne semence de foin de prairie, et la transformation est opérée (1). Cette pratique est incontestablement la meilleure lorsque la nature du sol en permet l’application; mais il arrive souvent que lon doive opérer sur des terres qui contiennent une quan- tité notable de débris végétaux qui les rendent peu consistantes (1) Les bonnes graines herbagères sont antipathiques aux terrains vaseux et aqueux ; elles ne germent pas ou ne végètent que très-imparfaitement dans les terrains tourbeux ou marécageux, landis que les plantes aquatiques y lèvent très-bien. Ces faits expliquent parfaitement pourquoi chaque nature de sol réclame les plantes qui lui sont propres, et combien il importe de faire disparaître toute l’eau surabondante par des assainissements , avant et même après l'exécution d'une nouvelle semaille, (1233 ) et impropres à la culture des graminées et des légumineuses pendant un temps assez long. Dans ce cas, la manière de tirerle plus promptement et le plus avantageusement parti de ces ter- rains serait de les soumettre à l'écobuage, pour en recueillir les cendres et les répandre à la surface. Il serait sans doute moins dispendieux d'enfouir le gazon à la charrue, mais les résultats qu'on obtiendrait ne seraient qu'im- parfaits, et cette économie serait d’ailleurs mal entendue, car le retard qu'on éprouverait à recueillir le fruit de ces améliorations serait infiniment plus préjudiciable que la dépense faite pour de pareils travaux. La méthode que nous proposons aurait aussi pour effet de re- médier à la porosité du sol et à son peu de cohésion, en détrui- sant par la calcination l'excès de matières végétales qu'il contient et en les lui rendant sous forme de cendres qu’on appelle cendres de tourbes ou de Hollande, contenant des sels métalliques si estimés par les Hollandais, les Ecossais, les Ardennaïis et les Flamands. L'écobuage des prairies marécageuses ou tourbeuses est en- core un prompt auxiliaire pour faire disparaître les végétaux agrestes et aquatiques impropres à l'alimentation du bétail, et donner place à des plantes vivaces nutritives, qui s’harmoni- sent à la fois mieux ayee la nature plus sèche du sol et le goût ou le tempérament des animaux. L'écobuage du gazon une fois terminé, on applique une assez forte dose de chaux ou de marne avant la semaille; cette base salifiable accélère la décomposition des matières végétales qui restent dans les couches inférieures, s'unit aux acides organiques etinorganiques, et forme ainsi des sels assimilables tout en faisant disparaître peu à peu les derniers vestiges des plantes aquatiques, ce qui augmente le produit et la qualité de l'herbage. L'application des semences de foin doit suivre de près celle de la chaux : il im- porte que la semaille se fasse aussitôt que la causticité de cette substance est un peu neutralisée. Il est très-important de faire un bon choix de graines lors- qu'on a l'intention d'améliorer un pré ou de rendre l'herbe plus (254) deue; enr de sa qualité dépend souvent le plus où moins grand rendement du foin. Nous insistons sur ce point capital, parce que cette précaution à rarement été l'objet de l'attention du eullivateur. Jusqu'ici, lorsqu'on a cherché à renouveler un ga- zon, on à toujours préféré suivre, comme tradition, cette cou- tume vicieuse qui consiste à recueillir indistinctement sur un fénil quelconque, toutes espèces de graines, sans s'enquérir de la qualité du foin, de la nature du sol dont il provient, sansmêmes inquiéter si elles sont mélangées ou non de semences de mauvaises herbes. Un tel procédé peut offrir des avantages en ce qu'il n'exige aucune dépense, mais il ne compense guère les pertes qui résultent toujours d'un travail imparfait, alors surtout que ce travail doit produire des effets pendant une longue suite d'années. Nous ne cessons de le répéter, on doit toujours faire choix de graines d'herbes qui sembient le mieux convenir à la nature du sol. Les botanistes comptent une variété infinie de plantes vivaces qui peuvent former d'excellents prés à foin, et parmi lesquelles on distingue celles de la famille des graminées, des légumi- neuses et des chicoracées comme devant occuper le premier rang. Au nombre des graminées, nous distinguerons particulière- ment : l'avoine élevée, le ray-gras, la flouve odorante, le vulpin des prés, l'agrostide, le dactyle, la crételle, la fléole, la phala- ride, le panais, la houlque, la fétuque, la brize, le paturin, ete, et au nombre des légumineuses, nous citerons : la luzerne, les trèfles rouge et blanc, le mélilot, le lotier, la coronille, le fenu- grec, la gesse, etc. (1). Partout où la culture des terres arables paraît le plus perfec- tionnée, les prairies semblent être moins bien entretenues; nous avons eu lieu d'observer, dans certaines localités des Flandres et du Hainaut, des prairies naturelles sales, négligées et peu (1) On peut se procurer ces graines chez MM. Vandendrisse et Panis. Grand” Place à Bruxelles, chez M. Reul à Liége, et généralement chez tous les mar- chands srainetiers renommés de la Belgique, (9550) productives, tandis que le sol décelait tons les caractères d’une grande fertilité. Nous avons fait remarquer précédemment que les terres la- bourables de ces contrées reçoivent annuellement de nombreux sarclages à la main. L'exécution de pareils travaux porterait à croire qu'une surface, sur laquelle les herbes parasites ne vien- uent jamais à maturité, devrait rester dans un état de propreté remarquable ; mais l'expérience tous les jours mieux constatée des cultivateurs des Flandres et du Hainaut, modifie singulière- ment cette opinion. En effet, leurs terres, soumises pendant une année à des sarclages fréquemment renouvelés, se couvrent l'an- née suivante d'une masse considérable de nouvelles plantes nui- sibles. Ce fait mystérieux n'avait pu jusqu'à présent trouver d'explications satisfaisantes : nous avons été assez heureux pour faire comprendre à plusieurs agriculteurs distingués de ces contrées, qu'il est dû uniquement à la négligence et au peu de soins que l’on apporte à l'entretien des prairies et à la conserva- tion des bonnes espèces d'herbes. Cette conséquence est facile à expliquer : le foin, qui contient une infinité de mauvaises graines, est consommé par le bétail; ces graines n'éprouvent souvent aucune altération marquante dans l'organisme animal et se retrouvent parfaitement intactes dans les excrétions journalières où elles peuvent très-bien être observées à la loupe. Elles sont ensuite transportées sur les terres arables avec les matières excrémentielles qui les contien- nent; elles y germent et donnent ainsi naissance à ces plantes usurpatrices qui occasionnent annuellement tant de frais de main-d'œuvre. Si l'on compare maintenant la plupart de ces plantes avec celles qui sont mélangées avec les bonnes herbes des prairies, on reconnaît entre elles une identité parfaite. La rela- lion intime des mauvaises herbes des surfaces engazonnées avec celles des terres labourables paraît done tout à fait évidente. A la vérité, les terrains les mieux entretenus produisent aussi leurs mauvaises herbes; et il n'est pas toujours possible d’en éviter la reproduction, à cause des graines qui sont trans- (236) portées an loin par les vents. Mais l'envahissément des champs cultivés ou engazonnés par les plantes inutiles peut aussi tenir en grande partie, comme l'a fort bien constaté M. Morren (1), à ce que le produit du vannage et du criblage des céréales est jeté sur le fumier. À cette occasion, nous ne pouvons que con- seiller avec ce botaniste de brûler et de convertir ce produit en cendres, ce qui, à nos yeux, permettrait de lui assigner un cer- tain rang parmi les engrais. Il serait inutile, croyons-nous, de démontrer plus amplement les avantages qui découleraient de la prompte amélioration de l'herbe des prairies; nous espérons qu'on ne tardera pas à les comprendre et à les apprécier. Nous nous bornerons , en consé- quence, à résumer de la manière suivante, le travail qui vient d'être élaboré : 1° On ne doit garder de prairies naturelles que lorsqu'elles sont susceptibles d'être entretenues par les eaux d'irrigation. Cette règle générale reçoit des exceptions : a. À proximité des villes où l’on peut utiliser à peu de frais les engrais liquides des distilleries, les boues des rues, les ma- üières fécales et les engrais pulvérulents de toute espèce ; b. Où la spéculation se porte sur lengraissement des bêtes à cornes dans les prairies, comme cela se remarque dans les envi- rons de Saint-Trond, de Tirlemont et de Jodoigne. Ge système, qui n'est guère pratiqué que par un petit nombre de proprié- taires et par des bouchers, a ses avantages et ses inconvénients. Comme avantage , il permet de réaliser un bénéfice assez impor- tant et immédiat; comme inconvénient, il enlève à la prairie le mérite qu'elle a toujours eu de servir à l'amélioration des terres cultivables. En effet, l'herbe est constamment broutée par le bétail à l'engrais, au lieu d’être utilisée comme fourrage dans l’économie intérieure , et de procurer par là les engrais de ferme qui sont indispensables aux terres arables; (1) Ch. Morren, Journal d'agriculture pratique, d’économie forestière et d'éducation des animaux domestiques du royaume de Belgique, juin 1848 ; p. 229 et 266. ( 257 : ce. Où l'on trouve plus avantageux de transformer indistinc- tement toutes les terres arables en prairies, comme cela a lieu dans le pays de Herve, pour se livrer exclusivement à la fabri- cation du beurre et du fromage destinés à l'exportation ; d. Où quelques clos doivent être ménagés pour le pâturage des juments poulinières et des jeunes élèves ; e. Enfin, où le sol arable ne forme qu'une couche très- mince et repose sur un sous-sol fortement alumineux, dont on ne pent tempérer l'onctuosité normale par des moyens mécaniques peu onéreux. 2 La culture de l’esparcette mérite, par ses avantages mar- qués, d’être tentée dans toutes les exploitations de la Belgique où le sol ne lui est pas contraire. 3° Il est de la plus haute importance que les prairies soient constamment entretenues dans un état convenable : de propreté, en éliminant les mauvaises herbes pour les remplacer par des plantes choisies convenant à chaque espèce de sol; d'humidité et de sécheresse, en pratiquant des canaux d'écoulement et d'irriga- tion bien entendus; de pression et à surface plane, en faisant fonctionner, à des époques déterminées, le cylindre et l'étaupi- noir. CHAPITRE Il. DES CULTURES EN LIGNES. Malgré la multiplicité des expériences qui ont été tentées en Angleterre, en France et en Allemagne, sur les différents modes de sémination, on en est encore à se demander en Belgique s'il est réellement préférable d'adopter l'une méthode plutôt que l'autre. Nous devons déplorer qu'une question d’une si haute impor- tance pour l’agronomie soit restée jusqu'à présent sans solution, { 258 ) et on ne conçoit pas comment, à l'aide des résultats qu'ont né- cessairement donnés les essais qui ont été faits sur les semaiïlles en lignes, comparativement aux semailles à la volée, on ne soit pas encore parvenu à dissiper les doutes que les cultivateurs belges ont conservés sur la première de ces méthodes. Dans plusieurs localités de Ja Belgique, on a tenté la semaille en lignes pour les céréales; et presque toujours ces essais, qui ont eu pour résultats des déceptions, n'ont fait que confirmer l'opi- nion des cultivateurs en faveur des semailles à la volée. Mais, comment se fait-il qu'ici l'avantage semble rester à l'ancien système, alors que nos voisins cultivent avec profit les céréales en lignes ? Cet état de choses résulte de deux causes prineipales : la première est la confection défectueuse des semoirs qui ont été employés; la seconde, qui n’est qu'une conséquence de la pre- mière, est que l'on a toujours eu le tort de semer trop clair, ce qui à fait que la plante tallant trop mûrissait inégalement. Beaucoup de cultivateurs croïent que la seinaille à la volée doit être préférée à toute autre, parce que, dans leur opinion, la répartition de la semence se fait d’une manière plus parfaite, plus uniforme, parce que la perte de terrain est moins grande, et enfin, parce que cette méthode est la moins dispendieuse. Ce sont là des erreurs qu'il est facile de prouver, et il suffit de visi- ter le bel établissement de M, Amoire, à Soultaint, près de Va- lenciennes (France), pour être convaincu que des avantages nombreux sont attachés à la culture en lignes et que les incon- vénients signalés ci-dessus n'existent que dans l'esprit des person- nes qui n'ont jamais pu apprécier les belles semailles en lignes que cet agronome pratique depuis nombre d'années au moyen d'un semoir perfeetionné. Après avoir essayé une première fois sur quelques hectares, M. Amoire, agronome aussi persévérant qu'éclairé, ne tarda pas à reconnaître la supériorité de son nouveau système. Dès lors il n'hésita plus à l'adopter, et progressivement il finit par eul- tiver de cette manière toute son exploitation, à l'exception ce- pendant des terres de betteraves où les instruments ne peuvent { 239 ) fonctionner d'une manière convenable à cause des feuilles qui s'y trouvent enfouies. Partout, dans cette belle propriété, on voit des moiïssonsriches en pailles, mais particulièrement celles qui sont semées en lignes : les tiges de celles-ci sont plus élevées et plus fortes; les épis, longs et gros, sont remplis de grains d’une meilleure qualité. Si après avoir visité le beau domaine que nous venons de par- courir, on n'a pas une conviction parfaitement établie, la culture des plaines qui environnent la ville de Lille parlera assez haut pour la compléter. En etfet, là, l'agriculture, stimulée par les institutions gouvernementales, suit de près les progrès de la science; là, les instruments aratoires les plus perfectionnés re- coivent le baptême de l'expérience et la sanction d’une pratique éclairée; là enfin, la grande question des semailles en lignes pour les céréales à reçu sa solution par une expérience de six années et ne laisse plus aucun doute dans l'esprit de ceux qui l'ont pratiquée; nous dirons plus : l'avantage en est reconnu par ceux-là même qui n’ont fait que voir et comparer les produits de cette méthode nouvelle avec ceux de l'ancienne. Qu'on ne suppose pas que cette innovation ait été introduite par de grands propriétaires, montrant l'exemple et faisant de l'agriculture modèle à grands renforts de capitaux; non, cette nouvelle mé- thode de culture est l'ouvrage de simples fermiers ayant des terres en location à des prix très-élevés et ne pouvant, par con- séquent, pas faire de l'agriculture de luxe, mais sachant fort bien qu'un capital judicieusement placé en instruments ara- toires perfectionnés n'est pas une dépense réelle, mais une source de revenus pour celui qui sait en tirer parti. Parmi les communes que renferme cette intéressante contrée, nous devons surtout mentionner celle de Lézennes, à une lieue environ de Lille. C'est là que le hasard nous a conduit lorsque, voyageant à la recherche des instruments aratoires perfection- nés, nous rencontrâämes M. A. Lefebvre, cultivateur conscien- cieux, müri par une longue expérience et qui, sans emphase comme sans prétentions, nous fit part des résultats de ses diffé- ( 240 ) rents essais, principalement dans la semuille des céréales en lignes, système dont les avantages ne sont plus contestés dans ces localités. M. Lefebvre, après avoir essayé plusieurs semoirs, a donné la préférence à celui de M. Pruvost, mécanicien à Wazennes-lez- Lille. Cet instrument fonctionne avec la plus grande régularité; mobile dans toutes ses parties, 1] peut semer à toutes les dis- tances et toutes sortes de graines; son prix peu élevé (175 francs) le met à la portée des petits cultivateurs. C’est ainsi que, dans le petit village de Lezennes seul, il y a actuellement six semoirs à cheval, tant l’exemple de M. Lefebvre a porté ses fruits. Depuis six ans que cet habile cultivateur sème toutes ses céréales en lignes, ses voisins ont dû reconnaître la supériorité de son système. En effet, rien d’admirable comme ces froments en lignes, présentant à l'œil la végétation la plus vigoureuse et la répartition la plus égale sur toute la surface du champ. Une chose digne de remarque, c'est qu’une terre semée en lignes à 48 centimètres de distance devient, par le tallage des plantes, aussi couverte d'épis ou de tiges que le champ qui porte la ré- colte la plus luxuriante, semée à la volée, et c'est au point que, sans entrer dans la pièce même et sans écarter les tiges, il est de toute impossibilité de pouvoir juger si la récolte est semée en lignes ou à la volée, parce que chaque ligne fournit un gazon touffu, dont les tiges vont rejoindre latéralement, par le tal- lage, celles de la ligne voisine. Cette méthode de semer les grains, constatée, avons-nous dit, par une expérience de six années, donne des résultats qui ne laissent aucune prise à la critique. La question est donc tran- chée à l'avantage de la culture en lignes, en dépit de ce que pourraient dire les agriculteurs belges, aussi désireux et aussi jaloux des perfections agricoles que nos voisins, mais sans doute moins persévérants qu'eux. La banlieue de Lille nous a paru, sous tous les rapports, tenir la tête du progrès agricole. Si nous n'avons pas reculé devant cet aveu, si nous avons mentionné cette supériorité ( 241 ) d'une nation voisine sur les procédés de nos régnicoles, c’est dans l'espoir de stimuler le zèle des cultivateurs et de leur être utile en indiquant la source où ils peuvent aller puiser de bons renseignements. Dans toute chose, et en agriculture surtout, il ne suffit pas de dire que tel ou tel système a l'avantage sur tel autre, il faut en- core démontrer, ou du moins indiquer la supériorité de l'un ou de l'autre système. Les mots n'ont de valeur que lorsqu'ils sont prouvés par des faits; c’est donc pour obvier à cette lacune et dans l'espoir de faire partager notre conviction que nous allons détailler, à l'appui de la culture en lignes, une expérience dont la source ne peut être suspectée. Une pièce de terre de six hectares fut ensemencée près de Valenciennes, par le système de culture en lignes ; à la récolte on obtint 5,284 gerbes, qui donnèrent 109 bectolitres de fro- ment, tandis qu'une autre pièce voisine, de la même contenance, ne produisit que 3,127 gerbes d'une paille moins élevée que la première, et 99 hectolitres !/5 de froment. La culture en lignes donna donc un bénéfice de 157 gerbes de paille et de 9 2/3 hec- tolitres de grain. Les avantages de ce nouveau système ne se bornent pas là : on économise plus d'un quart de la semence; on a la faculté de net- toyer et d'ameublir les terres avec beaucoup moins de frais que par tout autre genre de culture. Ces deux dernières considérations seules devraient suflire déjà pour faire accorder la préférence à la culture en lignes. En effet, on ne doit pas perdre de vue que la plus légère économie en agriculture devient une source de bien- être pour le pays entier, si elle est faite sur une grande échelle. Un quatrième avantage est la faculté qu'ont les récoltes semées en lignes de résister beaucoup mieux aux orages que les autres. Il n'est pas rare de voir les premières tout à fait intactes au milieu d'une plaine emblavée de céréales semées à la volée et entière- ment versées par les pluies. L'on a fait plusieurs comparaisons entre les produits des dif- férentes méthodes de semailles; toujours elles ont eu pour résul- (L2A42N) tats de prouver Fa supériorité des cultures en lignes. Nous n'avons rendu compte ici que d'une seule expérience, parce que nous croyons qu'elle doit sufiire pour convaincre les plus incrédules, même les cultivateurs qui persistent à croire que les espaces qui se trouvent entre les lignes sont autant de terrain perdu pour la production. À ceux-ci nous répondrons d'avance par une question : Pour- quoi plantent-ils en lignes les pommes de terre, les betteraves, les carottes, les navets, les rutabagas, le maïs, et pourquoi lais- sent-ils un si grand espace de terrain vide entre chaque ligne? Pourquoi ne rapprochent-ils pas les lignes ? Pourquoi enfin com- mencent-ils à semer les féveroles au moyen du semoir? Il est impossible qu'on réponde à ces questions sans détruire du même coup toute objection basée sur l'espace inculte laissé entre chaque ligne. D'ailleurs nous avons déjà dit que les plan- tes tallent au point qu'au mois de juillet, le champ se trouve en- tièrement couvert comme sil avait été ensemencé à la volée; du reste, ce fait a été prouvé souvent en Belgique au moyen d'expériences faites au Jardin botanique de Liége, où l’on a tou- jours remarqué, depuis 1842, les plus belles récoltes en ligne de toutes les espèces et variétés de graminées. Après de tels faits, après de pareils résultats, est-il encore pos- sible de nier les avantages réels qu'offre la culture en lignes, avantages constatés par une foule d'essais et sanctionnés par une expérience de plus de six ans? Nous n'hésitons pas à ré- pondre négativement. Du reste, quiconque a vu et étudié cette méthode s'empresse de la mettre en pratique. En Belgique, nous pourrions citer comme tels : M. le baron de Woelmont, proprié- taire au château d'Op-Lieux près de Tongres, déjà si avantageu- sement connu par ses belles expériences et par son admirable système de culture; M. Vanlerberghe, cultivateur à Pottes (Haiï- naut), ete. Nous espérons que ces exemples porteront des fruits et que bientôt nous n’aurons plus rien à envier aux voisins dont nous venons de faire l'éloge. x 19 rs C1 — CHAPITRE IV. DES INSTRUMENTS ARATOIRES, La Belgique n'est pas restée étrangère au perfectionnement des instruments aratoires; elle peut surtout se glorifier de posséder un système de charrues qui a été, dans une foule de circonstances, parfaitement apprécié par les nations voisines. La charrue de Brabant, dont nous voulons parler, présentait, dans sa construc- tion primitive, des inconvénients qui s’opposaient à son adoption générale; mais ils ont été, dans ces derniers temps, parfaitement éludés par MM. Odeurs de Marlinne et Ph. Delstanche, de Mar- bais, qui ont su, par une constance remarquable, donner à cet instrument des qualités qui justifient pleinement la faveur et la réputation dont il jouit dans notre pays et à l'étranger. À nos yeux, rien de plus parfait que les charrues à labour ordinaire et à deux socs de MM. Odeurs et Delstanche; aussi sont-elles répandues dans presque toutes les provinces wallonnes et construites par une infinité d'artisans auxquels ces fabricants ont bien voulu, dans l'intérêt de l'agriculture, communiquer le secret de leur talent. Le Condroz possède aussi ses fabriques d'instruments; nous pouvons particulièrement citer les ateliers de M. d'Omalius et de M. Goffard de la Neuville (Liége), d'où sortent la charrue de Roville modifiée et les houes à cheval, les semoirs, les extirpa- teurs, etc., que beaucoup de cultivateurs ont admirés aux con- cours agricoles de Tinlot, de Waremme, etc. Néanmoins, il nous restait un regret à l'égard de la cherté excessive de ces instruments; mais il ne peut plus être aussi vif depuis que M. Goffard à pris la résolution de réduire de 15 pour cent sur ceux des autres fabricants le prix de toutes les ma- chines qui sortiront de ses ateliers. 16 ( 244 ) Sans entrer dans le développement que nécessiterait la revue de tous les instruments utiles, nous mentionnerons plus particu- lièrement les houes à cheval, les semoirs à cheval, l'extirpateur et la charrue sous-sol (1), parce que leur usage est en quelque sorte inhérent à toute culture savamment organisée. Pour ce qui concerne les autres machines, nous ne pourrions ajouter que fort peu de chose à ce que nous ont dit M. De Dombasle, dans ses Annales de Rovilleet dans son Calendrier du bon cultiva- teur, et plus récemment, M. Max. Le Docte, dans son Nouveau système de culture, où l'on trouve des descriptions et des plans très-bien appropriés au sujet. Nous ne répéterons donc pas ce qui a déjà été décrit. Les houes à cheval sont les instruments les plus précieux qui aient été inventés pour les cultures en lignes : elles produi- sent des effets prodigieux avec une dépense de temps et d'argent très-peu considérable. Aujourd'hui que la culture en ligne des betteraves, carottes, navets, etc., à pris une extension inespé- rée, on ne peut plus se passer de houes à cheval. On ne peut plus, comme on le faisait il y a à peine huit ou dix ans, exécu- ter des sarclages à la main qui coûtent immensément, et subor- donner ainsi un système à la plus ou moins grande aggloméra- tion des habitants, à la plus ou moins grande abondance de bras. Ce qui a toujours épouvanté le cultivateur, ce sont les frais énormes qu'occasionnent toutes ces cultures où l'on doit se livrer à des sarclages fréquents; et, il faut l'avouer, il était prudent de réfléchir avant d'agir avec résolution. Aujourd'hui, il n'en est plus de même, la houe à cheval à couteaux exécuie très-bien l’extirpation des mauvaises herbes et donne à la terre des labours précieux dans toute l'acception du mot. Quant à la houe à cheval à socs, rien ne saurait, sans mème faire abstraction des travaux manuels, égaler ses effets, lorsqu'on la met en œuvre pour butter les plantes en lignes. Or, (1) La charrue sous-sol est connue en Angleterre sous le nom de charrue- taupe. ( 245 ) puisque nous avons démontré que, sauf par les procédés chimi- ques, l’agriculture ne peut plus guère faire de progrès sans eul- tures légumineuses en lignes, ces instruments doivent être con- nus, et on ne saurait faire trop de sacrifices pour les propager. L’extirpateur est encore un instrument assez important, sur- tout pour le déchaumage des terres après la moisson. Dans beau- coup de localités, principalement celles où le système triennal avec jachère existe encore, on laisse la terre jusqu'à l'entrée de l'hiver sans lui donner de labour. Cette coutume est due uniquement à la difficulté qu'éprouve le cultivateur d'employer ses chevaux et son personnel à d’autres travaux qu’à ceux de la moisson et de l'ensemencement des céréales d'hiver. En effet, s'il essaie de dé- chaumer avec la charrue ordinaire, il perd un temps précieux qu'il regrette plus tard, et il abandonne avec raison, l'année sui- vante, une opération qui, dans aucun cas, ne devrait être négligée. Labourer une terre aussitôt qu’elle est dépouillée de ses pro- duits est une opération très-importante, non-seulement pour détruire efficacement les herbes parasites dont elle est envahie, mais surtout pour exposer le sol aux influences de l'air qui, à cette époque, agissent remarquablement sur la désagrégation du sol. L'extirpateur est déjà très-répandu dans le Brabant et dans une partie de la province de Namur, où l’on apprécie sa haute utilité. Il serait à désirer qu'on usàt de tous les moyens possibles pour le vulgariser, et mettre ainsi le cultivateur à même de rem- plir une lacune qu’il a laissée subsister jusqu'ici dans la manipu- lation de ses terres. Nous n'avons pas grand'chose à ajouter aux renseignements que nous a fournis M. Le Docte (1) sur les semoirs à cheval à cé- réales, si ce n'est que nous en avons vu fonctionner un d’un système et d’un modèle tout nouveaux chez MM. Vanlerberghe, à Pottes, près de Tournay, et Petit-Pré, propriétaire à Neuf-Mou- lin , près de Bastogne. Ce semoir, inventé et fabriqué par M. Pru- (1) Max. Le Docte, Nouveau système de culture, p.282 à 287. ( 246 ) vost, nous à paru construit d'une manière irréprochable; nous dirons même qu'il est bien près de la perfection, s’il ne l'a déjà attemte. Du reste, les semailles qui ont été exécutées chez les cultivateurs que nous venons de citer ne laissent pas de prise à la moindre critique (1). A l'aide du semoir Pruvost, on peut semer toutes espèces de graines et à toutes distances avec la plus grande régularité. À cet avantage incontestable, il faut encore ajouter le mérite d'une construction solide et d’un prix économique (173 francs) qui n'effraiera même pas les cultivateurs les moins en- entreprants. f La charrue sous-sol est aussi appelée à rendre des services à l'agriculture en permettant d'approfondir la couche végétale sans ramener à Ja surface du sol, comme cela se fait par les pro- cédés ordinaires, la partie inférieure qui renferme souvent du fer ou d'autres substances nuisibles en ce qu’elles privent mo- mentanément le sol de sa fertilité naturelle. | Nous ne croyons pas que l'on comprenne assez généralement la nécessité d'augmenter la couche de terre végétale pour arri- ver à un maximum de production. Qu'il nous soit done permis, avant de parler des moyens qui doivent faciliter ces sortes d'opéra- tions, d'exposer en quelques mots les avantages qui en résultent. Les principales propriétés d’un sous-sol ameubli consistent : 1° À entretenir constamment la terre cultivable dans un état d'humidité et de sécheresse convenables, en laissant filtrer les eaux surabondantes dans les saisons pluvieuses, et en les rame- nant des strates inférieures lors des grandes sécheresses ; 2° À augmenter Ja profondeur du terrain soumis à la cul- ture, de manière à donner un libre cours à la croissance des racines des plantes et à écarter les obstacles que rencontrent toujours les racines et les fibres radicellaires dans un sous-sol dur et imperméable; 5° À modifier physiquement et chimiquement ses parties (1) Nous avons dit quelque chose à ce sujet en parlant des semailles en lignes. ( 247 ) constituantes, et à donner un accès plus direct aux fluides aé- riens, tels que l'oxygène, l'acide carbonique, le calorique, etc. qui agissent toujours favorablement sur les corps métalliques en les oxydant, en les acidifiant, et en contribuant, enfin, à les rendre assimilables par leur désagrégation ou leur décompo- sition. Il est facile de voir que le défoncement ne peut qu'être avan- tageux et que la charrue sous-sol doit occuper un rang très- élevé dans la collection d'instruments des cultivateurs. Cette observation est vraie surtout pour ceux qui, dans un but quel- conque, regardent comme une nécessité d'approfondir la couche végétale de leurs terres arables. L'emploi de la charrue sous-sol ne provoque d'ailleurs pas de dépenses bien considérables ; nous l'avons fait fonctionner avec profit dans des terres humides et peu profondes, ce qui ne per- met pas de douter qu’elle doit produire, en toutes circonstances, des résultats analogues. Nous voudrions voir ériger, sous les auspices du Gouverne- ment, ou plutôt par ses soins, un atelier pour la fabrication des instruments aratoires, à la tête duquel serait placé un homme probe et compétent. Get atelier serait monté de telle sorte, qu'il pourrait sufhre aux besoins du pays et de l'étranger; on ny construirait que des instruments perfectionnés, que l’on ven- drait à prix coûtant et que l'on ferait connaître au publie par des circulaires envoyées à toutes les administrations commu- nales. Nous croyons fermement qu’en réduisant les prix de vente du bénéfice de fabrication qui n’existerait plus et de l'économie que présentent toujours les objets fabriqués sur une échelle éten- due, on permettrait aux cultivateurs de se procurer une foule d'instruments perfectionnés, qu'ils ne peuvent aujourd'hui ac- quérie à cause de leur grande cherté. Nous croyons qu'il ne serait pas impossible d'annexer cet éta- blissement à l'institut agronomique ou à l’une des fermes modèles expérimentales que le Gouvernement se propose de fonder dans ( 248 ) un avenir prochain. Nous faisons des vœux pour que ce projet, quelque hasardé qu'il puisse être, reçoive une sanclion et une exécution immédiates. CHAPITRE V. © DU FUMIER. Si l’on devait classer d’après leur degré d'importance les agents qui concourent le plus à la prospérité agricole, le fumier de basse-cour oceuperait sans contredit le premier rang après les assolements. Il semblerait que son utilité incontestable et son immense application dussent impliquer une parfaite con- naissance de ses propriétés. Mais, toujours guidé par des cou- tumes vicieuses, on agit sans s'enquérir de leurs effets; on opère sans discernement et, pour ne citer qu'un exemple, on pour- rait rappeler la manière dont on traite le fumier par la chanx caustique pour lui donner plus de force et de vigueur par lafli- nité des gaz qui s'en échappent, el pour arrêter une décompo- sition trop rapide lorsque, pour une cause quelconque, on veut conserver les engrais dans un état plus frais. Cette pratique, très-commune dans certaines localités du pays, tend à prendre un développement toujours croissant et démontre combien il serait utile de faire voir aux cultivateurs qu’ils sont induits en erreur par des résultats fictifs. La manière dont on prépare et dont on conserve les engrais dans une grande partie de la Belgique est réellement déplorable. Cette négligence à l'égard du principal élément de la prospérité agricole est, nous pouvons le dire, une des causes principales de la stagnation de l’agriculture, et jamais nous ne rivaliserons (249) avec les agriculteurs anglais, quant à l'abondance des produc- tions, si l’on n'apporte pas des modifications à cet état de choses. C’est dans le dessein de provoquer ces modifications que nous allons nous livrer à des éclaircissements et à des recherches qui, nous aimons à le croire, ne seront pas sans utilité. La qualité du fumier et ses effets dépendent : 4° De la litière des animaux; 90 De leur nourriture ; 3° De leur âge; 4° De leur espèce; 5° De la conservation des matières dans les réservoirs; 6° De leur application sur le sol. I. De la litière des animaux. — Comme les matières servant à l'alimentation et à l'entretien du bétail se trouvent toujours, à l'état de siccité, plus riches en substances salines et azotées que les tiges des céréales, et que, d’une autre part, les matières excré- mentielles se trouvent, à poids et à volume égal, plus fertili- santes que les matières ingérées, il est évident que plus l’empail- lement du bétail est considérable, moins l’engrais, les conditions restant les mêmes, a de valeur et de qualité. D'après cela, il est aisé de voir qu'il ne peut y avoir de véritable bon fumier de basse-cour si la quantité des excréments solides et liquides n'est pas dans un rapport proportionné avec celle de la litière; de même qu'il ne peut exister d'engrais de ferme substantiel et très-propre à la reproduction des céréales, avec de la paille qui ne serait pas mélangée d'excréments provenant d'une nourriture riche. Les considérations dans lesquelles nous sommes entré en parlant des assolements ne doivent plus laisser de doutes à cet égard. IT. De leur nourriture. — La nature et la proportion de la litière restant les mêmes, la quantité, de même que la qualité du fumier , que donne un animal, est tout à fait subordonnée à la quantité et la qualité des aliments qu'il reçoit. Si on lui donne une nourriture à la fois nutritive et abondante, on obüent un { 250 ) fumier nutritif et abondant, toutes les autres circonstances étant égales d’ailleurs. Si, au contraire, il n’est alimenté qu'avec des matières peu nourrissantes, comme cela arrive fréquemment en hiver dans les fermes où l’on administre au bétail une quantité de paille, on aura un fumier abondant mais peu fertilisant. On peut donc considérer la qualité de la fiente et de l'urine comme dépendante de la nature des substances alimentaires. I. De leur âge. — La qualité du fumier est fort variable suivant qu'il est produit par un animal adulte, vieux ou jeune. « Chez les sujets parvenus au terme de la eroïssance et jouis- sant d'une bonne santé, on n'observe d'un jour à l’autre ni augmentation, ni diminution sensible de poids. Dans l'enfance et la jeunesse, le poids de l'individu augmente graduellement ; dans la vieillesse, au contraire, il décroît peu à peu. Évidemment les pertes éprouvées par l'animal adulte ont été réparées par les aliments qui ont fourni à l'organisme une quantité de carbone, d'azote, d'hydrogène et d’autres éléments exactement égale à celle qui est sortie par la peau, les poumons et les voies uri- naires. Chez l'enfant, l'assimilation est supérieure à la déperdi- tion : une partie des principes nutritifs reste dans le corps pour accroître sa masse; chez le vieillard, c'est l'inverse qui a lieu : l'organisme perd plus qu'il n'assimile. Il est done évident qu'à l'exception d'une certaine quantité de carbone et d'hydrogène qui a été éliminée par les voies eutanée et pulmonaire, nous de- vons retrouver dans les exeréments solides et liquides de homme et des animaux tous les autres principes qui entrent dans la composition des substances alimentaires (1). » Ainsi les animaux peuvent fournir un famier renfermant des principes azotés et minéraux bien différents, nonobstant la simi- litude de leur espèce et de leur nourriture. S'ils sont adultes, ils restituent exactement, sauf une partie de carbone, d'hydrogène et d'oxygène , toutes les matières que contiennent les aliments; car, « dans tous les animaux adultes, les excréments contien- (1) Liebig U 9 Lettres sur la chimie, p.505. Paris, 1845, (251 ) nent les ingrédients du sol suivant les quantités et les propor- tions relatives dans lesquelles ces mêmes ingrédients sont con- tenus dans la nourriture de ces mêmes animaux (1). » S'ils sont vieux, ils perdent tous les jours de l'azote, du phosphore, ete., qu'on retrouve dans leurs déjections en quantité proportionnelle à la diminution de leur poids, semblables à un malade ou à un homme privé d'aliments qui, en se nourrissant aux dépens de sa graisse, de sa chair et de sa partie osseuse, ne tarde pas à s'atrophier. S'ils sont jeunes, l'inverse a lieu : ils élaborent par inhalation les éléments qui doivent constituer la masse de leurs organes. Cette assimilation à lieu en raison directe de leur augmentalion. « Si la nourriture exerce beaucoup d'influence sur la qua- lité du fumier, les conditions dans lesquelles se trouve le bé- tail en exercent une qui n’est pas moins grande. Les vaches laitières ou saillies donnent un fumier moins azoté que celui des bœufs de travail; cela se conçoit aisément : les principes azotés de la nourriture sont distraits des sécrétions pour concourir au développement du fœtus et à la production du lait; par la même raison, les déjections des élèves, Loutes circonstances égales d'ailleurs, procurent un engrais moins riche que celui qui dérive d'animaux adultes (2). » Le fumier provenant de l'animal en vieillesse est done le meilleur, tandis que celui qui est fourni par un animal en voie de développement est de la qualité la plus médiocre. On comprendra maintenant avec assez de facilité combien il est préférable, quant à la production des engrais, de se livrer à l'engraissement plutôt qu'à l'élève du bétail, puisque, d’une part, la perte éprouvée ne se compose que de graisse dont les élé- ments constitutifs (carbone, oxygène, hydrogène) sont presque insignifiants pour la végétation; tandis que, de l'autre, cette perte se compose d'os, de sang, de chair, etc., etc., toutes sub- stances fort riches en principes azotés et minéraux. (1) Liebig, Des engrais artificiels, p.23. Paris, 1846. (2) Boussingault , Économie rurale, 1. W, p. 195. ( 252 ) IV et V. De leur espèce et de la conservation des matières dans les réservoirs. — Les théoriciens ne sont nullement d’ac- cord avec les praticiens sur la qualité du fumier des espèces chevaline et bovine. Les premiers prétendent que l’engrais de cheval est supérieur en qualité à celui de vache; les autres, s'ap- puyant sur l'expérience, semblent convaincus du contraire. En réfléchissant aux principes que nous venons d'émettre, nous trouvons également que les exeréments du cheval, qui se nourrit ordinairement de foin et d'avoine, doivent contenir des matières essentiellement plus riches que celles de la vache, puisque celle-ci est nourrie, une grande partie de l'année, avec des substances peu actives, dont les principaux éléments sont enlevés par l'exportation continueile des veaux et du lait sous forme de beurre et de fromage. Pour expliquer ces divergences d'opinions, pour démontrer enfin, comment le praticien a pu, par ses expériences, assigner au fumier de vache une supériorité sur celui de cheval qui, en théorie, ne peut pas exister, il suffit de jeter un coup d'œil sur leur composition et leurs propriétés respectives. Le fumier de cheval, par sa nature sèche, entre, comme on sait, rapidement en fermentation lorsqu'il n'est pas mélangé ou lorsqu'on néglige les précautions qui tendent à le conserver frais. Cette action est provoquée principalement par les sels ammonia- caux qui s’y trouvent en abondance. Or, comme la pratique des arrosements est inconnue dans presque toutes les exploitations, il en résulte que la grande altération qui se manifeste dans les déjections animales leur fait perdre nécessairement une grande partie de leur qualité et de leur puissance. Le famier de vache, au contraire, possède et retient assez d'humidité pour que sa fermentation et sa décomposition s'ac- complissent dans les conditions voulues. De là vient qu'en pratique on a lieu d'observer que le fumier d'étable est meilleur et plus durable que celui d’écurie; toujours confiné séparément dans un petit rayon du réservoir, il subit une altération trop rapide qui lui enlève une bonne partie de ses principes azotés. (255) Néanmoins, cette remarque n'autorise pas à croire que le fu- mier de vache soit plus riche et plus durable que celui de cheval; il est même certain que celui-ci acquerrait une efficacité plus grande que l’autre, si l'on empêchait les agents volatils de s’en échapper. Mais, dit-on, les bêtes à cornes donnent des excréments plus volumineux que les chevaux et procurent, par conséquent, plus d'engrais; il est done juste de croire, qu'à conditions égales dans les soins d'entretien, l’engrais de vache doit être plus efficace par son abondance, s’il ne l'est pas d’une manière aussi appré- ciable par sa qualité. En admettant les conditions ordinaires de nourriture et de corpulence pour le cheval et la vache, on obtiendra sans doute un plus grand volume dans les déjections de ce dernier animal; mais, comme nous l'avons déjà fait observer ailleurs, c'est une erreur d'apprécier la valeur d’un engrais d’après son volume ou sa densité sans le porter à la dessiccation et sans en connaître les principes constituants. Cette opinion pourrait êlre appuyée sur des documents analytiques, mais il suffit, pour se convaincre de sa justesse, de rechercher la composition respective des matières stercorales du cheval et de la vache. Remarquons seulement que les bêtes à lait, prenant une nourriture plus aqueuse que les bêtes de trait, l'eau que renferment les aliments se trouve toujours accusée dans les excréments. De ce fait, on peut tirer les deux conséquences suivantes : si l'on trouve que les excréments de la vache sont plus volumi- neux, ce volume n'est dû qu'à une augmentation d'eau, qui ne constitue pas un engrais proprement dit. Si l’on dit qu’elles procurent plus d'effets sur le sol, cela tient à ce qu'étant très-aqueunses, elles n'exigent pas, comme celles du cheval, une constante humidité artificielle et des soins tout par- ticuliers. Ainsi, le fumier de cheval que l’on obtient par le procédé ordi- naire est inférieur à celui du bétail à cornes, parce que le pre- mier, faute de prévoyance, fermente trop rapidement, tandis que ( 254 ) le second ne subit qu'une décomposition lente. Mais cet ordre de choses change pour les famiers obtenus par le nouveau pro- cédé que nous allons bientôt indiquer, et il peut déjà être établi d'avance que le fumier d'écurie est d’une qualité su- périeure à celui d’étable. Pour les cas ordinaires, l'expérience, comme la théorie, nous prouve qu'on peut même, quant à ses effets, lui donner des qualités égales à celui de moutons, lorsque ces animaux sont soumis de part et d'autre aux mêmes condi- tions de nourriture. ; On a remarqué dans la pratique que le fumier de moutons est le meilleur de tous. Pourquoi existe-t-il une différence entre les engrais de chevaux nourris au foin et à l'avoine et les engrais de moutons soumis au même régime? Si nous voulons nous don- ner la peine de suivre attentivement la manière dont ils sont recueillis, nous trouverons bientôt la cause de cette différence dans leur mode de conservation. Le procédé de conservation des engrais dans les fermes est aussi variable que la disposition des localités. D'abord, nous sommes obligé d’avouer, à notre grand regret, que nous avons très-sou- vent eu lieu d'observer dans beaucoup de fermes que l'on ny recueille jamais les urines pour les employer, soit séparément, soit à l'état de mélange. Il n’est pas rare non plus de voir, dans certaines exploitations, le fumier entièrement submergé par les eaux pluviales, tandis que, dans beaucoup d'autres localités, on le prive de tout liquide; on le laisse ainsi se réduire à un état de dessiccation ou de submersion qui lui fait perdre, sans qu'on s'en apercoive, toute sa quintessence. De tels faits sont tristes à signaler, et ils le sont d'autant plus qu'ils paraissent être dus au- tant à l'ignorance qu'à la négligence, puisqu'on s'obstine encore à prétendre que si le fumier diminue en volume il n’en conserve pas moins ses propriétés. Écoutons ce que dit à ce sujet M. Boussingault, et nous serons bientôt convaincus que ce raisonnement est erroné. « Le fumier frais du cheval contient, à l’état sec, azote, 9,7 pour cent. Le même fumier, disposé en couche épaisse et ( 255 ) abandonné à une décomposition complète, à donné un terreau dans lequel il n'entrait, au même état de siccité, que À p. % d'azote. J'ajouterai que, par cette fermentation, le fumier avait perdu à peu près les ?/10 de son poids. On peut juger, d'après ces nombres, combien a été grande la perte en principes azotés (1). » Dans les bergeries, on dispose un râtelier mobile qui s'exhausse à volonté, ce qui permet d'y laisser le fumier pendant deux ou trois mois, lorsqu'on a la précaution de le couvrir tous les jours d'un lit de paille fraiche. A tous les instants la litière est piéti- née; elle reçoit eu outre toutes les déjections solides et liquides qui se mélangent à la paille. Cette disposition fait acquérir aux engrais une grande valeur : le piétinement des animaux les met à l'abri du contact de l'air et en arrête la décomposition rapide, tout en leur corservant la plus grande partie de leurs produits volatils. En effet, aussi longtemps qu'on laisse le fumier intact, il ne communique, même au sein de la bergerie, aucune odeur. Les observations que nous avons faites à cet égard nous ont indiqué que les acides acétique et hydrochlorique, placés dans l'enceinte, ne donnent que très-peu de vapeurs blanches ammoniacales, ce qui prouve évidemment la condensation de ce gaz. Mais il n’en est pas de même lorsqu'on transporte le fumier ; alors les réactifs sont inutiles, l'odeur très-forte qui se manifeste est suffisante pour déceler la présence de l’'ammoniaque: c'est cet alcali volatil, si éminemment propre au développement des végétaux, qu'il im- porte surtout de conserver et que le fumier de cheval ne contient plus qu'en petite proportion lorsqu'on le conduit sur la terre arable. Le fumier de mouton, au contraire, n'étant guère con- sommé et ayant primitivement fixé l'ammoniaque, en conserve toujours une forte partie, non-seulement entre ses pores, mais encore dans les matériaux non altérés. Nous voyons donc que si le fumier de mouton est de meilleure (1) Boussingault, Économie rurale , tom. IT, p. 121. ( 256 ) qualité que celui de cheval , que si 10,000 kilogrammes de fumier ordinaire sont à peine l'équivalent de 7,000 kilogrammes de fu- mier de bergerie, c'est parce que ce dernier, moins décomposé, contient une grande quantité d'azote; cest parce qu'il reçoit toutes les urines ou toutes les substances minérales solubles des aliments dont le fumier de cheval est ordinairement dépourvu; c'est parce qu'il contient exactement toutes les matières fécales rendues par les moutons, tandis qu'une partie de celles des autres animaux est entraînée hors de la ferme par les eaux de pluie. , Tels sont les motifs qui font principalement distinguer le fu- mier de mouton de celui de cheval. « Pour se former une idée de la perte éprouvée par les fu- miers frais-soumis à la fermentation, M. Gazzeri les a soumis à la putréfaction après les avoir pesés; puis, lorsque la décompo- sition fut achevée, il a constaté de nouveau, non-seulement leur poids, mais il a encore déterminé la proportion des ma- tières fixes et celle des substances solubles. Pour les déjec- tions du cheval, on est arrivé à cette conclusion, qu'elles perdent en quatre mois de fermentation plus de la moitié du poids de la matière sèche qu'elles contenaient avant la putréfac- tion ({). » Au reste, Davy avait déjà prouvé que, durant la décomposi- tion des engrais frais, il se perd des vapeurs dont l’action peut être utilisée dans la végétation. L'expérience consistait à intro- duire du fumier dans une cornue dont le bec se rendait sous les racines d'un gazon. Ce que nous venons de dire sur le dégagement des gaz et sur leur condensation par le piétinement des moutons, nous fait voir assez clairement combien est grand le tort que les cultiva- teurs se font en mélangeant de temps à autre le fumier, lorsqu'il est en fermentation , dans le but de lui faire acquérir plus de qualités. (1) Boussingault, Économie rurale, tom. Il, p. 64. ( 257 ) En visitant les belles cultures des Flandres, nous avons ob- servé, dans les environs d'Audenarde, une méthode de conser- ver les engrais qui ne nous paraît pas rationnelle; elle consiste à transporter, de jour à autre, la litière sur les champs pour en former des tas de deux à trois mètres de hauteur. Cette pratique paraît avoir été imaginée pour gagner du temps à l'époque des grands travaux. Le motif ne semble guère être justifié, car il est certain que cette méthode nécessite plus de frais de transport et de main-d'œuvre, et cela pour obtenir un effet sur la végéta- tion moindre que par les procédés usuels. D'ailleurs, il n’est jamais bon de porter l'accumulation des engrais de ferme jusqu'à une pareille élévation, parce que si l’on arrose, on ne peut le faire que d’une manière imparfaite; et une telle disposition provoque toujours une forte température a pour effet nuisible de hâter trop énergiquement la décomposi- tion du fumier (1). A Duffel et à Lierre (Anvers), nous avons vu suivre le même système, à cette seule différence près qu'on recouvre la masse d'une couche de terre, afin de recueillir une plus grande quan- tité de gaz. Cette méthode est infiniment préférable à la pre- mière, parce que tout ce qui s'échappe du fumier se trouve retenu et condensé par la terre qui, par suite, devient un véri- table engrais. Mais si cette terre s'est améliorée, on ne doit pas se figurer qu'elle ait acquis cette qualité d’une autre manière qu'au détriment du fumier qu’elle enveloppe. (1) En 1845, pour profiter de la bonne saison , nous déposâmes en tas , sur une terre de 7 hectares, environ 550,000 kilogrammes de fumier destiné à être employé quelque temps avant la semaille. N'ayant pas pris la précaution de le tasser, de l’arroser, de le traiter par des réactifs ou de le recouvrir de terre pour le mettre à l’abri de l’action de l'air, nous püûmes constater une réduc- tion incroyable : de 550,000 kilogrammes de fumier qui avaient été déposés, il n’en resta plus, après 2 + mois de séjour, qu'environ 157,000 kilogrammes. Nous crûmes d’abord que ce fait était le résultat d’une circonstance physiolo- gique ; mais quelque temps après, nous en trouvâmes la véritable cause dans la mauvaise disposition qui avait été prise. ( 258) Dans l'intérêt de l’agriculture, nous ne pouvons conseiller ni l'un ni l’autre de ces deux systèmes; si nous avions un avis à émettre, nous dirions que le dernier est moins préjudiciable que le premier. Maintenant que l’on connaît les pertes qu’éprouve le cultiva- teur en entretenant mal ses fumiers de basse-cour; maintenant qu'on aura pu apprécier combien il est urgent d'apporter des perfectionnements dans sa confection, nous allons essayer d'in- diquer les conditions principales et les moyens les plus faciles pour atteindre ce but. L'emplacement destiné à recevoir les fumiers d’une exploita- tion doit être : 1° Entouré d’une petite lisière empierrée et exhaussée de 0%,08 au-dessus du niveau de la cour, afin de l’abriter des eaux pluviales qui tombent dans l'enceinte de la ferme ; 2 Insensiblement approfondi jusqu’à 0,53 pour faciliter la circulation des voitures, pour empêcher la perte des eaux de famier et enfin pour conserver à celui-ci, par l'effet de la capil- larité, un degré convenable d'humidité; 5° Composé d'un sol alumineux, piloté et légèrement incliné, d’abord pour empêcher la filtration du jus de fumier et ensuite pour réunir dans une fosse, par un système de rigoles, toutes les urines qui arrivent directement des écuries et des étables, et qui sont destinées aux arrosages. Telle est la disposition qui nous a paru Ja plus simple et la meilleure pour empêcher la submersion et le desséchement complet du fumier; nous allons maintenant nous occuper plus spécialement de sa préparation et de sa conservation. Est-il préférable de conserver chaque espèce de fumier séparé- ment ou d'en faire un mélange intime? Cette question est encore fort agitée aujourd'hui. Quelques agriculteurs s'appuient, pour motiver la séparation de chaque espèce de fumier, sur les effets mécaniques qu'ils produi- sent sur les terres cultivables. Ils prétendent que l'engrais d'écu- rie convient spécialement aux sols humides et compactes, parce (2501) qu'il est sec et chaud; que celui d'étable demande à être placé dans un terrain sec et sablonneux, parce qu'il est aqueux et froid. Quelques théoriciens, à leur tour, ont également cherché à démontrer que chaque espèce de fumier devait occuper une place séparée, en partant de ce principe qu'ils ont tous une composition chimique différente; que l'un, par exemple, con- tenant beaucoup d'azote et de potasse, devait être réservé au sol destiné à porter des plantes qui demandent des prineipes azotés et alcalins, que l’autre, contenant beaucoup de silice ou de chaux, devait être appliqué aux plantes à silice ou à chaux. Sous le point de vue physique, on doit convenir que les pra- ticiens n'ont pas tout à fait tort de croire que des engrais spé- elaux pour chaque terre, suivant leur nature sèche ou humide, devraient produire des effets plus marquants; mais depuis que nous avons fait subir à nos engrais de basse-cour des prépara- tons étudiées, nous n'avons plus eu lieu de faire de semblables remarques. Du reste, l'opinion de MM. Boussingault et De Dombasle est aussi que l’on ne peut établir de différence entre l’action méca- nique du fumier de cheval et celle du fumier de vache, lorsque leur fermentation a été bien dirigée. Sous le point de vue chimique, nous ferons quelques ob- servations Sur un rapport qu'a fait insérer M. Joigneaux dans le Journal des propriélaires et des agriculteurs : elles viendront parfaitement à propos pour démontrer qu'il est même préfé- rable, en toutes circonstances, de mélanger les fumiers. Selon cet agronome, les cultivateurs, au lieu de mélanger les différentes espèces de fumier, comme ils le font aujourd'hui, devraient avoir pour chacun d'eux une enceinte réservée, de manière à pouvoir donner à chaque graminée et à chaque légu- mineuse le fumier qui lui est particulier. M. Joigneaux a cher- ché à démontrer les avantages qui résulteraient de son sys- tème et les pertes que le cultivateur éprouve en confondant ses 17 (260 ) fumiers. Pour cela, il a pris comme point de comparaison lexem- ple suivant : « Supposons, dit-il, qu'il prenne fantaisie à une per- sonne de jeter, en pâture, à un chien, un mélange de viande et d'herbe crue, il est hors de doute que ce chien repoussera l'herbe crue et ne mangera que la viande; donc il aurait mieux valu de lui donner la viande seule et réserver l'herbe pour le bétail : e’eût été plus rationnel et plus économique. » Nous partageons, avec M. Joigneaux, l'avis que les céréales, les pommes de terre, la navette, etc., se nourrissent de substances différentes; mais nous ne pouvons, avec lui, conseiller, pour cette raison, d'assigner à chaque espèce de fumier une enceinte particulière, afin de donner à chaque plante l’engrais qu'elle ré- clame; car ce serait mettre le cultivateur dans la nécessité de fumer, tous les ans, chaque terre qui aurait produit une ré- colte, ou bien de cultiver, sur une famure ordinaire, la même espèce de plantes pendant toute une série d'années. Cette méthode ne paraît réalisable que pour les engrais pré- parés chimiquement ; et, dans ce cas, nous croyons qu'elle serait utile, parce qu'alors on ne s'exposerait pas à laisser séjourner dans Le sol des sels qui, n'ayant pas été absorbés par la récolte, finiraient par se perdre, soit dans les couches inférieures, soit dans l'atmosphère. En ce qui concerne le fumier, la perte que le cultivateur éprouve en le mélangeant n'est pas aussi considérable que pa- raît le croire M. Joigneaux. Si l'on applique au sol un fumier mélangé qui contient à la fois les principes nécessaires aux plantes à potasse, à silice, à phosphore et à chaux, il est cer- tain qu'en cultivant alternativement ces différentes espèces de plantes, elles enlèveront successivement au fumier les éléments qui le composent. En conséquence, si l'herbe crue donnée au chien est rejetée, foulée et perdue, il n’en est pas tout à fait de même des engrais organisés qu'on confie à la terre : ce qui n'est pas utilisé une année par une espèce de plantes est mis en dépôt dans le sol pour porter ses fruits l'année suivante. Des essais comparatifs nous ont pleinement convaincu que ( 261 ) les fumiers, n'importe leur origine, produisent des effets plus durables et plus avantageux lorsqu'ils sont mélangés; nous croyons être dans le vrai en conseillant d'en opérer le mélange. En agriculture, on sait qu’on ne peut guère profiter de tous les moments propices pour exécuter le transport des engrais sur les champs. Presque toujours l’intempérie des saisons, la dispo- sition des assolements ou l'ordonnance de l'économie, oblige le cultivateur à les conserver dans la ferme pendant une période très-longue; par exemple depuis le mois de décembre jusqu'au printemps. On comprend par là combien il est nécessaire de leur faire subir des préparations, afin de les préserver de la moi- sissure, d’une combustion trop rapide, etc. Parmi les conditions qui doivent être remplies pour obtenir un fumier de grande valeur, on peut citer : {a compression, l'humidité, la condensation des composés volatils. La compression. — Pour éviter les inconvénients produits par l'accès trop direct de l'air à travers les interstices du fumier, on en obtient facilement le tassement désirable en faisant promener le bétail de temps à autre sur la surface du tas; on ne fait qu'i- miter par là le piétinement des moutons dans les bergeries, qui influe si favorablement sur la qualité des engrais. L'humidité. — Malgré les meilleures dispositions pour l’empla- cement, la température de l'été absorbe bientôt, sous forme de vapeurs, toute l’eau qui se trouve à la superficie de la masse. Comme il est de toute urgence, pour éviter une décomposition trop active, de lui conserver une certaine humidité que le phé- nomène capillaire ne peut lui procurer , on doit de toute néces- sité avoir recours aux arrosements. Ces opérations peuvent s'exécuter de plusieurs manières; na- guère encore, on était obligé de se servir d'un petit instru- ment qu'on emploie communément dans les blanchisseries pour arroser le linge. Aujourd'hui, on a pour cet usage une petite pompe portative très-ingénieusement construite. Cette pompe pouvant être fixée à volonté, on peut la placer dans le réservoir aux urines, et, en moins de quelques minutes (262 ) de travail, on parvient à asperger tout un tas de fumier (1). {1) Cette pompe dont voici les deux coupes et qui est de l'invention de M. L.-J Bernard Martin, constructeur d'appareils distillatoires , à Huy. a en- core l’avantage de pouvoir être transportée dans les appartements en cas d'incendie : LÉGENDE. A. Cylindre de la pompe. B. Piston. C. Balancier. D. Réservoir d'air pour rendre le jet continu. E. Orifice par où l’eau sort. F, Boite à vis ou raccordement par où l’eau entre dans la pompe. ( 265) La condensation des composés volatils. — Certains auteurs prônent le sulfate de fer pour fixer l'azote du fumier; d’autres, au contraire, préfèrent le sulfate de chaux. Ces deux composés sont propres, l’un et l’autre, à remplir le but que l'on veut atteindre. En effet, l'azote du fumier se dégage sous forme d'ammoniaque en combinaison avec les acides carbonique et hydrosulfurique. On sait, si l'on se rappelle la belle loi de Bertholet, que chaque fois qu'il peut se former un corps insoluble par la réunion de deux corps solubles, une réaction a lieu; or, le cas se présente ici pour les deux sels ammoniacaux qui viennent d'être men- tionnés. C'est ainsi, par exemple, qu’en présence du sulfate de fer ou du sulfate de chaux, le carbonate d’ammoniaque, ne pouvant résister aux affinités réciproques, se décompose et se transforme soit en sulfaie d'ammoniaque et en carbonate de fer, soit en sulfate d’'ammoniaque et en carbonate de chaux. Dans la préparation de nos fumiers, nous n'avons guère em- ployé le sulfate de fer, parce qu'il offre de graves inconvénients lorsqu'il est employé en grande quantité; en outre, sa base ne peut, comme celle de la chaux, activer la végétation, attendu qu'il n'est pas de sol qui ne contienne suffisamment de fer : ce sont ces motifs qui nous ont fait préférer le sulfate de chaux. Au lieu de saupoudrer le fumier de sulfate de chaux, nous l'employons à l'état de dissolution, afin d'augmenter les points de contact. À cet effet, après l'avoir réduit en poudre, nous le faisons délayer dans la fosse à urine, pour en asperger le fumier à mesure que l'on y forme de nouvelles couches, c'est-à-dire en- viron toutes les vingt-quatre heures. La quantité à employer à cet usage doit varier suivant la quantité et la décomposition plus ou moins avancée des engrais. Cinq hectolitres par mois nous ont paru suffire à une exploita- tion de 180 à 209 hectares. Désirant utiliser les phosphates de chaux et de magnésie, comme engrais, sur des terrains destinés à produire des grami- nées, nous avons jugé convenable d’en employer une partie dans ( 264 ) la préparation du fumier; mais, eu égard à la difficulté qu'offre la pulvérifisation des os en poudre fine (1), ainsi qu’à leur in- solubilité complète dans l’eau et partielle dans les acides, nous avons cru plus avantageux de faire usage des os caleinés. Après les avoir réduit en poudre tamisée, nous les laissons digérer quelques instants dans l'acide sulfurique; celui-ci s’'unit à une partie de la chaux et de la magnésie que renferment les os, et convertit les phosphates de chaux et de magnésié en sur- phosphates de ces bases, qui alors deviennent solubles. A cet état de combinaison, nous les mélangeons aux urines destinées à im- prégner les engrais de ferme, au lieu de les transporter étendus d’eau sur: les terres cultivables, comme nous l’a conseillé M. Lie- big. De cette manière, nous épargnons des frais de transport et nous évitons des difficultés que dans la petite culture seule on serait à même de surmonter. En agriculture, il faut des procédés simples et faciles qui n'entravent en rien les opérations el qui occasionnent peu de frais d'achat et de déplacement : ce n’est qu'à cette condition qu'ils sont praticables. Comme le gypse, les os acidifiés arrêtent la volatilisation de l'ammoniaque à mesure que l'urée de Purine et la matière orga- nique azotée des excréments se putréfient; il se forme alors des phosphates doubles, c’est-à-dire un phosphate ammonico-calei- que et un phosphate ämmonico-magnésique. Ces composés, si éminemment propres à la végétation, parce qu'ils renferment, sous une forme assimilatrice, l'azote, le phos- phore, la magnésie et la chaux, dont les plantes sont avides, sont ainsi absorbés par le fumier auquel ils communiquent une force active infiniment plus grande que celle qu'il possède lors- qu'il est préparé par les procédés ordinaires. En 1846, nous avons été vraiment surpris des beaux résultats (1) Les os frais ont une telle cohésion, que nous avons souvent essayé en vain de les réduire en poudre fine sous des meules d’une très-grande dimen- sion. il ÿ a cependant en Angleterre des machines destinées à cet usage et fonctionnant en perfection. l 1 | | | Q ( 265 ) que donnait cette méthode, principalement pour les céréales; nos observations s'étant portées sur une surface de douze ares divisée en deux parties égales, soumises aux mêmes conditions de culture, nous avons constaté que le froment récolté sur la partie qui avait été fumée avec des engrais préparés a donné un produit supérieur de 42 litres de graines et 15 kil. de paille, à celui qu'on avait obtenu au moyen du fumier ordinaire. Voici les détails de l'expérience : Six ares de terrain ensemencés en froment ont produit : GRAINES. PAILLE. Avec du fumier préparé. . . . . 1,68 hectol. 252 kil Avec du fumier ordinaire + . . . 1,26 » 2570» DrrréRence .. . . . 0,42 hectol. 15 kil. Si l'expérience avait été faite sur une surface d’un hectare, la différence aurait été de 7 hect. en graines et de 245 kilog. en paille. Ce résultat permet de faire remarquer que si lexcédant en paille a été peu sensible, il n’en est pas de même de l'excé- dant en graines, qui a dépassé, dès la première année, les frais qu'avait occasionnés la préparation. Depuis que nous employons les os traités de la manière qui a été indiquée, nous avons toujours remarqué que les épis possé- daient un plus grand nombre de graines et que celles-ei étaient d'un poids comparativement plus élevé. Nous pouvons done, avec toute assurance, en recommander l'emploi dans la préparation du fumier, non-seulement pour conserver les gaz qui s'échappent de celui-ci, mais aussi pour les rendre plus assimilables. Nous reviendrons maintenant à l'examen de l'état physique du sol dans ses rapports avec l'application du fumier ; question déjà traitée mais pas suffisamment approfondie. VI. De leur application sur le sol. — On sait que les fumiers de cheval et de vache ont chacun leurs propriétés physiques par- ( 266 ) ticulières , et conviennent à certaines terres plutôt qu'à d’autres, suivant leur nature sèche ou humide. Nous l'avons dit plus haut, le fumier d’écurie est préféré dans les terrains humides, parce qu'il est plus sec et plus chaud; le fumier des étables produit des effets plus marquants sur des sols secs et meubles, parce qu'il est humide et compacte. Il résulterait donc de cet état de choses que le mélange du fumier serait une chose préjudiciable, puisqu'il ne serait plus possible an cultivateur de donner à chaque terre l'engrais qu'elle réclame. La réponse à cette proposition peut se faire par les deux questions suivantes : une terre alumineuse ne se divisera-t-elle pas aussi bien avec un engrais frais préparé d’après le procédé que nous avons indiqué qu'avec du fumier de cheval ordinaire? Le fumier court et consommé, soumis aux mêmes préparations, ne pourra-t-il pas remplacer le fumier de vache et n'agira-t-il pas avec autant d'efficacité que ce dernier dans les terrains légers et sablonneux? Convaineu que ces questions ne sont susceptibles d'aucune controverse, nous pouvons les laisser sans solution. La seule chose qu'on puisse objecter encore, c'est qu'en laissant consommer les engrais, on éprouve de grandes pertes. Cette objection est plausible et même fondée lorsqu'il s'agit d'engrais abandonnés ou négligés; mais elle est futile si l'on veut parier de fumier de basse-cour ayant reçu Lous les soins désirables, ear l'a- zote étant condensé, il ne peut s'échapper dans l'atmosphère que du carbone et les éléments de Peau qui se trouvent toujours en quantité suffisante dans tout domaine agricole bien administré. Malgré cette faculté que possède le fumier préparé de modi- fier la texture des terres arables, il ne peut jamais être avanta- geux de l'employer dans le but de le faire agir plutôt méca- niquement que chimiquement sur le sol, parce que, pour obtenir un effet physique dans les terrains sablonneux, on doit em- ployer du fumier consommé, dont les parties, plus solubles, sont entraînées plus tôt dans les couches souterraines par les eaux pluviales. Vouloir faire agir mécaniquement le fumier, c’est, selon nous, PE (267) subordonner les effets chimiques des engrais aux effets physi- ques, puisqu'ils ne peuvent, excepté dans les terrains argileux, se produire simultanément. Il nous paraît donc plus logique de les appliquer sous les formes les plus avantageuses, en leur con- servant la plus grande quantité de sels assimilables. Quant à l'ameublissement convenable des sols tenaces, il est facile, sans avoir recours aux engrais, de l'obtenir, soit par des cultures bien entendues et des labours fréquents, soit par l'ap- plication de la chaux ou de la marne. : Nous pouvons donc considérer comme vicieuse toute méthode qui ne tendrait pas à conserver aux fumiers la plus grande par- iie de leurs principes actifs; la meilleure consisterait à en faire usage lorsqu'ils n’ont encore subi qu'une légère altération : cest sous cette forme de décomposition récente que nous vou- drions les voir appliquer sur les terrains chaque fois que les cir- constances le permettent. Le procédé d'application du fumier sur le sol est un point sur lequel les praticiens ne sont nullement d'accord et dont la solu- tion nous paraît être d'une grande importance en agriculture. Depuis longtemps, la théorie recommande d’enfouir immédia- tement le fumier au Jieu de le laisser exposé à la superficie du sol; la pratique, au contraire, semble, en certaines circonstances, rejeter ce principe. Il est très-bien constaté qu'un fumier exposé longtemps sur le sol laisse, par la putréfaction des matières, évaporer tout son azote, sous forme d'ammoniaque, lorsque cette base n’est point combinée à un acide qui puisse le rendre stable. Comme la présence de cet alcali doit caractériser tout engrais actif, les théoriciens avaient raison de se récrier contre toute exposilion de ce genre aux influences de l'air. En se basant sur l'expérience des faits et sur ce que le fumier en couverture agit sur le sol d’une façon analogue aux branches d'arbres qui favorisent dans une prairie la croissance de l'herbe et communiquent au sol des sues nourriciers, les praticiens avaient raison aussi, de leur côté, de ne tenir aucun compte des ( 268 | conseils fournis par la théorie. Comment expliquer ces étranges résultats? Tous ceux qui veulent se rendre à l'évidence du raison- nement et qui cherchent la cause avant d'apprécier l'effet, par- viendront aisément à se rendre compte de ces prétendus phéno- mènes qui, en réalité, ne sont que de simples faits qui ont échappé à la sagacité des théoriciens aussi bien que des praticiens. Nous avons démontré plus haut que les engrais obtenus par les procédés ordinaires perdent leurs principes volatils dans le réservoir de la ferme; il est done facile de comprendre que, lors- qu'ils sont répandus sur le sol, les fortes chaleurs ne leur font plus perdre des corps gazeux, puisqu’avant d’être enlevés de la ferme , ils n’en contiennent déjà plus que dans la matière vrga- nique non altérée. Dès lors, il est également facile de concevoir que le fumier ainsi déposé sur le champ ne peut qu'acquérir des qualités, car les excréments qu'il contient laissent des, vides entre leurs parties, et, selon les lois de la physique, ces vides fixent les gaz de l'atmosphère, parmi lesquels se trouve l’ammo- niac amené le plus souvent par les eaux de pluie. Nos essais nous ont prouvé que par l'application du fumier ordinaire en couverture, la première récolte est presque toujours douée d’une grande richesse de végétation; mais il n'en est plus de même lorsqu'on se livre à des expériences de ce genre avec du fumier bien conditionné; et pour ne citer qu'un exemple, nous dirons que le fumier de mouton produit toujours des effets bien autrement marquants lorsqu'il n’est pas frappé des rayons calorifiques. Cette dernière observation n'offre rien de surpre- nant : le fumier de bergerie conservant des sels ammoniacaux dans ses pores, la température élevée ne tarde pas à les lui en- lever en quantité bien plus considérable que celle qui pourrait être absorbée dans l'air par le fumier pendant tout le temps de son séjour sur le sol, en admettant même l'intervention d’une pluie. Nous ne pouvons done pas admettre cette opinion de M: Moll « qu'un fumier peut rester 45 à 20 jours sur le sol sans incon- vénients, lorsqu'il n’est pas en pente; » car, il est incontestable ( 269 ) que le fumier bien préparé et qui contient, comme celui de ber- gerie, des principes qui peuvent s’exhaler par la seule action de la chaleur solaire, doit finir par éprouver des pertes très-con- sidérables. C'est, conséquemment, la différence qui existe dans la qualité des fumiers qui a pu donner naïssance aux opinions si diver- gentes des théoriciens et des praticiens. Les apologistes du fumier en couverture se basent sur ce qu'il aurait la propriété de communiquer au so! des principes diffé- rents de ceux qui sont contenus dans le fumier enterré immédia- tement après son transport sur les champs. Nous venons de voir, en effet, que cette opinion est vraie lorsqu'il s'agit d’en- grais mal confectionnés; mais, hors de là, elle n’a plus le moindre fondement. Qu'on ne croie pas d’ailleurs que cette efli- cacité soit due à ce que la terre se trouve à l'abri des vents du nord, qui lui enlèvent des substances minérales! Qu'on ne se fi- gure pas non plus que des branches d'arbres placées sur une prai- rie soient capables de céder certains sels aux plantes et qu’elles agissent d’une manière identique à celle du fumier exposé à la surface du sol! Les branches d'arbres agissent uniquement comme pourrait le faire un rideau d’arbres ou un abri quelconque, en procurant une température plus élevée dans un espace limité où l'herbage semble croître avec plus de vigueur. Ainsi, si l'accroissement des herbes est augmenté par la présence de quelques branchages, ce n'est que parce que ceux-ci leur procurent une plus grande somme de chaleur et d'humidité. Le fumier préparé d’après la méthode que nous avons indi- quée, étant à l'abri de la volatilisation des gaz, pourrait impu- nément rester exposé à l'air; mais nous ne saurions cependant, malgré cette belle propriété qu'il aurait acquise, conseiller ee genre d'application, car il est sujet à des inconvénients graves ; par exemple, celui de voir le fumier lavé par les eaux, qui empor- tent toujours avec elles un grand nombre de matières fertihi- santes. (270) C'est par suite d'idées erronées que cette pratique a pris un grand développement dans les contrées où l’assolement triennal est en usage : tous les ans, on fume le trèfle en couverture pen- dant l'hiver. Cette disposition est, selon nous, des plus préjudi- ciables au cultivateur. Le trèfle ou le froment, lersqu'il est couvert d'engrais, pros- père davantage, sans doute; mais combien les récoltes qui leur succèdent n'en souffrent-elles pas! 11 est de la plus haute im- portance, en agriculture, d'assurer la réussite du trèfle, nous le savons, mais ce n’est pas un motif, ce nous semble, pour exposer les engrais à une détérioration qui tourne au détriment des au- tres plantes, dans le seul but de favoriser le développement du trèfle, alors qu'on peut l'obtenir avec succès sans engrais, en le faisant succéder à un froment ou à un seigle fumé, comme cela se fait dans tous les assolements mieux étudiés. Cette pratique n’est point envisagée comme indispensable, et si l'on continue à a suivre, ce n'est que par suite de l’'antipathie qu'inspirent les nou- veautés ou les innovations. Nous avons parcouru un grand nom- bre de propriétés, et nulle part nous n'avons rencontré d’obsta- cles à ce que cette coutume surannée fùt supprimée. C'est assez dire que nous ne pouvons partager l'opinion de MM. De Dombasle et Schwerz, lorsqu'ils recommandent de fu- mer en couverture les céréales d'hiver. Cetle méthode, qui n’est heureusement pas en usage en Belgique, expose le fumier aux mêmes iniluences fâcheuses que celai placé sur le trèfle et dont nous venons de parler. Lors des dégels rapides ou des grandes averses au printemps et en hiver, lorsque la filtration des eaux dans le sol est interceptée par la congélation, nous avons eu maintes fois l'occasion de remarquer que l’eau provenant de cette espèce de macération était tellement chargée de matières stercorales et avait une coloration tellement prononcée qu'on aurait pu les confondre avec les engrais liquides des citernes. On ne doit done pas perdre de vue qu'un engrais appliqué en cou- verture se dépouille infailliblement d’une partie de ses principes, quel que soit Ja déelivité du sol. ( 271) il est inutile d'insister davantage sur ce point; des raisons palpables indiqueront le mal et feront abandonner l'application des engrais en couverture à tout observateur qui, jetant les yeux sur les débris du fumier déposé sur le sol, se deman- dera ce que sont devenus tous les excréments solides et li- quides qu'il contenait; et pourquoi les produits qui suivent la fumure sont si peu satisfaisants, quant au rendement des graines. Une coutume qu'il serait aussi désirable de voir abolir, c'est l'application d'une grande quantité d'engrais pour une longue suite d'années. Nous voudrions en voir ménager les doses pour les renouveler plus souvent ; on éviterait par là les inconvénients qui résultent des famures trop abondantes, le fléchissement et le versement des récoltes, et on obtiendrait une parfaite simili- tude dans les productions, ce qui en ferait augmenter les qua- lités et la valeur. Si nous jetons un coup d'œil sur les diverses propriétés du fumier, propriétés qui viennent d'être établies, nous trouvons qu'elles sont peu conformes aux idées généralement reçues dans les campagnes. L'amélioration chimique que nous attri- buons aux engrais de ferme bien confectionnés paraîtra problé- matique à beaucoup de personnes; mais comme la vérité finit toujours par se faire jour, l'expérience ne tardera pas à dissiper les illusions qui sont contraires aux vœux de la nature. L'analyse des préceptes constants et invariables qne nous ve- nons d'exposer, nous fait voir aussi combien l’on marche dans une voie périlleuse lorsqu'on se laisse égarer par des comparaisons fausses : celles, par exemple, de l'épuisement graduel des terres, causé par certaines espèces de végétaux, avec la valeur nutri- tive d’une quantité déterminée d'engrais de ferme. L’engrais est, en effet, loin d’avoir partout cette composition identique qu'on veut bien lui prêter; et, pour s’en convaincre, il suffit de suivre pour un instant les procédés si différents dont on fait usage dans les exploitations rurales. Dans les unes, on se livre à l'élève du bétail; dans d’autres, c’est l’engraissement qui prédomine; ( 272 ) dans celles-ci, les animaux sont rares; dans celles-là, les étables et les bergeries sont vastes et bien garnies ; ici on donne une nourriture Copieuse et nutritive, là on use de parcimonie, et les aliments sont rares et peu substantiels. Dans certaines cul- tures, le bétail reçoit un empaillement exagéré; dans d'autres, il est presque nul ; d’un côté, le fumier est soumis à une grande sécheresse ; de l'autre, il est littéralement submergé par les eaux de pluie. On voit aussi conduire très-souvent les engrais sur les terres à la sortie des étables et les enfouir immédiate- ment; tandis que, dans d’autres cas, il est rare qu’on les confie au sol avant qu'ils n'aient éprouvé dans la ferme une altération profonde et avant d’avoir été exposés en couverture aux in- tempéries de l'atmosphère. Toutes ces circonstances sont autant de causes qui empêchent de déterminer approximativement la valeur nutritive du fumier par des chiffres ou des équivalents, comme on le fait pour les autres espèces d'engrais, sans avoir en même temps égard à toutes les causes principales qui peuvent en augmenter ou en diminuer le caractère fécondant. Si l'on compare les fumiers de deux fermes prises au hasard dans le pays, il peut arriver que l’on rencontre dans l’un, à poids ou à volume égal, deux ou trois fois plus de sucs fertili- sants que dans l'autre, ce qui augmente ou diminue dans les mêmes proportions leur action sur les terres. Il est done facile de comprendre, dès lors, combien les calculs de nos agronomes et de nos cultivateurs peuvent être erronés lorsqu'ils ont pour objet de déterminer le degré de fécondité enlevé à une terre par ielle ou telle récolte et restitué par les engrais de basse-cour. On voit aussi combien la dénomination de voiture de fumier, pour exprimer l'idée d'une certaine dose d'engrais, est vague et vide de sens. Aussi longtemps que l'on n'admettra pas plus de pré- cision dans le langage agricole, il sera toujours difficile, si- non impossible, de se comprendre ou de ne pas commettre des erreurs. Nous avons dit que chaque cultivateur a une méthode par- ( 275 ) ticulière de former, de recueillir, de préparer et d'appliquer les engrais de ferme. Quelle est donc la cause de cette diversité dans les moyens employés? Il n'y a pas dix ou vingt bonnes métho- des; il ne peut y en avoir qu'une, car la meilleure a essentielle- ment la prépondérance sur toutes les autres. Nous pouvons donc croire que si les procédés que nous avons indiqués sont plus recommandables que tous ceux en usage aujourd’hui, ils prendront bientôt une grande extension; dans le cas contraire, nous les condamnerions volontiers à l'oubli. * Nous terminerons ce chapitre en posant en principe : 1° Qu'on doit prendre en considération, comme pouvant in- fluer sur la qualité des engrais, la nourriture, l'âge, le dévelop- pement et l'espèce d'animaux domestiques; qu'il ne faut pas, pour cela, adopter ou exelure tel ou tel animal, sans faire la part des circonstances, uniquement pour favoriser l'augmentation des engrais qu'ils procurent, mais bien chercher à restreindre, le plus possible, la propagation des animaux qui enlèvent les principaux éléments de plantes, pour les remplacer par des indi- vidus capables de donner un équivalent plus considérable en engrais sans nuire à d'autres intérêts pécuniaires ; 2 Que la conservation des engrais influe à un haut degré sur la production des récoltes et qu'elle doit, par conséquent, atti- rer l'attention de tous ceux qui cultivent la terre; 3° Que conduire et éparpiller le fumier sur le champ sans l'enfouir immédiatement, c'est se soumettre volontairement à des pertes inévitables; qu'on ne doit done pas l'abandonner sur la jachère, et moins encore en couverture sur le trèfle, à l'ac- tion directe des rayons solaires et aux intempéries de l’atmos- phère, comme cela se fait au midi de la province de Namur, entre Sambre-et-Meuse, en Ardenne et principalement en Con- droz. (974) CHAPITRE VE DES URINES. L'urine, comme les assolements et le fumier, a aussi son rôle dans la production agricole. C'est encore aux cultivateurs des Flandres et de Alsace qu'il faut s'adresser pour connaître la haute utilité de cet engrais; ils en font un usage si fréquent, ils y attachent une importance si grande, qu'il est impossible de concevoir comment, aujourd'hui encore, il se fait qu'on a à dé- plorer cette immense perte d'urine qui s'écoule constamment dans les chemins, dans les canaux et dans Îles rivières. Il est vrai que trois causes paraissent motiver ce déplorable état de choses; ce sont : 1° Le défaut d'appréciation des engrais liquides ; 20 La difficulté de les transporter sur les terres; 5° Le manque de citernes pour les recueillir. En examinant ces trois points, nous verrons s'il y a lieu d'y remédier. I. Défaut d'appréciation des engrais liquides. — Nous avons dit que les engrais liquides contiennent toutes les substances solubles des aliments dont ils sont issus; d'après cela, leurs principes constituants doivent varier, d'abord avec les animaux qui les produisent, et ensuite avec la nourriture que ceux-ci con- somment. Dans l'urine d'une vache, Brande a trouvé : Chlorure de potassium et sel ammoniac . , . 15 Sulfate delpotass chere ANG Garbonate(defpotasse eee rene & Garbonate delchaux MEN ENRE 5 TÉGAQ AAL LSrAE D Ae Ans En EN Se n au EN NUE de ar EE OR SC) 682 (1) (1) Lichig Chimie appliquée à la phystologie, etc., p. 2249. (275) Les résultats de cette analyse, qui se rapprochent beaucoup de ceux qui nous ont été donnés par d'autres chimistes, nous montrent que l'urine contient beaucoup d’urée et que les alcalis en forment la base principale. Il est donc évident que la terre arable, qui a nourri les végétaux dont dérivent les principes de l'urine, sera privée des principes azotés et alcalins qu’on ren- contre dans celle-ci, si on ne lui restitue pas ces matières sous une forme quelconque. _ On ne peut nier les effets heureux de ces substances sur les plantes, attendu qu'elles les contiennent toutes et que les terres n'en sont Jamais surchargées; d’ailleurs, pour s’en convaincre, il suffit de se demander comment les marcs de colza et de came- line, les cendres de bois, la suie agissent sur le sol. L'action de ces engrais n'est-elle pas due particulièrement à l'azote et aux alcalis qu'ils renferment, et dès lors les engrais liquides ne doi- vent-ils pas produire des résultats analogues ? Cette manière de voir ne peut être contestée, et si, comme cela se remarque partout, l'urine ne produit pas des effets aussi sensibles dans une localité que dans une autre, cela provient de ce qu'elle a été mal conservée, exposée à l'air, ou mélangée avec les eaux pluviales. Dans presque toutes les exploitations rurales, il y a défaut de citernes; les urines s'écoulent alors dans le réservoir à ciel ou- vert qu'on destine aux fumiers et où se rendent aussi les eaux pluviales de la ferme, et souvent même celles de l'extérieur. Il se forme donc ainsi un mélange d'urine et d’eau qui, on le conçoit aisément, est incapable de produire sur le sol, à égalité de vo- lume, les effets que donne l'urine à l’état de pureté, et alors le coût du transport est infiniment supérieur au profit que l’on re- tire de l'augmentation des récoltes. Âprès cela vient se placer une autre cause de perte, le dé- gagement des principes volatils produit par la putréfaction des matières organiques et auquel on ne cherche pas à porter re- mède. C'est pourtant là que réside le grand secret de l’applica- tion des engrais liquides; c'est cette déperdition de matières 18 (2H!) aériformes qu'il faut éviter pour en obtenir des effets marquants. Nous verrons tout à l'heure comment on devra s’y prendre pour y parvenir. IL. La difficulté du transport. — Y serait sans doute très-dif- ficile, dans la grande culture, d'imiter les Flamands, en trans- portant toutes les urines sur les terres eultivables à l'aide d’un tonneau fixé sur une petite voiture. Cette pratique peut être excellente dans les Flandres, là où les bras abondent, tandis qu'elle serait presque impraticable dans le Brabant et en géné- ral dans toutes les contrées à grande culture. C'est là en quelque sorte le motif de la négligence qui se manifeste partout à l'égard des urines, et ce motif n'est pas sans fondement. Dans tous les cas, il y a possibilité d'utiliser les urines, soit en les transportant directement sur les champs, par des méthodes économiques , soit en les mélangeant avec d'autres matières qui, tout en absorbant les principes fertilisants qu'elles renferment, laisseraient évaporer l’eau. Nous pensons qu’en usant du moyen que nous avons indiqué en parlant du fumier, c'est-à-dire en transportant sur les terres cet engrais imprégné d'urine dont les principes sont rendus stables, toute difiiculté serait aplanie sans la moindre dépense. Mais, nous dira-t-on, il est impossible d'enlever tous les engrais liquides d’une exploitation par cette seule voie. Cette obser- vation est juste, mais seulement pour les exploitations qui contiennent beaucoup de bétail aux époques où l’on distribue des nourritures aqueuses; en admettant même qu'il y eût par- tout un excédant d'urine, il serait toujours facile de l'employer en arrosant les betteraves et les carottes. Ces deux plantes, fort riches en potasse, ne sauraient être placées dans de meilleures conditions que lorsqu'elles ont reçu des engrais liquides et sur- tout de l'urine de vache. Ce procédé économique, déjà pratiqué depuis longtemps dans notre culture, est très-profitable et n'offre pas le moindre em- barras quant au transport, puisque les sept huitièmes des en- grais liquides peuvent être conduits sans frais sur les champs cultivés en les mélangeant avec le fumier, et que le huitième res- Lo 2e (Or) tant peut être employé, dans une saison morte, à l'arrosement des plantes-racines. Il y a d'ailleurs une foule de manières d'employer l'urine qui ne serait pas directement absorbée par le fumier de basse-cour, sans [a transporter à l’état liquide. On pourrait, par exemple, comme cela se fait en Écosse, en arroser le compost; cette pratique aurait pour résultat de donner à celui-ci une grande puissance fertilisante et permettrait en quelque sorte la sup- pression de la chaux, attendu que les urines peuvent la rempla- cer pour effectuer la désorganisation et la désagrégation des matières organiques et inorganiques. On pourrait, au besoin, em- ployer l'urine à la fabrication de l’engrais Jauffret, si toutefois l'expérience venait constater l'efficacité de cette méthode. lil. Le défaut de citernes pour recueillir les urines. — D'a- près ce qui a été dit précédemment, on doit reconnaître que, si les moyens d'utiliser les engrais liquides que nous avons indi- qués sont admissibles, il n’est plus nécessaire de faire construire des citernes pour les recueillir. Mais comme il peutse rencontrer des cas où, pour des causes imprévues, il serait préférable d’em- ployer l'urine directement sur les terres, nous admettrons, pour un moment, que nos indications soient sans valeur. Il serait indispensable alors de faire construire des réservoirs, et c'est là que gît toute la difficulté. Les constructions de ce genre occa- sionnent beaucoup de dépenses et sont ordinairement à la charge des cultivateurs locataires, parce que les propriétaires entrent rarement dans ces détails. Or, ces cultivateurs n'ayant pas la cer- titude de conserver la position qu'ils occupent, ne font pas de démarches, ne font aucune instance et craignent d'ailleurs d’amé- liorer à leurs dépens le sort de leurs successeurs : ainsi, l'un des objets les plus indispensables à l'exploitation est négligé, et il en résulte que les engrais liquides sont en grande partie perdus pour l’agriculture. Un semblable état de choses ne peut plus durer longtemps. Nous avons dit en parlant du fumier que nous fixions les gaz qui sen échappaient à l’aide du gypse et du phosphate des os. Eh bien, cette méthode est applicable aussi aux urines, car elles 02780) contiennent toujours de l’urée qui, en se putréfiant, se convertit spontanément en un carbonate d'ammoniaque éminemment vola- til. Ce sel, en présence du gypse et des os en dissolution, subit une double décomposition pour former des combinaisons sta- bles. In'est donc pas douteux que par ce moyen on ne parvienne à em- pêcher la perte qu'éprouveinfailliblement l'urine exposée à l’action de l'oxygène de l'air; par suite, les citernes deviennent -super- flues, puisqu'elles n'ont pour but que d'empêcher la volauli- sation des gaz. Elles peuvent être avantageusement remplacées par de simples réservoirs en plein air creusés dans une terre quelconque. En couvrant les parois intérieurs de ces réservoirs de terre glaise damée, on empêche la filtration du liquide qui, traité par des réactifs, conserve toutes ses qualités et en acquiert de nouvelles très-précieuses pour la végétation. Maintenant que l’on sait apprécier l'action des engrais liqui- des sur le développement des plantes ; que l’on possède des moyens faciles et peu coûteux pour en effectuer le transport sur les ter- rains, et qu'enfin, on n’est plus assujetti à des dépenses onéreuses pour construction de citernes, il est à espérer que le système qui vient d'être proposé, quoique inconnu jusqu'à présent, ne tar- dera pas à être adopté dans les campagnes; et nous dirons en terminant, que la bonne conservation des engrais est une source véritable de richesse et qu’elle est toujours la preuve la plus in- failible de l'intelligence du cultivateur. CHAPITRE VII DE LA CHAUX, Le rôle que joue la chaux est si mal interprété par nos agri- culteurs qu'il est de toute impossibilité, si l'on s'en rapporte (278) ) aux nombreux commentaires auxquels il donne lieu, de se former une opinion bien arrêtée sur l’action de ce corps. Les uns prétendent que la chaux est nécessaire aux plantes et qu’elle convient à Lous les sols, parce qu’elle augmente la tem- pérature; les autres, au contraire, semblent convaincus par l’expé- rience qu'elle refroidit le terrain et qu’elle est plus nuisible qu'u- tile. Avant de se prononcer pour ou contre une substance dont on fait usage comme engrais, il est toujours prudent de cher- _ cher préalablement à connaître ses propriétés; car il est cer- tain qu'on obtient souvent un effet opposé à celui qu'on espérait produire et qu'un corps peut agir favorablement sur une terre, tandis qu'il aurait un effet inverse sur une autre. Cest ce qui à lieu pour la chaux que l’on emploie en agrieul- ture. Les différentes opinions qu'on a formulées sur la chaux sont dues à des effets physiques et chimiques, qu'il importe à tout cultivateur de connaître; nous allons donc indiquer quels sont ses principaux effets sur la terre cultivable, afin d'éviter les mécomptes qui résultent de son application, lorsqu'elle est faite mal à propos. Sans entrer dans les détails de la fabrication de la chaux, qui est généralement bien connue, nous dirons quelques mots sur sa composition et sur son gisement dans la nature. La chaux s'obtient par la calcination d'un carbonate de chaux ; ce composé, sous forme de roche, se rencontre abondamment en Belgique où il forme de longues chaînes de montagnes; mais il est loin de présenter de l'homogénéité dans ses parties consti- tuantes. Ainsi, le règne minéral nous présente des roches calcai- res d’une grande diversité : les unes sont presque pures, les autres, au contraire, sont mélangées d’une quantité plus ou moins grande de matières terreuses, telles que l’alumine, la silice, le fer, la magnésie et le manganèse, qui constituent , par leurs différentes proportions, le calcaire magnésien ou la dolomie, la chaux hydraulique, la chaux grasse, la chaux maigre, etc. ( 280 }) Dans ces différentes compositions, l'acide silicique: qui y entre pour un bon nombre de parties, porté à un feu trop vif, se vitrifie avec la chaux et les autres oxydes métalliques; elles subissent des modifications qui les rendent partiellement inso- lubles et les empêchent d'agir chimiquement sur la végétation, ce qui altère et diminue nécessairement les qualités et les bons effets de la chaux. De là résulte que l’on doit accorder la préfé- rence au calcaire le plus pur, c'est-à-dire à celui qui présente, comme le spath calcaire, une composition simple, lorsque toute- fois il n’est pas en combinaison avee l'acide sulfurique. Il est donc nécessaire de s'assurer d’abord de la qualité de la chaux (1) avant d'en faire l'application sur le sol. Propriétés de la chaux. — Récemment caleinée, la chaux est caustique ; exposée à l'air, elle absorbe l'humidité ou les vapeurs aqueuses pour se déliter après avoir passé à l’état d'hydrate. Cette nouvelle combinaison réduit les particules de la chaux à une finesse impalpable, et alors on la dit éteinte. A cet état, elle conserve toujours sa causticité, mais à un moindre degré, et elle absorbe peu à peu de l'acide carbonique de l'air, pour former un carbonate de chaux. Cependant, dans le sol, cette transformation a lieu d’une manière plus prompte, parce que celui-ci contient tou- jours une plus ou moins grande quantité de ce gaz, soit qu'il pro- vienne des matières organiques, soit qu'il dérive des eaux de pluie. La chaux caustique ou hydratée a des propriétés très-variées sur la végétation. Nous cilerons les snivantes comme étant les plus importantes : 4° Elle neutralise toutes les substances acides du sol, telles que le tanin, l'acide acétique, l'acide oxalique, etc., et prévient leur action toxique sur la végétation (2); (1) MM. Berthier, Thiebault de Tiernaut et De Dombasle ont donné des modèles d'analyses très-simples qui peuvent être suivis avec facilité ; mais , pour des opérations délicates, on devra avoir recours aux ouvrages de MM. De Gasparin , Frénésius et Rosé. (2) L'action astringente se manifeste d’une manière prononcée dansles bois défrichés, dans les terres de bruyère et dans les sols tourbeux et maréca- geux. ( 281 } 2 Elle forme une base calcaire qui est indispensable à la plupart des plantes de la grande culture; 5° Elle paraît donner naissance, durant la végétation , à des sels à acides organiques qui ont une influence salutaire sur les plantes, et surtout dans les terres acidifiées ; 4° Elle participe à la décomposition des silicates; l'acide sili- cique devient alors soluble et va constituer les tiges des gra- minées ; la base (magnésie, potasse ou soude), qui se trouvait combinée avec la silice, est en même temps mise en liberté, et _sert alors, comme elle, à sustenter la végétation. On peut done dire, d'après cela, qu’en introduisant de la chaux dans le sol , on lui procure de la silice, des alealis, etc.; 5° Elle hâte la décomposition et la transformation des matières organiques en humus, dont elle rend les parties constitutives (azote, matières salines, ulmate, etc.) assimilables. « Lorsque cet humus, dit M. Liebig, est transformé en ce qu’on appelle le pourri, la chaux peut encore le décomposer plus amplement. » Il y a donc production d'aliments pour les plantes; 6° Eïle baisse ou elle augmente la température du sol, comme elle lameublit ou le rend plus compacte. Ces effets opposés se lient étroitement à la composition physique de la couche végé- tale. On sait que plus un sol est condensé, plus il a de force pour retenir son humidité et plus il est froid; moins un sol offre d’adhérence dans ses parties, moins il oppose de résistance à l’'évaporation de l'humidité et à la libre infiltration des fluides aériens, et par conséquent, plns il est sec et chaud. On sait aussi que la chaux doit être classée parmi les corps froids à cause de son hygroscopicité et de sa propriété réfléchis- sante. Or, si l'on applique de la chaux sur un sol siliceux, la con- sistance qu’elle lui fait acquérir et la réflexion des rayons solaires le rendront plus froid ; si on l’applique sur un terrain alumineux el tenace, celui-ci se divisera, permettra aux agents calorifiques de s'introduire entre ses molécules, et, malgré la propriété ( 282 } réfléchissante de Ja chaux, il y aura augmentation de chaleur. On voit donc que la chaux peut agir de deux manières bien différentes sur la température et l'agrégation du sol, et l'on comprendra maintenant avec beaucoup de facilité combien il est important d'en subordonner le dosage à la nature du sol. Si le sol est acide ou dépourvu de principes calcaires, s’il est alumineux ou froid, s'il contient une trop grande quantité d’humus, la chaux lui conviendra particulièrement, parce qu'elle réagira sur ses parlies constituantes en modifiant sa texture et sa composition chimi- que. La proportion de chaux devra donc être d'autant plus forte que le sol se rapprochera davantage de ces conditions, et d'autant plus faible qu'il s’en éloignera. Cependant, il est bon d'observer que cette règle ne peut pas être appliquée d’une manière absolue, car elle doit recevoir des exceplions dans certaines circonstances. Nous venons, par exem- ple, de dire qu'un sol froid demande à recevoir de la chaux pour augmenter sa température; mais il faut avant tout s'assurer de la cause qui produit l’abaissement de la chaleur, car si celui-ci provenait d’une trop grande humidité de la terre, il faudrait en opérer le desséchement avant de songer à la chauler. C’est encore ainsi qu'un terrain éminemment calcaire, toujours froid parce qu'il retient beaucoup d’eau, ne peut que devenir plus froid encore par une addition de chaux. Dans beaucoup de contrées, on fait usage de la chaux d'une manière immodérée ; nous avons été à même d'observer ce fait dans les environs de Charleroi. C’est ainsi que nous avons vu une terre de consistance moyenne, d'une superficie de 7 hectares, sur laquelle on avait placé 214 mètres cubes de chaux; pour aucun motif et dans aucun cas, une telle proportion ne peut être justifiée. Dans le Condroz, une partie de la Hesbaye et de la province de Namur, on suit une ancienne coutume qui n'est pas moins blâmable. Elle consiste à faire revenir de la chaux sur le même terrain tous les neuf, douze ou quinze ans, sans avoir égard à la situation ou à la nature des terres et sans varier le dosage. Cet usage est très-contraire aux intérêts du cultivateur. ( 285 ) D'abord, lorsqu'on applique au sol de la chaux en forte pro- portion pour une longue suite d'années, on s'expose à exercer, la première année, une trop forte réaction alealine, qui est défa- vorable à la végétation, et puis, vers les dernières années, la terre en est pour ainsi dire entièrement dépourvue. La chaux employée en trop grande quantité décompose trop rapidement les engrais en produits solubles et gazeux; elle éli- mine les sels ammoniacaux dont elle est le plus grand adversaire, et enfin, elle s'empare, au détriment des végétaux, d'une grande partie de l'acide carbonique pour se convertir en carbonate. Il est donc facile de voir, sans même entrer dans des considéra- tions physiques, qu'une terre fumée à laquelle on accorde trop de chaux, devient bientôt incapable de fournir aux plantes les éléments qu'elles réclament, et qu'en lui ôtant de sa fertilité, on la rend moins apte à fournir une série de récoltes. La méthode qui consiste à enfouir de la chaux dans toutes les terres indistinctement est tout aussi sujette à critique. En effet, que peut-on obtenir, par exemple, d’une application de chaux dans un terrain humide ou naturellement calcaire ? Dans un terrain humide, de l’état caustique, la chaux passe im- médiatement à l’état d'hydrate et de celui d'hydrate à celui de lait de chaux ou de bouillie. Sous cette forme, elle ne peut agir que d’une manière préjudiciable, soit en empêchant les gaz de pénétrer dans les insterstices du sol, soit en déchaussant les ra- cines des plantes par l'effet des gelées. Dans un terrain calcaire, une nouvelle addition de chaux devient sinon nuisible, du moins complétement inutile. D'après ce qui précède, il nous paraîtrait superflu de démon- trer, pourquoi l'emploi de la chaux a ses apologistes et ses dé- tracteurs; pourquoi les céréales sont toujours peu grainées et versent facilement après l'application d’une trop forte dose de chaux; pourquoi en Condroz le froment, l'épeautre et le seigle sont si sujets à périr à la sortie de l'hiver sur des terrains nou- vellement chaulés; pourquoi, enfin, il y a des terres qui deman- dent un tiers et même une moitié plus de semences que d’autres pour donner à la moisson des récoltes également drues, ( 284 ) Ces phénomènes, que la théorie prévoit et que la pratique con- state, ne sont rien autre chose que la conséquence d’une appli- cation de chaux faite d'une manière inconsidérée et peu judi- cleuse. Il est donc important que l’on étudie avec la plus sérieuse attention les effets de la chaux, si l’on veut en tirer un bon parti; et, pour y parvenir, on ne doit jamais l'employer sans savoir dans quel but, on en fait usage, sans s'assurer d'avance que la dose qu'on se propose de fournir ne sera pas préjudiciable, par sa réaction chimique, aux plantes ou aux engrais. La dose la plus convenable à la végétation nous paraît être de 2 54 à 5 hectolitres par hectare, si on applique la chaux tous les ans, et de 5 5/2 à 6 1/1 hectolitres, si on ne la renouvelle que tous les deux ans (1). Cependant on ne peut pas toujours se confor- mer strictement à cette proportion; lorsque la terre est alumi- neuse, par exemple, une quantité plus forte pour obtenir soit sa division, soit son augmentation de température, ne peut être que fort avantageuse. La quantité de chaux à employer doit être subordonnée à sa plus ou moins grande pureté et à la plus ou moins grande pro- fondeur de la couche de terre cultivable. Ainsi, moins la chaux sera amalgamée avec des substances terreuses, moins le sol sera labouré profondément, moins la quantité de chaux devra être forte, et vice versa. D'après une déduction moyenne de plusieurs analyses faites sur différentes espèces de terres arables d'une épaisseur de 0%,18 à 0,21, la proportion de calcaire la plus convenable nous à paru être de 6 p. %o de carbonate de chaux pour une terre de consistance moyenne {terre loameuse et schistoïde), et de 7 ‘2 p. Jo pour une terre forte et tenace. Dans tous les cas, il nous semble imprudent de dépasser ces derniers chiffres, car nous avons eu l'occasion de constater que des terres situées dans les provinces de Namur et de Liége, se (1) Nous supposons que la chaux est dans un état de pureté assez grande. ( 285 ) composant de 12 à 14 p. ‘% de chaux, donnent rarement de belles récoltes. Le système d'application à petites doses doit être préféré à tout autre, parce qu'il laisse constamment dans le sol la quan- tité de chaux la plus convenable aux besoins des plantes. Cette méthode plus économique est suivie avec succès en Ardenne, et elle n'offre pas le moindre inconvénient pour la culture des céréales, ni pour la culture des fourragères, parce que la pro- portion de chaux étant très-minime , l'effet de son hygroscopi- cité, de son pouvoir réfléchissant, de sa réaction sur les radi- celles, sur l'acide carbonique, sur le carbonate d’ammoniaque et sur les matières organiques, n'a pas lieu de s'exercer avec une trop grande intensité dans la couche arable. Nous partageons entièrement l'opinion de MM. Thaër et De Dombasle, lorsqu'ils recommandent de ne pas enfouir trop pro- fondément la chaux dans le sol; on peut l'employer en cou- verture sur les céréales, le trèfle, la luzerne, etc.; on peut aussi l’enfouir très-superficiellement par un ou deux hersages énergi- ques, lors de la culture du seigle ou de l’avoine qui précède ordinai- rement celle des plantes légumineuses que nous venons de citer. Dans la province de Luxembourg, on éteint la chaux à cou- vert, et puis on la sème à la volée sur le trèfle et les graminées; elle est ainsi préservée des grandes pluies, qui la rendent parfois laiteuse lorsque, pour aider à sa désagrégation, on la dépose en tas sur le sol. En résumé, nous poserons en règle générale : 1° Que la chaux doit être employée à petites doses, souvent renouvelées, afin que le sol en contienne toujours dans la pro- portion de 4 à 10 p. %o, suivant qu'il est chaud ou froid, meuble ou tenace, acide ou alcalin, humide ou sec, et selon que sa couche arable est profonde ou superficielle, exposée sous un climat froid ou chaud; 2 Qu'il n’est jamais profitable d'employer la chaux en forte quantité pour un grand nombre d'années; n'oublions pas: (a qu'en vertu de l’une de ses propriétés, elle absorbe une masse d'eau ( 286 } pour se convertir en une pâte qui n'offre aucun appui aux plantes, lors des saisons humides , et qui se boursoufle et se sou- lève lors des gélées; (b que la première et la seconde année de son application, elle réagit trop fortement sur les engrais et sur les racines des plantes, et qu’elle ne se manifeste plus dans le sol après un certain laps de temps; 3° Qu'on ne doit pas faire usage de cet amendement dans les terrains humides, parce qu’il n'exerce aucune action bienfaisante sur la texture du sol et sur les plantes ; 4 Enfin, qu'on ne doit pas faire usage de cet engrais : (a dans les sols fortement calcaires recélant déjà ce principe en quantité suffisante pour sustenter la végétation; (b dans le fu- mier de basse-cour, les urines et les substances azotées, parce que la chaux active leur décomposition et met l’'ammoniaque en liberté. CHAPITRE VII. DE LA MARNE. La marne est un mélange composé principalement de earbo- nate de chaux, de sable et d'argile, rarement dépourvu de fer, qui lui communique sa coloration. La marne, comme la chaux, exerce sur le sol une action phy- sique et chimique. Sous le point de vue de cette double action, elle peut être considérée comme un amendement et comme un engrais : comme amendement , en ce qu'elle apporte des modifi- cations dans la texture du sol; comme engrais, en ce qu'elle contribue à l'alimentation des plantes. La marne possède, à peu de choses près, les mêmes pro- ( 287 ) priétés que la chaux; seulement, celle-ci agit plus instantané- ment et plus énergiquement sur les particules de la matière organique du sol. Malgré cette propriété de la chaux caustique, Ja marne la remplace avantageusement dans beaucoup de ter- rains, non-seulement parce qu'elle agit plus longtemps, mais aussi parce que tout en ajoutant au sol plusieurs substances salines, elle y introduit encore une plus ou moins grande quantité d’ar- gile et de sable, qui améliorent son état physique en le rendant plus consistant lorsqu'il est sablonneux, et en provoquant son ameublissement lorsqu'il est argileux. Le dosage de la marne se fait d'après les mêmes lois que celui de la chaux; et, quant à ses propriétés, ce que nous avons dit antérieurement nous dispense d'entrer dans des détails à ce sujet. Nous nous bornerons à émettre rapidement quelques ré- flexions qui se rattachent à sa recherche. Les dépôts de marne que l'on rencontre sur différents points de la Belgique ont une grande dissemblance dans leurs parties constitutives et dans leur aspect. On y rencontre, depuis les marnes les plus calcaires et les plus alumineuses jusqu'aux marnes les plus siliceuses. La marne se présente sous des nuances et des caractères ex- térieurs souvent très-variables, qui peuvent la faire confondre avec d’autres substances terreuses : aussi lorsqu'on se livre à sa recherche, doit-on toujours, pour la distinguer, avoir recours à des réactifs, tels que les acides sulfurique, nitrique, hydrochlo- rique et, à leur défaut, au vinaigre concentré qui, au contact de la marne, expulse l'acide carbonique allié à la chaux pour sy substituer. Pendant l'évaporation de ce gaz, il se manifeste dans la matière une grande effervescence, indice presque tou- Jours certain qu'on a opéré sur la marne. Par ce moyen, on parvient très-facilement à distinguer la marne des matières qui ont les mêmes caractères extérieurs. On ne s'est Jamais assez occupé en Belgique d'aller à Ja dé- couverte de la marne, surtout dans les endroits éloignés des dépôts connus et des carrières où l’on fabrique de la chaux; et ( 288 } pourtant, combien elle est abondante dans la nature (1)! Jus- qu'ici, l'usage de la marne a été très-circonscrit ; cela tient moims au peu de désir qu'éprouvent les cultivateurs de l'employer qu’à la difficulté qu'ils ont à se la procurer; car, bien qu'ils sentent le besoin de marner leurs terres en doses convenables, ils doi- vent y renoncer à cause de la distance qui les sépare des mar- nières. Nous sommes convaincu qu’en faisant des sondages dans cer- taines parties du Brabant, du Hainaut, de la Hesbaye, des Flan- dres et du Limbourg, on trouverait de la marne dans plusieurs localités. Dans cette persuasion, nous manifestämes notre éton- nement à un agriculteur, dont la ferme se trouvait à une distance de dix kilomètres de la marnière de Jauche (Brabant), de ce qu'il ne fouillait pas ses propres terrains. Il se refusa d'abord à croire qu'il pût y avoir dela marne ailleurs que dans cette com- mune. Cependant, quelques semaine plus tard, il fut agréable- ment surpris lorsque, à défaut de sonde, sa bêche le conduisit sur deux filons de cette substance, à deux ou trois mètres de profondeur seulement. C'est encore ainsi que, depuis une époque très-reculée, les cultivateurs de Jauchelette (Brabant) et des en - virons étaient dans la nécessité de faire un trajet de huit kilo- mètres pour arriver à la marnière qui vient d'être citée, tandis qu'ils pouvaient en creuser une dans leur propre commune. Il suffit souvent d'une volonté persévérante pour découvrir cet engrais là où on ne se doute même pas de sa présence. La marne se rencontre à toute profondeur; dans le même terrain elle peut être couverte d'une forte couche de sable ou d'argile, alors qu'à quelques pas de distance, elle occupe une place dans la couche cultivable. Dans les environs de Geer, où l'on fait un grand usage (1) Nous avons déjà exprimé, en 1847, à l’Académie royale des sciences, le vœu de voir rechercher les amendements utiles à l’agriculture dans les di- verses parties de notre territoire. Ce n’est donc pas sans une vive satisfac- tion que nous avons vu le Gouvernement prendre l'initiative, en 1848, et confier cette importante mission à un homme aussi expérimenté que l’est M. Dumont. ( 289 } de la marne pour amender et engraisser les terres, cette substance est d'une extraction onéreuse et difficile, vu l'épaisseur de la couche que l’on a dù traverser pour l’attemdre. Néanmoins, en vi- sitant cette contrée, nous en avons trouvé un dépôt qui venait effleurer la superficie du sol, et qui restait malheureusement inexploité. La même observation peut encore s'appliquer à un endroit rapproché du précédent : au nord de la commune de Falais, la route, en traversant une forte couche de terre, a ou- vert un banc de marne grisâtre qui se dessine dans les deux talus; cette marne occupant la surface oblique du so}, peut être transporiée sur les terres contiguës avec facilité et économie, et cependant on ne l’a pas encore mise à profit. Il est à notre connaissance que M. le baron de Woelmont , en faisant creuser un puits artésien dans sa terre d'Op-Lieux, a trouvé de la marne d’un blanc grisâtre à 19 mètres de profondeur. Cette découverte, dans une contrée aussi éloignée du calcaire, est appelée à y rendre de bien grands services à l'agriculture; car, si l’on a constaté la présence d’une couche de marne dans un endroit à 19 mètres de la surface du sol, on peut fort bien la rencontrer dans un autre terrain de même caractère géologique à une profondeur de quelques mètres ou même par affleuris- sement. * Cependant, dans cette partie du Limbourg, pour peu qu’on pénètre dans les couches inférieures, il paraît que les eaux sou- terraines affluent. Cette circonstance particulière inhérente à la disposition des couches, ou plutôt à la direction des galeries souterraines des eaux, porte obstacle à l'extraction économique de la marne. Un moyen peu dispendieux resterait encere pour utiliser la marne dans ce pays, si on la rencontrait sur des col- lines étroites ou sur leurs flancs; on pourrait, dans ce cas, établir, d’après la pente qui serait offerte pour l'écoulement, un simple canal qui prendrait la base de la marnière et permet- trait d'enlever les eaux surabondantes : ce sont à peu près les dispositions que l’on prend pour enlever les eaux des glacières. En présence des faits que nous venons de signaler, nous ne sau- ( 290 } rions trop engager les cultivateurs éloignés des dépôts de chaux ou de marne, à exécuter des sondages dans leurs propres terrains. Rappelons, pour terminer, qu'on trouve la marne en gisement dans un grand nombre de couches inférieures (1); disons encore que des agronomes ont vu doubler les produits agricoles de ter- rains dépourvus de calcaire, au moyen d'une simple addition de marne. Ce dernier fait aura peut-être plus d'écho que nos paroles. DERNIÈRES RÉFLEXIONS. Envisagée sous un point de vue général, notre agriculture a encore d'immenses progrès à faire. Il suffit de jeter un coup d'œil rétrospectif sur les faits qui ont été exposés dans ce tra- vail, pour être convaineu qu'il existe de puissants moyens d’aug- menter la richesse de nos produits agricoles, et que ces moyens consistent principalement dans l'application judicieuse des en- grais artificiels minéraux et organiques, dans l'établissement de bons systèmes de culture, dans les soins à donner aux prairies (1) M. L. Moll rapporte à ce sujet, dans son Manuel d’agriculture, quel- ques réflexions auxquelles s’est livré M. Ch. Morren. M. De Koninck a aussi adressé au Gouvernement un rapport sur les amendements, en réponse à une question que celui-ci avait faite à l’Académie royale des sciences..Ce rapport, inséré au Moniteur, peut également être consulté avec fruit. De même les ouvrages de MM. d’Omalius d'Halloy et Dumont offrent aussi, sous ce rap- port, des particularités intéressantes. Mais il est une chose que nous devons regretter, c’est que ces géologues n'aient pas encore dirigé leurs observa- tions dans un but tout à fait agricole, de manière à doter les cultivateurs d’un mémoire sur les dépôts marneux, gypseux, etc., qui puisse faciliter leurs recherches. (29/1) permanentes, dans la eréation des prairies arüficielles, dans l'adoption des cultures en lignes et des instruments aratoires perfectionnés, et, enfin, dans la préparation, la conservation et l'application du fumier, de l'urine, de la chaux et de la marne sur le sol, suivant les conditions où il se trouve. \ L'absence des principes scientifiques qui doivent présider à ces différentes branches de l’économie rurale constitue, à nos yeux, la lacune la plus préjudiciable dans nos connaissances agricoles. Nous avons donc lieu d'espérer que, par les obser- vations que nous avons émises, nous aurons réussi à jeter quelques lumières sur la question et, par là, à contribuer au progrès d'un art qui, dès notre plus tendre enfance, a toujours eu toutes nos sympathies. Il existe encore une foule d'améliorations susceptibles d’in- fluer favorablement sur l'industrie agricole; mais nous n'avons pas cru devoir les signaler à l'attention de l'Académie, parce qu'il nous eût été impossible de les examiner sans donner à notre travail des proportions trop grandes et peu en harmonie avec le délai accordé pour l'envoi des mémoires. Cependant nous ne résistons pas au désir de présenter encore, avant de finir, quelques réflexions relativement à deux projets que nous voudrions voir mettre à exéculion et qui nous sem- blent destinés à avoir la meilleure influence sur l'avenir de notre agriculture. Ces projets, quoique formés dans un même but, ont cepen- dant des bases essentiellement différentes. L’un est fondé sur la nécessité d'éclaircir quelques faits encore obseurs de la physio- logie végétale, de propager dans les campagnes les meilleures doctrines et les meilleurs préceptes de la science et de l'art agri- coles, et enfin de populariser toutes les découvertes modernes, de manière à les rendre praticables à la plupart des cultivateurs, moyennant quelques sacrifices de leur part; l’autre a pour objet l'établissement d'une fabrique d'engrais artificiels (1), en vue (1) Voir ce qui a été dit’ à ce sujet dans le chapitre : Examen et con- clusion sur les nouvelles théories des engraës. 19 (292) d'utiliser, au profit de notre industrie, les matières fertilisantes qui se perdent journellement dans le pays. Une société agronomique nationale, telle que nous la conce- vons, devrait être érigée par le Gouvernement et placée dans les attributions du département de l'intérieur; elle se composerait : 1° D'un personnel salarié par l'État, parmi lequel figureraient un directeur-gérant, deux chimistes-analystes, deux physiolo- gistes et un agronome ; 2 D'un nombre illimité de membres effectifs divisés en deux classes : la classe des propriétaires, qui serait assujettie à une cotisation annuelle et personnelle de 50 francs, et la classe des cultivateurs, pour laquelle la cotisation serait réduite à 15 francs. Les membres de la société, salariés par l'État, auraient pour mission : | 1° De s’enquérir de tous les faits qui peuvent avoir une in- fluence marquée sur les progrès agricoles, d'étudier, par une suite d'expériences scientifiques et pratiques, la valeur des idées et des conquêtes nouvelles des chimistes, des physiologistes, des botanistes, des physiciens, des agronomes et des cultivateurs. Toute théorie qui, après avoir été expérimentée dans le grand la- boratoire de la nature, offrirait quelque avantage, serait publiée dans les bulletins des travaux de la société, et ces bulletins dis- tribués gratuitement à tous les membres effectifs ; 2 De faire de nombreuses expériences sur toutes les espèces et variétés de plantes qui paraissent offrir des ressources nou- velles aux agriculteurs, ainsi que sur les instruments aratoires perfectionnés ; 3° D'étudier expérimentalement l'influence, le rôle et l'action de l'électricité et de tous les engrais importants, tant minéraux qu'organiques, sur la végétation ; 4° D'analyser, moyennant une légère rétribution prélevée au profit du Gouvernement, les terres, les engrais, les amende- ments et les stimulants qui seraient présentés par un membre de la société ; 5° De donner enfin, autant que possible, la solution des ques- ( 295 ) tions qui, dans l'intérêt de l'agriculture, seraient posées en assem- blée générale par les sociétaires. Afin d'arriver plus promptement aux résultats de cette grande et belle institution, le Gouvernement fournirait un local auquel seraient attachés un laboratoire de chimie, quelques petites serres destinées aux expériences scientifiques, ainsi qu'une sur- face de 45 à 25 hectares de terre destinée aux expériences pra- tiques. Les analyses sont aujourd'hui un besoin; partout on en a reconnu Îa nécessité et l'importance, et nous pouvons franche- ment le dire, il n’y aura plus de grands progrès faits dans l’agri- culture en Belgique, aussi longtemps que le pays se trouvera privé de ce puissant moyen de prospérité. La société pourrait avoir tous les ans une assemblée générale où seraient discutées toutes les questions les plus intéressantes de l’agronomie et, de trois en trois mois, des réunions destinées à constater les résultats des expériences pratiques. Ces résultats seraient détaillés dans les bulletins de la société, qui pourraient faire l’objet d’une publication trimestrielle. Elle accorderait éga- lement des primes d'encouragement à tous ceux qui propage- raient et exécuteraient, dans leur domaine, les procédés qu’elle aurait préconisés. S'il nous est permis de faire une approximation des frais qu'oc- casionnerait la réalisation du projet qui précède, nous dirons que la dépense annuelle, y compris le traitement des fonc- üonnaires, ne s'élèverait pas à plus de 40,000 francs. Pour couvrir cette dépense, il faudrait donc que 900 propriétaires et 900 cultivateurs se fissent membres de la société. IL est doutenx que ces chiffres puissent être atteints la première et la seconde année; mais, sous le patronage du Gouvernement, l'in- stitution que nous proposons, pure de toute idée de spéculation et appuyée des meilleures garanties, intéresserait toutes les in- telligences d'élite, recevrait bientôt l'adhésion générale de tous les amis du progrès, et rendrait conséquemment les plus grands services à la nation. ( 294 ) Le second projet, sur lequel nous attirons toute l'attention de l'Académie est, nous l'avons déjà dit, relatif à la fabrication des engrais. Les pertes immenses de substances fertilisantes qui se font dans le pays, ont déjà été constatées par plusieurs auteurs. MM. De Koninck, à Liége (1), et Melsens, à Bruxelles (2), ont attiré l'attention publique sur les avantages qu'il y aurait à uti- liser les matières excrémentitielles de l'homme, etc., qui sont enlevées à l’agriculture en pure perte. Mais nous ne croyons pas que l’on ait été aussi soucieux des autres principes actifs de la végétation. Nous ne croyons pas non plus qu'on ait donné les moyens de les employer économiquement, avec profit et de ma- nière à les rendre accessibles à tous les cultivateurs. Il importe donc que nous fassions connaître nos vues à cet égard, et nous y parviendrons le mieux en émettant le projet qui va suivre : il restera peu de chose à y ajouter. a. Il serait créé aux frais de l’État, près de l’un des grands cen- tres de consommation et à la portée des voies ferrées, une fa- brique de produits chimiques uniquement destinée à l'usage de l'agriculture. Cette fabrique serait copiée sur celles qui existent en Angleterre; mais, n'ayant à agir que sur des substances que l'on ne trouverait pas économiquement et en quantité suffisante dans le pays, et sur des produits délaissés, elle devrait être con- struite sur des bases moins étendues. b. Un directeur au fait de la physiologie et de l'agriculture pratique, un chimiste-analyste et plusieurs aides composeraient le personnel de l'établissement (5). c. Tous les principes nécessaires à la végétation, qu'on laisse perdre ou qui n’ont qu'une faible valeur commerciale, seraient recueillis pour être utilisés dans la fabrique. Ainsi, les résidus (1) Correspondance. (2) Moniteur belge. Bruxelles, novembre 1846. (5) Si cette fabrique était annexée au local de la société dont il vient d’être question, ou à un institut agronomique, ce personnel pourrait être presque entièrement supprimé. (295 ) fertilisants et d’un transport facile qu'on trouve dans les saline- ries, les verreries, les savonneries , les usines à gaz, les papete- ries, les abattoirs, les fabriques d'alun et de soude, et dans toutes les fabriques de produits chimiques, seraient mis à profit. De même, les matières fécales, Îles urines et la plupart des dé- chets des villes, situés à proximité du local, seraient enlevés; les urines humaines, déposées dans les grands établissements et les stations du chemin de fer, seraient soumises, sur les lieux, à une préparation, laquelle aurait pour objet d'en extraire économi- quement les principes essentiels pour les recueillir sous une forme pulvérulente. d. Tous les engrais introduits dans l'établissement seraient préparés aux moindres frais possibles. Pour cette préparation, on aurait égard : 4° à la fixation des principes volatils; 2° à Ja stabilité des sels trop ou trop peu solubles; par leur fusion et leur mélange, ils acquerraient une grande puissance végétative, une action immédiate et en harmonie avec le développement des différentes plantes; 3° à la séparation des engrais en deux grandes catégories : la première, comprenant les matières volu- mineuses et aqueuses, serait destinée aux exploitations rurales les plus rapprochées; la seconde, comprenant les matières qui renferment sous un petit volume une grande quantité des prin- cipes actifs, serait réservée aux cultures les plus éloignées. Ces matières étant très-concentrées, pourraient être transportées au loin à peu de frais; 4 à l’assortiment et au mélange des divers engrais, suivant leur nature et l'espèce de récoltes auxquelles ils devraient servir de nourriture; ainsi, puisque chacune d'elles exige la présence dans le sol de certains éléments pour prospé- rer, puisque chacune d'elles demande une quantité variable de principes organiques et inorganiques, il serait bien facile, à l’aide des analyses qu'on possède sur les cendres des différentes espèces de plantes, de combiner pour chaque production l’en- grais qui lui est le plus convenable. Il y aurait donc lieu de faire des compartiments à engrais pour seigle, pour orge, pour avoine, pour froment, pour pommes de terre, pour trèfle, pour colza, ete. ( 296 ) Tel est, en abrégé, l'exposé de nos idées relativement à l’uti- lisation des matières fécondantes, qui malheureusement se per- dent encore aujourd'hui de toutes parts au grand préjudice de l'agrieulture. Il y a dans notre projet une circonstance qu'il importe de ne pas perdre de vue : nous voulons parler de l'avantage que pro- curerait la manipulation d’un engrais spécial pour chaque espèce de récoltes. Mais pour que cet avantage fût plus sensible encore, il serait utile que le cultivateur, demandant une certaine quan- tité de substances, indiquât préalablement l’état physique et la situation du sol qu'il désire engraisser, l'espèce de plantes qu'il veut en tirer et les produits qu'il y a récoltés les années précédentes; de cette façon, il n'aurait absolument qu'à s'oc- cuper du transport des engrais sur ses terres; il obtiendrait une fumure ordinaire à un prix extrêmement modique, et le Gou- vernement, tout en réalisant un bénéfice équivalant aux frais d'exploitation et aux intérêts du capital exigé pour l’entréprise, protégerait l'industrie agricole d’une manière heureuse et très- énergique. Une seule fabrique d'engrais artificiels serait sans doute in- suffisante pour toute la Belgique; mais s’il est vrai qu'en toutes choses il soit toujours prudent de ne procéder que par voie d'es- sai, cette maxime acquiert une autorité toute spéciale dans le cas qui nous occupe. Le pays possède déjà plusieurs fabriques d'engrais pulvéru- lents; mais elles n’ont plus la confiance des cultivateurs qui, trop souvent trompés par des falsifications, ont su faire jus- tice du trafic dont ils étaient l'objet. Qu'on ne croie pas que nous ayons la moindre intention de porter atteinte à la pro- bité et aux intérêts de la plupart des fabricants d'engrais! Nous sommes très-disposé, au contraire, à reconnaître que les fabri- cants intègres ont été les premières victimes de l'abus qui vient d'être signalé. Seulement nous tenons à constater ce fait que l'homme des champs se refusera désormais à donner son argent en échange d'un engrais qui lui est inconnu; il en ser ainsi, aussi (29/70) longtemps qu'il n'aura pas acquis la certitude que la falsification des matières est incompatible avec les intérêts des agents placés à la tête de l'établissement qui doit les lui fournir. Le Gouvernement est seul capable de faire renaître la con- fiance chez le cultivateur. Nous le conjurons donc, dans l'inté- rêt des masses, d'entreprendre une tâche qui doit offrir des res- sources prodigieuses au pays, et de parer ainsi à une perte qui représente annuellement une valeur de plusieurs millions de franes (1), dont pourrait s'enrichir notre agriculture. Nous terminons ici notre travail. En cherchant à donner les moyens d'éviter à jamais le retour des calamités qui, naguère encore, afiligeaient tant de cœurs généreux , neus n'avons fait que payer notre dette à la société. Si nous ne sommes pas resté tout à fait au-dessous de la tâche que nous avons osé entreprendre, si nous ne sommes pas appelé à recevoir la palme offerte aux concurrents, nous serons trop heureux que la société savante qui préside à ce concours daignât ne pas repousser entièrement nos efforts, en se rappe- lant que nos veilles ont été consacrées à la prospérité de notre agriculture naissante et au bonheur de notre jeune patrie. (1) M. De Koninek évalue la perte des engrais, pour la ville de Liége seu- lement , à une somme de près de neuf cent mille francs. TABLE DES MATIÈRES. PREMIÈRE PARTIE. Introduction . . . . . . sub Définition des engrais, des clement et Les stimulants . Documents NT UE ASUS LEE ANR EAN er RARE AS RER CHAP. Ier. Du carbone et de l’humus. . . . . . . . . . — Il. De l'azote, de l’ammoniaque et de l’acide nitrique — II. Des parties qui constituent la matière inorganique des plantes} sens AE ER CR CU are SEcrT. 1". Du soufre et des sulfates. ,. . . . — 11. De la silice, de la potasse, de la soude et es chlorures alcalins . — 1. De la chaux, de la magnésie et je carbo- nates de ces bases. . . . . . . — iv. Du fer, de l’alumine et du manganèse . . —- v. Du phosphore et des phosphates . . . , CHAP. IV. Les matières nitrogénées, terreuses et alcalines sont-elles décomposables et décomposées dans l'acte de la végé- tation ea ANNE, 3 Pit — V. Des circonstances qui peuvent role Pot des en- DAS NS AE ANT en AAA re ONU APR — VI. Réflexions sur les principes alimentaires des plantes . . — VIi. Examen et conclusions sur les nouvelles théories des en- GRAS ee RS AE MES A PA ASE AE En Et eue Secr. 1". Système Jauffret . . . . — 1 PO BICKES NRA nn Nr is ent — nt — Johnston. . . . . . . . av at eu Liebe Res REA ET er ennse DEUXIÈME PARTIE. Introduction MS NE NNNNMUE CHAP. CHAP. Le. VII. Des assolements. SEcT. 12. De la jachère . — 11. Des céréales — an. Des plantes textiles el oléagineuses — iv. Des plantes-racines ou récoltes sarclées — v. Des plantes fourragères proprement dites . Des prairies . Des cultures en lignes , Des instruments aratoires. Du fumier. Des urines . . Detarchauxe nenn De la marne. Dernières réflexions. FIN. Ceee pere : Sonate Trash Line mare SPRINT RP Sao ner ssiuse Sy