R « La loi ne dit pas à l'homme, ajoute ce grand jurisconsulte : travaille et je te récompenserai , mais elle lui dit : travaille et les fruits de ton travail , cette récompense naturelle et suffisante, que sans moi tu ne pourrais conserver, je t'en assurerai la jouissance, en arrêtant la main qui voudrait les ravir. Si l'industrie crée, c'est la loi qui conserve; si au premier mo- ment, on doit tout au travail, au second moment et à tout autre, on est redevable de tout à la loi. » Il fjmt que l'ouvrier rencontre, en outre, au sein de la société où il vit, des lois protectrices qui lui permettent de donner un libre essor à son amour pour le travail, à son zèle, à son intelligence; qu'il y soit établi des institutions de prévoyance, des caisses d'épargnes, des associations de mutualité qui le mettent à même de joindre ré- conomie au travail, de faire fruit de ses épargnes et de s'en créer une ressource pour le malheur ou même un capital pour l'avenir. Le législateur a, de plus, des devoirs qui lui sont imposés par l'humanité et par la morale. Il ne peut laisser le travailleur livré sans défense à la cupidité de son maître; il doit donc prescrire à ce der- nier des règles qui seront la garantie de la santé, de Tinstruc- (1) Principes du Code civil ^ l'" partie, cliap. VIL Tome V. 2 ( 18) tion, des bonnes mœurs de l'ouvrier, mais compatibles en même temps avec la liberté des transactions. Ainsi, dans plusieurs pays, il existe des lois sur le travail des enfants dans les manufactures. Ces mesures sont dictées par l'bumanité; elles ont, en outre, pour but de garantir d'un dommage certain le corps social tout entier, en arrêtant la dégénérescence et l'affaiblissement des générations qui nous suivent. On n'eût pas dû s'arrêter à ce premier pas. On eût dû reconnaître qu'il y avait aussi quelque chose à faire pour les travailleurs adultes, pour les préserver des influences funestes à leur santé et à leur mo- ralité. Nous mentionnerons, par exemple, la surveillance des ate- liers pour qu'ils offrent toutes les garanties désirables de salubrité; les règlements qui prohiberaient le mélange des sexes dans les usines, qui faciliteraient à l'ouvrier l'accès à un degré plus avancé d'instruction, qui fixeraient tout ce qui se rapporte aux livrets, qui établiraient partout la juridiction paternelle et équitable des prud'hommes, en même temps qu'ils leur attribueraient, conjointe- ment avec l'autorité , la surveillance de l'exécution des lois concer- nant le bien-être moral et matériel de la classe ouvrière, surveil- lance que ces juges bienveillants et éclairés exerceraient mieux que personne. 11 faut le reconnaître , des lois sont indispensables pour sauve- garder les droits des travailleurs sous le régime de liberté et d'indé- pendance dont jouit l'industrie de nos jours; car, par suite de la concurrence, que devient l'individu isolé, s'il est abandonné à ses propres forces, si la société ne veille pas sur lui? Évidemment il subit la loi de la nécessité; il doit vivre avant tout, lui et sa fa- mille, et il sera forcé de ne reculer devant aucun sacrifice pour se procurer du pain ; il sera à la merci d'un maître dont le seul but est de grossir le plus possible les profits de son industrie, la santé et les mœurs de l'ouvrier dussent-elles en souffrir les plus fâcheuses atteintes. C'est au législateur et à lui seul qu'il incombe de prévenir ces déplorables abus. Il ne peut donc négliger aucun de ces points sans faillir à son devoir, et pour l'accomplir, il doit concilier le principe de liberté, condition essentielle de la prospérité de l'industrie et ( 19 ) du commerce, et par suite, de la richesse des nations, avec les lois immuables et suprêmes de la morale et de Thumanité. « Mais si le Gouvernement doit complètement s'abstenir du plus grand nombre des fabrications, il ne doit pas néanmoins les laisser en dehors de sa surveillance. Il est tenu rigoureusement, au contraire, de veiller attentivement à ce que, dans l'industrie, les grands principes delà civilisation ne reçoivent aucune atteinte, à ce que les lois de l'hu- manité y soient observées, à ce qu'il ne s'y commette aucune infrac- tion aux règles suprêmes introduites depuis un demi-siècle dans le droit public des États. Il ne lui appartient pas seulement de pré- server la vie des hommes des dangers auxquels elle peut être expo- sée dans les labeurs de la production , il doit être le gardien de la morale non moins que de l'hygiène publique (1). » C'est encore pour l'autorité, comme pouvoir protecteur des classes ouvrières, une mission bien importante que celle de veiller à ce qui concerne la santé et la salubrité publiques. La législation et la ju- risprudence s'accordent pour lui reconnaître le droit de prendre, à cet égard, les mesures réclamées par la science, dussent-elles froisser des intérêts privés. Déjà les lois du là décembre 1789, du 16-^4 août 1790 et du 19-2:2 juillet 1791 autorisaient les administrations municipales à prescrire ou réglementer tout ce qui est essentiellement nécessaire au maintien de la salubrité. Des arrêts de la cour de cassation de Belgique des 6 et 1 0 février 1 85 1 (2), ont reconnu que les dispositions de ces lois sont encore en vigueur en Belgique, et qu'elles n'ont été que confirmées par les articles 78 et 90 de la loi communale du 50 mars 1856. Il appartenait à un gouvernement éclairé d'entrer dans la pra- tique par la voie de dispositions générales à ce sujet. C'est ce qu'a fait le Gouvernement belge p;;r sa circulaire du 12 décembre 1848. Elle recommande l'institution de comités locaux de salubrité, char- gés de rechercher les causes de toute nature qui agissent sur la santé publique dans leur ressort , et les améliorations à introduire dans (1) Michel Chevalier, Cours d'économie politique, année 1842-1843, 21e leçon. (2) Pasicrisie, 1851, f» partie, pp. 287 et 150. ( 20 ) les diverses localités, sous le triple rapport de rassainissement des rues et des habitations, du manque absolu ou de la mauvaise con- struction des égouts et de TinsufTisance des eaux nécessaires aux habitants pour leur usage personnel et pour Tentrelien de la pro- preté de la voie publique. Pour obtenir ces améliorations, le Gouvernement fit appel à Tin- tervention simultanée des communes, des établissements de bien- faisance, des provinces et des particuliers, et il s'attacha à répartir le plus équitablcment, d'après les rapports qui lui furent soumis, le crédit que les Chambres avaient ouvert au Ministre de l'intérieur par la loi du 18 avril 1848; la circulaire du 18 juin 1849 énumère les bases principales de celte répartition. Le Gouvernement invita ensuite les commissaires voyers à faire part aux députations permanentes, dans des rapports semestriels, des résultats obtenus, de leurs observations et des mesures dont ils croiraient devoir proposer l'adoption })ar l'administration supé- rieure. La circulaire du P" juillet 1830 détermine les points sur lesquels ils doivent particulièrement porter leur attention et leurs investigations. Un arrêté royal du 15 mai 1849 institua à Bruxelles un conseil supérieur d'hygiène publique, à l'effet d'examiner les rapports des comités locaux, de signaler ce qu'ils renferment de plus essentielle- ment utile et salutaire, et de donner son avis sur les mesures dont l'adoption sera proposée dans l'intérêt de la santé publique, ainsi que sur toutes les questions d'hygiène qui lui seront soumises par le Ministre de l'intérieur. Ce conseil peut, en outre, prendre l'initia- tive de l'examen de toutes questions et faire toutes propositions qui lui sembleraient utiles dans l'intérêt de l'hygiène et de la salubrité publique. Enfin, un autre arrêté royal du 10 septembre 1850 porte nomi- nation d'un inspecteur général pour les affaires du service médical civil, de l'hygiène publique, de la médecine vétérinaire et des éta- blissements insalubres, lui continuant, en outre, les attributions que lui conférait déjà l'arrêté royal du 18 septembre 1843. C'est là, il faut le reconnaître, une organisation aussi sage que complète de ce service si difficile et si compliqué. L'expérience prouve (21 ) déjà les éminents services qu'elle rendra certainement au pays; et à cet égard, on ne peut assez exprimer le vœu que chacune des per- sonnes dont le concours est réclamé à ce sujet, continue à le prêter d'une manière aussi active et aussi intelligente. Elles pourront se rendre le témoignage d'avoir puissamment contribué à améliorer le sort des classes souffrantes de la société; le Gouvernement, aura de même, en ce qui le concerne, noblement accompli son importante mission. La charité privée, soit individuelle, soit collective, serait impuis- sante à cet égard; car elle n'agit que par la persuasion, et il ne peut plus en être question lorsque l'homme, emporté par un instinct cupide, oublie le respect qu'il doit à ses semblables et foule aux pieds les préceptes du législateur suprême, il faut alors que la loi humaine intervienne pour proclamer et faire respecter les droits méconnus. Mais, dira-t-on , des associations pourront se former parmi les travailleurs; ceux-ci pourront s'organiser pour apporter quelque remède à ces graves abus. Sans doute; mais que pourront-ils sans l'appui de la loi? ne faut-il pas, s ils veulent obtenir un résultat utile, qu'ils trouvent dans ses dispositions une base d'organisation, une protection efficace? D'un autre côté, nous aurons à craindre les prétentions exagérées de ces associations, les dangers qu'elles pour- ront, dans bien des cas, présenter pour l'ordre social. Nous verrons plus tard comment nous concevons encore possibles de nos jours les associations ouvrières dans un but de mutualité et les garanties que la société a le droit d'exiger d'elles. Avant la révolution de 1789, la loi n'avait pas à s'occuper des travailleurs, dont les privilèges des corporations garantissaient et protégeaient suffisamment les droits. Sans doute c'était une nécessité de l'époque. « La classe des travailleurs libres, peu nombreuse et peu considérée dans le monde ancien, commençait seulement à se développer dans le rajeunissement de l'ETurope, sous l'influence du christianisme, au moyen âge. Mais alors elle était, si je puis parler ainsi, encore dans l'enfance. Elle se sentait faible et toujours me- nacée au milieu de cette société de fer qui paraissait ne reconnaître d'autre principe que la force. Vous représentez-vous la classe des ( 22 ) hommes libres paraissant au milieu des lances de la féodalité, comme des herbes et des fleurs bien tendres et bien jeunes qui poussent au milieu des ronces et des épines! Tels furent ses coujmencements. Comment, si faible, au milieu de si grands dangers a-t-elle pu se conserver, croître, et enfin couvrir la face de l'Europe civilisée? Par l'association, et pour tout dire en deux mots, par les communes et les corporations des métiers. C'est là l'origine de ces corporations. Elles étaient des associations défensives, un bouclier dont on se couvrait pour ne pas être écrasé par la puissance féodale ou pour résister aux empiétements de la haute bourgeoisie (1). » Leur puis- sance prit bientôt d'immenses accroissements. Les corporations se suffisaient à elles-mêmes; elles pourvoyaient aux besoins de tous leurs affiliés, et leurs statuts leur assuraient à tous une haute et inviolable protection. Bien plus, elles arrivèrent à un degré de richesse et de puissance qui, donnant aux communes une impor- tance supérieure, les fit s'engager insensiblement dans cette lutte mémorable et sanglante contre les seigneurs qui ne finit qu'avec la ruine de la féodalité. L'institution des jurandes et des maîtrises survécut, en France, à la chute des libertés des communes absorbées par le pouvoir royal. En perdant leur influence politique, les corporations de métiers conservèrent leur esprit de mutualité; elles continuèrent à être la sauvegarde des droits de tous ceux qui en faisaient partie; elles furent toujours pour eux un appui formidable, et leurs statuts ne se bornaient pas à leur octroyer protection et secours, ils étaient pour eux la source des plus importants privilèges. « Dans les villes , la fabrication était partagée en un certain nom- bre de corps de métiers, ayant chacun leurs privilèges et leurs mono- poles. On avait divisé le champ de la production comme la surface d'un damier par des lignes inflexibles; chaque petit carré avait été assigné à telle ou à telle profession, à titre de domaine exclusif,... Les in- dustriels étaient constitués en corps électifs, étroitement unis, ad- mettant dans leur sein qui leur plaisait et repoussant qui ne leur convenait pas Les confréries religieuses qui unissaient les mem- (l) Rossi, Cours d* économie politique^ l" partie, 14« leçon. (23 ) bres d'iine même profession, resserraient le lien commun. L'aiilorité royale reconnut et encouragea ces corporations. Saint I.onis donna l'existence légale aux corps des marchands et aux communautés d'arts et métiers. Un édit de Henri II!, de décembre 1581, donna aux concessions particulières qui autorisaient ces corporations la forme et la puissance d'une loi générale. 11 désigna l'institution sous le nom de maîtrises et de jurandes, et il y assujettit tous les artisans. Par un édit d'avril 1597, Henri IV appliqua la même mesure à tous les marchands. Enfin, Colbert, dans le but de faire progresser l'in- dustrie , réglementa avec un nouveau degré de généralité les arts et métiers (1). » Loin de nous la pensée de défendre les corporations. Le système des jurandes et des maîtrises, au point de vue économique, trou- blait l'ordre naturel, les lois essentielles du travail; elles introdui- saient le monopole là où n'eût dû régner que la liberté, et, sous ce rapport, dès le moment où l'ordre et la sécurité commencèrent à régner dans nos contrées, lorsque la liberté eût pu, sans danger, prendre son essor, c'est-à-dire après l'abolition de la féodalité, la richesse nationale fit une perte incalculable, privée qu'elle était des immenses progrès que la liberté eût fait faire à l'industrie et au commerce. « La plus grande latitude doit être laissée à l'initiative individuelle, en n'imposant au droit de chacun d'autre servitude que le respect des droits d'autrui ou de la communauté. Quand ces droits sont violés, la loi sévit , et dans cette force pénale se trou- vent à la fois le frein et la sanction de la liberté. Ainsi parlent les principes; voyons maintenant les faits. Les nations les plus glo- rieuses et les plus puissantes sont celles où l'initiative de l'individu s'exerce avec le plus de latitude; la communauté profite alors du jeu accordé à l'activité de chacun de ses membres. » (2). « L'histoire des générations antérieures et l'observation des régi- mes variés sous lesquels vivent tous les peuples actuels, concou- rent, avec les enseignements de l'économie politique, pour établir (1) Michel Chevalier, Cours d'économie politique, 1842-1843, 24'^ leçon. (2) L, Reybaud , De la liberté économique et des écoles socialistes ; .Toijrn.\l DES Économistes, 1844, i. II , p. 7. (24) que, tontes choses égales d'ailleurs, les sociétés humaines prospè- rent d'autant plus qu'elles jouissent de plus de liberté, que l'aclion individuelle y est moins gônée, moins restreinte, moins comman- dée par les classes dominantes ou par l'autorité publique. Cette vérité s'appuie maintenant sur des preuves assez nombreuses et assez puissantes pour que l'on soit autorisé à prédire qu'elle sera confirmée par toutes les expériences ultérieures des sociétés , aussi sûrement et aussi constamment que l'ont été les lois de la gravita- tion universelle pour toutes les observations astronomiques faites depuis Newton. Les populations qui la méconnaîtront encore y seront ramenées, tôt ou tard, par les maux que cette erreur fera peser sur elles et par l'exemple de la prospérité des peuples qui auront le mieux su la comprendre et l'appliquer. )) La grande loi du progrès social est donc bien véritablement la liberté, et l'instinct qui, depuis dix siècles, a poussé les populations de l'Europe à s'avancer progressivement dans celte voie, ne les a pas trompées; et les économistes, en combattant dans nos institu- tions tout ce qui restreint la liberté sans une nécessité démontrée, sont assurés de concourir ainsi très-efïicacement à mettre les popu- lations en mesure de tirer le meilleur parti possible de tous les moyens mis à la disposition de Tintelligence humaine pour amélio- rer la condition des sociétés. « (t). Citons encore, à l'appui du prin- cipe de la liberté du travail, l'autorité de M. Rossi (2) : « Le travail libre, dit ce savant économiste, est un fait des temps modernes, un résultat de notre civilisation. Servile dans l'antiquité, quasi servile au moyen âge, là où les esclaves ont été remplacés par les serfs, il fut, dans une grande partie de l'Europe, affranchi par l'émancipa- tion des classes laborieuses, lors de la formation des communes. La liberté du travail se trouve cependant limitée par le système des règlements et des corporations. » Ces corporations, produit nécessaire, dans leur temps, des circonstances où le travailleur se trouvait placé, seraient-elles com- (1) Le Socialisme et la Liberté, par A. Clément; Journal des Iîcoînomistes, 1848, t. II, p. 6. (2) Cours d'économie politique^ 15*- leçon. ( 25 ) palibles avec l'état actuel de la société en Europe, et plus parlicu- lièrcnient en France? Écartons d'abord la nécessité politique qui leur a donné naissance. Certes, les métiers n'ont pas besoin aujour- d'hui de s'organiser en corporations pour être protégés; la puis- sance publique leur suffît. Dès lors il est évident que la gène, les frais et les pertes de temps qu'occasionnaient ces corporations, par cela seul qu elles étaient des corporations, qu'elles avaient une orga- nisation et une administration à elles, seraient aujourd'hui sans but et sans compensation. Qui voudrait s'enfermer dans une cuirasse ou se couvrir d'un lourd bouclier, lorsque tout respire autour de soi la sécurité et la paix? » Nous ne pouvons traiter plus amplement cette vaste question sans sortir du cadre qui nous est tracé par la question à laquelle nous avons entrepris de répondre. Bornons- nous donc à constater un fait : la protection qui , suivant les opinions diverses des écoles économiques, sera jugée vraie ou fausse, profitable ou inutile, mais, dans tous les cas, réelle et forte, que les institutions de cette épo- que octroyaient au travailleur. On ne parlait pas alors de la position matérielle, des besoins des ouvriers; et, en effet, le monopole in- dustriel qu'exerçaient les maîtres devait nécessairement réagir sur l'aisance des ouvriers; ce privilège exclusif ne pouvait profiter au maître sans s'étendre, pour une partie au moins, au compagnon. La question de l'assistance des classes ouvrières par l'État ne se présentait donc pas sous le régime des jurandes et des maîtrises. Quant aux pauvres proprement dits, c'est-à-dire les infirmes, les incapables de travail et les individus ne travaillant pas, ils avaient recours à la mendicité, et les aumônes abondantes ne leur man- quaient pas. Les riches et nombreuses abbayes, les couvents, les châteaux suffisaient à fournir à leur alimentation. La population n'avait pas, d'ailleurs, pris à cette époque les développements con- sidérables qui se firent remarquer plus tard, il est incontestable que l'émancipation du travail , les progrès des arts et de l'industrie favorisèrent l'accroissement de la population, et son extension de- vint même bientôt effrayante dans les grands centres industriels, où l'imprévoyance et l'immoralité firent les plus tristes ravages. Ces causes n'existant pas, ces effets ne pouvaient se produire. Le pau- (26) pérîsme, dans le sens moderne de ce mot, n'existait donc pas ; il eût été superflu pour les gouvernements de s'en occuper. Nous avons vu plus haut qu'au point de vue économique, le sys- tème des corporations était contraire aux principes. C'est ce que les économistes du XVIIl^ siècle reconnurent déjà, et ils le procla- mèrent dans leurs écrits : « Qu'on maintienne, dit Qiiesnay, clans ï énoncé d\me de ses maximes générales, l'entière liberté du com- merce; car la police du commerce intérieur et extérieur la plus sûre, la plus exacte, la plus profitable à la nation et à l'État, con- siste dans la pleine liberté de la concurrence (1). » Et : « En suivant ce système libéral et généreux, dit Adam Smith (2), l'établissement d'une liberté entière, d'une complète sécurité et d'une parfaite jus- tice est le seul et infaillible moyen d'assurer le plus haut degré de prospérité à toutes les classes. » C'est guidé par ces principes aussi justes qu'élevés, que l'illustre Turgot, contrôleur général des finances, rédigea et publia l'édit d'août 1776, par lequel les jurandes et les maîtrises étaient abo- lies; mais les réclamations violentes des intéressés parvinrent à en obtenir la révocation. Elles ne devaient pas longtemps en jouir. Les économistes du XVIII'' siècle, comme nous venons de le voir, avaient proclamé l'injustice et les effets fâcheux des corporations; dès ce moment, la révolution économique était dans les esprits; elle devait nécessairement abattre ce système de privilège. Elle étendit sa puis- sante action sur les provinces de la Belgique, et elle y entraîna également la chute des corporations. L'arrêté des représentants du peuple du 19 brumaire an IV y rendit obligatoires les décrets de l'Assemblée constituante des 2-17 mars et 14-47 juin 1791. Les corporations d'arts et métiers étaient peut-être plus anciennes en Belgique que dans aucune autre partie de l'Europe. Les corps de métiers formaient une organisation à la fois religieuse et militaire, et ils élevaient l'homme du peuple au niveau des franchises de la cité. Déjà du temps de Charlemagne, il est question des gildes ou corporations des marchands. Dans le XIP siècle, les milices bour- (1) Physiocratie , l"' partie, p. 119. (2) Richesse des nations, p. 303. (27) geoises apparaissent aussi fortes et aussi complètes que dans les âges suivants. A la bataille de Steppes (l'2l3), nous voyons les bouchers de Liège se signaler par leur valeur et obtenir en récompense des prérogatives importantes. En 1252, l'empereur Frédéric II crut déjà, par un édit, devoir abolir les confréries, ou associations de tous les métiers, base de la résistance que rencontrait son autorité. Elles existaient sans doute depuis plus d'un siècle. A Bruges, à Gand , dès le XII® siècle, des séditions , des révoltes armées du peuple ont lieu : ce sont les tisserands, les foulons, les bouchers, les poissonniers, c'est-à-dire les principaux métiers, qui prennent les armes. Ils étaient si fortement organisés, il y avait tant d'union dans les esprits que, levés en masse, ils étaient non moins indomptables qu'indestructibles (1). C'était une nécessité de l'époque , que les corporations ne se bor- nassent pas à réglementer ce qui concernait la profession, mais qu'elles s'ingérassent dans la politique et dans la guerre; ou le bour- geois devait défendre ses privilèges acquis ou il voulait en conquérir de nouveaux. L'organisation des corps de métiers était le moyen in- faillible pour y parvenir. Ils y réussirent au point, qu'au commen- cement du XIV* siècle, les treize échevins de Gand , tous choisis par le peuple, l'étaient exclusivement par les métiers; les tisserands en nommaient cinq, les petits métiers quatre, et les foulons quatre. A Bruges, au XV® siècle, sur les treize conseillers formant le magis- trat municipal , huit étaient choisis parmi les différents corps de métiers. A Anvers, à Bruxelles, les corps de métiers avaient le pri- vilège de faire partie de la magistrature municipale. Dans cette der- nière ville, ils en formaient un des trois membres. Il en était de même à Malines, à Louvain , à Tournay. Cet ordre de choses dura jusqu'aux XVP et XVIP siècles. A Louvain, le droit de concourir à l'élection des officiers municipaux , d'obtenir cette dignité, fut même encore conservé aux doyens des métiers, par l'ordonnance de Charles II du 17 décembre 1696, et lors de l'homologation de la coutume de Bruxelles , on y maintint le droit qu'avaient les corps de métiers de participer à la magistrature municipale, et celle-ci y reçut de (1) Moke, Mœurs y usages, fêtes et solennités des Belges. (28) nouvelles attrîbiUions. AToiirnay, les statuts de métiers homologués par Charles VU en 14^4, avaient octroyé le pouvoir municipal aux doyens des métiers, et ce pouvoir ne leur fut retiré que par l'édit de Charles V, en 15-21. On trouve dans un mémoire de M. Pycke (I) des détails étendus sur les privilèges politiques dont jouissaient les corporations des arts et métiers dans les Pays-Bas. Nous ne pouvons que renvoyer à ce sujet à ce savant travail. Il nous a sulïi de tracer ici un rapide aperçu des prérogatives et des avantages que les corporations ac- cordaient à ceux qui en faisaient partie. Les ouvriers y rencontraient, en outre, de bonnes conditions de travail et des secours assurés. I^es statuts réglaient les salaires du maître et de l'ouvrier, nous en avons la preuve dans les anciennes ordonnances. Celles d'Ypres, par exemple, de 1280, répartissent le salaire entre le maître et le valet, dans le métier des tondeurs, dans la proportion de J2 à 8, de 10 à 8, de 6 à 5 ou de 26 à 52, sui- vant les circonstances. A Bruges, les statuts des tisserands prescri- vaient que de 5 deniers, le maître en eût 3, le valet 2, et le maître fournissait, en outre, le métier et le local. L'ouvrier était donc traité de la manière la plus ftivorable. Dans l'industrie des draps, le valet était associé au maître pour une pé- riode déterminée, pour achever une certaine fabrication. Les fem- mes, les enfants des ouvriers y trouvaient également du travail; les statuts des métiers de Bruges citent les batteuses de laine, les pei- gneuses, les fileuses, les raltacheuses , les éplucheuses. L'aisance devait donc être générale. Les statuts protégeaient, en outre, l'indépendance de l'ouvrier vis-à-vis du maître; ils assuraient à l'ouvrier malade les secours de la caisse commune, à l'enfant le droit d'entrer dans la corporation de son père, à la veuve le privilège de continuer l'état de son mari, en mettant à sa place un valet. Les documents historiques nous au- torisent à croire que le salaire d'un simple compagnon , vers la fin du \\\V siècle, était d'une valeur de fr. 2 50 c^ à 3 francs par jour. (1) Sur les corporations connues sons le nom de métiers; MÉMoinEs cor RONNÉS DE r.'ACAnKMFR ROYALE DE BRUXELM.S, 1856 €t 18ï{7, t. VI. {'29) Les compagnons et les maîtres s'entendaient pour régler tout ce qui concernait la fabrication et les droits de chacun. A Ypres, par exem- ple, le règlement de J280 admettait les valets à partager la surveil- lance du travail; elleforn)ait deux inspections, composées chacune de six maîtres et trois valets. Chaque gilde ou confrérie, dans le Brabant et dans les Flandres, avait son tribunal du métier, le membre de la gilde y était jugé par ses pairs pour tout ce qui concernait sa pro- fession. A Gand, Jacques Artevelde avait été, en J545, jusqu'à con- férer aux doyens des métiers une juridiction très-étendue : ils absorbaient la magistrature locale, et ce ne fut qu'en 1540 que Charles V, dans sa Caroline, abolit celte juridiction, et porta par cela même un coup sensible à la puissance politique des doyens de métiers. Telle est en peu de mots la protection dont les lois cou- vraient l'ouvrier à cette époque si glorieuse de notre histoire. Elles ne se bornaient pas à lui assurer l'existence la plus honorable dans le travail, des secours considérables s'il ne pouvait travailler, elles lui permettaient même, s'il était assez riche pour quitter son premier état, de se faire recevoir dans la gilde comme maître, et il y deve- nait l'égal des francs marchands, pouvant arriver aux mêmes di- gnités, jouissant des mêmes privilèges. L'Assemblée constituante, voulant faire régner partout la liberté dont l'ère venait enfin de s'ouvrir, s'empressa de proclamer la li- berté la plus absolue de l'industrie. Par ses décrets des 2-17 mars et 14-17 juin 1791, elle supprima les corporations, les maîtrises et les jurandes, Elle inscrivit le principe de la liberté du travail en tête de la Constitution de 179! , parmi les droits du citoyen, et les prohibitions qu'elle établit n'eurent qu'un but, de prévenir tout acte qui pût, à l'avenir, ressusciter au sein de l'industrie, les privilèges et les corporations. « En haine des anciennes corpora- tions, dit Michel Chevalier (1), elle mit le principe d'association à l'index. » C'était l'excès contraire au régime antérieur, et de graves incon- vénients en résultèrent bientôt. (1) Discours d'ouverture du cours d'économie politique au Colléye de France j en 1841). (30) « La liberté eut jadis trop d'enliaves, disait un orateur du Gou- vernement dans une discussion à ce sujet ; depuis, la licence a été sans bornes. » « I^a révolution de 1789 ayant brisé le vieil attirail de la réglementation , qui ne pouvait s adapter qu'à l'enfance de l'in- dustrie, la liberté seule est appelée à guider l'humanité vers de plus hautes destinées. Ce principe sacré a déjà réalisé des merveilles de- puis un demi-siècle; il forme désormais la base de nos institutions et saura* résister aussi bien aux vaines tentatives d'un retour vers le passé qu'aux décevantes inspirations d'esprits généreux qui s'égarent à la poursuite de la formule ambitieuse de l'organisation du travail. » « Mais la liberté industrielle demande , comme la liberté civile, tout un ensemble de lois qui en garantissent le maintien et qui en régularisent la marche. Quand le vieux moule du travail a été brisé, on n'a point imaginé de lui substituer le néant. Depuis lors, les efforts plus ou moins heureux du législateur, quand celui-ci est de- meuré fidèle à la pensée de la révolution , ont essayé de remplir le cadre si énergiquement ébauché en 1791. Sous l'ancien régime, les rapports entre entrepreneurs et ouvriers, les complications du com- merce, les conflits de l'atelier et delà fabrique demeuraient soumis à l'empire des règlements locaux ; l'autorité souveraine aurait cru s'abaisser en s'occupant de ces intérêts d'un ordre inférieur. Mainte- nant que l'importance de ces questions est mieux comprise, la né- cessité d'un code industriel devient évidente pour tout le monde (1 ). » On sentit donc en France, après la révolution , la nécessité d'étu- dier et de tracer les limites raisonnables dans lesquelles on devait restreindre la liberté, dans l'intérêt même des travailleurs, et, par le système actuellement en vigueur, on crut prendre un juste milieu entre le régime de 4 794, qui ne leur imposait aucun frein, et le régime antérieur, qui les chargeait d'entraves. C'est le but que se proposèrent les lois sur le travail des enfants dans les manufac- tures, sur l'apprentissage, sur la police des livrets, sur la juridiction des prud'hommes, et il faudrait être injuste pour ne pas reconnaître les services éminents que cette législation a déjà rendus à la classe (1) "Wolowski, Loi sur les modèles et dessins de fabrique; Joornal des éco- ftOMisTEs,1846, t. I,p. 261. ( 31 ) ouvrière et à la société tout entière, par une aniélioialioii dans l'état moral et matériel des travailleurs, et par une prospérité sin- gulièrement plus grande de l'industrie. Ces modifications au régime de liberté absolue sont admises en principe par les économistes. « Tout en repoussant le système des jurandes et des maîtrises, dit M. Rossi (1), ainsi que tout système analogue, voulons-nous affirmer qu'aucune exception légitime ne puisse être apportée au système de liberté? voulons-nous ériger en principe absolu qu'il ne faille prendre aucun soin de la capacité et de la moralité des travailleurs? L'une et l'autre conséquence dépas- seraient notre pensée. » C'est donc à l'étude des mesures indispensables pour atteindre ce but, mais en se gardant bien d'aller au delà, que tout gouvernement intelligent et sage doit s'appliquer avant tout. C'est le premier pas que le législateur doit faire pour remplir cette partie si importante de sa mission à l'égard des classes souffrantes de la société. Il doit la compléter en continuant à marcber dans la même voie, pour pres- crire et faire passer dans les mœurs les restiictions à la liberté que réclament l'ordre, la morale et l'bumanité, et surtout en veillant rigoureusement à la mise en pratique exacte et générale de ses dis- positions bienveillantes et protectrices. Nous le disons avec une profonde conviction, et, dussions -nous paraître rétrécir le cadre de la question proposée en nous occupant plus spécialement de notre belle patrie, nous ne pouvons résister au désir de proclamer que, du moins en Belgique, au sein de nos populations, qui , dans des circonstances encore récentes et cepen- dant si difficiles, ont montré une noblesse de sentiments et un dévouement à nos institutions si justement admirés de tout l'uni- vers, malgré les excitations de tout genre, malgré l'exemple si dan- gereux d'une nation voisine et amie, renversant l'autorité légale et se lançant dans la carrière des révolutions (2), il est certain, quoi (1) Cours d'économie politique , 15"^ leçon. (2) Ces lignes étaient écrites lorsque le coup (rÉlat du 2 décembre 1851 a mis un terme aux justes craintes que 1852 inspirait à la France et à l'Europe en- tière, par les menées et par les mouvements anarchiques que la Constitution de 1848 semblait lui promettre. Le principe de l'autorité a vaincu} il règne en ( 32 ) qu'en aient dit (]iicl([ues écrivains, (jue Tinimense majorité des tra- vailleurs est disposée à céder aux bons conseils, à marcher dans la voie de l'ordre et de l'honneur. Un grand nombre d'entre eux savent vivre honorablement sous l'empire des institutions actuelles. Comme le disait en termes éloquents, M. T'Kint de Naeyer à la Chambre des Représentants, dans la discussion sur le projet de loi concernant les sociétés de secours mutuels : « On ne saurait assez le répéter, il y a en Belgique un nombre très-considérable d'ouvriers qui mettent leur honneur et leur gloire à secouer de leurs propres mains le joug de la misère. » Peut-on douter qu'en voyant toutes les classes de la société, l'autorité elle même, seconder leurs nobles efforts, ils ne pren- nent à cœur de répondre à l'appel qui leur sera fait pour continuer leur carrière? L'ignorance ou les préjugés sont les seuls obstacles qui s'opposent au développement des bons instincts des autres; ne nous rebutons pas; plus nous montrerons de dévouement et de zèle à fonder et à soutenir les établissements qui doivent contribuer à améliorer leur sort, et (}ui auront pour résultat leur élévation morale et matérielle, plus nous serons près de vaincre ces résistances et de les entraîner dans cette voie qui les mène à l'aisance et au bonheur. Le premier pas qu'ils y feront aura pour eux et pour la société d'im- menses conséquences. Elles sont développées en ces termes dans un travail de M. Rapet, inspecteur de l'inslruction primaire à Paris (I) : « Le premier effet de la possession du bien-être, ou du moins d'un léger commencement de bien-être, est de relever l'être humain à ses propres yeux : c'est de lui apprendre à connaître sa dignité d'homme. » Quelle idée voulez -vous qu'il ait de la noblesse de son être, le malheureux condamné à vivre dans un bouge infect, couvert de vête- ments et quelquefois de haillons sordides, et réduit à une nourri- ture grossière que les ardeurs de la faim peuvent seuls décider à dévorer ? France. Soyons fiers, à juste litre, que le caractère sage et calme de nos popula- tions ait résisté, en 1848, à rentrainenient des idées révolutionnaires, et quels que soient les événements que l'avenir nous prépare, il sera toujours glorieux, pour la Belgique, d'avoir traversé ces années d'orage sans secousse et sans émeute. (1) Du bien-être des classes laborieuses; Jour^jal des Économistes, 1850, t. lI,p.2'J7. (35) )) Dans cel odieux état où , à la lionte de riuimanité, nous rencon- trons encore beaucoup de malheureux dans nos villes et dans nos canipai^nes , Thonime a une existence matérielle inférieure à celle de quelques animaux. Rejeté au rang des brutes, il en a tous les instincts; il se vautre dans la boue des plaisirs les plus grossiers : il ne connaît que les jouissances des sens et ne les goûte même que dans ce qu'elles ont de plus abject. Dégradé pbysi(juement et morale- ment, il n'a presque plus les sentiments de son espèce: sa pensée, dans le cercle restreint d'idées où elle se meut, est aussi immonde que son extérieur. Les miasmes délétères, nés de la malpropreté où il croupit, infectent même son esprit; son intelligence s'affaisse et s'éteint dans la pesante atmosphère du vice et de la débauche. Des passions brutales sont seules capables de le tirer de cet engourdis- sement où, comme l'animal, il ne songe qu'à entretenir sa vie. » Pour lui , la femme n'est qu'une femelle destinée à assouvir ses ardeurs bestiales; les enfants ne sont que des petits, pour lesquels il n'a pas même les sentiments que montre l'animal, car, plus dénaturé que celui-ci, il les repousse souvent loin de lui, et il s'en débarrasse comme d'un ftirdeau trop lourd. Aussi, pour lui, point de vie de famille, point de ces doux sentiments qui répandent tant d'attraits sur cette vie, et font que l'homme aime son intérieur, s'y plaît et recherche avant tout les joies que l'on goûte autour du foyer domes- tique. » Et comment s'y plairait-il? Tout y peint la misère et le dénù- ment; tout y exprime la souffrance ; les yeux y sont sans cesse affligés d'un douloureux spectacle ! Comment ne se hâterait-il pas de le fuir, pour aller au dehors respirer plus librement? Comment n'éprou- verait-il pas le besoin de s'étourdir sur une situation qu'il voit sans remède, et de chercher dans la perte de sa raison l'oubli des maux (ju'il endure? » iMais qu'un rayon de bien-être vienne à luire sur la demeure auparavant désolée du malheureux ouvrier, dès lors tout change. Avec une habitation moins malsaine, moins fétide, moins nue, de nouvelles pensées s'éveillent en lui. Un mobilier moins délabré, moins dépourvu de ce qui rend la vie supportable, des vêtements moins usés, moins souillés par un long usage et par l'effet d'une Tome V. ^ 3 ( 54 ) funeste indolence, font nnître chez lui l'idée d'une propreté qui lui était inconnue. Autrefois, il lui eût été impossible de la faire régner sur lui et autour de lui; maintenant, il entrevoit la possibilité de l'entretenir, et il fait des elïbits auxquels il n'aurait pas songé. Dès ce moment , il fuit la malpropreté, il a bonté de l'état dans lequel il se montrait, il craint tout ce qui pourrait porter atteinte à cette propreté dont il commence enfin à sentir le prix. » A mesure qu'il évite ce qui pourrait le souiller au pbysique, il commence à avoir horreur de ce ({ui souille et dégrade l'âme. Il rougirait de se laisser aller à des plaisirs orduriers, les seuls qu'il connût autrefois, et dans lesquels on ne peut se plonger sans que le corps en conserve de honteuses traces. Ce qui n'était d'abord que la crainte d'une dégradation publique finit par devenir un dégoût pour la dégradation morale. La propreté du corps devient ainsi pour lui le premier pas vers l'épuration de l'âme. » Il commence à acquérir quelques notions delà dignité de l'être humain : ce n'est d'abord qu'un désir de ne plus tomber dans cet état d'avilissement où l'homme se distingue à peine de la brute; mais peu à peu, à mesure qu'il s'abandonne moins aux honteux penchants qui le dépravèrent, à mesure que l'être moral se sous- trait à l'empire de passions abjectes, il s'élève à des idées plus no- bles; il comprend ce qu'il n'entrevoyait pas autrefois; il commence à goûter des plaisirs et à sentir des besoins dont auparavant il ne soupçonnait pas même l'existence. Ces nouveaux besoins deviennent à leur tour un nouveau stimulant qui le pousse dans la voie nou- velle où il est entré. » Ainsi, avec les habitudes de propreté se développent aussi les habitudes d'ordre, si intimement liées aux premières; car la propreté se maintient rarement sans l'ordre. On veut conserver l'aspect agréa- ble d'un logement dont la vue commence à flatter les yeux et où l'on a appris à se plaire. Pour cela, on ménage, on économise, afin d'ajouter aux agréments d'une habitation où le bonheur a fait sa première apparition avec un peu de bien-être. On se retranche quel- ques-uns de CCS plaisirs, dont on avait besoin autrefois pour sup- porter une position sans espoir d'amélioration. On se prive surtout de ces plaisirs qui , par la dépense qu'ils occasionnent et par l'oisi- ( 55 ) vêlé qui en est la suile, mettent dans Timpossibilité d'arriver jamais à une condition meilleure. On se retranche ainsi des joies bruyantes d'un moment, afin de se procurer le contentement plus calme, mais plus réel et surtout plus durable, que procure un intérieur agréable et commode. On s'impose des pri\ations dans le présent, mais c'est afin d'assurer la continuité d'une existence devenue satisfaisante et de se ménager pour l'avenir un bien-cire plus complet. Ainsi, l'ordre qui a été enfanté par la propreté donne à son tour naissance à féco- noniie. La pensée salutaire de l'avenir s'introduit là où l'on ne sa- vait que vivre au jour le jour. Or, sait-on bien ce qu'est pour l'ou- vrier la pensée de l'avenir? C'est Tordre, l'économie, la prévoyance, l'activité; c'est la réunion d'une partie des qualités qui contribuent le plus à la moralisation de l'individu. )) Avec ce changement apporlé par un peu de bien-être dans la vie matérielle, en surviennent aussi de non moins importants dans la vie du cœur et de fâme. En rentrant, après le travail, dans un logis où sont à peu près réunies les choses qui rendent la vie agréa- ble, le mari et la (emme se retrouvent avec plaisir ensemble. Aupa- ravant, la passion seule les rapprochait : maintenant, ils sont unis par le senlimenl d'un bien-être qu'ils partagent en commun, et dont la possession répand un nouveau charme sur l'union de leurs cœurs. Les enfants, qui étaient une charge, un fardeau, ajoutent un nouvel attrait au foyer domestique; on se laisse aller au plaisir de goûter leurs caresses; parce que ce plaisir n'est pas empoisonné par la crainte de ne pouvoir les nourrir. Le cœur s'ouvre aux joies de la famille, à ces joies si douces, si pures, et devant lesquelles, une fois qu'on les a connues, palissent toutes les autres. » On s'attache à son foyer parce qu'on y trouve tout ce que l'on aime; on le quitte à regret, on y revient presque toujours avec un nouveau plaisir: c'est autour de lui que se concentrent toutes les pensées. On cherche à l'embellir, à y réunir ce qui plaît à l'un et à l'autre. Précédemment on regrettait la légère partie qu'on abandon- nait sur le fruit de son travail pour l'entretien du ménage; actuelle- ment on craindrait d'en distraire une faible partie pour des plaisirs que l'on prendrait seul. On regrettait presque la bouchée de pain qu'on jetait en pâture à des enfants affamés, et rien maintenant ne ( 56) coûte pour eux. C'est la pensée de ces êtres chéris qui soutient dans le travail; elle donne de nouvelles forces, elle fait redoubler d'ar- deur. Dès lors plus d'oisiveté, plus de chômages volontaires: tous les jours, tous les instants sont mis à profit, afin de maintenir et d'accroître le bien-être d'une famille aimée. » Pour l'accroître encore plus, on ne cherche pas seulement à faire plus de travail, on veut le faire mieux. On sent le besoin de cultiver son esprit, de développer son intelligence: on veut lire, étudier, acquérir de nouvelles connaissances qui puissent se tra- duire en une nouvelle amélioration de sa condition. On profite de ces moyens d'acquérir de l'instruction que la société multiplie pour les pauvres, et qu'on avait dédaignés jusqu'alors. On s'élève ainsi dans la sphère sociale , par son activité, par son industiie, et chaque pas qu'on fait, en rendant la condition meilleure, engage à en faire de nouveaux. Mais à mesure qu'on acquiert de finstruction , que l'intelligence se développe, de nouveaux plaisirs commencent à pa- raître : ce sont les plaisirs de l'esprit. Et à mesure qu'on commence à les goûter, on est d'autant moins disposé à s'adonner à ceux qui abrutissent. L'esprit s'ouvre à des pensées qui lui étaient étrangères; il comprend des choses dont il n'avait pas l'idée. i» Moins déshérité de la nature, l'ouvrier apprend à en connaître les beautés; les merveilles de la création apparaissent à ses yeux qui y étaient restés fermés jusque-là. Son cœur reconnaissant ap- prend à s'élever vers le Dieu de toute bonté : il le remercie des bienfaits que sa main généreuse ne cesse de verser sur le monde, et dont il trouve qu'il a aussi sa part. Moins étranger aux bienfaits que la civilisation répand dans sa marche, il ne sent plus bouillonner dans son cœur la haine contre des riches qui jouissent abondam- ment des commodités qu'un travail pénible ne lui procure que dans une modique mesure. « Comme il participe aux avantages que la société procure à tous les citoyens, il comprend mieux la nécessité du gouvernement et le principe de son organisation : il obéit plus volontiers aux lois qui le protègent: il respecte mieux les magistrats qui font exécuter les lois à l'ombre desquelles il goûte en paix la douceur de son exis- tence actuelle. 11 s'attache à un état de choses dont il est satisfait, et (37) bien loin de prendre part à ce qui pourrait le dcHruire, il redoute les troubles, les agitations, dont le premier effet est de suspendre le travail d'où découlent les avantages dont il jouit. )) C'est ainsi que le bien-être pénétrant paruji ces classes labo- rieuses y devient un élément d'ordre et un gage de sécurité pour les États. » Nous n'avons pu résister au désir de retracer ici en entier, quelle que soit son étendue , ce tableau si touchant et tout à la fois si vrai, si admirablement exact de la situation d'une grande partie de la classe ouvrière. Il est tracé de main de maître, et nous n'eussions pu retrancher quelque partie sans porter atteinte à son haut mérite en le rendant incomplet. Il nous eût été impossible d'apporter une meilleure preuve à l'appui de nos principes , rien ne pourrait mieux faire comprendre les immenses avantages à résulter du développement des idées d'ordre et de prévoyance parmi les travailleurs. Or, c'est heureusement encore une vérité, c'est qu'il n'est pas pos- sible que rintelligence humaine, quelle qu'elle soit, résiste au désir du bien-être, au sentiment de légitime orgueil qu'inspire une hono- rable indépendance. Elle finira par céder, soyons en convaincus. « Ce qui nuit aux populations agglomérées des fabricpies, dit M. liippolyte Passy (1), et nous ajoutons à tout ouvrier en général, ce n'est pas tant l'insufTisance des salaires que le défaut de pré- voyance et de sagesse dans l'usage qu'elles en font. » Nous trouvons la conséquence de cette vérité dans un mémoire de M. Théodore Fix, sur la situation des classes ouvrières (2). « Élevez tous les ou- vriers au même niveau moral, dit cet économiste, donnez-leur à tous l'amour du travail avec des habitudes d'ordre et d'économie, et alors vous serez déjà parvenus à les faire vivre de leur salaire. » Il importe donc au plus haut point de s'occuper de ces graves questions. Il faut organiser, multiplier et faire prospérer dans chaque commune, dans tout le pays, ces établissements qui, à la portée de l'ouvrier, lui facilitent la conservation et l'administration (1) Rapport sur le prix quinquennal de V Institut en 1845; Journal des ÉCONOMISTES, 1845, t. II, p. 14G. (3) JOLUNAL DKS ÉCONOMISTES, 1845, t. I, {). 19. (38) du produit de son travail et lui inspirent Taniour du travail par le désir d'atteindre une noble indépendance; leur prospérité sera la pins éclatante démonstration de leur utilité, et nous ne devons jamais l'oublier, conime l'a si bien dit M. de Corn)enin, dans ses Entre- tiens de village: « L'épargne est, avec la religion, le plus grand mo- ralisateur du peuple. » C'est donc dans les établissements de prévoyance de toute na- ture que consiste le second degré de l'assistance que l'on doit aux classes souffrantes de la société. Quelle doit être la part de la cbarité publique ou de l'État dans la création et dans le soutien de ces établissements? Deux positions essentiellement distinctes peuvent être prises par l'État : l'une de surveillance, de contrôle, d'encouragement, de direction toute bienveillante; l'autre de participation et d'action. Dans le premier cas, l'autorité administrative (peu importe qu'elfe s'appelle gouvernement, si elle s'exerce par l'autorité directe du Roi et de ses ministres, ou administration provinciale, si c'est par le gouverneur et la députation permanente ou par le conseil provin- cial, ou, enfin, administration communale, si c'est par le collège des bourgmestre et échevins ou par le conseil communal), l'autorité administrative, disons-nous, examine avec la plus scrupuleuse at- tention la nature , le but et les ressources des établissements projetés ou déjà existants. Elle propose à la législature d'inscrire dans ses lois les principes de justice et d'ordre public qui doivent présider à toute organisation de cette nature pour être sage et utile, et elle veille, avec la sévérité la plus implacable, à l'exécution des prescrip- tions législatives. Il appartient donc au législateur de fixer les conditions que ces insti- tutions doivent réunir pour pouvoir se former sous sa protection et pour jouir des faveurs qu'il leur accorde; la loi tracera à cet effet le cercle dans lequel elles deviont circonscrire leur action ; la marche à suivre pour qu'en toutes circonstances, l'autorité puisse exercer son contrôle et acquérir la certitude qu'elles ne négligetît aucun des devoirs (jue leur iuiposent leur cai'actère et le but qu'elles doi- vent atteindre; enfin, elle exige des personnes et elle s'assure, sur les biens des adnjînistrateurs, les garanties réclamées par l'importance ( 39 ) des intérêts dont ils prennent la i^estion. L'épargne de l'ouvrier est un bien sacré : c'est le fruit d'un travail pénible, c'est la part que l'ituligent sage et éclairé retranche à ses plaisirs en vue de s'assu- rer l'avenir, c'est, certes, le dépôt le plus précieux; dès lors toute atteinte portée à son intégrité est un crime que les lois doivent s'effor- cer de prévenir et qu'elles doivent, le cas échéant, punir avec sé- vérité. Lorsque ces institutions seraient fondées ou administrées par des chefs d'atelier , l'autorité doit veiller, en outre, à ce que les éco- nomies de l'ouvrier rencontrent des garanties solides d'un emploi utile qui les mette à l'abri des catastrophes financières qui peuvent se présenter. Il faut que, si le maître vient à faillir, il ne puisse, en aucun cas, entraîner dans sa perte le pécule de celui qui travaillait sous ses ordres; il finit, en outre, que la caisse de prévoyance ne puisse jamais devenir une chaîne qui lie l'ouvrier à son maître : le travailleur doit rester libre de louer son bras à qui il juge bon; s'il éprouvait des entraves à ce sujet, s il avait besoin de protection, il doit la trouver dans la loi et dans la vigilance paternelle des pou- voirs publics. L'État peut favoriser la création de ces établissements à la portée du pauvre, soit en accordant des locaux nécessaires, soit, s'il le faut, en leur octroyant une somme indispensable pour leur institution première; il pourra même, par un subside extraordinaire, venir en aide à celui que des circonstances fortuites mettraient dans une position précaire. Il encouragera Je cette manière les efforts géné- reux faits pour soulager la misère, mais qu'un défaut de ressources empêcherait d'être fructueux. Sous ce rapport, il faut bien se garder de perdre de vue le principe (jue l'intervention de l'autorité est toute volontaire. Il n'y a dans ce concours rien d'obligatoire : aussi est-il nécessaire que l'État soit amplement renseigné sur la marche de chacun de ceux qu'il voudra secourir, pour aider surtout ceux qui le méritent le plus par leur activité et par leur dévouement. Ce sera là le meilleur des encouragements, la juste appréciation, la récompense éclairée des services rendus. Enfin, pour tous les établissements de prévoyance, l'autorité doit être au besoin une source de bons conseils : elle doit posséder tous (40) les renseignements utiles à leur fondation et à leur marche, pour les mettre à n»êrne de profiter des leçons de Texpérience. Comme nous le dirons plus tard avec plus de détails, c'est d'abord au sein de chaque commune, puis aux chefs-lieux de province, et en troisième lieu, au siège du gouvernement que doit s'exercer cette surveillance, que doivent se rencontrer ces encouragements, ces précieuses indications. L'unité de vues, l'impulsion générale et uni- forme, si profitables , nécessaires même pour faire le bien, rendent donc extrêmement utile l'organisation d'une administration centrale de prévoyance et de bienfaisance, se trouvant en rapports directs avec des administrations de même nature, établies dans chaque province et dans chaque commune. C'est le seul moyen de faire régner entre les établissements de prévoyance et d'assistance d'un même pays, l'égalité la plus grande possible. Nous voyons, dans nos gouvernements, la centralisation réunir sous une même direction des branches très - diverses de l'adminis- tration, et ce, tant deradunnistrafion proprement dite que de l'ad- ministration des finances ou do celle des travaux publics. Il semble que la centralisation des services publics contribue à lenr donner une unité d'action nécessaire et utile. Noire siècle, en particulier, a paru tenir fortement à rattacher à ce principe tous les services publics; on a cru y trouver un moyen d'établir l'égalité par tout un pays, d'elîacer les différences si sensibles qui résultent nécessaire- ment des natures si diverses des personnes et des choses. On l'a installée au nom de la justice nationale, qui ne doit voir partout que des citoyens égaux devant la loi. Nous ne discuterons pas son mérite pour ce qui est étranger à la bienfaisance. Nous passerons sons silence les entraves (ju'elle apporte aux nobles élans de la liberté et de l'intelligence individuelles, aux développements de l'énergie publique qu'elle énerve, en gardant toute l'action administrative, les étreintes dans lesquelles elle étouffe les principaux ressorts de l'activité et de la dignité humaines, les nombreuses injustices qu'elle commet en voulant être juste, enfin, les souffrances, les dommages qu'elle occasionne presqu'en toute circonstance, par la lenteur désespérante de son action, souvent même par son ignorance des besoins ou par l'impuissance où elle se ( il ) trouve (l'y faire face. « Croit-on, demande M. Amédée de Cesena (I), qu'en Angleterre plus qu'en France, les volontés individuelles auraient pu agir avec cet élan et cette puissance qui ont réalisé tant de progrès, si, au lieu de s'épanouir dans une atmosphère d'indépendance locale, où elles contractent de bonne heure l'habi- tude de l'initiative et de l'activité, elles avaient été accoutumées à être dirigées à la lisière par l'administration ? Non , certes. Alors il serait arrivé en Angleterre ce qui existe en France, où l'Etat, en se réservant le monopole de la conduite des affaires, et en substituant dans toutes les sphères son action collective à l'action individuelle, a graduellement habitué la société à se reposer sur le gouverne- ment du soin de tout entreprendre et de tout faire. Si l'on veut que le mal disparaisse , c'est dans sa cause qu'il faut l'attaquer, c'est la centralisation administrative qu'il faut détruire. » Ce mot de centralisation, telle que l'a nnse en pratique la bureau- cralie administrative, effraie tout homme doué d'activité et d'intel- ligence; il effraie surtout, ajuste titre, croyons-nous, lorsqu'il est prononcé là où il s'agit de la charité, lorsqu'il semble devoir s'appli- quer d'abord à la bienfaisance publique, mais même à la charité privée. Non-seulement une administration générale et permanente semble en ce cas inutile, mais elle paraît être de nature à entraîner de grands dangers. Elle cherchera à prouver qu'elle n'est pas inutile; elle se donnera un mouvement souvent factice, qui deviendra bien des fois un embarras si pas un obstacle. Elle voudra se mêler de tout, dire son mot dans toutes les discussions, mettre la main dans toutes les affaires : les prétextes ne feront jamais défaut. L'action indépendante de la charité privée sera bien vite menacée et compro- mise. Quelle serait d'ailleurs, peut-on ajouter, l'utilité d'une sem- blable administiation , spécialement dans notre pays, en Belgique, où nous avons su conserver si vigoureuses ces institutions provin- ciales et communales que l'étranger nous envie? Le but d'unité et d'harmonie qu'on poursuit n'est-il pas atteint aujourd'hui? Nous reconnaissons, sans doute, qu'il existe dans notre pays des (1) De Vorganisation communale , cantonale et départementale] Jourxal DES Économistes, 1849, t. I, p. 182. .(42) lois spéciales, régissant les établissements de bienfaisance. Les lois provinciale et communale fixent l'oi-ûjanisation, les attributions, la limite des pouvoirs des administrations de bienfaisance; elles déterminent le contrôle que le conseil communal et la députation permanente ont le droit d'exercer sur les actes de ces administra- tions, ceux de ces actes qui ne peuvent être posés qu'avec leur au- torisation préalable; nous rencontrons dans l'un de nos départe- ments ministériels une division spéciale, ne s'occupant que de Fexécution des lois en matière de bienfaisance. Enfin, lorsque quelque point important est à régler législalivement ou administra- tivement, des conimissions temporaires, composées d'hommes spé- ciaux, apportent avec empressement le tribut de leurs lumières et de leur dévouement. Mais nonobstant celte organisation, il ne nous sera pas difficile d'établir que de nombreuses lacunes se font sentir, qu'il existe une foule d'impeifections et même de vices, auxquels le système actuel est impuissant de remédier, et qu'il est cependant urgent de foire disparaître. Si nous examinons la législation concernant la bienfaisance pu- blique, nous nous trouvons en présence des lois spéciales, il est vrai, mais tellement nombreuses, tellement difficiles à concilier que, de l'aveu même des fonctionnaires les plus studieux et les plus érudils, il faut une longue pratique pour les connaître toutes, et que le plus souvent le caractère de l'époque où ces lois ont été pro- mulguées, forme le contraste le plus étrange avec nos mœurs et nos institutions. Il faut remonter jusqu'à la révolution de i789, pour être sûr de ne laisser échapper aucune loi dont l'une ou l'autre dis- position pourrait, par une loi postérieure, avoir été maintenue en vigueur. Aucune idée générale ne préside à cette législation. Nous ne trouvons aucune trace de ces dispositions législatives qui exigeraient d'une manière complète et dans tout le pays, la fonda- tion et l'entretien des établissements que nous croyons être indis- pensables à une sage organisation de l'assistance publique. La loi du 7 frimaire an V, à l'occasion d'une perception, ordonnée par la législature pendant six mois, au profit des indigents, d'un dé- cime par franc en sus du prix des billets d'entrée danstousles specta- (45) des, a prescrit, par son art. 3, la formation, clans chaque commune, d'un bureau de bienfaisance, cbargé de tlirii^er les travaux prescrits par les administrations municipales et de faire la répartition des secours à domicile. La loi communale, art. 92, enjoint aux bourg- mestre et échevins de veiller à ce que, dans chaque commune , il soit établi un bureau de bienfaisance. Malgré cette disposition législa- tive, il est de fait qu'en Belgique, dans beaucoup de communes, les bureaux de bienfaisance n'existent que surle papier. C'est sans doute parce qu'aucun patrimoine des pauvres ne se trouve dans ces com- munes; mais cette absence de biens spéciaux léi'jtime-t-elle l'aban- don où se trouvent alors les classes pauvres dans ces localités ? l'action de la bienfaisance publique ne s'y fait nullement sentir. N'y a-t-il donc de soins à donner aux indigents que ceux qui consistent à leur distribuer, par routine, quelques pains par semaine , quelque ar- gent par mois? C'est certes le côté le moins important de l'assistance publique, comme nous espérons le prouver, que ces secours distribués en nature, et cependant il est devenu presque partout le but, peut-on dire, unique de l'institution des administrations de charité. Nous l'avons déjà fait pressentir et nous le dirons dans le cours de ce travail , il faut, pour prévenir la misère et y apporter un remède efficace, un ensemble complet d'institutions de prévoyance et d'as- sistance fonctionnant partout. Il faut que l'administration chari- table de chaque commune étende sa sollicitude à tous ces établisse- ments et qu'elle travaille activement à leur faire produire les résultats dont ils sont susceptibles. Ce que nous réclamons donc au lieu des lois qui régissent actuel- lement nos bureaux de bienfaisance, c'est une législation fondant ces adminislrations de prévoyance et d'assistance qui doivent les remplacer et qui aboutiraient, au moyen des ressources considéra- bles, dont les premiers disposent le plus souvent sans aucun avan- tage, à des résultats aussi élevés qu'utiles. ('e qu'il faut, c'est éviter la diffusion de^ ressotirces de la bienfai- sance publique. Or cette diffusion résulte, dans bien des cas, de la lé- gislation spéciale à des étahlisseujents de bienfaisajice, qui devraient n'avoir qu'une direction unique. Pour ne citer qu'un exemfle, à quoi bon la distinction existante entre les bureaux de bienfaisance et les (44) hospices? Pourquoi deux administrations distinctes entraînant des frais doubles de bureau et de recette? Chacune d'elles tient avant tout à sou indépendance, et, grâce à ce principe, souvent l'idée émise par l'une n'a aucune chance d'être adniise par l'autre. On di- rait qu'elles n'ont pas le même but, le soulagement des misères; et souvent la plus haute preuve que l'on croie pouvoir donner de sa bonne administration, étant un fort excédant que l'on parvient à obtenir des revenus sur les dépenses, on ne poursuit que ce résultat et, chacune des administrations marchant dans la même voie, on arrive à ce point que des sommes considérables vont chaque année grossir les capitaux, au lieu d'être, comme cela serait si facile, em- ployées à des œuvres de la plus haute utilité, l^a réunion de par la loi de ces administrations en une seule est donc encore une réforme réclamée par rexpérience et par la véritable intelligence de l'orga- nisation de la bienfaisance publique. Nos lois provinciale et communale s'occupent avec sollicitude des administrations de bienfaisance, et elles les mettent sous le pa- tronage et sous la tutelle de l'autorité de la commune et de la pro- vince. Il existe un contrôle sans doute; mais si nous examinons les elfels de cotte organisation dans la pratique, nous reconnaîtrons qu'elle aboutit à faire considérer la bienfaisance comme un service administratif semblable à tous autres; qu'elle devient l'objet du tra- vail des bureaux et que la routine finit également par s'en emparer. Que peuvent, en effet, les administrations communale et provinciale pour contrôler et pour résoutire les questions si graves et si déli- cates de la bienfaisance? Ne faut-il pas reconnaître que, par la force des choses, les aitprobations (ju'elles doivent donner aux actes des administrations de bienfïiisance dégénèrent en un simple enregis- trement, et que, si cerlaines mesures, certains chiffres des budgets soulèvent des objections, celles-ci ne peuvent guère être accompa- gnés de l'indication des remèdes (}u'il serait utile d'apporter au mal? Que si certaines améliorations de détail sont proposées, ne formant pas un ensemble de mesures, un système complet, on n'obtient guère de résultats dans la pratique. Nous disons donc que nos lois provinciale et communale ont trop accordé, par le modo même de contrôle qu'elles ont établi, à ( 4o ) la cenlralisalion bureaucialique, dans le sons pialique et ordinaire de ce Hjot; mais qu'elles ont néglige et passé sous silence Torgani- salion, cependant si désirable et si utile, qui élablirait entre toutes les administrations de cliarilé une parfaite entente, une corrélation unifoime, obligatoire pour les établissements publics, volontaire pour les institutions de la charité privée. Nous ne parlons pas des établissements de prévoyance, pour lesquels rien n'est statué; il n'en est pas même fait mention. Nous l'avons déjà dit, nous voulons aussi une organisation com- munale et provinciale en matière de bienfaisance et de prévoyance; mais nous croyons cette branche du service administratif telle- ment importante et si essentielle à une bonne organisation de la société, qu'elle devrait former l'objet d'une administration tout à fait spéciale, qui , dans ses différents degrés, ne serait occupée que des questions qu'elle soulève. Ce serait, suivant nous, le moyen de remédier à cet envahissement de la bureaucratie, qui fait naître de si justes plaintes. De graves inconvénients se font aussi remarquer dans la direc- tion ministérielle qui existe aujourd'hui. Il y a au ministère de la justice une division intitulée : De la bienfaisance et des cultes. Elle a dans ses attributions tout ce qui concerne les établissements de bienfaisance et le teniporel des cultes. C'est dans l'un des bureaux de cette division que sont traitées toutes les questions qui se pré- sentent en matière de bienfaisance et qui doivent être soumises à l'approbation royale. Il en résulte que toutes les autorisations à accorder aux actes des administrations de bienfaisance ou des hos- pices, le sont d'abord par les administrations communales, en second lieu parla députation permanente, qui adresse les pièces au ministère de la justice. Elles y sont remises dans les bureaux. Un commis traite la question , fait un projet qui passe au chef de bureau; le chef de division, le secrétaire général, le ministre enfin, l'examinent, font des observations, s'il y a lieu, ce qui exige un nouvel examen successif, et si de trop graves difHcultés ne sont pas soulevées, si, à propos d'une fondation, il n'est pas survenu des influences hostiles aux personnes ou aux institutions, après que les documents auront séjourné dans chacun de ces bureaux pendant ( i6 ) un temps voulu par le tour de rôle, ce qui l'oiiue ensemble une période considéiahle, on obtiendra enfin une solution depuis bien longtemps désirée par les intéressés, et qui aura déjà laissé les pau- vres privés d'une assistance que la fondation leur assurait immé- diatement. Si malbeureusement un désaccord arrive sur l'application du droit, sur l'interprétation d'une des lois spéciales à la matière, le renvoi à la section de législation est ordonné, et cette mesure, amenant une nouvelle étude de la question, donnant naissance à de nouvelles interprétations présentées par les surnuméraires et par les commis de différentes classes attachés à ces bureaux, retarde infailliblement et de beaucoup, complique souvent, et ajourne même quelquefois indéfiniment la solution de l'affaire. L'acte de bienfaisance ne reçoit, pendant tout ce temps, aucune exécution. Tel est le rouage actuel des bureaux de la direction du ministère de la justice à laquelle ressortit la bienfaisance publique. Sans doute, on y veille à l'exécution des lois; mais, sans parler des lenteurs qui s'y font remarquer, n'est-on pas obligé de recon- naître (pie cette administration est insuffisante et incomplète? Elle devrait d'abord comprendre une division pour les établissements de prévoyance et une autre pour les établissements de bienfaisance, chacun d'eux formant une branche distincte et essentielle de l'as- sistance, et donnant lieu à des questions spéciales. En second lieu, l'uniformité de vues dans la législation et dans l'administration de la bienfaisance est indispensable pour produire le bien, et cette uniformité doit être durable pour réaliser, dans la pratique, les améliorations, les réformes reconnues possibles ou nécessaires. On ne peut donc, à ce sujet, s'en reposer sur une composition de bu- reaux toujours variable, et dont l'impulsion est toute personnelle au chef de l'administration. N'avons-nous pas l'exemple récent d'un changement complet de système sur les fondations charitables, à la suite d'une succession de ministère? Or, nous le demandons , peut-on admettre que les principes de la bienfaisance, en quelque partie que ce soit, puissent subir de pareilles modifications, même à la suite d'un changement de mi- nistère? Cette organisation renferme des complications inutiles; tout y est individuel et successif, par conséquent variable par les ( 47 ) chaiigciiieiils clans le persoimcl, outre qu'on y subit les revirements auxquels est accessible ropinion d'un seul liouinie. On n'y observe guère la maxime que du choc des opiiiioim jaillit la lumière, prin- cipe que justifient si bien les avantages d'une discussion contradic- toire. N'y eût-il d'ailleurs (jue le seul inconvénient de l'instabilité, par les changements de personnes, depuis le surnuméraire jusqu'au ministre lui-môme, cela suAirait, nous semble-t-il, pour nécessiter un nouveau mode d'organisation dans l'administration supérieure, qui sera chargée d'apprécier, de contrôler, de diriger les commissions communales et provinciales de prévoyance et d'assistance. Ce nou- veau mode, nous essaierons plus tard d'en exposer les bases, nous dé- finirons les attributions dont devrait être investie cette commission centrale pour être à même de remplir convenablement cette mission. Nous sommes loin de méconnaître les services que les hommes éminents et dévoués rendent à l'humanité, en répondant toujours à l'appel qui leur est fait pour s'occuper des grandes mesures propo- sées parlalégislature ou par l'administration , nous craindrions plu- tôt de blesser leur modestie en affaiblissant par nos éloges la recon- naissance publique qui leur est acquise et qui est leur juste et seule digne récompense; mais c'est précisément l'importance des services qu'ils rendent ainsi de temps à autre qui nous fait désirer que leur institution devienne pernianente. Nous croirions leur faire injure en doutant q' 'ils acceptassent. Quels heureux résultais leur réunion perpétuelle ne produirait-elle pas! Combien elle serait uiile pour suivre une série d'idées d'amélioration morale et matérielle des indi- gents, pour en étudier la marche et en noter les résultats dans la pratique, pour établir le système complet d'institutions nécessaires pour combattre la misère et en arrêter les progrès! Nous ne ver- rions plus alors réaliser en premier lieu ce qui n'eût dû venir qu'en seconde ligne et, pour ne citer qu'un exemple, nous n'eussions pas vu instituer dans notre pays les caisses de retraite avant les sociétés de secours mutuels ou avant l'organisation définitive des caisses d'épargne. En agir ainsi, c'est sacrifier un bon principe, c'est ruiner une institution utile, parce qu'elle devient intejnpestive dans son application. C'est, comme nous le verrons lorsque nous nous occu- perons spécialement des sociétés de prévoyance et des caisses de re- (48 ) traite, commencer par où l'on eût dû finir; c est appliquer à un ujalade un remède qui n'eût dû venir (ju'après un aulre : on paralyse l'effet de tous deux et aucune amélioration ne se fait sentir. Trop heureux si la maladie ne fait ainsi des progrès qu'il deviendra bientôt impos- sible d'arrêter! Si nous examinons au même point de vue l'êlat de la charité privée, il faut reconnaître (jue la charité individuelle ne rencontre guère de guide sûr, ni même d'indications suffisantes pour s'é- clairer et pour faire produire à ses instincts généreux les résultats les plus utiles. Elle est forcée d'agir en aveugle, si nous pouvons nous servir de cette expression , et ses efforts isolés tombent comme un grain jeté au hasard sur un terrain inculte, fertile mais aban- donné; les produits en sont aussi médiocres que rares. La charité collective semble jusqu'ici vouloir conserver ce carac- tère d'individualisme qui paralyse ses forces. Les obstacles qu'elle rencontre résistent souvent à ses efforts les plus nobles et les plus persévérants. Devant aborder au même port, en suivant toutefois des directions différentes, les diverses associations charitables ne voient nulle part briller devant elles ce phare qui devrait les diriger pour les y faire entrer toutes saines et sauves; elles sont donc ré- duites à lutter séparément contre les mauvaises passions qui s'agi- tent de toutes parts pour les arrêter dans leur marche, souvent aussi contre l'envie de leurs rivales, quelquefois même contre des dissensions intestines, et perdant ainsi une partie notable de leurs forces, elles vont échouer de la manière la plus déplorable pour ne plus se relever. Les administrations publiques semblerit jalouses de leur prospérité, et elles se gardent bien, en tous cas, de les encoura- £çer, de les protéger, si même elles ne mettent pas à leur marche de nombreuses entraves. Nous sonuncs heureux de pouvoir, enfin, signaler une disposition législative destinée à encourager et à consa- crer les nobles efforts de la charité collective, nous voulons parler de la loi du 5 avril J851 , sur les sociétés de secours mutuels. Es- pérons que celte loi, par ses heureux effets, fera naître, enfin, la lumière et démontrera à tous les immenses résultats auxquels peut atteindre l'union de la charité privée et de la bienfaisance publifjue. En un mot, tout marche, peut-on dire, au hasard dans l'assistance ( «) que nous accordons aux classes souffrantes de nos jours. Il y a partout défaut d'ensemble, absence de tout point de ralliement, de lumière. Reconnaissons encore que l'état d'organisation de nos institutions charitables laisse subsister l'inégalité la plus déplorable, les con- trastes les plus choquants entre les différentes villes. Si des villes nous passons aux campagnes, c'est, d'une part, l'abandon le plus complet de l'individu à ses propres forces, sauf le recours à la men- dicité, qui y est toléré généralement, tandis que d'autre part nous rencontrons des essais nombreux d'institutions de bienfaisance de toute espèce, mais sans accord entre elles, sans même souvent que ce soit là où les besoins sont le plus urgents que ces institutions sont le plus prospères et le mieux administrées. C'est une fâcheuse inégalité, et cependant le niveau de la misère devrait détruire toute inégalité d'assistance. « L'harmonie, dit M. de Gérando (1), constitue le mérite de l'administration des secours publics, comme de toute ad- ministration. Elle doit, non pas confondre, mais unir dans un sage concert, soit les différentes branches d'assistance, pour en former un système bien ordonné, soit les diverses localités qui se partagent le territoire de l'État, pour y appliquer ce système d'une manière sem- blable. » L'institution d'une administration officielle et centrale de pré- voyance et d'assistance publiques apporterait, croyons-nous, en peu de temps une notable amélioration à cette situation anormale. Définissons brièvement ses attributions : Pour les établissements publics, elle en aurait la direction générale ou plutôt la surveillance immédiate; ce ne serait pas une de ces administrations de bureau où l'absence de besogne utile excite les imaginations pour en faire sortir des idées souvent impraticables. Ce serait un véritable conseil d'Etat de la bienfaisance mettant sa haute intelligence et son expé- rience au service des commissions actives existantes dans les pro- vinces et dans les communes, pour tracer la bonne route à celles qui hésiteraient dans leur marche, pour y faire rentrer celles qui en dévieraient. S'occupant d'une manière permanente des questions de bienfaisance et de prévoyance, voy:iul fonctionner sous ses yeux les (1) Dchi hkufaisame pi(hU(p(c , 1- parlie, liv. 11, chap. Il, art. l", ^ V\ ToML V. 4 ( 50) inslitulions les plus diverses, pouvant comparer chaque jour la Tariélé de leurs résultais, elle aurait l'attention continuellement fixée sur leur action, elle en verrait les lacunes, elle en signalerait les inconvénients ou les bienfaits, et elle pourrait bientôt faire jouir le pays d'une manière générale et complète des moyens préventifs et répressifs de la misère les moins dispendieux et les plus efticaces. Rien ne se ferait qu'après mûr examen, et l'on s'attacherait à respecter la liberté individuelle des administrations locales. Elle serait l'organe et le conseil du Gouvernement pour tout ce qui se rapporte à cette branche si essenlielle de l'administration publique. Elle s'appliquerait principalement à coordonner les insti- tutions publiques pour que les élablissements de prévoyance et d'as- sistance qui, nous le verrons plus lard , doivent former une suite non interrompue pour avoir toute leur elïicacité, fussent fondés partout, en réunissant les conditions essentielles à leur prospérité et à leur durée; recueillant toutes les observations, elle signalerait les la- cunes delà législation, les améliorations dont elle est susceptible. C'est par son intermédiaire que seraient répartis les fonds alloués par le budget pour aider les administrations analogues des pro- vinces et des communes dans la mission qu'elles auraient d'encou- rager, de fonder, de soutenir au besoin les associations de pré- voyance et d'assistance; elle veillerait à ce que toutes les autorités qui lui seraient subordonnées ne laissassent rien à désirer pour l'exactitude et le dévouement dans la part d'action qui leur est échue. Même vis-à-vis des administrations publiques, elle n'aurait pas de pouvoir direct; le Gouvernement conserverait toutes les attributions que lui donnent les lois, mais l'administration centrale serait ton-- jours consultée, et le Gouvernement apprécierait alors bien plus équitablement les mesures qu'il aurait à prendre. A l'égard de la charité privée, il est presque oiseux de dire (jue son action serait tout oilicieuse; elle donnerait sans doute son avis sur toutes demandes faites par les particuliers ou par les associa- tions de charité pour obtenir l'appui du (iouvernement; mais sa mission serait surtout statistique, cesl-à-dire, qu'elle constaterait et enregistrerait avec de minutieux détails tout ce qui serait établi d'œuvres de bienfaisance dans le royaume et même ce qu'elle pour- ( SI ) mit recueillir de l'étranger. Chacun pourrait les y connaître, les comparer entre elles, et Ton rendrait ainsi générales, en les publiant et en les lecoinniandant, les heureuses innovations, les améliora- tions que le génie de la chaiilc introduit chaque jour dans les in- stitutions de bienfaisance dans les villes et dans les campagnes. Peul-on douter de l'utile influence que ses conseils exerceraient sur la direction de la charité privée? Nous pensons qu'elle suffirait pour laite prendre un nouvel essor à la charité, quelle qu'en soit la source. L'administration centrale serait, de plus, véritablement à même d'apprécier le mérite de la gestion de chacune des associations de charité et des établissements publics; et lorsqu'il s'agirait de dé- cerner une récompense publique aux soins les plus intelligents et les plus dévoués, à ces généreux athlètes qui luttent avec un noble courage pour combattre la misère, elle aurait de suite, par son expérience, les renseignements les plus sûrs à fournir. Enlin, elle exercerait la plus heureuse influence sur l'esprit des populations ouvrières pour les attacher à nos institutions et à l'ordre. Par son intermédiaire, l'État deviendrait pour l'artisan un père veillant avec une sollicitude constante sur l'avenir de ses en- fants, prêt à leur faciliter, à leur suggérer les moyens de faire pros- pérer le fruit de leurs travaux et de leurs épargnes; faisant régner partout cette égalité d'assistance réclamée par la justice et par l'hu- manité; usant de son autorité pour protéger l'artisan et, au besoin, [)Our le défendre. Que faudrait-il de plus pour inspirer au peuple un amour sincère de l'ordre, un attachement profond pour nos institu- tions politiques? Quel meilleur rempart pourrait- on opposer aux excitations de troubles que l'on cherche sans cesse à faire naître parmi les classes ouvrières? M. de Gérando décrit admirablement les avantages de l'existence d'une autorité centrale en niatière de bienfaisance : « Aspirant à une individualité absolue, dit-il (I), les établissements locaux ré- sistent à tout contrôle, perpétuent dans leur sein les faveurs, les abus, souvent sans le savoir, oublient ou dépassent les conditions sous lesquelles ils furent fondés, sacrifient le présent à l'avenir. (1) Tome il, p. 531. (32) Que, pour leur propre avantage, l'adminlstralion suprême appa- raisse : qu'elle les défende contre leurs propres erreurs; qu'elle les guide dans la voie des améliorations; qu'elle fasse triompher l'in- lérêt social sur un égoïsme étroit, exclusif, sur les préjugés con- firmés par l'habitude; qu'elle les soumette à une tutelle paternelle, mais vigilante et ferme; qu'elle les gouverne par des règlements généraux; qu'elle détermine les classifications essentielles, les attri- butions de l'autorité, les mesures disciplinaires; qu elle garantisse le fidèle accomplissement des fondations; qu'elle éclaire, alors même qu'elle ne croit pas devoir prescrire; qu'elle se fasse exactement rendre compte et qu'elle rende compte elle-même par la publicité. Voilà ses litres non moins positifs; sa vocation plus large encore, non moins sacrée, non moins bienfaisante. » Il est une institution privée que le zèle infatigable et la charité inépuisable de ses membres seuls ont élevée à un haut degré d'utilité sociale, c'est la société charitable de Saint-Vincent de Paule. Ses fondateurs, hommes éminents par leur piété éclairée, par leur position et par leurs talents, ont compris l'utilité de cette centrali- sation tout amiable en quelque sorte. Cette société est centralisée pour répandre partout les avantages des admirables découvertes que la charité fait chaque jour, pour stimuler par la publicité des résultats obtenus par chacune des conférences le zèle des autres, en excitant ainsi la plus louable émulation. C'est certes un bel exeniple donné par notre siècle, et nous ne pourrions désirer qu'une chose, c'est la mise en pratique de ce système dans toutes les associations, dans toutes les institutions charitables; nous sommes convaincu que la même prospérité en résulterait nécessairement. Le Gouvernement, en Belgique, s'occupantdes mesures propres à. améliorer le sort des travailleurs, a porté son attention sur l'assai- nissement des quartiers et dos habitations occupés par la classe ouvrière. Dans ce but, nous l'avons vu plus haut, il a prescrit la création des comités de salubrité dans les communes, il a institué un conseil supérieur d'hygiène publique attaché au Département de l'intérieur et siégeant à Bruxelles; il a délégué aux commissaires voyers le soin de diriger et de surveiller les travaux d'assainisse- ment, de provoquer au besoin les améliorations reconnues néces- (55) saires dans l'inlérêt de la santé publicjiie et de l'aire, sur leurs opé- rations, un rapport semestriel à la députation pernianenle; enfin, il a nommé un inspecteur général ayant dans ses attributions tout ce qui concerne Thygiène et la salubrité publiques. C'est la consécra- tion du principe que nous venons d'émettre : qu'il faut un pouvoir central spécial pour surveiller et pour stimuler au besoin les comités locaux. C'est le seul moyen d'atteindre sûrement le but que l'on se propose. Pour que la commission centrale de prévoyance et d'assistance accomplisse sûrement et complètement sa baute et importante mission, il faut qu'elle acquière une influence réelle et mérilée; il faut que l'on puisse recourir à son appui, à ses lumières avec une entière confiance; il faut, avant tout, qu'elle soit exempte de toute accusation, de tout soupçon même de partialité; il faut, en outre, qu'elle soit nationale. Par conséquent, son organisation doit être en rapport avec les institutions constitutionnelles qjii nous ré- gissent. C'est dans sa formation qu'elle puisera une indépendance réelle et inattaquable. Elle aura sans doute ce caractère, si les membres qui la composent ont les lumières et le zèle nécessaires à une charge si importante et si délicate; si en toute occasion ils se sont montrés, surtout comme hommes pratiques, dévoués aux intérêts des classes souffrantes de la société; mais il faut, de plus, la garantie légale de cette indépendance, par les pouvoirs qui seront appelés à choisir les membres de cette commission. Elle doit donc émaner des différents élémenls des grands pouvoirs de l'État et être composée de membres délégués par les deux chambres législatives, lesquels formeraient la majorité, et de fonctionnaires désignés par le Gouvernement. Cette commission serait nommée pour un terme de quatre ans, et se renouvellerait par partie à une époque fixée. Celte commission, on le comprend, ne peut être isolée; elle doit se multiplier en quelque sorte. Des commissions provinciales et communales doivent former les degrés successifs de sa hiérarchie. Fondées sur la même base, c'est-à-dire comprenant en majorité les délégués des élus de la province et de la commune, unis à des fonctionnaires de l'ordre administratif, ces commissions agiront, chacfine dans le cercle de sa juridiction, pour exercer les mêmes (54) attributions que l'administration ceulrale, et elles agiront sous sa direction, sous sa surveillance; leurs attributions seraient fixées par des règlements généraux : elles auraient pour objet tout ce qui se rapporte à la bienfaisance, soit comme prévoyance, soit comme assistance. Elles seraient actives, tant pour ce qui concerne la bien- faisance publique que vis-à-vis de la charité privée; ce serait, en un mot, le comité local de bienfaisance. Il devrait surtout prendre à cœur de ne pas laisser aux bureaux d'administration le soin de rem- plir sa tâche, comme cela se pratique aujourd'hui dans la plupart des administrations de bienfaisance : un secrétaire y fait tout; il voit seul les pièces; il propose los mesures et soumet, le plus souvent pour la forme, les décisions à sigîier. Ennemi des améliorations qui, par cela seul qu'elles sont des changements, accroissent son travail, il laisse les projets enfouis dans les cartons; il ne voit et ne fait voir aux administrateurs que le coté défavorable de toute innovation; il imagine des inconvénients qui ne sont pas réels, en ayant bien soin de cacher les avantages qui en résulteraient; et la confiance aveugle, nécessaire même, que cet état de choses impose, vient faire échouer les meilleures mesures contre le mauvais vouloir ou l'incapacité d'une seule personne. C'est ainsi que s'engendrent tous les vices de la bu- reaucratie. La routine, ce mode si aisé et en même temps si dange- reux, y fait naître, y multiplie les abus, qu'il devient, après un certain temps, presque impossible de déraciner. Il faudra que des citoyens généreux se dévouent, qu'ils se par- tagent la besogne et qu'ils agissent par eux-mêmes. Les adminis- trations provinciales et supérieure veilleraient, avec un soin tout particulier, à ce qu'il en fût ainsi. Nous ne dirons pas quelle im- portante amélioration il en résulterait dans le service de la charité, ce serait nous répéter; elle ressort naturellement des vices que nous avons signalés dans le mode suivi de nos jours. Nous ne pouvons non plus considérer comme un obstacle la crainte de ne pas ren- contrer d'hommes capables et dévoués, décidés à remplir conscien- cieusement cette belle mission ; cette crainte serait une injure pour l'humanité; si cette impossibilité se réalisait, ce serait une honte pour elle! Dieu en soit loué, nous n'en sommes pas là. Nous persistons donc à penser que les institutions actuelles, ( 35 ) telles qu'elles sont organisées, sont incomplètes, qu'elles sont insuf- fisantes pour produire les résultais qu'on est en droit d'attendre des eil'orts généieux foits par la charité privée et par la bienfaisance publique, pour soulager eUlcacenient la misère, et des ressources considérables des institutions de bienfaisance de toute nature. Nous croyons, en conséquence, qu'une organisation générale et complète est seule capable de réaliser les améliorations, les réformes indis- pensables; que c'est surtout à ce point de vue qu'il faut établir sur des bases solides et sages rinlervention de l'autorité, tant pour ce qui concerne la bienfaisance publique que pour les services qu'elle est appelée à rendre à la charité privée. Il faut pour cela un ensemble d'institutions, fonctionnant partout, reliées entre elles et guidées par ladminislration centrale de prévoyance et d'assistance dont nous venons de nous occuper. C'est le seul moyen pour l'État d'ac- complir pleinement les devoirs qui lui incombent envers les classes souffrantes de la société, sans étendre ses prétentions au delà du cercle que, nous avons tracé à son action, comme le seul convenable et le seul utile aux graves intérêts qui lui sont confiés. Nous avons vu quel doit être le rôle de l'Éîat, de la charité publique, dans la création et le soutien des établissements de pré- voyance et d'assistance : c'est la surveillance, le contrôle, l'encou- ragement, la direction toute bienveillante. Autant il doit s'efforcer de remplir avec la plus scrupuleuse exac- titude cette haute et sainte mission, autant il doit se garder du rôle de participation et d'action (}u'on voudrait lui faire prendre. C'est- à-dire qu'il ne peut être question de mettre en principe à la charge de l'État la fondation et le soutien de ces établissements, que lorsque, par leur nature, ils ne peuvent être laissés à l'initiative des particu- liers; qu'il ne faut pas non plus imposer à l'Étal la responsabilité, la garantie de toutes ces institutions. Cette doctrine qui rend la société responsable de tout, qui la met en présence du droit à l'as- sistance pour les classes ouvrières et l'oblige, en conséquence, à tout entreprendre, ou du moins à garantir au travailleur l'existence et l'avenir, s'est produite de nos jours comme réalisable, et il n'a pas tenu aux hommes que le flot de la révolution de 1848 avait, en France, portés au pouvoir, qu'elle n'exerçât sur ce pays ses désas- (50) treuses conséquences. L'intervention légitime de la société dans Tassislance à accorder aux classes soullVanles qu'elle renferme, c'est une tutelle (jui doit être exercée avec Taulorilé de la loi , et celte au- loi'ité disparaît dès que la question d'intérêt peut être soulevée. Ce que l'État accordera de crédits ou de subsides, il faut que ce soit à titre de bienveillance, sans qu'il puisse être lié, car s'il se lie, il joue son existence, il s'expose aux plus terribles catastropbes. Il brise entre ses mains ce levier si puissant de l'émulation par l'encourage- menl des efforts les plus persévérants et qui parviennent à vaincre le plus de difficultés. On réclamera comme dû ce que l'on eût été trop beureux, dans la première liypotbèse, d'obtenir comme un bien- fait. La reconnaissance, et l'attacbenjent qui en résulte, seraient de vains mots; et il ne peut être douteux que peu d'années suftiraient pour amener le Gouvernement assez impiudent pour s'être engagé dans cette vole, par les immenses cbarges qui pèseraient sur lui, au point de se trouver au bord de l'abîme d'une bideuse banqueroute ou d'une révolution sociale. Pour réaliser cette organisation d'action directe de l'État, de responsabilité vis-à-vis des classes ouvrières, il faudrait, sans aucun doule, recourir à une augmentation énorme d'impôts, car les revenus ordinaires d'un Klat nesuftîraient certai- nement pas. Ce serait un second budget tout entier qu'il faudrait pour faire face à une telle cbarge toujours croissante; sait-on où elle s'arrêterait ! Ce serait une véritable taxe des pauvres pour com- bler le gouffre que creuseiaient l'imprévoyance et l'incurie des masses, et le principe une fois admis, il deviendrait impossible de s'arrêter. L'Etal serait responsable, el avec celte garantie qu'aurait-on à craindre? Se lancer dans celte voie, c'est bien pis qu'établir la taxe des pauvres, c'est marcber vers le but que poursuivent les en- nemis de l'ordre social, c'est aller droit au communisme. Or, déjà au point de vue économique, la taxe des pauvres offre de grands dangers pour la fortune publique, car elle trouble l'ordre des lois de la production ; elle bouleverse les ra|)ports naturels entre les producteurs et les consommateurs. Les principes et l'expérience le démontrent; de deux choses l'une : ou le salaire se réduit en pro- porllou de la subvention que reçoit l'ouvrier, soit dans le présent, soil dans l'avenir, ou celle-ci ne se récupère pas indirectement sur les ( •" ) salaires par celui (jui la paye, et alors elle aup;rnenle les frais de prodiielion islation eut nécessairement pour conséquence un im- mense développement xles personnes civiles, et les biens de main- morte formaient une masse considérable dans les pays cbrétiens. Ce fut celte importance même qui lixa l'altention dessouveiains. Ils trouvaient dans leurs Etals des communautés religieuses, des insti- tutions de cbarilé cpii possédaient d'énoruics ricbesses et qui y pui- saient une puissance formidable. Aussi, sans toutefois encore }>ouvoir prétendre y porter atteinte, parut-il nécessaire de cberclier à en arrèlcr du moins les développements pour l'avenir, (l'est dans cet esprit (jue les parlements de France et les souverains, dans les pro- vinces belges, essayèrent, à plusieurs reprises, d'interposer leur au- torité dans la création de nouveaux élablissements de mainmorte. (Jiarles-Quint , par ses placards des 18 mai 1515, 19 octobre 1520 et 28 février 1528 , Pbilippe II , par son édit du 21 novembre 1587, les arcbiducs Albert et Isabelle, par leur édit du 25 novembre 1018, et le parlement de Flandres, par ses arrêts des 12 n)ai 1710 el 10 mai 1750, prescrivirent à cette fin l'autorisation préalable. Mais (1) L. 1 , Cad. de savrosanctis ccclesiis (1,2). (2) L. 4G, Cod. de episcopis et clencis et orphanotrophis ctxcuodochis (I, ô), et ^ovcllc CXXM , cap. X cl XI. ( H5 ) l'opinion puhliqiic r«!'sisl;iit à ce chantrcnicnt, et la nouvelle législa- tion resta sans exécution. (Id ne fut que vers le milieu du XVIII" siècle qu'il fut {»ossihIe de mettre en pratique les réformes projetées et que déterminèrent, on France, les édits de ï.ouis XV, du mois d'août 1749 et du 20 juil- let 1762, et dans les Pays-Bas, ledit de Marie-Thérèse, du 15 sep- tembre 1755. Par ce dernier édit, l'autoiisation du souverain était prescrite pour toutes dispositions entre vifs ou testamentaires de meuhles ou immeubles en faveur d'établissements de mainmorte, à l'exception toutefois de celles ayant pour objets le soula^i^ement des pauvres et linsliuclion ; les édits de I>ouis XV les soumettaient à riiomoloj^'ation des parlements, quelle que fût leur destination, et probibaienl les legs faits aux églises et communautés, lorsqu'ils n'a- vaient pas pour but d(;s œuvres de religion ou de charité précisées dans ces dispositions. De [)lus, l'édit de 1702, ail. ô, attribuait aux parle- ments le droit de pourvoir à l'administration des biens destinés à lexécution desdiles fondations et aux comptes qui en étaient rendus. .\ cette époque, presque toutes les institutions charitables étaient administrées par le clergé; cet état de choses dura jusqu'à la révo- lution de 1789, dont un des preniiers effets fut de séculariser les institutions de bienfaisance. Déjà, pai- le décret du 22 décembre 1789, les administrations départementales étaient chargées, sous l'autorité et l'inspection du Roi, de l'administration relative au soulagement des pauvres, à fin- speclion et à l'amélioration du régime des hôpitaux, hôtels-Dieu, établissements et ateliers de charité, et les administrations des dis- tricts exerçaient cette action dans chaque district , sous l'autorité des aflministrations du départrnieut. L'instruction de l'Assemblée natio- nale des 12-20 aofit 1790 ordonna aux directoires des départements de dresser et d'envoyer à l'As-sembléela statistique complète des éta- blissements de secours, hospices, etc., existant dans leurs départe- ments, et des ressources de toute nature dont profilaient les indigents. L'Assemblée constituante, par ses décrets des 10-18 février, 26 septembre et 1(3 octobre 1791 , déclara nationaux les biens des com- munautés et fondations religieuses, et en ordonna la vente au profit de l'Ktat. C'était en vertu du principe de la souveraineté nationale. Tome V. 8 ( 114 ) proclamé par elle, que cette assemblée agissait ainsi. Par une con- séquence de ce principe, l'État devait organiser comme services pu- blics le culte, rinstruction el la bienfaisance. Grâce au débordement des passions révolutionnaires et aux idées extrêmes qu'elles avaient fait naître, l'entretien du culte ne fut bien- tôt plus une charge pour l'État; les décrets du 18 août 1792 et du 8-10 mars 1795 ordonnèrent la vente, comme biens nationaux, des biens des séminaires, collèges, bourses et fondations, et une partie notable du produit de ces ventes servit à subvenir aux besoins gé- néraux de l'État; ces aliénations ne furent arrêtées que par la loi du 23 messidor an V. Enfin , les lois du 3 ventôse an III et 7 vendé- miaire an IV supprimèrent tous frais d'entretien de culte quelcon- que. Le décret du l^''-4 mai 1793 n'excepta de la vente ordonnée par le décret du 18 août 1792, que les biens formant la dotation des hôpitaux et maisons de charité; mais il en soumit l'administra- tion à la surveillance des corps administratifs. Le décret du 23 mes- sidor an II les déclara biens nationaux. Le 18-24 mars 1793, la Con- vention décréta qu'il serait porté au budget une somme annuelle attribuée à chaque département, pour être employée en secours en faveur de l'indigence, « et au moyen de ce que l'assistance du pau- vre est une dette nationale, porte l'article 5 de ce décret, les biens des hôpitaux, fondations et dotations en faveur des pauvres seront vendus dans la forme réglée par le comité d'aliénation. » Pour couronner enfin Tœuvre de réforme entreprise par elle, la Convention , par l'article 16 du décret du 24 vendémiaire an II, com- mina une amende de la valeur de deux journées de travail contre tout citoyen qui sera convaincu d'avoir donné à un mendiant au- cune espèce d'aumône. Ce fut à cette époque de désordre et de violence que la Belgique fut réunie à la Piépublique française par le décret du 9 vendémiaire an IV, et les lois républicaines publiées en Belgique durent y rece- voir leur exécution. Nos provinces subirent donc les effets de la ré- volution française, si désastreux pour la charité. Comme en France, ce déplorable état de choses ne reçut d'amé- lioration que par l'institution, dans le but de venir en aide aux pau- vres, des administrations des hospices civils et des bureaux de bienfaisance. ( H5) La loi du 2 brunjaire an IV avait suspendu l'exécution du décret du 25 messidor an II, quant aux biens des hôpitaux, maisons de secours, hospices, bureaux des pauvres et autres établissements de bienfaisance, sous quelque dénomination qu'ils fussent connus; la loi du 16 vendémiaire an V ordonna la nomination des commis- sions des hospices civils, rapporta définitivement, en ce qui les concerne, la loi du 23 messidor an II, et régla le remplacement par d'autres biens nationaux de même valeur des biens des hospices vendus en vertu de cette loi; elle détermina la surveillance des com- missions des hospices civils par les administrations municipales et départementales. La loi du 7 frimaire an V créa des bureaux de bienfaisance dans chaque comnmne. ils régissent et administrent les biens des pauvres. Les administrateurs sont nommés par Tadmi- nislralion municipale, et ils exercent leurs fonctions sous la sur- veillance de cette dernière. Par la loi du 20 ventôse an V, les bureaux de bienfaisance furent appelés à profiter des dispositions de la loi du 16 vendémiaire an V pour la restitution et le rempla- cement des biens aliénés. Enfin, la loi du 16 messidor an VU con- firma aux administrations municipales la surveillance des hospices civils, conformément à celle du 16 vendémiaire an V. L'ordre et la légalité avaient reparu en France et dans les pays incorporés à la République; la législature et le gouvernement s'ap- pliquaient à réparer les ruines amoncelées par la révolution et à exercer, d'une manière utile et sage, l'autorité dont ils étaient in- vestis; ils comprirent qu'il fallait éviter le retour des abus suppri- més et tracer des règles fixes pour l'avenir. C'est ce que Ton fit en prescrivant l'autorisation préalable par un décret impérial, pour que les dispositions entre vifs, ou par testament, au profit des hos- pices, des pauvres d'une commune ou d'établissements d'utilité publique, pussent recevoir leur exécution. Telle est la disposition de l'art. 910 du Code civil. L'arrêté du 4- pluviôse an XII fit une seule exception à ce principe pour les dons et legs aux hospices et hôpitaux, en argent, meubles ou denrées, à titre gratuit et n'ex- cédant pas 500 francs; dans ce cas, l'autorisation des sous-préfets fut déclarée sufiisante. Pendant la période révolutionnaire, l'État s'était substitué à toutes les volontés. La raison suprême du bien public avait fait disparaî- ( 416 ) tre la participation que les fonilateurs avaient attribuée à des par- ticuliers, dans l'administration des fondations de bienfaisance. Le premier consul répara celte injustice, par les arrêtés des ^8 fructi- dor an X et IG fructidor an XI. Par ces dispositions, Nnpoloon restituait aux fondateurs et à leurs représentants, le droit de désigner les indigents qui devaient jouir des fondations existantes, et il maintenait, pour les nouvelles, la né- cessitéde l'autorisation préalable. Il conciliait ainsi lerespectdû aux anciennes fondations avec les principes de la nouvelle législation. Le décret impérial du 51 juillet 1806 ne fit que confirmer ce principe, en restituant aux fondateurs et aux béritiers des fonda- teurs d'hospices et d'autres établissements de charité, qui se le seraient réservé, le droit d'assister avec voixdélibérative aux séances desdites administrations ou à l'examen et à la vérification des comptes. Plus lard, l'Empereur, par plusieurs décrets, homologua des dispositions testamentaires octroyant aux fondateurs et à leurs représentants les mêmes droits d'intervention dans l'administration des fondations. Il n'est donc pas douteux que le décret de 1806, ainsi que ceux de l'an X et de l'an XI avaient pour objet, dans la pensée de leur au- teur, non-seulement de rétablir les anciennes fondations avec le mode d'administration spéciale que les fondateurs leur avaient attri- bué, mais qu'ils élargissaient le cercle d'action de la charité pri- vée, en permettant de fixer encore à l'avenir dans l'acte de fonda- lion, les administrateurs qui seraient appelés à les régir. Les décrets impériaux du iS février 1809 et du 26 décembre 4810 donnèrent l'existence civile aux maisons hospitalières et aux maisons de refuge. Ces dispositions bienveillantes et éclairées furent un puissant en- couragement pour la charité : elles la protégeaient sans l'entraver. Sous leur influence, de nombreuses associations charitables surgirent dans tout l'Empire ; des dons et des legs considérables furent faits aux hospices et aux bureaux de bienfaisance; on vit surgir de nouvelles et importantes fondations destinécsà concourir, avec lesadminislrations publiques, au soulagement des nusères; et les malbeureux purent reconnaître dans Napoléon un protecteur et un père, (î'était pour ce ( in ) grand homme un bien benii litre de gloire; il élait un lémois^nnc^e irrécusable de son i^énie et des (jualilés éminentes de son cœur. Le roi des Pays-Bas ne changea rien au système suivi sous TEm- pire. Les statuts du 10 janvier I8''2i ])our les villes et du *2r> juillet i825 pour le plat pays formulèrent comme règle, articles 08 et 40, que les administrateurs des établissements publics de charité seraient nommés par les conseils coujmunaux, pour autant quil naît pas été décidé autrement à cet égard par les actes de fondation. Les anciennes fondations subsistèrent donc avec leurs règlements spéciaux, et les nouvelles pouvaient établir des administrateurs par- ticuliers, mais à la condition (jue leur création fût préalablement approuvée. Nous nous l>ornerons à citer, comme preuve de l'essor que les règlements de 18:24 et de 18*25 firent prendre à la charité, l'autorité de M. Desmanet de Biesme, qui, dans son discours prononcé à la Chambre des Représentants, le 20 novembre 1854, le constata publiquement et ne rencontra sur ce point aucune contradiction. Notre révolution de 1850 et la Constitution de 1851, qui a orga- nisé notre nationalité, n'ont amené aucun changement dans cet ordre de choses. Ce ne fut qu'à l'occasion de la loi communale que l'on s'occupa du régime des administrations de bienfaisance. L'article 14 de cette loi , promulguée le 50 mars d850, porte : « Le conseil com- munal nomme, 1° ; iî° les membres des administrations des hospices et des bureaux de bienfaisance. Cette nomination est faite pour le ternie fixé par la loi , etc.. Il n'est pas dérogé, par les dispo- sitions (jui précèdent, aux actes de fondations qui établissent des ad- ministrateurs spéciaux. » C'est au sujet de ce dernier paragraphe qu'a été soulevée, dans notre pays, une question de droit de la plus haute importance, par les fâcheux résultats qu'elle peut produire si sa solution législative se fait attendre, et sur laquelle il est peut- être à craindre de voir les idées exclusives des partis politiques exercer leur fatale influence. On prétend que cette disposition de la loi n'a eu pour but que de maintenir, dans le présent et pour l'avenir, les principes de la législation antérieure dont nous avons énoncé les bases. H faut le reconnaître, c'est dans ce sens que l'article 84 a reçu son applica- tion en toutes circonstances, depuis son origine jusqu'à la naissance ( 118) de la vive controverse dont il est devenu l'objet. Le Ministère du i^ août 1847 vint proclamer une nouvelle interprétation de cette disposition législative, interprétation restrictive de celle qu'il avait reçue jusque-là, et il fut déclaré qu'à l'avenir la création d'adminis- trateurs spéciaux, en dehors des bureaux de bienfaisance et des hos- pices, ne serait pins admise pour les fondations charitables, et que de telles attributions, conférées dans les testaments, seraient répu- tées non écrites (article 900 du Code civil). C'était la doctrine déjà professée par M. Tielemans (I). Ce savant jurisconsulte ajoute qu'il y a à ce sujet deux prétentions contraires et à ses yeux inconcilia- bles : « Celle de TÉi^lise, qui prétend toujours à la direction morale de l'humanité, et celle de l'État qui, au nom du progrès, veut mul- tiplier ses devoirs et ses droits pour réaliser, enfin, un mode d'asso- ciation qui mette fin à l'individualisme et à ses luttes. Sous nos institutions constitutionnelles , avec le régime de liberté sous lequel nous avons le bonheur de vivre, ce ne serait pas seulement une erreur, aux yeux de M. Tielemans, mais encore un danger que d'a- bandonner la bienfaisance à la merci des particuliers et par consé- quent du clergé. Car, suivant lui, la bienfaisance, besoin du cœur de l'homme, est de dogme religieux; elle tend toujours à passer sous rinfluence du clergé; elle s'exerce dans la direction exclusive qu'il lui impi'ime; elle finit par subir son autorité. » N'est-il pas à regretter ({ue des hommes éminenls et dont les opi- nions sont empreintes d'un sage libéralisme en soient venus à crain- dre les résultats d'une liberté quelconque? Qu'ils aient surtout pu redouter un instant l'influence delà liberté religieuse sur la chariléet les suites des nobles actions que leur union fait naître? Que n'ont-ils plutôt suivi les conseils exprinsés en termes si éloquents et si justes, par M. Guizot : « Ne disputez pas aigrement à la religion son in- fluence naturelle, disait cet illustre homme d'État, n'ayez pas l'air de l'accepter par simple tolérance dans vos établissements; ne l'y faites pas entrer par U!)e j)orte dérobée. Puisque vous trouvez qu'elle est utile, permettez lui d'étendre son utilité non-seulement (1) Répertoire de l'admiii-sin/lion et du droit administratif de ht Belgi- que. V" Fondations, titre II, chap. IH, sect. 3, § 5, t. VII, p. 425. ( 119 ) sur les maux que veut soulager la bienfaisance laïque, mais encore sur ceux qui échappent à la vigilance et à la sollicitude de celle-ci; permettez donc à la religion de prêter son concours aux personnes pieuses pour les aider à fonder et à |>erpétuer des œuvres de cha- rité. » Loin donc de vouloir tracer une lierne de démarcation, un cercle hors lequel il sera défendu à la religion d'exercer son action sur la charité, il faut, dans l'intérêt des malheureux, établir autant que possible entre elles l'union la plus parfaite, et le moyen le plus sûr d'y parvenir, c'est de cimenter cette union, qui existe naturelle- ment, par les encouragements donnés à la fondation d'institutions charitables, dont, il faut le reconnaître, les inspirations religieuses seront presque exclusivement le mobile. A quoi bon dès lors mettre en présence des prétentions que Ton dit inconciliables de l'Église et de l'État, leurs actions devant se confondre, leur but étant unique dès qu'il s'agit de la charité? M. ïielemans se demande : laquelle des deux prétentions a le voit de l'avenir? Cette expression que nous trouvons bien regrettable au sujet d'intérêts si élevés, est la preuve évidente qu'en celte circon- stance la science du profond jurisconsulte a cédé à l'opinion de riionmie politique. Or, la question ainsi envisagée au point de vue politique devait avoir pour conséquence de faire chercher dans l'ar- ticle 84 la sanction de ce (jue l'on envisageait comme l'intérêt de l'État. C'est ce que fit M. Tielemans, et après lui ceux qui adoptèrent son système; système nouveau, il faut le reconnaître, et entièrement étranger à la discussion, aux rapports qui furent faits à l'occasion de cette disposition de la loi communale, à l'esprit des auteurs de la loi et aux nombreuses applications qui en furent faites par le Gouvernement pendant plus de dix années, malgré les diverses nuances d'opinions des hommes éminents qui se succédèrent au pouvoir; système contraire au principe général de l'abrogation des lois, qui exige une dérogation expresse aux lois antérieures pour leur abrogation, ou du moins que celle-ci résulte nécessairement de la rédaction ou de l'esprit de la loi nouvelle, ce qui n'existe pas dans l'espèce : posferiores leges ad priores pertinent, nisi contrariae sint. L. 28, Dig. de legibus (I. 3); système tendant, enfin, à poser de nouvelles limites à la volonté du testateur ou du donateur, boule- ( 120 ) versant, à cet égard, ce qui était admis jusque-là et pouvant, par conséquent, dans bien des cas, constituer un obstacle à la réalisa- tion d'intentions aussi généreuses que jalouses de leur entière liberté. Au point de vue du droit, nous pensons qu'il fallait, si l'on croyait ce système essentiel au maintien de l'indépendance de l'État, pro- poser un nouvel article de loi, reformer l'article 84 de la loi com- munale, quant à cette disposition. H nous suffît, pour en fixer le sens, de recourir aux discussions parlementaires, et spécialement aux discours prononcés à la Chambre des Représentants, en 1854, par MM. Gendebien et Du Bus qui, chacun dans le but de donner satis- faction à leur manière de voir, réclamaient, le premier, la suppres- sion des abus que, suivant lui, les règlements de 1824 et de 1825 avaient fait naître en Hollande, et à cette lin, le retranchement de la nouvelle disposition du paragraphe en question de l'article 84, qui devait les continuer dans l'avenir; le second, le maintien de cette disposition légale, comme devant avoir pour résultat le niain- tien du droit issu des règlements du roi des Pays-Bas : que les in- tentions des fondateurs seraient respectées. Cette dernière doctrine prévalut, et aucune modification n'y fut apportée lors de la discus- sion qui eut lieu de nouveau à cette occasion en 1836. Cette dispo- sition pouvait donc être changée, mais telle qu'elle est conçue, nous pensons qu'on n'y peut trouver la base du système défendu par M. Tielemans et pratiqué par le Ministère du 12 août 1847. Nous avons attaché une grande importance à exposer tous les éléments de cette grave question, si intéressante pour les malheureux qu'il s'agit de secourir avant tout; nous n'avons pas reculé devant la longueur de cet exposé et nous avons énuméré les motifs de l'opi- nion que nous avons émise. Nous l'avons fait consciencieusement , sans aucun esprit de parti , sans nous laisser dominer par aucune idée exclusive. Nous dirons même que nous n'avons pas la prétention de ne pas nous être trompé; on coniprend que plusieurs opinions puissent être raisonnées, lorsqu'il s'agit d'une question qui comprend tant d'éléments de décision, suivant l'importance que l'on attache à l'un ou à l'autre d'entre eux. Quoi qu'il en soit, dans l'état actuel des choses, il est à désirer que le conflit d'opinions que ce point a fait naître cesse promptement. ( 121 ) Espérons que, frappés dos déplornbies effets (jue peiil avoir colle c'onlroverso si elle se proloiiû;e, (jne voyant l'élénienl (prolhî fournit aux susceptibilités des partis, les hommes éclairés et impartiaux for- meront avec nous le vœu sincère que, laissant de c(Mé tout ce qui est passé, l'on s'occupe sérieusement du présent et de l'avenir, (|ue l'on recherche les dispositions les plus nropres à 4iv^voriser les pro- grès de l'esprit de charité, si nécessaire à notre époque, on môme temps qu'elles sauvegarderaient les droits de l'Etat, du pouvoir civil, et qu'elles assureraient le respect dû aux lois. A ce point de vue, tout honniie consciencieux et impartial doit admettre : 1'^ Que, pour l'Etat, l'autorisation préalable à l'exécution de toute disposition entre vils ou testamentaire au profit d'une personne ci- vile donne la garantie la plus solide que rien ne se fera qui soit con- traire aux lois, aux bonnes mœurs ou à l'intérêt général. Le refus d'approbation est le frein aux abus. 2" Qu'il sufiit de mettre le pouvoir civil à même de s'assurer en toute circonstance que la volonté des fondateurs est exécutée, que les ressources sont apj)liquées d'une manière complète et régulière aux besoins auxquels elles ont pour objet de pourvoir. A cette fin , le contrôle de la commission locale de prévoyance et d'assistance serait presciit dans tous les cas où elle n'aurait pas elle-njême la di- rection de l'institution charitable. Qu'importe, en présence de ces garanties, que des administrateurs particuliers, soit appartenant à une famille, soit titulaires d'une fonc- tion civile ou ecclésiasli(jue, soient appelés à gérer les biens mis gé- néreusement au service des pauvres, à diriger en tout ou on partie les établissements fondés ou à noujmer les titulaires des fondations? Pourquoi faire du soulagement des misères des questions de pré- rogative? Ce qu'il importe, c'est qu'il ne puisse s'élever au sein de l'État et à son insu, des personnes civiles capables d'amasser de grands biens, toujours enclins à s'accroître; c'est que l'Etat puisse reconnaître que la fondation a un but réel de charité. Or, l'autori- sation préalable satisfait à celte condition , la transniissiou de pro- priété lui étant subordonnée. Ce qui importe, en second lieu , c'est le contrôle, c'est l'assurance que les biens destinés à perpétuité à venir ( 122 ) en aide aux malheureux reçoivent leur pleine et entière destina- tion. A cet égard, l'autorité ne saurait être trop rigoureuse; elle ne pourrait prendre des mesures trop sévères pour y parvenir; or, quel obstacle les administrateurs spécinux npporteronl-ils à l'exercice de ce droit dv. la part de la société, lorstju'ils n'agiront que sous la surveillance des comités locaux de bienfaisance, leur rendant compte annuellement, et ayant surtout l'obligation de justifier de l'emploi des ressources conformément aux intentions du donateur ou du tes- tateur? Évidemu)ent, ce sera bien là tout ce qu'il faut pour que les intérêts des malheureux soient suffisamment protégés par la société, pour que les prérogatives du pouvoir civil soient sauves. Aller au delà, c'est pro<'lamer que la charité oflicielle est seule juste, seule probe; c'est fondre toutes les inslilulions charitables en la seule ad- ministration publique de bienfaisance de la commune, fusion qui entraînerait bientôt à sa suite, comme conséquence de la multipli- cité des intérêts à gérer, les nonibreux inconvénients de la bureau- cratie; c'est ressusciter l'œiîvre de la Convention nationale eu France; c'est lier préventivement la volonté des honimes généreux et chari- tables, c'est les forcer à marcher tous dans une seule voie; c'est en un mot leslreindre la liberté de la charilé, c'est lui porter un coup mortel. (]e qui importe enfin, c'est, au contraire, de développer l'esprit de chaiité, c'est d'ouvrir et de laisser un libre cours aux volontés généreuses des fondateurs, aux personnes charitables qui n'écoutent (jue leur cœur, mais que leurs convictions diverses peu- vent délerminer à donner à leurs bienfaits une direction particu- lière. Il faut respe( ter leurs volontés en tant qu'elles n'ont rien de contraire à l'ordre public ni aux honnes mœurs, pour ne pas priver les malheureux de leur puissant et généreux appui. C'est déterminé par ces graves considérations (jue nous faisons les vœux les pins sincères pour que, dans les dispositions législatives qui interviendrcmt à ce sujet, on embrasse ce système de concilia- tion que ncMis proposons, comprenant l'autorisation préalable et la surveillance par l'autorité, laissant, pour le reste, la liberté la plus entière à la charité, pour qu'elle s'exerce comme elle le veutetpar les mains de qui elle le juge convenable. 11 n'y a, en matière de misère, îii politique, ni opinions, ni partis; ( 125 ) il ne doit de même y avoir, en matière de charité, qu'un seul et ccrand principe proclamé dans les lois , qui devrait même être écrit dans les constitutions et proclamé dans l'administration : c'est l'égalité pour tous dans la plus grande liberté possible; car il n'y a que de bons sentiments qui puissent donner naissance à des actes de charité. C'est ainsi, croyons-nous, que l'on parviendra à attribuer à la bienfaisance publique et à la charité privée la part légitime d'ac- tion que chacune d'elles est appelée à prendre dans ces institutions si essentielles au soulagement efficace et intelligent des maux qui affligent l'humanité. Telle doit donc être, sur ce point, l'intervention légitime de l'au- torité vis-à-vis de la charité privée, (^est à celle-ci, il faut le recon- naître, c'est à son heureuse vitalité, pendant la suite des siècles, que nous devons , originairement, toutes les institutions d'hospices que nous admirons dans nos provinces. Elle a enfanté des prodiges de générosité, elle peut en faire naître encore de nos jours; elle enfante tous les jours des prodiges de dévouement. La charité privée vient, en effet, encore se mettre à la disposi- tion de la bienfaisance publique pour soigner les malades, les in- firmes, les vieillards, dans les hospices et dans les hôpitaux; pour les visiter, les consoler et les soigner. Si elle venait à disparaîire, il faudrait renoncer à secourir efficacement l'homme placé dans cette affreuse position. Nous avons nommé les sœurs de charii*', ces anges du ciel descendus sur la terre pour y subir toutes les priva- tions et, en même temps, y soulager toutes les misères. C'est évi- demment la charité privée dans ce qu'elle a de plus admirable, de plus digne d'être respecté, d'être encouragé et protégé au b.'soin. Avec sa participation , par la noble émulation que son action exci- tera, il n'est pas douteux que de nombreux actes de bienfaisat ce ne viennent récompenser leur zèle et leur dévouement, et les fonda- tions charitables surgiront sur tous les points. La part incombant à la bienfaisance publique sera donc considé- rablement diminuée, et il n'y aura plus lieu de s'effrayer, comme on pourrait le faire aujourd'hui, des dépenses que cette oriiiuisa- tion pourrait entraîner pour les pouvoirs publics. Le dévouement, rinlelligence dessœîirs hospitalières ont, du reste. ( m ) dans ces derniers temps, donné naissance à un système des plus économiques, pour ce qui concerne les soins à donner, dans les hos- pices, aux vieillards, aux infirmes, aux orphelins, etc. Elles se chargent non -seulement de veiller sur eux, d'avoir pour ces in- fortunés la plus vive et la plus constante sollicitude, mais encore de fournir à leur entretien complet, de tout ce qui concerne, en im mot, la dépense intérieure de l'hospice, moyennant une indemnité à forfait qui varie de soixante à quatre-vingts centimes par tête et par jour. Elles trouvent mêuje, dans cette faihle rémunération, de quoi subvenir à leurs propres besoins ; car la modique somme fixée est la seule qui leursoil allouée pour tousfrais.il faut le reconnaître, le dévouement religieux pouvait seul produire un système à la fois si simple et si économique, eu même temps qu'il satisfait aux plus grandes exigences. La visite d'un des établissements ainsi dirigés, et nous pourrions en citer beaucoup en Belgique, ne fait que rendre plus diflicile à croire la possibilité de procurer tant de bien-être à de pareilles conditions. Le malheureux n'y perd rien pour les soins dont il est entouré, et un nombre beaucoup plus considérable peut ainsi être admis à en profiter. Nous ne pouvons donc que nous féli- citer de ce nouveau mode d'administration, qui constitue une im- mense amélioration. Espérons (pi'il se propagera de plus en plus et qu'il (inira par devenir général. Tout y gagnerait. Nous le disions en cominençant cette seconde partie : les enfants, les vieillards el les infirmes sont les causes les plus ordinaires de la misère dans les familles de la classe ouvrière. C'est aussi pour ce qui les concerne que nous nous sommes attaché spécialement à rechercher les njoyens de soulager les soulfi-ances qui eu résultent; c'est à C(î point de vue que nous avons exposé le mode d'assistance que nous croyons le plus elîîcace et le plus digne du Iravailloui' jus- tement jaloux de son indépendance. Les enfants, les vieillards, les infirmes ne seraient donc plus une charge accablante pour le père de famille laborieux et sage. Il ne recevrait plus, il est vrai, de secours directs, mais, par l'assistance donnée à ses enfants, par les asiles accordés aux vieillards, aux in- firmes, il recevrait cette assistance indirecte, aussi honorable qu'ef- ficace pour celui qui en est l'objet. ( 123 ) Les établissements si nombreux et si reniarqnables, déjà institués pour soulager les positions exceptionnelles tic l'hunjaiiité, les lios- pices d'entants trouvés, d'orpiielins, d'insensés, les écoles de sonrds- niuets el d'aveugles, continueraient à répandre leurs bienfaits, et ils recevraient les accroissements et les améliorations dont ils seraient susceptibles. Enlin, les associations cbaritables, qui ont ouvert, dans plusieurs villes, des lavoirs el des bains à l'usage des indigents, (jui ont établi des ateliers de cbarité, verraient, une fois rim|)ulsion donnée, leur bel exemple imité dans les autres villes et même dans les communes. Nous verrions alors, dans les campagnes, s'établir les ouvroirs, si admirablement décrits par M. de Cormenin, dans ses Entretiens de vilku/e, et dont l'influence serait immense pour l'amé- lioration intellectuelle et morale des populations rurales. Xous ne croyons pas nécessaire, en règle générale, d'aller plus loin. Il faudra des circonstances presque fatales, des malbeurs tout à fait extraordinaires, pour résister à ce système complet d'assis- tance et pour qu'une telle organisation ne laisse pas à l'ouvrier le moyen de vivre par son travail. H faut cependant tout prévoir. Lorsque donc, malgré tous les efforts, la misère envahirait encore la demeure de l'ouvrier et l'accablerait lui et sa famille, quelques secours à domicile devraient certes être dis- tiibués; ils le seraient tant par la charité privée que par la bienfai- sance publique, et ce par une bonne entente et un appui réciproque qui s'établiraient entre elles, d'autant plus facilement que les secours ne devraient être que momentanés et le plus souvent de peu d'im- portance; aussi la charité privée en assumerait-elle la plus grande part, et une faible réserve dans les ressources des établissements publics suffirait à celte fin. Mais nous voudrions que, dans ce cas, ces secours, toujours distribués en nature, ne fussent pas considérés con)me (les aumônes, mais comme des avances. L'ouvrier secouru aurait le droit de les rembourser lorsque des jours meilleurs vien- draient à luire pour lui. iNul doute, grâce iu\ progrès intellectuel et moral des classes laborieuses, (ju'elles ne tinssent bientôt à honneur d'effectuer ce reniboursement el nous vei'rious ainsi peu à peu dis- paraître du monde civilisé la lèpre du paupérisme. CONCLUSIONS. Nous avons terminé l'exposé de notre système, nous avons dit comment nous entendons l'organisation de l'assistance qui doit être accordée aux classes souffrantes de la société. Il est un danger à éviter dans cette organisation, c'est d'imposer à la charité privée, à la bienfaisance publique des charges qu'elles ne pourraient supporter. Or, il en serait ainsi si l'on perdait de vue ce qu'il faut entendre par ces mots : les classes souffrantes de la société. Dans notre pensée, on ne doit y comprendre que l'individu n'ayant exclusivement pour vivre que le produit de son travail. Dès qu'il a quelque autre ressource, il peut être encore l'objet de la sol- licitude des particuliers et de l'autorité publique; il jouira des heu- reux effets des sages dispositions des lois qui protégeront sa liberté, sa santé, ses mœurs et qui lui permettront de donner un libre cours à son activité et à son intelligence, qui, en favorisant l'ac- croissement de la richesse nationale, lui assureront du travail, une existence honnête et calme, et lui offriront les moyens d'arriver, par l'épargne, à un avenir heureux et même à une position plus élevée; il rencontrera des institutions où il sera pourvu à l'éducation, à l'in- struction de ses enfants, des établissements où les vieillards et les infirmes pourront être admis et soignés; mais un tout autre prin- cipe présidera aux conditions requises pour profiter de ces avan- tages. Il ne peut plus être question d'assistance, dans le sens du moins que nous avons donné à ce mot, dès qu'il ne s'agit plus du pauvre; dès lors, il ne peut en résulter une charge quelconque, ni pour la charité privée, ni pour la bienfaisance publique. Tous ceux qui voudront jouir de ces avantages devront nécessairement en couvrir la dépense. Il faut donc que, préalablement à toute organisation, il soit fait ( d27 ) lin recensement exact des familles n'ayant pour moyen d'existence que le travail des membres qui les composent, et qu'une révision en soit l'aile à des époques lixes et assez rapprochées. C'est pour ces familles que doit exister l'assistance sous une dou- ble face : F établissements de prévoyance comprenant principale- ment les sociétés de secours mutuels , les caisses d'épargne et les caisses de retraite; 2° et pour ceux des ouvriers seulement dont le travail est insuffisant pour subvenir aux besoins de leur famille, établissements d'assistance, indirecte d'abord dans les soins offerts giatuilement aux enfants, depuis leur naissance jusqu'à ce qu'ils puissent, par leur travail, subvenir à leurs besoins, dans les refuges ouverts aux vieillards et aux infirmes sans ressources; directe enfin, mais par exception seulement, pour secourir des malheurs que nul ne pourrait prévoir, auxquels les moyens employés pour com- battre la misère n'ont pu apporter un remède suffisant ni un adou- cissement convenable. Nous croyons pouvoir le dire, cette organisation changerait en peu de temps l'aspect de la société; elle apporterait aux classes ouvrières l'amélioration morale et matérielle qui doit être le but de toute assistance. Que lui reprocherait-on? On nous dira : votre système d'assistance, c'est d'abord la proclamation du droit à l'assistance pour l'indigent; c'est ensuite l'adoption, l'absorption en quelque sorte des enfants pauvres par la société. Nous répondrons que c'est aller plus loin que notre pensée ou que c'est ne pas vouloir la comprendre. Tous admettent que l'indi- gent doit être assisté, que la société doit venir en aide à celui que la misère accable et qui ne rencontre pas chez les particuliers les secours indispensables à sa situation. « Que l'indigent ait des droits et des droits sacrés, c'est heureusement une vérité qui n'a pas be- soin de démonstration, dit M. de Gérando (1). Qui pourrait con- tester, ajoute cet illustre ami de l'humanité, les droits de l'indi- digence, sans méconnaître ceux de l'humanité elle-même? Son malheur, ses souffrances, sa faiblesse, voilà ses titres. En est-il de (1) Ouvrage cité, p. 211. ( 128 ) plus respectables? Membre de la sociélé, enfant delà grande fa- mille, l'indigent invo(|uc justement le contrat tacite qui lui assure protection et assistance. » Cette éloquente proclamation des droits de riiuraanité semble admettre le droit à l'assistance, l'aile reconnaît, comme engendrant nn droit pour l'indigent, le devoir qu'a la société de lui venir en aide. Sans doute, et c'est un des beaux caractères de notre société civilisée, il n'est peisonne qui ne considère comme une tache pour sa localité la nouvelle qu'un malheureux y serait mort de faim; et cela, parce qu'on comprend ([ue l'assistance est pour la société un devoir qui a sa source dans son essence même, qui repose sur la base de toute société civilisée, sur les principes du christianisme. Elle ne mériterait plus ce nom si les membres qui la composent ne rencontraient pas dans son organisation protection et assistance. Il faut donc admettre ce devoir, de même qu'au point de vue moral, tous admettent le devoir de la charité pour les individus. Ce devoir bien compris, c'est l'union la plus cordiale des particuliers et des pouvoirs publics, c'est l'abondante et fraternelle coopération de tous au soulagement des misères; c'est le seul moyen de venir elii- cacement en aide aux malheureux. Celte distinction du droit à l'assistance pour le travailleur avec le devoir de l'assistance pour la société, n'est pas une simple ques- tion de mots; elle est, suivant nous, d'une haute importance. En effet, admettez le droit à l'assistance, et vous ouvrez la porte à toutes les exigences, vous donnez naissance à une foule d'abus; vous dé- truisez l'aiguillon du besoin; certain d'être secouru s'il tombe dans le dénûment, sa misère même lui donnant un titre au secours, le prolétaire cessera de compter sur son travail pour subsister lui et sa famille; il se gardera bien de retrancher quelque chose à ses plaisirs pour amasser quelques épargnes; fort de son droit dont il n'aura qu'à réclamer la reconnaissance, il se livrera à l'oisiveté et à tous les vices. Cet exemple ne sera pas seulement funeste, il sera contagieux, et cet état delà paresse alimentée par la sociélé flattant les penchants des masses, les charges publiques pour subvenir à ces besoins s'accroîtront bientôt dans d'elFrayanles proportions. Le droit à l'assistance entraîne la charité légale, la charité im- ( 129 ) posée , c'est la taxe des pauvres , dans le sens anglais de ce mot , érigée en loi générale et complète, s appliquant à toutes les posi- tions, devant faire face à tous les besoins. Le droit à l'assistance est un obstacle qui détruit le libre cours de la charité privée. Pourquoi le particulier ferait-il des efforts pour secourir son semblable, lorsque celui-ci n'a qu'à user de son droit pour réclamer de la société l'assistance la plus complète? Évidemment, pour ne pas dire plus, ce serait un excès de bonté de sa part, s'il prenait à lui seul une charge que la communauté doit légalement supporter. Il se substituerait volontairement à son ac- tion , et il ne rencontrerait même pas pour récompense la reconnais- sance du malheureux secouru, car, il faut le reconnaître, ce dernier n'en devrait aucune; il n'aurait reçu que son dû; la main qui le lui transmet aurait seule changé; dans ce système que lui importe? En proclamant, au contraire, le devoir de l'assistance de la part de la société, nous attribuons à son action le caractère de complé- ment de la charité privée, le seul vrai rôle qui lui convienne; nous laissons à celle-ci toute sa puissance , nous élargissons le cercle de son action, nous accroissons sa liberté, et par cela même nous lui faisons prendre un nouvel et important développement, réservant à la société le soulagement des misères qu'elle est incapable de com- battre efficacement. La société conserve alors le choix des moyens de secours, la libre appréciation des infortunes et des besoins. Elle peut suivre la cha- rité privée dans la voie où elle marche ; elle associe ses efforts aux siens, et elle parvient ainsi à organiser de la manière la plus écono- mique et la plus utile l'assistance à accorder aux classes souffrantes de la société. Le devoir de l'assistance est une conséquence de notre état social, du principe de solidarité qui en résulte; il a sa source dans le chris- tianisme, ce Le christianisme, disait Michel Chevalier (1), se distin- gue de toutes les religions par le ressort q^u'il donne à la conscience et par l'assistance que, de cette manière, il prête à la liberté.... Il (1) Discours d'ouverture du voui's d'économie politique au Collège de France. Journal des Débats, du 12 décembre 1851. Tome V. 9 ( 130 ) a reculé singulièrement les bornes de la responsabilité humaine..,.. Le christianisme sanctionne plus explicitement encore le progrès dans les rapports de l'homme avec son prochain; il peut en reven- diquer rinitialive. La charité chrétienne est l'expression la plus éle- vée et la plus étendue de la sociabilité; elle embrasse toutes les autres. Pour qu'une modification des institutions sociales soit digne du nom de progrès, il faut qu'elle soit de nature à accroître la liberté effective des populations et à éveiller ou à fortifier en elles le sentiment de la responsabilité La sanction de la liberté gît , d'une manière générale, dans la responsabilité. Dans l'ordre économique, celle-ci se traduit par cette règle que chacun ait à pourvoir à son existence et à celle de sa famille par son travail et par le produit légitime du capital qui est sa propriété Avec la notion de la responsabilité, vous élaguez tout ce qui, de près ou de loin, est de nature à mettre systématiquement l'existence et le bien-être d'une classe à la charge de la communauté, et vous restreignez les subsides que les individus peuvent recevoir à une assistance mo- mentanée, prêtée comme un bienfait et acceptée au même titre avec reconnaissance et soumission. Vous vous imposez même le devoir de ne fournir, autant que possible, cette assistance que dans les formes les plus propres à réveiller le sentiment de la responsabilité, à l'exclusion de celles qui pourraient l'assoupir. » Tels sont les véritables priucipes d'où dérive le devoir de l'assis- tance et qui doivent, en outre, présider à son organisation. Ce devoir de l'assistance a, du reste, été consacré en Belgique dans une circonstance récente et bien douloureuse, mais qui anra du moins eu pour résultat de prouver, une fois de plus , s'il le fal- lait, comment nolYe pays sait, en toute circonstance, comprendre et pratiquer les maximes et les préceptes de la religion et de l'huma- nité. Pourrions-nous ne pas citer, avec un noble orgueil, l'empres- sement que mit la Belgique entière à venir en aide aux Flandres, lorsqu'en d847 et 1848, la ruine de l'industrie de ces provinces réduisit une partie de nos concitoyens à la plus profonde misère, et, si on ne les eut pas secourus, les condamnait à la mort par la faim? Particuliers et Gouvernement rivalisèrent pour leur venir en aide; on ne recula devant aucun sacrifice, et, lorsque des mesures pro- ( i31 ) près à soulager ces infortunés furent proposées à la Législature, ce fut avec une admirable unanimité que Ton mit à la disposition du Gouvernement les ressources nécessaires pour y faire face; aucune charge nouvelle n'eût paru trop lourde pour remplir ce devoir sacré d'assistance envers nos malheureux concitoyens. Nous ne craignons pas d'être démenti en disant que c'était le principe du devoir de l'assistance qui présidait à cette noble conduite, et, en n'hésitant pas à le mettre en pratique, la Belgique acquit un nouveau titre à l'ad- miration de tous les peuples. C'est, en outre, un gage certain qu'elle ne reculera jamais, lorsqu'il s'agira de contribuer à l'amélioration morale et matérielle des indigents, ce qui n'est que l'application gé- nérale et complète de ce devoir que l'état social impose aux parti- culiers et à la société. Or, pour accomplir ce devoir, la société doit employer tous les moyens à sa disposition pour combattre la misère : moyens préven- tifs, consistant plus spécialement dans les établissements de pré- voyance; moyens répressifs, comprenant les secours de toute nature accordés à l'indigent. Ce qui est, pour la société, de la plus haute importance, c'est, d'abord, que l'assistance ne soit accordée qu'à l'indigent; c'est, en- suite, que l'assistance, par la manière dont elle est exercée, réunisse à la plus grande efficacité le caractère le plus honorable pour celui qui en est l'objet. Nous avons, à ce sujet, exposé le système que nous croyons le plus propre à atteindre ce double but, système qui consiste principalement à accorder les secours directement à ceux qui ne peuvent travailler pour vivre, et qui constitue, eu égard à ce qui se passe de nos jours , l'assistance indirecte pour le chef de fa- mille. Or, ainsi comprise, l'assistance indirecte est, à nos yeux, la seule convenable; elle sera même souvent la seule profitable. H n'y a donc, reconnaissons-le, dans notre système qu'une application indirecte des secours distribués aujourd'hui directement aux chefs de famille, à celui qui, individuellement, ij'a aucun droit aux secours, et qui n'y vient participer que par suite de la lourde charge d'une nombreuse famille en bas âge, aux besoins de laquelle le produit de son travail personnel ne peut point suffire. La base de notre système d'assistance à cet égard, est que l'ouvrier à qui le produit de son ( 152 ) travail suffit pour vivre , soit mis à même de l'appliquer à son entre- tien et d'y trouver de quoi se créer des ressources pour l'avenir. Il faut pour cela que , s'il a une famille , celle-ci ne soit pas un obstacle à ce qu'il puisse travailler librement et jouir du produit de ses journées au moyen des établissements de prévoyance qui lui seront ouverts. 11 va de soi que, sous la qualification d'ouvrier, nous comprenons la mère aussi bien que le père de famille. Or, pour atteindre ce ré- sultat, il faut que l'enfant de l'ouvrier indigent, qu'il soit à la crèche, à la salle d'asile ou à l'école primaire , cesse d'être à charge à ses parents; que, du moins , si ceux-ci doivent supporter une partie des frais (ce qui, nous l'avons vu, sera toujours peu considérable), ils soient , à celte condition, sublevés des entraves que le soin des en- fants apporte constamment au libre exercice de leurs professions, et qu'ils rencontrent dans les établissements créés pour leur venir en aide dans l'éducation de leurs enfants, une direction qui leur inspire toute confiance et une entière sécurité. C'est certes bien là le secours indirect, mais honorable; ce n'est plus l'aumône, c'est l'assistance de la société tout à la fois la plus utile et la plus digne de la société qui la donne et la plus profitable à l'indigent qui la reçoit. A cette fin, il faut que, comme chaque commune a maintenant de parla loi son école primaire, elle ait aussi sa société maternelle, sa crèche, son école gardienne et son école d'apprentissage, qu'il y soit ouvert un refuge aux vieillards et aux infirmes; en un mot, il faut la mise en pratique complète des principes admis, et ce à peine de n'obtenir que les résultats les plus imparfaits. Objectera-t-on la dépense à résulter de cette organisation? Voici notre réponse : Nous avons exposé à chaque pas, à chaque institution proposée, comment il pourrait être fait face aux dépenses; nous avons parfois cité des chiffres pour dissiper des craintes exagérées, et nous avons montré tout ce que la charité individuelle et la charité collective avaient fait jusqu'ici, la part considérable qu'elles avaient prise dans la fondation et pour le soutien d'institutions analogues ou semblables. C'est à la société, à la bienfaisance publique à encou- rager, à faire se multiplier et à couronner ces efforts généreux pour obtenir les résultats désirés. ( 153 ) Y aura-t-il donc de si lourdes charges à supporter de ce chef? Sans doute, le commencement, l'organisation première sera coû- teuse; l'établissement, l'appropriation des locaux entraîneront des dépenses assez considérables; mais outre que, dans les villes et dans beaucoup de communes, il existe des locaux disponibles dans les bâtiments communaux, il est à remarquer que les localités de peu d'importance et ayant peu de ressources n'auront besoin que de con- structions peu étendues. Il y aura dans la pratique bien des moyens d'alléger cette charge; ainsi, par exemple, lorsque deux communes rapprochées ne pourraient suffire à avoir chacune les établissements nécessaires, qu'y a-t-il qui s'opposerait à ce que leurs faibles ressources fussent réunies, et qu'elles profitassent en même temps d'un même établissement qui leur serait commun? Il y aurait une économie notable dans les frais de locaux, de personnel, d'ad- ministration, etc. Il pourrait en être ainsi pour les crèches et pour les salles d'asile; quant aux écoles primaires, elles existent dès à présent, les ateliers d'apprentissage pourraient facilement y être joints; enfin, pour les hospices, le chef-lieu de canton pourrait, dans bien des cas , réunir en un seul ceux des communes rurales de sa circonscription. Demandera-t-on quel sera le chiffre total de la dépense? Il serait sans doute fort difficile de l'évaluer approximativement; nous ne nous dissimulons pas qu'il sera considérable, surtout dans les pre- miers temps; mais ne perdons pas de vue que si, déjà dans l'état actuel des choses, beaucoup de parents, même n'ayant pour vivre que le produit de leur travail, s'estimeraient trop heureux et trou- veraient le moyen de contribuer pour une part assez forte aux frais d'entretien de leurs enfants pour pouvoir travailler librement, ce qui serait pour eux une puissante assistance , leur nombre s'accroî- tra rapidement par une bonne organisation des institutions de pré- voyance et d'assistance, l'amélioration morale entraînant à sa suite l'amélioration matérielle, et leur créant des ressources inconnues jusque-là, les charges de la bienfaisance iront donc, par cela même, toujours en diminuant. Ne faut-il pas considérer aussi qu'une des suites bien importantes de ramélioralion morale et matérielle de la classe ouvrière sera de ( 154 ) lui inspirer de la circonspection, de la prévoyance pour le mariage, prudence et circonspection qu'il a été impossible de lui inculquer jusqu'ici? Les économistes sont d'accord à ce sujet; ce défaut de prévoyance est une des causes les plus actives de l'extension du pau- périsme ; y porter remède , c'est couper le mal dans sa racine. Or, ce moyen salutaire nous le rencontrons dans l'élévation morale, dans l'amélioration matérielle des indigents. Raisonnant mieux, com- prenant les devoirs qu'il s'impose par le mariage pour élever conve- nablement et honorablement sa famille, craignant de ne pas la maintenir au rang auquel il aura su s'élever par son travail et par son économie, l'ouvrier sera plus circonspect et moins enclin à contrac- ter, au sortir de l'adolescence, une union prématurée qui doit être pour lui une source de souffrances et de privations. Les conséquen- ces de ce changement seront immenses pour la société tout entière. Par une suite nécessaire de ces diverses améliorations, les éta- blissements de prévoyance deviendront bientôt un aide suffisant pour beaucoup d'indigents auxquels l'assistance était nécessaire; le nombre des pauvres diminuera insensiblement, et la part contribu- tive de l'ouvrier dans l'alimentation de son enfant pourra s'accroître sans gêner en rien son aisance , les charges de la bienfaisance dimi- nuant d'autant plus par cela même. L'assistance accordée de cette manière remplace, ne l'oublions pas, le système défectueux des secours à domicile; les sommes con- sidérables que ce dernier absorbe pourront donc être employées plus utilement , et ce, nous l'avons vu , en presque totalité. Enfin, s'il reste une dépense considérable à couvrir nonobstant ces ressources, et après que la charité privée aura fait sa part, peut- on dire qu'il y ait une dépense trop élevée alors qu'il s'agit d'assurer l'existence de la société? d'apporter un remède infaillible aux maux de toute espèce qui affligent l'humanité, en assurant l'amélioration morale et matérielle des indigents? ce serait certes bien le budget le plus utile d'un État; ce ne serait que le moyen pour lui de rem- plir son devoir d'assistance envers les malheureux. Si l'on appelle taxe des pauvres les ressources extraordinaires auxquelles il faudra, sans doute, avoir recours pour subvenir aux frais de la pratique, nous l'avouerons, ce mot ne nous effraie pas. ( 155 ) La taxe des pauvres, dans le sens naturel de cette expression, elle existe par la nature même des choses, par cela même que la charité est un devoir de conscience imposé à l'homme par son créateur, commandé par la religion. Les sacrifices inspirés par la charité sont à nos yeux la taxe des pauvres, les ressources dont dispose la société pour remplir son devoir d'assistance peuvent encore prendre ce nom, mais ces secours s organisent avec intelligence et d'une manière hono- rable et digne pour tous. Mais nous repoussons avec toute l'énergie de notre âme cette qualification dans le sens odieux du mot, c'est- à-dire si elle doit signifier l'impôt prélevé sur la fortune pour jeter au mendiant quelque nourriture chétive et insuffisante, pour l'en- tretenir matériellement et s'épargner l'affreux spectacle d'un homme dont la mort n'aurait d'autre cause que la faim. Nous eussions pu nous abstenir d'entrer dans ces considérations de dépenses, le cadre de la question à résoudre n'embrassant, croyons-nous, que l'exposé des principes de l'action simultanée de la bienfaisance publique et de la charité privée dans l'assistance. Si l'assistance est un devoir, il importe peu ce qu'il doit en coûter pour faccomplir. Mais nous avons tellement foi dans les résultats émi- nents qui résulteront de cette organisation , nous sommes animé d'un si vif désir de la voir mettre en pratique, que nous avons cru utile de soumettre les moyens nombreux de faire face aux dépenses, de démontrer autant que possible qu'il n'y avait pas lieu de s'en ef- frayer, que, dès lors, elles ne devaient pas faire reculer les hommes qui comprennent l'importance du problème à résoudre. On objectera enfin que notre système d'éducation établit, en faveur du Gouvernement, une tutelle légale et universelle sur toute la jeu- nesse indigente; ce serait par une sorte de patronage officiel que l'État se chargerait de la diriger. Nous ne savons si, après les efforts que nous avons foits dans ce but , notre idée aura été exposée avec assez de clarté pour être comprise; mais pour ne laisser aucun doute sur le principe qui nous guide, nous déclarerons ici que les enfants pauvres pas plus que les autres n'appartiennent à l'État, qu'il serait tout à la fois contraire à une bonne organisation sociale et surtout aux principes de liberté, qui sont la base des institutions qui nous ré- gissent, de reconnaître au Gouvernement le droit d'absorber, en ( 136 ) quelque sorte, la jeunesse indigente et de vouloir lui imprimer une direction exclusive et obligatoire. Non , nous ne voulons pas de ce système; il a toujours été étranger à notre pensée; mais comme il ne sérail pas vrai de dire que, de notre temps, l'État absorbe la jeunesse en ouvrant dans chaque commune une école primaire, dans quelques autres, des athénées où tous peuvent être admis, surtout lorsque ces établissements se trouvent en présence d'établissements libres fondés dans le même but; de même qu'on ne pourrait pré- tendre que les vieillards, que les infirmes appartiennent à la com- mune ou à l'État, parce que ceux-ci ouvrent à cette classe d'infor- tunés des refuges où leur misère est secourue; de même, lorsque, dans chaque commune, il y aura une crèche, une salle d'asile, une école primaire, une école d'apprentissage, où tout enfant pauvre pourra recevoir les soins qui conviennent à son âge et à son degré de développement intellectuel, où les parents auront la faculté de les placer lorsqu'ils se rendront à leurs travaux et de les reprendre à la fin de la journée, temps que l'on mettra à profit pour leur former et l'esprit et le cœur, de même, dirons-nous, il ne serait pas exact de prétendre que la jeunesse indigente appartiendra pour cela à l'État. La liberté d'enseignement n'en subsistera pas moins : des écoles particu- lières, des établissements élevés par la charité privée pourront remplir la même mission; des crèches, des hospices fondés et soutenus par la charité individuelle ou par la charité collective subsisteront encore pour prendre , comme cela se voit de nos jours dans plusieurs locali- tés, le soin de soulager les malheureux qui y sont admis; nous avons même répété plusieurs fois que ce n'est qu'en cas de défaut ou d'in- suffisance des institutions libres que l'État interviendra , qu'il devra protéger, aider celles-ci avant d'en instituer de nouvelles; tel est le patronage officiel que nous attribuons à l'État : nous nous refusons à lui en reconnaître un autre. Nous n'avons fait que déduire les con- séquences pratiques du principe qui a été admis pour l'enseignement primaire; nous l'avons appliqué aux autres institutions de secours. Nous avons , il est vrai , compliqué la question en y joignant celle de l'assistance , mais c'est accessoire ; et ce point ne peut suffire pour faire peser sur notre pensée une si grave accusation. Si elle la méri- tait, nous la répudierions. Mais examinons les choses de plus près; ( 157 ) nous l'avons dit, nous désirons la suppression des secours à domi- cile attribués au chef de famille que l'entretien de ses enfants plonge dans la misère, la journée d'un homme ne pouvant régulièrement subvenir à l'entretien de cinq, six ou huit personnes, la mère en outre se voyant presque toujours forcée de rester au logis pour soi- gner les enfants, ou de s'imposer un lourd prélèvement sur son sa- laire, si elle veut faire veiller sur eux, et nous demandons que la presque totalité des secours serve à l'alimentation des enfants dans les écoles, dans les salles d'asile, dans les crèches. Si, de cette manière, il y a une contrainte morale exercée sur les parents pour les forcer à envoyer leurs enfants à l'école, pour obliger ceux-ci à la fréquenter, nous nous en féliciterons, et ce sera le moyen que l'on a vainement cherché jusqu'ici pour atteindre ce résultat. Il n'y aura entre ce qui existe actuellement et ce que nous de- mandons qu'une différence de plus, c'est qu'au lieu d'être l'objet du plus déplorable abandon, ou au lieu d'être livré à des mains merce- naires toujours insouciantes, souvent même inhumaines, l'enfant pauvre, pendant tout le temps où ses parents se livreront au travail , sera recueilli dans des établissements que la société lui ouvrira pour y recevoir, pour le moral comme pour le physique, les soins les plus tendres et les plus intelligents. On dira peut-être que notre système d'éducation détruit l'esprit de famille, qu'il porte atteinte à ces liens qu'il importe au plus haut degré de conserver dans les classes pauvres où ils ne tendent que trop à se relâcher. Il nous suffirait, sans doute, de faire observer que l'enfant de la classe aisée, placé dans un pensionnat à plusieurs lieues de distance, pendant de longues années, n'est pas censé per- dre cet esprit de famille, d'attachement pour ses parents, quoi qu'il ne les revoie souvent que durant quelques jours de chaque année ; comment se ferait-il donc qu'il en fût autrement de l'enfant pauvre qui revoit tous les jours ses parents, qui loge avec eux, qui ne les quitte pas les jours de fêtes et les dimanches? L'ignorance et la mi- sère, les vices et l'abrutissement sont-ils donc une sauvegarde pour l'esprit de famille? Bien au contraire, l'éducation et l'instruction en sont les bases les plus solides et les plus sûres , et elles en resserre- ront en peu de temps les liens d'une manière indissoluble. ( 138 ) Telles sont les principales objections que I on peut faire au sys- tème d'organisation que nous avons exposé, et que nous croyons seul honorable et efficace pour l'assistance à accorder aux classes souffrantes de la société. Nous ne nous flattons pas de les avoir réfutées victorieusement, nous avons seulement voulu énumérer les motifs puissants pour lesquels nous ne croyons pas que l'on doive s'y arrêter. Il nous reste à nous demander, en terminant, quels doivent être en général les rapports de la charité privée avec la bienfaisance publique, de quel esprit elles doivent être animées l'une envers l'autre? Question de la plus haute importance, eu égard à la con- nexité en quelque sorte continuelle de leur action. D'illustres écrivainsy répondent : « Il doit y avoir une bienfaisance publique, comme il y a une bienfaisance privée, dit M. Thiers (1); car ce n'est pas trop des deux pour soulager la misère, tant particu- lière que générale, existante inévitablement dans toute société, même riche et civilisée. » « Et il est indispensable, ajoute M. de Gérando (2), d'établir une plus étroite alliance entre la bienfaisance publique et la charité privée, de sorte que chacune d'elles s' exerçant dans la sphère qui lui est propre, elles se prêtent une assistance mutuelle, géné- rale et continue. » La bienfaisance publique a d'abord pour mission de donner la destination la plus intelligente et la plus utile aux res- sources dont elle dispose, aux revenus de tous les établissements publics de bienfaisance, ainsi qu'aux subsides mis à sa disposition par les communes, parles provinces ou par l'État. Elle doit établir et sou- tenir certains établissements de prévoyance qui, nous l'avons vu, ne peuvent être abandonnés aux soins des particuliers, soit seuls, soit réunis en associations; elle devra venir en aide par des subsides aux institutions dénuées de ressources; mais, comme nous l'avons dit en commençant, la part essentiellement utile d'action de la bienfai- sance publique, de l'autorité, c'est la direction bienveillante et tout officieuse, la surveillance, le contrôle des actes de la charité collec- tive, lorsque celle-ci voudra s'y soumettre. Cette mission sera con- (l) Ds la prévoyance et de l'assistance publiques. {2) De la bienfaisance publique ^ (. II, p. 541. ( 139 ) fiée à radministration centrale de prévoyance et d'assistance que nous avons réclamée et définie dans le cours de ce travail. Nous avons exposé, dans les différents degrés de l'assistance, jusqu'où pou- vait aller son action, jusqu'où elle pouvait étendre son influence, ce qui, nous l'avons vu, dépend du caractère, de la nature et du but de chaque institution destinée à combattre la misère ou à porter se- cours aux souffrances qu'elle fait naître; nous avons tracé les limites qu'elle devait bien se garder de dépasser; nous n'y reviendrons pas. Il nous suffit de constater ici d'une manière générale la nécessité de son action comme aide et comme complément de la charité privée. La charité individuelle, c'est-à-dire l'homme charitable, au cœur généreux et dévoué, sera partout et toujours la base de toute assis- tance à accorder aux classes souffrantes de la société. Elle en est l'élément le plus essentiel. Sans le dévouement personnel, sans la main charitable qui s'ouvrira à la vue du malheur ou au premier appel qui lui sera fait au nom des malheureux, il faut renoncer à donner aux classes pauvres l'assistance qui leur est due et qui doit contribuer à leur amélioration , à leur régénération morale et ma- térielle. « Après tout, dit M. Gustave de Beaumont, l'assistance privée et le zèle religieux seront toujours la première source de l'as- sistance publique. » Mais la volonté humaine est variable; par cela même que la cha- rité privée est et doit rester libre , elle est exercée d'une manière trop inégale par ceux qui sont appelés à lui servir de ministres (d). Elle peut se laisser induire en erreur; c'est une source inépuisable, mais les eaux abondantes qui en découlent doivent rencontrer des voies tracées, afin d'acquérir, en les parcourant, une direction régu- lière, pour y être sagement ménagées, et servir à fertiliser le vaste désert des misères humaines. C'est dans l'association , c'est dans la participation des pouvoirs publics qu'on trouvera cet appui, ces inspirations. L'association, par le faisceau qu'elle forme des efforts et des sacrifices individuels, leur donne yne puissance et une effi- cacité à laquelle, sans cette union, ils n'eussent jamais pu parvenir. Elle offre aussi le grand avantage de la permanence et de la régula- (I) De Gérando, ouv. cité, t. II, p. 225. ( 140 ) rité, moyens infaillibles d'alteindre les résultats désirés, précieux surtout lorsqu'il s'agit de réformer les habitudes de la classe ou- vrière, de préparer, d'élever les générations qui nous suivent. « La bienfaisance publique continue, elle simplifie, elle aide la charité privée, elle la supplée au besoin (4). » La charité privée et la bienfaisance publique doivent donc agir de commun accord. Elles ont sans doute leurs règles particulières d'action ; il est des limites qu'elles ne doivent pas franchir, nous les avons énumérées à l'occasion ; mais la même pensée les a fait naître ; elles ont le même but à atteindre; elles sont sœurs; elles doivent donc s'entr'aider, rivaliser de zèle, d'intelligence et de dévouement, et par les immenses résultats que leur bonne entente produira né- cessairement, elles prouveront une fois de plus au monde la vérité immuable de notre belle devise nationale : V Union fait la force, (1) De Gérando, même ouvr. , t. II, p. 229. FIN. MEinOIRE POLDERS DE LA KIVE GAUCHE DE L'ESCAUT ET DU LITTORAL BELGE, en réponse à la question : FAIRB CONMÏTHE LA NATURE, LA FORMATION ET L\ TOPOGRAPHIE ACTUELLE DKS POLDERS DK LA ftlVE GAUCHE DE l'eSCAUT ET DU LITTORAL BELGE ; DONNER UN COUP d'oEIL SUR LES DIFFÉRENTES PÉRIODES DE LEUR FORMATION ET DE LEURS ACCROISSEMENTS , EN s' APPUYANT SUR DES DOCUMENTS UISTOHIQUES ; EN DLCRIRE LA MISE EN CULTURE, LES ENDIGUEMENTS ET LES TRAVAUX d'aRT, ET EXPOSER LE SYSTÈME d'ÉCONOMIE RURALE QUI Y EST ACTUELLEMENT EN USAGE, LES CONSTRUC- TIONS, LES INSTRUMENTS ARATOIRES, LES RACES d' ANIMAUX DOMESTIQUES, LES CAUSES DE LA FERTILITÉ; ENFIN, ÉTUDIER LES DIFFÉRENTS MOYENS d' AUGMENTER LES RESSOURCES AGRICOLES DK CETTE CONTRÉE ; par A. DEHOON, Ingénieur de la watcringue du Nord de l'Urues, souô- ingénieur honoraire des Ponls et Cliaustjées. (Cuuroiiué dans lu smiite du Ij décembre 1851.) Tome V. Nous ne nous étions guère attendu à l'honneur de voir admettre notre travail parmi les savants mémoires de l^U'adémie royale. Nous apprécions comme nous le devons toute la bienveillance de MM. les rapporteurs, et surtout du savant professeur de Liège, dont l'érudition et les profondes connaissances dans toutes les branches des sciences physiques et naturelles seraient seules en état de combler toutes les lacunes que nous ne pouvons prétendre à remplir. Qu'il nous sufïise d'avoir accepté ses bienveillants con- seils avec toute la gratitude dont nous sommes capable; d'autres viendront, peut-être, ajouter à ce qu'il y a d'incomplet dans un cadre trop large pour nous, et nous serons heureux si, mettant à prolit nos loisirs, nous pouvons aussi un jour faire quelques pas de plus dans la route que nos honorables guides ont bien voulu indiquer. MÉMOIRE POLDERS DE LA RIVE GAUCHE DE L'ESCAUT DU LITTORAL BELGE, § I. nature. — formation. — topographie. — periodes d'accroissements. Dès Tannée i775, l'ancienne Académie royale de Bruxelles avait mis au concours un mémoire sur tancien état de la Flandre mari- time. L'Académie royale des Pays-Bas avait, de son côté, demandé, en 1827, un mémoire sur les changements que la côte d'Anvers à Boulogne a subis, tant à V intérieur qiià l'extérieur, depuis la conquête de César jusqu'à 7ios jours. La question à laquelle nous venons répondre rentre, par plusieurs points, dans celles qui furent posées alors, toutefois en comparant les termes employés, l'on reste convaincu que, précédemment, c'étaient les points de vue géogra- phiques et historiques qui prédominaient, tandis qu'à présent l'in- tention de l'Académie est de faire étudier d'une manière spéciale («) ces Iwros fortes <|ui , sous le nom de polders, sont à bon droit, reoni-jées comme les plus fertiles de cette Flandre, dont les progriis en agriculture sont de plus en plus appréciés. La question ainsi conçue, nous avons cru pouvoir, sans trop de présomption, descendre dans Tarène. Résidant à la campagne, nous n'avions à notre disposition ni les bibliothèques, ni les collec- tions, ni les conseils des savants; nous étions trop peu versé dans les sciences pour prétendre à de brillantes applications; mais nous étions élevé dans le pays même qu'il s'agissait d'étudier : l'obser- vation prolongée des lieux avait fait naître des idées qui parfois s'écartaient de celles que l'on trouve généralement répandues; nous avons donc pris la plume dans l'espoir d'être utile, ne fût-ce qu'en provoquant quelques nouvelles discussions. Nous dirons ce que nous avons vu ou cru voir, peut-être cela engagera-t-il de plus capables que nous à y regarder une seconde fois et de plus près. Les Polders. — Leurs caractères communs. — On entend par polders, en Belgique et dans les Pays-Bas, les terres d'alluvion con- quises sur la mer, dans les golfes ou aux embouchures des fleuves, et munies de digues pour les défendie contre l'invasion des flots. lAîur caractère général est d'être bas, humides et argileux. La plus grande partie du littoral belge, d'Ostende à la frontière de France, manque de digues, et parlant le nom de polders n'y est pas en usage ; mais là aussi se trouve une lisière de terres fortes d'alluvion, en tout semblables à celles des polders; nous avons cru ne pas pouvoir les exclure du présent travail {I). (1) Nous pensons faire plaisir au lecteur en rapportant ici ce qu'a dit M. A.-H. Dumont de la zone qui va nous occuper : « Le dépôt moderne des Flandres consiste principalement en une argile plas- rt tique grisâtre, calcarifère, quelquefois sableuse et renfermant des objets d'art « et des coquilles analogues à celles qui vivent actuellement sur nos côtes. « Celle argile forme une couche horizontale qui atteint, dans certains endroits, n plus de trois mètres de puissance. » Sous l'argile, on trouve, dans un grand nombre de lieux, une couche de « tourbe dont l'épaisseur atteint quelquefois cinq mètres et qui est composée, d'a- « près l'observation de M. Belpaire ( Mémoire sur les changements que la côte • (VJnmrs à Boulogne n subis , tant à V intérieur qu'à l'extérieur , depuis (7) Quoiqu'on attache vulgairement au mot de polder l'idée d'une terre très-fertile et d'une nature à peu près identi((ue, il s'en faut bien qu'il en soit réellement ainsi; il est vrai même de dire que, sous certains rapports, il y a plus de différence d'un polder à l'autre qu'on n'en pourrait signaler parmi les tcires de bien des cantons du reste de la Flandre. Pour rendre plus intelligible ce que nous avons à dire sur la nature de ces terrains, nous croyons devoir exposer d'abord la topographie de cette partie du pays et la manière dont les diverses espèces de polders se seront formées. Topographie. — Division générale. — La partie du pays dont nous allons nous occuper s'étend depuis Burcht, vis-à-vis d'Anvers, jus- qu'aux moeres, entre Furnes et Dunkerque, sur la frontière de France. C'est une lisière en forme de croissant, d'une longueur de 150 kilomètres et large de dO à 15 kilomètres environ. Elle est bornée à sa convexité par l'Escaut et la mer du Nord, et » César jusqu'à nos jours), de deux parties distinctes, savoir : la supérieure, » de végétaux terrestres, et Tinférieure, de végétaux aquatiques. « En dessous de la tourbe, on trouve encore quelquefois de l'argile, mais plus » ordinairement il n'y a que du sable dans lequel on rencontre encore des » coquilles analogues à celles de la mer actuelle. « Le dépôt moderne forme une bande limitée, du côié de la mer, par les dunes, » et du côté des terres, par une ligne sinueuse qui a été tracée sur la carte. » (Voyez à la suite de ce Mémoire, plane fie FI, la reproduction de cette carte.) » Il est facile de distinguer ce dépôt des formations voisines, par sa nature n argileuse, par les fossiles qu'il renferme et par son horizontalité parfaite; il » est, en outre, couvert de gras pâturages dans toute son étendue, ce qui le » distingue encore du sol sableux et aride qui l'environne. " La liaison qui existe entre ce dépôt et l'argile des polders, qui se forme » encoie actuellement, et la présence de coquilles semblables à celles qui vivent » sur les côtes, indiquent suffisamment son origine récente , et démontrent que la » mer,- à une époque peu reculée, s'avançait dans les terres jusqu'à Anvers, Hulst, » Assenede, Bruges, Dixmude, comme on peufle voir sur la carte. « M. Belpaire, en partant de documents historiques, est arrivé au même résul- « tat. Il fixe l'origine de la formation argileuse à l'époque de la domination i> romaine. Or, il est très-intéressant de voir l'histoire et la géologie s'unir pour » expliquer les questions relatives aux formations modernes, o {Bulletins de l'Académie.) (8) au sud par le banc de sable qui passe au nord des villages ou ha- meaux de Burcht, Zwyndrecht, Melsele, Beveren , Vracene , S'-Gilles, Clinge, Koewacbt, Overs]ag,Se!zaete, Assenede, lioucliaute, Benlille, S^-Laurent, Middelburg, Moerkerke, S^-Pierre, Jabbeke, Beerst, Eessen, Loo, Clercken, pour remonter ensuite vers Bulscamp. Les terres de celle lisière se trouvent au-dessous des hautes marées contre lesquelles elles sont protégées par des dunes ou des digues. Elles réclament les soins incessants de l'homme, tant pour les garantir contre les insultes des tempêtes que pour les préserver de la surabondance des eaux pluviales. A la marée basse, les eaux intérieures s'écoulent par quatre grandes écluses de mer et par une trentaine d'échisettes munies de portes et de vannes. Quoique celte lisière présente partout la même apparence de terrain et qu'il n'y ait que peu de différence dans la manière de l'exploiter, il paraît tout naturel de la diviser en deux parties : la première est formée des polders de la rive gauche de l'Escaut jus- qu'au Zwin ; la deuxième, de quelques polders de la Flandre occiden- tale et du reste du liltoral présentant des terres d'alluvion qui s'étendent jusqu'à la frontière. Rive (/anche de l'Escaut. — La partie orientale, qui, avant 1815, faisait partie du département de l'Escaut, fut divisée, par décret impérial (1) du 28 décembre 1811, en six arrondissements (2). Cette division nous paraît fort convenable : elle est conforme à la configuration du terrain; elle l'est aussi aux délimitations natio- nales qui ont eu lieu depuis. Nous la prendrons pour base de notre aperçu topographique. Mais avant de traiter de chacun de ces arrondissements en particulier, disons un mot de ce qui leur est commun. Cette partie appartient presque tout entière à la province de la Zélande; elle est exclusivement formée de polders, dont les plus étendus ne dépassent pas 2,000 hectares, et qui sont séparés par des (1) Et non par arrêté du préfet, comme le dit la carte de De Pauw {Recueil des lois concernant V administration des eaux et polders delà Flandre orien- tale, par M. rin^jénieur WolterSj liv. Il, p. 555.) (2) Voyez la planche V à la suite de nolje Mémoire. (9 ) digues plantées d'arbres, les digues de mer seules exceptées, ce qui donne à ce pays, d'ailleurs si beau, un aspect un peu monolonc. Chaque polder est divisé en parcelles, en général longues ei étroites, par de petits fossés dont les eaux se rendent dans des fossés pins grands, qui sont les canaux d'écoulement dits de suation et que l'on appelle ivatei'gangen. On y rencontre beaucoup de criques et de vastes baies qui font dans les terres de profondes échancrures, mais ({ui s'envasent petit à petit et donnent lieu à la formation de nouveaux polders. Tous les champs y sont régulièrement cultivés; on n'y voit d'herbages que près des criques et autour des fermes. Celles-ci sont clair-semées et se distinguent par leurs vastes granges couvertes de chaume et par leur extrême propreté. Les villages et les bourgs y sont beaux et concentrés. On n'y trouve que peu de bonnes voies de communication; en hiver, les chemins de terre y sont presque impraticables. La population y est peu nombreuse et ne s'occupe en général que des travaux des champs. Premier arrondissement. — CciUoo. — L'arrondissement de Calloo appartient au territoire belge, sauf quelques polders endigués depuis la délimitation des deux royaumes, en 1859 et 1840. Il est situé à la pointe droite du croissant, vis-à-vis d'Anvers; il a la forme d'un triangle dont le sommet se trouve dans le pays inondé de Saftingen. On y voit les villages de Calloo, Verrebrock, Kieldrecht et Doel. Une route pavée, en passant par Calloo, le traverse du sud au nord. Il comprend les polders suivants (1) : Burger-Weerd polder, 955 arpents. Melsele polder, 1 ,ô80. Konings et Krankeloon po!der, lOG. Beveren polder, 2,702. Vracene et Extentie polder, 1,810. Saligem polder, 304. S'-Gillisbroeck polder, 490. Roode moer polder, 944, Turfbanken polder, 400. Verrebroek polder, 826. Kieldrecht Konings polder, 2,lî>7ar|). Calloo polder, 2,254. S'-Anne Ketenesse polder, ! ,4 i 2. Ouden Areniberg polder, 1 ,4ôO. Aremberg polder, 1,400, Saltingen polder, 470. Doel polder, 1,800. Louisa polder, 000. Prosper polder, 2,545, (1) Voyez Topographische haart van hct rnnrmnh'f/ stants rinanderen door L. De Pauw, dykgraaf te Hiiist ; 1810. < 10) Tous ces polders sont d'une terre excellente, riche et forte, à l'exception d'une petite partie des polders de Sal'lingen et de Kiel- drecht, qui est extrêmement sablonneuse et qui forme la pointe de la longue lisière de sable que nous avons indiquée. L'envasement des baies de Saftingen, qui se trouve au nord de cet arrondissement, fait de grands progrès. Depuis J846, on y a endigué plus de -1,500 hectares; les endiguements sont continués, et il est à croire qu'avant un quart de siècle, l'Escaut sera repoussé dans ses limites primitives. Deuxième arrondissement. — Hulst. — L'arrondissement de Hulst se trouve entre les golfes de Saftingen et le Hellegat. Le terrain v est un peu plus élevr, s'avance vers le nord et semble repousser l'Escaut au milieu de l'île de Zuyd-Beveland. Il comprend la petite ville de Hulst, qui a une population de 2,900 habitants, de jolies habita- tions et de très -belles promenades le long de ses remparts. On y trouve aussi les villages de S^-Jansteen, Boschcappelle , S*-Paul , Hengstdyk, Ossenisse et Hontenisse, qui comprend trois hameaux, chacun pourvu d'une église : Kloosterzande, Groendyk et Lammers- wnerde. Dans l'arrondissement de Hulst on compte sept usines, où la racine de la garance est séchée et triturée, quelques brasseries et une ou deux sauneries. La tourbe, que Ton y trouve presque partout à une faible profondeur, est exploitée dans différentes loca- lités, et notamment aux environs de Boschcappelle et du hameau Lamswaarde; on la trouve aussi, mais en petite quantité, dans l'ar- rondissement qui précède et dans celui qui suit. Une route pavée aboutissant à Hulst et partant de S^-Nicolas se prolongera vers le nord. Les polders que l'on y rencontre sont : S'-Jansfeen polder, 4oO arpents. Groot en klein Ferdinand polder, 808. Riet,Wnlfd;ykenAb.sdalepolder,2,l7ô. Clin^e polder, 1,189. Groot KieIdreclU polder, 800. Nieuw Kieldrecht polder, 808. Klein Kieldreelit polder, L>J2. Langendam polder, 607. Dullaert en Onde j)older, 1,078. Over.spronk polder, 14. Hulster Nieuwland polder, 272 arp. Havik polder, 2)ô. Klein Canibron polder, 118. Groot Cambron [)older, 457, Nieiiwe polder van Hulst naer Bosch- cappelle, récemment endigué. Sloi)peId}'k polder, 1,745. S'-Paul polder, 1,055. Distrikl van Lamswaarde, oost en wesl Vogelschorre polder, 2,240 arpents. (U ) Haven polder, 230. Willem Ifen;naer polder, 684. De Skiys polder, 1 1 5. Goesen polder, 385. Oud Westenrvk polder, 290. k'ouden polder, 99(î. Looven en Willcniskerke polder , 1,170. Terneuzen pol28 arpents. Aandyke polder, 495. Groot Hujssens polder, 1,394, De Eendragt polder, 579. Klein Hiiyssens polder, 306. Kreeke polder, 115. Polders van het Axelsche Gat , Polders voor ïerneuzen , et Polders van hel Sasschegat , environ GOO arpents. Il n'y a de terres sablonneuses dans cet arrondissement que dans la partie sud contiguë aux sables de Hulst et de Selzaete, encore se trouvent-elles entrecoupées de nombreuses criques qui, lorsqu'elles sont assécbées, offrent une terre beaucoup meilleure. QuATRubiE ARiiONDissEMENT. — Philippine. — L'arrondissement de Philippine est une lisière longue et étroite qui s'étend de l'est à l'ouest, il est borné au nord par le Brakman , par l'arrondissement précédent et celui qui va suivre. Il appartient presqu'en totalité au territoire belge et comprend le petit port hollandais de Philippine et les villages belges do Watervliet, Waterland, Oudeman, S^-Jan- in-Eremo et S"^- Marguerite. La dernière section du canal de Sel- zaete doit traverser plusieurs polders voisins de sa limite méridionale. Cet arrondissement se compose des polders dont les noms suivent : S'- Albert Poe! poldei-, 281 arpents. Sas van Cent polder, 150. Oude S'-Albert en Smallefjelande polder, 1,610. Vyf honderd Gemeten polder, 500. Maria polder, 292. De Pennenians polder, 245. Bakkers polder, 86. S'-Andrc i)older, 288. S'-Pieters polder, 385. Roode polder, 397. Nicaise polder, 467. S'-Jan polder, 286. Capelle polder, 500. Philippine polder, 240. Isnbella polder, 95. Laurina polder, 1 ,284. S'-George polder, 645 arpents. Clara polder, 1,450. S'-Barbara polder, 540, Christoffel polder, 1,109. Fascier polder, 1 1 7. Helle polder, 125. Kokuit polder, 284. Maria polder, 355. S'-Anne polder, 277. Kleine Jonkviouw polder, 227. Groote Jonkvrouw poblei', 564. Thibaut polder, 60. JXieuwe Passageule polder, 1,180. Ondcnians polder, 939. Onde S'-Jerome polder, 1,183. ( lô ) Oosl |)oI(ler, 'J'âl aipcnls. Bentille j>o!(ler, oGO. S*-Jeronie polder, 591). Brandkieek polder, 498. Krakeel ])oldei', ol . Oudemans polder, 248. \'reijen polder, 140. ^ieuwen S'- Jérôme polder, oU8. S'-Lievens polder, 697. Rousselaere polder, oll. OudlIaenljesGat jioldcr, lol'arpcnls. Nieuw Haenljes Gai polder, 182. S'-Croix polder, 182. S'-Margriete polder, 114. S'-Croix polder, 54. S'-Georfje polder, 191. S'-Lievin jwider, 251. Onde Passagenle polder, 210, Savoyard polder (île), 500. Les extrémités de l'arrondissement offrent de bonnes terres. Le sud n'a que des polders humides et sablonneux : ces mauvaises qualités dominent plus ou moins dans la majeure partie de cet arrondissement. Cinquième arrondissement. — Cadzand. — L'arrondissement de Cadzand se trouve au nord du précédent. 11 est borné à Test par le Brakman et à l'ouest par le Zwin. Il renferme des bourgs d'une haute antiquité, tels que Biervliet, Yzendyk, Breskens, Groede, Oostburg et les villages de Schoondyke, Kerkje, Nieuwvliet, Zuidzande, Cad- zand, 't Retranchement, et le village de Hoofdplaat, créé seulement en 1775, en partie sur le sol qu'occupait l'ancienne Gaternesse. Une belle chaussée de Breskens à l'Écluse et à Aardenburg par Schoondyke et Oostburg, avec un embranchement en briquettes, dites klompjes, posées de champ, de Schoondyk à Yzendyk, ainsi qu'un chemin ensablé qu'on se propose de convertir en chaussée, de ce dernier endroit à la frontière belge, relient cet arrondissement aux deux Flandres. Les polders qui s'y trouvent sont : Kapilalendam polder, 65 arpents. lMaj}daIena polder, 129. Maria polder, 72. Brils polder, 14. Onde stad polder, 26. G root en Klein Zouten polder, 203. Beukels polder, 61 7. Paulina polder, 500. Thomas polder, 300. Hoofdplaat polder, 1,189. Wilhelmina polder, 611. Helena polder, 675 arpents. Oranje polder, 890, S*-Anne Biervliet polder, 72. Klein en Groot Zuyddicp polders, 437. Groote Jufvrouw polder, 506. Amelia polder, 715. S'-Pieters polder, 650. Zacharias polder, 1=""^^ en 2'* gedeelte, 700. Mantel polder, 12. ( 14 ) Zachaiias polder, 3<^' geileelte, 54 ar- penls. Generaliteits hoofdplaal polder, ],0C0. Oianje polder, 1 ,70G. Durenlyd polder, 30. Maiirits polder, 1,113. Retranchement polder, 61. Kleine Jufvrouw polder, 515. Prins Willems polder, l"*-' (jedeelte, 2,498. Brugsclie Vaert jjolder, 355. Goudeu polder, 1 40. Prins Willems polder, 2^"^ j^edeelte, 4,100. Kampershoek polder, 65. Veerhoek polder, 275. Groote Hendrik polder, 820. Schoondyks Ma^jdalena polder, 360. Nieuwe Haven polder, 500. Jonge Baarzande polder, 120. Groote Cornelia polder, 1 09. Kleine Cornelia j)older, 15. Parochie polder, '2ô. Kleine Baarzandt- polder, 180. Elisabeth polder, 1 86. Watering van oud Baarzande polder, 1,100. Oud Breskens en Jong Breskens i)ol- der, 1,009. Geeraerd De Moors en Wateringe van Groede polder, 4,153. Vanderlingenspolder, 8-\ j Huigronne poldei-, 68 arpents. Klein Hendrik polder, 53. Austerlits polder, 171. Groote Lodyk polder, 214. Cappelle pohier, 189. Eiken polder, 175. Krane polder, 105. Klein S'-Anne polder, 65. Groot S"'-Anne polder, 221. Lysbette polder, 190. S*-George polder, 175. Gras en Crabbe polder, 53. Antwerper polder, 578. S'-Jan polder, 575. Metteneije polder, 1 77. Baanst polder, 154, Adornis polder, 125. Lampsens polder, 25. Zwaarte polder, 1 2. Nieuwenhoven polder, 199. Tienhondert polder, 475. Stydersgat polder, 478. Vierhondert polder, bezuiden, 409. Wateringe van Cadzand , 1,956. Wateringe van zuidzande, 1,196. Vierhondert polder, teii oosten, 455. Bewester hofstee polder, 75. Klein Bladelyn polder, 59. Kasteel polder, 46. Groot bladelyn polder, 207. Olyslager plaat polder, 575. Kleine Lodewyk polder, 23. Tout ce pays est très-fertile surtout dans ses parties le moins anciennement endiguées. Sixième arrondissement. — L'Ecluse. — Le dernier arrondissement qui est le plus occidental, est celui de l'Écluse. Il comprend, outre la ville de ce nom, celle d'Aardenburg, toutes deux autrefois étaient ports de mer. Elles sont reliées à toutes les localités voisines, tant de la Flandre que du pays de Cadzand , par de belles routes pavées. Les villages de cet arrondissement sont : S^-Croix, Eede, Heile et S'- Anne. On y trouve les polders suivants : ( 15 ) Beooslcr Eedo polder, 3,519 arpents, ! Biezen polder, 918. Zuidbewesler Eede, Praet en Doo- pers polders , 2,070. Popen polder, 190. Lapscliiire Vacrt polder, (iô. Hoogland polder, loO. Kleine Boom polders, 445. Groote Boom polder, 740. Goudvliets polder, 174. Isabella polder, 2,100. Sopliia polder, 070 arpenls. Aardenbursche Havcn polder, 171. Noordbeweslereede polder, 1,993. Lippens polder, 80, Van VVaesberglie polder, 139. Godefroi Gouverneur polder, 394. Greveninge Wateringe polder, 040, Kleine S'-Anne polder, 53. Roode Morreel polder, 374. Diomède polder, 404. Austerlilz polder, 172. Aux environs d'Aardenburg et de S'-Croix, on trouve encore des terres arides, jadis couvertes de bois, à la dérodation desquelles la ville doit apparemment son antique nom de Rodmburg , et beau- coup de lieux dans les Flandres doivent leur nom de Rode à cette origine. Les environs de Heile, d'Eede et de S^-Laurent aussi ont beaucoup de polders aigres et marécageux. Littoral belge. — Les terres du littoral, qui se trouvent toutes dans la Flandre occidentale et qui forment la deuxième partie de notre croissant, nont éprouvé, dans le cours des siècles, que des modifications insignifiantes. Ici point d'alluvions maritimes, point d'endiguements , point de polders calamiteux disputés énergique- ment à la mer. C'est pour ce motif que nous ne ferons que jeter un coup d'œil sur cette contrée, sans entrer dans des détails de topo- graphie qui , ici , seraient fastidieux et sans intérêt. Des dunes régnent presque tout le long de la côte, ce n'est que près de THasegras, Knocke, Ostende et Nieuport que Tom aperçoit quelques polders. Partout ailleurs le spectateur n'a devant lui que de vastes champs et des prés à perte de vue. Les plantations de taillis ou d'arbres de haute futaie y sont rares. On y rencontre de nombreux villages et quelques villes reliées par des routes et des canaux. Toule cette contrée, pour ainsi dire, recèle de la tourbe , que Ton exploite pour les besoins de la consommation des environs. L'aspect de cette partie de notre Flandre est très-variable : en été, quand un beau soleil vient colorer ces riches pâtures couvertes de troupeaux, ces magnifiques moissons, ces superbes attelages, ces costumes si pittoresques des villageoises, le paysage est char- ( JG ) mant. iMais, en hiver, la plaine est couverte de brume, le vent soufïle avec violence, Ton n'entend que le bruit des vagues ou le cri des oiseaux de mer, les fermes semblent abandonnées, nul mouvement par des chemins impraticables. Etat sanitaire de ta région argileuse. — Les polders sont à bon droit regardés comme un pays malsain: les lièvres intermittentes, plus fréquentes en automne, y régnent chaque année; beaucoup de maladies d'enfant, les obstructions du bas- ventre, la bouffissure, la tendance vers l'hydropisie en sont souvent la suite; par contre, la phthisie elles fièvres typhoïdes y apparaissent plus rarement; quoique l'on rencontre quelques exemples de longévité, il n'en est pas moins vrai que la durée moyenne de la vie y est moindre en général. Toutefois, il est juste de dire que, par suite d'une évacuation des eaux pluviales plus prompte et plus entière, cette insalubrité diminue, et l'on a tout lieu d'espérer que par les endigue- ments successifs qu'on peut faire au Zwin, au Brakman , à l'Helle- gat et au pays inondé de Saftingen, et surtout par de bons canaux d'écoulement, tel que le serait le canal de Heyst à Selzaete pour toute la contrée qu'il longe ou qu'il traverse, on pourra encore considérablement assainir ce pays. Population. — Nous avons déjà dit que la population y est clair- semée, surtout en proportion du reste delà Flandre. Tandis que là on trouve, dans les communes purement rurales, 2,345 habitants par mille hectares, elle est, dans les polders belges de l'arrondisse- ment de Calloo, de 1,018; dans celui de Philippine, de 937; dans ceux de la Flandre occidentale, de 665 et, dans le pays de Cadzand, seulement de 622. Encore, pour ce dernier arrondissement, est-ce à des immigrations parfois considérables que l'on doit ce chiil're. Sans parler des anciennes colonies, qui y furent placées depuis les Romains jusqu'à Charlemagne, nous citerons les nombreux Français qui peuplèrent la Flandre hollandaise après la révocation del'édit de Nantes, et les luthériens de Salzbourg, dont les descendants habi- tent encore le centre du pays de Cadzand ; aussi le type de cette population en est -il devenu infiniment plus beau : ses cheveux, ses yeux noirs et son teint animé font contraste avec la constitution lymphatique des rares aborigènes qu'on y trouve encore. ( 17 ) Depuis la réunion à l'empire français, la propriété de la majeure partie de ces polders est dévolue à des Belges : comme les culti- vateurs des Flandres ont la réputation d'être plus laborieux, que d'ailleurs l'aisance et l'éducation plus avancée des anciens fermiers protestants les rendent peut-être moins souples à l'égard de leurs propriétaires, toujours est-il qu'insensiblement les premiers pren- nent la place des seconds. Formation des polders. — Pour mieux concevoir et suivre la ma- nière dont les polders de la partie nord des deux Flandres se sont formés, qu'il nous soit permis de jeter un coup d'œil sur la forma- tion de ces provinces en général. Coup d'œil sur la formation de la Flandre en général. — Depuis trois quarts de siècle que le savant prieur Mann (i) appela l'attention sur le vaste demi-cercle de hauteurs qui, depuis Boulogne jusqu'à Hambourg, établit une démarcation continue entre les terres d'al- luvion et celles d'une origine moins récente, on s'est généralement accordé pour admettre, qu'à une époque, relativement peu reculée, tout ce qui se trouve au nord de celte ligne, partant la plus grande partie de la Belgique, tout le royaume de Hollande, le nord de la Prusse et la presqu'île Cimbrique, faisait partie d'un large golfe dans lequel versaient leurs flots les fleuves, gigantesques alors, de l'Escaut, delà Meuse, du Rhin et tous les autres fleuves d'Allemagne qui débouchent dans la mer du Nord. Cette page des annales du globe est tracée d'une manière trop lisible dans la configuration de ces pays, pour qu'on se refuse à la regarder comme authentique; et si l'on voulait même porter ses investigations sur des époques bien antérieures, peut-être ne manquerait-on pas de monuments qui pussent servir de jalons pour diriger ces recherches. Nous ne cite- rons que les différentes couches de dépôts, d'humus même, qu'on a trouvées à de grandes profondeurs, à Amsterdam, à Ostende et à Dunkerque; les traces de la solution de continuité de l'antique Bretagne avec le continent; les ossements fossiles trouvés en diffé- rents endroits de nos Flandres; les beaux débris de mastodontes (1) Voyez la carte jointe au Mémoire de l'abbé Mann, que nous reproduisons, planche I. Tome V. 2 ( 18 ) exluiniés à Mamegoiii, en creusant le canal de Selzaete; les roches inférieures soulevées à la surlace el indiquées sur la carie c;éolo- gique de M. Dunionl, roches auxquelles nous pourrions ajouter celles qui, de Somergem jusqu'à Cleyt près de Maldegera , offrent, au milieu des sables d'alluvion dont le nord de la Flandre se compose, un aspect el des éléments entièrement étrangers à cette contrée. Certes, ce ne serait pas se hmcer trop avant dans le domaine des conjectures que de dire (pie notre pays aussi eut sa part dans les bouleversements, dans les cataclysmes dont on voit des traces si évidentes dans les pays de n)ontagnes. Sans doute, nous eûmes aussi nos soulèvements ou nos affaissements chaque fois que les profon- deurs du Hainaut et du pays de Liège souffraient ces convulsions qu'attestent les houilles, les marbres, les granits, témoins irrécu- sables des laborieux enfantements de la nature. Quelle végétation luxu- riante n'a- t-il pas fallu pour former une de ces mille veines du précieux combustible? Que d'eaux et que de temps pour fournir ces incrus- tations de mollusques dont est chargé chaque fragment qui sort des carrières? Tout parle des profonds changements que nos Flandres ont subis, et l'on peut dire, peut-être, que tout ce que nous en avons vu et observé jusqu'ici n'offre que la moindre partie des docu- ments de la moindre des périodes de notre antique histoire. On sait que dans la Flandre maritime , non plus que dans la Hollande, on n'a pu pénétrer assez avant dans le sein de la terre pour arriver à la roche compacte. Toujours des couches alternatives plus ou juoins épaisses de sable, de tourbe, de limon diversement alternées; toujours un pays né du sein de la mer et à plusieurs reprises couvert de ses eaux. Serait-ce une déduction trop hasardée que de croire que ce golfe dont nous parlions d'abord, d'une profondeur d'au moins une centaine de mètres, n'a pu être comblé au point où nous le trouvons aujourd'hui, que par des révolutions et des masses déterre proportionnées à sa vaste capacité? Un lac immense, une mer mé- diterranée peut-être, occupait la partie du continent où se trou- vèrent plus tard les sources de l'Escaut, de la Meuse et de la Mo- selle. Le fond de ce vaste réservoir est remué dans ses fondements par une expansion irrésistible; les antiques dépôts, la houille, les ( I!' ) roches calcaires soulèvent leurs couches rompues jusqu'à former des crêtes et des montagnes; la roche déchirée livre passage aux eaux qui, dans leur cours impétueux , entraînent et les terres amon- celées de leur lit primitif et toutes celles qu'elles rencontrent sur leur passage, avec leurs détritus, leurs fossiles et leurs cailloux longtemps roulés par les vagues. Ainsi naquirent nos fleuves et nos rivières, ainsi se creusèrent leurs lits profonds et larges, au delà de toute proportion avec le volume actuel de leurs eaux, avec celui même des eaux (jue, hors de celte hypothèse, ils auraient jamais pu avoir à charrier. Quoi qu'il en soit, le large golfe s'est comblé, et d'une manière analogue à ce que nous voyons encore se produire sur nos rivages : les eaux d'un fleuve débouchant dans un bassin plus large, dans un golfe, dans une baie, se i)ifurquenl en courants longeant ses bords; un banc de sable d'une largeur proportionnée à celle du bassin , naît au milieu, croît et se montre enfin au-dessus du niveau de la basse marée; d'une pente insensible du côté de la mer, il offre du côté opposé une déclivité plus abrupte, car les eaux du reflux le rongent sans cesse dans leur retraite rapide. Ce banc d'ailleurs protège la naissance d'une terre plus fertile; les eaux fangeuses du fleuve, re- poussées par la marée montante, portent derrière le banc le riche limon dont elles sont chargées; elles l'y déposent, toujours plus abondant à mesure que l'élévation du fond y rend le mouvement des flots et l'action des courants moins intenses, et bientôt le monjenl arrive où , aussi bien ces terrains argileux que le banc de sable lui- même, ne sont plus recouverts qu'aux marées des vives eaux; et le hasard, en déplaçant les sables mouvants des bancs devenus des dunes, ou bien la main des hommes, ferme enfin les rares passages que les eaux s'y étaient conservés. De pareils bancs simultanément ou successivement produits, car l'un et l'autre s'observent sur nos côtes, se retrouvent encore. Ce sont, pour la Flandre orientale et à comlnencer par le sud, là où était le fond du golfe : 1° les hauteurs sablonneuses entre Thielt et Deynze, qui se prolongent sur la route de Gand et forment les collines sur lesquelles la citadelle de cette ville est assise; elles se re[)rodui- sent le long de la rive gauche de la Lys et de l'Kscaut, à Mariakerke, { -20 ) à Wondelgein et à Eveigeni, d'une paii ; à Melle, à Laeine , à Deslel- bei'ghe,à I.oochristietdelà par Sevenceken, S^-Nicolas etHaesdonck jusquà Burclit, d'autre part; '^^ celles qui, sur la roule de Bruges à Gand, se montrent à Maldegem, à Adegem et de là se bifurquant, ou par Ravensclioot, ou parla crête qu'occupe la chaussée, se dirii;ent sur Eedoo; puis comprenant, avec des dépressions assez marquées, S'-Laurent, Caprvcke, Bassevelde, Bouchaule et Assenede, régnent surtout à Lembekc, à Oost-Eecloo, à Ertvelde et \ont enfin, par Selzaete, Wacblebeke et Moerbeke, former la lisière qui, au nord du pays de Waes, sépare la partie sablonneuse des polders, alluvions modernes de l'Escaut; 5° les restes d'une suite de hauteurs souvent et profondément déchirées, à Aardenburg, à S^'^-Croix, à S'"'- M argue- rite, au sud d'Yzendyk, au sud d'Axel et à l'entour de Hulst. Formation des polders. — Pour nous renfermer maintenant dans les limites plus restreintes de notre sujet et nous borner à l'exposi- tion des changements que la rive gauche de l'Escaut et le littoral belge ont subis depuis les temps historiques, nous considérerons ces pays : 1*^ à leur période d'accroissement, depuis l'époque romaine jusqu'à celle du plus grand développement de cette partie de la Flan- dre au XïlP siècle; 2° à celle des pertes par les inondations, de 1300 à 1600; et 5° à celle de leur restauration par endiguements successifs, de 1600 jusqu'à nos jours. l""® Période. — État primitif. — Topographie. — Malgré les recherches et les assertions parfois hasardées des savants, qui trop souvent ne s'appuient que sur des textes contestables ou sur une étymologie douteuse, il règne encore la plus grande obscurité sur la véritable situation de ces contrées au moment où les armes romaines vinrent les révéler à la science. A défaut de documents écrits, nous avons étudié la nature et la configuration du terrain, dans la conviction que ces monuments quasi impérissables, sont des guides plus sûrs que des historiens, dont les uns sont entraînés par l'esprit de système, tandis que les autres ne font que suivre aveuglément les pas de leurs devanciers. La Flandre, comme les pays limitrophes, était, à l'apparition de César, une contrée couverte de bois dans ses parties les plus élevées , de méandres dans ses bas-fonds , tandis que les larges bancs qui la ( 21 ) traversent de l'ouest à Test n'oftraient en général que des sahles sté- riles, des bruyères et des marécages. Le climat était plus froid et plus humide; les pluies plus abondantes; le sous sol, imperméable ici , par l'argile , là , par le tuf ferrugineux , n'était ouvert nulle part ; le pays entier ruisselait d'eau; les fleuves et les rivières innombra- bles qui descendaient des hauteurs serpentaient pour ainsi dire au hasard dans la plaine. Qu'on ajoute à cela l'action des marées s' éle- vant aux syzygies bien au delà du niveau d'un littoral mal protégé par des dunes discontinues ou rompues, remontant par l'Escaut et les autres ouvertures jusqu'à Gand , et peut-être au delà, et l'on se convaincra qu'au moins, pendant les saisons pluvieuses, les eaux devaient inonder une bonne partie du paj^s. L'Escaut, à son embouchure, formait un large delta. Sa branche droite allait se jeter dans la Meuse dont les bouches se confondaient avec celles du Rhin; sa branche du milieu, depuis nommée l'Escaut par excellence, passait entre les îles delà Zélande; sa branche gauche, bien moins large et moins profonde, formait la limite de la Flandre. Mais cette limite se trouvait entamée en plus d'un lieu. A peine le fleuve avait-il dépassé Anvers et la partie la plus élevée du pays de Waes, que de profondes échancrures étaient fîutes. C'étaient des baies communiquant entre elles par des veines nombreuses; c'étaient des îles de la même apparence que celles de la Zélande , mais en général beaucoup plus sablonneuses et moins fertiles. Cet archipel, constant dans son ensemble, était extrêmement variable dans ses détails. On sait avec quelle mobilité les bancs de sable s'y déplacent; à mesure que ceux-ci se forment ou disparais- sent, les courants changent de direction, et les îlots, assis seule- ment sur des couches de limon, de tourbe ou d'argile, se trouvent rongés, enlevés quelquefois à Timproviste. Ainsi le pays à chaque instant change de face; ici, de riches terrains d'alluvion présentant des pâturages inespérés, là, les dunes on les digues les plus solides munies de tout ce que l'art naissant a inventé pour les défendre, s'écroulant dans l'abîme ouvert par l'attaque sourde mais incessante des flots. Combien ces péripéties durent-elles être plus fréquentes lorsque les dunes n'existant que sur la ligne de pleine mer , tout le (2-2 ) reste de ces rivages était sans défense aucune, en butte aux ravages du flenve démesurément grossi, des marées et des tempêtes. Aussi voit-on les rares liahilants qui occupaient ces rivages dans celte période, chercher leur refuge, ou dans les dunes ou sur les monti- cules élevés à celle lin au milieu des terres ( Vlugtbergen). Cet état des choses dut durer jusque vers le X"" siècle, lorsqu'au sortir des invasions dévastatrices des Normands notre pays com- mença à jouir d'un peu de repos et de bien-être. C'est alors aussi que les données historiques acquièrent un peu de clarté et de certitude. Voici comme nous nous représentons la géographie du littoral de l'Escaut à cette époque. Au nord du grand banc de sable dont la limite forme aussi celle de VOudland, terre ancienne, ou Houtland, pays boisé, limite sur laquelle s'éleva, vers l'an loOO, la digue du comte Jean non interrompue de Middelburg (en Flandre) jusqu'à Anvers, se trouvent les alluvions modernes, appelées polders, et que sépare de la Zélande la branche du fleuve qui leur avait donné naissance, le Hoiit, l'Escaut actuel. Cette branche paraît avoir été désignée par Ptolémée sous le nom de Tabnda ; la-Bnda, de Buda, le Buda qui lui est conservé même dans les siècles suivants. Elle paraît avoir encore porté le nom de Beverna qui, peut-être, n'était qu'une altération de Budarna.EWe se détachait du fleuve vers/a Pipe de tabac en aval d'Anvers, se diri- geant à Touest pour longer Beveren et S'-Gilles, se portant au nord en contournant les hauteurs de l'Hulster-Âmbacht, longeant Zuid Beveland ou Beverland comme le portent les cartes anciennes, puis passant par Biervliet, Bcverfliet ou Budarflit et au nord d'Yzendyk, mper fluvium Beverna (1) pour aboutir à l'Eede, large golfe au sud- ouest de Oostburg non loin de Oostkerke , parochia apud Budan- pu (2). Ce golfe s'étendait dans sa largeur depuis l'Ecluse jusqu'à Smean-in-Eremo, bien au delà d'Aardenburg, alors Rodenburg, qui ne tenait à la terre ferme que parles hauteurs de S'^-Croix et de S'^-Marguerite; il avait au nord Oostburg, au nord-ouest le pays (1) Sanderus, Flillustj l. II, p. 207. (2) Kluit, Hist. crit. com. Holl et Zél, t. I, p. 2, pagin. 154. ( 25 ) de Cndzand et deWulpeii, antique théâtre des exploits des Saxons (1 ), qui formait une presqu'île, ne tenant à la terre ferme que par les dunes, et au delà Tîle de Scliooneveld, aujourd'hui simple hanc de sable à trois lieues en mer. Il communiquait avec l'Océan au nord par les passages dits Stryders gai ou Zvxrrle gai et plus tard, au nord-ouest, par le Sincf'allu ou Swin (2). Près de Biervliet était lenibouchure d'un autre golfe nommé le Dullaert ou le Brakman, qui, des environs de Huîst et d'Axel, s'éten- dait vers Âssenede, Houchaule et Watervliet. Il communiquait avec TEede par un courant d'eau qui donna son nom à la dernière de ces communes et se dirigeait de là au sud-ouest vers Bentille, hameau de Caprycke, pour se jeter dans TEede, au sud-est d'Aarden- burg. Un second courant d'eau, à présent nommé la Pasgunde, coulait, nu sud d'Yzendyk, parallèlement à la Beverne. Chacun des courants avait des embranchements ou criques : la Boerenkreek et Beniillehreeh pour le premier, la Brandkrcek pour le second. Le Hont ou Beverne jetait à Biervliet, vers le nord-ouest, dans la (1) Franz. Jos. Mone, Untersuchimgen ztir Gcschkhte der teuUchen Hel- dcnsage , Quindiinburg und Leipzig, 1836, p. 40. (2) Les vieilles chartes de la Zélande appellent val un écoulement ou affaisse- ment de digue. C'est à pareil accident que le sincfalla, zinkval (chute par affais- sement) aura du son nom. Et zwin encore n'est pas un nom propre, mais un nom commun ou appellatif; en effet, on trouve dans les anciens règlements des Wate- ringues de Blankenberghe et de Camerlinck (voyez le Recueil des lois et cou- tumes de la Flandre, édition d'Anvers 1674 , p. 177), le nom de Zwene pour grand canal d'écoulement et le mot zwin appartient encore à d'autres débouchés en Hollande. Il y a tout lieu de croire que le Zwin dont il s'agit ici, el qui depuis fut ce fameux port de l'Écluse, ne fut qu'un simple canal de ce genre, peut-être moins encore, puisque sur une carte représentant la Flandre et la Zélande en 1274, et dont les archives de la Flandre orientale possèdent plusieurs copies, la plus ancienne faite en 1617 et inscrite sous le n''6 à l'inventaire des cartes des archives imprimé à Gand, le zwin ne figure que comme un cul-de-sac qui n'approche pas même des dunes. Les auteurs de la Chronique^ de Zélande (Middelburg 1696, p. 120), Reighersberg , Boxhorn et Smallegange, qui y ont inséré cette carte, lui maintiennent cette disposition, et Yaernewyck (ffist. van Belgis , dernière édit, Gand, chez Yanderhagen, t. II, p. 140) dit : Entre .S'--Anne et Cadzand se trouve à présent le Zwin par où les navires se rendent à l'Écluse et qui fut autrefois terre ferme. ( i24 ) direction de l'île de Walcheren , une branche qui formait le reste de la limite entre les îles de la Zélande et celles du nord de la Flandre. Elle s'appelait de Wielingen, nom que gardent encore les passages entre les bancs qui couvrent notre côte à l'embouchure de l'Escaut et du Znyîh, nom que M. Dresselhuis ab Utrecht (t) fait dériver de l'anglo-saxon Widing-ee , l'eau large et longue, mais qui nous paraît flamand, ayant de tout temps signifié des tournants et les profondeurs qui en résultent (:2). Cette branche jadis était beaucoup plus étroite et moins profonde que de nos jours, où elle forme l'entrée principale de l'Escaut, quoi- que, cependant, il ne soit nullement probable que jamais Walcheren ait tenu à la côte de Flandre (5). La coupure qu'aurait fiûte aux dunes l'empereur Othon, en 980, l'écluse à grandes roues {ivlelen) qu'il y aurait établie et qui aurait depuis donné son nom à cette partie du fossé; le nom d'Olsiind (eau ou passage d'Olhon , dont celui de Hont prendrait son origine), donné au canal qui sépare la Zélande du pays de Waes, le fossé d'O- thon continuant la limite occidentale des Quatre-Métiers, tout cela repose sur de trop frêles appuis pour infirmer tant de témoignages contraires. En effet, sur quoi s'étayent tous ces prétendus faits? Sur un passage du chroniqueur de S'-Bavon, postérieur de trois siècles et dont la critique est si peu sûre, sur une ou deux ressem- blances de noms, enfin sur une note en marge d'une carte représen- tant la Flandre et la Zélande , en 1274, du temps de Gui de Dam- pierre, mais dont on ne possède qu'une copie faite au commencement du XVn® siècle (4), note évidemment ajoutée après coup et contra- dictoire même aux indications de la carte sur laquelle elle se trouve. L'histoire, à toutes les époques, les monuments écrits, la nature et la disposition des lieux s'unissent pour attester que Walcheren (1) Het distrikt van Sluù in Flaanderen, door Dresselhuis ab Utrecht. Mid- delburg, 1819, pp. 6 et 7. (2) Voyez Kiliaen, Lex. teutonic-latin y verbo Wieling et Handhiding tôt de hennis der dykshouw. Zierickzee, 18ô5, p. 11 et passim: wiei., een diepen breed gat. (3) Voyez la planche II. (4) Aux Archives de la province de la Flandre oiienf.ile, n" 6, (25) était une île avant comme aprt'S l'époque d'Olhon , ot que la partie de la Flandre qui se trouve vis-à-vis, est , comme elle, une conquête faite sur les eaux fluviales et maritimes; et quant au fossé d'Olhoii qui aurait séparé les Quatre-Méliers du comté des Flandres, malgré quelques lignes hasardées sur des cartes peu authentiques, malgié les assertions de quelques auteurs, parmi lesquels nous regrettons de trouver le savant professeur Warnkœnig, induit en erreur sans doute par des renseignements inexacts, nous devons à la vérité de déclarer résolument qu'il n'existe trace quelconque de cette démar- cation. Nous avons vu chercher et retrouver, aux mêmes lieux, le lit d'un ancien ruisseau comblé et couvert depuis des siècles par les sables d'un grand chemin , et nous ne trouvons pas , parce qu'il n'y en a pas, sur les hauteurs entre Lembeke et Oost-Eecloo, entre Capncke et Bassevelde, limite occidentale du métier de Bouchante, le moindre vestige d'un ouvrage d'art pareil , qui serait toujours reconnaissable, n'eût-il existé que pendant un petit nombre d'années. Nous avons sous les yeux la copie authentique d'une carte des pro- priétés de l'abbaye d'Oost-Eecloo, déposée à Gand aux archives de la Flandre orientale (1). Les terres se trouvent en partie dans la com- mune d'Oost-Eecloo, en partie sur celle de Lembeke, sur la crête la plus élevée du banc de sable qui, dans notre province, s'étend de Maldegem à Kieldrecht. A l'époque où cette carte fut dressée, en 1641, la majeure partie de ces terres n'était qu'une bruyèie inculte. La démarcation de ces deux communes, qui était en même temps la limite occidentale du métier de Bouchante, passe à travers cette bruyère, et n'y est tracée que par une ligne pointillée, tandis qu'entre les terres cultivées, c'est une ligne pleine représentant un fossé semblable à ceux dont chaque parcelle est encadrée; bien plus, cette limite traverse un marais ou étang de plusieurs arpents de super- iicie, à quelques pas de là il s'en trouve un plus considérable encore. Cet état de choses ne repousse-t-il pas toute apparence qu'il ait existé un fossé de démarcation , et toute possibilité que là (1) Voyez planche Fil la copie de cette carte, provenant de l'abbaye de Saint-Pierre; dans l'original, les indications sont en flamand et font connaître la contenance et le nom du fermier de chaque partie de terre. ( 20 ) se soit jamais trouvé le lit de la principale branche de TEscaul, comme on Ta soutenu? Nous produisons une charte du comte Gui (1), qui règle l'écoule- ment des eaux de Caprycke et de Lembeke, à travers le métier de Bouchante, sur le même pied qu'il a existé jusqu'à nos jours ; n'est-il pas clair que si le prétendu canal ou fossé Othonien eût été creusé jusqu'à la mer sur la limite même du mé'ier de Bouchante, et cela moins de trois siècles auparavant, il eût fourni un argument sans réplique pour repousser la servitude réclamée, et en même temps un moyen facile et tout trouvé, d'éliminer les masses d'eau, qui, chaque année, menaçaient d'inonder une grande partie de ce métier? On ne sait pas généralement que ce sont nos voisins de Hollande et de Zélande qui ont soutenu avec le plus d'animation la fable du fossé d'Othon conime limite méridionale de la Zélande. On avait pris pour thèse à défendre : que toutes les terres d'alluvion entre le bas Escaut, qui commence à Gand, et les bouches du Rhin appartiennent à la Zélande; que le pays de Waes, les Quatre-Mé- tiers et 1rs communes voisines au sud et à l'ouest lui revenaient de droit, et (jue l'empereur Othon , en creusant le Otsund ou Hont entre le pavs de Waes et de Zuidbeveland, avait commis la plus flagrante des usurpations. Otte thèse conduisait au droit de souveraineté de l'Escaut en faveur des Zélandais, propriétaires légitimes quoique dépossédés des deux rives ; prétention déjà vieille comme nous le voyons, mais que la Hollande a su faire valoir plus tard. L'existence du fossé d'Othon à Gand est incontestable; s'il nous fallait croire à son prolongenjent jusqu'à la mer, nous proposerions l'hypothèse suivante, qui se rencontre avec i'opinion de M. l'ingé- nieur Vifquain et qui, chez nous, est fondée sur l'étude du terrain et des anciennes coutumes locales. Le fossé d'Othon commençait vers le confluent de l'Escaut, el de là passait vis-à-vis l'abbaye S'-Bavon , par le Krommen fVal, pour traverser la Lys, puis, bornant au nord les terres attenant an Vieux- Bourg , formait le SchipyracJit (fossé navigable); sorti de la ville, il suivait, près de Meulestede, la ligne que la Lieve et plus (1) Voyez V Appendice, p, 112. (27 ) loin le canal du Sas, à présent canal de Tcrneuzen, ont suivie après lui. A Cluyzen il se délournait à l'ouest, au bas de l;i bruyère de Lenibeke, qui est une liante côte sablonneuse, là où fut établi plus tard le canal d'Eecloo et de Waerschoot à Cluyzen. A Eecloo il n'a- vait qu'à suivre les bas-fonds qui régnent au sud du banc de sable ou ligne d'anciennes dunes, qui s'étend de Bruges à Anvers. Il tra- versait celte crête dans la dépression , par laquelle passe à présent la Lieve à Balgerboek, ou par celle qui, à Maldegem, livre passage au ruisseau ou rivière, comme on l'appelait jadis, la Eede, non loin de son emboucbure dans l'ancien golfe du même nom. Il est probable d'ailleurs que, vers 980, tout ce trajet de Cluyzen à l'Eede n'était qu'une suite non interrompue de marais, formant barrière et déniarcalion suftlsante, de manière à ce qu'aucun creusement de fossé n'y lus basses qu'elles ne le sont maintenant; de là, soit par la ntuidc (anciennement Wiwrfe, marais, ou, selon quelques interprètes, bouche), ou par Meulestede, il se portait vers Everghem , coulait en partie vers Cluyzen et, par les bas- fonds au nord de Sleydingbe et de VVaerscboot, au sud et à l'ouest d'Eecloo, se rendait au golfe de l'Eede par Balgerhoeke. Une dernière partie de ces eaux, suivant le bassin de la Calene, se dirigeait vers les vastes prairies entre Exaerde et Moerbekc, puis allait se décharger, par la Durme, dans la branche orientale de l'Escaut, près de Thielrode. Mais cest à la branche occidentale, se jetant dans l'Eede , qu'il faudrait rapporter ce que l'on attribue à l'Escaut primitif. Aucune branche n'a pu aller directement au nord; celle qui se porte à droite, retourne vers le sud-est avant d'atteindre aux Quatre-Métiers, et, coupant en deux le pays de Waes, ne saurait en avoir formé la limite. Nous venons de dire qu'aucune branche n'a pu aller au nord ; l'élévation du plateau d'Ertvelde s'y oppose , et quoique presque tontes les cartes anciennes indiquent le canal de Cluyzen et d'Ert- velde comme se prolongeant, sans lacune , jusqu'au havre de l^ou- chaute, vis-à-vis de Biervliet, nous devons à la vérilé de dire tout haut que c'est une erreur : le centre d'Ertvelde est le point culmi- nant du plateau au pied duquel finit le canal de Cluyzen à ce village; ses eaux pluviales découlent au nord par plusieurs cours d'eau qui vont se réunir au faisceau de tous les fossés de décharge des com- munes de Caprycke, de Bassevelde, d'Assenede et d'une partie de celles d'Oost-Eecloo, de Lembeke, de S^-Jean, de Watervliet, qui évacuent leurs eaux, à Bouchante, par l'écluselte Isabelle; mais nous osons assurer que ces fossés n'ont rien de commun avec l'Escaut primitif. En traitant de la fosse d'Othon, nous croyons avoir prouvé que rien de semblable n'existait à l'ouest d'Oost-Eecloo et du reste du métier de Bouchante. Ce n'est pas non plus à l'est d'Ertvelde qu'on peut la chercher : les hauteurs de cette commune se prolongent, non interrompues, par Selzaete, Wachtebeke et Moerbeke , vers Stekene, la Clinge et Kieldrecht. Les cours d'eau qu'on trouve aux ( 50 ) environs de ces dernières cuuinuines sont: le iianal de Haringsleede et ceux deStekeneetde lliilst, qui, assurément, sont creusés de main d'homme, et ne l'emplissent aucune des conditions qui puissent les faire considérer comme l'ancien Escaut allant de Gand directement à la mer et séparant les Quatre-Métiers de la terre «le France. On nous objectera peut-être que la démarcation que nous pro- posons ne forme pas au juste celle des Quatre-Métiers; que les com- munes d'Eecloo, de Lembeke, de (laprycke et plusieurs autres plus au nord, qui plus tard furent réunies, du moins comme contribua- bles, an Franc-de-Bruges, se trouveraient à droite avec le métier de Bouchante, et partant sous l'Empire? Voici ce que nous répondrons: tout ce qui se trouvait entre le dernier métier et la ligne que nous avons indiquée, surtout si nous la menons par Balgerhoeke, était, à l'époque d'Othoii , ou lande stérile, ou marais sans nom comme sans valeur. Caprycke obtint une existence légale et indépendante, sous Ferdinand de Portugal, vers 1228; Eecloo et Lembeke, sous Thomas deSavoie, vers 1242. Ces communes, alors et longtempsaprès, avaient encore beaucoiip de terrains déserts (woestinen) donnés ou vendus à bas prix par les comtes qui possédaient ces communes à titre d'al- leux. Les n)éticrs qui bientôt y fleurirent, les foires et les marchés dont on les dota de très-bonne heure, prouvent que celaient des villa, des domaines des comtes; aussi , Caprycke confinait au nord au 'sGravengoed ou 's Gravenmeerscb , à la loarande ou parc, établisse- ments antérieurs, dont les seuls noms ont survécu. La population de ces communes paraît avoir la même origine que celle de Bouchante et d'Assenede : leur dialecte est celui de la Flandre orientale, tout diflerent de celui du Franc. Là les poids et mesures sont ceux de Gand, tandis que le Franc suit ceux de Bruges. On se rangeait anciennement sous la bannière de Gand (i), et si plus tard, Eecloo, Lembeke et (Caprycke furent réunies au Franc, c'était, comme nous l'avons dit, sous le seul rapport fiscal, et attendu que ces communes étaient trop peu importantes pour figurer individuellement dans la (1) Saud.,/7. illustrée, i. lJ,p.iy8 : Kclonia cutn duobus aliis munie ipiis Leinboca eL Cajuica videiUur ulim Gandae subfuisse: silu loci et consuetudi- num conformitaie suadente. (51 ) léparlilion gcnéiale. Si ces nouveaux ceulres de populaliou n'ont pas été incorporés dans le métier de Bouchante, c'est, pensons-nous, parce que c'étaient des domaines allodiaux, et les comtes ne s'en seraient pas volontiers dessaisis en faveur du métier et du châtelain de Gand, dont d'ailleurs la dotation primitive ne paraît jamais avoir été augmentée. Quant à Yzendyk, Biervliet, Oostburg et lieux circon voisins, nous dirons qu'allodiales aussi, ces alluvions appartenaient à cette épo- que autant aux flots qu'à la terre ferme. Séparés par des bras de mer nombreux, ils étaient plutôt considérés conjme îles de la Zélande, et, comme elles, tout le pays de Cadzand faisait partie du diocèse d'Utrecht. 11 est presque certain qu'avant l'époque où Bruges prit de l'empire sur les communes environnantes, qui depuis formè- rent le Franc, toute cette contrée appartenait à l'Empire et n'était peut-être habitée que par des pâtres, des pécheurs et des pirates. Ce ne sera que plus tard, par le développement prompt et extraor- dinaire de l'agriculture et de l'industrie flamandes, qu'on aura con- struit des digues et des écluses, cultivé tout ce qui était susceptible de l'être et poussé une population compacte jusque sur les rivages de Wulpen et de Gaternesse. Alluvions maritimes et fluviales. — Dans l'espoir qu'on nous par- donnera la digression qui précède, comme intéressante peut-être au point de vue de nos antiquités et inspirée par l'étude des lieux que nous avions à décrire, nous passerons à un point plus important pour l'histoire de ces alluvions. Le fait que nous voudrions bien con- stater, c'est le changement de niveau entre la mer et nos rivages, depuis la formation de nos dunes actuelles, nous dirons même depuis la conquête romaine. Ce changement est tel, qu'après avoir permis la végétation terrestre et l'habitation de l'homme dans les plaines qu'abritent ces dunes, comme tant de monuments en font foi (l), la mer a pu y déposer plus tard deux à trois mètres de limon (1) Viedius, Flancfr. ethnie, p. o2. - Caesaiis aetatc , Morinorum et jVenapiorum paludes , r/uar nunc simt terra Frauca , Furnvucis , TFinoci- hergensis et Burburgana . mullo fiicre quam tmnc , profutidiores et dcpres- siores. flludque pro certo habeo , ubi nunc aptam illain alcxdo igniniatcriarn [Flandri Deri.\ck, Ilollandi Brabantique moer tt factos ex eo cespiles ( 32 ) sur un soi déjà exhaussé par trois ou quatre mètres de tourbe (1), occuper, dans la Flandre occidentale, des golfes considérables dont Thistoire et les ouvrages d'art attestent Texislence d'une manière irrécusable (:2), et n'en demeurer expulsée qu'à l'aide de moulins et d'écluses de dessèchement. Ce changement de niveau dû, soit à l'af- laissement insensible des terres, soit à l'accumulation des eaux sur nos rivages, nous paraît être mis hors de doute par l'envahissement de l'Océan depuis le Texel jusqu'à notre littoral. Partout les dunes ont recouvert des terres jadis fertiles, les villes ont reculé devant les flots: Ostende, chez nous; Westkapel et Doniburg, en Zélande; Scheveninge, en Hollande, voient leur ancien emplacement englouti, ivRh ai)pdlant) alla liumo ahditam, rusticana scrutalur industria fuisse tmn tempori's Morinorum et Menapiorum solum. Docent id et evincunt arbores f aliae caesae, aliae radicilm exlirpatae : tumvasa, aliaque rus- tica miliUiria, etiam nautica e ferro et aère instrumenta, adde, et numnii lapides y et (juaedam etiam romanae antiquitatis monumenta , quae cum ipsd inde bituminosâ spongiosdque terra eruuntur. Mihi quidem, tribus abhtnc annis , D. Franciscus Bootte, puVal- cheren leur place d'armes, et d'après le témoiiïnaiie unanime des historiens, les .Normands incendièrent de nouveau Oosthur^!;, Ho- denburi; et (iad/.and. Ce furent eux, dit-on, qui, les premiers, con- struisirent des digues en Zélande : leurs devanciers s'élaienlcouleulés d'élever au milieu des champs des monticules pour s'y réfugier pen- dant les inondations. Après que la .Neuslrie eut reçu à demeure ces hôtes dangereux, la Flandre commença à respirer. Les défrichements, la culture des arts utiles tirent des proi^rès rapides. Les monastères y eurent la plus grande part. Les abbayes de S'-Pierre et de S'-l^avon, à Gand, celle de Baudeloo, au pays île Waes, et tant d'autres, s'y appliquèrent avec l'ensemble et la persévérance qui caractérisent les fortes corpo- rations, avec les immenses moyens que la dévotion des grands avait mis à leur disposition. Déjà Dagobert avait donné .Vdegem et beau- coup de lieux aux environs à saint Amand , qui les avait transmis à l'abbaye de S'-Pierrc du Mont-Blandin (I). Dès 810, Louis le Pieux avait fait don au chapitre de Tournay des revenus des cures de Maldegem et de Rodenburg; en 959, des schorres, alluvions pro- pres au paccage, situées entre Oostbui^ et Yzendyk, sont données à l'abbaye de S'-Pierre par le comte Arnaud {"2); en MOT, le comte Philippe donna aux moines de S'-Bavou les dîmes de Uodenburg, de Wulpen et de Cadzand [ttvu de morUuui , Ancienne terre maréca- geuse, quiun (le werpiand (ô) , nouvelle terre d'alluvion); en 1181, (1) Sand., fl. iil., 1. 1, [K -270. {"2) Kluil, Hùi. vrit. coniit. JIolL et Zeel.^ l. 11, pan. 1, pp. 18 et seq. (3) Idem, t. I, pari. H, pp. 1^20 et too. ( 35 ) les templiers reeurent de Jean tic nivelles, seii^neur dn Fraue (I), des terres entre Yzendyk et Ooslburg; ils obtinrent encore, en 12:23, des terres en dehors des digues, vers Groede (2); en 1199, des schorres sont endiguées aux environs d'Axel et de Hulst (5). En 1^228, la commnniealion d'Aanlenburg avee la nier se trouvait déjà fort gênée. En 1245, les vastes schorres heooslcr- et bcweslereedc étant devenues mûres, c'esl-à-dire chargées d'assez de limon fertili- sant pour pouvoir être endiguées avec avantage, cette ville obtint la concession de creuser un port jusqu'à la mer, en perçant la digue dite Slependamme (4). En 1 282, le comte Gui céda à son (ils Jean de Naniur quantité de schorres etalluvions, à Groede, rsieuwkerke, Lapschure, Houcke, Reigersvliet et plus loin , entre Damme et Biervliet (5). La fabrication des toiles était connue par les Belges déjà avant la conquête romaine (6). Baudouin le Jeune, vers le milieu du X^ siècle, introduisit celle des draps. Grâce aux relations d'amitié et d'alliance que notre pays avait avec les Anglo-Saxons de la Grande-Bretagne et, plus tard , avec les conquérants normands, l'échange s'établit sur une large échelle entre nos tissus et leur matière première, la laine. Le commerce en naquit, les embarcations des pirates devinrent vaissaux marchands; le serf attaché à la glèbe se transforma en ou- vrier, puis en citoyen; les villes regorgèrent d'habitants; les cam- pagnes se couvrirent de villages, dont la population aussi était à la fois industrielle et agricole. L'ancienne côte sablonneuse qui longe les polders n'était qu'une suite de gros bourgs remplis de tisserands. Eecloo et Caprycke avaient des corporations de fabricants de draps , qui, sur le marché de Bruges et de Zierickzee, avaient leurs places désignées (7). Biervliet et les chefs-lieux des Qualre-Métiers avaient de nombreuses salines. Willem Beukels inventa lart d'encaquer les (1) Kluit., fl/'st. oit. comit. JIoll. et Zeel.^ t. I, part. II, [>[). lo4 el 155. (2) Idem, eodem hco. (3) Idem, 1. 1, p. II, pp. Na et 148, coll. Miô-. (4) Idem, lococit., t. II, part. I, p. 486; part. II, p. 821. (5) Idem, loco cit.^ 1. 1, part. H, p. lôL (6) Schayes, Les Pays-Bas avant et durant la dominât, rom., t. I, p. 318, (7) D'après les pièces authentiques consignées au cartulaiie de rancienne ville de Caprycke , aux archives de cette commune. ( 36) harengs, inveiUioii qui , plus tard, devait enrichir hi HoHande. Les villes de Bruges, de Danime , de TÉcluse, d'Aardenburg, d'Oostburg, de Biervliet étaient simultanément ou successivement des porls d'un commerce immense. Dans un pareil mouvement, à une époque où tant de forêts exis- taient encore, où le reste du monde connu, en proie à la barbarie, était loin de pouvoir contribuer à Tentrelien d'une population exubé- rante, il était impossible que les fertiles terres des polders ne fus- sent pas avidement recherchées et mises à profit. Aussi voit-on les rivages de l'Escaut changer de face : les vvateringues, chargées d'organiser l'écoulement des eaux, se créent (1), les digues s'élèvent, les criques disparaissent; des voitures chargées de marchandises pouvaient se rendre de Bruges à Biervliet et de là à Anvers; des centres de population se forment comme par enchantement; l'assè- chement des terres diminue et fait disparaître l'insalubrité. Apogée du développement des polders. — On trouvait alors dans l'arrondissement de Calloo, outre le village de ce nom, S*^-Marie et S'-Laurent du pays de Saftingen , le château fort de Saftingen, Casuweele, Doel, Kieldrecht, Verrebroeck et Hulsterloo. Dans celui de Hulst : Stoppeldyk, Lamsvveerde, Ser-Pauwels, Heinsdyk, Zandhof, Ossenisse, Grouvve et Clinge. Dans celui de Axel : Zuiddorpe, Terhagen, Beooslenblye, Zam- slacht, Aendyk, Notene, Tempelhof, Hospitael, Terneuzen, Wil- lemskerke, Huyghekerke, Evelinghe ou Ertinghe, Steelandt, Peer- boom, S*-Janskappel ou Westdorpe, Bevervvyck, Cauwerskerke et Moerkerke. Dans celui de Philippine, le village de Pieté , de l'ancien métier de Bouchaute : de Willemynen , couvent sur le territoire de Water- vliet; Rousselaere, S'^-Catheline, S^-Nicolas, aujourd'hui Waterland- Oudeman, S*^-Marguerite et vS'-Jean in Eremo dans l'ancien métier d'Yzendyke. Dans l'arrondissement de Cadzand, outre Biervliet, Yzendyk, Schoondyk, Breskens , Ooslburg, Groede ou Maerkerke, Cadzand, INieuwvliet et Zuidzande, on trouvait Gaternesse , Hugovliet, Nieuw- (1) Voyez V Appendice, p. 112. (37 ) kerke, Ellernare, Normanskeike ou Nornianskapel, Terhofstede, Heykenwerve, Oostvliet, S'-Pierre, S'-Christophe; dans Ttle ou presqu'île de Wulpen, on avait Rommersdorp, Haverkerke, Oos- tende-et-Westende-Wulpen. L'île de Schooneveld , placée devant rembouchure de TEscaut occidental, avait un village avec château et seigneurie. Dans celui de l'Écluse, enfin, on avait : Reigersvliet , S^^-Anne- ter-Muden, Coxyde, Slependamme, S^*'- Croix ; les villes de Roden- burg ou Aardenburg, Damnie et TÉcluse, autrefois Lamminsvliet. Pour ce qui concerne le littoral, celte portion du pays, comme toute la Flandre occidentale dont elle fait partie, participa de bonne heure au développement et à la prospérité qui, pendant le moyen âge contrastaient avec la plus grande partie de l'Europe. La plupart des villes, Oudonburg, Ypres, Furnes, Dixmude, se remplirent d'une population industrieuse et compacte. L'agricul- ture aussi y était florissante quand cet art se trouvait encore dans son enfance dans le pays de Waes, quand la Flandre septentrionale était couverte de bois et de marécages. Jusqu'à présent de bonnes traces en ont été conservées : nulle part on ne voit, en général, plus de bien-être , plus d'aisance. Bon nombre de nos anciennes célé- brités appartiennent à cette contrée. Plusieurs de nos contempo- rains qui se sont fait un nom en sont originaires. On y rencontre encore des savants, des administrateurs et des agronomes distingués. Déclin des polders. — Inondalions. — Mais ce pays si laborieu- sement conquis sur l'Océan avait passé par bien des vicissitudes et devait en éprouver de terribles encore. Dans les temps les plus an- ciens, avant la période romaine, les inondations devaient pour ainsi dire être périodiques : à clia<|ue syzygie toute cette partie du pays que l'on appela depuis le paijus Flandrensis, était couverte par les eaux. Aussi notre historien Meyer (1) établit la division du territoire sur cette base : Omnia quae aeslus aliqumido alluit marimts in pago Flandrensi sita legimus, reliqua in Menapisco. Mais l'envasement des embouchures, l'établissement à demeure fixe de populations à (jui le soin de leur salut imposa l'obligation d'élever les digues, de (1) Libr. I, Ann. FL, et Sanderus, t. T, p. \k (38) fermer les interstices des dunes et d'autres circonstances qu'il ne nous est pas donné d'apprécier, procurèrent au pays de longs inter- valles de sécurité. Causes des inondations. — Du P"" siècle de notre ère (70 à 75) auIX'' (820-860) et de là au XIP (M70-M85;, les inondations pa- raissent avoir été moins fréquentes, mais alors s'ouvrit une nouvelle ère de calamités. Un fait s'était produit dans le cours des siècles que nous regardons comme la cause prépondérante de ces désastres : c'est le déplacement successif, de l'est à l'ouest, du cours principal de l'Escaut, parnii les nombreuses ouvertures par lesquelles il se déverse dans la mer. César nous apprend qu'il se jette dans la Meuse. C'était qu'alors, en effet, toute la rive droite de l'Escaut oriental , qui se pré- sente comme un ravin entre les hauteurs des îles de la Zélande et celles de Nieuwvossemar, de Steenberge, de Berg-op-Zoom, de Sant- vliel et d'Anvers , entrait dans le lit du fleuve. Plus tard , cet état des choses changea, au point même que le nom d'Escaut oriental passa à l'embouchure située entre Zuid- et Noordbeverland d'une part, et les îles de Tliolen et Schouwen de l'autre, embouchure qui avait, en Zélande, pour ports principaux et les seuls connus pendant le moyen âge, les villes de Zierickzee , dans l'île de Schouwen, et de Vere, au nord de celle de Walcheren. Jusqu'alors le Hont ou l'Escaut occi- dental avait charrié la moindre partie des eaux du fleuve; le passage entre l'île de Cadzand et celle de Walcheren était peu profond, peu large, et pouvait même être parfois guéable. En 1050, une proces- sion partie de Bergues-S^-Winocx promena les reliques d'une sainte par le territoire de Furnes, par Leffingen, Oudenburg, Oostkerke, par l'île de Walcheren, et retourna par Lisseweghe, Dudzeele et Bruges (I). Une rupture des digues amena, vers 1 180, les flots par Damme jusqu'à Bruges (2). Des constructeurs hollandais furent appelés pour les rétablir, et on leur céda des terrains recontjuis comme salaire ou comme gratification, (-es circonstances prouvent l'importance de l'inondation et la profonde sensation qu'elle avait faite : c'était, sans doute , le premier coup rude porté à nos côtes. (1) MeyeVyJnn. /7.^ 1. 1, p. 21. (2) Sans de Flandro et de Zéiande, dans YJt- îas contractus de Jean Jansson. (41) Flandre au sud; les environs de Mlddelburi? et ceux d'Aardenburg , sauf une minime partie du polder Isabelle, tout jusqu'à la Lieve, jusqu'à S^- Laurent, Watervliel et Bouchante, était abandonné aux marées et aux eaux stagnantes. Un petit nombre de polders au nord d'Assenede, deux polders à l'ouest de Tèrneuzen, deux aulros au nord d'Axel , une langue de terre de Hulst à Ossenisse, le polder de Clinge, la colline de Hulsterloo, Kieldrecht, les polders de Doel et de Ke- tenisse, les polders de Turfbanken et Verrebroek et les environs de Calloo étaient seuls restés intacts (1). Réendigiiements des polders. — Le pays de Cadzand avait le pre- mier retrouvé quelque repos. Les Hollandais, sous le prince Maurice, s'y étaient établis définitivement en 1604, et avaient couvert d'une ligne de forts tout le cours de la Pasgueule, de Biervliet jusqu'à l'Écluse. De 1609 à 1659 , on rétablit les digues autour de Breskens , de Groede , de Cadzand (1). Dans la môme période , Biervliet endigua de nouveaux polders vers Yzendyk, qui en fit autant vers Schoondyk. Après la paix de Munster (1648), on se mit avec le plus grand zèle à réendiguer les terres si longtemps restées sous les eaux dans les arrondissements de l'Écluse et de Cadzand, ainsi que les scborres qui s'étaient formées dans les divers passages qui existaient encore. Les dégâts causés par l'inondation de 1651 avaient été bientôt réparés : de 1688 à 1788, et par des endiguements successifs, Bier- vliet fut relié à Yzendyk , Oostbuig à l'île de Cadzand, et puis à la terre ferme par l'établissement du Bakkersdam et du Capitalon- dam, qui interceptaient la communication entre le Z\vin et le Brak- man et qui, en même temps, y reliaient l'île nommée le f/enerale vryepolder; dès lors, toute cette contrée ne ferma plus qu'ime suite de terres non interronjpues; on y rattacha égalenjent le beau pol- der de THoofdplaat et plus tard ceux d'Olyslager, d'Austerlitz, de Sophie, de Diomède , que l'envasement du Zwin permit d'endiguer. Dans l'arrondissement de Philippine, on avait défriché le polder S^-Albert, en 1610, le Clara-polder, en 1615, et toute la partie inon- dée au nord, immédiatement après, en 1648. On vient deudiguer le (1) Voyez \a planche IV. (2) Dresselbuis ali Uli-^'clit, nnvrafje oitô pp. ôO-ô."!. (42 > polder Mélanie et le polder Louise dans le Sasschegat, ainsi que les polders Savoyard, Paulina et S*-Thomaes, dans le Brakn)an. La partie occidentale du pays de Terneuzen avait été réendiguée au milieu du XVI^ siècle. Dans la première moitié du XVIl^, toute cette contrée jusqu'à Axel était arrachée aux flots. Le Oostenryks- polder, vers le Sas- de-Gand, Tétait déjà en 1605; la Vogelschorre fut endiguée en 1700, le Canisvliet en 1790, aussi bien que Beoosten- blye et le Riet- et Wulfdyk-polder, qui se prolongent jusqu'à Hulsl. De 1725 à 1777, on avait endigué successivement plusieurs polders vers la pointe nord-est de l'arrondissement d'Axel; en d8i6, on y ajouta le Terneuzen-polder; plus tard, le petit Kouden-polder, vis-à- vis de Biervliet, et le INotens-polder, à l'est de Terneuzen; en ce mo- ment on s'occupe d'endiguer le reste du Sasschegat, situé entre cet arrondissement et celui de Philippine, ce qui donnera encore envi- ron 250 hectares de très-bonnes terres. L'arrondissement de Hulst, le plus élevé,avait aussi le moins souf- fert, et les dommages y avaient été bientôt réparés La partie orien- tale avait été réendiguée avant 1550, sauf le pays de Grouwen et de Saftingen, qui restèrent sous les eaux; les polders de Groot- et Nieuwkieldrecht le furent en 1750 et 1784; le nouveau polder de Boschcappelle , à l'occident, vient de l'être. Dans Farrondissement de Calloo, toutes les digues avaient été con- servées ou bientôt rétablies. Les accroissements modernes consistent dans le Melsele-polder et deux polders adjacents, en 1784; l'Arem- berg- polder, en 1793; le Saftingen -polder, en 1805; le Prosper- polder et le Louise-polder furent endigués en d846 et 1847. Nature des polders. — Ce que nous avons dit de la topographie et de la formation successive de la [lartie du pays qui fait le sujet de ce travail, fera plus facilement apprécier ce que nous avons à dire de sa nature. Nous avons vu que les deux Flandres presque tout entières appar- tenaient jadis à un vaste golfe qui régnait de Boulogne jusqu'à la Baltique. Ce golfe fut comblé par une njasse de terre d'alluvion d'une profondeur considérable; disposée par couches, il est vrai, mais n'offrant partout, en général, que le sable et l'argile, presque purs quelquefois, mais le plus souvent mélangés dans des proportions fort (43) variables. Toute la surface, à peu près unie et qui s'étond de la mer jusqu'à Dixmnde, Gand et Termonde, est com[)osée do même. Les rares hauteurs que Ton y trouve, à Wyngene, à Ursele, à Cleyt, etc., ofïVent des terres d'une autre nature, beaucoup plus argileuses et plus compactes, dues, croyons-nous, aux soulèvements d'un ter- rain de formation sous-marine. Sur tout ce pays sont superposées des crêtes d'un sable léger et grossier, restes d'anciennes dunes et des bancs qui leur avaient donné naissance. Les parties les plus basses, réceptacle ordinaire des eaux de l'intérieur, ont formé des marais qui ont donné lieu à la formation de la tourbe. Insensible- ment exhaussées, elles ont fini par acquérir assez d'humus pour devenir terre arable ou prairies, tandis que les bas-fonds situés le long des rivières et du littoral où les marées amenaient du limon, en ont reçu une couche plus ou moins épaisse d'un sol argilo- sablonneux, mêlé de détritus, de niollusques de mer ou d'eau douce et de toutes espèce de sels fertilisants : ce sont les bons polders, nos bonnes 1 erres du Furnes-Ambacht et du nord de Bruges, nos excellentes prairies des bords de l'Escaut et du littoral. Différentes espèces de terrains. — C'est sur cet apeiçu que nous croyons devoir fonder nos considérations sur la nature de ces diffé- rents terrains. Nous croyons, d'un autre côté, qu'en nous appuyant sur leurs caractères physiques, nous répondrons mieux à l'intention de la savante Compagnie; elle a eu pour but, pensons-nous, d'ob- tenir un travail intelligible et utile à la classe nombreuse des pro- priétaires et des cultivateurs, plutôt qu'un mémoire qui ne serait compris que par un petit nombre de savants, œuvre pour laquelle d'ailleurs, nos études sont loin de nous avoir fourni les connais- sances spéciales nécessaires. Dislribntion des différents terrains. — Littoral. — l^es trois espèces de terrains que nous venons d'indiquer se retrouvent dans les pol- ders comme sur le littoral. Depuis la frontière de France jusqu'au Zwin, nous avons une bande de dunes dont la largeur plus ou moins considérable commu- nique sa nature sablonneuse aux terres voisines de VVulpen , pour se rétrécir vis-à-vis de Nieuport. S'élargissant ensuite, cette bande ( 44) comprend les villages de Westende , Lombaerlzyde , Middelkerke, Mariekei'ke. Etroite de nouveau à Ostende, elle s'avance au delà jusque près de Breedene, et va, par Wenduyne, Blankenberghe et Heyst, à Knocke, situé au milieu des sables. ÎNous trouvons ensuite des terres argileuses, aigres et humides, telles que les moeres, situées de côté et d'autre de la frontière, et dont la partie belge, nommée les mille mesures, offre un terrain marécageux; c'est le reste d'une vaste crique ou golfe communiquant jadis avec la mer, et qui, assé- ché très-incomplétement par des machines hydrauliques imparfaites, souffre beaucoup des eaux intérieures. A cette classe appartiennent encore les mauvaises prairies du litloral ou l'on a extrait tie la tourbe et qui sont sujettes à des inondations pluviales. On en trouve surtout dans le Furnes-Ambacht et aux environs de Wenduyne, Uytkerke et Blankenberghe. Ces prairies ont peu de valeur et sont d'un faible produit. Près de Blankenberghe, il existe aussi des terres peu fertiles et dont l'argile blanche et compacte, dite blikkaert, se trouve à une très-faible profondeur. Le litloral possède d'excellentes terres à l'est de Furnes, aux en- virons de Aven-Capelle , Zoutenay, Pervyse; leur principal élément est une argile noirâtre très-riche. A l'ouest et au nord de Dixmude, on a de très-bonnes prairies, dont le fond est argileux et qu'on amende avec de la chaux. Des terres et des prairies de première qua- lité, formées par le dépôt d'une épaisse couche de limon superposée à la tourbe, et dont l'ingénieur Belpaire (i) à si bien décrit l'histoire, se trouvent dans la partie comprise entre Breedene, Wenduyne, Uyt- kerke, Zuyenkerke, Meetkerke et Stalhille. On rencontre aussi de ces bonnes terres aux environs de Blankenberghe, mais là, elles sont entrecoupées par des prairies basses et des terres à bllkkaert. Rive de l'Escaut. — Tenues sablonneuses. — Dans les polders de la rive gauche de l'Escaut, nous avons des bancs de sable de la même nature que celui des dunes; ils appartiennent à la crête qui règne de Bruges à Hulst. Un de ces bancs se montre au Biezen-polder, entre S'-Laurent et Aardenburg, où il est traversé par le courant de Eecloosche walergang ; il se relève ensuite à S^-Croix, au sud de (1) M^morrps cotiroïi'nh de l* Académie , 1, YI. (45 ) S'-Margucrite, au iioiil de Watei'land-Oudeiiiaii , pour seconlbndre avec les nouvelles terres d'alluvion au sud d'Yzendyk. Celte bande de sable se tiouve coupée par les excellents polders de THaenljes-gat et de la Brandkreek, fécondés par les inondations du XVIP siècle. Dans l'arrondissement d'Axel, on trouve les sables aux environs des polders d'Oversla^f, Moerboke, Varempee et Karnmelk. Dans celui de Hulst, aux polders Ferdinand, Absdale, S'-Jansteen et Clinge, et ils terminent par un monticule ou promontoire de Conter, l'ancien Hulslerloo. Ces terres, pour n'avoir été jadis que des bruyères ou des bois dans leurs parties les plus fertiles, n'en ont pas moins acquis une certaine valeur; situées non loin des nombreux bourgs de la Flandre, dont la population a paru maintefois fabuleuse au reste de l'Europe, elles sont occupées en partie par des cultivateurs flamands, dont les pratiques agricoles s'y sont propagées. Terres basses ou Houlland. — Nous mettons dans la seconde ca- tégorie les terrains bas et sablonneux l'ancienne terre de Flandre, le Pagiis Flandi'ensis, en y comprenant une bonne j)arlie du pays de Waes; terrains d'inondations maritimes fréquentes mais de peu de durée, de pâturages marécageux abandonnés et de bois inipéné- trables. C'est le pays que M. Kervyn , dans ses excellents écrits sur la Flandre, appelle le Houtland, dénomination qu'adopte aussi M. l'in- specteur général de l'agriculture. On ignore assez généralement que ces terres se trouvent aussi bien en deçà qu'au delà des bancs de sable sur les bords desquels est assise la digue du comte Jean , ligne de démarcation entre les polders et le reste de la Flandre. Ces terres, à raison de la prédominance du sable, de l'argile ou d'un humus tourbeux, à raison de la situation plus ou moins basse, à raison de la couche de limon plus ou moins superficielle que quelques-unes d'entre elles ont reçue, varient à l'infini. Nous devons ranger dans cette classe tous les polders qui se trouvent au sud d'une ligne tirée de Lapscheure, par Aardenburg vers S'^-Marguerite et qui de là suit la frontière de la Belgique jusqu'au canal de ïerneuzen. L'arrondis- sement d'Axel a peu de ces terres, mais celui de Hulst en oil're en assez grand nombre, surtout dans sa partie centrale et orientale, où, en 1 136, se trouvaient beaucoup de bois, de prairies et de marécages (4ti ) donnés à TablKiye de Tronchiennes par Iwan de Gand (1 ). On n'en trouve pas dans rarrondissement de Calloo. Les polders de cette espèce sont humides et aigres; la couche de bonne terre y est peu profonde, si ce n'est dans ceux, en petit nom- bre, qui se trouvent placés sur un fond tourbeux. Le mélange de sable et d'argile est en général compacte et peu perméable. Comme ils n'ont reçu que peu ou point de principes fertilisants, ils ont besoin de beaucoup d'engrais ; encore ne leur proiite-t-il guère , si l'on n'a eu soin d'établir un bon écoulement, d'ameublir le sol, de détruire la végétation malfaisante par des moyens convenables, et surtout, de faire les labours et les semailles à des moments op- portuns. Terres fortes. — Les meilleurs polders sont en général ceux ré- cemment conquis sur la mer, surtout s'ils possèdent, avec un li- mon profond ei riche, une juste proportion d'argile, de sable et de détritus calcaires qui en assure la perméabilité. Sauf les terres que nous avons indiquées comme appartenant aux classes précédentes, on peut dire que toute la rive gauche de l'Escaut appartient à cette catégorie; cependant nous devons faire remarquer qu'il est rare que tout un polder se trouve absolument dans la même condition : il n'en est presque pas où l'on ne trouve des stries sablonneuses, ou des parties moins perméables. i^ II. ËNDIGUEMENTS. — TRAVAUX D ART. Les dépôts qui se forment à l'embouchure des fleuves changent la direction des courants et en ralentissent la vitesse; croissant en élévation comme en étendue, ils deviennent des bancs où le cours des eaux du fleuve se trouve ralenti au point qu'elles y déposent les matières les plus ténues qu'elles tiennent en suspension et re- (1) Corp.chron. Fl.jL I,p. 108. ( 47 ) couvrent le sable d'une couche limoneuse. Ces dépôts gagnant tou- jours en hauteur, il arrive un moment où ils ne sont plus cou- verts qu'aux marées hautes; peu après, ils ne le sont plus qu'aux syzygiesila végétation s'y est établie et le banc est devenu schorre. Concession des schorres à endiguer. — Les schorres ont de tout temps élé considérées comme appartenant au domaine public; les terres abandonnées à la mer depuis un certain temps (le décret im- périal du il janvier 1811 le iixait à un an) le sont encore. Ces schorres et terres à réendiguer sont concédées, })our un cer- tain nombre d'années, par le Gouvernement, soit à titre gratuit, soit à litre onéreux, et sous la charge de construire sur des plans don- nés, et d'entretenir toutes les digues, écluses, etc., jugées néces- saires. Le polder asséché est exploité d'ordinaire, par la société concession- naire, pendant quelques années, puis les terrains sont mis en lots, la société se dissout et la culture est abandonnée aux efforts particuliers. Mais il n'en reste pas moins subsister une association de tous les pro- priétaires pour la surveillance et l'entretien des ouvr. ges conmiuns: la digue, l'écluse, l'écoulement des eaux intérieures et les chemins publics. Elle est gérée par un dykgraef, deux jurés et un trésorier, parfois nommés par le Gouvernement, parfois élus à la pluralité des voix des propriétaires possédant une certaine étendue de terres et, pour cette raison, nommés groote gelanden ; réunis en assemblée générale, ceux-ci règlent, en outre, les contributions et les dépenses nécessaires, imposées par arpent ou hectare et qu'on nomme dykge- scholten. Solidarité des polders entre eux. — Dès longtemps on a cherché à établir entre les divers polders une certaine solidarité pour les dégâts causés par la mer aux digues et aux ouvrages d'art qui les défendent, sur le motif bien fondé qu'une digue détruite, un pol- der inondé, amène la mer au pied d'une autre digue, alors tout aussi exposée que l'était la première. C'est ainsi que, sous le duc Jean de Bourgogne, en 1410, une digue de réserve fut construite, à Slependamme , aux dépens de toutes les terres menacées. On avait, dans l'île de (^adsand, la Brievers wateringue, protégée au nord par une digue qui couvrait Oostbuig et Galernesse, au sud par une autre ( 48 ) (ligue, opposée au bias de TEscaut, qui tut raiiciennc Beverna (!). Mais c'est surtout sous l'empire français que cette mesure fut géné- ralisée parmi les polders de la rive gauche de TCscaut, faisant alors partie du département de ce nom. Les décrets impériaux du 1" ger- minal an Xill, Tarrêté du préfet du 19 messidor an VIII, approuvé par arrêté des consuls du i5 thermidor même année, et ceux du H janvier 18! i en complétèrent Torganisation. Wateririgues , leur origine. — Pour une contrée aussi basse que les polders, sur laquelle se déversaient tant de rivières et que la mer couvrait parfois de ses eaux, le premier soin ne devait-il pas être d'assécher la terre et de garantir son champ et sa famille de l'inon- dation. Heureusement les antiques habitants de la Flandre , les Saxons, de la même origine que les Frisons leurs voisins, avaient, à cet égard, des institutions déjà perfectionnées et que les lois de ces derniers nous retracent. Les peuplades, divisées par groupes de cent familles, s'établissaient par cantons, circonscrivaient leur territoire d'un ruisseau ou d'un rempart de terre, le divisaient dans le sens des points cardinaux, et sur nos rivages, où il s'agissait de refouller la mer, enfermaient le tout d'une digue, établissaient un système général d'écoulement des eaux et exerçaient la surveillance la plus active sur l'entretien de cet ouvrage confié aux soins des riverains (2). Encore aujour- d'hui la plupart de ces villages sont divisés en croix, ont leur oosthoek et wesleinde; plusieurs sont enceints d'un banddam (digue frontière), possèdent leur propre système d'écoulement en général savamment établi , et qu'ils ont eu soin de faire reconnaître et ga- rantir par l'autorité souveraine, ou ont fait, à cet égard, des con- ventions avec les communes voisines. Une pièce inédite concernant les communes de Bouchante , de Ca- prycke et de Lembeke, dont les stipulations sont restées en vigueur jusqu'en 1807, nous fait connaître l'une de ces conventions. De (1) D'aj)rès une ancienne carie, en possession de M. Barthel, receveur de plu- si£urs waterinjjues de la frontière belge. (2) Moke, Mœurs, usages, fêtes et solennités des Belges, Bibliothèque >ATiONALE, t. I,pp. 18 et 51. (3) \oyfizVJppendice,\). 112. (49 ) pareilles associations, entre deux ou plusieurs communes ou pol- ders, constituent des wateringues. Elles sont administrées, comme les polders, par un dykgraef ou directeur assisté de un ou de plusieurs jurés, heemraden ou régis- seurs, et d'un secrétaire-trésorier, qui seul est rétribué. Ces fonc- tionnaires sont nommés, ici, par l'assemblée générale des grands propriétaires intéressés, là , par l'autorité supérieure. Les dépenses et la part contributive par arpent ou hectare sont réglées par l'as- semblée générale, sur la proposition de l'administration de la wate- ringue. Ce sont les watergeschotten. Toutes les réunions dans les polders sont suivies de Tindispensable festin : les nouveaux assis- tants ne sont réputés bien admis qu'après avoir vidé la coupe du polder ou de la Wateringue d'une honnête capacité. Tout le territoire des six arrondissements que nous avons décrits avec une partie de toutes les communes limitrophes, et plus du quart de l'étendue de la Flandre occidentale, sont constitués en wateringues. Cette organisation a de tout temps été sanctionnée par l'autorité publique; la Constitution belge l'a maintenue expressément (art. 113); la Loi Fondamentale des Pays-Bas met les wateringues , comme les administrations des polders, sous la direction suprême du chef de l'État (chap. IX, art. 215 à 225). Travaux d'endiguement. — Quand une schorre a acquis une éten- due suffisamment grande, qu'elle est bien couverte de verdure, qu'elle est arrivée à l'état de maturité, on peut songer à l'endiguer, afin de la soustraire à l'invasion des eaux de la mer les plus élevées et pouvoir la soumettre ensuite à une culture régulière. Des digues. — Une digue bien construite doit avoir une hauteur supérieure à celle des plus hautes eaux connues; elle doit être com- pacte et homogène, reliée au sol sur lequel elle est établie et pré- senter en tous ses points une résistance suffisante contre la pression et la pénétration des eaux. Une digue se compose essentiellement de trois parties, comme l'indique la figure suivante : une partie centrale A, B, C, D, dont l'élévation doit dépasser de 50 centimètres au moins la hauteur des plus grands flux, et dont l'épaisseur variable est réglée d'après les circonstances locales; un talus extérieur A, C , E , dont l'inclinai- TOME V. 4 ( 30 ) son sur la base est d'autant plus faible que la violence des flots est plus grande; un talus D, B, F, qui est, en quelque sorte, le contre- fort de la digue. Ce sont là les parties principales d'une digue ; mais toute bonne digue de mer a , en outre, un deuxième talus extérieur, H y E, nom- mée berme extérieure, qui prend racine au point /^, à la hauteur du niveau des hautes eaux ordinaires. Cette berme a une largeur de jO mètres environ , et s'élève sous une pente de 5 pour cent. Souvent aussi elle est munie d'une berme intérieure, G, F, de 6 à 8 mètres de largeur, et qui a la même pente que la première. La berme extérieure prévient le déchaussement du pied de la digue, et préserve les talus en amortissant la violence des flots. L'autre berme soutient le talus intérieur et sert de chemin de cir- culation pour les voitures. Toutes ces parties d'une digue sont intimement reliées, et ne forment qu'un seul et même tout. Établissement des digues. — Jamais une digue de mer, pour autant que faire se peut, ne peut être établie contre la laisse des basses marées. D'abord , parce que l'on doit se ménager une bande de schorre qui puisse fournir la terre nécessaire pour la construction de la digue; en deuxième lieu, parce que cette bande doit, en faisant fonction d'avant-berme , atténuer par sa présence l'action des vagues à marée montante. Aux endroits où les coups de mer sont à craindre, la distance comprise entre la laisse des basses eaux et le pied de la digue ne peut être inférieure à 500 mètres. Ailleurs elle peut être moindre, et les circonstances locales seront consultées pour la déterminer. Les puits d'extraction doivent se trouver à une distance de 2 à 3 mètres du pied de la berme , et à une distance de 1 5 à 25 mètres de a laisse des basses eaux : ces puits seront séparés de 100 en 100 { 51 ) mètres par des bandes laissées intactes , perpendiculaires à la berme, d'au moins 6 mètres de largeur, et chaque puits sera mis en com- munication avec la mer au moyen de rigoles. Le tracé de la digue doit être fait de telle sorte qu elle embrasse la plus grande étendue de terres avec la plus faible longueur possible. Mais dans cette opération, on doit surtout avoir égard à la direction des vents régnants et des courants que l'on tâche de recevoir sur l'ou- vrage sous le moindre angle possible, aux criques et endroits bour- beux à franchir, qui entraînent des dépenses toujours considérables. Les angles, et surtout les angles aigus, doivent être soigneusement évités, car ils résisteraient difficilement à l'action des vagues et des glaçons. On les arrondit en raccordant les alignements droits par des courbes géométriques, parmi lesquelles on préfère l'arc de cercle. On peut raccorder au moyen d'une infinité d'arcs de cercle; celui qui a le plus petit rayon fera perdre le moins de terrain, mais par contre, on aura aussi la digue la plus longue. Le choix sera déter- miné par la double considération de la valeur de la terre qu'on endigue et de la dépense de l'endiguement. La hauteur de la digue varie d'après le lieu qu'elle occupe : se trouve-t-elle exposée à un courant violent, fluvial ou maritime, à la marée de pleine mer, ou bien aux tempêtes qui , pour nous, arri- vent du nord-ouest, elle sera plus élevée; elle le sera encore, si elle se trouve au fond étroit d'un golfe dans lequel s'engouffrent et s'ac- cumulent les flots. Au contraire, une digue qui se trouve devant une plage étendue, dont la présence diminue la force des vagues, exigera une élévation moindre que celle qui se trouve près des profondeurs. Il est d'usage, sur nos côtes, de donner aux digues, en chaque localité, une hauteur qui dépasse de quelques décimètres les plus hautes eaux qui ont été observées. Ce sont les marées du 14 au 15 janvier 1808, qui, à Middel- bourg, à Flessingue, à l'Écluse, ont dépassé les marées hautes ordi- naires de ^"'jSo. En conséquence, on donne aux digues les moins exposées une hauteur de 50 à 60 centimètres au-dessus de la ligne de cette marée extraordinaire , et à celles qui reçoivent l'action directe des flots, on donne une élévation un peu plus forte. ( o2 ) Dans la fixation de la hauteur, on tiendra compte : du tassement des terres, qui dépendra de leur espèce et de leur qualité; de l'affais- sement de la base, qui lient à la nature du sous-sol sur lequel la digue est assise, et des dégradations inévitables du couronnement causées par les vents et les pluies. La ligne de faîte d'une digue, qu'elle soit horizontale ou en pente, ne peut présenter aucune sinuosité, aucune solution de continuité. C'est à ces défauts que M.Caland, ingénieur en chef du waterstaat, attribue les sinistres de 1808, 1820 et 1825. Le profil le plus convenable d'une digue est celui qui donne à ses diverses parties une solidité suffisante pour résister à l'action des forces auxquelles chacune de ces parties est soumise. On conçoit que la détermination rigoureuse et à priori de ce profil est très -difficile sinon impossible; l'action des forces extérieures comme celle des résistances est trop variable, et dépend d'un trop grand nombre d'éléments pour qu'elle puisse se faire d'une manière générale. Sans suivre les auteurs qui ont résolu la question d'une manière théorique, d'après des hypothèses particulières, nous nous borne- rons à dire que ce profil dépend de la nature des terres qui entrent dans la construction de la digue, c'est-à-dire, de leur pesanteur, de leur grain, de leur cohésion, de la hauteur à laquelle les eaux peu- vent s'élever, de l'intensité de l'action des vents et des flots. En supposant que feau soit stagnante, il est évident que la digue doit avoir une plus grande épaisseur vers sa base que vers son sommet; d'abord, parce que les terres n'ayant qu'une faible cohésion, les parties inférieures doivent servir d'assiette à celles qui leur sont superposées, et ensuite, parce qu'elles doivent résister à des actions plus violentes de la part des eaux, actions qui vont en diminuant à mesure que Ton approche du sommet. Si la digue était formée de matières compactes et d'une grande cohésion, le profd pourrait être triangulaire, mais il est évident qu'avec les éléments de construction en usage, la partie supérieure ne préviendrait pas les filtrations et ne résisterait pas un instant aux intempéries. De ces considérations , il résulte que le profd doit avoir une forme trapézoïdale. (55) Cette forme est maintenue alors même que Ton tient compte de l'action des vagues, mais dans ce cas, les parties voisines de la crête ayant beaucoup à souffrir devront être plus solides. Le couronnement est toujours convexe, afin de faciliter l'écoule- ment des eaux pluviales. L'inclinaison des talus ne saurait être plus forte que celle des terres coulantes, ces terres étant sèches et désagrégées; mais cette pente est encore trop rapide. En effet, une digue ne saurait se conserver en bon état sans revê- tement; le revêtement, de beaucoup le plus économique, est le gazon- nement; mais l'herbe croîtmal sur une pente roide, et il a été reconnu qu'elle ne peut dépasser 1 ^U de base pour 1 de hauteur. Cette inclinai- son peut être adoptée comme un minimum pour les talus intérieurs. La conservation de la digue exige que l'herbe soit plus serrée sur le talus extérieur que sur l'autre; voilà encore pourquoi sa pente doit être plus faible, et l'expérience a prouvé qu'alors même que le talus ne serait que rarement soumis au clapotage des flots, elle ne peut être supérieure à 2 de base pour 1 de hauteur. C'est là encore une limite de pente. Les talus mouillés uniquement par les marées de tempête ne doivent avoir que 4 bases pour 1 de hauteur. La partie supérieure des talus des digues les plus exposées a une base de 8 à l'a sur 1 ; mais la partie inférieure, soumise à l'action éro- sive des vagues de chaque marée , n'admet plus le gazon comme revê- tement, on en emploie un plus solide, et dès lors leur pente peut être d'autant plus rapide que ce moyen de défense offre plus de garantie. On recommande de donner au talus extérieur des digues sujettes aux violents coups de mer une forme convexe, où l'inclinaison dimi- nue à mesure que l'on approche du faîte, parce que l'action des flots ou glaçons est plus destructive là que vers la base qui, d'or- dinaire mieux protégée, se soustrait d'autant plutôt au clapotage que sa pente est plus rapide. Cette pratique, d'ailleurs, amène une notable diminution de terrassements. M. Abraham Caland préconise (I) l'emploi de la formule de Wolt- (î) Handleîding tôt de hennis der dyksbouw en zeeweeringkunde , Y"- deel, bl. 76. (54) man (1), pour la détermination de la convexité des talus extérieurs. En Hollande, on divise les digues en trois classes : A la première appartiennent celles qui sont le plus exposées : le couronnement doit avoir au moins 4 mètres, le talus extérieur doit être convexe et la pente à la crête très-faible, même à son pied; elle ne peut dépasser 6 sur i ; La deuxième comprend celles qui ne sont pas soumises à l'action directe des vagues de mer. Pour elles, le couronnement est de 3 à 3 ^k mètres et le talus extérieur de 5 à 6 sur 1. Assez souvent aussi on leur donne la forme convexe. A la troisième appartiennent celles qui sont établies le long des fleuves et auxquelles on ne peut plus guère donner le nom de digues de mer : le couronnement est de 2 */2 à 2 mètres. L'inclinaison du talus extérieur est de 4 à 3 sur i, et aux endroits les plus favorables, cette pente peut s'élever à 2 ^k sur i . Quoiqu'on doive éviter, autant que possible, d'établir des chemins de circulation pour voitures sur le couronnement des digues de mer, on peut cependant, dans certains cas, se trouver dans l'obligation de le faire, ou tout au moins de construire sur la digue un chemin qui permette de la franchir, par exemple, quand le nouveau polder est une île. Les montées et les descentes devront alors être appliquées contre les talus, c'est-à-dire être établies de manière à ne pas affaiblir le corps de la construction. Quant à leur pente et à leur largeur, elles de- vront être déterminées dans chaque cas d'après les exigences locales. Ici se termine ce que nous avons à dire sur l'emplacement, le plan et le profil de la digue; nous allons passer maintenant au mode d'exécution. Mode de construction des digues. — Supposons qu'il s'agisse de l'endiguement d'une schorre. Les travaux sont entrepris à l'entrée de la bonne saison. Le tracé de la digue étant fait, on élève une diguette nommée verschkade, près de la laisse des marées hautes ordinaires. La verschkade a une hauteur de 1°S75 environ au-dessus des hautes eaux, une largeur de 0"",50 au couronnement, un talus extérieur (1) Beitràge zur hydraulischen Architecture ( 55 ) gazonné ou paillassonné de 2 de base sur 1 de hauteur et un talus intérieur de 1 sur i. Cette diguette, qui doit enceindre l'ensemble des puits d'extrac- tion , a pour but de permettre sans entraves l'exécution des travaux • elle se construit avec les mêmes précautions que l'on apporte à réta- blissement des grandes digues et que nous exposerons plus loin. A 1",50 à l'intérieur de la verschkade, on creuse un fossé dont le plafond est au moins de O'^jSO au-dessous du fond des puits, pour en écouler les eaux au moyen de rigoles ménagées sous la diguette. Après cette opération préliminaire, on enlève tous les corps étran- gers qui pourraient se trouver sur l'emplacement de la digue; on coupe tout le gazon, dont on peut tirer parti, et on le dispose par tas; on bêche à une profondeur de 15 à 20 centimètres le terrain qui doit porter la construction , afin de l'enraciner en quelque sorte au sol, et l'on creuse deux rigoles longitudinales dans lesquelles viendront se loger le pied et le talon de la digue. Ces travaux étant effectués, on commence le transport des terres, de telle sorte que le poids des hommes, des chevaux et de leur charge y opère une espèce de damage. Pour cela, la digue s'élèvera par couches parallèles, d'égale épaisseur et à talus, comme l'indique la fifijure ci-dessous : La disposition du remblai en talus présente l'avantage de faci- liter le transport, de permettre l'écoulement des eaux pluviales et de prévenir la pénétration des eaux de la mer qui pourrait avoir lieu si elles étaient horizontales et si les couches superposées n'étaient pas intimement reliées. L'extérieur , pour lequel il faut de la terre choisie et homogène , est élevé par assises horizontales, ce qui permet de mieux battre le sol. Les différentes espèces de terre dont on dispose doivent être em- ployées de la manière la plus convenable; celles qui résistent le ( 56) mieux au délavage des eaux sont employées pour le talus extérieur; la terre arable est réservée pour la surface, parce qu'elle active et entretient mieux qu'une terre vierge la végétation du gàzonnement. Nous avons dit que la verschkade sert à prévenir l'inondation des travaux; quelquefois, pour établir une deuxième barrière contre les eaux de la mer qui, en se jetant sur le remblai nouvellement effec- tué, pourraient y faire des dégâts considérables, on commence par achever une partie du talus E, 1, a, comme l'indique la figure pré- cédente. Cette partie de la digue porte le nom de voorversching. Quand les remblais sont exécutés sur une certaine longueur, on doit immédiatement procéder au gàzonnement, en ayant la précau- tion de laisser aux gazons le moins d'épaisseur possible et de les bien assujettir (1). « Les fouilles sont ouvertes simultanément sur tout le dévelop- )) pement des travaux, à 20 mètres du pied extérieur des digues , et » les terres sont déposées par couches successives de 0™,20 à 0"',30 » d'épaisseur, établies sous un profil légèrement convexe, dans le )) double but d'offrir peu de prise à l'action des eaux, pendant le )) flux et le reflux , et de garantir la surface du remblai dégagée » d'une humidité permanente. » Les couches de terre sont partiellement et soigneusement da- j) mées et régalées; les remblais s'effectuent sur tout le dévéloppe- n ment de fendiguement de manière à s'élever aussi uniformément » que possible dans le sens horizontal. i) Dès le moment où les remblais atteignent à peu près la hauteur » des marées hautes, on s'oppose à la continuation du déversement )> des eaux dans le schorre, en formant le bourrelet e, f, g , comme » l'indique la figure suivante, sur tout le développement des travaux, )) ce qui s'effectue avec le déblai provenant des fouilles et les terres (1) Lors de la rédaction de ce mémoire, nous n'avions pas à notre disposition Texcellent ouvrage de M. Kummer, ingénieur eu chef du corps des ponts et chaus- sées, Sur les travaux de fascinages et la construction des digues. Comme les travaux d'endiguement, effectués sous la direction de cet ingénieur, diffèrent un peu de ceux dont nous venons de donner la description , nous avons cru opportun d'insérer ici un extrait de cet intéressant travail (chap. II, p. 152). ( 57 ) » extraites des schorres voisins, que tous les bateaux disponibles )) prennent en charge, et qu'on dépose sur les travaux pendant Tétale )i de la marée haute précédant le moment où doit avoir lieu la fer- j) meture complète de l'endiguement. Haute mer de rive eau » On choisit ordinairement pour cette opération une époque de morte eau et un temps calme. » On fait ensuite écouler les eaux que contient le schorre endigué, soit par l'écluse nouvellement construite, soit par l'éclusette pro- visoire; immédiatement après leur évacuation, on procède à l'ouverture du fossé longeant l'endiguement, pour activer la con- fection des remblais en renforçant le bourrelet e, f, g ,àe manière à le maintenir au-dessus des marées. Pour atteindre ce but avec plus de certitude, on a recours, pendant quelques jours encore, au transport des terres par bateaux. La digue se continue alors par couches régulières, comme l'indique la figure, j) Les talus extérieur et intérieur sont revêtus en gazons. Le )) talus extérieur est, en outre, garanti par un fascinagesur 4 mètres )) de hauteur. Ce dernier revêtement n'est que provisoire; dès que )) le gazon a parfaitement pris racine , il devient inutile et ne doit » pas être renouvelé. » Cas particuliers. — Si le tracé de la digue est traversé par un fossé peu profond et dont la largeur ne dépasse pas 4 à 5 mètres , on en bêche le fond et les talus et on le comble de bonne glaise bien damée jusqu'à 10 ou 20 centimètres en contre-haut du terrain rive- rain; ce sont, dans ce cas, les seules précautions à prendre. Mais arrive-t-il que le cours d'eau soit plus large et que son fond soit vaseux, alors il est indispensable de donner un appui au pied et au talon de la digue, afin d'empêcher qu elle ne glisse ou ne cède sous son propre poids. Ces appuis consistent en pakwerks de fascines, que l'on enracine dans les berges, que l'on élève jusqu'au niveau de la superficie du sol, auxquels on donne une largeur de 2^3 mètres ( 58) et des talus de Va de base sur i de hauteur; on remplit alors de bonne glaise l'intervalle compris entre les pakwerks; en commençant le remblai près de ces ouvrages, on refoule vers le milieu l'eau et la vase qu'on enlève alors plus facilement; on ameublit les berges et le fond, et l'on termine l'opération en ne négligeant aucun soin pour bien damer et consolider le remplissage. Lorsque la digue coupe une crique dans laquelle se manifestent les marées , et dont la largeur est de 500 à 400 mètres, et la profondeur de 9 à dO mètres au-dessous des hautes eaux, alors les travaux sont beaucoup plus compliqués et peuvent entraîner à de très-grands frais. Que l'opération est importante et difficile, cela se concevra aisé- ment; car, comme le couronnement de la digue doit dépasser d'au moins 4 mètres le niveau des hautes eaux ordinaires, il en résulte qu'il s'agit d'effectuer un remblai de 15 à 14 mètres de hauteur au milieu d'eaux que les marées ne laissent jamais en repos. Comment empêcher que les terres ne soient entraînées par le courant au fur et à mesure qu'on les décharge? Comment une fondation formée de terres délayées et établie sur un fond vaseux souliendra-t-elle la masse qui doit lui être superposée? Comment préviendra-t-on les érosions et les éboulements? Toutes ces difficultés sont vaincues au moyen de constructions en fascinages, dont les principales sont les plates-formes ou zinkstuk- ken et les pakwerks. Nous allons donner une idée des travaux à exécuter en pareil cas. Après avoir bien étudié la partie du fond de la crique sur laquelle la fondation doit être établie, et avoir comblé, autant que possible, les trous et les rigoles profondes qui peuvent y exister, on la re- couvre sur presque toute sa largeur d'une couche de fascines sous forme de zinkstukken, ce qui a pour but de répartir plus uniformé- ment la pression. Sur cette première couche de plates-formes on élève deux diguettes, l'une extérieure, l'autre intérieure, formées également de zinkstukken, et qui sont destinées à contenir les terres de l'encaissement que l'on élève chaque jour au niveau des diguettes. Ces plates-formes de soutènement doivent avoir une largeur suffi- sante pour résister à la pression des terres qu'elles contiennent, et ( 59 cette largeur peut s'élever à plus de 20 mètres à la base. On procède de cette manière jusqu'au-dessus de la ligne des basses eaux. A partir de ce niveau, on élève des pakwerks, qui sont encore des diguettes de soutènement, et les terras- sements sont continués. Ar- rivé à i mètre environ des hautes eaux, on construit, pen- dant l'intervalle de temps qui sépare deux marées hautes con- sécutives, une diguette en terre qui, élevée à une hauteur con- venable et établie sur toute la largeur de la crique, barre complètement le passage des flots, et dès ce moment, l'exé- cution de l'ouvrage ne présente plus de difficultés. Nous avons craint, en nous étendant sur ces travaux d'une nature toute spéciale, de trop nous écarter de notre sujet. Nous ne sommes pas entré dans les détails du mode d'exé- cution; nous pensons que les quelques mots que nous en avons dits, joints au croquis de la coupe transversale d'une digue établie dans une eau pro- fonde , feront suffisamment comprendre l'ensemble des tra- vaux. Disons toutefois ce que c'est qu'une plate ~ forme , ce que c'est qu'un pakwerk, sinon 1 (60) les personnes peu familiarisées avec les travaux hydrauliques pour- raient se faire des idées fausses de la construction qui nous oc- cupe (1). Plaie-forme. — On appelle plate-forme une construction en fas- cinages d'une longueur et d'une largeur variables , d'une épaisseur de 50 centimètres environ, solide et élastique, destinée à être coulée sous lest, là où une trop grande profondeur ne permet pas d'effectuer un ouvrage à la main. Une plate-forme se compose essentiellement de couches de fascines recroisées, reliées entre elles par deux réseaux de rouleaux de fas- cines, appelés saucissons, attachés fortement l'un à l'autre. Elle se construit toujours sur une plage située de manière qu'elle soit à sec à marée basse et submergée à marée haute ; de sorte qu'alors elle peut être mise à flot. On construit d'abord le grillage inférieur. Il se compose de sau- cissons placés à égale distance et croisés par d'autres, également équidistants, qui leur sont perpendiculaires. Leur distance moyenne est de \ mètre de milieu en milieu. Mais lorsque les plates-formes sont très-longues, on les rapproche dans le sens longitudinal. Aux points de croisement, les saucissons sont fortement reliés les uns aux autres au moyen de cordes et de harts d'osier. Aux quatre coins et sur le pourtour, à des distances de 8 à 10 mètres, on attache aux saucissons d'autres cordes solides, termi- nées par un œillet, pour y passer les cordes à couler, et qui ser- vent à lier la plate- forme aux barques qui la mènent au lieu de son échouage. Le grillage étant fait, on place les couches de fascines, qui sont toujours en nombre impair et recroisées perpendiculairement l'une sur l'autre; c'est dans le sens de la longueur qu'on en place le plus grand nombre. Enfin , on construit le réseau supérieur, et, au moyen de liens, on le rapproche du premier aussi bien que possible. On enlève ensuite les piquets d'amarre, et, pour garantir le lest contre l'action des (1) Pour plus de détails, nous renvoyons à l'ouvrage de M. kummer, déjà cité. (61 ) vagues, on établit sur le pourtour de la pièce des cours de tunages de 8 à 10 clayons. Lorsque la plate-forme est très-longue, on établit des tunages transversaux, intermédiaires, pour mieux retenir la terre et les pierres qui composent le lest. La plate-forme étant achevée, les cordes à couler placées dans les oeillets et retenues par des bateaux, elle est amenée au lieu de sa des- tination, où l'on effectue le lestage, que l'on commence du côté du courant. Alors, à un signal donné, l'un des bouts de la corde à cou- ler est lâché par tous les bateliers à la fois, et l'ouvrage descend sous les eaux. L'on a des formules pour déterminer la quantité de lest nécessaire pour l'échouage. Paliwerks. — Les pakwerks sont des fascinages de soutènement formés de couches de fascines posées en retrait les unes sur les au- tres, et d'une hauteur et d'une largeur variables, chacune d'elles est fixée au sol ou aux couches inférieures au moyen d'une ou de plusieurs lignes de tunes, dont les intervalles sont remplis avec de la glaise et des gazons. Nous avons déjà dit que les parties des digues qui sont journel- lement mouillées par les flots ne résisteraient pas si elles n'étaient revêtues par des moyens plus solides que le simple gazonnement. Dans ce cas, on a recours au paillassonnage, aux fascinages à plat , au fascinage de soutènement, etc. Mais tous ces moyens de défense sont encore insuffisants, si la digue, sans être précédée d'une plage étendue, est directement exposée aux coups de mer. On construit alors des ouvrages, tels que les slykvangers , les épis d'ensablement, les paalhoofden, etc., qui sont établis perpendiculairement à la digue ou suivante une autre direction et qui ont pour but de provoquer des dépôts, de rompre et d'amortir la violence des vagues. Nous ne traiterons que des moyens de défense les plus simples et les plus usités. Paillassonnage. — Le paillassonnage est une opération à l'aide de laquelle on empêche l'enlèvement de la terre au moyen de paille, en gerbes, couchée et fixée au talus qu'il s'agit de dé- fendre. < 6-2) La paille est posée dans le sens de la pente; la première couche a les éleules tournées vers le haut, la deuxième est couchée en sens inverse, et toutes les autres sont disposées dans le mt'^me sens que celles-ci et en retrait les unes sur les autres. Si le paillassonnage consiste en paille et en roseaux , ce sont ces derniers qui recou- vrent la paille. Le lit de paille est fixé au sol au moyen de crampons, qui con- sistent en liens de paille de seigle placés parallèlement h la crête de la digue et enfoncés de 10 en 10 centimètres environ dans une terre ferme et bien battue. Le roseau a le brin trop grossier pour bien préserver le sol contre les affouillements; quand on l'emploie, on doit toujours se servir, en même temps, de paille de froment, d'avoine ou d'orge. Un paillassonnage ne résiste guère pendant plus d'une année. On le construit ordinairement avant l'hiver. Plus il y a de crampons plus le paillassonnage est solide , mais il importe surtout que ceux-ci soient bien fixés, ce qui ne peut avoir lieu que si la couche superficielle de la berme ou du talus est for- mée d'une terre bien compacte et homogène. Faschmges à plat. — Le revêtement en fascinages à plat consiste en lits de fascines fortement tunés et ordinairement lestés. On place en dessous des fascines un lit de paille ou de roseaux en feuille, de 10 à 15 centimètres d'épaisseur, qui a pour but de garantir le sol contre les alFouillements, contre les crabes et contre le clapotage quand les fascines commencent à s'user. Les tunages sont commencés par le pied ; on les espace de 50 à 60 centimètres et de la moitié seulement aux endroits les plus exposés. Epis. — Les slykvaugers, que le long de la côte on appelle aussi hoofifjes, sont des épis saillants qui s'étendent delà digue ou d'une berme longitudinale jusqu'à la laisse des basses mers des vives eaux. Les figures ci-contre représentent le plan et la coupe transver- sale d'un de ces épis. Us sont formés de fascinages à plat de 2 à 5 mètres de largeur, engagés dans un encaissement dont le fond est rempli d'une couche de gazons ou de terres de schorre. Leur surface ( 65 supérieure est arrondie en arc de cercle de O^^pSo à 0"',30 de flèche. Les fascines sont retenues par des lignes de tunes et les extrémités des slykvangers sont arrondies en musoir. Ouvrages servant à Vévacuation des eaux intérieures. — Les autres travaux indispensables dans les polders sont les canaux d'éva- cuation et les écluses de dessèchement. ( 6i) Nous ne pensons pas quil entre dans l'intention de l'Acadé- niie de voir traiter dans ce travail de la construction des canaux d'écoulement à grande section et des écluses qui se trouvent à leur embouchure. Nous croyons même ne pas pouvoir nous étendre beau- coup sur les watergangen et les éclusettes, les seuls ouvrages aux- quels nous allons consacrer quelques lignes. Cours d'eau ou loaiergangen. — Les watergangen sont creusés le plus souvent en ligne droite ou suivant les sinuosités d'une kille, ou crique étroite. Leur largeur, leur profondeur et l'inclinaison des talus sont déterminées par la nature du terrain et la quantité d'eau à écouler. Les berges sont protégées d'une manière très-efficace contre l'action du courant en plantant le long des bords du fossé des broussailles, des têtards, des arbres de haute futaie, dont les racines tapissent bientôt les talus, préviennent les éboulements et maintiennent le cours dans son lit primitif. Ce mode de consolida- tion n'est pas général. Éclusettes. — Les éclusettes de nos côtes sont toutes construites en maçonnerie; le bois n'y est employé que pour les fondations, les portes et les vannes. Elles sont établies sous la digue de mer, ont un ou deux passages, dont l'ouverture varie de i à 3 mètres, et sont munies au moins d'une paire de portes busquées et d'une vanne. Presque partout elles sont précédées d'un bassin de retenue dont les eaux, lâchées à marée basse, opèrent le curage du chenal qui , sans cette précaution, s'envaserait promptement. ( 65 ) Toutes les parties d'une pareille construction doivent être exécu- tées avec beaucoup de soins, mais ce sont surtout les fondations qui réclament des précautions minutieuses, sévères et d'une nature toute particulière. Cela n'étonnera pas quand on se rappellera que le niveau des hautes eaux de la mer peut dépasser de plus de 5 mètres celui des eaux intérieures ; combien grande ne serait pas son action de soulèvement si l'eau extérieure venait à se loger en dessous de la construction? Et si elle parvenait à se frayer une issue, soit à côté, soit en dessous de l'ouvrage, avec quelle rapidité ne serait-il pas arraché et entraîné par le courant? Généralement les fondations consistent en lignes de pilotis con- venablement distancés et bien fichés jusque dans le sable ou dans la terre compacte. Le croquis suivant représente la coupe longitudi- nale d'une éclusetle, construite d'après le système hollandais. n n — K m n NJ X Les pilotis sont recouverts de longrines (pièces longitudinales); celles-ci portent des traversines (pièces transversales) et reçoivent Tome V. •; (66) entre elles des madriers qui forment plancher; le tout est solide- ment assemblé et les joints sont calfatés et brayés. Le soulèvement du plancher est, en outre, prévenu au moyen de fortes pièces longitudinales, nommées lambourdes, dont les intervalles sont rem- plis par une bonne maçonnerie hydraulique. Sur celles-ci on pose un dernier plancher, formé de madriers de bois de chêne choisi, bien calfaté et brayé , qui sert de radier et sur lequel on élève les bajoyers ou pieds-droits de l'écluse. Généralement en Belgique, le radier et les buses sont maçonnés en briques et en pierres de taille, et font corps avec la maçonnerie qui se trouve entre les lambourdes. N'oublions pas de dire qu'afin de s'opposer aux infiltrations, on enlève la vase qui se trouve entre les pilotis pour la remplacer par de la bonne glaise bien damée; qu'en outre, on bat toujours une ligne de palplanches (madriers jointifs enfoncés verticalement dans le sol ) à chacune des extrémités de l'ouvrage ; que souvent ces lignes de palplanches régnent aussi en dessous de la maçon- nerie aux endroits qu'occupent les portes et les vannes; que par- fois la fondation en est entièrement entourée; que, dans les cas les plus difficiles, elle est entourée d'une double ligne de pal- planches, qui la coupe aussi dans le sens transversal de distance en distance, ce qui forme un encoffrement que l'on remplit de béton. Description de Véclusette Isabelle. — Afin de faire connaître en même temps, et pour ainsi dire d'un seul coup d'œil, l'ensemble et les détails de l'ouvrage qui nous occupe, nous donnons ci-après ^ les croquis du plan, de la coupe longitudinale et des deux têtes de réclusette Isabelle, située près de Bouchante et bâtie en 1807, sous la direction de feu M. Dubosch, directeur de wateringue. Elle est analogue à toutes celles qui sont établies le long de la lisière et est considérée, à juste titre, comme un modèle de bonne con- struction. Elle est à deux passages de 5 mètres d'ouverture chacun. L'eau de mer est arrêtée par un double système de portes busquées en bois, placées à l'intérieur. Deux systèmes de vannes, manœuvrées au moyen de treuils, arrêtent, les unes, les eaux intérieures, les autres, les eaux de mer, et ces dernières ne sont baissées que quand (67 I 5 S- a CiiJi- ^ _ J ( 68 ) les portes ne fonctionnent pas, ou quand on veut les £;aran tir contre le choc des marées de tempête. Le radier, Tintérieur des bajoyers, la partie de la voûte comprise entre, les portes, les buses, les têtes, les pierres d'angle et de cou- ronnement sont en pierres de taille; le reste est en briques. L'éclu- sette est bâtie sur pilotis ; six lignes de palplanches et trois encof- frements en béton s'opposent aux infiltrations. Les pilotis sont recouverts de longrines; celles-ci, de traversines et d'un plancher que maintiennent des lambourdes et qui porte, en outre, une maçon- nerie d'environ 50 centimètres d'épaisseur. Les poteaux-tourillons des portes tournent dans un chardonnet et reposent, par l'intermé- diaire d'un tourillon en cuivre , sur une crapaudine du même métal. L'arrière-radier est formé d'un fascinage à plat lesté de grosses pierres. Les talus du chenal sont maintenus au moyen de pakwerks de soutènement. Nous terminerons ici le chapitre relatif aux travaux d'art. Si les savants auxquels nous avons l'honneur d'adresser ce mémoire ne le trouvaient pas assez complet, nous croirions pouvoir dire que des études spéciales, des relations avec les ingénieurs hollandais et belges qui surveillent et dirigent les travaux dans cette contrée, nous mettent à même de donner de plus grands développements. §111. ÉCONOMIE RURALE. Considéré d'une manière générale, le pays présente partout à peu près la même nature de terrain; cependant, comme nous l'avons déjà dit, les polders comparés entr'eux diffèrent sensiblement l'un de l'autre : ici l'on trouve un endroit sablonneux, là une dépression aigre et humide, ailleurs des terres anciennes et épuisées, plus loin des polders nouvellement conquis sur les eaux. Le système d'économie rurale de cette contrée présente, tout ( 69 ) comme la nature du terrain, quelque chose de général, un système de culture qui domine , mais, en même temps, il est facile d'aperce- voir des variations dans les pratiques agricoles de canton à canton et, pour ainsi dire, de ferme à ferme. Le pays de Cadzand, type de culture. — Nous voulons passer tout en revue, mais, afin de ne pas surcharger notre exposition de redites nombreuses, nous allons d'abord décrire, dans toute son étendue, l'économie rurale d'une partie du pays : nous parcourrons ensuite toute la lisière, en indiquant, à chaque point, en quoi les pratiques qui y sont usitées, diffèrent avec celles que nous aurons fait connaître. Nous commencerons par le pays de Cadzand; nous lui accordons cette préférence parce qu'il offre au plus haut point les caractères spéciaux des polders, parce qu'il y règne des pratiques agricoles généralement adoptées par tous les cultivateurs. Étendue des fermes. — Les fermes y ont une étendue de 100 à 300 arpents (l'arpent y vaut 44 ares, 23 centiares). Les constructions se trouvent en général près des digues ou des chemins dont elles sont séparées par une haie vive et une barrière en bois; elles sont entou- rées d'un verger, d'un légumier et le plus souvent d'un pré de 2 à 4 arpents planté d'arbres de haute futaie. Constructions. — Les bâtisses consistent en une maison, une buanderie, plusieurs vastes granges, qui renferment la remise et toutes les étables, ou bien une seule grange et quelques autres petits bâtiments. Les maisons sont sans étage, régulièrement bâties en briques et couvertes de tuiles; les portes et les fenêtres en sont peintes à l'huile, elles sont entourées d'un trottoir en briquettes de Hollande, et d'ordinaire on a ménagé, le long de la façade principale, une plate-bande de fleurs, protégée par un grillage élégant. Outre le grenier et la cave, on trouve à l'intérieur quatre places, dont les deux plus grandes servent en même temps de salon et de chambre à coucher; des deux autres, l'une est la cuisine , l'autre sert à divers usages. La buanderie renferme le four et sert aussi de cuisine pour les journaliers qui y préparent leur repas. Les anciennes habi- tations ont leurs places revêtues de carreaux de faïence chargés de ( 70 ) peintures bibliques; les modernes sont ornées avec une sorte de coquetterie, et l'on peut dire que les plus belles ressemblent plutôt à des maisons de campagne qu'à des demeures de fermier. Les granges sont vastes et couvertes en chaume; elles sont con- struites en bois , et les cloisons extérieures sont badigeonnées en rouge ou goudronnées; elles occupent ordinairement deux ou trois côtés d'un rectangle, et comprennent entre elles l'emplacement du fumier, dont elles ne sont séparées que par un trottoir bien entre- tenu et qui se prolonge jusqu'à l'habitation. D'ordinaire la grange principale, munie d'une aire sur toute sa longueur, ou de deux aires transversales, renferme, outre des ger- biers, l'écurie, l'étable, la remise et le grenier, nommé pezel , qui se trouve au-dessus de celle-ci. L'écurie est disposée dans le sens de la longueur ou de la largeur de la grange; les chevaux y sont placés dans des loges deux par deux ou trois par trois, et ont la tête tournée vers une des aires sur laquelle on coupe aussi le fourrage. L'écurie est couverte d'un plan- cher, les crèches sont en bois ou en maçonnerie, le pavé est formé de briques placées de champ. Près d'elle se trouve une espèce de chambre, appelée couvent, qui renferme les lits et les coffres des valets. L'étable est également pavée, mais on y trouve rarement des loges et des crèches convenables, et ce n'est qu'exceptionnellement que l'on recueille le purin. Le pezel est construit avec le plus grand soin pour le garantir contre l'invasion de la poussière et des souris. Baux. — Les fermes sont louées pour un terme de 9 ans, à rai- son de 25 à 50 francs par arpent, les contributions et impositions locales water- et dykgeschotten étant à la charge du fermier, qui doit aussi entretenir en bon état les toits des granges et étables, les haies et les tuyaux d'écoulement assez multipliés; en outre, on lui impose l'obligation de mettre tous les ans, en jachère fumée, d'un sixième à un neuvième de sa ferme; la même fraction de ses terres doit être ensemencée de trèfles ou de féveroles, et il ne peut vendre ni paille ni fumier. Mais ces stipulations sont rarement exécutées à la lettre, et l'on peut dire que les rapports entre propriétaire et fermier sont ( -I ) plutôt agréables que vexatoires : le premier visite rarement sa pro- priété, le second paye régulièrement son fermage, fait faire les petites réparations qu il porte en compte, et quoiqu'on remarque aujourd'hui une élévation générale dans le loyer des terres, la plu- part des fermes sont depuis de longues années exploitées [)ar les mêmes familles. Salaires. — Le cultivateur des polders a su rendre aussi ses rap- ports avec les journaliers et domestiques peu tracassiers : les pre- miers travaillent presque toujours à la tâche et ne reçoivent jamais leur nourriture à la ferme; les seconds , assez nombreux pendant la saison des travaux, reçoivent les ordres du premier valet, qui seul reste, en hiver, avec les servantes et le vacher et qui jouit à la ferme d'une grande confiance. Le l^'' valet gagne, outre la nourriture, qui est fort bonne, envi- ron 16 francs par mois. Le 2^ valet gagne il francs par mois. Le 5^ valet gagne 8 francs par mois. Les gages annuels des servantes varient de 75 à 110 francs. La journée moyenne des hommes est de fr. 1 25 c^; celles des femmes de 90 centimes. Instruments aratoires. — Les instruments aratoires sont simples et peu nombreux : outre la bêche, la houe, la faucille, la faux, le fléau, le van, le crible, le trident, la fourche que nous ne faisons qu'énumérer, on y trouve comme véhicules : le chariot, la charrette à trois roues, le traîneau. La famille a pour son usage un cabriolet et un char-à-bancs dit phaéton. Comme instruments de labour et de préparation on a la charrue à avant-train , l'araire, les herses à dents en fer et en bois, le rouleau et le molberd. Nous allons passer ces machines en revue, et nous dirons aussi un mot du hache-paille, de la barate et du tarare. Le chariot, toujours à timon , se compose d'un arrière-train relié par une allonge en bois à l'avant-train ; celui-ci tourne librement au- tour d'un axe vertical qui le traverse, en passant aussi par un œillet pratiqué dans l'extrémité antérieure et amincie de l'allonge. Les trains portent une caisse formée de deux écaliers de dessous, reliés par des traverses, sur lesquelles on couche un plancher, et de deux ( 72) écaliers de dessus qui leur sont superposés, se relèvent par derrière jusqu'au-dessus des roues et vont en s'écartant vers le devant; ils sont rendus solidaires avec les premiers au moyen de montants et de planches jointives. Ces chariots sont légers, proprement faits et peints à l'huile en rouge et en vert. Pour le transport des gerbes, du foin et de la paille, on place sur la caisse une espèce de cadre, formé d'un soliveau et de deux perches; la charge est serrée au moyen d'un baliveau maintenu par une entaille à un des échelons d'une échelle placée sur le devant de la voiture et fermement atta- chée par derrière au moyen d'une corde. Ce chariot ressemble beau- coup à celui qui est décrit et représenté dans la Maison rustique rft( XIX' siècle {\). La charrette à trois roues se compose d'un arrière-train, sur lequel s'appuient, perpendiculairement à son essieu, deux pièces reliées par des traverses et qui se rapprochent vers la partie antérieure, où elles sont traversées par un axe en fer qui sert d'essieu pour la troi- sième roue. Sur ce cadre , et au-dessus de l'arrière-train , se trouve une caisse qui bascule autour de deux tourillons. Ce véhicule, qui, un peu modifié, est beaucoup employé dans la région sablonneuse pour le transport du purin , ne l'est que rarement ici ; on ne le trouve même pas dans toutes les fermes. (Voir pi. VIII, fig. 1 et 2.) Le traîneau sert à transporter aux champs les herses et l'araire; il consiste en deux pièces plus hautes que larges, reliées par deux traverses et surmontées d'un montant à chaque extrémité; ces mon- tants sont reliés deux à deux dans le sens transversal. L'araire, que l'on emploie dans le pays de Cadzand (voir pi. IX, fig. 1 et 2) , ne diffère de la charrue flamande ordinaire que par des dimensions un peu plus fortes et par un peu plus de solidité. Le soc et le versoir sont en fer forgé et placés à la droite de l'âge. Sa cour- bure se confond avec celle du versoir, qui est maintenu par une des branches du sep et par un étançon en fer qui le relie au corps de l'instrument. Cette araire a beaucoup d'analogie avec la charrue de Brabant (2). Le contre en fer forgé a la forme d'un couteau; (1) Paris, t. I, p. 500. (2) Maison rustique , t. I, p. 184. ( 75) mais très-souvent il est remplacé par une plaque circulaire tran- chante, mobile autour d'un axe central. L'entrure est maintenue au moyen d'un sabot ou d'une roulette. Le régulateur a une forme très-simple. L'araire coûte de 90 à i 00 francs. La charme à avant-train, représentée plus bas, est connue sous le nom de charrue gauloise ou wallonne; elle a le soc, le versoir et le sep semblables à ceux de l'araire, mais avec des dimensions plus fortes. Le sep porte antérieurement un étançon et, à sa partie pos- térieure, un montant incliné vers l'arrière; la flèche est fixée sur ces deux pièces, et, à partir de l'endroit qu'occupe le contre, elle se relève, est arrondie et garnie de plaques en fer percées de trous. Le manche de l'araire est remplacé par deux bras entre lesquels marche le laboureur. L'avant-train se compose de deux roues d'un diamètre inégal, d'un double support qui repose sur l'essieu , d'un timon et d'une chaîne qui le relie à l'arrière-train. La chaîne est fixée au milieu de l'essieu pour les labours ordinaires, mais quand il s'agit de creuser un sillon près d'un fossé , ou près de la petite roue , alors on l'attache à un crochet qui se trouve près de cette roue , et l'âge est placé sur le côté gauche du support et maintenu dans cette position à l'aide d'un coin. L'entrure de la charrue sera d'autant plus profonde que le point d'attache de la chaîne sera plus éloigné du versoir. Le contre à plaque circulaire tranchante n'est jamais adaptée à la charrue à avant-train : sa forme et ses dimensions ne conviennsnt pas aux labours profonds. Cette charrue coûte environ 150 francs. ( 74 ) La herse a la forme rectangulaire; les dents sont en fer ou en bois; les pièces qui les portent sont légèrement courbées et reliées par des traverses. L'instrument est traîné suivant la diagonale et les dents sont placées de manière que les raies ne se confondent pas et soient autant que possible également distancées. On emploie des herses pesantes ou légères suivant la nature du labour à effectuer. Une herse avec dents en fer coûte environ 75 francs, celle avec dents en bois de 13 à 17 francs. {Foir pi. IX, fig. 3 et 4.) Le rouleau est en bois : sa longueur est de 2 mètres environ; son diamètre varie de 50 à 70 centimètres. Il est placé dans un châssis formé de quatre pièces, dont les deux latérales sont courbes et tournent leur convexité vers le sol. Le rouleau coûte de 80 à 110 francs (1). Le molherd est un instrument dont on se sert pour aplanir les guérets. Il est surtout employé pour effectuer le transport de l'excé- dant de terre arable qui, sur les parcelles longues et étroites des polders, toujours labourées dans le même sens, s'accumule aux deux bouts. Il consiste en une grande pelle en bois, longue et large de 1 mètre environ, garnie à sa partie antérieure d'une plaque de fer qui recouvre son fond pour le préserver de l'usure et qui con- stitue en même temps le tranchant de l'instrument; la chaîne à laquelle sont attelés les chevaux, est fixée près du tranchant, et le manche, solidement attaché à son bord postérieur, est muni d'une corde qui sert, en tirant le manche à soi, à relever l'instrument quand il s'est déchargé. Il est traîné par deux chevaux et manœuvré par le conducteur. Le molherd coûte de 75 à 85 francs (2). La baratte la plus en usage consiste en une cuvelle en forme de poire, d'une contenance variable, dans laquelle on agite le lait au moyen d'un battoir vertical mis en mouvement, soit à la main, soit à l'aide d'un manège, soit encore au moyen d'une roue verticale mue par un chien qui court dans son intérieur. C'est ce dernier système qui est le plus répandu et que nous figurons ci-après. (1) Voir Journal d'agric. pratique j par M. Cli. Morren, t. III, p. 1. (2) Voir Van Aelbroeck, Agriculture pratique; Paris, 1830, p. 104 et pi. LXV. ( To ) Le hache-paille est une auge longue et étroite portée par trois pieds et légèrement inclinée d'arrière en avant. La paille est coupée au moyen d'un grand et large couteau; sa partie inférieure est fixée à une pièce qui peut se mouvoir autour d'un axe et qui entraîne dans son mouvement une palette inclinée; celle-ci traverse le fond ( 76) de Tauge vers son milieu, et son jeu de bas en haut facilite le mouvement progressif du fourrage à hacher. Cet outil coûte environ 25 francs. Le tarare dont on fait usage est analogue à celui dont parle Dombasle (1); il est aussi, sauf quelques modifications peu impor- tantes, généralement employé en Belgique; pour ce motif nous ne le décrirons pas ici. Les animaux domestiques consistent, outre les chevaux, les va- ches, les porcs et les moutons, en volaille de toute espèce, telle que des poules, des dindons, des canards, des oies, des pintades, des paons et des pigeons. Le nombre des chevaux varie de 5 à 7 pour 100 arpents. Ils sont d'une race qui paraît provenir de la race hollandaise croisée avec celle de la Gueldre. Vigoureux, forts, plus beaux et moins ventrus que ceux de la région sablonneuse, on leur reproche d'être un peu ombrageux. Le plus grand nombre sont des juments servant à la reproduction , mais l'élève des chevaux y est devenu peu avantageux. Ils sont nourris avec de la paille, du trèfle vert, du foin, des carottes et des féveroles. Les carottes occasionnent des coliques; on les donne avec ména- gement et seulement pendant les rudes travaux. On accuse les féveroles de disposer les chevaux à être blessés par le harnais, mais ceux qui sont habitués à cette nourriture ne paraissent pas en souffrir. La ration maximum s'élève à 8 ou 10 litres par jour et par tête. En hiver et hors de la saison des travaux, ils ne mangent que de la paille et du foin. Les vaches sont de grande taille et appartiennent à la race fla- mande ou croisée avec celle de la Hollande ou de la Frise. Elles sont réputées bonnes laitières, et les cultivateurs belges des environs des grands centres de population se les procurent d'autant plus volon- tiers qu'à l'époque de la stabulation, ils peuvent les acheter à un prix peu élevé. Cependant leur entretien est négligé : en hiver elles ne reçoivent que de la paille et du mauvais foin ; ce n'est qu'exception- nellement, en cas de maladie ou de vêlage, qu'on leur donne un peu (1) Calendrier du bon cultivateur. Paris, 1846, p. 431 , fi{j. 21. ( 77 ) de navets et de betteraves; en été, au contraire, les herbages et les regains leur fournissent une nourriture fort abondante. Le croise- ment de la race bovine avec de bons reproducteurs y prend plus de développement. La race porcine est à soies blanches. Les porcs croisés avec ceux d'Essex, quoique estimés pour l'engraissement, sont peu répandus. Dans les fermes , il y a 2 à 4 truies et quelques jeunes cochons que Ton engraisse pour les besoins du ménage : on en abat annuellement de 5 à 6, suivant les besoins de la famille, de 150 kil. environ chacun. Disons en passant qu'outre les porcs, on tue tous les ans une bête à corne , dont la viande est salée et conservée pour la con- sommation. La nourriture des jeunes cochons et des truies avant le part consiste en herbes , en déchet de pommes de terre, etc. Les cochons à l'engrais ne sortent jamais de leur loge et sont nour- ris , pendant 2 à 4 mois, avec une bouillie chaude ou tiède composée de petit-lait, de pommes de terre, d'orge broyée ou de sarrasin. La race ovine est de grande taille, à longue laine grossière. On tient les moutons par troupeaux de 100 à 150; mais on n'en trouve pas dans toutes les fermes. Il n'est pas d'usage ici de les engraisser : certains cultivateurs s'adonnent à l'élève, et vendent annuellement les jeunes béliers et les brebis qui ne reproduisent plus; d'autres n'élèvent pas et augmentent ou diminuent tous les ans le nombre de leurs moutons, suivant les circonstances. En été ces animaux broutent l'herbe; en hiver et pendant les pluies prolongées, on les nourrit avec des gerbes de seigle, de féveroles ou d'avoine. Le fumier des moutons, dont on évalue la quantité à une char- retée par tête et par an , est très-estimé. Maintenant que nous avons passé en revue tout ce que l'on trouve dans l'intérieur d'une ferme, nous allons exposer les assolements, les labours , les cultures. Assolements. — Les assolements sont variables et dépendent du degré de fertilité du sol, mais ils diffèrent peu : les mêmes plantes sont cultivées par tous les cultivateurs; tous aussi adoptent la ja- chère fumée, et alternent presque toujours le chaume noir avec le chaume blanc. Voici quelques assolements qui sont le plus généra- lement suivis : ( 78 NM ire année , jachère fumée ; N» 3. C*" année trèfles ou féveroles; 2e — escourgeon ou fro- ment; 8<= - froment; avoine, etc. S» — féverolesj No 4. 1" année , jachère; 4e — froment; 2e — colza ou escourgeon; 5' — trèfles; 5« — escourgeon ou orge C« — avoine, pommes de terre, racines. 4e _ de mars; féveroles; N-'S. ire année , jachère ; 5-^ — froment; 2* — escourgeon ; G^ — trèfles; 5« — féveroles; 7e froment; 4e — froment; 8^ - avoine, etc. 5' — trèfles ou avoine; No 5. l"^^ année , jachère; 6= — froment ou trèfles ; 2e colza; 7e — avoine ou seigle , etc. 5" — orge; N'-S. Ire année, jachère; 4" — lin et trèfles; 2e — colza; 5« — froment; 3« — escourgeon ou fro- ment; G« — 7e _ féveroles et trèfles; froment; 4- — féveroles ou trèfles ; 8<= — avoine , etc. 5' — froment : Dans toutes ces rotations, la jachère seule est fumée; le trèfle ne revient qu'une fois pendant un cours de récoltes ; le colza et l'orge suivent de très-près la jachère; le froment succède toujours soit aux féveroles , soit aux trèfles. La garance et l'alpiste, ou graine de canari, qui n'entrent pas dans les assolements ci-dessus, sont les seules plantes qui ne soient pas cultivées dans toutes les fermes. On trouve la première aux envi- rons de Biervliet; la seconde n'est semée que par un très-petit nombre de cultivateurs et seulement par parcelles de deux à quatre arpents. Les racines comprennent les carottes, les betteraves, les navets; jamais on n'en gagne en récolte dérobée. Les premières occupent, dans chaque ferme, une étendue de trois à cinq arpents; les deux autres ne sont cultivées qu'en petit. Labours. — Les labours de préparation sont des plus simples : on n'en connaît d'autres que ceux à la charrue, à la herse, au rou- leau. La charrue sous-sol est à peine connue, et l'on n'emploie la bêche que pour creuser et curer les rigoles d'écoulement. ( 79 ) Les labours à la charrue se font toujours en long et à plat; ce système est vicieux, mais la disposition des champs en parcelles longues et étroites le rend nécessaire. La charrue wallonne est tou- jours attelée de trois chevaux menés de front; elle creuse un sillon de 50 à 35 centimètres de profondeur. L'araire, traînée par deux chevaux, n'est employée que pour le déchaumage et d'autres labours superficiels. Cidhires. — Généralités. — Avant de passer à la description des cultures particulières, remarquons que, dans les polders du pays de Cadzand, on accorde une très-grande importance à la culture des céréales; le chaulage de la semence de froment avec de la chaux et de l'eau de mer y est généralement pratiqué; on y sème à la volée; tous les sarclages sont faits avec soin. On ne semble faire que peu de cas de la culture des racines fourragères; de là résulte qu'on nourrit peu de bestiaux et qu'on les nourrit mal, surtout à l'éta- ble; par une conséquence nécessaire, le fumier est maigre, long et pailleux, mais dans ces polders, l'engrais est employé plutôt pour ameublir le sol que pour lui donner des principes fertili- sants. Cultures particulières. — Nous allons entrer dans quelques détails et exposer successivement le mode de jachère et la culture des récoltes, dans l'ordre où elles se succèdent dans l'assolement n° i. Première année. — Jachère. — Elle reçoit six ou sept labours à la charrue; ils ont pour but de détruire les mauvaises herbes, d'ameublir et de météoriser le sol. Pour obtenir ces résultats, les labours sont séparés par un intervalle de temps suffisant pour que la germination des plantes adventices puisse avoir lieu; en outre, ils doivent s'effectuer par un temps favorable, car rien ne nuit plus aux terres fortes et argileuses que d'être piétinées quand elles sont humides. Les quatre premiers labours, que l'on commence au printemps, quand le sol est convenablement ressuyé, se font à la charrue à avant-train , et sont tous suivis d'un hersage énergique. Vers le mois de juin , on répand le fumier, qui consiste en une vingtaine de voitures d'engrais d'étable, que l'on s'empresse de couvrir; quelque (80 ) temps après, quand le guéret s est couvert de mauvaises herbes, on les coupe avec l'araire, on donne quelques traits de herse, et enfin, à l'époque des semailles, on trace une dernière raie, nette et profonde. Quelques fermiers ne répandent le fumier que lors du labour qui précède immédiatement la semaille. L'expérience n'a pas encore prononcé sur le mérite relatif de cette pratique. Les frais de façons, engrais compris, sont estimés de 125 à 150 francs par arpent. Deuxième année. — Escourgeon. — On le sème en octobre sur le guéret et on l'enterre au moyen d'un trait de herse. Au printemps, on plombe au rouleau; on bine ensuite avec la petite houe, et quand la céréale entre en épis, on opère très-souvent un deuxième sar- clage, mais celui-ci se fait à la main, lestement et en se tenant debout ; on l'appelle dans le pays doorgaen (parcourir). La fauchaison se fait, vers la fin de juillet, à la faucille et en lais- sant aux éteules une longueur de 25 à 55 centimètres, dont la pré- sence dans le sol contribue beaucoup à prévenir sa trop forte com- pacité. L'escourgeon, laissé en javelles pendant deux ou trois jours, est lié et rentré immédiatement. Semence, par arpent, 80 litres. Coût du binage, 5 francs environ. Coût du sarclage, 2 francs. Coût de la fauchaison et mise en dizeaux , 8 à 9 francs. Coût du battage au fléau, par hect., 45 centimes. / Grain, 20 à 25 hectolitres par arpent ou 45 à 56 hec- Rapport. < tolitres par hectare. ( Paille, 300 bottes, qui valent de 20 à 50 francs. Troisième ANNÉE. — Féveroles. — Les labours de préparation avant l'hiver sont au nombre de trois; les deux premiers sont peu pro- fonds et suivis de hersages. On sème sous raies en février ou en mars : un homme suit la char- rue et dépose la graine dans le sillon qu'elle vient de creuser ; les mottes sont réduites au moyen de hersages et, quelque temps après, on plombe au rouleau. Si, à l'époque des semailles, les pluies sont fortes et prolongées, les terres détrempées au point de ne pas ( 81 ) • pouvoir porter les chevaux, on planle alors la féverole, soit à la houe, soit à la bêche; pourtant cette pratique est fort rare dans cet arrondissement. Les façons d'entretien consistent en un ou deux binages et en un sarclage, qui s effectue quand la plante est en fleurs. La fauchaison se fait vers la fin d'août ou au commencement de septembre; les javelles sont placées sur des liens de paille, et après quatre ou cinq jours d'exposition au soleil, on les lie en bottes dont on fait des dizeaux et qui sont rentrées ensuite par un temps favo- rable. Semence, par arpent, 2 hectolitres (1). Coût du binage, 5 francs. Coût du sarclage, 2 à !2 Vs francs. Coût du battage, par sac (P'^^',073), 54 centimes. / Grain, 11 à Î2 hectolitres par arpent, ce qui fait Rapport. 1 environ 27 hectolitres par hectare. ( Paille, sa valeur est évaluée à environ 40 francs. Quatrième année. — Froment. — Après avoir déchaumé et hersé, on laboure à la charrue à avant-train , mais en ne donnant au soc qu'une faible entrure, afin de ne pas mettre à une grande pro- fondeur l'engrais provenant de la semence et du feuillage des féveroles. On sème sur le guéret depuis la mi-octobre jusqu'à la mi-no- vembre, et l'on couvre la semence au moyen d'un double hersage. On bine et l'on plombe au printemps; cependant la première de ces façons n'est recommandée que pour autant que le champ soit infesté de mauvaises herbes; car la houe entame toujours quelques jeunes plants et en relarde la croissance, inconvénient notable pour le froment que l'on est obligé de rentrer en quelque sorte immédiatement après la fauchaison , afin de prévenir son égrenage. Que l'on pratique ou non le binage, on ne néglige jamais, en été, de parcourir le champ. Les trèfles sont semés au printemps, quelque temps après le plombage. (1) Quand on planle celte légnmineuse à la houe, on emploie l'"='"',45. Tome V. 6 ( S^2 ) Quantité de semence , par arpent, I hectolitre. Fauchaison et mise en dizeanx, 9 francs. Battage, par hectolitre, 85 centimes. / Grain, 12 hectolitres par arpent, ce qui fait en Bapport. } nombre rond 27 hectolitres par hectare. ( Paille, sa valeur est estimée à 55 francs. Cinquième année. — Trèfles.— Cette plante ne reçoit aucune fîiçon d'entretien; il arrive pourtant qu'on la fume légèrement avec nn peu de cendres ou avec un compost formé de balles et d'excréments de bétail. L'arpent de trèfle sur pied est estimé, en moyenne, à ^50 francs. Sixième année. — Avoine. — On laboure trois fois avant l'hiver et l'on donne de nombreux hersages. On sème en avril, et un trait de charrue couvre la semence. Les façons, pendant l'été, consistent en un plombage et un hersage. ( Grain, 26 hectolitres par arpent ou 58 hectolitres Rapport. } par hectare. ( Paille, elle est évaluée à 40 francs. Le seigle est cultivé à peu près de la même manière que le fro- ment. Son rapport en grain est de 8 à 42 sacs par arpent. Carottes. — Trois labours sont donnés avant l'hiver. En avril un hersage énergique météorise le sol; on plombe, on sème quatre livres de semence (la livre vaut 0'"""" ,433) ; on la couvre au moyen d'un double trait de herse et l'on plombe encore une fois. Cette racine exige des binages fréquemment répétés, évalués à 50 francs par arpent. Elle est arrachée en octobre; cette opération coûte de 9 à 10 centimes par verge (300 verges font un arpent). L'arpent de bonnes carottes est estimé de 200 à 250 francs. Les betteraves sont cultivées comme les carottes. Pommes de terre. — Les champs pour tubercules ne reçoivent , comme labours de préparation, que deux ou trois traits de charrue et quelques coups de herse; ils sont loués alors en grande partie, pour une saison, aux pelits culrivateurs et ouvriers de la zone sablonneuse, qui en sont fort avides, et en donnent de 100 à 150 francs l'arpent, quoiqu'ils doivent livrer les tubercules de semence, faire la plantation et tenir la récolte pure de mauvaises ( 83 ) herbes. On plante dans les premiers jours d'avril pour récolter en septembre. Les pommes de terre reçoivent un ou deux binages et un but- las^e. Il fut un temps où l'on récoltait 10,000 kilogr. par arpent; aujourd'hui l'arpent n'en fournit que le quart. Cultures irrégulières. — Cultures de récoltes qui ne se trouvent pas dans l'assolement n^ I . Pour Vorge de mars sur chaume d'escourgeon ou de froment, on donne trois labours avant l'hiver, dont les deux premiers sont peu profonds; on sème sur le guéret et l'on donne deux traits de herse. L'arpent rapporte en grains de 17 à 48 hectolitres. La graine de canari, l'alpiste ou phalaris, est cultivée comme l'orge de mars; on en récolte de 6 à 8 hectolitres par arpent. Le prix de cette graine est très-variable, mais, ici, il ne descend jamais au-dessous de 16 francs par hectolitre. La paille du phalaris est très- estimée comme nourriture de bétail. Colza après jachère. — On le sème en juillet sur la raie du cin- quième labour; les semailles sont suivies d'un double coup de herse et d'un plombage au rouleau. Le binage a lieu en septembre et quel- quefois on effectue un sarclage au printemps Vers la fin de juin, la plante est coupée à la faucille, couchée par terre en rangées, et les rameaux tournés vers le midi ; après quelques jours, on la retourne de bon raatin, ou bien par un temps pluvieux, parce qu'alors les siliques étant fermées l'égrenage est moins à craindre, Quand toutes les parties du colza sont bien sèches, on le bat sur une toile placée sur le champ même qui l'a porté. Quantité de semence : 2 litres par arpent. Binage : 3 à 3 V2 francs. Fauchaison : 8 à 9 francs. Soins pendant le séchage : 5 francs. Battage : 18 à 20 francs. ( Graine : de 10 à 15 hectolitres par arpent, ou bien Rapport. ) de 22 V'2 à 35 V2 hectolitres par hectare. ( Paille : 20 francs. Lin après orge ou froment. — On fait trois labours avant l'hi- ver, dont le dernier à la grande charrue, suivis de quelques traits (Si ) tle lierse Au printemps, on fait des hersages énergiques, et l'on plombe avant comme après les semailles. La quantité de semence est d'un hectolitre par arpent. Cette plante se vend presque toujours sur pied, soit quand elle a acquis son entier développement, soit de la manière suivante : le fermier fait les labours de préparation; le négociant livre la semence, donne les façons d'entretien, et s'engage à payer à la S^-Jean de 80 à 100 florins de Brabant par arpent (de 145 à 180fr. pour44'"^'',25), à la condition qu'il lui sera facultatif de laisser le lin à cette époque pour le compte du fermier; celui-ci, par contre, ne devra au mar- chand aucune indemnité ni pour la semence ni pour les frais du sarclage. Le chanvre pour la consommation de la ferme est cultivé dans les jardins ou sur un coin de terre. Les travaux de préparation et d'entretien sont les mêmes que pour le lin. Garance. — Elle succède aux céréales et exige des labours pro- fonds. On la plante au printemps sur des lignes distantes entre elles de 80 centimètres, et par groupes de trois jeunes pousses séparés les uns des autres par un intervalle de 30 centimètres environ. On bine deux fois dans le courant de Tété; à la fin de l'automne la plante est couverte à la bêche avec de la terre prise entre les lignes. L'année suivante , la garance présente une verdure abondante qui étouffe les mauvaises herbes et dispense souvent des sarclages. En octobre, on coupe les fanes, qui sont laissées sur le champ, on arrache les racines à la bêche et on les met en petites meules; quand elles ont é^é exposées à l'air, pendant une huitaine de jours, on les transporte à la garancière, où l'on complète leur dessiccation et leur nettoyage, pour y être réduites ensuite en poudre fine et mises en tonneaux. Colons parliaires {Halfbaning.) — Mentionnons ici une pratique très-usitée dans le pays de Cadzand et ses environs. Elle consiste dans l'exploitation d'une certaine étendue de terres , de compte à-demi entre propriétaire et fermier : le propriétaire livre son champ, le tenancier fait les labours, les semailles et les cultures d'entretien; les récoltes se vendent publiquement sur pied, et leur rapport est partagé également entre les deux contractants. Si les (83) terres sont de première qualité, les contributions et les frais de jachère sont à la charge du cultivateur; si elles sont d'une qualité inférieure, les impositions sont payées par le propriétaire, qui con- tribue, en outre, pour une moitié, dans les frais de fumure et de soins pendant la saison de repos. Indépendamment des colons partiaires, les cultivateurs des pol- ders voisins de la frontière belge, vendent sur pied une partie de leurs produits à ceux de la zone sablonneuse, qui s y approvisionnent de fourrages et de paille que leurs exploitations exiguës ne sau- raient fournir. Mise en culture pour compte commun des concessionnaires. — Pendant un certain nombre d'années après leur endiguement, les terres conquises sur la mer sont, comme nous l'avons dit ailleurs, exploitées par la compagnie concessionnaire; elle vend les récoltes sur pied ou les bat dans des granges provisoires pour les livrer au commerce. La mise en culture est des plus simples. Le nouveau polder se présente comme un champ légèrement ondulé, couvert de verdure, sillonné par des criques et des cours d'eau et coupé par des chemins et des rigoles d'écoulement. En automne, on y met la charrue et l'on fait des labours aussi peu profonds que possible, en suivant toutes les sinuosités et les ondulations du terrain. Rien n'est plus vicieux que d'aplanir et de régulariser les champs de prime abord : ainsi l'on enfouit souvent une terre qui abonde en principes fertilisants pour amener du sable à la surface; l'aplanissement doit se faire insensiblement et à la longue. La première année, le polder est emblavé de colza; la deuxième, sur un labour superliciel un peu plus profond que la première année, on sème de l'escourgeon; la troisième du froment; la quatrième des féveroles; la cinquième du froment; la sixième du lin, des féveroles ou du colza; en continuant ainsi d'alterner le chaume noir avec le chaume blanc, on peut obtenir une vingtaine de bonnes récoltes sans jachère ni engrais. Le système de mise en culture que nous venons d'exposer est gé- néralement suivi, mais on en préconise un autre qui a été pratiqué, en 1845, dans le Thomas-polder, près de Biervliet. Le nouveau pol- ( 86) der a été laissé intact pendant une année; l'épaisse verdure qui s'y était établie a été enfouie comme engrais vert. La deuxième année, on a semé du colza, puis du froment avec trèfle et le regain de cette troisième récolte a été de nouveau mis sous la raie. Il paraît que, dans les terres de schorre, Tengrais vert, en préve- nant les efilorescences salines, produit de fort bons effets. La mise en culture des polders , leur végétation initiale et spon- tanée, est sans doute une question du plus haut intérêt. Elle fera, nous en sommes convaincu, l'objet des études de savants de premier ordre. Pour nous, notre position et nos faibles connaissances en sciences naturelles ne nous permettent pas de l'approfondir. En res- tant dans notre rôle de rapporteur, nous nous bornerons à ajouter quelques faits à ceux que nous avons fait connaître. Lors des hostilités avec nos voisins du Nord, en 1851, on inonda, vers la fin de l'été, comme moyen de défense, tout le polder de la Passegiœule dans le pays de Cadzand. Les eaux saumâtres ne se reti- rèrent que huit mois après. Au mois de septembre de 1832, le polder était couvert de char- dons qui y croissaient longs, drus et forts, et de part et d'autre des fossés se montrait une lisière de salicorne; au pied des chardons il y avait de l'herbe naissante et des plantes qui viennent spontanément sur les pâtures, mais pas de salicorne. Les chardons furent coupés et enlevés; au printemps de l'année suivante, on répandit sur le sol, mais sans l'ouvrir, de la semence de petits trèfles blancs {steenklaver). Vers le milieu de l'été, on y mit paître les bestiaux, et les vachers s'occupèrent à couper les chardons à la houe. L'année suivante, la pâture fut bonne et s'améliora depuis d'année en année. Tout le polder fut traité de celte manière, mais ses divers pro- priétaires en agirent différemment pour la mise en culture : les uns rompirent les prés pour les emblaver de céréales , après la sixième ou la huitième année de repos; les autres après la dixième ou la douzième. Voici ce qu'on a observé et ce qu'on observe encore aujourd'hui : plus on a retardé les labours et meilleures sont les terres; les par- celles rompues après six ou huit ans sont médiocres et il est à { 8- ) remarquer que, sur ces parcelles, les endroits les plus fertiles avant Tinondation sont précisément les moins bons maintenant. La mauvaise qualité do cette terre se dénote par un aspect blan- châtre et des mottes déliquescentes en temps humide; on la compare ordinairement à la vase que l'on trouve aux abords des schorres. Nous osons espérer qu'on ne considérera pas ici, comme déplacés, les conseils des cultivateurs de la localité, pour la mise en culture des polders ravagés par Tinondation maritime; toutefois, nous dési- rons qu'on ne nous rende pas responsable de ces conseils : Mettez en pâture aussitôt que possible, mais sans labours; évitez même, les premières années, d'arracher les racines des chardons; Plus longtemps vous reineltrez les labours et [)lus vous serez cer- tain de réussir; Si la terre est forte , ne rompez pas avant douze ans; vous pourrez emblaver d autant plus tôt que l'argile sera plus sableuse; Que les premiers labours soient peu profonds et approfondissez insensiblement; Si un polder de cette nature est gâté par un labour prématuré ou inconsidéré, les trèfles, les féveroles et l'engrais vert semblent être ce qu'il y a de meilleur pour l'amender; mais, quoi qu'on fasse, il ne reprendra que très-difficilement ses bonnes qualités. Les parties les plus basses d'une schorre endiguée peuvent être assimilées aux terres d'un polder qui sort de l'inondation ; les parties les plus élevées aux polders en pré. De l'avis de quelques personnes pratiques, les nouveaux polders du pays de Cadzand, tels que : le Thomas-polder, le Paulina-polder et le polder Savoyard, auraient pu être beaucoup mieux traités. D'après elles, si les concessionnaires avaient été moins pressés de jouir, il y aurait eu avantage à transfor- mer sans distinction les nouvelles terres en pâtures; elles auraient valu peut-être les vetle weiden du littoral, et n'auraient dû être rom- pues qu'après vingt ans de repos. Conclusion. — \J arrondissement de Cadzand est des plus fertiles, mais il est aussi des plus routiniers. INous n'y avons rencontré que deux cultivateurs qui s'écartassent de la voie généralement suivie: le premier a rayé la jachère de ses assolements et cultive les navels et les betteraves sur une plus grande échelle que ses voisins. L'autre ( 88) n'adopte pas non plus la jachère et plante en lignes, au moyen de la houe, les féverolles et le froment; il emploie des composts, de la chaux et du sel; nous avons remarqué parmi ses instruments un hache paille anglais, analogue à celui de Dombasle, un coupe-racine et une charrue sous-sol consistant en une araire, dont le soc et le versoir sont remplacés par un couteau extirpateur. Nous nous sommes informé du résultat de la suppression de la jachère : cette innovation, quoique introduite depuis des années et soutenue avec persévérance, n'a converti aucun des cultivateurs voisins, et ceux qui la pratiquent n'ont pas obtenu d'avantages assez grands pour mettre hors de doute si, en continuant comme les autres, ils n'au- raient pas eu tout autant de résultat. Commettent-ils des fautes et des négligences qui neutralisent les bons effets de l'essai? ou bien le pays est-il de nature à ne pas s'en accommoder? Tout cela est encore bien obscur, et si nous continuons à en avoir le loisir, nous ne négligerons rien pour dissiper ces doutes. Il existe, à Biervliet, une société d'agriculture qui est abonnée à plusieurs ouvrages agricoles hollandais. Elle pourrait devenir un foyer de lumières, si le public était mis à même de lire ces livres avec fruit. Arrondissement de ÏEcluse. — La plus grande partie de cet arrondissement se compose de très-bons polders, qui sont cultivés comme dans le pays de Cadzand : mêmes fermes, mêmes instru- ments, mêmes cultures, sauf qu'on n'y trouve plus la garance et qu'on commence à cultiver le pois, dont les sarclages et l'épaisse verdure détruisent les mauvaises herbes et préparent le sol à donner une bonne récolte de froment. Cette légumineuse est plantée en lignes distantes l'une de l'autre de 40 à 50 centimètres; on la bine une ou deux fois dans le courant de l'été; arrachée vers la fin du mois d'août, elle rapporte en graines de 9 à 11 hectolitres par arpent. Quelques hauteurs aux environs de S^^-Croix ont des parcelles de bois taillis et sapinières, ou bien elles sont cultivées, par de petits fermiers qui, à force d'engrais et de soins, récoltent du seigle, des pommes de terre et du sarrasin. Les polders sablonneux, aigres et humides, qui longent la fron- tière méridionale, sont divisés en parcelles étroites, par des fossés ^lue » 5me )) 4,me » gme » (3me » •Jme 8'" ( 89 ) larges, profonds et garnis de taillis qui leur donnent l'aspect de Xlloidland. Ils sont labourés à l'aide de l'araire, traînée par un ou deux chevaux, sarclés à la main et cultivés comme les terres de la région sablonneuse des Flandres. Les fermes y sont de 50 à 120 arpents; le bétail y est mieux soigné que dans les polders, sans pourtant l'être aussi bien qu'en Flandre; on y sème des navets en récolle dérobée, dans la propor- tion de dix arpents sur cent de terre arable, et l'on y trouve beau- coup de pâturages artificiels. L'assolement en usage est à peu près le suivant : l'^ ANNÉE. Sarrasin et lin, navets et spergule en récolte dérobée; Seigle et froment avec trèfles; Trèfles; Avoine; Pommes de terre et carottes; Seigle avec trèfle blanc; et 9"^^ années. Pâture. On sème la spergule sur une terre parfaitement ameublie par un labour et plusieurs traits de herse, et l'on plojnbc après la semaille. Ce fourrage n'est point sarclé et vaut , en moyenne, de 20 à 25 francs l'arpent. Le navet en récolte dérobée est semé aussi vite que possible; à cette fin, en opère le labour et la mise en terre de la semence im- médiatement après que la céréale à laquelle elle succède est mise en dizeaux, et l'on emblave les planches qui les ont portés après l'engrangement. Le champ ne reçoit d'autres façons de préparation qu'un seul labour en billons et un coup de herse avant comme après les se- mailles. Autrefois le navet ne recevait jamais de fumure; aujourd'hui un grand nombre de cultivateurs fument cette racine, soit avec du pu- rin, du guano ou du fumier de litière, et l'on s'en trouve si bien, que cette pratique ne manquera pas de devenir générale. Le navet est sarclé deux fois. Ce double sarclage coûte environ une dizaine de francs par arpent. L'arpent de bons turneps peut valoir de 60 à 100 francs. (90) Le sarrasin ne vient bien que sur les terres sablonneuses peu riches en humus. Sur nos meilleures terres, il croît, il est vrai, avec vigueur, mais il fournit une faible récolte en grains. Cette céréale est rarement fumée à moins que la terre ne soit effritée. Les labours sont généralement au nombre de trois. Les deux premiers sont suivis de hersages, et Ton sème pendant le mois de mai sur la raie du troisième. La semence est enterrée au moyen d'un seul trait de herse, et l'on évite de trop briser les mottes, qui abri- tent les jeunes plants contre les gelées et les vents froids. Le sarrasin est sarclé une ou deux fois; cette opération coûte de 5 à 6 francs. On le coupe à la sape, on dresse les javelles, et comme il s'égrène très-facilement, on le bat au fléau sur une toile que l'on transporte de parcelle en parcelle. La quantité de semence est d'environ un quart d'hectolitre par ar- pent, etleproiluitdecetterécolteest,enmoyenne, lOà 1:2 hectolitres. Dans ces polders sablonneux on fume beaucoup, mais on n'y connaît d'autre engrais que le fumier d'étable et le purin, que l'on se procure en grande abondance et à bon marché, à Âardenburg, à l'Écluse, à Oostburg et dans d'autres localités; le transport se fait d'une manière toute particulière : un chariot porte sur ses traverses d'avant et d'arrière deux longues perches , auxquelles sont solide- ment fixées les lisières d'une bâche de toile très-forte et d'un tissu tellement serré qu'elle retient le liquide sans perte appréciable; les coins tordus sont attachés aux bouts des perches, qui, séparés pen- dant le chargement, sont réunis pendant le transport. C'est là un véhicule fort léger, qui supporte tous les cahots sans causer du clapotage et les pertes inévitables qui en résulteraient. Arrondissement de Philippine. — Il présente trois modes de culture différents. Le premier est celui du pays de Cadzand et se trouve pratiqué dans les polders les plus fertiles, situés tous à peu d'exceptions près, au delà de la frontière belge. Le deuxième mode est en usage dans les polders appartenant aux communes de S'^-Marguerite, de l'Oudeman, de Watervliet et de Bouchante. Il a de l'analogie avec le premier, mais diffère en ce que les fermes sont moins grandes; on sème moins d'orge et de colza, mais plus de seigle et de racines fourragères; les fumures sont ( 91 ) plus fréquentes et presque partout on utilise le pnriii. La jachère entre encore dans l'assolement; mais elle n'est pas toujours absolue et fournit quelquefois une coupe de trèfles ou une récolle de navets; le bétail y est un peu plus nombreux et mieux soigné que dans le pays de Cadzand ; les fermiers sont plus actifs et plus vigilants que leurs voisins du nord. Le long de la digue du comte Jean, il existe quelques polders, sablonneux et bas, dont le système agricole se rapproche encore da- vantage de celui des terres delà crête. Les exploitations sont de l à 5 chevaux, et les bâtisses ne se font plus remarquer par cette propreté, cette aisance, ce confortable des fermes des bons polders. Ici, pas de jachère, toutes les récoltes principales sont fumées, un quart des terres arables est consacré aux navets en récolte dérobée. Hormis les champs pour lin et trèfles, tous les autres sont disposés en billons d'environ 2 mètres de large; les labours à la charrue sont effectués à l'aide de l'araire, traînée ordinairement par un seul che- val ; les mauvaises herbes sont presque toujours arrachées à la main, et la fauchaison se fait à la sape. Les journaliers prennent leur nourriture à la table du fermier et ne travaillent presque jamais à la tâche. Les assolements sont varia- bles , cependant celui-ci est assez généralement suivi et peut servir à en donner une idée : i^^ ANNÉE. Avoine; â™*" » Lin, carottes, spergule après le lin en récolle dérobée; 5nie „ Froment ou seigle, navets en récolte dérobée; 4™^ » Pommes de terre et betteraves ; S""** » Seigle, navets en récolte dérobée; 6™® » Sarrasin; 7*"^ » Seigle, navets en récolte dérobée; 8™^ » Sarrasin ou avoine avec trèfles; 9™" ') Trèfles; iO""' » Pâture. Ces terres, à raison de la proximité des villages Ihimands, sont assez recherchées. Elles donneraient des produits plus satisfaisants, si leur situation ne les exposait pas tant à souffrir des saisons plu- vieuses. ( 9^ ) Arrondissement d'Axel. — Les neuf dixièmes des polders de cet arrondissement sont très-fertiles, et le système agricole, en usage, ne diffère pas sensiblement de celui que nous avons décrit dans tous ses détails. Ici pourtant, on s'adonne un peu plus à la culture de la garance, de la graine de canari, et l'on y a vu quelques essais de culture de la cameline. On rencontre deux ou trois grandes exploi- tations dirigées par des propriétaires instruits et intelligents : l'une d'elles renferme de fort beaux bestiaux, croisés avec les meil- leures races, et les bâtiments peuvent être considérés comme des modèles de confortable et de bonne disposition. Une autre se dis- tingue spécialement par l'emploi de quelques macbines aratoires perfectionnées, mais ces essais sont restés jusqu'à présent sans influence. La partie sablonneuse confine aux communes de Wacbtebeke et de Moerbeke; elle est cultivée par de petits fermiers et à peu près de la même manière que les polders sablonneux que nous avons déjà rencontrés. Arrondissement de Hulst. — Il peut, sous le rapport de la nature des terres, être comparé à celui de Philippine. On y trouve des polders riches en limon, des restes d'anciennes dunes et des terres qui n'ont qu'une couche d'argile peu épaisse; ce sont là les plus nombreuses. Les fermes n'ont qu'une étendue de 50 à 450 ar- pents; les polders sont divisés en parcelles plus larges; l'écoulement des eaux est moins parfait; les labours sont à billons foits exclusi- vement à l'araire. Quoiqu'en général, les terres soient peu riches, les bestiaux et les engrais ne sont pas mieux soignés que dans les arrondissements précédents. Les fourrages n'occupent dans la rota- lion qu'environ 15 arpents sur iOO, savoir: Les trèfles, 40 arpents; Les carottes ,5 » Les navets, 2 « Les betteraves, V2 » Cet arrondissement fournit plus de garance qu'aucun autre, et les champs qui en sont emblavés, portent en outre, la première année, des fèves blanches, plantées entre les lignes; elles produisent de 4 à 6 hectolitres par arpent. (95 ) Arrondissement de Calloo. — Celui-ci est entièrement composé de bonnes terres. La partie septentrionale comprend des polders récemment endigués, divisés par grandes fermes; celles-ci sont exploitées comme celles du pays de Cadzand , à cela près, que Ton n'y emploie pas la charrue wallonne, que les champs ne sont pas coupés par tant de rigoles d'écoulement et que tous les labours sont à billons. Dans la partie méridionale, on se rapproche de l'agri- culture flamande. Les fermes y sont de 4 à 10 chevaux; le bétail est bien soigné, et l'on accorde une plus grande place aux racines fourragères; les navets sont cultivés en récolte dérobée, et par- tout on trouve des fosses à purin. On bêche aussi les champs, mais seulement dans la proportion de 5 arpents sur 100; ces terres sont plantées de pommes de terre et quelquefois de pois, sans doute, pour mieux les purger des mauvaises herbes. Cette pratique de bêcher les champs, introduite par mesure générale pendant la disette de 1845-46, et dans le seul but de fournir du travail aux indigents, s'est perpétuée. Il faut espérer qu'elle se propagera etqu'on en obtiendra les mêmes bons résultats que dans le pays de Waes , conligu à cet arrondissement. Nulle part on n'y cultive la garance. Les instruments ne présentent rien de particulier, seulement, nous y avons vu des araires dont les versoirs sont en bois; parleur emploi , le labour est plus meuble et les mottes sont moins volumi- neuses. Agriculture du littoral. — Les fermes de la région argileuse du littoral n'ont pas cet air de propreté, de coquetterie qui distingue celles des polders. L'habitation, toujours assez irrégulièrement bâtie, comprend très-souvent sous le même toit l'étable ou l'écurie; les granges sont plus ou moins délabrées, et aucune plantation ne les protège contre les intempéries et les vents âpres, qui régnent pres- que incessamment le long de la côte. En y comprenant les prairies, ces fermes sont aussi étendues que celles de la rive gauche de l'Escaut, mais elles ont moins de terres arables et n'emploient que 4 à 10 chevaux de labour. Les terres sont louées à raison de 50 à 50 francs l'arpent, et les bonnes prairies vont jusqu'à 80 francs et au delà. Les instruments sont analogues à ceux que nous avons décrits; ( 9i > ia baratte seule dilFère d'une manière notable. La figure ci-dessous en donne une idée. C'est dans cette contrée que l'on trouve les plus beaux bestiaux de la Flandre; les chevaux surtout sont renommés. Les ânes, dont nous avons omis de parler, sont en très-cjrand Tiombre aux environs de Nieuport et dans tout l'arrondissement de Furnes. On les élève pour les besoins particuliers; quoiqu'ils soient beaux et forts, il est bien rare que leur prix de vente dépasse 400 francs, et le commerce qu'on en fait est peu étendu. Cet animal rend de grands services aux petits fermiers qui habi- tent les dunes : il est employé aux labours , et transporte aux mar- chés de Furnes, Nieuport et Ostende, les légumes et le poisson. On le trouve aussi dans toutes les grandes exploitations, mais il n'est jamais attelé : c'est la monture du fermier, et surtout de la fermière qui, par des chemins presque toujours boueux, ne pourrait que rarement quitter sa demeure sans ce moyen de transport. L'orge, les féveroles, le froment sont les principales récoltes; la garance est inconnue; le lin et le colza sont peu cultivés; les four- rages entrent pour une minime part dans la rotation, et la jachère y revient plus souvent que partout ailleurs. ( 9o) Les labours se font à l'araire ou à la charrue wallonne, suivant les coutumes locales ou la nature du terrain. On al telle à ces instru- ments jusqu'à 5 chevaux , ce qui ne se fait jamais au delà du Zwin, où un attelaajene se compose e^uère de plus de trois liêles de trait. Le sarclage des céréales est très-soigné. Dans chaque ferme les prairies sont divisées en classes suivant leur qualité : les moins bonnes fournissent le foin, et les meilleures, qui sont d'une nature si excellente qu'on leur donne le nom de vette weiden, sont réservées pour le bétail de boucherie. Après ces traits généraux, parcourons rapidement toute la lisière; nous y rencontrerons des terres très-sablonneuses qui vont fixer aussi notre attention. Entre West-Cappelle et Knocke, les fermes ressemblent encore beaucoup à celles des polders, mais les champs sont labourés à billons, même ceux emblavés de trèfles et de pomn^es de terre; cette pratique est observée partout sur le littoral, et le colza y est généralement planté à la houe ou bien à la charrue. Près de Knocke existe un banc de sable qui se prolonge jusqu'à Heyst et qui, depuis longtemps, est soumis à une culture régulière. On y trouve des lisières boisées qui empêchent le trop prompt dessèchement du sol et préviennent le déchaussement des récoltes. Dans les dunes, il y a une dizaine de toutes petites fermes, dont les champs sont entourés de diguettes et dont les huttes délabrées, le bétail chétif, les mauvaises récoltes annoncent la misère de leurs habitants. Entre Heyst, Ramscappelle, Dudzeele, Blankenberghe, les exploi- tations ne sont que de 5 à 8 chevaux. L'assolement est de 4, 5 et 6 ans, et l'on n'y cultive en grand que le colza, l'orge, les féveroles et le froment; on sème peu de trèfles et peu ou point de racines. Le bétail auquel on destine un arpent de prairie par tête, trouve une nourriture très-abondante en été, mais il est mal nourri en hiver. On ne se défait clés bêtes grasses que quand elles ont atteint l'âge de 4 ans. Les prairies nourrissent aussi les poulains de la ferme, et on y reçoit des chevaux étrangers, jeunes et vieux, à raison de iOO francs pour six mois de pâture. On fait usage du fumier ei de l'engrais liquide, mais ils ne sont pas estimés comme ils le ( 96 ) montent; les centlres sont vendues au lieu de les utiliser sur les champs. Aux environs de Blankenberp;he, les terres deviennent plus fortes et réclament de puissants attelages pour les labours de la jachère. Ajoutons que leur nature est très-variable, car tandis que Ton rencontre des parcelles qui, depuis plus de quinze années, four- nissent annuellement de belles récoltes sans aucun engrais, il en est d'autres qui ne produisent que des récoltes médiocres, et dont la couche argileuse a si peu d'épaisseur que des labours inconsidérés pourraient les rendre en quelque sorte stériles. Les engrais artifi- ciels ne sont pas employés dans ces localités, mais un cultivateur fort intelligent a amendé ses terres avec de la chaux et des ba- layures de la ville, très-riches en matières azotées; à l'aide de ce pro- cédé, il est parvenu à doubler le produit de ses prairies. Ici déjà on coupe les céréales à la sape, et l'on plante les féveroles en lignes; ces deux pratiques se généralisent à mesure que l'on avance. Outre les quatre récoltes principales, on cultive les trèfles et les vesces comme fourrages verts; l'avoine et le seigle sont cultivés également, mais cette dernière céréale ne vient bien que sur la bande sablon- neuse qui règne de Wenduyne au sas de Slykens. A droite de la route d'Ostende à Nieuport, on voit les dunes et les riantes petites fermes qui leur sont adossées. Chacune d'elles est entourée d'une haie vive et de quelques arbres fruitiers et arbris- seaux. Ces gracieuses demeures sont habitées par des maraîchers qui exploitent de 2 à 8 arpents; quoique leurs champs soient arides et qu'ils n'aient, pour les faire valoir, que l'engrais recueilli à letahle, leur bêche, leur charrue et leur herse traînées par des ânes, ils vivent dans un état prospère, et la plupart deviennent pro- priétaires de leur exploitation. Dans la région argileuse comprise entre Ostende et Furnes , on fait la plupart des labours à la charrue simple. Les fermes y sont de 2 à 8 chevaux; la jachère est pratiquée et l'on ne sème que peu de lin et de colza; on accorde la plus grande place à l'escourgeon, à l'orge de mars et aux féveroles; viennent ensuite le froment, l'avoine, les vesces, les trèfles et la luzerne. Souvent les meilleures parcelles donnent trois récoltes d'escourgeon pendant les six prennèrcs années ( yî ) de la rotation, et son rendement est presque aussi bon que dans les meilleurs polders. Au delà de Furnes, on cultive le colza d'été; il est semé en mai pour le récolter en septembre; son produit est moindre que celui du colza d'biver. Le bétail à l'étable est un peu mieux soigné que dans les contrées que nous avons parcourues; dans quelques fermes, on lui donne du foin , des féveroles et des buvées farineuses. Partout, les journaliers mangent à la ferme et gagnent, outre la nourriture, de 70 à 90 centimes. De Nieuport à La Panne, les dunes sont habitées exclusivement par de petits fermiers, qui s'occupent aussi de pèche, et qui ne se sont établis là que depuis une cinquantaine d'années; ils exploitent de "1 à 0 arpents, qu'ils louent à raison de 15 à 20 francs. Leurs champs sont entourés de diguettes et de lisières boisées, et emblavés de seigle, d'avoine, mais surtout de pommes de terre, d'un peu de na- vets, de betteraves et de carottes. Leurs vaches, petites, maigres, qui rappellent celles des bruyères des Ardennes, paissent, en été, sur les dunes; on paye au propriétaire 10 francs par an et par tête de bétail pour la pâture. Cette population de fermiers-pêcheurs est renommée pour sa con- stitution robuste, son bon naturel et son extrême activité. Les terres des moeres sont sablo-argileuses, aigres et humides; elles sont divisées en parcelles rectangulaires, par des chemins et des fossés plantés d'arbres. Les exploitations ont une étendue variable, mais les plus grandes n'occupent pas plus de six chevaux, et toutes sont louées pour 53 francs l'arpent. On n'emploie que la charrue à avant-train, et l'on cultive le froment, l'orge, l'avoine, les féveroles, le lin, le colza. On y néglige plus qu'ailleurs la culture des racines fourragères, les sarclages, l'entretien du bétail et la con- fection d'un bon fumier. Entre Furnes et Dixmude, le mode de culture est semblable à^ celui qui se pratique de Furnes à Oslende, avec cette distinction! qu'on y fait un assez fréquent usage de la marne. On y rencontre de la terre argileuse si collante, qu'il est im»- possible de la labourer à la charrue à avant-train ; les roues s'em- bourbent tellement que Ton emploie la charrue simple; on rempîace Tome V. 7 (98 ) le versoir en fer par un autre en bois, (Foù le limon se détache assez facilement. La rotation est de six ans, et, quand la bonne saison n'est pas trop pluvieuse, on obtient dans ces terres de fort belles récoltes de céréales , de féveroles et de colza. N'oublions pas de mentionner Tune des plus grandes fermes du littoral, et qui, à juste litre, peut être citée comme modèle d'une exploitation bien entendue. Elle est située dans la commune de Stuyvekenskerke , non loin de la chaussée de Bruges à Furnes. L'on y trouve un très-grand nombre de bêles à cornes des meilleures races anglaises et hollandaises; un troupeau de brebis Scheppy; des porcs des races d'Essex, du Hampshire et du Berkshire; les étables sont bien disposées et proprement tenues; les pâtures et les champs sont dans un parfîiit état d'entretien; le drainage est ap- pliqué en grand; on ne rencontre que des instruments perfec- tionnés ; partout il y a des fosses d'écoulement et de bons chemins. Disons-le en passant, c'est le propriétaire de ce bel établissement qui est le promoteur des chemins ensablés dans le Furnes-Ambacht; ils s'y multiplient avec une grande rapidité. Tant de services rendus en vue de la prospérité agricole ont valu à cet agronome les distinctions les plus honorables. Aux environs de Dixmude, existent deux grandes fermes, exploi- tées par les propriétaires d'usines importantes, dans lesquelles on voit plusieurs instruments aratoires nouveaux, tels que les semoirs dont on fait usage surtout pour les semailles des betteraves. Considérée dans son ensemble, toute la partie de la lisière argi- leuse, comprise entre Blankenberghe et la frontière de France, est bien cultivée; toutefois, on n'y apprécie pas suffisamment l'avan- tage de varier les récoltes et les effets des amendements et des engrais. Nous devons ajouter quelques mots encore à ce que nous avons dit de l'arrondissement de Furnes. On croit assez généralement qu'il renferme les terres les plus fertiles de la région argileuse de la Flandre occidentale, et même de toute la zone que nous avons passée en revue. Qui n'a pas entendu vanter, sous ce rapport, le riche Furnes-Ambacht? Cependant, si l'on fait abstraction de quel- ques parcelles de pâtures grasses rompues, et que l'on a vu affermer ( 99 ) pour un terme de vingt ans, à raison de 100 francs la mesure, soit à plus de 225 francs Theclare, les meilleures terres de celte con- trée sont d'un plus faible rapport que celles qui sont situées à l'ouest et au nord de Bruges, ou dans les bons polders de la rive gauche de l'Escaut. Voici ce qu'année commune, y produisent les récoltes: Froment d'hiver. . . '1 (le printemps Seigle . . . Escourgeon . Orge (Je mars Avoine. . Féveroles . . Colza d'hiver. '^ d'été . Pommes de leire Pois .... Heclolilies. 24,50 par hectare. 22,50 » 22,50 45,50 *> 45,50 62,00 22,50 25,00 15,00 115,00 22^0 (Peu cultivé.) (Peu cultivé.) (Peu cultivé ) (Avantlamaladie,24oliect.) (Peu cultivé.) En général, il y a beaucoup d'analogie entre le mode d'exploita- tion des terres du Furnes-Ambacht et celui en usage plus au nord. Toutefois les bonnes pratiques , telles que l'emploi des amende- ments, le bon entretien des pîilures, l'amélioration des races, sont mieux comprises et mieux accueillies; la science agricole y est plus aviincée. Aussi ne saurait-on rendre trop justice aux agronomes de cette contrée, qui non-seulement propagent les bonnes innova- tions au moyen de leurs écrits, mais encore prêchent d'exemple, tout en faisant les plus généreux efforts pour les répandre et en faciliter l'adoption. ( 100 ) §1V. PERFECTIONNEMENTS. En abordant la dernière partie de notre tâche, l'étude des diffé- rents moyens d'augmenter les ressources agricoles de cette contrée, nous ne nous en dissimulons pas toute la difficulté. Que prendrons- nous pour base? Seront-ce les données spéculatives de la science, encore si contestées, et partant si peu sanctionnées par l'expérience? Sera-ce l'analogie avec ce qui se fait ailleurs? Mais il est évident que, dans des circonstances si différentes de position ou de climat, toute comparaison est nécessairement défectueuse. Sera-ce enfin l'ob- servation, l'expérience et l'expérimentation faite dans le pays même? Nous avons tâché de tout voir et nous avons interrogé beaucoup de gens, mais les innovations sont rares, la persévérance l'est plus encore, et alors même qu'on la rencontre, que d'éléments compli- quent la question ! Combien n'est-il pas difficile de les constater, de les débrouiller, d'apprécier , enfin , leur valeur particulière dans le résultat commun ! Toutefois nous allons considérer séparément les divers points qui, dans leur ensemble, constituent l'économie rurale; nous indiquerons leurs imperfections et les améliorations dont ils nous paraissent susceptibles, mais toujours dans l'esprit que nous professons hautement : respect sans préjugé pour tout usage ancien et général; défiance sans prévention pour toute application scien- tifique; en un mot, impartialité et circonspection, surtout pour une matière qui touche de si près au bien-être du pays et de l'humanité. Communications plus faciles. — L'un des premiers besoins de l'agriculture, toujours reconnu, mais que pourtant on n'a songé à satisfaire que dans les derniers temps, c'est la facilité des commu- nications. Quoique les chemins d'exploitation aient dans cette contrée au moins la même importance que les routes vicinales ou provinciales, ce n'est que depuis peu d'années qu'on a construit quelques chaussées : celle de Breskens, par Schoondyk et Oostburg, à Âardenburg et à Maldegem, et par l'Écluse à Bruges; celle de ( 101 ) Schoondyk à Yzendyk, conslriiile en briquelles. 11 serait nécessaire d'y joindre encore une route pavée d'Yzendyk à Cadzand , par Waterlandkerkje, Oostburg et Zuidzande; une autre, d'Yzendyk à Biervliet, où arrivent encore les navires caboteurs; mais la plus importante serait celle qui, reliant Yzendyk à Watervliet, com- pléterait la communication directe entre Breskens et Gand. La chaussée, qui déjà relie Watervliet à Waterland-Oudeman, devrait être continuée, par S^--Marguerite, jusqu'à Aardenburg, ou bien jusqu'à S*-Laurent, qui va être mis en communication avec le réseau des grandes routes de la Flandre ; Watervliet devrait être, en outre , reliée à Boucbaute; Axel réclame des voies pavées vers Wachtebeke, Terneuzen et Hulst; et, cette dernière ville devrait en avoir une vers Ossenisse , par S^-Paul et Hengstdyk. Sur le littoral, il reste beaucoup de communes à relier à leurs centres d'affaires; par exemple, celles qui se trouvent entre Blan- kenberghe, Bruges et Ostende devraient être reliées à ces trois villes; Ramscappelle, dans le Furnes-Ambacht, réclame de bons chemins vers S'-George, Pervyse et le canal de Furnes à Nieuport. On n'a rien fait encore pour les routes vicinales de moindre importance, ni pour les chemins d'exploitation. Çà et là on voit, dans les communes voisines de la mer, des trottoirs , et même des chemins faits du sable du rivage; ailleurs, on en construit avec le sable tiré du fond des fossés. Le sous-sol de nos polders étant composé généralement de sable assez pur, il nous paraît qu'en em- ployant les chevaux, partout oisifs dans la morte saison, le cultiva- teur pourrait, à l'exemple de ce qui se fait dans le Furnes-Ambacht, se créer à peu de frais des chemins ensablés dont l'entretien est peu coûteux; ils rendraient les transports faciles en tout temps, et permettraient d'aller au champ sans patauger dans la boue, comme cela arrive le plus souvent. Écoulement plus parfait. — Un second point capital , et qui ne fait doute pour personne , est l'amélioration urgente des voies d'écoulement. Le Brakman s'envase; les eaux, qui se déchargent aujourd'hui par TÉcluse-Noire, par rÉcluse-Isabelle et par celle du Capitalen-Dam , devraient pouvoir se rendre directement à la mer par le canal de Ilevst, dit de Selzaete. Ce canal a produit le plus ( 102 ) grand bien sur toutes les terres voisines de son parcours, mais il ne va que jusqu'à S^-Laurent; et, à partir de là seulement, se verront les plus beaux effets de la construction : l'assèchement d'une contrée couverte de criques et de flaques d'eau stagnante, qui forment la principale cause de l'insalubrité si connue et trop réelle de celte partie du pays. Depuis que le fossé principal d'écoulement, dit de Eecloosche-Watejgang , se décharge dans le canal à S'-Laurent, on observe un abaissement de niveau de O^oO à l^jSO. Si ce change- ment s'opérait dans tous les environs, et il n'y a pas d'empêchement absolu, pas même dediiiiculté sérieuse, il donnerait à l'exploitation des centaines d'hectares, qui, sans cela, resteront à peu près im- productifs; car on ne doit guère compter les roseaux et le peu de poissons que ces mares peuvent nourrir. Le creusement du canal projeté, de Oostburg vers Breskens; la construction d'éclusettes, qui déchargeraient les eaux pluviales des communes de Westcappelle, Ramscappelle, etc., dans le canal de Heyst; une nouvelle voie d'écoulement aux environs de Blanken- berghe; des canaux de décharge plus parfaits pour les moeres; enfin , un système de voies d'écoulement, indépendant de la navigation intérieure, pour tout le Furnes-Auïbacht, seraient des travaux qui produiraient aussi d'excellents résultats. Drainage. — Une plus complète évacuation des eaux pluviales aurait encore pour résultat la possibilité d'établir un bon drainage. Beaucoup de polders, même des meilleurs, ont des parties dont les terres sont plus compactes, moins perméables, moins meubles et qui se sèchent moins vite après l'hiver; pendant l'été au contraire, elles arrivent à un état do dessèchement extrême, ce qui nuit au développement des plantes et à toutes les opérations agricoles. D'autres polders sont de qualité inférieure, parce que leur sol aigre reste froid, humide, réfractaire à la décomposition des résidus organiques. H n'est pas douteux que, dans ces divers cas, le drai- nage serait avantageux. Certaines personnes sont d'avis qu'il faudrait, dès à présent, drai- ner tous les polders au moyen de tuyaux , combler les rigoles d'écou- lement, et gagner ainsi, pour l'agriculture, une grande étendue de bonnes terres, qui ne produisent aujourd'hui que du foin médiocre. ( 103 ) Nous ne pouvons pas nous niliier à celle opinion d'une manière absolue, aussi longtemps du moins que le nivcnn des eaux intérieu- res n'aura pas descendu. Nous nous proj>osons, toutefois, de faire un essai, et d'examiner avec soin si les bons elfets d'un drainage complet nous détermineront à préconiser, dans Tétat actuel des choses, une opération toujours très-dispendieuse. On a dit que le drainage complet, au moyen de tuyaux de terre cuite, existe dans les polders de temps immémorial. Voici ce qui en est : Les polders sont , en général , divisés en grandes fermes, dont les terres, presque toujours contiguës, sont séparées par des chemins bordés de fossés d'écoulement. Les champs se composent de parcelles qui n'ont que 20 à 50 mètres de largeur, mais qui sont aussi longues que possible (1). Entre elles se trouvent des rigoles d'une profondeur de \ Vi à 2 pieds, aussi étroites que le permet la consistance du terrain, et qui, sauf dans les grandes sécheresses, sont rarement sans eau. Chacune de ces parcelles devrait nécessairement avoir un débou- ché particulier sur la voie publique, sans l'existence d'une bande de terre large de 3 à i mètres, perpendiculaire aux parcelles et mé- nagée le long du chemin. C'est sous cette bande que chaque rigole décharge ses eaux dans le fossé d'écoulement, au moyen de tuyaux en terre cuite; ils sont emboîtés les uns dans les autres et placés au niveau du fond de la rigole, assez profondément pour permettre de labourer et d'embla- ver la bande ou le chemin de desserte. Tous ces ouvrages sont entretenus avec le plus grand soin : les rigoles sont fauchées chaque année et recreusées au besoin. En vertu du bail, les tuyaux appartiennent au fermier, sous la charge de les transmettre à son successeur sur estimation. C'est là le drainage des polders, parfaitement approprié à ses champs, qui, en hiver, ont l'eau pluviale à fleur de terre. C'est un drainage à ciel ouvert, avec tuyaux souterrains seulement quand la nécessité du passage en fait une loi. (1) Ceci se remarque particulièrement dans les arrondissements a^fiicoles de rÉcIuse, Cadzand, Axel et Philippine. ( i04 ) Division des grandes fermes. — Une question de la plus grande importance est celle de l'étendue qu'il convient de donner à nos fermes des polders. On sait que 50 hectares ne sont plus regardés que comme une exploitation médiocre; on va volontiers jusqu'à 400 et même jusqu'à 200 hectares. Le révérend Dresselhuis ah Ulrecht, ministre protestant, qui puhlia, en 1819, une intéressante topographie du 4^ district de la Zélande, celui de l'Écluse, com- prenant, avec les environs d'Aardenburg, tout le pays de Cadzand, s'élève vivement contre la tendance à accroître davantage les exploi- tations, et pousse à la division des fermes et à l'accroissement de la population rurale , en même temps qu'il voudrait donner à la classe ouvrière quelque chose de l'organisation industrielle. iSous ne pouvons approuver ce système: d'abord parce que les conditions de l'agriculture et de l'industrie sont bien changées; ensuite parce que nous sommes convaincu que l'insalubrité du pays, qu'il prend à tâche de nier, est malheureusement trop réelle et impose le devoir humanitaire d'en tenir compte; et que, d'ailleurs, tout ne réside pas dans la question économique de savoir comment en gé- néral on peut produire pour le moment la plus grande somme de richesses, mais qu'il faut encore songer à leur répartition et ne pas fermer les yeux sur le bonheur ou le malheur d'une population dont, après tout, doit dépendre l'avenir d'un pays. L'habitant des polders, au milieu d'influences énervantes, a besoin de plus de propreté, de plus de chaleur, de plus de nourriture, de plus de stimulants, enfin de plus de bien-être qu'ailleurs. Cela le rend moins apte peut-être aux travaux et aux soins incessants des cam- pagnards d'autres pays : dédaignant le travail des mains, il aime la conversation et même la lecture; le soin des animaux domes- tiques lui sourit peu, il préfère la culture des céréales, dont la vente est facile et assurée. Réduit à cette seule ressource, sa fortune, son avenir dépend des chances du marché : quelques années de bas prix le ruinent, quelques bonnes années l'enrichissent et le mettent à même de se retirer des affaires. Tandis qu'en Flandre, le cultiva- teur retiré est un homme vraiment à plaindre, dans les polders il est fier et considéré : le riistend landman vit dans le confort et se donne tous les asjréments de la vie. ( 105 ) Que les fermes, en se multipliant, deviennent moins étendues, et l'on aura plus de bétail, plus d'engrais, plus de produits; mais les frais généraux résultant du plus grand nombre de familles auront augmenté aussi, les petites propriétés passeront aux mains de plus grands propriétaires, il faudra travailler davantage et dépenser moins ; les maladies, dues à l'encombrement, à la misère, presque in- connues à présent, gagneront du terrain, les bureaux de bienfaisance deviendront une cbarge, la mendicité et le maraudage achèveront de changer la scène. Voilà pour un changement radical du système; ce n'est pas à dire que nous désapprouvions les améliorations introduites avec me- sure, en temps et lieu opportuns. Que des enfants, partageant les propriétés de leur père, soient réduits à une moyenne exploita- tion, que, possédant un capital suffisant, ils voient la convenance ou la nécessité de produire davantage; qu'ils se donnent plus de bétail, surveillent mieux leurs étables et se procurent plus d'en- grais, certes ce sera un bien. Que, dans les endroits plus favorable- ment situés, on encourage l'établissement de quelques familles hon- nêtes, qu'on leur laisse un petit champ pour nourrir une ou deux chèvres et engraisser un porc, et l'on se sera créé une pépinière de bons domestiques et d'ouvriers, qui, acclimatés, vaudront mieux que la population nomade qu'on tire à présent des communes fla- mandes limitrophes. Modifications au système des jachères. — Nous avons déjà dit qu'à peu d'exceptions près, la jachère est généralement usitée dans les polders et dans les communes voisines. Ce point nous a semblé assez important pour mériter toute notre attention , et sans nous flatter de jeter sur la question beaucoup de lumière, nous croyons utile de consigner ici le résultat de nos investigations. Dans les terres fortes des polders, la jachère revient tous les huit ou neuf ans. On remue profondément la Jerre à plusieurs reprises et l'on donne une forte fumure; la quatrième ou la cinquième année on a des trèfles; deux ans après, on a des tubercules et des racines, et l'on ne donne point d'engrais pendant tout l'assolement. Tous les cultivateurs, ici, prétendent qu'après quelques années de culture même alterne, le rendement des céréales diminue au point ( i06 ) de rendre la jachère indispensable. On soutient, de plus, que ni le fumier ni aucun autre ene^rais n'y saurait suppléer. Il est vrai qu'un ou deux dissidents ont renoncé à celte pratique, et prétendent la remplacer par des sarclages plus fréquents et des fumures plus abondantes; mais nous l'avons dit aussi, ni leurs raisonnements, ni leur exemple n'ont trouvé d'imitateurs. La jachère offre-t-elle des avantages? Sans doute: elle purge mieux la terre de toute mauvaise herbe que ne saurait le faire le sarclage; en ouvrant le sol à toutes les influences de raimosphère, de la gelée, des neiges, des pluies , du soleil, elle le rend bien plus meuble et plus riche, et quand même les avantages du repos qu'on veut lui reconnaître en dehors des effets précédents seraient chimériques, en voilà assez, d'après nous, pour ne pas la repousser légèrement. Nous avons lu ce que les savants auteurs de la Maison rustique ont écrit relativement à la jachère. Nous croyons que ce qui se fait dans les polders ne serait pas loin d'obtenir leur entier assentiment. Toutefois si l'on trouvait que la perte d'une année entière qui lui est consacrée est trop grande, nous pensons pouvoir proposer comme avantageux l'assolement suivant; il donnerait deux fois, pendant la rotation, une première coupe de trèfle, dont la valeur est à celle de la deuxième coupe comme 3 est à ^2, tout eu météorisant le sol et le purgeant des mauvaises herbes autant et mieux peut-être que par l'ancienne méthode. r* Année. Colza; 2ni« » Froment ou escourgeon; Féveroles ; Froment avec trèfle; V^ coupe de trèfle et jachère fumée; Escourgeon ou froment; Féveroles, ou lin, ou racines; Froment ou avoine avec trèfle; V^ coupe de trèfle et jachère fumée. Dans les terres plus légères et plus meubles où la météorisation est de moindre importance, nous remplacerions la deuxième jachère par l'enfouissement d'une dernière coupe de trèfle comme engrais vert. ^,u« » 4'ne » 5me )) (^me » yme . )) gme » 9me » ( 107 ) Engrais et bestiaux. — La terre argileuse et forte de polders exige impérieusement qu'on travaille à la tenir ouverte. Les fermiers esti- ment en partie une récolte d'après la qualité et la (juantilé du chaume que la faucille laissera sur pied et qu'ils auront soin d'en- terrer. C'est la raison pour laquelle ils préfèrent le fumier d'éta- ble à tous les autres engrais. Certainement on était allé trop loin dans ce système, et on le reconnaît, pour le purin par exemple, dont l'usage se répand de plus en plus. Nous pensons que la ( baux pour- rait rendre de grands services comme amendement dans les sols trop argileux et imperméables , aussi bien que dans les polders humides, tourbeux et aigres où elle pourrait décomposer les dé- tritus végétaux non assimilables. L'usage des engrais concentrés, de la suie contre certaines maladies des céréales , des cendres pour les trèfles languissants, des phosphates et du guano pour la pomme de terre, les turneps et autres racines fourragères, pourrait aussi élre fort utile, en procurant au bétail une nourriture d'hiver plus abon- dante et qui manque trop à présent. L'on obtiendrait ainsi le dou- ble avantage d'avoir un fumier bien supérieur, celui employé étant par trop pailleux, et d'entretenir en bon état les bètes à cornes, si mal traitées pendant la mauvaise saison que cela fait vraiment tache dans l'économie rurale des polders. Dès lors aussi le fermier, y trou- vant une ressource ou un supplément de bénéfices, en augmenterait le nombre, leur accorderait une partie de ses soins et ne les aban- donnerait plus à ceux des domestiques les moins intelligents. L'emploi des bœufs et des vaches comme animaux de trait, n'est guère possible peut-être dans les terres fortes, à njottes volumi- neuses et dures, et dans lesquelles leurs pieds glisseraient ou s'en- fonceraient outre mesure par les temps pluvieux. Mais il n'en est pas de môme dans les })olders sablonneux, où nous avons connu plus d'un petit fermier qui n'avait pas d'autre attelage. La propaga- tion de cette pratique serait désirable, car elle ne convient pas seulement h celui qui ne saurait entretenir un cheval, l'économie qui en résulte est assez grande pour que toutes les fermes qui ont des terres légères l'adoptent en partie. Instruments. — Charrue wallonne. — Nous avons décrit les instru- ments aratoires employés dans les polders, et parmi eux la charrue ( i08) wallonne ou à .ivant-train, encore inconnue dans une partie de cette conln-e. Quoiqu'il soit incontestable qu'à égalité de profondeur, la force de tirage est plus grande avec cet instrument qu'avec l'araire, il est certain que la charrue à roues est regardée comme indispen- sable dans le pays de Cadzand et les environs, du moins pour les terres fortes et les profonds labours, et que Ton y croit générale- ment que, sans elle, on ne saurait faire un travail régulier. On nous a raconté que, pendant la domination française, les conscrits réfrac- taires de cette contrée, réfugiés dans les îles de la Zélande, y ont in- troduit cette pratique. Le laboureur travaille plus facilement avec la charrue wallonne qu'avec l'araire; mais que la première doive être préférée, cela nous paraît contestable, attendu que dans les arron- dissements de Hulst et de Calloo, les mêmes labeurs se font dans les mêmes terres à la charrue simple. Extirpateur, scarificateur , rouleau squelette, rouleau Crosskill, charrue sous-sol, semoir, sarcloir. — Parmi les instruments nou- veaux que l'on recommande, Xextirpateur serait, dans les polders, d'un tirage fort difficile; le scarificateur serait dans le même cas et ne ferait pas mieux, peut-être, que la herse à dents de fer. Le rou- leau squelette et celui de Crosskill pourraient être d'un excellent usage. Une bonne charrue sous-sol serait employée avec avantage dans les polders où la couche de limon n'a que peu d'épaisseur et où , partant, le sous-sol n'est jamais remué ; mais on ne pourrait en faire usage que par un temps sec, pour que le piétinement des 4 ou 5 chevaux, nécessaires à l'attelage, ne nuise pas trop au sol. Dans les bonnes terres, au contraire, les labours de la jachère et autres se font assez profondément pour que l'usage de cet instrument soit superflu. Le semoir aussi paraît peu convenir : ces terres fortes, qui ne sont jamais parfaitement émottées, ne se prêtent pas à un semis régulier; les parties délicates d'une machine assez coûteuse résisteraient mal aux obstacles que cette espèce de terrain lui oppose; d'ailleurs, les dégâts que commettent les limaçons récla- ment presque chaque année des réparations au semis qui , néces- sairement irréguliers, rendraient impossible l'usage du sarcloir, complément de l'ensemencement en lignes, et sans lequel dispa- raît son plus grand avantage. ( 109 ) Machine à battre (1). — Nous avons vu fonctionnel' une machine à battre de Rainsomes et May; elle fournissait 60 hectolitres de fro- ment par jour. Desservi par quatre chevaux, neuf hommes, deux femmes et deux garçons , ce travail devrait être estimé à fr. 24 96 c', soit 25 francs par jour. Admettons qu'une ferme de 300 arpents en ait 100 de froment et 50 d'orge et d'avoine; l'autre moitié étant consacrée à d'autres cultures que les céréales. Le froment à 10 hectolitres par arpent donnera 1,000 hectoli- tres. L'orge et l'avoine à 20 hectolitres en donneront mille autres. Le hattage se fera en 33 */5 jours et coûtera fr. 833 33 c'. Ajoutons l'intérêt de 2,000 francs, coût de la machine, et l'usure qui doit être évaluée à 150 francs au moins, nous aurons pour total des frais de battage fr. 1,085 33 c^ Si l'on objecte que les machines à battre ne coûtent pas toutes 2,000 francs, nous dirons qu'alors elles sont moins parfaites, ou moins solides; et que 150 francs pour réparations et usure d'une machine de 2,000 francs qui, dans notre siècle d'inventions, court les chances d'être bien vite rebutée , n'est pas un chiffre trop élevé. Le battage au fléau fournira 1,500 à 1,800 journées de travail; mais comme on paye à la mesure, les frais, à 75 centimes par hec- tolitre de froment, et à 50 centimes pour l'avoine et l'orge, s'élè- veront à 1,500 francs. La différence est en faveur de la machine. Enfin décompte, nous croyons l'introduction de la machine utile dans les exploitations fort importantes, et là où l'on manque de bras. Partout ailleurs nous dirons qu'il est plus conforme aux véritables intérêts du cultivateur de faire le sacrifice de cette éco- nomie, en employant les ouvriers ses voisins, plutôt que d'en faire des ennemis ou de les imposer à la bienfaisance publique. Une amélioration dont les polders sont encore susceptibles, c'est l'introduction de quelques cultures industrielles; elles donneraient le moyen d'espacer mieux les céréales dans l'assolement, offriraient en même temps des bénéfices meilleurs et plus certains que ceux que procurent actuellement les céréales; celles-ci, soit dit en pas- sant, approchent de la limite où elles ne rendent plus ce qu'elles (1) Voir Journal d'agriculture pratique^ par M. Ch. Morreii, u I, p. 550. ( 110 ) coûtent. Ces cultures seraient celles de la betterave à sucre, de la chicorée, du tabac et du chanvre, qui toutes réussiraient vraisem- blablement dans les diverses variétés de terrain que présentent nos polders. Surveillance' des engrais. — Propagaiion des bonnes pratiques. — Nous conclurons en louant le Gouvernement belge des efforts qu'il a faits pour répandre l'instruction agricole; mais ces efforts, pour atteindre leur but, ne sauraient être trop bien dirigés. La population des polders, à de très rares exceptions près, n'entend pas le français; à plus forte raison ne saurait-elle comprendre les mots scientifiques ou techniques dont celte langue est surchargée. Sa langue maternelle, le hollandais ou le flamand, présente aussi des dillîcuUés; il est vrai quelle a l'avantage de pouvoir rendre, par des mots composés de racines essentiellement flamandes, les mots techniques des autres langues, ce qui, sans doute, donne beaucoup de facilité pour leur intelligence; mais ces mots ne sont pas encore assez connus et leur composition et leur application sont trop déli- cates, pour que le premier venu fasse des traductions en flamand à coups de dictionnaire. Il faut donc qu'on n'en charge que des hommes compétents et qu'elles soient faites avec soin. Un mauvais livre n'est pas seulement inutile, il dégoûte des autres, et c'est là son plus grand mal. L'école primaire est la pépinière des futurs agriculteurs : c'est elle qu'il s'agit d'y approprier. Les instituteurs doivent être mis en état de bien comprendre, de bien expliquer ce que les bons livres peuvent oftVir de trop diflîcile pour le lecteur vulgaire. On a proposé en France une mesure que, si elle était appropriée aux exigences du pays dont nous nous occupons, nous regarderions comme le complément de tout ce qu'on a fait, de tout ce qu'on peut faire pour l'agriculture. 11 s'agissait des falsifications dont les en- grais concentrés sont souvent l'objet et du charlatanisme dont les cultivateurs, à ce qu'il paraît, sonf trop souvent victimes. Ces fraudes auraient été considérées comme falsifications apportées aux substances alimentaires. Le marcliand devrait désigner les prin- cipes actifs des engrais en proportions déterminées; dans chaque arrondissement un expert chimiste, salarié par la caisse publique, ( 111 ) serait chargé de vérifier réchanlillo» fourni par le vendeur, et de conlrôler la bonne qualité de la marchandise livrée. Touielbis, nos populations n ont pas élé dupes des engrais dits concentrés et des merveilles qu'ils promettent. iVous dirons, pour terminer, que nous avons à introduire l'appli- cation en grand des cendres, du guano et des substances amendantes dont il ne serait pas trop difficile de surveiller la vente; que nous avons à conserver la surveillance de l'entretien des digues et de l'écoulement des eaux pluviales, car l'on croirait difficilement com- bien l'écoulement des eaux intérieures est négligé, partout ailleurs que dans les polders où l'institution des wateringues est une vérité. Nous avons enfin à désirer l'inspection de l'agriculture considérée coinme art, comme industrie et comme enseignement. Le cultiva- teur, quoi qu'on fasse, lit peu et n'en croit volontiers que ses yeux. Qu'un inspecteur intelligent vienne le voir chez lui; qu'il lui trans- mette des graines d'espèce nouvelle, ou des semences dépaysées; qu'il lui parle des pratiques qu'il a vues ailleurs, qu'il lui prouve qu'ici aussi elles sont applicables, qu'il sache les mettre en œuvre, et l'on verra que l'homme des champs, trop souvent regardé comme un être stupide et entêté, ira au-devant de toutes les améliorations. Son intérêt répond de lui , car on sait bien qu'il n'a qu'à voir cet in- térêt bien distinctement pour y aller de soi et par la voie la plus directe. APPENDICE. Wy Lois, grave van Vlaendcrcn, herloglic van Brabanl, van Nevcrs, van Rethcl, cndc licerc A^an Mcclielen, doen te Mctenc allen licden, dat wy ghczien liebben dcbrieven van onzen voorzatcn Graven endc Graf- ncden van Vlaendercn, ghczcgbelt met heur-licdcr zeghcle inboudendc de voornien bicr naer volghcndc : « Wy Guy, grave van Vlacnderen ende markgravc van Namen, doen te wetenc allen liedcn dat alzoo een gbescbil was tusschen onze lleden van Bochoutc tercenderzydc , ende onze licden van Caprycke, van Lem- beke ende van West-Eckelooter andcrzyde , aengaende heurlieder watc- ringhen cndc beurlicdcr sluuzcn; ende dat beede partieu hcnilicdcn submitterdcn van dcnzclvcn gheschillc in ons endc beloft hadden te hou- denc tghucnt dat wyre afordonneren ende zcgghen zouden van boven nc- dere.Wy, naer tghucnt dat wybcvonden hebben van dcnzelven ghcschille, zegghen ende ordonnercn in zulkcr manière dat al het land dat ligt in de prochie van Caprycke betalen zal alzoo vcle cndc nict meer voor vyf ghcmelcn lands in den loop van der watcringhen ende van den sluuzcn dacn die van Bochoutc doen zullen voor een ghemet van heur liedcr bestcn landcn. Ende die van Lembcke van eenen m eg die komt van Caprycke cndc gact naer Lembcke, cndc bcghint te Bcrcnklauwc endc gact zuudwaert tôt Kox, endc van Kox tôt den kerkhove van Lembcke, ende van dicn kerkhove tôt voor tliuus van den priestere, endc van den huuze van den priestere zuudwaert tôt der leet , ende van daer westwaert tôt Havcschotbicf , cndc van daer zuudwaert tôt den moer voor al 'tland dat ligt tusschen deze voorzeidc plactscn ter zydcM aerts van Bochoutc , zullcn al zoo velc endc niet meer betalen in de costen van den waterin- ghcn endc van den sluuzcn voorzeid voor acht ghemeten lands dan die van Bochoutc zullen doen voor een ghemet lands. Ende zcgghen nog ende ordonnercn dat tallen Ivde dat van noode Avezen zal cost te docnc aen ( 115 ) de wateringhen endc aeu de sluuzcn ia Tambacht van Bochoutc, bchoo- reiit te laten wcten die van Capryckc onde van Lcmbekc, cnde die van Caprycke bchoorendcr te zendcnc ccnen man cnde die van Lcmbekc cenen anderen om te verstane ten coste die men docn zal aen de wate- ringhen ende aen de slnuzen met die van Bochoute. Ende indien dcr gheschil es van den coste orne te stellene ende pointcn, wy behoorcndcr te stellene eenen man die van ons tweghe uuten zal 't gheschil ende ordon- neren tghuent dat elke partie bchooren zal te betalene. Ende zcgghen ooc dat die van Bochoute bchooren te doen gravcne den watergang twcc honderd roeden buuten den Ambachte van Caprycke ten ghemeenen coste van beeden partien, ende behoort den watergang veertien voeteii wyd te zyne, endc indien die van Bochaute dat niet doen en willen die van Caprycke meughent doen ende aftrekken den cost van den eersten coste die men doen zal aen den sluuzen ende waterganghen , ende 't suer- pluus dater blieven zal te gravene van den waterganghe voorzeid die loopt van Caprycke tôt den grooten waterganghe dat bchooren zy te doen gravene thueren coste die tanderen tyden ghedaen hebben. Ende al zalcx zegghen wy dat die van Bochoute bchooren te doene van den wa- terganghe die konit van Lembeke, ende indien zy H niet en doen willen , die van Lembeke meughent zelve maken cnde aftrekken den cost die zyrc aendoen zullen van den eersten coste die zy zullen moeten legghen aen de waterganghen ende sluuzen. Ende zegghen nog dat wat huere dat er cost ghedaen werd aen de waterganghen ende aen de sluuzen ende dat ghetermincerd wort hoevele elke partie bchooren zal te betalen, dat die van Caprycke ende van Lembeke betalen tghuent dat ze schuldig werden ten daghe dicre toc gesteld wert, ende zyt niet en doen wy by onzer heerschappic zonder ander vonnesse behoorenze te bedwinghene te be- talene, in zulker manieren dat die van Bochoute geen scade en heb- ben by huerliedcr ghebreke. Ende zegghen nog dat die van Bochoute bchooren te wetene de grootte van den landen van Caprycke ende van Lembeke, dat met hemlieden betalen zal costen aen de waterganghen ende aen de sluuzen alzoo voorzeid is. Ende die van Caprycke ende van Lembeke bchooren ooc te wetene de grootte van den landen van Bo- choute met wien zy betalen zullen costen van waterganghen ende van den sluuzen, ghelyck boven ghedeviseerd es. Ende zegghen ooc dat die van West-Eekeloo ende van Lembeke die land hebben buuten den païen van den wcghc bovcnghczeid westwaert, bchooren te lecden huerliedcr wate- ringhe zonder de scade ende den cost van die van Caprycke van Lem- Tome V. 8 ( \U ) beke ende van Bochoute, die huerlieder wateringhen hebben te Bochoute waerts ende mids al deze ordonnantien boven gezeid aile gheschillen die waren om de wateringhen tusschen deze twee partien zyn doot ende te nienten. Ende indiender eenighe zaken te beterne es in aile deze dinghen boven ghezeid wy boudent in ons zegghenschip. Dit was ghedaen ende ghegeven te Wienendale, in tjaer van der incarnatie ons Heeren duust twee honderd vicrmael twintig ende ecn svrindags naer Aller Heiligen dag, in de maendvan november. » Ende nog eene lettere van de voorzeide grafnede Margriete : « Margriete, grafnede van Vlaenderen ende Henegauwen, de ballius van Brugghen ende van Ghent , saluut. Wy doen te wetene dat wy binnen den acht daghen zullen by Philippot Vanden Poêle onzen riddere, ende meestere Jan van Si^^-Loysberghe onzen clerc, nerstelike onderzoeken op wateringhen ende op sluuzen aengaende die van Eekeloo ende den Vier Ambachten ende die van Caprycke, ende ombieden U ende willen dat gy de partien geen grief en doet ter causen van den wateringhen ende van den sluuzen tôt anderstond dat de querele by ons ghetermi- neerd werd. » Dit was ghegheven swoensdags naer S*» Niclausdag, in tjaer van der Incarnatie duust twee honderd ende zeventig. Ende ter bede ende sup- plicatie van onzen goeden lieden van Caprycke hebben wy hemlieden de zelven geapprobeert ende gheconfîneert alzoo verre als tin ons es. By de orcondschepe van dezen letteren , ghezeghelt met onzen zeghele, ghe- gheven te Ghent den zcstienden dag van maerte in tjaer van gratien duust drie honderd zes ende zestig, gheteekent op den ploijeby mynen heeren in zynen raed : Lamb. Ghetranslateert uul den walsche in vlaemsche ende ghecollationneert jeghen doriginale letteren , met den welken dit transumpt bevonden is in substantie accorderende présent my M. Snoeckaert. {Extrait du cartulaire inédit de la commune de Capryk , dans ses archives.) FUS. TABLE DES MEMOIRES CONTENUS DANS LE TOME V. I" Partie. — Mémoire sur Porganisalion de l'assistance; par M. Vincent Wery. II"""^ Partie. — Mémoire sur les polders de la rive gauche de PEscaul et du littoral belge; par M. A. de Hoon. //■/« ,■,.„.-, ij/r,,, ,/,... r„„.,„f.f,t,- "'■"""" ■-'" .u.^-n,,;^ \ t \ ; / f 1 ■ 1- p "' ^ S ï S ? '"""" ., ,, "\. ' %. ,^ ^-^? :: Ë^ r 5 ^^^?. 1^ " à o ^■^^ - -'.. !i W r /^ ' w / T. / ,.>■""'' '' " 1/, ,,//^.// ,A. /fe/'/.i ^^■" ^n ^ . ___.-. ^ 4 ? s- J i î \ ;:^:: ' < '^ .1 pi' ^/.,, ("s 'y. n '-^? ' ^\__.___.__... r ■■,„„■, /•/ // '' Il o r M E .V \ iiivK (;ai('ih:i)k vers ['an 960, ,.//,-ct,W, m X"_ r. i: -J" ,.„rl . J'I . ///. I.A KIVK GAICHK |)i: vers l'an i.loo. .///// t/rsS(if>tf/f/-y(-//- ■ '//rr/uw m f^f. TV 2^ par/. /'/ /] ' 1>; I' A // LA lllVK (iArClll, l)K YcrsTaii ilno. fd/'rèsh-s /^<>r77/fff7ftK- /ifMf'f'n/ars __J My,> „;„■,■, .l/r,„,/r...V„,. y\ \ \. r // /; /{ /; > Dt LA RIVE GAUCHE DE (liNTsés ffli i\i'iTOidissemenls /!<(/ chnrt ii/i/yriti/ (/il 'Ji9JJirmi/i/r /r"// M,i„ ,y,„rr/.m„,/,:y. ■•■„„„„/.,/■/,■ M/,./,.;,,„,;':ir\r,„„: /'/ il \ ^/ ^^^^SJicrgop/.oom x^^ IV ^( ^^-^ ', ~ , \.__>— '~\\ , Q,t.inrti/i'/ ///.,„<,^.^ 0' -^Î,a\ X^,....,. &tj!^^^^ °~ijj^Malm-» ^s:>^^-^^f ■} v> J*{> -^ "--^ 7 < ( ' V ^ ^ . -^„- „/ y OlilU-XKI.I.KS CARTF, im)[QU-àNT i: RTENDlfE CKUGRM'IIIOI'I'. Dl DKl'OT M()l)ERl\q' DR r.AFI.ANDR: ET LES LIMITES MAKITUVIES DE l,A ISEI.CIOrK .WCIUNN-E.PAR A.H.DUMDl^T. .«•/« ,n,r,/ .1/,,,, ,/...X,r„„l..rr, -'-^"""""'-^■'"^v-'/y/w h 1 ■.: _/^-7 / -— ^^^— < / / / \ ; / " 1 i : ^^^^ —— ' ^ • ""'-^^^ H', DE LA. COMMUNE D'OOST-EECLOO ALi XVJ« SIECLE CarLe p'ovpnaiil de l'Abliaye. (le SamL-Pierre.a GaTid. .s'r-r.r.yriir/ù-.n.r/;/. ^ N> N>'-