i 1^^ f i \^f<^ HARVARD UNIVERSITY. LIBRARY OF THE MUSEUM OF COMPARATIVE ZOÔLOGY. \\«rv ^^^^-5%^-sc.\>A t \Ui 1 MÉMOIRES COURONNÉS ET AUTRES MEMOIRES PUBLIES VA.R L ACADEMIE ROYALE DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES BEAVX-ABTS DE BELGIQUE COLLRCTIOM IN-So. — TOME LX¥1 J BRUXELLES UAYEZ, IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES. DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE rue de Louvain, 112 Juin 1904 3^' 1904 MÉMOIRES COURONNÉS ET AUTRES MEMOIRES MÉMOIRES COURONNÉS ET AUTRES MÉMOIRES PUBLIES PAR l'académie royale DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE €OI.I.K€TI«"l l!\-So. — TOME LXVl mih BRUXELLES HAYEZ, IMPRIMEUR DE l'ACADÉMIE ROYALE DES SCIE^XES, DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE rue de Louvain, 112 Juin 1904 on"" ETUDE SUR LE SYSTÈME BEIGE EN MATIÈRE DE BUDGET DE LETAT EXPOSÉ HISTORIQUE ET CRITIQUE l'AK Ernest DUBOIS PROFESSEUR HONORAIRE A LUMVERSITÉ DE GAND DIRECTEUR DE L'INSTITUT SUPÉRIEUR DE COMMERCE D'aNVERS Lti système Jina7icier d'un pays se comJ>ose non seulement de belles institutions éj>arses , mais d'un budget sincère et contrôlé... (Stourm.) (Couronné par la Classe des lettres et des sciences morales et politiques, dans la séance du 4 mai i903.) Tome LXVl. DEVISES : « Le système financier d'un pays se compose non seulement de belles institutions éparses, mais d'un budget sincère et contrôlé, réunissant annuellement en faisceau les résultats mêmes de ces institutions, pour les soumettre à la sanction des représentants de la nation. » (Stourm, Les finances du Consulat. Paris, Guillaumin, 1902, p. 3o7.) « Rien n'est étranger au budget, parce que les considérations de chiffres dépendent de la confiance qu'inspire le gouvernement, du bonheur dont jouit la nation... Tout rentre dans la discussion du budget, parce qu'il n'y a pas une liberté qui n'ait son chiffre dans les dépenses. » (de Brouckère, député du Limbourg à la seconde Chambre des États- Généraux. Discours du 48 décembre 1829.) Mémoire adressé à la Classe des lettres et des sciences morales et politiques de l'Académie royale de Belgique, en réponse à la deuxième question posée par la Section des sciences morales et politiques pour le Concours de 1903 : « Faire l'histoire et la critique du système belge en matière de budget de l'État. » L'auteur examinera les règles constitutionnelles, la théorie de la comptabilité publique, la pratique parlementaire en matière de con- fection, vote et vérification des budgets, etc. 11 cherchera à en tirer des conclusions quant au système budgétaire en général et aux améliorations possibles en Belgique. Il recherchera autant que possible des éléments de comparaison dans l'étude des budgets des pays étrangers. » PRÉFACE L'étude du budget d'un pays peut être faite à divers points de vue. On peut l'envisager sous le rapport économique et examiner d'une manière détaillée les revenus dont dispose l'État pour la tenue de son ménage, ainsi que les besoins de celui-ci, étudier les uns et les autres dans leurs relations avec les ressources du pays, en montrer le développement parallèle et discuter les réformes et les améliorations qu'il conviendrait d'introduire. Cette élude interne du budget n'est pas celle que l'Aca- démie nous demande. Ce que l'Académie désire, c'est « l'histoire et la critique du système belge en matière de budget de l'État ^). Nous avons donc tâché de faire un exposé à la fois histo- rique et critique du régime budgétaire belge, c'est-à-dire de l'ensemble des principes, des règles, des prescriptions qui gouvernent l'élaboration de cet acte important de la vie publique, par lequel sont prévues et approuvées les recettes et les dépenses nécessaires à un exercice financier. Le plan que nous suivrons est tout indiqué par les ( 4 ) phases successives que parcourt nécessairement un budget : la préparation, qui se fait principalement dans les bureaux du Ministère des finances, le vote par le Parlement, ['exécu- tion par les Ministres et leurs subordonnés, le contrôle par la Cour des comptes et par les Chambres. Ces quatre chapitres seront précédés d'une Introduction historique, où l'on trouvera d'abord un aperçu de l'organisa- tion financière dans les Pays-Bas autrichiens et ensuite une étude du régime budgétaire du royaume des Pays-Bas, que nous avons essayé d'expliquer d'après les documents officiels de l'époque. Quant aux sources, il faut signaler l'absence de tout tra- vail d'ensemble sur la matière. L'important mémoire de L. Bichald, Histoire des finances publiques de la Belgique depuis I80O, couronné par l'Aca- démie en 1882, est un précieux recueil de documents sur les finances belges, mais il n'envisage pas spécialement les questions relatives au budget. Il existe aussi un certain nombre d'ouvrages, déjà anciens, relatifs à la comptabilité publique, comme le Manuel des comptables de Mathys *, le Dictionnaire de Lacomblé -, mais ces ouvrages se cantonnent exclusivement dans une partie de la matière : l'exécution du budget. Ils font le commentaire des lois et règlements à l'usage des * J.-H. Mathys, Manuel des comptables de VÈtat. Gand, Hoste, 1860, in-80 de vii-543 passes. 2 Ed. Lacomblé, Dictionnaire de la comptabilité générale de l'État et des provinces, Bruxelles, 1854. (S) professionnels, des fonctionnaires de l'administration des finances. De même, les études publiées sur les matières budgétaires dans les grands recueils de de Brouckère et Tielemans i, de Defooz ^, des Pandectes belges ^, de Giron ^, sont ou bien très sommaires ou bien de simples commentaires législatifs. Nous avons consulté ces divers travaux, mais nous avons puisé surtout aux sources premières : le texte des lois et règlements^ les documents et les discussions parlementaires. Les travaux des spécialistes étrangers nous ont aussi rendu de grands services, surtout pour l'étude des principes géné- raux du droit budgétaire et de la législation comparée. Nous citerons en particulier les ouvrages de Stourm s, Boucard et Jèze ^\ von Heckel '' , etc. Les ouvrages et les ^ De Brouckère et Tielemans, Répertoire de U administration et du droit administratif de la Belgique (inachevé), 8 volumes, 1834-1856 (A.-Hosp.). Vis Budget, Comptabilité de l'État, Comptable, Cour des comptes. 2 J. Defooz, professeur à l'Université de Liège, Droit administratif belge, t. II. Tournai, Casterman, 1861, in-S» de 767 pag-es. 5 Pandectes belges. Vis Budget, Comptabilité, Cour des comptes. * Giron, Dictionnaire de droit administratif et de droit public, 3 vol. Bruxelles, Bruylant, 1895 et 1896. s Stourm, Cours de finances. Le budget, ¥ édition. Paris, Guillau- min, 1900. ^ Boucard et Jèze, Éléments de la science des finances et de la législation financière française, 2^ édition, 2 volumes. Paris, Giard et Brière, 1902. 7 D^ Max von Heckel, Bas Budget. (Collection K. Frankenstein, Hand- UND Lehrbuch der Staatswissenschaften.) Leipzig, Hirschfeld, 1898. (6 ) documents consultés sont d'ailleurs indiqués en note, chaque fois que nous y avons eu recours. C'est dans ces conditions que nous avons l'honneur de soumettre au jugement de l'Académie cette modeste étude. Nous avons mis tous nos soins à l'orienter, à travers les complications du sujet et le dédale des documents offi- ciels, vers un exposé clair, concis et complet du système belge en matière de budget de l'Etat. ÉTUDE SUR LE SYSTÈME BELGE EN MATIÈRE DE BUDGET DE L'ÉTAT EXPOSÉ HISTORIQUE ET CRITIQUE Introduction historique CHAPITRE PREMIER Le Budget à la fin de l'aDcien régime. L'administration financière des Pays-Bas autrichiens ne comporte, pas plus que celle des autres États de l'époque, une organisation budgétaire développée, basée sur la collaboration constante et continue à tous ses degrés du gouvernement et des représentants de la nation. Une telle conception, en opposition manifeste avec les prin- cipes de la monarchie absolue, ne devait se réaliser que plus tard, dans le cadre des institutions libérales des états constitu- tionnels et des gouvernements parlementaires. Cependant, chacune des dix provinces belgiques avait sa constitution particulière et sa représentation nationale propre, et les États provinciaux « traitaient isolément avec le souverain (8) chaque fois que celui-ci avait besoin de ressources puisées dans la bourse des sujets ^ ». Ce droit de consentir aux subsides leur appartenait de très ancienne date, et ils l'exerçaient effectivement. Ils possédaient donc le droit de voter l'impôt, droit primordial et essentiel, d'où l'on a déduit dans la suite tout le système budgétaire moderne. Mais, pour le reste, l'administration financière était tout entière aux mains du souverain, qui en avait la direction suprême et l'exerçait sans contrôle sérieux. Les nombreux auteurs qui ont décrit nos anciennes consti- tutions nationales ont insisté longuement sur cette prérogative du vote du subside, peu commune à cette époque et que des luttes énergiques et tenaces contre le pouvoir central avaient seules réussi à conquérir et à maintenir. Il nous suffira donc ici de rappeler brièvement les principes constitutionnels du vote des subsides. Nous examinerons ensuite les organes principaux de l'administration financière centrale et les quelques règles que l'on peut démêler dans les tableaux et les aperçus qui tiennent lieu de budgets et de comptes. § 1. — Le vote des subsides 2. Les finances de l'État ou du Souverain s'alimentaient à quatre sources principales de revenus publics : les aides et * PouLLET, Les Constitutions nationales belges de Uancien régime à V époque de l'invasion française de 1794. (Mém. cour, de l'Acad., in-S», t. XXVI, p. 9.) 2 A consulter notamment : PoULLET, loG. cit., pp. 421 et suiv., et les sources qui y sont citées (de Neny, Wynants, etc.). Gh. Steur, Précis historique de V administration générale des Pays-Bas autrichiens sous le règne de l'impératrice Marie-Thérèse. (Mém. cour, de l'Acad., 1827, in-4o, t. VI, pp. 8-19. ; Ch. Faider, Exposé des finances belgiques en 1780 et 1781 , d'après les (9 ) subsides, le domaine, les droits d'entrée et de sortie, les par- ties casuelles K Sous ce terme générique de parties casuelles, on rangeait des droits de nature et d'origine les plus diverses, et notamment le médianat, les engagères clofjices, l'affermage des postes, le pro- duit des terres franches, celui des loteries, etc. « On y compte tout d'abord, dit M. Bigwood, de véritables impôts, tels que le médianat, la dîme royale sur les magistrats, les droits d'expé- dition et d'exploits des conseils et tribunaux, le droit de sceau et de timbre. On y trouve ensuite des revenus dont le carac- tère est plutôt domanial : ventes d'objets appartenant à l'État, produit des postes, du monnayage, confiscations, amendes, consignations surannées, intérêts et remboursements des capitaux actifs et particulièrement des actions que le prince possédait de la Compagnie d'assurances d'Anvers, les clôtures actives des divers comptes, produit de la collation de certains emplois, diverses reconnaissances d'octrois ^2. y) documents aiUlientiqnes des Arcliives du royaume. (Revue belge, Liège, 1835, t. II, pp. 97-112 et 158-170.) ' • L. Van de Walle, Des aides et subsides en Belgique. (Messager des SCIENCES HisTOii. Garid, 1845, pp. 57-79 ) AcH. Gallet-Miiiy, Les États de Ftandre sous les périodes espagnole et autrichienne. Gand, Vuylsteke, 189:2. (Extrait du Messager des sciences HisTOR., années 1890-1891-189:2, pp. 69 et suiv.) G. Bigwood, Les impôts généraux dans les Pays-Bas autrichiens. Étude historique de législation financière. Librairie française interna- tionale, 1900. Abbé Joseph Laenen, Le )ninistère de Botta-Adorno dans tes Pays-Bas autrichiens pendant le règne de Marie -Thérèse (I749-I7oo). Anvers, Librairie néerlandaise, 1901. — Cliap. IV : Botta et les finances publiques. * A côté de ces revenus ou fonds ordinaires, il y avait des fonds extraordinaires, tels que : les dons gratuits ou subsides extraordinaires, les emprunts, les aliénations domaniales, la vente des biens jésuitiques, ordonnée après la suppression de l'Ordre des Jésuites par Clément XIV en 1773, par décret du 19 mars 1777. 2 Bigwood, toc. cit.. pp. 4-5. ( 10 ) La détermination du tarif de ces droits et la jouissance de leur produit appartenait exclusivement au souverain, sans aucune intervention des Etats. Il en était de même pour les droits de douane, dont tout le produit, depuis qu'on ne payait plus la dette de la Barrière, était à la libre disposition du souverain ^. Cependant, en ce qui concerne ces derniers, « on avait com- pris à la fin de l'ancien régime ce qu'il y avait de grave à laisser au pouvoir discrétionnaire du souverain le règlement si déli- cat des rapports de commerce internationaux ». De là, la stijju- lation de l'article 3, paragraphe 8 du traité de La Haye : « Que S. M. se propose d'entendre aussi les Etats sur les changements essentiels qui pourraient être faits aux tarifs des douanes » — stipulation qui ne rendait pas aux États le vote libre de l'impôt douanier, mais qui, du moins, leur permettait de faire entendre la voix des intérêts du pays 2. Les produits principaux du domaine provenaient des objets suivants : forêts, terres, prairies, étangs, maisons, moulins, dîmes, terrages, péages, barrières, fiefs, droits de congé, cens, arrentemens, revenus en grains et en vins du Luxembourg, revenus en plomb et calamine, droits de chasse, de pêche et autres très compliqués, droits féodaux de mainmorte ou meil- leur catel et corvées, amendes, confiscations, épaves, etc. 3. Très considérables au moyen âge et très largement suffisants à assurer la marche de tous les services publics dépendant du comte ou du duc, les revenus du domaine avaient successive- ment baissé, par suite surtout d'une mauvaise administration et de gaspillages, tandis que les besoins publics avaient grandi^. Les forêts, notamment, qui formaient la principale source du revenu foncier, étaient dans un état déplorable à la fin de l'ancien régime. En 1780, le produit brut des domaines * Cf. PouLLET, toc. cit., p. 433. 2 Ibid. 3 Ch. Faider, loc. cit., p. 109. ^ PouLLET, loc. Cit., p. 419. — Cf. aussi Laenen, op. cit., pp. 149-155. ( 11 ) s'élevait à 2,000,000 de florins et le produit net à 1,600,000 florins i. Le Conseil des finances avait, sous l'inspection du gouver- neur général, la régie et l'administration du domaine 2, Mais le souverain n'avait pas le droit d'aliéner le domaine sans le consentement des États provinciaux; il n'en avait la suprême administration, avec la faculté d'en percevoir les revenus, que dans l'intérêt du pays et à la charge de faire rendre bonne et loyale justice à ses sujets '■^. Le droit pour les États de consentir à l'aliénation du domaine était, d'après M. Poullet, un principe constitutionnel incontestable dans les Pays-Bas catholiques, et il appuie cette affirmation sur l'autorité deWynants, qui s'exprime à cet égard comme il suit : « Les domaines sont inaliénables sans le con- » sentement formel des États de la province où ils sont situés; )) et quoique une grande partie en soit aliénée, vendue, enga- » gée, cela s'est toujours fait par semblable consentement. » (Manuscrit n" 12294, chap. IX *.) Les Etats de Brabant avaient vu consacrer leurs privilèges, dans l'espèce, par l'article 5 de la Joyeuse-Entrée. Ils interve- naient môme seuls à l'aliénation des domaines du Limbourg et du pays d'Outre-Meuse, sans que les corps représentatifs de ces pays fussent consultés, et ils restèrent en possession de leur ^ Ch. Faider, loc. cit., pp. 109-HO. 2 ConstilLition du 19 septembre 1725, article 19. Placards de Flandre., t. IV, f'o i243. Cité par Steur, loc. cit., p. 9. 5 Loi du 27 juin 1736. Placards de Flandre, t. IV, f» 2053. Cité par Steur, Ibid. — M. Steur ajoute : « Le souverain pouvait néanmoins les donner en gage pour sûreté des emprunts qu'il avait faits et, à cette fin, concéder les revenus en nature, pourvu cependant que cette concession n'aggravât point la condition de ses sujets, soit en augmentant la quotité des impôts, soit en rendant leur perception plus onéreuse. » {Loc. cit.., p. 10.) * Poullet, loc. cit., p. 419. D'après cette citation de Wynants, le souverain n'aurait pu même engager le domaine sans le consentement des États. Ce qui contredit l'opinion de Steur que nous venons de signaler (note 3). ( 12) prérogative jusqu'à la fin de l'ancien régime. « Il semble, au contraire, que les États des autres provinces l'avaient perdue, défait, peut-être par leur négligence, et (jue le Souverain, dans leur ressort, disposait parfois de ses domaines, sans leur aveu ^. )) L'inaliénabilité du domaine sans le consentement des États était comme un corollaire du droit que possédaient ces mêmes États de consentir aux aides et subsides. Ceux-ci for- maient une source subsidiaire de revenus publics, à laquelle on ne pouvait puiser, en principe, qu'en cas d'insuffisance des revenus du domaine. Les États avaient donc un intérêt capital à surveiller la gestion de ce dernier. Ceci nous amène à parler des aides et subsides, dont nous avons à nous occuper principalement. Dans le principe, les aides et subsides {beden eu subsidiën) n'étaient que des secours temporaires et extraordinaires accor- dés au prince par ses sujets, en vue, notamment, des frais de la guerre ou d'un besoin pressant. Ces impositions « servaient subsidiairement et in subsidium"^ :>^. ^a Mais le retour de ces besoins, réels ou fictifs, étant devenu très fréquent, et l'État de plus en plus sujet à des dépenses extraordinaires, ces secours ont fini par former un état permanent de contributions 3. » Source extraordinaire et temporaire de revenus publics, l'impôt en est devenu une source ordinaire et permanente : c'est là, en deux mots, son évolution historique en tous pays. Tel était déjà le caractère des aides et subsides dans nos provinces à partir du XIV« siècle 4-. Cependant, on distinguait encore au XVIII® siècle le subside ordinaire et le subside extra- ordinaire : ce dernier portait aussi le nom de don gratuit. * PouLLET, loc, cit., pp. 419-420. 2 Selon l'expression de Wynants, citée par Bigwood, loc. cit., p. 5 Steur, op. cit., p. 11. ^ Cf. Bigwood, loc. cit., p. 6. ( 13 ) Les termes de aides et de subsides ont été pris dans des acceptions différentes selon les époques et les provinces i. Mais, au XVIIl^ siècle, on pouvait dire que « les noms d'aides et subsides s'emploient depuis un certain temps d'une manière indifférente et étaient devenus synonymes 2 ». Les Pays-Bas n'étaient donc pas un pays d'impôt, mais de subside : een land van bede. « Aucun impôt ordinaire ou extraordinaire ne pouvait y être établi directement par le prince sur les personnes ou sur les biens, sans le consente- ment exprès des États des provinces respectives. Ce principe avait été reconnu en faveur de toutes les provinces par l'arti- cle 20 du traité d'Arras de 1579 3. « Wynants disait : « Le plus grand droit, qui est véritablement une loi fondamentale du pays, est que le souverain ne peut faire aucune imposition ni charger ses sujets sans consente- ment des États; ce point borne indubitablement l'autorité du prince, mais, ce nonobstant, on ne saurait ni le renverser ni le détruire sans faire une injustice manifeste et sans contre- venir au serment solennel que le souverain fait à son inaugu- ration ^. » Seule, la West- Flandre faisait exception à la règle. Le pays rétrocédé par la France aux Pays-Bas, à la suite des traités d'Utrecht, de Rastadt et de Bade, dont elle faisait partie, avait perdu sa représentation nationale collective et régulière; il était pays d'impôt et non de subside. « On levait, d'autorité souveraine, sur son territoire les subsides ordinaires sans s'embarrasser du soin de demander le consentement de per- sonne. On avait même annexé au domaine du prince des impôts dont le produit appartenait jadis au corps des sujets, et * Cf. à ce sujet : Bigwood, loc. cit., pp. S-8 et Laenen, op. cit.., pp. 433 et suiv. - Bigwood, loc. cit.^ p. 8. 2 PouLLET, loc. cit., p. 421. ^ Manuscrit n» 12294, chap. VIII^ cité par Poullet, loc. cit., p. 421. ( 14) dont la levée dépendait originairement du vote de leurs repré- sentants ^. » Dans les principautés de Liège et de Stavelot-Malmedy, les principes constitutionnels en matière du vote des impôts étaient les mêmes que dans les Pays-Bas autrichiens 2. Il est vrai qu'à diverses reprises, ces principes constitution- nels avaient été méconnus ou niés dans les Pays-Bas autri- chiens par le pouvoir central, qui supportait mal cette dépen- dance des États provinciaux. Sous Kœnigsegg, en 1716, sous Prié, un peu plus tard, puis sous Marie-Thérèse et Joseph II, diverses tentatives furent faites dans le but d'énerver les antiques privilèges ^ . Mais, à la fin du XVIII^ siècle, le vieux droit national fut reconnu formellement et sans restriction aucune par la déclaration léopoldine insérée dans le § 5 de l'article 3 du traité de La Haye et, en 1795, dans une lettre à l'Empereur, Trautmansdorff lui-même se bornait à dire, sans ambages : « Ils ont le droit de voter les subsides ordinaires et extraordinaires ^ ». Le consentement aux aides et subsides était donc un droit incontesté des Etats provinciaux à la fin de l'ancien régime. Comment l'exerçaient-ils? Quelle était la procédure régulière- ment suivie dans l'espèce? Le subside ordinaire, au XVI II« siècle, était généralement 1 PouLLET, loc. cit., p. 8. ce Les pays rétrocédés, qui comprenaient les villes de Tournai, Ypres, Furnes, Warneton, Poperinghe, Wervick, avaient perdu le droit de consentir aux aides et subsides. Aussi dans les états des revenus du domaine fournis par la Chambre des comptes au gouvernement, le 14 juin 1749, range-t-on les subsides et les moyens courants de ces pays parmi les revenus du domaine.» Cf. Laenen, op. cit., p. 130, note 1 ; cf. aussi Bigwood, loc. cit., pp. 19-20. 2 Cf. PouLLET, pp. 434-441. 5 Cf. sur ce point Poullet, op. cit., chap. XIII, § 5; Bigwood, loc. cit., p. 10; Laenen, loc. cit., pp. 131-132. ^ Poullet, loc. cit., p. 425. ( 15 ) accordé pour un an''. I.e gouvernement faisait aux États la « proposition » ou « demande de subside » par l'intermédiaire d'un commissaire délégué spécialement à cet effet. La nomi- nation du commissaire était notifiée par le gouvernement à la dépiitation des ecclésiastiques (députation permanente) et membres, qui étaient avertis ainsi de la proposition qui allait être faite aux Etats 2. « Ce commissaire était toujours un haut personnage, grand d'Espagne, membre de la Toison d'or et de nationalité llamande; il arriva même que le gouverneur général vint en personne aux États de Flandre. Il était toujours accom- pagné du président du Conseil de Flandre... Le commissaire recevait des instructions écrites, parfois très longues, très détaillées, très minutieuses même sur la manière dont il devait accomplir sa mission; les arguments qu'il devait faire valoir en faveur de la demande du gouvernement y étaient longuement exposés. En somme, l'envoi d'un commissaire de haut rang était surtout une marque de tact et de courtoisie du gouverne- ment envers les États, car la mission de ce personnage se bornait à paraître à l'assemblée, ayant à sa gauche le président du Conseil provincial, chacun dans un fauteuil. Le président lisait la harangue au nom du roi et faisait la demande d'un subside ordinaire ou extraordinaire. Après quoi, tous deux se reliraient'^. » 1 En Flandre orientale, depuis 1754, il y avait un accord fixe. Le produit était de 1,64^2,500 tlorins, qui se payait par mois à partir du 1er novembre de chaque année. Cf. Faider, toc. cit., p. 102. — Sur la réforme de 1754 en Flandre, cf. Gallet-Miry, loc. cit., pp. 115-130, et BiGwooD, loc. cit., p. 13. 2 Nous exposons ici la procédure suivie devant les États de Flandre, d'après A. Gallet-Miry, op. cit., pp. 69 et suiv. Elle était analogue pour les autres États. 5 A. Gallet-Muiy, Loc. cit., pp. 71-72. Le gouvernement faisait d'ailleurs tous ses efforts pour se concilier les bonnes grâces des États. « Chaque fois qu'il demandait un subside, le gouvernement avait l'habi- tude d'accorder une faveur. . . On influençait aussi individuellement les membres. . . Quelquefois le ministre s'appuie sur l'un des membres pour ( 16 ) La députalion prenait ensuite l'avis des villes subalternes, pays, châtellenies et districts, qui devaient répondre dans la quinzaine, (lopies authentiques de ces avis étaient adressées aux chefs-villes et au clergé, et les décisions de ces chefs-collèges étant parvenues à la députation, celle-ci procédait à la forma- tion du 7'ésultat. a La formation du résultat consistait à prendre une moyenne entre les diverses résolutions prises. Il fallait tenir compte de quatre, même de cinq décisions, — les deux clergés, celui de Gand et celui de Bruges, n'étant pas toujours d'accord, — les- quelles décisions étaient généralement toutes cinq différentes. Ensuite, chaque chef-collège mettait certaines conditions à son consentement. Le résultat étant formé, on le transmettait avec la copie des résolutions des corps principaux à chaque chef- collège, afin qu'il pût vérifier l'exactitude du résultat^. » Nouvelle délibération de chacun des chefs-collèges, puis rédaction par la députation d'un acte de présentation ou d'accord, envoyé encore une fois à l'examen des chefs-collèges. « Ces derniers prenaient encore une résolution, dans laquelle ils présentaient, le cas échéant, leurs observations au sujet de la teneur de l'acte de présentation 2. » Nouveau projet rédigé par la députation, en tenant compte des observations présentées par les « principaux ». Nouvelle discussion de ceux-ci, qui prenaient une dernière résolution pour déclarer si, oui ou non, ils avaient leurs apaisements. Lorsque, ensuite de cette procédure longue et compliquée, l'acte de présentation avait finalement été élaboré, on le portait h Bruxelles, pour le présenter au gouverneur général. « Le subside était accepté à Bruxelles par le gouverneur général, au nom de Sa Majesté et « par advis des Conseils d'Estat et des finances... ». Le gouvernement inscrivait cette acceptation en faire échec aux autres . . . Aussi était-ce annuellement une affaire grosse de soucis pour le premier ministre, que le vote du subside. » Cf. Laenen, loc. cit., pp. 133-133. * A. Gallet-Muiy, loc. cit., p. 73. 2 Ibid., p. 74. ( n ) marge de l'acte d'accord et appointait également les demandes et réclamations contenues dans l'acte; celui-ci était ensuite renvoyé à la députation, qui le transmettait aux « corps prin- cipaux », et l'on formait alors ce qu'on appelait « le résultat d'apaisement ». « Il n'était d'ailleurs pas rare que la formation de ce résultat d'apaisement ne subît quelque retard, parce que les « princi- paux » avaient encore des remontrances à opposer aux objec- tions que le gouvernement présentait parfois pour ne pas con- sentir à toutes les demandes contenues dans l'acte d'accord. Enfin, on n'oubliait pas complètement les a subalternes ». Ils recevaient, en même temps, communication et du résultat et de l'acceptation. La même information était adressée aux com- mis des impositions » ''. Les conditions auxquelles les chefs-collèges subordon- naient l'accord du subside étaient l'expression de vœux rela- tifs aux objets et aux intérêls les plus divers. Dans certains actes d'accord, il y a parfois plus de trente conditions de toute nature. Les États, par ce moyen, tendent à s'immiscer dans la direction des affaires : l'administration de la justice, la poli- tique générale, la politique commerciale, etc. ^2. Les Etats ayant accordé le subside et fixé sa quotité «^ et les moyens destinés à y satisfaire, l'acte d'acceptation émanant du gouverneur général et inscrit, comme nous l'avons dit, en marge de l'acte d'accord, leur tenait lieu d'octroi pour répar- tir et pour faire lever les impôts sur les contribuables. Car, d'après la remarque de PouUet, « s'il était de principe consti- tutionnel que les charges publiques dussent être consenties par les corps représentatifs des sujets, il était également de 1 Ibid., pp. 74-76. - Cf. les exemples rassemblés par A. Gallet-Miry, loc. cit., pp. 76-83. ^ A la diiférence des États des autres provinces qui votaient, à titre de subside, une somme fixe, ceux de Brabant déterminaient certaines impositions dont le produit entier, quel qu'il fût, était versé dans les caisses du souverain. Cf. Faider, loc. cit., p. 99; Bigwood, loc. cit., pp. 27-28. Tome LXVL 2 (18) principe qu'elles ne pouvaient être imposées sinon de l'auto- rité du souverain ni, La répartition du subside voté se faisait par les soins des États (( quand les impôts à y pouvoir étaient frappés directe- ment sur les personnes et sur les biens » -. Elle était réalisée par l'acte de transport de la province, d'après des bases inva- riables ^. Aussi « dès le moment que la quotité générale des aides et subsides accordés était connue, il n'y avait pas d'en- droit qui ne sût pour quelle somme il devait y contribuer, tout ce qui restait à faire a*ux magistrats était de répartir cette somme entre les différents contribuables et d'assigner la part de chacun ^ ». De même que la répartition, la perception des sommes réparties était aussi du ressort des Etats, a Les agents finan- ciers du souverain n'étaient plus nulle part, dans les derniers temps de l'ancien régime, en contact avec les contribuables. Ils recevaient les sommes perçues, au profit du prince, soit des mains des receveurs établis par les Etats, soit, mais rare- ment, des communautés elles-mêmes s. » Les sommes perçues étaient centralisées, en définitive, dans les caisses de la recette générale, mais, avant d'y parvenir, elles subissaient, en cours de route, d'assez notables diminutions, qui réduisaient dans une proportion variable, selon les pro- vinces, les subsides votés par les différents Etats. Ces diminu- ^ PouLLET, op. cit., p. 427. - i/?z£/.,p.4"28. — «Le subside voté, les États en faisaient la répartition sur les quartiers et châtellenies qui composaient la province ; ensuite, chaque part était de nouveau subdivisée sur les communautés, villes ou villages du quartier ou de la châtellenie; enfin, la communauté nommait des taxateurs chargés de distribuer les sommes demandées sur les personnes et les biens imposables. » Laenen, loc. cit., pp. d38-139. 5 Cf. Steur, loc. cit., pp. 11-12. * Ibid., p. 43. " Poullet. loc. cit., pp. 430-431. Cependant, dans le Luxembourg, il y avait un receveur général qui levait directement, au nom de l'empereur, l'impôt consenti. Cf. Faider, loc. cit., p. 100. « Les abus dans la perception étaient nombreux. » Cf. Laenen, loc. cit., p. 140. (19 ) lions provenaient principalement soit « des remises faites par les États et par le prince à des communautés hors d'état de contribuer pour leur part dans les charges publiques », soit des réductions consenties à une province ou à l'un de ses ordres, soit encore des frais de perception défalqués du mon- tant brut des sommes perçues, soit de la perte sur le change et les frais de transport d'argent monnayé, etc. ^. Le receveur général avait à se plaindre aussi de la lenteur de la rentrée des impôts qui alimentaient le subside. « En prévision de cette circonstance, les actes d'accord détermi- naient généralement l'époque des paiements. Ce fut souvent une faveur que le prince demandait dans les moments de crise, que d'avancer l'échéance d'un paiement; celui-ci se fai- sait tous les trois ou quatre mois. Les subsides de Tourna i- Tournaisis ne devaient être acquittés qu'à la fin de l'année sui- vant celle pour laquelle ils étaient accordés... Les versements entre les mains du receveur général devaient souvent s'impu- ter sur les subsides de deux ou trois ans : c'était une source d'erreur et de complication dans la comptabilité 2. » La procédure que nous venons de retracer était applicable au subside extraordinaire, comme au subside ordinaire. Mais, tandis que ce dernier était demandé annuellement à toutes les provinces, il arrivait que le gouvernement n'adressait sa péti- tion de subside extraordinaire qu'à certaines provmces, à l'exclusion des autre» ou même seulement à l'un des membres des États — le clergé généralement — sans l'intervention des autres 3. « Toutes les provinces, en effet, ne se montraient pas également disposées à accorder ces dons qui grevaient consi- dérablement leur budget. Le gouvernement avait vite remar- qué celles qui y consentaient le plus volontiers. 11 prit l'habitude de s'adresser à elles en premier lieu et de ne faire la pétition aux autres qu'après avoir obtenu le consentement des 1 Cf. BiGwooD, loc. cit., pp. 30-40; cf. Laenen, loc. cit., pp. 133-136. - BiGWooD, loc. cit., pp. 41-42. •' Cf. Laenen, loc. cit,, p. 136. ( 20 ) premières; celles-là ne voulant pas paraître moins dévouées à leur prince que celles-ci, n'osaient plus refuser. On débutait généralement par le comté de Flandre et le Tournaisis, et on finissait par le Brabant et le Hainaut ^. » La destination du don gratuit ou subside extraordinaire était indiquée chaque fois dans la pétition adressée aux États. On l'employait généralement à couvrir les dépenses occasion- nées par des guerres. Pendant longtemps, les Etats fournis- saient un subside extraordinaire, qui était en réalité devenu ordinaire, pour « être employé aux assistences de l'Empire contre les invasions des ennemis Turcqs de la chrétienté 2 >>. Depuis 1725, une liste civile de 560,000 florins à répartir entre les provinces, destinée à l'entretien de la cour, fut régulière- ment accordée pendant tout le temps où un prince de sang royal résidait en Belgique 3. Quant au subside ordinaire, « en droit constitutionnel strict, le produit des aides et des subsides devait servir à payer les charges communes de S. M. et du pays... Dans la pratique des choses, une partie du produit des impôts votés par les Etats passait dans la caisse de guerre ou servait aux besoins généraux de la monarchie autrichienne ^ ». « En général, dit Laenen, l'impôt royal restait affecté à un double but : l'entre- tien de l'armée et des places fortes, le payement des fonction- naires ^. » (c Les aides et subsides, il est vrai, n'étaient accordés par les Etats qu'à la condition parfois exprimée, toujours tacitement comprise, d'être employés à l'usage pour lequel on les avait demandés. C'était même le dispositif de l'article 18 de la Capi- tulation de Mons de 1710. Malheureusement, aucun corps représentatif n'était à même, dans l'ancien régime, de veiller à l'application de cette règle tutélaire. La publicité des budgets ^ BiGwooD, loc. cit., p. 43. - A. Gallet-Miry, loc. cit., pp. 85-86. 3 BiGWOOD, loc. cit., p. 44. -* PouLLET, loc. cit., p. 431. s Loc. cit., p. 131 ■( 21 ) était inconnue. Nul n'avait le droit légal de scruter les arcanes des finances du prince ^. » Il résulte des citations que nous venons de faire, qu'une fois le subside voté et les impôts qui l'alimentaient perçus et ver- sés à la caisse du souverain, leur emploi échappait complète- ment au contrôle des États. Le souverain en disposait à son gré, il en était le maître. L'administration financière dépen- dait de lui, exclusivement, sans possibilité d'un contrôle réel et effectif. Le droit des États se bornait donc à l'accord du subside, à sa répartition et à sa perception. Ils étaient théoriquement libres de consentir le subside ou de le refuser. En fait, cepen- dant, il leur eût été impossible de ne pas y consentir '^. Tout leur pouvoir réel consistait à réduire la quotité demandée par le souverain. A cela se limitait leur part d'intervention dans les finances du prince. § 2. — Le Conseil des finances et la Chambre des comptes. L'administration des finances du prince était centralisée dans le Conseil des finances et dans la Chambre des comptes 3. 1 PouLLET, loc. cit., p. 431. '^ Cf. Laenen, loc. cit., p. 132. — a S'il était de règle que le consentement des États portât toujours sur une somme inférieure à la demande du prince, il était au contraire rare que celui-ci rencontrât un refus absolu, du moins pour ce qui concerne les subsides ordinaires. » Bigwood, loc. cit., p. 25. 5 Nous ne ferons que mentionner la Jointe des administrations et des affaires des subsides, institution qui n'a pas de rapport direct avec les finances du prince, mais dont les archives constituent une source précieuse pour l'étude des finances provinciales et communales au XVIlIe siècle. Les États, villes et communautés avaient la libre gestion et administration de leurs finances particulières. Mais leur comptabilité était des plus embrouillée et leur gestion donnait lien à de sérieux abus. ( 22 ) Au Conseil appartenait la gestion des affaires financières, sous la haute direction du gouverneur général. « C'était lui qui décidait, sauf approbation du souverain, de tout ce qui était relatif aux recettes et aux dépenses générales ; c'est lui qui posait en cette matière les principes directeurs, qui examinait et tranchait toutes les difficultés, qui avait, enfin, la haute direc- tion de tout le personnel ^ . » Sa compétence se limitait cepen- dant aux questions purement financières. Car « lorsqu'au sujet de ces matières, il se présentait des questions d'administration générale, de police ou d'ordre public, le Conseil était tenu de renvoyer l'affaire à la délibération du Conseil privé, et de ne s'occuper de la question purement financière que lorsqu'elle était entièrement dégagée de toute contestation civile. C'est par ce motif que les réclamations des contribuables ne pouvaient être adressées qu'au Conseil privé '^ ». Le Conseil des finances ne paraît pas avoir suivi une poli- tique bien nette dans la gestion des affaires. Les règles qu'il appliquait manquaient de suite et de précision. « Successive- ment, les principaux revenus avaient été donnés en admo- diation et remis en régie. C'est ainsi que, pour ne toucher que deux exemples, les domaines de Flandre avaient été donnés en admodiation, en 1726, à Walckiers et Nicole, et rendus à l'administration quatre ans après. Les droits d'entrée et de sortie, la principale source de revenus, furent admodiés par La Jointe fut créée par décret de Cobenzl du 13 octobre 1764 afin de recueillir des renseignements précis sur la situation des finances provinciales et communales et d'y remédier. Elle était composée du trésorier général, d'un conseiller privé, de deux conseillers des finances et d'un membre de la Chambre des comptes. Supprimée par décret du 27 mars 1787, rétablie par l'empereur Léopold II le 7 juillet 1791, elle tint sa dernière séance le 17 juin 1794. (Cf. Gaillard, Introduction à l'inventaire sommaire des archives de la Jointe. . . ) 1 BiGwooD, loc. cit., Introduction, p. iv. — « Il intervenait dans la nomi- nation des officiers de finance et quelquefois même se les arrogeait exclusivement, malgré le décret de Charles de Lorraine de février 1750. » Laenen, loc. cit., p. 112. 2 Ch. Steur, loc. cit., p. 3. ( 23 ) le baron de Sotlelet, de 1719 à 1732 ; le même baron de Sotte- let fut nommé directeur général de ces droits trois années plus tard ^ ». Le Conseil des finances se composait d'un président et d'un certain nombre de conseillers. Il comprenait, en outre, deux greffiers, un garde des chartes, des commis ou officiaux et des huissiers 2. Deux de ses membres remplissaient spécialement les fonc- tions de trésorier général et de receveur général 3. Pour l'expédition des affaires, le Conseil était divisé en quatre départements: celui des aides et subsides, celui des domaines, celui des droits d'entrée et de sortie et celui du revenu casuel. Chacun des conseillers avait son département propre. Rigou- reusement, ces conseillers n'auraient dû avoir que le référât sur les affaires de leur département. Mais « ils s'en adjugeaient la connaissance exclusive, agissant en vrais despotes, sans consulter leurs collègues ^ ». La Chambre des comptes était hiérarchiquement soumise au Conseil des finances. Elle siégeait à Bruxelles. Avant 1735, il * Laenen, loc. cit., p. 113. - En 1780, le nombre des membres du Conseil était de dix, y compris les employés. Il coûtait 68,145 florins. Cf. Faider, loc. cit., p. 166. •"' BiGWOOD, loc. cit., Introduction, p. iv. — En 1780, c'était le président du Conseil, le baron de Caziers, qui était en même temps trésorier général. (Faider, loc. cit., p. 166.) — Il y avait, en réalité, deux receveurs généraux, mais non simultanément. « Ils exerçaient alternativement leurs fonctions pendant un an. A l'expiration de chaque terme, le receveur en activité vidait sa caisse dans celle de l'autre et rendait ses comptes. On avait cru ce mode de recette propre à prévenir des malver- sations. Le cautionnement des receveurs généraux était de 300,000 florins et leurs émoluments de 5,786, outre 2,000 pour frais de bureau. » (Faider, loc. cit., p. 167.)— Par décrets des 13 juillet et 2 septembre 1784, Joseph II avait établi des caisses provinciales en Flandre, Hainaut, Namur, Luxembourg et Limbourg, destinées à centraliser les revenus de chacune de ces provinces. (Bigwood, loc. cit., p. 3.) ' Laenen, loc. cit., p. 113. ( 24 ) existait deux Chambres des comptes : l'une, la Chambre des comptes de Flandre, instituée à Lille en 1386, par Philippe le Hardi ; l'autre, la Chambre des comptes de Brabant, créée en 1404 par Antoine de Bourgogne. Ces deux Chambres avaient été réunies une première fois par Charles le Téméraire, puis séparées et réunies à diverses reprises dans la suite jusqu'à leur fusion définitive par un décret de Charles VI, du 16 octo- bre 1735 ^. A la mort de Marie-Thérèse, en 1780, la Chambre se com- posait du président, de huit conseillers-maîtres ordinaires, deux surnuméraires, six auditeurs ordinaires, six surnumé- raires. Elle comprenait encore deux greffiers et des commis et employés subalternes 2. « Les membres de la Chambre étaient nommés par la Cour de Vienne. Cependant, depuis 1753, le président recevait seul des lettres-patentes sous le grand sceau et signées par le sou- verain. Les conseiller-maîtres, les auditeurs et les greifiers avaient de simples commissions, sous la signature du gouver- neur général. Celui-ci nommait aussi les officiauxou employés subalternes, sur la présentation de la Chambre ^. » Tandis que le Conseil des finances a s'occupait de trouver les fonds nécessaires et les employait d'après les ordonnances du souverain, la Chambre contrôlait la gestion des officiers qui maniaient les deniers du prince ^ ». * A consulter sur l'histoire des anciennes Chambres des comptes, la Notice historique de M. Gachard, qui précède son Inventaire des archives des Chambres des comptes. Bruxelles, Hayez, 1837, t. L 2 Cf. Gachard, loc. cit., p. 64; Laenen, loc. cit., p. 114. Le traitement des conseillers et auditeurs surnuméraires était le même que celui des ordinaires. Le président louchait 7,000 florins; les conseillers, 3,000; les auditeurs, 2,600; les greffiers, 5,000. Les émoluments, composés des taxes et droits de dépêches perçus par la Chambre, augmentaient les traitements de '3, 000 florins environ pour les greffiers, de oOU florins pour les autres membres. Ils jouissaient de plus de l'exemption et franchise des impôts. (Gachard, loc. cit., pp. 64, 68, 69.) ^ Gachard, p. 64. ^ Laenen, op. cit., p. 114; Steur, loc. cit., p. 26. ( 25 ) Le contrôle de la comptabilité était sa fonction capitale. Elle vérifiait et contrôlait le produit ainsi que l'emploi des revenus du souverain. Elle s'acquittait de cette fonction au moyen de l'audition des comptes de tous les officiers royaux de recette et de dépense. Lorsque ces officiers négligeaient de présenter leurs comptes à l'époque voulue, la Chambre les faisait com- paraître, leur assignait un nouveau terme, comminait des amendes contre les officiers en défaut et pouvait enfin en arriver à la suspension du comptable réfractaire K M. Steur délimite en ces term(?s l'étendue du contrôle exercé par la Chambre 2 : « Les actes des fonctionnaires comptables n'étaient soumis à ses investigations que par suite du renvoi ordonné par le gouvernement. Tous les receveurs ou comp- tables publics ne devaient reconnaître d'autre autorité que leurs supérieurs immédiats. C'est ainsi que les receveurs des communes, pour satisfaire à leurs obligations, n'étaient tenus annuellement de rendre leurs comptes qu'au magistrat muni- cipal, en présence d'un commissaire envoyé par le collège du chef-lieu; que les receveurs des chefs-lieux n'avaient d'autres devoirs à remplir, que de rendre les leurs, aux mêmes époques, à un membre du Conseil des finances, et que le receveur général ne rendait le sien, en présence d'un contrôleur, qu'aux conseillers députés par le Conseil des finances. Les comptes de ces divers fonctionnaires étant ainsi rendus, mis en écrit et soutenus des pièces à l'appui, étaient envoyés aux membres de la Chambre des comptes, qui, après vérification de tous ces documents, en constataient l'exactitude ou les erreurs, w Dans un mémoire adressé à la reine ^, on lit encore : « La principale besogne de la Chambre des comptes est d'ouïr et de * Sur les attributions de la Chambre des comptes, cf. Gachard, loc. cit., pp. 66-68. Elles étaient encore, dans les derniers temps, conformes aux instructions données par Charles-Quint en 1541. 2 Loc. cit., pp. 25-26. 5 Bruxelles. Secrétairerie, liasse 51 : « Idée en raccourci de l'état actuel du ministère aux Pays-Bas. » Sans date (1735?). Cité par Laenen, loc. cit., p. 114. ( 26 ) clore tous les comptes des officiers comptables du chef de leurs emplois dans les revenus de V. M., de même que des otiiciers de police et de justice, qui doivent rendre compte des amendes ^. Indépendamment de ces comptes coulés qui y sont gardés avec les acquits y servant, la Chambre des comptes est encore le dépôt des comptes des États, des villes, châtellenies, pour la clôture desquels on envoie des commissaires du gou- vernement dans les résidences de ces administrations ». En plus de cette attribution fondamentale, la Chambre sur- veillait aussi l'administration des domaines, sous la direction supérieure du Conseil des finances. « Elle donnait son avis sur les arrentements de la direction des eaux et forêts, sur les octrois pour des concessions de moulins, et elle assistait au besoin par commissaires à la ferme des droits de pâturage dans les forêts domaniales. La Chambre des comptes n'avait, en tout cas, qu'un pouvoir de contrôle consistant à redresser les erreurs et à constater les infidélités 2. « Elle veillait encore au maintien des droits et hauteurs du prince, en ce qui concernait les domaines; elle recevait les serments et les cautions des receveurs des domaines 3, conférait les emplois domaniaux subalternes et procédait à la nomina- tion de certains échevins. La Chambre possédait juridiction sur les hôtels et les offi- ciers de monnaies. L'entérinement des octrois accordés aux provinces, aux châtellenies, aux villes, aux communes, aux 1 « La Cliambre régularisait la note des frais de justice à charge de Sa Majesté et en particulier de ceux faits pour la détention des coupables. Elle avait, dans cette occasion, à s'assurer si la détention des prévenus ou des condamnés n'avait pas été prolongée au delà du terme fixé par la loi; elle faisait, en cas d'affirmative, retomber ces frais sur ceux qui étaient convaincus d'être les auteurs de ces détentions illégales. » (Ch. Steur, loc. cit., pp. 24-25.) - Steur, loc. cit., p. 25. ^ « Les receveurs des subsides royaux établis dans les provinces, de même que les receveurs des droits d'entrée et de sortie étaient tenus également de prêter serment entre ses mains et de lui donner une caution dont elle se contentât. » (Gachard, loc. cit.) • ( 27 ) églises, aux maisons religieuses pour perception d'impôts, construction de canaux et de chaussées, levée de deniers, créa- lion de rentes, etc., était du ressort de la Chambre, de même que l'entérinement des privilèges, patentes de noblesse, octrois d'amortissement, etc. Enfin, la Chambre était chargée de la garde des conventions, concordais, traités de paix et autres actes relatifs aux posses- sions et aux droils utiles du souverain. <« Chaque jour ouvrable, les membres de la Chambre devaient être rendus à leur poste à 8 ^jq, heures. Ils entendaient la messe ^ que célébrait un chapelain spécialement établi à cet effet; ensuite ils commençaient leurs travaux qui se prolon- geaient jusqu'à 1 heure. Ils avaient été dispensés, en 1753, de fréquenter les après-midi '^. w La Chambre était divisée en deux départements : celui de Flandre et celui de Brabant. Car, malgré la réunion de 1735, chaque département avait conservé son ressort, son greffier, son sceau spécial et ses archives distinctes. Les affaires étaient distribuées à l'un ou l'autre de ces départements, selon le domicile des personnes ou la situation des lieux qu'elles concernaient 3. « A l'égard des affaires générales, le président chargeait de les traiter tel membre de la Chambre qu'il jugeait à propos. Les rapports sur les objets qui exigeaient une décision étaient faits soit au bureau de l'un ou de l'autre département, soit aux deux bureaux réunis, selon la nature ou l'importance de la chose. « Les conseillers-maîtres seuls siégeaient au bureau; les auditeurs, alors même qu'ils y rapportaient, n'avaient voix délibérative que dans le cas qu'ils eussent été appelés à sup- pléer un conseiller-maître absent; jusqu'en 1740, les conseillers- 1 Usage aboli par Joseph II en 1787. - Gachard, loc. cit., p. 65. 5 Jhid. (28 ) • maîtres avaient même prétendu obliger les auditeurs à rester debout pendant la lecture des rapports i. » La Chambre des comptes était subordonnée au Conseil des finances, qui détenait en définitive la haute administration financière sous la direction du gouverneur général. Elle rece- vait les ordres de ce dernier par l'intermédiaire du Conseil et en référait au Conseil dans les affaires qui dépassaient sa compétence 2. § 3. — Les états et aperçus dès recettes et dépenses. 11 n'existait pas, sous l'ancien régime, des budgets et des comptes, au sens précis que nous donnons à ces mots dans nos états modernes. « Le budget, tel que le définit la science financière, dit excellemment M. Besson 3^ ne s'analyse pas seulement en un état de prévisions ; c'est un acte de la puissance publique, * Gachard, p. 65. - Cf. Gachard, p. 68. — Le décret de Joseph II du 4 juillet 1787 réorga- nisa la Chambre des comptes. Elle fut placée sous la double dépendance du gouvernement des Pays-Bas et de la Chambre aulique des comptes à Vienne. Ses membres étaient nommés par l'empereur. Ses attributions comprenaient le contrôle de la comptabilité des receveurs royaux, des receveurs des administrations provinciales et communales, des fonda- tions et établissements religieux, mais elle n'administrait plus les domaines ni aucune autre branche da revenu public. Elle reçut aussi, dans une certaine mesure, le contrôle préalable des finances. Le 11 juil- let 1791, la Chambre fut rétablie « sur le pied où elle existait en 1786 »; elle reprit ses anciens usages, droits et prérogatives. Elle se composa dès lors d'un président, de huit conseillers-maîtres, douze auditeurs ordinaires, quatorze auditeurs surnuméraires et deux greffiers. (Cf. V. Marge, Étude sur la Coiir des comptes et la comptabilité publique en Belgique. Paris, Guillaumin, 1892, pp. 13-14.) 5 Emman'uel Besson, Le contrôle des budgets en France et à l^ étranger. Étude historique et critique sur le contrôle financier des principaux États, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours. Paris, Chevalier-Maresq, 1899, p. 197. ( 29 ) auquel s'attache invinciblement une idée de coercition et de sanction. Les fixations contenues dans cet acte obligent le gouvernement, elles lui tracent une ligne de conduite inllexible, dont il ne lui est permis de s'écarter sous aucun prétexte. » Et de même, le « compte » n'est pas un simple état des dépenses et recettes réalisées au cours d'un exercice passé, mais il implique aussi un acte de la puissance publique et l'intervention d'une loi qui donne décharge au gouvernement de sa gestion financière. Rien de semblable, sous l'ancien régime, où l'administration financière dépendait exclusivement du gouvernement, nous le répétons, sans intervention ou contrôle possible de la part des États. On rencontre cependant, sous le nom de : états généraux des recettes et dépenses, aperçus, rapjwrts, tableaux, des docu- ments décrivant la situation financière, et destinés unique- ment à éclairer l'administration. Ils étaient purement faculta- tifs et leur rédaction dépendait essentiellement de la bonne volonté du souverain et de son désir plus ou moins vif d'être renseigné sur l'état des finances de son pays. Dans les Pays-Bas autrichiens, il existe au XVIII^ siècle, des états généraux des recettes et dépenses effectuées pendant une année ou « apparentes ■» pour Tannée suivante, des bilans, des rapports, réclamés notamment par Charles VI et Marie-Thérèse, qui, à partir de 1760, se fit adresser par le trésorier général un rapport annuel sur l'état des finances belgiques'i. Sous le règne de Joseph II, de nombreuses et utiles réformes furent apportées en matière de comptabilité et d'administra- tion financière, et des états furent dressés avec précision sui- vant un plan méthodique, de manière à faire jaillir la lumière sur une situation financière jadis bien embrouillée et bien obscure. 1 Cf. BiGWOOD, pp. 1-3. • ( 30 ) Le ministère du prince de Starhemberg aux Pays-Bas fut particulièrement fécond sous ce rapport. Un document récemment publié dans les Bulletins de la Commission royale d'histoire de Belgique, contient des ren- seignements très intéressants sur les lacunes que présentaient les états généraux des recettes et dépenses et sur les améliora- tions qu'il conviendrait d'y apporter. 11 s'agit des remarques adressées par le ministre plénipotentiaire, prince de Starhem- berg, au [chancelier prince de Kaunitz, le 10 février 1781, sur le rapport général des tinancesdes Pays-Bas pour l'année 1778, et développement du nouveau plan de comptabilité qui résulte de ces remarques ^. Ce nouveau plan de comptabilité, dont le prince de Star- hemberg développait les principes, fut réalisé dans la suite sous son impulsion et notamment par le décret des gouver- neurs Albert et Marie-Christine du 31 octobre 1782. Nous nous proposons d'examiner rapidement les parties 1 Cf. Eugène Hubert, Les finances des Pays-Bas à l'avènement de Joseph H (1780-1781). (Comptes rendus des séances de la Commission ROYALE d'histoire OU RECUEIL DE SES BULLETINS, BruxelIes, 1899, t. LXVIIl, 5e sér., t. IX, pp. 429 et suiv.) Nous citons d'après l'extrait ou tiré à part : Bruxelles, Hayez, 1899, pp. 1-169. Outre le texte de ce document (pp. 28 et suiv.), on trouvera dans l'étude de M. Hubert l'expli- cation des circonstances qui ont provoqué ce rapport de Starhemberg. Ces circonstances les voici : Joseph II, avant d'entreprendre son voyage aux Pays-Bas en 1781, veut se renseigner exactement sur la situation finan- cière de ces provinces. {Lettre au prince de Kaunitz, le 11 janvier 1781 . Cf. Hubert, pp. 10-11.) En conséquence, le chancelier prescrit au ministre plénipotentiaire des Pays-Bas de produire un tableau des revenus royaux de 1757-1780. Le 20 janvier, le prince de Starhemberg répond qu'il sera satisfait aux ordres de l'empereur dans le plus bref délai possible. (Cf. Hubert, pp. 12-14.) En attendant l'achèvement de ce travail considérable, il communique, le 27 janvier, au prince de Kaunitz, le Tableau des dettes actuelles du gouvernement des Pays-Bas (cf. Hubert, pp. 14-20) et, le 10 février, un Rapport détaillé sur un nouveau plan de budget (cf. Hubeut, pp. 20 et suiv.). Ces diverses pièces sont conservées aux Archives de la chancellerie des Pays-Bas à Vienne (portefeuille GCLX), d'oii M. Hubert les a extraites. (31 ) essentielles de ce document et les réformes importantes qu'il a provoquées. Le prince débute par des observations générales sur le rapport général des finances des Pays-Bas pour 1778, puis il fait porter ses observations sur chacune des deux parties de ce rapport : c'est-à-dire le tableau de la recette et dépense opérées à la recette générale pour 1778, ce que nous appellerions aujourd'hui : le compte de 1778 et V aperçu de la recette et de la dépense apparentes de la recette générale des finances de l'impé- ratrice et reine apostolique aux Pays-Bas pour l'année 1779, ce qui correspond au budget de 1779. Laissant de côté le détail de l'argumentation, nous nous bornerons à signaler les idées maîtresses qui dominent le nouveau plan de comptabilité. 1. Un rapport général des finances, pour être vraiment utile et remplir son but, doit satisfaire aux conditions sui- vantes : « a) Faire connaître la consistance de tous les revenus quelconques du souverain, c'est-à-dire leur produit brut ou total, avec des notions succinctes sur les objets d'où chaque revenu procède et sur sa manutention ; b) Faire connaître avec la même précision le montant des frais de perception ou d'exploitation; c) Faire connaître de même les charges que supportent partie de ces revenus, avant qu'ils soient versés dans le trésor royal, telles qu'engagères, copropriétés ou aliénations par- tiaires, etc., ainsi que les non-valeurs soit fortuites ou per- manentes; d) Donner, ensuite de cela, la désignation exacte de ce qui en doit entrer dans le trésor royal ; e) Expliquer exactement ce qui est entré dans la recette générale pendant le cours d'une année, du produit net de chaque espèce de revenus, tant de la même année que de l'année précédente. D'autant plus, qu'on remarque que le pro- duit net des diverses branches, telles que le subside, le ( 32 ) domaine et les douanes, ne rentre pas aux mêmes époques et par conséquent les deniers entrés dans la recette générale pendant l'année 1778 ne représentent point le produit courant des différentes branches de revenus pendant la même année, mais qu'il est composé en grande partie des revenus courants de l'année précédente, pendant qu'une partie des revenus courants de 1778 ne sera entrée dans la recette générale qu'en 1779 ^. » Or, ces diverses conditions ne sont remplies que très impar- faitement jusqu'ici par les rapports généraux. Et notamment, on constate un manque de concordance entre les comptes des différentes recettes particulières et ceux de la recette générale, lequel nuit beaucoup à la clarté de l'exposé général de la situation. Ce défaut de clarté tient surtout à la confusion que l'on fait entre le revenu d'une année et la recette d'une année. On entend par revenu d'une année « la reproduction du fond de chaque branche des finances, du chef de cette année-là, et, le plus souvent, ce revenu n'entre en caisse que dans l'année suivante ». On entend par recette d'une année « la rentrée des deniers dans les mains des receveurs. Cette recette est presque tou- jours composée d'une partie du revenu résultant de l'année précédente, et d'une partie seulement du revenu de l'année courante dont le reste ne rentrera en deniers comptants que l'année prochaine 2 ». Pour remédier à la confusion qui se produit entre « ces deux mouvements dans les finances », il conviendrait que « tous les receveurs particuliers des domaines, des subsides, etc., fussent obligés à envoyer des bilans mensuels rédigés avec des précautions qui en assurent l'exactitude, lesquels bilans con- tiendraient ce qu'ils ont reçu et payé pendant le mois, en y distinguant avec précision ce qui, dans les deniers reçus et * Cf. Hubert, loc. cit., p. 32. 2 Ibid., p. 35. ( 33 ) dans les paiements faits, appartient au revenu de Vannée précé- dente, et ce qui résulte du revenu de Vannée courante. « Au moyen de cette méthode, on peut connaître chaque année, et même mois par mois, la recelte et la dépense effec- tives. » On ne fera en cela que suivre l'ordre naturel des choses, et les deux mouvemens de la finance, qui sont le revenu ou produit d'une année, et la recette en deniers comptants, seront également constatés, le premier par les comptes du revenu de chaque année, rendus à la Chambre des comptes, et le second par les bilans mensuels des caisses. )) Ces deux résultats devront se trouver dans les rapports généraux ^. » Ces bilans mensuels sont déjà dressés par les receveurs des douanes. 11 suftira d'étendre cette méthode à tous les autres receveurs particuliers, et il y aura lieu de procéder aussi à certaines modifications dans les procédés de comptabilité de la recette générale -. « En matière de routine, conclut judicieusement le prince, le moment d'un changement, même léger, présente presque toujours quelques ditiicultés; mais la nouvelle routine, une fois établie, devient bientôt familière, surtout lorsqu'elle n'a pour objet que de mettre plus de clarté dans la manutention. Il n'y aurait plus alors dans les rapports généraux des finances cette complication de calculs qui résulte de la différence des époques entre la recette générale et les recettes particulières; et les bilans mensuels, qui seraient la base des résultats des receveurs particuliers, deviendraient également la base des résultats de la recette générale 3. » 2. Abordant un autre ordre de considérations, à propos de l'aperçu des recettes et dépenses apparentes de 1779, le rapport 1 Ibid., p. 38. 2 Cf. ibid., pp. 39-44. 3 Ibid., p. 44. Sur cette question des bilans mensuels, cf. aussi : ibid., pp. 61 et suiv. Tome LXVI. 3 34 ) signale l'intérêt pour une administration prudente de prévoir d'avance les ressources de Tannée suivante. Elle doit donc dresser son budget des recettes et des dépenses, et il importe à cet effet que les évaluations qu'elle en fait soient aussi exactes que possible. On prendra pour base l'expérience de l'année écoulée, et si les circonstances font prévoir des modifications, il faudra les signaler et en tenir compte. Nos administrations modernes ne procèdent pas autrement. Voici en quels termes le rapport énonce ce principe très sage : a Un pareil tableau ne peut, à la vérité, jamais être formé qu'en donnant quelque chose au hasard, mais sa base doit être l'expérience de ce qui a été reçu et dépensé l'année précédente, dès qu'il n'y a pas de changement prévu dans les circonstances, et dès lors que, dans l'aperçu pour l'année sui- vante, on augmente ou l'on diminue sensiblement quelque article de recette ou de dépense, il écherroit d'énoncer le changement des circonstances qui donnent lieu à cette pré- somption ^. » Mais cette règle n'a guère été observée jusqu'à présent. Le prince critique à ce point de vue l'aperçu de 1779 et montre comment on aurait dû l'établir. Ainsi, on suppose que, du chef des aides et subsides, la recette générale encaissera pour 1779, 3,000,000 de florins, indépendamment des revenus du pays rétrocédé. Or, en 1778, elle n'a touché que ^,892,000 florins. Il y a donc une différence en plus de 108,000 florins. « Il aurait été à propos d'expliquer sur quoi l'on fondoit l'espoir de ces 108,000 florins dans le subside ordinaire, et de quelles provinces on espérait le tirer 2. » Le produit des recettes domaniales est porté seulement à 800,000 florins pour 1779 . En 1 778, il était de 1 ,026,000 florins. « On n'explique pas ce qui pourrait faire appréhender une 1 Hubert, loc. cit., pp. 53-54. ^ 2 Ibid., p. 54. ( 33 ) diminution de 226,000 tlorins sur un revenu d'une nature aussi tixe que le domaine K n Pour les parties camelles, l'estimation de leurrecelte pour 1779 nest portée qu'à 30,000 florins, tandis qu'en 1778 on avait touché de ce chef 103,000 florins. « II auroit été à propos de citer quelles parties extraordinaires il peut y avoir eu en 17,8, qui ne seraient pas de nature à se reproduire et qui teroienl présumer une aussi grande diminution en 1779 2 >, De même, pour les droits d'entrée, de sortie et autres on suppose que ^ la recette générale en retirera, en 1779 'î . , r'"\""^ -■' 'o-hé cependan;, en Im] . J,Jd8,000 florins. Pourquoi cette diminution? A propos de cette source particulière de revenus, le prince donne le conseil suivant : « Il paraît, dit-il, que si le rapport se faisait au commencement de l'année, le meilleur parti sur une branche de revenu dont la variation ne peut guère être prévue serait de supposer l'année suivante d'un produit é«al à la précédente; mais comme lorsqu'on fait ce rapport on est deja avance de quelques mois dans l'année suivante, et qu'on a chaque mois les états des produits des douanes, on pourrait marquer dans le rapport qu'il y a déjà une augmentation de an^ et tablera tout hasard là-dessus, pour le reste de l'année à moins que quelque circonstance particulière ne donnât lieu à calculer différemment pour les mois suivans 3 » Ceux qui de nos jours ont la charge de préparer les budgets et qui connaissent par expérience les difficultés de faire des évaluations sérieuses, ne pourraient, nous semble-t-il, que souscrire à d'aussi sages conseils. dp'^l"77Q ^°"' '"■'"'""■ ''' ""''ï"*^' '^' '=> P^r«« de l'aperçu de 1779 qu, concerne les revenus, le rapport insiste sur la nécessite de distinguer nettement la recette ordinaire et la recette extraordinaire. « Il conviendrait que cet aperçu fût forme dans 1 ordre qu'on a indiqué sur le tableau de la recette < Il>iil. 2 Ibicl., p. S6. ' Ibid., p. as. ( 36 ) générale de 1778, c'est-à-dire en distinguant les revenus ordi- naires belgiqiies, sans y comprendre le doiï gratuit et les ventes des bie)is jésuitiques, ni les remises de Vienne, puisque c'est principalement sur les revenus courants et ordinaires que doivent porter les comparaisons de produit d'une année à l'autre. Dans l'aperçu, les revenus ordinaires font . fl. 7,004,000 Le don gratuit (4 mill.) et les ventes de biens jésuitiques (1 mill.), faisant de fonds extraordi- naires belgiques 5,000,000 Les remises de Vienne 1,961,000^ fl. 13,965,000 Il faut adresser des critiques analogues à Vappeixu des dépenses. Ici aussi, il conviendrait de motiver les évaluations plus ou moins fortes que l'on fait des dépenses pour 1779. Pour les fortifications, par exemple, qui sont portées à 80,000 florins dans l'aperçu, tandis qu'en 1778 la recette générale n'a dépensé pour cet objet que 40,357 fl. 6 s. 8 d. « On croit se rappeler que dans les années précédentes c'était à peu près la même chose, et que cela provient de ce que quel- ques administrations municipales contribuent directem.ent à cette dotation; mais, dans ce cas, pourquoi porter les 80,000 florins en entier dans l'apperçu? 2 » 3. L'article dépenses jésuitiques fournit au prince de Star- hemberg l'occasion de rappeler une règle que l'on peut consi- dérer comme le principe fondamental de la comptabilité des finances publiques sous l'ancien régime et dont l'examen doit retenir quelque peu notre attention. Le prince observe que les dépenses jésuitiques 3 sont portées * Hubert, Loc. cit., p. 56. 2 Ibid., p. 57. 5 Ainsi que nous le rappelions i)lus haut (p. 9, note 1), la vente des biens de la Comi)a2;nie de Jésus, supprimée par Clément XIV en 1773, avait été ordonnée par un décret du 19 mars 1777. Au l^»' août 1780, le produit ( 37 ) dans l'aperçu pour 1779 à 100,000 florins, et il ajoute : « Cet article auroit eu spécialement besoin d'explication. 11 avait été établi pour maxime que tous les fonds jésuitiques seroient censés unis au domaine, et même les intérêts des capitaux placés, provenant des ventes faites; mais qu'en revanche toutes les dépenses en résultante sans exception seroient censées charges ' inhérentes au domaine. Ces dépenses jésuitiques, savoir la dotation des nouvelles études, les pensions des indi- vidus de la Société éteinte, la dotation des Ada Sanctorum et autres objets assignés sur les biens jésuitiques, sembloient devoir être toutes assignées sur les recettes domaniales. » Quelle est la raison pour laquelle, en eflet, les receveurs du domaine payent la majeure partie de ces objets, et pour laquelle en même temps on en auroit laissé une partie affectée sur la recette générale. Il est à craindre que ce ne soit l'effet de quelque méprise dans l'application du principe prescrit : car supposé même qu'il y eût des payemens qui ne pussent être convenablement effectués par les recettes particulières du domaine, ce qui se conçoit difficilement, il conviendroit tou- jours d'arranger les choses de façon que la totalité des dépenses jésuitiques fût acquittée par l'administration du domaine, et comprise dans les comptes de cette branche de revenu. » C'est un grand principe en matière de finances, lorsqu'on veut y établir l'ordre et la clarté, que chaciue branche de revenu doit supporter ses charges, et que ces charges ne doivent jamais être assignées sur U7ie autre branche ou sur une autre caisse. Si l'on n'établit pas rigoureusement ce principe, on ne pourra jamais trouver le montant des dépenses inhérentes à chaque branche de revenu, et son revenu net effectif ^. » de la vente des meubles et immeubles s'élevait à 5,791,083 fl. 16 s. 16 d., mais si ce produit entrait comme revenu extraordinaire dans les caisses du trésor, le gouvernement avait, en revanche, à supporter certaines charges appelées dépenses jésuitiques et dont le détail est donné dans le texte. 1 Cf. Hubert, toc. cit., pp. 57-58. ( 38 ) Dans la suite, parmi les diverses réformes qu'il introduisit dans la comptabilité, le prince de Starhemberg prit des mesures destinées à assurer l'observation rigoureuse de ce principe. Un décret de Leurs Altesses Royales (Albert et Marie-Chris- tine) du 18 janvier 1782 ^ contient notamment la disposition suivante : ce Nous informons le Conseil que, conformément aux prin- cipes prescrits par S. M. et qui ont été consignés dans un décret du prince de Starhemberg du l^"" mars 1781, nous avons résolu que tous les articles de dépenses suivans, qui, jusqu'au l®"" janvier 1782, avaient été assignés sur la recette générale des finances soient désormais, à commencer du 1®"" janvier de la présente année, transportés comme s'ensuit, savoir... » Suit une longue énuméralion de dépenses qui seront assi- gnées à l'avenir sur les receltes des domaines, sur les recettes des subsides, sur les recettes des douanes, par exemple, sur ces dernières : « tous les paiements qui se faisaient jusqu'ici par la recette générale des finances, pour imprimés d'acquits, registres, inspections, frais de commissions, fournitures, telles qu'étuves, fers, pinces, etc.. ». Le même principe est encore énergiquement proclamé dans un décret ultérieur du 31 octobre 1782 2 : « Nous recomman- dons spécialement au Conseil et à la Chambre des comptes, dans tous les cas qui les concernent respectivement, de faire observer exactement les principes et directions déjà consi- gnées dans les décrets du 1'^'' mars 1781 et du 18 janvier 1782, par rapport à la maxime générale que chaque caisse et chaque branche de revenu doit supporter ses charges et les dépenses qui y sont inhérentes, et quon ne doit assigner sur aucune caisse ou branche de revenu, sous quelque prétexte ou pour quelque cause que ce soit, des charges ou dépenses qui incombent à une autre 1 Archives générales du royaume. Conseil des finances, registre 63, fol. 21. 2 /ôirf., fol. 30et31. ( 39 h branche de revenu, de manière que pour chaque revenu, on en connaisse exactement le produit net, et que chaque dépense se trouve en entier dans un seul et même endroit, tant des tableaux généraux ou particuliers à chaque branche de revenu, que dans la mention qui en sera faite dans les rapports de l'année. » Celte méthode de comptabilité, qui consiste à assigner sur chaque branche de revenu les charges et les dépenses qui y sont inhérentes, « de manière que pour chaque revenu, on en connaisse exactement le produit net », porte en science finan- cière le nom de système de la spécialisation. Elle était pratiquée très généralement sous Tancien régime. On la retrouve notam- ment en France, en Prusse, en Autriche ^. Ce système de la spécialisation s'oppose à celui de l'univer- salité, que les budgets modernes ont adopté dans une mesure plus ou moins large 2. La spécialisation, sous l'ancien régime, était, d'après * En France, « cette règle de la spécialisation des revenus à l'acquit de dépenses déterminées était traditionnelle. Dès le XIV^ siècle, on voit une ordonnance du 15 avril 1360 aftecter les subsides et aides aux dépenses de guerre. Tous nos anciens auteurs proclament la nécessité de cette mesure de précaution. L'auteur anonyme du Tjmté des finances de France, qui était contemporain de Henri III, déclare très énergique- ment que, pour assurer les finances, il faut « que chascune sorte d'impo- » sition soit destinée pour ([uelque chose ». (Besson, op. cit., p. 200, note 1.). En Prusse, dès le milieu du XV1I« siècle, on trouve déjà des états budgétaires. Le premier budget général méthodiquement établi date du règne de Frédéric-Guillaume 1°»', en 1688. Le principe de la spécialisation y était appliqué aussi. « Aus dem Etat gehl hervor, dass das Princip der » Specialisirung der Fonds in Anvvendung stand, indem bei den Ausga- » ben in aller Regel zugleich die besondere Einkommensquelle ange- » geben ist, aus welcher die Ausgabe ihre Deckung zu tînden habe. » (Cf. Dr G. Seidler, Budget und Budgetreclit im Staatshaushalte der constitutionellen Monarchie. VVien, Alfred Hôlder, 1885, pp. 60-61.) Pour l'Autriche (cf. ibid., p. 62). '^ Sur les mérites respectifs des deux systèmes : cf. Stourm, Le Budget, ¥ édition. Paris, Guillaumin, 1900, chap. VI, pp. 142-167. Nous aurons l'occasion d'v revenir au cours de ce travail. (40 ) M. Besson, une mesure de précaution destinée à contre- balancer l'absence de contrôle, qui, sous les monarchies absolues, existait en matière d'administration financière. « La spécialisation, dit-il, telle que l'entendaient les finan- ciers d'autrefois, avait certes le grave inconvénient de morce- ler le budget général en autant de budgets particuliers qu'il existait de catégories de revenus ; mais elle ne procédait pas tant d'une conception erronée que du désir de protéger les deniers publics contre les prodigalités du roi et de son entou- rage. On savait que les fonds de l'impôt, une fois entrés au trésor central, étaient à la merci du souverain, libre de dépen- ser sans mesure et sans contrôle. Il n'y avait qu'un moyen de soustraire à cette éventualité la dotation des services publics, c'était de considérer la dépense de ces services comme une charge inhérente au recouvrement des revenus, grevant le pro- duit de l'impôt à la manière de frais de gestion, et, dès lors, devant être acquittée, par voie de retenue sur la recette brute, dans les divers bureaux de la ferme, de la régie et de la recette générale des finances. Par l'effet de cette combinaison, une notable partie des dépenses publiques échappait à la sphère d'action du service central du trésor, et se soldait directement à la caisse des receveurs locaux et régionaux des généra- lités ^, » 4. Nous retournons à l'examen des observations du prince de Starhemberg sur le rapport général des finances de 1778, pour mentionner une dernière réforme qu'il recommande. Le prince insiste sur la nécessité de distinguer nettement les diverses catégories de dépenses, et notamment les dépenses ordinaires d'avec les dépenses extraordinaires 2. (( Pour tâcher, dit-il, de donner une direction à suivre là-dessus, on a analysé la pièce intitulée : Relevé des dépenses appelées casuelles, sous les rubriques de grosses et menues par- 1 Besson, op. cit , pp. 199-200. 2 De même qu'il avait indiqué à un autre endroit la distinction essen- tielle entre revenus ordinaires et extraordinaires. Cf. plus haut, p. 35. ( 41 ) lies, dons et récompenses, frais de nécessités d'offices, Mers de maisons, etc., qui est annexée au rapport général de 1778. )) On a reconnu qu'on avait confondu en masse dans celte liste des dépenses de cinq catégories différentes, savoir : des dépenses ordinaires; des dépenses extraordinaires: des objets qui auraient dû naturellement être rapportés à la catégorie des appointemens et pensions; d'autres qui auroient dû faire par- tie des payemens particuliers qui ne tiennent pas aux dépenses du département civil; enfin, des articles de dépense qui auroient dû être supportés immédiatement par les branches particulières de revenu auxquelles elles sont inhérentes, telles que les domaines et les douanes ^. » Suit une longue liste des dépenses qu'il faut considérer comme ordinaires et que l'on peut définir : « toutes les dépenses tenant à l'iexistence du gouvernement, et de nature à se reproduire régulièrement chaque année ». Au contraire : a dans les dépenses extraordinaires, résul- tantes du service du gouvernement, on ne devroit porter que celles qui sont tout à fait casuelles et imprévues, et qui ne sont pas les mêmes une année que l'autre 2 ». Le prince en donne divers exemples; il dresse ensuite le plan du classement méthodique des autres catégories de dépenses et conclut de la manière suivante : « Si les choses étaient exécutées selon le plan qu'on vient d'exposer, il en résulterait qu'après les dépenses militaires, les dépenses civiles se trouveraient comprises sous ces quatre caté- gories : » Appointemens et pensions; dotation du département des Pays-Bas à Vienne; dépenses ordinaires; dépenses extraordi- naires. » La différence entre les revenus tant ordinaires qu'extraor- dinaires belgiques, et le total de la dépense tant du départe- ment militaire que du département civil, composerait le revenu * Hubert, loc. cit., p. 131. 2 ID., ibid., p. 132. { 42 ) net, et l'emploi de ce revenu net devroit être constaté dans les colonnes suivantes... » Ensuite, après avoir additionné ensemble les colonnes des trois catégories générales de dépense militaire, de dépense civile et d'emploi du revenu net, la différence entre le total de ces trois catégories et le total des revenus belgiques démon- trcroit ce qui seroit resté dans la caisse de la recette générale à la fin de l'année du produit de ces mêmes revenus. » Là finiroit le décompte des revenus belgiques. )) Mais comme les remises et remboursemens par les capi- taux levés au compte des finances allemandes sont censés s'opérer par le canal de la recette générale, il y auroit après cela une nouvelle colonne intitulée : Remboursemens et intérêts des capitaux levés pour le compte des finances allemandes; et ces deux colonnes comparées immédiatement ensemble, au lieu d'être confondues, comme elles l'ont été jusqu'à présent au milieu du décompte des finances belgiques, feroient voir si la recette générale à Bruxelles, emploiée comme agent des finances allemandes, auroit plus reçu que déboursé de ce chef ou plus déboursé que reçu. » Telle serait la marche du tableau de la recette géné- rale ^, » Cette discussion serrée à laquelle le prince de Starhemberg soumet le système de comptabilité financière des Pays-Bas autrichiens ne présenta pas seulement un intérêt purement théorique, qui explique d'ailleurs l'attention que nous y avons prêté. Le plan nouveau qui lui servait de conclusion fut exécuté dans la suite par une série de décrets rendus sous le ministère même du prince de Starhemberg. Il y a lieu de citer notamment le décret du l^*" mars 1781 ^2, qui résume encore une fois les principes nouveaux dont le 1 Hubert, loc. cit., pp. 138-139. 2 Archives générales du royaume. Conseil des finances, registre 63, fol. 1 à 20. ( 43 ) prince veut assurer l'application, puis les décrets du 18 jan- vier 178i> et des 19 et 31 octobre 1782 ^. Laissant de côté les prescriptions de ces décrets relatives à l'application rigoureuse du principe de la spécialisation dont nous avons parlé, nous nous bornerons à signaler quelques autres règles intéressantes consacrées par ces décrets. La comptabilité des divers objets de revenus et de dépenses des finances bclgiques devra être terminée dorénavant au 1^^ novembre, et cela à dater du 1«' novembre 1782, époque du commencement de l'année militaire 1783 2. Pour l'année 1782, par mesure transitoire, la comptabilité comprendra seulement les dix premiers mois de l'année. Le décret établit diverses prescriptions pour assurer l'exécution de cette mesure 3. Le décret du 31 octobre 1782 remet au Conseil des finances le modèle nouveau, d'après lequel sera dressée « la comptabi- lité des recettes et des dépenses quelconques des finances bel- giques à commencer au 1^' novembre prochain pour l'année militaire 17^3 ^ ». Le Conseil des finances, la Chambre des comptes et tous autres qu'il appartiendra devront s'y conformer, jusqu'à ce qu'il en soit autrement disposé. Les comptes de chaque année devront être arrêtés avec toute l'accélération possible. La Chambre des comptes s'assurera, notamment, de l'exactitude des états mensuels que les diffé- rents comptables remettront en conséquence des dispositions actuelles. 11 faut aussi que ces états correspondent « avec autant d'accuratesse qu'il est possible » aux états définitifs. « Et à cet effet, les comptes à rendre à la Chambre des comptes, à commencer de l'année militaire 1783, devront être rédigés en suivant les même subdivisions de chapitres et intitulations de 1 Ibid., fol. 21-77. 2 Décret du 19 octobre 1782, loc. cit., fol. 27 et 28. 3 Ibidem. * Conseil des finances, loc. cit., fol. 30. (44) rubriques qui sont désignées dans les directions annexées au présent décret. » On devra pareillement, à commencer à la même époque, avoir la plus grande attention à ce que les listes d'appointe- ments, états de frais, et toutes les autres opérations quel- conques de recette et de dépense, aussi bien à la recette géné- rale que dans les recettes particulières soient exactement et invariablement rapportées à la rubrique au titre de laquelle elles appartiennent selon le nouveau plan t. » Ce nouveau plan est annexé au décret du 31 octobre 1782, dont nous venons de parler. Il est intitulé : Modèle d'après lequel devront être rédigés les apperçus, les étals de trimestre , et les états ou rapports annuels des finances belgiques 2. Chacun des articles de ce modèle est accompagné de direc- tions ou instructions auxquelles devront se conformer les fonc- tionnaires et employés intéressés, pour l'établissement de la nouvelle comptabilité. Le modèle se divise en deux parties : recettes et dépenses. Les recettes sont soigneusement distinguées en ordinaires et extraordinaires. Chacune des sources des revenus ordinaires : subside, domaines et revenus domaniaux, douanes, revenus particuliers et parties casuelles fait l'objet d'un tableau qui doit aussi exactement que possible indiquer le total du revenu brut, les charges, frais et dépenses afférentes à chaque branche et le revenu net. Cette première sous-division de la première partie est ter- minée par la récapitulation des fonds ordinaires. La seconde sous-division de la première partie comprend le tableau des fonds extraordinaires^, qui se composent du pro- duit : 1° De la vente des biens provenant de la suppression de la Société des jésuites et qui avaient été unis aux domaines; * Conseil des finances, toc. cit., fol. 30-33. '^ Ibid.,M.'63-ll. 3 Ibid., fol. 48. ( 45 ) 2° Des ventes de terrains des fortifications et des bâtiments militaires jDrovenant de la démolition des places; 3° Des ventes des biens et revenus de l'ancien domaine. « Ce qui rentrera de ces fonds extraordinaires sera portée la suite des produits ordinaires, dans le sommaire de chaque trimestre, ainsi que dans le rapport général pour 1783. » Le tableau de \a dépense forme la seconde partie du modèle 'i. Il se caractérise par une distinction très nette de la dépense civile et de la dépense militaire et des dépenses ordinaires et extraordinaires. Les diverses dépenses sont l'objet d'une spéci- fication très détaillée dans chacune de ces catégories. C'est d'après ce modèle que furent dressés tous les états de comptabilité des Pays-Bas autrichiens pendant les dernières années de l'ancien régime. Il témoigne d'un effort sérieux de l'administration pour introduire la méthode, l'ordre et la clarté dans les rapports, états et aperçus destinés à décrire la situation financière de nos provinces. CHAPITRE IL La domination française. Dans la France d'autrefois, si le droit de consentir le subside était théoriquement reconnu aux représentants du pays, ceux-ci ne possédaient pas en fait les moyens de l'exercer pratiquement. Depuis 1314, date à laquelle ils s'occupèrent pour la pre- mière fois de questions tiscales, sous Philippe le Bel, jusqu'en 1G14, les États-Généraux furent convoqués très irrégulière- ment. On ne compte guère plus de cinq ou six assemblées, en moyenne, par siècle, si l'on fait abstraction des règnes excep- tionnels de Jean le Bon et de Charles Vil ^. 1 Ibid., fol. M-65. 2 Cf. Stourm, loc. cit., pp. 27 et 30. Nous avons puisé ces rensei- gnements historiques et ceux qui suivent dans le beau chapitre que M. Stourm a consacré à l'étude des Origines du droit budgétaire en France {loc. cit., chap. II, pp. 25-50). ( 46) « A partir de 1614, les États-Généraux cessent d'être convo- qués et jusqu'en 1789, pendant cent soixante-quinze ans, la Couronne gouvernera seule, établira seule les impôts, réglera les dépenses h son gré, sans le concours des représentants du pays'i. ^> Cependant « l'idée que tout impôt doit être consenti par la nation ne cessa pas de survivre en Krance. Cette idée, proclamée en maintes circonstances solennelles, reconnue par la royauté elle-même, domina constamment les esprits. Bien qu'elle ait trouvé rarement sa réalisation, on peut dire qu'elle forma toujours la base latente de notre droit public ^ w. Aussi les cahiers de 1789 furent-ils unanimes à proclamer que « aucun impôt ne peut être levé sans l'autorisation de la nation », et le décret de l'assemblée nationale du 17 juin 1789 apporta la consécration légale décisive à ce principe longtemps méconnu et qui fut reproduit et organisé dans la suite par les diverses constitutions françaises. Cependant, seul le droit de voter l'impôt se trouvait consacré de la sorte. Aucune Constitution, ni celle de l'an III, ni celle de l'an VIII, ni la charte constitutionnelle de 1814 n'attribue à la représentation nationale le droit de voter l'emploi de l'im- pôt et de contrôler les dépenses publiques. Après comme avant la Révolution, le pouvoir exécutif restait donc maître de déterminer et d'effectuer les dépenses, sans l'intervention de ceux qui, par le vote de l'impôt, lui avaient fourni les moyens de gérer les affaires publiques ^. Aussi, la réunion de nos anciennes provinces belgiques à la France et leur transformation en départements français par * Stourm, loc. cit., p. 35. 2 Ibid., p. 31. 3 « Un seul homme, en résumé, gouverne les finances du pays sans contrôle : telle est la situation que le Consulat va léguer à l'Empire, et que l'Empire ne fera qu'aggraver. » C'est la conclusion du beau livre que M. R. Stourm vient de publier sur les finances du Consulat. (Paris, Guil- laumin, 1902, p. 354.) On consultera avec intérêt, pour se rendre compte dans le détail de la vérité de cette atïirmalion, la quatrième partie de cet ouvrage, chapitres XXIII-XXX. ( 47 ) les lois de la Convention des 9 et 14 vendémiaire an IV n'ap- portent aucun élément nouveau à nos franchises nationales. Nos anciens Etats provinciaux non seulement possédaient de très ancienne date le droit de voter les subsides, mais ils l'exerçaient effectivement et régulièrement. Us réussirent, ainsi que nous l'avons rappelé, à le conserver et à le défendre avec succès contre tous les empiétements tentés par l'absolu- tisme autrichien. C'est pourquoi le décret du 47 juin 1789, qui représente, à bon droit, aux yeux de la nation française une des conquêtes les plus précieuses de la Révolution, n'avait pour nos provinces nouvellement annexées qu'une importance minime. Leur annexion à la France ne leur apportait aucune franchise nouvelle, et celles qu'elles auraient pu leur donner, comme par exemple le vote et le contrôle des dépenses, les constitutions françaises de l'époque révolutionnaire et impé- riale ne les prévoyaient pas plus que nos anciennes constitu- tions nationales. On peut donc dire que les vingt années de domination fran- çaise qui précédèrent la création en 1814 du royaume des Pays-Bas ne laissèrent aucune trace marquante dans l'élabora- tions de nos institutions budgétaires. CHAPITRE [II. L'organisation budgétaire du royaume des Pays-Bas. Les principes de cette organisation figurent dans la loi fon- damentale du 24 avril 1815 l, qui fut la charte constitution- nelle du royaume éphémère constitué par le traité de Londres du 20 juin 1814. Nous y retrouvons proclamée et consacrée l'ancienne règle 1 Principales dispositions de la loi fondamentale relatives aux finances et à l'organisation budgétaire : Art. (51. — Le roi a la direction suprême des finances; il règle et fixe ( 48) du vote du subside, sous une forme plus moderne, dans l'article 197 : « aucune imposition ne peut être établie au pro- fit du trésor public qu'en vertu d'une loi ». Mais, de plus, l'article 421 introduit le principe nouveau de l'assentiment nécessaire des Etats-Généraux au budget des dépenses du royaume, qui est présenté par le roi à la seconde Chambre dans la session ordinaire. les traitements des collèges et des fonctionnaires, qui sont acquittés par le trésor public ; il les porte sur le budget des dépenses de l'État. CHAPITRE m. — Des États- Généraux. Section VI : Du budget de VÉtat. Art. 121. — Le budget des dépenses du royaume doit avoir l'assenti- ment des États-Généraux; il est présenté parle roi à la seconde Chambre dans la session ordinaire. Art. 122. — Le budget est divisé en deux parties. Cette division devra être faite pour l'an 1820, et plus tôt si les circonstances le permettent. Art. 123. — La première partie contient toutes les dépenses ordi- naires, fixes et constantes, qui résultent du cours habituel des choses et se rapportent plus particulièrement à l'état de paix. « Ces dépenses étant approuvées par les États-Généraux ne sont pas soumises pendant les dix premières années à un consentement ultérieur et annuel. » Elles ne deviennent pendant ce période [sic) le sujet d'une nouvelle délibération que lorsque le roi fait connaître qu'un objet de dépenses a cessé ou varié. » Art, 124. — En arrêtant cette partie du budget, on détermine en même temps les moyens d'y faire face. Ils sont également arrêtés pour dix ans et demeurent invariables, à moins que le roi ne fasse connaître qu'il est nécessaire de remplacer' ou de modifier un de ces moyens. Art. 12o. — Un an avant l'expiration du terme pour lequel ces dépenses fixes sont arrêtées, le roi propose un nouveau budget pour les dix années qui suivent ce terme. Art. 126. — La seconde partie du budget contient les dépenses extra- (49) L'article 127 déclare encore que les dépenses de chaque déparlement d'administration générale sont l'objet d'un cha- pitre séparé du budget. II établit ainsi la règle de la spécialité par chapitre, dont le corollaire est qu'aucun transfert de dépense ne peut avoir lieu d'un chapitre à un autre sans le concours des États-Généraux. ordinaires, imprévues et incertaines, qui surtout en temps de guerre doivent être réglées d'après les circonstances. Ces dépenses ainsi que les moyens de les couvrir ne sont arrêtées que pour un an. Art. d27. — Les .dépenses de chaque département d'administration générale sont l'objet d'un chapitre séparé du budget. Les fonds alloués pour un déparlement doivent être exclusivement «mployés pour des services qui lui appartiennent, de sorte qu'aucune somme ne peut êlre transférée d'un chapitre d'administration générale à un aulre, sans le concours des États-Généraux. Art. 128. — Le roi fait mettre annuellement sous les yeux des États- Le produit de la poste. On leva, en outre : a) 23 7o en sus de la taxe personnelle et mobilière pour les non- valeurs, frais d'administration et de justice ; b) 10 7o en sus des portes et fenêtres, pour frais de per- ception et non-valeurs; ( 54 ) c) 5 % sur l'impôt foncier, ainsi que .sur la taxe person- nelle et mobilière pour faire face aux dépenses com- munales, jusqu'à ce que d'autres règlements sur hts droits d'octroi soient agréés par le gouvernement. Les dépenses du budget décennal attei- gnaient fl. 59,875,052 89 Les recettes du budget décennal étaient de . fl. 47,979,ld3 33 Il y avait donc un déficit prévu de . . 11. 11,895,939 56 D'autre part, le budget annal pour 1820, s'élevant en dépenses h fl. 22,314,481 79 et en recettes à fl. 17,754,390 62 était lui aussi en déficit de fl. 4,560,091 17. Pour la période décennale postérieure à 1830, un premier projet de budget fut présenté par le roi aux Etats-Généraux, en octobre 1828, conformément à l'article 125 de la loi fonda- mentale. Le plan général de ce projet élait le suivant : CHAPITRE I. Liste civile fl. 2,100,000 » CHAPITRE II. La secrélarerie d'État et les grands corps de l'État. Section 1. — La secrélarerie d'État fl. 88,466 » — i. — Le cabinet du roi 47,076 » — 3. — La poste d'État 23,608 » — 4. — Les États-Généraux 524,100 » — 5. — Le Conseil d'État 274.163 50 — 6. — La Chambre générale des comptes .... 155,086 50 — 7. — L'Ordre militaire de Guillaume 53,800 » — 8. — L'Ordre du Lion Belgique 21,700 » fl. 1,160,000 » ( 55 ) CHAPITRE 111. Département des affaires étrangères. Section 1. — Frais du département il. 89,000 » — 2. — Frais des missions à l'étranger (représent. diplomat.). 500,000 « — 3. — Consulats 35,000 » — 4. — Frais d'équipement et de route pour les missions ordinaires à l'étranger 23,300 » — 5. — Port de lettres, frais d'affranchissement, autres déboursés à restituer aux agents diplomatiques 30,000 » — 6. — Frais de secours et transports à fournir à des marins et militaires belges par agents diplomatiques 5,000 » — 7.— Dépenses diverses 55,000 » 11. 737,000 » CHAPITRE IV. Département de la justice. Section 1. — Frais du département 53,538 » — 2. — Frais de la Haute-Cour 197,300 » — 3. — Frais des cours et tribunaux dans les pro- vinces 1,885,200 « — A. — Frais généraux de justice 473,800 » — 5. — Frais de justice militaire 123,062 » — 6. — Dépenses diverses 48,700 » tl. 2,800,000 « CHAPITRE V. Département de l'intérieur. Section 1. — Frais du département 345,612 70 — 2. — Frais de l'administration de l'intérieur (art. 1-18 : les dix-huit provinces, art. 19: le Grand-Duché de Luxembourg) 1,441,219 » (56) Section 3. — Dépenses diverses fl. 5,490 » — -4. — Frais du service de santé 12,500 )> — 5.— Frais généraux du Watersiaat . ..... 141,400 » — 6. — Frais généraux des bâtimens 7,671 20 — 7. — Rivières, canaux, navigation intérieure. . 108,500 » — 8. — Ports de mer et travaux maritimes .... 418,000 » — 9. - Palais royaux 100,000 » — 10. — Frais des prisons 892 234 68 — 11. — Frais des fonctionnaires supérieurs de l'instruction 27,600 » — 12. — Frais des universités et aihénées .... 595,323 80 — 13. — Séminaires pour l'instruction scientifique, concernant des cultes particuliers . . . 8,320 » — 14. — Frais des collèges et écoles latines. . . . 73,499 65 — 15. — Subsides ordinaires aux commissions pour les écoles 66,955 » — 16. — Traitements et suppléments aux institu- teurs des écoles moyennes et primaires. 188,993 97 — 17. — Secours et encouragements pour l'instruc- tion moyenne et primaire 46,160 » — 18. — Archives et histoire du royaume 26,440 » — 19. — Institutions et entreprises scientifiques . . 39,780 » — 20. — Frais des fonctionnaires pour l'industrie nationale 4,300 » — 21. — Primes pour le soutien de quelques bran- ches de l'industrie nationale..., de l'ar- mement des navires marchands, de la pêche et de l'agriculture 800,000 » — 22. — Frais de l'administration du culte catho- lique dans l'archevêché de Malincs et les sept évêchés 253,600 » — 23. — Frais du clergé catholique 2,192,100 » — 24. — Frais du culte catholique (dit Oude Klerezij) 4,300 » n. 7,800,000 y> ( ^1 ) CHAPITRE VI. Département des affaires du culte réformé, etc. Section i. — Frais du département fl. 33,600 » — 2. — Frais de l'administration ecclésiastique du culte réformé 40,?i00 » — 3. — Frais de l'adrhinistration ecclésiastique des autres cultes protestants 4,fi00 » — 4. — Frais de l'administration ecclésiastique du culte Israélite 2,,^)00 » — 5 — Frais des différents clergés 1,112,190 » — 6. — Indemnités dites « Kinder-school en Aca- demiegelden >> 121 ,000 » — 7. — Frais du clergé Israélite 11,000 » — 8. — Dépenses diverses 74,710 » fl. 1,400,000 » CHAPITRE VII. ■ Département de la guerre. 19 Sections fl. 16,277,916 36 CHAPITRE VIII. Département de la marine et des colonies. 18 Sections fl. 5,920,000 » CHAPITRE IX. Département des finances. Section 1. - Dette nationale fl. 22,000.000 » — 2. — Pensions et gratifications 1,050,000 » — 3. — Frais du département des finances .... 212,664 » — 4. — Frais de l'administration du trésor public (dont remise de 115.000 florins à la Société générale du chef de ses fonctions de caissier de l'État) 224,300 » — 5. — Frais de l'administration des monnaies . . 69,000 » — 6. — Frais du département des recettes de l'État. 32,500 » fl. 23J93 96i » Total du budget : fl. 61,988,880 36. (S8 ) Le projet de budget comprenait donc neuf chapitres, divisés en un certain nombre de sections, subdivisées à leur tour en articles et numéros. Quant aux recettes, destinées à faire face aux dépenses du budget décennal, le gouvernement avait élaboré un double projet : projet A et projet R, qui différaient l'un de l'autre en ce que le premier maintenait l'accise sur la mouture, tandis que le second la supprimait à partir du i^' janvier 1830. Dans la suite, le gouvernement adopta le projet B, qui se montait à fl. 62,047,582 42 net. Car les frais d'administration et de perception des impôts avaient été déduits du montant brut présumé, mais ils figuraient dans le projet du budget dans une colonne séparée, intitulée : produits présumés bruts. Le budget des recettes était donc divisé en deux colonnes : brut et net. Les frais d'administration et de perception des impôts étaient évalués à il. 6,765,437 64. Quatre grandes catégories de moyens et -revenus alimen- taient ce budget : L — Contributions directes. Elles se composaient de l'impôt foncier sur les propriétés bâties et non bâties, de l'impôt personnel, des patentes. IL — Droits d'entrée et de sortie. Accises (sel, abatage, vin, boissons distillées à l'intérieur et â l'étranger, bières, vinaigre, sucre, timbre collectif). L'accise sur la mouture est supprimée. iMPOsirioNS indirectes (enregistrement, timbre, greffe, hypothèques, droits de succession). III. — Produit des postes. IV. — Droits de garantie sur les ouvrages d'or et d'argent. Déposé en octobre 1828, ce projet de budget décennal fut soumis à l'examen des sections de la seconde Chambre, pen- dant les derniers mois de l'année. Ce travail préparatoire ( S9) éclaire vivement les différents aspects du régime budgétaire, et à ce point de vue nous avons étudié avec fruit les rapports des sections. Laissant de côté les critiques relatives à l'augmentation exagérée des charges budgétaires, qui recueillent une adhésion unanime, nous constatons que la discussion a surtout porte : 1« Sur la composition du budget décennal; 2* Sur la forme que lui a donnée le gouvernement; 3° Sur la déduction des frais d'administration et de percep- tion des impôts et la présentation d'un budget net. Nous examinerons successivement ces diflérentes questions. I. — Le budget décennal contient, d'après la loi fondamen- tale (art. 123) : « toutes les dépenses ordinaires, fixes et con- stantes qui résultent du cours ordinaire des choses et se rap- ])ortent plus particulièrement à l'état de paix w. Le budget annal est réservé aux « dépenses extraordinaires, imprévues et incertaines, qui surtout en temps de guerre doivent être réglées d'après les circonstances » (art. 126). Or, les États-Généraux, supportant mal cette distinction qui leur enlevait pendant dix ans le contrôle de la très grande majorité des dépenses publiques, la tactique de l'opposition gouvernementale était tout indiquée. Elle apparaît très claire- ment dans les travaux des sections, qui s'appliquent à faire rayer du budget décennal le plus de dépenses possible pour les reporter au budget annal. il s'agissait pour cela d'interpréter le texte de la loi fonda- mentale et de déterminer ce qu'il faut entendre par dépenses ordinaires, fixes et constantes, et ce qu'il faut ranger dans la catégorie des dépenses extraordinaires, imprévues et incertaines. Tout ce qui n'est pas d'une nature certaine et constante, disait le rapporteur de la première section, semble devoir être porté à Textraordinaire, c'est-à-dire au budget annal. Or, il est de nombreuses dépenses qui n'ont pas ce caractère de fixité et de certitude et qui néanmoins figurent au budget décennal. Les sections en relèvent de nombreux exemples. ( 60 ) Elles réclament énergiquement le respect de la loi fondamen- tale et le report de ces dépenses au budget annal. « On le demande avec confiance, lisons-nous dans le rapport de la première section, les dépenses, par exemple pour l'entrelien des locaux, pour achat et réparations de meubles, pour rivières, canaux et navigation intérieure, pour frais de route et vacations, non compris dans les articles communs à chaque chapitre et qui, par conséquent, ont paru d'une nature extraordinaire, ces dépenses sont-elles variables ou invariables, constantes ou assujetties à être calculées ditfé- remment pour chaque année, à raison des besoins existants et présomptifs? » Il est vrai qu'une observation semblable a déjà été présen- tée lors de l'examen du budget décennal de 1820, et qu'alors le gouvernement a répondu que, quoique de pareils objets fussent variables par leur nature, cela ne devait pas empêcher qu'ils ne tiennent au cours habituel des choses! » Cet argument cependant n'a pas convaincu la section. Elle pense qu'il tendrait à trop prouver, et ainsi, en ne le trouvant pas assez pcremptoire pour autoriser un crédit fixe pendant dix années, crédit dont le montant entre dans la masse générale, elle croit devoir insister à ce que la dite obser- vation soit prise en considération ultérieure. » « Il paraît à la seconde section que selon le prescrit de la loi fondameniale, le budget décennal doit contenir les dépenses fixes et constantes qui résultent du cours habituel des choses et se rapportent plus particulièrement à l'élat de paix; que conséquemment toutes les dépenses variables et douteuses doivent paraître au budget extraordinaire, à l'égard duqu»! le commun accord des Etats-Généraux est requis annutdle- ment. » En conséquence, la section propose une série de transferts de dépenses du budget décennal au budget annal. Pourquoi, par exemple, faire figurer au budget décennal les dépenses pour la confection des tableaux décennaux de l'état civil? « Cet objet ne peut paraître comme une dépense fixe et constante ( 61 ) sur le budget décennal , parce que les tableaux décennaux d'élat civil ne peuvent pas se faire chaque année du période décennal et qu'ainsi celte dépense ne devra se trouver qu'au budget extraordinaire de l'année où les tableaux décennaux devront être faits. » ^ De même, on porte au budget décennal, en même temps que les traitements des fonctionnaires, les suppléments de traitements. Et la section remarque, à bon droit, que « sup- pose que les traitements soient fixes et constants, les supplé- ments doivent être variables et par conséquent paraître au budget extraordinaire, pour autant qu'il y aura lieu ». Le budget décennal de la guerre prévoit des crédits pour frais de transport et de passage d'eau, pour frais de charroi, etc. « La section a peine à concevoir que cet objet exige chaque année la même somme et croit par cette raison que cela ne peut faire partie du budget ordinaire. » En ce qui concerne ce même budget de la guerre, la sixième section remarque « que la totalité des frais pour sub- sistances est réservée pour le budget annal et que les traite- ments, soldes et autres frais sont portés en totalité au budget décennal ». A première vue, cette distinction semble correcte et con- forme aux règles posées dans la loi fondamentale. Mais la sec- tion observe qu'il résulte de ce système que par l'acceptation du budget décennal « l'on pourrait considérer les États-Géné- raux comme obligés de consentir annuellement les frais de subsistances, car l'armée soldée doit aussi être nourrie et entretenue. Or, comme l'effectif de l'armée est tout aussi variable que le prix des subsistances, la section demande, que de même comme au budget précédent un douzième de tous les frais soit réservé pour le budget annal et croit que les onze douzièmes peuvent suffire, puisqu'au budget annal aucun sup- plément n'a été nécessaire pour les dernières années, et qu'au surplus si les circonstances exigeaient une somme plus forte, elle pourra être suppléée par le budget annal ». La quatrième section présente la même observation. D'autres sections signalent encore des dépenses qu'il con- ( 62 ) viendrait de transférer au budget annal : les crédits demandés pour présents et cadeaux à l'occasion des traités n'ont rien de fixe et de constant. Pourquoi donc les maintenir au décennal? Les frais prévus pour les épidémies sont éventuels, comme les épidémies elles-mêmes. Ils doivent donc figurer à l'extraor- dinaire. Le budget prévoit 800,000 florins h titre de primes pour sou- tien de rindusîrie nationale. Mais « ces dépenses étant ou pou- vant être variable d'année en année, on pense qu'il convien- drait de les porter au budget annal ». II. — En ce qui concerne la forme adoptée pour la présen- tation du budget décennal, les observations des sections concernent notamment les points suivants : a) Le gouvernement ne détaille pas suftisamment les crédits qu'il sollicite. Il se contente de demander des sommes glo- bales, des allocations en bloc, sans spécifier nettement les objets particuliers auxquels elles doivent servir. Les États- Généraux ne peuvent, dès lors, se rendre compte d'une manière exacte de l'atfectation des crédits. Toutes les sections s'accordent à faire cette critique. La quatrième section exprime le désir que « les états prescrits par les articles 122 et 127 du règlement sur la comptabilité arrêté le 24 octobre 1824 ^ et qui ont dû servir de base à l'évaluation des dites dépenses au présent budget soient communiqués à la 1 L'arrêté royal organique de l'administration générale des finances du 24 octobre 1824 avait publié le Règlement général sur l'administration des finances dans le royaume des Pays-Bas. Ce règlement ne contenait pas moins de 453 articles. 11 embrassait l'organisation budgétaire dans tous ses détails, depuis les évaluations jusqu'à la clôture des comptes. Art. 122. — L'état d'évaluation des dépenses de l'État qui se rapportent à chaque période décennale sera formé d'après le modèle joint au présent règlement. Art. 124. — Chaque chapitre particulier sera divisé en sections et celles-ci en articles. Art. 127. — Chaque article du projet sera appuyé d'états particuliers détaillés présentant les éclaircissements nécessaires, et qui devront être établis conformément au modèle joint au présent règlement. ( 03 ) Chambre de la manière que le gouvernement le jugera le plus convenable ». b) La spécialité par chapitre est consacrée par l'article 127 de la loi fondamenlale. Les transferts de crédits d'un chapitre d'administration générale à un autre chapitre sont dès lors interdits. Mais le gouvernement a toute latitude de faire, sans le concours des Etats-Généraux, tous les transferts qu'il veut dans les limites d'un même chapitre. Et comme, d'autre part, c'est au gouvernement seul qu'il appartient de déterminer les départements d'administration générale et les dépenses qui y correspondent dans chaque chapitre du budget, le contrôle des États-Généraux sur les transferts de crédits et les virements est pratiquement illusoire. Aussi, les membres de la première section ont-ils été una- nimes à demander « que tout ce qui est relatif à chaque admi- nistration distincte, quoique combinée maintenant avec une autre administration générale, soit compris sousun titre séparé et qu'ainsi la division de chaque ministère se fasse en rapport avec le nombre des administrations d'une nature essentielle- ment diverse, attachées à ce même ministère ». A la quatrième section, on précise cette remarque générale et on signale, par exemple, le chapitre V du budget, relatif au département de l'intérieur et dans lequel on a réuni les dépenses les plus diverses : celles concernant le culte catho- lique, y industrie nationale, V instruction publique. « Toutes ces branches de l'administration publique, ajoute le rapport, n'ont rien de commun avec le ministère de l'intérieur proprement dit, mais ce sont des choses tout à fait distinctes, qui ont cha- cune leurs dépenses propres à elles et qui doivent rester sépa- rées des dépenses affectées aux autres branches de l'adminis- tration qui y sont étrangères... » Sans contester à Sa Majesté le droit de réunir plusieurs départements en un seul département ou à un seul et même ministère, il est désirable que les dépenses atiérentes à chacun de ces départements de nature toute différente, restent exclu- sivement affectées à celui pour lequel elles ont été créées, en (64) un mot, qu'elles doivent former dans le budget autant de cha- pitres séparés sans pouvoir transférer les dépenses d'un chapitre à un autre chapitre et qu'ainsi, par exemple, les dépi^nses votées pour le culte catholique ne peuvent dans aucun cas, et sans le concours des États-Généraux, être employées à faire face aux frais du Waterstaat ou de quelque autre branche d'administration générale dépendante du ministère de l'intérieur. » Dans le budget de 1820, d'ailleurs, les dépenses pour le culte catholique formaient un chapitre séparé ^ de même que les dépenses pour le culte réformé : pourquoi, dans le budget de 1830, les faire rentrer parmi les dépenses du département de l'intérieur? Cj Afin de mieux assurer le contrôle des dépenses exercé par la Chambre, un certain nombre de membres de diverses sections émettent le vœu « que les différents chapitres du budget des dépenses soient divisés en autant de lois distinctes et votées séparément ». (l""^ section.) Ce mode leur paraît pré- férable aussi, parce que « de cette manière on pourrait éviter la nécessité de rejeter le tout à cause d'une raison de rejet qui se rattache à un seul chapitre, même à un seul article et qu'ainsi le gouvernement lui-même s'assurerait, par ce mode, un avantage essentiel ». Le règlement de la seconde Chambre interdisait, en effet, tout amendement au budget et forçait la représentation natio- nale à adopter ou à rejeter le budget en bloc. Cependant, cette proposition fut loin de recueillir la majo- rité dans les sections. On fit remarquer qu'il suffirait de reviser le règlement de la Chambre, sans modifier le mode de présentation du budget, et qu'au surplus le mode de présenta- tion actuel est préférable, parce qu'il permet d'envisager d'une manière plus générale le budget de lEtat que si ce dernier était fractionné en une série de projets, (o™® section.) 111. — Le budget décennal de 1820 était un budget brut. Il * Cf. supra, p. 53. ( 65 ) faisait figurer en recettes les différents revenus publics sans en déduire les frais d'administration et les frais de perception des impôts. Ces frais figuraient parmi les dépenses, au chapitre du ministère des finances. C'était là une excellente pratique budgétaire que le gouver- nement, sous prétexte d'amélioration, abandonna en présen- tant le budget décennal pour 1830 à 1840. Dans son discours d'octobre 1828, le ministre des finances tentait de justifier en ces termes, la modification qu'il proposait : « Il a semblé au roi, que le mode adopté jusqu'à présent à cet égard était défectueux; que celui qu'on propose actuellement est plus convenable et mieux approprié à son objet; qu'il indique plus distinctement le montant des dépenses publiques; qu'il n'en porte pas la totalité à une hauteur imaginaire, et qu'il ne met plus sur le compte du département des finances une somme de quelques millions de florins qu'on a pu considérer à tort comme faisant partie des dépenses réelles de ce dépar- tement. » Or, comme, malgré cette modification, la chose reste au fond la même, tandis que le produit net des impôts et les frais d'administration, déduits de leur montant et séparément énon- cés et justifiés, figurent comme ci-devant, au budget, dans le chapitre du département des finances. Sa Majesté espère que l'adoption de ce nouveau mode obtiendra l'assentiment de Vos Nobles Puissances. » Et, en effet..., si l'on considère, indépendamment des raisons que je viens d'alléguer, combien, par exemple, le mon- tant des salaires alloués pour la perception des impôts dépend de la quotité des sommes à percevoir, et combien, par consé- quent, il est incertain; si l'on fait attention qu'il paraît moins raisonnable, à l'occasion d'une loi sur les dépenses publiques, de voter, pour frais d'administration, une certaine somme dont la quotité dépend néanmoins nécessairement du mon- tant des recettes, dont alors on n'a encore pu juger, certaine- ment. Vos Nobles Puissances regarderont ce changement <îomme une véritable amélioration. » Tome LXVl. S ( 66 ) Tel ne fut pas l'avis des sections, qui très généralement se prononcèrent contre le projet de budget net et pour l'an- cienne méthode du budget brut. La première section se chargea de répondre à l'argumentation du ministre. « Elle avoue que le résultat financier des modes différents, dont on a fait la comparaison en faveur de celui qui vient d'être proposé, est égal pour tous les deux. Elle avoue encore que le montant des frais de perception des impôts dépend de la quotité des sommes à percevoir, mais ces motifs ne semblent pas pour cela devoir autoriser la marche nouvelle. » D'abord, n'est-elle pas en contradiction avec les règles ordinaires de comptabilité qui prescrivent que tout ce qui est perçu doit être porté en recette; et que, par contre, tout ce qui est payé en général, donc aussi ce qui est payé pour frais d'administration, de quelque nature que ce soit, doit être porté dans les dépenses? )) Ensuite, le montant des taxes et recettes, telles qu'elles sont payées par la nation, figurerait de cette manière à raison de 6 à 7 millions de moins qu'il ne le serait effectivement d'après les calculs du gouvernement, et dès lors l'état des choses ne paraîtrait pas entièrement sous son véritable point de vue. » D'ailleurs, l'incertitude de ces frais ne dépend-elle pas uniquement du montant des recettes elles-mêmes, de sorte que, en adoptant le projet énoncé dans le discours précité, une incertitude de la même espèce resterait toujours dans le mon- tant net des recettes d'après l'évaluation qui en a été proposée, et sur laquelle les projets de loi pour les recettes reposent éga- lement? » La troisième section appuyait cette manière de voir et résu- mait excellemment son point de vue en disant : « La section entière est d'avis que la recette brute doit figurer au budget et que les frais de perception trouveront alors leur place parmi les dépenses. La section estime que le système contraire ne peut prévaloir, parce que les frais de perception aussi bien que toute autre dépense doivent être soumis au contrôle de la ( 67 ) Chambre et faire partie du compte détaillé qui doit être rendu annuellement. » Dans sa réponse aux observations des sections ^, le gouver- nement déclare d'abord ne pouvoir entrer dans les vues expri- mées par un grand nombre de députés et ratifiées assez généralement par les sections, au sujet du transfert au budget annal de la totalité ou au moins d'un nombre impor- tant de dépenses dont le montant n'est pas en tout temps le même. Les articles 123 et 126 de la loi fondamentale, d'après l'in- terprétation du gouvernement, ne permettent pas de grossij de la sorte le budget annal aux dépens du décennal. De plus, c( de cette manière, les objets à comprendre dans les budgets annuels seraient si nombreux et leur montant si considérable, qu'il y aurait impossibilité physique à terminer les opérations relatives à celui de chaque année dans l'espace de vingt jours, ce dont l'article 100 de la loi fondamentale suppose néanmoins la possibilité pour quelques années ». Enfin « l'admission d'un principe, qui déroge à la division voulue par la loi fonda- mentale, ramènerait, chaque année, des discussions sur des objets d'administration, qui se renouvellent constamment, et sur des dépenses dont le montant doit être réparti sur plus d'une année ». Le gouvernement consent toutefois à modifier son projet de budget, d'après le vœu des sections, en portant, notamment, comme par le passé, les frais de perception et d'admi- nistration séparément au nombre des dépenses, bien qu'il ne soit nullement convaincu des avantages de cette méthode. « On ne conçoit pas, dit-il, quelle espèce d'avantage il en pourra résulter; on persiste même à croire que c'est le moyen de grossir inutilement et d'exagérer la somme des dépeuses * Mémoire contenant les réponses aux procès-verbaux des sections de la seconde Chambre des Étals-Généraux, concernant les projets de loi relatifs au budget ordinaire pour le terme de dix années, à commencer par 1830. {Doc. de 4828 4829, no 19 a). ( fiS) publiques ; d'autres considérations, dictées par la nature des choses, l'ordre et la simplitication de la comptabilité, semblent aussi militer pour la conservation du mode adopté dans le projet présenté : néanmoins le roi ne s'est pas refusé à faire aussi cette concession à l'opinion de l'assemblée. » De même, le gouvernement, tout en assurant que les trans- ferts abusifs de crédits d'un chapitre à l'autre du budget ne sont pas à craindre et qu'il n'y a pas de motifs de multiplier le nombre des chapitres du budget, consent à détacher le culte catholique du département de l'intérieur, pour en former le VII® chapitre d'administration intérieure. « En même temps, S. M. a déclaré être disposée, d'après les résultats de cette épreuve, à donner un peu plus d'extension à ce principe. » Dans son discours du 12 mai 1829 ^, le ministre des finances fit valoir ces concessions; il insista aussi sur l'aboli- tion de l'impôt sur la mouture et- sur la diminution et les économies réalisées sur le premier projet, pour un total de fï. 4,649,863 59. Le projet de budget décennal, amendé, se présentait donc comme il suit : Au total du premier projet, qui s'élevait à fl. 61,998,880 36 on ajoutait les frais d'administration et de perception des impôts, se montant à. . . fl. 6,765,437 64 Soit un total de. . fl. 68,754,318 00 Lequel, grâce à différentes réductions, a été diminué de fl. 4,649,863 59 De manière que le projet du budget décen- nal amendé s'élevait à fl. 64,104,454 41 * Cf. Verslag der Handelincjen van de Staten-Generaal, gedurende de zitting van 1828-1829, gehouden te Brussel, van 20 Oktober 1828 tôt 20 Mei 1829. Bewerkt door J. J. F. Noordziek en uitgegeven onder toegezicht van de Gommissie voor de huishoudelijke aangelegenheden van de tweede Kamer der Staten-Generaal. 's Gravenhage, ter algemeen Landsdrukkerij, 1888, blz. 649 en volg. ( 69 ) 11 était divisé en dix chapitres au lieu de neuf, par suite de l'érection en chapitre distinct des dépenses pour le culte catho- lique. Les États-Généraux discutèrent ces nouvelles propositions budgétaires en trois séances : les 42, 13 et 14 mai 18^9. Le 14 mai, le budget décennal des dépenses fut rejeté par 79 voix contre 26, et le budget des moyens par 86 voix contre 19 ^. Après le rejet de ce projet, à une majorité aussi considé- rable, le gouvernement se décida à tenir compte dans une plus large mesure de la volonté des Etals-Généraux, dans l'élaboration du nouveau projet qu'il avait à leur soumettre. Ce troisième projet se distinguait, en effet, des deux précé- dents par une sérieuse revision des évaluations budgétaires primitives, qui aboutit soit à la suppression d'un certain nombre de dépenses, soit à leur transfert du budget décennal au budget annal, a Je ne m'arrêterai pas, disait le ministre des finances 2, à la réduction de plus de 8 nlillions qu'ont subie les calculs antérieurs du budget ordinaire, car la valeur de cette réduction ne peut être jugée que par la comparaison combi- née du budget décennal et de l'annal pour 1830; je me con- tenterai de faire remarquer qu'en tout cas une grande partie des dépenses qui figuraient primitivement au décennal, a été ou supprimée ou reportée à l'annal. » Ces concessions rallièrent au gouvernement bon nombre de députés, qui avaient voté une première fois contre le budget. Il restait néanmoins une opposition irréductible, dont l'hosti- lité se manifesta au cours de la discussion 3. Elle motivait son * IbicL, p. 694. — Cette importante majorité ne comprenait pas seule- ment les députés des provinces méridionales, mais encore un grand nombre de députés du Nord. 2 Discours du 26 octobre 1829. 5 Elle eut lieu du 14 au 19 décembre 1829. — Cf. Verslag der Hande- lingen van de Staten-Generaal, gedurende de zitting van 1829-1830 gehouden te 's Gravenhage van 19 Oktober 1829 tôt 2 Juni 1830, bewerkt door J. J. F. Noordziek, l'e deel, blz. 125 en voIêç. ( 70 ) refus du budget par la mauvaise administration financière du gouvernement et aussi par la défiance que lui inspirait sa poli- tique générale. Cependant, si l'opposition était d'accord pour refuser le budget décennal, elle consentait, afin de ne pas entraver la marclie des affaires, à voter- un budget provisoire. Les partisans du gouvernement reprochaient cette attitude à l'opposition, qui se composait en majeure partie de Belges. Mais ceux-ci défendaient énergiquement leur droit d'agir de la sorte et proclamaient la vieille formule : « point de redresse- ment de griefs, point de subsides ». ce On nous fait un crime, disait le député du Limbourg, M. de Brouckère, de rattacher des griefs à notre vote, tandis que nos accusateurs font eux-mêmes abstraction des chiffres. L'adoption du budget sans examen, ou plus de budget, c'est- à-dire plus de loi fondamentale, tel est leur adage constitu- tionnel!... Le budget décennal n'est pas un subside. Il com- prend les dépenses fixés et régulières; mais si, parmi elles, il s'en trouve qui se rattachent à un abus, il faut ou y refuser son adhésion, ou vouloir que l'abus se perpétue. En ce sens, c'est plus particulièrement sur l'adoption du budget décennal qu'il faut être rigoureux. De son côté, le gouvernement peut préve- nir que par des combinaisons de plusieurs minorités, il n'y ait confusion et que ses projets soient renversés. Le moyen est simple, la divison par chapitres ^. « Le règlement d'ordre de la seconde Chambre des États- Généraux interdisait, en effet, tout amendement. Il obligeait les députés à voter ou à rejeter en bloc tout le budget et n'admet- tait pas le vote par articles ou par chapitres 2. Les vices de ce systèm.e sont évidents. Il restreignait la libre expression de la volonté parlementaire, tout en exposant le gouvernement à voir rejeter ses propositions, pour un désaccord sur l'un ou l'autre point de détail. * Ibid., p. 184. - Voyez plus haut. (71 ) M. Angillis, député de la Westflandre, appréciait très exac- tement la situation créée par cet article du règlement, dans son discours du 17 décembre ^ : « Je partage, disait-il, l'opinion émise pour que le budget soit discuté par chapitre. Ce mode qui tend à introduire les amendements est de beaucoup préfé- rable à celui observé jusqu'à présent. Kt tel est le malheur attaché à notre manière de voter en masse sur une fouie de dispositions diverses, accumulées dans une seule et même loi, que souvent on se trouve placé dans la pénible alternative, ou de repousser pour un seul article, pour une seule phrase, un projet de loi dont quelquefois toutes les autres parties sont sagement combinées, ou d'admettre une espèce de compensa- tion en vertu de laquelle on adopte les projets qui contiennent plus de dispositions utiles que de dispositions défectueuses, et quoique ce calcul soit singulièrement trompeur, on l'a cepen- dant plus d'une fois admis. A une demande si juste, si raison- nable, si conforme enfin aux usages parlementaires d'autres pays, que répond-on? On répond que cette marche n'est pas voulue par la loi fondamentale. Mais cette loi ne la défend pas, et comme le mode de voter est purement réglementaire, la loi a bien fait de ne pas s'en occuper... Dire que le mode de déli- bérer et de voter par amendement est contradictoire avec l'esprit de la loi fondamentale, est une erreur. Seulement, il n'est pas admis par notre soi-disant règlement d'ordre, mais ce règlement, qui ne dit pas la dixième partie de ce qu'il aurait dû dire, et qui laisse souvent deviner ce qu'il veut dire, réclame depuis longtemps une réforme complète. En adoptant les amendements, nos discussions seraient bien plus régulières, autant de projets ne seraient pas rejetés, nous aurions de meilleures lois, et nos lois tinancières seraient plus stables. Au vote, qui eut lieu en séance du 19 décembre 1829 ^, le budget décennal des dépenses fut adopté par 61 voix contre 46, tandis que le budget des moyens destinés à y faire face était rejeté par 54 voix contre 52. * Venlag der Handelingen..., blz. 166. 2 Ibid., blz. 219. ( 72 ) Le 21 décembre 1829, le gouvernement proposa un nouveau budget des voies et moyens, provisoire jusqu'en octobre 1850, et ce budget fut adopté le 22 par 100 voix contre 1 (de Stassart). Ainsi se termina, sans grande gloire pour le gouvernement, la lutte parlementaire mémorable engagée autour du dernier budget décennal du royaume des Pays-Bas. Nous l'avons exposée en détail, afin de saisir sur le vif l'orga- nisation budgétaire, telle qu'elle était conçue par la loi fonda- mentale de 1815 et pratiquée par le gouvernement du roi Guillaume. Et cette étude un peu longue n'était pas inutile, pensons- nous, puisqu'elle nous aide à comprendre la genèse du système budgétaire de la Constitution belge, dont les principes fonda- mentaux incarnent en quelque sorte la réaction contre les pratiques hollandaises, si âprement critiquées aux États- Généraux par les députés des provinces méridionales. § 2. — Le syndicat d'amoutissemem. L'étude de l'organisation budgétaire du royaume des Pays- Bas serait incomplète, si nous passions sous silence l'institution du syndicat d'amortissement, véritable budget occulte, qui existait à côté du budget annal et décennal et permettait au gouvernement d'alimenter ses finances, en dehors de toute prévision constitutionnelle et indépendamment du contrôle, même purement formel, du Parlement^. Dès les premières années de l'administration hollandaise, les déficits s'installèrent dans sa gestion financière et ne la quittèrent plus. Lorsqu'on eut épuisé les moyens ordinaires 1 Nous avons consulté avec intérêt sur ce sujet une brochure anonyme de l'époque, intitulée : « Exposé historique des finances du Royaume des Pays-Bas depuis 1813, par l'auteur de l'examen de la question sur. la liberté du commerce et sur le système de prohibition dans les Pays- Bas, etc.. », traduite de l'allemand par ***. Bruxelles, 1829, imprimerie- librairie romantique, rue Ducale n« 8. ( 73) d'y remédier : augmentation des impôts, emprunts, etc., on recourut à des combinaisons extraordinaires, comme cet emprunt par loterie sur les domaines^ proposé aux États-Géné- raux au commencement de 182i2 et combiné avec la création de 40 millions de papier-monnaie, sous la dénomination de billets du domaine. L'inetficacité de cette combinaison fit adopter un nouvel expédient : la création d'un syndicat d'amortissement {amorti- salle syndikaat)j destiné à réunir les opérations d'un syndicat antérieurement existant et de la caisse d'amortissement. Le syndicat fut créé et organisé par les lois du i27 décembre 1822 et du 5 juin 1825. Le syndicat assumait vis-à-vis de l'Etat les obligations sui- vantes : L — Payer annuellement au trésor une somme de 190,000 flo- rins pour les produits des domaines cédés à S. A. R. le prince Frédéric des Pays-Bas, par la loi du 25 mai 1816; Payer les intérêts des emprunts faits sur la grande commu- nication du royaume et procurer les fonds nécessaires au rem- boursement de ces emprunts, pour autant que le produit des péages n'y fût pas suffisant; Remplir les obligations atfectées aux domaines ; Payer au trésor dans le courant des cinq années 30 millions de florins, aux fins qui suivent : a) Pour achèvement des grandes communications par eau et par terre; b) Pour remplir le déficit qui se trouvera à la fin des travaux de la commission de liquidation, ainsi que pour satisfaire à ce dont le gouvernement serait reconnu être redevable aux puis- sances étrangères ou à leurs sujets avant la fin de la liqui- dation; c) Pour la construction extraordinaire de vaisseaux de guerre ; d) Pour achèvement des fortifications de diverses places dans les provinces méridionales ; e) Pour remplir le déficit de 1822. (74) II. — Mettre le trésor en état de payer les pensions et rentes viagères extraordinaires et de satisfaire à d'autres obligations qui s'éteignent successivement ; m. — Payer au trésor la somme de 12 millions pour faire face aux frais que nécessitait l'introduction du nouveau système monétaire ; 1V^ — Rembourser les obligations à charge du syndicat qui avait existé jusqu'alors; Retirer la dette différée, aussi bien les certificats que les billets de chance (de la lotterie du domaine), tous deux ensemble, au prix de 50 «/o valeur nominale. Afin de permettre au syndicat de tenir ces engagements, on lui assigna les moyens suivants : I. — L'État lui céda : a) Le produit net des péages sur routes et rivières, après le remboursement des emprunts y affectés ; b) Le droit de vendre des biens domaniaux jusqu'à concur- rence d'un revenu annuel de 1,750,000 florins, ou bien d'hypo- théquer ces biens pour des sommes remboursables par le produit de la vente. IL — Ouverture au grand-livre d'un crédit de 68,000,000 de florins de dette effective donnant 2 ^l<2 **/o. [IL — Ouverture au grand-livre d'un crédit de 26,000,000 de florins de dette effective à 2 1/2 %• IV. — Autorisation d'émettre pour 116 millions d'obliga- tions à 4 V2 7o. a En substance, dit l'auteur de la brochure anonyme citée ^, cette nouvelle et importante opération de finances consistait en ce que, après une suite d'années de paix, il fut créé une masse de nouvelles dettes tellement prodigieuse, que peut-être on n'en trouve point d'exemple dans l'histoire des autres États, eu égard à leurs forces ; et cela, sans qu'on songeât seulement à augmenter la recette par quoi que ce fût, afin de la mettre à même de pouvoir payer les intérèls de ces dettes. * Exposé historique. .., p. 49. ( 75) » Après cela, est-il étonnant que les déficits, quoique couverts pour quelque temps, se soient enfin augmentés considérablement? » // est donc permis de penser que la création de la nouvelle institution ne pouvait avoir d'autre but que de porter sur un autre compte tout ce qui aurait pu choquer l'économie de l'État ; et de le dérober par là à l'attention des Chambres, dont le mécon- tentement hautement prononcé sur cet éternel renouvellement du déficit avait inspiré quelques alarmes aux conseillers de la couronne. » De son côté, M. de Gerlache, député de Liège aux États- Généraux, caractérisait l'institution en ces termes, dans son discours du 18 décembre 1829 ^ : « Le syndicat d'amortisse- ment, créé en 1822, espèce de corporation anonyme, grand propriétaire, immense capitaliste, entrepreneur de barrières, routes, canaux, mines, etc., qui exploite à la fois diverses sortes d'industries, qui administre, prête, emprunte, aliène et qui n'est pas plus responsable que nos ministres, a été imaginé afin de faire disparaître ces terribles déficits qui effrayaient de plus en plus les Etats-Généraux et la nation; il a été imaginé non pas afin de combler réellement le vide du trésor, mais de le dérober pour un temps aux regards des faibles en finances, c'est-à-dire à ceux de l'immense majorité. C'est la fureur de tout réglementer, administrer, centraliser, accaparer, qui a créé parmi nous cette troisième espèce de budget, ce budget occulte, qu'on nomme syndicat d'amortissement. » On peut regretter de voir dans le seul budget décennal les trois quarts de nos finances soustraits à l'investigation des Chambres. Toutefois, cela est constitutionnel. Mais le syn- dicat ne l'est point, mais le syndicat va beaucoup plus loin que le budget décennal, puisqu'il rend presque nul le droit de censure que vous devez exercer sur toutes les opérations du gouvernement. * Verslag der Handelingen..., 4829-4830, blz. 189. (76) » C'est pourquoi j'avais demandé en section que cet établis- sement fût soumis à une revision générale et ramené à son véritable but, qui est l'amortissement de la dette. » Les statuts du syndicat ne laissent aucun doute sur le véri- table caractère de cette institution, qui permettait au gouver- nement de se livrer à de vastes opérations financières, à l'abri de tout contrôle parlementaire i. L'article 48 de la loi déclare que « le compte du syndicat d'amortissement est confié, sous l'imposition du secret, aux mains d'une commission de sept membres qui sont les deux présidents des Chambres, deux conseillers d'Etat et trois membres de la Chambre générale des comptes. Ces trois der- niers sont à la nomination du gouvernement )). L'article 49 ajoute : « à commencer de l'année 1829, et ensuite tous les dix ans, l'état de situation du syndicat d'amortissement sera communiqué aux États-Généraux et ensuite rendu public, et chacun en pourra faire l'acquisition. » Cette organisation occulte du syndicat était manifestement ^ On peut se demander comment il se fait que les États-Généraux aient pu consentir à voter la loi de 1822, qui créait le syndicat. Nous trouvons l'explication suivante dans la brochure anonyme citée : « Ceux qui présentèrent le projet de loi semblent avoir compté principalement sur ce que le plus grand nombre des membres de tous les corps légis- latifs a\ aient toujours prouvé jusqu'ici un défaut de connaissances en matière d'économie politique et plus encore en ce qui regardait propre- ment la comptabilité; et ils ne furent pas trompés dans leur attente, car le projet de loi passa bon gré mal gré aux deux Chambres. . . Il est vrai qu'il fallut employer quelques tours de tactique parlementaire pour réussir : par exemple, il ne fut nullement question de nouveaux impôts pour faire face aux intérêts des grands emprunts nouveaux; on présenta, au contraire, le projet comme étant le seul moyen de satisfaire à tous les besoins extraordinaires de l'État, sans charger la nation d'un nouvel impôt; et pour ne pas laisser le moindre doute sur un effet si bienfaisant, on procéda d'abord à une petite réduction de quelques contributions, ce qui plut particulièrement dans les provinces méridionales; et les con- seillers de la couronne surent si bien tirer parti de ce moment favorable, qu'ils se procurèrent la majorité des voix dans les Chambres. » (p. 49.) ( 77 ) contraire aux articles 121, 128 et 199 de la loi fondamentale. Inconstitutionnelle dans son principe, celte institution don- nait lieu à de graves abus dans son fonctionnement. Les déficits budgétaires que l'on prétendait faire disparaître grâce aux secours du « bienfaisant » syndicat étaient simple- ment masqués artificiellement. On creusait un trou pour en combler un autre. Jusqu'en 1829 le syndicat avait contribué au budget annal, pour les sommes suivantes ^ : 1823 tl. 9,653,579 74 Va 1824 9,598,980 11 1825 10,358,351 21 1826 7,160,995 80 1827 7,156,936 10 1828 6,586,957 541/2 1829. . 8,372,742 871/2 (c Dans les sept années de 1823 à 1829, une caisse secrète, qui ne se procure de nouveaux fonds qu'en émettant de nou- velles obligations, a donc fourni aux besoins de l'Etat, un secours notoire de tl. 58,888,543 38^2^- » Le gouvernement avait ainsi toute latitude de se procurer les fonds nécessaires à des dépenses arbitraires, sans avoir de compte à rendre de son administration financière, mais, de plus, il disposait d'un moyen facile de dépasser les crédits mis à sa disposition par le Parlement et de faire fi de ses décisions. Voici deux faits à l'appui de cette atiirmation. Nous les empruntons au discours de M. de Gerlache, dont nous par- lions plus haut. « En 1828, si j'ai bonne mémoire, nos collègues du Nord 1 Brochure citée, p. 103. 2 iôïc^., p. 114. ( 78 ) ! réclamèrent contre les travaux que le gouvernement faisait exécuter à l'île de Marken. Cependant, ces travaux furent con- tinués et poussés fort avant, quoique nous eussions refusé des \ fonds à cet effet, et ils coûtèrent plusieurs millions. Le syndicat : d'amortissement y avait pourvu. » Il résulte de l'état dressé par la commission permanente, j que le syndicat a déboursé une somme de 3,618,329 florins ; pour l'encouragement de l'industrie nationale. Il suit de là \ que le million mis à la disposition du gouvernement pour la j même fin et dont la plupart des sections ont demandé la j suppression, a paru insuffisant au ministre, ce qui laisse \ beaucoup à penser 'i... » ; La situation budgétaire du royaume des Pays-Bas était donc des plus embrouillées. On n'y comptait pas moins de trois ou même quatre budgets : le budget décennal, alimenté par des impôts fixes; un budget annal, basé lui aussi sur des imposi- tions publiques; un second budget annal, qui reposait sur les i subsides du syndicat d'amortissement ; enfin, le budget secret î de ce syndicat. Les deux premiers s'élaboraient au grand jour du Parlement, sous des garanties constitutionnelles, les deux derniers étaient : occultes et leurs opérations sont soigneusement soustraites 1 aux regards indiscrets des profanes. | Nous pouvons donc conclure avec l'auteur anonyme que i nous nous plaisons à citer : « Un tel ordre dans les finances appartient exclusivement aux Pays-Bas, et le politique, môme ^ le plus pénétrant, pourrait être fort embarrassé de se faire une i idée juste de la cohérence du tout. j » Il n'est donc nullement étonnant que dans un pareil état I de choses, les plaintes sur l'obscurité qu'on met dans la reddi- i lion des comptes se renouvellent et s'augmentent à chaque i session des États-Généraux 2. » ^ 1 Verslag der Handelingen..., 1829-4850, blz. 189. | 2 Exposé historique.,., p. 129. '\ ( 79 ) § 3. — LA CHAMBRE GÉNÉRALE DES COMPTES ET LA COMPTABILITÉ PUBLIQUE. Un arrêté du prince-souverain Guillaume l^*", roi des Pays- Bas, du 30 novembre 1814, avait institué une Chambre des comptes pour les déparlements de la Belgique, appelés à former les provinces méridionales du nouveau royaume. La loi fondamentale de 1815 confirma cette institution. L'article 202, alinéa 1, déclare : « Il y a pour tout le royaume une Chambre des comptes, chargée de l'examen et de la liqui- dation des comptes annuels des départements d'administra- tion générale, de ceux de tous les comptables de l'État et autres, conformément aux instructions données par la loi. » En exécution de cet article, la loi du 21 juin 1820 organisa la Chambre générale des comptes et précisa ses attributions et ses devoirs. Enfin, un volumineux règlement général sur l'administration des finances — il ne comprenait pas moins de 453 articles — approuvé «par un arrêté royal du 24 octobre 1824 't, précisa tous les détails de la comptabilité publique et de l'administration financière et notamment le rôle de la Chambre générale des comptes. La Chambre siégeait à La Haye. Elle se composait de seize membres, choisis, selon la prescription de la loi fondamen- tale, autant que possible dans toutes les provinces (art. 202, al. 2) et nommés par le Roi sur une liste triple de candidats présentés par la seconde Chambre des États -Généraux (art. 202, al. 3). Elle comprenait, en outre, un secrétaire, nommé, lui, directement par le roi (loi de 1820, art. 4). La loi de 1820 lui donnait les principales attributions sui- vantes : 1** Exercer un contrôle exact sur les dépenses et sur la comptabilité des fonds, biens et propriétés de l'État (art. 12) ; * Cf. supra. (80) S'» Examiner et clôturer le compte des revenus ordinaires et extraordinaires de TÉtat, destinés par la'loi à faire face aux dépenses publiques. Ce compte sera transmis par l'administra- tion à la Chambre, accompagné de pièces justificatives consta- tant que les sommes y énoncées sont versées au trésor du royaume (art. 13). L'administration transmettra de même à la Chambre, pour y être examiné et clos, le compte des dépenses ordinaires et extraordinaires de l'État. La Chambre n'admettra définitive- ment dans ce compte aucun paiement dont la vérification et la liquidation voulue par l'article 15 n'auraient pas eu lieu (art. 18) ; 3° S'opposer au transfert des crédits d'un ministère à un autre. « La Chambre générale des comptes veillera spéciale- ment à ce que les dispositions contenues dans l'article 127 de la loi fondamentale, par rapport aux dépenses publiques, aient leur plein effet et que les sommes des budgets décennal et annuel, dont nous avons accordé la disposition, ne soient surpassées, ni employées à d'autres fins que confor,mément à ces dispositions (art. 14); 4" L'article 15 attribue nettement à la Chambre le contrôle 2)réventif des dépenses publiques : « Aucune disposition pour paiement de quelque dépense de l'État, affectée sur le budget, ne pourra être ordonnée, si au préalable cette dépense n'est vérifiée, liquidée et enregistrée à la Chambre^, » Tous paiements provisoires, lesquels pourront d'après notre autorisation être ordonnés par un département d'admi- nistration générale, seront considérés comme des avances et devront être soumis à l'examen, la liquidation et l'enregistre- * Le rapport de la section centrale constate que la majorité dans une section et les membres d'une autre ont pensé que les attributions données par cet article et d'autres du projet sont hors du cercle de celles voulues par l'article 20"2 de la loi fondamentale, et qu'aux termes de cet article la Chambre des comptes serait seulement chargée de l'examen et de la liquidation des comptes annuels des départements d'administration générale et de ceux de tous les comptables de l'État et autres. (81 ) ment de la Chambre générale des comptes, avant de pouvoir être reconnus dépenses légales de l'État. » Les règles à suivre à cet égard seront arrêtées par nous après avoir entendu la Chambre. » L'article 16 ajoute : « La Chambre générale des comptes ne pourra procéder aux liquidations mentionnées à l'article pré- cédent, à moins qu'il ne lui conste que la dépense a été autorisée par nos arrêtés généraux ou spéciaux. » 5° L'article 20*2 de la loi fondamentale chargeait la Chambre des comptes de l'examen et de la liquidation des comptes de tous les comptables de l'État et autres. L'article 22 de la loi de 1820 organise partiellement cette disposition en décidant que « la Chambre générale des comptes arrêtera et clorra les comptes des receveurs généraux dans les provinces; elle devra s'assurer que les revenus de l'État y soient portes conformément au compte général des recettes, qui lui sera transmis conformément à ce qui est prescrit dans l'article 13. )) Pour ce qui concerne les dépenses publiques, la Chambre générale des comptes devra s'assurer que ces dépenses forment partie du compte mentionné à l'article 18, avant de les admettre définitivement dans ceux des receveurs généraux ». Quant aux autres comptables de l'État, soumis au contrôle de la Chambre, la loi, contrairement à l'avis exprimé par la section centrale, en abandonne la désignation à des arrêtés royaux : « Nous désignerons, en outre, par des arrêtés spé- ciaux, les comptables ordinaires et extraordinaires du royaume et autres, dont les comptes d'administration de fonds ou de biens et propriétés du royaume seront examinés et clos par la Chambre générale des comptes, en y comprenant, dans tous les cas, ceux qui toucheront des deniers publics à charge d'en rendre compte (art. 23). » 6° Les articles 20 et 21 organisent le contrôle de la dette publique. « Le double du grand-livre de la dette nationale sera déposé à la Chambre générale des comptes et sera tenu Tome LXVL 6 ( 82 ) conformément aux règlements déjà arrêtés ou à arrêter. A l'égard de l'inscription des pensions, les règlements arrêtés ou à arrêter seront observés, ainsi que la règle générale comprise à l'article 16 (art. 20). >^ a La Chambre générale des comptes tiendra également des registres de tous les emprunts, avances et autres opérations au profit du trésor, à l'effet d'en assurer la comptabilité (art. 21). >^ Cette organisation, quelque développée et bien conçue qu'elle puisse paraître à première vue, ne répondait cependant pas aux exigences d'une comptabilité publique rationnelle dans un gouvernement représentatif. Comme nous le disions plus haut, le gouvernement du royaume des Pays-Bas n'avait que les formes extérieures et pour ainsi dire la façade d'un gouvernement parlementaire. C'est le roi, en réalité, qui exerçait tous les pouvoirs et les ministres qu'il nommait n'étaient pas responsables vis-à-vis du Parlement. L'article 61 de la loi fondamentale attribuait expressément au roi la direction suprême des finances, et ce droit il l'exer- çait de manière à rendre pratiquement vaines et illusoires toutes les garanties constitutionnelles destinées à ménager le contrôle de la gestion financière du gouvernement. Aussi la Chambre des comptes, qui était théoriquement investie de ce contrôle, n'avait pas les moyens de l'exercer efficacement. Et d'abord, elle n'était pas indépendante du gouvernement, dont elle avait mission de surveiller les actes financiers. Ses membres étaient nommés par le roi, non pas directe- ment, il est vrai, puisque le Parlement avait un droit de pré- sentation. Mais à cela se bornait le droit de ce dernier, car les membres de la Chambre étaient destituables à volonté par le roi qui les nommait. Au cours des travaux parlementaires de la loi de 1820, des sections avaient proposé de déclarer inamovibles les membres ( 83 ) (le la Chambre, — voulant leur donner ainsi une garantie d'indépendance — ou du moins de fixer la durée de leurs fonctions. Nous lisons, en effet, dans le rapport de la section centrale : « Une section, vu surtout le mémoire du ministre duquel il résulterait que les membres de la Chambre des comptes ne seraient pas inamovibles y mais destiluables à volonté, a déclaré unanime- ment persister de plus en plus dans l'opinion que ces emplois devaient être inamovibles pour que l'institution pût corres- pondre à son objet... )) Une autre section a développé son observation à cet égard. on disant que dans l'intérêt du roi et celui de l'État, les mem- bres de la Chambre générale des comptes doivent jouir de la plus haute indépendance si on ne veut pas les assimiler à des commis des ministres, amovibles au gré de ceux dont ils doivent surveiller et arrêter les comptes; que personne ne s'est imaginé que même ceux actuellement existants ne fussent nommés à vie, qu'il est au moins dans le domaine de la loi de fixer la durée de fonctions aussi intéressantes et que si elle n'est pas à vie, la loi fondamentale aura manqué son but en instituant une Chambre des comptes. » Mais ces propositions ne furent pas suivies et aucun article de la loi ne stipule l'inamovibilité des membres de la Chambre des comptes ou ne précise la durée de leurs fonctions. De plus, le roi nommait directement le secrétaire de la Chambre dont les fonctions et la situation étaient prépondé- rantes au sein de celle-ci. De même, toutes les nominations des employés de la Cham- bre et toutes les instructions à lui donner émanaient de celui qui avait la direction suprême des finances '>. * Cf. Considérations sur les systèmes politiques de comptabilité des gouvernements belge et des Pays-Bas, suivi d'un tableau général du mouvement de la dette publique jusqu'en 1830, à l'occasion de la revision de la loi qui institue la Cour des comptes, par un Belge, attaché à la Cour des comptes. (F. Rapaert, conseiller à la Cour.) Bruxelles, H. Remy, imprimeur du Roi, 1835, p. 18. ( 84 ) Dépendante du gouvernement dans sa composition, la Chambre générale des comptes se trouvait aussi très empêchée d'exercer normalement ses multiples attributions. L'article 14 de la loi de 1820 la chargeait, par exemple, du soin de veiller spécialement à l'application de l'article 127 de la loi fondamentale, qui établit la spécialité des crédits par ministère ou par département d'administration générale et interdit le transfert des crédits d'un chapitre d'administration générale à un autre chapitre, sans le concours des Etats- Généraux. Mais cette spécialité était absolument insuffisante pour per- mettre à la Chambre — ce qui eût été sa mission normale — de s'assurer que les crédits alloués au gouvernement étaient réellement employés à l'objet pour lequel il les avait obtenus. En effet, c'est le roi qui détermine lui-même les chapitres du budget (art. 75 de la loi fondamentale), et il lui est loisible, dans les limites d'un même chapitre, de faire toutes les dépenses qu'il juge à propos, sans s'inquiéter de l'attribution spéciale des crédits^. Dans ces conditions, le rôle attribué à la Chambre des comptes par la loi était bien diminué et presque illusoire. 11 en était de même de son contrôle préventif (art. 15). « Cette innovation était alors de peu d'importance, car le chef du nouvel Etat, comme le chef de l'Empire (français) qui venait de s'écrouler, avait la direction suprême des finances, d'après la 1 D'après la loi fondamentale, le roi Guillaume pouvait faire des transferts dans chaque chapitre du budget, sans l'autorisation de la Législature. Toutes les subdivisions, tous les chiffres à l'appui des projets n'étaient que des moyens d'apaiser les plus scrupuleux, de contenter les curieux, de justifier le montant des dépenses, sauf à bouleverser après l'approbation toutes les combinaisons primitives de chaque département d'administration générale. (Ch. de Brouckere, administrateur général des finances. Exposé des motifs du budget des dépenses pour le premier semestre 1831. — Séance du congrès national, 13 janvier 1831. Huyttens, IV, p. 499.) ( 85 ) loi fondamentale, sans avoir à rendre compte de leur gestion à la représentation nationale ^. » Il avait notamment une faculté illimitée d'ordonner des paiements provisoires ou avances (art. 15, al. 2), et il n'existait aucune sanction à l'examen et à la liquidation préalable con- cédée à la Chambre des comptes. Si l'article 22 de la loi de 1820 confie à la Chambre des comptes le contrôle des recettes, en ce qui concerne les rece- veurs généraux, et si l'article 23 de la même loi prévoit l'exten- sion de ce contrôle, par voie d'arrêtés, à d'autres comptables, ces articles ne reçurent jamais d'exécution. « Le gouvernement hollandais, qui avait adopté le principe de n'admettre que l'œil du maître pour contrôler les finances, et qui repoussait par conséquent tout ce qui aurait pu répandre quelque jour sur la gestion des deniers publics, ne permit pas à la Chambre des comptes de vérifier les receltes. » En effet, le règlement sur l'administration des finances du 24 octobre 1824, délayé en 453 articles, ne tarda pas à paraître. Ce règlement modifia complètement le système de comptabi- lité, supprima les seuls justiciables que la loi de 1820 avait donnés à la Chambre des comptes et se garda de lui en assigner de nouveaux. )) La Chambre des comptes fut donc chargée d'arrêter des comptes et n'eut pas de justiciables; elle eut à vérifier des recettes, sans moyens d'en obtenir la justification, et à liquider des dépenses, d'après le bon vouloir du Pouvoir exécutif. Le ministre des finances puisait dans le trésor public, sans autre contrôle que celui du chef d'Etat 2. » Enfin, il n'existait aucun contrôle parlementaire sur la gestion des finances publiques. Le Parlement votait les impôts, * Rapport de M. de Man d'Attenrode, au nom de la section centrale, sur le projet de loi concernant la complalDilité de l'État. (Session de 4844-1845, Doc. parL, n» 160.) 2 Ibidem. ( 86 ) il autorisait aussi les dépenses et allouait au gouvernement les crédits que celui-ci réclamait, mais il ne' disposait d'aucun moyen de s'assurer que les crédits qu'il votait recevaient i'em.ploi auquel il les avait affectés. L'article 128 de la loi fondamentale obligeait certes le roi à faire mettre annuellement sous les yeux des Etats- Généraux un compte détaillé de l'emploi des deniers publics. Mais c'était là une pure formalité. Le Parlement n'avait pas à examiner ce compte, ni à en délibérer, ni à l'arrêter ^. La loi des comptes n'existait pas et les ministres n'étaient pas responsables vis-à-vis du Parlement. Aussi pouvons-nous conclure, avec i\L de Man d'Attenrode 2 : « La Chambre des comptes, comme dans les États où la représentation du pays ne peut s'enquérir de l'emploi des subsides, fut donc réduite au rôle d'auxiliaire de l'administra- tion : elle ne fut qu'un bureau où le gouvernement réunissait, pour ses propres investigations, les pièces justificatives des dépenses, afin de s'assurer qu'elles avaient été faites conformé- ment à ses ordres, dans la limite de la répartition qu'il avait à faire des crédits généraux ». Ce qu'on a justement appelé « la comptabilité politique » laissait donc beaucoup à désirer sous le gouvernement du roi Guillaume, et la « comptabilité matérielle » •% bien que très 1 « La chose était rationnelle. En elïet, sur quoi eussent porté et les discussions, et les recherches, et les observations, en présence des crédits absolus, accordés sans délimitation aucune? Tous les documents que le pacte fondamental prescrivait de présenter aux Chambres étaient dans leur essence frappés d'une insii^nifiance complète; ils étaient véritablement dérisoires pour la nation à qui on les olfrait; aussi, pendant toute la durée du royaume, aucun compte n'a été ni publié, ni arrêté, ni discuté; et, en vérité, c'eût été un hors-d'œuvre. » (Cf Consi- dérations sur les systèmes politiques, etc., pp. 13-14.) - Rapport de la section centrale, cité plus haut. L'honorable rapporteur emprunte d'ailleurs cette remarque à l'auteur des Considérations sur les systèmes politiques, etc., p. 19 in fine. 3 « Le gouvernement des Pays-Bas possédait une tenue de livres parfaite; aucun denier n'entrait, aucun denier ne sortait des caisses ( 87 ) pci'feclionnée, ne pouvait suppléer évidemment à Tinsuftisance (le la première. Cependant, on s'exposerait à porter sur cette organisation budgétaire et comptable du royaume des Pays-Bas un juge- ment peu équitable, si l'on se bornait à la comparer aux insti- tutions plus développées et plus libérales qui l'ont remplacée après 1830. Il ne faut pas perdre de vue, en effet, qu'avant cette époque, les institutions budgétaires modernes étaient encore dans l'enfance, comme les institutions parlementaires elles-mêmes, et que la plupart des pays, si l'on excepte l'Angleterre, étaient loin d'avoir réalisé un régime libéral attribuant aux représen- tants de la nation une influence réelle dans la gestion des finances publiques. On pourrait même soutenir que les lois politiques et consti- tutionnelles des Pays-Bas avaient réalisé un progrès et, en tout cas, on peut affirmer que le royaume des Pays-Bas n'était pas, sous ce rapport, dans une situation plus mauvaise que ses voisins du continent. La France seule faisait exception, grâce aux réformes finan- cières accomplies dans ce pays, sous la Restauration, sur l'ini- tiative notamment de M. de Villèle ^. Cependant, on peut encore relever dans les institutions déjà très libérales existant sous Louis XVIII, de sérieuses lacunes, notamment en matière de spécialité budgétaire. c( Depuis le début de la Restauration, malgré le silence de la publiques sans que l'enlrée ou la sortie n'en fût à la fois constatée et justifiée dans ses motifs : d'abord dans les livres locaux, si je puis m'exprimer ainsi, tenus sur les lieux par ceux qui faisaient directement les recettes et les dépenses; ensuite dans des livres de centralisation, tenus aux administrations générales chargées de l'examen et de la vérifi- cation des pièces. » (Cf. Considérations, etc., pp. 4-5.) * Cf. Stourm, Le budget, passim, spécialement chapitres II, XIII, XXX. — Georges Surleau, Les réformes financières de M. de Villèle. Paris, Larose, 1901 (thèse), spécialement 2^ partie, chapitres I, II, IV, V. ( 88 ) Charte, les députés votaient quand même le budget des dépenses. Seulement, leur vote ne portait que sur l'ensemble des crédits, lesquels se trouvaient ainsi mis en bloc à la dispo- sition du gouvernement; le détail ne figurait dans la loi du budget qu'à titre de renseignement annexe. » D'après l'article 151 de la loi du 25 mars 1817, non seule- ment le Parlement demeure chargé d'ouvrir les crédits néces- saires aux divers services publics, mais il pénètre dans leurs détails, il en spécialise la distribution par ministère ^. » Cette loi créait la spécialité des dépenses par ministères, au lieu du vote des dépenses en bloc. « L'innovation réalisait sans doute un progrès considérable pour l'époque, en posant pour la première fois le principe de la spécialité. Mais ce principe étendu à tout un ministère laissait au gouvernement beaucoup trop de latitude, les ministres, une fois la loi de finances votée, demeurant maîtres de se mouvoir à leur guise dans des cadres de 100, 120 et jusqu'à 190 millions de crédits en bloc. Pourvu que ces blocs fussent respectés, l'aménagement des éléments qui les composaient pouvait être impunément bou- leversé 2. » A ce moment, la spécialité budgétaire n'était donc pas plus avancée en France qu'elle ne l'était dans le royaume des Pays- Bas. Mais les libéraux ne cessèrent de protester contre ce système, et en 1827 une ordonnance de M. de Villèle, du 1^' septembre, fit faire un pas de plus à la spécialité, en la restreignant à des sections formées dans l'intérieur de chaque ministère : a A partir de l'exercice 1829, dit l'article 1'^% le projet de budget général de TÉtat présentera directement l'évaluation des dépenses par branches principales de services. » En conséquence , le vote du budget de l'exercice 1829 porta non plus seulement sur sept ministères, mais sur cinquante-deux subdivisions budgétaires : la réforme avait * Stourm, loc. cit., p. 48. 2 Ibid., pp. 293-294. ( 89 ) donc une certaine valeur. Mais elle péchait d'abord par son origine, puisqu'elle émanait d'une simple ordonnance, dont le gouvernement se réservait chaque année de reviser les cadres. Puis les sections formaient encore des subdivisions d'une étendue trop considérable, quelques-unes comprenant 25, 33, 42, 45 et même 169 millions. » La révolution de 1830 provoqua un pas en avant décisif. Le vote par chapitre fut alors édicté par la loi du 29 jan- vier 1831 fart. 11,12) i. » Si l'on excepte la spécialité budgétaire, qui ne reçut une solution satisfaisante qu'après la chute de Louis XVIII, on peut dire que la France de la Restauration possédait une organisa- tion budgétaire digne d'un gouvernement parlementaire. Elle connaissait en effet le vote annuel du budget, la loi des comptes depuis la loi du 15 mai 1818 2 et avait développé d'une manière heureuse les attributions parlementaires de la Cour des comptes, solidement établie déjà dès 1807 dans ses attributions judiciaires ^. Il n'est pas étonnant que ces institutions libérales françaises aient inspiré sur bien des points l'œuvre législative de nos constituants belges de 1830. CHAPITRE IV. Le Congrès national et la Constitution belge. Il nous serait difficile toutefois d'établir d'une manière précise cette intîuence des réformes de M. de Villèle sur l'éla- boration du système budgétaire de la Constitution belge, bien que nous soyons persuadé que c'est par le canal des institutions françaises qu'a pénétré chez nous l'ensemble des * Stourm, loc. cit., pp. 294-295. , 2 Ibid., p. 606. 3 Ibid., pp. 593 et suiv. ( 90 ) principes financiers très libéraux qui caractérisent l'œuvre des constituants de 1830. Plus tard, dans la loi de comptabilité du 15 mai 1846 et dans les règlements généraux qui l'ont suivie, l'influence française est très nettement marquée. Des textes entiers des lois et règlements de la comptabilité française ont passé dans la comptabilité belge, et nous aurons plus d'une fois l'occasion de les signaler. Mais les discussions du Congrès national sur les articles du pacte constitutionnel relatifs aux finances publiques ont été très sommaires, peu explicites et ne permettent pas de discer- ner avec précision leur origine directe. Le titre IV : Des finmices, a d'abord été l'objet d'un rapport très laconique, fait au Congrès, dans la séance du 22 janvier 1831, par le chevalier de Theux de Meylandt t. La discussion a été très rapidement menée dans les séances des 26 et 27 janvier 1831 2 et n'a guère porté sur les principes essentiels. D'autre part, les constituants ont eu soin d'adopter un régime financier diamétralement opposé à celui du royaume des Pays-Bas. Leur œuvre s'inspira naturellement d'une réaction contre les règles et les pratiques financières du gou- vernement précédent. Ils proclamèrent notamment que tout impôt doit être établi par une loi (art. 110) et que les impôts au profit de l'État sont votés annuellement, insistant d'ailleurs sur ce point, que les lois qui les établissent n'ont de force que pour un an si elles ne sont renouvelées (art. 111), et que les Chambres votent chaque année le budget (art. 115) : tout cela pour prévenir les abus auxquels donnait lieu le budget décennal. De même, la règle de l'universalité du budget est établie • HuYTTENS, Discussions du Congrès nationaL IV, n^ 61, pp. 105 et suiv. 2 Ibid., II, pp. 274-276 et 281 et suiv. (91 ) par l'article 115, alinéa 2 : il n'y a plus place, sous le régime nouveau, pour le budget net et les budgets occultes. Le compte annuel des finances de l'État ne sera plus soumis au Parlement, à titre de simple renseignement, mais les Chambres le contrôleront et voteront chaque année la loi des comptes (art. 115, al. 1). La Cour des comptes sera complètement indépendante du gouvernement dont elle a mission de surveiller les actes. Ses membres seront nommés par la Chambre des représentants. La Cour sera en quelque sorte une commission de la Cham- bre, et parmi les attributions étendues que lui confère l'ar- ticle 116, les constituants ont eu soin d'inscrire celle qui sera une garantie sérieuse du principe de la spécialité budgétaire, si méconnu sous le régime antérieur : la « Cour veille à ce qu'aucun transfert n'ait lieu w. Il nous suffira, pour le moment, d'indiquer ces principes fondamentaux de notre organisation financière. Nous aurons l'occasion d'y revenir et de les examiner d'une manière plus détaillée, à mesure que nous avancerons dans cette étude. PREMIÈRE PARTIE LA PRÉPARATION DU BUDGET SOMMAIRE : Chapitre premier. — L'absence d'imité dans le budget beige. § i. — La pratique belge des budgets spéciaux et divisés. § 2. — La forme extérieure des budgets. — L'arrêté royal du 19 février 1848. ,§ 3. — La tentative de réforme de M. Graux : le budget de 1884. § 4. — Le budget extraordinaire : A. — La situation avant 1884; B. — La réforme de M. Graux; C. — Le biidi^et extraordinaire organisé par M. Beernaert; D. — La distinction des dépenses exceptionnelles et des dépenses ordinaires, inaugurée en 1895. § 5. — Appréciation critique de cette organisation. Chapitre IL — La procédure belge en matière de préparation de budget. Le comité permanent du budget. Chapitre IIL — La règle de l'universalité. § 1. — L'article 115, alinéa "2 de la Constitution. § "2. — Étendue d'application de la règle : A. — Le budget belge est un budget brut ; B. — Loi du 15 mai 1846 sur la comptabilité : article 16 ; C. — Le budget des recettes et dépenses pour ordre. § 3. — La spécialisation. Chapitre IV. — U évaluation des recettes et des dépenses. Les crédits complémentaires et les crédits supplémentaires. Chapitre V — Époque de la présentation du budget à la Chambre. (Loi du 15 mai 1846 : art. 1. — Loi du du 24 juillet 1900.) ( 93 ) CHAPITRE PREMIER. L'absence d'unité dans le budget belge. § 1. — La pratique des budgets spéciaux et divisés. Depuis l'époque où une administration régulière a pu être organisée en Belgique après les événements de 1830, et jusqu'en 1846, le budget de l'Etat était présenté par le gouver- nement en deux projets de loi distincts, dont l'un, compre- nant toutes les dépenses publiques, était intitulé : Budget général des dépenses et services du royaume, et l'autre, consacré aux recettes, était dénommé : Budget général des voies et moyens. Ces deux projets étaient déposés à des époques différentes. En novembre 1840, par exemple, le ministre des finances soumet à la Chambre le projet fixant à fr. 10o,632,724 31, pour l'exercice de 1841, les budgets de la dette publique, des dotations, des services généraux des ministères et des non- valeurs et remboursements, et à 1,714,000 francs le budget des dépenses pour ordre. Le i21 décembre suivant sont déposés le budget des voies et moyens, s'élevant à 101,464,464 francs, et celui des recettes pour ordre, évaluées à 1,514,000 francs. De même, pour l'exercice 1846, un premier projet de loi comprend le budget des recettes de l'État et les recettes pour ordre, un second projet tous les budgets de dépenses et les dépenses pour ordre. Ces deux projets réunis forment le budget des recettes et des dépenses du royaume de Belgique, et leur présentation est précédée d'un discours du ministre envisa- geant, dans son ensemble, la situation financière. Mais, selon la marche des travaux de la Chambre, le projet ( 94 ) unique, proposé pour les budgets de dépenses, était divisé en lois séparées relatives à un ou plusieurs départements ou services Ainsi en 1846, du 21 janvier au 15 juin, plusieurs lois publièrent successivement les budgets des dépenses, à mesure qu'ils étaient votés ^. Aussi jugea-t-on opportun de consacrer cette pratique et de présenter dorénavant à la Chambre des projets de loi distincts, correspondant chacun à un service budgétaire déterminé et présentés à des époques différentes. Ce changement fut inauguré pour l'exercice 1847. En avril 1846, le gouvernement présenta les projets de loi relatifs à la dette publique, aux dotations, aux non-valeurs et rembourse- ments, et aux départements de la justice, des affaires étran- gères, de la marine et des finances. En novembre de la même année, ce fut le tour du budget général des voies et moyens, et des projets de loi fixant le budget des dépenses et services du ministère de l'intérieur et du ministère des travaux publics. Enfin, depuis 1849 jusqu'à nos jours, exception faite pour le budget de 1884'-^, tous les gouvernements qui se sont succédés aux affaires ont conservé cette pratique des budgets spéciaux et divisés, avec cette différence, qu'au lieu d'être déposés à la Chambre à des époques variables, les différents projets de loi sont proposés tous ensemble à une même époque, actuellement au plus tard le 31 octobre de l'année qui précède l'ouverture de l'exercice 3, A cette date, les projets de budgets doivent être imprimés et distribués aux membres des Chambres législatives, de manière que ceux-ci puissent s'en occuper dès la rentrée des Chambres, dont la session ordinaire s'ouvre de plein droit le second mardi de novembre. 1 Cf. Gh. des Représ., sess. de 1884-1885, Doc. pari, m 3. 2 Cf. § 3, infra. 5 Cf. infra, chap. V. Loi du 24 juillet 1900. ( 95 ) § 2. — La fokme extérieure des budgets. L'arrêté royal du 19 février 1848. C'est dans les conditions que nous venons d'exposer que furent présentés les budgets des recettes et des dépenses pour l'exercice 1902. A l'époque voulue, le ministre des tînances soumit à la Législature treize projets de loi formant le budget général des recettes et des dépenses du royaume pour l'exercice 1902, et un quatorzième projet contenant le budget des recettes et des dépenses pour ordre. Les treize premiers projets constituent le service ordinaire des recettes et dépenses du royaume. Le budget des recettes et dépenses pour ordre est un simple budget de comptabilité, ne renfermant que par exception des recettes et des dépenses réelles de l'État i. A une époque variable, le gouvernement dépose, en cours de session, un quinzième projet de budget consacré aux recettes et dépenses extraordinaires 2. Pour 1902, ce budget a été déposé à la séance du 15 avril 1902, trois semaines à peine avant la clôture de la session. Des treize projets de loi qui forment le budget ordinaire de l'État, le premier est le budget des recettes ou budget des voies et moyens. Les douze autres sont des budgets de dépenses, dont : Huit concernent les huit départements ministériels; Un le corps de la gendarmerie; Un la dette publique (service de la dette proprement dite, annuités diverses, rémunérations et pensions, intérêts sur cautionnements et consignations) ; Un les dotations (liste civile, dotation de S. A. R. le comte * Cf. infra, chap. III, § 2. 2 Cf. infra, § 4. (96) de Flandre, Sénat, Chambre des Représentants, Cour des comptes); Un les non-valeurs et remboursements (cotes irrécouvrables sur les diverses contributions, restitutions de droits indûment perçus, etc.). Le projet de budget des voies et moyens pour 1902 est précédé d'une note préliminaire, donnant toutes les explica- tions et les éclaircissements nécessaires, et suivi de deux tableaux, dont l'un énumère, article par article, les différentes sources de produits et donne le montant des évaluations de recettes par article et le total par chapitre, et dont l'autre con- tient un état des produits et revenus réalisés pendant les exer- cices 1896, 1897, 1898, 1899 et 1900, et une comparaison des évaluations de recettes pour 1901 avec les évaluations propo- sées pour 1902. Le projet de loi lui-même est divisé en deux titres. Le pre- mier, suivant une habitude qui tend à devenir la règle, et dont nous aurons l'occasion de reparler, apporte une série de modi- fications de détail à diverses lois d'impôt, en matière de contributions directes, de douanes et d'accises. Le second, par application de l'article 111 de la Constitu- tion 'i, renferme d'abord une disposition en vertu de laquelle « les impôts directs et indirects, en principal et centimes addi- tionnels au profit de l'État, existant au 31 décembre 1901, seront recouvrés, pendant l'année 1902, d'après les lois et les tarifs qui en règlent l'assiette et la perception (art. 5) »; puis une autre disposition qui contient Vévaluation du produit des recettes ordinaires pour 1902 (art. 6); enfin, la formule qui déclare la loi obligatoire le 1*^' janvier 1902 (art. 7). Les projets des budgets de dépenses sont présentés sous une forme analogue. Cette forme a été déterminée par l'arrêté * Article 111 : « Les impôts au profit de l'État sont votés annuellement. Les lois qui les établissent n'ont de force que pour un an, si elles ne sont renouvelées. » (97 ) royal du 19 février 1848 ^, dont les principales prescriptions sont encore appliquées actuellement. Chaque budget est précédé d'une note pi^éliminaire « ayant pour but d'expliquer sommairement toutes les parties du projet présenté w (art. 6). Les explications qui sont conte- nues dans ces notes préliminaires portent surtout sur les augmentations ou diminutions des crédits demandées par le gouvernement. Le projet de loi fixant les dépenses de chaque département est accompagné de deux tableaux : 1" L'un résume, par articles, le montant des crédits demandés; ^° L'autre développe ces articles par litteras et autres sub- divisions jugées utiles pour éclairer les Chambres dans l'appréciation des crédits demandés (art. l**'). Ce dernier tableau de développements fait dans ce but la comparaison des crédits demandés pour l'exercice précédent avec ceux demandés pour le nouvel exercice 2, et il contient une série d'annotations ou d'observations explicatives qui n'ont pas trouvé place dans la note préliminaire. De plus, le projet de loi est encore suivi fréquemment d'annexés explicatives « si la nature des services l'exige » (art. l^O- Le budget de la dette publique est suivi, par exemple, de quatre annexes, dont la première indique les sommes payées à titre de minimum d'intérêt de 1894 à 1899 et les autres sont relatives au service des pensions. A la suite du budget de 1 Cf. Moniteur du 7 mars 1848, n» 67. 2 II indique, en outre, depuis le projet de budget pour 1885 (cf. Ch. des Représ., sess. de 1883-1884, Doc. parl.,Y\° 104), les crédits alloués pour le pénultième et les dépenses faites dans l'antépénultième exercice. Ainsi, les développements des budgets pour 1902 donnent les renseigne- ments suivants : 1« La comparaison des crédits demandés pour 190:2 et des crédits alloués pour 1901 ; 2» Les crédits alloués pour 1900 et les dépenses de l'exercice 1899. Tome LXVf. 7 (98 ) l'agriculture et des beaux-arts on trouve, comme annexe, un relevé des œuvres de peinture et de sculpture en voie d'exé- cution, indiquant la part de l'État, des provinces, des com- munes et des établissements intéressés dans la dépense. Tous les tableaux des divers projets de budget et les tableaux de développement y annexes présentent d'une manière uni- forme les évaluations de dépenses par branche de service (art. 2). Tous les articles d'un même budget sont numérotés, et il n'y a qu'une seule série de numéros pour chaque budget, mais les crédits sont totalisés par chapitres (art. 3). Dans un même article on ne pourra confondre les dépenses du personnel avec les dépenses relatives au matériel (art. 4). Il faut donc maintenir une distinction très nette entre ces deux catégories de dépenses ^. De même, l'arrêté de 1848 (art. 8 et 9) prescrivait d'établir dans les projets de budget une distinction des crédits et dépenses en charges ordinaires et permanentes et en charges extraordinaires et temporaires, et en ce qui concerne les recettes, une distinction en produits ordinaires et permanents et produits extraordinaires et temporaires. Cette dernière distinction a disparu purement et simplement. La première a été remplacée 2 par celle des dépenses ordi- naires et dépenses exceptionnelles qui, depuis 1895, s'est introduite dans les divers budgets de dépenses^. * « 11 est aussi à désirer que les allocations destinées au personnel soient distinctes de celles destinées au matériel, de manière à mettre obstacle à ce que le gouvernement puisse disposer des crédits destinés au matériel pour augmenter les traitements, et à permettre une appré- ciation plus sûre des actes des ministres, lors de la discussion des projets de lois de comptes. « (Rapport de la section centrale sur le projet de loi concernant la comptabilité de l'État. — Ch. des Représ,, sess. de 4844-1845, séance du 7 février 1845, Doc. parL, no 100.) - Elle avait été supprimée par le projet de budget pour 1885. (Ch. des Représ., sess. de 1883-1884, Doc. parL, n^ 104.) 5 Cf. infra, § 4. ( 99) § 3. — La tentative de réforme de M. Graux. Le dudget de 1884 ^. Usant du droit qui appartient au ministre des finances de déterminer dans quelle forme la loi de budget doit être sou- mise au Parlement, M. Graux, rompant avec le mode de présentation traditionnel depuis 1849, et qui devait être repris dans la suite, réunit les budgets de 1884 en une seule grande loi générale. « Nous ne vous proposerons plus, disait-il à la Chambre, douze lois différentes, contenant des propositions de dépenses, des crédits ouverts à chaque département minis- tériel et une loi séparée pour le budget des voies et moyens; je vous apporte le projet d'une seule loi, contenant le budget général de l'État, contenant les prévisions de recettes et décré- tant toutes les dépenses réparties entre les différents départe- ments ministériels 2. » Le projet de loi contenant le budget général du royaume de Belgique pour l'exercice 1884 constituait un document impor- tant de 644 pages ^. Il comprenait quatre parties : L — Exposé des motifs (pages i-xxxii). IL — Projet de loi portant fixation du budget (pp. 1-75). ilL — Développement du budget (pp. 79-578). IV. — Annexes à la situation du trésor (pp. 581-644). Le projet de loi proprement dit, établissant le budget général des recettes et dépenses, présentait l'aspect suivant 'K Il était divisé en cinq titres et dix-sept tableaux. 1 Cf. V. Brants, Sur une forme nouvelle donnée au budget du 7Vîjaume de Belgique pour 48Si. (Notice dans le Bull, de la Soc. de législ. comparée, 1883, t. XII, pp. 437 et suiv.) 2 Ch. des Représ., séance du 28 février 1883, Ann. pari., p. 4S0. 5 Ibid., sess. de 1882-1883, Doc. pari., no 102. ^ Ibid. — Cf. aussi Rapport de M. Demeur sur le budget général de l'État, fait au nom de la section centrale. (Ch. des Représ., sess. de 1883- 1884, Doc. pari, n" 26.) ( 100 ) Le titre I établissait le budget ordinaire de l'État. Il con- cernait donc les dépenses qui se reproduisent chaque année et dont le montant seul est variable, ainsi que les revenus annuels de l'État qui doivent servir à payer ces dépenses. L'article l®"" ouvrait aux divers départements ministériels et services publics les crédits jugés nécessaires pour 1884. Ces crédits étaient répartis entre eux, conformément aux tableaux Il-XII annexés. Le tableau XIII contenait la récapi- tulation des dépenses ordinaires. L'article 2 indiquait la somme des revenus publics destinée à subvenir à ces dépenses ordinaires et contenait la formule d'exécution de la disposition constitutionnelle qui prescrit le vote annuel des impôts (tableau I). L'évaluation de ces recettes, mise en regard des dépenses pour lesquelles les crédits sont ouverts, donne l'excédent, en recettes ou en dépenses, des services ordinaires. Pour 1884, le projet prévoyait un excédent de dépenses de plus de 26 millions. Cet excédent devait être soumis au vote de la Législature, contrairement à la pratique suivie jusqu'alors et depuis. « Le but principal de cette disposition, disait l'Exposé des motifs, est de mettre en évidence le résultat du budget de chaque exercice, tel qu'il est proposé et tel qu'il est voté. » Le titre II était relatif aux dépenses sur ressources extra- ordinaires (tableau XIV). Il contenait donc le budget extraordi- naire et réalisait une importante innovation dans l'organisa- tion budgétaire. Nous nous en occuperons spécialement plus loin ^. Le titre III était intitulé : Dépenses sw ressources spéciales. Le tableau XV qui les comprenait était divisé en trois cha- pitres : subsides, fonds de remploi, services divers. « Les subsides, disait l'Exposé des motifs, sont des fonds de con- cours offerts à l'Etat par les provinces, les villes et les com- munes et même par des particuliers, pour aider soit à la 1 Cf. § 4 B. ( iOl ) construction de routes, soit à l'exécution d'autres travaux d'utilité publique. » Les fonds de remploi proviennent en très grande partie soit de prestations d'un service public à un autre, soit de la cession, par adjudication publique, de matières ou de maté- riaux hors d'usage. 11 ne peut en être fait emploi que pour autant qu'ils demeurent atfectés au service même d'oii ils pro- viennent. » Les services divers se composent des cautionnements d'entrepreneurs défaillants et des créances recouvrées à charge des provinces et des communes du chef de remboursements d'avances relatives aux dépenses de l'enseignement primaire Les cautionnements d'entrepreneurs défaillants sont attribués au Trésor pour servir au règlement du prix des travaux ou des fournitures qu'ils ont laissés en souffrance. Les rembour- sements d'avance sont destinés à être aff'ectés à de nouveaux prêts. » Toutes dépenses imputables sur les recettes 'inscrites au tableau XV doivent être soumises au visa préalable de la Cour des comptes. » La plupart de ces ressources spéciales étaient portées anté- rieurement au budget des recettes et dépenses pour ordre. C'était à tort, puisqu'elles n'étaient pas des fonds de tiers, mais des fonds de l'Etat. D'autre part, on les avait réunies aux fonds des tiers et placées dans le même cadre, parce que les uns et les autres doivent être affranchis des règles qui fixent la durée de l'exercice ^ . L'Exposé des motifs indiquait d'ailleurs les raisons qui avaient engagé le gouvernement à ne pas ranger ces ressources spéciales parmi les services ordinaires ou extraordinaires, mais sous une rubrique séparée 2. ' Cf. Rapport de M. Demeiir et Exposé des motifs, 2 Après l'abandon en 1885 du système du budget unique, celte caté - gorie des ressources spéciales fut de nouveau rattachée au budget des receltes et dépenses pour ordre, dont elle forme trois chapitres du titre II, inlilulé : Dépenses sur ressources spéciales, soumises au visa préalable de la Cour des comptes. ( 102 ) Le titre IV renseignait les fonds à percevoir et à payer pour le compte de tiers : provinces, communes, établissements publics et caisses diverses, à l'égard desquels l'État remplit les fonctions de caissier (loi du 15 mai 1846, art. 24). Le titre IV (tableau XVI) correspondait donc au budget des recettes et dépenses pour ordre. Enfin, le titre V renfermait des dispositions diverses « depuis longtemps en usage et maintes fois consacrées par la Législa- ture ». Elles étaient rattachées antérieurement soit au budget des travaux publics, soit au budget de la guerre (art. 9-12 du projet de loi). Le tableau XVII du projet de loi contenait le compte de prévision de l'exploitation des chemins de fer de l'Etat pour 1884. Ce nouveau mode de présentation du budget se caractérisait donc essentiellement par la substitution d'un seul et unique projet de budget général à la série de projets de loi, correspon- dant chacun à un département ministériel ou à un service public spécial. 11 en résultait pratiquement que le Parlement n'avait plus à élaborer qu'une seule loi budgétaire. Il devait suffire désor- mais de constituer une seule section centrale et de procéder à une seule discussion et à un seul vote d'ensemble. Aussi, dans son Exposé des motifs, le ministre des finances signalait à la Chambre l'opportunité d'apporter certaines modifications à son règlement. « Le budget, disait-il, constituant une loi unique, devrait être soumis à l'examen d'une seule commission ou d'une section centrale... c( Je pense qu'un examen préalable du projet de budget dans son ensemble ne pourrait être fait utilement par toutes les sections telles qu'elles sont constituées actuellement; mais l'importance de la loi, la variété des objets auxquels elle s'applique, la multiplicité des décisions que son élude com- porte, exigent, selon moi, qu'elle soit soumise à une section centrale plus nombreuse, à une sorte de commission du budget qui serait élue par les sections. En la composant ( 103 ) (le deux ou trois délégués par section, on constituerait une section centrale de douze ou dix-huit membres. » Celle-ci pourrait désigner un rapporteur général, qui serait chargé d'exprimer les vues de la section centrale sur l'ensemble du budget, sur les éléments qui le constituent, sur les conditions financières dans lesquelles il a été établi. Elle nommerait aussi des rapporteurs spéciaux plus particu- lièrement investis de la mission de traiter les questions poli- tiques, administratives ou techniques que ferait naitre l'examen des chapitres relatifs aux divers services et aux divers mini- stères. » Le 25 avril 1883, la Chambre, s'inspirant de ces indications gouvernementales, introduisit dans son règlement les disposi- tions qui figurent encore actuellement à l'article 58 et qui sont les suivantes : « Pour l'examen du projet de loi contenant le budget géné- ral de l'État, le nombre des rapporteurs nommés par chaque section sera de trois. » La section centrale chargée de cet examen comprendra en outre, avec le président de la Chambre, conformément à l'article 55, les deux vice-présidents. )) Elle nommera, à la majorité absolue, ceux de ses membres qui seront chargés de faire rapport à la Chambre sur l'ensemble et sur les diverses parties du budget. )) Les demandes de crédits supplémentaires ou extraordi- naires seront toujours directement renvoyées à la section cen- trale qui aura examiné le budget de l'exercice auquel ces crédits se rattachent. » Le mode de discussion et de vote du projet de loi sur le budget général fut d'autre part réglé par l'article 46 du règle- ment de la Chambre, adopté par celle-ci le 29 janvier 1884. Cet article 46 est libellé comme il suit : c( Par dérogation aux dispositions générales du présent règlement, il sera procédé de la manière suivante à la discus- sion et au vote du projet de loi réglant le budget général de l'État : ( 404 ) » !*> Après la discussion sur l'ensemble du projet de loi, chaque tableau du budget sera mis en délibération conformé- ment au règlement, depuis la discussion générale du tableau jusqu'au second vote exclusivement; » 2*^ La Chambre sera ensuite appelée à voter par assis et levé ou par appel nominal, s'il est régulièrement demandé, sur la partie du texte du projet de loi qui correspond au tableau; » 3° Avant de faire l'appel nominal sur l'ensemble du projet de loi, il sera procédé, s'il y a lieu, à un vole de revision por- tant exclusivement sur les propositions qui auraient pour objet de mettre en concordance les votes définitifs partiels ^. » La forme nouvelle donnée au budget par M. Graux répon- dait, d'après lui, h un vœu souvent exprimé à la Chambre. Elle était recommandée aussi par l'avis unanime d'une com- mission spécialement instituée 2 pour l'étude de cette forme nouvelle. Mais quels étaient donc les arguments invoqués pour la modification proposée et les avantages intrinsèques que le nouveau mode de présentation du budget possédait sur le mode traditionnel? On invoquait d'abord et les partisans du budget unique invoquent aujourd'hui encore en sa faveur la nécessité pour le Parlement d'examiner simultanément les recettes et les 1 En même temps que la Chambre, le Sénat apportait à son règlement, en avril et décembre 4884, les modifications jugées nécessaires pour l'examen et la discussion du nouveau projet de budget. L'article 49 du règlement du Sénat indique la manière dont se fera, ainsi qu'à la Chambre, la discussion et le vote sur les différents tableaux du budget et la partie du projet de loi qui y correspond. L'article oO porte : « Une commission spéciale, composée comme il est dit à l'article 52, est chargée de l'examen du projet de loi contenant le budget général de l'État. » Article 52 : « Chaque commission délègue deux de ses membres pour faire partie de la commission générale du budget général de l'État. Le président du Sénat préside de droit la commission du budget général de l'État. » 2 Arrêté ministériel du il juillet 1882. Moniteur du 26. ( 105 ) dépenses, afin de mieux se rendre compte de leur équilibre et d'apprécier dans son ensemble la situation financière du pays. Dans un de ses beaux et lumineux rapports, faits à diverses reprises au nom de sections centrales chargées de l'examen des budgets — rapports auxquels nous aurons recours plus d'une fois, — M. Demeur signalait dès 1878 cette nécessité ^. « Il entre, disait-il, dans les attributions de la section centrale, chargée de l'examen du budget des voies et moyens, d'examiner si les recettes comprises dans ce budget, en les supposant établies, seront suffisantes pour couvrir les dépenses de l'exer- cice auquel le budget se rapporte. C est même là, scmble-t-il, un des objets principaux de sa mission; mais dans les conditions ou elle est placée, la Section centrale est impuissante à faire cet examen. En effet, la comparaison du montant des recettes avec le montant des dépenses peut seule permettre déjuger de leur équilibre. Ce sont là deux éléments inséparables d'un seul problème... Or, d'après le mode usité en Belgique pour l'examen du budget général de l'Etat, des sections centrales distinctes sont chargées de l'examen du budget des recettes et de l'examen de chacun des budgets des dépenses; spéciale- ment la section centrale, chargée de faire rapport sur le budget des voies et moyens, n'est saisie ni du budget des travaux publics, ni du budget des finances, ni des autres budgets. » C'est là une anomalie : l'unité de vues qui doit présider à la confection du budget de l'État est impossible dans ces conditions. Cette anomalie ne se rencontre pas dans les autres corps, chargés de l'examen des budgets, spécialement les conseils communaux et les conseils provinciaux. Là une com- mission est chargée de délibérer et de faire rapport sur l'ensemble du budget. » Il a paru convenable d'appeler l'attention de la Chambre sur ce point : son action ne peut être effective, au point de vue du bon ordre dans les finances de l'État, que si, sous une 1 Rapport sur le budget des voies et moyens pour 1879. (Ch. des Représ., sess. de 1878-1879, Doc. pari., n« 26.) ( 106 ) forme quelconque, il* est remédié à l'état de choses que nous venons de signaler. » Dans un rapport ultérieur i, M. Demeur revenait sur la même question et insistait à nouveau sur la nécessité de sou- mettre à un examen d'ensemble le budget des voies et moyens et les divers budgets de dépenses. Cette nécessité résulte, remarquait-il, de la nature même des choses, et il le montrait par un exemple destiné à mettre en relief le lien qui unit entre eux les divers chapitres du budget de l'État. Il citait aussi à l'appui de sa thèse l'enquête du Cobden-Club sur l'organi- sation budgétaire des divers pays, de laquelle il résulte que partout, sauf en Portugal et en Belgique, l'ensemble du bud- get est soumis à l'examen d'une seule commission, qui fait rapport à la Chambre. En présentant, en 1883, son projet de budget unique pour 1884, M. Graux se rallia à ces considérations pour en faire l'argument capital de la réforme qu'il proposait. Jl con- damnait à ce point de vue le système traditionnel, parce que, disait-il dans son Exposé des motifs 2, si a les discussions des budgets sont restées, comme elles doivent l'être, l'occasion de contrôler les actes politiques et administratifs des ministres, elles ont perdu leur utilité directe, qui consiste dans l'examen parlementaire des dépenses proposées, comparées aux voies et moyens que possède le trésor ou qu'il faut lui procurer pour les couvrir «. Et plus tard, après l'abandon de sa réforme et plusieurs aimées après qu'il eût quitté le ministère, M. Graux, resté fidèle à son plan financier, précisait son idée d'une manière plus nette encore, lorsqu'il disait à la Chambre 3 : « Un budget .. c'est, en réalité, un tableau sur lequel on inscrit d'une part toutes les recettes que le gouvernement demande l'autori- sation de percevoir; d'autre part, toutes les dépenses qu'il * Rapport sur le budget des voies et moyens pour 1883. (Ch. des Ileprés., scss. de 188^-1883, Doc. pari., n« 47.) 2 Ch. des Représ., sess. de 1882-1883, Doc. pari, no 102. ^ Ibid., séance du 4 février 1891, Ami. pari., p. 318. ( 107 ) demande la permission de faire. Ce tableau forme un tout complet, établissant une situation exacte, d'où ressort une balance, qui accuse ou un excédent de recettes, un boni, ou une insuffisance de ressources, un déficit. » L'unité d'un budget général, dont toutes les parties se tiennent et sont solidaires, qui, par sa nature, e^t indivisible, permet seule d'apprécier quel est le plan financier du gouver- nement pour l'exercice qui va s'ouvrir. )) Dans la même séance de la Chambre, M. Graux appelait au secours de sa thèse l'autorité de M. Thiers, qui professait aussi que « dans un pays bien administré, une seule chose est sincère, utile, profitable, c'est d'avoir un seul budget; d'avoir dans un même tableau toutes les dépenses de l'État, dans un seul autre toutes les recettes. Alors on sait quelle est la situa- tion; alors le public la comprend facilement et immédiatement, sans qu'il soit possible de faire illusion à personne... Le budget unique, c'est la lumière. » (Discours du 3 juillet 1868.) Mais la réforme, dans l'esprit de ses promoteurs, devait pré- senter, en outre, le grand avantage de faciliter et d'accélérer l'examen et le vote du budget, de manière à le terminer en temps utile, avant l'ouverture de l'exercice « La substitution à l'examen et au vote de lois financières multiples d'une seule loi budgétaire générale, aura non seule- ment pour effet de faciliter le contrôle législatif de l'adminis- tration des finances, mais elle rendra probablement plus simple et plus méthodique la discussion du budget. Sans rece- voir aucune restriction dans tout ce qu'ils ont d'utile, les débats dont il est l'occasion pourront être plus condensés; des redites seront évitées et la Chambre épargnera ainsi un temps qu'elle pourra consacrer à d'autres travaux i. )) M. Frère-Orban partageait aussi cette manière de voir qu'il exposait en ces termes à la Chambre ^^ : « La manière dont on * Exposé des motifs. (Ch. des Représ., sess. de 1882-1883, Doc. pari., n» 102.) - Ch. des Représ., séance du 16 décembre 1884, Ann. pari, p. 252. ( 108 ) a coutume de procéder dans cette Chambre à la discussion du budget, contribue à ce qu'il en soit ainsi (retard considérable dans le vote des budgets) ; mais ces inconvénients sont plus considérables encore lorsque, au lieu d'un budget unique, il y a des budgets séparés. Je veux parler de ces discussions inter- minables qui ont lieu, en réalité, à côté du budget plutôt que sur le budget lui-même... Le budget unique aurait pour consé- quence de remédier en très grande partie à cet inconvénient-là ; on s'accoutumerait à se restreindre dans la réelle discussion du budget. » La réforme de M. Graux, dont nous venons d'exposer l'éco- nomie, ne survécut pas à la chute du dernier cabinet libéral. En présentant à la Chambre le budget amendé des recettes et dépenses du royaume de Belgique pour 1885 ^, M. Beernaert reprit la tradition des projets de loi spéciaux et distincts, telle qu'elle avait subsisté de 1847 à 1883. « Nous en sommes revenus, disait-il, aux budgets divisés, parce que l'expérience a démontré que la méthode suivie l'an dernier était fâcheuse et que, parmi les chefs d'administration qui ont eu à la mettre en pratique, il n'y en a pas un, pas un, entendez-le bien, qui s'y soit déclaré favorable 2. » La méthode proposée par M. Graux était fâcheuse, d'après M. Beernaert, parce que d'abord, loin de favoriser la rapidité de l'examen et du vote du budget, elle rend le travail parlemen- taire plus lent. Le budget de 1884 est resté quatorze mois sur le métiers. Et 1 Ch. des Représ., sess. de 1884-1885, Doc. pari., n» 3. 2 Ch. des Représ,, séance du 16 décembre 1884, A/?/?. par/., p. 257. — 11 est curieux de rapprocher cette déclaration de l'avis de Ja commission spéciale instituée par M. Graux, laquelle opinait unanimement en sens contraire. Cf. supra, p. 104. 5 « La commission se mit sans doute résolument à l'œuvre et appliqua largement le principe fécond de la division du travail; néanmoins, bien que la session ordinaire de 188i2-1883 ait duré jusqu'au 18 août, la Chambre se sépara sans avoir reçu un seul rapport. ^î Le 17 octobre 1883, le gouvernement adressa au président de la ( 109 ) tandis que la loi était en supens à la Chambre, le Sénat n'avait rien à faire; il devait attendre que l'ensemble du budget fût volé avant de pouvoir commencer son travail. L'expérience faite ne confirmait don 3 pas la vertu que Ton avait attribuée au budget unique d'accélérer l'élaboration de la loi annuelle des finances''. De plus, les retards dans le vote sont plus préjudiciables avec le système de la loi unique, qu'avec celui des lois divisées. « Du moment qu'il n'y a qu'un seul budget, aucun crédit n'est voté définitivement aussi long- temps que tous n'ont pas été discutés. Et l'an dernier ce vote n'a eu lieu qu'au mois de mai. Il en est résulté que nous avons vécu sous l'empire de crédits provisoires pendant les cinq pre- miers mois de l'année et, chose beaucoup plus grave, qu'au Chambre un volume contenant trois séries d'amendements, changeant entièrement la physionomie du budget. En février, celui-ci soldait par un déficit de fr. 26,113,331 71; en octobre, le déficit était réduit à fr. 46,981,531 71, Des rapports partiels furent déposés successivement du 27 novembre au 12 décembre, et la discussion, commencée le 15 janvier, se termina le 28 mars 1884. Enfin, le projet déposé le 28 février 1883, transformé de nouveau de manière à solder par un déficit de 6,422,014 francs, devint la loi du 7 mai 1884, et cela après une élaboration de quatorze mois. » (Exposé des motifs du budget de 1885. Ch. des Repr., sess. de 1884-1885, Doc. parL, n" 3.) 1 Les partisans du budget unique réj)ondaient à cette constatation qu'on ne pouvait tirer argument contre le système d'une première expérience, faite d'ailleurs dans des circonstances difficiles. Déjà, anté- rieurement, dans son rapport sur le budget de 1884, M. Demeur observait : « Si ces avantages (vote plus rapide) ne sont pas obtenus, dès cette année, dans toute la mesure désirable, cela tient notamment à ce que, par suite des modifications nécessaires au règlement de la Chambre pour la composition de la section centrale, celle-ci n'a été convoquée qu'au mois de mai. Cela tient aussi à ce que le budget présentait une insuffisance de ressources qui a nécessité la présentation des lois d'impôts discutées au cours de la dernière session, et enfin, à ce que la section centrale, chargée de son examen, se livrait pour la première fois à ce travail relativement considérable. » (Ch. des Représ., sess. de 1883-1884, Doc. parl.y no 26.) ( 110 ) point de vue des travaux publics, l'année a été pour ainsi dire perdue ^. » MM. Malou et Beernaert se refusaient aussi à reconnaître au système du budget unique une plus grande clarté et la qualité de mieux faire saisir au Parlement l'ensemble de la situation financière du pays. <.< C'était, d'après M. Malou 2, une innova- tion admirable de faire un seul budget de ces budgets divisés; mais je cherche encore, ajoutait-il, quelle utilité réelle il y a à cela ; je le disais au Sénat, en discutant la même question : il y a la différence de quelques cahiers épars ou de quelques cahiers reliés, il y a une ficelle de plus. » On ne voit pas l'ensemble, dit-on, mais voyait-on l'ensem- ble sous le budget général ? On le voyait au début de la discus- sion, mais il disparaissait ensuite î^; ce budget général et unique de 1884, je défie qui que ce soit d'avoir vu ses méta- morphoses, ses transformations. » Le système des budgets divisés permet d'ailleurs parfaite- ment d'envisager la situation dans son ensemble. En effet, les divers projets de loi sont soumis à la Chambre ensemble ^^, le même jour et non pas à des époques différentes. 1 Beernaert, discours du 16 décembre 1884 (Cli. des Représ., Ami. pari., p. 257.) 2 Discours du 17 décembre 1884. (Gh. des Représ., Ann. part., p. 268.) 3 D'autant plus vite que par l'article 46 de son règlement, la Chambre avait réglé la discussion et le vote du budget unique, comme si chaque tableau formait une loi spéciale. * M. Demeur, quoique partisan du budget unique, constatait cependant que le fait de présenter les projets de loi budgétaires tous ensemble à la Chambre, conférait une certaine unité au budget ordinaire et permettait de se rendre compte de l'équilibre des recettes et des dépenses « Les lois qui autorisent, disait-il, les recettes et les dépenses ordinaires sont soumises ensemble à la Chambre, et ce n'est qu'à titre de supplément ou pour pourvoir à des besoins qui n'ont pu être prévus lors du vote du budget que des crédits ordinaires sont ultérieurement demandés. C'est grâce à cette unité du budget ordinaire qu'il est possible de se rendre compte de l'équilibre entre les recettes et les dépenses ( dll ) Ensuite, un exposé général précède toujours les différents budgets, lequel synthétise pour ainsi dire l'ensemble de la situation budgétaire, en établissant une comparaison entre les receltes et les dépenses totales de l'exercice. « On dit : le budget unique, c'est la lumière ! Je me demande, Messieurs, si c'est bien sérieusement que l'on vient dire dans cette Chambre que, depuis 1830, tous les budgets ont été votés sans qu'ils aient pu faire l'objet d'un examen approfondi. » L'exposé général qui précède nos budgets séparés, ne rapproche-t-il pas les chiffres et ne donne-t-il pas sur la situa- tion financière dans son ensemble, tous les renseignements désirables?... » Voici nos budgets divisés. Pour connaître la situation dans son ensemble, n'esl-il pas vrai qu'il suffit de les prendre un à un, d'en additionner les totaux, et de rapprocher le résultat de cette addition du montant du budget des voies et moyens? Or, cette peine si mince, on a voulu l'éviter. L'exposé général résume les budgets et les rapproche. Il n'y a plus qu'à prendre la peine de lire... » Entre le système de M. Graux et celui d'autrefois, auquel nous sommes revenus, l'honorable M. Malou a pu dire un jour qu'il n'y a absolument d'autre distance que l'épaisseur d'une ticelle. Qn s'était borné à réunir en un seul fascicule des cahiers qui se trouvent aujourd'hui séparés, et à mettre à la fin de ce qui n'était plus ainsi que des chapitres, une addition que la Chambre trouve aujourd'hui au commencement de l'exposé général dont nous faisons précéder le dépôt des divers budgets ^... » C'est à ce point la même chose que, lorsque, en 1885, nous projetées et de mesurer le degré d'urgence des diverses recettes et des diverses dépenses. » (Cf. Rapport sur le budget de la dette publique pour 1881. Gh. des Représ., sess. de 1880-1881, Doc. pari., n» 26.) 1 « Seulement, il y a cette ditïerence essentielle, que les budgets de 1884, discutés isolément, ne pouvaient être volés qu'en bloc, tandis que, d'après la pratique d'autrefois et d'aujourd'hui, chaque budget est voté au fur et à mesure de la discussion. » ( 112 ) avons voulu substituer des budgets divisés au budget unique, tel qu'il avait été préparé par M. Graux, il nous a sufti de... couper la ficelle et de substituer plusieurs additions à une seule. En réalité, nous n avons tout comme vous qu'un budget unique, mais il est voté j)ar fragments i. » Si donc le budget unique a été abandonné en I880 par MM. Malou et Beernaert, c'est parce que sous ce régime les retards dans le vote du budget offraient plus d'inconvénients, et que d'autre part la situation financière pouvait, disait-on, apparaître aussi clairement dans son ensemble sous le régime des budgets divisés qu'avec le budget unique. Nous n'avons pas pour le moment à apprécier ces arguments. Nous nous sommes borné à exposer ici les opinions adverses, nous réservant de les discuter en manière de conclusion à ce chapitre 2. § 4. — Le budget extraordinaire. A. — La situation avant 1884. Avant 1884, on rencontrait dans notre organisation budgé- taire, à côté du service financier ordinaire de l'Etat, un service extraordinaire, qui comprenait deux catégories de dépenses nettement distinctes. C'étaient, d'une part, les « charges extraordinaires et temporaires » et, d'autre part, les « crédits spéciaux et extraordinaires ». Les charges extraordinaires et temporaires étaient occa- sionnées par les travaux extraordinaires de réparation, d'agran- dissement ou d'entretien des bâtiments, des canaux, des ports, les intérêts des bons du trésor, les subsides exception- nels, etc.... Ces dépenses figuraient dans une colonne spéciale des * Discours de M. Beernaert. (Cli. des Représ., séance du 3 février 1891, Ami. pari., p. 333.) 2 Cf. infra, § 5. (H3) budgets de dépenses, à côté des charges ordinaires, en vertu de l'article 8 de l'arrêté royal du 19 février 1848. Elles n'avaient d'extraordinaire que leur caractère périodique et temporaire, car, en réalité, elles étaient, « comme les charges ordinaires, destinées à être couvertes par les ressources portées au budget des voies et moyens : malgré leur dénomination, elles sont comprises dans les services ordinaires et portées comme telles dans les comptes ». Les crédits spéciaux et extraordinaires, par contre, méri- taient mieux le qualificatif de dépenses extraordinaires. On les réclamait, par exemple pour l'exécution des installations maritimes d'Anvers, pour le Palais de Justice de Bruxelles, pour la construction et l'ameublement de maisons d'école, de nouvelles casernes, l'établissement de nouvelles lignes de chemin de fer, etc. Ces dépenses avaient donc pour objet des entreprises nou- velles, dans lesquelles s'engageaient les capitaux de l'État, et, dès lors, elles n'étaient pas payées sur les ressources ordinaires du budget, mais au moyen de recettes extraordinaires, telles que surtout le produit des emprunts ou encore l'aliénation de fonds domaniaux et les fonds d'amortissement restés sans emploi. Ces crédits spéciaux et extraordinaires se distinguaient d'autre part des crédits ordinaires par leur objet et aussi par diverses circonstances de forme qui leur ménageaient une place à part dans l'organisation budgétaire ^. Et d'abord, tandis que, au vœu de l'article l^' de la loi de 1846 sur la comptabilité de l'État, le budget ordinaire était régulièrement présenté à la Chambre dix mois avant l'ouver- ture de l'exercice auquel il se rapporte, les crédits spéciaux et * Cf. Rapport Demeur, au nom de la Commission permanente des finances, sur le règlement définitif du budget de 4875. (Ch. des Représ., sess. de 1879-1880, Doc. pari., n» 133.) Id., ibid. sur le budget de la dette publique pour 1881. (Ch. des Représ., sess de 1880-1881, Doc. pari., n« 26.) Tome LXVI. 8 ( 114 ) extraordinaires étaient l'objet de lois spéciales présentées, au fur et à mesure des besoins, au cours et souvent à la fin de la session. En 1880, par exemple, du 26 avril au 27 août, une série de lois accordent des crédits pour près de 70,000,000 de francs. La loi du 26 avril 1880 fr. 4,000,000 pour le Palais de Justice de de Bruxelles. — 27 - - 4.r)00,000 pour la construction de ca- sernes. — 23 mai — 26,300,000 pour des travaux publics. — 23 - - 900,000 pour le recensement général. — 23 août — 946,421 62 pour l'enseignement normal primaire. 23 - - 197,000 pour l'hôtel du Ministre de l'Intérieur et de l'Instruction publique. — 23 - - 372,800 pour construction et ameuble- ment d'écoles. — 26 - - 23,398,300 pour travaux publics. 27 — — 4,663,865 pour subsides aux communes pour construction et ameu- blement d'écoles. De plus, par opposition aux recettes et dépenses ordinaires, dont les prévisions sont soumises ensemble au vote des Chambres, ces recettes et dépenses spéciales qui étaient appe- lées à constituer en fait le budget extraordinaire n'étaient l'objet d'aucune vue d'ensemble, permettant de juger de leur équi- libre. Selon la remarque de M. Demeur, la facilité avec laquelle se placent les titres de la dette publique semble écarter l'obli- gation de se préoccuper de l'équilibre de ces recettes et de ces dépenses. Enfin, et nous touchons à la différence capitale entre les deux espèces de crédits que M. Demeur expose en ces termes i : * Rapport, au nom de la Commission permanente des finances, sur le règlement définitif du budget de 1873. (Ch. des Représ., sess. de 1879- 1880, Doc. par/., no 133.) ( 11^ ) « Pour les services ordinaires, les lois ouvrent chaque année les crédits présumés nécessaires aux dépenses de l'exercice, et, si ces crédits sont insuffisants, des lois ultérieures allouent au gouvernement des crédits supplémentaires; si, au contraire, des crédits ne sont pas consommés dans le cours de l'exercice, ils sont annulés à l'expiration de celui-ci, à moins qu'ils ne soient grevés de droits en faveur de créanciers de l'État pour travaux adjugés et en cours d'exécution, auquel cas la partie d'allocation nécessaire pour solder la créance est transférée à l'exercice suivant. (Art. 30 de la loi sur la comptabilité.) )) Pour les services spéciaux, au contraire, les crédits ouverts par les lois qui autorisent la dépense sont, jusqu'à leur épui- sement, reportés à l'exercice suivant, alors même qu'ils ne sont grevés d'aucun droit en faveur de créanciers de l'État, et ils ne sont annulés que quand ils n'ont plus de raison d'être, par suite soit de l'achèvement de l'œuvre pour laquelle ils ont été ouverts, soit pour toute autre cause. En d'autres termes, l'administration applique à ces crédits la règle tracée à l'arti- cle 31 de la loi sur la comptabilité, relatif aux allocations affectées à des services étrangers aux dépenses générales de l'État, allocations qui ne sont pas votées pour un seul exercice, mais qui restent en permanence à la disposition du gouver- nement. » De même, quant aux recettes. Pour les services ordinaires, les Chambres votent chaque année les voies et moyens, qui sont fixés en raison des besoins présumés de l'exercice. Pour les services spéciaux, au contraire, les voies et moyens sont ouverts par des lois spéciales, particulièrement par les lois qui décrètent les emprunts dont le produit peut être considérable pendant un exercice et nul, en quelque sorte, pendant un autre. » Ces crédits spéciaux existaient donc à côté et en dehors du budget ordinaire et obéissaient à des règles toutes différentes, ils constituaient les éléments d'un budget extraordinaire, mais ce budget n'était pas organisé. Une fois votés, ces crédits restaient indéfiniment à la dispo- sition du gouvernement, qui les employait quand bon lui sem- ( 116 ) blait et se contentait de rendre compte de leur emploi, en indiquant chaque année dans la Situation générale du trésor le montant de la dépense faite, pendant l'année écoulée. C'est donc avec raison que M. Graux pouvait dire que ces crédits votés hors budget constituaient « une véritable bizar- rerie dans notre législation financière ». « La latitude qui est laissée au gouvernement, ajoutait-iH, l'absence presque complète de contrôle en cette matière sont, en effet, assez étranges. Aujourd'hui, à côté du budget ordi- naire, qui vous est présenté chaque année et pour lequel vous votez des crédits qui doivent être employés dans l'année ou bien être annulés à son expiration, viennent se placer des crédits spéciaux et extraordinaires que le gouvernement est autorisé à dépenser quand bon lui semble. » J'ai fait relever le chiffre des crédits de cette nature actuel- lement ouverts et non dépensés; ils s'élevaient au 31 décembre dernier à 137,679,000 francs. Le plus ancien de ces crédits date du 8 septembre 1859. Il a été voté pour des travaux d'amélioration à exécuter au régime de la Vesdre et de la Mandel. D'autres crédits, non encore dépensés et par consé- quent disponibles, ont été votés en 1862 et 1864; il existe sur ces crédits des reliquats dont le gouvernement a le droit de disposer demain si bon lui semble... Ces 137 millions sont dans nos mains et il nous est loisible de les dépenser ou de les engager en six mois, aussi bien que nous pouvons laisser ces dépenses en suspens pendant vingt-cinq ans... Il n'existe en cette matière ni règle ni contrôle sérieux des Chambres. » Un tel régime était manifestement inconstitutionnel, con- traire aux prescriptions de la loi sur la comptabilité et préju- diciable aux intérêts du pays 2. En prescrivant que chaque année les Chambres arrêtent la * Discours prononcé à la Chambre des Représentants, le 28 février 1883. {Ann. pari., p. 551.) 2 Cf. Rapport Demeur sur le budget de la dette publique pour 1881. (Ch. des Représ., sess. de 1 880-1 881 ,'/)ac. pari,, n» 26.) Id., ibid. sur le budget des voies et moyens pour 1883. (Ch. des Représ., sess. de 1882-1883, Doc. pari., no 47.) { 117 ) loi des comjHes et votent le budget et que toutes les recettes et les dépenses de l'État doivent être portées au budget et dans les comptes, l'article 115 de la Constitution ne distingue pas entre les recettes et les dépenses ordinaires et les recettes et les dépenses extraordinaires. Quelle que soit leur nature parti- culière, ces deux catégories sont toutes les deux également des recettes et des dépenses de l'État ; elles auraient dû, à ce titre, figurer les unes et les autres au budget voté chaque année par les Chambres. L'article 1" de la loi sur la comptabilité de l'État n'est pas moins explicite à cet égard et d'une application aussi générale, lorsqu'il dispose : les receltes et les dépenses publiques à effec- tuer pour le service de chaque exercice sont autorisées par les lois annuelles de finance et forment le budget général de rÉtat. Il en est de même de l'article 15 de la même loi : la loi annuelle des finances ouvre les crédits nécessaires aux dépenses présumées de chaque exercice. Toute demande de crédit faite en dehors de la loi annuelle des dépenses doit indiquer les voies et moyens qui seront affectés aux crédits demandés. Le but de cette dernière disposition (art. 15, al. 2) n'est pas, d'après la remarque de M. Demeur, « de permettre que des dépenses présumées d'un exercice, ordinaires ou extraordi- naires, ne soient pas comprises dans la loi annuelle des finances, mais uniquement d'exiger que, pour les dépenses qui n'ont pas pu être prévues lors de la formation du budget annuel, les moyens d'y faire face soient indiqués dans la loi qui les autorise i ». Afin de justitier ce régime tout spécial des crédits hors budget et en particulier leur affranchissement de la règle générale qui prononce l'annulation des crédits non employés et non grevés de droits acquis à la fin de l'exercice (art. 30 de la loi sur la comptabilité), l'administration invoquait l'article 31 de la loi de 1846 sur la comptabilité de l'État. D'après cet article : les fonds restés disponibles à la clôture d'un exercice, sur les allocations spéciales affectées à des services 1 Loc. cit. (Ch. des Représ , sess. de 1880-1881, Doc. pari, n» 26.) ( 418 ) étrangers aux dépenses générales de l'État, sont reportés à l'exer- cice suivant, et ils y conservent raffectation qui leur a été donnée par le budget. Or, cet article ne vise nullement les crédits spéciaux et extraordinaires dont il s'agit ici. « Qui s'avisera de prétendre, écrit M. Demeur, que la construction de chemins de fer, de casernes, de Palais de Justice, d'écoles, les travaux maritimes d'Anvers, ceux du canal de Gand à Terneuzen, etc., sont étrangers aux dépenses générales de l'État? » L'article 31 s'applique uniquement aux fonds restés dispo- nibles, à la clôture de l'exercice, sur les consignations, fonds de tiers, de non-valeurs sur les contributions directes, sur les fonds provenant des subsides alloués par les provinces, les communes et les particuliers pour construction de routes et d'autres fonds analogues. Gela résulte clairement des travaux préparatoires de l'arti- cle 31 ^. Ges allocations atïectées à des services étrangers aux * Le texte primitif du projet de loi sur la comptabilité de l'État, amendé par la section centrale, portait article 30 : « Les fonds restés disponibles, à la clôture de l'exercice, sur les allocations spéciales affectées à des services étrangers aux dépenses de l'État, sur les consi- gnations, fonds de tiers, de non-valeurs sur les contributions directes, sur les fonds provenant de subsides alloués par les provinces, les communes et les particuliers pour construction de routes sont reportés à l'exercice suivant, et ils conservent l'affectation qui leur a été donnée par le budget. » Lors de la discussion à la Chambre, le 4 mars 4846, le gouvernement proposa la rédaction qui est devenue le texte de l'article 31, et le ministre des finances expliquait son amendement en disant : « Je pense qu'il vaut mieux ne pas faire d'énumération dans la disposition parce que cette énumération peut être exacte aujourd'hui et ne plus l'être demain. Je crois qu'il suffit de dire qu'il s'agit uniquement des allocations affectées à des services étrangers aux dépenses générales de l'État. » Quoi qu'il en soit, l'énumération qui figurait dans le texte primitif détermine d'une manière très claire ce qu'il faut entendre par « services étrangers aux dépenses générales de l'État », et par conséquent la portée de l'article 31. ( H9 ) dépenses générales de l'État sont aujourd'hui, et depuis 1853, comprises dans un budget spécial : le budget des recettes et dépenses pour ordre. Et l'on comprend très bien que la loi les ait soumises à la prescription exceptionnelle de l'article 31. Car, selon la remarque de M. Demeur, « elles ne doivent pas nécessairement être utilisées dans le cours de l'exercice au budget duquel elles figurent, el elles ne peuvent pas être annulées à défaut d'emploi dans le cours de cet exercice, puis- qu'elles proviennent de fonds dont l'État n'est pas le maître de disposer à son gré. » Tout autres sont les allocations destinées à couvrir les dépenses qui forment le budget extraordinaire de l'État. Ici rien ne s'oppose à ce que chaque année les Chambres fixent le montant des sommes mises à la disposition du gouverne- ment pour les dépenses de cette nature pendant l'exercice suivant i. » L'administration justifiait donc par une interprétation erronée de la loi la pratique des crédits spéciaux hors budget, à laquelle elle tenait beaucoup 2. Or, cette pratique était manifestement contraire et à la Constitution et aux principes inscrits dans la loi sur la comptabilité publique. Elle était de plus préjudiciable aux intérêts financiers du pays. Le crédit spécial et extraordinaire fut pendant longtemps chose rare et exceptionnelle dans notre organisation financière. « En effet, lisons-nous dans un rapport de 1881 ^, antérieure- ment aux douze ou quinze dernières années, ... les crédits de cette nature étaient portés à l'extraordinaire dans la seconde colonne des budgets et la Chambre ne votait que des crédits nécessaires à chaque exercice. Il était alors vrai de dire : la 1 Rapport Demeur sur le budget de la dette publique pour 1881. (Ch. des Kepr., sess. de I88O-I881', Doc. pari., no %.) 2 Gh. des Représ., séance du 2 juin 1875, Ann. pari., p. 958. - H., Ann. pari., 1878-1879, p. 213, et 1879-1880, p. 95. 3 Rapport sur le budget des voies et moyens pour 1882. (Ch. des Représ., sess. de 1881-1882, Doc. pari., n^ 45.) ( 120 ) Chambre vote annuellement le budget. Aujourd'hui les crédits spéciaux ne sont plus l'exception, ils tendent à devenir la règle. >) Les crédits spéciaux se confondaient donc primitivement avec les charges extraordinaires et temporaires, dont nous avons parlé. Puis, ils se sont séparés du budget ordinaire, pour suivre un régime spécial et fantaisiste.] Les recettes et les dépenses extraordinaires sont devenues permanentes et fournissent les éléments d'un budget sur lequel il importe assurément que l'attention de la Chambre et du pays soit appelée chaque année, disait le rapporteur du budget des voies et moyens pour 1879 ^. Et il constatait que de 1868 à 1877, le total des recettes extraordinaires s'était élevé à plus de 528 millions et le total des dépenses de même nature à plus 575 millions, soit une moyenne annuelle respective de 52.8 et de 57.5 millions. 11 est probable que bien des dépenses extraordinaires qui ont dépassé, dans des proportions considérables, la volonté de la Législature et du gouvernement lui-même seraient restées dans les limites en rapport avec les besoins du pays, si le gouvernement avait soumis chaque année aux Chambres les dispositions qu'il se proposait de prendre pour le prochain exercice 2. « Le vote du budget extraordinaire a d'ailleurs lieu chaque année dans toutes les communes et toutes les provinces du pays... Ce sont les lois provinciale et communale (art. 66, art. 134) qui le prescrivent dans les mêmes termes que la Constitution le prescrit pour l'État. Pourquoi l'État est-il seul à ne pas suivre cette règle? 3 ». 1 Ch. des Représ., sess. de 1879-1880, Doc. pari., n« 26. 2 Rapport Demeur sur le budget de la dette publique pour 1881. (Ch. des Représ., sess. de 1880-1881, Doc. pari., no 26.) — Cf. aussi p. 121, note 4. 3 Rapport Demeur sur le budget des voies et moyens pour 1883. (Ch. des Représ., sess. de 1882-1883, Doc. pari., n° 47.) ( 121 ) Malgré cette critique très serrée adressée à diverses reprises par le Parlement aux crédits spéciaux hors budget et basée sur les arguments concluants que nous venons de résumer, le gouvernement s'obstinait à défendre et à maintenir cette pra- tique abusive. M. Malou prétendait qiie ce système n'était pas arbitraire. « J'aurais délié, disait-il, que l'on fît autrement. On fait un budget pour des dépenses dont on prévoit la nature et le chiffre, mais pour certaines dépenses, cela est matériellement impossible ^. » Et M. Graux opinait dans le même sens que ses prédéces- seurs 2, Cependant, à l'occasion du projet de budget unique, la question des crédits spéciaux fut mise sérieusement à l'étude, et cette fois, M. Graux n'hésita plus à opérer sur ce point une réforme radicale. B. — La réforme de M. Graux. Dans son discours budgétaire du 28 février 1883 3, M. Graux, après avoir montré les vices du régime en vigueur 4, faisait à la Chambre la proposition suivante : « En dehors des cas for- * Ch. des Repr., séance du 2 juin 1875, Ann. pari., p. 958. 2 Cf. Ann. parL, 1878-1879, p. 213; 1879-1880, p. 95. 3 Ann. pari., p. 551. *• Il les résumait d'une manière très nette dans l'Exposé des motifs du budget de 1884. (Ch. des Représ., sess. de 1882-1883, Doc. pari., n» 102.) « On chercherait en vain ce qui détermine le chiffre de la plupart de ces crédits spéciaux. Ce n'est pas le terme de leur emploi, car celui-ci n'est pas annuel; à cet égard, vous ne réglez rien, vous ne décidez rien ; ils peuvent être et sont transférés indéfiniment d'un exercice à l'autre, sans aucune autorisation de la Législature... » La mesure de ces crédits n'est pas déterminée davantage par le prix total de l'objet auquel ils s'appliquent. » La plupart des grands travaux publics ont été commencés sans que l'on sût ce qu'ils devaient coûter et ont été poursuivis au moyen de crédits ( 12i> ) tuits et des circonstances imprévues, il n'y aura plus de crédits hors budget. Au surplus, ceux qui seront votés après le budget y devront être rattachés. Le budget annuel contiendra une deuxième partie qui aura pour objet les dépenses sur ressources extraordinaires. » Ce budget fera suite à l'autre, et le gouvernement fera ainsi connaître, au commencement de chaque année, quelles sont les dépenses sur ressources extraordinaires qu'il compte faire, article par article, comme il le fait pour le budget ordi- naire. Il dira quelles sont les ressources au moyen desquelles il entend les couvrir et si, à la fin de l'exercice, il existe des reliquats de crédits sur le budget extraordinaire, ils seront annulés et ne pourront être reportés à l'exercice suivant qu'en vertu de la loi. )) Vous aurez ainsi sous les yeux le tableau exact, fidèle, des propositions de dépenses extraordinaires, en même temps que des dépenses ordinaires, et ces dépenses vous pourrez les ralentir ou les accélérer en votant chaque année le budget général de l'État, w successifs dont le chiffre ne correspond qu'à une fraction minime de la dépense totale. C'est par le vote d'un crédit de 6 millions de francs que l'on a inauguré les dépenses des installations maritimes d'Anvers, qui en coûtent 70. Aucun des crédits votés pour le Palais de Justice de Bruxelles n'a dépassé 4 millions ; ensemble ils s'élèvent à 33,900,000 francs. . . » Ces dépenses votées ainsi hors budget sans règle et sans méthode sont les plies périlleuses. S'appliquant pour la plupart à des travaux publics, elles satisfont de grands intérêts industriels et commerciaux, ce qui leur assure un accueil généralement favorable. Aussi sont-elles réclamées sans trêve ni mesure. » Couvertes au moyen de l'emprunt, elles s'élèvent rapidement, sans que la plupart de ceux qui les décrètent aperçoivent, au moment même où ils les votent, l'étendue de l'aggravation de charges qui en résultera pour la nation. Pour mettre de l'ordre dans ces dépenses, pour les régler avec méthode et leur assigner une limite nécessaire, il faut que la Législature, secondant les vues du gouvernement, s'impose à elle-même un contrôle attentif et périodique. » ( 123 ) Le budget de 1884 comprit, en conséquence, un titre II, consacré aux dépenses siw ressources extraordinaires et qui présentait l'aspect suivant : TITRE IL §1. — DÉPENSES SUR RESSOURCES EXTRAORDINAUIES. « Art. 3. — Il est ouvert aux départements ministériels pour les dépenses sur ressources extraordinaires de l'exercice 1884, des crédits s'élevant à la somme de 56,154,d54 francs. » Ces crédits sont répartis, conformément au tableau XIV ci-annexé, de la manière indiquée ci-après : I. Ministère de la justice 1,500,000 francs. II. — des affaires étrang-ères . . . » m. - de l'intérieur 31,068,434 — IV. — de l'instruction publique . . 5,396,270 — V. — des travaux publics ... 10,939,450 — VI. — de la guerre 7,050,000 - VU. — des finances 500,000 - § 2. — Ressources extraordinaires. » Art. 4. — Il sera pourvu à ces dépenses, au moyen : lo Du produit des biens domaniaux fr. 1,800,000 2° Des quote-parts des états maritimes dans le rachat du péage de l'Escaut 170,584 3o Des fonds d'amortissement restés sans emploi .... 4,312,000 4o De la délivrance des titres de la dette publique dont l'émission est autorisée pour le règlement du prix de con- struction des chemins de fer (lois du 27 mai 1876, du 19 dé- cembre 1876, du 26 juin 1877). . . 11,565,000 5° Des sommes po venant de tous remboursements d'a- vances faites sur ressources extraordinaires 1,500,000 fr. 19,437,584 ( 124 ) » Néanmoins, les fonds d'amortissement demeurés sans emploi pour- ront être affectés à couvrir l'insuffisance des ressources ordinaires dans la mesure oij cette insuffisance résulterait de la réalisation du compte de prévision de l'exploitation du chemin de fer de l'État, pour 1884, établi au tableau XVII. » Art. 5. — Les dépenses sur ressources extraordinaires seront couvertes, pour le surplus, au moyen d'un emprunt. Elles pourront l'être provisoirement par des bons du trésor, dont l'échéance ne dépassera pas cinq ans. § 3. — Reliquats de crédits. » Art. 6. — La partie des crédits alloués par l'article 3, qui ne sera point grevée à la date du 31 décembre 1884 de droits au profit de créan- ciers de l'État, du chef de services faits et acceptés, ne pourra être reportée à l'année suivante que par la loi. » Le régime des crédits spéciaux et extraordinaires était ainsi bouleversé de fond en comble. Du premier coup et sans transi- tion, M. Graux réalisait la réforme la plus complète que l'on eût pu souhaiter, en assimilant absolument, au point de vue de leur forme budgétaire, les crédits extraordinaires et les crédits ordinaires. Les crédits extraordinaires seront dorénavant l'objet de pré- visions d'ensemble, soumises à la Chambre en même temps que celles relatives aux crédits ordinaires. Jusque-là épars. isolés, sans aucun lien entre eux, M. Graux les réunit dans un même cadre budgétaire, il les organise, il crée le budget extraordinaire. Cette assimilation des deux espèces de crédits se marque encore et surtout par l'identité du régime de la validité de ces crédits. Le crédit extraordinaire, comme le crédit ordinaire, n'est plus valable, en principe, que pour un an ; et s'il existe, en fin d'année, des reliquats, ces reliquats ne pourront plus ( 125 ) être reportés à l'année suivante qu'en vertu d'une loi, à moins toutefois qu'ils ne soient grevés au profit des créanciers de l'État, du chef de services faits et acceptés (art. 6). Et l'exposé des motifs du budget de 1884 détermine expres- sément le sens de cette exception en disant : « 11 ne suffira donc pas, pour que l'emploi (des reliquats) en puisse être fait l'année suivante sans autorisation nouvelle de la Législature, qu'il existe un contrat d'entreprise ou un engagement d'une autre nature. 11 faudra, pour légitimer ce transfert, des travaux ou des services faits et acceptés. Le texte de l'article 6 est formel à cet égard. » La loi budgétaire de 1884 applique donc strictement aux crédits extraordinaires comme aux crédits ordinaires, l'arti- cle 30 de la loi sur la comptabilité et rompt décidément avec l'interprétation erronée de l'article 31. G. — Le budget extraordinaire organisé par M. Beernaert, Lorsque M. Beernaert abandonna en 1885 le système du budget unique, il conserva, non sans quelques hésitations toutefois, le budget extraordinaire créé par M. Graux, tout en introduisant dans le régime du nouveau budget certaines modifications assez importantes pour améliorer dans une cer- taine mesure l'œuvre de son prédécesseur. M. Beernaert reconnaissait assurément les avantages de l'innovation opérée par M. Graux, mais elle présentait, selon lui, de sérieux inconvénients. Il en signalait deux principaux, auxquels il s'eff'orça de porter remède : 1" Il n'est guère possible, disait-il, de tixer le chiff're des crédits extraordinaires dix mois d'avance, avec exactitude et d'une manière complète. Par conséquent, il ne faut pas pré- senter le budget extraordinaire à la même époque et en même temps que le budget ordinaire, a Le gouvernement dressera donc un budget, mais à une époque où la saison plus avancée permettra de mieux apprécier les besoins de l'exercice 1886 et ( 126 } l'importance des crédits votés qui demeureront disponibles à la fin de l'exercice actuel ^... » Cette règle a été suivie depuis, et bien que l'article 1 de la loi de 1846 ait été modifié en ce sens que le budget n'est plus présenté dix mois mais seulement deux mois avant le com- mencement de l'exercice (loi du 24 juillet 1900), le gouverne- ment a coutume actuellement de ne déposer le budget extraor- dinaire que longtemps après le budget ordinaire, en cours de session et souvent vers la fin. S'' « D'autre part, pour des crédits extraordinaires, le terme de un an est absolument trop court. Il n'est guère de travaux qui puissent être terminés dans cet intervalle, et il en résulte- rait que les Chambres devraient voter à plusieurs reprises les mêmes crédits 2. » M. Beernaert n'approuvait donc pas l'assimilation, au point de vue de la durée de leur validité, des crédits extraordinaires et des crédits ordinaires. Il paraissait même regretter, à ce point du vue, le système, pratiqué antérieurement à la réforme 1 Exposé général du budget de 1886. (Ch. des Représ., sess. de 1885- iSSQ, Doc. pari., n» 84.) 2 Ibid. — Le rapport de la section centrale sur le budget extraordinaire pour 1885 développait en ces termes les idées de M. Beernaert : « Si le maintien des crédits pour un terme trop long peut engendrer des abus, une nouvelle discussion des travaux déjà décrétés par les Chambres ne peut qu'entraver leur exécution. » De plus « il ne sera pas contesté que le vote annuel n'entraîne de grandes difficultés et ne soit de nature à paralyser l'exécution des travaux les plus utiles. En effet, il arrivera souvent que l'intervalle entre le vote des crédits et l'époque rapprochée de leur prescription aura à peine suffi pour préparer les plans, dresser les devis définitifs et élaborer le cahier des charges de l'adjudication. » Ne faudra-t-il pas attendre, pour donner suite à l'exécution, que les Chambres aient confirmé les crédits, à la veille d'être périmés? » Comme nos budgets ne sont généralement votés que vers le milieu de l'année, n'arrivera-t-il pas souvent que l'on perdra un temps précieux pour obtenir les conditions favorables d'adjudication?» (A cause de la grande concurrence entre les entrepreneurs au début de la saison des travaux.) (Ch. des Représ., sess. de 1884-1885, Doc. pari., no 96.) { 427 ) de M. Graux et autorisé, d'après lui, par l'article 31 de la loi sur la comptabilité. « La loi de 1846, disait-il en 1884, avait établi pour les cré- dits spéciaux ou dépenses extraordinaires, un régime très simple et très logique. » Les fonds disponibles sur ces crédits, à la clôture d'un exercice, étaient reportés à l'exercice suivant avec l'interven- tion de la Cour des comptes et y conservaient l'affectation qui leur avait été donnée par la loi. » Ce mode a été pratiqué sans difficultés, abus ni inconvé- nients quelconques pendant trente-six ans. Il n'en résultait pas, comme on a paru le croire, que les Chambres ignoraient les dépenses faites ou à faire en vertu de leurs votes. Chaque année, les imputations sur chaque crédit spécial leur étaient signalées, ainsi que le solde disponible. 11 n'en résultait pas non plus que, sans prévenir le ministre des finances, les autres ministres pouvaient, en quelques mois, disposer de tous les crédits alloués... » Le régime de la loi de comptabilité était clair, pratique et laissait à l administration la liberté nécessaire; il n'obligeait pas les Chambres, après avoir ouvert un crédit à dépenser en dix ans, à voter en outre chaque année une seconde fois une partie de ce crédit et un report de la partie disponible d'après les votes antérieurs. » Nous proposons de remettre en vigueur r article 3 i de la loi de comptabilité et même de l'appliquer aux crédits spéciaux compris dans le budget de l'exercice courant, qui seraient tous annulés de plein droit le 31 décembre prochain (1884) s'il n'y était pourvu par la loi. » L'ordre, la régularité et la facilité des mouvements seront ainsi rétablis dans ce service ^. » Cette citation trahit les hésitations dont nous parlions plus haut. Cependant, les préférences que M. Beernaert marquait * Budget des recettes et dépenses extraordinaires pour 1885 (amendé). Note préliminaire. (Ch. des Représ., sess. de 1884-1885, Doc. pari., n» 3.) ( 128 ) ainsi pour l'ancien régime et l'application de l'article 31 ne furent que passagères. M. Beernaert ne donna pas suite aux idées qu'il exprimait en 1884 ; il ne consacra pas d'autre part la réforme de M. Graux, qui appliquait intégralement l'article 30 à tous les crédits sans distinction de nature. Il admit un moyen terme en proposant aux Chambres de donner effet pour trois années au vote des crédits qui sont portés au budget extraordinaire ^. C'est le régime en vigueur depuis 188{). Le budget extraordinaire créé par M. Graux et réorganisé par M. Beernaert offre donc aujourd'hui les particularités sui- vantes : 1° Il n'est pas présenté à la Chambre en même temps que le budget ordinaire, mais à une époque variable, généralement vers la fin de la session. Le budget ordinaire de 1902, par exemple, a été soumis à la Chambre, avant le 31 octobre 1901, selon la prescription de la loi du 24 juillet 1900. Les différents projets de loi qui le composent portent la date du 9 octobre. Le budget des recettes et des dépenses extraordinaires pour 1902 — c'est le titre officiel — porte la date du 12 avril 1902 et a été présenté le 15 avril 1902 2, soit moins de quatre semaines avant la fin de la session. 2<> Les crédits portés au budget extraordinaire ne s'annulent pas en fin d'exercice, mais sont valables pour trois ans. Les excédents disponibles à la fin de chaque exercice sont reportés à l'année suivante et l'article 32 de la loi de comptabilité est applicable à ces reports. Le gouvernement est autorisé à rattacher par un arrêté royal les crédits extraordinaires reportés des exercices anté- rieurs aux crédits alloués par la loi nouvelle et à réunir les crédits concernant un même objet. Ces dispositions sont reproduites chaque année dans la loi i Ch. des Représ., sess. de 1885-1886. Doc. pari., no 84. 2 Idem, sess. de 1901-1902, Doc. pari., n» 123. ( 429 ) du budget extraordinaire. Elles figurent, par exemple, à l'article 7 de la loi de 1902, conçu en ces termes : « Le gouver- nement est autorisé à rattacher, par arrêté royal, les crédits extraordinaires reportés à l'exercice 1902 par application de l'article 5 de la loi du 10 mai 1900 et de l'article 5 de la loi du 24 août 1901, aux crédits alloués par les articles 1 et 2 de la présente loi, et à réunir les crédits concernant un même objet. » Il pourra être fait des imputations pendant trois ans, à compter du 1*^' janvier 1902, sur les crédits ouverts par les articles 1 et 2 de la présente loi. Les excédents disponibles à la fin de chaque exercice seront reportés à l'année suivante; l'article 32 de la loi du lo mai 1846 sur la comptabilité de l'Etat est applicable à ces reports ^. » 3^ Cependant, les Chambres sont renseignées annuellement sur l'emploi de ces crédits alloués pour trois ans par la Situation générale du trésor public , qui leur est soumise chaque année par le ministre des finances. Cet exposé annuel renferme l'indication des opérations en recettes et en dépenses effectuées sur le service extraordinaire, ainsi que la situation de la dette publique au 31 décembre. Voici, à titre d'exemple, comment se présente le compte des dépenses sur ressources extraordinaires rattachées à l'exercice 1901 2. 11 fournit d'abord, article par article, le détail des dépenses extraordinaires effectuées par chaque département ministériel, puis la récapitulation globale, avec indication des crédits alloués, des dépenses liquidées à charge des crédits, des * Loi du 15 mai 1846, article 32 : « Les reports mentionnés dans les articles qui précèdent (30 et 31) sont l'objet de dispositions spéciales dans la loi de règlement des comptes, et l'emploi des fonds par les ministres respectifs peut avoir lieu dès l'ouverture de l'exercice, en observant les règles établies par la loi. » 2 Cf. Situation générale du trésor publie au 4'^' janvier 4902, déposée par M. le Ministre des finances et des travaux publics. (Ch. des Représ., séance du 6 mars 1902, Doc. pari., n» 73.) Tome LXVi. 9 ( 130) sommes disponibles au l**" janvier 1902 sur les crédits, des sommes annulées définitivement en vertu de l'article 5 de la loi du 14 septembre 1899. Le tableau ainsi dressé donne tous les renseignements dési- rables sur l'emploi des crédits extraordinaires, laissés pendant trois années à la disposition du gouvernement. I. Crédits alloués par les lois du 24 août 1901 fr. 95,668,406 64 Crédits reportés de l'exercice 1900 84,624,338 13 Crédits reportés de l'exercice 1899 14,532,470 42 ToTAi fr. 194,825,215 19 II. Dépenses liquidées à charge des crédits : alloués par les lois du 24 août 1901 fr. 37,365,243 42 reportés de l'exercice 1900 58,289,341 56 reportés de l'exercice 1899 9,264,849 90 Total. . . .fr. 104,919,434 88 m. Sommes disponibles au l^r janvier 1902 sur les crédits : alloués par les lois du 24 août 1901 fr. 58,303,163 22 reportés de l'exercice 1900 26,334,996 57 Total. . . .fr. 84,638,159 79 IV. Sommes annulées définitivement en vertu de l'article 6 de la loi du 14 septembre 1899 fr. 5,267,620 52 1 I D. — La distinction des dépenses exceptionnelles et des dépenses extraordinaires, inaugurée en 189d. L'organisation actuelle du budget extraordinaire réalise certainement un progrès considérable sur le régime pratiqué ( 131 ) avant 1884, bien qu'elle prête encore le tlanc à certaines cri- tiques, que nous examinerons plus loin '•. xMais ce n'est pas seulement la forme du budget extraordi- naire qu'il convient d'étudier, il faut aussi s'arrêtera l'examen de sa constitution et se demander quelles dépenses y peuvent figurer et quelles dépenses doivent en être exclues. Cette question fut l'objet de controverses remarquables, qui préparèrent la réforme réalisée, dans cet ordre d'idées, depuis 1S95, par M. de Smet de Naeyer. On dit généralement et avec raison : Il faut porter au budget ordinaire toutes les dépenses ordinaires et réserver le budget extraordinaire aux seules dépenses extraordinaires. Mais à quels signes reconnaîtra-t-on une dépense ordinaire d'une dépense extraordinaire? Quand dira-t-on qu'une dépense est extraordinaire ou qu'elle ne Test pas? Cette question pré- sente une sérieuse importance pratique, car elle aboutit à celle-ci : quelles sont les dépenses que l'on peut payer sur l'emprunt, quelles sont celles qu'il faut payer au moyen de l'impôt, puisqu'il est admis que le budget extraordinaire est alimenté principalement par l'emprunt. A cette question, on répond en disant : Sont ordinaires toutes les dépenses permanentes qui concernent les services publics nécessaires, réguliers, normaux Ces dépenses doivent être portées au budget ordinaire et payées par l'impôt. Sur ce point, il n'y a guère de contestation. Mais l'accord cesse relativement aux autres dépenses, qui n'ont pas ce carac- tère de régularité, de fixité, et qui sont exceptionnelles et non périodiques. Celles-ci, peut-on les considérer toutes comme extraordi- naires, les faire figurer toutes indistinctement au budget extraordinaire et par conséquent les payer principalement sur l'emprunt? Tous les ministres des finances avaient, en Belgique, jusqu'en 1 Cf. infra, § 5. ( 132 ) ces derniers temps, répondu affirmativement à cette question et ils avaient dressé leurs budgets en conséquence. Cette pratique fut cependant, à diverses reprises, l'objet de sérieuses critiques au cours des discussions et des travaux parlementaires. La controverse qui s'éleva à ce sujet se résume parfaitement dans les discours échangés à la Chambre par MM. Graux et Beernaert les 4 et 5 février 1891. M. (iraux, attaquant la gestion de son successeur, dénonçait énergiquement la constitution vicieuse du budget extraordi- naire. 11 fallait, selon lui, distinguer, parmi les dépenses exceptionnelles et non périodiques : l«Les dépenses qui contribuent à perfectionner l'outillage économique de la nation ou à augmenter son patrimoine. Ces dépenses productives peuvent figurer à l'extraordinaire et être payées par l'emprunt : il est juste que les générations futures en supportent une partie ; 2» Quant aux dépenses exceptionnelles, non productives, l'Etat doit les payer sur ses revenus ordinaires ou sur les bonis budgétaires. Elles doivent figurer au budget ordinaire. C'était donc un abus, un vice ruineux de gestion financière que de porter à l'extraordinaire et de payer par l'emprunt toutes les dépenses exceptionnelles sans distinction. « A côté du budget ordinaire, disait M. Graux, se trouve le budget extraordinaire. Ce n'est rien d'avoir un budget ordinaire se clôturant par des excédents de recettes, quand, à côté de ce budget, il s'en trouve un autre qu'on appelle extraordinaire et qui sert de déversoir à toutes les dépenses que l'on veut y mettre... )) Si le budget extraordinaire n'était, en réalité, qu'un budget de capital et de capital productif; si l'État n'empruntait réelle- ment que pour acheter des fermes, selon la comparaison de l'honorable M. Jacobs, le budget extraordinaire serait utile... » il est certain que lorsque la Belgique a construit ou racheté le réseau de ses chemins de fer, qui vaut aujourd'hui au moins un milliard, on ne pouvait pas demander au budget ( 133 ) ordinaire le paiement de cette dépense, il fallait recourir à l'extraordinaire, à l'emprunt. Dans ce but, l'emprunt est légi- time, nécessaire... » Mais est-ce à cela que se borne le budget extraordinaire? Le budget de 1889 (ordinaire) se solde par 15 millions d'excé- dents de recettes. Mais, à, côté de lui, se trouve un budget extraordinaire qu'alimente l'emprunt, où l'on voit, tout d'abord, que l'on a emprunté 20 millions pour des fortifications! » Est-ce un placement productif? Les dépenses de guerre sont les plus improductives des dépenses. On emprunte aussi, conti- nuait M. Graux, pour armer la garde civique, on emprunte pour acheter des livres de bibliothèques publiques, pour l'acquisition de tapisseries, de manuscrits, etc.... Faut-il construire un plancher en fer à la Bibliothèque royale? on emprunte; faut-il payer des architectes? on emprunte. De même pour subsidier des industriels belges exposant à Paris. De même pour payer les frais de réception du Shah de Perse. a Vous ne sortirez pas de ce dilemme, concluait l'orateur : si ces dépenses ne doivent pas être payées au moyen de l'emprunt, si ce n'est pas là acheter des fermes, comme l'a dit l'honorable M. Jacobs, et il ne le fera croire à personne, il faut les déduire des bonis budgétaires 'l. » A ces critiques, M. Beernaert répondait qu'il continuait à faire ce que ses prédécesseurs avaient tous fait, ce que M. Graux lui-même avait fait, et d'ailleurs, remarquait-il, toutes les dépenses exceptionnelles, extraordinaires, ne sont pas payées uniquement par l'emprunt, mais aussi sur les excédents budgé- taires. « L'erreur de M. Graux consiste à confondre la dépense extraordinaire avec l'emprunt -. » « On ne se borne pas, disait- il à la Chambre, à inscrire à l'extraordinaire les dépenses productives; on y porte toutes 1 Ch. des Représ., séance du 4 février 1891, Amî. pari, p. 319. 2 Et, précisant sa pensée, l'orateur ajoutait : « Assurément il ne serait pas correct de payer sur l'emprunt les frais d'une cérémonie d'apparat; mais quoi de plus rationnel que de les payer à l'extraordinaire sur les excédents des budgets? » ( -134) celles qui n'ont pas un caractère périodique, toutes celles qui, à un degré quelconque, peuvent être considérées comme de capital, celles qui sont destinées non seulement à procurer des recettes à l'État, mais à augmenter son capital intellectuel et moral sous quelque forme que ce soit, ou à améliorer son outillage économique. C'est là ce qu'on a toujours fait et c'est cependant ce que M. Graux critique en termes amers ^. » M. Beernaert rejetait donc la distinction établie par M. Graux et restait fidèle à la pratique traditionnelle. Il n'est pas douteux cependant que cette distinction ne soit fondée et que la théorie de payer par l'emprunt les seules dépenses productives soit financièrement très juste et con- forme à une saine doctrine. Si l'on adopte cette théorie, il faut, pour mettre de l'ordre et de la clarté dans les budgets, réserver pour le budget extra- ordinaire les seules dépenses extraordinaires à payer par l'emprunt. Il faut faire du budget extraordinaire, exclusivement un budget sur emprunt et refouler toutes les autres dépenses exceptionnelles, qui ne sont pas productives, dans le budget ordinaire, de manière à les payer sur les ressources ordinaires ou sur les bonis budgétaires. C'est ce qu'a compris l'honorable ministre qui se trouve aujourd'hui à la tête du département des finances. En prenant la succession de M. Beernaert, M. de Smet de Naeyer a réalisé la réforme voulue théoriquement par M. Graux, et voici comment il en exposait l'économie dans l'Exposé général du budget de 1895 2. « Dans la pensée du gouvernement, le budget extraordi- naire, qui doit s'équilibrer par l'emprunt, ae peut comprendre, en principe, que des dépenses ayant pour objet d'accroître le capital économique de la nation. La règle doit être de porter aux budgets ordinaires toutes les dépenses qui n'ont pas ce caractère. 1 Ch, des Représ., séance du 5 février 1891, A7in. pari., p. 334. 2 Idem, séance du 16 novembre 1894, sess. de 1894-1895, Doc. pari., nos. I ( 135 ) » Cette règle, qui a été maintes fois recommandée dans les discussions des Chambres législatives, et au principe de laquelle tous les ministres des finances qui se sont succédé ont rendu hommage, le gouvernement croit devoir en faire appli- cation dès aujourd'hui aux budgets de la justice, des affaires étrangères, de l'intérieur et de l'instruction publique et des finances, en attendant qu'il puisse généraliser la mesure. D'une manière générale, à partir de 489o, il ne sera plus porté au budget extraordinaire aucun crédit pour des dépenses à faire pour compte de ces quatre départements. » Mais afin d'éviter toute confusion entre des dépenses d'ordre différent portées aux budgets ordinaires et en vue de faciliter la comparaison avec les exercices antérieurs, chacun de ces budgets sera désormais divisé en deux sections : l'une réunissant, sous la rubrique « Service ordinaire », toutes les dépenses annuelles et permanentes; l'autre, sous la rubrique « Dépenses exceptionnelles », toutes les dépenses qui n'ont pas ce double caractère d'être annuelles et permanentes. » Par une application immédiate du même principe, le département des chemins de fer, postes et télégraphes ne portera plus au budget extraordinaire que les dépenses ayant pour objet une augmentation du capital de premier établisse- ment. » En ce qui concerne les départements de l'agriculture, de l'industrie, du travail et des travaux publics et de la guerre, les dépenses non productives autres que les dépenses annuelles et permanentes continueront — provisoirement — à être portées au budget extraordinaire; mais au fur et à mesure que des ressources deviendront disponibles, il entre dans les intentions du gouvernement d'introduire toutes les dépenses improduc- tives dans les budgets ordinaires, de manière à arriver petit à petit à ne plus avoir au budget extraordinaire que les dépenses qu'exigent le perfectionnement et le développement de l'outil- lage économique du pays. » La portée de la réforme introduite par M. de Smet de Naeyer est donc celle-ci. { 136 ) Avant 1895, on incorporait au budget extraordinaire et l'on pouvait faire payer par l'emprunt toutes les dépenses extra- ordinaires sans distinction, et notamment celles dont ne devaient nullement profiter les générations à venir. Dorénavant, on établit une distinction aussi nette que possible entre trois catégories de dépenses : l» i.es dépenses ordinaires, qui présentent le double caractère d'être annuelles et permanentes. Elles figurent dans les budgets ordinaires sous la rubrique « Service ordinaire » et sont payées sur les ressources normales et régulières, provenant principalement de l'impôt ; 2'^ Les dépenses exceptionnelles, qui ne sont ni annuelles ni permanentes : en quoi elles diffèrent des premières. Elles sont d'autre part improductives, elles n'ont pas pour objet c( d'accroître le capital économique de la nation » et sont, pour ce motif, portées dans les budgets ordinaires, sous la rubrique ce Dépenses exceptionnelles ». De plus, les crédits votés pour subvenir à ces dépenses suivent désormais le régime des crédits ordinaires, c'est-à-dire qu'il ne pourra y être fait d'imputation que pendant un an, au lieu de trois, durée des crédits extraordinaires'! ; 3° Les dépenses sur ressources extraordinaires, qui, elles, sont productives et nécessitées par le perfectionnement et le développement de l'outillage économique du pays. Aujourd'hui, cette dernière catégorie de dépenses figure seule, en principe, au budget extraordinaire. Ce transfert des dépenses dites exceptionnelles du budget extraordinaire dans les budgets ordinaires ne s'est pas effectué en une fois, mais petit à petit et progressivement à partir de 1895. Dans les budgets ordinaires de 1895, on incorpora seulement pour 3,250,524 francs de ces dépenses, tandis que les derniers budgets de 1902 en renfermaient pour fr. 13,475,404.80. Le Ministre des finances affirmait récemment 2 que, * Cf. Exposé général du budget de 1895, loc. cit. 2 Ch. des Représ., séance du matin du 7 mai 1902. ( 137 ) actuellement, près de 95 "U de l'ensemble de nos dépenses extraordinaires sont directement productives et que l'intérêt de notre dette est plus que couvert par le revenu du domaine de l'Etat. La réforme n'est donc pas encore complète, et certains travaux non productifs continuent à figurer au budget extra- ordinaire. Tel notamment le projet gigantesque dit « le Mont des Arts », et qui consiste d'une part à « dégager les locaux du Musée des Beaux-Arts, de la Bibliothèque royale et des Archives nationales, afin de les mieux protéger contre l'incendie et de leur donner les développements nécessaires w, et d'autre part à « créer sur un point particulièrement privilégié sous le rapport du site, un ensemble monumental appelé à réaliser, avec le Palais de Justice d'un côté, l'Hôtel de ville et la Grand'Place de l'autre, une trilogie architecturale digne des plus grandes cités ». Ce travail important est évalué à 24 millions de francs environ. Il sera payé sur le budget extraordinaire, et 5 millions ont été inscrits à cet eff'et dans le budget de 1902 ^. On peut se demander cependant si les dépenses qu'il entraî- nera ont pour objet « d'accroître le capital économique de la nation », et l'on peut certes douter qu'il s'agisse là de dépenses productives, bien que M. le Ministre des finances ait informé la Chambre - que plus de la moitié (14 millions) de la dépense totale sera absorbée par les expropriations, d'où résultera un accroissement proportionnel du domaine de l'État. Mais la question est de savoir si ce domaine accru sera ou non un domaine productif! De plus, la formule qui sert de base à la distinction entre dépenses exceptionnelles et dépenses extraordinaires : amé- liorer et développer l'outillage économique du pays, accroître le 1 Ch. des Représ., sess. de 1901-1902, Doc. pari., n» 123. 2 Cf. Ch. des Représ., séance du matin du 7 mai 1902. ( 138 ) capital économique de la nation, manque quelque peu de pré- cision '. Elle se prête à des interprétations assez élastiques pour ouvrir éventuellement les portes du budget extraordinaire à des dépenses d'une productivité douteuse. Or, l'idéal serait de proscrire complètement du budget extraordinaire les dépenses dont les produits ne seraient pas suffisants pour couvrir les intérêts des emprunts contractés pour y faire face. Malgré ces réserves, il y aurait mauvaise grâce à contester l'importance et la haute portée de la réforme de M. de Smet de Naeyer. Elle constitue un etfort énergique dans le sens de l'idéal que nous venons d'indiquer, elle réalise plus de clarté et de netteté dans notre organisation budgétaire, elle tend enfin à circonscrire dans ses limites normales l'accroissement de la dette publique. § 5. — Appréciation critique de cette organisation. Ainsi que nous l'indiquions dans l'intitulé de ce chapitre, le budget belge se distingue par son absence d'unité. Qu'est-ce donc que l'unité budgétaire? « Le budget, disent MM. Boucard et Jèze ^, doit être dressé de telle façon qu'il suffise de faire deux additions pour avoir le total des dépenses et celui des recettes et une soustraction de ces deux totaux pour savoir s'il est en équilibre, en excé- dent de recettes ou en déficit. C'est la théorie de l'unité budgé- taire. » « L'unité, d'après M. Stourm, tend à réunir dans un total * M. Stourm en fait la remarque : « L'intention, dit-il, est louable, sans doute, mais la formule n'en demeure pas moins encore très vague... Elle risque, en effet, de mener très loin les préparateurs du budget; car les travaux susceptibles d'améliorer l'outillage économique suscitent bien des appétits. » (Cf. Le budget, 4e édition, p. 'idS et note 1.) 2 Max Boucard et Gaston Jèze. Éléments de la science des finances et de la législation financière française, 2^ édition, t. I, p. 107. Paris, Giard et Brière. 490^2. ( 139 ) unique, toutes les recettes d'une part et toutes les dépenses de l'autre : il est nécessaire, dit M. Léon Say, d'enfermer le budget dans un monument dont on puisse apprécier aisément l'ordonnance et saisir d'un coup d'oeil les grandes lignes. De là, le principe de l'unité ^. » Les auteurs s'accordent généralement à considérer l'unité comme une qualité essentielle d'une bonne organisation bud- gétaire. Le budget est d'abord un état contenant les proposi- tions et les évaluations des recettes et des dépenses pour un exercice déterminé. iMais c'est aussi un acte portant approba- tion de ces recettes et de ces dépenses. Les propositions et les évaluations émanent du gouvernement; l'approbation, du Par- lement. Or, pour que ce dernier soit complètement éclairé, il est préférable de lui présenter le budget en un total unique plutôt que de le morceler en des documents séparés et isolés '^. Dans la pratique, l'unité budgétaire peut être compromise de plusieurs manières. « Les principales causes du morcelle- ment sont, soit la constitution de budgets extraordinaires, soit l'existence de budgets annexes, soit l'ouverture de services spéciaux du trésor, soit la présentation dans des documents séparés des divers éléments du budget général 3. » Dans le budget belge, elle est compromise : 1° Par la distinction tranchée qui est faite entre le budget ordinaire et le budget extraordinaire. Ces deux budgets sont 1 Stourm, loc. cit., p. 143, note 1. 2 « Nous savions tous, disait M. Thiers en 1868, à propos des budgets de l'Empire, nous savions tous, il y a vingt ou trente ans, notre situation : il n'y avait qu'à regarder la première page du budget pour connaître toutes les dépenses, même extraordinaires, et toutes les recettes. Les gens les plus ignorants et les moins attentifs savaient ce qu'était la situation. Eh bien! depuis qu'on a divisé notre budget en plusieurs autres, il devient très difficile de s'y reconnaître . . Une seule chose est sincère, utile et profitable, c'est d'avoir dans un seul tableau, toutes les dépenses, même extraordinaires, de l'État; dans un seul autre, toutes les recettes : alors, on sait la situation ...» (Discours de M. Thiers au Corps législatif, 3 juillet 1868, cité par M. Stourm, loc. cit., p. 222.} 3 BoucARD et Jèze, loc. cit., pp. 107-108. ( 140 ) isolés Tun de l'autre, chacun possède son total propre; ils sont contenus dans deux projets distincts, présentés à des époques différentes, et les crédits qui les composent ont une durée de validité qui est d'un an pour les crédits ordinaires et de trois pour les crédits extraordinaires; 2" Au lieu d'être présenté en un document unique, le budget ordinaire est réparti en treize projets de loi distincts, examinés par treize sections centrales et votés en treize lois séparées. Comment apprécier cette organisation? Nous examinerons successivement la question des budgets distincts et celle du budget extraordinaire. Remarquons d'abord qu'aucun article de la Constitution ou des lois et règlements de comptabilité ne détermine le mode de présentation du budget. Ce mode est laissé à l'appréciation du ministre des finances ^. Dans un discours à la Chambre, M. Frère-Orban avait, il est vrai, insinué un jour que la forme de la loi unique sem- blait avoir les préférences de la Constitution. « En France, en Angleterre, en Italie, disait-il, c'est un budget que l'on discute et non pas des budgets séparés et divisés; suivant les termes mêmes de notre Constitution, il semblerait qu'il en dût être de même chez nous -. » L'orateur faisait allusion sans aucun doute à l'article llo de la Constitution : «Chaque année, les Chambres ... votent le budget ... toutes les recettes et dépenses ... doivent être portées au budget. » Mais si l'on parcourt les textes de la loi de 1846 et du règlement de 1868, on constate que le législateur emploie indifféremment les termes de « le ou les budgets » — « la loi annuelle des finances » ou « les lois annuelles de finances », et il est difficile dès lors d'argumenter de ces textes en faveur de l'un ou de l'autre mode de présentation du budget. Quoi qu'il en soit, la forme des projets de loi multiples et « Cf. Discours de M. Graux. (Gli. des Représ., séance du 28 février 1883.) 2 Gh. des Représ., séance du 16 décembre 1884, Ann. pari., p. 252. ( 141 ) séparés a toujours eu la préférence de tous les gouvernements qui se sont succédés au pouvoir en Belgique, sauf pour la seule année 1884, lorsque M. Graux concentra tous les budgets en une loi unique. Ce dernier système présente, selon nous, de très sérieux avantages, parce qu'il permet au Parlement d'envisager dans son ensemble la situation financière de TÉtat et de procéder à un examen général du budget par l'intermédiaire d'une seule section centrale, avant de passer au vote définitif. Il résulte, indiscutablement à notre avis, de cette organisa- tion, une plus grande clarté, et le Parlement mieux informé est plus capable de donner son vote en connaissance de cause. Le « vote éparpillé » des budgets, qui est la conséquence du régime actuel, présente des inconvénients très grands à ce point de vue. Dans un récent rapport au Sénat '', M. le cheva- lier Descamps-David les exposait d'une manière saisissante en ces termes : « Le membre de la Législature qui essaie de se rendre compte de la manière dont il procède à cet acte capital de la vie parlementaire — le vote du budget — ne laisse pas, présentement, d'éprouver quelque embarras D'abord, il ne vote pas, à proprement parler, dans son unité lumineuse, le budget des dépenses et des recettes de l'État. Il se borne à voter des budgets isolés contenant des ressources et des dépenses publiques. « L'ordre dans lequel il accomplit cette tâche — si tant est qu'on puisse l'appeler un ordre — est, à coup sûr, peu satis- faisant. o D'abord, il détermine les moyens de faire face aux dépenses ordinaires de l'État, avant d'avoir fixé les éléments et le quantum de ces dépenses. » En ce qui concerne ces dernières, il commence à octroyer des crédits provisoires pour tous les budgets. Ce blanc-seing accordé, il vote, au hasard des rapports faits les premiers ou * Rapport sur le projet de budget des voies et moyens pour 1898, (Sénat, sess. de 1897-1898, Doc. pari., no 12.) ( 14-2 ) de contingences parlementaires plus aléatoires encore, douze budgets séparés, que leur isolement livre plus facilement en proie à des assauts variés. Puis, en cours d'exercice, — et sou- vent plus tard, — il pourvoit à des allocations additionnelles ordinairement accompagnées de transferts. Enfin, après avoir adopté dans ces conditions ce que l'on appelle le budget ordi- naire, il vote en fin d'année parlementaire une série de dépenses comprises dans un budget nouveau appelé le budget des dépenses extraordinaires, également isolées des premières, et dont la contre-partie est en quelque sorte demandée exclu- sivement à l'emprunt. )) Il n'est pas facile d'indiquer, dans une telle procédure, le moment où l'on pourrait s'occuper en toute lumière de la grave question de l'équilibre financier et des problèmes qui s'y rat- tachent. » // est même presque inévitable que Von ne perde de vue, dans une certaine mesure, les nécessités de cet équilibre. Un exemple récent nous en fournit la preuve. Les Chambres ont voté le budget de 1896 en déficit de plus de 1,200,000 francs. Les membres du Parlement se sont-ils aperçus de ce fait au moment de leur vote? C'est plus que douteux : car si on l'eût remarqué, le devoir strict était de proposer et de voter les voies et moyens correspondant à l'excédent des dépenses. Cela seul est correct et de bon exemple pour les autres administrations du pays. » M. Cooreman, en sa qualité de rapporteur au Sénat de la Commission spéciale du budget extraordinaire pour 1896, résumait, de son côté, en une phrase caractéristique, les cri- tiques que soulève le système actuel : « Le rapprochement, la comparaison de tous les crédits est indispensable, disait-il, pour que le vote de la Législature puisse être émis avec une compréhension nette de la synthèse budgétaire et avec une consciente appréciation de l'équilibre du budget général. » Plus tard, reprenant la même idée, l'honorable sénateur faisait au Sénat la déclaration suivante : « En principe, je tiens que le gouvernement doit présenter en même temps les prévi- ( i43 ) sions de dépenses et les prévisions de recettes et aussi que la Législature devrait voter en même temps le budget des voies et moyens et le budget général des dépenses... Je dis, Mes- sieurs, que le budget des recettes et le budget des dépenses devraient être présentés en même temps et votés en même temps. Je parle des budgets ordinaires ^. » Ces paroles, ainsi que le constatait M. Dupont, furent sou- lignées par l'approbation de l'assemblée entière. Une partie notable du Parlement s'associe donc aux critiques que soulève le régime actuel et ses préférences semblent aller au système qu'avait tenté d'introduire M. Graux. Il est équitable cependant de remarquer qu'au point de vue où nous nous sommes placé, la pratique belge des projets de loi distincts et séparés atténue dans une certaine mesure les inconvénients théoriques du système. Les treize projets de loi qui composent le budget ordinaire ne sont pas présentés aux Chambres séparément, à des époques différentes, mais le même jour et réunis dans un seul docu- ment parlementaire. Ils sont, de plus, précédés d'un exposé général, qui résume la situation d'ensemble. C'est là, certes, une circonstance largement atténuante. M. Paul Leroy-Beaulieu le constate lorsqu'il apprécie l'orga- nisation budgétaire qui existait en France sous le Second Empire, alors que cinq budgets distincts étaient présentés à la fois et dans le même document. « Il était donc facile, dit-il, de se reporter de l'un aux autres, de les comparer entre eux et de se faire avec quelques recherches une idée complète de la situation de chaque service ainsi que de l'ensemble des dépenses du pays. Cette réunion dans un même volume de ces documents divers diminuait beaucoup l'inconvénient de ces comptes multiples 2. » C'est aussi dans ce sens qu'il faut entendre le mot de M. Beernaert que nous citons plus haut : « Nous avons en * Sénat, séance du 23 décembre 1897, Ami. pari, p. 49. - P. Leroy-Beaulieu, Traité de la science des finances, 6^ édit., t. II, p. 25. Paris, Guillaumin, 1899. ( 144 ) Belgique le budget unique, mais il est voté par fragments ^ ». Mais c'est précisément ce vote fragmentaire que l'on condamne parce qu'il fait perdre de vue Tensemble de la situation financière et l'équilibre final du budget. A aucun moment, les Chambres n'ont le moyen d'étudier et d'examiner à fond cet équilibre. Les treize projets de loi sont soumis à l'examen de treize sections centrales indépendantes. Ce qu'il faudrait tout au moins, c'est une seule section centrale ou commission budgétaire, étudiant tous les budgets à la fois, les rapprochant les uns des autres, les comparant et les combinant entre eux, de manière à extraire de cette étude et à présenter le plus clairement possible au Parlement la situation réelle des finances du pays. D'autre part, — et nous l'avons déjà remarqué : c'était une illusion de ses promoteurs, — le budget unique n'a pas pour vertu de hâter les discussions et d'assurer le vote du budget en temps utile. Il ne peut produire ce résultat, pas plus d'ailleurs que le système des projets de loi multiples. Le vole du budget avant le commencement de l'exercice dépend, en effet, ainsi que nous le dirons, non pas du mode de présentation choisi par le gouvernement, mais d'autres circonstances : telles que, par exemple, une discipline plus sévère imposée aux discus- sions parlementaires, le dépôt des budgets plusieurs mois avant le début de l'exercice, etc.. Or, tant que subsistera cette pratique vicieuse du vote retardé des budgets, le système des projets de loi multiples aura du moins pour effet d'assurer le vote de quelques budgets avant le commencement de l'exercice. C'est là un léger avantage du système, mais qui ne compense pas suffisamment ses grands inconvénients. De ce qui précède, nous concluons : l** 11 faut préférer, pour la présentation du budget, le projet de loi unique aux projets de loi distincts correspondant aux divers services ou départements ministériels ; * Cf. supra, p. 112. ( 145 ) 2" Même dans le système des projets de loi multiples, il conviendrait de soumettre l'ensemble de ces projets à une seule commission du budget ou section centrale. La Chambre et le Sénat possèdent déjà, d'après leurs règlements respectifs, le droit d'instituer cette procédure. En y recourant, le Parlement réaliserait, à notre avis, un progrès réel. Le projet de loi unique et la commission unique sont, d'ailleurs, de pratique constante et générale dans la plupart des pays. On ne pourrait guère citer à titre d'exception importante à celte règle que l'exemple de l'Italie. Dans ce pays, on distingue le budget de première prévision du budget de prévision définitive [di de/înitiva previsione) ou rectificatif. Le budget de première prévision est déposé par le ministre des finances dans le courant de novembre pour l'exercice suivant (l^"" juillet au 30 juin). 11 se divise en douze projets de loi distincts : onze projets de dépenses et un projet de recettes, qui comprend aussi un état récapitulatif des dépenses. Tous ces projets sont renvoyés à l'examen d'une seule com- mission permanente composée de trente membres et nommée par la Chambre au scrutin secret. . « Tous les budgets de première prévision sont discutés et volés par les deux Chambres avant l'ouverture de l'année financière. Mais au mois de novembre, alors que l'exercice est déjà en cours depuis plusieurs mois, le ministre des finances présente à la Chambre un projet de loi portant rectification du budget primitif. // n'y a plus alors douze j)roJets distincts^ mais un seul projet renfermant l'état des chapitres à modifier et la récapitulation des recettes et des dépenses telles qu'elles résultent du budget rectificatif ^ ». En France, un seul projet de loi général comprend l'en- semble des propositions budgétaires, mais le Parlement se * Cf. DuPRiEZ, Les minisires dans les principaux pays d'Europe et d'Amérique, 1. 1, pp. 316-317. Paris, aothschild, 1892. Tome LXVl. 10 ( 146 ) voit obligé de détacher du projet général et de voter, dès le mois de juillet, une loi spéciale : la loi des contributions directes. Une notable partie des recettes est ainsi votée avant qu'on ait même examiné aucune dépense. « Cette disjonction, remarque M. Stourm, a l'inconvénient de couper en deux les budgets et de rompre l'unité. » Mais c'est la conséquence forcée du mode actuel de travail financier des Chambres et de la persistance des retards dans le vote des budgets. « Un délai de quatre ou cinq mois est, en effet, indispen- sable d'abord aux conseils généraux et d'arrondissement pour répartir et sous-répartir les contingents, puis aux agents des contributions directes pour confectionner les rôles. » Les contributions directes sont d'ailleurs rattachées expres- sément au budget général par un article de leur loi spéciale^ mais on s'accorde, en France, à regretter la nécessité où l'on est de recourir à cette pratique peu conforme au principe de l'unité budgétaire t. La question du budget unique a toujours été envisagée, dans notre pays, au seul point de vue que nous venons de discuter : la présentation du budget en un projet de loi unique ou en projets de loi séparés et distincts. Mais ce n'est là qu'un aspect du problème de l'unité budgé- taire et ce n'est pas le plus important, à notre sens. 11 existe, en effet, dans notre organisation budgétaire, une autre infraction à la règle de l'unité, plus grave et plus grosse de conséquences : c'est le budget extraordinaire. « Le budget extraordinaire, dit M. Stourm, pourvoit, en dehors des cadres du budget ordinaire, aux dépenses excep- tionnelles de l'État. » Et précisant cette définition, il décrit de la manière suivante les deux caractères distinctifs du budget extraordinaire. C'est d'abord : « la création de ressources exeeptionnelles. Mais le fait que les ressources sont exception- nelles ne suffit pas à donner naissance au budget extraordi- i Cf. Stourm, loc. cit., pp. 206-207. (147) naire, tant que ses opérations demeurent confondues ou englobées dans le total même du budget général. Le budget extraordinaire ne mérite réellement son nom que lorsqu'il est isolé du budget général. C'est son isolement, c'est sa totalisa- tion séparée qui lui confère réellement son titre i ». Cette définition s'adapte parfaitement au budget extraordi- naire belge, dont nous avons décrit en détail les caractères. Ce budget constitue, à la lettre, une individualité, une person- nalité comptable, nettement distincte du budget ordinaire. II mérite d'être appelé par M. Stourm « le type le plus complet de budget extraordinaire 2 ». C'est lui qui rompt surtout l'unité du budget belge. Quelles sont donc les critiques que l'on peut faire à cette organisation, quels en sont les inconvénients? L'existence d'un budget extraordinaire, distinct du budget général, est pour un gouvernement une tentation permanente d'y incorporer des dépenses qui normalement devraient appar- tenir au budget ordinaire. La délimitation entre dépenses ordi- naires et dépenses extraordinaires est malaisée à établir, et il n'existe pas de définition précise des unes et des autres. Ce qui faisait dire à M. Léon Say : « Les dépenses sont ordinaires quand la commission du budget déclare qu'elles le sont; elles deviennent extraordinaires quand la commission du budget les juge telles. C'est une question d'arbitraire 3 ». « De cette absence de frontières, remarque M. Stourm, résulte forcément l'abus, qui consiste invariablement à reporter l'ordinaire sur l'extraordinaire. Celui-ci, en effet, alimenté par l'emprunt, a des allures beaucoup plus hospita- lières que son collègue alimenté par l'impôt. L'extraordinaire accueille tous ceux qui s'adressent à lui : il n'oppose de fin de non-recevoir à personne, puisqu'il est extensible à volonté. 1 ihU, pp. 224 et 217. 2 Ihid., p. 238. 5 Chambre des députés, 27 juillet 1882. — Cité par M. Stouum, loc. cit., p. 228. ( 148 ) Dès lors, la foule l'assiège et des introductions abusives se produisent incessamment dans son sein... Les budgets extra- ordinaires desorganisent donc le budget ordinaire par l'attrac- tion qu'ils exercent sur lui ; l'emprunt et l'impôt paient alors corrélativement des services que l'impôt devrait seul acquitter, et les principes d'économie disparaissent dans cette confu- sion t. )) Celte première critique s'applique pleinement au budget extraordinaire considéré d'une manière absolue. Elle pouvait s'adresser aussi au budget extraordinaire belge tel qu'il était constitué avant 489o. Mais il faut reconnaître que la distinc- tion entre dépenses exceptionnelles et dépenses extraordi- naires, introduite à partir de cette époque par M. de Smet de Naeyer, a corrigé dans une large mesure celte attraction abusive exercée par le budget extraordinaire sur le budget ordinaire et dissipé la confusion qui s'établissait trop facile- ment entre les deux. Si cette réforme a heureusement amélioré le régime du budget extraordinaire, elle laisse subsister cependant la tenta- tion d'en abuser et n'écarte qu'incomplètement le danger que le budget extraordinaire présente pour les finances publiques, livrées aux mains d'un gouvernement peu économe et peu soucieux de l'intérêt général. De plus, on ne peut guère approuver ni le mode^de présen- tation, ni le mode de discussion du budget ^^^extraordinaire belge. Il est déposé à la Chambre très tard, au cours de la session et le plus souvent en fin de session. Celui de 4902 a été déposé le 15 avril, la Chambre s'est séparée le 7 mai et le Sénat le 20. En moins de trois semaines, ce budget a dti être examiné par les sections, rapporté, discuté et voté. Le Parlement ne dispose pas du temps matériellement nécessaire pour étudier d'une manière sérieuse ce budget, l'un des plus importants 1 Stourm, loc. cit., pp. 228-230. ( 149 ) cependant et qui engage profondément les finances du pays ». Aussi les discussions sont-elles écourtées et étranglées, les orateurs se contentent de présenter quelques considérations 1 Une récente discussion (3, 10, 22 mai 1901) sur le projet d'une gare centrale à Bruxelles et la jonction Nord-Midi a mis, une fois de plus, en relief les vices du système suivi en matière de vote de travaux publics importants, prévus par le budget extraordinaire. M. Woeste les caracté- risait très exactement en ces termes : « Messieurs, il s'est passé et il se passe à l'occasion de la gare centrale ce qui s'est passé déjà dans maintes occasions et ce qui a donné lieu à de très graves abus : à la fin d'une session, on annonce un grand travail au milieu de la distraction générale; les Chambres ne savent pas au juste ce que coûtera ce travail; elles votent d'abord un lég-er crédit, sans en calculer les conséquences. Puis, quand il s'agit de continuer le travail, arrivent les demandes de millions; les millions s'accumulent sur les millions, l'anxiété nait et l'on s'écrie : il est trop tard. Vous avez voté le principe : il faut voter tous les millions que nous réclamons! Voilà le système. Ce système est mauvais. » (Séance du S mai.) Les forts de la Meuse, dont le coût avait été évalué à 34 millions et qui ont coûté finalement 70 millions, le Palais de justice de Bruxelles, etc., sont des exemples classiques de cette manière de procéder. Le 10 mai, M. Renkin appuyait les critiques de M. Woeste : « Je recon- nais bien volontiers, disait-il, que l'an dernier, les crédits du budgei extraordinaire, destinés à la construction de lignes nouvelles, compren- nent des sommes destinées à l'exécution d'un plan déterminé de jonction Nord-Midi avec gare centrale. Cela n'est pas sérieusement contestable, mais il n'en est pas moins vrai que la question n'a pas été soumise à l'étude approfondie qu'elle mérite et que les Chambres ont vraiment volé à la vapeur parce qu'elles y étaient obligées. C'est un peu la carte forcée. Il faut bien le reconnaître, dans les critiques formulées par M. Woeste contre le système suivi depuis toujours en matière de travaux publics, il y a beaucoup de vrai. Le système qui consiste à voter par tranches les crédits pour les grands travaux sans jamais procéder à un examen et à un vote d'ensemble aboutit tout simplement à supprimer le contrôle des Chambres, car après le vote de deux ou trois crédits, les Chambres sont souvent obligées, par les faits accomplis, à consacrer des prodigalités consécutives, mais devenues inévitables. Cela s'est produit en diverses affaires rappelées par M. Woeste, et plus récemment encor pour la gare d'Anvers, qui coûtera 23,500,000 francs : si on avait d prime abord soumis à la Chambre des projets comportant une telle dépense, je doute fort qu'on les eût adoptés. » ( loO ) générales, ils n'ont visiblement pas eu le loisir d'examiner à fond les propositions gouvernementales, et le Parlement vote de confiance un budget qu'il connaît peu ou prou. Il est temps vraiment que l'on modifie cette procédure fantaisiste et funeste, en présentant tout au moins le budget extraordinaire en temps utile et en même temps que les budgets ordinaires. Enfin, le budget extraordinaire ne fait pas apparaître claire- ment la situation financière réelle; il tend facilement à la masquer et à la dissimuler. Nous n'irons pas jusqu'à formuler sur le budget extraordinaire belge l'appréciation sévère que porte M. Stourm sur le budget extraordinaire constitué sous l'Empire par une loi du 2 juillet 1862 : « Le gouverne- ment désirait surtout alors dissimuler l'augmentation des dépenses publiques en divisant leur total. Tel est toujours, en réalitéy le but secret de la disjonction des budgets extraordinaii^es : on espère faire illusion au pays • . w Nous ne croyons pas qu'aucun de nos gouvernements en maintenant le budget extraordinaire ait poursuivi consciem- ment le but de tromper le pays et de dissimuler l'état réel des finances. Cet état réel apparaît d'ailleurs toujours dans les comptes établis sincèrement et loyalement, avec le concours de la Cour des comptes. Mais il faudrait aussi que les prévisions exposassent d'une manière plus complète et plus claire l'ensemble de la situation, et cela se réaliserait si nos budgets étaient présentés en un seul total au lieu de deux, l'un pour l'ordinaire, l'autre pour l'extraordinaire. Expliquons notre pensée par un exemple. Le budget ordi- naire se clôt généralement en Belgique, depuis nombre d'années, par un excédent de recettes ou boni. Le budget extraordinaire se clôture, lui, d'une manière variable, tantôt par un boni, tantôt par un déficit, et il en est de même lors- qu'on réunit les totaux des deux budgets. Mais cette situation n'apparaît que dans le compte définitif du règlement général du budget d'une année. * Stourm, /oc. cit., pp. 2202-21. (151 ) Ainsi, le résultat général du budget de l'exercice de 1899 est le suivant : Services ordinaires. — Excédent de recettes 17,601,156 44 Services extraordinaires. — Excédent de dépenses, .fr. 104,771,735 47 Services ordinaires et extraordinaires ^ Recettes . . . 483,271,531 65 'Réunis. \ Dépenses. . . 570,442,110 68 Par conséquent, les dépenses dépassent les recettes de fr. 87,170,579 03, et comme l'exercice 1898 présentait égale- ment un mali de fr. 599,732 30, l'exercice 1899 se clôture finalement par un excédent de dépenses de fr. 87,770,311 33 i. Si on avait présenté en un seul budget l'ensemble des recettes et l'ensemble des dépenses tant ordinaires qu'extraor- dinaires, le Parlement eût été éclairé beaucoup mieux sur la situation réelle, avant de donner son vote. Tandis qu'avec le système actuel, il vote le budget ordinaire en boni ; ce boni est le plus souvent compromis par le budget extraordinaire et il ne connaît le résultat d'ensemble qu'après clôture d'exercice, au lieu d'en être informé, au moins approximativement, dès le vote du budget de l'exercice. C'est ainsi que le Parlement et le pays avec lui vit dans une certaine illusion, que le total unique du budget général contri- buerait à dissiper sans aucun doute. Aussi les auteurs s'accordent-ils généralement à condamner le budget extraordinaire distinct et isolé du budget ordi- naire 2. Ils ne l'admettent guère que dans des circonstances 1 Cf. Ch. des Représ. , sess. de 1901-1902, Doc. parL,*ao 27. 2 Cf. Stourm, loc. cit., pp. 224 et suiv.; Bougard et Jèze, loc. cit., 1. 1, p. 109; P. Leroy-Beaulieu, loc. cit., t. Il, pp. 24 et suiv. Ce dernier auteur résume très clairement son opinion lorsqu'il dit : « Un des points les plus importants et les plus discutés en ce qui concerne la préparation du budget, c'est celui de savoir s'il faut rassembler tous les comptes de recettes et de dépenses du pays en un seul état, un seul budget, ou si, au contraire, on peut sans inconvénient dresser suivant le caractère ordinaire ou extraordinaire de ces dépenses ou de ces ( 452 ) exceptionnelles et passagères, comme par exemple pour la liquidation des dépenses d'une guerre. Tel le compte de liqui- dation, constitué en France, en 1872, pour les dépenses de la guerre franco-allemande. Ces circonstances ne se rencontrant pas dans notre pays, où le budget extraordinaire comprend surtout des dépenses facultatives de travaux publics, le maintien de cette distinction entre les deux espèces de budgets ne se justifie pas. Il conviendrait donc de faire rentrer le budget extraordi- naire dans le budget général, qui aboutirait ainsi à une seule totalisation de l'ensemble des recettes et dépenses de l'Etat. La pratique étrangère se conforme d'ailleurs à cette procé- dure. En Angleterre, en Allemagne, en Prusse, en Autriche- Hongrie, en Italie, il n'existe pas de budget extraordinaire ^ ; en France, il n'en existe plus depuis 4891. Cependant, l'unité budgétaire n'y est pas encore complètement réalisée, à cause notamment des budgets-annexes et des services spéciaux du trésor 2. En réunissant, en Belgique, le budget extraordinaire dans un budget général unique, il ne serait pas impossible cepen- dant de maintenir pour les crédits extraordinaires la durée de validité de trois ans. Les raisons que l'on donne en faveur de cette règle sont sérieuses 3, bien qu'elle occasionne certaines complications de comptabilité et qu'elle ne s'accorde peut-être recettes, plusieurs états différents que l'on ne relie pas entre eux et qu'on ne résume pas dans un seul total. Il y a des arguments en faveur de l'une et de l'autre solution : c'est moins une question de méthode qu'une question de bonne foi et d'appréciation des circonstances. Autant les budgets multiples sont condamnables dans des temps ordinaires, parce qu'alors ils ne sont propres qiià produire la confusion dans l'esprit du législateur, autant ils peuvent être admis, recommandés même, dans des circonstances exceptionnelles, quand il se rencontre des besoins passa- gers auxquels on ne peut faire face qu'avec des ressources extraordi- naires » {loc. cit., p. 24). > Cf. Stourm, loc. cit., pp. 232 et suiv. 2 ibid,^ p. 269. ^ Cf. supra, p. 126. J ( 153 ) pas parfaitement avec la prescription constitutionnelle du vole annuel du budget. Il nous reste entin à envisager brièvement l'éventualité de la création d'un budget spécial des chemins de fer, dont il a été question à diverses reprises et que préconisait encore récem- ment M. Henkin, rapporteur du budget des chemins de fer pour 1902 'i. « Dans le régime budgétaire actuel, disait-il, la comptabilité vraie du chemin de fer est distribuée entre les budgets des voies et moyens, de la dette publique, des finances, des recettes et dépenses extraordinaires, des chemins de fer, postes et télégraphes. )) 11 suit de là que la situation financière du chemin de fer ne peut aujourd'hui s'établir avec exactitude et correction qu'en extrayant de ces divers budgets, pour les rassembler ensuite, toutes les sommes qui concernent le chemin de fer. » C'est un état de choses qui ne doit pas être maintenu. Plusieurs fois la section centrale a exprimé cette idée, en demandant la création d'un budget spécial des chemins de fer, qui contiendrait toutes les recettes et toutes les dépenses ordinaires et extraordinaires qui concernent les chemins de fer. C'est le budget industriel, recommandé par l'honorable M. Hubert dans son rapport sur le budget de 1899. Le pro- grès ainsi réalisé serait déjà notable, bien que de pure forme, w S'agit-il de constituer un troisième budget, à côté du bud- get ordinaire et du budget extraordinaire, c'est consacrer une nouvelle infraction au principe de l'unité budgétaire et aux règles du bon ordre financier. S'agit-il, au contraire, simplement de grouper, dans les cadres du budget ordinaire, en un chapitre spécial toutes les 1 Budget du ministère des chemins de fer, postes et télégraphes pour l'exercice 1902. Rapport fait, au nom de la section centrale, par M. Renkin. (Gh. des Représ., séance du 12 mars 1902, sess. de 1901-1902, Do6'./)aW.,no78, pp. 138, 139.) ( 154 ) dépenses relatives au chemin de fer et distribuées aujourd'hui entre divers autres budgets, laissant d'ailleurs subsister les recettes du chemin de fer au budget des voies et moyens, cette modification de pure forme ne serait nullement incompatible avec la règle de l'unité et nous parait de nature à satisfaire les partisans du budget spécial, en réalisant plus de clarté dans l'exposé des prévisions budgétaires relatives au chemin de fer K CHAPITRE II. La procédure belge en matière de préparation du budget. — Le comité permanent du budget. Dans tous les pays, c'est le Pouvoir exécutif qui prépare le budget. ce Lui seul, remarque M. Stourm, peut et doit remplir ce rôle. Placé au centre du pays, pénétrant journellement, par la hiérarchie de ses fonctionnaires locaux, jusqu'au sein des moindres villages, il se trouve mieux que personne apte à ressentir d'abord l'impression des besoins et des vœux publics, puis à en apprécier le mérite comparatif, par conséquent à chifTrer budgétairement la juste satisfaction que chacun de ces besoins et de ces vœux comporte... D'ailleurs, devant être chargé plus tard de l'exécution du budget, dès maintenant le * Dans sa réunion du 5 avril 1899, la Société d'économie politique de Paris a discuté la question : « de Vunité budgétaire considérée dans ses rapports avec les services industriels de l'État ». M. Georges Michel a rendu compte de cette discussion dans Y Économiste français du 22 avril 1899. On lira avec intérêt ce compte rendu, où l'on trouvera notamment un exposé très clair du système des budgets extraordinaires pratiqué en Russie et en Prusse, — pays où les services industriels de l'État sont très développés — par M. A. Raffalovich. On. y trouvera aussi un résumé des opinions diverses qui ont cours sur cette question contro- versée de l'unité budgétaire. ( 155 ) souci de sa responsabilité future l'engage à préparer dans les meilleures conditions possible le projet dont l'application lui sera réservée i. » Chaque ministre prépare donc le budget qui le concerne, aidé de ses collaborateurs. Parmi ces derniers interviennent d'abord les fonctionnaires locaux. Ceux-ci transmettent chaque année à leurs chefs hiérarchiques leurs propositions de dépenses pour l'exercice suivant. Remontant d'échelon en échelon l'échelle administrative, ces propositions parviennent aux administrations centrales : ponts et chaussées, agriculture, enseignement, beaux-arts, etc.. Celles-ci récapitulent les pro- positions des agents locaux. Puis le tout est envoyé au chef du département, qui procède, avec ses fonctionnaires, à un tra- vail semblable. Le projet de chaque département étant arrêté, chaque ministre l'envoie au ministre des finances. C'est ce dernier qui centralise donc, en dernière analyse, l'ensemble des pro- positions de dépenses. Il les examine et les discute avec ses collègues intéressés. Le ministre des finances n'a certes, en Belgique, aucune supériorité hiérarchique sur ceux-ci, mais il peut leur adresser ses observations au sujet des dépenses proposées, et si un ministre refuse de se rendre à ces obser- vations, le cas est discuté en Conseil des ministres. Le projet des dépenses étant arrêté, d'accord avec chacun des intéressés, le ministre des finances s'occupe de la prépa- ration du budget des voies et moyens. Il dépose enfin sur le bureau de la Chambre l'ensemble des budgets, qu'il fait précéder d'un exposé général, qui est son œuvre. La présentation du budget à la Chambre devant se faire, d'après la loi du 24 juillet 1900, le 31 octobre au plus tard, le budget est préparé aujourd'hui dans le courant de l'été. Au mois de juillet, le ministre des finances adresse ordi- nairement à tous ses collègues des autres départements minis- tériels une circulaire les invitant à lui faire parvenir pour le * Stourm, loc. cit., pp. 53, 54. ( 156 ) 1®' ou le 15 août au plus tard leurs propositions pour l'année suivante. Il leur recommande en même temps la plus stricte économie dans l'élaboration de ces propositions et le plus grand soin dans l'établissement des évaluations, de manière à éviter dans la suite le recours aux crédits supplémentaires. C'est donc dans le courant des mois d'août et de septembre que le ministre des finances doit étudier le projet des dépenses et préparer les voies et moyens, de manière que l'ensemble du budget puisse être imprimé et distribué aux membres du Par- lement le 31 octobre au plus tard. Le ministère des finances assume la besogne principale dans la préparation du budget, et il existe, dans ses cadres, un service spécialement chargé de ce travail préparatoire. C'est le service spécial du budget, institué par un arrêté royal du 26 mai 1883 a, au moment où M. Graux étudiait le nouveau mode de présentation du budget et qui a été conservé depuis. . Ce service est dirigé, sous l'autorité immédiate du ministre, par un comité désigné sous le titre de Comité permanent du budget. D'après l'arrêté organique, ce comité est composé : du secré- taire général du ministère des finances, président, et de quatre fonctionnaires supérieurs appartenant aux diverses adminis- trations centrales du même ministère, dont l'un remplit les fonctions de secrétaire. Les membres de ce comité sont nommés par le ministre des finances qui désigne également les autres agents chargés de coopérer au travail du service du budget. Le comité permanent a dans ses attributions la préparation des avant- projets de loi de budget et de toutes les lois de crédit qui le modifient ou s'y rattachent. Il réunit, à cet effet, et coordonne les évaluations, propositions et développements justiticatifs qui sont fournis par les divers départements minis- tériels. Les préparateurs du budget doivent, dans l'accomplissement * Moniteur du 30 mai. ( ]m ) de leur lâche, observer certaines règles et certaines prescrip- tions, notamment la règle de l'universalité et les prescriptions coutumières relatives à l'évaluation des recettes et des dépenses. CHAPITRE 111. La règle de l'uDiversalité. § 1. — L'article 115, alinéa 2 de la Constitution. La règle de l'universalité est comme le corollaire de celle de l'unité. Le budget ne doit pas seulement aboutir à un total unique, tant en recette qu'en dépense; il doit aussi décrire in extenso toutes les opérations de recette et de dépense, sans confusion ni atténuation ^. Et cela, afin que la représentation nationale, qui a mission de donner son approbation aux prévisions établies par le gou- vernement, soit éclairée complètement sur l'ensemble de la situation budgétaire et qu'aucune recette ou dépense de l'État n'échappe à son examen et à son contrôle 2. C'est pourquoi la Constitution énonce la règle de l'universa- lité dans le même article qui décrète le vote annuel des budgets et des comptes : Tontes les recettes et dépenses de l'État, dit l'article 115, alinéa 2, doivent être portées au budget et dans les comptes. Cette prescription constitutionnelle est absolue, elle n'admet pas d'exception, et l'on peut dire que l'universalité est très strictement observée dans le budget belge. * Stourm, toc. cit., p. 143. ^ « Du moment que toutes les recettes et toutes les dépenses publiques, sans exception, doivent recevoir la sanction des représentants du pays, il faut que .chacune d'elles soit inscrite au budget, afin de prendre nomi- nativement sa part de celte nécessaire sanction. » (Stourm, toc. cit,, p. 144.) ( 1^«) Cependant, afin de mieux se rendre compte de la portée de la règle, il ne sera pas inutile de considérer certains cas d'ap- plication. § 2. — Étendue d'application. A. — Le budget belge est un budget brut. On peut concevoir, en eflet, deux manières de dresser un budget. Ou bien, on se contente d'inscrire au budget les recettes, déduction faite des frais de perception qu'elles occasionnent et des différentes charges qui les grèvent et les services des dépenses, diminués des produits plus ou moins importants qu'ils fournissent à l'État. On dresse alors un budget net. Le budget net eut histori- quement les préférences des préparateurs du budget. On le rencontre partout à l'origine des institutions budgétaires et aujourd'hui encore dans certains États allemands, comme la Saxe, le Wurtemberg, le Grand-Duché de Hesse. 11 a été usité en France jusqu'en 1818, en Angleterre jusqu'en 1858, en Bavière jusqu'en 1868 *. Le budget de l'Empire d'Allemagne est actuellement, en grande partie, dressé sous cette forme. Le produit des postes et télégraphes, qui s'élevait à 4o0 millions, n'était inscrit que pour 60 millions au budget de 1899-1900. Les droits de douane et de timbre, les impôts sur le sel, le sucre, le tabac, l'alcool, la bière ne sont versés au trésor impérial par chacun des Etats fédérés que pour leur produit net "^. Ou bien, on inscrit au budget, parmi les recettes, tous les revenus bruts de l'État, tandis que les dépenses renseignent ^ Cf. D'^ Max von Heckel, Dus Budget. Leipzig, Verlag von G. L. Hirsch- feld, 1898. (Collection K. Frankenstein), pp. 36 et suiv.; Stourm, loc. cit., chapitre VI, et spécialement pp. 160 et suiv.; Boucard et Jèze, loc. cit.^ pip. 90 et suiv. 2 Stourm, loc. cit., p. 161. ( 159 ) les charges et les frais qui grèvent ces revenus. De même, on inscrit parmi les dépenses les dépenses brutes, alors que Ton rencontre parmi les recettes les produits qui diminuent éven- tuellement d'autant ces dépenses. Le budget brut est aujourd'hui d'un usage général dans la plupart des pays, et notamment en France, en Prusse, en Autriche-Hongrie, en Italie. Toutes les recettes et dépenses sont inscrites dans ces budgets pour leur produit brut, sauf certaines exceptions de minime importance. n en est de même en Belgique, bien qu'aucune pres- cription légale n'impose cette procédure, mais elle découle implicitement de la règle constitutionnelle de l'article 115, alinéa 2. Car à supposer que l'on n'inscrive au budget des voies et moyens les recettes de l'État que déduction faite préalable- ment de leurs frais de perception, ces frais de perception qui sont, en réalité, des dépenses de l'Etat, ne figureraient pas au budget, échapperaient dès lors au contrôle du Parlement, et la règle de l'universalité serait violée. Aussi, tous les impôts directs et indirects figurent au budget des voies et moyens pour leur produit brut, les frais de per- ception étant renseignés au budget des finances. Les recettes des chemins de fer sont évaluées à 204 millions 370,000 francs dans le budget des voies et moyens de 1902, celles des télégraphes et téléphones à 10,000,000 de francs et les dépenses correspondantes à ces services sont inscrites dans le budget des chemins de fer, postes et télégraphes. Les recettes des postes et des douanes ne figurent pas en entier, il est vrai, dans le budget des voies et moyens, telles qu'elles entrent dans les caisses de l'État. Une partie seulement y est renseignée, non pas, parce qu'on en a déduit les frais de perception ou des dépenses corrélatives, mais parce qu'en vertu de la loi du 18 juillet 1860, une notable partie de ces recettes sont attribuées au fonds communal, qui est un fonds de tiers renseigné au budget des recettes et dépenses pour ordre. Quant aux services des dépenses, ils figurent aussi pour ( 160 ) leur import total dans les budgets de dépenses, sans déduc- tion des menus produits qu'ils pourraient donner. Ceux-ci figurent au budget des voies et moyens. Pour ne citer qu'un exemple, les dépenses nécessitées par les établissements de bien- faisance de VÉtat sont inscrites, dans leur intégralité, au budget de la justice, tandis que les produits des établissements de bienfaisance de l'État figurent parmi les capitaux et revenus au budget des voies et moyens de 19012, pour 125,000 francs (art. 39). B. — Loi du i5 mai 18^6 sur la comptabilité : article 16. L'article 16 de la loi sur la comptabilité de l'Etat contient dans son alinéa 2 une nouvelle application de la règle de l'universalité : « Les ministres, y est-il dit, ne peuvent accroître par aucune ressource particulière le montant des crédits affectés aux dépenses de leurs services respectifs ^. » Le crédit ouvert à chaque ministre constitue en effet pour lui une limite infranchissable, tracée par la Législature, aux dépenses de son administration. C'est le principe que pro- clame l'alinéa 1 du même article : ce Les ministres ne peuvent faire aucune dépense au delà des crédits ouverts à chacun d'eux. » Et la règle de l'alinéa 2 ne fait qu'assurer l'application de ce principe. Car s'il était permis aux ministres de se créer des ressources particulières en dehors des crédits législatifs, il leur serait facile de faire des dépenses illégales et de rendre illu- soire le contrôle de leur administration. * Ce texte est littéralement emprunté à l'article 3 de l'ordonnance de M. de Villèle du 14 septembre 1822, devenu depuis l'article 43 du décret du 31 mai 1862. Après avoir, par la loi du 15 mai 1818, fait prévaloir le principe d'universalité à l'égard des receltes, en prescrivant de dresser en France le budget brut, M. de Villèle avait organisé ce même principe à l'égard des dépenses. (Stourm, loc. cit., p. 149.) ( 161 ) Il fallait donc, afin d'assurer ce contrôle, ainsi que le bon ordre et la régularité dans les finances, faire figurer au budget toutes ces ressources accessoires et particulières, qui naissent constamment au cours des opérations administratives ^, C'est la raison d'être de l'article 16. Les alinéas 3 et 4 de cet article indiquent deux applications spéciales de la règle générale formulée à l'alinéa 2. La première concerne les objets mobiliers ou immobiliers à la disposition des ministres, qui peuvent être remployés el sont susceptibles d'être vendus (alinéa 3.) La loi détermine l'autorité qui fera ces ventes — l'admi- nistration des domaines — et les formes à observer. Ces formes sont les formes générales prescrites en matière d'aliénation par l'État : publicité et concurrence. Elle prescrit aussi que le produit de ces ventes soit porté en recette au budget de l'exercice courant 2. 1 « Les ministres, dit M. Stourra, à l'occasion des services de leurs départements, se trouvent, en effet, presque tous, soit accidentellement, soit d'une manière permanente, titulaires de certaines recettes, lesquelles, bien qu'étant nées dans le sein de leur administration, ne leur appar- tiennent pas. Ils ne peuvent se les approprier; ils n'ont pas le droit de s'en faire une ressource; ils doivent verser intégralement leur montant brut au budget des recettes. De même que la loi de 1818 interdit de cacher une dépense derrière une recette, de même l'ordonnance de 1822 défend d'abriter une recette derrière une dépense. De part et d'autre, la description doit être complète : toutes les dépenses sont portées sur la page qui leur est réservée, toutes les recettes figurent sur une autre page. » (Stourm, loc. cit., p. 149.) " Article 16, alinéa 3 : « Lorsque quelques-uns des objets mobiliers ou immobiliers à leur disposition peuvent être réemployés, et sont susceptibles d'être vendus, la vente doit en être faite avec le concours des préposés des domaines et dans les formes prescrites. Le produit de ces ventes est porté en recette au budget de l'exercice courant. » L'article 226 du règlement général sur la comptabilité de l'État du 10 décembre 1868 reproduit ce même texte dans ses deux premiers alinéas, puis il ajoute : « La remise aux agents du domaine des objets mobiliers destinés à être vendus est constatée par procès-verbal. Une expédition en est annexée au compte à rendre par le fonctionnaire Tome LXVI. H ( 162 ) « L'État, lisons-nous dans un cahier d'observations de la Cour des comptes, possédant des objets mobiliers et immobi- liers pour des sommes considérables, la Législature n'a pas voulu que les ministres puissent trouver dans l'aliénation de ces biens des ressources occultes qui seraient venues augmen- ter en fait les crédits alloués à chacun d'eux. » Tel est le motif du § 2 de l'article 16 de la loi de 1846. » Cette disposition est d'autant plus sage qu'elle désinté- resse les administrations dépositaires dans le produit de la vente, ce qui enlève toute crainte de voir devancer l'heure de l'aliénation; elle renferme ensuite un principe économique auquel il est peut-être prudent de ne toucher qu'avec la plus grande réserve, c'est celui qui concerne l'intervention des préposés des domaines avec l'obligation de vendre dans les •formes prescrites, c'est-à-dire avec publicité et concur- rence ^. y) L'alinéa 4 de l'article 16 envisage un autre cas d'application de la règle de l'alinéa 2, c'est celui de la restitution au trésor des sommes qui auraient été payées indûment ou par erreur, sur les ordonnances ministérielles. Il sera également fait recette de ces sommes sur l'exercice courant et il en sera ainsi, ajoute la même disposition, d'une manière générale, de tous les fonds qui proviendraient d'une source étrangère aux crédits législatifs. Ces différents produits doivent donc être portés en recette au budget. Ils figurent au budget des voies et moyens, dans le chargé de la conservation ou de l'emploi de ces objets. Les agents du domaine joignent également aux comptes qu'ils sont appelés à rendre une expédition du procès-verbal de la vente des objets dont la remise leur a été faite. L'article 227 du même règlement général prévoit le cas de remploi des matériaux, effets et meubles hors d'usage, qui peuvent, sous l'appro- bation du ministre, être transformés ou convertis en objets de même nature, pourvu qu'ils demeurent affectés au service même d'où ils proviennent. 1 Observations de la Cour des comptes. Session de 1879-1880, p. 3. ( 163 ) chapitre III : Capitaux et revenus, et dans le chapitre IV : Remboursements ^. Cependant, par exception, certains produits échappent à la règle et alimentent directement la caisse de l'administration intéressée, sans passer par le budget. Une première exception est relative aux ventes du fumier dans les corps de troupes à cheval, des objets d'habillement et d'équipement hors de service dans les corps des diverses armes et des approvisionnements sans destination par suite de mouvements inopinés de troupes sur le pied de guerre 2. Le produit de ces ventes n'est pas porté en recette au budget des voies et moyens ; il est versé directement dans la caisse des régiments intéressés. 1 Cependant, les fonds de remploi, créés dans les conditions prévues par l'article 227 du règlement *de 1868 que nous venons de citer, figurent au budget des recettes et dépenses pour ordre, titre H, chapitre II (voir plus loin, p. 168). 2 Article 16, alinéa 4 : « Il est également fait recette sur l'exercice courant de la restitution au trésor des sommes qui auraient été payées indûment ou par erreur, sur les ordonnances ministérielles, et généra- lement de tous les fonds qui proviendraient d'une source étrangère aux crédits législatifs, sauf les exceptions déterminées par les règlements sur l'administration de l'armée et relatives aux ventes du fumier dans les corps de troupes à cheval, des objets d'habillement et d'équipement hors de service dans les corps des diverses armes et des approvisionnements sans destination par suite de mouvements inopinés de troupes sur le pied de guerre. » Cette exception a été introduite dans la loi, en seconde lecture, à la séance de la Chambre du 11 mars 1846, à la suite d'une observation présentée à la séance du 3 mars, par M. Desmet : « Est-ce que, disait » l'honorable membre, le fumier des régiments de cavalerie, les elïets » dégradés de l'infanterie seront considérés comme des objets apparte- )) nant à l'État et devront être vendus conformément à l'article en » discussion (article 16)? Je pense qu'aujourd'hui ces objets ne sont pas » vendus dans la forme que prescrit l'article, et que le produit de la » vente ne figure pas aux recettes de l'État. Ne serait-il pas nécessaire » de faire, pour ces objets, une exception analogue à celle qui se trouve » dans le règlement français ? » ( 164 ) La même exception est applicable aux fonds versés dans les caisses des régiments de l'armée pour compte des remplaçants, ainsi qu'à l'administration de la masse des recettes et dépenses extraordinaires et imprévues des corps. Toutefois, la partie des fonds versés pour les remplaçants qui, dans les temps ordinaires, n'est pas indispensable à la marche régulière des services des corps, sera déposée dans les caisses de l'État, jusqu'à concurrence de la moitié, au maxi- mum, des versements. En outre, les comptes des fonds des remplaçants et de la masse des recettes et dépenses extraordinaires et imprévues sont soumis annuellement à la Cour des comptes (article 16, alinéas 5, 6, 7) i. Enfin, une dernière exception résulte de la disposition qui est reproduite chaque année dans l'article 2 du budget de la guerre et qui est formulée comme «il suit : « Dans les localités où les services des vivres, des fourrages et du couchage sont assurés par la voie de la régie directe, les objets mis hors de service, ainsi que les déchets, issues et sous-produits, seront vendus par les soins de l'administration de la guerre, et les sommes perçues de ce chef seront déduites du montant des achats de denrées, de bétail, de literies et de matériel d'exploitation. » A part ces exceptions, qui intéressent le seul département * Les alinéas 5, 6 et 7 de l'article 16 ont été introduits dans la loi sur la comptabilité par une loi spéciale du 8 avril 1857. {Moniteur du 11.) — L'Exposé des motifs de cette loi (Ch. des Représ., séance du 28 mars 1857, Doc. pari., n^ 159) explique cette ajoute en disant : n Les dispositions » du règlement du 1" février 1819 sur l'administration militaire concer- » nant la masse des recettes et dépenses extraordinaires et imprévues, » et celles de l'article 5 de la loi du 28 mars 1835 relatives au versement » de la somme de 150 francs à effectuer dans les caisses des régiments » de l'armée pour chaque remplaçant incorporé, ont paru en contra- » diction avec le quatrième paragraphe de l'article 16 de la loi de 1846. » D'autre part, on a généralement reconnu qu'il serait plus régulier de » déposer dans les caisses de l'État la partie des versements faits pour » les remplaçants qui n'est pas indispensable à la marche des affaires. » ( 165 ) de la guerre, toutes les ressources particulières et accessoires provenant d'une source étrangère aux crédits législatifs doivent donc figurer au budget. C. — Le budget des recettes et dépenses pour ordre. Ce budget occupe une place spéciale dans notre organisa- tion budgétaire. Il n'est pas à proprement parler un budget de l'État. Il ne contient ni recettes ni dépenses pour compte de l'État ^, mais des recettes et des dépenses nombreuses opérées par l'État pour compte de tiers : particuliers, établissements publics, provinces, communes. L'État agit donc en qualité de caissier d'autrui ; les opérations qu'il fait ainsi pour ordre sont provisoires et temporaires. Les recettes et les dépenses pour ordre ne font que traverser les caisses publiques pour une destination ultérieure. Cependant la loi exige qu'elles soient renseignées dans les budgets et dans les comptes. Elle consacre par là une nouvelle et rigoureuse application de la règle de l'universalité, que l'article 25 de la loi de 1846 formule de la manière suivante : Tous payements ou restitutions à faire en dehors des alloca- tions pour les dépenses générales de l'État ont lieu sur les fonds spéciaux et particuliers institués pour les services qu'ils con- cernent, jusqu'à concurrence des recouvrements effectués à leur profit; les recettes et les dépenses de cette catégorie sont rensei- gnées pour ordre dans les budgets et dans les comptes; elles se régularisent dans la comptabilité de la trésorerie sous le contrôle de la Cour des comptes. Les articles 9, 18, 185 et suivants du règlement général de 1868 organisent cette disposition légale. L'article 18 définit les recettes et dépenses pour ordre en disant : « Les recettes opérées par les comptables du trésor pour je compte des provinces, des communes, d'établissements * Sauf toutefois le titre II du budget, dont nous parlerons plus loin, pp. 172 et suiv. ( 166 ) publics, et généralement pour le compte de' services étrangers à l'État, constituent des recettes pour ordre. » Les payements ou remboursements effectués et imputables sur ces recettes sont des dépenses pour ordre. )) Ces recettes et ces dépenses prennent, dans la compta- bilité, la dénomination de fonds de tiers, w Les articles 185 à 188 organisent la comptabilité spéciale de ces fonds de tiers ^. L'article 9 institue un budget spécial destiné à les recevoir : c( Les recettes et les dépenses de cette catégorie sont rensei- gnées dans le budget pour ordre. » Les évaluations qui le concernent doivent être transmises au ministre des finances par les ministres compétents, en même temps que les éva- luations relatives aux services normaux et réguliers de l'État. Ce budget spécial des recettes et dépenses pour ordre n'existe cependant que depuis 1853. Jusqu'en 1846, les recettes pour ordre formaient une annexe au budget des voies et moyens et les dépenses pour ordre une annexe au budget des finances. De 1847 à 1853 les dépenses pour ordre furent détachées du budget des finances pour faire l'objet d'une loi séparée. * Depuis 1866, on a rattaché, pour des motifs divers, aux fonds de tiers et inséré au budget pour ordre une série de fonds spéciaux appartenant à l'État et alimentés à d'autres sources que celles que renseigne le budget des voies et moyens, ainsi que les dépenses auxquelles ils pourvoient "^. Ces fonds spéciaux et les dépenses correspondantes ne sont donc pas des fonds de tiers, mais des fonds de l'Etat. Ils figurent cependant dans le budget pour ordre. Primitivement ils en constituaient le chapitre III ; aujourd'hui ils sont grou- 1 Cf. pp. 171-172. 2 Cf. Rapport de M. Demeur sur le budget des recettes et dépenses pour ordre de l'exercice 1881. (Ch. des Représ., sess. de 1880-1881, Doc. pari., n« 88.) Rapport de M. Jottrand sur le même budget pour 1883. (Ch. des Représ., sess. de 1882-1883, Doc. pari., n» 48.) ( (167 ) pés dans le titre II, intitulé : Dépenses sur ressources spéciales, soumises au visa préalable de la Cour des comptes. Actuellement le budget des recettes et dépenses pour ordre présente la physionomie suivante t. TITRE I. Fonds de tiers. Chapitre I. — Fonds de tiers déposés au trésor et dont le rembourse- ment a lieu avec l'intervention du ministre des finances et des travaux publics. On trouve, sous cette rubrique, notamment : les cautionne- ments des comptables, entrepreneurs, etc., les fonds provin- ciaux, le fonds communal (1860), le fonds spécial des communes (1889-1896), les dépôts effectués chez les percepteurs des postes pour le compte de la Caisse générale d'épargne et de retraite, les fonds des Caisses des veuves et orphelins des diffé- rents départements ministériels, l'encaissement et le paiement des effets de commerce par la poste, le fonds spécial des dotations pour la constitution des pensions de vieillesse (loi de 1900), etc., soit un total de 1,012,370,824 francs. Chapitre IL — Fonds de tiers déposés au trésor et dont le rembour- sement a lieu directement parles comptables qui en ont opéré la recette. Ces fonds sont classés dans le budget par départements ministériels et répartis entre les administrations qui en font le service. Les impôts et produits recouvrés au profit des communes (25 millions) dépendent, par exemple, de l'administration des contributions directes, douanes et accises ; de l'administration des chemins de fer : l'encaissement et le paiement, pour le compte de tiers, du transport de marchandises (déboursés et remboursements) : 75 millions; de l'administration des postes : l'encaissement et le paiement de quittances pour compte de 1 Budget de 1902. (Ch. des Représ., sess.de 1901-1902, Z)oc.paW., n» 4. ( d68 ) . I tiers : 290 millions de francs; les fonds confiés à la poste et 1 rendus payables sur mandats et bons de poste : 210 millions de francs, etc. Soit un total de 624,350,000 francs. TITRE II. Dépenses sur ressources spéciales, soumises au visa préalable _ de la Cour des comptes. m Chapitre I. — Subsides : parts contributives de tiers dans la dépense ■ de travaux publics. Total : fr. 4,053,926 61. 1 Exemples : Subsides offerts à l'État pour construction de routes : 75,000 francs; pour entretien et amélioration des canaux et rivières : 550,000 francs ; intervention de tiers dans les travaux de premier établissement, extension ou parachève- ment de chemins de fer : 1 million. j Chapitre II. — Fonds de remploi : vente ou cession de vieux maté- 4. riaux et objets hors d'usage; vente d'objets divers; remboursement t d'avances budgétaires ; taxes, redevances et droits divers. j Ces fonds sont également classés par départements et \ administrations intéressés. Ils sont très nombreux et de ! nature très différente. Leur total ne dépasse cependant pas la somme de fr. 4,115,470 56. | j» Chapitre III. — Services divers. ij Ils comprennent : cautionnements des entrepreneurs défail- lants (10,000 francs) ; remboursement de prêts aux provinces et aux communes pour construction et ameublement de mai- sons d'école (fr. 1,335 84); création d'une école de bienfai- ; sance de l'Etat à Ypres (legs Godtschalk) (400,000 francs); j création d'un établissement d'études médicales, sous la déno- J mination d' ce Institut Rommelaere » (fondation Arthur Renier) j (630,000 francs); remboursement des avances faites, pour '" compte des provinces et des communes, dans le paiement des ^ traitements de disponibilité, pour cause de suppression d'emploi des instituteurs communaux (120,000 francs). Total : ' fr. 1,161,335 84. ( 169 ) Chapitre IV. — Fonds spéciaux constitués au moyen de crédits inscrits au budget ordinaire. Fonds spécial et temporaire de 10 millions pour des travaux extraordinaires de voirie, institué par la loi du 28 juin 1896 : 310,000 francs. Fonds spécial et temporaire de 20 millions pour la construc- tion, l'amélioration et l'ameublement des casernes, des hôpi- taux militaires et de l'Ecole militaire, institué par la loi du 9 août 1897 : 700,000 francs. Au moment de sa fondation en 1853, le budget des recettes et dépenses pour ordre s'élevait à 19,693,000 francs seule- ment; il atteignait en 1881 : 396,108,500 francs et en 1902 : fr. 1,647,061,557 01, soit plus du triple du budget ordinaire de l'État. ■ Il nous faut maintenant caractériser chacune des deux grandes subdivisions du budget et expliquer notamment le rattachement au budget pour ordre du titre II. I. — Fonds de tiers. Nous les avons définis plus haut. Nous n'avons pas à reve- nir sur cette définition, mais à caractériser brièvement le régime particulier du budget qui les contient. A la différence, en effet, des autres budgets, dans le budget pour ordre, les prévisions de recettes égalent nécessairement les prévisions de dépenses, et il en est ainsi non seulement pour le budget pris dans son ensemble, mais pour tous les articles qui le composent et dont chacun correspond à un service distinct. « En cette matière, les prévisions de dépenses ne peuvent être inférieures aux prévisions de recettes. En effet, l'Etat qui reçoit les fonds, non pour son compte, mais pour compte de tiers, doit nécessairement les tenir à la disposition de ceux-ci. » Par la même raison, les prévisions de dépenses ne peuvent ( ITO) être supérieures aux prévisions de recettes. L'Etat^ en effet, ne doit jamais se trouver à découvert : il ne doit que ce qu'il a reçu ; il ne doit donc payer que jusqu'à concurrence des recou- vrements qu'il a effectués ^. » De plus, dans le budget pour ordre, « les évaluations annuelles des dépenses n'ont pas pour but de limiter les fonds dont le gouvernement pourra disposer pendant le cours de l'exercice et qu'il ne peut dépasser sans demander des crédits supplémentaires. Les évaluations n'ont rien de limitatif; dans aucun cas, des crédits supplémentaires ne doivent élre demandés pour les services dépendant du budget des recettes et dépenses pour ordre, et même, s'il arrive que des recettes et dépenses pour ordre n'ont pas été, pour une cause quel- conque, portées au budget, l'administration se borne à les mentionner dans les comptes, dans des articles ou chapitres additionnels, ainsi que le prescrit l'article 42 de la loi sur la comptabilité '^. » Ces règles spéciales découlent de la nature même de ce budget : puisque ce ne sont pas les fonds de l'État qui y sont portés, il n'y a aucune raison pour limiter annuellement le montant des sommes que les agents de l'État sont autorisés à payer. La dépense n'a ici d'autre limite que le montant des sommes qui ont été reçues, qui sont dues et qui doivent être payées dans les conditions où elles sont dues. » Cette limite est la seule, mais elle ne peut être dépassée. S'il en était autrement, si des payements étaient effectués par les agents de l'État au delà des sommes reçues pour le compte de tiers, ce ne pourrait être qu'au moyen de fonds qui ne sont pas affectés à ces services particuliers, ce ne pourrait être qu'en contravention à la loi du 15 mai 1846, dont l'article 24 * Rapport Demeur cité. (Ch. des Représ., sess. de 1880-1881, Doc. pari., n» 88.) 2 Loi de 1846, article 42, alinéa 2 : « Les comptes de chaque exercice » doivent toujours être établis d'une manière uniforme, avec les mêmes » distributions que le budget du dit exercice, sauf les dépenses pour » ordre qui n'y auraient pas été mentionnées, et pour lesquelles il est M fait des articles ou chapitres additionnels et séparés. » ( 171 ) dispose que les payements dont il s'agit ici ont lieu jusqu'à concurrence des recouvrements effectués ^. » Il arrive cependant que les recettes et les dépenses réelles dépassent, et parfois notablement, les recettes et les dépenses prévues au budget pour ordre. L'Etat se trouve ainsi à décou- vert et créancier vis-à-vis des services dirigés par ses agents pour compte de tier?. C'est là une anomalie et une violation de l'article 24. La section centrale du budget de 1881 le constatait et con- cluait : (c II va de soi que l'État ne peut se faire le banquier « des services dirigés par ses agents et qui sont compris dans ce budget. La section centrale ne peut donc qu'approuver l'invi- tation donnée par M. le Ministre des finances aux agents des services intéressés, de mesurer à l'avenir leurs dépenses aux ressources dont ils disposent 2. » Enfin, la comptabilité spéciale des fonds de tiers est orga- nisée par les articles 185 et suivants du règlement de 1868 3 : Article 185 : « Les fonds de tiers, recouvrés par les comp- tables des administrations des recettes, sont constatés par nature de service dans la comptabilité centrale du département des finances. » Les versements effectués directement entre les mains du caissier de l'État, comme fonds de tiers, y sont également constatés à un titre spécial. Article 186, alinéa 1 : « Sauf dans les cas prévus par l'article 22 (centimes additionnels communaux, produits des amendes, etc.) et sauf r exception établie dans l'alinéa suivant (subsides pour travaux publics, fonds de remploi), ces fonds sont mis à la disposition des autorités chargées d'en appliquer 1 Rapport Demeur, loc. cit. 2 Ibidem. 3 Ces renseignements trouveraient plus logiquement leur place au chapitre de l'exécution et du contrôle du budget, oii nous exposerons la théorie de la comptabilité publique, mais nous avons préféré grouper en ce chapitre tout ce qui concerne le budget spécial des recettes et dépenses pour ordre. ( 172 ) le produit conformément aux lois et règlements, soit au moyen de crédits ouverts, soit au moyen de mandats directs sur le trésor. » Article 187 : « Ajjrès avoir établi la balance du grand-livre, le département des finances reporte à l'année suivante les sommes restées disponibles, sur les fonds de tiers, au 31 dé- cembre de l'année précédente. » Article 188 : « // est justifié des fonds de tiers, tant en recette qu'en dépense, dans le compte général de l'État ^ . » II. — Dépenses sur ressources spéciales, soumises au visa préalable de la Cour des comptes. Pourquoi fait-on figurer ces fonds particuliers dans le bud- get des recettes et dépenses pour ordre? Ils ne constituent pas, en effet, des fonds de tiers. Ce sont des fonds appartenant à l'Etat et destinés à subvenir à des ser- vices de l'État. Il semblerait, dès lors, que l'on dût les inscrire en recette au budget des voies et moyens, et, en dépense, au budget du département qu'ils concernent. Cependant, à les examiner de près, on constate que ces fonds, bien qu'appartenant à l'État, ne sont pas alimentés par des crédits inscrits au budget ordinaire. Ils sont, de plus, affectés d'une manière directe et spéciale à un service déter- miné, qu'ils défrayent exclusivement et qui souvent leur donne naissance (fonds de remploi). Ici aussi, la recette et la dépense sont corrélatives et exactement dépendantes l'une de l'autre. Les dépenses ne s'effectuent que jusqu'à concurrence des recettes. Ces fonds se rapprochent donc, par ces caractères, des fonds de tiers, et c'est pourquoi ils sont rattachés à ceux-ci dans le titre II du budget pour ordre. D'autre part, puisqu'ils appartiennent à l'État, ces fonds sont soumis au visa préalable de la Cour des comptes, en * Cf. aussi : article 31 de la loi sur la comptabilité du 15 mai 1846. (Cf. supra, pp. 117 et suiv.) (473 ) vertu de l'article 186, alinéa 2 du règlement général de 1868 : « Quant aux sommes versées pour l'exécution de travaux » publics ou pour être appliquées, à titre de remploi, à des » services particuliers, il ne peut en être disposé que par des » ordonnances visées préalablement par la Cour des comptes. » Parmi ces dépenses sur ressources spéciales, sont inscrits les fonds de remploi. Ces fonds, ou bien sont produits par certains services de l'État et remployés à des dépenses de ces services {exemples : produits du tir national, des ventes de moulages provenant du Musée d'histoire naturelle ou du Musée des échanges, produits des taxes d'expertises des viandes, des droits de contrôle du service sanitaire des animaux domestiques importés, etc..) ou bien ils représentent les aliénations d'objets hors d'usage ou de vieux matériaux, à charge pour l'acquéreur de les rem- placer par une valeur correspondante de matériel neuf, comme, par exemple, le remploi des billes, rails et acces- soires, matériel fixe de l'administration des chemins de fer. Ce dernier mode de remploi est autorisé par l'article 227 du règlement de 1868 i. A certaines époques, en 1881 et 1883 notamment, les fonds de remploi provenant de cette dernière source ont été assez élevés pour provoquer les observations du Parlement, qui redoutait un abus et une violation de l'article 16, alinéa 2 de la loi de 1846. Le rapporteur du budget pour ordre de 1883, M. Jottrand, disait dans son rapport : « Ce chapitre spécial, qui au budget de 1866 (année de sa création) ne comportait que 290,000 francs, atteignait en 1873 : 2,350,000 francs et en 1883 : 7 millions 693,000 francs. « L'accroissement de ces chiffres provient surtout du déve- loppement que prend dans l'administration des chemins de fer, postes et télégraphes, la pratique de l'aliénation du maté- riel hors d'usage, à la charge pour l'acquéreur de le remplacer par une valeur correspondante de matériel neuf. * Cf. supra, p. 162, note. ( "^ ) » Si cet état de choses se perpétue, il y aura lieu d'examiner s'il n'est pas plus conforme à l'esprit de notre loi de compta- bilité de porter au budget des voies et moyens le produit du matériel hors d'usage et au budget annuel de nos chemins de fer toutes les dépenses sans exception faites pour achat de matériel neuf ^. » Aujourd'hui, ces fonds de remploi ont subi une diminution notable dans le budget pour ordre. Ils s'élèvent pour 1902 — fonds de remploi de toute nature — à fr. 4,llo,470 56 seu- lement. Enfin, dans cette même catégorie (titre H) figurent encore, au chapitre IV, des fonds spéciaux constitués au moyen de crédits inscrits au budget ordinaire, dont la présence au budget pour ordre demande quelques explications. Les fonds dont il s'agit sont : le fonds spécial et temporaire de 10 millions pour des travaux extraordinaires de voirie, institué par la loi du 28 juin 1896 et le fonds spécial et tempo- raire de 20 millions pour la construction, l'amélioration et l'ameublement des casernes, des hôpitaux militaires et de l'Ecole militaire, institué par la loi du 9 août 1897 2. Ce qui les distingue des autres fonds inscrits au titre II du budget, c'est qu'il ne sont pas alimentés par des ressources spéciales, mais constitués au moyen de crédits, couverts par les 1 Ch. des Représ., sess. de 1882-1883, Doc. pari., n» 48. - La loi du 28 juillet 1902 modifiant la législation relative à la fabri- cation et à l'importation des alcools (Moniteur des 28 et 29) a institué, dans ses articles 4 et 5, un nouveau fonds spécial et temporaire rattaché au budget pour ordre, « Art. 4. — Il est institué un fonds spécial et temporaire sur lequel seront prélevées les indemnités allouées aux distillateurs agricoles par application des dispositions de l'article 2 de la présente loi. » Le fonds sera constitué au moyen d'avances sur les ressources extraordinaires du trésor à rembourser en cinq ans, à partir de l'exer- cice 1903, par prélèvements annuels sur le produit des droits d'accise afférents aux eaux-de-vie. Les avances seront versées au budget des recettes et des dépenses pour ordre et mises ainsi à la disposition du ministre des finances.. » Art. 6. — Il est ouvert au ministère des finances et des travaux ( i75 ) ressources ordinaires de l'État et inscrits au budget des travaux publics et à celui de la guerre. Si, néanmoins, ces fonds se trouvent rattachés aux dépenses sur ressources spéciales dans le budget pour ordre, c'est pour en faciliter la comptabilité. Les ministres intéressés sont autorisés, en effet, h faire des imputations sur ces fonds pendant plusieurs années 'i, tandis que les crédits inscrits aux budgets ordinaires sont annuels. Rattacher ces fonds à ces budgets, c'était donc en compli- quer la comptabilité; c'est pourquoi on les a inscrits parmi les recettes et dépenses pour ordre 2. § 3. — La spécialisation. L'universalité budgétaire est aujourd'hui très généralement pratiquée, de la manière définie par M. Léon Say : « 11 n'y a unité de budget que si on a réussi à faire entrer toutes les recettes dans une seule caisse et à faire sortir l'argent de toutes les dépenses du même et unique grand fonds commun. Il n'y a d'unité budgétaire que si on a pu traiter tous les crédits ouverts par les Chambres dans les mêm.es conditions de justifi- cation, d'annulation et de report '^ ». D'après ce système, toutes les recettes figurent donc d'un côté du budget, toutes les dépenses, d'un autre côté, sans confusion ni atténuation. 11 y a unité, il y a un seul fonds commun alimentant toutes les dépenses de l'État. publics un crédit de 8 millions de francs à rattacher au budget des recettes et dépenses extraordinaires pour 1902, sous un hbellé ainsi conçu : « Avances destinées à indemniser les distillateurs agricoles par » application des dispositions de l'article 2 de la loi modifiant la légis- » lation relative à la fabrication et à l'importation des alcools. » (Crédit non limitatif.) ^ Le délai est de huit ans pour le fonds de voirie; il était de trois ans pour le fonds de 20 millions et a été prolongé à cinq ans par l'article 1®^ de la loi budgétaire de 1902. 2 Cf. loi du 28 juin 1896, art. 2, al. 2. 5 Journal des débats, 7 octobre 1890, cité par Stourm, loc. cit., p. 165. ( 176) Au contraire, le système inverse de la spécialisation « con- siste à isoler chaque service en distrayant de la masse les recettes et les dépenses qui lui sont propres ^ ». Chaque service de l'État constitue alors comme une person- nalité distincte de la voisine, vivant de sa vie propre et devant se suffire à elle-même. « Avec la spécialisation, chaque service dégage les résultats de sa propre exploitation et fait ressortir individuellement ses bénéfices ou ses déficits "^. » Cette méthode de comptabilité aboutit nécessairement au budget net. Le bénéfice éventuel de chaque exploitation est versé à la caisse centrale, le déficit est couvert par celle-ci. La spécialisation, nous l'avons déjà remarqué, était le système préféré sous l'ancien régime et destiné à contre- balancer l'absence de contrôle en matière d'administration financière 3. Le prince de Starhemberg, rappelons-le, en vantait les mérites en disant : « C'est un grand principe en matière de finances, lorsqu'on veut y établir l'ordre et la clarté, que chaque branche de revenu doit supporter ses charges et que ces charges ne doivent jamais être assignées sur une autre branche ou une autre caisse. Si l'on n'établit pas rigoureuse- ment ce principe, on ne pourra jamais trouver le montant des dépenses inhérentes à chaque branche de revenu et son revenu net effectif 4'. » De nos jours encore, la spécialisation a ses partisans. « Grâce à ce procédé, disent-ils, les éléments analogues sont juxtaposés rationnellement et industriellement, ce qui développe chez les administrations un sentiment de responsabilité, seul capable d'encourager leurs efforts; les pouvoirs publics, en outre, apprécient par ce moyen les résultats obtenus dans le sein de chaque service, toutes choses que le système inverse exclut absolument... * Stourm, loc. cit., p. 165. 2 Id. Ibidem, 5 Cf. supra, pp. 39 et 40. * Cf. supra, p. 37. ( 177 ) « Il est certainement désirable, répond M. Stourm, que tout service puisse rassembler en un seul faisceau ses recettes et ses dépenses particulières, de manière à mettre en relief le solde qui le concerne... » Mais à qui incombe le soin de fournir de tels renseigne- ments? Est-ce au budget? Évidemment non... L'idée de budget est incompatible avec la spécialisation. C'est donc en dehors du budget qu'il faut rechercher ses avantages. Pour cela, il suffit de demander à chaque administration de publier annuel- lement le compte rendu raisonné de sa gestion, compte rendu nécessaire d'ailleurs à tous les points de vue ^. » C'est ce qui existe, par exemple, d'une manière très déve- loppée en Angleterre et en Prusse. Dans ce dernier pays, « le volume du budget, après avoir d'abord présenté distinctement l'universalité des recettes et l'universalité des dépenses dans le projet de loi lui-même, reprend, dans une seconde partie, sur laquelle aucun vote ne portera plus, uniquement à titre d'éclaircissement, la spécialisation de chacune des administra- tions industrielles précédemment développées. Là réside la spécialisation rationnelle, à bon droit réclamée... Mais sa place, nous le répétons, n'est pas dans le budget général de l'État 2 ». Nous nous associons à ces conclusions du savant auteur. C'est dans la mesure indiquée que la spécialisation est prati- quée en Belgique, notamment en ce qui concerne notre prin- cipal service industriel, par le compte annuel de l'administra- tion des chemins de fer. Ce compte annuel a suscité depuis quelque temps de sérieuses critiques et semble exiger des réformes radicales, si l'on veut faire un exposé sincère de la situation financière réelle de nos chemins de fer 3. * Stourm, loc. cit., p. 166. 2 ID., loc. cit., p. 167. •^ Cf. Rapports de M. Renkin, au nom de la section centrale, sur les budgets des chemins de fer de 1901 et 1902. Tome LXIV. 12 ( 178 CHAPITRE IV. L'évaluation des recettes et des dépenses. Les crédits supplémentaires et les crédits complémentaires Le budget est un amas de chiffres. C'est le chiffre qui tout d'abord frappe la vue de celui qui ouvre le volume du budget, c'est le chiffre aussi qui, pour beaucoup, en rend l'accès malaisé et difficile. Le budget étant essentiellement un état de prévision des recettes et des dépenses pendant un exercice déterminé, ceux qui ont mission de le préparer doivent prévoir non seulement la nature et l'objet de la recette ou de la dépense, mais son taux et son import. C'est pourquoi tout poste du budget, tant en recette qu'en dépense, est suivi d'une évaluation. Cette évaluation ne peut être faite au hasard. Le chiflf're qui suit le libellé de l'article du budget n'est pas un chiffre en l'air. Il ne doit pas non plus être combiné et torturé, pour les besoins de la cause, de manière à amener sur le papier l'équi- libre final de la recette et de la dépense. L'évaluation qui incombe aux préparateurs doit donc être une juste évaluation ^, appréciant aussi exactemxent que le permettent les circonstances le produit futur des recettes et l'importance des dépenses à venir. A cet effet, deux grandes qualités sont requises des prépa- rateurs : la sagacité, qui les rend perspicaces et les aide à prévoir exactement, la sincéiité qu\ leur fait décrire loyalement, sans réticence ni exagération, oe qu'ils ont prévu et discerné. La sagacité est une qualité personnelle du préparateur. Espèce de don prophétique, de « flair » subtil et particulier, souvent inné et aiguisé par l'expérience des affaires, elle échappe à toute règle précise. On la possède ou on ne la * Cf. Stourm, loc. cit., chap. VIL ( 179 ) possède pas, mais aucun règlement ne peut l'inculquer. La sincérité, elle aussi, se montre rebelle à toute réglementation. Il n'existe donc pas dans les codes de comptabilité des dispo- sitions capables d'assurer la justesse des évaluations. C'est ce qui fait dire à M. Stourm : « L'évaluation des recettes, aussi bien que celle des dépenses, constitue, en définitive, une affaire de tact, d'expérience, de perspicacité et surtout de sincérité ^ ». Cependant une certaine procédure traditionnelle est suivie, dans tous les pays, en matière d'évaluations budgétaires. En ce qui concerne les recettes, on applique en France ce que M. Stourm appelle le système automatique ou de la pénultième année, c'est-à-dire, « on se borne purement et simplement à inscrire, comme produits probables de l'exercice futur, les résultats effectifs du dernier exercice connu )>. Lorsqu'on prépare le budget de 1902, par exemple, le dernier exercice connu est celui de 1900. On inscrira donc au budget de 1902, parmi les recettes, le chiffre connu des recettes effectuées en 1900. De même, on inscrira pour 1903 les chiffres de 1901, pour 1904, ceux de 1902, etc. C'est la règle suivie généralement : règle de défiance envers les préparateurs, qui ne demande pas grands efforts à leur sagacité et ne met pas à une trop rude épreuve leur sincérité. Elle opère machinalement, automatiquement. Dans les autres pays 2, et particulièrement en Belgique, on procède différemment. Les faits connus du dernier exercice servent certes de point de départ, mais on se garde de les porter servilement au budget de l'exercice futur. On tâche, au contraire, de s'entourer de tous les indices et renseignements possibles, afin de discerner les fluctuations probables des chiffres, d'après la nature spéciale de chaque espèce de produits, d'après les multiples circonstances qui peuvent influencer les rendements. 1 Stourm, loc. cit., p. 196. 2 Ibid., p. 181. ( m) C'est la méthode de l'appréciation directe, plus vivante, moins rigide et qui met en relief la perspicacité des prépa- rateurs. M. Malou l'exposait, dès 1847, en présentant à la Chambre le budget de 1848 1. (c En présentant, disait-il, le budget des voies et moyens, selon le vœu de la loi de comptabilité, assez longtemps avant l'ouverture de l'exercice, il est devenu nécessaire d'établir les prévisions sur des bases nouvelles. On consultait d'ordinaire les faits constatés pendant les huit premiers mois de l'année qui précédait l'exercice, et pendant les quatre derniers mois de l'année antérieure à celle-ci. A l'avenir, les recettes devront être évaluées d'après des faits moins récents et offrant par cela même une moindre probabilité. L'année 1846 servira nécessairement de point de départ pour 1848, 1847 pour 1849 et ainsi de suite. S'il résulte de là de plus grandes chances de mécomptes en plus ou en moins, il sera possible de les atténuer en s'attachant, dans le doute, à n'admettre que les évaluations les plus modérées. Cette pensée m'a guidé dans la formation du budget de 1848... » Si, en général, les faits réalisés en 1846 ont servi de base pour établir les prévisions de 1848, comme ils ont servi pour 1847, je m'en suis néanmoins quelquefois écarté, soit en admet- tant, au lieu de temps calamiteujc, des circonstances normales, soit par des considérations spéciales et motivées, » C'est par application de cette méthode qu'on utilise, pour l'évaluation des produits des contributions directes, les moyennes quinquennales. Voici, à titre d'exemple, l'évaluation du rendement de la contribution personnelle pour 1902. La note préliminaire du budget présente, en un tableau, pour chacune des années 1896 à 1900, le produit de la contri- bution personnelle et l'augmentation constatée annuellement. Ce tableau contient aussi le produit présumé pour 1901. a D'après les résultats connus à ce jour, continue la note, la 1 Ch. des Représ., sess. de 1846-1847, Doc. pari, n" 287. ( 481 ) contribution personnelle de 1901 produira vraisemblable- ment 21,300,000 francs, somme supérieure de 11,000 francs à l'évaluation inscrite au budget de 1901. » L'évaluation de 1902 peut être basée sur l'augmentation moyenne constatée pendant les cinq dernières années, soit 329,000 francs. En ajoutant cette moyenne au rendement pré- sumé de 1901, l'évaluation à porter au budget s'élève à 21 mil- lions 629,000 francs (fr. 21,300,000 -{- 329,000), soit une plus- value de 340,000 francs par rapport aux prévisions adoptées pour 1901. » D'autres sources de produits donnent des rendements moins stables, plus sujets à des fluctuations, et il est difficile, dès lors, de se baser sur la moyenne des derniers rendements pour établir les prévisions. Pour les chemins de fer, on constate, par exemple, dans la note préliminaire du budget de 1902, que « les recettes pour les premiers mois de 1901 ne répondent pas entièrement aux prévisions ; mais, dès à présent, se mani- festent des indices d'une très sérieuse amélioration. Le gou- vernement a jugé prudent de faire abstraction, pour 1902, de la progression normale du tratic, et il a adopté comme évalua- tion le montant de la recette réalisée en 1900, soit en chiffre rond 204,370,000 francs; ce chiffre est inférieur de 1 mil- lion 630,000 francs à l'évaluation de 1901 ». De même, pour les produits de la poste : « Les produits de la poste pour 1901 seront d'environ 25,700,000 francs, ceux de l'année précédente étant de 25,240,000 francs, l'augmen- tation pour 1901 s'élèverait à 460,000 francs. » Ce résultat est peu favorable comparativement à l'accrois- sement moyen d'environ 1,100,000 francs obtenu pendant la dernière période quinquennale; pour éviter tout mécompte, il y a lieu de ne prévoir, pour 1902, qu'une augmentation de 500,000 francs. Le produit global de 1902 est ainsi évalué à 26,200,000 francs. » Le chiffre d'évaluation a cependant moins d'importance en matière de recette qu'en matière de dépense. En matière de recette, il constitue une simple indication, un ( 182 ) simple renseignement, car si les produits donnent un rende- ment supérieur aux chiffres inscrits au budget, rien n'empêche l'État d'encaisser le surplus ^. Au contraire, en matière de dépense, le chiffre inscrit au budget représente une limite infranchissable. D'après l'arti- cle 16, alinéa l®'" de la loi de 1846, « les ministres ne peuvent faire aucune dépense au delà des crédits ouverts à chacun d'eux ». Les dépenses figurent au budget sous forme de crédits 2, et ces crédits, affectés par le Parlement à un service déterminé, ne peuvent être dépassés. C'est du moins le principe et la règle générale. Car, à côté des crédits strictement limitatifs, il existe des crédits non limitatifs, prévus par l'article 5 de l'arrêté royal du 19 fé- vrier 1848, et pour lesquels aucune limite n'est fixée au budget. Pou7' les créditSy dit cet article, à regard desquels aucune limite n'est fixée au budget, les dépenses faites en sus de l'allo- cation seront admises en liquidation, sauf régularisation par des crédits supplémentaires (complémentaires) à proposer dans la loi des comptes. Il ne sera demandé aux Chambres d'user de cette faculté que pour des dépenses urgentes qui ne sont pas créées par nos ministres ou par leurs délégués, mais qui résultent uniquement de l'exécution nécessaire et inévitable des lois et règlements, par simple application des tarifs ou bases de liquidation existants. Tels sont les crédits compris au budget des remboursements et non-valeurs, les remises dues aux greffiers en vertu de la loi du * Cf. les différences entre les évaluations de recettes et les recouvre- ments réels. Les tableaux en sont publiés périodiquement dans le Moniteur par le ministre des finances et des travaux publics; ceux relatifs aux années 1900 et 1901 ont paru dans le Moniteur du 19 février 1902, pp. 699 et suiv. 2 « Le crédit consiste dans l'inscription au budget d'un service de dépense et de l'allocation affectée à son exécution. » (Stourm, loc. cit., p. 188.) ( 183 ) 21 ventôse an Vil, les remises proportionnelles sur les recettes effectuées par les receveurs , les frais de justice en matière criminelle, correctionnelle et de simple police, dus en vertu du décret du 18 juin 18 H (remplacé par r arrêté roifal du 18 juin 1853), etc. "i. Or, il y a une tendance naturelle chez les préparateurs de budgets, hantés par la recherche de l'équilibre final, à évaluer très haut les crédits limitatifs, puisqu'ils ne pourront les dépasser, et très bas les crédits non limitatifs, qui peuvent être dépassés régulièrement. C'est cette tendance qu'il faut combattre. En France, la commission du budget effectue l'opération contraire dans la revision des évaluations ministérielles 2, En Belgique, les sections de la Chambre se bornent généralement à les enregistrer. 11 n'est d'ailleurs pas possible de tracer des règles aux évaluations de dépenses. Tout dépend ici de l'honnêteté des ministres, de leur esprit d'économie et aussi de leur fermeté, qualité particulièrement appréciée chez un ministre des finances. La préparation du budget doit être essentiellement une œuvre loyale et sincère. A cette question de l'évaluation, nous rattachons l'étude de deux espèces particulières de crédits : les crédits supplémen- taires et les crédits complémentaires. Nous connaissons déjà les crédits ordinaires et les crédits extraordinaires, nous apprendrons à connaître les crédits provisoires 3. L'étude des crédits supplémentaires et des crédits complémentaires devrait figurer plus logiquement peut-être dans le chapitre de l'exécution du budget, puisque ces crédits sont demandés au cours de l'exécution du budget ou 1 La distinction entre crédits limitatifs et crédits non limitatifs a été très clairement indiquée par M. de Smet de Naeyer, ministre des finances, à la séance de la Chambre des Représentants du 5 juin 1901. [Ann. pari., p. 1329.) 2 Stourm, Loc. cit., pp. 191 et suiv. 5 Cf. i7ifra, 2e partie, chapitre IX. { 184 ) après sa clôture. Mais, comme la raison d'être de ces crédits se trouve en définitive dans des erreurs d'évaluation, nous les examinerons dès maintenant. Ils constituent deux variétés d'une même espèce de crédits : les crédits additionnels, destinés à combler, en cours d'exer- cice, les insuffisances constatées des crédits primitivement accordés. Les crédits supplémentaires se distinguent des crédits com- plémentaires d'après la nature des crédits primitifs auxquels ils s'appliquent et d'après le régime particulier qu'ils suivent. Nous les étudierons donc successivement. § 1. — Crédits supplémentaires. D'après l'article 45 de la loi de comptabilité, la loi annuelle des finances ouvre les crédits nécessaires aux dépenses présumées de chaque exercice et, d'autre part, l'article 115 de la Consti- tution prescrit que toutes les dépenses et recettes figurent au budget. 11 semblerait donc que strictement il n'y eût pas place dans notre organisation budgétaire pour des crédits accordés hors budget. Néanmoins, la nécessité des crédits additionnels ou supplé- mentaires est indiscutable. Il existe, en effet, des dépenses que le gouvernement n'a pu prévoir ni porter au budget et qui s'imposent cependant; il y en a aussi dont les évaluations sont restées au-dessous de la réalité et pour lesquelles, par conséquent, les crédits budgétaires sont insuffisants. L'inexistence ou l'insuffisance des crédits dans le budget explique donc et justifie la demande de crédits supplémen- taires. Mais, ces crédits sont et doivent rester exceptionnels, et c'est ce caractère exceptionnel qui détermine essentiellement le régime qui leur est applicable. Il faut tout d'abord porter au budget les crédits réellement ( 185 ) nécessaires aux dépenses présumées de chaque exercice d'après la prescription de l'article 15, et l'on ne peut laisser inten- tionnellement hors budget des dépenses à couvrir ensuite par des crédits supplémentaires. Dès 1883, la section centrale protestait contre cette pratique et concluait : « Il est donc permis d'espérer que désormais les crédits supplémentaires seront strictement limités aux dépenses qui n'ont pu être prévues lors du vote du budget, et qu'ils n'excéderont pas les annulations de crédit t ». C'est pourquoi aussi, au moment de la préparation du budget, le ministre des finances a coutume de rappeler à ses collaborateurs la nécessité d'effectuer avec soin les évalua- tions, de manière à éviter le mieux possible les crédits supplé- mentaires, qui se concilient mal avec une bonne gestion financière. Le crédit supplémentaire, s'il est nécessaire dans certains cas, doit donc rester strictement exceptionnel. De plus, lorsque les crédits inscrits au budget sont reconnus insuffisants, les crédits supplémentaires doivent être demandés avant que la dépense à couvrir soit faite. Cette règle n'est qu'une application de l'article 16, alinéa l^"" de la loi de comptabilité, qui défend aux ministres de faire aucune dépense au delà des crédits qui leur sont ouverts. Or, dans la pratique, cette règle est facilement violée, et il arrive fréquemment que les crédits supplémentaires ne sont demandés qu'après exécution de la dépense que ces crédits sont appelés à couvrir 2. 1 Cf. Rapport Demeur, au nom de la section centrale, sur le budget général pour 1884. (Ch. des Repr., sess. de 1883-1884, Doc. pari. , n» 26, p 40.) 2 Le total des crédits supplémentaires demandés à la séance de la Chambre du 9 avril 1902 (session de 1901-1902, Doc. pari., n» 110) s'élevait à fr. 10,758,102 47. Sur ce total, fr. 9,092,052 73 se rapportaient à des dépenses de l'exercice 1901 ; fr. 1,666,049 74 se rapportaient à des dépenses des exercices 1900 et antérieurs. En règle générale, ces crédits supplémentaires sont nécessités par ( 186) Cet abus doit être évité dans la mesure du possible ^. Car, nous en convenons, des circonstances pressantes ne per- mettent pas toujours au gouvernement de se conformer abso- lument à la règle, et il peut être parfois nécessaire de faire certaines dépenses avant le vote régulier des crédits supplé- mentaires. La ratification ultérieure remplace, dans ce cas, l'autorisation préalable. Mais on conçoit que cette procédure ne peut être normale et régulière. Ce régime, applicable aux crédits supplémentaires, si on le suit strictement, présente, selon la remarque de M. Demeur, non seulement un intérêt constitutionnel et théorique, mais un intérêt pratique très sensible ^. « 11 ne viendra, dit-il, à la pensée de personne de prendre au sérieux le vote d'un budget après qu'il est dépensé. En est-il autrement pour cette portion du budget qui comprend les crédits destinés à couvrir les insuffisances du budget pri- mitif? » A quoi sert l'intervention de la Législature lorsqu'elle se produit après que la dépense est faite? L'ouverture d'un crédit n'est alors qu'un entérinement. » Au contraire, la nécessité de demander le crédit pour une dépense à faire provoque chez ceux qui doivent le demander un examen plus attentif des intérêts de l'État. Obligés de justi- fier leur demande non par des faits accomplis, mais par des faits qu'ils sont tenus de prévoir, ils doivent se livrer à l'étude de ces faits et par cela même rechercher si la dépense est l'exploitation des chemins de fer. Sur le total que nous venons de citer : fr. 5,643,333 20 — soit plus de la moitié — sont demandés par le budget des chemins de fer, postes et télégraphes, dont 4,197,179 francs se rapportent à des dépenses de l'exercice 1901 et fr. 1,446,234 20 à des dépenses des exercices 1900 et antérieurs. * On a notamment signalé cet abus dans la construction de la nouvelle gare d'Anvers, dont une notable partie des travaux ont été exécutés à découvert, c'est-à-dire sans crédits préalablement votés parle Parlement. 2 Cf. Rapport, au nom de la section centrale, sur un projet de crédits supplémentaires. (Ch. des Repr., sess. de 1882-1883, Doc. pari., n» 198.) ( 487 ) nécessaire, si des économies ne sont pas possibles. En même temps, ceux qui sont appelés à autoriser le crédit sont mis à même d'apprécier son utilité et en les tenant au courant non pas des actes accomplis par l'administration, mais de ses projets, la demande de crédit leur permet d'exercer un con- trôle salutaire. » § 2. — Crédits complémentaires K Ils se distinguent des crédits supplémentaires : 1« Par la nature particulière des crédits auxquels ils s'appliquent exclusivement : les crédits non limitatifs. Ceux-ci, d'après la définition que nous en donnions plus haut {art. 5 de l'arrêté du 19 février 1848) 2, ne peuvent faire l'objet d'une évaluation précise. Leur taux dépend, en effet, de certaines éventualités qui défient les prévisions exactes. Les greffiers, par exemple, ont droit, en vertu de la loi du 21 ventôse an VII, à certaines remises qu'il faut prévoir, en dépenses, au budget. Mais comme le total de ces remises dépendra du nombre d'actes auxquels elles s'appliquent — nombre impos- sible à déterminer d'avance, — on ne peut porter au budget qu'un chiffre approximatif, un crédit non limitatif. Il en est de même pour les non-valeurs, les remboursements, les frais de justice en matière criminelle, correctionnelle et de simple police, les remises proportionnelles aux receveurs, etc.. 2° Il suit de là, aussi, que le gouvernement ne peut, comme pour les crédits supplémentaires, demander ces crédits com- plémentaires au Parlement avant d'avoir opéré les dépenses auxquelles ils sont destinés. Ce n'est qu'après la clôture de l'exercice qu'il est possible de se rendre compte de l'excédent de la dépense sur le crédit primitivement fixé au budget. Aussi le gouvernement sollicite-t-il l'allocation des crédits 1 Cf. Rapport Demeur. (Ch. des Représ., sess. de 4879-1880, Doc. pari., n» 133.) 2 Cf. p. 182. (188) complémentaires dans le même projet de loi qui contient le règlement définitif d'un budget ^. On peut, par conséquent, définir les crédits complémen- taires : (c des crédits additionnels, ouverts par la loi de règle- ment, pour régulariser, après coup, des excédents de dépenses se rapportant à des crédits non limitatifs 2 ». * Le projet de loi contenant le règlement définitif du budget de l'exer- cice 1898 a été déposé le 10 décembre 1901. (Ch. des Représ., sess. de 1901-1902, Doc. pari., no 28.) Son article 2 porte : « Il est alloué un crédit complémentaire de fr. 4,377,013 01 pour couvrir les dépenses des services ordinaires de l'exercice 1898, effectuées au delà des crédits ouverts par les lois des 29 décembre 1897, 4, 14 et 31 mars, 22 et 24 avril, 9, 18, 19 et 20 mai et 30 décembre 1898, et 7 octobre 1899. » Ces dépenses se subdivisent comme il suit : Dette publique. — Chapitre II, article 24 : Rémunération en matière de milice fr. 153,503 49 Ministère de la justice. — Chapitre IV, article 19 : Frais de justice 889,266 64 Ministère de l'intérieur et de l'instruction publique. — Chapitre V : Affaires électorales, article 27 : Confection et distribution du papier électoral..., jetons de présence et indemnités 3,215 63 Ministère des chemins de fer, postes et télégraphes. — Chapitre V : Marine, article 49 : Remises 509,789 04 Ministère des ^nances. — Chapitre III, article 16 : Remises proportionnelles et indemnités 14,986 38 Chapitre IV, article 29 (Enregistrement). Remises des receveurs. Frais de perception 70,040 89 Non-Valeurs et remboursemeyits. — Chapitre I, article 3 : Non-valeurs sur le droit de patente 2,452,954 07 Chapitre II, article 6 : Restitution de droits perçus abu- sivement et remboursements de fonds reconnus appar- tenir à des tiers 235,968 93 Article 7 : Id., en matière d'enregistrement et domaines 47,287 94 Le tableau /), annexé au projet de loi, établit la comparaison des dépenses sur crédits non limitatifs effectuées en 1898 avec celles de l'exercice 1897, et donne l'explication des différences constatées en 1898. 2 Stourm, loc. cit., p. 365. ( 189 ) L'existence de ces crédits constitue donc une exception for- melle à la règle de l'article 16, alinéa l^"". Cette exception doit rester rigoureusement circonscrite aux crédits non limitatifs et ne serait pas tolérée pour des crédits d'une autre espèce. Il dépend, d'ailleurs, des préparateurs du budget de dimi- nuer d'une manière sensible l'importance de ces allocations complémentaires, en s'appliquant à rendre leurs évaluations aussi exactes que le permet la nature particulière des crédits non limitatifs. Pour ne citer qu'un exemple : depuis 1893, les frais de justice en matière criminelle, correctionnelle et de police ont régulièrement dépassé 2 millions de francs, et cependant les crédits primitifs inscrits au budget restaient invariablement fixés à 1,S00,000 francs. En 1899, ils atteignaient 2 millions 300,000 francs. Aussi le ministre de la justice, afin de mettre le montant de ce crédit en rapport avec les dépenses réelles des dernières années, n'hésita-t-il pas à adopter ce dernier chiffre pour le budget de 1900. « L'augmentation est propo- sée, dit-il, en vue d'éviter la demande d'un crédit complé- mentaire important 'i . » C'est là un excellent exemple. Il est désirable que les pré- parateurs portent chaque année au budget une somme en rapport réel avec les besoins du service 2. Us éviteront ainsi autant qu'il est possible le recours aux crédits additionnels, supplémentaires ou complémentaires, qui ne doivent appa- raître qu'à titre exceptionnel dans une organisation budgé- taire régulière et bien ordonnée. * Budget de la justice pour 1900. Note préliminaire, art. 18. (Ch. des Représ., %ess. de 1899-1900, Doc. pari., n^ 6, p. 140.) 2 M. le Ministre des finances le reconnaissait récemment à la Chambre, lorsqu'il disait : « Nonobstant l'élasticité des crédits de ce genre (non limitatifs), le devoir du gouvernement est d'inscrire au budget, aussi bien que pour les crédits ordinaires (limitatifs), les chiffres qui, d'après les prévisions basées sur les éléments connus, se rapprochent autant que possible des nécessités. » (o juin 1901, Ann. pari., p. 13*^9.) ( 190 ) CHAPITRE V. Époque de la présentation du budget à la Chambre. (Loi du 15 mai 1846, art. 1. — Loi du 24 juillet 1900.) Le budget étant préparé» le gouvernement le dépose sur le bureau de la Chambre. A quelle époque ce dépôt doit-il être effectué? La loi de 4846 sur la comptabilité de l'État [article 1^'' alinéa 2) disposait : « Le budget eut présenté au moins dix mois avant l'ouverture de l'exercice ». Le but de cette règle était d'éviter le vote des crédits provi- soires, en assurant le vote du budget en temps utile. Après avoir déploré la pratique, déjà ancienne alors, des crédits provisoires, M. Roger, au cours de la discussion de la loi de 1846 i, s'exprimait en ces termes : « Cet état de choses présente de graves inconvénients. On a cherché les moyens d'y porter remède, mais les propositions qui ont été faites ont été ajournées jusqu'au moment où l'on discuterait la loi sur la comptabilité. » Le moment me semble venu de prendre une mesure qui fasse sortir la Chambre de ces inconvénients qui se repré- sentent annuellement. Je demanderai à M. le Ministre des finances s'il aurait des objections à faire à l'adoption d'une proposition, d'après laquelle les budgets des recettes et des dépenses devraient être présentés six mois au moins avant l'ouverture de l'exercice auquel ils se rapportent. )) En France, le budget est voté près d'un an avant l'ouver- ture de l'exercice. En ce moment, ce n'est pas le budget de 1846 que l'on discute, il est voté depuis près d'une année déjà; aujourd'hui on s'occupe en France du budget de 1847. 1 Gh. des Rfiprés., séance du 26 février 1846. ( 191 ) )) Il y aurait avantage à ce que le budget de 1847 fût pré- senté avant le mois de juillet, et il faudrait que la Chambre fût animée de bien peu de zèle pour ne pas le voter avant le 31 décembre 1846... Au moyen de la disposition que j'indique, si la loi passe cette année, nous aurions l'assurance que le budget de 1847 serait présenté avant la fin de la session. Nous aurions fait cesser ainsi une grande irrégularité, nous aurions mis un terme à ces crédits provisoires que nous sommes obligés de voter d'année en année, comme si nous étions à l'état permanent de révolution. Cet état de choses donne au pays, aux Chambres, au gouvernement une attitude que nous devons avoir à cœur de faire cesser. 11 faut de la stabilité dans l'administration, de la régularité dans les travaux de la Chambre. A moins donc que M. le Ministre des finances ne présente des objections qui me fassent changer d'avis, je déposerai une disposition additionnelle qui serait ainsi conçue : Le budget des recettes et des dépenses sera présenté aux Chambres six mois au moins avant l'ouverture de l'exer- cice auquel il se rapporte. » Plusieurs membres, dont M. Devaux, appuyèrent cet amen- dement. Ce dernier proposa même de substituer le délai de dix mois à celui de six mois, fixé par M. Roger. « Je pense, disait-il, que pour arriver à un état de choses normal, il ne suffit pas que le budget soit présenté au mois de juin. Ce n'est pas pour le voir pendant les vacances que nous le demandons; sans doute, nous aurions le loisir de l'examiner, mais cela ne dispenserait pas de devoir voter des crédits provisoires, car cela ne ferait pas non plus que le Sénat aurait plus de temps de discuter les budgets avant la fin de l'année, quand par hasard nous pouvons le faire. C'est au mois de mars qu'il faudrait que les budgets fussent présentés, pour pouvoir être discutés et votés avant la fin de la session... Je pense donc qu'il faut écrire dans la loi que le budget des dépenses doit, à l'avenir, être pré- senté dix mois avant l'ouverture de l'exercice, sauf disposition transitoire. » ( 192 ) Ce système fut appuyé par le gouvernement et voté défini- tivement par la Chambre le 11 mars 1846, dans les termes de l'alinéa 2 de l'article l^^" de la loi du 15 mai 1846. Toutefois, le but que poursuivait le législateur de 1846, en établissant la règle des dix mois, ne fut pas atteint, et les budgets continuèrent après comme avant à n'être votés qu'après l'ouverture de l'exercice. C'est que si la règle des dix mois était théoriquement de nature à assurer le vote régulier du budget, elle amenait d'autre part dans la pratique des inconvénients sérieux au point de vue de la bonne préparation du budget. Ces inconvénients avaient été signalés déjà, lors de la dis- cussion de la loi sur la comptabilité, par MM. de Mérode et Desmet. M. de Mérode, notamment, disait à la séance du 26 fé- vrier 1846 : « Je ne suis pas favorable aux crédits provisoires, tels que vous êtes obligés de les voter tous les ans. Mais, d'un autre côté, si l'on vote un budget aussi longtemps à l'avance, on ne saura pas quelles dépenses il faudra faire; on votera sans connaissance de cause suffisante. Ainsi, cette année nous avons été obligés de voter un crédit particulier, par suite de la maladie des pommes de terre. Mais cette calamité n'est arrivée qu'à une époque très rapprochée de la présentation du budget de l'année 1846; on n'a pas pu le prévoir; c'est une circonstance tout à fait spéciale ; or, souvent, lorsqu'une année entière s'écoulera entre le vote d'un budget et l'applica- tion de ce budget, il surviendra bien d'autres événements qui dérouteront toutes les prévisions. » Et M. Desmet ajoutait, le jour suivant : « Il voudrait (M. Roger) qu'on présentât les bud- gets dix mois avant l'ouverture de l'exercice; mais alors, comme on ne connaît pas exactement quels pourront être les besoins, on est obligé d'avoir recours ensuite aux crédits sup- plémentaires et complémentaires, c'est-à-dire d'avoir deux budgets ». Les prévisions budgétaires doivent être, en effet, rappro- chées autant que possible de la réalité ou de l'exécution du budget, si l'on veut qu'elles soient sérieuses et justes. (193) Certes, il y a des recettes et des dépenses dont l'évaluation peut être aisément établie longtemps d'avance ; ce sont celles qui se renouvellent uniformément chaque année ou dont les modifications sont peu sensibles ou demeurent constantes. Mais il en est aussi qui varient chaque année et qui ne peuvent être évaluées d'une manière suffisamment exacte dix mois avant l'ouverture de l'exercice. De là, la nécessité de rectifier et d'amender les évaluations du budget primitif. La règle des dix mois aboutissait ainsi presque fatalement à la situation suivante. Le ministre des finances, en quelque sorte par acquit de conscience et par respect pour la légalité, déposait le budget sur le bureau de la Chambre au plus tard à la dernière séance de février. Mais il ne se hâtait pas de faire imprimer et distribuer ses propositions budgétaires. Il modifiait ses premières évalua- tions au fur et à mesure des nouveaux renseignements qui lui parvenaient. Généralement, le budget n'était imprimé qu'en juin ou juillet et distribué aux députés quand ils entraient en vacances. L'examen du budget, déposé pour la forme en février, se trouvait ainsi ajourné à la session nouvelle, qui commence de plein droit le second mardi de novembre. Les ministres présentaient alors une série d'amendements aux propositions de février. C'est ce qu'on appelait le budget amendé. Ces amendements constituaient souvent des changements notables et des innovations apportées aux budgets votés pour les exercices antérieurs et au projet primitif; ils étaient basés sur l'expérience et sur les renseignements recueillis de février à octobre. Dans la pratique, on arrivait donc à corriger les inconvé- nients de la règle des dix mois au point de vue de la prépara- tion du budget, et à rapprocher autant que possible la prévi- ToME LXVL 13 ( 194 ) sion de la réalité, la préparation du budget de son exécution. Mais, par contre, le but poursuivi par la règle des dix mois était manqué et la discussion du budget, commencée dans la seconde quinzaine de novembre seulement, n'était jamais ter- minée pour le 31 décembre. Les crédits provisoires restaient donc indispensables ^. Aussi vit-on à diverses reprises se manifester l'idée de modifier l'article l^"" de la loi de 1846, dont l'utilité paraissait de plus en plus contestable. La section centrale du budget des voies et moyens pour 1879 posa formellement au gouvernement la question de savoir « s'il ne conviendrait pas de modifier l'article l®"" de la loi sur la comptabilité, en tant qu'il ordonne la présentation du budget au moins dix mois avant l'ouverture de l'exercice, et de manière à permettre au gouvernement de présenter en une fois le projet définitif 2 ». Mais, contre toute attente, le ministre des finances de ^ M. de Smet de Naeyer, ministre des finances, exposait très clairement cette situation dans une circulaire adressée à ses collaborateurs, en décembre 1897, lorsqu'il disait : « Au mois de février, le gouvernement ne connaît pas encore les résultats de l'exercice qui vient de finir — puisque aux termes de l'article 2 de la dite loi, les opérations de cet exercice se prolongent jusqu'au 31 octobre suivant — et il n'est pas en mesure d'escompter les résultats de l'exercice commencé. Le gouver- nement ne peut donc s'inspirer de faits constants pour former, avec une suffisante exactitude, les prévisions des receltes et des dépenses. 11 en résulte que les projets de budget déposés au mois de février ne serrent pas d'assez près la réalité des faits, qu'ils revêtent un caractère tout provisoire et doivent invariablement subir dans la suite des remanie- ments importants. » Cet état de choses est la cause principale du retard que subit le vote des divers budgets : la Chambre ne peut, en effet, en aborder utilement l'examen qu'au moment où le gouvernement se trouve en mesure de la saisir de projets définitifs, basés sur les résultats assurés ou probables des deux derniers exercices financiers. De sorte que c'est dans la loi de 1846 elle-même que gît l'obstacle à la réalisation du vœu de ses auteurs. » (Discours du ministre au Sénat, le 24 décembre 1897.) 2 Ch. des Représ., sess. de 1878-1879, Doc. pari., n» 26. ( 495 ) l'époque, M. Graux, répondit que le gouvernement ne se trouvait pas embarrassé de satisfaire à l'obligation qui lui était imposée. « Il est généralement en mesure, disait le ministre, d'évaluer avec assez de précision ses voies et moyens et ses besoins dès le mois de février qui précède l'exercice. )) S'il lui arrive parfois d'avoir à proposer certaines modifi- cations, d'ailleurs peu importantes, à un petit nombre d'articles, ces modifications ne touchent pas à l'économie générale du budget et n'obligent pas au renouvellement d'études déjà faites. La nécessité de modifier, sous ce rapport, la loi sur la comptabilité est donc très discutable ^. » Cependant, quelques années plus tard, après avoir quitté le ministère, M. Graux se chargeait lui-même de réfuter cette affirmation, lorsqu'il déclarait à la Chambre : « Je considère comme véritablement surannée, comme n'ayant plus aucune espèce d'utilité, la prescription légale qui ordonne le dépôt des budgets dix mois avant l'ouverture de l'exercice, à une époque oit il est impossible de prévoir avec quelque précision quels seront les faits et les nécessités de l'exercice prochain 2 ». Partageant cette manière de voir, le ministre des finances actuel, M. de Smet de Naeyer, esquissait devant le Sénat le projet de réforme suivant '^ : « Il y a, selon moi, deux mesures à prendre pour remédier à la situation : c'est d'abord de réduire à dix-huit mois au lieu de vingt-deux la durée des opérations de l'exercice financier, de substituer la date du 30 juin à celle du 31 octobre 4^, de façon que, à l'expiration du premier semestre de la seconde année, on soit fixé sur les résultats de l'exercice ; c'est, en second lieu, de n'obliger le gouvernement à déposer le projet de budget que quatre ou cinq mois avant le commencement de l'exercice... Ma conclusion est que la Chambre devrait se séparer à la fin * Ibidem. 2 Séance du 4 février 1891, Anii. pari., p. 318. 5 Sénat, séance du 24 décembre 1897, Ann. pari, pp. 71-72. * Modification à l'article 2 de la loi de 1846. ( 196 ) d'avril au plus tard. Le budget, préparé avec toute l'attention nécessaire et sur des bases plus certaines, serait déposé en juillet et les sections de la Chambre l'examineraient dans le cours du mois d'août ou de septembre. Les rapports seraient déposés et distribués avant le !«'' novembre et le budget géné- ral pourrait être discuté et voté dans son ensemble avant la fin de décembre, c'est-à-dire avant le commencement de l'exercice. » Dans cet ordre d'idées, vers la même époque, l'honorable ministre des finances adressa à ses collègues des autres dépar- tements ministériels une lettre-circulaire les priant « de faire examiner d'urgence, chacun pour son département respectif, s'il n'y aurait pas d'inconvénient sérieux à clôturer les opéra- tions d'un exercice dès le 30 juin qui suit l'année donnant son nom à cet exercice, et de bien vouloir lui faire connaître les raisons qui, éventuellement, s'opposeraient à ce que certaines catégories de recettes ou de dépenses fussent encaissées ou liquidées avant le 30 juin ». Il faut supposer que. cette consultation n'a pas abouti à des conclusions favorables au projet du ministre des finances. Car, dans le projet de loi déposé par celui-ci au Sénat, en séance du 6 juillet 1900 'i, il n'est plus question de modi- fier l'article 2 de la loi de 1846 et de reporter la clôture de l'exercice du 31 octobre au 30 juin. Le projet demande simplement de modifier comme il suit l'article 1, alinéa 2 de la loi du 15 mai 1846 : Le projet de budget est imprimé et distribué aux membres des Chambres législatives, par les soins du département des finances et des travaux publics, au plus tard le 51 octobre de l'année qui précède l'ouverture de V exercice. C'est dans ces termes qu'il fut voté à l'unanimité par les deux Chambres et devint la loi du 24 juillet 1900, qui règle actuel- lement l'époque de la présentation du budget à la Chambre. L'Exposé des motifs de cette loi attribuait un double avan- 1 Sénat, sess. extraord. de 1900, Doc. pari., n» 3. ( 197 ) tage à la réforme : « Premièrement, la revision des projets étant supprimée, le travail incombant aux divers départements ministériels et particulièrement au département des finances et des travaux publics, serait notablement simplifié. Cette simplification s'étendrait aux écritures et aux travaux d'impres- sion et se traduirait par une économie notable de temps et d'argent. En second lieu, lors de la réunion de la Chambre en session ordinaire, le second mardi de novembre, les projets de budget pourraient être soumis sans aucun retard à l'examen des sections; on gagnerait ainsi tout le temps consacré aujourd'hui à l'impression et à la distribution des projets de budget amendés. » Assurément, le régime inauguré en 1900 améliore la situa- tion du gouvernement dans l'œuvre de la préparation du bud- get et lui épargne la peine de recourir à des subterfuges pour rapprocher ses prévisions de la réalité. D'autre part, malgré le dépôt du budget avant la date extrême du 31 octobre et malgré le temps gagné sur l'impres- sion et la distribution des projets de budget amendés, la Chambre et le Sénat ne disposent, après comme avant, que de six semaines au plus pour étudier, discuter et voter tous les budgets. En fait, on ne voit pas que la loi du 24 juillet 1900 ait hâté en quoi que ce soit le vote des budgets avant l'ouverture de l'exercice. Les budgets continuent à être votés avec de grands retards, les crédits provisoires fleurissent plus que jamais. La question reste donc entière. Nous aurons l'occasion d'y reve- nir dans la suite de cette étude '•. 1 Cf. infra, 2® partie, chap. IX. DEUXIÈME PARTIE LE BUDGET DEVANT LE PARLEMENT SOMMAIRE : Chapitre l. — Le vote annuel du budget. Chapitre IL — Étude préalable du budget par les Chambres. Chapitre III. — La discussion des budgets. Chapitre IV. — Le vote article par article. — La spécialité budgétaire, — Les transferts. Chapitre V. — Uinitiative parlementaire en matière budgétaire. Chapitre VI. — De la modification d'une loi organique par voie budgé- taire. Chapitre VII. — Uinitiative du Sénat en matière de lois de finances. (Article 27, alinéa 2 de la Constitution.) Chapitre VIII. — Du droit pour le gouvernement de retirer devant le Sénat un projet de budget voté par la Chambre. Chapitre IX. — Du retard dans le vote des budgets. — Les crédits provisoires. — Le changement de la date d'ouverture de Vannée financière. Chapitre X. — Du refus du budget. ( 199 ) CHAPITRE I. Le vote annuel du budget. « Chaque année, dit l'article 115 de la Constitution, les Chambres arrêtent la loi des comptes et votent le budget. » L'annualité du budget se trouve ainsi solennellement pro- clamée par notre pacte fondamental. On comprend sans peine que les Constituants, bien que les discussions du Congrès national ne portent pas trace de ces préoccupations, aient tenu à inscrire soigneusement ce principe dans leur œuvre législa- tive, au sortir d'un régime politique qui pratiquait le budget décennal. Nous avons suffisamment caractérisé cette institution ^, pour nous dispenser d'y revenir. Elle aboutissait, en somme, à exiger du Parlement l'aliénation de ses prérogatives et de son droit de contrôle sur les affaires financières, pour une période de dix années. Pendant dix ans, le gouvernement avait les coudées franches et la faculté de gérer les finances à sa guise et sans contrôle. L'article 115 de la Constitution, en imposant au gouverne- ment le devoir de soumettre chaque année son plan financier à l'autorisation des Chambres, consacre donc une garantie sérieuse des droits de la souveraineté nationale 2. 1 Cf. supra, pp. 51 et siiiv. 2 Ce sentiment est resté très ancré dans le Parlement. Au moment de l'élaboration de la dernière revision de la Constitution, on avait émis l'idée, afin d'éviter le retard actuel dans le vote des budgets, de reviser l'article 115 et d'établir le budget biennal. M. Begerem, rapporteur du budget des voies et moyens pour 1892, avait signalé celte solution, sans d'ailleurs la faire sienne. Aussitôt s'élevèrent à la Chambre des protes- tations unanimes. Voir notamment les discours de MM. Woeste, Tack, Houzeau de Lehaie, etc.. (Ch. des Repr., séance du 23 décembre 1891, Ann. pari., pp. 320 et suiv.) ( 200 ) L'annualité du budget se rencontre d'ailleurs dans la plupart des pays, soit qu'elle soit expressément inscrite dans la loi constitutionnelle, soit qu'elle résulte implicitement des règles posées par les codes de comptabilité (France). Par exception cependant, dans quelques petits États alle- mands, le budget est voté pour une période plus longue que l'année. En Hesse, il est triennal, de même que dans les duchés de Saxe-Weimar, Saxe-Meiningen et Saxe-Altenbourg. Il est biennal en Bavière, après avoir été quinquennal autre- fois. A diverses reprises, en 1880, 1882 et 1883, M. de Bis- marck tenta d'imposer le budget biennal au Reichstag alle- mand, dans le but inavoué de s'assurer « un blanc-seing pro- longé, une période de liberté plus étendue ». Il ne réussit pas et le Reichstag conserve le droit de voter annuellement le bud- get de l'Empire ^. 11 arrive aussi que certaines portions de budgets échappent au vote annuel du Parlement. Tel est le cas, pour la Belgique et d'autres pays, de la liste civile. La liste civile est fixée par la loi pour chaque règne 2. Elle est donc établie par une loi spéciale, pour un nombre d'années indéterminé, en dehors de la loi de budget. Chaque année cependant, la dépense figure au budget des dotations, mais le vote du Parlement ne porte ni sur le principe de cette dépense ni sur son taux : il constitue une pure formalité. De même encore peut-on citer, comme une exception au vote annuel, le vote des crédits extraordinaires qui valent pour trois ans. Cette exception est confirmée chaque année par la loi qui fixe le budget extraordinaire. Dans l'organisation budgétaire de l'Empire allemand, le septennat militaire et le sexennat naval peuvent être consi- dérés aussi comme des portions de budgets soustraites à la 1 Stourm, loc. cit., p. 304. 2 Pour la durée du règne de Léopold II, la loi du 25 décembre 1865 a fixé la liste civile à 3,300,000 francs, en vertu de l'article 77 de la Con- stitution. ( 201 ) discussion annuelle — sinon au vote annuel — du Reichstag, bien qu'au fond cependant il ne s'agisse là que d'un pro- gramme de dépenses militaires ou navales à effectuer en plu- sieurs années ^, d'une nature analogue à celle de nos fonds spéciaux. L'exemple classique le plus complet d'une exception impor- tante à la règle de l'annualité, est le fonds consolidé anglais 2. On distingue, en Angleterre, deux catégories de dépenses : 4° les Consolidated fund services : dépenses permanentes, qui échappent à la règle de l'autorisation annuelle; 2« les supply services ou dépenses votées chaque année. De même, on distingue les taxes annuelles et les taxes per- manentes, qui sont « celles dont la perception a été autorisée une fois pour toutes par un Act du Parlement et qui subsistent tant qu'un nouveau statute n'intervient pas pour en modifier l'assiette, le taux ou les conditions de perception 3 ». Les dépenses permanentes et les taxes permanentes consti- tuent le fonds consolidé. D'après la remarque de M. Stourm, « elles ne sont pas juxtaposées en vue de former un budget spécial. Le mot consolidé exprime un caractère attribué à cer- taines dépenses et à certaines recettes, et nullement l'idée d'un budget constitué en recettes et en dépenses corrélatives^ en dehors du budget ordinaire ^ ». L'origine de cette institution remonte très haut dans le moyen âge. Elle se développa concurremment avec les institu- tions parlementaires, au gré des circonstances et des épisodes de la lutte entre la Couronne et le Parlement ». Dans sa physionomie moderne, le fonds consolidé date du 1 Cf. Stourm, toc. cit., pp. 308-309. 2 Id., toc. cit., pp. 365 et suiv. ; Boucard et Jèze, 1, pp. 193 et suiv.; VON Heckel, bas Budget, pp. 53-54. 5 Boucard et Jèze, I, p. 194. ^ Stourm, toc. cit., p. 306. s Cf. Sur Vhistoire du fonds consolidé : Boucard et Jèze, I, pp. 194- 195; VON Heckel, lac. cit., p. 53. ( 202 ) Consolidated Fund Act de 1787 (27 Geo. lll, c. 13). Un acte de 1816 (56 Geo. IIÏ, c. 98) réunit le fonds consolidé pour l'Irlande au fonds anglais. La législation actuellement en vigueur date des Acts de 1854 (17 et 18 Vict., c. 94) et de 1856 (19 et 20 Vict., c. 59) i. Le fonds consolidé comprend aujourd'hui : 1" D'une part, en dépenses : la liste civile, fixée pour la durée du règne, les intérêts de la dette publique, diverses grandes pensions civiles et militaires, la dotation du speaker des communes, les traitements de la haute magistrature, les services diplomatiques, etc.. ; 2° D'autre part, en recettes : les impôts dont la nécessité et l'assiette ne sont pas contestées et qui subsistent tant qu'une loi spéciale n'en modifie pas ou n'en suspend pas la percep- tion. Tels sont notamment : les douanes {customs), Vexcisey les droits de timbre {stamps) et, d'une manière générale, tous les impôts à l'exception de Vincome tax et des droits sur le thé. En résumé, le tiers environ des dépenses et les quatre cinquièmes des recettes sont consolidés et dispensés du vote annuel du Parlement. Les dépenses consolidées ne figurent même pas dans les estimâtes ou dans le budget annuel : elles sont autorisées une fois pour toutes, sans qu'il soit nécessaire de demander chaque année l'autorisation spéciale de la Législature. Et quant aux recettes consolidées, comme leur produit dépasse notablement le service des dépenses consolidées, le Parlement aff'ecte ce surplus au paiement des dépenses qui doivent être votées annuellement. Il s'ensuit que, déduction faite des dépenses consolidées, près de la moitié des dépenses annuelles sont couvertes au moyen des recettes du fonds consolidé, et il ne reste, en définitive, qu'un septième environ du budget des dépenses à payer par des recettes soumises au vote annuel du Parlement 2. * VON Heckel, ibid, 2 Cf. VON Heckel, loc. cit., p. 54. ( 203 ) L'institution du fonds consolidé fonctionne normalement en Angleterre, sans heurt ni inconvénients, et il ne s'élève pas dans ce pays, dont les communes sont si jalouses de leurs prérogatives financières, les récriminations et les protestations que susciteraient ailleurs des restrictions semblables apportées au droit de voter annuellement toutes les recettes et toutes les dépenses de l'État i. Quand on analyse, en effet, la composition du fonds conso- lidé, on y trouve d'abord une série de dépenses d'un caractère permanent et obligatoire, qui s'imposent en quelque sorte nécessairement et dont le refus ne se concevrait guère. Les intérêts de la dette publique ne doivent-ils pas être payés, à moins de déclarer la banqueroute de l'État? Et l'accord intervenu, au début de chaque règne, entre la Couronne et le Parlement, pour la fixation de la liste civile, ne doit-il pas être respecté? Comment refuser ces dépenses qui ne sont que l'exécution de contrats et d'arrangements auxquels on ne peut manquer? Le vote du Parlement, en ce qui les concerne, serait donc de pure forme. Pourquoi, dès lors, les mettre en discussion chaque année? Et de même pour les recettes : aussi longtemps que la nécessité, l'assiette et le taux d'un impôt sont incontestés, il paraît inutile de le soumettre au vote annuel. Si Vincome tax n'est pas consolidé, c'est que cet impôt conserve, dès son origine, un caractère essentiellement provisoire, au moins en théorie. Les autres impôts sont permanents, dans les conditions prévues par leur loi organique, et d'ailleurs ils doivent pour- voir à des dépenses nécessaires et obligatoires. 1 iijid^ _ Aux États-Unis, on distingue également les crédits perma- nents {the permanent appropriation) et les crédits annuels. « Les premiers ne sont pas soumis au vote du Congrès, mais leur montant est placé sous les yeux des Chambres dans la « lettre du secrétaire du Trésor. » (Cf. BoucARD et Jèze, I, pp. 196-197.) ( 204 ) L'introduction du fonds consolidé dans la pratique budgé- taire a été recommandée parfois dans les pays du continent. En France, M. Laffitte avait fait en 1827 une proposition for- melle en ce sens, mais sans succès i. En Belgique aussi on a vanté le fonds consolidé comme un moyen de hâter la discussion et le vote du budget, en évitant au Parlement le soin fastidieux de s'occuper chaque année d'une série de dépenses qu'il lui serait moralement impossible de ne pas autoriser. « Il ne faudrait pas, répondrons-nous avec M. Stourm, exagérer la portée de la réforme, dont l'unique avantage, en somme, consiste à épargner un peu de travail aux députés : le président de la Chambre aurait moins de textes à lire; les représentants auraient moins de votes par assis et levé à émettre. Mais comme il s'agit d'opérations inévitables par leur essence même, sur l'adoption desquelles aucune discussion sérieuse ne s'élève en général, leur élimination du budget ne constituera jamais qu'un allégement matériel sans grande importance -. » A part le peu d'intérêt que présenterait cette réforme, il ne faut pas perdre de vue que la Constitution belge a pris soin de maintenir intacte la règle de l'annualité du budget et d'empê- cher la formation d'un fonds consolidé. Le budget décennal n'était-il pas une espèce de fonds consolidé? Et nos Constituants n'ont-ils pas insisté particulièrement sur le vote annuel du budget, en haine de la pratique imposée par la loi fondamen- tale? L'article 111 de la Constitution 3, en conférant aux impôts un caractère essentiellement temporaire et provisoire, s'oppose formellement à leur incorporation dans un fonds consolidé. * Stourm, loc. cit., p. 307. 2 Ibidem. 5 Article 111 : «Les impôts au profit de l'État sont votés annuellement. » Les lois qui les établissent n'ont de force que pour un an, si elles ne sont renouvelées. » ( 205 ) Et, en ce qui concerne les autres recettes et les dépenses, l'article 115 ne nous paraît pas pouvoir être interprété diffé- remment, puisque, d'après cet article, « toutes les recettes et dépenses de l'Etat doivent être portées au budget » et que, d'autre part (alinéa 1), le budget doit être voté, chaque année, par les Chambres. L'introduction du fonds consolidé dans notre organisation budgétaire se heurterait donc à un obstacle constitutionnel. La règle de l'annualité du budget est absolue et n'admet pas d'exception. CHAPITRE IL Étude préalable du budget par les Chambres. Le budget est soumis dans tous les Parlements à une période d'élaboration et d'étude qui précède sa discussion et son vote en séance publique. Ce travail préparatoire n'est pas organisé, en Belgique, différemment pour l'étude du budget que pour l'étude des autres projets de loi ^. Chacun des quinze projets de budgets est examiné, à la Chambre, par les six sections, qui sont composées et renou- velées chaque mois par la voie du tirage au sort. Chaque section nomme un président, un vice-président et un secrétaire. Après avoir examiné le budget qui lui est sou- mis, elle nomme un rapporteur à la majorité absolue. Les six rapporteurs se réunissent ensuite, sous la présidence du président de la Chambre ou de l'un des vice-présidents, en une section centrale, qui nomme, également à la majorité absolue, un de ses membres pour faire rapport à l'assemblée plénière de la Chambre. Au Sénat, l'organisation est quelque peu différente. 1 Cf. Règlement de la Chambre, chapitre V : Des sections et des com- missions, articles 51 et suiv... Règlement du Sénat, chapitre V : Des commissions, articles 50 et suiv. ( 206 ) Lorsque les budgets sont présentés sous la forme de projets de loi distincts — et c'est la règle, — ils sont renvoyés chacun séparément à l'examen des commissions compétentes formées comme il est dit à l'article oO, alinéas 1, 2, 4 et 5 du règlement de la Haute Assemblée. « A l'ouverture de chaque session et après la formation du bureau, le Sénat se divise en autant de commissions qu'il y a de départements ministériels. » Chaque commission se compose d'un nombre égal de membres; s'il y a un excédent, il est attribué dans l'ordre suivant... » Les membres des commissions sont désignés au scrutin secret par bulletin de liste et à la pluralité relative des suf- frages. » En cas de parité, le plus âgé est nommé. » Chaque commission nomme, pour toute la durée de la session, un président et un vice-président. Elle choisit son rapporteur pour chaque affaire (art. 52). En cas de présentation des budgets sous la forme d'un projet de loi unique contenant le budget général de l'Etat, une commission spéciale est chargée de l'examen de ce projet de loi (art. 50, al. 2). Cette commission est composée alors de deux membres délégués par chacune des commissions ordinaires, nommées, comme nous venons de le dire, pour toute la durée de la session (art. 52, al. 2). Le président du Sénat est président de droit de la commission spéciale du budget (art. 52, al. 3). La commission du budget général de l'État nomme, à la majorité absolue, un ou plusieurs de ses membres pour faire rapport sur l'ensemble et sur les diverses parties de ce budget (art. 52, al. 4). Le règlement de la Chambre (art. 58) prévoit, lui aussi, la composition d'une section centrale unique de vingt et un membres, dans le cas de la présentation des budgets sous forme d'un projet de loi unique ^. 1 Cf. supra, p. 103. ( 207 ) Cette forme de présentation n'a été adoptée qu'une seule fois, pour le budget de 1884. Nous avons longuement discuté la réforme tentée par M. Graux et nous avons fait ressortir les avantages qu'elle paraissait présenter. Nous avons ajouté aussi que, même dans l'hypothèse de projets de budgets distincts, il semblait utile de soumettre l'ensemble de ces projets à l'examen d'une seule section cen- trale ou commission, dont la composition est d'ailleurs prévue par les règlements de la Chambre et du Sénat, mais seulement en cas de budget unique ^. Pourquoi ne pas appliquer la même procédure au cas des projets distincts? Outre les avantages que présenterait une étude d'ensemble du budget, il y aurait quelque chance de confier de la sorte Texamen préalable du projet gouvernemental aux membres du Parlement les plus autorisés et les mieux qualifiés en matière financière. La représentation des minorités serait aussi mieux assurée dans une section plus nombreuse que ne le sont les sections centrales actuelles. Les réunions des sections de la Chambre ou des commis- sions du Sénat ne sont pas publiques. Non seulement le public proprement dit en est naturellement exclu, mais les députés ou sénateurs non-membres ne peuvent y assister, fût-ce en qualité de simples auditeurs. Les ministres seuls sont admis à donner les renseignements qui leur sont demandés. Cette espèce de clandestinité des comités d'étude du budget se rencontre dans tous les pays, sauf en Autriche, « où tous les membres assistent, s'ils le désirent, aux séances du comité des finances 2 » et en Angleterre, dont les communes s'orga- nisent, pour la discussion des budgets, d'une manière toute spéciale, sous la forme de Committees of the wJiole liouse ou Comités de la Chambre entière. « Tous les membres qui possèdent une aptitude, un goût spécial, une compétence particulière pour les questions finan- * Cf. supra, p. 445. 2 Stourm, loc. cit.^ p. 278. ( ^208 ) cières font spontanément partie de ce Comité ^... Pour le constituer un simple jeu de procédure parlementaire, une simple motion suftît, motion ainsi conçue : « que le Président quitte maintenant le fauteuil 2 ». Après avis conforme de la Chambre, le speaker quitte, en effet, le fauteuil, la masse est placée sous la table, et un autre président, désigné par ses collègues, dirige les débats sous le nom de chairman. La séance continue sans autre interruption; seulement, les membres présents sont devenus moins nombreux, la discus- sion revêt un ton moins solennel, plus pratique; chacun s'exprime sans phrases, en homme d'affaires, prenant et repre- nant la parole à plusieurs reprises, ce qui est interdit dans les séances générales. Une fois les conclusions adoptées, le chair- man les résume en un rapport verbal, devant l'assemblée réunie de nouveau sous la présidence du speaker 3. » M. Pirmez avait proposé un jour d'introduire la publicité des travaux des sections centrales d'après le système anglais des comités de la Chambre entière, et une commission avait été nommée pour modifier le règlement de la Chambre en ce sens, A part un beau rapport de l'auteur de la proposition ^S rien n'est resté de cette tentative de réforme, qui échoua devant l'hostilité de la grande majorité de la Chambre. Cependant, en même temps qu'elle assurait à la minorité une représentation très équitable, la proposition Pirmez per- mettait à tous les députés travailleurs et de bonne volonté de procéder à un examen sérieux du plan financier. 1 Ou plutôt de ces Comités, car on distingue le Committee of supply pour les dépenses et le Committee ofways and means pour l'application des recettes aux dépenses. 2 « M. Speaker do now leave the Chair. » 5 Stourm, loc. cit., p. 278. — Cf. aussi : Boucard et Jèze, I, pp. 275 et siiiv.; VON Heckel, Das Budget, pp. 96 et suiv. ; comte de Franqueville, Le Gouvernement et le Parlement britanniques, t. lïl ; Erskine May, Paiiiamenlary Practice; Anson, Laîv and Custom of the Constitution, part I : Parliament. * Ch. des Représ., sess. de 1887-1888, Doc. pari., n^ 148. ( 209 ) En attendant, l'organisation actuelle laisse à désirer sous plus d'un rapport. Comme on l'a très justement remarqué'', « les travaux des sections centrales se ressentent des habitudes itinérantes des représentants. Ces voyages quotidiens abrègent forcément leurs délibérations et prennent aux membres une partie du temps qu'il pourraient consacrer à l'étude person- nelle des propositions. Il arrive trop souvent que chacun se repose sur le rapporteur d'en faire un examen approfondi ». Ce n'est pas, en tout cas, aux sections centrales belges que l'on pourrait adresser les reproches mérités, par exemple, par la commission du budget en France. Cette commission présente les caractères suivants 2 : 1° elle est temporaire, c'est-à-dire annuelle et renouvelée pour chaque budget; 2° elle est composée par la Chambre elle-même : chacun des onze bureaux désigne trois- de ses membres; elle se com- pose donc de trente-trois membres; * L. DupRiEZ, Le gouvernement parlementaire en Belgique. Rapport au Congrès international de droit comparé, Paris, 1900. (Bulletin de la Société de législation comparée, t. XXIX, p. 611.) 2 Cf. BouCARD et Jèze, I. p. 285; Stourm, loc. cit., pp. 27oetsuiv. ; Henri Labbé, De la préparation des lois dans les commissions parlemen- taires (inèse). Paris, Larose, 1901, pp. 77 etsuiv. Aux États-Unis, les comités du budget sont au nombre de deux principaux : le Committee of appropriation, pour les dépenses, et le Committee of Waijs and Means, pour les recettes. Ces comités : 1» sont permanents, nommés pour toute la durée du Congrès (deux ans) ; "2° les comités de la Chambre sont composés par le speaker et non par l'assemblée elle-même, ceux du Sénat sont nommés par le Sénat; 3° enfin, ces comités n'ont pas pour mission de contrôler le travail de l'Exécutif et d'en faire rapport à leur assemblée; ils ont à préparer le tableau des dépenses et le tableau des recettes. Ils ont l'ini- tiative budgétaire. (Boucard et Jèze, I, pp. i281 et suiv...) Le travail proprement dit de l'élude préalable du budget par la Chambre est fait, comme en Angleterre, par le comité de la Chambre entière . Les comités financiers américains sont donc moins des organes d'étude que des organes de préparation du budget. Tome LXVI. 14 ( 210 ) 3° elle a une compétence générale en matière financière et n'est pas seulement et exclusivement chargée de l'examen de la loi des recettes et des dépenses (art. 22 du règlement de la Chambre) ; 4** elle n'a qu'une mission d'étude préparatoire des propo- sitions du gouvernement, elle n'a pas de pouvoir de décision. ce D'une part, elle n'a pas à se substituer au gouvernement; d'autre part, elle n'a point à se substituer à l'assemblée qui l'a nommée. En fait, cette ligne de conduite est difficilement observée. » Et le principal reproche que mérite la commission du bud- get française, c'est sa tendance très accentuée à se mettre en lieu et place du gouvernement et de refaire la préparation du budget, au lieu de se borner à étudier, examiner et critiquer les propositions gouvernementales. M. Léon Say a qualifié très sévèrement cette tendance, lorsqu'il écrivait : « La commission du budget se croit chargée de préparer le budget, comme si elle était le ministre, et comme si les rapporteurs qui composent son Cabinet devaient s'asseoir, chacun pour faire un intérim, pendant le temps de la session, sur les fauteuils appartenant aux ministres réels. Le ministère occulte, quoique fort visible, formé au sein de la commission, prépare donc à nouveau le budget, en se servant ou en ne se servant pas de la préparation administrative, faite sous la direction des ministres nominaux. La commission se croit un gouvernement et les rapporteurs sont ses ministres. Il n.'est que trop vrai de dire que, s'il y a en France une pré- paration du budget, cette préparation est sortie des attribu- tions des ministres, et qu'elle est devenue l'attribution essen- tielle des commissions du budget du Parlement. C'est un mal qui sera sans remède, tant que l'esprit des représentants de la nation ne sera pas guéri de cette maladie qui leur fait con- fondre, toujours, dans toutes les affaires publiques, le contrôle et l'action ^. » 1 LÉON Say, Les Finances. Paris, 1896, pp. 24 et suîv. (Bibliothèque de la Politique et de la Science sociale, sous la direction de MM. Charles Benoist et André Liesse.) (211 ) Les sections centrales belges ne tombent certes pas dans ce travers. Elles ne dépassent pas les limites de leur mission d'étude préalable pour empiéter sur le terrain de la prépara- tion du budget. Au contraire, on peut leur reprocher, d'une manière générale et surtout pour certains budgets importants, de ne pas scruter d'une manière assez approfondie les propo- sitions ministérielles et de se contenter trop facilement de les entériner purement et simplement. Leurs travaux sont généra- lement trop sommaires et trop superficiels. Quoi qu'il en soit, ils aboutissent toujours à la rédaction d'un rapport qui est l'œuvre du rapporteur nommé spéciale- ment à cet effet. Ce rapport contient, outre l'analyse des délibérations des sections et de la section centrale, des conclusions motivées. Il est imprimé et distribué au moins deux jours avant la discus- sion en assemblée générale, sauf les cas où la Chambre en décide autrement {art. 57 du règlement de la Chambre) ^. La valeur de ces rapports est évidemment très relative et dépend de la valeur des rapporteurs eux-mêmes. Ceux-ci se bornent le plus souvent, selon le vœu du règlement, à analy- ser les délibérations, à résumer les opinions échangées et à motiver très sobrement les conclusions. Certains budgets four- nissent, en règle générale, matière à plus de développements. A l'occasion du budget des voies et moyens, par exemple, le rapporteur a l'habitude d'apprécier dans son ensemble la situation financière du pays. Parfois ces limites étroites sont largement dépassées : les rapports s'étendent, se développent, au point de devenir, selon l'expression de M. Woeste 2 « de. véritables traités, de véritables * Article 51 du règlement du Sénat : « Les rapports des commissions contiennent, outre l'analyse des délibérations, des conclusions motivées. Ils sont déposés sur le bureau, imprimés et distribués la veille de la discussion. générale, à moins que le Sénat n'en décide autrement. Le Sénat peut en ordonner la lecture en séance publique. Ch. des Représ., séance du 5 mai 1902. ( 212 ) livres avec table des matières. La Chambre^ ajoutait-il, devrait rentrer dans la tradition parlementaire et n'admettre que des rapports courts et substantiels, reflétant les observations pré- sentées par la section centrale ». D'autre part, M. Renkin disait très justement aussi : a Le devoir des sections centrales et des rapporteurs est d'examiner sérieusement et consciencieusement, suivant leur importance, les budgets qui leur sont soumis... 11 est impossible de borner les rapports au résumé des débats en sections. A raison de notre méthode de travail en sections, aucune idée générale ne s'y fait jour, et si on ne poussait pas plus à fond l'étude du budget, le contrôle parlementaire deviendrait illusoire ^. » Il n'est pas possible assurément de tracer des règles à la rédaction des rapports. Le plus ou moins de développements à leur donner dépendra surtout de l'importance des intérêts en cause et des problèmes à l'ordre du jour. Un rapport peut être a court et substantiel » sans se ravaler pour cela au rang de procès-verbal incolore et impersonnel. Il peut, d'autre part, s'élever à des idées générales, à des vues d'ensemble, sans devenir pour cela prolixe, diffus et volumi- neux. C'est une question de mesure et de juste milieu que la compétence, le talent et le tact du rapporteur tranchera dans chaque cas particulier. CHAPITRE ÏIÏ. La discussion des budgets. Le règlement de la Chambre organise cette discussion, pour les budgets comme pour tous les autres projets ou propositions de loi, de la manière suivante 2 : Article 39 : « La discussion qui suivî^a le rapport de la * Cf. Ch. des Représ., séance du matin du 7 mai 1902. 2 Cf. les articles correspondants du règlement du Sénat : art. 39 et 40. ( 213 ) sectmi centrale ou de la commission est divisée en deux débats : la discussion générale et celle des articles. Article 40 : « La discussion générale portera sur le principe et sur r ensemble de la proposition. Outre la discussion générale et la discussion des articles, la Chambre pourra ordonner une discussion sur V ensemble de chacune des divisions d'une propo- sition. » Article 41 : « La discussion des articles s'ouvrira successive- ment sur chaque article, suivant son ordre, et sur les amen- dements qui s'y rapportent. » La discussion des articles, sauf le cas d'amendement, cas relativement rare en Belgique, s'efface généralement devant la discussion générale. Celle-ci se renouvelle pour chaque projet de loi distinct, dont la réunion constitue le budget. Elle porte fréquemment — en ce qui concerne les principaux budgets — sur la poli- tique générale suivie par le gouvernement ou sur les mesures particulières prises par le ministre en cause, et l'on comprend qu'il en soit ainsi, puisque le budget ne fait en somme que traduire en chitfres l'orientation donnée au gouvernement du pays. La politique financière proprement dite est plus négligée; elle est plus spécialement discutée à propos du budget des voies et moyens, du budget de la dette publique ou du budget extraordinaire, mais il est rare que cette discussion revête en Belgique l'ampleur qu'elle a souvent en d'autres pays. Le fractionnement du budget en une série de projets de loi séparés explique sans doute cette situation et aussi peut-être — à part quelques exceptions — le manque d'hommes spécia- lement versés dans la connaissance développée des questions financières. Parlant du Parlement français, M. Stourm décrit en termes pittoresques la physionomie d'une discussion de budget ^ : (c Trois classes d'orateurs, dit-il, se distinguent toujours dans 1 Stourm, loc.cit., pp. 288-289. ( 214 ) ces grands débats budgétaires. D'abord l'orateur de l'opposi- tion, attaquant sans merci l'ensemble de la politique financière, déclarant que l'on court à la ruine, que l'on dilapide les deniers publics, ou bien inversement, que l'on se complaît dans une inertie fatale, que le char s'embourbe, le tout suivant qu'il siège à l'extrême droite ou à l'extrême gauche ; puis l'orateur modéré, partisan, sans doute, du système gouvernemental et défenseur des lois intangibles, mais croyant de son devoir de ne pas ménager les avertissements; sous ce couvert, il reprend, avec plus d'autorité et quelques correctifs, les critiques de ses prédécesseurs et provoque les applaudissements unanimes des centres; enfin, l'orateur officiel, ministre, commissaire du gouvernement, ou rapporteur général, qui monte au Capitole. » En tous cas, les esprits généralisateurs abordent seuls alors la tribune; les défenseurs des intérêts de clocher, les députés en quête de subventions pour leur arrondissement se réservent pour la discussion des articles. » Cette fine description s'applique sans doute, miitatis mutan- diSf à la plupart des Parlements: elle s'adapte en tout cas au Parlement belge, où l'on voit dans les discussions budgétaires apparaître les mêmes personnages, mais où l'on retrouve sur- tout ce que M. Frère-Orban appelait un jour : le déplié des men- diants. « La manière, disait-il le 16 décembre 1884 i, dont on a coutume de procéder, dans cette Chambre, à la discussion du budget contribue à ce qu'il en soit ainsi (retard considérable dans le vote)... Je veux parler de ces discussions interminables qui ont lieu, en réalité, à côté du budget plutôt que sur le budget lui-même; il en est ainsi surtout à propos du budget du chemin de fer, des budgets de l'intérieur et des travaux publics. Nous assistons alors à ce que l'on a appelé dans un langage qui n'est peut-être pas tout à fait parlementaire, le défilé des mendiants, » Nous entendons des discours qui sont, en réalité, des * Ch. des Représ., sess. de 1884-1885, Ann.parL, p. 252. ( 215 ) adresses aux électeurs, pour ne point dire des réclames élec- torales; leur but est d'indiquer que les membres de la Chambre s'occupent spécialement des intérêts locaux des arrondissements qu'ils représentent. » La situation ne s'est pas améliorée depuis que ces paroles ont été prononcées. Bien au contraire, et il est facile de s'en assurer en ouvrant les Annales parlementaires de ces dernières années. Dans l'étude que nous avons déjà citée, M. Dupriez i expose d'une manière très exacte le mode vicieux des discussions budgétaires actuelles en une page qui peut se passer de com- mentaire. « En Belgique, les discussions sur les budgets sont intermi- nables, c'est là une vieille pratique que les Chambres censi- taires avaient inaugurée et que les Chambres élues par le suffrage universel ont encore développée. A côté de quelques orateurs qui entreprennent la critique de l'administration ou attaquent la politique du gouvernement, on voit se succéder l'innombrable série des députés qui viennent solliciter des travaux ou des faveurs quelconques pour leurs arrondisse- ments. L'accumulation de ces réclames électorales n'a nulle- ment diminué avec le nouveau régime. Les députés ont même pris l'habitude, à propos de chaque budget, de critiquer les lois, de réclamer des projets nouveaux relativement à ce qui de près ou de loin se rattache à la mission du département en cause. » S'agit-il d'un projet qui intéresse une classe nombreuse d'électeurs, comme les agriculteurs, dix ou quinze orateurs se succéderont à la tribune pour réclamer la même réforme. » Le M janvier 1895, M. Begerem, ministre de la justice, constatait que cinquante et un orateurs venaient de prononcer cinquante-huit discours dans la discussion générale du bud- * Le gouvernemeat parlementaire en Belgique. (Bulletin delà Société DE LÉGISLATION COMPARÉE, t. XXIX, 1899-1900, pp. 619-620.) ( 216 ) get, qui n'était pas close ^, et que, s'il voulait accéder aux demandes qui lui étaient adressées il devrait déposer vingt-six projets de loi et augmenter les dépenses annuelles de près de 3 millions et demi. Si le ministre de l'agriculture ou celui des chemins de fer s'étaient livrés au même travail de statistique, ils seraient arrivés à des résultats encore plus étonnants. * Un autre exemple, pris au hasard. En séance du 24^ mai 1901, au début de la discussion du budget de l'agriculture et des beaux-arts, le président croit devoir faire connaître à l'assemblée que 6S orateurs sont déjà inscrits pour cette discussion. Et il y avait alors iÔ2 députés! Il arrive aussi que certains députés distraits, pressés d'écouler leur stock de réclamations et de doléances, les distribuent à tort et à travers, sans s'assurer qu'elles s'adressent vraiment au ministre en cause. Témoin ce dialogue que nous trouvons dans cette même discussion du budget de l'agriculture. (Chambre, 29 mai 1901, Ajiïi. pari., p. 1255.) M. le Président. — M. Giroul, je vous prie d'abréger, voire temps de parole étant expiré. M. Giroul. — Je vais déférer à votre désir, M. le Président... Dans le pays, wallon, il y a beaucoup de routes macadamisées. Quand on les recharge, la circulation devient impossible. Je demanderai au gouver- nement de faire l'acquisition de rouleaux compresseurs à vapeur... Des réclamations doivent être parvenues à M. le Ministre de l'agricul- ture et je lui recommande chaleureusement la pétition qu'il a dû recevoir du Moto-Club. M. le Ministre de V agriculture. — Cela ne me regarde pas; vous vous trompez d'adresse. M. Giroul. — C'est possible, Monsieur le Ministre, mais avec votre amabilité habituelle, j'ai la persuasion que vous transmettrez la récla- mation dont il s'agit à votre collègue que la chose concerne. . . J'appelle maintenant l'attention de l'honorable ministre sur le retard apporté à la construction de divers chemins de fer vicinaux déjà décrétés dans mon arrondissement. . . M. le Ministre. — Cela concerne les chemins de fer! (Hilarité.) M. Giroul. — Enfin, Messieurs, je termine par une demande relative à l'exportation en France de nos eaux minérales et à l'importation des eaux minérales françaises. M. De Bruyn. — Cette question-là est de la compétence du ministre des finances. • M. Giroul. — Je signale donc au gouvernement, puisqu'il parait que ce n'est pas le ministre de l'agriculture qui est compétent, cette situation... ( 217 ) » Le mal est devenu si grave que la Chambre a dû prendre des mesures pour y parer; en 1899, elle a ajouté une disposi- tion nouvelle à son règlement, aux termes de laquelle, pendant la discussion des budgets, les séances s'ouvrent à 1 heure et se prolongent jusque 6 heures; mais, comme il convient de ne point troubler les députés dans leurs habitudes de voyage, aucun vote ne peut avoir lieu avant 2 heures, ni après 5 heures. Aussi, l'orateur qui parle durant la première ou la dernière heure n'a généralement pour auditeurs que le président, le secrétaire, le ministre intéressé et deux ou trois collègues qui attendent leur tour de parole. Qu'importe d'ailleurs? Les dis- cours sont faits pour l'électeur, ils sont imprimés aux Annales et les journaux en donnent le compte rendu : ils ont atteint leur but. Pour gagner du temps et éviter la multiplication des discours inutiles, la Chambre a même pris un singulier expé- dient : elle décidait de joindre à la discussion de tel ou tel budget, la délibération sur un projet de loi réclamé avec insistance par un groupe parlementaire. » Non seulement les discussions du budget sont intermi- nables et remplies de hors-d'œuvre, quand elles ont lieu, mais il arrive par contre, en ces derniers temps surtout — la Chambre ayant mis la même prolixité dans l'expédition ries autres affaires qui l'occupent, — que ces discussions sont étranglées, en fin de session, ou même supprimées complète- ment. « Il est d'ailleurs arrivé à plusieurs reprises, dans ces der- nières années, continue M. Dupriez i, que la Chambre s'est trouvée dans la nécessité absolue d'abréger ses délibérations sur une partie des budgets. Elle était arrivée aux dernières limites de la session et plusieurs budgets restaient à discuter. L'assemblée commençait par limiter à trente, à quinze, à dix minutes même, le temps laissé à chaque orateur. Cela ne suffisait pas encore; les orateurs se multipliaient au furet à mesure qu'on écourtait les discours. Finalement, il fallait voter sans aucune discussion l'un ou l'autre budget : c'est ce 1 Loc. cit., p. 620. ( 218 ) qui est arrivé notamment pour les deux premiers budgets du nouveau ministère de l'industrie et du travail. En 1895, le gouvernement s'était mis d'accord avec les chefs de l'opposi- tion pour faire mettre à l'ordre du jour chaque budget pour l'exercice 1896, immédiatement après le projet correspondant pour 1895; le second projet était naturellement voté sans aucun débat. L'expédient ne fut toutefois appliqué alors qu'aux budgets de trois départements, et, depuis cette époque, il ne fut plus question de le renouveler. » En 1902, la Chambre a voté sans discussion les trois der- niers jours de la session (5, 6, 7 mai), outre divers projets de loi rattachés, sept budgets importants, parmi lesquels celui des chemins de fer, dont la gestion financière venait de subir de très sérieuses critiques en section centrale, et le budget extra- ordinaire, dont les crédits s'élevaient à plus de 140 millions. La session devant se clôturer le mercredi 7 mai, à cause des élections du 25, M. le Ministre des finances et des travaux publics fit à la Chambre, le 5 mai, la motion suivante : « Il est évident que la Chambre ne peut prétendre discuter les budgets comme il convient, d'ici à mercredi soir. Je propose donc de les voter sans discussion, étant entendu que les observations consignées dans les divers rapports feraient de plein droit l'objet de la discussion des budgets de 1903, en novembre prochain. » Cette proposition fut acceptée par la Chambre, après que les leaders des divers partis eussent naturellement décliné toute responsabilité dans cet état de choses anormal. La discussion du budget au Parlement belge peut actuelle- ment, en définitive, être caractérisée de la manière suivante : Ou bien la Chambre ne discute que superficiellement ou pas du tout : elle s'est attardée à d'autres discussions souvent oiseuses et se trouve empêchée, en fin de session, de donner tous ses soins à l'élaboration du budget ^, qui constitue * Le dépôt tardif du budget par le gouvernement en est parfois cause aussi. C'est le cas en particulier pour le budget extraordinaire. (Cf. supra, p. 148.) ( 219 ) cependant l'œuvre capitale du Parlement en tous pays. Celle situation se présente surtout les années de renouvellement partiel des Chambres, soit tous les deux ans. Ou bien la Chambre discute à perte de vue, sans mesure et plutôt, comme le disait Frère-Orban, à côté du budget que sur le budget. Cela se passe généralement les années où il n'y a pas d'élection. La Chambre peut alors étendre démesurément la session et les députés en* profilent pour donner libre cours à ce que Ton est convenu d'appeler « l'éloquence parlemen- taire ». Ces années-là , les derniers budgets ne sont votés qu'en juillet, en août ou môme en septembre. Quant au Sénat, il est très empêché dans les deux hypo- thèses de remplir sa mission et les discussions du budget y sont fatalement très écourtées. H serait hardi de prétendre que ces mœurs contribuent à relever le prestige, trop ébranlé déjà, du régime parlemen- taire. Nous n'avons pas à rechercher ici les causes profondes ou prochaines de cette situation. Une chose est certaine, c'est que personne ne peut s'en déclarer satisfait. Il faut donc modiher ces pratiques vicieuses et il n'y a de remède que dans le Parlement lui-même. Il est le maître de ses destinées, c'est à lui de régler l'ordre de ses travaux, c'est à lui aussi de s'imposer la discipline indispensable à sa dignité et à son bon renom. On a indiqué diverses réformes possibles. On a proposé notamment, alin de diminuer l'atîlux des orateurs, qui trop souvent se répètent les uns les autres, d'introduire une cou- tume déjà usitée dans certains Parlements, et en particulier au Reichstag allemand, et de confier à des porte-paroles désignés par chaque parti le soin de mener la discussion au point de vue des idées, des aspirations et du programme du parti qu'Us représentent. ^ De même, si l'on ne veut pas traiter exclusivement dans les cabinets des ministres l'innombrable série des petites réclama- tions d'intérêt local, pourquoi ne pas en confier l'exposé au Parlement à un seul délégué de groupe ou d'arrondissement ( 220 ) qui centraliserait toutes les demandes et- doléances de ses collègues? Il faudrait pour cela que chaque parti représenté au Parle- ment s'imposât une discipline salutaire et l'entente des partis sur ce point amènerait facilement les modifications nécessaires dans le règlement de la Chambre. Mais n'est-ce pas augurer trop favorablement de l'abnéga- tion des mandataires de la nation et leur demander un sacri- fice peut-être au-dessus de leurs forces? Si cependant semblable procédure pervenait à triompher, non seulement dans l'élaboration du budget, mais dans toutes les discussions législatives, ne produirait-elle pas un soulage- ment favorable au fonctionnement plus régulier et plus nor- mal du travail parlementaire, sans diminuer en rien le contrôle nécessaire et légitime du Pouvoir législatif? CHAPITRE IV. Le vote article par article. — La spécialité budgé- taire. — Les transferts. Chaque budget, nous l'avons dit, est divisé en un certain nombre de chapitres et subdivisé en un nombre variable d'articles, dont chacun comprend des dépenses d'une même nature et relatives à un même service. Il est interdit de con- fondre dans un même article les dépenses du personnel et les dépenses du matériel {arr. royal du 19 février 1848, art. 4). Lorsque la discussion générale du budget est close, chacun des articles est successivement mis en discussion par le prési- dent et fait l'objet d'un vote spécial de la Chambre. L'article 41 de la Constitution ^ prescrit formellement cette * Article 41 : « Un projet de loi ne peut ôtre adopté par l'une des Chambres qu'après avoir été voté article par article. » Le mot « article » n'a pas rigoureusement la même signification dans un budget que dans un projet de loi ordinaire. Mais, pratiquement, les articles successifs d'un budget sont discutés et votés comme les articles successifs d'un projet de loi quelconque . ( 221 ) procédure pour toutes les lois sans distinction, donc aussi pour les lois budgétaires. La Chambre peut ainsi exercer le droit d'amendement qui lui est expressément reconnu par l'article 42 ^. Par cette procédure aussi, la spécialité budgétaire est assurée, puisque chaque article du budget ne concerne qu'un groupe de recettes ou de dépenses d'une nature déterminée, et qu'il est interdit aux exécuteurs du budget d'opérer des transferts, c'est- à-dire de faire servir à une dépense les sommes votées pour une autre dépense. « Chaque chapitre 2, dit M. Stourm, sanc- 1 « Les Chambres ont le droit d'amender et de diviser les articles et les amendements proposés. » 2 En France, les lois de comptabilité ont organisé la spécialité par chapitre, tandis que la Belgique possède la spécialité par article. Mais il n'y a là qu'une différence de terminologie et on n'en peut conclure que la spécialité soit plus étendue chez nous que chez nos voisins. Le budget français de 1900 contenait 1087 chapitres, soumis chacun à un vote spécial des Chambres. (Stourm, loc. cit., p. 298.) Le budget belge de 1902 comprenait 763 articles, répartis comme il suit : Budget de la dette publique 40 articles. — des dotations 10 — — de la justice 63 — — des affaires étrangères 23 — — de l'intérieur et de l'instruction publique. 121 — — de l'agriculture 73 — — de l'industrie et du travail . 42 — — des chemins de fer 58 — — de la guerre 44 — — de la gendarmerie 3 — — des finances 61 — — des non-valeurs 11 — — des recettes et dépenses pour ordre . . . 120 — 669 articles. Budget extraordinaire 33 — — des voies et moyens 61 — 763 articles. ( 222 ) tionné individuellement par un vote particulier, devient une personnalité pourvue d'une dotation distincte, dont le Pou- voir exécutif devra strictement respecter les limites » {loc. cit.. p. 49). La Cour des comptes est spécialement chargée par l'ar- ticle 116, alinéa 2 de la Constitution, de veiller à ce que la spécialité budgétaire soit respectée par le Pouvoir exécutif, elle en contrôle la stricte application. Sous le régime hollandais, la spécialité budgétaire, nous l'avons dit ^, n'existait que pour la forme, malgré l'article 127 de la loi fondamentale qui prescrivait la spécialité par minis- tères et interdisait d'opérer des transferts de l'un à l'autre, sans le concours des États-Généraux. Mais le règlement de la seconde Chambre des Etats-Généraux obligeait les députés à voter ou à rejeter le budget en bloc et n'admettait ni vote par articles ni amendement. Le système de la spécialité par articles, consacré par notre Constitution, met au contraire les Chambres belges en pleine possession du contrôle parlementaire. Car il ne suffit pas à un Parlement d'avoir le droit de voter l'impôt, il ne lui suffit pas d'avoir le droit de voter la dépense, il doit aussi pouvoir s'assurer que les crédits qu'il a votés ne sont pas détournés de l'objet auquel ce vote les avait spécialement destinés. En votant les budgets article par article, nos Chambres déterminent cet objet pour chaque cas particulier, et lorsque le budget sera en voie d'exécution, elles pourront, grâce au contrôle journalier de la Cour des comptes, suivre chaque dépense et veiller à ce que son imputation soit régulière et conforme au vote émis. Le transfert des crédits d'un article du budget à un autre article est donc interdit aux ministres. En pratique, il peut cependant se présenter des cas où les crédits affectés à telle dépense par tel article du budget soient 1 Cf. sitpra, pp. 49, 50, 63, 64, 84. ( 223 ) supérieurs aux besoins, tandis que les crédits affectés à une autre dépense par un autre article ne suffisent pas au service en question. Le ministre intéressé ne pourra-t-il donc pas imputer ce qui manque à ce dernier sur le surplus du premier article? De sa propre autorité, non. Avec l'assentiment du Parlement, oui. C'est pourquoi, chaque année, en même temps qu'il solli- cite les crédits supplémentaires nécessaires, le gouvernement demande aux Chambres l'autorisation d'opérer certains trans- ferts. Les crédits supplémentaires, les transferts et les régularisa- tions font généralement l'objet d'un seul et même projet de loi. Dans le dernier projet de loi déposé sur cet objet ^ , l'article l*' concerne les crédits supplémentaires et l'article 2 les trans- ferts. Article 2 : « Sont autorisés, à concurrence d'une somme de fr. 696,255 90, les transferts à des budgets de r exercice 1901 détaillés au tableau B annexé à la présente loi et répartis par budget ainsi qu'il suit : Pour le budget de la justice fr. 476,100 » — de l'intérieur et de l'instruction publique. . 24,29160 — de l'industrie et du travail . 3,000 » — des chemins de fer, postes et télégraphes. . 87,560 » — de la guerre 105,283 30 fr. 696,234 90 Le tableau B indique pour chacun des budgets intéressés et * Projet de loi allouant des crédits supplémentaires et autorisant des transferts et des régularisations à des budgets de l'exercice 1901. (Ch. des •Représ., séance du 9 avril 1902, Doc. pari., n» 110.) ( 224 ) par article « le montant des transferts dont. les crédits budgé- taires doivent être diminués ou augmentés i ». On voit, par l'exemple que nous donnons en note, que le total des augmentations autorisées sur certains articles d'un budget est compensé exactement par le total des diminutions opérées sur d'autres articles, et il doit toujours en être ainsi. Les transferts consistent simplement en des mutations de crédits entre articles d'un même budget, dans les limites des crédits accordés pour ce budget. Ils n'aboutissent jamais à des * Par exemple pour le budget de la justice : MONTANT DES TRANSFEHTS DONT LES CRÉDITS BUDGÉTAIRES DOIVENT ÊTRE DIMINUÉS. AUGMENTÉS. Articles du budget. Sommes. Articles du budget. Sommes. ç> 4,200 3 4,000 6 3,000 4 3,800 8 30,n00 5 1,300 40 43,000 9 3,300 21 61,000 12 1,200 23 6O,C00 14 500 32 87,000 22 7,500 38 10,000 41 175,000 46 6.(0i) 43 500 m 21,100 45 80,500 60 S0,300 49 13,750 63 400,000 50 3,250 54 4,700 52 21,900 54 2,200 58 4,700 59 700 61 450,300 Total. . . 476,100 Total. . . 476,100 { 225 ) augmentations de crédits. Celles-ci sont l'objet des crédits additionnels, supplémentaires ou complémentaires. Les augmentations demandées pour certains articles des budgets aux dépens d'autres articles sont d'ailleurs justitiées pour chaque article par la note annexée au projet de loi. Quant aux régularisations qui font l'objet des articles 3 à 6 du projet, elles sont relatives à des créances dûment établies, afférentes aux exercices 1900 et antérieurs, qui n'ont pu être liquidées en temps opportun par buite de circonstances excep- tionnelles, et que la situation des crédits permet de liquider sur les budgets de 1901. Ces créances dûment établies, mais non liquidées et affé- rentes à des exercices clos, sont rattachées à des articles déter- minés des budgets de 1901 des ministères intéressés, articles dont les crédits ne sont pas épuisés. Par exemple, le ministre de l'intérieur et de l'instruction publique est autorisé (art. 4) à imputer sur le budget de son département pour 1901 : à charge de l'article 3 (fournitures de bureau, etc.), deux créances se rapportant à l'exercice 1900, l'une d'une somme de 45 francs due à un fournisseur, l'autre d'une somme de fr. 6 70 restant due à l'administration des chemins de fer pour transports effectués pour compte du département. CHAPITRE V. L'initiative parlementaire en matière budgétaire. On entend par initiative, en matière législative, le droit pour chacun des organes du Pouvoir législatif de faire une proposition de loi ou de déposer un amendement à une pro- position déjà faite. Le droit d'amendement est un corollaire du droit d'exercer l'initiative en ordre principal, en faisant Tome LXVI. ^5 ( 226 j une proposition de loi. 11 constitue, selon l'expression d'un auteur, « une initiative incidente ^ ». D'après l'article 26 de la Constitution, le Pouvoir législatif s'exerce collectivement par le Roi , la Chambre des repré- sentants et le Sénat, et l'initiative, aux termes de l'article 27, alinéa 1®% appartient à chacune de ces trois branches du Pou- voir législatif. L'initiative est gouvernementale ou parlementaire, selon qu'elle s'exerce par le Roi ou par les membres de l'une des deux Chambres. Ces deux espèces d'initiative sont consacrées au même titre par la Constitution. Le gouvernement et les Chambres peuvent l'exercer en toute matière législative, sans distinction : donc aussi en matière financière et budgétaire, sauf l'exception inscrite à l'article 27, alinéa 2, et relative au Sénat, dont nous nous occuperons plus loin. Le droit d'initiative des membres de la Chambre des repré- sentants en matière budgétaire comme en toute autre est donc formellement proclamé par la Constitution belge et ne subit aucune restriction. La plupart des constitutions étran- gères adoptent le même principe. Cependant les abus de l'exercice de ce droit par les membres du Parlement ont fait naître , spécialement en France, des doutes sur l'utilité et même sur la légitimité de l'intervention des députés dans la fixation des recettes et des dépenses de l'État 2. * Le droit d'amendement est expressément garanti par l'article 42 de la Constitution : « Les Chambres ont le droit d'amender et de diviser les articles et les amendements proposés ». Il est organisé par les articles 42 à 45 du Règlement de la Chambre et par les articles 42 à 44 du Règlement du Sénat. '2 Cf. à ce sujet : Louis Michon, Uinitialive parlementaire et la réforme du travail législatif. Paris, Chevalier-Marescq, 1898 ; Idem, L'initiative parlementaire en matière financière. (Revue du droit public et de la SCIENCE politique, septembre-octobrc 1898); Emile Larcher, L'initiative parlementaire en France. (Étude de droit constitutionnel, Prix Rossi, 1895). Paris, A. Rousseau, 1896. ( 227 ) Cette intervention ne s'exerce pas par voie d'initiative prin- cipale. Il n'appartient pas au Parlement ni à aucun de ses membres de proposer la loi budgétaire. Il est naturel et néces- saire que la préparation du budget et par conséquent sa pré sentation aux Chambres, émane exclusivement du Pouvoir exécutif. C'est donc par voie d'amendement aux propositions du gou- vernement que peut seule s'exercer l'initiative parlementaire en matière budgétaire. Or, l'expérience montre que les amendements le plus fréquemment introduits par les députés tendent surtout à l'augmentation des dépenses et à la réduction des impôts. En exerçant de la sorte leur droit d'initiative, les députés sacrifient trop facilement l'intérêt général à certains intérêts particuliers, qui sont le plus souvent des intérêts électo- raux. Demander sans discernement d'une part des augmentations de dépenses et de l'autre des réductions de recettes, c'est vou- loir imposer au gouvernement la solution de la quadrature du cercle. On comprend que celui-ci regimbe. Beaucoup de ces amendements ne trouvent d'ailleurs pas un appui suftisant au sein du Parlement, mais un trop grand nombre parvient encore à s'infiltrer dans les lois budgétaires, surtout à l'approche des échéances électorales. Là est l'abus de l'initiative parlementaire, qui aboutit, en certains pays, à un accroissement inquiétant des charges publiques et à une perturbation chronique de l'équilibre budgétaire. En multipliant ces amendements tendant à l'augmentation des dépenses, le Parlement sort de son rôle traditionnel et historique, qui est d'être essentiellement, en matière budgé- taire, un organe de contrôle de l'administration des deniers publics, et de mettre un frem aux dépenses et par conséquent aux charges qui grèvent les contribuables. M. de Smet de Naeyer, avec beaucoup d'à-propos, rappelait ( 228 ) récemment à la Chambre ^ ces vrais principes du régime parlementaire : « Messieurs, disait-il, puisque j'ai la parole, permettez-moi d'exprimer l'opinion que la Chambre semble faire bon marché des véritables traditions du régime parle- mentaire. » A l'origine, dans tous les pays constitutionnels, on consi- dérait l'intervention du Parlement en matière de dépenses publiques comme ayant pour but principal de contrôler la gestion financière du gouvernement, notamment d'empêcher celui-ci de faire des dépenses excédant les facultés des contri- buables. » De nos jours, au contraire, il semble qu'au droit de con- trôle, on veuille substituer le droit d'imposer des dépenses exagérées. » Je ne crains pas de le proclamer, nous avons tout fait, et non sans succès, pour consolider de plus en plus les finances du pays. Que si maintenant le Parlement lui-même entre dans une voie qui conduit au résultat contraire, c'est lui qui portera la responsabilité devant le pays. » M. Cavrot. — La caisse est vide! » M, le Ministre des finances. — Ce qui est vrai, c'est que vous vous ingéniez de toute façon à la vider! w Un publiciste distingué, M. Ed. Van der Smissen, profes- seur à l'Université de Liège, écrivait dans le même sens 2 : « Nous disons que proposer des dépenses nouvelles est un usage contraire non seulement à la fonction historique des parlements, mais aux principes rationnels du droit public moderne. )) Cette thèse pourra paraître singulière à première vue, car nous voyons le vote des budgets — qu'il s'agisse du budget des voies et moyens ou des budgets des dépenses — affecter la forme de la loi, être l'une des opérations normales du Pouvoir * 5 juin 1901. Ann. pari., p. 1329. 2 La séparation des pouvoirs et les budgets. (Moniteur des intérêts MATÉRIELS, 20 août 1899.) I ( 229 ) législatif. Dès lors, le droit d'initiative et d'amendement qui appartient, d'une manière générale, en matière de lois, ù chacun des membres du Parlement, semble pouvoir s'exercer en matière de finances, » Mais qu'est-ce que la fonction législative? » Elle consiste à donner à la nation ces directions générales qui doivent garantir la liberté des citoyens et la bonne admi- nistration de l'Etat. Elle ne s'étend pas rationnellement au delà. » Au delà, c'est l'exécutif qui entre en scène. C'est lui qui exécute les lois, c'est-à-dire qui pourvoit à leur mise en œuvre, notamment par l'organisation des pouvoirs publics. Cette organisation comporte normalement la fixation des dépenses d'administration et le recours aux voies et moyens d'y pourvoir, par la levée d'impôts ou autrement. » Sans doute, cette séparation exacte des deux fonctions n'est pas réalisée en tous points dans notre droit positif, comme on vient de le voir. En effet, la préoccupation constante du Congrès, à qui nous devons la Constitution belge, a été — par réaction contre les abus du régime de réunion aux Pays-Bas — de maintenir le Pouvoir exécutif dans une sphère d'action étroitement limitée. On retrouve des traces de ce souci dans le titre des finances : la Constitution veut que le Parle- ment approuve les recettes et aussi les dépenses, parce que ce sont choses corrélatives. Elle veut même que le vote relatif à cet objet soit annuel, pour assurer le contrôle permanent qui doit garantir une gestion économe. » Le rôle du Parlement, l'approbation des recettes et des dépenses, apparaît nettement, d'après ce qui précède, comme une mesure de contrôle. Le Parlement sort de ce rôle quand ses membres invitent l'exécutif à faire certaines dépenses, quand il va jusqu'à les lui imposer... Le Parlement accomplit sa fonction essentielle lorsqu'il donne des lois au peuple. Lorsqu'il approuve les initiatives financières de l'exécutif, il est l'organe de l'assentiment du peuple à l'impôt, en même temps qu'un frein aux dépenses. ( 230 ) » Ce rôle est méconnu par la pratique qui s'introduit. » Notre critique est tout à fait indépendante de la nature des dépenses dont le Parlement prendrait l'initiative. Si utile que telle ou telle de ces dépenses puisse être, le vrai moyen de déterminer le gouvernement à la faire est différent. Il faut ou bien recourir à la voie de l'interpellation, ou bien proposer une loi organique. Il ne faut pas ajouter un centime de dépenses aux budgets. » Qu'on y songe bien. 11 s'agit d'une question de principe. Le maintien de l'équilibre budgétaire et, par contre coup, le crédit même du pays sont ici en jeu. » C'est en s'inspirant de ces idées et pour mettre fin aux abus constatés que certaines constitutions européennes ont expres- sément restreint, par des textes formels, l'initiative parlemen- taire en matière financière. En Grèce, bien que l'initiative appartienne au Roi et à la Chambre, l'article 24 de la Constitution du 16-28 novembre 1864 déclare cependant : « Aucune disposition relative à l'augmentation des dépenses publiques, pour l'établissement de traitements ou de pensions, ou en général pour un intérêt personnel, ne peut émaner de l'initiative de la Chambre i ». L'initiative de la Chambre grecque subsiste donc en matière de recettes, elle subsiste aussi en matière de dépenses relatives au matériel, elle n'est restreinte que pour les dépenses concer- nant le personnel. La Constitution du royaume de Wurtemberg va beaucoup plus loin : elle interdit aux Chambres toute initiative en ma- tière financière, aussi bien pour les recettes que pour les dépenses. L'article 172, § l®»" de la Charte du 25 septembre 1819, modifié en ce sens par la loi constitutionnelle du 23 juin 1874, porte en effet : « Les projets de loi relatifs à la création d'un impôt, à l'adoption d'un emprunt, à la fixation du budget ou * Dareste, Les constitutions modernes, 2^ édit., 1891, t. II, p. 283. — Cf. MiCHON, loc. cit., p. 286. ( 231 ) à des dépenses non prévues au budget ne peuvent émaner que de l'initiative du Roi seul. Aucun article de dépenses ne peut être élevé au delà de l'évaluation faite par le gouverne- ment I. » Dans d'autres pays, bien que la Constitution ne renseigne en aucune façon Tinitiative financière du Parlement, celui-ci s'est imposé à lui-même une discipline plus ou moins sévère. L'exemple le plus connu est celui de la Chambre des Com- munes du Royaume-Uni. Voici, d'après un passage de Sir Erskine May (Parliamentary practice'^), la pratique suivie par le Parlement anglais. La Couronne, agissant selon l'avis de ses ministres respon- sables, est le Pouvoir exécutif; elle est chargée du maniement de tous les revenus de l'État, et de tous les payements pour le service public. Par conséquent la Couronne, avant tout, fait connaître à la Chambre des Communes ses besoins pécuniaires et la Chambre vote les aides et subsides propres à satisfaire à ces demandes. Ainsi la Couronne demande de rargent, la Chambre des Communes l'accorde, et les Lords y donnent leur consentement. Mais la Chambre des Communes ne vote pas de crédits s'ils ne sont pas demandés par la Couronne ; elle n'impose et n'aug- mente de contributions qu'à moins qu'elles ne soient néces- saires pour faire face aux dépenses qu'elle a autorisées ou qu'elle est sur le point d'accorder, ou pour combler un déficit dans les recettes. Le principe consistant à attendre la demande de la Couronne pour voter les dépenses publiques n'est pas limité aux besoins annuels. Selon un Standing order du 20 mars 1866 : « La Chambre des Communes ne recevra aucune demande d'argent 1 Dareste, loc, cit., t, I, p. 277. — Cf. Michon, loc. cit., p. 287. 2 Nous citons la traduction qu'en a faite M. F.-C. Dreyfus dans son livre sur les Budgets de l'Europe et des États-Unis (correspondance du Cobden-Club). Paris, Marpon et Flammarion, 4882, pp. 124 et suiv. ( 232 ) ayant rapport an service public et n'acceptera aucune proposition concernant un subside ou une charge sur le revenu public, payable soit sur le fonds consolidé ou sur des sommes fournies par le Parlement^ si elles ne sont pas faites par la Couronne. « L'usage conforme de la Chambre des Communes a étendu celte règle à toute proposition qui, n'aboutissant même pas directe- ment à un subside ou à une charge sur le revenu public, implique néanmoins une dépense du Trésor. Ce principe a été si strictement observé, que la Chambre a même refusé de recevoir un rapport d'une commission spéciale qui proposa une avance d'argent, parce que la Couronne ne l'avait pas recommandée. A propos de cette règle, qui consiste à imposer des restric- tions aux demandes d'argent et à modérer la libéralité du Parlement, il existe un règlement du 25 mars 1715, dont voici la teneur : « La Chambre des Communes ne recevra aucune demande pour entrer en composition, pour aucune somme due à la Couronne, dans une branche quelconque du revenu, sans un certificat du fonctionnaire ou des fonctionnaires à ce destinés, annexé à la dite demande; ce certificat constatant le montant de la dette, les poursuites qui ont été faites pour son recou- vrement, et en exposant combien le pétitionnaire et ses garants sont en mesure de payer ». Outre la nécessité d'une recommandation de la Couronne, préliminaire à toute votation d'argent, la Chambre a mis un autre obstacle aux votes hâtifs et inconsidérés qui impliquent des dépenses du trésor public. Un Standing order du 20 mars 1866 dit : « Si une proposition quelconque est faite dans la Chambre des Communes pour obtenir des aides ou subsides, ou pour établir des charges sur le revenu public, payables soit sur les fonds consolidés, soit sur les sommes à voter par le Parle- ment, toute motion ayant pour effet d'imposer le peuple ne sera pas prise en considération ni discutée immédiatement; ( 233 ) mais elle sera ajournée jusqu'au jour que la Chambre jugera convenable de fixer, et alors elle sera renvoyée à un comité de toute la Chambre avant d'en délibérer ou de la voter. » Une règle semblable fut érigée en standing orcler le 29 mars 1707 : « La Chambre des Communes ne prendra en délibération aucune pétition, proposition ou bill pour accorder de l'argent ou pour faire remise d'une somme d'argent due à la Couronne, ou pour entrer en composition avec lui, excepté dans le comité de toute la Chambre ». Cet ordre fut renouvelé le 17 avril 1707, le 7 février 1708 et le 20 novembre 1710, et il a été constamment observé par la Chambre. Il résulte de tout ceci que les Communes anglaises, le proto- type de toutes les assemblées parlementaires et la plus puis- sante de toutes, n'ont pas cru déroger à leurs prérogatives en laissant à la Couronne seule le droit de prendre l'initiative en matière de dépenses publiques. « Ainsi, remarque M. Stourm, la Chambre des Communes qui peut tout, ne peut cependant pas, parce qu'elle ne le veut pas, proposer d'augmentation de dépenses ni de réduction de recettes. L'initiative du cabinet ministériel anglais, en tant que préparateur du budget, demeure dès lors entière. Le rôle du gouvernement consiste à proposer, celui du parlement à accorder, selon la formule d'un premier lord de la tréso- rerie. Sans l'assentiment du Parlement, le pouvoir exécutif ne lève aucun impôt, n'effectue aucune dépense. Mais, inverse- ment, sans une proposition du cabinet, le Parlement anglais ne vote aucune augmentation de dépenses, aucune diminution de recettes ^ . » Cependant, de nombreux indices attestent que l'autorité de cette règle faiblit; son principe reçoit de sérieuses atteintes par des moyens détournés; elle ne constitue,. depuis plusieurs * Stourm, loc. cit.. p. 55. ( 234 ) années, qu'une digue affaiblie contre le .flot montant des dépenses publiques ^, Aussi M. Stourm peut-il conclure 2 : « La contrainte que s'imposait la Chambre des Communes a donc été efficace, tant que l'opinion publique a condamné le gouvernement à l'éco- nomie et qu'elle a tenu en respect « ces larrons cachés dans les broussailles parlementaires », dont parlait Gladstone. Aujourd'hui qu'une fièvre d'armement et d'impérialisme s'empare du pays, les freins deviennent impuissants. Mais on doit espérer que la crise passera ». En France aussi, vu les termes généraux de la loi constitu- tionnelle du 25 février 1875 3, l'initiative appartient de la manière la plus large aux membres des deux Chambres, en toutes matières législatives sans distinction; elle peut s'appli- quer notamment à toutes les lois de finances, sauf, en ce qui concerne le Sénat, la restriction de l'article 8, analogue à celle de l'article 27, alinéa 2, de la Constitution belge "i-. La Chambre des députés a largement fait usage de son droit constitutionnel. Son exercice a dégénéré en un véritable abus, auquel on attribue, non sans raison, une part importante dans la progression démesurée des dépenses et dans l'équilibre très instable des budgets français. Le mal n'a pu être enrayé par les efforts méritoires de certaines commissions du budget, et il ne se passe pas de session que des voix autorisées n'élèvent leurs protestations au Parlement et dans la presse. Les auteurs spéciaux dénoncent sévèrement l'abus, ils * Cf. les intéressants témoignag-e? recueillis en ce sens par M. Stourm, loc. cit., pp. 56-58. 2 Ibid., p. 58. 5 Article 3 : « Le Président de la République a l'initiative des lois concurremment avec les membres des deux Chambres ». * Article 8 : « Les lois de finances doivent être en premier lieu pré- sentées à la Chambre et votées par elle. » Cf. Michon, loc. cit., pp. 173 etsuiv., et 180-181. ( 235 ) dressent un réquisitoire concluant contre cette initiative finan- cière excessive et mal comprise, telle que la pratique le Parle- ment français i. M. Paul Leroy-Beaulieu, qui voudrait que le droit de pro- poser des augmentations de crédits fût absolument enlevé à l'initiative parlementaire 2, dépeint la situation de la manière suivante : (( Notre organisation sociale, notre centralisation admi- nistrative et le suffrage universel font que les députés se consi- dèrent comme intéressés à obtenir pour une foule d'agents, surtout pour les petits, des augmentations de traitement. Les juges de paix, les facteurs des postes, les maîtres d'écoles sont d'excellents instruments électoraux; chaque député veut se concilier leurs bonnes grâces en devançant, pour l'améliora- tion de leur sort, les propositions du gouvernement. Aussi les amendements pleuvent de tous côtés pour provoquer des dépenses nouvelles ^, » Et ailleurs, le même auteur affirme que a le développement de nos dépenses publique a en grande partie pour cause, non pas des nécessités politiques ou sociales, mais de simples prodigalités. La Chambre a la main ouverte. Le public ne s'en aperçoit guère en temps ordinaire, parce que les augmentations de crédits se font à la sourdine; elles ne se précipitent pas toutes à la fois et avec cynisme, comme à cette fin de législature 4^; il n'en est pas moins vrai que le mal est chronique, que notre situation financière, économique, * Cf. notamment : Stourm, loc. cit., p. 58; P. Leroy-Beaulieu, Traité de la science des finances, 6^ édit., t. II, pp. 110 et suiv.; Boucard et Jèze, t. I, pp. 46 et suiv.; Michon, loc. cit., pp. 221 et suiv.; E. Larcher, loc. cit., pp. 215 et suiv. Cf. aussi : Gabriel Ferry, Notes historiques sur l'abus de Vinitiative parlementaire chez les députés. (Revue politique et parlementaire, 10 avril 1902.) 2 Loc. cit., p. 116. * Loc. cit., p. 110. -* En quelques semaines, la Chambre venait d'élever les dépenses de plus de 35 millions. ( 236 ) politique même en est affaiblie et que le pays en souffre pro- fondément'i ». L'Académie française elle-même, peu coutumière de ces sortes de préoccupations, a entendu un jour cette éloquente protestation : « Les courtisans ne sont plus à Versailles... Ils pullulent dans nos villes, dans nos campagnes, dans nos plus humbles chefs-lieux d'arrondissement et de canton, partout où le suffrage universel dispose d'un mandat et peut conférer une parcelle de puissance. Avec eux ils apportent l'annonce de libéralités ruineuses, la création d'emplois superflus, le déve- loppement inconsidéré des travaux et des services publics, moyens de popularité facile et de surenchère électorale. Au Parlement, ils se font les dispensateurs des largesses promises, s'occupent à doter leur circonscription aux dépens de l'équi- libre budgétaire; c'est le triomphe de l'étroite compétition locale sur l'intérêt d'État, la victoire de l'arrondissement sur la France... Avec le pouvoir s'est déplacée la source des dépenses, l'excitation au gaspillage : elle réside maintenant dans les Chambres; et le Parlement, appelé naguère à con- trôler l'exécutif, doit avant tout, aujourd'hui, se contrôler lui-même, sous peine de compromettre le crédit et la parole de la France 2 ». Entin, l'opinion publique s'est émue à son tour. Diverses associations, telles que VUnion libérale républicaine, la Ligue des contribuables, présidée par M. Jules Roche, menèrent campagne pour la restriction du droit d'initiative en matière budgétaire, et c'est en partie grâce à leurs efforts qu'en mars 1900 la question se posa devant la Chambre. Sur la proposition de MM. Rouvier et André Berthelot, à la suite d'une vive discussion, la Chambre apporta, le 16 mars * Économiste français du 5 mars 4898. 2 Discours de M. Albert Vandal à l'Académie française, le 24 décem- bre 1897. Cité par Michon, loc. cit., p. 227. (237 ) 1900, une double modification à son règlement d'ordre inté- rieur. L'article ol fut complété par la disposition suivante : « En ce qui touche la loi du budget, aucun amendement ou article additionnel tendant à augmenter les dépenses ne peut être déposé après les trois séances qui suivent la distri- bution du rapport dans lequel figure le chapitre visé. » Article 51'''' : « Aucune proposition tendant soit à des aug- mentations de traitements, d'indemnités et de pensions, soit à des créations de services, d'emplois, de pensions, ou à leur extension en dehors des limites prévues par les lois en vigueur, ne peut être faite sous forme d'amendement ou d'article addi- tionnel au budget, w De la combinaison de ces deux articles il résulte : 1« Les députés conservent, en principe, le droit de présenter des amendements à la loi du budget, en vue d'augmenter les dépenses, à la condition d'exercer leur droit dans les trois séances qui suivent la distribution du rapport dans lequel figure le chapitre visé ; 2« Exceptionnellement, en ce qui concerne les augmentations de traitements, d'indemnités, etc., les députés perdent, d'une manière absolue, le droit de les proposer, sous forme d'amen- dement au budget; même s'ils sont déposés dans les trois jours, ces amendements ne peuvent être mis en discussion ; 3« Les députés conservent intact leur droit d'initiative, sans condition ni restriction, si, pour les augmentations de dépenses, ils procèdent par voie de proposition de lois spéciales et non par voie d'amendement à la loi du budget ^. Ces restrictions concernent donc uniquement les augmen- tations de dépenses et non les réductions de recettes, et encore, quant aux dépenses, elles s'appliquent surtout aux dépenses relatives au personnel '^. La Chambre des députés a fait un premier pas, mais elle n'a 1 Cf. BoucARD et JÉZE, t. I, p. 58. 2 Cf. Stourm, p. 60. ( 238 ) pu se décider encore à aller aussi loin que la Chambre des Communes dans la voie du sacrifice. Au cours de la dernière campagne électorale qui a précédé les élections des 27 avril et 11 mai 1902, de nombreux candi- dats ont vivement recommandé, comme le meilleur moyen de combattre l'accroissement des charges publiques, des restrictions ultérieures à l'initiative budgétaire des députés. La Ligue des contribuables a publié un manifeste conseillant aux électeurs d'exiger de tout candidat un engagement en ce sens. Le 19 juin 1902, M. Jules Roche, au nom d'un grand nombre de ses collègues, appartenant presque exclusivement au parti républicain progressiste, a déposé une proposition de résolution tendant à modifier l'article 51*'", adopté en 1900. L'exposé des motifs rappelle le texte de la pétition que, au cours de l'année précédente, plusieurs centaines de milliers d'électeurs avaient adressée à la Chambre pour obtenir la dimi- nution des' dépenses du budget. Il constate que depuis cette pétition, la situation financière n'a fait que s'aggraver, et il examine les éléments principaux qui la caractérisent, à savoir : l'augmentation des dépenses (depuis 1894 : 524 millions), les déficits (de 1898 à 1902 : 936 millions), l'augmentation de la dette (depuis 1882 : 8 milliards 494 millions), les dépenses nouvelles proposées par la Chambre précédente (1 milliard). La proposition est libellée comme il suit : « Remplacer l'article SI**'' du règlement par le suivant : aucune proposition ou motion tendant à l'ouverture d'un crédit ou impliquant une dépense à imputer sur les budgets de l'État, des départe- ments ou des communes ne peut être admise en dehors des demandes formulées parle gouvernement ^ ». Cette proposition tend, on le voit, sauf quelques différences de détail, à doter la Chambre française de la procédure appli- quée aux Communes anglaises. Ainsi que le remarque le Journal des Débats (21 juin 1902), * Cf. Journal des Débats du 20 juin 1902. ( 239 ) les innovations introduites en 1900 étaient excellentes : « Elles ont déjà rendu quelques services, mais elles ne suffisent pas. Elles ne s'appliquent qu'à la discussion de la loi de finances. La digue qu'elles ont établie ne fonctionne que pendant quelques semaines par an. Durant tout le reste de l'année, rien n'arrête le flot des propositions de loi, des motions, des amendements ayant pour objet direct ou pour conséquence détournée une augmentation des dépenses de l'État, des départements et des communes. La mesure réclamée par M. Jules Roche, M. Aynard et leurs collègues serait bien autrement efficace que celles qui ont été prises en 1900 ». La nouvelle Chambre n'a pas encore eu le temps de la prendre en considération, mais on peut prévoir qu'elle don- nera lieu à une vive et ardente discussion. Si le Parlement belge a pendant longtemps résisté avec plus de vigueur aux entraînements des amendements budgétaires inconsidérés, c'est qu'une discipline plus sévère, une cohésion plus étroite régnaient au sein des deux grands partis qui se partageaient les préférences du pays et dont les chefs compo- saient alternativement les ministères, au gré des majorités élec- torales. En 1892 encore, dans son bel ouvrage sur les ministres dans les principaux pays d'Europe et d'Amérique, M. Dupriez pou- vait écrire avec raison, à propos des discussions budgétaires à la Chambre belge ^ : « Toutes ces demandes et toutes ces critiques ne se traduisent presque jamais en amendements et les budgets proposés par le gouvernement sont votés sans modifications sérieuses. Le ministre est généralement celui qui rectifie le plus son propre budget. Il est peut-être inutile de remarquer que les amendements introduits dans les projets ministériels comportent le plus souvent des augmentations de crédits. Le gouvernement reste donc le véritable maître de la politique financière. Cela dépend évidemment avant tout de 1 Tome I, pp. 2M-2o2. t 240 ) la discipline et de la cohésion des partis; la majorité reçoit sans défiance les budgets déposés par les hommes qu'elle reconnaît pour ses véritables chefs. Le ministère trouve dans les rapporteurs des divers budgets des aides dévoués, des par- tisans fidèles et non point des adversaires plus ou moins cachés, escomptant sa chute. » Mais, en 1900, le même auteur était amené à constater une situation déjà bien différente ^ : « Les Chambres élues par le suffrage restreint n'abusaient pas de leur droit d'amendement en matière budgétaire; les mœurs ont changé sur ce point depuis l'introduction du suffrage universel. Les députés se constituent aujourd'hui les défenseurs de tous les petits fonc tionnaires des administrations publiques et réclament à l'envi des augmentations de traitement en leur faveur. Les socialistes se distinguent dans ces assauts dirigés contre le trésor public; le gouvernement n'a généralement pas de peine à faire rejeter leur propositions exagérées. Mais des amendements plus mo- dérés sont présentés et défendus avec acharnement par des députés de la majorité et les ministres doivent céder et les accepter, au moins en partie, quoi qu'ils en pensent. Parfois même, lorsqu'ils se décident à résister, la Chambre écoute avec impatience leurs conseils; lorsque l'échéance électorale approche, ils risquent de voir leurs efforts impuissants à empêcher les augmentations de crédits proposées ». Certes, le mal que l'on signale ne s'est pas encore développé au point de soulever l'opinion publique dans le pays. Cepen- dant les indices de ses progrès sont nombreux. On peut les suivre à la lecture attentive des délibérations des Chambres, le gouvernement prend soin de les signaler à toute occasion, et au Parlement même, les esprits clairvoyants ne se font pas faute de dénoncer le danger 2. Si l'abus n'est pas invétéré, n'est-ce donc pas une raison de 1 Bulletin de la Société de légidation comparée, t. XXIX (1899-1900), lac. cit., p. 621. 2 « Je ne saurais trop insister sur les conséquences que pourrait entraîner, au point de vue de l'équilibre budgétaire, toute proposition ( 241 ) plus de le combattre et de l'enrayer, avant qu'il ait causé des ravages irréparables? Assurément, il ne s'agit pas de contester aux membres du Parlement le droit qu'ils tiennent de la Constitution. Mais doit-on, parce que Ton possède un droit, en user sans mesure jusqu'à l'abus, et n'est-ce pas le cas de répéter le vieil adage : « Summum jus, summa injuria »? Ainsi que le remarque très justement M. Van der Smissen i : a Le droit d'amendement des membres du Parlement, droit qui s'étend aux matières de finances, ne doit pas être exercé habituellement. C'est avant tout un avertissement perpétuel ayant pour objet des dégrèvements d'impôts ou des augmentations de dépenses. » (Exposé général du budget de 4896.) Chambre, 7 mai 1902, séance du malin (discussion du budget extra- ordinaire) : M. Renkin. — On s'imagine volontiers que l'État dispose de ressources inépuisables. Le prograinme financier de l'électeur se réduit à deux points : exiger toujours de nouvelles dépenses et protester dès qu'on lui demande des ressources. M. le Ministre des finances. — C'est vrai ! M. Renkin. — Développer toujours les dépenses sans avoir de nou- velles sources de revenus, telle est l'énigme qui se pose pour tous les ministres des finances. S'ils ne la résolvent pas, ils sont condamnés sans pitié ! La discussion du budget extraordinaire se passe à démontrer au gouvernement qu'il ne dépense pas assez pour satisfaire les popula- tions, à lui reprocher de ne pas dépenser assez. Après quoi, il arrive parfois que les mêmes orateurs protestent contre l'accroissement de la dette publique et reprochent au gouvernement de dépenser trop : contra- diction étonnante, mais courante... M. le Ministre des finances. — C'est avec raison que M. Renkin fait observer que chacun réclame des dépenses et critique en même temps l'ensemble de celles qu'on effectue. C'est un cercle vicieux au plus haut point. L'une des fonctions essentielles du régime parlementaire est de mettre un frein à ce qu'on appelait autrefois les dépenses du prince, aux dépenses publiques. Or, aujourd'hui cette notion est absolument faussée! Au lieu de restreindre les dépenses, les parlements actuellement y poussent. Et si l'on dépense trop, c'est bien plus la faute des députés que des ministres. 1 Moniteur des intérêts matériels, 20 août 1899, loc. cit., in fine. Tome LXVl. 16 ( 242 ) adressé à l'exécutif. Mais l'usage fréquent e.n est par lui-même abusif, si justifié que chaque amendement puisse paraître si on le considère isolément. Son exercice doit rester très excep- tionnel, comme celui de tant d'autres droits de la Couronne et du Parlement que consacrent des textes formels. » (1 importe, pensons-nous, que, s'inspirant de ces sages conseils, les membres du Parlement reviennent à la saine notion de leurs droits et de leurs devoirs. C'est, qu'on nous permette l'expression, une éducation à refaire. Nous concédons volontiers qu'en pratique il ne leur soit pas toujours possible de se soustraire complètement aux mille sollicitations qui les guettent. Sous un régime développé de suffrage universel, l'électeur, très simpliste en ses conceptions financières qui ne s'élèvent guère au-dessus de la sphère étroite des intérêts particuliers, exerce plus facilement une pression, souvent malsaine, sur le député; celui-ci pèse, à son tour, sur le ministre et l'action de ces influences combinées tourne en définitive au détriment de l'intérêt général du pays et d'une bonne gestion financière. Il faut donc aussi travailler à la réforme de l'esprit public par l'action personnelle des députés, par la presse, par l'asso- ciation, par tous les moyens, en un mot, qui sont au service de la propagande moderne. 11 faut organiser le suffrage uni- versel sous ce rapport comme sous beaucoup d'autres et lui apprendre à « considérer comme ses ennemis tous ceux qui contribuent à augmenter d'une manière inutile ou prématurée les charges du budget ^ ». Une opinion publique sévèrement orientée de la sorte serait sans nul doute la meilleure garantie d'une politique d'écono- mies stable et durable. En attendant cette réforme lointaine, le Parlement pourrait très utilement, à l'exemple de l'Angleterre et de la France, limiter lui-même, dans son règlement, son droit d'initiative budgétaire. * Le Temps, cité par le Journal des Débats, 25 juin 1902. ( 243 ) S'il ne faut pas avoir une foi aveugle dans les règlements et leur attribuer des vertus souveraines qui leur manquent néces- sairement lorsqu'ils ne trouvent pas un appui solide dans les mœurs, on ne peut toutefois leur dénier certains effets salu- taires, dont témoigne, en l'espèce, l'expérience de nos voisins. Aussi souscrivons-nous pleinement à l'opinion exprimée par M. Stourm, qui s'applique aussi exactement à la Belgique qu'à la France ^ : « Cette suppression (de l'initiative) n'agira jamais comme » un remède souverain ; elle ne contient pas de panacée contre » l'augmentation des dépenses. Du moment qu'elle n'a pas » cette vertu en Angleterre, ce serait trop s'illusionner que de » la lui attribuer en France. La pression parlementaire conti- » nuera à s'exercer librement en dehors des séances, dans les » couloirs, dans les cabinets ministériels : c'est là qu'elle » commet déjà ses principaux méfaits. » Cependant, ce règlement possédera quand même d'incon- » testables avantages. Il affirmera la volonté du Parlement de » maintenir l'équilibre budgétaire ; il inspirera un certain » sentiment de retenue aux solliciteurs; il fournira aux » ministres de précieuses armes de résistance ; enfin, quand » arrivera le moment si désirable où le vent de l'économie » commencera à souffler, tout installé, prêt à produire immé- » diatement son effet, il hâtera le rétablissement du bon ordre » financier. )> CHAPITRE VI. De la modification d'une loi organique par voie budgétaire. Il est un point spécial qui relève aussi de la question de l'initiative parlementaire et que nous avons à traiter séparé- ment. * Stourm, loc. cit., p. 61. (244 ) Il s'agit de savoir si, et dans quelle mesure, il est permis d'introduire des modifications à une loi organique h l'occasion d'un budget. Le gouvernement ou bien un membre du Parle- ment, usant de l'initiative que lui reconnaît l'article 27 de la Constitution, peut- il proposer au cours de la discussion d'un budget, des amendements ou des modifications à une loi organique? A cette question, M. Auguste Couvreur, répondant au ques- tionnaire adressé en 1875 par le a Cobden-Club » à des membres autorisés de la plupart des parlements, indiquait la solution suivante, qui reproduisait, selon lui, la pratique admise au Parlement belge : « Le droit de proposer des amen- dements est illimité, même dans les cas réglés par une loi organique, comme lorsqu'il s'agit de l'état de l'armée. Il est cependant très rare que la Chambre modifie ces lois par un changement dans le budget. On pourrait, toutefois, opposer avec raison la question préalable à un amendement de cette nature si le cas se présentait^ ». Nous pensons que la réponse de M. Couvreur est conçue en termes beaucoup trop généraux. La solution que comporte ce problème de droit parlementaire n'est pas aussi simple qu'il semblerait d'après cette réponse. Elle variera, au contraire, d'après les différentes hypothèses qu'il convient de distin- guer. Rappelons d'abord que le droit d'amendement appartient intégralement et sans restriction aucune, constitutionnelle ou légale, en toute matière législative, à tout membre du Parle- ment comme au gouvernement. Il peut donc s'exercer sur toute proposition ou tout projet de loi soumis au Parlement. Il peut s'exercer aussi sur tout projet de budget, bien que nous 1 Cf. F.-C. Dreyfus, Les budgets de l'Europe et des États-Unis (corres- pondance du Cobden-Club). Paris, Marpon et Flammarion, 1882, pp. 17- 18. — Cette correspondance a été publiée par Probyn, J. W., Correspon- dence relative to the budgets of varions countries. Londres, 1875. ( 245 ) ayons reconnu qu'il serait désirable de modérer, par des mesures réglementaires, certains amendements budgétaires. Mais est-il permis, à propos de la discussion d'un budget, de changer une loi organique soit par un amendement au libellé d'un article du budget, soit par une modification de chiffre proposée à un article du budget, soit par une proposi- tion spéciale introduite dans le dispositif de la loi budgétaire, soit de toute autre manière? Voilà la question. Aucun texte constitutionnel ou autre ne s'oppose à cette pratique. Mais si le droit d'amendement est illimité, en fait, il est organisé soit par les règlements, soit par les usages parlementaires. C'est donc d'une question de procédure parlementaire qu'il s'agit ici et les questions de cet ordre ont une importance que l'on ne peut pas méconnaître ^. Afin de résoudre celle-ci, il convient de distinguer soigneu- sement deux hypothèses : 1" celle d'une modification à une loi de dépenses, à l'occa- sion de la discussion d'un budget de dépenses ; 2*^ celle d'une modification à une loi d'impôt, à l'occasion de la discussion du budget des voies et moyens. I. — D'après une règle de droit parlementaire, proclamée bien souvent et rigoureusement observée jusqu'en ces dernières années, il était admis que l'on ne pouvait apporter des modi- fications à une loi organique, ayant une force permanente, par une loi budgétaire, essentiellement annuelle de sa nature. Et * « Les questions de procédure, ici, ne sont ni plus ni moins que les principes suivants lesquels la Chambre exerce sa puissance législative. Importante par elle-même, protégeant les droits de chacun de nous, cette question de procédure a une importance particulière pour la minorité. C'est pour elle qu'il est indispensable qu'une loi, dont l'autorité s'impose à tous, la protège contre l'arbitraire ou les violences de la majorité. Jamais on n'a pu se déi)artir de ces règles tutélaires que par des coups de parti. » (De Lantsheere, Ch. des Représ., séance du 19 juin 1896. Ann.parl., p. 1906.) ( 246 ) l'usage voulait, lorsqu'une proposition de l'espèce se faisait jour, que l'on pût lui opposer avec succès la question préa- lable. Cette tradition subsiste, bien qu'affaiblie, atténuée et oubliée parfois. Il ne sera pas inutile, dès lors, d'en expliquer les motifs et d'en montrer le bien fondé. La loi budgétaire a pour but de mettre à la disposition du gouvernement les ressources nécessaires aux services de l'Etat; elle énumère les services, elle met en regard les sommes que le Parlement entend y affecter. Tel est son rôle et son objet. Au contraire, « créer des services, les organiser, indiquer au gouvernement comment il exercera ses attributions et pour- voira à l'exécution des lois, ce n'est pas œuvre de budget », c'est le but et l'objet des lois spéciales i. Par conséquent, lorsque par une loi budgétaire on prétend modifier une loi spéciale ou organique, on méconnaît la nature de la loi du budget, on la fait sortir de son rôle, tel qu'il est défini par les articles 1 et 15 de la loi sur la comptabilité du 15 mai 1846, et M. De Lantsheere disait même un jour que l'on commettait ainsi une violation de celte loi 2. Dans la discussion d'un amendement budgétaire qui avait pour but de faire inscrire la clause du minimum de salaire dans le cahier des charges des adjudications publiques, le distingué parlementaire exposait clairement ce point de vue en ces termes 3 : « Vous reconnaissez donc que vous avez prétendu, par un amendement à une loi de budget," faire consacrer un principe nouveau et non mettre à la disposition du gouvernement le crédit nécessaire à la marche régulière d'un service public. » Or, c'est en cela précisément que consiste la violation de la loi sur la comptabilité de l'État que je signale. * De Lantsheere, discours cité. 2 Ibidem. ' Ibidem. ( 247 ) » Je ne dis pas qu'il 'ne soit jamais arrivé, depuis que la Belgique existe, que des majorités aient entrepris de déroger aux lois organiques à l'aide de dispositions budgétaires, on y a quelquefois réussi. Mais jamais cela ne s'est fait sans les plus vives protestations; et semblables votes seront toujours et justement considérés comme des coups de parti. » Croyez-vous qu'il serait légitime de décréter par une loi de budget que tel tribunal se composera d'une chambre de moins, tel autre d'une chambre de plus? Personne ne le sou- tiendra! Prétendriez-vous qu'il serait légitime de décréter par le vote du budget que les traitements des juges d'instruction seront réduits ou augmentés; que des dispositions nouvelles régleront les pensions; que les lois organiques des cultes seront modifiées? Passez en revue toutes les sphères de l'admi- nistration, tous les services publics, toutes les lois organiques et vous reconnaîtrez toujours qu'il est impossible de légiférer à leur sujet par voie de simples amendements aux budgets. » C'est cette vérité de bon sens politique que consacre pré- cisément la loi sur la comptabilité. Cette disposition a été perdue de vue dans les premiers moments, lors de la discus- sion de l'amendement. C'est ainsi que je m'explique qu'un certain nombre de nos collègues se soient laissés aller à repousser la question préalable qui a été proposée. » A cette raison de principe, qui s'oppose à ce qu'on établisse dans les discussions parlementaires une confusion entre des lois de nature différente, s'en ajoute une autre, tirée du bon ordre nécessaire dans les travaux du Parlement. Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on se plaint « de la confec- tion vicieuse des lois ». Nul ne prétendra que l'on ait atteint dans notre pays la perfection en matière de travail législatif. Si donc on voulait mêler sans discernement à la discussion d'une loi budgétaire, la discussion et le vote d'une autre loi ou d'une modification à une autre loi, qui n'a avec le budget que des rapports indirects, on s'exposerait à faire un plus mauvais travail encore, à adopter des décisions mal étudiées, inconsi- ( 248 ) dérées ou trop hâtives, dans un cas où dans l'autre ou même dans les deux à la fois. Enfin, ces discussions qui se greffent sur celle des lois bud- gétaires et s'enchevêtrent les unes dans les autres ont aussi pour effet de retarder le vote des budgets et d'aggraver ainsi un mal auquel on s'efforce vainement jusqu'ici de porter remède i. Pour ces divers motifs, la tradition parlementaire que nous signalons se justifie donc pleinement. Il nous paraît légitime dès lors d'opposer la question préalable à une loi de dépenses proposée à l'occasion d'un budget de dépenses. La liberté du député ou du sénateur et leur droit d'initiative ou d'amendement n'est d'ailleurs nullement compromise par cette simple question de forme, puisqu'ils conservent pleine et entière faculté de présenter les modifications qu'ils désirent par voie de proposition spéciale et distincte. Ce que l'on évite, en se montrant rigoureux sur ce point de procédure, ce sont les votes de surprise, les solutions mal venues et peu refléchies, et aussi dans certains cas les coups de parti. A l'appui de ce que nous venons de dire, nous voudrions, à titre d'exemple, citer certains cas d'application. Depuis que le parti socialiste est représenté au Parlement, le budget des dotations est, chaque année, l'objet d'une discus- sion que l'extrême-gauche dirige surtout contre la dotation de S. A. R. le comte de Flandre, portée à ce budget pour 200,000 francs. Cette manifestation traditionnelle a peut-être quelque valeur, en tant qu'expression des sentiments anti-dynastiques du * « Une des causes qui font que les discussions des budgets se prolon- gent outre mesure, c'est que, sous prétexte de discuter ceux-ci, on discute des modifications aux lois organiques les plus diverses, dont les budgets ne sont que l'application. M. le comte de Kerkhove de Denterghem. — C'est très exact! — Au lieu de discuter un budget seulement, on discute bien souvent en même temps une ou deux lois. » (M. De Lantsheere, Sénat, séance du 28 décem- bre 1901.) ( 249 ) parti socialiste, mais elle n'en possède aucune, quand elle poursuit, par voie d'amendement budgétaire, la suppression ou seulement la réduction des 200,000 francs affectés à cette dotation. C'est, en effet, une loi du 14 mars 1856, modifiée par une loi du 10 mars 1867, qui en a fixé le principe et le taux, et si le chiffre de 200,000 francs figure annuellement au budget des dotations, c'est en vertu de l'article 115 de la Constitution. Il y a donc un engagement pris par la nation et qui subsiste tant qu'une loi nouvelle n'y a pas mis fin, et cette loi nouvelle ne peut être votée sous forme d'amendement ou de disposition additionnelle au budget, parce qu'une loi annuelle ne peut modifier une loi permanente. C'est donc à bon droit que M. SchoUaert, ministre de l'inté- rieur, pouvait dire à l'extrême-gauche : « Il ne peut s'agir d'en discuter le principe ni le montant... Vous ne pouvez pas modifier, par une loi de budget, l'obligation ainsi contractée, pas plus que vous ne pouvez, par un amendement au budget, diminuer les traitements des magistrats ou de toute autre catégorie de fonctionnaires... Si donc vous vouliez discuter sérieusement la question, il ne s'agirait pas de venir soutenir annuellement la même chose, il faudrait recourir à un moyen pratique et déposer un projet de loi qui pourrait être discuté ^. » Au budget de l'agriculture et des travaux publics pour l'exercice 1896, une disposition additionnelle avait été intro- duite en ces termes : Article 50 : « Réimpression du cahier général des charges de l'État, avec insertion de clauses destinées à garantir aux ouvriers des entreprises de travaux publics un salaire mini- mum : 500 francs. » Le gouvernement posa la question préalable. Elle fut repoussée par la Chambre et l'amendement fut adopté. Mais le Sénat refusa de se rallier au vote de la Chambre, qui, en * Ch. des Représ., séance du 23 décembre 1897, Ann. pari., p. 331. ( 250 ) dernière analyse, renonça, elle aussi, à amender le budget en ce sens ^ . La question préalable eût dû être votée sans aucun doute. Car, quelque sympathie que l'on pût avoir pour l'inscription de la clause du minimum de salaire dans le cahier général des charges de l'État, clause qui figure déjà dans les cahiers des charges de plusieurs provinces et communes, ce n'est pas par voie d'amendement ou de disposition budgétaire que l'on pouvait procéder. Il ne s'agissait pas seulement, dans l'espèce, d'une modification à une loi organique existante, mais de l'introduction d'un principe absolument nouveau dans la pratique administrative, et cette innovation méritait à tous égards les honneurs d'une proposition de loi spéciale. II. — La seconde hypothèse, dont nous abordons l'examen, réclame, pensons-nous, une solution différente de celle que nous avons formulée pour la première. Car amender ou modifier une loi d'impôt par la loi du budget des voies et moyens, ce n'est pas amender ou modi- fier une loi permanente par une loi annuelle, ce n'est pas faire sortir la loi du budget du rôle qui lui est assigné. En cflet, l'article 111 de la Constitution dispose : « Les impôts au profit de l'Etat sont votés annuellement. Les lois qui les établissent n'ont de force que pour un an, si elles ne sont renouvelées. » Les lois d'impôt sont donc soumises par la Constitution à une revision annuelle, et cette revision se fait par le budget des voies et moyens. Avec sa lucidité et sa précision habituelle, M. Graux a donné à la Chambre- la définition suivante du budget des voies et moyens : « Le budget des voies et moyens, disait-il, n'est pas autre * Cf. les discussions parlementaires-: Ch. des Représ., séance du 9 juin 1896, Ann. pari., pp. 1655...; id., 18 et 19 juin, id., p. 1889. — Sénat, séance du 18 juin 1896, A7in. pari., pp. 529... 2 Séance du 16 décembre 1891, Ann. pari., p. 259. ( 251 ) chose qu'une loi annuelle ayant pour but de Paire voter chaque fois a nouveau toutes les lois d'impôts, de taxes et de péages fl n y a pas une seule disposition de ce budget qui ne soitia reproduction d'une loi de taxe, d'impôt ou de péage, et le vote de la Chambre est indispensable pour que le ministère soit autorisé à en continuer la perception pendant un an encore. » Il ajoutait : « Comme je le disais à l'honorable M Woeste vingt fois on a introduit, à l'occasion du budget des voies et moyens, des amendements aux lois de finances. C'est le but de la discussion de ce budget. On vote pour un an les ressources dont l'Etat a besoin pour subvenir à ses dépenses. Rien de plus, rien de moins! » Et il concluait : « On a répété à plu- sieurs reprises que les lois organiques ayant une force perma- nente, elles conservent leur puissance exécutoire jusqu'à ce qu'elles aient été formellement modifiées. La loi du budget dit-on, est annuelle; on ne peut pas incidemment, dans une loi de budget, apporter des modifications à des lois ayant un caractère permanent et définitif! » Rigoureusement, cela est exact pour tous les budgets, sauf le budget des voies et moyens. Rigoureusement, c'est exact aussi pour toutes les lois, à l'exception d'une seule catégorie de lois : les lois de finances ou les lois d'impôts. w II y a, pour qu'il en soit ainsi, une raison absolument déci- sive, c'est que les lois d'impôts ne sont pas des lois permanentes, ayant un caractère définitif et produisant leurs effets jusqu'à révocation; elles sont annuelles, elles meurent d'elles-mêmes à l'expiration de chaque année. » Au cours de cette même séance, M. Frère-Orban donnait à plusieurs reprises son assentiment à cette théorie défendue par M. Graux, et M. Woeste, bien qu'en désaccord avec MM. Graux et Frère-Orban sur le cas d'application qui était alors soumis à la Chambre, l'approuvait aussi, implicitement du moins, lorsqu'il disait : a Je reconnais que le vote des impôts est annuel, qu'il appartient aux Chambres de rejeter tous les ans ( 252 ) les impôts, même ceux qui sont établis par une loi orga- nique 'i ». Le cas d'application auquel nous venons de faire allusion mérite de retenir quelque peu notre attention, parce que son examen nous permettra de préciser notre pensée. Le 16 décembre 1891, la Chambre discutait un amendement proposé par MM. Casse et consorts à l'article 21 du budget des voies et moyens pour 1892 et qui disposait : « Les encaisse- ments pour abonnements aux journaux remis à la poste par paquets et sans bande ni adresse cesseront, à partir du l*"" janvier 1892, d'être soumis à la taxe de 5^0 sur le prix de l'abonnement encaissé par l'État. La quittance d'abonnement sera soumise à la taxe ordinaire établie par les règlements postaux. » Cet amendement tendait à modifier la loi du 30 mai 1879 dont l'article 38 établissait le principe suivant : « Le gouverne- ment est autorisé à régler les taxes ou droits à percevoir au profit du trésor et les autres conditions à observer en ce qui concerne : 1°...; 2"...; 3° l'abonnement par la poste des jour- naux et ouvrages périodiques ». Les articles 92 et suivants de l'arrêté royal du 12 octo- bre 1879, pris en vertu de la loi du 30 mai, avaient fixé les taxes en question. Or, la question à résoudre par la Chambre était celle-ci : La loi du 30 mai 1879 est-elle une loi d'impôt ou non? Et par conséquent l'amendement Casse est-il recevable ou non? M. Graux défendait l'affirmative, et il disait à la Chambre : « Au 31 décembre de la présente annnée, la loi de 1879 qui autorise la perception de certaines taxes aura cessé d'exister, de même que toutes les lois d'impôts, si, par une loi, appelée le buget des voies et moyens, vous ne lui rendiez une vie nou- velle ». Fidèle h sa théorie, il concluait donc à la recevabilité de i'amendement. * Ch. des Représ., séance du 16 décembre 1891, Ann. pari., p. 260. ( 253 ) M. Woeste, au contraire, engageait les signataires de l'amcn- clement à ne pas insister pour le moment, ^ déposer une proposition de loi distincte du budget, parce qu'il ne pouvait admettre que, par une disposition additionnelle au budget, on vienne moditier une loi organique. Il n'admettait pas, en effet, que la loi de 1879 fût, à proprement parler, une loi d'impôt : « Par l'amendement, on veut, disait-il, enlever au gouverne- ment un droit, un pouvoir que lui a donné la loi de 1879. Si cette loi avait dit, dans son article 38, que la taxe des abonne- ments de journaux serait perçue, comme le fait aujourd'hui l'honorable ministre des chemins de fer, nous aurions le droit par la loi du budget de ne pas renouveler cette taxe... Mais ce que fait l'article 38, ce n'est pas établir directement une taxe, c'est donner au gouvernement un droit, un pouvoir... Ce n'est donc pas un impôt que détermine cet article, ce n'est pas une taxe qu'il fixe, c'est une attribution de principe qu'il accorde au gouvernement... Pour que le gouvernement n'ait plus cette attribution, il faut que nous commencions par modifier la loi organique dont il s'agit. » Cette argumentation de M. Woeste nous semble concluante. Il nous paraît que, dans l'espèce, M. Graux faisait une appli- cation malheureuse de la théorie qu'il défendait en termes si précis et à laquelle nous nous rallions complètement. Cette théorie a d'ailleurs été appliquée de nombreuses fois, sans susciter de protestations. L'histoire parlementaire rapporte de fréquents exemples de lois d'impôts modifiées par la loi du budget des voies et moyens ^. Nous admettons donc que, par application du même prin- cipe, qui nous a fait rejeter la recevabilité d'une modification à une loi organique, par une loi fixant un budget de dépenses, rien ne s'oppose à une modification d'une loi d'impôt par le budget des voies et moyens. * Cf. les précédents consignés par M. De Sadeleer dans son rapport sur le budget des voies et moyens pour 1897. (Ch. des Représ., sess. de 1896-1897,' Doc. paW., no 45.) ^ C 254 ) Il nous semble toutefois que l'usage de cette faculté soit par le gouvernement, soit par les membres du Parlement, doit subir certaines restrictions, certains tempéraments. Le prin- cipe que nous admettons ne peut, pensons-nous, être appliqué intégralement et d'une manière absolue. Il convient, en effet, pour les raisons de bonne ordonnance du travail législatif que nous avons signalées plus haut, de ne pas surcharger les discussions budgétaires et d'éviter d'y mêler des propositions ou des amendements dont le but est d'intro- duire des modifications radicales et essentielles au régime organique d'un impôt. Ces propositions, qu'elles émanent du gouvernement ou de l'initiative d'un membre du Parlement, doivent donc se borner à des modifications de détail et en quelque sorte à de simples corrections. L'honorable ministre des finances, M. de Smet de Naeyer, qui, plus peut-être qu'aucun de ses prédécesseurs, use large- ment de la faculté d'accompagner ses propositions de recettes de modifications à des lois d'impôt et qui revendique hautement cette faculté, reconnaît cependant la nécessité des restrictions que nous signalons. « Je n'ai jamais songé à insérer dans une loi budgétaire le régime fiscal des alcools, par exemple, et je ne songerai jamais à y introduire la refonte complète de la contribution foncière ou de la contribution personnelle. Mais il est un droit que je revendique dans l'intérêt du pays, c'est celui d'introduire dans la loi de finances des dispositions isolées, d'ordre secondaire si l'on veut, destinées à corriger les imperfections que j'ai l'occasion de relever pendant le cours de l'année, dans telle ou telle de nos lois fiscales et plus spécialement dans les lois de douane et d'accise 'i. » Et, développant sa pensée au Sénat, à l'occasion de la même discussion, l'honorable ministre continuait : « Si nous ne pouvions apporter de modifications aux lois de douane et * Ch. des Représ., séance du 46 décembre 1897, Ann. pari, p. 281, ( 2S5 ) d'accise, par exemple, qu'à l'occasion d'une réforme organique pendantcombien d'années toutes ces améiiorationsquesugLè périodiquement la pratique ne resteraient-elles pas à l'état de desiderata? » Je prends pour exemple les articles 2 et 4 du projet Nous avons, par la loi du 12 juillet 1895, maintenu la libre entrée des bois d une longueur déterminée, destinés ù la fabrication des pâtes à papier et des fibres de bois. Quelque temps après a mise en application de cette loi, j'ai dû reconnaître que la longueur maxima imposée était insuffisante et qu'il en résultait pour les fabricants une véritable vexation sans profit pour personne. » J'avais aussi des réclamations des fabricants de tabacs contre certaines dispositions de la loi du 17 avril 1896 qui restreignaient aux seuls tabacs indigènes la décharge acco'rdée du chef de la perte de poids par la dessiccation en entrepôt particulier. On sollicitait l'application du principe aux tabacs étrangers et le bien fondé de cette demande n'était point dou- teux. Fallait-il, pour des motifs de pure théorie, condamner les fabricants de pâtes à papier et les fabricants de tabacs à attendre pendant des années des réformes aussi simples, aussi peu importantes au point de vue législatif^ ? » Cette pratique, qui consiste à modifier les lois d'impôts par le budget des voies et moyens, mais en se limitant à des réformes de détail, est pleinement approuvée par des auteurs de valeur et notamment par MM. Léon Say et Stourm. « On ne peut dire, ainsi s'exprime M. Léon Say, qu'il ne faut décider en principe ni qu'on ne devra faire de réformes que par voie budgétaire, ni qu'on ne pourra en réaliser que par lois spéciales. C'est une question de mesure et de sagacité politique. » Les modifications qui ressemblent à des corrections de certaines lois, dites organiques, en matière de finances, peuvent très aisément être introduites dans la législation par * Sénat, séance du 24 décembre 1897, Ann, pari., p. 71. ( 256 ) voie budgétaire. Il en est de même de certaines réformes secon- daires qui sont la suite nécessaire de réformes déjà réalisées, surtout quand il s'agit de choses pour ainsi dire convenues, c'est-à-dire lorsque la réforme à compléter est, en quelque sorte, passée à l'état de fait accompli et souverainement jugé 'i. » Et M. Stourm, après avoir analysé le projet de budget des recettes français et son contenu habituel, ajoute : « En plus des dispositions précédentes, qui constituent le cadre essentiel et permanent du budget des recettes, de nombreux articles s'y trouvent souvent encore intercalés pour proposer soit des modifications d'impôts, soit même des créations d'impôts. » Nous n'avons pas à analyser ici ces sortes de propositions variant chaque année et possédant un caractère exceptionnel. Demandons-nous seulement si elles sont bien à leur place au sein des budgets. Evidemment, l'insertion dans la loi de finances de certaines rectifications fiscales d'ordre administra- tif ne saurait soulever d'objections. Mais les" réformes fonda- mentales, les créations de toutes pièces de systèmes nouveaux mériteraient de se voir appliquer les stricts principes, d'après lesquels la loi du budget a pour mission exclusive d'autoriser la perception des revenus de l'exercice futur, et d'évaluer leur rendement. Son autorisation de percevoir pendant l'année qui va s'ouvrir s'appuie sur les lois organiques préexistantes, dont elle rappelle nommément la date dans ses états annexes. Dès lors, c'est à ces lois organiques qu'il appartient d'installer dans les codes des remaniements ou créations d'impôts, le budget n'ayant plus, une fois qu'elles sont rendues, qu'à leur donner Vexequatur annuel. En un mot, par son essence, la loi de finances est une loi d'année qui ne devrait pas stipuler au delà. » Des raisons subsidiaires, d'ailleurs, rendent désirable la stricte application de cette règle, raisons tirées de l'ordre même de travail du Parlement et de la nécessité de voter le budget sans retard -. » 1 Cité par M. de Smet de Naeyer. (Chambre, séance du 16 décem- bre 1897.) 2 Stourm, toc. cit., p. 161. — Cf. aussi Boucard et Jèze, I, pp. 31-34. ( 257 ) Lors donc que le gouvernement propose dans le budget des voies et moyens des rectifications k certaines lois d'impôts, comme par exemple à l'accise sur les vins (budget de 1897), à certaines lois de douane ou d'accise (budget de 1898), à l'accise sur la bière (budget de 4901), à la loi des patentes (budget de 1902), etc., il reste parfaitement dans les limites indiquées. Il accomplit ainsi un acte de bonne administration i. Mais il n'a pas toujours agi de la sorte, et l'on a pu très légi- timement critiquer certaines mesures proposées par lui dans cet ordre d'idées. Nous faisons allusion, par exemple, aux modifications apportées à la loi du 18 juillet 1860, organique du fonds communal, par le budget des voies et moyens pour 1897. La loi budgétaire du 30 décembre 1896 a substitué, en effet, au mode de répartition du fonds communal établi par la loi organique de 1860, un mode de répartition diff'érent. Elle a introduit dans la matière un système nouveau, et ce n'était pas, à proprement parler, une simple modification à une loi organique d'im.pôt que cette loi budgétaire consacrait. De là, à la Chambre et au Sénat, des discussions assez vives qui portèrent à la fois sur le fond et sur la forme de la proposi- tion gouvernementale. A ce dernier point de vue, M. Dupont exposa très nettement au Sénat la véritable tradition parlementaire. « Il est très * « Si l'on s'en tenait rigoureusement au principe que l'honorable M. Denis défend si énergiquement, on ne procéderait jamais à des réformes d'ordre fiscal que par des lois organiques. )> Ce serait fort commode pour le ministre des finances; il pourrait se croise'r les bras, et il se bornerait à répondre aux membres du Parle- ment qui lui dénonceraient l'imperfection, l'absurdité même, de telle ou telle disposition : vous avez parfaitement raison, mais la Législature ne procède pas par mesures isolées, elle ne veut que des mesures d'en- semble, et il faut attendre le moment où l'on pourra refondre la loi organique... En attendant, que diraient les contribuables, que diraient le commerce et l'industrie? » (de Smet de Naeyer, Ch. des Représ., séance du 16 décembre 1897.) Tome LXVI. 17 ( 258 ) naturel, disait l'honorable sénateur^, qu'à l'occasion de la discussion du budget des voies et moyens, le gouvernement soumette aux Chambres des projets de modifications relatifs aux impôts; et s'il ne s'agit pas d'une question de principe, s'il ne s'agit pas de substituer à l'improviste un impôt à un autre, d'une nature différente, d'apporter des modilications essentielles à l'assielle des impôts, il est très naturel, dis-je, qu'à l'occasion du budget dont nous nous occupons le gou- vernement puisse proposer les changements qu'il juge utiles dans cet ordre d'idées. »... Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit dans l'espèce... Il ne s'agit pas, en effet, d'une loi d'impôt, il ne s'agit pas d'autoriser des modifications aux impôts qui sont l'objet du budget des voies et moyens, mais il s'agit de modifier la base de réparti- tion du fonds communal, ce qui n'a aucune espèce de rapport avec les impôts dont le produit est inscrit au budget. Que l'on maintienne la base actuelle ou que l'on adopte la base nou- velle proposée par l'honorable ministre des finances, les impôts ne seront nullement changés... J'estime que le système qu'a inauguré l'honorable ministre des finances constitue un précédent des plus fâcheux. » En d'autres termes, si la proposition dont il s'agit avait émané de; l'initiative parlementaire et avait été présentée dans les mêmes conditions, le gouvernement n'eût pas manqué, à juste titre, de poser la question préalable. Pourquoi donc adopter une procédure qu'il aurait éventuellement condamnée chez d'autres 2? 1 Sénat, séance du 30 décembre 1896, Aiin. pari., p. 179. 2 On peut critiquer aussi une autre procédure, qui, depuis quelques années, semble avoir les préférences du gouvernement. Elle consiste à rattacher à la discussion d'un budget celle de l'un ou l'autre projet de loi. qui n'a avec le budget que des rapports indirects. C'est ainsi, pour ne citer qu'un exemple, que le projet de loi sur les sucres (à la suite de la Conférence de Bruxelles) fut rattaché au budget des voies et moyens pour 190'2. Le 27 décembre 1901 [Ann. pari., p. 81), M. le Ministre des tinances ( 259 ) Nous avons montré qu'il était conforme aux principes et à la tradition parlementaire de modifier une loi d'impôt par le budget des voies et moyens. L'usage de cette faculté, tant par le gouvernement que par le Parlement, subit toutefois une première restriction en ce que les modifications introduites par voie budgétaire ne peuvent être des modifications essentielles et radicales à une loi d'impôt, mais seulement des corrections de détail. Il en subit une seconde que nous pouvons formuler en ces termes : les modifications introduites dans une loi d'impôt, à l'occasion du budget des voies et moyens, doivent être propo- sées dans la forme réglementaire des propositions de loi et non par voie d'amendement. Cette règle se déduit des dispositions mêmes du règlement de la Chambre, ainsi que l'a fait remarquer avec autorité fit au Sénat la motion suivante : « J'ai l'honneur de proposer au Sénat de joindre, comme l'a fait la Cliambre, la discussion du projet de loi sur les sucres à celle du budget des voies et moyens : il y a entre ces deux objets une connexité qui rend la jonction parfaitement rationnelle et opportune... » M. le chevalier Descamps combattit cette motion : « Je crois que le procédé employé à la Chambre est absolument vicieux. En effet, il con- siste à discuter des projets complets de lois permanentes en connexion avec la loi annuelle du budget. Je considère cette manière d'agir comme antiparlementaire au plus haut degré. Je propose de décider qu'une discussion générale aura lieu sur le projet de loi sur les sucres et une autre sur le budget des voies et moyens. Il est plus que temps que nous rentrions dans le système parlementaire régulier. En ce qui me concerne, il m'est impossible de me rallier à la proposition faite par l'honorable ministre des finances )^. Le Sénat décida que le projet sur les sucres ferait l'objet d'une discus- sion spéciale. M. de Lantsheere, appuyant la protestation du chevalier Descamps, caractérisait très justement cette procédure en disant : « C'est ainsi que les discussions, qui ne sont plus de simples discussions budgé- taires, traînent indéfiniment, et c'est aussi pour cette raison que les budgets arrivent toujours trop tard au Sénat. » (Sénat, séance du 28 dé- cembre 1901, p. 106.) ( 260 ) M. (Je Lantsheere, ancien président de Cette assemblée ^ : « Votre règlement renferme deux séries de dispositions. Les unes sont relatives au mode suivant lequel on est tenu de pro- céder lorsque l'on entend introduire une proposition nouvelle. Les autres tracent le mode suivant lequel on est tenu de pro- céder lorsque l'on entend introduire un simple amendement. » Or, lorsque dans un budget vous changez un chiffre ou que vous modifiez le libellé d'un article, sans d'ailleurs intro- duire aucune innovation de principe, vous faites ce qui constitue, au vrai sens du mot, un amendement au budget; mais lorsque vous proposez d'y inscrire un principe nouveau qui déroge à quelque loi organique, ce n'est plus seulement le budget que vous amendez : votre proposition a une bien autre portée, elle amende du même coup et virtuellement la loi organique dont le budget, chiffre et libellé, n'est que l'appli- cation et la conséquence. Il arrive ainsi, par une complète interversion de l'ordre normal des choses, que la loi orga- nique, au lieu de trouver son expression, par voie de réper- cussion, dans le budget, est transformée elle-même en une simple expression de la loi budgétaire, dont elle n'est plus qu'un écho. Mais toujours est-il que, par ce mode de procéder, la loi organique, qui n'est pas en discussion, se trouve parfois expressément, toujours au moins virtuellement modifiée. » Or, semblables modifications sont d'après notre règlement soumises aux règles propres aux propositions. Elles doivent donc passer en sections, être prises en considération, retour- ner aux sections, faire l'objet d'un rapport et être spécialement discutées. Ce n'est que si, après avoir passé par ces diverses épreuves, elles obtiennent les votes de la Législature qu'elles acquièrent enfin la puissance de modifier la loi organique, et ce n'est qu'alors que, par cette répercussion dont je parlais, elles réagissent elles-mêmes sur le budget et en changent soit le chiff're, soit le libellé, soit l'un et l'autre. * Ch. des Repr., séance du 19 juin 1896. ( 261 ) • » Tel est bien notre règlement; il suffit de se mettre en présence des faits pour voir combien le mode de procéder que l'on a eu tort de suivre s'en éloigne et l'enfreint. » (Question du minimum de salaire.) M. de Smet de Naeyer, ministre des finances, a par diverses déclarations confirmé cette interprétation du règlement. « Il est clair, disait-il à la Chambre i, qu'un membre de la Chambre, pas plus d'ailleurs que le gouvernement lui-même, ne serait recevable à faire insérer dans la loi du budget, par voie d'amendement, des dispositions modifiant une loi orga- nique, modifications qui seraient ainsi soustraites à la filière ordinaire de la procédure parlementaire. » Et au Sénat "^ : « J'ai reconnu que le gouvernement lui-même n'a pas le droit de proposer une modification à une loi organique par un amendement au projet de loi contenant le budget. J'ai rappelé cette notion à l'occasion d'une proposition d'un membre de la Chambre tendant à appliquer la décharge de l'accise aux sucres employés dans la fabrication du lait condensé; tout en me déclarant disposé à me rallier à cette proposition, j'ai fait remarquer que je ne pouvais moi-même la traduire en amen- dement que du consentement unanime de la Chambre. Sans cette condition, une proposition de ce genre ne serait pas recevable, faute d'avoir été soumise à la procédure parlemen- taire, qui constitue la sauvegarde des droits de tous ». Cette règle nous paraît donc bien établie 3. Elle se justifie * Ch. des Représ., séance du 16 décembre 1897, Ann. pari., p. 281. 2 Sénat, séance du 24 décembre 1897, Ann. pari., p. 71. •^ Elle est d'ailleurs conforme à la notion théorique du droit d'amen- dement. « Le droit d'amendement, on l'a dit avec raison, est un dimi- nutif du droit d'initiative. 11 s'en distingue essentiellement en ce qu'il n'a pas, comme ce dernier, Je pouvoir de faire naître une question nou- velle, d'appeler l'attention de la Chambre et l'étude des commissions sur certaine matière ; un amendement apparaît comme une modification à apporter à une proposition ou à un projet de loi dont la Chambre se trouve déjà saisie; c'est ce qu'indique son nom même. » (E. Largher, loc. cit., p. 86.) ( • parfaitement, parce qu'elle permet à la Chambre d'examiner et d'étudier sérieusement, avant de les voter, les modifications proposées à des lois organiques par voie budgétaire. Elle évite ainsi des votes de surprise. Le gouvernement observe toujours cette règle dans les modi- fications qu'il introduit; il n'en est généralement pas de même des députés et des sénateurs, qui se contentent le plus souvent de recourir à la procédure d'amendement. Lorsque, par exeniple, M. Denis proposait au budget des voies et moyens pour 1901 des amendements tendant : 1" à l'abolition des droits de douane sur les cafés : 2° à des modifi- cations diverses aux articles 8, 17, 22 de la loi du 22 décembre 1851 sur les droits de succession , on eût pu repousser sa proposition par la question préalable K Elle était doublement critiquable : d'abord parce qu'elle dépassait les limites d'une simple correction ou modification accessoire à une loi d'impôt, et ensuite parce qu'en la déposant, son auteur ne suivait pas la filière établie par le règlement pour les propositions de loi. Le gouvernement renonça à opposer la question préalable, et la Chambre, se prononçant sur le fond, repoussa l'amende- ment Denis 2. Nous formulerons donc les conclusions qui se dégagent de l'étude de la question exposée dans le présent chapitre, en disant : 1° Bien que le droit constitutionnel n'établisse aucune restriction formelle à l'exercice du droit d'initiative, — sauf en ce qui concerne le Sénat, article 27, alinéa 2, — les traditions 1 Ch. des Représ., séance du 19 décembre 1900, Ann. pari., p. 264. - En motivant son abstention, M. Devigne caractérisait très exactement le cas somnis à la Chambre : « Je me suis abstenu parce que je ne puis admettre qu'on invite la Chambre à se prononcer par un vote sur une réforme tinancière aussi importante, qui n'a pas été examinée préala- blem^ent et qui eût dû être écartée par la question préalable. » (Ch. des Représ., séance du 19 décembre 1900, Ann. parL, p. 267.) ( 263 ) parlementaires s'opposenl cependant à des modifications aux lois organiques par voie budgétaire; 2» Elles n'autorisent pas, en effet, une loi budgétaire, qui est annuelle, à introduire des changements dans une loi orga- nique, qui est de nature permanente; 3° Par application de ce principe, les règles parlementaires repoussent absolument les modifications apportées à des lois de dépenses, à l'occasion d'un budget de dépenses, mais elles admettent que l'initiative gouvernementale ou parlementaire propose des modifications à des lois d'impôts dans le budget des voies et moyens; 4° Ces modifications ne peuvent toutefois dépasser certaines limites restreintes et aboutir à des changements essentiels des lois d'impôts. La démarcation entre la simple correction de détail et la réforme organique de la loi ne peut être tracée d'une manière absolue. C'est, selon l'expression de Léon Say, une question de mesure et de sagacité politique; 5° En tout cas, les modifications de l'espèce ne sont pas recevables sous la forme d'amendements. Elles doivent faire l'objet de propositions de loi, dont elles suivront la procé- dure spéciale indiquée par les règlements d'ordre intérieur. CHAPITRE Vil. L'initiative du Sénat en matière de lois de finances. (Art. 27, alinéa 2 de la Constitution.) Nous envisagerons, dans ce chapitre, la question de l'initia- tive parlementaire sous un nouvel aspect : celui de l'interpré- tation à donner à l'article 27, alinéa 2, de la Constitution, relatif au rôle du Sénat en matière financière. Après avoir, dans son alinéa 1, proclamé que l'initiative appartient à chacune des trois branches du Pouvoir législatif, l'article 27 ajoute : Néanmoins, toute loi relative aux recettes ( 264 ) et aux dépenses de VÉtal, ou au contingent de rarmée, doit d'abord être votée par la Chambre des Représentants. Cette disposition est inscrite, d'ailleurs, en termes ana- logues dans les lois constitutionnelles de la plupart des pays à institutions parlementaires, où le Pouvoir législatif est confié à deux assemblées représentatives ''. Elle tire son origine de la Constitution anglaise, d'où elle a passé dans les constitutions des autres pays. Les Communes anglaises possèdent, en effet, des préroga- tives étendues en celte matière, et un droit de priorité établi de longue date au détriment de la Chambre des Lords 2. Dès le règne de Richard II, elles avaient affirmé et reven- diqué ce droit de priorité; elles le défendirent avec énergie sous les Stuarts, et en tirèrent à cette époque les conséquences les plus rigoureuses. « C'était, selon la remarque de MM. Boucard et Jèze, le moment où l'aristocratie s'unissait à la royauté contre le peuple et où l'existence même des Communes était compro- mise. On pouvait craindre que le roi, qui ne pouvait tenir ses subsides que du Parlement, se contentât d'un vote de la Chambre des Lords et ne convoquât plus les Communes. Ce danger n'était plus à redouter si le roi était tenu de saisir en premier lieu la Chambre des Communes de ses demandes de 1 En Autriche, Hongrie, Finlande, dans l'Empire allemand, en Suisse, en Suède et dans la plupart des États qui composent l'Union américaine, il n'est fait aucune différence entre les deux Chambres au point de vue de leurs droits d'initiative financière. (Boucard et Jèze, t. I, p. 220, note 4.) 2 Cf. sur l'historique du droit de priorité des communes : Boucard et Jèze, Op. cit., t. t, pp. 223-224; Morizoï-Thibault, Des droits des Chambres Hautes ou Sénats en matière de lois de finances. — Étude de législation comparée. Paris, Rousseau, 1891, chapitre II : Naissance du droit de priorité en Angleterre, pp. 49-59. A consulter aussi : Favre, Les droits respectifs des deux Chambres en matière de lois de finances, étudiés dans les constitutions de l'Angleterre, des États-Unis et de la France. Nancv, 1880. ( 265 ) subsides. Le droit de priorité assurait donc la convocation périodique des Communes. Il rétablissait ainsi l'équilibre entre les deux Chambres du Parlement. Jusqu'ici, seule la Chambre Haute permanente, à raison de sa composition héré- ditaire, avait été sûre du lendemain. Désormais, grâce au droit de priorité, la Chambre populaire aurait une garantie sérieuse de sa convocation. Ceci explique l'insistance que mirent les Communes, sous les Stuart, à affirmer leur droit de priorité ^. » En une résolution célèbre du 3 juillet 1678, elles résumèrent en termes catégoriques leurs prétentions rigoureuses : « Tous aides et subsides accordés à Sa Majesté en Parlement sont le don exclusif {the sole gift) des Communes. Tous bills ayant pour objet d'accorder des aides ou subsides doivent commen- cer dans la Chambre des Communes {ought to begin witli the Gommons), et c'est le privilège incontestable et exclusif des Communes de diriger, limiter et ordonner, dans ces bills, les tins, objets, considérations, conditions, limitations et qualifications de ces subsides, lesquels ne doivent être ni changés ni modifiés par la Chambre des Lords [which ought not to be changea or altered bg the floiise of Lords) 2 ». Bien que les circonstances aient changé depuis et que la Révolution de 1688 ait consacré la suprématie du Parlement, en garantissant aussi les Communes contre les empiétements de la Couronne, « les Communes ont maintenu leurs préten- tions. C'est une arme inutile pour le moment, mais qu'elles conservent avec soin pour les jours de danger 3 ». Le droit de priorité des Communes n'est donc pas issu d'une conception purement théorique; il est, comme beaucoup d'autres institutions anglaises, un produit historique, un résultat des luttes pour la prééminence dans l'Etat entre la Chambre populaire et la Couronne, appuyée sur la Chambre ' BoucARD et Jèze, t. I, p. 225. 2 Ibid, p. 227. 5 Ibid. ( 266 ) Haute héréditaire. Il garantit aux Communes leur convocation régulière et dresse un obstacle infranchissable aux velléités qu'aurait pu avoir la Couronne de se passer du concours de la Chambre populaire. Par son droit de priorité en matière financière, celle-ci détient de la manière la plus effective les cordons de la bourse. La Couronne doit compter avec elle, il lui est impossible de gouverner sans elle. Telle est la signification historique de la prérogative des Communes en ce qui concerne les lois de finances. Cette prérogative implique rigoureusement trois choses : i^ le droit pour les Communes d'être saisies d'une loi de finances avant la Chambre des Lords; S^' interdiction pour celle-ci d'amender ou de modifier "une loi de finances; 3** interdiction pour les Lords de rejeter une loi de finances. Ce dernier point est toutefois contesté. Cependant, la prérogative des Communes ne s'exerce pas également dans toute sa rigueur pour toutes lois de finances. 11 faut, en effet, à ce point de vue, distinguer trois sortes de lois de finances '' : a) les lois des finances annuelles (tax bills, bills of subsidy, act ofappropiiation); b) celles qui ont pour objet de modifier la composition du fonds consolidé; c) celles qui n'ont qu'accessoirement un but financier, qui ne touchent qu'incidemment aux finances. En ce qui concerne la première catégorie, les lois annuelles, le droit de priorité s'applique de la manière la plus complète. La prééminence des Communes est absolue. Les Lords n'ont aucun droit d'amendement et « il est même très contestable que les Communes permettraient à la Chambre Haute l'exer- cice du droit de rejet 2 ». Quant aux modifications au fonds consolidé, la situation ^ BoucARD et Jèze, t. 1, p. i228. - Ibid., p. 228. ( 267 ) est la même, sauf que les Communes reconnaissent aux Lords le droit de rejet. Enfin, pour les lois qui ne touchent qu'incidemment aux finances, les Communes n'ont pu maintenir leur prérogative dans toute sa rigueur. Elle n'existe guère que pour la forme, et cela par la force même des choses, car ces bills sont très nombreux, « la Chambre des Communes s'est trouvée sur- chargée de besogne; devant cette situation, et pressée par la nécessité, elle a dû atténuer ses prétentions ^ ». En réalité, pour cette catégorie de bills, l'initiative est par- tagée entre les deux Chambres; les Lords ont incontestable- ment le droit de rejet, et quant au droit d'amendement, ils l'ont aussi, « à la condition toutefois de ne pas modifier les dispositions financières, de ne pas augmenter ni diminuer les charges votées par les Communes, de ne pas modifier leur durée, leur assiette, leur mode de perception, d'administration ou de contrôle, ni les limites de perception ^ ». il faut remarquer enfin, pour acheveT de caractériser le droit de priorité financière des Communes, que ce droit n'est pas aussi absolu qu'il le paraît. Il reçoit, en effet, dans la pra- tique budgétaire anglaise, de sérieux tempéraments. D'abord, parce que l'initiative financière appartient exclusivement à la Couronne ; ensuite, parce que, d'après un usage bien établi, les Communes ne modifient que très peu et rarement les proposi- tions budgétaires, et enfin l'existence du fonds consolidé limite, lui aussi, le droit exclusif des Communes en matière finan- cière '">. Si les restrictions au droit d'initiative de la Chambre Haute au profit de la Chambre populaire s'expliquent, ainsi que nous l'avons dit, dans la Constitution anglaise, elles s'expliquent aussi pour des raisons analogues dans tous les pays où les Chambres 1 Cf. pour les détails : Ibid., p. 232... - Erskine May, Pari. Practice, 8^ édit., pp. 597 et suiv. ^ BoucARD et Jeze, t. 1, p. 229. ( 268 ) Hautes sont héréditaires ou nommées directement en tout ou en partie par le roi. « Dans les pays, au contraire, où la Chambre Haute est entièrement élective, le droit de priorité des députés ne se justifie plus rationnellement. On ne peut plus dire, en effet, qu'il assure aux députés leur convocation périodique et pré- vient une coalition de l'Exécutif et de la Chambre Haute; on ne peut pas dire non plus que la Haute Assemblée ne repré- sente pas les contribuables. Qu'importe qu'elle soit élue direc- tement ou à deux ou plusieurs degrés, qu'il y ait pour elle un cens d'électorat ou d'éligibilité? Elle n'en est pas moins l'élue de la nation; on peut même soutenir, en s'appuyant sur les faits, que la Haute Assemblée, recrutée par voie de sélections successives, est mieux composée que la Chambre Basse. » Non seulement il n'y a, dans ces pays, aucune raison pour ne pas reconnaître aux deux Chambres égalité de pou- voirs, mais encore il y en a d'excellentes pour ne pas affaiblir le contrôle financier de la Chambre Haute. C'est une vérité d'expérience que les Chambres populaires sont d'autant plus gaspilleuses que leur base est plus démocratique. Il faut des obstacles solides qui s'opposent à ces pratiques désastreuses pour les finances de l'État. Le premier de ces obstacles doit consister à refuser au Parlement l'initiative en matière finan- cière. Le deuxième frein à l'esprit de prodigalité de la Chambre populaire, c'est l'existence d'une Chambre Haute. Le rôle modérateur de la Haute Assemblée, si désirable en matière législative ordinaire, l'est encore plus en matière financière. l\ est absolument indispensable dans les pays où les membres de la Chambre populaire ont l'initiative financière ^ ». Si l'on souscrit à ces observations, qui nous paraissent très fondées, particulièrement pour notre pays, on se demandera comment on peut expliquer dans la Constitution belge, qui consacre l'institution d'un Sénat électif, l'existence de l'arti- cle TI, alinéa 2. ' BOUCATID et JÈ7K, t. T. p. 54.^. ( 269 ) Les travaux préparatoires sont très sobres sur ce point. Ils constatent simplement les faits suivants. Le projet de Constitution, élaboré par la commission nommée par le gouvernement provisoire, proposait un article 39 ainsi conçu : « L'initiative appartient aux trois branches du Pouvoir législatif. Néanmoins, toute loi relative aux recettes ou dépenses de l'Etat ou au contingent de l'armée doit d'abord être votée par la Chambre élective ^. w 11 était, en effet, incertain à ce moment s'il y aurait deux Chambres électives et même si l'on ne se contenterait pas d'une seule Chambre 2. Certains penchaient pour une Chambre élective et une Chambre nommée par le Roi. On comprend dès lors, dans cette hypothèse, le deuxième alinéa de l'article 39. Mais puisque la question a été tranchée par le vote du 17 décembre 1830, qui consacre le principe de l'élection des deux Chambres (article 53 de la Constitution), on ne s'explique plus que les Constituants aient maintenu ce texte. Ils le firent cependant, par le vote du 3 janvier 1831, en se contentant simplement de remplacer dans le texte du projet de l'article 39 les termes Chambre élective par ceux de Chambre des Repré- sentants. Cette décision fut prise sans discussion, et l'on reste indécis sur les motifs qui ont pu inspirer les auteurs de la Constitu- tion. Aussi peut-on souscrire à l'opinion défendue par M. Arntz en tant qu'elle concerne la Belgique, a II nous paraît, dit-il 3, que les auteurs des diverses constitutions conti- nentales ont accepté cette disposition (de la Constitution anglaise) sans contrôle, sans examen, sur la foi de son impor- * Cf. HuYTTENS, Discussions du Congrès national..., t. IV, p. 43. — Pièces justificatives, n» 45. - Cf. projet Forgeur, etc., du 23 novembre 1830, ibid., p. SO. — Pièces justificatives, n° 47. 3 Arntz, De V origine, des motifs et de la portée de V article 27, alinéa 2, de la Constitution belge. Lecture faite à l'Académie royale. Bulletins, 50e année, 3« série, t. II, 1881 (pp. 576-601), p. 581. ( 270 ) tance et par respect pour l'autorité du droit constitutionnel anglais, plutôt que sous l'empire d'une conviction raisonnée de sa nécessité ou de son utilité politique. » Et il ajoute encore, précisant la même idée : « Les auteurs de la Constitution, plus préoccupés du souci de créer une œuvre pratique et viable que dominés par le désir de se livrer à des discussions théoriques, ont puisé dans les législations étrangères des dispositions consacrées par le temps [Urne honoured), comme disent les Anglais, qui leur offraient par cela même une garantie d'uti- lité et de sagesse. Mais des raisons théoriques, pratiques ou politiques et inhérentes au mécanisme de nos institutions constitutionnelles font entièrement défaut, et, nous n'en dou- tons pas, si le Congrès s'était livré à une discussion appro- fondie de cet article, il l'aurait rejeté comme inutile i. » L'article 27, alinéa 2, constitue donc en quelque sorte un hors-d'œuvre et comme une anomalie dans notre système constitutionnnel. Les raisons qu'en ont données, pour le justifier, certains commentateurs et notamment MM. Thimus, Van Hoorebeke, Thonissen, ne paraissent guère décisives '^. Aussi peut-on regretter que l'on n'ait pas saisi l'occasion fournie en 1892, par la revision de la Constitution, pour rayer cette disposition de notre pacte fondamental. La propo- sition en avait été faite par le Sénat, elle fut rejetée par la Chambre. Le texte restrictif de l'article 27 subsiste donc, et puisqu'il existe, il faut l'observer et l'appliquer. Mais l'exposé que nous venons de faire indique clairement, nous paraît-il, quelle est la portée de cet article et de quelle manière il convient de l'interpréter. 1 Arntz, Ibid, p. 269. 2 Thimus, Traité de droit public, t. II, p. 129. Liège, Dessain, 1844 ; Van Hoorebeke, Manuel du droit public interne de la Belgique, pp. 41-42, Gand, Hoste, 1848; Thonissen, Constitution belge annotée, n^ 137; Cf. Arntz, loc. cit., pp. 591-594. ( 271 ) L'interprétation doit en être aussi restrictive que possible et cela pour deux motifs : 1° la disposition est exceptionnelle; 2« cette exception elle-même n'a pas de raison d'être dans l'ensemble de nos institutions parlementaires. Dès lors, le texte : toute loi relative aux recettes ou dépenses de l'Étal, doit être entendu dans son sens le plus étroit. Il ne peut s'agir de toute loi quelconque, ayant incidemment un caractère financier, mais seulement, ainsi que l'observe Tho- nissen, des lois « dont le but principal, sinon (exclusif, est le vote des recettes ou des dépenses, tels que les emprunts, les budgets, la création ou la iTiodification d'un impôt ^ ». De plus, le Sénat belge n'en est pas réduit au simple droit d'adopter ou de rejeter en bloc une loi de finances. Il possède dans sa plénitude le droit d'amendement. La preuve en est d'abord, nous semble-t-il, dans le texte même de l'article 27, alinéa 2, qui exige que toute loi de finances soit d'abord votée par la Chambre. Lorsque celle-ci a voté la loi en question, avant le Sénat, le vœu constitutionnel est rempli. Et quand le Sénat, à son tour, est saisi du projet après le vote de la Chambre, la discussion et le vote auxquels il se livre ne sont plus soumis à aucune restriction. Le Sénat peut donc amender le projet qui lui est soumis, par application d'ailleurs des articles 41 et 42 de la Constitution, qui recon- naissent aux deux Chambres le droit d'amendement. On peut aussi invoquer en faveur de cette interprétation l'avis formel de la section centrale du Congrès national, qui s'est prononcée par neuf voix contre cinq pour le droit d'amen- dement du Sénat en matière de lois de finances 2. Si le Sénat conserve son droit d'amendement, il peut donc, par exemple, rétablir un crédit supprimé dans le budget par 1 Constitution belge annotée, 3° édit., n» 163. — M. Thonissen ajoute : « Admettre un système contraire, ce serait réduire à des cas extrêmement rares le droit d'initiative que l'article 27 accorde, en termes généraux, aux trois branches du Pouvoir législatif ». 2 Cf. HUYTTENS, t. IV, p. 70. ( 272 ) la Chambre et supprimer un crédit voté par celle-ci. Mais a-t-il le droit d'introduire dans le projet voté par la Chambre, une disposition nouvelle? La question est délicate. M. Thonissen penche pour la néga- tive lorsqu'il dit : « Tout ce qu'on peut exiger en droit et en équité, c'est que le Sénat, sous prétexte d'amender, ne s'écarte pas du principe, de la base même du projet; car, dans ce dernier cas, il voterait en réalité une loi nouvelle et commet- trait, au moins virtuellement, une violation de l'article 27 de la Constitution ^ ». Nous nous rallierons cependant de préférence à l'opinion de M. Arntz, qui pense que, dans le doute, il faut toujours se décider en faveur du droit du Sénat de prendre l'initiative et de faire des amendements. Cette opinion, M. Arntz la formule en ces termes, qui résument sa savante étude et qui peuvent également servir de conclusion à ce chapitre : « La disposition de l'article 27, alinéa 2, est exceptionnelle et dérogatoire au principe que l'initiative appartient à chacune des trois branches du Pouvoir législatif. Nous croyons avoir démontré qu'elle n'a pas de raison d'être en Belgique. Toutefois, puisqu'elle existe, il faut la respecter, mais il faut l'interpréter et l'appliquer, comme toutes les lois d'exception, de la manière la plus restrictive possible, c'est-à-dire, dans le doute, toujours en faveur du droit du Sénat de prendre l'initiative et de faire des amendements 2». Cette interprétation restrictive est généralement admise par la pratique parlementaire. Mais, en l'absence d'une solution législative, des difficultés s'élèvent encore assez fréquemment sur l'attitude à prendre par le Sénat dans certains cas parti culiers 3. * Loc. cit., 2 Loc. cit., p. 600. * Pour les précédents : consulter le rapport de M. Surmont de Volsberglie, au nom de la Commission spéciale chargée d'examiner la question de savoir si le Sénat peut, dans les limites de sa compétence, établir un droit de licence sur les cercles de jeux, avant que la Chambre ait voté ce droit. (Sénat, sess. de 1896-1897, Doc. pari., n» 24.) ( 273 ) L'histoire parlementaire belge relate d'ailleurs très peu de conflits entre le Sénat et la Chambre au sujet de la prérogative financière de celle-ci. La Chambre se contente de la part très large que lui a ménagée la Constitution, même interprétée restrictivement ^, sans chercher à l'augmenter encore par une interprétation extensive parfois tracassière, comme le fait la Chambre des députés en France 2. En matière budgétaire, le droit de priorité de la Chambre est d'ailleurs plus effectif encore et plus étendu, à cause de la pra- tique vicieuse qui sévit en Belgique pour le vote des budgets. Les discussions traînant en longueur à la Chambre, les bud- gets n'arrivent que très tard au Sénat; celui-ci doit les discuter à la hâte et souvent lorsque la Chambre est déjà licenciée. Il en résulte que ses droits d'amendement et de contrôle n'ont plus guère de valeur pratique. Aussi ne se passe-t-il pas de session sans que le Sénat pro- teste contre cette situation amoindrie et contraire à son véri- table rôle constitutionnel. Il revendique hautement et très légitimement ses droits et les défend énergiquement contre toute restriction abusive. CHAPITRE VIII. Du droit, pour le gouvernement, de retirer devant le Sénat un projet de budget voté par la Chambre. Dans les trois derniers chapitres, nous avons examiné à divers points de vue l'initiative parlementaire, dans ses 1 « Investie exclusivement du droit de priorité, la Chambre des députés obtient un avantage considérable sur le Sénat, car c'est elle qui fait et vote la première le budget au nom du peuple. Or, la pratique démontre que, lorsque le budget a été établi par l'une des Assemblées, l'autre n'a plus sur lui qu'un pouvoir de contrôle, amendant l'œuvre opérée sans la composer; ce qui fait de la Chambre basse la maîtresse, de la loi tinan- cière. » (Morizot-Thibault, op. cit., p. 332.) 2 Cf. Morizot-Thibault, op. cit., — Boucard et Jèze, t. I, pp. 251... Tome LXVI. ^8 ( 274 ) rapports avec le vote des lois de budget. Celte fois, nous étudierons l'initiative gouvernementale, à propos d'une ques- tion qui a occupé le Parlement au cours de l'une des dernières sessions, et qui soulève un intéressant problème d'interpréta- tion de l'article 27 de la Constitution. Le 20 décembre 1901 ^, la Chambre des représentants avait discuté et voté le budget des dotations pour 1902, déposé par le gouvernement le 9 octobre, en même temps que les autres projets de budgets. A l'article 4 de ce budget figure la dotation de la Chambre des représentants. Il est d'usage que chacune des deux Chambres discute en comité secret son propre budget. Ce comité secret, constitué au cours de la séance du 20 décembre, adopta, par 54 voix contre o2, le principe du libre parcours gratuit et général des députés sur les chemins de fer du royaume. En conséquence, le littéra l de l'article 4 avait été majoré de 143,640 francs et porté à 151,640 francs. Le budget de la Chambre s'élevait ainsi à fr. 1,200,453 60. 11 fut voté et fixé à ce chiffre, en séance publique, par 54 voix contre 5 et 40 abstentions. Les abstentionnistes motivèrent leur vote, pour la plupart, par l'inconstitutionnalité de l'inscription au budget d'un crédit destiné à couvrir la dépense résultant du libre parcours général. En effet, l'article 52 de la Constitution dispose : « Chaque membre de la Chambre des représentants jouit d'une indemnité annuelle de ^,000 francs. Il a droit, en outre, au libre parcours sur les lignes des chemins de fer de l'État et au parcours gratuit sur les lignes des chemins de fer concédés du lieu de sa résidence à la ville oii se tient la session. » Dans sa rédaction actuelle, cet article est issu de la dernière revision constitutionnelle; il a été promulgué par la loi du 7 septembre 1893. L'ancien article 52 se bornait à allouer aux députés une indemnité mensuelle de 200 florins, pendant toute la durée de la session. * Ann. pari., pp. 355 et suiv. ( 275 ) La disposition nouvelle, outre l'indemnité annuelle de 4,000 francs, donne donc au député le droit au libre parcours sur les chemins fie fer de l'État et au parcours gratuit sur les chemins de fer concédés, du lieu de sa résidence à la ville oii se tient la session. Comment faut-il interpréter cette dernière partie du texte? Les auteurs de la proposition du libre parcours général faite au comité secret de la Chambre ont pensé que l'article 52 n'était pas limitatif et qu'il permettait d'étendre le privilège accordé aux députés. Ce fut l'avis aussi de la majorité de la Chambre et en particulier du président et des deux vice- présidents. Il nous paraît toutefois que l'opinion de la minorité était plus fondée. On ne peut, pensons-nous, hésiter sur le sens de l'article 52. Le texte lui-même semble consacrer formellement la limitation du libre parcours. Et si l'on consulte les travaux préparatoires de la revision de l'article o2, on constate qu'une proposition tendant à doter les députés du libre parcours général et gratuit sur l'ensemble du réseau avait été rejetée et que le texte actuel avait été voté à titre transactionnel, puisque, avant 1893, les députés ne jouissaient d'aucune espèce de transport gratuit K * En séance du 18 juillet i893 (Ann. pari., p. d930), la Chambre avait décidé de se réunir en comité secret pour délibérer sur la question de l'indemnité parlementaire. Le lendemain, 19 juillet 1893, M. Schollaert donna lecture du rapport sur la résolution prise par la Chambre en comité secret : « La majorité, disait-il, a pensé avec votre commission qu'il fallait inscrire dans le texte de l'article 52 les conditions de libre parcours sur les lignes de chemins de fer que l'on croirait devoir accorder aux députés, et qu'il ne fallait pas laisser à la loi le soin de régler ce point. Elle a cru qu'il serait bon d'accorder à tous les députés le libre parcours sur toutes les lignes de chemin de fer de l'État, afin de faciliter leur mission de contrôle. Il s'en- suivrait que cette franchise devrait être accordée, non seulement durant la session, mais pendant toute l'année. La liberté de parcours étant ainsi généralisée sur les lignes de chemin de fer de l'État, il a paru équitable ( 276 ) Par conséquent, la disposition de l'article o2 établit une limite maximum, et la décision de la Chambre en franchissant cette limite était inconstitutionnelle. Ce fut l'avis du gouvernement. Mis en présence de cette situation créée par le vote du budget des dotations par la Chambre, que pouvait-il faire? d'assurer au moins le parcours gratuit depuis le lieu de leur résidence jusqu'à la ville où se tient la session, aux députés habitant des localités desservies par des lignes de chemins de fer concédés ». En conséquence, l'article 52 recevait la rédaction suivante : « Chaque membre de la Chambre des Représentants jouit d'une indemnité de 4,000 francs. 11 a droit, en outre, au libre parcours sur tontes les lignes de chemins de fer de l'État, et au parcours gratuit sur les lignes de chemins de fer concédés du lieu de sa résidence à la ville où se tient la session ». Après discussion de différents amendements, l'alinéa l®' fut adopté à l'unanimité des voix, et l'alinéa 2, par 80 voix contre 35. L'ensemble de l'article fut voté dans le texte proposé par 112 voix contre 1 (19 juil- let 1893, Ann. pari., pp. 1938-1941). L'article 52 fut discuté au Sénat le 3 août 1893 {Ann. pari., pp. 501- 506.) L'alinéa l^r reçut l'adhésion unanime des sénateurs, mais l'alinéa 2 fut rejeté par 59 voix contre 8 et 3 abstentions. Le 17 août 1893, l'article 52 reparut à l'ordre du jour de la Chambre. Deux propositions relatives au libre parcours furent soumises au vote. La première, soutenue par MM. Berge et De Malander, reprend le texte voté la première fois par la Chambre et accorde le libre parcours sur toutes les lignes de chemin de fer de l'État, sans restriction. Elle est rejetée par 70 voix contre 56 et 1 abstention. La seconde est faite par M Snoy et ainsi conçue : « Il a droit, en outre, au libre parcours sur les lignes des chemins de fer de l'État et au parcours gratuit sur les lignes des chemins de fer concédés, du lieu de sa résidence à la ville où se tient la session ». Cette proposition est adoptée par 87 voix contre 32 et 4 abstentions. {Ann. pari., p. 2170.) Dans sa séance du 28 août 1893, le Sénat ratifia cette rédaction à l'unanimité des votants. {Ann. pari., p. 614.) (Cf. Beltjens, Constitution belge revisée. Exposé historique, n»» 162 à 190.) Il ne paraît pas douteux, d'après ces discussions, que le dernier membre de l'article : «du lieu de sa résidence... la session », ne se rapporte aussi bien au libre parcours sur les chemins de fer de l'État qu'au parcours gratuit sur les chemins de fer concédés. ( 277 ) Il pouvait, a-t-on dit, laisser suivre la filière habituelle au projet volé par la Chambre, le combattre au Sénat, et si celui-ci se ralliait, malgré son opposition, à l'opinion de la Chambre, obtenir du Roi un refus de sanction. Cette procédure eût certes été très régulière, mais elle se heurtait, dans l'espèce, à diverses difficultés. Le désaccord entre la majorité de la Chambre et le gouver- nement portait, en ettét, sur le vole de l'article 4, c'est-à-dire sur le budget même de la Chambre, Or, l'usage parlementaire veut que chaque Chambre soit maîtresse de son propre budget ; l'autre Chambre se contente d'entériner invariablement le vote de sa voisine, sans y rien changer. C'est une question de courtoisie. Il eût été peu correct, dès lors, de la part du gouvernement, de rompre cette tradition en demandant au Sénat de refuser d'approuver les dispositions prises par la Chambre pour son propre budget, d'autant plus que, en ce qui concerne la question du parcours gratuit sur les chemins de fer, le privilège que s'est octroyé le Sénat n'est peut-être pas tout à fait à l'abri du reproche d'inconstitutionnalité ! Mais du moins, dit-on, si le Sénat se rangeait à l'avis de la Chambre, il restait au gouvernement le moyen d'obtenir du Roi le refus de sanction du budget des dotations et, en toute hypothèse, la dissolution des Chambres et l'appel au pays. On comprendrait difficilement que le Roi refusât de sanc- tionner un budget et surtout le budget des dotations, et l'on comprend aussi que le gouvernement ait hésité à recourir éventuellement aux moyens extrêmes de la dissolution et de l'appel au pays, lorsqu'il lui était loisible de retirer le projet de loi en litige. Le 24 décembre 1901, le Roi, sur la proposition du ministre des finances et de l'avis du conseil dos ministres, prit donc un arrêté royal ainsi libellé ; « Nous avons arrêté et arrêtons : » Notre Ministre des finances et des travaux publics est » chargé de retirer en Notre nom le projet de loi contenant le » budget des dotations pour F exercice 190!2 qui a été présenté ( 278 ) » aux Chambres législatives en vertu de Notre arrêté du 9 octo- » bre 1901. » Cet arrêté fut communiqué au Sénat le 26 décembre et à la Chambre le 14 janvier 1902, en même temps que le ministre des finances présentait à cette dernière assemblée un nouveau projet de budget des dotations. Aussitôt des protestations s'élevèrent au sein du Parlement, suivies d'une longue discussion, — très vive et souvent pas- sionnée à la Chambre, — sur la constitutionnalité de la mesure prise par le gouvernement ^. Nous ferons ici abstraction de toute considération étrangère pour n'envisager que la question de droit constitutionnel que l'on peut formuler en ces termes : Le gouvernement a-t-il le droit de retirer devant le Sénat un projet de budget voté par la Chambre ? La thèse affirmative du gouvernement était basée sur une interprétation de l'article 27. Le Roi, comme chacune des deux autres branches du Pou- voir législatif, possède le droit d'initiative. Or, ce droit d'initia- * Cf. Sénat, séance du 26 décembre i90i,Ann.parl., pp. 73 et suiv. — Chambre, interpeliaiion de M. Xeujean au sujet de l'inconstitutionnalité du retrait, par le gouvernement, du budget des dotations pour 19(l2 : Chambre, 14 janvier 1902, Ann. pari., pp. 368 et suiv. Id. 15 — - 377 — Id. 16 — — 395 — Id. 17 - - 411 — Sénat, 15 mai — — 389 — A consulter surtout, pour la thèse du gouvernement : les discours de MM. de Smet de Naeyer et Van den Heuvel, et du côté de l'opposition les discours de MM. Neujean, Huysmans et Janson, à la Chambre, de MM. Dupont et Goblet d'Alviella, au Sénat. A consulter encore, contre la thèse du Gouvernement : deux articles de 3ïf Léon Hennebicq. Journal des Tribunaux du 26 janvier 1902 (pp. 98-101); 13 mars 1902 (pp. 306-310). Pour la thèse du gouvernement : un article de M^ A. Nerincx, Journal des Tribunaux du 23 février 1902 (pp. 226-230). ( 279 ) îive en comprend logiquement plusieurs, qui s'enchaînent les uns aux autres. Il suppose d'abord le droit de déposer des projets de loi devant les Chambres, devant l'une ou devant l'autre, sauf la restriction de l'alinéa 2; il entraîne ensuite le droit de modi- fier, soit devant la Chanibre, soit devant le Sénat les projets déposés; il comprend, enfin, le droit de retirer les projets déposés pendant tout le cours du travail législatif». Déposer, modifier, retirer les projets de loi, tels sont les différents pouvoirs que renferme le droit d'initiative. On ne nie pas que le droit de retrait découle du droit d'initiative. Personne non plus n'a songé à contester sérieuse- ment au gouvernement le droit de retirer un projet de loi avant qu'il soit voté par l'une des deux Chambres. De même, on sera facilement d'accord pour dire qu'une fois le projet voté par les deux Chambres, il ne peut plus être question d'exercer le droit de retrait : le projet voté n'attend plus alors pour devenir loi que la sanction royale, il ne peut plus être ni amendé ni retiré, le droit d'initiative est complètement épuisé et le seul droit que conserve le Roi est celui de ne pas sanctionner le vote des deux Chambres. Mais, et c'est là le point en discussion, si l'on se place dans la phase intermédiaire du travail législatif, au moment où le projet déposé par le gouvernement a été volé par l'une des deux Chambres, le gouvernement peut-il encore, à ce moment- là, exercer son droit de retrait? Non, dit-on, car à la suite du vote de l'une des deux Chambres, le projet n'est plus le projet du gouvernement, et, par conséquent, celui-ci ne peut plus le retirer'^, * Cf. Discours Van den Heuvel. (Gh. des Représ., séance du 15 jan- vier 1902, Ann. pari., p. 383.) 2 « Vous pouviez, avant le vote, faire deux choses pour résister à la Chambre : vous pouviez refuser de porter le crédit nécessaire au budget et maintenir votre projet primitif de budget; vous pouviez aussi retirer le projet. Mais, du moment où vous l'aviez laissé soumettre au vote de la Chambre, tel que vous l'aviez modifié avec la majoration de crédit, et ( 280 ) En effet, l'article 27 place, au point de vue de l'initiative, les trois branches du Pouvoir législatif sur la même ligne. Le gouvernement n'a pas plus de droits que chacune des Cham- bres. Or, supposons, disait M. Huysmans, une proposition émanée de l'initiative parlementaire : « Ce projet est voté par la Chambre et, après ce vote, le président a déclaré, conformé- ment à la Constitution, que le projet est transmis au Sénat. Les membres qui ont présenté ce projet peuvent-ils encore le retirer? La Chambre elle-même peut-elle encore le retirer? Non ! Ce projet appartient au Sénat, le Sénat en est saisi, et c'est le Sénat seul qui peut statuer. » C'est ici qu'apparaît votre erreur... Vous voulez, vous, que le pouvoir gouvernemental prime le droit des deux autres branches du pouvoir. Vous soutenez qu'alors que la Chambre ne pourrait plus retirer un projet dû à son initiative, qu'elle a renvoyé au Sénat, le gouvernement, lui, aurait le droit de le faire quand il s'agit d'un projet de loidû à son initiative... Vous faites trop bon marché de l'initiative de la Chambre, pour ne voir que celle du gouvernement ; car, lorsqu'un projet a été soumis par le Roi à la Chambre et que la Chambre l'a amendé et voté, c'est l'initiative de la Chambre qui apparaît et qui se substitue à celle du gouvernement qui a pris fin. Votre initiative à vous, mais elle est épuisée. » Votre projet devient en réalité le projet de la Chambre qui, en vertu de son autorité propre, le renvoie au Sénat. Par conséquent, lorsque vous avez retiré devant le Sénat le projet soumis à ses délibérations par la Chambre qui le lui avait transmis, vous avez supprimé par arrêté royal l'initiative de la Chambre. )) i\L le Ministre des finances a donc violé la Constitution que, la Chambre l'ayant voté, M. le président a dit que le budget serait transmis au Sénat, vous n'aviez pas le droit de le retirer, il ne vous appartenait plus. » (Huysmans, Ch. des Piepr., séance du 15 janvier 1902, Ann. part., p. 380.) À ( 281 ) dans plusieurs de ses dispositions; il a même violé l'article 27 qu'il invoque à l'appui de sa thèse, car cet article consacre l'initiative des d'eux Chambres ^. » En réponse à la première partie de cette argumentation, on peut admettre que certes le texte constitutionnel n'établit pas de différence entre les trois branches du l^ouvoir législatif, en ce qui concerne leur initiative. Elles la possèdent, chacune au même titre. iVIais, par la force même des choses, des différences se marquent dans la manière dont elles exercent cette initiative et en particulier le droit de retrait. Si la Chambre ou un membre de la Chambre ne peut — ce qui n'est pas contesté — retirer un projet dû à son initiative quand il a été consacré par un vote, c'est pour la raison très simple que ce vote dessaisit la Chambre et que les pouvoirs et privilèges de celle-ci et de chacun de ses membres expirent au seuil même de la Chambre. Concevrait-on un député qui s'adresserait au Sénat pour retirer un projet qui a été transmis par la Chambre à la Haute Assemblée? Il est probable que celle ci, avec d'ailleurs toute la politesse dont elle a conservé la tradition, ne manquerait pas de faire remarquer à ce député qu'il se trompe d'adresse et ce serait justice. De même, un voie de la Chambre retirant dans les mêmes conditions un projet transmis au Sénat n'aurait pas plus de valeur pour celui-ci. Les Chambres sont indépendantes l'une de l'autre dans l'exercice de leurs attributions et leurs membres ne peuvent évidemment exercer celles-ci que dans l'enceinte de leur assemblée respective. Il n'en va pas de même lorsque le projet émane de l'initia- tive gouvernementale. Celle-ci n'est nullement épuisée quand le projet a été voté par l'une des Chambres, parce que, à la différence du député et du sénateur, le gouvernement est présent et représenté dans les deux Chambres, où il suit * Cl), des Représ., séance du 15 janvier 1902, Ann. part., p. 381. ( 282 ) attentivement les différentes phases de l'e^laboration de la loi jusqu'à son vote complet et définitif. « Il importe d'observer, disait M. le Ministre df la justice, que le gouvernement intervient dans la discussion d'un projet aussi bien devant la Chambre qui en est saisie en second lieu que devant celle qui a eu à s'en occuper la première. Son droit d'amendement et, partant, de retrait, peut s'exercer successi- vement devant chacune des deux Chambres. II est constam- ment présent, pendant le cours entier des deux actes de la discussion, celui qui se déroule devant la Chambre et celui qui se déroule devant le Sénat. » Au contraire, chacune des assemblées a épuisé son droit quand elle a voté sur un projet soit pour l'adopter, soit pour le repousser. Dès cet instant, elle est dessaisie et ne peut plus prendre aucune part à la discussion devant l'autre Chambre^. » On dit encore : la formule sacramentelle que prononce le président de la Chambre, lorsque celle-ci a voté un projet de loi : la Chambre adopte, le projet sera transmis au Sénat, a pour effet de saisir directement le Sénat de ce projet. Elle indique que la Chambre, par son vote, a substitué son initiative à celle du gouvernement, et c'est de sa propre autorité qu'elle saisit le Sénat d'un projet issu d'ailleurs de l'initiative gouvernemen- tale. La Chambre fait usage ainsi de son droit légitime d'initia- tive, et le gouvernement, en retirant le projet transmis au Sénat, supprime en réalité l'initiative de la Chambre, ce qui est inconstitutionnel et contraire à l'article 27. Cette objection nous paraît, d'une part, exagérer la signifi- cation de la transmission au Sénat d'un projet de loi voté par la Chambre et, d'autre part, en déduire des conséquences erronées. La formule usuelle des arrêtés royaux pris en vue de la présentation d'un projet de loi au Parlement est la suivante : c( Nous avons arrêté et arrêtons : Le projet de loi dont la * Sénat, séance du 15 mai 1902, Ami. pari., p. 390. ( 283 ) teneur suit sera présenté en Notre nom aux Chambres législa- tives par Notre Ministre... C'est donc le Roi qui saisit par un même arrêté les deux Chambres à la fois. Il peut appeler à discuter et à voter le projet, en premier lieu, Tune ou l'autre Chambre à son choix, sauf en cas de lois de finances, où la priorité appartient de droit à la Chambre des représentants. La « transmission » d'un budget ou d'un projet voté d'abord par la Chambre au Sénat ne constitue donc pas un acte d'initiative. C'est un simple fait matériel, une simple opéra- tion de greffe ''. De plus, le vote par la Chambre d'un projet dû à l'initiative gouvernementale n'a nullement pour etîet de substituer l'initia- tive de la Chambre à celle du gouvernement. Le projet, même amendé par la Chambre, reste projet du gouvernement, et en le retirant celui-ci n'entame en rien un droit de la Chambre. C'est ce que montrait très clairement M. le Ministre de la justice dans son discours à la Chambre 2 : « Lorsque le gouvernement présente devant les Chambres un projet de loi, il demande à l'une et à l'autre assemblée de bien vouloir se rallier à ses propositions et d'unir leur décision à la sienne pour donner force légale à ce qu'il leur propose, quitte à admettre tel ou tel amendement particulier. Est-ce que la circonstance que ce projet de loi est voté par l'une des Chambres et même amendé par elle, en change la nature et en fait un projet émanant de la Chambre? Nullement. Projet de loi du gouvernenjent lors de son dépôt, il reste tel après avoir été voté. » Et c'est le gouvernement qui le transmet ensuite à l'autre Chambre. Certes, pour la facilité le greffe de la Chambre fait cette transmission, mais ce n'est là qu'une facilité de procé- dure et le projet n'en reste pas moins le projet de son auteur. » 1 Cf. Discours de M. de Smet de Naeyer. (Ch. des Représ., séance du 14 janvier 190^2, Ann. pari., p. 371.) 2 Ch. des Représ., séance du 15 janvier 1902, Ann. pari, pp. 385-386. ( 284 ) » M. Neujean. — Pourquoi n'est-il pas devenu le projet de la Chambre? » M. Van den Hmvel. — Parce qu'il ne change pas de nature, comme je viens de le dire, par le simple fait qu'il a été voté et amendé par la Chambre. Il n'en demeure pas moins le projet du gouvernement. » Le vote de la Chambre montre que celle-ci se range à l'avis de l'auteur du projet, c'est-à-dire du gouvernement. Voilà ce qui est consacré par le vote, rien de plus. Pour avoir rencontré l'assentiment de la Chambre, un projet déposé par le gouvernement n'en reste pas moins un projet du gouverne- ment. » M. Huysmans. — Mais lorsqu'il s'agit d'un projet du gou- vernement amendé par la Chambre, cet amendement n émane- t-il pas de la Chambre ? » M. Van den Heiwel. — L'insertion d'un amendement dans un projet déposé par le gouvernement ne transforme pas plus celui-ci en un projet de la Chambre que l'insertion d'un amendement du gouvernement dans un projet émané de la Chambre ne fait de celui-ci un projet du gouvernement. » M. Neujean. - Et quand un amendement a été adopté contrairement à l'avis du gouvernement, le projet reste-t-il encore projet du gouvernement? )) 3/. Van den Heuvel. — C'est encore le projet du gouverne- ment, mais le gouvernement peut, comme le disait M. Janson en 1893, soit retirer le projet, soit le combattre au Sénat, soit proposer au Roi de ne pas le sanctionner. » Et au Sénat, répondant à la même objection i, le ministre précisait d'une manière très nette la différence qu'il convient d'établir entre la décision de l'une des Chambres relative à une proposition émanant de l'initiative parlementaire et sa décision lorsqu'elle se prononce sur un projet dû à l'initiative du gou- vernement. * Sénaî. séance du 15 mai 4902. Ann. pari., p. 390. ( 285 ) c( La portée de la décision et ses effets ditïèrent notablement dans les deux cas. » Dans le premier cas, lorsque l'une des Chambres se pro- nonce sur une proposition émanant de l'initiative individuelle d'un de ses membres, son vote favorable équivaut à un renvoi à l'autre Chambre. C'est l'expression d'une volonté, d'un désir et de la volonté de saisir l'autre assemblée, et du désir de voir celle-ci examiner et discuter la proposition adoptée. » Il n'en est pas de même dans le second cas, lorsque c'est le gouvernement qui a présenté le projet. L'adhésion que l'une des deux Chambres lui donne atteste uniquement sa communauté de vue avec le gouvernement. Le projet ne change pas de caractère, quels que soient les amendements y apportés. Projet du gouvernement il était à son origine, projet du gouvernement il reste et demeure jusqu'à la fin. L'assenti- ment de la Chambre ne le transforme pas plus en une propo- sition de la Chambre, que l'acquiescement du gouvernement à une proposition de la Chambre ne transforme celle-ci en un projet gouvernemental. De telle sorte que le gouvernement reste absolument libre à l'égard du projet qu'il a déposé et qui a été adopté; il peut chercher devant l'autre Chambre à l'amen- der, à le modifier essentiellement, il peut même le retirer quand de sérieuses circonstances le lui commandent. » Cette interprétation de notre droit public et parlementaire, favorable à la constitutionnalité du droit de retrait par le gou- vernement d'un projet voté par l'une des Chambres, repose d'ailleurs sur une série d'arguments solides. M. le Ministre de la justice les a fait valoir dans son court et substantiel discours au Sénat i. On peut d'abord invoquer en sa faveur l'esprit même de la Constitution que l'on peut retrouver dans un opuscule célèbre, imprimé à Liège en 4830 et intitulé : Observations sur le pou- voir royal. * Sénat, séance du 45 mai 1902, Aîin. pari., pp. 390-391. ( 286 ) Son auteur, M. Joseph Lebeau, y formule l'opinion sui- vante : « Il serait très désirable que le Roi ne soit pas toujours lié par la présentation d'un projet soumis par lui aux Chambres. » En provoquant une délibération parlementaire, le prince fait un appel aux lumières de la Chambre et de la nation. » Les réflexions personnelles, les observations de ceux qui approchent du trône et des ministres, les arguments de la presse donnent-ils au pouvoir royal la conviction que le projet est vicieux, il doit pouvoir le retirer. » Cette conviction résulte-t-elle seulement de la discussion parlementaire, le Roi doit, malgré l'adoption même du projet, pouvoir encore l'empêcher de devenir loi. Il est de l'intérêt du trône que la loi, et surtout la loi proposée en son nom, ait obtenu une majorité assez forte pour représenter le vœu de la nation. » Les avantages du principe que la couronne n'est pas liée par la présentation l'emportent tellement sur les inconvé- nients fort rares qui peuvent s'y rattacher, le bons sens est si complètement d'accord avec ce système, qu'il ne faudrait rien moins qu'un texte formel pour l'interdire. » Certes, le passage que nous venons de citer, d'après le dis- cours de M. Van den Heuvel, ne vise pas formellement le point même qui est en discussion. Mais l'auteur approuve le droit de retrait en général, sans aucune restriction, et les avantages qu'il présente lui paraissent tellement supérieurs aux inconvé- nients éventuels qui pi)urraient en découler, « qu'il ne faudrait rien moins qu'un texte formel pour l'interdire )). Et cette opinion exprimée par M. Lebeau a une valeur par- ticulière, si l'on se rappelle l'esprit de grande défiance qui animait nos constituants vis-à-vis du pouvoir royal, si l'on se rappelle surtout que M. Lebeau fut l'un des plus ardents adversaires de l'extension de ce dernier et qu'il inspira notam- ment l'article 78 de la Constitution, qui précise nettement les limites des pouvoirs du Roi. ( 287 ) Divers précédents la confirment d'ailleurs. Nous n'y insiste- rons pas, mais nous attirons cependant l'attention sur un arrêté royal du 27 avril 1836, qui a retiré un projet de loi déposé par le gouvernement et voté par la Chambre, il s'ensui- vit une discussion à la Chambre, qui se termina à l'avantage du gouvernement. M. Van den Heuvel l'a rappelée dans tous ses détails, qui offrent un grand intérêt puisqu'ils précisent l'opi- nion du Parlement au lendemain du vote de la Constitution. Il est intéressant de noter encore qu'en d'autres pays la constitutionnalité du droit de retrait d'un projet voté n'est pas contestée. En France, au témoignage autorisé de M. Pierre : « Les projets dus à l'initiative gouvernementale peuvent être retirés, comme les propositions sorties de l'initiative parlem.entaire, à toutes les phases de la procédure. Un projet de loi peut être retiré par le gouvernement, lors même qu'il a déjà été voté par l'une des deux Chambres et présenté à l'autre l ». En Angleterre, la pratique parlementaire accorde le droit de retrait aux membres du Parlement comme au gouverne- ment. Il n'est nullement exact de dire que lorsqu'un projet a été voté par une Chambre et qu'il a passé à l'autre, celle-ci doit statuer. « Tout le monde admet que lorsqu'un bill voté par la Chambre des Communes demeure pendant douze séances abandonné sur la table de la Chambre des Lords par le membre qui est chargé d'en proposer la seconde lecture, le bill meurt et est perdu, à moins qu'une suspension du règlement ne le rappelle à la vie. Cette règle, - au dire des autorités les plus compétentes que nous avons eu la curiosité de consulter per- sonnellement et dans les deux Chambres du Parlement anglais, — cette règle est universelle et s'appliquerait, le cas échéant, au budget comme à tout autre projet de loi. On n admet pas en A ngleterre que le dépôt d'un projet de loi au Parlement oblige, ipso facto, le ministère à en poursuivre la dis- * Poudra et Pierre, Traité pratique de droit parlementaire, n» 345, p. 200. ( 288 ) cussion en toutes circonstances, et en dépit des modifications qui y seraient apportées par voie d'amendement ^. Le cas de la Hollande est plus caractéristique encore. Lors- qu'on revisa la Constitution en 1887, la commission proposa d'inscrire dans le texte un article qui proclamât formellement le droit de retirer des projets déjà votés par une des Chambres. Le gouvernement déclara qu'à son avis la question n'était pas douteuse, mais qu'il ne s'opposerait pas à l'insertion de l'article. Il n'y eut pas de discussion. Et l'on peut lire aujour- d'hui à l'article 115 de la Constitution : « Tant que le Sénat n'a pas décidé, le Roi conserve le pouvoir de retirer le projet qu'il a présenté 2 ». Ces exemples tirés des constitutions étrangères n'apportent évidemment aucun argument direct pour l'interprétation de la nôtre. Mais ils démontrent tout au moins que le droit reven- diqué aujourd'hui en Belgique n'a rien d'exorbitant en lui- même et que d'autres nations le considèrent comme dérivant, par une conséquence naturelle, de l'économie générale de l'organisation législative '^. Enfin, il existe certaines circonstances délicates dans la vie politique, en vue desquelles il est nécessaire que le gouverne- ment soit doté du droit absolu de retirer les projets qu'il a présentés. « Supposez, disait le ministre *, une discussion soulevée devant la Chambre au dernier moment, menée rapidement et conduisant à l'adoption d'amendements qui bouleversent de fond en comble le projet présenté : vous désarmez le gouver- nement si vous vous bornez à dire qu'il a le droit de retirer son projet avant le vote, mais qu'il ne l'a plus après ce vote, car à quel instant voulez-vous que ce gouvernement, surpris par une opposition inattendue, puisse agir utilement?... * A. Nerincx, loc. cit., p. 229. - Discours de M. Van den Heuvel. (Sénat, séance du 15 mai 1902, Anv. paW.,p. 391.) ' Ibidem. * Ibidem. ( 289 ) (( Supposez qu'après le vote de la Chambre et par suite de la campagne ardente menée par un parti, il se produise dans le pays une certaine agitation et que le gouvernement ait intérêt, en vue de la paix publique, à empêcher tout renou- vellement de la discussion : allez-vous lui refuser le droit de retirer le projet qu'il a déposé et qui est cause du malaise et peut-être de l'irritation? » Supposez qu'un budget se référant à des questions poli- tiques passionnantes soit adopté par la Chambre et qu'au lendemain, le ministère qui l'a préparé et soumis vienne à tomber : refuseriez-vous aux successeurs le droit de faire œuvre nouvelle, de retirer le budget primitif et de présenter immédiatement devant la Chambre un projet budgétaire qui corresponde au programme du cabinet ? » Autant de considérations qui démontrent que le gouver- nement peut vous demander de ne pas méconnaître son droit de retrait. » Il nous reste à rencontrer encore deux objections. Le Roi, dit-on, n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribuent formellement la Constitution et les lois particulières portées en vertu de la Constitution même (art. 78). Or, la Constitution ne lui reconnaît pas formellement le droit de retrait, pas plus d'ailleurs qu'aucune loi particulière. Il est vrai, mais elle attribue formellement au Roi le droit d'initiative (art. 27), et le droit de retrait, on le reconnaît, est un corollaire du droit d'initiative. On admet généralement et sans contestation que ce droit de retrait le Roi peut l'exercer avant le vote par l'une des Chambres : mais quel est donc le texte qui consacre formelle- ment ce droit? De même, la Constitution ne lui attribue pas formellement le droit d'amendement, comme elle le fait pour les Chambres (art. 41, 42). Personne, cependant, ne s'avise de le lui con- tester. 11 en est ainsi de beaucoup de droits « qui appartiennent au gouvernement dans notre organisation politique et parlemen- ToME LXVI. 19 ( 290 ) taire, dont l'exercice est même indispensable à son fonctionne- ment régulier et qui ne sont cependant pas consacrés par des textes formels ^ ». M. Janson a élevé une autre objection que l'on peut résumer en ces termes'^. En admettant même, en manière de discussion, la constitutionnalité du droit de retrait pour les projets de loi ordinaires, il faudrait cependant la nier en ce qui concerne les budgets. Pour les premiers, l'initiative gouvernementale est faculta- tive; le gouvernement peut les présenter ou ne pas les présenter, à sa guise; quant aux projets budgétaires, l'initia- tive gouvernementale n'est pas seulement un droit, elle est un devoir imposé par la Constitution (art. 115) et réglementé par les lois de comptabilité. C'est une « initiative obligatoire», et, par conséquent, le droit de retrait n'existe pas pour les budgets. Il est incontestable que le dépôt des budgets est obligatoire et doit s'effectuer chaque année par les soins du gouvernement. S'ensuit-il qu'une fois déposés, les budgets ne peuvent plus être retirés? Nous n'apercevons pas le bien fondé de cette conclusion, si, bien entendu, après avoir retiré un projet de budget, le gou- vernement en présente un autre. On n'apporte d'ailleurs aucune preuve à l'appui de cette affirmation, qui est en contradiction avec l'ensemble de notre organisation constitutionnelle et parlementaire. JNi la Consti- tution, ni les lois de comptabilité, ni le règlement de la Chambre n'établissent une différence entre le régime des lois budgétaires et celui des lois ordinaires. Pourquoi donc y aurait-il, entre elles, une différence dans ce cas spécial? On dit, il est vrai 3, que la loi du 24 juillet 1900, en fixant * Discours de M. Van den Heuvel. (Sénat, séance du 15 mai 1902, Arm. parL, p. 390.) - Discours de M. Janson. (Ch. des Représ., séance du 14 janvier 190'2, Ann. part,, p. 372.) — Id., 15 Janvier 1902, id., p. 402. 2 Cf. Discours de M. Huysmans. (Ch. des Représ., séance du 15 jan- vier 1902, Anv. pari., p. 382.) ( 291 ) au 31 octobre la limite extrême de la présentation des budgets, supprime ipso facto le droit de retrait, puisque le nouveau projet déposé ne pourrait plus l'être dans le délai légal. Cette loi du 24 juillet 1900 n'a pas la portée absolue qu'on lui prête. Elle se propose simplement d'assurer une meilleure préparation du budget, tout en ménageant au Parlement un temps suffisant pour son examen et son vote^. S'ensuit-il qu'elle interdise absolument tout dépôt d'un projet de budget après le 31 octobre? Cela n'est pas admissible et rien dans les travaux prépara- toires de la loi n'autorise cette interprétation, qui pourrait d'ailleurs amener dans la pratique des difficultés insurmon- tables. « Supposez, disait M. le Ministre de la justice 2, que le gou- vernement remplisse ses obligations et dépose des projets à l'époque fixée par la loi, n'y a-t-il pas de multiples circon- stances qui peuvent faire tomber ces projets et nécessiter le dépôt d'autres projets à une époque très postérieure? N'arrive- rait-on pas à cette situation particulière toutes les fois que l'une des deux Chambres rejeterait le budget et que le Roi refuserait sa sanction? » Personne cependant ne prétendra que la loi de 1900 enlève aux Chambres le droit de rejeter le budget ou au Roi le droit de ne pas le sanctionner. De même, ne peut-on pas en inférer que le gouvernement ne possède pas le droit de retirer un projet de budget voté par la Chambre. De l'étude qui précède et après avoir examiné à tête reposée, à l'abri des suggestions irritantes des débats parlementaires, les principaux arguments échangés de part et d'autre, nous croyons pouvoir conclure à la constitutionnalité du droit pour le gouvernement de retirer devant le Sénat un projet de budget voté par la Chambre. Ce droit n'est inscrit formellement dans aucun texte consli- * Cf. supra, pp. 196, 197. * Cil. des Représ., séance du 15 janvier 1902, Ann. part., p. 385. (292 ) tutionnel ou légal. Il se déduit logiquement du droit d'initiative gouvernementale et des principes de notre organisation parle- mentaire. Mais son exercice sera modéré, il sera plutôt une arme préventive, une ressource extrême dans des circonstances exceptionnelles. CHAPITRE IX. Du retard dans le vote des budgets. — Les crédits provisoires. — Le changement de la date d'ouver- ture de l'année financière. Sans budget voté, pas de gouvernement régulier possible. Mais il ne suffit pas que le budget soit voté à un moment quel- conque pour une période indéterminée. La Constitution exige que le budget soit voté chaque année ; il n'est donc valable que pour un an et doit par conséquent être préalable à l'exercice auquel il se rapporte. Ce sont là des caractères essentiels d'une bonne organisation budgétaire. Il est manifeste, cependant, qu'en Belgique cette prescription constitutionnelle ne trouve plus d'application. Il n'arrive plus jamais que les budgets soient approuvés avant le commencement de l'année financière, c'est-à-dire avant le l®"" janvier de chaque année ^. Ce qui ne devrait être que l'exception est devenu la règle, et les budgets, sauf quelques-uns, sont régulièrement votés après cette date. * « Le mal s'aggrave chaque année, écrivait, en 1883, M. Demeur; c'est ce que constate un tableau que nous publions comme annexe et dans lequel nous avons relevé les dates auxquelles depuis quinze années les lois qui approuvent les divers budgets ont été promulguées. » (Rapport sur le budget des voies et moyens pour 1883. Session de 1882-1883, Dec. pari., n» 47, annexe I, p. 19.) Si l'on voulait continuer ce tableau depuis 1882, on s'apercevrait qu'on n'a remédié en aucune façon à ce mal invétéré. { 293 ) Cette situation n'est pas récente. Kn 1846 déjà, M. Rogier pouvait dire à la Chambre : « Depuis très longtemps, il ne nous est pas arrivé de pouvoir voter les budgets avant l'ouver- ture de l'exercice auquel il se rapportent ^ », et M. Desmet confirmait cette observation, en disant : « tous les ans nous sommes frappés des inconvénients que présente la discussion des budgets; jamais le Sénat n'a le temps nécessaire pour les examiner sérieusement. C'est là un fait qui existe depuis quinze ans, malgré la prescription formelle de la Constitu- tion 2 )). Depuis l'origine de son organisation politique actuelle, la Belgique pratique donc, sous ce rapport, un régime budgétaire irrégulier, et cette irrégularité est devenue chronique au point de paraître presque normale. Les différents gouvernements qui se sont succédés, afin de ne pas entraver le fonctionnement des services publics, se sont contentés de masquer en quelque sorte la violation de la Constitution, de « sauver la face, » suivant une expression connue, en demandant au Parlement une autorisation provi- soire d'exécuter le budget, comme s'il était voté. Lorsque le gouvernement constate, en effet, que les budgets ne pourront être adoptés en temps utile, il propose au Parle- ment de lui ouvrir des crédits à valoir sur les budgets du prochain exercice, à partir du l®*" janvier. Ce sont les crédits provisoires qui lui permettront d'effectuer les dépenses j usqu'au vote du budget régulier. Ils sont calculés, par fractions mensuelles, de manière à couvrir les dépenses nécessaires pendant les deux, trois, quatre mois ou davantage qui s'écouleront jusqu'à ce moment. Ils portent aussi pour cette raison le nom de douzièmes provisoires. Les crédits ou douzièmes provisoires constituent, il est vrai, un expédient bien connu des gouvernements de tous les pays. Mais, tandis qu'ailleurs on n'y a recours qu'à titre exceptionnel * Séance du 26 février 1846. ^ Séance du 27 février 1846. ( 294 ) et en cas de force majeure, ils sont devenus dans notre pays une institution permanente '. Il convient donc de nous y arrêter quelque peu, à raison du rôle important qu'elle joue dans notre organisation budgé- taire. Nous examinerons : 1° La nature de la loi des crédits provisoires; 2° Les critiques qu'on lui adresse. L — La nature de la loi des crédits provisoires a été précisée au Sénat, le 26 décembre 1901, à l'occasion de la discussion relative au retrait du projet de budget des dotations pour 19022. M. le Ministre des finances définissait en ces termes la raison d'êtrp de cette loi et ses caractères essentiels : « Le projet de loi de crédits provisoires afïecte certaines sommes aux divers services publics, en telle manière que le gouvernement puisse faire face, pendant une période de temps déterminée, aux dépenses courantes, telles qu'elles ont été admises par les lois budgétaires des années précédentes... Il est de règle que ce qui sort du cadre des crédits admis en quelque sorte de plein droit en vertu des précédents, que les crédits nouveaux, les dépenses exceptionnelles restent en dehors de l'autorisation résultant de la loi des crédits provisoires; cette loi, en effet, n'a d'autre portée que d'assurer pendant un certain temps la marche des services, sans engager l'opinion des Chambres sur des dépenses qui, n'ayant pas été votées précédemment, doivent être soumises à une discussion spéciale. » * En Angleterre, les votes on accounts fonctionnent normalement et régulièrement, comme une suite nécessaire du mode spécial de prépara- tion du budget usité dans ce pays. Personne ne songe à contester la nécessité et le principe du système. Il n'en est pas de même en Belgique, où les crédits provisoires ne sont qu'un expédient destiné à assurer la marche des services publics à défaut d'une application rigoureuse des prescriptions constitutionnelles. — Cf. sur le mécanisme des votes on accounts : Stourm, loc. cit., p. 314. 2 Cf. Ann. pari, pp 78-79. ( 295 ) Le caractère provisoire de ces crédits exige donc, et cela est très naturel, que la loi qui les contient ne préjuge pas les décisions des Chambres, réserve leur liberté et par conséquent n'innove pas. M. Hanrez avait cependant, au cours de cette même discus- sion, soulevé à un autre point de vue une difficulté très réelle, à notre avis, et qui n'a pas reçu de solution satisfaisante. La Chambre avait voté, le 20 décembre 1901, le budget des dotations. Après ce vote, elle avait adopté le projet de loi sur les crédits provisoires à valoir sur les budgets de 1902 et qui contenait, entre autres un crédit pour les dotations. Par un arrêté royal du 24 décembre, le gouvernement avait retiré le budget des dotations. Le 26 décembre, M. Hanrez demandait au Sénat, s'il croyait pouvoir voter des crédits pro- visoires à valoir sur un budget retiré? M. Lippens appuya l'observation de M. Hanrez. « Le gou- vernement, disait-il, demande à pouvoir disposer de dou- zièmes provisoires à valoir sur les budgets présentés. Il n'y a pas, il n'y a plus de budget des dotations présenté. Le gouvernement pourrait-il, par exemple, engager une dépense sur un article n'existant pas dans un budget antérieur? Non, parce qu'il y a le néant. Or, à ce moment, à défaut de budget des dotations déposé, il y a le néant. Si le gouvernement avait déposé un nouveau budget des dotations, il pourrait nous demander des crédits sur ce nouveau projet, mais il n'y en a pas et le gouvernement ne peut donc rien payer sur aucun poste de ce budget non existant. » La réponse du gouvernement, par l'organe de M. le Ministre des finances, fut celle-ci : « L'honorable M. Lippens verse dans une erreur complète. Les projets de budgets dont les Chambres sont saisies sont comme inexistants aussi longtemps qu'ils n'ont pas acquis force de loi par le vote des Chambres, suivi de la sanction et de la promulgation. Aussi le projet de loi de crédits provisoires ne se réfère-t-il nullement aux projets de budgets déposés : il a son existence propre, sa portée spéciale qui est de mettre à la disposition du gouvernement ( 296 ) certaines sommes déterminées, à valoir sur les budgets à voter ultérieurement. » Nous n'opérons donc pas sur le néant, comme semble le croire l'honorable M. Lippens. Nous convions le Sénat, au contraire, à voter un projet de loi parfaitement valable en lui-même, ayant pour objet d'assurer la marche des services publics en attendant que les divers budgets soient votés, et cela est vrai du budget des dotations comme des autres. » Cette réponse ne nous semble pas concluante. Certes, les projets de budgets n'acquièrent force de loi que par le vote des deux Chambres suivi de la sanction et de la promulgation. Tant qu'il n'y a pas de loi budgétaire, le gouvernement ne peut régulièrement engager aucune dépense, et c'est pour cette raison, qu'aussi longtemps que les budgets n'existent qu'à l'état de projet, le gouvernement est obligé de demander des crédits provisoires. Mais, s'il est vrai de dire que le projet de loi demandant des crédits provisoires ne s'en réfère pas expressément aux projets de budgets déposés, il nous paraît certain qu'il les suppose nécessairement. Ce sont ces projets de budgets, en effet, qui déterminent l'étendue et les limites endéans les- quelles le Parlement accorde provisoirement certains crédits. Ces crédits sont en quelque sorte des parcelles détachées de l'ensemble des propositions budgétaires du gouvernement, en attendant que le Parlement ait approuvé définitivement celles-ci. Ils ne se conçoivent donc guère sans des projets de budgets préalablement déposés et non retirés. Sinon, ainsi que le remarquait très justement M. Lippens, on devrait reconnaître « qu'un gouvernement pourrait ne déposer aucun budget et demander aux Chambres de voter des crédits provisoires à valoir sur des budgets qu'il soumettrait ultérieurement ». Telle a été d'ailleurs la pratique constamment suivie : jamais un gouvernement n'a déposé un projet de loi de crédits provi- soires, avant que l'ensemble des projets budgétaires ait été régulièrement présenté aux Chambres. ( 297 ) II ne faut pas s'en écarter, d'autant plus que les crédits pro- visoires ne constituent, en somme, qu'une simple tolérance, un pis-aller, qui ne peut se réclamer d'aucune disposition constitutionnelle ou légale. II. — Dès d846, le Parlement a formulé des critiques fon- dées contre les crédits provisoires. Celles-ci se renouvellent, depuis, au cours de chaque discussion budgétaire. Le gouver- nement, lui aussi, se joint au Parlement pour déplorer la situation, mais elle se maintient et tend plutôt à empirer. Pour le budget de 1901, le gouvernement a dû demander huit dou- zièmes provisoires et onze pour le budget de 1902 ^. Ce régime aboutit, en réalité, sinon à supprimer, du moins à énerver le contrôle budgétaire du Parlement. Car personne ne soutiendra sérieusement que ce dernier, lorsqu'il est appelé à statuer définitivement sur les budgets, quand ceux-ci sont déjà exécutés pour un quart, pour la moitié ou même pour les trois quarts, conserve pleinement la liberté de modifier la situation créée provisoirement. Il a voté en bloc des budgets d'attente, mais on sait que rien n'est aussi définitif que le provisoire, surtout en matière d'administration, et qu'il n'est pas aisé de défaire en détail ce que l'on a voté en bloc. M. Demeur, dans un de ses rapports si documentés 2, a parfaitement résumé les vices essentiels des crédits provisoires, lorsqu'il écrivait : a Voter le budget n'est autre chose qu'ouvrir les crédits nécessaires aux dépenses présumées de chaque exer- cice et donner au gouvernement les voies et moyens destinés à y subvenir. Procéder à ce vote après l'ouverture de l'exercice, alors que des dépenses sont faites en vertu de crédits provi- * En ce qui concerne le budget de 1902, le gouvernement fut amené par une situation parlementaire et politique spéciale à demander des crédits provisoires aussi nombreux. Il n'en utilisa d'ailleurs que cinq douzièmes au plus, les budgets ayant tous été votés vers la mi-mai. - Rapport, au nom de la section centrale, sur le budget des voies et moyens pour 1883. (Session de 1882-1882, Doc. parL, n» 47.) ( 298 ) soires alloués en bloc, c'est renoncer au droit de vote pour toute la période qui s'écoule entre l'ouverture de l'exercice et la promulgation de la loi du budget; c'est donner un véritable blanc-seing au gouvernement dans la limite des crédits provi- soires; c'est, sinon supprimer le vote, au moins considérable- ment en réduire la portée. » Toutes les critiques que l'on a faites avant et depuis n'ont rien ajouté à celte condamnation sévère ^. Il existe, il est vrai, un correctif à la situation. Quelques * On peut dès lors s'étonner de l'indulgence avec laquelle certains publicistes étrangers, comme M. Stourm et MM. Boucard et Jèze, aux lumières de qui nous avons fréquemment fait appel, apprécient le système belge des crédits provisoires, que M. Stourm propose même comme l'exemple le plus pratique que la France puisse suivre actuel- lement. « Chez nous, dit-il, les douzièmes provisoires représentent le désordre et l'irrégularité, parce qu'ils interviennent toujours inopiné- ment, à litre d'expédient, lorsque le vote du budget est en retard. » Au contraire, en Belgique, depuis un assez grand nombre d'années, les douzièmes provisoires, acclimatés et réglementés, fonctionnent comme une institution normale. Leur rouage a été combiné pour s'en- grener sans frottement sur le mécanisme général. Lorsque, au mois de décembre, le ministre des finances dépose le projet relatif aux crédits provisoires..., mille émotion, aucune récrimination n'accueille ce dépôt; on le prévoyait; la marche des travaux parlementaires et administratifs avait été réglée en conséquence (pp. 112-113)... Leur suppression y causerait autant de trouble que leur apparition cause de scandale chez nous (p. 31o). » Et MM. Boucard et Jèze ajoutent : « En Angleterre et en Belgique, les crédits provisoires ne soulèvent pas de critiques; tandis qu'au contraire, en France, les douzièmes provisoires jouissent d'une réputa- tion exécrable » (1, p. 129). 11 est possible que le système belge soit préférable au système français, mais il est assurément inexact de dire qu'en Belgique les crédits provisoires ne soulèvent pas de critiques. Il sufiit d'ouvrir un volume quelconque des Annales parlementaires pour s'assurer du contraire. Ce qui est certain, c'est que le système ne trouve en notre pays aucun défenseur. Car, bien qu'invétéré et entré depuis longtemps dans les mœurs et usages administratifs, — ce qui a pu donner à MM. Stourm, Boucard et Jèze le change sur son véritable caractère, — ce régime est profondément irrégulier et contraire à la Constitution, comme aussi à une saine organisation du gouvernement parlementaire. ( 299 ) budgets, au moins, obéissant à la règle constitutionnelle, sont toujours votés avant le début de l'exercice, et parmi ceux-ci, l'un des plus importants, le budget des voies et moyens. Le budget des voies et moyens est toujours promulgué avant le 31 décembre, et par conséquent, les crédits provisoires ne portent jamais que sur des budgets de dépenses. Ce fait a une certaine importance, ainsi que le faisait remarquer M. Beernaert à la Chambre '' : « Pour les voies et moyens, il importe que les Chambres se prononcent avant le commencement de l'exercice sur le chiffre et sur la nature des ressources à mettre à la disposition du gouvernement. » L'article 111 de la Constitution est en effet formel. Il déclare que les lois d'impôts n'ont de force que pour un an, si elles ne sonl renouvelées. M. Beernaert ajoutait : « L'inconvénient du retard est moindre quant aux budgets de dépenses, car la plupart des budgets sont de nature permanente. Ces budgets ne sont guère que la reproduction de ceux des exercices précé- dents, et, s'il s'y glisse quelque article nouveau et dont le prin- cipe ne soit pas déjà consacré, il n'y a pas un ministre qui s'engagera, même à l'aide de crédits provisoires, avant que son budget n'ait été régulièrement voté. Mais ici encore cependant le vote préalable est infiniment plus régulier. » Les recettes sont donc votées, en Belgique, avant les dépenses. Si l'on peut approuver cette pratique, en tant qu'elle satisfait complètement au vœu constitutionnel, on doit regretter à un autre point de vue que les dépenses ne soient pas votées avant les receltes ou tout au moins que les deux votes ne soient pas simultanés. Les défenseurs du budget unique ont maintes fois signalé l'anomalie qui consiste à faire voler les receltes avant les dépenses. Us invoquent pour cela un principe bien établi de la science financière. M. Stourm le développe en ces termes 2 : « La préséance des ^ Séance du 5 février 1901, Ann. pari, p. 333. 2 Loc. cit., pp. 202, 203. ( 300 ) dépenses constitue un principe essentiel de la comptabilité publique, dont il importe de rechercher dès l'abord les motifs. Pourquoi l'État commence-t-il par évaluer ses dépenses, alors que les particuliers suivent l'ordre inverse. Un père de famille, en effet, suppute d'abord ses revenus, et seulement ensuite règle leur emploi. Autrement, il risquerait d'aboutir au déficit et d'entamer son capital. « L'État pourrait calculer de la sorte, s'il vivait encore exclu- sivement des produits de son domaine. Mais, depuis longtemps, le domaine, surtout en France, ne fournit plus qu'un petit appoint au budget : les impôts l'alimentent en presque totalité. Or, les impôts ne rendent pas une somme invariable : ils rendent ce qu'on leur demande, dans la limite des possibilités des contribuables. On ne saurait donc commencer par déter- miner leur montant, puisque ce montant est extensible, à la volonté des gouvernants. L'État, en somme, prend dans la poche des autres, ce qui n'est pas le cas des particuliers, habi- tuellement du moins. Cette prérogative l'oblige à fixer d'abord la somme dont il a besoin, afin de préciser, en connaissance de cause, la mesure des sacrifices qu'il réclamera ensuite \ « Ce sont les dépenses à faire qui servent de mesure et de 1 Aussi ne pouvons-nous pas souscrire à la comparaison inexacte que faisait au Sénat M. Gooreman, afin de justifier la préséance du vote des recettes, ou du moins le vote simultané des recettes et des dépenses. « En principe, disait l'honorable sénateur, je liens que le gouver- nement doit présente^, en même temps, les prévisions de dépenses et les prévisions de recettes et aussi que la Législature devrait voter, en même temps, le budget des voies et moyens et le budget général des dépenses. Donner le pas au budget des dépenses me semble de mauvaise politique financière. On pourrait nous comparer, si nous suivions cette voie, à un père de famille qui, au lieu de régler ses dépenses sur ses ressources, commencerait par dresser le budget de ses dépenses, de ses dépenses de nécessité et de fantaisie, de luxe et d'utilité, au risque de se mettre dans le plus grand embarras pour dresser ensuite son budget de recettes et d'en arriver à devoir contracter des dettes, des emprunts, etc.. ( 301 ) justification aux recettes », disait M, Passy, ministre des finances, en janvier 1849, à l'Assemblée nationale... » ... Du moment donc que les impôts ne portent pas en eux- mêmes de mesure maximum, il faut bien chercher cette mesure en dehors d'eux, et ce sont les dépenses, c'est-à-dire les besoins publics, qui peuvent seuls la fournir. L'État indique et détermine d'abord les sommes qui lui sont nécessaires; les contribuables payeront en conséquence. Même en Prusse, où les recettes sont présentées les premières, ce sont toujours les dépenses qui, dans l'esprit des préparateurs du budget, obtiennent la préséance ^. » MM. Boucard et Jèze aftirment, eux aussi, que « le vote préalable du budget des dépenses est une règle fondamentale de la science financière; elle est essentielle à la bonne gestion des finances publiques ; c'est une garantie pour les contri- buables 2 ». Si donc, pour en revenir aux crédits provisoires, ceux-ci ne trouvent guère de défenseurs, et donnent lieu aux critiques les plus fondées, on doit se préoccuper de renoncer à ce système irrégulier, et pour cela d'assurer le vote en temps utile des budgets. Comment y arriver? Pour répondre à cette question, il nous faut d'abord déter- miner les causes principales du retard dans le vote des budgets. Elles sont multiples et ont été signalées à maintes reprises. La première qui en résume beaucoup d'autres, c'est l'indis- cipline parlementaire. Nous entendons par là la mauvaise organisation du travail législatif des budgets, les retards dans la confection des rapports, les discussions interminables, 1 En Belgique, les préparateurs du budget envisagent, eux aussi, d'abord les dépenses avant de fixer les recettes. Mais M. Stourm con- damne surtout le système belge du vote des recettes avant le vote des dépenses , qu'il considère à juste titre comme une conséquence du système des douzièmes provisoires. (Cf. Stourm, toc. cit., p. 312, note 3.) 2 Loc. cit., 1. 1, p. 289. ( 30-2 ) les fréquentes interruptions, qui permettent à d'autres projets de loi de scinder l'examen des budgets, etc. Cette indiscipline, qui sévit surtout à la Chambre, a pour conséquence d'enlever au Sénat le libre exercice de ses droits constitutionnels d'amendement et même de contrôle du budget. Lorsque celui-ci a traîné de longs mois à la Chambre, on presse le Sénat d'en finir au plus vite. Et ce dernier, malgré de fréquentes protestations, qui se renouvellent à chaque session, finit toujours par s'incliner i. Le gouvernement peut prendre une part de responsabilité dans cet état de choses regrettable. Il pourrait souvent insister plus énergiquement pour obtenir du Parlement le vote des budgets en temps utile. Il est vrai qu'il y a moins d'intérêt que le Parlement. C'est à celui-ci de contrôler la gestion financière du gouvernement et de prendre par conséquent toutes les dispositions nécessaires pour assurer un contrôle etï'ectif. D'autre part, le gouvernement pourrait utilement user de son influence sur la majorité parlementaire, dont il émane, pour hâter la discussion des budgets. Le premier remède consisterait donc dans une réforme sérieuse du travail parlementaire en matière de budgets. Nous y avons déjà suffisamment insisté 2. Mais il est une autre cause qui explique surtout les retards. * Cf., à titre d'exemple, les séances du Sénat du 27 mars 1901, Ann . pari., p. 138 et du 23 avril 1901, Ann. pari., p. 149. M. le chevalier Descamps avait proposé un jour au Sénat de commen- cer l'examen des budgets avant que la Chambre les ait votés. Il ne s'agissait pas de les voter avant la Chambre, ce qui eût été contraire à la Constitution (art 27, al. 2), mais seulement de les examiner et de les discuter, afin de permettre au Sénat d'exercer plus sérieusement son droit de contrôle. Une commission fut instituée pour étudier celte propo- sition à laquelle il n'a pas été donné suite jusqu'à présent. (Cf. Sénat, séances des 6 décembre 1901 et 18 mars 1902.) 2 Cf. supra, chapitres II et III. ( 303 ) C'est la proximité de hi date du dépôt des budgets et de celle du commencement de l'année tinancière. Afin d'établir des délais assez longs entre ces deux dates et d'assurer le vote des budgets en temps utile, la loi de 1846 sur la comptabilité avait, dans son article 1", prescrit de déposer les budgets dix mois au moins avant l'ouverture de l'exercice. Cette règle des dix mois, par contre, ne permettait pas une bonne préparation des budgets. Aussi, n'était-elle observée que pour la forme K La loi du 24 juillet 1900 a reporté la date du dépôt à la date extrême du 31 octobre; elle assure ainsi une préparation sérieuse des budgets, mais il est devenu matériellement impossible aux Chambres de voter les budgets avant le l»"" janvier. Celles-ci se réunissant de plein droit et normalement le second mardi de novembre, disposent de six semaines au plus pour examiner les budgets en sections, faire les rapports, discuter et voter les budgets. C'est trop peu. La date du l*"* janvier est trop rapprochée de celle du 31 octobre. De là est née l'idée de reporter le début de l'année financière du 1^"^ janvier au l*^"" juillet. A la séance du 26 février 1846, M. de Mérode la signalait déjà à la Chambre : « Un de nos anciens collègues, M. Cogels, a plusieurs fois proposé d'établir l'année financière à dater du 1«" juillet. Si cela pouvait se faire, on obvierait à tous les inconvénients qui ont été signalés (retards, crédits provi- soires, etc.)... Je prie donc M. le Ministre des finances de vouloir bien nous dire s'il trouverait un inconvénient grave à fixer le commencement de l'année financière au 1^"" du mois de juillet, au lieu du l^"" janvier. Je reconnais que les habitudes sont contraires à ce mode de procéder, que les comptes des particuliers ne se règlent pas ainsi. Mais pour l'État, il y a une position spéciale, résultant de nécessités parlementaires, qui * Cf. supra, pp. 192 et suiv. ( 304 ) entraîne plus d'avantage dans l'adoption dé ce mode que dans le système communément suivi, j) Le lendemain, 27 février, M. Desmet appuyait cette idée et affirmait que, d'après lui, « le seul moyen de voter les budgets avant l'ouverture de l'exercice, c'est de changer l'époque de l'ouverture de l'exercice, de la porter au l^'' mars au lieu du l^"" janvier ». Il déposait dans ce sens un amende- ment qui ne fut pas adopté. Le même jour, en effet, le ministre des finances combattit ces propositions en déclarant : « Il ne me paraît pas nécessaire, pour atteindre le résultat que nous avons tous en vue, de changer l'époque du commencement de l'année financière. Cette question a déjà été discutée plusieurs fois ^. Mais je crois que l'on doit respecter les habitudes, les précédents, à moins qu'une nécessité évidente ne soit démontrée ». Depuis, la même idée a été reprise, notamment par MM. Frère-Orban -, Graux 3, Houzeau de Lehaie 4 et d'autres, qui s'en sont fait les champions au sein du Parlement, où elle compte de nombreux partisans sur les bancs des deux Chambres. « Il conviendrait, disait M. Graux à la Chambre le 4 fé- vrier 1891, de changer le point de départ de l'année financière. En la faisant partir du l^"" janvier, on l'ouvre à une époque trop rapprochée de celle du commencement des travaux des Chambres pour que celles-ci puissent examiner et voter le budget avant l'ouverture de l'exercice. * Cette affirmation fut contredite par M. Desmet : « l'honorable ministre des finances est dans l'erreur, lorsqu'il pense que la question du chan- gement de l'ouverture de l'année financière a déjà été discutée. Une proposition a été faite par l'honorable M. Verdussen; cette proposition a été développée, mais elle n'a jamais été mise en discussion. » (Ch. des Représ., séance du 27 février 1846.) 2 Ch. des Représ., séance du 16 décembre 1884, Arui. pari., p. 252. 3 Id., 4 février 1891, Ibid., p. 318. * Id , 23 décembre 1891, IbicL, p. 330. — Sénat, séance du 27 mars i%\,lbid., p. 139. ( 305 ) a Si le point initial de l'année financière était placé en juillet, les budgets seraient toujours discutés et arrêtés à l'époque, et l'on ne devrait plus recourir au vote de crédits provisoires. Les budgets déposés au mois de novembre pour- raient être immédiatement renvoyés à une commission. Ainsi l'étude des budgets serait préparée à loisir; ils seraient votés et mis en vigueur en temps utile. » Je le sais, ces réformes rencontreraient quelques objec- tions, d'un caractère administratif surtout. La raison en est simple : des changements de cette nature impliquent des modi- fications dans les habitudes du personnel administratif. Entre les budgets de l'État et ceux des provinces et des communes, il y a des relations, qui peut-être nécessiteraient des change- ments dans le régime de ces dernières. Mais ce ne sont pas d'insurmontables difficultés. » Ce qui se pratique ailleurs pourrait se faire chez nous. ^) Si l'on poursuivait l'idée de placer à un autre moment le point de départ de l'année tinancière, on rendrait au budget le caractère d'être préalable, sans lequel la garantie du con- trôle parlementaire est singulièrement réduite. Pour que ce contrôle soit efficace, il faut que les dépenses soient autorisées avant d'être effectuées. » La principale objection que Ton peut faire à la réforme en question est donc tirée de la connexité entre les comptabilités de l'Etat, des provinces, des communes, des établissements publics. La réforme devrait sans doute être étendue à ces administrations diverses et entraînerait nécessairement un certain bouleversement dans les habitudes administratives. (c Cette mesure, dont il a été plus d'une fois question dans le Parlement, entraînerait de graves difficultés, disait M. Beer- naert, et quant à l'assiette et à la perception des impôts, et quant à la comptabilité des provinces, des communes et des établissements publics qui reçoivent des subsides de l'Etat i. » * Exposé général du budget de 1886. (Sess. de 1884-1885, Doc. pari., n« 84.) Tome LXVI. 20 ( 306 ) La question est de savoir si ces difticujtés sont insurmon- tables. Une commission nommée par M. Graux, en 1882, avait émis cet avis. « Seulement, cette commission était une com- mission administrative et elle n'eut rien de plus pressé que de demander l'opinion des différents départements ministériels. Ceux-ci, dérangés dans leurs habitudes, répondirent avec une touchante unanimité, que la réforme était impossible, que ce serait la fin du monde! ^ » On peut donc contester l'autorité de cet avis et l'on peut croire que les difficultés résultant du changement de date, quoique réelles, ne seraient que transitoires et provisoires et ne dureraient que jusqu'à ce que l'éducation des administra- tions fût faite 2. Ces difficultés se sont présentées aussi dans de nombreux pays, où précédemment l'année financière coïncidait avec Tannée civile et qui n'ont cependant pas hésité à opérer la réforme. Mais il ne suffirait pas de déplacer la date d'ouverture de l'année financière et d'en fixer le point de départ au l^*" juillet. Il faudrait aussi modifier la date de présentation des budgets. Car si celle-ci restait fixée au 31 octobre, il s'écoulerait huit mois pleins jusqu'au début de l'année financière. De même que sous l'empire de la règle des dix mois, les évaluations budgétaires nécessaires à la préparation du budget devraient se faire trop longtemps d'avance et la bonne préparation du budget en pâtirait nécessairement. Le transfert du point de départ de l'année financière du 1«'^ janvier au l®"" juillet nous paraît donc devoir entraîner comme corollaire un changement dans la date de présentation des budgets. Nous venons de dire que de nombreux pays, chez qui l'an- née financière concordait précédemment avec l'année civile, * Comte Goblet d'Alviella. (Sénat, séance du 23 avril 1901, Ann, part., p. 150.) * Graux. (Ch. des Représ., séance du 23 décembre 1891, p. 330.) ( 307 ) ont adopté aujourd'hui une date d'ouverture différente pour l'année financière. Ils la fixent les uns au !«•• avril, les autres au l^"" juillet 'i. L'année financière s'ouvre le l*"" avril :en Angleterre (185o), dans l'empire d'Allemagne, en Prusse (loi du 29 février 1876), en Wurttemberg, en Danemark, en Roumanie, dans les Indes anglaises, etc. Elle s'ouvre le l^"^ juillet : aux États-Unis (1844), en Italie (loi du 17 février 1884, art. 24), en Portugal, en Norvège, en Serbie, au Canada, au Mexique, au Japon, etc. La France, l'Autriche-Hongrie, la Hollande, le Luxembourg, la Suède, la Russie, la Finlande, la Bavière, la Saxe, le Grand- Duché de Bade, la Grèce et la Suisse restent fidèles à la date du l®»* janvier 2. En France, la question du changement de date a donné lieu, à diverses reprises, à des discussions dont on peut tirer cer- tains enseignements ^. Sous le gouvernement de Louis XVIII, le baron Louis avait présenté à la Chambre des députés, le 11 janvier 1819, un pro- jet de loi dont l'article 1^*^ portait : a L'année financière courra de juillet en juillet à partir de 1820 ». Ce projet échoua, moins par suite d'objections faites à son principe même, car on s'accordait pour reconnaître générale- ment que le changement produirait de bons effets, que parce qu'on ne s'entendit pas sur les dispositions à prendre pour la période de transition entre l'ancien et le nouveau régime K En 1888, près de soixante-dix ans plus tard, M. Peytral, ministre des finances, déposa, lui aussi, un projet analogue reportant du l^"" janvier au l*''' juillet le commencement de l'année financière. * Cf. Stourm, loc. cit., p. 108. 2 LÉON Say, Dictionnaire des finances, \o Budget. — L'Espagne y est revenue depuis la loi du ^8 novembre 1899. 3 Cf. Stourm, loc. cit., pp. 100-112; Boucard et Jèze, 1. 1, pp. 76 et suiv. * Boucard et Jèze, 1. 1, p. 77; Stourm, pp. 100 et suiv. ( 308 ) Ce projet fut adopté par la Chambre le 1^' juin 1888, par 287 voix contre 228, mais repoussé par le Sénat, de l'avis con- forme de la commission, dont le rapporteur était M. Léon Say (12 juin 1888)^. Remarquons qu'en 1819, comme en 1888, le but de ces pro- jets était moins d'assurer le vote du budget en temps utile que de rapprocher l'époque de la préparation du budget de celle de son exécution. « A ces deux époques, dit M. Stourm, les mêmes causes, c'est-à-dire l'inexactitude et le défaut de sincé- rité dans les évaluations primitives, provoquaient les mêmes propositions de réforme 2. » En outre, en 1888, pas plus qu'en 1819, on ne contestait pas les grands avantages et les mérites de la réforme. Mais on reprochait au projet Peytral : d'abord, de rompre l'unité de date dans les budgets français. En etfet, ce projet ne concernait que le budget de l'Étal. Pour les départements, communes, établissements publics, colonies, l'ancien système était maintenu. De même, « les contributions directes et taxes y assimilées continueraient d'être établies et recouvrées à partir du l®"" janvier de chaque année. Elles feraient l'objet d'une loi spéciale et leur produit, déduction faite de la part revenant aux départements et aux communes, serait attribué, par moitié, aux deux exercices budgétaires qui se succèdent pendant l'année civile » (art. 7, 8, 15 du projet) 3. On comprend bien, dès lors, l'opposition que rencontra le projet, de la part de MM. Casimir-Périer et Roche à la Chambre, et de la part de M. Léon Say au Sénat. M. Peytral proposait d'instaurer un régime hybride et com- plexe. Il n'osait aborder de front la difficulté principale de la 1 En 1898 (séance du 20 décembre), MM. Viviani, Millerand... ont présenté une résolution invitant le gouvernement à proposer un nouveau projet sur le même objet. (Sess. exlraord., 1898. Annexe n» 563, p. 578.) - Loc. cit., pp. 109-110. ■' BoucARD et Jèze, t. I, pp. 79-80. ( 309 ) réforme et se contentait de la tourner, d'une manière peu heu- reuse, dont le résultat eût été sans doute de compliquer sin- gulièrement la comptabilité publique. On alléguait encore « que la période de la nouvelle année budgétaire serait inconciliable avec la campagne d'exécution de la plupart des travaux publics. Quel emploi, par exemple, les ingénieurs chargés de construire ou de réparer les routes, les canaux, les voies ferrées, les ponts, les ports, etc., pourront- ils faire des crédits mis à leur disposition le !«' juillet seule- ment? A cette époque de l'année, les marchés doivent avoir été passés depuis longtemps, si l'on veut que les entreprises fonc- tionnent avant que la mauvaise saison ait fermé les chantiers. Commencer en juillet à traiter avec les entrepreneurs, c'est risquer de ne pouvoir donner un seul coup de pioche. Avec l'année solaire, au contraire, les marchés préparés en hiver entrent normalement en exécution dès les premiers jours du printemps ^ ». Cette objection aurait peut-être moins d'importance pour la Belgique, puisque le budget extraordinaire, qui contient les crédits atfectés aux principaux travaux publics, n'est jamais déposé et voté, dès maintenant, que vers le milieu de l'année. Elle mérite toutefois un examen approfondi. M. Stourm pense que « la pratique se serait, sans aucun doute, chargée de lever les difficultés soulevées sur le papier, puisque le système fonctionne régulièrement à l'étranger 2 ». Il reste partisan de la réforme. M. Paul Leroy-Beaulieu y adhère écjalement '5. Par contre, MM. Boucard et Jèze estiment « qu'il semble bien que les inconvénients, pour la France, dépassent de beaucoup les avantages. La meilleure solution consisterait à réformer les habitudes parlementaires ^ ». L'exemple des législations étrangères, et notamment celui • Stourm, pp. 111-112. 2 Ibidem. ^ Sciences des finances, 6^ édit., t. II, p. 28. * Loc. cit., 1. 1, p. 82. ( 310 ) de l'Angleterre et de l'Italie, a peu de valeur à leurs yeux. « Les conditions politiques ne sont pas les mêmes qu'en France. En Angleterre, existe le fonds consolidé et en Italie les impôts directs sont affermés; de plus, en Angleterre et en Italie les taxes locales sont distinctes des taxes de l'Etat. Enfin, en Angleterre, le budget est voté au cours de l'exercice, et l'Italie pratique le système du budget rectificatif... Enfin, l'Espagne, qui avait adopté la date du 1®"^ juillet pour l'année financière, vient de revenir à la date du i^" janvier (loi du 28 novembre 1899, art. 1«^) i. » La cause principale du retard dans le vote des budgets réside, avons-nous dit, dans le rapprochement trop étroit de la date de l'ouverture de l'exercice et de celle du dépôt des budgets. On peut y remédier en modifiant l'une ou l'autre. Nous avons examiné le changement de la date d'ouverture de l'exercice. Mais au lieu de retarder celle-ci et de la déplacer soit au 1^' juillet, soit au 1^'" avril, on pourrait la maintenir et avancer la date de la présentation des budgets. Si, par exemple, on fixait celle-ci au 1^"^ octobre, au lieu du 31 et si le gouvernement convoquait les Chambres dès les premiers jours d'octobre, ce qui lui est permis par l'article 70 de la Constitution, les Chambres disposeraient de trois mois environ pour l'étude et le vote des budgets. On peut espérer que ce délai serait suffisant, à condition d'accélérer le mode de discussion et d'examen des budgets. En résumé, un premier moyen de rendre le budget préalable et d'éviter les crédits provisoires, serait de modifier les habi- tudes parlementaires. M. Jacobs l'indiquait un jour à la Chambre, en réponse à M. Graux 2 : « Maintenons, disait-il, notre exercice financier tel qu'il existe aujourd'hui : il n'y a aucun inconvénient à cela ; mais changeons nos habitudes : soyons moins loquaces. Nous aurons alors nos budgets votés « BoucARD et Jèze, t. I, pp. 81-82. - Ch. des Représ., séance du 5 février 1891, Ann.parL, p. 344. ( 311 ) préalablement, sans rien changer à la délimitation de l'exer- cice. » Nous ne pouvons partager cet optimisme. Ce premier moyen nous paraît insuffisant. Il doit, pensons-nous, être accompagné ou bien d'une avance dans la date de présentation des budgets avec maintien de l'ouverture d'exercice au 1*^' janvier, ou bien du report de la date d'ouverture au l*^"^ avril ou au 1^' juillet, avec déplacement correspondant de la date du dépôt des budgets. Nous ne nous dissimulons pas les difficultés de cette der- nière réforme surtout, mais nous ne les croyons pas insur- montables. Il conviendrait, nous paraît-il, d'étudier sérieuse- ment la question, au point de vue de notre organisation administrative d'abord, et aussi au point de vue des résultats donnés par la réforme dans les pays voisins qui l'ont adoptée. Cette étude n'a pas encore été faite d'une manière complète dans notre pays. La question est cependant à l'ordre du jour depuis 1846. N'y aura-t-il donc personne qui entre- prendra, sinon de la faire aboutir, du moins d'en provoquer un examen approfondi. On pourrait peut-être charger de ce soin une commission, à la fois parlementaire et administrative, composée de membres nommés par le Parlement et par le gouvernement. D'une manière ou d'une autre, il faut changer l'état de choses existant et rentrer dans la vérité constitutionnelle, en assurant le vote préalable du budget. CHAPITRE X. Du refus du budget. Le droit que possèdent les représentants légaux du pays, réunis en Parlement, de voter toutes les recettes et toutes les dépenses de l'Etat, dont l'ensemble constitue le budget, serait incomplet et dénué même de toute signification pratique, s'il ( 312 ) n'avait pour corollaire le droit de ne pas' voter le budget, le droit de refuser au gouvernement l'autorisation qui lui est nécessaire pour effectuer les recettes et les dépenses pendant un exercice déterminé. Le refus du budget est donc la conséquence nécessaire du droit de le voter. « On ne saurait concevoir, dit très justement M. Stourm, le droit d'autoriser, sans sa contre-partie logique, le droit de ne pas autoriser. L'un à défaut de l'autre perd toute valeur, toute signification même ^. » Mais il ajoute : « Aujourd'hui, d'ailleurs, le principe de la souveraineté budgétaire étant universellement résolu en faveur des représentants du pays, personne n'hésite plus à leur con- céder corrélativement l'alternative de la sanction ou du refus du budget. » Nous ne pouvons souscrire à cette dernière appréciation de réminent auteur, qui nous paraît exprimée en termes trop généraux. Le droit de refuser le budget est incontestable, croyons-nous, au point de vue du droit constitutionnel belge, — comme d'ailleurs au point de vue anglais et français, — parce qu'il cadre complètement avec les théories fondamentales de notre droit public et qu'il est la sanction dernière de la souveraineté budgétaire du Parlement. 11 a été cependant et il est encore actuellement vivement contesté et discuté par un groupe notable de théoriciens du droit public, de l'école allemande ou autrichienne. A leur tête se trouve le professeur Laband, de l'Université de Strasbourg, qui a répandu dans ses écrits une théorie par- ticulière sur la nature de la loi du budget ^2, laquelle aboutit, en définitive, à étouffer entre les mains du Parlement le droit de voter le budget. M. Laband se place sur le terrain de l'inter- prétation des articles de la Constitution impériale allemande 1 Loc. cit., p. 386. 2 Cf. notamment, Laband, Staatsrecht des deutschen Reiches, 3. Au- flage, Bd II, SS. 988... ( 313 ) relatifs au budget. li ne conteste pas que celle-ci exige la colla- boration du Reichstag et du Bundesralh h l'édification du budget. Mais il se demande « si une loi budgétaire périodique constitue, dans l'esprit de la Constitution allemande, pour le gouvernement une autorisation de faire les recettes et les dépenses tellement indispensable et nécessaire que son absence rende inconstitutionnelle et illégale toute continuation de la gestion des affaires publiques?'! » Il suppose donc le cas où Reichstag et Bundesrath ne s'en- tendraient pas et que de fait la loi budgétaire ne puisse arriver à l'existence. La Constitution est muette sur la procédure à suivre en pareille hypothèse; il faut donc la déterminer d'après les prin- cipes généraux. Or, s'il est vrai de dire que le gouvernement est déchargé de toute responsabilité envers le Reichstag et le Bundesrath, lorsqu'il exécute purement et simplement les prescriptions de la loi budgétaire, il faut en conclure que, à défaut de cette loi, le gouvernement a le droit de continuer à administrer sous sa propre responsabilité, quitte à présenter et à faire adopter sa gestion après coup. En d'autres termes, l'absence d'un budget régulièrement voté n'entrave pas la marche normale des services publics. Le gouvernement peut se passer de l'autorisation budgétaire du Parlement, il peut, sous sa propre responsabilité, faire les dépenses et les recettes qui sont nécessaires à l'accomplisse- ment normal de la mission de l'Empire, mais le Reichstag conserve le droit d'apprécier cette gestion extra-budgétaire, de l'approuver ou de la désapprouver et, dans ce dernier cas, de provoquer la mise en accusation du chancelier de l'Empire. Telle est rapidement esquissée la théorie de M. Laband. Pour en bien saisir la portée, il n'est pas sans intérêt de remar- * Loc. cit., p. 989. ( 314) quer que son auteur l'a développée pour la première fois i au lendemain du fameux conllit budgétaire entre le gouvernement prussien et la Chambre des députés (1862-1866), et qu'il s'est fait en quelque sorte le théoricien de l'absolutisme prussien, dans ses démêlés militaires avec les représentants du pays légal. Les théories de l'éminent professeur de Strasbourg ont reçu ainsi un grand retentissement. Elle ont trouvé des partisans et des défenseurs convaincus 2. Si elles ont conquis une réelle faveur dans le monde scientifique, comme dans les milieux gouvernementaux, leur caractère hardi et paradoxal parfois a fait surgir d'autre part une sérieuse contradiction 3. Nous renonçons à discuter les arguments invoqués de part et d'autre. Cette discussion porte principalement sur l'inter- prétation des dispositions de la Constitution impériale alle- mande. Elle nous conduirait, de plus, à des recherches pure- ment spéculatives sur la nature de la loi du budget, question des plus importantes sans doute au point de vue de la théorie du droit constitutionnel, mais qui nous paraît dépasser les 1 Laband, Das Budgetgesetz nach den Bestimmungen der preussischen Verfassung unter Berûcksichtigung der Verfassung des norddeutschen Bundes. Berlin, 1871. — Elle a été reprise ensuite en divers écrits et notamment dans les éditions successives du Staatsreclit des detUschen Reiches. — Sur le conflit budgétaire prussien, consulter entre autres : BoucARD et Jèze, t. I, pp. 175 et suiv. - BoRNHAK, Preussisches Staatsrecht, Bd III, S. 596; voN Bonne, Staatsrecht der preussischen Monaixhie, Bd I, S. 592; Seidler, Budget und Budgetrecht im Staatshaushalle de)' constitution nellen Monarchie.., Wien, 1885, SS. 184... ^ ZoRN, Staatsrecht des deutschen Reiches, 1883; Haenel, Studien zum deutscfien Slaatsrechte, Bd II, Leipzig, 1888; Freiherr von Huene, Staats- lexikon der Gôrresgesellschaft (1. Aufl.), V» Staatshaushalt (Kap. VII). Pour l'exposé de la discussion et des différentes opinions : CL D' Adolf Ott, Das Budgetrecht des deutschen Reichstages. Frank- furter zeitgemâsse Broschiiren, Bd XXI, Heft 4. Ilamm i/W, Breer & Thiemann, Januar 1902. — Boucard et Jèze, t. I, pp. 170 et suiv. ( 315 ) limites tracées à cette élude, qui se propose avant tout l'exposé du régime budgétaire belge, tel qu'il existe et tel qu'il est pra- tiqué. Or, nous le répétons, la Constitution belge, ainsi que les lois et arrêtés sur la comptabilité publique consacrent et orga- nisent de la manière la plus formelle la souveraineté budgé- taire du Parlement. Il n'est pas admissible qu'au sortir du régime hollandais, qui exagérait jusqu'à l'abus l'autorité gou- vernementale en matière financière, les Constituants aient entendu enlever à l'intervention budgétaire du Parlement belge qu'ils organisaient d'une manière si complète, sa seule sanction réelle, en lui déniant le droit de refuser le budget. Le droit de voter le budget, s'il n'est pas une vaine formalité, implique donc nécessairement, non seulement le droit de le refuser, mais aussi l'impossibilité pour le gouvernement de continuer la gestion des affaires sans autorisation budgétaire régulière. Cette théorie est bien celle de notre droit constitutionnel; aucun commentateur belge, à notre connaissance, n'a songé à la contester. Dans le seul conflit budgétaire que mentionne, croyons-nous, l'histoire parlementaire belge, — le refus du budget de la justice, au Sénat, par parité de voix, le 24 fé- vrier 1869, — personne n'a dénié au Parlement le droit de refuser le budget. Les orateurs du gouvernement se sont con- tentés de soutenir, à tort selon nous, que les droits du Sénat ne pouvaient aller jusqu'à refuser sa confiance à un ministère, soutenu d'ailleurs par la Chambre. « Ce n'est pas, disait M. Frère-Orban au Sénat ^ parce que vous avez le pouvoir de rejeter le budget que vous avez raison de le rejeter... A mon avis, vous n'avez pas usé de votre droit dans l'esprit de la Constitution... Je dis que le rôle du Sénat doit aller jusqu'à admettre qu'un ministère investi de la confiance de la majorité de la Chambre des Représentants puisse gouverner sans avoir la majorité du Sénat, w * Sénat, séance du 10 mars 1869. ( 316 ) Certes, les conséquences qu'entraînerait pour un pays le refus du budget sont incalculables. « Refuser le budget, a-t-on dit, c'est la révolution », c'est consacrer l'anarchie, c'est arrêter subitement toute la vie politique et économique. « Refuser le budget! On a peine, dit M. Stourm, à concevoir les conséquences d'une telle éventualité. Si l'année s'ouvre sans que le budget ait été voté, les rentiers ne touchent plus leurs rentes ni les pensionnaires leurs pensions; les fournisseurs frappent en vain aux guichets du Trésor, les fonctionnaires ne reçoivent pas leur salaire; les écoles sont fermées; l'armée est privée de sa solde, de son entretien même ; en un mot, tous les tributaires de l'Etat, c'est-à-dire à peu près tout le monde aujourd'hui, se trouvent atteints; la vie du pays s'arrête. )) Les impôts, d'un autre côté, cessent de devenir exigibles, et l'interruption subite des perceptions non seulement appau- vrit le Trésor pendant sa durée, mais prolonge ses effets bien au delà ; car les frontières n'étant plus gardées, les portes des villes étant abandonnées, les entrepôts dépourvus de surveil- lants, immédiatement les importateurs, marchands en gros, voituriers, cabaretiers, etc., détenteurs de produits taxés, en profitent pour inonder le pays de tabacs, de cafés, de sucre, de boissons, etc., en franchise des droits. L'immense main- mise administrative qui s'appesantissait sur la matière impo- sable laisse échapper sa proie. La fraude, en un instant, com- promet pour longtemps les revenus de l'Etat i. » Malgré tous ces dangers, il faut cependant affirmer ce droit avec toutes les conséquences qui en découlent logiquement. Mais il convient aussi de reconnaître que son exercice ne se conçoit presque pas. Le droit de refus du budget est surtout une arme préventive; il est comme une épée de Damoclès per- pétuellement suspendue sur la tête du gouvernement, pour lui rappeler les prérogatives du Parlement et la nécessité de gouverner d'accord avec lui. 1 LoG. cit., pp. 383-384. ( 317 ) Le Parlement, de son côté, ne peut en trancher le fil qu'à la toute dernière extrémité, après avoir épuisé toute la série des concessions et des ménagements possibles. Le refus du budget est entre ses mains un droit quelque peu analogue au droit de grève des ouvriers organisés. L'exer- cice irréfléchi de ce dernier aboutit fatalement à semer le désordre et la ruine dans le monde industriel. L'exercice du refus du budget serait plus funeste encore, au point qu'on ne le conçoit même pas, et de fait, l'histoire parlementaire en tous pays n'en mentionne que de très rares exemples. Nous pouvons donc conclure avec M. Stourm ^ : « Si le refus du budget, examiné théoriquement, apparaît comme un acte régulier, conforme à l'esprit et au texte des constitutions des pays parlementaires, il faut reconnaître que, dans la pratique, l'exercice de cet acte devient à peu près invrai- semblable. » 1 Loc. cit., p. 386. TROISIÈME PARTIE L'EXÉCUTION DU BUDGET. — THÉORIE DE LA COMPTABILITÉ PUBLIQUE SOMMAIRE : Chapitre I. — Notions préliminaires. § 1. — Généralités. § 2. — Détinition de l'exercice. — La gestion et l'exercice. § 3. — L'unité d'exécution du budget. — Le ministre des finances. § 4. — Définition de l'ordonnateur et du comptable. — Incompati- bilité entre ces deux natures de fonctions. Chapitre II. — Le service des recettes. § 1. — Comptables chargés de la perception et du service des recettes. § 2. — Dépenses acquittées directement par les comptables des diSérentes administrations (articles 16, 17 et 135 à 143, de l'arrêté de 18(58). § 3. — Règles générales concernant les receveurs et comptables ,de l'État. Chapitre III. — La Banque nationale de Belgique, caissier de VÉtat. Chapitre IV. — L'exécution des dépenses. § 1. — L'engagement de la dépense. § 2. — La liquidation et l'ordonnancement. — Livres de contrôle. — États de situation. — Les diverses catégories de dépenses. § 3. — Le paiement de la dépense. — Déchéances, [prescriptions, saisies-arrêts, oppositions. Chapitre V. — La clôture de l'exercice. ( 349 ) CHAPITRE I. Notions préliminaires. H- — Généralités. Le budget voté par les Chambres est remis au Pouvoir exécutif qui est seul chargé de son exécution. Exécuter le budget, c'est, d'une part, opérer les recettes, dont la perception est autorisée par le budget des voies et moyens ^ et, d'autre part, effectuer les dépenses dans la limite des crédits mis à la disposition du gouvernement par les diffé- rents budgets de dépenses 2. L'innombrable série des opérations que suppose l'exécution du budget est soumise à un ensemble de règles, destinées à en assurer la sincérité et la conformité avec la loi budgétaire. Ces règles sont contenues principalement dans la loi du 15 mai 1846, organique de la comptabilité de l'État, et dans l'arrêté royal du 10 décembre 1868, portant règlement général sur la comptabilité de l'État. De 1830 à 1846, nos finances, avaient continué à être régies par le règlement de l'administration des finances du 24 octo- bre 1824. Ce règlement, de l'époque hollandaise, s'inspirait de principes constitutionnels différents de ceux proclamés en 1831, et ses dispositions entravaient le contrôle judiciaire de la Cour des Comptes sur les recettes et le règlement des cré- dits par la représentation nationale. Il en résultait de nombreux inconvénients pratiques, qui avaient fait reconnaître bientôt l'urgence d'une réorganisation du régime de la comptabilité publique 3. Elle n'aboutit cepen- dant qu'en 1846. « Cf. article 3, loi du 15 mai 1846. 2 Cf. article 15, — 3 Cf. Rapport de M. de Man d'Attenrode, au nom de la section centrale, sur le projet de loi concernant la comptabilite.de l'État. (Ch. des Repr., sess. de 1844-1845, Doc. parL, n» 160.) ( 320 ) La loi de 1846 elle-même emprunta ses- principales dispo- sitions au règlement général sur la comptabilité de France, approuvé par ordonnaiice du Roi du 31 mai 1838. Cette loi fixe l'ensemble des règles qui régissent le maniement des deniers publics, qui établissent les obligations des comptables, les devoirs des ordonnateurs et le mode suivant lequel ils ont à justifier de leurs opérations K En vertu de l'article 60 de la loi de 1846, le gouvernement devait publier un règlement général organique de la compta- bilité, dès que toutes les dispositions de la loi seraient mises à exécution. Un premier règlement fut publié, en conséquence, par un arrêté royal du 15 novembre 1849. Il fut abrogé dans la suite et remplacé par celui du 10 décembre 1868, qui est actuelle- ment en vigueur et s'est inspiré fréquemment des prescrip- tions du règlement français, établi par décret du 31 mai 1862. C'est donc dans la loi du 15 mai 1846 et dans le règlement du 10 décembre 1868 que sont énoncés et développés les prin- cipes directeurs qui constituent la théorie de la comptabilité publique. Notre but n'est pas de faire ici un commentaire détaillé de ce code de notre comptabilité publique et encore moins d'en- treprendre un traité général sur la matière. Nous nous pro- posons simplement d'en exposer la théorie, c'est-à-dire les règles essentielles. * Britz, Loi organique de la Cour des comptes du 29 octobre 4846, commentée et expliquée. Bruxelles, Devroye, 1847, pp. 5-6. — Indication des différents travaux parlementaires relatifs à la loi du 15 mai 1846 : Présentation du projet à la Chambre, par le ministre des finances, le 16 janvier 1844, Doc. pari., n» 148. — Rapport, au nom de la section centrale, par M. de Man d'Attenrode, séance du 7 février 1845, Doc. pari., no i()0. — Discussion à la Chambre : 26 et 27 février, 2, 3, 4, 5, 6 et 11 mars 1846. — Rapport de la Commission du Sénat : séance du 8 mai 1846, Doc. pari., n» 132. — Discussion au Sénat, 13 mai 1846. — L'ensemble de ces documents et discussions a été publié en un recueil spécial, à Bruxelles, chez Stapleaux, en 1847. ( 321 ^ 2. — Définition de l'exercice. — La gestion ET l'exercice. L'exercice n'est autre chose que la période pendant laquelle le budget doit s'exécuter. Cependant, pour bien comprendre la valeur précise de ce terme de comptabilité, il est nécessaire d'entrer dans quelques explications. Ainsi que nous l'avons dit, l'année financière se confond, en Belgique, avec l'année civile et s'étend, par conséquent, du l^»" janvier au 31 décembre. Comme le budget est voté pour une année, il devrait rigou- reusement s'exécuter endéans ce délai, au terme duquel toutes les opérations de recette et de dépense, qu'il autorise, devraient être terminées. Mais cela n'est pas possible, certaines opéra- tions se continuent fatalement au delà du 31 décembre, et pour les rattacher au budget dont elles font partie, il a fallu recourir à un procédé de comptabilité, qui consiste à pro- longer l'année financière d'une période complémentaire plus ou moins longue. C'est cette période de prolongement qui, ajoutée à Tannée financière, constitue, à proprement parler, l'exercice. « Lorsqu'un particulier, dit M. Stourm, assigne sur les revenus de son budget courant la dépense devenue nécessaire de réparation ou de renouvellement de son mobilier, et qu'il fait, dans ce but, des commandes à son tapissier, à son ébé- niste, etc., ces fournisseurs n'exécutent pas toujours leurs commandes à l'époque convenue : cela se voit constamment. En outre, les notes tardent à venir, le client, d'ailleurs peu pressé de les recevoir, consacre encore un certain temps à les véritier. Bref, sept ou huit mois se passent avant que lesdits mémoires soient définitivement arrêtés, réglés et soldés. Malgré ces délais, l'imputation budgétaire primitivement déter- minée ne se trouve pas modifiée : la dépense sera toujours régulièrement prélevée sur les revenus de l'année pendant Tome LXVï: 21 ( 322 ) laquelle la commande et la plus grande partie des livraisons auront été effectuées. » Deux idées ressorlent de l'exemple que vient de nous fournir notre comptabilité ménagère : la première, c'est que les travaux engagés dans le cours d'une année se rattachent à cette année, bien qu'un certain délai pour leur complet achèvement ait été nécessaire; la seconde, c'est que les nou- veaux délais qu'exigeront la liquidation et le paiement des notes ne sont pas non plus de nature à modifier l'imputation primitive. » Ces observations s'appliquent à l'Etat aussi bien qu'aux particuliers. » L'État, en effet, une fois l'année terminée, se trouve éga- lement obligé d'attendre avant d'arrêter définitivement ses comptes, d'abord, que certains travaux commencés soient achevés, ensuite, que le prix des travaux effectués soit liquidé et payé. Alors, la période qui comprend, en plus de l'année primitive elle-même, l'attente complémentaire précitée se nomme l'exercice... D'une manière générale, le mot exercice signifie un prolongement de l'année primitive employé à rassembler les résultats définitifs et complets de cette année i. » Et M. Léon Say disait de même : « Par le mot exercice, on veut dire purement et simplement que, pour gérer et liquider les affaires de douze mois, on a besoin d'une période de temps plus longue que ces douze mois. L'exercice n'a pas d'autre objet 2. )) L'année financière se distingue donc nettement de l'exer- cice. La première coïncide avec l'année civile et va du 1®'" jan- vier au 31 décembre; tandis que l'exercice financier se consti- tue de l'année financière augmentée de certains délais complémentaires 3. 1 Stourm, loc. cit. y pp. 116-117. - Sénat, séance du 9 novembre 1887, cité par M. Stourm. •' Cf. BoiiCARD et JÈZE, 1. 1, p. 480. ( 323 ) Ces délais complémentaires sont plus ou moins longs, selon la législation particulière des pays qui adoptent la compta- bilité par exercice ^. Sous le régime hollandais et jusqu'en 1846, l'exercice restait ouvert en Belgique pendant trois ans. Les délais complémen- taires étaient donc de deux ans. Période trop longue, qui entraînait à des abus incompatibles avec un bon régime de comptabilité. « Cet usage, disait le rapporteur de la section centrale sur le projet de loi de comptabilité, a le grave inconvénient de laisser à la disposition des chefs d'administration les alloca- tions de trois budgets, sur lesquels ils peuvent disposer simultanément, puisque tant que la clôture n'en est pas pro- noncée, on peut épuiser tout ce qui reste libre sur les crédits, circonstance qui pousse à des dépenses souvent peu utiles, par la facilité qu'elle offre d'y faire face. » Ce mode est d'ailleurs contraire au principe du vote annuel du budget, qui veut que toutes les dépenses d'une année portent exclusivement sur les allocations consenties dans le budget de la même année, sans qu'il puisse y avoir de transferts, qu'en vertu d'une loi; de plus, il ajourne trop l'époque où la loi du règlement des crédits peut être discutée, puisqu'il porte sur des actes déjà anciens et dus à des hommes qui souvent ont quitté le pouvoir. )) Malgré cette longue période, il s'est fait souvent des recettes et des dépenses sur des exercices clos, ce qui tend à rendre les comptes indéchiffrables 2. » 11 n'est donc pas de bonne comptabilité de prolonger outre mesure la durée de l'exercice. * En France, la loi du 25 janvier 1889 a fixé des délais variables selon la nature des opérations ; ils ne se prolongent pas au delà du 31 juillet. (Cf. Stourm, p. 532.) En Prusse, l'exercice est clos deux mois et demi après la fm de l'année financière, donc le 15 juin. - "' ^' '^ Ch. des Représ., sess. de 1844-1845, Doc. pari., n« 160. ( 324 ) Aussi, le projet de loi sur la comptabilité de l'État rédui- sait-il la période complémentaire de deux ans à douze mois (art. 3 du projet). La section centrale, s'inspirant des prescriptions de la comptabilité française en vigueur à cette époque, proposa la réduction à dix mois. « Ce système, disait-elle, tend à hâter la marche des services, à accélérer la reconnaissance et l'acquit- tement des droits, à faire rentrer les fonds disponibles, à faci- liter la formation des comptes, sans nuire ni aux recettes de l'État ni à ses créanciers, car les restants à recevoir et à payer sont renvoyés à l'exercice suivant ^. » Le gouvernement adopta la limite proposée. Elle fut votée par les Chambres et inscrite à l'article 2 de la loi du 15 mai 1846. Cet article 2 est libellé comme il suit : ce L'exercice commence le l'^'^ janvier et finit le 31 décembre de la même année '^. Toutefois, les opérations relatives au recouvrement des produits, à la liquidation et à l'ordonnan- cement des dépenses, pourront se prolonger jusqu'au 31 octo- bre de l'année suivante. » D'après ce texte, l'exercice est donc de vingt-deux mois. Il reste ouvert pendant ce laps de temps et il est permis de faire des imputations sur un budget depuis le !«' janvier de l'année qui donne son nom à l'exercice jusqu'au 31 octobre de l'année suivante. Il est permis, par exemple, de faire des imputations sur le budget de 1902 depuis le l'-'^ janvier 1902 jusqu'au 31 octo- bre 1903. L'article 2 dispose encore dans son alinéa 1«' : a Sont seuls considérés comme appartenant à un exercice les services faits et les droits acquis à l'État et à ses créanciers ^ Ibidem, - On remarquera que le texte légal ne fait pas la distinction entre Tannée financière et l'exercice. ( 325 ) pendant l'année qui donne sa dénomination à l'exercice ^. » Par conséquent, sont seuls considérés comme appartenant à l'exercice 1902, les services faits (dépenses) et les droits acquis à l'Etat et à ses créanciers pendant l'année 1902. Il peut y avoir des doutes, dans de nombreux cas, sur l'exercice d'imputation, qu'il convient d'assigner à certaines dépenses ou à certaines recettes. Les articles 3 et 4 du règlement de 1868 établissent une série de règles à cet égard. L'article 3 concerne l'exercice d'imputations des droits à recouvrer; l'article 4 détermine l'exercice d'imputation des dépenses. De l'exercice, il convient de distinguer la gestion. L'ar- ticle 11 de l'arrêté de 1868 en donne la définition suivante : « La gestion comprend tous les faits matériellement accomplis en recette et en dépense, depuis le l*''' janvier jusqu'au 31 décembre de la même année, à quelque service public ou particulier qu'ils se rapportent. Elle comprend, en outre, le solde de la gestion précédente ». Les comptes de gestion diffèrent donc des comptes d'exer- cice. Ceux-ci se composent d'une période de douze mois, plus un prolongement plus ou moins étendu, qui est de dix mois en Belgique. « Pour les comptes de gestion, il n'est plus question de prolongement, d'attente ni de délais complémentaires. La gestion commence et finit à date fixe. Elle enregistre stric- tement les opérations matérielles effectuées d'un jour à un autre jour donné, sans autre objectif que l'établissement d'une situation de caisse. Tandis que les comptes d'exercice consti- tuent des comptes moraux, les comptes par gestion n'ont 1 Texte emprunté à l'ordonnance française de M. de Villèle du 14 septembre 1822 (art. 152) et reproduit dans l'article 6 du décret impérial du 31 mai 1862. L'article l^'-de la loi française du 25 janvier 1889 a reproduit la même prescription en ces termes : « Les droits acquis et les services faits du 1er janvier au 31 décembre de l'année qui donne son nom k un budget sont seuls considérés comme appartenant à l'exercice de ce budget ». ( 326 ) l'ambition d'être que des comptes matériels,' des comptes de caisse i. » La comptabilité par gestion est celle de tous les comm.er- çants, industriels, banquiers, etc. Elle est aussi celle de certains Etats : l'Angleterre, les Etats-Unis d'Amérique, l'Italie. L'exercice y est inconnu et tous les comptes publics y sont arrêtés en même temps que les comptes de caisse 2. En Belgique, au contraire, de même qu'en France et en Prusse, on a recours à la comptabilité par exercice 3, mais non d'une manière exclusive. Seuls, les ordonnateurs comptent par exercice, tous les comptables de l'Etat établissent et rendent leurs comptes par gestion, en vertu de l'article 10 de l'arrêté de 1868 : la comptabilité est tenue par gestion^ avec distinction des exercices ^. § 3. — L'unité d'exécution du budget. — Le ministre des finances. C'est au Pouvoir exécutif, avons nous dit, qu'appartient l'exécution du budget. Il serait plus exact de préciser cette formule et de dire que cette exécution et toutes les opérations qu'elle suppose: recettes, dépenses, service de trésorerie, etc., dépend en ordre principal du ministre des finances. C'est du ministre des finances que partent tous les ordres; c'est lui qui donne l'impulsion à tous les rouages adminis- tratifs qui interviennent dans l'exécution du budget; c'est au ministère des finances qu'aboutit et se centralise toute la comptabilité publique. Ainsi se réalise pleinement l'unité de direction, indispen- • Stourm, toc. cit., p. Ii20. - Cf. BoucARD et Jèze, t. 1, p. 481. •' Sur les mérites et les inconvénients respectifs de la comptabilité par exercice et de la comptabilité par gestion : Cf. Stourm, pp. 123-141; BoucARD et Jeze, t. 1, pp. (54-73. ^ Cf. aussi les articles 180, 181 de l'ai-rèté de 1868. ( 327 ) sable à une bonne administration tinancière, parce qu'elle concentre les responsabilités sur une seule tête au lieu de les disséminer. Un ancien ministre des finances français, qui assuma, à une époque troublée, la lourde tâche de restaurer et de diriger les finances de son pays et dont le nom restera synonyme de science, d'expérience et d'intégrité, M. Léon Say, a tracé d'une plume autorisée ce portrait-type du ministre des finances en tous pays i : « Le ministre des finances a des attributions de deux natures : les unes, d'ordre supérieur, par lesquelles il domine tous les ministres, les autres, d'ordre spécial, par lesquelles il leur ressemble. » Il est le ministre du trésor, de la caisse, du contrôle des recettes et des dépenses, du mouvement des fonds, du crédit public et de l'équilibre budgétaire. Il est en même temps l'administrateur des biens de la nation et préside au recouvre- ment des impôts. Ce sont là deux natures d'attributions si différentes et si faciles à distinguer l'une de l'autre, qu'à cer- taines époques de notre histoire, et dans d'autres pays, elles ont été ou sont exercées par deux ministres différents. Le pre- mier s'appelle ministre du trésor, et l'autre ministre des finances. « Aujourd'hui, dans notre organisation française, il n'y a pas de ministre du trésor; c'est le même ministre qui réunit toutes les attributions. » Il s'appelle le ministre des finances. Il est d'une manière générale préposé à la gestion des finances de l'Etat et, sous le contrôle du Parlement, il en réunit les ressources. Ces res- sources, il les emploie d'abord à celles des dépenses publiques qui ressortissent à son ministère et ensuite en bloc à toutes les autres dépenses, dont il fournit les fonds aux autres ministres, ses collègues. * Cf. LÉON Say, Les Finances, pp. 3-5. — Dans la collection de La Vie nationale. (Bibliothèque de la politique et de la science sociale , diri- gée par MM. Charles Benoist et André Liesse. Paris, Léon Ghailley, 1896.) ( ms ) » Il est ou doit être le véritable contrôleur général des dépenses de la nation et l'intendant de sa fortune. » Comme contrôleur général des dépenses de l'Etat, il pré- pare le budget, dépose sur le bureau du Parlement un exposé écrit de la situation financière et le fait suivre d'un projet de loi destiné à devenir la loi de finance. » Quand le projet de loi portant approbation du budget de l'exercice qui va s'ouvrir a été adopté par les deux Chambres et qu'il est devenu la loi de finance de l'État, c'est le ministre des finances qui a la charge de l'exécuter, qui en tient les comptes, qui organise les moyens de contrôler les résultats de toutes les opérations en recettes et en dépenses et qui, après que les résultats définitifs ont été contrôlés, les réunit en un projet de loi qui, après avoir été voté par le Parlement, devient la loi des comptes. » En vertu du principe de l'unité de caisse, c'est le ministre des finances qui encaisse toutes les recettes et qui paie toutes les dépenses de l'État. Il le fait par son caissier payeur central à Paris, ses trésoriers payeurs généraux et ses autres agents comptables dans les départements. » Il est l'ordonnateur des dépenses de son propre ministère et préside à la distribution des fonds mis à la disposition des autres ministres, comme s'il était l'ordonnateur en chef, les autres ministres étant réduits à n'être que des ordonnateurs secondaires dépendant de lui et ne pouvant exercer que sous sa surveillance, leur droit d'ordonnancer leurs propres dépenses. » Les lois et règlements de la comptabilité publique en Bel- gique ont compris, de la manière indiquée par L. Say, la place éminente que le ministre des finances est appelé à occuper dans l'exécution du budget, en vue d'en assurer l'unité. Ils lui reconnaissent les attributions les plus étendues, qui pourraient suflir, semble-t-il, à absorber toute l'activité d'un homme. Néanmoins, tandis que, en d'autres pays, il a paru utile de faire deux parts de ces attributions et d'en investir deux per- ( 329 ) sonnes distinctes : le ministre du trésor et le ministre des finances ^ en Belgique, on ne se contente pas de les réunir dans le chef d'un même titulaire. Une distribution récente des départements ministériels a rattaché au département des finances celui des travaux publics. A envisager cette institution du ministère des finances et des travaux publics en elle-même, abstraction faite de toute consi- dération de personne, l'innovation ne nous semble pas heu- reuse. Il paraît difficile, en théorie, qu'un seul chef, quels que soient d'ailleurs son talent et ses capacités, puisse mener de front, avec une égale compétence et une égale sollicitude, des services aussi complexes et aussi divers. A un autre point de vue, il peut être délicat aussi de laisser à une même main la disposition du trésor public et la direction d'un département aussi exigeant en fait de dépenses. Quoi qu'il en soit, le ministre des finances dirige donc tout d'abord le service des recettes. La perception des deniers de l'État ne peut être effectuée que par un comptable du trésor, et aucune manutention de ces deniers ne peut être exercée que par un agent placé sous les ordres du ministre des finances, nommé par lui ou sur sa présentation, responsable envers lui de sa gestion et justiciable de la Cour des Comptes (art. 6 et 7 de la loi de 1846). Tous les revenus publics sont versés par les comptables dans une caisse unique, qui les centralise tous (art. 24, arr. de 1868) et qui fournira aussi les fonds nécessaires au paiement des dépenses publiques. Le service de cette caisse unique est confié à la Banque Nationale de Belgique, en vertu de conventions et à des condi- tions que nous détaillerons plus loin. En sa qualité de caissier de l'Etat, la Banque Nationale est comptable du trésor. Elle est soumise, à ce titre, à toutes les obligations des comptables. Les opérations du caissier de l'Etat, relatives soit à la centra- * Par exemple, en Italie. ( 330 ) lisation des revenus, soit au paiement des dépenses, sont donc contrôlées par le ministre des finances et ses agents, parmi lesquels figure en première ligne l'agent du trésor i. Le service des dépenses dépend, lui aussi, du ministre des finances. Les ordonnances de paiement émanées des chefs des différents départements ministériels sont visées par lui (art. 108, arr. de 1868). Il n'autorise le paiement d'une ordonnance que lorsqu'elle porte sur un crédit ouvert par la loi, et aucune sortie de fonds ne peut se faire sans son concours (art. 17, loi de 1846). Le ministre des finances est investi de la sorte d'une véri- table suprématie sur ses collègues. Le service des recettes et celui des dépenses sont donc placés complètement sous ses ordres. Il en est de même du service de trésorerie, qui consiste essentiellement dans l'aménagement des recettes aux dépenses 2. Nous avons déjà dit qu'à ce point de vue, le ministre des finances dirige le trésor ou la caisse de l'État, C'est à lui aussi de veiller à la présence de fonds suffisants pour satisfaire, à tout moment, à toutes les exigences du paiement des dépenses. Car, il peut se faire que « la rentrée des recettes publiques ne coïncide pas toujours soit quant au temps, soit quant aux sommes avec les sorties de fonds nécessitées par le paiement des dépenses 3 ». Les ministres des finances ont alors recours à des moyens de trésorerie, c'est-à-dire principalement à l'emprunt à court terme, sous diverses formes ^. En Belgique, le ministre des finances émet, afin de faire face à des nécessités urgentes, des bons du trésor ». • Cf. infra, chapitre III. - Cf. BoucARD et Jèze, t. II, p. 1158. 3 Ihid., t. II, p. 1218. t Cf. ibid., t. II, pp. 1218 et suiv. ^ Les bons du trésor sont « des effets à ordre ou au porteur, à échéance fixe et portant intérêt, que le Ministre des finances est autorisé à créer ( 331 ) Enfin, le contrôle des recettes et des dépenses et les diffé- rents éléments de la comptabilité publique sont, eux aussi, centralisés au ministère des finances. Toute entrée de fonds dans les caisses publiques, quel que soit le service auquel ils appartiennent, a lieu pour compte du département des finances, qui en centralise le montant dans les livres de la comptabilité de la trésorerie générale (art. 5, loi de 1846; art. 178 et suiv., arr. de 1868). Il en est de même de la comptabilité des dépenses. Le ministre des finances est en rapports constants, à cet effet, avec les différents départements ministériels, la Cour des Comptes, le caissier de l'État et les agents du trésor. Une administration spéciale, dépendante du ministère des finances, V administration de la trésorerie et de la dette publique pour procurer des ressources urgentes à la trésorerie. » (Pand. belges, v« Bons du trésor, n» 1.) Ils sont émis généralement pour payer les dépenses ordinaires avant que les recettes ordinaires soient effectuées, ou bien aussi pour couvrir provisoirement les dépenses extraordinaires et surtout celles résultant de grands travaux publics, en attendant la réalisation d'un emprunt d'État. (Ibid., n^^ 3^ 4, 5.) Il n'y a pas de législation organique sur les bons du trésor. Chaque émission fait l'objet d'une disposition de loi et d'arrêtés d'exécution qui en précisent les règles. {Ibid., n» 2.) Cependant, la loi du 27 avril 1883, article 3, a donné au gouvernement, afin de pourvoir au service du trésor, une autorisation permanente « de créer, renouveler ou maintenir en circulation des bons du trésor portant intérêt et payables à une échéance qui ne dépasse pas cinq ans. Les bons du trésor en circulation ne pourront excéder 15 millions de francs ». (Cf. les travaux préparatoires de cette loi et notamment le rapport de la section centrale.) Les bons du trésor sont négociés en bloc à des établissements finan- ciers, bien qu'en principe ils puissent se négocier à des particuliers. (Pand. belges, ibid., n» 26.) La Banque Nationale escompte les bons à concurrence de 20 millions de francs. (Cf. articles 22 et 23 des nouveaux statuts de la Banque Nationale du 5 mai 1900, approuvés par arrêté royal du 16 mai.) Chaque émission est soumise au visa préalable de la Cour des Comptes. (Cf. Pand. belges, v« Bons du trésor, t. XIII, pp. 1258 et suiv., v« Dette flottante, U\\\, p. S'.^O.' ( 332 ) est chargée de tous les services que comporte l'exécution du budget. Les cadres du personnel de cette administration ont été établis par un arrêté royal du 30 mai 1871. {Moniteur du 18 juin.) Telle est la place éminente qu'occupe le ministre des finances dans l'exécution du budget. Nous l'avons signalée dans une vue d'ensemble, nous réservant d'y revenir dans l'étude plus détaillée qui va suivre. §4. — Définition de l'ordonnateur et du comptable. — Incompatibilité entre ces deux natures de fonctions. Notre code de comptabilité ne définit pas formellement l'ordonnateur, mais ses fonctions sont précisées et organisées par de nombreux articles des lois et règlements. L'ordonnateur est celui qui a mission d'engager la dépense publique, de la liquider, c'est-à-dire de la constater et d'en fixer la quotité, de l'ordonnancer, c'est-à-dire d'en assigner le paiement sur le crédit alloué par la loi budgétaire et de donner l'ordre de payer. L'ordonnateur est donc celui qui dirige la recette et son emploi. Ces fonctions sont exercées par les ministres, en leur qualité de chefs des administrations publiques, soit directe- ment, auquel cas ils portent le nom d'ordonnateurs primaires, soit par voie de délégation à certains fonctionnaires, qui agis- sent alors à titre d'ordonnateurs secondaires. Par opposition à l'ordonnateur, qui dirige et contrôle, ce qui caractérise essentiellement le comptable c'est le maniement réel des deniers publics. Le comptable est « celui qui, soit en recevant les deniers publics, soit en en faisant emploi, manie réellement ces deniers et qui, à ce titre, est soumis à la juridic- tion de la Cour des Comptes ^ >k Le comptable est à la fois un mandataire et un agent de l'administration et, sous ce rapport, il est soumis à des règles * Laurent, Droit civil, t. XXX, n" 4-51. ( 333 ) spéciales établies surtout en vue de prévenir les malversa- tions ''. L'article 7 de la loi de 1846, que nous avons déjà cité, déter- mine la situation de l'agent comptable, en disant : « Aucune manutention de deniers publics ne peut être exercée, aucune caisse publique ne peut être gérée que par un agent placé sous les ordres du ministre des finances, nommé par lui ou sur sa présentation, responsable envers lui de sa gestion et justiciable de la Cour des Comptes ». Ce même article ajoute : « Sauf les exceptions établies par la loi, tout agent chargé d'un maniement de deniers apparte- nant au trésor public est constitué comptable, par le seul fait -de la remise desdits fonds sur sa quittance ou son récé- pissé ». Nous aurons à revenir bientôt sur le détail des règles qui concernent les comptables publics. Pour le moment, il nous faut insister sur un principe fon- damental qui se trouve à la base de notre comptabilité publique et que ce même article 7, alinéa 1 formule en ces termes : les fonctions cV ordonnateur et d'administrateur sont incompatibles avec celles de comptable. Cette règle est textuellement empruntée à l'ordonnance de M. de Villèle du 14 septembre 1822. Elle a été conservée dans l'organisation française actuelle "^ et se retrouve dans les codes de l'Angleterre, de l'Italie, etc.... Cette règle est, en effet, insé- parable d'un régime de comptabilité bien ordonné. MM. Boucard et Jèze ont très nettement fait ressortir l'im- portance capitale de la séparation de ces deux natures de fonctions et les avantages qu'elle présente '^. 1 Pand. belges, vo Comptable public, n» 4. '^ Dans les mêmes termes, par rarlicle 17 du décret du 31 mai 1862. — « Aucun mélange de personnes ne peut donc exister entre le service qui constate les droits au profit des créanciers de l'État et le service qui en opère l'acquittement. » (Stourm, p. 491.) 5 Lac, cit., t, I, pp. 515-517. ( 334) « Dans l'acquittement des nombreuses dettes de l'État, il y a trois points principaux dont il faut tenir compte. » Tout d'abord, il faut que le mécanisme soit arrangé de telle façon que les paiements se fassent avec ordre, que les créanciers soient régulièrement et promptement payés. » D'autre part, il faut éviter que, dans le maniement de ces fonds, il y ait du coulage et des malversations. Il faut que les deniers publics soient exclusivement employés à payer les véritables créanciers de l'État pour des services régulièrement faits et pour des sommes strictement dues. )) Enfin, il faut que seules les créances autorisées par l'autorité législative soient payées et qu'elles le soient dans les limites strictes de l'autorisation. A quoi servirait-il au Parle- ment de poser la règle de la spécialité, si les agents d'exécution n'en tenaient aucun compte? » Toute comptabilité qui ne donnera pas satisfaction à ces trois intérêts sera incomplète et critiquable. » Or, la séparation des fonctions d'ordonnateur de celles de comptable est une combinaison destinée à leur donner satis- faction. a L'avantage de cette séparation est triple. » Le premier avantage est celui qui s'attache à toute divi- sion du travail : on ira plus vite. » Le deuxième — et c'est l'avantage capital — c'est de rendre possible une vérification des ordonnateurs par les comptables, tant au point de vue de la réalité de la créance que du respect des autorisations budgétaires. Si, en effet, le comptable ne paie qu'après avoir vérifié, à son tour, le dossier justificatif de la créance, et après avoir constaté qu'il y avait un crédit et que ce crédit n'a pas déjà été dépassé, il y a les chances les plus sérieuses pour qu'aucun paiement fictif ou extra-budgétaire n'intervienne. » Enfin, — troisième avantage, — la comparaison après coup des écritures tenues par chaque catégorie d'agents — ordonnateurs d'une part, comptables de. l'autre — pourra servir à un contrôle très etficace... , ^ ( 335 ) )) ... Ainsi, la dualité des fonctions d'ordonnateurs et de comptable apparaît comme une garantie extrêmement puis- sante de la sincérité des paiements et du respect des volontés du Parlement. Combinée avec des méthodes de comptabilité distinctes, les unes propres aux ordonnateurs et les autres spé- ciales aux comptables pour leurs opérations réciproques, il est permis d'espérer de l'ordre, de la rapidité, de l'honnêteté dans la gestion des finances publiques, et une scrupuleuse obser- vation des autorisations législatives. )> CHAPITRE II. Le service des recettes. § 1. — Comptables chargés de la perception et du service DES recettes. L'article 6 de la loi de 1846 dispose : la 'perception des deniers de FÉtat ne peut être effectuée que par un comptable du trésor et en vertu d'un titre légalement établi (cf. aussi : art. 13, arr. de 1868). Les administrations chargées du service des recettes com- prennent, dans leurs cadres, outre les agents spécialement investis de la perception, des fonctionnaires : directeurs, inspecteurs, contrôleurs, vérificateurs, etc., dont la mission est de constater les receltes, de surveiller et de contrôler les comptables placés sous leurs ordres. Il y a lieu de distinguer, au point de vue de cette organisa- tion, le service des recettes provenant de l'impôt et le service des recettes puisées à d'autres sources. Quant aux recettes provenant de l'impôt, leur service est confié à deux grandes administrations, qui relèvent immé- diatement du ministre des finances : 1*> l'administration des contributions directes, douanes et accises ; ( 336 ) 2° radminislration de l'enregistrement et des domaines. I. — L'administration des contributions directes, douanes et accises comprend d'abord l'administration centrale, à la tête de laquelle se trouve un conseil d'administration, qui se compose du directeur général, président; des directeurs généraux à titre personnel, des inspecteurs généraux et des directeurs qui remplissent les conditions requises par l'article 4 de l'arrêté royal du 25 juin 1900. Le pays est divisé en neuf directions de contributions directes, correspondant chacune à une circonscription provin- ciale. Chaque direction se divise en un certain nombre de con- trôles de contributions (en tout 105) ^^ et chaque contrôle en un certain nombre de bureaux de recettes des contributions (583) 2. Les impôts perçus par cette administration sont : la contri- bution foncière, la contribution personnelle, le droit de patente, la redevance sur les mines, le droit de licence sur les débits de boissons alcooliques, les droits de douanes, les droits d'accise, le droit de poinçonnage des matières d'or et d'argent 3. IL — A la tête de l'administration de l'enregistrement et des domaines se trouve aussi un conseil d'administration, composé du directeur général, président; des inspecteurs généraux et des directeurs, préposés aux divers services de l'administration centrale. Les directions de l'administration, en province, sont au * Direction d'Anvers : 10. — Brabant : 16. — Flandre occidentale : 13. — Flandre orientale : U. — Hainaut : 19. — Liège : 11. — Limbourg : 6. — Luxembourg : 7. — Namur : 9. '^ Contrôle d'Anvers : 48. — Brabant 71. — Flandre occidentale : 91. — Flandre orientale : 77. — Hainaut : 101. — Liège : 67. — Limbourg : 33. — Luxembourg : 44. — Namur : 51. •■' A l'administration des contributions directes ... se rattache aussi le service de la conservation du cadastre. ( 337 ) nombre de neuf également. Elles ont leur siège au chef-lieu de chaque province, comme les directions de l'administration des contributions, mais, à la différence de celles-ci, leur res- sort ne s'arrête pas aux limites de la province. Elles se com- posent, chacune, d'un certain nombre d'arrondissements judiciaires, groupés, sans respecter toujours les délimitations provinciales 'i. Cette administration perçoit les impôts suivants : droits d'enregistrement, droits de greffe, droits de succession, de mutation et de mutation par décès, droits de timbre, droits d'inscription et de transcription hypothécaire. Elle perçoit, en outre : les amendes de condamnation en matières diverses et les droits de péages sur les rivières et les canaux. Elle opère enfin le recouvrement des capitaux et revenus des domaines, forêts et dépendances des chemins de fer, des établissements et services régis par l'Etat, des produits divers et accidentels, des reliquats de comptes arrêtés et non arrêtés par la Cour des Comptes, des déficits des comptables et des avances faites par les divers départements, y compris les frais de justice en matière répressive. A côté d'impôts proprement dits, l'administration de l'enre- gistrement perçoit donc les produits les plus divers. Aussi les recettes sont-elles opérées par diverses catégories ,d'agents ou de receveurs. Les conservateurs des hypothèques sont chargés de la per- 1 La direction d'Anvers comprend les arrondissements judiciaires d'Anvers, Malines et Turnhout. La direction d'Arlon, ceux d'Arlon, Dinant, Marche et Neufchâteau. La direction de Bruges, ceux de Bruges, Courlrai, Furnes et \pres, La direction de Bruxelles, ceux de Bruxelles et Nivelles. La direction de Gand, ceux d'Audenarde, Gand et Termonde. La direction de Hasselt, ceux de Hasselt, Louvain et Tongres. La direction de Liège, ceux de Huy, Liège et Verviers. La direction de Mons, ceux de Mons et Tournai. La direction de Namur, ceux de Charleroi et Namur. Tome LXVl. 22 ( 338 ) ception des droits d'inscription et de transcription hypothé- caire et dirigent la caisse des consignations 'i. Il y a un conser- vateur des hypothèques par arrondissement judiciaire. Il existe aussi des bureaux spéciaux pour la perception des droits de navigation (péages). Enfin, tous les autres impôts ou droits sont à la recette des receveurs de l'enregistrement et des domaines. Des bureaux de recette sont installés généralement dans chaque canton de justice de paix. Mais dans les localités d'une certaine impor- tance, les diverses branches de recettes sont réparties entre plusieurs bureaux. Le contrôle est exercé : 1« par des inspecteurs et des vérificateurs de l""* et de 2« classe. 11 y a 14 ressorts d'inspection, 40 ressorts de vériti- cation et 3 vérificateurs sans résidence fixe; S*' par des agents chargés du contrôle des droits de naviga- tion. Il y a 7 contrôles des droits de navigation 2; 3" par des contrôleurs du timbre ; 9, attachés à chaque direction. La perception des recettes de l'Etat autres que celles de l'impôt et celles dont le recouvrement appartient à l'admi- nistration de l'enregistrement et des domaines, est faite : * Les fonds de consiiçnations sont soumis à une comptabilité spéciale, organisée par les articles 19 et 20 de l'arrêté de 1868. 2 Ces contrôles ont respectivement pour ressort : lo Le canal de Charleroi à Bruxelles ; 2° Les provinces de Flandre occidentale et de Flandre orientale ; 3» Les canaux de Mons à Condé, de Pommerœul à Antoing, de l'Escaut et de Koulers à la Lys ; 4" La Sarabre ; 5» La Meuse, l'Ourthe et le canal de Liège à Maestricht ; 6» Le canal de Maestricht à Bois-le-Duc et la partie du canal d'embran- chement vers Hasselt située dans la province de Limbourg; 7o Les canaux de jonction de la Meuse à l'Escaut, d'embranchement vers le camp de Beverloo, vers Turnliout, et de Turnhout à Anvers par St-Job-in't Goor. { 339 ) Par les comptables de l'administration des chemins de fer (chefs de station) ; Par les comptables de l'administration des postes et télé- graphes (percepteurs) ; Parles comptables de l'administration de la marine; Par les comptables de l'administration des prisons ; Par les comptables des établissements régis par l'État ; Par les comptables des établissements de bienfaisance et d'aliénés ; Par les comptables du ministère de l'agriculture. Les comptables tiennent, selon les modèles arrêtés par les administrations, des registres et journaux de perception présentant, par branche de produit, les développements propres à chaque nature de recette. Les sommes perçues sont renseignées immédiatement en recette, avec la date du recouvrement (art. 14, arr. de 1868). Les comptables sont tenus de représenter aux fonctionnaires de l'État sous les ordres desquels ils sont placés, et chaque fois que ceux-ci le requièrent, les fonds provenant des gestions qui leur sont confiées par le gouvernement, par les communes ou par les établissements publics; ils en dressent un borde- reau détaillé. Ces fonds ne peuvent être confondus avec d'autres dans une même caisse (art. 15, arr. de 1868). §2. — Dépenses acquittées directement par les comptables des différentes administrations. (Art. 16, art. 17, art. 435 à 143, arr. de 1868.) En principe, notre régime de comptabilité établit une dis- tinction très nette entre les receveurs et les payeurs. Ces der- niers sont les agents de la Banque Nationale. Cependant, par exception à ce principe, certaines dépenses sont acquittées directement par les comptables de recettes, en vertu de l'article 16 de l'arrêté de 1868. ( 340 ) Cet article dispose : « Les comptables des différentes administrations acquittent, sauf régularisation ultérieure par la Cour des Comptes, les frais de régie et de perception, ainsi que les autres dépenses man- datées sur leurs caisses par les fonctionnaires désignés comme ordonnateurs par les ministres. » Sont applicables à ces fonctionnaires, les dispositions de l'article 18 de la loi du 15 mai 1846 sur la comptabilité de l'État. » Expliquons cet article. Les administrations des recettes ne font payer sur la caisse des comptables que les frais de régie, de perception et d'une manière générale les dépenses qui, par assimilation à celles prévues à l'article 23 de la loi de comptabilité {dépenses fixes, voir plus loin), sont fixées d'avance par une disposition de loi, un arrêté royal ou un arrêté ministériel {cf. aussi : art. 135, arr. de 1868). Voici un aperçu de ces dépenses, avec l'indication des comptables qui les paient. A. — Dépenses payables par les receveurs des contributions directes, douanes et accises. 1° Sur le budget du ministère des finances. a. Les traitements de toute nature, l'indemnité de résidence et les suppléments de traitement, ainsi que les remises et l'indemnité variable des receveurs ; b. Les frais de tournée ; c. Les indemnités pour la confection des rôles de la contri- bution foncière et du droit de patente ; d. L'indemnité des sous-contrôleurs et des commis ambu- lants pour le service des accises ; e. Les frais de route et de séjour alloués aux experts de la contribution personnelle; f. L'indemnité allouée aux répartiteurs pour l'assiette du ( 341 ) droit de patente, du droit de débit en détail de boissons alcooliques (licence) et du droit de débit de tabac ; g. L'indemnité allouée aux porteurs de contraintes pour le recensement des patentables; h. L'indemnité et les frais résultant de l'application de la loi sur la contribution personnelle, dus aux experts et aux porteurs de contraintes ; i. L'indemnité de déplacement aux employés des provinces ; ;. L'indemnité pour la copie des rôles des contributions directes destinée à la formation des listes électorales ; k. L'indemnité pour la transcription des mutations cadas- trales ; /. Les primes pour saisies de boissons distillées, découvertes d'usines clandestines et arrestations de fraudeurs; m. L'indemnité pour surveillance extraordinaire allouée aux agents inférieurs du service des douanes ; n. Le salaire des expéditionnaires attachés aux directions; 0. Les frais d'escorte de la douane ; p. Les loyers, le chauffage et l'éclairage des locaux et embarcations ; q. Les frais de transport de matériel, les contributions et passages d'eau. 2° Sur le budget des non-valeurs et remboursements : a. Les non-valeurs concernant la contribution foncière, la contribution personnelle, le droit de patente, les redevances tixes et proportionnelles sur les mines ; b. Les restitutions de droits indûment perçus i et de fonds reconnus à des tiers; c. Les procès-verbaux de déficit des comptables. 3« Sur le budget des recettes et dépenses pour ordre 2 ; a. Le produit des amendes et conliscations ainsi que des préemptions; * Cf. article 17, arrêté de 1868. — Les ordonnances de restitution sont payables sur la caisse du comptable qui a opéré indûment la perception. 2 Cf. articles 21 et 22, alinéa % articles 23 et 185, arrêté de 1868. ( 342 ) b. Les indemnités allouées sur le fonds réservé dans le pro- duit des amendes et confiscations ; c. Les sommes prélevées sur le fonds spécial des préemp- tions; d. Les droits de magasin des entrepôts à payer aux com- munes ; e. Les centimes additionnels sur les contributions directes revenant aux communes ^ ; f. Les centimes communaux pour la voirie vicinale ; g. Les paiements pour compte de la masse d'habillement; h. Les paiements pour compte de la caisse de retraite ; i. Les paiements pour compte de la caisse d'épargne ; ;. Le remboursement des sommes versées pour garantie de droits et d'amendes éventuellement dus 4« Sur le budget de la dette publique : La rémunération en matière de milice. B. — Dépenses payables par les comptables de U enregistrement. i" Sur le budget des finances : a. Les traitements de toute nature, suppléments, indem- nités, salaires; b. Les remises des receveurs; c. Les remises des greffiers; d. Les frais de poursuite et d'instances; e. Les frais d'emballage, de transport de paquets, ballots, etc. ; f. Les frais d'entretien des bâtiments, digues, polders, che- mins, etc.; g. Les charges et contributions sur les domaines; h. Les frais de vente et d'autres actes; i. Les intérêts moratoires. S** Sur le budget des non-valeurs et remboursements : a. Les restitutions de droits indûment perçus, d'amendes, * Cf. article °L% alinéa 1, arrêté de 1868. ( 343 ) frais, etc. ^... ainsi que le remboursement de fonds reconnus appartenir à des tiers; b. Le montant des procès-verbaux de déficit des comptables. 3° Sur le budget de la dette publique : Les intérêts de consignations 2. 4" Sur le budget de la justice : Les frais de justice 3. 5** Sur le budget des dépenses pour ordre : a. Les consignations de toute nature 4; b. Les paiements imputables sur les amendes diverses et autres recettes soumises et non soumises aux frais de régie; c. Les paiements imputables sur les amendes et les frais de poursuite et de recouvrement en matière forestière. C. — Dépenses payables par les comptables des chemins de fer, postes et télégraphes. 1° Sur le budget ordinaire du département des chemins de fer : Les traitements de toute nature, salaires, indemnités de changements de résidence, de déplacement, d'intérim, primes de régularité, d'économie, secours, frais de loyer, de chauffage et éclairage des locaux, en un mot, toutes les dépenses émanant de ce département et les non-valeurs et remboursements. 2* Sur le budget des recettes et dépenses pour ordre : Paiements pour compte de la caisse de retraite et de secours, de la caisse d'assurance et de la masse d'habillement. — Déboursés, ports au delà, remboursements, fonds pour ordre liquidés, salaires, traitements, indemnités. 1 Cf. article 17, arrêté de 1868. 2 Par les conservateurs des hypothèques. — Articles 19, 50, 84 et 85, arrêté de 1868. 3 Cf. articles 142 et 143, arrêté de 1868. * Cf. note 2. ( 344 ) 3** Sur le budget extraordinaire : Toutes les dépenses, traitements, salaires, indemnités se rapportant à la construction de lignes nouvelles, de bâtiments nouveaux, etc. ^... * Voici quelques chiiFres qui permettront de se rendre compte de l'importance des paiements effectués par les comptables de recettes. Pendant l'année 1900, il avait été payé : I. — Service des recettes et dépenses de l'État : opérations sur les budgets en cours d'exécution (1899-1900). Par les receveurs des contributions directes, douanes et accises fr. 25,M8,586 » Par les receveurs de l'enregistrement et des domaines . 5,338,953 83 Par les comptables de l'administration des chemins de fer 79,691.725 85 Par les comptables de l'administration des postes et télégraphes 16,800,124 73 Par les comptables de l'administration de la marine . . 2,343 34 Soit un total de fr. 127,351,733 75 Sur un total général des paiements de même catégorie de 549,2 10,097 72 II. — Service des recettes et dépenses pour ordre. — Fonds de tiers déposés au trésor et dont le remboursement a lieu directement par les comptables qui en ont opéré la recette. (Gomp. plus haut : l^e partie, chap. III. § 2c pp. 165 et suiv.) Par les receveurs des contributions directes, douanes et accises fr. 28,852,108 » Par les receveurs de l'enregistrement et des domaines. 9,449,716 11 Par les comptables de l'administration des chemins de fer 79,282,398 50 Par les comptables de l'administration des postes et télégraphes 503,108,427 60 Par les comptables de l'administration de la marine . . 32.252 02 — — des prisons . . 285,375 64 — des établissements de bienfaisance et d'aliénés 4,116,452 05 Par les comptables du ministère de l'agriculture . . . 112,026 13 Total. . . .fr. 625,238,756 05 ( 34S ) Ces dépenses sont mandatées sur la caisse des comptables par des ordonnateurs secondaires, par les fonctionnaires désignés comme ordonnateurs par les ministres (art. 16, arr. de 1868). En ce qui concerne les dépenses payables par les comptables de l'enregistrement et des contributions directes, elles sont ordonnancées par les directeurs provinciaux. Les frais de justice font exception à cette règle : ils sont payés directement par les receveurs de l'enregistrement sur la taxe du juge ou sur le bon à payer du département de la justice. Les dépenses en question sont payées par les comptables, sauf régularisation ultérieure par la Cour des Comptes. La procédure de régularisation est organisée par les articles 135 à 143 de l'arrêté de 1868. L'article 135 distingue à ce point de vue les deux grandes catégories que l'on peut établir parmi les dépenses payées par les comptables : 1° Les dépenses de l'Etat en général ; 2° Les frais de justice et les fonds de tiers. Les articles 126 à 129 de l'arrêté royal du 18 juin 1853 sont applicables h la régularisation des frais de justice (art. 142, arrêté de 1868) ; l'article 143, arrêté de 1868 aux fonds de tiers. Quant aux dépenses générales de l'État, les articles 136 à 141 de l'arrêté de 1868 établissent la procédure suivante. Les pièces de dépenses acquittées par les comptables sont classées par spécialité de service et détaillées sur des borde- reaux divisés par article du budget et par exercice. Les directeurs provinciaux donnent décharge aux comptables de leur ressort des pièces de dépenses versées à l'appui de leur comptabilité mensuelle. Les directions provinciales résument à leur tour, par spécia- lité de service, par exercice et par article du budget, toutes les dépenses produites par les comptables, et transmettent le tout au ministère des finances et des travaux publics (administra- tion de la trésorerie). La trésorerie, après vérification des pièces de dépenses. ( 346 ) donne décharge aux directeurs provinciaux et récapitule les pièces de dépenses des neuf provinces sur une ordonnance de régularisation qu'elle adresse à la Cour des Comptes. La Cour procède à l'examen des pièces produites à l'appui des ordonnances de régularisation, elle en vérifie la légalité et l'imputation sur les allocations du budget et munit l'ordon- nance de régularisation de son visa. Ces ordonnances de régularisation ^ sont formées en double expédition lorsqu'elles concernent le département des finances, et en triple expédition lorsqu'elles s'appliquent à un autre déparlement. L'ordonnance de régularisation, visée par la Cour, vaut décharge à l'administration d'où elle émane. Une expédition de l'ordonnance de régularisation visée par la Cour est adressée à la trésorerie, pour imputer le montant des dépenses reprises sous chaque article du budget et pour passer écriture des paiements justifiés, dans la comptabilité générale de l'administration des finances. L'expédition de l'ordonnance de régularisation adressée à la trésorerie revient à la Cour, à l'appui des pièces acquittées par les agents du trésor, dont les bordereaux récapitulatifs de la trésorerie contiennent une colonne ad hoc pour y renseigner le total des paiements sur ordonnances de régularisation. En ce qui concerne les administrations des chemins de fer, postes et télégraphes, la direction du contrôle des recettes et des matières, pour les chemins de fer, la direction des postes et télégraphes, pour les dépenses de ces services, donnent décharge aux comptables des pièces de dépenses versées à l'appui des étals mensuels des recettes et dépenses et la Cour des Comptes donne à son tour décharge aux administrations par le visa des ordonnances de régularisation. * Cf. les modèles 22a et 22b, établis par l'arrêté du ministre des finances du 12 décembre 1868, pris en exécution de l'article 229 du règlement général sur la comptabilité de l'État. Les modèles 23a et 23b concernent les ordonnances de régularisation des frais de justice payés pour compte du département de la justice par les receveurs de l'enregistrement et des domaines. ( 347 ) § 3. — Règles générales concernant les receveurs ET comptables DE l'ÉtAT. Le législateur, en traçant les règles que nous allons rapide- ment passer en revue, s'est proposé, en dernière analyse, de prévenir les abus ou les irrégularités qui pourraient se pro- duire dans la gestion de ceux qui manient les deniers publics, et de prescrire les moyens propres à désintéresser le trésor, au cas où ces précautions auraient été inutiles. A cet effet, les comptables sont soumis à un régime sévère que l'on peut résumer en ces trois propositions : a. Ils répondent sur leurs biens propres de la fidélité de leur gestion (art. 8, 9, loi de 1846); h. Ils doivent justifier périodiquement, dans les formes prescrites, des opérations qu'ils effectuent et rendre leurs comptes (art. 28 à 46, arr. de 1868); c. Les règlements déterminent la procédure à suivre dans les différents cas où la responsabilité des comptables peut être engagée (art. 10 à 14, loi de 1846, art. 47 et suiv. , arr. de 1868). A. — Avant d'être installé dans ses fonctions, le comptable doit prêter serment et justifier de cette prestation. Il doit justifier aussi du versement de son cautionnement, dans les formes et devant les autorités à déterminer par les lois et règle- ments (art. 8, loi de 1846). L'arrêté royal du 10 mars 1866 a prescrit les formes relatives aux cautionnements des comptables et autres agents de l'Etat, et l'arrêté ministériel du 30 juillet 1867 en a fixé les taux respectifs. Les cautionnements doivent être intégralement versés en numéraire, bien que l'arrêté de 1866 permette de les fournir en fonds publics belges ou en immeubles. Mais aucun arrêté ministériel n'a encore mis en vigueur ces dispositions. Ces cautionnements sont versés chez les agents du caissier de l'État et remboursés par eux, pour le compte de la caisse ( 3-48 ) des dépôts et consignations (art. 189, arr. de 1868). Ils sont inscrits au grand-livre des cautionnements (art. 192, arr. de 1868). Des certificats constatant l'inscription des cautionne- ments sont délivrés aux intéressés par la caisse des dépôts et consignations; ils sont visés préalablement par la Cour des Comptes. Ces certificats forment titre : il n'en est délivré de duplicata que lorsque la perte en est constatée, et en vertu d'une décision ministérielle portant annulation du certificat primitif (art. 193, arr. de 1868). Remboursement des caution- nements : articles 195 à 201, arrêté de 1868. Les intérêts des cautionnements des comptables sont payables par trimestre. La Cour des Comptes reçoit le décompte des sommes à payer (art. 84, arr. de 1868). Une seconde garantie est le privilège qui appartient au trésor public sur les biens de tout comptable, caissier, dépo- sitaire ou préposé quelconque chargé d'un maniement de deniers publics. Le privilège du trésor a été organisé par la loi des 5-lo sep- tembre 1807, modifiée sur différents points par la loi du 16 décembre 1851 sur la revision du régime hypothécaire (art. lo-20-47-48-89). Il a lieu même à l'égard des femmes des comptables, séparées de bien « pour les meubles trouvés dans les maisons d'habitation du mari, à moins qu'elles ne justifient légalement que les dits meubles leur sont échus de leur chef, ou que les deniers employés à l'acquisition leur apparte- naient » (art. 2, loi 1807). B. — Le règlement de la comptabilité publique de 1868 prescrit, d'une manière détaillée, les formes dans lesquelles les comptables devront justifier de leurs recettes et de leurs dépenses. Ils tiennent, nous l'avons déjc^ dit, leurs comptes par gestion (art. 10, arr. de 1868) et, à cette effet, ils tiennent un livre de caisse, dans lequel sont résumés les faits accomplis, en recette et en dépense, du 1" janvier au 31 décembre de la même année (art. 28, arr. de 1868). A la fin de chaque journée, on ( 349 ) inscrit au livre de caisse les recouvrements opérés suivant les journaux et registres de perception et à la suite des recettes de la dernière journée du mois, les récépissés de versement et les pièces comptables qui peuvent être admises en dépense sont libellés mensuellement par nature (art. 29, arr. de 1868). Le livre de caisse doit présenter constamment le total des recettes effectuées et des dépenses admises par l'autorité supé- rieure depuis le commencement de l'année, et offrir le moyen de constater tous les jours la situation de la caisse du comp- table (art. 30, arr. de 1868). A l'expiration de chaque mois, les comptables des différentes administrations forment des états de leurs recettes et de leurs dépenses (art. 31, arr. de 1868), selon les prescriptions des articles 32 et 33, arrêté de 1868. Deux expéditions des états mensuels, appuyées des récépissés de versement et des pièces justificatives des paiements faits, sont adressées par les comptables au département ou au chef de service dont ils relèvent, dans les délais fixés par les règle- ments d'administration. Une de ces expéditions, revêtue de l'acte de décharge, est renvoyée aux comptables (art. 34). Au moyen des états fournis par les comptables, les direc- teurs ou chefs de service forment des états généraux et men- suels par province. Cependant, par exception à cette règle, les produits des administrations de la marine, des prisons et des chemins de fer, postes et télégraphes sont résumés dans un seul état général pour le royaume lart. 35). Ces états généraux et mensuels sont, à leur tour, transmis en double expédition au ministre des finances, appuyés des pièces justificatives de dépenses, détaillées sur des bordereaux. Une expédition, munie de l'acte de décharge, est renvoyée à l'administration ou au fonctionnaire que la chose concerne (art. 36). Enfin, le département des financess dresse des états géné- raux et mensuels indiquant, par province, les recettes et les ( 350 ) dépenses effectuées dans le royaume, par les comptables des contributions directes et de l'enregistrement (art. 37). Le 34 décembre de chaque année ou bien à l'époque de la cessation des fonctions, les écritures et les livres des comp- tables des deniers publics sont arrêtés par les agents admi- nistratifs désignés à cet effet, La situation de leur caisse et de leur portefeuille est vérifiée aux mêmes époques et constatée par un procès- verbal. Ce procès-verbal de situation de caisse est dressé en double expédition. Une expédition reste entre les mains du comptable; l'autre est transmise par la voie hiérar- chique à l'administration centrale (art. 38 et 41) ^. Il arrive que des comptables de l'Etat soient en même temps receveurs de communes ou d'établissements publics. Dans ce cas, la vérification de leur caisse par les agents du gouverne- ment s'opère simultanément pour tous les services dont ces comptables sont chargés, et ce indépendamment de la surveil- lance et du contrôle des autorités provinciales ou autres (art. 39 —cf. aussi : art. 40, arr. de 1868 et art. 51, loi de 1846). Tout receveur ou comptable des administrations financières est justifiable de la Cour des Comptes (art. 7, loi de 1846), à laquelle il rend annuellement compte de sa gestion, avant le l^-- mars (art. 42, arr. de 1868, et 49, loi de 1846). Chaque comptable n'est responsable que des actes de sa gestion personnelle. En cas de mutation, le compte est divisé suivant la durée de la gestion des différents titulaires, et chacun d'eux rend séparément à la Cour des Comptes, le compte des opérations qui le concernent (art. 43). Il y a donc lieu de distinguer la gestion annuelle et la gestion personnelle. Le compte des comptables comprend tous les faits de la gestion pendant la période annuelle (ou la période de gestion personnelle), quelle que soit leur nature et à quelque 1 Cf. aussi : article SO, loi de 1846. — Cf. le modèle du procès-verbal de situation de caisse (modèle n^ 1) établi par l'arrêté ministériel du 1^2 décembre 1868. ( 3M ) service public ou particulier qu'ils se rapportent. Il présente : 4° Le tableau des valeurs existant en caisse et en portefeuille, et des créances à recouvrer au commencement de la gestion annuelle, ou l'avance dans laquelle le comptable se serait constitué à la même époque ; 2° Les recettes et les dépenses de toute nature, faites pendant le cours de cette gestion, avec distinction d'exercices et de droits; 3« Le montant des valeurs qui se trouvent dans la caisse et dans le portefeuille du comptable et des créances restant à recouvrer à la fin de la gestion annuelle, ou les sommes dont le préposé serait en avance à la même époque (art. 49, loi de 1846). Des règlements d'administration déterminent la forme des comptes et les pièces à produire pour les justifications des recettes et des dépenses qui y sont renseignées. Ils fixent les délais dans lesquels les comptes doivent être rendus et adressés soit au département, soit au chef de service dont le comptable relève (art. 44, arr. de 1868). Les comptes de gestion annuelle, appuyés de résumés généraux formés par l'administration centrale ou par les chefs de service, sont transmis au département des finances avant le lo février de chaque année. Si un comptable ne rend pas son compte dans les délais voulus, ce compte est dressé d'office par le fonction- naire désigné à cet effet. Le ministre que la chose concerne requiert, s'il y a lieu, contre le comptable en défaut, l'application de l'amende com- minée par l'article 8 de la loi du 29 octobre 1846, organique de la Cour des Comptes (art. 45 et 46) ^. L'obligation de rendre compte ne concerne pas seulement les comptables en deniers, mais aussi les comptables des matières qui sont commis à la garde, à la conservation et à l'emploi du matériel appartenant à l'État (art. 52, loi de * Cf. plus bas, le chapitre relatif à la Cour des Comptes, ( 352 ] 1846) ^. De même, le mobilier fourni par l'Etat doit être inven- torié et les inventaires sont récolés à la fin de chaque année et à chaque mutation de fonctionnaires responsables 2 (art. 47, loi de 1846). Le principe de la responsabilité des comptables est proclamé par l'article 10 de la loi de 1846 : Tout comptable est respon- sable du recouvrement des capitaux, revenus, péages, droits et impôts dont la perception lui est confiée. Elle peut être engagée d'abord en cas de non-recouvrement. Avant d'obtenir décharge des articles non recouvrés, le comp- table doit faire constater que le non-recouvrement ne provient pas de sa négligence, et qu'il a fait en temps opportun toutes les diligences et poursuites nécessaires (art. 10, al. 2, loi de 1846). Des règlements d'administration déterminent les règles à suivre pour obtenir décharge des articles non recou- vrés (art. 60, arr. de 1868). Quand un comptable a été forcé en recette et qu'il a payé de ses deniers les sommes dues et non renseignées, il est subrogé de plein droit dans les créances et privilèges de l'État à la charge des débiteurs (art. 10, al. 3, loi de 1846 et art. 47 et suiv., arr. de 1868). Les comptables prennent les mesures nécessaires pour pré- venir les vols et les perles de fonds. S'il se produit un fait de l'espèce, la constatation en a lieu, sous forme d'enquête, à la diligence des fonctionnaires désignés à cette fin: il en est dressé procès-verbal, dont une expédition est transmise au département des finances; une autre est jointe au compte de gestion ; une troisième expédition est adressée au chef du département dont le comptable relève (art. 61, loi de 1868). * La comptabilité des matières a été organisée par un arrêté royal du 6 décembre 1853. — Un arrêté royal du 10 janvier 1862 concerne plus spécialement le ministère des chemins de fer, postes et télégraphes. — Un arrêté royal du 31 décembre 1900 approuve un nouveau règlement sur la comptabilité des matières appartenant au Ministère des finances et des travaux publics. 2 Cf. arrêté royal du 26 mars 1858 relatif à l'exécution de l'article il. ( 353 ) Tout receveur, caissier, dépositaire ou préposé quelconque chargé de deniers publics ne pourra obtenir décharge d'un vol ou d'une perte de fonds, s'il n'est justifié qu'il est l'effet d'une force majeure et que les précautions prescrites par les règlements ont été prisés. En attendant l'arrêt de la Cour des Comptes, et sans y préjudicier, le ministre des finances peut ordonner le verse- ment provisoire de la somme enlevée ou contestée (art. 11, loi de 1846). Les articles 47 à 59 et l'article 62 de l'arrêté de 1868 règlent les cas de déficits. Lorsqu'un déficit est reconnu dans la gestion d'un comptable, le fonctionnaire chargé de la surveil- lance en dresse immédiatement procès-verbal et se conforme aux règlements qui régissent l'administration à laquelle il appartient (art. 47, arr. de 1868). Tous les droits et impôts perçus et non renseignés sont portés en recette au profit du trésor. Le comptable constitué en déficit demeure, en outre, responsable des droits et amendes qui, à défaut de poursuites exercées en temps utile, sont devenus irrécouvrables (art. 48). Une expédition du procès-verbal de déficit est adressée au directeur de l'enregistrement et des domaines, pour être remise au receveur de cette administration, chargé de pour- suivre le recouvrement du débet sur les biens meubles et immeubles du comptable (art. 50). Si l'administration centrale ou le chef de service a requis — ce qui est facultatif (art. 49) une inscription hypothécaire sur les biens immeubles du comptable, conformément à l'ar- ticle 89 de la loi du 16 décembre 1851, le bordereau d'inscrip- tion hypothécaire est joint à l'expédition du procès-verbal de déficit (art. 50). Après la constatation du déficit, l'administration compé- tente ordonne au comptable reliquataire de rendre compte de sa gestion. Si lui ou ses ayants cause restent en défaut de le fournir, le ministre provoque l'application des articles 7 et Tome LXVI. 23 ( 354 ) 8 de la loi du 29 octobre 1846 ^. L'arrêt de la Cour des Comptes est signifié à l'intéressé par l'administration de l'en- registrement (art. 52). Les fonctionnaires ne peuvent dénoncer un déficit au ministère public sans une autorisation préalable du ministre au département duquel le comptable ressortit (art. 53). Lorsque le déficit est arrêté par la Cour des Comptes, le procès-verbal qui le constate est porté en dépense par le comp- table en fonctions. Si le débet arrêté par la Cour présente une différence avec le procès- verbal, ce dernier est mis préalable- ment en concordance avec l'arrêt (art. 54). Le déficit est consigné dans un sommier tenu par le rece- veur de l'enregistrement. Celui-ci est chargé de continuer les diligences nécessaires pour assurer le recouvrement des droits restant dus au trésor, après la réalisation du cautionnement affecté à la garantie de la gestion du comptable 2. Toutes les recettes faites en apurement du déficit y sont successivement annotées (art. 55). Dans le cas où le déficit dépasse le montant du cautionne- ment, le receveur de l'enregistrement, s'il n'a pas reçu d'or- dres contraires, décerne immédiatement une contrainte et fait procéder ensuite à la saisie des meubles du comptable en déficit; toutefois, la vente n'a lieu que sur l'autorisation du directeur de l'enregistrement. Les biens immeubles ne peuvent être saisis sans un ordre du ministre des finances (art. 51). Les erreurs et fausses perceptions de droits au préjudice du trésor, constatées postérieurement à l'arrêt de la Cour des Comptes, font, s'il y a lieu, l'objet d'un acte de chargement. Cet acte est transmis à la Cour pour être revêtu de la forme exécutoire, par application de l'article 11 de la loi du 29 octo- bre 1846 3. * Cf. infra, chapitre relatif à la Cour des Comptes. - Cf. article ^202, arrêté de 1868. ^ Cf. infra. ( 355 ) Il est envoyé ensuite à l'administration de l'enregistrement, à l'effet de poursuivre le recouvrement des sommes dues (art. 56). Les receveurs de l'enregistrement et des domaines paient les frais des actes conservatoires et de signification des arrêts de la Cour des Comptes. Ils paient également ceux qu'occasionne le recouvrement des déficits. Les mémoires de ces frais, dûment acquittés, sont portés en dépense dans leurs états mensuels (art. 57). Annuellement, il est porté une allocation spéciale au budget, pour recevoir l'imputation et la régularisation des pertes résultant de déficits et d'événements extraordinaires K Les pertes qui seront imputées sur cette allocation seront con- signées par l'administration des domaines dans ses sommiers; elle fera les diligences nécessaires pour en assurer le recou- vrement sur les cautionnements et biens des débiteurs (art. 12, loi de 4846). Si, pendant cinq années consécutives à compter de la date de l'arrêt de la Cour des Comptes, une créance ouverte pour cause de déficit ou de tout événement de force majeure n'avait pas été recouvrée, l'impossibilité du recouvrement sera constatée par un procès- verbal, lequel sera reproduit à l'appui du compte général de l'Etat; une expédition du même procès- verbal sera jointe au compte du comptable chargé du recou- vrement du déficit (art. 13, loi de 1846, art. 58, arr. de 1868). Les agentç de l'administration de l'enregistrement et des domaines cessent de faire rappel dans leurs écritures des déficits non recouvrés cinq ans après l'arrêt définitif de la Cour des Comptes; ils transfèrent ces déficits dans un sommier de créances en surséance, et continuent, le cas échéant, à en poursuivre le recouvrement contre les débiteurs (art. 59, arr. de 1868). 1 Au budget des non-valeurs et remboursements pour 1902, le mon- tant des crédits portés à l'article 11 du chef de déticit des divers compta- bles de l'État, s'élève à 40,000 francs (non limitatif). ( 3S6 ) Enfin, les fonctionnaires chargés spécialement et directe- ment de la surveillance des comptables et du contrôle de leur comptabilité, sont responsables de tout déficit irrécouvrable qui pourrait être occasionné par un défaut de vérification de la gestion du comptable en déficit (art. 14, loi de 1846). Ces fonctionnaires, en cas de déficit irrécouvrable, sont invités à fournir leur justification. S'il est reconnu qu'ils ont négligé de remplir leurs devoirs, un arrêté royal motivé fixe la somme qu'il y a lieu de mettre à leur charge. Cette somme est recouvrée par le receveur de l'enregistrement et portée en recette en apurement du déficit (art. 62, arr. de 1868, art. 14, loi de 1846). CHAPITRE III. La Banque Nationale de Belgique, caissier de l'État. Le service de la caisse de l'État, des entrées et des sorties de fonds appartenant à l'État, est confié, selon les pays, à des fonctionnaires relevant directement du ministre des finances ou bien à des banques privilégiées, en vertu d'une convention spéciale intervenue entre elles et l'État et sous le contrôle du chef responsable de la trésorerie. La première combinaison est adoptée en France; la seconde en Angleterre et en Belgique et aussi, dans une certaine mesure, dans l'empire d'Allemagne i. Deux traits caractérisent surtout le système français '^ : 1° Les recettes sont encaissées et les dépenses sont payées exclusivement par des fonctionnaires ou agents de l'État. Les fonctions de receveur et de payeur sont d'ailleurs, en principe, réunies dans les mêmes mains ; 2° La Banque de France ne joue qu'un rôle très effacé dans . ^ Cf. Stourm, p. 476. - BoucARD et Jèze, t. II, pp. 1193 et suiv. ; Stourm, chap. XXIII, pp. 458 et suiv. ( 357 ) le service des encaissements, des paiements et des mouve- ments de fonds. Ce sont donc des agents de l'État qui recouvrent les deniers publics et paient les dépenses publiques. Ces agents sont i : 1" A Paris : le caissier payeur central du trésor; 2" Dans le département de la Seine : le receveur central de la Seine centralise les recettes ; le caissier payeur central du trésor paie les dépenses; enfin, divers percepteurs et receveurs spéciaux sont sous les ordres du receveur central, qui répond de leur gestion ; 3« Dans les départements autres que celui de la Seine, on rencontre trois catégories d'agents : a) Le trésorier-payeur général, chargé des recettes et des paiements ; b) Dans chaque chef- lieu d'arrondissement, autre que le chef-lieu du département : le receveur particulier des finances, simple représentant du trésorier-payeur général, agissant pour le compte et sous la responsabilité de celui-ci; c) Sur tous les points du territoire : des percepteurs et des receveurs. Les premiers, chargés de recouvrer les impôts directs, paient les dépenses pour compte du trésorier-payeur général, sous la surveillance et la responsabilité du receveur particulier de l'arrondissement. Les seconds sont les receveurs de l'enregistrement, des douanes, des contributions indirectes, des postes et télégraphes, etc. ils obéissent aux ordres de leur administration propre. Percepteurs et receveurs versent leurs fonds à la recette par- ticulière des finances. C'est donc, en définitive, le trésorier-payeur général, installé dans chaque département, à l'exception de la Seine et de Paris, qui fait le service de la caisse de l'État. « Les trésoriers- payeurs généraux, dans chaque département, dirigent le ser- vice des receveurs particuliers et des percepteurs dont ils sont responsables, centralisent les recettes, exécutent les mouve- ^ BoucARD et Jèze, t. II, p. 1207. ( 358 ) ments de fonds du trésor et effectuent le paiement des dépenses publiques. Cela forme quatre fonctions distinctes : « 1° Direction du service du recouvrement des contributions directes ; » 2« Centralisation des revenus publics ; )) 3« Opérations de mouvements de fonds du trésor; » 4<* Paiement des dépenses publiques 'i. » Les fonds centralisés par les trésoriers-payeurs généraux sont mis à la disposition du trésor par le moyen du compte courant, qui forme le lien qui rattache ces fonctionnaires au trésor. C'est la direction du mouvement général des fonds qui tient ce compte courant et qui donne aux trésoriers-payeurs géné- raux les instructions nécessaires. « Le directeur du mouvement général des fonds est le gar- dien du trésor; on peut même dire que c'est lui qui person- nellement en a la clé, puisque aucun paiement ne peut avoir lieu sans qu'au préalable il n'ait été appelé à donner son visa 2. )) Les trésoriers-payeurs sont donc avisés par lui des paie- ments à effectuer dans le département. « S'il y a un excédent disponible, la direction du mouvement général des fonds en disposera en donnant l'ordre au trésorier-payeur général soit de l'envoyer directement à la caisse centrale à Paris, soit de le remettre au caissier central en valeurs déterminées payables à Paris, soit enfin — et ce sera le cas le plus fréquent — de le verser à la Banque de France, au crédit du compte du trésor 3. » ' Le compte courant du trésor à la Banque de France a été organisé par la loi et la convention des 9 et 10 juin 1857. Une loi du 17 novembre 1897 a développé quelque peu cette ' Stourm, p. 458. — Pour l'historique de cette institution, les critiques qu'on lui adresse et les réformes projetées, cf. Stourm, pp. 459-474, et BoucARD et Jèze, t. II, pp. 1193 et suiv. - LÉON Say, Les Finances, pp. 122 et suiv. ^ BouGARD et Jèze, t. II, p. 1210. ( 359 ) première participation de la banque au service de la tréso- rerie, qui consiste aujourd'hui : 1» Dans l'encaissement par les succursales ou les bureaux auxiliaires de la banque des excédents de recette disponible; 2" Dans le versement aux comptables, soit par les succur- sales, soit par les bureaux auxiliaires des sommes nécessaires pour subvenir à l'insuffisance des encaissements à un jour ou sur un point déterminé ; 3« Dans le paiement gratuit, concurremment avecles caisses publiques, pour le compte du trésor, des coupons au porteur de rentes françaises et de valeurs du trésor français ^. Les relations entre la Banque de France et le trésor sont donc encore à l'état embryonnaire, malgré les tentatives faites à diverses époques pour les resserrer et confier à la Banque le service complet de la caisse de l'État. Elles sont, au contraire, plus intimes en Angleterre, où, depuis 1834, les Banques d'Angleterre et d'Irlande reçoivent tous les fonds recueillis par les divers « collectors » et paient les dépenses publiques - et surtout en Belgique, où la Banque Nationale réalise de la manière la plus complète le type de la banque, caissier de l'État, dont MM. Boucard et Jèze ont déterminé très exactement les fonctions. «En reprenant, disent- ils, la formule de M. Thiers, on est amené à distinguer dans le trésor public deux rôles bien distincts : le trésor est une caisse de banquier, mais c'est aussi une caisse d'homme de loi. « Si une banque est incapable de jouer efficacement le rôle de caisse d'homme de loi, elle est, au contraire, très capable de faire le service de caisse de banquier. La banque, caissier de l'État, voilà une solution non seulement très acceptable. 1 Boucard et Jèze, t. II, p. 1216. 2 Cf. Boucard et Jéze, t. II, pp.1185-1193; Stourm, p. 475. — Cf. aussi : AuG. Arnauné, Note sur le contrôle financier en Angleterre. (Bull, de LA Soc. de législation comparée, t. XIV, 1884-1885, pp. 270etsuiv.); Philippovigh, Eugen von, Die Bank von England im Dienste der Finanz- verwaltiLiig des Staates. Wien, Tôplitz und Deuteke, 1884, et les ouvrages et documents cilés dans Boucard et Jèze, l. II, p. 1185. ( 360 ) mais encore très avantageuse. Des agents de l'État percevront les recettes conformément aux lois et règlements et sous la haute direction du ministre des finances. Mais le produit en sera versé à la banque, au crédit du compte courant du trésor public. Des agents de l'État vérifieront, sous leur responsabi- lité, la régularité des ordonnances et mandats de paiement, apposeront leur vu, bon à payer, et c'est seulement alors que la banque effectuera le paiement matériel aux créanciers de rÉlat. En d'autres termes, les agents de l'État s'occuperont do la partie juridique du service de la trésorerie; la banque sera cantonnée et limitée dans les opérations matérielles de caisse ^. » Depuis 1824 et jusqu'en 1850, la caisse de l'État avait été gérée en Belgique par la Société générale pour favoriser l'in- dustrie nationale, fondée en 1823 '^. La Société générale était une création personnelle du roi Guillaume. C'est de son autorité privée que celui-ci avait sup- primé les receveurs généraux que nous avait légués le régime français, et confié le service de la caisse de l'État à la Société * BoucARD et Jèze, t. II, p. 1161. — Dans son rapport fait, au nom de la commission des finances du Sénat sur le projet de loi. qui est devenu la loi du 26 mars 1900, M. le chevalier Descamps disait aussi : « Les mouvements de fonds dans la caisse de l'État sont considérables : il n'est guère possible que l'État ne soit, dans une mesure assez large, le client de quelque banque, qu'il n'y ait pas un compte courant et de dépôts . . Les rapports de l'État avec une banque déterminée pourraient se borner à la rigueur à assurer à celle-ci la possession, dans sa clientèle générale, du premier client du pays. Des liens plus intimes peuvent rattacher la Banque à l'État dans l'ordre de la trésorerie. Sans doute, il ne peut être question de confier à un établissement privé le contrôle proprement dit de la recette et de la dépense. Le service matériel de caisse doit être seul en jeu. Mais, dans ces limites, l'État peut demander à la banque et obtenir d'elle les services les plus importants et les plus variés. » (Sénat, sess. de 1899-1900, Doc. pari., n^ 32.) 2 Cf. la brochure de J. Malou, Notice historique sur la Société générale pour favoriser l'industrie nationale, établie à Bruxelles (1823-1862}. Bruxelles, 1863. ( 361 ) anonyme qu'il venait de fonder et dont il possédait les quatre cinquièmes des actions K On reprochait à cette combinaison de manquer de garanties sérieuses pour la bonne gestion des intérêts de l'État 2. KJle était de plus onéreuse pour le trésor ^ et enfin le système fonc- tionnait médiocrement, en partie par la faute de l'État. « La Société générale, en effet, était tenue d'avoir une agence dans chacun des vingt-six arrondissements judiciaires du pays; mais l'État qui dirigeait et contrôlait le service par ses direc- teurs du trésor n'avait de représentants que dans les chefs-lieux de province. La conséquence de cette situation était la suivante : d'une part, les versements effectués à la Société par les rece- veurs de l'État pour le compte du trésor ne pouvaient pas être immédiatement vérifiés par la comptabilité centrale; de ce chef, le contrôle de la Cour des Comptes devenait très difficile, sinon impossible. D'autre part, les paiements ne pouvant être efiléctués par la banque que sur des assignations des direc- teurs du trésor, les créanciers de l'État devaient commencer par s'adresser à eux, aux chefs-Jieux de province : ceci entraî- nait des lenteurs ^. w * et 2 Cf. le discours de M. le baron de Alan d'Attenrode (Ch. des Repr., séance du 6 mars 1846), ainsi que toute la discussion de l'arti- cle 58 (an. 57 du projet) de la loi du 15 mai ■184(), notamment dans les séances de la Chambre des 6 et il mars 1846. 5 Depuis 1837, la Société générale touchait Vo °lo sur les recettes ordi- naires, Vs ""/o sur les bons du trésor et Vie °/o sur les emprunts. (Ch. des Représ., séance du 41 mars 18413.) En outre, l'État lui remboursait certaines dépenses. Il déboursait, somme toute, une somme annuelle moyenne de 570,000 francs. (Boucard et Jèze, t. II, p. 1165, note 2.) ^ Boucard et Jèze, ibid. — Cf. aussi : Exposé des motifs du projet de loi prorogeant la durée de la Banque Nationale. . ., par M. de Smet de Naeyer. (Ch. des Représ., sess. de 1898-1899, Doc. pari., n» 57, p. 8.) - « Cette organisation de la trésorerie présentait de graves imperfections » et donnait lieu aux plus vives protestations de la part de la Cour des » Comptes qui, faute de justifications suffisantes, refusait son concours » à la vérification et à l'arrêté des écritures. L'institution de la banque w fut l'occasion de mettre fin à cette situation intolérable et d'introduire » dans la tenue des comptes la clarté et la régularité sans lesquelles le » contrôle des finances publiques ne saurait être assuré » ( 362 ) La loi du 15 mai 1846 sur la comptabilité de l'État prit, à ce sujet, la disposition suivante : « Le gouvernement est autorisé à conserver à la Société générale pour favoriser l'industrie nationale les fonctions de caissier de l'Etat, jusqu'au 31 décem- bre 1849. » Le caissier général de l'Etat fournira en immeubles ou en inscriptions sur le grand-livre de la dette publique un caution- nement dont le montant sera fixé par arrêté royal. » Le service de caissier de l'État sera organisé par une loi spéciale, avant le l®' janvier 1850. » (Art. 58.) Mais ce fut seulement la loi du 10 mai 1850 qui organisa ce service en le confiant à la Banque Nationale, instituée par une loi du S mai de la même année. Une convention entre le gouvernement et la Banque, à reviser tous les cinq ans (art. 9, loi du 10 mai 1850), devait régler tous les détails d'organisation du service. La première convention est datée du 17 novembre 1850 farr. roy. du 20 dé- cembre). La durée de la Banque Nationale avait été fixée à trente ans (art. 3, loi du 5 mai 1850). Cette durée fut prorogée une pre- mière fois par la loi du 20 mai 1872. En même temps, la Banque était maintenue dans ses fonctions de caissier de l'Etat, qui furent précisées par une nouvelle convention du 17 juil- let 1872 (approuvée par un arrêté royal du 19 juillet). Enfin, la loi du 26 mars 1900 a prorogé la durée de la Banque Nationale de Belgique jusqu'au l^'" janvier 1929. Les nouveaux statuts de la Banque, modifiés d'après les dispositions de cette dernière loi, portent la date du 5 mai 1900. Ils ont été approuvés par un arrêté royal du 16 mai (Moniteur du 24 mai). Une nouvelle convention est intervenue entre le ministre des finances et la Banque, au sujet de l'organisation du service de caissier de l'État, le 23 juin 1900 (approuvée par arrêté royal du 2 juillet. — Moniteur du 6). Cette convention laisse subsister, dans leurs grandes lignes, les dispositions de la convention de 1872, qui avait été succes- sivement renouvelée le 16 avril 1878, le 25 novembre 1882, le ( 363 ) le 30 novembre 1887, le 9 décembre 1892 et le 24 décem- bre 1897. Elle se contente d'y introduire de simples modifica- tions aux articles 1, 5, 14, 15 et 23. Elle est valable jusqu'au 30juinl910. Actuellement, ce sont donc, avec le texte de cette convention, les lois combinées des 10 mai 1850, 20 mai 1872 et 26 mars 1900 relatives au service du caissier de l'État, dont le texte a été publié par arrêté royal du 7 août 1900, qui forment le siège de la matière ^. La qualité de caissier de l'État confère à la Banque Nationale de Belgique le caractère de comptable public. Elle est dès lors soumise à toutes les obligations des comptables qui découlent < A consulter les différents travaux parlementaires auxquels ont donné lieu les lois relatives à la Banque Nationale et au service du caissier de l'État et notamment : Institution de la Banque Nationale et organisation du service du caissier de VÉtat. (Lois des 5 et 10 mai 1850.) Recueil des documents et discussions parlementaires. Bruxelles, flayez, 18S1, gr. in-8« de 330 pages. Banque Nationale. — Documents officiels relatifs à la prorogation de celte institution, décrétée par arrêté royal du W mai 1872. Bruxelles, Hayez, 1872, gr. in-8o de xcii-696 pages. Recueil des documents et discussions parlementaires concernant l'insti- tution de la Banque Nationale. Bruxelles, Guyot, 1872. Documents et discussions parlementaires relatifs à la deuxième pro- rogation de la Banque Nationale : Exposé des motifs. (Ch. des Représ., séance du 22 décembre 1898, Doc. pari., n» 57.) Rapport fait au nom. de la section centrale de la Chambre, par M. Del- beke. (Cii. des Représ., séance du 29 juin 1899, Doc. pari., n<» 224.) Rapport fait au nom de la commission du Sénat, par M. Descamps- David. (Sénat, séance du 17 mars 1900, Doc. pari., n<^ 32.) Discussions. Chambre : Séances des 6, 7, 8, 12, 13, 14 et 15 décem- bre 1899; des 16, 17, 18, 19, 23, 24, 25, 26, 30 et 31 janvier 1900; des 1er, % 6^ 7, 8, 9, 13, 14, 15 et 20 février 1900. — Sénat : Séances des 22 et 23 mars 1900. MM BoucARD et Jèze ont consacré, dans leur Traité, une monographie très précise et très documentée à l'organisation du service du caissier de l'État en Belgique, t. II, pp. 1164-1185. — Cf. aussi : Stourm, pp. 477 et suiv. ( 364 ) des prescriptions de la loi sur la comptabilité et de la loi sur la Cour des Comptes et qui ne sont pas incompatibles avec les principes qui régissent les sociétés anonymes (lois comb. 'i, art. 2). La Banque établit une agence dans chaque chef-lieu d'arron- dissement judiciaire, et, en outre, dans les localités où le gouvernement le juge nécessaire dans l'intérêt du trésor et du public (art. 3, lois comb., art. 2, convention de 1872). II y a actuellement, outre la succursale d'Anvers, trente-neuf agences de la Banque Nationale. Les bureaux des agents sont ouverts tous les jours, les dimanches et les fêtes exceptés. Les heures d'ouverture et de fermeture de leurs bureaux sont fixées de commun accord entre le ministre des finances et l'admi- nistration de la Banque (art. 22, convent. de 1872). Les bureaux sont ouverts, aujourd'hui, tous les jours ouvrables de 9 heures à 14 heures. Les agents de la Banque sont nommés par le Roi, sur une liste double de candidats présentés parle conseil d'adminis- tration de l'établissement. Ils sont révoqués par le Roi, sur la proposition du conseil d'administration. Celui-ci peut les suspendre, de sa propre autorité, pour un mois au plus. La Banque nomme son délégué au siège social à Bruxelles. Elle pourvoit au remplacement temporaire des agents. En cas de vacance, elle soumet au ministre des finances, dans les trois mois au plus tard, ses propositions pour la nomination d'un titulaire. Les agents de la Banque ne peuvent prétendre à une pension à la charge du trésor. Ils fournissent, à la garantie de leur gestion envers le caissier, un cautionnement soit en immeubles, soit en fonds nationaux (art. 5, lois comb., art. 3, convent. de 1872). La Banque fait parvenir au ministre des finances les signatures de ses agents titulaires ou intérimaires et de son délégué à Bruxelles, avant qu'ils entrent en fonctions. Le ministre transmet de même à la Banque les signatures L'ordonnancement suppose donc l'imputation de la dépense sur un crédit législatif et l'ordre donné à un comptable d'en opérer le paiement. Aucune dépense ne peut se faire sans un crédit -budgétaire correspondant. C'est un principe fondamental. Il est rappelé par les articles 16, alinéas 1 et 2, et 17, § 1 de la loi du 15 mai 1846, et les articles 64 et 65 de l'arrêté de 1868 prescrivent à chaque ordonnance d'énoncer l'article du budget sur lequel la dépense est imputée. Us garantissent ainsi la spécialité budgétaire. * Cf. BoucARD et Jèze, t. I, p. 526. 2 Stourm, Loc. cit., p. 586. 5 Cf. BoucARD et Jèze, t. I, p. 529. ( 39^ ) Article 64 : Toute dépense donne lieu à démission d\ne ordonnance.., indiquant l'article du budget ou de la loi spéciale, la nature de la dépense, les ayants droit et la somme à payer. Article 60 : Chaque ordonnance est signée par le ministre que la créance concerne ou par son délégué. Elle ne peut contenir que des dépenses imputables sur un seul exercice et sur un seul et même article du budget. Aucun changement d'imputation ne peut être fait aux ordonnances sans le concours de la Cour des Comptes. Avis de la demande en rectification est donné au ministre des finances par les départements liquidateurs. La Cour des Comptes, après avoir autorisé le changement, lui en donne également connaissance (art. 66). L'article 67 prévoit le cas de l'annulation d'une ordonnance. Aucune sortie de fonds ne peut se faire sans le concours du ministre des finances (art. 17, al. 2 de la loi de 1846 i), et le ministre des finances n'autorise le paiement d'une ordonnance que lorsqu'elle porte sur un crédit ouvert par la loi (art. 17, al. 1 de la loi de 1846). Le ministre des finances véritie donc l'imputation, puis il autorise le paiement par l'enregistrement à la trésorerie (art. 108 de l'arrêté de 1868) et l'ordre donné à l'agent du trésor et à la Banque. Les ordonnateurs sont responsables des paiements mandatés par eux, contrairement aux lois et règlements d'administra- tion (art. 18 de la loi de 1846, art. 1S8 de l'arrêté de 1868). Tout double emploi dans les dépenses, tout paiement opéré indûment entraîne la responsabilité de l'ordonnateur (art. 159 de l'arr. de 1868). Le département auquel l'ordonnateur ressortit procède à * Le même article ajoute : « et sans le visa préalable et la liquidation de la Cour des Comptes, sauf les exceptions établies par la loi ». — Pour l'étude du visa préalable et de la liquidation de la Cour des Comptes, nous renvoyons à l'étude détaillée de la Cour des Comptes qui fait l'objet du chapitre II de la quatrième partie de ce livre. { 393 ) une enquête, pour déterminer dans quelle mesure sa respon- sabilité et, éventuellement, celle des agents sous ses ordres sont engagées. S'il y a lieu, la décision est prise par arrêté royal (art. 160 de l'arrêté de 1868). Les ordonnateurs conservent leurs recours contre leurs agents, ainsi que contre les per- sonnes qui ont touché indûment sur leur ordre ou signature (art. 161 de l'arrêté de 1868). Les articles 125 à 129 et 130 à 132 du règlement de 1868 organisent la comptabilité de l'ordonnancement et son con- trôle, en prescrivant la tenue de certains livres et l'envoi pério- dique d'états de situation. Il est tenu au département des finances et à la Cour des Comptes des livres de contrôle des budgets, ainsi que des dépenses imputables sur fonds spéciaux (art. 124). Les créances liquidées et ordonnancées sont successivement inscrites dans ces livres à charge des crédits y relatifs. En procédant à cette inscription, le département des finances et la Cour des Comptes s'assurent que les crédits permettent l'imputation des ordonnances qui leur sont soumises (art. 125). D'autre part, les départements ministériels, les questures du Sénat et de la Chambre des représentants et la Cour des Comptes tiennent le contrôle de leur budget au moyen de livres d'imputation. Ces livres présentent, dans un cadre uniforme, par alloca- tion, les ordonnances de paiement successivement émises (art. 126) K Chaque semestre, il est procédé à un rapprochement des imputations faites par la Cour des Comptes, la trésorerie et les divers départements ministériels, les questures du Sénat et de la Chambre des représentants soit par suite du visa préalable, soit du chef des dépenses fixes affranchies de cette formalité, 1 Cf. modèle n» 19 du Journal des ordonnances émises sur les budgets : arrêté ministériel du 12 décembre 1868, et modèle n» 20 du livre d'impu- tation des ordonnances émises sur les budgets : arrêté ministériel du 12 décembre 1868. ( 394 ) soit enfin pour des dépenses liquidées sur crédits ouverts (art. 127). Les articles 128 et 129 prennent différentes mesures afin de faciliter ce contrôle, par rapprochement des écritures tenues dans les différents ministères, à la trésorerie et à la Cour des Comptes. A l'expiration de chaque semestre, des états de situation des budgets en cours d'exécution sont formés en double expédi- tion par les divers départements ^. Ces expéditions sont trans- mises, dans les dix premiers jours du semestre suivant, l'une à la Cour des Comptes, l'autre au ministre des finances. En ce qui concerne les dépenses des mois de juillet, d'août, de septembre et d'octobre de l'exercice précédent, l'envoi des états a lieu dès que l'on a pu y comprendre les dernières ordonnances soumises au visa de la Cour des Comptes (art. 130). Dès la réception des états de situation, la Cour procède à leur vérification et à leur rapprochement avec ses registres. Elle fait connaître aux départements liquidateurs le résultat de sa vérification, et, si celle-ci donne lieu à des observations, elle les communique au département des finances (art. 131). Le ministre des finances adresse à la Cour des Comptes les remarques auxquelles l'examen des états de situation a donné lieu de la part de son département. En cas de différence, non susceptible de rectification immédiate, il est procédé à un appel général des enregistrements faits dans les livres de la Cour, de la trésorerie et du département que la chose concerne (art. 132). Toute dépense, avons-nous dit, donne lieu à l'émission d'une ordonnance (art. 64 de l'arrêté de 1868), et nous avons examiné les dispositions applicables aux ordonnances en géné- ral et aux ordonnateurs. Mais les ordonnances sont d'espèces différentes, comme les dépenses auxquelles elles s'appliquent. * Cf. Modèle n» 21 : arrêté ministériel du 12 décembre 1868. ( 395 ) On dislingue, en effet, les ordonnances individuelles, les ordonnances collectives, les ordonnances d'ouverture de crédit et les 07'donnances d'avances de fonds, suivant qu'il s'agit de dépenses soumises à une liquidation préalable de la Cour des Comptes, de dépenses fixes affranchies du visa préalable, de dépenses sur crédits ouverts et de dépenses sur fonds avancés. Telles sont les quatre espèces de dépenses dont nous allons exposer en détail le régime spécial. 1. — Dépenses soumises à une liquidation pi^éalable de la Cour des Comptes. (Art. 17, al. 2, loi de 1846; art. 14, loi du 29 oc- tobre 1846; art. 100 à 108, arrêté de 1868.) En vertu des articles 17, alinéa 2 de la loi de 1846 et 14 de la loi du 29 octobre 1846, toute ordonnance de paiement doit, avant d'être payée, être soumise au visa et à la liquidation préa- lable de la Cour des Comptes, dont le contrôle s'exerce ainsi préventivement. Cette règle est applicable, en principe, à toutes les dépenses. La loi fait cependant une exception en faveur des dépenses fixes, dont nous allons parler, et le visa n'est que provisoire, en ce sens que la justification de la dépense peut se faire postérieurement en cas d'ouvertures de crédits et d'avances de fonds (art. 15, loi du 29 octobre 1846) : deux cas dont nous nous occuperons également plus loin (art. 90, arrêté de 1868). Quelles sont donc les dépenses auxquelles s'applique le principe du visa et de la liquidation préalable? Ce sont, d'une manière générale, les dépenses facultatives et variables, dont le chiffre, doit être limité annuellement par la loi du budget et qui n'ont pas trait à l'exécution des lois générales de TÉtat. Ce sont, par exemple, les dépenses pour achats, travaux, fournitures, et en général toutes celles qu'il dépend du gouvernement de créer, d'étendre ou de restreindre à volonté ^. 1 Cf. Britz, Loi organique de la Cour des Comptes, commentée et appliquée, p 76, n» 72; Marge, Étude sur la Cour des Comptes... en Belgique, p. 50. ( 396 ) Dès que le département ministériel intéressé a liquidé les dépenses rentrant dans cette catégorie, ainsi que nous l'avons dit plus haut (art. 100, 101, arrêté de 1868), il dresse, dans l'ordre de leur réception, les ordonnances individuelles de paiement, qui sont envoyées, sans délai, au visa de la Cour des Comptes appuyées des pièces justificatives ^ (art. 102, arrêté de 1868). Toute ordonnance de paiement exprime la somme due à raison du service fait et des prix stipulés dans les contrats, marchés, conventions, procès-verbaux d'adjudications ou autres documents en vertu desquels le droit est acquis au créancier de l'État. Si une ordonnance peut, par suite d'une circonstance quel- conque, nécessiter une explication, le département ministé- riel, en la transmettant au visa de la Cour des Comptes, y joint les renseignements nécessaires afin de prévenir un retard dans la liquidation (art. 103, arrêté de 1868). La Cour des Comptes, si elle n'a pas de remarque à faire, procède au visa et à l'enregistrement des ordonnances de paie- ment, qu'elle adresse ensuite au département des finances. Les pièces justificatives des ordonnances visées restent déposées à la Cour (art. 104, arr. de 1868). 1 Dans les cas d'urgence qui exigent la liquidation et le visa immédiats d'une ordonnance de paiement, il en est fait mention dans la lettre d'envoi, ainsi qu'en marge de la pièce, à côté de la signature du ministre ou de son délégué. Hormis ces cas, les ordonnances suivent le cours ordinaire (art. 106, arrêté de 1868). Lorsqu'il s'agit de plusieurs créances de même nature imputables sur un même article du budget, il peut être suppléé aux ordonnances indi- viduelles par des ordonnances collectives, soumises aux prescriptions que nous dirons plus loin et, notamment, à celles des articles 87 et 89 de l'arrêté de 1868 (art. 107, arrêté de 1868). Cf. pour les ordonnances individuelles et les ordonnances collectives, prévues par l'article 107, les modèles n»» 7 et 9 établis par l'arrêté ministériel du 12 décembre 18C8, modifié par celui du 4 juillet 1898. Cf. aussi modèle w 10 de la lettre d'envoi à la Cour, ibid.; modèle no 11 du bordereau des ordonnances soumises au visa de la Cour, ibid. ( 397 ) Au département des finances, l'imputation des ordonnances est contrôlée; elles sont enregistrées à la trésorerie (art. 108) et renvoyées aux administrations ou aux départements liqui- dateurs, revêtues de toutes les formalités voulues (art. 105, arr. de 1868}. Les départements ministériels et les chefs de service en pro- vince font remettre, dès qu'elles leur parviennent, les ordon- nances de paiement aux parties intéressées (art. 105, al. 2). L'envoi des ordonnances aux intéressés se fait généralement par lettres recommandées d'otiice à la poste. En possession de l'ordonnance de paiement, le créancier se rend d'abord chez l'agent du trésor, qui examine s'il a reçu crédit ouvert de la trésorerie pour le paiement de l'ordonnance et si celle-ci est acquittée. Puis, il vise l'ordonnance. Muni de son ordonnance ainsi visée, le créancier se rend à la Banque Nationale, qui paie. A la fin de chaque journée, remise par la Banque à l'agent du trésor, contre décharge, de toutes les pièces payées. A l'expiration de chaque quinzaine, échange des actes de décharge journaliers contre une pièce résumant les opérations de la quinzaine. Puis, accomplissement des diverses forma- lités prévues par les articles 153 à 157 de l'arrêté de 1868 pour la justification des dépenses acquittées. IL — Dépenses fixes, affranchies du visa de la Cour des Comptes. (Art. 23, loi du 15 mai 1846 ; art. 68 à 89, arrêté de 1868.) Par dépenses fixes affranchies du visa de la Cour des comptes, on entend les traitements, remises, indemnités, abonnements, frais de bureau et de loyer, pensions, intérêts de cautionnements et de fonds de dépôts dont le montant est déterminé par les lois ou par les autorités compétentes (art. 68, arrêté de 1868). Les ministres font dresser pour les dépenses fixes des ordon- nances collectives de paiement. Sont exceptées , les dépenses ( 398 ) fixes rentrant dans la catégorie des frais de régie des administra- tions chargées du recouvrement des impôts (art. 86, arrêté de 1868) i. Les ordonnances collectives sont formées par exercice, par article du budget et par agence du trésor (art. 87, arrêté de 1868). Elles sont directement envoyées au ministre de finances pour enregistrement (art. 108, arrêté de 1868), pour imputation et pour qu'il soit donné crédit aux agents du trésor et à la Banque, chargés d'en aff'ectuer le paiement (art. 23, loi de 1846) Cependant, conformément à l'article 23 de la loi du 15 mai 1846, les départements ministériels font connaître successive- ment à la Cour des Comptes le montant des imputations à faire sur chaque article du budget, par suite de la formation des états collectifs 2. Ils y joignent des relevés des mutations survenues soit dans la dépense, soit dans l'efiectif du person- nel. Au vu de cette communication, la Cour fait l'enregistre- ment des dépenses (art. 88, loi de 1846). Elle vérifie les états des dépenses fixes et passe les écritures au livre des imputations. Lorsque les ordonnances collectives ont été enregistrées à la trésorerie, il en est donné avis aux départements liquidateurs (art. 89) ^. Elles sont ensuite transmises aux agents du trésor chargés d'en effectuer le paiement (art. 89). Les agents du trésor y apposent leur visa et forment les mandats individuels destinés aux différents créanciers de * Cf. articles 16 et suivants de l'arrêté de 1868, et plus haut, pp. 339 et suiv. — On peut excepter aussi les dépenses fixes à payer intégralement à un seul créancier. Par exemple, pour les traitements des ministres, il est formé des ordonnances individuelles. — Cf. pour les ordonnances collectives (art. 86), le modèle n^ 2 établi par l'arrêté ministériel du 12 décembre 1868. 2 Cf. modèle n» 3 de l'arrêté ministériel du 12 décembre 1868 et modèle n° 4. 5 Cf. modèle n<' 5 de l'arrêté du 12 décembre 1868. ( 399 ) l'État pour lesquels il a été dressé une ordonnance collective. On forme, par exemple, par agence du trésor, une ordon- nance collective pour les traitements de l'ordre judiciaire, puis les agents du trésor établissent des mandats individuels destinés à chacun des magistrats du ressort. Ces mandats sont d'abord visés par les agents du trésor, puis payés à la Banque. Les agents de la Banque remettent à la fin de chaque journée à l'agent du trésor les ordonnances et mandats acquittés. Les relevés de quinzaine et la justification des dépenses acquittées ont lieu suivant les prescriptions que nous avons indiquées plus haut. Les articles 69-74 de l'arrêté de 1868 établissent une série de prescriptions spéciales relatives aux traitements des fonction- naires et employés dans les administrations civiles ou dans l'ordre judiciaire, aux abonnements, frais de bureau et de loyer, etc.. Le paiement de ces dépenses peut se faire par mois ou par trimestre, selon les nécessités du service (art. 74). Les dispositions des articles 69 et 70 ne sont pas applicables aux agents diplomatiques et consulaires (art. 71). Ces articles 69 et 70 établissent les règles à suivre pour le paiement des trai- tements, en cas de première nomination, d'augmentation, de démission ou de décès. L'article 72 concerne le cas des employés intérimaires. Les articles 75 à 83 intéressent le paiement des pensions ^ ; les articles 84 et 85, celui des intérêts des cautionnements. IIL — Dépenses siu' crédits ouverts. (Art. 15, al. 1 de la loi du 29 octobre 1846; art. 109 à 112, 144 à 152 de l'arrêté de 1868.) D'après l'article 15, alinéa 1, de la loi du 29 octobre 1846, organique de la Cour des Comptes, « la justification de la 1 A rapprocher les articles 224 et 225 relatifs aux dépenses à charge des diverses caisses spéciales de pensions. ( 400 ) créance peut se faire postérieurement au vis,a, lorsque la nature du service exige l'ouverture de crédits pour une dépense à faire )>. Les dépenses prévues par cet article font l'objet d'ordon- nances d'ouverture de crédit (art. 109, arrêté de 1868). « Par ce mode on met un crédit à ia disposition d'un des ministres ou d'un de leurs ordonnateurs secondaires, lequel en dispose successivement par mandats particuliers, au nom direct des créanciers de l'Etat et au fur et à mesure de la production de leurs titres de créance... Ce mode de disposer des deniers de l'État, au moyen d'ouvertures de crédits, est applicable à toutes les dépenses qui se rattachent à de grands services exploités par le gouvernement i », et d'une manière générale il est autorisé c< lorsque la nature du service l'exige ». Or c'est là, semble-t-il, une question d'appréciation, et le gouvernement jouit d'une grande latitude dans cette apprécia- tion 2. Ce mode de paiement s'applique 3 : 1° Aux crédits qu'on ouvre aux conseils d'administration des régiments et corps de l'armée, à la disposition des intendants militaires, pour les besoins de l'armée, le traitement des officiers, la solde des sous-officiers et soldats, la masse d'habil- lement, les frais de recrutement, etc.. L'intendant, à titre d'ordonnateur secondaire, mandate les dépenses dans la limite des crédits mis à sa disposition par l'ordonnance de crédit. 11 est rendu compte tous les trois mois, au moyen des feuilles de revue, des fonds qui ont été fournis à chaque corps; 2° Aux crédits ouverts au directeur de la régie des chemins de fer, pour le paiement des nombreux ouvriers qui travaillent au compte direct de l'Etat ; S° Aux crédits ouverts au ministre de la justice pour cer- taines dépenses des prisons, des écoles de bienfaisance; 1 Britz, loc. cil, pp. 79-80, n» 74. 2 Marge, loc. cit., p. 85. 3 Cf. Britz, loc. cit., pp. 81 et suiv. ; 3Iarcé, loc. cit., pp. 83-86. ( 401 ) 4° Aux crédits ouverts au ministre des affaires étrangères pour acquitter les traitements des agents diplomatiques »; 5" Aux crédits ouverts pour les dépenses du service de la gendarmerie, de la marine, du Moniteur, des forêts doma- niales, etc. Ces dépenses font donc l'objet d'ordonnances d'ouverture de crédit '^. Ces ordonnances sont soumises au visa de la Cour 3; elles indiquent approximativement, par article du budget, la somme présumée nécessaire pour assurer le service, ainsi que les lieux où les paiements doivent se faire (art. 109, al. 2, arrêté de 1868). Celles qui concernent le département de la guerre et le service de la marine indiquent, les unes la répartition du crédit entre les différents intendants militaires ^, les autres la dépense présumée imputable sur le chapitre de la marine (art. 109, al. 3, arrêté de 1868). Il est tenu, par chaque ministre et par la Cour des Comptes, un livre d'inscription des crédits ouverts (art. 109, al. 4, arrêté de 1868) s. Après le 31 janvier de l'année suivant celle qui donne son nom à l'exercice, la Cour ne vise plus aucune ordonnance de crédit sur le budget dudit exercice (art. 110, arrêté de 1868.) Les demandes de crédit visées par la Cour des Comptes sont transmises au ministre des finances, qui en met le montant à la disposition des ordonnateurs (art. 111, arrêté de 1868), au moyen de lettres d'avis adressées aux agents du trésor et à la Banque. Les ordonnateurs disposent de ces crédits par mandats sur les agents du trésor. Ceux-ci n'en autorisent le paiement qu'après avoir reçu une lettre d'avis des ordonnateurs. Les ordonnateurs secondaires (intendants militaires, par exemple) ne peuvent excéder les crédits qui leur sont ouverts. 1 Cf. article 71 de l'arrêté de 1868. 2 Cf. modèles n»» 12 et 13 de l'arrêté ministériel du 12 décembre 1868. 5 Cf. modèle n» 14, ibid. * Cf. modèle n» 13, ibid. 2 Cf. modèle n" 15, ibid. Tome LXVL 26 ( 402 ) Jls encourent la responsabilité générale des ordonnateurs (art. 15'8 à 161, arrêté de 1868). Les dépenses sur crédits ouverts ont lieu à charge de régula- risation ultérieure par la Cour des Comptes. Elles doivent être justifiées à la Cour au moyen d'ordonnances de régularisa- tion. La procédure à suivre pour celte régularisation est indiquée par les articles 144 à 152 de l'arrêté de 1868. Nous nous contentons d'y renvoyer i. IV. — Dépenses sur avances de fonds à des agents comptables chargés d'un service administratif régi par économie. (Art. 15, al. 2, loi du 29 octobre 1846 ; art. 113 à 118, arrêté de 1868). Il est indispensable que les chefs des départements ministé- tériels puissent disposer de quelques fonds pour des dépenses trop minimes pour faire l'objet de mandats spéciaux ou qui exigent une grande célérité 2. Dans ce cas, des avances de fonds sont faites, sous certaines conditions, « pour faciliter l'exploitation des services admi- nistratifs régis par économie » (art. 113, arrêté de 1868). On appelle service administratif régi par économie, le ser- vice que le gouvernement exploite par ses propres agents, sans publicité ni concurrence. Ce service se fait quelquefois aussi dans le cas où le gouvernement, ayant essayé la voie de l'adju- dication publique, n'a pas trouvé d'entrepreneur ou de prix acceptable. 11 existe aussi des fournitures, des travaux, des dépenses d'une nature tellement urgente que leur paiement ne peut souffrir aucun retard, ainsi que des menues dépenses d'administration qu'on ne peut prévoir dans leurs minutieux détails. Ce mode de paiement s'applique donc : a) Aux menues dépenses des départements ministériels, cours et tribunaux ; * Cf. aussi Marge, toc. cit., p[). 9.>97. — État récapitulatif des man- dats acquittés sur crédits ouverts et ordonnances de régularisation des dépenses payées sur crédits ouverts (art. 145) : cf. modèles n^s 25, 26a et 26b de l'aiTèté minislciiel du 12 décembre 1868. 2 Britz, toc. cit., p. 83. ( 403 ) b) Aux frais de bureau des auditeurs militaires; c) Aux travaux urgents, rédactions de plans, études et tracés de routes nouvelles, de canaux, par avances faites aux ingé- nieurs des ponts et chaussées; d) Aux frais d'entretien journalier des places, du matériel, par avances faites aux gardes d'artillerie et du génie ; e) Aux dépenses nécessaires pour les arsenaux de construc- tion, de la fonderie de canons, de la manufacture d'armes, etc., par avances faites aux directeurs de ces établissements; f) Aux frais de courriers, d'estafettes et de voyage, par avances faites au ministère des affaires étrangères; g) Aux dépenses de la boulangerie militaire ; h) A la dépense des aides et du matériel que la commission royale pour la publication des anciennes lois a trouvée indis- pensable à l'accomplissement de sa mission ''. Ces avances ont lieu sur ordonnances d'avances de fonds émanées des ministres, visées par la Cour des Comptes (art. 413) "^ et inscrites à la trésorerie (art. 114, al. 1). Elles s'imputent immédiatement sur les crédits affectés aux dépenses qu'elles concernent (art. 114, al. 2). Ces avances sont faites aux agents spéciaux des services administratifs régis par économie (art. 113, al. 1). Ces agents sont des comptables extraordinaires, non soumis au cautionnement. Les avances qu'ils reçoivent ne peuvent dépasser 20,000 francs par agent. Ils doivent justifier de l'emploi des fonds dans le délai de quatre mois et ne peuvent recevoir aucune nouvelle avance avant que toutes les pièces justificatives de l'avance précédente aient été produites à la Cour (art. 113, al. 1 et 2). Il est tenu, dans chaque ministère et à la Cour des Comptes, un livre d'inscription des fonds avancés, destiné à en suivre l'emploi et la justification (art. llo) 3. Les agents spéciaux des services régis par économie forment 1 Britz, loc. cit., p. 84. 2 Cf. modèle n» 16 de l'arrêté ministériel du 12 décembre 1868. 5 Cf. modèle n» 17, ibid. ( 404 ) un compte, en double expédition, des sommes payées aux intéressés; ils soumettent ce compte au visa du ministre dont ils relèvent, lequel l'adresse à la Cour des Comptes, appuyé des pièces juslificatives. Dès que le Cour a statué, une expédi- tion de son arrêt et une expédition du compte sont remises aux agents spéciaux (art. 116) ^. Toute avance ou portion d'avance faite pour un service régi par économie et dont l'emploi ne serait pas justifié à l'expira- tion du délai de quatre mois (art. 113) doit être reversée immé- diatement au trésor, si elle n'est plus nécessaire pour la conti- nuation du service (art. 117). La Cour tient un relevé spécial des comptables extraordinaires en retard de justification de l'emploi de leurs avances. Ces versements sont effectués soit d'office, soit en vertu d'un ordre administratif ou d'un arrêt de la Cour des Comptes. Ils ont lieu directement dans la caisse de l'Etat (avec l'impu- tation : produits de l'administration de la trésorerie), à moins qu'il n'en ait été disposé autrement par un arrêt de la Cour. Le débiteur est tenu de rapporter, pour sa décharge, le récé- pissé ou la quittance de la somme par lui versée (art. 118). Outre les quatre modes de paiement que nous venons de passer en revue, il faut rappeler encore les dépenses acquittées par les comptables des administrations de recettes (art. 16, arrêté de 1868), dont nous avons étudié le régime plus haut 2. § 3. — Le paiement de la dépense. — déchéances, prescriptions, saisies-arréts, oppositions. Le paiement est la dernière opération de l'exécution des dépenses. En vertu de l'article 133 de l'arrêté de 1868, dont nous avons précédemment parlé, ce sont les agents du trésor qui sont chargés du service des dépenses publiques ordon- nancées par la trésorerie. Après avoir reçu avis du départe- * Cf. modèle du compte à rendre à la Cour : modèle no 18 de l'arrêté du 12 décembre 18(j8. 2 Cf. pp. 339 et suiv. ( 405 ) ment des finances des paiements h faire, ils disposent, selon la nature des dépenses, soit sur le caissier de l'État ou ses agents, soit sur les caisses des receveurs des impots. En règle générale, c'est sur la Banque Nationale que l'agent du trésor disposera ; ce sont les agents de la Banque qui, le plus souvent, effectueront les paiements. Il arrive cependant que les agents du trésor disposent sur les caisses des receveurs des impôts et notamment lorsqu'il s'agit de paiements ù faire à des personnes qui n'habitent pas le chef-lieu d'arrondissement, siège de l'agence, ou sa ban- lieue. Dans ce cas, les agents du trésor émettent des mandats sur la caisse des receveurs des impôts des communes où résident les intéressés. (Instruction n*' 1 du 20 octobre 1865 concernant le service des agents du trésor, § 11 ^.) Mais, même dans ce cas, ce sont les agents de la Banque qui portent en dépense les paiements ainsi faits 2. En outre, rappelons-le encore, les frais de régie, d'adminis- tration, etc. (art. 16, arrêté de 1868) sont payés par les comp- tables, sous forme d'avance. En dehors de ces cas, c'est donc la Banque Nationale, en sa qualité de caissier de i'Etat, qui est chargée du paiement des dépenses. Nous avons exposé plus haut les règles générales relatives au paiement des dépenses, à son contrôle et à sa justification 3. iNous n'y reviendrons pas. Nous ajouterons seulement que si, en principe, les dépenses sont payées par la Banque, à l'intervention des agents du trésor, la Banque peut aussi payer certaines dépenses, sans l'intervention de ces agents. C'est ainsi qu'elle paie, après avoir préalablement reçu avis soit de l'émission des mandats, soit de l'ouverture de crédits : a) Les mandats à ordre délivrés par le ministre ; * Cette instruction vient d'être réimprimée avec les changements qui y ont été successivement apportés. R. n^ 2740. 2 Cf. Marge, loc. cit., p. 92. '" Cf. pp 368 et suiv. ( 406 ) b) Les mandats au porteur, délivrés par le directeur général de la trésorerie sur les crédits qui lui sont ouverts pour le ser- vice de la caisse d'amortissement et de la caisse des dépôts et consignations; l'avis de l'ouverture de crédit sert d'autorisa- tion de paiement; c) Les coupons d'intérêts des emprunts de l'Etat et d'autres titres au porteur représentatifs d'intérêts de capitaux, payables dans toutes les agences de la Banque sans ouverture de crédit. Pour les mandats à ordre, la lettre d'avis est envoyée directe- ment aux agents de la Banque et celle-ci en est également informée^. Voici, d'après les chifi'res de l'année 1900, un aperçu de l'im- portance respective des paiements faits par la Banque avec ou sans l'intervention des agents du trésor 2. (V. tableau ci-contre.) Il nous reste enfin, pour terminer ce chapitre, à signaler les règles qui concernent la déchéance des créances 5 charge de l'Etat, les prescriptions légales et les oppositions. Ces règles sont contenues dans les articles 34 à 40 de la loi du 15 mai 1846. Sont prescrites et définitivement éteintes au profit de l'Etat, sans préjudice des déchéances prononcées par les lois anté- rieures, ou consenties par des marchés ou conventions, toutes créances qui n'auraient pas été liquidées, ordonnancées et payées dans un délai de cinq ans, à partir de l'ouverture de l'exercice (art. 34). Cette disposition ne s'applique pas aux créances dont l'ordonnancement et le paiement n'ont pu être etfectucs dans les délais déterminés par le fait de l'administration ou par suite d'instances entamées devant l'autorité judiciaire. C'est pourquoi, afin de pouvoir éventuellement se prévaloir de cette exception, tout créancier a le droit de se faire délivrer * Cf. Marge, loc. cit., p. 92. - Cf. Compte général de l'administration des finances, rendu pour l'année 1900 par le ministre des finances, pp. 22-23. (Ch. des Représ., séance du 12 février 1902, Doc. pari., n^ 64.) ( 407 ) NATURE DES DÉPENSES. PAIEMENTS FAITS avec l'intervention des agents du trésor dans les provinces. sans l'intervention des agents du trésor dans les provinces. Opérations sur les budgets en cours d'exécution (1899-1900) Opérations sur les budgets clos . Fonds de tiers déposés au trésor et dont le remboursement a lieu avec l'intervention du ministre des fi- nances Fonds spéciaux rattachés aux fonds de tiers, et dont il n'est disposé qu'en vertu d'ordonnances visées par la Cour des Comptes . Opérations de trésorerie relatives au service de la dette publique . Opérations diverses en dehors du service des budgets Total 324,526,860 32 1 318,822 72 44,286,302 57 13,201,402 40 43,450,935 49 49,501,278 02 476,285,826 52 1,376,361 80 819 25 362,023,076 32 1,743,110.341 76 2.106,510,599 13 par le ministre compétent un bulletin énonçant la date de sa demande, et les pièces produites à l'appui (art. 35; art. 101, arrêté de 18G8). Toute ordonnance dont le paiement n'a pas été réclamé dans le délai de cinq ans, à compter du l^-- janvier de l'année qui donne son nom à l'exercice, est prescrite au profit du trésor. Celte prescription n'atteint pas les ordonnances de paiement qui seraient frappées de saisie-arrêt ou d'opposition (art. 36). A l'expiration de la cinquième année, le montant de ces ordonnances est versé à la caisse des dépôts et consignations, à la conservation des droits de qui il appartiendra. Ce versement libère entièrement le trésor public (art. 37). Sont définitivement acquises à l'État les sommes versées aux ( 408 ) caisses des agents des postes et du chemin de fer de l'État, pour être remises à destination, et dont le remboursement n'a pas été réclamé par les ayants droit dans un délai de cinq années à partir du jour du versement des valeurs (art. 38). Toutes saisies-arrêts ou oppositions sur les sommes dues par l'État, toutes significations de cession ou transport des- dites sommes et toutes autres notifications ayant pour objet d'en arrêter le paiement doivent, à peine de nullité, être faites entre les mains du chef du département ministériel que la dépense concerne, ou de son délégué en province, et, en cas d'urgence, en mains de l'agent du trésor chargé d'en effectuer le paiement (art. 40 et arrêté royal du 27 décembre 1847). Les saisies-arrêts, oppositions, significations de cession et délégations sur des sommes et ordonnances de paiements dues par l'État, n'ont d'eff'et que pendant cinq ans, à compter de leur date, quels que soient d'ailleurs les traités, actes de pro- cédure ou jugements intervenus sur lesdites oppositions ou significations, à moins qu'ils n'aient été régulièrement notifiés à l'administration. Elles sont rayées d'office des registres dans lesquels elles auraient été inscrites, et ne sont pas comprises dans les certificats prescrits par l'article 14 de la loi du 19 février 1792 et par les articles 7 et 8 du décret du 18 avril 1807 (art. 39). CHAPITRE V. La clôture de l'exercice. (Art. 27 à 32, loi de 1846; art. 162 à 177, règlement général, arr. de 1868.) D'après notre système de comptabilité, l'exercice com- prend, outre l'année budgétaire, un délai complémentaire de dix mois. Il dure depuis le l*"" janvier d'une année jusqu'au 31 octobre de l'année suivante. Pendant cette période de vingt-deux mois, les opérations relatives au recouvrement des produits, à la liquidation et à ( 409 ) l'ordonnancement des dépenses peuvent s'effectuer sur le bud- get d'une année (art. 2, loi de 1846). Les recettes prévues au budget des voies et moyens de 1901 pourront donc être opérées jusqu'au 31 octobre 1902 et les dépenses à imputer sur les crédits ouverts par les budgets de dépenses de 1901 pourront être liquidées et ordonnancées jusqu'au 31 octobre 1902. A cetle date le budget de l'exercice est clos. Pour obtenir ce résultat, les départements ministériels cessent, à partir du 15 octobre de la seconde année de l'exer- cice, de soumettre au visa de la Cour des Comptes des ordon- nances de paiement imputables sur cet exercice. Les dernières ordonnances sont transmises liquidées au département des finances, par la Cour des Comptes, au plus tard le 25 octobre de la même année. A partir de cette date, la trésorerie n'ordonnance plus les dépenses fixes affranchies du visa de la Cour (art. 162, arrêté de 1868). A la fin de la journée du 31 octobre, le département des finances, après avoir passé les dernières écritures, arrête les livres d'ordonnancement sur les budgets, et l'exercice est irrévocablement clos : aucune opération nouvelle d'ordonnan- cement ne peut plus y être constatée (art. 163, arrêté de 1868). Cependant, il faut prévoir le cas fréquent où, îi la clôture de l'exercice d'imputation, certaines allocations du budget clos sont grevées de droits en faveur de créanciers de l'Etat. Il y a lieu alors à opérer des transferts soit sur les budgets ordi- naires, soit sur les fonds spéciaux. Ces transferts sont réglementés par les articles 30, 31 et 32 de la loi de 1846 et par les articles 164 à 172 du règlement géné- ral delà comptabilité publique. Lorsque à la clôture d'un exercice, dit l'article 30, certaines allocations du budget sont grevées de droits en faveur de créanciers de l'Etat, pour travaux adjugés et en cours d'exécu- tion, la partie d'allocation encore nécessaire pour solder la ( 410 ) créance est transférée à l'exercice suivant, après décompte vérifié préalablement par la Cour des Comptes. L'article 164 de l'arrêté de 1868 précise cette disposition, en rappelant tout d'abord que les ministres, en principe, ne font aucun contrat, marché ou adjudication, pour un terme dépas- sant la durée du budget. Mais si, à raison de l'importance des travaux, dans les cas exceptionnels prévus par l'article 19 de la loi de 1846, ali- néas 2 et 3 et par les lois spéciales que nous avons indiquées '*, ils contractent pour un plus long terme et que le crédit néces- saire est entièrement accordé dans un seul et même budget, la partie du crédit disponible à la clôture de l'exercice est trans- férée successivement, pendant quatre années, à l'exercice sui- vant, après décompte vérifié préalablement par la Cour des Comptes. Il en est de même, ajoute cet article 164, de la partie des allocations ordinaires qui sont grevées de droits en faveur des créanciers de l'État, soit pour travaux adjugés et en cours d'exécution, soit pour d'autres services qui ne peuvent être accomplis dans le cours de l'exercice. Les articles 1 65 à 1 69 du règlement général de la comptabilité, arrêté de 1868, établissent la marche à suivre pour le décompte prescrit par l'article 30 de la loi de 1846, sa vérification par la Cour des Comptes et les écritures auxquelles il donne lieu 2. L'article 31 de la loi de 1846 et les articles 170 à 172 du règlement général de la comptabilité sont relatifs aux trans- ferts des fonds restés disponibles, au 31 décembre de chaque année, sur les allocations spéciales affectées à des services étrangers aux dépenses générales de l'État. Ces fonds dispo- nibles sont reportés à l'exercice suivant et ils y conservent 1 Cf. plus haut, chapitre IV, § 1. - Cf. arrêté du 12 décembre 1868 : modèle n» 27 du décompte des crédits à transférer à l'exercice suivant, en vertu de l'article 165 et modèle n» 28 de l'état général des créances restant à liquider sur les parties de crédits à transférer à l'exercice suivant (art. 166). (411 ) l'affectation qui leur a été donnée par le budget (art. 31 ; art. 170)1. Sont considérées comme disponibles : 1° Les sommes libres sur les crédits, après déduction des créances liquidées et ordonnancées dans le cours de Tannée; 2o Les dépenses non justifiées ni régularisées sur des crédits ouverts à des ordonnateurs. Elle ne peuvent être confondues avec les fonds de même nature, alloués pendant l'année à laquelle elles sont trans- férées (art. 171). Les reports ont lieu à la suite de décomptes établis par le département des finances, qui les communique, dans les dix premiers jours de janvier, à la Cour des Comptes et aux départements ministériels respectifs. Après que l'exactitude en a été reconnue, il peut être disposé des sommes transférées (art. 172; art. 32, loi de 1846). Il se peut aussi que des ordonnances, bien que liquidées et ordonnancées avant la clôture de l'exercice, n'aient pas encore été payées à celte époque. L'article 29 de la loi de 1846 prévoit ce cas : les ordon- nances de paiement liquidées sur l'exercice, et dont le paie- ment n'a pas été réclamé dans le cours légal du budget, ne sont pas sujettes à renouvellement; le paiement peut en être fait pendant cinq ans, à compter du 1^'" janvier de l'année qui donne son nom à l'exercice. L'article 173 de l'arrêté de 1868 dispose de même : les ordonnances en circulation ^ l'époque de la clôture de l'exer- cice auquel elles sont rattachées restent payables pendant les trois années qui suivent l'année de cette clôture. Elles sont portées en dépense dans le compte de l'année de leur paie- ment (cf. aussi art. 27, loi de 1846). Lorsque cinq années se sont écoulées à partir du l®"" janvier de l'année qui donne son nom à l'exercice, l'exercice est dit périmé et les ordonnances dont le paiement n'a pas été Cf. plus haut : pp. 118 et suiv. ( 412 ) réclamé dans ce délai de cinq ans, sont prescrites au profit du trésor (art. 36, loi de 1846). Les articles 174 à 177 de l'arrêté de 1868 prescrivent la marche à suivre pour l'apurement des exercices clos et le compte final de l'exercice périmé. Le 31 décembre de la dernière année (par exemple le 31 décembre 1902 pour l'exercice 1898), les départements ministériels transmettent aux agents du trésor respectifs les actes et exploits de saisies-arrêts, de cessions, de transferts et d'oppositions relatifs aux ordonnances liquidées sur l'exercice périmé. Après la réception de ces pièces, les agents du trésor dressent un décompte des ordonnances restant encore à payer sur l'exercice périmé et qui, aux termes des articles 36 et 37 de la loi sur la comptabilité, sont prescrites ou doivent être versées à la caisse des consignations, à la conservation des droits des intéressés (art. 174). Les crédits ouverts pour le paiement des ordonnances pres- crites sont annulés. Le caissier de l'État annule également ces crédits, après qu'il en a reçu avis du département des finances. Quant aux ordonnances frappées de saisie-arrêt ou d'oppo- sition, le montant en est versé à la caisse des consignations, sur une autorisation spéciale du ministre de finances. Les reconnaissances de dépôt, à délivrer par les conservateurs des hypothèques, sont comprises en dépense par les agents du trésor (art. 175). Annuellement, il est dressé un compte final d'apurement de l'exercice périmé. Ce compte comprend : 1" Les paiements successivement opérés sur les ordonnances qui restaient en circulation à la clôture de l'exercice; 2« Les versements effectués à la caisse des consignations sur ordonnances frappées de saisie-arrêt et d'opposition; 3° Les ordonnances prescrites au profit de l'État (art. 176). Le montant des ordonnances prescrites étant porté en dépense dans le compte final d'apurement, il en est fait recette ( 413 ) réelle au compte de gestion et du budget de l'année qui suit celle pendant laquelle la prescription est acquise (art. 177). A titre d'exemple, voici comment s'établit, en vertu de l'article 176 que nous venons de citer, le compte final d'apurement de l'exercice 1895, qui est périmé depuis le 31 décembre 1899^. Les ordonnances en circulation à la clôture de l'exercice (31 octobre 1896) étaient de . fr. 473,403 05 Sur ces ordonnances, il a été payé et justifié : 1« Depuis lors jusqu'à la fin de 1899 (art. 173) 452,248 55 2" Il a été versé, en 1900, à la caisse des dépôts et consignations, du chef des ordon- nances frappées de saisie-arrêt ou d'opposition (art. 175, al. 2). . 1,554 12 3<' Et il a été porté en recette au compte du budget de l'exercice 1900, pour les ordon- nances prescrites au profit du trésor (art. 177). 19,610 38 Fr. 473,403 05 D'autre part "^, les dépenses à payer sur les exercices clos, mais en cours d'apurement, de 1895 à 1898, étaient de fr. 225,836 Depuis lors (le dernier compte rendu), ce chiff're s'est accru des créances non acquittées à la clôture de l'exercice 1899 ; ainsi que le constate le compte définitif de cet exercice, elles s'élèvent à 1,463,245 61 Le montant des paiements à effectuer pour apurer les exercices précités était donc de . fr. 1,689,081 61 * Cf. Compte général de l'administration des finances, rendu pour l'année 190O par le ministre des finances, p. 353. (Ch. des Représ., séance du 12 février 1902, Doc. pari., n» 64.) 2 Cf. ibidem j pp. 5-6. ( 414 ) I Les paiements effectués dans le cours , de | 1900, y compris : j 1<> Les ordonnances frappées de saisie-arrêt j ou d'opposition, dont le montant a été versé j à la caisse des dépôts et consignations (art. 37, j loi de 1846); j 2^ Les ordonnances prescrites (art. 36) dont ! le montant a été porté en recette au profit du trésor sont de 1,338,433 10 Il s'ensuit que les ordonnances non acquit- i tées sur les exercices clos s'élèvent, au 1" jan- ! vierl901,à fr. 350,648 51 j Ce chiffre se décompose de la manière sui- j vante : ] Sur l'exercice 1896 fr. 21,062 11 ' — 1897 17,817 15 — 1898 50,196 04 , — 1899 260,973 21 | I Fr. 350,648 51 j Quant aux recettes, l'article 28 de la loi de 1846 dispose : « Les sommes réalisées sur les ressources de l'exercice clos sont portées en recette au compte de l'année pendant laquelle les recouvrements seront effectués ». QUATRIÈME PARTIE LE CONTROLE DE L'EXÉCUTION DU BUDGET. SOMMAIRE : Chapitre I. — Généralités : Les diverses espèces de contrôle. — Le contrôle des comptables et celui des or dominateurs. Chapitre II. — La Cour des Comptes. § 1. — Sa nature. — Législation en vigueur. § 2. — Le personnel : composition, nomination, incompatibilités, traitements. § 3. — Les attributions : A. — Le visa préalable; B. — Le contrôle judiciaire dos comptables; C. — Le contrôle de la dette publique ; D. — Le contrôle des pensions. Chapitre III. — Le contrôle législatif des ordonnateurs. § 1. — Compte général de l'administration des finances et états de situation à fournir par les ministres. § 2. — Le règlement définitif du budget par la loi des comptes. — La responsabilité ministérielle. ( 416 ) CHAPITRE I. Généralités : les diverses espèces de contrôle. — Le contrôle des comptables et celui des ordonnateurs. La gestion des deniers publics, qui constitue l'exéculion du budget, est soumise, comme toute gestion, à un contrôle dont les détails sont minutieusement réglés par les lois et les règlements. On distingue généralement trois espèces de contrôle : le contrôle administratif, le contrôle judiciaire et le contrôle législatif. « Le contrôle administratif est exercé hiérarchiquement par l'administration supérieure sur ses subordonnés; le contrôle judiciaire est exercé par la Cour des Comptes sur les comp- tables soumis à sa juridiction; le contrôle législatif est exercé par le Parlement sur les ministres chargés de l'exécution du budget ^. » Ces trois espèces de contrôle ne s'exercent pas au même moment. Tandis que le contrôle administratif se poursuit con- tinuellement au fur et à mesure de l'avancement des opérations, le contrôle judiciaire et le contrôle législatif n'apparaissent qu'après leur achèvement. De plus, des deux catégories d'agents que nous avons vues intervenir dans l'exécution du budget, les comptables et les ordonnateurs, les comptables seuls sont assujettis à ce triple contrôle, tandis que les ordonnateurs ne subissent, en réalité, que le contrôle législatif. Le contrôle administratif des comptables a donc lieu au cours de l'exécution du budget. Les justifications dont il se compose sont multiples. Nous les avons indiquées précédem- * Stourm, loc. cit., p. 551. ( 447 ) ment en exposant les obligations des comptables en général, celles des agents du trésor, du caissier de l'État, etc. Elles consistent principalement dans les vérifications pério- diques des livres et journaux dont la tenue est exigée, dans l'envoi d'états journaliers, hebdomadaires ou mensuels des recettes ou des dépenses soit à l'administration de la trésorerie, soit à la Cour des Comptes, dans des procès-verbaux de situa- tion de caisse, etc.. (Cf. art. 28 à 40, arrêté de 1868.) Nous n'avons plus à y revenir. Quand l'année est terminée ou bien à l'expiration de la gestion personnelle du comptable, il y a lieu au contrôle judi- ciaire du comptable, et ce contrôle a pour base les comptes de gestion rendus par lui (art. 42 à 46, arrêté de 1868). Il est exercé par la Cour des Comptes, dans les conditions que nous aurons à examiner (art. 7 à 13, loi du 29 octobre 1846). Enfin, le contrôle législatif des comptables s'effectue, selon la remarque de M. Stourm, « par la comparaison de l'ensemble des écritures des comptables avec les résultats du compte général des finances et des déclarations générales de la Cour des Comptes ^ ». Quant aux ordonnateurs, il ne peut être question pour eux de contrôle administratif, puisqu'ils sont les chefs des admi- nistrations et placés à la tête de la hiérarchie administrative. Mais les ordonnateurs secondaires, eux, sont contrôlés par leurs supérieurs hiérarchiques. Il n'y a pas non plus de contrôle judiciaire des ordonnateurs; le contrôle législatif existe, seul, pour eux. Il a pour base le compte général de l'administration des finances et les divers comptes à rendre par les ministres au Parlement, après véritication par la Cour des Comptes (art. 42 à 48, loi du 15 mai 1846). Cependant notre organisation budgétaire prévoit le contrôle * Loc. cit., p. 561. Tome LXVl. 27 ( 418 ) de l'ordonnancement des dépenses, préalable à leur paiement. 11 est exercé par la Cour des Comptes et on pourrait le consi- dérer comme une espèce de contrôle administratif des ordon- nateurs. Mais comme la Cour des Comptes tient en réalité ses pou- voirs d'une délégation qui lui est faite par la Chambre des représentants et qu'il peut être passé outre à son visa préalable par les ministres, dans certaines conditions et sous réserve de l'approbation finale du Parlement, on peut dire que le contrôle préalable de la dépense se résout, lui aussi, en dernière ana- lyse, dans le contrôle législatif. Nous n'avons plus, en cette dernière partie, qu'à examiner les deux questions suivantes. D'abord, l'organisation de la Cour des Comptes et ses attri- butions essentielles, qui sont le contrôle préalable de l'ordon- nancement des dépenses et le contrôle judiciaire des comp- tables. Ensuite, le contrôle législatif des ordonnateurs et la loi des comptes qui clôt la série des opérations budgétaires. CHAPITRE II. La Cour des Comptes. § 1. -— Sa nature. — Législation en vigueur. De même que le service de l'exécution du budget est centra- lisé au ministère des finances, de même le service du contrôle se concentre, en dernière analyse, dans la Cour des Comptes. Cette institution est comme l'épine dorsale de notre régime budgétaire, dont un contrôle sérieusement organisé constitue le rouage essentiel et indispensable. En principe, c'est aux représentants de la nation qui don- ( 419 ) nent leur assentiment aux propositions budgétaires du gou- vernement que revient aussi le droit de vérifier si, dans l'exécution du budget, le gouvernement n'a pas outrepassé ses pouvoirs, tels que les avait définis la loi budgétaire. Mais comme cette vérification entraîne pratiquement des formalités complexes et qu'il est matériellement impossible au Parlement de suivre la comptabilité publique dans ses mille détails journaliers, c'est à un corps spécial, nommé par lui, que le Parlement a délégué son droit de contrôle. Dans notre organisation, la Cour des Comptes est donc tout à fait indépendante du gouvernement, dont elle surveille la gestion. La Cour des Comptes est « l'œil des Chambres », auquel, théoriquement du moins, rien n'échappe et qui veille à la stricte application des lois et des règlements. Ce fut un des premiers soins du Congrès national que de travailler à la création de cette institution i. Le 13 décembre 1830, M. Coghen, administrateur générai des finances, présenta un projet de décret sur l'établissement d'une commission provisoire de comptabilité nationale. Le 23 décembre, la commission du Congrès conclut à l'institution d'une Cour des Comptes î^, et le projet devint la loi du 30 dé- cembre 1830. Cette loi n'avait toutefois qu'un caractère temporaire. L'or- ganisation de la Cour n'était que provisoire. « Une expérience de douze années, disait l'Exposé des motifs de la loi de 1846, a fait reconnaître, de plus en plus, combien il est important de rendre son organisation définitive, et de déterminer d'une manière précise le mode d'exercice de ses attributions consti- tutionnelles 3, en établissant, pour ses rapports avec les admi- * Sur la Chamljre des comptes sous l'ancien régime et l'historique de cette institution, cf. Introduction historique, pp. 23 et suiv. Sur la Chambre générale des comptes du régime hollandais, cf. ihid., pp. 79 et suiv. 2 Rapport de M. de Meulenaere. (Huyttens, Discussions, t. IV, p. 403.) 5 L'article 1 16 de la Constitution du 7 février 18;U avait déterminé les fonctions essentielles de la Cour. ( 420 ) nistrations publiques, des règles exactes et invariables ^. » Dès 1839, une commission spéciale fut chargée de préparer, sous la présidence du ministre des finances, un projet de revision de la loi du 30 décembre 1830 et un projet de loi de comptabilité générale. Ce dernier projet est devenu la loi du 15 mai 1846. La revi- sion de la loi du 30 décembre 1830 a été définitivement con- sacrée par la loi organique relative à l'organisation de la Cour des Comptes, du 29 octobre 1846 2. * Session de 1843-1844, Doc. pari., n» 166. —L'article 116, alinéa 3 de la Constitution promulguée le 7 février 1831, c'est-à-dire après le décret- loi du 30 décembre 1830, avait d'ailleurs prescrit que la Cour serait organisée par une loi. 2 Le projet de loi fut présenté à la Chambre le 19 janvier 1844. {Doc. pari., no 146.) Rapport de la section centrale, par M. de Man d'Attenrode, présenté en séance du 21 mai 1844. {Doc. pari., n» 344.) Discussion à la Chambre : 11 et 12 mars 1846. Rapport de la commission du Sénat. {Doc. pari., n» 165.) Discussion au Sénat : 8, 9 et 10 juillet 1846. Les documents et discussions relatifs à la loi sur la Cour des Comptes ont été réunis en un volume. Bruxelles, Stanleaux, 1847, gr. in-8° de 159 pages. A consulter sur l'organisation de la Cour des Comptes : M. J. Britz, Loi organique de la Cour des Comptes du S9 octobre 4846, commentée et expliquée. Bruxelles, Devroye et C^^^ novembre 1847. Victor Marge, Étude sur la Cour des Comptes et la comptabilité publique en Belgique. — Contrôle préventif exercé par la Cour des Comptes. (Extrait du Bulletin de la Société de législation comparée) in-8° de 208 pages. Paris, Pichon et Guillaumin et C^e, 1892. — Cet ouvrage est la meilleure étude sur la Cour des Comptes belge et l'ensemble de la comptabilité publique en Belgique. L. RiCHALD, Histoire des finances publiques en Belgique depuis 1830. (Mém. cour, de l'Acad.) Bruxelles, Hayez, 1884, pp. 1-22. — Giron, toc. cit.., et Pandectes belges : V» Cour des Comptes. Pour la législation comparée, consulter : Emmanuel Besson, Le contrôle des budgets en France et à l'étranger, 2e édit. Paris, Chevalier-Marescq, 1901, in-8'^. H. Sarrette, Étude sur le contrôle du budget en France, en Angleterre et en Italie. Paris, Guillaumin, 1902, ( 421 ) Cette loi forme, avec l'article 116 de la Constitution et le règlement d'ordre de la Cour du 9 avril 1831, les sources à consulter sur la matière. § 2. — Le personnel : composition, nomination, incompatibilités, traitements. La Cour des Comptes se compose d'un président, de six conseillers et d'un greffier (art. 1«'' de la loi). La proposition d'adjoindre à la Cour un procureur général, organe du ministère public, avait été combattue par le gouver- nement et rejetée par le Parlement (cf. : Chambre, séance du 11 mars 1846 ; Sénat, 9 juillet 1846) 4. C'est le plus jeune des conseillers qui en remplit les fonc- tions (règlement d'ordre du 9 avril 1831, art. 19; loi de 1846, art. 9). De même, la proposition d'instituer un commis-greffier, pour venir en aide au greffier, ne fut pas admise non plus par les Chambres 2. Le président et les conseillers doivent avoir au moins l'âge de 30 ans. Le greffier doit être âgé de 25 ans au moins ; il n'a pas voix délibérative (loi : art. l«^ al. 3, 4). Les membres de la Cour sont nommés tous les six ans par la Chambre des représentants, qui a toujours le droit de les révoquer (art. l^"", al. 2). La Cour est donc élective et temporaire. Élective, afin d'assurer son indépendance vis-à-vis de l'Exécutif. « La Cour, disait M. Ch. de Brouckère au Congrès national, ayant pour but de surveiller les opérations et la marche financière d'un ministre, celui-ci ne peut avoir une part quelconque à la nomination de ses membres. Ne confions pas au Pouvoir * Britz, loc. cit., no 16. — Cf. aussi Marge, p. 24. 2 ID., ibid., no 17. ( 422 ) exécutif le soin de faire contrôler les finances par ses créa- tures : que l'expérience de quinze années nous serve de leçon » (29" décembre 1830). iM. Devaux justifiait en ces termes la limitation à six années de la durée des fonctions des membres de la Cour, qu'il avait proposée au Congrès national : « La révocation est une mesure sévère qui ne pourrait être autorisée que par des raisons très graves. Par mon amendement disparaît le grand inconvénient de devoir maintenir à leur poste des hommes dont on aurait eu réellement ù se plaindre. Ainsi tous les six ans, on pourrait remanier la Cour, en éloigner ceux qui n'auront pas fait leur devoir et réélire des autres i. » Cependant, le droit de révocation en tout temps fut inscrit dans la loi de 1846, malgré l'avis du gouvernement, qui regar- dait le droit permanent de révocation comme portant atteinte à l'indépendance et par suite à la dignité de la Cour, alors surtout que le mandat de ses membres est limité à un terme fort court. (Exp. des motifs, 19 janvier 1844. — Britz, loc. cit., n*» 10). La section centrale, au contraire, motivait l'amende- ment en disant : « La Cour constitue un contrôle sur les actes du gouvernement en fait de dépenses; la Chambre des repré- sentants a été investie du droit de nomination ; elle doit con- server son droit de révocation, afin de maintenir ce contrôle dans de justes bornes ». Le président, les conseillers et le greffier de la Cour sont élus au scrutin secret, à la majorité absolue et par bulletins séparés et successifs. Si, au second tour de scrutin, le candidat n a pas obtenu la majorité absolue, il sera procédé à un scrutin de ballottage entre les deux membres qui ont réuni le plus de voix. En cas de parité de suffrages, la préférence est accordée au plus âgé (décret du 30 décembre 1830). * L'article 116, alinéa l^»" de la Constitution avait, lui aussi, attribué la nomination des membres de la Cour à la Chambre des représentants et laissé à la loi le soin de fixer la durée de leur mandat. ( 423 ) La Cour des Comptes prend rang immédiatement après la Cour de cassation et jouit des mêmes prérogatives (art. 7 de la loi du 16 septembre 1807). « La loi de 1807, disait le ministre des finances à la Chambre, n'assigne même pas à la Cour des Comptes un rang inférieur à la Cour de cassation; elle porte que la Cour des Comptes jouit des mêmes prérogatives et, comme les deux corps ne peuvent marcher sur la même ligne, elle établit que la Cour des Comptes prendra rang immédia- tement après la Cour de cassation (15 novembre 1844, Annales, p. 1S5. — Britz, /oc, cit., n» 11). Les articles 2 et 3 de la loi établissent une série d'incompa- tibilités qui libèrent les membres de la Cour de certains liens de parenté, de certaines attaches politiques ou financières, qui pourraient éventuellement entraver l'exercice régulier et loyal de leur mission de contrôle. Les membres de la Cour des Comptes ne peuvent être parents ou alliés entre eux jusqu'au quatrième degré inclusivement, ni, à l'époque de leur nomination, être parents ou alliés au même degré d'un ministre, chef d'administration générale. Ils ne peuvent appartenir à Tune ou à l'autre Chambre légis- lative, ni remplir aucun emploi auquel est attaché un traite- ment ou une indemnité sur les fonds du trésor, ni être direc- tement ou indirectement intéressés ou employés dans aucune entreprise ou affaire sujette à comptabilité envers l'État. Ils ne peuvent délibérer sur les affaires qui les concernent personnel- lement, ou dans lesquelles leurs parents ou alliés jusqu'au quatrième degré inclusivement sont intéressés (art. 2). Il est interdit, sous peine d'être réputé démissionnaire, à tout membre de la Cour des Comptes, d'exercer soit par lui- même, soit sous le nom de son épouse ou par toute autre per- sonne interposée, aucune espèce de commerce, d'être agent d'affaires, ou de participer à la direction ou à l'administration de toute société ou établissement industriel (art. 3). (Cf. com- mentaire, Britz, n"» 20 et 21.) Les traitements des membres de la Cour avaient été fixés une première fois par l'article 19 de la loi de 1846, puis ( 424 ) augmentés par la loi du 9 mars 1863 et en dernier lieu par la loi du 31 décembre 1900 i. A la Cour appartient la nomination et la révocation de tous ses employés (art. 18). C'est la Cour également qui a rédigé son règlement d'ordre. 11 fut approuvé par le Congrès national, le 9 avril 1831 2. La Cour ne peut y apporter de changement qu'avec l'approbation de la Chambre des représentants (art. 20). ( du président : 9,000 francs. Article 19 : Iraitement ^ ^^^ conseillers et du greffier : 7,000 francs. - . , „ ,„„„ ^ président : 11,250 francs. Loi du 9 mars 1863 . . - .,i . cr o -nr^ ^ ( conseillers et grenier : b,^00 irancs. Loi du 31 décembre 1900 : le traitement du président est porté à 12,500 francs (art. 3). Les traitement fixés par la loi de 1863 sont majorés de 300 francs après chaque période de cinq années de fonctions. Les augmentations prennent cours à partir du 1»^ du mois qui suit l'expira- tion de la période quinquennale. Ces dispositions sont applicables à partir du l^»" janvier 1900. - Arrêté par la Cour le 19 février, il fut présenté au Congrès le 23 et approuvé par lui le 9 avril 1831. Cf. Exposé des motifs de la Cour. (Huyttens, IV, n° 221, p. 410.) D'après ce règlement d'ordre, la Cour est divisée en deux sections, composée chacune de trois conseillers. La première section ou section de comptabitité est chargée du contrôle de tous états — de l'examen de tous renseignements et éclaircissements relatifs à la recette de deniers de l'État, — de l'examen et de la liquida- tion des comptes de l'administration générale et de tous les comptables envers le trésor. Ces comptes sont ensuite clos et arrêtés en assemblée générale de la Cour, sur le rapport de cette section (art. 3). Par décision de la Cour, approuvée le 11 mars 1902 par la Chambre des représentants, les attributions de la section de comptabilité ont été augmentées encore de la surveillance de la tenue du double du grand- livre de la dette publique et du registre des pensions, qui incombait en vertu de l'article 4 à la seconde section. Celle-ci, ou section de contrôle, reste donc, actuellement, exclusive- ment chargée du contrôle des dépenses et du visa et de l'enregistrement des demandes de paiement (art. 4). Ces documents sont signés par un membre de cette section et contresignés par le greffier. Le président a le droit de nommer des commissions spéciales pour faire rapport sur les affaires qui ne rentrent point directement dans les ( 425 ) § 3. — Les attributions. - Les attributions de la Cour des Comptes sont déterminées par l'article 116, alinéa 2 de la Constitution et par les articles 5, 16 et 17 de la loi du 29 octobre 1846. « De l'article 116 de la Constitution dérivent pour la Cour des Comptes deux espèces ou, pour mieux dire, deux ordres d'attributions : par les premières qui sont celles inhérentes à son institution même, elle est chargée de l'examen et de la liqui- dation des comptes de l'administration générale et de tous les comptables envers le trésor public ; ses attributions de second ordre lui imposent le devoir de veiller à ce qu'aucun article de dépenses du budget ne soit dépassé et à ce qu'aucun transfert n'ait lieu. » Juger les comptes de tous les comptables et en arrêter la situation, telle a été, de tout temps, l'attribution la plus essen- tielle d'une Cour des Comptes, celle qui lui donne le caractère et l'autorité d'un corps de judicature... » ... Le visa des dépenses publiques n'est pas un élément essentiel de l'institution d'une Cour des Comptes, ce visa n'appartenait pas à notre ancienne Chambre des comptes, dans l'organisation qui a précédé 1794. Il n'existe pas non plus en France. La disposition constitutionnelle qui charge la Cour des Comptes de veiller à ce que le budget ne soit pas dépassé et à ce qu'aucun transfert n'ait lieu, est le principe d'où découle la règle du visa préalable pour les dépenses, et qui trace aussi attributions de la section de contrôle, ou de la section de comptabilité (art. 7). Il sera fait tous les six mois un roulement d'une section à l'autre, de manière que chaque année chacun des conseillers soit appelé à siéger dans les deux sections. Le règlement s'occupe encore des assemblées générales (art. 8-12), des vacances, absences et vacatures (art. 12-13), de la tenue et police des assemblées (art. 14-18), du ministère public (art. 19-21) et du greffier (art. 22-31). ( 426 ) les limites dans lesquelles l'exercice du droit de visa doit être renfermé ^. j> Les deux attributions essentielles de la Cour des Comptes, telles qu'elles résultent de l'article 116 de la Constitution et de l'article 5 de la loi sont donc : le contrôle judiciaire des comp^ tables et le visa préalable des dépenses. La Cour est en outre chargée du contrôle de la dette publi- que (art. 16), du contrôle des pensions (art. 17) et de la véri- fication du compte général de l'État 2 (art. 116 de la Consti- tution). Nous étudierons ces diverses attributions, en commençant, par la plus caractéristique de toutes : le contrôle préalable des dépenses. A. — Le visa préalable de la Cour des Comptes. Ainsi que le remarque l'exposé des motifs de la loi du 29 octobre 1846, dans l'extrait que nous venons de citer, la règle du visa préalable des dépenses par la Cour des Comptes découle du droit constitutionnel que possède cette dernière de veiller à la spécialité budgétaire : « elle veille à ce qu'aucun article des dépenses du budget ne soit dépassé et qu'aucun transfert n'ait lieu. » (Art. 116 ; art. o, al. 2, loi du 29 octo- bre 1846.) Cette règle fut précisée et exprimée formellement par l'ar- ticle 17, alinéa 2 de la loi du 15 mai 1846 : aucune sortie de fonds ne peut se faire sans son concours (du ministre des finances) et sans le visa préalable et la liquidation de la Cour des Comptes, sauf les exceptions établies par la loi. Elle est organisée définitivement par l'article 14 de la loi du 29 octobre 1846 : * Exposé des motifs, loi du 29 octobre 1846. - La Cour des Comptes est investie aussi du contrôle de la comptabi- lité provinciale. Nous nous bornerons ici à indiquer cette attribution. — Cf. la loi du 28 décembre 1883. — (Marge, loc. cit., pp. 123-125.) ( 427 ) « Aucune ordonnance de paiement n'est acquittée par le trésor qu'après avoir été munie du visa de la Cour des Comptes. » Lorsque la Cour ne croit pas devoir donner son visa, les motifs de son refus sont examinés en conseil des ministres. » Si les ministres jugent qu'il doit être passé outre au paie- ment sous leur responsabilité, la Cour vise avec reserve. » Elle rend compte de ses motifs dans ses observations annuelles aux Chambres. » Le visa préalable de la Cour des Comptes a pour but de vérifier les dépenses ordonnancées par les ministres avant qu'elles soient consommées par le paiement. « Ainsi le contrôle établi en vertu du principe posé dans la Constitution a un caractère préventif; il tend à prévenir des actes contraires aux lois financières et aux règlements, car lorsqu'ils sont déférés, lors de l'examen de la loi des comptes, au jugement des Chambres, elles n'ont d'autre recours contre des actes consommés, contraires aux intérêts du pays, que la responsabilité ministérielle, et y avoir recours est une mesure extrême 'i. » On peut ajouter, avec M. Marcé, que « la responsabilité ministérielle en matière de finances, sauf dans les cas de con- cussion ou de dilapidation, est et ne peut être que purement morale, elle n'aboutit et ne peut aboutir qu'ù un vote de blâme ou au renversement du ministre qui s'est écarté des prescrip- tions du budget et des lois et règlements financiers. « La répression ne pouvant garantir suffisamment les inté- rêts de l'État, il faut mettre obstacle à la perpétration de l'acte irrégulier. La Cour des Comptes, indépendante des ministres qu'il s'agit de contrôler, sera chargée de cette mission; elle remplira par avance, d'une façon préventive, le rôle que le Parlement ne saurait remplir a posteriori avec eflicacité^. » Telle est donc la raison d'être de ce visa préalable, que doit subir, en principe, toute créance à charge de l'Etat, avant d'être payée. 1 Rapport de la section centrale. 2 Loc. cit., p. o. ( 428 ) Mais ce principe comporte des exceptions,' prévues par l'ar- ticle 17 de la loi du 15 mai 1846. Elles sont nombreuses et concernent : les dépenses fixes^ les dépenses payées par les comptables, les dépenses sur crédits ouverts et les dépenses sur fonds avancés. Ces quatre catégories de dépenses échappent, à des degrés divers, au contrôle préventif de la Cour. Par conséquent, selon la remarque de M. Marcé, « la sphère d'application de la règle du visa préalable est déterminée par les exceptions qu'elle comporte... Elle comprend d'une façon générale les dépenses variables et facultatives dont le chififre doit être limité annuellement par le budget et qui n'ont pas trait à l'exécution des lois générales de l'Etat; ce sont, par exemple, les dépenses pour achats, travaux, fourni- tures qu'il dépend du gouvernement de créer, d'augmenter ou de restreindre à volonté ^ w. Le contrôle préalable que la Cour exerce sur cette catégorie de dépenses ne porte pas sur leur engagement. L'engagement de la dépense n'est pas soumis au contrôle préventif. Les ministres en restent seuls juges et seuls respon- sables. Cependant, si le contrôle de la Cour sur ce point ne s'exerce pas a priori, il s'exerce a posteriori, et les articles 96, 97 et 98 de l'arrêté de 1868 organisent ce contrôle postérieur relativement aux dépenses afférentes aux travaux publics et aux fournitures. Dans ses observations annuelles aux Chambres, la Cour consigne les remarques et les objections que peuvent lui suggérer les engagements de certaines dépenses. On trouve, par exemple, dans le Cahier d'observations de 1890 sur l'exercice 1888, l'espèce suivante. L'administration avait eu recours, pour certains travaux d'amélioration et d'entretien de divers bâtiments de l'Etat, à des spécialistes, alors que la nature des ouvrages décrits dans le devis établit aux yeux de la Cour qu'il n'y avait aucune uti- * Loc. cit., p. 50. — Cf. plus haut, pp. 395 et suiv. ( 429 ) lité à recourir à des ouvriers spéciaux, puisque ces travaux devaient être exécutés par l'entrepreneur de l'ensemble des travaux. « En présence du fait accompli, la Cour a liquidé la créance, tout en exprimant des regrets quant à la marche irré- gulière suivie, et la dépense notablement plus élevée (25 «/o environ) qui en est résultée. » (Observ., loc, cit., p. 3.) (Cité par Marge, p. 37.) De même, la Cour vérifie également le transfert des crédits engages (art. 164 à 172, arrêté de 1868). Mais à cela se borne son rôle au point de vue de l'engage- ment de la dépense. Son contrôle est ici postérieur et non préalable. C'est là une différence essentielle entre la Cour des Comptes italienne et la Cour belge. Les deux systèmes ont pour caractère commun le contrôle préventif de la dépense. Mais le système italien est plus déve- loppé : il saisit la dépense à sa source même, au moment où elle va être engagée, et soumet à ce moment la question de légalité au contrôle de la Cour des Comptes ^. En Belgique, le contrôle de la Cour ne s'exerce donc que sur les ordonnancements et préalablement au paiement. Les ordonnances de paiement, émanées des différents dépar- tements ministériels, sont envoyées par ces derniers — avant d'être enregistrées à la trésorerie — à la Cour des Comptes. Le contrôle préalable de celle-ci consiste à vérilier d'une part l'imputation de l'ordonnance et d'autre part à faire à nou- veau la liquidation de la dépense. « La Cour, saisie de l'ordonnance avant paiement, pourra examiner en premier lieu son imputation, s'assurer qu'il existe au budget un crédit pour y faire face et garantir la spécialité des crédits, en un mot, veiller à l'exactitude de l'ordonnance- ment; elle pourra aussi faire à nouveau la liquidation de la dépense, liquidation déjà faite par le département qui lui envoie l'ordonnance, c'est-à-dire qu'elle pourra s'assurer que 1 Cf. Marge, loc. cit., p. 36; Stourm, loc. cit., p. 517; Besson, 2e partie, chap. VI ; Sarrette, loc. cit., pp. 123 et suiv. ( 4.30 ) la dette de l'État est exactement calculée, qu'elle est suffisam- ment justifiée quant à sa réalité et quant à sa légalité i. » A son arrivée à la Cour, chaque ordonnance reçoit un numéro d'ordre, qui détermine son tour de rôle, à moins de cas urgent et dans les conditions prévues par l'article 106 de l'arrêté de 1868 2. Du numérotage, elle passe au dépouille- ment : elle est inscrite au catalogue alphabétique et sur fiche qui renseigne le nom de chaque créancier de l'État et facilite singulièrement les recherches. Puis, elle va à la vérification et chez le chef de service, qui la transmet à la section de contrôle. De là, elle arrive à l'imputation. La Cour — ainsi que chaque département ministériel et l'administration de la trésorerie — tient un livre des imputations, dressé pour chaque service ou département ministériel et par article du budget afférent à chaque département 3. On y tient note des imputations succes- sives faites sur chaque article, de manière que l'on puisse s'assurer à tout moment du degré d'épuisement du crédit prévu à chaque article. De l'imputation, l'ordonnance arrive enfin au service de l'expédition, qui est chargé de faire parvenir les ordonnances au département des finances (art. 104, arrêté de 1868). La procédure suivie par la Cour, en matière de visa préa- lable, est résumée en ces termes dans les Observations de la Cour des Comptes sur l'exercice 1863 : « Les ordonnances de paiement présentées à notre liquidation passent par une filière d'enregistrement et une épreuve de vérification qui en pré- cèdent l'examen par la Cour. C'est la tâche spéciale de ses employés. )) Pour se livrer avec fruit à Tétude des affaires de sa com- pétence, notre section de contrôle se fait mettre sous les yeux les pièces justificatives annexées aux ordonnances de paiement que ces affaires ont pour objet, afin de s'assurer s'il y a lieu de procéder à la liquidation. Ces pièces sont nombreuses; elles * Marge, loc. cit., p. 42. 2 Cf. supra, p. 396, note 1. 3 Cf. supra, p. 393. (431 ) varient avec la nature de la créance, les conventions, ordres d'achats et d'entreprises, factures, actes d'adjudication, mar- chés, cahiers des charges, procès-verbaux de réception pro- visoire ou définitive des travaux ou fournitures; elles se compliquent parfois de comptes devant faire l'objet d'une vérification semblable à celle à laquelle on doit se livrer à la section de comptabilité (chargée d'examiner les recettes et les dépenses faites par les comptables et de procéder au jugement des comptes). » Si le dossier est incomplet ou irrégulier par suite d'oubli, de lacune ou erreur de chiffre, l'ordonnance de paiement est renvoyée avec observation. Lorsque l'oubli est réparé, la lacune comblée et le chiffre rectifié, l'affaire est en état et la liquidation a lieu, sans passer par la Cour assemblée en séance générale; mais, quand des doutes s'élèvent au sein de la section sur l'imputation budgétaire, ou, ce qui est plus sérieux, sur la légalité de la dépense, au point de vue des lois en vigueur, la section en réfère à la Cour, qui fait de son rapport le sujet de ses délibérations ^. » C'est donc la section de contrôle et non la Cour en assemblée générale qui donne le visa prélalable, à moins de question déli- cate ou douteuse, qui peut aboutir au refus du visa. C'est la Cour en assemblée générale qui décidera de ce refus et éven- tuellement du visa avec réserve 2. La Cour est libre d'accorder ou de refuser son visa. La loi ne limite en aucune façon ses pouvoirs, en spécifiant par exemple les cas où elle est obligée de donner son visa. Le projet de loi de 1844 contenait, il est vrai, à l'article 13 (devenu l'art. 14 de la loi de 1846), un alinéa 2 ainsi conçu : Ce visa est accordé lorsque la réalité de la créance est justifiée et que la Cour a reconnu la régularité de rimputation. L'Exposé des motifs disait à l'appui de cette disposition : * Cité par Marge, pp. ^i-è^. 2 Règlement d'ordre : article 4, alinéa 2. — La Cour se réunit réguliè- rement'deux fois par semaine en assemblée générale (art. 8, règlement d'ordre), et plus souvent, sur convocation du président, suivant que l'exige l'expédition des affaires (art. 9). ( 432 ) « La Cour des Comptes n'est point juge des actes du Pouvoir exécutif; il ne saurait donc lui appartenir d'en rechercher les causes, et moins encore d'en paralyser l'exécution et les effets. C'est dans la responsabilité ministérielle que se trouve la garantie de la nation contre les actes abusifs, et cette garantie serait déplacée ou cesserait d'exister le jour où, par l'effet d'un contrôle exercé sur les dépenses que leurs actes doivent entraîner, l'action des dépositaires du pouvoir cesserait d'être libre. On voit qu'il est de la plus haute importance que la loi nouvelle, en ce qui concerne l'obligation du visa sur les dépenses, maintienne rigoureusement chaque pouvoir dans les conditions que la Constitution lui a faites. Ainsi, lorsqu'une ordonnance de paiement est adressée à la Cour des Comptes pour être munie de son visa, cette Cour n'a point à s'enquérir des causes de la dépense, non plus que de son utilité; elle n'a pas non plus à rechercher si la dépense est bien ou mal faite; elle n'a que deux points à vérifier : la créance que l'ordon- nance de paiement a pour objet existe-t-elle réllement? Y a-t-il pour cette dépense un crédit ouvert? )) Par la vérification de ces deux points, la Cour des Comptes exerce pleinement le contrôle qui lui est déféré; il ne pourrait être étendu sans excéder le vœu de la Constitution, et sans créer une source de conflits dont les conséquences seraient obstatives à la marche des affaires et désastreuse pour la chose publique ». En conséquence, le gouvernement estimait que lorsque la créance était réelle et qu'elle était exactement imputée, la Cour devait accorder son visa. Mais la section centrale n'adopta pas ce système. Elle pro- posa à l'unanimité de ses membres la suppression du § 2 de l'article 13 (art. 14), pour les motifs suivants : « Le paragraphe tend à définir dans quelles circonstances le visa préalable pourra être exigé. Cette définition a paru dangereuse à la section centrale, car elle pourrait amoindrir un contrôle nécessaire pour prévenir les abus et éclairer la discussion de la loi des comptes; contrôle qui, au moyen de la disposition finale de l'article (visa avec réserve), ne peut entraver désormais (433 ) l'action du gouvernement. Pour que la Cour puisse être astreinte à viser avec réserve, il faut qu'elle conserve son libre arbitre pour refuser le visa pur et simple, qu'elle puisse exiger les justifications indispensables pour éclairer sa religion, et donner aux observations que la Constitution lui a prescrit de transmettre aux Chambres, une valeur indiscutable. ■») Ce dissentiment entre le gouvernement et la section centrale fit les frais de presque toute la discussion de la loi du 29 octobre 4846, tant à la Chambre qu'au Sénat ^. Le gouvernement voulait donc définir les pouvoirs de la Cour des Comptes, afin d'empêcher que celle-ci n'entrave la marche régulière de l'administration et ne s'érige en juge des actes des ministres, responsables seulement devant le Parle- ment. La section centrale, au contraire, craignait qu'une délimita- tion des pouvoirs de la Cour ne rende illusoire son contrôle. Elle remarquait d'ailleurs que ce contrôle n'était pas prohibitif, puisque la loi instituait le visa avec réserve, qui permettait aux Chambres de trancher en dernier ressort les conflits entre la Cour et l'administration. Cette manière de voir l'emporta définitivement par 37 voix contre 35 et 3 abstentions à la Chambre et par 21 voix contre 12 et 1 abstention au Sénat. C'est pourquoi l'article 14, en organisant le visa préalable de la Cour, n'apporte aucune restriction au droit d'examen de celle-ci. « En résumé, dit M. Marcé 2, la législation belge ne limite, de quelque manière que ce soit, les pouvoirs de la Cour des Comptes; ces pouvoirs illimités sont confirmés par les travaux préparatoires de la loi organique de 1846 et embrassent, en ct 1 Cf. Chambre, séances des 11 et 1:2 mars 1846. — Sénat, séances des 8, 9 et 10 juillet 1846. — Cf. résumé de celte discussion : Marge, loc. cit., pp. 126-139. •2 Loc. cit., p. 134. ÏOME LXVL 28 ( 434 ) qui concerne Texercice de son contrôle préventif comme en ce qui touche celui de son contrôle a posteriori, les questions de réalité et de légalité de la dépense; la Cour examinera donc non seulement si la dépense est budgétairement régulière, exactement imputée sur un crédit dûment voté, mais encore si elle correspond à une dette de l'État juridiquement et légale- ment établie; au surplus, le législateur paraît même ne pas enlever à la Cour le droit d'apprécier le mérite et les motifs de la dépense. » Il est difficile, d'autre part, de soutenir que la Cour abuse des pouvoirs étendus qu'elle tient de la loi. Certes, il y eut de fréquents frottements entre la Cour et l'administration, avant d'assurer le fonctionnement régulier des rouages du contrôle; à certaines époques, la lutte a été assez vive, mais elle a tourné en définitive à l'avantage d'une bonne administration financière. Si le contrôle préalable constitue souvent une gêne pour les exécuteurs du budget, cette gêne est salutaire; elle est une condition de la bonne gestion de la fortune publique et ne peut d'ailleurs jamais entraver la marche régulière des affaires. Car, outre l'institution du visa avec réserve, qui donne, en cas de conflit sérieux, le dernier mot aux ministres réunis en conseil, sous réserve de l'approbation des Chambres, les ministres ont à leur disposition différents moyens de tempérer dans la pratique les rigueurs du visa préalable l. La Cour des Comptes peut accorder ou refuser son visa. Elle pourra le refuser notamment : à) Quand elle trouve que la créance n'est pas réelle, c'est-à- dire que celui qui se présente n'a pas une dette légitime à charge de l'Etat ; 1 II faut remarquer encore que les opérations du visa sont effectuées avec diligence à la Cour, à moins de discussion avec l'administration sur certains points douteux (cf. Marcé, p. 62) el aussi que l'obligation du visa ne porte que sur une catégorie restreinte des dépenses publiques (cf. infra, p. 449). ( 435 ) b) Quand elle trouve que l'imputation n'est pas régulière, c'est-à-dire qu'elle n'a pas été faite sur l'article ou le chapitre compétent du budget ou que le crédit assigné à la dépense par le budget a été excédé ou détourné ; c) Quand elle trouve que la dépense n'est pas légale, n'est pas conforme à la lettre ou à l'esprit de la loi ^. « La Cour ne permettra aucun paiement des deniers publics, à moins que la légalité et la régularité de la créance n'aient été reconnues par elle. En cette matière, la Cour a les mêmes droits et les mêmes devoirs que ceux d'un juge qui ne peut rendre son arrêt qu'alors que sa religion et sa conscience sont suffisamment éclairées 2. » En cas de conflit entre la Cour et l'administration, lorsque la Cour refusait son visa, la loi du 30 décembre 1830 ne pré- voyait pas de solution. « Sous l'empire de cette loi, dans les cas où la Cour refusait son visa préalable, elle permettait au Pouvoir exécutif de demander des fonds à charge d'en rendre compte, et alors la difficulté se trouvait réellement devoir être jugée à l'occasion d'un compte contre l'apurement duquel on pouvait se pour- voir à la Cour de cassation 3. » La loi du 29 octobre 1846, article 14, alinéas 2, 3, 4 — et ce fut un de ses mérites — a comblé cette lacune par l'institu- tion du visa avec réserve, (c Lorsque la Cour ne croit pas devoir donner son visa, les motifs de son refus sont examinés en conseil des ministres. » Si les ministres jugent qu'il doit être passé outre au paie- ment sous leur responsabilité, la Cour vise avec réserve. * Discours du ministre des finances et de M. Donny. (Ch. des Représ., séance du 12 mars 1846.) 2 Observations de la Cour des Comptes du 29 novembre 1844, sur le compte de l'exercice 1840, pp. 15-16. — Cf. Britz, p. 61. 5 Britz, loc. cit., p. 65. ( 436 ) )) Elle rend compte de ses motifs dans ses observations annuelles aux Chambres, w Cette procédure est ingénieuse et cadre parfaitement avec les principes constitutionnels de la séparation des pouvoirs et de la responsabilité ministérielle. « Le Pouvoir exécutif doit pouvoir accomplir en toute liberté la mission qui lui est con- fiée et la marche des services publics ne saurait être entravée par la volonté d'un corps de contrôle qui n'est pas chargé d'administrer. C'est à cette idée que répond l'institution du visa avec réserve ^ ». « La Cour des Comptes n'a donc pas la faculté d'opposer son veto à un acte de dépense. Dès lors, la marche du gouver- nement ne peut être entravée et la responsabilité ministérielle reste entière 2. » L'Exposé des motifs de la loi de 1846 et le rapport de la section centrale justifient d'une manière analogue cette solu- tion. « On a dû prévoir, lisons-nous dans l'Exposé des motifs, le cas d'une dissidence entre le gouvernement et la Cour. Sans doute, en pareil cas, le premier devoir des ministres sera de peser mûrement les motifs de la Cour; mais lorsque, après examen et délibération, le conseil des ministres, et plus spécialement le ministre que la dépense concerne, jugera que l'intérêt de l'État lui commande de persister, cet intérêt qui est la suprême loi devra dominer toute opposition. Le droit de protestation est réservé à la Cour, et en définitive, le débat sera porté devant la Chambre des représentants. » Le rapporteur de la section centrale écrivait de son côté : (c La condition du visa préalable à la dépense, posée comme règle absolue et abandonnée au jugement d'un corps constitué en dehors des trois pouvoirs de l'État, était de nature à entraver la marche du gouvernement, à enchaîner son libre arbitre, à ^ Marge, loc. cit., p. 33. ^ - Discours de M. de Man. (Ch. des Représ., séance du 12 mars 1846.) ( 437 ) porter atteinte à sa liberté d'action, contrairement ù l'exercice de ses droits et aux principes de sa responsabilité. En etiet, le décret de 1830 ne trace pas de règle à suivre en cas de dissi- dence entre l'autorité qui crée la dépense et l'institution qui contrôle au moyen de la liquidation préalable. D'après la nou- velle loi, si le chef d'un département ministériel persiste à créer une dépense malgré les observations de la Cour, il en est référé au conseil des ministres, et si son avis est conforme, il est passé outre à la liquidation; mais alors le cabinet s'est associé à la responsabilité de l'acte que la Cour aura à signaler à la Législature. Dans la loi des comptes les Chambres peuvent, en définitive, apprécier cet acte et en décider. » C'est, en effet, à cette conclusion qu'aboutit en dernière analyse le contrôle préventif de la Cour. Ainsi que nous le remarquions plus haut, il se résout en fin de compte dans le contrôle législatif. C'est en 1880 qu'il a été fait application pour la première fois du visa avec réserve ^. Mais depuis cette époque les cas se sont multipliés. Faut-il, comme le suggère M. Marcé, voir dans ce fait la preuve « que le système fonctionne mieux aujourd'hui qu'autrefois, que l'administration tourne moins le contrôle préventif, que la Cour remplit plus énergiquement sa mission? 2 » Les ministres, avons-nous dit, disposent de certains moyens pour tempérer dans la pratique les rigueurs du visa préalable. Il est arrivé que dans des circonstances urgentes, comme par exemple en 1866, lors de la guerre austro-allemande, en 1870, lors de la guerre franco-allemande, des dépenses urgentes, notamment des achats de chevaux, ont été faites en violation formelle des dispositions légales 3. De même, certaines dépenses doivent être admises par la 1 Marge, loc. cit., p. 60. 2 Ibidem. 3 Ibid., pp. 74-75. ( 438 ) Cour, même en cas d'insuffisance de crédits.- C'est le cas pour les dépenses à payer sur les crédits non limitatifs inscrits au budget 'i. Mais, en dehors de ces cas spéciaux, les ministres trouvent encore le moyen d'échapper au contrôle préalable, lorsqu'ils estiment quïl est nécessaire d'effectuer une dépense soumise à l'obligation du visa préalable, bien qu'aucun crédit n'ait été voté pour y faire face. « Ce moyen consiste dans rémission de mandats directs pour le paiement des dépenses dont il s agit; le mandat direct est le mandat émis directement au nom d'une partie prenante, sans que la Cour des Comptes ait été préalablement appelée à en liquider le montant ou à en vérifier l'imputation : ce sont des avances de trésorerie, avance que le trésor, banquier de l'État, fait au budget et qui lui seront remboursées ultérieurement après justification de la dépense. )) La Cour des Comptes a soin de relever, dans ses observa- tions annuelles, ces avances de trésorerie qui ont figuré et figurent dans les comptes pour des sommes considérables. » La Cour des Comptes belge signale au Parlement l'avance ainsi faite contrairement aux allocations du budget; elle lui expose, d'après les états justificatifs quelle réclame, la nature des dépenses effectuées, et par conséquent relève, après coup, comme la Cour des Comptes française ou allemande, le dépasse- ment ou le virement irrégulier de crédit. » Cest alors au Parlement, saisi de la question dans Vexamen de la loi des comptes, qu'il appartient de trancher la question de savoir si le ministre a eu raison de faire la dépense critiquée et s'il y a lieu de lui accorder un bill d'indemnité ». Ce système aboutit donc à transformer le contrôle préalable exigé par la loi en un contrôle postérieur au paiement de la dépense. M. Marcé, auquel nous empruntons l'exposé qui précède, 2 1 Marge, toc. cit., p. 75. - Ibid., pp. 66 et suiv. ( 439 ) cite de nombreux exemples tirés des cahiers d'observations de la Cour et qui montrent la nature et la portée de ces avances de trésorerie ^. Il conclut en disant : c( L'émission des mandats directs à titre d'avances, faites par 1 Les avances s'élèvent à des sommes relativement importantes, mais variables d'année en année. M. Marcé en a dressé le tableau pour la période de 1877 à 1890 (p. 67, note). Mandats directs créés chaque année par le ministre des finances : 1877 fr. 6,204,389 72 1878 4,476,616 12 1881 538,934 61 1882 7,850,175 36 1883 2,144,658 21 1884 1,458,362 69 1885 3,348,088 » 1886 915,000 » 1887 1,263,927 43 1888 . 858,080 72 1889 3,731,391 32 1890 403,092 80 En 1900, ces avances faites par le trésor sans l'intervention de la Cour ont atteint le chiffre élevé de fr. 13,653,534 15. La Cour des Comptes, dans son dernier cahier d'observations sur l'exercice 1900 (session de 1901-1902, Doc. pari, n° 27), en a dressé, selon son habitude, le tableau suivant indiquant l'objet de ces avances par service, leurs motifs et leur montant. AVANCES FAITES PAR LE TRÉSOR SANS L'iNTERVENTION DE LA COUR DES COMPTES. L'administration de la trésorerie a fait, dans le cours de l'année 1900, des avances à divers départements ministériels, en dehors des pres- criptions de la loi sur la comptabilité publique , pour une somm.e de fr. 13,653,534 15. Le tableau ci-après fait connaître, d'après une annexe du compte de ( 440 ) le trésor aux départements ministériels, est donc le moyen avoué de tourner le visa préalable de la Cour des Comptes dans les cas où le ministre croit la dépense utile et oit ce contrôle devient gênant. l'État, l'objet de ces avances par service, les motifs de l'émission des mandats directs, créés par M. le Ministre des finances, ainsi que leur montant : Montant des avances Objet des créances et motifs de l'émission des mandats. par service. Ministère des Affaires étrangères. — Par suite de circon- stances exceptionnelles, les crédits alloués par les arti- cles 9, 12 et 14 du budget de l'exercice 1899, étant devenus insuffisants, la liquidation de certaines dépenses urgentes a dû se faire au moyen de mandats du trésor. Ces avances ont été régularisées à charge d'un crédit supplémentaire alloué par la loi du 9 mai 1900 fr. 47,878 05 Mandats délivrés à M. le Ministre des affaires étrangères pour faire face au surcroit de dépenses résultant des frais occasionnés par la correspondance télégraphique à laquelle ont donné lieu les événements de Chine 69,431 65 Ministère de V Agriculture. — Le crédit budgétaire de l'exercice 1899 affecté au paiement des indemnités dues pour l'abatage de bêtes atteintes de tuberculose ou de charbon étant complètement absorbé, le paiement des créances de cette nature a dû être effectué au moyen de mandats du trésor en attendant le vote d'un crédit supplé- mentaire 1:26,373 16 Indemnités dues pour l'abatage, par ordre de l'autorité, de bêtes atteintes de tuberculose ou de charbon, impu- tables sur l'exercice 1900 et liquidées par mandats d'avances en attendant le vote d'un crédit supplémentaire 217,267 51 Ministère de l'Intérieur et de Vlnstrtiction publique. — Le crédit provisoire alloué au département de l'intérieur et de l'instruction publique pour l'exercice 1900 étant insuffisant, le Gouvernement a autorisé l'émission d'un mandat de la trésorerie pour permettre la répartition du ( 441 ) )) Dans tous les cas, le système belge aboutit done, en défi- nitive, au système français. Le ministre des finances et non la Cour des Comptes décide la question de savoir si les avances solde des subsides provisoires en faveur de l'enseignement primaire. — Cette avance a été remboursée au trésor aussitôt après le vote du budget du ministère de l'intérieur et de l'instruction publique 1,570,850 » Ministère de la Guerre. — En attendant le vote du crédit supplémentaire de 8,000.000 de francs destiné à parfaire le fonds spécial et temporaire de 20,000,000 de francs institué par la loi du 9 août 1897 pour l'amélioration du casernement, des mandats d'avances ont été délivrés pour le paiement des créances dont la liquidation ne pouvait être différée sans préjudice pour le trésor 827,576 16 Dépenses d'établissement de la ligne de défense avancée d'Anvers. Le reliquat du crédit alloué au budget extra- ordinaire de 1897 destiné à pourvoir à ces dépenses a été annulé au 31 décembre 1899 conformément aux dispo- sitions applicables à la durée des crédits extraordinaires. Un nouveau crédit est inscrit au budget de l'exercice 1901 89,831 70 Ministère des Chemins de fer. Postes et Télégraphes. — Fourniture de matériel fixe tenant à la voie. Achat de combustibles et autres objets de consommation pour la traction des convois. Frais d'exploitation. — Les crédits des articles t6, 21 et 26 du budget des chemins de fer étant épuisés au moment où les créances étaient devenues exigibles, l'émission de mandats de la trésorerie a été autorisée pour prévenir le paiement d'intérêts de retard . 8,894,831 67 Loyer de bâtiments. — A partir de l'exercice 1900, les frais de loyer pour les bâtiments occupés par l'adminis- tration des postes ont été transférés du service des ponts et chaussées au budget du département des chemins de fer, postes et télégraphes. En attendant le vote de ce budget, les termes de loyer échus ont été payés au moyen de mandats du trésor 13,950 » Les crédits aff"ectés aux dépenses de matériel de la marine étant épuisés, le ministre des finances et des ( 442 ) demandées par un département ministériel seront accordées, et exerce par conséquent le contrôle préventif des finances ; la Cour des Comptes belge, comme la Cour des Comptes fran- travaux publics a autorisé la délivrance de mandats d'avances pour effectuer le paiement des dépenses dont la liquidation ne pouvait être retardée sans exposer le trésor à devoir payer des intérêts de retard 984,504 53 Fourniture de matériel roulant pour le service des chemins de fer. — Ces avances, consenties pour permettre de solder sur-le-champ le prix de ces fournitures, ont été régularisées à charge du budget extraordinaire de 1900 747,516 18 Ministère des Finances et des Travaux 'publics. — Travaux d'appropriation d'un immeuble à Bruxelles pour l'installation des bureaux des services des hypothèques et du timbre extraordinaire. — Cette avance, consentie pour permettre de régler dans les délais contractuels des créances exigibles, a été régularisée à charge du budget du ministère des finances et des travaux publics de l'exercice 1900 6,656 47 Travaux d'appropriation dans divers locaux du Palais de Justice de Bruxelles. — Le crédit du budget de l'exer- cice 1899 sur lequel le prix de ces travaux devait être imputé, étant épuisé, la liquidation en a été faite au moyen d'un mandat du trésor en attendant le vote d'un crédit supplémentaire • 1,411 » Mandat délivré à M. Rycx, ingénieur en chef, directeur des ponts et chaussées du Brabant, pour lui permettre de payer dans le délai prescrit par l'article 5 de la loi du 16 août 1887, les salaires des ouvriers de son service. — Cette avance a été régularisée par un versement au trésor effectué à Bruxelles, le 21 juin 1900 6,000 » Travaux de remplacement de la machine et de la pompe no 1 de l'usine établie à Bossuyt pour l'alimentation artificielle du canal de Bossuyt à Courtrai. - Travaux d'entretien exécutés à l'Escaut dans le Hainaut et travaux d'amélioration du canal de Bossuyt à Courtrai. — Travaux de recreusement du bief inférieur du canal d'Ypres à ( 443 ) çaise, arrive à signaler purement et simplemeni au Parlement le dépassement ou l'interversion de crédit, ou bien les dépenses sans crédit; dans les deux systèmes, ce sera au Parle- ment qu'il incombera de mettre en jeu la responsabilité des ministres ou de leur accorder le bill d'indemnité qu'il doit leur donner pour couvrir leur gestion » (pp. 73, 74). « D'autre part, des mandats directs sont parfois nécessaires, parce que le contrôle préventif ne se prête pas à toutes les circonstances » (exemples, p. 74). Cette pratique des avances de trésorerie ne peut évidemment être qu'exceptionnelle; elle doit se limiter strictement aux cas urgents, sous peine de vicier complètement le système de contrôle établi par la loi. On doit constater cependant de fréquentes tentatives faites par l'administration pour se libérer du contrôle préalable de la Cour. Celle-ci veille et exige, chaque fois qu'elle en a l'occa- sion, l'application de Ja loi. Un des derniers cahiers d'observations nous en fournit encore des exemples. [Observ. sur l'exercice 1900. Session de 1901-1902, Doc. pari., n" 27, p. 13) : Nécessité de soumettre au visa préalable de la Cour, les dépenses susceptibles de ce mode de liquidation. « La loi du 29 octobre 1846 a établi pour la liquidation des dépenses de l'État, divers modes de paiement dont le plus propre à assurer l'efticacité du contrôle que la Cour exerce sur l'Yser. — Ces avances ont été consenties pour effectuer, dans le délai stipulé par les contrats, le paiement des travaux exécutés. Elles ont été régularisées à charge des crédits transférés de l'exercice 1899 conformément à l'article 30 de la loi sur la comptabilité de l'Ëtat. ... 49,456 07 Total égal. . .fr. 13,653,534 15 ( 444 ) les actes financiers de l'administration générale consiste dans l'émission d'ordonnances à soumettre au visa préalable de son collège. » Jugeant que ce mode de liquidation avait le désavantage de compliquer les écritures, en ce qui concerne les travaux qui s'exécutent aux bâtiments civils de la capitale et des environs, l'administration des ponts et chaussées souleva la question de savoir s'il y aurait quelque inconvénient à ce que les receveurs des contributions soient autorisés à payer directement les dépenses de l'espèce aux intéressés, sur la production de pièces comptables délivrées par le service des bâtiments civils et sous réserve qu'ils seraient remboursés trimestriellement de ces avances au moyen d'une ordonnance de paiement créée à leur profit. » La Cour n'a pu donner son consentement à cette mesure, par le motif que le système proposé l'empêcherait de veiller à ce que les allocations budgétaires ne soient dépassées et de constater, le cas échéant, des doubles emplois dans le paiement des dépenses. » Quelque temps après que cette proposition lui eut été faite, la Cour constata que des fournitures importantes de com- bustible pour le service des bateaux à vapeur de la douane à Anvers avaient été soldées aux livranciers sans son interven- tion préalable. » Le département des finances et des travaux publics jugeait que ce mode de procéder était conforme aux prescriptions du paragraphe 49 de l'instruction générale du 15 mai 1870, qui rangent les frais de chauffage parmi les dépenses affranchies du visa préalable, et qu'au surplus ces frais devaient être considérés comme des frais de régie et de perception tombant sous l'application des articles 16 et 18 du règlement général sur la comptabilité de l'État. » La Cour ayant démontré que les dépenses résultant de four- nitures de combustible effectuées pour le service des embarca- tions de la douane n'avaient point ce caractère, le département ( 445 ) n'insista pas davantage et promit de donner des instructions pour que lesdites créances soient liquidées à l'avenir au moyen d'ordonnances de paiement soumises au visa préalable. » Malgré les tempéraments qu'y apporte la pratique, on ne peut nier toutefois que le contrôle de la Cour ne soit très efficace et n'exerce une influence très réelle sur la régularité des actes de l'administration. Le contrôle préventif produit d'abord, selon la remarque de M. Marcé, un effet moral, un effet avant la lettre, en ce sens qu'il permet aux ministres « d'agiter le spectre de la Cour des Comptes » pour se débarrasser des solliciteurs de dépenses irrégulières. Ainsi que l'observait la Cour elle-même, « Si, dans certaines cas, ce système de contrôle est une gêne pour MM. les Ministres, dans d'autres circonstances, ces hauts fonc- tionnaires s'en prévalent pour se refuser à prendre des déci- sions qu'on sollicite de leur bienveillance ^ ». Il aboutit aussi et surtout à des résultats pratiques et tan- gibles. Les cahiers d'observations de la Cour fournissent de nombreux exemples de cas où les ministres ont été amenés à renoncer, par suite de l'intervention de la Cour, à des dépenses qu'ils voulaient faire irrégulièrement et d'autres exemples où, en présence du refus de la Cour, les ministres se résignent à demander un crédit supplémentaire ou les autorisations nécessaires pour effectuer la dépense. D'autre part, il arrive aussi que la Cour cède, à la condi- tion qu'il lui sera donné satisfaction à l'avenir ou bien enfin que la Cour cède sans conditions et consent à viser l'ordon- nance irrégulière, afin, par exemple, d'éviter des retards dans le paiement et les actions en dommages-intérêts que les créanciers de l'État pourraient lui intenter 2. L'article 14, alinéa 2 de la loi du 15 mai 1846, après avoir 1 Observations sur l'exercice 1863, cité par Marge, pp. 55-56. 2 Sur tous ces cas. cf. les nombreux exemples patiemment recueillis par M. Marcé dans les Cahiers d'observations de la Cour, loc. cit., pp. 56-60. ( 446 ) disposé qu'aucune sortie de fonds ne peut se faire sans le visa préalable et la liqvuidation de la Cour des Comptes, ajoute : « sauf les exceptions établies par la loi )>. C'est ce régime d'exceptions qu'il nous faut étudier mainte- nant. Une première exception concerne les dépenses tixes ^. Les dépenses fixes sont, par définition, affranchies du visa de la Cour des Comptes (art. 63, 68, arrêté de 1868). Les ordonnances collectives de paiement afférentes aux dépenses de cette catégorie étant affranchies de la règle du visa préalable, ne sont pas liquidées à nouveau par la Cour, préalablement à leur paiement. De plus « elles ne sont même pas soumises in globo à son contrôle préalable en ce qui concerne l'exactitude de leur imputation. La Cour est seule- ment mise en situation de suivre l'épuisement des crédits budgétaires "^ ; elle aura ici pour mission d'inscrire sur son livre de contrôle des budgets 3 les sommes ordonnancées à charge des crédits y relatifs, en s'assurant que les crédits per- mettent l'imputation de ces sommes 4- ». Les dépenses fixes sont donc affranchies complètement et de la liquidation préalable et du contrôle de l'imputation avant paiement. Il en résulte que la Cour ne pourrait s'opposer au paiement d'une ordonnance collective qui dépasserait les crédits budgé- taires ou serait mal imputée, a Elle pourra seulement adresser des observations aux ministres et, s'il y a lieu, signaler aux Chambres le dépassement ou virement irrégulier de crédit, dans son rapport annuel ^ ». 1 Cf. supra, p. 397. 2 Article 23 de la loi du 15 mai 1846; article 88 de l'arrêté de 1868. — Cf. supra, p. 398. 5 Articles 124 et 125 de l'arrêté de 1868. * Marge, pp. 45-46. ^ Ibid., p. 46. — C'est à raison de la nature fixe et invariable de ces dépenses et pour en assurer le paiement plus rapide qu'on les a dispensées du visa préalable (Exposé des motifs de la loi du 15 mai 1846). Mais .( 447 ) Le contrôle de la régularité de l'ordonnance, au point de vue de son imputation comme de sa liquidation (s'il s'agit de charges nouvelles, par suite de changement de personnel, augmentation de traitements, etc., art. 88, arrêté de 1868), n'a donc lieu que postériement au paiement. Ce contrôle a posteriori, ic s'exerce rapidement en ce qui concerne l'ordon- nancement comme en ce qui concerne la liquidation des dépenses, grâce à l'envoi mensuel des pièces acquittées ainsi que par l'envoi mensuel ou trimestriel des avis d'émissions des ordonnances et des états de mutation du personnel » (art. 88, arrêté de 1868)^. L'article 15 de la loi du lii9 octobre 1846 prévoit deux nou- velles exceptions à la règle du visa préalable. La justitication de la créance, dit cet article, peut se faire postérieurement au visa : 1^ Lorsque la nature du service exige l'ouverture de crédits pour une dépense à faire. C'est le cas des dépenses sur crédits ouverts 2; 2° Lorsque l'exploitation d'un service administratif régi par économie nécessite des avances à l'agent comptable de ce service. C'est le cas des dépenses sur fonds avancés 3. comme ces dépenses sont relatives au personnel et que l'expérience atteste que c'est pour cetle catégorie de dépenses que les ministres sont le plus souvent tentés de faire des virements irréguliers de crédit, on peut regretter cette exception (Marge, p. 47). Aussi la section centrale avait-elle proposé une mociificadon à l'article 19 du projet de loi (devenu art. 23 de la loi du 15 mai 1846), de manière à maintenir dans une cer- taine mesure « le principe salutaire du visa préalable ». [Rapport de la section centrale.) Mais l'article 23 fut voté par les Chambres dans la rédaction de l'article 19 du projet de loi, qui dispensait les dépenses fixes de tout contrôle préalable. 1 Ibid., p. 47. 2 Cf. supra, p. 399. ^ Cf. supra, p. 402. ( 448.) Les ordonnances d'ouverture de crédit sont soumises au visa de la Cour (art. 109, arrêté de 1868). Comme ces ordon- nances indiquent l'article du budget sur lequel elles sont imputées (art. 109), la Cour pourra, à l'aide du livre d'inscrip- tion des crédits ouverts dont la loi impose la tenue (art. 109), vérifier l'exactitude de l'imputation de l'ordonnance in globo. Mais « elle ne saurait assurer le respect de l'imputation de chaque dépense, puisque c'est l'ordonnateur secondaire, l'intendant militaire, par exemple, qui l'ordonnance sous le contrôle de l'agent du trésor ^ ». Quant à la réalité, à la liquidation de la dette de l'État, la Cour ne pourra la contrôler préalablement. La justification de la créance se fait postérieurement au visa, il n'y a pas de justification préalable. « Cette justification ultérieure de la dépense a paru nécessaire ici pour ne pas paralyser l'action du gouvernement et compromettre l'intérêt du service 2. » La procédure de régularisation des dépenses sur crédits ouverts est organisée par les articles 144 à 152 du règlement général de 1868. Quant aux ordonnances pour avances de fonds, elles s'im- putent immédiatement sur les crédits affectés aux dépenses qu'elles concernent (art. 114, arrêté de 1868). La Cour tient un livre d'inscription des fonds avancés, elle pourra donc suivre la disposition des crédits, en empêcher le dépassement et refuser son visa. Le contrôle préalable de la Cour subsiste donc quant à l'imputation des dépenses, mais dans une certaine mesure seulement, « car la Cour ne pourra empêcher que les sommes avancées ne servent à payer des dépenses que ne devait pas supporter le chapitre sur lequel l'ordonnance de fonds est imputée. La Cour des Comptes belge, comme la Cour des 1 M.vRCÉ, p. 87. 2 Exposé des motifs du règlement d'ordre de la Cour des Comptes du 19 février 1831. Huyttens, IV, no 221, p. 410. { 449 ) Comptes française, signalera dans son rapport annuel les interversions de crédits ou les dépenses sans crédit qu'elle n'aura pu empêcher ^. » La justification de la créance sera postérieure au paie- ment et aucune nouvelle avance, dans la limite fixée de 20,000 francs, ne pourra être faite si toutes les pièces justi- ficatives de l'avance précédente n'ont été envoyées à la Cour dans le délai de quatre mois (art. 15, loi du 29 octobre 1846; art. 113, arrêté de 1868). C'est pourquoi le Cour surveille de près l'état des avances. Elle tient un livre des comptables extraordinaires et fait le relevé de ceux qui sont en retard de justifier l'emploi de leurs avances. « Tous les quatre mois, le conseiller faisant fonction de ministère public nous remet un état présentant la situation des fonds avancés à charge du budget, et quand nous voyons par ce relevé que des avances sont en retard de justification dans les délais prescrits, nous provoquons des explications à cet égard, nous réservant, pour les cas où celles-ci ne seraient point satisfaisantes, de mettre les comptables en demeure de nous fournir leurs comptes ou de reverser dans les caisses du trésor les sommes restées sans emploi entre leurs mains 2, » Enfin, les dépenses payées par les comptables, sauf régula- risation ultérieure par la Cour des Comptes (art. 16, arrêté de 1868) sont, de même que les dépenses fixes, aff'ranchies du contrôle préventif et soumises seulement à un contrôle posté- rieur à la réalisation des opérations comptables 3. Les exceptions à la règle du contrôle préventif que nous venons de passer en revue sont importantes, puisque, d'après les calculs de M. Marcé, un tiers du budget seulement, quant aux dépenses, serait contrôlé préventivement par la Cour. Les 1 Marge, p. 97. ^ Observations de la Cour de i88ô sur V exercice 4885, p. 18, cité par Marge, p. 99. 3 Marge, p. 100. Tome LXVL '^9 ( 450 ) deux tiers des dépenses échapperaient donc soit totalement, soit partiellement au contrôle préventif ^. Le système du visa préalable de la Cour des Comptes ne réalise peut-être pas complètement l'idéal d'un contrôle pré- ventif absolu et inflexible. Il ne le pourrait qu'à la condition d'empêcher la marche normale et régulière des services publics. Si le contrôle modéré de la Cour des Comptes belge pré- sente certaines lacunes et prête le flanc à des critiques, la forme plus accentuée et plus exagérée du contrôle préventif italien, qui a été modelé sur le système belge, est loin d'être à l'abri de tout reproche 2. Tout bien considéré, on peut affirmer que le régime du visa préalable fonctionne en Belgique d'une manière très satisfai- sante. C'est la conclusion de la belle étude que M. Marcé lui a consacrée 3 : « La part faite aux critiques que nous avons for- mulées, dit-il, il faut reconnaître, en définitive, que le système de contrôle préventif adopté en Belgique fonctionne d'une façon satisfaisante. A la suite de transactions réciproques, grâce aux exceptions très larges que le système belge comporte légalement, grâce aussi aux tempéraments de fait qui en sont le corollaire, il s'est établi un modus vivendi qui permet de penser que ce système approprié au milieu dans lequel il est mis en œuvre, laisse aujourd'hui à l'administration, malgré la gêne qu'il lui impose, une liberté suttisante au cours de l'exécu- tion du budget ». B. — Le contrôle judiciaire des comptables. La Cour arrête les comptes des dittérentes administrations de l'Etat et est chargée de recueillir, à cet efl'et, tous renseigne- 1 Marge, p. 62 et tableau : p. 160. 2 Cf. Marge : La Cour des Comptes italienne. — Annates de l'École libre dej> sciences politiques , 1890, pp. 268 et suiv., 446 et suiv., 718 et suiv. '" Loc, cit., p. 163. ( 451 ) ments et toutes pièces comptables (art. 116, Constitution; art. 5, § 3, loi du 29 octobre 1846). Elle a le droit de se faire fournir tous étals, renseignements et éclaircissements relatifs à la recette et à la dépense des deniers de l'État et des provinces. A cet effet aussi, la Cour correspond directement avec les diverses administrations générales; elle correspond de même avec les députations permanentes des conseils provinciaux pour la comptabilité des provinces, et avec les comptables pour ce qui concerne la reddition de leurs comptes (art. 5, § 4, art. 6, loi du 29 octobre 1846). Les articles 42 et suivants de l'arrêté de 1868 et 49 à 52 de la loi du 15 mai 1846 imposent, en effet, nous l'avons dit, aux comptables l'obligation de rendre compte de leur gestion à la Cour des Comptes avant le 1"^ mars de chaque année. La Cour a le droit de prononcer contre les comptables retardataires, entendus ou dûment appelés, une amende qui n'excède pas la moitié de leurs traitements, remises ou indem- nités. Elle peut aussi provoquer, le cas échéant, leur destitution ou suspension. Quant -h ceux qui ne jouissent ni de traitements ni de remises ou indemnités, la Cour peut prononcer à leur charge une amende qui n'excède pas 2,000 francs. Le tout sans préjudice du droit qu'elle a de prescrire la reddition d'office du compte de tout comptable interpellé, qui ne Ta point rendu dans le délai fixé (art. 8, loi du 29 octobre 1846; art. 46, 52, arrêté de 1868). Toute condamnation à des amendes est prononcée sur le réquisitoire du plus jeune des conseillers, faisant fonctions de ministère public (art. 9, loi du 29 octobre 1846). Dans les cas exceptionnels, tels que démissions, décès, déficit des comptables, la Cour fixe les délais dans lesquels leurs comptes doivent être déposés à son greffe, sans préju- dice de toutes les mesures d'ordre et de surveillance qui sont prescrites par les chefs d'administration (art. 7, loi du 29 oc- tobre 1846). Les comptes de gestion annuelle ou personnelle des comp- (452) tables sont arrêtés par la Cour. Celle-ci, chargée d'un pouvoir juridictionnel, prononce de véritables arrêts définitifs et exécutoires sur la gestion des comptables. L'article 4 de la loi du 29 octobre 1846 exige la présence de la majorité des membres de la Cour pour arrêter ou clore les comptes. Les comptes sont clos et arrêtés en assemblée géné- rale de la Cour, sur le rapport de la section de comptabilité (art. 3, al. 2, règlement d'ordre). Les articles 10 à 13 de la loi du 29 octobre 1846 organisent les attributions juridictionnelles de la Cour ^. La Cour règle et apure les comptes de TEtat et des pro- vinces. Elle établit par des arrêts définitifs si les comptables sont quittes, en avance ou en débet. Dans les deux premiers cas, elle prononce leur décharge définitive et ordonne la restitution des cautionnements, et, s'il y a lieu, la mainlevée des oppositions et la radiation des inscriptions hypothécaires existant sur leurs biens, à raison de leur gestion 2. Dans le troisième cas, elle les condamnée solder leur débet au trésor, dans le délai qu'elle prescrit. Dans tous les cas, une expédition de ses arrêts est adressée, pour exécution, au ministre des finances, si le compte inté- resse le trésor public, et à la dépulation permanente du conseil provincial si le compte concerne les deniers provinciaux. Trois ans après la cessation de ses fonctions, le comptable aura une décharge définitive, s'il n'a été autrement statué par la Cour des Comptes (art. 10). Cependant, nonobstant un arrêt qui a définitivement jugé un compte, la Cour peut, dans le même délai de trois ans à partir de la date de l'arrêt, procéder à la revision soit sur la * Pour les détails de la procédure, cf. Marge, pp. 104 et suiv. — Cf. aussi : Giron, Dictionnaire de droit administratif. V» Cour des Comptes, n« 10, t. I, p. 256. - Toutes les demandes en main-levée, etc., doivent être communiquées au ministère public avant qu'il y soit statué (art. 20, règlement d'ordre). ( 453 ) demande du comptable, appuyée de pièces justiticatives recouvrées depuis l'arrêt, soit d'office pour erreur, omissions ou double emploi reconnu par la vérification d'autres comptes. Il y aura lieu, même après le délai de trois ans, à la revi- sion de tout compte qui aurait été arrêté sur la production de pièces reconnues fausses (art. 11). Si, dans l'examen des comptes, la Cour trouve des faux ou des concussions, il en est rendu compte au ministre des finances et référé au ministre de la justice, qui font pour- suivre les auteurs devant les tribunaux ordinaires (art. 12). Les arrêts de la Cour contre les comptables sont exécu- toires. Ils peuvent être déférés à la Cour de cassation pour violation des formes ou de la loi. Dans le cas où un comp- table se croit fondé à attaquer un arrêt pour violation des formes ou de la loi, il doit se pourvoir dans les trois mois pour tout délai à compter de la notification de l'arrêt. Le pourvoi est jugé sur requête et sans plaidoirie. Si l'arrêt est cassé, l'affaire est renvoyée à une commission ac hoc, formée dans le sein de la Chambre des représentants, et jugeant sans recours ultérieur, selon les formes établies par la Cour des Comptes (art. 13). Cette dernière disposition marque nettement le caractère de la Cour des Comptes, qui n'est au fond qu'une « commission parlementaire » puisque, même en matière juridictionnelle, c'est la Chambre des représentants qui juge en dernier ressort les comptes des comptables. C. — Le contrôle de la dette publique. En vertu de l'article 16 de la loi du 29 octobre 1846, un double du grand-livre de la dette publique est déposé à la Cour des Comptes. La Cour veille à ce que les transferts et les remboursements { 454 ) ainsi que les nouveaux emprunts y soient exactement inscrits; elle veille également à ce que tout comptable fournisse le cau- tionnement affecté à la garantie de sa gestion. A cet effet, elle reçoit des diverses administrations générales l'état indicatif des cautionnements de tous les comptables, à quelque titre que ce soit. Le même article 16 dispose encore que toutes les obligations d'emprunt ou de conversion et les certificats de cautionne- ments, n'auront de force qu'autant qu'ils soient revêtus du visa de la Cour des Comptes. « Afin de se conformer à ces prescriptions, le ministre des finances transmet régulièrement h cette administration (la Cour), par semestre, et par emprunt ou catégorie de dette, avec les pièces justificatives à l'appui, les certificats de transferts et un relevé des inscriptions nouvelles; et cbaque fois qu'un emprunt est voté ou une conversion décrétée, le ministre des finances présente au visa des titres ou obligations à con- currence du capital nominal ou effectif de l'emprunt nou- veau ou du capital nominal restant à amortir de l'emprunt converti. » Des annotations sont faites en conséquence dans le double du grand-livre; ce double doit toujours être en parfaite con- cordance avec celui qui est ouvert au département des finances. » Les fonds nécessaires au paiement des intérêts de la dette publique, de même que les fonds affectés au remboursement des emprunts ou dettes, augmentés des intérêts afférents aux capitaux amortis, sont mis à la disposition de qui de droit à l'aide d'ordonnances de paiement créées par le département des finances et liquidées préalablement par la Cour des Comptes. » L'emploi en est justifié ultérieurement, savoir : » Ceux destinés au paiement des intérêts, par les quittances de rentes nominatives et les coupons échus détachés des obligations au porteur; et ceux affectés au remboursement ( 455 ) des emprunts, par les bordereaux des agents de change chargés des rachats à la Bourse. )) Les intérêts dont le paiement n'est pas réclamé dans le délai de cinq ans sont prescrits au profit du trésor, conformé- ment à l'article 2277 du Code civil, et renseignés dans les comptes généraux de l'État comme recette accidentelle ^. » Enfin, toujours d'après l'article 16, la Cour tient un livre des prêts remboursables, faits en vertu des lois sur les alloca- tions des budgets au commerce, à l'industrie, ^ l'agriculture ou h toute autre partie prenante. Elle veille à ce que ces prêts soient renseignés exactement dans les comptes des comptables et dans le compte général de l'État. Quant aux bons du trésor, nous avons déjà signalé plus haut 2 que chaque émission était soumise au visa préalable de la Cour. Les bons sont à double talon, dont l'un demeure à la Cour 3. D. — Le contrôle des pensions. (Art. 17, loi du 29 octobre 1846; art. 76 à 83 du règlement général de 1868.) Le premier terme d'une pension nouvellement conférée est payé au moyen d'une ordonnance à viser préalablement par la Cour des Comptes. Cette ordonnance, à former par le département que la chose concerne, ne comprend que les arrérages dus à partir du jour où la pension commence à courir jusqu'à l'expiration du trimestre pendant lequel le droit a pris naissance, de manière que les arrérages ultérieurs coïncident avec le commencement de chaque trimestre. 1 LÉON Demarteau, Histoire de la dette publique belge, p. 383. (Extrait des i\lÉM. COUR. DE l'Académie royale de Belgique, 1885, in-4«, t. XLVIIL Bruxelles, Hayez.) 2 Cf. supra, p. 330, note 5. 5 Marge, p. 115. ( 456 ) Elle est appuyée de toutes les pièces qui-ont servi de base à la reconnaissance des droits du pensionné et à la fixation de la pension. Ce n'est qu'après le visa de l'ordonnance par la Cour que l'inscription définitive au livre des pensions et la délivrance du brevet ont lieu (art. 79-80-81). Le visa de la Cour est donné par elle, conformément aux prescriptions de l'article 14 de la loi du 29 octobre Î846, c'est- à-dire que les brevets de pension sont soumis à un contrôle préventif énergique de la Cour des Comptes. Si la Cour refuse son visa, le Conseil des ministres peut passer outre (art. 17, loi du 29 octobre 184(5). Ce contrôle préalable des pensions a été introduit dans la loi malgré le gouvernement, sur la proposition du rapporteur de la section centrale, M. de Man d'Attenrode. Quant aux arrérages des pensions : il est tenu, au départe- ment des finances et à la Cour des comptes, un livre des pensions conférées et un livre des extinctions. Ces livres sont continués sans interruption ni interligne. Ils sont arrêtés à l'expiration de chaque trimestre, afin de permettre d'établir, à cette époque, le décompte du montant des pensions à servir (art. 76). Ce décompte, qui est envoyé à la Cour, sert à la fois de base au contrôle et à la formation des ordonnances collectives de paiement des termes échus, ainsi qu'aux enregistrements à faire par elle à charge des allocations du budget (art. 77). Les pensions dont le paiement est momentanément suspendu sont portées dans le décompte. Lorsque les causes qui s'oppo- saient au paiement sont levées, il est formé, au profit des intéressés, des ordonnances collectives spéciales. 11 en est donné connaissance à la Cour, afin qu'elle puisse en charger les crédits du budget. La même marche est suivie à l'égard de tous les paiements à faire successivement pour un même trimestre (art. 78). A l'expiration de chaque trimestre, il est transmis à la Cour des Comptes une copie du livre des extinctions, afin que la transcription en soit faite dans son livre (art. 83). ( 4^7 ) CHAPITRE III. Le contrôle législatif des ordonnateurs. § 1. — Compte général et états de situation a fournir PAR les ministres. (Art. 42 à 48, loi du 15 mai 1846; art. 182 à 184, arrêté de 1868). La loi de comptabilité oblige les ministres à dresser chaque année des comptes et des états de situation destinés à éclairer le Parlement sur l'exécution du budget, en vue du règlement définitif de celui-ci par la loi des comptes. A. — Le Compte général de V administration des finances est rendu chaque année par le ministre des finances, dans les conditions établies par les articles 42 et 43 de la loi du 15 mai 1846. Ce compte annuel comprend toutes les opérations relatives au recouvrement et à l'emploi des deniers publics, et présente la situation de tous les services de recette et de dépense au commencement et à la fin de Tannée. Les comptes de chaque exercice doivent toujours être établis d'une manière uniforme, avec les mêmes distributions que les budgets dudit exercice, sauf les dépenses pour ordre qui n'y auraient pas été mentionnées, et pour lesquelles il est fait des articles ou chapitres additionnels et séparés (art. 42). Dans le premier trimestre de chaque année, le ministre des finances communique aux Chambres et transmet à la Cour des Comptes le compte général des finances, comprenant l'exercice clos et la situation provisoire de l'exercice suivant, avec les documents à l'appui (art. 43, al. 1). Le compte général pour l'année 1900 a été déposé par le ministre des finances sur le bureau de la Chambre le 12 fé- vrier 1902 1. ^ Doc. pnrl , n« 64. ( 458 ) Il est divisé en quatre parties i : La première partie, intitulée : Compte des opérations de V administrât ion des finances pendant l'année 1900, contient l'exposé sommaire de tous les faits de la gestion annuelle de cette administration, en ce qui concerne les services des bud- gets et de la trésorerie. Les trois autres parties constituent les comptes de dévelop- pement exigés par l'article 43, alinéas 2 et suivants. 1** Compte des budgets, qui expose : (1<>) par année, par exer- cice, par branche de revenu et par nature de perception, les droits constatés à la charge des redevables de l'État, les recouvrements effectués sur ces droits et les recouvrements restant à faire ; et (2°) par année, par exercice, par ministère et par article, les droits constatés au profit des créanciers de l'État, les paiements eff'ectués et les paiements restant à faire pour solder les dépenses. Il établit, de plus, la comparaison, quant aux recettes, entre les évaluations, les droits à la charge des redevables de l'État et les recouvrements opérés sur ces droits; et quant aux dépenses, entre les crédits ouverts, les droits au profit des créanciers de l'État et les paiements effectués. Le compte des budgets se divise lui-même en trois sections : a. Le Compte définitif du budget de Vexercice 1899, présen- tant la situation de ce budget au 31 octobre 1900, époque de sa clôture ; b. Le Compte provisoire du budget de Vexercice 1900, établis- sant la situation de ce budget, telle qu'elle résulte de faits accomplis jusqu'au 31 décembre de l'année, et de ceux qui se réaliseront jusqu'au 31 octobre 1901 ; 6*. Le Compte des opérations sur les exercices clos, compre- nant le compte d'apurement de l'exercice 1895 et la situation des ordonnances restant à payer sur les exercices 1896 à 1899. 2" Compte de trésorerie, faisant connaître les mouvements de fonds qui ont eu lieu pour les divers services de l'administra- * Note préliminaire, pp. 1-2. ( 459 ) tion des finances, et établissant le bilan de cette administra- tion. Il retrace la situation de l'actif et du passif au le"" jan- vier 1900, et indique les recettes et les paiements effectués pendant l'année 1900, les modifications que ces faits ont apportées à cette première situation, ainsi que la situation nouvelle qui ressort au l^"" janvier 1901. 3'' Compte de divers services publics et spéciaux, lecjuel expose la situation au commencement et h la fin de l'année 1900, de même que le mouvement durant cette période, des différentes parties de la dette publique, des pensions de toute catégorie et des rentes viagères. Quant aux opérations de la Caisse d'amortissement et de la Caisse des dépôts et consignations, elles font l'objet d'un exposé annuel distinct, qui est présenté aux Chambres législatives conformément à l'article 16 de la loi du 15 novembre 1847. Les diverses parties du compte général sont, du reste, pré- cédées de notes explicatives qui en résument les résultats et qui sont surtout destinées à faciliter l'intelligence des tableaux. Afin de servir d'éléments pour la vérification du compte général de l'État (art. 184, arrêté de 1868), les chefs des dépar- tements ministériels remettent à la Cour des Comptes : i° Un tableau détaillé des propriétés et rentes de l'État; !2° Des expéditions des procès-verbaux d'adjudication de barrières, des coupes de bois, loyers de propriétés, ventes de récoltes, d'objets mobiliers et autres titres analogues; 3'' Des extraits du montant des rôles des impôts directs, indiquant les quotités par province et par commune; 4'' Et généralement tous les autres documents de nature à constater un droit acquis à l'État (art. 48). La Cour des Comptes reçoit le compte général des finances dans le premier trimestre de chaque année (art. 43). Elle l'exa- mine, le vérifie et le soumet à la Législature, avec ses obser- vations (art. 116 de la Constitution) dans le mois qui suit Touverture de la session ordinaire des Chambres (art. 33, al. 2). Les observations de la Cour font l'objet d'une publication séparée. Le cahier d'observations est divisé en deux parties. ( 460 ) La première partie contient l'exposé de quelques faits de comptabilité dont la légalité ou la régularité ont donné lieu à des contestations. « Comme il est aisé de le comprendre, cet exposé ne représente qu'une minime partie des questions que soulève l'examen du nombre toujours croissant des dépenses sur lesquelles la Cour est appelée à exercer son contrôle K » La seconde partie est entièrement consacrée au compte général de l'administration des finances. B. — Chaque année aussi, le ministre des finances dépose la Situation générale du trésor public. Ce document se compose d'un exposé et d'une série d'annexés. La situation au l*^"" janvier 1902 a été présentée aux Chambres législatives le Ô mars 1902 2. L'Exposé en est dressé dans l'ordre qui a été adopté pour les situations antérieures. 1" Il fait connaître les résultats des exercices clos de 1899 et de 1900, les résultats probables de V exercice 1901, et les résul- tats généraux des exercices 1850 à 1901 ; 2« Il présente la comparaison entre les engagements du trésor au 1^' janvier 1 90^ ei les ressources destinées à les couvrir; 3° Il indique enfin la situation de la dette publique au 1^'^ jan- vier 1902. Les Annexes comprennent : I. Compte des recettes et des dépenses à la clôture de l'exer- cice 1900. IL Compte des recettes de l'exercice 1901 au l^"" janvier 1902. * Cf. Introduction du dernier cahier : Observations de la Cour des Comptes soumises à la Législature avec le compte général de V administra- tion des finances rendu pour Vannée 1900 et comprenant le compte définitif de l'exercice 1899. (Gh. des Représ., sess. de 190M902, Doc. pari., n» 27.) 2 Situation générale du trésor public au l^'' janvier 1902, déposée par M. le Ministre des finances et des travaux publics. (Gh. des Représ., séance du 6 mars 1902, Doc. pari., n» 73.) ( 461 ) IH. Compte des dépenses sur ressources extraordinaires rattachées à l'exercice 1901. IV. Résultats des budgets des exercices clos de 1830 ù 1899 inclusivement (ancien V). V. Aperçu des recettes et des dépenses extraordinaires com- prises dans les résultats des budgets tant ordinaires qu'extra- ordinaires des exercices 1830 à 1901 inclusivement (ancien IV). VI. Aperçu général de la dette constituée, des rentes sans expression décapitai et des annuités dues par l'Etat. VII. État présentante situation, au 31 décembre 1901, des dettes et emprunts contractés depuis 1830, le capital éteint par suite d'amortissement, de remboursement, d'annulation ou de conversion, ainsi que le capital restant en circulation. C. — Comptes des ministres. — Les ministres présentent, à chaque session, des comptes imprimés de leurs opérations pendant l'année précédente (art. 44). Les comptes que les ministres doivent publier développent les opérations qui ne sont que sommairement exposées dans le compte général de l'administration des finances. Ils se composent : 1° D'un tableau général présentant, par chapitres et par articles législatifs, tous les résultats de la situation définitive de l'exercice expiré qui servent de base à la loi proposée aux Chambres pour le règlement dudit exercice; 2" De développements destinés à expliquer, avec tous les détails propres à chaque nature de service, selon l'ordre des articles et des littera du budget, les dépenses constatées, liquidées et ordonnancées à l'époque de la clôture de l'exer- cice ^ (art. 45). ' Les budgets des départements ministériels et leurs dévelop- pements servent de base à l'établissement des comptes à publier par les ministres, en exécution des articles 44 et 45. * Cf. Exercice 1899. Comptes rendus par les ministres, en exécution des articles 44 et 4Ô de la loi du 13 mai 1846 sur la comptabilité de VÉtat, Bruxelles, imprimerie Van Assche et C^e, 1902. ( 462 ) Il est procédé à la formation de ces comptes après que les derniers états de situation, dont il est parlé aux articles 430 et 132, ont été reconnus exacts. Les faits accomplis sont comparés avec les évaluations com- prises dans les étals de développement, en regard des liltera des budgets; les différences sont expliquées dans les colonnes réservées à cet effet. Tous les autres renseignements utiles à l'appréciation des dépenses y sont également consignés (art. 183, arrêté de 1868). D. — Chaque département ministériel fournit annuelle- ment aux deux Chambres législatives un état sommaire de toutes les adjudications, de tous les contrats et marchés de 20,000 francs et au-dessus, passés dans le courant de l'année échue. Les adjudications, contrats et marchés inférieurs à cette somme, mais qui s'élèveraient ensemble, pour des objets de même nature, à 20,000 francs et au-dessus, sont portés sur le dit état. De plus, un état des marchés faits de gré à gré, dépassant 4,000 francs dans les termes des exceptions autorisées par l'article 22, et accompagné des motifs de ces marchés. Ces états indiquent le nom et le domicile des parties con- tractantes, la durée et les principales conditions du contrat (art. 46). E. — L'article 47 est relatif à l'inventaire du mobilier fourni par l'État ^, § 2. — Le règlement définitif du budget par la loi des comptes. — La responsabilité civile des ministres. L'article 115 de la Constitution, en prescrivant le vote annuel du budget, dispose en même temps que « chaque année, les Chambre arrêtent la loi des comptes ». 1 Cf. supra, p. 352. 463 ) Cette loi est soumise aux Chambres dans la même forme et dans le même cadre que la loi du budget (art. 2o, loi de 1846). Elle a pour objet le règlement définitif du budget. « L'examen du règlement définitif du budget annuel com- plète l'intervention des Chambres dans le budget de l'État. Pour que cette intervention soit efficace, il ne suffît pas, en effet, que les Chambres votent chaque année le budget. » Voter le budget, c'est, d'une part, déterminer, en les limitant article par article, les crédits qui sont ouverts au gouvernement pour l'exécution des services répartis entre les divers départements ministériels; c'est, d'autre part, déter- miner les voies et moyens à l'aide desquels le gouvernement se procurera les ressources destinées à couvrir ces crédits ; en un mot, voter le budget, c'est autoriser la dépense et la recette. » Cela fait, la fonction des Chambres n'est pas achevée. Le gouvernement qui est tenu de se renfermer, pour la dépense, comme pour la recette, dans les limites tracées par la loi du budget, doit compte de sa gestion aux Chambres. » C'est à celles-ci qu'il appartient de vérifier et d'approuver annuellement ce compte, dont le projet de loi portant règle- ment définitif du budget n'est que le résumé et dont les détails sont annexés à ce projet de loi. En discutant et en approuvant ce règlement, les Chambres discutent et approuvent la gestion des ministres qui, au cours de l'exercice auquel le budget se rapporte, ont eu le maniement des affaires de l'Etat i. » C'est donc au moment du vote de la loi des comptes que s'exerce le contrôle législatif des ordonnateurs. Le vote de cette loi vaut décharge pour les ministres et approbation de leur gestion. La présentation du projet de loi spécial pour le règlement 1 Rapport de M. Demeur, au nom de la Commission permanente des finances, sur le règlement définitif du budget de 1876, p. 2. (Ch. des Représ., sess. de 1879-1880, séance du 7 mai 1880, Doc. pari., n» 178.) ( 464 ) définitif du budget du dernier exercice clos et arrêté a lieu dans le mois qui suit l'ouverture de la session ordinaire des Chambres (art. 33, al. 1). Des doutes pourraient surgir sur l'interprétation de cett> (Marge, toc. cit., p. 443.) ( 467 ) que les Chambres arrêtent chaque année la loi des comptes, la Constitution impose aux Chambres l'obligation de se livrer à l'examen de cette loi, comme de toute autre. » II n'est pas téméraire de supposer qu'elles trouveraient, dans l'examen annuel et méthodique des faits constatés par le règlement définitif du budget et en mettant ces faits en regard du budget primitivement voté, la matière de justes critiques, d'améliorations à réaliser, des enseignements utiles pour l'avenir ^. » Malgré cette absence de discussion, la loi des comptes est toujours votée avec de grands retards et le règlement définitif des budgets ne se fait pas dans les délais prescrits par la loi et les règlements. Cela tient en partie à l'incurie des Chambres, en partie aussi aux retards apportés à la présentation des comptes par le gouvernement. Incurie des Chambres, car celles-ci ne se hâtent pas de discuter et de voter les projets de loi déposés. Pour ne citer que des exemples récents : le projet de règlement du budget de 1895, déposé le 15 novembre 1898, n'a été sanctionné que le 3 août 1901 ; le règlement du budget de 1896, dont le projet a été déposé le 20 février 1901, a été sanctionné par la loi du 2 août 1901 ; les règlements définitifs des budgets de 1897 et de 1898, dont le projet avait été déposé le 10 décembre 1901, ont été votés sans discussion le 8 juillet 1903. D'autre part, les projets de loi des comptes ne sont pas déposés dans les délais voulus. L'article 33 de la loi de 1846 est fréquemment violé. Le projet de règlement définitif de l'exercice 1898, par exemple, aurait dû être déposé vers le 15 décembre 1900, il n'a été présenté que le 10 décembre 1901; le projet relatif à l'exer- cice 1896 n'a été déposé que le 20 février 1901 au lieu de l'être à la mi-décembre 1898 ; le projet relatif à l'exercice 1895 ne l'a été que le 15 novembre 1898, au lieu de décembre 1897, etc. * Demeur, loc. cit. ( 468 ) Dans les trente dernières années, il a fallu une moyenne de deux ans et demi pour le règlement définitif des budgets i (depuis la clôture définitive de l'exercice jusqu'à la date de la loi des comptes). Auparavant, les délais étaient plus longs encore : ils s'élevaient à trois, quatre, cinq, six, dix et même douze années : le budget de 1851 n'a été réglé définitivement que par la loi du 7 avril 1865 2. En 1846 déjà M. Roger déplorait les retards apportés au règlement des comptes 3. « Quoique, disait-il, la Constitution nous impose l'obligation formelle d'arrêter les comptes chaque année, nous sommes de dix ans en arrière. En principe, nous devrions arrêter les comptes avant le budget 4-; la première base d'un budget, c'est, en effet, le compte de l'exercice écoulé. Voilà par où nous devrions commencer. C'est ce que nous sommes bien loin de faire. Cela est déplorable. Il m'est arrivé * Alors que si l'on observait strictement les délais légaux, la loi des comptes pourrait être promulguée dix-huit mois après la clôture de l'exercice. - Compte général de l'administration des finances pour 1900, loc. cit., pp. 316-319. 3 Discussion de la loi de comptabilité : Ch. des Représ., séance du % février 1846. * L'article 75 du projet primitif de la Constitution (devenu art. \\5) portait : « Chaque année les Chambres arrêtent la loi des comptes avant de voter le budget ». Cette rédaction avait été adoptée par toutes les sections, sauf la cin- quième qui proposait de remplacer les mots : avant de voter le budget, par ceux-ci : et votent le budget. La raison de ce changement était qu'il serait dangereux d'obliger absolument les Chambres à l'examen préalable des comptes. La section centrale, appréciant ce motif, a adopté cette rédaction qui a passé dans le texte de la Constitution. (Huyttens, IV, n» 61, p. 106.) Si celle-ci n'a pas imposé absolument le vote des comptes avant le vote du budget suivant, il semble bien cependant, d'après les travaux préparatoires, que les Constituants aient désiré un règlement de budget aussi expéditif que possible. ( 469 ) à vingt reprises de signaler ce fait à la Chambre; malgré mes efforts et ceux de plusieurs de mes honorables collègues, on n'est pas parvenu à plus de régularité ». Les inconvénients de cet état de choses, qui bien qu'amélioré depuis 1846 n'est pas encore satifaisant, ont été fréquemment signalés par la Cour des Comptes, dans les rapports des sections centrales et au Parlement t. M. Demeur les résumait en ces termes : « II est impossible de méconnaître que, quand plusieurs années se sont écoulées, depuis que les fonds ont été reçus et dépensés, bien des faits auxquels les comptes se rapportent sont oubliés; il devient difficile de mettre en regard les promesses et l'exécution qu'elles ont reçue ; souvent les ministres qui ont présenté la loi du budget et même ceux qui ont présidé à son exécution ont disparu ; le personnel des Chambres législatives s'est modifié; les comptes eux-mêmes ne présentent plus en quelque sorte qu'un intérêt historique. » Dans ces conditions, on s'explique que le vote par lequel, en exécution de l'article 115 de la Constitution, les Chambres arrêtent chaque année la loi des comptes, ne constitue en quelque sorte qu'une formalité. )) Il est donc éminemment désirable que les règlements défi- nitifs des budgets soient soumis à l'approbation des Chambres plus promptement qu'ils ne l'ont été jusqu'à présent 2 ». Et s'il est difficile au ministre des finances, ainsi que la déclaration en a été faite plusieurs fois, de se conformer aux prescriptions de la loi, relative au délai de présentation du compte définitif, peut-être pourrait-on prendre en considéra- tion la proposition du rapporteur de la commission perma- nente des finances de 1880, qui était formulée de la manière suivante : * Cf. les extraits cités dans le rapport de M. Demeur sur le règlement définitif du budget de 4876. (Ch. des Représ., sess. de 1879-1880, Doc. pari., n« 178.) 2 Ibidem. ( 470 ) « Ainsi que le porte l'article 43 de la loi de comptabilité, le compte général des finances, qui doit être transmis dans le premier trimestre de chaque année à la Cour des Comptes, comprend : i° L'exercice clos, c'est-à-dire l'exercice dont toutes les opé- rations ont été terminées à la date du 31 octobre précédent; 2» La situation provisoire de Vexercice suivant, c'est-à-dire la situation de l'exercice qui a pris fin au 31 décembre précédent, mais dont les opérations ne seront terminées que le 31 octobre suivant. (( Or, s'il est sinon impossible du moins très difficile d'avoir dressé, à la date du 31 mars, la situation provisoire de l'exer- cice en cours d'exécution, pareille impossibilité n'existe pas, à coup sûr, pour l'exercice clos le 31 octobre précédent ; et rien ne semble donc s'opposer à ce que, sans attendre l'établisse- ment de la situation provisoire de l'exercice suivant, le ministre des finances transmette à la Cour des Comptes le compte défi- nitif de l'exercice dont la clôture remonte à cinq mois. » En procédant de la sorte, l'article 33 de la loi de compta- bilité recevrait son entière exécution, w Il est désirable, en tout cas, que le gouvernement et le Parlement se préoccupent d'assurer, par ce moyen ou autre- ment, l'application de la loi et de rapprocher autant que possible le règlement définitif du budget de la clôture de l'exercice. Dans les conditions où se fait actuellement le règlement définitif du budget et qui se caractérisent par la discussion très superficielle et les retards apportés à la promulgation de la loi des comptes, on peut dire que le contrôle législatif des ordonnateurs est plutôt une formalité qu'une réalité. La théorie veut que les Chambres contrôlent la gestion des ministres après leur avoir donné les autorisations nécessaires pour faire les dépenses et opérer les recettes publiques. La loi a consacré cette règle et en a fait une pièce essentielle de notre organisation budgétaire. En réalité, le véritable contrôle est exercé par la Cour des ( 471 ) Comptes qui vérifie les comptes de l'administration des finances et prévient les abus par son visa préalable. D'autre part, le contrôle législatif manque lui-même de sanction ou du moins sa sanction est incomplète en l'absence d'une organisation de la responsabilité civile des ministres. Cette responsabilité civile existe en principe. « L'obligation qui incombe au minisire d'indemniser la partie lésée, existe tant à l'égard de l'État que des simples particuliers. Le ministre est tenu à une réparation civile envers l'Etat, chaque fois qu'il lèse les intérêts de celui-ci imr une mesure illégale et particu- lièrement quand il dépasse la somme qui lui est allouée pour les dépenses de son département, à moins qu'une loi postérieure ne valide la dépense ^ . » L'article 90 de la Constitution donne à la Chambre des représentants le droit d'accuser les ministres et de les traduire devant la Cour de cassation qui seule a le droit de les juger, chambres réunies, sauf ce qui sera statué par la loi, quant à V exercice de l'action civile par la partie lésée et aux crimes et délits que les ministres auraient commis hors de l'exercice de leurs fonctions. Le m.ême article ajoute : une loi déterminera les cas de responsabilité, les peines à infliger aux ministres et le mode de procéder contre eux soit sur l'accusation admise par la Chambre des représentants, soit sur la poursuite des parties lésées. Cette loi n'est pas encore faite à l'heure actuelle. Aussi, jusqu'ù ce qu'il y soit pourvu, la Chambre des représentants conserve-t-elle le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'article 34 de la Constitution pour accuser un ministre et la Cour de cassation pour le juger, en caractérisant le délit et en déterminant la peine, qui ne pourra excéder celle de la 1 OswALD DE Kerchove DE Denterghem, De la responsabilité des ministres dans le droit public belge, pp. 262-563. Gand, Hoste. Paris, A. Durand, 1867. ( 472 ) réclusion, sans préjudice des cas expressément prévus par les lois pénales ^. 11 n'existe pas, dans notre histoire parlementaire, d'exemple de la mise en œuvre de la responsabilité pénale ou civile des ministres. 11 faut reconnaître, d'ailleurs, qu'une telle responsabilité serait très difficile à organiser et dangereuse même à susciter. M. Léon Say l'a fait remarquer avec autorité, en se plaçant au point de vue français. Mais la situation n'est pas différente en Belgique. « On se préoccupe aussi très souvent, écrivait-il, de la sanction à donner à des responsabilités qui en sont dépour- vues. On veut transformer les responsabilités politiques en responsabilités pécuniaires et pénales. Les ministres seraient des coupables supposés, qu'on pourrait ruiner ou mettre en prison, par application du Code pénal, tandis qu'ils ne peuvent être aujourd'hui poursuivis que par la Chambre des députés devant le Sénat 2^ pour être soumis à des peines que la loi n'a pas déterminées. Aujourd'hui, quand ils perdent la confiance des Chambres, ils perdent le pouvoir. Les Chambres ne les révoquent pas, mais en annihilant leur autorité morale, elles les forcent à donner leur démission. La sanction est unique- ment politique, et sauf le cas de mise en accusation, elle est la plupart du temps suffisante. » 11 n'est peut-être pas, d'ailleurs, aussi avantageux que certains esprits ardents se l'imaginent de vouloir serrer cette question de trop près; car il pourrait arriver qu'il se produisît des grèves de ministres, ou qu'il y eût des ministres choisis comme certains hommes de paille par les journaux pour faire les jours de prison. * Cf. sur l'interprétation de ces articles et sur la théorie générale de la responsabilité ministérielle en droit public belge et comparé, l'excel- lent ouvrage que nous venons de citer. '^ En Belgique, devant la Cour de cassation (art. 90 de la Constitution;. (473) » Obliger un homme politique à risquer sa fortune pour la négligence, pour un oubli ou pour l'oubli d'un de ses subor- donnés, c'est une exagération manifeste. Si on persévère dans les projets de cet ordre, on ne trouvera plus de ministres que parmi les gens qui désirent être ministres afin de toucher un traitement et de placer leurs créatures, et encore ceux-là feront- ils prudemment de quitter la place de ministre qu'ils auront acceptée, aussitôt que tous les membres de leur famille auront été pourvus i. » Répétons donc qu'à défaut de responsabilité civile organisée, le système du contrôle préventif de la Cour des Comptes garantit très efficacement les intérêts de l'Etat. Par ce moyen sont prévenus beaucoup d'actes répréhensibles qu'il faudrait réprimer. Et le contrôle préventif a précisément pour raison d'être de suppléer à l'insuffisance et à l'absence de sanction du contrôle législatif 2. * L. Say, Les Finances, loc. cit., p. 39. •2 Cf. supra, p. 427. TABLE DES MATIÈRES Pages. Préface 3-6 Introduction historique. CHAPITRE PREMIER. Le budget à la fin de l'ancien régime 7-4S § 1. — Le vote des subsides 8-21 § 2. — Le Conseil des finances et la Chambre des comptes 21-28 § 3. — Les états et aperçus des recettes et des dépenses . 28-45 CHAPITRE II. La domination française 45-47 CHAPITRE III. L'organisation budgétaire du royaume des Pays-Bas 47-89 §1. — Le budget décennal 51-72 § 2. — Le syndicat d'amortissement 72-78 § 3. — La Chambre générale des comptes et la compta- bilité publique 79-89 CHAPITRE IV. Le Congrès 7iational et la Constitution belge 89-9i ( 475 ) PREMIÈRE PARTIE. La préparation du budget. CHAPITRE PREMIER. Pages. L'absence d'unité dans le budget belge 93-i54 § 1. — La pratique belge des budgets spéciaux et divisés. 93-94 § 2. — La forme extérieure des budgets. — L'arrêté royal du 19 février 1848. . .' 95-98 § 3. — La tentative de réforme de M. Graux : le budget de 1884 .\ 99-112 §4.— Le budget extraordinaire 112-138 A. — La situation avant 1884. B. — La réforme de M. Graux. C. — Le budget extraordinaire organisé par M. Beer- naert. D. — La distinction des dépenses exceptionnelles et des dépenses ordinaires, inaugurée en 1895. § 5. — Appréciation critique de cette organisation .... 138-154 CHAPITRE II. La procédure belge en matière de préparation du budget. Le comité permanent du budget I54-1S7 CHAPITRE III. La règle de l'universalité iS7-177 § 1. — L'article 115, alinéa 2 de la Constitution 157-158 § 2. — Étendue d'application de la règle 158-175 A. — Le budget belge est un budget brut. B.— Loi du 15 mai 1846 sur la comptabilité : article 16. C. — Le budget des recettes et dépenses pour ordre. § 3. — La spécialisation 175-177 (476 ) CHAPITRE IV. I Pages. L'évaluation des recettes et des dépenses. Les crédits complé- mentaires et les crédits supplémentaires 178^189 CHAPITRE V. Époqm de la présentation du budget à la Chambre. (Loi Mu d5 mai 1846: art. 1. — Loi du 24 juillet 1900.) ...... i90-l97 DEUXIÈME PARTIE. Le budget devant le Parlement. CHAPITRE PREMIER. Le vote annuel du budget 199-205 CHAPITRE II. Étude préalable du budget par les Chambres W3-2iS CHAPITRE m. La discussion des budgets 2i2-2S0 CHAPITRE IV. Le vote article par article. — La spécialité budgétaire. — Les transferts 220-22S CHAPITRE V. L'initiative parlementaire en matière budgétaire 22Ô-S4S CHAPITRE VI. De la modification d'une loi organique par voie budgétaire. . . 243-26 S ( 477 ) CHAPITRE VIL Pages. L'initiative du Sénat en matière de lois de finances. (Article 27, alinéa 2 de la Constitution.) 26-i-S7S CHAPITRE VIII. Du droit pour le gouvernement de retirer devant le Sénat un projet de budget voté par la Chambre 27S-292 CHAPITRE IX. Du retard dans le vote des budgets. — Les crédits provisoires. — Le changement de la date d'ouverture de l'année financière . 292-541 CHAPITRE X. Du refus du budget 314-347 TROISIÈME PARTIE. L'exécution du budget. — Théorie de la comptabilité publique. CHAPITRE PREMIER. Notions préliminaires 349-335 § 1. - Généralités 349-320 § 2. — Définition de l'exercice. — La gestion et l'exercice 321-326 § 3. — L'unité d'exécution du budget. — Le ministre des finances 326-332 § 4. _ Définition de l'ordonnateur et du comptable. — Incompatibilité entre ces deux natures de fonc- tions 332-335 ( 478 CHAPITRE II. Pages Le service des recettes SSÔ-Sôô § 1. — Comptables chargés de la perception et du service des recettes 335-339 §2 — Dépenses acquittées directement par les comptables des différentes administrations (articles 16, 17 et 135 à 143, de l'arrêté de 1868) 339-346 § 3. — Règles générales concernant les receveurs et les comptables de l'État 347-356 CHAPITRE III. La Banque Nationale de Belgique, caissier de l'État 356-S8S CHAPITRE IV. V exécution des dépenses S8Ô-408 § 1. — L'engagement de la dépense 386-390 § 2. — La liquidation et l'ordonnancement. — Livres de contrôle. — États de situation. — Les diverses catégories de dépenses 390-404 § 3. — Le paiement de la dépense. — Déchéances, pres- criptions, saisies-arrêts, oppositions 404-408 CHAPITRE V. La clôture de l'exercice 408-4H QUATRIÈME PARTIE. Le contrôle de l'exécution du budget. CHAPITRE PREMIER. Généralités : Les diverses espèces de contrôle. — Le contrôle des comptables et celui des ordonnateurs Ai 6-41 8 (479 ) CHAPITRE II. Pages. La Cour des Comptes 4i8-4Ô6 § 1. — Sa nature. — Législation en vigueur 418-421 § 2. — Le personnel : composition, nomination, incompa- tibilités, traitements 421-424 § 3. — Les attributions 425-456 A. — Le visa préalable. B, — Le contrôle judiciaire des comptables . C, — Le contrôle de la dette publique. D. — Le contrôle des pensions. CHAPITRE IIL Le contrôle législatif des ordonnateurs 457-473 § 1. — Compte général de l'administration des finances et états de situation à fournir par les ministres . . 457-462 § 2. — Le règlement définitif du budget par la loi des comptes. — La responsabilité civile des ministres 462-473 ._1 3" 2044 093 292 431