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MÉMOIRES COURONNÉS

ET

AUTRES MÉMOIRES

MÉMOIRES COURONNÉS

ET

AUTRES MÉMOIRES

PUBLIÉS PAR

l’académie royale

DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES BEAL’X-ARTS DE BELGIQUE

COLLECTION ll¥-8<>. ~ TOME LNI

BRUXELLES

BAYEZ, IMPRIMEUR UE L’ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, DES LETTRES

ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE

rue de Louvain, 442

Mai 1901-Mars 1902

RECHERCHES RELATIVES

AUX

CONNEXES DE L’ESPACE

PAR

M. STUYVAERT

Professeur à l’Athénée et à l’Académie des beaux-arts

de Gand.

(Présenté à la Classe des sciences dans la séance du 8 mai 1900.)

Tome LXI

1

AVANT-PROPOS

Nous nous proposons, dans ce travail, d’étendre à l’espace à trois dimensions quelques-unes des propriétés des connexes plans étudiés par Clebsch i . A la vérité, M. Krause a déjà publié une généralisation pareille 1 2, mais en se bornant presque toujours au connexe du second ordre et de la première classe; nous signalerons les résultats que nous empruntons à son travail. Nous pouvons renvoyer au même mémoire pour les premières notions de la théorie générale, en nous réservant de reproduire ce qui est strictement indispensable à l’intelli¬ gence de notre texte. Nous n’aurons pas seulement pour but de généraliser les découvertes du savant professeur de Chem- nitz; nous voulons surtout les présenter sous une forme

1 Clebsch -Lindemann, Leçons sur la géométrie , trad. A. Benoist. Paris, Gauthier-Villars, 1883, t. III. ch. II, p. 333.

2 R. Krause, Ueber ein Gebilcle der analytischen Geometrie des Raumes1 welches dem Connexe zweiter Ordnung und erster Klasse entspricht [Math. Annalen, Bd XIV, SS. 294 322).

nouvelle, plus directe, qui les rattache aux recherches de M. Cyparissos Stephanos sur les connexes plans i.

Nous nous arrêtons au point la théorie des connexes se lie à celle des équations aux dérivées partielles.

1 G. Stephanos, Sur la théorie des connexes conjugués (Bull, des sc. mathém. et astronom., 2e série, t. IV, pp. 318-328).

RECHERCHES RELATIVES

AUX

CONNEXES DE L’ESPACE

Préliminaires.

1. La réunion d’un point quelconque A et d’un plan quel¬ conque a est appelée un élément (A, a).

Celui-ci est représenté par deux séries de quatre variables homogènes x{ et u{ {i = 1,2, 3, 4), dont les premières sont les coordonnées-points de A, les autres les coordonnées-plans de a. Nous appellerons dans la suite A, a et (A, a) respective¬ ment le point x , le plan u et Y élément (x, u).

Tous les éléments de l’espace forment une multiplicité sextuple. Trois éléments déterminent en général un nouvel élément, formé du point commun à leurs trois plans et du plan de leurs trois points. Ce nouvel élément est le support des trois premiers; il est aussi le support de oo* éléments.

Deux éléments déterminent de même un couple de droites.

On appelle connexe de l'espace, l’ensemble des éléments, en nombre oc5, dont les coordonnées vérifient une équation algébrique, homogène à la fois en x et en u. On appelle ordre du connexe, le degré m de l’équation en x\ sa classe est le degré n en u: le connexe est désigné par (m, ri).

Un point x de l’espace forme des éléments d’un con¬ nexe (m, n) avec tous les plans u tangents à une surface algébrique T„ de classe n , dont l’équation est celle du connexe les u varient seuls On dit que la surface T„ ré¬ pond au point x.

L’équation du connexe s’écrit, a’x Ux == (2aixi)'n ;

Dans le connexe (m, 1), à tout point# répond une gerbe de plans de sommet y, ou plus simplement un point y; mais à tout plan u répond une surface Sm.

Le connexe (1, 1) exprime, de collinéation point par point et p

6 >

Un plan u de l’espace forme des éléments d’un connexe (m, n) avec tous les points x d’une surface algébrique Sm d’ordre m, dont l’équation est celle du connexe les x varient seuls. On dit que la surface Sm répond au plan u.

sous forme symbolique,

; (SflyCty)" = 0.

Dans le connexe (1, n), tout plan u répond un sys¬ tème de points d’un plan v , ou plus simplement un plan v ; mais à tout point x répond une surface Tn.

la façon la plus générale, la an par plan.

2. Les oo 4 éléments communs à deux connexes (m, , n{) et (mâ, né, constituent une coïncidence.

Un point x forme des éléments de la coïncidence avec tous les plans tangents communs à deux surfaces de classes w, et ces plans enveloppent une surface développable de classe npiù de même, à tout plan u répond une courbe gauche d’ordre mtm2; mprUi et npi* sont respectivement Y ordre et la classe de la coïncidence.

Les éléments communs à trois connexes forment une mul¬ tiplicité triple, dans laquelle répondent, à tout point x, npiph plans; à tout plan u , m,m2?n3 points.

Quatre connexes simultanés représentent un couple de sur-

( 1 )

faces dont les équations s’obtiennent par élimination des x ou des u. L’ordre de la première surface (en x) est

- (* = 4,2,3, 4);

»,

la classe de la surface en u est

»i

> ,

^ m,

et ces deux surfaces sont rapportées l’une à l’autre par une correspondance généralement unidéterminative.

Cinq connexes expriment de même une correspondance, en général unidéterminative, entre les points d’une courbe gauche et les plans tangents à une surface développable.

Six connexes représentent un nombre fini d’éléments.

3. L’extension du principe de translation (Uebertragungs- princip ) de Clebsch permet de ramener, pour certaines ques¬ tions, l’étude d’une forme doublement quaternaire à celle d’une forme qui n’est que doublement ternaire ou binaire.

Soient x un point fixe, intersection de trois plans fixes y, vr , v"; u le plan de trois points fixes y , y', y l’élément (x, u) n’appartient pas en général au connexe, mais il est le support d’une infinité d’éléments du connexe. Si un plan {XiV -+- \v ' -+* X5v") passant par x et un point (k{y Ly’ -+- k^y") du plan u forment un élément du connexe, on doit avoir

(kiûy k^Uy, -4- kzav„)m (i, ra +- -+- lzv’x)n = 0.

Cette équation est analogue à celle d’un connexe plan, si l’on y regarde les k et les X comme variables; elle peut s’écrire

f = A^gAd)* = 0.

Si les cônes de la gerbe de sommet x répondant à tous les points k du plan u ont une même propriété invariante, et si

en même temps les courbes du plan u répondant à tous les plans X de la gerbe x jouissent également d’une propriété invariante, qui peut différer de la précédente, cette circonstance s’exprime par l’évanouissement d’un invariant qui contient les symboles A, JL et leurs équivalents groupés en somme de produits de déterminants; une telle formation doit conserver sa propriété d’invariance pour des substitutions linéaires des k et des X indépendantes les unes des autres, de sorte que les symboles équivalents à A et JL ne peuvent se rencontrer dans le même déterminant. L’invariant est donc de la forme

Scjt(ABC) ••• r(cjb£BC) ••• ,

c désignant un coefficient numérique.

L’élément (x, u ), support des éléments qui jouissent de la propriété considérée, appartient à un connexe covariant, dont l’équation s’obtient en remplaçant, dans l’expression précé¬ dente, (ABC) par ( abcu ) et (JbSC) par (aj3y#) d-

4 Soient deux droites, l’une (u, v ) déterminée par deux plans u, v , l’autre ( x , y) déterminée par deux points x, y ; si un plan (\u -+- \.2v) du faisceau {u, v) et un point [kxx -h k2y) de la ponctuelle ( x , y) forment un élément du connexe, on a

(k{nx -+- kiay)m(llvK -+* ?ç,vx)n == = 0.

Supposons que pour chaque plan du faisceau (u, v) les points correspondants k aient une propriété invariante et qu’il en soit de même des plans X répondant à tout point de la ponctuelle (x, y) \ ce fait s’exprime par l’évanouissement d’un invariant contenant des déterminants symboliques tels que (FF,) et ($$,), F et F, étant des symboles équivalents ainsi que ‘i( et <t>,. Or on a

(FF,) = axbv aybx

1 Clebsch, Ueber symbolische Dcirstellung algebraischer Formen (Journ. de Crelle-Borchardt, t. LIX).

et si la droite (x9 y) est déterminée par deux plans U et V, cette expression est équivalente à (ab UV).

De la même manière

(**l) = - VaU;3 = (a(3XY),

X et Y désignant deux points de la droite ( u , v) i.

Les déterminants U,VA U*Vî sont les coordonnées plücke- riennes de la droite (x, y) et les quantités X*Y* X*Y» sont les mêmes coordonnées de la droite (u, v). Au lieu de changer la notation pour les variables, on peut conserver celles-ci en introduisant d’autres symboles pour les coefficients; ainsi l’on peut poser d’abord

ojh a A =

ce qui donne

P == ^41^23 == P)

puis

et l’on peut remplacer alors, comme Clebsch l’a démontré, (abUV) par (oL'fi'x'y'), et de la même manière on substituera (a'b'uv) à (a^XY).

Les couples de droites (u, v ) et (x, y), qui présentent la circonstance étudiée dans ce numéro, satisfont donc à une équation de la forme

2ftv(zrpfxy) 7r(oc.'b'uv) ••• —0;

celle-ci représente un être géométrique analogue aux connexes : à toute droite (u, v) répondent les droites d’un complexe, car Clebsch a établi que, pour [u, v) constant, la relation précé¬ dente est la forme normale du complexe dans le cas le plus

1 Clebsch, Ueber die plückerschen Complexe (Math. Annalen, Bd II, SS. 1-8).

( 10 )

général; de même à toute droite (x, y) répond un complexe de droites (u, v).

Toute équation de la forme ci-dessus sera dite représenter un connexe réglé.

Le connexe conjugué.

5. Cherchons, dans le connexe général (m, n),

le lieu des points x dont les surfaces correspondantes Tn ont une singularité telle qu’un plan tangent double.

l’enveloppe des plans u dont les surfaces correspondantes Sm ont une singularité telle qu’un point double.

L’équation du lieu demandé dans le problème de gauche résulte de l’élimination des u entre les quatre équations

dJn

du{

dfàuj)

du ,

= 0 (* = 1,2, 5, 4);

le résultant de ces équations est le discriminant de la forme a"'ul les x sont considérés comme constants; il est donc de degré 4 (n l)3 par rapport aux coefficients de la forme, et comme ceux-ci contiennent les x k la mme puissance, l’ordre du lieu cherché est, en général, 4m(w l)3.

Quant au plan tangent double dont il est question dans l’énoncé, il doit satisfaire aux équations ci-dessus, et l’équa¬ tion de son enveloppe résulte de l’élimination des x entre ces quatre égalités; la classe de cette enveloppe est 4 (n 1 )m5.

Le problème corrélatif va de soi; il a été résolu par M. Krause pour le connexe (2, 1).

Si aux relations précédentes, on joint celle-ci :

ux == ît,x, utx^ -+- u3x3 -+- = 0,

l’élimination des u fournit deux équations qui représentent

( 11 )

une courbe gauche, lieu des points x dont les surfaces T„ correspondantes ont un plan tangent double passant par x\ l'élimination des x donne la développable enveloppe des plans tangents doubles; et corrélativement.

6* Soit

f(x, II) EEE «"*</" = 0

l’équation d’un connexe (m, il), m et n sont supérieurs à 1. Cherchons

l’équation en coordonnées- l’équation en coordonnées-

points de la surface T„ répon- plans de la surface S,„ répon¬ dant à un point x. dant à un plan u.

Il suffit de faire le raisonnement pour la question de gauche et d’énoncer les résultats pour le problème corrélatif. On peut employer les deux méthodes suivantes :

En représentant par y le point de contact d’un plan u avec la surface Tn répondant au point x, on a les relations

I df

... = ~T = 1>:2’ 3’

(I) 1 dUi

( uy = 0,

entre lesquelles il suffit d’éliminer les u et a-; car, d’après les quatre premières, y est le point-pôle du plan u, et d’après la cinquième, y est dans ce plan ; donc l’équation résultante est l’équation de T„ en coordonnées-points y. Elle est en général du degré n[n 1)* en y ;

On peut poser

U = X1W' -4- A 2lf/' H- A

w', w", w'" étant trois plans fixes passant par î/; l’équation du connexe s’écrit alors

a™[X{v'à A 2u/i -+- A3tc« )ri = = 0*

Pour que plan u soit tangent, en y , à la surface T,, répon-

( 12 )

dant au point x, il faut que u soit en plan tangent double au cône de sommet y circonscrit à Tn; ce cône est représenté par l’équation ci-dessus, l’on regarde les X comme des variables, et la condition d’un plan tangent double est exprimée par l’évanouissement du discriminant de cette équation en X. Ce discriminant peut s’écrire sous forme d’un produit symbo¬ lique qui contiendra des déterminants ; en vertu du

principe de translation (n° 3j, il faut remplacer ce déterminant par (at.fiyy), ce qui équivaut à la substitution de à

Le discriminant d’une forme ternaire de degré n est du degré 3 (n \f par rapport aux coefficients de la forme, et ceux-ci contenant les x à la mme dimension, le degré de l’équa¬ tion résultante par rapport aux x est, en général, 3 m(n lj2.

Donc

l'équation en coordonnées- points y de la surface T„ répon¬ dant à un point x est du degré n(n l)2 en y et du degré 3m(n l)8 en x. Pour n = 2, le résultat est symbolique¬ ment

l'équation en coordonnées- plans v de la surface Sm répon¬ dant à un plan u est du degré m(m l)2 en v et du degré 3n(m l)2 en u. Pour m = 2, le résultat est symbolique¬ ment

(«pyyfa:'b:Xl = 0.

(abcvYiïàupUy = 0.

On voit s’introduire ainsi une liaison (x, y) entre deux séries de variables eogrédientes.

Remarquons que si l’on y remplace y par x , on a une surface d’ordre ( n 1)2(3 m -h n), lieu des points x qui sont situés sur leur surface correspondante T,.

Cette surface contient la courbe lieu des points x , dont les surfaces T„ correspondantes ont un plan tangent double passant par x\ car un tel point x vérifie les quatre relations du 5, accompagnées de l’équation ux = 0, ce qui revient à dire que les relations ^1) du présent numéro sont satisfaites pour un même système de valeurs des u et de a- (a- = 0) quand on y remplace les x et les y par les coordonnées du point considéré. Et corrélativement.

( 13 )

7. La seconde méthode du 6 est susceptible d’une autre interprétation : l’équation

a™(x,w'a -+- A2tc” xzuÇ)n = 0

représente une surface mobile S,„ répondant à un plan u pas¬ sant par i/ ; cette équation dépend de deux paramètres variables, savoir les rapports des quantités X; d’après une théorie bien connue, si l’on annule le discriminant de l’équation en X, on a l’enveloppe des surfaces Sm.

Donc,

quand on écrit en coordonnées- points y l'équation de la sur¬ face T„ répondant à un point x, si dans le résultat , on re¬ garde les x comme variables et les y comme constants, on a l'enveloppe des surfaces S„, répondant aux plans de la gerbe qui a pour sommet y.

quand on écrit en coordonnées- plans v l'équation de la surface S„, répondant à un plan u, si, dans le résultat , on regarde les u comme variables et les v comme constants, on a l'en¬ veloppe des surfaces T„ répon¬ dant aux différents points du plan v.

La première méthode du 6 admet aussi une autre inter¬ prétation : si l’on cherche le lieu des points x tels que les surfaces correspondantes T„ passent par le point fixe y, et si l’on désigne par u le plan tangent en y à l’une de ses surfaces, on exprime le contact par les relations (I), et l’élimination des u fournit le lieu cherché.

Donc,

la liaison (x, y) représente le la liaison (u, v) représente

lieu des points x dont les sur- l'enveloppe des plans u dont

faces TfJ correspondantes pas- les surfaces Smcorrespondantes

sent par un point y. touchent un plan v.

Ces propositions donnent immédiatement les corollaires suivants :

Le lieu des points x dont les L'enveloppe des plans u dorit surfaces Tn correspondantes les surfaces Sm correspondant es

( 14 )

passent par un point y, est l'en¬ veloppe des surfaces Sm répon¬ dant aux plans passant par y.

x\ppelons ce lieu la surface F relative au point y.

touchent un plan v, est aussi l’enveloppe des surfaces T,f ré¬ pondant aux points du plan v.

Appelons cette enveloppe la surface * relative au plant’.

En d’autres termes, par l’intermédiaire du connexe, il répond, à tout point x d’un espace E, une surface T„ d’un autre espace E', et à tout point y de ce dernier espace, répond, dans E, la surface F relative à y. Et corrélativement.

Les dernières propositions énoncées ont été trouvées par M. Krause, pour le connexe (2, 1), par comparaison des résultats.

8. Si un plan u touche en y la surface T„ répondant à un point x , la surface S,„ qui répond à ce plan u passe évidemment par x ; de plus, cette surface S0i touche son enveloppe F en x.

Car y est un point commun au plan u et à deux plans infi¬ niment voisins tangents à T„ ; à ces trois points répondent trois surfaces Sm infiniment voisines et passant par le points, qui est donc l’un des points la première de ces surfaces S,„ touche son enveloppe F. La réciproque se démontre de la même manière.

Corrélativement, si un plan v touche en x la surface S,„ répondant à un autre plan u , la surface T„ répondant à x touche le plan u au même point celui-ci touche la surface <i* relative au plan v.

En combinant les résultats obtenus, on est amené à consi¬ dérer un élément ( y , v) ayant avec l’élément (x, u) une relation importante dont nous nous occuperons bientôt.

9. Examinons d’abord ce que donnent les raisonnements ci-dessus pour certaines valeurs particulières de m et n.

Si n = 2, la liaison ( x , y) peut s’écrire sous forme symbo¬ lique, car le discriminant de la forme a"’ JL) considérée comme fonction de X est axb™c™( ciWBC)2; d’où la liaison cherchée est

«x b’XVPryï2 = 0

( 15 )

Corrélativement, dans le connexe (2, n), la liaison (u, v) est représentée par

u£upUy(abcvY = 0.

Dans le cas de n = 3, l’expression de la liaison (x, y) est moins simple; elle résulte des relations suivantes, déduites sans peine de résultats connus 4.

R = T2— - S5 =0,

6

S = aïbïctt(*fry)(apây)(ariy)(py3y)

T = aTb^d^f^{apyy)[ap6y)(arsy)(Prfy){âefy)\

On a des expressions analogues pour le connexe (3, n).

Quand l’un des nombres m et n est égal à l’unité, les pro¬ priétés des connexes présentent des exceptions remarquables. Ainsi, dans un connexe (m, 1), à un point x répond un point unique, et il ne peut être question d’en chercher l’équation en coordonnées-points; les relations du 6,

df

(bi¬

donnent directement les coordonnées du point y qui répond à x ; mais pour ce connexe (m, 1), les énoncés de droite conser¬ vent leur sens, ou, ce qui revient au même, les problèmes de gauche peuvent être résolus pour le connexe (1, n).

Voici, en résumé, comment se modifient les résultats.

Dans un connexe (1, n), la surface F relative à un point y est F enveloppe des plans v répondant aux plans passant

Dans un connexe (m, 1), la surface <t> relative à un plan v est le lieu des points y répon¬ dant aux points du plan v.

par y.

M. Krause a établi le théorème de droite pour m 2 et a fait voir que la surface de 3e classe <t> est une surface de Steiner.

1 Clebsch-Lindemann, toc. cit ., t. II, pp. 283, 294, 308.

( 16 )

10. Dans le cas de n = 1, il n’y a plus de liaison (#, y) , les points#, dont les surfaces T„ correspondantes passent par y , ne forment plus une surface, mais sont en nombre fini; on trouve leurs coordonnées en résolvant, par rapport aux #, les équations

df

= y-*

diii

lesquelles ne contiennent plus les w; le nombre des systèmes de racines est en général m3.

Dans le cas de n 1, les surfaces STO relatives aux plans passant par y n’enveloppent plus une surface, mais constituent une gerbe dont tous les éléments passent par les m3 points ci-dessus.

Nous proposons de conserver à ce groupe de m3 points le nom de surface F relative au point y dans le connexe (m, 1).

Alors on pourra dire corrélativement que dans tout connexe (1, n), la surface <t> relative à un plan v dégénère en n3 plans.

Pareillement, les points # qui se trouvent sur leur surface T„ correspondante doivent être remplacés, dans le cas parti¬ culier de w=l, par les points qui coïncident avec le point qui leur répond. Ces points, appelés points fondamentaux par M. Krause, sont généralement en nombre (m2 +- lj (m h- 1) dans le connexe (m, 1), et corrélativement, dans le connexe (1, 7i), il y a en général ( n 2 1) ( n 1) plans fondamentaux. Nous pouvons renvoyer au mémoire de M. Krause pour la démonstration de ce fait, car la méthode qu’il applique, et pour laquelle il renvoie à Y Algèbre de Salmon-Fiedler, se généralise sans la moindre difficulté.

Chaque point fondamental donné fournit trois relations entre les coefficients de l’équation du connexe, lesquels sont en nombre

4(m i)(m -+- 2)(m 5)

1.2.5

dont un arbitraire. Si les ( m~ 1) (m -+- 1) points fondamen-

( 17 )

taux pouvaient être donnés arbitrairement, on devrait avoir

4 (m -+- 4 )(m -+- 2 )(m -h 5)

4.2.3

4 > 3(??i2 -+- 4)(m -+- 4),

ou

m( 7 m2 3m -+- 43)> 0.

Le trinôme entre parenthèses a une de ses racines comprise entre 1 et 2, et l’autre négative; il n’est donc positif pour aucune valeur positive entière de m , sauf m = 1 ; dans ce cas, on a le connexe (1, 1), qui exprime la collinéation de deux espaces; les points fondamentaux, au nombre de quatre, peu¬ vent tous être donnés arbitrairement, et le connexe ne sera pas encore déterminé, car on sait qu’il faut se donner en outre un couple de points homologues. Pour aucune valeur de m autre que 1, on ne peut se donner à volonté tous les points fonda¬ mentaux, mais on peut s’en donner un certain nombre g. et, si le nombre des coefficients à déterminer est de la forme 3p. -+- 1 ou 3 p. •+- 2, on peut, outre les u points fondamentaux, se donner un plan ou une droite qui passe par un (p -+- l)me point fondamental. Le cas de m = 2 a été traité par M. Krause.

11. Partons d’un élément (y, v ) de l’espace; à tout point x du plan v répond, dans le connexe général ( m , n), une infinité de plans passant par y ; ces plans enveloppent le cône de som¬ met y circonscrit à la surface T* qui répond à x.

Si le point y est situé sur cette surface T„, le cône en ques¬ tion a un plan tangent double que nous appelons u et qui forme, avec x , un élément du connexe. A ce plan u répond une surface Sm qui coupe le plan v suivant une certaine courbe ; si le plan v est tangent à la surface Sm en x, la courbe a un point double en x.

Tout élément (y, v) qui présente cette relation vis-à-vis d’un élément (x, u) du connexe donné est un élément d’un connexe covariant appelé connexe conjugué du premier.

Tome LX1.

f?

2

( 18 )

En d’autres ternies, si (æ, u) est un élément du connexe donné, c’est-à-dire si x est situé sur la surface Sm répondant à u et si u est tangent à la surface Tn répondant à x , le plan v tangent en x k Sm et le point de contact y du plan u avec Tn forment un élément ( y , v) du connexe conjugué.

Soit

« = 0

l’équation du connexe; cherchons l’équation du connexe conjugué. Supposons le plan v déterminé par trois points X, Y, Z et le point y déterminé par trois plans U, V, W ; dès lors, en vertu de la définition, x et v étant en relation de situation ainsi que y et u , on a

= y. + W, |

= -h A2Vt +. A3W, )

Or, (x, u) étant un élément du connexe donné, on a

f A'/'cüsr) iax k±üy H- k5az)'" (A|Ua -+- A2V a -e = 0.

En regardant les k comme constants et les X comme varia¬ bles, on a l’équation du cône de sommet y circonscrit à T„, et ce cône doit avoir un plan tangent double; de même, si l’on considère les k comme seules variables, on a l’équation d’une courbe qui doit avoir un point double. La condition pour que l’élément (t/, v) appartienne au connexe conjugué équivaut donc à l’existence d’une solution double de l’équation o = 0, à la fois pour les variables k et X; elle s’exprime par l’éva¬ nouissement d’une forme invariante en A, B, . . ., JL, . . . Il suffira, pour avoir l’équation du connexe conjugué, de remplacer clans cet invariant les symboles (ABC), (gILÔdC) res¬ pectivement par ( abcv ) et (aj3y y), ou encore par ( abcu ) et (a3yæ), puisque dans le résultat final le choix des notations n’a plus d’importance.

La condition d’une solution double en k est exprimée par les trois relations

1=0 (*-=1,2,3)

( 19 )

et celle d’une solution double en X par

^ = 0 (»= 1,2,3).

A

Ces six relations ne sont pas indépendantes, car on a, en vertu du théorème d’Euler sur les fonctions homogènes,

J

m

y.k,

<k_

dk {

1

n

Entre les six relations réduites à cinq par cette liaison, on peut éliminer les k et les X ; après quoi il ne reste qu’à substi¬ tuer ( abcu ), (aPyæ) à (ABC) et (JbfBC)- L’essentiel de ce que nous avons exposé dans ce numéro se trouve dans le mémoire cité de M. Krause.

12. Nous pouvons appliquer intégralement la méthode de Clebsch et Lindeman, pour le connexe ternaire, à la recherche de l’ordre m' et de la classe n' du connexe conjugué d’un con¬ nexe quaternaire (m, ri)\ à cet effet, nous devons chercher en combien de points une droite, intersection de deux plans,

Yy =0, dy = 0,

coupe la surface Sm, répondant à un plan v dans le connexe conjugué. Or v étant le plan tangent en un point x à la surface Sm qui répond, dans le connexe primitif, à un plan w, on doit avoir

(1) Ci h = 0'= 1,2,5, 4),

dXi

f= 0 étant l’équation du connexe donné. De même y étant le point de contact de u avec la surface T„ répondant à a?, on a

(-) aXJi -j~ (<=1,2, 5, 4).

aw,

Moyennant les relations (1), la condition que (x, u ) est un

( 20 )

élément du connexe donné équivaut, en vertu du théorème d’Euler, à l’équation

(ô) vx 0

Si maintenant z , z\ z" sont trois points du plan v, on peut écrire

(4) xt = pz, -f- p'z'i -e fi"zï.

Donc, au lieu des équations (1) et (3), on a les relations indépendantes de p

= 0.

D’autre part, les égalités (2), en y adjoignant yy 0 et oy = 0, donnent

= 0.

En éliminant les u, après la substitution (4), entre les équa¬ tions (5j et (6), on aura deux égalités homogènes entre les trois inconnues p., pi', p,". Le nombre des systèmes de valeurs des p. que l’on peut en tirer est l’ordre m' cherché, car à chaque système de valeurs de p. répond, en général, à cause des équa¬ tions (4), (b), (6), un système de valeurs des u et des x , et par suite, en vertu de (3), un système de valeurs des y. Or les cinq équations (5) et (6), après la substitution (4), sont respec¬ tivement de degré

m 1, m 1, m 1, m et m en p, m, n , n , n I et n I en u.

On aura le nombre de systèmes de valeurs de p. en multi¬ pliant de toutes les manières possibles les degrés en u de trois équations par les degrés en p. des deux autres et en addition¬ nant, ce qui donne

m' = iw2/i3 4- C m(m \ I) 5 (m 1 fn(n 1)“

n' = n2mz ■+- 6/î(« 1 )m*(m 1 ) -+■ 5 (n 4 )2m(«i 1 )2.

( 21 )

13. La définition du connexe conjugué ne s’applique plus quand l’un des nombres m, n est l’unité. On admet que les calculs du 11, convenablement interprétés, tiennent alors lieu de la définition. Supposons n = 1 et écrivons l’équation du connexe sous la forme

f === ^iMi -4“ ^2^2 -*■" W^3

les fonctions X ne dépendant que des x ; l’équation 9 = 0 du 11 est ici

f == A* JW ==r ^1 1^1 "1“ ^2^2 ■+" ^3^3 === b 5

alors on doit égaler à zéro les dérivées partielles d<p

-7- = P. = 0 1

df d?{ t/P:, dPz

= Ai -+- a.2 -h W-3 = 0

dki dkt dkt dkj

Les trois premières de ces égalités expriment que l’équation cp = 0 est satisfaite pour tout système de valeurs de X, donc par tous les plans qui contiennent le point y ; celui-ci est donc le point qui répond à x dans le connexe (m, 1). Les trois der¬ nières équations sont linéaires en X et l’élimination de ces paramètres donne le Jacobien des fonctions PH P2, P3 égalé à zéro ; c’est la liaison entre les six égalités précédentes ; le problème est donc réduit à l’élimination des k entre les trois équations

pt =•. 0, P2 = 0, P3 = 0.

Le résultant sera d’ordre 3 m2 par rapport aux symboles JL et 3w3 par rapport aux A; donc les déterminants (JWBC) ou (a(3yÆ) et (ABC) ou ( abcu ) seront respectivement au degré ml et m5; le connexe conjugué est donc d’ordre m2 et de classe m\ ce qui est conforme au résultat général.

14. Le théorème démontré au 8 équivaut à celui-ci : la surface Sm répondant à un plan variable u qui passe par un

( 22 )

point y touche son enveloppe F en un ou plusieurs points x dont les surfaces correspondantes touchent en y le plan u, et réciproquement la surface Tn répondant à un point x de F louche en y un plan u auquel répond une surface Sm touchant F en x.

De ces propositions et de leurs corrélatives, on déduit les théorèmes suivants :

La surface F relative à un point y dans le connexe pri¬ mitif est la surface T„, répon¬ dant à ce point dans le connexe conjugué.

La surface <t> relative à un plan v dans le connexe primi¬ tif est la surface §m, répondant à ce plan dans le connexe conjugué.

La première de ces propositions a été aperçue par M. Krause dans le connexe (2, 1).

Les énoncés que nous venons de donner s’appliquent à tous les cas, parce que nous avons eu soin de définir (n° 10) les sur¬ faces F et <t> pour les connexes (m, 1) et (1, n) et parce que nous avons étendu aux mêmes cas et dans un sens conforme la définition du connexe conjugué.

Représentons par

F T

J X 1 y

0

la liaison entre x et y trouvée au 6 ; si l’on y regarde les y comme constants, elle représente, en coordonnées-points x, la surface T„, répondant au point?/ dans le connexe conjugué. Écrivons cette équation en coordonnées-plans v et, en appli¬ quant les raisonnements du 7, nous aurons une équation en {y, v) qui représentera, pour v constants, le lieu des points y dont la surface T„, touche le plan v , c’est-à-dire que nous aurons trouvé l’équation du connexe conjugué. Ainsi la double interversion de variables pour passer d’un connexe au connexe conjugué peut se faire successivement.

Nous avons trouvé précédemment que la surface F relative à un point y est d’ordre 3 m(n l)2; en représentant ce nombre par [jl, on aurait donc pour la classe n' du connexe conjugué :

nr p(p - l)2;

( 23 )

or, on constate que ce nombre est supérieur à celui que nous avons trouvé précédemment pour n' ; donc si l’équation du connexe primitif est la plus générale possible, la surface F rela¬ tive à un point quelconque y possédera cependant des singu¬ larités.

La liaison F,Ty=0 (ou sa conjuguée) peut se déduire aussi bien de l’équation du connexe conjugué que de celle du con¬ nexe primitif. Donc tout connexe est le conjugué de son con¬

jugue

Par suite, les nombres m et n se déduisent de mr et n\ comme ces derniers se déduisent des premiers, et l’on reconnaît à pre¬ mière vue ce qu’il y a de paradoxal dans cette assertion. De même que les courbes et les surfaces, les connexes sont doués de singularités nécessaires qui, en influant sur la classe et l’ordre du conjugué, font cesser la contradiction.

15. Nous allons reprendre l’étude faite ci-dessus en choi¬ sissant convenablement le tétraèdre de référence AiAsA3A4. Soient x* •= xz = x/t = 0 les coordonnées-points du som¬ met AI, ou u{ = 0 l’équation de ce sommet; u2 = uz = m4 = 0 les coordonnées-plans de la face A2A3A4 ou x{ = 0 l’équation de cette face. L’élément formé par ce sommet et cette face sera appelé X élément - origine , et nous le désignerons parfois par (m4, x{).

Si l’élément-origine appartient au connexe, l’équation de ce dernier ne contient pas le terme en xénuxn (le coefficient a,'"a,n est nul).

Soit (X, U) un autre élément quelconque formant, avec le premier, un couple de droites. Tout élément (z, w) ayant pour support ce couple de droites, c’est-à-dire tel que z est sur AtX et que w passe par la droite (AiAsA4,U), est représenté par

H- AgUi,

w, à2LV

W’j

U'i = a.2U4.

( 24 )

Les éléments (z, w ) qui appartiennent au connexe corres¬ pondent aux valeurs des k et A qui vérifient l’équation

( aikiXl küax)m{ylifi'Xi -4- A2Ua)" = 0.

La correspondance des points k et des plans A est à mn déterminations, et puisque ( uh xt) fait partie du connexe, le point A* est un de ceux qui répondent au plan A2A3A4 (a2 = 0) et le plan A2A3A4 est un de ceux qui répondent au point A*.

Pour que Ai soit un point double dans le système des points qui répondent à x\2A3A4 et que ce plan soit double dans le système de plans répondant à A,, il faut que l’équation précé¬ dente ait deux racines nulles en ^ pour >2 = 0 et deux racines nulles en pour k2 0, ou que l’on ait

<*ïa?-iax = o = 0.

Les points X et les plans U qui satisfont à ces conditions sont, les premiers sur un plan v, les seconds passant par un point y , et les équations ci-dessus sont respectivement les équations de ce point et de ce plan. A cause de l’hypothèse a” a S = 0, ces équations se ramènent à

-+- 03X3 tt4X4) = 0

a7a,-,(a2U2 *4- a3U3 -4- a4U4) = 0.

En résumé, étant donné un élément [x, u) d’un connexe, il existe une infinité de ponctuelles passant par x et de faisceaux contenant u, tels que l’intersection du connexe par chacun des couples de droites (support de la ponctuelle et axe du faisceau) admette l’élément (x, u) comme élément double; tous les sup¬ ports des ponctuelles sont dans un plan v passant par x et tous les axes des faisceaux passent par un point y de u .

16. Démontrons que l’élément (y, v) trouvé ci-dessus appar¬ tient au connexe conjugué : au point A, répond, dans le connexe primitif, la surface

T == ci’ïxï'tC = 0.

( 23 )

Celle-ci est tangente au plan A2A3A4 et le point de contact a pour équation

r/T r/T r/T r/T

«i *7-7 + «2 —, -+- v 3 + = °,

wMj f/Wj rfl/3 ClU^

dans laquelle on doit faire Ui^=u'z= u\=o\ mais après cette sub-

d'Y

stitution et en se rappelant que a™aiï = 0, on trouve ~r = 0,

r/T

= w«2aï ‘«ï-'flW, du%

et des expressions analogues à cette dernière pour £~t et finalement l’équation du point de contact est

«rxr*r'(«*üa +- «5u3 + ^u4) = o,

laquelle représente, ainsi qu’on l’a vu, le point y ; la seconde partie de la démonstration est corrélative de la première.

Si les équations du point y et du plan v sont satisfaites identi¬ quement, c’est-à-dire si les coefficients des termes en xT~'u”, x[luni sont tous nuis dans le connexe primitif, l’élément origine est un clément singulier.

Ainsi il faut que sept conditions soient remplies pour qu’un élément donné soit singulier. L’élément (y, v) du connexe con¬ jugué déduit d’un élément singulier est indéterminé.

Remarquons que l’on pourrait faire le même raisonnement pour les connexes ternaires.

17. Appelons gerbe d’éléments l’ensemble de ceux qui ont pour support un élément donné et ; appelons intersection d’une gerbe avec un connexe quaternaire l’ensemble des éléments du connexe compris dans cette gerbe. On devine, et nous allons le vérifier, que cette intersection est un connexe ternaire.

Cherchons l’intersection d’un connexe (m, n) avec une gerbe ayant pour support l’élément (y, v) du connexe conjugué déduit de l’élément origine.

Le plan v peut être déterminé par les points Alt z, et ces

( 26 )

deux derniers devant vérifier l’équation de v trouvée plus haut, on a

uïa'rlaz = 0, a"a|l-,a2, = 0.

Un point du plan v est représenté par

klxi -+* kzz’^

k%z% -+■ À g s2, k^zz +■ kzzz,

Kzi ■+■ kzz\.

On détermine de même le point y par trois plans A2A3Ai, w,w' et un plan contenant y par les coordonnées

-+- A3W)t,

a2iü2 ■+• a3w2, etc.,

w et w' vérifiant d’ailleurs l’équation du point y. Le point et le plan que nous venons de choisir forment un élément du connexe si l’on a

(alklxi -4- k^a. -+- kzaz)m{a.{Xiui -4- a2w2 hw<x)n 6;

cette équation représente un connexe ternaire, si l’on y regarde les k et les \ comme variables ; l’élément origine appartient à ce connexe et en est un élément singulier, car les termes en kfk] i\ et kl1 ~ sont nuis d’après les hypothèses.

Donc un élément (x, u) d’un connexe est un élément singulier de l'intersection du connexe avec la gerbe ayant pour support l'élément (y, v) conjugué de (x, u).

Ce théorème, analogue à la propriété d’un point d’une sur¬ face d’être singulier sur l’intersection de son plan tangent avec la surface, est au fond ce qui sert de base à la définition du connexe conjugué.

Nous plaçons ici quelques remarques sur les singularités des connexes quaternaires, singularités qui paraissent devoir être nombreuses et diverses.

L’élément singulier trouvé au 16 est en somme un

( 27 )

élément {x} u) tel que x est un point double de la surface S,„ répondant au plan u, et u un plan tangent double à la sur¬ face T„ répondant au point x. Ainsi que nous l’avons vu, quand le connexe possède un élément pareil, le connexe conjugué est doué de la singularité suivante : il contient toute la gerbe ayant pour support (, x , u).

Clebsch a déjà signalé, pour les connexes ternaires, quel¬ ques formes spéciales douées de cette propriété, qu’un certain point x forme élément du connexe avec toutes les droites du plan. Dans l’espace à trois dimensions, pour que le sommet At du tétraèdre de référence forme élément avec tous les plans de l’espace, il faut que tous les termes en xT soient nuis, ce qui équivaut à

(n -+- 1)(rc -+- 2)(w *+- 3)

1.2.5

conditions. Dans ce cas, l’équation du point y est une identité et le connexe conjugué possède un plan v qui forme élément avec tous les points de l’espace.

Une singularité d’un ordre plus élevé et dont on aperçoit immédiatement l’influence sur le degré de la liaison (, x , y) et par suite aussi sur la classe et l’ordre du connexe conjugué est la suivante : les surfaces T„ répondant à tous les points de l’espace ont un plan tangent double, c’est-à-dire que le pro¬ blème du 3 conduit à une indétermination.

Lorsque ce cas ne se réalise pas, ce n’est que pour certains points x que la surface Tn a des singularités tangentielles , mais pour les autres points de l’espace, cette surface est la plus générale de la classe n et possède par conséquent des singularités ponctuelles , c’est-à-dire que les coefficients des y dans la liaison

satisfont à certaines conditions, et ce quels que soient les x ; par suite, les coefficients des x dans cette liaison satisfont à certaines conditions quels que soient les y; ce raisonnement nous montre une fois de plus que les surfaces T„, répondant

( 28 )

aux points y dans le connexe conjugué d’un connexe général , ont des singularités nécessaires.

Il ne nous paraît pas possible, dans l’état actuel de la science, de faire la théorie complète des singularités des connexes de l’espace, parce que les préliminaires obligés de cette étude sont trop peu avancés.

11 est notoire en effet que la théorie des singularités des sur¬ faces algébriques ne peut pas être considérée comme complète¬ ment achevée, et les singularités des connexes-plans n’ont pas même, à notre connaissance, reçu un commencement de solution.

18. On passe de l’élément origine à un autre élément quel¬ conque par l’extension de la méthode connue de Joachimsthal. Les signes abréviatifs que nous allons employer diffèrent un peu des notations habituelles en ce qui concerne les facteurs numériques; le changement proposé a pour but de permettre une représentation symbolique assez commode.

Posons

H ,/(x,u)e=

1

1 .2.3. ..k

1

1 .2.3... I

0 = 3,4).

Appliquons ensuite l’opération H à la forme À :

fl iAkf(.xi u) =

\

I

1 .2.3.../ 1

^ d y

2»;-) Ai/(j , u) =

d

d y

t \

1.2.5.../ 1.2.3 ...k

2“^) (2^,77) /■(*> “)•

dxj

Il est bien évident que H^A* est identique à En annulant les expressions A*, H;, on a respectivement les équations des surfaces polaires d’ordres successifs d’un point x’ relativement à la surface Sm qui répond au plan u, et les équations des surfaces

( 29 )

pôles de classes successives du plan u' relativement à la sur¬ face T„ qui répond au point x.

Les lettres accentuées Ai, H'„ A*FC désignent des symboles opératoires différant des précédents par l’échange des quan¬ tités x' , u' avec x, u.

Remplaçons, dans l’équation

/[x, u) == = o,

x par k{x -4- k^xr\ nous aurons

/*( /»'! x -h /r2x',w) = Â:î"/(x, u) k?-lkz A4f(x,i/) -+- /f”_2/rlA2/(x, m)-+

Posons

f^k X Cmj 1 )

désignant, suivant l’usage, le nombre de combinaisons simples de m objets k à k.

De l’expression symbolique

f(ktX -4- k\x', u) = (M'i A’2A)",/(x, u).

Dans le développement de cette puissance symbolique, il faut remplacer les exposants de p. et de A par des indices.

Remplaçons ensuite u par \{u -+- \u'\ nous aurons de même, en posant

y i x c ni i ,

(1) f(kiT ■+• k9x',XiU -4- VO = (pk[ -4- A*2A )mf(x,xvu -4- a2u')

= (pfr4 -4- A:2A)w(vAt -+- a2H)Y(^j «)•

On peut faire aussi le développement en commençant par les x\ u\ ce qui donne

(u2) /(A^x -4- k^x'.XiU + Xiiï) = (pfr2 -4- A')m(vA2 -4- a1H,)b/(æ,'> «')•

Comme ces deux expressions sont équivalentes, on en déduit les identités suivantes, à un facteur constant près,

A/(x, u) = A In-kKffi', u'),

H/(x, u) == AwH'n.^x', m'),

A*H/Cr, w) == A'». m')-

( 30 )

On est ainsi amené à considérer une série cle connexes (m k , n l) représentés par

A u) = 0

et déduits d’un élément (x\ u') appartenant ou non au connexe primitif. Ces formations, qu’on peut appeler polaires , se repré¬ sentent, à un facteur numérique près, par la notation symbo¬ lique

al>a™~kiïKlUx~l = 0.

On voit immédiatement que si un élément (x, u) appartient au connexe polaire (m k, n l) d’un autre élément (x\ n'), ce dernier appartient au connexe polaire ( k , l) de (x, u). En vertu du théorème d’Euler, tout élément du connexe appartient à tous ses connexes polaires et réciproquement.

Parmi ces connexes polaires, il en est dont la classe ou l’ordre est zéro ; une telle formation est représentée par un des symboles AAiI„ ou AwHt; suivant les cas, c’est une surface en coordonnées ponctuelles ou tangentielles. Ainsi que Clebsch l’avait remarqué pour le plan, une surface en coordonnées- points est donc un cas particulier d’un connexe : chacun de ces points peut former élément avec tous les plans de l’espace et aucun point en dehors de la surface ne peut faire partie d’un élément, et corrélativement.

Parmi ces connexes polaires, il en est aussi dont l’équation ne renferme qu’un des symboles A ou H. Ainsi At = 0 repré¬ sente un connexe déduit du seul point x' \ c’est une forme à trois séries de variables, telle qu’à un point xr et un plan u répond la première surface polaire de x' relativement à la sur¬ face S/;i de u, qu’à un élément (x, u) répond le plan polaire de x relatif à S,„, qu’à deux points x, x ' répond une surface enveloppe des plans u dont les surfaces Sm donnent un plan polaire de x passant par xr .

L’interprétation de Hj = 0 est corrélative.

Si (x, u) est un élément du connexe, A, = 0 et Ht = 0 repré¬ sentent le plan v et le point y qui constituent l’élément con¬ jugué. Pour x' et u' constants, les éléments {x, u) qui satisfont

( 31 )

aux trois équations f= 0, Ai = 0, FL = 0 forment une multi - plicité triple d’ordre m\m 1) et de classe n\n 4).

Ainsi les éléments (x, u) d’un connexe tels que leurs conjugués (y, v) ont pour support un élément fixe quelconque (x', u') forment une multiplicité triple d’ordre m2(m 4 ) et de classe n2(n 4).

Le connexe (m 4, n 4) représenté par A,Hi = 0 est une forme à quatre séries de variables, par l’intermédiaire de laquelle tout élément ( x , u ) donne naissance à une collinéation (xj uj ; dans celle-ci, il répond à un point x', le point-pôle de u par rapport à la surface que nous venons de considérer; cette interprétation suppose que l’on fasse dériver A,Hi = 0 de A, = 0; comme on peut partir aussi de H,, la collinéation (x', uj admet une seconde interprétation corrélative de la première.

L’évanouissement identique des formes A, et H, définit un élément singulier que nous avons rencontré dans le numéro précédent; l’évanouissement identique de A^ déterminerait, de même, une singularité qui n’a aucun analogue dans la théorie des surfaces algébriques.

Le connexe conjugué réglé.

19. Nous pouvons chercher, par deux méthodes, l’équation, en coordonnées de droites, de la surface T„ répondant à un point x dans le connexe général (m, n).

Soient

Hy = 0, UZ = 0

les équations, en coordonnées-plans u, de deux points y et z- d’une tangente à la surface Tn. Le point de contact du plan u tangent à cette surface doit se trouver sur la droite yz et se représente par k{y k2z ; donc on a

( 32 )

L’élimination des quantités u et k donne l’équation cherchée en (yz).

Désignons par V et W deux plans passant par la droite yz ; un plan du faisceau dont yz est l’axe est représenté par

AAV A2W.

Les valeurs de A, : X2qui vérifient l’équation

f = °x(Ai Va -+- A2WK)r2 0

déterminent les plans du faisceau qui sont tangents à la sur¬ face T„; pour que l’axe du faisceau soit une tangente, il faut que deux de ces plans coïncident ou que l’équation en \ : X2 ait une racine double; cette circonstance s’exprime par l’élimi¬ nation de Aj : \ entre les équations

(îï)

fh_

dx,

0,

Le discriminant d’une forme binaire de degré n étant du degré 2 (n 1) par rapport aux coefficients de la forme et ceux-ci contenant les x à la mme dimension, l’équation résul¬ tante est de degré 2 m (n 1) en x.

D’autre part, si l’on écrit

on voit que le discriminant est du degré 2 n (n 1) par rapport au symbole JL et à ses équivalents; comme ce discriminant est une somme de produits de déterminants (Jb$), et comme

il faut remplacer ceux-ci par (c nées de droite {yz) entrent à la

l'équation en coordonnées- lignes (yz) de la surface T„ répondant à un point x est du degré n (n 1) en (yz) et du degré 2m (n 1) en x.

, on voit que les coordon- puissance n ( n 1). Donc

réquation en coordonnées- lignes (vw) de la surface Sm répondant à un plan u est du degré m (m 1) en (vw) et du degré 2n (m 1) en u.

20. Les équations (II) sont susceptibles d’une autre inter¬ prétation : l’égalité <p = 0 représente, en coordonnées-points#,

( 33 )

une surface Sm mobile dépendant d’un paramètre arbi¬ traire \ l’élimination de ce paramètre entre les relations (II) est l’opération qu’il faut faire pour trouver l’enveloppe de cette surface.

Les équations (I) sont aussi susceptibles d’une autre inter¬ prétation : elles expriment la condition pour que la surface T„, répondant à un point x , touche la droite yz \ l’élimination des u donne donc une équation en x, lieu des points dont les sur¬ faces T„ correspondantes touchent une droite donnée. Donc

quand on écrit en coordonnées- lignes {yz) V équation de la sur - face!nrépondant à un point x, l'équation résultante en x re¬ présente : V enveloppe des surfaces Sm répondant aux plans du faisceau dont l'axe est y z ; le lieu des points x dont les surfaces correspon¬ dantes! n touchent la droite yz. Cette enveloppe et ce lieu sont donc identiques et nous les appellerons la surface G relative à la droite yz.

Les propriétés de gauche pour le connexe (2, 1).

quand on écrit en coordonnées- lignes (vwj l'équation de la sur¬ face Smrépondant à un plan u, Véquation résultante en u re¬ présente : l'enveloppe des surfaces T„ répondant aux points de la ponctuelle vw; l'enveloppe des plans u dont les surfaces correspondantes Sm touchent la droite vw. Ces deux enveloppes sont donc identiques et nous les appel¬ lerons la surface T relative à la droite vw.

ont été indiquées par M. Krause

21. La droite yz est tangente à la surface T„ répondant à un point x; soit u le plan passant par yz et tangent à T„; la surface Sm qui répond à u passe par x et touche son enve¬ loppe G en x.

En effet, à m et à un plan infiniment voisin passant par yz répondent deux surfaces Sm infiniment voisines, passant toutes deux par x\ ce point est donc sur leur courbe d’intersection, en d’autres termes, x est sur la courbe suivant laquelle touche son enveloppe G.

Tome LXI.

3

( 34 )

La propriété corrélative et la réciproque se démontrent de la même manière.

En réunissant ces divers théorèmes, on est amené à consi¬ dérer un couple de droites yz et vw qui ont, avec l’élément (x, u\ une relation importante. Cette relation nous occupera bientôt, mais nous devons voir d’abord ce que deviennent les questions précédentes pour des valeurs spéciales de m et n.

22. Si m 2, la liaison entre x et (yz) peut s’écrire

*l*2«x

*i*3a”'

«1 *4«x

y «

-M

<2 m

«2<*3«x

<*2*4«x

2/2

^2

«5*1 a?

<*3*2

a3a4a”‘

2/3

A 5

a4^lai

«4*3«x‘

a*û?

2/4

2/t

y*

2/3

3/i

0

0

Zl

Z 2

*5

0

0

ou symboliquement

(tfyzYa^b™ = 0.

Les calculs corrélatifs n’offrent pas de difficulté.

Si n = 1, la surface Tn se réduit à un point. Les calculs du 19 se réduisent à l’élimination de ku k2 entre les quatre pre¬ mières égalités (I) et conduisent à deux équations en (yz) etx; si les x sont considérés comme variables, ces relations repré¬ sentent une courbe gauche d’ordre 2m, lieu des points x tels que leurs points correspondants Tn sont sur la droite yz. Les surfaces Sm représentées par

f =3 -4- *2W *)» = 0

n’ont plus d’enveloppe, mais forment un faisceau dont la base est la courbe gauche que nous venons de trouver.

Dans les problèmes corrélatifs, pour m = 1, la surface T est de même réduite à une surface développable.

23. Si m 1 dans les questions de gauche, les surfaces Sm sont des plans et leur enveloppe est une développable. Corré¬ lativement, dans le connexe (m, 1), au lieu de surfaces T„, on a

( 35 )

des points dont on doit chercher le lieu; pour le connexe (2, 1), M. Krause trouve une conique.

Examinons le cas du connexe (1, n) et soit

/■== axii” == x,/*, -+- x,f2 X3/3 x/i = 0

son équation ; nous cherchons l’enveloppe des plans répondant aux plans u du faisceau yz\ appelons U et V deux plans de ce faisceau; tout autre plan est représenté par XjU -+- X2V et il lui répond un plan dont les coordonnées sont les valeurs cor¬ respondantes des polynômes fi9 c’est-à-dire que l’on a

C?4 A(A»U - *2V) (i = 1, 2, 3,4).

Or, dans le résultat, on peut, sans crainte de confondre les notations, remplacer !• par u et le rapport \ \ par p; l’enve¬ loppe cherchée sera représentée, en coordonnées-plans u, quand on aura éliminé p entre les relations

fég- U V) _ f&v + V) A(^Ü -f- V) = flpiJ + V)

«i «2 u* l<i

Ces trois égalités sont d’ordre n en p, mais on peut en déduire deux du degré n 1 en p, savoir

P fi -*• <\fi _ Pifi 9/5 _ P2/1 <y*A

/ÎMi -+- qil 2 Pi«i +■ <^3 /VC +■

les p et les g étant choisis de façon que les termes en p" dispa¬ raissent des numérateurs; par le même procédé, on peut trouver une relation du degré n 2 en p; toutes ces égalités sont linéaires en u; finalement, l’élimination de p fournit deux surfaces de classes 2 ri 3 et 2 n 2, qui déterminent la déve¬ loppable cherchée. Donc,

dans tout connexe (1, n), V en¬ veloppe des plans qui répondent aux plans u d’un faisceau yz est une surface développable G de classe (2n 2) (2n 3). Pour n = 2 , c'est un cône du second ordre.

dans tout connexe (m ,\),le lieu des points qui répondent aux points x d’une ponctuelle en ligne droite vw est une courbe gauche T d’ordre (2m 2) (2m 3). Pour m = 2, c’est une conique.

( 36 )

On sait aussi, d'après le 20,

cette développable G est le lieu des points dont les surfaces correspondantes Tn touchent la droite yz.

que

la courbe gauche F est tan¬ gente aux plans dont les sur¬ faces correspondantes Sm tou¬ chent la droite vw.

A tout plan u passant par yz répond un plan qui touche G le long d’une génératrice; à un point x de cette génératrice répond une surface T„ qui touche u sur yz. Donc,

les surfaces T„ répondant aux points d'une génératrice de G touchent la droite yz en diffé¬ rents points , mais ont toutes , en ces points, pour plan tan¬ gent le plan u auquel répond le plan tangent à G le long de la génératrice considérée.

les surfaces S,„ répondant aux plans passant par une même tangente de F touchent la droite vw toutes au même point x auquel répond le point de contact de la tangente consi¬ dérée.

Le théorème de droite a été démontré, par M. Krause, pour le connexe (2, 1).

Considérons deux plans infiniment voisins u du faisceau yz\ il leur répond deux plans tangents à la développable G, chacun le long d’une génératrice; au point x commun à ces deux génératrices infiniment voisines répond une surface T„ tan¬ gente aux deux plans u en des points de leur droite commune y z ; celle-ci est donc une tangente inflexionnelle de T„.

Aux points de l'arête de rebroussement de la dévelop¬ pable G répondent des surfaces T„ qui admettent la droite yz comme tangente inflexionnelle.

Aux plans oscillateurs de la courbe gauche T répondent des surfaces S„t qui admettent la droite vw comme tangente inflexionnelle.

24. Cherchons, à l’exemple de M. Krause, le covariant à deux séries de coordonnées de droites, analogue au covariant qui représente le connexe conjugué. A cet effet, nous devons

( 37 )

remplacer, dans l’équation du connexe, x et u respectivement par kA\ ■+• kçZ et par XjV -4- X2W, ce qui donne

( I) ÿ (kxaY -4- A:2aZ|m(A,Va -4- A2WK)n = 0.

Nous devons exprimer ensuite que cette équation a simulta¬ nément une racine double en k{ : kt et X, : X2, et nous sommes conduit aux relations

(2)

dv d?

dky= °’dk,==°

(la

; = 0.

d\

dK

= 0.

Ces quatre équations sont équivalentes à trois seulement, à cause de la double homogénéité de 0; on peut en éliminer les k et les X; si v et w sont deux plans passant par YZ et y, z deux points de la droite (VW), on sait, d’après ce qui a été dit dans les préliminaires, que le résultant comprendra des détermi¬ nants symboliques de la forme ( abvw) et (a $yz). La forme que l’on obtient ainsi fait correspondre, à toute droite (vw) ou (yz), un complexe; seulement nous allons voir qu’on ne rencontre ici que des complexes spéciaux.

Interprétons les calculs précédents : toute valeur de k{ : kt détermine un point x de la ponctuelle YZ; pour cette valeur de ki : k2, l’équation (1) est vérifiée par n valeurs de X, : X2, dont chacune détermine un plan tangent mené par la droite (VVY) à la surface T„ répondant à x.

Si deux de ces plans coïncident, la droite (.VW) est tangente à la surface T„; au plan tangent u mené par (VW) à T/(, répond une surface Sm qui sera tangente à la droite (YZ) si, en même temps, l’équation (1) a une racine double en k{ : fr2 ; or les rela¬ tions (2) expriment précisément l’existence simultanée d’une racine double en k{ : k2 et en Xt : X2. Donc le couple de droites (YZ) et (VW) formant un élément du connexe conjugué réglé et déduit de l’élément (x, u) du connexe primitif se compose d’une tangente en x à la surface Sm répondant à 11 et d’une tangente, dans le plan u, à la surface Tn qui répond à x.

25. Si ?i = 1, les calculs précédents expriment que, pour une racine double en 4’, : fc2, l’équation cp = 0 est vérifiée pour toute valeur de X, : X2, ou qu’il existe sur YZ un point formant

t 38 )

élément avec tous les plans passant par (VW), c’est-à-dire un point auquel répond un point sur (VW).

On peut alors écrire

EEEEE ^1^4 "4“ g.

L’élimination des X entre les deux premières équations (2) du 24 fournit le Jacobien des formes tq et $a; ce Jacobien égalé à zéro est la liaison des quatre relations (2) et l’équation du connexe conjugué réglé est simplement la résultante de 4>i = 0 et $2 = 0 considérées comme fonctions des k.

Pour le cas de m = 2, M. Krause a calculé le résultat en le déduisant de la forme symbolique du résultant de deux formes quadratiques binaires. Ce résultat est (abvwf (cdvwf {oûyz) (|3y .yz) -=0.

Les calculs corrélatifs n’offrent pas de difficulté.

26. On a vu au 21 des théorèmes que l’on peut énoncer de la manière suivante : Dans un connexe (m, n),

la surface STO répondant à un plan mobile u , qui tourne autour d’un axe (VW), touche son enveloppe G suivant une courbe, et les surfaces Tn répondant aux points de cette courbe touchent le plan u sur la droite (VW).

la surface Tn répondant à un point mobile x, qui décrit une droite (YZ), touche son enve¬ loppe T suivant une courbe, et les surfaces Sm répondant aux plans tangents à T„ et Y le long de cette courbe tou¬ chent la droite (YZ) en x .

Aux plans u passant par (VW) [ou {yz)] répondent des sur¬ faces Sm enveloppant une surface G ; toute droite (YZ) [ou (tue)] tangente à G en un point x y touche aussi une des surfaces Sm et forme donc avec (yz) un élément du connexe conjugué réglé. Réciproquement, si (yz) et (vw) forment un élément du connexe conjugué réglé déduit de l’élément (x, u) du connexe primitif, la droite (vw) passe par x et y touche une surface Sm répondant à un plan u ; donc (vw) est aussi tangente à l’enve¬ loppe G de ces surfaces Sm, et corrélativement.

On a donc le théorème :

Le connexe conjugué réglé étant représenté par une équation

( 39 )

en (vw) et (yzï, si F on y regarde les quantités (vw) comme constantes , on a F équation, en coordonnées -lignes (yz), de la surface F relative à la droite (vw); et si F on y regarde les coor¬ données (yz) comme constantes, on a F équation, en coordonnées- lignes (vw), de la surface G relative à (yz).

Si n = \, la surface G se réduit à une courbe, base du faisceau de surfaces Sm ; alors la droite (yz) est située dans le plan u et passe par le point qui répond au point x, tandis que la droite (vw) touche en x la surface S,„ répondant à u ; cette dernière droite rencontre donc la courbe G ; yz coupe de son côté la courbe T, lieu des points qui répondent aux points x de la droite (vw), car on sait que, dans ce cas, la surface T dégé¬ nère aussi en une courbe.

Réciproquement, si deux droites (yz) et (vw) sont telles que l’une rencontre, en £, la courbe T relative à la seconde et que celle-ci coupe, en x, la courbe G relative à la première, (vw) est tangente à l’une des surfaces Sm du faisceau dont G est la base et qui répondent aux plans u passant par (yz) ; x étant sur toutes ces surfaces, le point qui lui répond est sur tous les plans u, donc sur (yz), et comme, d’autre part, il doit être sur r, il coïncide avec donc (vw) et (yz) forment un élément du connexe conjugué réglé.

Le raisonnement corrélatif va de soi. On peut donc énoncer les résultats suivants pour compléter le théorème qui précède.

Pour n = 1 , F équation du connexe conj ugué réglé, l’on regarde les (vw) comme varia¬ bles, représente toutes les droites qui rencontrent une courbe G d'ordre 2m relative à la droite (yz) ; en y regardant les (yz) comme variables, on a Fensemble des droites qui ren¬ contrent une courbe V d'ordre (2m 2) (2m 3) relative à la droite (vw).

Pour m = 1, l'équation du connexe conjugué réglé, l'on regarde les (yz) comme varia¬ bles, représente toutes les droites tangentes à une déve¬ loppable T de classe 2n relative à la droite (vw) ; en y regardant les (vw) comme variables, on a Fensemble des droites tangentes à une développable G de classe (2n 2) (2n 3) relative à la droite (yz).

( 40 )

Les résultats de gauche ont été donnés par M. Krause pour le connexe (2, 1).

Les coïncidences.

27. Soient

f= = 0, ? a'r<, = 0,

les équations de deux connexes.

Dans le champ de la coïncidence qu’ils déterminent, il répond, à tout point x , une surface développable de classe nn\ à tout plan u, une courbe gauche d’ordre mm' .

Ecrivons,

en coordonnées -points y , en coordonnées-plans v , l’é- l’équation de cette surface quation de la courbe gauche, développable.

11 suffit de faire le raisonnement pour le problème de gauche i. Soit y un point de la développable et soit u le plan tangent en y ; on a

uy = 0 (du^y = 0.

Comme ce sont les rapports des quantités u{ qui déterminent le plan u , lune de ces quantités peut être regardée comme constante, de sorte que dw4 = 0; les différentielles des trois autres vérifient les relations

df d[ df

clui h - ai(2 ■+■ - du3 = 0,

dUi du.2 du3

çh_

dui

y

du 4 h - du 2 -+-

1 du,

irfw, -i- y^dut -f-

j— du5 = 0, du 3

yzdu3 = 0.

1 La solution qui suit est connue : Plücker, System der Geometrie des Raumes in neuer analytiscfien Behandlungsweise. Düsseldorf, 1846 (Eûi- leitende Betrachtungen, § 2).

( 41 )

L’élimination de dutl du 2, duz donne

dj_

df

df

rf*/j

du^

duz

do

i

do

<

df

du{

dit^

duz

y.

ïh

y*

On doit ensuite éliminer les u entre cette égalité et les équa¬ tions

/'= 0, o 0, uy = 0.

La résultante est l’équation cherchée.

28. Si, dans cette résultante, on substitue x à ly, on obtient le lieu des points x situés sur la surface développable qui leur répond. On cherche de même l’enveloppe des plans u tangents à la courbe gauche qui leur répond dans la coïncidence.

Le résultat de la recherche actuelle, dans le cas particulier de

n = n' = 1, est le lieu des points x qui sont en ligne droite avecles pointsqui leur répondent dans les deux con¬ nexes.

m m' = 1, est l’enveloppe des plans u passant par l’in¬ tersection des plans qui leur répondent dans les deux con¬ nexes.

Dans ce cas particulier (énoncé de gauche), l’élimination des u se fait immédiatement et donne

u,

a3

r

t

f

a,

*3

r<

^2

*3

plus trois autres équations qui se déduisent de celle-ci par permutation des indices.

De ces quatre équations, deux seulement sont indépendantes et elles représentent une courbe gauche qui est le lieu cherché.

Dans le cas un seul des nombres n et n\ n' par exemple, est l’unité, le problème du commencement de ce numéro revient à chercher le lieu des points x situés sur un cône cir¬ conscrit à la surface T„ qui leur répond dans le premier

( 42 )

connexe, ce cône ayant pour sommet le point qui leur répond dans le second connexe, on énonce sans peine le problème corrélatif dans le cas de m! 1.

Si l’un des connexes donnés est le connexe identique

ux = 0,

on se trouve dans un cas exceptionnel qui sera examiné plus loin.

29. On peut aussi chercher

le lieu des points x situés sur l’arête de rebroussement de la développable qui leur répond dans la coïncidence.

l’enveloppe des plans u oscu- lateurs à la courbe gauche qui leur répond dans la coïncidence.

Pour résoudre le premier de ces problèmes, il faut chercher, comme l’a fait Plücker, dans l’ouvrage cité, les équations, en coordonnées-points, de l’arête de rebroussement d’une surface développable représentée par deux équations en coordonnées- plans. Indiquons brièvement la méthode.

Soit y un point de l'arête de rebroussement de la dévelop¬ pable répondant à un point x , et soit u le plan osculateur en y à cette courbe. On a

uy = 0, (du) y 0, = 0.

On substitue, dans ces deux dernières équations, aux du et d*u, leurs valeurs tirées des équations f 0, o = 0 des con¬ nexes; puis, entre les équations résultantes jointes à uy = 0, /“= 0, cp = 0, on élimine les u , ce qui fournit deux égalités l’on remplace enfin les y par les x. On obtient ainsi les équa¬ tions d’une courbe gauche H.

Une des surfaces passant par S est évidemment la surface trouvée au début du 28.

Si l’on avait n = n' = 2, on pourrait effectuer les calculs jusqu’à un certain point.

Pour n n' 1, le problème actuel n’aurait plus de sens. Mais si un seul des nombres n et n\ n' par exemple, était l’unité, la question reviendrait à chercher le lieu des points x

( 43 )

situés au sommet du cône qui leur répond dans la coïncidence, ou simplement le lieu des points x se confondant avec le point qui leur répond dans le connexe c p d’ordre mr et de classe 1 ; ce problème a été résolu précédemment.

30. Les calculs du 27 donnent naissance à deux liaisons (x, y) et u , v)\ la première fait correspondre à un point y une surface lieu des points x tels que la développable qui leur répond [tasse par y.

11 y aurait peut-être lieu de continuer cette recherche et de traiter les multiplicités triples après les coïncidences; nous ne nous arrêtons pas à ces considérations parce qu’on y exploite toujours les mêmes idées

31. Le connexe identique ux = 0 admet comme élément toute combinaison d’un point et d’un plan en situation réunie. Les éléments communs à ux = 0 et au connexe (m, n),

f= a>

constituent la coïncidence prim

A tout point x répond le cône ayant ce point pour sommet et circonscrit à la surface T„ répondant à x dans le connexe (m, n).

Nous généraliserons ci-après par M. Krause. En voici d’abord le connexe général :

Pour qu'un point x forme, avec tous les plans qui le contiennent, des éléments de la coïncidence principale, il faut et il su tilt que la surface T„ répondant à ce point dégé¬ nère en une surface de classe n 1 et en un point coïnci¬ dant avec x.

; = o

:ipale de ce dernier connexe.

A tout plan u répond l’in¬ tersection de ce plan avec la surface Sm qui lui répond dans le connexe (m, n).

quelques propriétés données deux qui sont évidentes pour

Pour qu’un plan u forme, avec tous les points qu’il con¬ tient, des éléments de la coïncidence principale, il faut et il suffit que la surface Sm répondant à ce plan dégénère en une surface d’ordre m 1 et en un plan coïncidant avec u.

( 44 )

Il y a exception quand m ou n est égal à l’unité.

En effet, dans tout connexe (m, 1), un point fondamental forme, avec tous les plans qui le contiennent, des éléments de la coïncidence principale. Les plans fondamentaux du connexe (1, n) jouissent de la propriété corrélative, et ces deux théorèmes résultent immédiatement de la définition des points et plans fondamentaux.

32. Cherchons, dans le connexe général (m, n), le lieu des points x dont les cônes de coïncidence principale ont un plan tangent double. Cette circonstance se réalise quand le point x est situé sur la surface T„ qui lui répond dans le connexe, ou quand cette surface possède un plan tangent double passant par x. Or, on a vu au 6 que les points satisfaisant à ces conditions se trouvent sur une surface d’ordre

( n i )2(2m •+• n).

Cherchons l’enveloppe des plans tangents doubles : l’équa¬ tion f = 0 du connexe représente, pour u variable, la surface T„ répondant à x ; si ce dernier point est sur la surface T„, on a

df

3,4).

ait ,

Grâce à ces relations, on peut remplacer l’équation f= 0 par ux = 0. Comme on l’a vu déjà au 6, le cas T, aurait un plan tangent double passant par x rentre dans le précédent.

Il suffit donc d’éliminer, des équations ci-dessus, les x et p pour avoir l’enveloppe des plans doubles des cônes de coïnci¬ dence principale. Appelons P cette enveloppe et, corréla¬ tivement, Il le lieu des points doubles des courbes de coïnci¬ dence principale.

M. Krause a établi, pour le connexe (2, 1), que la surface TJ est du dixième ordre; il en donne une propriété, que nous allons généraliser.

f

Etendons les expressions de points et plans fondamentaux

( 45 )

au connexe (m, il) et convenons d’appeler de ce nom les points ou plans qui forment, respectivement avec les plans qui y passent ou avec les points qu’ils contiennent, des éléments de la coïncidence principale.

La propriété corrélative de celle à laquelle nous venons de faire allusion s’énonce comme il suit :

Tout plan fondamental est un plan tangent singulier de la surface P.

Considérons, en effet, la face du tétraèdre de référence qui a pour équation x{ 0 et pour coordonnées-plans w4, 0, 0, 0 ; supposons que cette face soit un plan fondamental; alors la surface Sm qui lui répond dégénère en ce plan lui-même accompagné d’une surface S,»_t ; comme on le voit par un calcul très simple, cette condition équivaut à l’égalité

(1) (asr2 -t- asx5 -+- aixf)ma.ni = 0,

qui doit exister pour toutes les valeurs de x 2, x5, xit

Pour que le plan x{ = 0 soit tangent à la surface P, il faut, ou bien qu’il soit un plan tangent en un certain point (0, æ2, x5, x^ à la surface T„ répondant à ce point, ou bien qu’il soit un plan tangent double à la surface T„ répondant à un de ses points. Développons l’équation de T„; le coefficient du terme en un{ est nul d’après l’égalité (1); le coefficient du terme en uï~l donne l’équation du point-pôle relatif à T„ du plan x{ 0 ; cette équation est donc

(«2x2 azxt ■+■ alxi)rna.nl~l(aiu2 a3w3 -h a4î*4) = 0.

11 faut que ce point coïncide avec le point (0, æ3, xf) ou

soit indéterminé; les deux circonstances s’expriment parles relations

(a2x2 a3.r8 4- a4x4)wa”_1a, == Px{ ( i = % 0, 4),

la valeur p = 0 correspondant au cas xt = 0 est un plan tangent double à Tft.

L’élimination de p ramène les trois équations ci-dessus à

( 46 )

deux, homogènes en x2, xz, x 4, donc compatibles pour un nombre fini de valeurs de x5, xt. Ainsi tout plan fonda¬ mental est tangent à la surface P et il y a plus d’un point de contact; c’est donc un plan singulier.

Le raisonnement corrélatif va de soi L

33. La question que nous abordons maintenant est proba¬ blement nouvelle. Soient, dans le connexe (m, n), deux points y et z d’une génératrice du cône de coïncidence principale répondant à un point x; écrivons, conformément au 19, l’équation

fi>> (*/z)] =

de degré 2 m(n 1) en æ qui représente, en coordonnées- lignes (yz), la surface T„ répondant au point x.

En y joignant les deux équations linéaires en x qui expri¬ ment que ce point est sur la droite (yz), on a un système qui donne, pour toute droite (yz), en général 2 m(n 1) points x.

Donc toute droite de l’espace est, en général,

génératrice de 2m (n 1) tangente à 2w(m 1) courbes cônes de coïncidence princi- de coïncidence principale, pale.

Ou encore, sur toute droite de l’espace, il existe, en général, 2 m(n 1) points dont le cône de coïncidence principale passe par cette droite, et corrélativement.

Si l’on avait en outre un second connexe

0 T t/jÿ = 0,

on aurait une nouvelle équation analogue à F = 0, laquelle, jointe aux trois relations considérées ci-dessus, permettrait d’éliminer les x et fournirait l’équation d’un complexe.

Les deux connexes donnés forment une coïncidence ; en y

1 M. Krause cherche encore, pour le connexe (2, 1), le lieu des courbes de coïncidence principale répondant aux plans d’un faisceau. Nous pas¬ sons, comme trop facile, l’extension du problème au connexe (m, n).

( 47 )

adjoignant le connexe identique ux = 0, on a un ensemble que l’on peut appeler la multiplicité triple principale de la coïnci¬ dence.

Dans une telle multiplicité, les droites qui sont à la fois génératrices de deux cônes de coïncidence principale de même sommet sont donc les rayons d’un complexe.

34. La question résolue au début du numéro précédent souffre une exception dans le cas de n (ou m) égal à l’unité.

Si n = 1, il répond, à un point x , un point dont les coor¬ données sont proportionnelles à a,a” ; la condition pour que ces deux points soient situés sur une droite (vw) est exprimée par quatre relations et l’élimination des x donne l’équation d’un complexe. Ainsi,

dans tout connexe (m, 1), les droites qui joignent un point quelconque x au point qui lui répond forment un com¬ plexe.

dans tout connexe (1, n ), les intersections d’un plan quel¬ conque u avec le plan qui lui répond forment un com¬ plexe.

Soit, par exemple, le connexe (4, 1)

axUa = 0 ;

les quatre équations sont

vx = 0, wx 0, axvx = 0, axwx = 0.

Éliminons les x\ 8 et a étant des symboles équivalents ainsi que a et b, on a

Vi

Vz

v,

Wi

Wçt

Wz

Wi

a 3V k a^vK

biWp b±w$

bzwp biivp

(abvw)vKwp

= - (abvw)(vxwp vpwK)

0.

ou encore

( 48 )

En donnant aux symboles a\ b' la signification du 4, on peut écrire cette équation

(1) (abvw)(a'b'vw) 0.

Pour certains connexes spéciaux, le complexe peut se ramener au premier ordre, et ce résultat est contenu implicite¬ ment dans les recherches de Plücker L L’illustre géomètre de Bonn donne, en effet, entre un plan (u, v, t ) et son pôle (te, y , z) relativement à un complexe linéaire, la relation

(Aac ■+• Bj/ -+- Cz)(Dt -+- Em Ft») -+- (AD -4- BE GF) = 0,

laquelle est, en somme, avec d’autres notations, l’équation d’un connexe (1, 1).

Corrélativement, les droites intersections de deux plans qui se correspondent dans le connexe (1, 1), le plus général, constituent un complexe

(aByz)(*'p'yz) = 0;

on voit immédiatement que c’est le même que celui représenté par l’équation t.

D’autre part, l’équation de tout complexe du second ordre peut s’écrire ( abyz )2 = 0; donc le complexe engendré par le con¬ nexe (1, 1) n’est pas le plus général de son espèce. On connaît, au surplus, le lien qui existe entre les complexes et le connexe linéo-linéaire, puisque ce dernier représente la'collinéation de deux espaces, et c’est cette collinéation qui a servi de point de départ à M. Reye ( Géométrie de position) pour la définition du complexe tétraédral.

35. Par l’intermédiaire de la coïncidence principale d’un connexe (m, rt), à tout point répond un cône de ne classe; soit u un plan tangent à ce cône.

1 Plücker, N eue Geometrie des Raumes gegründet auf die Betrachtung der geraden Linie als Raumelement. Leipzig, 1848, p. 36.

( 49 )

Passons aux coordonnées non homogènes en divisant par et uif et posons

ar2

_ 3T5

dz

dz

-, * Xi

î

Xi

V==dxq =

(ty

Ut

U 2

-, V

=

î'i

«4

Vi

Nous avons en premier lieu la relation ( 1 ) ux -4- VIJ -4- icz ■+■ 1=0.

Donnons successivement aux variables indépendantes x et y des accroissements infiniment petits dx et dy et à z des accrois¬ sements correspondants tels que les nouveaux points voisins du point initial soient encore dans le plan u. Outre la rela¬ tion (1), nous aurons alors

udx 4- wpdx 0, vdy -h wqdy 0, d'où nous tirons

z px qy' z—pX qy' z--px qy‘

La substitution, dans l’équation du connexe, donne une équation aux dérivées partielles représentant un système de surfaces tel que, par chaque point, il en passe une infinité et que leurs plans tangents en ce point enveloppent le cône de coïncidence principale correspondant.

On voit bien que chaque plan tangent à une de ces surfaces a pour point de contact un des points de sa courbe de coïnci¬ dence principale ; donc en faisant le raisonnement corrélatif du précédent, on trouve, en coordonnées-plans, l’équation aux dérivées partielles des surfaces considérées.

Clebsch fait observer que des considérations de ce genre se trouvent, indépendamment de la théorie des connexes, dans

Tome LXI.

( 30 )

l’ouvrage déjà cité de Plücker, Das System (1er Geometrie des Baumes (p. 27). Il prouve aussi que l’équation différentielle à laquelle il parvient, en géométrie plane, est la plus générale de son espèce. Cette démonstration, dont l’extension est facile, établit le lien entre la théorie des connexes de l’espace et celle des équations aux dérivées partielles.

Puisque nous avons amené la théorie des connexes au seuil d’un domaine nouveau, nous sommes parvenu au terme que nous nous étions assigné au début de cette étude.

NOTICE PRÉLIMINAIRE

SUR LES

SEDIMENTS MARINS

RECUEILLIS PAR

L’EXPÉDITION DE LA BELGICA

PAR

H. ARCTOWSKI et A.-F. RENARD

V

) * *

(Présenté à la Classe des sciences dans la séance du 7 juillet 1900.)

Tome LXI.

à

PRÉFACE

Le travail que nous présentons à l’Académie est un exposé sommaire des recherches auxquelles nous nous sommes livrés sur les sédiments marins recueillis par l’Expédition antarc¬ tique de la Belgica. L’étude complète de ces sédiments, com¬ prenant l’examen minéralogique et chimique, la détermination de leur origine et de leur répartition géographique ainsi que la discussion des questions relatives à l’allure des fonds marins de la région explorée par l’expédition belge, sera l’objet d’un mémoire destiné à prendre place dans la série des publications de la Commission de la Belgica. Les résultats préliminaires que nous exposons aujourd’hui peuvent être considérés comme acquis d’une manière certaine, et ne seront pas modifiés par des recherches ultérieures. Nous ne les faisons connaître que dans la mesure qu’il faut pour prendre date, et surtout parce que, outre l’intérêt scientifique qu’ils peuvent présenter, ils fournissent des données immédiatement utilisables par les naturalistes chargés de l’étude des organismes des fonds marins recueillis par la Belgica.

Dans cet exposé, nous indiquerons sommairement la route

suivie par le navire, et le long de laquelle s’échelonnent les sondages; les conditions dans lesquelles ont été faites les observations ; les méthodes de sondage employées par les explorateurs à bord du navire et sur la glace. Nous donnerons ensuite les résultats des mesures de profondeur qui sont figurés sur la carte accompagnant cette notice. Abordant alors l’étude proprement dite des sédiments, nous faisons connaître des procédés suivis pour arriver à la classification des fonds marins, et nous donnons les tableaux présentant la composi¬ tion de chacun des dépôts, telle qu’elle ressort de l’analyse mécanique. Enfin nous groupons ces observations et nous en déduisons les conclusions générales d’océanographie auxquelles cette étude préliminaire nous conduit.

NOTICE PRÉLIMINAIRE

SUR LES

SÉDIMENTS MARINS

RECUEILLIS PAR

L’EXPÉDITION DE LA BELGICA

Route suivie par la « Belgica ».

Ni dans l’océan Atlantique ni dans les canaux de la Terre de Feu des sondages n’ont été exécutés par le personnel de la Belgica. Les travaux bathymétriques de l’Expédition antarc- tique belge n’ont été commencés qu’à l’île des Etats. La route suivie à partir de nous est donnée par les coordonnées des sondages exécutés dans ce grand canal antarctique qui sépare l’Amérique du Sud des terres antarctiques ; puis, au sud des Shetland méridionales, par la carte du canal de Gerlache,

dressée par M. Lecointe ; et enfin, au delà du cercle po¬ laire, la route suivie est donnée par une autre carte de M. G. Lecointe, intitulée : <t Croquis de la dérive de la Belgica dans la banquise », cartes publiées dans le numéro de fé¬ vrier 1900 du Bulletin de la Société royale belge de géographie.

Une partie seulement du voyage a été volontaire, tandis que la route suivie pendant le séjour dans les glaces a été due à des déplacements forcés, la banquise dans laquelle la Belgica a été emprisonnée durant treize mois n’ayant cessé de dériver sous l’influence des vents. C’est justement grâce à cette dérive compliquée qu’il a été possible de faire de nombreux sondages dans la région glacée située au sud du 70e parallèle. A bord de la Belgica , on n’a laissé passer aucune occasion de mesurer la profondeur de la mer, car toutes les fois que les coordonnées astronomiques du lieu avaient pu être détermi¬ nées et que nous nous trouvions en quelque endroit nouveau, notre première préoccupation a été de sonder. Sans aucun doute, il aurait été possible de recueillir plus de données bathymétriques qu’on ne l’a fait, mais nous n’étions que dix- sept hommes à bord, et les occupations étaient partagées; or le sondage est une opération qui demande la coopération de plusieurs hommes.

Méthodes de sondage.

Les sondages en mer ont été exécutés à l’aide de la machine à sonder de Le Blanc 1 . Comme fil à sonder, nous avons employé soit une fine cordelette en acier, soit un simple fil d’acier de

1 On peut trouver une description de cette machine à sonder dans l’ouvrage : Berichte der Commission fur Erforschung des ôstlicken Mittel- meeres.

0mn\9 de diamètre. Les sondes utilisées ont été celle du prince de Monaco celle de Brooke 2 et un « chercheur de fond » qui a été donné à l’Expédition par le commandant Wandell, de Copenhague. Ce dernier instrument, qui ramenait toujours une bonne quantité de sédiment, consistait en une simple sonde en plomb au bout de laquelle était fixé un tube à fermeture en ailes de papillon. Elle ressemblait à la sonde à poids fixe util isée à bord du Challenger.

Malheureusement, cette sonde a été perdue, ce qui nous a obligés de travailler pendant un certain temps avec une sonde de Brooke chargée d’un boulet fixe, et aussi avec une sonde à cuvette de construction spéciale.

Finalement, nous avons construit à bord une sonde nouvelle qui, quoique très simple, nous a donné de fort bons résultats.

Le but que nous nous étions proposé était de recueillir une grande prise de sédiments. Les sondes à poids perdu ne peuvent pas réaliser ce desideratum ; d’un autre côté, le clapet de la sonde de Brooke, la clef de la sonde de Monaco et les clapets disposés en ailes de papillon, qui sont destinés à retenir le sédiment à l’intérieur du tube de la sonde, empêchent le plus souvent la vase d’entrer et ne servent par conséquent à rien. Mais, en outre, les sondes construites jusqu’à présent ne s’enfoncent que fort peu dans le sol sous-marin. Or la néces¬ sité d’avoir des appareils à l’aide desquels on pourrait exécuter des forages au fond de la mer a déjà été mentionnée par Sir John Murray 3.

La sonde nouvelle consistait en un simple tube en laiton de 80 centimètres de longueur et de 3cm,5 de diamètre interne ; à l’un de ses bouts, il était enchâssé dans un boulet. On attachait

1 Compte rendu des séances de la Société de géographie de Paris, 1889, 15 février,

2 Ferdinand Atlmayr, Handbuch der Océanographie und maritimen Météorologie, S. 64.

3 The renewal of antarctic exploration, p. '24. (Geogr. Journal, 1894,

vol. III.)

cette sonde à la corde qui termine le fil à sonder de façon que le tube descendît bien verticalement. Cette sonde s’enfonçait bien et le tube se remplissait de sédiment sur une longueur de 30 à 60 centimètres. Il suffisait alors de pousser la vase hors du tube à l’aide d’un bâton. Le tube-sonde n’a malheureuse¬ ment été utilisé que pour les derniers sondages exécutés.

Dans les glaces, lorsque la Belgica se trouvait emprisonnée au milieu d’un champ de glace de plusieurs milles de pour¬ tour, il nous a été impossible d’utiliser la machine de Le Blanc. La vapeur faisant défaut, les huiles gelaient; or cette machine est trop difficile à manœuvrer à bras d’hommes. Le dispositif employé pour faire les sondages dans les glaces se composait de trois parties distinctes :

a) Une grande bobine en bois, sur laquelle était enroulé le fil à sonder. Cette bobine était montée sur un axe de façon à se dérouler entièrement. Un frein réglait la descente du fil ;

b) Une roue de \ mètre de circonférence, garnie d’un comp¬ teur de tours. Cette roue servait à enregistrer la longueur du fil filé. Elle était empruntée à la machine de Le Blanc ;

c) Enfin, trois perches de sapin entre-croisées maintenaient une poulie en acier au-dessus du trou percé dans la glace, et par lequel on laissait descendre la sonde.

Résultats des sondages.

Les tableaux ci-après indiquent les numéros d’ordre des sondages, les coordonnées géographiques et les profondeurs mesurées. Dans le premier tableau se trouvent les sondages exécutés en dehors du cercle polaire; ce sont les seules données que nous ayons sur les relations bathymétriques du Grand Canal antarctique. Dans le deuxième tableau ont été réunis les sondages faits à la lisière de la banquise australe et

pendant le séjour de la Belgica dans les glaces. Un seul son¬ dage a été fait dans le canal découvert par l’Expédition. Au milieu du canal de la Belgica, à mi-chemin entre le cap d’Ursel et le cap Reclus, on a sondé la profondeur de 625 mètres.

Les résultats fournis dans le tableau I nous permettent de tracer une coupe transversale N. -S., allant de l’île des États à File de Livingstone. Ceux du tableau II nous autorisent à tracer avec certitude les courbes bathymétriques indiquées sur la carte (voir pl.).

I. Tableau des sondages.

DATES.

Latitudes

australes.

Longitudes

ouest de

Greenwich.

Numéros

des

sondages.

Profondeurs

évaluées

en mètres.

0 '

0 9

14 janvier 1898.

54.51

63.37

1

296

14 - -

55.03

63.29

2

1,564

15 -

55.51

63.19

3

4,040

16 - -

56.49

64.30

4

3,850

18

59.58

63.12

5

3,800

19 -

61.05

63.04

6

3,690

20

62.02

61.58

7

2,900

20

62.11

61.37

8

1,880

28 -

64.23

62.02

9

625

23 mars 1899.

56.28

84.46

60

»

4,800

( 10 )

lï. Ta 0 LFA U D FS SONDAGES.

DATES.

Latitudes

australes.

LONGITUDES

out st (le

Greenwich.

Numéros

des

sondages.

Profondeurs

évaluées

en mètres

16 février 1898.

0 '

69.75

0 '

70.39

10

435

19 -

69.06

78.21

44

480

23

69.46

81.08

42

565

24

69.30

81.31

43

540

25 -

69.17

82.25

44

2,700

27 - -

69.24

84.39

lo

2,600

27

69.41

84.42

46

4,730

1er mars

71.06

85.23

17

570

[er _ _

71.17

85.26

48

520

2

71.31

85.16

49

460

4 - -

71.22

84.55

20

530

5 - -

71.19

85.28

21

520

9 - -

71.23

85.33

22

554

20

71.35

88.02

23

390

22 avril

71.02

92.03

24

480

26 - -

70.50

92.22

25

410

4 mai

70.33

89.22

26

1,150

5 -

»

»

27

730

10 - -

»

»

28

460

20 -

71.46

87.38

29

435

26 - -

71.13

87.44

30

436

2 sept.

70.00

82.45

34

502

9

69.54

82.36

32

510

14 - -

69.53

83.04

33

480

22

70.23

82.31

34

485

( It )

II. Tableau des sondages (suite).

DATES.

Latitudes

auslralts

Longitudes

ouest de

Greenwich.

Numéros

lits

soi.dag s.

Profondeurs

éialuéts

t n mètres

26 sept. 1898.

0 '

70.21

0 '

82.62

35

485

29

70.21

82.39

36

480

7 oct.

70.30

82.48

37

480

16 -

69.69

80.64

38

532

19 - -

70.01

81.46

39

580

24 _ _

69.43

80.60

40

537

2 nov.

69.61

81.24

41

518

10 -

70.09

82.36

42

490

28

70.20

83.23

43

459

18 déc.

70.08

83.30

44

443

20

70.16

84.06

45

569

22

70.18

84 61

46

645

27

70.20

86.62

47

630

29

70.16

85.61

48

660

31 - -

70.01

85.20

49

950

2 janvier 1899.

69.62

85.13

50

1,360

4

69.60

85.12

51

1,470

7 -

69.62

85 32

52

1,490

10 février

70.34

93.17

53

1,166

19 - -

70.30

94.12

54

1,740

2 mars

70.63

97.17

55

430

5 - -

70.61

97.57

56

425

12 -

70.66

100.18

57

564

13

70.60

102.13

58

1,195

14 - -

70.40

102.15

59

2,800

( 12 )

Relations bathymétriques.

Les sondages de la Belgica ont donné lieu à deux découvertes importantes : celle d’une fosse de 4,040 mètres de profondeur au sud de l’île des États et celle dun plateau continental s’étendant au sud du 70e parallèle.

Le profil bathymétrique est intéressant à plusieurs points de vue.

Il nous montre que l’Amérique du Sud est séparée des terres antarctiques par une cuvette à fond plat s’élevant doucement vers le sud. De part et d’autre, une forte pente sous-marine poursuit les dénivellations de terrain qui forment au nord l’extrémités des Andes et au sud la chaîne des Shetland méridionales. Le plateau continental existe sans aucun doute, mais il ne forme qu’une bordure étroite devant les terres.

La découverte du plateau continental antarctique est plus intéressante. Le profil que nous avons tracé suivant le 85° degré de longitude1 nous montre que c’est l’isobathe de 500 mètres qui marque la bordure du plateau. Le fait est curieux, car la limite de ces plates-formes sous-marines qui bordent les con¬ tinents se trouve généralement par 200 mètres. On peut donc se demander si le plateau continental antarctique est submergé et, s’il en est ainsi, quelles sont les raisons pour lesquelles il occupe un niveau aussi bas %

Le détail des courbes d’égale profondeur est également inté¬ ressant. Nous remarquons tout d’abord que le plateau conti¬ nental n’est pas uni. Les fluctuations de l’isobathe de 500 mètres nous montrent deux concavités qui se terminent en cul-de-sac vers le sud. Mais le réseau des sondages n’est pas suffisamment étendu pour nous permettre d’étudier ces détails.

Un autre fait est à remarquer.

1 Henryk Arctowski, Géographie physique de la région antarctique visitée par U Expédition de la « Belgica ». (Bull. Soc. roy. belge de géographie, 1900, janvier, p. 142.)

2 Comparez le mémoire de M. C. Rudzki : Deformationen der Erde unter der Last des Inlandeises. (Bull, intern. de l’Acad. des sc. de Cracovie, 1899, p. 169.)

( 13 )

Les relations bathymétriques de la région explorée par l’Expé¬ dition antarctique belge démontrent que l’île Pierre Ier (qui a été découverte au commencement du XIXe siècle par Bellings- hausen) n’appartient pas au plateau continental antarctique. Cette île est isolée.

Remarquons encore que les profondeurs mesurées par Ross au nord de la grande muraille de glace qui s’étend par 78° de latitude, à partir du 160° degré est, jusqu’au 170° de longitude ouest de Greenwich (c’est-à-dire sur une longueur de 30 degrés), sont comparables à celles qui caractérisent le plateau conti¬ nental découvert par l’Expédition antarctique belge.

La carte qui accompagne notre travail donne un aperçu des relations bathymétriques de la partie de l’Océan explorée par la Belgica . Elle modifie notablement l’allure des courbes iso¬ bathes qu’on avait admises pour cette région avant l’expédi¬ tion belge. Cependant, nous le répétons, le réseau des obser¬ vations n’est pas assez serré pour que nous considérions comme définitive l’allure de toutes les courbes d’égale profon¬ deur tracées sur la carte. C’est le cas en particulier pour celles du Grand Canal antarctique dans la partie de la route entre l’île des États et l’île Smith l’Expédition n’a fait qu’un nombre relativement restreint de sondages. Quelques-unes de ces courbes se raccordent bien avec celles des cartes bathvmé- triques existantes : c’est ainsi que l’on voit se dessiner sur la carte le prolongement des grands fonds du Pacifique qui s’y terminent en cuvette à goulot étroit, et le seul échantillon, comme nous le verrons tout à l’heure, recueilli dans cette région, offre les caractères des sédiments obtenus par le Chal¬ lenger plus à l’ouest, dans cette fosse qui va diminuant de largeur à mesure qu’on s’avance vers le méridien des îles Falkland et qui fait face à la « Fosse de Ross ».

Ce qu’on voit à l’évidence sur la carte, c’est le caractère de plateau continental que présentent les régions situées à l’ouest des terres Alexandre, au sud du 71e parallèle.

La carte dont il s’agit a été dressée en s’appuyant surtout sur la carte de l’Amirauté anglaise et sur celle du détroit de Gerlache que M. Lecointe a publiée. Les sondages de la Belgica

( 14 )

\

sont indiqués en mètres, et le point noir qui accompagne le chiffre donnant la profondeur est reporté aussi exactement que possible d’après les coordonnées indiquées dans les tableaux précédents. Pour la bathymétrie des régions de la mer non explorées par la Belgica, on s’est servi de toutes les données qu’offraient la carte de l’Amirauté 1, celles des profondeurs océaniques par Sir John Murray 2 et par Supan 3.

Autour de la pointe méridionale de l’Amérique du Sud, les courbes isobathes ont été construites d’après la carte de Supan ; les isobathes de cet auteur ont été, en certains points, un peu déplacés, surtout pour les rattacher aux courbes construites d’après les observations nouvelles de l’Expédition belge.

Entre 80° et 105° W. et 69° et 71° S., les isobathes ont été établis à l’aide de nombreux sondages de la Belgica. Vers l’est, ces courbes ont été rattachées approximativement à celles tra¬ cées entre la Terre de Graham et l’Amérique d’après les don¬ nées de l’Expédition belge. Dans cette région, la distance considérable séparant les courbes de 3,000 mètres à 4,000 mè¬ tres marque une fosse à fond plat, cette première courbe a été prolongée vers l’ouest dans l’hypothèse que ce plateau sous- marin s’avance dans cette direction.

La présence de l’île Pierre Ier au nord de la courbe de 2,000 mètres conduit à supposer l’existence d’un massif isolé couronné par cette île.

1^ sonde a mesuré 625 mètres dans le canal de Gerlache, mais il serait difficile de rattacher ce sondage aux courbes précédentes; aussi a-t-on fait passer les courbes de 250 et 500 mètres le long des îles Biscoë et de l’île Smith. Puis elles suivent les Shetlands méridionales pour se rattacher, au delà des îles Éléphants et Clarence, aux courbes de l’océan Antarc¬ tique qui, d’après le tracé de Sir John Murray, se dirigeraient le long de l’île Joinville, des Terres Louis-Philippe et Graham.

1 South Polar Chart . 1240.

- Bathiymetrical chart of the océans shouring the « Deeps » accordidg , to John Murray.

5 A. Supan, Die Bodenformen des Weltmeeres. (Petermann’s Mitthei- lungen, 1899, Bd XLV, S. 177.)

( 18 )

Méthodes d’examen et classification des sédiments.

Avant d’exposer les résultats de l’analyse des sédiments de la Relgica , il peut être utile de rappeler les travaux antérieurs sur les dépôts marins dont on a tenir compte pour les mé¬ thodes d’analyse et le mode de classification.

Happelons d’abord le Report on deep-sea deposits , publié par MM. Murray et Renard dans la série des mémoires de l’expé dition du Challenger et qui comprend non seulement la des¬ cription et la classification des sédiments recueillis par celle croisière, mais encore l’ensemble des données sur lessédiments de mer profonde.

Les auteurs de ce mémoire ont procédé à la description de ces dépôts de la manière suivante :

Ils les ont traités à l’acide chlorhydrique dilué et divisé ainsi la prise d’essai en partie soluble et partie insoluble. La pre¬ mière est indiquée dans la colonne CaCOg, qui est suivie par celle l’on donne la détermination générale des principaux organismes calcaires représentés dans le sédiment.

La partie insoluble dans l’acide chlorhydrique, désignée dans les descriptions sous le nom de résidu, fut soumise, après lavage, à des décantations successives, permettant de diviser les éléments constitutifs suivant leur ordre de densité.

Le résidu est ainsi divisé en trois groupes : organismes siliceux ; minéraux, particules minérales et fragments de roches; particules amorphes. Sous ce dernier nom sont dési¬ gnées les particules qui, restant en suspension, passent lors de la première décantation; elles n’ont pas plus de 0mm,0o de dia¬ mètre. Nous renvoyons pour les détails de ces recherches au Report on deep-sea deposits.

En s’appuyant sur les analyses exécutées d’après le procédé qu’on vient de rappeler et qui ont porté non seulement sur les sédiments marins recueillis par le Challenger , mais aussi sur les collections de toutes les croisières scientifiques importantes anglaises ou américaines jusqu’à la date de la publication de

( 16 )

leur Report on deep-sea deposits, les auteurs ont groupé comme suit l’ensemble des dépôts marins, et leur classification, comme aussi leur terminologie, a été admise et consacrée par l’usage :

I. Les dépôts pélagiques qui occupent les régions centrales des grands bassins océaniques et qui sont formés essentielle¬ ment des restes d’organismes pélagiques associés aux produits ultimes de la décomposition des roches et des minéraux étalés sur le fond.

II. - Les dépôts terrigènes , formés près des continents et des îles, qui sont constitués essentiellement par des matériaux apportés par l’action de transport de la mer et provenant de la désintégration des masses terrestres

1 Le tableau synoptique que nous reproduisons ici, premier essai d’une classification d’ensemble des dépôts marins, présente les relations qui unissent ces deux grands groupes de sédiments et leurs subdivisions.

I Argile rouge . . Vase à radiolaires Vase à diatomées

(a) Sédiments de Vase à globigérines mer profonde Vase à ptéropodes formés sous /

plus de cent Boue bleue . .

brasses. j Boue rouge . .

J Boue verte. . .

Boue volcanique.

\ Boue coralienne .

(b) Sédiments , formés entre le \ niveau de la < marée basse et i cent brasses.

Graviers , sables , boues, etc . . .

/

(i) Sédiments pélagiques for¬ més en mer profonde et loin des terres.

(n) Sédiments terrigènes, for¬ més dans les eaux littorales profondes et dans les eaux basses près des terres.

(c) Sédiments lit- (

toraux formés \ Graviers , sables , entre la haute ) boues, etc. . . . etla basse mer. (

( 17 )

L’étude des sédiments littoraux et des eaux basses n’entrant pas dans le cadre de leurs recherches, les auteurs les ont représentés sur la carte qui accompagne leur mémoire par une teinte unique. Quant aux sédiments de mer profonde entendus dans le sens de MM. Murray et Renard, ils s’étendent depuis l’isobathe de 100 brasses jusqu’aux plus grandes pro¬ fondeurs, recouvrant une aire égale à plus de la moitié de la surface terrestre. Les graviers et les sables ne se rencontrent ici qu’exceptionneîlement ; des boues, des vases organiques et des matières argileuses constituent les sédiments caractéris¬ tiques de ces grandes profondeurs; ils montrent sur de vastes étendues une remarquable uniformité. Au large de la courbe de 100 brasses, à parler d’une manière générale, l’action de la mer diminue d’intensité ; les conditions, qui dominent dans cette partie de l’Océan sont uniformes; l’accumulation des matières sédimentaires s’y fait avec lenteur; les particules minérales sont différentes de celles des dépôts littoraux ; leurs dimensions sont plus uniformes et plus petites ; à mesure qu’on s’avance vers les régions plus profondes des bassins océaniques, les sédiments se modifient : les particules minérales dérivant immédiatement des terres émergées sont de moins en moins nombreuses; leurs dimensions sont moindres encore que celles des zones profondes plus rapprochées des côtes, et en même temps les matières provenant de l’altération chimique des roches et des minéraux deviennent plus abondantes, et pour les profondeurs moyennes de l’Océan, les restes d’origine organique sont plus nombreux dans les dépôts. Ainsi l’on passe insensiblement des sédiments de mer profonde terrigènes aux sédiments pélagiques dans lesquels les organismes calcareux et siliceux ainsi que les matières argileuses provenant de la décomposition des roches et des particules minérales, jouent le rôle principal.

11 nous a paru utile, pour apprécier ce qui va suivre, de rappeler, comme nous venons de le faire, les considérations générales sur la classification des sédiments de mer profonde

* r i. « f f

; n cr . y . y : . yt

Tome LXI.

B

( 18 )

et sur les méthodes suivies pour leur détermination. Disons tout de suite que pour les échantillons des grands fonds rap¬ portés par la Belgica , le groupe des sédiments pélagiques n’est guère représenté que par les sondages dans le Grand Canal antarctique et que tous les autres sondages doivent être englobés dans le groupe de ces sédiments terrigènes des zones profondes ou littorales. Cependant le caractère propre de ces sédiments est toujours voilé par l’association d’un grand nombre d’éléments de dimensions variées et qui doivent leur présence aux points d’où la sonde les ramène à l’action de transport qu’exercent dans ces régions les phénomènes glaciaires.

Mais avant d’aborder ces questions, indiquons les raisons qui nous ont déterminés à ne pas suivre pour les descriptions des sédiments de la Belgica le mode employé pour ceux du Challenger. Ces raisons ne résident pas exclusivement dans les progrès qu’on a réalisés pour l’analyse des sédiments depuis vingt ans, date à laquelle MM. Murray et Renard commencèrent leurs recherches sur les fonds océaniques, mais la raison prin¬ cipale, et qu’on saisira immédiatement, c’est que les recherches ont porté, comme l’indique le titre de leur ouvrage, sur des dépôts de mer profonde, tandis que ceux recueillis par la Belgica n’appartiennent pas, à proprement parler, à ce type. L’ana¬ lyse mécanique des sédiments, telle qu’on la pratique aujour¬ d’hui et telle qu’elle a été appliquée aux fonds marins que nous avions à décrire et à classer, convient spécialement à l’examen de matières les grains sont de dimensions très différentes. Or, ce qui est caractéristique dans les sédiments pélagiques, et jusqu’à un certain point dans les sédiments terrigènes de la zone profonde, c’est la finesse et l’homogénéité des grains ; ce qui se comprend lorsqu’on tient compte des conditions de formation du dépôt dont il s’agit. En outre, dans ces dépôts profonds, l’élément vaseux ou argileux est quelquefois prédominant au point qu’il devient impossible de séparer par des procédés mécaniques cette matière amorphe et quasi homogène. Enfin, ce qui justifie la subdivision des matières des dépôts pélagiques en partie soluble et résidu, c’est

( 19 )

le rôle très considérable que joue dans ces dépôts l’élément calcaire aux restes de Foraminifères ou de Ptéropodes.

Pour les raisons qu’on vient de dire, nous avons adopté un procédé d’analyse des matières sédimentaires la séparation mécanique joue le rôle fondamental, et afin d’arriver autant que possible à une unification de la nomenclature et d’obtenir des résultats comparables, nous nous sommes arrêtés aux procédés de séparation que M. Thoulet à employés pour l’étude des sédiments marins recueillis sur les côtes de France. Les études auxquelles ce savant sest livré sur des sédiments présentant de grandes analogies avec ceux que nous avions à décrire nous engagèrent, au début de nos recherches, à nous mettre en relation avec lui, et nous lui exprimons tous nos remerciements pour l’obligeance qu’il nous témoigna en mettant à notre disposition des appareils identiques à ceux dont il se sert dans ses recherches, et en nous faisant profiter de son expérience.

Nous renvoyons pour le détail des procédés dont il s’agit à la note que ce savant a publiée sous le titre : Analyse mécanique des sols sous-marins 1, nous bornant ici à un exposé sommaire indispensable pour l’intelligence des tableaux qui présentent les résultats de nos recherches.

Le principe sur lequel repose la séparation mécanique des éléments constitutifs des sédiments, est leur classement suivant la grosseur des grains. Cette analyse mécanique a des avan¬ tages pratiques incontestables : elle peut s’opérer à l’aide d’appareils très simples, par des manipulations rapides et sûres, elle donne des résultats parfaitement contrôlables et comparables, elle conserve les matériaux soumis à l’analyse dans leur intégrité ; elle a, en outre, des avantages théoriques qui sautent immédiatement aux yeux quand on sait que la dimension des grains est en rapport direct et intime avec les conditions de formation des sédiments et détermine, dans une certaine mesure, les agents en jeu dans le transport, et la

1 Annales des Mines , avril 1900.

( 20 )

distance plus ou moins grande à la côte du point s’est fait le dépôt, détail d’une importance capitale, à notre- avis, lors¬ qu’il s’agit des sédiments marins. Toutefois, comme nous le (lirons, elle ne peut pas suffire seule pour une étude complète des sédiments; il faut qu’elle soit secondée par l’observation microscopique des minéraux, par l’emploi de liqueurs denses, et par des manipulations chimiques indispensables, en parti¬ culier pour séparer les éléments très tins qui sont unis à la matière argileuse ou vaseuse proprement dite. Dans l’état actuel de nos recherches, nous n’avons soumis les sédiments de la Belgica qu’aux manipulations de l’analyse mécanique, qui suffisent pour obtenir le classement et la détermination de ces matériaux.

Quant au mode opératoire, qu’il nous suffise de dire que la séparation des divers éléments a été effectuée à l’aide de tamis métalliques ou en tissus de soie que le commerce fournit par¬ tout, et dont le numéro répond au nombre des mailles conte¬ nues sur une longueur de 1 pouce = 27 millimètres

La séparation mécanique par tamisages a été effectuée pour tous les sédiments de la Belgica , sauf pour quelques-uns

1 Le tableau suivant donne les numéros des tamis dont se sert M. Thoulet et dont nous nous sommes servis et, en regard, les dimen¬ sions des grains habituels des sondages et les désignations qui leur cor¬ respondent.

Numéros

Dimension minimum

Désignations

des tamis.

des grains arrêtés.

adoptées.

10 . . .

. *”/, 3,00 ....

Gravier fin.

30 . . .

0,89 ....

Sable gros.

60 . . .

0,45 ....

Sable moyen.

100 . . .

0,26 ....

Sable fin.

200 . . .

0,04 ....

Sable très fin.

Franchit 200

Fin-fins et vase.

Chacune des parties du sédiment isolée par le tamisage est pesée. La somme de ces poids donne le poids de la prise d’essai, et Ton réduit en centièmes pour faciliter la comparaison et la classification d’après le tableau que nous donnons plus loin.

( 21 )

(feutre eux qui ont été recueillis en quantité trop faible par l’appareil de sondage. C’est le cas, en particulier, pour les cinq premiers sondages dont on a trop peu de matières et qui seront décrits, dans le mémoire définitif, surtout d’après les résultats que donnera l’analyse microscopique. Il resterait à faire la séparation des matières qui sont désignées d’une manière générale sous le nom de vase et fin- fins. Nous avons constaté au microscope que ces matières amorphes ne sont pas exclusivement de nature argileuse : elles sont associées, comme on devait s’y attendre, à de nombreux grains qui réagissent entre les niçois et qui doivent appartenir à des espèces minérales différentes de ce qui constitue la matière argileuse proprement dite.

Les méthodes que nous avons employées pour séparer ces substances ne nous ont pas donné jusqu’ici de résultat satis¬ faisant. Ainsi, en se servant du tube à courant ascendant et en réglant le courant de manière à obtenir un débit réduit au minimum, on entraîne toujours, peut-on dire, une partie assez notable des particules minérales mêlées à la matière vaseuse. Nous nous sommes servis aussi, dans ce but, de l’appareil de M. Wanschaffe, mais le résultat n’a pas été meilleur qu’avec le tube trieur. Si, dans l’appareil de Wanschaffe, on règle le cou¬ rant de manière qu’il réponde à une pression de 3 à 5 centi¬ mètres, on entraîne encore à la fois les fin-fins et la vase. L’ap¬ pareil à force centrifuge dont on se sert pour séparer, d’après leur poids, les éléments d’un mélange mécanique, ne peut rendre aucun service pour le cas dont il s’agit.

Un moyen qui nous paraît indiqué pour effectuer cette sépa¬ ration est d’attaquer les substances qui franchissent le 200 par l’acide sulfurique en tube scellé à haute température. On obtiendrait ainsi l’isolement des particules quartzeuses, qui resteraient inattaquées par l’acide. Nous avons fait construire une étuve spécialement destinée à ces recherches, qui seront consignées dans le mémoire en cours de préparation.

Jusqu’ici nous n’avons eu recours à l’analyse chimique que pour la détermination des carbonates. Dans chaque cas

( 22 )

cette détermination était indiquée, nous avons fait l’essai sur 1 gramme environ de substance ; elle a été attaquée par l’acide chlorhydrique; après ébullition et filtration, le calcium a été précipité par l’oxalate d’ammonium. La séparation par les liqueurs denses et l’examen microscopique des particules miné¬ rales n'ont été appliqués qu’à un certain nombre d’échantil¬ lons; tous devront être examinés à ce point de vue. Mais cet examen, d’une importance capitale quand il s’agit d’étudier les questions d’origine, peut être réservé pour la publication défi¬ ni t i ve de ces recherches, l’analyse mécanique telle que nous l’avons pratiquée suffisant à la détermination sommaire et à la classification des fonds sous-marins que nous avons à décrire.

Les séparations mécaniques par tamisages gradués que nous venons d’indiquer permettent de dénommer, avec une précision suffisante, les divers sédiments recueillis par la Belgica sans qu’il faille faire entrer en ligne de compte pour cette dénomination ni l’analyse chimique qui doit intervenir pour la séparation de la vase et des fin-fins, ni l’analyse miné¬ ralogique détaillée. Comme il vient d’être dit, nous réservons l’examen de ces points pour le mémoire complet et définitif sur ces sédiments. Nous suivons pour la classification les sub¬ divisions proposées par M. Thoulet avec quelques modifications de détail que nous avons été conduits à y introduire, et nous les résumons dans le tableau suivant.

Sont désignés comme sables les sédiments renfermant plus de 90 % de grains minéraux, et comme vases les matériaux qui ont traversé le tamis 200 et qui ne renferment pas plus de i0°/o de grains minéraux. Cette distinction fondamentale entre les sables et les vases étant établie, on classe les éléments constitutifs comme suit :

Pierres, poids supérieur à 3 grammes.

Gravier, inférieur

Sable gros, franchit le tamis 10, arrêté par le tamis 30.

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( 23 )

On dit d’un sable qu’il est homogène lorsque 80 % de son poids appartiennent à la même catégorie ; qu’il est mélangé lorsque aucune catégorie triée n’est prépondérante. On désigne en outre le sable, d’après la dénomination de la catégorie de grain qui prédomine, sous le nom de sable très fin , sable moyen , sable fin, etc.

Les sables calcaires se subdivisent en :

Sables faiblement calcaires, renfermant 5 % de CaCOa.

Sables calcaires .... 5 à 50 %

Sables très calcaires. . . plus de 75—

Le sédiment est dit coquillier lorsqu’il contient des coquilles visibles, entières, brisées ou moulues.

Les vases dont nous avons indiqué plus haut la composition fondamentale peuvent présenter toutes les transitions aux sables ; on a ainsi :

Des sables vaseux contenant 95 à 75 % de grains minéraux. Des vases sableuses 75 à 10 %

Des vases proprement dites 10 % ou moins

A ces vases se rattachent celles des dépôts pélagiques :

Vases à globigérines, à radiolaires, à diatomées, l’argile rouge et grise des grands fonds, ainsi que les sédiments terri- gènes de zone littorale profonde, désignés par Murray et Renard sous le nom de boues bleues, vertes, volcaniques, coral¬ liennes. etc.

Les détails dans lesquels nous venons d’entrer permet¬ tront de se rendre compte du tableau suivant 4. Nous n’avons pas donné dans ces colonnes le poids de chacune des parties du sédiment isolées par le tamisage ni le poids de la prise d’essai : on s’est borné à donner les poids réduits en centièmes pour permettre facilement la comparaison et la classification des fonds.

1 On ne trouvera dans ce tableau que les sondages dont la détermina¬ tion par l’analyse mécanique a été possible ; les sondages qui ne sont pas représentés dans ces colonnes n’ont ramené qu’une quantité trop peu considérable de matière pour les soumettre à ce procédé. Ils seront décrits dans le travail définitif.

( 24 )

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( 26 )

L’examen du tableau qui précède et les dénominations que nous avons données prouvent que la grande majorité des sédiments appartiennent au groupe des dépôts terrigènes ; et l’étude des cailloux, des graviers et des grains sableux indique à l’évidence que le transport en haute mer des éléments pro¬ venant des terres a été l’œuvre des phénomènes glaciaires. Quelques sondages cependant ont décelé des fonds marins le caractère pélagique avait laissé sa trace; nous en parlerons tout à l’heure ; mais ce caractère pélagique est presque tou¬ jours masqué par l’apport de matières que doivent déverser dans l’Océan les « icebergs ». Il est impossible en effet d’expliquer autrement que par transport glaciaire la présence de ces cail¬ loux erratiques portant quelquefois encore des traces de stries, de ces graviers, de ces particules minérales qui sont mélangés à la vase de presque tous nos sondages, et qui masquent par leur présence la nature propre des sols sous-marins L

C’est en particulier le cas pour certaines vases calcaires qui, si elles n’étaient pas mélangées à des matières apportées, devraient certainement être classées avec les vases à globigé- rines ; on désigne, en effet, sous cette dénomination, les sédi¬ ments pélagiques qui contiennent 30 % au moins de coquilles calcaires de foraminifères ; or cette limite est presque atteinte dans plusieurs des vases que nous avons analysées et dont l’une d’elles, celle du sondage 26, profondeur 1,150 mètres, a une teneur de 26.48 % de CaCo3. Si Ton faisait abstraction des matières apportées, ce sédiment se rapprocherait évident -

1 Rappelons à ce sujet que des faits analogues ont été signalés dans la région antarctique par le Challenger. Ainsi dans les vases à diatomées provenant de cet Océan, on a constaté la présence de fragments de roches et de particules volcaniques ainsi que de nombreux éléments provenant de formations anciennes et sédimentaires. Dans les régions australes, flottent des « icebergs », à partir de la Barrière de glaces jusqu’au 40° latitude sud, le fond de la mer est parsemé de blocs volu¬ mineux de granités, granitites, grès chloriteux, grès micacés, amphibo- lite, gneiss, schistes cristallins, phyllades et autres roches cristallines anciennes et récentes.

( 27 )

ment, ainsi que beaucoup d’autres les foraminifères abon¬ dent, des vases à globigérines.

La présence de ce type pélagique, qu’on ne s’attendrait pas à voir représenté dans ces régions polaires, est un fait à signaler, et dont pourraient découler des conséquences impor¬ tantes au point de vue du mode de formation des sédiments pélagiques calcaires. Nous les développerons dans notre travail définitif.

Ces recherches amènent à modifier la carte des sédiments marins qui accompagne le mémoire sur les sédiments de mer profonde recueillis par l’Expédition du Challenger. Sur cette carte, on voit une large zone de vase à diatomées traverser une région explorée par la Belgica et nos observations n’in¬ diquent aucun dépôt de cette nature. Les observations du Chal¬ lenger pendant la partie du voyage du Cap à Melbourne, dans la région des mers antarctiques au sud de Kerguelen, vinrent confirmer celles de Sir James Ross sur la présence au fond de ces mers de vase à diatomées, s’étendant sur une grande sur¬ face du lit de cet Océan, et formant une zone continue.

Cette zone est figurée sur la carte des cleep-sea deposits comme comprise, pour la plus grande partie, entre le cercle polaire antarctique et le 40° latitude sud, et' occuperait une surface de 28,179,2o0 kilomètres carrés.

Les sédiments rapportés par la Belgica ne nous ont montré aucun type se rapprochant de la vase à diatomées si nettement caractérisée par la couleur crème ou jaune-paille, blanche et farineuse après dessiccation.

Non seulement les caractères macroscopiques manquent aux dépôts de la région dont il s’agit, mais leur composition, telle que nous la montre le microscope, ne répond pas non plus à celle de la vase à diatomées; car, ainsi que l’a déjà fait observer M. Racovitza, les diatomées sont absentes dans les fonds, peut-on dire, quoique cependant elles soient assez fréquentes dans le Plankton. On devrait donc admettre que la zone antarctique de vase à diatomées est interrompue dans la région sondée par la Belgica.

( 28 )

Signalons encore comme résultat intéressant des sondages, la présence d’une argile rouge des grands fonds signalée le 22 mars, par 56° 28' latitude sud et 84° 46' longitude ouest, à 4,800 mètres de profondeur. On est dans une zone colorée sur la carte des deep-sea deposits comme red clay , et le sédi¬ ment porte bien les caractères de ce type de fond marin. Il est plastique, à grains extrêmement fins, présente la couleur cho¬ colat foncé, donne la réaction prononcée du manganèse. Cependant, comme dans tous les sédiments rapportés par la Belgica, l’élément terrigène joue un rôle considérable dans l’argile rouge en question, car la partie sableuse y atteint encore près de 18 %• Elle ne masque cependant pas la nature de ce sédiment pélagique, mais nous voyons une fois de plus quel rôle important peuvent jouer dans ces dépôts les éléments amenés par les phénomènes glaciaires, car le point sondé dans la zone à argile rouge est situé à plus de 1,000 kilomètres des côtes, et les faits que nous venons d’exposer prouvent une fois de plus la grande extension des apports glaciaires.

Dans les régions polaires, les sédiments rapportés par les sondes ne nous renseignent que très imparfaitement sur la nature du fond de la mer. De nombreux blocs erratiques sont mêlés à la boue glaciaire, et il suffit que la sonde tombe sur l une de ces pierres pour qu’elle ne ramène rien. Il n’y a que la vase, le sable et les petits grains de gravier qui peuvent entrer dans le tube de la sonde qui constituent ce que nous avons appelé les sédiments, tandis que les fragments plus gros et les grands blocs de roche échappent complètement à notre analyse de la proportion des éléments terrigènes mêlés à la vase. Pourtant, dans la région antarctique, ces roches erra¬ tiques forment le trait le plus caractéristique des sédiments. Nous avons pu le constater par la quantité énorme de roches que le chalut rapportait >. Or, il est matériellement impossible

1 Malheureusement, on n’a pêché au chalut qu’à trois reprises : le if mai, le 20 mai 1898 et le 14 mars 1899; les deux premières fois sur le plateau continental, par 460 et 435 mètres, et la troisième fois, à la

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d’évaluer la proportion dans laquelle ces blocs se trouvent disséminés; on ne saurait connaître les rapports qu’il y a entre la masse des pierres et celle des sédiments. Est-ce 1 %, \ %• ou 1 %,.0 ? On ne sait. Tout ce que l’on peut dire, c’est que ces blocs proviennent incontestablement de la fonte des « ice¬ bergs », qu’ils sont, par conséquent, originaires du continent ou des îles antarctiques.

A différentes reprises, nous avons pu constater que les <( icebergs » charrient des matières terrigènes. Citons deux exemples.

Le 29 janvier 1898, la Belgica se trouvait amarrée à un petit « iceberg » en vue d’embarquer à bord de la glace d’eau douce. Nous sommes allés examiner cet « iceberg » et nous avons constaté de nombreuses petites pochettes contenant dans le fond une poignée de gravier. Ces pochettes provenaient de la fusion de la glace par suite de réchauffement des grains du gravier sous l’influence du rayonnement solaire. En regardant plus attentivement, nous avons également pu constater des grains isolés disséminés au sein de la glace.

Le 19 février 1898, notre attention a été attirée par un « ice¬ berg » dont l’une des faces (presque à pic) présentait des stries noires verticales. Un canot a été mis à la mer, de sorte que nous avons pu examiner la paroi de 1’ « iceberg » de tout près. Or, il se fait que chaque strie était une rigole dans laquelle s'accumulent l’argile et le gravier provenant de la fusion de la glace.

Dans les deux cas, nous avions devant nous des « icebergs » fragmentaires culbutés.

Sans aucun doute, tous les « icebergs » ne renferment pas de matériaux terrigènes et les blocs ne sont transportés que rarement, mais les montagnes de glace flottantes qui sont encombrées de gravier et de pierres ne cessent de laisser

sortie de la banquise, par 2,800 mètres de profondeur, chaque fois le chalut était rempli de blocs de roches de nature différente, arrondis, de grosseur variable, parfois avec de légères marques de stries glaciaires.

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tomber, au cours de leur voyage, une pluie lente de roches erratiques, de gravier, de sable et d’argile.

Nous pourrions résumer ce travail en disant que les son¬ dages de la BeJgica fournissent deux arguments nouveaux en faveur de l’hypothèse d’un continent austral. Ce sont :

Les relations bathymétriques ;

La nature des sédiments recueillis au sud du 70e paral¬ lèle, et entre le 75° et le \ 10° de longitude ouest.

Ces sondages tendent à faire admettre que le socle sur lequel reposent les terres découvertes au sud de l’Amérique méridionale est plus grand que l’étendue des côtes relevées jusqu’à présent ne l’indique, car le plateau continental s’étend à l’ouest des Terres d’Alexandre Ier jusqu’au delà du 105" de longitude, et s’élève doucement vers le sud.

D’ailleurs, cette plate-forme sous-marine est recouverte de sédiments terrigènes et de blocs erratiques que charrient les montagnes de glace qui se détachent des glaciers. Quels sont ces glaciers et sont-ils situés? On ne saurait le dire.

Mais on pourrait affirmer que la plupart des « icebergs » viennent du sud, puisqu’il est peu probable qu’ils pénètrent de 1 Océan dans la banquise, dont la présence sur le plateau continental semble être permanente. Au sud comme à l’est, le plateau continental doit donc nous mener à des terres.

Mém Cour, et autres . in Tome LXI .

PROFIL BATHYMÉTRIQUE

entre l' lie des Etats et l' Ile Livingstone.

JBrwæibs . ~ Ctaomofflh . J.L . GOFFAET.

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'«c-i

RECHERCHES SUR LES ORGANISMES INFÉRIEURS

Y. - SUR LE PROTOPLASME

DES

PAR

Jean MASSART

PROFESSEUR A L’UNIVERSITÉ DE BRUXELLES ASSISTANT A L’iNSTITUT BOTANIQUE

(Couronné par la Classe des sciences, dans la séance du 46 décembre 4900.)

Tome LXI

1

Mémoire envoyé en réponse à la question :

Existe-t-ilun noyau chez lesSchizophytes( Schizophvcées et Schizomycètes)

Dans V affirmative , quelle est sa structure et quel est son mode

de division ?

INTRODUCTION

Peu de questions ont été autant discutées que celle de îa présence ou de l’absence d’un vrai noyau chez les Sehizo- phytes.

L’intérêt de cette question est multiple. D’abord existe-t-il, oui ou non, des êtres constitués entièrement par des cellules sans noyau? Les méthodes d’investigation, en se perfection¬ nant, ont fait découvrir un noyau chez des organismes de plus en plus petits ; et le groupe des Schizophytes est, en somme, le seul dans lequel le noyau soit encore douteux. En dehors de l’importance purement intrinsèque de la question, il faut considérer que sa solution jetterait de la lumière sur la classi¬ fication toujours très controversée des organismes infé¬ rieurs et aussi, par conséquent, sur la phylogénie des plantes et des animaux.

Laissant de côté l’étude du glycogène et des autres sub¬ stances de réserve que contient la cellule, je me suis surtout occupé de l’organe qui peut être comparé à un noyau, c’est-à- dire du corps central et des granulations qui se colorent comme lui. Comme le corps central manque chez les Bacté¬ ries, je ne m’attarderai pas beaucoup à celles-ci.

Dans les pages suivantes, j’exposerai d’abord les faits tels que je les ai observés. Cette partie pourra être abrégée, grâce aux

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figures remplaçant les descriptions. Un deuxième chapitre sera consacré à l’interprétation des faits. Enfin, j’essaierai d’appliquer les résultats de ces recherches à la classification des Protoorganismes.

Lorsque le présent mémoire fut soumis à l’appréciation des membres de l’Académie, je n’avais pu examiner que très peu de Thiobactéries. Pendant que le laboratoire ambulant de bio¬ logie de l’Université de Bruxelles était installé à Coxyde, en juillet et août 1900, j’eus heureusement l’occasion d’étudier un grand nombre de Bactéries Sulfuraires.

J’ai pu aussi compléter mon travail par l’étude de nom¬ breuses Qscillatoriacées et Nostocacées, récoltées à Coxyde et à Nieuport, et surtout par l’étude du Chamaesiphon confervi - cola, rencontré à tous les stades de son développement, dans un ruisseau, à Genck (Campine limbourgeoise).

SUR LE PROTOPLASME

DES

SCHIZOPH YTES

I. OBSERVATION DES FAITS.

A. MÉTHODE.

Les divergences des résultats indiqués par les divers obser¬ vateurs tiennent en grande partie à l’emploi de fixateurs peu appropriés. Les Schizophytes, surtout les Schizophycées, ont un protoplasme fort délicat, que les soi-disants fixateurs désor¬ ganisent ou modifient presque à chaque coup.

J’ai toujours examiné les organismes vivants. Afin de mieux mettre en évidence la structure intime du protoplasme, je pla¬ çais les cellules dans une grande quantité de solution aqueuse

diluée de bleu de méthylène (Vioo ooo >d ili o ooo)* ^ar ce Pro" cédé, déjà employé avec succès par d’autres observateurs, notamment par M. Palla (1893, p. 535) et par M. Lauterborn (1895, p. 9), on obtient une coloration très vive de certaines parties strictement déterminées de la cellule. Et pourtant celle-ci reste vivante; ainsi, par exemple, des trichomes de Lyngbyées, dont tous les corps centraux sont colorés, conti¬ nuent à osciller d’une façon normale.

L’emploi de ce procédé n’offre aucune difficulté. Avec un peu de patience, on arrive, par des tâtonnements successifs, à

déterminer pour chaque cas particulier quelle est la meilleure dilution, et combien d’heures il faut laisser agir le colorant : telle espèce, par exemple Merismopedia elegans, ne se colore bien que par un séjour de vingt-quatre à quarante heures dans du bleu de méthylène à ï/ioo ooo> tandis que dans les gonidies de Peltigera canina, le corps central apparaît le plus clairement lorsqu’elles sont restées une heure à peine dans la solution de t/10 000. La réussite est fort difficile avec les Gloeo- capsa, les Gloeothece, les Aphanothece et les autres Chroococca- cées dont les cellules sont entourées d’une couche gélatineuse dense, dans laquelle la matière colorante est arrêtée.

Le seul reproche que l’on puisse faire à la méthode, c’est qu’il est impossible de conserver les préparations dans cet état. Par aucun moyen, je ne suis parvenu à fixer le bleu de méthylène dans la cellule : j’ai essayé en vain le tannin, le molybdate d’ammonium, le chlorure mercurique, l’alun, le chromate jaune de potassium, le bichromate de potassium... ; toujours, après quelques jours de conservation dans la glycé¬ rine, la matière colorante avait diffusé dans toute la cellule. Le résultat est un peu meilleur quand on prend, au lieu de glycérine, du formol ài/20; mais au bout d’une quinzaine de jours, les préparations sont également perdues. Le seul moyen pratique consiste à traiter les cellules, colorées au bleu de méthylène, par une solution aqueuse de picrate d’ammonium à l/g oo- On laisse agir une demi-heure au moins; après lavage par l’eau, on monte au formol à t/20. De telles préparations se conservent fort bien; malheureusement, la teinte violette, prise par le corps central, est loin d’être aussi favorable que la couleur bleue primitive.

Le montage au baume permet de conserver assez bien la coloration du corps central; mais dans ce milieu trop réfrin¬ gent beaucoup de détails disparaissent.

On obtient aussi de bonnes colorations en employant, non pas la solution diluée de bleu de méthylène neutre, mais une solution beaucoup plus concentrée de bleu de méthylène alcalin (bleu de méthylène polychrome). J’ai utilisé directe-

ment la solution telle que la fournit M. Grübler Leipzig). Après lavage à l’eau, on passe les cellules dans une solution aqueuse à '/200 de chromate jaune de potassium. Enfin, on monte au formol à 1/20- Toute la série des opérations est ter¬ minée en une heure au plus.

Je n’ai pas besoin d’ajouter que j’ai aussi employé les méthodes ordinaires de fixation et de coloration, notamment la fixation à l’alcool, au sublimé, à l’acide chromique, à l’acide osmique, à l’acide picrique, etc., et la coloration par les divers carmins et hématoxylines, et par le vert de méthyle acétique. Lorsque je comparais ensuite les résultats obtenus par ces moyens avec ceux que me donnait l’emploi de bleu de méthylène in vivo , je revenais toujours à ce dernier procédé.

Encore un mot. Pendant plusieurs années, j’avais récolté un peu partout, particulièrement à Java, des Algues et des Cyanophycées avec l’intention d’étudier surtout ces dernières. Les matériaux, fixés vivants par le liquide chromo-acétique (eau 1,000, acide chromique 7, acide acétique 3), étaient ensuite lavés à l’eau, puis conservés dans des flacons avec du formol à */20.

Les Algues, même les plus délicates, comme les Zygné- macées et les Desmidiacées, étaient admirablement conser¬ vées : après six ans, elles se laissent encore étudier comme au premier jour. Mais on ne peut plus rien faire des Schizo- phycées. J’ai perdu ainsi un excellent matériel comprenant surtout de gros Stigonema , des Rivularia et les belles Scytoné- matacées qui forment les gonidies de lichens javanais.

Les matériaux d’herbier ne sont pas non plus utilisables pour l’étude de la structure protoplasmique. Je recommande fort aux botanistes qui ont l’occasion de récolter des Schizo- phycées intéressantes, de les mettre vivantes pendant une dou¬ zaine d’heures dans une grande quantité de bleu de méthylène à V50000» et de les plonger ensuite dans de petits flacons con¬ tenant une solution à i/200 de picrate d’ammonium (solution à peu près saturée). Le matériel ainsi traité se garde fort long-

temps. Peut-être rendrait-on la conservation encore plus par¬ faite par le procédé suivant : Après coloration par le bleu de méthylène, laisser les organismes une heure dans le picrate, les laver complètement et les mettre ensuite dans du formol à 4/20 dans des flacons entièrement remplis et bien bouchés.

B. LISTE DES ORGANISMES ÉTUDIÉS.

La classification suivie est pour les Bactéries et les Thiobae- téries, celle de M. Migula (1898-99); pour les Schizophycées, celle de M. Kirchner (1898).

I. SCHIZOMYCÈTES.

A. Bactéries.

1. COCCACÉES.

Streptococcus mesenteroides Mig.

Sarcina ventriculi Goodsir.

2. Bactériacées.

Bacillus Megaterium De Bary (fig. 1, 2).

B. oxalaticus Zopf.

B. très grand, trouvé à Coxyde (fig. 4).

3. Spirileacées.

Spirosomci marin, très grand.

Spirillum Undula Ehr.

Spirochaete plicatilis Ehr.

4. Chlamydobactériacées.

Chlamydothrix ochracea Mig.

C. ferruginea Mig.

C. fluitans Mig. (fig. 3).

Sphaerotilus dichotomies Mig.

B. Thiobactéries.

1. Beggiatoacées.

Thiothrix tennis Winog.

Beggiatoa alba Trevisan.

B. leptomitiformis Trevisan (fig. 5).

B. torulosa n. s. (fig. 6).

B. mirabilis Cohn.

2. Achromatiacées.

Achromcitium oxaliferum Schewiakoff (fig. 7).

3. Rhodobactériacées.

Thiosystis violacea Winog.

Lamprocystis roseo-persicinci Schrôter. Thiopedia rosea Winog.

Chromatium Weissii Pertv.

C. minus Winog.

C. minutissimum Winog.

C. vinosum Winog.

Thiospirillum violaceum Warming.

II. SCHIZOPHYCÉES.

1. Chroococcacées.

Chroococcus, Glceothece et Aphanotece, div. sp. Gomphosphaeria aponina Kütz.

Coelosphaerium Kiitzingianum Nâgeli. Merismopedia elegans A. Braun.

Ji. glauca Nâgeli.

2. Chamésiphonacées.

Chamaesiphon confervicola A. Braun (fig. 20).

3. Oscillatoriacées.

a) Lvngbvées.

Symploca cartilaginea Gomont.

Liyngbya aestuarii Liebman L. putealis Montagne (fig. 17).

L. aerugineo-caerulea Gomont (fig. 18).

L. versicolor Gomont (fig. 19).

Phormidium fragile (?) Gomont (fig. 11).

P. tenue Gomont (fig. 15).

P. papyraceum Gomont (fig. 16).

P. autumnale Gomont (fig 12, 13, 14). Oscillatoria princeps Vaucher.

0. curviceps Agardii.

0. sancta Kütz.

0. nigro-viridis Thwailes.

0. irrigua Kütz. (fig. 8).

0. simplicissima Gomont (fig. 9).

0. tennis Agardh.

0. chlorina Kütz.

0. laetevirens Crouan.

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0. formosa Bory.

O. OfceniÇ!) Agardh.

0. chalybea Mertens (fig. 10).

O. Borijana Bory.

Arthrospira Jenneri Stitzenberger.

Spirulina major Kütz. b) Vaginariées.

Microcoleus chthonoplastes Thuret.

M. vaginatus Gomont.

4. Nostogacées.

Nostoc rivulare Kütz.

JS. spongiaeforme Agardh. (fig. 21'.

A7, commune Vaucher.

N. sphaericum Vaucher (fig 22'.

Anabaena variabilis Kütz. (fig. 23).

A. oscillarioides Bory.

Cylindrospermum stagnale Bornet et Flahault.

INostocacées fonctionnant comme gonidies dans un Collema et dans le Peltigera canina (fig. 24).

5. SCYTONÉMATACÉES.

Scytoncma cincinnatum Thuret (fig. 25).

S. Hofmanni Agardh.

S. Myocfirous Agardh. (fig. 26).

Tolypothrix tennis Kütz. (fig. 27).

6. Stigonématacées.

Hapalosiphon pumilus Kirchner.

Stigonema panniforme Hieronymus.

7. Rivulaiiiacées.

Calothrix fusca Bornet et Flahault.

Dichothrix Baueriana Bornet et Flahault (fig. 30).

Rivularia sp. (fig. 28).

R. natans Welwitsch (fig. 29).

La plupart des organismes ont été récoltés par moi-même. La détermination était faite à l’aide des monographies de MM. Bornet et Flahault (1886 à 1888), de M. Gomont (1892) et de M. Migula (1898-1899). J’en dois aussi plusieurs à divers savants; je suis heureux de pouvoir ici exprimer ma gratitude à MM. Flahault, Gravis et Van Rysselberghe. Enfin, j’ai acheté quelques organismes chez M. Bol ton et chez M. Kral.

( il )

C. SCHIZOMYCÈTES.

a) Bactéries proprement dites. La cellule des Bactéries est toujours enfermée clans une membrane. En outre, il y a, chez les Chlamydobactéries, une gaine plus ou moins résis¬ tante.

Chez les formes les plus ténues, par exemple Streptococcus mesenteroides , le protoplasme paraît tout à fait homogène. L’est-il en réalité, ou bien nos moyens optiques sont-ils encore insuffisants pour nous permettre de voir les granula¬ tions?

Dans les cellules de Sarcina, le traitement au bleu de méthy¬ lène sur le vivant fait voir quelques grains plus colorés. Dans les gros Bacillus et Spirillum , les granulations sont encore plus évidentes.

Ainsi que l’a déjà décrit M. Migula pour le B. oxalaticus (1894, p. 4), pour le B. asterosporus et d’autres espèces (1898, p. 147), les granulations n’existent pas dans la cellule très jeune. Lors de la germination de la spore de B. Megaterium , le protoplasme est tout à fait homogène. Dans les cellules un peu plus âgées, certaines parties deviennent plus bleues que d’autres (fig. 1). Plus tard, chaque cellule contient plusieurs petits grains qui se rassemblent finalement en une grosse masse unique placée vers le milieu de la cellule. C’est autour de cette grosse granulation que se condense le protoplasme destiné à former la spore (fig. 2). D’après de Bary (1884, p. 502), dans la cellule de B. Megaterium une spore va se former, on voit apparaître un gros grain qui, en grandissant, devient la spore. Dans un travail tout récent (1900, p. 7o , M. Certes a employé aussi la méthode de la coloration sur le vivant, méthode dont il est l’inventeur, pour étudier la forma¬ tion des spores chez le Spirobacillus gigas : les spores seraient le produit de la condensation de la matière chromatique, qui était d’abord diffuse dans la cellule. Ces observations sur le

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développement des spores concordent avec celles de M. Migula (1898, p. 149).

Pour la structure protoplasmique du B. oxalaticus , je ne puis que confirmer ce que M. Migula (1894) a décrit. Les vacuoles se voient encore mieux dans le Spirillum Undula et dans un très gros Bacille que j’ai rencontré à Coxyde (fig. 4) ainsi que dans un Spirosoma marin.

Dans les cellules adultes de Spirillum Undula, les grains colorés par le bleu de méthylène sont nombreux et disposés plus ou moins suivant l’axe de la cellule.

Chez le Chlamydothrix, le nombre des granulations est très variable (fig. 3) : tantôt elles sont tellement abondantes qu’elles remplissent les cellules; tantôt elles sont agglomérées sans ordre. Mais pas plus que chez les Bacillus ou les Spirillum, on ne parvient à distinguer quelque chose qui les réunisse : les grains sont isolés dans le protoplasme, complètement séparés les uns des autres; ils ne sont pas, comme chez les Schizo- phycées, reliés par une substance qui se colore moins que les grains, mais plus que le protoplasme périphérique. En d’autres termes, il n’y a pas ici de a corps central »; il n’y a que des granulations analogues à celles qui, chez les Schizophycées, se rencontrent à l’intérieur du corps central.

b) Thiobactéries. Dans ses traits essentiels, la cellule des Thiobactéries a la même constitution que celle des Bactéries proprement dites. Pas plus que chez ces dernières, il n’existe ici de corps central t (fig, 5, 6, 7). Or, chez les Sulfu- raires, les cellules sont parfois assez grandes pour qu’aucun doute ne puisse subsister quant à leur structure : chez Beggiatoa mirabilis , j’ai étudié des cellules de 16 p. de diamètre; celle cVAchromatium 2 avaient jusque 20 p (fig. 7).

1 L’aspect représenté par les figures 6a et 6c est à de la contraction protoplasmique.

2 L ' Achromatium oxaliferum est certainement une Thiobactérie. Les petits grains, très réfringents, qui sont engagés dans le réseau proto¬ plasmique, sont du soufre. Les cellules ont des mouvements lents et

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Jamais je n’ai aperçu la moindre trace de corps central : les grains qui se colorent par le bleu de méthylène et par des autres colorants (hématoxyline de Delafiold, etc.) sont répartis également dans tout le cytoplasme (fig. 5, 6, 7).

La vacuole centrale est très nette, au moins dans les grosses formes. Dans le filament de B. mirabilis, elle atteint une largeur de 11-12 pu Dans la cellule d’ Achromatium (fig. 7), la vacuole est subdivisée par les travées protoplasmiques réticu¬ lées qui traversent de toutes parts la cellule; elle contient une substance qui, contrairement à ce que dit M. Schewiakoff (1892), n’est certainement pas de l’acide oxalique ni un sel de calcium.

M. Schewiakoff figure aussi une magnifique structure alvéo¬ laire (pl. II). Il y aurait, d’après lui, chez Achromatium , comme chez les Schizophytes étudiées par M. Bütschli (1890 et 1896), de grandes « alvéoles » centrales entourées d’une rangée de toutes petites alvéoles : l’ensemble des grandes alvéoles constitue le corps central; les petites alvéoles forment le cytoplasme. En réalité, la couche périphérique de petites alvéoles n’existe pas. J’ai étudié l’organisme en innombrables exemplaires, les uns frais, les autres colorés vivants par le bleu de méthylène; d’autres avaient été fixés par divers moyens et colorés par les réactifs indiqués par M. Schewiakoff; j’ai aussi étudié des indi¬ vidus que j’avais cultivés de façon à leur faire perdre les substances qui encombrent les vacuoles, et je les ai légèrement plasmolysés pour mettre en évidence la couche périphérique : jamais je n’ai obtenu le moindre résultat conforme aux idées de M. Bütschli et de M. Schewiakoff. Je pense donc que, même pour cette immense cellule, il faut renoncer à l’espoir de trouver un corps central.

Chez toutes les Thiobactéries, les grains de soufre sont

oscillants, qui rappellent ceux des Beggiatoa. L’absence de bactériopur- purine les rapproche des Beggiatoacées; mais le fait que les cellules s’isolent dès qu’elles sont formées, m’engage à créer une famille spéciale pour les Achromatium.

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répandus uniformément à travers le cytoplasme. Par l’emploi de la méthode indiquée par M. Fischer (1897, p. 75) (dessicca¬ tion et flambage des cellules sur la lamelle et immersion dans le baume), les grains de soufre disparaissent aussitôt chez T/nospirillum violaceum et chez Chromatium Weissii. Seule¬ ment la coloration de la cellule est toujours restée uniforme : jamais je n’ai pu observer la concentration de la couleur dans les vacuoles laissées par la dissolution du soufre (voir Fischer, pl. III, fig. 58), même après vingt-deux heures de séjour dans le baume. Comme ce point ne m’intéressait guère, je n’ai pas recherché quelle était la cause de ces divergences.

Les Thiobactéries filamenteuses ont souvent les cloisons transversales fort peu distinctes (voir YVinogradsky, 1888, pl. I). Chez celles que j’ai étudiées, les cloisons n’étaient bien visibles que dans les filaments de Beggiatoa torulosa L Le B. leptomiti- formis montre nettement des cloisons protoplasmiques qui découpent le filament, mais la cloison solide fait presque toujours défaut (fig. 5). Chez le B. mirabilis , c’est à peine si la large vacuole qui occupe tout le milieu du filament est inter¬ rompue de loin en loin par une cloison protoplasmique : fiode ni aucun autre réactif n’y fait apparaître une membrane. Les filaments de Thiothrix tennis que j’ai pu étudier à tous les stades de développement, sur des Daphnies, à Coxyde, ne montrent de cloisons qu’à leur bout distal, lorsque l’indi¬ vidu est devenu assez âgé pour former des conidies.

D. - SCHIZOPHYCÉES.

§ 1. Structure des cellules végétatives adultes au repos

La structure de la cellule est moins simple chez les Schi- zophycées que chez les Schizomycètes. Cette complexité plus grande tient sans doute au fait que le protoplasme porte une

1 Cette espèce, que j’ai rencontrée à Genck (Campine Embourgeoise), se distingue aisément des autres Beggiatoa par le bombement des parois cellulaires.

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chromophylle capable d’assimiler le carbone lorsqu’elle est exposée à la lumière : il est donc avantageux que la matière colorante se localise à la périphérie de la cellule, laissant libre la partie centrale.

Avant d’étudier avec quelques détails la couche corticale pigmentée et le corps central, voyons rapidement quelques éléments moins importants de la cellule.

1. Membrane. Les cellules sont toujours entourées d’une membrane non cellulosique; souvent il y a aussi une gaine gélatineuse, plus ou moins ferme.

2. Communications protoplasmiques. Le Stigonema panni- forme et le Hapalosiphon pumilus présentent sur chaque paroi transversale une ponctuation par laquelle passe un prolonge¬ ment protoplasmique unissant la cellule à ses voisines. Au nombre de deux pour les cellules ordinaires, ces perforations sont au nombre de trois pour celles qui occupent la base des rameaux, et aussi, chez le Stigonema , pour celles qui se trouvent dans les portions massives des trichomes. Elles ont déjà été décrites et figurées par M. Wille (1883, p. 245).

Je regrette beaucoup de n’avoir plus eu à ma disposition des Stigonématacées vivantes; les seules que je possédais avaient été tuées par la liqueur chromo-acétique, et il n’était plus possible d’y étudier les détails. Je crois, néanmoins, pouvoir affirmer que les ponctuations résultent de ce fait que les cloisons, qui sont à développement centripète (de même que chez les autres Schizophytes), n’atteignent pas l’axe de la cellule. En d’autres termes, il n’y a ici que des communications primaires. Il aurait été fort curieux aussi d’étudier par quoi est constitué le prolongement protoplasmique.

3. Vacuoles à gaz L J’ai rencontré des vacuoles gazeuses

1 M. Brand (1901) met en doute la nature gazeuse du contenu de ces organelles. Les arguments qu’il invoque ne me semblent pas être de nature à ébranler ceux de M. Klebahn.

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dans Coelosphaerium Kützingianum, Phormidium fragile (?) 1 et un Anabaena non déterminable. Dans les cellules de Coelos¬ phaerium , les vacuoles ont l’aspect et la position qu’indique M. Klebahn (1895). Chez le Phormidium, les nombreuses petites vacuoles se trouvent pour la plupart dans le corps central (fig. lia). On s’en assure le mieux sur les cellules colorées au bleu de méthylène (fig. 11 b). Dans X Anabaena, elles sont éga¬ lement dans le corps central. Les hétérocystes n’en contiennent pas, ce qui souligne encore la relation entre les vacuoles et le corps central.

4. Vacuoles à suc cellulaire. La présence de vacuoles indique que la cellule est non seulement adulte, mais qu’elle est déjà devenue incapable de se diviser.

Les Schizophycées à cellules isolées (Chroococcacées)et celles dans les trichomes desquelles les cellules se divisent partout (Oscillatoriacées, Nostocacées) sont toujours dépourvues de vacuoles. Celles-ci ne se rencontrent que dans les Schizophy¬ cées la néoformation cellulaire est plus ou moins localisée dans une région déterminée du trichome (Scytonématacées, Stigonématacées, Livulariacées) : dans les portions adultes du trichome, les vacuoles sont nombreuses, et l’on peut facilement se rendre compte de leur développement en suivant la série des cellules depuis la région de « méristème » jusqu’à la région

1 Cette plante formait d’abondantes « fleurs d’eau », ayant l’apparence d’une poussière vert glauque, sur une mare dans le bois de la Basse- Marlagne, près de Namur. Ces trichomes sont collés parallèlement les uns aux autres en petits faisceaux qui se désagrègent quand on les presse entre la lame et la lamelle. Ils ne possèdent ni hétérocystes ni spores. Par ces divers caractères, ils rappellent le Trichodesmium lacustre Klebahn, que l’auteur rapproche, avec doute, du genre Aphanizomenon (p. 272). Par la forme conique de la cellule apicale et par l’absence de coiffe, ainsi que par les caractères généraux du trichome et de la gaine gélatineuse, notre plante se rapproche beaucoup du Phormidium fragile Gomont (Gornont, vol. XVI, p. 163;; disons pourtant qu’elle a les cellules plus grosses et plus arrondies.

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adulte. Plusieurs vacuoles, très petites, apparaissent dans chaque cellule ; elles grandissent et confluent. Dans les cellules qui forment le poil incolore des trichomes des Rivulariacées (fig. 29, 30), les vacuoles sont toutes dans la couche corticale; il en est de même pour les Stigonématacées. Au contraire, chez le Scytonema cincinnatum, les vacuoles sont dans le corps central (tig. 23).

o. Glycogène. Cette substance, indiquée en premier lieu chez les Schizophycées par M. Errera (1882), est très abondante chez certaines espèces, en particulier dans le corps central, ainsi que le dit M. Zacharias (1900, p. 18). Ailleurs, le glyco¬ gène est répandu irrégulièrement dans tout le protoplasme, par exemple dans le Phormidium autumnale.

6. Couche pigmentée. Le pigment assimilateur est un mélange de chlorophylline et de phycocyanine.

Les pigments n’existent que dans la couche corticale du protoplasme. Déjà sur le frais, il est facile de s’en assurer; et la chose devient encore beaucoup plus évidente lorsque les cellules ont été colorées par le bleu de méthylène. La zone périphérique garde exactement sa teinte primitive, ou ne prend qu’une très faible teinte bleue, tandis que la partie cen¬ trale, qui ne portait pas de pigment, absorbe fortement le bleu de méthylène.

La faible colorabilité de la couche périphérique ne tient pas simplement au fait qu’elle est imprégnée de pigment assimi¬ lateur. En effet, il y a des Schizophycées dont les cellules sont à peu près incolores, ce qui ne doit pas trop nous étonner, puisque ces organismes ne sont certainement pas des holo- phytes purs, mais peuvent tous éventuellement se nourrir de matières organiques. Ainsi, mes exemplaires de Symploca car- tilaginea, de Lyngbya versicolor (fig. 19) et de Phragmidium autumnale cultivés sur agar (fig. 13) étaient complètement hyalins. Pourtant, la portion périphérique se colorait aussi peu que chez les espèces les plus pigmentées.

Tome LXI.

2

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Lorsque les cellules sont arrondies, les pigments imprègnent toute la couche périphérique, entourant la portion centrale à la façon d’une sphère creuse. En est-il de même dans les cel¬ lules discoïdes, comme celles des Oscillatoriacées et des Scvto- nématacées? La chose a été mise en doute par M. Fischer (1897, pp. 28 et 29, et pi. I, fig. 15 à 18) : il admet qu’ici la couche pigmentée ne s’étend pas sur les faces transversales des cellules, et il lui attribue donc la forme d’un cylindre creux. M. Fischer s’appuie sur l’isolement du « chromatophore » au moyen d’acide fluorhydrique. D’après M. Zacharias (1900, p. 5), cette réaction est loin d’être infaillible; il fait, du reste,, observer que certaines figures de M. Fischer (1897, fig. 15 et 16) ne confirment pas du tout son opinion.

J'ai obtenu par hasard, chez Oscillatoria irrigua et O. prin- ceps, la destruction de tout ce qui est à l’intérieur de la couche pigmentée. A l’aide d’eau de javelle, je voulais dissoudre com¬ plètement le protoplasme de façon à ne laisser que les mem¬ branes, suivant la méthode préconisée par M. Gomont (1892, vol. 15, p. 273). Mais mon eau de javelle était trop vieille : toutes les granulations et le corps central furent seuls dissous, de façon que la couche corticale, légèrement contractée, per¬ sista. Dans la même préparation, il y avait aussi des Diatomées qui subirent le même sort (fig. 8 b) : leurs plastifies se conser¬ vèrent à peu près intactes, avec quelques restes informes du noyau. Sur les Oscillatoria (fig. 8a) colorés ensuite à l’hémato- xylène de Delafield, on voit, de la façon la plus évidente, que la couche pigmentée forme un revêtement complet autour du corps central. Pourtant, il n’en est pas toujours ainsi; et j'ai observé des cas, par exemple chez Phormidium papyraceum (fig. 16 a), certainement le corps central touche les cloisons transversales des cellules et où, par conséquent, la couche corticale constitue un cylindre creux.

Jamais, même chez les grosses cellules de Scytonema ou de Rivularia , je n’ai pu apercevoir le moindre protoplasme hyalin autour de la couche pigmentée. M. Fischer (1897, p. 25) n’a pas vu non plus de bordure claire autour de son « chromato¬ phore ». Il en admet néanmoins l’existence.

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Si la couche pigmentée est nettement limitée vers l'extérieur, il n’en est pas de meme pour sa face profonde. Des coupes faites par M. Fischer (1897, pl. II, fig. 36, 42, 43, 44) montrent, au contraire, que la limite entre la couche corticale et le corps central est loin d’être précise. Je puis confirmer ces observa¬ tions pour Oscillatoria princeps : on colore sur le vif des trichomes par le bleu de méthylène; puis, par de légères pressions, on détache quelques cellules; dans celles qui se disposent à plat, on voit le corps central, fortement coloré, envoyer de fins prolongements dans la couche pigmentée.

Presque toujours, la couche corticale contient des granula¬ tions qui ne se colorent pas par le bleu de méthylène.

Rarement le protoplasme est tout à fait homogène (fig. 12, 13, 20, 23 et 24). Le plus souvent, il y a des granulations petites et très nombreuses (fig. 22, 25 et 26), ou bien moins nombreuses et beaucoup plus grosses (fig. 19, 21, 27 et 28).

Ces granulations ont été appelées par M. Nadson (1895) « grains de réserve », et par M. Bütschli (1890) « grains inco¬ lores » par opposition avec les « grains rouges » que nous ren¬ contrerons plus tard. M. Borzi leur a donné le nom de grains de « cyanophycine », nom qui a été adopté par la plupart des auteurs. Pour les colorer, M. Zacharias recommande de nou¬ veau (1900, p, 26) le carmin acétique de Schneider, qu’il emploie depuis longtemps (1892). J’ai obtenu de très bons résultats en plongeant les trichomes vivants dans du carmin acétique récent, dilué de dix fois son volume d’un mélange à parties égales d’eau et d’acide acétique. Après une action de dix à vingt-quatre heures, les grains ont une vive teinte rose : il est alors facile de voir qu’ils se trouvent exclusivement dans la couche corticale.

7. Corps central. Pour terminer l'examen de la cellule au repos, il ne nous reste qu’à étudier le corps central occu¬ pant tout l’espace laissé libre au milieu de la cellule par l'enve¬ loppe pigmentée. Il est très variable dans sa forme et dans ses dimensions. Nous avons déjà vu qu’il n’est pas nettement

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délimité vis-à-vis de la couche périphérique: les deux substances se pénètrent réciproquement. D’une façon générale, sa forme est en rapport avec celle de la cellule, mais il s’en faut de beaucoup que des cellules de meme volume aient des corps centraux égaux. Pour se rendre compte de ces différences de dimension dans des espèces pourtant voisines, il suffît de com¬ parer les figures 9 et 10. La figure 16, représentant des tri - chômes de la même espèce, dans les mêmes conditions, prises au même moment et traitées de la même façon, est encore plus démonstrative.

D’ordinaire le corps central se colore fortement par le bleu de méthylène dilué, in vivo. Mais on remarque tout de suite qu’il contient deux choses différentes : une substance fonda¬ mentale moyennement colorée et des granulations qui absorbent le bleu avec une très grande énergie.

La substance fondamentale existe toujours, mais sa colorabilité varie beaucoup. Le cas dans lequel elle est le moins visible est représenté par la figure 14; c’est à peine si l’on parvenait à la distinguer; même, je n’ai pas voulu la figurer parce que j’aurais forcer un peu sa coloration. Dans d’autres cas, elle est telle¬ ment marquée par l’abondance des grains qu’elle semble à première vue faire défaut; mais alors un examen plus attentif la fait découvrir.

Les granulations du corps central sont celles que M. Bütschli (1890, p. 19) a appelées « grains rouges » parce qu’elles se colorent en rouge par l’hématoxyline de Dclafield i ; M. Nadson (189o) leur donne le nom de « chromatine»; M. Palla, celui de « boules mucilagineuses » ( Schleimkugeln ). Pour ce dernier

1 J’ai toujours observé une teinte plutôt violette (fig. 10). D’après M. Lauterborn (1896, p. 30), qui les appelle « grains de Bütschli », ils se colorent aussi en rouge violet par le bleu de méthylène. Cette teinte n'est sans doute obtenue que si le bleu de méthylène contient du rouge de méthylène. Toujours est-il que je n’ai jamais eu, avec le bleu de méthylène ordinaire, qu’une teinte bleue. J'observais la teinte rouge violette avec le bleu de méthylène polychrome; M. Bütschli (1898, p. 66) décrit aussi cette réaction.

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auteur, elles sont en dehors du corps central; mais aucun autre observateur ne les a rencontrées dans cette position. Pour ma part, j’ai toujours vu qu’elles étaient à l’intérieur du corps cen ¬ tral ou à sa surface (fig. 23).

Il me paraît même vraisemblable qu’elles sont formées par la même matière, plus condensée, que la substance fondamen¬ tale : elles se conduisent de la même façon en présence de tous les réactifs.

Les granulations du corps central ont des dimensions très variables. Parfois elles sont tellement petites qu’elles se laissent à peine deviner (fig. 13, 20) ; ailleurs, elles deviennent énormes ; il en est ainsi dans certains trichomes de Phormidium autum- nale (fig. 13), tandis que dans d’autres elles sont très petites (fig. 12 b). Ces différences analogues s’observent chez le Ph. papyraceum (fig. 16).

Constitution alvéolaire du protoplasme. Disons ici un mot de la texture intime du protoplasme des Schizophytes qui, d’après M. Bütschli (1890, 1896) est alvéolaire. Jamais je n’ai rien observé qui pût être pris pour de la structure alvéolaire, ni surtout rien qui rappelât, même de très loin, les dessins par trop schématiques que donnent M. Bütschli (1890 et 1896) et M. Nadson (1895t.

§ 2. Structure des cellules en activité.

Après avoir passé en revue les diverses parties de la cellule au repos, voyons maintenant comment se comporte le proto¬ plasme pendant les phases d’activité : division, croissance et mort des cellules végétatives; développement des spores; déve¬ loppement des hétérocystes; développement et germination des conidies.

1. Division cellulaire. Chez les Chamaesiphon, la cellule végétative ne se divise pas. Chez les Chroococcacées, les Oscii- latoriacées et les Nostocacées, toutes les cellules végétatives sont

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aptes à se diviser. Chez les Stigonématacées, les Scytonémata- cées et les Kivulariacées, les nouvelles cellules ne naissent d’ordinaire que dans certaines régions des trichomes.

Les phénomènes qui conduisent à la division cellulaire diffèrent suivant qu’on considère des cellules arrondies à leurs extrémités, ou des cellules cylindriques à cloisons transversales planes.

A. Cellules arrondies. Elles sont isolées chez les Chroo- coccacées, réunies en trichomes chez les Nostocacées. Voici dans quel ordre les modifications se succèdent :

a) La cellule s’allonge ; le corps central s’étrangle plus ou moins en son milieu (fig. 21 b , 23 b et 24).

b) Les progrès de l’étranglement finissent par séparer le corps central en deux moitiés ; en même temps, la membrane cellulaire s’infléchit vers l’intérieur le long de l’équateur de la cellule, ce qui amène la division du protoplasme et la bipar¬ tition de la cellule.

Jamais, à aucun moment, ni chez aucune espèce, je n’ai vu apparaître une disposition particulière de la substance fonda¬ mentale ressemblant à une figure caryocinétique (Bütschli, 1898, pl. ï). Je n’ai pas vu non plus que les granulations exé¬ cutassent pendant la division des mouvements comme ceux que M. Nadson a figurés pour le Merismopedia elegans 1 1 895, pl. IV, fig. 15-20). Pourtant, j’ai eu soin d’étudier avec la plus grande attention de très nombreuses familles de cette même espèce à tous les stades de la division.

B. Cellules cylindriques (Oscillatoriacées , Scytonématacées et Rivular lacées).

a) La cellule s’allonge ; le corps central s’étrangle plus ou moins en son milieu (fig. 9, 10 et 17).

Quand les cellules sont très peu élevées, comme c’est le cas pour beaucoup d’Oscillatoriacées, l’étranglement initial semble faire défaut, et le corps central se montre tout de suite formé de deux plaques parallèles entre elles (fig. 17).

b) Que les cellules soient hautes (fig. 9, 10) ou plates

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(fig. 17, 25 a), le corps central est maintenant divisé en deux moitiés; en même temps on voit, suivant l’équateur de la cel¬ lule, se détacher, à la surface interne de la membrane, une saillie annulaire qui s’accroît vers l’axe de la cellule et finit par constituer une cloison séparatrice. Souvent, une nouvelle saillie pariétale naît dans chacune des cellules filles, avant même que la première cloison soit terminée (fig. 9 et 17).

Ce mode centripète de bipartition n’a rien d’exceptionnel; il est au contraire très répandu chez tous les organismes infé¬ rieurs, aussi bien chez les Algues ( Cladophora , Spirogyra , etc.) que chez les Flagellâtes ( Polytoma , etc.), chez les Bactéries {voir Migula, 1894, fig. 10, 11 et 12) et chez les Champignons (voir Dangeard, 1899, 1).

2. Allongement des cellules. Chez les Rivulariacées, le trichorne se termine vers le haut par un poil composé de cel¬ lules très allongées. Les figures 30 a et 30 b montrent le début de la transformation chez Dichothrix Baueriana : des vacuoles apparaissent dans la couche périphérique ; en même temps, le corps central s’étire; souvent il se fragmente, et finalement il est réduit à presque rien. Chez Rivularia , M. Zacharias (1900, p. 33) a vu le corps central disparaître comme tel, ne laissant que quelques granulations. J’ai observé le même phé¬ nomène (fig. 29).

3. Formation et germination des conidies (fig. 20). On donne le nom de conidies à de petites cellules provenant de la segmentation des cellules végétatives des Chamésiphonacées et servant à la propagation.

Dans les cellules végétatives adultes, qui sont très longues, le corps central occupe toute la longueur de la cellule (fig. 20 c, b)\ parfois il est même plus long et est obligé de se replier (fig. 20c). 11 a une surface très irrégulière; ses granula¬ tions sont tout à fait indistinctes et condensées de façon très inégale.

Quand la cellule se dispose à former une conidie, une petite

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portion terminale du corps central se détache et s’arrondit; bientôt une constriction annulaire de la couche interne isole la jeune conidie (fig. 20 d, e, g). Le même phénomène se répète un grand nombre de fois (fig. 20 f, g , h). Les conidies isolées sont rondes; généralement, elles grossissent un peu avant de germer (fig. 20 ï).

La germination ne se fait qu’en contact d’un corps solide; c’est la position du point de contact qui déterminera l'orien¬ tation de i’axe du futur organisme. Vers le point d’attouche¬ ment, la conidie envoie un pied un peu élargi (fig. 20 j) et, à partir de ce moment, la plante croît perpendiculairement à son support (fig. 20 j,k). La cellule s’allonge sans se cloisonner; elle s’élargit vers le haut; son corps central s’amincit de plus * en plus vers le bas. Quand elle a la longueur voulue, la cellule commence à donner des nouvelles conidies.

4. Désorganisation de la cellule. Lorsque dans un trichome une cellule meurt, on constate tout d’abord que le corps central se désagrège et que la matière constituant les granulations se répand à travers toute la cellule; la couche corticale, de son côté, laisse échapper son pigment qui diffuse vers le centre de la cellule (fig. 27 sous h , 30 c). Au lieu de la coloration habituelle, les cellules traitées par le bleu de méthylène prennent souvent une teinte verdâtre, due au mélange des diverses substances protoplasmiques.

o. Développement des spores. La cellule végétative des¬ tinée à devenir une spore s’accroît dans tous les sens. Mais ses diverses parties ne s’agrandissent pas également. La couche pigmentée, souvent bourrée de grains de cyanophycine, s’allonge et s’élargit de façon à entourer toujours le corps cen¬ tral, mais elle ne s’épaissit pas; il en résulte que l’espace central devient proportionnellement plus grand (fig. 21a). Lorsque la spore, pourvue maintenant d’un très gros corps central, a presque atteint ses dimensions définitives, sa mem¬ brane commence à s’épaissir. Le grand développement du

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corps central dans les spores se voit très bien aussi sur la figure que M. Nadson (1895, pl. V, fig. 54) donne de YAphani- zomenon.

6. Développement des hétérocystes. Les espèces les plus favorables à cette étude sont celles qui ont des hétérocystes terminaux, par exemple : Nostoc sphaericum (fig. 22), Cylin- drospcrmum et Rivularia (fig. 28).

Quand les cellules végétatives contiennent des grains de cyanophycine, la première modification consiste dans la dis¬ parition de ces grains (fig. 22 b). Puis le corps central se désor¬ ganise et les granulations centrales envahissent tout le proto¬ plasme. Petit à petit, les grains colorables par le bleu de méthylène se dissolvent jusqu’à ce que finalement le contenu prenne tout entier une teinte uniforme, bleue ou verdâtre, qui dépend des quantités relatives de pigment assimilateur et de matière centrale que contenait la cellule (fig. 22 c, d, e). On peut comparer, par exemple, les hétérocystes de Tolypothrix (fig. 27) avec ceux de Rivularia (fig. 25) et ceux de Nostoc (fig. 22). Chez certaines espèces, la dissolution des grains cen¬ traux n’est jamais complète, et le contenu de l’hétérocyste adulte reste un peu granuleux ou plus coloré au milieu qu’à la périphérie (fig. 21 h).

D’une manière générale, ces modifications rappellent beau¬ coup celles qui accompagnent la mort de la cellule.*Pourtant les hétérocystes ont un protoplasme vivant, ainsi que le prouve la formation d’une membrane résistante; d’ailleurs leur protoplasme est semiperméable, comme celui des cellules végétatives.

Pendant que ces divers changements s’accomplissent à l’intérieur de la cellule, la membrane subit un épanouissement notable. A l’endroit elle touche aux cellules voisines, la membrane devient souvent un peu plus grosse (fig. 21,27); souvent même elle y présente un point saillant vers l’intérieur (fig. 28). Chez beaucoup de Nostocacées, on aperçoit une mince traînée protoplasmique traversant la portion épaissie de la membrane (fig. 24 et 23).

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A partir du moment la cellule végétative se dispose à devenir un hétérocyste, elle cesse de former de nouvelles couches gélifiées (fig. 21), ce qui fait que le plus souvent les hétérocystes ne sont plus englobés dans la gaine gélatineuse entourant le trichome (Riviilaria natans, Nostoc sphaericum, fig. 22).

(Pendant l’impression de ce mémoire, deux travaux importants me sont parvenus.

M. Bütschli (Meine Ansicht über die Structur des Protoplasmas und einige ihrer Kritiker, dans Archiv fur Entwickelungsmechanik der Organismen, Bd XI, S. 499) défend de nouveau ses idées sur la structure alvéolaire du protoplasma. Les photographies de Toligpothrix qui sont jointes à ce travail ne sont aucunement convaincantes.

Le mémoire posthume de Hegler ( Untersuchungen über die Organisa¬ tion der Phigcochromaceenzelle, dans Jahrb. f. wiss. Bot., Bd XXXVI, S. 299) contient d’abord un historique très complet. Des recherches de l’auteur ressortent les deux points suivants : a) la couche périphérique ne constitue pas une plastide, mais elle contient un très grand nombre de plastides minuscules ; b) le corps central est un noyau qui se divise par caryocinèse. Ce travail est également accompagné de photographies peu démonstratives : la caryocinèse ne s’y voit pas. Quant aux multiples petites plastides, je n’ai jamais rien aperçu qui pût leur être comparé.)

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II. INTERPRETATION DES FAITS.

Maintenant que nous connaissons les diverses parties de la cellule des Schizophytes, tant à l’état d’activité qu’à l’état de repos, nous pouvons essayer de répondre aux questions suivantes :

La couche pigmentée est-elle une plastide ?

Le corps central des Schizophycées est- il un noyau ?

Les grains colorés des Bactéries sont-ils des noyaux ?

Enfin, la cellule des Schizophytes est-elle comparable à celle des autres organismes ?

A. Couche pigmentée. Pour qu’elle puisse être comparée à une plastide colorée ou chromatophore, telle qu’il en existe chez les autres plantes, il faudrait évidemment qu’elle eût une certaine individualité. Or, vers l’extérieur, la couche pigmen¬ tée n’est pas entourée de cytoplasme; vers l’intérieur, ses limites avec le corps central sont tout à fait indécises. La plas¬ tide vraie, au contraire, est toujours un organe fermé, nette¬ ment séparé du cytoplasme, même chez les Euglènes et les autres Flagellâtes pourvus de plastides. D'ailleurs, voit-on chez d’autres organismes des vacuoles à gaz et des vacuoles liquides se loger dans des plastides, comme chez les Schizo¬ phycées ? Sa fonction assimilatrice seule rapproche incontes¬ tablement la couche périphérique des plastides colorées. Mais tous les morphologistes sont d’accord pour n’accorder aucune valeur à la fonction d’un organe.

B. Corps central. M. Bütschli (1896, p. 43) dit fort jus¬ tement qu’aucun observateur placé devant un trichome bien coloré d 'Oscillatoria, n’hésiterait à reconnaître les corps cen-

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traux pour des noyaux. On peut se demander si ce n’est pas cette ressemblance toute superficielle qui a amené MM. Zacha- rias (1890), Bütschli (1890, 1890), Scott (1888), Dangeard ( 1892) et d'autres auteurs à appeler le corps central un noyau.

Dans ces dernières années, MM. Bütschli (1896) et Fis¬ cher (1897) ont, chacun de son côté, repris et discuté tous les arguments pour et contre la nature nucléaire de l’organe en question; ils sont arrivés, naturellement, à des conclusions opposées. Je crois inutile d’exposer par le menu toutes ces raisons. Voici les principaux arguments qui ont été invoqués en faveur du noyau des Schizophycées :

a) Les caractères chimiques du corps central qui le rappro¬ chent plus ou moins de la chromatine. On s’est surtout basé sur sa non-solubilité par ces ferments digestifs et sur sa grande atii n ité pour les matières colorantes. Récemment, M. Mac Allum a encore indiqué la présence d’une substance analogue à la chromatine et contenant du fer et du phosphore (1898).

b) L’apparition pendant la division cellulaire de quelque chose qui rappelle vaguement une figure caryocinétique.

Les opposants ont beau jeu vis-à-vis de pareils arguments : a) Les caractères chimiques sont loin d’être constants; ils sont d’ailleurs insuffisamment établis.

Une réaction qui, au premier abord, semble très probante, la eolorabilité par le bleu de méthylène à l’état vivant, - n’a, en réalité, aucune valeur. Fn effet, le bleu de méthylène n’est pas l’une des matières qui colorent le noyau vivant (voir Campbell, 1888, p. 570). M. Lauterborn (1816, p. 9) dit également que la coloration du noyau vrai par cette matière ne commence que lorsque la cellule est déjà malade. D’autre part, des granula¬ tions qui se colorent intensément quand les cellules vivantes sont plongées dans le bleu de méthylène dilué, existent non seulement chez les Schizophycées, mais aussi chez beaucoup d’autres organismes inférieurs. A ceux que MM. Bütschli (1890, p. 30) et Lauterborn (1896, p. 31) indiquent, on peut en

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ajouter pas mal d’autres : parmi les Algues, OEdorjonium sp., Conferva sp., Ophiocytium cochleare, Pediastrum Ehrenbergi , Scenedesmus sp., Zygnema sp., et surtout Mesocarpus sp.; parmi les Champignons, une Chytridinée parasite de Mesocar¬ pus, une Ancylistinée parasite de Conferva, un Collema sp.; Amaebidium parasiticum, etc. On observe, notamment chez les Protococcinées (Ophiocytium, Pediastrum, Scenedesmus, etc.), que toutes les cellules ne sont pas également pourvues de ces grains; tantôt ceux-ci font défaut, tantôt la cellule en est bourrée.

b) Les soi-disant figures caryoeinétiques ne sont pas non plus fort démonstratives : celles qui ont été décrites par M. Bütschli (1898, 11 g. 1 et 2) ont été vues sur des préparations d’une Nostocacée flambée sur la lamelle à la façon d’une Bac¬ térie ; cette préparation fut colorée et photographiée; l’épreuve fut ensuite agrandie, retouchée, enfin rapetissée. Telle qu’elle se présente après ces manipulations, elle n’est pas du tout pro¬ bante et laisse l’impression d’avoir été mal mise au point.

M. Scott (1888) a aussi donné des figures peu probantes de la division plus ou moins indirecte du corps central.

M. Nadson (1895, p. 72) considère comme transition de la division directe à la division indirecte, les mouvements des grains centraux qu’il dit avoir observés et que je n’ai pas pu retrouver.

Ajoutons encore qu’il y a d’autres arguments décisifs, me semble-t-il, contre l'assimilation du corps central à un noyau.

c) L’absence de limites nettes. 11 est bien vrai que M. Scliau- dinn a décrit chez Amoeba crïstaUigera un noyau sans mem¬ brane; mais ici le noyau était bien délimité, ce qui n’est pas le cas pour le corps central des Schizophytes.

d) La vacuolisation du corps central chez le Scytonema cincinnatum.

e) La présence de vacuoles à gaz dans le corps central de Phormidium fragile (?j et d'un Anabacna et leur absence dans les hétérocystes de ce dernier.

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f ) La façon dont le corps central se comporte lorsque la cel¬ lule s’allonge (chez Chamaesiphon et chez les Rivulariacées) ou qu’elle devient une spore ou un hétérocyste. Il n’y a pas d’exemple qu’un vrai noyau devienne énormément plus gros lorsque la cellule qui le contient passe à l’état de vie latente; c’est pourtant ce qui a lieu lors de la transformation d’une cel¬ lule végétative en spore (fig. 21) ; de même, il serait tout à fait exceptionnel que le noyau disparût ou se fragmentât dans une cellule qui reste vivante, ainsi que cela se produit dans les cel¬ lules qui deviennent des hétérocystes (fig. 21, 22 et 28), et dans celles qui occupent l’extrémité prolongée en poil d’un trichome de Hivulariacée (fig. 29 et 30).

C. Grains colorés des Bactéries. M. Bütscbli n’attribua pas seulement un noyau aux Schizophycées; les Bactéries ont aussi, d’après lui, un noyau typique dans lequel sont englo¬ bés les grains colorés. Ce noyau occupe presque la totalité du protoplasme; â peine y a-t-il parfois un peu de cytoplasme aux extrémités ou à la périphérie de la cellule. Cette interprétation a été combattue par M. Migula (1894 et 1897) et M. Fischer (1897). Il ne me paraît pas douteux que les observations si pré¬ cises de M. Migula sur Bacillus oxaiaticus (1894), observations que j’ai eu l’occasion de refaire, renversent complètement la théorie de M. Büîschli.

M. Meyer (1897 et 1899) a soutenu une autre opinion. Lui aussi admet que la cellule de Bactérie est nucléée; même, elle contiendrait des noyaux multiples, jusque six : il considère comme tels les grains colorés (les mêmes qui dans mes prépa¬ rations se colorent par le bleu de méthylène).

A ce compte, le Scytonema cincinnatum contiendrait un nombre incalculable de noyaux. Mieux encore, les Diatomées et un grand nombre d’autres Algues possèdent, outre le noyau de tout le monde, reconnu par tous les observateurs, plusieurs petits noyaux au sens de M. Meyer.

C’est également M. Migula (1898) qui a montré l’inexactitude de l’idée de M. Meyer. Il a fait voir, par exemple, que les Bac-

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téries jeunes n’ont pas de granulations; que celles-ci naissent au sein du protoplasme; qu’elles ne se divisent jamais; bref, qu’elles ne se comportent pas du tout comme des noyaux.

D Signification de la cellule des Schizophytes. D’après tout ce qu’on vient de voir, la cellule des Schizophytes n’est pas construite sur le même modèle que celle des autres orga¬ nismes.

Les Bactéries ont un protoplasme uniforme, contenant quel¬ ques granulations colorables par le bleu de méthylène.

Chez les Schizophycées, les grains colorés sont tous au milieu de la cellule, dans le corps central ou en contact immé¬ diat avec lui. Mais la différenciation est loin d’être complète, et la cellule la plus spécialisée des Schizophycées nous appa¬ raît encore comme une simple masse protoplasmique dont la portion périphérique porte un pigment assimilateur et dont l’espace central sert de réservoir à des substances déter¬ minées.

La cellule des Schizophytes ne contient donc ni une plastide ni un noyau typique. Peut-on néanmoins admettre que la couche corticale représente phylogénétiquement une plastide, qu’elle est l’ancêtre de la plastide des Algues, et que le corps central a les mêmes relations vis-à-vis du noyau d’une cellule typique? A mon avis, rien ne confirme cette manière de voir : les différences entre les prétendus organes ancestraux et les organes dérivés sont trop grandes, et aucune forme de transi¬ tion entre eux n’est connue.

II faut, je pense, considérer que parmi les cellules des êtres vivants, il y a deux types distincts : d’une part, la cellule com¬ posée de cytoplasme et d’un noyau, éléments primordiaux auxquels s’ajoutent les plastides chez beaucoup de plantes et de Flagellâtes; d’autre part, la cellule des Schizophytes à structure beaucoup plus simple.

III. - SUR LA CLASSIFICATION DES ORGANISMES

INFÉRIEURS.

Les Schizophyles forment-ils un groupe naturel? Cela n’est plus contestable depuis queCobn (1875, p. 202) a montré que les Ractéries, loin de ressembler aux Champignons, sont proches parentes des Cyanophycées. Il poussa même son sys¬ tème beaucoup plus loin et répartit simplement les genres de Ractéries au milieu des Cyanophycées. L’idée fondamentale de Colin a acquis droit de cité, mais on a renoncé, avec raison, à intercaler les genres incolores parmi ceux qui sont pig¬ mentés.

Les différences dans la structure du protoplasme montrent qu’il faut subdiviser lesSchizophytesen deux groupes distincts : les Bactéries et les Schizophycées. Les Thiobactéries avaient été d’abord intercalées par M. Migula (1896) parmi les Bactéries proprement dites; mais, plus tard (1898), il les a, avec raison, détachées pour en faire un groupe autonome.

Les plus primitifs des Schizophytes sont les Bactéries. Il est, en effet, bien évident que M. Bütschli (1890, p. 33) a raison lorsqu’il dit que lors de l’apparition de la vie sur notre planète, les premiers organismes pouvaient fort bien être des sapro¬ phytes qui se nourrissaient des matières organiques non

( 33 )

employées à la formation des cellules. Ajoutons que, d’après ce que nous venons de voir, les Bactéries ont une structure beaucoup plus simple que les Schizophycées ; or, aucun fait n’est de nature à faire supposer que cette simplicité est secon¬ daire : les Bactéries sont des cellules simples, non des cellules simplifiées.

Des Bactéries proprement dites descendent, d’une part, les Thiobactéries, restées à un stade inférieur d’évolution, d’autre part, les Schizophycées, dont la structure protoplasmique atteint son maximum de différenciation. Parmi ces dernières, les Chroococcacées formes inférieures ont gardé les cellules toutes semblables, et la plupart d’entre elles n’ont même pas encore acquis la propriété de passer à l’état de vie latente : toutes les cellules sont immortelles, mais à la condi¬ tion de ne jamais se reposer. Quand nous nous élevons dans la série des Schizophycées, nous rencontrons des groupes tels que les Nostocacées, qui, outre les cellules végétatives, possèdent des cellules spécialisées, prédestinées à la mort pré¬ coce (hétérocystes), et des cellules capables de passer à l’état de repos (spores). Mais le trichome a conservé ses deux bouts égaux. A un degré plus élevé d’évolution, le trichome est fixé par l’un de ses bouts : chez les Stigonématacées, la croissance s’effectue presque uniquement par le bout libre; chez les Bivu- lariacées, l’extrémité distale est prolongée en un poil incolore.

Le Chamaesiphon possède, tout comme une Bivulariacée, un bout proximal et un bout distal. A ce point de vue, il est donc plus spécialisé qu’une Nostocacée. Mais il n’en est pas de même pour la différenciation des cellules : les individus adultes sont unicellulaires et tous égaux. Mais dans ces cellules toutes semblables, il y a une curieuse différenciation intra¬ cellulaire : le bout distal seul est capable de former des gonidies; dès qu’un certain nombre de celles-ci ont été déta¬ chées, le bout inférieur, quoique encore pourvu d'un corps central et d’une couche pigmentaire, est devenu incapable de se segmenter davantage (fig. 20 h), et il finit par mourir. 11 y a donc dans chaque cellule une portion virtuellement immor-

Tome LXI. 3

( 34 )

telle (l’extrémité libre) et une portion vouée à la mort (l’extré¬ mité fixée). Or, nous avons vu (p. 24) que ce sont les conditions extérieures contact avec un corps solide qui décident de la polarité de la conidie au moment de la germination.

Récemment, M. Meyer (1897 et 1899) a voulu remettre les Bactéries avec les Champignons. Se basant sur la prétendue découverte de noyaux dans la cellule de Bactérie et sur le mode de formation des spores autour de ces noyaux, il assimila la cellule sporifère à un asque et rapprocha les Bactéries des Ascomycètes. Cette opinion n’a pas de fondement réel.

On peut, je pense, représenter comme ceci la filiation des divers groupes de Schizophytes :

BACTÉRIES PROP. DITES

?

Les Schizophytes n’ont, à mon avis, de parenté avec aucun autre groupe d’organismes.

Essayons de montrer successivement: a) que les Schizophytes et les autres organismes ne descendent pas d’un ancêtre coin-

( 35 )

mun ; b) qu’ils ne dérivent d’aucun autre groupe ; c) qu’ils n’on: pas donné naissance à un autre groupe.

La cellule des Schizophytes est tellement différente de celle des autres organismes inférieurs, qu’on ne réussit vrai¬ ment pas à se figurer comment pourrait être l’ancêtre commun dont dériveraient les uns et les autres. Les Flagellâtes les plus inférieurs, aussi bien que les Rhizopodes primitifs, exécutaient probablement des mouvements amiboïdes. Or, ceux-ci man¬ quent aux Schizophytes; et rien ne fait supposer qu’ils aient été perdus dans l’évolution. Au contraire, les attractions molé¬ culaires qui siègent dans les cellules, si petites, des Bactéries, excluent la possibilité de déformations amiboïdes. D’ailleurs, les Bactéries, même les plus ténues, ne sont-elles pas incluses dans une enveloppe rigide?

Les Schizophytes ne proviennent ni de Rhizopodes ni de Flagellâtes. Nulle part, chez ceux-ci, les cellules ne sont aussi peu différenciées que chez les Schizophytes, surtout que chez les Bactéries. Même le Protomyxa pallida (décrit par M. Gruber (1888) a des éléments chromatiques indiscutables; seulement, au lieu d’être concentrés en un noyau, ils sont disséminés dans tout le cytoplasme. Les Schizophytes, eux, n’ont sans doute pas de chromatine vraie (voir Zacharias, 1900, p. 32). Parmi les Amoebci, l’un des plus primitifs est certes A. cristalli- gera, décrit par M. Schaudinn, le noyau est privé de mem¬ brane propre ; mais l’organisme possède tout de même un noyau indiscutable. De même, tous les Flagellâtes ont un noyau typique. Quelles raisons y a-t-il de supposer que les Schizo¬ phytes proviennent des Rhizopodes ou des Flagellâtes? Pas une. 11 serait surprenant que la cellule se fût simplitiée au point de devenir une cellule de Bactérie, et cela sans garder aucune trace de sa complexité originelle.

Enfin, demandons-nous si les Schizophytes ont produit d’autres groupes? C’est surtout des Schizophytes aux Algues que les botanistes aiment à établir une filiation. A première vue, le fait que ces organismes vivent dans l’eau et ont la faculté de vivre en holophytes paraît établir entre eux de solides relations

( 36 )

de parenté. Mais on s’aperçoit bien vite que ce ne sont que des illusions. Le mode de vie n’a évidemment aucune impor¬ tance au point de vue qui nous occupe. Quant à la présence de pigments assimilateurs, elle a pu être acquise indépendamment par les Schizophycées d’une part, par les Flagellâtes, ancêtres des Algues, d’autre part. Une telle convergence n’aurait rien d’improbable i.

J’ai eu l’occasion d’étudier récemment deux organismes inférieurs, qui tous deux possèdent une chromophylle présen¬ tant, au moins quant à son aspect microscopique et à sa solu¬ bilité, une identité complète avec le mélange de chlorophylline et de phycocyanine; ce sont un Flagellate proprement dit (Cryp- tomonas glauca Ehr.) et un Péridinien ( Gymnuclinium sp. n.). Il est bien évident que les Schizophycées et ces deux orga- nismes-ci ne peuvent pas avoir hérité leur chromophylle d’un ancêtre commun et qu’il s’agit uniquement d’une convergence.

D’un autre côté, on est frappé de la grande affinité qui existe entre les Flagellâtes et les Protococcinées, qui sont à la base de la principale lignée des Algues vertes. Tout ce que nous savons laisse croire que les Protococcinées sont des Flagellâtes fixés et qu’il en est de même des autres vraies Algues.

U y a pourtant parmi les Algues une division qu’on ne peut pas rattacher sûrement aux autres : c’est celle des Floridées. Beaucoup de genres qui avaient été d’abord décrits comme Cyanophycées ont été plus tard, quand on les connut mieux, classés parmi les Banginées, qui sont les Floridées inférieures. Si je rappelle ce fait, c’est uniquement pour ajouter que cela 11e constitue pas du tout un argument en faveur d’une parenté quelconque entre les Schizophytes et les Floridées : erreur ou ignorance ne fait pas compte.

En somme, nous constatons que les Schizophytes sont un groupe fermé n’ayant d’afiinité avec aucun autre.

1 Se rappeler, par exemple, que des vrilles ayant exactement le même mode de fonctionnement dérivent tantôt de feuilles, tantôt de tiges, dans les familles les plus diverses.

INFUSOIRES.

( 37 )

Le tableau suivant est destiné à résumer nos connaissances actuelles sur la phylogénie des organismes.

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( 38 )

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PLANCHES

PLANCHE I

EXPLICATION DE LA PLANCHE I.

Bl. métli. = coloré vivant par le bleu de méthylène à .. .

Fig. 1. Bacillus Megaterium, d’une culture sur agar de 2 jours. BL méth. Vsoooo» 2 heures.

Fig. 2. B. Megaterium, d’une culture sur agar de 21 jours. Bl. méth. V20000» 2 heures.

Fig. 3. Chlamydolhrix fluitans , d’une infusion de feuilles. Bl. méth. lii 0 ooo’ 10 heures.

Fig. 4. Bacillus sp. de Coxyde, non coloré.

Fig. 5. Beggiatoa leptomitiformis, fixé par l’alcool absolu, coloré par l’hématoxyline de Delafield.

Fig. 6. B. torulosa. a , BL méth. Viooooi 24 heures. b, fixé par alcool absolu 100, sublimé 1, acide acétique 1; coloré par l’hématoxyline de Delafield. c, fixé par l’alcool absolu; coloré par l’hématoxyline de Delafield.

Fig. 7. Achromatium oxaliferum. Individu privé d’enclaves solides. Bl. méth. ili o 000 , 24 heures.

Fig. 8a. Oscillatoria irrigua, traité 20 heures par l’eau de javelle faible, puis coloré par l’hématoxyline de Delafield.

Fig. 8b. Diatomée traitée en même temps que l’Oscillaire.

Fig. 9. Oscillatoria simplicissima. BL méth. Vioooo* 7 heures.

Fig. 10. O. chalybea, fixé par l’acide chromique à 1 °/0 et coloré par l’hé- matoxyline très diluée, 2 jours.

Fig. 11. Phormidium fragile (?) a) Frais. b) BL méth. */* oôoo* 20 heures»

Acad. K. des sciences. - Mém. in 8" T. LXI .

PL T

PLANCHE II

EXPLICATION DE LA PLANCHE IL

Kl. méth. = coloré vivant par le bleu de méthylène à ...

Fig. 12. Phormidium autumnale, pris dans les conditions naturelles.

Bl. méth. Vtoooo’ a> coloré 1 heure; b , c, d, colorés 3 */2 heures.

Fig. 13. P. autumnale , cultivé 3 mois sur agar. Bl. méth. ‘/toooo» 80 minutes.

Fig. 14. P. autumnale, cultivé 3 mois sur agar. puis 24 jours dans Peau.

Bl. méth. ’/io ooo* 3 heures. Le trichome est interrompu sur une longueur de 270 u.

Fig. 15. P. tenue, Bl. méth. 1/20oooi 1 heure.

Fig. 16. P. papyraceum , colorés tous de la môme façon : Bl. méth. 4/so ooo’ 1 heure.

Fig. 17. Lijngbya putealis. Bl. méth. '/aoooo? 1 heure. a, b, c, d, stades successifs de la division cellulaire.

Fig. 18. L. aerugineo-caerulea. Bl. méth. V200001 l heure.

Fig. 19. L. versicolor. Bl. méth. Osoooo- 30 minutes.

AcacL. R . des sciences . - Mém. in ô 9 T. L XI

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PLANCHE III

EXPLICATION I)E LA PLANCHE III.

Fig. °20. Chamaesiphon confervicola. Coloré vivant par le bleu de méthy¬ lène à V 25oooi 20 heures.

a. Sommet d’un individu adulte.

b. Base du même.

c. Sommet avec corps central tortueux.

d. e, /, g, h. Formation des conidies.

i. Conidies isolées.

j, k. Germination des conidies.

Acad.R-d.es scierLces Mé.m. in 8 9 T . LXI .

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PLANCHE IV

EXPLICATION DE LA PLANCHE IV.

BI. méth. = coloré vivant par le bleu de méthylène à ...

Fig. 21. Noctoc spongiaeforme, avec gaines gélatineuses multiples. Bl.

méth. 1/20 ooo' 4 heures. a, stades successifs de la formation des spores; les supérieures sont les plus avancées. b, divi¬ sion cellulaire.

Fig. 22. N. sphaericum, familles jeunes. Bl. méth. V200001 2 heures.

a, b, c, d, e, stades successifs de la formation de l’hétérocyste.

Fig. 23. Anabaena variabüis. Bl. méth. V20 000* 1 heure. a , hétérocystes jeunes. b, divisions cellulaires.

Fig. 24. Gonidies de Peltigera canina. Bl. méth. Vioooo» 1 heure.

PLAJNCHE Y

Tome LXI,

4

EXPLICATION DE LA PLANCHE V.

Bl. méth. = coloré vivant par le bleu de méthylène à . ..

Fig. 25. Scytonema cincinnatum. Bl. méth. ‘/îo ooo> 24 heures. a, cel¬ lules jeunes. b , cellules adultes.

Fig. 26. S. Myochrous. Bl. méth. Vioooo» 24 heures. Vers le milieu, une cellule morte.

Fig. 27. Tolypothrix tennis. Bl. méth Viooooi 27 heures. a, fausses ramifications, sous les hétérocystes. b, sommets en voie de croissance. h, hétérocystes

*

PLANCHE VI

EXPLICATION DE LA PLANCHE VI.

Bl. méth. = coloré vivaut par le bleu de méthylène à .. .

Fig. 28. Rivularia sp. Bl. méth. 1/20oooï 2 heures. a, hétérocyste jeune. b, hétérocyste presque adulte.

Fig. 29. R. natans. Bl. méth. Vtoooa' 2 heures. Trois cellules de l’extré¬ mité amincie d’un trichome.

Fig. 30. Dicholhrix Bauericinus. Bl méth. bhoooo' 24 heures, a, extré¬ mité amincie d’un trichome. b, continuation (vers le bas) de la figure 30a. c, portion de trichome avec cellules nor¬ males (n) et cellules à divers états de désorganisation (m1, m2, m5, m4.)

Acad. R . des sciences Mém. in 8- T . LXf .

PL. V]

SOMMAIRE

Introduction

Pages.

3

I. Observation des faits

d

A. Méthode .

B. Li ste des organismes étudiés .

C. Schizomvcctes . .

C J

a) Bactéries proprement dites .

b) Thiobactéries . .

D. Schizophycées .

§ 1. Structure de la cellule végétative adulte au repos .

4. Membrane . . .

d

8

41

14

12

44

a

u

ib

2. Communications protoplasmiques . .

3. Vacuoles à gaz .

4. Vacuoles à suc cellulaire .

o. Glvcogcne .

6. Couche pigmentée .

Grains de cyanophycine .

T. Corps central .

Substance fondamentale .

Granulations centrales .

Constitution alvéolaire du protoplasme . . 5 2. Structure de la cellule en activité .

1. Division cellulaire .

A. Cellules arrondies .

B. Cellules cylindriques .

2. Allongement des cellules .

3. Formation et germination des conidies .

4. Désorganisation de la cellule .

b. Développement des spores .

6. Développement des hétérocvstes . . . .

4b

16

1T

47

49

49

49

20

21

24

24

22

22

23

23

24 24

2d

( 54 )

Pages.

II. Interprétation des faits . 27

A. Couche pigmentée . 27

B. Corps central . . ' . 27

C. Grains colorés des Bactéries . 30

D. Signification de la cellule des Schizophytes . 31

III. Sur la classification des organismes inférieurs ...... 32

Bibliographie . 38

Explications des planches . 41

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CONTRIBUTION A L’ÉTUDE

DES

COMBINAISONS ORGANIQUES

DU FLUOR

PAR

Fr. SWARTS

Professeur à l'École du Génie civil annexée à l'Université de Gand.

Couronné par la Classe des sciences dans la séance du 17 décembre 1900.)

Tome LX1.

a

Mémoire rédigé en réponse à la question : On demande de compléter , par des recherches nouvelles, V étude des dérivés carbonés d'un élément dont les combinaisons sont peu connues, posée par l’Académie royale de Belgique dans son programme du concours pour l’année 1900.

AVANT-PROPOS

Au nombre des éléments dont les combinaisons organiques n’ont été étudiées avec quelque détail que dans ces dernières années, il faut mentionner le fluor.

Parmi les causes qui expliquent cette indifférence vis-à-vis des dérivés organiques de cet halogène, il faut citer surtout la difficulté qu’on a rencontrée pendant très longtemps pour obtenir ces combinaisons.

C’est à Dumas et Péligot que l’on doit la découverte du premier fluorure organique : ils isolèrent le fluorure de méthyle (*), en 1836, par l’action de l’acide méthylsulfurique sur le fluorure de potassium.

Peu de temps après, Frémy (**) préparait le fluorure d’éthyle par une réaction analogue.

L’acide métafluorbenzoïque et le fluorbenzol furent recon¬ nus par Schmidt et Gehnen (***) en 1870. Ils obtinrent l’acide fluorbenzoïque par l’action de l’acide fluorhydrique sur l’acide diazoamidobenzoïque. En chauffant son sel de calcium avec de la chaux, ils isolèrent le fluorbenzol.

(*) Dumas et Péligot, Nouvelles combinaisons du méthylène. (Ann. de CHIMIE ET DE PHYSIQUE, 2e sél\, t. LXI, p. 193.)

(**) Frémy, Recherches sur les fluorures. (Ibid., 3e sér., t. XLV1I, p. 13.)

(***) Schmidt und Gehnen, Ueber Fluor benzols aure und Fluorbenzol. (Journal fur prakt. Chemie, 2e sér., Bd I, S. 394.)

En 1879, Lenz (*) décrivit l’acide p. fluorbenzolsulfonique, obtenu en diazotant l’acide sulfanilique et en détruisant le diazo-dérivé par l’acide fluorhydrique. Il décrit avec soin ce corps et ses dérivés et montre que le point de fusion des composés fluorés qu’il a isolés est inférieur à celui des dérivés chlorés ou bromés correspondants.

Paterno et Olivieri ont contribué dans une large mesure à étendre nos connaissances sur les dérivés aromatiques fluorés (**). Ils isolèrent les trois acides fluorbenzoïques, les acides tluoranisique et fluortoluique par la réaction déjà utilisée par Schmidt.

Wallach découvre, en 1886, un nouveau procédé d’obtention de composés aromatiques fluorés dans l’anneau (***).

11 part de diazoamidocomposés dérivés de la pipéridine, pour obtenir, par l’action de l’acide fluorhydrique, la substi¬ tution du fluor au groupe -N^-R.

Dans un second travail plus important, fait en collaboration avec Heusler (lv), il décrit une série très importante de fluorures aromatiques. En outre, il montre que la substitution du fluor à l'hydrogène augmente la densité, n’a point d’influence sen¬ sible sur le point d’ébullition, tandis que le remplacement du chlore par le fluor est suivi d’un abaissement du point d’ébullition beaucoup plus grand que celui que provoque le

(*) Lenz, Ucber Fluorbenzolsulfonsaure und Schmetztemperaturen sub- stitnirter Benzolsulfonverbindungen. (Berichte der deutschen chem. Geseleschàft, Bd XII, S. 580.)

(**) Paterno und Olivieri, Untersuchungen ïiber Fluorbcnzolsaure , Fluoranisaurc und Fluorsolnylsaure. (Bd XV, R., S. 1197.)

(***) Wallach, Ucber einen Weg zur leichten Gewinnung organischer Fluorvcrbindungen. (Liebig’s Ann., Bd CCXXXV, S. 235.)

(,v) Wallach und Heusler, Ueber organische Fluorvcrbindungen. (Ibid., Bd CCXLI1I, S. 219.)

remplacement du brome par le chlore ou de l’iode par le brome.

Pour étudier la solidité des liens unissant le fluorau carbone, il institue une série d’expériences. Il fait agir le sodium sur le fluorbenzol et obtient du diphényle; par l’action de ce métal sur le bromfluorbenzol, il recueille du difluordiphényle. Il observe, en outre, que l’acide nitrique n’attaque pas l’angle fluoré de la molécule, comme il le fait pour les dérivés des autres halogènes. La conclusion de son travail est que le fluor a pour le carbone une affinité plus grande que ses congénères.

En 1886, Moissan isola le fluor. Cette retentissante décou¬ verte fut immédiatement mise à profit par son illustre auteur, et l’on put espérer que l’isolement du fluor libre allait permettre de combler les énormes lacunes de nos connaissances sur les composés organiques fluorés. Illusion! Le fluor réagit avec une telle énergie sur les substances organiques, qu’il les détruit complètement, et, jusqu’à ce jour, on n’est pas encore parvenu à préparer une combinaison fluorée organique par l’action directe du fluor sur une substance organique. Cependant, il est une exception : seul de tous les éléments, le fluor s’unit direc¬ tement au carbone, à froid, pour donner du tétrafluorure de carbone. Ce fait intéressant, découvert également par Moissan, nous donne une idée de la puissante aflinité que le fluor doit posséder pour le carbone, affinité que des travaux ultérieurs de ce savant et d’autres chimistes mettront encore davantage en lumière.

Ce même tétrafluorure de carbone se forme aussi par l’action du fluor sur le chloroforme ou le tétrachlorure de carbone.

L’action si fréquemment utilisée des halogènes sur les corps organiques pour obtenir, soit par voie de substitution, soit par

voie d’addition, des composés organiques halogènes, ne pourra être mise à profit quand il s’agit du fluor. Il est d’ailleurs à remarquer que l’obtention de ce gaz est encore une opération très délicate et nécessitant des appareils coûteux, nonobstant la découverte récente de Moissan, qui lui a permis de substituer partiellement le cuivre au platine dans la construction de l’appareil à électrolyse. Ce savant a fait une étude très complète de l’action du fluor libre sur un grand nombre de combinai¬ sons organiques.

Si le fluor lui-même ne convient pas pour l’obtention de

fluorures organiques, M. Moissan trouve bientôt d’autres

méthodes pour la préparation de ces corps. Il introduit l’emploi, comme agent fluorurant, du fluorure d’argent et du fluorure d’arsenic. Soit seul, soit en collaboration avec ses élèves, il étudie leur action sur un grand nombre de dérivés chlorés, bromés et iodés, qu’il transforme ainsi en fluorures correspondants.

Je ne puis faire ici toute la bibliographie des recherches de Moissan, l’énumération serait trop longue. Je me bornerai à renvoyer à son dernier ouvrage Le Fluor (*). Dans ce beau livre, il a réuni et exposé avec autant d’élégance que de talent, le résultat de ses recherches sur le fluor et ses composés.

À côté des travaux du maître, nous rencontrons plusieurs recherches intéressantes de ses élèves.

M. Meslans (**) étudie avec soin l’éthérification des alcools par l’acide fluorhydrique. Il reconnaît que cet acide s’éthérifie

(*) Henri Moissan, Le fluor et ses composés. Paris, 1900, Steinheil, édit.

(**) Meslans, Action de l'acide fluorhydrique anhydre sur les alcools. (Comptes rendus de l’Acad. des sciences, t. CXV, p. 1080.) Sur la vitesse d'éthérification de l'acide fluorhydrique. (Ibid., t. CXVII, p. 8o3.)

( 7 )

beaucoup moins facilement que ses congénères, ce qui était à prévoir, étant donné son faible coefficient de dissociation électrolytique.

Il décrit, en outre, le fluoroforme (*) et quelques fluorures alcooliques, obtenus tous par l’action du fluorure d’argent sur les iodures correspondants (**). Puis il isole le fluorure d’acé- tyle (***) et introduit, à cette occasion, deux nouveaux agents de fluoruration : le fluorure de zinc et le fluorure d’antimoine. Il reconnaît que le fluorure d’acétyle se laisse éthérifier par l’alcool avec dégagement d’acide fluorhydrique, qui ne prend pas part à la réaction.

M. Chabrié (IV) obtient, par l’action du fluorure d’argent en vases clos sur les chlorures correspondants, le tétrafluorure de carbone, le tétrafluoréthylène et le fluorure de méthylène.

On a préparé d’autres fluorures acides que le fluorure d’acétyle. M. Meslans (v) a obtenu le fluorure de propionyle, de butiryle et d’isovaléryle de la même manière que le fluorure d’acétyle. Ce travail a été fait en collaboration avec M. Girardet.

M. Colson (vl) a imaginé une méthode vraiment ingénieuse de préparation des fluorures acides, consistant à faire agir l’acide fluorhydrique sec sur l’anhydride correspondant.

O Meslans, Sur la préparation et les propriétés du fluoroforme. (Comptes rendus de l’Acad. des sciences, t. CX, p. 717.)

D Idem, Préparation et propriétés du fluorure de propijle et d’isopropyle.

(Ibid., t. CVIII, p. 352.)

(***) Idem, Préparation du fluorure d’acétyle. (Ibid., t. CXIV, p. 1023.) Propriétés chimiques du fluorure d’acétyle. (Ibid., t. CXIV, p. 1069.)

(,T) Chabrié, Sur la synthèse des fluorures de carbone. (Comptes rendus de l’Acad. des sciences, t. CX, pp. 279 et 1202.)

(v) Meslans et Girardet, Sur les fluorures d’acide. (Ibid., t. CXXII, p. 230.)

(Tl) Colson, Mode de préparation des fluorures d’acide. (Ibid., t. CXXII, p. 243.)

Le fluorure de benzoïle avait été obtenu pour la première fois, il y a bien longtemps, par Borodine (*), qui faisait agir le fluorhydrate de fluorure de potassium sur le chlorure de benzoïle. Il le décrivit comme un corps bouillant à 161°. M. Guenez (**) a récemment préparé ce corps par l’action du fluorure d’argent sur le chlorure de benzoïle. Il lui assigne le point d’ébullition 145°.

Tous ces fluorures acides ne réagissent que lentement sur l’eau. Nous verrons plus loin que j’ai obtenu des fluorures acides réagissant, au contraire, très énergiquement.

Toutes les recherches que je viens de passer brièvement en revue ont porté sur des éthers haloïdes et sur des dérivés aro¬ matiques fluorés dans l’anneau, si l’on en excepte quelques fluorures acides. Or, à part ces derniers, les corps obtenus appartiennent à des séries de combinaisons peu actives, qui se prêtent par conséquent assez mal à l’étude des fonctions chi¬ miques du fluor.

En 1892, j’ai découvert une nouvelle méthode de fluoru¬ ration (***), consistant à faire agir un mélange de brome et de trifluorure d’antimoine sur des composés polybromés ou polychlorés au même atome de carbone. Ce mélange n’agit, en effet, que sur les corps contenant au moins deux atomes d’ha¬ logène au même atome de carbone, ou bien qui renferment les chaînons COC1, COBr.

Je parviens ainsi à obtenir des dérivés mixtes contenant à

(*) Borodine, Zur Geschichte der Fluorverbindungen und über Fluor- benzoil. (Lieuig’s Ann., Bd CXXVI, S. 58.)

(**) Guenez, Sur la préparation et les propriétés du fluorure de benzoïle. (Comptes rendus de l’Acad. des sciences, t. CXI, p. 681.)

(***) Swarts, Sur un nouveau dérivé fluoré du carbone. (Bull, de l’Acad. roy. de Belgique, 3e sér., t. XXIV, p. 309.)

la fois du fluor et du chlore ou du brome. Il est, dès lors, possible de comparer bien plus aisément les allures du fluor à celles des autres halogènes.

J’isole également le fluorchlorure d’antimoine (*) et montre que ce corps constitue aussi un agent de fluoruration partielle énergique vis-à-vis des subslances organiques polychlorées au même atome de carbone.

Dans une série de mémoires (**), j’ai décrit successivement des dérivés fluohalogénés du méthane et bromoflorés de l’éthane et de l’éthylène. De plus, j'ai préparé les acides dichlorfluor-, dibromfluor- et fluorchlorbromacétiques (***). Ces acides sont obtenus sous forme do fluorures acides par l’action d’un mélange de brome et de fluorure d’antimoine sur le chlorure acide ou sur l’anhydride de l’acide chloré ou bromé correspon¬ dants. Les fluorures acides que j’ai obtenus ainsi sont, à l’en¬ contre de ceux qu’ont isolés MM. Meslans, Guenez et Colson, des corps doués d’une aptitude réactionnelle très énergique, ce qui est à ce qu’ils dérivent de radicaux acides extrêmement actifs.

A l’aide d’un nouveau procédé de fluoruration (IV), l’action

(*) Sur le fluochlorure d' antimoine. (Bull, de l’Acad. roy. de Belgique, 3e sér., t. XXIX, p. 874.)

(**) Sur le flnochloroforme (Ibid., t. XXIV, p. 474.) Sur le fluorchlor- brométhane. (Ibid., t. XXVI, p. 162.) Sur quelques dérivés fluobromés en C2. Trois communications. (Ibid., 1899, t. XXXIII, p. 439; t. XXXIV, p. 307; 1899, 5, pp. 337.)

(***) Sur l'acide diclüorfluoracétique. (Mém. cour, et autres mém. publ. par l’Acad. roy. de Belgique, t. LI.) Sur la conductibilité électrique de l'acide dichlorfluor acétique. (Ibid.) Sur l'acide fluor chlorbromacé- lique. (Ibid., t. LIV ) Sur l'acide dibromfluor acétique. (Bull, de l’Acad. roy. de Belgique, 3e sér., t. XXXV, p. 849.)

(,T) Sur l'acide fluor acétique. (Ibid., 3e sér., t. XXXI, p. 675.)

( 10 )

du fluorure mercureux sur les dérivés organiques iodés, j’ai découvert l’acide fluoracétique.

J’arrive à établir, par l’étude des quatre acides acétiques fluorés que j’ai obtenus (*), que le fluor est bien un halogène et le premier de ceux-ci. Je démontre notamment que le fluor possède une fonction acidifiante bien supérieure à celle des autres haloïdes, tandis que s’il se rapprochait de l’oxygène, comme quelques chimistes l’ont pensé, il devrait avoir une fonction acidifiante plus faible que le chlore, le brome' ou l’iode.

L’étude de l’acide trifluortoluique me conduit à des résultats analogues (**). Cet acide a été obtenu avec une série de com¬ posés dérivés du trifluortoluol C6H»CFl3, qui constituent les premiers exemples de substances aromatiques fluorées dans la chaîne latérale.

J’ai, en outre, déterminé la réfraction atomique du fluor (***) pour la lumière jaune du sodium. Cette constante physique est très petite pour cet élément, et voisine de l’unité. En outre, et par le fluor diffère notablement des autres halogènes, cette réfraction atomique est différente, suivant que le fluor est uni à un atome de carbone saturé ou non.

Étudiant les variations de température d’ébullition que pro¬ voque la substitution du fluor au chlore ou au brome, je suis arrivé à des constatations qui ne sont pas sans présenter quelque intérêt. M. Henry (,v) a également publié un travail sur

O Loc. cit.

(**) Sur quelques dérivés fluorés du toluol. (Bull, de l’Acad. roy.de Belgique, 3e sér., t. XXXV, p. 375.)

(***) Fréd. Swarts, Sur l'indice de réfraction atomique du fluor. (Ibid., 3e sér., t. XXXIV, p. 293.)

(,v) L. Henry, Sur la volatilité des combinaisons fluorées. (Ibid., t. XXXIII, p. 195.)

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l’influence volatilisante du fluor, influence dont il fait ressor¬ tir l’importance.

De l’ensemble de mes recherches, comme de celles des autres chimistes qui se sont occupés des combinaisons orga¬ niques fluorées, il ressort que cet élément a pour le carbone une affinité bien plus grande que celle des autres halogènes, ce qui rend l’angle fluoré de ses combinaisons remarqua¬ blement stable et beaucoup moins actif qu’on ne le constate pour les dérivés similaires des autres halogènes. J’ai fait res¬ sortir à plusieurs reprises l’importance que présentent les affinités considérables du fluor pour le carbone et l’hydrogène, au point de vue des allures des combinaisons organiques fluorées, qui semblent parfois s’écarter pour cette raison des dérivés analogues du chlore, du brome ou de l’iode.

Pour terminer cet aperçu succinct des travaux faits sur les fluorures organiques, je dirai que récemment Valentiner et Schwarz (*) ont. reconnu qu’il n’était pas nécessaire de passer par la réaction de Wallach pour obtenir des hydrocarbures aromatiques fluorés dans l’anneau, et que, dans des condi¬ tions convenables, on peut transformer directement l’hydro¬ carbure en fluorure en le diazotant et en faisant agir ensuite l’acide fluorhydrique. Ils ont obtenu, par des procédés presque industriels, le fluorbenzol, le fluortoluol, le fluorpseudocymol, le fluorphénétol, la fluornaphtaline et le difluordiphényle, en quantités importantes

De ce résumé, très brief, de nos connaissances sur les com¬ binaisons organiques du fluor, il ressort qu’il nous reste encore

O Valentiner und Schwarz, Darstellung im Kern fluorirten aroma- tischer Verbindungen. D. R. P., Nr 96153. (Zeitsch. für angewandte Chemie, 1898, p. 440.)

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beaucoup à faire pour les mettre au niveau de celles que nous possédons sur les composés chlorés, bromes ou iodés.

J’ai donc cru répondre au vœu de l’Académie en faisant de nouvelles recherches sur les combinaisons carbonées du fluor.

J’ai surtout étudié jusqu'ici les dérivés (îuorbromés; or, il est certain que le fluor doit se rapprocher plus du chlore que du brome; l’étude des combinaisons chlorofluorées correspondan¬ tes aux composés fluobromés que j’ai décrits s’indiquait donc.

J’ai fait l’étude d’une série de combinaisons chlorofluorées en Co, dérivées du tétrachloréthane symétrique CloHC-CHCL;.

Dans mes recherches sur les acides acétiques fluorés, il manque l’étude des acides acétiques bisubstitués. J’ai donc cherché à obtenir les acides chlorfluor-, bromfluor- et iodlluor- acétiqucs. L’acide bromfluoracétique, que j’avais déjà entrevu, a été étudie d’une manière complète. J’ai obtenu également l’acide iodfluoracétique.

Les oxydes éthyléniques réagissent d’une manière remar¬ quable sur les hydracides. J’ai étudié leur action sur l'acide fluorhydrique.

Dans le cours de mes recherches, j’ai été amené à voir si le fluorure de potassium ne pourrait pas servir d’agent de substi¬ tution fluorée vis-à-vis de composés chlorés ou bromés, et j’ai soumis à son action le chloracétate, le bromacétate, le dichlor- acétate d’éthyle et le tétrabrométhane symétrique.

J’ai étudié, en outre, l’action du verre sur le difluorchlor- toluol.

Enfin, j’ai repris la détermination de la réfraction atomique du fluor et établi une nouvelle constante physique de cet élément : son pouvoir dispersif atomique.

CONTRIBUTION A L’ÉTUDE

DES

COMBINAISONS ORGANIQUES

33 XJ FLUOR

Action de l’acide fluorhydrique sur l’oxyde d’éthylène

et sur l’épichlorhydrine.

C’est un fait connu que les oxydes éthyléniques se combinent avec facilité aux hydracidcs pour se transformer en éthers- alcools. Cette réaction est si facile que ces corps peuvent se comporter comme des bases et provoquer, en présence de l’eau, la décomposition des sels de certains métaux, par exemple du cuivre, du magnésium, avec précipitation des hydroxydes correspondants, eux-mêmes fixant l’hydracide formé.

Des trois hydracidcs que l’on a étudiés à ce point de vue, c’est l’acide iodhydrique qui se combine avec le plus de facilité aux oxydes éthyléniques, puis viennent, dans l’ordre décrois¬ sant de leur aptitude réactionnelle, l’acide bromhydrique et l’acide chlorhydrique. La combinaison se fait donc d’autant plus aisément que l’halogène de l’acide est moins métalloï- dique. L’acide fluorhydrique devait donc, suivant toutes pro¬ babilités, se combiner encore moins facilement que l’acide chlorhydrique aux oxydes éthyléniques.

( 14 )

J’ai étudié son action sur l’oxyde d’éthylène (C2H4) = O et

, . CHjCl-CH-Cfla ,

sur 1 epichorhydrme \/ ; ces deux corps étant les

O

deux oxydes éthyléniques que j’ai pu me procurer le plus aisément.

L’oxyde d’éthylène a été préparé aux dépens de la chlor- hydrine éthylénique, obtenue par le procédé de Ladenburg (*). J’ai distillé soigneusement le produit de manière à recueillir un corps rigoureusement pur, bouillant à 13°, 5.

Pour étudier son action sur l’acide fluorhydrique, j’ai dirigé un courant lent de sa vapeur dans une quantité connue d’une solution à 20 % d’acide fluorhydrique, contenue dans un vase de platine. L’oxyde d’éthylène est complètement absorbé par l’acide fluorhydrique et la température s’élève rapidement vers 40°. Pour éviter la volatilisation d’une partie de l’acide, j’ai refroidi, à l’aide de glace, de manière à maintenr la tempé¬ rature de l’acide voisine de 10°.

Quand j’eus fait passer une quantité d’oxyde d’éthylène un peu supérieure à celle qui correspondait à l’acide fluor¬ hydrique mis en œuvre, j'arrêtai l’opération.

Pour déterminer la quantité d’acide disparue, j’ai pris la valeur acidimétrique du produit de la réaction. Le résultat du titrage me montra immédiatement que la quantité d’acide fixée devait être insignifiante.

J’ai repris alors l’étude de la réaction en employant des quantités rigoureusement déterminées d’acide fluorhydrique et en y faisant passer un poids connu d’oxyde d’éthylène. L’acide employé était environ dix fois normal et conte¬ nait 201sr,496 d’acide fluorhydrique au litre.

L’expérience fut faite de la manière suivante : La solution d’acide fut introduite dans un flaçon de platine muni d’un bouchon à deux trous à travers lequel passait un tube en plomb amenant l’oxyde d’éthylène dans l’acide; un autre tube, égale-

(*) Ladenburg, Dnr slellungder Clilorhydime. (Ber. der Deutsche chem. Gesellschaft, Bd XVI, S. 1407.)

( 18 )

nient en plomb et servant de tube de dégagement, était relié à un tube de Péligot paraffiné, contenant un volume connu de soude titrée, de manière à fixer éventuellement l’acide entraîné. Le flacon de platine était refroidi à 0°.

Voici les données de trois expériences :

36?r,965 de solution d'acide fluorhydrique , contenant 7*r,4299 HF1, furent traités par 20er,264 d’oxyde d’éthylène. L’absorption de celui-ci fut complète. Après la réaction, la solution contenait 7&r,4181 d’acide.

31er,13o de solution d’acide, contenant 6»r,2o71 d’acide, furent traités par 16sr,158 d’oxyde d’éthylène. Absorption complète. Après la réaction, il restait 6sr,18o d’acide fluorhy¬ drique.

36^r,36 de solution d’acide, contenant 7&r,3083 d’acide fluorhydrique, furent traités par lo^r,o0o d’oxyde d’éthylène. Après la réaction, il restait 7sr,248 d’acide. Absorption com¬ plète de l’oxyde.

Le titrage se fit chaque fois avec une soude tout à fait pure et avec une lenteur suffisante pour éviter toute élévation de température. Je parais ainsi à toute perte d’acide et je pouvais étudier le produit de la réaction.

11 ressort de ces données que l’acide fluorhydrique n’est pas fixé par l’oxyde d’éthylène; ce dernier est cependant complè¬ tement absorbé. Cette absorption pouvait n’être qu'un simple phénomène de dissolution.

Pour m’en assurer, j’ai fait le vide au-dessus du liquide neutralisé provenant des trois expériences que j’ai relatées. 11 ne s’est produit aucun dégagement gazeux ; l’oxyde d’éthylène avait donc être fixé. J’ai distillé ensuite sous pression réduite. J’ai distillé la plus grande partie de l’eau à 37°, sans qu’il se manifestât le moindre dégagement de gaz, jusqu’à ce que, le fluorure de sodium s’étant séparé en majeure partie, j'obtins une bouillie cristalline très épaisse. Ce résidu de distillation fut épuisé à deux reprises par l’alcool fort pour séparer le fluorure de sodium et l’extrait alcoolique distillé à la pression atmosphérique. Après élimination de l’alcool, il

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passa encore de l’eau à la distillation, puis le thermomètre s’éleva rapidement à 185°; à cette température commença à distiller un liquide sirupeux, et le thermomètre se maintint pendant la plus grande durée de l’opération à 190° environ, pour s’élever lentement jusqu’à 235° à la fin de la distillation, qui se fit sans qu’il restât de résidu.

En rectifiant trois fois au Lebel le produit bouillant de 18o° à 235°, j’ai séparé deux corps : l’un, qui constituait la majeure partie du produit de la réaction, bouillait à 196°; le second, à 244°.

Le premier est du glycol éthylénique; sa combustion a, en effet, donné les résultats suivants :

0sr,5301 de substance m’ont donné 0sr,7506 de C02, soit 0sr,2048 G ou 38.63 %, et 0sr,4618 H20, soit 0sr,5131 H ou 9.68 %.

Calcu’é pour C2H602. Trouvé.

G 38.77 °/0 38.62 °/0

H 9.67 °/0 9.68 ®/„

Ce corps possédait d’ailleurs toutes les propriétés du glycol : point d’ébullition, saveur, solubilité en toutes proportions dans l’eau, l’alcool, l’éther, et une densité 1.11 à 10°.

Quant au deuxième produit de la réaction, bouillant à 244°, il constituait un liquide incolore, très visqueux, soluble en toutes proportions dans J’eau, l’alcool et l’éther, dont l’analyse m’a fourni les données suivantes :

0sr,3211 de substance m’ont donné Os1', 3303 C02, soit 0s«\1445 C ou 45.00 °/0, et 0sr,2745 1120, soit 0sr,0305 II ou 9.5 °/0.

Ces teneurs en carbone et hydrogène correspondent à celle du glycol diéthylénique qui renferme :

G 45.28 °/0 H 9.43 °/0

Dans la réaction de l’acide fluorhydrique sur l’oxyde d’éthy-

( n )

lène, il y a donc formation de glycol éthylénique et de glycol diéthylénique, le premier se produisant en quantité tout à fait prépondérante.

Dans une deuxième expérience, j’ai obtenu 15 grammes de glycol et lsr,6 de glycol diéthylénique purs. Les deux glycols se sont formés, dans les trois expériences, en quantités rela¬ tives à peu près égales.

Cette réaction est donc un phénomène d’hydratation de l’oxyde d’éthylène. On pouvait se demander si elle n’est pas due simplement à l’action de l’eau. Afin d’élucider ce point, j’ai répété l’expérience dans des conditions identiques à celles que j’avais établies pour faire agir l’acide lluorhydrique sur l'oxyde d’éthvlène, mais en employant de l’eau pure.

La dissolution des vapeurs d’oxyde d’éthylène dans l’eau se fait également avec élévation notable de température. J’ai refroidi de manière à maintenir le système à -+- 10° et fait barboter 15sr,2 d’oxyde d’éthylène dans 500 grammes d’eau. J’ai abandonné la solution à elle-même pendant quatre heures pour permettre éventuellement à la réaction de s’achever, puis j’ai soumis le liquide à l’action du vide.

Dès que la pression fut tombée à 500 millimètres, il se pro¬ duisit un dégagement gazeux très abondant d’oxyde d’éthylène, qui se maintint jusqu’à ce que la pression fût descendue à 25 millimètres. J’ai alors distillé au bain d’eau. Le dégage¬ ment gazeux reprit quelque peu, puis le thermomètre s’éleva à 36° et l’eau passa à la distillation. J’ai distillé jusqu’à siccité sans que le thermomètre s’élevât au-dessus de 37°.

11 n’y a donc aucune production de glycol quand l’eau dissout l’oxyde d’éthylène; l’hydradation de ce dernier est unique¬ ment due par conséquent à la présence d’acide lluorhydrique.

J’ai rappelé plus haut que l’oxyde d’éthylène décompose les solutions de chlorure de cuivre, de magnésium, d’alumi¬ nium (*), avec formation d'hydroxydes correspondants.

(*) Wurtz, Nouvelles recherches sur l’oxyde d'éthylène . (Comptes RENDUS de L’ACâD. DES SCIENCES, t. L, p. 1195.)

Tome LXI. b

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J’ai dissous de l’oxyde d'éthylène dans une solution de fluorure cuivrique et n’ai constaté la formation d’aucun préci¬ pité. Les fluorures de magnésium et d’aluminium, étant inso- subles dans l’eau, n’ont pu être mis en œuvre.

Cette absence de précipitation se conçoit facilement, puisque l’acide fluorhydrique n’est pas fixé par l’oxyde d’éthylène.

L’action de l’acide fluorhydrique sur l’épichlorhydrine n’est pas moins intéressante.

Dans mes premières expériences, j’ai versé dans un creuset de platine de l’épichlorhydrine et un léger excès d’une solution à 30 °/0 d’acide fluorhydrique.

Au début, on n’observe aucune réaction, les deux liquides ne se mélangeant pas, mais après deux ou trois minutes la masse s’échauffe, doucement d’abord, très fortement ensuite, et il se produit brusquement une réaction extrêmement vive avec projections violentes du liquide, ce qui entraîne la perte de la presque totalité du produit.

Si l’on place le creuset dans un mélange réfrigérant don¬ nant 20°, il ne se produit, au contraire, aucune réaction et l’on peut maintenir l’épichlorhydrine pendant plusieurs heures en présence de i’acide fluorhydrique sans qu’elle se trans¬ forme.

J’ai modifié le dispositif opératoire. L’épichlorhydrine et l’acide fluorhydrique furent versés dans un flacon en plomb surmonté d’un serpentin en plomb refroidi dans un mélange de sel et de glace. Ce serpentin était relié à un tube de Péligot paraffiné, contenant un volume connu de soude titrée, afin de pouvoir doser l’acide fluorhydrique entraîné. L’acide fluor¬ hydrique employé était à 30 % et j’en mettais en œuvre un léger excès.

Dès que la réaction commençait, ce qui pouvait se contrôler aisément au dégagement de gaz dans le tube de Péligot, le flacon était immédiatement refroidi par immersion dans un mélange de sel et de glace.

Ce refroidissement brusque n’arrête pas la réaction une fois qu’elle a commencé; il parvient à la modérer quelque peu.

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Cependant, malgré cette précaution, il m’est arrivé plusieurs fois que la réaction devint tellement violente que le liquide fut projeté hors du serpentin ou même que celui-ci fut séparé violemment du flacon, ce qui ne laissait pas que de rendre l’opération peu commode, en raison des projections d’acide fluorhydrique concentré et chaud.

Quand je suis parvenu à conduire convenablement l’expé¬ rience, il se produisait, à un moment donné, une ébullition vive du liquide qui était condensé dans le serpentin, et la réaction se terminait très rapidement. L’appareil était alors abandonné à lui-même jusqu’à refroidissement complet.

Pour déterminer la quantité d’acide fluorhydrique disparu, j’ai chaque fois opéré avec des quantités bien déterminées d'acide, et j’ai titré après l’expérience l’acide restant, l’appareil ayant été soumis à un rinçage parfait.

Voici les données de trois expériences n’ayant pas donné lieu^à des pertes par projection :

100 grammes d’épichlorhydrine ont été traités par une solu¬ tion contenant 31=r,524 d’acide fluorhydrique. Après l’expé¬ rience, j’ai retrouvé 30sr,684 d’acide.

30 grammes d’épichlorhydrine ont été traités par 16^,172 d'acide fluorhydrique. Après la réaction, j’ai retrouvé 15sr,8 d’acide.

50 grammes d’épichlorhydrine ont été traités par 17er,34 d’acide fluorhydrique. Après la réaction, il restait 16?r,737 d’acide.

51 l’on songe que la réaction est accompagnée d’une ébulli¬ tion tumultueuse, provoquant un entraînement violent d’acide fluorhydrique que le tube de Péligot n’absorbe pas toujours complètement, on reconnaîtra que les données de ces trois expériences prouvent que l’acide fluorhydrique ne prend pas part à la réaction.

J’ai reconnu par la suite que l’on peut faire réagir l'acide fluorhydrique sur l’épichlorhydrine de manière à régulariser la réaction.

L’acide fluorhydrique était introduit dans un grand creuset

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de platine, et l’on y laissait couler goutte à goutte l’épichlor¬ hydrine contenue dans un entonnoir à brome. Le creuset était placé dans un baquet rempli d’eau à -+- 10° et le débit d’épi¬ chlorhydrine réglé de telle manière que la température de l’acide ne dépassât pas 25°.

Pour assurer le mélange des deux liquides, on agitait l’acide fluorhydrique pendant l’opération à l'aide d’une baguette de charbon de cornue.

Conduite de cette manière, l’opération est beaucoup plus longue et la mise en réaction de 50 grammes d’épichlorhydrine demande plus de deux heures.

Pour isoler le composé produit, j’ai, après neutralisation exacte de l’acide par la soude (*), agité avec de l’éther. La solution élhérée, après dessiccation sur du sulfate de soude anhydre, fut distillée, d’abord au bain-marie et, après élimina¬ tion de l’éther, à feu nu. Il distilla d’abord un peu d’épichlor¬ hydrine et il resta un liquide incolore assez visqueux, qui se décomposa fortement avec dégagement d’acide chlorhydrique et résinification importante, quand j’essayai de le distiller à la pression atmosphérique.

J’ai repris l’opération en distillant sous pression réduite le résidu non distillable au bain-marie. Après avoir séparé l’épichlorhydrine non transformée, j’ai obtenu un distillât passant de 130° à 160° sous 30 millimètres de pression, puis un autre corps bouillant de 200° à 210° à la même pression. 11 restait, en outre, dans le ballon distillatoire, un résidu ayant une consistance très visqueuse et qui distillait, coloré en brun, au-dessus de 210° jusque 250° sous 20 millimètres de pression.

J’ai soumis ces trois produits à la rectification sous pression réduite.

Du distillât passant de 130° à 160°, j’ai isolé ainsi un corps

(*) La neutralisation se fit avec beaucoup de précautions pour éviter toute élévation de température et empêcher éventuellement une saponi¬ fication du côté chloré de la molécule ou une hydratation de l’épichlor¬ hydrine.

( 21 )

bouillant à 144° sous 30 millimètres de pression, distillant avec décomposition partielle à 2 13°, sous la pression atmosphé¬ rique, soluble dans l’eau, l’alcool et l’éther.

Sa densité à 10° était à 1.33. Il ne contenait pas de tluor.

Tous ses caractères sont ceux de la monochlorhydrine CH2Cl-CHOH-CHo2OH.

L’analyse a d’ailleurs montré cette identité.

0sr,4385 de substance m’ont donné 0sr,6277 C02, ou 0sr,1712 C, soit 39.04%, et 0sr,2315 H40, soit 0sp,2573 H ou 5.9 %.

Calculé pour C3H702C1. Trouvé.

C 39.18% 39.04 %

H 5.71 °/0 5.9 %

J’ai séparé par rectification du liquide bouillant au-dessus de 200°, un corps distillant à 204° sous 30 millimètres et qui a donné à l’analyse les résultats suivants :

0sr,3102 de substance m’ont donné 0sp,3997 C02, soit 0§r,1090 C ou 35.13 %, et0sr,1707 HiO, soit 0sr,l897 H ou 6.01 %,

0sr,1449 de substance m’ont donné 0sr, 1878 C02, soit 0sp, 05122 C ou 35.37 %, et 0sr,0817 H20 ou 0sq00906 H 6.24 %.

0sr,5459 de substance m’ont donné 0s1’, 7696 AgCl, soit 0sp, 19028 Cl ou 34.82 %.

Ces teneurs correspondent à celles d’un corps de la formule CeCl^OgH qui contiendrait

Trouvé.

35.13 -35.37 <%

6.01- 6.24%

- 34.82 %

23.57 % (par différence).

G 35.46 % H 5.91 % Cl 34.96% 0 23.65 °/0

Cette formule est celle de la dichlorhydrine de la diglycérine,

( 22 )

décrite d’abord par Lourenço (*), qui l’a obtenue par l’action de l’acide chlorhyrique sur la glycérine.

Quant au produit qui passe au-dessus de 210°, je ne suis pas parvenu à en extraire un corps défini. C’est un mélange de composés chlorés, probablement de chlorhydrines de diffé¬ rentes pyroglycérines.

Ce travail sur l’action de l’épichlorhydrine sur l’acide fluor- hydrique a été fait en partie avec la collaboration de M. Stein¬ len, qui s’est attaché à établir la constitution de la chlorhydrine diglycérique formée.

L’action de l’épichlorhydrine sur l’acide fluorhydrique est donc la même que celle de l’oxyde d’éthylène sur cet hydra- cide. L’acide provoque une hydratation de la molécule et en même temps une condensation de l’alcool formé avec l’oxyde éthylénique, sans que lui-même entre en combinaison.

L’explication de cette réaction est assez malaisée à fournir. Si l’on admet qu’il se forme transitoirement une fluorhydrine que l’eau saponifie ultérieurement, on rencontre l’argument très sérieux qu’en général les dérivés fluorés sont d’une très grande stabilité vis-à-vis de l’eau ; en tous cas, beaucoup plus résistants que les chlorures, bromures ou iodures Or les solutions des acides chlorhydrique, bromhydrique et iodhy- drique (**) produisent une éthérification sans saponification ultérieure.

On ne peut invoquer la dilution de l’acide fluorhydrique comme cause de cette différence. Car une solution à 20 % d’acide fluorhydrique est dix fois normale; à 30 %, elle l’est quinze fois. Or les solutions les plus concentrées d’acides chlorhydrique, bromhydrique et iodhydrique n’atteignent jamais ces concentrations.

J’ajouterai, pour terminer le chapitre de mon travail, que l’hydratation et la condensation ultérieure de l’épichlorhydrine peuvent aussi être obtenues quand on la chauffe avec du fluo¬ rure d’antimoine, après y avoir ajouté un peu d’eau.

O Lourenço, Annales de chimie et de physique, 3e sér., t. LXVII, p. 308. (**) Wurtz, loc. cit.

( 23 )

Acides acétiques fluorés monohalogénés.

Acide bromfluoracétique CHBrFl-C02H.

J’ai obtenu (*) le bromure de bromfluoracétyle par l’ac-

CBr2

tion de l’oxygène sur le dibromtluoréthylène il . Je l’ai

CHF1

décrit comme un corps bouillant à 1160-'117°, qui se décom¬ pose sous l’influence de l’alcool en donnant le bromfluor- acétate d’éthyle. Mais s’est bornée mon étude de cet acide et de ses dérivés.

J’ai repris cette réaction dans le but d’isoler l’acide lui- même et d’en faire une étude complète.

J’ai oxydé 300 grammes de dibromfluoréthylène obtenu par l’action de l’alcoolate de sodium sur le dibromdifluor- éthane (**). Dans la préparation du dibromfluoréthylène, il se manifeste toujours une oxydation de ce corps par l’air contenu dans le ballon, et comme il y a absorption d’oxygène, un vide partiel se produit dans l’appareil, ce qui permet à l’air de rentrer et de continuer l’oxydation. Il se forme ainsi du bro¬ mure de bromfluoracétyle qui se transforme en partie en bromfluoracétate d’éthyle. Aussi quand on distille le produit de la réaction, obtient-on toujours un liquide qui bout de lo0° à 160° et dont j’ai déjà signalé la formation. J’avais cru à la production d’éther fluordibromé CHBr2-CHFl-OC2H5. Cet éther se forme en réalité, mais en petite quantité; la majeure partie du corps bouillant entre lo0° et 160° est du bromttuor- acétate d’éthyle.

En effet, si l’on agite ce liquide avec de la soude caustique,

O Swarts, Contribution à l'étude de l'oxydation des éthylènes substitués. (Bull, de l’Acad. roy. de Belgique, 3e sér., t. XXXVI, p. 536.)

(**) Idem, Sur quelques dérivés fluobromés en C2 (Première commu¬ nication). (Loc. CIT. )

( 24 )

on saponifie le bromfluoracétate d’éthyle et le liquide diminue considérablement de volume.

En outre, en opérant dans une atmosphère inerte, en faisant passer un courant lent d’azote à travers l’appareil, on constate qu’il ne se forme plus de bromfluoracétate d’éthyle, et la quantité de distillai passant à 150° diminue dans des propor¬ tions très considérables. On n’obtient plus qu’une petite quan¬ tité d’éther fluordibromé.

Cette formation de bromtluoracétatc d’éthyle donne lieu à une perte assez importante en dibromfluoréthylène : aussi ai-je, une fois que j’ai reconnu ce phénomène, préparé le dibromfluoréthylène en opérant toujours dans une atmosphère d’azote maintenue pendant toute la durée de l’opération.

L’oxydation du dibromfluoréthylène a été conduite exacte¬ ment comme je l'ai déjà préconisé. Après trente-six heures, le produit est presque complètement transformé. En fraction¬ nant à plusieurs reprises la portion qui distille entre 110° et 120°, j’ai obtenu le bromure acide pur qui bout à 112°, 5, c’est- à-dire à une température un peu inférieure à celle que j’avais donnée antérieurement. Ce bromure acide était complètement exempt de lluorure de dibromacétyle qui se forme aussi en petite quantité par l’oxydation du dibromfluoréthylène.

J’ai constaté que, dans cette oxydation, il y a toujours pro¬ duction d’un peu de tétrabromfluoréthane. Le dibromfluor¬ éthylène se décompose légèrement, en effet, sous l’influence de l’ébullition prolongée à laquelle il faut le soumettre pour achever l’oxydation. Le brome qui se dégage se combine à une portion du dibromfluoréthylène, et il se forme du tétrabrom¬ fluoréthane qu’on sépare quand on traite par l’eau : les pro¬ duits d’oxydation sont décomposés et dissous, et le tétrabrom¬ fluoréthane reste sous forme d’un liquide très dense, à odeur camphrée, que j’ai pu identifier en prenant sa densité et son point d’ébullition.

Pour obtenir l’acide, j’ai traité le bromure de bromfluoracé- tyle par l’eau. J’introduis le bromure acide dans un ballon muni d’un réfrigérant ascendant, et j’y ajoute peu à peu de

( 23 )

petites quantités de glace pure. La réaction se produit lente¬ ment et il se dégage abondamment de l’acide bromhydrique. Le ballon est maintenu au-dessous de 10° pendant toute la durée de l’expérience.

Après addition d’un excès de glace, l’appareil est abandonné à lui-même pendant plusieurs heures, pour assurer une trans¬ formation complète, et je distille ensuite dans le vide. Après élimination de l’eau, il distille une solution d’acide bromhy¬ drique, puis, entre 90° et 100°, sous 20 millimètres de pression, distille l’acide, sous forme d’un liquide sirupeux, se prenant en cristaux par refroidissement.

Il est très difficile, même dans le vide, de séparer complète¬ ment l’eau de l’acide.

Quand l’acide bromhydrique aqueux a distillé, ce qui a lieu vers o3° sous 20 millimètres de pression, le thermomètre monte lentement à 90°. Le distillât recueilli entre 70° et 90° abandonne par refroidissement des cristaux assez abondants d’acide bromfluoracétique. Trois rectifications dans le vide au Lebel à cinq boules ne parviennent pas à réduire sen¬ siblement cette portion, qui distille de 70° à 90°. Pour en extraire l’acide, le mieux est de l’abandonner à la cristalli¬ sation, de décanter les eaux mères et de rectifier ensuite l’acide.

J’ai dit plus haut que ce dernier bout entre 90 et 100°. En rectifiant soigneusement ce produit, j’ai obtenu l’acide tout à fait pur; il bout à 94° sous 20 millimètres, à 102° sous 30 mil¬ limètres de pression.

L’acide bromfluoracétique est un composé solide incolore, formant de grands et beaux cristaux, fusibles à 49°. On peut le distiller sans décomposition à la pression ordinaire; il bout alors à 183°.

Il est déliquescent, très soluble dans l’éther et le chloro¬ forme. C’est un corps très caustique; appliqué sur la peau, il produit rapidement des brûlures.

Il se comporte comme un acide fort : à chaud, il attaque le chlorure de sodium.

Chauffé longtemps avec de l’eau, il se décompose en acides

( 26 )

fluorhydrique, bromhydrique et glyoxylique. Cette décompo¬ sition se produit même à la longue, à froid, en solution éten¬ due. Au bout de quelques jours, on constate qu’une solution qui, au début, ne donnait aucun trouble par le nitrate d’argent, précipite abondamment par ce réactif.

.bavais essayé d’obtenir directement l’acide bromlluoracétique en oxydant le dibromfluorélhylène par l’oxygène en présence de l’eau. Mais ce procédé n’est pas avantageux, car pour obte¬ nir une oxydation convenable il faut chauffer, et l’eau décom¬ pose partiellement l’acide formé, ce qui diminue sensiblement les rendements.

C’est pour la même raison qu’il est recommandable de produire la décomposition du bromure acide par la glace; quand on emploie de l’eau, il se produit une forte élévation de température, et l’acide est partiellement hydrolysé.

Cette action destructive de l’eau se manifeste aussi quand on distille le produit brut de la réaction sous la pression atmo¬ sphérique. C’est pourquoi j’ai toujours isolé l’acide en distil¬ lant l’eau sous pression réduite.

Tous les sels de l’acide bromfluoracétique que j’ai étudiés sont solubles dans l’eau et cristallisent en général très mal. Ils se décomposent en outre tous au contact prolongé de l’eau, en donnant un mélange contenant surtout du bromure, puis du tluorure et une très petite quantité de glyoxylate métallique, et en acides fluorhydrique, glyoxylique et bromhydrique, ce dernier en faible quantité. Aussi les solutions de ces sels atta¬ quent-elles fortement le verre.

Ce manque de stabilité de l’acide et surtout de ces sels vis- à-vis de l’eau est, à première vue, assez étonnant, car ils sont beaucoup moins résistants à l’eau que les dérivés correspon¬ dants des acides dichlor- et dibromacétiques. Or, j’ai montré pour les acides fluoracétique, dichlorfluor-, dibromfluor- et fluorchlorbromacétiques, que les acides fluorés sont en géné¬ ral beaucoup plus stables que les autres acides acétiques halo- génés.

Je pense que l’interprétation suivante explique ce fait d’une

( 27 )

manière satisfaisante. Le fluor a pour l’hydrogène une affinité énorme, à laquelle les affinités des autres halogènes pour cet élément ne sont pas comparables.

D’autre part, le chaînon - CHBrEl présente certainement un angle faible, c’est l’atome de brome. Si celui-ci se substitue par OH, il y a place pour la production d’acide fluorhydrique, dont la tendance à la formation doit être très considérable. Celte tendance à la formation d’un hydracide est, à n’en pas douter, beaucoup moins forte chez les acides dichlor- et dibromacétiques, et ne provoquerait pas la substitution préli¬ minaire d’un atome de chlore ou de brome par -OH. En somme, ce serait la présence simultanée du brome et du fluor qui entraînerait la fragilité de la molécule.

Si les acides acétiques fluorés trisubslitués et contenant du brome ne présentent pas la même propriété, c’est que leurs chaînons -CR3 ne se laissent pas hydrolyser comme les chaî¬ nons -CHR2. Ces groupements -CR3 se séparent sous forme de chloroformes sous l’influence de l’eau, et ces derniers sont remarquables par leur indifférence aux réactifs.

On pourrait invoquer que si le fluor a pour l’hydrogène une affinité très grande, il en a aussi beaucoup pour le carbone. Mais j’ai déjà eu l’occasion d’observer, notamment dans l’action de l’hydrogène sur les vapeurs de trichlorfluorméthane (*), que, quand les affinités du carbone et de l’hydrogène pour le fluor interviennent simultanément, c’est la dernière qui l’emporte.

Lefluorbromacétate de potassium s’obtient par neutralisation très prudente de l’acide par le carbonate de potassium. Si l’on évapore rapidement dans le vide à la température ordinaire, on obtient un résidu semi-cristallin que l’on reprend par l’alcool absolu. Celui-ci ne dissout pas le fluorure, le bro¬ mure et le glyoxylate de potassium, dont on ne peut empêcher la formation. Le dernier sel forme une masse gommeuse, qui enrobe les autres ; aussi faut-il remuer convenablement avec

O Swarts, Sur le fluochloroforme. (Loc. en., t. XXIV, p. 474.)

( 28 )

l’alcool pour extraire le bromfluoracétate qui est soluble. Eu évaporant l’alcool clans le vide et en purifiant plusieurs fois par le même procédé, on obtient finalement le bromfluoracé¬ tate de potassium sous forme d’une masse gommeuse, qu’un séjour de six mois sous l’exsiccateur n’amène pas à cristalli¬ sation.

Dans la neutralisation, il est indispensable de n’employer que la quantité rigoureusement calculée de carbonate de potassium, car les bases provoquent une décomposition très facile des bromfluoracétates.

Le sel de sodium s’obtient de la même manière et présente les mêmes propriétés.

Le sel de baryum se prépare en neutralisant l’acide par un excès de carbonate de baryum. La solution filtrée est évaporée dans le vide ; il se produit toujours un léger précipité de fluo¬ rure de baryum. Après évaporation à sec, le résidu est repris par l’alcool absolu, et la solution traitée par un huitième do son volume d’éther, ce qui précipite le bromure de baryum. En évaporant la solution dans le vide, on obtient une cristalli¬ sation du sel de baryum, qui peut être purifié par recristalli¬ sation de l’alcool. Ce sel cristallise en aiguilles assez solubles dans l’alcool. C’est le plus stable des sels de l’acide fluorbrom- acétique que j’ai rencontrés.

Le sel d’ammonium peut se préparer par l’action d’une solution alcoolique d’ammoniaque sur l’acide dissous dans l’alcool. Il est encore moins stable que le sel de potassium.

Le sel de plomb, obtenu par l’action de la crise sur l’acide, se décompose presque totalement quand on le fait cristalliser de l’eau.

Le sel de zinc peut être préparé par l’action de l’oxyde de zinc sur une solution concentrée d’acide, en évaporant dans le vide et en reprenant par l’alcool. 11 ne m’a pas été possible de le séparer complètement du bromure de zinc qui se forme en même temps.

La préparation des fluorbromacétates alcalins par saponifi-

( 29 )

cation du fluorbromacétate d’éthyle ne réussit pas. La base en excès dans la solution aqueuse détruit le sel au fur et à mesure qu’il se produit, et on n’obtient que du bromure, du fluorure et du glyoxylate alcalin.

J’ai décrit le fluorbromacétate d’éthyle dans un mémoire précédent. C’est un liquide incolore, d’une odeur agréable, mais irritant fortement la conjonctive. Sa densité à 17° est de 1.55866. Il bout à 154°.

Traité par l’ammoniaque, il se transforme en amide CHBrFl-

conh2.

Cette réaction se produit aussi bien en solution aqueuse qu’en solution alcoolique, mais l’amide se décompose en pré¬ sence de l’excès d’ammoniaque et, si l’on opère en solution alcoolique, il se produit un précipité de bromure et de fluo¬ rure d’ammonium. En même temps, en solution aqueuse comme en solution alcoolique, le liquide se colore de plus en plus jusqu’à prendre une teinte brune très foncée.

Après plusieurs essais malheureux, je suis parvenu à isoler l’amide en opérant de la manière suivante :

Je secoue le fluorbromacétate d’éthyle avec deux fois son volume d’une solution aqueuse d’ammoniaque à 20 %. 11 se produit une notable élévation de température que je combats en plaçant le flacon sous un filet d’eau fraîche. L’éther brom- fluoracétique disparaît après quelques instants.

Immédiatement, j’agite le liquide avec cinq fois son volume d’éther, pour extraire l’amide, et je répète deux fois ce traite¬ ment. La solution éthérée est séchée sur du chlorure de cal¬ cium, et l’éther distillé en majeure partie au bain-marie. La solution fortement concentrée est placée ensuite dans un exsiccateur à vide. Quand l’évaporation est presque complète, l’amide se sépare en croûte cristalline.

Elle est extraordinairement soluble dans l’eau, à l’encontre de la plupart des amides d’acides acétiques substitués. Lors de sa préparation, elle ne se sépare donc pas de la sol u lion ammoniacale, comme c’est le cas pour les amides des autres

( 30 )

acides acétiques halogénés. Elle est également très soluble dans l’alcool, l’éther et le chloroforme. Aucun de ces dissol¬ vants ne convient donc pour une purification convenable. Cette amide est heureusement presque insoluble dans le tétra¬ chlorure de carbone froid. C’est ce dissolvant qui m'a servi à obtenir un produit pur. Je chauffe l’amide avec du tétra¬ chlorure de carbone bouillant. L’amide fond sous le dissolvant et s’y dissout peu à peu en partie. La solution est filtrée bouil¬ lante et par refroidissement il s’y produit une cristallisation très volumineuse de fines aiguilles longues et soyeuses.

La bromlluoracétamide fond à 44° et se décompose quand on la chauffe vers 200°, sans qu’on puisse la distiller.

On peut aussi l’obtenir par l’action d’une solution alcoolique d’ammoniaque sur le bromure de bromfluoracétyle. La réac¬ tion est très violente et demande à être conduite avec beaucoup de précautions. Il faut éviter d’employer un fort excès d’am¬ moniaque. On épuise le produit par l’éther pour séparer le bromure d’ammonium, et on achève la purification comme précédemment.

Le chlorure de tluorbromacétyle CHBrFl-COCl se prépare facilement par l’action du trichlorure de phosphore sur l’acide.

On chauffe au reflux au bain-marie 1 molécule d’acide et i/3 de molécule de trichlorure de phosphore. Après une heure, il y a déjà formation très abondante d’acide phosphoreux solide. Après quatre heures de chauffé, l’opération est arrêtée et on distille au bain de glycérine chauffé à 120°. Le thermo¬ mètre monte immédiatement à 95° et se fixe à 98°, sans dépas¬ ser cette température, et il distille un liquide incolore, fumant fortement à l’air. Une seule rectification au Lebel suffit pour isoler un produit absolument pur, qui bout à 98° sous 765 millimètres, sans traces de décomposition.

Le chlorure de bromfluoracétyle est un liquide incolore, très mobile, d’une densité de t°,879 à 14°, 5. Il est insoluble dans l’eau, qui le décompose rapidement avec violence, il réagit de même avec une grande énergie sur l’alcool, qui le

( 31 )

transforme en bromfluoracétate d’éthyle; sur l’ammoniaque, qui le change en amide.

On ne peut guère préparer ce chlorure aux dépens du penta- chlorure de phosphore et de l’acide, car il serait presque impossible de le séparer de l’oxychlorure de phosphore qui se formerait en même temps.

J’ai décrit le bromure acide antérieurement (*). C’est un liquide incolore, fumant à l’air, d’une densité de 2°, 33136 à 10.

Comme je l’ai signalé dans l’introduction à ce mémoire, j’avais démontré pour quelques acides acétiques fluorés, que la substitution du chlore ou du brome par le fluor augmente la force de l’acide. Il manquait à ce travail la confirmation de ce fait pour les acides bihalogénés. Il pouvait aussi être inté¬ ressant de vérifier si la variation de la constante de dissociation électrolytique provoquée par la substitution du fluor au chlore est régulière ou non. Cette constatation était jusqu’ici impos¬ sible, les acides acétiques trihalogénés que j’avais isolés étant trop fortement dissociés.

J’ai donc déterminé la conductibilité électrique de l’acide fluorbromacétique. Les mesures ont été faites avec des disso¬ lutions d’acide absolument pur, préparées le jour même, pour éviter la décomposition de l’acide par l’eau.

Les données suivantes expriment les moyennes de six séries de déterminations faites à 24°, 8. V exprime la dilution de la solution en litres, p. la conductibilité électrique :

V

P

2 .

.... 126

4 .

.... 163.6

8 ..... .

.... 194.8

16 .

.... 230.6

32 .

.... 264.0

64 .

.... 294.4

128 .

.... 315.5

256 .

.... 333.1

512 .

.... 344

1024 . .

... 353.5

O F- Swarts, loc. cit.

( 32 )

La conductibilité électrique du bromfluoracétate de sodium pour les dilutions de 32 à 1024 litres est de

V

9-

32- .

. 72.9

64 .

. 75.2

128 .

. 77.7

236 .

. 79.7

512 .

. 80.9

1024 .

. 82.9

La conductibilité limite du sel de sodium est donc 84.9 et celle de l’ion CHBrFl-COo- de 35.7, ce qui donne 356 pour conductibilité limite de l’acide bromfluoracétique.

11 en résulte que les valeurs de

P*

m ,

[J-QO

donnant donc la fraction dissociée de l’acide, sont pour les différentes dilutions de

V

m

2

.... 0.356

4 .

.... 0.460

8 .

.... 0.547

16 .

.... 0.647

32 .

.... 0.743

61 .

.... 0.823

128 .

.... 0.893

256 .

.... 0.967

512 . .

.... 0.993

1024 .

Si nous calculons avec ces données les valeurs de k aux différentes dilutions

C>

fj-ÿ

fJWO(fAOO - fJLü) .V

l

k=m

( 33 )

nous trouvons

V

2 .

. 10

4 . .

. 9.63

8 .

. 8.38

16 .

. 7.41

32 .

. 6.70

64 .

. . 6.20

128 . .

. 6.72

Au delà de la dilution à 128 litres, il était inutile d’essayer de calculer la valeur de k avec quelque exactitude, le degré de dissociation étant par trop élevé.

L’acide bromfluoracétique est évidemment très fortement dissocié, mais on remarque immédiatement que la valeur de la constante de dissociation électrolytique subit une diminu¬ tion rapide pour les premiers termes de la série. Ostwald (*) avait observé un phénomène du même genre quand les corps mis en expérience n’étaient pas purs. Ce n’est pas le cas ici, car les différentes mesures que j’ai faites ont été réalisées sur trois échantillons provenant d’opérations différentes, préparés tous trois avec le plus grand soin et qui m’ont fourni les mêmes résultats.

J’ai même, après les premières mesures, repris la purifica¬ tion de mes trois échantillons d’acide et déterminé à nouveau leur conductibilité, et je n’ai constaté aucun changement dans mes résultats.

Il y avait peut-être ici un phénomène analogue à celui observé par Ostwald (**) et Van ’tHofî (***) pour l’acide for¬ mique, à l’emploi d’électrodes platinées. Aussi ai-je recom-

(*)' Ostwald, Ueber die Afjinalsgrôssen organischen Sâuren. (Zeitschr. FUR PHYS. Chemie, Bd III, S. 173.)

n Ibid., S. 173.

{***) Van ’t Hoff und Reicher. Ueber die Dissociationtheorie der Elec- Irolyten. (Zeitschr. für phys. Chemie, Bd II, S. 781.)

Tome LXl.

c

i 34 )

mencé mes déterminations en employant des électrodes non platinées. Les résultats ne se sont pas modifiés.

Il ne saurait être question non plus d’une variation de la constante due à la décomposition de l’acide bromfïuoracétique par l’eau à mesure que la dilution croît. D’abord, mes solutions ne précipitaient pas pour le nitrate d’argent; ensuite, toute formation d’acide bromhydrique eût augmenter singulière¬ ment la valeur de la constante au lieu de la diminuer.

Ce qui est plus probable, c’est que nous nous trouvons ici devant un cas semblable à ceux qui ont été observés fré¬ quemment chez les électrolytes fortement dissociés de dimi¬ nution progressive de la constante dissociation éiectrolytique et dont l’explication exacte n’a pas été fournie jusqu’ici (*).

Quoi qu’il en soit, l’acide bromfluoracétique est un acide très fort, et la valeur de sa constante dépasse sensiblement celle de l’acide dichloracétique, trouvée par Ostwald égale à5.14(**). Ici encore, comme dans les acides acétiques substitués que j’ai étudiés dans mes travaux précédents, le remplacement du brome par le tluor augmente considérablement l’activité chimique.

Nous pouvons tirer une constatation intéressante de la détermination de la constante. A partir de la dilution à 32 litres, la constante de dissociation ne varie plus guère et prend une valeur moyenne de 6.60. Or l’acide monobrom- acétique a une constante de dissociation électrolytique égale à 0.138, soit 47 fois plus petite que celle de l’acide fluorbrom- acétique. La substitution d’un atome d’hydrogène par le fluor rend donc dans ce cas la constante 47 fois plus grande.

D’autre part, îa constante de dissociation électrolytique de l’acide dichloracétique est égale à 5.14, soit 34 fois plus grande que celle de l’acide chloracétique, pour lequel cette valeur est de 0.155. La substitution d’un atome d’hydrogène par le chlore

O Voir notamment Ostwald, Lehrbuch cler allgemeine Chemie, Bd II, S. 695.

(**) Ostwald, loc . cit., S. 177.

( 35 )

dans un acide acétique monohalogéné rend la constante 34 fois plus grande. Les variations de la constante, dues au remplacement de l’hydrogène par du fluor d’une part, par du chlore d’autre part, sont donc entre elles comme

Nous retrouvons le même rapport quand nous comparons entre elles les constantes de dissociation électrolytique des acides acétique, fluoracétique et chloracétique.

L’acide fluoracétique (*) a une constante 119 fois plus grande, l’acide chloracétique 86 fois plus forte que l’acide acétique. Le rapport de ces deux nombres est 1.37.

Il y a une concordance qui n’est pas fortuite. La fonction acidifiante du fluor serait donc dans un rapport constant avec celle du chlore et 1.37 fois plus forte. Ce rapport est bien plus grand que celui qui existe entre la fonction acidifiante du chlore et celle du brome, et qui est égal à 1.11. J’aurais voulu, pour établir une deuxième comparaison, déterminer la conduc¬ tibilité électrique de l’acide dibromacétique. Le temps m’ayant manqué pour préparer ce corps moi-môme, je me suis adressé à une maison allemande qui m’a fourni un produit très cher et dont la conductibilité électrique était celle de l’acide mono- bromacétique. Vérification faite de la pureté de l’échantilion, il contenait surtout de l’eau et de l’acide monobromacétique.

Acide iodfluoracétique.

On sait que les éthers des acides chlor- (**) ou bromacé- tique (***), chauffés en solution alcoolique avec de l’iodure de

O Swarts, Sur l’acide fluoracétique. (Loc. en.)

O Kekulé, Untersuchungen iiber organischen Sciuren. (Ltebig’s Ann., BdCXXXI, S. 223.)

C*) Perkin und Duppa, Ueber der Iodessigsdure. (Journal für prakt.

Chem., 1. Folge, Bd LXXIX, S. 217.)

( 36 )

potassium, échangent l’atome de chlore ou de brome contre de l’iode. Ce n’est qu’une application particulière d’une réaction plus générale. Les sels haloïdes des métaux alcalins et alcalino-terreux, agissant sur les dérivés halogénés orga¬ niques, tendent à se transformer en sels de l’haloïde le plus métalloïdique, l’halogène le moins actif étant fixé dans la molécule organique (*).

Je me suis demandé lequel des deux halogènes se laisserait remplacer par l’iode, quand on chauffe le bromfluoracétate d’éthyle avec de l’iodure de potassium.

Une molécule-gramme de bromfluoracétate d’éthyle, dissoute dans trois fois son poids d’alcool, fut chauffée à 90° dans un appareil à reflux pendant un jour avec 1 molécule d’iodure de potassium. Le liquide se colora fortement en brun. J’ai filtré le produit de la réaction, épuisé les cristaux à l’alcool et dis¬ tillé la solution alcoolique. Après élimination de l’alcool, le thermomètre monta à 160°, et de 160° à 180°; il distilla un liquide fortement coloré par de l’iode. La distillation était accompagnée d’une décomposition partielle du produit.

Le résidu salin fut soigneusement lavé à l’éther pour enlever complètement les matières organiques, séché et analysé. J’y ai trouvé une certaine quantité d’iodure de potassium inaltéré et une forte proportion de bromure. Par contre, je n’ai obtenu aucun précipité par le nitrate de calcium. Il ne s’était donc pas formé de fluorure de potassium.

L’éther formé se décomposant à la distillation sous la pres¬ sion atmosphérique, j’ai repris l’expérience, et quand la réac¬ tion fut terminée, j’ai éliminé l’alcool par distillation dans le vide. Après avoir distillé l’alcool à 2o°, j’ai repris le résidu par l’éther absolu et décoloré la solution éthérée par le sulfite de soude.

Après dessiccation, j’ai chassé l’éther par distillation au bain-

0 Brix, Ueber den Austàuscli von Chlor , Bromundlod zwischen orga- nischen und anorganischen Verbindungen. (Liebig’s Ann., Bd CCXXV, S. 169.) L. Henry, Transformation du chlorure de méthyle en iodure. (Bull, de l’Acad. roy. de Belgique, sér., t. XIX, pp. 348-352.)

( 37 )

marie et rectifié le résidu dans le vide. Il distille sans décom¬ position entre 60° et d0o°, sous 30 millimètres de pression. En rectifiant deux fois au Lebel, sous 30 millimètres de pression, j’ai obtenu du bromfluoracétate d’éthyle inaltéré et un autre éther, bouillant sans décomposition à 103°.

Le corps ainsi obtenu est incolore, doué d’une odeur agréable, mais très irritante pour les muqueuses : il provoque un larmoiement intense. Sa combustion a donné les résultats suivants :

0&r,6691 de substance ont donné 0ër,5130 C02, soit 0sr,1399 C ou 20.88 °/„, et0sr,1921 H20, soit 0&r, 02135 H ou 3.10 %.

Calculé pour

CHIF1.

1

C0oC2H5

Trouvé.

C

20.69 %

20.88 »/,

H

2.65 ojo

3.10 °/,

Le produit formé est donc de l’iodfluoracétate d’éthyle.

Dans l’action de l’iodure de potassium sur le bromfluora¬ cétate d’éthyle, le fluor ne suit donc pas la règle à laquelle sont soumis les autres halogènes. En sa qualité d’halogène le plus actif, c’est lui qui devrait être remplacé par l’iode. Si même il se produisait d’aborcl de l’iodfluoracétate d’éthyle, ce dernier devrait réagir sur le bromure de potassium pour le transformer en fluorure, et l’on devrait obtenir de l’éther bromiodacétique.

Si la réaction ne se produit pas dans ce sens, c’est que la différence entre les affinités du fluor et du brome pour le potassium doit être plus petite que celle qu’il y a entre les affinités de ces deux éléments pour le carbone. Or l’affinité du fluor pour le carbone est toute spéciale. J’ai attiré l’attention sur ce point dans l’avant-propos de ce travail. Je dis que l’affinité du carbone pour le fluor est d’un ordre spécial : elle sépare, en effet, le fluor d’avec les autres halogènes et ne semble pas en rapport avec la différence d’activité que montre

( 38 )

le fluor et les autres halogènes vis-à-vis des métaux. La réac¬ tion que je viens de décrire en est une nouvelle preuve.

L’iodfluoracétate d’éthyle est un liquide incolore, brunissant à la lumière. Sa densité à 11° est de 1.6716. Il distille à 180°, sous la pression atmosphérique, avec légère décomposition. Aussi le distillât est-il coloré en rose.

J’ai tenté la saponification de cet éther par la baryte. A cet effet, j’y ai ajouté deux fois son poids d’eau dans laquelle j’ai dissous peu à peu la quantité calculée de baryte caustique. L’éther se transforme peu à peu, mais ne disparaît pas com¬ plètement, car la réaction ne se produit pas sans qu’il y ait décomposition partielle avec précipitation de fluorure de baryum, ce qui amène un déficit en baryte. L’iodfluoracétate d’éthyle restant fut enlevé par l’éther, et après filtration du fluorure de baryum, j’ai évaporé la solution aqueuse dans le vide. J’obtins, comme produit d’évaporation, une masse dure, déliquescente, qui fut reprise par une grande quantité d’alcool à 80°, qui la dissout, sauf un résidu insoluble de fluorure de baryum. La solution alcoolique fut également évaporée dans le vide et j’obtins derechef une masse dure, cornée, contenant une grande quantité d’iodure de baryum. En extrayant par l’alcool absolu, j’ai enlevé la majeure partie de ce dernier, tandis que l’iodlluoracétate est beaucoup moins soluble.

Le résidu, formé surtout d’iodfîuoracétate et de fluorure de baryum, fut repris par l’eau, qui ne dissout pas le fluorure; mais quand j’évaporai la solution aqueuse, une nouvelle quan¬ tité d’iodfluoracétate se décomposa, ce qui fait que je n’ai pu obtenir ce sel à l’état de pureté.

L’iodfluoracétate de potassium, que j’ai également essayé de préparer, se décompose encore plus facilement.

Pour obtenir l’acide iodfluoracétique, j’ai décomposé le sel de baryum brut par l’acide chlorhydrique gazeux. 11 se forma du chlorure de baryum, mais quand j’ai essayé de distiller l’acide, il se produisit une décomposition presque complète. Le distillât fut néanmoins repris par l’eau et la solution aqueuse

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évaporée dans le vide sous l’exsiccateur. Je parvins à recueillir ainsi quelques paillettes d’acide iodfluoracétique.

Le rendement a été un peu meilleur quand j’ai saponifié l’éther par l’eau. L’iodfluoracétate d’éthyle fut mis en contact, pendant plusieurs semaines, avec une quantité d’eau égale à trois fois son poids. Quand ii eut complètement disparu, je distillai dans le vide.

Après élimination de l’alcool, de l’eau et des hydracides formés, car il y a hydrolyse partielle, j’obtins un résidu sirupeux qui, placé sous l’exsiccateur, me donna de belles lames cristallines incolores, baignant dans un liquide visqueux, contenant de l’acide glyoxylique.

Les cristaux furent égouttés sur de la porcelaine poreuse et recristallisés de l’éther.

J’obtins ainsi de beaux cristaux lamellaires d’acide iodtluor- acétique, qui fond à 74° et se décompose partiellement à une température un peu supérieure.

J’en ai isolé une quantité trop faible pour faire l’étude de sa conductibilité électrique.

L’iodfluoracétamide CIFIHCONH^ peut s’obtenir en trai¬ tant l’iodfluoracétate d’éthyle par l’ammoniaque en solution aqueuse. Trois centimètres cubes d’éther iodfluoracétique furent secoués avec deux fois leur volume d’ammoniaque aqueuse à 20°/o, jusqu’à ce que l’éther eût disparu. Le liquide fut alors refroidi à 0°. Il se produisit une cristallisation assez abondante de l’amide (*). Ces cristaux furent essorés à la trompe, séchés sur de la porcelaine poreuse et redissous dans l’éther. J’obtins ainsi de belles aiguilles cristallines, très solubles dans l’alcool et l’éther, moins dans le chloroforme, peu solubles dans le tétrachlorure de carbone bouillant, presque insolubles dans ce dissolvant froid. Par deux cristallisations dans ce dernier, j’isolai un produit rigoureusement pur, fondant à 92°, 5, formant de longues aiguilles incolores.

(*) On peut encore extraire une certaine quantité de l’amide quand on épuise par l’éther la solution aqueuse provenant de l’essorage.

( 40 )

Sa combustion m’a donné les résultats suivants :

0sr,312 de substance m’ont fourni 0sr,1346 C02,

soit 0sr,0366 C ou 11.73 °/0, et 0&r,0451 H20, soit 0er, 00501 H ou 1.59 °/0.

Calculé pour CHIF1 C0NH2

'I rouvé.

C 11.73 °/0 H 1.50 °/o

L’iodfluoracétamide est bien soluble dans l’eau, elle en cris¬ tallise en paillettes. Elle se décompose au contact de l’ammo¬ niaque, comme la bromfluoracétamide. Quand on essaie de la distiller, on la décompose également.

En résumé, par ses propriétés, l’acide iodlluoracétique se rapproche complètement de l’acide bromlluoracétique.

J’ai vainement tenté d’isoler l’acide fluorchloracétique. Pour obtenir ce corps, j’avais à ma disposition les deux réac¬ tions qui m’ont servi pour l’obtention des acides fluorés, à savoir : la substitution fluorée dans le chlorure acide ou l’oxydation du dichlorfluoréthylène.

La substitution bifluorée dans le chlorure acide constituait certes la méthode de choix. J’ai essayé de l’effectuer à l’aide du fluochlorure d’antimoine, qui constitue un agent de floru- ration extrêmement actif, ou avec le mélange de fluorure d’antimoine et de brome. Le chlorure de dichloracétyle a été préparé par le procédé d’Otto-Beckuntz [*).

J’ai fait agir sur lui 1 molécule de chlorofluorure d’anti¬ moine, la réaction devant se produire d’après l’équation :

CHC12 -C0C1 SbCl3Fl2 - CC1FCH-C0F1 SbCls.

L’opération fut d’abord effectuée de la manière suivante : Dans un flacon en platine muni d’un réfrigérant ascendant égale-

O Otto und Beckuntz, Zur Fraye nach der Constitution der Glyoxyl- sûure. (Berichte der Deutsche chemischeGesellschaft, Bd XIV, S. 1616).

( 41 )

ment en platine, j’ai introduit le fluorchlorure d’antimoine. Le réfrigérant était relié à un tube de Péligot fortement refroidi, pour condenser éventuellement le fluorure de chlor- fluoracétvle, qui devait, en effet, avoir un point d’ébullition voisin de 25°.

Je versai alors le chlorure de dichloracétyle dans l’appareil. Il se produisit une réaction extrêmement violente, ce qui me fit perdre la presque totalité du produit.

J’ai alors modifié légèrement la disposition de l’appareil. Le flacon en platine fut muni d’un entonnoir à robinet par lequel je laissai couler goutte à goutte le chlorure de ’dichlor- acétyle sur le fluochlorure d’antimoine. Je suis ainsi parvenu à tempérer la réaction. Celle-ci est encore très vive au début, mais prend plus tard une allure plus régulière. J’ai chauffé, après introduction de tout le chlorure acide, pendant une heure à 70°, pour permettre à la réaction de s’achever.

Dans le tube en U se condensaient quelques gouttes d’un liquide très volatil. J’ai ensuite rectifié le produit de la réaction. Le thermomètre, au lieu de s’arrêter d’abord vers 25°, température probable d’ébullition du fluorure de chlor- fluoracétyle, monta d’emblée à 70°. Entre 70° et 75°, j’ai récolté un liquide très volatil, doué d’une odeur extrêmement piquante. Après être monté jusque 7d°, le thermomètre redescendit. J’arrêtai la distillation. 11 restait dans l’appareil de platine un liquide refusant de distiller au bain-marie. En chauffant au bain de paraffine, je parvins à faire passer à la distillation, vers 200°, un mélange de pentachlorure, de tri- chlorure et de fluochlorure d’antimoine.

Ce dernier n’avait donc pas été engagé complètement dans la réaction. Le liquide bouillant de 70° à 75° a été rectifié au Lebel. Il passe presque intégralement à la distillation à 70°, 5, sans que j’aie pu observer la présence d’un corps à point d’ébullition inférieur.

J’ai fait un dosage de chlore dans le produit obtenu.

0&r,4859 de substance m’ont donné i&r,0648 AgCl, soit 0,26332 Cl ou 34.2 °/0.

( 42 )

Cette teneur en chlore correspond à celle d’un corps de la formule C^Cl^HOFl, qui exige 54.18 % de chlore.

Cette formule est aussi bien celle du fluorure de dichloracé- tyle que celle du chlorure de chlorfluoracétyle, qui auraient pu se former tous deux.

Mais le produit obtenu, traité par l’eau, se décompose en donnant de l’acide fluorhydrique, reconnaissable au volumi¬ neux précipité que produit l’acétate de calcium dans la solu¬ tion aqueuse, tandis que celle-ci devient seulement opalescente par le nitrate d’argent.

En outre, traité par l’alcool, ce composé réagit avec violence en donnant un dégagement d’acide fluorhydrique. En préci¬ pitant l’éther formé par l’eau, je n’ai obtenu qu’un liquide bouillant à 154° et d’une densité égale à 1.279. Ces deux constantes physiques sont exactement celles du dichloracétate d’éthyle. Tous ces caractères permettent d’affirmer que le pro¬ duit obtenu est le fluorure de dichloracétyle.

Quant au liquide condensé dans le tube de Péligot, c’était également du fluorure de dichloracétyle, car, éthérifié par l’alcool, il me donna de l’acide fluorhydrique et du dichlor- acétale d’éthyle.

La densité du fluorure de dichloracétyle est de 1.48016 à 17°1. Son indice de réfraction, à la même température, est de 1.8961.

Le mélange de brome et de fluorure d’antimoine réagit de la même manière. Quand on verse le chlorure de dichloracétyle sur le fluorure d’antimoine, il ne se produit aucune réaction, mais au moment l’on ajoute le brome, l’attaque se fait violemment et il y a production tumultueuse de vapeurs de fluorure de dichloracétyle. Aussi vaut-il mieux faire arriver le brome goutte à goutte dans l’appareil, à l’aide d’un entonnoir à robinet. On peut opérer dans un appareil de verre, à condi¬ tion qu’il soit bien sec. Après que la réaction initiale s’est un peu apaisée, on chauffe doucement jusque 100°; le fluorure d’antimoine se dissout peu 5 peu.

Après achèvement de la réaction, on laisse refroidir, on

( 43 )

ajoute avec précaution de la poudre d’antimoine; on chauffe de nouveau au reflux, jusqu’à ce que tout le brome ait été fixé, puis on distille.

J’avais déjà observé que l’action fïuorurante de mon mélange ou du fluochlorure d’antimoine se porte de préférence sur le chlore du chaînon -GOC1, plutôt que sur le chlore des chaînons hydrocarbonés. Ici le même fait se représente et de plus la fluoruration s’arrête au groupement -COC1.

Le fluorure de dichloracétyle est un liquide incolore, très mobile et très volatil, doué d’une odeur fort irritante. Il n’attaque pas le verre sec. A l’air, il fume fortement en déga¬ geant des vapeurs d’acide fluorhydrique.

Comme les fluorures acides que j’ai eu l’occasion d’observer, il réagit avec violence sur l’eau et l’alcool et diffère en cela des fluorures acides étudiés par M. Meslans.

J’ai aussi fait agir le fluochlorure d’antimoine sur l’acide dichloracétique lui-même. J’ai opéré dans un appareil de pla¬ tine muni d’un réfrigérant ascendant. A froid, il ne se produit aucune transformation, mais quand on porte la température jusque 130°, il se manifeste une réaction très vive, et il se dégage abondamment de l’acide chlorhydrique, de l’oxyde de carbone et un peu d’anhydride carbonique. Quand ce dégage¬ ment gazeux a cessé et qu’on distille, on obtient d’abord du fluorure de dichloracétyle, puis le thermomètre monte à 140° et il se produit une décomposition très violente avec dégage¬ ment de torrents d’acide chlorhydrique et fluorhydrique ainsi que d’oxyde de carbone.

Le temps m’a fait défaut pour étudier plus complètement cette réaction curieuse, que je me borne à signaler aujourd’hui. Il semble que l’acide dichloracétique se dédouble en présence du fluochlorure d’antimoine d’après l’équation :

C2H2C1202 = 2HC1 -4- 2C0.

J’espère pouvoir revenir sur cette réaction. Quoi qu’il en soit, je ne suis pas parvenu à obtenir un dérivé de l’acide fluorchloracétique par cette méthode.

( 44 )

L’oxydation facile du dibromfïuoréthylène avait conduit à la préparation de l’acide bromfluoracétique; j’avais espéré arriver par une voie analogue à l’acide chlorfluoracétique. J’ai préparé dans ce but les dérivés chlorés correspondants aux composés fluobromés que j’ai décrits antérieurement. Mon espoir a été déçu. Je dirai, dès maintenant, que je ne suis pas parvenu à oxyder dans des conditions pratiques le dichlorfluoréthylène, qui devait me servir de point de départ, et je n’ai donc malheu¬ reusement qu’un résultat négatif à enregistrer pour mes essais de préparation de l’acide fluorchloracétique. J’ai aussi essayé en vain l’action du fluorure d’antimoine en tubes scellés sur le dichloracétate d’éthyle.

Avant de terminer l’histoire des acides acétiques bisubstitués, je ferai remarquer que l’acide bromfluoracétique est une sub¬ stance contenant un atome de carbone asymétrique. J’ai entamé des essais de dédoublement de ce composé racémique, mais ne suis pas encore arrivé à un résultat satisfaisant. Je poursuis ces recherches.

Dérivés fiuochlorés de l’éthane et de l’éthylène.

J’ai décrit dans trois communications une série de dérivés fluobromés en que j’ai obtenus en partant du tétrabromure d’acétylène, en fluorant celui-ci par le mélange de brome et de fluorure d’antimoine.

Le brome diffère assez notablement du chlore dans ses com¬ binaisons organiques par son aptitude réactionnelle plus grande, et l’on conçoit aisément que cette différence doive être encore beaucoup plus forte si on le compare au fluor. Mais il est à remarquer que le fluor et le brome sont à peu près entre eux comme le chlore est à l’iode, et il n’est pas douteux que si nous ne connaissions pas les dérivés bromés, nous hésiterions peut-être à ranger dans la même famille les composés organiques du chlore et de l’iode, tellement leurs différences d’allures sont parfois sensibles.

( 45 )

Aussi ai-je cru intéressant d’étudier, au moins partiellement, les dérivés fïuochlorés de l’éthane. Comme je l’ai dit quelques lignes plus haut, j’espérais arriver par cette voie à l’acide chlorfluoracétique, qui eût constitué un excellent matériel d’étude pour comparer entre eux le chlore et le fluor, matériel meilleur certainement que les dérivés hydrocarbonés dont l’aptitude réactionnelle est faible. Si je n’ai pas réussi à obtenir cet acide, je crois cependant avoir réuni quelques faits intéres¬ sants dans ce travail sur les dérivés fïuochlorés.

Le point de départ de mes recherches a été le tétrachlorure d’acétylène.

Mouneyrat (*) a récemment indiqué deux méthodes qui per¬ mettent de se procurer ce corps en quantité convenable. La première consiste à unir directement le chlore à l’acétylène en présence du chlorure d’aluminium, dans un appareil privé d’air. Dans la seconde, on chlorure le chlorure d’éthylène en présence du chlorure d’aluminium.

C’est à ce dernier procédé que j’ai donné la préférence.

J’avais essayé le premier, mais sans obtenir de bien bons résultats, et plus d’une fois mon appareil a fait explosion, quoique la réaction fût en marche depuis plusieurs heures et qu’aucune rentrée accidentelle d’air ne se fût produite.

La seconde méthode donne un rendement moindre. Mou¬ neyrat le fixe à environ le quart du rendement théorique. En effectuant la chloruration au soleil, je suis parvenu à l’aug¬ menter sensiblement et à l’élever à un peu plus du tiers. La maison Kônig, de Leipzig, m’a préparé de cette manière une quantité assez considérable d’éthane tétrachloré symé¬ trique.

Il est indispensable de soumettre le produit à une rectifiea-

(*) Mouneyrat, Préparation du tétrachlorure d'acétylène. (Bull, de la Soc. chim. de Paris, 3e sér., t. XIX, p. 452.) Idem, Action du chlore sur le chlorure d'éthylène en présence du chlorure d'aluminium. (Ibid., t XIX, p. 445.)

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tion très soignée pour le séparer du tétrachlorure asymétrique, qui se forme en même temps en petite quantité.

J’ai d’abord employé le mélange de brome et de trifluorure d’antimoine comme agent fluorurant, en opérant dans un appareil de platine muni d’un réfrigérant ascendant et main¬ tenu pendant quarante-huit heures à 13o°. J’ai constaté, à l’ouverture de l’appareil, que la formation de bromure d’anti¬ moine était très peu importante. En distillant le produit de la réaction, après élimination du brome, j’ai retrouvé inaltérée la presque totalité du tétrachloréthane. J’obtins cependant quelques centimètres cubes d’un liquide distillant vers 60°.

En faisant durer l’expérience pendant huit jours, j’ai reconnu une transformation plus avancée, mais le rendement resta néanmoins fort médiocre.

11 était évident que la transformation complète du tétra¬ chloréthane eût demandé un temps très long; aussi ai-je pré¬ féré m’adresser au tîuochlorure d’antimoine comme agent tluorurant. Il se produit ainsi une substitution beaucoup plus rapide.

Au lieu d’utiliser le tîuochlorure d’antimoine lui-même, je prends du fluorure d’antimoine et j’y ajoute le cinquième de son poids de pentachlorure d’antimoine. J’ai démontré que le pentachlorure se transforme alors en tîuochlorure, qui, par réaction sur le composé organique chloré, redevient penta¬ chlorure, lequel rentre ainsi dans le cycle réactionnel jusqu’à épuisement complet du fluorure d’antimoine.

Dans mes premières expériences, j’ai mis en œuvre 1 molé¬ cule de fluorure d’antimoine pour 3 molécules de tétrachlorure d’acétylène, pour produire la substitution d’un seul atome de chlore. J’ai travaillé avec un appareil de platine, surmonté d’un réfrigérant ascendant du même métal. Ce réfrigérant était muni d’un tube en U à ponce sulfurique, pour éviter les ren¬ trées d’humidité.

J’ai chauffé au reflux à 135° pendant vingt-quatre heures. La réaction commence vers 130° et l’on constate qu’il se produit

( 47 )

un dégagement lent de gaz pendant toute la durée de l’expé¬ rience. Ces gaz fument à .l’air, mais si on les dirige dans un tube en U renfermant de l’eau, on observe qu’ils ne sont que partiellement absorbés et qu’il s’échappe un corps à odeur éthérée, que l’on peut condenser en le faisant passer à travers un tube de Winkler refroidi à 10°.

Quant aux gaz absorbés par beau, ils sont constitués par un mélange d’acide fluorhydrique et d’acide chlorhydrique.

Après vingt-quatre heures, tout le fluorure d’antimoine a disparu. J’ai distillé alors le produit de la réaction.

La distillation débute à 60° et le thermomètre se maintient assez longtemps entre 60° et 70°, puis s’élève lentement jusque 100°, température à laquelle il se fixe de nouveau, puis monte à 140°; entre 140° et 150° distille une notable quantité de tétrachlorure d’acétylène inaltéré, représentant presque la moitié du produit mis en œuvre.

Au-dessus de 150°, le thermomètre s’élève rapidement à 200°, et la distillation du chlorure d’antimoine commence. J’interrompis alors l’opération.

Le distillât fut agité avec une solution d’acide tartrique, pour lui enlever les composés antimoniques entraînés, puis avec de la soude étendue, ensuite séché et rectifié au Lebel.

En fractionnant à plusieurs reprises, je suis parvenu à séparer trois corps à point d’ébullition constant, bouillant respectivement à 60°, 103° et 147°.

Entre 60° et 100° il distille toujours, malgré les rectifications répétées, une quantité assez considérable de produit sans point d’ébullition fixe.

Le liquide bouillant à 147° est du tétrachloréthane inaltéré.

Quant au produit volatil condensé dans le tube en U refroidi pendant la préparation, j’en ai obtenu trop peu pour pou¬ voir le soumettre à une rectification soignée. J’ai cependant reconnu qu’il bouillait vers 20°.

Le corps qui bout à 60° est du difluordîchloréthane, comme devait le faire présumer son point d’ébullition, inférieur de de 87° (2 x 43.5) à celui du tétrachloréthane.

( 48 )

Son analyse a, en effet, donné les résultats suivants :

lsr,284 de substance ont fourni 0gr,7980 C02, soit 0sr,2l76 C ou 17.80 %, et 0sr,1814 H20, soit. 0,0204 H ou 1.59 %;

0gr,5395 de substance ont fourni l&r,1796 Agll, soit 0%2839 Cl ou 52.45 %.

Calculé pour C2H2CI2F12. Trouvé.

C 17.71% 17.80%

H 1.50% 1.59%

Cl 52.47 % 52.45%

Le liquide distillant à 103° est du trichlorfluoréthane. Il m’a donné à l’analyse :

0sr,3166 de substance ont fourni 0sr,1715 C02 ou 0sr,0468 C, soit 14.81 °/0, et 0sr,0347 H20 ou 0sr, 003855 H, soit 1.23 %>;

0sr,4078 de substance ont donné lsr,1568 Agll, soit 0sr,2858 Cl ou 70.09 %.

Calculé pour C2C15F1H2 Trouvé.

C 14.88 % 14.81 %

H 1.21% 1.23%

Cl 70.22 % 70.09 %

Le procédé de préparation que je viens de décrire n’est pas fort recommandable, car il faut maintenir dans un appareil ouvert, chauffé en un point à 140°, un liquide qui bout à 60°. Il en résulte et une perte notable de difluordichloréthane et un refroidissement continuel du ballon-laboratoire par reflux du produit condensé.

On ne peut que malaisément obvier au premier inconvénient, car pour condenser les vapeurs entraînées, il faut un mélange réfrigérant, et il est difficile de maintenir un tube à pendant un jour entier.

Le second inconvénient n’est pas moins sérieux, car j’ai observé que la température a une grande influence sur la rapidité de la réaction. Si, au lieu de chauffer à 13o°-140°, on ne chauffe qu’à 120°, la transformation se produit très lente-

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ment. Après quarante-huit heures, le quart du fluorure d’anti¬ moine n’a pas encore disparu.

Aussi ai-je modifié la disposition de l’appareil pour corriger ces défauts. Il est représenté par la figure ci-dessous. Le flacon de platine de 250 centimètres cubes servant de laboratoire est surmonté d’un tube de platine assez large, de 40 centimètres de hauteur, auquel est relié, par un tube coudé, un réfrigérant à tube de platine débouchant inférieurement dans un ballon-

récipient tubulé. Les produits volatils non condensés sont envoyés dans un tube de Péligot refroidi à —20°.

Cette disposition présente l’avantage suivant. Le tube verti¬ cal A sert d’appareil à reflux, mais son pouvoir condensant est insuffisant pour retenir le dichlordifluoréthane et même une partie du trichlorfluoréthane, à condition que la température du flacon F soit suffisamment élevée, tandis que le tétrachlor- éthane est condensé et reflue dans le flacon. En chauffant ce dernier à 140°, j’arrive ainsi à conduire l’opération de manière à recueillir sans perte sensible, pendant l’expérience même, le dichlordifluoréthane et les produits volatils, et leur retour dans le flacon n’entrave pas la réaction. Aussi celle-ci marche- t-elle beaucoup plus rapidement. Au bout de trois heures la

Tome LXI.

d

( SO )

transformation est complète et plus rien ne distille. Je sup¬ prime alors le tube A, que je remplace par un déphlegmateur en verre, et je distille le trichlorfluoréthane et le tétrachlor- éthane restant dans l’appareil.

Le produit brut de la réaction est agité avec une solution glacée de soude caustique, séché sur du chlorure de calcium et desséché, après y avoir ajouté le contenu du tube de Péligot.

Au début il distille un liquide très volatil, qui doit être condensé dans un tube en U à robinet plongé dans un mélange réfrigérant. Le thermomètre monte à 17°, et s’élève lentement jusque 35° environ, puis rapidement jusque 55°. Ces premières portions sont recueillies à part et rectifiées ultérieurement. Je sépare ensuite le dichlordifluoréthane et le trichlorfluoréthane.

Le liquide distillant au-dessous de 55° est rectifié dans un endroit frais. On parvient à isoler ainsi un corps très volatil, bouillant à 17M90 environ. Au-dessus de 21° le thermomètre s’élève lentement à 30° sans prendre de position fixe, puis rapidement à 60°.

La quantité du produit bouillant à 17°-19° était très faible, n’atteignant pas 1 centimètre cube. Je l’ai obtenu en quantité plus forte, comme j’aurai l’occasion de le mentionner plus loin, en faisant agir 2 molécules de fluorure d’antimoine sur 3 molécules de tétrachlorélhane.

Voici les données d’une expérience :

Cent cinquante grammes de tétrachlorure d’acétylène ont été traités par 56 grammes de fluorure d’antimoine et 11 grammes de pentachlorure d’antimoine.

J’ai récupéré 63 grammes de tétrachloréthane et obtenu 3 grammes de liquide bouillant au-dessous de 55°, 25 grammes de difluordichloréthane, 15 grammes de produit bouillant de 61° à 77°, 4&r,5 de 77° à 100° et 11 grammes de trichlorfluor¬ éthane.

L’action du fluochlorure d’antimoine sur le tétrachloréthane se passe donc à peu près de la même manière que celle du brome et du fluorure d’antimoine sur le tétrabrométhane. J’ai prouvé que dans cette dernière réaction, quand on fait agir

( 51 )

1 molécule de fluorure d’antimoine sur 3 molécules de tétra- bromure d’acétylène, on obtient aussi un mélange de deux produits de fluoruration, du difluordibrom- et du tribrom- fluoréthane, le premier se formant en quantité plus forte que le second. La substitution fluorée se fait donc plus vite dans le tribromfluoréthane que dans le tétrabrométhane.

Il en est de même ici, seulement les rendements relatifs en produit de substitution bifluorée sont encore plus élevés. Tandis que dans la fluoruration du tétrabrométhane j’obtenais 85 grammes de tribromfluoréthane pour 115 grammes de ditluordibrométhane, j’ai récolté deux fois et demie plus de difluordichloréthane que de trichlorfluoréthane en opérant dans les mêmes conditions avec le tétrachloréthane.

Cependant, les deux réactions doivent différer quelque peu, car j’obtiens à côté du difluordichloréthane un corps encore plus volatil et qui doit évidemment être encore plus profondé¬ ment fluoré. J’en avais isolé trop peu pour pouvoir le sou¬ mettre à l’analyse. Il devait nécessairement se produire en quantité plus importante quand on ferait agir sur le tétrachlor¬ éthane une proportion plus grande de fluochlorure d’antimoine.

J’ai donc repris les expériences en doublant les doses de fluorure d’antimoine par rapport au tétrachlorure d’acétylène, ce qui, théoriquement, eût me donner une transformation intégrale en difluordichloréthane. L’expérience a été conduite comme précédemment; la réaction dure environ trois heures.

En trois opérations successives, j’ai mis en œuvre 490 gram¬ mes de tétrachlorure d’acétylène. La réaction me donna comme produit principal du difluordichlorétane, mais j’obtins cepen¬ dant une certaine quantité de trichlorfluoréthane. Ce dernier doit, en effet, se produire transitoirement pendant la réaction, et comme il est impossible d’assurer sa condensation complète dans le réfrigérant ascendant, il distille avec le difluordichlor¬ éthane.

J’ai obtenu ainsi 235 grammes de dichlordifluoréthane et 68 grammes de trichlorfluoréthane, plus 10 centimètres cubes d’un liquide bouillant au-dessous de 35°.

( 52 )

J’ai rectifié ce dernier et séparé 5 centimètres cubes d’un produit bouillant de 17° à 19°. Pour le purifier complètement, je l’ai introduit dans un long tube fermé à une extrémité et distillé en chauffant dans un bain d’eau très profond, main¬ tenu à 20°. Je recueillais les vapeurs dans un tube étranglé, refroidi à 25°. Le bain à 20° servait à la fois de source de chaleur et de condenseur pour les produits moins volatils.

J’ai obtenu ainsi un gaz se liquéfiant à et bouillant à 17°. A l’état liquide, il est extrêmement volatil. Pour l’identifier, j’en ai pris la densité par le procédé de Chancel et je l’ai analvsé.

V

Trois déterminations de densité m’ont donné les valeurs suivantes :

4.18' 4.43 4.14.

Les analyses ont été faites en liquéfiant une petite quantité de gaz dans un petit tube en U taré, analogue à un picnomètre de Sprengel, et scellé après la liquéfaction. Après que le système fut revenu à la température ordinaire, je pesai l’appareil ; je refroidissais à 20° après la pesée, puis je cassais rapidement l’une des pointes et je reliais soit au tube à combustion, soit au tube à chaux. Je laissais le gaz se vaporiser très lentement et quand tout le liquide avait disparu, je cassais l’autre pointe de l’appareil et balayais le gaz restant par un courant d’air.

0sr,7100 de substance m’ont donné 0sr,5157 de C02, soit 0sr,1407 C ou 19.81 %, et 0sr,114 H20, soit 0sr,0126 H ou 1.8 °/0.

lsr,2910 de substance m’ont donné lsr,5801 AgC, soit 0sr,3907 Cl ou 30.19 °/0.

Ces teneurs en chlore, en carbone et en hydrogène, ainsi que la densité, sont celles du trifluorchloréthane, qui contien¬ drait :

Calculé,

Trouvé.

C

20.23 °/0

19.81 °/(

H

O

O

O

t—

1.8 °/,

Cl

30.00 %

30.19 o/.

La densité théorique du trifluorchlorétane est 4.11.

( «3 )

Je reconnais que mes résultats analytiques ne sont pas parfaits; mais la purification du trifluoréthane est très ditiicile, car il doit se produire encore dans la réaction un autre com¬ posé très volatil, dont le point d’ébullition est situé entre 25e et 30°, que je n’ai pu isoler à l’état pur et qu’il est presque impossible de séparer complètement du trifluorchlorétane.

Dans l’action du fluochlorure d’antimoine sur le tétrachlor- éthane, j’ai obtenu un liquide assez abondant, bouillant entre 60° et 100°. J’ai réuni le produit des trois opérations et rectifié de nombreuses fois le distillât passant de 60° à 100°, en ayant soin de recueillir séparément de cinq en cinq degrés. J’ai pu isoler ainsi un liquide bouillant de 70° à 72°. Malheureuse¬ ment, toutes ces rectifications m’ont, fait perdre la presque totalité de ce corps, et je n’ai guère pu isoler que 2 centimètres cubes de produit à point d’ébullition constant.

Il m’a donné, à l’analyse, les résultats suivants :

0er,3132 de substance m’ont donné 0sr,79ol AgCl, soit Or,i965 Cl ou 6:2.4 %.

0sr.4002 de substance m’ont donné 0sr,2087 C02, soit 0sr,0o69 C, ou 14.22 °/0, et 0sr,0224 H20, soit 0sr, 002484 H ou 0.62 °/0.

Ces données analytiques correspondent à celles d’un corps de la formule CoHCloFlo qui contiendrait :

Calculé.

Trouvé.

C

O

C

14.22 %

H

0.58 °/0

0.62 o/0

Cl

62.64 %

62.4 '7 o

La réaction du fluochlorure d’antimoine sur le tétrachlorure d’acétylène est donc assez compliquée et diffère quelque peu de celle que j’ai observée entre le tétrabromure d’acétylène et le bromofluorure d’antimoine. J’avais constaté Ja formation d’un peu de tétrabromfïuoréthane à côté de celle du dibrom- difluor- et du dibromfluoréthane, mais je n’ai pas obtenu de tribromdifluoréthane aux dépens de ce tétrabromfïuoréthane. Déplus, il ne se forme pas de trifluorbrométhane.

( 54 )

Dans l’action du fluochlorure d’antimoine sur le tétrachlo¬ rure d’acétvlène, nous observons manifestement une tendance plus prononcée aux fluorurations profondes. Tout d’abord, le rendement relatif en dichlordifluoréthane est plus élevé que celui en dibromdifluoréthane, quand on n’emploie qu’une molécule de fluorure d’antimoine pour trois de tétrachlor- ou de tétrabrométhane. Ensuite, il se produit du trifluorchlor- éthane.

A côté du remplacement du chlore par le fluor, il y a égale¬ ment substitution de l’hydrogène. Elle se fait probablement pafr le chlore, puisque j’ai prouvé (*) que c’est ainsi qu’agit le fluochlorure d’antimoine sur les composés hydrogénés. De le dégagement d’acides chlorhydrique et tluorhydrique, ce der¬ nier provenant de l’action de l’acide chlorhydrique sur le lïuorure d’antimoine.

Seulement, le dérivé chloré formé subit une fluoruration subséquente, d’où production de trichlordifluoréthane. U est même probable qu’il se forme du trifluordichloréthane.

J’ai dit, en effet, plus haut, qu’à côté du trilluorchloréthane on recueille un autre corps très volatil, bouillant entre 2o° et 30°, et que je n’ai pu obtenir à un degré suffisant de pureté pour en faire l’analyse. Cependant, son point d’ébullition semble indiquer que c’est le trifluordichloréthane qui doit bouillir à une température inférieure de 44° à celle du trichlor¬ difluoréthane, lequel bout à 72°.

La formation de tous ces dérivés trifluorés et pentasubstitués de l’éthane absorbant une certaine quantité de fluorure d’anti¬ moine, il en résulte qu’on ne saurait obtenir un rendement théorique en dichlordifluoréthane par l’action de 2 molécules de fluorure d’antimoine sur 3 molécules de tétrachloréthane.

En résumé, dans l’action du fluorure d’antimoine en pré¬ sence du brome ou du pentachlorure d’antimoine sur les dérivés chlorés ou bromés de l’éthane, on constate la différence suivante : La substitution du fluor au chlore se fait moins

(*) Swarts, loc. cit., p. 900.

( 55 )

aisément que celle du fluor au brome, mais elle tend à être plus profonde.

Le trifluorchloréthane CHFl^-CHFlCl est un gaz liquéfiable à en un liquide qui bout à 17°. Sa densité à l’état liquide a été prise à 10° dans un picnomètre scellé. Elle est de 1.365.

Il possède une odeur agréable. Il se dissout facilement dans l’alcool; quand on ajoute de l’eau à cette solution, il se préci¬ pite ou se dégage à l’état gazeux, suivant la température. Je n’en ai pas obtenu assez pour faire l’étude de ses propriétés chimiques.

Le trichlorfluoréthane C^ClgFlH^ est un liquide incolore, très mobile, d’une odeur agréable. Il bout à 103°. Sa densité à 17° est de 1.54968.

La détermination de sa densité de vapeur, faite à 100° par le procédé d’Hofmann, m’a donné les résultats suivants :

Poids

de

substance.

Température.

Volume

en

cent, cubes.

Pression en millim. de

mercure.

Densité.

Poids

moléculaire

déduit.

0s‘-,0o3

O

O

O

-h

58.5

139.3

5.220

150.8

Le poids moléculaire théorique est 151.06.

Il est insoluble dans l’eau, miscible en toutes proportions aux dissolvants organiques. Il n’attaque le verre qu’au rouge, température à laquelle il est décomposé avec formation de charbon, de chlore et d’acide fluorhydrique. L’acide nitrique fumant le dissout un peu à froid, mieux à chaud, mais c’est un simple phénomène de dissolution, car l’eau le repréci¬ pite inaltéré de sa solution nitrique.

La potasse alcoolique ou l’alcoolate de sodium l’attaquent facilement.

Pour effectuer cette réaction, j’ai introduit le trichlorfluor-

( 06 )

éthane dans un ballon muni d’un réfrigérant ascendant, et j’y ai laissé couler peu à peu, à l’aide d’un entonnoir à robinet, une solution alcoolique de 1 molécule d’alcoolate de sodium.

Il se produit immédiatement un précipité abondant et la température s’élève fortement. Dans le réfrigérant ascendant se condense un liquide très volatil. Après introduction de tout l’alcoolate, j'ai laissé reposer l’appareil pendant un jour; il se précipite encore un peu de sel haloïde. J’ai ensuite distillé jusqu’à siccité au bain de glycérine. La distillation commence à 40°; le thermomètre monte ensuite rapidement à 60° et se fixe à cette température; puis monte jusque 90°, température qu’il ne dépasse pas même quand on distille jusqu'à siccité complète.

J’ai traité le distillât par l’eau et précipité ainsi un liquide plus dense que l’eau, qui fut lavé plusieurs fois à l’eau, puis séché sur du chlorure de calcium et rectifié au Lebel, en chauffant au bain-marie. La distillation débute à 37° et la majeure partie du produit distille à cette température.

Le thermomètre monte jusqu’à 42°, quand on porte la tem¬ pérature du bain-marie jusque 100°, puis redescend. Il reste dans le ballon un résidu assez abondant.

Le liquide bouillant de 37° à 42° a été rectifié au Lebel jusqu’à obtention d’un produit à point d’ébullition absolument constant de 37°, 5, que j’ai soumis à l’analyse.

0sr,7399 de substance m’ont donné 0&r,5618 C02, soit 0sr,1532 C ou 20.70 °/0, et 0^,0731 H20, soit 0sr,0812 H ou 1.10 °/0.

Ces teneurs en carbone et hydrogène correspondent à celles d’un corps de la formule C^HCl^Fl, qui contiendrait :

Trouvé.

C 20.87 o/o 20.70 °/„

H 0 95 °/0 1.10 o/o.

Il se produit donc un enlèvement d’acide chlorhydrique au trichlorfiuoréthane, et l’on obtient du dichlorfiuoréthylène.

( 57 )

En chauffant à feu nu le résidu non distillable au bain- marie, j’ai obtenu un distillât passant de 90° à 180° et qui m’a donné par rectification, d’abord une certaine quantité de tri- chlortluoréthane inaltéré, ensuite un produit bouillant à 121°.

Ce corps possédait une odeur assez agréable, mais fumait à l’air. Sa combustion et la détermination de sa densité de vapeur m’ont prouvé que c’était de l’éther dichlorofluoré C4H7OCL2FI.

0sr,3901 de substance m’ont donné 0*r,4201 C02, soit 0sr, 1 146 C ou 29.40 °/0, et 0sr, 1483 H20, soit 0sr,0l65 H ou 4.26 %,

Calculé pour C4H70C12F1. Trouvé.

C 29.8 0/0 29.40 %

H 4.56 % 4.26 %.

11 est à remarquer que la purification de ce corps est assez difficile, car il est malaisé de le séparer parfaitement par distil¬ lation du trichlorfluoréthane. De des teneurs en carbone et hydrogène un peu faibles.

La détermination de sa densité de vapeur à 100° m’a donné :

Poids

de

substance.

Température.

Volume

en

cent, cubes.

Pression en millim. de

mercure.

Densité.

Poids

moléculaire

déduit.

0&r,0o27

0

0

40.7

164.6

S? r~ l

Û. Il

164.8

Le poids moléculaire théorique est 161°.

Le dichlorfluoréther est un liquide incolore, fumant à l’air comme l’éther trichloré; sa densité à 25° est de 1.214.

Dans l’action de l’alcoolate de sodium sur le trichlorfluor¬ éthane, il se produit encore une petite quantité d’un corps qui bout entre loo° et 161°, qui fume à l’air et ne contient pas de fluor. Je n’en ai pas obtenu assez pour pouvoir le purifier

( o8 )

convenablement. C’est probablement de l’éther trichloré, qui bout à 157°.

J’ai, en effet, constaté, en faisant l’analyse du produit salin de la réaction, qu’il contenait une faible proportion de fluorure de sodium.

Le dichlorfluoréthylène est un liquide incolore, très volatil, ayant l’odeur caractéristique des éthylènes substitués. Sa den¬ sité à 16°, 4 est de 1.37324.

Sa densité de vapeur a été prise à 20°. J’ai obtenu :

Poids

de

substance.

Température.

Volume

en

cent, cubes.

Pression en millim. de

mercure.

Densité.

Poids

moléculaire

déduit.

0&',Q502

20°

44.4

/

182.9

3.913

113.1

Le poids moléculaire théorique est 114.7.

11 se combine directement à 2 atomes de brome. Cette union se fait très rapidement, à la lumière solaire surtout, avec déga¬ gement important de chaleur. Aussi est-il bon de refroidir à et d’ajouter le brome très lentement. On réussit mieux encore en dirigeant les vapeurs de dichlorfluoréthylène dans un tube en U contenant un excès de brome et maintenu à h- 10°; la réaction se produit alors très régulièrement et sans pertes. On absorbe l’excès de brome par une solution de sulfite de soude, on lave à l’eau, on sèche et on distille. On obtient ainsi un corps bouillant à 163°, 5, qui est le dibromdichlorfluoréthane.

0sr,6222 de substance m’ont donné lsr,5068 AgCl -f-AgBr.

Par transformation en chlorure d’argent, j’ai trouvé :

0^,1622 Cl et 0^,3620 Br, soit 38 tO °/0 Br et 23.92 o/0 Cl.

Calculé pour C2CI2Br2KlH.

Trouvé.

Br 38.18 %> Cl 23.81 °/0

( 59 )

Le dichlordibromfiuoréthane est un liquide incolore, se colorant en jaune à la lumière, possédant une odeur camphrée. Sa densité de vapeur a été prise à 130°.

Poids

de

substance.

Température.

Volume

en

cent, cubes.

Pression en millim. de

mercure.

Densité.

Poids

moléculaire

déduit.

0^,1315

130°, 1

53.4

230.1

9.53

275.5

Le poids moléculaire théorique est 271.

La densité du dibromdichlorfluoréthane à 23° est égale à 2,1301.

Le dichlorfïuoréthylène se combine également au chlore. Si on le refroidit à —15°, qu’on y fait arriver un courant de chlore en opérant à l’abri de la lumière, on constate que le chlore se dissout purement et simplement. Mais si l’on porte alors le ballon à la lumière du jour, la réaction se produit brusque¬ ment, avec dégagement de chaleur très notable, ce qui peut amener des pertes sensibles de dichlorfïuoréthylène.

Le meilleur procédé pour réaliser cette union consiste à introduire le dichlorfïuoréthylène dans un ballon immergé dans un bocal en verre contenant une saumure refroidie à 5°. Le ballon est relié, d’une part, à un très bon réfrigérant ascendant, d’autre part, à un appareil fournissant un courant lent de chlore sec. On sature complètement le liquide de chlore, puis on y fait passer un courant d’anhydride carbo¬ nique pour chasser la majeure partie du chlore dissous. On agite ensuite avec une solution étendue de soude caustique, on sèche au chlorure de calcium et on distille.

Le thermomètre monte d’emblée à 117° et s’y maintient jusqu’à la fin de la distillation. En rectifiant une seconde fois, on obtient un produit à point d’ébullition absolument constant de 116°, 5.

( 60 )

Un dosage de chlore m’a permis d’identifier ce nouveau corps : c’est du tétrachlorfluoréthane C2CI4FIH.

0sr,3195 de substance m’ont donné 0sr,9877 AgCL, soit 0sr,2437 Cl ou 76.38 •/<>.

Calculé pour C2C1^F 111.

76.33 o/o.

Le tétrachlorfluoréthane est un liquide incolore, mobile, bouillant à 116°, 5 et ne se congelant pas à —20°. Sa densité à 16°, 7 est de 1.6308. Sa densité de vapeur a été prise à 100°.

Poids

de

substance.

Température.

Volume

en

cent, cubes.

Pression en millim. de

mercure.

Densité.

Poids

moléculaire

déduit.

(Jer.061i

O

O

O

th

40.4

184.5

6.57

189

Le poids moléculaire théorique est 186.

J’ai essayé d’oxyder le dichlorfluoréthylène, comme je l’avais fait pour le dibromfluoréthylène, dans le but d’obtenir le chlorure de chlorfluoracétyle.

J’ai reconnu immédiatement, qu’à l’encontre du dibrom¬ fluoréthylène, on peut manier impunément le dichlorfîuor- éthylène à l’air, sans qu’il prenne l’odeur caractéristique des chlorures acides. J’ai alors essayé de l’oxyder en y faisant barboter un courant lent d’oxygène, mais sans plus de succès.

Si sur une cuve à mercure on retourne une cloche conte¬ nant de l’oxygène et qu’on y introduit ensuite à l’aide d’une pipette courbe un peu de dichlorfluoréthylène, on n’observe pas d’absorption d’oxygène, même après plusieurs jours.

J’ai mis en œuvre un procédé d’oxydation bien plus éner¬ gique. J’ai entraîné la vapeur de dichlorfluoréthylène par un courant d’oxygène et j’ai soumis le mélange à l’action de

( 61 )

l’effluve électrique. Il se produit bien une oxydation, car les vapeurs sortant de l’appareil, dirigées dans l’eau, lui commu¬ niquent une réaction acide. Seulement, le rendement est si médiocre, qu’il ne saurait être question d’un procédé de pré¬ paration du chlorure de chlorfluoracétyle.

En faisant passer un mélange d’oxygène ozonisé et de vapeurs de dichlorfluoréthylène sur de l’oxyde de chrome poreux, je n’ai observé aucune réaction à froid; quand j’ai chauffé légère¬ ment, il s’est produit une oxydation très violente, le mélange de vapeur et d’ozone a fait explosion et l’appareil a volé en éclats à chaque expérience.

Chauffé en vases clos à 130° avec de l’alcoolate de sodium, le dichlorfluoréthylène est attaqué et se transforme en éther dichlorvinylique. J’ai, en effet, obtenu un corps bouillant à 144° et dans lequel un dosage de chlore m’a donné les résultats suivants :

0er,2121 de substance m’ont donné 0sr,4273 de chlorure d’argent,

soit O1, 10514 Cl ou 50.20 °/0.

Calculé pour C2C12H-0C2H5.

50.32 %.

De plus, la détermination de la densité de vapeur m’a con¬ duit au poids moléculaire 144 au lieu de 141.

C’est donc le fluor qui s’élimine de préférence au chlore dans l’action de l’alcoolate de sodium sur le dichlorfluor¬ éthylène. Malgré sa très grande affinité pour le carbone, le fluor se comporte ici comme le premier des halogènes et se transforme en fluorure métallique. A cet égard cette réaction est intéressante à comparer avec celle de l’iodure de potassium sur le bromfluoracétate d’éthyle, dans laquelle le fluor se conduit tout autrement.

Je reviendrai plus loin sur cette réaction de l’alcoolate de sodium sur le dichlorfluoréthylène, pour établir la constitution des composés chlorofluorés que j’ai obtenus.

Le trichlorfluoréthane se laisse enlever 2 atomes de chlore par le zinc et se transforme en chlorfluoréthylène.

( 62 )

Je dissous le trichlorfluoréthane dans son poids d’alcool et je l’introduis dans un ballon portant une tubulure latérale à laquelle est fixée, par un gros tube de caoutchouc souple, une éprouvette contenant de la poussière de zinc. Le col du ballon est relié à un puissant réfrigérant ascendant qui communique par un tube deux fois coudé avec un tube de Péligot refroidi à 20°. En inclinant le tube contenant le zinc, je puis faire tomber celui-ci par petites portions dans le ballon.

A froid, le zinc ne réagit pas, mais quand on porte le ballon à la température d’ébullition de l’alcool, il s’établit une réaction assez vive, avec dégagement d’un gaz qui se con¬ dense dans le tube en U. Je poursuis l’introduction du zinc jusqu’à ce qu’il ne se manifeste plus aucune réaction. Il ne se produit pas d’acétylène, même par l’emploi d’un fort excès de zinc.

Le produit liquéfié est lavé à l’eau glacée, puis décanté rapi¬ dement et séché sur du chlorure de calcium.

Pour le purifier, j’ai opéré, comme je l’avais fait pour le trifluorchloréthane, en le distillant dans un long tube plon¬ geant dans de l’eau à 15°. 11 se produit une ébullition lente et le produit est liquéfié dans un deuxième tube présentant un étranglement supérieur et dans lequel il est amené par un long tube effilé. Après la liquéfaction, le tube récipient est scellé à la lampe.

En répétant deux fois cette opération, j’ai obtenu un produit pur bouillant à 10°-11°.

Son analyse a été faite comme celle du trifluorchlorétane.

0sr,5455 de produit m’ont donné 0sr,9812 AgCl, soit O1, 2426 Cl ou 44.48 %.

Calculé pour C2H2C1F1.

44.59 °/o.

J’ai pris la densité par la méthode de Chancel ; trois déter¬ minations m’ont donné 2.77, 2.74, 2.78. La densité théorique est 2.74.

Le tluorchloréthylène est un gaz incolore, d’une odeur

( 63 )

agréable assez faible. Il est fort soluble dans l’alcool, insoluble dans l’eau. Il ne s’oxyde pas à l’air.

Il se combine directement au brome; le produit d’union n’a pas été étudié.

C2H2C12F12.

Le dichlordifluoréthane est un liquide incolore, très volatil, bouillant à 60°. Sa densité à 17° est de 1.49448. Sa densité de vapeur a été prise à 24°, 5.

Poids

de

substance.

Température.

Volume

en

cent, cubes.

Pression en millim. de

mercure.

Densité.

Poids

moléculaire

déduit.

0sr,077i

24.5

60.7

161.8

4.647

134.2

Poide moléculaire théorique, 134.5.

Il est insoluble dans l’eau, soluble en toutes proportions dans les dissolvants organiques. Le verre ne l’attaque qu’au rouge. L’acide nitrique fumant le dissout à froid en petite quantité, beaucoup mieux à chaud, mais l’eau le reprécipite de cette dissolution.

Le difluordichloréthane se comporte vis-à-vis de l’alcoolate de sodium comme le dibromdifluoréthane; c’est-à-dire qu’il y a enlèvement d’acide fluorhydrique et qu’il se produit du dichlorfluoréthylène. La réaction ne va pas aussi rapidement que pour le trichlorfïuoréthane et il est nécessaire de chauffer au reflux pendant plusieurs heures pour obtenir une transfor¬ mation complète. Le produit est alors distillé au bain de glycérine jusqu’à siccité et le distillât précipité par l’eau. Le liquide insoluble est séché et rectifié.

J’ai isolé de la sorte du dichlorfluoréthylène, bouillant à 37°, 5, ainsi que du dichlorfluoréther. Il y a donc, à côté de l’enlèvement d’acide fluorhydrique, substitution du fluor par'

( 64 )

l’oxéthyle, mais cette réaction est secondaire. Plus de 90 °/0 du dichlordifluoréthane passent à l’état de dichlorfluoréthylène.

Comme dans l’action du fluoclilorure d’antimoine sur le tétrachloréthane, on obtient surtout du dichlordifluoréthane, il est plus avantageux de partir de ce dernier pour préparer le dichlorfluoréthylène.

Dans l’action de l’alcoolate de sodium sur le dichlordifluor¬ éthane, il se produit encore un autre corps, qui bout vers 90°, et qui est probablement du difluorchloréther, mais je ne suis pas parvenu à l’isoler à l’état de pureté, car il se forme en quantité trop faible. Les présomptions en faveur de la produc¬ tion de ce corps sont confirmées par le fait que le résidu salin de la réaction contient une petite proportion de chlorure de sodium.

On ne saurait établir de règle déterminant la nature de l’halogène qui entre en réaction dans la transformation des dérivés polyhalogénés sous l’action des alcalis; tantôt c’est l’halogène le plus- actif, tantôt, au contraire, c’est le moins métalloïdique qui intervient. Nous voyons ici le fluor être éliminé sous forme d’acide fluorhydrique, ou être remplacé par l’oxéthyle; il en est de même pour le dibromdifluoréthane. On pourrait en conclure que c’est l’halogène le plus actif qui réagit sur les alcalis. Seulement, il n’en est plus ainsi pour le trichlorfluor- et le tribromfluoréthane. On ne saurait invoquer, pour expliquer cette différence d’allures, que l’accumulation d’atomes d’un même halogène dans la molécule les rendrait plus mobiles, car si le tribromfluoréthane perd de l’acide bromhvdrique, le trifluordibrométhane en perd aussi, tandis que le dibromdifluoréthane, moins riche en fluor, perd de l’acide fluorhydrique.

Pourquoi, d’autre part, le dichlorfluoréthylène devient-il éther dichlorovinylique, alors qu’il ne contient qu’un seul atome de fluor?

Il y a une série de faits un peu contradictoires, quant aux allures du fluor, et dont l’interprétation nous échappe.

L’action du zinc sur le dichlordifluoréthane devait être inté-

( 6o )

ressante à étudier, car elle pouvait me donner le moyen d’établir la formule de ce corps.

J’ai eu l’occasion de prouver que la règle de Sabanejeff (*) s’applique aux composés fluorés. Quand, dans un étbane poly- halogéné, il y a, à côté du fluor, un autre halogène fixé sur le même atome de carbone, c’est cet halogène qui est enlevé par le zinc.

Suivant que l’action du zinc sur le dichlordifluoréthane m’eût donné du chlorfluoréthylène ou du difluoréthylène, la formule du dichlordifluoréthane devait être :

CHCb

I

CHF12

ou

CHC1F1

i

CÏÏC1F1.

J’ai donc fait agir le zinc en poudre sur le dichlordifluor¬ éthane dissous dans son poids d’alcool. La disposition de l’appareil fut la même que celle que j’avais utilisée pour la réduction du trichlorfîuoréthane.

J’ai reconnu que la réaction, qui n’a lieu qu’à chaud, se produit avec une grande lenteur. Il y a un dégagement gazeux très peu abondant, ce qui rend la liquéfaction éventuelle du produit presque impossible. Aussi ai-je préféré recevoir le gaz dans un gazomètre.

Pour éviter la présence de l’air dans l’appareil, je le remplissais au préalable d’anhydride carbonique, et le gazo¬ mètre contenait une solution bouillie de soude à 10 %, pour

(*) Quand un dérivé polyhalogéné de l’éthane contient deux halogènes différents, c’est toujours l’halogène le moins actif qui est enlevé par le zinc, s’il s’en trouve au moins un atome à chaque atome de carbone. Voir Swarts, Sur quelques dérivés fluobromés en C2 (Troisième communi¬ cation), p. 38 2. Sabanejeff, Ueber Acetylenderivate. (Liebig’s Ann., 6d GCXYI, S. 260.)

Tome LXI.

e

( 66 )

absorber ce gaz au fur et à mesure qu’il était déplacé. A la fin de l’opération, je balayais dans le gazomètre, par un courant d’anhydride carbonique, le produit gazeux renfermé dans l’appareil. Le gaz était alors conservé dans le gazomètre pendant un jour pour assurer l’absorption complète de COn.

J’ai constaté que la réduction se fait mieux quand on dissout dans l’alcool un peu de chlorure cuivrique ; il se pro¬ duit alors un couple zinc-cuivre qui est plus actif que le zinc lui-même. Cependant, en opérant de cette manière sur dO gram¬ mes de dichlordifluoréthane et en maintenant l’expérience pendant quatre heures, je n’ai guère obtenu plus de 2*,5 de gaz.

Celui-ci fut soumis à des essais de liquéfaction. Il était d’abord dirigé à travers un tube en U dessécheur; puis dans un serpentin refroidi à pour retenir les vapeurs de dichlordifluoréthane qui auraient pu être entraînées; enfin, au fond d’un tube étranglé supérieurement et refroidi à 20°. Le gaz non liquéfié pouvait s’échapper par un ajustage latéral et était envoyé dans un gazomètre.

J’ai obtenu la condensation, à 20°, en un liquide incolore très mobile, bouillant à la température ordinaire. En le faisant bouillir à la température ordinaire et en le condensant de nouveau, je l’ai soumis à deux rectifications successives et j’ai obtenu un produit pur que j’ai pu identifier avec le chlorfluor- éthylène préparé aux dépens du trichlorfluoréthane. Comme lui, il bout à 11°, et trois déterminations de densité m’ont donné comme résultats 2.78, 2.72, 2.75. Moyenne : 2.757, la densité théorique étant 2.74.

J’ai fait réagir le chlore en présence du chlorure d’alumi¬ nium sur le dichlordifluoréthane. Cette réaction ne se produit bien qu’au soleil ou tout au moins à une lumière diffuse très- forte; il faut, en outre, opérer à chaud.

Le dichlordifluoréthane fut introduit dans un ballon et addi¬ tionné du sixième de son poids de chlorure d’aluminium. Comme, dans la réaction, il y a assez bien de produit entraîné, j’avais muni le ballon d’un réfrigérant ascendant. Ce dernier ne

( 67 )

suffisant pas pour condenser complètement les vapeurs, celles-ci étaient dirigées ensuite dans un tube de Péligot placé dans de la glace.

Le dichlordifluoréthane était maintenu en une douce ébul¬ lition et j’y lançai un courant de chlore sec. Il se produit une substitution chlorée qui progresse très lentement. De temps à autre je reversais dans le ballon le liquide condensé dans le tube de Péligot.

A la fin de l’opération, le produit se prend par refroidisse¬ ment en une masse cristalline.

En employant 60 grammes de dichlordifluoréthane, il m’a fallu quatre jours pour obtenir une transformation presque complète.

J’ai distillé le produit de la réaction dans un courant de vapeur d’eau. Après distillation d’un corps liquide, il passe une substance qui se fige en une masse cristalline dans le réfrigérant, dont le tube doit, pour cette raison, être suffisam¬ ment large.

Le distillât liquide fut recueilli séparément et le corps solide isolé de l’eau par épuisement à l'éther.

Le composé liquide fut rectifié. Il était essentiellement formé de dichlordifluoréthane inaltéré, distillant à 60°. Au- dessus de 60°, le thermomètre s’arrêta un instant vers 70°, puis monta assez rapidement à 80°. Entre 80° et 100°, il passa à la distillation un produit qui cristallisait par refroidissement en longues aiguilles aisément fusibles.

La solution éthérée du distillât solide dont j’ai parlé plus haut, fut rectifiée au bain-marie pour éliminer l’éther et le résidu distillé à feu nu.

Après avoir séparé encore une petite quantité de dichlordi¬ fluoréthane, j'obtins, entre 80° et 100°, un composé cristalli- sable par refroidissement. A la fin de la distillation de cette substance, le contenu du ballon, jusqu’alors liquide, se figea brusquement en une masse solide, qui distilla à 100°.

Cette dernière substance constituait de beaucoup la partie la plus importante du produit de la réaction. J’en ai obtenu

( 68 )

plus de 60 grammes. Elle possédait tous les caractères de Thexachlorure de carbone. Je l’ai purifiée par cristallisation de l’alcool bouillant dans lequel elle était assez soluble. J’ai isolé ainsi de beaux cristaux fondant à 187°, distillant à 184°. et que j’ai pu identifier complètement avec l’étbane perchloré.

0gr,4007 de substance m’ont donné 1%460 de AgCl, soit 0?r, 36104 Cl ou 90.12 °/0.

Calculé pour C2C16.

90.17 o/0.

Quant au distillât récolté entre 80° et 100°, il m’a fourni par rectification un corps bouillant à 91°, cristallisant à la tempé¬ rature ordinaire et qui m’a donné à l’analyse les résultats suivants :

Or,2438 de substance m’ont donné 0&r,6844 AgCl, soit Ctër,1692 Cl ou 69.40%,

0sr,3268 de substance m’ont donné 0&r, 1389 C02, soit 0sr,0379 C ou 11.60 %.

Ce corps ne contient pas d’hydrogène.

Ces teneurs en chlore et en carbone correspondent à celles du tétrachlordifluoréthane.

Calculé pour C2C14FU.

C 11.77 o/0 Cl 69.63 o/o

T rouvé.

11.60 % 69.40 %.

Le tétrachlorditluoréthane est un corps solide, d’une odeur camphrée, fondant à 52° et bouillant à 91°; mais il sublime déjà lentement à la température ordinaire. Il est très soluble dans l’éther, le chloroforme et le tétrachlorure de carbure, moins dans l’alcool froid. Au rouge, la chaux le décompose en chlorure, fluorure de calcium, oxyde de carbone et anhydrique carbonique.

Le rendement en ce produit est minime; je n’ai guère obtenu plus de 4 grammes de produit tout à fait pur.

( 69 )

Dans l’action du chlore sur le dichlordifluoréthane en pré¬ sence du chlorure d’aluminium, il se forme encore un com¬ posé dont je n’ai pu obtenir qu’une quantité trop faible pour pouvoir l’identifier et qui bout vers 70°. C’est probablement du trichlorcîifluoréthane, produit de chloruration incomplète, identique à celui qui se forme dans l’action du chlorofluorure d’antimoine sur le tétrachloréthane.

Cette réaction du chlore sur le dichlordifluoréthane est très intéressante. Nous constatons, en effet, qu’à côté de la chloru¬ ration par substitution de l’hydrogène, ce qui est normal, il se produit une réaction beaucoup plus importante : le remplacement du fluor par le chlore. Or le fluor est certaine¬ ment un métalloïde plus actif que le chlore.

Mouneyral (*) a fait agir le brome sur le tétrachlorure d’acé¬ tylène, en présence du chlorure d’aluminium. Il n’a pas observé de substitution du brome au chlore et n’a obtenu que du dibromtétrachloréthane symétrique.

D’autre part, en faisant agir le chlore sur le tétrabromure d’acétylène (**) en présence du chlorure d’aluminium, il a observé un déplacement complet du brome par le chlore avec formation d’hexachlorure de carbone.

Il y a donc dans ces réactions tendance à la substitution de l’halogène le moins actif par l’autre.

Le remplacement du fluor par le chlore ne s’explique que si cet élément est fixé ultérieurement.

Il aurait pu l’être par le silicium du verre, mais dans ce cas il eût se produire un dégagement d’oxygène. Or j’ai recueilli les gaz sortant de l’appareil et je n’y ai pas trouvé d’oxygène; ce n’était donc pas le silicium qui avait fixé le fluor.

Mais on sait que cet halogène a pour l’aluminium une très

C) Mouneyrat, Action du brome sur le tétrachlorure d'acétylène en présence du chlorure d'aluminium. 'Bull, de la Soc. chimique de Paris, sér., t. XIX. p. 500.)

(**) Idem, Action du chlore sur le tétrachlorure d'acétylène en présence du chlorure d' aluminium . (Ibid., t. XVII, p. 799.)

( 70 )

grande affinité, comparable à celle de l’oxygène pour ce métal. 11 aurait pu se former du fluorure d’aluminium. J’ai analysé le résidu solide de la préparation et j’y ai trouvé une certaine quantité de fluorure d’aluminium.

A côté de cette production de fluorure d’aluminium, j’ai constaté une corrosion très énergique du verre. Comme il ne s’était pas produit de fluor libre, cette corrosion ne pouvait être due qu’à de l’acide fluorhydrique. Celui-ci a pu se pro¬ duire directement dans la substitution du chlore au fluor, aux dépens de l’hydrogène du diehlordifluoréthane et du fluor de cette molécule, mais il est possible aussi qu’il provienne de faction de l’acide chlorhydrique sur le fluorure d’aluminium. En tout cas, cette formation d’acide fluorhydrique prouve que la substitution du chlore au fluor est primitive et n’a pas lieu secondairement par faction du chlore sur le difluortétrachlor- éthane.

Quelle que soit l’origine de l’acide fluorhydrique, il n’est pas douteux que la tendance à sa formation doive intervenir dans la réaction que j’étudie en ce moment. Elle peut d’ailleurs être facilitée par l’action du verre, qui fixe immédiatement le fluor.

Nous trouvons ici une nouvelle différence entre le fluor et les autres halogènes. Grâce aux énormes affinités que cet élé¬ ment possède pour certains corps comme l’hydrogène, le silicium, l’aluminium, affinités tout à fait caractéristiques pour le fluor et dont nous ne retrouvons pas les analogues pour le chlore, le brome ou l’iode, il réagit d’une manière spéciale, et, malgré sa grande affinité pour le carbone, nous le voyons ici être déplacé par le chlore, précisément à cause de la mise en jeu de ces affinités spécifiques.

J’ai déjà fait remarquer plus haut que jadis j’avais observé une réaction du même genre. En faisant passer des vapeurs de trichlorfluorméthane mélangées d’hydrogène dans un tube de platine chauffé au rouge, j’ai constaté qu’il se formait du benzol perchloré et de l’acide fluorhydrique; sollicité par son énorme affinité pour l’hydrogène, c’est le fluor qui quitte le carbone.

( 71 )

La constitution des composés chlorofluorés que je viens de décrire peut être établie par les considérations suivantes :

Tout d’abord, le trichlortluoréthane et le trifluorchloréthane ne peuvent avoir pour formules que :

CCLH CFLH

I et | (1),

CF1C1H CHC1F1

étant donné leur mode de formation.

De même, la formule du chlorfluoréthylène, dérivé du tri- chiorfluoréthane, doit s’écrire :

CHF1

Il (2).

CHC1

La constitution du difluordichloréthane se déduit des deux faits suivants :

Sous l’action du zinc, il perd un atome de chlore et un atome de fluor; il est donc dissymétrique et possède la formule :

CHGL

I (3).

CHF12

Cette formule se justifie par l’étude du dichlorfluoréthylène.

Ce dernier se produisant aux dépens du dichlordifluoréthane, doit avoir la constitution :

CC12

si (3) est la formule du dichlordifluoréthane.

Si, au contraire, le dichlordifluoréthane était symétrique, le dichlorfluoréthylène serait :

CC1H

il

CC1F1

(5).

( 72 )

Mais j’ai dit que le dichlorfluoréthylène, traité par l’alcoo- late de sodium, donne un éther dichlorovinylique bouillant à

144°.

L’éther dichlorovinylique existe sous deux formes isomères. La première, décrite par Geuther (*), a pour formule :

GHGl = CC10C2H5

et bout à 128°. C’est ce corps que j’aurais obtenir, si le dichlorfluoréthylène est représenté par la formule (5).

Le deuxième isomère a la constitution :

O

CC12=CH-0C2HS.

11 a été isolé par Godefroy (**) et bout à 145°.

C’est lui qui s’est formé par l’action de l’alcoolate de sodium sur le dichlorfluoréthylène, dont la formule est donc bien :

«y '

CC12

II

CHF1.

La formule du dichlordifluoréther se déduit de celle du dichlordifluoréthane :

CC12H-CHF1-0G2H5 (6).

»

Le tétrachlorfluoréthane et le dibromdichlorfluoréthane, obtenus par l’action du chlore ou du brome sur le dichlorfluor¬ éthylène, sont représentés par les formules :

CC13 GCLBr

I I (7),

CHF1C1 CHFIBr

(*) Geuther und Brockhoff, . Ueber die Einwirkung einiger Chloride auf Natriumalcoolat. (Journ. für prakt. Chemie [2], Bd VII, S. 101.)

(**) Godefroy, Sur quelques éthers chlorés. (Comptes rendus de l’Acad. des sciences, t. GII, p. 869.)

( 73 )

et le tétrachlordifluoréthane est asymétrique et possède la structure

CC13

CG1F12

(8j.

Ne restent dans le doute que la constitution du trichlor- dilluoréthane et celle du trifluordichlorétane.

Action du fluorure de potassium sur quelques composés

bromés ou chlorés.

La réaction de l’iodure de potassium sur le bromfluoracétate d’éthyle m’avait montré que, quoique plus métalloïdique que le brome, le fluor reste tixé sur le carbone au lieu de s’unir au potassium.

A la suite de cette observation, je me suis demandé si le fluorure de potassium ne pourrait pas, en agissant sur les composés chlorés ou bromés, provoquer une substitution fluorée. Les corps sur lesquels j’ai porté mon étude sont l’éthane tétrabromé symétrique, le bromacétate d’éthyle, le chloracétate et le dichloracélate d’éthyle.

J’ai chauffé ces corps en dissolution alcoolique pendant plusieurs jours dans un appareil à reflux en verre, avec du fluorure de potassium tout à fait pur, préparé par calcination du fluorhydrate de fluorure et par conséquent complètement exempt de carbonate. L’appareil était muni supérieurement d’un tube à ponce sulfurique pour éviter la rentrée de vapeur d’eau.

Le télrabromure d’acétylène est assez rapidement attaque; après deux jours, on constate qu’il s’est formé une abondante cristallisation de bromure de potassium. A l’orifice de l’appa¬ reil, il se produit un dégagement lent mais continu de fluorure de silicium.

La solution alcoolique fut précipitée par l’eau et le liquide

( 74 )

insoluble séché et rectifié sous pression réduite. J’obtins ainsi un corps bouillant à 100° sous 40 millimètres de pression, et du tétrabrométhane inaltéré.

En distillant sous la pression atmosphérique le produit recueilli à 100°, j’ai isolé un corps bouillant à 170°, qui est de l’éthylène tribromé C^BrgH. La détermination de sa densité de vapeur me donna, en effet, un poids moléculaire de 263 (calculé 265). Il se combinait au brome avec facilité, pour donner du pentabrométhane fondant à 54°. Traité par la potasse alcoolique, il me fournit de l’acétylène monobromé, spontanément inflammable à l’air.

Je n’ai pas constaté la production d’un produit de substitu¬ tion fluorée. Le ballon qui avait servi à l’opération était forte¬ ment corrodé, ce qui explique le dégagement de fluorure de silicium.

Pour le bromacétate d’éthyle, j’ai constaté une réaction ana¬ logue. Au bout de quelques jours, il s’était produit une grande quantité de bromure de potassium et le verre était forte¬ ment attaqué. Un dégagement continu de fluorure de silicium eut lieu pendant toute la durée de l’expérience. Quand je jugeai que tout le fluorure de potassium avait disparu, je précipitai par l’eau le produit de la réaction et, après dessiccation, je le soumis à la rectification. Il me donna un éther bouillant à 160°, qui ne possédait plus l’odeur irritante du bromacétate d’éthyle. Ce n’était pas un dérivé fluoré, car sa vapeur n’atta¬ quait pas le verre au rouge. Saponifié par la soude, il fournit du glycolate de sodium, que je caractérisai en précipitant par le chlorure de calcium, ce qui donna du glycolate de chaux peu soluble.

Le dicbloracétate d’éthyle réagit beaucoup moins facilement sur le fluorure de potassium ; cependant, il se forme à la longue du chlorure de potassium. Après avoir poursuivi l’expérience pendant quinze jours, j’ai examiné le produit de la réaction. Je n’ai pu isoler un composé fluoré, mais j’ai obtenu, à côté de dicbloracétate d’éthyle inaltéré, un éther bouillant à 200°,

( 75 )

ne contenant que des traces de chlore et qui, saponifié par la soude, se transforme en glyoxylate de sodium.

II y a également intervention du verre dans cette réaction, car il se dégage du fluorure de silicium.

Le chloracétate d’éthyle est beaucoup plus résistant que les autres composés étudiés. Aussi ne subit-il qu’une transforma¬ tion très incomplète, même après trois semaines d’ébullition avec le fluorure de potassium. J’ai isolé du glycolate d’éthyle du produit de la réaction, mais en épuisant par l’éther l’eau qui m’avait servi à précipiter la solution alcoolique, j’ai extrait un éther bouillant vers 120°, dont la vapeur attaquait le verre au rouge et qui, traité par l’ammoniaque, se transforma en une amide que j’ai pu identifier avec la fluoracétamide. Son point de fusion est 104°, soit celui que j’ai trouvé pour la fluoracétamide (*). Je n’ai malheureusement pas obtenu assez de ce corps pour en faire l’analyse.

11 résulte de ces expériences, que le fluorure de potassium ne se comporte pas, en général, comme un agent ttuorurant vis-à-vis des composés halogénés chlorés ou bromés. Il agit comme de la potasse caustique. Cette réaction est assez expli¬ cable. On sait que les solutions de fluorure de potassium deviennent fortement alcalines et attaquent le verre. L’eau contenue dans l’alcool (j’ai employé de l’alcool à 96°) a pu provoquer la même transformation, qui a d’ailleurs être facilitée par la présence des substances halogénées, qui fixent la potasse au fur et à mesure qu elle se produit. 11 n’est même pas nécessaire que l’eau contenue dans l’alcool soit intervenue, le verre peut à lui seul avoir déterminé la transformation du fluorure de potassium, en présence des dérivés halogénés qui fixent la potasse.

Le chloracétate d’éthyle, beaucoup plus stable que les autres composés que j’ai étudiés, subit cette réaction hydrolysunte à un moindre degré, et comme d’autre part le chlore a pour le potassium une affinité relative sensiblement plus grande que

H Le fluoracétate d’éthyle est un peu soluble dans l’eau.

( 76 )

le brome et le fluor (*), il a pu se produire une substitution fluorée.

Cependant, cette dernière réaction est peu importante au point de vue quantitatif, et la transformation principale du chloracétate d’éthyle se fait encore dans le sens de la produc¬ tion du glycolate.

Cette étude de l’action du fluorure de potassium en présence du verre sur les composés halogénés en solution alcoolique est évidemment encore fort incomplète. Elle méritera d’être étudiée avec plus de détails. J’ai cru cependant intéressant de relever les résultats obtenus. Ils nous montrent encore une différence entre les allures du fluor et celles des autres halogènes.

Action du verre sur le difluorchlortoluol.

Cette intervention du verre dans les réactions le fluor entre en jeu, m’a poussé à rechercher si le verre ne pourrait pas produire une substitution régulière de l’oxygène au fluor dans les combinaisons organiques. Tous les composés orga¬ niques fluorés attaquent le verre au rouge, mais c’est une réaction destructive dont on ne peut guère tirer parti au point de vue de l’étude des produits de transformation, car il y a presque toujours carbonisation.

Mes recherches n’ont porté que sur le difluorchlortoluol, que j’ai décrit tout récemment (**) et dans lequel j’avais pu reconnaître les grandes aptitudes réactionnelles du chaînon

-CC1F12.

Je l’ai chauffé, en tubes scellés, pendant quinze jours à 160°

(*) Les chaleurs de formation des fluorure, chlorure et bromure de potassium sont respectivement 109-5, 105.6 et 95.3 calories; celles des hydracides correspondants, de 38.6, 22 et 8.4 calories.

(**) Chemiker Zeitung, 1900, N. 47, S. 502, et Bull, de f Acad. roy. de Belgique, 1900, pp. 414-431.

( 77 )

avec un excès de verre filé. A l’ouverture des tubes, il .se pro¬ duisit un dégagement très important de fluorure de silicium. La laine de verre était complètement désagrégée et transformée en une masse pulvérulente blanche, qui fut épuisée à l’éther et filtrée. La solution éthérée fut distillée. Après élimination de l’éther, le thermomètre monta rapidement à 190°. Il ne restait donc plus de chlordifluortoluoî. De 190° à 200°, j’ai séparé un liquide qui, rectifié, bout à 198° et fume à l’air. Au-dessus de 200°, le thermomètre monta rapidement au- delà de 300°, et vers 350° il distilla un corps se figeant en cristaux par refroidissement et qui bout à 360° quand on le rectifie.

Le corps bouillant à 198° est du chlorure de benzoyle. Il fume fortement à fair; mis au contact de l’eau, il se détruit lentement en se dissolvant en partie et en donnant des cristaux d’acide benzoïque, si la quantité d’eau n’est pas considérable. La dissolution ne contient pas d’acide fluorhydrique, mais précipite abondamment par le nitrate d’argent.

J’ai fait un dosage acidimétrique du produit.

Or,473 de substance détruits par l’eau ont exigé 69e3, 4 de soude n/io pour être neutralisés. La théorie eût exigé 69e’, 8.

Le composé bouillant à 380° présente tous les caractères de l’anhydride benzoïque. Il fond à 41°, est lentement attaqué par l’eau avec transformation en acide benzoïque fondant à 121°.

Quant au résidu solide insoluble dans l’éther, provenant de la désagrégation du verre, il était presque complètement soluble dans l’eau. Cette solution fut évaporée et me donna une masse cristalline qui fut épuisée par l’alcool, lequel en dissout une très faible partie. La solution alcoolique, évaporée à son tour, fut traitée par l’eau, puis acidulée par l’acide sul¬ furique. Il se produisit un précipité de sulfate de chaux. En agitant la solution acide avec de l’éther, je parvins à en extraire de l’acide benzoïque. La solution aqueuse contenait du sulfate de soude, du sulfate de calcium et de l’acide chlor-

( 78 )

hydrique provenant du chlorure de calcium. Il s’était donc produit un peu debenzoate de sodium.

Le résidu insoluble dans l’alcool n’était formé que de chlo¬ rure de sodium.

Le mécanisme de la réaction est très simple. L’anhydride silicique du verre réagit sur le chaînon - CGI Pl2 et il se forme du fluorure de silicium et du chlorure de benzoyle. Celui-ci se transforme en benzoate au contact des bases du verre. Ce ben- zoate réagit sur le chlorure de benzoyle pour donner de l’anhydride benzoïque.

La quantité de benzoate restant était très faible; il y avait, au contraire, un excès sensible de chlorure de benzoyle. Il est probable que tout le benzoate eût disparu si le chlorure de sodium formé ne l’avait en partie enrobé et protégé contre l’action du chlorure de benzoyle.

Si le verre était du métasilicate M^SiOg, il ne devrait se produire que de l’anhydride benzoïque, d’après les équations :

M20.Si02 ■+■ 2CgHgCClf 12 = SCgHg - C0C1 -+- SiFh *+- M20 M20 -f- C6H5C0C1 = MCI 4- C6H5 - COOM C6HsC00M -4- C6H3C0C1 - MCI 4- C6H5 - GO - 0 - CO C6Hs.

Mais le verre contient toujours un excès de silice; il doit donc se produire un excès de chlorure de benzoyle.

L’anhydride silicique du verre réagit donc sur le difluor- chlortoluol à l’instar d’une base et produit le remplacement du fluor par l’oxygène. Le chlorure de benzoyle formé réagit secondairement sur la base du verre pour donner du benzoate métallique, que le chlorure de benzoyle transforme en anhy¬ dride.

Si l’on pouvait faire réagir l’anhydride silicique pur sur le chlordifluortoluol, on n’obtiendrait que du chlorure de ben¬ zoyle. Je n’ai pu faire convenablement cette expérience, car il m’eût fallu un appareil de platine pouvant être chauffé sous pression. Dans un tube scellé en verre, il est impossible d’em¬ pêcher que le tube lui-même ne participe à la réaction, et tout

( 79 )

ce que j’ai pu constater, c’est que la silice amorphe se laissait attaquer lentement en vases clos par le difluorchlortoluol et que le rendement relatif en chlorure de benzoyle devenait plus élevé quand on remplaçait le verre filé par la silice.

Le phénomène que je viens d’étudier est le premier exemple d’une réaction dont on pourra sans doute multiplier les cas.

Grâce à l’énorme affinité du fluor pour le silicium, nous pouvons donc remplacer, dans certaines conditions, le fluor des composés organiques par de l’oxygène, à l'intervention de la silice. C’est là, évidemment, une différence essentielle entre le fluor et les autres halogènes dans les substances organiques fluorées. C’est, en outre, une réaction théoriquement très intéressante, car elle permet de remplacer le fluor par de l’oxygène dans des corps fluorés contenant un autre halogène, sans que ce dernier soit mis en cause. Il faudra évidemment aussi parfois tenir compte de cette propriété dans le manie¬ ment des fluorures organiques dans des appareils de verre. Je n’ai pu étendre jusqu’ici l’étude de ce phénomène à d’autres composés fluorés, mais je compte poursuivre des recherches dans ce sens.

Réfraction et dispersion atomique du fluor.

J’ai terminé ce travail en déterminant la réfraction et la dispersion atomique du fluor pour un certain nombre de combinaisons organiques fluorées.

Comme je l’ai dit dans l’avant-propos de ce mémoire, j’avais déjà fait des recherches sur la réfraction atomique du fluor pour la lumière jaune du sodium. Je m’étais servi, pour ces mesures, d’un réfractomètre d’Abbe à température réglable.

J’ai repris ces recherches dans le but d’établir l’indice de réfraction pour des rayons lumineux de longueurs d’onde différentes.

( 80 )

L’instrument dont je me suis servi est un réfractomètre d’Eyckman (*), fabriqué par la maison Füss, de Berlin; cet appareil est beaucoup plus précis que celui que j’avais utilisé dans mon travail précédent. Aussi ai -je répété les mesures pour la lumière du sodium, et j’ai, en outre, mesuré les indices pour les rayons Ha, H^, Hv du spectre de l’hydrogène.

L’objet de cette partie de mon travail était de compléter mes observations précédentes sur l’indice de réfraction ato¬ mique du fluor.

Cette constante physique se déduit de la réfraction molécu¬ laire calculée par la formule de Lorenz

M n2 1 m

= rc2 2 ' I

et en retranchant de la valeur de M les réfractions atomiques des autres éléments contenus dans la combinaison. Ces réfrac¬ tions atomiques ont été déterminées par Brühl pour la raie Ha (**), par Conrardy pour la lumière du sodium (***). 11 est à remarquer que les résultats obtenus par ces deux savants ne sont pas concordants. C’est ainsi, notamment, que la réfrac¬ tion atomique de l’hydrogène trouvée par Brühl pour la raie Ha est plus grande que celle qu’a donnée Conrardy pour la raie D, tandis qu’elle devrait être plus petite. Comme la réfraction atomique du fluor s’obtient par différence, j’ai obtenu néces¬ sairement pour les raies Ha et D des nombres qui sont fonctions des valeurs établies pour les autres éléments par Brühl et Conrardy, et qui ne sont, par conséquent, pas comparables

(*) Eyckmàn, Recherches réfractométriques . (Recueil des trav. chim. des Pays-Bas, t. XIII, p. 13.)

(**) Brühl, Ueber die Beziehungen zwischen der Dispersion and der chemischen Zusammensetzung der Ko r per nebst einer neue Berechnung der Atomrefr action. (Zeitschr. für physik. Chemie, Bd VII, S. 140.)

(***) Conrardy, Berechnung der Atomrefraction für Natrinmlicht.

(Ibid., Bd III, S. 210.)

( 81 )

entre eux. Il eût fallu refaire pour la réfraction atomique des divers éléments pour la raie D le travail gigantesque que Brühl a fait pour la raie Ha et le temps m’a fait défaut.

Les résultats n’en gardent pas moins leur intérêt, car ils permettent de comparer entre elles les réfractions atomiques des différents éléments pour des rayons de même réfrangibilité.

Ces recherches réfractométriques ont aussi eu pour objet de déterminer la dispersion atomique du fluor.

Brühl (*) a montré que la différence entre la réfraction moléculaire pour les raies Hv et Ha est une propriété additive; qu’elle est égale à la somme des différences de réfraction ato¬ mique des différents éléments de la combinaison pour les raies Hv et Ha et que cette différence de réfraction atomique d’un élément pour deux rayons de longueur d’onde différente est une valeur constante, indépendante de la température. C’est cette différence qu’il appelle dispersion atomique et qui est aussi caractéristique et constante pour un élément que sa réfraction atomique. La dispersion moléculaire d’une combi¬ naison est égale à la somme des dispersions atomiques.

Pour trouver la dispersion atomique du fluor, j’ai déterminé la réfraction moléculaire des combinaisons fluorées pour les raies Ha et Hy ; j’ai pris la différence entre les deux pour chaque combinaison, ce qui m’a donné la dispersion moléculaire, et en retranchant de celle-ci les dispersions atomiques trouvées par Brühl pour les éléments autres que le fluor, j’ai obtenu la dispersion atomique de cet halogène.

Il est à noter que les soudures doubles produisent une augmentation de la dispersion moléculaire. Cette augmentation est d’environ 0.23, mais elle est plus grande dans les substances aromatiques que dans les dérivés aliphatiques. Cette irrégu¬ larité dans la variation de la dispersion chez les corps aroma¬ tiques pouvait amener des erreurs dans la détermination du pouvoir dispersif du fluor pour ces composés. Afin de les éviter,

O Brühl, loc. cit.

Tome LXL

f

( 82 )

j’ai retranché de la dispersion moléculaire trouvée, celle du composé hydrogéné correspondant au composé fluoré, dimi¬ nuée de la dispersion atomique des atomes d’hydrogène rem¬ placés. En comparant ainsi la dispersion moléculaire du composé fluoré à celle du dérivé hydrogéné correspondant, je réduisais l’erreur à son minimum.

J’ai pris comme dispersion atomique du chlore, non pas la valeur 0.174, donnée comme moyenne par Brühl, mais 0.165, ce qui est la moyenne des dispersions atomiques du chlore dans les éthers haloïdes.

Brühl a établi cette constante en comprenant dans les corps étudiés les chlorures acides, et chez ceux-ci la dispersion atomique est voisine de 0.2, ce qui élève la moyenne de ses déterminations à 0.174.

L’établissement de la dispersion atomique demande une grande rigueur dans les déterminations : une erreur à la quatrième décimale de l’indice de réfraction l’affecte sensi¬ blement.

Toutes les mesures ont été faites autant que possible à la même température; celle-ci a oscillé, dans les diverses expé¬ riences, entre 16°, 2 et 17°, 6. La détermination de la densité fut toujours faite dans les mêmes conditions de température que la mesure de l’indice de réfraction.

Pour obtenir ce résultat, j’ai fait circuler à travers le manchon du réfractomètre un courant d’eau provenant d’un réservoir de grandes dimensions, de manière que la tempéra¬ ture restât constante pendant toute la durée de l’expérience. Au sortir du manchon, l’eau pénétrait à la partie inférieure d’un vase contenant le picnomètre et s’écoulait par un déver¬ soir supérieur.

Les mesures ont porté sur huit composés dans lesquels le fluor est uni à du carbone saturé, et sur cinq combinaisons le fluor est fixé sur un atome de carbone portant une double soudure. Le tluortoluol a été préparé par la méthode de Wallach, et je dois les échantillons de tluorbenzol et de

( 83 )

fluorphénétol à la maison Kônig, de Leipzig, qui a bien voulu m’en faire gracieusement don.

Le résultat de mes observations est consigné dans le tableau ci-après (pp. 84-85). La réfraction atomique pour la raie Hv a été déterminée en ajoutant la valeur de la dispersion atomique du fluor trouvée pour chacune des combinaisons à la réfrac¬ tion atomique de cet élément pour la raie Ha.

La première colonne du tableau contient la formule des corps, la deuxième leur poids moléculaire exact. Ceux-ci ont été calculés en prenant pour poids atomique de l’hydrogène 1, et en me servant du tableau de Seubert. La troisième colonne donne la température d’observation; la quatrième, la densité; les cinquième, sixième, septième et huitième, les indices de réfraction trouvés respectivement pour les raies BK, D, H^, Hy; les neuvième, dixième et onzième, les réfractions spécifiques correspondantes pour les raies Hx, D, Hv ; les douzième, treizième et quatorzième, les réfractions moléculaires; les quinzième, seizième et dix-septième, les réfractions atomiques du fluor; la dix-huitième, la dispersion moléculaire My-Ma; et la dix-neuvième, la dispersion atomique du fluor.

Quoique la détermination de la réfraction et de la dispersion atomique du fluor accumule toutes les erreurs des détermina¬ tions de ces constantes pour les autres éléments sur celles du fluor, on peut constater que les valeurs obtenues pour les differentes combinaisons concordent entre elles d’une manière très satisfaisante.

Il ressort de ce tableau, que la réfraction atomique du fluor est très faible et que le fait que j’avais observé dans mon pre¬ mier travail sur l’indice de réfraction atomique du fluor : à savoir que cet élément prend une réfraction atomique diffe¬ rente suivant qu’il est uni à un atome de carbone saturé ou non, se continue aussi bien pour les raies Ha et Hy que pour la raie D.

La valeur moyenne de la réfraction atomique du fluor pour la raie rouge du spectre de l’hydrogène est 0.941 ou 0.588

( 84 )

( 85 )

■«, J,

HJ i

Ma

(«â— >)m

Mo

(>/D— 1)W

(n'y 1 )m

K

Fv

My-M*

'■ ,* 2)d

K-+-2)d

(«o-+-2)rf

(tty-f- 2)f/

fitti 0/ 58

19.0410

19.183

19.652

0.767

0.873

0.788

0.611

0.021

.!& 0/ 40

20.932 3

21.134

21.471

0.948x2

1.0235 x 2

0.968 x 2

0.549

0.025x2

,!H 0/ 36

23 oit 0

25.730

26.187

0.749

1.102

0.766

0 677

0.017

3.-1 31

30.7126

30.856

31.487

0.824

0 834

0.845

0.775

0.021

.Loi! 3.1 M

■34.2220»

34.481

35.362

0.934x3

0.989 X 3

0.958 x 3

1.141

0.024x3

h: 3.2 32

35 9660

36.074

37.434

1.232 x 2

1.167 x 2

1.254 X 2

1.467

0.022x2

.!! !: 3.1 )0

26.5980

26.898

27.468

0.967 x 2

1.145x2

0.987 X 2

0.870

0.02x2

H. W| «

29.3290

29.779

30 131

0.904x3

1.019 X 3

0.930x3

0.802

0.026x3

", M| 3

20.3290

20.385

20.993

0.640

0.642

0.694

0.664

0.054

«| 3

17.9480

18.094

18.609

0.480

0.540

0.740

0.769

0.410

:• « )

36.0680

36.836

37.596

0.445

0.617

0.513

1.527

0.068

'.28 )

25.8390

26.089

26.992

0.714

0.748

0.744

1 153

0.030

. '.28 i

30.5390

30.721

31.856

0.714

0.788

0.772

1.317

0.058

( 86 )

suivant que le fluor est combiné à un atome de carbone saturé ou portant une double soudure. Si nous comparons ces réfrac¬ tions atomiques à celles des autres éléments, telles qu’elles ont été fixées par Brühl, nous trouvons qu’aucun corps ne possède une réfraction atomique aussi faible.

Cette réfraction atomique pour la raie D, déduite des nom¬ bres de Conrardy, est respectivement de 1.015 et 0.665, c’est- à-dire que je trouve très sensiblement les mêmes valeurs que celles que j'avais données antérieurement.

La dispersion atomique du fluor est également très faible; elle est aussi influencée par le fait que le fluor est combiné à du carbone saturé ou non. Uni à un atome de carbone saturé, le fluor a une dispersion atomique moyenne de 0.023; quand, au contraire, il est combiné à un atome de carbone éthylénique ou benzolique, sa dispersion atomique s’élève à 0.05 (*).

Il en résulte que la différence entre la réfraction atomique observée pour des atomes de fluor unis à du carbone saturé ou non saturé tend à devenir plus faible, à mesure qu’on étudie la réfraction pour des rayons de plus en plus réfran- gibles. C’est ainsi que cette différence est de 0.353 pour la raie Ha et de 0.325 pour les rayons Hy.

Par ses propriétés réfringentes, le fluor s’écarte très forte¬ ment des autres halogènes. Ceux-ci ont une réfraction atomique élevée : elle est pour Ha respectivement de 6.014, 8.863, 13.308 pour le chlore, le brome et l’iode. La dispersion atomique de ces éléments est 0.174, 0.34, 0.77.

On voit que la dispersion atomique de ces trois halogènes croit approximativement comme leur poids atomique. La dispersion atomique du fluor devrait être voisine de 0.09, tandis qu’elle n’atteint pas le tiers de cette valeur.

Il est à remarquer qu’un seul élément possède une dispersion atomique aussi faible que montre le fluor dans les composés

(*) Pour le fluorbenzol, je trouve une valeur assez faible, 0.03, se rapprochant plutôt de celle des composés saturés.

( 87 )

saturés : c’est l'oxygène, dont la dispersion atomique est égale à 0.019 dans les composés hydroxyliques, 0.112 dans les éthers. Cette analogie ne suffit évidemment pas pour rapprocher le fluor de l’oxygène, mais elle est cependant intéressante à noter.

Tous les chimistes qui se sont occupés des combinaisons organiques du fluor ont insisté sur la variation du point d’ébullition que produit la substitution du fluor au chlore, au brome ou à l'hydrogène.

C’est ainsi qu’il a été reconnu qu’en général le remplace¬ ment de chaque atome de chlore par du fluor produit une chute du point d’ébullition de 44° environ dans les éthers chlorés et dans les chlorures acides.

11 n’en est pas de même quand il s’agit des acides acétiques trisubstitués ou de leurs éthers : dans ces corps, l’abaissement du point d’ébullition provoqué par le remplacement du chlore par le tluor n’est plus que de 34°.

11 tombe à 24° pour l’acide chloracétique.

Le remplacement du brome par le fluor produit une variation du point d’ébullition de 62° environ dans les composés gras saturés, de 72° pour les composés non saturés (*).

Ici, encore, cette régularité ne s’observe plus quand il s’agit d’acides gras trisubstitués ou de leurs éthers.

C’est ainsi que, si nous comparons entre eux l’acide dibrom- lluoracétique et l’acide tribromacétique, ainsi que leurs éthers, nous observons les différences de point d’ébullition suivantes :

CBr3-C02H . CBr2Fl-C02H. CBr3 - C02C2H3 CBr2FlC02C2Hs

245°(9)]

Différence : 47°(?).

. . 198° 1 2“2o° )

f Différence : 32°.

. . 173° )

L’abaissement du point d’ébullition n’est plus que de 50° environ.

(*) Voir Swarts, Sur quelques dérivés fluobromés en C2 (Deuxième communication). (Loc, en., p. 324.)

( 88 )

Le tableau ci-dessous donne les points d’ébullition des com¬ posés fluorés que j’ai décrits dans ce travail, comparés à ceux des dérivés chlorés ou bromés correspondants.

Composés fluorés.

Point

(1 ébullition

Composés chlorés.

k

O “T

p

Différence.

CHClçrCHCIFl

O

co

O

chci2-chci2

146°

43°

CHC12-CHF12

60°

CHC12-CHC12

146°

43° x

CHClFl-CHFla

17°

CHGlg-CHCI*

146°

43° x

CCls-CHClFl

116°, 5

CC15-GHC12

159°

42°, 5

c2ci3fi2h

71°-72°

cgi3-ghci2

159°

43°, 5 x

cci3-ccifi2

91°

CG15-CG15

185°

47° x

CCLfCHFI

37°, 5

cci2-chci

OC

oo

O

50°, 5

CHC1=CHF1

10°-11°

CHC1-CHC1

55°

44° 45°

cci2h-cofi

10°, 5

GC12H-C0GI

O

GO

O

^

37°, 5

C2G12F1H2-0C2H5

121°

cgi3h2-o-c2h5

157°

36°

Composés bromés.

CBrFlHC02H

183°

CBr2H-G02H

O

CO

Ol

51°

GBrFlHC02C2H5

154°

CBr2H-C02C2H3

192°

38°

Comme on peut le reconnaître, le remplacement du chlore par le fluor dans les hydrocarbures saturés substitués produit un abaissement régulier moyen de 43°-44°. La grandeur de cet abaissement n’est pas modifiée par l’accumulation du fluor dans la molécule, comme les trois premiers corps nous en offrent un remarquable exemple.

J’avais déjà reconnu le même fait pour les composés bromés.

La valeur de cet abaissement devient un peu plus grande

pour les deux éthylènes substitués que j’ai étudiés, mais le nombre de corps de cette espèce que j’ai pu observer est insuffisant pour pouvoir conclure que dans les hydrocarbures chlorés non saturés, la substitution du fluor au chlore produit un abaissement du point d’ébullition plus fort que dans les composés saturés, comme je l’ai constaté pour les dérivés bromés.

Par contre, l’abaissement du point d’ébullition tombe à 34° pour l’éther dichlorofluoré, c’est-à-dire à la même valeur que celle trouvée pour les acides acétiques trisubstitués.

Pour les deux composés bromés dont j’ai pu comparer les points d’ébullition, la chute du point d’ébullition n’est plus que 4o° en moyenne, soit bien inférieure à celle que l’on constate pour les hydrocarbures bromés, elle est de 62°. Elle est encore inférieure à celle observée pour l’acide tri- bromacétique et son éther, elle atteint 50° en moyenne.

Pour les acides acétiques substitués et leurs éthers, l’action volatilisante du fluor croît avec le degré de substitution halo- génée, comme le montre le tableau suivant :

Composés fluorés.

Point

d’ébullition.

Composés bromés.

Point

d’ébullition.

Différence.

CBr2Fl-C02H

198°

GBr3-G02H

245° (?)

47° (?)

CBrFlH C02H

O

CO

QO

CBr2H-C02H

234°

51°

cfih2-co2h

165°

GBrH2-C02H

196°-208°

31 °-42°

CBr2Fl-C02-C2Hg

173°

CBr3-C02-C2Hs

225°

52°

CBrFlH-C02C2Hs

154°

CBr2-C02C2H5

192°

O

QO

CO

CF1H2-C02C2H5

O

O

CBrH2C02C2H5

140° (?)

36° (?)

M. Henry a insisté à plusieurs reprises sur ce fait que l’in¬ fluence volatilisante d’un halogène est souvent d’autant plus prononcée que l’accumulation des atomes métalloïdiques dans

la molécule est plus forte. La même influence ne se reconnaît pas pour les composés hydrocarbonés que j’ai étudiés.

Si nous comparons la volatilité des composés hydrogénés à celle des dérivés fluorés correspondants, nous ne retrouvons aucune régularité dans les différences des points d’ébullition ; l’une fois elle est positive, l’autre fois négative, comme le prouve le tableau ci-dessous

Composés fluorés.

Point

d’ébullition.

COMP. HYDROGÉNÉS.

Point

d’ébulltiion.

Différence.

GC12H-GHF1C1

103°

CC12H-CH2C1

114°

-F- 11°

CCLH-CHFL

60°

cci2h-ch3

59°

0°,5xu2

CHFlçrCHFICl

17°

ch3-ch2ci

12°

0°,7 x 3

C2G13F12H

71°

c2ci3h3

114°

4-22°, 5 x

CCI5-CCIFIH

116°, 3

cci3-ccih2

137°

-+-20°, 3

CC13-CC1F12

91°

cci3-ccih2

137°

-+-23x2

CG1H=GF1H

10°-11°

CCiH.CHç,

-18°

29°

CC12=CHF1

37e, 5

CC12=CH2

37°

GBrFlH-G02H

183°

CBrH2-C02H

196°-208°

-+-(9-11)

CBrFlH-COç, G2H3

134°

CBrH2-C02G2Hs

159°

-+- 4

Nous pouvons cependant reconnaître que c’est surtout pour les composés riches en halogènes, que la substitution de l’hydrogène par le fluor provoque un abaissement du point d’ébullition. Cet abaissement est maximum pour le tétrachlor- difluoréthane, il atteint 23° par atome d’hydrogène rem¬ placé

Je voudrais signaler encore un point se rattachant plutôt à l’action physiologique des dérivés organiques des quatre halogènes

( 91 ;

Beaucoup de ces corps ont une action irritante sur la conjonctive, et cette propriété est d’autant plus marquée que le poids atomique de l’halogène entrant dans la molécule est plus élevé. C’est ainsi que le bromacétate d’éthyle est beaucoup moins irritant que l’iodacétate, mais beaucoup plus que le chloracétate. Il en est de même, par exemple, pour le chlorure, le bromure et l’iodure de benzyle.

Les composés organiques fluorés sont complètement dépour¬ vus de ce pouvoir irritant s’ils ne contiennent que du fluor comme halogène.

Cependant, au point de vue physiologique, les fluorures minéraux sont beaucoup plus actifs que les chlorures, bro¬ mures ou iodures.

D’un autre côté, les composés polyhalogénés sont moins irritants que les dérivés monosubstitués ; ainsi le dibromacé- tate d’éthyle agit beaucoup moins énergiquement que le mono- bromacétate, le chlorure de benzylidène que le chlorure de benzyle, etc. Mais si on a affaire à un composé polyhalogéné mixte, dans lequel l’un des atomes d’halogène est le fluor, ce corps se comporte comme si le fluor était remplacé par de l’hydrogène. Ainsi le dibromacétate d’éthyle n’est pas très irritant, mais le bromfluoracétate possède toutes les propriétés désagréables du bromacétate; le difluorchlortoluol est aussi actif que le chlorure de benzyle.

Résumé.

J’ai fait agir l’acide fluorhydrique sur deux oxydes éthy- léniques et j’ai constaté que cet acide se comporte d’une manière toute différente que ses congénères; il provoque une hydratation de l’oxyde éthylénique avec formation de glycol condensé, sans s’engager lui-même en combinaison.

J’ai étudié l’acide bromfluoracétique et ses dérivés. La présence du fluor dans la molécule augmente l’avidité de

( 92 )

l’acide, plus que ne le font les autres halogènes, comme je l’avais déjà constaté pour d’autres acides. Comparée à celle du chlore, l’action acidifiante du fluor est 1.38 fois plus forte.

L’acide bromfluoracétique manque de stabilité vis-à-vis des agents chimiques, par suite de la présence simultanée du brome et du fluor. Le brome tend à être remplacé par l'hydroxyle et le fluor passe alors à l’état d’acide fluor- hydrique, grâce à sa grande affinité pour l’hydrogène.

Le brome se laisse remplacer par l’iode plutôt que le fluor, sous l’action de l’iodure de potassium, contrairement à la règle qui veut que ce soit l'halogène le plus actif qui soit remplacé ; le fluor s’écarte ainsi, une fois de plus, des autres halogènes.

J’ai décrit l’acide iodfluoracétique et quelques-uns de ses dérivés.

Je ne suis pas parvenu à préparer l’acide chlorfluoracé- tique, mais j’ai isolé le fluorure de dichloracétyle.

Par l’action du fluochlorure d’antimoine sur l'élhane tétrachloré symétrique, j’ai obtenu une série de dérivés de substitution fluorée. J’ai montré que l’action du fluochlorure d’antimoine sur le tétrachloréthane est un peu différente de celle du mélange de fluorure d’antimoine et de brome sur le tétrabrométhane. J’ai obtenu, en effet, directement, un produit de substitution trifluorée, ce que je n’avais jamais pu observer pour les dérivés fluobromés.

Par des réactions convenables, j’ai obtenu, aux dépens du dichiordifluor- et du tricldorfluoréthane, unesérie décomposés organiques fluorés, dont j’ai fait l’étude et établi la constitution. Cette étude m’a montré que si dans certains cas le fluor se comporte comme le premier des halogènes, comme, par exemple, dans l’action de l'alcoolate de sodium sur le dichlor- difluoréthane et le dichlordifluoréthylène, il est d’autres cas dans lesquels il se distingue complètement des autres halo¬ gènes, par suite de ses affinités spécifiques énormes pour certains éléments, tels que le carbone, l’hydrogène, le silicium et l’aluminium.

J’ai fait agir le fluorure de potassium sur quelques

( 93 )

dérivés chlorés ou bromés, dissous dans l’alcool, en opérant dans des appareils de verre.

Le fluorure de potassium se comporte dans ces conditions comme le ferait la potassé caustique. Le verre intervient dans la réaction pour fixer le fluor. Il se produit néanmoins une substitution fluorée, à un faible degré, pour le chloracétate d’éthyle.

J’ai montré que le verre ou la silice peuvent parfois réagir à des températures relativement basses sur certains composés organiques fluorés et y remplacer le fluor par de l’oxygène.

J’ai déterminé la réfraction atomique du fluor pour des rayons de réfrangibilité diverses, dans une série de combinai¬ sons organiques.

J’ai reconnu, ce qui confirme mes recherches antérieures, que le fluor a une réfraction atomique variable, suivant qu’il est uni à un atome de carbone saturé ou non. Elle est en tout cas toujours très petite et possède les valeurs suivantes pour les rayons Ha, D et H7 :

H*

D

Hy

0.941

1.015

0.963

dans les composés saturés,

0.588

0.665

0.638

dans les composés le fluor est uni à un atome de carbone éthylénique.

Pour Ha et H7, ces valeurs ont été déduites des réfractions atomiques des autres éléments données par Brühl, pour D de celles fournies par Conrardy.

La dispersion atomique du fluor est également variable suivant que cet élément est uni à un atome de carbone saturé ou non. Elle est de 0.023 dans le premier cas, de 0.05 dans le second.

Ces deux constantes optiques sont très faibles et s’écartent complètement de celles des autres halogènes.

( 94 )

Des résultats acquis au cours de ce travail, on peut conclure que les combinaisons organiques fluorées se rapprochent, par l’ensemble de leurs propriétés, des composés similaires des autres halogènes. Leur angle fluoré est, en général, plus stable que l’angle halogéné des combinaisons des autres halogènes, à cause de la très grande affinité du carbone pour le fluor. C’est là, d’ailleurs, une confirmation de mes travaux anté¬ rieurs.

Cependant, grâce aux allures particulières du fluor, qui lui font une place spéciale dans la famille des halogènes, elles diffèrent parfois très sensiblement dans leurs réactions des dérivés chlorés, bromés ou iodés.

Leurs propriétés optiques les séparent complètement des composés du chlore, du brome ou de l’iode.

LA RIVALITE

DE LA

ü PHOTOGRAPHIE

ET SES CONSÉQUENCES

ETUDE DU DOLE DE LA GRAVURE EN TAILLE-DOUCE

DANS L’AVENIR

PAR

René van BASTELAER

Conservateur-adjoint

au Cabinet des estampes de la Bibliothèque royale de Belgique

On ne saurait faire à un peintre de plus cruelle injure, que de supposer qu’il vise à placer ses œuvres au niveau de la photographie.

H. H YM ANS. Le réalisme, son in¬ fluence sur la peinture contemporaine.

(Mémoire couronné par la Classe des beaux-arts, dans sa séance

du 26 octobre 1893.)

Tome LXÏ.

1

Mémoire couronné répondant à la question de concours de la Classe des beaux-arts (1893) : « Apprécier le rôle de la gravure en taille-douce depuis les derniers perfectionnements de la photographie, et indiquer celui qu’elle peut être appelée à jouer dans l’avenir. »

AVANT-PROPOS

ÉTAT ACTUEL DE LA GRAVURE EN TAILLE-DOUCE

Si le public a pris à la lettre le mot dont Paul Delaroche, l’érigeant ainsi en succédané de tous les arts, avait jadis salué la photographie naissante : A partir de ce jour , la peinture est morte, c’est pourtant la gravure et spécialement la grande gravure, la gravure au burin, dont elle devenait, par son aspect monochrome et son emploi la concurrente la plus immédiate, qui a le plus souffert de l’invention de Daguerre.

Malgré son passé brillant, tout désignait d’ailleurs la taille- douce elle-même comme victime de la lutte : l’état de déchéance et de désordre la trouvaient les événements, tout autant que la précision impitoyable et la rapidité d’exécution de sa rivale.

Déjà elle devait à l’abandon de la gravure originale, abandon qui remonte à l’école de Marc-Antoine Raimondi, graveur attitré de Raphaël, l’invasion de préoccupations trop exclusi¬ vement matérielles et l’abus du métier : plus préoccupée d’une inspiration personnelle et directe, plus attachée à l’expression

du sentiment de son auteur, comme l’est naturellement toute œuvre originale, elle en eût reçu une souplesse et une vivacité d’allure qui se seraient ensuite répercutées jusque dans les œuvres de traduction exécutées parallèlement on ne les rencontre plus guère. Tandis qu’au contraire, faute de s’êire exercé à exprimer une idée à lui, le graveur d’à présent se trouve même impuissant à traduire celle d’autrui : son travail impersonnel a fini par n’être plus qu’un emploi de simples poncifs 1.

Déjà aux temps du romantisme, on s’était aperçu de cette erreur, mais les moyens de réaction employés avaient été si malheureux qu’au lieu de faire évoluer le burin, on l’avait abandonné, suscitant par un mélange bâtard avec l’eau-forte un stérile produit de décadence.

Un second grief articulé par le romantisme, la lenteur du travail même du burin, est la cause de cet abandon. Le temps qu’il coûtait attirait sur lui, depuis longtemps déjà, les malédictions de gens qui voulaient être de leur siècle, le siècle, jeune alors, de la vapeur et de l’électricité.

« Nous sommes trop un peuple qui vit au jour le jour, » écrivait Jules Janin quelque part dans Y Artiste , pour )> attendre patiemment qu’un graveur sérieux perde son » temps, sa vie, à reproduire quelque rare chef-d’œuvre. » Nous voulons jouir de suite. C’en est donc fait chez nous » de la gravure sérieuse. Dans un siècle de progrès, on ne peut

1 La tradition de la taille-douce originale a été abandonnée à tel point qu’un cataloguiste a pu se proposer de faire l’inventaire des œuvres d’une catégorie de graveurs « qui ri ont possédé aucune notion de la peinture ni du dessin ». (Voyez Charles Leblanc, préface du Catalogue de J. -G. Wille. Leipzig, Rud. Weigel, 1847.)

» attendre l’éclosion d’une estampe. La gravure se fera à la » minute ou ne se fera pas. »

C’était un ultimatum au burin, et, quoique porté au nom de la manière noire, il est si bien l’expression anticipée de la concurrence photographique, le procédé bref par excellence, que nous ne pouvons nous empêcher d’y voir comme un pro¬ gramme du débat qui nous occupe.

Dépouillée déjà de ses brillantes tailles, vestiges d’un passé illustre, par ses compromissions avec l’eau-forte, la roulette et la manière noire; obligée de plus à une exécution hâtive; réduite naguère à copier la peinture, la gravure, par une humi¬ liation dernière, a fini par se mettre maintenant à la remorque de la photographie elle- même. Au lieu d’éviter le plus possible toutes les compromissions mécaniques qui depuis longtemps ont préparé sa perte, au lieu de relever sa dignité artistisque par un sacrifice héroïque de tout métier trop apparent et d’atta¬ cher son espoir de salut à la force et à la pureté du sentiment exprimés clairement dans un métier simple, elle s’évertue maintenant, non seulement à reproduire avec mesquinerie tous les accidents de son modèle, mais se borne même dans sa technique à l’imitation, superficielle et sans modelé, des tons et du clair-obscur à l’instar de la photographie.

Réduite à s’assimiler les défauts de ce procédé inerte, la facture de la gravure ne participe plus à l’expression des formes et se borne soit à mettre du ton sur du papier, soit à figurer niaisement les coups de pinceaux du prototype, laissant &ux retrous sis qu’y met l’imprimeur le soin de tout mettre à son plan en modelant au chiffon, en tons sourds et peu définis, l’encre déposée dans les tailles.

Aussi toutes les productions actuelles se ressemblent-elles.

Prenez les publications de la Société française de gravure , tâchez de déterminer les personnalités qui s’y coudoient : la plupart des caractères s’y confondent si bien qu’on pourrait à peine y former deux ou trois œuvres distincts.

Bien plus, si les graveurs de notre époque ne sont plus que très rarement des artistes créateurs, si chez eux toute person¬ nalité est disparue, si même ils en viennent à ne plus savoir dessiner, si leur travail enfin est quelconque, il faut encore ajouter que le côté intelligent lui-même disparaît de plus en plus de leurs œuvres : ils ne se privent guère de l’aide de la photographie, et ceux même qui ont encore assez de conscience artistique pour se servir de leurs facultés de dessinateur, ne l’emploient pas moins pour la réduction des proportions originales et la mise en place.

Constatons-le donc sans détour : grâce à l’influence photo¬ graphique, les germes de décadence déposés autrefois dans le sein de la taille-douce se sont développés, et la gravure telle qu’on la comprend de nos jours n’est plus guère un art pur et véritable.

Le public s’en est déjà aperçu; il s’est éloigné sans regrets et porte maintenant ses hommages à la photographie elle- même, dont l’apparente précision et la multiplicité de détails lui tiennent lieu de pittoresque et d’intérêt artistique.

Lassé d’un art morne, mal édifié sur la nature de la gravure et sur celle de la photographie, il reporte sur celle-ci toute l’estime gardée autrefois à la première, qui la perd si maladroi¬ tement. Et c’est ainsi qu’à côté d’éléments de décadence ino¬ culés primitivement à la gravure (éléments redoutables, car non seulement ils s’attaquent au côté matériel de l’art, à son

procédé, mais surtout à son esprit qu’ils s’efforcent de cor¬ rompre jusqu’à anéantir tout sentiment), nous découvrons le second mal dont elle souffre : l’abandon.

Les débouchés de la production n’existent plus: d’un côté, la concurrence photographique, aussi bien dans ses reproductions directes de la nature, tel le portrait, que dans la reproduction et la vulgarisation des œuvres d’art ; le peu d’emploi qu’on a fait des gravures dans la décoration des appartements, ont réduit la taille-douce au rôle unique d’objet de collections ; d’un autre, le nombre de plus en plus restreint de celles-ci faisant place à des réunions d’œuvres d’art d’autres genres, tout cela fait voir que la place de la taille-douce, telle qu’on la comprend actuellement, disparaît dans la civilisation moderne.

Si l’on veut sauver l’art du burin, il s’agit donc de remédier sans retard à cet état de choses, de l’obliger à abandonner des prétentions ne cadrant plus avec l’évolution que nous venons de constater, d’y développer au contraire, comme cela s’est fait à notre époque pour tous les autres arts, des qualités nouvelles plus en rapport avec la conception artistique moderne.

Dans ce but, il importe d’assigner à la gravure et à la photo¬ graphie la place et le rôle qui leur reviennent à chacune en les déduisant logiquement et des circonstances et des caractères, qualités et défauts, de leurs productions.

C’est ce travail que nous tentons ici : nous voulons peser l’autorité de chacune d’elles, établir à quels desiderata elles répondent légitimement, déterminer les besoins qu’elles ont créés, les circonstances elles donnent leur maximum d’uti¬ lité dans la société et, enfin, préciser les erreurs que commet le public dans leur emploi pour l’en avertir et contribuer ainsi à les réparer.

Comme nous l’indiquions il y a un instant, la lutte de la photographie et de la gravure se produit sur des terrains variés :

Sur l’objet primitif de tout art : la nature ;

Sur les œuvres d’art déjà complètes par elles-mêmes, mais soumises aux nécessités de la traduction monochrome.

Nous confronterons donc tour à tour la gravure originale et la gravure de traduction avec la photographie. Nous étudierons ainsi d’abord la gravure dans la plénitude de sa souveraineté et la photographie indépendamment des œuvres d’art qu’elle est appelée à reproduire si souvent. Nous examinerons ensuite chacune d’elles dans ce dernier rôle, indiquant ce que la photographie fait perdre à la gravure, soit comme clientèle, soit comme simple utilité, et, d’un autre côté, ce que, dans cette rivalité, elle l’induit, à entreprendre en bien ou en mal.

Instruits enfin à cette école, nous nous attacherons alors à réunir en un faisceau nos desiderata à propos de la taille- douce moderne: nous coordonnerons les réflexions qui nous auront été suggérées au cours de cette étude, par rapport à l’enseignement que le graveur reçoit de ses maîtres, et à celui qu’il se doit à lui-même; aux influences qu’il doit éviter; aux moyens de vaincre l’indifférence du public qui est, en somme, le seul vrai protecteur de l’estampe ; au rôle des imprimeurs et éditeurs qui, plus que le Gouvernement, sont les seuls patrons de la gravure auprès du public.

Ce seront les conclusions de notre travail.

LA RIVALITÉ

DE LA

GRAVURE DE LA PHOTOGRAPHIE

ET SES CONSÉQUENCES

PREMIÈRE PARTIE

La photographie et îa gravure en taille-douce considérées dans leur travail original.

CHAPITRE PREMIER.

VALEUR DE LA REPRODUCTION PHOTOGRAPHIQUE DE LA NATURE.

Grisés par les prodigieux progrès matériels du siècle et en¬ visageant tout au point de vue de l’utilité immédiate, nos contemporains dédaignent trop systématiquement l’esprit et l’idéal pour respecter l’art le plus modeste, le plus intime qui soit : la gravure. Loin d’y voir l’art original pratiqué autrefois par les Durer, les Mantegna, les Lucas de Leyde, non seule¬ ment ils n’en réclament plus que des œuvres de reproduction, mais, l’assimilant à un procédé mécanique, ils lui dénient,

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même dans ce travail, le droit de revendiquer toute liberté artistique. Trahissant leur ignorance et les appétits inférieurs qui les animent, ils finissent, en lui opposant alors la fidélité supposée de la photographie, par la taxer d’insuffisance, par réclamer et même favoriser sa disparition.

En fait d’images, l’identité matérielle suffit, en effet, à l’utilitarisme moderne; et toute autre reproduction soit de la nature, soit d’une œuvre d’art, risque dès lors d’être repoussée comme inexacte, trompeuse, infidèle : fût-elle un chef-d’œuvre d’intelligence ou de sentiment, ce sera surtout des légères inexactitudes que l’on y aura constatées ou des changements que la traduction, par définition même, y aura apporter qu’on lui demandera compte, tandis que l’on abandonnera toute appréciation du côté moral, jugé inutile, sinon nuisible à l’exactitude.

Cette recherche de l’identité matérielle, d’où sont sortis le réalisme et le naturalisme, est de nos jours le mal dominant de l’art en même temps que l’obstacle principal à la vie de la taille-douce, qui n’a pour sauvegarde ni le prestige de la couleur ni la matérialité de la sculpture.

Elle nous apporta, il n’y a pas très longtemps, la vogue de la gravure en fac-similé des dessins de maîtres : la gravure n’était que comme un moyen matériel de reproduction identique susceptible d’une vulgarisation à un grand nombre d’exem¬ plaires; rien de plus n’était exigé de son auteur.

C’est en effet un autre caractère, contenu d’ailleurs dans toutes les inventions de notre époque, que c’est moins la per¬ fection des produits que leur utilité immédiate et leur bon marché qu’on a en vue.

Est-il extraordinaire dès lors que, dès sa naissance, la photo¬ graphie, répondant à ces deux desiderata modernes, ait pris sans coup férir, dans l’estime publique, la place que la gravure y avait acquise jadis par tant de chefs-d’œuvres aujourd’hui oubliés; qu’on préfère le travail d’un outil compliqué à celui

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de l’homme dans un temps qui, malgré le bon vieux proverbe, veut faire l’art court et la vie longue : ars brevis, vita longa.

Le graveur ne peut rien contre cet esprit du siècle; sinon chercher à s’y adapter et faire ce qui est en son pouvoir pour que la photographie reste dans le domaine qu’elle a créé et ne prétende pas empiéter sur celui de l’interprétation, de l’art, du sentiment.

Certes, personne ne refusera de reconnaître les bienfaits de la photographie dans les cas toute interprétation est interdite, l’imprécision est préférable au parti pris, l’explication littéraire elle-même se reconnaît insuffisamment impartiale et trop interprétative, telles les images servant aux démonstrations scientifiques.

L’art n’a rien de commun avec toutes ces illustrations docu¬ mentaires, et nous serons les premiers à applaudir à ce progrès qui décharge la gravure de missions non seulement inférieures, mais dangereuses même pour elle par la confusion créée entre les visées de l’idéal et le travail utilitaire, purement industriel, dont la perfection n’a rien de commun avec lui.

Logiquement, à ce point de vue tout au moins, la photogra¬ phie n’aurait jamais être considérée que comme un épure¬ ment de la clientèle de la gravure. C’est judicieusement qu’on attribue à la photographie les images d’actualité, les gravures de mode, d’entomologie, d’archéologie, de botanique et de toutes les sciences physiques ou mécaniques. Par les temps de scepticisme méthodique et d’individualisme que nous traver¬ sons, chacun veut, comme saint Thomas, ne s’en rapporterqu’à ses propres constatations, éloignant de son jugement toute autorité étrangère, dût, l’interprétation écartée, la netteté de signification y perdre d’autant, comme nous le verrons.

Mais les facilités du procédé ont malheureusement poussé bientôt la photographie dans des voies plus sacrilèges et plus anormales, de telle sorte qu’on arriva rapidement à l’envisa¬ ger comme une émule de la gravure, pouvant lutter dans la même sphère qu’elle, mais armée de procédés bien supérieurs et bien plus rapides.

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De l’illustration scientifique, du livre à bon marché, elle s’aventura donc dans les journaux d’art, et entra même dans l’édition bibliophilique. Bientôt la gravure, ne pouvant résister à des comparaisons toutes matérielles, dépassée, écrasée sous la production instantanée et continue de la photographie, parut bien près de sa tin, tandis que sa rivale, considérée comme victorieuse, semblait devoir rester seule sur le champ de bataille.

Tout sembla dès lors sourire à celle-ci, et l’on vit les commandes les plus honorables passer des mains du gra¬ veur en celles du photographe ou du photograveur, son com¬ plice.

Une telle confiance est-elle légitimement placée?

La photographie est-elle donc si parfaite que le génie humain lui soit si inférieur? La nature, pourtant si rebelle à l’homme, s’est-elle donc subitement assouplie sous sa volonté jusqu’à en arriver à accomplir mécaniquement et au moyen de forces aveugles ce qu’elle refusait naguère à l’habileté de ses mains et de son génie?

Pour bien des gens, poser la question c’est la résoudre. Évidemment non, l’identité matérielle visée par la photogra¬ phie, son travail mécanique et ses imperfections mêmes ne permettent pas de la comparer à l’art de la gravure, puisque dans celle-ci la nature et le procédé sont asservis à l’idéal, dans l’autre la nature se trouve asservie au procédé suivant des lois qui n’ont même aucun rapport avec l’organisation humaine.

Mais, dans un travail précisément consacré à mettre en lumière toute l’erreur du public en cette matière, on nous par¬ donnera de trouver préférable et prudent d’examiner la ques¬ tion à fond et d’établir l’inanité de ces idées tout à loisir, au lieu de les accueillir par de simples haussements d’épaules, comme elles le mériteraient.

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Et d’abord, si la photographie affiche maintenant des pré¬ tentions artistiques; si, comme un enfant docile, elle est citée en exemple à l’art, qu’on trouve vraiment trop turbulent; si l’on voit à sa suite des théoriciens qui la soutiennent dans ses revendications illégitimes, c’est surtout à des confusions de termes qu’elle le doit.

Théoriquement, l’autorité de la photographie auprès du public est, en effet, basée sur une équivoque esthétique que nous devons dissiper avant de passer à l’examen de la valeur pratique et intrinsèque de sa prétendue fidélité vis-à-vis de la nature en général ou par rapport à nos facultés intellectuelles et sensibles.

On confond trop volontiers les œuvres des deux rivales en

*

les envisageant toutes deux comme des reproductions.

Ce n’est pourtant qu’accessoirement et comme moyen d’ex¬ pression que fart reproduit la nature, loin d’y voir son but comme la photographie.

La reproduction artistique, en effet, a un but tout autre et plus élevé que celui d'imiter simplement la nature : elle la fait parler. A l’exemple des autres opérations intellectuelles, par exemple de celles qui composent la mémoire, elle en condense un aspect particulier, n’en reproduit que certaines formes, dont elle fait un tout, comme on choisit dans le vocabulaire d’une langue les mots dont on forme une phrase adéquate à la pensée qu’on veut exprimer.

La reproduction photographique, au contraire (sans y arri¬ ver d’ailleurs), ne vise qu’à la répétition identique et exacte de l'aspect matériel de la nature, en dehors de tout but intellec¬ tuel.

Or, adoptant la théorie de certains philosophes pour qui le vrai est le beau, le vulgaire, qui pense que la difficulté de l’art réside seulement dans l’exactitude de la reproduction, conclut que la photographie est une reproduction supérieure à toute autre.

Simple confusion de termes, on le voit.

La reproduction est-elle un but ou un moyen? Toute repro-

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duction est-elle de même qualité, obéit-elle aux mêmes lois, et ne doit-on l’apprécier qu’eu égard à la quantité plus ou moins complète qu’elle donne des détails de son modèle? L’ensemble des vérités reproduites par la photographie est-il un ensemble légitime au point de vue de la reproduction?

Toute la question est là.

Qu’est-ce donc qu’une reproduction?

Evidemment une reproduction exacte et complète de la nature, telle qu’elle se présente à nous, serait impossible à obtenir, car ce serait un second exemplaire de la nature même, chose d’ailleurs inutile, et nous n’avons par suite à envisager ici que la reproduction par effigie.

Or, de même que nous ne pouvons élever d’un seul bond notre esprit borné jusqu’à l’unité sublime des qualités et des formes innombrables qui composent la nature, frappés de vertige que nous sommes lorsque nous voulons concevoir leur infinité d’un seul coup d’œil ; de même qu’ainsi nous sommes obligés de les concevoir par des abstractions successives (abstractions caractérisant les êtres par l’abandon de leurs qualités contingentes, mais n’isolant pas l’une ou l’autre qualité en particulier), de même il nous est impossible de reproduire complètement ces formes dans une seule effigie, naturel¬ lement plus bornée encore que notre esprit.

A priori donc, loin de pouvoir jamais être identiquement et absolument exacte, comme on le prétend de la photographie, toute reproduction est fatalement et essentiellement fictive et partielle.

Mais, détachées de la nature où, toutes, elles ont leur raison d’être, les parties de la reproduction ne peuvent avoir de signi¬ fication que pour autant que l’esprit humain leur en prête une. Toute reproduction n’est donc pas de même essence.

D’après l’organisation intime de la reproduction, on doit, en effet, distinguer plusieurs degrés de perfection selon que s’y englobent, dans des groupements plus ou moins homogènes,

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à des points de vue plus ou moins précis, certaines qualités et certaines formes choisies dans la nature; et que, rejetant les détails vrais, mais inutiles, elle produit ainsi pour l’esprit du spectateur un aliment plus ou moins facile à assimiler.

Incapables de tout concevoir, comme de tout exprimer, nous demandons surtout aux reproductions de nous aider à com¬ prendre le vrai d’une façon saisissante et simplifiée, nous bornant alors encore à une face particulière et bien déterminée de la nature.

Une reproduction matérialiste, meme absolue, ne nous ser¬ virait donc pas, au contraire, n’étant pas un aliment tout pré¬ paré pour notre esprit. Si, dans son intégrité, la nature le surpasse, amoindrie sans dessein, c’est-à-dire informe, elle lui est, au contraire, non seulement indifférente, mais lui répugne comme une chose inachevée. D’où il découle que, sans être proprement partiale, toute effigie doit énoncer par elle-même une raison dernière, un but pour nous satisfaire pleinement.

Seront donc toujours supérieures aux autres, les reproduc¬ tions dont toutes les parties auront été mieux triées dans le vaste répertoire de la nature et plus librement ordonnées, proportionnées et adaptées à l’idée ou au sentiment qu’elles sont chargées de représenter.

Il va de soi que plus subtiles et plus délicates seront les facultés humaines mises au service de cette opération, plus relevé en sera le résultat.

Or, parmi nos facultés, laquelle plus que l’illumination subite du sentiment est assez délicate et assez libre pour devi¬ ner, peser et saisir en de telles opérations cette nature épurée, pour la cristalliser ensuite en une expression finie, pour en éloigner, avec le soin le plus rigoureux, toute souillure ?

Seul le sentiment est doué d’un tact assez infini pour dédai¬ gner et bannir même toute vérité étrangère et contingente; seul il rend suffisamment significative la nature; seul il donne ainsi au vrai cette splendeur par laquelle peut se définir la beauté.

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On peut donc dire que toute reproduction, pour intéresser complètement, d’une façon saisissante, doit résulter du senti¬ ment : ce qui revient à dire qu’elle doit être artistique.

Toute reproduction qui permettrait, au contraire, à des détails contingents d’encombrer la perception de l’observateur peu clairvoyant, de dévier ainsi son attention loin des parties nécessaires et de fausser la conception nette et positive que le spectateur tient toujours à se faire de l’objet auquel il accorde son attention, est illégitime et doit être tenue pour suspecte.

De cette concision apportée par le sentiment, résulte en raison directe l’éloquence de l’expression artistique.

Or de tels travaux sont naturellement impossibles à la photo¬ graphie, qui a pour principe le néant de tout sentiment.

Tout essentiellement partielle qu’elle soit, sa reproduction n’est pas susceptible d’organisation, et quoi qu’on fasse, elle restera imparfaite et contradictoire : le choix des détails qu’elle accepte n’est pas confié à une faculté organisatrice quelconque du photographe; il ne dépend que de leur affinité avec des forces inconscientes, soumises à des lois physiques ou chi¬ miques qui n’ont aucune corrélation avec l’esthétique. Son travail s’adresse, non à la vérité essentielle des êtres, mais à la vérité matérielle exclusivement, c’est-à-dire à la réalité, sans prendre garde, comme la gravure, à la qualité; et, en définitive, elle assemble plutôt des parties de la réalité sans contrôler l’utilité ou la contingence des vérités qu’elles contiennent.

A la rigueur, toutes les parties de la nature, certes, con¬ tiennent des vérités essentielles ; mais n’étant pas toujours de la même importance dans les différentes reproductions de la nature auxquelles elles peuvent participer, ces parties se trouvent à certains moments inutiles dans l’ensemble et doivent être éli¬ minées par raison de clarté. Tandis que l’art, procédant à un point de vue déterminé, distingue facilement dans ces cir¬ constances le nécessaire de ces superfluités et les néglige dans la liberté de son métier, la photographie n’ayant ni le dessein,

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ni la faculté dans son procédé, de se subordonner à une idée ou à une impression pour la transmettre au spectateur, et, trouvant au contraire sa fin en elle-même, ne peut que can¬ tonner son travail dans un aspect superficiel : elle prend ainsi plus que ia vérité et, cherchant à atteindre la réalité, ne nous donne qu’une réalité incomplète et dépouillée du sublime de la nature.

Aussi, si, par un moyen brutal tel que la photographie, on supprime une partie des attributs de la matière, le relief, la solidité ou la couleur par exemple, reproduisant les autres sans un choix des détails rigoureusement conforme à un but précis, clef d’un groupement artistique, ce partage factice et ce groupement non motivé anéantissent non seulement l’unité sublime de la nature elle-même, inaccessible à notre intelli¬ gence, mais n’y substituent pas une unité nouvelle; ils n’attei¬ gnent donc pas la beauté d’expression, résultat d’un ordre moral qui la remplace dans les œuvres humaines. L’image produite est alors plus impuissante sur le spectateur que la nature elle-même, puisque dans son intégrité celle-ci intéresse toujours par un renouvellement perpétuel d’impressions; et l’œuvre est une reproduction non seulement incomplète, mais absolument insipide et moins assimilable h l’esprit dans son ensemble que la nature même.

A supposer même qu’au milieu de la sublimité de la nature, une proportion manifeste se produise accidentellement; que, dégagée de cette gangue de détails inutiles ou fortuits que notre esprit borné trouve infailliblement dans la réalité, cette beauté naturelle ou physique rencontre même superfi¬ ciellement assez d’unité pour que sa reproduction brutale par la photographie puisse être confondue par le vulgaire avec celle de l’art : soit qu’un effet d’éclairage en fasse disparaître les détails nuisibles, soit que la pureté des lignes dans un visage ou dans l’attitude d’un corps leur donne une unité naturelle, soit enfin que l’intervention de l'homme ait modifié

2

Tome LX1.

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la nature elle-même clans un sens déterminé, une reproduc¬ tion photographique n'en suffirait pas pour créer une œuvre d’art, car, n'habillant pas une idée relevée, elle ne résulterait quand même pas de l’ordre moral.

La beauté morale n'est en effet que le résultat de l’ordre moral, accompagné ou non de la beauté physique, et seul l’ordre moral peut produire, indépendamment de la beauté physique, la beauté morale, unilé expressive et intellectuelle du vrai.

Or, pour que l’ordre moral puisse exister concrètement, il est nécessaire qu’il pénètre son objet jusque dans ses plus infinis détails, qu’il ait autorité sur eux pour les faire valoir ou les supprimer à son gré. Il est impossible évidemment de soumettre la nature è un régime aussi absolu sans substituer à tous les détails inutiles l’effigie ou apparence de ceux qui correspondent cet ordre moral, de plus, sans les étayer d’autres empruntés à des objets étrangers. Certains rapports d’ordre abstrait, tels que la succession des mouvements dans le temps, dont la nature subit les lois sans manifestations autrement concrètes, peuvent en effet s’exprimer sans qu’une reproduction exclusivement matérielle puisse les saisir. Cette analogie, le sentiment sait seul la trouver, par l’envergure plus ou moins grande de scs généralisations en substituant, dans ses spéculations, aux termes inexpressifs des termes étrangers équivalents mais plus significatifs, empruntés à un ordre d'idées parallèle : son opération est donc aussi légitime qu’une opération algébrique.

Telle est la genèse de l’œuvre d’art; c’est un sentiment général, personnel à l’artiste, exprimé au moyen d’un choix de termes naturels qui lui sont appropriés: c’est un certain caractère essentiel du sujet traité qui a d'abord frappé l'artiste, ou encore l'idée principale qu’il s’en fait, rendus sensibles, par la modification des rapports de ses parties, plus clairement et pluscomplètementque ne lofait l’objet lui-même.

Aussi tout ce qu’on affecte d’appeler maintenant Yart photo¬ graphique, tous les petits moyens employés avec plus ou moins

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d’habilftc, tels que l’arrangement, l’éclairage et la composition des modèles, la mise en page dans le champ de l’objectif, le choix des tons ou du grain du papier, les ajustages de ciels étrangers, mieux en harmonie avec le paysage, toutes choses qui se passent avant ou après le travail de la photographie, tous ces moyens ne peuvent que rapprocher l’épreuve photo¬ graphique de la beauté naturelle ou physique, mais sans atteindre la beauté morale. L’art ne s’arrête pas à ces quelques précautions superficielles, disons le mot, à ces trucs. Il exige, ce que la photographie ne peut permettre, la collaboration intime, mais apparente et de chaque instant du sentiment et de l’outil. le caractère n’est que sensible, la photographie ne peut le rendre dominateur. C’est pourquoi il nous est per¬ mis de dire que la beauté idéale lui est fermée.

En conséquence, bien que parfois les admirateurs de Varl photographique aient prétendu reconnaître le photographe à certaines préférences dans la manière de poser et d'éclairer le modèle, de préciser ou de noyer les contours par des arti¬ fices d’atelier, il n’existe pas de style photographique, car il ne pourrait être, parodiant Buffon, que l 'homme photographe, c’est-à-dire l’homme animé de tous les sentiments artistiques dont tous les photographes du monde ont toujours fait parade, mais lié aussi par tout ce qu’il y a de mécanique et d’imparfait dans l’instrument employé, et luttant même contre ses défauts inéluctables.

Il est clair que par la ressource de la correction en dehors de l’opération, la photographie ne vaudrait que ce que vaut cette retouche : ce serait encore la consécration de la supériorité de l’art sur elle.

Nous avons indiqué qu'au point de vue intellectuel, le pre¬ mier défaut de la photographie est de s’attacher à tous les détails sans en préférer aucun. L’image photographique nous montre tout avec celte même insistance et cette même imper¬ fection niaise qui ôtent tout intérêt à ses témoignages. Laissant une égale importance aux masses et aux détails, elle ne subor-

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donne pas le particulier au principal et prête, par exemple, la même valeur à la présence du point lumineux de l’œil qu’à celui des boutons du vêtement.

Elle aboutit ainsi à la trivialité, le sentiment du mieux, la réserve n’étant pas de son domaine.

Cette superfluité de détails nuit naturellement à la précision de l’image en cherchant à lui donner, contrairement à son essence fictive, l’identité matérielle au lieu de la ressemblance par expression. Elle manque de la concision et de l’éloquence de l’image artistique, intelligemment et expressément incom¬ plète, mais coordonnée dans ses parties selon une idée domi¬ nante. Elle ne peut donc ni s’élever jusqu’au style ni aller jusqu’à la détermination du caractère : alors que l’artiste choisit le plus grand côté jusque dans les plus petites choses, ta photographie n’en reproduit que le plus petit, même dans les plus grandes. Or, si le détail est favorable à la science qui analyse, en art il étouffe la synthèse qu’il faut seule exprimer.

Ayant pour principe le néant de tout sentiment individuel, pour visée l’effigie même et non une fiction avouée de la réalité habillant une idée humaine, sa particularité est préci¬ sément l’indifférence: imitant tout, mais incomplètement, elle n’exprime rien.

Nous ne pouvons d’ailleurs nous servir de la photographie qu’avec des restrictions nombreuses au lieu d’en recevoir, comme émanant de la réalité, des idées et des sentiments originaux.

L’impression de la nature est incomparablement plus pro¬ fonde que celle de la photographie, puisque celle-ci, incom¬ plète par essence malgré ses prétentions, prive son spectateur de certains effets importants, et ne lente d’y suppléer en rien.

D'autre part qu’en une seule de ses parties on ait visé à l’identité, par le secours de la photographie ou autrement, cela suffit pour que l’œuvre d’art soit anéantie de fait, car, par celte extension de vérité, même minime, l’œuvre s’est soustraite aux conditions fictives de sa nature et s’est dépouil¬ lée de ce qui la rendait précisément artistique.

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IL est donc impossible que la photographie de la nature, tout comme celle d’une œuvre d’art d’ailleurs, puisse jamais légitimement servir de base à un travail artistique. Quand: même le modèle aurait posé trop peu de temps pour être totalement observé et surpris, ce que l’artiste en peut retenir sera toujours plus positif que ce qu’on peut retenir de la photographie, étudiée même à loisir.

La nature transmettant au cerveau, par une succession d’im¬ pressions différentes, une série d’éléments, choisis dans l’espace ou ressentis dans le temps, sur lesquels peut s'opérer le travail intellectuel, l’art détache ces divers effets de leur objet, conçoit celui-ci en dehors d’eux, ou, au contraire, les réunit, par une même représentation, en un point unique de temps et d’espace; au lieu que dans la photographie les formes sont figées sur la plaque selon une furtive et imparfaite impression dans le temps, sous peine d’obtenir une représen¬ tation confuse dans l’espace, ce qui fait que nous ne sommes guère émus et intéressés par les images qu’elle produit.

Le procédé photographique ne peut, par exemple, nous l’avons déjà dit, réunir les divers temps d’un mouvement en une seule impression qui en donne la sensation d’ensemble par la succession rapide des positions variées de l’objet. L’œil, percevant pour ainsi dire à la fois plusieurs lignes différentes dans la forme des corps ou dans le modelé, permet l’esprit d’en tirer au contraire une synthèse qui lui sert de moyen de représentation de ce mouvement. Que la photographie, à moins d’user d’appareils spéciaux elle perd d’ailleurs toute prétention artistique pour se rapprocher davantage de la nature, que la photographie, disons-nous, essaye de saisir cette succession, son travail sera ou pitoyable, le modèle n’ayant pu obéir au classique « ne bougeons plus » ou, quelle qu’instantanée qu’ait été l’opération, et, plutôt en raison de cette instantanéité, elle sera insuffisante, ridicule même, car elle ne saurait figurer dès lors le mouvement dont, en style d’architecte, elle ne donne qu’une coupe et non une idée d’ensemble; elle ne représente alors que la pétrification

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de l’immobilité au milieu d’un contexte réclamant le mouve¬ ment; au lieu d’une image harmonieuse, elle ne fournit que des signes contradictoires et disproportionnés, causes de laideur.

Qu’on ne se fasse pas, d’autre part, illusion : la reproduc¬ tion même de la beauté naturelle ou physique par la photo¬ graphie, bien loin d'équivaloir à la beauté artistique ou d’expression, n’arrive jamais jusqu’à nos yeux sans subir quel¬ ques accrocs capables de dénaturer toute portée artistique, si celle-ci pouvait y exister jamais.

La reproduction photographique n’est en effet pas plus con¬ forme à la nature telle que nous la voyons, qu’à l’art lui- même. Produit naturel de forces inconscientes, et soumise à toutes les vicissitudes du milieu dans lequel elles évoluent, comme le dit Alfred de Lostalot *, la photographie obéit à des lois phy¬ siques et chimiques qui non seulement sont étrangères aux opérations esthétiques de notre esprit quant à son fond, mais même à nos sens quant à sa forme.

Aux effets matériels dont ces lois peuvent être cause se borne donc la compétence de la photographie. Elle accepte le fait tel qu’il se présente dans l’appareil, mais non tel qu’il frappe nos yeux, se l’assimile sans aucune espèce de vérification, dans la splendeur de son égoïsme mécanique et sans rien tenter au delà de cette docilité stupide. Des imperfections positives dues à l’ineptie de l’outil employé viennent donc s’ajouter aux mensonges par omission imposés parles conditions étroites et de nature étrangère de la reproduction.

Le premier de ces défauts concrets de la reproduction pho¬ tographique résulte de ce que, par la forme même de l'objectif, construit de telle sorte qu'il ne peut enregistrer avec une exactitude absolue les rapports du dessin comme nous le con¬ cevons, la photographie est souvent induite à fausser les lois de la perspective. Les lentilles, même aplanéliques, dénaturent la projection des objets sur la plaque sensible, surtout de ceux

1 Alfred de Lostalot, Procédés de la gravure . Paris, libr. Quantin.

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qui s’éloignent de leur axe, et altèrent les relations des plans. L’habileté du photographe peut évidemment éloigner l’occa¬ sion de ces faiblesses, mais celles-ci n'en montrent pas moins les défaillances misérables d’un procédé qu’on veut porter au niveau de l’art.

Toutefois, dans cet ordre d’idées, la photographie est, d’une autre façon surtout, étrangère à notre nature et par suite infé¬ rieure au travail de l’art : outre qu’elle déforme les lignes, elle ne subit pas en effet de la même manière que notre œil l'in¬ fluence des rayons colorés.

On le sait, la couleur en dehors de sa teinte propre possède comme ton lumineux une valeur relative spéciale. C'est l’har¬ monie de ces valeurs que le graveur cherche d’abord à rendre quand il reproduit des harmonies de teintes.

Or, l’échelle lumineuse des colorations, si importante par conséquent dans la gravure, ne correspond aucunement à l’échelle photographique. De l’une à l’autre, l'évaluation en noir et blanc subit une révolution complète. La gradation lumineuse n’est en effet pas la même sur la plaque sensible que sur notre rétine, et les valeurs claires ou sombres par les¬ quelles elle se traduit ne correspondent pas à leurs valeurs relatives telles que nous les apprécions dans la nature.

Tel de ces rayons dont résulte pour nous une impression intense, une perception visuelle très marquée, n’agit pas sur les mixtures photographiques. Tel autre, au contraire, indiffé¬ rent à l’œil humain, se manifeste dans la photographie par une réaction chimique très accentuée; [des découvertes retentis¬ santes l’ont encore prouvé tout récemment].

Tel ton, un jaune ou un rouge éclatant par exemple, qu’un graveur interpréterait en blanc à peine teinté, prendra un aspect noir intense dans la photographie (épreuve positive) parce que les rayons lumineux qu’il émet ne sont pas photogéniques. Tels autres, sourds, au contraire, estompés dans le modèle, comme les bleus, ou presque noirs comme les violets, donne¬ ront une tache blanche sur l’épreuve, parce que leur lumière impressionne vivement la plaque sensible.

i 24 )

La façon dont la photographie distingue en gris, blanc ou noir les couleurs est donc fausse, sinon à cause de l’imperfec¬ tion de ses procédés, tout au moins parce qu'ils sont étrangers à la nature humaine, ce qui est ici l’essentiel.

Se confier à la photographie est donc courir au-devant d’une erreur prévue.

Les photographes ne se sont pas fait faute naturellement de chercher à remédier â ce défaut.

lis ont obtenu l’isochromatisme des plaques, ce daltonisme de la photographie, par une coloration préalable ou par l’interposition de verres de couleur complémentaire pendant la pose; mais, comme le constate lui-même, â regret, un des dogmatistes les plus écoutés de fart en photographie 1 :

<c Les différences sont bien peu sensibles et n’existent même » pas pour certaines couleurs, et le jeu n’en vaut pas la » chandelle. La photographie, ajoute-t-il, doit se résigner à » ne pas obtenir dans une exacte relation les diverses inten- » sités de ton des parties spéciales. »

Le même auteur toutefois, dans un mouvement de consola¬ tion facile, croit trouver des compensations suffisantes d’un autre côté : pour lui, il n’existe en photographie que deux couleurs, le blanc et le noir; il se contente de les harmoniser dans la nature qui lui sert de modèle par des effets de lumière habilement choisis, sans chercher plus loin, avec raison d’ailleurs. « La question de couleur touche de bien » près à l’harmonie générale de l’ensemble, dit il, et celle-ci, » étant un choix heureux ou judicieux de lumière et d’ombre, » donnera par sa seule obtention la couleur nécessaire au » sujet photographique. » Impossible d’avouer avec plus de grâce l’impuissance de la photograhie et de déserter avec plus de désinvolture le terrain choisi pour la lutte.

L’harmonie générale dans le sujet à photographier, l’har¬ monie générale du cliché, voilà bien de ces moyens qui rentrent dans la production de la beauté physique mais

1 Frédéric Dillaye, L'art en photographie, p. 315.

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inexpressive que nous dénoncions plus haut, l’une dépendant d’un temps de pose raisonné et d’un développement bien conduit, l’autre de 1 application, aussi complète que possible, au modèle des lois de la composition et de l’expression.

Ces travaux sont donc loin de pouvoir être assimilés à ceux de la perception des sens chez l’homme, à la simplification intelligente de l’esprit humain, et plus loin encore de celle du sentiment, du talent et du génie, car il leur est impossible de s’imprégner de l’âme humaine et d’en recevoir la moindre direction. Les difficultés sont en effet ici non seulement acti- niques, mais intellectuelles. 11 faudrait, pour les corriger, non l’intervention indirecte du goût humain par fies procédés ou des recettes étrangères, physiques ou chimiques, mais la technique vivante de l’artiste lui-même, discernant et dosant le blanc et le noir au gré de l’expression comme nous le verrons faire à la gravure.

De toutes les infériorités de la photographie devant l’art et surtout devant sa rivale la gravure en taille-douce, la plus évidente enfin c’est que, conséquence d’ailleurs naturelle de ce qui précède, son procédé est monotone dans sa touche, ou plutôt quelle n’en a pas, ce qui ne peut arriver â aucun art.

Créant toutes les parties de l’image simultanément sur une surface uniforme, unie ou glacée, celte invariabilité de procédé devant les objets les plus opposés qui s’y trouvent momifiés, répand très visiblement sur toute la reproduction une froi¬ deur repoussante.

La cause en est que ce qu’on appelle en art le « métier », la facture, loin d'être indifférent à la vivacité de l’expression artistique, est précisément le véhicule, la cause prochaine et déterminante de l’émotion chez le spectateur. Le coté maté¬ riel de l'œuvre peut seul mettre, en effet, le spectateur en communication avec l'âme de l’artiste. Dans ce but, il doit avoir subi lui-même les efforts de l’artiste et porter le sceau des travaux évolutifs qui en étaient la conséquence. Créé

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pour vivre en société, l'homme, en effet, ne s’intéresse qu’à riioiTime; la matière n’a la puissance de l’émouvoir que s’il peut se mirer en elle; que le travail de l’artiste soit livré à une impression violente, qu’une proportion quelconque du canon humain s’y inscrive, l’esprit de l’observateur remontera alors immédiatement de l’effet à la cause, de la matière à la volonté ou à l’émotion dont elle porte la trace. Retrouvant dans la terre modelée l’empreinte des doigts, tour à tour caressants ou nerveux du sculpteur, devinant dans la peinture et dans la taille-douce, par les arabesques élégantes ou sévères du burin ou du pinceau, la nature du sentiment trahi par le peintre ou le graveur, l’observateur, intéressé à chaque trait par ce que l’artiste y aura ainsi laissé de lui-même, évaluera instinctivement les mouvements passionnels dont il voit le résultat, et vibrera à leur unisson. De l’ensemble de ces sensations coordonnées dans son cerveau sort alors, par un travail identique à celui qui réunit le sens des mots dans une phrase, la recomposition du sentiment général auquel a obéi l’artiste.

C’est de eette façon que les créations des sens sont les inter¬ médiaires nécessaires entre l’artiste et son œuvre d’abord, puis entre l’œuvre et le spectateur. De même qu’il fouille les en¬ trailles de la terre pour connaître l’histoire des races qui l’ont précédé, l’homme ne cherche à connaître dans l’œuvre d’art la main qui l’a exécutée que pour sonder le cœur qui l’a conçue. Or, il est clair qu’il voudrait en vain sonder l’œuvre photographique, aucun fil d’Ariane ne l’y guiderait.

On jugera par suite combien il est nécessaire, pour faciliter l’impression sur le spectateur, que la facture de l’œuvre soit apparente, tout au moins assez pour qu’on puisse y retrouver la marque de son origine humaine. Ce rapport doit même être avoué d’autant plus franchement que l’art dont il dépend est plus matérialiste dans son imitation. Les touches en doivent toutefois disparaître dans l’ensemble, en se substi¬ tuant, à partir d’un certain degré d’imitation, au détail de la nature pour en donner seulement la sensation.

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Si par elle-même, cette substitution, guidant le spectateur vers la personnalité de l’artiste qui l’a opérée, donne à l’œuvre la vie et l’intérêt, celui-ci s’accroît encore de la délicatesse et de l’habileté imprévue avec laquelle ce saut est opéré pour le spectateur de l’ordre matériel à l’ordre moral.

Comme corollaires, on remarquera d’abord que la facture doit non seulement être apparente mais encore être multiple et diverse dans son métier, telles les tailles du burin (ce qui est impossible à la technique photographique), pour exprimer ainsi par leur succession et leur vivacité la vie et la vibration du sentiment.

Si le sentiment ne présidait pas au métier, si encore celui-ci s’exécutait suivant des règles trop fixes, n’évoluait pas au souffle de l’inspiration et repoussait ainsi toute naïveté, la matière ne vibrerait plus sous l’inlluence de l’idée, et le spec¬ tateur, n’ayant plus de prise sur elle, n’obéirait à aucun attrait artistique : l’œuvre tomberait précisément dans les défauts de la photographie et serait sans effet.

N'ayant pas de facture propre, visible et multiple, mais s’opérant au contraire dans un enchaînement mécanique, la photographie n’a aucun point de contact à présenter au spec¬ tateur, ne lui transmet aucune impression directe et lui est donc forcément aussi indifférente qu’elle l’a été elle-même vis- à-vis de la nature.

Enfin, si l’art demande de son auteur une liberté psycho¬ logique qui permette de modifier les détails du sujet soit en le complétant, soit en l’atténuant, afin de le rendre adéquat à l’idée qu’il veut y attacher, il n’est que plus nécessaire, par suite, que la liberté du procédé, la liberté de la touche lui soit donnée afin de correspondre à celle-ci.

Dans ces conditions, nous pouvons dire que tout travail opéré d’un seul coup, tel que la photographie, toute repro¬ duction indocile dont la facture ne sort pas directement de la main intelligente de l’homme, toute opération dont le procédé empêcherait l’artiste d’obéir à l’impulsion du sentiment,

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s’oppose non seulement à l’épuration artistique, mais renonce meme à tc^ute impression sur son spectateur comme incapable d’y avoir prise.

Il ressortira aussi de ces conditions que la gravure qui vise à une trop grande identité matérielle perd, comme tout trompe-l’œil, son autorité artistique, et qu’elle court de grands risques à s’attacher trop uniquement à la régularité de la facture comme au temps de Wille : elle aboutit alors à des travaux mécaniques n’émanant plus directement de l’esprit, travaux qui, singulièrement parents de ceux de la photogra¬ phie, amènent la taille-douce à perdre, comme en ce siècle, de sa valeur. Le métier du burin doit donc être clair afin de faciliter la lecture de son expression, mais il ne doit pas cepen¬ dant éclipser le dessin dont il n’est après tout que le moyen.

Quant aux factures artistiques des œuvres d’art photogra¬ phiées et à l’impression que le spectateur peut ressentir devant la reproduction d’un métier étranger, nous examinerons dans un chapitre postérieur la valeur qu’il faut leur attribuer. Nous nous bornerons à dire pour le moment que cette facture n’appartenant pas à la photographie, tout l’intérêt qui s'y attache résulte, non de l’impression directe de la photographie sur le sentiment, mais d’un certain effort d’esprit exercé d’abord par le spectateur pour en retrouver la signification, et nous en concluons, comme plus haut, que la photographie doit renoncer à prendre une influence quelconque sur le sentiment du spectateur, de quelque façon que ce soit.

Pour terminer cette critique de la photographie en général, il nous reste à faire observer que les plus logiques développe¬ ments de la photographie sont autant de pas faits vers la nature d’où elle vient et qui fait sa seule force, mais c’est aussi autant de pas qui l’éloignent de la synthèse artistique dont le trompe-l’œil est la mort. Telle est, par exemple, la photographie stéréoscopique qui nous donne l’illusion de la solidité et du relief des corps, [et la cinématographie qui nous donne l’illu-

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sion des mouvements. Ces deux progrès, réunis à la photogra¬ phie des couleurs découverte par Lippmann, fonf entrevoir qu’un jour viendra la nature avec ses couleurs et ses mou¬ vements, et grâce au phonographe, avec ses bruits, pourra se représenter identiquement]. Mais jamais ces progrès ne pour¬ ront se réclamer de l’art ; non seulement leur tare mécanique originelle leur restera marquée au front, malgré leur effort vers le sublime de la nature, mais leur expression ne résultera jamais d’un ordre moral : jamais ils n’atteindront que la beauté physique.

CHAPITRE II.

VALEUR ARTISTIQUE DE LA GRAVURE EN TAILLE-DOUCE ORIGINALE.

En examinant la valeur de la photographie au chapitre pré¬ cédent et en montrant combien elle suit peu les voies tracées par l’art, nous n’avons pas manqué de faire ressortir les avan¬ tages que la gravure en taille-douce, en tant qu’art, conservait sur sa rivale.

Mais il est nécessaire de grouper ces indications et de les préciser afin de soumettre à un examen impartial l’élaboration morale de la gravure et le procédé matériel qu’elle emploie à son expression.

Nous aurons ainsi l’occasion de faire briller aux yeux des profanes les étonnantes ressources d’un art trop méconnu de nos jours, tout en indiquant en même temps, en vue de la seconde partie de la question ici traitée, les points elle faiblit le plus facilement et les précautions qu’il est nécessaire de prendre pour remédier à ces propensions fatales.

Répétons-le avant tout, la gravure en taille-douce n’a rien de commun avec l’application mécanique d’un procédé quel¬ conque. Comme tout art, à l’artiste qui l’exerce, sa technique permet de retrancher ou d’ajouter à l’image du sujet emprunté.

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selon les nécessités de l’expression au service de laquelle il l’utilise. Elle ne lui impose aucune partie de la nature devant laquelle le vjto de son sentiment se trouverait désarme, et l’oblige au contraire à employer les formes abrégées de l’expression. N’ayant, comme presque tous les autres genres de gravure, que deux moyens de coloris : le ton de la surface sur laquelle on imprime et celui de l’encre qui sert ù l'impression, la taille-douce paraît être tout d’abord une espèce de dessin. C’est en effet par le moyen de celui ci que la délicatesse du modelé ainsi que l’élégance des formes et la beauté de la com¬ position se manifestent. C’est aussi à lui que le graveur emprunte reflet général de grisaille ou de clair-obscur pour mettre les objets doit résider l’intérêt le plus vif dans une lumière franche et y attirer les regards, pour voiler ce qui n’est qu’acccssoire en le noyant dans des demi-teintes, et enfin faire valoir le tout par des noirs harmonieusement placés.

Les graveurs contemporains ont toutefois pris maintenant, à l’encontre des graveurs antérieurs, la malheureuse habitude de supprimer presque complètement l’emploi des grands clairs et de se priver ainsi beaucoup trop de l’opposition de lumières fortes qui favorise si singulièrement la clarté d’expression. Ce défaut est probablement à la taille-douce de traduction, qui cherche à étendre ses ressources dans les demi-teintes jusqu’aux dernières limites, à l’imitation de la photographie et se résout difficilement à sacrifier la dégrada¬ tion infinie des tons de la peinture.

Cependant, tout en étant vraiment une forme suprême du dessin, la taille-douce, composée de hachures et de pointillés nettement exécutés en creux dans une plaque de métal et dont on prend l’empreinte après les avoir remplis d’encre épaisse, n’applique pas directement son noir sous le bec de la plume ou sous la pointe du crayon, à la différence du dessin ordinaire, mais au moyen d’un travail intermédiaire qui, formant ensuite à l’impression des traits et des points noirs, compose le clair-obscur et le modelé de leur ensemble plus ou moins serré.

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Mais aussi brillants qu’ils puissent être, ces nouveaux travaux ne suffiraient pas encore eux-mêmes à mettre en relief tous les contrastes résultant dans la nature de la diversité des couleurs. Au contraire, dans le contraste simplifié cl concentré du clair-obscur, le graveur risquerait d’amener une monotonie tout aussi dangereuse par la régularité même du croisement des tailles, s'il ne cherchait, non pas à réfléchir malgré tout la qualité même des couleurs, comme le tente en vain le miroir chimique de la photographie, maisày suppléer par l’adjonction de nouveaux motifs d’intérêt.

Ces motifs, le dessin au burin, rivalisant avec la peinture, a su les puiser dans son propre fonds, non seulement en trouvant les moyens d’imiter les divers aspects lumineux ou chatoyants des objets, depuis le poli du marbre jusqu’à la morbidesse des chairs ou la légèreté des draperies, mais surtout en suppléant aux couleurs disparues par les immenses ressources pittoresques, inconnues aux autres arts, que les combinaisons des tailles lui permettent de tirer de la lumière et du noir. Sur une même valeur de ton, les tailles peuvent produire en cflêt des variations étonnantes non de couleur, mais d’aspects particuliers qui les remplacent, grâce au grain du travail, c’est-à-dire à cet enchevêtrement plus ou moins varié des tailles qui, se courbant, se croisant, se heurtant, serpentant, forment entre elles les combinaisons les plus compliquées de minuscules losanges et triangles blancs et, grâce à des oppositions heureuses, semblent innombrables chez les graveurs du XVIIe et du XVIIIe siècle dont l’habileté, fruit de l’expérience de plusieurs générations, a fini par devenir classique.

La taille-douce d’ailleurs a, dans l’application même de sa technique, une autre source d'effets tout particuliers. On sait quelle importance ont prise dans la peinture moderne les reliefs de l’empâtement et la nouvelle variété qu’ils y ont apportée. Or, quoique reposant sur une surface d’apparence unie, la taille retient de l’impression un certain relief correspondant au creux gravé dans le cuivre; la lumière, en venant jouer sur

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ces reliefs, en varie encore à l’infini l’aspect des demi-tons et porte la vie et l’expression jusque dans les plus grands noirs.

Ce relief est d’ailleurs si précieux que les artistes japonais, habiles à profiter de tous les éléments de pittoresque, l’em¬ ploient pour varier l’aspect de leur gravure â teintes plates, et qu’on commence même à l’imiter dans d’autres procédés il n’existe pas nécessairement.

Il est clair que les couleurs des objets représentés n’offrent pas le modèle de semblables travaux, mais dans l’ensemble ceux-ci en deviennent tellement les équivalents par les aspects variés qu’ils peuvent prêter au même degré de clair-obscur, grâce aux vibrations de lumière qu’ils produisent, vibrations équivalentes à celles des couleurs de la nature, qu’on peut dire que la gravure devient ainsi la rivale de la peinture et que les qualités de celle-ci peuvent toutes s’y manifester en pleine liberté.

Personne ne contestera en effet que si la peinture triomphe par la vivante mobilité de ses combinaisons de tons et de factures, â tel point que ce caractère spécial en a tiré son nom, les ressources pittoresques de la gravure lui permettent néanmoins de rivaliser avec la première et même de lui donner plus d’une leçon. Aussi la souplesse de technique, qui, dans la gravure, ajoute aux diverses autres qualités du dessin la suavité du coloris, en même temps que le pittoresque le plus étonnant, est devenue pour la taille-douce une des conditions même de son existence.

Mais toutefois, pour que la gravure atteigne entièrement tout l’effet pittoresque dont elle est susceptible, et en conserve tout le bénéfice, il faut que cette diversité soit spontanée et non pas l’application de principes classiquement réglés d’avance, sans égard â leur opportunité, en un mot, le résultat de savantes et de froides combinaisons, comme il est arrivé en ce siècle.

11 s’agit, au contraire, de procéder dans chaque cas par ana¬ logie et par comparaison, de faire valoir les travaux les uns par les autres, à l’instar des tons de la peinture, qui se trans-

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posent le plus souvent pour tenir compte de la loi des oppo¬ sitions. Tout ce qui tendrait à restreindre cette liberté nuirait au pittoresque et, par suite, dénaturerait en même temps la force de l’œuvre en la rapprochant des moyens mécaniques.

En résumé, dans la gravure au burin, non seulement les tailles permettent donc la liberté d’allure exigée d’un métier artistique pour former un moyen d’expression complet par lui-même, mais encore le graveur peut même atteindre un degré extraordinaire de liberté et de personnalité dans l’élabo¬ ration morale de son œuvre.

Il suffirait d’ailleurs, pour le prouver, de rappeler combien le burin trahit facilement le tempérament de l’artiste et des écoles en général : dans l’école allemande, une précision grêle, dégénérant presque en dureté chez Dürer; chez les Flamands, au contraire, le coloris et l’animation pittoresque s’unissant au clair-obscur sans trop de souci de la régularité du procédé, auquel sacrifient au contraire les Italiens, afin d’atteindre le style; chez ceux-ci la négligence des finesses de ton et des détails subtils de la réalité aboutissant à plus de majesté que de délicatesse, les tons n’y étant employés que comme moyen complémentaire et non comme élément principal d’expression.

La présence de la plaque de cuivre introduit malheureuse¬ ment dans ces opérations des difficultés particulières à l’art de la gravure en taille douce. Tout d’abord, la résistance du métal au burin rend le travail de la taille fort lent; ce qui est, comme Jules Janin le sentait déjà, un vice rédhibitoire à notre époque de vapeur et d’électricité.

En second lieu, cette lenteur refroidit quelque peu la chaleur de l’inspiration pittoresque et vivante de l’œuvre, défaut tout aussi impardonnable que le premier; troisième difficulté : les erreurs sont si difficiles à corriger sur le métal (car tout travail y est définitif, et les hasards de la morsure ou les tricheries de l’impression, tolérées dans les improvisations

Tome LXI.

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de l’eau-forte ne sont pas de mise avec la gravité et la sévérité qui convient à la lenteur du burin) que tout doit être combiné et évalué d’avance.

Aussi, à cause de cette dernière raison, le graveur n’entre¬ prend-il jamais, même dans le burin original, d’imiter la nature directement; il n’aborde le cuivre qu’après avoir pris la précaution de placer entre son modèle et lui des études ou un dessin qui servent tout au moins de base à sa création et de guide à son travail.

Il est déplorable que cet état de choses soit devenu pour la gravure une nouvelle source de faiblesse, dont il importe plus que jamais de prémunir les artistes. Par un abus dangereux, réduisant le procédé matériel à un rôle presque mécanique, les graveurs modernes en sont venus à considérer comme un véritable modèle ce brouillon sommaire ils ébauchent l’effet du clair-obscur et le mouvement des tailles. La gravure, ainsi copiée, perd justement ce côté imprévu, cette fleur de naïveté dans la facture, cause principale de palpitation et de vie dans l’œuvre, pour revenir à un métier machinal, alors que précisément le défaut de spontanéité, à la résistance du métal, fait déjà l’infériorité de la taille douce vis-à-vis des autres arts et lui vaut en grande partie le mépris moderne.

Une telle division dans l’élaboration d’une œuvre d'art ne s’accomplit pas d’ailleurs sans répercussion immédiate dans sa valeur.

C’est ainsi que, malgré la nécessité évidente pour le graveur d’être le dessinateur par excellence, il n’est malheureusement pas rare de nos jours que, se bornant à l’effet sous l'influence grandissante de la photographie, il ne sache plus suffisamment dessiner pour exprimer, par la direction de ses tailles, une forme déterminée. Par contre, il n’est pas étonnant non plus de voir, sous les mains d’un buriniste expert, le travail du burin, détaché des préoccupations de l’interprétation et étranger à la cause émotionnelle dont il devrait, au contraire,

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porter les stigmates, se transformer, par une déviation parallèle, en une simple mise en œuvre de règles prévues d’avance, de secrets de métier, de tours de mains, au lieu de particulariser chaque trait par la gradation du sentiment qui l’inspire. Le graveur sachant qu’en principe telle série de tailles convient mieux pour rendre l’apparence d’une matière rigide, telle autre les reflets d’une étoffe soyeuse, a fini par en appliquer impi¬ toyablement la formule au lieu de tenir compte de la loi des oppositions qui l’écarterait de la routine.

Aucune naïveté de procédé ne rachetant plus ainsi la pau¬ vreté du dessin, l’œuvre s’abaisse alors au-dessous meme du métier de praticien et perd toute action sur le spectateur.

En effet, si l’absence du pittoresque dans le moyen d’exécu¬ tion produit la monotonie du procédé, le danger grandit encore si on y laisse s’adjoindre la médiocrité de l’inspiration ; la gravure a cela de particulier que la monotonie et la médio¬ crité y sont insupportables parce qu’elle ne retient pas le spectateur par la magie des couleurs même.

C’est ce qui est arrivé pour la belle taille : la virtuosité de Wille et la régularité de son burin avaient amené jadis une froideur glaciale dans la gravure et commencé sa déchéance, alors que précisément, par une cause contraire, la gravure de vignettes, moins habile mais plus libre jetait, par contraste, son plus grand éclat.

Avant tout, le graveur doit se rappeler que la pratique trop habile du burin, la dominance du métier est aussi redoutable pour la taille-douce que la monotonie même; les sillons creusés dans le cuivre ne peuvent être rien autre que les moyens permis à la gravure de dessiner et de colorer. Au delà de ce résultat, les audaces du burin deviennent un vice. Les tailles trop ostentatoires, les travaux trop brillants, substitués par lui au coloris de la nature, blessent les regards, s’ils les frappent trop vivement, et leur ôtent toute signification figurée. Au moment où, comme nous l’avons dit, le procédé se substitue

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à un aspect matériel, à un détail de la nature, cette substitution ne vaut que pour autant qu’elle ne soit pas trop machinale, car sans cela elle met en fuite le sentiment et, au lieu d’une sensa¬ tion pittoresque, elle n’exprime alors que l’idée de l’invariabilité mécanique.

Lorsque, ainsi que c’est le cas chez quelques graveurs célèbres, Goltzius, Carrache, Mellan, Wille, la taille élégante, brillante et hardie s’impose personnellement à l’œil, cette exagération de la manœuvre détourne au profit du métier, c’est-à-dire de la partie la plus matérielle et la moins signifi¬ cative de l’œuvre, la part d’attention due à la beauté des formes, au charme du modelé, à l’intention morale et à l’expression d’un sentiment pittoresque qui constituent la partie essentielle de l’art, ainsi que nous l’avons montré.

Sans doute, il est nécessaire, pour la beauté d’une gravure, que la taille ne soit pas raboteuse et maladroite; sans doute, il faut, pour la lecture facile de l’œuvre, que la facture en soit assez apparente pour qu’on puisse y retrouver les intentions du sentiment, mais il est encore plus nécessaire que l’habileté de la main ne fasse pas oublier l’esprit qui l’a guidée, que les touches, dans leur multiplicité, n’aient pas l’air de résulter d’une même force aveugle et impitoyable, car le graveur, per¬ dant ainsi toutes ses prérogatives pittoresques, se ravalerait aussitôt au niveau du procédé tout matériel de la photographie, sans avoir même l’excuse d’une apparente précision.

Évidemment, il faut beaucoup de goût et de prudence au graveur pour se garder de ces différents écueils; mais en général, on peut considérer qu’il lui suffit de rapprocher le plus possible l’œuvre gravée de la source même du pittoresque, la nature; d’atténuer tout ce qui y est contraire à cette ten¬ dance, par exemple en diminuant l’importance du dessin intermédiaire de la préparation; de dissimuler l’habileté et l’expérience qui président au choix des travaux; de les varier sans leur donner une apparence étrange par trop de complica¬ tions, et ainsi de ne pas les rendre trop sensiblement conven-

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tionnels, ce qui nuirait à la simplicité et à la rapidité d’exé¬ cution, à la vie et à la vérité de l’expression.

On aura remarqué que tous les défauts de la taille-douce résident plus ou moins dans la suppression de l’un ou l’autre effet pittoresque. C’est une chose singulière, en effet, que Thabiieté manuelle, lorsqu’elle domine dans la gravure, la conduit justement à l’imitation d’un art tout opposé à la peinture. Les antiques gravés par Mellan,les sculptures de De Vries gravées par Jean Muller, l’élève de Goltzius, ont juste¬ ment trouvé les interprètes voulus : c’est le mécanisme trop habile de la taille, privée de tout sentiment pittoresque, qui leur a donné cette affinité avec la sculpture. Toutes ont, en effet, de commun une certaine tendance matérielle, une certaine parenté avec la beauté physique qui, si l’on n’y prend garde, en rabaisse le niveau moral.

C’est que si l’on exclut le pittoresque de la gravure, la ligne y domine fatalement dans toute sa sécheresse. En dehors du clair-obscur et de la couleur, les tailles ne peuvent modeler la figure que par leur mouvement; savamment allongées selon les évolutions de la surface qu’elles sont sensées représenter, elles l’embrassent sous diverses inflexions, tantôt raccourcies, rampant autour d’un membre, s’éloignant l’une de l’autre ou se rapprochant comme dans des effets perspectifs, tantôt fai¬ sant saillir les muscles comme dans la statuaire et donnant par des renflements ou des déliés la sensation du relief. Ce système, d’un grand secours pour le modelé, donne à l’objet une solidité très grande, mais le travail étant plus visible devient alors trop conventionnel, c’est-à-dire trop étranger à l’œuvre dont il absorbe l’intérêt.

Si la gravure a donc quelque parenté avec la sculpture, c’est une parenté compromettante; toute concession dans ce sens doit être considérée comme une menace de décadence, un pas vers les abîmes s’agite la photographie.

Wille, Bervic et leurs élèves avaient tellement développé ce côté matériel du procédé, que David, dont l’esthétique, rien

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moins que favorable à la gravure puisque ni le clair-obscur ni le pittoresque n’en faisaient partie, était basée sur la sta¬ tuaire antique, n’avait eu à exercer sur elle aucune influence pour l’adapter à son idéal.

Mais si nous mettons les graveurs en garde contre les for¬ mules quelles qu’elles soient, si nous repoussons même la nécessité du style classique qui a coulé pendant si longtemps toutes les tailles dans un moule devenu trop uniforme par l’usage et qu'on ne peut pas d’ailleurs regarder comme le seul type de gravure au burin, nous repoussons encore plus vive¬ ment, comme profondément opposées aux caractères du burin, d’autres méthodes désastreuses, dont la liberté apparente n’est qu’une licence impuissante, génératrice de décadence.

En effet, tandis que le caractère de la taille-douce est la signification nette et précise du trait, l’intervention de l’eau- forte dans le burin et bien souvent la taille libre elle-même n’amènent, en effet, au lieu du pittoresque cherché, que la maladresse du faire. C’est le résultat d’une erreur grossière qui recherche le pittoresque beaucoup plus dans le désordre du procédé que dans la sincérité du sentiment.

C’est précisément par opposition à cette gravure lâchée, à cette eau-forte rien moins que croquée, à cette taille perdue dans une sauce établie par la main de l’imprimeur et l’artiste n’intervient pas directement, que Ferdinand Gaillard s’adonna à une gravure serrée. Sa gravure, née des mêmes besoins de pittoresque, sut néanmoins conserver, malgré une apparente liberté, une précision presque inconnue depuis la manière des anciens maîtres des Pays-Bas, autrefois supplantée par la taille italienne. Initié par Hopwood à la taille menue de la gravure anglaise, il en imita la finesse du burin, le meilleur, mais le moins pratiqué malheureusement, des moyens opposés autrefois par les romantiques à la taille académique, et le seul qui, sérieusement cultivé, eût permis à la gravure de se renou¬ veler à temps pour répondre aux aspirations modernes.

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Armé d’une technique dont la précision n’avait rien à redouter de la photographie, peintre lui-même, Gaillard, le premier, sut allier ainsi harmonieusement les nécessités de l’art de la gravure aux exigences modernes.

D’une part, libérant sa taille de toute virtuosité en lui don¬ nant moins d’importance dans l’ensemble par sa finesse même, ne cherchant pas à enfermer de force le sentiment dans quel¬ ques traits contorsionnés, il la rendit ainsi bien plus suscep¬ tible de sincérité et de précision que la taille large de ses pré¬ décesseurs, et nous l’opposons sans crainte sur ce terrain aux partisans les plus déterminés de la photographie.

D’un autre côté, cette grande liberté de travail permit à ses œuvres une liberté pittoresque que la taille froide et maniérée, empruntée, comme une formule, aux maîtres classiques, ne permettait plus depuis longtemps. Astreinte moins que toute autre à la préparation lente et pénible des tailles, cette gravure spontanée double encore de prix parce qu’elle se rapproche plus sensiblement du dessin crayonné et se livre beaucoup plus aux impressions de son auteur; tandis que la simplicité de l’ensemble y conserve une grandeur de style étonnante, elle apporte enfin dans la gravure une rapidité d’exécution dont Jules Janin se fût déclaré satisfait.

Réunissant en elle les plus hautes qualités de la gravure au burin : simplicité de travail et rapidité d’exécution, précision du dessin, vivacité et sincérité du sentiment, chaleur pittoresque et spontanéité dans l’exécution, nous croyons qu’elle répond à la fois à tous les desiderata du siècle et qu’elle sera le type de la gravure du siècle prochain.

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SECONDE PARTIE

La gravure en taille-douce et la photographie considérées dans leurs travaux de reproduction respectifs.

CHAPITRE PREMIER.

QUALITÉS REQUISES D’UNE BONNE REPRODUCTION D’OEUVRES D’ART.

En vue de la vulgarisation du sentiment qu’elles expriment, la tradition a placé depuis longtemps la reproduction des œuvres des autres arts et spécialement de la peinture parmi les travaux qui sont du domaine de la taille-douce.

Cette branche de la gravure a pris à côté de la taille-douce originale une place importante et s’est même développée au détriment de son aînée, l’éclipsant à tel point que celle-ci (et nous en avons dit plus haut nos regrets) est maintenant presque complètement étrangère aux graveurs de notre époque.

L’application de la photographie au même objet devait donc la toucher, d’autant plus que c’est précisément sur ce même ter¬ rain de la reproduction et de la vulgarisation des œuvres d'art que la photographie émet le plus hardiment ses revendications.

Pour bien des gens engoués de la renommée d’impartialité, ou plutôt de neutralité, qu’on lui a faite (bien gratuitement, nous le savons d’autre part), la photographie est sans rivale, étant incapable d’ajouter un sentiment plus ou moins con¬ tradictoire à l’œuvre originale; tandis que, d’autre part, les libertés prises par les graveurs vis-à-vis de leurs modèles, libertés que l’art non seulement permet mais exige même jusqu’à certain point, leur rendent suspectes toutes les repro¬ ductions gravées.

Nous touchons donc ici au point le plus irritant du débat.

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Déjà nous avons prouvé que toute reproduction de la nature, pour être complètement assimilable par notre esprit, doit être façonnée en forme d’expression, en un mot qu’elle doit être artistique. Mais pour reproduire cette forme d'expression elle- même ne peut-on utiliser la photographie? Cette reproduction ne peut-elle garder toute la force de l’œuvre sans procéder de nouveau du sentiment?

Et d’abord, objecte-t-on, le graveur, qu’a-t-il même à faire ici de son sentiment propre; comment l’imagination peut-elle intervenir dans un travail qui exigerait, au contraire, de la part de celui qui s’y livre une entière absorption?

Aucun genre de traduction en cette occasion pourrait-il, dès lors, être aussi impartial et par suite aussi parfait qu’un travail automatique? Aucun donnerait-il des résultats aussi rigoureusement exacts, procéderait-il plus strictement des qualités mêmes du modèle que la photographie? La reproduc¬ tion gravée ne risque-t-elle pas, au contraire, d’interposer une atmosphère étrangère entre l’œuvre et son prototype?

L'objection est surtout spécieuse, et il importe avant tout, pour la résoudre, de ne pas perdre de vue le but à atteindre L

Qu’entend-on d’abord par la reproduction d'une œuvre d’art ?

1 Quoique les photographes affectent de croire, pour le besoin de leur cause, que la transcription monochrome, dessin préparatoire de la gravure, soit le seul travail artistique du graveur et que la reproduction subséquente qu’il en fait par le burin n’est qu’un travail accompli par l’outil au même titre que celui de leur objectif, il ne s’agit évidemment pas ici de cette reproduction.

Nous l’avons démontré plus haut, cette préparation, si elle a déjà subi un certain contrôle dans son clair-obscur et dans son dessin, ne se voit complétée que dans la gravure même, à qui elle assigne d’avance, sans tenter de les exécuter d’ailleurs, certains côtés de l’expression propres au burin. C’est au contraire d’une œuvre absolument indépendante et qui doit prendre de l’autorité sur toute la reproduction, loin de la pré¬ parer, que nous nous occupons ici.

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Si l’on veut un procès-verbal précis, donnant sèchement en blanc et en noir une reproduction complète, identique et absolue, disons-le carrément, on veut l’impossible : ni la gra¬ vure ni la photographie ne peuvent satisfaire cette exigence; on ne peut en espérer, tout comme dans la reproduction de la nature, qu’une image, un reflet, un rappel plus ou moins complet, plus ou moins organisé.

Cette image toutefois peut être de plusieurs espèces. Si elle se bornait à reproduire l’aspect matériel d’une œuvre, sans égard à la signification morale qu’elle est chargée de symbo¬ liser, elle ne reproduirait pas l’œuvre d’art tout entière, puisque celle-ci, nous l’avons dit, n’existe que par son but d’expression morale : la traitant comme un bibelot quelconque, elle n’en reproduirait que l’extérieur, montrant la toile et les emp⬠tements au lieu de la vie qui les motive.

Par suite, la reproduction d’une œuvre d’art consiste essen¬ tiellement dans le transfert du sentiment en de nouveaux termes; toutefois l’expression ayant correspondu primitive¬ ment déjà à des termes naturels, il est sage que, comme garantie de leur identité de signification, ces termes se rappro¬ chent autant que possible des termes primitifs.

La gravure d’ailleurs n’a jamais reçu comme tâche essentielle de rendre ou de reproduire de façon identique et matérielle l’objet d’art avec tous les attributs qu’il contient, vestiges du procédé employé, etc. C’est à lame qu’elle s’est toujours adressée, et dans ce but on ne lui a jamais demandé que de donner, par ses moyens spéciaux, l’équivalent de l’impression émise par une autre œuvre d'art.

La reproduction matérielle et identique de celle-ci dans tous ses détails n’a donc jamais été et ne saurait être son but prin¬ cipal.

Si, d’autre part, une reproduction automatique, telle que la photographie, peut au contraire satisfaire ce désir en quelque chose, nous savons déjà que les défauts de ce moyen de repro¬ duction, considérés en eux-mêmes, sont assez nombreux et assez graves pour en éclipser tous les avantages et anéantir ainsi la précision désirée.

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Or, la reproduction d’une œuvre d’art réclame par essence, plus que la reproduction directe de la nature, des change¬ ments dans lesquels un procédé automatique non seulement dédaigne fatalement le côté intelligent et le côté du sentiment qui constituent proprement l’œuvre d’art, mais en dénature même l’harmonie déjà établie et nuit ainsi à la puissance d’ex¬ pression morale au lieu d’en être une seconde émanation.

Traitant superficiellement l’œuvre d’art comme tout autre objet quelconque, la photographie ne donne, par lambeaux, que ce qu’elle saisit au hasard ; elle permet ainsi à chaque spectateur de retrouver quelques miettes très affaiblies de l’impression ou de la sensation ressentie devant l’original, mais l’harmonie de l’œuvre ainsi brisée n’est plus qu'une cacophonie prétentieuse, aussi impossible à comparer à l’unité apportée par l’art de la gravure qu’à celle du prototype.

Son produit est donc à peine un aperçu de l'aspect extérieur et matériel de l’œuvre, et un document dont il faut se défier au lieu d’y trouver un appui solide, un document bien plus sujet à caution encore que la gravure même, quoi qu’on en dise.

11 est bien vrai qu’en pratique, l’usage de la photographie et de la gravure peut quelquefois se confondre, puisque l’une comme l’autre s’efforcent de rendre en blanc et noir, sur une surface plane et plutôt réduite, des œuvres originales de cou¬ leurs diverses, de grandeur peut-être énorme, résultant d’un procédé d’art caractérisé et possédant même parfois, comme la sculpture, les trois dimensions. Mais si même leur reproduc¬ tion pouvait rester littérale, des changements et des additions n’en devraient pas moins intervenir forcément par le fait même du but cherché.

Il est clair, par exemple, que pour s’échanger contre un ensemble de gris, de noir et de blanc, les couleurs du proto¬ type doivent disparaître tout en laissant le plan d’harmonie établi entre elles. De même pour les vestiges de l’exécution originale : la disproportion existant entre les dimensions du prototype et de sa reproduction, d’une part, de l’autre, l’usage

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d’un nouveau procédé qui leur est étranger, en rendent la pré¬ sence inutile et meme nuisible.

Enfin, la clarté et la sobriété du style lui-même pâtiraient singulièrement si l’on voulait s’obstiner, malgré la réduction de l’original, à conserver tous les détails qui s’y trouvent et les condenser dans la reproduction.

De ces diverses raisons, celles qui concernent la facture sont les plus simples, les plus importantes et, pourtant, les plus discutées.

Nous avons expliqué que selon les matières diverses, marbre, couleurs â l’huile, etc., selon les divers instruments, pinceaux, ébauchoirs ou burins qu’il emploie, le travail artistique laisse dans ses œuvres des traces spéciales qui sont comme le sceau de leur procédé. Nous savons aussi que ces traces de métier sont même utiles â l’expression, en facilitent la lecture et que, précisément pour cela, cette intelligence du rendu, cette vir¬ tuosité du faire qui laisse visible le travail, est actuellement l’un des charmes les plus appréciés de l’art.

On concevra, dès lors, que la création artistique, si elle émigre d’un domaine de l’art â l’autre, doive, sous peine de confusion, se dépouiller de la livrée de celui qu’elle quitte pour revêtir celle qui se rapporte â sa nouvelle condition. Un statuaire, travaillant d’après un prototype peint, mais devant viser avant tout â créer une sculpture, ne pourrait évidemment chercher à reproduire les coups de pinceau de son modèle : cela ne servirait à rien, sinon à embrouiller la signification de l’œuvre. De même une peinture ne pourrait reproduire une sculpture qu’en imposant à l’image de celle-ci la facture de son pinceau ; de même encore, celui-ci doit céder aux tailles du burin dans la gravure et ne leur servir de guide que pour autant que le pittoresque de l’une s’accommode du travail des autres.

S’il en était autrement, il s’ensuivrait une telle confusion du métier du prototype avec celui de sa reproduction, que ce travail n’aurait guère de clarté d’expression, car, on l’a dit plus

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haut, les vestiges de l’intervention humaine, du métier, servent surtout de guide au spectateur dans la reproduction artistique pour le mettre en relation, par la communion des sens, avec le côté moral de l’œuvre, comme les traces de pas humains sur le sol désert guident l’homme égaré vers ses semblables. Or, dans le cas qui nous occupe, ce serait, non pas aux traces du métier de la taille-douce que s’attribuerait la valeur expressive, mais à celle de la peinture.

D’un autre coté, la signification de ces vestiges n’ayant de valeur que par le rapport proportionnel établi entre l’œuvre et la main qui l’a exécutée, l’agrandissement ou la réduction en ôtent toute signification.

A supposer qu’on puisse conserver dans une taille-douce quelques traces du pinceau, ainsi que Gaillard l’a tenté dans ses Disciples d'Emmaüs d’après Rembrandt (et l’on peut lui reprocher avec raison d’avoir, par cette sincérité, donné à la facture plus d’importance qu’elle n’en comporte dans le tableau lui-même), ces apparences perdent malgré cela toute significa¬ tion, puisque rien n’indique la proportion de la réduction opérée et, partant, le rapport delà facture avec le canon humain qui en faisaient la seule force et le seul intérêt. Réduite à des proportions minuscules, la touche ne conserve plus la même valeur à nos yeux et encombre la reproduction de détails inexpressifs et même nuisibles. La grandeur de la touche dans les arts ne varie pas exclusivement, nous le savons, en proportion de l’œuvre : elle est fixée par des rapports intimes existant entre elle et la main créatrice; pour en retrouver la signification, il faudrait que nous subissions nous-mêmes une réduction identique.

Pour une autre raison encore, la sincérité d’une reproduc¬ tion ne peut être que relative : l’accumulation en un petit espace d’une série de détails trop nombreux pour notre œil, qui pouvait les supporter éparpillés dans les dimensions plus vastes de l’original, est dangereuse, car, quels qu’ils soient, ces détails affaiblissent toujours la force de style contenue dans

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l’original. On doit donc se borner à en faire un choix judi¬ cieux.

On admettra donc que c’est seulement à un artiste, le gra¬ veur, qu’incombe une tâche si délicate; la photographie agirait même en sens opposé.

Si, au point de vue de la facture et du détail inutile, elle ne vise qu’une précision tout au moins nuisible, la photographie en fait tout autant, mais plus maladroitement encore, au point de vue de la couleur.

11 s’agit de rendre celle-ci par l’unique pouvoir des doses de lumière et de noir, de réfléchir non les couleurs mêmes mais l’ensemble de l’effet, la proportion de lumière établie entre elles par l’artiste pour l’œil humain.

Or, nous l’avons vu dans notre première partie, loin d’être scientifique, l’évaluation des diverses couleurs en forces lumi¬ neuses relatives est particulière aux sens humains. Aussi la photographie détruit-elle l’ensemble harmonique de l’effet élaboré par l’artiste, ses altérations systématiques des couleurs résultant de lois n’ayant rien de commun avec notre œil ni avec notre esprit.

Par contre, la gravure nous est déjà apparue suppléant au coloris, proportionnant en des opérations parallèles à celles du peintre le noir et les gris, créant, par différentes variétés de travaux, des équivalents qui lui sont suggérés par une optique spéciale et le sens particulier qu'il possède de son art, la force de son goût et son intelligence des procédés.

La couleur et le clair-obscur deviennent alors l’un des attraits essentiels de l’œuvre greffée sur le prototype et vont même, selon la force et l’originalité de l’artiste, jusqu’à le faire oublier complètement.

Si la reproduction supprime dans son œuvre certains détails de l’original, elle ne peut, sous peine de s’appauvrir du même coup de certaines qualités de forme ou de facture et de perdre la physionomie même de son prototype, s’abstenir de les rem-

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placer par de nouvelles métaphores; or, comment l’intro- duira-t-elle autrement que par un travail semblable en tout précisément à la gravure?

Déjà un procédé plus parfait que la photographie, mais en dehors des privilèges de l’art, ne suffirait pas à cette tâche. Un dessinateur qui n’appliquerait que son intelligence à ce travail perdrait par ce fait tout le sentiment contenu dans le proto¬ type, malgré la liberté d’allure qu’il posséderait : quel mal n’a-t-on pas déjà dit des graveurs corrects et froids du com¬ mencement du siècle? Et pourtant un tel travail a déjà sur la photographie la supériorité de l’intelligence sur les forces aveugles de la matière.

C’est que l’intelligence ne peut suffire seule, c’est qu’il est nécessaire ici d’avoir recours au sentiment, qui seul est expres¬ sément qualifié pour accomplir toutes les opérations qui se rapportent à fart. Seul l’art peut se servir de véhicule à lui- même. La simplification artistique ne s’oppose pas à cette invention et à cet emploi de ressources propres à la gravure non prévues dans le prototype, pourvu qu’elles concourent à l’ensemble et s’y appliquent.

C’est, donc une des grandes prérogatives du graveur d’intro¬ duire ces éléments nouveaux dans sa traduction, mais elle est justifiée par ce fait que seul il peut les confondre, en effet, dans ceux de l’œuvre primitive et en faire un tout par la vivacité du sentiment en lequel il les conçoit réunis, décom¬ poser les intentions du peintre à cet effet et, en se les assimi¬ lant, les mettre adéquatement en rapport avec les moyens de son art.

L’œuvre de la gravure est donc la seule reproduction pos¬ sible des œuvres d’art, c’est-à-dire une véritable traduction qui ne se borne pas à un mot à mot enfantin et inexpressif, mais s’attache surtout à l’esprit.

S’adressant nécessairement à l’âme d’une façon différente de l’original, cette reproduction, sous la main de l’interprète, devient une œuvre d’art nouvelle greffée sur la première; elle

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a un langage ou un procédé particulier qui remplace l'autre dans toute son étendue, la ressemblance devient plutôt morale que matérielle.

Évidemment, pour arriver à combiner ainsi les sentiments les plus élevés de l'art avec la pratique d’un moyen d’exécu¬ tion nouveau, il faut une étude approfondie du sujet proto¬ type, une observation longuement mûrie et une grande expé¬ rience des moyens techniques. Aussi n’est-il pas donné à tous les graveurs d’y parvenir, et ce sont les entreprises ridicules de burinistes doutant trop peu d’eux-mêmes qui ont fait le plus de tort à cette espèce de gravure.

On le voit, malgré tous ses efforts, il serait impossible à la photographie, vis-à-vis de ses exactitudes mesquines, de ses trahisons inconscientes, de son apparence momifiée, de reven¬ diquer pour sa fidélité niaise le bénéfice d’un tel travail. Il nous suffit d’avoir expliqué les exigences de toute reproduc¬ tion pour montrer qu’elle ne peut être véritablement impar¬ tiale et complète, qu’elle est une utopie aussi bien et même plus en photographie qu’en gravure, et que celle-ci triomphe même sur la première de toute la hauteur de l’art qu’elle représente.

Nous ajouterons seulement qu’il importe, pour bien en marquer la noblesse et la différence de travail d’avec celui de la reproduction photographique, loin de tout contrôle du sentiment (seul expert en semblable matière), que la reproduc¬ tion contrôlée par celui-ci cesse, par le fait même, de se mettre à la remorque de l’œuvre originale à la façon de la photographie.

Notre gravure moderne se doit de tendre de toutes ses forces à écarter cette équivoque pour être respectée; et nos graveurs traducteurs doivent plus que jamais se placer résolument en dehors de tout point de comparaison trop méticuleux et trop matériel avec l’œuvre qu’ils reproduisent, en développant sans défaillance dans leurs burins les caractères propres à leur art.

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Us remplaceront ostensiblement les éléments disparus par des éléments nouveaux pour en renforcer les métaphores dans les points affaiblis par la transposition, et ils auront soin encore de remplacer l'un par l’autre les caractères des procédés employés.

Amenant ainsi l’attention du spectateur sur le sentiment qui a créé ces nouvelles métaphores et sur sa concordance avec le prototype, ils l’avertiront alors qu’ils s’adressent à l’âme, et non à la matière, d’une façon autre que l’original, tout en exprimant le même sentiment. Us créeront de cette façon un champ nouveau à côté de celui de l’original, et le résultat sera à la fois de mettre en harmonie toute l’œuvre avec le nouveau procédé employé, en même temps que de dépayser complètement le spectateur qui se ferait encore illu¬ sion sur le but poursuivi, évitant ainsi des déceptions à son esprit désormais prévenu.

Quelques graveurs voulant protester, devant la photogra¬ phie, de la puissance du burin dans le métier comme dans l’art, sont parvenus, comme Gaillard dans ses Disciples d’Emmaüs , à faire de Yart photographique , dans le bon sens du mot ; mais par cette perfection inutile, ils ont trahi ainsi le noble côté moral de la traduction en risquant de le con¬ fondre avec le résultat de moyens mécaniques.

CHAPITRE II

LÉGITIMITÉ DE LA TAILLE-DOUCE DE TRADUCTION.

Quelle est la valeur d’un pareil travail au point de vue esthé¬ tique ?

Une telle reproduction est-elle compatible avec la liberté de l’art?

Bien des personnes trouveront d’un côté que nous permet-

Tome LXI.

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tons aux graveurs de prendre avec le prototype des libertés trop grandes pour que leur œuvre puisse encore être considé¬ rée comme une reproduction.

Inversement, d’autres, se plaçant au point de vue de la dignité de Fart, trouveront que ces mêmes libertés sont infini¬ ment trop mesquines.

Ces deux opinions sont l’une et l’autre trop intransi¬ geantes.

A ceux qui trouvent que c’est diminuer l’art que d’assujettir ses œuvres à des conditions étrangères à leur auteur, et que de tels travaux sont abusifs, il suffira, pour les convaincre d’erreur, de démontrer qu’un sentiment peut s’exprimer d’un même objet par des métaphores différentes, et que le but de l’art étant, au fond, l’expression d’un sentiment, c’est un tra¬ vail artistique fort régulier que ce passage d’une forme d’ex¬ pression à l’autre si le sentiment exprimé n’en est pas altéré : le chef-d’œuvre créé dans ces conditions par le graveur procède de la nature au même titre que le prototype qui lui a servi de prétexte; il est une autre œuvre d’art, expressive des mêmes sentiments.

Nous avons dit plus haut, dans notre premier chapitre, que dans le modèle multiforme de la nature, l’œil de l’esprit comme celui du corps découvre successivement les faces les plus diverses; et qu’on peut prendre, dans le même motif, divers ensembles logiques de formes sous le contrôle d’un même sentiment, pourvu qu’ils soient conformes à des procédés d’art déterminés. Aussi dès que la manière de consi¬ dérer la nature, c’est-à-dire de lui appliquer un procédé d’imitation, est transposée, les formes empruntées d’abord doivent subir une nouvelle vérification à l’effet de s’échanger, le cas échéant, contre celles qui correspondraient mieux au nouveau métier.

La gravure de reproduction est donc Fart de faire passer les beautés d’une langue, plus riche à la vérité, dans une autre

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qui l’est moins mais qui offre des équivalents qui lui sont propres. Il ne s’y agit, en réalité, que de substituer un détail plus accessible du même ensemble primitif à un détail moins significatif, un détail plus nécessaire à un autre, vrai, mais devenu contingent.

On ne peut par suite accuser l’artiste traducteur de trompe¬ rie et de falsification : il parle tout simplement en une autre langue avec des expressions adéquates.

L’œuvre d’art qui en résulte est même quintessenciée, car se récréant de toutes pièces jusque dans ses plus intimes détails vis-à-vis du modèle primitif et plus complexe de la nature, elle subit un second contrôle artistique. En s’appropriant entière¬ ment le sentiment élaboré dans l’œuvre prototype, un bon graveur la remet même quelquefois, au cours de l’étude qu’il en fait, en contact direct avec la nature, et l’œuvre repasse ainsi une seconde fois par le double creuset de la nature et du sentiment.

En somme, la gravure fait subir à l’œuvre d’art prototype une série d’opérations identiques à celles que celle-ci fait subir à la nature; elle met en relief certaines qualités qui passaient inaperçues dans le tableau, ou ne pouvaient y être dévelop¬ pées; elle supprime certaines autres inaptes à la monochromie et qui portaient ombrage aux premières.

Nouvel Antée, elle se retrempe enfin, comme l’art doit le faire sous peine de s’affaiblir, au contact direct de la nature en remplaçant les qualités disparues, comme Rubens le faisait faire à ses graveurs et comme Henriquel Dupont l’a fait dans son Moïse sauvé des eaux , par des métaphores nouvelles, des documents nouveaux pour la conduite de ses tailles, leur variété ou leur assimilation pittoresque à la substance à laquelle ils s’appliquent. Rubens avait conscience de l’impor¬ tance de ces transpositions. C’était lui, ou Yan Dyck, sous sa surveillance, qui se chargeait de trouver en des grisailles préa¬ lables la traduction de ses colorations intenses. On lui a même attribué, mais à tort, car la variété des personnalités de Bolswert, de Vorsterman ou de Pontius s’y retrouve trop clai-

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rement, l'invention et le choix des travaux nécessaires au pittoresque du métier, la manière de faire briller à propos le travail du burin, de lui donner de la légèreté ou de le tenir sourd à certains endroits. Aussi quand il signait les gravures de ses collaborateurs, était-ce parce qu’il avait conscience de la valeur des transpositions (devenues caractéristiques de son école), qu’elles étaient de ses compositions peintes.

La gravure de traduction n’est donc qu’une application particulière de Yhomo adclitus naturae ; elle ajoute, retranche à son prototype au lieu de rester paralysée à l’instar de la pho¬ tographie dans les parties qu’elle ne parvient pas à copier servilement. Aussi osons-nous dire que c’est même « le graveur ajouté au peintre » qui est le principal attrait de l’œuvre nouvelle, c’est sa personnalité qu'on doit y chercher de préférence, quitte à se féliciter si le tempérament du graveur coïncide avec celui du peintre au point de s’iden¬ tifier.

D’ailleurs, nous ne craignons pas de le proclamer, le but de la gravure d’un tableau, par exemple, n’est pas aussi exclusi¬ vement qu’on le croit de reproduire avec un respect religieux le modèle créé par le peintre, que de mettre la personnalité du graveur en lumière grâce à ce modèle. C’est, en effet, l’œuvre sortie des mains du graveur bien plus que le prototype qu'on recherche. C’est une grande erreur de croire que c’est uniquement pour l’original même qu’on grave un tableau : le but n’est pas une simple ressemblance de formes et de senti¬ ments. Ce qu’il faut demander d’une gravure de reproduction, ce que tout iconophile y recherche, ce n'est pas autre chose que la personnalité de l’émotion du graveur ; l’original ne lui est qu’un soutien, j’allais dire un prétexte.

La gravure doit, en effet, commenter et copier à la fois la peinture originale sous peine d’échapper aux conditions artistiques et d’abdiquer ses privilèges ; tout en empruntant le plus possible à son prototype, elle doit cependant parler le langage propre au burin.

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Admettons pour un instant qu’il soit impossible à tout gra¬ veur, quelque génie qu’il ait, de rendre dans toute sa profon¬ deur l’œuvre d’un autre génie: qu’il ne puisse s’astreindre à copier exactement son prototype (cela s’est vu et se verra encore dans l’histoire de la gravure, témoin Henri Goltzius); s’il y substitue le sien, l’œuvre produite, sans être véritable¬ ment une reproduction, n’en sera-t-elle pas moins une œuvre d’art hors ligne, un chef-d’œuvre peut-être? Et sa personnalité ne s’insinuera-t-elle pas même dans l’original au point d’en faire une œuvre originale nouvelle?

Qui leur défendrait à tous deux, dans ces conditions, de comprendre et de rendre à leur manière un chef-d’œuvre? Pourquoi n’auraient-ils plus le droit d’exprimer ce sentiment alors qu’il est fort et, par-dessus tout, original? Pourquoi le graveur ne pourrait-il aller jusqu’à utiliser les formes de tra¬ ductions les plus libres?

Ce serait, en effet, une erreur grossière de séparer les gra¬ veurs originaux des autres, comme nous le verrons plus loin: l’estampe originale comptera toujours, parmi ses fidèles, les plus célèbres graveurs de reproduction. Ceux-ci imposent leur personnalité à des degrés tellement divers dans leurs œuvres de reproduction, qu’il est arrivé plus d’une fois qu'ils semblaient lui avoir insufflé une vie nouvelle; l’amateur lui- même juge les estampes en dehors de leur prototype par ia simple raison qu’il perd celui-ci de vue, ne l’ayant pas suffi¬ samment à sa portée pour se former une opinion sur la valeur de l’identité : il oublie que toute inquiétude de fidélité dispa¬ raît à son sujet devant le ragoût dont elle est accompagnée.

Relevant la dignité de la gravure et des graveurs, les icono- philes veulent surtout apprécier le graveur dans la gravure. A force de regarder les estampes de reproduction, ils sont arrivés ainsi à les envisager comme des œuvres originales et indépen¬ dantes, et c’est à ce moment il se libère de toute préoccupa¬ tion étrangère qu’un collectionneur les goûte vraiment.

Certes, c’est souvent une illusion qu’il se donne ainsi, on

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peut en tomber d’accord ; mais le graveur est cependant quel¬ quefois assez fort pour faire oublier l’original par la vivacité de son sentiment propre et l’unité avec laquelle il en aura imprégné son œuvre; on en a des exemples nombreux dans la gravure ancienne et moderne.

Tout comme Rubens, changeant dans les modèles qu’il fournissait à ses graveurs la distribution des lumières, on a vu aussi des graveurs, tel Henriquel-Dupont, inventer de toutes pièces des intentions nouvelles pour remplacer d’autres impossibles à reproduire en noir et blanc : son Abdication de Gustave Wasa, d’après Hersent, et le Moïse sauvé des eaux , d’après Delaroche, sont des types de ce que peuvent se per¬ mettre les graveurs à l’occasion. Dans toutes deux, il a pris des partis de couleurs ou de lumières étrangers aux prototypes, au risque d’être désavoué par les peintres qu’il complétait ainsi.

Un peintre doit être heureux de voir traduire ses œuvres par un bon graveur : un buriniste, en améliorant son modèle par des modifications habiles, lui rend quelquefois des services signalés.

C’est ainsi que, selon Charles Blanc, la renommée de Dela¬ roche tient en ce qu’il a eu la chance de rencontrer d’habiles graveurs qui ont propagé sa renommée en lui attribuant, dans ses œuvres, ce qui lui manquait pour atteindre la sensibilité du public. Si le graveur introduit, par exemple, dans l’œuvre une harmonie plus grande laissant tout son effet à l’une ou à l'autre partie malencontreusement éclipsée en peinture par un détail précisément oblitéré en gravure, malgré la gloire que le public en fera au peintre qui en avait déposé le germe, ce sera pourtant au buriniste que cette gloire devra revenir. Bien des tableaux, insuffisants pour composer un tout harmonieux en gravure, réclament ainsi de la part du graveur une science profonde, mise au service d’une saine critique tout autant que d’un goût sûr, aidant à trouver et à développer la plus favo¬ rable parmi les intentions du peintre. Au lieu de regarder le graveur comme un manœuvre ou comme un maladroit inter¬ prète, les peintres devraient s’apercevoir des transformations fécondes qu’ils apportent quelquefois dans l’œuvre traduite.

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En résumé, tout en étant une véritable traduction ou une adaptation, la gravure n’en est donc pas moins une œuvre d’art, et l’amateur l’accueillera toujours avec joie, d’où qu’elle vienne.

11 ne serait pas logique, d’ailleurs, de renier et de laisser périrun art parce qu’il se fonde sur la personnalité delà pensée et sur le sentiment, de critiquer le graveur de ne pas étouffer en lui-même et de ne pas éloigner de son œuvre foute pensée et tout sentiment personnel. Il est impossible à tout être raisonnable de ne pas marquer du sceau de son esprit les œuvres qu’il accomplit. Evidemment, malgré sa volonté, le graveur ne peut pas copier, car il est impossible pour lui de refouler son indi¬ vidualité : toujours la force de la copie sera une émanation beaucoup plus directe du graveur que du peintre. Mais, en outre, quand même cela lui serait possible, cela lui serait défendu parce que la gravure de traduction doit faire passer les beautés d’une langue très riche dans une autre, qui l’est moins en vérité, mais offrant quand même au talent des équi¬ valents aussi expressifs tout en possédant des avantages pré¬ cieux pour la vulgarisation. Loin de ressembler à la musique d’un orgue de barbarie donnant mécaniquement son air, la gravure reproduisant un tableau se trouve exactement dans la position de l’artiste virtuose qui, s’emparant d’une partition étrangère, l’interprète avec l’intention de faire naître chez ses auditeurs l’impression qu’il a ressentie lui-même. Peut-être, chez le virtuose comme chez le graveur, l’exécution n’est-elle pas exactement identique à celle de l’auteur; peut-être le sen¬ timent diffère-t-il dans son allure, mais au moins en approche- t-il de très près et lui donne-t-il ce qui manque à l’exécution mécanique: l’accent, qui est la vie du sentiment. On se trou¬ vera donc malgré tout en présence d’un artiste, quand même il n’aurait pas rendu l’œuvre conformément au sentiment pri¬ mitif et peut-être même parce qu’il aura été entraîné par ce sentiment personnel, qui doit exister avant toute autre condi¬ tion en art.

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Pourquoi, dès lors, faire au graveur un grief de son senti¬ ment, des variantes, d’ailleurs fatales, mais plus motivées que celles de la photographie, qu’il apporte à l’œuvre reproduite? Pourquoi lui dénier la liberté de la ressentir autrement que son voisin, ou lui reprocher de ne pas reproduire l’impression, tout individuelle, après tout, que celui-ci a subie? C’est vouloir niveler toutes les impressions, tendre à un commu¬ nisme artistique, vouloir affirmer la négation de l'individualité dans l’art. Sans insister sur ces conséquences absurdes, nous remarquerons seulement combien elles détonnent dans une époque si friande de nouveautés et de personnalités.

Toutefois, des traductions aussi libres doivent être des exceptions, et un graveur, même habile, ne doit s’y livrer qu’avec discrétion. Si le graveur n’est pas taillé pour un tel rôle et s’il l’accepte sans aucune originalité personnelle, son œuvre sera, dès lors, insignifiante, nulle et prétentieuse, ne pouvant même être assimilée à une œuvre simplement intelli¬ gente, et nous ne nous attarderons pas à la défendre : dans tout art et, toute proportion gardée, même en photographie, on trouve du bon et du mauvais; un tel graveur n’a aucune raison d’être et doit disparaître devant la concurrence photo¬ graphique.

De telles hardiesses dans les mœurs de la gravure déplairont sans aucun doute à ceux qui ne recherchent dans la repro¬ duction que le mot à mot du prototype et qui prétendent que, lorsqu’on consulte une estampe, tout en admirant l’habileté du graveur, c’est principalement l’ouvrage du peintre qu'on veut connaître, préférant même vérifier dans la copie les défauts de l’original. Ceux-là sont plutôt des curieux qui recherchent des renseignements que des amateurs à l’affût d’émotions artis¬ tiques véritables, et l’on pourrait opposer à leurs critiques intéressées le mot de l’ancien « Ne sutor... ».

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Pour ceux-là, la gravure n’est pas avant tout un art, elle doit surtout tenir lieu de documents. Ne trouvant naturellement pas ce document suffisamment exact à leur point de vue, ils recourent bien vite à la photographie, venue à point pour contenter leur exigence et endormir, par son apparente imper¬ turbabilité, leurs scrupules les plus rebelles.

Ce dilemme ne nous paraît pas pourtant aussi inéluctable qu'on veut bien le croire. Pour peu qffion y réfléchisse, en effet, il n’est guère possible de soupçonner la gravure d’impuissance à rendre fidèlement une autre œuvre d’art.

En somme, qui oserait douter de l’habileté et du génie humains vis-à-vis de tous les pastiches, de toutes les imita¬ tions, de toutes les attributions erronées que débrouillent si péniblement les critiques les plus experts? D’après ce que nous venons d’expliquer, n’est-il pas au moins aussi facile de copier un tableau avec toute la souplesse que permettent les richesses pittoresques de la taille-douce que de créer de toutes pièces en peinture des œuvres qui peuvent être confondues avec les siennes par les gens les plus compétents?

Certes, la supériorité de l’esprit sur la matière est telle que le moyen le plus capable d’approcher de l’original sera encore la reproduction artistique. Car, outre sa liberté, l’art a pour lui-même non seulement le sentiment, mais encore l’intelli¬ gence, et peut appliquer celle-ci avec d’autant plus de délica¬ tesse que le sentiment lui permet de s’apercevoir de toute inexactitude dans le résultat.

Pour contenter les curieux, édifiés sur le peu de valeur de la reproduction photographique, il suffirait donc qu’en s’incli¬ nant devant les nécessités imposées par le génie même de la gravure, ils aient la patience de rechercher l’œuvre d’un bon graveur-traducteur. Toute la question est là.

A côté du graveur, qui ne connaît que son seul sentiment, se trouve, en effet, le traducteur idéal dont l’esprit vraiment pondéré exprimera, sous l’aspect d’un autre art, un sentiment déjà énoncé.

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La taille-douce, en permettant ou plutôt en nécessitant l’interprétation personnelle dans sa traduction, ne s’oppose pas a priori à l’exactitude de la reproduction le modèle a le droit d’exercer une autorité, c’est-à-dire dans le sentiment : c’est au contraire la première nécessité de ce travail ; il existe des gravures dans l’école de Rubens, par exemple, qui ne seront plus dépassées tant elles se sont rapprochées du sentiment de l’original. Cette union est même si intime que l’œuvre rayonne de l’éclat de la gravure originale.

Le graveur de traduction sait imiter la peinture dans toutes les choses n’interviennent pas les différences essentielles des deux arts; il peut exprimer la pensée tout entière en la copiant dans ses contours, dans les mouvements qui mani¬ festent les diverses affections de l’âme; bien plus, pour rendre la force particulière des couleurs, dans ses noirs et dans ses gris, il possède même des moyens supérieurs à ceux de la pein¬ ture en grisaille : les combinaisons de tailles lui permettent de conserver ainsi l'harmonie générale selon les intentions exactes du peintre.

C’est au graveur-traducteur à éviter de se substituer inutile¬ ment au peintre qu’il traduit.

En règle générale, tout graveur de reproduction vise d’ailleurs au respect minutieux de son modèle, on ne peut en douter. La seule difficulté pour lui est d’avoir la force d’y arriver. La gravure le permet, mais n’en communique pas nécessairement (comme c’est surtout le cas pour la photo¬ graphie) le moyen, et c’est justement un don particulier rien moins que commun. Les graveurs de cette force sont rares et encore réussissent-ils mieux dans un genre que dans l’autre. Plus fins et plus intelligents à saisir les intentions d’un maître, toujours imbus du sentiment de leur prototype jusqu’à s’iden¬ tifier avec lui, toujours ils sont aussi plus souples à les rendre. Cela revient donc à dire que la taille-douce de traduction doit être considérée comme un vrai sacerdoce dont les prêtres doivent être choisis sévèrement.

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Quelles sont donc les circonstances les plus favorables au développement de ces facultés exceptionnelles du grand gra¬ veur-traducteur?

Evidemment c’est tout d’abord une question de tempéra¬ ment, mais le métier y réclame aussi des soins particuliers.

Le graveur ne peut pas prendre son modèle au hasard; il doit pousser la conscience artistique jusqu’à n’entreprendre de traduire que les œuvres conformes à son talent. On ne peut concevoir, par exemple, un Goltzius, un Jean Muller, un Saen- redam entreprenant de graver les œuvres d’un Teniers dont les multiples accents disparaîtraient sous le style de leurs tailles.

Il faut ensuite que le graveur saisisse dans toute leur portée les intentions du peintre, soit qu’il en soit, comme Vorster- man avec Rubens, un simple collaborateur travaillant d’après un dessin fourni par le maître dans ce but et faisant ainsi du Rubens en gravure, comme d’autres faisaient du Rubens en peinture sous la surveillance du maître; soit qu’il corresponde de sentiment et de tempérament avec lui, s’il s’agit d’un ancien.

D’un côté le graveur, s’il est contemporain de l’auteur de son prototype, s’il vit dans le même courant d’idées que lui, en rend mieux la façon de sentir, fort différente d’un siècle à l’autre. C’est ce qu’avait fort bien compris M. de Chénevière qui, ainsi qu’il le rappelle dans ses mémoires de directeur des Beaux-arts, « convaincu que les graveurs, à chaque époque, » donnaient le meilleur de leur talent à la reproduction des » œuvres contemporaines, soutenu en cela par le goût qui » court dans les ateliers, par l’enseignement, les conseils » directs des maîtres créateurs, par le spectacle même du » procédé de ces maîtres, » faisait reproduire chaque année par les graveurs récompensés au salon des peintures ou sculp¬ tures ayant obtenu la médaille d’honneur à ce même salon.

Mais s’il s’agit, au contraire, de traduire une œuvre ancienne, le graveur doit être choisi et armé tout particulièrement pour

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suppléer dans cette entreprise à la perte de son guide naturel. Dans ce but, il ne doit ménager ni son temps ni ses peines pour arriver à une traduction sincère; plus que tout autre, il doit avoir, dès lors, des notions sur l’esthétique de l’époque dont il s’occupe afin de s’apprêter à saisir toutes les nuances et les délicatesses résultant du milieu l’œuvre a été conçue, les idées qu’elle reflète de son époque. Qu’on choisisse donc pour opérer ce travail, si vainement souhaité, l’esprit le plus apte à saisir et à rendre ces sentiments, l’artiste que l’organi¬ sation et l’éducation auront le plus rapproché de l’auteur qu’il est appelé à suppléer; qu’il recoule sa traduction dans le moule primitif du sentiment, lui seul en a le droit, lui seul est capable de nous satisfaire plus que tout autre.

Nous ne pouvons nous empêcher de recourir de nouveau, ici, à l’exemple de Ferdinand Gaillard, le modèle des graveurs présents et futurs, préparant ses chefs-d’œuvre, comme un historien, par des documents, fouillant les collections de l'Europe pour retrouver les dessins préparatoires soit des Disciples d’Emmaüs, soit de la Cène de Léonard, se mettant au travail après s’être assimilé, dans toutes ces études, les senti¬ ments que Rembrandt ou Léonard avaient puisés eux-mêmes dans la nature, pour la cristalliser dans leurs œuvres. En effet, n’escamotant jamais une difficulté, préparant et étudiant son modèle sans relâche, s’entêtant à son interprétation, épuisant sans fatigue les ressources de son talent, Gaillard ne laissa jamais rien à l’improvisation, sinon son métier même.

Mais, il ne suffit pas que le graveur possède la puissance intellectuelle nécessaire à la fidélité de la traduction, il doit en avoir les moyens matériels. Il doit posséder un métier tout particulier la grande originalité n’est ni essentielle ni même bien à place, mais dont la souplesse est suffisante pour lui permettre de s’attaquer à tous les genres convenant à son tem¬ pérament. La sympathie entre le traducteur et l’auteur original doit exister jusque dans le métier.

Si un dessin précis est plus nécessaire dans la gravure de

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traduction que dans toute autre, un métier simple et sincère n’y est pas moins exigible. C’est l’insuffisance de précision de toutes les gravures de traductions anciennes et modernes, à part celles gravées sous les yeux du peintre, qui a le plus servi la photographie. Le graveur doit donc se rappeler, maintenant, qu’il lutte contre elle dans son œuvre et que la société a le droit d’exiger que le temps dépensé dans ce travail profite à la sincérité de la reproduction. Or, comment ne pas accuser l’art même de la gravure si, après tant de peines et de talent employés, la copie ne possédait pas une fidélité et une ressem¬ blance parfaites de manières et de sentiments avec l’original?

Demandons donc au graveur de s’occuper beaucoup plus du dessin que des coups de burin qui le produisent; trop ostensibles et trop maniérés, ceux-ci masquent l’œuvre sous un travestissement étranger. Aussi les graveurs doivent-ils être assez discrets pour les appliquer sans entêtement et sans y sacrifier le sentiment. C’est dans ce but que Gaillard serrait ses travaux de manière à ne produire qu’un dessin sur cuivre en traits de burin ; cette simplicité de métier lui permettait une plus grande sincérité de dessin en même temps qu’une exécution plus prompte parce que moins complexe.

Ce n’était pas dans ses hachures modestes, jetées d’ailleurs sans compter et au hasard de la masse, mais dans la sincérité et la variété de leur ensemble que s’exprimait la personnalité de Gaillard. Ce travail ainsi compris lui permettait mieux qu’à tout autre d’atteindre les effets les plus différents, le pitto¬ resque de Rembrandt tout aussi bien que la sobriété et le charme de la Tête de cire de Lille, et des Primitifs.

C’est parce qu’il était maître, désormais, d’un métier souple et discret que Gaillard osa accepter du Gouvernement français la commande écrasante de la Cène de Léonard de Vinci : véri¬ table résurrection, à coup sûr, car une somme énorme de restitution était exigée par l’état ruiné de l’original, vis-à-vis duquel la photographie s’est toujours trouvée impuissante.

Devant les œuvres de Gaillard, qui douterait encore de la puissance de la gravure de reproduction? Qui, vis-à-vis des

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reconstitutions nettes et précises opérées sous la loupe du graveur s’avisera encore d’invoquer la confusion de taches informes et étrangères qu’est la photographie dans les mêmes circonstances? Est-ce trop de croire qu’avec le triple secours de la fidélité de l’œil, du sentiment et de l’esprit le graveur traducteur peut s’élever à la hauteur du créateur du proto- type?

Et n’y eût-il qu’un seul graveur de ce genre pour chaque chef-d’œuvre, n’est-il pas juste que la gravure de traduction soit cultivée, protégée, respectée, afin de permettre la naissance de ce Messie, vulgarisateur d’un chef-d’œuvre unique, impos¬ sible à répéter, impossible à reproduire, impossible à inter¬ préter sans lui?

CHAPITRE III

LA REPRODUCTION PHOTOGRAPHIQUE DES OEUVRES d’âRT.

§ 1 . Défauts et avantages généraux.

Nous l’avons dit, aux yeux du vulgaire, qui n’y regarde pas de fort près et pour qui l’art n’est qu’une simple reproduction (nous avons démontré par quelle aberration d’idée), il est natu¬ rel que la photographie paraisse en mesure de remplacer la gravure, jugée désormais surannée. Sous l’apparence de l’identité et de la répétition, cette reproduction doit évidem¬ ment apparaître comme idéale et incapable de rien laisser échapper à sa véracité. Plus d’un historien de l’art s’y trompa d’ailleurs, enthousiasmé par la facilité qui lui était ainsi donnée pour ses recherches historiques :

« Avec une bonne photographie, dit W. Bürger dans le » prospectus des Trésors d’art en Belgique, édités par Fierlants, » on a l’œuvre même de l’artiste, rien de plus, rien de moins,

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I

» la profondeur d’expression, la justesse du mouvement, toute » la délicatesse du travail ; ce qui constitue la couleur dans » l’ensemble n’est pas la diversité des nuances, mais la rela- » tion de chaque ton local avec les autres. On le voit bien » quand on examine les eaux fortes de certains maîtres tels » que Rembrandt, l’on admire tous les effets de la couleur » dans une simple gamme de blanc et de noir. C’est cette » dégradation de la lumière et de l’ombre t que la photogra- » pbie calque prodigieusement. »

Selon de telles affirmations, à résultat égal, et le temps pouvant en plus être épargné, quelle autre copie pourrait désormais prévaloir contre la photographie?

Pourtant, comment cette reproduction, que nous avons montrée ailleurs si inférieure à l’art lorsqu’elle représente directement la vie, serait-elle donc mieux à même de lutter avec lui lorsqu’elle agit indirectement et sert à la vie morale? Ne faut-il pas confondre plutôt dans une même réprobation la nature telle qu’elle nous la montre et les œuvres d’art telle qu’elle nous les transcrit?

Nous avons déjà indiqué dans un chapitre précédent les différents points sur lesquels pèche la reproduction mécanique. A priori, il suffirait même, pour répondre ici, de faire remar-

1 On remarquera que le raisonnement de Bürger est faux, parce qu’il suppose à tort que la dégradation harmonieuse de la lumière et de l’ombre, et ce que l’on appelle la couleur, c’est-à-dire l’harmonie nuancée des colorations, sont des choses identiques. C’est cette même confusion de l’harmonie du clair-obscur et des harmonies de couleurs que commet M. Dillaye (voir p. 24). Or le privilège de la taille-douce est précisément de permettre à deux couleurs de valeur lumineuse égale de se manifester de façon différente dans une même valeur d’ombre, par la variété infinie de l’agencement de ses tailles, du grain, pour employer l’argot du métier.

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quer que l’exactitude mathématique ne peut s’appliquer à une œuvre d’art comme elle s’applique à des objets inertes. Autre chose est de reproduire ceux-ci, autre chose encore de les plier à la reproduction d’un sentiment : un moyen tout maté¬ riel ne peut saisir et apporter au spectateur ce souffle puissant et insaisissable qui constitue la vie de l’art et nous touche dans l’âme. Il n’aboutit donc qu’à une représentation incomplète, ne possédant qu’une unité impuissante et chétive.

Ce ne serait pas assez, en effet, que chaque détail soit rendu avec une fidélité impitoyable : on a beau déterminer mathé¬ matiquement les points d’un dessin et les placer les uns près des autres, on n’y fait point passer la vie d’un trait nerveux. Certes l’ensemble de la composition, les formes du dessin et même quelques indications du caractère et du style restent incrustés dans la photographie : il est naturel que l’œuvre d’art ait assez de puissance pour conserver dans la reproduc¬ tion photographique un reflet de sa splendeur originale, quoique l’identité inerte se soit substituée à l’imitation intelli¬ gente. La photographie n’est plus ici, en effet, la reproduction banale de la nature que nous avons dévoilée plus haut, elle reproduit des formes déjà significatives par avance.

Mais toutefois elle ne saurait absorber l’immatériel, puis¬ qu’elle ne retient qu’incomplètement, très maladroitement et sans choix, une partie de son objet; elle se borne à répéter dans une autre langue chaque mot isolément et non le sens qui les réunit dans l’original, ce qui, en art comme en littéra¬ ture, est l’opposé de tout style et conduit à la confusion, tandis que le travail humain s’approprie dans l’image, par la synthèse, ce côté moral dans lequel réside surtout l’œuvre d’art.

Ce n’est pas l’œuvre d’art dans son aspect brut qu’il s’agit de reproduire, mais surtout l’idée, le sentiment auquel elle sert d’enveloppe. Déjà les attributs les plus matériels de cette expression, tels que la substance, la nature de l’objet repré¬ senté, sont exprimés en des termes trop approximatifs, n'ayant plus aucune signification dans la reproduction en blanc ou noir; incomplète par la force des choses, cette reproduction

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ne peut plus être qu’une contrefaçon sans autorité de l’appa¬ rence inerte et matérielle de l’œuvre.

En effet, la réduction impose à la photographie une évolu¬ tion particulière de la facture, qu’elle est impuissante à accom¬ plir, ce qui entraîne un premier désastre dans la force de son expression.

De plus la technique photographique n’étant pas l’agence¬ ment intelligent de touches indépendantes l’une de l’autre, ne peut rien substituer à la facture artistique, fût-ce celle d’un lavis en teintes plates. Toujours étrangère à l’image qu’elle fournit, ne portant aucune trace pittoresque de la volonté ou des sens humains, elle rend pénible l’aspect de son œuvre et repousse toute sympathie.

Les vestiges de la technique primitive détachés de la matière qui les motive y sont donc dénaturés et désormais inutiles et incompréhensibles. Au lieu d’aider à l’expression, ils l’em¬ brouillent. Le spectateur s’aperçoit trop qu’il a devant lui un semblant de travail et de franchise qui, empruntés, ne con¬ duisent à rien, puisqu’ils n’ont plus leur raison d’être; il n’arrive qu’à deviner l’œuvre à travers certains changements malheureux sans en recevoir aucune impression.

En somme, c’est à peine l’effigie d’une œuvre d’art que la photographie nous met sous les yeux, et jamais l’œuvre même; elle sert les sens, à la rigueur la raison, mais n’apporte rien à l’âme qu’elle n’atteint pas; toujours elle reporte la pensée aux détails contingents et extérieurs du prototype dont elle procède; jamais elle n’en reproduit le fond. Malgré ses ambitieuses promesses, elle nous éloigne donc, plus encore que toute gravure, de l’essence de l’original.

Quoique à peine suffisant quelquefois pour permettre l’étude comparative d’une œuvre d’art inconnue, le procédé photo¬ graphique a pourtant ceci de particulier, qu’il supprime tout interprète, tandis que la gravure en nécessite un et en utilise même, à tort d’ailleurs, quelquefois deux. Tel qu’il ^st, il peut servir à constituer une collection précieuse pour

Tome LXI.

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l’histoire de l’art, par des signalements d’identité irréfutables; il peut même rappeler au souvenir l’impression laissée par le prototype et servir à l’analyse de certains détails, mais rien de plus.

Toutefois, si la photographie est un document à consulter, comme il en existe encore d’autres, plus que tout autre elle doit être soumise, on l’a vu, à une critique sévère, car, repro¬ duisant le côté extérieur, elle n’atteint le fond que par mor¬ ceaux.

Aussi faut-il un autre travail que le sien pour arriver à une reproduction achevée, pour réparer d’une façon artistique les ruines que la transposition amène fatalement, et maintenir fidèlement l'harmonie dans les termes transposés.

Que la photographie vive donc à côté de la gravure comme reproduction mécanique, elle n’a pas besoin de la détrôner pour trouver son application : elle satisfait comme tout progrès à des nécessités qui n’existaient qu’à l’état latent et qu’elle a développées; elle complète, mais ne remplace guère.

Nous n’oserions prétendre, évidemment, que la gravure, quelle qu’elle soit, d’un tableau l’emporte nécessairement sur une épreuve photographique. Bien de mauvaises gravures existent évidemment au point de vue de la fidélité, aussi bien qu’au point de vue esthétique, mais, à côté des bonnes gravures de traduction, il y a des œuvres de premier ordre qui ont ce même défaut, comme nous l’avons vu au chapitre précédent ; ce qui montre que ce n’est pas, comme dans la photographie, leur fidélité qui fait leur principal mérite. Si l’on est plus porté qu’anciennement à réclamer celle-ci de la gravure, si l’on veut qu’à l’expression d’un sentiment dans la traduction s’allie l’exactitude matérielle, c’est que notre époque, éprise de réalisme, l’exige jusque dans la reproduction artistique. Niais cette façon d’envisager la gravure, nous l’avons laissé voir, est toute secondaire pour elle, tandis que la photographie ne peut trouver qu’en cela seul son but et son utilité.

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§ 2. De la reproduction photographique des œuvres

des divers arts.

Quoique le résultat de la reproduction photographique soit une mixtion indigeste de matière et d'idéal dont l’ordre artis¬ tique ne tire aucun profit, nous devons cependant reconnaître qu’en s’y reflétant, certaines branches de l’art y éprouvent une perturbation plus complète, tandis que d’autres supportent plus facilement cet alliage grossier; c’est que plus l’art est matériel dans ses moyens, moins il est conventionnel, moins sa reproduction est d’apparence fictive, plus aussi la photo¬ graphie y est supportable. Comme tels la gravure, le dessin, la peinture surtout sont les plus maltraités; tandis que la sculpture et l’architecture s’en accommodent au contraire beau¬ coup mieux.

Nous ne ferons que rappeler ici que la pauvreté du coloris, réduit à deux seul tons, n’est pas compensée en photographie par une harmonie sœur de celle qui, considérée par le peintre comme l’objet principal de son tableau, est disparue en même temps que les couleurs. Nous ajouterons qu’il est impossible de reproduire simplement par des demi-teintes les mille nuances qui varient un ton local et le font scintiller comme l’objet en nature, nuances d’ailleurs dont l’artiste même ne s’est pas rendu compte, qu’il n’a fait que juxtaposer selon son sentiment, pour réaliser l’impression de la chair, d’une étoffe de laine ou de soie, du bois ou de la pierre, etc., ce qui est le caractère de la peinture. Il faudrait pour cela, dans la teinte même de la photographie, une variation de procédés étran¬ gère, comme nous le savons, à son uniformité d’aspect, et une intelligence qui la confondrait d’ailleurs presque du même coup avec la gravure, dont c’est justement une des préroga¬ tives les plus caractéristiques.

D’un autre côté, la précision photographique vise des choses inutiles à l’œuvre, et c’est dans les œuvres anciennes que ces dif-

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ficultés et ces empêchements se font principalement sentir : les irrégularités des surfaces des panneaux, la réflexion bril¬ lante des vernis, chaque craquelure, chaque reflet, chaque rugosité, chaque empâtement de la peinture, dont l'œil fait facilement abstraction, sont reproduits avec une fidélité sans merci et plus souvent encore exagérés, jusqu’à une confusion et une oblitération complète de l’image. Ce n’est pas le cas de la gravure. Ce dernier procédé, nous le savons, dans la main d’un habile graveur, ne choisit que les détails utiles à son expression; retrouvant l’harmonie de l’ensemble par le respect des valeurs relatives des couleurs et des tons, il reprend en général tous les effets de la peinture avec une extrême approxi¬ mation. 11 présente alors le brillant et l’harmonie de la lumière et de l’ombre combinés avec la couleur des peintures origi¬ nales, tandis que la photographie, malgré tous les perfection¬ nements chimiques qu’on essaye d’apporter à son procédé mécanique, paraît livrer trop souvent au spectateur un vrai rébus à déchiffrer.

L’infériorité de la photographie est la même dans la repro¬ duction du dessin ombré.

Le grain du papier foulé diversement par le crayon selon les impressions nerveuses de l’artiste lui donne un aspect vivant et mouvementé qu’aucun procédé ne peut reproduire; ou bien s’il s’agit, par exemple, d’une sanguine, les tons transparents des frottis légers se confondent avec les traits le crayon est écrasé. S’il s’agit d’un dessin à la plume, le brillant et la vie en disparaîtront complètement, aussi bien dans une photozinco- graphie que dans tout autre procédé photographique. L’artiste sachant le but de son dessin et ayant l’expérience du procédé peut évidemment atténuer le désastre, mais la monotonie mé¬ canique alourdira toujours son œuvre.

A voir la réputation de maintes gravures reproduisant des œuvres de sculpture et l’habitude singulière (mais qui montre bien le défaut du pittoresque dans la gravure qu’enseignent les

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écoles) de donner aux concurrents une statue antique à graver, on pourrait croire que la photographie d'après la statuaire est plus qu’ailleurs encore une intruse. L’erreur serait complète. Nous avons montré, en effet, que c’est précisément au côté le plus dangereux de la taille-douce, au mécanisme trop régulier de la belle taille, que cette affinité se rapporte.

De même que celui de Mellan et de Jean Muller, le beau burin académique du commencement de ce siècle convenait particulièrement, par sa régularité méthodique et la froideur qui en est la conséquence, à cette interprétation.

Si la photographie réussit de même dans ce genre de pro¬ duction, la chose n’est pas aussi étrange qu’elle le paraît : cette assimilation est justement un blâme indirect de la trop grande virtuosité de la gravure à ces époques.

D’ailleurs la sculpture et la photographie ont cela de com¬ mun, qu’elles sont toutes deux opposées au pittoresque. Qu’on ajoute à leur combinaison le raffinement de la stéréoscopie, la reproduction sera presque parfaite, la facture, la lumière, le ton uniforme du marbre, de la glaise ou du plâtre ne sauraient être rendus avec plus de vérité. Or la sculpture, à moins d’être polychrome, ne demande guère plus.

C’est que les monuments de la sculpture et de l’architecture, l’expression se subordonne en général à la pureté de la forme, emploient des métaphores plus matérielles et par cela même ont moins besoin que les tableaux et les dessins d’échanger celle-ci contre de nouvelles par voie d’interpréta¬ tion. La réduction des proportions du modèle et quelques accidents pittoresques affectant leur surface peuvent seuls altérer leur reproduction stéréoscopique.

De tous les arts, l’architecture, dont l’œuvre est exécutée en nature , est aussi celui dont la forme est la moins équivoque dans l’intention et la plus définie dans sa réalisation. La tech¬ nique la maintient, selon la doctrine que nous avons exposée dans notre second chapitre, entre le beau physique et le beau

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moral, et comme telle, plus que toute autre elle est susceptible de reproductions mécaniques, à moins qu’elle ne devienne prétexte à tableau et qu’on ne veuille en faire une reproduction pittoresque. Dans le premier cas, en effet, la reproduction suffit, puisqu’elle s’adresse surtout à un art procédant uniquement de la ligne. A part l’imprécision apportée quelquefois dans celle-ci, la photographie est précieuse pour l’étude de l’archi¬ tecture. Ses reproductions des monuments indiquent assez bien l’ensemble de la composition et détaillent assez l’esprit et le style de tous les ornements en même temps que ses effets d’ombre et de lumière. Si l’architecture admet mieux que tout autre art la photographie, c’est que toute son expression est déterminée par des arêtes bien spécifiées.

Kappelons toutefois que l’architecture polychrome y per¬ drait de son harmonie et que bien des détails peuvent être mal compris, à moins qu’on n’emploie la photographie stéréo¬ scopique, qui, réunie à la photographie en couleur, donnera un jour l’idéal de la photographie : l’illusion prosaïque de la nature.

D’après la facilité et même l’importance des photographies d’après les œuvres d’architecture et de sculpture, la gravure, monochrome comme celle-ci et plus irrévocablement encore définie dans ses formes, devrait, semble-t-il, lui être impu¬ nément soumise, aussi bien que les monuments ou les statues. Que le but principal de la production soit les traits noirs et l’effet déterminé par le graveur, rien de plus vrai ; mais il y a dans les œuvres de la gravure comme dans celles de la peinture ou du dessin, une expression inhérente à la touche même, une exécution vivante et personnelle qui ne saurait s’isoler de son moyen propre sans en dénaturer le style. La photographie ne réussira pas à en rendre l’esprit, à s’assimiler la précision savante ou la grâce facile qui leur appartient et qui réside ici dans le trait. Les copies de Wierix d’après Dürer, par exemple, tout inférieures qu’elles soient aux chefs-d’œuvre qui leur ont servi de modèles, gardent au moins

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quelque chose du faire net et résolu des estampes originales. La photographie, au contraire, malgré toute la netteté qu’on puisse lui donner, la fera paraître indécise.

Tout en lui gardant la même forme et les deux mêmes tons, la photogravure résultant d’une morsure à l’eau-forte ou au perchlorure de fer à travers une couche mince de gélatine bichromatée devenue plus ou moins spongieuse selon l’action de la lumière, y ajoute même encore un léger relief qui le rapproche davantage de la gravure. Or cela ne suffit pourtant pas.

Chaque trait de cette reproduction n’est que l’apparence de la taille; le côté brillant de celle-ci et la légèreté du trait ne s’y retrouvent pas : une morsure superficielle et uniforme, impos¬ sible à comparer à celle de l’eau-forte qui proportionne elle- même sa profondeur à l’attaque plus ou moins vive de la pointe, remplace la coupure nette et profonde du burin. Les bords tranchants de la taille sont remplacés par des bords corrodés de façon plus ou moins indécise, selon des caprices chimiques ; la brillante opposition du blanc et du noir devient une confu¬ sion de tons plus ou moins boueux. Le relief de la taille ne s’y manifeste pas, de sorte que dans les grands noirs l’acide mis en présence du métal mord les traits entrecroisés sans accentuer la dominance des uns sur les autres : tous les traits y ont la mollesse d’un trait de plume sur un papier buvard. Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas que Dutuit, dans ses reproductions en photogravure de l’œuvre de Rembrandt, ayant à donner la fameuse pièce des cent florins, dont le superbe clair-obscur opposé au brillant croquis de l'avant-plan fait tout le charme, ait chargé Flameng d’accomplir le tour de force de la regraver trait pour trait à l’eau-forte au lieu de se résigner (et pourtant son but était uniquement le document] à le confier au photograveur.

La mollesse est d’ailleurs le plus grand défaut de la photo¬ gravure. N’ayant pas de profondeur, la taille est rapidement vidée à l’essuyage de la plaque précédant l’impression et les

épreuves ainsi obtenues paraissent toujours tirées d’un cuivre

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usé; si l’on en connaît de passables, c’est à l’habileté du graveur- retoucheur qu’on les doit. La pointe, l’eau-forte, le burin même, pour le trait; tout comme la roulette, le grain de résine pour les teintes plates : voilà donc à quoi vient aboutir la photographie elle-même quand elle veut être séduisante. C’est à ce travail que vont échouer les graveurs médiocres encom¬ brant autrefois l’art de leurs productions; ils ne sont plus que des hommes de métier adroits.

Il nous est agréable de constater que le secours du graveur, tant décrié, est nécessaire pour que les perfectionnements mêmes de la gravure vaillent quelque chose, non pas en tant qu’art, mais seulement en tant que reproduction. Ces divers procédés ne donnent souvent, en effet, qu’un décalque, une mise en place, supprimant une grande partie du travail manuel, telle encore la photozincographie en simili, et que le retou¬ cheur transforme plus ou moins rapidement. Le mérite d’une héliogravure est d’autant plus grand qu’elle disparaît plus sous le travail artistique de la retouche. On peut donc entrevoir le moment où, sous le travail de la main, l’indication photogra¬ phique disparaîtra complètement, et nous serons alors bien près de voir revenir à la gravure saine le public tout entier.

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TROISIÈME PARTIE

Du rôle de la gravure en taille-douce dans l’avenir.

Par les chapitres précédents, nous avons appris à connaître l’inanité des prétentions de la photographie; nous savons maintenant qu’elle aurait se contenter de servir quelques facultés humaines dans un sens nouveau au lieu de chercher à remplacer par ses procédés étrangers les plus nobles opérations de l’esprit ; nous savons combien on a eu tort d’envisager dans cette conquête un successeur de la gravure, au lieu d’y voir seulement un aide déchargeant l’art du fardeau utilitaire qui l’accablait.

Mais nous savons aussi que si la photographie a troublé le burin d’une façon si anormale, celui-ci n’est pas sans respon¬ sabilité dans cette situation.

Nous en avons fait la remarque : la gravure n’a pas suivi, depuis le siècle dernier, son évolution naturelle; au lieu de se renouveler à temps, elle s’est figée dans de majestueuses for¬ mules, si étrangères à notre époque qu’elle ne parvient presque plus à les appliquer; elle a perdu ainsi l’arme qu’elle devait opposer à la photographie : la sincérité.

Aussi, sa clientèle subitement transportée par la photogra¬ phie dans une précision d’apparence rigoureuse et une pres¬ tesse de travail conforme à ses vœux, les exige désormais partout et, préférant des procédés qui s’y prêtent si volontiers, néglige naturellement les produits alourdis de la taille-douce.

La photographie n’est donc, évidemment, que l’occasion d’une ruine dès longtemps imminente. Les graveurs auraient comprendre que les succès rapides de la concurrence pho-

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tographique venaient principalement du besoin, latent dans le public et rien moins qu’assouvi, d’une gravure sans escamo¬ tage, plus précise, plus sincère, plus serrée et surtout d’une exécution plus prompte que celle de leur époque.

Dès avant la photographie d’ailleurs, et nous avons emprunté les paroles de Jules Janin pour le prouver, le romantisme avait reconnu la nécessité de réagir contre la lenteur et la monotonie du burin contemporain, trop peu vivant, trop large et par conséquent trop imprécis et trop peu pittoresque dans son travail; mais au lieu de le réformer, il avait voulu le remplacer par des procédés de gravure moins sérieux et plus expéditifs.

Maintenant encore ce sont les règles trop minutieuses et le lourd métier du burin, si contraires à l’alerte liberté de croquis et à l’effet simple de l’eau-forte, qui font des graveurs-aquafor¬ tistes des détracteurs aussi acharnés que les photographes. L’eau-forte de reproduction elle-même, dont la technique som¬ maire et les résultats informes ne sont admis que pour leur rapidité, s’est toujours permis un méprisant dédain pour les reproductions burinées, pour leur métier sans pittoresque et pour le temps qu’elles coûtent.

Ces censures unanimes n’ont toutefois pas indiqué le remède à cet état de choses. Seul le sens pratique des Anglais paraît s’en être approché par une distinction aussi clairvoyante que curieuse.

Dans le langage courant, ceux-ci n’embrassent pas seulement sous le vocable d 'etcliing, l’eau-forte de peintre, mais encore, par une véritable hyperbole, à cause d’une semblable sponta¬ néité de sentiment, ils l’appliquent quelquefois à toute œuvre de gravure originale même burinée, voire à celles de ces grands traducteurs exceptionnels qui, par leur puissance d’assimi¬ lation ou l’exubérance de leur personnalité, rivalisent d’origi¬ nalité avec leur prototype; tandis qu’ils relèguent d’un autre côté sous la dénomination d ’engraving, non les productions exclusives du burin, mais toutes les autres traductions labo¬ rieuses, produits courants de la pointe, de la roulette, tout autant que d’un burin banal.

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Cette attribution d’office de la gravure de reproduction à la taille-douce qui en devient ainsi le symbole, cette confusion, sous l’enseigne de l’eau-forte, des gravures originales ou semblant l’être, c’est-à-dire vivantes ou pittoresques, expriment mieux que le mépris de nos artistes la cause du discrédit est tombée la taille-douce.

On y voit clairement que si le burin est mis au ban du grand art, si la photographie l’a si facilement vaincu, c’est parce qu’il est trop exclusivement adonné maintenant à la gravure de traduction, parce qu’il a abandonné la tradition du burin original, parce qu’au lieu de suivre dans ses évolutions mo¬ dernes l’imagination créatrice, il s’est soustrait aux influences pittoresques et vivifiantes de la nature et du sentiment qui auraient rajeuni les formules antiques dans lesquelles il s’est endormi, parce qu’il a fini ainsi par n’avoir plus en mains qu’un métier morne et lent, d’apparences moins précises que la photographie, et tout aussi dénué d’attraits.

C’est donc précisément parce que les graveurs de repro¬ duction, manquant maintenant constamment d’inspiration et de conviction, et trop fidèles aux traditions, ont perdu toute technique vraiment vivante et naïve, que le grand art du burin qui s’y est incarné a fini par paraître mauvais.

Aussi n’est-ce pas trop s’aventurer, nous semble-t-il, de dire que la taille-douce doit d’abord puiser ses forces dans la pra¬ tique de la gravure originale, la gravure de reproduction redevenant ce qu’elle n’aurait jamais cesser d’être : un art d'exception, greffe sur le premier et se nourrissant de sa sève, un art soumis à des conditions sévères, permis seulement à des talents spéciaux, dont les chefs-d’œuvre équivalent à des œuvres originales pour la force personnelle ou de l’assimi¬ lation extraordinaire qu’ils y apportent.

Pour nous, le rôle futur du burin est donc de redevenir avant tout un art original et pittoresque, capable d’etîorts per¬ sonnels. Cette évolution est tout à fait logique; elle est néces¬ saire et même fatale. Il est clair, en effet, que si la gravure est

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menacée par la photographie, la gravure originale l’est bien moins que le burin de traduction.

Mais, qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas en haine du burin de traduction que nous préconisons cette évolution. C’est, au contraire, à cause des conséquences profondes que cette renaissance de la taille-douce originale comportera pour le métier de tous deux : le burin original est le sel qui, mêlé à la taille-douce de reproduction, la préserve de toute corrup¬ tion, mais i! n’est pas à lui seul l’art du burin.

A son tour, le burin de traduction ainsi favorisé dans son originalité peut produire des gravures plus originales et moins exposées à la concurrence photographique. Des travaux de reproduction au burin comme ceux de Vorsterman, de Bolsvvert, de Drevet, d’Edelinck, de Nanteuil, revendiqués par Seymour Haden pour Yetching parce qu’ils sont de métier ori¬ ginal et supérieur, n’auront jamais rien à redouter de la concur¬ rence photographique. C’est de cette façon que nous disons que l’originalité est la seule planche de salut du burin, et c’est bien surtout la portée de la distinction établie en Angleterre.

Il est donc dangereux d’attacher une trop grande impor¬ tance, comme le font les esthètes modernes, à la division des graveurs en des classes distinctes, et de mépriser de parti pris les œuvres de traduction.

Cette division est loin d’être absolue dans la pratique; nous l’avons déjà dit, les bons graveurs de traduction ont fait d’excellentes gravures originales, et de grands graveurs créa¬ teurs ont donné des reproductions excellentes de prototypes qui leur étaient étrangers : leur talent ne s’annule pas évidem¬ ment dans le passage d’un ouvrage à l’autre.

L’originalité est surtout dans le talent; traducteur ou non, l’artiste qui a du sentiment et l’exprime sincèrement est tou¬ jours original. L’originalité du fond entraîne évidemment plus facilement l’originalité de la forme et amorce efficacement chez le graveur celle des œuvres de traduction; c’est cette confusion inévitable qui permettra, selon nous, de ranimer le burin trop exclusivement consacré à la reproduction. Toutes

les gravures sont en somme des œuvres originales, il n’y a entre elles que la différence de quantité.

Dans toute gravure de traduction, .il y a une certaine origi¬ nalité du fond, un sentiment personnel du graveur qui, pour suppléer comme nous le savons aux changements amenés par la transposition, va chercher sa source au delà du prototype : dans la nature. Telle estampe dite originale peut donc l’être bien moins que telle autre qui se réclame pourtant d’un proto¬ type.

Au surplus, n’y a-t-il pas déjà un talent rare dans le travail des grands graveurs de traduction pliant, à force de qualités personnelles, un génie à des conditions d’art étrangères? Cette entreprise exige un talent supérieur à celui de bien des gra¬ veurs originaux.

Non seulement ils s’élèvent, pour le comprendre, à la hauteur du génie de leur modèle, mais ils doivent le dominer pour le juger, et en y ajoutant une véritable création ils font preuve d’originalité et d’indépendance.

L’essentiel n’est donc pas de savoir si la nature ou un modèle est à la base de l’œuvre, mais d’exiger que celle-ci ne soit ni atténuée ni contrariée dans sa naïveté par des conditions étrangères au sentiment de l’original, ce qui arrive plus facile¬ ment dans les œuvres de reproduction que dans les œuvres la vigueur de l’artiste s’est déjà employée à créer la compo¬ sition.

Comment donc expliquer que, au lieu de reprendre dans l’efflorescence actuelle des estampes originales la place qui lui revient, la taille-douce originale n’existe plus guère que par exception, même en Angleterre; qu’elle soit à recréer pour ainsi dire entièrement?

Quel est donc l’obstacle mystérieux qui s’oppose à l’épa¬ nouissement du burin original? D’où vient ce dédain des artistes pour un art qui autrefois produisit tant de chefs- d’œuvre?

Ce grand secret, c’est que la gravure n’apporte dans l’art

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moderne, habitué à un travail plus rapide sinon plus impro¬ visé qu’autrefois, qu’un métier trop ingrat et trop pénible pour nos peintres-graveurs originaux.

Pour favoriser la restauration de la taille-douce originale, revivifier par elle la taille-douce de traduction, et ainsi combattre les reproductions photographiques, il s’agit donc avant tout de ramener le burin à un métier plus moderne, c’est-à-dire plus rapide et partant plus simple.

Ces qualités, la gravure les possédait dans les œuvres de ses premiers créateurs; ce sont elles qui, au premier siècle de son existence, ont fait sa première et sa plus pure gloire. Les nécessités du temps l’y ramènent aujourd’hui, sans qu’on puisse s’en formaliser : nous savons, en effet, par notre pre¬ mière partie, que l’existence de la gravure au burin n’est pas attachée exclusivement à la formule académique de belles tailles patiemment élaborées.

Si l’évolution que nous préconisons n’est pas contraire à la nature du burin, elle ne peut non plus nuire à aucune des qualités acquises postérieurement par lui et que nous avons reconnues au cours de cette étude, car ce qui fait la préexcel¬ lence de la taille-douce sur toutes les autres manières de graver, c’est précisément que, seule, elle est capable de s’adapter au goût de toutes les époques et de tous les styles. Aucun autre procédé n’a pu dominer les variations de la mode qui l’avait mis en honneur et résister à l’excès qu’elle en avait fait, malgré toutes les œuvres remarquables qu’il avait fournies sous la main d’artistes exceptionnels : la manière noire chez les Anglais, la gravure en manière de crayon avec Demarteau, la gravure en couleur avec Debucourt, le pointillé, l’aquatinte, ont tour à tour pensé détrôner le burin qui, malgré le peu de pittoresque que lui permet son métier actuel, a pu seul résister jusqu’ici à la photographie. Mantegna Campagnola, Albert Durer, Goltzius, Cal lot, Wille ont gravé d’autant de manières différentes; les graveurs de l’école de Rubens, quoique buvant à une même source et travaillant sous l’inspiration du maître,

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ont pu garder chacun une diversité absolue de métier, qui en fait autant de Rubens burinistes.

Devant une telle souplesse, si les tailles longues, larges et laborieuses que nos graveurs ne savent même plus saisir à l’école n’ont plus de raison d'être et ne sont plus d’accord avec l’esprit artistique moderne, il est aussi facile qu’urgent de reléguer ces errements surannés et de provoquer l’apparition d’un métier plus moderne.

L’exemple d’ailleurs est donné, il suffit de le suivre.

Alors que tous les efforts faits dans les écoles pour continuer la tradition du burin n’aboutissent qu’à de piteuses œuvres, un artiste au moins, se dépouillant de cet enseignement, n’a-t-il pas pratiqué à notre époque un métier tout à fait différent, avec les plus brillants résultats?

Nous avons déjà parlé du parti que Ferdinand Gaillard a tiré de sa taille menue et serrée. Revenons-y donc pour insis¬ ter sur la nécessité qu’il y a pour le buriniste moderne à suivre la voie ainsi tracée.

Sous la main de cet habile peintre-graveur, la taille-douce s’est d’abord transformée à tel point, qu’elle a même battu la photographie par son extrême minutie.

Elle permet non seulement la plus grande précision de dessin unie à une grande richesse d’effets, mais elle possède encore par-dessus tout le don si précieux et si moderne d’une exécution rapide, apportant du même coup une plus grande fraîcheur d’inspiration en même temps qu’un travail aussi pittoresque et aussi libre que la peinture elle -même. Des témoins oculaires parlent de travaux considérables accomplis par Gaillard en quelques jours; YHomme à l'œillet aurait été gravé en une semaine et la tête seule en un jour.

Et qu’on ne prenne pas cette prestesse de métier chez Gaillard pour de l’improvisation; car si Gaillard ne s’attardait pas aux coups de burin, c’est qu’il reportait toute son atten¬ tion sur le sentiment, et qu’il mettait ses soins et un temps

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plus considérable à le préparer que ce n’est l’habitude chez messieurs nos graveurs. Ce n’est pas à la science, mais surtout à son sentiment que s’adressaient les longues, les nombreuses et diverses études préparatoires qu’il faisait. Ne voulant rien laisser au hasard, il perfectionnait, non le moyen dont il se servait, mais le sentiment qui allait s’en servir : il pouvait laisser ainsi à l’improvisation bien préparée la vie et la liberté du métier.

Si nous préconisons ici une gravure dont l’exécution, en exigeant moins de temps et d’efforts soutenus, est par le fait même immédiatement rémunérée, il ne faut pourtant pas qu’on se figure que la simplification du travail de la taille permet d’alléger celui de la préparation. Nous ne demandons au contraire cette simplification que dans le but d’accorder à l’étude préalable de l’œuvre toute l’importance qu’elle doit avoir et de lui conserver entière toute l’influence qu elle pos¬ sède sur l’élaboration artistique : comme le peintre prépare ses œuvres les plus fortes par des esquisses et des croquis, ainsi doit procéder le graveur en taille-douce; il contrôle par le choix de son sujet et précise son sentiment.

Cette belle insouciance du métier que Gaillard mettait dans ses œuvres de traduction les plus sévères, alors que d’autres au contraire lui donnent une importance exagérée, il la puisait surtout dans une force saine et sûre d’elle-même, résultat de la pratique de la gravure originale. Doué d’une observation puissante, étudiant la nature avec un œil d’une acuité étonnante, il s’était vu obligé d’asservir le plus possible son burin comme son pinceau à cette sincérité extraordinaire. Et par suite de cette adaptation rigoureuse du procédé au modèle, de l’exactitude dans l’expression de ses sentiments personnels, son métier se trouva tout naturellement préparé aux transpositions exactes, habiles, émues mais sans phrases qui nous ont donné Y Homme à V œillet , la Vierge de la famille d'Orléans, la Tête de cire de Lille, les Disciples d’Emmaüs, etc., comme les portraits profondément originaux de Dom Gaéran - ger, de Pie IX, de Sœur Rosalie , etc.

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Certes, notre intention n’est pas d’exiger que tous les graveurs imitent Gaillard dans ce qu’il a ici de personnel par la délica¬ tesse de sa vue ; nous dirons même qu’il n’est pas toujours bon de cacher la technique autant que Gaillard l’a quelquefois fait, car cela le fit tomber plus d’une fois inutilement dans des aspects de photogravure devant lesquels le spectateur se trouve désorienté. Mais nous voudrions que, comme Gaillard, ils ne s’intéressent pas uniquement à leur métier; que la taille sous leur burin ne soit qu’un procédé et non un but; qu’à l’exemple des graveurs d’autrefois ils l’utilisent mais ne s’inquiètent pas delà faire voir; enfin qu’ils imitent sa grande liberté de burin, sa sincérité absolue, son métier des plus pittoresques et des plus vivants et l’effet éblouissant qu’il savait produire en épargnant le blanc du papier comme, par exemple, dans son OEdipe, d’après Ingres. Tout cela découle d’ailleurs l’un de l’autre. Délivré de tout préjugé à l’endroit des belles tailles, Gaillard poussait les siennes sans ostentation, ne leur donnait aucun rôle individuel et ne leur attribuait que juste l’importance que nécessite leur ensemble. Par suite, il ne fut jamais induit à leur sacrifier rien de ce qui appartient soit à la sincérité, soit à l’effet: comme la rime, la taille n’est pour lui qu’une esclave et ne doit qu’obéir; pour peu qu’on étudie son métier, on s’aperçoit qu’il ne pratique qu’un dessin au burin, que pour lui elle n’existe pas individuellement. C’est la vraie façon d’envisager la gravure.

Ce n’est pas pourtant que la taille de Gaillard soit informe et sans signification : elle prend quelquefois dans sa petitesse des pleins et des déliés qui varient la gravure, mais l’aspect en reste modeste : on la sent, mais elle ne s’impose pas à l’œil.

En somme, ce que nous apprécions surtout dans Gaillard, c’est un retour aux traditions des premiers temps de la gravure, à celle d’avant les codes établis par Marc-Antoine, qu’on a trop pris l’habitude de proposer aux graveurs comme une idole... et comme une borne.

Tome LXI.

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Le génie italien, l’inventeur de la belle-taille et l’initiateur de la gravure de traduction que le raffinement moderne rejette, n’a plus rien de commun avec nos graveurs; sous prétexte de style, il a toujours été, dans la gravure, l’ennemi du pittoresque; il s’agit de nous en délivrer pour en revenir aux principes des artistes des pays septentrionaux que son influence a paralysés jusque chez eux, et qui pourtant répondent excellemment aux aspirations actuelles.

A eux maintenant de reprendre les traditions abandonnées après les Suavius et les Wierix, et alors, à eux aussi ce pitto¬ resque si puissant que le romantisme a poursuivi avec tant d’avidité, mais que dans son incohérence il n’atteignit pas, parce qu’il se trompait de moyen; à eux ce métier sincère et libre, dans une forme pourtant serrée de près, qui nous débar¬ rassera de l’aspect uniforme de la photographie et vaincra en même temps son apparente fidélité.

Tout cela nous le rencontrerons si nous nous inspirons de la nature, comme les maîlres septentrionaux du XVe et du XVIe siècle. Cessons donc de ne la regarder qu’à travers les œuvres classiques; de faire de celles-ci des pastiches, en imi¬ tant leur procédé par l’application de formules périmées.

Pourquoi s’obstiner dans une gravure emphatique qui n’est plus dans l’esprit de notre siècle, pourquoi chercher le style dans la régularité du métier et tuer ainsi le pittoresque, puisque une simple évolution, tout en sacrifiant à de légitimes aspira¬ tions, incomplètement satisfaites dans la photographie, peut y apporter en même temps une facilité et une rapidité de métier considérablement plus grandes ?

Cessons de faire faire exclusivement aux jeunes graveurs des copies de Raimondi, de Goltzius ou de quelque autre burinisle au métier extraordinaire. Subordonnons au contraire plus directement le métier au sentiment au lieu de le soumettre à de longs exercices d’habileté. Le long apprentissage du burin ainsi allégé, on donnera alors à l’étude du dessin et ensuite au sentiment ou à l’interprétation, comme Gaillard, la part d’im¬ portance qui leur revient : plus grande que celle que leur

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accordait auparavant l’artiste trop soucieux de la beauté de ses tailles.

Prouvons que, à l’opposé de la photographie, le souffle créateur guide le burin, en mettant une âme, la vie, la passion sous les traits qu’il trace.

Et s’il faut absolument que l’enseignement, au lieu d’être seulement un discernement des qualités de l’élève et une impulsion dans la voie qui lui convient spécialement, tâche difficile et délicate, se réclame malheureusement de quelques exemples, choisissons alors les graveurs les plus libres parmi ceux qui ont créé l’art du burin, les Schongauer, les Lucas de Leyde.

Mais comment favoriser l’éclosion de cette gravure nouvelle?

C’est surtout en gravure que le dessin est la probité de l’art. De même qu’il faut apprendre la grammaire, avant d’écrire, de même on ne doit pas apprendre à graver, mais tout d’abord à dessiner, quitte à se servir ensuite du burin comme outil, si l’on en a la force.

La sobre précision du dessin est plus que jamais requise, maintenant, devant l’apparente fidélité de la photographie. Que le graveur soit donc en premier lieu un excellent dessina¬ teur rompu à l’étude de la forme et n’essayant pas d’esquiver les difficultés derrière la rigidité des tailles, comme on le voit trop dans les gravures modernes; et surtout que dans les écoles de gravure et les concours officiels on soit tout spécialement sévère pour cette partie essentielle de l’enseignement.

Bien moins important est l’enseignement du burin lui-même. Un dessinateur au sentiment juste, à l’œil exercé, sachant apprécier le but à atteindre peut toujours se créer un métier personnel, mais jamais le métier ne pourra, par des formules préalablement apprises, comme cela se fait de nos jours, sup¬ pléer au dessin dans la gravure d’art.

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Si la gravure dépouillée du prestige de la couleur a surtout les apparences du dessin, nous savons que c’est la plus impor¬ tante prérogative du burin de suppléer aux qualités de la pein¬ ture par des ressources particulières, tandis que l’une des plus grandes misères de la photographie est son dénuement de tout aspect pittoresque. Aussi est-il essentiel, pour tirer tout le parti possible de la taille-douce, que le graveur soit un véritable peintre au burin.

Il faut donc aussi que dans l’enseignement du burin on aban¬ donne au profit de la fraîcheur et de la spontanéité du métier, seules sources du pittoresque, tous ces procédés de parade dépouillés déjà, au contact moderne, de l’esprit de leur tradi¬ tion. Ces lents exercices calligraphiques, ces belles tailles, longues, renflées et contournées comme des paraphes, aussi inconnues aux graveurs primitifs que les complications dont le pédantisme des siècles les a encore alourdis, doivent être remplacés par une technique variée, plus précise, moins visible et moins prétentieuse, analogue à celles de Schongauer, de Dürer ou de Lucas, de Leyde, auxquelles ressemble celle de Gaillard.

Cette technique plus rapide, plus adéquate à l’art primesau- tier de notre époque, permettra désormais à tout artiste, porté par son tempérament même à la rapidité d’expression, de pratiquer dans la vie vertigineuse de notre civilisation la taille- douce originale sans avoir perdu son temps à l’apprentissage détaillé qu’exigeait la manœuvre savante du burin tradi¬ tionnel.

La naïveté ne sera plus sacrifiée aux combinaisons labo¬ rieuses, l’exécution maniérée n’étouffera plus la vie et le pitto¬ resque, le métier trop large ne fera plus tort à la précision du modelé, et enfin l’achèvement d’une gravure n’exigera plus un temps que notre époque ne peut plus lui donner.

En dehors de l’étude du dessin, l’apprentissage du burin sera alors très simple. On ne figera plus le talent des jeunes graveurs dans des tailles trop classiques. On le laissera prudemment se modifier en dégageant sa personnalité. Le

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modelé sera toute la science du buriniste, et c’est là, en effet, que les conseils et l’expérience du maître sont surtout néces¬ saires. L’une des préoccupations principales du jeune graveur, outre celle de trouver un travail harmonieux, sera de laisser hardiment, comme les anciens et comme Gaillard, une grande part de l’effet au blanc du papier et de se dispenser, par une distribution habile, de couvrir de travaux les grands clairs de l’œuvre. Cette sobriété ne peut être que le résultat d’études consciencieuses et de conseils expérimentés.

La supériorité de la taille-douce permettant alors l’éclosion d’une œuvre sérieuse et étudiée, les artistes que tentent les œuvres finies et délicates s’y essayeront désormais de préfé¬ rence à l’eau-forte, dont le travail négatif de blanc sur fond noir empêche toute évaluation approfondie de l’effet et exige un modelé toujours approximatif et improvisé.

Dès ce moment la gravure pourra se délivrer d’une des sujétions qui lui sont le plus funeste, les retroussis, pratiqués par les imprimeurs pour cacher les travaux durs, heurtés et d’effets insuffisants des graveurs maladroits. Comme on ne ' gravait naguère que sur des cuivres très durs, pouvant résister aux grands tirages modernes, le travail de la taille y était si pénible que le graveur la faisait sans largeur ni profondeur, confiant aux imprimeurs le soin de faire sortir l’encre du trait en la pochant habilement pour atténuer les maigreurs, les imperfections et la sécheresse. Ce truquage, emprunté des gravures en manières noires, a livré à l’imprimeur, non pas seulement la toilette de l’œuvre, mais la critique de l’effet auquel toute autre considération pittoresque a fini par être sacrifiée.

Mais maintenant que l’aciérage, après avoir si brillamment débuté par la Joconde de Calamatta, est entré dans la pratique courante, et qu’il est permis de revenir, en même temps qu’aux cuivres moelleux des anciens, à des tailles moins ambitieuses et à un modelé plus serré, il n’existe plus de raison pour qu’un graveur de talent tolère encore ces pratiques funestes autant

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que superficielles qui dérobent à son œuvre le côté net et brillant, pittoresque et expressif de ses tailles, le vrai charme de la gravure *.

Quant aux sujets les plus propres à être traités par la gra¬ vure originale, en dehors des sujets repris par tous les buri- nistes et renouvelés d’ailleurs par l’esprit moderne, il existe un vaste champ de sujets laissés depuis longtemps improduc¬ tifs, au bénéfice de la photographie.

1 Puisque nous sommes amené à parler ici de l’influence de l’impri¬ meur, nous dirons donc dans quel sens elle doit s’exercer sur la taille- douce, vu l’importance de certaines conditions matérielles.

Par elle même, l’impression en taille-douce est un art plus véritable que toute manifestation photographique quelconque. L’encrage y est rien moins que mécanique : on a vu même imprimer des planches qui n’ont jamais été gravées et qui n’étaient que le résultat pur d’un encrage modelé au chiffon et à l’estompe. Comme il s’agit surtout de ne vider ni trop ni trop peu les creux de la taille pour leur laisser leur valeur exacte, l’imprimeur a en main, par l’essuvage du cuivre, le pouvoir de renverser de fond en comble et jusque dans ses plus petits détails, toute l'économie de la planche. On peut deviner la justesse de coup d’œil et la légèreté de main qui y sont nécessaires.

Ayant tout à loisir prévu l’épaisseur et la largeur variée des tailles, combiné les effets de leur profondeur, il semble anormal que les artistes s’en remettent à un étranger du soin délicat d’utiliser ces travaux et qu’après le « bon à tirer » ils semblent s’en désintéresser. Il ne serait donc pas sans intérêt de leur indiquer rapidement quelques écueils se heurte trop fréquemment l’impression moderne en taille-douce.

Tout graveur au burin, nous l’avons vu, doit travailler son cuivre assez profondément pour se permettre l’emploi des encres noires; comme corrollaire, il doit interdire à l’imprimeur les détestables encres bistrées qui de l’eau-forte ont pénétré dans la taille-douce. La vraie beauté de l’épreuve, on le constate en parcourant les chefs-d’œuvre que nous ont laissés cinq siècles de gravure, réside uniquement dans l’effet brillant d’une encre noire inaltérable sur un beau papier. On doit considérer les les gravures tirées à l’encre bistrée à l’égal des tableaux romantiques saucés et brunis sous d’épais vernis.

Le papier doit être lui-même l’objet de soins spéciaux. Malheureuse-

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Entre tous, tout d’abord, le portrait est l’un des genres les plus favorables au développement de la gravure originale. Les graveurs peuvent y trouver un travail rémunérateur en même temps qu’ils peuvent assurer leur réputation par les portraits de leurs contemporains célèbres. Certes, ils peuvent produire bien d'autres chefs-d’œuvre , mais pour avoir eu la force de saisir les traits et le caractère de ces hommes illustres, ils y appuient leur renommée propre et celle de leur art.

En artiste belge a un jour compris cet avantage en créant une collection de portraits de notabilités nationales. Mais quelle assurance de renommée bien plus grande pour lui comme pour ses modèles si, au lieu d’un simple fusain ou

ment, trouver encore ces beaux papiers fermes, souples et minces des anciens?

Déjà notre japon aux tons doux, au toucher souple s’épluchant si facilement qu’il est délicat d’en manier les épreuves, devient rare. Notre hollande, au contraire, est tellement sec, dur, épais, coriace qu’il exige sous la presse une force inconnue autrefois ; notre papier-pâte actuel, cotonneux comme un déplorable buvard, est si mou, si friable qu'il demande aussi des précautions particulières. La trop grande pression exigée par l’un ou le défaut de résistance de l’autre, incitent alors l’imprimeur à anéantir, par le biseautage du cuivre, le témoin de la planche c’est-à-dire ce cadre caractéristique fait à la taille-douce par l’empreinte laissée par la planche dans l’épreuve. Dans l’intention d’em- pèclier les feuilles de gondoler, ce qui résulte de la trop forte épais¬ seur du cuivre, des imprimeurs suppriment même complètement toute trace du témoin par le satinage, écrasant aussi du même coup, par une dernière barbarie, le relief même des tailles.

Le graveur doit réagir contre ces barbaries inutiles, obliger l’impri¬ meur à mieux choisir ses papiers, et mieux éclairer les fabricants sur les nécessités de l’art.

La belle épreuve exige au delà des cuivres une certaine marge. Mais l’épreuve à marges démesurées, déjà menacée trop facilement des salis¬ sures, porte en elle un autre aspect désagréable par la trop grande importance donnée à la matière. L’artiste ne doit pas laisser uniquement à l’imprimeur à juger la convenance de tous ces détails ; si c’est à l’im¬ primeur qu’est confiée la parure de l’estampe, c’est le graveur qui y a intérêt.

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d’une simple édition héliographique, ces portraits se méta¬ morphosaient en burins, pendants de ceux des Edelinck, des Wierix, des Drevet? Quel plus beau témoignage de notre vitalité artistique, vis-à-vis de l’étranger, quel monument, semblable à Y Iconographie de Van Dyck , pour l’avenir, et en même temps quelle source féconde en enseignement pour le renouvellement de la taille-douce! L’Académie de Belgique a tenté d’engager dans cette voie les graveurs en exigeant dans ses concours le portrait gravé d’un homme illustre du pays. On peut prédire à cette mesure des résultats avantageux pour la gravure belge. Mais il serait utile qu’en aidant à la simpli¬ fication de l’aride métier dont les écoles entourent encore le burin, elle aidât tous les vrais portraitistes de talent à s’inté¬ resser, à l’exemple de Dürer, aux travaux du burin.

Par une singulière aventure, le modernisme en art, thèse banale s’il en fut de nos jours, est resté lettre morte pour la gravure au burin ; non seulement les burinistes sont restés dans la traditionnelle traduction des maîtres auxquels s’appli¬ quaient leurs prédécesseurs d’il y a deux ou trois siècles, mais tandis que ceux-ci, sans avoir entendu tant de théories, se chargeaient volontiers, tels Callot, Beham, Dürer, Abraham Bosse, Goltzius et tant d’autres, de fixer la physionomie de la société au milieu de laquelle ils vivaient, gueux ou soudards, paysans pittoresques ou seigneurs élégants, et de conserver la mémoire des événements nationaux en dessinant et gravant Y Entrée triomphale de Charles -Quint à Bologne , la Pompe funèbre du même et de tant d’autres princes, les Tournois de Nancy, les sacres et les couronnements, les bals de Versailles, les mariages princiers, les séances mémorables des assemblées délibérantes, ou des sujets de mœurs, commes les Monuments du costume de Moreau, les nôtres dédaignent ces sujets et les abandonnent aux photographies d’actualité de nos journaux illustrés.

Certes, les vastes ressources que ces difierents genres de sujets

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apportent aux artistes contemporains épris de modernisme pourraient être exploitées par d’autres procédés,, mais à les présenter comme Goltzius et Callot dans cette langue à la fois précise, pittoresque et spirituelle qu’est la taille-douce, quel succès de vente les éditeurs ne trouveraient-ils pas dans le présent, et quelle garantie le graveur n’aurait-il pas auprès du public pour l’avenir?

Dans ses mémoires déjà cités, M. de Chénevière raconte qu’il avait cru intéressant de faire graver, en France, des planches des solennités nationales en continuation des planches célèbres de Cochin et de Moreau. Malheureusement, les événe¬ ments stérilisèrent ses efforts, et, en France comme en Belgique, on trouve bien plus simple maintenant d’avoir des photogra¬ phies.

C’est la photographie maintenant qui conserve la mémoire des fêtes et des jubilés nationaux ; mais au lieu de l’enthou¬ siasme patriotique que la gravure aurait su y exprimer, elle n’expose plus à nos regards que la représentation d’innom¬ brables chapeaux boules.

Pour elle aussi se réservent les commandes des diplômes officiels de toute espèce, remplaçant les œuvres des Ingres et des Calamatta; et l’on peut tenir pour certain qu’un jour les chevaliers d’ordres honorifiques se verront gratifiés de brevets photographiques ne devant rien de plus au noble art du burin qu’une vulgaire réclame commerciale en zincographie.

Réagissons donc contre ces erreurs. Ce n’est que faute d’encouragements autorisés que la gravure n’ose plus aborder ces genres pourtant si bien en relation avec les idées artistiques du moment.

Si la taille-douce est en décadence, si, pour sortir de cette déchéance, il lui faut redevenir désormais un art original au même titre que la peinture et la sculpture, si, dans ce but, elle doit évoluer dans son métier, il faut aussi mettre un peu de bonne volonté à la protéger contre les procédés rivaux, parce que, comme nous l’avons dit en commençant, elle est aussi abandonnée.

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Et d’abord les minces faveurs que l’État accorde à la gravure de traduction devraient être absolument réservées au burin, tout autant à cause de leur insignifiance même qu’en raison des grands sacrifices de temps et des efforts soutenus que, plus que tout autre, ce genre de gravure exige pour produire des œuvres importantes.

Or, non seulement le Gouvernement ne s’intéresse pas à la taille-douce en tant qu’un art original et indépendant, mais, alors que son système de distribuer - des gravures en primes dans les tombolas des salons triennaux est presque la seule occasion qu’il ait de procurer aux burinistes quelques com¬ mandes sérieuses ou la vente de quelques planches de repro¬ duction intéressantes, comme le dit Erin Coït G il n’est pas rare de voir ces commandes passer maintenant aux aquafor¬ tistes, dont les travaux d'ailleurs trop hâtifs pour un tel emploi, sont plus facilement rétribués, vu la célérité avec laquelle ils sont exécutés.

Cet état de choses est d’autant plus déplorable que l’eau-forte de reproduction ainsi fournie à l’Etat est quelquefois, nous pourrions en citer, la simple photogravure d’un dessin à la plume, retouchée à l’eau-forte et la pointe sèche; heureux encore si le dessin ainsi reproduit n’a pas été calqué sur une photographie !

En faisant des commandes, l’État doit d’ailleurs être très circonspect : le Gouvernement s’impose, en effet, ainsi la responsabilité de maintenir ou non chaque graveur dans la voie qui correspond le plus à ses aspirations, ce qui est plutôt la tâche de la critique et de la faveur universelle des amateurs, et expose l’artiste à hésiter entre un avantage pécuniaire et une entreprise étrangère à son talent.

C’est ainsi qu’en 1859, le Gouvernement priait l’Académie de l’aider à prendre des mesures utiles à la gravure en taille-

1 Bull, de l'Acad. roij. de Belgique , 2e sér., t. VII, pp. 315-316.

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douce. 11 indiquait son intention d’entreprendre, dans ce but, la publication d’une série de reproductions des chefs-d’œuvre de l’école flamande, les graveurs ayant, d’après lui, une tendance trop exclusive à la reproduction des peintures modernes.

L’intention était louable, mais outre le danger d’une telle pression sur des artistes peu enclins à ce genre de travaux, outre que, selon M. de Chénevière, les graveurs sont générale¬ ment mieux inspirés par les tableaux de leur temps, ce qui est naturel, le Gouvernement oubliait trop qu’un graveur gravant ses propres compositions est préférable à tout autre.

Au surplus, la protection ainsi entendue est éphémère; on donne à vivre à quelques graveurs en de telles entreprises, on en fait des employés, mais on n’enracine pas pour toujours la gravure dans le pays; le mouvement ainsi provoqué est factice et tombe avec la fin de l’ouvrage ou de ses promoteurs.

Ce qu’il faut faire pour soutenir la taille-douce, c’est lui créer une renommée et une clientèle; les belles œuvres n’ont pas besoin de protection véritable, elles ont besoin de gens qui les aiment, les comprennent, les admirent. Les efforts officiels ne doivent viser qu’à l’éducation du public, auteur des réputations, consécrateur des talents. L’appui donné aux gra¬ veurs sera toujours stérile, si on ne leur prépare pas des débouchés en réapprenant au public à goûter comme autrefois la taille-douce.

La tâche de l’Etat ne doit donc pas se borner à des encoura¬ gements proportionnés au degré d’avancement d’une planche : quand il ne l’achète pas, il doit au moins subordonner sa souscription à la condition de voir l’œuvre s’éditer dans le pays pour en répandre le goût.

Précisément la gravure ne se trouverait pas dans un état plus précaire encore en Belgique que partout ailleurs si les graveurs trouvaient dans le pays des éditeurs et des acheteurs pour leurs produits. Depuis les guerres qui ensanglantèrent le pays au XVIIIe siècle, les successeurs des Jérôme Cock, des Martin van den Ende et des Gillis Hendrickx étant disparus, la gravure

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belge, remorquée par les éditeurs de France et d’Angleterre, a vu ses graveurs prendre l’habitude d’émigrer vers ces pays. Cette nécessité pour nos artistes de perdre leur nom parmi ceux des graveurs étrangers sans profit pour la Belgique comme pour le goût de leur compatriote s’est continuée jusqu’à nos jours.

Pour favoriser en Belgique le développement du goût de la gravure au burin, il serait donc essentiel qu’il se formât des éditeurs belges capables de lancer, de faire valoir et de soutenir la renommée de nos graveurs.

Le Gouvernement, en favorisant dans le pays la naissance de ces grands éditeurs qui développent autour d’eux une puis¬ sante clientèle, aiderait puissamment cette œuvre de popula¬ risation.

C’est par la gravure originale, nous l’avons indiqué, que le courant pourra se créer le plus facilement. Elle s’ouvrira l’accès du public éclairé par la curiosité que lui inspire toute tentative nouvelle. Elle accoutumera les amateurs et les artistes à com¬ prendre les ressources inappréciables du burin, et finalement le public sera ainsi amené insensiblement à mieux apprécier la gravure de reproduction elle-même et le vide de la photogra¬ phie.

Former l’éducation du public et lui apprendre à goûter une gravure en taille-douce, l’empêcher d’aller porter ses préfé¬ rences à la photographie ou à des graveurs de troisième ordre et soutenir ainsi des non-valeurs, voilà, à côté des réformes que nous préconisons dans la gravure, l’aide qu’on doit lui prêter.

Il serait utile, dans ce but, de mettre le plus souvent possible de bonnes gravures à la portée du public, afin de le familia¬ riser avec elles. Le peu de prestige, noté par les critiques, avec un certain dédain, que la gravure conserve dans les coins de réprouvés on l’exile à nos salons triennaux, à côté de la concurrence écrasante de nombreux tableaux chatovants,

4/

indique suffisamment qu’il faut chercher ailleurs les moyens

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de propagande : la monochromie modeste d’une taille-douce n’a rien à attendre de tous les promeneurs agités qui visitent ces galeries aux allures foraines. Ce qui lui convient, ce sont des expositions spéciales elle retrouve le calme et l’intimité d’un cabinet d’amateurs installé avec goût. Les marchands américains et parisiens pratiquent de telles expositions per¬ sonnelles ou collectives. 11 serait à souhaiter que les graveurs en taille-douce suivissent cet exemple en Belgique, et qu’à l’instar des sociétés d’aquafortistes qui font des expositions d’eaux-fortes et de pointes sèches, on vît des expositions choisies d’œuvres du burin.

11 est absolument nécessaire d’attirer l’attention du public sur le burin; c’est la vraie protection qu’on lui doit. Que l’Etat, par exemple, commande la gravure d’un tableau, très bien; qu’il en expose même le dessin dans son musée, rien de mieux, mais la planche tirée, que deviennent les épreuves de choix qui lui reviennent? Elles ornent peut-être les bureaux d’un ministère quelconque, dans un cadre banal, tandis qu’au Musée même de Bruxelles, dans toute une salle de l’entrée, le public aura pu admirer pendant des années... les photogra¬ phies de ces mêmes tableaux. Que si l’on veut absolument mettre à la disposition du public des reproductions photogra¬ phiques, pourquoi alors ne pas confronter en même temps des reproductions en taille-douce, afin d’épurer le goût du public?

Le bon sens le dit, et nous espérons l’avoir prouvé le long de ces pages, la photographie, fût-elle l’œuvre du photographe le plus habile de l’Europe, ne supportera pas le vivant voisinage du burin. Le public prendra goût à ces comparaisons et, s’apercevant qu’il y a autre chose que les images médiocres qui traînent aux vitrines des marchands d’estampes, il formera de soi-même une clientèle ou plutôt une protection des gra¬ veurs.

Les éditeurs belges, forts de son appui, au lieu de se borner à importer des œuvres françaises, anglaises ou allemandes, médiocres souvent autant que les belges, oseront risquer alors des entreprises sérieuses.

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Leur clientèle se composera alors de collectionneurs qui s’attacheront aux artistes découverts à côté d’eux, chercheront la belle gravure dans la Belgique du XXe siècle comme dans celle du XVIe et du XVIIe siècle.

A côté de cette clientèle de luxe se trouvera le public qui, attiré par la double évolution du burin et ainsi obligé de reve¬ nir de ses préventions en faveur de la photographie, deviendra ingénieux pour utiliser ses richesses.

Une œuvre d’art n’embarrasse d’ailleurs jamais; la grande difficulté est de la trouver au milieu des œuvres médiocres. Or, à ce point de vue on ne pourra que bénir la photographie: l’art pur existant désormais seul dans la taille-douce, les artistes médiocres n’auront plus de raison d’être, et la gravure ne produira plus que des chefs-d’œuvre.

TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS

Pages.

ÉTAT ACTUEL DE LA GRAVURE EN TAILLE-DOUCE . . . 3

PREMIÈRE PARTIE

La photographie et la gravure en taille-douce considérées dans leur travail original.

Chapitre I.

Valeur de la reproduction photographique de la nature. ... 9

Chapitre II.

Valeur artistique de la gravure en taille-douce originale ... 29

DEUXIÈME PARTIE

La gravure en taille-douce et la photographie considérées dans leurs travaux.

de reproduction respectifs.

Chapitre 1.

Qualités requises d’une bonne reproduction d’œuvres d’art. . 40

Chapitre II.

Légitimité de la taille-douce de traduction . 49

Chapitre III.

La reproduction photographique des œuvres d’art :

§ 1. Défauts et avantages généraux . 62

§ 2. Delà reproduction photographique des divers arts. 67

TROISIÈME PARTIE

DU RÔLE DE LA GRAVURE EN TAILLE-DOUCE DANS L’AVENIR . 73

EN HARE

RHYTHMISCHE VORMEN

DOOIÎ

Fl. VAN DUYSE

(Mémoire couronné par la Classe des beaux-arts dans la séance du 27 octobre 1898)

Tome LXI

ft

Verhandeling in antwoord op de vraag uitgeschreven door de Koninklijke Academie der Schoone Kunsten, Letteren en Weten- schappen van België :

Faire U historique de la partie spécialement musicale de la chanson flamande ( origine des mélodies et des formes rythmiques ), depuis le haut moyen âge jusqu'aux temps modernes.

Kenspreuk :

De oncle liedjes zijn de besle.

1NLEIDING

Men is het thans vrij wel algemeen eens, dat de geschie- denis der Dietsche of Ylaamsche en, in meer algemeenen zin, Nederlandsche letterkunde i, omstreeks het midden der xne eeuw in Limburg en met Heinric van Veldeke een aanvang neemt. Van zijn Enéide en liederen is het overtuigend bewezen, dat zij moeten beschouwd worden als gebrekkige vertalingen uit het Limburgsch in het Turingsch; terwijl zijn Sint-Serva- tiuslegende daarentegen zeer goed door een lateren bewerker in de taal der xive eeuw kan overgebracht zijn 2.

Doch reeds vroeger vindt men bewijzen van het bestaan eener van de Duitsche tongvallen versehillende Dietsche of Nederlandsche taal 3.

1 Nederlandsche taal is de naam van de gezamenlijke Nederduitsche (d. i. Frankische, Saksische en Friesche) tongvallen van België en Hol¬ land (J. Vercoullie, Nederlandsche spraakkunst).

2 Dr J. te Winkel, Geschiedenis der Nederlandsche letterkunde , I, blz. 75.

3 K. Duflou, Schets eener geschiedenis der Nederlandsche taal en der taalstudie in de Nederlanden (Nederlandsche dicht- en kunsthalle, Antwerpen, 1883, blz. 757 vlg.), waar o. a. aangehaald worden, uit een stuk van den jare 1110, de woorden : Banwerc, Lande sbanwerc, Landwerc.

Dietsche benamingen van plaatsen, personen en eigendom- men, van landbouw- en andere bedrijfzaken doen zich reeds in grooten getale voor in oorkonden van de xie en xne eeuw, en pleiten voor een reeds oudere beschaafdheid onzer taal. Ook de vastheid van taal- en spraakkundige regelen waardoor de Nederlandsche fragmenten van het Niebelungenlied (uit het eerste gedeelte der xme eeuw) uitmunten, en de keurige vorm die ons in het gedicht van den Vos Reinaerde (uit het midden der zelfde eeuw), « het Dietsche wonderboek t, » treft, waar- schuwen ons, dat wij deze werken liefst niet moeten beschou- wen als vertegenwoordigend de eerste voortbrengselen onzer taal en onzer letterkunde.

Wanneer men van die taal en die letterkunde geen vroegere bewijsstukken kan aanhalen dan de zooëvengenoemde, is het gemakkelijk te begrijpen, dat het evenmin mogelijk is proeven van de vroegste Nederlandsche muziek of van de eerste op Nederlandschen tekst gezongen melodieën te leveren.

Wel had de géniale Guido van Arezzo (995- c. 1050), door het in verband brengen der neumatische teekens met de muzieklijnen (notenbalken), een middel gevonden om de voortbrengselen der toonkunst voor altijd aan de vergetelheid te ontrukken, doch eerst met de xme eeuw werd het gebruik van notenbalken algemeen. Aan een anderen kant werd de muziek, zooals elke andere kunst en wetenschap in de middel- ceuwen, bijna uitsluitend door kloosterlingen beoefend, en zij, die er alleen op bedacht waren om de kerkelijke melo-

1 Prudens van Duyse, Reinaard de Vos (Nagelaten gedichten, Dl. II), Voorrede, blz. i.

dieën voor de nakomelingschap te bewaren, bekreunden zich weinig om de notatie van wereldlijke liederen. Wanneer men en dan nog eerst in veel lateren tijd bij toeval, een door kloosterlingen genoteerd wereldlijk liedeken aantreft i, ziet men integendeel sedert de vroegste tijden, de Kerkvaders en Conciliën in dichte drommen tegen de wereldlijke muziek te velde trekken 2.

Wel mogen wij ons in het behoud van vele Nederlandsche liederen en daaronder van de oudste verheugen, maar het lijdt geen twijfel of de voortbrengselen onzer oude gezongen volkspoëzie zijn voor een groot deel verloren gegaan 3.

Van de hierboven genoemde liederen van Heinric van Veldeke, acht en twintig in getal 4? zoo min als van de liederen van Jan I, Hertog van Brabant, geboren in 1252 of

1 Zooals het liedje « Lysken van Beveren is die bruyt », te vinden in een te Leiden berustend vigiliënboek van de xve eeuw, afkomstig uit bel Lopsenklooster, een eonvent van Reguliere Kanunniken van de orde van den H. Augustinus, aangehaald door Dr J. -P. -N. Land, Tijdschrift der Vereeniging voor Noord - Nederlands muziekgeschiedenis , I (1885), blz. 10-15. Dit lied, waarvan een meerstemmige bewerking in het door Pétrucci te Venetië gedrukte Harmonice musices odhecaton (1501-1503) te vinden is, dagteekent ten minsten uit de xve eeuw.

2 Concilie van Auxerre (578), van Toledo (589j; Sint Gregorius (600), enz. Zie de bewijzen aangehaald door F. -A. Gevaert, La mélopée antique dans le chant de l'Église latine, Gand, 1895, blz. 412 vlg.

3 De lang niet volledige lijst van aanvangsregelen door Hoffmann von Fallersleben, in zijne Niederlàndische Volkslieder (Horae Belgicae, pars 2a, edit. 2a, Hannover, 1856, blz. xxn-xxxm), en de vele liederen die sedert werden teruggevonden, strekken hier tôt bewijs.

* Zie over deze liederen Dr J. te Winkel, t. a. p. en blz 289 vlg.

1253, gestorven in 1294 1, is de muziek tôt ons gekomen. Onze beste, meest betrouwbare bronnen voor de kennis van het oude Nederlandsche lied in muzikaal opzicht, hebben wij te danken aan denzelfden geest van tegenkanting die eens de Kerkvaders en Conciliën jegens de wereldiijke muziek bezielde, en die in de xve en xvie eeuw, en ook nog in later tijd de verzamelaars van geestelijke liederen aanspoorde om geestelijke teksten te brengen op bestaande muziek van wereld- îijke liederen. Daardoor bleef menige wereldiijke mélodie voortbestaan en kwam deze tôt ons hetzij door middel van het geschrift hetzij door den druk.

De voorredenen van Een devoot en profitelyck boecxken, Ant- werpen, 1539 3, van de Souterliedekens, Antwerpen, 1540 4, en

1 Zie over deze liederen Th. Arnold, Dietsche Warande, N. Ser., I, 1874-1876, blz. 542-556; Dr J. te Winkel, t. a. p., 296 vlg. ; DrG. Kalff, Het lied in de middeleeuwen, blz. 255 vlg. ; zie mede de door H. Boerma uitgegeven liederen van Hertog Jan van Brabant (Tijdschrift voor Neder¬ landsche taal- en letterkunde, Leiden, 1896, blz. 220 vlg.).

2 Ook in vroeger tijd, De Coussemaker, Histoire de V harmonie au moyen âge , blz. 105, haalt een handschrift van de xe eeuw aan, voorhan- den in de bibliotheek van Wolfenbüttel, waarin een lied ter eere van God en de Moeder Maagd, met het opschrift : Modus Carelmanninc, d i. op de wij s van een lied ter eere van Karel de Groote, voorkomt.

3 Opnieuw uitgegeven, en van eene inleiding, registers en aanteeke- ningen voorzien door D. F. Scheurleer, ’s Gravenhage, 1889.

i D. F. Scheurleer, De Souterliedekens , b ijdragetotdegeschiedenisder oudste psalmberijming (Leiden 1898), levert het bewijs, dat in het exemplaar, aanwezig in het Muséum Meermanno-Westrhenianum met het jaartal 1539 en tôt hiertoe als het eenig overgebleven van den eersten druk aangezien, de 3 van het gemelde jaartal met de pen is bijgetee- kend. De zoogezegde druk van 1539 dagteekent eigenlijk van 1559.

van Het prieel der gheesteliicke mélodie , Brugghe, 1609, getui- gen van dien ijver om de « vleeschelicke liedekens » uit te roeien, door godvruchtige liederen te vervangen en deze, met behulp der bekende populair geworden muziek, beter en dieper in het hart der menigte te doen dringen. Het natuurlijk gevolg hiervan vvas, dat de meeste geestelijke liederen op wereldlijke wijzen werden voorgedragen, en er geen eigenlijk verschil bestond tusschen de melodieën van geestelijke en van wereldlijke liederen.

Hierbij mag men ook niet uit het oog verliezen, dat de samenstelling van een liederenbundel met vele moeielijkheden gepaard ging, veel tijd en moeite kostte, en dat derhalve zulke handschriften alleen in het bereik lagen van groote heeren of van kloosters.

Op deze wijze kwamen tôt ons een drietal handschriften, voorname bronnen voor de kennis van het oude Nederlandsche lied : namelijk de verzameling van wereldlijke liederen, teksten en melodieën vroeger toebehoorend aan « Mher Loys van den Gruythuyse, prince van Wijncester, ridder van den Gulden Vliese, dict de Bruges of van Brugghe 4, » en twee 156-eeuwsche geestelijke liederenverzamelingen, insgelijks met de melodieën en met stemopgaven, die dikwijls de wereldlijke afkomst van de mélodie bewijzen. De eerste dezer geestelijke liederenverzamelingen behoorde vroeger aan Hoffmann von Fallersleben en wordt thans bewaard in de K. bibliotheek te

1 Uitgegeven door C. Carton, onder den titel : Oudvlaemsche liederen en andere gedichten der xive en xv & eeuw, voor rekening van de Maat- schappij der Vlaemsche bibliophilen, Gent, z. j. (1847), met fac-similés der notenstippen.

Berlijn (Man. Germ. : nr 8,190); de tvveede berust, onder nr 7970, in de K. K. fidei-commis-bibliotheek te Weenen i.

Ofschoon wij dus over geene muzikale oorkonden kunnen beschikken van uit den tijd waarop de Dietsche poëzie hare eerste vruchten voortbracht, meenen wij toch, dat de in ons bereik staande melodieën voldoende zijn om ons m te lichten nopens de muziek der eerste Dietsche liederen. De oude melo¬ dieën welke wij bezitten, staan in nauw verband met den kerk- zang, en dit verband tusschen de wereldlijke en de geestelijke muziek bestond natuurlijk van de vroegste tijden af, om de goede reden, dat de eenige algemeen verspreide muziek de muziek van

de Kerk was. Alhoewel wij in onze oudst bekende zangwijzen

%

soms een vrije, persoonlijke kunst mogen vaststellen, een kunst die ook reeds bij andere volkeren bestond, men denke slechts aan de zangwijzen van Le gieus de Robin et de Marion , diende de kerkzang tôt grond aan de mélodie van het Neder- landsche lied. Men zou zich deerlijk vergissen wanneer men meende, dat onze melodieën zoo maar in eens uit den mond des volks te voorschijn traden. Geen enkele kunst staat op zichzelf, en dit is ook waar voor de mélodie. Evenals de muziek der christelijke Kerk uit de gezangen der Oudheid werd geboren, stammen de melodieën onzer oude Neder- landsche liederen van den kerkzang af, hebben zij dezelfde toonladders als deze en, voor een goed deel, dezelfde muzikale thema’s en melodische vormen. Meer dan eene mélodie, schrijft

1 De melodieën van beide handschriften werden met een deel der teksten uitgegeven door W. Baumker, Niederlandische geistliche Lieder nebst ihren Singweisen ans Handschriften des xv. Jahrhunderts (Vierteljahrsschrift fur Musikwissenschaft, Leipzig, IV (1888), blz. 153 vlg.).

Gevaert i, welke ter eere van Apollo of van Jupiter had weerklonken, diende later tôt vereering van den waren God. De hymnen van den H. Ambrosius, Prudentius, Sedulius werden op den wereldlijken rhythmus van het volkslied of van dat van Horatius geschreven, en op dezelfde wijze moeten de melodische thema’s van den kerkzang, aan de destijds heer- scbende muziek zijn ontleend. Hoe zou het overigens anders kunnen zijn, wanneer men nagaat hoe de eenstemmige muziek ten allen tijde en in aile landen geboren werd. Steeds had zij haar ontstaan te danken aan het omwerken van bekende, tradi- tioneele typen of thema’s (vop.ot,, meervoud van vop.oç, wet) waaruit, door uitbreiding, gedeeltelijke verandering of men- geling van de typen zelf, nieuwe zangwijzen werden getrokken.

Verder wordt door den voornoemden schrijver aangetoond hoe deze aan de citharodie (zang met citherbegeleiding) ont- leende, niet zeer talrijke thema’s van den kerkzang, ook in den eigen toonaard der citherspelers, aeolisch, hypophrygisch, hypolydisch, of dorisch klinken, en hoe de toonschreden die vroeger de heldere ziel der Grieken, hun stil doch minder teeder gemoed weerspiegelden, een zachtere kleur aannamen om den mystieken christelijken geest uit te drukken.

De bewijzen bij de théorie voegend, doet Gevaert door een vergelijking van verschillende heidensche hymnen met hymnen der christelijke Kerk, den aard en den geest van de eene en van de andere uitschijnen, en leert hij de thema’s

1 Le chant liturgique de l'église latine (Bull, de l’Acad. roy. de Belgique, 3e sér., t. XVIII, Bruxelles, 1889, pp. 453-477), met aanteeke- ningen herdrukt, Gent, 1890. Zie de tweede uitgave, blz. 25 vlg.

2 In zijn jongste werk : La mélopée antique.

kennen waaraan de Antiphonen van den eeredienst, te Rome, zijn ontleend, zooals deze zangwijzen in 9e en 10e- eeuwsche oorkonden voorkomen. Aldus snoerde de geleerde schrijver de muziek der Üudheid vast aan die van het Christendom, met stevigen, onafgebroken band.

Op de door hem geleverde bewijzen steunende, zullen wij op onze beurt trachten aan te toonen, hoe het oude Neder- landsche lied zich, met betrekking tôt den toonaard en de melodische vormen, aansluit aan den kerkzang en daardoor tevens aan de muziek der Oudheid. Wij zullen namelijk doen zien hoe, niettegenstaande al de veroveringen door de moderne muziek en de moderne tonaliteit behaald, het volks- lied, in ons land, op den drempel der xxe eeuw nog sporen van den ouden modus draagt, ja soms nog geheel en al in den ouden toonaard weerklinkt.

EERSTE DEEL

MELODISCHE VORMEN

EERSTE HOOFDSTUK

De onde toonaarden (modi)

Uit de algemeene toonladder der oude Grieken :

ontstonden de bijzondere toonladders (modi), en van deze modi gingen de volgende in den kerkzang over ;

De aeolisclie of hypodorische modus (Ie en IIe kerktoon)

De iastische of hypophrvgische ('VI J», Vîîle en IVe kerktoon)

1 De oude Grieken beschouwden den dalenden gang der toonladders als zijnde de natuurlijkste, en vonden, dat de tonen van boven naar onderen gezongen elkander beter opvolgden. De melodieën van den kerk¬ zang, zoowel als onze oude gezangen, mogen gewoonlijk bij den aanvang een klimmende beweging aannemen, toch sluiten zij doorgaans met de dalende. Zie Gevaert, Histoire et théorie de la musique de V antiquité, I, blz. 378.

( 12 )

De hypolydische (Ve en Vl* kerktoon)

De dorische (IIIe kerktoon)

De hierna te bespreken voorbeelden doen zien, dat het oude Nederlandsche lied, in muzikaal opzicht, insgelijks op deze vier modi steunt. De hypolydische toonaard was aan den Grieksch-Romeinschen citherzang (citharodie) en aanvankelijk ook aan den Christel ijken zang (hymnodie) onbekend G Wel is waar ging hij te Rome in den wisselzang over, en dit reeds in den vroegsten tijd van diens ontstaan, doch daarbij vverd er slechts een bescheiden gebruik van gemaakt 2. Dienvolgens zullen vvij den hypolydischen modus eerst na de andere hier- boven genoemde toonladders bespreken, te meer daar hij reeds vdor het einde der middeleeuwen met de moderne durtoon- ladder was ineengeloopen.

EERSTE AFDEELING

AEOLISCHE MODUS (lste EN IIde KERKTOON)

De aeolische of hypodorische modus 3 met den eersten van den kerkzang overeenstemmende, bekleedt in het Antiphona- rium, zoowel als in onze oude liederen, eene voorname plaats. Het grootste getal der kerkelijke melodieën en de meeste onzer oude Nederlandsche gezangen behooren tôt dezen toonaard.

Door de Oudheid en door de Kerk werd deze modus als edel,

1 Gevaert, La mélopée antique, blz. 94.

2 Id., blz. 363.

5 Bij voorkeur aan hypodorisch en hypophrygisch, benamingen die meer op de tonen van het buiten ons bestek vallende Grieksche transpo- sitiestelsel toepasselijk zijn, gebruiken wij de benamingen aeolisch en iastisch. Zie hierover Gevaert, La mélopée antique, blz. 7, aant. 2, en blz. 17 via;.

( 13 )

deftig en ernstig aangezien. Cassiodorus noemt hem « der ziele stormen stillende i. » Dat deze benaming niet onverdiend is, kunnen wij mede uit den zachten weemoedigen en toch edelen, opbeurenden toon afleiden die ons uit zoo menige onzer oude melodieën tegenruischt. Niet alleen onze oudste, maar ook onze fraaiste gezangen zijn immers in dien statigen, tevens zoet en aangenaam klinkenden toonaard geschreven, en ofschoon hij sedert ongeveer twee eeuwen door den uit hem geboren modernen moltoonaard vervangen werd, toch ging daarom zijne vroegere aantrekkelijkheid nog niet geheel verloren.

Nog in den loop onzer eeuw werden Nederlandsche melo¬ dieën tôt den aeolischen modus behoorende uit den mond des volks opgevangen; ja, nog in onzen tijd, zijn de aeolische klanken op de lippen des volks niet geheel uitgestorven.

De volgende voorbeelden leeren den aeolischen toonaard nader kennen.

15e-eeu\vsche mélodie 2 :

1 « Animi tempestates tranquillat », in een brief, c. 508 aan zijn vriend Boëtius geschreven. Zie Gevaert, Les origines du chant liturgique , 1890, blz. 51, en La mélopée antique , blz. 76, 227 vlg.

2 Mélodie, Souterliedekens, Antwerpen, 1540, Ps. 110; tekst, An twerpsch liederboek , 1544, herdrukt door Hoffmann von Fallersleben, Horae Belgicae, pars undecima, Hannover, 1855, blz. 36, waar het stuk « een oudt liedeken » genoemd wordt. In het zesde vers van de eerste strophe : « Des lijt myn herteken rouwe, » zijn de woorden « myn herteken » overtollig, zooals uit eene vergelijking met het zesde vers der volgende strophen blijkt.

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Bovenstaande mélodie doorloopt de modale quint (e A)* met bijvoeging der ondertonica G^; de zesde trap (f) der stij- gende toonladder blijft onaangeroerd, waaruit volgt, dat de zangwijze tôt den hexaphonischen (zestonigen) vorm van den modus behoorts, slechtséen enkelen halven toon(c [q ) bevat, en de tritonus (f t|) of de valsche quint (t| f) niet laat hooren.

De toonladder bepaalt zich dus hier tôt :

modale quint

d c ^ _ J a G

eindnoot

Wat nu de in deze mélodie opgesloten accoorden betreft, van

1 De lezer beschouwe de door ons aangehaalde melodieën als voor de tenorstem te zijn geschreven.

2 Over de naar luid der overlevering van ouds gebruikte ondertonica, zie Gevaert, La mélopée antique, blz. 13.

3 Drie modale vormen, de aeolische, de gespannen iastische en de

losse hypolydische nemen in den kerkzang gewoonlijk de hexapho-

nische (zestonige) gedaante aan (Gevaert, La mélopée antique, blz. 101).

Andere zestonige aeolische melodieën treft men aan : Souterliedekens ,

Antwerpen, 1540, Ps. 3 : « Het reghende seer; » Ps. 86 : « Een

boerman had een dommen sin »; Ps. 107 : « Wes sal ick my gheneren; » Ps. 137 : « Die mi eens te drincken gave. » Zie mede het Geuzenlied :

« le hope dat den tijdt noch comen sal >> (Liederboek van het Willetm- fonds, uitg., 1895, 1, blz. 19), enz.

( 15 )

deze hoort men in de eerste plaats de klanken die tôt den modalen drieklank behooren. Het eerste vers vangt aan en sluit met de grondnoot (a), die zich herhaaldelijk in den loop van het stuk voordoet. Het tweede vers sluit op den tweeden irap der toonladder, die hier de bovenquint (é) tôt grondtoon heeft. Op het einde van het derde vers doet zich eene tijdelijke rust voor in den aanvervvanten durtoonaard (c), die vervolgens in het vierde op eene modulatie in hypophrygischen modus met G tôt grondnoot uitloopt. In het vijfde vers treedt de mo¬ dale drieklank te voorschijn ; het zesde sluit op den grond¬ toon. De accoorden die men aldus verneemt en die aan de quintenreeks

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ontleend zijn, quintenreeks waaruit de diatonische toonladder der Oudheid ontsproot, zijn deze :

Een 15®-eeuwsch Marialied, op de wijsvan het wereldlijke lied aanvangend : « Tliefste wyf heeft my versaect [] dat maect my out |] dair om..d », berust op vijftonige mélodie :

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( 16 )

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De zesde en zevende trap der toonladder blijven onaange- roerd. De in de mélodie opgesloten accoorden zijn :

Eene tweede 15e-eeuwsche zestonige aeolische mélodie is deze* :

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1 Bâumker, t. a. p., blz. 318.

( 17 )

De doorloopen klankenreeks is dezelfde als in de voorgaande zangwijze. De grondnoot (a) straalt overal door; reeds op het einde van het eerste vers gaat de mélodie tôt den aanverwanten durtoonaard (c) over, die zich in den loop van de zangwijze nog meermalen laat hooren en wel dermate, dat tusschen a en c gedurige afwisseling ontstaat.

In de volgende 15e-eeuwsche mélodie doorloopt de stem eene sexte met inbegrip der f :

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De valsche quint {f 0) treedt tweemaal te voorschijn.

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1 Baumker, t. a. p., blz. 170, waar men leert, dat in een ander 15e-eeuwsch handschrift, zonder melodieën, de tekst aanvangt : « Die werelt myn » (stellig eene betere lezing), en tôt opschrift de wereldlijke wijsaanduiding voert : « Adieu myn vroechden, adieu solaes » die, volgens Baumker, wel de wijsaanduiding van bovenstaande mélodie kan zijn. Zie echter de aanteekening blz. 19 hierna.

Ü

Tome LXI.

( 18 )

De beide zangwijzen die wij thans neerschrijven en waarvan de thema’s aan den kerkzang zijn ontleend, waarover later, nemen de bovenseptime aan. De eerste behoort tôt de hexa- phonische melodieën, daar de sexte (f) onaangeroerd blijft:

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1 Bàumker, t. a. p., blz. 234.

( 19 )

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Bij melismatische (getioritureerde, versierde) passages wordt de sexte dikwijls chromatisch verhoogd. Hetzelfde gebeurt wanneer zij door de bovenseptime (g) voorafgegaan of gevolgd wordt 2 :

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1 Tekst : Antwerpsch liederboek, 1544, blz. 242, « een nyeu (16e-eeuwscb) liedeken. » Mélodie, Souterliedekens , Antwerpen, 1540, Ps. 8. Een aanverwante wijsaanduiding: « Het ghingen twee gespelen goet aen gheenre wilder heiden » wordt aangegeven voor het 15e-eeuwsch geestelijk lied met zelfden strophenbouw (zie blz. 17, aant. I) : « Adieu mijn vroechde, adieu solaes, » te vinden bij Hoffmann yon Fallersleben, Niederlandische geistliche lieder (Horae Belgicae, pars décima), Hanno- ver, 1854, blz. 167.

2 Vgl. Gevaert, t. a. p., blz. 92.

( 20 )

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Zelden wordt de sexte (f) verhoogd wanneer ze onmiddellijk door de quint (e) voorafgegaan of gevolgd wordt. Het bewijs van dezen regel vindt men op het slot van hetlaatste voorbeeld, bij de eerste lettergreep van het woord « rechter » en in de bovenstaande melodieën : « Des werelts myn » (lste en4de vers) en « Het ghingen twee gespeelkens » (2de vers).

Daar het teeken B, tôt aanduiding der verhooging, niet bestond, dit teeken treedl eerst in de xvie eeuw te voor- schijn, wist men in dit gebrek te voorzien door de aeolische melodieën een quint lager te transponeeren.

In plaats van :

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vier - ken dat si sa - ten, enz.

1 Bâumker, t. a. p., blz. 211.

( 21 )

schreef men :

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Er bestaat een variante van deze mélodie1 2 waarin de kleine fiorituur op het woord « dat », in het derde vers, niet voor-

1 Mélodie, Souterliedekens , 1340, Ps. 14 ; tekst, Antwerpsch liederboek ,

1544, blz. 63.

2 Deze variante komt voor in Een devoot en profitelyck boecxken, Ant- werpen, 1559, blz. 50, doch zonder wijsaanduiding.

( 22 )

komt en die ons wellicht de oorspronkelijke lezing doet kennen i :

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Waar het pas gaf, wendde men de j? aan ; in plaats van

schreef men :

1 Gevaert, La mélopée antique , blz. xxvn. Le chant syllabique est antérieur au chant mélismatique. Wel is waar, is de aangeduide melis- matische figuur in « Een ridder ende een meysken ionck » verre van uit- gestrekt te wezen; maar men vindt onder de Souterliedekens een aantal zangwijzen, zooals, b. v., de melodieën van 13, 18, 20, 25, 34, 48, 49, 55, 56, enz., die meer melismen hebben. Deze melismen bestonden oorspron- kelijk in deze volkszangen niet.

( 23 )

Bovenslaande mélodie leert ons tevens eene zangwijs kennen waarin de stem de gansche aeolische toonladder (d D = a A) doorloopt.

De zooeven aangeduide in den kerkzang algemeen gebruikte wijze van transpositie zullen wij voortaan in de door ons aan- gehaalde aeolische melodieën volgen.

Wij noemden hierboven het in druk verschenen handschrift van « Mher Loys van den Gruythuyse. »

De daarin voorkomende stukken zijn tôt hiertoe de oudste oorkonden voor de studie van het Nederlandsche lied. De lezing der melodieën, afgezonderd van de teksten, met stippen, zonder sleutelaanduiding en zonder woorden geschreven, gaat met veel moeielijkheden gepaard. Soms duidt de notatie alleen den aanvang der mélodie aan, zooals voor het welbekende Kerelslied, dat insgelijks in aeolischen modus klonk. Ander- maal beletten wijduitgestrekte melismen den tekst met zeker- heid op de behoorlijke plaats onder de muziek te brengen.

Voor de volgende mélodie * meenen wij echter er in geslaagd te zijn het lied te herstellen zooals het in de xive eeuw werd gezongen. Dat dit lied wel degelijk van dien tijd dagteekent, wordt aangetoond door Dr G. Kalff, die den tekst met de « hoofsche poëzie », de kunst der « Minnesinger » in verband brengt en de zesde strophe aanduidt1 2 * * : De « Kerels » zijn waard veracht te worden als geheel onvatbaar voor de edele ininne; de dorper is niet in staet de genietingen der liefde te deelen :

Een kerel ghert der vruechden gheyn 5, Hi mint den scat, spise en de wijn; Want elc ende elc neemt gerne tsijn.

1 Oudvlaemsche liederen, I, blz. 55.

2 Het lied in de middeleeuwen, blz. 261.

5 D. i. de « Kerel » begeert de vreugd der liefde niet ( Oudvlaemsche

liederen , t. a. p., str. 4).

( 24)

Ziehier de mélodie met de eerste strophe :

He - re God, wie mach hem des be - cla-ghen, Die si - ne ghe - Hoe mach hem dan den tijt be - ha-ghen, Die nie ghe -

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Het springt in het oog, dat deze mélodie, alhoewel tôt den aeolischen modus behoorende, de stem doorloopt de gansche toonladder (d D), met de daarbij gevoegde vanouds ge- bruikte ondertonica (G), zich meer vrijheden veroorlooft dan de andere reeds aangehaalde zangwijzen. De zeer leven- dige maar ook zeer uiteenloopende melodische wending van

(28 )

het slotvers der strophe zou men in den kerkzang of in onze oude verhalende liederen te vergeefs zoeken. Hetzelfde dient gezegd te worden van het vers « of ic en sie haer lievelic scijn », in de volgende insgelijks aan het voormelde handschrift ont- leende mélodie. Dit stuk, waarin de naam der beminde door den minnaer wordt verzwegen, een bijzondere trek van de poëzie der « Minnesinger », behoort mede tôt de « hoofsche » dichtkunst.

De mélodie doorloopt nogmaals de geheele aeolische toon- ladder en roert bovendien de negende (e) aan.

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1 Oudvlaenische liederen, I, blz. 58.

( 26 )

Deze mélodie, zoowel als de voorgaande uit hetzelfde hand- schrift, geen van beide is aan kerkelijke thema’s ontleend, moet beschouwd worden als te behooren tôt de vrije indivi- duëele compositie. Ook onder de 15e-eeuwsche zangwijzen door Bâumker uitgegeven, treft men melodieën aan die tôt de vrije compositie moeten teruggebracht worden. In zekere mate kunnen de kloosterlingen, die een deel dezer zangwijzen en wellicht ook de daartoe behoorende teksten leverden, in hunne Maria- en geestelijke minneliederen, door Hoffmann von Fallersleben met den naam van « Lieder der minnenden Seele» bestempeld, als geestelijke minnezangers worden aangezien. Hun verwonderlijke rijmvaardigheid, de soms zeer ingewikkelde strophen uit hunne pen gevloeid, steken scherp af bij devoort- brengselen der oude volkspoëzie. Deze laatste toch kan gemak- kelijk het rijm ontberen en weet zich met een eenvoudigen strophenbouw te vergenoegen. Het geestelijk lied dat volgt i, en dat zeker niet tôt de meest ingewikkelde van deze soort behoort, doet het verschil, waarop wij hier wijzen, nader kennen.

1 Te vinden bij Baumker, t. a. p., blz. 217.

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Zooals wij verder zullen zien, bezitten de iastische en hypo- lydische modi bijvormen ( modes plagaux). Een plagalen vorm kende de aeolische modus in de Oudheid niet, en die is ook niet te vinden in de oudste oorkonden van den kerkzang i.

Het gebruik der onderquarte (A), dat den tweeden kerkmodus van den eersten onderscheidt,

Jam Christe sol jus - ti - ci - ae -,

dagteekent dus van later tijd.

Ook in onze oude liederen treffen wij het gebruik aan der onderquarte die gewoonlijk van de grondnoot (D), als ana- krousis (opslag), wordt voorafgegaan, zooals in deze lo6-eeuw- sche liederen :

Het daghet in den Oo-sten, enz.

1 Zie Gevaert, t. a. p., blz. 14 en 110. Zie mede des schrijvers thema- tischen catalogns, La mélopée antique, blz. 230 vlg., th. 1-11.

2 Hymni de tempore, Solesmis, 1883, blz. 38 vlg., vgl. : blz. 64, 73, loO.

( 28 )

Ghe - quetst ben ic van bin-nen, enz.

TWEEDE AFDEELING

IASTISCHE MODUS

De aeolische en de dorische modus, die in het westelijk gedeelte van Griekenland ontstonden, nemen slechts éen enkeîen vorm aan. De iastische modus in het oostelijk gedeelte ontstaan, welk gedeelte met hartstochtelijker volk in aanraking kwam, kent daarentegen meer dan éen vorm.

Deze vormen zijn :

De normale (g G), die hoofdzakelijk het opperste deel der toonladder doorloopend op de grondnoot sluit, en die voor de alleenzangen in het treurspel diende ;

De losse of verzachte ( d D), insgelijks op de grondnoot sluitend, die voor de disch- of feestliederen werd gebruikt;

De gespannen , op de mediante (t|) sluitend, die gehoord werd bij luidruchtige treurzangen naar Oosiersch gebruik ;

De onvolledige, sluitend op de quint (cl) ;

De tweeslachtige, de iastisch-aeolische en de aeolisch-iastische zangwijzen iastisch aanvangend en aeolisch eindigend of omge- keerd aeolisch aanvangend en iastisch sluitend i.

1 Gevaert, La mélopée antique , blz. 261 vlg.

( 29 )

De iastische modus die in den kerkzang overging, beslaat daarin de helft van het Antiphonarium. Hij geniet het voorrecht zich met al de andere modi te kunnen vereenigen en op die wijze niet alleen tôt de iastisch-aeolische of tôt de aeolisch- iastische melodieën aanleiding te geven, maar zich nog daaren- boven met den hypolydischen en den dorischen toonaard te kunnen mengen.

§ 1. Normale iastische vorm ( VIIe kerktoon)

Ten tijde van het klassieke Griekenland beschouwde men dezen vorm als de muzikale uitdrukking van den manne- lijken wil, en om deze reden werd hij den helden van het treurspel in den mond gelegd. Daarentegen hebben de christe- lijke melodieën, tôt dien modus den zevenden kerktoon behoorende, eene buitengewone zoetigheid ( septimus angelicus).

De kerkzangen van dien vorm die de kleinste uitgestrektheid hebben, doorloopen de modale quint dcjjaG, eene klanken- reeks die beurtelings aangroeit door bijvoeging van den zesden stijgenden trap (e), van den trap onder de eindnoot (F) en van den zevenden stijgenden trap (f). Een klein getal antiphonen klimt tôt aan de octave der grondnoot (g G).

Eenige melodieën van den normalen iastischen vorm welke wij onder onze oude liederen aantreffen, hebben den laatst- genoemden omvang :

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1 Mélodie in Een devoot eh profitelyck boecxken, Antwerpen, 1539, blz. 192. « Die wiese van Claes molenaer ; » tekst, Antwerpscli liederboek, blz. 20.

2 Mélodie en tekst in Het prieel der geesteliiche melodiie, Brugghe, 1609, blz. 99. Dezelfde mélodie wordt reeds gevonden in een Processio- nale uit het Klooster van Miltenberg (einde der xve eeuw), voor het lied « Fraud uch aile christenheidt, » zie Baumker, Das kath. deutsche Iîir- chenlied, I, blz. 545; later diende zij bij de Lutheranen voor het lied van Paul Speratus : « Es is das Heil uns kommen lier, » zie Erk u. Bôhme, Deutscher Liederhort, III, blz. 684.

( 31 )

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scansie van het gansche vers leidt. De scansie « Jhesus is die zuete naem groet, » ware overigens nog niet gebeel en al voldoende.

2 Baumker, t. a. p., blz. 193.

( 32 )

Tôt de populaire zangwijzen behoort de mélodie van « Claes molenaer. » Zij doorloopt insgelijks de gansche iastische toon- ladder g G. Op den modalen drieklank (G jj d) gebouwd, laat zij herhaaldelijk de quint (a) hooren, terwijl aan het einde der versregelen de stem eens op de terts (fl) en tweemaal op de tonica (G) rust neemt.

Dit liedeken, in het Ântwerpsch liederboek (1544) « een nyeu liedeken » genoemd, vertelt ons van een 16e-eeuwschen Don Juan die zij ne overwinningen met de galg moest bekoo- pen. Ofschoon dit gezongen verhaal tôt de xvie eeuw kan behooren, is het toch mogelijk dat de mélodie ouder is. Ook de drieregelige strophe, die hier waarschijnlijk door den volksdichter werd gebruikt naar aanleiding der bestaande mélodie, schijnt, wat den vorm betreft, oud te wezen.

De mélodie « Christe waerachtig pellicaen, » heeft dezelfde uitgestrektheid als de onmiddellijk voorgaande, doch verschilt eenigszins van deze laatste hierdoor, dat zij eerst hare rust vindt op de bovenquarte (c), daarna herhaaldelijk op de quint (d) en, ten slotte, op de tonica.

Wat nu de geheele mélodie « Die lelikyns wit » betreft, hierin is de eerste période nogmaals op den modalen drieklank gebouwd. De gansche zangwijs zweeft om de quint, zonder ooit onder de grondnoot te dalen. De stemuitgestrektheid beslaat de none aa G. De rust der stem valt steeds op de quint of op de grondnoot. De accoorden waarop, naar modem begrip, de geheele zangwijze berust, zijn, buiten den genoemden modalen drieklank, de drieklanken C E G en D F a; zijnde de klanken welke, volgens de quintenreeks waaruit de diatonische toonladder ontstaat, in de onmiddellijke nabijheid liggen van het op de grondnoot gevestigde accoord :

De rijke versierselen waarmede deze zangwijs is getooid, toonen genoegzaam aan dat ze, althans in den vorm waarin ze

( S3 )

hier voorkomt, niet tôt den volkszang behoort. Zij is dan ook niet vergezeld van een wijsaanduiding van eenig wereldlijk lied.; .... ~

Laat zich het gebruik van den cc septimus angelicus » bij de twee laatstgenoemde melodieën goed verklaren, voor het lied van « Claes Molenaer » is het minder begrijpelijk. Hierbij dient echter in het oog te worden gehouden, dat het, zooals we reeds zagen, niet onmogelijk is dat deze mélodie reeds voor een ouder lied heeft gediend. Men is overigens gerechtigd aan te nemen dat het echte volkslied doorgaans op een « bekende wijs » wordt gedicht, om daardoor de verspreiding van den tekst te vergemakkelijken. Het zijn dan ook niet alleen de dichters van volksliederen die dit middel te baat nemen, neen, het wordt zells gebruikt tôt de verspreiding van nieuwe leerstellingen.

Het Christendom ontleende zijne zangen aan de Oudheid. Voor de kerkhervorming werden verreweg de meeste in de volkstaal gedichte geestelijke liederen op « bekende wijzen » gezongen. Luther’s leer maakte zich insgelijks het volkslied ten nutte, en de psalmen van Marot werden op populaire melodieën gesteld alvorens ze door Bourgeois en anderen in muziek werden gebracht, en zelfs de compositien van Bourgeois heb- ben het volkslied tôt grondslag.

Als een op zichzelf staande voorbeeld van verwisseling van t| met [7, moet de ook tôt den normalen iastischen vorm behoorende mélodie van Ps. 37 der Souterliedekens genoemd worden 1 :

1 Vgl. Gevaert, La mélopée antique, blz. 149-151. Een tekst van 1536 en een minder goede lezing van de mélodie aan Berg u. Rewbers’ meer- stemmig Liederbuch ontleend (c. 1550), zijn bij de Duitschers bekend. Zie Erk u. Bôhme, Deutscher Liederhort, II, blz. 612.

Tome LXI.

3

( 34 )

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2

So verheist mirs bei der

Zeit?

( 3& )

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den. Ja, schoon is myn lief, Mi en lus - tet gheen

§ 2. Losse iastische vorm ( VIIIe kerktoon)

Terwijl de losse iastische modus, ten tijde van het hei- densch Àthene, vooral bij feestmalen weerklonk, dient hij daarentegen in de christelijke Kerk om, zelfs reeds vdor den dageraad, de getrouwen op te wekken en den tolk te zijn hun- ner lof- en jubelzangen. Ook wordt de achtste kerktoon door de schrijvers over den kerkzang, voor den voornaamsten iastischen vorm gehouden.

Guy van Arezzo beschouwt hem als verheven boven aardsche Smart en droefheid, en wil dat men bij het gebruiken van dien vorm slechts aan hemelsche verzuchtingen lucht geve. Naar zijne meening zou het bij voorbeeld onzinnig zijn in dien vorm een treurzang aan te treffen Geen wonder dus dat de

1 Tekst naar het Antwerpsch liederboek, blz. 154 en de Duitsche lezing.

2 Geyaert, t. a. p., blz. 264.

( 36 )

zoo geestdriftige en fraaie mélodie van de hymne « Veni Creator » welke tôt dezen modus behoort, ook bij Neder- landsche zangen werd toegepast op liederen als, bij voorbeeld, Die conirighinne van elf jaren en voor een lied uit later tijd, op « ’t Stalleken van Bethlehem 2, » en dat uit deze zangwijs nog meer andere melodieën ontstonden.

In verband toch met de hier bedoelde kerkelijke hymne staan de melodieën I-1Y die wij hier laten volgen. In de eerste twee doorloopt de stem de sexte d F, in beide laatste beslaat zij de sexte e G :

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1 « Het wasser een coninc seer rijc van goet » (Nederlcindsch liederboek uitgegeven door het Willems-Fonds, Gent, II, 2e uitg., blz. 12).

2 « Herders, brengt melk en zoetigheyd. » De Coussemaker, Chants 'populaires des Flamands de France, blz. 32.

1 Tekst : « Al om te weten boelken oft icx u bade. » Het vvoord « boelken » is een nutteloos bijvoegsel.

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1 Het woord « boelken » is hier opnieuw in den oorspronkelijken tekst tusschengeschoven.

2 Mélodie, Een devoot en profitelyck boecxken, Antwerpen, 1539, blz. 166. « Dit is die wise alst beghint. » De aanvang « Yerlangen, verlangen doet. raijnre herten pine, « duidt een geestelijk pastiche aan van nr 157, blz. 233, Antwerpsch liederboek, « Een oudt liedeken, «tekst hierboven.

( 38 )

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1 Mélodie en tekst, Een devoot en profitelyck boecxken, Antwerpen,1539,

blz. 17.

2 Tekst en mélodie, o. a. bij De Coussemaker, Chanis populaires des Flamands de France, blz. 12. Eene betere lezing van de mélodie, lezing hierboven weergegeven, is te vinden in Het prieel der gheesteliicke mélodie, Brugghe, 1609, blz. 60, met stemaanduiding : « Alsoot beghint, » voor het lied « Waer is die dochler van Syoen. » Vgl. deze en de volgende melodieën met de hymne « Veni creator. »

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In deze voorbeelden hoort men, evenals in die welke tôt den normalen vorm behooren, den modalen drieklank G t| d. De mèse(a)brengt de verschillende bestanddeelen der zangwijze harmonisch tôt elkander. Immers de mèse staat in harmonisch verband van quarte of van quinte met de dominante [d, D) en in welluidende betrekking tôt de E, hare onderquarte, met de F, hare onderterts, en de c, hare boventerts. De drieklank

1 Mélodie, Souterliedekens, Antwerpen, 1540, Ps. 37, en Ecclesias tiens van J. Fruytiers, Antwerpen, nr 17, blz. 4 2. Tekst, Antwerpsch liederboek, 1544, blz. 152, « een nveu liedeken. » Wellicht behoort de mélodie oorspronkelijk bij een ouder tekst.

( 40 )

p _ a c waarin de mèse de roi van terts vervult, staat gedurig tegenover den modalen drieklank G j cl. Doch de als quint tôt den eersten dezer beide drieklanken behoorende c, die zich meermalen laat hooren, brengt ons tôt de grondnoot terug, en dit door middel van den reinen samenklank c G, waarin de drieklank C E-— G besloten ligt, vvaardoor de twee tegenovergestelde harmonieën worden vereenigd.

Naar modem begrip, brengt de losse iastische vorm deze aceoorden mede i :

De normale iastische vorm heeft gewoonlijk de uitgestrekt- heid van g G, de losse vorm die van d D; het kan echter gebeuren dat beide vormen slechts een deel hunner klankenreeks doorloopen en aldus dezelfde toontrappen betre- den. Men vergelijke bij voorbeeld de melodieën « Ick heb om vrouwen wille, » blz. 33 hierboven, en « Maria die zoude naer Bethlehem gaen, » blz. 38. In beide doorloopt de stem de sexte e G, doch terwijl in de eerste de stem om de quinte d zweeft, draait zij in de tweede om de bovenquarte c. Daardoor wordt het verschil der twee vormen gekenmerkt, evenals de VIIe kerktoon zich door zijn dominante d onderscheidt van den VIÏIen die c tôt dominante heeft. De twee hierna volgende melodieën bewegen zich in de toonreeks d D.

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1 Gevaert, t. a. p., blz. 46.

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* De mélodie komt voor onder Ps. 68 der Souterliedekens , 1540. De tekst is te vinden in het Antwerpsch liederboek, blz. 129, en wordt daar « een amoreus liedeken » genoemd. De mélodie die voor meer andere Nederlandsche liederen diende, o. a. voor het lied « Waect op, enz., » op de onthalzing van Egmont en Horn, was ook in Duitschland bekend. Zi] diende daar c. 1545 voor het lied « Wacht auf, ir Christen aile. »

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1 De bewerking van Cl. n. p. heeft hier : c \ a d c d.

2 Mélodie, Souterliedekens, Antwerpen, 1540, Ps. 51, « na die wise : » « En ysser niemant inné // sprack daer eens heeren knecht. » De wereld lijke tekst ontbreekt.

( 43 )

tusschen de boven- en de onderquarte (c D), de grondnoot (G) het middelpunt der doorloopen toonenreeks uitmakende 4 :

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1 Gevaert, La mélopée antique, blz. 88 en aant. 3.

2 De mélodie met opschrift « Den lustelijeken Mey is, enz., » voorko-

( 44 )

Of onze voorouders insgelijks het gevoel van de aangrij- pende schoonheid der bedoelde schikking hadden, valt moeielijk te zeggen ; zooveel is echter zeker, dat geen mélodie meer bij val genoot dan de zangwijze van « Den lustelijcken Mey. » Aan een zeer groot getal liederen diende zij tôt wijs- aanduiding; wellicht ontstond zij reeds in de xve eeuw, maar nog in de xvme eeuw treft men haar aan in een gedrukte verzameling i.

In de Souterliedekens vindt men een geval waarin de stem van de bovenquinte (d) tôt de onderquarte (C) daalt :

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mend in Fruytiers’ Ecclesias ticus, Antwerpen, 1565, blz. 38, is een variante van Ps. 73 der Souterliedekens, Antwerpen, 1540, tôt wijsaandui- ding voerende (zie mede de tafel der Souterliedekens ) : « Den mey staet vrolijck in sinen tijdt // met loverkens ombehangen. » De tekstvan het door Fruytiers opgegeven lied komt voor in Antwerpsch liederboek, blz. 39, wordt daar « een nveu liedeken » genaamd en hoort dienvolçens in de xu4 eeuw thuis; doch het lijdt geen twijfel of de Souterliedekens geven den aanvang van het « oudt liedeken. » In talrijke Nederlandsche lieder- boeken wordt « Den lustelijcken Mey » als wijs opgegeven.

1 Oude en nieuwe Hollantse boerenlities, nr 131, 2e druk, Amst., c. 1700, met opschrift « Genoegelijke mey. »

( 4S )

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Het gebeurt ook wel dat beide vormen, de normale en de losse (de authentieke en de plagale), zich in dezelfde mélodie voordoen 1 2 * * 5. Dit is bij voorbeeld het geval in de mélodie « Ay lieve ihesus » te vinden in Bâumker’s verzameling 3, Deze zangwijs diende oorspronkelijk voor het wereldlijk lied « Du haenste myn hertgen vrouwelyn //du wilstes. » De tekst van dit laatste met een variante der mélodie komt voor in de Ond-

1 Mélodie, Souterlieclekens, Antwerpen, 1540, Ps. 83, « na die wise : Te

Munster staet een sleynen huys » en J. Fruytiers, Ecclesias tiens, Ant¬ werpen, 1565, blz. 46, zelfde wijsaanduiding. Tekst, Antwerpsch lieder-

boek, blz. 127, « een nyeu liedeken » ; zie F. van Duyse, Oude Neder-

landsche liederen, Gent, 1889, blz. 348. Vgl. de mélodie « Kyrie god is ghecomen » (Bàumker, Niederlândische geistliche Lieder, blz. 320).

5 Over het ineensmelten van'beide vormen, « chants commixtes, » zie Gevaert, t. a. p., blz, 149.

* Blz. 253.

( 46 )

vlaemsche liederen b Wij geven hier den aanvang der mélodie volgens Bàumker ; het slot is eenigszins verwaterd :

Normale vorm

mijn, Dy - ne wil - se niet be - wa - ren;

dijn, Nu laet de mijn dan va - ren.

O wee -, ic niet ver - wa - ren en can; enz.

De mélodie van een ander loe-eeuwsch lied, een vertaling uit het Latijn, vertoont dezelfde vermenging der beide vormen. De muziek van den vijfden en van den zesden versregel behoort tôt den normalen vorm, terwijl die der overige versregels door den ontspannen vorm worden beheerscht :

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1 Blz 161 ; mélodie nr 90. Zie voor de volledige mélodie, F. van Duyse, Het eenstemmig... lied, blz. 74.

2 Naar een mededeeling van Prof. L. Scharpé, te Leuven, moet men lezen : Twee ic niet, enz. Twee, d. i. lwi = waarom.

( 47 )

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1 Baümker, t. a. p., blz. 184.

( 48 )

In de xvie eeuw stelde men deze mélodie bij een anderen tekst, die zeker niet onder de geestelijke liederen mag gerang- schikt worden. Op het Antwerpsch landjuweel van 1561 namelijk, droeg de Brusselsche Kamer Tcorenbloemken in eene factie (klucht) een lied voor op de wijze : « Tis heden den dach van vrolijckheyt », welk lied aanvangt :

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en die sou gaen ten bossche, daer vant hy een meysken cleyn, die sach wat na tlossche *.

Het moet dus vvel waar zijn, dat men in de xvie eeuw geen juist denkbeeld meer had van de hoogere zending van den iastischen modus.

§ 3. OnvollecLige iastische vorm ( VIIe onregelmatige kerktoon)

Indien deze op de quint (d) sluitende iastische vorm in de Oudheid bekend is geweest, moest het zijn als buitengewone vorm van den normalen toonaard, en kon hij zich slechts bij uitzondering voordoen. Ook in den kerkzang wordt hij zelden gebruikt 2. Intusschen vindt men er enkele voorbeelden van onder de oude Nederlandsche melodieën. De zangwijze van een onzer oudste liederen, het Halewijnslied 3, behoort tôt den

1 Spelen van Sinne... gespeelt... binnen de stadt van Antwerpen op thaech-spel naer dlant-juweel (24 aug. 1561). Antwerpen, by M. Willem Silvius, 1562, blz. ou.

2 Gevaert, t. a. p., blz. 319.

3 Dr Kalff, Het lied in de Middeleeuwen, blz. 55, zou tekst en mélodie in de xive misschien in de xve eeuw willen plaatsen. De tekst w.erd voor de eerste maal uitgegeven naar mondelinge overlevering uit Brabant, door J. -Fr. Willems in Mone’s Anzeiger, V, 1836, blz. 448-450. De mélodie werd voor de eerste maal onverbasterd weergegeven, insgelijks naar mondelinge overlevering uit Fransch-Vlaanderen, door De Cousse- maker, Histoire de l’harmonie au moyen âge (1852), Monuments, nr 45.

( 49 )

onvolledigen iastischen modus. Deze mélodie staat in verband met de aloude zangwijze van het symbolum van Constantino- pelen : « Credo in unum Deum. »

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sijn, Al wie dat hoor - de, wou bi hem sijn.

De volgende mélodie diende oorspronkelijk voor een wereldlijk lied: « Het vryde een hovesch ridder // soe menny- gen lieven dach. » Het is niet onmogelijk dat de zangwijze, zoo wel als de tekst, nog tôt de xive eeuw behooren :

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Tome LXï.

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Zooals de lezer reeds zal hebben opgemerkt, blijft in de beide voorbeelden de grondnoot (G) onaangeroerd 1 2.

§ 4. Gespannen iastische vorm (lVde kerktoon)

De gespannen iastische modus, in den kerkzang o. a. door de hymne « Conditor aime siderum » vertegenwoordigd, verschilt alleen hierin van den normalen vorm, dat terwijl deze laatste op de grondnoot sluit, de eerste op de terts (t|) eindigt. Dikwijls wordt de mélodie dezer hymne in onze oude liederboeken aangehaald. Ook vindt men die terug in het bekende Reuzelied : « Al die daar zegt de reus die kom 3. »

1 Bàumker, t. a. p., blz. 204.

2 Vgl. den aanvang der kerkwijs « Credo in unum Deum. »

5 Men vindt deze mélodie tôt den modernen durtoonaard overgegaan : Carton, Oudvlaemsche liederen, Gent, 1847, blz. 168, voor het lied : « Sceiden, onverwinlic leit » (Zie F. van Duyse, Het eenstemmig Fransch en Nederlandsch ivereldlijk lied, 1896, blz. 113); gespannen iastisch : Baümker, Vierteljahrsschrift, 1888, blz. 191 en 192, voor : « Jhesus is een kyndekyn eleyn, » en « Kinder nu loeft die maghet marie; » op het einde

( si )

§ o. Tweeslachtige iastische vorm ( I3ie en VU * kerktoon

en omgekeerd)

De iastisch-aeolische of omgekeerd aeolisch-iastische modus beweegt zich binnen de trappen van de iastische toonladder (g fe dc^a G).

Alhoewel zulke tweeslachtige melodieën ook in de Grieksch- Romeinsche muziek bekend waren, treft men toch daarvan geen genoteerde voorbeelden aan. In den kerkzang vindt men echter dergelijke zangwijzen en zelfs in tamelijk groot getal h Ook onder onze liederen worden daarvan enkele voorbeelden gevonden :

a) Iastisch-aeolisch, 15e-eeuwsche mélodie 2;

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der Souterliedekens, Antwerpen, 1540, voor : « Mijn siei maect groot en preyst den Heer. » Sal. Theodotüs (Aeg. Haefaecker), Het Paradys der... lofzangen (lste uitg., 1621), uitg. Antwerpen, 1648, blz. 2, voor :

« 0 Schepper aller sterren klaer, » navolging van den Latijnschen tekst « Conditor, enz. » J. Stalpert, Gulde-jaers feestdagen, Antwerpen, 1635, blz. 1138, voor : « Aider besten Jan Baptist. » M. de Swaan, Den singende zwaan (l5te uitg., Antwerpen, 1655), uitg. Leyden, 1728, blz. 573, voor : « Maria, gy hebt voortgebragt. » Brusselsch beiaardboek uit de xviie eeuw, beschreven door Edm. Vander Straeten, La musique aux Pays-Bas, V (1880), blz. 19 vlg.

1 Gevaert, t. a. p., blz. 73, 93, 333 vlg.

2 Mélodie, Een devoot en profitelyck boecxken, Antwerpen, 1539, blz. 135, «. die wise van die Molenarinne » (de laatste notenbalk te lezen met c-sleutel op de vierde lijn, in plaats van f- sleutel op dezelfde lijn); tekst. naar de vierstemmige bewerking van Mattheus Pipelare, te vinden in het handschrift dat in 1542 toebehoorde aan Zeghere de Male, koopman te Brugge, handschrift beschreven door de Coussemaker, Xotice sur les collections musicales de la Bibliothèque de Cambrai , enz., Paris, 1843, blz. 121 vlg.

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b) Aeolisch-iastisch.

15e-eeuwsche wereldlijke mélodie, met wijsaanduiding « Wildi horen van mynre worden // turf en hout 1 : »

Wil - di ho - ren van ihe-sus woir-den: rou van

1 Bàumker, t. a p., blz. 251, Een devoot en profitelyck boecxken, Antwer- pen, 1539, blz. 49, zelfde mélodie voor het lied « Coemt ons ter hulpen, lief van minnen. »

( 53 )

§ 6. - Verdwaalde melodieën (Vllde en I kerktoon )

Sommige melodieën van den iastischen modus zijn, ten gevolge van schijnbare overeenstemming der toonschreden waarmede zij aanvingen, tôt den aeolischen modus overgeloo- pen i. Onder deze kan men aanhalen : a) 15e-eeuwsche mélodie.

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b) Mélodie van de xve of van den aanvang der xvie eeuw, met de hoogst waarschijnlijk tôt een wereldlijk lied behoorende wijsaanduiding : « Iek weet nog een maghet - : «

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1 Bàumker, t, a. p., blz. 306. Vgl. bij denzelfde, blz. 305, de hymne « Ave maris Stella » en de Nederlandsche navolging van den Latijnschen tekst.

- Een devoot en profitelyck boecxken, Antwerpen, 1539, blz. 116. Wel kan de bovengenoemde wijsaanduiding tôt een Marialied behooren, maar dan nog zou dit laatste zelf eene vergeestelijking kunnen wezen.

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In iastischen modus teruggebracht luidt de aanvang der bovenstaande zangwijze a :

Kin-der swycht so moecht di ho - ren, enz.

In beide schrijfwijzen zijn de doorloopen afstanden dezelfde. Doch reeds bij den aanvang bestaat die overeenkomst slechts in schijn; zoodra de niet uitgedrukte toonschreden worden aangevuld ziet men dat niet meer dezelfde trappen der alge- meene toonladder in beide worden betreden 2 :

1 De slotnoot ontbreekt in den tekst.

2 Zie Gevaert, t. a. p., blz. 201, een voorbeeld van iastische mélodie door bloote verandering van het slot G a 5 G G, in a. c a a = DEY Ï)D herschapen, lot den aeolischen modus overgaan.

(56 )

Door de schijnbare overeenkomst verleid, is de zanger van de iastische toonladder naar de aeolische overgegaan, wat dan ook blijkt uit het aanwenden van b in het bovenstaande frag¬ ment, waarvan de aanvang tôt den iastischen modus is terug- gebracht. Een derde voorbeeld van dien aard is te vinden bij Ps. 43 der Souterliedekens 1 :

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1 Met wijsaanduiding : « Als ons die winter gaetvan heen // soe coemt ons die somer. » Het overige van den wereldlijken tekst ontbreekt.

( 57 )

Bohme, die deze mélodie dorisch (befgahc d) noemti, had deze eerst beschouvvd als behoorende tôt het 15e-eeuwsche « Schüttensamlied », doch zag later in, dat die meening onjuist was °1 2 3 4. In elk geval leert ons het bij Forster in tenorstem voorkomend fragment van het voornoemde Duitsche lied 3 :

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dat de aan den kerkzang ontleende thema’s die aan de oude Nederlandsche melodieën tôt grondslag dienen, ook in de Duitsche liederen worden aangetroffen. Dat men diezelfde thema’s ook nog bij andere volkeren aantreft, leert het beroemde Fransche lied :

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1 Over de verkeerde benaming der toonladders, zie Gevaert, Hist., I, blz. 267.

2 Vgl. Bohme, Altdeutsches Liederbuch, nr 373, blz. 451, en Erk und Bohme, Deutscher Liederhort, II, nr 242, blz. 31.

3 Teutscher Liedlein, 1540, II, nr 60 ( Quodlibet ).

4 j. Tiersot, Histoire de la Chanson populaire, bl. 368, aan wien wij deze notatie met hare metriek ontleenen, haalt een zestal oude Fransche melodieën aan, die denzelfden aanvang hebben als het lied van « Jean Renaud. »

( 58 )

DERDE AFDEELING

DORISCHE MODUS (DERDE KERKTOON)

In den strengen, ja zelfs eenigermate ruwen dorischen modus, zagen de Grieken het ideaal der muzikale uitdrukking. Hun scheen die modus de afspiegeling van den deugdzamen man, wakker in den strijd, standvastig in tegenspoed. Ten tijde der Antoninussen bad deze nog zijn overwegenden invloed behouden, en die invloed moet zelfs nog lang bestaan hebben na de verovering der Grieksch-Romeinsche bevolking door het Christendom.

Van een nieuwen geest doordrongen, ging de dorische modus als derde kerktoon in den kerkzang over. Van toen af werd hij beschouwd als te zijn de tolk van den ascetischen moed, van de overwinning door den vrome op de vleeschelijke bekoringen behaald. Docb zonder zoetvloeiendheid, hard en schor klinkend, moest hij vveldra de plaats ruimen voor de meer liefelijke iastische en aeoliscbe modi.

In de vme eeuw gaat een deel der dorische melodieën tôt andere toonaarden over, en reeds bij het aanbreken der gaat de harmonische structuur van den toonaard door het verplaatsen der dominante (van jj tôt c geworden) onder.

Van dien tijd dagteekent het verval van den dorischen modus, die reeds in de middeleeuwsche liederen schaarsch geworden, in de moderne muziek geen spoor heeft nagelaten G

De verplaatsing der dominante uit afkeer van den tritonus ontstaan, zelfs daar waar deze laatste niet opzettelijk is uitge- drukt, E G a Q, waarin men EFG a J meende te hooren, was oorzaak, dat de modale quint niet langer hare overwe- gende roi vervulde, -en dat zij in den derden kerktoon door den zesden trap der toonladder (c) werd vervangen.

1 Gevaert, La mélopée antique, blz. 346.

( 59 )

In plaats van :

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Op deze wijze verloor de E hare beteekenis als grondnoot en werd zij een mediante van het accoord C E G, of wel trad zij op als quinte van het accoord ACE.

Ondanks aile pogingen die aangewend werden om den alouden diabolus in musica uit het heiligdom te weren, is deze echter toch nog in menige kerkelijke mélodie te vinden. Ook in enkele onzer oude dorische melodieën treedt de tritonus openlijk te voorschijn. Men vindt er een voorbeeld van in het vierde vers van de hierna vermelde mélodie : « Die mey spruyt uit den dorren hout, » terwijl een voorbeeld van zestonige zangwijze, door weglating der bovenseconde (F), te vinden is in de hierna aangehaalde zangwijs : « Wie wil horen een goet nieu liet. »

De eenvoudigste kerkelijke melodieën van den dorischen modus doorloopen de modale quint * E ; de meeste echter een ruimer veld : de sexte ( c E), de septime ( c D) of de octave ( d D). Zelden gaat de zangwijs de d te boven of daalt zij onder de D.

Dorische melodieën welke de modale quint of de sexte niet te buiten gaan, tretfen wij onder de oude Nederlandsche zang-

1 Gevaert, t. a. p., blz. 191.

( 60 )

wijzen niet aan. Een enkele, die van het reeds genoemde « Wie wil horen een goet nieu liet, » doorloopt de septime d D ; de overige door ons aangehaalde klimmen boven de d of dalen onder de D.

Een fraai voorbeeld van dorischen toonaard wordt ons aan- geboden in de voornoemde mélodie van het wereldlijk lied « Die mey spruyt uit den dorren hout, » welke mélodie insge- lijks voor een geestelijke loe-eeuwsche navolging diende i :

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1 Baumker, t. a. p., blz. 313. Alleen de aanvangsregel van den wereld- lijken tekst is ons bekend.

( 61 )

Ofschoon de Grieksche hymne aan Helios * veel breeder van opvatting is dan onze 156-eeuwsche mélodie « Die mey, » heeft de laatste toch menigen trek van overeenkomst met de eerste, namelijk :

De klanken E G tj, die tôt den modalen drieklank behooren, keeren in beide melodieën herhaaldelijk terug;

De grondnoot E dient in beide zangwijzen tôt voorname rustnoot (zie in de 156-eeuwsche mélodie, V. 2 = 4 en het slotvers) ;

De quint (|J) geeft aanleiding tôt tijdelijke rust (zie V. 1 = 3);

De mediante G, in beide melodieën herhaaldelijk gebruikt, dient in de Nederlandsche (V. 6), evenals in de Grieksche, tôt tijdelijke modulatie in iastischen modus (G);

De Grieksche mélodie beweegt zich bijna niet buiten de modale quint ( j E) verlengd door de gewone onderto- nica (D) 2 ; daarentegen doorloopt de Nederlandsche zangwijs de gansche dorische toonladder (e E), wat nochtans niet belet, dat de middelnoot ( mèse ) a, in beide zangwijzen haar roi als bemiddelaarster trouw vervult. In natuurlijk en wel- luidend verband van quarte met de grondnoot (E) van den modalen drieklank, in harmonische betrekking tôt haar kleine boventerts (c), leidt dezelfde middelnoot in onze mélodie (V. 5) zoowel als in de Grieksche tôt eene modulatie in aeolischen toonaard.

Ten slotte liggen in beide zangwijzen, waarin ook dezelfde drie onmiddellijk elkander opvolgende tonen (tritonus) te bespeuren zijn, dezelfde accoorden besloten 3 :

1 Zie deze hymne en hare ontleding door Gevaert, t. a. p., blz. 39.

2 Over deze op de overlevering berustende bijvoeging der ondertonica, zie bl. 14 hierboven, aant. 2.

3 Ygl. Gevàert, t. a. p., blz. 42.

( 62 )

De volgende mélodie « le ghinc noch ghister avont, » aan de Souterliedekens ontleendi, vangt aan op de quint die als tijdelijke rustnoot op het einde van het eerste vers terugkeert. Het tweede vers sluit op de grondnoot. De eerste twee muzikale zinsneden (vers 1 en 2) worden nog tweemaal herhaald (vers 3 en 4, 6 en 7), terwijl het vijfde vers door eene gelukkige modu- latie naar de bovensexte (c), de eentonigheid der driedubbele herhaling breekt.

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1 Souterliedekens, Antwerpen, 1540, Ps. 27, « Ick ghinck noch gister avont //soe heymelijck op een oort; » de verdere tekst ontbreekt. De hier onder Ps. 27 gebrachte tekst is ontleend aan str. 6 van nr 94, blz. 141, Antwerpsch liederboek, waar twee liederen te vinden zijn. Str. 1-5 van datzelfde nummer werden voorgedragen op de mélodie van Ps. 11, Souterliedekens. Zie eene met Ps. 27 verwante Duitsche mélodie : « Ich stund an einem Morgen, » bij Erk und Bôhme, Deutscher Liederhort, II, blz. 544.

( 63 )

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Ziehier een ander voorbeeld van dorischen modus dat met de quint aanvangt

Deze zangwijze, waarin de tweede boventrap F der toon- iadder, ter vermijding van den tritonus, is weggelaten, behoort tôt de zestonige melodieën. Het eerste vers en het tweede sluiten op de bovenquarte; daarop volgt in het derde vers eene modulatie in iastischen modus; het vierde vers en het vijfde sluiten op de tonica, na herhaaldelijk de bovenquarte aange- roerd te hebben :

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ho - ren een goet nieu

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1 Mélodie, Sonterliedekens, 1540, Ps. 149; tekst, Antiuerpsch liederboek, blz. 338.

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V(5or de xe eeuw kende de dorische toonaard geen andere aanvangsnoten dan de tôt den modalen drieklank E G jj behoo- rende tonen. Eén eeuw later worden door Guido van Arezzo de E, F, G, a en c beurtelings als aanvangsnoten opgegeven G De mélodie van het wereldlijk lied « Noch dronc ic so gaerne die coele wijn » dat in de xve eeuw tôt een geestelijk lied werd omgewerkt, vangt aan met de quarte :

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1 Gevaert, t. a. p., blz. 347.

2 Baumker, t. a. p., blz. 289.

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ln deze laatste zangwijze, meer nog dan in de mélodie cc Wie wil horen een goet nieu liet, » zie blz. 63, speelt de onderdominante ( a ) een overwegende roi. Hetzelfde heeft plaats in de hymne in dorischen modus, Te Deum, den oudst bekenden kerkzang. In de melodieën van deze soort wordt de roi der onderdominante zoo gewichtig, dat de E haren aard van tonica verliest om dien van dominante aan te nemen :

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De aanvang der dorische mélodie welke volgt 1, herinnert

1 Soitierliedekens, Antwerpen, 1540, Ps. 91, « nae die wise : Ter eeren van allen ionghelinghen; » de verdere tekst van het lied ontbreekt.

Tome LXI.

5

( 66 )

aan de voornoemde kerkelijke hymne en berust mede voor een goed deel op de onderdominante :

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Hebhen de melodieën, die wij zooeven leerden kennen, iets van de geestelijke beteekenis bewaard die door de Oudheid en het Christendom aan den dorischen modus werd toegekend? Statig en plechtig klinkt de hymne aan Helios, grootsch en

( 67 )

indrukwekkend is de mélodie van het Te Deum; het oude meilied dat wij, voor zoover de samenstelling aangaat, met de Grieksche zangwijze vergeleken, ademt daarentegen frischheid en leven, en drukt de zoete vreugd uit door den mensch genoten bij het aanschouwen der opnieuw ontwaakte natuur.

De bespreking van de mélodie « le ghinc noch ghister avont, » waarschijnlijk behoorend bij een minneklacht uit- gestort bij gelegenheid van een nachtelijk bezoek, laten wij in het midden, bij gebreke aan den oorspronkelijken tekst; doch, naar het ons voorkomt, zou het moeielijk zijn aan de zangwijze « Wie wil horen een nieu liet » den geest van den tôt strijd- lust opwekkenden ouden dorischen modus toe te kennen. Het lied waarbij deze zangwijze dienst doet, spreekt ons van een « enape van den huise, » een huisknecht, den evenknie van Claes Molenaer, dien wij hiervoren leerden kennen, en die uit hoofde zijner minnarijen tôt een eeuwigdurende kerkerstraf wordt gedoemd.

Deze zangwijs klinkt somber en droef, en stemt volkomen overeen met de treurige geschiedenis van den « enape. » Te vergeefs zou men dus in dedorische melodieëndie ons bewaard zijn gebleven, de beteekenis zoeken die eens aan den dorischen modus werd toegekend ; te vergeefs zou men in diezelfde melodieën willen een naklank vinden van dapperheid in den strijd hetzij op het slagveld of in de monnikscel geleverd.

Hierbij zij nog aangemerkt, dat in de mélodie « Die mey » waarin de tritonus onverbloemd te voorschijn treedt, de zoete, frissche natuur wordt bezongen, lerwijl van den anderen kant, door vermijding van dienzelfden tritonus, een gezuiverde, verzachte zangwijze dienst doet voor het lied « Wie wil horen, » waarvan de held tôt een treurig einde komt. Het moetdus wel zijn, dat de diabolus in musica aan den volkszanger dien schrik niet inboezemde, dien hij den beoefenaren van den kerkzang in het lijf joeg.

De aanvang der volgende melodieën (Ps. 69, 127 en 35 der Souterliedekens) berust nogmaals op de bovenquarte (a); doeh onmiddellijk na den aanvang gaat de zangwijze van den zesden

boventrap c naar den derden ondertrap C, dus in den moder- nen durtoonaard over :

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1 Mélodie, Souterliedekens, Antwerpen, 1540, Ps. 69, Tekst, Hoffmann von Fallersleben, Niederlàndische Volkslieder (Horae Belgicae, Pars secunda, edit. secunda), blz. 159, naar Oudt Amsterdams liedboeck.

( 69 )

ick, en die wil ick niet la-ten, niet la - ten;

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1 Mélodie, Souterliedekens, Ps. 127, « nae die wise van een danslie- deken; » tekst Nieu Amstelredams lied-boeck, 1591, blz. 63. « Op de wijse : alst begint. » De mélodie zou dus met den tekst zijn ontstaan.

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1 Mélodie, SouterliecLekens, 1540, Ps. 35, « nae die wise : Rosina waer is u ghestalt; » de Nederlandsche tekst, Antwerpsch liederboek, blz. 205, « een amoreus liedeken, » waarschijnlijk eene navolging van den Duitschen, voorkomend in het Ambraser Liederbuch , 1582, naar dezen hersteld : zie Dr Kalff, Het lied in de middeleeuwen , blz. 327. Ook de mélodie waarvan reeds in het liederboek te Reulen, bij Arent von Eich in 1519 gedrukt, eene vierstemmige bewerking, van een onbekend com-

( Tl )

Terwijl in de eerste maten van de mélodie « This goet te beliden » (zie blz. 66) de quint (tj) tweemaal wordt gehoord, gaat de aanvang van de zangwijze « Rosina waer was dijn ghestalt » ommiddellijk lot den zesden boventrap (c) over. Deze laatste mélodie is dus verwant met de zangwijzen van dorischen modus, waarin de dominante verplaatst en van den vijfden op den zesden trap werd gebracht 1.

In de melodieën te vinden onder Ps. 35, 69, 91 en 127 der Souterliedekens wordt de moderne durtoonaard waar hij eens is aangeslagen, bijna uitsluitend tôt op het einde volgehouden, zoodat de E hier niet langer de roi van tonica, noch die van terts schijnt aan te nemen.

De mélodie « Help God, hoe wee doet scheiden, » die volgt, laat insgelijks de modulatie naar den modernen durtoonaard C (derden ondertrap) booren ; doch schijnt ten slotte naar E, quint van A, over te hellen :

Help God, hoe wee doet schei - den, Hoe

ponist, te vinden is (zie Eitner, Musik-SammeLwerke des XVI. und XVII. Jahrhunderts , blz. 349), zal wel van Duitschen oorsprong zijn. Eene vierstemmige en eene zesstemmige bewerking van L. Senfl treft men mede aan in J. Ott’s liederverzameling, Nürnberg, 1544. Beide laatstgenoemde bewerkingen zijn in partituur uitgegeven door R. Eitner, L. Erk und 0. Kade : zie aldaar II, blz. 205 en III, blz. 343. De bassus van de zesstemmige bewerking door Senfl geeft bijna onveranderd de tenorstem van de bewerking door Clemens non papa (Antwerpen, 1556) terug. De laatste twee maten der door ons medegedeelde lezing zijn aan de zesstemmige bewerking van Senfl ontleend.

1 Zie blz. 59 het aangehaalde voorbeeld aan den kerkzang ontleend : « Qui de terra est. » Gevaert, t. a. p., blz. 211, aant. I, doet de kracht uitschijnen die de verplaatste dominante ( c voor 5) aan de mélodie bijzet.

( 72 )

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4 Mélodie, Souterliedekens, 1540, Ps. 89, « na die wise : Help God, hoe wee doet scheyden. » Het overige van den tekst ontbreekt. De voile- dige Duitsche tekst, waaraan de bovenstaande strophe ontleend is, is te vinden bij Forster, III (1549), nr 17. Ten onrechte wordt door Erk und Bôhme ( Deutscher Liederhort, II, nr 746, blz. 551) beweerd, dat de lezing der Souterliedekens in rhythmisch opzicht nog meer verdorven is dan de lezing volgens Forster.

( 73 )

De 15e-eeuwsche mélodie « Midden in den hemel l, » ver- geestelijking voor zooveel den tekst betreft, neemt haren aan- vang op den zesden trap c en kan slechts worden beschouwd als een naklank van den ouden dorischen modus :

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Meer nog dan in de voorgaande zangwijze laat zich in de mélodie « Maria saert, » die omstreeks het einde der xve eeuw onstond 2, de moderne durtoonaard hooren :

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1 Bâumker, t. a. p., blz. 290, met opschrift, aanvangsregel van een wereldlijk lied : « Midden in der meyen y dair spruyt een born, tis clair. » De verdere wereldlijke tekst ontbreekt.

* Mélodie, SouterliecLekens, 1540, Ps. 118. Tekst, Een devoot en profo telijck boecxken, Antwerpen, 1539, blz. 282, « op die wise alsoot beghint » Tekst en mélodie zijn van Duitschen oorsprong. Volgens Hoffmann von

( 74 )

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Fallersleben, Das katholische deutsche Kirchenlied, nr 264, blz. 454, is dit lied wellicht het eenige onder de Mets ter g es ange dat populair werd. Reeds in 1512 werd het, door Arnold Schlich voor orgel bewerkt, te Mainz gedrukt. Deze bewerking vindt men herdrukt in Monatshefte fiir Musikgeschichte, I (1869), bijlagen, blz. 17.

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VIERDE AFDEELING

HYPOLYDISCHE MODUS

De Grieken beschouwden de dorische, de aeolische en ionische of iastische modi, vormen die hun naam aan de drie oudste Grieksche stammen ontleenden, als op eigen bodem ontsproten. Deze modi behielden dan ook ten allen tijde de bovenhand in de muziek der Oudheid G Daarentegen stonden de phrygische, de lydische en de myxolvdische modi, ter oorzake van hun Aziatischen oorsprong, minder in eere 2. De lydische toonaard [c [) a g FE D C) scheen aan de Grieksch- Romeinsche citherzangers de minst gewichtige, terwijl de

1 Gevaert, t. a. p., blz. 16.

2 Idem, blz. 9.

( 76 )

hypolydische [fe d c t| a G F) hypo = onder, minder dus de minder lydische, de ietwat lydische modus ten voile vreemd bleef aan de citharodie en aan de daaruit ontstane aanvan- kelijke christelijke hymnodie G

Echter kende de wisselzang ( chant antiphonique) reeds sedert zijne eerste inrichting ten tijde van Paus Celestinus (422-482), alhoewel in mindere mate, den hypolydischen modus onder zijn driedubbelen vorm : normaal, los en gespannen. Tôt in de ixe eeuw genoten deze drie vormen ongeveer dezelfde gunst, maar sedert dit tijdstip nam het gezag van den gespannen modus niet meer toe. De beide andere vormen, welke voor goed de [7 aannamen, gaven daarentegen gedu- rende de middeleeuwen aanleiding tôt het ontstaan van de meeste kerkelijke melodieën, en oefenden 00k een beslis- senden invloed uit op de wereldlijke muziek van het Westen. Deze invloed is duidelijk te bespeuren in de populaire dans- liedjes voorkomende in Li gieus de Robin et de Marion van den Atreehtschen trouvère Adam de la Halle (gestorven tusschen 1285 en 1288) 2.

§ 1. Normale hypolydische vorm (Ve kerktoon)

Wat de praktijk en den invloed van dezen vorm in de Oudheid betreft, hieromtrent verkeeren wij in onzekerheid, en bezitten wij althans geen enkelen tekst uit de Oudheid zelve. Eerst met de ixe eeuw wordt ons dienaangaande eenige inlichting gegeven door Guido van Arezzo, die den Ven kerktoon den toon des veldmans, den landelijken toon noemt : « tropo- rum quintus, tritus agricolae dictus 3. »

Inderdaad, de eenvoudigste speeltuigen, onder andere de Alphorn , brengen de natuurlijke, de open tonen cdefisg voort, die met de hypolydische quint f y a ^ c overeenstemmen.

1 Gevaert, t. a. p., blz. 94.

5 Gevaert, t. a. p., blz. 85, 363. Zie raede over de melodieën van Adam de la Halle, F. van Duyse, Het eenstemmig . . . lied , blz. 36 vlg.

Gevaert, t. a. p., blz. 370.

( n )

Het volgende velddeuntje, dat klaarblijkelijk zijn onstaan te danken had aan den invloed van eenig landelijk speeltuig, leert ons het gebruik der voornoemde klankenreeks nader kennen, en levert nog eens te meer het bewijs dat het natuur- lied niet afkeerig is van den tritonus :

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Doch reeds voor het einde der middeleeuwen werd de trito¬ nus, door verandering der bovenquarte van b in b, uit den hypolydischen modus gebannen, en liep deze modus dus met den modernen durtoonaard ineen. Daarmede was echler de ware harmonisatie van de moderne durtoonladder niet zoo

1 Revue des traditions populawes, Paris, XII (1897), blz. 388; meilied uit le « Beaujolais, Châtillon-d’Azergues (Rhône), » opgeteekend dôor Marius Colland. Het slot der mélodie is daar verkeerd genoteerd.

( 78 )

aanstonds gevonden. Nog in de xve eeuvv treffen wij het vol- gende tweestemmig lied aan 4 :

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1 Baumker, t. a. p., blz. 303.

Twee eeuwen later stond het begrip der moderne tonaliteit nog op verre na niet vast, geluige het slot der tweestemmige harmonisatie van de 16e-eeuwsche Fransche mélodie « 0 nuit jalouse nuit, » door Justus Harduyn voor een zijner liederen gebruikt De aanvang luidt :

En zoo die aanvang goed overeen te brengen is met de begrippen der moderne tonaliteit, is dit veel minder het geval ten aanzien van de voorlaatste maat van het slot :

Nog moest een gansche eeuw verloopen eer de grondsteen zou worden gelegd van den tempel der moderne toonkunst. Eerst in de xvme eeuw zou dit in théorie geschieden door het verschijnen van Rameau’s Traité d’harmonie, en in de praktijk

1 Goddelijcke lof-scinghen, Ghendt, 1620, blz. 87 ; de mélodie komt daar zonder wijsaanduiding voor.

( 80 )

door de uitgave van J. -S. Bach’s Wohltemperiertes Klavier. Beide werken zagen het licht in 1722, een hoogst gedenk- waardig jaar voor de geschiedenis der muziek 1.

Niettegenstaande dit vroegtijdig ineensmelten van den hypolydischen modus met de moderne toonladder, dragen nochtans onze oude Nederlandsche melodieën sporen van verwantschap met den ouden hypolydischen toonaard, wat het onderscheid tusschen den normalen en den lossen vorm aangaat.

De met den normalen vorm (f e d c t| a G F) verwante melo¬ dieën beslaan voor een goed deel uit de klanken van den modalen drieklank F a c} die daarbij nog tôt aanvangs- en tôt rustnoot dienen.

Enkele kerkelijke melodieën tôt dien vorm behoorende, en met betrekking tôt de stemuitgestrektheid ook onder onze oude liederen vertegenvvoordigd, gaan niet buiten de quart (c-F) (voorbeeld I); andermaal worden de overige toon- schreden (d e f) naar verkiezing gebruikt, en doorloopt de zangwijs de sexte d- F (voorbeeld II), de septime (een voorbeeld ontbreekt) of de octave {f- F) (voorbeelden III-IV) :

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4 Gevaert, Histoire et théorie de la musique de l'antiquité, I, 267.

2 Mélodie en tekst, Een devoot eh profitelyck boecxken, Antwerpen, 1589, blz. 264.

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1 Mélodie, Souterliedekens, Antwerpen, 1540. Ps. 66, nae die wise : « Daer spruyt een boom aen ghenen dal. » Het overige van den tekst ontbreekt.

2 Mélodie en tekst, Een devoot en yrofitelyck boecxken, Antwerpen, 1539, blz. 265.

Tome LXI.

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4 Mélodie en tekst, Bàumker, t. a. p., blz. 301, waarschijnlijk een pastiche van een wereldlijk lied.

2 Zie Gevaert, La mélopée antique , blz. 371. Zie mede de 15e*eeu\vsche mélodie, Ps. 141, Souteriiedekens : « Met lusten willen wi singhen; » tekst, Antwerpsch liederboek, blz. 174 : « Van Keyser Maximiliaen.

( 83 )

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1 Mélodie en tekst, Baumker, t. a. p., blz. 311.

2 Vgl. Gevaert, t. a. p., blz. 94.

5 Baumker, t. a. p., blz. 318.

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§ 1 ~ Losse hypolydische vorm (VIe kerktoon)

De Grieken vonden dat het dien modus aan kracht ontbrak, en deze meening is niet in strijd met de ongedwongenheid en de kalmte van den VIen kerktoon 2.

Deze vorm strekt zich over de gansche lydische toonladder uit :

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In den wisselzang worden de bovenste twee trappen feite- lijk niet gebruikt, waardoor de losse hypolydische modus

1 Yolgens den genoteerden tekst : « ic en weet niet, wàir ic hène sal. »

2 Gevaert, t. a. p., blz. 363.

( 85 )

zestonig wordt. De grondnoot, de aanvangs- en tijdelijke rust- noot is vertegenwoordigd door F. Waar echter in later ontstane melodieën de bovenste twee trappen worden gebruikt, gaat de jj altijd lot b over en stemt de besproken vorm overeen met den modernen durtoonaard

Oude Nederlandsche zich binnen de païen der sexte a C bewegende melodieën komen zelden voor. De meeste tôt den lossen hypolydischen modus behoorende zangwijzen door- loopen de septime b C (voorbeeld I), de octave c G (voor- beeld II) of de none d G.

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1 Gevaert, t. a. p., 95-96.

2 Mélodie, Souterliedekens , Antwerpen, 1540, Ps. 19, « Nae die wise : Ick had een boelken wtvercoren // die ick met herten minne. » Het overige van den tekst ontbreekt. Vgl. in dezelfde verzameling, Ps. I, « na die wise : Het was een clercxken dat ghinc ter scholen. » Voor den tekst dezer laatste mélodie, welke evenals de mélodie van Ps. 19 in de xve eeuw moet thuis behooren, zie Fl. van Duyse, Oude Nederlandsche liederen, Gent, 1889, blz. 120.

( 86 )

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zijt, daer sal ic zijn. Tsi vruecht oft pijn, Tsi vruecht oft pijn, Al -

Ghel-de - loo - ze vol - ghet mi, Wi wil-len

1 Mélodie, Souterliedekens, Antwerpen, 1540, Ps. 65. Tekst, Antwerpsch liederboek, blz. 151, « een nyeu liedeken. » Buiten de hierachter volgende variante van deze mélodie bestaan er nog andere.

( 87 )

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Tusschen de laatste zangwijs en de eenvoudige melodieën van den wisselzang waar de grondnoot beurtelings tôt aan- vangsnoot, tôt tijdelijke rust- en tôt slotnoot verstrekt, bestaat reeds een zeer groot verschil. Ziehier thans een 16°-eeuwsche zangwijze die mede sterk afwijkt van de zeer eenvoudige mélodie « Die Heere moet u dan verhooren, » hierboven mede- gedeeld :

i Oudvlaemsche liederen, nr 49.

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1 Mélodie, Souterliedekens, Antwerpen, 1540, Ps. 96. Duitsche min- der fraaie variante naar Hans Gerle’s Tabulatur, 1546, zie Bôhme, Altdeutsches Liederbuch, blz. 214. Erk und Bôhme, Deutscher Liederhort, II, blz. 231. Navolging van den Duitsehen tekst met behulp van nr 77, blz. 115, Antwerpsch liederboek, en de door de Souterliedekens opgegeven aanvangsregelen. Vgl. Souterliedekens , Ps. 11 : « Ick ghinck noch ghister avont II so heymelick eenen ganck; » Ps. 47 : « Den dach en wil niet verborgen sijn; » Ps. 109 : « Hetwaren drie ghespelen, sy waren vroech op ghestaen. »

( 89 )

§ 3. Gespannen hypolydische vorm (//' kerktoon)

Deze op de terts (a) sluitende vorm werd in de Oudheid bij de klagende, zielroerende, in drift ontstoken alleenzangen van het treurspel gebruikt. Naar de gewoonte der zuidelijke volken, die hunne klachten in scherpe ton<;n lucht geven, weerklonken de melodieën van dien vorm in schrille klanken in het bovenste gedeelte van de toonladder. In den kerkzang wordt diezelfde vorm niet zelden aangewend bij korte uitroepingen, uitingen van het geestdriftig gevoel 1. Doch ten gevolge van de kerke- lijke théorie der modi, welke slechts rekening houdt met het slot der zangwijze op een der trappen I) E F G, en met den gang der mélodie in betrekking tôt de eindnoot, werd de éen quint lager getransponeerde gespannen hypolydische modus tôt aeolischen modus herschapen. De éen quint lager gebrachte tôt slotnoot verstrekkende a werd aldus D, en de hier bespro- ken vorm werd bij den tweeden kerktoon ingelijfd

Ofschoon het in onze liederen niet aan klachten ontbreekt, vooral niet aan klachten van verstooten minnaars, schijnt het toch dat de gespannen hypolydische vorm zich daarbij niet veel liet hooren.

Althans treffen wij slechts éen enkel voorbeeld daarvan aan en dan nog in een mélodie die slechts eene variante is van het reeds verrnelde lied : « Ick sech adieu. » Ziehier deze variante :

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U cracht is groot, die

macht gaet bo - ven u God heeft ghe -

1 Gevaert, t. a. p., blz. 375.

* Gevaert, t. a. p., blz. 111, § 82, I.

( 90 )

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K Voor zooveel men niet moet lezen : a, a, a , >, a, g, f , f, en de c-sleutel op de vierde lijn, in den tekst, niet door /‘-sleutel op de tweede lijn moet vervangen worden.

2 Tekst en mélodie, Een devoot en profitelyck boecxken, 1539, blz. 92.

( 91 )

TWEEDE HOOFDSTUK Het thema (nomos)

In tegenstelling met de moderne eomponisten, die hunne melodieën en de daarbij behoorende begeleiding uitdenken, en in de eerste plaats naar oorspronkelijkheid trachten, schiepen de Grieksch-Romeinsehe musici , en later de compo- nisten van kerkelijke melodieën, hunne zangen naar bestaande thema’s, die zij tôt nieuwe melodieën omwerkten.

Een thema van dien aard droeg sedert onheugelijke tijden den naam van nomos , dit is: wet, regel, voorbeeld. Deze wijze van te werk te gaan, waarbij de verbeelding van den componist uit een algemeen melodisch fonds put, heeft ten allen tijde bestaan, en bij aile vol ken waar de eenstemmige muziek zich heeft weten te verheffen tôt het begrip der tonale eenheid geboren uit een harmonische grondnoot. Eerst dan verkrijgt een reeks klanken muzikale waarde, eerst dan wordt zij een middel tôt muzikale uitdrukking, wanneer zij in verband is gebracht met een voornamen klank, een hoofdklank. Voor de modernen wordt de tonaliteit eener muzikale zinsnede onmid- dellijk aangeduid door de begeleiding; in de eenstemmige muziek daarentegen treedt het besef der eenheid slechts lang- zamerhand uit de elkander opvolgende klanken te voren, en wel zoo dat het volkomen begrip van den toonaard zich eerst met de slotnoot der mélodie doet gevoelen.

Bij de volgende aan een bekend thema ontleende mélodie, krijgt men eerst bij de slotnoot de overtuiging dat ze tôt den aeolischen modus behoort :

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De thema’s waarmede de toehoorder dan ook vooraf bekend was, verstrekten hem tôt een soort van Leitmotiv, tôt een gids in den doolhof der modi en hunner ondergeschikte vormen. Deze thema’s waren overigens niet zeer talrijk. Gevaert levert het bewijs dat de Tonarius van Regino van Prüm er slechts zeven en veertig bevat, en dan nog zijn vele daarvan uit een gemeenschappelijke bron gesproten 2. Deze thema’s, welke uit de Grieksch-Romeinsche muziek voor een goed deel in de melodieën der christelijke kerk overgingen, hebben mede een grooten invloed uitgeoefend op de volkszangen der verschil- lende Europeesche volkeren en niet het minst op onze oude melodieën, zoodat men daarin dan ook den oorsprong dezer laatste moet zien. Men vergunne ons dit puni door eenige voorbeelden toe te lichten, en daarbij tevens het bewijs te leveren, dat ook de zangwijzen die niet aan het nomos zijn ontleend, maar uitgaan van de vrije, de individueele compo- sitie, veel aan de bekende vormen der kerkelijke melodieën te danken hebben.

4 Baumker, t. a. p., blz. 304. Zie verder het 6e thema.

2 Regino van Prüm, middeleeuwsch kroniekschrijver geboren te Altrip, aan den Rijn, was van 892 tôt 899 abt van het klooster te Prüm, bij Trier, en overleed in 91o als abt van het klooster van den H. Martinus, insgelijks bij Trier. Het bederf der kerkelijke modi uit het onzekere der neumatische notatie voortgesproten willende te keer gaan, schreef hij o. a. Epistola de harmonica institutione ad Ratbbodum Episcopum Trevi- rensem, ac tonarius sive octo toni cum suis differentiis . Zie over dit werk : Gevaert, t. a. p., blz. 188; over het nomos , zie denzelfden schrijver, blz. 123 vlg.

( 93 )

Niet slechts op de melodieën welke vôor de Hervorming ontstonden i, maar ook op de zangwijzen omstreeks het midden der xvie eeuw in gebruik gekomen, oefende het nomos invloed uit 2.

Al zijn de psalmwijzen bij de Nederlandsch Hervormde Kerk in gebruik niet op Nederlandschen bodem ontstaan, toch hebben zij in Nederland burgerrecht verkregen. Niet alleen in de Kerk, maar ook daar buiten deden zij dienst; onder andere werden tôt in den aanvang der xvne eeuw op diezelfde psalm¬ wijzen Geuzenliederen gedicht 3.

Wie ook de componisten dezer melodieën waren, het zal zeker niet ongepast zijn aan deze zangwijzen een oogenblik

1 Zooals de melodieën te vinden in de Souterliedekens en in Een devoot en profitelyck boecxken, bijna aile aan wereldlijke liederen ontleend.

2 In 1542 verscheen te Geneve een verzameling van vijf en dertig psalmen, waarvan dertig door Marot, vijf door Calvijn gedicht, met de door Pierre Bourgeois bezorgde melodieën. Deze laatste waren het uitgangspunt van de melodieën die nog heden in de Nederlandsch Her¬ vormde Kerk worden gezongen. In 1562 verscheen de eerste volledige psalmberijming van Marot en Beza met de zangwijzen. Naar deze berijming gaf Petrus Dathenus zijne Nederlandsche vertaling uit, Aile de Psalmen Davids ende andere Lofsanghen..., 1566, z. n. noch pl. Zie 0. Doven, Clément Marot et le psautier huguenot, I, blz. 347 en vlg., en Dr J. -B. Acquoy, De psalmwijzen der JSederlansch Hervormde Kerk en hare herziening (Archief van Nederlandsche Kerkgeschiedenis, IV, 1892, blz. i, vlg.). Zie over de eerste uitgave der psalmen van Dathenus (Gent, Gelein de Man of Manilius), 1566 : Verslagen en mededeelingen der koninklijke Vlaamsche Academie, 1898, blz. 139, art. van Th.-J.-I. Arnold. Van de 26 Psalmen ende ander ghesanghen.., Embden, 1558, berijmd door Jan Utenhove (er bestaat ook een uitgave van 1557, getiteld 25. Psalmen, met muziek), hetzelfde jaar gevolgd door de Ander psalmen (twaalf in getal) van denzelfden, zijn verschillende melodieën ontleend aan den Franschen psalmzang. Tôt dezen laatste behooren al de zang¬ wijzen gebruikt door Lucas de Heere voor zijne Psalmen Davids..., Gent, Gelein Manilius, 1565.

5 Een dertigtal Geuzenliederen werden op psalmwijzen voorgedragen, waaronder van de vroegste, zooals « Antwerpen rijck » (1564) en « Ant- werpen arm » (1565). Zie Van Lummel, Nieuw-Geuzenlied-boek, blz, 1-3. I. Fruytiers, Ecclesias tiens, Antwerpen, 1565, bevat rnede een twaalftal melodieën die tôt den Franschen psalmzang behooren.

( 94 )

onze aandacht te wijden. 0. Douen * heeft te recht op het verband gewezen dat tusschen deze psalmwijzen en sommige oude Fransche liederen bestaat, doch deze laatste zelve steunen grootendeels op de algemeene, op de internationale vormen van het nomos, en aldus laat het zich verklaren dat diezelfde psalmwijzen ook op vele plaatsen met onze oude liederen verwant zijn. De algemeene gang van het kerkelijk muzikale thema, trouwe weerspiegeling van de natuurlijke klanken der gesproken taal, is tôt twee verschillende typen terug te bren- gen : het normale of authentieke type berustend op de recht- streeksche beweging der mélodie, het losse of plagale, steunend op de cirkelvormige beweging 2.

EERSTE AFDEELING

MELODIEËN VOOR DE HERVORMING IN GEBRUIK

§ 1. Rechtsti'eeksche beweging

Het nomos of thema vangt klimmend aan en sluit dalend. De mélodie gaat uit van de tonica of van de mediante, en neemt haar voorname rust op de dominante die zij een of twee

1 T. a. p., I, blz. 600 vlg. Het komt ons echter voor, dat Douen geen genoegzame rekening heeft gehouden met de melodieën der Latijnsche Kerk. Bij Dr Acquoy, t. a. p., blz. 65 vlg., vindt men, opgesteld « naar de gegevens van Douen », eene « Lijst der Fransche Psalmen met de namen der toondichters en de jaren der uitgave. » Volgens deze lijst wordt de mélodie van Ps. 36 = 68 toegekend aan den Straatsburgschen voorzanger en dichter Mattheus Greiter (1539), de mélodie van Ps. 31 71 aan Louis Bourgeois (1551), de mélodie van Ps. 80 aan Maître Pierre (1562). De mélodie van Ps. 36 = 68 werd reeds in 1525 te Neurenberg, en in 1526 te Straatsburg gedrukt (Bàumker, Bas katholische deutsche Kirchenlied, I, blz. 485, en Zahn, Die Melodien des deutschen evangelischen Kirchen - Ueder, V, 101); de mélodie van Ps. 31 = 71 is, buiten den eersten vers- regel, onlleend aan de hymne « Hostis Herodes impie » (zie Hymni de tempore, Solesmis, 1885, blz. 34); de mélodie van Ps. 80 is nauw verwant met de sequentia « Victimae Paschali laudes; » de mélodie van Ps. 141 stamt af van de hymne « Conditor aime sideruin. »

8 Gevaert, t. a. p., blz. 126.

( 95 )

trappen overschrijdt. Bij het afdalen naar den slotklank, kan de zangwijze een tijdelijke rust vinden op de mediante of op den vierden boventrap (onderdominante). Met de mediante aanvangende zangwijzen doen zich onder onze oude liederen weinig voor. Tôt deze behooren echter de 15e-eeuwsche melo- dieën « 0 wassende bloyende gairde » en « Ihesus cristus van nazareyne »

3de thema. Aeolisch 2.

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Fon - tes et om - ni - a quae mo - ven - tur in a - quis,

F EF Ga G F FE DC D EFE D D ||

hym num di - ci - te De - o, al - le - lu - ia.

Baumker, blz. 234.

ro - wen

en - de myn ver

driet.

1 Baumker, JS ieder lundis che geistliche Lieder, blz. 242 en 304 (zie deze laatste mélodie, blz. 91 hierboven).

2 De thema’s zijn ontleend aan Gevaert’s Catalogue thématique des antiennes de l'Office Romain, connues par les documents musicaux du IXe et du Xe siècle (La mélopée antique, blz. 227 vlg.).

( 96 )

Vgl. Gevaert, t. a. p., blz. 236:

Da a c a G F Ga FE D |

Va - do ad e - um qui mi - sit me : enz.

Scuterliedekens, Ps. 8.

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Souterliedekens, Ps. 6.

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Bàumker, blz. 238.

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synt in sor - gen groet, enz.

( 97 )

Vgl. Gevaert, blz. 236 :

Da ac a G a G E Sau - le, quid per - se - que - ris, enz.

Baumker, blz. 211 :

Vgl. Gevaert, blz. 236 :

Da a a aG Li - be - ra me

Baumker, blz. 180 :

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Wereldlij k (?). Die voghel en -de die

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neer, enz.

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Tome LXI.

1

( 98 )

Baumker, blz. 312 :

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Kereldlijk (l).

Tôt de reeds vrijere compositie behooren de twee volgende voorbeelden ;

Baumker, blz. 178 en 179 :

Ma - ri - a co-nin - ghin - ne, Myn

(Wereldlijk) : le sye des morghens ster - re 2.

1 In het 15e-eeuwsch Berlijnsch handschrift ( Man.germ ., 8.190) heeft de mélodie tôt opsclirift : « Na groenre verwe myn liart verlanct, » zoodat de wijsaanduiding van een wereldlijk lied den geestelijken tekst vooraf- gaat; in een ander 15e-eeuwsch Berlijnsch handschrift (Man. ijerm., 8.155) voert het lied « le heb gheiaecht, » door Joannes Brugman (overl. 1473) gedicht, tôt opsclirift : « Adieu mijn lief, » enz.

2 Antwerpsch liederboek, 1544, blz. 145, « een oudt liedeken. » Vgl. ook de bovenstaande mélodie met den aanvang van het zesde thema hierna en van de mélodie « Hoe luyde sanc », blz. 100.

( 99 )

Een devooten profitelyck boecxken, 1539, blz. 57 :

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Ghi die le - sus wyn - gart plant, Ver - blijt u

6e thema. Aeolisch :

D D DC F G GF Ga a | ai? a G G a FE D | Ab in - sur - gen - ti - bus in me, li - be - ra me Do - mi - ne :

G E G a G FE F FG E F D D |

qui - a oc- eu * pa - ve - runt a - ni-mam me-am. Ps. 58.

Onder de aeolische thema’s heeft het zesde thema tôt het grootste getal antiphonen aanleiding gegeven * ; ook ontbreekt het niet aan Nederlandsche liederen waarvan de melodieën ditzelfde thema tôt grondslag hebben.

Baumker, blz. 245 :

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Mil de - sen ny - wen ia - re, Soe wordt ons

1 Gevaert, t. a. p., blz. 239.

( 100 )

Vgl. het doorGevaert, blz. 239, aangeduide oorspronkelijk 6e thema (D G F G a G E F D), en zie mede den aanvang van den « Kyrie in missis Beatae Mariae : »

DFGaG F ED

Ky - ri - e, enz.

Bàumker, blz. 233 :

Naar aile waarschijnlijkheid behoorde de volgende zang- wijze, welke wij in haar geheel weergeven omdat zij den aard van den aeolischen modus goed doet uitkomen, oor¬ spronkelijk bij een loe-eeuwsch wereldlijk lied;

Sonterliedekens, 1540, Ps. 90 :

Hoe luy - de sanc die lee - raer op - ter

(Wereldlijk) : Hoe lus - te - lie waert der myn - nen hant ont -

tin - nen : « So wie met son - den is bes - waert, God

slo - ten mit gro - ter...

( loi )

laet hem wel ver - win - nen, En - de kee - re ziju

her - te tôt go - de waert, Eer hem die doot den wech on - der -

gaet. »

Si zijn wijs diet connen ver -

Baumker, blz. 228 :

Hoe luy-de, soe sanc die le - rer al op der tynnen,enz.

1 Een met deze lezing nauw verwante mélodie is te vinden in Een devoot en profitelyck boecxken, 1539, blz. 148; tekst, Antwerpsch, lieder- boek , 1544, blz. 81. De wereldlijke stemopgave is te vinden in het 15e-eeuwsch handschrift ter Koninklijke Bibliotheek van Berlijn, Man. gerrn., 8.155; zie Baumker, t. a. p., blz. 229.

( 102 )

Souterliedekens, 1540, Ps. 112 :

heeft een kint ge - van - gen.

Vgl. Hymni, Solesmis, 1885, blz. 64, het tweede vers :

ADFEDEDCD | DFGaFGGa |

Je - su dul-cis me-rrio - ri - a, Dansve-ra cor-dis gau-di-a, enz.

Och, nu mach ic wel true - ren, My

1 Tekst, Antwerpsch liederboek, 1544, blz. 88.

( 103 )

Souterliedekens, 1S40, Ps. 147 :

sa - delt mi mijn peert,

enz.

Een devoot en profitelyck boecxken, 1539, blz. 125 1 :

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Ons na - ket ee-nen soe - ten tijt, Wij mo - gen (Wereldlijk) : le weet nog ee-nen ac - ker breyt...

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al wel sijn ver - blijt, enz.

Vgl. Gevaert, blz. 241 :

D D D DG F G FGa a aG ? a G Ex u - te - ro se - ne - ctu - tis et ste- ri - li, enz.

4 De tweede notenbalk der oorspronkelijke notatie is, voor de eerste vijf noten, met c-sleutel op de derde lijn in plaats van f- sleutel te lezen.

( 104 )

Bàumker, blz. 295 :

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Mi lust te (Wereldlijk) : Ons is ver

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ven ho - gent - lyc, daeh.

enz.

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Bicinia , 1545 :

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mees-ter Hiî - le - brant, enz. *.

Soaterliedekens, 1540, Ps. 44 :

Die vo-ghel-kens in der muy - ten, die

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sin - ghen ha - ren tijt, enz. -.

1 Tekst, Antwerpsch, liederboek, 1544, blz. 122 : « Van den ouden Hillebrant. » De mélodie waarvan, zoover wij weten, geen oorspron- kelijke Nederlandsche lezing bestaat, komt voor met tweestemmige bewerking door Joannes Stahe, in Bicinia, Vitebergae, G. Rhaw, 1545, I, nr 94. Zie Erk und Bôhme, Deutscher Liederhort , I, blz. 67.

2 Tekst, voornoemde verzameling van 1544, blz, 47.

( 105 )

Een devoot en pro/itelyck boecxken, 1539, blz. 49 :

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Coetnt ons te hui - pen, lief van min - nen, Want wi

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Factie-liedeken, 1561 i :

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co - men tri - um - phant.

Baumker, blz. 251 :

Wil - de ho - ren van ihe - sus woir-den:rou van

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son - den is so goet, enz. (Zie blz. o2 hierhoven)

1 Gezongen door de Kamer « De Hevbloemkens. » van Turnhout, op het Antwerpsch landjuweel van 1561 ; los blad bewaard op de Koninklijke Bibliotheek te Brussel. Zie A. Goovaerts, De Vlaamsche school, Antwer-> pen, 1892, overdruk, blz. 25.

( 106 )

Souterliedekens, 1640, Ps. 14 (zie blz. 21 hierboven) :

Vgl. Gevaert, blz. 244 :

D DC F G GF G a a acïcdc a^a | Ec-ce no- men Do - mi - ni ve - uit, enz.

Voornoemde verzameling van 1640, Ps. 136 :

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Lyn-ken sou backen.mijn heer sou kneen...

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Een devoot en profitelyck boecxken, 1639, blz. 74 :

Van lief - den comt groot li - den En - de

* Vergeestelijking van een wereldlijk lied met zelfden aanvang, Ant iverpsch liederboek, 1544, blz. 234.

( *07 )

10® thema. Aeolisch :

D CD D E DC | Fg a G a G F FG E D D 1

A por - ta in - fe - ri e - ru - e Do - rai - ne a - ni - mam me - am.

Souterliedekens , lo40, Ps, 137 :

Zelfde verzameling, Ps. 2o :

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Sor - ghe ghy moet

be - si - den staen, Gby

sijt te vroech ghe - co - men, enz. 2.

1 Tekst, Antwerpsch liederboek, Id44, blz. 32.

2 De aanvangsregel wordt door de Souterliedekens opgegeven ; alleen een Duitsche tekst, te vinden onder andere bij Erk und Bohme, Deutscher Liederhort, II, blz. 207, is bekend. De laatste noot (C) der tweede maat wordt ten onrechte door Erk und Bohme door verhoogd.

( 108 )

Baumker, blz. 318 :

al - len aertschen din - glien, enz.

Id., blz. 288 :

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1 Het slot der mélodie :

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Souterliedekens , 1540, Ps. 75 :

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Ténor eener 15e-eeuwsche bewerking van Pierre de la Rue

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Mijn liert-ken - he - vet al - tijt ver

Ygl. Gevaert, t. a. p., blz. 255 :

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lan - ghen, enz.

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i\Ie et - e - nim, enz.

moet ongetwijfeld gelezen worden :

1 Tekst, Antwerpsch liederboek , blz. 219, « een oudt liedeken. »

- Deze vierstemmige bewerking is op verschillende plaatsen te vinden; o. a. in een liederboek dat ter Koninklijke Bibliotheek te Brussel berust, en vroeger aan Margareta van Oostenrijk toebehoorde. Vandaar dat dit lied ten onrechte door J. -Fr. Willems aan deze prinses werd toege- schreven.

( 110 )

Souterliedekens , 1540, Ps. 4 :

Het da - ghet i den oos - ten, het

Zelfde verzameling, 1540, Ps. 101 :

Ghe - quetst ben ic van bin-nen,duer-wont mijn hert so seer,enz.s

19e thema. Normaal iastisch :

G Sj c de d Ad te de lu - ce

dca b a G G vi - gi - lo De - us.

Baumker, blz. 193

1 Tekst, Antwerpsch Liederboek, blz. 108.

2 De tekst komt onder andere voor in een liederboek ter Bibliotheek te Kamerijk berustend.

( 111 )

en vgl. ook voor het vervolg Gevaert, blz. 299 :

GG^cdeddeegg g g f e de cd d d \

Si co-gno-vis-se-tis me, et Ratrem meum u - ti - que co - gno - vis - se - tis, enzt

20e thema. Normaal iastiseh :

jj c d e d | de a c G \

Di -xit Do-mi-nus Do-mi-no me - o, enz.

Oudvlaemsche liederen, Gent, blz. 168, nr 96 :

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Scei-den,

on - ver - win - lie

leit, On-vruech-de

Vgl. de, blz. 60 hierboven, aangehaalde variante « Conditor», op de mediante in iastischen gespannen modus eindigend.

26e thema. Normaal iastiseh :

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Claes mo - le-naer en zijn min ne - ken, enz.

(Zie blz. 29 hierboven)

28e thema. Onvolledig iastisch :

G a c cd d \ e f e ci c de e d || Nos qui vi-vi-mus be-ne-di -ci-mus Do-mi-no.

Ygl. het 29e thema en de volgende variante daarvan :

ccl d cd e c d d \

Si - on no - li ti - me-re, enz.

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*

1

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/ f f ^ r * &

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7 4 ^ ^ |

Heer Ha - le - vvijn sanc (Zie blz. 49 hierboven

Vgl. het slot dezer mélodie met het slot van het 28e thema, en zie mede : « Mijn hert dat is in lyden » (blz. 49).

34e thema. Dorisch :

h G G ci jjj ü a | GG Gfl G f c l|

A vi - ro i - ni-quo li - be - ra me, Do-mi-ne.

( 113 )

Vgl. Gevàert, t. a. p., blz. 350, het 35e thema uit het voor- gaande gesproten.

Souterliedekens, Ps. 69 :

Doen Han - se - lijn o - ver der hei - de reet, enz.

(Zie blz. 68 hierboven)

Souterliedekens, 1540, Ps. 91 :

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0-2-

9

O

Ter ee - ren van ee - nen ion - ghe - lin - ge...

(Zie blz. 66 hierboven)

Vgl. Gevaert, blz. 350 :

[E]G a atj tyc a G a [a a]

O - mni - a quaecum-que vo - lu - it, enz.

Souterliedekens, Ps. 127 :

Tome LXI.

( 114 )

Souterliedekens , 1540, Ps. 89 :

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Help God, hoe wee doet schei - den, enz.

(Zie blz. 71)

Enkele malen wordt de klimmende aanhef van het thema ter zijde gelaten; de stem vangt dan onmiddellijk aan met de quint van den modalen drieklank, en de algemeene gang der mélodie wordt dan dalend. Voorbeelden van dezen gang treffen wij aan in melodieën met het tweede thema verwant.

2e thema. Aeolisch :

a G a GaG E F G D D Fac- ti su - mus si - eut cou - so - la - ti.

Baumker, blz. 249 :

Een devoot en jwofitelyck boecxken, 1539, blz. 84 :

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L-

Æ

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Ick vvil mi gaen ver - troos-ten In le-sus li-den groot, enz.

Souterliedekens , 1540, Ps. 39 :

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- 1

w # -

0 * °

JJ

Ick quam aen ee - nen dans - se, daer

me - nich schoon vrou - ken

vvas, enz.

Tôt het 38e thema :

EEt|cfcja^aacafcj| fcj a F G a GF E Al - li - ga. Do-mine, in vin -eu -lis na - ti - o - nés gen - ti um,enz.

ineengeloopen met het 3e (E t] c ^ a t] , geworden tôt D a \} a G a) i , behoort de aldus ontaarde mélodie (vgl. blz. 55 hierboven) : Baumker, blz. 170 :

Des we-relts myn is al ver - lo - ren, enz.

(Zie blz. 17)

(Wereldlijk) : A- dieu myn vroechden, a -dieu so - laes ...

Vgl. Gevaert, t. a. p., blz. 251, de tôt de antiphona « Beatus vir qui suffert » behoorende worden :

Da'? a G FE FGFE DE DC quam re-pro- mi - sit De - us, enz.

Oude Nederlandsche melodieën in verband staande met de thema’s 42-44 2 van den hypolydischen normalen modus, waarin de fi zich openlijk doet hooren, treffen wij niet aan. Zooals wij reeds zagen (blz. 76 hierboven) had die modus voor het einde der middeleeuwen fi met b verwisseld.

Daarentegen vonden wij meer dan éen voorbeeld van den dalenden gang f F door Gevaert aangeduid in de melodieën « 0 sacrum convivium » en « Ein feste burg ». Ook in de zangen der Hervormde Kerk zullen wij denzelfden gang kunnen opmerken.

Zie Gevaert, t. a. p., blz. 194.

2 Gevaert, t. a. p., blz. 372, vlg.

( 116 )

§ 2. Cirkelvormige beweging

De mélodie gaat uit van de tonica, waarvan zij zich slechts enkele trappen, onder of boven, verwijdert, om gedurig, en tôt aan het slot toe, tôt de grondnoot terug te keeren.

16e thema. Los iastisch :

G c tjG fcjc [æG] aG |

In pa - ce in id - i - psum

c c fcjG fejc a a G G dor-mi-am et re-qui-es-eam.

Souterliedekens , Ps. 73 :

»

V

s

a 0

Den lus - te-lijc - kea Mey is nu in den tijt, enz.

(Zie blz. 43 hierboven'

Ten minste heeft de mélodie denzelfden gang als het 46e thema.

40e thema. Los hypolydisch :

FGaGFGaGFF Mi - se - re - re me - i De - us.

Souterliedekens , Ps. 61 :

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Die eer - ste vruecht die ick ghe - wan, doet

1 Het eerste vers wordt alleen door de Souterliedekens aangegeven. Volledige Duitsche tekst bij Erk und Bôhme, Deutscher Liederhort, II, blz. 287.

( HT )

Souterliedekens, Ps. 65 :

Ick seg a - dieu, Wy twee wi moe

(Zie blz. 86 hierboven)

41e thema. Los hypolydisch :

F FDFE D C J F Ga G F

Al - le - lu - ia al - le - lu - ia.

Souterliedekens, 1540, Ps. 47 :

Souterliedekens , 1540, Ps. 12 :

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ut - ver - co - ren

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i 5

or ^ ^

. . # .

ry w g

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Die ick met her - ten min

ne, enz. (Zie blz. 85 hierboven)

( 118 )

§ 3. Onregelmalige thema’s

Enkele thema’s behooren tôt de min of meer onregelmatige, uit hoofde : a) van hunne harmonische samenstelling, zooals het 31e thema (iastisch-aeolisch) :

G a cd ded j cded e d c c d a a a

Domus me - a do - mus o - ra - ti - o - nis vo - ca - bi-tur.

(Vgl. blz. 51 hierboven, de mélodie « le weet een molena- rinneken. »)

b) van hun beperkte uitgestrektheid, zie het 7e thema hier- achter;

c ) van hun aanvang, zooals het 18e thema : cfica G F G; losse iastische modus aanvangend met de quart t.

Het 7e thema houdt zich schuil binnen de païen der quint.

Aeolisch :

D EF G G GE FED D A - bi - ma -tu et in - fra,

DFDFËGDFEFDDCDFËFGËDDII oc -ci -dit mul - tos pue-ros He - ro-des prop-ter Do-mi-num.

Baumker, blz. 224 :

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Tis guet in goeds ta-weer-ne te gaen, enz.

1 Een aanverwante mélodie mochten wij onder onze oude liederen niet ontmoeten.

( 119 )

Baumker, blz. 292 :

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1

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Der su - ver - lie - ster reyu-re maecht, der lief-ster bloem, enz. (Wereldlijk) : Tlief-ste wyf heeft my ver - saect, dat maect my out...

Baumker, blz. 200 :

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le had soe gheern den hei - li - gen geest, al bey ic lang, enz.

Lys -ken van Be - ve - ren is die bruyt: Ke - ren

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9

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- G - mi - J

cock! hoe wayt die

wint *.

Baumker, blz. 180 :

1 Zie blz. 5, aant. 1.

( 120 )

Souterliedekens, 1540, Ps. 49 r

Een vrien-de - lijck beelt mijn hert be-dwonghen

De mélodie kan ook door onder- of bovenappogiatura (voorslag) worden voorafgegaan i ;

4e thema. Aeolisch :

CD Da ac aG aF | Ga E F D

Cor mun-dum cre - a in me De -us, enz.

14e thema. ïastisch los :

a ¥ ¥G G a ca | a a fcj a G G

Qui ha - bi - tas in coe - lis mi - se - re - re no - bis.

-

1

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Æ

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9

9

-|

Ver-lan-ghen,ghi doet mijn der her - te pijn, enz.

(Zie blz. 36)

1 Gevaert, t. a. p., blz. 127, § 93.

2 Een devoot en profitelyck boecxken, blz. 103.

( 121 )

Vgl. Gevaert, t. a. p., blz. 270, 12e thema (variante), de Antiphone :

CL G G CL CL CL G CL G

Tu es vas e - lec - ti - o - nis, enz.

Zie mede de liederen « Solaes wil ic hanteeren ; » « Maria die zoude naar Bethleem gaen ; » « le wil mij gaen ver- huegen » « le had een aider liefste; » ce Wat wilt ghy glorieren ; » blz. 49 en vlg. hierboven.

TWEEDE AFDEELING

MELODIEËN MET DE HERVORMING IN GEBRUIK GETREDEN

§ 1. Rechtstreeksche beweging

3de thema. Aeolisch i :

Ps. 37 der Nederlandsche Hervormde Kerk :

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® -h - 1 1 h h

Wees o - ver ’t heil der boo - zen niet ont - sto-ken,enz.2.

Ps. 33-67. Herv. :

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Zingt vroo - lijk, heft de stem naar bo -.ven;

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& -

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Regt-vaar-di - gen, ver - heft den Heer, enz.

1 Zie blz. 93 hierboven.

* Zie blz. 126 hierboven. De aanvang der psalmwijzen is naar de uit- gave van Dathenus’ berijming (1566) weergegeven, de tekst naar de berijming van 1773 volgens de uitgave bezorgd door Dr J.-C.-A. Acquoy, 1895.

( 122 )

Ps. 9. Herv. :

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Ik zal met al mijn hart den Heer

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Blij-moe-dig ge - ven lof en eer; enz.

Ps. 114. Herv. :

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Toen Is - ra - ël ’t E - gyptisch rijks - ge - bied, enz.

Ps. 5-64. Herv. :

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1

Neem, Heer, mijn ban - ge klacht ter oo - ren; enz.

Ps. 107. Herv. :

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' j-n

rr o ^ gu

Looft, looft den Heer ge - sta-dig; Die Op - per - ma - jes- teit,enz

( 123 )

Vgl. Ps. 123, Souterliedekens, 1540 :

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1

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Coemt voort, coemt voort son - der ver - dracb, enz. i.

Ps. 8. Ilerv. :

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G ^

J. jO G

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^ G

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* ®

1

Heer on - ze Heer, groot-machtig, Op - per we - zen, enz.

Vgl. « Maria Coninghinne; »— « le sye die morghen sterre, »

blz. 98.

6e thema. Aeolisch 1 2 :

Ps. 13. Herv. :

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'T ) i G G ^ ^

Hoe lang, o Heer, mijn toe - ver - laet,

Ver - geet

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G " G

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J

1

gij mij - nen jam - mer-staat? enz.

Vgl. het Faetie-liedeken, blz. 105, en c< Een ridder ende een meysken ionck, » blz. 106.

Ps. 137. Herv. :

1

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7

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y \ G G G G ^

G ^ G

-i ^ - r- cr

Zr 75'

Wij za - ten neer, wij ween-den langs de zoo-men, enz.

1 Tekst, Antiverpsch liederboek, blz. 19, « Een nieu liedeken, » wat echter nog niet bewijst dat de mélodie niet voor de xvie eeuw werd vervaardigd.

2 Zie blz. 99.

( 124 )

Ps. 34. Herv. :

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O a a-

J2.

Ik loof den Heer, mijn God;

Mijn zang klim op

5

naar ’t he - mel-hof; enz.

83te thema. Aeolisch, aanvang met de terts :

F E D F G Fa- a | a a G EF G FE D D |

Spi-ri-tu prin-ci - pa - li con-fir-ma cor me-um De -us.

Ps. 148. Herv.

J5-

GT

-G-

Looft God, zingt eeu - wig s’Hee-ren lof, enz.

8ste thema (variante) met voorslag 4 :

Ps. 2. Herv. :

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Wat drift be-heerscht bet woe - dend bei - den - dom, enz.

Ps. 18. Herv. :

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- « ^ ^ 5 5

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Nu zal mijn ziel, nu zul - len al mijn zin - nen, enz.

1 Zie Gevaert, t. a. p., blz. 2o0.

( 125 )

Ps. il. Herv. :

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« -Td

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- G

G

^ G

- G— ^ - -

Op God al - leen be-trouw ik in mijn noo-den, enz.

10de thema. Aeolisch i : Ps. 104. Herv. :

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G ^ G

~G

C/ C/

Waak op, mijn ziel, Ioof d’Op - per - ma - jes - teil, enz.

Ps. 6. Herv. :

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-

- ^

G '

O Heer, gij zijt wel - da

Ps. 120. Herv. :

dig, enz.

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0

- G - J -

BfcS

-

k’ Riep tôt den Oor - sprong al

^ -&

1er din - gen,

tôt God,

1 Zie blz. 107.

( 126 )

Vgl. blz. 109 hierboven « Trueren so moet ic » (xve eeuw). Ps. 77-86. Herv. :

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7m v

y

1 ^

G

~G

- G ^ -

Mijn ge - roep, uit angst en vree - zen, enz.

Ps. 23. Herv. :

De God des heils wil mij ten her - der we-zen; ’k Heb

G n

G

geen ge brek,’k heb geen ge - vaar te vree - zen, enz.

Vgl. « Mijn hertken, » blz. 109. Ps. 55. Herv. :

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-G- ^

O God neem mijn ge - bed ter oo - ren; enz.

Zie den aanvang der hymne : « Jam Christe sol justiciae, » blz. 27.

Ps. 40. Herv. :

’k Heb lang den Heer in mij-nen druk ver-wacht, enz;

( 127 )

Ps. 61. Herv. :

20e thema Ps. 141. Herv. :

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- «A

H

O

\

U

J

’k Roep,Heer, in angst tôt U ge - vlo-den;enz.

22e thema, iastisch normaal, aanvangend met de quint :

d c de d c | a Je a a G G G Sit nomen Do -mi -ni be - ne - dic-tum in sae-cu-la.

Ps. 74-116. Herv. :

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* G

n G G

o

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^ g «

- -

r“ Gr

c J 11

Waarom, o God, zijn wij in eeu - wig - heid, enz.

24e thema, iastisch normaal, aanvangend met de quint :

d fcj defd d 1 d c fcj a '^a G Ca-ro me - a re-qui-e-scet in spe.

1 Zie blz. lit.

( 128 )

Ps. 27. Herv. :

« G - >5 - G -

^ -

G

P— G

f— J

G - Q - -

God is mijn licht, mijn heil ; wien zou ik vree - zen? enz.

Behooren mede tôt den normalen iastischen modus Ps. 136, aanvangend met de tonica; 126, aanvangend met de quart; 46-82, 74-116, 37, 145 aanvangend met de quint.

De volgende tôt den dorischen modus behoorende melo- dieën, al zijn zij tôt geen bepaald thema terug te brengen (vgl. echter het 34e thema, blz. 112 hierboven), herinneren door hunnen gang aan de dorische melodieen die wij reeds leerden kennen.

Ps. 51-69. Herv. :

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G

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... .Q .. . - - Q. ... ... jrj ® G

Ge - nâ, o God, ge - nâ, hoor mijn ge - bed, enz.

Ps. 17-63-70 :

Be-haag’ U, Heer, naar mijn ge - bed, enz.

Ps. 83 :

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G

o

j. G

G

O

& G

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«7

Zwijg niet, o God, houd u niet doof; enz.

( -129 )

Vgl. « Rosina waer was u gestalt, » blz. 69, waar de mélodie aanvangt met de grondnoot.

Ps. 102 :

r-e—

- 1 -

** xj G n j-

“7ml

~ & & G

LaLu - -

Hoor, o Heer, ver - hoor mijn smeeken, enz.

Ps. 132 :

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- e—rl

G

G -

G

G -

Ge-denk aan Da - vid, aan zijn leed, enz.

Ps. 31-71 :

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j G fj

.

^

G . .

J±XL

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G

G

Op U be-trouw ik, Heer der hee - ren, enz.1.

2,1e thema. Aeolisch 2 : Ps. 50. Herv. :

- -

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J

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J... G ^

y G d

V

2

^ G £ ** G

G

Der go - den God ver-het't zijn stem met macht, enz.

Tôt den hypolydischen normalen modus behooren : Ps. 138. Herv. :

1 Het overige van den psalm behoort tôt de hymne « Hostis Herodes impie x> ( Hijmni de tempore, Solesmis 1885. blz 34). Tôt den dorischen modus behooren mede de Ps. 26, 100 131 == 142, 147.

2 Zie blz. 114.

Tome LXI.

9

( 130 )

Ps. 105 :

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& P

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I

Looft, looft, ver-heugd,den Heer der hee-ren;enz.

Vgl. Doyen, I, blz. 718 :

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6L L L ' 1

U - ne pas - tou - rel - le gen - til - le, enz.,

een lied dat zich reeds in 1529 met vierstemmige bewerking voordoet i; zie mede Casteleyn, Diversche liedefrins, 1574, nr 9 :

i ... 9 9

&

&

* r @ m r

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&

I 1 ! !

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V-

1 1 1 I

t

Ick vrijdd'een vrau-kin al - soo fiju En droech liaer

goe - de min - ne, enz., -

waarmede nog kan vvorden vergeleken de meiodie ce Tsavents sprack hy tôt der maecht », te vinden in Fruymeus’ Eccleslas- ticus , 1565, nr 63, blz. 124.

1 Namelijk in Trente- et huit chansons musicales, 9e livr. Paris, Attaingnant, 1529, blz. U. De tekst is van Cl. Marot.

2 Behooren mede tôt den hypolydischen normalen vorm. Ps. 3, 32, 36 68 (Zie aant. blz. 94), 84, 133, 150 aanvangend met de toniea; I, 29, 47, 52, 73, 81, 97, 122 aanvangend met de quint; 135 aanvangend met de octave der tôt slot gebruikte toniea.

( 131 )

§ 2. Cirkelvormige beweging

16e thema. Iastisch los 4 :

Ps. 15. Herv. :

:

»

G ^

rA

_ £3 £1. £3

G ^ ^ G

JLi

Wie zal ver - kee - ren, groo - te God, enz.

Vgl. « Den lustelijcken mei, » blz. 116.

Zie mede Ps. 83, bl. 128 hierboven, die andere aanvangs- noot heeft en tôt den dorischen modus behoort.

Ps. 103 :

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£3

G G rj

G

f n ^ i ^ g g '\*

G

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G £^

1 "

O

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Loof, loof den

Heer, mijn ziel,

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- I

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krach - ten;

I

7+

G - G - y$-

-G - G G - G

Ver - hef zijn naam, zoo groot, zoo

~G~

hei - lig

t’aeh - ten.

1

- Æi J G .£3 £^

G

y K G G

G G g

t

y G 1

- 1 - i -

Och, of nu al, wat in mij is. Hem preez’! enz.

1 Zie blz. 116.

( 132 )

Vgl. Casteleyn, Diversche liedekins , nr 6 :

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5

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y K fl & \ K

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Const gaet voor cracht, Lijc d’ou - ders ons scho - lie - ren, Toogtvroom dijn vacht Ende o - pent ’tsleeus ban - nie - ren.

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G -

-G-

Steld

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op,

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noyt

be -

gaen;

Let

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tuyt,

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wel - vaert

hangt

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an.

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Vi- - b« .

& fn - -

- y v y ^ rj ^

VAL &

G

G

- 1 - - 1 - 1

Elck e - del man Int vech-ten valt zeer coe - ne, enz. *.

Ps. 44. Herv. :

1 De liederen van Matthijs de Casteleyn vverden waarschijnlijk op zeer verschillende tijdstippen vervaardigd, en daar de « gelauwerde poeet » in 1485 het levenslicht zag, is het niet onmogelijk dat hij reeds bij den aanvang der xvie eeuw liederen dichtte.

Reeds voor 1548 moet een uitgave der Diversclie liedekins zijn versche- nen, daar Casteleyn’s Liedekins boucxkin door hem zelf in zijn in 1548 geschreven Conste van Rhetorijcken wordt aangehaald. Doch het is niet bewezen, dat een uitgave met melodieën voor de Gentsche uitgave van 1574 het licht zag. Het tegenovergestelde schijnt uit deze laatste te blijken. De mélodie van het lied « Const gaet voor cracht » kan dus aan Ps. 103 zijn ontleend.

( 133 )

Vgl. het tijdens de xme eeuw zeer verspreide « Kyrie, magne Deus, » waarvan een 15e-eeuwsche navolging bestaat :

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Ps. 93, 113, 117-127 der Herv. behooren mede tôt den iastischen lossen modus; vgl. met de melodieën, blz. 36 vlg. hierboven.

15de thema. Iastisch los :

GFDFFGG | G a G a G F Rex pa - ci - fi - eus ma -gui -fi - ca-tus est, enz.

Ps. 30. Herv. :

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Ik zal met hart en mond, o Heer, enz.

Vgl. Gevaert, t. a. p., blz. 278 :

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* Bâumker, t. a. p., np 87, blz. 320.

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( 134 )

40e thema. Hypolydisch los i : Ps. 35. Herv. :

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Ps. 424 :

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Dat Is - ra - Si nu zeg - ge, blij van geest, enz.

Vgl. de tôt den lossen hypolydischen modus behoorende Ps. 43, 60-108, 119 en de van de vrije compositie uitgaande Ps. 54, 123 aanvangend met de terts; 21, 75 aanvangend met de bovenquint; 79, 101 aanvangend met de onderquarte.

41e thema. Hypolydisch los 2 :

Ps. 56 :

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Ge - nâ, o God, bescherm mij door uw hand, enz.

1 Zie blz. 116.

2 Zie blz. 117.

( 435 )

Ps. 98-66-118 :

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Zingt, zingt een nieuw ge-zang den Hee - re, enz.

Ps. 89 :

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Ps. 25 :

’k Hef mijn ziel, o God der go - den, Tôt u

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op ; Gij zijt mijn God, enz.

Ps. 134 :

Zie « Den dach en wil niet » en « Ick had een boelken, » blz. 117 hierboven.

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( 136 )

Ps. 99. Herv. :

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God de Heer re-geert. Beefr, gij vol -ken; eert, enz.

Ps. 42 :

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Hij-gend hert, de jacht ont-ko-men, Schreeuwt niet ster - ker naar ’t ge-not, en

Ygl. ook het 40e thema, blz. 116 hierboven.

§3. Onregelmatige thema' s

Tôt de zangen met beperkte uitgestrektheid behooren Ps. 80 en 7.

7e thema 1 :

Ps. 80 :

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Neem, Is - rels Her - der, neem ter oo - ren, Die J.o - zefs

1 Zie blz. 118. Vgl. de sequentia « Victimae Paschali laudes, » toege- sclireven aan Wipo (xie eeuw), en Baumker, Das Katholische deutschc Kirchenlied, I, nf 263, blz. 540). Vgl. mede de hymne « Jesu Redemptor omnium » ( Hymni detempore , Solesmis, blz. 126).'

( 137 )

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kroost, door U ver - ko - ren, Als schapen gun - stig hebt ge - leid, enz.

Ps. 7. Herv. :

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O Heer, mijn God, vol - za - lig We-zen, enz.

DERDE HOOFDSTUK

De Gompositie

' § 1. Navolging van bekende thema’s

Zooals uit de hierboven aangebaalde voorbeeiden blijkt, dienden dezelfde thema’s die tôt de toonzetting van antiphona’s aanleiding gaven, en waaruit ook de meeste kerkelijke melo- dieën ontstonden, tôt uitgangspunt aan menige oude Neder- landscbe mélodie. In dezen zin sluiten zich ook onze melodieën, door den kerkzang, bij de muziek der Oudheid aan.

De wijze waarop de thema’s voor de compositie onzer oude liederen benuttigd werden, is nagenoeg dezelfde aïs die waarop de moderne componisten bij het samenstelien hunner melo¬ dieën te werk gaan. De moderne componisten toch nemen hun toevlucht tôt herhalingen, verlengingen en versieringen E

1 Gevaert, t. a. p., blz. 143 vlg.

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( 138 )

Herhalingen.

I. Bloote herhaling der eerste muzikale période met enkele veranderingen tôt slot (zie « Wildi horen van ihesus woir- den, blz. 52 » in verband staande met het 6e thema, blz. 99) Baumker, blz. 238 :

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synt in sor-gen groet, sel-len wy de - sen striit ver -

II. Herhaling van het thema op zekere plaatsen van den tekst, welke plaatsen daardoor als het ware onderstreept wor- den en vooruit treden.

In de volgende mélodie maken de eerste drie verzen een refrein uit, waarin het thema tôt aanvang en tevens tôt slot dient. Te beginnen met het vierde vers neemt de mélodie een nieuwe wending aan, die tôt aan het zevende vers doorloopt, waarna het lied eindigt met eene herhaling voor de eerste drie versregelen. Het thema wordt dus viermaal gehoord.

1 Een vorra die zich in onze liederen nochtans zelden voordoet. Vgl. echter Ps. I Souterliedekens, « Het was een clercxken. »

2 3e thema, blz. 95.

( 139 )

Baumker, blz 249 < :

Laet ons mit hart - zen rey - ne lo - ven dat

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( 140 )

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ne met si - nen bloe- de al-ley - ne.

Verlenging van het thema.

1. Door bijvoeging van voorslag.

Baumker, blz. 229 :

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Droch werrelt, my gri - set voor dyn we - sen, enz. l.

1 3e thema. Zie blz. 95. Vgl. Gevaert, t. a. p., blz. 236.

Da a ac a aGba

Hi no - vis - si - mi, enz.

De mélodie « Droch werrelt » schijnt overigens ontleend aan een vroe- gere Latijnsche zangwijs « Ave pulcherrima regina. »

( 141 )

Doe die ro - se van ihe - ri - co den zoen der

(Wereldlijk) : Mijn hoep,myn troest, myn toe - ver - laet staet aen

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ee - ne ionc-frou - we [fijn], enz. l 2.

j. Fruytiers, Ecclesiasticus , Antwerpen, 1565, blz. 48 :

won - der-lijck draeyt u spil - le, enz. 2.

Ps. 130. Herv. :

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Uit diep-ten van el - len - den Roep ik met mond en hart, enz.

1 7e thema. Zie blz. 118.

2 10e thema. Zie blz. 107.

Tekst, Antwerpsch liederboek, blz. 189. « Van die Coninghinne van Denemercken, » lied op het afsterven van Isabella (1526), zaster van Keizer Karel.

( 142 )

Ook wordt wel eens in het thema de bestaande melodische voorslag weggelaten :

Baumker, blz. 298 :

Baumkek, blz. 203 :

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Ps. 12. Herv. :

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Ps. 88. Herv. :

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O God mijns heils^mijn toe - ver - lael, enz.

1 Vgl. 3e thema, blz. 95.

2 thema. Vgl. Gevaert, t. a. p., 236 :

Da a c a G F G FE D

San - cti qui spe-rant in Do - mi - no, euz.

3 Met weglating van de tonica als aanvangsnoot.

( 143 )

Vgl. « le sye des morghens sterre » (blz. 98).

IL Door bijvoeging van gebruikelijke formule’s. Zie de melodieën « le wil den Heer getruen » en « Doen Hanselijn » 4.

III. a) Door bijvoeging van een ofmeer ineisie’s 2.

Baumkkk, blz. 295 :

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1 Blz. 95 en 113.

2 Zie blz. 99 bel therna.

( 144 )

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b) Door bijgevoegde melodische volzinnen. Zie blz. 31, « Die lelykyns wit. »

c) Door versieringen (melismen). Zie, blz. 97, den aanvang van het lied « 0 Jhesu, uutvercoren heer. » Zie mede het thema der voornoemde mélodie « Die lelykyns wit. »

Hierboven haalden wij een voorbeeld aan van gemengden normalen en lossen iastischen modus (zie blz. 46, « Het is een dach. »)

Het overloopen van den iastischen en van den dorischen modus tôt den aeolischen hebben wij aangetoond blz. 53 en 115.

De iastisch-aeolische en aeolisch-iastische modi leerden wij kennen blz. 51.

De volgende mélodie, zonder eigenlijk tôt de tweeslachtige te behooren, daar zij aeolisch aanvangt en sluit, staat echter onder den invloed der beide modi.

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Sterct mi - nen moef. Druck werpt mi o - ver boort.

1 De zang wordt hier voorgegaan door een praeludium (voorspel) dat waarschijnlijk op de luit werd uitgevoerd. Het praeludium bestond reeds in de citharodie der Oudheid en gaf in den kerkzang aanleiding tôt de antiphona’s (zie Gevaert, t. a. p., blz. 34 en 83). Waarschijnlijk behoorde het bovenstaande voorspel reeds bij de mélodie, welke oor- spronkelijk dienst deed voor het wereldlijk lied in het handschrift aangeduid : « Ons is verlenghet eens deels den dach, ons doet ghewach clevn wout voghelkvn d’maerl. »

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( 145 )

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De oude dorische modus ving aan met een der klanken van den modalen drieklank; in de xie eeuw werden de boven- tonica (F), de bovenquarte (a) en de bovensexte (c) mede als aanvangsnoten gebruikt (zie blz. 64). Met a vangt de mélodie ook wel aeolisch aan, terwijl zij met e dorisch sluit. Aldus ontstaat er eigenliik een vermenging der beide modi (zie op gemelde blz. de mélodie « le dronc so gaerne »). Andere zang- wijzcn van denzelfden aard komen voor, bij voorbeeld, in de Souterliedekens Zooals dit gewoonlijk in den aeolischen

1 Tekst en mélodie : Een devoot en profitelyck boecxken, 1539, blz. 172.

2 Antwerpen. 1540. Ps. 102 na die wijze « Om een die aider liefste mijn |! daer ic af singhen wil. » Ps. 147 na die wijze : « Wel op laet ons gaen riden || en sadelt mi mijn peert. » Voor beide liederen ont- breekt de verdere wereldlijke tekst.

Tome LXI.

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( 146 )

modus geschiedt, vindt men deze melodieën eene quint lager getransponeerd. Wij laten Ps. 147 volgen :

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(Wereldlijk) : Wel op laet ons gaen ri - den En sa - delt

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Ten opzichte van den aeolischen modus sluit de boven- staande mélodie met de quint. Dit slot heeft klimmende bevveging, tervvijl de zuiver dorische melodieën (zie blz. 60, 62, 66, enz.) altijd met dalende beweging sluiten.

§ 2. Vrije compositie

Zoover de bronnen voor de kennis onzer oude melodieën reiken, vindt men, naast de thematische compositieën, zang- wijzen in mindere of meerdere mate van het vrije, individueele

( 147 )

gevoel uitgaande. Tôt deze soort behooren enkele der melo- dieën welke wij vroeger aantroffen, onder andere : in aeolischen modus « Here God, wie mach hem des beclaghen » (blz. 24), « Ick aen ghegheven hertze en de zin » (blz. 2o); in den dorischen modus « Die mey spruyt uut » (blz. 60), « le quam nog ghister avont » (blz. 62); in iastischen modus « Mijn hert die is in lyden » (blz. 49) ; in hypolydischen modus « Mijn hart is heymelic getoeghen « (blz. 82), « Begheerte nu vlieghet » (blz. 83).

Andere van het persoonlijk gemoed uitgaande melodieën zijn :

Onder de loe-eeuwsche zangwijzen : O creatuer dyn cla- gen 4; » « O Ihesu, heer, verlieht myn sinnen 2; » « Mynnen, loven ende begheren 3; » « le sat wel seer bedrovet 4; » « Die aire zuetste ihesus; » met wereldlijke wijsaanduiding : « Icsach een suverlicke deerne, » enz., variante van de mélodie « le sat, » enz. 3; « le wil my selven troesten, » geestelijk pastiche van een wereldlijk lied met denzelfden aanvang 6; « O ghi, die ihesus wyngaert plant T ; » « Die werelt hielt mi in hair gewout 8. »

Onder de melodieën in de Souterliedekens voorkomende : « Het reghende seer ende ick wert nat 5 * 7 8 9 ; » « Aenhoort aile myn

1 Baumker, blz. 207.

2 Idem, blz. 217.

5 Idem, blz. 234.

* Idem, blz. 243, het slot

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moet zijn :

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5 Baumker, blz. 244.

0 Idem, blz. 314.

7 Idem, blz. 31o.

8 Idem, blz. 319.

9 F. van Duyse, Oude Nederlandsche liederen, 1889, blz. 124. Ps. 3.

( 148 )

gheclach i; » « Ick arm schaep aen gheen groen heyden 2; » cc Ick ghinc nog ghister avont 3, » enz.

Onder de gczangen der Hervormde Kerk : Ps. 16 « Bewaar mij toch, o alvermogend God ! »; Ps. 22 « Mijn God, mijn God, waarom verlaat Ge mij; » Ps. 41 « Welzalig hij, die zich verstandig draagl; » Ps. 59 « Red mij, o God, uit ’s vijands banden; » Ps. 92 cc Laat ons den rustdag wijden, » enz.

De meeste dezer melodieën behooren tôt den aeolischen modus en volgen dan ook op vele plaatsen de gevvone vormen daarvan. De volgende aeolisch sluitende zangwijze 4 vangt daarentegen iastisch aan, zoodat men ook hier de vermen- ging van twee toonaarden kan opmerken.

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moet, want als - et gaet ten quaetsten, so maelit noch wer- den

goet, van son-den wil ic my ke-ren in myn-re ion-gher

1 F. van Duyse, Onde Nederlandsche liederen, 1889, blz. 134, P?, o - Idem, blz. 143, Ps. 7.

3 Idem, blz. 152, Ps. 11.

4 Baumker, blz. 314.

( 149 )

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In hunne vrije compositieën maakten de monodisten mede gebruik van versieringen, echte variatiën.

De volgende mélodie behoorende bij een lied bestaande uit zeven twaallregelige strophen 1, beslaat twee perioden, die beide gevarieerd zijn en wel op deze wijze :

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I O wel moechdi u verhogeD,

»tP PERIODE . . < die om god na u vermogen

( denarmen troest in haer verdriet,

l8,e muzikale zinsnede (a - a).

2de id. variante van de eerste(a-a),

3de id. sluitend op de tonica.

!tzv mit woerden of mit werken, voer u doer of voer die ke> ken, soe waer dat gliise hoert oft siet.

Herhaling der lste zinsnede gevarieerd*

ld.

Herhaling der 3de zinsnede gevarieerd*

le PERIODE

Vaderlic end mynnentliken

sel u god van hemmelriken

daer voer noch in syn riic ontfaen.

l8te muzikale zinsnede (D -a). 2de muzikale zinsnede (d- a). 3de muzikale zinsnede.

mATIE . .

t Daer seldiit pallaes aenschouuen,

' u getymmert al claer gouuen,

( vant guet, dat ghi hem hebt gedaen.

Herhaling der dste zinsnede gevarieerd* Herhaling der 2de zinsnede gevarieerd. 3d8 muzikale zinsnede met slot op de

[quint*

De mélodie vangt dorisch aan op de quart ( a ), gaat over tôt den aeolischen modus, en sluit in dezen op de quint (a). Noch

1 Baumker, t. a. p., blz. 213.

( 150 )

tekst noch mélodie kunnen onder de populaire liederen wor- den gerangschikt.

Ter oorzake van hare vele fiorituren, is het moeielijk deze zangwijze binnen de païen der moderne maat te brengen; wij laten haar dus volgen zooals wij haar in Bâumker’s uitgave aantreffen :

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ver-driet, tzy mitwoer - den of mit wer - ken,

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v god van hcm-mel - ri - ken daer voer nocli in syn riic ont-faen.

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claer gou-uen, vant guet, dat ghi hem hebt ge-daen 1.

De thans volgende, insgelijks van de vrije compositie uit- gaande zangwijs, behoort tôt de wiegeliederen van Kerstnacht. Zoowel in de Nederlanden als in Duitschland, zal het kinder- wiegen in de kerk op het einde der xive eeuw in eere zijn getreden; zoowel als in Duitschland zal ten onzent dat kin- derwiegen tôt dichten en zingen hebben aanleiding gegeven 2 :

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1 Bàumker, t. a. p., blz. 213; zie mede, blz. 220, de mélodie « 0 suver maeclidelike staet. »

2 Hoffmann von Faleersleben, Geschichte des deutschen Kirchenliedes, 3e uitg., 1861, blz. 418 vlg. : « Ziemlieh allgemein muss zu Ende des xiv. Jahrbunderts das Kindelwiegen in den Kirchen Deutschlands üblich gewesen sein. Das Kindelwiegen in der Kirche war ein willkommenêr Anlass zum Dichten und Singen. » De vroegere Kribbetjes (Kerstdagspelen) van Fransch-Vlaanderen zijn daar nog een bewijs van. Over deze spelen, zie Carnel, ’t Kribbetje en Noëls dramatiques in Annales du Comité flamand de France , Dunkerque, 1854-1855.

( 152 )

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1 Baumker, t. a. p., blz. 197. Het « suyo su » staat in verband met het « susa ninna susa noe, » dat men o. a. aantreft in het 15e-eeuwsche lied « Ons genaket die avontstar. » (Hoffmann von Fallersleben, Nieder * làndisch geistiiches Liederbuch. Hor. Belg., X, blz. 39), een refrein, dat onder den vorm van « susaninne » nog werd vermeld door Luther voor zijne kinderen het Kerstlied dichtend « Vom himmel hocli » (Erk und Bôhme, Deutscher Liederhort, III, blz. G35-636). « Susa minna » = Sus minneken, slaap, kindeken; zie Hoffmann von Fallersleben, Geschichte des deutschen Kirchenliedes, blz. 420, de aanteekeningen op het lied : « Sausa minne, gotes minne // nu sweig und ru! »

( 453 )

De vraag in hoeverre de oude zoo wereldlijke als geestelijke volksmelodieën, en onder de laatstgenoemde moet men aile geestelijke gezangen in de moedertaal rekenen, inet de melo» dieën der Latijnsche Kerk in verband staan, kwam reeds dik- wijls ter sprake. Zij werd in verschillenden zin opgelost, daardoor dat niemand vdor den schrijver der Mélopée antique de thema’s waarop de Latijnsche Kerkelijke melodieën gegrond zij n , had weten zoo nauwkeurig aan te duiden. De tekst van den kapelaan Wipo, sprekende over de intrede van Keizer Koen- raad II, te Mainz (1024) i « cum maxima alacritate omnes properabant. Ibant gaudentes, clerici psallebanl, laïci canebant, utrique suo modo, » beteekent alleen, dat de clerken in de Latijnsche taal, de leeken in de moedertaal zongen 2. Pb. Wol- frum 1 2 3 noemt het een slechte gewoonte (Unsitte), van katholirke en ook van protestantsche zij de, in menige fraaie geestelijke volksmelodie « gregorianischen intonationen » te willen zien. Deze « Unsitte » heeft men thans wel is waar eenigszins afge- legd, maar de verdienstelijke Bâumker, zegt Woltrum, is noch- tans in die zonde hervallen met betrekking tôt de mélodie « Ein feste Burg. » Door fragmenten aan de Missa de Angelis ont» leend 4 f poogde Bâumker te bevvijzen 3 dat Luther’s koraal 6 is

1 De tekst van Wipo, aan vvien ook de sequentia « Victimae Paschali laudes » wordt toegeschreven (zie blz. 136), is te vinden in Pertz' Monumenta Germaniae historien, scriptores, XI, 260.

2 Psallere heeft ereen andere beteekenis dan zinçen.

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3 Die Entstehung und erste Entwickelung des Deutsclien evangelischen Kirchenliedes , Leipzig, 1890, blz. 72 aant.

* Deze rnis komt onder andere voor in Vesperale Romanum, Luik, 1854.

3 Monatshefte, XII (1880), blz. 155; bijlage 7, blz. 173. Op de door hem aangevoerde bevvijzen komt Bâumker terug in zijn werk Dus Katliolische deutsche Kirchenlied, 1 (1886). blz. 22 vlg.

fi Of de beroemde mélodie werkelijk van Luther is? In den jongsten tijd werden aile bekende bevvijzen voor Lulher’s auteurschap doch zonder beslissend nieuws mede te brengen bijeenvcrzameld door Ad. Kôckert, Martinus Luther, Der autor des Chorals, enz. Schvveiz. Musikzeitung, Zurich, 1897, nrs 17 en 18.

( 154 )

samengesteld uit melodiezangen van den Ven kerktoon, zooals:

Grad. Rom. blz. 502 Blz. 475

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Tegen Bâumker’s stelsel had een andere schrijver, Dr Tür- lings 1, aangevoerd, dat de Missa de Angelis modem klonk en zij dus na Luther’s koraal moest ontstaan zijn. De opwerping wordt door Wolfrum voor eigen rekening overgenomen, ofschoon Bâumker tegen Dr Türlings’ aanmerkingen reeds had ingebracht 2, en onzes inziens te recht, dat elke mélodie van den Ven kerktoon (van den hypolydischen modus) modem klinkt; dat de aan Luther toegeschreven mélodie niet voor 1530 of 1531 werd vervaardigd, terwijl het hoegenaamd niet bewe- zen is, dat de bedoelde mis van lateren tijd dagteekent. Om het even, Wolfrum wil van Bâumker’s « Fliehschneiderweise gemachte » muziek maar niet hooren.

Aaneengeflikt kan men elke mélodie noemen; de melodieën toeh bestaan uit bijeengebrachte noten. De vraag is of in eene compositie ziel en leven steekt? Dat de vorm, de melodische wendingen van Luther’s koraal voor 1530 bekend waren, is niet te loochenen. « Kin feste Burg » wordt door Gevaert in eenen adem met de 13e-eeuwsche zangwijze « O sacrum convivium » genoemd, en buiten deze laatste zangwijze en die welke wij

1 AUgemeine Zeitung, 1887, nr (5, bijlagen.

2 Monatshefte, XIX (1887), blz. 73.

(. 155 )

hierboven om hunnen dalenden gang vermeldden (blz.82, vlg.), bestaan er nog meer andere die, wat gang en vormen betreft, aan het beroemde koraal verwant zijn.

E. Naumann t, die Bàumker’s zienswijze insgelijks bestrijdt, beweert onder andere, dat de driemaal herhaalde fin den aan- hef van het krachtige Hervormingslied (f ffc dfcdc) in nauw verband met den zin der eerste woorden van het lied gevoegd en gecomponeerd is; ja, dat Luther’s strijdzang zonder deze drie een zoo aangrijpenden indruk te wege brengende f ’s, ongewapend, zonder helm en harnas zou zijn geweest, en zeker niet, gelijk het het geval was, tôt « gute Wehr und Waffen » in den strijd met de vijanden van het Evangelie had kunnen dienen.

Indien de kracht van Luther’s koraal inderdaad alleen in de bedoelde driedubbele lierhaling steekt, zou de volgende 15e-eeuwsche mélodie evenveel verdiensten bezitten :

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Evenzeer wordt die herhaling aangetroffen in een lied van Johann Walther (1495-1570), Luther’s vriend:

1 Geillustreerde geschiedenis der muziek, bewerkt door J.-C. Boers, I (1886), blz. 434.

2 G. Paris en A. Gevaert, Chansons du xve siècle, Paris, 1875, nr 14.

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Niemand zal nochtans beweren dat Walther’s meerstemmig lied of de 15e-eeuwsche Fransche zangwijze met de prachtige koraalmelodie te vergelijken zijn. Den componistvan het over- heerlijke « Ein feste Burg » vvaren de Greguriaanschc melo- diëen waarschijnlijk wel bekend, en deze zweefden hem zeker wel voor den geest 2; maar terwijl de door Bâumker bijeen- gebrachte fragmenten als met lamlendigheid liggen geslagen, wist de Duitsche meester die het Hervormingslied compo- neerde, aan min of meer bekende vormen een nieuw leven bij te zetten, eene ziel in te blazen, diezelfde vormen tôt een kunst- rijk geheel te verheffen, waarin met kracht en klem nieuwe gedachten zijn uitgedrukt en als het ware een gansch tijdvak, eene gansche natie zijn vcrtegenvvoordigd. In éen woord, de meester drukte op deze compositie het zegel van zijn genie en schonk haar daardoor de onsterfelijkheid.

De mélodie van Ps. 68 « De Heer zal opstaan tôt den strijd » Que Dieu se monstre seulement ») moge in enkele harer vvendingen aan bekende vormen van den ouden normalen hypolydischen modus herinneren, dit belet niet dat deze zang

1 Wittembergisch geistlich Gesangbuch (1524), nieuwe uitgave der « Gesellschaft für Musikforschung, » bezorgd door Otto Kade. Berlijn, Vil (1878), blz. 98; zie mede aldaar de tenorstem van « Ein neues lied wir heben an « (1522) en vgl. F. van Duyse, Onde Nederlandsche liederen, 1889, blz. 460, het lied « Met lusten willen wi singhen » (van Keizer Maximiliaen, 1491).

0. Kade, t. a. p., blz. 7-8 gaat van dit fragment uit om Walther als den componist van « Ein feste Burg » aan te zien

2 Dit wordt ook aangenomen door Prof1 2’ Dp Fr. Zelle, Ein feste Burg..., Wissenschaftliche Beilage zum Jahresbericht der zehnten Realschule (Hoheren Bürgerschule), Berlin, 1895, blz. 7.

( 157 )

« ce psaume des batailles, ce chant grandiose et d’une incom¬ parable vigueur, » zooals hij door Douen l wordt genoemd, onder de géniale melodieën moet gerangscbikt worden.

Men vergelijke slechts den Ps. 98 « Zingt, zingt een nieuw gezang den Heere » (Chantez à Dieu nouveau cantique) met don op hetzelfde thema berustenden Ps. 56 « Genâ, o God, bescherm mij door uw hand » (Miséricorde à moi povre affligé), en men zal overluigd zijn, dat de eerste mélodie ver boven de tweede uitblinkt en dat zij, ofschoon in verband staande met het eeuwenoude nomos (zie blz. 184), niets van hare hooge waarde verliest.

De melodieën in de Souterliedekens te vinden, maakten als het ware den muzikalen grond uit van wat er in ons land gedurende een deel der xve eeuw en gedurende de gansche xvie eeuw werd gezongen.

Een deel dezer zangwijzen komen reeds voor in Een devoot en profitelyck boecxken , Antwerpen, 1539 1 2 3 4, een ander deel daarvan is herdrukt in Fruytjeus’ Ecclesiasticus , Antwerpen, 1563 3.

De voornoemde verzamelingen zijn de voorname eenslem- mige Nederlandsche muziekliederboeken die in ons land gedu¬ rende de xvie eeuw verschenen. Wij moeten ons tôt de teksten en wijsaanduidingen richten om te weten wat men zoo al verder in diezelfde eeuw placht te zingen. Zoo leeren wij uit de Refe- reynen ende liederen van diversche Rhetoricienen , Brussel, 1563, dat ook daarin melodieën uit de Souterliedekens worden aan- gegeven als stem 4. Verder worden melodieën in de Souter- liedekens voorkomende aangehaald in Een suyverlick boecxken ,

1 T. a. p., blz. I, 657.

2 Souterliedekens , Ps. 4, 5, 14, 18, 48, 65, 73. Een devoot en profitelyck boecxken , blz. 196, 107, 50, 119, 79, 92, 174 (variante), enz.

3 Souterliedekens, Ps. 1, 11, 18, 26, 37, 44, 73. Fjujytiers, blz. 76, 134, 26, 83 (variante), 42, 55, 38, enz.

4 Souterliedekens, Ps. 7, 11, 14, 17, 18, 65, 73. Refereynen, blz. 149, 151 v°, 23 v°, 112, 49, 67, 154, enz.

( 158 )

Amsterdam, z. j., een liederverzameling die onder andere liederen van Tonis Harmansz. van Warvershoef (1570-1615) bevat; in Coornhert’s Lied-boeck , Amsterdam, z. j. (1575); in Een Amslelredams amoreus lietboeck, 1584, dat voor een goed deel overging in het j\ieu Amstelredams liedboeck , 1591, enz.

Vele van de liederen die men in de laatstgenoemde verzame- ling aantreft, werden vervaardigd door rederijkers. Terwijl sommige dezer stukken afkomstig zijn van de Amsterdamsche Kamer « de Egelantier, » ontstonden andere in Antwerpsche Kamers, zooals « de Olijftak, » « de Goudsbloemkens, » « de Violier » 1. Zeker zullen rederijkers als Marnix, Van Mander, Duym en Fruytiers, allen Zuid-Nederlanders door de onver- draagzaamheid en de jacht op de ketters uit het Zuiden naar het Noorden gedreven, in hun nieuw vaderland Vlaamsche melodieën hebben overgebracht en verspreid. De liederen van Karel van Mander (1548-1606), waarvan vele uit zijne jeugd dagteekenen, andere de jaartallen 1584, 1585, 1600 dragen en die later in een bundel, De gnlden harpe , Haerlem, 1627, ver- schenen, zullen ongetwijfeld hun aandeel tôt die verspreiding hebben bijgedragen. In de laatstgenoemde verzameling tref- fen wij insgelijks zangwijzen uit de Souterliedekens aan 2.

Andere door Van Mander aangehaalde liederen, zooals « Op Sinte Maertens avont, » wellicht het lied dat in Vlaanderen nog heden is bekend 3, « Och lighdy hier en slaept, » waarvan de tekst te vinden is in het Antwerpsch liederboek, blz. 198 « Van den verloren zone, » een lied waarvan wij verschillende teksten bezitten, « Ick stondt op hooghe berghen, » dat reeds in de xve eeuw tôt wijsaanduiding dient; een ander lied « O Vlaen- derlandt, edel landouwe fier, » enz., kunnen zeer goed door

1 Dr Kalff, Geschiedenis der Nederlandsche letterkunde in de xvi* eeuw, II (1889), blz. 150.

2 Souterliedekens, Ps. 7, 11, 59, 73. Van Mander, De gulden harpe, blz. 176, 157, 182, 122, enz.

3 De gulden harpe, blz. 93 ; vgl. Lootens et Feys, Chants populaires flamands, blz. 228.

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( 159 )

den schilder-rederijker die in 1583 de wijk naar Haarlem nam, in het Noorden zijn overgebracht 1.

Een tiental Fransche zangwijzen die men in de Souterlie - dekens aantreft, zijn overgenomen uit meerstemmige Fransche liederboeken, onder andere uit een verzameiing in de jaren 1529-1531 te Parijs gedrukt^. Wat modus en melodische wen- dingen betreft, sluiten deze zangwijzen zich bij de overige melo dieën der Souterliedekens aan. Deze laatsle waren insgelijks aan de zangstem van meerstemmige bewerkingen ontleend.

Uit hetgeen voorafgaat leert men, dat voor de studie der Nederlandscbe zangwijzen reeds onmiddellijk na het eerste vierendeel der xvie eeuw moet rekening worden gehouden met het Fransche lied. Overigens had de invloed der Fransche taal die in vroegere eeuwen aan het Hof der Graven van Vlaan- deren en van Brabant bioeide, zich met den aanvang der xvie eeuw reeds sterk te Brussel doen gevoelen en vooral aan het Hof der Regentes Margareta van Oostenrijk (1480-1530). Deze prinses had hare kinderjaren in Frankrijk doorgebracht, en onze taal was haar volkomen vreemd. De meerstemmige liederboeken die haar eens toebehoorden, en die thans op de Koninklijke bibliotheek te Brussel berusten, bevatten een hon- derdtal meerstemmige liederen, waaronder een veertienlal met Latijnschen en slechts éen, « Myn herteken », met Nederland- schen tekst 3.

In het jaar 1543 werd te Àntwerpen het eerste meerstemmig Fransche liederboek gedrukt 4, dat weldra van talrijke andere in dezelfde stad en te Leuven verschenen Fransche verza-

1 Zie voor de verder aangehaalde stemmen : De gulden harpe, blz. 104, 138, 192, 217.

2 In partituur herdrukt door Fr. Gommer, Collectio operum musicorum Batavorum, t. XII. Vgl. Souterliedekens , Ps. 72, 103, 113, 117, 128, en Commer. t. a. p., blz. 16, 15, 13, 77, 12.

5 Zie F. van Duyse, Het eenstemmig... lied, blz. 145, 235 en denzelfde, Bidl. de U Acad. roy. de Belgique, 3e sér.. t. XXIX, 4, blz. 576 vlg.

4 Alph. Goovaerts, Histoire et bibliographie de la typographie musicale dans les Pays-Bas, blz. 186.

( 160 )

melingen wml gevolgd, terwijl men nauwelijks een zestal verzamelingcn van Nederlandsche meerstemmige liederen kan opnoemen.

Deze feiten dienen om den invloed te verklaren die het Fransche lied ten onzent steeds uitoefende, welke invloed gedurende de xvne en xvme eeuw meer en meer toenam.

Yoor een Geuzenliedje « Hebdy wel ter missen gheweest, » dat waarschijnlijk uit de dagen van den Beeldenstorm (1566) dagteekent, vinden wij een oorspronkelijke ltaliaansche dans- wijs « Passemedi dei Bosa » aangegeven i, een bewijs dat reeds te dien tijde ook ltaliaansche populaire melodieën te onzent ingang vonden.

VIERDE IIOOFDSTUK De verdere lotgevallen der oude modi

Üe oude kerkmodi bevatten twee toonladders met kleine terts, de aeolisehe en de dorische; twee andere met groote terls, de hypolydische en de iastische :

1 Vàn Lummel, Niemv Geuzenlied-boek, blz. 10. D1' Loman, Rcgisler der Geuzeniiedjes (Bouwsteenen, II, 219 en 22(1) schrijft « Pasmedi van Posa » of « Gosa » en « Pasmedi van Bosa. » In elk geval geldt het een Italiaanschen dans.

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Uit deze loonladders, van vier op twee gebracht, ontstonden de moderne dur- en moltoonaarden, welke beide den moltoonaard eehter nog slechts in wording wij bij het begin der xvneeeuw in onze liederboeken aantreffen.

§ 1. Moderne durtoonaard

Samensmelting van den hyjwlydischen met den iaslischen modus

Hierboven * zagen wij hoe de hypolydische modus (f F) reeds vôor het einde der middeleeuwen in de kerkelijke melo- dieën tôt den modernen durtoonaard overging, en hoe die overgang ook in de wereldlijke muziek die daarop volgde te bespeuren is. Als bewijs van dien overgang haalden wij het eerste Fransche zangspel Li Gieus de Robin et de Marion (1280) aan. Op hare beurt onderging de meerstemmige muziek sedert haar vroeçste bestaan den invioed van den durtoonaard. De meerstemmige liederen toch die in Frankrijk gedurende de xne en de xme eeuw het licht zien, nemen in hunne sluit- cadens den leidtoon aan, en getuigen aldus van het streven naar vereenzelviging, ten minste wat betreft de twee oude modi, met groote terts. Naast de natuurlijke slotcadensen :

1 Blz. 76.

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( 162 )

treft men in deze liederen zachter klinkende cadensen aan, waarvan de moderne richting niet te loochenen valt * :

Hadden de accidentalen de JÇ, in aeolischen modus, bij gebrek aan verhoogingsteeken, door transpositie tôt gevvor- den ; de tj in hypolydischen modus door j? vervangen vroe- ger ten doel den tritonus te weren, thans achtte men het gebruik van dienzelfden tritonus het gesehikte middel om tôt eene bevredigende slotcadens te geraken.

Ook in het eenstemmig Nederlandsche lied laat zich in onze vroegste oorkonden de vereenzelviging van den hypolydischen en den iastischen modus ontvvaren. Een der door ons vroeger aangehaalde 15e-eeuwsche handschriften 2 bevat onder andere een variante van de iastische mélodie « Het is een dach van vrolicheit, » variante die door verandering van /‘in fis tôt den modernen durtoonaard is overgeloopen, wat nog steeds bij gebrek aan het verhoogingsteeken en door transpositie wordt uitgedrukt :

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1 Gevaert, Bulletin de la Société des compositeurs de musique, Paris, 1868, bJz. 119, vlg. De voorbeelden zijn door Gevaert ontleend aan de Coussemaker's wcrk, L'art harmonique aux xn* et xm* siècles, Paris, 1865.

2 Zie blz. 46 hierboven.

( 163 )

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Met de xvne eeuw gaat deze mélodie voor goed tôt den modernen durtoonaard over i. Hetzelfde verschijnsel doet zich voor bij een in de xvne eeuw op een Marialied gebrachte mélodie « Den lustelycken mey, » die in de slotoadensen het verhoogingsleeken aanneemt :

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Deze mélodie was, ofschoon verwaterd, nog in de xvme eeuw bekend :

1 Zie blz. 43 hierboven, dezelfde zangwijs in iastischen modus, en vgl., wat betreft dezelfde mélodie in modernen durtoonaard : Het prieel der gheestelicker melodiie, Brugghe, 1609, blz. 33; S. Theodotus, Het paradys der gheestelycke en kerckelyke lof-sangen , t’Sliertogenbosch (1621) 5en druk, Antwerpen, 1648, blz. 44, en J. Stalpaert, Gidde-iaers feest-dagen , Ànt- werpen, 1635, blz. 1252.

2 Het prieel, Brugghe, 1609, blz. 90 en variante blz. 122. Ygl. de 15°-eeuwsche zangwijze blz. 43 hierboven.

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Wat overigens voor die algemeene moderniseering van den iastischen modus een beslissend bewijs levert, is de wijze waarop, in de voormelde Brugsche verzameling 2, die benevens Nederlandsche ook Latijnsche en Fransche liederen bevat, de hymne « Yeni creator » wordt weergegeven :

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1 Onde en nieuwe Hollantse boeren lietiesj Amsterdam (e. 1700), nr 131, zonder verder tekst dan het opschrift « Genoegelijke meij. »

2 Hetprieel, blz. 296.

( 165 )

Waar mon nog ergens in een 17e-eeuwsche verzameling een iastische mélodie ontmoet, behoort zi j voorzeker tôt een dier populaire zangwijzen die aan de algemeene verjongingskuur ontsnapten. Onder deze moet eene mélodie met stemopgave « lk weelter een vroutjcn » worden geteld, vvelke door J. Stal- paert wcrd gebruikt voor een lied tegen de aanhangers van den kerkhervormer Zwingli (1484-1531) 1 :

§ 2. Moderne moltoonaard. Aeolisch-dorisch

Niet zoo vroeg als de iastische modus ontving de aeolische fret verhoogingsteeken. Voorloopig, en wel in de voornoemde

1 Extraction catholicum, Antwerpen, 1631, blz. 202.

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( 166 )

Fransche 12e en 136-eeuwsche liederen, behield de laatstge- noemde toonaard de diatonische slotcadens i :

Tijdens de xve eeuw echter nemen de meerstemmige tôt den aeolischen modus behoorende composition insgelijks den leidtoon in de slotcadensen aan : In het omtrent 1452 door Conrad Paumann bewerkte orgelboek leest men onder andere :

Van dit oogenblik af in zijn steun geknakt, wordt het oude tonenstelsel van diatonisch chromatisch. Er moest echter nog vrij wat tijd verloopen alvorens het nieuwe stelsel op de eenstemmige muziek algemeen zou worden toegepast. Wij zullen zien dat, nog heden, bij het aanbreken der xxe eeuw, in ons land, de oude aeolische modus nog niet geheel en al is uitgedoofd.

Eerst met de xvne eeuw vinden wij gedrukte bewijzen van den leidtoon in den eenstemmigen zang.

1 de Coussemaker, t. a. p., nrs 4, 5, 10, 21, 33, 46, 51 aangehaald door Gevaert, t. a. p., blz. 125.

2 Uitgegeven in Jcihrbücher fur musikalische Wissenschaft, van Chry- sander (I, 1867), blz. 177, vlg. ; insgelijks aangehaald door Gevaert, t. a. p.

( 167 )

De volgende mélodie, welke minstens tôt de xve eeuw behoort, is in de Souterliedekens te vinden i :

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In Het prieel 1 2 daarentegen, wordt dezelfde zangwijze, daar waar zij dienst doet voor een geestelijk pastiche, aldus weer- gegeven :

Een jongemaediuprackon - ver-saecht, enz.

Dat echter het gebruik van den leidtoon niet in eens het juiste gevoel van den modernen moltoonaard meebracht, en dat ook andere minder te begrijpen accidentalen werden benuttigd, leert het slot derzelfde mélodie. In dit slot wordt nog de terts verhoogd, welk geval zich meer dan eens in Het prieel voordoet :

1 Ps. 98. Tekst, Antwerpsch liederboek, 1544, blz. 57 « een amoreus liedeken. » Dezelfde mélodie in Een devoot en proptehyck boecxken, 1589, blz. 178. Vgl. voor den oorsprong dezer mélodie, Gevaert, La mélopée antique, blz. 250, variante van het 8ste thema : « Deus, Deus, meus (DFEDFaGEFD).

2 Blz. 134 : « op de wijse alsoot beghint, » wat zeggen wil, dat het pastiche denzelfden aanvang heeft als het wereldlijk lied.

( 168 )

Dat de eenstemmige melodieën der Souterliedekeus, met hunne notatie aan de meerstemmige bewerking van Clemens non papa zijn ontleend, lijrlt geen twijfel. De uitgever van den eersten druk, die aïs voorbeeld voor aile volgende diende, vergenoegde zich met in 1540 aan het nog in handschrift bestaande werk, dat eerst in 1566 werd gedrukt, voor elken psalm de zangstem over te nemen 1. Doeh uit de meerstemmige bewerking zelve blijkt, dat de daarin voorkomende zangwijzen oorspronkelijk diatonisch klonken en dat het verhoogings- teeken onder den aandrang der nieuwe tonaliteit aanvankelijk in de meeste gevallen ten minste alleen in de eadensen als leidtoon werd gebruikt. ïn Clemens’ bewerking is dit dan ook het geval met den zooeven aangehaalden Ps. 98 der Sou- terliedekens 1 2 :

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1 F. van Duyse, Onde Nederlandsche liederen, 1889, blz. 67. Idem, Het eènsiemmig ... lied, blz. 239. D.-F. Scheürleer, De Souterliedekens, blz. 17 vlg., waar een dertigtal uitgaven worden vermeld.

2 De boven de noten aangeduide accidentalen zijn van Commer.

( 169 )

Iloe ver het gebruik en het misbruik van het verhoogings- teeken vverd gedreven, hebben wij door een /17e-ecuvvsche lezing der hymne « Veni creator » aangetoond (blz. 164). Elders deed dit teeken toonschrcden ontstaan die heel en al modem schijnen. Zoo vindt men in een Latijnscli kerklied voorkomend in Het prieel 1 :

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Het ligt voor de hand, dat die accidentalcn niet bij de oor- spronkelijk aeolische mélodie behooren, maar bijvoegsel van later tijd zijn. Aldus brachten reeds met den aanvang der xvne eeuw de chromatische klanken verandering in de diato- nische muziek, en van dien tijd tôt op onze dagen beeft die chromatische beweging meer en meer veld gewonnen.

Ziehier enkele bewijzen van die 17e-eeu\vsche echt chroma¬ tische muziek. Wij vinden die vooreerst in een geestel ijk pastiche van de oorspronkelijke 16e-eeuwsche mélodie « Aen- hoort aile myn gheclach, ghi ruyterkens fraey : »

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Ultra-chromatisch klinken de volgende zettingen van J. Har- duyn’s Godclelicke sanghen 2, waarin men insgelijks de ver-

4 Oorspronkelijke mélodie, Souterliedekens, Ps. 5; tekst, Antwerpsch liederboek, blz. 3. De bedoelde variante is te vinden in Het prieel, blz. 131. Vgl. J. Theodotus, Het paradys, 1648, blz. 173.

5 Ghent, 1620.

( 171 )

minderde quarte i en nog daarenboven de verminderde octave aantreft 2 :

Voor zooveel men gerechtigd is een eenstemmige mélodie aan een Nederlandsch componist uit die dagen toe te scbrijven, ziet men in diezelfde mélodie den ouden aeolischen modus nog onder de accidentalen schuilen.

Yolgens het titelblad van Starter’s Frieschen lust-hof 3 zijn « by aile onbekende wysen, » in het boek voorkomende, « de noten ofte musycke ghevoeght, door Mr laques Vredeman, musyck-Mr der stadt Leeuwarden. » Dit is echter nog geen bewijs, dat al de daarin zonder vvijsaanduiding opgenomen melodieën van Vredeman zijn. De mélodie van Starter's « Dat men eens van drincken spraeck, » een lied zonder stemopgave, is zeer zeker van Engelsche afkomst. Wie nu ook de componist van het fraaie liedeken « tôt lof van Vrieslandt » mag zijn,

1 Blz. 9 en 46, zelfde mélodie, vgl. blz. 106 en 109. s Blz. 61, vgl. blz. 72 en zelfde mélodie blz. 92.

5 Amsterdam, 1621, lste uitgave.

( 172 )

de mélodie çaat van den aeolischen modus uit en staat in ver-

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band met Gevaert’s 10e thema 1 :

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Dat de musici der xvne ecuw het over het aanwenden der accidentalen en zelfs van den leidtoon nog lang niet eens waren, kan men met zekerheid afleiden uit de werken der luitenisten. Hier toch waren de accidentalen aangeduid door de tabulatuur zelf, terwijl zi j in de gezongen muziek, ook wel bij gebrek aan het teeken jj, aan « de goede zorg » van den zanger werden overgelaten. Waar de eene luitenist, bij een modulatie naar cl, de c reeds bij den aanvang der voorlaatste maat verhoogde, liet een andere deze verhooging eerst met de laatste quartnoot intreden

In de hierna volgende voorbeelden, welketot de eenstemmige muziek behooren, heerscht dezelfde onzekerheid. De mélodie van het lied « Int soetste van den meyo, » door Wilîems zonder aanwijzing der bron uitgegeven 1 2 3 4, werd door hem, naar aile waarschijnlijkheid, overgenomen uit een handschrift dat hem vroeger toebehoorde 4 en waarin zij voorkomt met de wijsaan- duiding : « Verheucht u mensch. » Ziehier deze zangwijs,

1 Zie hierboven, blz. 107, vlg.

2 Zie Ern. Radecke, Das deutsche iveltliche Lied in der Lautenmusik des 16. Jahrliunderts, Leipzig, 1891, blz. 29.

3 Onde Vlaemsche liederen , blz. 223.

4 Melodieën gevoegd bij het zoogennamde handschrift van Anna Bijns (1494 c. 1574) op de Koninklijke Bibliotheek te Brussel bevvaard. Een aantal dezer melodieën werden eerst in de xvne eeuw bekend.

( 113 )

waaropwij laten volgen een in hetzelfde hanclschrift te vinden variante. Deze laatste voert tôt stemaanduiding : « Heulreux. »>

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Het gebruik van dezelfde klanken, nu eens in hun natuurlijk voorkomen, dan weer verhoogd, kon ook wel een middel tôt afwisseling wezen. Zoo vindt men in Ysermans’ Triumphus Cupidinis 1 2, tôt driemaal toe, een mélodie met dezen aanvang :

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1 Willems schrijft « Ick hadde seer te doene, » en brengt nog andere nuttelooze veranderingen aan den tekst, dien wij hierboven in zijn oor- spronkelijke gedaante teruggeven, met verbetering van het vierde en het vijfde vers in Willems’ lezing kwalijk onder de muziek gebracht.

2 Antwerpen, 1628, blz. 34-, 48, 133.

( 176 )

Intusscben moest nog een gansche eeuw verloopen alvorens de moltoonaard, dank zij Rameau en J. -S. Bach *, eindelijk tôt zijne bestemming zou komen. Vermelden wij, in het voor- bijgaan, dat de zooeven aangehaalde mélodie uil de Oude Vlaemsche liederen , in de oorspronkelijke lezing van een Nederlandsche en een Fransche wijsaanduiding voorzien, wel degelijk van Fransche afkomst schijnt te zijn. In de lieder- verzameling, La clef des chansonniers, te Parijs in 1717 2 door Chr. Ballard gedrukt, vjndt men voor een 1 ied geti teld cc Attendez*moy sous Forme, » een zangwijze die de meeste overeenkomst heeft met de mélodie « Int soetste van den meye, » ofschoon de moderne moltoonaard in Ballard’s ove- rigens jongeren muzikalen tekst duidelijker te voorschijn treedt :

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* Zie blz. 79 hierboven. 1.

2 II, blz. 228. Ballard’s verzameling voert tôt onderlitel : « Recueil des vaudevilles depuis cent ans et plus. » Het lied « Attendez-moy, » enz., zal tôt de xvue eeuw behooren. Een tooneehverk van Regnard (1647-1709) voert de aangehaalde Fransche wijsaanduiding tôt titel. Deze zangwijs, ook wel eens aan Lullv toegeschreven, diende onder andere voor het 17e-eeuwsche lied « Dry mans uit Orienten, » te vinden in ’t Groot Hoorns liederboek, II, 297. De mélodie komt ook voor in Les plaisirs de la société, Amsterdam, 1761, IV, nr 170, met de door Willems terecht gebruikte 6/8 maat. Op dezelfde mélodie schreef Béranger nog zijn lied getiteld : « Ma vocation. »

( 177 )

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Alleen de dorisehe modus kon den leidtoon niet aannemen; doch hoe weinig ook tôt harmonisatie geschikt, kon hij even- rnin als de andere modi aan de ontbinding van het oude toonstelsel ontsnappen. In de voornoemde Fransche lieder- verzameling uit de xne en xme eeuw, doet de dorisehe modus zich niet eens voor; een bewijs dat hij toen reeds van zijne nantrekkelijkheid had verloren. In de xvie eeuw vindt men tiein onder andere in Orlandus Lassus’ Magnificat, en wordt hij door den meester aldus geharmoniseerd :

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Tome LXI.

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( 178 )

Dank zij de verhoogde terts, neemt de oude dorische modus hier het karakter aan van den moltoonaard sluitend met de dominante.

Op hare beurt getuigt de driestemmige bewerking der Sou- terliedékens door Clemens non papa van de moeieiijkheid die de dorische melodieën voor de harmonisatie opleveren. Yoor de hierna door den aanvang van het wereldlijk lied aangeduide melodieën van dien aard, wordt het door Clemens gebruikte slotakkoord telkens daarnevens aangeduid. In al deze voor- beelden is de zangwijze aan de middelstem toevertrouwd 1 2 :

Ps. 27 (zie blz. 62 hierboven) Ick quam )

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Ps. 85 (blz. 69) Rosina waer is u gestalt

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Ps. 149 (blz. 63) Wie wilt hooren een nieuxv liet Ps. 69 (blz. 68) Doen Hanselijn over der heyden reedt Ps. 118 (blz. 73) Maria saert

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Ps. 89 (blz. 71) Help, God, hoe wee doet scheyden

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1 Zie Commer, t. a. p.

2 Voor Ps. 69 en 118 (R) voegt Commer te recht het verhoogingsteekeri bij de g ; voor Ps. 149 wat niet te verklaren is wordt dit door hem verzuimd.

( 179 )

Ps. 127 (blz. 68) Die nachtegael die sanck een liedt

Ps. 91 (blz. 66) Ter eeren van allen iongelingen

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Uit deze akkoorden blijkt mede hoe de oorspronkelijkê grondnoot E in lateren tijd beurtelings de roi van tonica, van dominante of van terts vervulde. Met het begin der xvne eeuw is de dorische modus zoo goed als verdwenen, en komt later nog ergens een mélodie in dien toonaard voor, dan wordt de terts, waar zij zich tusschen herhaalde bovenquarte bevindt, telkens verhoogd.

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En waar de tekst van een oud lied dat oorspronkelijk een dorische mélodie had, nog in lateren tijd de volksgunst bleef genieten, werd de oude zangwijze door een andere vervangen» Dit was het geval met het liedje « Doen Hanselijn over der heyden reedt. » Dit lied dat uit de xve eeuw dagteekent 2, was in de xvme nog populair, te oordeelen naar het Haerlems oudt liedt-boeck 3, waarin de eenige tekst wordt gevonden dien wij van dit stuk bezitten. Dat de mélodie welke men voor het lied van « Hanselijn » onder Ps. 69 der Souterliedekens aantreft, door een jongere vervangen werd, blijkt uit de Oude en nieuwe Hollantse boerenlieties (Amsterdam, c. 1700), waar men, onder

* Het prieel (1609), blz. 116.

2 Dr Kalff, Het lied in de middeleeuwen, blz. 180 vlg.

3 1716, blz. 42, 27en druk.

( 181 )

nr 206, en met het opschrift « Hanselijn over de heyde reet. > de volgende zangwijze vindt * :

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1 In deze laatste stemopgave wordt evenals in den aanvangsregel van het Haerlems ondt liedt-boeck den voorslag « Doen » gemist, dien men in de Souterliedekens aantreft.

2 Het woord « hogen » ontbreekt in den tekst en is hier bijgevoegd naar aanleiding der vijfde strophe, waarin wordt gezegd : « den toren was hoog. »

( 182 )

Aldus verdween de dorische modus, ruimde de iastische het veld voor den modernen dur-, en maakte de aeolische plaats voor den modernen inoltoonaard. Ten minste was dit het geval met den aeolischen modus voor zooveel de geschreven of gedrukte liederverzamelingen aangaat, door min of meer geleerde musici uitgegeven. Deze musici toch stonden onder den invloed der meerstemmige muziek, waaraan alleen kunst- waarde werd toegekend. In den mond des volks bleef echter de aeolische modus tôt op onze dagen voortleven. Doch alvorens hier bewijzen aan te halen, blijft ons nog te onder- zoeken hoe het na de xvie eeuw, in ons land, met de mélodie was geschapen.

VIJFDE HOOFDSTUK

De mélodie in de XVIIe en XVIIIe eeuw naar de gedrukte bronnen

Waren Vlaamsche meesters sedert de xve eeuw de stichters der groote Italiaansche muziekscholen geweest, zooals Tinctoris en Hykaert, te Napels, Willaert en Cipriano de Rore, te Venetië, de onlusten der xvie eeuw hadden het geheele verval der Nederlandsche muziekschool ten gevolge. Uit de handen der Nederlanders ging de schepter der kunst naar Italië over. Omstreeks 1560, voert Italië, met Palestrina aan het hoofd, den staf over de muzikale kunst in ons werelddeel i. Sedert de xive eeuw bestonden de Italiaansche « cantori al liuto » die zich hierdoor van de contrapuntisten onderscheidden, dat de

1 Gevaert, La musique vocale en Italie (Annuaire du Conservatoire royal de Bruxelles), VI, 1882, blz. 135 vlg.

( 183 )

eerste meer belang in de door hen bewerkte teksten stelden, terwijl de laatste niet zelden aan den zanger overlieten de woorden onder de muziek te brengen. De contrapuntisten hielden zich meer bezig met technische combinatiën, die wel eens op spitsvondigheden uitliepen. Daarentegen werkten de « cantori « op een gegeven tekst. In de xve eeuw gaven hunne bemoeiingen aanleiding tôt de ballate, villanelle en serenate, die weerklank vonden in de Spaansche romances en villancicos, alsmede in de Fransche airs de cour en vaudevilles, aile in den aard van volksliederen. Op het einde der xvie eeuw, dus omstreeks 1700, was deze populaire kunst het uitgangspunt der Italiaansche muzikale Renaissance, vertegenwoordigd door de Florentijnsche school, Caccini, Cavalieri, Péri en Monte- verde. De composition dezer meesters, overigens door de wedergeboorte der letteren begunstigd en gesteund, berustten vooral op een nauw verband tusschen woord en klank, tus- schen mélodie en uitdrukking, daar zooals door Caccini zelf in zijne Nuove musiche wordt geschreven : « non potevano esse muovere Fintelletto senza l’intelligenza delle parole 1 . » Uit die ôvereenkomst tusschen tekst en zang werd weldra de drama- tische muziek geboren, op hare beurt begunstigd door de « feste teatrali, » waardoor gewoonlijk aan de weelderige Italiaansche hoven familiefeesten, geboorten, huwelijken, enz., werden opgeluisterd. Met het door Jacopo Péri gecomponeerde en ter gelegenheid van het huwelijk van Frankrijks koning Hendrik IV met Maria de Medici in het jaar 1600, te Florence, opgevoerde zangspel Euridice , werd de grondslag der moderne opéra gelegd. Bij het aanbreken der xvne eeuw bloeiden aan het Fransche hof, evenals in ltalië, de maskeraden, panto- mimen en balletten. Ofschoon de Fransche balletten ook met zang gepaard gingen, kunnen zij toch slechts als allereerste proeven van dramatische muziek worden beschouwd. Eerst

1 Florentië, 1601. Deze inleiding, met een Fransche vertaling van Gevaert, is te vinden in Annuaire du Conservatoire roijal de Bruxelles , V, 1881, blz. 169 vlg.

( 184 )

onder Lodewijk XIV trad Cambert (1628-1677), met het her- derspel La pastorale (1659) als nationaal componist op. In Duitschland was Heindrich Schütz (1585-1672) hem voorafge- gaan met zijn opéra Dafne, in 1627 opgevoerd aan het hof van den keurvorst Johan George, op het slot van Torgau. Onder de lange regeering van koningin Elisabeth (1558-1603) werd de toonkunst in Engeland algemeen beoefend. Alsdan ont- stonden de zoogenaande Jigs l, tooneelspelen waarin zang en dans te zamen gingen 2. De Engelsche tooneelspelers die in 1611-1612 Amsterdam bezochten, hebben door openbare ver- tooningen het hunne bijgedragen om de frissche Engelsche melodieën in Nederland ingang te doen vinden.

Van nu af hadden de componisten met de oude overleve- ringen afgebroken, en zochten zij niet langer hunne ingevingen in kerkelijke thema’s, maar in hun eigen hart. Sedertdien tijd werden aile krachten, op vocaal en instrumentaal gebied, besteed aan de dramatische muziek, aan het volmaken en veredelen der opéra.

Aanvankelijk, en voor zooveel vvij dit uit de tôt ons gekomen schriftelijke of gedrukte bevvijsstukken kunnen opmaken, oefende de nieuwe kunst slechts een zeer bescheiden invloed op de liederen die na de scheiding van Zuid en Noord in de Belgische gewesten werden gezongen. Te oordeelen naar enkele geestelijke liederboeken met muziek, die in ons land gedurende de xvne en de xvme eeuvv verschenen, andere eenstemmige liederen werden hier gedurende dien tijd niet gedrukt, kwamen de uitheemsche melodieën, vooral de Italiaansche en de Engelsche, ons eerst toe langs den weg der Noordelijke gewesten.

Zooals wij vroeger zagen, staan sommige zangwijzen vau

1 Jig is oorspronkelijk de naam van een dans in Gs of y maat.

2 Zie Dr J. -P. -N. Land, Luitboek van Thysius (Tijdschr. voor N. -N. muziekgeschiedenis), tweede afdeeling, blz. 69 vlg. ; J. Bolte, Die Singspiele der englisclien Komôdianten and ihrer Nachfolger in Deutsch- land, Holland und Scandinavien, verscheen in Theatergeschichtliche Forschungen, 1893.

( 183 )

Het prieel der gheestelijcke mélodie , alhoewel reeds door bij~ voeging van accidentalen gemoderniseerd, nog in verband met het oude 15e- en 16e-eeuwsche lied. Op het oogenblik dat Albrecht en Isabella nieuwe plakkaten tegen de ketters uit= vaardigden (1607-1609), zochten de uitgevers van liederverza- melingen hier te lande, zooveel mogelijk de oude, van voor de Hervorming dagteekenende teksten en melodieën te bewaren.

Toch konden zij aan den invloed van het naburige Frankrijk en aan de aldaar opgekomen « airs de cour » niet wederstaan. Vandaar de driedubbele verdeeling van Het prieel , dat eenige oude Nederlandsche geestelijke liederen met hunne melodieën en enkele nieuwere bevat, verder eenige van ouds bekende Latijnsche gezangen en een vij dental Fransche liederen. Deze laatste zijn aile terug te vinden in La pieuse alouette avec son tire-lire , enz., Valencienne, 1619-1621, en voor een deel in de Rossignols spirituels , Valencienne, 1616 i.

Zooals naar gewoonte zijn de nieuwere teksten met meIo= dieën van vroegere wereldlijke liederen voorzien, en deze zijn dan ook meestal aan Fransche liederen ontleend. Dit is, bij voorbeeld, het geval met het volgende kerstlied dat zeer popu- lair moet geweest zijn, vermits de aanvangsregel dikwijls als stem wordt aangehaald, en de mélodie nog een eeuw later in de Oude en nieuwe Hollantse boerenlieties te vinden is :

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1 Dit vijftiental Fransche liederen moet dus in vroegere Fransche liederbundels zijn verschenen.

( 186 )

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Ziehier nu de oorspronkelijke in een Fransch luitboek voor- komende mélodie :

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* Het prieel, 1609, blz. 59.

2 Gabriel Bataille, Airs de differents autheurs mis en tablature de luth , Paris, P. Ballard, I ( 1612), blz. 14. Van dit eerste deel bestaat ook eene uitgave van 1608.

( 187 )

En in de Oude en nieuwe Hollantse boerenlieties i :

Men vergelijke nog devolgende znngwijze uit Het prieel met de insgeîijks volgende mélodie uit het voormelde luitboek, en men zal al dadelijk de overtuiging verkrijgen, dat tusschen de 17e-eeuwsche melodieën onzer geestelijke liederboeken en de Fransche « airs de cour » geen zeer groot verschil bestaat :

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1 Nr 711, met opschrift: « 0 heijlig, heijlig Betlehem. » - Het prieel , 1609, blz. 106.

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Thans komt de Fransche wereldlijke mélodie aan de beurt :

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Voor verschillende geestelijke liederen treffen wij eene lezing n die zich nos dieën aansluit :

aan die zich nog nauwer aan de gewone 17ü-eeuwsche melo-

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Gabriel Bataille, t. a. p., I (1612), blz. 10.

2 La pieuse alouette , I (1619), blz. 356. Vandaar ging de mélodie over in een aantal onzer 17e-eeuwsche liederboeken.

( 189 )

Vele der in Het prieel voorkomende teksten, buiten de oudere in een nieuvv pakje gestoken liederen, zijn ondertee- kend met zinspreuken. Een dezer spreuken « Minnelijck accoort » duidt een lid der Brusselsche Kamer ’t Maria- cransken aan , welke kamer deze zinspreuk voerde ; een andere te Legt toile naer recht » wijst op Jan de Tollenaer, die in 1582 te Brugge geboren, in 1602 in de Jesuietenorde trad. Het boek heeft geen bijzondere letterkundige waarde. De verzamelaars waren er meer op bedacht om een katholiek volksliederboek dan een dichterlijk werk te leveren. Om hun doel des te beter te bereiken, meenden zij overal de oude dietsche versmaat te moeten weren, door hunne verzen op den « Fransoyscben en Italiaanschen voet » te brengen, « te weten op een sulcke datter niet een syllabe min of meer en sy dan den sanc is verevssehende. »

Italiaansche melodieën ontmoet men hier eehter niet, zoo min als men die vindt in de reeds gemelde Goddelicke lof- sanghen van J. Harduyn, eene met muziek gedrukte verza- meling die, naar tijdsorde, op Het prieel volgt en evenals deze met betrekking tôt de melodieën op Fransche leest is geschoeid.

Italiaansche zangwijzen treft men voor het eerst aan in de Noordelijke gevvesten, waar de dichtkunst, door de Renaissance en de Hervorming begunstigd, met elken dag meer groeide en bioeide; waar, naast Bredero en Starter, wier lyriek op de grens van volkspoëzie en kunstpoëzie staat, Hooft de kunste- naar met eene sterk ontwikkelde individualité^ opstond, en het veel omvattend genie van Yondel beide soorten, volks- en kunstpoëzie, in overeenstemming wist te brengen i.

1 Zie Dr Kalff, Literatuur en tooneel te Amsterdam in de xvn* eeuw, 1895, blz. 63 vlg.

( 190 )

Starter, in zijn Friesche lust-hof, 1621, haalt een zestal Ita- liaansche « stemmen » aan; Bredero, in zijn Groot liecl-boeck (1622), geeft er een tiental op. Hooft, die zich omstreeks 1600 in Ital bevond, was de eerste groote dichter die Italiaansche « wijzen » in gebruikt bracht, en die onder andere voor het lied « Kraft met smeekende geluyen » Caccini’s fraaie mélodie « Amarilli, mia bella » aanwendde.

Voor zijne liederen neemt Vondel meestal zijn toevlucht tôt Fransche zangwijzen van dien tijd, en deze werden ook gewoonlijk gebruikt door Starter, Bredero en Hooft.

Cats, de populaire dichter bij uitnemendheid, haalt een enkele maal voor het fraaie lied « Tortelduyfje mijn beminde, » een Italiaansche zangwijs, Caccini’s voornoemde mélodie aan. Buiten deze stemopgave zijn de wijzen van een dertigtal door Cats gedichte liederen uitsluitend aan de Franschen ont- leend. Starter, die waarschijnlijk van Engelsche afkomst was, bracht het zijne bij om, met de reeds genoemde Engelsche rondreizende tooneelspelers, de Engelsche melodieën te doen kennen.

Duitsche zangwijzen doen zich slechts enkele malen voor, zooals in Starter’s liedboek : « O myn engeleyn, ô myn teubo- leyn, enz., i » of in Camphuysen’s Stichtelyke rymen, Amster¬ dam, 1624 2 : « Mein hert is betrubt bisz in dem thodt, » en dan nog beschouwt Dr Land 3 de door Starter aangegeven zangwijs als van Engelsche afkomst. Na den aanvang der xvie eeuw, is de vroegere liederverwantschap tusschen Duit- sc.hers en Nederlanders afgebroken.

Wie zich een denkbeeid wil vormen van het muzikaal éclectisme dat in die dagen het beschaafde en geleerde Noor- den beheerschte, sla Dr Land’s keurige uitgave open. Op 154 daarin voorkomende zangwijzen door den geleerden uit- gever in Nederlandsche, Engelsche, Fransche en Italiaansche

1 Blz. 123

2 Blz. 28.

3 Het luitboek van Thysius, n1' 77.

( 191 )

verdeeld, vindt men er van de eerste soort, 63; van de tweede, 20; van de derde, 45; van de vierde, 26. Wel Duitsche « dans- wijzen » maar geen Duitsche « zangwijzen » worden in deze verzameling vermeld. De zelfde verhouding doet zich nagenoeg voor in Valerius’ Nederlandtsche gedenck-clanck, Haerlem, 1626, alwaar in de door den schrijver zelf opgestelde « Tafel van de stemmen ofte voysen in dezen boeck begrepen » worden opgegeven : Almanden, Balletten, Fransche couranten, Pava- nen, Fransche voisen (16), Engelsche stemmen (17), Italiaansche stemmen (5), Nederlandtsche stemmen (14), en onder deze a Nederlandtsche » zijn er dan nog verschillende van Fransche afkomst.

Italiaansche en Fransche wijzen ontmoet men onder andere in Yserman’s gemelden Triumphus Cupidinis, Antwerpen, 1627, in J. Stalpert’s Extractum catholicum, Antwerpen, 1631, en in de Gulde-iaers feest-dagen, Loven, 1635, van denzelfden.

De meeste daarin voorkomende stemmen waren echter reeds vroeger in het Noorden bekend. De wijs « A lieta vita, » die men zoo dikwijls in de xvne eeuw aantreft i, komt reeds voor in Cesare Negri’s verzameling : Le gratie d'amore ( Nuove invenzioni de balli), Milano, 1602.

De mélodie « Ik sag Ceeilia komen, » die reeds in 1661 van den Gentschen beiaard klonk 2 en voor weinige jaren in Vlaan- deren nog algemeen bekend was, moet van Italiaanschen oor- sprong zijn. In een geestelijke liederverzameling, waarvan de tweede druk in 1689 te Florentië het licht zag 3, komt een zangwijze voor die tôt de veel fraaiere van « Ceeilia » aanlei- ding moet hebben gegeven. In het Italiaansc.h liederboek draagt de mélodie, welke hierna volgt, tôt wijsaanduiding « Aria, o sia ballo di Mantova, ovvero Amor fais’ ingrato. »

1 Onder andere in Camphuysen’s Stichtelyke njmen, 1624, blz. 75; Amsterdamsche Pegasus, 1627, blz. 19, 32; J. Stalpaert, Guide- iaer s feest-dagen, 1635, blz. 793; Evanqelische leeuwerck, Antwerpen, 1682, 1, blz. 69 en 95.

2 F. van Duyse, in Volkskunde , Gent, 1897-1893, blz. 10.

5 Corona di sacre canzoni... per opéra di Matteo Cofferati, blz. 19, en de tafel.

( 192 )

Ofschoon deze zangwijs in de eerste uitgave, die dagteekent van 1675, niet le vinden is, behoort zij waarschijnlijk tôt een ballet van het eerste vierendeel der xvne eeuw.

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In de tvveede helft der xvne eeuw komt in dit muzikaal éclec¬ tisme weinig verandering, zooals men onder andere zien kan uit de geestelijke liederverzameling Evangelische leeuwerck , Antvverpen, 1682 i. Naast Latijnsche kerkzangen « Adoro te, » « Ecce panis, » « Tantum ergo, » enz., vindt men in dezcn bundel een aantal Fransche zangwijzen : « la Coquille, la Ducesse (Duchesse), la Princesse, la Royale, » die dan ook elders voorkomen; wijsaanduidingen ontleend aan Star- ter’s « Doen Daphné; » aan Ysermans’ « Al hebben de prin- cen; » aan Stalpert’s « Sulamite keert weder, » dit laatste lied op de mélodie van Caccini’s « Amarilli, mia bella » gescbreven; andere ontleend aan oude liederen : « Christe waerachtig pellicaen, » « Een kindeken is ons geboren, » « Den lustelicken mey. » En dan nog moet men rekening liouden met de verschillende benamingen die aan dezelfde melodieën werden gegeven, een vruchtbaar veld voor opspo- ringen naar de oorspronkelijke stemopgave. In den genoemden Evangelische leeuwerck vindt men een lied 2 met wijsaandui- ding « Nieu-jaer begint : »

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Deze mélodie wordl reeds aangegeven in Met gheestelick paradiisken, Antwerpen, 1619, voor het lied « Wanneer ick slaep 3. » De tekst is te vinden in het Tweede nieuw amoureus liedt-boeck, Amsterdam, 1605 1 2 3 4. Camphuysen, Stichtelyke

1 Gemaeckt door C. D. P. (Christianus de Plaeker). Eene eerste uitgave Avas in 1667 verschenen.

2 I, blz. 240.

3 I, blz. 15, voor « Wy loven en belvden u, Heer. »

i Blz. 131, « Een nieu liedeken op de wijse alsoot beghint. »

Tome LXÏ.

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( 194 )

rymen, 1624 geeft, naast de voormelde Nederlandsche wijs- aanduiding, ook de Engelsche : « Shall I bed (bid) her go? » Echter werd deze zangwijze in Engeland niet teruggevonden 2.

Zeker treft men onder al die zangwijzen, door de geestelijke 17e-eeuwsche liederverzamelingen tôt ons gekomen, fraaie melodieën aan, maar eenheid, zelfstandigheid en karakter ont- breken. En hoe zou dit in ons land anders hebben kunnen zijn, in den politieken toestand waarin het verkeerde. Ziebier hoe die toestand wordt gekenschetst door een schrijver, dien men niet van partijzucht zal beschuldigen 3 :

« De vryheid van denken was den Belgen ontnomen. Eene hatelyke censuer bracht haer valkenoog op het werk, voor dat hetzelve aen de drukpers werd overgegeven, en men gaf het « imprimi potest » eerder aan een onzedelyk voortbrengsel dan aen een dat den zelfdenker verraedde. Daervan bestaan merkwaerdige voorbeelden. De tael, die zich, als het ware, met de nieuwe leer vereenzelvigd had, kon niets dan haet en wantrouwen aen de vreemde landvoogden inboezemen... De drukkers en boekverkoopers stonden, onder eede, in de ver- bintenis geene aan het geloof schadelyke boeken uit te geven of te verspreiden. Belgie werd dus belet den voortgang, dieu men in de vereenigde gewesten in tael en poezy dede, zich ten nutte te makcn. »

Verder, ter plaatse waar dezelfde schrijver uitdrukkelijk het lied bespreekt 4, wordt aangetoond hoe « ook de laetste band met het Noorden verbrak » en de « Noordsche geest » in de poëzie uitstierf. « Ten platte lande alleen, waer de godsdienst- partydigheid niet zoo geweldig gewoed had, bleef de volks- overlevcring in den zang bewaerd, en de beroemdste sagen der vyftiende eeuw zyn thans nog (1838) op vele plaetsen in zwang

1 Blz. 4, voor het lied « Heyl-gierich mensch. »

2 Lnitboek van Thysius, nr 67.

5 J. -A. Sneelaert. Verhandeling over de Nederlandsche dichtkunst in Belgie, 1838, blz. 225 vlg.

i Idem, blz. 271.

( 195

gebleven. Nieuwe echter kwamen niet meer ten voorschyn. Men berymde nog wel bet verhael eener gepleegde moord of diefte, zelfs van een mirakel, maar ailes wat de oude sage kenscbetste was verdwenen. » Ook de « Minneliederen » kregen thans een geheel nieuw aanzien. » Venus’ « vier » en Cupido’s schichten waren in de plaats getreden van het vroegere, innige, roerende « Ghequest ben ic van binnen. »

Anders en beter was bet in het Noorden gesteld, waar men in den aanvang der xvme eeuw op een melodieënverzameling kan wijzen als de Oude en nieuwe Hollantse boerenlieties, welke een duizendtal zangwijzen bevat. Zeker zijn die melodieën niet aile op Nederlandscben grond geteeld; stellig ontbreekt het daar niet aan Fransche zang- of danswijzen; de titel zelf van het boek luidt half-Nederlandsch, half-Fransch * ; maar men vindt daarin ook vele wijsaanduidingen, die van het bestaan eener geheel nieuwe liederwerekl getuigen. Terwijl dan ook in de xvme eeuw een aantal liederboeken van allen aard, waaronder zeer uitgebreide Fransche bundels met de daarbij gevoegde melodieën in het Noorden werden gedrukt ziet men uit de door Willems en door Snellaert opgestelde biblio- graphische lijsten 3, dat in die zelfde eeuw geen enkel een- stemmig liederboek met muziek in de Vlaamsche gewesten . verscbeen. « Onze Provintien, » schrijft Willems, « bleéven voorddurend geregeérd worden als eene colonie : en het ligt in den aerd der zaeken, dat eene colonie geen Litteratuer kan

1 Oude en nieuwe Hollantse boerenlieties en contredansen (dertien deelen), tweede druk, a Amsterdam, chez Estienne Roger, marchand libraire.

2 Waaronder de « blauwboekjes » en Fransche bundels zooals : Recueil d'airs sérieux et a boire de differents autheurs, Amsterdam, Roger, 1707; Nouveau recueil de chansons choisies, La Haye, Gosse, VIII deelen, verschillende uitgaven, te beginnen met 1721, een werk dat talrijke melodieën bevat, enz.

3 Oude Vlaemsche liederen, Gent, 1848. Oude en nieuwe liedjes, Gent, 2euitg., 1864, die zoowel als de eerste uitgave van 1852 het hunne bij- droegen om de door Willems verzamelde liederen in minier kring te verspreiden.

( 196 )

bezitten i. » En, voegen wij er bij, waar geen letterkundigen bestaan, worden geen componisten gevonden.

De geschreven of gedrukte bronnen voor de mélodie in de xvme eeuw, in de Belgische provincien, bestaan in de wijs- aanduidingen, te vinden op losse bladen, door geestelijke liederboekjes of door eenig Patriottenlied aangegeven. De Nieuwe geestelycke liedekens te Brugge omtrent 1740 versche- nen 1 2, doen ons een vijf-en-twintigtal Nederlandsche wijsaan- duidingen kennen, benevens een dertigtal Fransche. Yan de meeste dezer Nederlandsche stemmen is de muziek niet toi ons gekomen ; onder de Fransche wijzen worden vermeld de beruchte « Folies d’Espagne. » Deze mélodie, van Spaanschen oorsprong volgens Fétis,van Fransche afkomstvolgens Bôhme, was reeds in de tweede helft der xvne eeuw « alom bekend. » « C’est l’amour qui nous menace, » uit Lully’s Roland (1685), « Aimable vainqueur, » uit Campra’s Hésione (1700), « Seigneur (elders « Mon Dieu ») vous avez bien voulu me donner une femme, » ook als « Joconde » aangewezen, « J‘ai fait un choix, je veux qu’il dure, » « Petits oiseaux rassurez-vous, » aan 17e-eeuwsche Fransche « vaudevilles » ontleend, worden mede in de Brugsche verzameling onder de « stemmen » opgegeven.

Deze stemmen kwamen tôt ons met de Cantiques spirituels van « Monsieur l’abbé Pellegrin, » dieveel geestelijke liederen schreef, veel opera-teksten leverde, en van wien men mocht zeggen :

Le matin catholique et le soir idolâtre,

Il dîne de l’autel et soupe du théâtre.

Wij hebben gezien, dat onze geestelijke liederdichters in het toepassen van melodieën van wereldlijke liederen op stichte- lijke teksten Pellegrin reeds lang waren voorafgegaan.

1 J .-F. Willems, Verhandeling overde Nederduytsche tael- en letterkunde, Anlwerpen, 1820-1824, II, blz. 153.

2 Zonder jaartal, kerkelijke goedkeuring, Loven, 1740.

1 197 )

ZESDE HOOFDSTUK

De mélodie naar mondelinge overlevering

EERSTE AFDEELING

BRONNEN-TOONAARD

Eerst op het einde der xvme eeuvv kwam men op de gedachte liederen die sedert eeuwen in den volksmond voortleefden, op te vangen en te verzamelen. Aan den Duitschen dichter Herder komt zonder tegenspraak de eer toe, de eerste de hooge dichterlijke waarde van het volkslied te hebben erkend. In zijne Stimmen der Voilier, in 1773 verschenen, stelde bij een onderzoek in, niet alleen naar de volkspoëzie der Duitschers, maar ook naar die van andere volken. Herder had daarbij nog de verdienste Goelhe’s oogen voor het volkslied te openen in zooverre, dat deze met eigen hand, voor eigen rekening, eene verzameling van volksliederen bijeenbracht, die nog bestaat.

Het door Herder uitgestrooide zaad droeg weldra vruchten. In verschillende oorden van Duitschland werden volksliederen afgeluisterd en opgeteekend, en er verschenen nu liederbun- dels die het volkslied in ruimer kring bekend maakten en daaraan meer aanzien gaven.

Van 1806 tôt 1808 gaven Arnim en Brentano, onder den titel Des Knaben Wunderhorn, te Heidelberg, de eerste verza¬ meling van moderne volksliederen uit. Het werk bevat onge- veer drie honderd liederen uit handschriften, gedrukte boeken of mondelinge overlevering geput. Deze uitgave werd in 1810 gevolgd door een andere bestaande uit een vier-en-twintigtal melodieën E Alhoewel het hier, naar luid van den titel « meist

1 Vier und zwanzig alte deutsche Lieder aus dem Wunderhorn mit bekannten meist dlteren Weisen beym Klavier zu singen, Heidelberg.

( 198 )

altéré Weisen » geldt, behooren de meeste dezer melodieën tôt de xvme eeuw, zoodat het vverk geen hooge wetenschappe- lijke waarde heeft

De tijd brak na aan waarop men ook aan het Nederlandsch volkslied zou gaan denken.

Voor zooveel men den naam van Nederlandsche liederen mag geven aan stukken in den afschuwelijken Brusselschen tongval en dan nog met Duitsch doorspekt, waren Büsching en von der Hagen de eerste, die in hunne Sammlung deutscher Volkslieder, in 1807 te Berlijn verschenen, eenige van het volk afgeluisterde teksten met de daartoe behoorende melodieën, in druk lieten verschijnen. Enkele dier teksten zijn slechts een uiterst flauwe écho van stukken uit vroegere eeuw. De daarbij gevoegde melodieën dagteekenen meestal van het einde der xvme eeuw en hebben geen muzikale waarde hoegenaamd *2.

In 1824 vestigde Willem de Clercq in zijn verhandeling over den invîoed der vreemde letterkunde op de onze, de aandacht op de Nederlandsche liederpoëzie 3.

Vooralsnog weet J.-C.-W. le Jeune in zijne in 1828 ver¬ schenen liederverzameling 4 geen onderscheid te maken tus- schen het volks- en het kunstlied. Zijn vverk kan alleen worden aangehaald als eene eerste poging tôt ontginning van den nog braak liggenden Nederlandschen liederenakker.

1 Ook de teksten werden door de uitgevers uitgesponnen of gewijzigd. Zie Erk und Bôhme, Deutscher Liederhort, die bijna al de melodieën van Des Knaben Wunderhorn en de teksten tôt die melodieën bespreken.

2 De verzameling bevat ook een twintigtal Fransche liederen, die in het begin der xixe eeuw te Brussel populair waren. Daaronder vindt men, zonder vermelding van bron noch van componist, doch niet onge- schonden, de heerlijke mélodie « Je crains de lui parler la nuit » uit Grétry’s Richard Cœur-de-Lion (1784). De Nederlandsche en Fransche liederen zijn mondeling medegedeeld door Mevrouw von der Hagen, geboren Maria Josephina van Reynack, afkomstig uit Brussel izie Snel- laert, Inieiding op Willems’ Onde Vlaemsche liederen, blz. xxxrv).

5 Dr Kalff, Ilet lied in de middeleeuwen, blz. 7 vlg.

i Letterkundig overzigt, enz. ’s Gravenhage.

( 199 )

Voor een dergelijke verwarring bleef de groote Duitsche liederdichter, Hoffmann von Fallersleben, echter vrij. In 1833 verscheen onder den titel Hollànclische Volkslieder , de eerste door Hoffmann uilgegeven Nederlandsche verzameling van geestelijke en wereldlijke liederen. De bundel sluit met een viertal melodieën naar de Souterliedehens in moderne notatie gebracht. Doch in deze proef tôt herstelling onzer oude zang- wijzen, was J. -Fr. Willems, de vader der Vlaamsche bewe- ging, Hoffmann voorgegaan. In zijne van 1827 tôt 1830 te Antwerpen verschenen Mengelingen van vaderlandschen inhoud, vestigde Willems de aandacht van letterkundigen en musici, op een drietal door hem in moderne notatie gebrachte melodieën ontleend aan het groot 14e-eeuwscbe Van Hultemsch hand- schrift t. Toen deze liederen door hem in het licbt werden gegeven, was Willems van meening dat ons, buiten het « Wil- helmus » en nog een paar liedjes, zooals « Ik zag Caecilia komen » en « Naer Oostland zullen wy ryden, » geen andere volkszangen waren overgebleven, een zienswijze die hij later zelf logenstrafte. In ’s mans Oude Vlûemsche liederen , in 1848 te Gent verschenen, vindt men een groot getal oude liederen met de daartoe behoorende muziek. De meeste zijn aan vroeger gedrukte verzamelingen ontleend; enkele, waarvan Willems de melodieën naar zijn best vermogen noteerde, zijn van het volk afgeluisterd.

In 1856 liet de Coussemaker, insgelijks te Gent, zijne Chants populaires des Flamands de France verschijnen. De uitgever die weinig met onze taal bekend was, en ook geen juist begrip van overeenkomst tusschen de metriek der taal en de muziek bezat, in zooverre dat de door hem genoteerde melodieën soms geheel verkeerd geschreven zijn, was niettemin een uit- stekend musicus. Zijn werk is dan ook van blij vende waarde en is voor ons van zeer groot belang. Het leert ons veel melo¬ dieën kennen, zooals die omstreeks het midden der xixe eeuw in Fransch-Vlaanderen werkelijk werden gezongen. Valt de muzikale rhythmus hier niet altijd met de taalmetriek te zamen,

1 Thans ter Koninklijke Brusselsche bibliotheek berustend.

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dan toch wordt de oude toonaard een voornaam punt waar het pas geeft, steeds geëerbiedigd.

In 1879 gaven Lootens en Feys hunne hoogst verdienstelijke Chants populaires flamands in het licht. Een groot getal der honderd een en zeslig door hen opgenomen liederen hadden de uitgevers, voor zooveel tekst en mélodie aangaat, aan het wonderbare geheugen eener tachtigjarige dame te danken.

Weer verliepen een twintigtal jaren, alvorens Jan Bols ons zijne keurige verzameling Honderd oude Vlaamsche liederen schonk h

Thans, alhoewel wat laat in den avond van het Nederlansch volkslied, is de stoot tôt het verzamelen der nog onder de asch smeulende vuursprankels gegeven. Een onzer verdienste- lijkste letterkundigen en tevens een onzer beste dichters, Pol de Mont, trok zich insgelijks de zaak ter harte en gaf, in de door hem of met zijne medewerking gestichte tijdschriften, menig oud liedeken uit 2. Anderen volgden hem 3, en reeds wordt een nieuwe omvangrijke bundel van oude liederen met de melodieën aangekondigd, door A. Blyau en M. Tasseel te Ieperen verzameld. Te oordeelen naar de proeven van hun werk 4, zal deze verzameling een nieuwe kostbare aanwinst zijn voor de studie van het oude Nederlandsche volkslied.

Schijnt het lied beter bewaard te zijn gebleven in het Zuiden dan in het minder conservatieve Noorden 5, en zijn de voor-

1 N amen, 1897.

2 In Jong \laanderen, Rousselaere, 1881 en vlg. jaarg. ; Volksknndc, Gent, 1888 en vlg. jaarg.

3 't Daghet in den Oosten, Hasselt, 1885 en vlg. jaarg. ; Ons volks- leven, Brecht, 1889 en vlg. jaarg.

* In Volkskunde, X (1897-1898).

5 Men leest in de voorrede van het Nederlandsche Volkshederenboek van 0. De Lange, J.-C.-M. van Riemsdijk en Dr G. Kai.ff, uitgave van de Maatschappij « Tôt nut van ’t algemeen, » Amsterdam, 1896 : « Een oproep, door het hoofdbestuur in de meeste couranten van ons land geplaatst, waarin ieder werd verzocht, minder bekende fraaie nationale (Nederlandsche) liederen die nog heden gezongen worden, aan den secretaris der Commissie toe te zenden, leverde niet veel op. »

( 201 )

noemde bundels aile door Vlamingen verzameld, aan een Nederlander, aan Dr G. Kalff, komt de eer toe het eerst de teksten, door den druk of door de overlevering bewaard, met elkaar te hebben vergeleken, die te hebben saamgevat en toe- gelicht, en aldus, in zijn Lied in de middeleeuwen t, aan onze oude liederpoëzie een duurzaam gedenkteeken te hebben opge- richt. Ook den musicus komt dit uitstekend werk, bij een onderzoek naar den tijd waarop sommige melodieën kunnen ontstaan zijn, menigmaal te stade.

De melodieën uit den volksmond opgevangen kunnen uit een verschillend oogpunt beschouwd worden, naarmate zij in verband staan met den Kerkzang of met den modernen toonaard.

a) De zangwijzen tôt den Kerkzang bchoorende of van dezen afstammende, zijn niet zeer talrijk, wanneer men die melo¬ dieën uitsluit welke eigenlijk deel uitmaken van den kerkzang, als daar zijn de melodieën van vertalingen of navolgingen van kerkhymnen, zooals « Ave maris Stella, » « Kyrie, magne Deus, » a Te lucis ante terminum 2, » « Conditor aime siderum, » « Jesu, Salvator seculi, » « Christe qui lux 3 « en een zeker getal andere van later tijd 4, dan toch een sprekend bewijs van den rechtstreekschen invloed der Kerkelijke melo¬ dieën op den volkszang. Hoe algemeen de zangwijze « Condi¬ tor )> in gebruik was, hoe zeer deze op Nederlandsche liederen, en daaronder van de meest populaire, werd toegepast, hebben wij reeds vroeger aangetoond. Ook in de verzameling van de Coussemaker wordt zij aangetroffen 3. Het kan dus geen ver- wondering baren, dat kerkelijke melodieën voor wereldlijke

1 Leiden, 1884.

2 Baumker, t. a. p., blz. 305, 320, 187.

3 Op het einde der Souterliedekens, Antwerpen, 1540.

4 Zie Het prieel, Brugghe, 1609; Theodotus, Kerk- en Geest. lof sanghen, ’s Hertogenbosch, 1621 , len druk.

5 Zie de hierna aangehaalde melodieën, ook te vinden bij de Cousse¬ maker, blz. 139, 312, 339, 356, 404.

( 202 )

liederen werden gebruikt. Zoo diende de mélodie « Vem Creator » welke wij vroeger aanhaalden, ook voor het lied « Het wasser een coninc seer rijc van goet » ( Die coninghinne van elf jaren), een stuk dat in zijn oorspronkelijken vorm tôt de xve eeuw behoort, en ook nog voor een kerstlied :

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De verwantschap van de iastische Halewijnsmelodie met den kerkzang hebben wij reeds aangetoond 2.

De fraaie mélodie :

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1 DE COUSSEMAKER, blz. 32.

2 Zie blz. 49.

5 de Goüssemaker, t. a. p.. blz. 209. 1 Zie blz. 35, 96-97 en 111.

( 203 )

minder fraaie zestonige zangwijze staat in verband met het 10e thema :

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Tôt dit 10e thema, kunnen insgelijks de twee volgende melo- dieën gebracht worden, die thans nog in den volksmond voortleven :

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1 DE COUSSEMAKEll, blz. 191.

2 J. Bols, t. a. p., blz. 23; vgï. blz. 107 hierboven.

( 204 )

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Zonder twijfel is het hierbij den aanvang gebruikte verhoo- gingsteeken een nutteloos bijvoegsel dat de mélodie ontsierd. Overigens wordt verder, bij de herhaling der vvoorden « Van daer kwam ik gegaan, » het verhoogingsteeken niet gebruikt.

1 Blyau en Tasseel, t. a. p., blz. 92.

( 205 )

De laatste twee melodieën zijn zestonig, waardoor aile rechtstreeksche of onrechtstreeksche schreden die tôt tritonus of verminderde quint kunnen leiden, gebannen zijn. De laatste zangwijze is daarentegen vijftonig; quint en sexte blijven onaangeroerd. Dergelijke mélodie kan lot twee modi, den aeolischen of den iastischen met eindnoot op de quint, wor- den gebracht.

Verwantschap met het 10e thema noopt ons de hier aange- haalde zangwijze te beschouwen als tôt den aeolischen modus behoorende.

b) Groot is integendeel het getal der melodieën van den ouden modus die, zooals wij reeds zagen, van kerkelijke the- ma’s of van de vrije compositie uitgaan. Als echter tôt de vrije compositie behoorende mag men bij voorbeeld rekenen de zes- tonige aeolische zangwijze « van den Hertog van Brunswijk : »

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Ofschoon de zesde trap der toonladder onaangeroerd blijft, en dienvolgens niets te maken heeft met de mélodie, brengt de Coussemaker de b onmiddellijk achter den sleutel. Hierin wordt door hem met het juist begrip van den aeolischen modus gehandeld, daar deze toonaard wel zestonig van natuur is, maar de b dan toch altijd bij de in de zangwijze schui- lende harmonie te verstaan is.

Alhoewel deze zangwijs, volgens de Coussemaker, in de xve eeuw thuis behoort, en Erk en Bôhme nog verder gaande, van meening zijn, dat zij heeft kunnen dienen voor de minder omvangrijke liederen van de reeds in de xme eeuw bewerkte Gudrunsage, kan zij ook wel later ontstaan zijn. De aeolische modus bleef immers tôt op onzen tijd in menige volksmelodie voortleven en er ontstonden dus nog zeer lang na de xve eeuw zangwijzen in dien modus 3. Hoffmann von Fallersleben 4 had den tekst, schoon deze nog op 19e-eeuwsche

1 de Coussemaker, blz. 152.

2 Deutscher Liederhort, I, blz. 88.

3 Zie de Coussemaker: « Onder de groene linde, » blz. 183; « Dat Melpomena deze droeve dood beschrevt » ( Kapiteyn Bart, 1757), blz. 261 ; « ’k Passeerde voor de visschemerkt, » blz. 268; « Rosa willen vvy dansen, » blz. 330; « Jan, mynen man, zou ruyter wezen, » blz. 397 ; « Malheetjc kwam van Watou, » blz. 400.

4 Niederlandsche Volkslieder, nr 2, blz. 6.

( 207 )

losse bladen voorkomt, insgelijks tôt de xve eeuw doen opklim- men ; maar Dr Kalff overvvegende, dat verschillende andere liederen in dezelfde episcbe maat als het lied « van den Hertog van Brunswyk » zijn geschreven, en aan volksromans van het begin der xvie eeuw zijn ontleend, gelooft nu ook niet langer aan den hoogen ouderdom van den tekst i. Er bestaat dus ten slotte geen zekerheid nopens den ouderdom dezer mélodie. Overigens vindt men in de Coussemaker’s verzameling zesto- nige melodieën voor teksten die zeker niet tôt de oudste behooren. Vijftonige aeolische melodieën, zulke waarin sexte en septime onaangeroerd blijven, worden mede in laatst- gemelde verzameling gevonden :

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Aile dergelijke vijftonige stukjes behooren tôt den luimigen

trant.

1 Tijdschr. voor Nederl. taal- en letterk., Leiden, V (1885), blz. 68 vlg.

2 DE Coussemaker, blz. 270, vgl. blz. 260, 326, 333, 345, 390, 398.

( 208 )

In enkele melodieën is de septime alleen weggelaten; tôt deze soort behooren de twee volgende :

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1 de Coussemàker, blz. 200, metrisch hersteld. De fraaie mélodie door J. -A. Alberdingk-Thijm aan d. C. meegedeeld is in de oorspronkelijke lezins door valschen klemtoon : « Wv keken te zeewaert » en verder « Dry maegdekens, » deerlijk ontsteld. Vgl. bij denzelfde de mélodie : cc Als Pierlala nu ruvm twee jaar, » blz. 303, en den aanvang der zang- wijze : « Ik zag Cecilia komen, » blz. 368.

( 209 )

zoodanig dat de zangwijs voor hen die met den ouden toonaard minder vertrouwd zijn, een vreemd aanzien krijgt :

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Wilde men den ouderdom van den tekst door den tijd bepalen waarop deze mélodie ontstond, dan kwam men tôt het besluit, dat zij van de tweede helft der xvne eeuvv is, daar het volksboek van « Genoveva van Brabant, » waaruit die tekst naar aile waarschijnlijkheid schijnt genomen te zijn, op zijn vroegst uit de xvne eeuw dagteekent. Dit boek is inderdaad een verkorte bewerking van een in 1638 te Parijs verschenen Franschen volksroman, waarvan in 1645 te Antwerpen eene

1 DE COUSSEMAKER, blz. 228.

Tome LXI

14

( 210 )

Nederlandsche vertaling het licht zag Doch wanneer men in aanmerking neemt dat de strophe waarin dit lied is geschreven :

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uit vijf regels bestaat, waarvan de eerste met den tweeden en de derde met den vijfden door rijm zijn verbonden, terwijl de vierde op zich zelf staat een der oudste vormen van het Duitsche volkslied, die ook ten onzent in talrijke 15e-eeuwsche liederen wordt teruggevonden 2 _ js men geneigd aan te nemen, dat de mélodie waarvan hier spraak is, reeds voor een vroeger lied met denzelfden strophenbouw kan gediend hebben.

Wel berust het hiervoren aangebaalde lied « Wij klommen op hooge bergen » insgelijks op vijfregeligen strophenbouw, maar de vorm is niet dezelfde als voor het lied van « Geno- veva. » De oorspronkelijke strophe van het lied van « De drie ruiterkens, » is vierregelig 3, het vijfde vers, naar de Cousse- maker’s lezing, is een later bijvoegsel. De mélodie « Wij klommen, » enz., zal dan ook wel niet veel ouder zijn dan de xviie eeuw.

Andere zangwijzen waarin de gansche aeolische toonladder wordt doorloopen, zijn bij voorbeeld : « Daer was een sneeuw- wit vogeltje, » « Een stuk van liefde moet ik u verhalen, » « Daer gingen dry herderkens uyt om te jagen, » « Wel Island gy’n bedroefde kust 4. »

1 Dr J. te Winkel, Geschiedenis der Nederlandsche letterkunde, I, 65.

2 Dr Kalff, Het lied in de middeleeuwen, blz. 354-555.

5 Zie Dr Kalff, t. a. p., blz. 156.

* de Coussemaker, blz. 166, 177, 207, 256.

( 211 )

c) In sommige melodieën kan men in den vorm waarin die tôt ons zijn gekomen, het bestaan van den ouden modus en tevens van den nieuwen toonaard vaststellen, die daardoor als het ware in botsing komen; dat is namelijk het geval met de mélodie waarvan aanvang en slot volgen :

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1 de Coussemaker, blz. 39. Vfifl. de mélodie « Hoort al te samen, »

blz. 211.

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( 212 )

Daarentegen is de verhooging op de tweede noot van de volgende mélodie wellicht een bijvoegsel van later tijd :

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te meer daar de ondertonica zich verder voordoet :

en de tekst ten minste in den aanvang der xvne eeuw moet thuis gebracht worden, zoodat de zangwijze nog van vroeger tijd kan zijn. Het verhoogingsteeken daargelaten, berust de mélo¬ die op den aeolischen modus (D) met den aanverwanten dur- toon (F) in verband gebracht, zooals dit zich ook in eenige andere liederen voordoet, als bij voorbeeld in de navolgende zangwijze :

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1 DE COUSSEMAKER, blz. 34.

2 Idem, blz. 175.

( 213 )

d) Melodieën in den modernen moltoonaard :

Gods soon voor ons ge-wor - den een teer kindl, enz. G

Indien de bij de Coussemaker ongewone notatie hier doet zien, dat wij met geene uit den mond des volks opgeteekende mélodie te doen hebben, vindt men toch in de door hem uitgegeven verzameling enkele melodieën talrijk zijn zij niet die in moderne moltoonladder klinken.

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e) Talrijker daarentegen komen in den laatstgenoemden bundel zangwijzen in modernen durtoonaard voor. Reeds op de eerste bladzijden vindt men melodieën met modulatie van tonica naar dominante, en na een kleine vertoeving in den toon der dominante terugkeerend tôt de tonica. Hier ont- moeten wij een voor- en een nazang, door een slotzang gevolgd; den driedeeligen liedervorm waaruit later het eerste deel der sonate of der classieke symphonie ontstond.

Het valt in het oog, dat de doorloopen toonschreden zich

1 de Coussemaker, blz. 41.

2 Idem, blz. 185, en vgl. blz. 251, 261 (ander wyse), 288.

( 214 )

in het Nederlandsch volkslied tôt de eenvoudigste bepalen, namelijk tôt de natuurlijke halve tonen der toonladder, de groote seconde, de kleine of groote terts, de reine quart en de reine quint, de kleine sexte en de octave. Deze intervallen zijn inderdaad de gemakkelijkste voor den zang en worden nog door Fétis in zijn regels voor het contrapunt i met uitsluiting van al andere toonschreden aanbevolen.

Enkele der zangwijzen die ons in den volksmond zijn bewaard gebleven, kunnen, waar zij niet rechtstreeks tôt de kerkelijke melodieën behooren, even als de hiervoren aange- haalde melodieën « Een Soudaen had een dochtertje, » « Myn moeder en myn vader, » zeer oud zijn. Editer dagtee- kenen, ook naar de meening van de Coussemaker, de meeste der door mondelinge overlevering tôt ons gekomen zangen uit de xvne of de xvme eeuw. Dit was mede het gevoelen van Snellaert, die aanneemt, dat de geestelijke liederen welke nog in 1838 in Vlaanderen gezongen werden, grootendeels uit den tijd van Albert en lsabella waren 2, zooals ze inderdaad ook in de bundels van dien tijd te vinden zijn. Ook onze kerstliedjes, voegt de schrijver er bij, zijn in den stijl van die eeuw 3.

Overigens werd de rein-diatonische toonaard die ons in onmiddellijke aanraking brengt met de muziek der Oudheid, nog zelfs op het einde der xvme eeuw in de dramatische werken niet geheel en al verwaarloosd. Zelfs in zangstukken van onzen Grétry vindt men rein-diatonische melodieën, zooals in Le tableau parlant (1769), een zijner meesterwerken :

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1 Traité du contrepoint et de la fugue , Paris, 1846 (2e édit.), blz. 2, § 8.

2 de Coussemaker, blz. 3, 7 (eerste deel der mélodie), 9, 14, 16, 20, 23, 27, enz.

3 Snellaert, Verhandeling over de Nederlandsche dichtkunst, enz. (1838), blz. 277, die hier vooral de teksten bedoelt. Deze worden meest op bestaande zangwijzen voorgedragen.

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Dat het begrip der in de mélodie besloten harmonie voor Grétry nog met het gevoel der rein-diatonische toonladder gepaard ging, bewijst de begeleiding van den aanvang eener in Richard Cœur-cle-Lion (1784) voorkomende mélodie, die mede tôt de populaire zangwijzen behoord heeft 2 :

1 OEuvres de Grétry, édition publiée par le Gouvernement belge, IXe livr., blz. lit. Vgl. in dezelfde verzameling, lre livr., Richard Cœur- de-Lion, blz. 205, het lied « Et zic et zic. »

2 Grétry, Richard, blz. 95.

( 216 )

Hier ook hebben wij een onbetwistbaar slaaltje van samen- smelting van den ouden aeolischen modus met de moderne moltoonladder.

TWEEDE AFDEELING

FORMULES VRIJE C0MP0S1TIE

Zooals wij zagen, zijn de door de volksoverlevering bewaarde melodieën welke met het oude nomos in verband staan, niet zeer talrijk l. Daarentegen treft men in onze 17e- en 18e-eeuvv- sche zangwijzen vormen aan die zich meer dan eens voordoen, ja, op formules uitloopen, en aldus een geheele reeks van aanverwante melodieën doen ontstaan. Deze vormen zijn ove- rigens niet uitsluitend eigen aan het Nederlandsch lied : sommige daarvan behooren tôt den algemeenen volkszang, en worden dus ook bij andere natiën aangetrotfën.

In tegenstelling met de kerkelijke melodieën, waar in menig geval de toonaard slechts bij het slot der mélodie met zeker- heid kan bepaald worden 1 2, treedt de tonaliteit in het volkslied der xvne en xvme eeuw reeds bij de eerste maten duidelijk te voorschijn. De mélodie klinke mol of dur, doorgaans wordt haar aard onmiddellijk vastgesteld, zoodat er bij den toe- hoorder nopens de tonaliteit geen oogenblik twijfel kan bestaan.

de Coussemaker, blz. 406 :

Wij zyn al by - een, al goe ka - dul - le-tjes, al goe ka - dul-len;

1 De aangehaalde voorbeelden, blz. 91-120 hierboven, zijn aile aan handschriftelijke of gedrukte bronnen ontleend.

2 Zie blz. 91.

( 217 )

DE COUSSEMAKER, blz. 358 I

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Ik en gy, moe-der Por - ret, kof-fy drinken, drup-pel-tje schin-ken.

Zoodra de tonaliteit zich heeft laten hooren, staat zij onwan- kelbaar vast tôt op het einde van het stuk, hetzij de mélodie hoegenaamd niet moduleere of alleen tôt den aanverwanten dur- of moltoonaard overga, hetzij ze daar waar ze in dur klinkt, naar de bovenquint of onderquart moduleere, om daarna dadelijk naar de tonica terug te keeren.

Thans willen wij door eenige voorbeelden nader aantoonen hoe zich in de populaire mélodie de tonaliteit reeds bij den aanvang vertoont, waarbij wij dan tevens zullen doen opmer- ken hoe door het gebruik van zekere formules verwantschap tusschen de melodieën ontstaat. De volgende vorm, die ook wel eenigszins met het 6e kerkelijk thema in overeenkomst te brengen is (zie « Een ridder ende een meysken ionc » « Lynken sou backen, mijn heer sou kneen » (blz. 142) : de Coussemaker, blz. 270 :

wordt in de hierna aangeduide liederen teruggevonden : lu., blz. 296 :

( 218 )

DE CûUSSEMAKER, blz. 200 :

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lu., blz. 260 :

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baer-den zyn; Jan, Pier, Tjo - res en Cor-neel.

Dezelfde vorm komt in een aantal F-ransche liederen voor : Souterliedekens, 1540, Ps. 135 :

1 Deze Fransche mélodie, waarop volgens de Souterliedekens het vroeger gemelde lied « Lynken sou backen » werd gezongen, is reeds driestemmig bewerkt te vinden (zie blz. 106 hierboven) in Trente et une chansons musicales, Paris, Attaignant, 1535.

( 219 )

Rolland 1, III, blz. 37 :

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Quand Re-naud de

Id., V, blz. 47 :

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la guer-re vint;

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Je viens vous pri - er en pas - sant;

1 Recueil de chansons populaires , vijf deelen, Paris, 1883-1887.

( 220 )

Rolland, II, blz. 143 :

Ziehier eenige andere formules en aanverwante Fransche volksmelodieën.

De mélodie stijgt van de tonica tôt de quint.

DE CoUSSEMAKER, blz. Iû2 :

Id., blz. 400 :

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kwaed doen;

1 Zie blz. 205.

( 221 )

DE COUSSEMAKER, blz. 326 I

Id., blz. 330 :

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Ko - sa, wil - len wy dan-sen? Danst, Ro - sa, danst

Jan de mul-der, met zy - nen lee - ren kul-der en zyn

lee-ren broek-jen

aen.

Rolland, I, blz. 55.

De mélodie daalt van de bovenquint naar de tonica; bij de Goussemaker, blz. 398 :

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Id., blz. 207 :

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1 Vgl. Rolland, II, 52, de daarvan afgeleide mélodie « C’est la bergère Nanette. »

( 223 )

de Coussemaker, blz. 390 :

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zien wat dat de ou - de man-nen al doen ;

Rolland, I, blz. 233 :

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Ah! que j’ai z’un’ cru - el - le mèr’, He - las!

Reeds dadelijk bij den aanvang, laat de aeolische mélodie de ondertonica hooren; bij de Coussemaker, blz. 378 :

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( 224 )

de Coussemaker, blz. 268 :

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een ma-vrou-we staen;

Id., blz. 228 :

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Graef die stond naer lia - ren sin. (Zie blz. 209)

Een zeer geliefde vorm, die dan ook zijn weerklank in den durtoonaard had, komt in de volgende- melodieën voor : de Coussemaker, blz. 303 :

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Id., blz. 271 :

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Id., blz. 368 :

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Id,, blz. 333 :

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1 de Coussemaker, t. a. p., is van meening dat dit te Duinkerke geno- teerde lied ook op een Vlaamschen tekst werd gezongen, daar zee- en werklieden in gemelde stad vroeger uitsluitend Vlaamsch spraken.

2 Zie blz. 191-192 hierboven.

Tome LXI.

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( 226 )

DE COUSSEMAKER, blz. 188 !

ry - de ik naer myn lief.

Id., blz. 261 :

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Dat Mel - po - me - na de - ze droe-ve dood be - schreyt.

Nagenoeg dezelfde vorm wordt reeds in Starter’s Friesche lust-hof gevonden, en moet dus ten minste tôt het begin der xvue eeuw worden gebracht.

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1 Uitg. 1621, blz. 96, « Stemme : Kits Alemande, etc. »

Snachts doen een blauw ge - star - de kleed Be

deck-ten ’t blauw ge - welf K

Ook onder de Fransche volksliederen, treffen wij dezen vorm aan.

Rolland, II, blz. 69 :

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Id., III, blz. 68 :

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sont ces ro - siers blancs? La bel - le s’y pro - - ne.

Id., I, blz. 260 :

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Au jar- din de mon - re, Vi - Te l’a-mour.

De chromatische gang der laatste mélodie komt in de door de Coussemaker genoteerde melodieën niet voor, evenmin als

4 Blz. 75, zonder wijsaanduiding.

( m )

de verminderde quarte welke zieh in de volgende zangwijze openbaart :

Rolland, ï, blz. 111 :

Pier - rot et Mar - got sont ve - nus.

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Gaan wij thans tôt den durtoonaard over. De modale drie- klank laat zich reeds bij den aanvang duidelijk hooren bij de Coussemaker, blz. 393 :

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Bel - lo - tje die was ver

ste - ken.

Id., blz. 237

God heeft zijn won-der - wer-ken.

Id., blz. 332

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kie - zen ?

( 229 )

Id., blz. 376 :

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Als de boer een paer kloef-kens heeft.

Id., blz. 379 :

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Te Duynkerk’ gaet h et al ver - keert.

Id., blz. 324 :

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Komt hier, gy pro-per maeg-de-tje, Komt, danst met my.

Id., blz. 365 :

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Ik h’ en het groe - ne straetje Zoo dik-wyls ten eyn-de ge-gaen.

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Id., blz. 268 :

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Het wa - ren twee ko - nings km - de - ren.

Id., blz. 342 :

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Langst een groen meu - le - tje kwam ik ge - tre - den.

De volgende zangwijzen zijn met de mélodie « Conditor aime siderum » verwant :

de Coussemaker, blz. 139 :

Als de groo - te klok - ke luyd, de klok - ke

i luyd, De Reu - ze komt uyt.

Id., blz. 312 :

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da - ge Sint' An - na

( 231 )

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dag; wy ky - ken al

af den 'kla

ren dag.

Id., blz. 404 :

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Kat-je-muys Gink nae’t sluys Om te lee-ren ron-ken.

Id., blz. 341 :

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Waer - om zou ik het dan-sen la-ten?Om - dat myn schoen ver-

sle - ten zyn?

( 232 )

de Coussemaker, blz. 356 :

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to - tje en Sa - ra, Ze dron-ken te ga - re bran- de -

Rolland, I, blz. 206 :

En re - ve - nant de noc’s.

Id., IV, blz. 52 :

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sant près d’un p’tit bois l.

1 Vgl. Rolland, I, 97 en 149.

( 233 )

Id., I, blz. 82 :

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tant que la bar-be lui

Id., I, blz. 103 :

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vieil-lards ai - ment *.

Ziehier de aanvangsformule die wij reeds in den moltoon» aard aantroffen en die men in Duitsche en in Fransche volks- liederen terugvindt :

DE CoUSSEMAKER, blz. 334 I

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1 Vg], Rolland, I, 45 en 475.

( 234 )

Willems, blz. 276 :

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diep, ja diep.

L)É COUSSEMAKER, blz. 204 I

Id., blz. 335 :

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Den boom groeyt in den za - vel En bloeyt er mooy.

( 235 )

Voor den ouderdom dezer formule’s pleit eerr mélodie van den aanvang der xve eeuw. . _

Erk und Bôhme, III, blz. 636 :

In dul - ci ju - bi - lo l,

en eene 16e-eeuwsche : Id., III, blz. 633 :

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Es wolt gut Jâ-ger ja-gen, wolt ja-gen in Himmels - thron.

Een vergeestelijking van dit laaste lied, sluit aldus : Erk und Bôhme, III, blz. 634 :

Bôhme 2, blz. 148 :

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Im Wal-de mbcht ich le - ben zur hei-ssen sommer - zeit.

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4 Deutscher Liederhort. Oude lezing der mélodie naar Leipziger Gesangbuch uit den aanvang der xve eeuw.

2 Volksthiimliche Lieder der Dentschën, 1895.

( 236 )

Bohme, blz. 146 :

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Wolfram i, blz. 222 :

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C’é - tait un p’tit bon-homm’ gue - nil - Ion.

Id., II, blz. 14 :

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Quand j’é-tais chez mon - re, gai,

vi - ve le roi!

(Vgl. blz. 227)

1 Ncissamsche Volkslieder , 1894; vgl. denzelfde, blz. 92, 120.

( 237 )

Id. , I, blz. 11 :

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Quand j’é - tais chez mon - re, vi - ve l’a - mour.

Id., I, blz. 280 :

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Du temps que la Be - nay - ta al - lov’ en champ lo beu.

Id., IV, blz. 33 :

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Ook met het Pater sliedje , waarvan veel varianten bestaan, hebben andere melodieën betrekking.

DE CoüSSEMAKER, blz. 328 .'

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Daer wan-deld’ â pa - ter-tje langst de kant.

« Vgl. Rolland, I, 8; II, 149, 240; IV, 34.

( 238 )

de Coussemaker, blz. 405 :

Id., blz. 329 :

Terry et Chaumont i, blz. 75 :

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nant le long du bois.

1 Recueil d'airs de Cramignons et de chansons populaires à Liège, 1889; vgl. dezelfden, blz. 126, 287, 293.

( 239 )

Rolland, II, blz. 243 :

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J’ai un grand voy - a - ge à faire, « Ros - si -

Je ne sais qui le fe - ra :

Id., I, blz. 77:

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qu’un jour et de - mi l.

Erk 2, blz. 307 :

1 Vgl. Rolland, I, 94; II, 123abis, 185, 229. 5 Deutscher Liederhort, 1856.

( 240 )

Vermelden wij tôt slot nog de volgende melodieën, die mede hare formule’s hebben. de Coussemaker, blz. 58 :

ïd., blz. 374:

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Als de boer een paer kloef-kens-heeft, Dan is hy reeds con -

Id., blz. 277 :

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En ’s a-vonds, en s’a-vonds, en s’ avonds is het goed.

Id., blz. 311:

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Sint An - na - dag - nuch-ten ons eer - ste werk.

( 241 )

Laet ons te ga - der die - nen den va - der, den

Id., blz. 323:

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Juf - vrouw, be-waert uw pur - pe - ren lint.

Id., blz. 105:

Id., blz. 267 :

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Wat doet gy al in’tgroe-ne veld.

Tome LXI.

16

( 242 )

Ka - rel - tje, Ka-rel-tje, tjip! tjip! tjip! En had - de geen

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hem -de - tje aen zyn lyf.

Ib., blz. 273:

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Id., blz. 313 :

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( 243 )

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blz. 382 :

In al deze zangwijzen, voor zooveel zij tôt den durtoonaard behooren, worden de natuurlijke tonen, de open trompet- of hoorntonen, bij voorliefde aangeslagen i. En nochtans vindt men in de honderden liederen door Wiliems en vooral door zijne opvolgers uit den mond des volks opgeteekend, geen enkel vaderlandsch lied, geen enkelen zang waar liefde voor den geboortegrond of voor de moedertaal uit spreekt. Gedu- rende twee eeuwen, te rekenen van het einde der xvie tôt op het einde der xvme eeuvv wij spreken van de Belgische gewesten ontmoet men geen enkel lied van vaderlandschen aard. Waar de zanger een enkele maal een krijgshaftigen toon aanslaat, wijzen de vvoorden op een kerst- of op een Marialied :

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(sic)

1 Vgl. voor de Fransche liederen, Rolland, I, blz.^.38, 47, 48 ( e ), 56. 64, 67, 76, 121, 123, 132, 244, 327, enz.

2 DE COÜSSEMAKER, blz. 41.

( 244 )

En het reeds vernielde :

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En dat myn ziel veel blydschap heeft, Vi - va!

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Eerst met de Brabantsche omwenteling, schijnt het lied een

vaderlandschen toon aan te slaan. De meeste Patriotten-liede-

ren werden echter op Fransche, aan vaudeville’s ontleende

wijzen voorgedragen, als daar zijn : « Avec les jeux dans le

village » of « C’est ce qui nous console: » Van de wijzen « van

Tante Wanneke °1 2, » of « ’k Heb den meyboom aen myn

hand, » is de eerste ons onbekend gebleven. Aanduidingen

zooals ce op een aengenaeme wijs, » zijn ontoereikend om ons

verder over de muzikale waarde der Vlaamsche Patriotten-

liederen te laten oordeelen.

»

1 DE COUSSEMAKER, blz. 58.

2 Zie Versamelinge van verscheyde stukken... bij een vergaedert door Sincerus Recht-uyt, Brussel, 1790, blz. 8, 11, en Versamelinge van cretieke stukken... door denzelfde, Brussel, 1790, blz. 92, 124.

{ 245 )

Naast de « rei- en dans-, » de « drink- en minneliedjes, » naast allerliefste zangen, « Rosa, willen wy dansen, » « [)aer was een sneeuwwit vogeltje, » « De zoete tyden van het meysaizoen l, » vinden wij ook liederen die door gevoel en zangerigheid uitmunten : « Het windetje die uyt den oosten vvaeyt, » « Wel Island, gy’n bedroefde kust, » « T’ wyl in den nacht, » « Het waren twee koningskinderen 2, » mogen zonder tegenspraak onder de schoonste volksmelodieën geteld worden en kunnen zonder scbroom de verge! ijking doorstaan met het fraaiste wat door andere volken op het gebied der volksmelodie is geleverd.

Verschillende der laatstgenoemde liederen vvijken af van de hierboven aangeduide formule’s; reeds de aanvang laat dit duidelijk zien :

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T’Wyl in den nacht d’her - ders wa - ren op wacht.

1 de Coussemaker, blz. 330, 166, 105.

2 Idem, blz. 253, 256, 37, 187.

( 246 )

Deze melodieën moeten beschouwd worden als tôt de vrije compositie te behooren, die zich hier lucht gaf. Evenals in vroegere eeuwen ontstonden, naast melodieën aan kerkelijke thema’s ontleend, andere, die geboren werden uit den vrijen, onafhankelijken geest van den componist.

Indien wij thans een vluchtigen blik werpen op den afge- legden weg, stellen wij vast, dat het Nederlandsche lied van de vroegste tijden af voor een goed deel op kerkelijke thema’s berustte, thema’s die de Kerk op hare beurt voor een groot deel uit de Oudheid had overgenomen. Voor een ander deel ging het Nederlandsche lied van de vrije compositie uit, maar nog altijd bleef het met betrekking tôt den toonaard, door de oude modi met den kerkzang en daardoor met de melodieën der Oudheid verbonden. De vrije compositie werd vooral begunstigd door de Italiaansche muzikale renaissance, die in den aanvang der xvne eeuw afbrak met de op het oude nomos steunende compositie.

Met de xvne eeuw oefende de nieuwe kunst ook haren invloed op het Nederlandsche lied uit, in zooverre dat een aantal Italiaansche melodieën door onze beste dichters als wijzen voor hunne liederen werden gebruikt. Grooter was echter het getal der Fransche zangwijzen die gedurende de xviie en xvme eeuw onze provinciën "binnendrongen en volks- geliefd werden.

De verzamelingen van Willems en de Coussemaker getuigen van dien vreemden invloed. De mélodie : « Ik drink den nieu- wen most 1 » stamt af van een danslied « La Royale 2; » de zangwijze van het kerstlied « Drie koningen groot van macht, » welke nog voor weinige jaren zoowel in Oost- en West- als in Fransch-Vlaanderen bekend was, is ontleend aan een « air du

* Willems, blz. 244; de Coussemaker, blz. 358.

2 Zie Fl. van Duyse, Het eenstemmig îied..., blz. 322.

( 247 )

Traquenard, » een ouden Franschen dans i 2 3 4 * 6 ; de mélodie « ô Heer wilt myn stem verlichten, » diende in den aanvang der xviie eeuw voor een Fransch lied « Ton hîmeur (humeur) est, Catherine 2. » De Fransche opéra werd, sedert haar ont- staan in het midden der xvne eeuw 3, in ons land opgevoerd, en de omstreeks het midden der volgende eeuw geboren opéra-comique vond hier mede den meesten bij val. De Fransche tooneelmuziek had dus natuurlijk mede haar invloed op het Nederlandsche lied. Het liedje « Klaes die sprak zyn moeder aen, » met refrein « Klaes en trouwt u leven niet 4 » en het lied « Waer kan men beter zijn, » beide, voor zooveel de muziek aangaat, aan Grétry’s Lucile (1769) ontleend, zijn nog heden niet vergeten. Het liedje « Lest een kuypertje ips en fijn 3, » nagevolgd van Audinot’s opéra-comique Le tonnelier (1761), bleef lang populair. De mélodie van het liedje « Brugge die ook vol zotten leeft, » dat nog in 1879 bekend was 6, js geen andere dan die van Audinot.

Onder het Fransche bewind was natuurlijk ailes Fransch wat de klok sloeg ; de wetten die loodzwaar op onze taal en op de drukpers wogen, werkten natuurlijk niet gunstig op den volkszang.

Na Waterloo scheen voor de letterkunde, en derhalve ook voor de muzikale kunst, die altijd hand aan hand dezelfde paden betreden, een nieuw licht te zullen opgaan. De kortston- dige regeering van Willem I liet echter niet toe, dat de hoop

1 De mélodie is te vinden bij de Coussemaker, blz. 91 ; de Fransche oorspronkelijke zangwijze in Chr. Ballard’s Nouvelles parodies bachiques, Paris, 1702, III, 147, en in La clef des chansonniers, uitgegeven door den- zelfde, Paris, 1717, I, 84.

2 Te vinden onder andere in Ballard’s verzameling Les rondes, Paris,

1724, II, 136.

3 Zie Edm. vander Straeten, La musique aux Paijs-Bas, II, 138 vlg.

4 Te vinden onder andere bij de Coussemaker, blz. 385.

3 Los blad, nr 25, Antwerpen, J. Thys, herdrukt door Hoffmann von Fallersleben, Niederlândische Volkslieder, blz. 267.

6 Lootens en Feys, Chants populaires flamands, blz. 153.

( 248 )

die men voor de wedergeboorte van kunst en letteren had gekoesterd, zich zou verwezenlijken. Toch werd onder dezen vorst het zaad gestrooid waaruit, na de gebeurtenissen van 1830, de Vlaamsche letterkunde zou verrijzen. De Vlaamsche letterkundige beweging bracht de Vlaamsche muzikale bewe- ging mede. ïlet valt buiten ons bestek het lied na 1830 van muzikale zijde te beschouwen, of den oorsprong aan te duiden der melodieën die na dezen tijd in ons land ontstonden. De namen der componisten die deze zangen in het leven riepen, zijn bekend. Ongeveer 1700 liederen met de muziek van 1830 tôt 1890 in België gedrukt, gelden als een afdoende bewijs van de levensvatbaarheid en de kracht van den Vlaamschen volksstam 1.

1 Fr. de Potter, Vlaamsche bibliographie , II, blz. 378-423, waar de titels der liederen met de namen der schrijvers en der componisten worden aangeduid. Hierbij zijn te voegen een paar honderd stukken, die stellig uitgegeven werden, maar thans niet meer te vinden zijn, door- dien schrijvers, componisten en uitgevers niet meer leven en de biblio¬ graphie vooral de muzikale voor het jaar 1870, ten onzent, om zoo te zeggen niet bestond. Van 1890 tôt 1898 zijn er ten minste een 300-tal Vlaamsche liederen met muziek van de pers gekomen. Sedert jaren vermeldt de Bibliographie de Belgique, uitgegeven met ondersteu- ning der Regeering, geene muziekstukken meer.

TWEEDE DEEL

RHYTHMISGHE VORMEN

EERSTE HOOFDSTUK

Tijdswaarde Enkelvoudige maat Rhythmische

zinsnede

Naar het stelsel der Oudheid i kunnen de schoone kunsten in twee klassen verdeeld worden : de plastische, door rust gekenmerkt, zijnde de bouw-, de beeldhouw- en de schilder- kunst; de praktische, die welke van beweging uitgaan en zich in de tijdruimte openbaren : de muziek, de dans en de dicht- kunst. De beweging wordt uitgedrukt door den rhythmus.

Rhythmus is het gevoel van eenheid, van symmetrie in de kunsten die op beweging steunen.

Voor zooveel de muziek betreft, eischen de schoonheids- wetten, dat het muzikale werk dermate verdeeld zij dat de toehoorder gemakkelijk regelmaat ontware tusschen de ver- schillende groepeeringen van klanken en woorden, alsook tusschen de poozen of rusttijden.

De rhythmus kan min of meer regelmatig wezen, in min- deren of meerderen graad bestaan. Van minderen graad is bij, wanneer tusschen het getal en de uitgestrektheid der zinsneden en perioden slechts een zekere verstandhouding heerscht, zoo- als in de Psalmenvertalingen. Daarentegen zijn zinsneden en perioden in den hoogsten graad doordrongen van het rhyth-

1 De algemeene hier uiteengezette begrippen zijn ontleend aan Gevaert’s Histoire et théorie de la musique de l'antiquité, II, blz. i vlg.

( 250 )

misch element, wanneer zij, op hunne beurt zijn samenge- steld ait kleinere door streng afgemeten rhythmus verbon- den deelen. In het recitatief of de gezongene spraak, zoowel als in den kerkzang ( cantus planus), vindt men wel is waar zinsneden waaruit perioden ontstaan, maar deze laatste staan niet symmetrisch tegenover elkander, en zijn niet te verdeelen in maten die dezelfde uitgestrektheid hebben, een zelfde getal slagen tellen. In de muziek der modernen daarentegen, zoowel als in die der Grieken, bevatten de perioden zinsneden van dezelfde lengte, uit gelijke maten samengesteld, maten die ten slotte kunnen worden teruggebraoht tôt tijdswaarden van den- zelfden duur.

Naar aile waarschijnlijkheid werd de isochronische maat, en dienvolgens de stipte bepaling der rhythmische eenheden geboren uit den dans of uit de marsch.

Aldus laat zich een scherp afgeteekende rhythmus verklaren in de muziek der volken die sterke neiging tôt den dans gevoelden en bij die waar het krijgswezen op ernstigen voet was ingericht.

De dans zelf kon eerst op eenigszins geregelde wijze tôt stand komen, nadat de blaas- en snaarspeeltuigen de slag- speeltuigen hadden opgevolgd. In de voorhistorische ontwik- keling der muziek zijn immers verschillende standpunten te beschouwen. In het begin waren slechts de slaginstrumenten, zooals de trommel bekend, die alleen met geschreeuw en getier gingen gepaard. Nadien traden de blaasinstrumenten in zwang, zooals het herdersriet, terwijl het nog aan rhythmus en vaste toonschreden ontbrak en die muziek slechts bij het gekweel der vogelen kon vergeleken worden. Thans gingen zang en poëzle met het spel der snaren gemengd en ontstonden korte rhythmische zinnen, die ongeveer dezelfde uitgestrekt¬ heid hadden, ofschoon zij nog met geen vaste maat gingen verbonden.

Eindelijk brak het tijdperk aan waarop de in strenge maat voorgedragen zangen tôt begeleiding strekten aan den dans of aan militaire of godsdienstige marschen.

( 231 )

De zang kon zich eerst dan ontwikkelen wanneer men, door middel van de zuivere stemming der snaren, de kennis had bekomen der consoneerende intervallen : octave, quint, quart, seconde, sexte en terts t, en uit die kennis de toonladder was geboren.

Hieruit volgt, dat het vers en de strophe aanvankelijk werden aile verzen gezongen hunnen oorsprong vonden in den dans. Uit de noodzakelijkheid om de bewegingen der dansers aan volmaakte evenredigheid te onderwerpen, Iwerd de zoo gevierde dactylische hexameter geboren :

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De dactylische hexameter was in de eerste plaats bestemd om de grootsche daden van het voorgeslacht te doen herleven, ofschoon hij ook wel eens voor de marsch en voor het her- dersgedicht werd aangewend.

Na de volksbewegingen die in de xne eeuw voor Christus de volledige omwenteling van Griekenland te weeg brachten, lia den strijd met Klein Azië, werd het episch gedicht geboren. bit die aaneenschakelingen, die lange reien van verzen, aan een zelfde metrum onderworpen, schoon niet uit een gelijk getal syllaben samengesteld, mag men afleiden dat de epische zangen, waar zij op vergaderingen van koningen en grooten

1 « L’art musical proprement dit débute par la culture régulière des instruments à cordes » (Gevaert, Histoire et théorie de la musique de l'antiquité I, blz. 3). Over de meerstemmigheid in de Oudheid, zie den- zelfde, t. a. p., blz. 356 vlg.

5 De Mas van Homeros, vertaald door Mr. G. Vosmaer. Eerste zang.

( 2o2 )

uit den mond van den àot.§6ç een beroepszanger weer- klonken, werden voorgedragen, nagenoeg in den trant van de psalmen der Latijnsche Kerk.

Van lieverlede begon het verhaal zelf meer belang in te boezemen dan de eentonige zang en geraakte de tekst aldus los van de muziek. Reeds ten tijde van Homerus (omtrent 950 voor Christus (?)) deed zich de splitsing gevoelen. De grootsche gedichten door Homerus verzameld, werden in den regel niet langer gezongen, maar bloot opgesneden. Ten tijde van Terpander (730 voor Christus) was de scheiding volbracht; in plaats van den àoiBôç, den zanger, trad de rhapsode, de declamator op. Slechts bij uitzondering en voor kortere epi- sode’s werden epische gedichten nog gezongen. Deze wijze van voordracht bleef voortleven, tôt in de « laisses » van de Chanson de Roland en in de strophen der Nibelungen , ja, na eeuwen en eeuwen, tôt op onzen tijd in onze gepsalmodieerde liederen. Aan het lied van « Mi Adel en Halewijn » dat nog voor weinige jaren uit den mond des volks werd opgeteekend, kunnen wij best leeren hoe het met de voordracht van het vroegere heldenlied was geschapen t.

De dactylische, van haren aard tweedeelige maat, deed dus dienst bij den dans en zeker wel in de eerste plaats, bij den getreden dans. Voor den gesprongen dans was sedert de verste Oudheid de iambische | - maat in eere die zich met de uit haar gesproten, samengestelde § - maat tôt allerlei volksliederen uitstrekte en de eigenlijke populaire maat werd. Wij komen op deze punten terug.

De grondregelen van den rhythmus zijn den menschelijken geest eigen, en worden teruggevonden bij aile natiën die tôt eenige ontwikkeling des geestes zijn gekomen. Ook treft men bij aile volken de tweetallige verdeeling aan in de samenstel- ling van de période, zinsnede of maat. Aan sommige hunner

4 Over de gepsalmodieerde liederen, zie F. van Duyse, Het eenstein- mig... lied j blz. 181 vlg.

( 253 )

zijn wel de drie- en de vijfdeelige maat onbekend, doch dit is van minder belang R Overal gaat de rhythmus van een eerste of kleinste tijdswaarde uit. De grondregels van de rhythmiek der Oudheid, die in verband staan met het quantitatief vers, zijn dus met betrekking tôt maat en zinsnede ook toepasselijk, zoowel op het Dietsch accentvers als op het vers in Fransche getelde syllabenmaat, waarin later ook onze liederen zijn geschreven. Die kleinste tijdswaarde zal men in ons noten-

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schrift het best door de achtste V 9 J weergeven. In duur stemt deze achtste met een korte syllabe overeen, terwijl de

kwartnoot ( J ), van dubbelen duur, met de lange syllabe over-

eenkomt. Drie- of vierdubbele tijdswaarden

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G 9 à 9 9 ) hebben eene nog langere tijdswaarde dan de normale lange ( J ).

De tijdswaarden door de Grieken gebruikt en die, over het algemeen genomen, tusschen de haîve noot ( G ) en de

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achtste V / beperkt zijn îeveren het bewijs, dat bij hen de gezongen muziek de bovenhand had, zooals zij deze overigens ook had bij aile westersche volken, tôt in den aanvang der

1 « Mais ces différences sont d’un ordre secondaire et ne touchent pas aux principes fondamentaux du rhythme, qui semblent être du domaine de la physiologie. Rien d’étonnant, dès lors, si le sentiment rhythmique des anciens concordait avec celui des peuples modernes » (Gevaert, Histoire et théorie de la musique de l’antiquité , II, blz. 5).

* Buiten deze gewone tijdswaarden kenden de Grieken ook onre-

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gelmatige : de met de helft verlengde kleinste noot \ & / en de 3 ' 3

', onze moderne triolen,

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alsook eene onregelmatige korte

( 2o4 )

xvme eeuw, en zooals zij die heden nog heeft in de populaire muziek.

Daar de rustteekens het hunne medebrengen tôt volmaking van den rhythmus, worden zij in de maat begrepen. Daaren- tegen valt het rustpunt (diastole), ons fermaat, dat van onbe- paalden duur is, buiten de maat, buiten den rhythmus.

Elkander regelmatig opvolgende evenredige bewegingen brengen geen rhythmus voort ; deze ontstaat eerst daar waar een tijdswaarde door een sterkeren slag gekenmerkt, uit de andere te onderscheiden is, en aangezien de menschelijke geest slechts in staat is een klein getal rhythmische eenheden op te nemen, zijn binaire of ternaire groepeeringen ook alleen geschikt tôt het vormen van maten. Om voelbaar te zijn, moeten meer uitgestrekte groepeeringen tôt nieuwe van twee of drie eenheden worden teruggebracht. Een groepeering van

U

vier tijdswaarden \ ë 0 0 # / staat gelijk aan twee groepee¬

ringen van twee tijdswaarden V é 0

groepeering

is gelijk aan een van

driemaal

tweemaal

maat, die niet alleen bij de Grieken

bekend was, maar nog heden ten dage bij verschillende vol- ken, waaronder de Basken en Finnen, in gebruik is, lost zich op in drie tijdswaarden door twee andere gevolgd

voorkomen van sterkere slagen op

evenredige afstanden, ontstaat de enkelvoudige maat, ook voet genoemd, aangezien de maat vanouds door den voet werd aangeduid. De nederdalende voet, thesis of slag, door den opgaanden, arsis of opslag gevolgd, doet de maat ontstaan. Aldus bekomt men :

Th.

Ars.

de 2 - maat 0 0

n

# #

255 )

de x - maat

de | - maat

Daarenboven hadden de Grieken de reeds gemelde § - maat :

Waar lange en korte tijdswaarden vermengd zijn, ontvangen de lange den slag en komen de korte in opslag. Aldus kwam voor elke eenvoudige maat een type of formule tôt stand :

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\

de choraeus of trocfiaeus 0

h

0

voor de ^ - maat,

de dactylus

i

0

h

*

h

voor de | - maat.

de paean

è

h

0

|S h

0 0

voor de jj - maat,

de ionicus major

I

0

0

h

0 0

voor de | - maat.

1 Een reine, dit is

eenvoudige,

zich

regelmatig

voordoende l - maat

bestaat in het Nederlandsche volkslied niet. Vijfdeelige indeeling wordt

in datzelfde lied alleen bij samengestelde maat gevonden, bijvoorbeeld

3

» i I I *

in | maat; « W’hébben nog géenen boer été é

H r

( m )

Maar gewoonlijk gaat de arsis of opslag, ook heffing genoemd, vooraf aan de thesis waardoor men nieuwe for- mule’s bekomt :

de iambus

0 1 0

voor de |

- maat,

de anapest

h h 1

0 0 1

0

voor de \

- maat,

h h

|

!

de ioniens minor

0 0 !

0

0 voor de |

- maat.

Voor de | - maat, was bij de Grieken slechts een enkele vorm bekend : de thetische, waarin de slag door den opslag werd voorafgegaan.

Tegenover de thetische maat, staat de anacrousische (van anacrousis, voorslag, voorheffing), een maat waarin de arsis of heffing den slag vooruit gaat.

De | -, | - en | - maten, met hare indeelingen, worden alleen in het Nederlandsche lied gebruikt, en dan nog komt de | - maat slechts zelden voor, en dient de | - meestal slechts tôt samenstelling van de f - maat.

Uit samengevoegde maten spruit de rhythmische zinsnede voort. Een op zichzelf staande maat is te kort om een zinsnede uit te maken. Deze laaîste ontstaat dit dipodiën, tripodiën , tetrapodiën , pentapodiën of hexapodiën , dit is, uit twee, drie, vier, vijf of zes samengevoegde maten.

In de kleinste maten, de | - en J - maten, is de dipodie doorgaans te kort om een muzikalen zin te vormen en.wordt zij gewoonlijk met uitgestrekter zinsneden verbonden.

(J. Bols, blz. 213) of omgekeerd » « ’k Kwam lestmael over den Rijn, »

3

0 # 0 0

é (Idem, blz. 182).

Dipodieën van dien aard ontmoet men nochtans in de beide melodieën waarvan de aanvang volgt :

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1

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Die - nen den va - der,

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wyn-gaerd a - der En dank - baer zyn *.

In de | - maat daarentegen is de dipodie uit zichzelf toerei- kend om een zinsnede te vormen :

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Jon - ge doch - ter, en wilt niet treu - ren, ’t Is Sint

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An - na die komt aen 3.

1 DE COUSSEMAKER, blz. 349.

2 Idem, blz. 129.

5 Idem, blz. 318.

Tome LXI.

f 7

( 258 )

De tetrapodieën uit de | - of f - maat ontstaan (vier eenvou- dige maten tôt een zinsnede te zamen gevoegd), worden ten allen tijde en bij aile volken gevonden :

le quam al - daer ic weetwel waer,

k-

1 1

# é

Met hey-me -

-ÿ!

S-

T~i

- é

0 -

lijc ghe - schal - le

Vro-lyk, her-ders, komt vry bin - nen; Komt, be -

zoekt met hert en

wensch 2.

Na de binaire of tweetallige zinsneden komen de ternaire, die van twee,ërlei aard zijn : de tripodieën, die met verschillende maten worden gebruikt, en de hexapodieën die men alleen bij de | - maat vindt.

1 Souterliedekens, 1540, Ps. 132.

2 DE COUSSEMAKER, blz. 30.

( °2o9 )

Drie eenvoudige maten (tripodie) maken een zinsnede uit :

eynde ge - gaen. Ik heb-bermyn lief-tje ver - lo - ren, Dat

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h’ên myn vrien-den ge - daen *.

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9

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-0-

ô Heer, wilt myn stem ver - lich - ten,

En my ge-ven goed ver

stand 1 2.

Waer is er ker-ke son- der, sanck

Of ker-mis son-der keel-ge - klanck 3.

1 de Coussemaker, blz. 365. Deze laatste mélodie genoteerd volgens de versmaat.

2 de Coussemaker, blz. 113.

5 Idem, blz. 111.

r

( 260 )

De hexapodieën in de f - maat zijn samengesteld, naar aan- leiding der maat met zes eenheden, zes achtsten (onze | - maat) uit groepeeringen, die twee aan twee (2 + 2 -+- 2) zijn gepaard, en niet drie aan drie (3 •+■ 3).

Zes eenvoudige maten maken een zinsnede uit :

ӣr o

r=— +

1

Si

j

V

V|

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Die nach-te - gael die sanckeen liedt, dat leer-de ick *.

Van de pentapodie (3 + 2 groepeeringen) ziet men een voor- beeld in de volgende zinsnede :

9 zN

V

v

îv

Fia

Hexapodieën en pentapodieën zijn uitzonderingen in onze lie- deren, die doorgaans uit tetrapodieën bestaan.

Het gestadig herhalen van slagen die elkander van nabij opvolgen zou weldra tôt eentonigheid leiden. Om deze reden worden dipodieën en tetrapodieën liefst in samengestelde maat

( °f | -, | l - j geschreven, zoodat de nieuwe, hier-

door bekomen maat uit twee of meer vereenigde enkelvoudige maten bestaat, waarvan de eerste op hare beurt tôt thesis ver- strekt. Zoo schrijft men gewoonlijk :

-6-;

ïo

-

1

h-

h-fr-fn

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- J

9 jgj j

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9

. m ^ ^ 9 -

9 J

» 1

9

Een is ee - ne, ee - nen God al - lee - ne.

1 Souterliedekens, 1540, Ps. lü27.

2 Bols, blz. 230.

( 261 )

en niet zooals de Coussemaker noteert :

Zoo schrijft men nog :

-

i

- 1

1

t - -1

i

M, Â \ 9

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0 JB

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- 1

1

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0 * J

&

Vrolyk, herders, komt vrv binnen; Komt, be - zoekt met liert en wensch,

en in de bij ui tstek populaire § - maat :

&

i\

iV

0—0-

-

h

-e 0-

=1

iV

-0—0

0-

le quam al-daer ic weet wel waer, Met hey-me-lijc gbe - schal - le,

mm

N-

h

h

-h

N:

-0-

- - i

ë

Laet ons te

ga - der Die-nen den

va - der, enz.

Tripodieën kunnen in ternaire samengestelde maat worden geschreven :

a

j h l~h R R R- ^ R

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V 7 Ci 1 r

Tj--^2 - -

L - * - -

- J - - -

lk h’ên het groe - ne strae-tje Zoo dik-wijls ten ein - de ge - gaen, enz.

( 262 )

Zooeven noemden wij de Coussemaker’s gebrekkige notatie, waarin de syllabe lee van het woord alleene, die den slag moet ontvangen en, in de samengestelde § - maat, in tbesis moet staan, in arsis wordt geplaatst. De notatie waarbij de zware slag op den sterken tijd der samenstelling valt, geeft hier alleen voldoening aan het muzikaal gevoel. De gewoonte om aldus te handelen bestond reeds vdor eeuwen in de op maat gezongen christelijke kerkzangen, waaruit zij met het rijm in het wereldlijk lied overging. Op andere plaatsen van zijn werk wordt het muzikaal gevoel door de Coussemaker’s schrijfwijze gekwetst. Een notatie als deze :

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- ® P Æ)

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-

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1 r w

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f 1

2

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f ?

- -

Daer was een meys-ken zoo jonk en ge-zond, zoo

fi— ^ -

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«T-J

jonk en ge-zond l,

of als deze :

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H -

7 éæl

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_ 1 é® ffiE _ 1 _ Æ

T

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V sffe JB,

0 ^ . 0 " 0

6

JT ^ ~

Jan de Mul - der, Met zy - nen lee - ren kul - der

En zyn lee - ren broek-jen aen -,

* Blz. 272. 2 Blz. 288.

( 263 )

strijdt tegen maat en rhythmus. Men schrijve dus :

S - V|

1

/IÆ _ r

^ _ L _

9

1

. -

rr

9 v ,r

S? Æ

V

¥ * Z-

M

i _ i

Jan de Mul - der, Met zy - nen lee - ren kul-der, enz.

De wijze van schrijven waarbij de slag op het einde der rhythmische zinsnede komt, welk einde gewoonlijk met het slot van het vers te zamen valt, laat toe de elkander opvol- gende zinsneden waaruit de période ontstaat, gemakkelijk aan elkander te verbinden, hetzij die zinsnede tôt de volledige, de onvolledige (catalectische) of vallende behooren.

De zinsneden kunnen inderdaad op drieërlei wijze met elkander verbonden zijn :

I. De syllaben van den tekst vervullen de gansche zinsnede, die dan ook volledig is :

Won - der siet - men nu ge

! h 1

9 9

beu- ren 1 2.

(h 1 h h

V 9 9 9

’kZou-de zoo

I h hj hh

9 9 9 9 9 9

gee - ren naer En - ge - land

9

i

i

va - ren

1 Antiuerpsch liederboek, blz. 341.

2 Mondelinge overlevering.

( 264 )

II. In den laatsten versvoet ontbreekt de arsis, in dit geval is de zinsnede onvolledig (catalectisch) ; de leemte wordt aange- vuld door verlenging of rustaanduiding :

6

8

9

<bs

of

Dat men

eens van drin-cken spraeck,

spraeck *.

h h

Suy - ve - re, schoo-ne ver-maeck-lij - cke,

^ £

maegd 2.

III. De laatste versvoet der zinsnede is insgelijks ter bevre- diging van het muzikaal gevoel, verlengd. Zulk een zinsnede, wordt vallende genoemd ; waar zij met arsis aanvangt is zij mede onvolledig :

8 9 I 9 è 9 9 ! 9

Des

win - ters als het

re-ghent 5.

c

h

9

;

IJ ^ 1'

1 9 9 9 9

9

« 9

En

zijn

kruis-ken moest Je -

sus

dra - gen 4

De verlenging kan ook door het rastteeken worden ver- vangen en dit is in de oorspronkelijke notatie werkelijk het

1 Starter, Friesche lust-hof, 1621, blz. 99.

52 Idem, blz. 77.

5 Willems, Oude Vlaemsche liederen, blz. 276. 1 Bols, blz. 70.

( 265 )

geval met het laatste aangehaalde voorbeeld. Dat dit lied in Bols’ verzameling in J - maat wordt genoteerd, neemt niets weg van het door ons te leveren bewijs :

G

w

) ,-V-

JLr A C

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ÀÊÈ ]

y

I

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- -—0

^ *

0

v «r

«T

En zijn kruisken moest Je -sus dra-gen Tôt Je -

LJS

~ _

rr

Tÿ r

w ©

¥ E=iz— *

ru - sa - lem in de stad, enz.

Vooraleer wij echter tôt de elkander opvolgende zinsneden, tôt de période overgaan, hebben wij het verband tusschen muziek en woord nader te beschouwen.

TWEEDE HOOEDSTUK

De muzikale rhythmus toegepast op het Nederlandsehe lied Syllabe Voet Vers

De rhythmiek onderzoekt de vormen die tôt gemeenzamen sleun aan de muziek en aan de poëzie verstrekken, en waar- door het vers zich van het proza onderscheidt In de instru¬ mentale muziek blijven die vormen volkomen vrij, en heeft de componist alleen rekening te houden met de wetten door de natuur aan den rhythmus voorgeschreven, en die voortspruiten uit den nationalen smaak of uit het gebruikte speeltuig. Anders

r

( 266 )

is het gesteld met de gezongen muziek. Hier houdt deze vol- komen vrijheid op. Om goed verstaanbaar te zijn, mogen de syllaben niet al te vlug uitgesproken worden. Ten einde de mélodie zoo vloeiend te maken als mogelijk is, moet de gesproken taal voor de gezongen wijken, ten minste moet, waar het de gezongen muziek geldt, wij laten de moderne muziek, waarin de instrumentatie niet zelden de bovenhand heeft, buiten rekening, een verdrag worden aangegaan, om het evenwicht tusschen beide te bewaren.

Een gedicht bestaat uit syllaben door geluiden gevormd, uit voeten van twee of meer syllaben, en uit metra van twee of meer voeten, metra die met de rhythmische zinsneden overeen- stemmen.

Even als de diepe muzikale klanken, door minder snelle trillingen voortgebracht, zware, lange noten behoeven, terwijl daarentegen aan de scherpe klanken meestal kleine noten, vlugge passages worden toevertrouwd, hebben de syllaben mede hunne quantiteit , tijdswaarde en hun accent , klemtoon. Door quantiteit der syllabe wordt bedoeld de tijd die onder het uitspreken derzelve verloopt; naarmate die tijd langer of korter is wordt de syllabe ook lang of kort genoemd i. Doch juist hierin verschillen de Germaansche talen van de Antieke, namelijk de classieke Grieksche en Romeinsche talen, doordat zij in hunne prosodie geen rekening houden met de quantiteit, maar alleen met het accent. Daar komt bij dat de Latijnsche poëzie der Sequentiae in de middeleeuwsche kerkliederen mede op het accent berust.

In de Nederlandsche taal ligt de klemtoon op de eerste lettergreep van het woord : broeder, broederlijkheid .2. Bij-

1 De woorden hoop en hop hebben in de Nederlandsche prosodie dezelfde tijdswaarde.

2 Zie J. Vercoullee, Nederlandsche Spraakkunst, blz. 11 vlg. Zie mede daar, de uitzonderingen op den algemeenen regel die aile betrekking hebben op achtervoegsels of samenstellingen, zooals : rampzalig, konin- gin, dievegge, plantage, verantwoordelijkj beginnen, ellende, onzalig, enz.

( 267 )

sylben hebben geen klemtoon, en aangezien in onze taal de eerste lettergreep doorgaans met de wortellettergreep overeen- komt, kan daarin zelden twijfel aangaande den klemtoon bestaan, wat niet altijd het geval is bij talen die den klemtoon niets als iets logisch, iets werkelijks gevoelen.

Onze taal moge bijzonder geschikt zi j n tôt het weergeven van de verssoorten der Grieken en Latijnen; ons oude vers moge, volgens de uitdrukking van C. Vosmaer, « geheel rhyth- miesch » wezen i ; de eenige ware weg tôt ontwikkeling der welluidendheid in onze dichtkundige werken « moge ons, zooals J. Van Droogenbroeck schrijft, « sedert eeuwen gebaand zijn 1 2, onze oude dichtkunst en onze oude liederen, waar het niet aan welluidendheid ontbreekt, hebben met het quantitatief vers niets gemeen.

Terwijl dit laatste scandeert : « eenheid, zinlôos, ônvast, onbuigzaam, » kent het Dietsche vers, waarop het oude Neder- landsche lied berust, hierin aan de volkspraak, aan de natuur- lijke metriek der taal getrouw, aan die woorden, zooals aan aile andere, slechts een enkelen klemtoon toe : In de dage- iijksche taal zeide men voor eeuwen, zooals nog heden :

i i i i

« eenheid, zinloos, onvast, onbuigzaam, » en zoo scandeert ook de Dietsche dichter. Het Dietsche vers bestaat veel minder uit lange en korte syllaben, dan uit siagen (theses) en heffin- gen (arses), of liever, en zooals wij reeds zagen, uit heffingen (zwakke tijden) en siagen (zware tijden), daar de heffing den slag voorafgaat en in onze oude liederpoëzie het vers bijna altijd aanvangt met een heffing, anacrousis of voorheffing genaamd.

De verzen bestaan dus gewoonlijk uit een voorslag door drie of vier, zelden door twee, of door meer dan vier siagen

1 De Ilias van Homeros, vertaald door G. Vosmaer, Leiden, 1880, blz. xxiii.

2 Verhandeling overde toepassing van het Grieksch en Latijnsch metrum op de Nederlandsche poëzij (hekroond door de Koninklijke Academie van België) (1886) blz. 16, aant.

( 268 )

gevolgd, slagen van elkander afgescheiden door een, twee of drie arses In den regel vallen de slagen op de syllaben die in de gesproken taal den klemtoon, het accent ontvangen ; van daar ook de naam van accentvers. Uitzonderingen metri causa , hebben ten doel den dreun, den vloed van het vers te vrijwaren :

I V | V' | V/ X/ I

Bedrijft solaes genoechte ende vruecht,

^ I vr \ \S \

die blomkens staen ontploken 2.

| \y \y \s I \r | v \y |

Den lustelijcken mey is nu in den tijt

\r | w | v/ | \s

met sinen groenen bladen;

\s | vr \y | vr xr \y J xr

int lievelijc aenschouwen, ghi die Venus dienaers zijt,

V/ I v I -w I

men mach u niet versaden 3.

Het woord « dienaers » dat hier met het woord « Venus » is verbonden, blijft metri causa onbeklemtoond. De driedub- bele arses spruiten wel eens voort uit tusschengeschoven adjectieven of stéréotypé uitdrukkingen.

De aanvang van nr 40, Antwerpsch liederboek :

1 1 ' 1

Een îonghe maecht heeft mi-gedaecht,

wordt door Ps. 98 der Souterliedekens als aanvangsregel aldus opgegeven :

Een schôon ion.ghe màeeht heeft my ghedaecht.

| v | v \r v/ | x/ | vr

1 Soms ontmoet men vier arses : Hi is gheboren van eenre maghet reene (Hoffmann von Fallersleben, Niederlândische geistliclie Lieder, nr 5, blz. 24).

2 Antwerpsch Liederboek , nr 27, blz. 39, str. 2.

3 Ibidem, nr 27, blz. 39, str. 1.

( 269 )

Elders leest rnen :

I lll

Daer siet een fijn maecht ter veynster uit *.

Mi rout so sèer haer ghélu ghecrult hàyr 1 2.

i iii

Mocht ic een carte wijle bi u zijn 3 4.

Misschien kon men dit laatste vers scandeeren :

iii i

Mocht ic een corte wijle bi u zijn.

Zooals door Dr W.-L. van Helten wordt aangetoond, leent menig accentvers zich inderdaad tôt twee of zelfs tôt drie meer of min verschillende accentuaties 4.

Het vers kan insgelijks enkelen, dubbelen of driedubbelen voorslag hebben ; wij duiden alleen de beklemtoonde syllabe aan, en drukken den voorslag cursief. Enkele en dubbele voorslag :

i i i

Want bi des meys virtuyt So ménich cleyn vôghelken rùyt,

Sijnen sanc is sôet om hôoren 5.

Driedubbele voorslag :

i ii i

Neemt desen mev in dancke seer coragieus ende bexvkert hem na rèynder séde 6.

Dat daer cômen soude een heer also griot, die al die wèrelt verlossen soude

) i

mit sinen doot 7.

1 Antwerpsch liederboek, nr 84, blz. 127, str. 2.

2 Ibidem , nr 138, blz. 206, str. 3.

5 Ibidem, nr 35, blz. 50, str. 2.

4 Over Middelnederlandschen versbouw, Groningen, 1884, blz. 92, § 35.

s Antwerpsch liederboek, nr 27, blz. 39, str. 1.

0 Ibidem , str. 6.

7 Hoffmann von Fallersleben, Niederldndische geistliche Lieder, nr 7, blz. 27, str. 4.

( 270 )

En met een overtollig aan stéréotypé uitdrukking ontleend adjectivum :

\s \S \ | | |

Mer quade niders tongen geeft hi die wijt G

Dit metrum is aan onze taal zoo eigen, dat het zich zelfs in het proza laat hooren, ten minste zooals men die taal nog op het einde der xvme eeuw schreef en zooals het volk die nog heden spreekt :

i ii

Onsen Vader, die in de hemelen zijt,

Geheyligt zy uwen nàem,

i i

0ns toekome uw rijk,

il i l

Uwen wille geschiede op der aerde als in den hemel,

Geeft ons héden ons dâgelijks brood, enz.

Zonder de waarde van het metrisch vers in het minste te

miskennen, mogen wij toch wel zeggen, dat verzen zooals de volgende tôt de fraaiste en de zangerigste behooren die men in onze taal kan uitdenken

i i i

De winter is verganghen,

*. i l

ic sie des meys virtuvt,

} 1 '

ic sie die looverkens hangen,

t i i

die bloemen spruyten int cruyl; in gheenen groenen dàle,

i i i

daer ist genoechlijc zijn,

i i i

daer singhet die nachtegale 111

ende so menich vogelkijn 1 2.

1 Antwerpsch liederboek, nr 56, blz. 99, str. 6.

2 Ibidem , nr 74, blz. 110, str. 2.

( 271 )

Zeker zullen deze verzen in « vrije maat, » bij den zanger der Makamen en Ghazelen, voor wat beters dan een « hortend, struikelend getrappel » gelden.

Alleen uit hoofde van het metrum, metri causa , worden in de volgende verzen de syllaben in, en o in het woord overal , beklemtoond.

Wanneer men echter diezelfde verzen in samengestelde maat schrijft, zijn de aangeduide syllaben ook minder beklem¬ toond, daar zij in het tweede deel der maat voorkomen en aldus tegenover den sterken slag, die op het eerste godeelte der maat valt, in arsis staan :

2

2

O

Il I

Het dag - het in den

II

Oo - sten,

het

lich - tet o - ver

al.

In het jongere Nederlandsche lied na de xvie eeuvv, door- gaans in Fransch getelde syllabenmaat geschreven *, stemt de

(

korte syllabe overeen met den enkelvoudigen tijd \ # 'en heeft de lange de waarde van twee korte. De | - maat bestaat

i ^

dus hier uit een lange afwisselend met een korte e G , de

1 De Fransche maat of getelde syllabenmaat kwam tôt stand op een tijdstip van taalverval. Zij verdrong ongelukkiglijk, omtrent 1623,geheel en al de Germaansche maat, de eigenlijk gezegde Nevelingenmaat, die niet met syllaben, maar met slagen telde (Prudens van Duyse, Verhandeling ovcr den drievondigen invloed der Rederijkkameren, blz. 36).

QO 00 00 00 G *»N

( 272 )

- maat uit een lange gevolgd door twee korte, de J - maat it twee lange en twee korte :

Trochaïsch :

h

M I h

Plompaert en zyn wu - ve

9 9

jte Ze

h I h

9

zyn te

h

9 9

merkt a - gaen

Iambisch :

’t En is wel

om de but -ter

niet, ’t En

is maer om den doek '

Dactylisch :

l i b h | i h M j h h

4 9 9 & 19 9 9 I 0

N b

9 9

Kin-der-tjes, kin-der-tjes, steekt vul-der keel’-ga-tje

9

op 5.

Anapaestisch :

* h h

4 9 9

I N b

9 9 9

lk be - min ee - ne zoe - te maagd 4.

1 DE COUSSEMAKER, blz. 296.

2 Idem, t. a. p.

5 Idem, blz. 313.

4 Lootens en Feys, blz. 123, die echter noteeren : \y \y | \y

( 273 )

De | - maat doet zich, zooals wij zeiden, in het volkslied zelden voor. In de Coussemaker’s verzameling i vindt men het volgende voorbeeld in ionicus-minor :

î

l

h h

0 0

Laet ons

dan-sen, laet ons sprin-gen, Laet ons

ma-ken grootplai - sier.

Even goed zou men in de | - maat kunnen schrijven :

I N

0 0

h I |S

0 0 0

Laet ons dan-sen, laet ons sprin-gen, enz.

En hiermede is reeds bewezen, dat een zelfde tekst voor

verschillende rhvthmen vatbaar is.

«/

Zoo kan men insgelijks schrijven :

-e-

j)

i -fr

Vi

w

y

,43

A

' >5 9

0

lui

Ut

& 9

0

' 0

«y

Het was - ser te naclit al - so soe - ten naclit -,

of :

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1 A

^ y.

1UI

Cf ' "

39 *■ 9 0

w & h

0

Het was - ser te nacht al - so soe - ten naclit,

1 BIz. 318.

2 Tekst Antwerpsch liederboek , blz. 298; mélodie Luitboek van Thysius, nr 29.

Tome LXI. 13

r

( 274 )

of wel :

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f

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Het was-ser te naclit al - so soe - ten nacht,

of wel nog :

In deze verschillende rhythmische samenstellingen wordt het verband tusschen taal en muziek behouden, want, zooals Dr Hugo Riemann, met het oog op dergelijke verscheidenheid van rhythmus, zegt : « immer noch stehen die gewichtigeren Silben an gewichtigerer Stelle *. »

Daar de tijdswaarden in de meeste der tôt ons gekomen melodieën onzer oude liederen, of hoegenaamd niet, of onnauwkeurig zijn uitgedrukt, moeten gevoel en smaak, zoo- wel als de aard van het lied, beslissen op welke manier de oude zangwijs in moderne notatie over te brengen is. De zangwijzen die men in de bewerkingen der contrapuntisten kan terug vinden, en daaronder mogen de melodieën der Souterliedekens worden gerekend, zijn in geen geval, wat de tijdswaarden betreft, ongeschonden gebleven.

Soms brachten de oude componisten de woorden op de reeds gecomponeerde muziek, soms lieten zij het aan de goede zorg van den zanger over om den tekst op zijn behoor- lijke plaats te brengen. De manier waarop zij met de taal

4 Pràludien und Studien, Frankfurt a/M., 1895, Gesangsphrasirang, blz. 112, vlg.

( 275 )

omsprongen, maakt dat de oude notatie tôt het overbrengen der zangwijzen in nieuwe schrijfwijze dikwijls van weinig of geen nut is.

Als een staaltje van muzikalen onzin kan de notatie van den geleerden Ambros worden beschouwd, daar waar door hem de aanvang van een lied van H. de Zeelandia een onzer oudste componisten in moderne schrijfwijze wordt weer- gegeven. Alleen het eerste vers van dit lied : « Een meyske dat the werbe (lees : « te werve ») gaet » is bekend. Ambros schrijft i :

enz.

Hoe de bovenstaande aanvangsregel geheel of ten deele op de muziek kan gebracht worden is moeielijk om te zeggen.

In de Oudvlaemsche liederen 1 2 3, zoowel als in Een devoot en profitelyck boecxken (1539), hebben aile noten, op enkele uit- zonderingen na, dezelfde, dus eigenlijk geen tijdswaarde.

In de door Bâumker uitgegeven Niederlandische geistliche Lieder, worden wel enkele tijdswaarden aangeduid, doch de notatie gaat daar met geen vaste regelen verbonden ; men mag ze willekeurig noemen, want dezelfde passages zijn soms op tweeërlei manier genoteerd 3. Zoo getrouw mogelijk taal- metriek en versbouw weergeven, is het eenig middel om onze oude zangwijzen in degelijke moderne notatie over te brengen. Waar men van dien regel afwijkt, loopt men gevaar tôt de vreemdste uitslagen te komen.

1 Geschichte der Musik, II (1880), blz. 289-405. H. de Zeelandia behoort thuis in de eerste helft der xve eeuw.

2 Uitgave der « Vlaemsche bibliophilen » te Gent.

3 Vgl. nr 30, blz. 220, v. 1 met v. 3, en v. 2 met v. 5; nr 59, blz. 296, de^verzen « Nu is doch heen den heilighen stryt, » en « Sy vvaren vroem ende wèl ghemôet. »

r

( 276 )

De aanvang eener 15e-eeuwsche mélodie * wordt in de oorspronkelijke notatie aldus geschreven :

Buiten de laatste noot, die ons een langere tijdswaarde dan die der voorgaande noten doet kennen, zijn al de tijdswaarden van gelijken duur. Kon er nopens de scansie van het laatst- genoemde vers eenigen twijfel bestaan, dan zouden de volgende strophen ons leeren, dat het eerste vers telkens drie accenten ontvangt.

Dies zal men scandeeren, met dubbelen voorslag :

E > I

Minen geest is mi ontwaeckt,

en sehrijven, in de f - maat bij voorbeeld :

fn

/, y y

fn) Q v 7

U

vUo / /

Mi - nen geest is mi ont - waeckt.

Brengt men nu onder diezelfde noten den aanvang van het oorspronkelijk lied, een « vensterliedeken, » een echte 15e-eeuwsche serenade, dan moet men sehrijven, daar die aanvang slechts enkelen voorslag heeft :

1 Te vinden in Een devoot en profitelyck boecxken , blz. 230.

( 277 )

Alleen veronachtzaming van den versbouw kon er een ver- dienstelijk musicus i toe brengen het vers een voet meer le geven en het aldus te noteeren :

en verder, in de tweede en derde door hem benuttigde stro- phen, te schrijven :

V 41 **

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SP 3? eF g?

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1 V V V V

Wat ruy-schet daer aen die muer.

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in plaats van :

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9

^

Wat ruy-schet daer aen die muer.

1 J.-C.-M. van Riemsdijk, Vier en twintig liederen uit de xv « en xvi« eeuw (1890), blz. 26. Herdrukt in Nederlandsch, volksliederenboek, Amsterdam, 1896, blz. 78.

r

( 278 )

Het spreekt vanzelf dat het slepend rijm, in dit laatste vers in de plaats van het staande getreden, ook in de muziek moet aangeduid zijn.

Onze oude liederen hebben zelden verzen die uit gelijke voeten bestaan ; rein iambischen dreun dient alleen bij het danslied. Doch juist in die gedurige afwisseling van allerlei versvoeten ligt de groote verscheidenheid, de rijkdom van het Dietsche vers. Die afwisseling is zelfs te vinden in de regelen die in de elkander opvolgende strophen dezelfde plaats bekleeden.

Het eerste het beste lied strekke hier tôt bewijs :

iii t

Str.

1.

Aile |

i mijn

ghe - |

peys

doet |

mi

so

wee.

Str.

2.

Moet |

(

ic

nu

i

| derven

die [

lief -

ste |

i

mijn.

Str.

3.

Die |

i

goede

ghe -

| stadi -

ghe |

i

min -

ne |

i

draecht.

Str.

4.

Gaef

1 si

mi

i

| nu

een

| trooste

-lijck |

woort.

Str.

5.

Dat

1

1 goede

ghe -

l

| stadi -

ghe

i

| min -

naers

i

1 zijn.

Str.

6.

Dese

i

| nijders

zijn

i

| ar

gher

i

| dan

fe -

i

1 nijn.

Str.

7.

Dit

| is

ghe

i

| daen

om

i

| drucx

ver -

i

| slaen h

Alleen het laatste vers is rein iambisch; in al de overige verzen zijn de voeten niet dezelfde voor het gansche vers.

Daaruit volgt insgelijks voor de mélodie eene gedurige afwisseling in den rhythmus.

Men kan schrijven :

2

4

0

& ®

0

I h

0

Die goe-de ghe - sta-di-ghe min -ne draecht,

Antwerpsch liederboek, nr 3 blz. 4-.

( 279 )

of :

3

2

4 0

Die

0 0

goe-de ghe

h M l h

0

s ta - di - ghe

h

0 I 0

min-ne draecht,

en in samengestelde maat

h

h I I h

Die goe-de ghe - sta - di - ghe min-ne draecht.

Die samensmelting van 2 met 3 neemt het hoekige en kan-

/ l h h \

tige \ 0 0 0 ! der J - maat weg.

Aan de overwegende roi van het accent is het ook toe te schrijven, dat verzen die in de verschillende strophen moelen overeenstemmen, nu eens met staande, dan weer met slepende rijm sluiten :

Str. 1, v. 1. Str. 2, id. Str. 6, id.

i i a i

Den | dach en | wil niet ver | borghen | zijn.

B I II

| Wachter nu | laet - u | schimpen | zijn.

3 18 1

Had | ic den | slo - tel | van - den | daghe *.

Dit zoo eenvoudig als natuurlijk prosodisch stelsel, waarin de grootste rhythmische verscheidenheid met eerbied voor de

1 Antiuerpsch iiederboek, nr 19, blz. 25, en vgl. Ibidem , nr 3, blz. 4, str. 3, v. 2, ênde dàer hi dan wort bedroghen, met str. 4, v. 2, So vvaer mijn trueren al ghedaen; nr 4, blz. 6, str. 1, v. 1, Als aile die werelt in vrùechden is, met str. 2, v. I, Blancke berghe wel duyster koye, enz.

m\/^

( 280 )

taal gepaard ging, een stelsel dat ook aan den zanger toeliet zich door zijne toehoorders duidelijk te doen begrijpen, werd, zooals wij reeds zagen, in de xvne eeuw, onder den invloed der Fransche getelde syllabenmaat, den bodem ingeslagen.

Voortaan zou men scandeeren en derhalve zingen :

Het stônt een môeder rêene

Nefféns dat crùycen hôut,

l i i

Seer druckelick in weene,

i l i

In liefde niet vercout.

l i i

Met pijne menich fout

Sach sv haer sôon eerbàer

i i i

Hanghen, als puer reyn goût,

i i i

Int vier des lydens zwaer.

En in de tweede strophe :

Maecht dér maechdén verheven h

Doch, genoeg! Het is niet te vervvonderen, dat ten gevolge dezer nieuwe manier van prosodieeren het gevoel der taal- metriek bij het volk op den duur aan het wankelen raakte en dat datzelfde volk er toe kwam om te zingen :

i i i

Als de boer een paer kloefkens héeft 9.

En elders :

Laet ons te gàder Dienén den vâder 5.

* HetprieeL , Brugghe, 1600, blz. J II.

2 DE COUSSEMAKER, blz. 374.

3 Idem, blz. 349.

( 281 )

Is zulke wanluidende taal ook eenigszins te verklaren door den overweldigenden rhythmus der f - maat in het drink- of danslied, scansie’s als de volgende, zijn niet uit te leggen en nog minder te verschoonen :

i i

Gheluek te saem Met God den Heer bequaem *.

T’wijl in den nacht d’Herdérs warèn op wacht 2.

Overigens hadden sommige dichters der xvue eeuw geen beter besef van de taalmetriek dan de volkszangers. Cam- phuysen wiens Stichtelyke rymen, van 1624 tôt omstreeks 1861, veertig maal werden herdrukt, leert ons in een « Uytbreyding van Psalm CXXII en CXXVI, » ter plaatse waar hij de Sap- phische strophe tracht terug te geven 3, dat zijn verzen « aidas te lezen » zijn :

- \s\s | - - | vr \_/ ^ | -,

Zalige ure vruchtbaer van ver blijden,

\_/ \/|- - | v -w \y \/ | -

Die raij deedt hooren, Dat de schoone tijden

| - - | v \y v v | -“I

Zoo zeer gewenschet van zoo menig vrorae,

\S \s \ - - \

Weer zullen komen.

1 DE COUSSEMAKER, blz. 34.

- Idem, blz. 37.

5 Blz. 72. Over de muzikale scansie der Sapphische strophe, zie Gevaert, La mélopée antique, blz. 81.

K

( °J82 )

DERDE HOOFDSTÜK

Période Strophe

De op zich zelf berustende muzikale zinsnede drukt geen afgeronde muzikale gedaehte uit. Eerst wanneer zij door een tweede met haar in symmetrisch verband staande zinsnede wordt gevolgd, ontstaat de période waaruit een bepaalde zin te voorsehijn treedt. De beide zinsneden staan nagenoeg tôt elkander in betrekking als vraag en antwoord.

Uit een zeker getal perioden, met een zeker getal verzen overeenstemmende, wordt de strophe geboren en ait een zeker getal strophen het gansche lied.

Reeds in de eerste kerkelijke hvmnen, in de hymnen gedicht door den H. Hilarius (gest. 367), ontmoet men het populaire accentvers, dat later in de Dietsche poëzie wordt terugge- vonden :

Hostis fallax saeculorum

i ill

et dirae mortis ardfex,

1 ! . . 1 . 1

jam consiliis toto in orbe

i i i I

viperinis consitis,

ill i

nihil ad salutem praestare

i i i l

spei humanae existimat h

Ziedaar wel het vers met hetfingen en slagen, dat evenals het Dietsche vers op symmetrische perioden berust. In de strophe van den H. Hilarius wordt ons bovendien een voor- ganger geleverd van de strophe zooals zij én voor onze oude

Gevaert, La mélopée antique, blz. 64.

( 283 )

verhalende liederen, én voor het danslied werd gebruikt. Daarentegen had het lied der wereldlijke zoowel als dat der geestelijke minnezangers 1 een strophe die meer ingewikkeld was en waar het vooral aan geene rijmen ontbrak. Laat ons thans eens eenige onzer populaire strophen onderzoeken.

§ 1. Het verhalend lied

Door verhalende liederen verstaan wij hier alleen de liede¬ ren die ons door hunnen tekst of hunne mélodie niet zijn aangewezen als tôt den dans behoorende, ofschoon het uit die gegevens niet altijd is op te maken, of bij een lied, ja dan neen, werd gedanst.

De eenvoudigste strophe bestaat uit slechts twee regels :

i i ii

Heer Halewijn sanc een liedekijn,

i ii i

Al die dat hoorde, wou bi hem sijn 2.

De strophenbouw, vier slagen en staande rijm :

4 a 4 a.

Vermits de mélodie 3 met de sexte niet kon sluiten, moest de tweede versregel natuurlijk herhaald worden oui met de quint te kunnen eindigen. Hierdoor verkreeg het Halewijns- lied in werkelijkheid drieregelige strophe, en dit zal dan ook wel de oorzaak zijn, dat later bij sommige strophen een derde versregel werd gevoegd, waardoor het lied afwisselend twee-

1 Zie blz. 26 hierboven,

2 Willems, blz. 116, schrijft nu eens : Al die, dan weer : Al wie en scandeert : Al die. de Coussemaker, blz. 142, scandeert : Al wie. Dr Kalff,

I I II:

blz. 650, scandeert : Al wie, en verder : dat hoorde wou bi hem zijn.

3 Zie blz. 49 hierboven.

r

( 284 )

en drieregelige strophe bekwam. Een ander lied met zelfden strophenbouw in het Antwerpscli liederboek voorkomende vangt aan :

Dat ruyterken inder schueren lach,

die schuer was coût, den ruvter was nat.

Aangezien aan het hoofd van dit « oudt liedeken » wordt gezegd : « Ende den eersten reghel singhet altoos tweewerf » is het niet onmogelijk dat het insgelijks op de Halewijns- melodie werd gezongen.

Leerden het Halewijnslied en het lied van « Dat ruyterken inder schueren » ons tweeregelige strophen kennen die tôt drieregelige zijn uitgebreid, de twee liederen waarvan wij hier- boven de mélodie mededeelden 1 2, zijn, hoewel met drieregelige strophe gedicht, verschillend van versbouw. ïn het eerste lied hebben de eerste twee verzen der strophe vier, het derde daarentegen, slechts drie accenten; in het tweede lied hebben al de verzen vier accenten.

ii ii

Claes Molenaer en zijn minneken

i i i i

si saten te samen al in den wijn,

i i i

van minnen wast dat si spraken 3 4.

i il

Jésus Christus van Nasareyne

il i . i

hi is glieboren van eenre maghet reyne,

1 1 il

dair om is God ghebenediyt

De symmetrie der elkander opvolgende muzikale zinsneden vereischt evenmin als die der elkander opvolgende verzen een

1 N* 34, blz. 49.

- Blz. 29 en 91.

3 Vgl. : « Het was een meysken vroech opghestaen, » Antwerpsch liederboek , nr 62, blz. 92.

4 Vgl. Hoffmann von Fallersleben, Niederlàndische Volkslieder, nr 28, blz. 90.

( 285 )

gelijk getal voeten. Een vaste regel is hier echter niet toepas- selijk; fantasie, smaak van dichter en componist moeten hier alieen beslissen. In het lied van « Brunnenburch » wordt de derde regel onder het zingen herhaald :

ii i i

« In enen boomgaert quam ic ghehaen,

i ii i

daer vant ic schone vrouwen staen

. i i i

si plucten aile rosen l. »

Door Dr Kalff wordt aan de musici de vraag gesteld 2 * 4 of ook bij de overige (drieregelige) liederen de laatste regel moet herhaald worden. Het antwoord hierop is : de drieregelige strophe kan zeer wel op zich zelf bestaan. De melodieën van de op de voorgaande bladzijde aangeduide drieregelige stro- phen bewijzen, dat zulke schikking het rhythmisch gevoel zeer goed kan bevredigen. Ook de Duitschers hebben een aantal liederen met drieregelige strophe, waarin, onder het zingen, geen der drie versregelen wordt herhaald 3. De her- haling is dus voor de muziek niet onontbeerlijk.

Beschouwen wij thans de vierregelige strophe. Dr Kalff loont aan, dat de gewone vierregelige strophe, waarin vele liederen zijn gedicht, een sterke overeenkomst heeft met de maat der Hildebrandstrophe, op hare beurt met de Nibelungenstrophe verwant :

iii iii

« le wil te lande rijden, » | sprack meester Hillebrant,

il i iii

« die mi den wech wil wijsen | te Barnen in dat lant.

I II III

Si zijn mi onbekent geweest | so menighen langhen dach,

i i i i il

in drieendertich iaren | vrou Goedele ic niet en sach F »

1 Hoffmann von Fallersleben, Niederlândische Volkslieder, t. a. p.. nr 6, blz. 32.

2 Het lied in de middeleeuwen, blz. 554.

5 Zie Bôhme, Altdeutsckes Liederbuch, nr 233, blz. 312; nr 413, blz. 514, met een refrein « Faladeridum; » nr 437, blz. 543; nr 564, blz. 672.

4 Antwerpzcli liederboek, nr 83, blz. 122.

( 286 )

Later werd deze vorm, om de caesuur duidelijker aan te geven, en dus ook het lezen te vergemakkelijken, aldus voor- gesteld :

3 \s a 3 b 3 va 3 b, enz.,

een schéma dat wordt teruggevonden in :

i t i

Het daghet in den Oosten,

i i

het lichtet overal,

i i i

hoe luttel weet myn liefken,

i i i

och waer ic henen sal *.

Uit deze strophe hebben zich andere vierregelige vormen ontwikkeld, door bijvoeging van het rijm in het eerste en het derde vers :

i i i

Int soetste vanden meye

i i i

al daer ic quam gegaen

i i i

so diep in een valleye

i i

daer schoon[e] bloemkens'staen

*

Het staande rijm neemt de plaats in van [het slepende en omgekeerd :

3 a 3 v b 3 a 3 v b

1 Antwerpsch liederboek, nr 73, blz. 108. * Zie blz. 174 hierboven.

( 287 )

I I I

Op eenen morgen stont,

i i i

om den mei soo ist beediinnen,

7

i i I

daer hoorde ick eenen rooden mont,

l l I

si sanck so wel van minnen 1 2 * 4.

Overigens kunnen ter aanduiding van het metrum eener strophe de overige strophen van bel lied, en waar dit zijn kan, de mélodie met vrucht worden geraadpleegd.

Door afvvisseling van drie met vier heffingen ontstaat een nieuvve maat :

4 a

3 v b

4 «

3 x/ b

il l l

Adieu Antwerpen, genoechlijc pleyn,

1 l I

van u so moet ick schevden;

I 1 1

ic laet daer in dat liefste grevn,

V 1

I 1 I

God wil mijn boel geleyden

Weer treedt het slepende rijm in plaats van het staande en omgekeerd :

i i i i

Het wavt een windeken coel wten oosten,

t 7

i i il

hoe lustelijc staet dat groene wout;

1 1 1 . 1 die vogelkens singen; wie sal mi troosten?

i ili

Vrouwen ghepevns is menichfout 5.

1 Antwerpsch liederboek, nr 133, blz. 200. In het eerste vers : Op een , enz., is het woord stonde een dru k fout Zie overigens de wijsaan- duiding van Ps. 81. Souterliedekens . In dit lied schijnt het derde vers der strophe nu cens drie, dan weer vier accenten aan te nemen.

2 Antwerpsch liederboek, nr 12, blz. 17. De tekst van het derde vers luidt ontoereikend : « daer in tliefste, » ten ware men scandeerde :

« ic laet daer in tliefste greyn, » eene vrij ongelukkige scansie; vgl.

Ibidem, nr 51, blz. 74; nr G3, blz. 94, buiten de eerste strophe.

5 Antwerpsch liederboek, nr 69, blz. 103; vgl. nr 112, blz. 1 70 ; nr 213, blz. 171, eerste strophe; nr 121. blz. 183.

( 288 )

Plaatsen wij hier de woorden onder de muziek i ; dit zal gelegenheid geven om nog over een en ander punt van de metriek te spreken :

H et wayt een win-de-ken coel w-ten oos - ten,

hoe lus-te-lijc staet dat groe - ne wout; die vo-gel-kens

sin-gen; wie sal my troos - ten? Vrou-wen ghe -

1 De derde strophe vangt aan : « le was een clercxken, ic laeli ter scholen, » aanvang van een ander lied met zelfden strophenbouw, te vinden in Willems’ Onde Vlciemsche liederen, blz. 194, en gezongen op de mélodie van Ps. 1. Souterliedekens. Het lied « Het wayt een win- deken » werd dus, ongetwijfeld, ook op deze mélodie voorgedragen.

( 289 )

Het lied leent zich ook tôt een notalie in driedeelige maat :

«y

Het wayt een

-N-

#0

iV

-Ni—

win - de-ken, enz.

Melden wij terloops, dat de hierboven voorkomende omge-

I 3 !

keerde iambus # O op de tweede syllabe van het woord « ghepeyns, » uit de meerstemmigheid is ontstaan. Clemens non papa schrijft dit slot voor drie gelijke stemmen :

:=

KH - 3.

-TT

*9

*-9

3*

‘J-C 'V

% -

&

-f—

-*==È3+É.

-P-

.a.

In den eenstemmigen zang kan de syncope worden ter zijde gelaten, en kan men in het aangehaalde voorbeeld schrijven :

~ÿ~ey i r ;

3

\

i zr

|

! 1 - 1 ! -

J

fr^ W* W &

Lj

-S

9 & G

& j & é—

a I

Vrou-wen ghe - peyns is me

Tome LXI.

nich fout.

!9

( 290 )

De quartnoten

kunnen natuurlijk

worden vervangen.

Er blijven ons, met betrekking tôt de vierregelige strophe, nog verschillende andere vormen te onderzoeken.

Yerzen van vier en van drie accenten, twee staande of sle- pende rijmen volgen elkander onmiddellijk op :

4 a 4 a

3 . b

3 b

i i il

Het voer een maechdelijn over rijn,

1 1 } tsavonts al inder manenschijh,

» i it

met haer snee witte handen,

i i l

die winter tôt haerder schanden *.

De mélodie 1 2 duidt herhaling van den derden versregel aan en het bestaan van een soort van refrein, dat dan ook in éen

1 Antwerpsch liederboek, nr 61, blz. 91.

2 Te vinden onder Ps. 146 der Souterliedekens . Vgl. Hoffmann von Fallersleben, Niederlcindische Volkslieder, nr 26, blz. 86 : « Daer zou een magetje vroeg opstaen. »

( 291 )

strophe van den tekst de derde wordt aangeduid. Het kort refrein dat in meer liederen voorkomt en voortspruit uit de herhaling van het slotwoord voorafgegaan door het woordje « ja, » valt buiten het metrum, evenals navolgingen (imitations) in den muzikalen rhythmus niet gerekend worden. Echter is hier de strophe ten gevolge der aangeduide herhaling, wer- kelijk vijfregelig :

_ m _

-

- # -

0 -

G

/ -

i v

Het voer een maech-de-lijn o - ver rijn, tsa-vonts al

in -der ma-nen- schijn,

met haer snee wit - te han-den, die

i

G

* *

V-

win - ter tôt haer -der schanden, die

win-ter tôt haer-der

V

**

schan

den.

ja, schan

den.

Het lied waarvan de aanvangstrophe met hare binnenrijmen in de eerste twee regelen volgt, kan zoowel onder de liederen

( 292 )

met vierregeligen als tôt die met zesregeligen strophenbouw worden gerekend :

0 waerde mont | ghi maeckt ghesont myns hertens gront | tôt aider stont; als ick bi u mach wesen, so ben ick al genesen 4.

Een ander metrum beeft de volgende vierregelige strophe :

Hansjen de Backer by der strate was gheganghen /

i 11 l

Hy wekte syn soete lief met sanghen /

i si i

Hy seyde : moy Elsjen, laeter mv toe /

a # i ii

Latet jou ontfermen, dat ic buyten bin 1 2.

Weer een ander wordt in de volgende strophe waargenomen .

i s if

Het wasser een coninc seer rijc van goet,

B I 8 1

Hi vride Abrahams dochter van elf jaer oui;

I fi 19

Gheeft mi u dochter te minen pande,

il il

Of al u goet steec ic in brande 3 4.

Door Dr Kalff wordt nog op verschillende andere vierre¬ gelige strophen gewezen 4.

De volgende behoort in de xive eeuw thuis en heeft tôt schéma :

4 a 4 a 4 a 3 - b

1 Antwerpsch liederboek, nr 130, blz. 196.

2 Haerlemsch oudt liedt-boeck, aangehaald door Dr Kalff, blz. 242 en 533.

5 Nederlandsch liederboek van het Willems-Fonds, II, 2e uitg., blz. 12.

4 T. a. p., blz. 553-554.

( 293 )

De eerste drie verzen in elke strophe rijmen op elkander, het vierde vers der eerste strophe rijmt op het vierde der vier overige strophen :

iii

Mijn hertze en can verbliden niet,

iii

als soe niet vroilic up mi ziet,

i i i i

in wien ic vruechden aen bespiet;

i i i

elpt mi of ic verderve l.

In een ander lied hebben de eerste drie verzen slepend rijm, het vierde vers rijmt insgelijks op het vierde der zes volgende strophen :

i i i

Mey, dyn vro beghinnen,

' l i

sine mir in de zinnen,

i i i

dus ick moet leeren minnen

i i i

ende draghen last allein 2.

Elders vindt men vier elkander opvolgende staande rijmen (a b, a b) :

1 . 1 1 1

Mijn zin, mijn moet, mijns hertzen bloet

i ili

anich so minnenlijch gevuecht eewich an eene vrouwe goet ;

I ili

sonder verdriet het mir glienuecht 3.

Verder vinden wij voor onze liederen gebruikt : de vijfrege- lige strophe; de zevenregelige, die met de vijfregelige in verband staat; de zesregelige; de dikwijls voorkomende acht- regelige; daarbij strophen van negen, tien, elf, twaalf en

1 Oudvlaemsche liederen, nr 18, blz. 74.

2 Ibidem, nr 136, blz. 219.

5 Ibidem, nr 20, blz. 77.

( 294 )

dertien regels, ook wel van vijftien 1. In al deze strophen kan de vorm even afwisselend zijn als in de vierregelige, zoodat de afwisseling zich uitstrekt tôt het oneindige.

Wij zagen, dat een deel der Oudvlaemsche liederen tôt de hoofsche poëzie, de kunst der trouvèi'es behoort, wier buiten- gewone rijmvaardigheid bekend is. Anders is het met de populaire poëzie gelegen. Zoo men in het Antwerpsch lieder- boek, soms in het rijm de meeste afwisseling vindt, elders levert hetzelfde boek het bewijs, dat de volksliederendichter het rijm gemakkelijk kan ontberen.

Hierboven hebben wij « Het daghet » aangehaald, als afge- leid van twee lange versregels zonder binnenrijm. De volks¬ liederendichter drijft de onverschilligheid voor het rijm dikwijls zoover, dat hij het onnoodig acht het staande of slepende rijm of woord waarmede het vers eindigt, in de elkander opvolgende strophen met staande of slepende rijm te doen overeenstemmen.

De twee volgende strophen behooren tôt een zelfde lied :

i i i i

Av lacen nu ist altemael ghedaen,

i i i

waer ick mi keere oft vvaer ick mi wende,

van trôosten en h'oor ick ghéen vermaen,

i i 1 i

si hout haer oft si mi niet en kende.

i i i i

Woude si mi troosten, die waerde geminde,

i * *

ende gheven mi een vriendelijck opslach,

i il . . i

so waer verdreven aile nujn allende

ende al dat mijn herte deeren mach 1 2.

Hoe het Dietsche vers het Latijnsche navolgde, hoe de rhythmus onzer taal, daar waar ze op kerkelijke melodieën

1 Zie de voorbeelden aangehaald door Dr Kalff, Het lied in de middel- eenwen, blz. 554, vlg.

2 Antwerpsch liederboek, nr 146, blz. 218, str. 5 en 6. Vgl. Ibidem, nr 4, blz. 6, str. 1 en 4; nr 6, blz. 9, str. 1-6; nr 8, blz. 12, str. 1-3, enz.

( 295 )

werd toegepast, met dien der Latijnsche taal afwisselde en den iambischen dreun door het Dietsche vers verving, willen wij door een 15®-eeuwsche navolging duidelijk maken.

Ziehier de Latijnsche aanvangstrophe, met haar scansie :

il i il i

Jesu dulcis memoria

Il ! Il dans vera cordis gaudia,

Il I 11 1

sed super mel et omnia

Il I II I

ejus dulcis praesentia.

Volge nu met zijn scansie de Nederlandsche tekst, die op de mélodie der hymne werd toegepast :

il I il I

0 Jésus, soete aendachticheit,

il I II I

waerachtige vroude en salicheit,

Il * I II I

mer boven aile ghenoechelicheit Il I II I

is soet dijn teghenwoordicheit L

§ 2. Het danslied

Hierboven hespraken wij het verhalend lied in de beteekenis van dat waarop niet werd gedanst. Het is dus voegzaam ook een woord over het danslied te zeggen, aangezien de oudste dansen door de maat van een gezang worden geregeld. De dans moge van de vroegste tijden bij onze voorouders in eere geweest zijn, de danswoede der geeselaars moge in de xive eeuw zoowel hier te lande als elders geheerscht hebben 1 2,

1 Hoffmann von Fallersleben, Niederldndisch geistliches Liederbuch, nr 93, blz. 184.

2 Zie Dr Paul Fredericq, Onze historische volksliederen , Gent, 1894, blz. 24. Het lied der Nederlandsche Geeselaars , en De secten der Geeselaars en der Dansei's (Mémoires de l’Acad. roy. de Belgique, t. LIII, 4e fasc., 1897).

( 296 )

een « danshuus » mag in 1426 te Arnhem i, een dansschool in 1607 te Brussel hebben bestaan, van dit ailes is ons in muzikaal opzicht hoegenaamd niets overgebleven. Wel spreekt in den aanvang der xiv® eeuw Jan Boendale (f c. 1312) in zijn Brabantsche Yeesten van die goede vedelare Lodewijc... van Vaelbeke in Brabant :

... deerste die vant Van stampien die manieren,

Die men noch hoert antieren 1 2 3,

een dans die eenige jaren later ook in het tweede deel van den Reynaert wordt genoemd :

Men sprac daer sproken ende stampien Dat hof was al vol melodien 4 5.

Doch van deze « stampien » die in het Provencaalsch reeds in de xne eeuw voorkomen, onder den naam van estampida, en ook in het Hoogduitsch reeds als stampeiiîen waren bekend, weten wij slechts dat wij die als dansen met vedelbegeleiding moeten beschouwen, dus als een eerste proef op instrumentaal gebied 5.

De geschiedenis van het Nederlansche danslied met betrek- king tôt de muziek en inzonderheid in verband met de metrische vormen, is op te maken uit die liederenteksten waarvan men mag aannemen, dat zij tôt de dansliederen behoorden; verder uit enkele tôt ons gekomen melodieën en

1 Dr Kalff, t. a. p., blz. 503.

2 Vander Straeten, La musique aux Pays-Bas , IV, blz. 165, vlg.

3 Uitgegeven door J.-Fr. Willems, Brussel, 1839, 1, vijfde boek, v. 134.

4 Uitgegeven door J.-Fr. Willems, Gent, 1836, tweede boek, v. 3507-3508.

5 Boendale’s woorden moeten dus zoo opgevat worden, dat Vaelbeke de eerste was die stampien in de Nederlandsche taal dichtte. Zie Dr Kalff, t. a. p., blz. 538; Dr J. te Winkel, Geschiedenis der Nederlandsche letter- kunde, blz. 303; Bôhme, Geschichte des Tanzes, I, 28.

.( 297 )

oo k uit de zangwijzen die ons door mondelinge overlevering bereikten G

De geschiedenis van denDuitschen dans wordL door Bôhme1 2 3 verdeeld in :

Minneliederen uitgaande van jongelingen die de lente en de liefde bezingen, en van maagden en geestelijke zusters die hun zielsverlangen aan gezellinnen kenbaar maken; Historische liederen, oude Heldenliederen, Mystische gezangen en Sagen, waaronder de Duitsche lezingen van « Die mi te drincken gave » (van Vrou van Lutsenborch 3) en « le sach mynheer van Valkenstein 4. »

Verder worden nog door Bôhme genoemd :

Verwijt- en Spotliederen, waaronder ons Patersliedeken. liederen uit de Dierensage, waarvan er een verwant is aan ons « Daer zat een uil en spon ; » Raadsel-, Wensch- en Leugenliederen en eindelijk Geestelijke dansliederen.

Met meer zekerheid mogen wij als kenmerk der dansmelo- dieën aannemen, wat Bôhme de « lustige, schaukelndc und zum Springen einladende Tripeltakt » noemt, ofschoon niet aile dansen in oneven maat werden uitgevoerd. Door « Tripel¬ takt » is hier, naar onze meening, te verstaan, de moderne l - maat.

1 Wilhelm Scherer, Zur Geschichte der deutschen Sprache, 2e uitg., Berlijn, 1878, blz. 624; Physiologie und Metrik, brengt naar aanleiding van Ernst Brücke’s werk, Die physiologischen Grundlagen der neuhoch- deutsclien Verskunst, Weenen, 1871, insgelijks den rbythmus in verband met den dans.

2 Geschichte des Tanzes, I, blz. 229 vlg.

3 Tekst, Antwerpsch liederhoek, blz. 32 ; mélodie Souterliedekens ,

Ps. 137.

1 Alleen de eerste twee verzen van den iNederlandschen tekst bleven bewaard; de mélodie komt voor in Een devoot en profitelyck boecxken, blz. 227. Alhoewel de beide hier aangeduide liederen onder de balladen (Bôhme noemt ze ce Sagenlieder ») moeten geteld worden, en het woord ballade van ballare, dansen. wordt afgeleid, bestaat er,naar onze meening. toch çeen hoeçenaamde zekerheid dat ze in ons land onder het dansen werden gezongen.

( 298 )

In de reeds zoo dikwijls door ons aangehaalde Souter- liedekens, die overigens onze beste bron zijn, treffen wij enkele melodieën aan met het opschrift : « na die wijse » van een dansliedeken, zoodat er over den oorspronkelijken aard der zangwijs geen twijfel kan bestaan. Onder deze zangwijzen moeten worden gerangschikt de aeolische melodieën te vinden onder Psalmen 125 en 133, welke wij laten volgen en waarvan slechts de aanvangsregelen bekend zijn. Bij gebrek aan ver- deren tekst wagen wij het niet te beslissen of de mélodie van Ps. 125 tôt den gesprongen dans behoort en geven wij de notatie der Soulerliedekens weder, de noten met de helft der waarde verminderd :

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AJs die Heer ver - kee-renwou Die ban -den der ge (Wereldlijk lied) : Den lancxten dach van de - sen ia - re die brengt ons vruechde

1 Bôhme, Altdeutsches Liederbuch, blz. 392, en Erk und Bôhme, Deut- scher Liederhort, II, 719, noemen dit lied, naar de wij s bij den Psalm aangeduid en hierboven wedergegcven, vermoedelijk een Sint-Jansdans. Volgens de tafel der Souterliedekens luidt de aanvang echter : « Die lancxte naclit, » enz.

( 299 )

De versbouw afgeleid ait de mélodie en uit den onbeholpen tekst der Souterliedekens is deze :

4

3 v

4

4

3 vr

De mélodie te vinden onder Psalm 133, wordt in de Souter¬ liedekens genoteerd :

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G

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L ^

* 0

Het komt ons voor, dat deze notatie in moderne schrijfwijze weer te geven is door | - of f - maat, aangezien de vorm

0*0 G'0 ~

i M h

é 0

, bij herhaling, gemakkelijk over-

6 1 h 1 h

gaat tôt | -, o 0 & 0 - è ë è ê i. Voorzeker werd in

de xyie eeuvv de | - maat reeds door 3 of 3 (J^, ook enkel door 3 aangeduid -, echter in de xvne eeuvv werd

1 Zie hierover : Gevaert, Histoire et théorie de la musique de l'anti¬ quité, II, 114.

- Echter heeft de uitgaaf der Souterliedekens (een der talrijke uitgaven van 1540) waarover wij beschikken, geen maataanduiding. In de uitgave

van 1564 wordt Psalm 2 aangeduid door 3 Cp, terwijl de maat voor dezelfde mélodie in de uitgave van 1584 slechts door drie wordt aange- geven.

r

( 300 )

de eigenlijke | - of § - maat, nog door Cf aangegeven i

Nu siet en soect den Hee - re, Ghi die sijn die-naers

(Wereldlijk lied) : Hoe soude ic vruecht be - dri-ven, Mijn le - ven valt mi

sijt, Ghi al - len geeft hem ee - re En

swaer...

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N-

■frn— N

is

hem ghe-be - ne - dijt, En hem ghe - be - ne - dijt.

De versbouw :

3 ^

3

3 v/

3 02 maal).

De verlenging van de ait haren aard korte syllabe « ghi, » in het derde vers, waar deze tôt een gansche maat uitgesponnen wordt, is misschien te wijten aan een buitengewonen sprong, veroorzakende, dat de taalmetriek hier door den dansrhythmus wordt overheerscht.

1 Zie blz. 176, aanteekening 2 in f.

( 301 )

De vroeger aangehaalde aeolische mélodie van Ps. 135, « nae die wijse van een dansliedeken : Lynken sou backen i, » is, als zijnde stellig geene oorspronkelijke Nederlandsche danswijs, voor ons van minder belang.

De mélodie van Ps. 127, « na die wijse van een danslie¬ deken : Die nachtegael die sanek een liedt, » enz., deelden wij reeds mede onder de dorische melodieën 2. De tekst bestaat uit zevenregelige strophen, met herhaling, als refrein, van een deel van den vijfden regel en die wil ic niet laten, niet laten. ») De versbouw is deze :

4 a

2^6

4 a

2 b

3 c (1 \y )

4 x

3 \s c

Het « amoureuse may-lied, » waarvan de aanvangstrophe volgt, dat op dezelfde wijs als het lied « Die nachtegael, » enz., werd gezongen, behoorde ongetwijfeld tôt de dansliederen :

11 i i

Ghy docnters fray // comt maect een ray Met hèrten côen.

Gebrùyet de m'av // vroeeh ênde spày,

I i

Want sv staet groen,

Met^crùyden soet van roken // ontloken Tôt û verdoen // dus wilt u spôen

I I 3

T’ontfaen den mey vocrsnroken 5.

U X

< Zie blz. 106.

5 Zie blz. 68.

3 De tekst is te vinden in Nien Amstelredams lied-boeck , 1591, blz. 22.

( 302 )

Het vroeger in den vijfden versregel voorkomend refrein wordt hier door een rijmwoord vervangen.

Als dansliederen worden in de Souterliedekens nog opzette- lijk vermeld de volgende melodieën in modernen durtoonaard.

Ps. 432.

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ÏV

«

N

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Nu siet hoegoet|met vruechden soet ghe - nue-ghe-lijck bi - (Wereldlijk lied) : le quam al - daer | ic weet wel waerjmet hey-me-lijc ghe

-h=i=rfr

•• -0

na - meu Ist daer die broe-ders met ac-coort, soe schal - le.

Vijf verzen waarvan het.eerste met binnenrijn :

2 a | 2 a

3 v b

4 c

2 - c

3 v b

1 In de latere uitgaven der Souterliedekens wordt deze mélodie met

aangegeven. Slechts de beide eerste versregels van den wereldlijken tekst zijn bekend.

( 303 )

De volgende mélodie « na een dansliedeken » die in de

latere uitgaven der Souterliedekens met (t voorkomt, is in de moderne J - maat weer te geven. Men verlieze echter daarbij niet uit het oog, dat vroeger, bij dans en zang, het tempo in het algemeen veel trager genomen werd dan thans :

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(Wereldlijk lied) : Cost ic die ma - ne - schyn be - dec - ken | Hoe

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gaern soud ic bi nach-te gaen.

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da

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Ziedaar de danswijzen uitdrukkelijk in de Souterliedekens vermeld. Hoe de daarbij behoorende dansen werden uitgevoerd is niet altijd te bepalen.

Melodieën als « le quam aldaer // ic weet wel waer » of « Die nachtegael die sanck een liedt, » met hunne g - maat.

1 Souterliedekens, achter de psalmen, « den lofsanck der drij kinderen in den vierighen oven. » Slechts de beide eerste versregels van den wereldlijken tekst zijn bekend.

( 304 )

zullen ongetwijfeld voor den echt populairen rei- of rondedans hebben gediend. Voor hetgeen de laatstgenoemde zangwijze aangaat, meenen wij dit nog te mogen atleiden uit den lateren tekst : « Ghy dochters fray // comt maeckt een ray » (rei). Naar aile waarschijnlijkheid trad in deze liederen een voor- zanger op die een deel van de strophe zong, welke dan door den rei, het koor, werd voleind. Gewoonlijk viel het koor zin- gend in bij het refrein. Zoo ging het, zoo gaat het op enkele plaatsen nog, met ons Patei'sliedeken, waar het refrein a Ei, ’t was in de mey // zoo bly » ten duidelijkste de tusschenkomst van het koor aanduidt G Voor het lied a le quam aldaer » wordt het refrein niet aangegeven, wat nochtans niet belet, dat het uit eene herhaling van het einde der strophe kan heb¬ ben bestaan. In den tekst ce Die nachtegael » treffen wij een refrein aan, bestaande uit een enkele uitroeping. Misschien wordt hierdoor de plaats aangeduid waar het koor inviel en misschien ook bepaalde zich deze tusschenkomst bij deze enkele uitproeping. Het gebruik oui den voorzanger, den solist, op deze wijze door het koor te laten begeleiden, klimt tôt de hoogste oudheid op G

In Fruytiers’ Ecclesiasticus, Antwerpen, 1565, komen insge- lijks een achttal uitdrukkelijk aangewezen danswijzen voor, waarvan de melodieën meestal van Fransche afkomst zijn K

»

1 Ook zoo bij de Franschen : « Le chant destiné à accompagner la danse était évidemment répété en couplets chantés par un personnage (ou peut-être par plusieurs) et en refrains repris en chœur » àlf. Jeanroy, Les origines de la poésie lyrique en France (1889), blz. 392, die blz. 394 de « rondes enfantines de la Belle Marjolaine et du Chevalier du Guet » aanhaalt als herinneringen aan gedanste dramatische voorstellingen.

2 Dans la période antérieure à Talétas (665 v. Chr.), on distingue jusqu’à cinq modes d’exécution pour la poésie chorique. Première combinaison : une seule personne exécute la partie vocale... tandis que tout le chœur danse et se contente de renforcer en certains endroits le chant du soliste par des exclamations formant refrain... (Gévaert, Histoire et théorie de la musique de l'antiquité, II, blz. 365).

5 Blz. 95, 115, 117, 118, 120, 121, 129, 138.

( 305 )

Men treft daarin een stichtelijk liedeken aan « op de wijse van Passemede la douce, » gevolgd door een ander « op de reprinse van de voorgaende Passemede, » eene herhaling met variaties van het voorgaande thema, en nog een derde stichtelijk lied « op de Galiarde van de voorgaende Passemede G » Deze benamingen duiden echter geen populaire, gezongen dansen aan, maar kunstdansen, hoofsche dansen door speeltuigen begeleid. Overigens waren sedert het eerste vierendeel der xvie eeuw, indien niet reeds vroeger, hier te lande en wel aan het hof van Margareta van Oostenrijk Fransche dansen in gebruik, zooals blijkt uit de aan haar toebehoord hebbende verzameling voorhanden in de Koninklijke Bibliotheek te Brussel. Het in 1551 te Antwerpen door Tielman Susato uit- gegeven « derde musyck-boecxken, » door den uitgever zelf « ghecomponeert ende naar dinstrumenten ghestelt, » bevat populaire, meestal Fransche dansliederen 2.

Ziehier een staaltje van Fruytiers’ rijmelarij, op de voor- melde wijs « Passemede la douce : »

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Die sijn kint lief heeft, die bout dat on -der

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fangh En hier ont - vlie sijn lij - en, enz.

1 Passemede ( Passemezzo ) en Galiarde ( Gagliarda ), de eerste van zach- ten, rustigen, de tweede van lustigen, vroolijken aard, zijn 16e-eeuwsche dansen van Italiaanschen oorsprong.

2 Zie de titels dezer dansen opgesomd door Commer, Collectif) operum musieorum Bcitavorum, XI, blz. iv. Zestien dezer stukken werden in

partituur uitgegeven, ook met een klavierbewerking, door Rob. Eitner, Monatshefte , 1875, bijlagen.

Tome LXI.

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20

( 306 )

Een eeuw later ziet het er met de gedrukte bronnen al niet veel beter uit, en moet men zich met enkele uitdrukkelijk aan- geduide danswijzen vergenoegen, zooals een « Rondendans om de bruydt te bedde te danssen, » met wijsaanduiding « O myn Engeleyn, ô myn teubeleyn, etc. *. »

Elders zijn het stemopgaven die getuigen van den invloed van het in den aanvang der xvne eeuw tôt stand gekomen gezongen of gedanste ballet, voorlooper der opéra. Zoo vindt men bij Starter en bij Valerius aangegeven : « Courante Ser- bande, Courante françoise, La Chime, L’Orangée, Est-ce Mars, La Dolphine, L’Avignone, enz. »

Zoo de dichters van de Souterliedekens en van den Ecclesias- ticus eenige hunner stichtelijke liederen op melodieën van dansliederen stelden, anderen waren hen daarin toch reeds sedert lang voorgegaan.

Onder onze geestelijke liederen die van voor de Hervorming dagteekenen, is er stellig meer dan een op een danswijs gesteld. Dit zal, te oordeelen naar de mélodie, althans wel het geval zijn met het liedeken :

1 Starter (1621), blz. 123, de mélodie is van Duitschen oorsprong; zie Dr Land, Luitboek van Thysius , nr 77. In het door Dr Land uitgegeven werk zijn de « inheemsche » dansen, ten getale van vier : « Den boeren dans, » « Den studenten dans, » « Schagervoetgen, » « Den Gulicker dans; » terwijl men daarentegen in diezelfde verzameling ongeveer honderd-vijftig « uitheemsche » dansen vindt.

2 goeds = Gods. Het lied is te vinden bij Bàumker, t. a. p., blz. 224.

( 307 )

In de reeds meermalen aangehaalde verzameling Het prieel, Brugghe, 1609 i, vindt men « op de wijse alsoot beghint » voor het lied « O Schepper fier, » en alsof die wijs oorspron- kelijk bij dit lied behoorde, een mélodie die geen andere is dan de bij Valerius te vinden « Passemede d’Anvers. »

Een 16e-eeuwsch geestelijk liedje, waarvan echter de mélodie niet tôt ons kwam, voert tôt opschrift : « Noch een lied / een dans lieds wijse. » Wij laten hiervan de eerste strophe met de scansie volgen :

i i i i

Als ic aensie dat leven mijn.

i l e

die tijdt die gaet voorby;

. 1 i i

îck heb soo menighe sonde ghedaen,

ii i i

daer mede soo ben ick belaen,

i i i

o Heer, ontfermt u mijn 2.

Onder de geestelijke danswijzen werd ons door mondelinge overlevering een zeer merkwaardige begrafenisdans bewaard, die nog omstreeks 1840 te Belle in gebruik was. De Cousse- maker doet ons de gelegenheden kennen, waarbij deze dans - werd uitgevoerd 3. Wanneer een jong meisje gestorven was, werd haar lijk door hare vroegere speelgenootjes ter kerk en vervolgens naar het kerkhof gedragen. Na de plechtigheid, keerden al deze meisjes, met de eene hand het lijkkleed (de pelle of baarkleed) vasthoudende, naar de kerk terug, onder het zingen van den dans der maagden, en dit met een warmte, een verheffing, die men zich moeielijk kan voorstellen. Met de Coussemaker ziet Dr Kalff in dit gebruik een heidenschen oorsprong. Naar de meening van den eerstgenoemde, zou

-

1 Blz. 188.

2 Te vinden onder Sign. C [VII v°] van Een suyverlic boecxken, Am¬ sterdam, Corn. Dirckz.-Cool, 1643, waarin voorkomen de liederen van Thonis Harmansz. van Wervers-hoef, die leefde omtrent 1550, « mits- gaders noch sommighe andere. »

3 de Coussemaker, blz 1QQ; besproken door Dr Kalff, t. a. p., blz. 522.

r

( 308 )

echter de mélodie niet oud zijn, en is zij ook niet van gods- dienstigen aard. Dit laatste, wij behoeven er niet op aan te dringen, heeft zij met veel andere zangwijzen gemeen, die dan toch klonk het niet, zoo botste het bij geestelijke liede- ren werden aangewend. De bedoelde begrafenisdans kan wer- kelijk niet oud zijn, of moet gemoderniseerd zijn. Hij heeft tôt schéma :

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4

4

2

Ziehier de aanvang der mélodie welke tôt de zeer gerhyth- meerde zangen behoort en die wij naar de taalmetriek noteeren :

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( 309 )

Het gewone kenmerk van het danslied, zeiden wij (blz. 297), is de driedeelige maat ; daardoor onderscheidt het danslied zich van het lied dat niet met dans vergezeld gaat. De drie¬ deelige maat als dansmaat komt ons zeer natuurlijk voor ; nochtans schijnt de tweedeelige maat van aile muziekmaten de meest verspreide. Bij de Grieken werd zij voor aile andere aangewend. Aan een anderen kant was de driedeelige maat, sedert de versle oudheid en tôt op onze dagen, de geliefkoosde rhythmus der langs de kusten der Middellandsche zee wonende volken. Uit de landelijke en populaire kunst ontstaan, waar- door de feesten van den veld- en wijnoogst werden verlustigd, verwierf zij onder de handen der dichters-musici allengskens meer en meer volmaaktheid, tôt dat ze eindelijk de overwe- gende rhythmus in de Grieksche muziek werd i . De vorm die zich in die maat het meest voordoet is de iambus (springer) :

3 h ;

8 0 # , die dan ook kloeker, geweldiger is dan de trochaeus

3 ^

of choraeus (walser of valler) : 8 * 0 De tweedeelige maat drukt beter de kalmte en de rust uit, terwijl de driedeelige de muziek leven en beweging bijzet. Het gebruik der eerste staat in nauw verband met de rhythmiek der taal ; in de tweede daarentegen is de muzikale rhythmus niet zeiden overwegend, zoodat de taalmetriek wTel eens over het hoofd wordt gezien.

In verschillende der melodieën ons door de Souterliedekens toegekomen en daar uitdrukkelijk aangeduid met de stem- opgave « na die wise van een dansliedeken, » hebben wij het gebruik der driedeelige maat kunnen vaststellen, en namelijk in de liederen : « Hoe soude ic vruecht bedriven, » Die nachtegael die sanck een liet, » « le quam aldaer 3. »

Elders hebben wij de dansmuziek afgeleid van de mélodie zelve. Dit wTas namelijk het geval voor de mélodie « Tis guet in goeds (Gods) tawreerne te gaen 4, » een geestelijk lied dat,

1 Gevaert, Histoire et théorie de la musique de l'antiquité, II, blz. 19 vlg.

2 Gevaert. t. a. p., blz. 121.

3 Zie hierboven blz. 68 en 299 vlg.

4 Zie hierboven blz. 306.

( 310 )

naar het ons voorkomt, op de mélodie van een danslied werd gedicht. Als tôt het danslied behoorende zien wij insgelijks de melodieën van de twee hierna genoemde 156-eeuwsche lie- deren aan. Beide teksten zullen, volgens een toen reeds zeer oude gewoonte, op danswijzen zijn gebracht. Het eerste lied, een Marialied, gezongen op de wijs : « Tliefste wyf heeft my versaect i, » hebben wij vroeger medegedeeld 2; het tweede, waarin een devote ziel haar hemelzuchten uitstort, werd gezongen op een wijs die, naar aile waarschijnlijkheid, tôt een vroegeren meidans behoorde :

Nu is doch heen des winters stryt, en nu genaect die zute tyt 3.

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Nu is docli heen der hei - li - ghe stryt, si syn nu Sy wa - ren vroem en wel ghe - moet, rechtveerdich

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mit God zeer ver - blyt in o - ver gro - ter weel

en - de dair-toe goet al tôt -ter les - ter ston

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den.

Dat li - den is nu heen ge - gaen, en groot loon

1 Misschien te lezen « Dat liefste, » daar de in het Dietsche vers gewone voorslag hier ook door den algemeenen gang der mélodie schijnt aan- geduid. Tekst en mélodie bij Baumker, Niederlândische geistliche Lieder, nr 56.

2 Zie hierboven blz. 15; zie mede blz. 119.

3 Baumker, t. a. p., n1 2 3' 59.

( 311 )

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li - ker min - nen, enz.

In het tweede vers van de bovenstaande strophe, volgens de muziek gescandeerd :

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Si syn nu mit God zeer verblyt,

is de roi van den muzikalen rhythmus overwegend. De echte scansie ware :

Si syn nu mit God zeer verblyt.

Het vers ware overigens te verbeteren door :

Si syn mit God nu zeer verblyt.

Het lied « In dulci iubilo i » mochten wij gaarne tôt den geeslelijken dans terugbrengen :

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ln dul-ei iu - bi - lo, sin-ghel en - de we - set

1 Baumker, t. a. p., nr 63.

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vro, al on - se hart-zen won - ne leit

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Wellicht mag men ook onder de danswijzen rekenen de mélodie van het volgende geestelijk lied voorgedragen op de wijs : « Tis al gedaen myn oestwairts gaen 2 : »

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co - ren, dat ze - ker - lyc voir he - mel -

1 Wellicht te lezen : e e f.

1 Baumker, t. a. p., nr 78. Oestwairts gaen , in den zin van naar het Oosten, naar het verre land reizen.

( 313 )

De wijsaanduiding : « na een dansliedeken, » waar zij voor- komt, laat natuurlijk geen twijfel bestaan nopens den oor- sprong der zangwijs. Dergelijke stemaanduiding trofFen wij aan (blz. 307) voor het lied « Als ic aensie dat leven myn, » en vinden wij ook voor een wereldlijk 15e-eeuwsch lied :

Het voer een ridder jagen, jaghen aen dat wout hy en vant er niet te jagen dan twee schone maechden sy waren van dagen [niet] out 4.

Die stemaanduiding is echter nog geen bewijs, dat op een dansmelodie gebrachte liederen op hunne beurt werden gedanst.

Zoo schreef Adam de la Bassée, kanunnik der collegiale kerk te Rijsel, in de xme eeuw een geestelijk lied in de Latijnsche taal, op een mélodie voerende tôt opschrift : « air de danse, » een gezongen danslied met deze wijsaanduiding :

Qui grieve ma cointise se jou lai, Ce me font amouretes eau cuer ai,

maar daaruit volgt nog niet dat bij dit geestelijk lied werd gedanst en gesprongen.

Ook door den strophenbouw is het gedanste lied van het verhalende te onderscheiden. fn dit laatste zijn de elkander in

1 Willems, Oude vlaemsche liederen, nr 61, blz. 160, en handschrift nr 901 1 der Gentsche Bibliotheek.

* Zie de mélodie bij F. van Duyse, Het eenstemmig... lied, 1891, blz. 52.

( 314 )

de strophe opvolgende verzen zeer dikwijls uit een gelijk getal accenten samengesteld :

Als aile die cruydekens sprùyten

i » i

ende aile dinc verfravt,

1 1 1 ick vvil mi gaen vermuyten,

1 1 1 ick ben mijns liefs te buvten.

Het compas gaet al verdràyt,

tis recht (schoon lief), ic béns ontpâyt1.

Op andere plaatsen wisselen drie accenten af met vier :

i i i «

le mach wel segghen, tis al om niet,

i i i

dat ic aldus labuere :

i 1 il

dies wil ic singhen een vrolick liet,

verlanghen ghi dôet mi trùeren 2 3 .

In het danslied integendeel, vinden wij niet zelden verzen met vier accenten, gevolgd door verzen met twee accenten, wat aan den zang en aan den dans meer leven bijzet, of verzen met vier accenten en binnenrijm, eigenlijk verzen met twee accen¬ ten. Voorbeelden daarvan leveren de reeds aangehaalde liede- ren : « Die nachtegael die sanck een lied ; » « Ghy dochters fray, » « le quam aldaer 3. »

Ook de aanwezigheid van een refrein binnen de strophe of op het einde derzelve alhoewel het refrein zich ook wel in niet gedanste liederen voordoet duidt het danslied aan.

Juistdeze twee kenteekenen, afwisseling in den versbouw

1 Antwerpsch liederboek, nr 1, bl. 2. In het zesde vers zijn de tôt een stéréotypé uitdrukking behoorende woorden, schoon Lief, overtollig ; zie hierboven blz. 268-269.

2 Antwerpsch liederboek , nr 3, blz. 4; zie mede blz. 287 hierboven.

3 Zie blz. 301-302.

( 315 )

en refrein, vinden wij in bet door Dr Kalff t vermelde 146-eeuwsche danslied :

le hadde een lief vercoren, soe es sedert lanc, soe hadde een ore verloren, daer toe ghinc si manc.

Soe diende so wel na minen danc, seidic neen, soe seide ja : nu gaet voren, voren, voren, du (nu) gaet voren, ic volge na.

De tweede strophe van dit niet ongeschonden tôt ons gekomen stukje, laat beter toe den vers- en strophenbouw te bepalen :

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nu gaet voren. voren, voren, nu gaet voren, ic volg u na.

Ook het tweede door denzelfden schrijver aangehaalde 14e-eeuwsche liedje, met zijn tamelijk ingewikkelden en juist daardoor afwisselenden versbouw, moet onder de dans-

1 Het lied in de middeleeuwen , blz. 536-537.

2 Oudvlaemsche liederen, nr 16, blz. 71.

5 Dr J. Verdam in eene studie aan de Oudvlaemsche liederen gewijd, Tijdschr. voor Nederl. taal- en letterk., IX (1890) blz. 573-301, stelt voor vaste bi; missebien moet men lezen naeste bi, volgens de nog ten hui- digen dage gebruikte Vlaamsche uitdrukking.

( 316 )

liederen worden gerekend. De laatste drie verzen der strophe maken het refrein uit. Ziehier de eerste strophe die aan den minnezang herinnert :

Wel an, wel an, met hertzen gay, die der minnen knechten zijn ; in deere van der minnen vrav,

God groete haer lievelic aanschijn.

Willic ons zinghen een liedekijn, ele groete tsijn, ic groete tmijn.

Nu wiiwi treuren avelaen; wel of, wel of, met drouven zinne, die niet ne draghen reine minne, die moeten bachten danse staen l.

Ongelukkiglijk is uit de stippen waarmede deze liedjes vergezeld gaan, de muziek met geene hoegenaamde zekerheid op te maken.

Stellig moet een derde door Dr Kalff vermelde stukje tôt de gedanste liederen der xve eeuw worden terug gebracht 2 ; ziehier het schéma :

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(refrein).

1 Oudvlaemsche liederen, nr 19, blz. 75. 3 Antwerpsch liederboek, nr 17, blz. 23.

( 317 )

Het stuk bestaat uit negen strophen. In al de strophen rijmen het eerste en het vijfde vers op anck, en zijn beide gevolgd door het refrein « Ey, God danck ! », terwijl het derde en het vierde vers op elkander rijmen en daarbij nog binnenrijm hebben. Die wondere rijmvaardigheid van « een ghilde » ook vvel een dichter « die dit liedeken eerstwerf sanc, » schonk ons hier een van glinsterende levensvreugde doortinteld tafereeltje. De muziek van dit stukje is ons niet bekend ; doch de woorden springen en zingen vanzelf en duiden genoeg aan hoe het daaromtrent moet geklonken hebben :

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dan-sen vry en - de vranck, Ey, God danck!

Dr Kalff stelt de vraag of wij in nr 21 van het Antwerpsch lie- derboek, mede een 15®-eeuwsch liedeken, niet met een aan de

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( 318 )

oude stampiën herinnerende dansstukje te doen hebben. Wij schrijven hier het refrein af :

Ick en mach niel meer ter molen gaen hillen billen metten iongen knechten; stampt, stamperken, stampt; stampt, hoerekint, stampt, stampt, stamperkin, inde molen.

Of hier waarlijk aan de 12e-eeuwsche stampiën wordt her- dacht en of wij hier meer dan een ondeugend molenaarsliedje hebben, is moeielijk te raden. Maar of het stukje gedanst werd of niet, zeker zal de niet teruggevonden mélodie tôt de vroege nabootsende muziek hebben behoord.

De rhythmus zal daarbij eene niet onbelangrijke roi hebben gespeeld, en moet aan het refrein daaromtrent deze scansie hebben verleend :

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Onderzoekt men nu de liederen nog omstreeks het jaar 1850 uit den mond des volks opgeteekend, zoo vindt men op de zeventien door de Coussemaker opgenomen « rei- en dans-

( 319 )

liedjes » rondes et chansons de danse »), twaalf stukjes met g - maat geschreven i. Sommige dezer behooren tôt onze liefelijkste melodieën, en daaronder mag het volgende wel tôt voorbeeld van fraaien zang en levendigen rhythmus gerekend worden 1 2 3 :

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Zy had-de geld,maer wey - nig goed. Danst Ro - sa

En voor ditzelfde dansliedje hebben wij dan nog, bij toemaat, een andere niet minder fraaie mélodie 3, om getui-

1 Chants populaires des Flamands de France, nrs 101-117, blz. 323-345.

5 Ibidem , nr 107, blz. 330. Zie mede blz. 221 hierboven.

3 DE CoüSSEMAKER, t. 3. p.

( 320 )

genis te geven van de onuitputtelijkheid van het muzikale volksgenie.

Niet alleen in onze oude volksgezangen, maar ook in de melodieën van andere volkeren straalt de dansmaat met Jj overal door. Tôt de vroegste oorkonden der populaire muziek behooren bij voorbeeld de melodieën te vinden in Adam de la Halle’s zangspel, Li Gieus de Robin et de Marion , omtrent 1285 te Napels opgevoerd, en in den Renard noviel, het satyriek gedicht in 1288 door Jacquemart Gelée te Rijsel geschreven. Men mag gerust aannemen, dat de volksdeuntjes waarmede die werken zijn versierd, sedert lang populair waren toen zij in die werken werden opgenomen. Overigens was het vroeger hoegenaamd geene zeldzaamheid, dat melo¬ dieën gedurende een of twee eeuwen en langer, in den volks- mond voortleefden. Welnu, de meeste dier stukjes klinken ons tegen in driedeelige maat.

« Comme c’est aux airs à danser, » zegt H. Lavoix, « que notre musique moderne doit en partie la vivacité de ses rythmes, il faut, par conséquent, supposer que la danse au xme siècle prendra aussi grande part au développement de la musique mesurée. Dans les chansons qui nous sont restées, dans les citations des auteurs, nous la voyons établie en reine; tout un genre de poésie et de musique est destiné à la danse, sous le nom de vaduries , mot qui est lui-même un refrain (een woord waarvan de zin dus, niet te ontleden is). Le manu¬ scrit de Montpellier abonde en refrains de toutes sortes ... et les auteurs y parlent non seulement de couplets spécialement réservés aux danses, mais aussi de plusieurs des figures encore traditionnelles dans nos provinces de France L » Een aantal dezer melodieën munten uit door frischheid en zangerigheid en klinken even liefelijk en jeugdig alsof ze pas gisteren waren

1 Étude sur la musique au siècle de Saint-Louis, aanhangsel tôt Gaston Ravnaud’s Recueil de motets français, Paris, 1883, II, blz. 358; ook Alfred Jeanroy, t. a. p., blz. 387 vlg., dringt aan op den vorm van het danslied en op het daarvan deel uitmakende refrein.

( 321 )

geboren i. Ongetwijfeld zal deze vroege kunst ook op de onze haren invloed uitgeoefend hebben; trouwens in de xne en in de xme eeuw bloeiden in de zuidelijke Nederlanden Fransche Trouvères en wel in zooverre, dat een aanzienlijk getal der gedichten, die de Fransche letterkunde van dien aard uit- maakten, in onze streken was ontstaan. Van den Franscben invloed getuigt mede onze vroegere romanletterkunde, die eene Fransche letterkunde was 1 2 3.

De oudste Duitsche danswijzen kunnen insgelijks tôt staving onzer zienswijze worden ingeroepen. Een aantal der door Erk en Bôhme uitgegeven dansmelodieën zijn in driedeelige maat genoteerd 3. Luisteren wij even naar het door deze schrijvers, als een « Tanz im Elsasz vor 1490 » en « Ael tester Dreher 4, » een soort van walz of rondedans, medegedeelde liedje en dat tôt titel voert « Der Schâfer von Neustadt » : »

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1 Zie eenige voorbeelden daarvan bij F. van Duyse, Het eenstemmig ... lied, blz. 41 vlg.

* D* J. te Winkel, Geschiedenis der Nederlandsche letterkunde, blz. 78 en 83. Zie mede aldaar de aanhalingen aan de romanletterkunde ontleend.

3 Deutscher Liederhort, II, blz. 709 vlg.

À De « Drehtanz », volgens Bôhme’s Geschichte des Tanzes, I, blz. 61, was cc vermuthlich ein dem Walzer âhnlieher Tanz oder eine Art von Ronde (Rundtanz); wenigstens konnten Viele auf einmal tanzen. »

s Deutscher Liederhort, II, nr 933, blz. 714. De laatste vier maten die in het origineel ontbreken, werden door Bôhme voltooid. Zie mede aldaar m 928, blz. 711, het « Tanzlied von Neidhart » (minnezanger) uit de xme eeuw.

Tome LXI.

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91

( 322 )

Bôhme vindt die zangwijs, voor haren tijd, « überraschend scbôn. » Niet minder fraai zijn de melodische vormen van den volgenden 13e-eeuwschen kerkzang « in festo Corporis Christi : »

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En dat die door Bôhme zoo wonderbaar schoon geheeten vorm ook wel in de Nederlanden was bekend, leert men uit een liedje van den dichter-rederijker Casteleyn 2 :

1 Deze mélodie hehoort tôt den normalen hypolydischen modus ; zie Gevaert, La Mélopée, blz. 371.

2 Diversche liedekens, uitg. Rotterdam, 1616, nr 9. Zie blz. 130 hier- boven.

( 323 )

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Deze mélodie werd door Casteleyn benuttigd voor een liedje op de geboorte van Keizer Karels zoon Philips II (15:27). Dit stukje, te vinden onder nr 19 der Diversche liedekens , vangt aan :

Springht aile zeer wijfs ende mans, Knechtkins en mevskens tzamen.

( 324 )

Het valt dus niet te betwijfelen, dat deze zangwijs hier- voren blz. 130 in de oorspronkebjke notatie gedeeltelijk vveer- gegeven bij een dansbedje beboort en in moderne notatie te vertolken is door | - maat.

In Engeland vinden wij insgelijks de driedeelige maat voor de vroegste danswijzen gebruikt. De volgende mélodie * dag- teekent van omtrent 1300 :

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Het komt ons voor, dat deze mélodie beter genoteerd ware aldus :

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Dat de iambiscbe dreun tôt een internationale type van bet danslied was geworden, moet geen wonder baren. Sedert eeuwen had de H. Ambrosius (omtrent 340-397) voor de door hem gedichte hymnen, zijn toevlucht genomen tôt den dimeter iambicus :

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1 Chappel, The ballad literature and popular music of the olden tirne, I, blz. 27.

2 Gevaert, t. a. p., blz. 67.

( 325 )

Sedert eeuwen was deze versmaat i 11 de ziel der bewoners van ’t Westelijk Europa gedrongen. En dat het populair gewor- den metrum door het volk in eere werd gehouden, mag men afleiden onder andere uit de hymne « Conditor aime

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sidernm » in de Ambrosiaansche maat geschreven en die eerst met de xme eeuw ontstond. Deze kerkzang gaf immers aanlei- ding tôt het Reuseliedeken , dat ons tôt heden toe is bijgebleven en zich in onze Ommegangen nog laat hooren. De thans uit de kerkelijke hymnen verzwonden rhythmus aile op maat voorgedragen en voor den eeredienst gebruikte zangen moeten noodlottig hun rhythmus verliezen 1 is in dit Reuseliedeken blijven voortleven.

Ook ons Patersliedeken herinnert aan de Ambrosiaansche maat, die aldus wel degelijk de populaire maat bij uitste- kendheid is, en zich van den dans tôt aile liederen heeft voortgezet waar lust en beweging bij te pas komen, zooals drinkliederen, kinderliederen, enz.

De iambische | - maat en de daarmede samengestelde maten, schijnen ons niet van Germaanschen oorsprong. De iambische dreun is overigens in het Dietsch vers onbekend 2.

Nog blijft ons over, een woord te zeggen van de dans- liederen in tweedeelige maat. Zeker werd elke dans niet in | - of ! - maat voorgedragen. Men verlieze echter niet uit het oog het verschil tusschen getreden en gesprongen dans. De l - maat laat zich voor den getreden dans lichtelijk begrijpen. Vele dansen echter vingen aan met tweedeelige maat (voordans) en sloten met driedeelige (nadans). Zelfs dansliederen met | - maat, zooals ons Patersliedeken vielen in met getreden

1 Gevaert, blz. 69 : « Tant que la connaissance de la prosodie latine fut assez répandue, les hymnes ecclésiastiques ont se chanter plus ou moins exactement en mesure... »

2 « Le l (avec ses dérivés le g, le g et le ’82) semble appartenir en propre h la race indo-européenne et particulièrement à ses ramifications les plus méridionales. » Gevaert, Histoire et théorie de la musique de l'antiquité, II, blz. 333; zie mede de nota aldaar.

( 326 )

dans, om met gesprongen dans te sluiten 1. Onder de vele voorbeelden van voor- en nadans die men, ook bij de Duit- scbers, aantreft, willen wij slechts noemen het liedje : « Das thu ich nit » door Erk en Bôhme gevonden bij Petrus Schoffer, 1513, en dat ook voorkomt bij Forster, 1540 2.

Voordans :

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{ Une foule de refrains nous indiquent que l'action était souvent jouée en réalité (Jeanroy, t. a. p , blz. 304). Zie blz. 304, aant. 1, hierboven.

2 Deutscher Liederhort, II. 929, blz. 711.

( 327 )

Deze mélodie, welke bij Erk en Bôhme aeolisch klinkt, is geen andere dan degene die reeds ten onzent, in dorischen modus waarschijnlijk wel de echte in de xve eeuw bekend was. Zij diende namelijk voor het liedje « Doen Hanselijn i » dat in de xve eeuw thuis behoort 2. Een Duitsche lezing van dit liedje schijnt niet bekend, want Erk en Bôhme 3 brachten het in de Duitsche taal over en herdrukten de mélodie in dorischen modus, naar de Souterliedekens . De overeenkomst tusschen de Duitsche en de Nederlandsche zangwijs is aan deze schrijvers ontsnapt.

Eenvoudigheid en oprechtheid, innig gevoel of luidruchtige levensvreugde, klaarheid en waarheid van uitdrukking, dat is het wat ons te gemoet klinkt uit onze oude melodieën, zij mogen dan al of niet tôt het danslied behooren. Deze schoone eigenschappen deden haar jaren en jaren, ja zelfs eeuwen in den volksmond voortleven, en voor dezelfde redenen blijven zij de aandacht van den modernen musicus waardig.

Voorzeker is, zooals wij in de inleiding van deze studie zeiden, een groot deel van onzen ouden liederschat verloren gegaan, maar toch is daarvan nog genoeg overgebleven om te doen zien, dat ons land op het gebied der eenstemmige muziek evenals op elk ander gebied der kunst, vanouds eene eervolle plaats in den rei der volken heeft bekleed.

1 Zie hierboven blz. 68 et 113.

2 Zie D1' Kalff, Het lied in de middeleeuwen, blz. 184. 5 Deutscher Liederhort, I, 63a, blz. 222.

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IN H OU D

Bladi.

Inleiding . . 3

E E R S T E D E E L

Melodische vormen

EERSTE HOOFDSTUK

De onde toonaarden (modi) . 11

Eerste afdeeling. Aeolische modus ( Iste en IIe kerktoon) . . . 12

Tweede afdeeling. Iastische modus . 28

§ 1. Normale iastische vorm (VIIe kerktoon) . . 29

§ 2. Losse iastische vorm (VIIIe kerktoon) ... 35

§ 3. Onvolledige iastische vorm (VIIe onregel-

matige kerktoon) . 48

§ 4. Gespannen iastische vorm (IVe kerktoon) . 50

§ 5. Tweeslachtige iastische vorm (Iste en VIIe

kerktoon en omgekeerd) . 51

§ 6. Verdwaalde melodieën (VIIe en Iste kerk¬ toon) . . . 53

Derde afdeeling. Dorische modus (IIIe kerktoon) . 58

Vierde afdeeling. Hypolydische modus . 75

§ 1. Normale hypolvdische vorm (Ve kerktoon). 76

§ 2. Losse hypolvdische vorm (VIe kerktoon) . . 84

§ 3. Gespannen hypolvdische- vorm (IIe kerktoon) 89

( 330 )

TWEEDE HOOFDSTUK

H et tkema (nomos) . 91

Eerste afdeeling. Melodieën vôor de Hervorming in gebruik :

§ 1. Rechtstreeksche beweging . 94

§ 2. Girkelvormige beweging . 116

§ 3. Onregelmatige thema’s . 118

Tweede afdeeling. Melodieën met de Hervorming in gebruik

getreden :

5 1. Rechtstreeksche beweging . 121

§ 2. Girkelvormige beweging . 131

§ 3. Onregelmatige thema’s . 136

DERDE HOOFDSTUK

De Compositie :

§ 1. Navolging van bekende thema’s . 137

§ 2. V ri j e compositie . 146

VIERDE HOOFDSTUK

De verdere lotgevallen der onde modi . 160

§ 1. Moderne durtoonaard. Samensmelting van den hypolydischen met den iastischen modus * . 161

§ 2. Moderne moltoonaard. Aeolisch-dorisch. . 165

VIJFDE HOOFDSTUK

De mélodie in de XVIIe en XVIIIe eeuw nanr de gedrukte bronnen. 182

ZESDE HOOFDSTUK

De mélodie naar mondelinge overlevering :

Eerste afdeeling. Bronnen Toonaard . 197

Tweede afdeeling. Formule’s. Vrije compositie . 216

( 331 )

T W BEDE D E E L

Rhythmische vormen

EERSTE HOOFDSTUK

Tijdswaarde. Enkelvoudige maat. Rhythmische zinsnede . . 249

TWEEDE HOOFDSTUK

De muzikale rhythmus toegepast op het Nederlandsche lied.

Syllabe. Voet. Vers . 265

DERDE HOOFDSTUK

Période. Strophe . 282

§ 1. Het verhalend lied . 283

§ 2. Het danslied . 295

NAAM- EN ZAAKREGISTER

A

Accent, 266.

Accent (overwegende roi van het), 279.

Accentvers, 268, 282.

Accidentalen, 162, 169.

Acquoy, Dr J.-G-R., 93.

Adam de la Bassée, 313.

Airs de cour, 183, 183, 187. Albrecht en Isabella, 183, 214. Alouette (La pieuse), 183.

Alphorn. 76.

Anacrousis, 267.

Antiphonen, 10.

Arnold, Th., 6.

Arsis, 234.

Audinot, N.-M., 247.

B

Bach, J. -S., 80, 176.

Ballate, 183.

Ballet, gezongen of gedanst, 306. Balletten, 183.

Ballo di Mantova, 191.

Bataille, G., 186, 188.

Bâumker, W., 133, 273. Begrafenisdans, 307.

Beiaardboek (Brnsselsch 17e-eenwsch), 51. Béranger, 176.

Beweging, cirkelvormige, 116, 131. Beweging, rechtstreeksche, 94, 121.

Beweging , Vlaamsche letterkun- dige, 248.

Beweging, Vlaamsche muzikale, 248^

Byns, Anna, 172.

Bijvoeging van een of meer inci- sie’s, 143.

Bijvoeging van voorslag, 140. Blaasinstrumenten, 250.

Blyau en Tasseel, 200.

Boendale, 296.

Boerenlieties, Oude en nieuwe Hol- lantse, 195.

Bols, J., 200.

Bourgeois, P., 33, 93.

Breeroo, C.-A., 189.

Büsching en von der Hagen, 198.

C

Caccini, C., 183, 190.

Cadensen, 168.

Calvyn, F., 93.

Cambert, R., 184.

Camphuysen, D.-R., 190, 281. Campra’s Hésione, 196.

Cantiques spirituels, 196.

Cantori al liuto, 182.

Cantus planus, 250.

Carton, C., 7 vlg.

Casteleyn, Matthijs de, 132, 323. Oats, J., 190.

Cavalieri, Em. del, 183.

( 334 )

Celestinus, Paus, 76.

Chanson de Roland, 252.

Chants commixtes (normale en losse vorm samen), 45.

Chants populaires des Flamands de France, 199.

Chants populaires flamands, 200. Chromatiek, 227.

Clef des chansonniers (La), 176. Clemens non papa, 168, 170, 289. Clercq, Willem de, 198.

Citherzang, Grieksch-Romeinsche,

12.

Compositie, 137.

Compositie, vrije, 146, 205, 216, 246.

Conciliën, 5, 6.

Contrapuntisten, 183, 274. Corenbloemken (Het), 48. Coussemaker, E. de, 199, 201.

D

Dans, 250.

Dansen, Fransche, 304, 305.

Dans, gesprongen, 252, 325.

Dans, getreden, 252, 325.

Danshuus te Arnhem (1426), 296. Danslied, 295.

Dansschool te Brussel (1507), 296. Danswijzen, Duitsche, 306, 321. Dathenus, P., 93.

Diaboius in musica, 67.

Dipodieën, 256, 257.

Dominante verplaatst, 71.

Douen, 0., 93.

Dreher, aeltester, 321.

Drehtanz, 321.

Dreun, iambische, 278, 324.

Drink- en minneliedjes, 245. Droogenbroeck, J. van, 267. Duflou, N., 3.

Durtonaard, moderne, 77, 161, 213. Duyse, Pr. van, 4, 271.

E

Ecclesiasticus, 157.

Een devoot en profitelyck boecxken, 6, 157, 275.

Egelantier (De), 158.

Elisabeth, Koningin, 184. Engeland, driedeelige maat, 324. Estampida, 296.

F

Factie-liedeken, 123.

Feste teatrali, 183.

Formules, 216.

Fruytiers, Ian, 157.

G

Galiarde, 305.

Gang, chromatische, 227.

Gedicht, episch, 251.

Geeselaars, 295.

Gelein de Man (Manilius), 93. Gevaert,'F.-A., 9 vlg.

Gieus de Robin et de Marion (Li), 8, 76, 161, 320.

Goudsbloemkens (De), 158.

Gratie d’amore (Le), 191.

Greiter, Mattheus, 94.

Grétry, 198, 215.

Gudrunsage, 206.

Guido van Arezzo, 4, 35, 76.

H

Harduyn, Justus, 79, 170, 189. Harpe (De gulden), 158.

Heere, Lucas de, 93.

( 335 )

Heffîngen (arses), 267.

Heinric van Veldeke, 3, 5. Heybloemkens van Turnhout (De), 105.

Heldenlied, 251, 252.

Helios, hymne aan, 61. 66.

Herder, J. -G. von, 197.

Herhalingen, 138.

Hexameter, daetvlische, 251. Hexapodieën, 256, 260.

Hilarius, H., 282. Hildebrantstrophe, 285.

Hoffmann von Fallersleben, 5 vlg. Homerus, 252.

Honderd oude Vlaamsche liederen,

200.

Hooft, P.-C., 189.

Hultemsch (Van) handschrift, 199. Hykaert, B., 182.

I

Iambus (Springer), 309. lepersch lied-boek, 200.

Incisie, 143.

Intervallen, consoneerende, 251.

J

Jeune, J.-C.-W. le, 198.

Jigs, 184.

K

Kalff, Dr G., 23, 201,285.

Kerktoon, Ie en IIe, 11.

Kerktoon, VIIe, VIIIe en IVe, 11. Kerktoon, Ve en VIe, 12.

Kerktoon, IIIe, 12.

Kerkzang, 201.

Kerstdagspelen, 151.

Klavier (Das wohltemperiertes), 80,

Klemtoon, 266.

Knaben Wunderhorn (Des), 197. Kôckert, Ad., 153.

Koenraad II, Keyzer, 153. Kribbetjes (Kerstdagspelen), 151.

L

Landjuweel van 1561, 105.

Landt. Dr J.-P.-N., 184, 306. Lassus, Orlandus, 177.

Leidtoon, 166, 177.

Leitmotiv, 92.

Liedekens (Diversche), 132, 323. Liedekens (Nieuwe geestelycke), 196.

Liederboeken (geestelijke met mu- ziek), 184.

Liederboeken, meerstemmige, 159. Lieder derminnenden Seele, 26. Liederen, gepsalmodieerde, 252. Liederen (Oude Vlaemsche), 195. Liederen (Oudvlaemsche), 7, 23, 275. Liederen van vaderlandschen aard, 243.

Lieder. niederlândische geistliche, 275.

Liederverzamelingen, 15e-eeuwsche geestelijke, 7.

Liederverzamelingen, 16e-eeuw« sche, 6.

Liederverzamelingen , 17e- eeuw- sche, 7, 194.

Lied in de middeleeuwen (Het), 23, 201, 285.

Liedjes (Oude en nieuwe), 195. Lied, verhalend, 283.

Lootens et Feys, 200.

Luitboek van Thysius, 184, 194, 306. Luther, « Ein feste Burg », 82, 153. Luther, « Von Himmel hoch », 152. Luther, Volkslied, 33.

( 336 )

M

Maat, Ambrosiaansche. 325.

Maat, driedeelige, 309, 321.

Maat, enkelvoudige, 249.

Maat, isochronische, 250.

Maat, populaire, 261.

Maat, samengevoegde of samenge- stelde, 256, 260,' 271, 279.

Maat, tweedeelige, 252.

Maître Pierre, 94.

Mander, Karel van, 158.

Manilius (Gelein de Man), 93. Margareta van Oostenrijk, 109, 159, 305.

Maria-cransken (Het), 189»

Marot, 33, 93.

Marsch, 250.

Meerstemmigheid, 168, 182.

Mher Loys van den Gruythuyse, 7, 23.

Melismen, versieringen, 22, 144, 149.

Melodieën, Engelsche, 184. Melodieën, Fransche, 159, 185. Melodieën, Italiaansche, 184. Melodieën met de Hervorming in gebruik getreden, 121.

Melodieën, uitheemsche, 184. Melodieën, verdwaalde, 53. Melodieën voor de Hervorming, 94. Melodieën, vijftonige aeolische, 207. Melodieën, zestonige, 205.

Mélodie naar mondelinge overleve- ring, 197.

Mengelingen van vaderlandscben inhoud, 199.

Minnezangers, 23, 25, 283.

Missa de Angelis, 153.

Modus Carelmanninc, 6.

Modi, oude, 11 vlg., 160.

Modus, aeolische, 12 vlg., 160, 165.

Modus, dorische, 58 vlg., 160, 165, 177.

Modus, hypolydische, 75 vlg., 161. Modus, iastische, 28 vlg., 161. Modus, oude en nieuwe gepaard, 211.

Modus, tweeslachtige, 51, 144. Moltoonaard, moderne, 165, 182. Monteverde, 183.

Mont, Pol de, 200.

Montpellier, Hs. van, 320.

Musiche (Nuove), 183. Musyck-boecxken, derde, 305. Muziek, dramatische, 184. Muziekscholen, Italiaansche, 182.

N

Nadans, 326.

Naumann, E., 155.

Navolging van bekende thema’s, 137"

Negri, C., 191.

Nibelungenstrophe, 4, 252, 285. Noëls dramatiques, 151.

Nomos, thema, 9, 91.

Notatie, moderne, 275.

O

Olijftak (De), 158.

Ondertonica, bijvoeging der, 61. Opéra-comique, 247.

Opéra, Fransche, 247.

Oude en nieuwe Hollantsé boeren- lieties, 185.

P

Palestrina, 182.

Pastorale (La), 184.

Paumann, Conrad, 166.

( 337 )

Pellegrin, 196.

Pentapodieën, 256, 260.

Péri. 183.

Période, 249, 282.

Pétrucci. 5.

Philips II, 323.

Pipelaere, Mattheüs, 51.

Placker, Christianus de, 193. Praeludiuin, 144.

Prieel der gheestelijcke mélodie (Het\ 7, 185.

Q

Quantiteit, 266.

R

Radecke, Ern., 172.

Rameau, 79, 176.

Recitatief. 250.

Refrein. 301, 304, 318.

Rei. 304.

Rei- en dansliedjes, 245.

Recueil d’airs serieux et a boire de differents autheurs, 195.

Recueil de chansons choisies (Nou¬ veau', 195.

Regino van Prüm, 92.

Renaissance. Italiaansche, 183,246. Renard noviel, 320.

Rhythmus, 249, 265.

Rhvthmus, afwisseling in den, 278. Richard Cœur-de-Lion, 198, 215. Riemann, Dr Hugo, 274.

Riemsdijk, J.-C.-M. van, 277 Rijm, slepende, 286.

Rijm. staande, 286.

Rymen (Stichtelvke), 281.

Robin et Marion, zie : Gieus (Li) de. Roland (Chanson de), 252. Romances (Spaansche), 183.

Tome LXI.

Romanletterkunde, vroegere, 321. Rondes, dansen, 304.

Rore, Cipriano de, 182.

Rustteeken, 254. 264.

S

Sammlung deutscher Volkslieder, 198.

Scheurleer, D.-F., 6 vlg.

School, Florentijnsche, 183. Schüttensamlied, 57.

Schütz, Heinrich, 184.

Septime vveggelaten. 208.

Septimus angelicus, 29, 33. Sequentiae. 266.

Serenate, 183.

Sint-Jansdans, 298.

Slagen, theses, 267. Slaginstrumenten, 250.

Slotcadens, 161, 162, 166.

Snellaert, J. -A., 194. 195. Souterliedekens, 6. 157. 274. 298. Spelen van sinne. 48.

Speratus, Paul, 30.

Sprenger (iambus), 309.

Stalpert, Iohan, 191.

Stampenien, 296.

Stampiën, 296, 318.

Starter, 171, 189, 226, 227, 264. Stimmen der Vôlker, 197.

Strophe, 251, 282.

Strophe, drieregelige, 285.

Suvo su, refrein, 152.

Susato, Tielman, 305.

Suso ninna, susa noe, refrein, 152. Svllabe, 265.

Syllabenmaat, getelde, 271, 280.

T

Taal, Fransche, 159.

Tableau parlant (Le), 214.

33

( 338 )

Tcorenbloemken, 48.

Terpander, 252 Tetrapodieën, 256. 258.

Thema (Het), 91 vlg., 246.

Thema (Verlenging van het), 140 Thema’s uit Gevaert’s Mélopée an¬ tique. , aangetoond in het oude Nederlandsche lied :

Thema «, 114, 129.

Thema 3, 95, 121.

Thema 4, 120.

Thema o, 99, 123.

Thema 9, 118, 136.

Thema s, 124.

Thema s, variante, 124.

Thema 107, 125, 203.

Thema *«, variante, 121.

Thema fi -s , 120.

Thema fi 5, 133.

Thema «, 116, 131.

Thema *«, 110.

Thema ««>, 111, 127.

Thema «a, 127.

Thema *4, 127.

Thema «e, 111.

Thema «« geworden tôt thema 3, 202.

Thema «n, 1 12.

Thema 3 1 , 118.

Thema 3 4, 112, 128.

Thema ss ineengeloopen met the¬ ma 3, 115.

Thema 40, 116. 134, 136.

Thema 4 fi , 117, 134.

Thema fi «-44, 115.

Thema’s (Navolging van bekende), 137.

Thema’s (Onregelmatige), 118, 136. Thesis 252.

Tinctoris, 182 Tijdswaarde, eerste, 253. Tijdswaarden (notatie), 253.

Tollenaer, Jan de, 189.

Tonaliteit. niemve. 168.

Tonaliteit, xvne, xviif eeuw. 216. Tonarius 92.

Toonaard, oude, zie : Modus. Toonaard, rein diatonisehe, 214. Tooneelspelers. Engelsche, 184. Toonschreden, 213.

Transpositie 162.

Tritonus, 67, 77, 162, 205. Tripeltakt 297.

Tripodieën. 256.

Trochaeus (walser), 309. Trouvères, 321.

Türlings, Dr. 154.

U

Utenhove, Jan, 93.

V

Vaduries, 320.

Vaelbeke, L. van, 296.

Valerius, Adr., 191.

Valler (trochaeus). 309.

Variaties, 149.

Vaudevilles. 183, 196. Vensterliedeken, 276.

Vercoullie, J., 3, 266. Verhoogingsteeken, 162, 168, 169, 172.

Verlenging door rustteeken, 264. Vers, 251 , 265.

Vers, Dietsch, 267, 278.

Vers, metrisch, 270.

Vers, quantitatief, 253. Versieringen (melismen), 144, 149. Villancicos, 183.

Villanelle, 183.

Violier (De), 158.

Vormen, rhythmische, 249.

( 339 )

Voet. 263 Yondel, 189.

Voordans, 326. Voorheffing, 267. Voorslag, 140. 267. 269. Voorzanger, 304. Vosmaer, C., 267.

W

Walser (trochaeus), 309. Walther, Johann, 133. Wiegeiiederen, 151. Willaert, Adr., 182. Willem I, 247.

Willems, J. -Fr.. 195. Winkel, Dr J. te, 3, 5. Wipo, 153.

Wisselzang, 76. 84, 87 Wolfrum, Th., 153.

Y

Yeesten, Brabantsche, 296. Ysermans, Ioh., 175. 191.

Z

Zang, 251.

Zangwijzen. Fransche, 159, 185, 246.

Zeelandia, H. de, 275.

Zinsnede, 263.

Zinsnede ^muzikale), 282.

Zinsnede, rhythmische, 249, 256. Zinsnede, volledige, onvolledige, vallende, 263.

AANVANGSREGELEN EN WIJSAANDUIDINGEN

A

A bimatu (thema 7), 118, 130.

Ab insurgentibus (thema «), 99.

Ach Tjanne, zeyde by, Tjanne, 202. Adieu Antwerpen , genoechlijc plevn, 287.

Adieu mijn lief, hebt goeden moet. 98.

Adieu mynvroechden, adieu solaes, 17, 19, 115.

Adoro te, 193.

Ad te de luce (thema *»), 110. Aenhoort aile myn geclach. 147, 169.

Aenhoort toch myn gheclach, 169. Aerdighe gheesten, die ter feesten hier sijt, 105.

Ah! que j’ai z’un cruelle mèr’, 223. Ayant aimé fidellement, 186.

Ay lieve ihesus, 45.

Aimable vainqueur, 196.

A la Saint-Jean je m’accueillis, 239. Aider besten Jan Baptist, 51.

Al die daar zegt de reus die kom, 50.

Ai die willen te kap’ ren varen, 218. Al die wilt hooren een nieuw lied, wat dat er te Gent, 212.

Al hebben de princen, 193.

Ali, alo, pour Maschero, 225. Alldort auf grünen Matten, 236. Alliga (thema :*s), 115.

Als aile die cruvdekens spruyten, 314.

Als de boer een paer kloefkens heeft, 229, 240, 280.

Als de groote klokke luyd, 230.

Als die Heer verkeeren wou, 298.

Als ic aensie dat leven mijn, 307.

Als ons die winter gaet van heen, 56.

Als Pierlala, nu ruvm tvvee jaar, 208, 224.

Al van den droogen haring, 225.

Amarilli, mia bella, 193.

Amor fais’ ingrato, 191.

Andiam’ al cielo, 192.

A porta inferi (thema to), 107, 125, 203.

Attendez-mov, 176.

«y '

Au jardin de mon père, 227.

Ave maris Stella, 54, 201.

Ave pulcherrima regina, 140.

Avignone (L’), 306.

A viro iniquo (thema 112, 128.

B

Bedrijft solaes, 268.

Begheerte nu vlieghet ten hemel op, 83, 147.

Behaag’ U, Heer, naar mijn gebed, 128.

Behoud, o Heer, vvil ons te hulpe komen, 142.

( 342 )

Bellotje die was versteken, 228.

Bewaar mij toch, o alvermogend God, 148.

Boeren dans, 306.

Brugge, die ook vol zotten leeft, 247.

Brunnenburch, 285.

Bruns wvk (Hertog van), 207.

C

Caro raea (tbema ï J), 127.

C’est l’amour qui nous menace, 196.

C’était Anne de Bretagne avec des sabots, 220.

C’était un p’tit bonhomm’ guenil- lon, 236.

Chantez à Dieu nouveau cantique, 157.

Chevalier du guet (Le), 304.

Chime (La), 306.

Christe qui lux, 201.

Christe waerachtig pellicaen, 30, 112, 193.

Claes molenaer en zijn minneken, 29, 67, 112, 284.

Coemt ons te hulpen, lief van min- nen, 52, 105.

Coempt ons te hulpe, guet lief van mynnen, 96, 138.

Coemt voort, coemt voort sonder verdrach, 123.

Conditor aime siderum, 50, 51, 94, 111, 201, 325.

Coninghinne vanDenemercken(Van die), 141.

Coninghinne van elf jaren (Die), 36, 202.

Const gaet voor cracht, 132.

Coppelt aen een, den nacht is lanck, 317.

Cor mundum (thema 4), 120.

Cost ic die maneschvn bedecken, 303.

Courante françoise, 306.

Courante Serbande, 306.

Credo in unum Deum, 49.

D

Daer ghingen twee gespeelkens goet, 18.

Daer gingen dry herderkens, 210,

222^

Daer is een ezelinne, 233.

Daer spruvt een boom aen ghenen dal, 8l/

Daer wandeld’ â patertje langst de kant, 237.

Daer was een edel Palzgravin, 209, 224.

Daer was een meysken zoo jonk en gezond, 262, 263.

Daar was een sneeuwwit vogeltje, 210, 245.

Daer vvasser een meysje van Duyn- kerk, 242.

Daer zat een uil en spon, 297.

Dans la cour du palais, 77.

Dat Israël nu zegge, 134.

Dat Melpomena deze droeve dood beschrevt, 206, 226.

Dat men eens van drincken spraeck, 171, 264.

Dat ruyterken inder schueren lach, 284."

De God des heils, 126.

De Heer zal opstaan tôt den strijd, 156.

Den boom groeyt in den zavel, 234.

Den dach en wil niet verborghen zijn, 88, 117, 135, 279.

Den edel heer van hemelrvc, 102.

( 343 )

Den lancxten dach van desen iare, 298.

Den lustelijcken Mey, 43, 44, 116, 131, 163, 193,268.

Den mey staet vrolijck. in sinen tijdt met loverkens ombehangen, 44. Den winter is een onweert gast, 13. Depuis que j’adiray bon temps, 155. De rat, de muis, 260.

Der goden God verheft zijn stem met macht, 129.

Der scheffer von der nuwen stat, 321.

Der suverlicster reynre maecht, 15,

119.

Des werelts myn is al verloren, 17,

115.

Des winters als het reghent, 234, 264.

Deus Creator omnium, 324.

Deus Deus meus (thema s. variante), 124, 167.

De zoete tyden van het meysaizoen, 241, 245.

Die aire zuetste ihesus, 147.

Die edele heer van brunnenswvc,

102.

Die eerste vruecht die ick ghewan,

116.

Die Ileere moet u dan verhooren, 85,

87.

Die lelikyns wit, 31, 110, 144.

Die mey spruvt wt den dorren bout, 60, 147.

Die mi te drincken gave, 14, 107, 297.

Die nachtegael die sanck een lied, 68, 113, 260, 301, 303, 304, 309, 314.

Die sijn kint lief heeft, 305.

Die voghel ende die vogelkyns, 97. Die voghelkens in der muyten, 104.

r

Die werelt hielt mi in haïr gewout, 147.

Dixit Dominus(thema a©), 111.127.

Doe die rose van iherico, 141.

Doen Daphné, 193.

Doen Hanselijn over der heide reet, 68, 113,143,180,327.

Dolphine (La), 306.

Domus mea (thema »i), 118.

Drie Koningengrootvan macht, 246.

Dry mans uit Orienten, 176.

Droch werrelt, mv griset voor dyn wesen, 140.

Duchesse (La), 193.

Du haens mijn hertze vrauwe mijn, 46.

Du haenste mynliertgen vrouwelyn, 45.

Du temps que la Benayta, 237.

E

Ecce panis, 193.

Een aire lieffelicken een, 151.

Een boerman had eenen dommen sin, 14, 120.

Een cort iolvt in deser tvt, 312.

Een ionghe maecht heeft mi ge- daecht, 167, 268.

Een is eene, 257, 260.

Een jonge maecht sprack onver- saecht, 167.

Een kindeken is ons geboren, 193.

Een mevske dat te werve gaet. 275.

Een oud manneken wilde vryen, 231.

Een ridder ende een mevsken ionck, 20, 106, 123,217.

Een schoon ionghe maecht heeft mi ghedaecht, 168, 268.

Een soudaen had een dochtertje, 203, 214.

( 344 )

Een stuk van liefde moet ik u ver- halen, 210.

Een vriendelijck beelt mijn hert be- dwongen heeft, 120.

Ein feste Burg, 82, 115, 153.

En er viel een hemelsch dauwken, 203.

En ysser niemant inné, 42.

En passant près d’un p’tit bois, 232. En revenant de Charenton, 219.

En revenant de noc’s, 232.

En ’s avonds, en ’s avonds, 240.

En zijn kruisken moest Jésus dra- gen, 264.

Es ist das Heil uns kommen her, 30. Est-ce Mars, 306.

Es wolt gut Jàger jagen, 235. Exulta parva Betlehem, 169.

F

Facti sumus sicut consolati, 114. Folies d’Espagne, 196.

Fonteyne, moeder, maghet reyne, 81.

Fontes et omnia (thema »), 95, 121. Fraud uch aile christenheidt, 30.

G

Gedenk aan David, aan zijn leed, 129.

Genâ, o God, bescherm mij door uw hand, 134, 157.

Genâ, o God, genâ, 128. Genoegelijke meij, 44, 164. Genoveva van Brabant, 209. Gheluck te saem, 212, 281. Ghequetst ben ic van binnen, 28, 110, 195.

Ghi die Iesus wyngaert plant, 99.

Ghy dochters fray, 301, 304, 314.

Gij, volken boort, 134.

God, de Heer, regeert, 136.

God heeft zijn vvonderwerken, 228.

God is mijn licht, mijn heil, 128.

Gulicker dans (Den), 306.

H

Had ick eenen getrouwen bode, 22.

Halewijnslied, 48, 112, 283.

Hanselijn over de heyde reed, 181; zie ook : Doen Hanselijn, enz.

Hansje de Baeker bv der strate was gheganghen, 292.

Hebdy wel ter missen gheweest, 160.

Heer Halewijn sanc*een liedekijn, 49, 112, 283.

Heer ihesus cristus, lof ende danc, 108.

Heer onze Heer, grootmachtig, 123.

Heyl-gierich menseh, 194.

Help God, hoe vvee doet scheiden, 71, 114.

Herders, brengt melk en zoetigheyd, 36, 202.

Here God, wie mach hem des be- claghen, 24, 147.

Het daghet in den Oosten, 27, 110, 271, 286.

Hetghinghen twee gespeelkens, 96.

Het ghingen twee gespelen goet, 19.

Het is een dach van vrolicheit. 46, 162.

Het is goet peys, goet vrede, 102.

Het regbende seer ende ick wert nat, 14, 147.

Het vlooch een cleyn wilt vogelkyn, 88.

Het voer een maechdelijn over rijn, 290.

( 345 )

Het voer een ridder jagen, 313.

Het vrvde een hovesch ridder, 49.

•j '

Het waren drie ghespelen, sy waren vroech op ghestaen, 88.

Het waren twee konings kinderen, 230, 245.

Het was een clerexken, 85, 138.

Het was een proper knechtken reyn, 48.

Het wasser een coninc seer rije van goet, 36, 202, 292.

Het wasser te nacht also soeten nacht, 273.

Het wayt een windeken coel wten oosten, 287-8.

Het windetje die uyt den oosten waevt, 245.

Heulreux, 173.

Hijgend hert, de jacht ontkomen,

136.

Hiilebrant, Van den ouden, 104.

Hi truer die trueren wil, 119.

Hoe lang, o Heer, mijn toeverlaet,

123.

Hoe luyde sanc die leeraer opter tinnen, 100.

Hoe luyde, soe sanc die lerer, 101.

Hoe lustelic waert der mynnen bant ontsloten, 100.

Hoe soude ic vruecht bedriven, 300, 309.

Hoor, o Heer, verhoor mijn smee- ken, 129.

Hoort al te samen, 211.

Hoort toe, gy arm en ryke, 205, 220.

Hostis Herodes impie, 94, 129.

I

Ick arm schaep aen gheen groen ’neyden, 148.

Ic dronc soe gaerne den zueten most, 64.

Ick ghinc nogghister avont, 62, 67, 88, 148.

Ic had een aider liefste, 40, 121.

Ic hadde een lief vercoren, 315.

Ick had een boelken wtvercoren,85, 117, 135.

Ic had soe gheern den heiliçen geest, 119.

Ich aen ghegheven hertze ende zin, 25, 147.

le heb gheiacht myn leven lanc, 98.

le heb om vrouwen wille, 33.

Ic hope dat den tijdt noch comen sal, 14.

Ich stund an einem Morgen, 62.

Ich trag’ ein goldnes Ringelein. 236.

Ic mach wel segghen, 314.

Ick quam aen eenen dansse, 114.

Ic quam aldaer ic weet wel waer. 258, 261, 302, 303, 304, 309, 314.

Ick quam noch ghister avont, 62, 147.

Ick roep nacht ende daeh, 170.

Ic saeh een suverlicke deerne, 147.

Ic sach mynheer van Valkenstein, 297

le sat wel seer bedrovet, 147.

Ick seg adieu, wv twee wi moeten sceiden, 86, 89, 117.

Ic sie den dach int oest opgaen, 142.

Ic sye des morghens sterre, 98, 143.

Ick stondt op hooghe berghen, 158.

Ick vrijdd’ een vraukin alsoo hjn, 130, 323.

Ic was een clerexken, ic lach ter scholen, 288.

Ic weet een molenarinne, 51.

Ick weet nog een maghet, 54.

Ic wil den heer getruen, 18. 95, 143.

Ic wil my gaen verhuegen. 39, 121.

Ick wil mi gaen vertroosten, 114.

( 346 )

Ick vvilmyselventroesten, 147. 148. Ick wil te lande rijden, 104, 285.

Ik bemin eene zoete maagd, 272.

Ik drink den nieuwen most, 246. lk en gv. raoeder Porret, 217.

Ik h’ ên liet groene straetie, 229, 259, 261.

Ik loof den Heer, mijn God, 124.

Ik voele dat myn herte beeft, 240, 244.

Ik weetter een vroutjen, 165.

Ik zag Cecilia komen, 191, 199, 208, 225.

lk zal met al mijn hart, 122.

Ik zal met hart en mond, 133.

Im Walde môcht ich le ben, 235.

In den hemel is eenen dans, 308. In dulci jubilo, 235, 311.

In enen boomgaert quam ic ghe- ghaen, 285.

In Oostenrijck daer staet een sladt, 96.

In pace (thema fi®), 116, 131.

Int soetste vanden meye, 172, 286.

J

J’ai fait un choix, je veux qu’il dure, 196.

J’ai un grand voyage à faire, 239. Jam Christe sol justiciae, 27, 126. Jam de Mulder, met zynen leeren kulder, 221, 262, 263 Jan, mynen man, zou ruvter vvezen , 206.

Je crains de lui parler la nuit, 198. Jesu dulcis memoria, 102, 295.

Jesu ons liefd’, ons wenschen, 187. Jesu, Salvator seculi, 201.

Je viens vous prier en passant, 219. Jhesus cristus van Nazarevne, 91, 284.

Jhesus is een kyndekyn cleyn, 51.

Joconde, 196.

Jonge dochter, en wilt niet treuren, 257.

Jufvrouw, bewaert uw purperen lint, 241.

K

Kareltje, Kareltje, tjip ! tjip! tjip! 242.

Katjemuvs ginknae ’t sluys, 231.

Kevser Maximiliaen, Van, 82.

Kerelslied, 23.

’k Heb den mevboom aen mvn hand, 244.

’k Heb lang den Heer in mijnen druk verwacht, 126.

’k Hef mijn ziel, o God der goden, 135.

Kinder nu loeft die maghet marie, 51.

Kinder swycbt, so moecht di horen, 53, 55.

Kindertjes, kinderties, steekt yul- derke kelegatje op, 242, 272.

Kits Alemande, 226.

’k Kwam lestmael over den Rijn, 256. -

Klaes die sprak zyn moeder aen, 247.

Klaes en trouwt u leven niet, 247.

Kleen, kleen kreukelzetje, 222.

Komt hier besoecken die u ziel be- mint, 213.

Komt hier, gv proper maegdetje, 229.

’k Passeerde voor de visschemerkt, 206, 224.

’k Riep tôt den oorsprong aller dingen, 125.

’k Roep, Heer, in angst tôt U ge- vloden, 127.

( 347 )

Kyrie, god is ghecomen, 133.

Kyrie in missis Beatae Mariae, 100.

Kyrie, magne Deus, 201.

Kwezeltje, weye gv dansen, 243.

’k Zal eeuwig zingen van Gods goedertierenheên, 133.

'k Zal met mijn gansche hart, 129.

’k Zoude zoo geeren naer Engeland varen, 263.

L

Laat. ons den rustdag wijden, 148.

Laet ons dansen, laet ons springen, 273.

Laet ons met herten reyne, 114.

Laet ons mit hartzen revne, 139.

Laet ons te gader || dienen den vader, 241, 237, 261, 280.

Langst eengroen meuletje kwam ik getreden, 230.

La nuit dans les bras du sommeil, 214.

Le bergier et la bergiere, 218.

Lintj’ en Trintj’en, Bellotj’ en Mar- tintje, 232.

Lvnken sou backen, mijn heer sou kneen, 106, 217, 218, 301.

Lvsken van Beveren is de bruvt, 3, 119.

Lof van Vrieslandt, 171.

Loof, loof den Heer, mijn ziel, 131.

Looft al Maria die reyn suvver jeucht, 163.

Looft God, zingt eeuwig ’s Heeren lof, 124.

Looft, looft den Heer gestadig, 122.

Looft, looft nu aller heeren Heer, 133.

Looft, looft verheugd den Heer, 1 30,

Loven so wilt den Heere, 146.

Luvstert al toe, die op de baren, 229.

M

Maria coninghinne, 98.

Maria die zoude naer Bethleem gaen, 38, 121.

Maria, gv hebt voortgebragt. 31.

Maria saert, van edelder aert, 73.

Marjolaine, La belle, 304.

Maseurtje, gae ve meê, 221.

Ma vocation. 176.

Matheetje kwam van Watou, 206,

220.

Mev, dvn vro beghinnen, 293.

Men moeder en me vader, 204, 214.

Me promenant le long du bois, 238-

Me promenant le long d’un pré, 219.

Met lusten willen wi singhen, 82.

Ç 1

Mi Adel en Halewijn, 252.

Midden in den hemel, 73.

Mi lust te loven hoghentlyc, 104, 143.

Minen geest is mi ontwaeckt, 276.

Mvnnen, loven ende begheren, 147.

Mijn geroep, uit angst en vreezen. 126.

Mijn God, mijn God, waarom ver- laat Ge mij? 148.

Myn hart is heymelic getoeghen. 82, 147.

Mijn hert dat is in lyden, 49, 112, 147.

Mijn hertken hevet altijt verlan - ghen, 28, 109, 139.

Mijn hertze en can verbliden niet. 293.

Mijn hoep. myn troest, myn toe- verlaet, 141.

Mijn siel maect groot en preyst den Heer, 51.

Mijn zin, mijn moet, mijns hertzen bloet, 293.

Miséricorde à moi povre affligé. 157.

( 348 )

Miserere mei (thema jo), 116, 134, 136.

Mit desen nvwen iare, 99.

«/ »

Mv verwondert boven maten. 19,

97.

Moeder, ik moet hebben een man, 207, 217.

Molenarinne, Van die, 51.

Mon Dieu, vous avez bien voulu. 196.

Mon père a fait planter un bois, 219.

Mon pèr’ m’a marié si mal, 233.

N

Na groenre verwe mvn hart ver- lanct, 98.

Neem, Heer, mijn bange klaciit, 122. Neem, Isrels Herder, 136.

Nocli dronc ic so gaerne die coele wijn, 64.

Nos qui vivimus (thema as), 112. Nu hoort wat ic u schincke, 80.

Nu is doch heen der heilighen stryt, 310.

Nu is doch heen des vvinters stryt, 310.

Nu siet en soect den Heere, 300.

Nu siet hoe goet met vruechden soet, 302.

Nu sterct ons God in onser noet,

100.

Nu zal mijn ziel, 124.

O

0 créa tuer dvn claeren, 147.

Och lieve heer, ic heb geladen, 83. üch lighdy hier eu slaept, 158.

Och ligdy nu en slaept, 277.

Och, nu rnach ic wel trueren, 102.

0 doot, o doot, 89.

0 eenigh voedsel van myn ieughd, 226.

0 ghi, die ihesus wyngaert plant, 147.

0 God mijns heils, mijn toeverlaet. 142.

0 God, neem mijn gebed ter ooren, 126.

0 God, wy hebbent wel verstaen 56.

0 God, wij mochten met onz’ ooren, 132.

0 Heer, gij zijt weldadig, 125.

0 Heer, mijn God, volzalig VVezen, 137.

0 Heer, wilt myn stem verlichten, 247, 259. -

0 Iesu soet, 144.

0 Jésus soete aendachticheit, 295.

0 Jhesu, heer, verlicht myn sinnen, 26, 147.

0 Jhesu uutvercoren heer, 97, 144.

Om een die aider liefste, 145.

0 mvn Engelevn, 306.

Omnes nu laet ons gode loven. 78.

Onder de groene linde, 206.

Onder de lindeboom groene, 226.

On me veut donner un cloître, 222.

Ons genaket die avontstar, 152.

Ons is verlenghet eens deels den dach, 104, 144.

Ons naket eenen soeten tijt, 103.

0 nuit, jalouse nuit, 79.

Op grone Wese, 239.

Op eenen morgen stont, 287.

Op God alleen betrouw ik in mijn nooden, 125.

Op sinte Maertens a vont, 158.

Op G betrouw ik, Heer der heeren, 129.

0 radt van avontueren, 141.

Orangée (L’), 306.

( 349 )

0 sacrum convivium, 85, 115, 322. 0 salich heylich Bethleem, 185.

O schepper aller sterren klaer, 51. O schepper fier, 307.

sont ces rosiers blancs? 227.

0 Vlaenderlandt, edel landouvve fier, 158.

0 Vriesland so vol deugden, 172.

0 waerde mont, 292.

0 wel moechdi u verhogen, 149. Ovés que je vous chante, 188.

P

Passemede d’Anvers, 307. Passemede la douce, 305. Passemedi dei Rosa, 160. Patersliedeken, 304, 325.

Petits oiseaux rassurez-vous, 196. Pierrot et Margot sont venus, 228. Plompaert en zyn wuvetje,217,272. Princesse (La), 193.

Q

Quand Jean Renaud de guerre r’vint, 57.

Quand j’étais chez mon père, oh gai ! vive l’amour, 227.

Quand j’étais chez mon père, vive l’amour, 237.

Quand j’étais chez mon père, gai, vive le roi, 236.

Quand Renaud de la guerre vint, 219.

Que Dieu se monstre seulement, 156.

Que le sultan Saladin, 215.

Qui de terra est, 59, 71.

Qui grieve ma cointise, 313.

Qui habitas (thema 1 4), 120.

Qui veut ouir, qui veut scavoir? 233.

R

Red mij, o God, uit ’s vijands han- den, 148.

Reuseliedeken, 50, 325.

Rosa, willen \vv dansen? 206, 221, 245, 319.

Rosa, willen wv kiezen? 228.

Rosina waer was u gestalt, 69, 71, 113, 129.

Royale (La), 193, 246.

S

Sa, boer, gaet naer den dans, 238.

Sceiden, onvervvinlic leit, 50, 111.

Schâfer von Neustadt (Der), 321.

Schagervoetgen, 306.

Shall i bed (bid) her go, 194.

Seigneur, vous avez bien voulu, 196.

Svn rvck die heere nam end hv opclam, 168.

Sint Annadagnuchten ons eerste werk, 240.

Sion noli timere, 112.

Sit nomen Domini (thema 8 8), 127.

Si tu te fais rose, 237.

Snachts doen een blauw gestarde kleed, 227.

Solaes wil ic hanteeren, 121.

Sorghe ghv moet besiden staen, 107.

Spiritu principali (thema fc), 124.

Springht aile zeer wijfs ende mans, 323.

Springt op en toogt uw schoen, 223.

Studenten dans, 306.

Suyvere, schoone vermaecklijcke maegd, 264.

Sulamite keert weder, 193.

( 350 )

T

Tantum ergo, 193.

Tante Wanneke, 244.

Te Brunswijck staet een stenen huys, 44.

Te Deum, 65, 67.

Te Duvnkerk’ gaet het al verkeert, 229.

Ten was novt mensche van sonden,

•j '

54.

Te lucis ante terminum. 201.

Te Merris, te Merris, 223.

Te Munster staet een stevnen huys,

45.

Ter eeren van allen ionghelingen, bo.

Ter eeren van eenen ionghelinge,

113.

Tliis goet te beliden God om zijn weldaet, 66, 71.

Tis al gedaen myn oestwairts gaen, 312."

Tis guet in goeds taweerne te gaen, 118, 306, "309.

Tis heden den dach van vrolijck- heyt, 48.

’t Is vandage Sint Annadag, 230. Tliefste wvf heeft mv versaect, 15,

t 7 7

310

T oen ik op Nederlands bergen stond, 234.

Toen Israël ’t Egyptisch ri j ksgebied,

122.

Ton himeur est, Catherine, 247. Tonnelier (Le), 247.

Traquenard (Air du), 247.

Trueren so moet ie nacht ende dach, 109, 126.

Tsavents sprack hy tôt der maecht, 130.

Tu es vas (thema **, variante), 121.

’tWas op een Nieuwjaer aven, 238. Twist met mijn twisters, 134.

T’wyl in den nacht, 245, 281.

U

Uit diepten van ellenden, 141.

Une pastourelle gentille, 130.

Un jour que ma cruelle fuvoit, 188.

V

Vado ad eum qui misit me. 96.

Van liefden comt groot liden, 106. Veni creator, 36, 38, 164. Verheucht u mensch, 172. Verheugtu, verheugtu, Romsch (sic) en ware Kerk, 243.

Verlangen, ghi doet miinder herte pijn* 36, 120.

Victimae Paschali Laudes, 153. Vom himmel hoch, 152.

Vous qui pour héritage 176. Vrolvk, herders, komt vrv binnen, 258, 261.

Vrou van Lutsenborch, 297.

W

Waak op, mijn ziel, loof d’Opper- majesteit, 125.

Waarom, o God, zijn wij in eeuwig- heid, 127.

Wacht auf, ir Christen aile, 41. Waect op, 41.

Waer is die dochter van Syoen. 38. Waer kan men beter zijn, 247. Waerom zou ik het dansen laten? 231.

Wat doet gy al in ’t groene veld ? 241 . Waertoeghy Zwingliaense scliaer? 165.

( 3ol )

Wat drift beheerscht het woedend heidendom? 124.

Wat vreugd hoor ik nyt ’s hemels zaelen? 211

Wat wil ic sorgen al om dat goet?

C_ ç.'

142.

Wat wilt ghi glorieren? 42.

Wat wonder heeft die mvnne ge- wrocht? 142.

Wees over ’t heil der boozen niet ontstoken. 121.

Weest gegroet Maget Maria verhe* ven, 169.

Wel an. wel an, met hertzen gay, 316.

Wel Island gy ’n bedroefde kust, 210, 245.

Wel op, laet ons gaen riden, 103,

143. 146.

Wes sal ick mv gheneren? 14. Welzalig hij, die zich verstandig draagt, 148.

W’hebben nog geenen boer, 255. Wy klommen op hooge bergen, 208, 210, 218.

Wy loven en belyden u, Heer, 193.

Wv loven u clevn ende groot, 179. WTi willen ons gaen verheffen, 16. 108.

Wie heeft er dorst tôt syne zalig- beyt? 193.

Wie sinen voet set in eenen doren.

120.

Wie wil horen een goet nieu liet? 63. 65, 67.

Wie zal verkeeren, groote God, 131. Wij zaten neer, wij weenden, 123. Wij zyn al byeen, 216.

Wildi horen van ihesus woirden? 52, 105, 138.

Wil, o God, mijn bede hooren, 127.

Wonder ziet men nu gebeuren. 263.

Z

Zingt vroolijk, heft de stem naar boven, 121.

Zingt, zingt een nieuw gezang den Heere, 135, 157.

Zwijg niet, o God, houd u niet doof. 128

ETUDE

SUR LA

PEINTURE MURALE EN BELGIQUE

jusqu’à

L’ÉPOQUE DE LA RENAISSANCE

TANT AU POINT DE VUE DES PROCÉDÉS TECHNSÇUES

QU’AU POINT UE VUE HISTORIQUE

PAR

C. TULPINCK

ARTISTE PEINTRE- ARCHÉOLOGUE, A BRUGES

(Couronné par la Classe des beaux-arts, dans sa séance du 22 novembre 1900.)

Tome LX1.

A

Mémoire en réponse à la question :

Étudier la peinture murale en Belgique jusqu’ à l’époque de la Renais- sance , tant au point de vue des procédés techniques qu’au point de vue historique.

AVANT-PROPOS

S’il y a quelque témérité à aborder l’étude de la peinture murale pour la période antérieure à la Renaissance, surtout en l’absence de tous documents ou manuscrits pouvant nous éclairer sur l’existence ou le fonctionnement des primitives écoles de peinture monumentale, nous voyons grandir encore notre embarras quand il s’agit de dégager les principes artis¬ tiques et formules théoriques auxquels obéissaient les maîtres ès-arts.

Que si nos investigations s’étendent jusqu’aux moyens d’exé¬ cution pratiques, aux méthodes et procédés employés, nous devons à la vérité de dire que les récoltes sont peu abondantes et n’offrent qu’un intérêt minime.

Nous n’ignorons pas qu’il existe des compilations plus ou moins importantes, développant des théories empruntées à des ouvrages antérieurs, admises comme articles de foi, sans examen, sans critique. Les légendes ont passé pour des faits historiques, et la confusion s’est établie au point de ne plus distinguer entre les différents procédés de polychromie. Le mot fresque a répondu à tous les besoins. Le procédé à la détrempe, à l’encaustique, à l’huile même, semble n’avoir pas existé

Ce sont donc les monuments picturaux existant encore que

r

nous devons consulter, étudier dans l’espoir de découvrir leurs secrets, de préparer un retour vers les saines traditions artistiques. Mais ici encore se pose un point d’interrogation : Les vestiges, les fragments décorant les églises sont-ils assez nombreux, assez importants pour permettre une étude appro¬ fondie? Le doute était permis, mais non justifié.

Au regard des pays limitrophes, nous pouvons montrer avec orgueil ce que le temps, l’insouciance, l’ignorance des hommes a laissé debout, a légué à notre admiration. Elle nous est bien propre cette primitive école de peinture monu¬ mentale; elle répond à notre caractère épris des somptuosités de la couleur corrigeant, par l’opulence de ses reflets, la grise froideur de son habituelle atmosphère. Elle ne tire son origine d’aucun pays, d’aucune source étrangère ; elle ne dédaignera pas l’enseignement qui se dégage des arts autres que les siens, mais gardera son style, son inspiration spéciale. Elle est presque de prime abord l’école flamande qui ne se laissera ni absorber ni corrompre.

Étudiez les peintures murales : elles révéleront une concep¬ tion différente, des moyens d’expression divers.

Sévère en ses grandes pages dont l’ère byzantine inspira le goût dans les basiliques romanes; naïve, douce et comme participant à la poésie qui illumina une période du moyen âge, la décoration historiée se complétera à l’époque romane par des dessins géométriques de goût nécessairement oriental; tandis qu’à la période ogivale, elle appellera à son secours la faune et la flore du pays et en tirera des motifs délicieusement variés. Aimant le déploiement du luxe, le faste de la couleur, les richesses de son sol, le peintre flamand n’y sacrifiera pas l’unité de la composition, la pondération des masses; il n’aban-

donnera rien de son culte des formes subordonnées à l’expres¬ sion symbolique. Il semble pénétré de la doctrine de saint Thomas d’Aquin disant : « Une forme est d’autant plus belle qu’elle triomphe davantage de la matière, qu’elle en est moins enveloppée, qu’elle s’en échappe plus par sa propre vertu. »

Que si cette étude s’étend à d’autres pays, à d’autres écoles dont les moyens, les modes d’exposition dénotent l’état d’esprit moral ou politique, la richesse ou les ressources naturelles du pays, elle n’est point pour nous humilier et ne justifie nulle¬ ment l’abandon dans lequel on a laissé les œuvres de cette primitive science qui, par certains côtés, fut la génératrice de notre glorieuse école de peinture du XV® siècle. Comparez certaines compositions que nous considérons comme ayant exercé une influence considérable sur les arts meme à des siècles de distance à celles qui, à la même époque, virent le jour dans les monastères et les temples allemands, ou avec les créations de Cimabuë, et la conviction s’impose indiscutable, que l’art flamand avait déjà trouvé sa voie et existait par lui- même, ne s’astreignant pas aux entraves dont d’autres se trou¬ vèrent encore gênés.

La fondation dans les monastères et abbayes de véritables écoles d’art, dirigées aux VIIIe, IXe, Xe et XIe siècles par des moines dépositaires des dogmes et traditions techniques, explique suffisamment l’empreinte originale des compositions historiées ou ornementales, toutes pénétrées d’idées symbo¬ liques.

En ces temps primitifs, les ordres masculins n’eurent pas seuls le privilège de cet enseignement.

Nous pouvons citer comme la plus ancienne école d’art connue de nos jours, celle que deux femmes artistes et

saintes trinité de poésie, d’idéal, de pureté fondèrent en l’an 722 à Alden-Eyck, dans le Limbourg.

Harlinde et Relinae, naïves artistes du VIIIe siècle, vous avez jeté la semence d’art qui six siècles plus tard devait germer, fructifier en ce pays! Il n’est pas téméraire de croire que les Van Eyck eurent entre les mains les manuscrits enluminés par les abbesses, et sentirent naître à leur vue les premières aspirations vers l’art. Poétique légende que celle des deux saintes femmes inspirant, à travers les temps, les auteurs de Y Agneau mystique !

Le chef de ces écoles était une personnalité dont la réputa¬ tion était basée sur la maîtrise et la connaissance des diffé¬ rents arts. Tel semble avoir été le cas pour l’école de l’abbaye de Saint-Hubert, qui, sous un chef renommé, jouit d’une légi¬ time influence. L’abbaye fut toujours favorisée par les grands qui, de prédilection, lui firent des dons. Rappelons que dans la 'première moitié du XIe siècle, deux moines de Saint-Remi de Reims furent chargés par la comtesse Adeladis d’orner de vitraux la célèbre abbaye.

Les rois tracèrent sous l’inspiration d’hommes de science les voies à la diffusion de l’enseignement professionnel. Un précurseur de l’idée, de nos jours encore si peu appliquée, fut le roi Dagobert, qui fit don à saint Éloi de la terre de Solignac, à condition que des moines y enseigneraient un art de décoration, soit peinture, verrerie, sculpture, orfèvrerie. Limoges doit peut-être à cette institution sa célèbre école d’orfèvres-éma illeurs.

Nous sommes porté à croire que les moines encouragèrent la disposition à l’originalité, à la pratique d’un art du terroir qu’ils remarquèrent chez leurs élèves et collaborateurs, tout en

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estimant les objets artistiques : missels, ivoires, orfèvreries, broderies que les abbés rapportèrent de leurs lointains voyages ou dont la piété des grands vassaux dotait les sanctuaires; ils ne favorisèrent point une imitation ou une assimilation qui pouvait perdre l’école.

Les productions des peintres que les souverains firent venir d’Orient et d’Italie ne trouvèrent pas parmi nous des imita¬ teurs serviles. Seule la composition des dessins d’étoffes ou de broderies se ressentit des idées orientales.

Notre génie rejeta en partie, dans ces compositions, le mode figé et roide qui si longtemps devait peser sur l’art.

Notre pays n’a pas gardé, malgré la proximité des châteaux impériaux de Nimègue, d’Aix-la-Chapelle, d’Ingelheim, Charlemagne fit exécuter des peintures considérables, des spécimens de cette époque. On doit pourtant admettre que la sollicitude du grand empereur s’étendit à notre pays et que les règlements qu’il édicta afin d’assurer la décoration des églises trouvèrent leur application dans nos monuments.

Le pays de Liège semble surtout avoir participé au mouve¬ ment artistique de ces premiers temps. On y garde encore un souvenir transposé des faits merveilleux qui marquèrent le règne de l’évêque Eracle.

L’empereur Othon III également y avait fait exécuter des peintures par un de ses artistes favoris, l’Italien Jean, prêtre et plus tard évêque, notamment le chœur de l’abbaye de Saint- Jacques, à Liège.

En ces temps, l’impulsion venait de haut. Dans l’ordre royal, nous voyons Gondebaud couvrir, de ses propres mains, les murs et voûtes de chapelles et d’oratoires.

Dans l’ordre ecclésiastique, s’appuyant sur les décisions

il"

•nombreuses des conciles et synodes, saint Grégoire le Grand, le pape Formose, recommandèrent et donnèrent l’exemple de la décoration des basiliques.

Que si quelques oppositions se manifestèrent contre les décisions du Concile de Nicée, elles cédèrent bientôt devant la nécessité d’instruire le peuple. Les délibérations des conciles marquèrent les préférences des prélats pour les scènes des premiers temps du christianisme, et réalisèrent la pensée de saint Grégoire disant : « [1 faut qu’on puisse lire sur les murailles des églises ce qu’il n’est pas donné à tous de pouvoir lire dans les livres. » La même pensée guida Suger lorsqu’au milieu de l’intense mouvement d’art qu’il avait créé, il écrivit : « Un esprit peu ouvert arrive à comprendre la vérité par la vue des choses matériellement exprimées. »

Le choix de ces sujets s'explique par le fait que certains craignaient de voir reproduire les actes de la vie de saints, supposant que le culte de Dieu en souffrirait.

inspiré par ces décisions et les avis des hommes de haute culture, dont il aimait à s’entourer, Charlemagne promulgua de sages édits qui peuvent être considérés comme ayant fixé un programme d’ornementation religieuse qui survécût à la période carlovingienne.

En règle générale, on adoptait comme sujets des scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament.

Charlemagne entra pourtant dans une autre voie pour la décoration de la salle du trône du château impérial d’Ingel- heim, il fit peindre des épisodes de l’histoire universelle, se mettant lui-même en scène en certaines pages dans de triomphants combats.

Un siècle plus tard, Henri l’Oiseleur rompit à son tour avec

la tradition. Il fit représenter à son château de Mersebourg ses victoires sur les Hongrois.

Ces exceptions ne sont pas fréquentes; la décoration des demeures seigneuriales était empruntée à l’histoire sacrée, tout au moins pour la plus grande partie.

Non content d’avoir assuré par ses édits la décoration des sanctuaires et d’avoir jeté les bases du seul enseignement alors possible pour les masses, Charlemagne créa les ressources et fixa la part contributive des différents pouvoirs. S’agissait-il d’une église royale, l’évêque et les abbés voisins devaient y pourvoir, tandis que la charge en était laissée au bénéficiaire si l’église constituait une prébende.

L’église n’était achevée que lorsque la décoration en était complète, tout au moins dans le chœur, car, dans certaines églises, le sanctuaire seul fut richement peint et doré, tandis que la nef n’était que partiellement polychromée.

Ces dispositions eurent pour résultat d’engendrer un mode et une théorie décoratifs qui persistèrent jusqu’au commence¬ ment du XIIe siècle. A cette époque, les grandes compositions rythmées couvrant les plates-bandes, culs-de-fours, tympans, etc., se modifient, la vie usuelle apparaît timidement avec ses détails de mœurs, de costumes, d’armes, etc.

Les populations naïves, illettrées, même dans les classes supérieures, trouvaient un stimulant et comme une tangible affirmation de leur foi dans ces représentations enveloppées de toutes les séductions de la légende, alliées au prestige des couleurs. Elles les préféraient aux œuvres en bosse, de nature plus froide, quoique les sculpteurs aient volontiers outrepassé les limites qui conviennent à des œuvres dont le côté spirituel ne pouvait leur échapper.

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Remarquons que les peintres n’ont que très rarement usé de la liberté de la satire, de la licence même que les sculpteurs s’octroyaient si généreusement. Il n’existe que peu d’exemples de peintures murales l’artiste se soit laissé aller à des écarts dans la reproduction de la figure humaine, et ils appartiennent encore à un art très secondaire.

L’œuvre de certains moines comme Wazelin, abbé de Saint- Laurent à Liège, qui possédait un talent spécial dans la com¬ position des tentures et peintures allégoriques des faits de l’Ancien et du Nouveau Testament devait exercer une influence considérable sur les artistes laïcs. Le clergé devait donc encou¬ rager les préférences du peuple, car tout en embellissant les temples, elles lui permettaient de s’affranchir de remploi répété de sculptures jugées d’essence trop païenne en leur parure polychrome.

La monochromie intégrale ne se comprendrait pas chez un peuple épris comme le nôtre de coloris. Les héritiers des anciens Gaulois ne se seraient que difficilement résignés à la froide majesté des basiliques, telles que les comprenaient les rigoristes cisterciens.

Que si un temple roman nous émeut, excite notre admira¬ tion, nous confond en quelque sorte, c’est par un effet de notre éducation, par une sollicitation à notre intelligence; tandis que nos yeux sont frappés par l’ampleur de la conception, notre esprit se représente l’effort de science créatrice qu’exprime ce monument. Mais, en ce temps, il n’en était pas ainsi; le peuple, moins compliqué de sentiments, demandait dans sa soif de consolations, un lieu de prières répondant à ses aspi¬ rations vers la félicité éternelle, un lieu d’enseignement des vérités de sa foi.

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A l’extérieur même, la polychromie fut employée non seule¬ ment comme appoint décoratif, mais sous sa plus haute forme d’expression. Les tympans des portes reçurent des composi¬ tions enseignant aux serfs revenant à la nuit des durs travaux des champs, aux marchands que l’aurore surprend sur les routes poudreuses, aux nobles chevaliers se rendant en bril¬ lante chevauchée à quelque tournoi, à quelque cour d’amour, qu’un Dieu de miséricorde, de mansuétude, accessible à tous, garde l’épée de Justice.

La profusion semble même avoir été une cause de déca¬ dence, inévitable quand nous voyons des abbayes comme celles de Luxeuil, Fontenelle, Saint-Germain de Flaix, revêtues de polychromies non seulement dans les chapelles et salles capi¬ tulaires, mais également dans les réfectoires et dortoirs. Ces pratiques devaient donner lieu à des abus. On ne s’étonne pas d’entendre des plaintes, comme celles qu’élevèrent les cha¬ noines réguliers de Notre-Dame des Doms contre leurs frères de l’église suburbaine de Saint-Ruf, les accusant non seulement de ne plus leur envoyer des peintres, mais encore de leur avoir enlevé de force un jeune artiste adopté par eux, et à qui ils avaient enseigné l’art de la polychromie.

Les spécimens de l’art de cette époque que nous avons pu recueillir sont heureusement assez nombreux pour fixer notre jugement, nous faire comprendre les luttes, les diversités d’opi¬ nions qui divisèrent à ce sujet les ordres monastiques.

Abailard, saint François d’Assise, saint Dominique et surtout l’éloquent saint Bernard s’élevèrent contre ce «luxe coupable». S’adressant au clergé, le célèbre cistercien, dans un mouvement de rigide austérité, s’écrie : « A quoi bon tous ces monstres en peinture ou en bosse qu’on met dans les cloîtres à la vue des gens qui pleurent leurs péchés? »

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Non que l’illustre moine fut réfractaire aux beautés de l’art, mais il prémunit le clergé dans des écrits restés célèbres contre ce qu’il considérait comme un luxe répréhensible. Austère par lui-même, il voulut que le temple restât sans ornementation pouvant distraire le peuple, le lieu de méditation, de prière. Lui-même marqua le caractère que devait avoir, selon ses pré¬ ceptes, le temple de Dieu, quand, entrant le jour de Noël de l’an 1146 dans la cathédrale de Spire, ému, s’exaltant â l’idée de glorification, il compléta par des mots d’ineffable gratitude le chant du Salve Regina.

Il ne faut peut-être pas rechercher plus loin, en dehors des destructions du temps, les causes du nombre relativement peu élevé de spécimens qui nous sont restés de cette époque.

One réaction violente se produisit. On ne craignit pas de donner des ordres pour faire disparaître les peintures ou sculp¬ tures que l’on jugeait trop luxueuses. Le malheureux ce caice dealbavit » « inalbavit parietes » des XIe et XIIe siècles semble être le néfaste précurseur des inspirations dont les archives de nos églises contiennent quelques mentions : « Ànno 47 16 iterum dealbata est eclesia Sancte Leonardi, quæ ab anno 1558 non erat dealbata L »

Le règne de la chaux s’imposa à huit siècles de distance de notre époque, qui ainsi n’eut pas même le bénéfice de la prio¬ rité du mauvais goût. Cette erreur, heureusement, ne dura pas longtemps; elle fut la conséquence d’abus, non l’action réfléchie de l’esprit du peuple.

L’époque ogivale approchait; essentiellement somptueuse, elle ne pouvait négliger la polychromie. De purement archi-

1 Archives de l’église de Léau.

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tectonique, la peinture tendra à devenir plus libre, plus obser¬ vée, elle ne se limitera plus à de traditionnelles interprétations.

La tapisserie, la verrerie allait participer à l’essor de la pein¬ ture monumentale dont les traditions, pour nos régions, peuvent se réclamer du Xe siècle, lors delà séparation entre la Haute- et la Basse-Lotharingie, la Flandre devant être consi¬ dérée comme constituant l’élément prépondérant.

L'art pictural monumental allait atteindre son apogée au XIIIe siècle.

Il convient toutefois de remarquer que la prépondérance des ordres mendiants, qui prirent beaucoup d’influence, enraya, dans une certaine mesure, en diverses régions, le plein essor de la décoration sous toutes ses formes.

Le XIIIe siècle se lève dans une aurore d'idéal.

De toute part semble surgir un esprit de renouveau; une poésie, inconnue jusqu’à ce jour, imprègne la société tout entière; les mœurs perdent de leur rudesse, la femme entre dans la vie, les entraves tombent de tous côtés, l’esprit public s’émancipe, l’art va conquérir sa liberté.

La France donna le magnifique exemple de ce mouvement.

Blanche de Bastille protégea les arts, leur donna une impul¬ sion qui, sous son fils le saint roi Louis IX, trouva à s’exercer splendidement. Nous ne pouvons évoquer cette grande figure sans que se dresse devant nous cette merveille qui est la Sainte- Chapelle de Paris, longtemps, à la place même qu’occupa le monarque, nous restâmes, tout ému, sous le charme des sou¬ venirs et de l’admiration qu’inspire ce joyau.

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Lentement l’art sortira des cloîtres, deviendra laïc, mais il restera toujours sous la tutelle du clergé.

Les artistes auront voix au chapitre ; quant au choix du sujet, ils jouiront de certains privilèges, mais se souviendront que « leur mestier n’apartient fors que au service de Nostre Sei¬ gneur et de ses Sains et à la honnerance de Sainte Yglise * ».

L’enseignement fut élargi, distribué plus largement, les arts refleurirent, trouvant leur inspiration dans le cœur même du peuple.

Affranchis du joug des canons hiératiques, legs du byzan¬ tinisme qui pesait sur les romans, les artistes du XIIIe siècle prirent, guidés par le clergé, contact avec les forces vives de la nation. Les temples s’élevèrent dans des élans d’enthou¬ siasme et de ferveur au milieu des chants sacrés des vieillards, des femmes et des enfants, tandis que les hommes, riches et pauvres, nobles seigneurs ou modestes artisans, s’attelaient aux chars transportant les matériaux, ce pendant que, perdu dans les airs, le maître ès-œuvres, dans une dernière prière, scellait sur la flèche la croix resplendissante.

Avec plus de vérité, un autre Alcuin aurait pu s’écrier : « Une nouvelle Athènes a paru parmi nous. »

Aux sombres basiliques romanes qu’illumine, au fond de l’abside, la figure du Christ, souverain juge, dont le peintre grec, saint Methodius, a créé le type qui s’est perpétué dans tout le moyen âge, succède la lumineuse cathédrale gothique, épanouissement complet de tous les arts.

De la voûte aux nervures fleuronnées, aux colonnes cou¬ vertes de riches diaprés, aux murs historiés, l’église tout

1 Le livre des métiers de Paris, 125L

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entière se pare de polychromies, et, sous les rayons irisés de ses hautes verrières, semble une châsse précieuse que la véné¬ ration des fidèles s’est plu à orner.

Et n’est-ce pas une châsse l’édifice qui désormais sera pour la cité non seulement le temple sacré, mais un lieu se concentrera sa vie tout entière, retentira la parole de ses apôtres, s’honoreront ses martyrs, se magnifieront ses souverains, s’exalteront ses gloires et dont les cloches des hautes tours sonneront les joies triomphales, tinteront, hélas ! aussi, le glas des horreurs de la famine et de la guerre?

Mijn naem is Roelant Als ic klippe isset brant Als ic luyde Victorie in Vlaenderlant.

* *

Jetons un coup d’œil à l’intérieur des imposants édifices religieux du moyen âge et représentons-nous quelle pouvait en être la décoration picturale.

Le lourd portail aux massives ferrures s’est ouvert. La- cathédrale resplendit des mille feux de son nombreux lumi¬ naire. A travers leurs ors, les verrières font éclater et vibrer les rayons solaires. Dès l’entrée, sur les colonnes, les apôtres affirment leur foi par leur martyre; dans le chœur, les pro¬ phètes, les sibylles voient se dérouler leurs visions. Au centre, accompagné de la Vierge et du Précurseur, le Salvator mundi rayonne et bénit. Au transept, le Jugement dernier , symbole d’éternelle justice que l’image de saint Christophe, presque partout représentée, semble rendre moins redoutable; tandis

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que là- haut, dans les voûtes, parmi les soleils et les étoiles, le chœur des anges blancs chante, laudifie dans l’atmosphère d’azur ou de cinabre.

Dans les chapelles reposent, dans des châsses d’or et d’émail, les restes des martyrs, sous le rouge llamboiement de la petite lumière qui tremblote, vacille comme apeurée, sus¬ pendue en son ampoule de cristal aux chaînes de métal ciselé, se déroulent les scènes naïves, poétiques ou horriblement cruelles de la vie des saints que le peuple vénère.

Dans les nefs des bas-côtés, les arcatures reçoivent les effigies d’illustres personnages, alternées avec leur saint patron dont une petite scène, généralement placée au bas, retrace les miracles et le martyre. La comparaison des typés et attitudes des grands personnages armés en guerre étalant leurs blasons, la hautaine prestance des femmes royales se présentant cou¬ ronne en tête, faucon au poing, quelquefois accompagnées d’un symbole exaltant leur vertu, nous offrira plus d’une étude, plus d’un rapprochement avec les caractères tout d’humilité de leur saint protecteur.

N’oublions pas que cette décoration, déjà si somptueuse par elle-même, se trouvait parfaite, symboliquement, par la poly¬ chromie du pavement « a carreaux pains et jolis » que ne dédaignèrent pas d’illustrer les Broederlam, les Jean le Voleur, etc.

Nous aurons peut-être l’occasion d’apprécier, au cours de cette étude, l’art flamand de la terre cuite que Didron, à la vue du carrelage de Saint-Omer, estime autant, si pas plus, que les nobles marbres de l’antiquité païenne.

Telle est la décoration qui, mutilée, sait nous émouvoir encore et dont certaines copies sont la joie de nos yeux, l'or-

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gueil de noire demeure. Vers elles, on aime à se retourner pour la caresse du dernier regard.

Douce émotion, ayant sa racine dans les sentiments les plus purs du cœur, de l’intelligence, et qui nous suffit, non pour un instant, mais pour toujours.

Un enseignement que nous croyons pouvoir soumettre à nos peintres modernes se dégage de ce programme.

Dans les parties principales de l’édifice, le christianisme tout entier déroule ses douleurs, ses espoirs et son triomphe. Alors que les bas-côtés, les chapelles sont laissés aux épisodes d’ordre secondaire, le transept, la nef centrale sont réservés aux personnages et faits principaux. Le chœur, le sanctuaire éclate de la toute-puissance du Christ Rédempteur annoncé, prédit par le cortège des inspirés complétant la décoration.

Le clergé favorisait ces polychromies, ajoutait à la splendeur du monument et n’oubliait pas les leçons qui en découlaient pour le peuple. L’église ogivale restait le lieu d’enseignement.

L’usage de signes ou de reproductions iconographiques religieux ne doit pas être considéré au seul point de vue de la décoration des églises; il domina tout le moyen âge, s’exerça dans tous les domaines, sous toutes ses formes : l’idée symbolique régnait en maîtresse.

Dès son jeune âge, les yeux de l’enfant seront frappés par la vue des grands faits historiques de la foi; à l’âge d’homme, il ornera sa demeure de reproductions d’épisodes sacrés. Par une inspiration vraiment touchante, dénotant le sentiment poétique qui s’était emparé de l’époque, ses préférences iront vers les scènes gracieuses de la vie de la Vierge ou vers les douces et subtiles narrations de Jacques de Voragine dans la

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Tome LXI.

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Légende dorée. A l’heure de la mort, sa tombe se parera d’in¬ téressantes peintures : A la tête, le Christ en croix, entouré de sa Mère et de saint Jean, étendra ses bras miséricordieux; aux extrémités, la Vierge, portant l’Enfant divin, promet de son sourire légèrement énigmatique le pardon et la paix; tandis qu’aux côtés, les anges semblent bercer d’encens l’âme du trépassé.

Tels sont les intéressants tombeaux en maçonnerie de briques du musée archéologique de Bruges, que nous avons été assez heureux de voir exhumer après trois siècles d’en¬ fouissement.

Remarquons le peu de goût qu’eurent nos peintres pour les Triumfi et Danses des Morts , connues en Italie, en France, en Angleterre et surtout en Allemagne.

Ni à l’extérieur ni à l’intérieur dans les monuments civils ou logis bourgeois ne paraissent ces représentations satiriques. Notre pays connut pourtant les dominations imposées par la force. Le clergé, semble- t-il, partagea cette froideur. Les rondes fantastiques, macabres, accouplant les squelettes, le rictus grimaçant aux femmes jeunes et belles, aux papes et rois chamarrés d’or les entraînant aux sons des fifres et des cymbales vers les sombres rivages du Styx, n’étalèrent point en Flandre leurs lugubres horreurs.

Nous vîmes moins encore les squelettes à moitié décharnés, éclaboussés de sang, montrant des restes de chairs pantelantes qui, à un moment, figurèrent en des cortèges animés et publics ou firent les frais de certains banquets.

La représentation de la mort dans l’art flamand emprunta ce respect que commande l’énigme de la grande faucheuse.

Ce ne fut que plus tard que les idées se modifièrent. La

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Renaissance introduisit des éléments nouveaux qui produi¬ sirent un mélange, une juxtaposition assez obscure parfois du sacré et du profane.

Les édifices publics civils reçurent également une décoration au moins partiellement religieuse. Les archives comme les vestiges existants ne laissent aucun doute à cet égard.

L’exaltation des principes monarchiques trouvait son corol¬ laire dans la glorification de l’idée spiritualiste.

Le moyen âge semble avoir été une véritable renaissance des principes primordiaux de la représentation des faits bibliques que les surcharges des artistes orientaux avaient obscurcie.

L’art des catacombes dans ses emprunts aux légendes païennes s’était borné à quelques traits assez compréhen¬ sibles. L’art du moyen âge s'en inspirera directement par son choix, son application, son symbolisme.

Divers spécimens que nous avons pu recueillir tels des sgraffîtti fourniront des preuves de cette filiation, non seule¬ ment pour les sujets sacrés, mais pour les représentations de faits, sinon profanes, tout au moins ne se rapportant pas d’une manière exclusive à l’histoire sacrée.

La question se pose ici de savoir s’il était permis de peindre dans les églises des faits autres que les scènes sacrées.

L’étude des textes, différents vestiges, nous font pencher vers une appréciation affirmative. Notre opinion prêtera à des idées divergentes, mais elle a le mérite de se rattacher aux traditions de fart primitif des catacombes.

On est, en effet, d’accord aujourd’hui pour reconnaître dans certaines polychromies la représentation de faits de la vie usuelle. Les textes anciens sont en notre faveur quand ils parlent de la coutume de « dessiner des inscriptions destinées

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à rappeler le souvenir des événements mémorables survenus dans le pays ». Il ne peut évidemment s’agir que de faits d’ordre civil, et il est peu probable qu’ils ne se traduisaient que par de simples textes.

Ce qui était d’usage constant pour les sculpteurs et les ver¬ riers peut être admis, semble-t-il, pour les polychromies monumentales.

L’idée peut en avoir été inspirée par l’habitude qu’avaient les preux chevaliers de décorer leurs somptueuses tentes de toiles peintes, représentant leurs hauts faits, qu’ils devaient être désireux de voir reproduire, d’une manière durable, sur les murs des édifices élevés grâce à leur générosité.

La pratique contraire ne se concevrait pas, surtout si l’on considère que, dans la suite, les grandes traditions s’étant perdues, la coutume s’établit parmi les nobles de léguer aux églises des souvenirs personnels.

Des polychromies historiées aux rares cabinets d’armes qui décorent nos églises, la filiation n’est pas malaisée à établir, surtout si l’on tient compte qu’entre ces deux époques extrêmes, elles s’étaient souvent bornées à quelque arbre généalogique ou plus simplement à l’exécution de motifs armoriés.

C’est une question que nous aurons à examiner dans notre Essai. Nous avons indiqué plus haut quelles étaient, à notre avis, les grandes lignes de la polychromie monumentale.

D’autres parties du temple s’ornaient aussi de peintures : les côtés des bras des transepts, les fausses fenêtres, les arcatures ; plus tard, les parties de murs auxquels on adossait un autel de chapellenie ou de métier recevaient soit des compositions importantes, soit de simples motifs décoratifs se rapportant à la fondation.

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Mais qu’il s’agisse d’une décoration d’ensemble ou d’une polychromie fragmentaire, pas une faute de goût, pas une erreur dans la compréhension des nécessités esthétiques ne vient rompre la pondération des lignes architecturales.

La polychromie des églises a fait jadis le sujet de bien des controverses nées de l’ignorance dans laquelle on se trouvait quant à la valeur et à l'importance des spécimens relevés sur tous les points du pays.

Le grand nombre de sujets, l’étude des documents démon¬ trent que les maîtres ès- œuvres conçurent leurs créations en vue de la décoration picturale qu’ils considéraient comme le complément indispensable. Qu’il s'agisse de la monumentale cathédrale, toute nue en sa froide blancheur, ou de la simple église de village aux voûtes en briques, la nécessité de l’appoint coloriste s’imposait à l’esprit de ceux qui ne furent pas seule¬ ment architectes, mais aussi modeleurs, peintres, fondeurs, mosaïstes, etc. On conçoit parfaitement l’influence qu’exerçait dans l’élaboration d’un monument la diversité de ces connais¬ sances.

Faudrait- il conclure que la polychromie s’étendit à tout l’intérieur du temple au point d’en couvrir toutes les sur¬ faces ?

Nous venons d’indiquer, d’après nos multiples observations, le parti que l’on adoptait; c’est assez dire la réserve qui s’im¬ pose dans la décoration d’un temple.

Admirable dans les chapelles castrales ou votives, la poly¬ chromie constitue, dans notre pays, une erreur esthétique et archéologique quand elle s’étend, sans discernement, sur la totalité d’un grand édifice. Si nous exprimons cette opinion, qu’on ne se méprenne point sur sa portée.

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Que des églises françaises aient été peintes, nous l’admettons volontiers avec la restriction quelles le furent par les artistes et d’après les traditions d’outre-monts; telle Sainte-Cécile d’Albi. Quant à l’Allemagne, elle eut son génie propre. Jusqu’à preuve du contraire, nous devons supposer que pareil fait ne se produisit pas dans notre pays. Il convient d’être d’autant plus prudent que les décorateurs modernes, dépourvus de con¬ naissances architecturales, très peu versés dans les matières symboliques, ne sont généralement pas guidés par le clergé.

Il en était autrement au moyen âge, même quand les artistes formaient une corporation laïque; iis se soumettaient aux con¬ seils de leurs évêques, qui veillaient scrupuleusement sur les représentations doctrinales. A ces causes, joignez le manque de modèles authentiques, de règles fixes, l’absence de tout cours pratique de polychromie, et l’on ne sera pas étonné de con¬ stater que ce qui devait être le complément, n’intervenait que comme appoint destiné à faire valoir les lignes architecturales, à perfectionner l’œuvre monumentale, s’est transformé en art essentiel et prépondérant.

Quand des savants comme Vitet et Courajod écrivent : « Un ne comprend pas le moyen âge, on se fait une idée mesquine, fausse de ces grandes créations d’architecture si, par la pensée, on ne les rêve pas couvertes de couleurs et de dorures », et « la polychromie est une des lois les plus impérieuses de l’art pendant le moyen âge »; il faut voir dans ces paroles l’aftir- mation du principe coloriste qui s’étendait même aux meubles et objets usuels, et non un encouragement, sous prétexte de style, à d’inconscients bariolages. Dès lors déjà dans certaines contrées, cet usage de la polychromie des meubles avait donné lieu à des abus qui provoquèrent des règlements restrictifs.

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Que des églises secondaires ou à ressources limitées aient eu leur crépissage couvert d’un enduit monochrome ou en imita¬ tion d’appareillage de pierre n’est pas à contester; mais nous ne considérons point ce système comme pouvant se réclamer de la théorie poîychromicjue.

Nous sommes convaincu que maintes églises furent décorées d’après ces données, alors que les chapiteaux, voire quelques membres des colonnes et des nervures, reçurent l’appoint d’ors et de couleurs. On trouva peut-être matière à harmoniser les divers matériaux utilisés dans la construction.

Dans l’état actuel, nous croyons sage de ne pas favoriser la tendance à la polychromie générale, car elle a souvent enlevé tout caractère à des églises dont l’appareil, laissé à nu, eût fait un monument intéressant. Nous savons la question épineuse, nous nous bornons à exprimer notre conviction formée par de longues et patientes recherches.

Un fait d’ordre tout pratique, portant en soi son enseigne¬ ment, nous a frappé et corrobore notre opinion.

Dans de nombreuses églises que nous avons visitées, décou¬ vrant et des fragments de polychromie, la couleur en était restée apparente dans les rugosités de la pierre ou du crépi : ni l’action de la chaux, ni les multiples grattages n’ont pu faire disparaître entièrement ces vestiges; tandis que nulle part nous n’avons constaté ces traces révélatrices sur les parties qu’on pourrait appeler secondaires au point de vue de l’expres¬ sion décorative picturale.

Que si les voûtes sont entièrement couvertes de dorures et de peintures, tout au moins une partie de la pierre des ner¬ vures restera apparente, c’est l’ossature; et l’esprit logique du moyen âge attachait trop d’importance au système de

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construction pour le dissimuler totalement. A moins d’admettre que toutes les églises n’ont pu voir achever complètement leurs peintures ce n’eût pu être faute de ressources ou de croire à un grattage à vif de tout le vaisseau, il faut se ranger aux conclusions auxquelles nous avons abouti. Encore, que si ce grattage avait été exécuté dans tout le pays, les archives en feraient foi, et aucune peinture n’aurait échappé à cette dévas¬ tation systématique.

Les faits justifient suffisamment nos réserves. L’usage, sur tous les points du pays, de motifs décoratifs identiques, même dans des églises de différentes époques, est déplorable, alors que diverses écoles se partageaient nos régions.

Si nous nous élevons contre l’emploi peu judicieux du colo¬ ris, des motifs, par les décorateurs modernes, nous devons également appeler l’attention sur le procédé appliqué. Trop souvent, on ne tient nul compte de l’état du support, des nécessités des lieux ou de l’influence climatérique. Dans ces conditions, les peintures ne résistent pas; tandis que les poly¬ chromies anciennes étalent quelques pas plus loin leur riche coloris.

L’étude des spécimens remédiera, dans une certaine mesure, à cette situation; mais, pour qu’elle puisse porter tous ses fruits et entrer dans le domaine pratique et général, nous nous per¬ mettons de formuler le vœu de voir publier, par le Gouverne¬ ment, un guide-programme comprenant un résumé de la polychromie monumentale, des données sur les procédés et des conseils pouvant s’appliquer lors de la découverte d’an¬ ciennes peintures.

En connaissance de cause, les architectes pourraient prendre les premières mesures pour l’enlèvement de la chaux, la con-

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servation, l’exposition à la lumière des anciens vestiges. Bien des œuvres nous seraient conservées qui, faute d’un peu de précaution, sont actuellement perdues pour l’art.

La technique, le procédé, les couleurs, l’examen du support, le fixage des peintures découvertes devraient êlre également l’objet d’études approfondies.

Des mesures de fixage s’imposent presque partout dans les églises. En effet, les peintures à la détrempe ayant perdu leur corps liant, par suite du temps et de l’action de la chaux, s’effritent en poussière impalpable; telle peinture qui, il y a quelques années, conservait encore tout son éclat, se trouve aujourd’hui fort éteinte.

Quant aux restaurations si difficiles, si complexes des pein¬ tures anciennes, il serait à souhaiter qu’elles fussent précédées d’une étude descriptive, minutieuse, de la composition et des procédés employés. On éviterait ainsi de voir modifier, par des interprétations modernes, le caractère de l’œuvre primi¬ tive, toujours intéressante par son histoire, son iconographie, son symbolisme.

Mais l’action de l’autorité est à souhaiter, elle serait bienfaisante, c’est lors de la restauration des églises. En effet, combien souvent n’avons-nous été le témoin attristé d’actes de véritable vandalisme qui se commettaient par ignorance, par insouciance, encore que, malgré toute notre diligence, il nous était impossible d’intervenir etiicacement? Il en serait tout autrement si le Gouvernement veillait à ce que dorénavant, pour les restaurations intérieures des églises, on s’assurât, préalablement à toute démolition, si les couches de badigeon ne cachent d’anciennes polychromies. Intelligemment con¬ duite, celte mesure enrichirait le pays d’œuvres nombreuses et

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importantes, outre qu’elle aurait l’avantage de familiariser les architectes avec les problèmes de la peinture monumentale.

Ce sont de véritables fouilles que nous préconisons sur un terrain non exploré avec des résultats certains, riches de décou¬ vertes intéressantes. Comme l’art décoratif des cités antiques, la polychromie renaîtrait à la lumière.

Ces mesures, que nous désirerions voir compléter par l’exposition, dans les écoles d’art, de copies de peintures murales de divers pays et époques, amèneraient promptement l’éclosion d’un goût plus raffiné. Les artistes, instruits par la vue de ces spécimens, seraient bientôt en possession d’une formule décorative moderne répondant à la saine compréhen¬ sion des exigences de l’art monumental. Nos jeunes peintres pourraient être chargés de l’exécution de ces copies; ils trou¬ veraient dans cette voie, au cours de leurs voyages, de leur travail, matière à plus d’une étude pratique, se prépareraient à des travaux dont ils ignorent actuellement les principes constitutifs. L’État y trouverait, croyons-nous, grand avantage, car ces copies apporteraient aux académies de province des éléments d’art de toutes les époques, que seuls possèdent aujourd’hui les cours de modelage.

Puisque l’idée de modelage se trouve sous notre plume, faisons remarquer la structure sculpturale de certaines compo¬ sitions murales peintes :

Les hommes d’art, alternativement peintres ou sculpteurs, trouvaient dans la pratique des deux métiers les éléments de profonde expression dont se ressentent les diverses manifes¬ tations de leur savoir.

La monumentale statuaire, avec son anatomie toute spéciale, suggérait aux peintres, aux verriers, des applications insoup-

çonnées, tandis que leur expérience optique secourait grande¬ ment les tailleurs d’images.

Puisse-t-on, en présence de ces documents, encourager la fréquentation des cours simultanés ! Nous sommes personnel¬ lement convaincu de cette nécessité et regrettons que les jours, trop vite écoulés, ne nous aient pas permis de poursuivre nos études de modelage.

Pro gressivement s’opérerait un retour vers les anciennes traditions; le peintre et l’architecte se soutiendraient au lieu de s’ignorer, et la compréhension, si raffinée chez les artistes du moyen âge des différents arts, pourrait trouver son applica¬ tion dans les restaurations ou constructions modernes.

La généralité des connaissances, chez les hommes du moyen âge, force en quelque sorte notre admiration. La liste serait longue à dresser brillèrent les noms des Candidus, Lazare, Tutilon, ce moine de Saint-Gall qui entreprit de longs voyages pour étudier les arts dans leurs diverses formules, Bernward, Théophile, Adélard II, abbé de Saint-Trond, Notker, peintre, poète et médecin, Bénard qui, sur l’ordre de Fulques, décora le sanctuaire de Lobbes, Willigis, évêque de Mayence, chance¬ lier de l’empereur Othon II, Suger, Maurice de Sully, le frère Hugo d’Üignies, pour finir à la Renaissance qui marqua à la fois l'apothéose et la décadence du savoir universel chez les artistes.

Au surplus, nous ignorerons sans doute toujours les ténèbres du temps, les dévastations du feu et de la guerre ayant détruit beaucoup d’archives les noms des artistes, clercs et laïcs, qui enseignèrent et pratiquèrent les arts dans les écoles, pour ainsi dire professionnelles, de Liège, Lobbes, Utrecht, Cologne, Gembloux, Stavelot, Saint-Trond, Egmond, Gand, Cambrai, Saint-Omer, Liessies, les Dunes, etc.

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Les peintures si caractérisées du Brabant démontrent la vitalité d’un enseignement local très complet, très souple en ses variétés imaginatives. 11 nous a été impossible toutefois d’en retrouver le berceau.

Il n’est pas malaisé de découvrir dans certaines compositions les traces des diverses connaissances artistiques. Telle création destinée à orner les soubassements surmontés de verrières participera des formes linéaires de celles-ci et ne luttera pas d’éclat avec elles. Telle autre, que la vue peut détailler et qui par sa richesse ou sa majesté doit frapper les fidèles, verra soigner ses détails quelquefois se rencontrent des motifs d’orfèvrerie.

Il faut croire que c’est à ce soin du détail, surtout à la com¬ position des fonds que s’appliqua Pinturicchio quand il se mit à faire des fresques « à la manière des Flamands 1 ». La vue des cartons de quelques peintures murales rapportés de la terre de Flandre peut lui avoir inspiré l’idée de cette série de vues de villes, qu’il peignit, par ordre du pape Innocent VIII, dans une des salles du palais du Belvédère, alors nouvellement construit. Ces fresques, malheureusement perdues, obtinrent un grand succès. Il eût été intéressant de pouvoir comparer des œuvres dont la manière était toute nouvelle et qui prouve l’estime qu’avait pour notre école de peinture monumentale un des maîtres décorateurs de l’Italie.

Des Flamands travaillèrent d’ailleurs souvent en Italie. Ainsi Jacques Cavael, Jacopo Cova, peintre d’Ypres, il jouissait d’un grand renom, fut engagé par Giovanni Alcherio à des conditions très avantageuses, avec deux de ses élèves, pour fachèvement du dôme de Milan.

1 « Alla fiandresca ».

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Aussi ne semble-t-il pas que les fiammendi Alexandre de Bruges, Juste de Gand et tant d’autres fussent rangés parmi les « barbares » dont parle Philelphe G

11 convient de ne pas perdre de vue que la faveur dont jouis¬ sait l’art flamand incita précisément les Italiens à s’approprier les qualités de coloris, de fini dont nos artistes tirent preuve. Aussi ce furent ces humbles qui préparèrent les voies, qui firent admirer les œuvres des Pierre Cristus, des Jean de Bruges, de H. van der Goes, des Roger Van der Weyden,'dont le voyage en Italie fut une véritable marche triomphale. Et quelle révélation, quel hommage rendu à notre art de voir en 1469 le roi Ferdinand de Naples pensionner le jeune Johannes da Justo afin qu’il se pénétrât à Bruges des œuvres et des secrets des maîtres célèbres !

Aussi rien n’échappe à l’étude de l’artiste, et le jour où, par les inévitables évolutions de l’art, les « paingneurs » devront transformer leur manière, ils se trouveront prêts pour fonder et faire éclore cette école flamande si admirée.

D’ailleurs, certaines compositions portent la marque indis¬ cutable, confirmée par la comparaison de tableaux authen¬ tiques, de la collaboration d’artistes de premier ordre. Que si cette collaboration est prouvée pour des œuvres du XVe siècle, autant l’argument a de valeur pour des œuvres antérieures.

D’autre part, les comptes communaux mentionnent des sommes payées pour œuvrer des peintures murales à des artistes qui ne sont pas des inconnus. En 1297, l’artiste Arnould peint les salles du Tonlieu à Louvain. En 1433, Gérard De Bruyne peint entièrement en rouge la chapelle du château de Louvain et enlumine les quarante-six soleils de la

1 Lettre à Traversai.

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voûte. Cette indication nous sera précieuse quand nous exa¬ minerons les procédés et la technique des maîtres du moyen âge : détrempe, tempera vernie, encaustique, œuf, sérum ou détrempe additionnée de résines.

Bornons-nous à dire qu'ils furent fort variés, quoique simples, surtout comme première préparation d’enduit de couleur. Sur tous les points du pays, nous avons retrouvé la préparation préliminaire à base métallique, la peinture murale lui emprunte même en partie sa tonalité chaude. Nous croyons que l’or n’est intervenu dans notre pays que fort rarement, comme préparation, et ne s’est étendu qu’aux carnations. Quant au support, ce fut toujours un simple crépissage, ni artifices de relief ni intailles, rarement des cabochons.

Il ne nous a pas été donné de relever, à l’intérieur, des peintures sur ardoises, quoique nous ne soyons .pas éloignés de croire que ce mode de revêtement fut usité.

Extérieurement, la polychromie sur ardoises fournit matière à un véritable luxe décoratif. L’usage, comme support de pein¬ tures à l’intérieur, doit avoir persisté et s’être étendu jusqu’en Italie; car, au XVIe siècle, Daniel de Volterra peignit, sur une tablette de ce schiste, le David vainqueur de Goliath , aujour¬ d’hui placé au Louvre.

Nous rencontrons d’autres noms encore. Ainsi, Arnould Gaelman exécuta en 1297 des peintures à l’église de Parc. Wau- thier van Marc et ses apprentis, en 1309-1310. Jacques Comper et ses ouvriers, en 1328, font des travaux de décoration pour Bruges et Gand. Arnold Roet travaille en 1401 à Saint-Pierre à Louvain, et pendant tout le cours du XIVe siècle Notre-Dame de la Flamingerie à Tournai fournit de l’ouvrage décoratif à de nombreux ouvriers gantois.

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Walter van Marc, Franc van der Wichtere, Jean de Woluwe, Melchior Broederlam, Jacques Labaes, Jean van Hasselt, peintre de Louis de Maele, Willem van Axpoele, Jan Martins, Jacob Ovin, Marc van Ghistele, dit le Peintre, son fils Jean et son petit-fils Guilbert, Jan Hollander et Baudouin Van Battel furent chargés à différentes époques d’œuvrer, dans nos hôtels de ville, des peintures murales dont il nous sera quelquefois possible de donner le prix.

Les comtes firent parfois servir le tribut de la justice à la décoration des temples. Ce fut ainsi que Louis de Maele con¬ damna la ville de Dixmude à une amende de cinq livres de gros, coût des « pointures » manquantes au-dessus de statues du portail de l’église Saint-Donat.

En France, les Flamands dominent : Pierre de Bruxelles, peintre de la comtesse Mahaut, Pierre Cloet, Hennequin de Bruges, qui fit les cartons des célèbres tapisseries de V Apoca¬ lypse, maître Vranque de Malines. Henri de Belleehose, Pierre Henne, Jean le Voleur, Jean Du Moustier, Jeanekin Malouël, Melchior Broederlam, peintre de Louis de Maele, puis varié de chambre de Philippe le Hardi, Paul de Limbourg, Jacques Delff, Jacob Lithmont illustrent maints monuments, inspirent de leur génie des œuvres de natures les plus diverses. Enlumi¬ nures, verrières, cartons de tapisseries, meubles, selles et arçons, pièces d’orfèvrerie, bannières et blasons offrent matière à l’exercice, tantôt d’un métier, tantôt d’un art.

N’oublions pas Andrieu Beauneveu, qui fut àCourtrai en 1374 et dont Jehan Froissart, son compatriote, disait en 1390, parlant du duc Jean de Berry : « Il estoit bien adressié; car, dessus ce maistre Andrieu dont je parolle, n’avoit pour lors meilleur ne le pareil en nulles terres, ne de qui tant de bons ouvrages feust

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demouré en France ou en Haynnau, dont il estoit de nacion, et ou royaulme d’Angleterre. »

Ambitieux espoir que de retrouver un jour dans les pein¬ tures murales du royaume d’Angleterre, Froissart, favori de Richard II, peut l’avoir introduit, la marque ou les traces du talent de ce maître unique, sachant allier la grâce des artistes du pays de France au réalisme des Flamands.

Nous reviendrons, lors de l’examen de certaines composi¬ tions, sur ces artistes, qui furent les continuateurs de ce peintre malheureusement resté inconnu pour nous, Flamand peut- être, que Wolfram von Eschenbach appréciait si élogieusement vers 1200, en son poème de Perceval :

Comme le dit notre récit

Aucun peintre de Cologne ni de Maestricht.

N'aurait pu le peindre plus avenant Qu’il était assis sur son cheval.

Flamand encore, peut-on croire, ce maître Wilhem de Heerle, dont la chronique du Limbourg relate qu’en 1380 vivait à Cologne un peintre considéré comme le meilleur de toute l’Allemagne, car il peignait tout homme comme s’il était vivant.

C’est l’aurore du réalisme qui, quelques années plus tard, atteindra son maximum d’intensité. L’examen de ces peintures murales confirme l’opinion de l’érudit historien, qui appelle ces productions les incunables de l’art.

Tous les caractères se retrouveront : le type des figures aux fronts hauts et larges, aux yeux profonds, aux nez forts, l’ostéologie se marquant nettement en larges plans. Les visages de femmes, d’un ovale assez accusé, illuminés par les yeux, la bouche, souvent énigmatique, ont un caractère spécial,

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empreint d’une douceur, d’une poésie qui les range dans un art bien original, que confirme l’étude des mains,, des draperies.

L’école flamande inspira assez souvent les maîtres italiens ; mais, phénomène digne de remarque, les productions flamandes n’empruntent qu’en des proportions bien moindres et n’imitent jamais le coloris étranger.

Nous devons en partie cette pureté à l’absence de Romains dans notre pays. D’autre part, nos régions ne connaissaient pas la catégorie d’artistes nomades à laquelle la France doit des œuvres de mérite.

Nous croyons que l’Allemagne sa voie trouvée fut également réfractaire à la diffusion de l’art étranger.

Comme l’architecture, la polychromie monumentale anglaise demanderait une étude particulière.

Pour l’Italie, cette tonalité spéciale s’explique pour la tech¬ nique, la fresque ne permettant qu’un emploi restreint de couleurs, le soleil dorant l’ensemble.

La détrempe, le procédé par excellence - non le seul de nos contrées, eut de chauds partisans en Italie.

Domenico Beccafumi, pour l’exécution d’une Madone com¬ mandée par la confrérie de San Bernardino, ne craignit pas de revenir aux traditions un peu perdues depuis Fra Angelico, Fra Fillipo Lippi et Benozzo Gozzoli, qui employaient une détrempe additionnée de matières oléagineuses, ce qui la mit à l’abri de l’eau. Nous verrons d’ailleurs que les Flamands usèrent de procédés, sinon identiques de composition, ayant certainement les mêmes qualités.

Du reste, la presque totalité des peintures à « buon fresco » porte la marque de l’achèvement à la tempera.

Tome LXI.

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Pour ces motifs, la pratique de la fresque, outre ses incon¬ vénients naturels, ne pouvait se généraliser en notre pays.

L’étude des rares spécimens de ce genre que nous possédons le prouve surabondamment.

Ces qualités ne se démentirent pas dans la suite. Habitué à l’emploi des tons francs, aux oppositions quelquefois violentes

adoucies par le rayonnement solaire qu’exige la technique des verriers; ou au large parti pris de tonalités nécessité par la peinture décorative, le jeune apprenti, entré à l’atelier, se familiarisait tôt avec ces opulences coloristes.

L’évolution de la peinture approchant, les artistes, instruits par l’exécution de grandes compositions, furent en état de produire, en même temps, des œuvres participant des deux arts.

Malheureusement, nous nous trouvons, ici encore, mais pour d’autres motifs, assez dépourvus quant aux noms de peintres. Il ne peut en être autrement ; car ce n’est qu’au commencement du XIVe siècle qu’on trouve les premières mentions peu détaillées de peintres laïcs; même, pen¬ dant un temps assez long, une confusion a régné entre les peintres et les peintres décorateurs.

Vers le milieu du XVe siècle, il semble que la démarcation se précise. On constate un mouvement séparatiste des diffé¬ rentes catégories d’un même métier.

Tandis que des règlements concernant les droits respectifs des tapissiers de haute et basse lisse ces peintres à l’aiguille ou en matières textiles, comme on les appelait primitivement

étaient promulgués, la corporation des peintres défendit aux décorateurs l’emploi dans leurs œuvres de couleurs à l’huile.

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Les tapissiers, tout comme les peintres, se virent rappeler des dispositions antérieures concernant l’emploi de couleurs de mauvaise qualité. Un règlement corporal flamand de 1338 avait comminé de fortes amendes contre ceux qui se servaient de couleurs de chair médiocres.

Les relations entre ces deux corporations devaient nécessai¬ rement être fréquentes et étroites. Comme pour les peintres verriers, nous aurons peut-être, au cours de cette étude, à apprécier leurs rôles respectifs.

Dans la suite, la peinture de rétables « plattes pointures », selon l’expression de l’époque tendant à supplanter les grandes compositions historiées remplacées par des imitations de tentures à dessins symboliques, les maîtres n’exécutèrent plus totalement les peintures murales.

Ils composèrent les cartons, en laissant l’exécution à leurs élèves, qui, à leur tour, acquirent ainsi une expérience, une maîtrise, qui rend l’attribution de l’œuvre fort difficile.

Il est à supposer que c’est à la préparation, très étudiée, des cartons que nous devons d’avoir constaté, à l’inverse des pra¬ tiques italiennes, l’absence de tout repentir ou reprise dans le dessin.

Van Eyck, Hugo van der Goes, Lucas de Leyde, probable¬ ment Gérard David van Oudewater abandonnèrent, à un moment donné, la peinture décorative, soit totalement, soit partiellement. En nous appuyant sur la mention d’une chro¬ nique du temps, relatant que Gérard David travaillait en la maison de Jean de Gros, secrétaire de Philippe le Bon, et en comparant diverses de ses œuvres, nous croyons ne pas nous tromper en lui attribuant Y Annonciation de Bruges. Il n’est pas téméraire de croire que ce fut au profit de leurs

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élèves qui, peut-être, ne figurèrent pas tous sur les livres de maîtrise des corporations ; car, qui fut, sous la direction du maître, habile praticien, traducteur fidèle de ses idées, de son style, ne put prétendre à l’obtention de cette maîtrise, que la présence d’illustres contemporains rendait redoutable.

11 est permis de croire que ce fut à l’occasion de l’achève¬ ment de pareils travaux que Philippe le Bon distribua des lar¬ gesses aux élèves de Jean Van Eyck.

Les archives de l’ancienne Société de Saint-Luc à Bruges sont précieuses à consulter; c’est peut-être un des documents les plus anciens qui existent dans cet ordre de choses. La pre¬ mière inscription date de 1453, quoiqu’il existât, dès 1351, en cette ville, une corporation de peintres jouissant de privilèges.

Nous aurons à revenir sur ces documents à propos des diffé¬ rends existant entre peintres et peintres décorateurs, miroitiers, selliers, etc.

Ces règlements, intitulés : « Ceci sont les Keuren et les ordon¬ nances des métiers des peintres et des selliers », semblent établir qu’en 1441, la corporation ne comprenait que ces deux métiers, tandis que sept professions en faisaient partie, soit : les différents peintres, les selliers, bourreliers, sculpteurs d’arçons, verriers et miroitiers. Elles ne mentionnent pas les parcheminiers et batteurs d’or qui, en certaines communes, faisaient partie du métier des peintres.

La présence des selliers, bourreliers, sculpteurs d’arçons, qui nous choque, s’explique pourtant parfaitement. Pas une cérémonie la coopération de ces métiers ne fût nécessaire : mariages, naissances, obsèques, tout fut matière à somptueux cortèges.

Souvent des peintres officiels travaillaient des mois, avec

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plusieurs ouvriers, aux harnais d’apparat dont se servaient les princes dans les fastueux tournois.

Malgré l’existence de pareils documents, l'histoire, le nom même de beaucoup de peintres restera toujours une énigme.

La terre italienne aura été plus favorisée. En effet, Vasari, à qui nous devons tant d’indications précieuses, fit paraître ses Vies des peintres vers 1550 et remonte jusqu’au XIIIe siècle; tandis que Van Mander ne publia son travail qu’en 1(504 et ne dépassa pas la période des Van Eyck.

Que si la forte discipline transmise par les moines aux cor¬ porations laïques fut des plus heureuses pour le développement des qualités premières de l’art flamand, il faut reconnaître que les corporations portèrent à un haut degré le souci de la pra¬ tique et encouragèrent la recherche vers la perfection du caractère décoratif.

Sur ce terrain encore, et sans s’en douter, nos peintres se rencontrèrent avec les principes de l’art grec.

Pour la décoration extérieure des monuments ou logis de bourgeois, nos ancêtres appliquèrent les idées des Grecs : la coloration partielle des motifs constitutifs de l’édifice.

La logique de leurs principes amenait également les deux races aux mêmes conclusions.

Le goût décoratif portait même nos ancêtres à décréter des polychromies extérieures sur des murs d’édifices dépourvus de toute ornementation. Ainsi, à Tournai, de 1393 à 1395, Phi¬ lippe Cachexraigne reçoit soixante-dix sous pour « avoir en l’astre St-Pierre paint plusieurs crois et ymaiges de Sf-An- thoine », fait que nous voyons se reproduire à Malines, Baudoin Van Battel, peintre en titre de la ville, entoure de dix figures le perron de l’hôtel du Magistrat.

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A côté de la coloration de l’ossature intérieure, ils compre¬ naient la décoration historiée, simple de lignes, de modèle, tenant compte de la perspective et de l’harmonie générale.

L’ordonnance également s’inspire de grands principes déco¬ ratifs; la pondération des groupes, la symétrie, nécessité première de la peinture murale que les Italiens, même aux bonnes époques, négligèrent parfois sont observées par nos Flamands avec une sûreté qui exclut toute défaillance. Nul éparpillement d’intérêt, nulles lignes heurtées, aucun embarras dans les actions secondaires des scènes. Considérez les nom¬ breux Jugements derniers, le Christ sera le pivot de l’action : isolé dans une vaste auréole, il s’appuiera sur les trônes reliant les différentes parties du drame qui se déroule au bas; tandis qu’au milieu, saint Michel, remplacé en Russie par un serpent, esprit du mal, armé de l’épée et de la balance, sert de soudure aux groupes des élus et des réprouvés. La Vierge et les saints, disposés symétriquement, constituent l’ossature des côtés de la composition.

Nous n’insisterons pas sur le dessin, nous réservant de l’étudier. Nous croyons cependant pouvoir dire qu’en règle générale, il fut guidé par un esprit décoratif excellent, s’atta¬ chant bien plus à l’expression, à la force d’impression qu’à la stricte observance anatomique. Ces principes, qu’un illustre moderne a repris, n’excluent nullement la beauté graphique.

Ajoutons que le dessin, chez les artistes de la brillante période du XVe siècle, porte toutes les marques caractéristiques de la graphique de leurs prédécesseurs. Il nous sera peut-être donné un jour de compléter sous ce rapport nos études pré¬ sentes par l’examen des dessins de ces maîtres actuellement disséminés dans toute l’Europe.

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Un point sur lequel nous désirons, avant de terminer, appeler l’attention et qui fut commun à l’art grec comme au nôtre, est le souci de l’individualité.

L’observation constante, stricte, religieuse de la nature, con¬ stitua pour notre école une suprématie, une force à laquelle nous devons de ne pas avoir été absorbés par les écoles étran¬ gères.

Tandis que celles-ci s’inspiraient des monuments, des manus¬ crits, des ivoires apportés des pays lointains, l’école flamande, dès son origine, préféra, sans dédaigner l’art étranger, les types, les caractères du terroir.

Les artistes introduisaient rarement un motif d’architecture, un meuble, une plante exotique dans leur création.

Sont-ils forcés par le sujet de faire des emprunts à la faune ou à la flore étrangères, leur inspiration en souffre, la compo¬ sition se ressent de ce mariage d’éléments disparates.

La parole de Taine nous frappa par sa justesse : « Les hommes ont le caractère de la nature qui les entoure. » Étudiez les types de nos peintures romanes, suivez-en les développements dans les caractères gothiques, vous les retrouverez jusque sur les rétables, quoique dans des proportions moins sensibles de structure, de dessin et d’intellectualité semblables. Tandis que les fresques italiennes portent la trace d’individualités flamandes, surtout dans les têtes dont l’empreinte de mâle beauté avait sans doute séduit les artistes, les œuvres flamandes sont exemptes de ces emprunts.

Une remarque que nous avons faite à ce sujet, est l’absence, dans nos compositions historiées, d’effigies d’hommes impor¬ tants, alors qu’en Italie, maintes fresques révèlent l’identité des modèles.

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Le petit nombre de scènes mythologiques que possède notre pays explique peut-être ce fait.

Nous savons pourtant que les « draps painls » suspendus contre les murailles dans les maisons des riches représentaient souvent des portraits et des mythes antiques.

Il semble que la conception de ces objets mobiliers trans¬ missibles obéissait à d’autres lois que celles régissant la pein¬ ture murale, de nature plus sévère, de destination immuable, formant ensemble avec l’architecture.

La perdurance du type de race est curieuse et nous a souvent frappés. Parcourez nos campagnes, le Brabant et le Limbourg de préférence, vous y retrouverez les types, les gestes, les atti¬ tudes qu’à six siècles de distance un artiste a eus sous les yeux et dont il s’est inspiré.

Entourées, dans une église, de cette foule aux allures simples, les peintures qui décorent les murs semblent faire corps avec l’ensemble, et l’on se croit transporté à des temps reculés. Cette similitude est plus frappante dans la peinture murale que dans la peinture de chevalet. Elle s’explique par ce fait que la nature était prise sur le vif, dans son milieu, avec son geste propre et au moment de l’exécution.

L’attitude des Vierges en offre un exemple frappant. Soit qu’elles se cambrent en la torsion naïve des types romans ou en la flexion plus élégante des spécimens gothiques, vous y trouverez la candeur de pose naturelle à la femme des champs se chargeant d’un fardeau. Ce sont les mêmes gestes, les mêmes formes et types que l’ampleur des épais vêtements entourent de plis larges, simples de lignes, opulents dans les retombées des parties abondamment drapées.

Dans d’autres spécimens, l’artiste s’étant inspiré dans un

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milieu plus élevé, les pucelles se couvrent d’étolfes plus souples, laissant deviner des formes, dénotant une connais¬ sance suffisante de l’anatomie, dont l’artiste ne pouvait s’instruire que rarement, d’après une méthode décorative simplifiée, atténuée en son expression trop humaine.

De ce fait, certains ont pu se méprendre sur les visées de l’art du moyen âge. Sans tomber dans la représentation non idéalisée de la femme, les artistes de l’époque en ont créé une expression décorativement parfaite.

La faculté de saisir la physionomie générale des hommes et des choses, de creuser par quelques lignes fort simples leur individualité, dénote chez les anciens une connaissance appro¬ fondie du dessin, dont l’apprentisage n’était possible que par l’observation directe de la nature surprise dans son action.

La vie des champs offrait un monde d’observations dont on retrouvera bien des traces dans les décorations monumentales.

L’artiste faisait sa moisson de croquis surpris « au vif », selon le terme de l’époque. 11 les retrouvait plus tard, les trans¬ formait en d’ardentes images.

Tous, nous avons sous les yeux le type de ces Vierges mira¬ culeuses, assises sur le trône, tenant l’Enfant divin sur les genoux, si nombreuses surtout dans le Brabant; plusieurs sont de véritables chefs-d’œuvre, qui nous laissent sous une impression indéfinissable. Longtemps, on reste sous le charme de la jouissance d’art mêlé de respect qui s’épanche en douces effluves de ces mystérieuses statues ; elles sont la réalisation transfigurée du spectacle que nous avons devant nous. C'est l’aïeule portant sur ses genoux le dernier né. De type un peu placide, un peu vieilli; le galbe de la figure un peu arrondi, les yeux vagues errant dans l’infini ; telles apparaissent ces

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madones dans leur attitude légèrement hiératique, tel vous retrouverez le modèle en ces femmes aux gestes lents, aux yeux semblant déjà s’éteindre.

C’est bien dans la campagne, au milieu reposant, qu’a été conçu le type si justement dénommé « poétique ».

Dans les figures de la Vierge et de saint Jean au pied de la croix, qui décorent les trabes, dont le Brabant est si riche, - le caractère d’humanité de la mère de Dieu et du disciple préféré est frappant de réalisme.

C’est la douleur résignée, profonde, que nous avons observée dans le cimetière de campagne, alors qu’hommes et femmes, agenouillés au bord de la fosse, frissonnaient au der¬ nier requiescat in pace, que le vieux prêtre murmurait en tremblant.

Par un contraste voulu, le Christ semble inspiré par un type étranger dont la Sainte Sauve d’Amiens constitue un trou¬ blant spécimen.

Dans toutes les compositions apparaît cette influence inspira¬ trice. Qu’il s’agisse d’un tableau votif, vous retrouverez dans les personnages pieusement agenouillés, accompagnés d’une nombreuse lignée dont souvent, hélas! plusieurs sont mar¬ qués par la fatale croix de mort, les groupements, les carac¬ tères de grandeur calme qu’on remarque aux paysans dans les cérémonies religieuses.

C’est la force de notre art, c’est la communion entre l’art et la nature; la peinture monumentale en porte la hère empreinte.

Maintes de ces scènes sont encore dans notre mémoire. Soit qu’au printemps, cherchant dans la campagne limbourgeoise quelque chapelle perdue dans les bois, nous vîmes des jeunes

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filles allant aux champs en entonnant des cantiques; tandis qu’aux carrefours, devant la pauvre statuette attachée en sa niche de verre à quelque arbre géant, se balancent gaiement, au mai symbolique, de gracieux diadèmes de fleurs cham¬ pêtres; tels les groupes de saintes et de bienheureuses qui, en de blanches théories , environnent le Couronnement de la Vierge . Soit qu’isolé dans les landes campinoises, au déclin des lourds jours d’été, alors que vers le ciel montent de légères vapeurs, nous surprîmes les données initiales de l’art flamand ancien, nos yeux perçurent et confondirent en une même vision le réel et l’au-delà : la pléiade de saints et d’élus entourant dans les Jugements derniers le Souverain Juge; alors que, devant nous, dans l’espace infini, parmi les fruits et les fleurs multicolores, dans le crépuscule d’or et de pourpre, dans l’atmosphère embaumée de subtils parfums, en la paix des temps heureux, l’homme des champs, entouré de ses fils riches de mâle beauté, de ses filles aux blondes tresses, s’agenouillait pour l’offrande quotidienne de la dernière prière; pendant qu’au loin, la grêle cloche du pauvre sanc¬ tuaire tinte l’angelus du soir.

ÉTUDE

SUR LA

PEINTURE MURALE EN RELG1QUE

JUSQU’A

L’ÉPOQUE DE LA RENAISSANCE

TANT AU POINT DE VUE DES PROCÉDÉS TECHNIQUES

QU’AU POINT DE VUE HISTORIQUE

Les origines de la polychromie monumentale.

Pour saisir les manifestations d’un art, il est indispensable d’étudier son origine et les transformations qu’il a subies avant d’arriver à une expression esthétique, non parfaite, mais susceptible de procurer ou d’éveiJler une émotion.

D’où nous est venu l’art de la polychromie en ses applica¬ tions aux monuments? Est-il une conception née sur notre sol, jaillie de l’esprit de nos aïeux, imposée à leurs sens par la splendeur de la faune et de la flore; ou est-il la résultante d’emprunts faits à des peuples dont la civilisation était plus avancée ?

Nous croyons qu’il participe de ces deux éléments pour la période qui s’est écoulée avant Charlemagne.

Si tout peuple primitif apprécie les charmes de la couleur, s’il est avéré que les Gaulois aimaient les vêtements richement colorés, il n’entrait toutefois dans leur vie que peu d’éléments

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appartenant à l’art purement décoratif; encore, ces motifs s’inspiraient-ils, en ce qui concerne les objets usuels ou mobi¬ liers, à des sources. étrangères. Nous ne pouvons d’ailleurs, dans cet ordre d’idées, nous appuyer que sur une catégorie restreinte d’œuvres ornées : armes, poteries, étoffes et bro¬ deries.

Pour l’art pictural, rien n’existe qui puisse nous en donner une idée; il faut la conquête franque pour implanter défini¬ tivement un art que les Grecs avaient porté à un haut degré de perfection.

Quelques siècles même s’écouleront encore avant de trouver les premiers matériaux indispensables à l’esquisse du système décoratif.

Sidoine Appollinaire, Fortunat mentionnent, il est vrai, des peintures dont étaient enrichies certaines églises, mais ils n’entrent dans aucune description, quelque sommaire qu’elle soit, pas plus que Grégoire de Tours n’analyse les polychromies monumentales qu’il semble considérer comme très impor¬ tantes.

Pourtant ces peintures n’étaient pas, semble-t-il, sans im¬ portance, car, si elles ont frappé les contemporains au point qu’ils en parlent avec ostentation, il faut croire qu’elles avaient un mérite qui pouvait soutenir la comparaison avec les autres produits des artisans nationaux, notamment avec les œuvres tissées, si richement historiées d’éléments empruntés à la flore et à la faune indigènes.

C’était, à notre sens, à cette branche de l’industrie il ne s’agissait pas d’art que pouvaient s’adresser ces comparai¬ sons, car elle participait de la polychromie par ses combinai¬ sons coloriques, ses dimensions, son emploi, sa valeur décorative, ses dispositions tour à tour sévères ou fantaisistes, mais toujours suffisamment brillantes pour éblouir et animer.

On peut même considérer comme prouvée l’intervention de la peinture dans la décoration des étoffes, puisque Grégoire de Tours constate incidemment l’existence de tissus peints d’une grande richesse.

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Constatons, à ce propos, que l’histoire se répète, car nous trouvons une étrange parenté entre les exhortations pater¬ nelles de saint Astérius, prémunissant les fidèles contre le luxe des étoffes, et les fougueux avertissements qui, quelques siècles plus tard, atteignirent les partisans de l’image. Lente¬ ment, à travers de longues hésitations, sans principes primi¬ tivement déterminés, le charme de la couleur a opéré sur ces populations frustes. Les couleurs les plus heurtées se sont accouplées, étalées indistinctement sans proportions de force ou de valeur. Mais bientôt des comparaisons doivent s’être produites.

L’art du tissage était arrivé depuis longtemps déjà à un haut degré de perfection, que la comparaison avec les riches produits de l’Asie devait porter encore à des progrès.

L’art pictural monumental devait naître de ces éléments. L’harmonie absente de la peinture proprement dite se retrou¬ vait dans ces étoffes. L’exemple des merveilleux tissus orientaux peut suffire à former notre conviction : car, remarquons-le, en ces œuvres de patiente science, pas une faute de goût n’est à relever, la concordance des valeurs chro- miques est parfaite.

11 est évident que les heurts que l’on peut supposer dans la peinture primitive n’ont pas tardé à disparaître, si l’on admet que les tissus ont inspiré les premières tentatives de décorations polychromes.

Pour nous, nous croyons qu’il n’y a aucun doute à ce sujet.

La vue, l’emploi des étoffes a engendré, rendu nécessaire l’usage des couleurs en tant que décoration.

La richesse des étoffes, le progrès réalisé dans le tissage et la teinture des matières textiles devaient nécessairement attirer l’at¬ tention sur le parti décoratif qu’il y avait à tirer de leur emploi.

Nous ne serions pas éloigné de croire que ces étoffes, primi¬ tivement appendues à titre provisoire dans les monuments, ont démontré la nécessité de peindre les membres architectu¬ raux qui les entouraient ou les supportaient.

Nous ne pouvons oublier ici les paroles révélatrices au

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premier chef que prononçait, au IVe siècle, un saint évangéli- sateur, car elles démontrent le bien-fondé de notre théorie. En effet, l’emprunt réciproque des deux arts découle de cette idée : « Que les habits de ces chrétiens efféminés étaient peints comme les murailles de leurs maisons. »

Que si la nudité des parois avait pu être supportée pendant un laps de temps impossible à déterminer, si même elle devait avoir un caractère de grandeur un peu sauvage que nous ne pouvons apprécier qu’imparfaitement, il est indiscutable que la couleur ayant fait son apparition sous forme de tissus, elle devait s’étendre logiquement aux ossatures de la construction.

Que les couleurs furent sans charme ou sans harmonie, nous l’admettons, bien que nous n’ayons à examiner que les pré¬ mices de l’art ou plutôt ses bégaiements.

Par la marche naturelle du progrès dans la recherche de l’idéal qui anime tout peuple jeune devait naître l’idée de reproduire directement, sur les supports, les motifs déco¬ ratifs ornant les tissus mobiliers et les étoffes vestimentaires. C’étaient des modèles tout trouvés, oserions-nous dire, pour les peintres, proposons plutôt les préparateurs de teintures; car remarquons que les tâtonnements étaient réduits à leur minimum, que l’effet à obtenir était connu et répondait en tous points à la conception de ces peuples.

En proposant les manipulateurs des couleurs ( tinctores ) comme étant les premiers peintres, nous restons dans le do¬ maine que nous avons assigné aux origines de la polychromie.

Rien de plus logique, nous semble-t-il, que de supposer, la présence de la couleur étant admise sous forme de tissus décoratifs complétés par des entourages de tons unis, que les premiers praticiens de cet art nouveau fussent choisis parmi ceux qui trituraient ordinairement les teintures des laines, des soies et même des peaux. A notre sens, eux seuls possédaient des notions suffisantes pour concevoir et tenter les premiers essais. Dans le domaine pratique, ils avaient acquis la notion des propriétés de fixité, de valeur et d’éclat des ingrédients dont ils faisaient usage.

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Ces diverses questions, aujourd’hui si discutées, avaient alors une importance capitale.

Dans la sphère objective, ils pouvaient se réclamer d’idées de composition, d’agencement, de proportions que la pratique simultanée des deux métiers leur avait, sans nul doute, pro¬ curées.

Nous avons recherché quel autre corps de métier eût pu fournir les premiers peintres, et nous avouons n’avoir trouvé d’explication pouvant contenter la logique et l’esprit critique. Nous croyons admis que quelle que fut cette peinture primitive, encore n’en improvisa-t-on pas les praticiens.

Ainsi s’établissait une coopération effective entre les arts utilisant les couleurs, et la théorie de l’inspiration des motifs empruntés aux tissus se soutient bien mieux que celle ratta¬ chant les premiers efforts à la copie de mosaïques.

En effet, outre le tissage, la broderie était exercée supérieu¬ rement par les femmes. Les motifs ne s’inspiraient pas unique¬ ment des lignes plus ou moins capricieusement élégantes des méandres géométriques, la flore et la faune constituaient le fonds dans lequel puisaient ces artistes que nous ne sommes pas éloignés de considérer comme les fécondes génératrices de l’art de la peinture.

On ne comprendrait pas la raison pour laquelle on eût cherché à traduire par la peinture des motifs tirés d’une indus¬ trie étrangère, alors que depuis longtemps on était en posses¬ sion d’une méthode permettant la figuration sur les tissus de multiples éléments pris dans la nature.

L’origine de la polychromie monumentale aux premiers siècles nous semble dériver d’un ensemble de circonstances qui en ont fait un art inspiratif de source spiritualiste.

Possédant les éléments décoratifs, le praticien les a appli¬ qués sur les supports des monuments religieux et s’est ingénié à en trouver les motifs dans les productions de son sol. 11 devait être d’autant plus encouragé dans cette voie, que cette décoration affectait par même un certain symbolisme, à côté de l’offrande réelle la figuration emblématique.

Tome LXI.

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La filiation que nous proposons nous semble plus ration¬ nelle que celle consistant à rechercher péniblement au loin des explications compliquées d'idées de style, d’esthétique ou d’idéal assez peu conformes, croyons-nous, au niveau intellectuel.

Qu’une forme, une série de couleurs, un dispositif, un dessin répondant à l’éclat qu’on désirait fût trouvé, que cette forme ou ce dispositif fût adéquat à sa destination, remplisse le but qu’on s’était proposé, cela pouvait suffire.

N’est-il même pas vraisemblable que la peinture monumen¬ tale, à peine née, ait subi une crise? Appliquée d’abord en guise d’entourage des tissus formant un décor pour des céré¬ monies somptueuses, on se sera aperçu de l’inharmonie que présentaient ces surfaces inégalement décorées, et une trans¬ formation de principe se sera imposée. On aura adopté un parti pris accentuant les membres essentiels de la construction, tout en couvrant les panneaux de tons unis, se réservant de les garnir plus richement à l’aide des tissus lors d’événements importants.

La crise était fatale, mais elle eut comme résultat la nais¬ sance de l’art pictural s’appuyant sur d’embryonnaires prin¬ cipes esthétiques.

En effet, l’entourage colorique était au commencement, par la force des choses, dicté par la présence des tissus; tandis que l’inverse se produira au moment la décoration de l’ensem¬ ble s’imposa. Le choix des couleurs, leurs assemblages, leur valeur, leur juxtaposition auront été déterminés par les lignes du monument et une certaine unité en sera résultée. C’était la première sélection qui s’opérait dans le goût; elle devait s’ac¬ centuer, s’affiner quand il aura fallu choisir les étoffes à sus¬ pendre au milieu de ces couleurs.

Ignorée primitivement, puis usitée comme complément, la nécessité de la peinture se sera affirmée bientôt. De ce moment, croyons-nous, date l’avènement de l’art polychrome.

Etait-il encore à ce momentle mineur que nous supposons? Ses manifestations étaient-elles toujours si brutales, si rudi¬ mentaires ?

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Il serait assez difficile de le croire en examinant les produits des autres arts de ces temps. Croyons plutôt à de l’indiscipline, de la fougue ; mais représentons-le non dépourvu de gran¬ deur.

L’enluminure en ses rapports avec la polychromie

monumentale.

S’il nous est assez malaisé de déterminer d’une manière quelque peu exacte les caractères graphiques de la peinture monumentale avant l’an mil, si l’ombre épaisse enveloppe et pèse pour toujours sur ces siècles de luttes continuelles, nous avons pour nous guider dans nos conjectures quelques monu¬ ments bien précieux; nous voulons parler des miniatures des filles d’Adalhard, fondatrices du monastère d’Alden-Eyck.

Faut-il chercher dans ces enluminures les caractères que revêtaient les polychromies?

Nous croyons pouvoir répondre à cette question d’une manière affirmative, tout au moins partiellement.

L’inspiration spiritualiste s’exerçant par les auteurs des enluminures, l’effet décoratif satisfaisant les lettrés, il était indiqué que la polychromie monumentale, n’ayant pas de programme, errant sans guide au gré de ses caprices, devait chercher un maître, un conducteur, qu’elle trouva dans l’art du miniaturiste.

Notre thèse de l’inspiration primitive, par les produits de l’art textile, se développe régulièrement; car il était logique que les tracés à l’aiguille, si fins, si décoratifs, devaient tenter l’effort d’imitation des calligraphes.

Précisément, la conception primordiale est identique et se poursuit presque dans une même mesure : en premier lieu, l’exécution de réseaux symétriques, bientôt entremêlés de reproductions de végétaux, puis l'apparition de représentations empruntées au règne animal.

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En possession de la pratique, devenue apte à tenter des interprétations plus compliquées, les miniaturistes crurent trouver, dans les créations de l’art des hommes, des motifs pouvant embellir leurs peintures.

L’introduction des motifs architecturaux transforma jusqu’à un certain point leur art, et la figure humaine ne tarda pas à faire son apparition.

De ce moment date véritablement Faction de la peinture. Successivement inspiratrice, rivale, enfin vaincue, l’enluminure démontra le parti qu’il y avait à tirer pour la décoration monumentale des éléments que la nature pouvait offrir à l’œil de l’observateur.

Nous ne serions pas éloigné de croire, les sujets se réduisant primitivement dans les deux arts à des représentations pure¬ ment bibliques, que la conception de la décoration d’une paroi avait beaucoup d’analogie avec l’enluminure d’un feuillet de missel.

Il ne pouvait, à bien examiner, en être autrement; car du moment que l’enluminure avait introduit les motifs architec¬ turaux dans ses figurations et avait fait partie intégrante de la composition, la décoration monumentale devait se trouver très à l’aise pour faire mouvoir dans un cadre réel les scènes qu’elle n’avait qu’à reproduire, d’autant que les légers motifs ornementaux excluant le paysage ne pouvaient qu’ajouter un peu d’élégance aux massives constructions.

Bien que nous ne croyions pas que les miniaturistes dans leurs compositions, ou les peintres dans les entourages archi¬ tecturaux aient copié servilement les édifices de l’époque, nous pensons qu’il y a eu un emprunt que la vision particulière, la pratique d’un art a transformé au point de lui donner les apparences d’un ordre de choses existant.

Cet état pouvait correspondre, jusqu’à un certain point, à ce que nous montre l’interprétation des végétaux ou des animaux.

Styliser ces divers éléments était de pratique courante. La sculpture, la première des arts d’interprétation, en avait donné

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la formule, car très tôt elle a su imprimer à ses créations les caractères essentiels de réalité unis à une observation des besoins découlant de la nature de l’objet.

L’observation des divers éléments entrant dans le cvcle des motifs généralement usités par les miniaturistes confirme cette opinion.

Examinez les plantes, les animaux, vous découvrirez la préoccupation de plier à une esthétique spéciale, la figuration de ces éléments.

Symbolique le plus souvent quand il s’agit d’animaux, fan¬ taisiste dans ces créations ornementales mélangées de flore et de réseaux géométriques, la miniature ou la peinture monu¬ mentale devait tendre à l’adjonction d’éléments complétant ses fonds et ses entourages; elle appliqua aux motifs architecturaux la méthode dont elle usitait avec d’autres données.

Ainsi, les esquisses d’architecture qui complètent certains fonds ou servaient d’entourages à des figures isolées, ne peuvent suffire à l’élaboration d’un système ornemental; elles sont de pures interprétations.

Ce n’est pas un des faits les moins curieux que nous ayons à observer dans la constitution de l’art polychromique qui, par étapes, imagina, créa une esthétique s’inspirant de la nature, tout en s’en dégageant afin d’accentuer le côté spiri¬ tualiste.

Longtemps après, d’ailleurs, cette donnée initiale fera sentir ses effets, et l’art roman y obéira, puis complétera ses principes, ses théories et portera ses applications au suprême degré d’expression.

Nous aurons l’occasion d’insister sur la complète unité de conception qui relie les divers éléments des primitives compo¬ sitions, et à rechercher leur lieu d’origine.

Mais, auparavant, il peut être intéressant, en vue de parve¬ nir à fixer d’une manière exacte les caractères de notre art polychromique primitif, de déterminer les influences qu’il a subies.

D’après certains, les fées, qui en quelque sorte assistèrent à

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sa naissance, furent trois : la gracieuse France, la rude Alle¬ magne, la poétique Irlande. Elles inspirèrent, guidèrent les premiers pas du jouvenceau qui bientôt devait les éclipser toutes, les força à baisser le front devant lui, car il fut l’art flamand.

Nous devons avouer que si, aux prémices, ces influences ont pu exercer une certaine domination, orienter quelques compo¬ sitions, elles n’ont pas résisté à la poussée de sève qui afflua bien vite dans les créations nationales.

Nous ne croyons pas qu’elles exercèrent une pression suffi¬ samment prépondérante pour imposer leur esthétique à la peinture monumentale. Si relativement peu de peintures romanes nous sont restées, encore dénotent-elles un faire, une pratique assez originale pour nous autoriser à croire que les polychromies antérieures s’inspirèrent de principes aussi libres, aussi primesautiers.

Cette conviction est d’autant plus fermement assise que les compositions postérieures dérivent toutes du sentiment national.

Nécessité de la polychromie.

Si, à l’origine, l’appoint colorique s’est imposé à l’intelli¬ gence des peuples, ce sentiment s’est transformé progressive¬ ment, a fait naître la nécessité d’une théorie éducatrice et esthétique.

Ce programme pouvait d’autant mieux s’élaborer, qu’il était soutenu, comme nous l’avons indiqué dans notre avant-propos, par le pouvoir royal, souvent inspiré par les évêques, alors qu’à cette époque les créateurs de l’art appartenaient tous à l’ordre ecclésiastique et se réclamaient, par conséquent, d’un dogme dont l’immuabilité n’éliminait pas l’idéal.

Tout en tenant compte du fait que d’autres sources d’inspi¬ rations étaient inexistantes à ces époques, nous sommes convaincu qu’un art, pour pouvoir défier les temps et les

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variations d’appréciations résultant d’orientations nouvelles des esprits, doit s’appuyer et tirer sa force d’un concept spiri¬ tualiste.

Les multiples et fréquentes tentatives d’émancipation de ces derniers temps, qui toutes échouent assez lamentablement, ne sont point faites pour ébranler notre conviction.

Faisant naturellement abstraction de la perfection des pro¬ cédés et du savoir-faire moderne, la situation présente doit offrir, nous semble-t-il, quelque analogie avec l’état de choses existant aux premiers temps.

L’avidité vers des formules nouvelles, la soif d’expressions ■fortes, la poussée ardente et irréfléchie des masses jeunes vers les manifestations outrées, l’absence de science, l’engoûment à des exaltations malsaines, tout le chaos des théories modernes semblent donner une idée de ce qui serait advenu de l’art si la discipline, la soumission, n’avait prévalu et sur¬ tout si une pensée dominatrice n’avait guidé ces peuples indomptés.

L’art se serait débattu pendant de longs siècles dans d’inu¬ tiles créations. Nous pouvons même nous poser la question de savoir s’il serait jamais parvenu à sortir victorieux de l’amas de formules, de théories nébuleuses de ceux qui prétendent s’appuyer uniquement sur les manifestations que perçoivent leurs yeux, mais restent réfractaires à cette jouissance suprême, à cette illumination intérieure qui s’appelle l’idéal.

Aussi les dépositaires de tout enseignement se rendirent compte du péril que pouvait courir la société; et l’art éduca¬ teur, l’art pour le peuple se trouva créé.

Si, à la vérité, existaient quelques grands esprits unissant en leur personnalité la science humaine à une intellectualité spirituelle qui leur permettait de considérer comme inutile la décoration des livres et des monuments, même de les désapprouver, de tenir en médiocre estime ceux qui s’y livraient; ces exceptions restèrent peu nombreuses. Nous serions même tenté de nous féliciter de ces luttes et de cet enseignement, n’était que des disciples ardents ont poussé

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trop loin l’application de ces idées, qui nous ont valu ces admi¬ rables lettres, ces exhortations et jusqu’à ces délibérations de conciles que l’on peut considérer comme ayant tracé le pro¬ gramme d’un art qui allait influer si grandement sur la civili¬ sation.

D’ailleurs les conducteurs d’hommes n’hésitèrent point longtemps. On vit se passer pour la peinture les mêmes faits qui s’étaient produits pour l’art du livre. La doctrine de saint Jérôme fut rejetée au profit de l’enseignement de saint Éphrem ; peut-être convient-il de mentionner ici l’avis de saint Basile disant : toute création vient de Dieu, les peintres n’étant que des instruments.

Quoi qu’il en soit, le rôle assigné à la peinture fut suffisam¬ ment vaste pour nécessiter la coopération de toutes les forces. En effet, l’élaboration d’un thème religieux, pouvant servir d’enseignement, n’était pas sans offrir des difficultés tant sous le rapport d’éducation que sous celui de ses applications esthétiques et matérielles.

Que si certaines compositions empruntées aux miniatures pouvaient être adaptées en leurs grandes lignes aux édifices, d’autres sujets exigeaient l’accompagnement de textes expli¬ catifs, qu’il était matériellement impossible de faire figurer dans de monumentales peintures.

A ce propos, faisons remarquer que la présence de textes explicatifs est bien plus fréquente à l'époque ogivale qu’à la période primitive, alors que le contraire s’imposerait à la critique.

Devons-nous attribuer cette anomalie à la volonté d’agir sur l’esprit du peuple par l’impression figurative, afin de lui laisser le mérite de la réflexion, de la méditation, et d’obtenir une compréhension plus complète des sujets que celle qu’aurait pu lui procurer un texte, qu’une lecture lui eût expliquée?

Nous penchons vers cette dernière hypothèse, d’autant plus qu’à l’époque ogivale, le développement de l’enseignement, sa diffusion dans toutes les classes rendait possible, nécessaire même, la présence de textes qui devaient servir en quelque

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sorte de règle de vie et dont les formules étaient d’application usuelle.

Nous devons admettre que l’on s’était aperçu que la repré¬ sentation linéaire provoquait bien plus vivement l’esprit du peuple, que cette impression était bien plus durable; tandis qu’à l’époque ogivale, elle devait se compléter par des textes dont le souvenir évoquait la légende tout entière et permettait des rapprochements de situation, dont la morale, l’esprit de justice et de charité s’accommodaient parfaitement.

C’est le rôle éducateur par excellence que de ménager des développements graduels et successifs permettant de solliciter en même temps l’esprit et le cœur.

Une des premières préoccupations qui s’imposa à l’esprit des ordonnateurs des peintures monumentales fut de proposer aux yeux du peuple le grand principe de justice supérieure comme dominant tout l'enseignement.

Nul autre sujet ne pouvait mieux convenir en ces temps souvent la loi du plus faible ne trouvait pas toute la garantie nécessaire. Les clercs, en peignant dans la voûte de l’abside centrale la personnification la plus redoutable de l’immuable justice, assignaient à chacun et ses droits et ses devoirs.

L’enseignement de ce principe était de tous les jours, l’appli¬ cation de tous les instants, et les conclusions que tous étaient en mesure d’en tirer n’étaient point perdues pour cette société dont le plus grand besoin était la reconnaissance de ses droits individuels.

Les sujets qui rayonnaient autour de ce centre lumineux coopéraient tous à ce but. Il semble que l’amour de la justice, la nécessité de sa prédominance aient fortement pesé sur l’élaboration du thème décoratif, car tous les sujets s’y rap¬ portent directement, partout le Christ intervient comme le régulateur suprême. L’idée de souffrance n’interviendra que plus tard, et toujours accompagnée, dans ces primitives repré¬ sentations, de sujets proclamant le triomphe final de la justice.

Le choix, d’ailleurs, semble s’être limité primitivement aux scènes de l’Ancien Testament. L’époque ogivale, au contraire,

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glorifia volontiers l’Annonciation, la Nativité et toutes les scènes interviendra la mère de Dieu.

A bien examiner les choses, c’est la conséquence du thème admis. Après l’affirmation du principe de justice, il convenait d’enseigner le respect, la protection due au faible, dont la personnification la plus pure est la femme.

Si la proclamation de ces deux principes n’était pas sans péril et allait à l’encontre des usages reçus, au milieu d’une société très peu sensible aux idées abstraites, alors que la seule loi reconnue était celle du plus fort, la femme n’était con¬ sidérée que comme un être inférieur, il faut d’autant plus louer la sagacité, l’esprit d’indépendance de ces premiers éducateurs.

A côté de ces idées dominantes, mais sans avoir leur impor¬ tance, le thème décoratif comporte l’exaltation de la charité et de l’esprit de sacrifice.

Dès lors, le choix des sujets devient assez vaste. On puisera indifféremment dans l’Ancien et le Nouveau Testament; et, à l’époque ogivale, les nombreuses chapelles rayonnantes des églises suffiront à peine pour glorifier ces vertus.

Est-il besoin de faire remarquer encore la logique de cet enseignement qui imposait l’affirmation de la justice, la pro¬ tection du faible, la nécessité de l’esprit de charité, de sacrifice, et venait corriger ainsi les inégalités inhérentes à ces temps?

Le rôle éducateur de la décoration monumentale historiée ayant été admis, les thèmes et moyens d’expression adoptés, il restait à trouver les règles d’application.

Nous avons pu admettre que les premiers essais avaient été dirigés vers la décoration purement architectonique. Si un système complet de polychromie peut être esquissé d’après les motifs et fragments existant encore, les conclusions qu’on pourra en déduire affirmeront le complet accord de l’architecte et du peintre. Nous voulons entendre par que la peinture n’a pas régné exclusivement dans les monuments, qu’elle a coopéré à leur décoration, mais n’a pas absorbé l’attention au point d’en faire un prétexte à polychromie.

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Ce rôle n’est d’ailleurs pas sans grandeur, sans danger.

Si une certaine hésitation a pu se produire de nos jours, quant au principe de la polychromie totale ou partielle des monuments, cette hésitation doit s’être fait sentir également en ces temps. Mais nous croyons que le problème a été tôt résolu. Nous nous référons à ce fait que l’on suspendait temporaire¬ ment des tapisseries dans les églises romanes, ce qui excluait indiscutablement, pour ces temples, l’idée d’une polychromie générale.

Comme pour les monuments primitifs, le complément indis¬ pensable de cette décoration fut la pose de plans de couleur sur les parties essentielles de l’ossature. On obtenait une déco¬ ration d’ensemble lors des grandes fêtes et l’harmonie en temps ordinaire se trouvait établie par la coloration naturelle des matériaux, avivés par ces touches de polychromies ou par la pose d’un ton plat sur les parois exceptionnellement recou¬ vertes de tapisseries.

Nous devons ajouter ici que la distribution de la lumière dans les édifices romans ne permettait pas l’emploi de sculptures à larges saillies, qui, accrochant les rayons solaires, auraient projeté des ombres trop étendues.

La sculpture a appliqué le principe qui réussit si merveil¬ leusement aux artistes des bords de l’Euphrate : elle multiplia ces plates-bandes à réseaux intaillés dont la peinture venait aviver les fonds par de chauds coloriages.

Si la concordance de l’art de la sculpture ou de la peinture est si difficile à obtenir, il y a lieu de constater que l’art monu¬ mental roman a été bien près de la réaliser.

Le système de l’emploi simultané de la peinture et des matériaux apparents s’est trouvé singulièrement adéquat aux nécessités de lieu, de climat et d’atmosphère de notre pays. Que cette décoration se soit étendue, soit devenue plus riche, plus variée, ait fait appel à des éléments plus compli¬ qués : tels les applicages de stucs ou d’autres enduits, nous sommes prêt à l’admettre, surtout si l’on considère que la peinture historiée était devenue peu à peu prépondérante, les

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tapisseries n’étant plus utilisées que comme décoration de stalles, bancs et autres objets mobiliers.

Mais les principes primordiaux ne pouvaient pas moins se résumer dans le parfait accord de la sculpture et de la pein¬ ture subordonné à l’expression architecturale; ils ont été respectés et admis dans la conception de l’art ogival.

Nous pouvons même induire de cette méthode de coloriage des intailles à une espèce de simple linéament, en divers tons, pour les premières compositions historiées; d’autant plus qu’il faut les supposer encadrées par une série de filets les réseaux et figures géométriques trouvaient à s’intercaler. Ce furent de véritables camaïeux ou, plus exactement, des tracés dont toute la force d’expression se trouvait dans le dessin, le goût et surtout l’idée

Différents vestiges permettent de nous faire apprécier ce parti pris.

La coloration, faite de rouge jaunâtre, de jaune et de blanc, devait avoir des points de ressemblance avec la tonalité des manuscrits. Elle devait s’harmoniser avec les matériaux, en ce sens qu’elle en admettait, par endroit, le rappel; alors qu’à son tour, elle intervenait dans les sculptures.

Progressivement, l’évolution du sens des couleurs s’accen¬ tuant, la somme de tons s’est accrue et les valeurs ont suivi une marche ascendante.

L’art architectural ogival devait d’ailleurs amener une refonte complète de la tonalité.

Les grandes baies, aux verrières multicolores, modifiant du tout au tout les conditions optiques, eurent comme consé¬ quence de faire adopter une gamme colorique plus riche, plus variée et plus soutenue. Mais si la couleur intervint plus riche¬ ment, si le dessin fut plus libre, plus expressif, si les sujets furent plus variés, on ne perdit pas de vue, tout au moins à l’origine, le caractère, le rôle éducatif de la peinture monu¬ mentale.

On peut avancer que nos églises ogivales aient été des lieux d’enseignement par excellence, et la marche évolutive, que

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nous avons indiquée quant aux sujets, a produit, au moment l’art pictural monumental fut à son apogée, le thème le plus complet, le plus propre à propager dans l’humanité les idées de justice, d’amour du prochain et de sacrifice.

Que l’on nous permette de faire remarquer ici la sagacité, la clairvoyance de ces éducateurs, qui ne reculèrent pas devant l’élaboration d’un programme théorique et pratique, devant la création de règles esthétiques pour inculquer aux populations les vertus primordiales, sachant que rien ne frappe mieux les intelligences que faction figurative. Six siècles plus tard, on aura encore recours à ces principes, à ces leçons, pour com¬ battre le vice du jour.

Les principes esthétiques de la peinture murale ont-ils subi des modifications profondes pendant la période ogivale?

Nous ne le croyons pas, abstraction faite de la liberté dans le dessin et de la richesse de coloris.

L’art pictural roman, après des tâtonnements, des essais qui ont échappé nécessairement à nos investigations, a réussi à élaborer, à appliquer une théorie, un ensemble d’enseigne¬ ments pratiques qui ont pu subir certaines modifications de détails, mais dont l’héritage a passé presque intact à l’art ogival.

Si nous recherchons la cause de cette adaption pour ainsi dire intégrale, alors que nous pouvons constater que la nais¬ sance d’un style nouveau amène la répudiation des principes de celui qu’il remplace, nous ne la trouvons que dans la par¬ faite soumission des arts décoratifs : peinture, sculpture, tapisserie, aux nécessités monumentales, au respect des lignes architecturales.

En effet, si, malheureusement, il n’existe plus dans notre pays de monument roman dont les peintures puissent donner une représentation complète du système adopté, les vestiges relevés en permettront une reconstitution théorique. Ce mode, chose curieuse, est en parfait accord avec les enseignements des peuples dont la civilisation a précédé les premières mani¬ festations de notre art.

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Faut-il en conclure à une imitation? Non, loin de là. Il ne faut y voir que la déduction logique de principes longuement mûris.

La décoration picturale ogivale se renferma donc dans les limites que lui assigna son rôle. Elle ne voulut pas prendre une place prépondérante, annihiler l’expression architecto¬ nique du monument, ne voulut tendre à une imitation de la nature et n’envisagea point la possibilité de créer d’illusoires effets de réalisme. Elle ne répudia même pas le symbolisme de sa devancière, se contentant de le compléter.

Que si nous pouvons nous exprimer ainsi, elle développa et fixa les données de la peinture architectonique. Le sujet seul la préoccupa. Elle tendit de tous ses efforts à le rendre saisis¬ sant et concret en ses formules expressives. L’action, le mou¬ vement fut subordonné aux formes architecturales. La couleur même se ressentit de cette préoccupation et dut se plier, ainsi que l’anatomie ou la figuration d’objets secondaires, à la loi des sacrifices, sans lesquels la peinture monumentale déchoit de sa grandeur et perd toute force expressive.

Que des inégalités de dessins, de proportions ou de couleur soient à relever dans les peintures monumentales, ce n’est pas à contester, mais elles découlent de la conception de cet art qui ne peut, tout comme la peinture verrière, vivre sans ses compléments naturels.

La peinture monumentale est un art d’interprétation, non de copie; un art parlant à l’intelligence qu’il sollicite à la réflexion, à l’observation.

Si un certain hiératisme, que d’aucuns n’ont pas craint de taxer d’ignorance, s’observe dans ces compositions, cet hiéra¬ tisme même est d’ordre plus expressif en art monumental parce que les formes en sont plus dégagées d’humanité. Encore, que la recherche, le souci absolu de la perfection des lignes réelles compromettrait, en certains cas, la pondération et la sévère majesté des lignes de composition destinées à montrer un ensemble dont aucun élément ne peut être

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distrait. Toutefois, il convient de remarquer la science dont le peintre du moyen âge fit preuve en cette occasion.

Si nous admirons l’art monumental des peuples de l’anti¬ quité, qu’il s’agisse des bas-reliefs de l’Assyrie ou des intailles de l’Egypte prévaut le souci de style, de même nous pou¬ vons nous glorifier d’un art tout d’intel lectualité.

La période ogivale touchant à sa fin, des transformations s’annoncèrent. Les sujets de petites dimensions tendirent à devenir prépondérants, amenant nécessairement une esthé¬ tique nouvelle, les principes de sévérité, de majestueuse ampleur ne trouvaient plus à s’exercer.

La recherche du réalisme dans le détail, la profusion des ornementations, l’introduction du paysage entraînant l’emploi de la perspective, l’éparpillement de différentes scènes dans une composition étaient autant d’éléments d’incompatibilité et devaient à bref délai provoquer la déchéance de la peinture monumentale.

Non que nous n’ayons à glaner de fort belles choses dans cet art de transition, mais elles relèvent plutôt d’un art tenant le milieu entre la polychromie monumentale et la peinture de chevalet.

Bien qu’exécutées sur le mur, il ne nous sera donné de relever certaines de ces peintures dont la composition, l’éclairage, l’expression, le fini dans le détail, le coloris et le dessin constituent bien plutôt des peintures ordinaires.

Quand da Renaissance viendra implanter victorieusement ses conceptions, le peintre aura oublié les principes de la grande décoration. Ses compositions de vastes dimensions ne seront autre chose que de belles œuvres de peintures, nous le reconnaissons volontiers, le souci du dessin, de l’ana¬ tomie, de la perspective, de la réalité dans le paysage sera poussé au suprême degré, mais ne vibrera plus l’âme du peuple, parce que derrière cette décoration si somptueuse, si parfaite, si humaine, ne se trouvera aucun de ces principes qui transforment les esprits.

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Le style.

La définition du style dans les polychromies monumen¬ tales, c’est-à-dire dans la peinture primitive par excellence, est peut-être la question la plus délicate, celle qui prête le plus à des controverses.

La polychromie monumentale si elle a produit des œuvres de quelque importance esthétique n’a pas, ne peut pas avoir de style, parce qu’elle repose sur des données imposées, qu’elle n’a pas évolué progressivement en s’appuyant sur la nature : telle est la thèse de certains adversaires.

Mais ces théoriciens semblent oublier que le style ne s’appuie pas exclusivement sur la copie de la matière, sur la perfection d’imitation d’un beau corps humain. est en réalité tout le débat, car les dénigrements ne s’attaquent qu’à cette partie de l’art.

Le style a pourtant une autre face, qui n’est pas moins expressive, moins importante.

Que les Grecs aient longtemps pratiqué le culte exclusif de la beauté des formes, cela répondait à leur caractère, épris de la splendeur physique, c’était en quelque sorte un besoin pour eux de rendre ainsi hommage à la beauté, et toute leur éduca¬ tion tendait à ce but. Tout effort, toute tentative pour se rap¬ procher du modèle était le terme assigné à l’artiste, et la généralisation du type, bien plutôt que l’individualisation, fut le produit de cette conception. L’art grec, de l’époque de Phidias, obéissait donc aussi à des impulsions parfaitement imposées. Ce ne fut que plus tard qu’il se départit de cette sérénité suprême au profit d’une représentation plus expres¬ sive des passions humaines.

Cette métamorphose a-t-elle toujours coïncidé avec la per¬ fection première des formes?

Nul n’osera l’affirmer. Car une conception destinée à frap¬ per l’imagination doit nécessairement sacrifier au but à atteindre.

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D’ailleurs, si l’on admet la théorie d’art qui consiste à ne tolérer ses manifestations qu’en tant qu’elles s’appuient sur la copie la plus parfaite que possible de la nature, on retranche du cycle de ses applications tous les arts n’inter¬ vient pas la couleur, seule la peinture polychrome sera admise, parce qu’elle se rapproche le plus du monde réel. La conclu¬ sion fera sourire; pourtant, elle est logique, car un bas-relief, une gravure ne nous donne qu’une image imparfaite de la nature; c’est à notre imagination à compléter l’œuvre de l’artiste.

Il se produit donc le même phénomène que lors de l’appré¬ ciation d’une peinture murale. De même que le bas-relief est impuissant à rendre l’ambiance de l’atmosphère, la perspec¬ tive, la couleur, le détail des corps secondaires, de même la peinture monumentale doit faire abstraction de ces divers élé¬ ments pour se borner au tracé expressif. Pourtant, l’art du haut-relief est parvenu à nous impressionner vivement en n’utilisant que les éléments primaires de l’art figuratif. Nous n’avons qu’à nous souvenir des œuvres égyptiennes, assy¬ riennes, etc., pour être frappé des similitudes qu’elles offrent avec nos œuvres picturales. Ce n’est donc pas la copie inté¬ grale, servile de la matière qui constitue l’œuvre d’art. C’est le génie de l'interprétation, de l’adaptation, qu’il faut considérer dans les œuvres monumentales, car elles créent ce caractère particulier et distinct : le style.

Peut-il suffire d’interpréter d’une manière déterminée, en s’astreignant à l’observation de certaines règles, les formes et les corps que la nature offre à nos sens pour créer ou ressus¬ citer un style ?

Les tentatives des derniers siècles, surtout les essais infruc¬ tueux de l’époque moderne, ont démontré surabondamment l’inanité de théories esthétiques ne reposant que sur les seules données d’une imitation purement matérielle. Ainsi, les tenta¬ tives de pasticher les œuvres de peinture du moyen âge ont pu offrir plus ou moins d’intérêt selon que l’auteur eut saisi ou

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Tome LXI. e

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compris le parti pris, le dessin ou la couleur des modèles; mais il n’est pas téméraire de dire que la très grande partie de cette production n’a que des rapports éloignés avec l’art.

N’est-ce point précisément parce que l’habitude de penser s’est perdue, parce que l’idéal battu en brèche par des théories aussi creuses que brillantes a disparu, parce que de nos jours renseignement matériel doit suffire à tous les besoins, quenous constatons cette situation?

Quand existait l’habitude de s’inspirer aux pures sources des dogmes ou des croyances; quand les symboles offraient à la faculté créatrice de l’homme un vaste champ d’application; quand les cieux, les arbres, les plantes, hêtre lui-même furent synthétisés en vue de concourir à l’expression idéale; quand cette doctrine s’appuyait sur un enseignement dont tout l’effort portait vers la perfection intellectuelle, le style, cette chose inconnue de nos jours, imprégnait les œuvres et régnait en maître.

Prétendrons-nous que le dessin fut impeccable? Que la synthétisation des formes mena droit au grand art?

Nous nous en garderons. Mais ce que nous soutenons, c’est que les œuvres monumentales des artistes modernes ne réus¬ sissent ni à nous émouvoir ni à nous impressionner, parce qu’elles n’ont ni la simplicité ni la naïveté primesautière des artistes anciens qui faisaient abstraction de leur personne, résumaient leurs aspirations, leurs croyances, ennoblis¬ saient, par la stylisation, les éléments les plus rebelles.

La foi, la lutte pour l’idéal, la glorification d’un principe inspirent à l’artiste les œuvres les plus heureuses.

L’art du moyen âge s’abreuva à ces sources, et dans les cadres monumentaux des édifices il déroula son effort, résuma, abrégea, élimina tout ce qui eût pu le faire dévier de sa doctrine.

L’homme, au milieu de cette nature simplifiée, n’est pas une copie banale; il est plus : il est l’idée. Et la préoccu¬ pation de donner la première place à cette abstraction domine le moyen âge.

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Le goût. L'expression. La décoration.

L esthétique.

Si nous examinons la faculté d’impressionnabilité qui se dégage de la peinture monumentale, nous pouvons nous con¬ vaincre qu’elle se résume jusqu’à une certaine limite dans la parfaite logique de la fusion, de la forme et de l’idée.

Ces principes étaient d’ailleurs la base de tout l’enseigne¬ ment. Une forme qui ne répondait pas à une idée ou à un besoin, était considérée comme dénuée de ce qu’on appellerait aujourd’hui le goût.

Non que la peinture obéissait à d’étroites formules apprises et appliquées en toutes circonstances ; au contraire, elle s’écar¬ tait volontiers des redites si difficiles à éviter, alors qu’au commencement, le cycle de ses sujets ne fut pas très étendu.

Elle s’inspirait avant tout des nécessités décoratives du monument, de son exposition, de son éclairage et de la com¬ paraison des divers éléments dont se composaient les surfaces qu’il s’agissait de faire coopérer à l’expression générale.

Le goût résultait donc d’un effort intellectuel, d’une faculté d’analyse que possédaient, à un degré très vif, les artistes anciens.

De cette analyse, de cette compréhension intime des rap¬ ports de la somme d’expression décorative qui forme le par¬ tage des lignes achitecturales et des reliefs sculpturaux, combinée avec la valeur polychrome, dépend le caractère de l’œuvre picturale.

Que la compréhension ait été incomplète, que l’artiste ait négligé un élément d’appréciation, que cette espèce d’illumi¬ nation intérieure, si nécessaire, lui fasse défaut, non seu¬ lement son œuvre personnelle en souffrira, mais la conception monumentale tout entière manquera de pondération. Par conséquent, elle ne possédera plus le don d’émouvoir.

Si le praticien étudiait jusqu’en ces derniers détails le côté décoratif des compositions, il se préoccupait davantage du côté expressif, convaincu que si l’i ntellectualité du sujet pouvait se résumer en quelques lignes essentielles, l’émotion en serait plus forte, et l’œuvre, par son ampleur, ne risquerait pas d’écraser une partie du monument. Le goût qui présidait à la conception décorative procédait donc par élimination.

Cette recherche n’a même pas hésité devant le sacrifice. Telle forme, telle attitude prise en elle-même péchera par défaut de proportions, de sens de beauté, de grâce ou d’élégance; tandis que, partie intégrante de la composition, ces défauts dispa¬ raîtront dans la formule générale.

Nous serions même tenté d’aller plus loin et de dire : que si les lois de la couleur, de la plastique ou de l’optique subis¬ sent des flexions, de même l’art du dessinateur monumental doit s’astreindre à des sacrifices si ceux-ci doivent renforcer le côté expressif de la composition.

Tracer les règles, déterminer les théories qui ont guidé les applications est impossible et surtout inutile, parce qu’elles dépendent non de causes fixes, mais dérivent des nécessités monumentales. D’autre part, elles doivent s’inspirer unique¬ ment de ce principe : Qu’une œuvre monumentale peut être dépourvue des qualités que nous exigeons en général dans un tableau, du moment que l’émotion qu’elle est destinée à pro¬ duire se manifeste. Or, cette émotion ne peut se condenser en règles théoriques; elle est le fait de l’impressionnabilité de l’artiste, de sa sagacité de faire la part de divers éléments essentiels devant coopérer â l’ensemble, surtout de la sensi¬ bilité de ses sens esthétiques.

Pour arriver à une théorie complète, la recherche, l’effort vers un dessin synthétisé, doit se parfaire par la sobriété de la gamme coloriste. La multiplicité, le trop grand nombre de nuances intermédiaires ne peut s’accorder d’une simplification du dessin : il doit y avoir entente complète, intime.

L’art ancien a réalisé cette union. Les compositions les plus importantes montrent des tonalités franches, mais ne rivali-

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sent en aucune manière avec la vivacité des couleurs accen¬ tuant les parties constitutives du monument.

L’esprit logique des anciens se manifestait encore de façon indiscutable en affirmant les principes esthétiques, l’accord des arts décoratifs avec l’architecture. A celle-ci, l’intense valeur monumentale; aux autres, la sensibilité expressive.

La polychromie monumentale intérieure à l’époque

romane.

Théophile, humble prêtre, serviteur des serviteurs de Dieu, indigne du nom et de la profession de moine, à tous ceux qui veullent éviter ou dompter la paresse de l’esprit et l’égarement du cœur, en se livrant à i’utiiité d’une occupation manuelle et à la douce méditation des choses nouvelles, je souhaite une récompense d’un prix céleste!

Schedula diuersarum artium.

Un sentiment de crainte, une hésitation fait trembler notre plume en traçant ces paroles en tête de cette partie de notre Essai. Elles sont comme le testament des choses passées, comme la promesse des temps de liberté et d'idéal, comme le gage d’amour et de paix; elles tracent le devoir, affirment le passé, indiquent l’avenir.

En effet, à l’inverse de l’art de nos temps, les manifesta¬ tions plastiques de l’époque romane comportent la révélation de l’état des civilisations mortes et des aspirations vers une vie plus libre, vers des horizons plus larges. C’est la liquidation de l’ordre de choses disparues, le recueillement plein de pro¬ messes, la lutte entre la tradition antique et l’esprit nouveau. De ces antagonismes surgit un enseignement, et l’hésitation, la crainte nous saisit de ne pouvoir suffisamment dégager les principes et les méthodes, les terreurs et les espoirs que révèle l’art roman.

Terreur, espoir : telle est bien la caractéristique morale de l’art roman. Car, si un contemporain a pu dire « que le monde

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se secouait pour dépouiller sa vieillesse et revêtir une robe blanche d’églises », n’oublions point que l’humanité fut guidée par un sentiment de reconnaissance et d’amour.

Oui, les basiliques romanes, dont plusieurs, fières encore, se dressent devant nos yeux, nous enseignent la gratitude des peuples, alors qu’au milieu des éléments déchaînés sévissait l’horrible famine, que la peste exterminatrice promenait son feu et laissait des cadavres jusqu’aux portes des lieux saints, vieillards, femmes et enfants, nus, décharnés, livides, tendaient leurs mains dans une supplication suprême.

Mais, malgré les désastres accumulés, il était naturel qu’un hymne d’espoir retentît dans l’humanité. L’art pictural s’em¬ para, s’imprégna de ces idées et montra, dominant les grandes scènes des premiers temps du christianisme, l’austère mais consolante figure du Souverain Juge.

L’art roman s’appuya sur l’idéal et vécu d’humanité. Il tendit à rendre l’essor â la pensée et plia la forme à son expression.

Profondément croyants, s’inspirant uniquement des dogmes chrétiens, les artistes romans, émus au récit des souffrances de la Vierge, malgré le degré d’infériorité dans lequel les mœurs du temps tenaient la femme, se trouvèrent angoissés des tortures de la crucifixion dans laquelle des générations entières voyaient comme l’image de leurs propres souffrances.

Si l’impression que nous ressentons à la vue d’une peinture romane représentant le Christ en croix est si profonde, si douloureuse, alors qu’elle manque esthétiquement des éléments dont l’art peut l’embellir ou l’envelopper, éléments tenant une si grande place dans la pratique moderne, cette impression provient, non d’une recherche raffinée, mais de la sensation de douleur que ressentaient et savaient exprimer ces cœurs primitifs et simples. L’absence même de symboles ou de figures secondaires, tendant à donner à la composition un caractère surnaturel, marque que les artistes romans consi¬ déraient le drame du Calvaire comme un épisode d’ordre purement humain et dont le principe inspiratif, la souffrance

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morale et matérielle, s’imposait à leur intelligence et faisait frissonner leur chair.

Ils souffraient des guerres, des famines, des inondations, de la « mort noire » et identifiaient leurs tortures avec celles du Christ, et l’espoir de la justice éternelle ranimait leur courage.

Il convient de remarquer que, pour s’inspirer de la douleur humaine, les créateurs romans ont su la dépouiller de motifs qui eussent pu compromettre le but vers lequel ils tendaient. Ainsi, le Christ, la Vierge, saint Jean seront l’expression la plus élevée de la souffrance humaine, sans que les affres de l’agonie du Christ ou les spasmes douloureux de la Vierge affectent des allures contorsionnées, théâtrales, ou qu’un inutile étalage de sang vienne enlever à la composition sa grandeur et sa force.

L’artiste a toutefois appuyé sur l’idée de la grâce en faisant jaillir des plaies les gerbes symboliques. Cette constatation est d’autant plus importante que nous avons pu assister, dans la suite, à un développement inverse; le procédé, la pratique, s’appuyant sur les ressources d’un art plus manuel qu’intellec¬ tuel, prendra la place de l’art purement expressif et devra suppléer à l’absence de ce facteur important par l’adjonction d’éléments naturalistes.

Mais si la source a pu momentanément perdre de sa lim¬ pidité ou même se tarir, nous croyons que l’école flamande doit aux primitives peintures romanes une grande partie des dons d’observation qui l’ont caractérisée dans la suite et que l’on ne retrouve que partiellement dans les autres écoles dont les prémices n’ont pas la puissance de charme et de vérité qui s’exhalent de nos œuvres.

À ce propos, nous tenons à spécifier que nous avons entre¬ pris cet Essai dans l’idée de contribuer à fixer les principes de l’art roman monumental en notre pays et d’y rattacher notre école de peinture. Notre exposition ne s’applique pas intégralement aux polychromies allemandes, françaises, ita¬ liennes, car notre art s’écarte, sinon par ses grandes lignes ou son dispositif général, tout au moins par des qualités d’obser-

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vation ou de coloris, des enseignements de ses grandes rivales.

Ainsi, la conception du personnage divin dans le Souverain Juge, qui domine et resplendit dans les conques des absides des basiliques romanes, allemandes, françaises ou italiennes, diffère essentiellement du concept flamand.

Faisons abstraction de la couleur, du dessin et bornons le parallèle à la conception intellectuelle de ce sujet primordial qui résume notre seconde proposition : l’espoir. C’est de ce sentiment que s’imprègnent les types de nos Salvator mundi ou de nos Souverain Juge; soit que, la main levée, bénissante ils semblent fouiller de leurs yeux bleus et limpides les profon¬ deurs du temple; soit qu’armés du glaive, dans l’attitude calme et méditative de la justice suprême, le regard perdu dans les cieux, toujours un sentiment de pitié, de commisé¬ ration, de mansuétude, éclaire leur visage, un sourire de bonté erre sur leurs lèvres.

Elle est saisissante, cette expression ; elle fascine, elle émeut. Nous savons bien qu’analysées de près, les lignes de ces phy¬ sionomies ne sont point classiques, que l’ostéologie de ces crânes n’est pas impeccable! Qu’importe, l’art monumental, c’est-à-dire purement expressif, a atteint son but. Il nous a émus et n’a point détruit l’harmonie des lignes architecturales. A notre art, il n’a fallu que cette seule donnée pour produire ces sensations; tandis que sous d’autres cieux, nous avons vu intervenir, dans la composition de pages semblables, des motifs d’ordre divers et, chose curieuse, presque tous empruntés ou basés sur les emblèmes du désespoir et du châtiment.

Nos artistes ont donc su imprimer à leurs créations un caractère de douceur et de simplicité qu’on pourrait s’étonner de trouver dans des régions qui n’avaient pas, comme certains pays voisins, des relations continuelles avec les centres de civilisation. Il faut en conclure que le goût et le sens de la perfection fussent arrivés déjà à un degré de sensibilité qui permit des audaces et des innovations.

Ces nuances sont peut-être moins sensibles ou apparentes

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dans les enluminures des manuscrits: ce qui peut s'expliquer par ce fait que l’enlumineur travaillait sous l’inspiration directe du modèle, avec les mêmes outils et dans un but iden¬ tique; tandis que le décorateur devait tendre plutôt à une assimilation que le travail de transposition, de mise au point architectonique et d’harmonisation développait progressive¬ ment. Encore qu’il convient de remarquer que les artistes romans surent dès lors garder leur originalité, malgré le mariage de la grecque Théophano avec l’empereur Othon II, qui provoqua un fort courant d’art essentiellement byzantin.

Le thème iconographique que nous venons d’indiquer et dont l’inspiration dominante fut l’espérance, se complétait admirablement par le choix des scènes secondaires.

Ainsi, Y Arbre de Jessé figurant la royauté du Christ et aussi son esprit d’humilité décorera l’arc triomphal église d'Has- tière-par-Delà ; la flagellation, le couronnement d’épines, etc., fournissent les petites scènes des parties pleines église d’Alden-Eyck ; des arcs de la nef. Les grandes surfaces furent réservées aux épisodes de l’Ancien Testament, de pré¬ férence à ceux évoquant la Résurrection des morts, telle la Fille de Jaïre, etc.

Ces choix ne furent pourtant pas exclusifs. La cathédrale de Tournai nous offre de beaux spécimens de peinture romane dont le sujet se rapporte à la glorification de sainte Marguerite. La chapelle des comtes de Hainaut, à Mons, nous montre éga¬ lement un sujet rentrant dans cette catégorie. D’autres motifs encore peuvent se réclamer de cette conception. Mais en prin¬ cipe et dans l’idée des créateurs du temple roman, nous appuyons sur le mot créateur en ce sens que l’élaboration complète du temple lui était dévolue, les sujets étaient et devaient être tirés exclusivement des faits de l’ancienne alliance; par extension on y adjoignit des épisodes du Nouveau Testa¬ ment.

De fait, il ne pouvait en être autrement; car si le principe de la décoration légendaire finit par triompher des résistances, si les adversaires de l’image s’inclinèrent devant les résolutions

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du Concile de Nicée condamnant les iconoclastes, ce fut pour adopter et appliquer les enseignements du grand pape saint Grégoire.

La doctrine fut strictement suivie, aucun élément étranger n’y trouva place. Les peintures romanes n’admirent point la présence des donateurs, pas même à titre secondaire et de proportions réduites. Aucun signe, aucune inscription profane ne vint altérer leur unité.

Généralement on divisait les grandes parois en une série de zones horizontales séparées par un listel légèrement orné; le bas des compositions était ordinairement enrichi de draperies.

Cette décoration se complétait souvent d’arcatures, de pignons et de dais, particulièrement dans les parties de l'éditice ne comportant qu’une zone de composition ou affectant le mode processionnel.

Vers la tin de la période romane, la partie inférieure du chœur représentait souvent les apôtres, les évangélistes, les prophètes, le Précurseur dans les arcatures curieusement agencées, surmontées d'une frise les médaillons légendaires alternent avec les figures des sybilles, des motifs ornementaux églises de Tongres et d'inscriptions prophétiques.

11 convient de remarquer que les artistes romans semblent avoir évité de choisir les scènes la présence de l'enfant était nécessaire, et quand elle s'imposait, le décorateur nous légua un type dépourvu de grâce et d’une naïveté de dessin dénotant bien des hésitations.

De la même époque date, semble-t-il, l'usage de peindre les apôtres sur les colonnes de la grande nef.

Si nous possédons quelques spécimens de décoration de voûtes pouvant se réclamer de la tradition romane, ils ornent des monuments de la période ogivale, et nous devons rattacher leur composition bien plutôt â l’inspiration de l’enluminure qu’â la peinture monumentale.

De fait, ces décorations n'appartiennent pasâ l’art roman, car elles furent inapplicables aux voûtes romanes, ni â l'art ogival qui créa des floraisons adéquates au système de construction.

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L’église collégiale de Huy offre, en certaines parties, de curieux documents renseignant sur le goût de ce genre de polychromies.

Les porches romans, qui en d autres pays frappent les pas¬ sants par les visions de l’Apocalypse, n’existant malheureuse¬ ment plus en notre pays, nous sommes réduit aux conjec¬ tures.

Des fragments, à peine lisibles, nous ont convaincu que les tympans des portes reçurent des peintures légendaires ou même purement décoratives, comme nous avons pu nous en rendre compte dans la partie de notre Essai qui traite de la polychromie extérieure.

La pensée qui a conçu, qui a guidé, la pratique qui a pré¬ sidé à l’exécution de la polychromie architectonique, s’inspi¬ rait de ce principe primordial que, pour être expressive et s’identifier avec le monument qu’elle est appelée à achever, elle devait borner ses efforts à l’observation du geste.

Le clair-obscur, la perspective aérienne ou linéaire, l’obser¬ vance des proportions exactes, même celle des couleurs, tout, jusqu’aux fonds historiés, fut sacrifié, et le dessin fut ramené à une énonciation hiératique, sans doute, puisqu’il inspirait des Byzantins, mais suffisamment expressif pour ne rien devoir à la routine.

Par suite de quels efforts ou de quelles suggestions le dessin s’est-il inspiré des meilleurs modèles des Grecs? Les vases étrusques ont-ils fourni le canevas vainement cherché jus¬ qu’alors? Les sgra/fiti ont-ils pu exercer une influence quel¬ conque? Nous ne le savons. Mais il est indéniable que les figures le plus simplement traitées en linéaments bistrés possèdent une allure, une ampleur majestueuse église de Lelle - qui devait s’accorder fort bien avec la sévérité de ton de la couverture de bois.

11 est hors conteste que le dessin décoratif a obéi à d’autres impulsions que celles résultant de la vulgaire traduction d’enluminures.

Souvent apparaît, au travers des inexpériences, des hésita-

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tions, le souci des combinaisons réalistes et de réminiscences antiques.

Certaines têtes, surtout, impressionnent par leur régularité expressive que l’on peut croire avoir été étudiée sur nature, abbaye de Saint-Bavon, à Gand, tout en se rapprochant des primitifs Grecs.

Malgré que le dessin des yeux soit généralement fautif, on ne peut refuser à certains masques le don d’exprimer les sen-

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timents dont sont animés les acteurs. Ainsi, la douleur, la douceur, la compassion, l’innocence se traduisent parfaite¬ ment; tandis que l’épouvante, la colère ou l’identification des vices trouvent leurs caractéristiques.

Nous ferons remarquer, à ce propos, que ces qualités révèlent un art avancé, riche de l’esprit d’observation.

Il serait curieux de mettre en parallèle les masques d’acteurs des belles époques de l’art antique avec les têtes d’expressions de l’époque romane. L’inspiration est la même.

Nous croyons que la conclusion qui s’imposerait serait en faveur de la thèse subordonnant l’expression à la régularité purement plastique ; thèse que s’assimilaient les Romans et les Gothiques dans leurs polychromies décoratives.

Les mêmes éloges ne peuvent être accordés au dessin des mains et des pieds dont la structure anatomique semble avoir été pour les artistes romans une véritable énigme encore obscurcie par le problème de la perspective et du raccourci.

Cette défaillance pèsera longtemps sur le dessin roman. Tel personnage, dont l’attitude ou le geste frappera par la correc¬ tion et l’intimité expressive, verra diminuer singulièrement l’effet produit par l’outrageante position qu’occupent ses pieds.

Quoique le dessin des mains échappe un peu moins à ces critiques, encore faut-il déplorer leur manque de proportions qui s’étendait à la généralité des choses reproduites.

La connaissance des lois des proportions humaines semble avoir échappé à la compréhension de ceux qui, sur le terrain de la construction architecturale, ne se permettaient ni une faute ni une erreur.

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L’art roman pictural est redevable de cette erreur à ces pré¬ mices byzantines qui exagérèrent la sveltesse si élégante, si pleine de grâce des belles époques de l’art et que la Renais¬ sance évoqua avec moins de simplicité.

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11 faut croire qu’induits en erreur, les artistes ne surent se ressaisir en consultant la nature, car ils persistèrent jusqu’à la fin dans la création de ces types longs, émaciés, aux têtes trop petites, aux extrémités disproportionnées. Pourtant, ils avaient souvent su s’affranchir de l’hiératisme et de la raideur byzan¬ tine. L’indication des plis des draperies parfois collantes sur certains membres démontre que des préoccupations vers des connaissances anatomiques hantaient leurs esprits.

Que si la représentation de la nudité humaine n’eût point découragé leurs efforts, il convient d’attribuer leurs empêche¬ ments bien plutôt à la conception intellectuelle d’un art supé¬ rieur qu’à une incapacité pratique.

Le dessin tout archaïque des Crucifixions démontre la ten¬ dance à l’épuration matérielle; tandis que dans les scènes de la vie profane, les artistes ont montré une outrance assez réa¬ liste des formes humaines église collégiale de Tongres.

Nous sommes tenté de croire qu’ils voulurent exprimer ainsi l’antithèse existant entre l’essence divine et la nature humaine. Encore pouvons -nous voir que la nudité, en dehors de certaines Crucifixions, n’est admise que dans la Résurrection; c’est le symbole que l’on a voulu indiquer.

Remarquons que la reproduction des êtres appartenant au règne animal fut très étudiée, comme le furent aussi les formes humaines dont étaient révêtues les images se réclamant des cycles mythiques.

D’ailleurs, il semble que les chroniques ou les lettres du temps soient muettes sur la question de la nudité des formes. Nous croyons que l’ignorance de la structure humaine ne fut pas si complète qu’il paraît ressortir de l’étude de quelques types. Ainsi, le jet de certaines parties de draperies, malgré leurs anguleuses raideurs, révèle parfois une somme de recon¬ naissance que l’hiératisme des plis s’efforce précisément de voiler.

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Telle figure romane, juste de mouvement, de proportion, d’attitude, d’expression, et dont vous aurez, dans votre esprit, modifié les angles disgracieux des draperies, vous apparaîtra raisonnablement construite surtout en vue de sa fonction purement décorative.

Mais ne faut-il pas attribuer à une autre cause cet élégant hié¬ ratisme, qu’on retrouve si généralement dans les compositions romanes? N’est-il pas permis de croire que, comme tous les peuples jeunes, nos ancêtres possédaient des statues somp¬ tueusement habillées? Seule déjà, la richesse de ces habille- lements nous fortifie dans nos suppositions ; car, à de rares exceptions, les personnages romans se parent, à l’égal des puissants de la terre, de luxueuses étoffes brodées d’or et de pierreries : ce sont les caractéristiques des statues de divinités chez tous les peuples anciens.

L’artiste pouvait donc s’inspirer de la nature pour la con¬ struction anatomique. Les plis des draperies lui furent indi¬ qués par ces effigies habillées. De tout temps d’ailleurs, les voiles furent considérés comme des attributs de dignité. Ce ne fut que bien tard qu’on songea, dans nos contrées, à opposer à l’imitation de la Grèce l’humanité drapée à la nudité des êtres célestes.

On peut supposer à ce sujet une certaine hérédité de peuple à peuple. Si nous constatons dans nos œuvres de curieuses réminiscences antiques, nous devons admettre qu’à travers les temps, la coutume des statues habillées n’a pas subi d’éclipse.

L’Assyrie, l’Égypte, la Grèce connurent cette mode, dont notre pays, comme l’Espagne et la Russie, garde de nombreux spécimens. Car le sentiment décoratif domina exclusivement l’art roman et trouva à s’exercer librement dans le domaine de la composition.

Le groupement n’a pas préoccupé sensiblement les artistes. Ils ont considéré et étudié le fait principal et ont établi leurs personnages, en faisant abstraction du mouvement qui accom¬ pagne généralement toute action publique, n’exigeant de la

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peinture monumentale ni l’illusion de la nature ni le charme résultant de l’observance des lois de la perspective ou du clair- obscur, la considérant comme un graphique sobrement enlu¬ miné, ne faisant dévidé dans les parois, l’appliquant en adju¬ vant décoratif et en complémentaire architectonique. La poly¬ chromie ainsi conçue contient des enseignements malheureu¬ sement fort peu compris encore de nos jours.

Les artistes romans connurent et pratiquèrent l’art des sacrifices. Ils procédèrent par voie d’élimination pour s’en tenir à la représentation des personnages et des objets princi¬ paux seuls importants et nécessaires au but à atteindre.

Dans les épisodes la présence de personnages nombreux pourrait se motiver, l’artiste roman s’attachera à captiver, à attirer l’attention du spectateur sur le fait essentiel de la scène.

Il étudiera l’expression, tendra à lui donner toute son acuité, exagérera même certains traits et s’efforcera d’imprimer un caractère d’énergie, de force aux gestes et à l’attitude des acteurs principaux. Plus l’effort, la recherche, l’étude, afin d’arriver à des formes concrètes, auront été grands et conscien¬ cieux, plus la conception s’en ressentira et se rapprochera du principe fondamental de l’art monumental, qui est la synthé» tisation des formes sobrement remplies de tons plats non modelés mais accentués par des rehauts clairs ou foncés.

L’intention de doter les personnages principaux d’un maxi¬ mum d’expression ne reculait pas devant des singularités. Par exemple, celle de donner aux figures secondaires des propor¬ tions plus réduites.

Cette anomalie est évidemment voulue et ne peut être attri¬ buée à la recherche des plans ou de la perspective aérienne, puisque ces lois ne s’appliquaient que très imparfaitement aux lignes architecturales, donc purement linéaires.

L’expression des physionomies des personnages secondaires se ressent aussi de ces préoccupations, elle est plus placide, sans accentuations, et est dépourvue de ce sentiment passion¬ nel qui brille parfois si vivement dans les yeux grands ouverts aux bleus profonds des Christs magnifiques.

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Il en est de même de l’action gesticulaire réduite au mini¬ mum chez les assistants de moindre importance. D’aspect plutôt froid, presque impassible, de volonté inerte, sans un mouvement, ils semblent être bien plus des personnifications "historiques que les témoins émus ou passionnés des drames qui se déroulent sous leurs yeux. Ainsi, l’attention du spectateur se détourne d’eux et se concentre sur l’action principale.

La seule concession que se permettra l’artiste en vue de faire porter tout son enseignement aux scènes reproduites, consistera à indiquer le nom et la qualité du personnage en quelques lettres abréviées, ordinairement placées à ses côtés. Ce n’est pas de l’impuissance : c’est l’esprit de sacrifice qui s’étend même jusqu’à la synthétisation des formes des objets inanimés.

A la vérité, la simplification des formules extérieures fut la pierre angulaire du programme décoratif roman.

Sur des fonds généralement bleus, l’artiste ne tenant aucun compte de la ligne d’horizon, sans un motif : rocher, mon¬ tagne, plaine ou océan, qui permette de préciser l’endroit se passe la scène, se borna à un étoffage volontairement sim¬ plifié, L’indication du plein air lui était fournie par la présence d’un arbre, d’un arbuste, d’une plante ou d’une fleur, d’essence ou d’espèce presque identique dans toutes les œuvres. Le soleil, la lune, les étoiles donnaient une perception assez nette du jour ou de la nuit; une argentine ligne serpentante simulait le fleuve le plus redoutable, tandis qu’un portique, une tour spécifiait un palais, une ville, alors que quelques arcatures suffirent à provoquer l’idée d’un monument impor¬ tant.

Le métier fut à la hauteur de la conception. Aucun écart

n’était toléré. L’expression seule comptait et la graphique se

condamnait malgré les moyens qu’elle possédait à se faire

humble et obéissante exécutrice.

%

Elle restreignait son action, annihilait sa force, et les tracés les plus concrets servaient cet art que nous ne pouvons nous lasser d’admirer, que nous ne pouvons atteindre,

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malgré ses imperfections ou ses lacunes plus apparentes que réelles.

La couleur subissait également une codification dont l’échelle des valeurs, des relations et des complémentaires fut basée sur des observations multiples et d’une subtilité d’analyse spectrale qui défie la science moderne.

Les églises romanes, par suite de l’étroitesse des baies, furent peu éclairées et les matériaux de construction, de nature grise et froide, ajoutèrent un élément de sombre majesté qu’il con¬ venait de corriger par des tonalités claires mais soutenues. En première ligne venait le bleu employé comme fond des grandes surfaces : cette couleur avait le don d’agrandir le vaisseau du temple et de s’harmoniser intimement avec l’archi¬ tecture.

La comparaison des absides polychromées avec celles dont la pierre est restée à nu fournira un élément d’étude.

Autant le chœur des églises non polychromées semblera sombre, lourd, austère, inspirant même un sentiment de crainte pesant sur l’esprit du peuple, autant les bleus légère¬ ment verdis dont se pareront les conques des absides, éclaire¬ ront, rendront plus légers les ensembles architectoniques et établiront un lien d’intimité intellectuel entre le fidèle et le monument. Et quand ces absides s’orneront du Christ rédem¬ pteur, quand les parois dérouleront des scènes historiques se détacheront sobrement les blancs, les jaunes, les verts et les ocres rouges dont s’habillent les personnages, cette harmonie monumentale, tant cherchée de nos jours, existera devant nos yeux et sollicitera nos sens. Puis, de délicats tons intermé¬ diaires : pourpre, rose, gris, orange, vert très clair, viendront compléter, adoucir, harmoniser, par des détails d’un travail parfois précieux et compliqué, la robustesse de la tonalité générale.

L’arbitraire de certaines distributions de couleurs ne doit pas être attribué à l’ignorance ou au mauvais goût, mais bien à quelque idée symbolique ou poétique.

Tome LXI.

F

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Comme Part grec, la sculpture romane légu era aux Gothiques la tradition des cheveux dorés et des chairs à coloris outran- cier. La peinture romane ne put appliquer ces idées, la tona¬ lité générale s'y opposant , alors que l’art gothique s’en accommoda parfaitement.

Que si l’opposition des tons non nuancés eût détruit le rythme colorique, les cernés et les hachures bruns, rouges ou blancs verdi remédièrent à ce défaut et donnèrent une finesse d’harmonique accord tout à fait supérieure.

Les romans ont d’ailleurs tiré un parti vraiment merveilleux du système des redessinés et des hachures blancs et noirs, qui à certains moments leur tenait lieu de modelé.

Ainsi, examinez les chairs dont le ton local est rompu par des hachures vertes que l’on retrouve à l’arcade sourcilière, au nez, aux lèvres et même à la barbe, et vous apprécierez la souplesse d’exécution, l’acuité harmonique de vision de ces artistes qui appliquèrent des lois dont la théorie nous est à peine révélée.

Cette méthode ne produisait aucune sécheresse, elle aidait en certaines parties à révéler le contour d’un membre ou à imprimer une forte empreinte réaliste aux physionomies.

Ni le principe de hachures et cernés de tons variés, ni le faire plus libre ne rappelle en rien la pratique de la peinture verrière.

D’ailleurs, en certains endroits, on a usité non de glacis mais de frottis de tons différents de ceux sur lesquels on les posait. Cette méthode, tenant le milieu entre le modelé et les hachures, offrait aux artistes une ressource d’harmonisation dont ils usèrent avec discernement.

Les empâtements ne furent employés que dans les perlés des broderies ou dans certains motifs d’orfèvrerie.

Que si de grandes scènes décoraient les parois principales, des bandes chargées de palmettes, de fleurages, de filets perlés, d’imbrications ou de rideaux accrochés à des arcatures, des figures de saints surmontées de dais et de frises ornaient d’autres parties du temple.

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Tout en remplissant par leur symbolisme un rôle d’ensei¬ gnement, ces polychromies furent de moindre importance, et il semble que l’inspiration comme l’invention dénote quelque peu de fantaisie.

Il est à considérer qu’elles étaient destinées à relier les diverses parties du monument, tant architecturales que sculp¬ turales, et qu’un peu d’originalité fût permise, surtout qu’elle trouva son guide dans la nature.

Par même, les diverses couleurs employées étaient plus nombreuses ou tout au moins s’épanouissaient plus volontiers dans un même motif. Nul or ne semble, dans nos pays, en avoir adouci ou exalté les manifestations.

Il nous faut signaler ici le rôle colorique des pavements.

En effet, de bonne heure, l’usage des carrelages polychromes a été adopté dans nos constructions. Les progrès accomplis dans l’art de la fabrication permirent de substituer bientôt aux carreaux verts, jaunes, noirs ou rouges des spécimens plus ornés. Dès lors, les pavements coopérèrent à la décoration générale et soutinrent la coloration des murailles. Des rappels de jaune, d’ocre rouge, de vert assombri et de noir harmoni¬ sèrent les ensembles.

Purement géométrique à l’origine, les carreaux s’imagèrent de représentations diverses et compliquées.

Ce seront encore les lettres du grand saint Bernard qui nous permettront de nous faire une idée de l’art du potier à cette époque reculée.

Qu’on nous permette de transcrire ici un fragment de sa lettre à Guillaume, abbé de Saint-Thierry : cc Mais quoi! ces images de saints qui couvrent ce pavage même que nos pieds foulent, sont-elles au moins respectées? Souvent on crache sur la figure d’un ange, à chaque instant la face de quelque saint est frappée par les talons de ceux qui passent. Pourquoi ne pas épargner ces saintes images ainsi que ces belles couleurs? Pourquoi orner ce qui doit être souillé à chaque instant? Pourquoi peindre ce qui doit nécessairement être foulé aux pieds? »

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Nous ne pouvons, en présence d’un texte aussi révélateur, que regretter l’anéantissement d’éléments décoratifs aussi importants pour l’histoire de l'art. Car il est indiscutable que ce furent également les peintres qui, à cette époque, compo¬ sèrent ces carrelages, tout comme le fit plus tard notre Melchior Broederlam.

Si notre pays ne nous offre plus de spécimens de polychro¬ mies de voûtes en pierre, à plus forte raison est-il dépourvu de documents concernant la décoration des gitages ou plafonds en bois. Cette lacune est à regretter profondément, car cette décoration nous eût permis d’apprécier des compositions que notre génie a certainement rendues très originales et nous eût autorisé à dégager le système polvchromique complet à la première époque romane.

Il est vraisemblable que la substitution des voûtes en pierre aux plafonds de bois a bouleversé profondément l’économie colorique. Et si des églises romanes ont été entièrement peintes en notre pays, nous croyons que la couverture en bois a motivé ce parti pris et que l’avènement du règne de la pierre a eu comme résultat logique de borner l’emploi de la couleur aux lignes architectoniques, aux nécessités de l’enseignement du peuple.

La polychromie monumentale extérieure à l’époque romane.

Si des spécimens relativement nombreux de peinture monu¬ mentale intérieure de l’époque romane sont parvenus jusqu’à nous, il n’en est malheureusement pas de même de la poly¬ chromie extérieure, qui toujours restera incomplète pour nous.

Non que l’existence d’un art polychromique extérieur puisse être contestée; loin de là, mais les traces purement architectoniques que l’on retrouve sur certains monuments ne suffisent point à édifier un système d’enseignement.

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La tradition polychromique dans l’archi lecture romane pro¬ cède d’ailleurs des origines byzantines; encore que ces pré¬ mices ne trouvèrent certainement pas nos populations entière- ment dépourvues du sens de la couleur.

En dehors des conjectures que nous avons faites sur les premières périodes de familiarisation avec l’emploi de la couleur, nous devons admettre que l’art des Saxons et des Normands a influencé le goût de nos aïeux.

Que si, à défaut de monuments complets de polychromie décorative extérieure, nous consultons les manuscrits, nous y découvrons sinon le système adopté parfait et intégral, tout au moins une donnée que les vestiges existants éclairent et viennent rendre probants.

Ainsi,, l’encadrement architectural des manuscrits romans est toujours polychromé : colonnettes, arceaux, corniches, dais, baldaquins, consoles ou piédestaux s’enlèvent en cou¬ leur sur le parchemin à l’exclusion d’une imitation des tons de la pierre, comme les miniatures de l’époque ogivale nous en montrent de nombreux exemples.

Nous en inférons que la polychromie extérieure s’inspira des principes que l’on appliqua à l’intérieur, admettant que les réserves de parchemin répondissent aux pleins des monu¬ ments.

Dès lors, la peinture devient purement architectonique avec cette restriction que la partie légendaire pût s’exercer dans les tympans, encore que l’ornementation ne fût entièrement exclue, surtout quand elle s’inspirait d’idées symboliques.

Nous pouvons d’autant mieux admettre que les motifs archi¬ tecturaux des manuscrits sont comme le reflet des polychro¬ mies, qu’ils étalent exactement les mêmes couleurs sur les membres équivalents de la construction intérieure, et que les vestiges que nous percevons encore à l’extérieur répondent parfaitement aux tons indiqués par les miniaturistes. Une remarque s’impose toutefois : si les colonnettes des porches sont couvertes parfois d’une teinte rouge, alors qu’à l’intérieur elles sont laissées à nu et que le fond sur lequel elles s’enlè-

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vent est teinté de rouge, cette intervention s’explique par le jeu de la lumière.

Les temples romans ne jouissant en général, à cause de l’étroitesse des fenêtres, que d’une lumière peu vive, la théorie d’accentuation des lignes maîtresses pouvait s’exercer. L’appli¬ cation d’un fond vivement coloré faisant ressortir les éléments constitutifs trouvait à l’extérieur sa contre-partie.

La lumière éclatante du grand jour venant frapper les mou¬ lures, les chapiteaux, les colonnettes ou les autres motifs sculptés, faisait valoir leurs saillies en les détachant du fond considéré comme partie secondaire.

D’autre part, la trop grande force de lumière pouvant rendre peu intelligibles certaines séries de lignes ou la crainte de voir aux jours sombres les porches des églises offrir des masses trop sévères, la coloration des éléments primaires s’imposait. Elle s’exerça toujours franchement par tons entiers sans emploi de tonalités intermédiaires.

Le bleu, le rouge, le jaune, le vert, le blanc, le noir s’appli¬ quèrent sur les colonnes, firent ressortir les reliefs des cor¬ niches ou accentuèrent les sculptures. 11 convient de remar¬ quer que seul le rouge fut employé à la couverture de surfaces présentant une certaine importance; le bleu, le vert, le jaune ne doivent être considérés que comme couleurs de pure décoration, c’est-à-dire qu’elles furent usitées pour la satisfac¬ tion des yeux ; de même, le blanc ne s’employait qu’avec dis¬ crétion, à l’opposé du noir, dont la valeur fut souvent mise à contribution pour l’accentuation d’une partie essentielle.

Nous devons faire remarquer que les manuscrits offrent à peu près la même proportion et le même système dans l’em¬ ploi des couleurs.

Si l’or n’a pas été d’un usage courant à l’intérieur, son emploi s’est assez généralisé à l’extérieur. Nous en trouvons la raison dans ce fait que les porches, n’oublions pas que c’est que la polychromie a trouvé à s’exercer, sinon exclusive¬ ment, tout au moins d’une manière complète, généralement très ornés et offrant parfois des profondeurs considérables

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sollicitaient l’appoint coloriste qui ajoutait encore à leur allure monumentale.

Que si dans les monuments de second ordre, la multiplicité des moulures ou des sculptures fait défaut, la polychromie n’est pas bannie entièrement. La conception monumentale aura prévu sa présence sous forme d’appoint, c’est-à-dire qu’outre la diversité des matériaux, la couleur interviendra afin d’accen¬ tuer les membres ou les parties essentielles.

Encore qu’à défaut de bas-reliefs, les tympans recevront une composition peinte représentant de préférence le symbole de Justice.

La composition ornementale essentiellement symbolique complétera la scène principale; on peut dire qu’un grand souci d’expression présidera à l’élaboration et à l’exécution de ce canevas, ce , qui s’explique par l’enseignement qu’on vou¬ lait faire découler de ces représentations.

La polychromie monumentale intérieure à, l’époque ogivale.

« Nous sommes, par la grâce de Dieu, appelés à manifester aux hommes grossiers qui ne savent pas lire, les choses miraculeuses opérées par la vertu de la sainte foi : notre foi consiste principale¬ ment à adorer et à croire en un Dieu éternel, un Dieu d’une puis¬ sance infinie, d’une sagesse immense, d’un amour et d’une clémence sans bornes. »

Statuts de la Corporation des peintres de Sienne, 1355.

Quand nos yeux tombèrent pour la première fois sur ces lignes si suggestives que nos Flamands eussent pu signer nous fûmes frappé de la parenté intellectuelle existant entre elles et nos œuvres, et si un jour la découverte d’un docu¬ ment similaire flamand venait à se produire, nous ne serions point étonné d’y retrouver la même pensée haute et pure.

En effet, le souci d’enseigner, de développer l’essor de la pensée, d’élargir le domaine des connaissances, de faire péné-

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trer l’esprit de justice, d’adoucir les mœurs, fut la tâche de ce XIIIe siècle qui marqua l’aurore d’une ère d’incomparable grandeur.

Ce noble travail fut entrepris avec une méthode, un esprit d’ordre et de mesure dont on pourrait embrasser toute l’éten¬ due en se reportant par la pensée aux luttes non exemptes de douloureuses défaites que des esprits éclairés durent soutenir longtemps afin de tirer la civilisation de l’état de prostration qui menaçait de l’étoutfer.

A la vie étroite, à l’art difficilement dépouillé de ses formules hiératiques, à l’enseignement privilégié du petit nombre, à l’effacement de la femme, on substituera l’esprit de liberté et d’indépendance. L’enseignement devint l’apanage de tous. L’art, la poésie furent cultivés. La femme occupa au foyer et dans la société une place respectée, faite de douceur, d’amour.

Nous n’hésitons point à dire que ce furent ces deux vertus qui dominèrent l’art du moyen âge. Des transformations rapides, radicales, s’étaient d’ailleurs opérées dans l’état de la société et avaient créé un mouvement qui, désormais, ne s’arrêtera plus.

A peine délivrées des entraves du léthargique passé, les populations jouissant d’une paix tout au moins relative, moins exposées à la famine engendrant le fléau de la peste, furent avides de connaître et se pressèrent autour des monastères, seuls centres d’éducation morale, d’enseignement d’art pra¬ tique.

Quand, à côté des récits bibliques et des épisodes de la pri¬ mitive chrétienté, parut ce livre, charmant entre tous, La légende dorée, de* Jacques de Voragine, et le Roman de la Rose , de Guillaume de Lorris et de Jean de Meung, alliant la douce allégorie à la fine satire, le mouvement poétique qui devait inspirer les artistes fut créé et la source coula claire, limpide.

Un autre facteur était d’ailleurs entré en ligne. L’architec¬ ture ogivale, modifiant profondément les conditions optiques,

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substituant les larges baies aux étroits fenestrages romans, diminuant les surfaces susceptibles de recevoir des composi¬ tions, s’imposa rapidement, car elle avait parlé à l’imagination du peuple.

Le renouveau fut général. La transformation de l’idéal s’opérait sous l’inspiration de la poésie. L’architecture créait des merveilles de grâce et de hardiesse. La peinture, après le temps de recueillement que lui imposa une inéluctable époque de transition, fut apte aux grandioses collaborations. Tout d’abord elle rajeunit, compléta les thèmes iconographiques en élargissant leur champ d’observation et en leur communiquant * une vertu d’enseignement si efficace que certains prélats aidèrent puissamment à la fondation d’écoles de peinture.

Le chœur des églises ogivales, à l'inverse des constructions romanes, ne laissait que peu de surface plane susceptible de recevoir des compositions à nombreux personnages. Le sec¬ tionnement des voûtes ne convenait que très imparfaitement à la figuration du Souverain Juge , si fréquente, si imposante dans les coupoles romanes.

Toutefois, il n’échappa pas aux inspirateurs de l’art ogival, que le chœur devait être réservé au Rédempteur.

Le Sauveur, la Vierge, le Précurseur et les Prophètes furent peints, soit dans les arcatures monumentales inférieures, église du Sablon à Bruxelles, soit, quand les murs furent plans, dans des motifs architecturaux.

Cette dernière disposition permettait dans la partie supé¬ rieure la représentation de scènes relatant les grands épisodes des premiers temps bibliques.

Lne frise à médaillons légendaires surmontait les arcatures et servait à lier les deux parties.

Ce mode, d’inspiration romane, n’a pas été fréquemment usité, soit par suite des arcatures architecturales, soit â cause des stalles que l’architecture ogivale transporta au chœur.

La polychromie légendaire du chœur de la collégiale de Tongres nous initie à ce système. Elle révèle même ses primi¬ tives origines romanes. Certaines figures d’apotres semblent

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étroitement apparentées avec les effigies de la chapelle Zen, à Saint-Marc de Venise.

Nous pensons ne point nous tromper en disant que l’effet produit dans les basiliques romanes par la présence dans la coupole de la majestueuse personnification de la Justice éter¬ nelle soit supérieur à la sensation ressentie dans le chœur d’une égise ogivale.

Cette infériorité, découlant du système de construction, semble-t-il, n’a pas échappé à l’esprit des créateurs médiévaux. Nous devons sans doute à cette cause le grand nombre de croix triomphales suspendues à l’entrée du chœur et qui, sans atteindre à l’effet des primitives peintures, coopèrent à l’im¬ pression.

Que si l’art roman est supérieur à ce point de vue, la pein¬ ture ogivale se ressaisit dans la composition des personnages et dans la décoration des voûtes.

Ainsi, le Christ Rédempteur, la Vierge, le Précurseur ou les Prophètes, d’attitudes si diverses, si profondément empreintes du caractère de majesté, de virginité, de sérénité et pourtant d’une humanité très complexe, forment avec les créations romanes une antithèse complète. Ils sont le produit d’un œil qui a vu, d’un esprit qui a conçu.

Que si cet examen s’étend à la voûte, la différence entre les deux conceptions s’affirme et se dessine. Autant l’art roman est froid et dur dans sa coloration peu relevée même dans l’expression des sentiments les plus doux autant la pein¬ ture ogivale tendra vers une œuvre d’expressive noblesse parée des charmes de la couleur.

Que signifient ces anges graciles et doux qui ne peuplèrent point les cieux romans; sinon l’amour et la douceur?

Voyez comme l’artiste a pu donner libre carrière à sa féconde force créatrice! Comme il a su peupler les espaces irréguliers, devant être vus à des angles différents, d’êtres célestes qui, assemblés autour de la clé de voûte, semblent une rayonnante échappée du paradis! Femmes, par la grâce idéa¬ lisée des formes juvéniles, par la douceur charmeresse des

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attitudes; anges de Dieu, par l’expression de leur tendresse. Elles sont des créations qui font la gloire d’une époque et immortalisent un art.

Avec ces artistes de race, l’uniformité ne fut point à craindre. Soit qu’ils employèrent les fonds bleus, églises de Hal, Anvers, etc., ou les fonds rouges semés d’or, église d’An- derlecht, les colorations des draperies, les carnations et les chevelures aux nuances diversifiées s’harmonisèrent délica¬ tement.

Que si le problème de la valeur et de l’accord de coloration *sur des surfaces aussi considérables et ne recevant qu’une lumière indirecte, réflétée, est par lui-même fort épineux, la difficulté d’obtenir un ensemble, ne détruisant point la pon¬ dération des lignes ou l’unité architecturale, ne fut certes pas moindre/

Le système adopté pour la décoration de l’ossature ou des parties essentielles de la construction, identifiait pour ainsi dire ces deux éléments : l’art monumental et l’art décoratif. Ce qui devait parler à l’intelligence; ce qui devait frapper les yeux.

Ainsi, les nerfs de voûte reçurent, à l’entour du centre, une décoration assez riche, mais qui s’arrêtait à une certaine dis¬ tance pour se relier aux chapiteaux par une série de filets de diverses couleurs. Dans certains endroits, sans toutefois que ce mode se soit généralisé, les colonnes recevaient, jusqu’à une hauteur légèrement variable, une décoration simulant une tenture de riche brocart.

Si, malheureusement, il ne nous est resté que des fragments incomplets de la décoration picturale des églises ogivales, le champ d’études des autres parties de ces édifices est suffisam¬ ment vaste et assez richement fourni pour nous permettre des appréciations basées sur des documents encore existants.

Le transept, avec ses parois relativement vastes, offrait à l’imagination des décorateurs l’étendue nécessaire aux com¬ positions importantes.

Il semble que les évêques qui se réservèrent le choix des

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sujets aient suivi les errements de leurs prédécesseurs en donnant la préférence aux représentations des Jugements derniers : amplification du Salvator mundi roman.

Nous conservons, même sur les arcs triomphaux des églises de Gheel et de Braine-le-Comte, des spécimens très curieux que leur inspiration hiératique rattache certainement à l’art roman.

Détaché de l’ensemble, le Salvator mundi , par ses gestes et symboles, pourrait se réclamer de l’art roman, n’était la recherche du nu qui nous indique le XVe siècle.

Les compositions des arcs triomphaux se recommandent plus en général par le côté religieux que par la valeur artis¬ tique.

Visiblement, les artistes ont été hantés par le souvenir roman. L’arc triomphal leur a semblé la continuation des conques absidales. La Vierge, les saints, le peseur d’âmes comme aussi les élus et les réprouvés ne les ont pas inspirés. Seul, le Christ apparaît majestueux; tandis que le reste de la composition est pauvre, raide et manque d’émotion, de lumière. La désolation, l’aridité du sol, l’effroi de la dernière heure, décrit dans l 'Écriture, a été près de s’imposer à la com¬ position ogivale.

11 en est autrement des Jugements derniers qui s’étendent sur les parois des bras du transept. De conception large, souple, témoignant de l’esprit de recherche qui travaillait les artistes, déjà en possession de règles de composition et d’ordonnance qui constituent un style monumental et le font survivre à travers les âges, ces pages peuvent être considérées parmi les plus complètes que l’art médiéval nous a léguées.

Nous remarquons que les artistes ont su varier leurs com¬ positions et ont réussi à éviter une monotonie désagréable. Ce fait nous fournit la preuve que notre art ne fut pas entre les mains de compagnies d’artistes nomades ou qu’un même carton servait dans diverses églises.

La multiplicité du même sujet églises de Léau, Alost, Anderlecht, Binche, etc. stimulait l’émulation et mit à

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même d’apprécier les tendances des écoles régionales si diverses comme distribution de personnages, de composition et de coloris.

11 importe, toutefois, de remarquer que l’idée qui domine dans toutes les œuvres que nous possédons encore, est inspi¬ rée de sentiments de douceur et d’amour.

En effet, ces scènes, que la Renaissance allait contribuer à rendre si terribles, ne sont point connues de l’art du moyen âge. Au sommet, ce Dieu vengeur foudroyant le monde ne se laissant pas fléchir par les supplications de sa Mère; alors qu’au bas, s’agitent dans les flammes les démons passionnels, entraî¬ nant dans le sang des tortures les corps amaigris des vieillards ou la chair voluptueuse des femmes. Ces créations ne sont point de concept chrétien.

Comme nous l’avons dit, l’influence des poésies du Dante ne s’est pas fait sentir en Flandre, tout au moins dans les Juge¬ ments ornant les églises. La grande composition des Halles de Malines échappe à cette règle. Il sera intéressant d’examiner si les Jugements derniers décorant les édifices civils s’inspiraient à des sources non essentiellement religieuses.

Les éléments dont se composent les Jugements derniers se sont limités à quelques idées fort simples, à quelques person¬ nages: la Vierge, le Précurseur, etc. L’archange Michel occupe généralement le centre inférieur de la composition. Sa charge de peseur d’âmes n’a donné lieu qu’à des interprétations assez peu variées.

Vers la période de la Renaissance, le type guerrier, bardé de fer, portant la balance symbolique et terrassant de la croix les démons impuissants, a été remplacé par un ange dont la pré¬ sence n’eut pas la même valeur expressive. C’était un achemi¬ nement vers la suppression de l’idée de justice qu’on remplaça église de Meysse par la personnification égalitaire de la Mort gardant jalousement sa proie.

Nous pouvons nous étonner que la composition du Jugement dernier de Jean Van Eyck musée de l’Ermitage à Saint- Pétersbourg n’ait pas inspiré de créations similaires.

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Ainsi, saint Michel debout sur la Mort étendant ses ailes au-dessus des damnés, les encerclant de ses bras décharnés eût certainement produit dans les œuvres monumentales une grande impression.

Au même degré que les primitives peintures russes dressant au milieu de la composition le serpent emblème du mal, le symbole de la Mort ne nous semble pas produire l’impression des compositions pour ainsi dire classiques. On y renonça assez volontiers dans la suite.

A la Renaissance, la composition se limita au Christ entouré de quelques élus s’élevant au-dessus des flammes infernales, roulant d’innombrables damnés.

L’attitude de la Vierge n’offre point de gestes violents, dra¬ matiques; elle est consciente de son pouvoir; ses supplications, son intercession suffit à attendrir, à conjurer de terribles sen¬ tences; son amour maternel n’a point à rappeler que le lait de ses seins a nourri le Justicier.

Les martyrs n’ont point à émouvoir par l’histoire de leur vie ou de leurs tortures; tout symbole de douleur est écarté; seule la bonté est exaltée.

Le tragique moment de la Résurrection des morts s’éveil¬ lant du dernier sommeil, dans la vigueur de leur chair, dans leur terrestre matérialité, sans les hideurs des squelettes décharnés, se présente à nos yeux, non comine l’effondrement final, mais comme la réalisation d’une consolante promesse.

Le groupe des élus, généralement accueilli par saint Pierre* donne lieu à peu d’observations. Dans les compositions l’artiste a préféré représenter la nudité symbolique des élus, l’interprétation en est ordinairement inspirée dans un sens monumental non dépourvu d’expression, d’observation.

Le Jugement dernier de l’église de Gheel nous offre pourtant un groupe d’élus assez matérialisé, mais très juste de dessin.

Hâtons-nous de dire que l’artiste a introduit à cette place un motif d’une fraîcheur exquise. Au haut de l’escalier, un ange présentant un élu, tandis que dans les galeries des angelets l’accueillent au son d’instruments : groupe charmant de vérité*

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de naïveté. C’est le seul spécimen que nous connaissions interviennent des anges, en dehors de ceux portant le lys et l’épée, de ceux sonnant le dernier réveil entourant le Christ trônant.

Nous n’avons trouvé aucune trace d’anges portant des sym¬ boles, accueillant des Justes ou écartant les damnés. La com¬ paraison des œuvres italiennes est très instructive à ce point de vue. Nous avons remarqué que les compositions les plus anciennes évitent la présence de personnages ecclésiastiques.

Les œuvres postérieures ne craignent pas de montrer des moines entraînés par les démons. Nous avons pu nous rendre compte que la sculpture s’était affranchie depuis longtemps des scrupules qui retenaient les peintres. Ceux-ci toutefois s’abstinrent d’accompagner ces représentations d’éléments complémentaires indiquant les vices.

L’art du moyen âge s’est attaché â enlever au drame final toute idée de souffrance ou de vengeance inexorable. Les justes s’avancent calmes, le front serein, vers la Jérusalem céleste, dressant ses tours dans une atmosphère d’azur, et les jardins paradisiaques aux fleurs multicolores embaument, charment les yeux de ceux pour qui le temps de la miséricorde est passé, comme pour ceux devant qui le bras du Seigneur s’est abaissé.

L’ancien art russe a complété de manière très originale la résurrection de la chair. Ainsi, dans la grande page qui décore l’église de Saint-Giurghevo, au célèbre couvent de la Troïtsa, près de Moscou, se trouvent représentés des quadrupèdes, voire des poissons rapportant dans la gueule les membres des humains qu’ils ont dévorés. Notre pays semble n’avoir point connu ce motif.

Le côté des réprouvés est plus complexe, non pas tant par les damnés eux-mêmes que par les idées qui ont présidé à l’élaboration de divers thèmes se résumant de trois manières :

La composition de Gheel nous offre un spécimen que l’on pourrait appeler fantasque. L’attention se porte sur un monstre gigantesque qui, la gueule ouverte, porte accrochée aux dents

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une chaudière dans laquelle se trouve, à l’avant-plan, le bouc lubrique soufflant des propos licencieux à une femme. Ce monstre cornu, aux dents pointues, aux yeux jaunes, est évi¬ demment un ressouvenir des chimères romanes. Il est entouré de démons, de lutins, cornus, griffés, la queue haute attisant le feu, portant des chaînes, tournant en une sarabande folle aux sons de la cornemuse villageoise. Cet enfer tient bien plus des récits de sorcellerie que du spectacle du châtiment des réprouvés.

L’expression du diaboiisme s’est d’ailleurs assez souvent limitée à des types moins compliqués, moins abstraits que ceux d’autres pays ou même aux créations raffinées, bizarres, mises plus tard à la mode en des enfers célèbres.

La recherche d’une horreur intellectuelle, d’une répulsion morale n’a point préoccupé nos auteurs. 11 semble avéré que les peintres se soient inspirés des histoires de magie, non sans insister sur le caractère narquois de certaines têtes démo¬ niaques.

Ces caractères percent surtout dans les œuvres qu’on pour¬ rait ranger dans la catégorie vraiment monumentale, c’est- à dire qui ne doivent rien à des réminiscences de manuscrits ou d’arts antérieurs.

Le Jugement de la salle chapitrale de l’église d’Àlost rentre dans cette série : le hideux du démon tirant un moine parles cheveux ne le cède en rien à celui aux mamelles flasques se ballotant au dos et la base ornée de la tête de l’oiseau de sagesse. D’un geste assez las, il entraîne un couple maudit.

La création des types démoniaques s’inspire toujours du règne animal. Il fallut la Renaissance pour rompre avec ces errements. Des tentatives vers un art plus intellectuel avaient été essayées. On peut ranger dans la troisième manière le Jugement de Léau, qui allie à la conception monumentale le souci d’identification des péchés.

La partie réservée à la peinture des vices est fort importante ; celle des élus ne forme qu’un petit groupe.

L’action très animée, très pittoresque, avec ces brouettées

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de damnés entassés dans des corbeilles escortées par des démons ou d’animaux immondes, titrés du nom des péchés capitaux, offre un spectacle qui frappait l’imagination des croyants.

C’est une première tentative vers une expression plus tan¬ gible des vices humains ; l’art de la Renaissance la développa considérablement.

11 semble toutefois que la peinture trop réaliste des péchés ait répugné à nos artistes, qui se sont volontairement astreints à des figurations fantastiques. Nous en trouvons la preuve dans l’impassibilité des réprouvés, dont la physionomie n’exprime nulle terreur ni souffrance, alors que l’on pourrait supposer que la vue des possédés très fréquente à ces époques eût fourni des modèles dont les contractions et les spasmes eussent ajouté à l’horreur du tableau.

Mais il faut considérer que l’idéal, auquel tendaient ces compositeurs, s’appuyait de préférence, comme nous l’avons dit, sur l’idée de douceur et d’amour. Aussi n’avons-nous insisté sur le caractère fantastique du diabolisme que pour attirer l’attention sur ce fait.

En faisant observer que ni les poésies de Virgile ni celles de Dante n’eurent d’intïuence sur les compositions flamandes, nous constatons dans celles-ci l’absence de ces gradations dans l’amour du Dieu clément ou de ces groupements appartenant à un même ordre : méthode d’illustration inspirée par les œuvres de ces génies.

De même, aucune intervention d’éléments empruntés au paganisme ne se retrouve dans nos œuvres. Les justes sont confondus entre eux; ni titres ni honneurs ne comptent.

L’Ecriture a suffi pour inspirer nos artistes dans un sens de douceur, d’amour, et les milices sacrées ne descendent point du ciel pour opposer leurs puretés idéales aux révoltes du mal.

D’ailleurs, presque dans toutes les églises, non loin des Jugements derniers et comme symbole d’espérance, on peignit saint Christophe portant l’Enfant Jésus. La légende qui s’atta¬ chait aux vertus qu’exerçaient sur ceux qui avaient vu son

Tome LXL

G

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image avait profondément pénétré l’âme du peuple. Cer¬ taines églises le représentèrent dans leurs porches, tout comme s’en ornèrent les demeures des bourgeois maison démolie à Bruxelles.

D’autres compositions empruntées aux grands faits de l’his¬ toire du Christ décoraient les parois du transept. Il nous en est resté quelques-unes qui nous permettent d’admirer la fer¬ tilité d’imagination, la souplesse décorative dont furent doués ces humbles peigneurs.

Observons en passant que les motifs architecturaux n’appa¬ raissent que très rarement dans les fonds des grandes com¬ positions : ce à l’inverse des errements italiens.

Dans les chapelles, une riche moisson de documents nous est réservée, miraculeusement échappée au vandalisme qui trop souvent s’acharna sur d’autres parties des monuments.

Généralement consacrées depuis leur fondation aux saints vénérés dans la contrée ou aux évangélisateurs du pays, ces chapelles nous offrent des scènes empruntées à la vie de ces personnages.

Si, dans quelques chapelles, les surfaces furent suffisam¬ ment vastes pour permettre l’exécution d’œuvres de l’impor¬ tance de celles de la chapelle de Saint-Guidon à Anderlecht, ou de l’énigmatique sujet de Notre-Dame de la Chapelle â Bruxelles, compositions les créateurs firent preuve d’un talent décoratif monumental qui les classe au premier rang, les petites scènes ornant les arcatures sont charmantes de naïveté et d’esprit d’observation.

Les épisodes de l’histoire de sainte Catherine, à l’église de Hal, se détachant sur un riche fond d’or « enlevé »; ceux de l’église d’AIsemberg et surtout les trois beaux spécimens de l’église de Sainte-Gertrude à Nivelles dont il faut tirer hors de pair le superbe Christ au donateur datant de la première époque ogivale sont autant d’œuvres le dessin, la com¬ position, la couleur, l’expression sollicite nos études, conquiert notre admiration.

Ces polychromies sont des modèles inimitables et ne crai-

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gnent point la comparaison avec des œuvres de « plate pein¬ ture », non qu’elles participent du dessin, de la composition ou de la couleur de ces œuvres, elles se tiennent à égale dis¬ tance entre la peinture monumentale de grande dimension et celle de rétable. Elles constituent plus que le dessin simple¬ ment tracé, enluminé de la première catégorie, mais affectent plus de grandeur, de sévérité et sont quelquefois plus tou¬ chantes que les œuvres de chevalet. L’artiste a condenser ses effets sur le personnage principal, négligeant les épisodes ou sentiments secondaires qui, dans les tableaux, prennent quelquefois tant d’importance.

Nous avons étudié des dessins de maîtres anciens et n’avons découvert dans aucun la méthode d’ordonnance et le souci d’expression que nous admirons dans ces graphiques sobre¬ ment enluminés, car certaines peintures ne sont autre chose que des contours avivés d’un léger coloris.

L’église de Damme possédait, il y a peu de temps, un joyau datant cle la primitive époque, qu’on pouvait considérer comme un petit chef-d’œuvre.

Mais il en est autrement si la comparaison s’établit entre les peintures du XVe siècle et les œuvres monumentales primi¬ tives : l’inspiration, la filiation est indéniable.

Les principes constitutifs de l’art monumental ont été d’ailleurs observés rigoureusement presque jusqu’à la lin de l’époque ogivale.

La filiation entre le Saint- Louis de l’église Notre-Dame à Bruges, œuvre primitive, le Saint-Georges de l’église de.Hal, création du XVe siècle, et les compositions du XVIe siècle indiquent le respect des traditions.

Il convient de remarquer que l’observance de ces traditions n’excluait pas la recherche d’expressions ou de formes nouvelles ou n’étouffait pas les écoles régionales. Le dessin serré, incisif des peintures légendaires des Flandres, les caractéristiques architectures du Brabant mises en parallèle avec la profusion décorative du pays de Liège, démontrent l’indépendance des diverses écoles.

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Les archives, les traditions, quelques rares spécimens nous apprennent que les arcatures des chapelles, voire des nefs, reçurent des peintures représentant d'illustres personnages.

Dans l’architecture religieuse, il ne nous est resté que deux documents de ce genre : l’effigie du comte Robert de Béthune dans le chœur de l’église Saint-Martin, à Ypres, et la série des comtes et comtesses de Flandre dans la chapelle comtale de l’église Notre-Dame, à Courtrai.

Une question très intéressante se pose à ce sujet :

Les primitives effigies royales, même les figures de dona¬ teurs peintes au bas d’un grand nombre de pages monumen¬ tales, équivalentes aux « signatures » des verrières, sont-elles des portraits?

Pour les portraitures royales, nous croyons pouvoir répondre affirmativement, en nous appuyant sur des pièces de compa¬ raison; mais, chose curieuse, les conventions contractées entre les administrations et les peintres, conventions si prévoyantes, si sages, sont muettes sur ce point important entre tous.

Les peintres s’aidèrent-ils d’un document mis à leur dispo¬ sition par les princes ou, presque tous ayant été à leur service, possédèrent-ils des éléments suffisants pour atteindre à la ressemblance?

Nous ne le savons pas. Toutefois, nous penchons vers cette dernière hypothèse.

Les peintres pouvaient se servir encore des moulages dont Cennino Cennini fait mention dans son Traité de la peinture.

Il n’est pas téméraire de croire que les Flamands possé¬ dèrent cet art, dont l’emploi se généralisa en Italie sous l’in¬ fluence du Squarcione et de Verrocchio.

Du reste, Ghiberti nous apprend, non sans admiration, qu’il avait vu beaucoup de moulages exécutés sur les statues d’un sculpteur de Cologne.

Le dessin des effigies des voûtes de l’église de Huy et de Bastogne procède, croyons-nous, de cette dernière méthode, car la hauteur à laquelle elles sont placées imposait un con¬ tour incisif, presque sculptural.

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Les polychromies historiques de ce genre ont subi, malheu¬ reusement, des restaurations successives et maladroites qui leur ont enlevé le cachet d authenticité qu’on leur souhaiterait.

On se ferait toutefois difficilement à cette idée que des peintures aussi importantes que celles de Courtrai ou de la Grande-Boucherie de Gand n’offrirent les « pourtraictures » de Philippe le Bon, d’Isabelle de Portugal, du comte de Charolais et d’Adolphe de Glèves, dont la présence à V Adoration de Jésus, à sa Nativité ne s’explique que par l’hommage rendu par le donateur à son suzerain.

L’artiste eût donc manqué à ses devoirs en ne tendant pas à faire œuvre de ressemblance, peut-être même non exempte d’une pointe de courtisanerie.

Van Mander nous apprend d’ailleurs que le grand Hugo Van der Goes avait reproduit les traits de sa fiancée sur la peinture murale représentant David et Abigaël qu’il avait exécutée dans une maison au Muide de Gand, œuvre dont il ne nous reste qu’une copie; rapprochés de la chronique de Rouge- Cloître qui dit : « Hugues excellait aussi à peindre le portrait », les éloges de Van Mander et de Lucas de Heere s’expliquent et nous autorisent à croire qu’il était dans les traditions de la peinture monumentale de faire la portraiture exacte des grands personnages.

Au surplus, cette question pourra être élucidée complète¬ ment dans l’avenir au moyen de documents graphiques.

Mais il nous reste à mentionner une pièce très importante et du plus haut intérêt historique.

En effet, les chroniques de Vezelay nous apprennent que la salle de la célèbre abbaye fut décidée en 1145, sous la pré¬ sidence de saint Bernard, la deuxième croisade, reçut une décoration représentant les principaux personnages ayant assisté à cette mémorable assemblée.

Nous pouvons inférer de ces textes que l’artiste, dans les effigies historiques, tendit à la ressemblance physique, ne se bornant pas à indiquer l’identité du personnage, soit par ses armes, ses devises ou ses titres.

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Il peut être intéressant de remarquer qu’un des rares exemples de peinture dont le sujet est tiré de l’histoire profane se trouve dans un édifice religieux.

Nous croyons que la même théorie peut s’appliquer aux figures des donateurs placées au bas de nombreuses composi¬ tions églises du Sablon et d’Anderlecht, Béguinage de Saint-Trond, etc.

D’ailleurs, on ne concevrait pas que des artistes, de la valeur de ceux qui ont exécuté les belles pages qui nous restent, eussent négligé ce côté important de leurs œuvres, et on peut dire qu’ils ne faisaient que suivre la tradition.

Il peignait tout homme comme s'il était vivant , dit la chro¬ nique de 1380. Cette faculté d’observation devait évidemment s’étendre jusqu’à l’analyse physionomique.

Cette constatation a pour nous une grande importance en ce qu’elle nous permet de faire la part du naturalisme et de l’idéalisme dans des compositions d’un haut intérêt : telle la Vierge aux donateurs de l’église d’Alsemberg.

Elle démontre également que la mode italienne de faire participer à l’action historique les donateurs ou les puissants personnages de l’époque, n’a pas été suivie en Flandre, tout au moins à l’époque ogivale.

La Mort cle la Vierge de l’église de Meysse, datant du XVIe siècle, et non exempte de réminiscences italiennes, n’a pas rompu avec les traditions tout en adoptant la distribution générale des peintures de chevalet.

Nous admettons toutefois volontiers que les attitudes, comme les jeux de physionomie, ne furent pas copiées servilement sur nature, mais s’imprégnaient de recueillement, non exempt de placidité, parfois d’esprit d’humilité.

Quelques spécimens montraient des tendances moins en harmonie avec la sainteté du lieu.

Une autre question se pose encore à ce propos.

La coutume existait-elle de placer dans les églises l’effigie monumentale peinte sur bois de personnages que leurs hauts faits, leur amour du peuple avaient signalées particulièrement;

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ou le portrait du comte Charles le Bon de la cathédrale de Bruges est-il une exception?

Nous ne pouvons l’admettre. Car si, à la vérité, nous ne pos¬ sédons point, d’autres spécimens d’œuvres de cette espèce, nous devons attribuer cette pénurie à la nature fragile du support.

Si, d’autre part, nous considérons la variation dans les goûts, les dévastations dans les églises et les incendies qui souvent anéantirent nos temples, il n’est point surprenant que le document de Bruges soit resté unique. Encore n’avons-nous qu’une copie de l’œuvre originale, suffisamment exacte ce¬ pendant pour nous permettre l’étude de la question.

En effet, quand Charles de Rodoan, IVe évêque de Bruges, par sa piété envers l’illustre martyr, fit exécuter en 1609 l’effigie actqelle, il eut soin de faire peindre sous le soubasse¬ ment une inscription disant qu’elle était la reproduction de l’œuvre que son état de vétusté ne permit sans doute plus de conserver placée dans la galerie supérieure de l’église Saint-Donat.

La peinture du reste n’a pas le caractère des productions du XVIIe sièle, elle est au contraire très caractéristique et, si elle ne nous initie malheureusement pas à la technique du XIIIe siècle, elle offre toutes les marques d’authenticité légiti¬ mées par la tradition.

Dès le XIIIe siècle existait donc la coutume de placer dans les églises des effigies peintes sur bois. Cette coutume s’éten¬ dait-elle aux saints? Fut-elle un hommage suprême rendu à ceux que le peuple vénérait? La question est difficile à résoudre.

Si nous avons quelques raisons de croire que les effigies de saint Christophe furent, parfois, peintes sur bois et placées dans les porches des églises dépourvues de figures sculptées, nous n’oserions avancer aucune conjecture quant au style, à l’exécution, à l’emplacement généralement réservé aux effigies monumentales en bois.

Sans nier le caractère grandiose de pareille manifestation, ni

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l’impression qu’elle exerçait sur l’esprit du peuple, admettant même la saisissante grandeur d’œuvres de cette nature, surtout dans les temples romans, nous avouons volontiers que la théorie décorative découlant de cet élément échappe complè¬ tement à notre intelligence.

Nous avons soulevé la question de savoir s’il était permis de peindre dans les églises des faits autres que ceux se rappor¬ tant à l’histoire sacrée. Nous avons conclu affirmativement, nous appuyant sur les primitives peintures catacombaires, sur les textes et sur la pratique verrière et sculpturale.

Dans cette catégorie, nous groupons la Vierge au chevalier de l’église de Damme, les six panneaux de Saint-Martin, à Courtrai , le Chevalier et la Mort du Béguignage de Saint- Trond et la grande page de Sainte- Walburge à Fûmes.

Il nous semble établi que le document de Courtrai, si inté¬ ressant malgré son état de dégradation, n’est pas inspiré par l’histoire sacrée. Nous croyons qu’il s’agit d’un monument pictural funéraire peut-être unique érigé en l’honneur et à la mémoire d’un illustre personnage.

Cette œuvre eût pu fournir à notre thèse un argument incon¬ testable si quelques soins avaient été apportés à sa conserva¬ tion. Nous sommes, malheureusement, venu trop tard, les textes sont mutilés et la peinture s’effrite lamentablement.

Le beau spécimen de Damme ne répond à aucune légende. Comme l’absence d’auréole autour de la tête du chevalier indique suffisamment le caractère profane du héros, illustre sans aucun doute, car son bouclier armorié, pendu à l’épaule, ne laisse voir qu’un meuble de ses armes, ce qui tendrait à prouver qu’un fragment de son blason suffisait à identifier le personnage, nous croyons à la commémoration d’une apparition ou d’un vœu.

Cette œuvre s’inspire, semble-t-il, du même ordre d’idées qui, selon Joinville, guida le sénéchal de Champagne assistant au retour de saint Louis, au prodige de la Vierge sauvant un homme tombé en mer. Et Joinville fait dire au sénéchal : « En l’onneur de ce miracle, je l’ai fait peindre à Joinville en ma chapelle et ès verrières de Blahecourt. »

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La peinture du Béguinage de Saint-Trond rentre entière¬ ment dans le cadre des œuvres « destinées à rappeler le sou¬ venir des événements mémorables survenus dans le pays ». La grande page de Sainte-Walburge à Fûmes suffît à la démon¬ stration de notre thèse. Le chanoine priant dans une salle, devant son saint patron, un volumen portant des notes de mu¬ sique épinglé aux solives, indique suffisamment qu’il ne s'agit pas d’un fait ou d’un épisode sacré.

Les chroniques de Vezelay, dont nous parlions plus haut, sont à cet égard également fort instructives.

Pour le moment, nous ne voulons qu’indiquer ces quelques vestiges. D’autres exemples pourraient être invoqués comme aussi des découvertes viendront apporter leur appoint décisif. Faisons remarquer toutefois que nous possédons de nombreux spécimens de polychromies, découvertes dans les arcatures ou sur les piliers, églises d’Anvers, Diest, Malines, Fûmes, dus à la munificence des corps de métiers.

Ces sujets purement décoratifs ne s’inspiraient pas de l’histoire sacrée; si l’église les tolérait, il faut admettre qu’un bienfaiteur illustre pouvait se voir octroyer la faculté de faire retracer certains épisodes de sa vie sur les murailles d’une chapelle votive ou sépulcrale.

La chapelle du cimetière désaffecté de Laeken a être très intéressante sous ce rapport; car la décoration des ébra¬ sements des fenêtres est entièrement composée de meubles héraldiques. C’est, à notre connaissance, le seul spécimen qui existe en ce genre. Nous pouvons en déduire logiquement que les grandes parois offraient des scènes légendaires, empruntées aux épisodes de la vie du donateur.

Nous admettrions même sans difficulté que les nombreuses chasses de Saint-Hubert églises : Ben-Ahin, Meysse, Ter- nath , Saint-Trond offrent, dans la personne du saint évêque, le portrait de quelque illustre seigneur.

Le document de Ternath fief des Cruquenbourg est très intéressant sous ce rapport, quoique datant de la fin de la période ogivale.

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Si, à l’origine, les évêques veillèrent, dans toutes les parties de l’église, à l’exécution de sujets purement dogmatiques, il se produisit à certain moment dans l’application de ce principe un relâchement suffisamment expliqué par la multiplicité et l’importance des monuments.

On permit la peinture de sujets isolés dans les basses nefs et sur les colonnes.

Ces peintures, pour la plupart inspirées par l’histoire d’un saint vénéré dans la contrée, par la glorification du patron du donateur, par l’hommage d’une gilde ou confrérie à son pro¬ tecteur céleste, n’offrent aucun lien entre elles.

Remarquons à ce sujet que les donateurs sont toujours de proportions infiniment moindres que l’effigie. Tradition de l’art grec opposant l’idée de puissance, de la divinité à la fra¬ gilité humaine.

De dimensions, de formes, de tonalités, d’expressions diverses, quelquefois reliées par une imitation d’une étoffe, ces peintures concourent à la décoration de l’ensemble de l’édifice et lui impriment un caractère de richesse dont les éléments, pour être disparates, n’en sont pas moins dignes de toute notre attention.

Les peintures, malheureusement très mutilées, découvertes lors de l’enlèvement du tableau de Van Dyck à l’église métro¬ politaine de Saint-Rombaut à Malines, pourront fournir les élé¬ ments d’un système décoratif assez peu répandu et fort original.

La série de cette catégorie d’œuvres est malheureusement très appauvrie par le placement de meubles et de statues géné¬ ralement sans valeur. Si nous pouvons encore montrer des documents nombreux, ce n’est pas sans un serrement de cœur que nous avons vu disparaître le Saint-Martin abandonnant son manteau de l’église de Damme ou VEcce homo de l’église de Meysse.

Puissent-ils surgir en nos temps des imitateurs de ce bon évêque qui, en 1471, ordonna de reproduire dans un temple la fresque ornant une propriété privée, qui nous montrait la Vierge et deux saints! La ville de Gubbio compta une œuvre

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d’art de plus, et ce fut tout profit, car la reproduction dut se faire aux frais du juif dans la maison de qui la découverte s’était faite.

Si, au moyen âge, la sculpture s’est complu à fouiller ces petites scènes de la Passion, parsemées dans toutes les parties du temple, il semble que la peinture s’est asbtenue de repro¬ duire ces épisodes. Nous en trouvons peut-être la raison dans ce fait, que les grandes surfaces des parties principales de l’édifice étant réservées exclusivement à la vie du Christ, on ne voulut pas amoindrir l’impression qu’elles provoquèrent. Les petites compositions de ce genre, ancêtres des rétables, eussent été précieuses à étudier.

Par un hasard regrettable, les chapelles baptismales ne nous ont offert aucun vestige de peinture. Nous sommes donc réduits aux conjectures quant au thème iconographique adopté, dont le symbolisme pénétrant nous eût certainement révélé des compositions de haute valeur.

Nous n’en voulons pour preuve que la polychromie des porches monumentaux de certaines églises.

Le porche latéral de l’église d'Anderlecht nous offre une décoration historique, malheureusement fort mutilée. Une tête et deux figures d’apôtres, seules, subsistent encore. Leur examen fait regretter amèrement la ruine des autres sujets. Cette décoration, combinée avec les traces de peintures orne¬ mentales qu’on aperçoit encore par places, dut constituer une œuvre de premier ordre participant des principes de la poly¬ chromie extérieure et de la décoration légendaire par l’emploi des figures de grandes dimensions.

Le porche de l’église Saint-Jacques, à Liège, possède encore la polychromie de ses voûtes. Un peu ternes de couleur, ces ornementations ne manquent pas de valeur; elles ont une souplesse dénotant une imagination très déliée et très subtile. Ces caractères se retrouvent d’ailleurs dans toutes les compo¬ sitions de ce genre qui, généralement, se révêtent de brillantes couleurs.

L’influence des diverses écoles est plus apparente dans ces

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compositions ornementales que dans les œuvres légendaires. Tandis qu’en Flandre elles se limitent volontiers à des aplats aux tloraisons peu développées, se répétant indéfiniment sui¬ vant les lignes des nervures, semant parcimonieusement les pleins de quelques symboles église Saint-Sauveur à Bruges. Le pays d’Anvers et le Brabant voient s’enrichir leurs créations d’une flore variée, capricieusement opulente, mêlée à des réseaux d’allure architectonique : telles les voûtes des églises du Sablon, d’Anderlecht, de Kessel, etc. Les pleins s’ornent d’inscriptions, de blasons, voire de motifs empruntés aux armes de la ville ou de la corporation donatrice, non sans réserver une place cathédrale d’Anvers aux armoiries princières. Dans ces régions, le coloris est également plus puis¬ sant et surtout plus varié.

La Flandre a accroché dans ses voûtes une fine dentelle discrète, toute blanche comme un voile de vierge. Le pays de Liège a tendu sur le vaisseau tout entier un opulent vélum brodé d’or, d’azur, de pourpre.

Mais si les documents sont abondants, ils n’en sont pas moins riches ni moins variés.

Ponthoz, Walcourt, Zepperen, Huy, Liège, Bastogne, Neeroe- teren, avec leurs voûtes légendaires ou ornementales, montrent une profusion décorative l’imagination, s’appuyant sur la flore du pays, n’est jamais en défaut.

La conception est vraiment ornementale; elle ne perd rien de sa force ou de ses droits et n’empiète pas sur l’architecture. Elle se plie à ses volontés et l’obstacle lui fournit matière à imprévu, à trouvaille de bon goût. On n’a même pas reculé devant l’intervention de la figure humaine et les combinaisons les plus heureuses en sont résultées : Ponthoz, avec le groupe de Y Annonciation. Huy, avec ses princes et évêques de grandes dimensions. Liège, avec ses charmants sonneurs et cari Hon¬ neurs. Bastogne, avec son Christ, sa Vierge, son saint Jean, ses princes et ses légendes sacrées, entourés d’arabesques aux lignes élégantes, souples, variées, aux couleurs chatoyantes, sont des modèles de science décorative.

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La hardiesse dont ont fait preuve les artistes en accompa¬ gnant les saints de personnages laïcs démontre une science de composition linéaire et picturale se rapprochant de la perfec¬ tion.

En effet, les conditions optiques des sections de voûtes ogi¬ vales sont tout autres que celles régissant les voûtes des édi¬ fices de la Renaissance, et les difficultés peuvent, à certains, sembler insurmontables. Les artistes du moyen âge ont su les vaincre.

La présence de personnages illustres corrobore notre thèse quant à la représentation dans les églises de faits se rapportant à l’ordre civil.

11 nous est resté deux documents de conception très origi¬ nale quoique d’inégale valeur : le premier, à l’église de Gheel, semble un essai de fusion entre les créations liégeoises et les données flamandes. Très caractéristique, originale, de tonalité douce, les verts tendres se mêlant à des roses légers, le dessin s’inspirant des Flamands dans les bordures, adoptant dans les couronnes de feuillages le mode naturaliste, peut être compté parmi les plus élégants du pays. Le second spécimen voûte de Diest ne peut se réclamer d’aucune école. C’est une imitation d’un tissu des Indes. L’interprétation est large, d’un sentiment ornemental assez subtil, mais l’influence étrangère y est trop appréciable. Aussi ne s’est-il pas trouvé de conti¬ nuateurs, pas plus que pour le système décoratif consistant en appareils comme on en trouve aux voûtes de Walcourt, sous des peintures postérieures. Encore que ce mode peut avoir été adopté assez fréquemment, surtout au début de l’art ogival, alors encore dans la période de tâtonnements.

Que si la décoration des voûtes en pierre a été générale, celle des voûtes en bois ne fut pas moins remarquable.

Nous ne ferons qu’indiquer les ornementations au pochoir noir et rouge, exécutées sur bois de chêne, du Béguinage de Bruges, de l’église de Handzaeme, etc., de la voûte du Bégui¬ nage de Saint Trond, à fond jaune et blanc avec motifs rouges, du semis de lys jaunes sur fond bleu de la voûte de l’Hôtel

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de ville de Bruges, ayant hâte de parler des décorations des voûtes de l’ancien chœur de Neerlinter et de la tribune de Gruuthuuse à l’église Notre-Dame à Bruges.

Disons-le, sans crainte de contradiction, ce sont des chefs- d’œuvre de science décorative.

Malheureusement incomplète, la voûte de Neerlinter nous offre encore trois sections de conservation relativement bonne. Elles représentent la Vierge, l’Enfant Jésus portant la croix et saint Jean l’évangéliste. Autour des nervures court une bor¬ dure assez large, de dessin gracieux. Mais l’œuvre capitale est le Saint Michel à cheval terrassant le dragon , qui occupe tout le pignon de l’édifice.

D’une exécution parfaite, nettement décorative, exprimant clairement en des lignes simples son but et ses tendances, cette œuvre est certainement unique en notre pays. Nous avons d’autant plus le devoir de la conserver pieusement, que sans elle nous ignorerions probablement toujours que la polychro¬ mie légendaire s’est étendue aux voûtes et pignons de nos édifices. C’est donc une découverte importante, et si l’exem¬ plaire unique que nous possédons ne permet pas de tracer les règles de cet art, qui s’affirme si victorieusement en ce spéci¬ men, nous le montrerons avec d’autant plus d’orgueil qu’il surpasse, par son importance et sa science pratique, les pro¬ ductions similaires des pays limitrophes.

L’art de la polychromie décorative a possédé des ressources, a fait preuve d’une ingéniosité, d’une souplesse que l’on ne peut assez admirer.

Variant ses compositions, son coloris, son dessin selon qu’il s’agissait de surfaces de pierre ou de bois, il n’a pas hésité à faire usage de matières que leur légèreté, leur fragilité ferait rejeter pour des travaux devant défier le temps.

Pourtant, existe-t-il décoration ornementale plus gracieuse, plus riche que celle de la voûte en bardeaux de la tribune de Gruuthuuse, à l’église Notre-Dame, à Bruges? Nous ne le croyons pas ; et ce n’est que du papier!

Plus de quatre siècles ont respecté ces élégantes découpures

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florales, tranchant de leur ton vert bleuté aux corolles d’or estampées sur le chêne bruni par le temps. Diverses de dimen¬ sions, de dessin, suivant les nervures, se pliant suivant les formes des sections, s’épanouissant en bouquet à la clé de voûte, dont les nervures avivées d’or et d’azur retombent sur les corniches, portant outre « Plus est en vous » les armes et symboles des Gruuthuuse et des van der Aa, cette floraison de papier unit au goût le plus délicat, le plus subtil, le charme de la fragilité.

Ce n’est même pas la fine dentelle; c’est, dirait-on, l’éphé¬ mère fleur dont la brise emporte la pétale.

Quand, en 1471, Louis de Bruges fit construire ce bijou, il ne se douta pas que ce léger papier survivrait à la peinture du Jugement dernier décorant la voussette et dont seules existent encore des traces.

N’est-ce. pas la marque d’un art supérieur, sûr de lui-même, sachant varier ses conceptions, ses méthodes, que cette diver¬ sité dans l’expression?

A notre grand regret, nous ne pouvons étudier les peintures dont le Magistrat des villes se plaisait à orner les maisons communales. Rien n’est resté de ces œuvres. Seul un acte des échevins de la ville de Gand, en date du 3 juin 1419, nous apprend que la salle échevinale fut décorée de peintures et que les « pourtraictures » des comtes y figurèrent en bonne place, comme à Courtrai ghelijc dat te Curtricke staet.

Si la logique des arts du moyen âge avait appliqué à l’archi¬ tecture civile les principes qu’elle faisait prévaloir dans les monuments religieux, les mentions assez écourtées des archives nous eussent laissés dans une ignorance complète des théories; heureusement il nous est resté deux documents d’une valeur historique et artistique.

Le Christ en croix accompagné de la Vierge, de saint Jean, et le Jugement dernier décorant la salle du Grand Conseil de Malines, aux Halles de cette ville, sont deux œuvres d’un rare mérite.

Le Jugement décorant la hotte de la monumentale cheminée

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requiert une étude spéciale et approfondie, car il s’écarte com¬ plètement des groupements et des méthodes appliqués dans les églises. Nous percevons ici nettement l’influence littéraire ita¬ lienne. L’emprunt a même été si peu déguisé que la distribu¬ tion des groupes n’appartient pas aux traditions du pays.

L’intervention de personnages non appelés à jouer un rôle dans le drame final, les figurations symboliques abstraites, la prépondérance démoniaque dans le côté gauche de la com¬ position, comme aussi le parti pris des zones de saints, la disposition des proches du Christ, sont autant de caractéris¬ tiques s’écartant de la conception flamande.

Nous serions porté à croire que le rigorisme exigé dans les églises pour les interprétations bibliques se relâcha quelque peu dans les œuvres ornant les édifices civils. On pourrait même admettre que les vertus civiques : le courage, le dévoue¬ ment, l’honneur, trouvèrent parmi les élus des figurations respectées du peuple et du Magistrat; tandis que les enfers reçurent les traîtres, les parjures et les félons.

Et dans cette salle du Grand Conseil de Malines, en face du Christ en croix , ce Jugement dernier prend l’ampleur d’un document unique.

L’architecture privée a fait également appel à la polychromie, non seulement purement décorative ou ornementale, mais même légendaire.

Si nous avons le vif regret d’avoir perdu une œuvre de l’im¬ portance de celle qui décorait la hotte de la cheminée d’une maison à Gand, composition du glorieux Hugo van der Goes, que mentionne avec admiration Van Mander et que chanta Lucas d’Heere, il nous reste à Bruges une Annonciation digne d’un grand maître.

Cet unique spécimen de la peinture murale dans les con¬ structions privées suffit à nous initier au talent des artistes auxquels s’adressaient nos riches bourgeois. Il nous révèle également la splendeur picturale de ces grands appartements aux murs historiés, aux solives d’azur diaprées d'or, soutenues par des clés de poutres curieusement sculptées et polychro- mées ou fastueusement blasonnées.

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L'appoint pictural ne fit d’ailleurs jamais défaut, même quand la salle ne reçut qu’une peinture unie, la cheminée s’orna de quelque œuvre.

Ainsi, sur le linteau d’une cheminée d’une maison à Bruges était peinte une Picta accostée de deux blasons. Nous déplo¬ rons la disparition de cette œuvre, d’autant plus qu’elle fut fort intéressante et que nous ne connaissons point d’autre exemple de ce genre.

Nous pourrions répéter ici ce que nous disions des principes qui ont guidé la polychromie architectonique romane.

En effet, à un degré peut-être encore supérieur, la peinture monumentale ogivale comprit que pour atteindre à une inten¬ sité expressive complète, elle devait concentrer son effort dans la peinture légendaire sur la science réaliste de la gesticulation. Elle pouvait négliger la perspective, sacrifier les choses secondaires, admettre une distribution de lumière fan¬ taisiste, variable même dans une même page. Elle osait exa¬ gérer certaines proportions pour en faire valoir d’autres plus essentielles, mais ces audaces ou ces sacrifices dictés par les lois d’harmonie générale n’avaient qu’un but : intéresser l’es¬ prit et, par la puissance de l’art, frapper l’imagination du peuple.

Par un progrès sensible sur l’art roman, ces simplifications n’ont point atteint les colorations; au contraire, la palette s’est enrichie d’une série de couleurs dont l’usage ne fut pas indiqué dans les temples romans à éclairage monochrome.

Si le dessin roman s’est inspiré à des sources diverses, a réussi finalement à constituer un type les emprunts à des arts étrangers se fondaient avec des trouvailles prises sur le vif, l’art ogival, profitant de l’expérience acquise, s’appuya plus volontiers sur la nature.

Ce progrès fut si soudain, si déconcertant, que l’on recherche inutilement les œuvres de l’époque de transition.

Or, une telle transformation ne peut s’expliquer que par l’étude raisonnée des êtres de la création : homme, animal,

plante et fleur.

Tome LXI.

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Cette avidité de savoir, de créer des formules nouvelles, déri¬ vait de l’orientation imprimée à l’esprit public par la diffusion de l’enseignement.

Si les expressions physionomiques se sont assez volontiers mais non exclusivement bornées à l’époque romane, à la caractérisation de la douleur et de la pureté, le dessin ogival reconnaîtra une plus nombreuse série de passions et de sentiments.

La cruauté, la colère, l’hypocrisie, l’effroi, la crainte, comme aussi l’amour, la douleur, la pitié, la virginale pureté, la chaste candeur trouveront leur linéament parallèlement aux idéalités célestes.

L’observation de la nature est d’ailleurs frappante; le dessin des yeux suffirait à faire apprécier le progrès accompli. L’im¬ pression reste toujours forte dans ces têtes dont la structure ostéologique est parfois accentuée au détriment de la partie myo logique.

Au surplus, l’art ogival, comme l’art roman, s’est rendu compte, à l’exemple des Grecs, que la simplification convenait à l’architectonique.

Le dessin plus serré des pieds et des mains, l’observation des lois de la proportion, l’oubli des hiératiques canons byzantins furent les conquêtes subséquentes de l’art ogival.

Si des tentatives vers des recherches anatomiques avaient caractérisé la dernière période, elles trouvèrent dans l’art ogival d’ardentes sympathies

L’intellectualité supérieure de la conception ne se trouva pas amoindrie par une manifestation anatomique plus ration¬ nelle. Mais cette conquête fut le fruit d’un temps assez long, d’une orientation l’esprit nouveau. L’art roman ne put s’affranchir de par ses origines byzantines.

Le dessin gothique observa d’ailleurs le principe de l’épura¬ tion des formes dans la personnification du Christ et, parce que plus savant, élimina les outrances charnelles dans la représentation des humains.

Si on devine dans l’art roman, sous l’hiératisme des plis,

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des formes parfois exagérées, des angles disgracieux, le dessin ogival tend à un étoffage souple adapté à la ligne des membres.

De-ci de-là apparaissent des essais de nudité, timides d’abord et s’exerçant de préférence dans la représentation de l’enfant. Car à l’impuissance de rendre le caractère enfantin qui régna à l’époque précédente avait succédé une série d’œuvres rompant entièrement avec les naïvetés antérieures.

Non que des erreurs ne se glissassent dans le dessin, que des omissions anatomiques regrettables ne fussent à constater, mais, à côté de celles-ci, il convient de remarquer que cer¬ taines expressions linéaires simplifiées dérivent de la compré¬ hension décorative. C’est peut-être à cette préoccupation constante, exclusive de toute compromission, que nous sommes redevables de posséder un art pictural légendaire architecto¬ nique.

La peinture verrière nous donnait d’ailleurs, à la même époque, l’exemple des simplifications dans l’expression figura¬ tive.

Dans une mesure plus large qu’à la période romane, des affinités de dessin et de composition empruntées à la poly¬ chromie s’observent dans le métier du peintre verrier.

On serait tenté, jusqu’à un certain point, de confondre les praticiens des deux arts, tout au moins pour la partie gra¬ phique.

A ce point de vue, la très intéressante page du transept de l’église Saint-Jacques à Bruges fournit un document typique.

Mais cette impression disparaît à un examen plus appro¬ fondi; ce que l'on attribuait à des emprunts apparaît comme le résultat d’un mode décoratif très étudié.

L’étude comparative des polychromies monumentales et de certaines œuvres verrières nous a donné la conviction que si le souci de l’expression a dominé dans les deux arts, ses pra¬ ticiens appartenaient à deux ordres différents.

Qu’ils se soient approprié des expressions communes est fort probable. Nous n’hésitons point à admettre qu’ils obéis¬ saient à des lois identiques en ce qui concerne l’art des sacri-

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nces. On peut suivre dans cette voie Faction parallèle des deux arts.

S’inspirant primitivement des traditions romanes, simpli¬ fiant, synthétisant les formes, éliminant les effets secondaires, se bornant à des indications, l’art ogival pictural et verrier développa successivement ses formules. Ces premières tenta¬ tives furent des conquêtes, nous parlons des peintures monumentales, car elles surent faire la part à la tradition sans se départir d’une sage ampleur.

On y sent toujours la recherche, la tension vers un art expressif supérieur. Le réalisme n’a qu’une part restreinte dans ces essais ; seul, l’amour du noble but à atteindre anime les créateurs.

Ainsi, l’art ogival marque un progrès très considérable dans la science du groupement qui, d’étape en étape, arrivera à la profonde science des maîtres du XVe siècle. Mais il convient de remarquer que cette conquête n’impliqua aucunement l’abandon des concepts antérieurs.

A ce propos, nous pourrions répéter ce que nous disions touchant le groupement roman. Le guide, la pensée essentielle est la même: caractériser, porter au summum l’acuité expres¬ sive des personnages en faisant abstraction ou en négligeant tout ce qui n’est pas appelé à absorber directement l’attention du spectateur. Mais, conjointement avec l’acquis roman pou¬ vaient se manifester les éléments propres à la conception du nouvel art.

La synthétisation des formes simplement exprimée à l’aide de graphique stylisé restera la grande préoccupation, mais le champ d’acquisition trouvera élargi.

11 ne sera plus besoin de recourir à l’artifice des proportions variables pour déterminer le personnage primaire ou l’action principale.

Au reste, l’art ogival, dans les compositions de grandes dimensions à sujets variés, appellera à son secours l’architec¬ ture décorative et divisera les zones en sections multiples. Dès lors, la confusion possible entre les divers épisodes d’une

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même légende sera écartée et la science du groupement trouvera un riche domaine à exploiter. L’action gesticulaire, souvent exagérée dans l’art roman, sera dorénavant circonscrite en des formules moins heurtées. L’intimité du sujet s’en trouvera accrue, car la participation d’un plus grand nombre d’acteurs a eu comme conséquence de rendre nécessaire une étude plus complète et plus variée des expressions physiono- miques.

Il convient de remarquer que ces études, ces recherches vers des émotions nouvelles, se sont exercées graduellement, ont même rayonné du principal au secondaire.

Les figures primaires, caractéristiques de l’art ogival, le Christ et la Vierge, tout en conservant les traditions expressives romanes, ont vu s’idéaliser leurs modalités. Ce résultat a été obtenu sans tomber dans des mièvreries qui eussent compromis l’art monumental. L’observation de la nature, développée par un enseignement rationnel et pratique, a suffi à créer ces intenses expressions. La transformation s’est étendue aux per¬ sonnages secondaires dont la gesticulation, moins sobre qu’à l’époque romane, traduit et complète le jeu physionomique.

Nous devons ajouter que l’attention ne s’est nullement trouvée distraite de la scène principale, les conquêtes se sont faites parallèlement et non au détriment de telles ou telles parties.

Si le simpliste art roman a pu admettre l’indication nomi¬ native des personnages figurés dans les compositions, l’époque ogivale, précisément par suite du développement de son champ d’action, a substitué, à ces indications sommaires, des citations entières empruntées aux écrits ou aux légendes.

Des phylactères déployés aux côtés ou au-dessus des per¬ sonnages tracent le rôle de chacun, et cette application assez inattendue achève de donner aux compositions un caractère de variété, de complet enseignement.

Le vœu de saint Grégoire le Grand se trouva réalisé en ce moment. Nous ajouterons que la simplicité ou l’esprit de sacri¬ fice dominant dans l’art roman ne perdit point de sa force. Il

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nous suffira d’évoquer à ce propos les graphiques architectu¬ raux ou les représentations des animaux, des fleurs, des plantes ou des objets mobiliers. La collection de ces divers éléments s’était accrue en des proportions notables, et si la simplification des formes a toujours été scrupuleusement observée, elle fut basée sur l’étude de la nature. Par exemple, nous ignorerons toujours par quelle série d’étude a passé tel arbre, telle plante, avant d’arriver au type admis par la suite.

Mais ce que l’on peut admirer, c’est l’aisance avec laquelle ces transformations se sont opérées : les nuages ont nuancé le firmament, les fleuves ont roulé leurs flots, alors que s’éten¬ daient au loin, les fleurs, les arbres, les rochers; tandis que d’architecturales constructions indiquaient des palais, des monuments.

Qu’on ne s’y méprenne point, c’est au dessin serré, concret, synthétique, que nous devons ces victoires que la couleur la plus brillante eût été incapable de nous procurer.

C’est de l’étude constante de ce dessin, fautif certainement en bien des endroits, que jaillit la science picturale monu¬ mentale, et si nous employons le mot fautif, nous nous en excusons presque, car à l’égal du dessin verrier, ce que nous prenons pour des erreurs sont parfois des partis pris dictés par les nécessites architectoniques ou visuelles.

A toutes ces transformations devaient se joindre celles du coloris, qui ne furent ni moins radicales ni moins ardues.

Aux sombres sanctuaires romans, parcimonieusement éclairés de fenestrages presque monochromes, succédèrent les larges baies rutilantes de couleurs. La palette du peintre décorateur dut lutter, sinon de valeur, tout au moins de richesse. Elle y réussit.

Dès le premier moment, la chaude couleur rouge s’intronisa en maîtresse, remplaçant le bleu des polychromies romanes. Autant l’azur avait réussi à réchauffer, à agrandir les vaisseaux romans, autant les rouges somptueux, caractéristiques des Flandres, étaleront partout leur éclat : dans les voûtes, sur les parois, sur les colonnes, en larges surfaces, dans les sculp-

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tures, dans les corniches, dans les nerfs ou les moulures en chauds redessinés.

La prédominance des rouges, tout en étant commandée par l’éclat multicolore des verrières, répondait aux goûts des somptuosités coloriques animant nos populations.

La série des couleurs s’enrichit parallèlement, et des tons ignorés des romans viennent ajouter leur appoint. Une étude comparative des couleurs connues des romans avec celles qu’employaient les artistes médiévaux révélerait l’état de progrès des deux civilisations. Au surplus, la présence bien plus fré¬ quente de l’or rendit indispensable l’usage de tons variés et nombreux.

A l’époque ogivale, on employa non seulement l’or comme appoint décoratif dans les bordures des habits ou pour l’enri- chissenient de quelque accessoire, mais on en couvrit des fonds entiers, généralement en reprenant ces dorures, soit en les ornant de délicates damasquinures noires ou bistres, soit encore en les gauffrant de riches reliefs. Par ce système, on obtenait une irradiation colorique d’une rare somptuosité.

Nous ne pouvons préciser d’une manière formelle si l’usage de cabochons s’était introduit en Flandre. Certains fragments nous portent à l’admettre, tout au moins pour les auréoles souvent ornées de quelques lignes en relief.

Nous pouvons être affirmatif en ce qui concerne les dorures à intailles. Les colonnes de la collégiale de Tongres portent encore les traces des intailles qui ornèrent les nimbes des figures de saints actuellement disparues.

Il faut observer ici que la distribution des surfaces dorées ne semble pas être le résultat de lois nettement déterminées.

Nous croyons que l’appoint que for pouvait apporter dans la décoration monumentale n’a été admis dans l’élaboration du programme polychromique qu’à titre secondaire et extra¬ ordinaire.

En effet, telle décoration sera parfaite sans que l’or inter¬ vienne, même dans les parties essentielles; tandis que, dans

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d’autres spécimens, église de Hal, on le trouve couvrant

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de grandes surfaces architecturales au point de confondre celles-ci avec des orfèvreries.

Alors intervinrent les cernés noirs; mais, fait remarquable, les hachures, dont l’usage fut si fréquent dans la méthode romane, disparaissent complètement. Les redessinés sont simples, inspirés par les linéaments noirs qui accentuent les sculptures, les yeux, nez, bouche, boucles de la chevelure ou de la barbe des statues ou plus sobrement les retombées et nerfs des chapiteaux feuillagés.

L’abandon des hachures noires entraînait la disparition des rehauts blancs, et le modelé simple, par tons rompus, se trouva instauré.

L’adoption de cette pratique nouvelle n’alourdit pas la technique, elle resta peu compliquée, procédant par larges plans de tons qu’elle adoucit par des intermédiaires savam¬ ment déduits. Car c’est la science des valeurs, leur harmonisa¬ tion, leur irradiation en quelque sorte la possession de leurs qualités intimes qui la font la force de cet art.

Les frottis, les glacis, etc., n’ont pas été d’un usage fré¬ quent; cela tenait, croyons-nous, à ce fait que la technique suffisamment instruite pouvait négligerces moyens secondaires. Faut-il en conclure que les repentirs ou les reprises étaient inconnus aux artistes du moyen âge?

Non, mais il est permis de croire que comme pour la pein¬ ture verrière, il existait une théorie harmonique suffisamment complète pour pouvoir guider les praticiens.

Que pareilles règles aient existé en ce qui concerne l’orne¬ mentation, cela découle clairement des ensembles décoratifs.

En effet, à côté de l’illustration des voûtes, dont nous avons esquissé les principes, l’art ogival usitait volontiers les motifs ornementaux, soit par « aplats » de dessin concret, soit par imitation florale richement colorée.

La variété, l’abondance capricieuse de ces créations en rend l’analyse assez ingrate.

Généralement les « aplats » s’inspirent du dispositif des brocards. Parfois, on utilisait les devises, les meubles des

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armes, les emblèmes des corporations, les symboles ou les instruments du martyre d’un saint en mêlant ces divers éléments avec l’ornementation proprement dite, tel à Mali nés, Anvers, etc.

Les combinaisons géométriques continues ou isolées agré¬ mentées de blasons, devises, etc., sont plus rares; nous pou¬ vons citer dans la première catégorie le fragment de l’église de Fûmes et, dans la seconde, le joli motif de l’église Saint-Jacques à Tournai.

La décoration des chapelles funéraires semble avoir fourni un thème très original. Malheureusement, peu d’exemples nous restent. Citons, comme appartenant encore à l’inspira¬ tion médiévale, l’élégant dessin de la chapelle de Ferryde Gros à l’église Saint-Jacques à Bruges.

Si l’ornementation tlorale des voûtes constitue une décora¬ tion originale et variée, celle qui s’étend sur les parois, colonnes, etc., mérite également toute notre attention, quoique nous ne puissions apprécier qu’un nombre réduit de spéci¬ mens. Cependant, nous pouvons observer que la méthode de composition ou d’invention ne se rapporte nullement à celle suivie par les créateurs des tapisseries dites « verdures », malgré que les deux modes de décoration doivent, semble-t-il, avoir des affinités qui se bornent à des similitudes de couleurs, tandis que le dessin est plus libre, plus large, plus essentielle¬ ment décoratif.

L’art roman avait esquissé timidement la théorie ornemen¬ tale inspirée des plantes, mais il s’était tenu à des essais mono¬ chromes.

L’art ogival développa ce mode, mais l’enrichit bientôt de la parure des couleurs et serra de plus près l’observation de la nature. Telle ornementation monochrome ogivale, s’inspirant .de la vigne vierge, est charmante de légèreté, de grâce décora¬ tive; mais les grandes compositions florales alliant les ors, les verts, les bleutés des corolles au rouge flamboyant des fonds peuvent compter parmi les œuvres les plus réussies que les arts somptuaires nous aient léguées.

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Nous pourrions indiquer les affinités existant entre ce mode décoratif et l’art de Pompéi : même pensée créatrice et, jusqu’à un certaint point, même parti pris de coloris.

Certains petits motifs se rapprochent de façon saisissante, car ils sont basés sur une étude attentive, minutieuse de la nature.

Le fragment du Musée archéologique de Bruges est un document très intéressant pour l’histoire de la décoration des maisons bourgeoises.

En comparant ce motif avec les tapisseries de la même époque, on peut se rendre compte de la différence de concep¬ tion décorative des deux arts.

La souplesse, la variété d’inspiration qui animaient l’art décoratif ogival trouvaient à s’exercer dans toutes les branches, concourant ainsi à l’ensemble général.

Nous n’en voulons pour preuve que les dalles funéraires, carreaux de pavements et de revêtements qui ornèrent nos églises.

Des fragments, relativement assez nombreux, se trouvent déposés dans nos musées et permettent de juger de la richesse, de l’esprit d’invention, du sens décoratif des maîtres potiers ou plutôt des peintres.

En effet, dès le déclin du XIVe siècle, fart du faïencier car il s’agit bien d’émail à base d’étain fut assez avancé pour que des hommes tels que Melchior Broederlam ne crurent pas déchoir en s’y intéressant.

Dès 1391, le duc de Bourgogne, en des lettres patentes, parle de deux ouvriers de « quarriaux pains et jolis », qui sont pour nous d’anciennes connaissances : Jehan du Mous- tier et Jehan le Voleur, qui durent fournir les « quarriaux » à la ville de Hesdin. Le duc Philippe attacha une grande impor¬ tance à cette affaire, car il est stipulé « que les carreaulx seraient les uns pains a ymaiges et chiponnés, d’autres pains a devises et de plaine couleur, par l’ordonnance de notre ami Valet de chambre et paintre Melcior Broerderlam ».

Le 27 octobre 1400, Philippe le Hardi fait payer à Jehan le

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Voleur ij c florins d’or pour la fourniture des carreaux de Hesdin, sans compter une gratification de 40 écus.

En présence de textes aussi précis, il ne nous reste qu’à regretter la destruction d’œuvres qui devaient parachever si luxueusement la décoration générale.

Les carreaux de revêtement ont subi le même sort. Des débris intéressants, en assez grand nombre, dénotant un goût très fin, existent encore, mais les ensembles ont disparu ; il faut un effort d’intelligence pour se représenter l’unité déco¬ rative.

Un point d’interrogation se pose quant à la question de savoir si les dalles funéraires coopérèrent également à la décoration.

Nous serions tenté de répondre affirmativement, en nous souvenant que l’idée, le souci d’art prédominait dans la con¬ ception ogivale.

D’autre part, les plaques de laiton aux brillants émaux qui firent la gloire de nos ouvriers et que l’étranger nous envia, sont la continuation des dalles funéraires en terre émaillée. Elles coopérèrent par leur polychromie à la décoration géné¬ rale. Nous croyons ne pas nous tromper en suggérant qu’elles purent fournir les éléments d’une ornementation pour la partie basse de chapelles funéraires, les parties élevées rece¬ vant des polychromies légendaires.

Si l’étude de la peinture monumentale nous a ménagé des découvertes intéressantes, il s’y est malheureusement mêlé bien des regrets causés par la destruction d’œuvres importantes. Nous pouvons ranger dans cette catégorie les polychromies qui décorèrent les armoires l’on déposait l’Eucharistie, les reliques, l’Evangile et autres objets du culte.

Coopérant à la décoration, les vantaux étaient peints d’or et d’azur. Quand la peinture n’était pas appliquée directement, on attachait sur le bois des feuilles de parchemin.

Mais nous avons lieu de croire que l’on adopta bien plus souvent le mode de peinture direct et que, si l’or ne fut pas employé plus souvent en nos contrées comme fond de prépa-

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ration, il fut en usage pour cette espèce de décoration qui réclamait tous les soins et toutes les splendeurs de l’art.

Nous pourrions encore citer dans cette série les peintures qui décoraient les sièges épiscopaux ou autres places dans le chœur des églises. Richement dorés, enluminés d’azur et de cinabre, ils avaient le dossier orné de peintures sur par¬ chemin.

Dans quelle mesure intervenait dans ces œuvres l’art du peintre et celui du miniaturiste serait assez difficile à déter¬ miner. Nous croyons toutefois que ce fut aux peintres que l’on s’adressa de préférence pour ces sortes de décorations, et nous en donnons comme preuve les travaux dont furent chargés les artistes de premier ordre, besogne parfois bien au-dessous de leur talent.

La polychromie monumentale extérieure à, l’époque ogivale.

Si nous avons émis des conjectures sur le système de déco¬ ration polychrome extérieure à l’époque romane, conjectures basées sur l’étude des manuscrits et fragments divers, nous pouvons, sinon offrir un ensemble complet de la décoration polychrome extérieure médiévale, tout au moins relever quel¬ ques exemples appuyés par des textes.

Que les monuments religieux ou civils aient vu leurs motifs architecturaux et sculpturaux redessinés par des couleurs et des dorures est un fait probant. Que cette polychromie ait affecté principalement les parties basses doit être admis sans conteste. Mais il n’en reste pas moins que certains motifs essentiels de la construction reçurent également des teintes plates, même aux parties les plus élevées des monuments.

Les moulures des pignons, les crochets, les roses des fenêtres, les dais des niches, les statues brillaient d’or et de couleurs.

C’est donc le même système décoratif qui prévaut dans la

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polychromie extérieure et intérieure; accentuer l’ossature afin d’impressionner le spectateur, de lui laisser l’idée de stabilité.

Le rouge dominait généralement surtout pour les grandes surfaces. Le noir servait principalement pour les redessinés des moulures et des ornements ou pour l’accentuation des traits essentiels des figures. Le jaune, le vert bleuté, le brun rouge participèrent à ce parti pris, sans qu’il soit bien possible, en présence de la pénurie de vestiges, de tracer un programme net du mode général adopté.

Le problème est certes difficile à résoudre, et s’il est possible de se faire une idée de la distribution des couleurs sur les monuments, si même des essais peuvent être tentés, ils devront forcément rester incomplets, car certains éléments constitutifs font entièrement défaut.

Nous pourrions arriver à des résultats satisfaisants en diverses parties de l’édifice, tels les grands portails, les porches latéraux, même les roses des fenêtres ; mais nous nous trouve¬ rions fort empêchés pour la polychromie des pignons.

En effet, il faut observer que ces membres se découpant en partie sur le ciel, une expérience et une pratique qui nous font totalement défaut sont exigées afin de satisfaire aux lois optiques, sans que la décomposition des rayons coloriques vienne brouiller les lignes architectoniques.

Il faut croire que le système ne fut pas sans provoquer les études, les essais des peintres du temps, et qu’un monument savamment polychromé excitait l’émulation des praticiens d’autres villes.

Nous n’en voulons pour preuve que le fait de voir Henri Mannin, peintre de la ville d’Ypres, chargé en 1330, par le Magistrat de faire un voyage de a plusieurs fois XV jours » afin d’étudier les beffrois de Bruges, Tournai, Valenciennes.

Le résultat de ce voyage d’étude ne se fit pas attendre, car dès le retour de Henri Mannin et de son valet Richard, la déco¬ ration commença. On y employa l’or battu, le blanc de plomb, le vermillon, l’ocre, le vert, etc. ; le vernis et l’huile furent également usités.

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La tourelle fut « surorée » et la lanterne tout entière fut polychromée de vives couleurs.

L’or, d’ailleurs, semble avoir joué un grand rôle dans la décoration extérieure, car le même Mannin « surora » égale¬ ment le dragon et les aigles de la galerie supérieure.

En pays de Flandre, il en fut partout de même, bien que cette décoration somptueuse ne s’appliqua pas exclusivement aux églises et hôtels de ville. Les édifices de moindre impor¬ tance, portes de ville, maisons particulières, furent splendide¬ ment décorés.

Si cet ensemble colorique, perdu dans les airs, peut sembler bien hardi, si même des mentions des couleurs employées, que l’on rencontre dans les archives, sont faites pour dérouter, il faut tenir compte de ce fait : que l’œil fut insensiblement conduit vers les sommets dorés qui furent soutenus par la décoration des toitures.

En effet, la polychromie des tuiles vernissées offrit aux architectes des ressources trop limitées que l’emploi des ardoises vint encore amoindrir.

On imagina de dorer et de couvrir les lamelles schisteuses, non seulement de peinture unie, mais de motifs décoratifs variés. Ce furent, pour les hôtels de ville, les armoiries du prince ou de la commune qu’on choisit de préférence et qu’on combina avec des ornementations géométriques.

Les reflets naturels à l’ardoise furent mis à profit; on en forma de véritables mosaïques de dessins variés, car on découpa les lamelles de manières diverses.

On ne reculait pas devant la dépense pour la décoration de surfaces que nous négligeons volontiers. Ainsi à Ypres encore, en 1398, on étendit une double couche d’or sur trois cents ardoises devant couvrir le campanile, et l’on crut qu’une simple couche du même métal suffirait pour cent quarante- quatre autres.

Le Magistrat ne se trouva pas embarrassé pour se procurer la précieuse marchandise; il démonétisa tout uniment quatre- vingts florins d’or valant 112 livres, ceci déjà en 1367, et pour une simple restauration.

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La décoration sur ou par des ardoises ne se borna pas seu¬ lement aux toitures des églises ou des palais princiers et com¬ munaux; on conserve le souvenir de demeures de nobles des plaques d’ardoises se trouvaient clouées sur des montures en bois. On ne peut douter que ce fut en vue d’y voir peindre les armoiries des propriétaires.

Dans certains pignons en bois, on peut trouver la trace de l’incrustation de lamelles schisteuses, que Ton doit conclure avoir reçu des polychromies. Du reste, la tradition picturale a continué à l’époque de la Renaissance, et si malheureusement aucune façade décorée de peintures ne subsiste, les tableaux des Musées de Bruxelles et de Bruges peuvent nous donner tout au moins une idée de ce genre de décoration.

Une découverte intéressant la polychromie des sculptures ornant les édifices privés s’est faite récemment à Bruges. Dans la façade d’une maison portant le millésime de 1633, dont la partie supérieure était remaniée, se trouvaient encastrés des bas-reliefs en forme de frise représentant un camp. La pré¬ sence de certains attributs permet de constater qu’ils devaient provenir de la seigneurie de Gruuthuse. Or, sur la principale tente, d’ailleurs plusieurs fois répétée, se trouvaient peintes, rayonnant du centre, des flammes rouges.

On peut en inférer que la polychromie s’appliquait aux détails sculpturaux même dans les constructions privées

Il est hors de doute qu’un ensemble aussi brillant, s’inspi¬ rant uniquement des nécessités monumentales, dut offrir un spectacle que notre imagination même a peine à concevoir. Ainsi à Damme se trouve ménagée, dans un contrefort, une niche monumentale, malheureusement veuve de sa statue. Nous avons pu y découvrir encore des traces d’or, de bleu, rouge, noir, etc.; tandis que tout à l’entour quelques surfaces portaient des plaques brun rougeâtre. Il est évident que la niche formait le centre d’un motif décoratif polychrome légen¬ daire ou purement ornemental. La question est difficile à résoudre.

Nous sommes pourtant porté à croire que les deux modes

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y participèrent. Dans le motif qui nous occupe spécialement en ce moment, nous admettrions volontiers que le fond de la niche fut décoré d’un diaprage : la statue, peut-être entièrement dorée, se détachant en vigueur sur ce fond.

Les éléments architecturaux nettement redessinés par des touches noires, l’azur et l’ocre jaune intervenant et pour obtenir l’harmonie, il fallait se préoccuper de l’entourage.

Or, les membres architecturaux polychromes venant couper plus ou moins régulièrement les surfaces disponibles, on eut, peut-on supposer, recours au système des imitations de vélums simplement ornés ou de tapisseries légendaires.

Cette méthode eut l’avantage de relier les parties secondaires aux grands porches.

Il resterait à déterminer si les éléments dont se compo¬ sèrent les diaprages furent de simples ornementations sans caractère fixé, ou s’ils furent inspirés par l’idée symbolique.

Nous croyons à cette dernière hypothèse et n’en voulons pour preuve que le texte que nous avons donné dans notre Avant-propos concernant Philippe Cacheraigne. Toute autre détermination ne se soutiendrait que difficilement, car si la cause de la peinture légendaire intérieure fut dictée par le souci d’enseigner, il dut en être de même, à plus forte raison, des représentations qui ont pu frapper les yeux des plus indiffé¬ rents.

D’une part donc, ornementation symbolique à inscriptions bibliques, mais aussi exécution de compositions légendaires. La tradition romane est respectée.

Si nous pouvons encore nous appuyer sur le texte concer¬ nant « l’astre S1 Pierre » à Tournai, qui nous renseigne sur la peinture en 1393-1395 de plusieurs «ymaiges de S1 Anthoine », nous possédons à ce sujet un document très important mais malheureusement fort délabré.

En effet, le Christ en croix entouré d’anges recevant son sang et accompagné de la Vierge et de saint Jean représenté sur un contrefort de l’église Saint-Pierre, à Louvain, est la seule page de polychromie extérieure offrant un ensemble

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assez complet pour servir de guide à une étude théorique et didactique.

11 semble nettement ressortir de cet exemple, que les scènes primordiales du christianisme occupèrent également à l’exté¬ rieur les endroits les plus en vue. Ainsi, on peut inférer que les épisodes entourant la Crucifixion comportèrent YEcce homo, la Transfiguration, la Résurrection , etc. On n’oubliait certainement pas le Précurseur remarquons ici que l’art fla¬ mand n’a pas admis la grande enjambée que l’iconographie prêtait au Baptiseur ni surtout Y Annonciation qui dut fournir sur les contreforts un thème bien gracieux et plein d’espérance.

On peut admettre que la figure de saint Christophe ne fut pas oubliée quand comme à Courtrai un Jugement der¬ nier décorait le tympan du porche.

Que les scènes furent peu variées, que leur hiératisme s’affirma bien plus que dans les compositions intérieures, se conçoit parfaitement. En effet, si le dessin, la composition, l’expression pouvaient, comme la couleur, subir certaines modifications, si parfois des audaces perçaient dans des efforts personnels vers une perfection idéale, ces essais ne trouvèrent point à s’exercer dans la polychromie extérieure. Par essence, par nécessité inéluctable, le dessin légendaire ou ornemental dut, à l’extérieur, rester sobre, incisif et dut indiquer les grandes masses en s’inspirant de la ligne sculpturale.

On ne conçoit pas bien le dessin des polychromies exté- rieuses si l’on n’évoque en même temps les principes qui guidèrent la sculpture monumentale.

Bien plus qu’à l’intérieur, ces deux arts subissaient une. influence réciproque, car si tel monument peut se passer à l’intérieur de motifs sculptés, alors que la polychromie est appelée à le décorer, il n’en pouvait être de même à l’exté¬ rieur. La sculpture ornementale ou légendaire découlait de la conception architecturale. La polychromie n’intervenait qu’au second degré.

Tome LXI.

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La théorie polychromique était donc variable au premier chef; vouloir en tracer des règles s’appliquant à tous les monuments est et, ajoutons-le, restera chose absolument impossible. L’architecte élaborait son plan, distribuait ses motifs sculptés, accentuait ses lignes architecturales, comme les motifs en bosse, selon les nécessités de lieu, d’optique, de climat, et par larges plans colorés faisait saillir les idées maîtresses de sa conception.

La polychromie des statues tenait également compte des yeux d’ombre et de lumière. On peut avancer que les couleurs subissaient des dégradations selon qu’elles s’appliquèrent à des surfaces recevant l’éclat de la lumière ou restant dans l’ombre.

Que cette décoration dût être très soutenue, même heurtée dans les détails; que certaines parties détachées de l’ensemble dussent paraître inharmoniques, se conçoit parfaitement.

Mais il convient d’observer le monument tout entier, d’en pénétrer le concept idéal, de dégager les efforts, les résultats et d’admirer les monumentales inspirations de l’architecture, de la sculpture, de la peinture, non séparément, mais comme une création dont aucune partie ne peut être distraite. Nous avons essayé de grouper les divers éléments entrant dans la décoration polychrome extérieure des édifices civils, religieux ou privés, et nous ne pouvons certes pas nous flatter d’avoir élaboré un code d’application. Les enseignements découlant de textes sont toujours trop aléatoires pour nous l’avoir per¬ mis. Si nous avons pu rassembler quelques relevés, quelques vestiges ou données nouvelles, nous n’en confessons pas moins notre incapacité quant aux applications pratiques.

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La polychromie monumentale intérieure et extérieure à l’époque de la Renaissance.

« En voyant chaque jour des chefs-d’œuvre de peinture, de sculpture et d'architecture pleins de noblesse et de correction, les gens les moins disposés aux grâces étant élevés parmi ces ouvrages comme dans un air pur et sain, prennent le goût du beau, du délicat et s’accoutument à saisir avec justesse ce qu'il y a de parfait ou de défectueux dans les ouvrages d’art et dans ceux de la nature, d

Platon.

Ces paroles du philosophe grec semblent avoir inspiré Tari de la Renaissance.

En effet, l’art roman et l’art ogival se sont adressés unique¬ ment à l’intelligence; ils se sont appuyés sur la nature et ont pétri de leurs éléments des formules synthétiques, idéales, adéquates aux monuments, respectant les droits de la décora¬ tion, mais n’y sacrifiant pas l’idée.

L’époque de la Renaissance oublia volontiers que la pour¬ suite de la perfection linéaire n’est pas le seul but de l’art et qu’une décoration, quelque somptueuse qu’elle soit, ne répond qu’imparfaitement à sa destination si une idée ne l’inspire.

Ce fut donc une révolution qui s’opéra dans les idées et les formules.

Dans les églises ogivales, les peintres de la Renaissance et des époques suivantes se trouvèrent fort désorientés.

L’élaboration des scènes bibliques fut envisagée au point de vue purement esthétique. On négligea ou, plutôt, on ne comprit point le côté éducatif de la décoration monumentale. La ligne, le souci de la perfection des formes, le culte de la nature, sous tous ses aspects, avec toutes ses transformations optiques et coloriques, telles furent les tendances de cet art savant mais fragile et superficiel.

Aussi pouvons-nous limiter notre étude à quelques spéci¬

mens.

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Citons, parmi les ornementations, les voûtes des églises d’Anderlecht et de Liège, la décoration architecturale de la chapelle Saint-Basile à Bruges et celle, d’inspiration italienne, de l’église Saint-Jacques de la même ville. Mettons hors de pair la chapelle des ducs de Bourgogne à Anvers. Mention¬ nons encore, non pour sa valeur artistique, mais à titre d’ex¬ ception, l’intérieur d’église peint dans une niche à coté du porche de l’église Saint-Jacques à Bruges et que surmonte la décoration renaissance dont nous avons parlé plus haut. Il est regrettable que ce document ne soit pas plus complet, car nous avons lieu de croire qu’il eut un caractère commémoratif.

Les seules scènes légendaires datant de l’époque de la Renaissance que nous ayons à étudier se limitent, dans les églises, à la représentation du jugement dernier.

Chose digne de remarque, fort peu de ces scènes ont résisté aux ravages du temps. Nous ne croyons pas nous tromper en attribuant cet état de choses à l’emploi de la couleur à l’huile.

Si nous étudions ces compositions, la transformation subie ou imposée au goût public, s’affirme nettement.

Autant les jugements derniers de l’époque médiévale impres¬ sionnent par leurs allures de grandiose sérénité au milieu de laquelle la justice divine ne revêt point le caractère de la vengeance, autant les compositions de la Renaissance s’inspi¬ rent des principes purement humains.

Un dieu vengeur, courroucé, d’un geste irrésistible, lance, du haut des cieux, la foudre destructrice. Aucun symbole de justice ou d’espérance n’accompagne le Justicier. La doctrine est oubliée. Ce n’est pas un dieu qui juge, c’est l’homme qui se venge, qui détruit. Les saints doux et humbles ne l’entourent point. Les anges graciles et purs ont fui ce ciel de feu. Seuls, les exécuteurs des inexorables arrêts menacent de leurs glaives les damnés éternels. La mère de Dieu, impuis¬ sante, semble écartée de la droite de son fils, ses intercessions stériles ne l’émeuvent point. Son attitude de mère suppliante découvrant, dans un geste de suprême angoisse et malgré sa pudeur en révolte, le sein qui a nourri l’Enfant divin, ne par¬ vient à arrêter la colère céleste.

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Si nous traçons le même parallèle entre les groupes du bas des compositions médiévales et de celles de la Renaissance, la supériorité doctrinale des premières s’atlirme également.

Ainsi, les primitifs appuyaient volontiers sur le groupe des élus et en faisaient une composition idyllique, tandis que les damnés n’occupaient l’attention que d’une façon secondaire. C’était l’idée de clémence qui dominait, encore accentuée par saint Michel justicier. Tandis que dans les compositions de la Renaissance, cette gracieuse figure a disparu, la place prépon¬ dérante, pour ainsi dire unique, a été prise par la représenta¬ tion infernale.

Aux démons impurs, lubriques, velus, repoussants, on a opposé la ligne onduleuse des corps féminins. Tout a été sacri¬ fié au culte de la beauté. 11 semble que tout a s’effacer devant elle : l’orgueil, l’avarice, l’homicide, etc., échappent, pour ainsi dire, aux châtiments.

L’homme lui-même est devenu l’êtresecondaire, et la femme, que l’art médiéval avait revêtue de grâces pudiques, avait ornée de chastes élégances, la femme, que les artistes avaient placée si haut dans leurs créations qu’elle semblait être la compagne de la Vierge, n’est plus que la courtisane.

Les théories de jeunes filles, légères et gracieuses en leurs vêtures blanches, ont fait place aux corps voluptueusement enlacés, ondulant, à travers la scène, en des lignes souples et lascives.

Les réminiscences classiques ne manquent même point à ces compositions. Telles figures sont étroitement apparentées avec les Vénus et les Junons antiques.

La couleur réservée, sobre, de la peinture médiévale a fait place à toutes les fulgurances, et dans cette atmosphère noire, que strient par places de rouges flamboiements, les artistes ont fait éclater la blancheur des corps humains.

Les Jugements derniers des dernières époques de l’art monu¬ mental sont devenus, non la réalisation de la vie éternelle, mais une scène de voluptueux triomphe charnel.

Les artistes semblent même avoir été déroutés par ce con-

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cept nouveau, et la gesticulation comme l’expression ne répond qu’imparfaitement aux sentiments que l’on a voulu exprimer. En effet, cette expression n’est saisie que pour autant qu’elle s’applique aux faces démoniaques.

Nous nous refusons à accorder aux attitudes féminines l’horreur et la répulsion des vices et des châtiments que nous devions y lire. On peut avancer sans crainte que ces scènes de haut enseignement moral ont, au déclin du XVIe siècle, dégénéré en un hymne à la beauté charnelle.

Mais qu’on ne se méprenne point sur nos idées. Si nous critiquons ces compositions sous le rapport de la doctrine et de la compréhension du véritable art monumental, nous disons bien haut qu’elles ne manquent point de mérite et de science picturale.

De structure savante, pondérée, malgré le désordre des épi¬ sodes inférieurs, ces compositions sont généralement d’une exécution très satisfaisante.

Le dessin, sans tomber dans la gracilité des Italiens, a des élégances raffinées, qu’il varie très heureusement dans les oppositions des corps féminins. Du reste, encore la cou¬ leur accentuera la robustesse des femmes de Flandre et y opposera la carnation dorée des réminiscences romaines.

Nous pourrions terminer ici ces quelques aperçus s’il ne nous était resté de cette époque un inestimable joyau.

Nous voulons parler des peintures de l’ancien hôtel Bus- leyden, à Malines; unique spécimen de la peinture monu¬ mentale dans les maisons privées, ces compositions nous apparaissent, non comme des peintures décoratives, mais comme de véritables tableaux. Science de composition, de des¬ sin, de couleur, d’agencement, tout est réuni en ces pages. OEuvre d’un inconnu? Peut-être; mais œuvre d’un talent supé¬ rieur, œuvre d’un maître!

Hier encore ignorées, ces pages doivent revivre. Car l’art de la Renaissance ne nous eût-il, dans le domaine de la décora¬ tion privée, laissé que ce spécimen unique, que nous devrions encore l’honorer.

C 135 )

Et l’exemple, la leçon que portent ces compositions ne peut être perdue; car elles sont l’œuvre d’un penseur, d’un homme maître en son art, d’un homme pour qui le dessin fut une loi, d’un artiste qui connut les charmes de la couleur et dont la science de composition fut vaste, profonde.

L’art de la Renaissance ne produisit pas beaucoup d’œuvres de cette importance. Aussi est-ce avec un amoureux respect que nous saluons, en terminant ces notes, ces superbes créa¬ tions qui suffisent à sauver de l’oubli l’art d’une époque et d’un pays.

Notre pays ne possède que fort peu d’œuvres exécutées sur des plaques de marbre. Nous citerons parmi les plus intéres¬ santes les quatre sujets ornant les autels latéraux de l’église Sainte-Walburge, à Bruges. Si ces compositions ne sont point dès œuvres originales, elles sont certainement dues à un artiste de mérite, et nous croyons ne pas nous tromper en lui attribuant les peintures de la voûte de l’ancien réfectoire du couvent désaffecté des Jésuites, à Bruges, œuvres qui peuvent suffire à motiver notre appréciation.

La polychromie extérieure fut, pour ainsi dire, abandonnée à l’époque de la Renaissance. Cette indifférence nous étonne, car il semble que les architectes, sculpteurs ou peintres qui s’inspiraient de l’art classique n’eussent pas perdre de vue le principe polychromique si apprécié des anciens.

Une aspiration vers les somptuosités coloriques semble d’ailleurs avoir animé les maîtres de la Renaissance. Mais les essais, les tentatives se sont bornés à des compléments d’or, soit par applications totales, soit par rehauts sur les reliefs des sculptures ou motifs architecturaux.

On pourrait même admettre que le fond des frises et cer¬ taines autres parties des monuments reçurent des tons unis.

Cette méthode s’inspirait certainement des anciens; mais les applications en sont si peu nombreuses que l’on hésite à esquisser un système de polychromie extérieure à l’époque de la Renaissance.

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La polychromie funéraire.

Notre étude de la polychromie monumentale ne serait pas complète si nous négligions la décoration des caveaux funé¬ raires.

Le peuple flamand, à l’égal des civilisations précédentes, eut le culte de ses morts ; il garda leur mémoire dans le trésor de son histoire, honora leurs tombeaux et, quand le christianisme apporta ses consolantes espérances, l’art appliqua les symboles de rédemption à la dernière demeure terrestre de ces hommes qui si souvent se levèrent pour le combat de la foi.

N’est-ce pas un spectacle peu ordinaire que la révélation de cet art, hier encore inconnu, enfoui dans les profondeurs du sol et que les nécessités de la vie moderne font surgir à nos yeux, parler à notre intelligence, tressaillir nos cœurs?

Nous le savons, la polychromie des caveaux ne fut pas géné¬ rale; une classe nombreuse ne put prétendre à ce luxe, mais ce fait s’est produit chez tous les peuples; les arts funéraires de ces pays n’en sont pas moins appréciés. Bien que l’explo¬ ration de ce domaine nous réserve peut-être plus d’une sur¬ prise. Si, en ces dernières années, de nombreux spécimens ont pu être recueillis, nous ne pouvons oublier que l’unique tom¬ beau décoré, découvert en 1841 à l’église Saint-Sauveur, à Bruges, ne semblait pas réserver à notre art funéraire l’impor¬ tance acquise depuis quelques années.

Nous pouvons ranger en trois catégories la décoration tom¬ bale : la décoration ornementale, légendaire, symbolique; la décoration obtenue au moyen d’estampes, de peinture; et celle n’intervient que l’estampe seule.

C’est de ce dernier mode que se réclame la découverte de l’église Saint-Sauveur. Première en date, elle est jusqu'ici la plus importante dans cette catégorie, car la gravure le Cou¬ ronnement de la Vierge qui se trouvait à la tête du caveau est certes une œuvre de valeur. Nous ne pouvons que regretter l’absence de tout dessin des autres estampes.

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Celte décoration au moyen d’estampes appliquées sur le mortier à l’aide d’un enduit destiné à en assurer la fixité et la conservation nous fournit un sujet d’étude assez vaste.

En effet, cette décoration si originale a-t-elle précédé les premiers essais de polychromie ou est-elle destinée à achever la décoration picturale?

Nous sommes porté à croire que les premières décora¬ tions tombales furent empruntées aux signes symboliques : croix, etc.; bientôt, semble-t-il, ces représentations ne suffirent plus; on eut recours, le temps faisant généralement défaut, aux estampes coloriées. Dès lors, il fut possible de ne pas s’en tenir aux signes symboliques. On créa l’estampe funéraire; car il n’y a pas à douter que les gravures appliquées dans les tombes furent exécutées en vue de cette décoration.

Le Christ en croix entouré de la Vierge et de saint Jean fut généralement placé à la tête du trépassé; tandis que la Vierge assise sur un trône et portant l’Enfant Jésus se trouva à ses pieds. Les parois latérales reçurent des anges thuriféraires ou adorateurs.

Si, dans quelques-unes de ces estampes, nous relevons des naïvetés et des incorrections, d’autres compositions ne sont point dépourvues d’intérêt et de valeur artistique.

Ainsi, dans un tombeau découvert à l’hospice Nicolas Pag- haut, à Bruges, les anges ont été peints directement sur le mortier frais; le dessin en est fort soigné.

A Sainte-Croix, les anges musiciens et autres furent égale¬ ment peints à même le mortier.

Nous avons pu constater dans des découvertes subséquentes que le tracé avait été préalablement fait au moyen d'un stylet pénétrant légèrement le crépi. On peut supposer que dans ce cas l’artiste décalquait d’abord les lignes de l’estampe et les repassait à la pointe afin de ne pas perdre les contours. Il en fut parfois de même pour les motifs principaux ou pour les sujets d’usage moins fréquent : tel le Saint-André du tombeau de cette commune ou les saints Pierre et Paul de Harelbeke.

Les motifs décoratifs reliant ces compositions sont généra-

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lement peu variés. Ils se limitent à des croix potencées ou lleurdelysées.

Dans les tombeaux les plus ornés, les fonds sont semés de petites rosaces du plus gracieux effet.

Deux inscriptions pieuses, des dates, peut-être des noms, ornaient également certains tombeaux. Malheureusement, ces indications si précieuses sont devenues illisibles.

Des découvertes assez nombreuses ont été faites en ces derniers temps, sans qu’elles aient apporté des documents nouveaux.

Les grandes compositions restaient les mêmes; seuls des dentelures aux bords de l'encadrement, des semis de croix, des îleurs de lys, variaient ces spécimens.

La couleur généralement rouge s’enrichissait de noir ou de bistre; mais ces variantes n’affectaient pas essentiellement le type admis dès le XIIIe siècle que nous révèle le tombeau découvert à Saint-Sauveur en 1878.

Une seule exception, jusqu’à ce jour, est à relever dans cet ordre d’idées : c’est celle de la tombe de Guillaume de Monbléru qui trépassa l’an 1468 et dont la dépouille fut déposée dans la chapelle des peintres à Bruges.

En effet, cette fresque est entièrement originale et nous ne pouvons qu’admirer le dessin et la couleur de ces composi¬ tions. Le calvaire avec ces anges recevant le sang qui découle des plaies du Christ est une œuvre de mérite, comme aussi les anges thuriféraires, richement vêtus, qui ornent les parois latérales alternant avec les armoiries du noble conseiller du duc Charles de Bourgogne.

Les caveaux des van der Straeten, à Sainte-Croix, comme celui du cimetière de Watervliet, nous offrent également une décoration héraldique.

Nous ne doutons pas que des découvertes viennent encore enrichir ce domaine; mais, tel qu’il nous est permis d’appré¬ cier cet art funéraire, nous n’hésitons pas à le ranger parmi les plus intéressants, car il est empreint d’un haut caractère de noblesse religieuse, il exprime sobrement les espérances des

croyants et fournit à l’art le modèle de décoration peu com¬ pliqué, mais hautement expressif.

Involontairement, ces peintures font penser aux décorations des catacombes, et l’on reste rêveur en songeant aux œuvres encore enfouies dans ce sol de Flandre que frappent nos pieds.

Les procédés.

LA FRESQUE.

Il nous reste à examiner quels furent les procédés usités en notre pays pour les polychromies intérieures et extérieures.

11 conviendrait de placer en premier lieu la peinture en détrempe ou à base de résine, si les premiers essais étaient arrivés jusqu’à nous ou nous eussent été révélés par des enlu¬ minures de manuscrits.

Les manifestations artistiques de quelque importance ou valeur ne datent donc que de la période romane, et le procédé à la fresque en a fait les frais. Est-ce à dire que ce procédé fut employé exclusivement? Non, certainement, car la polychromie s’appliquait à l’intérieur sur les matériaux des colonnes, cha¬ piteaux, corniches, etc., et à l’extérieur sur la pierre brute.

Les praticiens romans étaient donc en possession d’un pro¬ cédé résistant aux intempéries de notre climat.

Pour autant que nous puissions déduire des faits connus, la base de cette peinture devait être la cire ou une résine extraite d’un végétal indigène.

Les rares traces révélées n’ont point réussi à nous former une opinion.

Il en est autrement des peintures intérieures, nommément de celles de Saint- Bavon, Tournai et Mons, exécutées à fresque.

Nous croyons inutile de nous étendre sur la pratique fres¬ quiste qui est connue de longue date et fut, sans doute, usitée à l’origine même des premiers essais coloristes. Aussi n’avons-

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nous à examiner que les conditions dans lesquelles s’exécutait ce travail.

On a jugé longtemps que la fresque ne fut pas durable en notre climat, invoquant à l’appui de cette thèse des essais souvent malheureux.

Sans vouloir avancer que ce procédé convient au climat de nos pays et répond à l’esprit de nos artistes, nous devons à la vérité de dire qu’il a parfaitement résisté aux rigueurs de notre sol et que nos artistes ne s’y sont point montrés inférieurs.

Mais si les essais modernes n’ont point réussi, nous croyons qu’il faut en rechercher la cause dans la manière défectueuse dont on préparait l’enduit.

En effet, la durabilité, l’éclat du travail dépend de la com¬ position du mortier. De ce que la chaux soit trop vive, trop corrosive, que le sable ne soit pas assez lavé, contienne des matières organiques, tout peut influencer sur l’œuvre entière. A notre sens, ce sont précisément les caractéristiques des pro¬ duits de nos régions.

Dans certaines parties de nos contrées, on remplaçait le sable, probablement dans le but d’appauvrir l’enduit, par de la tuile pilée. Cette matière devait donner à la préparation une égalité et un luisant très appréciables. Peut-être pourrait- on lui supposer une vertu plus précieuse : celle d’arrêter l’action destructive de l’humidité montant du sol, action si funeste pour beaucoup de nos monuments.

Cet amalgame dut convenir supérieurement pour ies fresques extérieures, le lavage par les eaux pluviales subi continuellement par les peintures n’imprégnant point un mortier préparé au moyen de ce produit, les débarrassant au contraire des impuretés qui venaient s’y déposer.

D’autres produits pouvaient trouver place dans la composi¬ tion de la préparation première. Ainsi, il nous a été donné de constater que la couche d’enduit calcaire qui supporte les peintures romanes de la cathédrale de Tournai est fort épaisse à l’encontre de la pratique générale, et qu’elle présente une teinte rose assez prononcée, très fraîche. Il nous a même

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semblé qu’elle offrait une résistance peu commune, nes’émiet- lantque fort peu sous la pression des doigts, non en granules multiples, mais en éclats irréguliers plus ou moins aigus.

Nous ne serions pas éloigné de croire à l’adjonction au mortier ordinaire de quelque partie de pierre ou de marbre rouge. La chaux bien éteinte, l’incorporation d’une poudre pierreuse ne pouvait offrir aucun danger de gerçure. En règle générale, nous croyons d’ailleurs que la pratique fresquiste en notre pays n’a pas été en tout semblable à celle que l’on appliquait en Italie.

Notre climat exigeait que l’on prît des précautions et des soins quant à la durabilité, la stabilité des enduits : souci dont les Italiens ne devaient se préoccuper que dans une mesure beaucoup moindre.

La rareté des spécimens romans en notre pays ne nous a pas permis de pousser très avant nos investigations, qui toute¬ fois nous ont fait constater les soins extrêmes que l’on prit, tant pour le support que pour les couleurs. Celles-ci sont fort limitées dans la pratique fresquiste qui exclut toutes les tein¬ tures et produits tirés des minéraux, le principe actif de la chaux les décomposant.

Comme étant d’usage fréquent, nous citerons : le blanc de chaux pure ou mêlé au blanc de coques d’œufs ou au marbre blanc soigneusement pilé et en général toutes les ocres ou terres d’Italie, le jaune de Naples, le massicot blanc, quoique assez capricieux.

Les rouges s’obtiennent par l’emploi du vitriol romain cal¬ ciné, le rouge violet anglais, la terre rouge, espèce de san¬ guine, la terre d’ombre naturelle ou brûlée, l’ocre brûlée; le cinabre, quoique minéral, peut s’employer après préparation spéciale à l’eau de chaux. L’azur à poudrer et l’outremer sont les bleus généralement usités. Les verts s’obtiennent par l’usage de la terre verte de Vérone, par le vert de montagne et par les verts cendrés.

Différents noirs s’emploient, surtout les terres noires de Cologne, Venise, Rome, etc. Les noirs provenant de charbons

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de bois ou de noyaux de pêches tiennent bien; mais celui fabriqué au moyen de lie de vin est fort chaud de ton.

Il n’est pas douteux que les fresques romanes aient été retouchées, comme du reste celles d’Italie, au moyen de la détrempe.

Le lait fournissait, croyons-nous, le véhicule nécessaire à la préparation.

Nous n’avons pu découvrir si la dorure intervint dans les fresques romanes de nos contrées. Nous ne le croyons pas.

L’emploi des intailles, des renflements obtenus sur certaines parties des figures, de cabochons multicolores, ne nous semble pas plus probable. Sous ce rapport, la technique romane est restée fort sobre. Pourtant, l’expression est très vive, peut-être même à cause des moyens restreints dont disposaient les praticiens.

Les romans ne semblent pas avoir dessiné directement sur le mur, c’est-à-dire décalqué soit au stylet, soit autrement. Ils faisaient usage, croyons-nous, des poncifs. Ce mode offrait certainement des avantages multiples qui n’échappaient pas à la sagacité des exécutants.

Au surplus, l'examen de certains détails semble concluant; la répétition de motifs identiques dans une décoration orne¬ mentale devait les encourager à cette méthode.

La conclusion qui s’impose à l’intelligence de ceux qui veulent étudier la pratique fresquiste romane dans nos contrées, est que nos praticiens étaient fort au courant de leur métier et qu’ils possédaient, indiscutablement, le secret des enduits résistants et de fine contexture. La science du degré de siccité du mortier permettant la peinture ne leur fit pas défaut, comme le démontre la parfaite adhérence des couleurs dont les propriétés semblent leu^ avoir été très familières.

On peut donc hardiment conclure que l’art de la fresque est connu et pratiqué en notre pays depuis une époque assez reculée. Nous ne craignons pas d’ajouter qu’il n’eut rien à envier aux pays limitrophes.

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l’encaustique.

Si nous pouvons conjecturer que la pratique fresquiste est la première qui ait été usitée à l’origine et parmi tous les peuples, il est fort malaisé de déterminer à quel moment ce procédé a subi les transformations amenées par l’emploi de la cire. En effet, si la peinture à l’encaustique peut se réclamer de la plus haute antiquité, si elle fut connue de Polygnote, Nicanor, Arcésilaüs, etc., la combinaison des matières comme la méthode d’emploi restent assez énigmatiques et les textes de Pline ne révèlent que peu de chose.

Mais s’il peut être admis que l’invention doit s’attribuer aux Grecs, d’autres peuples l’ont pratiquée, tels les Egyptiens ou les Romains qui eurent leurs « encaustes ».

Aux premiers temps du christianisme, l’encaustique fut très employée, peut-être même dans les catacombes; en tout cas, son association avec la fresque ne peut faire de doute.

L’encaustique pure ou ses dérivés ont pu être utilisés pour des travaux exigeant plus de fini, destinés à être vus de près; tandis que la fresque cirée eut la préférence pour les compo¬ sitions monumentales.

Nous croyons que, dans notre pays, l’usage de la cire fut fréquent et important, surtout pour les polychromies exté¬ rieures. En effet, la cire devait être la matière idéale pour brûler les pierres et donner ainsi l'assiette aux couleurs. Mais, encore une fois, les spécimens nous font défaut pour pouvoir déterminer exactement le procédé.

Il ne nous reste vraiment que deux documents pouvant nous éclairer : le premier est le manuscrit, daté de 1431, par Jean le Bègue, donnant quelques indications sur la peinture à la cire; le second nous est fourni par les peintures de la salle scabinale d’Ypres qui, nous serions porté à le croire, ont été exécutées d’après la méthode primitive.

L’enduit nous semble avoir été préparé très soigneusement, car, à l’encontre des supports d’autres peintures de la même

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époque, les spécimens d’Ypres offrent une surface très unie, dépourvue des inégalités si fréquentes dans la polychromie monumentale.

L’incorporation à la cire d’une certaine quantité de matière crayeuse ou bien plutôt de minium nous semble prouvée par l’examen de l’œuvre. Ce fond dut plaire à nos artistes qui eurent toujours des préférences pour les préparations à base rouge, comme nous l’observerons même dans la pratique à la détrempe.

La cautérisation aura eu pour effet de réduire les inégalités de la couche d’enduit tout en imprégnant la pierre d’une matière alliant la flexibilité à la solidité. A chaud, cette couche a peut-être été rendue moins lisse par une granulation artifi¬ cielle, car les surfaces sont relativement assez rugueuses.

On comprendra toutefois que nous ne donnons cette for¬ mule qu’à titre conjectural et parce qu’elle nous semble avoir être celle utilisée pour la polychromie extérieure. En effet, seule la cire ou les matières résineuses devaient offrir une résistance suffisante à l’action néfaste du climat; elle pouvait encore garantir la pierre des infiltrations d’eau si dangereuses aux époques de gel.

Que les peintres aient eu à leur disposition des formules assez diverses, variant selon le genre de travail, soit à l’intérieur ou à l’extérieur même, selon les conditions climatériques de la contrée, peut être admis. Ainsi, entre l’enduit couvrant les moulures des nerfs et colonnes de la cathédrale d’Anvers, enduit de nature assez cassante, et entre la préparation sup¬ portant le métal des auréoles des têtes d'apôtres du porche d’Anderlecht existe une différence de composition très appré¬ ciable. Nous ne serions pas éloigné de croire que dans cette mixture la diapalme soit dans une proportion assez forte, tandis que la colophane a pu être incorporée dans l’enduit des peintures d’Anvers.

Les murs préparés à la cire, comme nous venons de le voir, pouvaient alors recevoir les peintures historiées ou ornemen¬ tales, et, nécessairement, les artistes devaient mélanger de la

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cire à leurs couleurs afin d’assurer l’adhérence complète, intime, entre les différentes couches.

L’action de la chaleur était-elle encore nécessaire pour assurer la bonne conservation des polychromies? Ce serait assez difficile à déterminer de façon certaine, quoique nous serions tenté de le supposer. Au surplus, nous croyons que l’on procédait ainsi, tant pour la peinture intérieure que pour la couverte polychromique des ardoises et des statues.

Nous croyons ne pas nous tromper en admettant le savon parmi les ingrédients habituellement employés ; matière peu coûteuse et à la portée de tous, elle pouvait offrir, mêlée à la cire et au minium, une ressource précieuse pour la couverte de grandes surfaces moulurées et son élasticité devait, dans une certaine mesure, corriger le peu de flexibilité du minium.

Pareille préparation offrait certainement des avantages qui n’ont point échappé à nos praticiens.

LA DÉTREMPE.

Il nous reste à traiter de la peinture à la détrempe, que nous n’hésitons pas à considérer comme étant le procédé par excellence et le plus usuel en notre pays.

Malgré l’abandon, même le discrédit ce procédé et ses dérivés sont tombés en nos contrées, nous pouvons avancer que c’est celui qui convient le mieux à notre climat. Si des déboires ont pu détourner certains de sa pratique, ils doivent surtout être attribues à la préparation impropre de l’enduit du subjectile.

En effet, de quel soin les praticiens du moyen âge n’entou¬ raient-ils pas la préparation destinée, non seulement à recevoir les peintures, mais à les garantir des atteintes de l’humidité montant du sol et les désagrégeant sur leurs faces internes, tandis que les buées en suspension dans l’atmosphère les éner¬ vaient à l’extérieur?

Tome LXI.

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Toutes les anciennes polychromies ne sont point exécutées sur des crépissages couvrant des maçonneries de briques, car elles ornent tout aussi bien les parois et les voûtes des monuments construits en moellons et n’en ont pas moins résisté tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, alors que l’on pouvait craindre l’action néfaste du salpêtre combiné avec les atteintes de la pluie.

Si nous pouvons constater cette incroyable solidité qui, en bien des endroits, défie les raclures du couteau et résiste aux corrosions climatériques, aux dégradations des hommes, force nous est bien de convenir que la solidité de la détrempe réside en grande partie dans les préparations préliminaires et de rechercher la composition de celles-ci.

Disons tout d’abord que le secret n’est pas à découvrir dans la composition du mortier de crépissage ni dans le soin que l’on pourrait mettre à l’étendre. Au contraire, ce crépi est partout fort commun, n’offrant aucune particularité de dosage : c’est du mortier ordinaire que l’on diluait jusqu’à en faire une pâte fort liquide. On ne poussait même pas le souci jus¬ qu’à égaliser au moyen de la truelle. La mince couche de crépi a été presque partout passée à la brosse chargée d’eau, de façon que le mortier pénètre bien les interstices de la maçonnerie. Ce travail est fort apparent dans bien des endroits, car on a jugé inutile de faire intervenir la truelle après cette opération. C’est vraiment une merveille de voir s’étaler sur ce rudimentaire crépissage tant et de si belles œuvres. D’ailleurs, il est bien évident que la composition du crépi n’entre pour rien dans la solidité des peintures, puisque ce crépi fait tota¬ lement défaut sur les surfaces bâties en moellons.

Pourtant, nous devons observer ici qu’il est fort difficile de se rendre un compte exact de la composition d’un mortier, quand il n’y entre aucune matière solide extérieurement appréciable, soit par sa couleur, soit par sa contexture, et que si un élément liquide incolore vient à y être ajouté, la révéla¬ tion est, pour ainsi dire, impossible.

Ainsi, la découverte du lait écrémé mélangé à la chaux ne

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peut se faire que par l’analyse chimique. Il est avéré que l’ad¬ jonction de ce produit ou d’un élément similaire exerce un effet très heureux, tant sur la solidité du crépi que sur la faculté d’absorption des matières colorantes liquides.

Pénétré, comme tous nos contemporains, de l’idée que la peinture à la colle n’offre qu’une fixité très limitée, nous avons abordé l’étude des procédés de la peinture monumentale avec la conviction que les œuvres existant encore auraient gardé pour toujours le secret de leur procédé compliqué d’étrange mixture. Et bien, il n’en est pas ainsi, nous en avons la persuasion, mais nous sommes également convaincu que l’on étendait sur le crépissage une ou plusieurs couches de matière préservatrice de l’humidité. Dès lors, nos efforts et nos recherches ont été attirés sur ce point, et les résultats obtenus n’ont point été chimériques.

Mais quelle fut donc cette merveilleuse panacée qui garantit les polychromies des siècles passés, qui fit resplendir leurs couleurs, alors que nos peintures datant d’hier étalent leur misère sur des murailles si savamment préparées?

Nous croyons ne point nous tromper en admettant que le minium, qui joua un si grand rôle dans les préparations des peintures antiques, fut la base des enduits flamands. Malaxée à la colle de peaux additionnée de savon, de colophane, de diapalme, voire d’autres matières résineuses, cette mixture présentait une résistance précieuse aux envahissements de l’humidité, tout en offrant une élasticité excluant la possibilité des écaillures.

Nous croyons même que deux opérations furent néces¬ saires :

La première consistant à étendre, au moyen d’une brosse assez dure, une couche de la préparation sus-indiquée, alors qu’un enduit légèrement différent était appliqué au moyen d’une spatule.

La proportion des matières employées dans cette mixture différait; la litharge, dont la thérapeutique du moyen âge fit un usage si fréquent, intervenait dans une mesure plus ou

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moins appréciable. L’absence de toute végétation ou champi¬ gnon sur les peintures à la détrempe, qu’elles fussent appli¬ quées directement sur les pierres ou sur un crépissage, nous fait croire qu’une solution en quelque sorte antiseptique fut ajoutée à la préparation. La pomme de coloquinte peut fort bien servir à cet usage. Il est certain que nos ancêtres surent tirer des simples des produits analogues.

Ces préparations furent d’ailleurs assez variées; car le plâtre, le gypse, la craie blanche s’employaient avec plus ou moins de succès, tant sous le rapport de la solidité, de la conservation que de la fraîcheur des couleurs.

Toutefois, certaines de ces matières de nature vive exigeaient l’emploi d’éléments otfrant plus d’élasticité : ainsi, la craie devait avoir un correctif qu’on trouvait soit dans le miel, soit dans l'huile ou la cire.

Au surplus, nous croyons que la dose de matière inerte fut peu importante, et que si l’on relève dans certains spécimens la trace de deux couches rouges superposées mais de teintes différentes, ce fait provient de l’intensité du feu qu’a subie le minéral. Ainsi le minium de teinte carminée a été exposé à un feu plus violent et plus continu que celui de teinte orangée. Généralement la couche orangée est celle de la première a pplication, peut-être aussi la plus chargée de colle ; la seconde, de ton carminé, venait s’étendre en une espèce de glacis.

Nous avons cité plus haut la litharge comme entrant dans la mixture d’enduit du support et nous croyons qu’elle a été d’un usage assez fréquent. Il y a peu d’années, elle était encore fort prisée des vieux peintres, qui avaient pu apprécier ses qualités isolantes et solides.

La litharge, vulgairement appelée « écume d’or », sous- produit du plomb, de l’argent ou de l’or, obtenue par la calci¬ nation de ces minéraux, se présente en forme de scories d’aspect métallique, que l’on pulvérise en poudre; elle offre au toucher la sensation d’une matière assez grasse. De fait, elle sert à la fabrication des huiles grasses et siccatives.

Cette indication nous suffît à deviner l’emploi que les pra-

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ticiens du moyen âge devaient faire de ce précieux produit. Par ses qualités oléagineuses, cet enduit gardait une certaine élasticité, tandis que son principe métallique opposait à l’hu¬ midité une barrière très sérieuse. Ainsi préparée, la surface offrait un support l’action du dessinateur et du peintre s’exerçait facilement.

Ces tons rouges sont fort difficiles à retoucher ou à rendre en copie, car ils déroutent l’œil de l’exécutant peu familiarisé avec la pratique du moyen âge, d’autant plus qu’ils semblent avoir été obtenus par l’emploi des laques rouges, que nous croyons, au contraire, avoir été peu employées en polychromie monumentale.

Nous sommes d’autant plus convaincu que cette matière rouge fut employée en guise de préservatif, qu’elle s’étend sur toute. la surface des peintures, tant sur crépi que sur moellons, lors même que le sujet traité exclut les tons rouges.

D’ailleurs, nous n’avons pas fait cette constatation sur quelques polychromies, mais nous pouvons poser en fait qu’elle s’étend soit en couche mince appliquée au pinceau, soit en enduit étendu à la spatule sur toutes les surfaces indis¬ tinctement. Même certaines polychromies exécutées â la fresque, retouchées à la détrempe, conservent des traces de ce rouge inconnu en d’autres écoles.

La tonalité chaude des polychromies flamandes n’est pas étrangère à la préparation de ces dessous; car l’examen atten¬ tif des carnations démontre le parti que les artistes surent en tirer.

Certaines parties ombrées, telles les arcades sourcilières, etc., sont légèrement touchées à la terre verte avec des réserves de rouge qui donnent à l’ensemble une profondeur, une intensité de vie très singulière.

Le même fait s’observe dans les plis des draperies : dans les blancs, les bleus, les verts, partout transparaît le rouge orangé, et l’harmonisation générale s’en ressent très favorablement. La tradition des fonds rouges a d’ailleurs perduré longtemps en Flandre. Ce n’est qu’après la brillante époque de Rubens qu’elle fut abandonnée.

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Il est évident que pour les toiles et panneaux, la litharge et le minium furent remplacés par des terres rouges.

Les préparations préliminaires semblent avoir fait l’objet des préoccupations des artistes de tous pays. En fait, la bonne conservation de polychromies en dépend entièrement ; mais l’économie de certains procédés nous échappe complètement.

Ainsi, les œuvres du peintre Mariote, au Mont Athos, sont toutes préparées au moyen d’un enduit noir pur. Cette couleur est-elle obtenue par la calcination de la lie de vin et contient- elle en cet état un principe conservatif? Nous l’ignorons, quoique nous serions porté à le croire, la composition des autres noirs n’offrant à l’analyse aucun élément actif.

La merveilleuse solidité des peintures monumentales a fait croire également à l’emploi de quelque colle ou résine mysté¬ rieuse. Nous croyons que tel n’est pas le cas.

La colle de peaux ou de déchets de parchemin a suffi pour la préparation des mixtures comme pour l’exécution même.

En effet, maniée par des mains expertes, la colle obtenue au moyen de ces produits répond à tous les besoins.

Nous admettons volontiers que des gommes aient été employées sans que pour cela elles fussent de provenance orientale. Du reste, longtemps après la chute de Constanti¬ nople, la gomme arabique resta un article réservé aux travaux de luxe.

Nos ancêtres ne s’adressaient pas volontiers aux produits étrangers. Ils tiraient parti des ressources de leur sol ; maintes plantes leur fournirent des matériaux. Ainsi, le cerisier pou¬ vait procurer une gomme fort prisée.

Pour les carnations, le travail d’ornementation la légèreté de touche et le fini sont indiqués, ce produit fut précieux à plus d’un titre, et nous croyons que l’on en usa copieusement.

L’élément actif de la colle pouvait, en certains cas, être sin¬ gulièrement renforcé par l’adjonction de résines et matières diverses, telles le miel, la cire, la colophane, etc., et même par l’huile. Le procédé à la colle mélangée d’huile ou de cire fut connu en Italie dès le XIIIe siècle et ne fut abandonné,

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croyons-nous, qu'au XVe siècle. Nous serions disposé à croire que cerlaines petites compositions ont bénéficié, en notre pays, de ce mode d’exécution. Il serait périlleux, croyons-nous, de vouloir affirmer que cette méthode fut importée ou qu’elle nous fut propre.

Au reste, nous pensons que les précautions pour assurer la perpétuité des polychromies ne se bornaient pas seulement aux préparations, mais qu’elles se poursuivaient jusqu’après l’exécution manuelle de l’œuvre. Aussi avons-nous été fré¬ quemment perplexes devant des compositions manifestement exécutées à la détrempe, alors pourtant que l’eau ne parvenait pas à enlever la moindre parcelle de couleur. Des recherches attentives nous firent découvrir que les praticiens avaient eu recours à une espèce de vernis fixant les peintures en les pénétrant jusqu’à l’enduit, et servant en même temps de pré¬ servatif contre l’humidité et les dégradations extérieures.

Si l’application d’une couche de colle additionnée d’une matière anti putrescible peut rendre cet office, nous croyons que l’on utilisait plus volontiers le blanc d’œuf, battu soigneu¬ sement au préalable.

En effet, ce liquide répond à tous les besoins, et les pein¬ tures qui en ont été imprégnées peuvent défier bien des orages. Au reste, certaines œuvres de la dernière période gothique semblent avoir reçu une couche de vernis, probablement à l’alcool, ce qui fut possible après application du blanc d’œuf.

En dehors de la colle qui, à n’en pas douter, fut usitée le plus fréquemment, différents autres procédés furent employés. Citons la peinture à l’eau de son et celle à l’eau de chaux mélangée d’huile.

Nous pouvons assez rapidement passer sur ces deux modes.

Le premier n’étant qu’un pâle dérivé du procédé à la détrempe; le second ne nous paraissant avoir été usité qu’à l’époque de la Renaissance. Mais, s'il fut tard venu, il perdura longtemps et ne disparut qu’après la seconde moitié du XVIIIe siècle. Beaucoup de vieux peintres en firent volontiers l’éloge; les œuvres que nous avons pu apprécier ne sont point pour les contredire.

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Nous pourrions, pour quelques spécimens, admettre le pro¬ cédé à l’œuf; mais il est évident que l’emploi de cette matière ne put se généraliser, surtout dans les églises. Nous pensons qu’on s’en servit plus volontiers dans les polychromies des habitations privées, un certain fini s’imposait.

Il reste un procédé assez répandu en Italie et en Espagne : c’est la peinture à base de sérum.

Fut-elle connue en notre pays et employée soit à l’extérieur, soit à l’intérieur ?

La question est difficile à résoudre; mais il nous paraît très probable que nos ancêtres n’ont pas été sans remarquer les propriétés du sérum.

En effet, les qualités qu’offre, pour la peinture, le liquide surnageant sur le sang animal, sont très réelles et l'application d’une couche de cette matière sur les murs extérieurs dut constituer un préservatif précieux.

Résistant aux ardeurs du soleil d’Italie ou d’Espagne, la peinture à base de sérum défie les ravages de la pluie si fré¬ quente en nos contrées.

En notre pays, les différences de température, parfois si brusques, n’ont aucune prise sur sa constitution ou sa solidité; ni boursouflures, ni gerçures ne sont à constater, et les lavages les plus violents ne parviennent pas à altérer sa robustesse.

Il nous semble que ce fut le produit idéal pour la polychro¬ mie extérieure qui résista si victorieusement aux atteintes du temps.

D’autres produits ont certes été utilisés avec succès, mais le sérum a pu y être ajouté et aura ainsi participé à une prépara¬ tion offrant toutes les qualités requises.

Le sérum fut-il utilisé à l’intérieur? Nous croyons que son rôle se borna à des applications sur les bois des portes, van¬ taux, meubles, etc.

En effet, il est à la connaissance de tout archéologue s’occu¬ pant pratiquement, que les premières couches de couleur découvertes sur les anciens bois sont d’une dureté extraordi¬ naire. Elles défient l’action des mordants et ne s’enlèvent pas

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sous forme de cloches aux atteintes du feu; elles ne dispa¬ raissent que par suite de raclures répétées.

Nous avons pu constater les mêmes qualités sur des vestiges de polychromies extérieures, et ne croyons pas téméraire de conclure que le sérum a pu constituer un véhicule précieux pour la peinture des bois et murailles extérieurs.

Déjà nous avons effleuré la question de savoir si l’emploi de l’or, comme support des peintures, même réduit aux chairs, fut connu en Flandre.

Sans oser avancer que ce mode fut ignoré, nous pensons toutefois pouvoir dire qu’il fut fort peu usité. Nous n’avons découvert, sous aucune polychromie, des traces de dorure et pouvons ajouter que notre examen a été minutieux et a porté sur un grand nombre d’œuvres. Nous estimons même que les dorures enrichissant les polychromies ne sont point toutes obtenues au moyen du métal jaune. Nos suppositions à ce sujet se sont changées en certitudes lors de la découverte que nous fîmes sur les polychromies du porche latéral de l’église d’Anderlecht.

En effet, les auréoles ornant les têtes des figures d’apôtres trois sur douze existent encore offraient un léger rendement indiquant qu’une ou plusieurs couches d’une mixture assez épaisse avaient étéappliquées. A l’examen, ce support de couleur brune nous apparut fort craquelé et raccorni. Débarrassé des impuretés, des parcelles d’or brillèrent ; nous poussâmes notre examen et nous nous convainquîmes que ces dorures s’ob¬ tinrent par l’application d’un vernis sur fond d’argent.

Le procédé usité pour les cuirs repoussés, de Cordoue ou de Flandre, est donc une imitation de la pratique picturale.

Cette découverte n’est pas sans importance, car si elle dépouille l’art du cuir, elle présente, sous un autre aspect, l’invention des vernis transformant le ton de l’argent.

La richesse de certaines peintures se trouvait singulière¬ ment accrue par la présence de l’or sans que les ressources financières soient venues à faire défaut.

. Sur ce point encore, nous ne pouvons que regretter l’absence

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de toute indication dans les archives concernant la peinture monumentale.

Les peintres romans et médiévaux ne semblent pas, en nos contrées, avoir adopté l’ornementation au moyen de cabochons ou de fragments de verres colorés. Nous n'avons découvert aucun vestige portant la trace de ce dernier système.

Toutefois, nous croyons que les polychromies des églises de Tongres et du Sablon à Bruxelles ont pu être enrichies par ce moyen. Encore que ces exceptions se bornassent à montrer des cabochons aux auréoles, mais ne les admettaient nul¬ lement comme ornementation de bordures de vêtements, etc.

En général, la polychromie flamande trouvait d’ailleurs en elle-même suffisamment de ressources pour négliger d’avoir recours à des artifices. Si quelques rares spécimens portent la marque d’intailles, elles se bornent aux auréoles et sont desti¬ nées à corriger l’aspect sombre qu’offre l’or quand il ne reçoit pas féclat delà lumière.

À ce propos, faisons observer que les renflements de crépi dans les auréoles ne se remarquent dans aucune polychromie flamande.

Si la couleur flamande est suffisamment riche pour rencon¬ trer les sentiments du peuple, nous croyons que le dessin fut assez expressif pour motiver l’absence de ces superfétations.

Deux points doivent attirer encore notre attention la méthode du tracé des compositions sur le mur et les couleurs employées.

A notre sentiment, il est hors de doute que les créateurs des grandes compositions d’églises formèrent une caste à part dans la confrérie des peintres. Ce fait est d’ailleurs démontré par les indications que nous avons citées. Mais nous admettons volontiers que l’exécution picturale matérielle put souvent être l’apanage soit d’élèves, soit de confrères qui n’avaient pu obtenir la maîtrise.

11 semble donc évident que les peintures s’exécutaient d’après un carton à échelle réduite, suffisamment achevé pour que la pensée du maître fût rendue.

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Certes, il a pu se produire que certains peintres exécutèrent directement leurs créations, mais nous pensons que quelque habile qu’ils fussent, ces œuvres se bornaient à des figures isolées.

L’objection tirée du fait que l’acuité du dessin, comme aussi son pouvoir expressif se fût trouvé énervé par cette traduction, nous semble de peu de valeur.

Nous devons en effet être pénétré de cette pensée : que les plus infimes des peintres de ces époques furent familiarisés avec ce que nous appellerons le dessin expressif.

De par l’état de la société, l’étude de la structure humaine se trouvait être le privilège d’une élite.

D’autre part, le dessin à main levée donnant l’expression, le sentiment d’un être ou d’un objet constituait la base de l’édu- catidn, sans que les rapports anatomiques ou de proportions fussent toujours exacts.

Il se fit donc, tout naturellement, que le traducteur se rencontra dans une communauté de sentiments avec le créa¬ teur.

Si le second avait cherché dans la nature le secret de ces attitudes, tour à tour ingénues, naïves, douloureusement souffrantes ou si majestueusement divines, le premier n’avait qu’à observer par ses yeux le spectacle qui s’offrait à lui, il res¬ sentait dans son cœur les aspirations vers l’idéal qui animaient son maître.

La collaboration de tous les jours dans ces milieux austères, mais imprégnés des plus nobles sentiments qui puissent inspi¬ rer l’humanité, marquait de son sceau la création du maître et l’œuvre du traducteur.

La connaissance approfondie du dessin expressif et monu¬ mental, que possédaient à un haut degré les peintres de ces époques, nous est prouvée par l’absence de repentirs dans le tracé.

En effet, l’examen attentif de ces compositions ne nous révèle aucune modification, aucune erreur d’interprétation dans le contour.

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Si, à la vérité, nous ne possédons que peu de spécimens de polychromies exécutées directement sur le crépissage, ils sont encore assez nombreux pour nous avoir permis de constater la sûreté de main de l’exécutant.

Ainsi, aucun repentir n’est à constater sur les polychromies exécutées directement sur le crépi de la chapelle castrale de Ponthoz ou de la voûte de l’église de Zepperen.

Au surplus, les cernés bruns ou noirs, qui redessinent les contours extérieurs des figures, révèlent suffisamment cette science.

Les reprises, les épaisseurs, les lignes fautives sont absentes. Le coup de pinceau est correct, châtié; les inflexions se placent aux endroits voulus sans hésitations, sans double emploi.

Cette sûreté est surtout remarquable dans les jeux de phy¬ sionomie. L’expression des yeux, de la bouche est nettement burinée par une touche du pinceau savamment appliquée à l’endroit exact et dans la direction des nerfs moteurs.

Cette science d’expression par des linéaments simples fut apte à saisir même les nuances diverses qu’impriment les sen¬ sations sur les physionomies. Le dessin des mains participait de ces principes, et grâce à cette donnée, la reconstitution du caractère de la figure, parfois disparue, est possible en cer¬ tains cas.

Jamais les mains ne sont vulgaires, lourdes ou sans accents; au contraire, elles sont expressives. Chez les femmes, les doigts sont effilés et suppliants ; chez les hommes, ils sont énergiques et pleins de force. Mais toutes les mains portent la marque de la scène à laquelle participent les auteurs de l’épisode.

Aussi considérons-nous le dessin des mains, chez les anciens, comme une science à laquelle ont rarement atteint les générations qui ont suivi.

Le maniérisme mièvre du dessin à l’époque de la Renais¬ sance confirme notre appréciation sur ce sujet.

Un dernier point nous reste à examiner.

Quelles furent les couleurs employées et quelle fut la manière de peindre des anciens ?

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Si nous pouvons déterminer d’une manière assez précise et, surtout, limiter les couleurs employées dans la pratique fres¬ quiste en nos pays, la tâche est plus ardue en matière de peinture à la détrempe.

Ce fait est à deux causes : d’abord, les peintres essayaient volontiers les couleurs nouvelles apportées des pays d’Orient et dont plusieurs ne nous sont que très imparfaitement connues. En second lieu, certaines parties des peintures ont été reprises avec des couleurs différentes; ceci est prouvé par les écaillures successives et de teintes variées qui s’observent parfois dans les compositions, ce qui rend la constatation fort difficile.

Nous diviserons donc en deux séries les couleurs employées : celles dont l’usage nous est prouvé et celles sur lesquelles nous ne possédons que des données assez confuses.

Dans la première série peuvent être rangés : le blanc d’Espa¬ gne, la céruse, le blanc de coques d’œufs, le jaune de Naples, espèce de pierre naturelle, l’ocre jaune, l’ocre de Rhue (rougie au feu elle offre du jaune rouge brun), la terre d’ombre natu¬ relle et brûlée, le rouge anglais, le roomenie ou minium que Pline dit avoir été découvert à la suite d’un incendie survenu au Pirée.

Les Romains donnaient également le nom de minium au vermillon ou cinabre, quoique ce produit fût obtenu par le lavage des mines d’argent.

Font encore partie de la première série : la laque colom- bine, composé de bois du Brésil additionné de cochenille, on tire également des laques vertes du stramonium, de l’acanthe, du fenouil d’Espagne et des feuilles de tabacs, mais nous croyons que les laques vertes n’ont pas été d'un usage fréquent, les cendres bleues et vertes à base d’émail, l’outre¬ mer naturel ou son équivalent tiré de l’argent, l’indigo tiré de l’anil, le vert de montagne, espèce de terre venant de Hongrie, le vert de vessie, composé des graines du nerprun et d’alun, aussi le vert d’iris, le noir de vigne, obtenu par la cal¬ cination des sarments de la vigne et en général toutes les terres.

Dans la seconde partie peuvent prendre place : une couleur bleue tirée du pastel, la laque de gaude, produite par la noix

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de ce nom, la noix de galle, l’écorce de noyer. On utilisait également les sulfates de fer et de cuivre. La fleur de car- thame fournissait un rouge assez semblable au safran; l’orpi¬ ment, sulfure d’arsenic, était peu employé à cause de son prix élevé, ainsi que le kermes minéral, aussi appelé poudre des chartreux parce que le père Simon, chartreux, l’employa avec un tel succès que le gouvernement lui acheta, en 1720, le secret de sa fabrication.

La tradition rapporte d’ailleurs que l’antimoine reçoit ce nom à la suite de la mort de quelques moines qui en étudièrent les propriétés thérapeutiques.

Nous trouvons également la trace de quelques autres cou¬ leurs de moindre importance telles : l’orcanète, l’orseille, etc. La composition des pourpres reste fort énigmatique. Certaines sont obtenues par l’amalgame des ocres rouges et des bleus de cuivre; tandis que d’autres, plus fins de ton, semblent bien près de l’ostrum des Romains. Elles paraissent de même nature que les pourpres de certains manuscrits apparentés avec le sacrum encaustum des empereurs d’Orient.

Pourtant, nos praticiens devaient obtenir assez facilement le coquillage dont l’animal fournissait cette couleur si recherchée. Ils connaissaient certainement la préparation compliquée à laquelle il fallut se livrer.

Il convient de remarquer ici que si certains contrats conclus entre les administrations et les peintres mentionnent expressé¬ ment le cinabre et l’azur, ils stipulent que toutes les couleurs seront de première qualité.

Les comptes de la ville de Bruges mentionnent assez souvent des sommes payées, pour dès travaux de ce genre, à Jean van der Leye, le même qui, en 1351-1352, fut chargé d’orner la chapelle de l’hôtel de ville de Dam me de peintures à l’huile de diverses couleurs ; le tout enrichi d’or et d’argent.

La précaution prise afin d’assurer la bonne qualité du cina¬ bre et de l’azur s’explique par les sophistications auxquelles on se livrait déjà à cette époque.

Nous avons observé plus haut que certaines polychromies portent la trace de la superposition de divers tons suivant

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une dégradation allant du foncé au clair; ce fait semble avoir été assez rare. On peut poser en principe que les peintures anciennes ont été exécutées de premier jet et que les retouches ne furent pas importantes.

En effet, la technique ancienne était suffisamment savante pour exécuter, sans hésitation, les compositions les plus com¬ pliquées, car elle était en possession d’une méthode sûre et ayant fait ses preuves.

On peut remarquer que les peintres couchaient les tons par larges plans à l’exclusion des clairs, dont d’ailleurs ils usaient peu.

Dans ces conditions, le modelé s’obtenait de lui-même ou par suite de l’intervention d’un ton destiné à rompre le heurt des valeurs diverses. Les hachures venant se superposer, l’en¬ semble se fondait harmonieusement.

Un fait qui démontre la compétence des praticiens sur le terrain des valeurs harmoniques est à retenir. En effet, nous n’avons observé sur aucune polychromie que des change¬ ments aient été opérés quant à la couleur primitivement appli¬ quée. La distribution des couleurs fut donc acquise dès avant le commencement du travail et les données en furent si rigou¬ reusement calculées qu’aucun mécompte ne se produisit.

Ce fait est d’autant plus digne de remarque, que l’artiste eut en général à lutter avec les rouges du fond. Constatons encore que ce ne fut pas une cause d’infériorité, comme le démontre la comparaison avec les œuvres des écoles étrangères, dont les fonds historiés furent généralement peu intéressants.

En terminant les observations nécessairement incomplètes que nous ont suggérées les productions monumentales des siècles passés, notre dernière pensée sera encore l’hommage de notre profonde admiration pour cet art si oublié, et si l’expression d’un vœu nous est permis, nous formulons celui de voir renaître ses principes, ses méthodes, et de voir conser¬ ver avec respect ses œuvres d’un passé glorieux.

L’enseignement des arts s’inspirera à ses sources pour la gloire et l’honneur du nom flamand.

TABLE DES MATIERES

Avant-propos .

Les origines de la polychromie monumentale .

L’enluminure en ses rapports avec la polychromie monumentale.

Nécessité de la polychromie .

Le style .

Le goût, l’expression, la décoration, l’esthétique .

polychromie monumentale intérieure a l’époque romane . . La polychromie monumentale extérieure a l’époque romane . .

L S POLYCHROMIE MONUMENTALE INTÉRIEURE A L’ÉPOQUE OGIVALE . . LA POLYCHROMIE MONUMENTALE EXTÉRIEURE A L’ÉPOQUE OGIVALE . . La POLYCHROMIE MONUMENTALE INTÉRIEURE ET EXTÉRIEURE A L’ÉPO-

que de la Renaissance .

La POLYCHROMIE FUNÉRAIRE .

Les procédés :

La fresque .

L’encaustique .

La détrempe .

(> âges.

3

43

31

34

64

67

69

84

87

m

131

136

139

143

143

TABLE

DES

MÉMOIRES CONTENUS DANS LE TOME LXE

SCIENCES.

1. Recherches relatives aux connexes de l’espace (50 pages); par

M. Stuyvaert.

2. Notice préliminaire sur les sédiments marins recueillis par l’expédi¬

tion de la « Belgica » (30 pages et 1 planche); par H. Arctowski et A. -F. Renard.

3. Recherches sur les organismes inférieurs. V. Sur le protoplasme

des Schizophytes (54 pages, 2 figures et 6 planches, Médaille d'or, en 1900); par Jean Massart.

4. Contribution à l’étude des combinaisons organiques du fluor (94 pages,

1 figure, Médaille d'or, en 1900); par Fr. Swarts.

BEAUX-ARTS.

5. La rivalité de la gravure et de la photographie et ses conséquences.

Étude du rôle de la gravure en taille-douce dans l’avenir (95 pages, Médaille d'or [Prix en partage, en 1893]); par René van Bastelaer.

6. De mélodie van het Nederlandsche lied en hare rhythmische vormen

(351 pages, Médaille d'or, en 1898); par Fl. van Duyse.

7. Étude sur la peinture murale en Belgique jusqu’à l’époque de la

Renaissance, tant au point de vue des procédés techniques qu’au point de vue historique (160 pages, Médaille d’or, en 1900); par C. Tulpinck.

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