À # ife * ^3% Jî£%* ISM fv^'r ^rî^(B" ^ l!ll^.l ;y ^ DE LA lia H'Bi^iDiiîaiï^iis DE li^rïïiîMr^. «IIP H^ ^ s^ BO t' L A N G E II , 1 M P. - L 1 B. 1835. i m /2 m ■¥ fj Kir m af ««» DE LA Société Royale Académique DE (2I!ÎÎ3IKÎB(D^IK^<» ■ :/SJHpt»fft!tTÊ0 MEMOIRES SOCIÉTÉ ROYALE ACADÉMIQUE '' i^%i^ D X Cherbourg. 1853. Cherbourg , Boulanger , Imp.-Lib. MEMBRES b( (rt ^BhÏHc ^(ai)fmt(jttc b« ^^cvBourç) EN 1853. a@& ■ BCREAU. 1 MM. AssELiN , Augustin , directeur. 2 — CouppEY , secrétaire. 3 — Noel-AgnÈs, trésorier-archiviste. MEMBRES TITULAIRES. i — Claston , ancien principal du collège. 3 — Démons , ancien curé de Cherbourg. 6 — AssELiN-DuvEY , vivant de son bien. 7 — Javain , maire de Cherbourg. Î5 — FouQUES-DuPARC , directeur des cons- tructions hydrauliques. 0 — PiNEL , médecin , adjoint du maire. 10 — Bo.MNissENT , sous-préfet de Cherbourg. 11 — Le Roux , Victor , ingénieur en chef des ponts et chaussées. 12 — Delachapelle , pharmacien. 15 — Obet , médecin en chef de la marine. 14 — Laurens de Choisy , capitaine de vaisseau. 13 — LeMonnier, professeui;^^ d'hydrogra- phie . 16 — Asselin, Charles-Edouaid, médecin. 17 — Delachapelle , avocat , régent au collège 18 — Ragonde, régent au collège. 19 DuMONCEL, directeur des fortifications. 20 — Pli V art , directeur d'artillerie. MEMBRES CORRESPOND ANS. 21 TOUSTAIN DE RiCHEBOURG, à 22 Avoine de Chantereyne, conseiller à la corn- de cassation , à Paris. 23 EusTACHE , inspecteur-divisionnaire des ponts et chaussées , à Paris. 24 — Berigny , à Dieppe. 25 Fleury , médecin en chef de la ma- rine , à Toulon. 26 — Dancel , évêque , à Bayeux. 27 Clément, ancien maire , à S.t-Lo. 28 Lambert , vicaire-général, à Poitiers. 29 — Dupont DE Polrsat , ovêque, à Cou- tan ces. 50 — Le IIkrissier DE Gerville, antiquaire, à Valognes. * 31 — Cauchy , membre de Tinstitut , à Paris. 32 — Lair, membre de plusieurs académies, à Caen. 35 — Le Chevallier , bibliothécaire du Panthéon , ,à Paris 34 — Le Tertre , bibliothécaire , à Cou- tances. 55 — Tombe , lieutenant de roi , à Bitche. 5G — Pouyer, conseiller d'état, à Paris. 57 — Bretocq, ancien directeur des cons- tructions navales, à Pont-Lévêque. 58 Delagatinerie , chef d'administration de la marine, à Bayonne. 59 — Gautier, capitaine de vaisseau. -40 — Pluquet , antiquaire , à.Bayeux. 44 — Durand , commissaii^e des poudres et salpêtres , à Lille. 42 — Frimot , ingénieur des ponts et chaussées , à Landerneau . 45 — Travers, principal du collège , à Falaise. •44 — Angelot , homme de lettres , à Paris. 45 — Bertrand, pi-ofesseur de rhétorique , à Caen. AU — La Chaize , architecte , à Paris. 47 — Destôurmel , ancien préfet. 48 — RouLLAND , ancien lieutenant de vaisseau , à Bricquebec. 49 — Gautier d"'Arc , consul de France , à Valence. 60 — Daniel, proviseur du collège royal , à Caen. 31 — Laurent , ancien chirurgien de la marine. o2 — Cabart , docteur-médecin, à S.t- Pierre. 55 — Decaumont , membre de plusieui's sociétés savantes , à Rouen. 54 — Bataille , directeur du jardin des Plantes , à Avranches. 55 — JouAN , Casimir , secrétaire particu- lier du préfet de la Seine , à Paris 56 — Le Chanteur de Pontaumont , à Paris. 57 — Gattier, préfet de la Manche , à S.t-Lo. 58 — Henry , commissaire des musées royaux , à Paris. 3Î) — HuvÉ , architecte du gouvernement , à Paris. §©(0111^1 MO¥ALE ACAPEMIQUE ^c @§cva0urg. ^eciiiccj ciwiictacj ciiv 28 oJyDCvemvtej aS32. »^!S«^<= J-JE Direcleur de la société a ouvert la séance par Texposé suivant. Avant de nous occuper des lectures qui sont le motif de cette réunion, per- mettez-moi , MM. , de vous entretenir en peu de mots de Torigine de notre société , de ses travaux et du but qu'elle se propose. Notre société académique a été fondée par Louis XV en 1736. Le motif de cette fondation fut de la faire servir à donner une noble et utile émulation aux jeunes étudians de Técole d'hy- drographie qui se destinaient à la marine 5 et _ 2 _ pour atteindre ce but , son fondateur lui avait accorde le privilège de présenter tous les ans au ministre de la marine le jeune élève qui s'était rendu le plus recommandable par sa conduite et par ses succès dansTécole. Avec cette recomman- dation , il obtenait la dispense d'une ou de deux campagnes de service sur les vaisseaux de l'état, qu'on exigeait pour être reçu capitaine au long- cours : cette dispense était considérée comme une grande faveur. Plusieurs en ont joui successive- ment avant l'époque de 1789 ; un d'eux existe encore , c'est M. Postel , ancien capitaine du port de commerce de Cherbourg. Un autre en- couragement vient d'être donné à la société par le conseil général du département de la Manche qui , sur la demande de M. le préfet , a mis à sa disposition la somme nécessaire pour subvenir aux frais d'impression d'un volume de ses mé- moires. Nous avons peu de chosesà dire des travaux de no- tre société dans les tems antérieurs. Beaucoup de mémoires ontétélus dans lesséancespidiliques et particulières ; quelques-uns sont égarés, d'au- tres n'ont point été déposés , et il n'en reste qu'un petit nombre dans ses archives. Si on a remar- qué qu'elle n'a point jeté cet éclat qu'on attend d'une société académique ; si elle n'est pas con- nue par des succès dans les sciences et dans les belles lettres, on ne lui reprochera pas, au moins, d^avoir manqué de zèle pour encourager l'ins- truction et donner de bons exemples. Quand les organes du gouvernement, ou d'une administra- tion supérieure, Pont interrogée , elle a envoyé ses réponses pour lesquelles chacun de ses mem- bres apportait le tribut de ses connaissances. Il y a peu d'années , elle a sollicité de l'administra- tion municipale de Cherbourg l'établissement d'une bibliothèque publique qui manquait à cette ville , d'un muséum d'antiquités et d'histoire na- turelle , en prenant l'engagement de déléguer un de ses membres poui^ en être le conserva- teur à titre gratuit ; cette demande a été accueil- lie par le conseil de la comnaune , et cet établis- sement a été bientôt fondé , principalement par Tacquisition que la ville a faite de la bibliothè- que et des collections d'histoire naturelle et d'an- tiquités de notre honoré confrère M. Duchevreujl. Déjà le public en jouit , en attendant ce que le tems seul peut ajouter de perfectionnement et d^augmentation à un établissement bien incom- plet dans ses commencemens , mais qui étant une propriété publique , doit toujours vivre, et gran- dir d'âge en âge. Il ne faut pas se méprendre, MM. , sur le titre, __ 4 — qui peut paraître trop iniposant, de société acadé mique pour en espérer plus qu''oii ne peut en ob- tenir. Une société peu nombreuse , privée des sources de Tinstruction , des bibliotlièques des glandes villes et de la fréquentation des savants, qui les habitent , ne peut être un foyer de lu- mières ; elle ne peut être destinée à faire des dé- couvertes, ni à aggrandir le domaine delà scien- ce : mais ne pouvant être créateurs , nous serons conservateurs ; et pour cela , nous userons de de tous nos moyens pour propager le goût des sciences et des lettres , pour nous opposer à leur décadence , maintenir les bonnes doctrines , et recommander , comme les vrais modèles à sui- vre , les ouvrages immortels de ces illustres écrivains qui sont une des gloires de la France depuis plusieurs siècles. Cest à eux qu"'on doit Tusage si honorable pour la nation française que sa langue enrichie par eux est devenue familière aux autres nations , et fait partie maintenant de IVducation quelles donnent à leurs enfans. Mais notre but le plus direct , et qui sei'a Tob- jet constant de nos travaux , est d^interroger les «ms passés que foubli couvre de sa rouille , de les ressusciter , si Ton peut s'exprimer ainsi j de rechercher les traditions , les mœurs , et surtout les usages du pays que nous — 3 — habitons , parce qu'en remontant à leur origine , il y a toujours un fait historique qui s'y rattache ; de recueiUir les faits et les observations que cha- cun de nous peut faire sur Thistoire locale , sur les monumens antiques , s'il en existe auprès de nous ; sur les éthymologies et les variations du langage ; en un mot , sur les événemens et les phénomènes qui se passent sous nos yeux. Cons- tatons les faits , ceux même que nous ne pou- vons expliquer ; d'autres seront plus heureux ou plus habiles : nous serons les premiers à les ap- plaudir , parce que notre but sera rempli. Notre tâche , MM., est encore d'éveiller l'at- tention sur les objets matériels de l'antiquité qui existent ou que le hasard peut faire découvrir , comme inscriptions , figures , médailles , vases et uste^nsiles ayant servi aux usages de la vie , pour en recommander la consei'vation. Nous sommes venus tard pour sauver de la des- truction tout ce qu'on en a découvert jadis dans notre pays si riche en antiquités celtiques et ro- maines ; au moins nous avons la satisfaction d'a- voir pu contribuer à la conservation d'un assez grand nombre de débris d'antiquités trouvées dans les fouilles de la miellé de .Cherbourg. (*) (*) La miellé de Cherbourg , qui fait partie de ceMe Tille, est le nom qu'on donnait à une grève d'une grande — a — Un monument de bronze , qif on peut regarder comme unique , était chez un fondeur et allait disparaître dans son creuset , quand notre com- patriote, M. Floxel Duchevreuil , médecin de la marine, arriva à tems pom^ le sauver. Ce monu- ment est un des moules antiques dans lesquels on coulait ces coins de bronze dont on n^a encore pu découvrir Tusage, et qu'on a trouvés en assez grand nombre dans le voisinage des côtes de la Normandie , de la Bretagne , de TEcosse et de rirlande. On les regarde comme des antiquités celtiques , parce que personne n*'a dit qu'on en ait trouvé dans la Grèce ni dansTItalie. Ce moule a été acquis pour le musée de Cherbourg où il est déposé. Il est dessiné dans Tatlas du 4.'' volume étendue couverte de sables, de mer et de dunes. Des usur- pations que le temps a consacrées , et des acquisitions faites par des riverains l'avaient réduite à 3oo arpens , environ , quand on l'a vendue par lots en 1829. La mer en couvjait une partie, plus ou moins, suivant la hauteur des marées, avant qu'on eût construit les murs d'enceinte du port et du bassin de commerce de Cherbourg. L'autre partie avait été ensevelie de temps immémorial sous les sables que les vents y apportaient- C'est dans cette partie que les acqué- leurs, en fouillant leur terrain pour y faire des construc- tions et des clôtures, ont découvert les restes d'une habi- tation romaine et un assez grand nombre de figures en terre cuite, de médailles romaines, et autres débris d'anti- tjuités. Un membre de la société en a donné les détails dans une notice imprimée au mois de janvier i83o. (les mémoires de la société des antiquaires de Normandie , planche 18.™° Enfin, MM. , nous désirons de faire connaître le pays que nous habitons , non-seulement tel quHl est , mais aussi tel qu"'il fut : qu'on n'en de- mande pas davantage aux membres d'une société dont l'horizon archéologique ne dépasse pas les limites de la presqu'île du Cotentin, notre pays; son histoire ; voilà , avant tout , le champ que nous avons à défricher; si nous remplissons cette tâche , notre société aura aussi son but d'utilité et sera digne de quelque bienveillance. EXTRAIT d'une suite de Mémoires sur Vétal des sciences et des lettres en Normandie dans les XI. e et XII. ^ siècles. DES ÉTUDES, ET SPÉCIALEMENT DES ECOLES MONASTIQUES, PAR M. COUPPET, SECRET AIHE. «^«e^ië^eo^» Aprks la profonde ignorance des IX/ et X.* siècles , les études donnèrent des signes de ré- siu-rection dans le cours de Tonzième. Les ab- bayes eurent la plus grande part dans cette ré- volution heureuse , à laquelle contribua l'aptitude singulière que montrèrent pour les travaux intel- lectuels ces brigands du Nord , compagnons de RoUon , et leurs descendans. Dans quelques grandes villes , et spécialement à Paris, de sim- ples particuliers ouvrirent des écoles qui eurent plus ou moins de célébrité. Il en existait aussi _ 10 — auprès de la plupart des sièges épiscopaux ; mais c''est surtout dans les monastères quMl faut cher- cher la culture des sciences et des lettres. Dans notre province , nous distinguons sur- tout Tabbaye du Bec , dont les études influèrent non-seulement sur la normandie , mais aussi sur la !France et sur presque toute Teurope occiden- tale. Viennent ensuite , dans un ordi^e très- secondaire , les abbayes de Fécamp , de Ju- miège, de Saint-Evroult , de Troarn , de Savigny et du Mont-Sain t-INIichel. Nous remarquerons ici que le Cotentin et le Bessin sont les deux par- ties de la provmce où les lumières se manifestè- rent le plus tardivement. Cest là que s'établit et se conserva le mieux la langue danoise ou nor- mande , ce qui suppose que les Normands n'y avaient trouvé , ou n'y avaient laissé que peu de population française , car , partout ailleurs , les Normands vainqueurs avaient en peu de tems abandonné lem- idiome dur , pour la langue ro- mane qui était celle de la nation conquise. Le dio- cèse deCoutancesétait resté pendantle dixième siè- cle sans culte et sans desservants , au point que révêque avait transféré son siège à Tégbse de S.t- Lo à Rouen. Ce ne fut que vers le milieu de Tonzième siècle que Tévêque Geoffroy , aidé par les libéralités des Tancrède , qui , de fils d'un simple gentilhomme du Cotentin , étaient deve- — 11 — nus les souverains de Tltalie méridionale , de la Sicile entière et des côtes de la Grèce, rebâtit la cathédrale , y apporta des livres d'église et appela des gf-ammairiefis et des dialecticiens pour y former une école qui , toutefois , ne semble pas avoii' eu de succès. (*) Nous pouvons regar- der notre presqu*'île comme formant un point obscur dans le tableau des connaissances et de la civilisation des siècles qui nous occupent. Avant que d'en venir aux faits particuliers qui concernent les abbayes normandes , il est indis- pensable d'examiner généralement en quoi con- sistaient alors les études , quelles sciences , quels arts on apprenait dans les écoles , quelles mé- thodes on y suivait , quels ouvrages étaient la base de l'instruction scholastique. Ce que nous allons dire à cet égard sera commim à l'histoire littéraire de toute la France. Dans la presque totalité des monastères , on désignait les moines les plus lettrés pour ensei- gner. On apprenait aux enfans la lecture , et aux jeunes gens plus avancés en âge , les sciences alors en usage et dont nous allons parler dans un moment. L'instruction était gratuite ; seule- ment les parens riches des élèves témoignaient (*) GaJ/ia Chrisli'ana , tome XI; cTiliclc Coulances. — 12 — leur reconnaissance au couvenl par des présens en argent , ou en fonds de terre , mais celte munificence était toujours libre. Un aussi louable désintéressement est un des principaux traits de Finstruction monastique. Souvent môme les reli- gieux poussaient la charité jusqu'à nourrir les écoliers indigens. (*) Ne faisons pas fapologie de Tétat monastique d'une manière générale et absolue. Il est des tems où des institutions , d'abord vigoureuses ^ florissantes et appropriées originairement à la situation des peuples , deviennent à la fin sur- années , inutiles , dangereuses même. Mais que les monastères sont intéressans dans le cours du moyen âge ! Alors la société se composait , d'a- bord d'une noblesse guerrière qui ne savait ni lire ni écrire , et d'un clergé séculier , souvent orné de sublimes vertus , et trop souvent aussi offrant l'exemple du luxe et de la dépravation. Quant à la classe ouvrière , cultivatrice , celle qu'on appelle le peuple , l'histoire ne daigne pas même en faire mention. Elle était seulement un peu au-dessus du mobilier et des troupeaux qui appartenaient comme elle-même aux familles dominatrices. Si , dans cette classe asservie , il (*} Don Rivet ; hist. liU. desX[.« ctXII.* siècles. — 15 — naissait uu liomme de génie ou cVun caractère élevé , réducation monastique seule le tirait de son obscurité , et après avoir acquis la réputation d'un liomme éloquent ou savant , il sortait sou- vent de Fenclos d\m monastère pour monter sur un siège épiscopal ou pour entrer dans le conseil des princes. Une autre occupation importante des couvens consistait à copier les livres, et c'est à ce travail que nous devons la conservation des auteurs de Tantiquité. Si nous faisons attention qu'actuelle- ment un manuscrit antérieur au X.^ siècle est une grande rareté , qu'il en était de même dès le tems de l'invention de l'imprimerie , il en résulte que si les moines du moyen âge ne s'étaient pas appliqués à la transcription des manuscrits , nous n'aurions de monumens des sciences et de l'his- toire chez les Grecs et les Latins, que les médail- les et les inscriptions. En ce tems-là , on divisait en sept parties tou- tes les connaissances humaines. Les trois pre- mières , qu'on appelait trivinin , étaient la gram- maire, la logique ou dialectique et la rhétorique. Par grammaire , il ne faut entendre que celle de la langue latine , parce que la langue vulgaire qui , peu à peu , a formé la langue française était alors trop dédaignée pour être réduite en prin- — 14 — cipes et enseignée. Quand on savait ces trois sciences , on passait aux quatre autres , qu^ou appelait quadrivium : c''étaient la musique , Pa- rithmétique , la géométine et Pastronomie. Telle était Pencyclopédie du moyen âge. Rien n''est si commun dans les écrits de ce tems-là que ces mots ij^wiuTn et quadrivium ^i\m semblaient alors comprendre toutes les sciences , quoique nous «Y apercevions ni la physique , ni la métaphy- sique, niriiistoh^e naturelle, ni la mécanique, ni lajurisprudence, nila médecine, qui sont pourtant des sciences aussibien que la musique et Tarithmé- tique. Quant à la théologie, elle était trop élevée pour être classée au nombre des arts libéraux. Quand on ajoutait à la connaissance du tri- vium et du quadrivium celle de la théologie du tems , et qu'on savait commenter Técriture sainte , on était un docteur accompli. Voici un détail des ouvi'ages principalement lus et enseignés dans les écoles. Cest en les con- sultant qu'on se fait une idée nette de la situa- tion des sciences dans ce tems-là. (*) Pour renseignement de la grammaire et de la langue latine , on suivait la grammaire de Donat, auteur du IV. ^ siècle , qui fut le précepteur de saint Jérôme. Donat était alors ce que sont dans nos écoles Tricot et THomond. (*) Ces détails sont tirés du tome V des Manuscrits de la bibliothèque du Roi, etd'une foule d'auteursdu moyen âge — iS — Prii'cien , autre grammairien , qui enseignait à Constantinople dans le VI. *" siècle , auteur d'un livre sur les parties du discours et d'autres ou- vrages sur la grammaire , partageait la vogue de Donàt pour l'enseignement du latin , et servait seul de guide pour celui de la langue grecque. Seivius , auteur de commentaires sur Virgile , qui vivait dans le IV. "^ siècle , jouissait aussi d'un grand crédit et était explique dans les écoles.- Nous avons encore ces commentaires qui ont été impi-imcs dans la collection des <^rainmatici iye~ teres , mais considérablement mêlés avec les additions qui ont été faites sur les manuscrits par les maîtres qui s'en servaient. Priscien et Douât étaient tiop savans en géné- ral pour les jeunes gens , et leurs préceptes se trouvèrent comme noyés dans les gloses innom- brables que les professeurs dictaient à leurs éco- liers pour leur faciliter l'intelligence du texte. Vei'sle milieu du XIII.*' siècle, un Âenv Alexandre Villedieu , né à Dol , docteur de l'université de Paris , et que les écrivains du tems nous représentent comme grammairien , philo- sophe , arithméticien et astronome , simplifia ces préceptes confus , (') et composa un doctri- nale pueronim pour l'enseignement du latin. (*) Voyrz la note de la page 14. — IG — Ce doctrinal inti^oduit dans les écoles y régna exclusivement pendant deux siècles , excepté en Italie et en Espagne , où les vieux grammaiiiens dont nous avons cité les noms conservèrent leur autorité. Enfin , vers le milieu du XV 1/ siècle , Alexandi^e Villedieu , de Dol , fut expulsé des écoles par le flamand Despautère dont les divers traités pai'urent alors plus commodes et plus fa- ciles. Despautère à son tour a été détrôné ; mais revenons aux livres qui servaient de base à ren- seignement dans le moyen âge. Le principal guide dans Tétude de trmiim. et du quadrmiim^ car ces expressions sont techni- ques et familières dans les auteurs du tems , était un traité en neuf livides sm- les sept arts libéraux , de septem anihiis libei'alibus , par Martien Ca- palla,né en Afrique, où il vivait au V.*^ siècle. Son style est âpre et dur comme celui de presque tous les auteurs africains ; mais des oreilles gothiques et vandales pouvaient n''en être pas rebutées. Grégoire de Tours , en terminant son histoire des Francs , et suppliant ses lecteurs futurs de ne pas détruire ses écrits à cause du mauvais style , leur dit : )> Que si , par hasard , quoique tu sois , notre » Martien t'a instruit dans les stpt sciences ; s'il » t'a appris à lii-e selon les règles grammaticales, _ 17 — » à rétorquer dans la dispute les argumeus de la » dialectique ; à counaître , par la rhétorique , )> le nombre et riiarmoiiie ; à distinguer , par la » géométrie , la longueur des lignes et les mesu- n res de la terre ; à contempler, à Taide de Tas- » trologie , le cours des astres ; à rassembler , » parParithmétique, les diverses parties des nom- » breset à faire résonner sur les modulations de » la musique le doux langage des vers; fusses-tu )) exercé ainsi dans tous les arts , quelque gros- » sier que notre style te paraisse , je t'en sup- » plie , n''efrace point ce que j'ai écrit. )> Nous citons ce passage pour prouver com- bien , dès le tems de Grégoire de Tours , ce Capclla avait de vogue , et que celui qui sa- vait le contenu de son ouvrage était regarde comme un maître en tous genres de connaissan- ces. La compilation , ou , si Ion veut , rency- clopédie de cet auteur , que nous avons eu la patience de traduire en entier , n'a pas toujours toute la clarté désirable , mais telle qu'elle est elle a un grand prix , parce qu'elle nous a con- servé beaucoup d'opinions de l'antiquité qui ne se trouvent pas ailleurs , et qu'elle est un (al)Ieau universel de l'état des sciences et des arts à l'é- poque de la décadence de l'empire romain , et pendant la durée du moyen âge. 2 — 18 — Un autre auteur avait composé aussi un ou- vrage siu' les sept arts , qui partagea la réputation du premier : ce fut Cassiodore , qui florissait au V.* siècle ; il fut conseiller privé et secrétaire de Théodoric , roi des Goths , qui le nomma gou- verneur de Sicile. Nous avons aussi traduit cet ouvrage , moins profond que celui de Capella. La logique est à-peu-près ce qu'on enseignait en France il y a cinquante ans. La rhétorique est une compilation d'Aristote et de Quinlilien. L\'i- ritlimétique , la géométrie et Tastronomie sont à- peu-près rien. Quant à la grammaire , nous avons fait cent fois , en la traduisant , cette réflexion , qu'il était impossible à un écolier d'apprendre le latin avec ce maigre , chétif et incomplet rudi- ment , si le maître n'en faisait pas les trois quarts; quelle différence entre ce faible traité et nos grammaires de Tricot et Lhomond ! Les ouvrages d'Isidore , évêque de Séville dans le VII. "^ siècle , spécialement ses vingt livz'es des étymologies ou origines , etjmologiaj'um li- bri 'viginti , étaient aussi très répandus dans les écoles. Le livre des étymologies est encore une espèce d'encyclopédie , où l'on trouve de tout. Il est intéressant et mérite d'être lu par quicon- que est curieux de l'histoire littéraire. Tels sont les livres qui contiennent la mesura , — 10 — et si on peut se servir de Texpression , le bilan des sciences et de la littérature depuis les beaux jours de Rome jusqu'aux XII. ^ et XIII/ siècles , époque où les livres d'Aristote amenèrent dans renseignement des i^évolutions et des rivalités entre les maîtres qui suivaient des systèmes divers. Quel était alors en France la durée des études? Par quels moyens les maîtres suppléaient-ils au défaut de dictionnaires sans lesquels il nous sem- ble extrêmement difficile d'apprendi-e les langues anciennes ? Quels genres d'exercices compo- saient le système de renseignement ? Nous con- sacrerons une dissertation à part à la solution de ces questions d'histoire littéraii^e. Quoique les sept arts fussent loin de renfer- mer toutes les sciences dont l'esprit humain est capable , néanmoins on était loin d'atteindre dans toutes les écoles à ce degré même incom- plet d'instruction. Le succès d'une école dépen- dait presque toujours d'un homme de génie que le hasard y plaçait. C'est une circonstance de ce genre qui donna l'essor à l'esprit humain en Normandie , et par suite influa puissamment , non-seulement sur les autres provinces de la France , mais encore sur l'AngleteiTe et la Germanie. Dans les premières — 20 — aimées du règne Je Guillauine-ie-Bàtard arriva en Normandie un homme nommé Lanfr-anc , né en Italie , où , suivant l'auteur de sa vie , au- teur contemporain , il avait acquis une grande réputation de savoir et d*' éloquence dans les exercices du barreau et les travaux de la juris- prudence. Quel motif Tamenait en Normandie ? c''est ce que lui-même, pas plus que son historien, ne laisse apercevoir dans les épîtres qui nous restent de lui. Peut-être de graves désagrémens lui firent-ils quitter sa patrie ; peut-être Pamour de la retraite et dVme vie obscure , simple , ou- bliée du monde, disposition assez commune alors chez les âmes grandes et sensiljles, Fentraîna-t-il aux extrémités de la Gaule occidentale ; peut- être que le bruit du zèle protecteur des ducs normands pour les études piqua sa curiosité et l'engagea à venir en Normandie exercer un apostolat scientifique. Il est de fait que les suc- cesseursde RoUon , quoique peu instruits eux- mêmes , favorisèrent la culture des lettres. Il est dit du duc Richard II en particulier , mort en 1028 , qu'il attirait près de lui, par des bien- faits , des clercs de tous les pays. On sait que ce mot de clercs , clerici , s'appliquait à qui- conque avait fait des études. On vit même des Grecs et des Arméniens quitter leur patiùe et se rendre auprès du duc des Normands. Ce prince — 21 — enroyait tous les ans des offrandes au monas- tère du Mont-Sinaï , d'où il venait des moines à Rouen , pour recevoir ces libéralités. De ce nombre fut un moine savant , qui parlait un grand nombre de langues de TAsie et de l'Eu- rope , nommé Siméon , qui fonda Tabbaye de la Trinité , à Rouen , et y ouvrit une école. f) Lanfranc étant arrivé en Normandie , accom- pagné de quelques disciples qui Pavaient suivi d'Italie , s'arrêta à Avranches , où il enseigna quelque tems. Il se rendit ensuite à l'abbaye du Bec, qui venait d'être fondée par un seigneur de la cour des ducs, nommé Heriain , ou Hclloin ; elle était encore pauvre et n'était surtout aucu- nement renommée pour l'instruction. Le sei- gneur Helloin , après avoir vécu dans les hon- neurs et les plaisirs du monde , où il avait acquis la réputation d'un bon chevalier , dit Ordéric Vital , se sentit , à l'âge de trente-sept ans , pé- nétré d'un vif désir de la retraite. Il quitta une vie aisée pour se livrer aux travaux rebutans et pénibles de la construction d'un monastère. it II avait quar.-xnte ans , dit Gtiillaume de Ju- » miége , lorsqu'il apprit les premiers élémens )» des lettres , prima élément a Uttcrarum ; mais , !) assisté de la grâce de Dieu , il en vint au (*) Acta sancloriim ordinis sancti Eeneâicti. T. 8. P. 374' — 22 — )) point d'acquérir , même auprès de tous ceux )' qui étaient déjà fort savans dans la grammaire, )' une grande réputation pour Tintelligence et J> Texplication des sentences contenues dans les i> divines écritures , et afin qu'ion croie que cela )> n'ariiva que par un miracle de la grâce divine, J' qu'on sache qu'il ne vaquait à cette étude que )> dans les heures de la nuit , car jamais il n'in- )' terrompait un moment ses travaux manuels )' du jour pour la lecture, w Lorsque le docte Lanfranc arriva au Bec , il trpuva , dit le même auteur , l'abbé Helloiii oc- cupé à construire un four de ses pi'opres mains ; à travers cette humilité , il aperçut beaucoup de dignité et de grandeur d'àme , et résolut de s'ensevelir en cet endroit dans une soli- tude profonde , souvent si attrayante pom- les génies ardens ; mais la renommée de son mérite ne tarda pas à se répandi^e au loin. Une foule immense d'écoliers accourut au monastère de l'abbé Helloin. « On vit briller , dit Ordéric )) Vital , dans les instructions de Lanfranc , tou- » tes les richesses des lettres philosophiques et )) divines. Il était très habile à résoudre toutes » les questions les plus épineuses des uns et des 1) autres. Ce fut sous un tel maître que les Nor- )> mands reçurent les premières notions de la )) littérature ; et c'est de l'école du Bec que sor- 0"% tirent tant de philosophes cloquens dans les sciences divines et dans celles du siècle. En effet , auparavant et du lems des six premiers ducs de Neustrie , aucun Normand ne se li- vrait aux études libérales , et Ton ne pouvait trouver de docteur jusqu'à Tépoque où Dieu , qui pourvoit à tout , fit aborder Lanfianc sur les rivages de la Normandie. La réputation de son savoir se répandit bientôt dans toute l'Eu- rope , ce qui fît que de Fi-ance , de Gascogne, de Bretagne et de Flandre on accourut en foule à ses leçons. Pour connaître tout le génie admirable et les talens de Lanfranc , il faudiait être un Herodien dans la grammaire, Ai'istote dans la dialectique , Cicéron dans la > rhétorique , Augustin et Jérôme et autres docteurs de la loi et de la grâce dans les saintes écritures. » Viennent ensuite les louanges et des louanges encore exprimées avec emphase par Ordéric Vi- tal. Ce qu'il y a de certain , c'est qu'aucune école de la France n'a été plus célébrée que celle du Bec , non-seulement dans nos historiens noi'mands , mais chez une foule d'autres auteurs en tout genre. Partout le Bec est la fontaine de la science et de l'éloquence , l'académie qui a ressuscité la langue latine , le flambeau destiné par la provi- dence à éclairer le monde. Il serait trop long et — 24 — fastidieux de rassembler les métaphores , les comparaisons , les hypeiboles pompeuses dont on se servait alors en parlant de ce savant mo- nastère. En réduisant ces figures à leur juste valeur , on ne peut pas s'empêcher de dire que Lanfranc et Fécole qu'il forma contribuèrent puissamment à la renaissance des lettres en Oc- cident. On vint y étudier jusque de TAllemagne; c'est ce que nous atteste un sieur Giiîlle/nm , ou Witilleram , qui vivait à Bamberg en Bavière , à la fin du XI. "^ siècle , auteur d'une traduction amplifiée du cantique des cantiques , en langue franque et en vei^ latins rimant à la césure. Il se plaint , dans sa préface , de ce qu'on se livre trop dans son siècle à l'étude de la grammaire et de la dialectique et qu'on néglige de lire les saintes écritures ; il oppose à cet abus l'exemple de Lanfranc vers lequel , dit-il , aflluent beau- coup des nôtres pour écouter ses leçons et dont l'exemple produira de bons fruits dans nos con- trées , ad qiiem aiidienduin cinu multi nostva- rum conjluant, spero qiiodejus exeinplo, etc (*) De l'école du Bec sortirent beaucoup de per- sonnages distingués , entr'autres le pape Alexan- dre II et Yves de Chartres , le restaurateur du (*) Don Marlene. T'etenan scrij)torum ampïissima col- hctio , tome i , page Soy. — 25 — droit canonique en France. Le duc Guillaume qui , comme tous les grands monarques , savait très bien distinguer le mérite , nomma Lanfranc abbé du monastère des hommes , à Caen , et après la conquête de TAngleterre, archevêque de Cantorbéry , et primat de la Grande-Bretagne. C'est après avoir été élevé à cette dignité , qu'il visita Rome où un de ses élèves occupait le sou- vei^ain pontificat. Les courtisans voyant avec surprise les marques de respect que lui témoi- gnait Alexandre II , le pape leur répondit : ce îiest point parce que Lanjianc est primat cV An- gleterre, mais parce que j'ai e'te' son disciple au Bec , et que je me suis assis à ses pieds pour V écouter. Lanfranc avait enseigné pendant vingt ans dans cette abbaye qui , de pauvre, devint en peu de tems très opulente. Voici comment s'exprime à cet égard Guillaume de Jumiége: « des c/erc^, » des fils de ducs , des maîtres très renommés )) des écoles de latinité , de puissans laïques , » des hommes d'une grande noblesse y accou- » rurent. Plusieurs d'enti''eux , pour l'amour de » Lanfranc , firent don à cette église de beau- » coup de terres. Aussitôt le monastère du Bec )» se trouva riche en propriétés foncières , en M ornemens, en personnes nobles et honorables. » A l'intérieur , la religion et la science faisaient — 2G — )> de grands progrès ; à Textérieur , on avait en )) abondance toutes les choses nécessaires à la )) vie. Celui qui , en commençant à fonder son M couvent , n'avait pas assez de terrain pour )) bâtir les maisons dont il avait besoin , se trouva )) en peu d'années avoir un domaine qui s'éten- )) dait à plusieurs milles à la ronde. » A la vue de cette espèce de révolution opérée par un seul homme et de Tenthousiasme qu'il excita , on est curieux de savoir si les ouvrages qui nous restent de lui confirment cette réputa- tion éclatante. Nous avons lu les épîtres de Lan- franc et son traité contre Thérétique Déranger , qui sont à-peu-près tous les ouvrages qui nous restent de lui. Nous ne donnerons point une analyse de ses discussions théologiques , ce qui sortirait de notre sujet , mais nous observerons qu'il règne dans ses écrits une latinité élégante et pure , une dialectique nette et précise , et que l'on conçoit facilement en le lisant, comment, au milieu des études bornées et de la latinité barbare duXI.^ siècle , il a pu apparaître comme une lumière nouvelle et comme le restaurateur des bonnes études. Lanfranc fut Ué avec la plupart des hommes célèbres de son tems. Nous citerons , pour ce qui concerne notre province , Jean , archevêque de — 27 — Rouen et d'abord évêque d"'Avranches , ennemi iraplacal)le du relâchement de la discipline et des moeurs déréglées. Il était neveu de Richard I/' , duc de Normandie. Il se livra à Tétude des lettres, quoiqu'il fût laïque , observe Guillaume de Poitiers, un de nos anciens historiens, ce qui prouve que hoi's le clergé séculier et régulier , la science était une chose rare et extraordinaire. Le siège archiépiscopal de la province étant devenu vacant par la mort de Maurille, le duc Guillaume y nomma Lanfranc , alors abbé de S.t-Etienne de Caen ; celui-ci , connaissant tout le mérite de Jean , évêque d'Avranches , mit tout en œu- vre pour le faire nommer. Ce prélat est auteur d'un livre intitulé : de diversis consuetudinihus ecclesiarum in ojjiciis divinis , imprimé en 1642 et 1679. Cet ouvrage est curieux et bon à con- sulter pour qui veut connaître les usages et pra- tiques des églises dans le XL* siècle , et généra- lement dans le moyen âge. L'abbaye de Jumiège , au diocèse de Rouen , avait été entièrement détruite par les incm-sions des Normands , et ses religieux s'étaient disper- sés dans les provinces du nord de la France. Quand les premiers ducs de Normandie eurent montré de si heureuses dispositions pour la reli- gion chrétienne , deux anciens moines de Ju- miége revinrent chercher les débris de leiu^ an- — 28 — cienne maison. Les ruines du couvent (étaient couvei'tes cVarbres et de broussailles. Pareils aux Israélites pour qui les pierres dispersées de Jé- rusalem détruite avaient des charmes , ces deux moines s"" appliquaient opiniâtrement à couper et arracher ces arbres qui leur dérobaient le lieu où ils avaient passé leur jeunesse. Un peu de pain d'orge et de Teau étaient leur aliment au milieu de ces pénibles travaux. Ils furent heu- reusement rencontrés par le duc Guillaume I.*^^"" qui était à la chasse et qui , touché du zèle de ces bons religieux , les prit sous sa protection y favorisa la reconstruction du monastère de Ju- miége et voulut être agrégé lui-même à cette pieuse maison. Ce monastère se fît remarquer par Tardeur à copier les manuscrits , et surtout à en avoir de beaux. Le père Montfaucon , par- fait connaisseur en ce genre, et qui avait visité tant de monastères savans , cite , dans son cu- rieux et savant ouvrage intitulé hihliotheca bi— hliothecarum , Tabbaye de Jumiége comme une de celles où Ton trouvait le plus de manuscrits soigneusement travaillés et bien décorés des XI. ^ et XII. ^ siècles. Notre historien Guillaume de Jumiége en était moine et y a composé son his- toire. L\ibbaye de Saint-Evroult échappa à la ruine — 29 — comniLine lors des invasions des barbaies enfans du Nord , à cause de sa situation au milieu de bois épais et infrcquentés. JNIais dans le teras où le roi de France voulut dépouiller de ses états le duc Richard I/' , successeur second de Rollon , et encore mineur , elle fut pillée et dévastée par les armées des Français. Les bois ne tardèrent pas à envahir de nouveau et à couvrir de toutes parts remplacement de cette maison dépeu- plée. Elle avait été fondée par Evroult , seigneur de la cour du roi Clotaire qui avait quitté le monde et s^était retiré dans la grande forêt iïOifche , sur les confins des diocèses d^Evreux et de Lisieux. Cette foi'êt était peuplée de [bri- gands à moitié sauvages. Evroult parvint à leur inspirer tant de confiance et de vénération qu''il les convertit et en fit les premiers moines de son couvent. Lors de sa restauration , elle fut dirigée par im abbé Théodoric et ne fut pas inutile au progrès des études. Laissons parler sur ce sujet le naïf Ordéric Vital, qui fut presque toute sa vie moine de Saint-Evroult mcme. C^est unique- ment dans les détails des auteurs contemporains qu''on apprend à connaître les mœurs et les opinions d\in siècle. «( Théodoric , dit-il , écrivait bien , et il a » Misse aux jeunes religieux d'illustres monu- » mens de son talent. Le livre des collectes , le — 50 — » graduel et Vantiphonier furent écrits de sa )) propre main dans le couvent même. Il obtint, » par ses gracieuses demandes , de ses confrè- » res de Jumiége , plusieurs précieux volumes )) de la divine loi. Son neveu Raoult copia les )) sept premiers livres de Tancien testament , )) ainsi que le missel dans lequel on chante jour- » nellement la messe au couvent. Son compa- » gnon Hugues , fit une copie des commentaires )) de saint Grégoire , pape , sur le prophète M Ezéchiel et sur le décalogue , et de la pre- » mière partie des livres moraux. Le prêtre » Roger copia la ti'oisième partie des livi-es mo- » raux et des livides de Salomon. Le respectable » père pi'ocura à notre bibliothèque , par ces )> écrivains et par quelques autres antiquaires )) qu'il instruisait au travail , tous les livres de » l'ancien et du nouveau testament , ainsi que » tous les ouvrages du ti^ès éloquent pape Gré- )> goii'e. )) Voilà donc tout ce que produisaient plusiem's années de travail , ce qui donne une idée de ce qu'était la librairie avant la révolution immense opérée par la découverte de Tart typographique. Ordéric Vital cite ensuite un certain nombre d'excellens copistes , librarii , qui se formèrent dans le couvent et parvinrent à fournir à la bi- — 51 — l)liotlièque les oeuvres de saint Jérôme , de saint Augustin et de saint Aml^roise , les traités dU— sidore de Séville et dHOrose, Thistoire ecclésias- tique d''Eusèbe et quelques autres ouvrages. Après il ajoute: » riiomme de Dieu, Théodoric, » avait riiabitude de les prémunir contre Foisi- )• veté et leur racontait Thistoii-e suivante. Un » certain frère demeurait dans un certain mo- » nastère ; il était coupable de beaucoup d'in- » fractions aux institutions monastiques , mais i> il était bon écrivain , et il copia volontaire- )> ment un volume considérable de la divine loi. )> Après sa mort son âme fut conduite pour être 1) examinée devant le tribunal du juge équita- » ble. Comme les malins esprits portaient con- » tre elle de vives accusations et exposaient en » détail ses presque innombrables péchés , les » saints anges , de leur coté , présentaient le » livre que le frère avait copié dans la maison » de Dieu , et compensaient chaque letti-e con- )» tre chaque péché. Enfin , une seule lettre dé- » passa le nombre des fautes , et tous les efforts » des démons ne purent lui opposer aucun pé- » elle. Cest pourquoi la clémence du juge su- » prême pardonna au frère , ordonna à son âme )) de retourner à son corps et lui accorda le » tems de comger sa vie. » Son successeur, Robert-de-Gfandmesnil ^ — 32 — continua les mêmes exercices. Un de ses neveux, qui avait long-tems vécu dans le monde et que certains écarts de conduite avaient fait nommer Raoul de malâ coronâ , vint se consacrer à la pénitence dans le monastère delà forêt d^Ouclie. C'était un homme savant pour le tems , et voici de quelle manière Ordéric en parle : « Ce seigneur se livra aux lettres dès son en- » fance , et en parcourant les écoles de la France )) et de ritalie , il parvint à acquérir avec dis- w tinction la connaissance des secrets des scien- » ces , il était noblenient instruit en astronomie, w en grammaire , en dialectique , en musique ; » il possédait même si complètement la méde- )) cine que , dans la ville de Salerne , où floris- » saient depuis les tems anciens de célèbres » écoles de médecine , il ne trouva personne )) qui pût régaler dans cet art , sinon une cer- » taine dame très savante. » Il dit d\m autre moine issu d'une illustre lignée : « Elevé soigneusement dans le sein de l'église, » retiré loin du fracas du monde et de ses )) plaisirs , il brilla noblement dans les sciences )) utiles, car il fut lecteur et chantre habile, distin- » gué dans l'art de l'écriture et bon enlumineur » de livres. Il possédait dans sa mémoire tenace — oo » les épîtres de saint Paul , les proverbes de Sa- » lomon et plusieurs autres traités de la sainte » écriture. » En parlant d^ni troisième abbé nommé Os- hern , il remarque qu^il 'exerçait journellement les jeunes gens de son monastère à lire , à écrire, à psalmodier , employant envers eux les exhor- tations et au besoin les coups de fouet , ^lerhiset verheribus , ce qui supposerait que les jeunes moines n^avaient pas toujours une vive ardeur pour Tinstruction , si toutefois le bon Ordéric ii^a pas voulu , avec son verbis et ^erberibiis , faire un jeu de mots , ce qui lui arrive de tems en tems. Au surplus , si le moine Ordéric n'était pas du nombre de ceux qu'il fallait pousser au travail verberibiis , il se plaint avec ingénuité d'une au- tre incommodité , résultant , sans-doute , de la prohibition d'allumer du feu dans les cellules , et qu'il exprime de cette manière , en terminant le IV .^ livre de sou histoire de Normandie. « Comme je soufïre beaucoup du froid , je » vais me livrer à d'autres occupations , et fati- » gué de mon travail , je crois convenable de » m'arrèter ici. Au retour de la sérénité du doux » printems , et qujuid les riguoiu\s du froid ue — 54 — )) nVempêcliei ont plus trécrire , je i eprendi'td , )> dans les livres suivans , le récit des faits sur » lesquels je ne me suis pas suflisamment étendu » et dont il me reste à parler. » Malgré les interruptions que Thiver pouvait lui causer , il n'en est pas moins vrai qu'Ordéric Vital fut Pécrivain le plus distingué de son siècle. Il n'' observe pas toujours beaucoup d'ordre , dans sa narration ; tantôt il anticipe , tantôt il rétrograde , et il faut de Tattention à son lecteur pour ne pas perdre le fil chronologique. Mais , d'un autre côté , ses narrations sont attachantes ; il a surtout une naïveté qui me le ferait appeler le Froissard latin , parce qu'il égale , ce me sem- ble , cet intéressant chroniqueur. Il est rempli de détails précieux sur les mœurs et sur le génie des siècles dont il fait l'histoire. Il abonde, il est vrai , en récits merveilleux , surtout relativement à son couvent dont il parle sans cesse et dont il est l'annaliste lé" plus complet ; mais tous ces faits prodigieux se font lire avec intérêt et sont la meilleure peinture des tems éloignés dont il nous entretient. La géographie , l'histoire ancienne , et surtout la chronologie des événemens anté- rieui's à l'ère chrétienne reçoivent de sa part des atteintes un peu lourdes. Il partage, avec pres- que tous nos vieux historiens , l'opinion sans fon- 33 dément que les Francs descendaient de la nation Troyenne et d'iui Francon ou Francîon , fils de Priam. Quant à sa littérature , on voit bien qu^il connaît son Virgile , son Horace et son Ovide , dont il semble tout glorieux de citer parfois des vers , à propos et hors de propos , comme Féco- lier qui se plaît à étaler le savoir classique auquel il a été récemment initié. Il n'est pas aussi pro- digue de mauvaise poésie que son devancier Dation de Saint-Quentin , qui a écrit son his- toire de Normandie partie en vers et partie en prose , mais il n''oublie pourtant pas de nous citer les vers latins qu'il a faits en différentes circons- tances , et surtout pour les épitaplies des hommes célèbres ; malgré quelques fautes de quantité , ses vers , tels qu'ils sont , prouvent qu'on en tour- nait au moins passablement au couvent de S.t- Evroult qu'Ordéric n'avait cessé d'habiter , nous dit-il , depuis sa plus tendre jeunesse. Ce couvent avait été rétabli parla famille des Gî- /'o/li abbé du monastère de S.t-Vigor, fondé par Odon, évèque de Ba- yeux , frère utéi'in de Guillaume-le-Conquérant , prélat gueirier et libertin , singulier assemblage de bonnes et de mauvaises qualités. S.t-Anastase, noble vénitien, savant dans les langues grecque et latine, embrassa la vie monastique au Mon t-S.t- Micliel. Cette abbaye était renommée depuis plusieurs siècles, et figurait au nombre des prin- cipaux établissemens religieux de la Neustrie. « Lorsque Rollon eut été baptisé , dit Guillaume » de Jumiége , il demeura dans ses vêtemens )» blancs pendant septjonrs, pendantlesquelsilho- » nora Dieu et la Sainte Eglise par les présens qu'il )) leur lit. Le premier joiu' , il donna une très )> grande terre à Téglise de S.te-Maiie-cle-Rouen ; )> le second jour , autant àTégiise de S.te-Marie- » de-Bayeux; le troisième joui* , autant à Téglise » de S.le-Marie-d^Evreux 5 le quatrième jour , » autant à Téglise de S. t -Michel-Archange , )) placée au haut cVune montagne, en dépit des » périls de la mer. Les trois jours suivans furent — 58 — » pour les églises de Rouen, de Jumicge el de » S.t-Denys. « Lorsque Edelred , roi d'' Angleterre , envoya une armée en Normandie , du tems du duc Ri- chard II , il ordonna , suivant Guillaume de Ju- miége , de dévaster tout le pays par le fer et le feu, et d^épargner seulement le mont de Tar- cliange Michel ; un lieu si saint et si religieux ne devant pas devenir la proie des flammes, ne taniœ sanctitatis et religionis locwn igné con- Gremarent. AUTRE EXTRAIT d'une suite f/e M É m o i R e s sur Vctat des sciences et des lettres en Nornmndic , dans les A/.' et XII. " Siècles , P AR M. CouppEY, Secrétaire. Il existe , dans la collection des œuvres de saint Anselme, archevc(|uc normand, un pocmclalin de — 59 — rXI/ siècle, intitulé de coniemptn mundi ^ que nous nlîcsitons pas à regarder comme un excel- lent ouvrage, digne à tous égards d'être tiré de Toubli. Plus tard et dès le douzième siècle , nous verrons apparaître en France de grandes compo- sitions en vers latins, telles que la PhUlppide , ou histoire de Philippe-Auguste , par Guillaume-le- Breton, VJlexandrinde^ espèce d'épopée sur les exploits d'Alexandre-le-Grand , écrite avec beaucoup de pompe et d'harmonie. Mais jusqu'à rXI/ siècle, il n'avait rien paru depuis la corrup- tion de la langue latine , qui valut le poëme de Contenipiu mundr^ l'auteur n'est point un simple versificateur ; il a de la verve et une cadence qui rappelle les oeuvres élégiaques d'Ovide. Le sujet qu"'il 'traite est une peinture des misères et des vanités du monde , comparées à la tranquil- lité d'une âme pieuse et aux délices de la vie monastique. Quoique l'ouvrage figure dans les diverses édi- tions des oeuvres de saint Anselme , il n'est pas. certainement de lui. Mabillon , dans ses annales de Tordre de saint Benoît , (*) et les auteurs de la grande histoire littéraire de France, (**) nous (*) Mabillon , Annales de l'ordre de saint Bunolt , livres 62 et 65. (**) Tome "V'IIl , pages 420 cl suivantes. — 40 — semblent avoir démontré quHl est cVim nommé Roger, né àCaen, au commencement de VXl.^ siècle , moine de Tabbaye du Bec. Venons aux citations dont nous ne serons pas avares, persuadés que les lecteurs seront , comme nous Tavons été , frappés du mérite de la poésie de ce moine , bas-normand , et y verront la preuve que la connaissance de la langue latine était parvenue alors dans notre province à un degi'é notable de perfection. Voici une comparaison entre les douceurs d\me vie obscure , et les soucis tumultueux qui agitent les conditions les plus élevées : Montes et scopulos sœvi maris obruit iinda , Ad placidum littus mitior unda vcnit. Aerias alpes nivibus candescere scinius Frigoribus que preiui perpetiK» que gelu. Illic et rabies ventorum pluriraa sœvit; ïemperiem giatam proxima vallis habet. O quanlos regxim paliuntiir corda tumultus ! Quamque j)roceIlosis niotibus ipsa freniunt ! Non paucos meluit muUis meluenda poîestas , Vix quealicui crédit dùm cavet insidias. Mille salellitibus cinctus , telis que suorutn , Non valet è trepido pcllcre corde metuiii. Les bons poètes élégiaques de l'antiquité au- raient-ils mieux fait le portrait des malheurs de — 41 — la vieillesse et des incoiniuoditcs de riiomme à son déclin , qu'on ne le trouve dans le morceau suivant : Sicque peiit placitae paulatiin gratia forinse J\ulla que de niuUis quae placuere manent , Nam guslata minus sapiunt , vix sentit odores, Vix quoque clamosos percipit oie sonos. Caligant oculi ; de toto sola supersunt Hinc cutis, et nervis ossa ligata suis. Vix jani f'usle potest nulantes iigere gressus , ' Vix que valet tremulâ qua;que tenere manu. Si qua sibi fuerat prudentia tota recessit, Id que tamen laudat quod puérile sapit. Sic igitur se quisque senex miserabilis ipsum Quotidiè perdit subtrahitur que sibi. A propos de ces révolutions étonnantes qui précipitent souvent un héros du faîte des gran- deurs dans rabîrae de Tinfortune et de Thumilia- tion , il dit de tel personnage à qui on voudra Vaji^Mquer : iljiit plus grand que le monil"; mais depuis 'vaincu et exile' , son corps est couvert d'une ignoble poussière sur un rivage étrange?: Major erat mundo, nunc nobile corpus Exulis et victi vilis arena tegit. Dans ces teins du moyen âge , où la vertu et la science étaient paisiblement renfermées dans les monastères, où le peuple était esclave, où la puissance et les richesses étaient concentrées — 42 — dans les mains de la féodalité, oùles seigneurs, (jiii s'étaient saisis dans leurs domaines de Tadminis- tration de la justice, ne connaissaient par consé- quent aucun frein et ne redoutaient aucun châ- timent ; il est curieux de voir la description des festins crapuleux auxquels s''abandonnaient ces petits souverains, quand la guerre ne les arrachait pas de leurs châteaux opulens ? Quidquid et ad victura mare nutrit , terra vel aer ,' Queerit habet que viri luxuriosa famés ! Et modico ventri vastus non sufficit orbis ; Ergô rainistrorum vocibus aula frémit. Argento que dapes, ridet quoque Bacchus in auro , Et gemma infusum plurima nectar babet. Yestibus et facie longus nitct ordo cbentum Ad Domini nutus turba parata levés. Sexus uterque canit, résonant cjibarse que lyrœ que, Et reddunt illic organa dulce melos. Tandem epuUs largis et pleno ventre bealus, Cum scorlis porcus gaudia noctis habct. Le secret d''ennuyer est celui de tout dire. Nous bornerons ici nos citations. Le pocme se compose de huit à neuf cents vers. Cest un des meilleurs ouvrages latins qui aient paru depuis la chute de Tempire Romain. ^f ^ .?I)1?^^1?^' jfi^?^^ îi'un lloyacif sur la (oU î>'3frtquf, dans les Iles de l'archipel , sur les côtes de V Asie-Mineure et en Grèce, PAR M." LAURENS-DE-CHOISY, g^Qi^Gg J**KTAis arrivé du Brésil depuis quinze jours, lors- que je reçus Tordie de me rendre à Smjrne pour y faire partie de la division navale destinée à pro- téger le commerce dans les mers du Levant ; mes dispositions furent bientôt terminées, et la cor- vette que je commandais appareilla poiu- rem- plir sa mission 5 quatre jours après mon départ je mouillai devant iJ5o«7 — })lessures , s"' emparèrent par la force de la sta- \ lie. Elle fui transportée dans la nouvelle Athènes^ et figure maintenant au musée royal sous le nom de la Vénus de Melos : le Grand Seigneur lut tellement irrité de cet enlèvement , que le capitan Pacha vint exprès à Milo pour venger son souverain outragé , et suivant Tusage de cet atroce gouvernement basé sur la force , tous les pauvres Miliotes payèrent pour le roi de France que Ton n'osait insulter. La bastonnade fut admi- nistrée aux primats de Tîle, à 30 des principaux habitans , et tous sous peine de perdi'e la tête , furent obligés de payer une amende considéra- ble qui leur enleva les économies de plusieurs années : leçon terrible , avertissement salu- taire aux peuples , qui dominés par un esprit de vertige ou par de puérils préjugés, oseraient encore compter sur lu justice de Thomme puis- sant , lorsque sa volonté n'est point soumise aux lois. Sm^ le bord de la mer , dans le S. E. de la baie , on trouve des sources d'eaux thermales d'une température fort élevée : auprès et dans le nord , sur un monticule très accidenté et fort aride , on découvre l'entrée d'un vaste souter- rain qui, dans ses sinuosités , a une étendue de •200 pieds j il est taillé dans un roc assez tendre , — (îa — et construit avec beaucoup (Vart ; des escaliei s (.ruji difficile accès , montant et descendant dt- manière à pouvoir être piotogés par un seul liomme , conduisent à deux salles assez vastes , ayant 9 à 10 pieds de hauteur : la tradition populaire assure que ce refugiwn servit à cacher le roi de Melos et sa famille , lors du sac de Pile par Philocrate ; mais il est probable que sui- vant la coutume de ces tems i eculés , cet endroit était destiné à la sépulture des souverains de Tile. Sur la côte S. E. de Milo, au milieu d\me foule de rochers entassés les uns sur les autres , il existe une grotte peu profonde , dont toutes les parois sont tapissées d'alun et de soufre ; une épaisse fumée sort de toutes les fissures , et même de plusieurs rochers placés en dehors de la grotte et environnés par la mer. Pour parvenir à cet endroit on traverse un sol brûlant , cédant sous le poids de Thomme , et la mointh e ouverture faite au hasard laisse échapper d'épaisses émana- tions sulfureuses : il est évident que cette partie de file est travaillée par des feux souteirains d'une grande activité. Le couvent élevé sur le mont S.t-Elie dans le S. O. de nie renferme quelques moines grecs schismaticiues, aflaiblis par Tàge et dont le nom- I — Oî) — l)ie diminue chaque jour; eel édifice n'offre rien de remarquable , et ces pieux caloyers passent doucement leurs derniers jours entre les prati- ques de leur religion , et celles d'une franche et simple hospitalité. Les vents contraires ayant cessé , je partis pour Smyrne. Je dirigeai ma route entre Sy pliante et Sherpho laissant à droite TUe de TArgentière , Tancienne Cimohs , qui renfermait des mines d'ai-gent ; aujourd'hui elle ne produit que de la terre bolaire proscrite par la médecine moderne. Syphante, l'antique Siphnos, lors de la splendeur de la Grèce était citée pour la fertilité de son terroir et sa nombreuse population , elle ren- fermait alors des mines d'or et d'argent , mais les habitans ayant refiisé de déposer le dixième de ces métaux dans le temple d'Apollon, à Délos , ce dieu irrité fît soulever la mer , inonda les mines , et depuis ce tems la misère a lemplacc l'opulence. Syphante possède un petit port où \e^ plus grands navires pourraient trouver un abri , mais il est tellement étroit , que les barques seules osent y pénétrer : la population de Syphante est lare et misérable , cependant plusieurs vallées sont d'une grande fertilité , mais incultes. Là y comme ailleurs, le despotisme énerve l'homme et paralyse les dons d(^ la nature. — 70 — Sherpho, Tantique Seryphe est séparée de Syphante par un canal de trois lieues. Cette île est haute , elle est hérissée de montagnes arides, de formes bizarres, séparées par d'affreux préci- pices. Les côtes seules présentent l'apparence d'une triste végétation ; dans la partie S. E. on trouve un port assez sûr pour les bateaux du j)ays , à peu de ditance on voit le bourg où rési- dent trois cents familles grecques, vivant à grande peine des productions du sol et des profits de la navigation à laquelle nombre d'habitans sont adonnés. Seryphe joue un rôle important dans la mythologie grecque. Danaé, fille du roi d'Argos , visitée par Jupiter dans sa tour d'airain, fut expo- sée dans une petite barque sur la mer , le roi espérant en la faisant disparaître , éluder un ora- cle qui lui annonçait qu'il périrait de la main de son petit-fils. Protégée parles dieux , Danaé abor- da dans l'île de Seryphe et reçut du roi Polidecte , petit-fils de Neptune , les soins empressés d'un |)ère et d'un ami : elle y donna le jour à Persée , qui parvenu à l'adolescence, abandonna Se- ryphe pour aller chercher des aventures , comme tous les héros fabuleux de ces tems reculés. Après de nombreux hauts faits , Persée tua la gorgone Méduse et levint à Seryphe : Polidecte, envieux des succès du héros, lui tendit des embûches ; — 71 — le libérateur (V Andromède oubliant les services passés du roi , lui présenta l'horrible lête de la gorgone , et Polidecte fut changé en pierre , ainsi que tous les habitans de Pile. Cette allégorie nous prouve que dans ces tems héroïques , comme de nos jours , Sherpho n^était qu^in amas confus de rochers agrestes. Le canal entre Syphante et Sherpho est sain ; les plus grands vaisseaux peuvent prolonger à 200 toises les côtes de ces îles : après les avoir dépassées on aperçoit dans le nord trois gros ro- chers déserts , mais dont les abords n''ofrrent au- cun danger ; dans Touest , à une assez grande distance , on voit les montagnes des îles Paros , célèbres par leurs carrières de marbre. Bientôt j*'eus connaissance de Syra , séparée des îles de Délos par un détroit de dix milles de largeur , qui n'est pas sans dangers. Cette île vue dans le sud présente un aspect assez riant , dans cette partie les montagnes viennent se perdre à la mer par une pente douce, et les appaj ences d'une culture soignée annoncent mie population laborieuse. Le port de Syra situé à la côte orientale , ouvert à tous les vents du N. E. au S. E , est cependant assez sûr et très fréquenté, surtout depuis la révolution qui a séparé la Grèce et ses îles do l'empire ottoman. La plus grande partie des — 72 — habitans sont catholi({ues romains , anssi sont-ils généralement peu considérés des schismatiques grecs qui forment la population des autres Cy- clades. Plus dociles aux conseils d\me sage po^ litique qu''aux nobles inspirations de la gloire et de Thonneur national, les Syriotes dans les convulsions qui ont déchiré la Grèce et les îles de la mer Egée , ont tout sacrifié à leurs intérêts personnels ; ils étaient Grecs tant que ceux-ci furent victorieux , ils se soumirent aux Turcs dès que le croissant fit pâlir la croix ; cette con- duite prudente ne leur mérita pas Pestime des défenseurs de la liberté , mais elle leur procura des richesses et la paix. Combien de peuples civi- lisés agissent de même ! La ville occupe un assez vaste espace , elle s^étend de la plage au sommet d'une colline abrupte , couronnée par un monas- tère catholique. En 1815, Syra ne possédait que douze polacres ; aujourd'hui plus de 50 bâlimens sont armés par les négocians de Tîle. Le canal entre Syra et les îles de Délos est semé d'écueils, la plupart au-dessus, d'autres sous Peau. Le passage suivi par les grands bâti- mens est entre les rochers nommés Scarpa , à peu distance de Tîle , et Técueil nommé la Na(a qui en est à trois rnilles dans le S. E. Les cartes françaises, celles de MM. de Chabertet Gaultier , — 73 — ropi ésenlenl la Nate comme un Uot rontl et sain loutà rentour ; rexpérience m'a prouvé que cet écueil extrêmement bas , projette à Test dans la direction de la grande Délos, un banc presqu'à Heur d'eau d'une grande étendue , sur lequel la mer brise parfois avec violence. Un autre bas fond s'avance également de la grande Délos , dans l'ouest , ce qui rétrécit singulièrement ce passage , qui ne doit être fréquenté qu'à l'aide d'un bon vent et d'un pratique habile. L'histoire nous apprend que ce fut dans le port de Scyros que se réunit la flotille des Cyclades lorsque les habitans de ces îles se révoltèrent contre Léon risaurien. Depuis le 5.* siècle la rebgion catho- lique s'était répandue dans toutes les îles ; l'em- pereur Léon , persécuteur acharné des fils de J.-C. , les poursuivit avec une telle cruauté que différentes parties de l'empire levèrent l'étendaid delà révolte. Les îles de l'Archipel alors flo- rissantes et très peuplées formèrent une ligue pour combattre et détruire le tyran. La flotte foi-mée en trois divisions , se réunit à Tyne , Micony et Scyros. L'organisation terminée , elle s'avança en bon ordre sous les murs de Constan- tinople , la ville fut bloquée par terre et par mei-, ce qui suppose vme armée nombreuse , et l'assaul fut livré par les insulaires ; mais à Taide du leu — 74 — grégeois nouvellement découvert , Tempereur ayant brûlé une partie de la flotte , les assiégeans furent obligés de se retirer après avoir obtenu des conditions avantageuses dans Tintérêt de leur religion. Cet événement eut lieu Fan 725 de notre ère. La grande Délos, Tancienne Rlienée , est basse et de loinparaît couverte d'arbustes et de verdure. Uîle de Délos proprement dite en est à l'est, le canal qui les sépare est tellement étroit , que les Grecs avaient établi un pont de bateaux pour les réunir, et Policrate de Samos avait fait tendre une chaîne de Tune à Tautre. Délos était la plus célèbre des îles de la mer Egée , quoique la plus petite ; elle joue un grand rôle dans la mythologie. Neptune ayant pitié de Latone poursuivie par la jalousie de Junon , fit sortir Délos du sein de la mer; Latone y donna le jour à Diane et à Apollon. Le dieu de la poésie et des arts fixa cette île flot- tante à Scyros et à Micony , pour récompenser les habitans des soins qu'ils avaientprodiguésàsa mère; depuis celte époque Délos eut une con- sécration religieuse, qui durajusqu'à l'extinction du cvdte des faux dieux. L'origine du fameux tem- ple d'Apollon, l'orgueil de Délos et de la Grèce entière se perd dans la nuit des tems , elle date presque de l'époque de la fondation d'Athènes 75 par Cécrops ; un des (ils de ce roi éleva cet édifice en Thonneur d'Apollon et de Diane. Depuis lors, tous les peuples à Tenvi contribuèrent à sa splen- deur; des fêtes religieuses y étaient célébrées à la renaissance du printems , à cette époque Tilc pouvait à peine conteniiles étrangers, et le tem- ple , les offrandes apportées par tous les peuples de la terre. En parcourant ces lieux si célèbres jadis , ces collines couvertes de riches palais , au- joiu^d'hui désertes, en cherchant les déblais de ce temple qui devait être immortel, et dont à peine on reconnaît remplacement , le coeur se serre , Toeil attristé interroge en vain cette nature morte : les réflexions les plus pénibles succèdent aux souvenirs que font naître et cette grandeur passée et ce néant sans avenir des merveilles créées par le génie de Thomme. Il serait difficile en effet de fixer d'une manière certaine la place qu'occupait le temple d'Apollon , il était sur le bord de la mer , vis-à-vis l'île Rhenée; les bases du monument n'ont même pas été respectées , et le voyageur , en parcourant cette plage semée de débris ne peut pas dire avec certitude : là s'élevait le temple du plus séduisant des dieux. Après avoir dépassé Syios, maintenant Syra, je me dirigeai entre Tyne et Micony ; ces îles sont séparées par un canal de deux lieues de largeur, — 7r. — extrêmement sain. Les vaisseaux peuvent pro- longer à petite dislance les côtes de Tune et de Fautre. Tyne est fort élevée, et quoique ses îiautes montagnes ne présentent à Toeil que des masses dépouillées de verdure, sa popu- lation est comparativement plus élevée que dans les autres Cyclades. Les habitans de Tyne et de Micony , après ceux d'Hydra et d^Ipsara , passent pour les meilleurs marins de la Grèce; ils possèdent de nombreux navires , et font un commerce assez étendu sur les côtes de TAsie , et même dans la mèr Noire. La ville de Tyne située sur le penchant d\ine colbne aride, de loin paraît considérable. Il n'existe point de port dans cette île; on mouille devant la ville et Ton y est à Tabri des vents les plus dangereuv dans ces parages. Tyne , Tancienne Tenos , jouis- sait d'une certaine célébrité dans les beaux jours de la Grèce; on recherchait son alliance, on prisait la valeur de ses soldats et de ses marins : le dieu des mers , le puissant Neptune , y possé- dait un temple fameux par ses privilèges ; la ville actuelle est bâtie sur remplacement qu'il occupait, mais les forêts qui environnaient te temple et couvraient toutes les montagnes ont disparu , maintenant on ne voit partout que des rochers calcinés par les feux du soleil, et quel- — 77 -— (|uos clrétifs olivieis; cependant clans les vallées Ton cultive la vigne avec succès, et le vin de Tyne jouit encore d'une certaine réputation. (]ette île est citée pour la beauté de ses femmes, on y récolte beaucoup de soie, et des ouvriers habiles en font des étoffes estimées. Micony est également fort élevée , elle possède une population industrieuse et riche; la ville si- tuée dans la partie S. O. de Tile est sur le bord de la mer , son port est comme celui de Tyne exposé à tous les vents du large. J'aperçus bientôt Naxos dans le sud et Nicaria dans l'ouest ; la première se voit de foit loin , ses montagnes s'élèvent jusque dans la région des nuages, elle est grande, très peuplée et d'une ex- trême fertilité. Naxos était consacrée à Bacchus, il y passales premières années de son enfance, c'est sur un des promontoires de cette île qu'Ariane, fille de Minos, fut abandonnée par Thésée. On trouve encore dans la petite île de Bacchus , située vis-à-vis la ville , les débris d'un temple consacré au dieu des vendanges ; j'ai vu parmi les ronces qui couvrent cet îlot, des fûts de colonne en marbre de Paios , d'une assez grande dimen- sion. INicaria est élevée, ses abords sont sains et son loi roir peu fertile ; leshabitans, en petit nombre. — 78 — vivent dans la misère et la plus profonde igno- rance. Icare, fils de Dédale, donna son nom à cette île , il périt sur ses bords pour avoir voulu braver les feux du soleil. En remontant au nord, je vis Tantique et flo- rissante Chio , la célèbre Lesbos : passant entre Tune et Tautre , je me trouvai bientôt à Tentrée du golfe de Smyrne formée par le cap Carabour- nou dans Touest, et la pointe Drapani dans Test; Touverture a quatre lieues de largeur , dans cette partie aucun danger n^entrave la navigation. Le cap Noir ou Carabournou est fort élevé , très sain et peut être approché sans crainte , une tour antique se voyait autrefois à son extrémité , mais elle disparut dans le fameux tremblement de terre de 1688 , aujourd'hui à peine en peut- on reti'ouver les débris. En suivant la côte occi- dentale du golfe, la mer est profonde et les plus grands vaisseaux peuvent prolonger la terre à petite distance ; dans cette partie , à quinze milles dans le sud du cap , on voit la grande et la petite îles d'Ourlach qui forment avec la côte un excellent mouillage , où Ton trouve une aiguade d'aune grande ressource pour les bâtimens étran- gers. Alexandre-le-Grand réunit la petite île ' d'Ourlach au continent par une jetée dont on — 7Î) — voil encore les traces au fond de la mer , il vou- lait attaquer la ville de Clazomène, située sur cette île ; sur remplacement qu^elle occupait on trouve de nombreux débris , mais là où fut une cité puissante, il ne reste aujomxVhui que des pierres et des ronces. La côte orientale du j,'olfe, à partir de la pointe Drapani , est assez élevée jusqu^au cap Phokia , qui en est à quatre milles dans le sud. Entre les deux , s"'élève la petite ville de Foyeri, habitée par des Turcs opulens , et bâtie dans une position délicieuse , le port est sûr , il peut recevoir quelques navires d'un as- sez fort tirant d'eau, mais un pilote est indis- pensable pour y pénétrer. Foyeri est près de Tantique Phocée , célèbre dans Fhistoire an- cienne ; la France n'oubliera jamais qu'une co- lonie de Phocéens fonda Marseille , cent ans avant la naissance du Christ. Du cap Phokia jusque devant le château de Smyrne, la côte est bordée à une assez giande distance, de terres extrêmement basses où sont établies des salines très productives. Les navires ne doivent approcher qu'avec précaution de cette partie du golfe , des bas fonds se projetant au large dans la direction de la côte occidentale et gênant les navigateurs , qui contrariés par les vents doivent toujours avoir lu sonde dehors. — 80 — Après avoir dépassé la petite île d'Ourlach la cote revient tout-à-coup à Test , et s^étendant près de 20 milles dans cette direction , forme à son extrémité la baie que Ton peut également nommer le port de Smyrne. Pour s'y rendie il faut , autant que possible , rallier la côte sud qui est extrêmement saine et se défier de la limite des bas fonds, qui dans cette partie resserrent singulièrement le canal jusqu^au château; dès ([ue Ton se trouve près de deux pitons fort remar- quables , nommés les Frères de Smyrne , qui ser- vent de reconnaissance et de guide aux marins , on aperçoit le port et les cyprès qui décorent le cimetière turc. Le château près duquel tous les navires doivent passer est un édifice carré , d'une hauteur médiocre , peint en blanc , armé de deux batteries dont l'explosion ferait sans doute écrouler les murailles ; une fi'égate dé- truirait en peu d'instans cette prétendue forte- resse , qui prouve le peu d'intelligence des Turcs dans l'art de la défense des places. Dès que l'on a dépassé le château , on entre dans un vaste bassin où des flottes entières peuvent touver un abri ; dans la partie sud de la baie on voit la ville qui s'èléve en amphithéâtre , elle pré- sente l'aspect le plus majestueux et le plus pit- i — 81 — toresque. La ville turque occupe la partie occi- dentale , située sur le penchant cVune colline , elle est reconnaissable à ses minarets , à ses mai- sons basses et peintes de diverses couleurs. La ville franque s''étend le long de la mer , Taspect des maisons qui bordent les quais rappelle la construction européenne. Les deux villes sont séparées par les bezestins ou marchés publics , et par le palais du Pacha , édifice extrêmement simple sur le bord la mer. Les maisons de Smyrne sont fort élevées , les rues sont tellement étroites que le soleil y pénètre rarement , tous les édifices étant couronnés par des toitures plates et des terrasses, les habitans jouissent chez eux de la fraîcheur que Ton va chercher ailleurs dans les promenades et sur la voie publique. Smyrne , dont la population s'' élève à près de 100,000 âmes, fait un immense commerce , cette ville est Tentrepôt le plus considérable de l'em- pire ottoman ; de nombreuses caravanes y portent toutes les marchandises de TAnatolie, de l'Ar- ménie , de l'Egypte et de la Perse ; une foule de navires de toutes les nations alimentent cette ville des produits européens , et retournent char- gés des riches productions de l'Afrique et de l'Asie. 6 — 82 — Guidés par une saine politique , ou plutôt par un désintéressement qui est toujours en raison inverse de la civilisation , les Turcs favorisent le commerce par tous les moyens possibles ; de lé- gers droits, une grande confiance dans les décla- rations des marchands , des facilités pour le paiement , peu de vexations , tout enfin contribue à augmenter l'opulence des marchands de cette ville. La France jouissait autrefois seule du pri- vilège de trafiquer dans le Levant , les autres nations étaient obligées d'emprunter son pavillon : aujourd'hui tous les étrangers sont admis dans les ports de l'empire , et depuis la révolution de 1789 notre commerce est singulièrement déchu. Les principaux objets d'exportation sont les soies , les poils de chèvre et de chameau , des toiles de coton peintes, des mousselines avec des broderies d'or et d'argent que les ouvriers de l'Europe ont vainement cherché à imiter , des colons, des laines, des cuirs travaillés, de la cii^e, de l'alun , des drogues médicinales, des noix de galle , des gommes , de l'opium , du storax , des tapis de plusieurs qualités , des pierres précieuses de toutes les espèces. Les con- testations entre marchands et même avec l'auto- rité tm'que sont jugées par les négocians du pays de l'européen , cette jiuidiclion paternelle prouve — 85 — combien les Musulmans tiennent à ne pas blesser les usages et les intérêts des étrangers qui vien- nent commercer chez eux. A Smyrne on ne peut faire de Teau que dans des puits ou des citernes , les navires étrangers vont compléter leur approvisionnement aux îles d'Ourlach. Derrière la ville et dans Test on voit le mont Pagus , au sommet duquel se trouvent les débris de l'ancienne forteresse ; ce qui reste de ce mo- nument ne porte point le cachet des contructions antiques, mais date probablement de Fépoque de la décadence des arts dans le Bas-Empire.' Ces débris sont imposans et occupent une grande surface ; on voit encore dans un assez bel état de conservation une muraille à créneaux garnie de distance en distance de tours carrées. Ces murs ont un grand développement , et dans leur inté- rieur on voit les ruines d\m palais , d'une cha- pelle et tout auprès une citerne voûtée très vaste, plusieurs portes conduisaient dans la citadelle , celle du nord est couronnée par un entablement de marbre blanc sur lequel on voit une inscription à la louange de l'impéra- trice Hélène pour avoir rétabli la ville. Sur mi des supports de la porte de l'ouest existe encore — 84 — une tète colossale qui a servi de texte à de nom- breux commentaires de la part des savans. Près de cette môme porte on a découvert, il y a 40 ans , les ruines d\in temple antique, et auprès un cirque ou arène. Ces édifices, sans doute, avaient été enfouis dans un des fameux tremble- mens de terre qui ont désolé cette partie de Tlo- nie. Le cirque avait 300 pieds de longueur , on y voyait, lors de sa découverte , les gradins destinés aux spectateurs et les loges où Ton renfermait les animaux ; les légendes rapportent que c'est dans cette arène que saint Polycarpe, évêque de Smyrne , fut livré aux bêtes et gagna la palme du martyre. Cette citadelle qui était probablement l'ancienne Acropole de Smyrne, pouvait ren- fermer une immense population et exigeait de nombreux guerriers pour sa défense. Les antiquaires ont puisé dans ces débris vme foule de matériaux et d'objets précieux , mais depuis nombre d'années les Turcs défendent de fouiller dans ces ruines : les curieux qui vont les visiter sont sévèrement surveillés. On se figurerait difficilement le coup d'oeil enchanteur que présente Smyrne et ses environs vus de la citadelle. Cette ville immense qui tient de l'Europe et de l'Asie, ces minarets aériens, ces constructions moresques dont la légèreté le — 8ij — dispute à la grâce ; tout auprès , cette ville d'Eu- rope qui se distingue par la pesanteur et la soli- dité de ses monumens ; à Torient la vallée des jardins, plaine vaste et riante qui s'étend du pied des monts Sypilus au rivage qui borde le fond de la baie ; partout des maisons de campagne élégantes , des champs en Heur ou couverts de moissons ; au milieu de ce vaste jardin le cours sinueux du Mêlez qui porte avec lui la fraîcheur et la fertiUté ; au-dessus de ce tableau gracieux, la baie couverte de vaisseaux, d'embarcations légères, et pour rideaux dans le nord , la chaîne majestueuse des monts Iphicus qui s'étendent jusqu'à Foyeri. Smyrne est sans contredit une des villes les plus antiques du monde ; son origine est peu connue , il serait impossible de fixer l'époque de sa fondation. Les amateurs du merveilleux croient qu'une amazone, nommée Smyrna, choisit l'em- placement actuel pour y bâtir une ville ; des écrivains plus sensés attribuent sa fondation à quelques habitans d'Ephèse qui , séduits par la beauté de son port et la richesse du sol vinrent y établir leur commerce. D'autres attribuent à Lysimaque et Antigonus, lieutenans d'Alexandic, l'honneur de sa création. Quoiqu'il en soit, cette ville est la seule , peut-être, q«i ait traversé lanl — 86 — de siècles sans perdre de son importance cl de sa splendeur. Il est probable que Smyrne s'élevait d'abord sur les rives du Mêlez , à trois milles dans le N. E. de remplacement qu'elle occupe aujour- d'hui. Six cents ans avant la naissance du Sauveur elle fut entièrement brûlée par Ardys , roi de Lydie , et réédifiée dans sa position ac- tuelle. Les villages de Boudjah, Bournabat et Sedikeni , ont été construits avec les débris de l'ancienne ville. Smyrne, lors des beaux jours de la Grèce, possédait des édifices célèbres par leur magnifi- cence : Cybèle, Jupiter, Diane , Apollon y étaient adorés dans des temples somptueux ; de nom- breux étrangers venaient y déposer de riches offrandes. On a reconnu au milieu du dernier siècle l'emplacement de quelques-uns de ces temples. Celui de Jupiter s'élevait près de la pointe qui sépare le fond de la baie où se jette le Mêlez de la rade actuelle de Smyrne. La Villa ou maison de campagne de l'ancien Muslim, occupée aujourd'hui par le consul de France, pa- raît élevée sur ses ruines. Le temple de Diane, ce- lui de Cybèle se trouvaient sur le bord de la mer, entre la ville actuelle et le château. Le sérail du — 87 — Paclia est bâti avec les tlcbris de run de ces raonumens. En 1798 , près des bazars , en creu- sant une citerne , on découvrit un temple décore de colonnes précieuses de marbre et de por- pliyre. Une statue d'Apollon - Venator , d'une petite dimension et d'une exécution parfaite , fait présumer avec raison, je pense, que ce monument était dédié au fils de Latone. Les colonnes ornent aujourd'hui une mosquée de Constantin ople, et la statue décore le palais d'un patricien de la Grande-Bretagne. Avant la conquête de l'Ionie par les Romains, ( événement qui eut lieu lors de la guerre contre Aristonicus, fils d'Attalus , roi de Pergame , dé- trôné par les consuls Perpenna et Aquilius , l'an C24 de Rome) la ville de Smyrne, pour justifier ses prétentions sur la naissance du chantre de rilium, avait décoré ses monnaies de la tête d'Homère. On voyait sur quelques autres mé- dailles Cybèle assise et Esculape debout devant elle. La mère des dieux, le père delà médecine étaient également vénérés à Smyrne et à Per- game. Après cette époque l'elïigie des empereurs décora les monnaies de cette ville; on en possède avec la tête de Sévère, de Gallicn, de Caracalla. Vingt-cinq ans après la prise de possession do cette ville parles Romains, Métellus-lc-Numidiquc — 88 — poursuivi par la haine de Marius et de ses adhc- rens, vint y chercher un asyle 5 174 ans après la naissance de J.-C. , Tempereur Marc-Aurel revenant de la Syrie où il avait été appelé par la révolte de Cassius, passa à Smyrne et accorda de nombreux privilèges à cette ville. La même année elle disparut dans un affreux tremblement de terre. Uempereur la fît rebâtir à ses fiais, et les habitans lui consacrèrent un temple. Il paraît que peu de tems après la naissance de J.-C. , la plupart des habitans de Smyrne se con- vertirent à la religion chrétienne. Saint Jean Févangeliste, Tan 93 de notre ère, adressait dans Fapocalypse des consolations et des conseils à Févêque de cette ville. Au commencement du 10.^ siècle les Sarrasins inondèrent PAsie-Mineure de leurs soldats ; ils s^emparèrent de Smyrne , massacrèrent les chrétiens, détruisirent les églises. L'empereur Alexis ayant chassé les Sarrasins , releva les temples du vrai Dieu, cependant jus- qu'au 12.'^ siècle cette ville fiit prise et reprise maintes fois par les différens partis qui désolaient Tempire. En 1160 Smyrne était presqu'entière- ment détruite. Ange Comnène et Timpératrice Hélène la rétablirent et firent élever la citadelle dont on voit encore les ruines. En 1542 le pape — 09 — Ciégoire XI ayant confie la défense de Smyrne aux chevaliers de Rhodes ou de Saint- Jean de .Jérusalem, ces guerriers repoussèrent toutes leurs attaques et la ville fut sauvée. En 1402, malgré toute la valeur des chevaliers de Saint-Jean, la citadelle et la ville furent prises d^assaut par les hordes barbares, sous le commandement de Tamerlan. Tous les chrétiens furent massacrés. Les Musulmans en furent chassés vers la fin du même siècle , mais peu de tems après Smyrne tomba sous leur puissance, et depuis cette épo- que le culte de Mahomet a remplacé la religion chrétienne. En 1688 un affreux tremblement de terre bouleversa la ville de fond en comble ; six mille personnes périrent dans cette occasion. La nouvelle ville date de cette époque mémorable. Les nombreux étrangers établis dans Tlonie , les prosélytes à la religion chrétienne faits par de courageux missionnaires, ont élevé considérable- ment le nombre des chrétiens de dilîerentes sectes fixés à Smyrne. Un ai'chevôque catholique romain réside dans cette ville ; il étend sa puis- sance spirituelle sur tous les sujets de Téghsc romaine dans TAsie-Mineure et les îles de la Grèce. Une église petite il est vrai, mais remar- quable par le bon goût et la simplicité de ses ornemens , sert de métropole ; elle_est sous Tin- — 90 — vocation de S.t-Louis. Plusieurs ordres cloilrés avant la révolution de 1789 possédaient des mo- nastères dans cette capitale de Tlonie ; ils résis- tèrent à la tourmente qui bouleversa les établis- semens religieux dans notre belle France, et Ton y trouve encore aujourd'hui des couvens do lazaristes, de récollets, de capucins. Ces maisons, jadis opulentes, ne renferment maintenant qu'un petit nombre de ces pieux soldats de la milice céleste ; ils vivent des offrandes des fidèles et dévouent tous leurs soins et leurs faibles res- sources au soulagement des malheureux , saxis acception de culte. Rien au monde ne peut donner une plus haute idée de la religion des apôtres que l'existence de ces vieillards, qui ne passèrent sur la terre que pour prier, souffrir, et dont toutes les actions, toutes les pensées furent consacrées à secourir, à consoler leurs sem- blables. Elle serait vraiment universelle notre sublime religion si tous ses ministres possédaient les vertus , le dévouement des vénérables moines de Smyrne ; qu'ils reçoivent ici , ainsi que le digne prélat Cardelly , l'hommage de ma re- connaissance et de mon respect pour leur haute vertu et l'intérêt qu'ils m'ont témoigné. Un archevêque grcc-arménicu dirige les schis- matiques ; les sectaires de Luther et Calvin pos- — 01 — sètlent un temple desservi par un ministre de Tcvangile. Ayant été chargé d'une importante mission dans les îles de rArchipel et à Athènes , je quittai la reine des cités de Tlonie , et bientôt je doublai le promontoire de Carabournou. '®'I^ s„^^ OeiX'itcc; t)u 3 Gilaoui^ 182a. OKSER¥ATIOM§ FAM M» O^^T. -^"^WÏlCfîfJfiWoUÏÏ*''»— Swà-El-El ■< i s. » Mi^ » J E viens vous communiquer la relation tVun fait dont il existe très peu d'exemples dans les ouvra- ges de médecine , et qui , par sa rareté , m"'a paru digne de fixer votre attention : c'est une obser- vation dC Inhalation complète (VUfine. Quelques considérations préliminaires que je vais très succinctement développer , sur les di- verses fonctions de la vessie , me paraissent né- — 95 — cessalres pour faciliter Tintelligence du fait aux personnes étrangères à la médecine. Les fonctions de la vessie sont bien détermi- nées ; cet organe est non-seulement destiné à servir de réservoir à l'urine jusqu'au moment de son émission , mais encore à provoquer l'expul- sion de ce fluide. L'urine sécrétée par le double organe glandu- leux qui porte le nom de reins , est transmise par les urètres jusque dans la vessie ; elle y tombe goutte à goutte et s'y accumule en plus ou moins grande quantité. La vessie, dans l'organisation de laquelle entrent ces membranes très exten- sibles , se prête facilement à la distension que dé- termine l'accumulation du fluide urinaire ; mais à mesure que cette distension s'opère , il se ma- nifeste , dans une gradation toujours croissante, un sentiment particulier de malaise , connu sous le nom de besoin (Turiner^ sentiment qui finit par devenir incommode et même doidoureux , s'il n'est promptement satisfait. Quelque pressant que soit le besoin d'uriner ,' l'émission de l'urine ne s'opère cependant que sous l'empire de la volonté. Il faut que l'organe encéphalique ayantperçule sentiment de malaise, commande le relâchement des muscles releveurs — Oi — dcVanus et bulbo caverneux , dont quelques fibres embrassent le col de la vessie , sur lequel ils exercent une sorte de constriction : la résistance que présente le col étant anéantie , Turine reçoit l'impulsion que tend sans cesse à lui imprimer la vessie continuellement disposée à se contracter sur elle-même. Ce fluide ainsi chassé , parcourt Turêtre et s'échappe au-dehors par un jet pro- noncé , çiais que Ton peut rendre encore plus vif et plus rapide par la contraction simultanée et volontaire des muscles abdominaux. Tel est Texposé sommaire des deux principales fonctions de la vessie ; mais la membrane mu- queuse qui forme la tunique intérieure de cet organe partage encore avec ces membranes du même ordre qui tapissent les voies digestives , la facvdté absorbante , c'est - à - dire le pouvoir de s'emparer d'une certaine quantité des corps fluides avec lesquels elle est mise en contract et de les introduire dans l'économie. Plusieurs faits ont démontré que de l'eau injectée dans la vessie y a été absorbée ; mais l'eau est un fluide tellement approprié à notre organisation que toutes les is- sues lui sont ouvertes , et qu'il peut être introduit dans Péconomie non-seulement par les surfaces muqueuses , mais encore par l'immense surface cutanée. — 93 — L^ibsorplion exercée sur un fluide excrémen- tiel lel que Turine présente quelque chose cle plus extraordinaire que celle de Teau dans son état de simplicité. Il est reconnu que Turine qui a pendant quel- que tems séjourné dans la vessie en sort plus colorée et plus odorante que celle qui est expul- sée dès que le besoin s'en fait sentir. C'est surtout dans les cas de rétention prolongée que ce chan- gement devient tout à fait remarquable ; Turine dont on provoque alors Pissue , soit par le cathé- térisme , soit par la ponction , est fortement colorée , chargée , souvent même limoneuse et odorante jusqu'à la fétidité. C es modifications dans les qualités physiques de l'urine sont dues aux phénomènes de l'observation exercée, non sur le fluide luinaire en entier , mais sur l'un de ses élcmens constituants. L'urine est un fluide très composé : mille par- lies contiennent 955 mill. " d'eau et 67 mill.'" d'une réunion de plusieurs sels , de quelques acides , de matière animale et de mucus. Or, c'est unique- ment sur le principe aqueux que s'exerce la fa- culté absorbante de la vessie, tandis que les autres principes qui forment vraiment la partie excré- mentitielle, sont repoussés par le système de vai- neaux chargés de l'absorption j il en résulte que — 9C — ces derniers principes dépouillés d'une plus ou moins grande quantité de Teau dans laquelle ils étaient en dissolution , se trouvent proportion- nellement plus abondants dans le résidu urinaire, et le rendent en réalité plus chargé et plus concentré. Cette observation toujours partielle et unique- ment exercée sur Tun des élémens constituans de Turine , ne sort pas des limites de Tétat physio- logique; c''estun phénomène normal , constant, susceptible d'acquérir par le fait de certaines circonstances particulières, un surcroit d'activité plus ou moins considérable. Mais l'absorption complète non-seulement des principes aqueux , mais encore de tovis les autres élémens qui en- trent dans la composition de l'urine et qui sont absolument destinés à être expulsés , constitue un fait entièrement hors de l'ordre naturel : tel est celui que je vais avoir l'honneur de vous exposer, et dont je n'ai trouvé dans les divers ouvrages que j'ai compulsés , qu'un seul exemple rapporté par Boerhaave. Un habitant de cette ville , officier supérieur très recommandable , dans un corps distingué , jouissant d'une bonne santé et menant une vie très régulière , sortit de chez lui vers onze heures — 07 — Jii malin , ayant négligé de satisfaire un léger besoin tVui iner qui commençait à se faire sentir, n entra chez quelques personnes près desquelles rappelaient ses affaires; fut accosté dans la rue par quelques amis , puis par sa femme avec la- quelle il rentra , sans avoir eu le loisir de satisfaire au besoin que chaque instant de retard rendait plus pressant. Il trouva chez lui son beau-frère avec lequel il entra en conversation; pendant ce tcms le dîner fut servi: on se mit à table. Il avait reçu le jour même quelques plantes qu'il se proposait de placer dans son jardin qu'il prenait plaisir à cultiver lui-même; menacé de l'explosion d'un orage qui devenait imminent , il s'empi-essa de travailler à sa transplantation immédiatement après le dîner : ily mit beaucoup d'activité , mais quelle que fut sa diligence, l'orage le surprit au miUeu de son travail et le força de gagner la maison à toutes jambes pour se mettre à l'abri de l'eau qui, tout à coup , tomba à torrents. Dans ce court trajet il fut subitement saisi de douleurs extrêmement violentes dans le testicule gauche, dans le cordon des vaisseaux sperma- tiques et dans la région iliaque gauche. Le be- I soin d'uriner qu'il avait jusque-là négligé de satisfaire , continuait à se faire sentir d'une ma- 7 — 98 — nière incommode et pressante ; mais ce fut inu- tilement qu"'il essaya de donner cours aux urines. Cependant cliaque instant semblait ajouter à la violence de ses douleurs qui bientôt devinrent insupportables; enfin son état parut si extraordi- naire et si inquiétant que je fus appelé sur-le- champ. Je trouvai le malade dans un état d'anxiété extraordinaire ; son agitation était extrême , ses douleurs étaient devenues atroces ; il éprouvait des nauzées qui bientôt furent suivies de vomis- sements ; le pouls était petit et serré, et les traits avaient déjà éprouvé quelqu''altération ; cepen- dant le testicule et le bas ventre, sièges des dou- leurs dont se plaignait en ce moment le malade , étaient peu sensibles au toucher. j| Après avoir pris connaissance de tous les an- técédents, je supposai les accidensdéteimincs par Texcessive distension de la vessie qui pouvait avoir perdu son ressort au point de ne pouvoir réagir sur Turine pour en provoquer l'expulsion. Je palpai la région hypogastrique , et ce fut avec étonnement que je remarquai qu'elle était peu saillante et peu tendue. Je crus devoir cependant m' assurer, par l'introduction d'une sonde, de l'état de l'organe , et pendant le tems qui fut né- — 90 — cessaii e pour aller chercher une algahe , j^essayai de soUicitej' les contractions de la tunique mus- culeuse de la vessie , en faisant marcher le malade pieds-nus sur le carreau , et en appliquant sur la région hypogastrique des compresses trempées dans un mélange d'eau fraîche et d''eau-de-vie. Sous Tinfluence de ces moyens , le besoin d'uriner se fit sentir avec un redoublement d'intensité : le malade essaya plusieurs fois , mais inutilement , de le satisfaire. Cependant après quelques tenta- tives infructueuses , il parvint à rendre en un seul jet à peu près une cuillerée d'urine. Enfin les sondes arrivèrent et sur-le-champ l'introduction en fut faite : il sortit à peine une once d'urine. Cependant le besoin d'uriner se faisait toujours sentir d'une manière pressante ; les douleurs conservaient leur violence; les secousses de vomissement se succédaient avec fréquence ; lepouls semblait redevenir encore pluspetit et plus Serré; les extrémités tendaient à se refi'oidir , et l'altération des traits faisait des progrès sensibles. Mes inquiétudes devinrent vives , je craignis que la vessie distendue outre mesure, ne se fût déchirée pendant le trajet que le malade avait rapidement parcouru pour se rendre du jardin à la maison. Les cas de rupture de la vessie ne sont pas extrê- ment rares; il existe plusieurs exemples de cet accident essentiellement mortel, et j'ai eu moi- — 100 — même occasion tVen observer un il y a environ vingt-cinq ans. Je prescrivis une potion antispasmodique dont le malade devait user par cuillerée, un lavement de décoction de graine de lin et de tête de pavotet des applications fréquemment répétées sur toute retendue du bas ventre , de flanelles imbibées de décoction émolliente. Une boule remplie d'eau chaude fut placée aux pieds. Je me proposais de faire plus tard une large application de sang- sues , si le pouls, toujours petit et serré, venait h se développer. L'état violent du malade se prolongea seule- ment pendant deux ou trois heures. Aux appro- ches de la nuit les accidents commencèrent à diminuer graduellement d'intensité, et vers le matin les douleurs étaient à peu près calmées ; le pouls s'était relevé et il y avait eu à diverses reprises, émission de petites quantités d'urine. Le malade exprima son état en disant qu'il était moulu dans toutes les parties de son corps. Dès ce moment je fus complètement i^assuré sur les suites que j'avais redoutées ; il me parut évident que la distension excessive et prolongée de la vessie avait provoqué dans cet organe une Yive surexcitation qui , vraisemblablement s'était — 101 — étendue aux urelcies etpeut-être même prolongée jusqu\iux reins; que cette surexcitation, en exal- tant les phénomènes vitaux dans les vaisseaux chargés des fonctions de Tabsorhlion, avait permis à ces vaisseaux , ou plutôt les avait forcés de s^em- parer en totalité du lluide urinaire pour le re- porter dans le torrent circulatoire. Pour prévenir le développement consécutif d\me cystite , je prescrivis une diète très sévère , du repos , tles boissons délayantes prises en petite quantité , mais fréquemment répétées , des demi-lavemens émoUiens , un bain de siège et la continuation des fomentations émoUientes sur le ventre. Le second jour le malade n'éprouva que des douleurs vagues et légères : la nuit fut tran- quille, mais il y eut peu de sommeil ; les acci- dens reparurent assez vivement le troisième jour, mais ils se calmèrent au bout de trois heures : cependant le malade s^inquiéta vivemept en sor- tant du bain, en remarquant que ses urines étaient sanguinolentes et entraînaient des caillots sanguins. Ce ne fut que le sixième jour que les accidents cessèrent complètement , et que les urines reprirent leur couleui" naturelle. Cepen- dant le malade n\^n contiiuia pas moins pendant. — 102 — quelque tems, à suivie un régime et à faire usage de bains : depuis lors il n'a éprouve aucune es- pèce d^indisposition qui pût être attribuée à cette violente secousse. Note extraite du dictionnaire des sciences Médicales , tome 25 , page 89. BOERHAAVE [proelectiones academicoe , t. jjj., p. 3i5. — 6'o///wya ) parle d'un négoci.iiil de la Haye, oc- nipé d'affaires importantes et qui s'étant abstenu d'uriner pendant un jour et une nuit, ne put le lendemain satisfaire ce besoin ; le tioisième jour on le sonda inutilement , ou sans retirer d'urine. Le sixième jour , somnolence , sueur considérable et fétide, même odeur de l'exhalaison pul- monaire, convulsions, lélhajgie , fréquence du pouls ; le quatorzième jour mort. A l'ouverture , on trouva un liquide semblable à de l'urine dans les ventricules du cerveau. FR AGMENS ms>i^»i tln^uit6 en dcvs par M, 21. (i, JPdncl)apcllf . Jjans les deux fragmens de traduction qui sui- vent , on s"'est elforcé de conserver le toiu' simple et naïf de Toriginal, de ne rien omettie sans y être absolument contraint, des détails où se com- plaît cette antique poésie, et de n^y point ajouter d^ornemens étrangers. L''Odyssée est comme une histoire des anciens Grecs, une chronique embellie par le doux et harmonieux langage de la Muse ; là sont à la fois , la religion et les m^oeurs primitives des Hellènes, les actions de leurs héros les plus renommés , tout l'ensemble de la vie civile et de la vie do- mestique. Le poëte qui a réuni tant de mervilleux et touchans récits , a moins cherché à plaire , qu'à — lOi — faiie ressouvenir les enfans des traditions pater- nelles. Or, essayer de traduire un tel livre , c''est s'obliger à être exact et fidèle , car ne serait-il point honteux de fausser ces vénérables archives , de dégrader et de blanchir un monument si noble et si gracieux , après qu'il a survécu aux outrages du tems ! Je sais que l'art moderne est fort diflerent de Fart ancien : nos auteurs vifs et brillans ne se sont guères plu aux détails du récit , aux choses sim- ples et populaires ; notre langue dédaigneuse et notre versification sévère ajoutent encore aux difficultés que rencontre le traducteur. Malgré tout cela , j'ai tenté quelques essais , persuadé que la poésie moderne même , est moins éloignée que la prose du langage mesuré des Grecs, et f que si on veut assouplir et briser un peu le vers français, il peut s'accommoder encore avec la ^ naïveté d'Homère. La Fontaine dans quelques morceaux , et siu - tout André Chénier m'oiil paru indiquer la voie j je sens trop bien que je l'ai seulement aperçue. I LA JlEtlONNAISSANCE BiJLYSSE ET HEPÉJ^ÉLOPil. Odjss. , livre XXIII. JLa fidèle Euryclée aux chambres de la Reine Monte vive et joyeuse , et respirant à peine Arrive, lui voulant annoncer son époux; Les hauts degrés n'ont point fait fléchir ses i^ciîoux. Là penchée au chevet de la Reine endormie : Levez-vous Pénélope ô ma fille chérie, Dit- elle; levez-vous, et venez, venez voir L'objet de vos regrets et de tout votre espoir ; Ulysse est de retour après sa longue absence , Sou bras a fait périr ces chefs pleins d'arrogance Qui dévoraient ses biens, couvraient son toit de deuil, El soumettaient son fils à leiu- injuste orgueil. Pénélope répond : hélas, ma bonne mère, Les dieux vous ont rendu la tête bien Icgcio; L'homme sage à leur gré devient un insensé. Ou la raison renaît dans un esprit blesse ; — 10« — Ces traits vous ont atteinte ô prudente Euryclée : Pourquoi me venez-vous , de chagrins accablée , Avec de tels discours amèrement railler , Et d'un si doux repos pourquoi me réveiller ? Jamais tant de sommeil n'avait clos ma paupière Depuis que mon Ulysse est parti pour la guerre ; Quittez donc cette chambre et retournez en bas, Si quelque autre suivante ,^ ici portant ses pas , Ojait me fatiguer de discours si frivoles , Elle entendrait de moi de sévères paroles : Je veux vous excuser , vous, car votre âge est grand. Je ne vous raille p^int, je dis vrai chère enfant , Reprend la nourrice ; oui , j'assure qu'à celte heure Le héros, votre époux, est en cette demeure; C'est lui , cet étranger qu'ils chargeaient de mépiis. Ce secret n'était point inconnu de son fils, Mais il cachait le nom et les projets d'Ulysse Jusqu'au tems où des chefs ce prince eût lait justice. Pénélope à ces mois s'élance de son ht , Elle embrasse Euryclée, elle pleure et sourit : O ma bonne est-il vrai ! Quoi , dans ce momenl même ^ Il est ici, mon noble époux, mon bien suprême ! — 107 — Comment a-l-il vaincu nos princes orgueilleux, liui seul ? Eux an palais élaient forts et nombreux. Je n'en ai rien vu , rien appris, répond la vieille , Mais le bruit du combat a frappé mon oreille; Dans un coin reculé de nos appartements. Des mourans j'entendais les sourds mugissements, Car à l'abri des murs et des portes serrées , Tremblantes de frayeur nous étions retirées : A la fin , votre fils, d'après l'ordre du Roi , M'appelle, je descends, et déjà devant moi Ulysse était debout; ceux que sa main fatale Avait frappés , jonchaient le pavé de la salie. Que vous eussiez voulu le voir là triomphant, Couvert comme un lion de la pourpre du sang. Leurs corps amoncelés gisent sous le portique , Et pour purifier son palais magnifique Ulysse en ce moment allume de grands feux , Et m'a pour vous tout diie envoyée en ces lieux. Venez donc, cl tous deux livrez -vous à la joie Qu'après de longs revers le destin vous envoie. Vos vœux sont accomplis, voilà que votre époux Revient en ses foyers, il y retrouve et vous — 108 — Et son fils, il y livre à la mort vengeresse Ceux qui les remplissaient de trouble et de détresse. Pénélope à ces mots encor de repartir .- O ma mère craignez de trop vous réjouir , Vous savez comme tous béniraient sa présence , Moi suitout; et ce fils qui nous doit la naissance. Cela n'est point hélas; vos discours sont (ronqicurs , Les chefs ont succombé frappés des dieux vengeurs ; La céleste justice a puni leur audace , Car chez eux l'étranger ne trouvait point de place , Le méchant et le juste en étaient rejelés , Et leur mauvais destin venge leurs duretés : Mais Uljsse a perdu loin des bords d'Achaïc Tout espoir de retour, il a perdu la vie, ,, Elle dit : Euryclée en la pressant toujours ; Quoi donc, ô mon enfant, et quel est ce discours ! N'ai-je pas dit qu'il est chez lui , sdus ce toit nicnic ? Mais vous êtes toujours défiante à l'extrême. En voulez-vous encore uu signe plus certain ? J'ai reconnu moi-niêiiie , en le mettant au bain , Des dents du sanglier l'ancienne cicatrice , Et déjà je voulais vous annoncer Ulysse. — lOf» -— Il m'a fermé la bouche a\i moment Je parler, Ne voulant point encor ce secret révéler. Enfin, pour assurer mon sincère langage, Moi-même , s'il le faut , ma vie en est le gage; O vous à cpii je dois tant de soins maternels , Reprend la Reine, il est chez les Dieux immorlels Des secrets malaisés à notre intelligence , Même pour vous dont l'âge a formé la prudence. Pourtant avec mon fils allons voir ces guerriers Et celui dont le bras frappa leurs fronts ailiers. Elle dit et descend ; son cœur ému s'agite , Dans ses pensers divers, incertaine , elle hésite ;, Lui doit-elle de loin parler avec froideur Ou courir l'embrasser , le presser sur son cœur ? Elle entre enfin , du seuil elle a franchi la pierre ; Près du foyer où brille une ardente lumière Elle s'assied ; en face et vers l'autre paroi , Près du plus grand pilier debout était le Roi ; Il attend l'œil baissé, que sa compagne auguste Ijc voyant de ses yeux rompe un silence injuste. Pénélope, long-tems dans son trouble confus, Tantôt fixe sur lui ses regards éperdus, — 110 — Tantôt sous^'s haillons qui couvrent sa détresse Ne saurait retrouver l'époux de sa jeunesse. Eh quoi ! s'écrie alors Télémaque irrité , Mauvaise mère , au cœur trempé de cruauté , Mon père est devant vous ! Assise en sa présence , Vous restez immobile, et gardez le silence ! Quelle autre, mais un roc serait moins dur que vous. Quelle autre eût insensible accueilli son époux , Quand accablé de maux après vingt ans d'absence , A la fin il revient au lieu de sa naissance ! Mon fils, reprend la Reine, en un trouble profond , Sans pensée et sans voix , mon ame se confond .- M'as-tu vraiment d'Ulysse annoncé la venue ? Si c'est lui, laisse-nous , je m'assurerai mieux A des signes connus seulement de nous deux. Le Roi sourit; mon fils obéis à ta mère, Dit-il , seul je pourrai la convaincre j'espère ; Elle me méconnaît, voyant avec mépris Ces haillons et mes traits par le malheur flétris. Mais nous aussi , voyons ce qui nous reste à faire : Celui qui fait tomber sous sa main meurtrière Un homme seul , obscur , et qui ne laisse pas — 111 — De nombreux défenseurs pour venger son trépas, Cet homicide fuit, perd parents et pallie , Et nous, songes-y bien , venons d'ôter la vie A tout ce que cette ile a d'illustres soutiens, Aux premiers , aux plus grands de nos concitoyens. Roi, répond Télémaque, ordonnez tout vous-même, Eu vous on reconnaît la sagesse suprême , Tout autre à l'égaler ferait de vains efforts. Et marcliant près de vous, nous serons assez forts. Mon fils , répond le Roi fertile en stratagèmes, Yoici ce qu'il faut faire en ces momens extrêmes : Dans l'eau pure du bain lavez vos bras poudreux. Amis, et revêtez vos manteaux somptueux ; Par votre ordre , ô mon fils, que les jeunes suivantes Se parent aussitôt de tuniques brillantes ; Phémius à des airs par la joie inspirés Accordera vos chant» et vos pas mesurés ; Les passans , les voisins , à ce doux bruit de fête , Penseront qu'au palais une noce s'apprête. Ainsi la renommée ira d'un pas plus lent Du carnage des chefs semer le bruit sanglant ; Nous, venus à nos champs, sous la forêt profonde. Veillerons ^ attendant que le ciel nous seconde. — 112 — Il dit : les serviteurs s'empressent d'obéîr ; Ils vont après le bain de pourpre se vêtir , Des femmes du palais la troupe se décore , Et le chantre divin prend sa lyre sonore : Il prélude, il éveille aux accords de ses airs Et la danse ingénue et les joyeux concerts ; Guerriers, jeunes beautés à ceinture ondoyante Marchent , tout retentit de la fête dansante. Quelqu'un dit , écoutant leurs pas harmonieux j Voilà donc cette Reine , objet de tant de vœux ; A son premier amour l'indigne est infidèle , Et le retour d'UyIsse a trop tardé pour elle. Ils disaient : combien peu ces discours étaient vrais. Cependant Eurynome au Roi dans son palais , Présente l'onde pure et l'essence odorante Puis après , sa tunique et sa robe éclatante. Pallas planait sur lui; l'auguste déité Relève du héros la force et la beauté , Et, comme l'hyacinthe ouvre sa fleur bouclée, Courbe sa chevelure en longs anneaux roulée. Tel aidé par Vulcain un habile ouvrier Que Minerve en son art prit soin d'initier , — 113 — Fait couler sur l'argent l'or plus brillant encore ; Tel , au souffle divin Ulysse se décore, La grâce et la grandeur parent son front vermeil , Il sort du bain , et marche aux dieux mêmes pareil. Il prend place , et tourné vers sa chère compagne : Vous, dit-il , que du sort la faveur accompagne , Les dieux qui de l'Olympe habitent les palais Vous donnèrent un cœur que femme n'eut jamais: Quelle autre accueillerait , et si froide et si dure , Un opou.^ qui du sort long-tems souffrit l'injure. Qui vingt ans éloigné par un destin fatal, Vient aborder enfin à son pays natal? Mais préparez mon lit, 6 vous ma bonne mère. Car je le vois, son sein enferme un cœur de pierre. Non , reprend Pénélope , homme chéri des dieux. Je n'ai plus de mépris, d'orgueil injurieux. Et je vous reconnais tel qu'aux bords de cette île , Vous reçut autrefois votre navire agile. Euryclée, allez donc chercher ce lit épais, Son propre ouvrage ; allez , il est hors du palais, Apportez-le , placez sur sa couche honorée Et leschaudes toisons et la laine empourprée. 8 _ 114 — Elle feignait ainsi; chercbanJ la vérité. Quoi ! s'écrie aussitôt le héros irrité , Qui donc a déplacé ma couche, ô noble reine, Quand le bras d'un dieu même y suffirait à peine : Il n'est point pour cela de mortels assez forts , Moi seul, pour l'avoir fait j'en connais les ressorts. Un superbe olivier , au riche et frais feuillage , Grand et droit, sur ma cour étendait son ombrage; De ma chambre alentour je construisis les murs , Bien liés , revêtus des marbres les plus durs ; Je la couvris d'un toît , et j'en fermai l'enti^ii Par les ais bien unis d'une porte serrée .• De l'arbre j'abattis le sommet verdoyant ; A l'aide du cordeau , sous mon airain tranchant , Redressai, je polis sa tige toute entière. Enfin de part en part j'y passai la tarière. De ma couche il devint l'appui ; ma main encor L'enrichit avec art d'argent, d'ivoire et d'or. Et d'une peau de bœuf que la pourpre avait teinte J'en tapissai le fond , et j'en bordai l'enceinte. Vous savez tout: a-t-on pu le ravir? qui doue A de mon olivier osé couper le tronc ? Il dit , et ce récit, cette preuve assurée Ont saisi la princesse à l'instant éclairée — 11^ — Son cœur se fond , déjà fléchissent ses genoux ; Tout en pleurs elle court embrasser son époux , Prend en ses douces mains son front et son visage', Les couvre de baisers, et lui tient ce langage : Ne sois point, mon Ulysse , irrité contre moi ; Plus qu'en aucun mortel , la sagesse est en toi : Voyant notre jeunesse heureuse et florissante , Et tous deux de nos ans suivre ensemble la pente , Les dieux jaloux nous ont envoyé ces revei's : Ne prends point de courroux ni de soupçons amers, Si dès que je l'ai vu , je ne t'ai pu connaître , Et faire en t'accueillant tout mon amour paraître ; Car je craignais toujours que des hommes trompeurs Ne vinssent m'abuser par des discours flatteuis ; Beaucoup par de tels soins ont cherché ma ruine. Celte Hélène d'Argos, d'une race divine , N'eût point, d'un nœud fatal se laissant engager, Au lit de son époux admis un étranger, Si par les Grecs vaillants , vengeurs de Ihyménée , Elle eût pensé se voir à Sparte ramenée , ( Un dieu lui fit commettre un forfait si honteux ) : Elle n'eût point subi ce destin malheureux , Commis ce crime , hélas, la source de nos peines ! Mais je te reconnais à des preuves ceiiaines ; — 116 — Je ne puis plus douter et t'accorde ma foi : Car nul n'a vu ce lit que mon époux et moi , Et l'esclave Actoris que me donna mon père , Quand je partis, venant habiter cette terre , Celle qui tient les clefs de notre appartement. Ainsi dit Pénélope; Ulysse en ce moment, De la Reine admirait la grâce et la sagesse, La pressait dans ses bras, et pleurait de tendresse. Telle apparaît la rive aux yeux des matelots , Quand Neptune a plongé leur vaisseau dans les flots; Sous le poids de la vague et les coups de l'orage , Quelques-uns , lialetans , arrivent à la nage , Tout ruisselans d'écume ils ont touché le bord , La terre leur sourit, échappés à la mort: Tel apparaît Ulysse à la Reine attendrie ; Ses bras ne quittaient point celte tête chérie , Et la brillante aurore aux doigts semés de fleurs Les eiitencor trouvés mêlant tous deux leurs pleurs ; Mais Minerve en prit soin , et l'auguste déesse Pour eux de cette nuit retarda la vitesse; A l'heure du matin elle retint encor , Au fond de l'océan , l'aurore au trône d'or , L^empêcha d'atteler à ce char qu'elle guide Lampus et Phaèlon , coursiers au vol rapide , Qui font rouler aux cieux le char du dieu des jours. — 117 — A sa compagne alors le Roi tint ce discours : Nos souffrances ne sont dès ce Jour achevées , D'autres me sont encore en foule réservées, Longs et graves travaux que je dois accomplir ; Tel m'a Tirésias annoncé l'avenir , En ce jour où j'allai dans le funèbre empire , Pour mes amis et moi , de nos destins m'instruire : Mais viens, qu'un doux sommeil se répande siu' nous. Pénélope, à ces mots , répond à son époux , Je suis prête à vous suivre au lit de l'hyménée, Puisqu'en cette maison par vos travaux ornée , Au rivage natal , au seuil de vos aïeux , Vous êtes ramené par le secours des dieux. Mais instruit des revers que vous devez attendre , Ces grands travaux aussi, veuillez me les apprendre ; Un jour vous ne pourrez , je crois , me les celer ; Pourquoi, dès aujoui'd'hui , ne pas les révéler ? Chère épouse , répond le prince auguste et sage , Je vais, puisqu'il le faut , te conter ce présage; Mais, triste je dirai, triste tu vas ouïr Les destins où me doit engager l'avenir. L'aviron à la main , en ma course égarée , J'irai voir plus d'un peuple , et plus d'une contrée ; J'irai chez des mortels éloignés de la mer, — 118 — Qui n'ont jamais au pain mêlé le sel amer ; Arrivé dans les lieux où je dois m^arrêter , Peuple qui ne connaît ni les voiles mouvantes , Ni les nefs avix flancs bruns , ni les rames pesantes. Un signal asssuré viendra me l'attester ; Il faut qu'un voyageur , me rencontrant , s'écrie : Son bras fort a porté le Van qui purifie. Je m'arrête aussitôt; dans la terre enfoncé, Le pesant aviron par mes mains est fixé ; Un bélier , un verrat , un taureau , pour victimes , Sont présentés au dieu qui régit les abîmes. Alors je reviendrai ; puis aux dieux éternels , J'offrirai l'holocauste et les vœux solennels , Et tous les immortels , rois du vaste empirée , De suite recevront mon offrande sacrée. De ce moment, parmi mes peuples fortunés, Mes vieux ans couleront de splendeur couronnés , Et libre désormais des vents et de l'orage, Une mort lente et douce achèvera mon âge : Tel m'attend l'avenir , telle est l'heureuse fin Qu'a promise à mes jouis le prophète divin. Consolons-nous , reprend la prudente princesse , — 119 — Si les dieux t'ont promis cette belle vieillesse , Si tu dois surmonter ces périlleux travaux. Tels étaient leurs discours : aux clartés des flambeaux Les femmes étendaient d'une main diligente Les moelleux tapis sur la couche éclatante ; Devant eux Eurynome élevant un fanal , S'avance, et les conduit vers le lit nuptial : La nourrice descend ; Eurynome après elle ; Seul ^ Ulysse conduit sa compagne fidèle. !>«®«â — 120 — ULYSSE CHEZ LAERTE. Otlyss. , livre XXIV. J_JE Roi , ses sei^viteurs et son fils ïélémaque S'éloignaient à grands pas de la cité d'I iliaque ; Un enclos bien planté se présente à leurs yeux ; Laërte , par des soins longs et laborieux , Défricha ce domaine et l'eut pour récompense ; Au centre est un manoir d'assez belle apparence , Des logis alentour sont pour les serviteurs Qui du faible vieillard partagent les labeurs. Une sicilienne âgée et très fidèle A suivi sa retraite et le sert avec zèle ; Les chagrins du vieux roi sont par elle adoucis. Amis^ dit le héros, et vous aussi mon fils , Cette maison très noble est celle de mon père , Allez, franchissez-en la porte hospitalière, Choisissez , immolez le pourceau le plus gras , — 121 — Préparez le festin ; je porte ailleurs mes pas. Car je veux éprouver mon père ; hélas j'ignore Si ses yeux affaiblis reconnaîtront encore Un fils, que si long-temps retint un sort fatal Loin du toit paternel et du pays natal. Il dit, et détachant son armure polie, Aux mains des serviteurs en partant la confie ; Ceux-ci vers la maison courent d'un pas léger : Ulysse entre aussitôt dans un riche verger , Il regarde, il parcourt cette enceinte étendue , Et personne d'abord ne s'offrait à sa vue ; Dolius , ni son fils , ni serviteurs ; alors Tous dans un champ voisin unissaient leurs efforts A rassembler des pieux pour clore l'iiéritagc. Il chei'che encore , enfin dans un riant bocage Ulysse voit son père : à genoux et penché, Au soin d'un arbrisscaii LaërtÊ est attache. Le vieux prince est vêtu d'une grossière biu'e. Ses pieds sont entourés d'une loui'de chaussure , Son front chauve est caché sous un casque de euir. Ainsi dur à soi-mcme , il aimait à nourrir Les éternels chagrins qui rongeaient sa vieillesse. En le voyant ainsi plein d'ans et de tristesse, Debout sous un grand arbre à le considérer. ~ 122 — Le héros ne pouvait s'enipéchei- de pleurer. II réfléchit; va-t-il, au gré de son envie, Embrasser ce vieillard dont il reçut la vie, Et puis lui raconter ses voyages lointains, Comme il fut si long-tems le jouet des destins ; Ou bien, vaut-il point mieux , sans rien faire paraître , Tenter si le vieux roi le saura reconnaître, Et démêler le vrai dans un discours trompeur. Ce dessein an héros paraissant le meilleur, Il s'avance, en lui-même ai'rangeant sa pensée; Et Laè'rte à genoux , et la tête baissée , Toujours bêchait la terre au pied des arbrisseaux. Ulysse l'interrompt, et lui parle en ces mots : — O vieillard ! à tes soins , à ton expérience , Sans doute ces jardins doivent leur abondance; Tout y croît bien; la vigne et le pille olivier. Les plantes, les poiriers et le riche figuier; Pourquoi donc, (sans colère, écoute ce langage). Pourquoi de la misère éprouves-tu l'outrage ? N'était-ce point assez de la rigueur des ans ; Pourquoi de vils lambeaux sont-ils les vêtemens? Ton maître ne saurait t'accuser de paresse : — 125 — Mais cst-il vrai? Ton front respire la noblesse; Tu ne ressembles point aux esclaves ; en toi , La stature, le port, tout est digne d'un roi. Non, car en ce haut rang, au déclin de ta vie^ On te verrait plutôt, au gré de ton envie , Au lieu de te vouer à ces tristes labeurs , Des bains et du repos désirer les douceurs. Dis-moi la vérité, vieillard, quel est ton maître? Quel est le possesseur de ce séjour champêtre? Et surtout réponds-moi , que j'en sois bien instruit; Cette île est-elle Ithaque? un passant me l'a dit; Dois-je le croire! A peine a-t-il daigné m'entendre; Ignorant ou trompeur , il n'a pas su m'apprendre Si je retrouverais mon ami sur ces bords, Ou s'il est descendu dans le séjour des morts. 'J'oi , daigne m'écouter et dis vrai je t'en prie, Dans ma maison jadis , aux bords de ma pairie , Un illustre étrangei- vint chercher un abri ; Mon cœur depuis ce tems s'est souvenu de lui : Il dit que dans Ithaque il reçut la lumière , Le fils d^Arcésius Laërte était son père. De l'hospitalité je remplis le devoir , Et donnai tous mes soins à le bien recevoir. Donc il eut sept talens d'un or sans alliage , — 124 — Une coupe d'argent d'un rare et long ouviage , Un riche assortiment de manteaux précieux , De robes , de tapis épais et moelleux , Et de plus, il choisit quatre jeunes captives, Aux travaux de Minerve ouviières actives. Noble étranger , répond Laëi-te tout en pleurs : On ne t'abusait point par des discours trompeuis ; Oui cette île est Ithacpie , à des méchants livrée , Et de combats cruels chaque jour déchirée. Si ce mortel , qu'en vain de les dons précieux Tu comblais, s'il vivait , s'il était en ces lieux , Aussi reconnaissant que tvt fus magnific(ue , i Il t'offrirait ses biens et son toit domestique. Mais dis , combien de tems s'est passé depuis lors . Depuis que mon cher fils arriva sur tes bords? Hélas j'avais un fils ! jouet des destinées , Loin du pays chéri de ses jeunes années , Ses restes ont péri roulés au fond des mers , Ou servi de pâture aux monstres des déserts. Sa pauvre mère et moi , pensant toujours l'aUendre , Nous n'avons point mêlé nos larmes à sa cendre. La chaste Pénélope épouse de mon fils , N'a pu rendre d'honneurs à ses restes chéris j Elle n'a pu fermer sa paupière mourante , Ni serrer sur son cœur sa tète défaillante. — 125 — Mais, (1 noble étranger , nomme-moi sans détour Toi , ton pays et ceux qui t'ont donné le jour. Ton rapide navire est-^il sur ce rivage , Marchand , l'as-tu loué pour faire ce voyage ? N'es-tu point débarqué seul , et les matelots N'ont-ils point poursuivi leur course sur les flots? Je vais , dit le héros , te faire tout connaître : Dans ses riches palais Alvbas m'a vu naître j Roi de cette contrée , Epérite est mou nom , Jesuis lilsd'Mphidas, fils de Polymédon. Les dieux m'ont éloigné des rives de Sicile; Ils m'ont fait aboi'der malgré moi dans cette île , Et j'ai laissé ma nef dans un havre écailé. Bordé de champs et loin de la noble cité. Ulysse, ce héros, cet ami que je pleure, Yoilà cinq ans passés, sortit de ma demeuie; L'infortuné! pourtant il me quitta joyeux , Sa nef semblait voguer sous un auspice heureux ; Il me promit les dons de sa reconnaissance; Car de nous retrouver nous avions l'espérance. A ces mots, le vieillard accablé de douleur. Laisse de longs sanglots s'échapper de son cœur; De ses tremblantes mains il déchire la terre Et souille sou vieux front d'une vile poussière. — 12G — Le héros n'y tient plus , son grand cœur a failli A voir en cet état un père si chéri ; 11 éclate en sanglots, l'embrasse, le caresse; A Laërte surpris, il parle avec tendresse : C'est moi, c'est moi, mon père, Ulysse, votre fils; Après vingt ans d'exil j'ai revu mon pays; Quittez le deuil, lés pleurs ; plus de soins ni de crainte , Ecoutez, il est tems de vous parler sans feinte; Les amans de la Reine ont payé leurs forfaits , Et leur sang a rougi les dalles du palais. Laèrte lui répond craignant quelque artifice : O si vraiment c'est vous , si vous êtes Ulysse , Donnez m'en que j'y croie un signe clair et fianc. Ulysse lui répond , regardez , sur mon flanc Les dents d'un sanglier ont imprimé levu- trace, Comme je traversais la forêt du Parnasse : Ma noble mère et vous , d'un accord mutuel , Auprès d'Autolycus, mon aïeul maternel. Vous m'aviez envoyé réclamer ses promesses. Je revins près de vous, comblé de ses largesses r Et dans ces grands jardins de tant d'arbres ornés, Je puis nommer tous ceux que vous m'avez donnés. Enfant, je vous suivais aux soins du jardinage, — 127 — De chaque arbre apprenant et le nom et l'usage. Vous m'aviez fait présent de quarante figuiers De dix pommiers encor et de treize poiriers ; Et j'espérais le don de cinquante rangées Que la vigne couvrait de grappes mélangées , Quand les heures venaient, filles du roi des Dieux Répandre sur les ceps leurs trésors précieux. Il dit, et le vieux roi tout ému se rappelle. Ne doute plus; de joie il se trouble , il chancelle; Ulysse le soutient , et Lacrte un moment Demeure dans ses bras, privé de sentiment. Mais bientôt de ses sens il a repris l'usage; Il se relève, et tient à son tour ce langage : S'ils ont de ces méchans réprimé les fureurs, Oui, dans l'Olympe encore il est des dieux vendeurs; Mais à présent, je crains qu'une foule rebelle Aux Céphallénicns n'en porte la nouvelle. — Non, reprend le héros, éloignez ces soucis : Mon père, allons chez vous, les pasteurs et mon fils Par mon ordre déjà sont dans votre demeure; Le festin par leurs soins se prépare à celte heure. Il dit ; tous deux alors se rendent au manoir Qui s'élevait auprès, vaste et superbe à voir. — 128 — Ils trouvent en entrant le porcher et le pâtre Occupés à rôtir des mets nombreux sur l'âtre : Dans des vases brillans mêlant l'onde et le vin , Télémac|ue avec eux préparait le festin. A Laërte aussitôt l'esclave accoutumée Apporte l'eau du bain et l'huile parfumée ; Sur ses membres chenus , mais très-majestueux, La bonne vieille étend un manteau somptueux. Pallas était présente , et l'auguste déesse Semble le relever du poids de la vieillesse , L'éclat des dieux s'empreint sur ses traits rajeunis. Ulysse, à son aspect, tout joyeux et surpris: La main d'un dieu, dit-il, à mon auguste père A rendu sa vigueur et sa beauté première. Ah! reprend le vieillard, plût à ces dieux puissans, Que je fusse aujourd'hui tel qu'en mes jeunes ans; Quand maître de Samos, aux rives de l'Epire, Ma valeiu- ajoutait Leucas à mon empire. Hier tu m'aurais vu , la main pleine de traits , Combattant près de toi, reprendre mon palaisî — 129 -^ Sous mes coups tes rivaux seraient tombés en proie ; C'est alors que ton cœur se fût rempli de joie. Cependant du repas les apprêts sont finis; Alentour sont rangés des sièges et des lits , Une place à chacun en son ordre est donnée. Voici que tout lassés d'une iongue journée,' Dolius et ses fds arrivent haletant, Par la Sicilienne avertis à l'instant. Cette femme aux enfans jadis servit de mère. Et prend soin aujourd'hui des vieux jours de leur père.' A l'aspect du héros ils demeurent surpris, Mais lui court au devant de ses anciens amis ; Viens , dit-il , d'une voix douce et familière , Prendre, cher Dolius, ta place coutumière; Cesse de t' étonner ; venez auprès de nous Amis, tout était prêt, on n'attendait que vous. Dolius tout ému de joie et de tendresse. Court au-devant d'Ulysse et dans ses bi-as le presse, Baise ses nobles mains : ô mon illustre ami. Tous nos vœux les plus chers sont comblés aujourd'hui ! Nos vœux , je n'ose dire , hélas ! notre espérance. 10 — 130 — Les Dieux vous ont gardé; que veuille leur puissance De leui's dons fortunés vous combler chaque jour. Mais Pénélope a-t-elle appris votre retour, Faut-il point lui porter cette heureuse nouvelle? Non , reprend le héros , je rends grâce à ton zèle ; Pénélope sait tout : allons, repose-toi. Dolius à ces mots s'assied auprès du roi ; Ses enfans sont autour , et du vainqueur de Troie , Prennent aussi les mains qu'ils baisent avec joie; Puis retournent s'asseoir près de leur père : enfin Ib se livrèrent tous aux plaisirs du festin. •FaM^Ï!^^ fi -^ srmm gîilîDIlâa SITH LE Temple Gaulois de Kerkeville, AIlRO\DISSEMEI\T DE CHERBOURG , (1) par M. Aug. Asselin, Directeur de la Société, Membre de la Légion-d' Honneur. 5Je plateau très élevé sur lequel est située Féglise paroissiale de Kerkeville , présente la singularité remarquable d\ine autre petite église dansle même cimetière. Elle est connue de tems immémorial sous le nom de chapelle S.t-Germain. La plus grande de ces deux églises , qui est maintenant Téglise paroissiale , a été construite dans des tems peu éloignés de nous , J)our conte- nir la population croissante de cette commune , et remplacer cotte chapelle S.t-Germain qui avait servi jusqu^alors d^église paroissiale , depuis réta- blissement du christianisme , mais qui était de- venue insuffisante. Depuis ce tems , elle est restée ( i) Voir les notes à la suite du mémoire. — 152 — sans destination ; cependant elle subsiste encore avec ses caractères d'antiquité : c'est d'elle que nous allons nous occuper. Ce pecit édifice a été remarqué par plusieurs antiquaires ; mais ils se sont arrêtés à une pre- mière vue , sans donner leur opinion , ni même leurs conjectures sm- la destination primitive de ce monument. Un d'eux, qui a travaillé long-tems et utilement à la recherche des antiquités de la presqu'île du Cotentin , ne l'a observé que sous le rapport de sa forme , de sa construction et de son antiquité. Tout a conspiré y dit-il _, à ané- antîrîes monumens ecclésiastiques jusqu'au dix- ième siècle , et s'il en reste parmi nous , c'est une petite chapelle S. t- Germain qu'on voit encore dans le cimetière de Kerkeville , près Cherbourg. Il dit un peu plus loin : ses petites fenêtres fu- rent percées après coup -, la position oblique , ou en zigzag de ses assises de pierres , lui est commune wvec l'église de S.t~Lo, et plusieurs autres du tems des ducs de Normandie. Au total ^ c'est un bâtiment si petit , si bas , si insi- gnijiant , que s'il prouve quelque chose , cest tout au plus les faibles commencemens d^una religion qui dans la suite donna des modèles au- dessus de ce qu'on avait vu jusqu'alors. Un autre antiquaire , (2) qui a publié deux re-' oo — • cueils des moniiniens antiques de la Gaule , y a fait insérer deux petits dessins, Tun du plan, Tautre de Tclévation de cet édifice. Il dit, pour tenir lieu de toute explication , qu'il est dans le voisinage de Clierhourg^ et quon a conclu du nom de Kerke ville ( quercuum villa ) (3) que ce hdliment offrait les restes d'un temple des Drui- des^ mais qu'il ne discute jn point cette opi- nion. (4) Ainsi , les recherches sur Torigine et la desti- nation primitive de cet édifice sont encore à faii-e. Nous allons exposer celles que nous avons faites, desquelles il résulte que nous le considé- rons comme un temple gaulois devenu une église chrétienne. Nous allons développer cette opinion, et tâcher de Pappuyer sur des faits matériels, et sur des témoignages que nous croyons devoir suffire pour la justifier. Nous trouvons ces preuves dans Tantiquité de cet édifice : elle est justifiée par les témoignages de son existence avant le S.** siècle ; par le nom de chapelle S.t-Germain , qu"'elle prit du pre- mier apôtre du Cotentin qui y apparut à cette époque \ par la forme de sa construction qui pré- sente les caractères des temples gaulois , décrits par les savans INIontfaucon et Dom Martin ; par son espèce de maçonnerie eu assises obliques ou — loi — zigzag dont nous ne connaissons (Vexemple , dans lapresqu^ile du Cotentin , que dans Tan tique église de S.te-Croix, de S.t-Lo ; enfin, par les chan- gemens et additions qu^on y a faits quand on lui a donné la destination d^une église chrétienne , car ces changemens ne laissent pas de doute que cet édifice , tel qu^il était , ne convenait point à cette nouvelle destination. Nous allons le décrire tel qu^il fut dans son état primitif; nous indi- querons ensuite les constructions postérieures , et les autres changemens qu^on y a faits. Tout ce que nous en dirons existe encore et peut se véri- fier au premier coup-d'œil. La chapelle S.t-Germain était , dans son ori- gine , un trèfle régulier , composé de trois parties rondes dont chacune était couverte tWin dôme. On sait que les Druides figuraient partout le triple globe dédié au Soleil ( lîelenus) , à la Lune (Fêlé) et à la Terre ( Isis). M. de Jaucour, qui a reconnu plusieurs temples gaulois , dit qu'il a remarqué que ces temples sont presque tous d'une Jigure ronde ou octogojie , comme si , dit- il , ces deux figures étaient les pins propres à lenfermcrles maîtres dumonde. Un dcces.dômes, celui du milieu , se termine par une ouvertiue circulaire de 5 pieds de diamètre : une pareille ^ — 153 — ouverture était au temple de la Daurade , à Tou- louse, et aux temples gaulois, dit Dom Martin. (5) Cet édifice avait une seule porte d'entrée , et trois ouvertures du côté du sud qui éclairaient chacun des trois dômes : elles ont été bouchées en maçonnerie , et remplacées comme nous le dirons bientôt. Il avait dans Tintérieur 24 pieds du nord au sud, et 54 de Test à Touest. Sa hauteur, qui est la même sous les trois dômes, est de 11 pieds à partir du sol. D'autres églises , et ce sont les plus anciennes , n'ont pas beaucoup plus d'élé- vation dans leur intérieur. Celle de l'abbaye de Savigini n'a que 15 pieds. Il n'y a dans l'intérieur ni colonnes, ni chapiteaux , ni entablement: seu- lement , les piliers carrés , sur lesquels les ar- ceaux des voûtes viennent s'appuyer, se terminent par une petite corniche qui est peu saillante et sans aucune moulure : mais tout cet édifice , avec sa simplicité , tient encore par ses formes rondes à l'architecture romaine , parce que, sans doute, quand il a été construit, l'ogive, avec son élan- cement et ses formes aériennes , n'était pas encore inventée. Telle était la construction de ce monu- ment avant l'établissement du christianisme dans le Co ton tin. A la suite de ce grand événement (nous dirons — I5<î — bientôt à quelle époque il est arrivé ) on a des- tiné ce petit temple à être une église chrétienne qui a dû être la première de la presqulle 5 toutes celles qui avaient existé avant les ducs de Nor- mandie ( 10.^ siècle) avaient été détruites par les pirates Saxons 5 elle seule et Téglise de S.t-Lo avaient été exceptées de cette ruine totale. Ces hommes féroces les respectèrent parce que, sans doute , toutes deux avaient appartenu au culte pa- ïen qui était le leur. Il fallut alors y faire les chan- gemens qu"'on jugea indispensables pour qu'il pût convenir à sa nouvelle destination , et lui faire perdre Taspect d'un temple de faux dieux. Voici quels ont été ces changemens : On a bouché les trois ouvertures au sud qui éclaii'aient chaque dôme , et pour les remplacer, on en a fait quatre autres , deux à Test et deux à Touest. On voit par la trace qu'ont laissée les anciennes qu'elles étaient voûtées en plein cintre, tandis que celles qui les ont remplacées sont en voûtes pointues ou ogives. On a construit une petite nef de 16 pieds de longueur, qui aboutit aux trois dômes, et qui, en agrandissant l'édifice, lui a donné la forme d'une croix dont les ti'ois extrémités sont arrondies. Cette forme d'une croix qui fut consaci'ée dans les premiers tems pour les églises que l'on construisait, rejetait déjà loin — 157 — ridée trun temple païen. On fit encore plus pour ce même motif en élevant sur un des trois dômes un clocher qui les dépasse en hauteur de 20 pieds environ : on sait que cette espèce de construction a été adoptée généralement comme le type ca- ractéristique des églises chrétiennes. Toutes , dans le principe , furent sui^montées de tours rondes ou carrées , de flèches ou de ces belles pyra- mides dont rélévation audacieuse apparaît dans les airs comme un point intermédiaire entre la (erre et le ciel. L^ouverture ronde qui termine le troisième dôme se trouve ainsi cachée à l'exté- rieur sous le clocher qui s'élève beaucoup au- dessus ; mais elle existe encore telle qu'elle était dans le principe , et on la voit de l'intérieur. Tous ces changemens et additions sont d'autant plus faciles à vérifier, qu'on voit la trace des anciennes ouvertures; qu'on voit aussi les arrachemens qui ont été faits sur les points où les constructions nouvelles viennent s'accorder avec les anciennes, et que la maçonnerie nouvelle est en pierres d'as- sises horizontales j quand l'ancienne est, comme nous l'avons dit , en assises obliques ou zigzag. On ne peut fixer l'époque à laquelle a été faite la conversion de ce temple gaulois en une église chrétienne , car il ne reste rien d'écrit de ces siècles de ténèbres et d'ignorance sur le pays que — 158 — nous habitons: on sait seulement que, vers le milieu du 5/ siècle , S.tGei main , venant d^ An- gleterre , aborda sur les côtes de la Hague et prêcha la foi chrétienne dans ce canton et dans celui du V^al-de-Saire qvii , tous deux , le re- connaissent pour leur premier apôtre : mais le succès de sa mission eut une bien courte durée , car Poccupation de tout le territoire de la pres- qu'île par les pii-ates du Nord , qui arriva peu de tems après , et qui dura plusieurs siècles , y dé- truisit les premières semences du christianisme , de manière que ces bai^bares, n'ayant cessé de poursuivre avec fureur tout ce qui avait quel- que rapport au nom chrétien , il ne resta ni autels , ni temples , ni chrétiens ; on peut dire en effet qu'il n'existe pas dans le Cotentin, une seule église construite avant cette époque , excepte notre chapelle S. t~Germain et l'église S. te-Croix, de S.t-Lo. On peut y ajouter un autre monument religieux: c'est un autel chrétien, conservé dans l'église du ïlam, arrondissement de Valognes. Il porte la date du règne du roi Thierri , fils de Clovis II, et du pontificat de S.t-Fromond. Cette pien^e d'autel est tout ce qui reste du monastère qui existait dans la paroisse du Ham. Il résulte de là que la chapelle S.l-Germain n'a pu devenir un temple chrétien qu'aux tems des premiers ducs — i5î> — de Normandie qui, trouvant la presqu'île sans leli- gion , sans lois et sans aucune espèce de gouver- nement _, la repeuplèrent et la rendirent à la civi- lisation et à la religion chrétienne quHls avaient adoptée. C'est donc à cette époque où commença un meilleur ordie de choses, et où la religion fut établie d\uie manière durable, qu''il faut re- porter les changemens qui ont été faits au petit temple gaulois de Kerkeville pour en faire Téglise paroissiale sous le nom de S.t-Germain. Ce qui peut en être considéré comme une preuve, c''est que les trois ouvertures servant à éclairer chacun des dômes , qu''on a bouchées en maçonnerie , étaient voûtées en plein cintre: cette forme ap- paraît encore dans Tintérieur , tandis que les quatre qu'on a faites en même tems , pour les remplacer, se terminent en ogives ou voûtes pointues ; c'est en eiïet à cette époque du 10." à m.*" siècle que commença cette forme de cons- truction appelée gothique qu'on donna à nos magnifiques églises et cathédi'ales normandes. Nous avons maintenant à expliquer comment le nom de S.t-Germain a été donné à cette église de tems immémorial. Plusieurs saint? de ce nom sont illustres dans toute la France, mais les actes qil'on rapporte de leur vie sont communs entre eux cl leur sont apphqués réciproquement, de — 140 — manière qii*'il est diflicile tle les distinguer. Il faut attribuer Tobscurité et la confusion qui régnent dans ces actes à réloignement où nous sommes de ces siècles dont le peu que nous savons nous a été transmis par des écrivains qui sont venus long-tems après. Le S.t-Germain que la pres- qu"'île du Cotentin et une partie de la Normandie reconnaissent pour leur premier apôtre, est celui à qui on donne le nom de S.t-Germain-de-la- Iloue, ou de la Rouelle. (6) Son ancienne légende écrite en latin , que nous avons sous les yeux , nous trace sa marche apostolique. On y lit que venant d'Angleterre, il débarqua sur les côtes de la mer Britannique ( la Manche ) (7) ; que s'avan- cant dans le pays , il travei'sa Montebourg , entre Barfleur et Carentan , dans le territoire du Co- tentin (8); qu*'il s"'arrêta à Bayeux , d'où, conti- nuant sa mission et ses prédications, dans toute la contrée, il arriva au vieux Rouen, entre Aiunale et Sénarpont(9), et qu'il subit le martyre aux environs d'Amiens, àlahnduS.*^siècle. (10) Si on ne prend paspourconstanstousles faits que contient cette vie de S.t-Germain , il en est au moins un , et c'est le plus essentiel, qu'on ne contestera pas, c'est qu'un S.t-Germain, quelque qualification qu'on ajoute à son nom , a tracé la mémoire de son pas- sage dans le Cotentin et dans la Normandie , par _ 141 — un grand événement, qui était rétablissement du christianisme. Cette tradition , qui n^a pas encore eu de contradictem s, trouve un puissant appuidans la célébrité qui reste attachée à son nom ; car les anciens noms de lieux sont aussi des monumens des tems passés : ceux-là sont les témoins vivans des événemens remarquables auxquels ils doivent leur orii,àne. Voici les monumens de cette espèce que nous pouvons citer comme preuves du pas- sage mémorable de S.t-Germain, dans notre presqu''île. C'est de lui que notre petit temple de Kerke- ville a pris le nom de S.t-Germain qu'il porte de- puis lei>.® siècle; c'est de lui aussi qu'ont pris leurs noms, dans le Contentin, les paroisses de S .t-Gei^ mail i-le— Gaillard^ S.t-G.-des-F'aux, S.t-G.~ Delle^ S t-G -Suray, S i^G -de-Tournehut^ S.i- G.-de- Varreville ^ et S.t- G. - le- P^îcomte. D'autres paroisses , dans la Normandie , ont aussi pris son nom , et un plus grand nombre d'églises sont sous son invocation . Voilà les témoins de sa mission qui existent encore et qui existe- ront toujours ; car les habitans de notre pres- qu'île prononcent son nom si souvent, et il leur est si familier , qu'il leur paraît appartenir au pays comme leurs montagnes et leurs rivières. Disons donc que le nom de S.t-Germain, qui — 142 — tient par autant de liens au territoire du Coten- tin, est un monument de son passage aussi autbentique et aussi durable que ceux de marbre ou de bronze. I Ainsi, en résumant ce que nous venons d^ex- " poser , on voit que le petit temple de Kerkeville appartient à une haute antiquité , puisquHl existait _ avant rétablissement du christianisme. M . Que c''est du mot kerk qui veut dire temple ou ■ église que la paroisse de KerAeinlle a pris son nom ( voir la note 5 ). Qu'il a été construit pour servir à Tusage d\in culte qui n'était pas celui du christianisme , car on n'a jamais donné la forme d'un trèfle à une église chrétienne. Qu'on a dénaturé cette forme païenne en y construisant une nef et un clocher quand on lui a donné la destination d'une église chi'étienne. (11) Qu'on a masqué sous le clocher l'ouverture qui terminait un des trois dômes : cette ouverture était un type caractéristique des temples gaulois. Que tout l'édifice est d'une construction anti- que et inusitée en assises de pierres posées obli- quement _, tandis que les constructions qu'on y a ajoutées sont en murs de pierres horizontales et régulières. — 145 — Enfin, il résulte de toutes ces considérations qu''il est impossible de lui supposer une autre destination primitive que celle d\m temple à Fusage d^un culte qui n'était pas celui du chris- tianisme , et le seul culte qui Ta précédé a été celui des Gaulois, Ajoutons à ces considérations , que cet édifice est dans une situation remarquable sur le point le plus élevé de la côte, dominant une grande étendue de mer et de territoire , et attenant à une forêt dont Tantique existence est attestée par les troncs d'arbres enfouis sous les sables de la baie de S. te- Anne. Qu'on a trouvé, en fouillant autour de cet édi- fice, des auges en pierres friables semblables à celles des cimetières des Pieux, de Jobourg , de Couville et autres paroisses. On en découvrit de pareilles il y a peu d'années autom- de l'église de S.te-Croix, de S.t-Lo. M. Emmanuel Gaillard vient d'en découvrit' une foule dans le vaste de- mi-cercle de collines dont la plaine du f^esîn forme le pied, et qui sont, dit-il, autant de cercueils. (12) Tels sont les motifs sur lesquels nous avons établi notre opinion que la chapelle S.t-Gemiain de Kerkeville a été un temple gaulois , et nous ne cloutons pas que si les savans Montfaucon , de Jaucourt et Dom Martin , que nous avons eu oc- casion de citer , avaient connu cet édifice , ils Tauraient compris au nombre des temples gau- lois encore existans qu'ils ont décrits. Mais les Gaulois avaient-ils des temples ? Telle est la question qu'on fait souvent , faute sans doute de ravoir examinée. Nous allons tâcher de la résoudre. Les historiens de l'antiquité nous ont appris que les Druides n'avaient de templesque les forêts, les montagnes , et en général tous les lieux d'une horrible soUtude : c'était là qu'ils allaient célébrer leurs affreux mystères , et couper le guide chêne avec la serpe d'or, le sixième jom- de la lune. (13) Leurs autels étaient des lacs , des fontaines , de vieux troncs d'arbres , et des roches énormes qu'ils accumulaient sous différentes formes , ou qu'ils plantaient en pyramides. (14) C'est de cette espèce d'objets de leui' culte qu'il nous reste le plus de monumens , surtout dans les arrondisse- mens de Cherbourg et de Valognes , où on en a détruit beaucoup plus qu'il n'en reste, (lo) Tout nous apprend qu'ils avaient pour principe de ne point renfermer la majesté des dieux entre des murs , et de ne point les représenter sous des — 115 — formes humaines : ( IC ) telle est en peu de mots l'idée qui nous reste du culte druidique dans Tan- cienne Gaule. Mais il ne faut pas conclure de cet état de choses dans un tems, qu'il a continué d'être le même dans des tems postérieurs chez cette nation. Le premier bienfait de la réunion des liom- m.es en société fut d'avoir , dès l'origine , une re- ligion fondée sur des croyances morales et reli- gieuses ; mais leur culte était réduit alors à la plus grande simplicité. Tous les peuples ont commencé , comme les Celtes , par se réunir dans les forêts qu'ils appelaient sacrées, et dans les campagnes, autour d'un autel de gazon ou d'iuie simple pierre , et là ils adoraient leurs divinités sous dilTérens noms et des symboles divers. Ce ne fut qu'avec le tems que la civilisa- tion mieux établie marqua ses progrès par de meilleures lois , par un culte public , et par des cérémonies religieuses qui devinrent de plus en plus solennelles. Varron nous apprend que les Romains furent cent soixante et onze ans sans avoir de temples, etDom Calmet dit qu'il ne pa- raît pas que du tems d'Abraham on eût encore bâti des temples dansaucunendi'oit du monde. (17) Les Gaulois fiuent sans doute les derniers à 11 — 14G — conserver leur culte grossier tel qu'il avait été \lans Forigine, parce qu*'ils parvinrent les derniers à une civilisation plus parfaite , de môme qu'ils renoncèrent les derniers aux sacrifices impies des victimes himaaines qui avaient aussi été ad- mis par tous les anciens peuples ; mais ils par- vinrent enfin à une meilleure civilisation , et se dépouillant peu à peu de la rudesse de leurs mœurs primitives, ils finirent par avoir un culte plus solennel , des temples et des divinités qu'ils ado- raient sous des foinies humaines. Cependant parmi les écrivains de l'antiquité , il en est comme Diodore de Sicile , Tite-Live et Strabon , cités par Dom Martin , tome 1 , pages 112 et suivantes, qui parlent des temples gaulois. Mais il faut dire qu'ils donnaient le nom de temples aux forêts et aux bois consacrés , où ils venaient se réunir , Lucus ou Luci ; ainsi on ne peut conclure de ces témoignages que de leur tems les Gaulois avaient des temples. Les savans anticpiaires Mantfaucon et Dom Martin citent aussi plusieurs temples gaulois. (18) Dans ce noml^re sont ceux de la Daurade, à Toulouse , et de Moîitinorillon , dans le Poitou, qui existaient dans des tems anciens, car tous deux furent con- sacrés au christianisme à l'époque même de son premier établissement (19). Grégoire de Tours 1 — 147 — cite aussi le Ijeau temple de P^asso^ à Clermont en Auvergne, qui était, dit-il, d\me construction antique et dont on admirait la richesse et son double mur d'enceinte ; (20) mais on ne peut également en rien conclure pour leur antiquité , parce que rien ne nous apprend à quelle époque ils ont été construits. Sans donc nous arrêter sur la question de sa- voir à quelle époque les Gaulois ont commencé à avoir des temples, il nous suffit , pour celle qui nous occupe , de justifier que depuis la mémorable conquête d« la Gaule par les Romains, ils en ont construit, et même un assez grand nombre , dont plusieurs encore existans ont été reconnus et dé- critspar des savans. Nous en citerons bientôt plu- sieurs.Il en est de même de leurs divinités qu"'ils ont fini par adorer sous des figures humaines. Jules César , en nous donnant leurs noms dans son sixième livre, (21) nous apprend qu'ils conser- vaient, de son tems même, des images ou statues de Mercure , qu'ils regardaient comme leurs di- vinités principales. (22) A la suite de ce mémorable événement de la conquête des Gaules par les Romains , et des grands changeniens qu'elle opéra dans la re- ligion et dans les moeurs de cette nation , le — 148 — culte diuicli([ue s^altéra de jour en jour ; les Ro- mains qui Pavaient pris en horreur, surtout à cause des sacrifices impies de victimes humaines, firent toutpour le détruire pendant cinq siècles qu^ils oc- cupèrentla Gaule. Ils avaient conquis ce pays parle droit de la guerre, mais ils lui apportaient le bien- fait de la civilisation. Ils y bâtissaient des villes; ils y établissaient de grandes communications en le traversant par de grandes routes dont la ma- gnificence n''a pas été égalée depuis ; ils appor- taient à cette nation les bonnes lois qui les régissaient eux-mêmes; enfin, ils lui donnaient Texemple de bâtir des maisons plus commodes, (23) de se nourrir avec des alimens moins gros- siers et de communiquer les uns avec les autres pour les besoins ou les agrcmens de la vie: exemple rare d^une conquête qui tourne au profit des vaincus. Ce fut avec ces moyens généraux , et ceux en particulier de la persuasion et de Texemple, que les Romains commencèrent le grand ouvrage de- la destruction du culte diuiidique. Vinrent en- suite les lois de proscription publiées par les empereurs et le sénat , qui firent le reste pour anéantir ce culte , et il fallait Temploi de tous ces moyens, car Denis d'Halicarnasse , qui vivait du tems d^ Auguste , dit que les Gaulois étaient ? — 149 — du nombi'e de quelques peuples dont la 7'eUs.ion n avait encore souffert nulle atteinte. ( Antiquit. romaines, livre 7. ) Auguste publia un décret pour défencUe aux Romains, dans tout l'empire^ les sacrifices homi- cides qui appartenaient , disait-il, au culte impie des Gaulois. Ce décret fut mal exécuté , mais ce*, sacrifîcessefîrentensecretjseulementils devinrent moins fréquens. Le sénat, sous le règne de Claude, fit plus, il proscrivit entièrement le culte diniidi- que, et il condamna les Druides à un bannisse- ment perpétuel. (24) Pline vante cet acte comme un grand service rendu à riiumanité , et comme un titre pour les Romains à la reconnaissance de tous les peuples. En lisant ce passage on partage son indignation contre cet horrible excès du fa- natisme , mais il aurait dû dire que les Romains , comme tous les autres peuples , s'étaient souillés de ce crime. C'est la religion chrétienne qui , dès son premier établissement , n'a pas cessé de lutter contre ce culte pour en inspirer de Thorreur jusqu'à ce qu'elle soit parvenue à le faire entiè- rement abolir. C'est donc bien elle qui a le vérita- ble titre à la reconnaissance de tous les peuples ; car apix's les décrets des empereurs et les lois ri- goureuses du sénat , on voit qu'elles n'avaient pas suffi pour abolir ces sacrifices de sang, mais seu" — loO — lement pour les rendre plus rares. Lactance , qui vivait deux cents ans après Pline , se plaint que de son tems on sacrifiait encore des hommes à Jupiter Latialis. (25) Eusèbe, qui vivait après lui, nous apprend aussi que cette odieuse coutume avait subsisté jusqu''à lui chez les Gaulois. (26) Ce- pendant on doit dire que cette nation sVtait fa- miliarisée après un long laps de tems avec les moeurs des Romains , et que ce rapprochement dans les moeurs avait produit le môme rappro- chement dans le culte religieux. Ainsi , en suivant leur exemple , les Gaulois (dit le savant Dom Mar- tin) en vinrent à ériger des temples /)our com- plaire aux Romains, ou pour leur obéir. (27) Us adoptèrent aussi fusage des statues qui repré- sentaient leurs divinités sous des formes humaines : elles étaient les mêmes que celles des Romains , mais sous des formes plus grossières. (28) On en a découvert un si grand nombre qu''on a publiées dans des recueils , et que Ton conserve dans les cabinets des curieux , qu^il est impossible d'en douter. (29) Dom Montfautcon, après avoir cité , comme nous Tavons dit , les deux temples de la Daurade à Toulouse, et de Monlmorillon, dans le Poitou, en indique plusieurs autres encore existant qu''il a leconnus à Courseull. , près de Dinan ; à Erqui, i — Idl — diocèse de S.t-Brieux 5 à Jigurande ^ dans le Berri et à Verillnc ^ dans la Marche. Ce savant, qu^on place à la tête des archéologues, se plaint même de Tignorance dans laquelle on était de son tenis sur Texistence des temples gaulois. Ces temples^ dït-i\^ qu'oji déterre , ou plutôt sur les- quels on ouvre enfui les jeux^ ne sont point des monumcns cachés sous terre , et qiLon ne peut découvrir. Ils étaient exposés à la vue de tout le monde , et néanmoins aussi inconnus jusqu'à nos jours que s* ils avaient été dix pieds en terre., ou qu'ils n'eussent jamais existé D^autres antiquaires en ont aussi reconnu. Dom Martin , en parlant de ceux de Mélecej et de f^ ernemetis ., cité par Fortunat, dans le ter- ritoire de Bordeaux , (30) en tire cette consé- quence : les Gaulois avaient donc des temples et en quantité , oit ils ojjt raient des victimes d'animaux , parce qu'ils réservaient les victi- mes humaines pour être sacrifiées det>ant des chênes. Mezerai dit que le roi Thierri ruina un temple de Saxons qui était fort célèbre , près de Cologne , car , dit-il , ils avaient appris des Romains à en avoir. (51) Après tant de témoignages dliistoriens et de savans qui ont reconnu un grand noni]3re de — 152 — temples gaulois encore existans, et qu'ils ont dé- crits, il ne peut être douteux que cette nation en a construit pour y célébrer les mystères de sa religion , sinon à Tépoque d'une antiquité recu- lée , au moins depuis qu'elle a été conquise par les Romains. Nous finirons donc par dire , en nous résumant, que nous regardons l'antique chapelle S.t-Germain de Kerkeville comme une preuve de plus que les Gaulois ont eu des tem- ples , et qu'il n'a manqué à celui-là que d'avoir été connu et observé plus tôt pour être compris au nombre de tous ceux qui ont été reconnus. 9loôa, (1) Nous devons le dessin de Tancien temple de Kerkeville , qui est en tête du mémoire , à M. Gueiru'd , premier dessinateur-f^éographe de la direction des ponts et chaussées , qui Ta tracé sur les lieux avec beaucoup d'exactitude. M. Le Laidier, aussi dessinateur des ponts et chaussées , Ta réduit et dessiné sur la pierre à lythographie ; les constructions antiques sont coloriées en jaune, et celles qu'on y a ajoutées postérieuremexit sont en rouge. (2) Mémoires de la société des antiquaires de Normandie. ( Tome 1.^'', pages 8Jj et 8G ). (5) On adonné long-tems cette éthymologie de Village des Chênes ^ à la paroisse de Kerkeville, à cause d'une anti([ue forêt qui est couchée sous les sables de la baie de Sainte-Anne , dépendant de cette paroisse. Les habitans voisins de ce ri- vage viennent, de tems immémorial , dc'fouir ces vieux troncs d'arbres quand les basses mers de sysigie les mettent à découvert. Telle est l'o'- I — lo/i — rigine de cette étliymologie (Qnei-ciacm villa) • mais la véritable , qui est généi'alement adoptée, est celle qui indique rancienne orthographe du nom de Kei'keville ; elle vient de Kerk, qui veut dire église , comme Dimkerke , église des dunes ; Steinkerke , église des rochers. Ainsi , Kerkeville est le village de Téglise et c"'est notre petit tem- ■ pie qui lui a donné ce nom. M. Huet cite beau- f coup de paroisses dont le nom a la môme origine, et il compte dans ce nombre celle de Kerkeville. (Origines de Caen , page 298 , édition de 170G). fl (4) Recueil de monumens antiques et inédits, " découverts dans Pancienne Gaule , par M. Gri- vault de la Vincelle, ( Paris 1817 , planche 51 ). (3) Religion des Gaulois. (T. 1, in-4.'',p. li>9). (6) Sanctus Gerinanus de Rotce. ^ (7) Patenta domo relictâ , ad littus maris Bri- tanniœ se contidit. (8) Magdimi , inter Baiforiuin , et Cerentias in agro Constaritieiisi, (9) Bajocas ingre ssus Sanctus Ge/viamcs y vê- tus Rothomagum , inter Aumaleum et Senardi pontem panenit. (10) Nullus ergo duhitandi locus Sanctum Gennanum capite truncatwn f circâ annwn 4^o. — 133 — ( Vita sancti Qermani scoti episcopi . Snnqidn- tini , ifî65 iii-lG J. (11) Cette conversion de temples payens en églises chrétiennes a eu lieu souvent dans les premiers tenis de rétablissement du christianis- me. D'autres églises ont été construites avec les débris et sur le même emplacement qu''occu- paient les anciens temples payens . L^'Italie et la Gaule en fournissent beaucoup d''exemples. (12) Recherches archéologiques. (Rouen, 1852). (13) Les Druides sont représentés sur quelques monumens , tenant un croissant tel qu'il appa- raît le sixième jour de la lune ; cette époque était expressément fixée pour la cérémonie du guy sacré. ( Grivault de la Vincelle , tome 2 , page 250. ) (14) Lucas ei riemora consecrant. (Tacite.) Jrboribus sans horror. ( Lucain. ) Divona ^ celtarum lingicd , fons addite divis. ( Ausone. ) (13) Voir la description des monumens diaii- diques de la Manche , par M. Le Fillàtre,de Bric- quebec. ( Annuaire de la Manche pour 1855. ) (16) Nec cohibare parietibiis deos nequè in uUam humauiot'is speciem assimilaiv. (Tacite.) — 150 — (17) Commentaires de la Genèse ( page iG5. ) (18) Montfaucon. Supplément de Tantiquité ; tome 2 , page 221 , et Dom Martin, religion des Gaulois , ( tome 1/% pages 142 et 146 ). (19) Le temple de la Daurade fut converti en une église chrétienne sous Tinvocation de la sainte Vierge , à Tépoque même de rétablisse- ment du christianisme à Toulouse. Grégoire de Tours rapporte que du tems de Chilperîc 1."', ( 6.® siècle) la reine Rignnthis sa. fille, femme de Jîecarède , roi des Visigots , usant du privilège d^asile , dont les églises jouissaient alors , vint se réfugier dans celle de la Daurade, pour échapper aux poursuites du duc Didier. Rigunthls vero in hasilicâ sanctœ Mariœ Tolosœ residebat. (hv. 7, chapitre 10. ) (20) Ce temple fut détruit par un conquérant d^ Allemagne , nommé Chvocus ^ qui vint ravager l'Auvergne dans le 5.*^ siècle. Venîens apud Arvernos delahrwa illiid quod gnlllcd lingnd vasso Galafœvocant, inandît^ diruit atque sub- vertit. Miro eniin opère factuni fuit atque firma- tum, CHJits paries duplex erat. ( Grégoire de Tours, liv. 1.*^ , chap. 52. ) (^i) Teutaihès ^ Mercure; Bêla nus on My- tra ^ Apollon; Tavanis ^Waxs-^ £'j'a5', Jupiter ; — lo7 — Belisaiia , Minerve. Ces divinités avaient aussi cVautres noms dans les Gaules. (22) Dewn maxime Mercurium colunt hujiis simt plurima simulacm. ( J. César, de bello gallico, liv. G. ) (23) M de Caylus dit que lesbâtimensdes Gau- lois diiFéraient peu des cabanes (tom. 4 , p. 557.) (2i) Druidamm religionem apud Gallos dirce immanutatis, et tantnm cîvibiis snh Augusto hitevdicium penitus nbolevit. ( Suétone, liv. 3. ) (26)Demàm anno urhis 637 Senatus consul- tum factum est ne homo immolaretur ..... nam Tiberii Cœsaris pr'mcipatus sustiditDruidas eo- mm. Non potes t satis œstimari quantum Ro- manis debeatur. ( Pline, livre 50, chap. 1. ) (26) Latialis Jupiter etiam nunc sanguine colitur humano . ( Lactance, liv. i , page 115 , variorume) (27) Celtœ vero ad hœc usquè tempora , et occidentaliores ferè omnes homicidio sacrifica- bant. (Eusèbe, liv. 4 de prop. evangelicâ.) (28) Religion des Gaulois ( tom. 1 , page 153.) (29) Lucain avait en vue la grossièreté de ces images, quand il disait: sinudacra que mœsta deorum arte carent. — 158 — (30) Au mois de mars 1711 , on Jécouvrit , en fouillant un caveau dans la cathédrale de Pa- ris , huit pierres sculptées qui représentaient des divinités gauloises. Une déciles indiquait Tépoque du règne de Tibère. (51) JYomine verneniutis, ^volait vocitare vetustas , Quod quasi Jamim ingens gallica lingua refert. ( Poem. , Carmen.) (52) Avant Clovis de Mezeray ( page 347. ) £^1^MAIT D'Ur^ ESSAI IIISTOHIQUE SUR iL'mTmîiîa^ïî mmê A^ùmê Par iiTt membre de la Soclélé. « Mousquet, poignard, épce o\i tranchante ou poinlue, » Tout est bon , tout va bien , tout sert potivu (ju'on tue >>. Volt. XJ'histoire nous montre les Nations continuel- lement aimées poiu' s"'exterminer rcciproqiie- menl : on voit chaque peuple se déchirant lui- niéme , ou portant le ravage et la mort chez les peuples voisins : on est étonné des motifs allé- — IGO — gués pour jusliflerle meurtre, la destruction, et les sujets les plus futiles sont toujours ceux qui ont fait couler le plus de sang. La guerre est donc le partage de riiumanité ; les hommes sont évidemment nés pour s'égor- ger les uns les autres, et il est convenu que Ton peut tuer son semblable , pourvu , comme le dit un auteur célèbre , pourvu que ce soit en grande compagnie , au son des trompettes et des tam- bours. Cependant la nature n''ayant point conformé les hommes de manière à se tuer facilement , il faut montrer comment, de perfectionnement en perfectionnement , ils sont enfin parvenus à se pourvoir d'instrumens commodes, avec les- quels ils peuvent travailler efficacement à la des- truction de leur espèce ; comment du simple m bâton , de la fi'onde , de la hache et la zagaie , ils sont arrivés par degrés aux catapultes , aux onagres , aux bombardes , au matériel Gribeau- val , et enfin au système d'artillerie anglais mo- difié , système qui , quelque jour à son tour, sera peut-être rangé parmi les inventions barbares , lorsqu'on sera parvenu à utiliser pour les com- bats la force motrice que produit la vapeur. On voit d'adord les peuples faisant usage d'une — ICI — multitude cVarmes difterentes, dont il serait fas- tidieux de faire même rénumération ; mais , pour combattre de près , on se servit générale- ment de la pique et de Tépée ; pour s'atteindre de loin , de la fronde , du javelot , de Parc et des flèches : presque toutes les nations connurent aussi Part de dompter les chevaux et de les dres- ser aux combats , où le guerrier peut tirer un si grand parti de leur masse , de leur vitesse et de leur bouillante ardeur : mais les Romains , les Carthaginois^ les Arabes et les Grecs du Bas- Empire firent usage de quelques armes ou de quelques moyens de destruction plus remarqua- bles , et qui méritent de fixer un moment notre attention. Ainsi qu'on avait vu la phalange macédo- nienne devoir une partie de sa force à la pro- digieuse longueur de ses lances et à la forme de ses boucliers, de même on vit plus tard la légion romaine devenir formidable , non-seulement par sa valeur, mais aussi par les justes proportions , par riiarmonie qui existait entre les différentes armes, et surtout par Temploi de ce terrible rUwn , que le légionnaire s'exerçait continuel- lement à manier , et dont il savait faire usage avec tant de vigueur. Le légionnaire , couvert du casque, du pccto- 12 rai , tlu boucliei', etc. , était armé dVine forte épée à un on deux tranchans , et tenait en outre deux pikun dans la main gauche ; le pilum était également propre à frapper Tennemi en s^en servant comme lance ou comme javelot ; il avait G à 7 pieds de longueur , etse terminait en pointe longue et elFilée, avec un crochet en forme dliameçon , servant à fixer Tai-me dans le bou- clier de Pennemi. Le général Rogniat, dans ses considérations sur Tart de la guerre , exprime ainsi Tusage que les Romains faisaient du pilum: « Le légionnaire courait sur son adversaire en )» brandissant un de ces pilum par-dessus sa tête , » lui lançant d\m bras vigoureux cette lourde )) machine à i2 ou i3 pas et mettait aussitôt Tépée )) à la main : il gardait ordinairement Tâutre » pilum à la main gauche dont le bras soutenait )) le bouclier : c^était un point d'appui dans les )) marches , une pique dans les combats de main, ' » surtout contre la cavalerie , et il ne le lan- ji çait qu^à la denière extrémité. )> Si dans des tems très anciens on employa avec avantage les chars armés de faux et de lances tranchantes , invention dont on a voulu renou- veler Pusage dans les tems modernes , on voit figurer sur le champ de bataille avec bien plus d'avantage encore ces énormes animaux dont les — ir>5 — Carthaginois se servirent si souvent dans leurs guerres contre les Romains ; les éléphans , par leur masse épouvantable , ont parfois répandu la terreur même dans les légions les plus aguerries, et répaisse cuirasse dont lanature les a pourvus, rendait leur destruction bien diflicile , avant rinvention du canon. Annibal , dont Farmée était quelquefois accompagnée de plus de quatre- vingts éléphans , fit aussi un usage bizarre de quelques autres animaux, du moins comme moyen de terreur , si ce iiY'tait comme moyen de destruction. Chacun sait PefTroi et le désordre que causèrent chez les Romains ces bœufs ren- dus furieux par des fagots fixés entre leurs cornes, et auxquels on avait mis le feu. Une invention non moins singulière fut celle des pots remplis de serpents, que le général carthaginois faisait lancer sur les vaisseaux consulaires, etc. Enfin, le hazardmème donna pour auxiliaire aux Afri- cains le plus teiu'ible des reptiles dont il ait jamais été fait mention , monstre énorme et épouvan- table , qui , au rapport de Tite Live , répandit Teffroi dans Tannée de Régulus , renversait les cohortes, engloutissait les soldats, contre lequel m\ employa toutes les machines de guerre , et dont la destruction coûta autant d'hommes ([ue Tàssaut dVme ville ou le gain d\me bataille. — IGi — Pour nuire à Fennemi, de loin , on a géné- ralement fait usage , jusqu^à Tinvention des bou- ches à feu , de machines de tir et de jet ; on sait que le génie d'Archimède se déploya tout entier dans Pinvention d'une multitude de machines qui défendaient les murailles de Syracuse , et lançaient des masses énormes de pierre siu' les vaisseaux des Romains : Pexpérience des mi- roirs, faite par M. de Buffon, et dans laquelle il a mis le feu à des planches à 2oo pas , cette expérience a fait concevoir la possibilité d'incen- dier les vaisseaux par les rayons du soleil , et ce moyen de destruction est sans doute le plus ingénieux que Thistoire nous ait transmis. Mais le détail des diverses inventions relatives à Tattaque et à la défense des places, ne doit point se trouver dans cette Esquisse, où Ton s'est seu- lement proposé de donner une légère idée de quelques-unes des armes les plus meurtrières dont on a fait usage dans les batailles. Ce qu'on sait de la catapulte , de la baliste et de l'onagre , c'est qu'elles lançaient des dards , des flèches , des pierres et même des blocs de rocher à des distances considérables ; c'est que plusieurs de ces machines étaient mobiles et suivaient les armées, montées sur des roues et — 16i5 — traînées par des clievaux ; ce qu'on sait aussi , c'est qu'elles se composaient d'arcs énormes , ou de grands arbres recourbés avec force , et dont la tension avait lieu au moyen de crics ou d'un système de roues , qui donnaient à de grosses cordes de ners-tors une force prodigieuse d'é- lasticité 5 mais on ne trouve nulle part une des» cription bien claire de ces machines , qui puisse mettre à môme d'établir la différence qui exis- tait entre elles , le nombre de volées qu'elles pouvaient fournir dans un tems donné , et les portées qu'on devait en attendre suivant la na- tiu'e des traits, l'çspèce et le poids des projectiles. Les Romains se passèrent long-tems de ma- chines pour les batailles ; mais quand la raol^ lesse s'introduisit dans les légions , quand les légionnaires ne furent plus en état de supporter le poids de leurs armes , quand l'amour de la patrie et de la liberté fut éteint dans les coeurs , alors à défaut de courage et d'enthousiasme , on eut recours aux inventions des arts et de la mé- canique . On vit, à cette époque , dans les armées romaines , un nombre prodigieux de catapultes et de balistes , comme on vit quelquefois dans les armées françaises un train immense de canons çtd'obusiers. Guibert, dans sa tactique, dit qu'il — 16G — y eut jusqu'^à 50 machines de jet dans une légion ; ces machines servaient comme pièces de cam- pagne ; elles étaient montées sur alTûts roulans , traînées par des mulets et servies chacune par onze soldats ; plus elles étaient grandes , plus elles avaient de portée , et il n^ avait ni cui- rasses ni boucliers qtii pussent résister aux grands traits qu^elles lançaient . Diaprés ce qu'on lit dans plusieurs auteurs qui écrivaient à une époque antérieure à celle où Ton place la découverte de la poudz'e , on doit j)exiser que Fusage de cette composition , avec certaines modifications , était déjà connu dès le sixième siècle , et des Arabes et des Grecs du Bas-Empire , et même des Chinois ; on attribue à Gallinicus, grec d'origine, Tinvention du feu grégeois , et plusieurs auteurs pensent que la composition qui produisait ce feu n'était autre chose que notre poudre actuelle , modifiée par quelques substances bitumineuses , telles que la naphte , le pétrole, etc. Cet agent de destruction était employé pour mettre le feu aux édifices , aux vaisseaux et aux machines de guerre ; on sait de quel secours il fut pour la défense de Tempire, à l'époque où les Romains dégénérés ne pouvaient luder contic le fanatisme guerrier — 1«7 — el la jeunesse vigoureuse des Sarrasins. Le feu grégeois biûlait sous Teau; la matière qui lui servait d'aliment se fixait au corps duquel elle était lancée et en déterminait la combustion; il recevait une direction orizontale au moyen de tubes métalliques ; on s''en servait aussi pour lancer dY'normes boulets de pierre , et les vais- seaux de Tempire portaient extérieurement des têtes d'animaux qui vomissaient lé feu sur les bâtimens ennemis. Les Croisés apprirent aussi à connaître cette composition , dont ils éprouvèrent les effets et devant Constantinople , et dans la Palestine. On voit dans Thistoire des croisades de M. Mi- chaud , que les Chrétiens étant occupés au siège de Ptolémaïs, et leur camp abandonné à la défense d'un petit nombre d'hommes , on voit dis-je y qu'un chevalier défendit à lui seul l'entrée du camp, contre une portion de l'armée musulmane : '( Une énorme cuirasse le couvrait tout entier, )) les flèches , les pierres , les coups de lances ne » pouvaient le faire reculer ; tous ceux qui l'ap- » prochaient recevaient la mort , et lui seul , au )) miUeu des ennemis , tout couvert de javelots , » semblait n'avoir rien à redouter. Ce brave '>, chevalier ne put être mis hors de combat, que — I6« — )> par le feu grégeois jeté sur sa tête ; dévoré par )> les flammes, il périt, semblable à ces machi- )» nés énormes des Chrétiens , que Saladin avait » brûlées sous les murailles de Ptolémaïs . » On poux'rait citer un grand nombre de cir- ^ constances où cet agent destructeur produisit des ■ effets entièrement semblables à ceux de la poudie, ■ et on conserve en Angleterre un manuscrit d\m auteur du neuvième siècle , où on indique la composition de 6 livres de salpêtre , 2 livres de soufre et 1 livre de charbon ; on sait que les Chinois excellent dans les feux d^artiflce, et qu''ils se donnaient cet amusement depuis un tems immémorial : on ne doit donc pas penser avec Voltaire , " Que dans la Germanie autrefois un bon prêtre Montra l'art de pétrir le soufre et le salpêtre » , et Ton peut regarder comme certain que le moine Bacon n^est point l'inventeur de la poudre, ainsi qu''on Ta cru pendant si long-tems. Postérieurement à Temploi du feu grégeois , et après qu'on eut perdu le secret de sa prépara- tion , on ne vit plus sur les champs de bataille comme à la défende des places , que des ma- chines propres à lancer les pierres et les traits. — 1G9 — La lance, cette arme que les Français ma- niaient avec tant d'adresse, et avec laquelle nos chevaliers firent tant de prodiges de valeur , la lance décida pendant long-tems du sort des combats : cette arme avait de 8 à *io pieds de longueur , elle était d\m bois dur, peu cassant , et portait un fer très aigu, qui se liait au bois par de longues bandes qui servaient aussi à le con- solider 5 elle avait un renflement pour couvrir la main en avant de la poignée . La lance, la hache d^arme , Tespadon , le cime- terre et Tarbalète , telles étaient les principales armes employées dans les tems qui précédèrent Tusage de la poudi^e ; mais la cavalerie faisait alors toute la force des armées , les hommes couverts de fer, montés sur d^énormes chevaux, également bardés de ce métal, formaient des masses redoutables auxquelles F infanterie . ne pouvait résister, et les chevliers et gendarmes ne craignaient jamais les fantassins en rase cam- pagne , mais seulement derrière les haies , dans les bois ou les chemins creux, où les arbalé- triers s^embusquaient pour viser au défaut des cuirasses. Tels étaient les moyens de destruction en usage dans les armées , lorsque , selon Texpression de — 170 — M . de Carion Nisas, (( une providence bienfaisante )> vint enfin livrer à Thomme ces trois grands » secrets destinés à fonder la civilisation sur des )) bases indestructibles : la pondre à canon , la )> boussole et Vimprirnerie » . Un nouveau genre de machines et d^armes de jet produisit alors une révolution totale dans Fart de la guerre ; la bravoure , l'adresse et la force du corps ne furent plus les seules qualités es- sentielles du soldat ; le capitaine eut besoin d\nie plus grande instruction , le général dut avoir plus de prudence et peut-être plus génie ; enfin, le soi t des combats dépendit d'élémens plus va- riés , et fut en rapport beaucoup plus direct avec le nombre des combattans . Les historiens ne s'accordent point sm' la na- tion qui la première fit usage de la poudie pour lancer des projectiles , et sur Pépoque précise à laquelle remonte cette invention ; mais on peut cependant admettre que les Arabes furent les premiei^ qui se servirent d'armes à feu^ et qu'ils en ont d'abord transrais la connaissance aux Kspagnol§ , qui , à leur tour , l'ont comminiiquée aux Français et aux Anglais. Les plus anciennes bouches à feu , nommées bombardes , étaient composées de barres de fer — 171 — réunies et assemblées au moyen de gros cerceaux (lu même métal ; il y a sans doute loin de cette première invention à celle de Valliage ternaire ^ mais la marche fut rapide , et on ne tarda pas à imaginer de couler des pièces ainsi qu'on coulait les cloches; on employa d^ibord les mômes pro- portions de métaux, et la pièce était coulée en deux parties sur noyau ; le vide d'une de ces parties était Pâme destinée à recevoir le boulet en pierre , le vide de l'autre était la chambre qui devait contenir la poudre. Les deux parties étaient réunies entre elles et fixées à un bloc de bois par de fortes bandes de fer. Il paraît qu'on franchit aussi proptement Tintervalle qui se trouve entre ce premier mode de fabrication et celui qui est actuellement en usage , car un auteur fait mention de fore- ries établies en Allemagne dès le seizième siècle j on voit qu'on employa bientôt les boulets en fer, et qu'on ne tarda pas non plus à se servir , pour la fonte , d'une autre proportion de métaux que celle en usage pour la fabrication des cloches . Les premiers afiûts qui furent employés pour les bombardes étaient ausi peu commodes que les pièces qu'ils devaient supporter, mais leur cons- truction se perfectionna aussi bientôt, etlabcii- — 17iS — che à feu , destinée d^abord à lancer des pienes comme la baliste , reçut toute la mobilité qu^on avait donnée à cette ancienne machine, et fut pointée au moyen d^un cric . Les Français passent pour les auteurs des plus grandes améliorations faites dans les voitures d'artillerie , et , dès la fin du quinzième siècle , ils avaient déjà des affûts qui ne subirent que très peu de cha,ngemens , jusqu''à Tépoque où prévalut le système du général Gribeauval . Les premières bouches à feu ne servirent qu'à la guerre de siège , et , dans Tespoir d'obtenir de plus grands effets , on coula quelquefois des pièces d'une grosseur énorme et d'une longueur vraiment prodigieuse. L'histoire fait mention de quelques-unes de ces pièces gigantesques : ainsi , dans la relation du siège d'Oudenarde par les Bourguignons , en 1589 , il est question d'une pièce qui n'avait vien rnoins que 3o pieds de longueur. Ici on peut suspecter l'historieu d'exa- gération , mais il paraît certain qu'au siège de Constantinople , les Turcs essayèrent de battre les murailles avec une bombarde traînée par GO bœufs , et qui lançait un boulet de plus de 600 livres. Le baron de Tost , dans ses mémoires , dit qu'il existait de son tems une pièce bien plvrs. — 175 — formidable encore , qui défendait le passage des Dardanelles ; s'il faut en croire cet auteur , un peu sujet à caution , 3oo liwes de poudre chas- sèrent de la pièce dont il s'agit , un boulet de pierre du poids de 11 quintaux ; à la distance de 600 toises le boulet se sépara en trois mor- ceaux , qui traversèrent le canal , et , laissant la mer couverte d'écume , allèrent , par ricochet , frapper et bondir contre la colline opposée . On pourrait citer encore plusieurs exemples de ces pièces monstrueuses , auxquelles on renonça bientôt par suite de la dépense de construction et à cause de la difficulté de les faire arriver de- vant les places, du tems nécessaire pom* les charger, du danger qu'offrait leur exécution , etc. L'énorme pesanteur des pièces employées à l'attaque des places ne permettant pas de les utiliser dans les batailles , on voulait avoir de l'artillerie qui pût suivre les troupes dans leurs mouvemens et agir de concert avec elles , mais l'époque précise de son usage est difficile à dé- terminer. Quelques historiens ont dit que les premiers canons de campagne furent employés par les Anglais , à la bataille de Cvécy , et que ces ca- — 174 — lions leur donnèrent tout l'avantage de la jour- née 5 mais cette opinion a été fortement com- battue , et maintenant on attribue la perte de la bataille à la défaite des archers génois, qui entraient pour io,ooo dans la composition de Tarmée, et qui ne purent faille usage de leurs arbalètes , dont les cordes avaient été détendues par une forte pluie d'orage ; au contraire , les Anglais avaient conservé ces armes dans des boîtes , en sorte qu'elles produisirent tout leur effet , qui fut d'autant plus meurtrier que le ter- rain était très défavorable à la cavalerie française. Toutefois, ce qui paraît certain , c'est qu'en Eu- rope, les Espagnols, les Français et lés Anglais fu- rent les premiers qui se servirent du canon , qu'on ne l'employa en Allemagne et dans des états plus éloignés , que vers le milieu du quatorzième siècle , et qu'il fallut un siècle et demi poiu* que son usage devint général à la guerre . ' Qtiant aui armes de main , il paraît que peu de tems après l'invention des bomlDardes et des gros canons , on imagina de faire des petits canons portatifs , que ces petits canons avaient d'abord une épaisseur et une pesanteur qui les rendaient encore très louids , et qu'on les tirait à l'aidé d'une mèche qui mettait le feu à la poudre con- — 175 — tenue dans le bassinet , mais que plus tard on parvint à les alléger , et qu^on ajouta à la droite du canon une détente qui donnait plus de facilité pour le pointage , et faisait arriver la mèche sur le bassinet . Tous ces petits canons portatifs su- birent avec le tems une foule de perfectionne- mens , diaprés lesquels ils prirent successivement les noms fiH arquebuse , de mousquet et àe fusil. Des canons très légers , très courts et maniables d\ine seule main furent aussi imaginés , dès Tan 15G3 , ce sont nos pistolets actuels , qui tirent leur nom, comme on sait , de la ville de Pistoie, en Italie. D''après le témoignage des historiens et des auteurs qui ont écrit sui- Fartillerie , on peut avancer avec quelque certitude que les Français furent les premiers qui allégèrent les pièces de campagne , qui les rendirent bien roulantes et lem^ donnèrent de bons attelages ; c^est surtout à Tusage d'une artillerie bien attelée , bien servie et capable de suivre les troupes dans tous leurs mouvemens , qu'on attribue généralement la su- périorité des Français en Italie, sous Charles VIII, et il paraît que nos bouches à feu tliaient déjà avec boulets en fer et une grande précision , tandis que les Italiens n'avaient encore que de — 176 — grosses bombardes de deux pièces , traînées par des boeufs et très difficiles à charger . S'il est constant que les Français sont les au- teurs des premières améliorations apportées dans Fartillerie de campagne, il n'est pas moins prouvé qu'ils ont eu aussi les premiers l'idée d'une ar- tillerie légère susceptible de suivi-e la cavalerie et de protéger tous les mouvemens d'avant-garde . Dans la relation de la bataille de Cérisoles , en 1344 , on voit que la cavalerie soutint le choc de l'ennemi déjà victorieux , qu'elle ramena l'in- fanterie au combat, et que le duc d'Enghien s'empara d'une position avec des arquebusiers à cheval et des pièces de 4 attelées de manière à suivre tous les mouvemens de la cavalerie légère . Le premier emploi remarquable des armes à feu de main fut à la bataille de Pavie , où Bayard fut tué d'un coup d'arquebuse , et où les Espa- gnols eurent tout l'avantage par l'usage qu'ils firent de cette ai'me contre notre cavalerie. On vit pendant long-tems les arquebusiers mêlés avec les archers ; on vit en suite des corps à part qui combattaient à l'instar des vélites chez les Romains , puis on les mêla avec les piquiers. Enfin , on pai'vint à réunir la pique et l'arquebuse — 177 — dans une même arme , au moyen de la baïon- nette , dont le maréchal de Puységur fit adopter Tusage. Louis XIV donna le fusil à baïonnette à toute son infanterie , et les autres souverains de TEurope s'empressèrent d''imiter cet exemple. L'adoption générale à\x fusil et celle d'un ca- non léger susceptible de suivre tous les mouve- mens des troupes , introduisirent ime révolution totale dans l'art militaire , tant par la manière de combattre que par la nécessité d'astreindre la marche des armées à celui de lem^ train d'artil- lerie et des approvisionnemens de toute espèce que nécessitait l'emploi des nouvelles armes ; dès-lors les distances et la nature des chemins influèrent pour beaucoup sur les opérations de la guerre , et l'esprit de conquête trouva des bornes insurmontables qui lui étaient inconnues clans les tems anciens. 11 serait trop long et assez, inutile de pré- senter un historique relatif aux emplois succes- sifs qui furent faits des bouches à feu dans les batailles, et il suffira de dire un mot sur leur nombre et leur répartition , depuis l'époque de la révolution. Dans les premières guerres de la république , suivant une décision prise dès l'année 1 7Ci5 , on 13 — 17« — avait attaché 6 pièces de 4 à chaque demi-brigade; ces 6 pièces étaient réparties entre les trois batail- lons de la demi-brigade, à raison de 2 pièces par bataillon , et , en outre de cette artillerie nom- mée regimenlaire , il y avait une réserve com- posée d'un mcmc nombre de pièces, dont deux cinquièmes de 12 , deux cinquièmes de 8 , et un cinquième de 4. L"* artillerie régimentaire était ser- vie par des canonniers volontaires ; Partillerie de réserve par des canonniers formés dans les écoles ; il y avait donc à cette époque 4 pièces par ba- taillon , au moins 4 pièces pour 1,000 hommes , et , en supposant un caisson par pièce de 4 , deux par pièce de 8, trois par pièce de i2, un chariot à outils et une forge pour six pièces , enfin loO Cartouches par homme, renfermées dans des caissons qui en contenaient 27,000 , on avait poiu* une armée de loo,ooo hommes 2,ooo voitures , ce qui , avec 4oo pièces, faisait 2,4oo attelages et 9,760 chevaux, en supposant seule- ment les pièces de 8 et de 12 attelées à six chevaux. Je ne puis voir sans fi^émii' , dit Guibert , à Toccasion de cette proportion d'artillerie, fixée comme nous Tavons dit antérieurement aux guerres de la révolution , « je ne puis voir sans ~ 179 — frémir les dispositions de notre nouveau sys- tème d'artillerie , relativement à la formation de réquipage de campagne d'une armée , et il faut gémir sur Femploi mal entendu des hommes , lorsqu'on voit la môme quantité de soldats qui , du tems de Turenne et de Gus- tave , composait une armée , ne servir aujour- d'hui qu'à la manœuvre des machines de guerre d'aune de nos armées. » « Quel fruit retire-t-on de cette énorme quan- tité d'ai'tillerie ? si l'ennemi en a en proportion , voilà de part et d'autre des armées difficiles à mouvoir et à nourrir , voilà toutes les actions de guerre réduites à des affaires de postes et d'artillerie , toutes les opérations subordonnées à des calculs de subsistance. Si l'ennemi, plus habile , ose s'écarter de l'opinion reçue , et n'avoir pour une armée égale que la moitié ou même le tiers du nombre de nos pièces , tous les avantages seront de son côté ; il désolera l'ennemi par une guerre de mouvement et par des marches forcées , auxquelles il sera con- traint d'opposer des contre-maixhes qui seront d'autant plus destructives pour les attirails pro- digieux et attelés avec économie qu'il traînera ) à sa suite, ou bien qui l'obligeront à laisser en arrière le plus grand nombre de ces embarras ; — 180 — » alors ils seront à armes égales , et il aura » pour lui la perfection et la supériorité de la » manœuvre des siennes. » Malgré celte opinion et malgré le peu d^elTet qu'on devait attendi'e de Partillerie régimentaire, composée de petits canons disséminés sur toute la ligne, et dont les feux, souvent mal dirigés, étaient toujours répartis sans aucune espèce d'ensemble , on en fît cependant usage pendant quelque tems, mais on ne donna plus que 6 pièces pour la brigade entière , ou une pièce par bataillon ; et ^ la manoeuvre de ces pièces avec les bataillons gênant tous les mouvemens de Tinfanterie , elles ne furent plus habituellement attachées à chaque bataillon , mais se trouvèrent le plus ordinairement réunies pour agir de concert avec la brigade ; enfin , elles furent générale- ment supprimées , sauf quelques modifications qui peuvent avoir été motivées par les circons- tances. Ce qu'il y eut encore de plus remarquable dans la composition des armées pendant les guerres de la révolution , ce furent les élémens qui ser- vii'ent à leur formation, et dont chacun était lui- même , à l'instar de la légion romaine , un petit corps d'armée susceptible d'agir isolément ; la — 181 — Jivisision se composait de deux hii^ades dUii- fanterie , d\in régiment de dragons , d'un régi- ment de cavalerie légère , d\ine batterie d'ar- tillerie à pied et d'une batterie d'artillerie à cheval ; la division , formant un petit corps d'ar- mée fort d'environ 12,000 hommes, était toujours commandée par le même généi'al. De l'avis de nos meilleurs tacticiens , la divi- sion ainsi composée était le résultat le plus parfait de l'expérience ; le succès justifiait jour- nellement cette heureuse imitation de la légion romaine , et l'on fit un pas rétrograde dans l'ait de la guerre , en i^nonçanfr au mélange des ditrérentes armes pour former des divisions de cavalerie légère, (i) Plus tard les corps d'armée se composèrent de divisions d'infanterie , de divisions de grosse cavalerie et de divisions de cavalerie légère ; on attacha une ou deux batteries d'artillerie à pied à chaque division d'infanterie , une batterie d'ar- tillerie à cheval à chaque division de cavalerie ; il y eut une réserve d'infanterie avec une batterie de i2, une réserve de cavalerie avec une batte- rie d'artillerie à cheval. Lorsque toutes les (i)M. le gcncial Rognai , Coiisidéiailons sur l'ail de hr. guerre. — 182 — aivisions se rapprocliaientpour comoatlre , leurs batteries se réunissaient sous rautoritc du géné- ral d^artillerie, qui en divisait ou concentrait les feux , suivant les ordi^es du général en clief. En outre des batteries de réserve mentionnées ci-dessus , il y avait par corps d^armée un pai^c de réserve composé des caissons d'infanterie , des caissons chargés qui devaient remplacer les munitions épuisées dans les batteries , et de tous les rechanges nécessaires. Le grand parc ou parc général , destiné à fournir aux parcs de réserve , était toujours à deux ou trois journées de mar- che en arrière du quartier-général , et s'approvi- sionnait à son tour dans les villes frontières ou alliées. Le nombre des batteries attachées aux divi- sions et composant les réserves , a varié de manière k donner une proportion depuis une jusqu'à 4 et S pièces par 1,000 hommes ; la pro- portion de 4 pièces existait lors de la première institution régimentaire ; elle ne fut guères que de 2 dans les campagnes de iSn et de iS^i2 ; elle fat de 5 à 5 dans les campagnes de i8i5 et i8i4 , où le matériel restait à peu près le même, tandis que le nombre des soldats diminuait d'une manière efiiayante. — 183 — Plusieurs auteurs , se fondant sur Tusage et sur l'exemple des bouches à feu employées dans les l)alailles , ont établi les proportions de 2 pièces par l,iîOO hommes , 2 par i,ooo hommes, une pièce par i,ooo hommes , en augmentant Tap- provisionnement , etc. ; mais Tusage ne peut ser- vir à détermin'er le nombre de bouches à feu qu'il convient d'attacher à une armée, car ce nombre a varié à chaque guerre ; il était à son minimuin dans les beaux jours delà France, sous Louis XIV ; il atteignit son maximum dans la guerre de sept ans et dans la campagne de 1 8 1 3 , en Saxe . Cest une vérité reconnue de tous les tacticiens , qu'une artillerie nomJjreuse a toujours privé les armées de moljilité et entravé toutes les grandes opérations, par Tencombrement des voitures , par la difilculté du transport de munitions et par rembaiTas des subsistances ; c'est aussi un prin- cipe incontestable et généralement reconnu, que le nombre des machines de guerre et des bou- ches à feu a toujours été et doit toujours être en raison exacte et inverse de l'élan , du courage et de l'enthousiasme des soldats , et que , si des masses formidables d'artillerie ont été.ibsolument nécessaires dans certaines circonstances , cette nécessité n'était qu'une preuve évidente de la faU^lesse et du vice de composition des armées. ' — 184 — Enfin , tous les tacticiens anciens et modernes sont généralement traccortl sur ce principe, qiiiljaut diminuer la quantité des bouches à Jeu ewploje'es dans les années , et faire consis- ter la perfection de l'art à tirer un grand paHi d'un petit nombre de pièces , a former la meil- leure artillerie possible , plutôt qu'à se procui-er la plus nombreuse, (i) Ce fut pour atteindre ce but que , dans les premières guerres de la république , on créa ces batteries d'artillerie le'gère , nommées d'a- bord rtr////er/e volante, dont on voit les premières traces en France, sous le règne de François 1.^"^, mais dont l'organisation fut entièrement imitée des instructions du grand Frédéric . Cette artille- rie ,se composait de canons et d'obusiers de lé- gers calibres, ayant d'excellens attelages, et servis par des canonniers bien montés , qu'on exerçait journellement aux manoeuvres de la cavalerie légère. Pour se faire une idée des services que doit rendre Tartillerie à cheval, sur vni champ de bataille , et concevoir toute Timportance dqs (i) Guibert; Tactique, — Î8i> — effets qu^elIe est seule à même Je produire , il faut cojisitlcrer : 1.° Qu\me portion de la science du général consiste à bien juger de la position de Tennemi et du côté faible pai- lequel il doit être attaqué ; à deviner et ses intentions et le but de ses mouve- mens ; à savoir le tromper , le surprendre , le prévenir à tenis. 2." Que , dans la guerre de campagne , il faut surtout saisir Foccasion , se déterminer promp- tement , exécuter avec rapidité. 5." Enfin , que, dans certaines criconstances , tout dépend de la célérité des mouvemens , et que 20 pièces arrivant à propos , peuvent décider du gain d\ine bataille. De ces considérations , il résulte évidemment que la vélocité est le caractère essentiel d\me bonne artillerie , et la seule qui puisse lui donner cette formidable influence qu'on doit en altendie dans les combats. Ce principe incontestable étant bien reconnu^ on voit que rextrême vitesse doit être le carac- tère essentiel de Wirtillerie à cheval ; elle doit franchir de grandes distances en peu de tems ,, — liiG — porter au loin des coups subits et inattendus , économiser le nombre des pièces , en les multi- pliant par la rapidité des mouvemens. Dans les batailles elle est destinée à agir comme réserve y ou avec la cavaleine ; agissant comme réserve , elle doit surprendre et intimider Tennemi par la célérité de ses évolutions , par la promp- titude de ses feux , dont elle concentre Teiret sur un point décisif; agissant avec la cavalerie, elle doit protéger tous les mouvemens d^ avant- garde , préparer et seconder les charges en ébranlant les masses qu"'il s'agit d'enfoncer, et assurer les fruits d'une victoire , en inquiétant l'ennemi dans ses mouvemens de retraite. D'après cette légère esquisse du semice de l'artillerie à cheval , on est de suite à môme de juger que , vu la nature de son matériel , elle n'avait pu avoir jusqu'à présent qu'ime mobilité imparfaite, une vitesse insuffisante; ce manque de mobilité et de vitesse a quelquefois rendu sans effet les opérations les plus importantes et les mieux combinées ; on pourrait en donner un gi-and nombre d'exemples, mais je me contenterai de citer celui qui se trouve rapporté dans un numéro du Spectateur militaire , sous le titre d'Oljscr- vations sur les changemens relatifs au matériel et au personnel de l'artillerie. On y voit quVn iCi i — Iîi7 — le maréclial Bliichei' se trouvaAt surpris par Far- mée française , on entama ses trouves de toutes ■> ' à. parts ; qu'au moment de leur retraite précipitée sur la route de Cbâlons , il se fit à la gauche de Tarmée française un grand mouvement de cava- lerie accompagné d'artillerie à cheval , mouve- ment duquel devait dépendre la défaite totale dct Tennemi, mais que le chemin étant trop difficile, la cavalerie atteignit seule les derrières de Tar- mée prussienne, et que les charges se trouvèrent infructueuses, faute de canon pour enfoncer des masses compactes , dans lesquelles elles auraient facilement pénétré. Ainsi , Tartillerie à cheval , encore trop pe- sante et trop lente dans ses mouvemens , ne remplissait quelquefois qu'imparfaitement son objet ; mais l'adoption du nouveau matériel de campagne , dont la légèreté et la stabilité ne laissent rien à désirer , donnera à cette artillerie les moyens de produire tous les effets qu'on doit en attendre sur un champ de bataille ; les batte- ries, composées de A'oitures légères, non versantes, dégagées de tous fardeaux , attelées avec des chevaux choisis , lestes et vigoureux , pourront se lancer au galop quand les circonstances, l'exigeront _, passer au trot les fossés , les ravins,. — 188 — les plus mauvais pas , et suivre toujours les mouvemens les plus hardis de la cavalerie 5 ces batteries seront alors véritablement des batteries ^volantes d'artillerie ; elles atteindi'ontle but qu'on s'était proposé dans leur primitive institution , et offriront le moyen de desctruction le plus efficace que les hommes aient encore imaginée %. V 'iT T 'erne. iit acJ rhc (IX L. "n f •'■^ A ;) n \ \ 1 a •-, Il i •4-H+-t- — XQ "V H ( Vo/neltch ùc ^' 6>/<^ //^ z/ïc 6 c 0 I » 3 /; J M- f i-4-4 mât •M MV \^'^r .<^ i — 20ii — tc'squa ou sacclla (i), Homère en fait souvent mention, et Horace en parle aussi comme de lieux solitaires : déserta et inhosplta tesqua. Chez les Chrétiens , renclos qui entoui'e les tem- ples reçut une destination plus particulière ) il devint la dernièi'e demeure des fidèles , et le dépôt des cendres de leurs parens et de leurs amis ne fit qu'ajouter au respect qu'ils avaient déjà pour le lieu où jo«r et nuit résidait la di- \initc. Les Celtes, nos aïeux, eurent aussi de ces sortes d'enceintes probablement consacrées au même objet. La Bretagne , cette contrée si riche en monumens du culte di'uidique , FAn- gleterre et les autres régions celtes nous les offrent fréquemment. Dans plusieurs endroits , le vulgaire regarde ces monumens comme des camps : en France , comme des camps de Cé- sar ; en Angleterre , comme des camps de Sévère ou d'Agricola. Si l'on fait attention que la plupart de ces enceintes regardées comme des camps , n'ont guères plus de (>o à îSo pieds dans leur plus grande dimension , que leur forme est toujours celle d'une ellipse ou d'un carré long , que leurs fossés n'ont pas plus de trois ou quatre pieds d'élévation , on ne pourra y reconnaître des camps à moins de supposer des armées de Lilliputiens. — 20G — Je ne connaissais encore aucune enceinte druidique dans notre presqu^île, lorsqu''en i829 j'allai visiter les montissels ou toml^elles qui se trouvent aux Pieux sur la lande de cette com- mune. Un ami de collège , le D/ Lanclion , ac- tuellement maire des Pieux, étaitvenuavec moi. Après avoir ensemble examiné les trois tombeaux où reposent les cendi-es des héros celtes, le D.' me parla d'une autre antiquité regardée par les habitans comme les ruines d'une maison. La supposition qu'on aurait choisi pour bâtir une maison , le lieu le plus sauvage et le plus aride de toute la lande , ne me parut pas bien admis- sible , et je conçus un vif désir de voir et d'ob- server attentivement ces ruines. Au premier aspect, je fus convaincu que ce ne pouvaient être les ruines d'une maison : on ne voyait à l'ntérieur ni aux environs aucunes traces de décombres, comme on en remarque dans les maisons ruinées : au contraire, ce monument paraissait avoir gardé sa forme pinmitive. Je crus doncy reconnaître une enceinte sacrée à laquelle, comme le savant auteur de l'Essai sur les antiqui- tés du département du Morb'han , M. l'abbé Mahé , je conserverai le nom de Témène. En voici l'exacte description à laquelle je joins un plan : — 207 — Ce Témène est situé à rextrémité ouest de la lande des Pieux ( les trois Montissels ou tom- belles se trouvent à rextrémité de Test ) au nord et tout près de la crête des rochers qui la termi- nent, connus sous le nom de Roche-aux-Coucous. C'est un carré long dans la dii^ection du N.-O. au S.-E. , direction particulière aux monumens celtiques ; (2) son enceinte est formée de fossés construits en pierres recouvertes de terre : ce fossé s"* élève à peu près à un mèti'e au-dessus du sol. Dans sa plus grande longueur , ce Témène a vingt-trois mètres^ sur une base de dix-sept. Dans l'intérieur du Témène , à quatre mètixs de distance du côté du midi , se trouve un petit enclos A , de forme elliptique , de quatre mètres dans sa plus grande longueur , construit de la même matière que le grand enclos. Cet enclos elliptique a du côté de Test une ouverture B, large de i™V^ ; de cette ouverture de Tenclos elliptique part un fossé E qui le réunit au côté du midi : deux petits sentiers F et G , creusés un peu dans le sol , conduisent , de deux ou- vertures C et D, pratiquées dans le côté sud du Témène , à l'ouverture B de l'ellipse A. Au- dehors du Témène , vers le nord , une ligne bri- sée, formée déterre (5) sansmélange de pierres, se prolonge ; la partie H jusqu'à la croupe de la — 208 — nioulagnc, vers la mer, et l^aiitre, laparîic oblique K va rejoindre la crête de la Roclie-aux-Coucous. Telle est la description de ce monument que je ne balance pas à considérer comme un lieu où les Druides venaient , sous les yeux du peuple, exercer les terribles cérémonies de leur culte et rendre leurs oracles. L'enceinte elliptique était à la fois Tautel et le sanctuaire ; là était le prêtre : par rentrée de Touest on lui amenait la victime , qui, en faisant le tour du sanctuaire , s"'ofrrait , parée des ornemens du sacrifice , à nos supers- titieux aïeux placés dans un religieux silence en-dehors de fenceinte sacrée, au-delà de la dernière ligne. J'ai dit que les cultes anciens avaient des mo- numens semblables : je pourrais faire , à Tappui de cette assertion, des citations nombreuses ; je n'en ferai que quelques-unes. J'ai déjà cité le déserta tt înhospita tesqiia d'Horace, qui nous prouve que cliez les Latins ces sacella ou te— mènes étaient . comme celui des Pieux , situés dans des endroits sauvages. Je citerai encore Apollonius de Rhodes : dans son poème des Ai'- gonautes , après avoir parlé de l'enlèvement de Hylas, par les Nymphes du fleuve Ascanius , en Phrygie , et de la recherche inutile qu'en firent — 209 — les liéros de la toison cVor , il dit : « dans un » bois obscur ils firent un tëmène ( Te^éw? ) et ils )> y placèrent un autel sous Pombre des arbres, n ■nroîiov. Liv. If^, vers 1715. Sans doute que les Argonautes, descendus pour aA'oir de Peau et des vivres sur la côte orientale de la Propontide , n'eurent pas le tems d'élever un temple comme ceux de Rhodes ou d'Athènes, mais bien comme le modeste témène qui nous occupe. Homère , au huitième livre de TlUiade, nous peint Jupiter descendant de l'Olympe. « Il )» vient , dit-il , vers l'Ida rempli de som-ces d'eaux » vives , à Gargare fécond en bêtes féroces , où )> il a un témène ( Ti/myo^ ) et un autel où brûle » l'encens. » yetfyetfov , ivrai i'e 0) rifiivos /Sai^ô? te S-ùijiif. 11. , liv. 8 , \QTs 47. Un témène , situé au milieu des sources vives de l'Ida et des repaires des bêtes féroces du Gar- gare , ofliait sans doute plus d'une sorte de res- semblance avec le témène de la lande des Pieux. Mais il me semble que voilà assez de citations pour prouver l'analogie des monumens religieux du premier âge des Grecs avec le monument celtique qui nous occupe. Il ne me reste plus à établir que notre témène des Pieux fut bien consacré aux cérémonies religieuses des Celtes. 13 — 210 — Les sites sauvages , arides , élevés , pittores- ques et inhabités étaient un objet de prédilection pour les Druides , sans doute parce qu^ils ajou- taient à la terreur religieuse du vulgaire et au saint recueillement. Aussi est-ce presque toujours dans de tels endroits (4) que nous trouvons les monumens druidiques. « Au milieu de ces ha- )) bitans solitaires des rochers , dit Ossian dans » son poème de Cathlin , on voyait un enfant » de Loda , dont la voix évoquait du haut des » airs les ombres formidables. Il demeurait sur )) une colline , dans Tépaisseur d\ni bois. Près , » de sa demeure s''élevaient cinq roches escar- » pées. Il élevait sa voix puissante , les esprits » Fentendaient ; ils volaient à ses ordres et » changeaient à son gré le sort des batailles, » Et dans le poème de Sulmalla : <( Près de là » sont deux enceintes et la pierre du pouvoir , » où les esprits descendent pendant la nuit au » milieu des éclairs. Cest là que les vieillards » appellent les fantômes de la nuit et implorent » leur assistance. » C'était donc au milieu des rochers solitaires qu'habitaient les Druides ; c'était au milieu de redoutables enceintes , près de la pierre du pouvoir , que descendaient les esprits , et c'était là que les Druides , car les Druides étaient tous — 211 — des vieillards, puisqu'ils passaient même ( d'après César) à faire leurs études plus de vingt années ; c'était là , dis-je , qu'ils évoquaient les fantômes de la nuit. Or, quel site réunit plus tous ces avantages que la lande des Pieux , et surtout l'emplacement de notre témène ? Un sol où n'a jamais passé la charrue , des rochers arides et escarpés , bien convenables pour y établir la demeure solitaire des Druides , une vue magni- fique offrant de nombreux contrastes ; à l'ouest , une mer fuirieuse ; au nord , des champs fertiles ; au sud , de gras pâturages , et à l'est , dans nos tems reculés , de majestueuses forêts : certes, nul endi'oit dans l'ouest de notre presqu'île n'offrait un lieu plus favorable aux idées reli- gieuses des Celtes. Pour rendi'e notre témène ab- solument semblable à celui qu'Ossian décrit dans Sulmalla , il ne nous manque qu'une colonne en pierre brute , un menhir en pierre grisâtre , une pierre du pouvoir enfin. Mais ne peut-on pas sup- poser que cette pierre du pouvoir, objet d'un culte particulier, aura été renversée (3) etbrisée comme tant d'autres par les premiers apôtres chrétiens dans nos contrées. Si l'on porte les yeux sur les sépultures gauloises qui se trouvent sur la même lande , à quelques pas de notre témène ; si l'on fait de plus attention aux traditions merveilleuses — 212 — qui font de ces rochers le séjour habituel des fées et d^autres êtres mystérieux , je pense qir'on ne pourra guèi'es s^empêcher de partager mon opinion sur Torigine et le but du monument que je viens d^essayer de décrire. NO TES. (i) Festus, au mot sacellum dit que c'était une petite cha- pelle entourée de murailles, mais sansloit. ■< Sacella dicun- » lui" loca Diis saciata sine tecto. » Calepin , au mot sacel- « lum, le définit : " locus parvus Deo sacratus, cuni arâ , • lui petit lieu consacré à Dieu, avec un autel. l,e même , au mot tesqua \e âéRnit : « loca édita , aspera et inculla, '- ipso situ atque silentio religionem quandam et horrorem » incutientia ; » et il ajoute en français , d'après Cicéron et Yarron qu'il cite , que ce sont des bocages consacrés et dédiés à quelque dieu (2) Plusieurs galeries couvertes en larges pierres , situées, deux dans la forêtdeBricquebec, une à Digoville et 1 autre à Vauville , ont toutes, ainsi qu'une enceinte en pierres ou cromelech situé à Touilaville , la direction du N.-O au S.-E. (3) Chez les Celtes, les pierres avaient un caractère de religion tout particulier : ceci nous expliquerait peut-être la différence qui se trouve entre l'enceinte du témène et celle qui séparait le peuple (4) Tous les monumens de ce pays , reconnus pour être celtiques , sont placés sur des hauteurs , et dans des lieux arides et inhabités. (5) Des conciles , des capitnlaires ont proscrit la véné- ration que le peuple avait conservée pour ces pierres même jusqu'au 8." siècle, et ordonné, sous peine d'être traité comme sacrilège, à quiconque en possédait dans son champ , de les briser. AUTRES MONUMEI^S CELTIQIES Dans les communes de Flamanville , Vau- ville ^ Digôville, Bricqncbecy Tourlavilley Martinvast et Teurtkéville-llnguc. A peu de distance Je Tenceinte sacrée de la lande des Pieux , se trouve un des sites les plus pittoresques de notre département ; je veux parler des falaises de Flamanville> Dans le dernier siècle , cette commune pensa devenir la retraite de J.-.l. IIousseau , et si la proposition de M. Montmorency ne Peut pas emporté sur celle du marcpiis de Flamanville, le séjonr d\m grand homme aurait imprimé à ces lieux un tel caractère d'intérêt, qu''il est plus que probable que je ne serais pas a^ijourdMiui le — 214 — premier à écrire quelques lignes sur des monu- mens dont Fexistence nous rappelle un peuple qui existait dans nos contrées il y a plus de deux mille ans . Des voyageurs les auraient décrits depuis long-tems ; peut-être même que Timmor- lel auteur d^Emile et du Contrat Social aurait laissé tomber de sa plume brûlante quelques lignes où nous retrouverions ces noms de lieux d'origine toute celtique , où il nous décrirait ces monumens funèbres ou religieux , d'une sim- plicité voisine de Tétat de nature , et peut-être aussi que les traditions empreintes d'une si gros- sière superstition, auraientfait faire à cet ennemi paradoxal de la civilisation de saines réflexions sur l'état social le plus avantageux au genre humain . Dans cette commune , une assez longue éten- due de rochers granitiques , au pied desquels viennent se briser des flots presque constam- ment en fureur , fixent les limites de l'Europe continentale. C'est sur le haut de ces collines , sur le bord de la mer , que se trouvent les monu- mens celtiques dont je vais vous entretenir un instant. Je passerai sous silence les noms lout-à-fait celtiques des falaises. Aujourd'hui je ne me pro- — 2i;> — pose que Je fixer un instant votre attention sur deux monumens en pierres brutes, et une grotte célèbre par plusieurs histoiies supei'stitieuses : ces deux monumens sont de Tespèce de ceux à qui les antiquaires ont donné le nom de Dolmen , nom dérivé de deux mots bas-bretons , signi- fiant tables de pierres, ce que sont réellement ces monumens ; car ils consistent ordinairement en une grosse pierre , le plus souvent plate , posée horizontalement sur trois ou quatre autres pierres plantées verticalement. L\m 'des deux dolmens de Flamanville se trouve vers Textrémité méridionale des falaises , en un lieu portant le nom de Coi'b , mot assez étranger à notre langue actuelle. Ce dolmen est formé d\me pierre de granit , large de six pieds , po- sée sur trois autres verticales et hautes de trois pieds , ce qui donne au monument une hauteur totale de six pieds. A deux pieds de distance de ce dolmen , on remarque i ." deux petites fichades ou pierres plantées verticalement , hautes de trois pieds , fortement cognées entre d^autres pierres. Une de ces fîchadcs a été taillée à la hauteur de deux pieds , de manière à y laisser une tête comme pour retenir une chahie. Du côté Es! de cç dolmen , six pierics plaies sont posées \ — 216 — de champ , de manière à former une pelile gale- rie de dix-huit pouces de largeur, conduisant au pied du Dolmen. La pierre superposée , comme nous l^avons dit, est plate ; mais un éclat enlevé à sa surface y a pratiqué un creux : est-ce un accident de la fraction de cette pierre séparée d'un bloc plus grand , ou ce monument , par ce caractère ainsi que par les autres que j'ai signalés, ne doit-il point être regardé comme un de ces autels sanglants oi\ le fanatique Druide sacrifiait son semblable au culte du féroce Ilésus ? Cette hypothèse me paraît assez probable . Plus loin , sur la plus élevée des falaises , qui porte maintenant un nom tiré récemment de rétablissement d'une vigie , où se trouve actuel- lement un corps-de-garde de la douane , se trouve l'autre dolmen dans un état de parfaite conservation. Tel ce monument apparaissait au tems du culte d'Hésus , tel il apparaît encore au 19.^ siècle : sa solidité même est encore telle qu'il ne présente pas plus de causes de destruc- tion qu'il y a deux mille ans. Un bloc de granit ayant la forme d'un œuf, de six pieds d'épaisseur, est posé sur un trépied formé de trois pierres en- foncées dans un terrain pierreux , et fortement — 217 — cognées avec cVaiitres pierres. Ces Irois pierres enfoncées verticalement s''élèvent à peu près à un mètre hors du sol. Du côté de l'est , comme dans le premier , quelques pierres posées de champ forment une galerie cVun mètre de lar- geur, qui conduit sous ce dolmen. La hauteur totale du monument est de huit pieds : néan- moins il serait facile de passer auprès sans l'a- percevoir ; car les préposés de la douane , au grand déplaisir des celtonianes, lui ont adossé un banc de gazon et ont fermé le dessous avec des murs de terre pour y faire loger des moutons. Ce monument est bien connu dans la com- mune de Flamanville où il porte le nom de la Pievre-an-Rej, Ce nom , sans doute , l'indice de souvenirs populaires , n'expliquerait-il pas l'usage de ce dolmen ? Des fouilles nombreuses ont démontré que nos dolmens étaient souvent des monumens funèbres , des espèces de mau- solées sauvages : la Pie/re-nu-Re/ en serait donc un ; c'est peut-être l'étroite demeure des héros d'Ossian ; ce sont ces quatre pierres gri- sâtres sur la colline, au bord du rivage écumeux , qui doivent indiquer au voyageur la dernière demeure du guerrier. Sans doute que le héros celte qui repose sous le dolmen du grand nez de Flamanville , fut jadis un personnage bien- — 218 — faisant ; car à sou monument ne se rattache au- cune de ces traditions edrayantes que Ton re- trouve toujours dans les endroits où existent des monumens druidiques. Les fées qui Fliabi- tent ou le fréquentent n'ont jamais fait que le bien. On n'y voit point paraître de ces lutins cruels qui prennent plaisir à égarer le voyageur pendant la nuit , à attirer sur des rcscifs le marin imprudent ; au contraire , la P ici ve- au—Rej protège ce dernier , en l'avertissant d'éviter de briser sa nacelle sur les rochers de Corb , et elle indique au premier le chemin du village voisin . Plus loin , au pied de la falaise , se trouve une grotte immense, connue sous le nom de Zrow- Baligan. Elle est célèbre dans le pays par les contes teri'ibles dont elle est le sujet. Ces ti-a- ditions populaires se rapportent évidemment aux tems druidiques : elles en ont du moins tous les caractères. Donnons d'abord une courte description de celte grotte : elle a été évidem- ment formée par les dégradations successives d'une partie de terre sablonneuse qui se trouvait entre deux couches inclinées du N.-E. au S.-O. de roches granitiques de la falaise. Elle s'avance par-dessous la terre jusques à peu près 500 — 219 — pieds ; rentiéc, d'abord étroite , s'élargit et par- vient à cinq ou six pieds de largeur ; mais elle finit bientôt par n'être plus qu'une fissure trop étroite pour y pénétrer. Lahauteur de cette grotte est de cinquante ou soixante pieds. Qand on pénètre dans cette grotte , on éprouve certain sentiment d'effroi ; d'adord en voyant au-dessus de sa tête , collés dans le sable de la voûte , d'é- normes blocs de granit sendilables à ceux qui pavent le fond de la grotte , et qui sont peut- être tombés de la veille ; en suite , par un singulier effet d'optique , en voyant la lame des Ilots de la mer qui, escarpée^ s'avance comme pour vous engloutir dans cette caverne. A cent pieds de profondeiu' , des blocs toml^és d'en haut ont encombré le passage de telle sorte qu'il est difficile de les franchir sans une corde. Les seules fées que l'on y rencontre sont quelques douzaines de chauves-souris que la visite des curieux semble fort importuner. Peut- être que les véritables ont cédé leur domicile à celles-ci depuis que le tems , ce destructeur infatigable , a fait crouler leur table de festin et a renversé leurs sièges de })icrres Cette table était une piene à surface plate , qui , détachée du haut de l'entrée de la grotte , à gauche , se — 220 — trouvait placée sur quatre auties. Des pierres moins volumineuses étaient disposées tout autour comme des sièges. N''était-ce qu^ui eflet du lia- sard', ou la gigantesque main des Druides y était- elle encore pour quelque chose ? Les traditions locales me font assez volontiers pencher pour cette dernière opinion. Voici une de ces traditions : il y a une vingtaine d^années , vers 1810, on voyait à rentrée de notre grotte un bloc de granit qu'on a employé pour la construction du port militaire de Cherbourg. Dans ce bloc un ruban rouge affec- tait la forme d'un énorme serpent. D'autres blocs de granit ont encore également des taches rou- ges çà et là ; alors nul doute selon la tradition que ce ne soient des taches du sang des victimes que dévora ce di'agon qui fît jadis beaucoup de mal. Voici son histoire telle que me la conta un habitant de la commune : un énorme serpent faisait sa demeure dans le trou-bahgan ; pour qu'il fît des ravages moins grands , les ha- bitans consentirent à payer à ce monstre un bien horrible tribut , car ils s'ol^ligèrent à hu porter chaque semaine un de leurs enfans pour sa nourriture. Cette redevance infâme leur fut long-tems imposée ; enfîii , un autre Thésée, Saint -Germain, arrive d'Angleterre, glissant à la surface des ondes , porté sur uno. — 221 — simple roue decliaiiot A TaiTivée de ce libéra- teur , les habitans poussent des cris de joie , et le lieu où descend le saint personnage prend le nom de Diclette , en latin dies lœta , jour heu- reux ; car au tems de S.t-Germain , on parlait un très bon latin dans nos contrées. Bientôt S.t-Germain se prépare à accomplir sa mission : cVtail de combattre le di'agon fatal ; il s'avance donc vers la grotte pour le combattre , et d'un seul regard de Germain , le di'agon fut changé en un énorme rocher où sa figure resta impri- mée pour attester aux âges futurs le grand miracle de S.t-Germain. Il n'est pas diflicile de reconnaître dans cette tradition une allégo- rie , qui n'est pas sans une certaine grâce , de l'établissement du christianisme , à Flamanville. Tout ce que nous y remarquons , c'est qu'on a choisi pour la demeure du monstre qui , dans le langage allégorique , n'est rien autre que l'idolâtrie ou le culte barbare des Druides , la grotte qui nous occupe. Il fallait donc que cette grotte eût joué un certain l'ôle dans les anciennes croyances religieuses. Le mot Diélette venant de dies lœta , est une de ces erreurs étymolo- giques si ordinaires pendant le moyen âge et à la renaissance des lettres , temps où l'on ne voyait partout que du latin et des Romains. Il ne faut — 222 — pas être bien verse clans les antiqiillcs celtif|iies et dans la science étymologique^ pour voir que le nom de Diéletle vient du ruisseau qui se jetle dans la mer à cet endroit, qui porte ce nom dé- rivé pieds, et d'autres pierres plates superposées. Chacune de ces pe- tites grottes , dont Tintérieur peut avoir à peu près quatre pieds et demi en largeur et en lon- gueur , a, du côté du nord, comme une petite porte ou ouverture d\ui pied de largeur sur 18 pouces ou 2 pieds de hauteur. Je me rappelle, que dans mon enfance on me disait que ces pe- tites grottes étaient la demeure des fées. On me faisait mille contes sur ces êtres merveilleux qui passent pour habiter des cavernes souterraines dans les roches éparses que Ton voit à plusieurs endroits dans la partie de la fc^rêt où se tix)uvent nos deux monumens celtiques. Ayant observé , dans le lems où je commençais à étudier les mo- numens druidiques, que la tradition populaire y l'attachait toujours des histoires de fées ; ce fut à ce souvenir de mon enfance que je dus la découverte des deux monumens que je viens de vous signaler. — 228 — La construction en pierres brutes de ces mo- numens , leur situation dans des lieux solitaiies et leur uniformité indiquent une origine celti- que et un usage religieux. Mais nos cist-veans n'avaient-ils pas une destination religieuse toute particulière ? Des ossemens humains ont été souvent trouvés en creusant dans leur intérieur , et Ossian , dans ses poésies galloises , n'appelle jamais les tombeaux de ses héros que Tétroite demeure. Nous considérons donc nos galeiies couvertes comme des tombeaux gaulois. La présence d'une pierre mobile sur le mo- nument de Digôville et quelques sentiers frayés qui conduisent à celui de Vauvillenous semblent donner aux monumens de cette sorte le carac- tère de lieux consacrés aux cérémonies et aux î réunions religieuses. Cette dernière hj^othèse n'a rien qui répugne à la première ; car il est assez ordinaire que les monumens funèbres et surtout ceux d'hommes distingués deviennent les objets du culte et de la vénération des peuples. La tradition , qui veut aussi que ces lieux aient servi d'habitation aux fées , à ces êtres mysté- rieux qui paraissent avoir joué un si grand rôle dans la religion druidique , nous porte à re- garder les cist-veans comme des monumens tout-à-la-fois funèbres et mystiques. — 229 — Les Touibelles, ^^///otvj^ouniontissels sont des moiiumens assez communs dans rarrondissement (le Cherbourg. On peut les considérer comme les Tumuli des Romains . On en trouve troi« sur la lande des Pieux, dans le voisinage de Tenceinte que nous avons décrite plus haut. Ce sont trois cônes en terre , de 40 pieds de largeur à leur base, et de 3 ouO pieds d^élévalion. Deux de ces monticules ont été fouillés je ne sais à quelle époque ; le troisième est resté intact. Il y a un certain nombre d^années , M. de Vau— diville , père , trouva , en faisant défricher un champ voisin de ces trois montissels, une urne en terre noirâtre , renfermant des cendres et une médaille en bronze , ce qui nous ferait conjec- turer que Tendroit où se trouvent nos trois tombelles aurait jadis été destiné à la sépulture des Celtes de celte contrée. Beaucoup dVutres tombelles se trouvent dans Tarrondissement de Cherbourg ; je n'en citerai que quelques-uns. Le canton de Beaumont est le plus riche en monumens de ce genre. AuS.-E. dubourg de Beaumont, àunc distance de '400 ouiîOO pas delà route de Cherbourg, dans des — 250 — landages appartenant à M. Jallot de Beaumont , on voit encore entières trois tomlîclles à large hase et n\iyant pas plus de H ou 6 pieds d'élé- vation. Plus loin, dans les landes de S.te-Croix, on trouve les restes d'une autre tombelle que M. de Vauquelin, maire de Branville , fit fouiller il y a quelques années. Au centre de cette tombe, il trouva des pierres disposées en une sorte de voûte , renfermant une urne en argile grossière et à moitié cuite , dans laquelle étaient contenues des cendi'es. Sur Tune des parties de cette urne, qui se brisa dans le travail d'extraction , on re- marquait Tempreinte qu'y avait laissée la soie oxidée d'une épée en fer , qui , placée dans la terre environnante, avait disparu sans laisser au- cune trace- Au-dessous de cette urne , se trouvait un lit de terre gltiise , de forme circulaire, dont la siu'face durcie ne laissait aucun doute qu'elle avait été soumise à l'action du feu. En creusant auprès de cette tombelle , M. de Vauquelin trouva aussi à 4 pieds de profondeur ime espèce de sarcopliage en maçonnerie à pierres sèches , de 6 pieds de longueur , et rem- pli de cendres et de charbons. ■ Je ne pense pas qu'on puisse élever le moindre • doute sur la destination de ces monticules 5 ce- — 231 — sont bien cvidcmmeat des tombeaux; mais il n'est pas si facile de décider auquel des })euples qui , tour à tour , ont occupé le sol de la France , il faut les attribuer. Chez tous les peuples anciens , à leiu' berceau , ces monumens funèbres , d\uie simplicité rustique , furent en usage. Ce ne fut que par la suite des tems que, pour satisfaire la vanité desvivans, le luxe entreprit de décorer les débris de Thomme qui n^était plus. Achille^ Ajax et Patrocle n'eurent pas d'autres sépultures que des monticules de gazon ; et telle est aussi la tombe que Virgile fait élever par Enée à Po- lydore sur les côtes de la Thrace. Plus tard , les Grecs et les Romains décorèrent les tombeaux d'une colonne avec des trophées indiquant la profession et les vertus du défunt. Mais il paraît ([ue chez les Celtes, ce peuple si scrupuleux obser- vateur des rits et coutumes de ses ancêtres , con- serva comme en toutle mode primitif de sépulture. Aussi, du tems d'Ossian, qui vit disparaître, avec ses fils moissonnés dans les combats, les derniers restes du peuple celte , voyons-nous encore cette simplicité des cérémonies funèbres dans toute sa pureté. « Quatre pierres grisâtres et lui monti- » ciUe de gazon , nous dit-il dans un de ses )' poèmes , indiquent au voyagciu- la deinièrc > demeure de Crimora. » Le luxe était porté à -— 252 — son comble chez les Pvomaius , quand César conquit la Gaule , et alors des tertres verdoyaiis ne convenaient plus à ces maîtres du monde poLU- presser leurs cendres . Je pense donc qu'on ne peut leur attribuer Torigine de nos tombelles. 11 nous reste alors à les attribuer aux Gaulois ou aux Saxons. Je ne parle point des Francs : c'étaient des conquérans qui prirent bientôt , en adoptant lu religion des vaincus , leurs moeurs et leurs usages. Pour les Saxons , dès le troisième siècle , ils commencèrent à exercer constamment leurs piiateries sur nos côtes , et c'est probablement à eux que nous devons la destruction d'un grand nombre de villes et de villages gallo-romains dont nous retrouvons chaque jour des vestiges. ilien toutefois n'indique qu'ils aient essayé de former dans nos contrées des établissemens et j d"y séjourner long-tems ; au contraire , tout poi le à croire que , se bornant à enlever du bu- lin, leurs apparitions étaient brusques et de courte durée. On ne peut donc attribuer aux Saxons ces monumens , à moins qu'on ne prétende que ce sont les tombeaux de ceux des leurs qui tombèrent en combattant les Gallo- llomains. Mais comment supposer que des mo- numens répandus sur toute la surface de la X: — 255 — Gaule , monumeiis tiès fiéquens en Basse-Bre- tagne , surtout où Ton sait que les débarquemens des Normands furent beaucoup plus rares, doivent leur origine à des piiates qui n'ont fait que quel- ques apparitions momentanées. Je ne balance donc pas à rangernos tombellcs parmi nos monu- mens druidiques . Sur la lande de S.t-Gabriel , au S.-E. de Téglise de Tourlaville , se trouve un monument tb'uidique , le seul de son espèce que je connaisse dans notre presqu'île. S'il était permis de com- parer les petites choses aux grandes , je lui trouverais quelques rapports avec certaines par- ties du Stone-Henge , en Angleterre. Ce mo- nument consiste en une enceinte formée de deux rangées de pierres verticales de 2 à 3 pieds hors de terre. La rangée du nord est droite ; celle du midi est elliptique. Ce monument se dii'ige exactement de l'ouest à l'est. La longueur de ce Cromlech est de 12 mètres, et sa plus grande largeur de 4 mètres. A l'extrémité ouest, se trouve une entrée large de 5 ou i pieds ; à l'autre extrémité, du côté de l'est, une ouver- ture semblable était sans doute couronnée par une large pierre cotée n." 2 sur notre plan, qui a été dérangée , et qui formait auparavant — 254 — une sorte de lichave/i. Tout près, se trouve une fosse n.° 5, de trois pieds de profondeiu* , dans laquelle gisent deux roches qui , sans doute , faisaient partie de la totalité du monument. Il y a quelques années , je fus assez heureux, pour sauver les restes de ce monument d'un acte de vandalisme qui probablement allait leur porter le dernier coup. Des ouvriers employés à extraire des pierres pour réparer les chemins vicinaux » avaient déjà brisé les deux pierres cotées n." 2 , et ils en attaquaient ime troisième , quand le hasard me conduisit vers ce monument , et par mes représentations je retardai sa destruction. ït lui reste aujourd'hui quatorze pierres debout, et dans les environs, les mamans content encore à leurs enfans que ce lieu est le rendez-vous des fées qui tiennent là leurs assemblées nocturnes. On donne à ce monument le nom de Pierres-^ Jùiconplées. A Textrémité Est de la commune de Martin-- vast, sm' le sommet dune petite montagne nommée le Ilurc , des rochers de quartz grenu lèvent leurs têtes grisâtres à travers les ajoncs et les bruyères , et forment une crête à cette aride colline. Un bloc de 8 ou 9 pieds de largeur et de cinqou six pieds d'épaisseur, ayant été détaché de celte crêle et renversé sur trois de ses voi- — 25o — sius , esl devenu un dolmen soit à dessein , soit par pur accident. Je n"'oserais prononcer que les contes de fées , dont la lloche-à-Trois-Pieds , de rOraille, est le sujet , doivent nous la faire considérer comme un travail humain et non comme le résultat d\ni accident quelconque , d\m tremblement de terre, par exemple. Sur les bords du ruisseau qui traverse le bois de Néret, à Teurthéville-Hague, on voit s"'éle- ver dans une clairière de ce bois , deux men- hirs ou peulvans , de la forme de deux paral- lélépipèdes. Ils ont à peu près de 8 à lOpieds de hauteur et sont éloignés l'un de l'autre de 70 pieds. Autour de ces peulvans , se trouvent, dans un certain ordre, d'énormes blocs gisant comme certaines pierres druidiques nommées Pierres-Solaires . (^es pierres , dit-on dans le pays , tournent sur elles-mêmes pendant la nuit de Noël ; elles cachent de précieux trésors , sont souvent visi- tées par les fées qui , pendant la nuit , viennent laver leur linge à une fontaine voisine ; elles vont aussi à certaines époques se désaltérer à la rivière. Tous ces contes merveilleux me semblent avoir une bien grande analogie avec les croyances supei'stitieuses qu'Ossiau nous oflrc à chaque page de ses poésies. — 256 — Dans le mémoire qa'on vient délire, je n'ai pas décrit tous les monumens druidiques de notre presqu'île. Il en existe encore quelques autres dont je n'ai point parlé ; mais je ne pense pas qu'il y en ait nulle part d'espèce différente , si l'on en excepte le fameux monument situé à la Hague , et connu sous le nom de Hag-Dig ; et un autre à peu près semblable situé sur une des falaises de Jobourg. Je me réserve de par- ler de ces monumens dans un second mémoire, Qii je me propose spécialement d'envisager les monumens druidiques sous les rapports qu'ils peuvent avoir eus avec l'antique division terri- toriale dans nos contrées , et d'exposer les notions qu'ils peuvent nous fournir à ce sujet. RAPPORT t 17 A LA SOCIETE ACAPEMIgUE sur les anciens membres de cette Société, ^^û;n^^. >•♦••# • •§»< Messieurs, J E me propose Je placer sous vos yeux la liste (le tous les membres de cette société depuis son origine , et de vous donner quelques détails biographiques sur les plus remarquables d^entrc eux. Cette liste n'est point dénuée d'intérêt : on y remontre des noms dont la célébrité — 258 — remonte à une époque éloignée, s'est étendue au loin , et a quelquefois dépassé les limites de la France. D''autres, plus modestes , se sont ren- fermés dans la province et môme dans la ville qui les vit naître. Nous reverrons les premiers avec Tintérct qu^inspirent les talens , les grandes qualités , les événemens mémorables auxquels ils se sont atta- chés. Les autres nous retraceront des souvenirs moins brillans , mais plus doux. Ils appartiennent en grande partie à nos concitoyens , à nos amis. Nous avons connu la plus grande partie d'entre eux ; nous avons vécu dans leur intimité ; leur mémoire est restée parmi nous , accompagnée du résultat de leurs travaux , de la reconnais- sance due aux services qu'ils ont rendus , des sentimens d'affection que nous ressentîmes pour eux et que nous conservons aux leurs. La revue de ces noms sera donc pour nous l'esquisse d'un tableau de famille dans lequel se dessineront çà et là quelques figures étrangères. Je placerai ces figures dans l'oixlrc qu'elles doi- vent occuper , et j'indiquerai seulement quel- ques traits particuliers à plusieurs d'entre elles. L'origine de cette société remonte à l'année — 259 — 17t>iî. Ses fondateurs sont au nombre de six: ce sont MM. Tabbc Anquetil , premier directem- ; Delaville , médecin ; Groult , procureur de Tamirauté ; Avoine-Chantereyne , receveur de Ta- rai rai. Delaiiougue , professeur d'hvdrogvapbic, premier secrétaire ; Pierre FrÉret, artiste. Deux de ces noms seulement ont disparu sans laisser d^autres traces que celles de leur inscrip- tion dans vos archives. Les autres sont encoie vivants parmi nous , et ont conservé d^hono- rables représentans dans cette enceinte acadé- mique M. Delaville était un médecin distingué. L'académie lui dut de fréquens rapports sur Fart qu''il professait , des mémoires sur la bo- tanique ; il s''occupa beaucoup des soudes de varech. M. Tillet, de Tacadémie des sciences , dont nous verrons le nom plus tard figurer par- mi ceux des membres de notre société , fut envoyé à Cherbourg pour prendre des rensei- gnemens sur les avantages et les inconvénicns de la fabrication de ces soudes, M. Delaville lui — 2/i0 — fournit à cet égard de nombreux documens. Les registres de votre société nous apprennent aussi qu''il s'occupait de poésie , et citent avec éloge une épître de sa composition sur Tindé- pendance. M. De Chantereyne était aussi un des membres les plus zélés de la société. Lliistoire de Cher- bourg et du Cotentin a été le principal objet de ses travaux. On lui doit une chronologie des grands Baillis du Cotentin , des recherches sur Tétymologie des noms de Cherbourg , un éloge de M. Hamon , célèbre médecin de cette ville ; un catalogue des gouvernemens de Cherbourg , depuis Henry 1.*"^ , roi d** Angleterre , et divers mémoires également intéressans. Parmi les noms que j'ai déjà cités , nous de- vons distinguer celui de M Groult , ancien pro- cureur de Tamirauté , qui a survécu de longues années à ses premiers collègues, et dont la vie a été une suite non interrompue de travaux scientifiques et de bonnes œuvres. Son goût pour Tétude se manifesta dès ses plus jeunes années , et à peine avait-il quitté les bancs de Técole , que déjà des mémoires importans an- nonçaient en lui un savant laborieux. Il n'avait que 22 ans lorsqu'il contribua , avec cinq autres — 241 — îiabitans de Cherljourg, à la lonnalion d'une sociéU' académique. Il y débuta par des mémoires siu- la gnomonique et Tastronomie ; bientôt ils furent suivis du prospectus d\ui immense ouvrage qui , avec les suites qu'il lui a données, a occupé la plus grande partie de son existence : c'était un nouveau commentaire sur l'ordonnance de la marine del68i. Vous aurez une idée de l'im- portance de cet ouvrage et en même tems du zèle prodigieux qui présida à sa rédaction, quand vous saurez qu'il fut le résultat de notes prises dans la bibliothèque du Roi , à Versailles , dans toutes les bibliothèques publiques de Paris et dans un grand nombre de bibliothèques parti- culières. Il paraît que Fauteur passa en revue plus de 3o mille ordonnances , arrêts ou régle- mens concernant cette branche de législation. Cet ouvrage, composé de 6 volumes in-^." , fut présenté en 1770 à l'académie de Rouen , qui nomma des commissaires pour l'examiner. Il fut annoncé avec éloge dans la Gazette dti Commerce de la même année. Il est à regret- ter que cet ouvrage n'ait point été imprimé , et que la société académique ii'en possède quo quelques fragmens. A ce long travail , M. Groult en ajouta un 17 — 242 — autre qui n''exigea pas moins cVassiduité et de patience. Il composa des tables extrêmement étendues des lois de la marine , non-seulement de celles qui régissaient la France , mais encore de toutes celles qui étaient en vigueur chez tous les peuples maritimes , anciens et modernes , depuis les Grecs jusqu^à nos jours. « Le gou- » vernemenl sut apprécier ces travaux , dit une » notice rédigée peu de tems après sa mort. )» Il obtint la faveur singulière de soutenir une )) thèse sur le droit maritime et de parvenir au )) doctorat aux frais du trésor royal. La réputa- )> tion de M. Groult se répandit dans toute )t PEurope; il était en correspondance avec tous » les savans de son genre , et ce commerce ne )i cessait d'accroître ses richesses. Le gouverne- » ment pi'enait tant d'intérêt à cet accroissement » utile à Tétat , que M. Gi'oult obtint une nou- » velle faveur non moins distinguée que la )> première , celle d'être remboursé tous les ans, » sm' ses mémoires , des dépenses que lui oc- » casionnaient ses travaux et ses recherches , » dépenses qui s'évaluaient annuellement à plus ). de liîOO f. » M.Groult ne borna point ses études à celles de la législation maritime , il était aussi versé dans les sciences exactes et dans l'histoire naturelle , et on lui doit à ce sujet plusieurs mémoires. — 2/i5 — Mais c'est assez vous entrelenlr de ses vastes connaissances et de ses infatigables recherclies ; ce n'est pas seulement par là que M. Groult a laissé dans Cherbourg de si honorables souvenirs ; il n'aurait jamais écrit une ligne , que la simplicité de ses mœars, sa bienfaisance inépuisable, sa constante sollicitude pour le bien des pauvres et son activité à les secourir , suflfu'aient seules pour faire bénir sa mémoire. Les qualités du cœur égalaient en lui celles de Vesprit; elles se prêtaient un mutuel secours. Nous l'avons vu, dans des tems de disette, essayer des procédés écono- miques pour nouri'ir les indigens, et , chose ad- mirable , se soumettre lui-même à ce régime , pour donner un salutaire exemple et forcer ainsi les pauvres à l'imiter. Je m'arrête , Messieurs , et je forme le vœu qu'une plume mieux exercée consacre à la mé- moire de cet homme de bien un éloge qui soit digne de lui ; que ceux d'entre vous qui l'ont connu long-tems et qui ont été à même d'appré- cier ses vertus, en perpétuent le souvenir par- mi leurs concitoyens. Il me reste à parler du sixième fondateur , M. P." Fréret. Cette famille a fourni à la ville de — 244 -^ Cherbourg plusieurs artistes distingués. Le goût des arts semble fixé chez elle d'une manièie immuable depuis plus d\m siècle ; il en existe encore aujourd''hui deux membres dont Tun fait partie de votre société , mais ne peut en parta- ger les travaux , à cause de son grand âge et de ses infirmités (i) J^ai dit que Torigine de cette société remonte à Tannée 1775. Dans cette même année, MM. P.Delair, prêtre ; Duhommel , maire-échevin , et Dalleaume , médecin , furent reçus membres de la société. Uannée 1756y ajouta les noms de MM LeTré- cher ; Despailbéres, prêtre, etLeMière, également prêtre , né à Bricquebec , qui fut reçu le 22 avril , dit la notice , après avoir prêché avec applaudissemens le carême dans notre église. En 1767 , la société s'accrut d^un grand nom- bre de membres ; quinze noms furent inscrits sur son tableau. Le premier qui se présente estcelui de Guillaume de Bricqueville , ancien major de la milice du Val- de-Saire, né à Bretteville en 1690. (i) Depuis la rédaction de ce rapport, la société a eu à regretter la perle de M. Fréret. — Mii — Sa famille est une des plus anciennes de France. Guillaume de Biicqueville , en 1096, fui au nombre des gentilshommes normands qui sui- virent le duc Robert-Courte-Heuze à la Terie- Sainte. Llîistoire fait mention d\m François de Bric- queville , né à Colombières , en Basse-Nor- mandie , d\me noble et ancienne maison qui servit avec distinction sous le règne de François 1.*^"^ , Heiui 8 , François 2 et Charles 9. Il fut , avec Montgoramery , le plus intrépide soutien de la cause protestante, et mourut sur la brèche de S t Lo, en 1374. Plusieurs autres ancêtres dé M. de Bricqucville se distinguèrent dans la marine et dans les ar- mées de terre. Ses neveux ont prouvé que le courage était héréditaire dans cette famille. Il en est peu qui puissent se glorifier d^allier les souvenirs des Croisades à ceux de la Mos- cowa. Lorsque nous parcourrons les mémoires qui existent dans vos archives, nous rencontre- rons un document très remarquable , relatil à la famille de M. de Bricqueville et que je ne __ 24G — ferai qu'indiquer ici : c'est une dissertation ten- dant à établir sa parenté avec la famille des Bour- bons. Suivant M. Dechantereyne , auteur du mémoire, Guillaume de Biicqueville , dont nous nous occupons en ce moment, aurait été au 2».* degré avec Louis XVI. Plus tard , nous exa- minerons le mérite de cette discussion , et nous vérifierons ses titres à notre confiance. Cherbourg a vu naître, et la société acadé- mique s'honore de compter parmi ses membres un de ces hommes rares qui surent allier les talens aux vertus , le com^age et la fermeté à la plus douce modestie , un autre Fénélon qui ne crai- gnit point de dire la vérité aux rois , en face de leur ti'ône , et dans un tems où la loi n'opposait aucune barrière aux caprices et aux rigueurs du despotisme. Déjà , MM., vous avez tous nommé l'abbé Beauvais , évêque de Sénez. Ce vertueux ecclésiastique naquit à Chei- bourg en 1731. Ses talens pour la prédication lui valurent l'honneur de prêcher devant Louis XV. L'histoire a enregistré ces paroles mémo- lables qu'il osa adresser au roi : «. Sire , lui dit- )) il , mon devoir de ministre d'un Dieu de vé- » rite m'ordonne de vous dire que vos peuples » sont malheureux , que vous en clés la cause )) et qu'on vous le laisse ignorer. » — 247 — Il ne peut entrer dans le cadre que je me suis tracé , et il serait d'ailleurs inutile de vous parler longuement de M. de Beauvais, comme prédica- teur et comme évèqiie : sous ce rapport , son nom appartient à la France toute entière , et des notices imprimées en tète de ses ouvrages , de nombreuses biographies vous en apprendront là- dessus bien plus que je ne pourrais le faiie. Ce qu'il m'en reste à dire concerne particulièrement la ville de Cherbourg. Quand il s'agit d'un hom- me illustre , les moindres particularités inté- ressent surtout ses concitoyens , et peut-être n'entendrez-vous pas avec indifférence quelques détails qui seraient déplacés dans un ouvrage biographique. J'ai d'abord considéré comme uu devoir de fixer d'une manière positive un point encore incertain dans quelques biographies relativement au lieu de sa naissance. Quelques-uns citent Cherbourg , d'autres Tourlaville ; j'ai consulté le registre des naissances de la ville de Cherbourg pour l'année 1731 , et il en résulte que Jean-Baptiste-Charles" Marie de Beauvais , né le 10 décembre 1731 , en légitime mariage du Sieiu Jean-Baptiste Beauvais , bourgeois de Paris, et de Charlotte Luce, son épouse , a été baptisé le 13 du mémo mois dans l'église de Cherbourg , par Le Héritey , — 248 — curé. La contradiction qui existe entre plusieurs biographies s'explique facilement : la famille ma- ternelle de M. de Beauvais était originaire de Tourlaville , et même il paraît que sa mère vint habiter Cherbourg peu de tems avant sa naissance. On ignore le lieu où il passa ses premières an- nées. Voici seulement ce que je trouve dans une notice imprimée en tête de ses sermons, en 1807 : « son père , avocat au parlement de Paris , » s''appliqua lui-même à former ce fruit unique » de son mariage. Sa mère , Chai^otte Luce , » n'oublia rien de soncôté pour lui inspirer tous )> les sentimens de piété dont elle était pénétrée ; j) mais voulant lui donner une éducation plus » complète , plus digne de remplir leurs vœus et » leurs espérances y ils quittèrent Tun et l'autre » leurmodeste domicile, et vinrentse fixer àParis, )> où ils le mirent au collège d'Harcourt . » Depuis cette époque jusqu'en 1776 , je n'ai pu recueillir aucuns renseignemens sur les rapports que dut avoir l'abbé de Beauvais avec son pays natal. Dans cette dernière année , il vint à Cher- bourg , et il assista à une séance publique de l'académie, qui eut lieu le 25 septembre. Le compte rendu de cette séance dit que Monsei- gneur l'évêque de Sénez la termina par un dis- — 249 — cours éloquent dicté par Tamour de la religion , de la patrie et de l'honneur , devise de cette société. Je terminerai ce qui concerne M. de Beauvais par une note que M. Tabbé Démons a bien voulu me remettre à ce sujet. '( L'évêque de Sénez est connu par ses ou- » vi-ages. On a de lui un recueil de sermons ( 4 » vol. in-i2 ) remarquables par la douceur et la » puielé du style. On a aussi de lui des orai- )) sons funèbres ; la plus remarquable est celle )» de Louis XV. , qui a été traduite en anglais )) et que j'ai lue. » Le père de M. de Beauvais demeurait dans » des chambres au-dessus d'un tonnelier , eia )• face de la maison de madame Sturmer , à )) Tangle de la rue du Nord ; on croit que c'est )• là qu'est né M. l'évêque de Sénez. » M. de Sénez plut infiniment aux habitans de » Cherbourg , lorsqu'il y confirma , par sa piété » et par la manière touchante et distinguée avec )i lesquelles il prêcha plusieurs fois. Il fit des visites )i à presque tout le monde, et surtout à ses an- )' ciennes connaissances avec une politesse, une )> simplicitéet une amabilité qui charmèrent tout — 250 — )) Cherbourg. 11 logea dans la maison de madame » veuve Mancel, actuellement la propriété de M. » Noël-Agnès. Mademoiselle Luce, sa tante, que i> j'ai bien connue , demeurait en face. « M. de Sénez fît l'ordination de la tonsure. 1» Cinq aspirans à Tétat ecclésiastique la reçurent, )> entr'autres M. Dancel, évêque de Bayeux et » membre adjoint de cette société. »> L'année 1769 nous offre un nom moins cé- lèbre , mais qui a laissé d'hon orables souvenirs dans les diverses parties de notre province, puisqu'il appartient à im membre distingué des trois académies de Rouen , de Caen et de Cher- bourg. Vous avez , MM. , connu presque tous M. Vastel. Sa perte a causé parmi vous d'unanimes regrets , dont l'impression est loin d'être effacée. S'il m'était donné de peindre dignement son caractère, son amabilité, sou savoir, ceux d'entre- vous qui ne le connaissent que de nom partage- raient, j'en suis sûr, ces justes regrets. M. Vastel possédait des connaissances très variées ; les langues grecque et latine lui étaient également familières , et son intelligence s'élevait jusqu'aux théories les plus transcendantes des — 2ol — mathématiques. Versé dans la science du droit , dont il avait fait d^abord une étude approfondie, il cultivait aussi les muses avec succès. La phy- sique , la chimie et la botanique furent souvent Tobjet de ses études , et ses travaux en agricul- ture lui valurent le titre d^associé honoraire de la société royale d'Auch. Avec des lumières aussi étendues , M. Vastel dut attirer Tattention des divers gouvernemens qui se sont succédés depuis 4o ans ; aussi voyons- nous qu^il occupa avec distinction plusieurs places importantes. D^abord, avocat au parlement de Paris ^ en- suite secrétaire de l'intendance de Caen , chargé de diverses missions pendant les tems orageux de notre révolution ; enfin , appelé par le gouver- nement impéi'ial à la direction du lycée de Caen, à Tépoque où ces écoles furent organisées , AI. V astel s'acquitta de ces fonctions avec un zèle aussi actif qu'éclairé. J'ai été à même d'apprécier les qualités de M. A astel comme proviseur ; il était strict observa- teur du règlement et pardonnait diflicilement les fautes graves ; mais sa sévérité était tempérée parla justice, et personne n'avait le droit de s'en plaindre , puisqu'elle était toujours motivée — 2o2 — et impartiale. Les élèves de Cherbourg conser^ veront toujours le souvenir des attentions dont ils étaient particulièrement Tobjet. Non qu'il fit pour eux le saciifice de son impartiale sévéïité : loin de là ; dans l'intérieur de rétablissement , sa surveillance et ses soins se partageaient égale- ment entre tous les élèves ; mais il recevait sou- vent chez lui ses jeunes compatriotes ; il les admettait à sa table , à ses promenades particu- lières , et ne dédaignait pas de leur donner lui- même des leçons. Il aimait particulièrement à les exercer sur les mathématiques , et plusieurs d'entre eux lui doivent peut-être le goût qui les a dirigés plus spécialement vers l'étude de cette science et les succès qu'ils ont obtenus par la suite. En rendant à la mémoire de votre ancien col^ lègue un hommage qui ne saurait manquer dtr vous plaire , je suis heureux , MM. , d'acquitter en môme tems la dette de la reconnaissance j cette dette m'est commune avec mes anciens camarades qui partagent mes sentimens , et qui me sauront gré , sans doute , de m'en rendre l'interprète en cette occasion. Si vous jugez ces notices dignes de votre inté- rêt, je les continuerai, MM. , dans une prochaine séance. atu^u. Ne nie saluez plus tlti doux nom de poète : Il n'aura pas de lendemain Le jour dont je vois l'aube , hélas ! et de ma main S'échappe ma lyre muette. Décevante immortalité , A tes songes flatteurs ne me fais plus sourire. Vainement sur tes pas mon cœur est emporté : Un nuage épaissi me voile ton empire ! Mon espoir est déshérité ! Néant, vie et fatalité, Quel œil percera vos mystères ?..r La mobile célébrité M'offrit ses palmes éphémères ; Et , brûlant de les conquérir , Je m'enivrai de ses chimères , Et ses chimères font mourir !..; — 254 — O du siècle mouvante arène ! Séduit par son éclat, j'avais, jeune insensé , Empreint de quelques pas sa surface incertaine ; Une vague est passée elle a tout effacé! Du beau mois où naissent les roses, Pour la dernière fois, j'admire les couleurs ; Pour la dernière fois, j'admire de ses fleurs Les brillantes métamorphoses. D^un ruisseau suivant les erreurs , Je ne foulerai plus l'herbe de nos prairi«s , Depuis l'heure où des bergeries Sortent joyeusement et troupeaux et pasteurs , Jusqu'à l'heure où s'endort la faux des moissonneurs. De nos collines tant chéries. Soleil ! je ne dois plus te voir Descendre lentement dans la pourpre du soir : Egarant dans les bois mes vagues rêveries , Sous le chêne sacré je n'irai plus m'asseoir. Loin de moi , vous croyez encoi'e , O mes parens/ qu'il est vaincu, Le mal brûlant qui me dévore : Tu le crois , bon vieillard , et ton fils a vécu ! — aaa — En vain donc l'avenir, dès mon adolescence, A mon œil inquiet se dorait d'espérance ! Du calice des jours le nectar enchanté S'éloigne, et de mes vers qui , du sombre Léthé ; Quelques siècles peut-être eussent bravé l'outrage , Sur l'abîme des tems vers la postérité Ne doit pas flotter une page. A pprochez , a pprochez , ô mes jeunes amis ; J'entrevois la lugubre plage, J'achève les momens que le ciel m'a commis. Adieu , troupe fidèle ! adieu ! . . . Rêvez encore A ces magiques plans de révolutions Qui, sans ébranlement, du couchant à l'aurore , Doivent faire , à l'abri du drapeau tricolore. Asseoir toutes les nations. De ce trésor de poésie Savourez la mâle embroisie : Sacrifiez toujours.... toujours au même autel. Honte à qui déserta la cause populaire Et ce but généreux : bonheur universel ! Un si doux avenir n'est pas une chimère Un mourant est prophète , et je meurs et j'espère ! JcLiEN Travers , principal du collège de Falaise , associé-correspondant. STATUTS delà Société royale académique ï>( €\)evbonv^. Article premier. La société royale académique est composée d'associés titulaires et d'associés correspondans. ART. 2. Les associés titulaires seuls ont voix délibéra- tive , lorsqu'il s'agit d'élections ou d'affaires re- latives à l'organisation et au régime de la société. ART. 5. Les associés titulaires sont ceux qui ^ domi- ciliés dans la ville de Cherbourg, ou dans l'ar- rondissement, à la distance d'un myriamètre , contractent l'engagement d'assister habituel- — 2i>7 — lement aux séances de la société. Ils son! au nombre de 24. Si quelqu^in des titulaires fixe son domicile à une plus grande distance , il passe dans la classe des correspondans , et vice versa ; les associés correspondans deviennent associés titulaires par le fait de leur domicile à Cherbourg ou dans la distance ci-dessus indi- quée ; dans ce cas seulement, le nomlae des associés titulaires pourra dépasser celui de 24. ART. 4. La société a trois officiers : un Directeur , un Secrétaire et un Bibliothécaire -Trésorier. ART. 5. Le Directeur préside aux séances , pose les questions, recueille les voix, dépouille les scru- tins, proclame les résultats , porte la parole au nom de la société , et rend tous les ans, à la der- nière séance publique , un compte abrégé des travaux de Tannée. ART. G. Le Secrétaire rédige les procès-verbaux des séances et les délibérations de la société ; il est chargé de la correspondance. 18 ART. 7. Le Bibliothécaire-Trésorier a la garde des anciens registres , des titres , papiers , lettres , mémoires , livres , médailles , instrumens , objets d'histoire naturelle et meubles appartenant à la société ; il en reçoit les revenus , et paie les dépenses sm^ un mandat du Directeur. ART. a. Le Directeur, le Secrétaire et le Bibliothécaire sont élus à la pluralité des voix, chacun par un scrutin séparé. Ces élections se font après la dernière séance publique de Tannée. Le Direc- teur est élu pour un an ; le Secrétaire et le Bi- bliothécaire le sont pour trois , et tous ti*ois peuvent être réélus. - ART. 9. Les candidats sont proposés par le bureau composé des trois officiers ; ils peuvent Têtre dans une séance ordinaire ; mais tous les titulaires doivent être convoqués ad hoc pom^ la séance de leur élection. L'assemblée ne peut délibérer , hoi^s la présence de la majortié de ses membres titulaires. Il faut aux candidats , pour être ad- mis , les trois quarts des suffrages des membres présens. — 2o9 — ART. iO. La société n'admet dans son sein que des liommes déjà connus du public par quelqu''ouvrage estimé , ou par quelque production présentée à la société et qui ait mérité son approbation. ART. 11. Toute délibération se lait au scrutin , à nioins que la société n''ait manifesté le voeu contraire. ART. 12. La société se révmit en séance particulière le premier vendredi de chaque mois , à six. heures du soir. ART. 15. Les personnes étrangères à la société ne sont admises à ses séances particulières , que lors- qu"'elles sont présculces par quelqu'un de ses membres , ou qu'elles ont à lui communiquer quelque ouvrage ou quelque procédé utile. ART. 14. Une séance publique a lieu tous les ans dans le mois de novembre ; les mémoires lu5 dans cette séance doivent avoir été lus dans ime séance convoquée ad hoc , et adoptés au scrutin secret. — 2G0 — ART. 13 Elle entend , dans ses séances particulières, la lecture de tous les mémoires qui lui sont sou- mis ; elle admet la discussion sur toutes sortes de matières, en tant qu''elles ont rapport aux belles lettres , aux sciences et aux arts. ART. IG. Tout ouvrage lu aux séances soit publiques, soit particulières , est déposé aux archives. ART. 17. Nul des m.embres de la société ne peut prendre le titre d'associé à la tête de ses ouvrages , s'il n'en a obtenu l'autorisation formelle. Des Membres de la Société académique de Cherbourg, depuis sa fondation en 1755. "N.os Années tlor.li». - Avoine-de-Chantereyne , rece- veur de l'amiral, fondateur. 5 - )) - Voisin, Jean-Thomas, professeur d'ydrographie, 1 .^"^ secrétaire. 6 _ » _ Freret , Pierre , artiste, fondât.' 7 - » - Delair, Pierre, prêtre,, de Caen. 8 - )) - DuHOMMÉEL , le chevalier, maire, échevin de Cherbourg. 9 - » - Dalleaume, J."- Pierre -Louis 5 médecin , de (]aen. X os Anuéa d'ordr» Jerécepti.n. NOMS , PRENOMS ET QU A LITÉS. 10 - 1706 - Letrecher-DespalliÈres, prêtre. 11 - » - LemiÈre, pi'être, de Bricquebec. 12 - 1767 - Debricqueville , G. '"^-Antoine, seigneur de Bretteville. i3 - » - Levallois , Pierre , négociant , d'Honfleur. i4 - » - CouEY DuLONGPREV , négociant, de Cherbourg. 35 _ ), _ Groult-Desnolettes , (vhirur- gien-major, de Cherbourg. iG - » - Hle DE Caligny , ingénieur en chef à la Hougue. ij _ ), _ DiONis DE UAuBÉPiNE, président desT."' Foraine, à Cherbourg. 18 - » -r- Corbet ( le révérend père) cor- délier, de Coutances. ig - )» - Thierry , prêtre , de Cherbourg. 20 - » - Brotin , curé de Querqueville. 21 _ » - Blanchard ( le révérend père don Antoine ) , bénédictin. 22 - )) - PorrTEVix\ de Beuzeville , pror Icsseur d'hydrograpliie. K os Aiii'-«cf J'ordrf. 6f - 1807 6") - » 66 - i) 67 - )> 68 » Cherbourg, 9, - D'AuvERs , le chevalier , ollicier au régiment de Bourgogne , infanterie . - D'Offreville, olUciei- de la mai- son de Monsieur, frère du roi. V AN DES Amories , négociant hollandais . Blojvdeal! , de Tacadémie de la marine. NoEL, Galjriel, conducteur prin- cipal des ponts et chaussées , plus tard maire de Cheibourg, - Maugras , lieutenant de fiégate. - HuET DE GuERviLLE , avocat au parlement de Rouen. - Delaville, Pierre-Joseph, mé- decin , maire de Cherbourg. - Delaroque , Henri , membre du conseil général du départem.' - (^ABART , prêtre, administrateur de riîospice. - Duché v r e l 1 l , propriétaire à Equeurdreville. - Cachia , inspecteur général des ponts et chaussées. N ni A nii9PJ> «lui, lie. J. riceptLou. ? - Javain , lieutenant colonel du génie. 75 - )) rr Lemagnen , sous-préfet de Va- lognes. 7() - ), - De Montalivet , directeur gé- néral des ponts et chaussées 77 - » - (Collet Descoltils , docteur en droit. 78 - ). - Delatouk Maubourg , Victoi- , comte de Fay , gouverneur de la 14/ division militaire, à (>herbourg. 79 - n - AsselinDuvey, adjointau maire. Ho - i8(i8 - Jmstache , ingénieur des ponts. et chaussées , à (>herbourg. N.os Arin«c< d'oiaro. lie riii-i,iinii. NDiVlS , PKKNOMS ET QUALITÉS. 81 - 1808 - FouQUES DuPARc , ingénieur des ponts et chaussées, à Clier- bourg. 82 - )). - Haudry , ingénieur des ponts et chaussées , au Havre. 85 - )) - Berigny , ingénieur des ponts et chaussées , à Dieppe. ^4 - )> - Soleil , capitaine de vaisseau. 85 - )) - Fleury , de Cherbourg, mé- decin delà marine, à Toulon. 86 - )» - FrÉret , Louis , de CherJjourg , peintre d"'histoire naturelle. - Ebinger , curé de Cherbourg. - Pelouze. » - Dancel , curé de Valognes. - Geoffroi , bibliothécaire à Va- lognes. - Clément , secrétaire général de la préfecture , à S.t-L.o - 1?INEL, docteur-médecin, à Cher- bourg,. - Lambert , de Cherbourg , cha- noine honoraire à Poitiers. - Dupont Poursat , évê(|ue de Coutances. 8,7- » hS - » 89- » ç)0 - )) 91 - )) 9'2 - » 95 - » 9i- )) N.os Années d'orare. Je réception. NOMS , PlîÉNOMS ET QUALITÉS. g") - 1808 - MarionDelamartiniÈke, Charles- Louis , à Cherbourg. 96 - )> - Truffert , ancien professeur à rUniversité de Paris. 97 ~ )> - Leherissier de Gerville , anti- quaire à Valognes. 98 - 1809 - De Bossi , préfet de la Manche. 99 - i8iO - Cauchy , ingénieur des ponts et chaussées , à Cherbourg, phis tard membre de Tinstitut. 100 - i8ii - Lair , Pierre-Aimé , secrétaire perpétuel de la société d^agri- culture , à Caen. loi - i8i5 - Lechevallier , bibliothécaire du Panthéon. 102 - i8i5 - Letertre , Julien , professeur au collège de Coutances. io3 - )) - B0NNISSENT , médecin , aujour- d'hui sous-préfet de Cherbourg. 104 - 1817 ~ Tombe, chef de bataillon du génie militaire . io5 - » - CouppEY , juge au tribunal do I.'* instance. 106 - » - SivARD DE Beaulieu , adminis- trateur général des monnayes , à Paris. N-ot A Hné*i d'or.Ir.. .Ir r - Lemonnier , professeur d'hydro- graphie , à Cherbourg. loi - X - AssELiN , Charles-Edouard, doc- teur-médecin , à Cherbourg. iSa - » - Delachapelle, Edouard, avocat, régent au collège de Cherbourg i33 - » - Ragonde , régent au collège de Cheibourg. i54 - » - (^ahart , docteur-médecin à S.t- Piej'ie-Eglise. N.oi Années d'ordre, de réception. NOMS, PRÉNOMS ET QUALITÉS- i35 - i83i - DuMONCEL,lieut.-coloneldii génie i36 - i832 - Plivart, directeur de rardllerie, à Cherbourg. 187 - ») - Decaumont, membre de plusieurs sociétés savantes , à Rouen. i38 - » - Bataille , directeur du jardin des plantes , à Avranches. i3g - » - JouAN, Casimir, secrétaire p.* "^ du préfet de la Seine. i4o - » - Lechanteur de Pontaumont , à Paris. i4i - i833 - Gattier, préfet de la Manche. 142 - » - Henry , de Cherbourg , commis- saire des musées royaux , à Paris. 143 - » - HuvÉ , architecte du gouver- - nement , à Paris. r î Jrtm'i4.'tx L^l'l'lH.'l». 0)\av^ (a*, vil'. LTUxi. Jltllt . :7. /ti /.-r ;<> V .■r Jy. s ^o /j -Ao XA %S. 1 II y 1,1 /S io U 0/ S /c. /à. il). US io. ,)" /^ '^' /« ^J? . 3/ 1 ! /a i /à i :/J. .% •io (Plu'tlKHlta 1 - ! ;!« i — 1 — — 1 1- ï i ! V / é. û i ■ j A / /U/v^\ . ? 4 A -^Aa^ 1 ■ 1 ■ A k Kl ^^. ,A 'i\ A' > ^ r^ yj •^' \ ' \ 1-^ g A '■ \ Aa ^^-^ ^^ ^A-py \ K , 1 ^V . V V_y V vv 1 ^ 1 ^U 7v IV- 1 ' 1 -^:\b:\ À ^ kV r r 1 1 V |/ V V 0 Av ^ y V U ' » 4 1 1 1 1 1 1 ! ! r 1 1 PattA 1 L . V - i % 1 ' ' 1 i. 1 i' l /( /-\ 1 ^ A A. i a/ WA } S - h^ / '\ /. ,A /Vi* Va. A /^ ^w^-\ ^AA^ r\ ,r" , r^ \^ A A- r\ /^^ \ ^ / \ r V r\r 'V r V /'V_/ 1 r \/ 1 ' k A f^\ . J. - r i V V -> < v^ / \ / V y V r V i i' y~\^j vvvv ■ 'v V o / . -j 1 1 i J • 1 i 1 ! i ' . 1 1 - ! ' i j ! i 1 . L ■ 1 ; ' ^ 1 1 1 -- i 1 1 i 1 1 1 • 1 — f kt. -4 ^.urc^-i. â. /Il /.i Uo ;i.i 31. .■; /(t /A Ho. ?.f .3/. .i. /a /S 3t> 3S So. .f /o. /S io. iS 3/ .A / .) /r> /,,- y '' V,< .1/. ■lu lit H il HluA 1/w^A, n /o /S. 4 1— i -J u METEOROLOGIE. Observations Météorologiques comparées à Chei-bouri^ et à Paris , •Or.-:: ■:■. ■ A l'heure de midi, pendant l'aivivée 1831. TEMPER ATmUB . La température moyenne de midi , pourPannée 1851 , a été de 12." à Cherbourg et de 11 à Paris. A Cherbourg , le thermomètre , à midi , s'^est toujours maintenu au-dessus de 0. A Paris, il est descendu à i.°, le 31 décembre. Dans la première ville, il est monté à 21." Dans la deuxième , il est monté à 24. Le tliermomètre ne s'est élevé à 13.° et au- dessiis que dans les mois Je mai à octobre. Le nombre de joiirs^ durant ces 6 mois, pendant lesquels cette élévation a eu lieu , est à Cher- bourg de 13G , et à Paris de 128. BAROMÈTRE . b 1 La hauteur moyenne a été , à Cherboui de 2 lignes au-dessous de 28 pouces. A Paiis elle a été de lya ligne au-dessous 28 pouces. Le plus grand abaissement a été , à Cherbourg , de 12 lignes au-dessous de 28 pouces, le vent au S.-E. et le tems pluvieux Le même jour , à Paris , il n'a descendu qu'à 8 lignes au-dessous de 28 pouces , vent au S.-E. et tems nuageux : c'est le point le plus bas. La plus grande élévation , au-dessus de 28 pouces , a été de 3 lignes dans les deux villes , sous l'influence des vents d'E. et de N.-E. , tems nuageux. VENTS. Sur 365 jours leventdeN. a souillé à Cherbourg 5b j. 64 à Paris N.-E. E. S.-E. - S. S.-O. o. N.-O. 4 89 52 i5 38 36 44 18 37 61 75 59 35 365 365 £tat de XiAtmosphèxu:. SoleilsansnuageSjàCherbourg, 64j. 1/2 , à Paris 25 iya Soleil nuageux et cielid. Temps couvert , Brouillard, Pluie , Neige, Tonnerre, i53 1/2 1/3 93 1/2 14 J/2 87 ]/2 1/3- 1/2 1/3- 365 i65 64 38i/a 70 1/3 1 1/2 365 Les brouillards ont été plus communs, cette année, que de coutume : ils ont particulièrement régné dans le mois de mai , accompagnés d'un vent de N.-E. froid, qui a été funeste aux pommiers. Hi-' y h- I É f ^: