m n 1 MÉMOIRES DE LA f r SOCIETE ROYALE ACADEMIQUE DE CHERBOURG. ^ ^. g^/. ^^'saicftceafio» 4 MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ ROYALE ACADÉMIQUE DE ciierbouik;. ClIEBBOtJUf.:, IMPKI.^IFJUE DE TITOIVIINE, RITE TOUR-CARRÉE. 1815 LISTE DES f f MEMBRES DE LA SOCIETE ROtALE màWm DE CIIERKOVRG. . Aiâsoclés Vitulaires. BUREAU. Directeur M.Lefebvre, direcleurdesconslruclions navales. Secrétaire M. Edouard Dehichapelle , avocat, docleur es lettres, ivgont au collège. Tréwrier- archiviste, M. Noël^Agiiès , maire de Cherbourg. MEMBRES. MM. Claston, ancien principal du coll(^ge. Asselin, ancien sous-prélet. Bonnissent, ancien sous-préfet. Couppey, juge au tiibunal civil. Leroux, Victor, ingénieur en chef des ponts et chaussées retraité. Delachaj)ellc, Pierre-Adrien , ancien pharmacien. Tr tISTK DKS MEMBRES MM. Obcl, docloiu-métlcciii. Lcnionnici', professeur d'hydrographie. Asselin, Charles, docieur en médecine. Coniic du Moncel, niarcchal-dc-camp du génie. Lechanieur de Poniauniont. Vérusnior, lioninie de leiires , rédacteur du journar le Phare de la Manche. Boniiissent, Olympe. Dcmondésir, lieutenanl-colonef , directeur du génie. Daviel, sous-direclour des constructions navales. L'abbé Menard, principal du collège, oflicier de l'U- niversité. Du Moncel, Théodosc. Menant, Joachim , avocat. Lemaislre , sous-préCct de l'arrondissement de Cher- bourg. Lauvcrgne, médecin en chef de la marine, professciu-. Associés Corresiiontlants. MM. De Gervillo, à Valognes. Caurhy, membre de l'institut, à Paris. Lair, Pierre-Aimé, à Caen. Le Tertre, bibliothécaire à Coutances. Bretocq , directeur des constructions navales en retraite. De Lagaiinerie, commiss. général de la marine au Havre. J)urand, commissaire des poudres et salpêti-esh Tours. Frimot, ingénieur en chef des ponts cl chaussées à Paris. Travers, professeur suppléant à la fi\culté de Caen. Ancelot, membre de l'académie française. Lachaisc, architecte à P^ris. i-Vstourmel, ancien préfet de la Mariclu;. DE LA SOCIliTli. VII MM. Sanison, ancien major au 64'^ de ligne. Daniel, recteur de l'académie de Caen. Laurent, ancien chirurgien de marine à Cherbourg. Cabart, docteur-médecin à Saint-Pierre. Plivart, ancien directeur d'artillerie h Cherbourg. De Caumont, membre correspondant de l'institut. Bataille, directeur du jardin des plantes à Avranches. Jouan , Casimir, directeur des mines au\ monts Altay. Gatticr, ancien préfet de la Manche. Iluvé, architecte, membre de l'institut , à Paris. Delalontaine de Vaudorc , conseiller à la cour royale de Poitiers. Le Bruman , s. -inspecteur des écoles primaires à Angers. Quesnault, avocat général à la cour de cassation. De Givenchy, h Saint-Omer. Pelouze, professeur de chimie, h Paris. De Tocqucville, Alexis, membre de l'académie fran(.'aise et de l'académie des sciences morales, h Tocqucville. L. Dubois, ancien sous-préfet. Ilouël , Ephrem , directeur du haras. Virla, ingénieur en chef des ponts et chaussées. Lamarche, capitaine de vaisseau en retraite, hSaint-Lo. llouël père, à Saint-Lo. De Montalivet, pair de France. Viel, curé de Sourdeval. Escher, sous-intendant militaire à Caen. J. Dufresne, ingénieur des ponts et chaussées à Orléans. Le Maître, receveur de rcnregistrement h Avranches. Edom, inspecteur de l'académie. Moulin, avocat h Paris. Bailhache , professeur de rhétorique à Vulognes. De Brebisson, professeur à Falaise. ^''" Ï-ISTE DES MEMBRES DB LA SOCIÉTÉ. xMM. David, ancien professeur do rhétorique à Cherbourg. Fallue, Léon, à Rouen. Bonnet, préfet de la Manche. Charma, professeur de philosophie h la faculté des lettres de Caen. J^OTICE SUR M. JAVAIN, PAR M. NOEL-AGNÈS, Lue à la séance de la Société académique en 1840. MESSIEURS, Nous avons ^ déplorer la mort récente d'un de nos confrères. Permettez-moi de vous rappeler quelques-uns des litres qu'il a laissés à notre osiinie et à notre affection. Depuis plus de dix ans , j'étais lié avec M. Javain par des rapports administratifs qui m'ont mis à môme d'appré- cier toute l'excellence de son caractère et de son esprit. J'ai fait également partie de votre bureau avec lui pendant plusieurs années. C'est donc pour moi un devoir de vous exprimer nos regrets communs, et do vous faire connaître une portion de cette vie si pure , (|ui vient de s'éteindre parmi nous. Paul-Honoré Javain, né à Saint-Julicn-du-Sault , dépar- tement de l'Yonne, le 8 août 1770, entra dans le génie militaire à l'âge de 22 ans. Il était capitaine dans cette X NOTICE StR arme lorsqu'il fui envoyé à Cherbourg en 1800. Son séjour y fut de courte durée ; mais il y revint 2 ans après, cl ce fut alors qu'il s'allia avec l'iuic des familles les plus res- pectables de cette ville. M. Javain fut nommé chef de bataillon au choix. C'était le lendemain de la bataille d"Austerlitz, à la suite d'un fait d'armes qui mérite d'être cité. La veille de cette bataille célèbre, M. Javain était atta- ché à un corps d'armée qui no devait pas donner, et qui était placé derrière une rivière profonde. L'Empereur ins- pectant tous les corps, visiiant toutes les positions , consi- déra celle-ci comme imporiantc. Il demanda au général en chef un officier du génie pour construire une tète de pont. Le capitaine Javain fut chargé de ce travail et l'exé- cuta dans la nuit. Le lendemain, un corps de l'armée ennemie se porta précisément sur la position qui avait fixé le re- gard du grand capitaine. Ce corps fut repoussé, et le travail de la nuit contribua beaucoup h cette défaite. Le lendemain de la bataille, l'Empereur se fit présenter la liste des récompenses. Il demanda le nom du capitaine qui avait fait la téic de pont, et comme il ne se trouvait pas sur cette liste , il ordonna qu'on portât M. Jaivaiu comme chef de bataillon. De Ih, il reçut un ordre de service pour Wescl, où il resta jusqu'en 1812. A celte époque , il fut nommé chef de l'état-major du génie au corps de l'Océan, et bientôt il fut promu au grade de major, remplacé plus tard par celui de lieutenant-colonel. M. Javain exerça successivement l'emploi de direcieur des fortifications h Wesel, au Havre et à Abbeville. Mais en 181 G, il préféra revenir à Cherbourg comme ingénieur en chef, et il y remplit ces fonctions juscju'en 1828, époque >i. J A VAIN. Xf il laquelle il fui nommé colouci directeur. Deux aus après, il était admis à la retraite. M. Javaiu comptait alors 39 ans et 10 mois de services effectifs. Il avait fait 22 campagnes, dont 9 à la grande armée. Son temps de service équivalait par conséquent à 61 années, plus qu'il n'avait d'âge an moment de sa retraite Je laisse à des juges plus compétents le soin d'apprécier, comme ingénieur, celui que nous regrelions. La réputation qu'il laisse à cet égard est honorable , et se justifie facile- ment par l'avancement rapide qui l'éleva de jeune âge aux grades supérieurs. Il fut aussi chargé de plusieurs missions et de commandements importants , qui supposaient une grande confiance de la part du gouvernement impérial ; et on sait que ce gouvernement était difficile dans l'apprécia- tion du mérite militaire. Au moment où la révolution de juillet éclata, M. Javaiu venait d'être mis en retraite. Les fonctions qu'il avait remplies, pas plus que son caractère, n'avaient pu le ran- ger précédemment dans cette opposition qui semblait natu- rellement appelée à la direction des affaires. Cependant M. Javaiu reçut, dès les premicis jours, un éclatant témoignage de la confiance de ses concitoyens. £1 fil partie de cette commission municipale qui fut formée par voie d'élection, et sa nomination eut lieu à une grande majorité. Bientôt le gouvernement confirma ce témoignage de reslimc publique , en l'élevant aux fonctions de maire, qu'il remplit jusqu'au mois de juillet 1833. Appelé à le seconder dans l'exeicice de celle magistra- lure, j'ai été le témoin journalier de ses efforts pour faire le bien qui était dans son cœur. Les temps étaient difficiles, les passions agitées ; un autre étal de choses lîxigeait de& XII NOTICE SUR mesures nouvelles ; il fallait organiser de nouveaux services, pourvoir à l'oxocuiion de plusieurs lois compliquées. Il lallait surtout résister aux exigences des hommes ardents, qui veulent arriver promptement îi un but honorable , mais souvent impossible, et qui ne tiennent aucun compte des positions ni des difïîcullés. M. Javain était doué de qualités admirables pour des temps pareils. Son caractère était éminemment conciliateur. 11 savait céder à propos dans les choses de peu d'impor- tance ; mais quand il s'agissait de grands intérêts sur les- quels sa conviction était arrêtée , sa fermeté était égale à sa modération, et il ne balançait pas à remplir courageu- sement ses devoirs. En 1832, le choléra vint s'appesantir sur nous et multi- plier les embarras de radministration. Rien n'était préparé pour opposer une digue aux ravages de l'épidémie. Il fallait tout créer et prévoir le mal jusqu'au degré d'intensité le plus grand, tel qu'une funeste expérience l'avait indiquée déjà sur plusieurs points du territoire français. M. Javain, quoique affaibli par l'âge et par d'anciennes blessures, nc recula point cependant devant l'accomplissement des pénibles devoirs qui lui étaient imposés. De nouvelles mesures de police furent prises ; des conmiissaires nommés pour chaque quartier en assurèrent l'exécution : on établit une infirmerie h Tivoli, et un service temporaire dut pourvoir aux nécessités du moment. En 1833, M. Javain rentra dans la vie privée; mais il continua de donner à l'administration le concours de ses lumières au sein du conseil municipal et de plusieurs comités dont il faisait partie. Le bureau de charité, qu'il avait aidé h réorganiser en 1839, le comité supérieur d'instruction primaire, la commission chaiilablc des prisons, la commission sanitaire, M. jAVAiN. xnr furciit lémoins de son assiduité ot de son zèle , oi il con- tribua puissamment encore h l'adoption de toutes les amé- liorations proposées. Vous avez pu, Messieurs, apprécier par vous-mêmes Tem- presscment avec lequel M. Javain concourait à tout ce qui pouvait être utile et agréable à ses concitoyens ; s'il ne pouvait plus être un des membres les plus actifs de cette société, au moins était-il un des plus assidus ; il y avait déjh bien longtemps qu'il on faisait partie. Sa nomination date de l'époque où la société, après une longue interrup- tion, fut reconstituée de nouveau : c'était en 1807 ; il était alors chef de bataillon du génie à Wesel ; déjà il appar- tenait à la ville de Cherbourg par le souvenir des missions dont il y avait été chargé à plusieurs reprises , et, plus encore, par l'honorable alliance qu'il y avait contractée. M. Javain fut donc nommé correspondant, et plus tard, lorsque ses fonctions le rappelèrent au milieu de nous, il devint membre titulaire. En 183G, vous le nommâtes votre directeur, et s'il ne jouit pas plus longtemps de cet honneur, c'est que sa modestie l'éloignail de tout ce qui pouvait l'élever au- dessus des autres. Dès la première application de la loi sur les conseils départe- mentaux, en 1833, ses concitoyens lui donnèrent un nou- veau témoignage de confiance , en le nommant, à une grande majorité, membre du conseil d'arrondissement, où il exerça constamment les fonctions de président. En 1837, les mêmes électeurs l'envoyèrent au conseil général, où l'auto- rité de son caractère et de ses connaissances lui acquit de suite une juste inlluencc. Malheureusement sa santé altérée ne lui permit pas .de continuer longtemps ces fonc- tions, et son mandat devant expirer à la fin de 1839, il exprima l'iatentioa de ne pas en accepter ic renouvel- lement. XiIV NOTICE SCR Toutefois, JVl. Javain no cessa point de siéger au reniseil municipal et dans les divers comités que j'ai indiqués plus haut, où la spécialité cl l'étendue doses connaissances , la rectitude de son jugement et son zèle pour le bien public, exerçaient une si heureuse influence sur les délibérations. M. Javain olfre l'exemple d'une rare et licureus(! excep- tion aux hommes qui ont été investis d'une magistrature publique dans des temps difficiles , et cette exception il la doit à la modération et à la loyauté de son caractère. Il l'a doit surtout à cette douceur de moeurs qui rendait son commerce si agréable , à cet esprit de bienveillance qu'il apportait dans toutes ses relations, et qui lui permet- tait à peine de supposer le mal ; enfin à l'opinion qu'on avait de sa justice et de son intégrité. Toutes ces qualités ne sont rien souvent devant des yeux aveuglés par la pas- sion, mais elles furent appréciées chez M. Javain. Pour lui, la haine et l'envie ont retenu leurs poisons; ses actes n'ont point subi d'outrageantes inierpréiaiions, et ses intentions au inoins ont été respectées. Après vous avoir parlé de l'ingénieur et du magistrat, vous entretiendrai -je, Messieurs, de l'homme privé? Que pourrais-je dire à cet égard que vous ne sachiez déjà , que la ville entière et tous ceux qui l'ont connu ne sachent aussi bien que moi ? Les traits que j'ai essayé de dessiner indiquent assez que l'homme auquel ils ont appartenu devait être un excellent parent, un ami sûr, que ses rela- tions étaient douces et faciles, qu'enfin il était impossible de le connaître et de ne pas l'aimer. Cette humeur égale et paisible, qui caractérisait surtout M. Javain, ne s'est point démentie un instant. Sa maladie a été longue ; il en a supporté les ennuis avec la patience d'une douce philosophie. Son corps a été en proie à de M. JAVAIN. XV vives douleurs ; il les a souffories avec la résignation du chrétien . L'approche du moment suprême ne lui a point causé d'effroi , car sa conscience était pure, et la religion était venue lui offrir ses consolations. Sa mort a été calme comme sa vie. Il s'est éteint au milieu d'une famille désolée, le 0 jan- vier 1840, à 4 heures 1/2 du soir. NOTK STATISTIQUK L'ANGINE COUENNE USE QUI A RÉGNÉ A CHERBOURG SUR LES ENFANTS EN 1841 ; PAR M. NOEL-AGNÈS , maire de Cherbourg. Une épidémie a régné sur les enfaïUs pendant Tannée 1841 presque toute entière et a fait parmi eux de nombreuses victi- mes. Les effets meurtriers de cette maladie sont constatés d'une manière non douteuse par les registres de l'état civil. 811 décès appartenant h la population de la ville ont été déclarés, tandis qu'il n'y eu a eu que 625 en 1840, et que la moyenne depuis 10 ans n'a guère dépassé 600. Cette différence de près de 1/3 entre 2 années consécutives ne peut s'expliquer que par une cause extraordinaire de mortalité. J'ai cru qu'il ne serait pas sans intérêt, peut-être même sans utilité, de constater d'une manière aussi exacte que pos- sible le nombre des victimes de l'épidémie et les diverses cir- constances qui s'y rattachent. Dans ce but, j'ai prescrit à l'em- ployé des bureaux de la mairie , chargé de la tenue des regis- tres de l'état civil, de demander à toutes les personnes qui sont venues déclarer des décès d'enfants , des explications précises sur la nature de leur maladie. La liste nomiu'ttive de ces enfants a été relevée à la fin de 2 ■ NOTE statistiquf/ l'année. 3";ii fait ajoutera la suite de chacun d'eux la profession et la demeure de leurs parents , leur âge , leur sexe et l'indica- tion de la classe de la société à laquelle ils appartiennent. Pour ce dernier classement, j'ai adopté 3 divisions : classe aisée, classe ouvrière et classe indigente. Afin de diminuer les chances d'erreurs, surtout pour le clas- sement, j'ai soumis la liste à la vérification des sœurs delà charité, qui y ont fait quelques modifications, d'après la con- naissance personnelle qui résulte de leurs fonctions journa- lières. Au moyen de ces précautions, je crois qu'on peut ajouter quelque confiance aux résultats que je vais présenter. Une cir- constance que je vais indiquer vient à l'appui de cette opinion. Le nombre des décès déclarés en 1841 surpasse de 186 celui de 1840 et do 211 la moyenne des décès pendant les 10 der- nièresannées. Or le chiffre des décès attribués par le tableau h l'épidémie qui nous occupe est de 182 , et l'on voit que ce nombre ne s'éloigne pas sensiblement des excédants que je viens d'indiquer. Si nous examinons d'abord la marche de la maladie en sui- vant l'ordre des dates, nous trouvons qu'elle a commencé à exercer une action meurtrière, dès le mois de janvier, sur 2 «nfants âgés de 5 à 10 ans, tous deux du sexe masculin et ap- partenant h la classe ouvrière. Mais c'est au mois de mars que la maladie a pris plus parti- lulièrement un caractère épidémique. Le nombre total des décès s'est élevé à 80 , tandis que la moyenne du même mois, dans les 10 années précédentes, n'est que de 59. Parmi ces 80, il y en a eu 14 attribués "a l'épidémie. Depuis cette époque jusqu'au mois de septembre inclusive- ment , les résultats ont été h peu près les mêmes ; le minimum 'G1NE COUKNNIXSI'.. S gente. Elle oonlieiil 4176 habilanls. L'épidémie lui a enlevé 48 onfanls, ou 1 1 sur 1000, ce (jui esl au-dessous de la moyenne. Mais si on examine quelques rues en pai'liculier , on trouve de surprenantes inégalités. Ainsi la place de la Trinité a perdu 3:i sur 1000 , la lue au Blé 18 et la Grande-Hue seulement 5. La nature et la densité delà population dans ces rues qui se tou- chent et qui embrassent une môme agglomération , sont bien les mêmes, et cependant il va d'une lue 'a l'autre une diffé- rence de 5 à 33. Ce résultat est d'autant plus remarquable que la Grande-Rue, où les décès sont en plus petit nombre, est précisément colle oii la poissonnerie est établie. La partie N. 0. de la ville, composée des rues Grande-Vallée, des Bastions, de l'Onglet, de l'Union et de la Paix , renlér- mant 1425 habitants , a perdu 21 enfants , soit 15 sur 1000. Cette proportion s'est élevée à 25 dans la l'iie de l'Onglet. La partie S. 0., circonsci'ile par les rues Corne-de-Cerf, Bailly, de la Duchée, du Chantier et de la Fontaine non com- prise, a perdu 30 enfants sur 2770 habitants, soit cnviion 10 par 1000. Ce quartier est bien aéré et renferme une population plus aisée. Les quais du Port et du Bassin avec les rues qui les avoisineal et qui forment la partie Est de la ville n'ont pas été épargnés : sur 1219 habitants, 15 enfants ont péri, ce qui l'ait 18 sur 1000. Dans la partie excentrique, c'est celle qui con)prend au N. 0. les rues Bonhomme , de la Comédie et de l'Abbaye, qui a le plus souffert, l'épidémie a enlevé 15 enfants sur 850 habitants, ou 17 sur 1000. C'est la proportion la plus forte dans l'en- semble d'un quartier. Elle tendrait à accréditer l'opinion qui a été émise sur les mouvements de terre , provenant du travail des fortifications, comme cause principale de l'épidémie, si d'autres laits ne venaient a l'appui d'une opinion conlruire. 6 NOTE STATISTIQUE Ainsi la maladie n'a pas élé moins intense dans des rues éloi- gnées, et les casernes qui sont ti'ès-rapprochées du travail ont constamment joui d'un état sanitaire parfait. Il est h remarquer qu'une de ces casernes renferme un grand nombre d'enfants destinés ii la marine. Les 2 faubourgs, situés au S. et au S. 0. de la ville , n'offrent pas de résultats qui diffèrent essentiellement de ceux que nous avons trouvés dans les autres quartiers. Le 1^'-, composé des rues du Faubourg, du Vieux-Pont et Thomas-Henry, renferme une population de 1741 individus et a perdu 22 enfants , ou 13 sur 1000. Le 2% qui comprend les rues de la Poudrière, des Carrières, Hélain et Orange, a eu 19 décès sur 1282 habitants, ou 15 sur 1000. La nature de la population est exactement la même ; il y a dans l'une et dans l'autre beaucoup d'ouvriers et d'indigents. Seulement la situation est différente ; le quartier de la Pou- drière est plus élevé et semblerait devoir être plus sain : c'est cependant celui qui a été le plus maltraité des deux. Il nous reste à examiner les effets de l'épidémie dans cette portion de la ville qui se trouve à l'Est du port marchand , et qtfon pourrait appeler quartier d'Outre-Pont. Toutes les rues bâties de ce quartier ont été h peu près atteintes , mais très-faiblement ; leur population , qui s'élève à 2017, n'a perdu que 9 enfants, ou 4 sur 1000. Enfin je ne dois point oublier de dire que l'hospice n'a eu aucun décès à déplorer provenant de l'épidémie. Cette remarque a été déjà faite en pareille cii'cons- tance et notamment à l'époque du choléra. Tels sont, Messieurs, les faits qui nous sont révélés par le dépouillement des registres de l'état civil et qui peuvent se ré- sumer ainsi : La maladie a sévi pariiciïlièroment dans les mois pluvieux ; j SUR L ANGINE COUENNEUSE. 7 son action meurtrière a cessé avec la pluie. Il est donc très-pro- bable que riiumidité est une des causes principales de l'épidé- niie. Les âges les plus maltraités sont de 1 à 5 ans. De 5 à 10, la proportion diminue de plus de moitié. Au-delà de 10, comme dans la 1'^= aimée de la naissance , il n'y a presque pas de décès. L'épidémie a été plus fatale aux garçons qu'aux filles. Les 8/9 des décès ont frappé sur la classe ouvrière et indi- gente.^ Quant aux quartiers, il est difficile de saisir des rapports bien précis entre leur situation et les effets de l'épidémie. Le nom- bre des faits constatés n'est peut-être pas assez grand pour qu'il soit possible d'en tirer une conclusion exacte. Cependant la densité de la population paraît être une cause au moins d'aggravation dans les résultats. Je livre ces fiiiisà l'appréciation de MM. les médecins, et par- ticulièrement à celui de nos collègues qui nous a promis un travail à ce sujet. C'est à eux à les peser, à les rapprocher de leurs observations et h en tirer les conclusions qu'ils croiront utiles aux progrès de la science. NOTICE , su 11 L'ANGINE COIJENNEUSE QUI A RÉGNÉ A CHERBOURG PENDANT LE COURANT DE L'ANNÉE 18il ; M. OBET, docteur-médecin. Une maladie extiêmement grave , et qui généralemeni par- courait ses périodes avec une effrayante rapidité, a régné épi- démiquenient à Cherbourg pendant le courant de l'année 1841 . Cette maladie, qui a porté l'épouvante dans les familles , a fait de nombreuses victimes particulièrement chez les enfants. Diverses opinions ont été émises sur sa nature et sur les noms qu'il convenait de lui assigner ; le public qui, sans doute, n'u été que l'écho de quelques hommes de l'art , l'a généralemeni désignée sous le nom de croup. Cette dénomination , quoique établie sur quelques faits qui ne peuvent être contestés, man- que cependant d'exactitude en ce qu'elle n'embrasse pas l'en- semble des formes nombi'euses et variées sous lesquelles s(^st présentée l'épidémie. Considérée d'une manière générale, la maladie consistait en une ph!egmasie établie sur quelques points plus ou moins étendus de la membrane nuiqucusc qui tapisse la partie supérieure de:* 10 Î^OTICK • conduils aériens ou des voies alimeniaires ; celte phlegniasie se inonirait différente des phlegmasies ordinaires par sa ten- dance à exhaler sur les surfaces irritées un fluide plastique, qui ne tardait pas à acquérir assez de consistance pour passer à cet état particulier que l'on désigne sous le nom de pellicules, de couenne ou de fausses membranes. Le docteur Bretonneau, de Tours, qui s'est spécialement oc- cupé du genre de phlegniasie qui fait le sujet de cette notice , lui a imposé le nom de diphtérite , mot dérivé du grec et que l'on traduit par inflammation pelliculaire ; mais cette dénomi- nation , piopre à constater ce que présente de particulier ce mode inflammatoire, c'est-à-dire sa tendance à la sécrétion ou à l'exhalation d'un fluide plastique , tend , d'un autre côté , à confondre dans un même cadre des maladies qui diffèrent sous le rapport du siège, et qu'il importe de distinguer. Je négligerai donc le mot diphtérite comme dénomination de maladie, mais je l'emploierai sous forme d'adjectif pour qualifier le caractère spécial qui s'est manifesté dans toutes les formes sous lesquelles s'est montrée l'épidémie ; l'adjectif diphtéritique , dont s'est enrichi le vocabulaire médical , ex- prime à lui seul les diverses qualifications de pelliculaire, couenneuse et de fausse membrane. Les phlegmasies établies sur la partie supérieure des con- duits aériens ou des voies alimeniaires, sont désignées sous divers noms; celles du voile du palais se nomment palatites ou angines gutturales; celles des amygdales, aniygdaliies ou an- gines lonsillaires ; celles du pharynx , pharyngites ou angines pharyngées; celles du larynx , laryngites ou angines laryngées; celles de la iiachée arièi'e , trachéites ou angines trachéales. En considérant la maladie épidémique sous le rapport de» sièges divers qu'elle a occupés, il devient évident que le nom générique qu'il convient de lui assigner est réellement celui SUR L ANGINE COUENNEUSE. f'( d'angine , attendu qu'il renferme dans un même groupe chacune des angines particulières que je viens d'indiquer , eu y comprenant le croup lui-même, qui n'est qu'une variété de l'angine trachéo-laryngée ; mais la maladie ayant présenté dans presque tous les cas , et même dans ceu\ qui n'ont offert qu'une médiocre intensité, la tendance diphlérilique , je n'hésite pas, d'après une assez grand nombre de faits soigneu- sement observés , à imposer à la maladie le nom di' angine couenneiise ou diphtéritiqiie. Les diversesangines particulières dont j'ai fait l'énumération ont rarement existé seules dans le cours de l'épidémie ; dans presque tous les cas, elles se sont montrées réunies en nombie plus ou moins grand : je pense donc que , pour ne pas donner trop d'étendue à cette notice , il convient d'en lormer trois groupes principaux représentant les trois formes principales sous lesquelles la maladie s'est assez généralement montrée. Je désignerai la première de ces trois formes sous le nom d'angine palato-pharyngée , la seconde sous celui d'angine trachéo-laryngée (croup), et la troisième sous celui d'angine palato-laryngée. Cette troisième forme n'est qu'une combinai- son des deux premières ; c'est la réunion du croup avec l'in- flammation de la gorge. PREMIÈRE FORME Angine paIato-i>liai*yngé«« Le nom de celte angine indique son siège : le voile du pa- lais et le pharynx ; son invasion , ordinairement précédée trois ou quatre jours d'avance par uucoryza ou une légère bronchite, n'a pas toujours eu lieu d'une manière identique chez tous les individus. Chez les uns elle a elébiusquo, instantanée , ac— 12 MoTici: coinpayiico de malaise général et de (Vissons, bienlùl suivis d'un mouvcmenl fébrile très-prononcé : chez d'autres, au con- traire, ratigino s'est développée avec ienteiu', avec très-légère réaction fébrile et d'une manière en quelque sorte insidieuse; dans l'un et l'autre cas le malade se plaignait d'une douleur plus ou moins vive à la gorge avec gène dans les iuouvemenls de déglutition; en examinant l'arrière-bouche, on voyait le voile du palais, la lueltc et la partie postérieure du pharynx légère- ment tuméllés et offrant une coloration d'un rouge plus ou moins vif, en laisoii du degré d'intensité de l'inflammation. Il est à remarquer que les amygdales n'ont pas toujours par- ticipé à l'état inflammatoire, et, dans ce cas, leur volume ne paraissait point augmenté; tous les phénomènes pathologiques se passaient dans la membrane muqueuse sans se commu- niquer aux tissus sous-jacenls. Lorsqu'au conli'aire les amyg- dales étaient elles-mêmes enflammées, leur volume devenait fort considérable ; en se joignant, elles rétrécissaient l'isthme du gosier et rendaient la déglutition très-douloureuse. En examinant le cou à l'extérieur, on remarquait une tuméfaction assez considérable au-dessous de langle de la mâchoire, et si l'on exerçait sur ce point une pression légère, le malade y res- sentait de la douleur. Chez quelques malades, des douleui s dans l'intérieur de l'oreille indiquaient que l'inflammation s'était propagée dans le trajet de la trompe d'Euslachi. L'inflammation qui, à son début, présentait toutes les appa- rences d'une inflammation ordinaire, ne tardait pas à dévoiler son caractère particulier; les surfaces enflammées se couvraient d'une exudation diphléritique d'abord fort légère, disposi'c par pkuiues isolées plus ou moins étendues, offrant peu de consis- tance et n'adhérant que faiblement à la muqueuse ; mais si rinflammalion netait pas ariêlée dans son développement , sru I,"ANf;iNE COUKNMaiSK. 13 ces plaques se réiinlssaicnl , l'ocouvriiicnt lolalcmenl, les parties enflammées, acquéroieiit de la consislaiice, et finissaient par contracter avec la muqueuse des adliérenccs qui devenaient de plus en plus fortes. Chez quelques malades rexudalion plastique était quelque- fois accompagnée de sécrétion d'un fluide nuiqueux qui s'in- terposait entre la membrane muqueuse enflammée et le pro- duit diphlérilique; ce fluide qui ordinairement était très-vis- queux, détruisait les adhérences de l'enduit couenneux, le sou- levait, le ramollissait, le divisait en plusieurs lambeaux et fa- vorisait son expulsion , qui s'opérait soil par les secousses de vomissements , soit par celles de la toux. J'ai vu cependant chez une jeune lille iigée d'environ vingt ans, et atteinte d'une angine palato-pharyngée très-intense, l'enduit couenneux, quoique ramolli pai' une abondante sécré- tion mucoso-visqueuse , conserver d'assez fortes adhérences avec la membrane sous-jacenle pour résister aux secousses fréquemment répétées de la toux et du vomissement ; il fallut s'aider d'une pince pour déchirer cet enduit et en extraire quelques lambeaux. Lors de la chute de l'enduit couenneux, on voyait apparaîtri; In membrane muqueuse irès-roug^, saignante, présentant des papilles fort saillantes et comme dans une sorte d'état d'é- rection; cette disposition était particulièrement remarquable, si au lieu d'attendre que la sc'paration eût lieu par les seules forces de la nature, on cherchait à la hâter en enlevant pai" des moyens artificiels la fausse mendjiane encoie trop adhérente;. Après celle séparation , surtout si elle était forcée , on voyait se produire une nouvelle exudation pellicuilaire , mais moins épaisse, d'une moindre consistance et moins adhérente que la première, si toutefois l'inflammation avait connnencé à dimi- nuer d'inlensiié. 14 NOTICK Aux symptômes locaux dont j'ai signalé les plus romarquables, se joignaient encore des sympiômesgénéraux d'autant plus inten- ses que l'inflammation de lamuqueuseéiait elle-même et plus vive et plus étendue. Celaient de la fièvre, de l'inappétence, une cha- leur incommode, une soif avec dégoût et répugnance pour cer- 1 aines boissons et notamment pour celles dépourvues de sapi- dité : des nauzées, quelquefois des vomissements de matières visqueuses ou glaireuses, de l'agitation, de l'insomnie, souvent de la constipation , et enfin des urines rares et fortement co- orées. Si la maladie devait se terminer heureusement, on voyait chacun des symptômes diminuer graduellement d'intensité ; la fièvre tombait , la déglutition devenait plus facile , les pelli- cules ou l'enduit couenneux étaient rejetés par fragments plus ou moins considérables avec le produit de la sécrétion mu- queuse ; la rougeur des parties enflammées devenait moins vive; la voix tendait à se rapprocher de son timbre naturel; le calme renaissait, ainsi que le sommeil, et enfin la convalescence se prononçait. J'ai vu chez une jeune dame atteinte de cette espèce d'angine, rinflammaiion s'étendre en avant, gagner de proche en proche toute la muqueuse qui tapisse l'intérieur de la bouche, la langue et les gencives, et faire naître sur toutes ces surfaces, uneexu- dation dipthéritique. C'était une stomatite survenue secondai- rement et qui venait compliquer la maladie principale. DEUXIÈME FORME. Ansiite tracltéo-laryiifsée (croup). C'est une inflammation de la membrane muqueuse, de la tra- chée artère et du larynx. Cette espèce d'angine , à laquelle je SLR L'ANr.lNV, r.OUF.NNKUSR. 15 conserverai le nom de croup sous lequel elle est généralement connue, s'est montrée pendant le courant de l'épidémie régnante moins fréquemment que les angines de la première et de la troisième forme , dont elle diffère du reste sous beaucoup de rapports. Son invasion était ordinairement précédée d'un coryza ou d'une bronchite qui, sans occasionner à l'enfant de très-grandes incom- modités, lui enlevaient cependantsa gaitéet le rendaient morose et grognon. La toux était celle d'un rhume ordinaire; il y avait un peu d'agitation, diminution d'appétit, et le pouls, sans être décidément fébrile, était cependant un peu plus fréquent que dans l'état normal. Cet ensemble de symptômes, que quel- ques médecins considèrent comme la première période du croup et dans lequel on ne trouve qu'une réunion de phénomènes a- i peuvent appartenir à toute autre maladie, exige cependimt beaucoup de surveillance de la part du médecin , surtout pen- dant la durée d'une épidémie, telle que celle qui a régné à Cherbourg. Cet état équivoque durait ordinairement de deux h six jours , après lesquels la maladie se déclarait franchement. L'invasion avait toujours lieu pendant la nuit; quelquefois le petit malade dormait encore, tandis que quelques-uns des sym- ptômes caractéristiques du croup étaient déjà venus éveiller l'inquiétude des parents. C'était une toux sèche, par quintes, ayant un timbre extraordinaire, tout h fait différent du son de la toux dans un rhume ordinaire, et ime respiration remar- quable par une sorte de sifflement particulier, qui se ftiisnil en- tendre dans les conduits aériens, sifflement occasionné par la difficulté qu'éprouvait l'air à parcourir les conduits rétrécis par le spasme ainsi que le gonflement de la membrane muqueuse irritée. L'agitation qu'éprouvait l'enliint pendant le sommeil . s'augmentait encore à son réveil ; c'étaient des mouvements continuels et des cris que rien ne pouvait calmer : la voix de- i G NOTICE venait raiiqiie, la loux croiipale, la iesi)ii'alion vivo ol gênée . le pouls (Véquenlot série. En examinant rinlérieur delà gorge, chose du reste fort difficile et souvent même impossible chez les enfants, on n'apercevait que rarement quelques traces de phlogose, mais à l'exlérieur on remarquait du gonflement au ilevaut et sur les côtés du larynx. Ce point devenait un peu douloureux si on le comprimait légèrement, et le petit malade y portait la main comme s'il cherchait à se débarrasser d'un corps qui lui aurait occasionné de la gène ; enfin l'enfant en portant la tète en arrière ch(irchait, par ce mouvement instinc- tif, h faciliter le passage de l'air en donnant plus d'ampleur au canal aérien. Le croup pouvait s'arrêter à celte période de la maladie , et marcher rapidement vers la guérison si le médecin , appelé dès ^'apparition des premiers symptômes, agissait avec promptitude et vigueur. Il obtenait alors un de ces succès prompts, décisifs, qui u'ofl'rent cependant rieu d'étonnant ni d'extraordinaire, et qui, dans un petit nombre d'heures, rappelait h la vie et à la san- té de petits malades que le moindie relard , dans l'emploi des moyens curatifs, devait fatalement précipiter au tombeau. Mais si malheureusement le médecin n'était pas appelé en ^emps opportun ou si les moyens thérapeuliques restaient im- puissants, la maladie faisait de rapides progrès. L'inflammation s'aggravait et prenait de l'extension ; l'cxudation plastique, ré- pandue sur la membrane muqueuse des conduils aériens , de- venait épaisse, consislanle, et prenait enfin le caractère d'une fausse membrane ; alors chacun des symptômes de la maladie iicquérait une nouvelle intensité; au sifflement qui se faisait en- tendre dans le canal aérien se joignait un râle muqueux ; les secousses de loux ou les efforts de vomissement faisaient rendre un liquide visqueux, filant, écumeux dans lequel on remarquait des laniboaux mombranifornics dont quelques perlions conscr- SUU L ANGINK COUKNNF.USK 17 valent encore la forme tubnlée. La respiration devenait de plus i^.n plus gênée ; les lèvres prenaient une teinte livide. La face se tuméfiait; les yeux devenaient larmoyants, injectés ; les jugu- liiires gonflées; la tête se renversait en arrière; les mouvementsde la respiration devenaient brefs, fréquents; le petit malade était an proie à une anxiété toujours croissante et qui le portait à s'a- giter en tous sens; le pouls devenait petit, fréquent, irrégulier; enfui le malade éprouvait quelquefois des convulsions, ou bien il tombait dans un assoupissement qui ne tardait par à se ter- miner par la mort. Le malade pouvait succomber dans moins de vingt-quatre heures : cependant, si les symtômes, moins intenses, permet- taient h la maladie de marcher avec lenteur , cette funeste ter- minaison pouvait n'avoir lieu que le deuxième, troisième ou quatrième jour, et quelquefois même, le septième ou le hui- tième; mais très-rarement au delà. Un caractère fort remarquable, et que l'on a très-souvent ob- servé dans le croup, c'est une sorte de périodicité. Le malade, •iprès avoir éprouvé de graves symptômes pendant la nuit, les voyait se dissiper avec le jour, à l'exception d'un peu deiau- cité dans la voix et de quelques secousses de toux avec timbre à peu près naturel; mais, dans la nuit suivante, les mêmes acci- dents se reproduisaient, et, presque toujoui-s, avec un redouble" uient d'intensité. Ce serait donc manquer de prudence, que de temporiser pendant le premier accès, puisque le second , ordi- nairement plus violent pourrait emportei' le malade malg/é les secours tardifs qui lui seraient administrés. Quelque légers que paraissent les symptômes du croup, il vaut mieux employer un traitement actif, dont, peut-être h la rigueur, on aurait pus'abs. jenir que de s'exposer à voir périr son malade. La gêne de la respiration, souvent portée au point de menacer le sujotd'asphixie, est un des symptômes les plus graves du croup; 18 notk:!'; on convienl géiioraleiueiil qu'elle est laconsëquence du rétrécis- sement de la glotte et des conduits aériens; mais la cause pre- mière du rolrécissement est encore sujette à contestation. La majeure partie des médecins l'attribuent principalement à l'é- paississement de la membrane muqueuse enflammée, et à la pré- sence de la fausse membrane, qui se forme à une époque plus ou moins avancée de la maladie. Il est facile en effet de conce- voir que ces causes doivent former obstacle au passage de l'air dans les conduits aériens, et surtout chez les enfants dont la glotte oflVe des dimensions de moitié moindre que chez les adultes. Mais ces obsiacies matériels dont on essaierait vainement de contester l'exisience, ne sont cependant pas les seuls auxquels on puisse attribuer le rétrécissement des conduits aériens: il faut encore tenir compte, surtout chez les sujets dont la constitu- tion est nerveuse et irritable , du spasme qui de la glotte , du larynx et de la trachée-artère, s'étend quelquefois sur tous les organes de la respiration et en provoque la constriction. Ce resserrement spasmodique a paru tellement important à quel- ques médecins, qu'ils ont été conduits h considérer l'état ner- veux comme l'élément principal de la maladie, à laquelle ils ont dès-lors cru devoir assigner le nom d'angine spasmodique. C'est une opinion contre laquelle il faut se prémunir , parce que , donnant une idée inexacte du caractère spécial de la ma- ladie, elle peut conduire à adopter un mode vicieux de traite- ment. L'élat de spasme est sans contredit un phénomène important qui ajoute à la gravité du mal , mais ce n'est cepen- dant qu'un phénomène secondaire qui se rattache à la suscep- tibilité éveillée dans la glotte par l'état inflammatoire et par l'irritation que provoque le passage de l'air. L'inflammation est donc réellement l'élément principal du mal, et l'indication est de la comballrc par tous les moyens appropiiés. Des faits SDR l'angink rOtENNF.i;SK. 15 nombreux ailestent que le iraitenienl antiphlogisiique, appliqué promptement et avec vigueur, suffît généralement pour faire cesserions les accidents, sans en excepter ceux qui dépendent du spasme, et sans qu'il soit nécessaire de recourir aux anti- spasmodiques. TROISIÈME FORME. Angine palato-laryngëe. J'ai peu de choses à dire de cette espèce d'angine, malgré son extrême gravité, parce qu'elle n'est qu'une combinaison des deux variétés ou formes précédentes, dont elle réunit à la fois tous les symptômes. Cette coïncidence de diverses variétés d'angines a été fré- quemment remarquée : il résulte des observations faites par le docteur Bretonneau, que l'inllammation de l'isthme du go- sier précède la laryngite plus fréquemment qu on ne le croyait généralement, et que, par conséquent, il est important d'arrêter les phlegmasies des amygdales , du voile du palais et du pha- rynx , surtout chez les enfants , dans le but d'empêcher que l'inflammation se propage au conduit aérien. C'est ordinairement de celte manière , c'est-à-dire, par ex- tension de l'inflammation vers lesconduilsaériens, que le croup se déclare à la suite d'une angine palato-pharyngée. Si le mal n'a pas été attaqué dès le principe; si en raison de son inten- sité , il s'est montré rebelle aux moyens curalifs ; si, enfin, on est sous l'influence d'une épidémie d'aflections de celle nature, Tinflammalion, gagnant de proche en proche, envahit successi- vement la glotte , le larynx et même la irachée-arière ; alors se développent graduellement les symplômes du croup, en laison des progrès plus ou moins rapides de l'inflaninialion dans la direction que je viens d'indiquer. 20 NOTICE ' Celle exlension de l'inflammation ne se fait pas lonjours re- marquer immédiatement après l'invasion de la maladie ; elle n'a lieu ordinairement d'une manière bien caractérisée que vers le deuxième ou le troisième jour ; c'est alors seulement que la gêne de la respiration , le sifllement particulier qui se l'ait entendre dans les conduits aériens , la voix rauque , la toux croupale, et divers autres symptômes doni jene recommen- cerai pas l'énuméraiion , annoncent d'une manière incontes- table l'invasion d'un croup secondaire. Lorsque cette affection très-compliquée se termine d'une manière funeste , ce n'est ordinairement qu'après le sixième ou même le huitième jour. Telle est la marche ordinaire de cette troisième forme de l'angine coenneuse ; cependant, je suis loin de vouloir nier la possibilité de l'invasion simultanée du croup et de l'angine palato-pharyngée , quoique je n'aie pas eu occasion de l'ob- server dans le cours de cette épidémie. Lorsque l 'inflamma- tion s'allume à la fois sur une aussi large étendue , la maladie présente le plus haut degré de gravité ; elle peut entraîner la mort dans un très-court espace de temps. Quelques médecins ont cru remarquer que, dans l'angine pa- lato-laryngée , de même que dans le croup normal , les symptômes caractorisliques du croup ne commençaient à pa- raître que dans la nuit. Je n'ai rien vu de propre à conflrmei' cette opinion. J'ai remarqué, dans une angine de cette nature qui s'est ter- minée par la mort, un coryza tellement intense que, pendant toute la durée de la maladie, la respiration ne put un seul ins- tant se faire par les narines. La membi-ane muqueuse des fosses nazalcs était, ainsi que celle delà gorge, du larynx et de lalrachée-arière, envahie par l'inflammation et couverte d'une couche diphlérilique. sur. 1/A^Gr^E COUli.MNEDSE. 21 Fausses membranes. L'exudaiion diphtérilique imprime aux phlegmasies un ca- ractère en quelque sorte spécial, qui les distingue des phleg- masies ordinaires. Ce produit morbifique, aussi curieux qu'in- téressant à étudier, n'a pas encore été l'objet de recherches approfondies. Cependant ce sujet a été traité avec quelque étendue par le docteur Villermé; mais le travail de ce médecin, qui offre un très-grand intérêt, laisse encore beaucoup à dési- rer sous plusieurs rapports. L'exudaiion diphtéritique ne se forme pas seulement sur les membranes muqueuses ; on la voit encore se produire sur plusieurs autres tissus ; généralement sur toutes les surfaces perspirables; plus fréquemment sur les membranes séreuses que sur les muqueuses. Mais je ne dois m'occuper ici particu- lièrement que de ce qui a trait à ces dernières. On n'est pas encore fixé sur la nature du fluide dont l'exhala- tion donne lieu à la formation des divers produits diphtéri- tiques. Les uns pensent qu'ils proviennent d'une sécrétion muqueuse dénaturée et devenue anormale par le tait de l'in- flammation ; d'autres supposent une exudation lymphatique ou albumineuse, qui, après avoir formé une sorte d'enduit , ac- quiert une ténacité et une consistance d'autant plus grandes, que l'inflammation est elle-même plus vive et plus persistante; d'autres enfin , et c'est une opinion émise par le docteur Ro- che , attribuent ces produits h un flux hémorragique dans le- quel le sang, après avoir soulevé l'épithelium sur divers points delà membrane muqueuse , brise cette fragile enveloppe et laisse échapper en nape sa partie non colorée , qui bientôt se condense sous forme pelliculaire. Je ne discuterai point ces diverses opinions ; la première cependant me bcmble devoir être réfutée par la raison qu'il s<* •2-J NOTICE forme des fausses nienibianes sur des tissus autres que le tissu muqueux , et que, d'ailleurs, on voit ordinairement s'é- tablir, sur les membranes muqueuses dont l'inflammation n'est pas portée au degré le plus élevé , une s('crétion de fluides muqueux, qui, loin de contribuer h la formation ou à l'aug- mentation de la couche diphtéritique, tendent au contraire à la ramollir, à la soulever , à la déchirer et à favoriser son ex- pulsion. Quelle que soit du reste la nature du fluide plastique , on le voit, dès qu'il est épanché, former des plaques isolées d'un blanc grisâtre. Ces plaques de dimensions peu considérables sont d'abord disséminées sur divers points de la surface en- flammée : bientôt elles se réunissent pour ne former qu'une seule couche dont la consistance augmente en même temps qu'elle contracte de plus fortes adhérences avec le tissu sous- jaçent. L'exudation prend aussi, en s'étendant, une épaisseur qui va quelquefois jnsqu'à plusieurs ceniimèires , et c'est alois qu'elle présente l'aspect qui lui a valu l'épithète de couen- neuse. Si l'on parvient à extraire quelques lambeaux , le point dépouillé apparaît sanguinolent, d'un rouge vif, cerise et parsemé de papilles saillanies. Une nouvelleexudation remplace ordinairement celle qui a été enlevée ; mais elle est moins épaisse , lorsque l'inflammation tend à diminuer d'intensité. Lorsque la trachée-artère et les premières ramifications de» bronches sont envahies par l'inflammation, le produit diphté- ritique prend la forme tubulée et les fragments que rendent alors les malades représentent la forme et les dimensions des conduits qu'ils tapissent. Assez généralement les adhérences des fausses membranes sont plus intimes dans le larynx que dans la trachée-artère, et dans cette dernière partie, de même que dans les bronches, ces fausses membranes sont souvent flol- tantes et baignéOvS d'un mucus épais. srn L■A^Gli^E cocknneusk,. -2^ C'esl une diose (brt remarquable que la tendance des fausses membranes h passer à l'état d'organisation. Celle faculté, que personne ne conteste pour celles qui se forment sur le tissu sé- reux dans la pleurésie, la péritonite, la péricardile, etc. , ne semble pas aussi évidente pour celles qui se produisent sur le tissu niuqueux; cependant le fait n'est pas moins réel. Plusieurs praticiens pensent que, dans le cas de guérison du croup , la lausse membrane peut en totalité, ou en partie, contracter une intime union avec la membrane muqueuse et finir par s'orga- niser. C'esl l'opinion d'Albers, de Brera, deRibes, de Desruelles eldeSœmering. Ce dernier possédait des préparations qui cons- tataient l'existence de ce fait. Il est très-vraisemblable que c'est à ce même résultat que l'on doit attribuer l'aphonie, l'cnroue- menl ou la raucilé de la voix , qui persistent quelquefois fort longtemps, ou qui même se perpétuent à la suite de laryngites et de trachéites. Cependant il faut convenir que ce résultat se remarque beau- coup moins fréquemment sur les membranes muqueuses que sur les membranes séreuses ; mais il est assez facile d'en déter- miner la raison : les membranes séreuses forment des sacs sans ouvertures, dans lesquels les fausses membranes peuvent se for- mer, croître et se développer sans gêne et sans obstacle. Lh , rien ne tend à détruire les adhérences qu'elles ont coniraciécs. On pense que c'est à peu près vers le vingtième jour de leur formation , que ces fausses membranes sont pénétrées par de petits vaisseaux sanguins et qu'elles commencent h s'organiser el à participera la vitalité : elles finissent enfin par s'identifier complètement à la membrane sur laquelle elle se sont formées; parvenues à cet état de vie, on ne peut plus les distinguer de la membrane naturelle, dont elles ont pris tous les caractères et dont elles partagent toutes les fonctions. Quelquefois elles finis- sent par établir une adhésion intime entre les deux snrfucesd* îi^t .NOTICE la séreuse qui se irouvaieiiienconlaci, d'autres l'ois, anconiraî- i-e, elles ne produisent que des brides qui lient les deux surfa- ces et établissent de l'une h l'autre une communication directe. Sur le tissu niuqueux, les choses se passent autrement. Les membranes muqueuses tapissent de longs conduits qui sont toujours en contact immédiat avec des agents étrangers, et in- cessamment parcourus, ou par des substances alimentaires, o» par l'air atmosphérique, ou par le produit de certaines sécré- tions; il résulte de cet état do choses, que les produits dipbté- riliques, contrariés dans leur formation et dans leur tendance ;» contracter des adhérences , par la mobilité des agents avec lesquels les membranes muqueuses sont continuellement en rapport , ne peuvent que rarement parvenir à s'organiseï- et à passer de l'état hierte à celui de vitalité ; il résulte encore de ce même état de choses, qu'il ne peut s'établir d'adhérence entre deux surfaces opposées de la membrane muqueuse, ainsi que cela a lieu pour les membranes séreuses. Il existe cepen- dant quelques faits qui peuvent faire supposer cette possibilité, au moins pour certaines parties , et l'on peut citer h l'appui de cette opinion les brides qui s'établissent dans le canal de l'u- rètre à la suite d'inflammations répétées ou prolongées. En résumé , les fausses membranes peuvent se former svir toutes les surfaces perspirables ; sur la peau, de même que sur toutes les membranes internes ; ce ne sont d'abord que des corps étrangers, mais qui tendent às'organiseretà s'identifier complètement avec la surface sur laquelle elles se sont produi- tes. Ce ne sont plus alors de fausses membranes, mais bien de véritables membranes, douées de vie , mais accidentellement développées. Les fausses membranes, loin d'être le principal symptôme du croup, ne sont qu'un résultat secondaire, puisque leur formation doit être nécessainîmeul précédée d'un étal inflammatoire ; un sL'k i/angink couiiiXNiiUsi:. 2S malade peut succomber prompioineiii à iiiieailaque extrème- menl vive de cette maladie, avant que l'exudalion diphtérilique ait eu le temps de se condenser sous forme membraneuse , et Ton aurait tort d'eu conclure que ce n'est pas le croup, si du res- te tous les symptômes caractéristiques se sont manifestés. Dw restelesfaitsde cette nature doivonlètre fort rares, car il sulfitor- dinairemenl de quelques heures d'état inflammatoire pour faire naîtrela fausse membrane. Mais, comme sa présence ajoule con- sidérablen)ent à la gravité du mal, tous les efforts du médecin doivent tendre à prévenir sa formation , résultat qu'on ne peut obtenir qu'en faisant avorter l'intlammaiion par des moyens promptement et énergiquement administrés. Il est fort regrettable qu'un préjugé, trop généralement ré- pandu dans le public, se soit opposé aux ouvertures de cadavre- C'était le moyen de coustaterévidemment la présence de la fausse membrane, dont on a voulu nier l'existence dans la moladie ré- gnante, fausse membrane qui a été cependant on ne peut plus apparente dans les angines palato-pbaryngées, et dont quelques opérations de trachéotomie ont constaté la présence dans des cas de croup. Caui§es de la ITIaladie. Toutes les phlegmasies qui font le sujet de celte notice s'observent fréquemment dans les pays où, avec une atmosphère chargée d'humidité, règne une température froide ou modérée. Rares dans les pays élevés , presque inconnues dans les pays chauds et secs , elles sont plus fréquentes sur les bords de la mer, des lacs et dans les vallées. Le croup simple ne se mon- tre ordinairement que dans les saisons froides et humides; mais lorsqu'il vient se joindre à l'angine pafato-pharyngée , ainsi que cela a eu lieu dans la maladie de Cherbourg, ou voit ••es deux an'ociions combinées régner an milieu ()<• l'élf" 26 NOTICE avec uulunl de violence que dans l'hiver ou le |»iiiit(;uips. Sous celle forme complexe, la maladie prend ordinairemenl le carac- tère épidémique; il en est de même de l'angine palalo-pharyn- gée, non compliquée du croup; mais, quant au croup simple, dégagé de loule complication, il ne constitue jamaisà lui seul une maladie épidémique. L'épidémie de Cherbourg confirme les nombreuses observa- lions faites par les médecins sur les causes générales des di- verses espèces d'angines. L'année 1841 a été généralement pluvieuse: la température de l'été a été peu élevée, et, vers la lin de la saison, à partir du mois d'octobre, la pluie n'a cessé de loniber à torrents pendant près de deux mois et demi. Quelques cas se sonl présentés dès le mois de janvier ; mais la maladie n'a réellement commencé à sévir d'une manière re- marquable que dans le mois de mars. Depuis lors, elle a conti- nué à régner avec une intensité à peu près égale jusqu'au mois de septembre. Ce mois a été assez constamment beau; plu- sieuis jours secs ont régné sans interruption, et l'on commençait à croir.' que l'épidémie irès-amorlie tirait à sa fin. Les familles se rassuraieni, lorsque les pluies diluviales des trois derniers mois sont venues, non seulementranimer le mal, mais de plus ajouter à son inl»Misité; enfin, vers la fin de décembre, le temps étant devenu moins humide , la maladie s'est de nouveau ra- lentie, en sorte que, dans les mois de janvier et février 1842 et dans quel(|ut f-uns des mois suivants, il ne s'est présenté que quel- ques cas rares et éloignés L'humidité, jointe à une température froide ou modérée, a donc réellement exercé, sur la production de l'épidémie, une influence qui ne peut être contestée, et cependant celte in- fluence paraît ne s'être exercée qu'avec le concours de cer- taines circonstances particulières. N'avons-nous pas vu l'angine coueuneuse , concentrée dans le cercle fort étroil de la ville, SLR L AcNGINK COUKNMiUSK. 27 épargner les populations des campugnes circonvoisines, quoi- qu'elles fussent, comme celles de Cheibourg, soumisesh Taction des mêmes agents moibifiques? C'est qu'il existe sans doute un ordre de causes dépendantes de certains principes répartdus dans l'atmosphère , que nos sens ne peuvent apprécier et que nos instruments d(M;liimie ne peuvent saisir; agents mysté- rieux que l'on a désignés sous le nom de causes occultes , qui déploient leur action quelquefois dans un cercle immense, quelquefois dans un rayon circonscrit, et auxquels on doit vraisemblablement attribuer la production de certaines épidé- mies. Que n'a-t-on pas dit , que de choses bizarres même n'a- t-on pas imaginées pour s'expliquer l'existence du choléra ? et sommes-nous aujourd'hui plus instruits sur ce sujet que nous ne l'étions à l'époque où régnait cette terrible épidémie ? Non sans doute : ne craignons donc pas de confesser notre ignorance et de reconnaître qu'il existe des faits impénétrables à notre intelligence, et contre lesquels viennent échouer tous nos moyens d'investigation. On doit peut-être encore ajouter au nombre des causes ap- préciables, les émanations que les mouvements considérables des terres pour les travaux des fortifications ont dû répandre dans l'atmosphère. N'est-il pas supposable en effet que ces émanations n'ont pas été absolument étrangères à la production de la maladie, lorsque l'on acquiert la preuve, d'après le relevé statistique dont je dois la communication à l'obligeance de M. le Maire , que les rues les plus rapprochées des travaux sont aussi celles dans lesquelles on a proportionnellement perdu le plus grand nombre d'enfants? Ainsi, dans les rues de l'Abbaye , Bonhomme et de la Comédie, habitées par 850 per- sonnes, on a perdu 15 enfants, ce qui donne 17 sur mille; tan- dis que, dans le quartier du Val-de-Saire, qui se trouve le plus éloigné des travaux, et qui renfernte 2017 habitants, on n'.-» •^ PfOTICE perdu que Seiilauls, ce qui donne une proporlion de i sur mille. On a remarqué cependant que la caserne des équipages de ligne, qui se trouve irès-rapprochée des nouvelles fortifications, et qui renferme un grand nombre déjeunes enfants destinés au service de la marine, a constamment joui d'un état sanitaire parfait; je ferai observera ce sujet que, tous ces enfants dont le plus jeune doit être au moins âgé de douze ans, ont passé l'âge fatal , celui de un à dix, car, au-dessus de dix ans, l'épi- démie n'a fait en général qu'un petit nombre de victimes; d'un autre côté, il faut considérer que ces enfants se trouvent placés dans des conditions plus favorables que ceux des classes peu aisées de la société; qu'ils sont mieux nourris, mieux vêtus, mieux logés , et entourés de soins hygiéniques auxquels les classes inférieures n'attachent en général aucune importance. Aussi est-ce dans ces classes inférieures que l'épidémie a particulièrement exercé ses ravages : sur une mortalité de 182 enfants, 120 appartiennent à la classe ouvrière, 37 à la classe indigente et 25 seulement à la classe aisée. Il est facile de se rendre raison de cette différence dans le chiffre de la mortalité, entre les deux premières classes d'une part et la troisième de l'au- tre. Les enfants des classes inférieures, mal nourris , mal vêtus et presque continuellement exposés, ou dans les rues, ou dans des logements mal fermés, à toutes les variations atmosphéri- ques, sont livrés sans garanties à toutes les pernicieuses influ- ences du froid et de l'humidité ; tandis que , dans les classes aisées, les enfants trouvent dans une bonne alimentation , dans de bons vêlements . dans des chambres bien closes et bien chauffées, ainsi que dans des soins hygiéniques bien dirigés , les moyens d'atténuer l'activité des causes morbifiques, et par conséquent de se soustraire à leur influence délétère. Mais il est plus difticile d'expliquer la dirt'érence du chitl'rc SUR 1,'angine OOUENNKUSK. '29 de la mortalité eiilre la classe ouvrière qui, en général, Jouil (l'un peu d'aisance et la classe indigente, qui manque de tout. .Le nombre, proportionnellement plus grand de décès dans la classe ouvrière , pourra cependant paraître moins extraordi- naire, si l'on considère que les ouvriers , retenus par la crainte d'ajouter à leurs dépenses , n'appellent ordinaire- ment le médecin que lorsque le mal a déjà lait de grands progrès, tandis que les indigents , fréquemment visités pai' les sœurs de charité, dont on ne saurait trop louer le zèle et le dévouement, reçoivent en temps opportun les soins des hommes de l'art. Il est incontestable, et des faits nombreux en ont fourni la preuve, que les succès ont été d'autant plus fréquents , que les secours ont été promptement administrés. L'hospice civil n'a perdu qu'un seul enfant, et le couvent des sœurs de charité, qui renferme plus de vingt petites orphelines et un assez grand nombre de pensionnaires, n'en a perdu aucun. On trouve dans la différence d'âge, et même aussi dans celle de sexe, une sorte de prédisposition à contracter les diverses espèces d'angines , et surtout celles du larynx. La maladie épi- démique n'a pas indistinctement frappé sur tous les âges, et en cela, les faits recueillis à Cherbourg viennent prêter un nouvel appui aux observations précédemment faites. La note de M. le Maire renferme un tableau fort intéressant , duquel il ré- sulte que , sur 182 décès, 10 seulement apparliennent à des enfants âgés de trois mois à un an; h compter de la première année jusqu'à la cinquième inclusivement, le nombre des morts, devenu plus considérable, s'est élevé à 107, répartis à peu près également entre chaque âge. Le chiffre 31 , le plus élevé de cette série, se rapporte aux enfants de deux à trois ans , et celui de 24, le moins élevé, à ceux de quatre à cinq ans : de cinq à dix ans la mortalité, progressivement décroissanle, ne s'est «'levt'e 30 NOTICE qu'h Si , el enfin, depuis l'âge de dix ans et au-dossus , IS décès seulement ont été constatés. Le chiffre des décès, relativement au sexe, a f>résenté les dif- férences suivantes : il a été de 105 pour les garçons et de 77 seulement pour les filles. De tous ces faits, il résulte que Pépidémie qui a régné à Cherbourg n'a présenté rien d'insolite, rien qui n'ait déjà été observé ailleurs , dans les mêmes circonstances. Moyens prophylactiques (préservatifs). La prophylaxie est l'application méthodique de quelques- unes des règles de l'hygiène, et de l'emploi raisonné de certains agents thérapeutiques, dans le but de conserver la santé, en an- nulant ou aiténuant l'action des diverses causes susceptibles de produire des maladies. Un des moyens les plus propres à atténuer l'influence de ces causes, consiste dans une bonne alimentation ; et il faut enten- dre par une bonne alimentation, non-seulement l'usage de bois- sons et d'aliments substantiels et de bonne qualité , mais encore de ces mêmes aliments pris en quantité suffisante. L'homme bien nourri acquiert un degré d'énergie vitale qui lui permet de résister à l'action des agents morbifiques, et de se soustraire plus ou moins complètement à leur influence, tandis que celui qui est débilité par une mauvaise ou insuflîsante nourriture, reste entièrement soumis, et sans moyens de réaction , à leur pernicieuse activité. Telle est malheureusement la déplorable situation de la classe si nombreuse des indigents. Mais par quels moyens pour- rait-on soulager des misères auxquelles la bienfaisance et la charité ne peuvent apporter que d'insuffisants adoucissements? N'est-ce pas une amère ironie , que de recommander ii ceux SUR i.'angine COUKMNKCSIv. St qui peuvent ii peine se procurer du pain , de se nourrir de bons aliments? Mais la misère et le besoin ne se font pas seulement sentir chez les maliienreux que lâge ou les infirmités rendent inca- pables de pourvoira leur subsistance; on les retrouve encore dans beaucoup de familles d'ouvriers, qui pourraient trouver dans le travail , si facile à se procurer à Cherbourg, les mo- yens de vivre avec quelque aisance : c'est li triste conséquence de l'iiiconduite et de la débauche, et ce n'est que par les bien- faits d'une bonne éducation morale et religieuse donnée aux enfants, que l'on peut espérer d'épurer les mœurs et de pré- parer un meilleur avenir pour les familles. En signalant une bonne alimentation comme l'un des moyens préservatifs des maladies, je ne prétends pas en tirer la con- séquence que tous les sujets doivent être soumis à un régime uniforme ; il faut avoir égard à la consliiution du sujet : un régime analeptique convient à ceux chez lesquels prédomine cettedispositioii lymphatique constitulionnelle, assez fréquente chez les habitants de Cherbourg; les sujets ainsi constitués doivent faire peu d'usage de fruits et de légumes, et user au contraire de substances animales et de vin. Les tisaimes amè- res , le sirop anli-scorbulique , l'elixir amer de Peyrilhe , cer- taines préparations, dans lesquelles entrent l'iode et le fer, con- viennent à ceux de ces sujets chez lesquels cette constitution lymphatique et exagérée. Pour les sujets doués du tempérament sanguin , il convient d'associer aux substances animales des aliments tirés du règne végétal, et d'user discrètement des assaisonnements; le vin que l'on peut permettre comme boisson ordinaii'e doit être largement coupé d'eau ; cependant dans le pays où le cidre , qui est la boisson habituelle, plait généralement aux habitants plus que le vin , on peut en continuer l'usage, pourvu qu'il soil •H2 NOTir.E léger et qu'on en use sobrement; les boissons alcoh'qiies doivent èlre absolument proscrites. Quant aux individus chez lesquels se fait remarquer celte impressionabilité , qui est un des caractères du tempérament nerveux, ils doivent être nourris d'aliments doux, mais substantiels; il faut combiner leur alimentation de manière à donner des forces sans provoquer d'irritation ; en général, le régime doit se rapprocher davantage de celui des sujets à tem- pérament sanguin, que de celui des sujets à tempérament lympalhique. Après le choix des aliments , je citerai , comme non moins important , celui de l'habitation. L'habitation doit réunir des conditions telles qu'on jjuisse facilement s'y garantir du froid et de l'humidité; il faut encore qu'elle soit éloignée des foyers •susceptibles de répandre dans l'air des miasmes ou des éma- nations fétides. . Un logement , pour réunir les conditions désirables de salu- brité , doit être spacieux , élevé au-dessus du sol , bien aéré, et recevoir, an moins pendant quelques heures de la journée, l'influence des rayons solaires; les ouvertures doivent être bien closes et les murs exempts d'humidité. Mais, malheureu- sement , il n'est pas donné aux personnes qui composent les classes mal aisées ou indigentes , de pouvoir choisir des loge- ments réunissant toutes les conditions que je viens d'indiquer: on ne voit que trop souvent des familles entières, composées d'un grand nombre d'individus, entassées dans une seule pièce, trop petite, mal close, ne voyant jamais le soleil, dominée par des murs ou des bâtiments élevés, et cei-née de murailles imprégnées d'une humidité fétide : à ces causes incessantes d'insalubrité viennent encore trop souvent se joindre celles qu'entrament le desordic le plus complet et la malpropreté la plus dégoûtante. soR l'angine couenneuse. 33 Il esl à remarquer cependant qu'au milieu de celte réunion de causes pernianantes d'insalubrité, il n'est pas rare de voir des personnes et même des familles entières offrir toutes les apparences d'une brillante santé ; c'est que fort heureusement notre organisation peut jusqu'à un certain point se plier aux modifications que lui impriment les agents même les plus dé- létères, et que l'habitude parvient à émousser l'activité de ces agents; ainsi des enfants , nés dans une atmosphère impure, qui deviendrait prompiement mortelle pour des individus vi- vant habituellement dans des lieux sains , peuvent s'y main- tenir dans un bon état de santé. N'a-t-on pas vu des hommes être fortement incommodés ou même périr subitement , pour être entrés dans des cachots où vivaient bien portants de misé- rables criminels ? Il ne faut cependant pas accorder à rinfluencc de l'habitu- de une puissance telle qu'elle puisse neutraliser complètement l'action des causes morbifiques. Les effets de cette action peu- vent ne passe manifester instantanément , mais se développer après un temps plus ou moins long, et produire l'altération de la constitution. N'est-ce pas dans les classes malheureuses , soumises à la i'uncste activité des causes insalubres , que l'on observe le plus fréquemment les affections scrophuleuses de toute espèce, les maladies cutanées, les difformités, les mala- dies scorbutiques et tontes celles enfin qui , suivant les expres- sions consacrées par les anciens médecins humoristes, attestent l'appauvrissement des humeurs? L'attention doit se porter ensuite sur l'habillement. Dans un climat tel que celui de Cherbourg, climat âpre, généralement froid, humide, et qui se fait surtout remarquer par de fré- quentes et subites variations de température, on ne saurait apporter trop de soins dans la manière de se vêtir. Les vête- ments de laine sont indispensables pendant les deux tiers de 3 34 NOTir.K J'annéfi, et ils doivent ôlre confectionnés de manière à cou- vrir exactement toutes les parties du corps sans gêner les mou- vements. C'est une erreur funeste que de prétendre fortifier la constitution des enfants en cherchant à les habituer dès le bas âge à braver, la poitrine, les bras et les jambes nus, les ri- gueurs d'un rude climat; quelques-uns résistent sans doute à ces dures épreuves , grâce à la vigueur de leur constitution ; mais combien en est-il que l'on voit succomber prématurément •à la suite de maladies aiguës ou de maladies passées à l'état chronique, telles que diarrhée, carreau, diverses espèces de phthisie , et dont on aurait pu conserver l'existence par des soins plus sagement dirigés. C'est surtout pour les enfants faibles , délicats , qui contrac- tent fticilement des rhumes , des angines, des irritations gastro- intestinales, qu'il faut redoubler de soins et de précautions. Les vêtements ordinaires leur sont insuffisants; c'est une né- cessité pour eux d'avoir la peau immédiatement couverte de tissus de laine; il faut les tenir enveloppés de camisoles, de caleçons, de las de laine; lorsque l'état d'un enfant lui permet de quitter ces vêtements pendant les chaleurs de l'été , il faut se hâter de les lui faire reprendre dès que la température commence à s'abaisser. A moins de circonstances particulières, il convient de ne pas tenir les enfants renfermés ; dès qu'ils sont convenablement vêtus, on peut , on doit même les laisser aller à l'air libre, et leur permettre de s'y livrer à leurs jeux. Mais il faut éviter l'humidité et le passage brusque d'une température élevée à une température plus basse, surtout s'ils sont en transpiration : dans ce dernier cas , il faut se hâter de changer leurs vêtements et les empêcher de boire aucune boisson froide. En usant de ces précautions avec prudence et sagesse , la constitution des enfants s'affermit; ils deviennent moins impressionnables et SUR l'angine couenneuse. 35 par conséquent moins susceptibles d'èlre influencés par les di- verses causes propres à provoquer les maladies. Je dois encore indiquer comme moyen prophylactique , la précaution de faire cesser toute espèce de communication entre les enfants bien portants et ceux atteints de la maladie. Quoi- que la contagion de l'angine couenneusc , et surtout celle du véritable croup, puisse être contestée, la séquestration n'en est pas moins une mesure que commande la prudence. Un ma- lade, quelle que soit du reste sa maladie, répand toujours dans l'air des émanations insalubres, qui peuvent agir d'autant plus fiicilement sur les enfants, que chez eux les fonctions du système absorbant s'exécutent avec une remarquable activité. Mais cette mesure de précaution , que peuvent facilement prendre les personnes qui vivent dans l'aisance , devient im- praticable chez les indigents et même chez la plupart des ou- vriers, dont tout le logement se compose souvent d'une seule pièce ; c'est encore une de ces particularités fâcheuses contre lesquelles les ressources de l'art deviennent impuissantes, et qui cependant entraînent souvent dans une même famille la perle de plusieurs de ses membres. Traitement. Le traitement de l'angine couenneusc se compose d'une sé- rie de moyens variés , applicables aux diverses phases de la maladie. J'ai déjà fait remarquer que cette angine consistait princi- palement en une inflammation de la membrane muqueuse, avec tendance de l'exudation à se transformer en fausse mem- brane ; c'est donc à combattre cette inflammation dès son dé- but que doivent tendre tous les efTorts du médecin; or, les émissions sanguines occupent le premier rang parmi les nom- 3r> IVOTrCE breux moyens qu'il convient d'employer pour la faire avorter , ou au moins pour atténuer sa violence , empêcher son exten- sion , el prévenir la formation des produits diplitéritiques. Dans les circonstances ordinaires , s'il n'existe point d'é- pidémie , et si l'angine ne se manifeste qu'avec de légers symptômes, ce serait peut-être agir avec trop de précipitation, et sans nécessité absolue , que de débuter par des émissions sanguines. Un simple vomitif, quelques boissons adoucis- santes , des gargarismes , des cataplasmes, des lavements, des bains de pieds synapisés , de la dièle , du repos peuvent suffire ; et l'on ne doit avoir recours aux saignées ou aux sang- sues que dans le cas où, malgré l'emploi des premiers moyens, la maladie montre de la tendance à s'aggraver. Mais la conduite du médecin doit être différente lorsque l'angine couenneuse règne avec le caractère épidémique. Il doit alors de prime abord user des moyens les plus éner- giques , car on a fréquemment remarqué que la maladie, quoique débutant en apparence avec peu d'intensité, marchait quelquefois d'une manière insidieuse , faisant des progrès lents mais incessants , et que l'inflammation, qui n'occupait d'abord que le voile du palais , les amygdales et le pharynx, envahissait d'un côlé les fosses nazales, et de l'autre le la- rynx , la trachée artère et quelquefois môme les bronches. Chez les adultes , si la maladie débute avec violence , il faut commencer par une saignée à la lancette , que l'on pourra même renouveler si le sujet est fort et de constitution san- guine. Après la saignée, il convient de faire, sur les parties la- térales du cou , vers le point qui correspond aux amygdales , dont on aperçoit le gonflement à l'extérieur , une application de dix ou douze sangsues, application que l'on fera suivre de celle d'un cataplasme renouvelé aussi souvent que l'exigera rëcouleraent du sang. Dans le cas de véritable croup, c'est sur SUR i/angine COUÈNNEUSÉ. 3? les œiés du larynx que devra être faite celte application de sangsues. Chez les jeunes enfants, il est rare que la saignée h la lan- cette soit nécessaire, et on doit même s'en abstenir lorsqu'ils sont très-petits. Il suffît ordinairement de faire sur les points que je viens d'indiquer des applications de sangsues, qui pour- ront être plusieurs fois répétées suivant les circonstances. Quant à la quantité de sangsues, elle doit être déterminée d'a- près l'âge du sujet. Pour les enfants de six h dix-huit mois, on doit se borner à deux ou trois ; mais on doit en augmenter le nombre en raison de celui des années. Celte quantité, qui peut sembler trop restreinte, m'a cependant généralement paru suf- fisante. La circulation capillaire est irès-active chez les en- fants , et l'on obtient ordinairement une assez grande abon- dance de sang à l'aide d'un petit nombre de sangsues. Il est avantageux d'obtenir un écoulement lent mais pro- longé , et l'on peut en conséquence ne pas attendre la cessa- tion complète de l'effusion sanguine pour appliquer de nou- veau une ou deux sangsues, si l'état de l'irritation inflammatoire le réclame. Mais les émissions sanguines doivent-elles être indistincte- ment employées chez tous les sujets, quelle que soit leur cons- titution? On peut, sauf certaines réserves , répondre affirma- tivement à cette question : la première et la plus pressante indication est celle de combattre l'inflammation; c'est pres- que toujours une question de vie ou de mort , et l'on com- promettrait évidemment la vie du malade, si l'on attachait trop d'importance aux effets secondaires plus ou moins fâ- cheux que peuvent produire les émissions sanguines chez les sujets dont le tempérament est lymphatique ; il faut seule- ment en user avec réserve et discrétion , n'en réitérei- l'emploi que dans les (îirconstanccs iuipcricnses , ne pas provoquer 38 NOTICE d'écoulement sanguin trop abondant, et savoir enfin s'arrêtera propos avantd'avoir poussé trop loin la débilitation du malade. C'est surtout lorsque la maladie débute dans le larynx , dans le cas de croup primitif, que les émissions sanguines doivent être employées sans retard et sans égard pour la constitution du sujet. Le médecin ne saurait être trop pénétré de ce pré- cepte ; principUs obsta sero, medicina paratur ; le moindre retard peut en effet rendre mortelle une maladie contre la- quelle des laits nombreux viennent chaque jour démontrer d'une manière incontestable les ressources et la puissance de la médecine. Les émissions sanguines doivent être immédiatement suivies de l'emploi d'un vomitif. Cinq ou dix centigrammes de tar— trate de potasse et d'antimoine , dissous dans environ cent grammes d'eau sucrée ou édnicorée avec le sirop d'ipéca , doivent être administrés en deux ou trois doses aux jeunes sujets et seulement ])ar cuillerées aux petits enfants jusqu'à effet vomitif. Les vomissements doivent être favorisés par des doses plus ou moins répétées d'eau chaude légèrement sucrée. Quelques médecins pensent que dans les cas pressants , dans ceux qui s'annoncent avec de violents symptômes, il convient, pour ne pas perdre de temps , d'employer h la fois et l'appli- cation des sangsues , et les potions slibiées. Je suis loin de blâmer celte méthode, que j'ai moi-même quelquefois mise en usage ; cependant, ayant remarqué que chez quelques sujets le trouble opéré dans la circulation par l'effet de l'émélique faisait refouler vers l'intérieur le sang qui parcourait le tissu celullaire sous-cutané et le système cutané lui-môme , et di- minuait par conséquent , ou même tarissait l'écoulement san- guin , je me suis décidé à laisser couler le sang pendant un certain temps avant d'administrer l'émélique, et je n'ai ja- mais eu à me repenlir d'avoir agi de celle manière. SUR l'angine couknneuse. 39 Assez géiiéralemeni, cinq ou dix ceniigrammes de lariraie de potasse et d'antimoine m'ont paru suffisants pour provo- quer le vomissement ; cependant j'ai remarqué que dans cer- tains cas , rares, il est vrai, toutes les forces vitales, concen- trées vers le siège du mal, laissaient l'estomac dans une sorte d'inertie qui le rendait insensible à l'action du médicament ; il s'établissait alors dans cet organe ce qu'en médecine on dé- signe sous le nom de tolérance, état fort remarquable et qui permettait d'employer des doses énormes d'émélique sans qu'il en résultât de vomissement. Cette circonstance, dans la maladie qui nous occupe , ma toujours semblé fâcheuse , parce qu'elle prouve la violence ei l'étendue de rinflammation, et parce que les plaques couenneuses ne peuvent être ni déchi- rées ni expulsées par des secousses de vomissements que l'on a inutilement cherché à provoquer ; peut-être dans ce cas, qui heui-eusement se présente rarement, devrait-on substituer à l'émétique le sulfate de cuivre ou le sulfate de zinc. Mais la maladie ne cède pas toujours à une application de sangsues et à l'administration d'un émétique ; les symptômes, après avoir paru d'abord un peu enrayés , reprennent quel- quefois une nouvelle intensité. Si le pouls est développé , si rien n'annonce une trop grande diminution de forces, il n'y a point à balancer : il faut de nouveau recourir aux mêmes moyens; je les ai employés souvent et avec succès pendant plusieurs jours de suite , répétant aUernativ(!ment l'emploi des sangsues et celui de l'émétique. Après les émissions sanguines et les vomitifs , les moyens thérapeutiques sur lesquels on doit le plus compter sont les dérivatifs et les révulsifs, tels sont les bains de pieds chauds , simples ou synapisés : les synapismcs placés aux pieds , aux jambes , aux cuisses ou à la nuque ; les vésicatoircs employés comme rubéliants, et appliqués pendant (juehiucs heures seu- 40 NOTICE leraent au cou ou à la nuque ; les lavements simples ou pur- gatifs. Mais , pour remplir elficacemcnt le but qu'on se propose , celui de détournei' l'irritation , ces moyens ne doivent pas être indifféremment employés dans toutes les périodes de la mala- die. Quelques médecins cependant en usent conjointement avec les émissions sanguines et les émétiques; mais je pense qu'on ne doit agir :iinsi que dans certains cas très-pressants : quand la maladie est déjà avancée, et lorsque le sujet est d'une constitution lymphatique et peu irritable, les révulsifs puissants, et ceux surtout dans la composition desquels entre de la mou- tarde, peuvent produire de mauvais effetsaudébutde la maladie; et chez les sujets irritables et à tempérament sanguin , les douleurs vives qu'ils provoquent produisent une excitation qui accélère la circulation , augmente le mouvement fébrile et ajoute à l'irritation de la partie malade au lieu de la détourner. Il est donc prudent et rationel de se borner, dans la première période de la maladie, à une dérivation non irritante, qu'il est fa- cile d'obtenii- pardcslavemenlsémoUieiits ou légèrement laxa- tifs , des fomentations chaudes sur les membres inférieurs , des bains de pieds dans une solution chaude de sel commun, des cataplasmes également chauds, qui peuvent être préparés avec une décoction de cendres et arrosés de vinaigre. Dès que l'on est parvenu à modérer l'irritation, que le pouls s'est un peu ralenti, que les pulsations vibrent avec moins de force , il faut recourir aux révulsifs énergiques; leur action est d'autant plus efficace que l'irritation inflammatoire a été préa- lablement amoindrie. On peut donc alors appliquer aux mem- bres inférieurs de forts synapismes, dont il faut cipendantdébar- rasser le malade dès qu'ils commencent à éveiller de vives dou- leurs, mais pour les réappliquer presque aussitôt sur un autre j)oint ; on donne ainsi à la révulsion une activité soutenue, tout SUR l'ANGIINE COUENNEUSE. il en la niainlcnanlau degré d'énergie nécessaire. Les mêmes procédés sont applicables aux vésicatoires, qui ne doivent être employés qu'après les synapismesdans la deuxième et plus par- ticulièrement dans la troisième période de la maladie; mais comme leur eft'et est plus lent que celui des synapismes et qu'ils doivent rester pi us longtemps en contact avec la peau, il n'y a pas lieu de les renouveler aussi fréquemment. A ces divers moyens, il faut joindre une diète absolue , des boissons et des gargarismes adoucissants et l'interdiction delà parole; si le sujet est d'une constitution nerveuse et irritable, on peut user, soit à l'intérieur , soit en lavements de quelques antispasmodiques, teisque l'assa fœtida, le camphre, la valériane, etc. ; mais en général il faut peu compter sur les effets de ces moyens secondaires, même dans le croup dit nerveux ou spas- modique. On a conseillé l'usage du calomel dans l'espoir que ce médi- cament, par l'action qu'il exerce sur les membranes muqueuses de la bouche, pourrait provoquer une abondante sécrétion de mucosités, et par suite le décollement et l'expulsion de la fausse membrane ; les résultats n'ont pas répondu aux espérances que faisait concevoir ce moyen, que le docteur Bretonneau a eu la hardiesse d'employer à des doses énormes, celles de huit à douze grammes dans vingt-quatre heures. Cependant il est raisonnable de penser que le calomel administré en doses mo- dérées peut produire de bons effets, ne fût-ce que par une ac- tion révulsive sur les voies digestives ; mais il faut que ces voies soient en bon état et exemptes d'irritation. Les gargarismes dont les effets peuvent être considérés comme nuls dans le cas de véritable croup, peuvent au contraire, dans les angines qui affectent spécialement le voile du palais et le pharynx, produire de très-bons résultats par leur action locale et immédiate sur les parties malades. Au début de la ma- \'2 NOTICE ladie, ces gargaiisnies ne doivent êlre composés que delolions adoucissantes, telles que la décoction de guimauve, celle de fi- gues sèches, un mélange d'eau et de lait, etc.; lotions que l'on édulcore, soit avec le sirop de gomme, soit avec du miel blanc, et que l'on peut, suivant les circonstances, rendre un peu cal- mantes par l'addition de quelques préparations opiacées. Plus tard, lorsque l'irritation a perdu de son intensité on peut rendre les gargarismes plus actifs en y joignant quelques gouttes d'acide hydro-ohiorique, ou du chlorure d'oxide de sodium de Labarraque , à la dose de trois à quatre grammes dans cent cinquante grammes de liquide. On a encore proposé, commme moyen propre à combattre l'inflammation, l'usage de fumigations faites avec des décoctions éraollientes , que l'on peut au besoin rendre antispasmodiques en y ajoutant un peu d'éther. Les vapeurs produites par ce mé- lange modérément chauffé doivent être dirigées vers les parties malades à l'aide d'un entonnoir ou mieux encore en se servant d'un flacon de verre à deux tubulures, dont une recourbée doit être introduite dans la bouche. Si linflammation s'est étendue vers la glotte et le larynx , il faut, pour que la vapeur puisse atteindre ces parties, que le malade ne respire que par la bou- che; mais pour forcer les petits enfants à respirer de cette manière, on est forcé de leur pincer le nez. Je n'ai pas obtenu de remarquables résultats de l'emploi de ces sortes de fumiga- tions; mais comme il n'en peut résulter aucun mal, et qu'elles peuvent réellement produire quelque bien , on doit les em- ployer comme auxiliaires des autres médications. On ne peut en' dire autant des fumigations de vapeurs ammoniacales et de celles de chlon^ proposées par quel- ques médecins ; ces vapeurs irritantes doivent être pros- crites, parce qu'elles peuvent ajouter à la gravité du mal en augmentant l'iiiflammaliou et en déterminant son cxicn- sur. l'angiine couenneuse. 4.1 sion vers les bronches ei peut-être même jusqu'aux poumons. Lorsqu'à une époque plus avancée de la maladie, les parties enflammées se sont largement couvertes d'un enduit couenneux épais, les lotions adoucissantes devenant inefiicaces, il est né- cessaire d'avoir recours h une médication plus active et qui puisse, sans trop ajouter à l'irritation, détruire les concrétions membraneuses et prévenir leurreproduction. Plusieurs moyens ont été proposés et expérimentés , mais malheureusement ils n'ont pas toujours répondu aux espérances que l'on avait con- çues, parce que, lorsque l'enduit couenneux, devenu épais et consistant, a envahi de larges surfaces, la maladie a déjà atteint un si haut point de gravité, que le rétablissement du malade est devenu fort douteux. On voit trop souvent en eflet le mal parvenu à ce point ne recevoir aucune modification de l'emploi rationnel des moyens les plus actifs, et marcher avec une sorte de fatalité, sans s'arrêter et sans dévier, vers une terminaison funeste. Les principaux moyens dont on peut user dans cette grave position du malade, consistent dans l'application immédiate, sur les points qu'il est possible d'atteindre, de l'acide hydro-chlo- rique mêlé à haute dose avec du miel rosat, d'une solution de nitrate d'argent ou de ce même agent appliqué directement sous forme solide; d'une forte solution d'alun; ou mieux encore de l'insufflation de ce médicament réduit en poudre très fine ; on a aussi conseillé des insufflations de calomel ; lorsque ces médicaments sont sous forme liquide, on en fait l'application à l'aide d'un pinceau de charpie ou d'une petite éponge fine soli- dement fixée^au bout d'une tige en bois. Ces applications doi- vent être fréquemment répétées , et l'on doit , après chacune d'elles, avoir la précaution de faire gargariser le malade. Mais cette énergique médication peut donner une nouvelle intensité à l'inflammalioii ; il faut alois la suspendre et recoui-ir 4i NOTICE de nouveau aux gargai'isiues adoucissanls, et même, suivant les circonstances , à de nouvelles applications ds sangsues. L'application de ces moyens est souvent fort difflcile et quel- quefois même impossible chez les enfants ; il arrive fréquem- ment qu'ils s'y refusent avec une obstination que ne peuvent vaincre ni les prières ni les menaces ; en pareille circonstance, je me suis borné à faire introduire de temps en temps dans la bouche , à l'aide du doigt ou d'une petite cuiller , du miel blanc seul ou très-légèrement acidulé avec l'acide hydro-chlo- rique ; et je crois avoir dans plusieurs cas obtenu de ce procédé bien simple d'aussi bons résultats que ceux que j'aurais pu attendre d'une médication plus active. il ne me reste, pour terminer, qu'un mot à dire sur la tra- chéotomie , opération sur les avantages et la nécessité de la- quelle les opinions sont encore fort divisées : préconisée par les uns, qui l'admettent dans la série des moyens qui doivent être employés dans le traitement du croup , entièrement re- jetée par d'autres, elle est cependant acceptée par le plus grand nombre comme un moyen extrême , comme une res- source dernière, qu'il est permis d'employer lorsque le malade paraît voué à une mort certaine. On ne peut contester que, con- formément au précepte : melius anceps quain nullum expe- riri remedium , il vaut mieux hasarder une opération qui n'est pas sans gravité, et quelque douteux qu'en puisse être le résultat, que de rester spectateur inactif de la perte du malade. Cette opération est seulement applicable aux cas d'angines ii'achéo-laryngées ; son but est de donner au malade menacé de suffocation le pouvoir de respirer , et de permettre l'ex- traction en totalité ou en partie, de la fausse membrane qui tapisse le larynx et la trachée artère. La fausse membrane conserve quelquefois de fortes adhérences , et son enlève- ment ne devient facile que lorsque onirc elle et la membrane SUR l'angini: couenneuse. 45 muqueuse est venu s'interposer un fluide musqueux qui ù- cilite leur séparation. Alors, même que tout semble aussi favo- rablement disposé, toutes les diflîcultésne sont pas encore sur- montées, car il ne suffit pas de débarrasser le conduit aérien dans le voisinage de l'ouverture pratiquée à la trachée, il faut encore pouvoir atteindre les portions de membranes qui peuvent s'être formées plus loin, vers la partie supérieure des bronches. Lorsqu'enfin on est parvenu h rétablir la liberté de la res- piration, et à débarrasser complètement le conduit aérien des fausses membranes qui l'obstruaient , il ne faut pas en con- clure que le danger est passé. Le bien-èlre qu'éprouve le ma- lade n'est souvent que passager: c'est que la trachéotomie ne combat point le fond de la maladie, mais seulement un de ses plus graves symptômes ; presque toujours le mal poursuit s.a marche fatale , l'inflammation continue ses progrès , de nou- veaux produits membraneux se forment, le spasme lui-même ne fait souvent que s'accroître, et le malade finit enfin par suc- comber, après avoir obtenu pour tout résultat une courte pro- longation de sa triste et douloureuse existence. A ce lugubre tableau, on ne peut opposer que de très-rares exemples de succès ; et Cherbourg ne peut en citer qu'un pendant la durée de l'épidémie. On ne doit procéder a cette opération qu'après avoir obtenu l'assentiment des parents, et s'être assuré que le malade est en état de le supporter ; car s'il était trop affaibli , s'il touchait à l'agonie, on s'exposerait 'a le voir succomber entre les mains de l'opérateur. Du reste, il faut convenir que l'opération en elle-même n'offre pas une extrême gravité , et qu'elle peut être promptement terminée; mais on doit éviter autant qu'il est possible d'intéresser les vaisseaux thyroïdiens , dont l'ou- verture occasionnerait une hémorragie difficile à arrêter et qui pourrait devenir mortelle. TOURVILLE. COMBAT MVAL DE BEVEZIERS. [10JmUetl690.] ( d'aPBÈS les archives du temps déposées au ministère de 1.* MARINE. ) PAR M. LE CHANTEUR DE PONTAUMONT. Les liens d'une étroite amitié semblaient alors unir la Hol- lande et la Grande-Bretagne. Le roi Jacques II, proscrit dWn- gleterre , était venu à la cour de Louis XIV chercher un asile et des secours (1). Son successeur, Guillaume III , se trouvait chargé de la lâche laborieuse de comprimer les troubles d'Ir- lande , qui était restée fidèle au parti du roi exilé, et de com- battre la suprématie maritime de la France. (1) L'histoire de Normandie consigne un fait qui prouve que le roi Jacques, dans son exil , avait conservé ce sentiment que l'on nomme amour de la patrie. Tendant le combat de la Hougue, en 1692, il se trouvait au château de Quinéville, près Valognes, lorsque, des combles de cet édifice, il aperçut le désastre de la flotte française ; il ne put retenir une exclamation de joie à la vue de cette défaite, due en grande partie aux parages dangereux ou combattait , par ordre de In Cour, l'amiral Tourville et ses lieutenants. -18 COMBAT NAVAL Eli juillet 1690, l'escadre anglo-hollandaise , alors dans les parages du cap Beveziers (1) , sur les côtes d'Angleterre, ap- prit que la flotte française , opérant son entrée dans la Man- che , se disposait à marcher à sa rencontre et à lui livrer combat. Cette flotte , réunie à Brest et aux ordres du vice- amiral de Tourville (2) , était forte de 70 vaisseaux de 1er rang, de 5 frégates, de 18 brûlots et de 15 galères (3). L'avant- garde était commandée par M. deChateaurenaud , lieutenant- général des armées navales , le corps de bataille par Tourville, et l'arrière-garde par le vice-amiral d'Estrée. Le capitaine de vaisseau Jean-Bart commandait, hors ligne, la frégate VJl- cyon , destinée à éclairer l'avant-garde. Pour donner une connaissance plus exacte de cette flotte , la plus belle qui fût au monde à celte époque , nous repro- duirons ci-dessous le nombre et la force des vaisseaux, avec le nom des capitaines qui eurent l'honneur de les commander dans cette glorieuse journée. AVANT-GARDE. ( Flamme bleue et blanche au mât de misaine. ) Equipages. Canons. Commandanis. Le Fier , 500—80 de Relinguc , chef d'escadre. Le Fort , 375—60 D'Arteloire. (1) Beveziers, cap de la Manche, se trouve par 50o 4V 23" N., et par 2o 5' 4" 0. de Paris ; il est hérissé de hautes falaises, mais à ses côtés se trouvent de bons ancrages. (2) En 1690, Tourville avait 48 ans ; il était né au château de Tourville, arrondissement de Coutances, en 1642. (3) Ces galères, aux ordres du brave Bailli de Noaiiles, furent obligées de relâchera Camaretà cause du mauvais temps, et ne purent se trouver au combat du 10 juillet. DE BEVKZIERS. 49 Equipages. Canons. Commandants. Le Maure , 330—52 Cher de la Galisonnièrc. L'EcIalant , 400—66 de Septème. Le Conquérant , 600 — 72 /W'^ de Fillette, lieut.-gén. Le Courtisan , 400— 6i de Poinlis. L'Indien , 330—54 de Roussel. Le Trident , 330—54 de Riberet. Le Hardi , 330— 5 1 C'o Desgout. Le Saint-Louis , 380—60 de la Rogue-Percin. L'Excellent , 375—60 Clr' de Monibron. Le Pompeux , 500—76 D'Aligre. Le Dauphin Royal ■ ■ 800 — 100 de Chateaurenaud , lieut.- gén., cora. l'avant-garde. L'Ardent, 420—70 d'Infreville. Le Bon , 360—56 Ch«^ deDigoine. Le Précieux , 350—60 de Péri net. L'Aquilon , 350—56 deBeauvais. Le Fendant, 350—58 de la Vigerie. Le Courageux , 370—60 de Sévigné. La Couronne , 500 — 72 jW's deLangeron, chef d'esc- Le Ferme , 400—58 de Vaudricourt. Le Téméraire , 380—62 duRivault. HORS LIGNE. Le Solide, < — 42 de Ferville. L'Alcyon , 400—60 Jean-Bart. L'Eole , 300—46 du Tast. BRULOTS DE L AVANT-GARDE. L'Hameçon, € — « Deslauriers. oO COMBAT NAVAL Equipages. Canons. Coniinanilunls. Le Fanfaron , « — « Laserre. La Branche d'Olivier, « — « Moreau L'Impudent, • — « Origenne, M''. Le Déguisé . " — « de Lalande. Le Dur , « — 'de Longchanips. CORPS DE BATAILLE. ( Flamme blanche au gand mât ). Le Brusque , 350- L'Arrogant , 373- L'Arc-en-Ciel , 350- Le Henri , 400- Le Souverain , 600- Le Brillant , 380- Le Neptune , 300- Le Sanspareil , 370- Le Fidèle , 350- Le Diamant , 370- Le Sérieux , WO- Le Tonnant , 500- Le Soleil Royal , 900- Le Saint-Philippe , 580 Le Marquis , « - Le Furieux , 375- La Fortune , 400 L'Apollon , 400 Le Saint-Michel , 360 -56 de Ricourt. -60 Ch'''- des Adrets. -50 Ch''^ de Saint Maur. -66 D'Amblimont. -74 deNesmond, chef d'escadre. -64 de Beaujeu . -50 de Fourbin. -60 Ch" de la Rongère. -56 Ch" de Fourbin. -60 de Serquigny. -62 Ch*^'' de Bellefontaine. -82 M'^ de la Parle, chef d'esc. -I06C"= de Toiirville, V.-A. com. en chef de l'armée navale. -8'i' Ch«'' de Coëtlogon, chef cV es. - « Ch«'' de Chateaumorand. -60 Denots. -66 Pallas. -62 Bidemelt. -60 de Villars. DE BEVEZIERS. Kquipages. Canons. Coniiiiaitdanls. L'Entreprenant , Le Magnifique , Le Content , Le Verniandois , Le Cheval-Marin , Le Fougueux , 370—60 de Sepeville. 600—86 /W'* D'JmfreviUe, lieu.-gén. 400—66 C"' de Saint Pierre. 375—60 Ducliallard. 300—40 Ch^"^ D'Anifreville. « - j de Saint Marc. HORS LIGNE. Le Faucon 300— 4i de Mombault. BRULOTS DU CORPS DE BATAILLE. Le Périlleux , L'Espion , L'Insensé , La Jolie , La Bouffone , Le Fâcheux , — « Monnier. — « Terras. — n Cadeneau. — « Naudy. — « Descourtils. « Verguin. ARRIÈRE-GARDE. ( Flamme bleue a l'artimon). Le Comte , Le A^gilant, Le Parlait , Le Triomphant , Le Bourbon , Le Duc , 300—44 M'^ de Blenac. 375—56 Ch-^' de Chalais, 400—60 de Machault. 500—72 Ch"' de Flacowt, chef d'esc. « — « D'IIervault 350—50 de Paillière. •S2 COMHAT NAVAL Le Vaillant , Le Capable , Le Brave , Le Français , L'Agréable , Le Florissant , Le Grand, Le Belliqueux , Le Prince , Le Prudent , Le Modéré , Le Fleuron , L'Aimable , L'Intrépide, Le Glorieux , L'Illustre , Le Terrible , Equipages. CanoDS. Comnianclaat». 350 — S4 de Feuquières. « — « de la Boissière. 375—62 de Chanipigny. 300—52 Ch" D'Ailly. 400—60 de la Mollie. 500—75 de Cogolin. 600—86 O^ DEstrée, vice-amiral** 500—78 Des francs. 360—58 B"° des Adrets. 300—58 des Herbiers. 350 — 56 Desaugers 360—60 de Chabcrt. 400—70 de Magnon. 460 — 80 de Cabaret , lieut.-géné. 420—68 de Belle-Ile-Erard. 500—76 Ch^"- de Bosmadec. 600 — 80 de Pannetier, chef d'escadre. Le Léger , HORS LIGNE. 350—44 de Rouvroy. I BRULOTS DE L ARRIERE-GARDE. L'Impertinent , • — « de Frémicourt La Diligente , « — « Rolland. Le Bout de Feu , « — « D'Estienne. Le Royal Jacques , « — « Perron. La Maligne , ( — « de Russy. L'Extravagant , < — « de Montandre. DE BEVEZIERS. 33 RÉCAPITULATION. Vaisseaux et frégates 75(1) Brûlots 18 Equipages dont le nombre d'hommes est connu. 28,885 Canons 4,^585 L'armée ennemie se composait de 70 vaisseaux de ligne et brûlots. L'avaiit-garde , formée de bâtiments hollandais, était commandée par un vice-amiral de cette nation nommé Evert- zon ; le corps de bataille par un autre officier-général hollan- dais, Vanderkulm , et l'arrière-garde par Herbert, comte de Torringlon, amiral anglais. Dans la nuit du 9 au 10 juillet , le vice-amiral ïourville, arrivant dans les parages dont nous avons parlé ci-dessus , et sachant qu'au point du jour, il se devait trouver en vue de l'ennemi , fit connaître au lieutenant-général Chateaurenaud , commandant l'avant-garde, que son intention était de com- battre le lendemain. Après cet ordre, qui fui donné vers mi- nuit, il fit signal de mouiller à toute l'armée. Les mesures é- taient si bien prises que, lorsque le jour parut , l'avant-garde française se trouvait à peu de distance des ennemis. Ceux-ci étaient au vent et voyant l'avant-garde séparée du reste de l'ar- mée, ils voulurent profiter de cette position et arrivèrent sur elle. M. de Chateaurenaud appareilla alors et vint regagner en bon ordre la tête de la ligne, puis mit en panne , avec le corps (1) En 1676, la marine française était forte de 117 vaissseaux de 120 à 24 canons et de 70 autres bâtiments de rangs inférieurs , tels que frégate» légères, brûlots, etc. Cffisloire de Colberl, par A. de Serviez page 'i3S>). Hi r.OWBAT NAVAL d'ai'iiiéo, pour attendre renneiiii. Les Hollandais, qui formaient l'avant-garde , arrivèrent les premiers et engagèrent l'action avec M. de Chateaurenaud ; mais ils commmirent une grande faute , en n'étendant pas assez !eur ligne pour combattre les vaisseaux de la tôle. Cette faute bien établie, la division de Villette reçut l'ordre de revirer sur l'avanù-garde hollandaise ])OUr la prendre entre deux feux , puis le comte de Tour- ville, avec tout le corps de bataille etl'arrière-garde, s'avança sur la ligne ennemie et commença le feu. La lutte la plus acharnée s'engage et se prolonge jusqu'au soir; des milliers d'éclairs sillonnent sans relâche les larges flancs des vaisseaux. La mort est partout : le sang coule sur le pont comme dans les galeries dorées (1), à fond de cale comme dans les hunes. Sur une large surface de mci- règne une indicible carnage ; les dé- tonnations de l'arlillerie se mêlent aux accents furieux des combattants. Au plus fort du danger, le feu éclate à bord du vaisseau hollandais de 82 le Doutrech : les braves marins de Hollande combattent d'une main et éteignent de l'autre l'in- cendie qui dévore leur navire. Bientôt il ne reste aucun espoir de le sauver. Alors, objet d'horreur et de pitié ! on vit ces (1) Les archives de rintendance'dc la marine à Brest donnent l'état des meubles des vaisseaux montés par des officiers généraux au 17e siècle. En voici quelques extraits ; « Une enseigne de poupe de damas rouge , brodée » des armes du roi et parsemée de fleurs de lis d'or et de L couronnées, » longue de 54 pieds sur 36 de large. Une autre enseigne de damas blanc , » brodée comme la précédente et de même dimension. Un pavillon, pour le » grand mât de taffetas blanc, de 28 pieds de haut sur 40 de long. Un pa- » Villon, pour le beaupré, mi-partie de damas blanc et bleu, parsemé de n fleurs de lis d'or. Trois grandes flammes de tatTetas blanc pour les 3 mâts, » la première de 140 pieds de long, la seconde de 130, et la trosième de 70. » 22 flammes de taffetas blanc chacune de 50 pieds de long. Le mobilier de » la chambre de l 'officier-général se composait d'un lit, 2 fauteuils, » 12 sièges plians et 2 carreaux , le tout de bois doré et couvert de » 3 brocards, l'un tout or, l'autre ponceau or et argent, l'autre or, argent » et vert. Les cntours de taffetas vert , 10 rideaux de damas blanc , 2 V tables et '« guéridons sculptés et dorés. Un tapis de Turquie. nii BKYEZIERS. S5 hommes intrépides allendre que le (eu, parvenu aux poudres, eût lancé aux français leurs cadavres mutilés et sanglants, mêlés aux débris consumés de leur vaisseau. ïourville, du haut de sa dunette, un porte-voix de combat à la main , le front ombragé d'un chapeau oiné de plumes blanches et revêtu d'un habit de drap d'oi', dont l'éclat le si- gnale aux coups de l'ennemi , observe d'un regard tranquille les chances de la bataille et donne les ordres nécessaires pour assurer la victoire. Chaque officier, chaque matelot est à son poste , combattant sous les yeux de son amiral. Brillent égale- ment au fort de la mitraille l'uniforme des officiers tout d'or et de dentelles, le frac écarlate du garde-marine, Técharpe blanche du matelot et l'habit brun du soldat. (1) Le vaisseau le Teirible , désemparé par les bombes, est obligé de faire vent arrière et de se retirer de la ligne. Le Fleuron et le Modéré , criblés par l'ariillerie ennemie et coulant bas, ne tardent guère à le suivre. Vllluslre , commandé par le chevalier de Rosma- dec , se trouve , par cette manœuvre, seul et entouré de cinq vaisseaux hollandais contre lesquels il combat jusqu'au momen où le Soleil- Roy al , monté par Tourvillc, vint le dégager et démâter trois des vaisseaux ennemis dont il essuyait le feu. L'effroi et le découragement régnent dans la ligne anglaise ; une ardeur sans espoir mais héroïque se montre encore dans l'escadre de Hollande, qui combat toujours avec intrépidité. Dans cet effroyable choc , dans cette affreuse mêlée que le (1) Les capitaines de vaisseau, avec la culotte cramoisi à jarretières d'or, avaient le justaucorps bleu galonné et entièrement couvert de points d'Espa- gne or et argent. Celui des odicicrs ordinaires ne portait que de larges galons d'or sans point d'Espagne, ainsi que celui des gardes-marine qui était écar. lato. Les matelots avaient la veste bleue , la culotte cramoisi et une petite écharpe blanche. Les soldats de marine étaient habillés de drap muscdou- blé d'écarlate. ê>6 COMBAT NAVAL voile sanglant de la guerre obscurcit depuis le matin , l'inten- dant (1) de l'armée , les commissaires des trois escadres , et notamment l'un d'eux, M. de Salantin, se multiplient en chaque endroit et pourvoient aux éventualités du combat (2). Tout cède h la valeur française, et la ligne ennemie commence à relentir son feu. Le vaisseau où flotte le pavillon de l'amiral Herbert était depuis quelque temps déjà sorti du corps de bataille avec ses seconds, qui avaient été , ainsi que lui , dé- mâtés par le Soleil Royal. Les autres bâtiments anglais ne tardèrent pas à suivre leur exemple et h se tenir, avec eux, hors de la portée du canon. L'avant-garde hollandaise, ou plutôt les restes de cette avant-garde , combattit encore cependant avec courage pendant plus de deux heures après cette déroute ; mais voyant enfin qu'ils étaient lâchement abandonnés par l'escadre anglaise, et qu'ils perdraient jusqu'au dernier marin et au dernier bâtiment, les braves amiraux Evertzon et Van- derkulm se décidèrent à opérer une honorable retraite. On vit alors les vaisseaux , débris de celte avant-garde , faisant un dernier et puissant effort , arriver sous le vent afin d'éviter notre feu et profiter de la marée pour s'éloigner. Ainsi finit cette horrible lutte. Ce fut alors que l'on vit dans son ensemble les pertes des équipages et les nombreuses avaries (1) L'ordonnance de Louis XIV. du 15 avril 1689, titres 4 et 6, traite des attributions de ces intendants des armées navales et de celles des com- missaires généraux à la suite de ces armées. Les premiers prenaient rang avec les lieutenants-généraux et les seconds avec les chefs d'escadre* (2) L'ordonnance précitée du 15 avril 1689 , titre 10 , fixe les attributions des commissaires d'escadre. Ils prennent rang avec les capitaines de vais- seau. L'ordonnance de 1786, l'arrêté consulaire dn 17 floréal an 8, l'or- donnance de 1827 et même celle du 3 janvier 1835 , qui a mutilé l'ancien corps de l'administration de la marine . maintiennent lesdites fonctions de commissaire d'escadre. DE BEVEZIERS. 57 des vaisseaux. M. de Cliateaurenaiid , dans un lappori faii à la suite de celle affaire , cile tous les ofticiers qui se distin- guèrent dans celte glorieuse niaissanglanlcjournee.il nomme la presque lotalité de ses capitaines , ainsi que les lieutenants du Freloir , de Champagnel , de Geoffroy^, de Boisfort, de Noret , de Gourdon , du Fresloy et de Boistenard, ainsi que le garde-marine Baudoin , grièvement blessé dans celle cir- constance. 11 ajoute : « Le sieur de Sarlou , capitaine comman- > dant les gardes-marine, a fort bien commandé les gens du j château d'avant, ayant sous lui le sieur d(! Saint Paul , an- ) cien lieutenant des galères, qui commandait les mille sol- ^ dais des galères embarqués avec moi h Toulon. J'oubliais i de vous dire que le chevalier de Clermont, officier des ga- > 1ères, a été tué sur le Pompeux , mon matelot d'avant , et » le sieur de la Piaudière , capitaine en 2e sur Y Jrdent , mon > matelot d'arrière , a été blessé considérablement au bras t qu'il va perdre. J'ai reçu de M. l'intendant tout le secours î dont je pouvais avoir besoin pour les hommes dont j'avais » en morts et blessés à mon bord plus de cent. Pour mon vais- > seau (\e Dauphin Royal ) , il n'a point largué dutout , et » il est heureux que le bois n'en éclate point. J'ai travaillé à « remettre en état mes manœuvres qui, presque toutes, avaient » été coupées et présentement je, suis bien mieux en étal de « combattre que la première fois, mon équipage (1) ayant fait s une épreuve dont il avait besoin , n'y ayant pas six hommes » qui l'eussent faite. J'ajouterai en terminant que M. de Sa- « lantin , commissaire de l'escadre , a témoigné plus de va- • leur qu'il n'est permis d'en avoir à un homme de sa profes- » sion : je réserve à vous dire ce qui regarde sa haute utilité (1) Le Dauphin iîoya/ |étail de 800 hommes et de 100 pièces de tanon. 38 COMBAT NAVAL DE BEVEZIERS. ) et SOU application à son emploi dont je suis Irès-salisfait (1). » Le résultat de ce combat naval fut la prise ou la destruction de 17 vaisseaux hollandais et anglais , de 70 h 80 pièces de canon. Dans ce nombre n'entrent point ceux que ïourville détruisit en poursuivant l'armée après la déroute. La marine batave éprouva à Beveziers un échec irréparable. Les états de Hollande se plaignirent amèrement h la cour d'Angleterre de la faiblesse avec laquelle lord Herbert avait abandonné leur escadre. Celui-ci , traduit devant un conseil de guerre , fut condamné à une dure détention à la tour de Londres (2). Quant aux amiraux hollandais , lout le monde fut d'accord pour décerner un tribut d'éloges à leur courage. Tel fut le combat de Beveziers, dans lequel Tourville , cet homme extraordinaire comme son siècle , préluda si glorieu- sement aux désastres qu'il fit peser sur la marine anglaise dans le courant de 1690 et 1691, et vengea par avance l'échec; que le pavillon français reçut en 1692 h la Hougue , par suite des ordres imprudents de la cour et de Seignelay , alors ministre de la marine. (1) Rapport de M. de Chateaurenaud , en date du 12 juillet 1690 , à bord du Dauphin Royal. (2) Mémoires de tout ce qui s'est passé sur mer , etc. , par Burchelt , secrétaire de l'amirauté d'Angleterre, 1704, p. 76. MÉTHODIQUE DES MOUSSES TROUVÉES DM'U'ARROllSSEMmDECIlERBOliRG; tAR P. A. DELACHAPELLE , ancien pharmacien à Cherbourg. En publiant le Catalogue des mousses que j'ai trouvées dans les environs de Cherbourg , je n'ai pas eu la pensée de donner une simple liste de ces plantes , mais bien d'aider les jeunes botanistes à déterminer au moins les genres de cette famille ; pour arrivera ce but , j'ai fait précéder ce Catalogue d'un ta- bleau analytique des genres. Parmi le nombre des auteurs qui ont écrit sur les mousses , les plus récents n'ont pas toujours eu entre les mains les ou- vrages de leurs prédécesseurs, et ont souvent donné un nom à une espèce qui déjà en avait reçu un autre ; ou bien encore l'attrait de faire une découverte , a faii élever au rang d'espèce des Mousses qui ne sont que des variétés. Ces diverses causes ont jeté une grande confusion dans la synonimie. Pour rendre autant que possible ce Catalogue utile, et faci- liter l'étude des plantes de celte ramillc, j'ai suivi la nonion- fin CATALOGUE claluie adoptée par Duby dans le Botanicoii GalUcum , en étendant seulement la liste des synoninips eontenus dans cet onvragc. MOUSSES. Les Mousses sont de petites plantes qui offrent en miniature, dans leur ensemble , une organisation analogue à celle des plantes phanérogames. Nous examinerons succinctement les divers organes de ces végétaux' nécessaires à connaître, pour déterminer les genres de cette famille. Ces plantes, de 1 h 15 centimètres de hauteur, croissent gé- néralement en tapis sur les arbres , les rochers et la terre ; leur racine est fdamenteuse , plus ou moins ramifiée ; la lige est simple ou rameuse , droite ou rampante, garnie de feuilles sessiles entières , plus ou moins imbriquées. La fructification est composée d'une capsule , urne [theca ) ovoïde ou cylindrique , couverte par une membrame géné- ralement en forme de cornet , appelée coiffe ( calyptra ) l'ou- verture de l'urne se nomme péristome , et le couvercle qui la ferme 'opercule. Le péristome est souvent entouré d'un petit cercle ordinairement coloré de rouge ou de brun et placé entre l'opercule dont il paraît faire partie dans quelques espèces , etj'orifice de l'urne, qu'il entoure comme un anneau, coloré dans d'autres. Le péristome est nu lorsque l'ouverture est privée de dents DKS MOUSSES , ETC. 61 OU cils ; il est simple lorsqu'il est garni d'une seule rangée de dénis ou cils , double lorsqu'il esl bordé de deux rangées de dents , l'une intérieure , l'autre extérieure. L'opercule est conique , quelquefois hémisphérique . la coiffe est à ouverture droite et horizontale. ( Mitriforme) ou à ouverture oblique , cuculli forme , comme si cette coeffe élail divisée diagonallement par moitié. Le tableau analytique qui précède cette notice contien*. le nom des genres de mousses dont nous avons trouvé des espèces dans noire arrondissement ; le Botanicon gaUicum n'en contient que quinze de plus , savoir : le splacliniim , ïencaiypta, Vandrœa, \e buxbaumia , le zigo- don, le fabronia, le tiinmia, le iremalodon, le dipliyscinm, le cinclidotus , X'edwigia, le voilia , le conostomum, le ptychostomum et le dissodon. Quatre de ces genres : splachniun , encalypta , andrœa et biixbaumîa , offrent des caractères tranchés et faciles à déterminer; ils sont anciennement formés, et ont été adoptés par tous les bo- tanistes. Les onze autres peuvent être regardés plutôt comme des sous-geures , car ils ne diffèrent des genres dont ils ont été détachés que par des caractères souvent difficiles à saisir. Comme il peut arriver que des espèces appartenant aux uns ou aux autres de ces quinze genres se trouvent dans notre pays , nous croyons devoir eu présenter ici une des- cription succincte. Le genre zigcdon diffère du bryum par son urne , qui est droite au lieu d'être pendante, et par le nombre des cils intérieurs du péristomc , au nombre do huit au lieu de seize comme dans le bryum. 4)2 CATALOOL'K Le périrtonic iiitérieui- du genre timmia est formé de soixanlc-qualre cils anastomosés, et libres seulement au sommet : dans les bryums. les cils, au nombre de seize, sont libres dès la base. Dans le genre fabronia , l'ui-ne est latérale ; le peris- tome simple a seize dents rapprochées deux à deux et recourbées en dedans. Dans le trematodon , l'urne est terminale; le péristome est simple , a seize dents droites , perforées dans leur par- tie inférieure. Il diffère du dicranum , dont les dents sont conniventes et non trouées. L'espèce qui forme le genre buxbaumia est haute d'un centimètre, et ne présente à la vue qu'un pédicule noi- râtre , portant une urne à ouverture oblique. On n'y aper- çoit ni lige ni feuilles. Le genre diphyscium , détaché du précédent , est formé d'une seule espèce. Cette mousse est composée d'une pe- tite rosette de feuilles , du centre de laquelle s'élève une urne grosse et sessile. Cette plante est encore plus petite que la précédente. Dans le genre cinclidotus , la coiffe est mitriforme. Le irichostonuni , avec lequel ce geure a beaucoup de rapport, en diffère par sa coiffe cuculiforme. Le genre hedwigia a été séparé du genre anictangium : dans le premier la coiffe est cuculiforme , dans le second file est mitriforme. DES MOUSSES , ETC. (>;> Le genre voÎTiA ne diflëre des phascums que parce que, dans le voitia , la coiffe est beaucoup plus grande et per- sistante. Dans le genre conostomum la coiffe est cuculiforme , et les dents du péristome sont réunies au sommet en forme de cône : dans le grimia , avec lequel il a beaucoup d'a- nalogie , les dents sont réfléchies et la coiffe mitrifornie. Le genre ptvcostomum , qui faisait partie du genre bi'vum , eu a élé détaché parce que les dents extérieures de son péristome sont adhérentes à la membrane intérieure, qui au contraire est libre et divisée en lanières au sommet , dans le genre bryum. Le genre encalypta , dont l'urne est terminale et le péristome simple , se reconnaît facilement à sa coiffe mi- trifornie, grande, et recouvrant entièrement l'urne, faisant leffet d'un éteignoir. Dans le genre splachnum , l'urne est cylindrique et por- tée sur une large apophyse figurant une bouteille dont l'urne serait le cou. Le genre dissodou rentre dar.s le précédent , et n'en diffère que par des caractères peu visibles. Les espèces du genre andr^a sont d'une couleur brune, et n'atteignent pas un centimètre de hauteur ; l'urne se divise en quatre valves, retenues au sommet par un oper- cule ; à la maturité , les valves se renversent et pi'ésen- lont l'aspect de la fructification des jungermanes. «4 CATALOGUE ANALYSE DES GENRES DES MOUSSES Trouvées dans l'arrondissement de Cherbourg. 1 2 Observ. On a suivi ia nomenclature du Bolanicon gallicum. ^Urne à opercule soudé, qui ne s'ouvre jamais PHASCUM. (a). (Urne à opercule caduc, tombant à la maturité 2. f Peristome nu 3. I Peristome garni de dents 5. f Coiffe nulle ou peu distincte, urne globuleuse .... SPHAGNUM. (6) (Coiffe visible et très-distincte urne ovoïde ou oblongue 4. f Coiffe à ouverture oblique GYMNOSTOMUM. (c) ( Coiffe à ouverture droite ANICTANGIUM. (c) r Dents soudées à une membrane horizontale recouvrant l'ouverture de 5I l'urne 6. 'orifice de l'urne bordé de dents libres au sommet 7. rCoiffe composée de poils ferugineux et entrelacés. POLYTRICHUM. (d) (Coiffe galabre OLYGOTRICHUM. (dj f Orifice de l'urne bordé d'une seule rangée de dents 8. ( Orifice de l'urne bordé de deux rangées de dents 19. ( Coiffe à ouverture oblique 9. ( Coiffe à ouverture droite : 14. ( Dents contournées en spirale TORTULA. {ej ( Dents droites 10. ( 16 dents 11. 10 (32 dents 13. 11 (Dents fendues au sommet DICRANCM. CD (Dents entières 12. DES 5I0CSSES, ETC. 65 ^fUrne terminale WEISSIA (h) *"(Urne latérale PTERIGRYNANDRUM.(i) ^Pédicule latéral LEUCODON. (g) { Pédicule terminal DIDYMODON. [g) (Dents contournées en spirale FUXARIA. (t) (Dents droites 15. i Dents entières 16. l^j Dents fendues au sommet coiffe luciniée à la base. THESANOMI- ^ TRION. r/)- ( Quatre dents TETRAPHIS (m). loi „, (Plus de quatre dents 17. ( Urne sillonnée en long, coiffe souvent poilue . . ORTHOTRICHUM (nj (Urne lisse, coiffe toujours glabre, 18. f Dents longues cétacées élroiies à la base. . . . TRICHOSTOMUM (kj. (Dents élargies à la base, pyramidales GRIMIA (hj. ^^fUrne terminale 20. 19 < ( Urne latérale 23. ^ (Coiffe à ouverture oblique 21 20 ^ ( Coiffe a ouverture droite 22, 2^ j Urne globuleuse , . BARTRAMIA (o). vUrne pyriforme, oblongue ou cylindrique BRYUM. (pj. I Urne lisse, pyriforme, coiffe vesiculeuse toujours glabre. FU'VARIA (l). ^\ Urne sillonnée, non pyriforme, coiffe souvent poilue. ORïHOTRI- ^ CHUM Cn). (Coiffe à ouverture oblique 04 23 ' ~ ( Coiffe à ouverture droite 25. / Péristome externe à 16 dents, l'intérieur à 16 cils distincts à la base 2j^ NECKERA.(g). i Péristome externe à 16 dents , à l'intérieur, une membrane divisée en '^ lanières HYPNUM (r). 2- (Plante aquatique FONTINALIS (u). { Plante terreste , 26. Urne presque sessile _ DALTONIA (s). : Uroe à pédicule long IIOOKERIA (<)- 'à 26 C6 CATALOGUE (à) PHASCUM.Argiletie. Ce nom , d'origine grecque, désignait rusnéedeïheopbraste. Linnée donna ce nom à notre genre de mousse, etHedwige l'a conservé. Les espèces qui composent ce genre sont les plus petites plantes connues ; réunies en grand nombre, elles forment des plaques veloutées sur la terre : elles ne croissent point sur l'écorce des arbres. {b) Sphagnum. Sphaigne tourbette. Ce nom, donné par Pline a quelques espèces de lichens et de mousses, a été imposé à ce genre par Dillenius et conservé par Linnée et Hedwige. Les plantes de ce genre ont un aspect tout particulier par la couleur de leurs feuilles, qui sont d'un blanc verdà- ire et se colorent souvent d'une teinte rouge remarquable, la tige atteint ordinairement 15 h 20 rentim. de hauteur; elle est flexible , à lameaux courts et fascicules, ne dépas_ sant pas le sommet de la tige. Ces plantes croissent en touffes serrées dans les lieux marécageux , et présentent l'aspect d'un gazon compact et spongieux. [c] Gymnostomum. Rasule(Hedw.) et anictangium(Turner) fen- dillette. Ces deux genres, qui ne diffèrent entre eux que par l'ou- verture de la coiffe, croissent sur la terre ou les pierres; les espèces en sont généralement peu rameuses , et celles du dernier genre ont les urnes presque sessiles. Sous le nom de Schistidium , Bridel a formé un nou- veau genre des espèces qu'il a détachées Je ceux-ci. [d] PoLYTRiCHUM. Polylric. olygotrichum olygotrich, catheri- nelte. Ces deux genres, qui ont été réunis en un seul dans le DES MOUSSES , ETC. 67 Bvîan Gallic, ne diffèreni que par la coiffe qui, dans les polyirichums, est composée de poils nombreux, ferrugineux et pendants, tandis que, dans l'olygotriclium , la coiffe est glabre ou garnie de quelques poils au sommet , et ascen- dant. Les espèces des deux genres ont les tiges droites, peu rameuses, les feuilles fermes et d'un vert foncé. Les poly- tric. croissent sur la terre on sar les murs, dans les lieux arides et les bruyères; les olygotric. se trouvent dans les lieux humides ou ombragés. [e] ToRTULA. Tortule. De cegem-e, Bridel, danssa Bryologieuni- t'^r.ye//e, en a formé deux ; barbula barbule, et syntricliia tresule; les espèces du genre barbule ont les dents libres dès la base ; celles du genre syntrichia, outre les feuilles qui sont plus larges , ont les dents du périslome, soudées €l formant un tube qui ne laisse que vers le sommet les dents dislinctes, comme daus le ï. subulata , ï. mucro- nifolia, ï. ruralis, ï. alpina. Toutes les espèces du genre tortula croissent générale- ment sur la terre et sur les murs , près des lieux habités ; rarement dans les lieux agrestes et parmi les rochers. (/) DiCRANUM. Bifurque. Le genre dicranum est bien distingue par ses dents fendues vers le milieu ; mais il a beaucoup d'analogie avec plusieurs genres formés à ses dépens , par plusieurs auteurs modernes : ainsi, le genre thesanomitrion, lorspied, campylopus (Brid.) , ne diffère du dicranuu» que par sa coiffe, dont l'ouverture est droite au lieu d'être obli- que, comme dans ce dernier. [g) Les genres Leucodon blanche-dent et didymodon jumeline double dent , ne diffèrent du genre dicranum , que parce fis CATALOGUE que la fissure des dents part de leur base et fait paraître ces dents rapprochées deux à deux. Les genres leucodon et didymodon diffèrent entre eux par l'urne , qui est laté- rale dans le premier et terminale dans le second. [h) Grimia-ninette et weissia-verdule. Ces deux genres, qui ont plusieurs caractères communs, croissant généralement sur les pierres et sur la terre, se distinguent aux dents droites et étroites dans les weissia; et pyramidales et réflé- chies dans les grimia. Les espèces de ce dernier genre ont les urnes sessiles ou portées sur de très-courts pédicules et croissent généralement sur les pierres et parmi les rochers; très-rarement sur la terre nue et sur l'écorce des arbres. (/) Pterigynandrum. Axillaire. Ce genre, dont l'on trouve des espèces soit sur l'écorce des arbres, soit parmi les rochers, se font remarquer par leurs jets simples, flexueux, fasci- cules, à feuilles toutes imbriquées et d'un aspect soyeux. Les dents du péristome sont droites et à égale distance. {k) Tricuostomum. Frangine. Les espèces de ce genre, dont les dents sont fendues dès la base, en deux ou plusieurs la- nières, fines et molles , croissent toujours sur les rochers ou sur la terre nue ; elles font partie des genres dryplodon et racomitrion de Bridel , dans sa Bryologie universelle ; le genre trichoslomum de cet auteur diffère de celui-ci par la coiffe , dont l'ouverture est oblique dans le second et droite dans le premier. (/) Funaria. Cordette. Ce genre est facile à reconnaître h son urne en toupie et à son pédicule contourné, de manière que l'urne paraît renversée. Ce genre ne contient que deux es- bES MOUSSES, ETC. 69 pèces , dont l'une, le F. hygrometrica, esl très-commune. Elle croît sur la terre. m) ÏETRAPiiis. Quadrident, tetracmide. La seule espèce que j'aie trouvée , le T. pellucida, se fait remarquer par ses tiges fructifères, simples, nues à la base, garnies de feuilles petites, et les inférieures en formes d'é- cailles ; les tiges stériles sont plus hautes, les feuilles plus larges et forment par leur réunion, au sommet, une espèce de disque en forme de coupe. Cette espèce croît sur la terre, parmi les rochers, et en gé- néral dans les lieux humides et ombragés. [ri) Ortuotricum. Orthotric, auricome. Ce genre, dont le péristome est simple dans quelques espèces et double dans d'autres, est un des plus naturels de la famille des mousses; les espèces qui le composent crois- sent sur les arbres; plus rarement parmi les rochers. Leur coiffe est sillonnée et souvent garnie de poils; les dents ex- térieures du péristome, au nombre de 8 à 1 6, sont renversées et les cils intérieurs horizontaux. L'aspect particulier et semblable de ces mousses ne permet pas de les confondre avec celles d'autres genres. (o) Bartramia. Pommette. L'urne sphérique, dans toutes les espèces de ce genre, le distingue facilement de tous les autres. (/») Byrum. Bry. Sous ce nom, Dioscoride et Pline désignaient des plantes de la famille des mousses; Dillenius établit ce genre, qui fut adopté par Edwige et par les botanistes mo- dernes, après lui avoir fait subir diverses modifications. / 0 CATALOGUE Ce genre était alors un des plus nombreux de la famille des mousses. Dans les espèces de ce genre, Turne est pres- que toujours ou penchcie ou pendante, l'opercule convexe, mamillaire ou conique , ne se prolongeant jamais en pointe allongée. Les bryums sont en général simples ou peu rameux ; on ne les rencontre ni sur les arbres ni dans les eaux. {q) Neckera-neckere , eleuterie. Ce geni-e se distingue du genre hypnum par les dents du péristome interne, qui sont libres dès la base, au lieu de faire partie d'une membrane intérieure, comme dans le genre hypnum ; dansée dernier genre, les dents du péristome externe sont réfléchies, et dans le neckera, elles restent dressées. Les espèces de ce genre sont peu nombreuses; Duby n'en désigne que quatre dans le Botanic. Gallic. (r) Hypnum. Hypne, branchule. Duby a réuni aux hypnes les espèces du genre leskea de Decandole. Ces deux genres ne difl'éraient entre eux que par les cils, que l'on trouve par- mi les dents du péristome interne du genre hypnum, et qui manquent dans le genre leskea. {s) Daltgnia. Ce genre a été formé , aux dépens du genre neckera , dont il ne diffère que par sa coiffe à ouverture droite ; il ne contient que deux espèces, le D. pennata et le D. heteromala. (/) Hookeria. Ce genre ne contient qu'une espèce. Le H. lu- cens, qui faisait partie du genre leskea de Decandolle , le hookeria ne diffère des espèces du genre hypnum que par sa DES MOUSSES, ETC. 71 coiffe à ouverture droite , tandis que tous les hypnunis ont la coiffe a ouverture oblique. (m) Foistinalis. En lisant les caractères de ce genre , on pour- rait être embarrassé à le distinguer du daltonia ; mais comme les espèces de fontinale croissent toujours sur les pierres au fond des eaux courantes , que leurs tiges sont longues de 15 à 18 centimètres et que leurs feuilles sont d'un vert presque noir , on ne les confondra jamais avec celles d'une autre genre. § 1''. PERISTOME DOUBLE. t URNE TERMINALE. POLYTRIGHUM. * Urne sans apophyse. P. scBROTONDUM. Celle mousse assez commune croît sur les hauteurs de la Fauconière, parmi les bruyères, P. NANUM. Cette espèce, réunie à la précédente par Duby , en diffère par ses pédicules plus longs et plus flexueux, et doit être considérée au moins comme une variété. P. ALoiDEs. Tige simple , courte, urne cylindrique. Croît sur la Fauconière. 72 CATALOGDK P. URNiGERUM. Tige l'umeuse , urne cylindrique , rétrécie vers lepéristome , s'inclinant après la chute de l'opercule. Croît sur la hauteur de la Loge. Le P. nigresens de la 11. fr. , que Duby considère comme une variété du P. commune est regardé par Brid. comme une variété du P. urnigenim. On doit rapporter à cette espèce les P. axillare de la fl. fr., le P. dubium de Scop., le P. ramo- sum de Dill. ** Urne portée sur une apophyse. P. COMMUNE. Tige simple , urne oblonguequadrangulaire. Cette mousse est commune dans les lieux humides. La variété allenuatum est le P. gracile de Brid. , le P. lon- giselum de Swarts , le P, auriautiacum de Schl. , le P. formosnm de Brid. sont rapportées par Hook et Tayl. au P. commune. Plusieurs autres rapportent la variété yuccœfo- lium au P. formosum. P. PiLiFERUM.. P. Pilosum ( Brid. ) Tige simple, nue à la base, feuilles terminées par un poil blanc; urnequadrangulaire. Commune aux environs de Cherbourg. P. JUNIPERINUM. Le P. strictum fl. fr. , le P.Juniperinum variété gracile ( Brid. ) , doivent être rapportés à la méave espèce. Croît sur les murs, près les Fourches. OLIGOTRICHUM. O. UNDULATUM. Tige simple , urne cylindrique penchée , opercule surmonté d'une longue pointe. 73t Commune dans les prés et les lieux humides , fiuclilie au printemps. BARTRAMIA. B. POMiFORMis. Feuilles suijulées , urne droite , opercule plane. Croît sur les fossés, à Tréauville, près l'église. B. FONTANA. Tige à rameaux fascicules presque simples , urne à ouverture oblique. Cette Mousse fructifie irès-rarenient. Croît dans les marais; elles se fait remarquer par ses touffes serrées et d'un vert clair. Dans les prés au Maupas. FUNARIA. F. HYGROMETRiCA. Tige nullc , fcuilles ovales , aiguës , urne renversée , pédicule tortillé. Cette mousse fructifie au printemps, et est commune sur la terre et les fossés. BRYUM. ' Tige généralement privée de feuilles dans le bas. B. PALUSTRE. Tige à rameaux épars, feuilles lancéolées, pointues , urne cylindrique , déprimée au milieu et sillonnée, Croît dans les prés tourbeux. B. LiGULATUM. Souche rameuse, fouilles ondulées , pédicules I* CATALOGUE agrégés , urne ovoïde , pendante , opercule courte et con- vexe. Commune sur le revers des fossés humides. B. cuspiDATUM. Mnium serpilifolium , variété cuspidalum ( Linn. ) , urne ovoïde pendante , opercule, conique obtus. Croît sur la terre , dans les lieux humides. B. puNCTATUM. Feuilles ovales entières , urne ovoïde pen- dante , opercule aigu. Commune sur les fossés frais et ombragés. Obsv. Ces quatre espèces se font remarquer par leurs feuilles transpa- rentes et comme ponctuées. " Tige généralement feuillée. B. ARGENTEUM. Tigcs nombrcuscs , serrées, formant un ga- zon d'un vert glauque argenté. Commune sur les couvertures en pierres. B. CAPiLLARE. Tige courte , h feuilles terminées par une pointe , étalées dans le bas , fasciculées au sommet. Croît sur les fossés. B. CESPiTiTiUM. Tige presque nulle , à feuilles exactement imbriquées. Commune sur la terre. B. NUTANS. Tige nue dans le bas , feuilles lancéolées, con- caves , les inférieures petites , les supérieures plus grandes et fasciculées au sommet. DES JtOUSSKS, ETC. 75 LeB. cespititium de Moug. et Nesl. , n» 134 , doit èlre re- porté à celte espèce. B. HORNUM. Tige à feuilles lancéolées , dentées , lâches dans le bas, rapprochées et plus longues au sommet. Croît dans les lieux humides. B, ANNOTiNUM. ïige très-courte, rougeâlre, feuilles lancéo- lées , urne allongée pyriforme. Croît sur la teiTC. B. ALPiNUM, Tiges nombreuses , serrées en gazon , feuilles lâches , imbriquées , d'un vert rougeâtre. Croît au pied du Roule , entre les rochers. tt URNE LATÉRALE. DALTOMA. D. HETEROMALLA. Tige couchéc, rameuse, feuilles lancéolées rapprochées , urnes nombreuses , presque sessiles , naissant sur le même côté de la tige. Croît sur l'écorce des arbres. NECKERA. N. PENNATA. Rameaux pennés , à feuilles distiques , urne naissant à la base des rameaux. Croît sur les troncs d'arbres. Obsv. Celte mousse, que Duby a porlée au genre allonia, doit élre réintégrée au genre neckera par la forme de sa coiffe, qui est cucuiiformc- au lieu d'être mitrifornie , comme dans le genre d'aUonm. 76 CATALOGUE N. CRISPA. Rameaux pennés, feuilles distiques, pédicule nais- sant sur les rameaux , d'une gaine foliacée , urne droile. Croît au pied des arbres , dans le bois de Beaumont. N. PUMiLA. Cette espèce , moitié plus petite dans toutes ses parties que la précédente , en diffère encore par la longueur de la gaine du pédicule , qui dépasse la moitié de sa longueur. Croît sur l'ccorce des arbres. FONTINALIS. F. ANTiPYRETiCA. ïigc louguc, ramcusc , feuilles ovales ai- guës , disposées sur trois rangs. Croît sur les pierres, au fond des ruisseaux. HOOKERIA. H. LUCENS. Rameaux aplatis , feuilles distiques , larges , ovales, diaphanes , réticulées, d'un vert luisant. Croît sur la terre humide , au bord des sources. HYPNUM. * Urnes droites. * Rameaux aplatis , feuilles disposées sur deux rangs. H. coMPLANATUM. Feuillcs ovales, lancéolées, d'un vert jau- nâtre , urne ovoïde. Croît sur les vieux troncs d'arbres. H. TRiCHOMANOiDEs. Resseuiblc à l'espèce précédente , mais DES MOUSSES, ETC. 77 en diflère par ses feuilles plus petites et ses urnes cylindriques. ** Rameaux arrondis, feuilles imbriquées en tous sens. H. SERiCEUM. Tige très-rameuse couchée, à rameaux simples, feuilles luisantes, d'un vert jaunâtre. Commune sur les pierres et les vieilles souches. II. MYURUM. H. tumidiusculuin fl.fr., tige rampante, à ra- meaux nombreux et redressés , fascicules, arqués au sommet. Commune au pied des arbres. H. MYOSUROIDES. Cette espèce diffère de la précédente par ses rameaux minces et allongés , ayant l'aspect soyeux du Ple/igfiiaiidnim gracile et par son urne inclinée à sa ma- turité. Cette espèce croît sur les pierres , très-rarement sur l'é- corce des arbres. " URNES PENCHÉES. * Tige et rameaux aplatis , feuilles disposées sur deux rangs. H. DENTicuLATUM. Tige rauieusc de la base , rameaux sim- ples. Croît sur la terre, au pied des arbres, dans les lieux frais et ombragés. H. RiPARiuM. Tige de 4 à 5 centimètres, irrégulièrement ra- meuse , rameaux aplatis. Croît sur les pierres, les arbres innondés, au bord des ruis- seaux. 78 CATALOGUE H. coiXFEUTUM , H. ludwidgianum. ( Spreng. ) H. Tliuringinuin. ( Web. et Mohr. ) H. Clavellatum ( Hedwg. ) H. Cernuum ( Latour ). Croît sur les vieilles souches. H. RusciFORME. Il ne faut pas confondre l'H. tumidius cu- /wmdeLaniark, ajouté parDiiby comme synonimeàcette espèce, avec TH. tamidi usculuin de la fl. fr., qui doit être reporté comme synonime de l'U inyurum ; les H. atlanticum ( Des- font. ) , H. rivulare ( Hoffm. ), H. prolixum { Gmel. ) , doi- vent être considérés tout au plus comme des variétés de cette espèce. Cette mousse est commune sur les pierres, le long des ruis- seaux ; la variété rivulare dans une fontaine près la chapelle Saint-Sauveur. H. UNDULATUM. Tige couchée , peu rameuse , rameaux à feuilles larges, d'un vert blanchâtre. Croît sur la terre, parmi les bruyères. ** Tiges et rameaux applalis, feuilles imbriquées en tous sens. H. SPLENDENS. Cette mousse est commune dans les bois. H. PROLIFERCM. H. tatTiariscinum ( Linn.). Aussi commune que la précédente. H. PROELONGUM. Celle espèce est commune sur les vieilles souches. H. prœlongum ( V. Ludwigù ). Celte variété remar- quable par sa couleur brillante, souvent d'un jaune doré , croît dansleparcdeFlamanville. La variété speciosiim { Brid. ), ne diffère pas de l'H claiioni. DES MOUSSES , ETC. 79 *" Tige et rameaux arrondis , feuilles imbriquées en tous sens. H. ALOPECL'RUM. Cette espèce, commune sur les fossés hu- mides , se fait remarquer par ses tiges dressées et privées de feuilles. H. MURALE. H. cfavellatum ( Linn. ). Croît sur les pierres et les murs. H. vELtTiNUM. Cette mousse, que l'on trouve sur la terre et récorce des arbres. , croît de préférence sur les racines des vieux saules. H. iNTRiCATUM. Ne dilTôrc du i'eliitinum que par ses feuilles moins serrées. L'H. Reflexum et TH. popaleiim ont tant d'analogie avec cette mousse, et leurs caractères étant peu constants, quelques auteurs les rapportent comme variété de l'H. velutinum. H. SERPENS. Espèce remarquable par la grosseur de ses urnes comparativement à la petitesse de ses feuilles et à la ténuité de ses rameaux. L'H. Falcatuin ( Will. ) , l'H. spinulosum ( Hedvv. ) , H. tenue [^chvàà. ) , H. Repens. fl. fr. , toutes ces espèces doivent éire considérées tout au plus comme variétés de l'H. serpens. H. TENELLUM. Ccttc cspècc, plus petilcdans toutes ses parties, a tant d'analogie avec la précédente , que quelques auteurs en font seulement une variété. Ces deux mousses sont assez communes sur la terre et au pied des arbres. 80 CATALOGUF. H. ALBiCANs. Cette mousse, d'un jaune blanchâtre, à jets re- dressés et fascicules, se trouve dans les terrains sabloneux et arides. H. PLUMOSUM. H. Sericeum , \av\éié plumosum (Neck). (H. Salebrosum) , de divers auteurs. Obsv. D'après les observations de Bridai, dans sa Bryologie , l'H. plu- mosum, le salebrosum , l'H. pscudoplumosum seraient à peine des variétés de celle espèce. Commune sur la terre, les pierres et la racine des arbres. H. LUTESCENS. H. RamosLiiTi (Leers). H. sericeum , variété prœlongu/n (Weis), H. sericeum (Dill). H. stn'gosum, variété ramosum (Neck). Cette mousse, d'un jaune vert et luisant, croît sur les ar- bres , les pierres et les vieux murs. H. PURUM. Croît sur la teire, parmi les bruyères. L'H. illicebnim est à peine une variéîé de l'H. puriim. H. scHREBERi. H. compressum (Holîm), \\. piirum variété, (Huds), H. cuspidatum variété (Weirs), H. muticum fl. fr. Croît dans les lieux humides, parmi les bruyères. H. piLiFERDM. — H. cassubicum (Dicks). H. Filiforme fl. fr. Se trouve sur les vieilles souches. H. RCTABULiiM. — Cette mousse, l'une des plus communes, se distingue bien à son pédicule rude. H. STRiATUM. Les stries , les nervures des feuilles et la Ion- \ 81 gueui' de la poiiile de l'opercule , distinguent celte espèce. **** Feuilles scarieuses. 11. cuspiDATUM. Elle se reconnaît facilement à l'espèce de pointe allongée que forme l'extrémité des rameaux. Très-commune. H. coRDiFOLiuM. Cette espèce, réunie à l'H. Ciispidatiim par Ehrarl, en diffère par ses rameaux simples et plus allongés. Elle croît dans les fossés et les marais. H. LOREUM. Cette espèce est commune dans les lieux secs et ombragés. H. STELLATUM. Croît daus les prés tourbeux. H. SQUAROSUM. Commune dans les prés. H. SQUARROSULUM. Se distingue de la précédente par ses feuilles plus étroites, par sa stature plus petite. Rare. H. HALLERi. 11 ne faut pas confondre celte espèce avec l'H. halleri , synonyme de TH. molascuin. H. TRiQUETRUM. Cette mousse est une des plus communes. Dans les bois et les bruyères. ***** Feuilles dirigées d'un seul côté. H. FiLiciNUM. H. duhiiim 11. fr. Cette mousse rare croît dans les prés tourbeux. là 82 CATALOGUE H. coMMUTATUM. Cetteespècc, réunie par quelques botanistes à la précédente , en diffère par sa stature plus robuste , par ses rameaux plus régulièrement pinnés et ascendants. Cette espèce est rare ; elle croît principalement dans les ruisseaux. H. PALUSTRE. L'H. molindinarium, porté comme synonyme à cette mousse par Duby , est considérée par Bridel comme une variété de l'H, molle. H. ADUNCUM. Cette mousse, d'un jaune pâle et soyeux , varie, comme toutes les plantes aquatiques, dans sa forme et sa cou- leur. H. FLUiTANS. Cette belle mousse, haute de 8 h 10 centimètres, croît dans les ruisseaux. H. UNCiNATUM. Cette espèce, qui a du rapport avec l'H. aduncum , n'habite jamais, comme cette dernière les lieux marécageux. Elle croît principalement sur les montagnes, au pied des arbres. H. MOLUScuM. H. fialleri , (ïimm.), H. Iiedwigli fl. fr., H. compressum. fl.fr. Celte mousse, que Linnée paraît avoir confondue avec l'H. cristacastrensis , a reçu par divers auteurs les synonymes qui appartenaient à cette dernière espèce. L'H. molusciun se distingue de l'H. cristacastrensis par sa stature moitié plus petite, par ses masses moins étendues, plus compactes, plus crépues , et par ses pédicules beaucoup plus courts. H. RUGOSUM. H. lycàpodioides (Nech). H. diastophillnm fl. fr. DES MOUSSES, ETC. 83 dette eispèce rare croît au pied des rochers. H. cupREssiFORME. Cette mousse, une des plus communes, est infiniment variable dans sa t:iille et sa couleur. Parmi les nombreuses variétés que les botanistes ont reconnues, la va- riété compressum et la variété tenue se trouvent dans nos environs. Obsv. Les hypnum, strialum, piliferum, murale et rusciforrae, sont les seuls dont les opercules soient terminés par une longue pointe , ce qui les rend faciles à distinguer. § 11. PERISTOME SIMPLE (excepté quelques orthotriches). t COIFFE A OUVERTURE OBLIQUE LEUCODON. L. sciDROiDES. Trichostotnurn sciuroides (Web et Molir) , hypnum sciuroides (Linn). Celt« espèce rare croît sur l'écoi'ce des arbres. PTERIGYNANDRUM. P. GRACILE. Hypnum. ornithopodioidex (ïliids). H. gracile (Linn). Croît sur l'écorce des arbres. 84 CATALOCDE P. FILIFORME. Hypniim cylindricum (Smiili). Cette iiioiisse assez rare est plus petite dans toutes ses parties que la précé- dente. P. SMiTHii. Cette espèce très-rare se fait remarquer par la Tigidiiéde ses rameaux, courbés vers le sommet. Elle croît sur l'écorce des arbres, principalement sur les cimes. ÏORTULA. * Dents libres. T. MURALis. Croît en petits gazons sur les murs et les ro- chers. T. cuNEiFOLiA. Tige nulle, feuilles en rosette. Cette mousse est confondue par plusieurs auteurs avec le ï. muralis va- riété œstiva. T. ENERvis. Croît sur les murs argilleux et les fossés. ï. iiNGuicuLATA. Cctlc espècc a été divisée en un si grand nombre de variétés , qu'il est presque impossible de les déter- miner. On reconnaît le type à ses liges à peine hautes de 1 à 2 centimètres, h ses feuilles surmontées d'une petite pointe , à son urne cylindrique et à la couleur rouge de l'opercule allon- gé comme l'ongle d'un oiseau. T. RiGiDA. Comme la plupart des botanistes anglais ont confondu cette mousse avec le T. enenns, et par consé- quent les synonymes qui lui appartiennent ; pour distin- guer celle-ci, on doit lui conserver le nom de fric/iosto- 83 muin aloides (Brid.), sut- le caracièce que les dents allon- gées ne sont presque pas contournées en spirale à la base. T. NERvosA. 11 ne faut pas confondre celte espèce avec le bryum nervosum (HofT), qui n'est qu'une variété du T. unguiculata. T. TORTUOSA. Croît sur la terre, parmi les vieilles sou- ches. T. coNvoLUTA. Cette espèce se distingue bien à la cou- leur jaune de son pédicule, tandis qu'il est rougeàtre dans les autres espèces de nos environs. ** Dents soudées à la base. T. suBULATA. Opercule à longue pointe droite. Croît sur la terre et les murs. Roehl. regarde le T. mucronifoUa comme une variété de cette espèce , qui n'en diffère que par sa texture plus molle et son urne droite, le T. alpina, d'après Bridel , ne serait aussi qu'une variété du T. subulata. T. RURAus. Cette mousse rameuse, haute de 4 h 6 cen- timètres d'un aspect jaunâtre , croît principalement sur le sable et forme des tapis très-étendus dans nos Miellés. DIDYMODON. D. PuRPUREUM. Ceratodon purpureus (Brid.); dicranum purpiireum 11. fr. La couleur rouge dont est imprégnée 86 CATALOGUÉ celte mousse , la fait reconnaître aisément ; les pédicules sont transparents et d'une belle couleur pourpre. Elle est très-commune sur les toits et les vieux murs. DICRANUM. * Feuilles dirigées d'un seul côté. D. scoPARiuM. Très-commun, la variété, fuscescens D. longirostrum fl. fr. ; D. rupestre (Brid.) Rare. Se trouve dans les bois. D. FLAGELLARE. Cette espècc , qui » au premier aspect , a beaucoup d'analogie avec la précédente, en diffère par la forme de son urne et par ses feuilles très-entières. D. HETEROMALUJM. Cette moussc , qui atteint à peine 3 centimètres de hauteur est assez commune sur la terre, où elle forme de petits gazons. ''* Feuilles dirigées uniformément autour de la tige. D. GLAUciJM. Cette espèce se distingue bien par ses urnes presques sessiles et la couleur blanchâtre de ses feuilles. *" Feuilles disposées sur deux rangs oï^osés. D. viRiDULUM. fissidens bryoides (Brid); la variété exile (Duby) est conservée au rang d'espèce par Bridel, sous le nom de fissidens exilis. Ces deux très-petites mousses croissent sur la terre humide. DES MOUSSES, ETC. 87 D. Taxifolium. Plante un peu plus grande que la pré- cédenie. Se trouve dans les mêmes lieux. D. Adianthoides. Cette espèce, qui ressemble par la dis- position des feuilles , h celles qui précèdent , mais qui est beaucoup plus grande, croît dans les prés tourbeux. WEISSIA. * Feuilles ovales. W. LANCEOLATA. Croît en petits gazons sur la terre , et ne se trouve que très-rarement sur les arbres. ** Feuilles étroites. W. ciRRHATA. W. dicksoni. Croît sur les toits et sur les fossés. Le W. crispula est regardé par quelques auteurs comme une variété de cette espèce. W. CONTROVERSA. W. vuidula (Brid. ); W. pulvinata ( Moench. ); crispa (ïimni.). Cette mousse, beaucoup plus petite que la précédente, croît sur les fossés humides. tt COIFFE A OUVERTURE DROITE ET HORIZONTALE. THESANOMITRION. TH. FLExuosuM. Campylopus flexuosus (Brid.) dicranum flexuomni il. fr. Tige presque simple , feuilles subulées , pédicules tortueux. OO CATALOGUE Croit sur les rochers humides. TKICHOSTOMUM. \ TRI. poLYPHiLLUM. Dlcramim polyphyllnm, d. aggre- gatum (Brid.); bryum cïrrhatum. (Dill.) Croît sur les rochers. Rare. TRI. ACicuLARE. Cette mousse rare croît sur les rochers humides. TRI. HETEROSTICHUM. Racoinitrioii heterostichiitn. (Brid.); bryum secundum ( Gmel. ). Croît sur les rochers , parmi les bruyères. GRimA. G. PULViNATA. Dryptodon pulvinatus. [Brid.); dicranum pulvinatum. fl. fr. d. nigricans fl. fr. ; trichostomum pul- vinatnm. ( Web. ) ; bryum pulvinatum ( Linn. ). Cette mousse est commune sur les murs , où elle forme des touffes arrondies. G. ovATA. Campylopus ovatus , dryptodon ovatus. (Brid.); dicranum ovatum. (Hedw.); d. ovale fl. fr. Cette mousse , qui a l'aspect de la précédente , a les pédicules droits , au lieu d'être renversés comme dans le G. pulvinafa. Dans sa Bryologie , Bridel fait deux espèces de cette mousse : le grimiaovata, dont les dents sont entières; le dryptodon ovatus , dont les dents sont divisées au som- met par deux ou trois lanières. Mais ce caractère est telle- DES MOUSSES, ETC. 89 ment inconslant , que Hooker a réuni ces deux genres. G. PLAGiopoDiA. Toute la plante a un aspect grisâtre, à cause des longs poils gris qui la recouvrent. Croît sur les murs. Rare. G. MARiTiMA. G. alpicola , variété maritirna (Walh. ); Tf^eissia maritirna ( Poir. ). Cette mousse rare croît sur les rochers du bord de la mer , sous les fiilaises de Flamanville. G. APOCARPA. Croît sur les rochers et les troncs d'ar- bres , dans les bois de la Glacerie. ORTOOTRICHUM. * Péristome simple. 0. cupuLATUM. Bryurn sessile ( Gmel. ) Croît sur les arbres. O. ANOMALUM. 0. saxotHe ( Brid. ) 0. commune (P. de B.) Commune sur les pierres, au pied du Roule. '* Péristome double. + Urne sessile. O. AFFINE. Celte mousse et sa variété , O. pumilum f croissent sur les arbres. O. DiAPUAiNUM. Croît sur les arbres. 90 CATALOGUE 0. STRiATDM. Se trouve sur les arbres et les rochers. 0. RivuLARE. Cette espèce, qui croît sur les pierres, le long des ruisseaux, est d'un vert noirâtre. H — h Urne pédiculée. 0. CRispuM. Weissia crispa ( Roth. ) ; grimia capillata. (Moench. ) ; brjum sjrlvalicum; b. crispam ( Hoffm ). Cette mousse se fait remarquer sur les arbres , par ses touffes ar- rondies et crépues. TETRAPHIS. T. PELLUciDA. T. cxtindrica ( Voit. ) ; T. oblong. (Turn. ) bryum diaphanum (Web.) Croît parmi les rodiers. § 111. PERISTOME NU. ANICTANGIUM. A. ciLiATUM. Gymnostomum hedwigia. Commun sur les rochers, dans les lieux élevés. GYMNOSTOMUM. G. HEiMii. Intermedium ( Turn. ) ; G. affine ( Brid. ) Se trouve sur la terre , sur le rebord des fossés. DES MOUSSES , ETC. 91 G. TRUNCATDLUM. Celte mousse exirêmemenl variable, soit dans l:i hauteur de ses liges , soit dans la forme de ses feuilles, a été, par quelques auteurs, considérée comme une variété de la précédente. G. ovATUM. G. pusUlum (Iledw. ) pulvinalum (Lagasc.) Croît sur les murs d'argile. G. PYRiFORME. Bryum pyriforme (Linn.) Commun sur la terre, dans les lieux cultivés. G. viRiDissiMUM. Zygodon viridissi mus {Bvid.) , grimia forsleri{ Smith.); la fructification n'ayant pas été vue par la plupart des auteurs qui ont décrit cetie mousse , elle a été classée, tantôt dans un genre, tantôt dans un autre. Bridel, lui trouvant beaucoup d'analogie avec le zygodon conoideum , par sa couleur et la forme de ses feuilles , étant seulement plus robuste dans sa stature , l'a placée à la suite de cette espèce. Commune sur les arbres, où elle forme des petites touffes arrondies. G. FAScicuLARE. Bryum attetiuatum ( Brid. ). Cette mousse croît sur la terre argilleuse ; elle se distingue du G. pyri- forme par son opercule convexe et plus aigu, et par sa coiffe presque entière à sa base. SPHAGNUM. SPH. OBTusiFOLiuM. Variété t'u/g'âtr^ S. statîfolium 11. fr.,S. ObtiisifoUiim. variété minus. S. compactum. S. conden^ satam { Web. ) S. rymbilifolium ( Hedw. ). 92 CATALOGUE DES MOUSSES, ETC. Ces deux mousses soni communes dans les prés lourbeux et les marais. SPH. ACUTiFOLiuM. S. capîUifoUum ( Hedw. ) S. gracile ( Rich. ) , S. intermedium ( Hoff. ). Le pédicule, plus long dans cette espèce que dans la précédente , distingue bien cette mousse. § IV. MOUSSES SANS PÉRISTOME. PHASCUM. P. suBULATUM. Fomic de petits tapis , d'un beau jaune soyeux, sur la terre. P. cuspiDATUM. Cette mousse, qui fructifie en hiver, croit sur la terre , dans les jardins. P. MUTicuM. Croît sur la terre , en petits gazons. P. RECTUM L'urne, pédiculée dans cette espèce , la dis- tingue des précédentes , dont l'urne est sessile. RECnERCH£S HISTORIQUES CONCERNANT THOMAS HÉLIE Connu communément sous le nom du BIENIIFAllKUX THOMAS , Par M. GOUPPEY, Juge Ju tribunal civil de Cherbourg , membre de la société des antiquaires de Normandie, des sociétés académiques de Caen et de Cherbourg et autres sociétés savantes. Pour satisfaire au vœu de plusieurs personnes pour qui j'ai la plus profonde vénération , j'ai entrepris l'exa- men des questions suivantes : {"Le calice et la chasuble conservés à Biville , comme un don fait par Saint Louis à Thomas Hélie, ont-ils vraiment cette origine? 2° La tradition , d'après laquelle la partie de l'église de Biville où est le tombeau du Bienheureux serait la chapelle érigée en son honneur par la piété des fidèles f au pignon de l'église paroissiale, immédiatement après son décès , est-elle vraie P 94 RECHERCHES HISTORIQUES 3« Est-il prouvé que le culte de ce saint personnage a commencé de suite après sa mort, et qu'il était déjà même en odeur de sainteté pendant sa vie? Première question. Le calice en vermeil omiémÊm, dont la forme n'est pas de notre époque, porte, autour du piédestal, cette inscription six fois répétée : Sui donne par amour. Les biographes de Thomas Ilélie, et ceux qui dans diverses circonstances ont parlé de ce calice, ont cru devoir changer cette inscription, pour, à ce qu'ils croyaient, corriger une faute d'orthographe, lorsqu'ils en commettaient une contre les règles de la langue romane des pro- vinces septentrionales de la France, et ils ont rapporté que l'inscription disait : Suis donné par amour ; il y en a même qui ont cru devoir y ajouter le pronom je. Les accents grave, aigu et circonflexe sont des inventions modernes, sans que toutefois on en puisse fixer l'origine d'une manière précise. Le point sur 1'/ est dans le même cas ; j'en ai trouvé dans des ouvrages du XIII" siècle , comme j'ai trouvé les / sans points dans des ouvrages du XI V« siècle, et même du XV^. Ce qui est bien certain, c'est que, dans l'histoire de la langue française, l'absence d'accents comme de points sur la lettre / , dénote une haute antiquité de l'écriture. Le mot sui pour exprimer la première personne du présent de l'indicatif du verbe être, est la forme première adoptée dans la langue romane, née comme on sait de la corruption du latin , et du mélange d'un assez grand «ombre de mots des langues germaniques. Voir la Qram- CONCERNANT THOMAS HELIE. 9,) maire comparée des langues de l'Europe formées de la langue latine, par Raynouard , page 210. Quelque- fois le proiion je précédait le verbe, alors c'était j'o sui sans point, ou Jo sui avec un point. Voici quelques exemples de cette forme pris h livre ouvert dans les anciens monuments de la langue française : Mez fiéble sui, maint mal me sent, Ne cuid pas vivre lungenient. f Poème de Rou, vers 618 et 619.J C'est-à-dire : Plus faible je suis, plus mal je me sens. Je ne crois pas vivre longuement. Par vos sui en prison mis. (Fabliau d'Aucassin et NtcoleUe). Par vous je suis mis en prison. Qui sui tous siens et sui en sa devise. fCfiants du roi de Navarre.) Moi qui suis à elle et sujs en son pouvoir. .Ainsi est- il du monde à la journée d'hui. Car le povre oni n'est conneu de nulli ; Mais quand il devient riche, meint sen viennent h lui Qui lui disent : Cousin de vo lignage sui. (Fabliaux publiés par JubinalJ Ainsi est-il du monde aujourd'hui, Car le pauvre homme n'est connu de personne : IViais quand il devient riche , plusieurs viennent à lui , Qui lui disent : Cousin de votre lignage je suis. 9(5 RECHERCHES HISTORIQUES Ces exemples suffîsent ; c'est surtout à propos de cita- tions sur une question de philologie que Le secret d'ennuyer est celui de tout dire. Nous n'avons pas besoin de faire observer que, si nous avons ponctué à la moderne nos citations romanes, c'est par l'effet de l'habitude. Dans les auteurs en prose du XIV'= siècle, il est rare de trouvei" le verbe être sans le pronom ; le mot suis est employé plus fréquemment que sui. Les poêles variaient à cet égard davantage, parce qu'ils pouvaient ainsi, soit allonger le vers, soit le diminuer d'une syllable à volonté, et posséder deux rimes au lieu d'une. Froissart , qui écri- vait ses histoires , et quelques poèmes naïfs dans ce XIV'= siècle, emploie dans ses vers toutes ces formes : sui, svx. Je sui, Je suis. Je suy^; enfin la forme actuelle \Gsuis a prévalu et est restée seule. Si donc l'inscription du calice «Hait un document isolé de la tradition, il serait impossible d'alfirmer qu'elle n'eût pas été faite cinquante ans avant ou cinquante ans après Saint Louis; mais, comme il s'agit ici de savoir seulement si la tradition , suivant laquelle ce calice aurait été donné par Saint Louis au Bienheureux Thomas , est vraie, l'inscription faite très-grammalicalemenl, suivant la langue de cette époque-là, est une confirmation de la tradition. Nous devons ajouter, qu'après avoir examiné et comparé les lettres de cette inscription , une à une, avec de nombreux fac simile des écritures du temps de Saint Louis, nous avons trouvé la plus parfaite conformité. Encore une observation philologique : elle concerne le mot amour. Ce mot, qu'on écrivait aussi amor, amors , CONCERNANT THOMAS HELFE. 97 AMUR, nc^ signifie plus mainlenam , quand il isf isolé, que raffcclion d'un sexe pour l'autre ; il faut y joindre un autre mot pour eu spécialiser le sens; ainsi, on dira: L'amour de Dieu, l'amour du prochain, l'amour fraternel, l'amour de la patrie. Dans les écrivains des Wh et XIII' siècles, ce mot seul signifiait l'amitié la plus pure, comme tout autre sentiment; voyez Roquefort, Diction- naire de la langue romane. D'où est venue la dégénéra- lion de ce mot? Il faut, selon toute apparence, l'attri- buer h l'emploi 5 sans fin et sans mesure, dans le sens adopté de nos jours, qu'en firent les auteurs des ro- mans de chevalerie, des fabliaux et des poésies amoureuses, qui forment le fond de notre littérature depuis le XII'- siècle jusqu'au XVI'^. Les auteurs graves n'ont plus voulu s'en servir qu'avec l'accompagnement d'une autre expres- sion qui en précise le sens. L'expression amouk du calice annonce donc bien la fui du XII^ siècle; dans le cas de doute, on l'attribuerait facilement à une époque plus reculée. Convenons cependant que si nous n'avions que le calice, ceux qui se plaisent à chicaner pourraient nous alléguer que ce calice pourrait avoir été donné par Louis VII , ou Louis VIII, ou Philippe Auguste , prédécesseurs de Saini Louis, ou par un de ses deux ou trois successeurs, tout en reconnaissant sa haute antiquité. On pourrait répoudre avec raison que la tradition est là , et qu'en examinant la vie et les actions des rois de France des XII*", XIII'' et XIV" siècles, on ne trouve que Saint Louis, qui ait pu vraisemblablement donner un vase d'un si grand prix à un prêtre né dans une paroisse oliscure de la Hague, où aucun événement politique ne s'est accompli , où au- < un roi de France n'a mis le pied. Mais il ne va plus 98 RECHEUCHES HISTORIQUES y avoir lieu à conlestaiion , même , j'ose le dire , à chi- cane; une évidence complète va se nianifesier par l'ins- peciion de la chasuble, que la iradilion suppose avoir éié donnée avec le calice. Sur cette chasuble, confectionnée en soie et fil d'or, sont les losanges où sont brodées quatre figures , une dans chaque losange , savoir : 1" une fleur de lis ; 2° une façade de c/idteau avec porte cintrée, surmontée de trois tours crénelées , dont celle du milieu est la plus hautes 3° un aigle simple; 4° un lion allongé et ef- flanqué. Si ces quatre armoiries appartiennent à Saint Louis et à sa famille , et ne peuvent être attribuées à nulles autres personnes , la preuve sera irréfragable sans doute. Or, rien n'est plus facile que la démonstration de ce fait; prenons chaque figure l'une après l'autre: 1° La fleur de lis isolée fut adoptée pour armoiries par Louis VII et lui servit de sceau ; voir les historiens de France, et spécialement le Traité des mœurs et coutumes des Fran- çais , par l'abbé Le Gendre , page 90. Charles V fut le pre- mier qui les assembla au nombre de trois. Dans l'inlervalle , la fleur de lis était ou seule dans les sceaux , ou dissémi- née à profusion sur les manteaux ou les draperies; voilà bien déjà les armoiries de Saint Louis. Aucun particulier , hors ceux à qui la puissance royale aurait concédé ce droit, n'eût osé usurper la fleur de lis. 2° La sainte mère de Louis IX, Blanche de Castille, sor- tait de la plus illustre famille de l'Espagne , et les armoi- ries de Castille étaient une (tiçade de château avec une porte cintrée et trois tours , dont celle du milieu était la plus haute ; le tout conforme minutieusement h la porte et aux trois tours brodées sur la chasuble. Voyez sur ce point la Méthode du Blason , du père Menestrier , leçon XXIX", et CONCERNANT THOMAS HELIE. 99 la planche qui s'y rapporte , ainsi que tous autres ouvrages sur le blason et les armoiries. Ceux qui n'ont pas de ces sortes d'ouvrages peuvent trouver les armoiries de Blanche de Castille dans un recueil populaire , le Magasin pitto- resque, année 1838, page 29 ; ils y verront les armoiries de Castille, et, à côté, celles du royaume de Léon; le tout parfaitement ressemblant au\ figures de la chasuble qui nous occupe. 3o Le liou allongé et efflanqué appartenait au royaume espagnol de Léon , depuis longtemps uni à la fSïfcsCastillc, sous la domination de la famille de la reine Blanche. Al- phonse dit le Vaillant, sous lequel vécut le héros d'une des tragédies de Corneille , Le Cid , réunit les deux royaumes de Léon et de Castille et en cumula les armoiries. Après divers partages , ils furent de nouveau réunis pour n'être plus divisés dans les mains de Ferdinand III , en 1230. La reine Blanche mourut en 1252 , et Saint Louis en 1270. Voir les histoires d'Espagne et les traités du blason , où l'on re- marquera le lion de la chasuble. 4° L'aigle simple , de sable, suivant le langage tech- nique , était les armoiries d'une maison illustre dans les fastes du moyen âge , celle de Maurienne , dont les do- maines étaient placés entre la Savoie , le Dauphiné et l'I- talie. Saint Louis épousa Marguerite de Provence , fille de Raymond Berenger , comte de Provence , et de Béatrix , fille de Thomas , comte de Maurienne et de Savoie ; ce mariage fut contracté l'an 1234. « Thomas , dit l'auteur du résumé de l'histoire de Pro- > vence , page 166 , était le successeur de ces anciens comtes » de Maurienne, qui, par loi de primogénituro etde mascu- » Unité, avaient non-seulement conservé intactes leurs pre- B mières possessions , mais encore y avaient ajouté , et qui. 100 RECHERCHES HISTORIQUES t dans la contrée située entre le Rhône, les Alpes el les » frontières de Provence , dominaient à l'est sur le revers » occidental des Alpes, comme les Dauphins du Viennois ï dominaient à l'ouest sur la rive gauche du Rhône. Le comte » de Savoie et de Maurienne offrait au comte de Provence » un appui solide, ayant les mêmes inlérèls que lui , en sa » qualité de membre du royaume des Allemands, contre l'eni- s pereur et le nouveau roi. > Veut-on ter i fier si le comte de Savoie et de Maurienne por- tait effectivement pour arnioirie , en sa qualité de comte de Maurienne , un aigle simple ? que l'on se reporte à la Mé- thode du Blason du père Menestricr , pages 395 et 396 ; l'ouvrage est classique en ce genre et fait autorité ; voir gé- néralement au surplus les auteurs qui ont traité de ces sortes de matières. Est-il possible , à la vue de ces armoiries de Saint Louis, de son auguste mère et de son épouse , de douter encore un instant de la vérité de la tradition ? C'est le cas de dire, comme un orateur de la tribune française : Maintenant est-ce clair? Du temps de Saint Louis, les armoiries étaient extrêmement à la mode ; les familles en couvraient leurs meubles , leurs vêtements , les présents qu'elles faisaient ; c'était comme une prupriété de famille qu'une maison se gardait bien d'usur- per sur une autre ; tout était armorié : il serait aisé d'of- frir de cette assertion des preuves évidentes et à profusion. Une méconnaissance à cet égard supposerait une ignorance inexcusable , ou une connaissance superficielle de l'histoire de France. C'est avec plaisir que je témoignerai ici du zèle el de l'intel- ligence avec lesquels M. Victor Le Sens , écrivain de la CONCERNANT THOMAS HELIE. 101 niaiiiie , a coopéré à mes recherches sur ces questions his- toriques et héraldiques. Ajoutons, pour ne négliger rien aux preuves de l'aïuhen- licitc du calice et de la chasuble, qu'un présent aussi riche, pour le temps où il a été fait , ne pouvait venir que d'une main royale, et n'était pas indubitablement le résultat d'une acquisition de l'humble prêtre de Biville. C'est ici le lieu de citer la note que nous a remise M. Roul- land , orfèvre à Cherbourg , qui a succédé à l'habileté et à l'expérience de son père , au sujet de l'élat matériel du calice et de la patène , qu'il a réparés il y a dix-sept ans : « Monsieur, j'ai l'honneur de répondre h votre demande : » Il y a environ dix-sept ans , M. le Curé de Biville me 9 remit , pour y faire des réparations assez importantes , » un calice et une patène fort anciens , et qu'il me dit » être ceux qui ont appartenu au Bienheureux Thomas. La » coupe du calice avait déjà subi une réparation , et tout t indiquait que cette réparation était déjà ancienne ; elle s consistait en une soudure faite au fond de la cnupe ; » comme la soudure avait été faite en étain , la réparation, » loin d'avoir remis la coupe en bon état , n'avait fait que » la détériorer au point qu'elle était percée et qu'elle B coulait; je fus obligé de prendre les plus grandes pré- » cautions pour enlever la soudure d'étain , qui avait presque t oxidé les parties de la coupe qui l'avoisinaient. J'ai réussi, » cependant , à enlever cette soudure et à souder de nou- !i veau la partie endommagée avec de la soudure d'argent. » Comme il avait fallu , pour cette opération , passer la » coupe au feu , elle s'était amollie et avait perdu sa forme » arrondie ; il fallut la replaner , c'est-à-dire lui redonner > sa première forme ; dans ce travail , la soudure s'enleva 102 nECHERCHES HISTORIQUES » absolument comme des pelures d'oignon , ce qui était Tin- » dice certain d'une grande antiquité , car il n'y a que s les dorures fort anciennes qui soient assez fortes pour » se lever ainsi ; je fus donc obligé de redorer à neuf cette » même coupe. Je dois dire que la coupe portait encore t des traces des coups de marteau qui avaient servi à la » polir , et n'avait pas été poncée , ce qui est encore une t indice d'une grande ancienneté ; de plus , les ciselures » et gravures qui se trouvent sur le calice m'ont paru s aussi avoir tous les caractères des ciselures antiques. J'ai j aussi raccommodé la patène , qui était également en fort I mauvais état ; elle était fendue en plusieurs endroits ; je » l'ai également soudée à l'argent et l'ai redorée. J'ai la r> conviction qu'elle était du même temps que le calice , » car , comme le calice , elle portait tous les caractères » d'un travail fort ancien. Certifié par l'orfèvre soussigné , » à Cherbourg , le 4 janvier 1843. Roulland. » S'il est évidemment démontré que les ornements pré- cieusement conservés à l'église de Biville , comme un don de Saint Louis , sont authentiques , quelle grave conséquence il en doit résulter en faveur de l'opinion qui fait de Tho- mas Hélie un saint ! Un prêtre d'une famille obscure , né dans une paroisse de la Hague , qui n'avait rien de notable, aurait-il été l'objet d'un pareil présent de la part d'un monarque religieux et éclairé, si sa sainteté n'eût été notoire 1 Le premier des témoins d'une enquête qui serait faite en faveur de la canonisation de Thomas Hélie , est certaine- ment Saint Louis. CONCERNANT THOMAS HELIli. 10:J Seconde question. L'écîlisc acluelle de Bivillc est dans la direction de l'est h l'ouest. On y remarque , quant aux caractères de l'architec- ture, deux parties d'un genre différent , savoir : le chœur où est le tombeau de Thomas Hélie , avec une partie de la nef jusqu'à une arcade , et le reste de la nef. Cette dernière partie a tous les caractères , quant à la maçonnerie et aux portes et fenêtres , du commun des églises de notre pays , qui sont d'une construction ou reconstruction moderne. Quant à la première partie , c'est-à-dire le chœur actuel et une partie de la nef, on y remarque des indices d'une plus grande antiquité, tels que des fenêtres très-allongées, très-étroites , terminées par une pointe ogivale un peu ob- tuse , et encadrées de deux colonnettes très-longues , termi- nées par deux arcs en ogive; entre ces fenêtres, des groupes de cinq colonnettes fort longues , surmontées d'un bouquet de cinq arcades. Suivant la tradition , cette partie, où est le tombeau , serait la chapelle bâtie par la piété des fidèles au pignon de l'ancienne église de Biville , immédiatement après la mort de Thomas Hélie ; l'ancienne église se serait prolongée dans ce temps-là du côté de l'ouest , au-delà du portail actuel , ainsi que cela résulte de la tradition et de l'existence d'anciennes maçonneries trouvées dans les lieux destinés maintenant aux sépultures. La tradition est encore ici confirmée par l'état matériel de l'architecture de l'église actuelle. Un examen plus analytique et plus détaillé de cette question aurait eu pour but de prouver que le culte du bienheureux Thomas aurait commencé immédiatement après sa mort. Celte preuve devant résulter de ce qui va suivre, nous passons à la troisième question. loi niîCUEr.CHES histohiquks Troi^iiènie f|ucstioit. Sans nous immiscer dans l'examen d'une cause qu'exa- minera avec maturilé la cour de Rome, éclairée par l'au-^ torité épiscopale de ce diocèse , nous dirons cependant, qu'à l'égard d'une personne déeédée il y a six cents ans, il est important de savoir si son culte a commencé immédiatement après sa mort , par un élan spontané des populations chrétiennes , lorsque les faits étaient récents et notoires, au lieu d'être une création postérieure à cette mort , ne fût-ce que d'un domi-siècle. Or , la preuve de ce fait se trouve dans im ouvrage composé immédiate- ment , ou peu d'années après le décès de Thomas Hélie, par un auteur du pays de la Hague , ouvrage dont nous allons nous occuper dans un instant. C'est le seul monument contemporain qui soit connu ; il en existait d'autres, dont la perte est probablement irré- parable. Expliquons-nous : L'église de Biville conserve dans ses archives un manuscrit en parchemin , contenant la vie et les miracles du Bienheureux; il est de 1691, approuvé par l'évêque de Coutances, Loménio de Brienne , et par un grand vicaire, docteur en théologie, nommé de Blanger; l'auteur est un M. Helye, curé de Saint-Pierre de Coutances. A la fin du manuscrit, on lit : » Liste des auteurs dont on s'est servy pour décrire > l'histoire de la vie et des miracles du Bienheureux ' Thomas Helye : j 1° D'un registre relié en parchemin, conservé en l'é- » glise de Biville, dans lequel est décrite en latin l'his- s toire de sa vie et de ses miracles , par un nommé Clé- » ment , présent à l'information qu'en fit Jean I" du nom. COINCERNANT THOMAS UKLtE. 103 « évèqiK; de Couslances, accunipagné de Raoul Desjardins, 1 prieur des frères presclieurs du lieu , eu conséquence de ï la commission apostolique ; » 2° De l'histoire de sa vie, mise en françoys, par un » auteur anonyme; » 3° La même vie, décrite en vers françoys, par le » nommé Jean Helye , insérée dans le même registre. » Les autres auteurs de cette liste , qui avaient fourni des matériaux , étaient modernes , et, d'ailleurs, ne conte- naient pas de détails biographiques. Cependant, nous re- viendrons sur le livret du père Le Mière, publio en 1632. Après cet énoncé des livres où l'auteur du manuscrit que possède encore l'église de Biville a puisé, ont lit: « Les manuscrits mentionnés dans la liste ci-dessus » m'ont été connnuniqués en original, et je les ai remis » entre les mains de M. Helye , curé de Saint-Pierre de s Coutances. De Blanger. b Quant à l'ouvrage en vers, qui va bientôt nous occu- j)er, et qui était bien du XII^" siècle, il n'en existe plus qu'une copie à la bibliothèque royale , parmi les manus- crits français, et à la fin d'icelle, on lit: « Ces vers sont tirés d'un ancien registre en parche- t min , appartenant à l'église de Biville-, trouvé chez M. t Lallier , officiai et curé de Vallongne ; la première par- » tie de ce registre contient les vers ci- dessus ; l'autre , > qui est en latin , la vie et les miracles du même Bien- « heureux Thomas. L'un et l'autre, furent composés peu » de temps après sa mort, etc. » Ainsi , l'histoire en vers composée dans le XIII'' siècle a disparu, ou bien est cachée on ne sait où; mais, à la 106 RECHERCHES UISTORIQUES place de l'original, nous trouvons dans la copie tout ce qui peut déterminer l'époque où l'original fut composé , savoir : le langage, le style et le témoignage même de l'auteur. Aussi, M. Paulin Paris, membre de l'institut, conservateur des manuscrits de la Bibliothèque du Roi , qui a donné une copie , certifiée exacte , de la copie faite chez le curé Lallier , alteste-t-il de sa propre main que si le manuscrit est du XFII" siècle, il a été transcrit d'autres manuscrits beaucoup plus anciens, et que cette vie du Bienheureux Thomas lui a paru remonter, quant à sa composition primitive, au régne de Saint Louis ou de PhiUppe-le-Hardi. La vie latine n'éiait-elle pas celle qui fut composée à l'époque même de la première information , faite sous l'é- vêque Jean I*' peu d'années après la mort de Tho- mas Hélie ? Tout l'annonce ; mais avant une autre infor- mation entreprise dans le XVII'= siècle , du temps de l'évêque Loménie de Brienne et de M. Lallier, curé de Valognes, information à l'occasion de laquelle des litres originaux, précieux, furent égarés, celle même vie latine n'a-t-elle pas été lue, et son contenu inséré dans un ou- vrage publié? Oui, certainement. Il existe un imprimé , devenu rare , intitulé : De la Vie du Bienheureux Thomas Helye , prêtre, avec approba- tion de deux docteurs en théologie , à la date du 5 octobre 1632, par le révérend père Le Mière. Or, ce petit volume semble avoir été rédigé d'après la vie latine composée au XIII" siècle , que l'église de Biville aurait possédée en original. Cela résulte des passages suivants : « Celui , lisons-nous dans la préface , qui a escrit la vie » et les miracles du Bienheureux Thomas ne se nomme » point ; il jîtait présent à rinformation qu'en fit Jean pf CONCERNANT THOMAS HELIE, 107 ï dit Jean d'Essay , évcsque de Coiislaiicc, accompagné du » prieur des Jacobins du lieu , par auihoriié et commis- » sion apostolique, et proteste n'avoir rien advancé qui j n'aye été deuenient vérifié, etc. t Et à la page 52 : « Je donne à la postérité ce petit > recueil des miracles du B. Thomas, lesquels je ne dé- > crirai pas amplement, et avec toutes les circonstances » que porte l'original , qui est gardé en l'église de Bi- t ville, mais, les quottant simplement, pour le contente— » ment des pèlerins , et renvoyant audit lieu celui qui 1» sera curieux d'une plus ample information. Je ne garde » point l'ordre qui est dans ledit original, parce que j'ai 5 crû qu'il était à propos de mettre de suite la guérison » de plusieurs malades, de la même maladie, comme la » résurrection des morts, tout d'une tire. » Après le récit de quarante-huit miracles, au nombre des- quels six résurrections, le même auteur dit, page 68: « Il faut savoir que les susmentionnés , quarante-huit s miracles et plusieurs aultres, ont resté bien et deuement » vérifiés, devant les commissaires apostoliques et autres » personnes diverses , mais compétentes qualités, appellées » à la solennité de l'information , laquelle fut commencée K par l'authorité et soubz le pontificat d'Alexandre IV, » pape, au commencement de l'année 1261 ( Thomas Hélie » est mort en 1257), et continuée sous Urbain IV, Clé- » ment IV, et jusqu'au commencement du pontificat de » Grégoire X, qui fut l'an 1271. A propos d'une guérison opérée en faveur de Don Martin , prieur de Héauville , on lit, page 61 : 1 Ce dernier fit vœu d'entretenir un manoeuvre à ses 5 despens , pour ayder à bastir la chapelle , où le corps > saint devait eslrc transporté, ce qui fut, le bastiment 108 RECHERCHES HISTORIQUES • achevé, avec grande solennilc. Lidilc chapelle sert au- » jourdhui de chœur à l'église paroissiale de Biville. t 11 est difficile de ne pas conclure de lout ce qui pré- cède, qu'en 1632, lorsque le père Le Mière faisait im- primer son petit volume, et que plus tard aussi, sous l'épiscopat de Loménic de Brienne , l'original latin, compo- sé dans le XIII« siècle , par un auteur présent à l'infor- mation première, qui suivit sans retard la mort de Tho- mas Hélie , existait encore et appartenait aux archives de l'église de Biville. A la vérité, on ne sait ce qu'il est devenu; peut-être existe-t-il incognito dans les papiers domestiques de quelque branche obscure des familles de ceux qui eurent jadis en communication les pièces produites à l'appui des demandes en canonisation. Nous avons sous les yeux une expédition d'une sentence du baillage deValognes, du l'^'^août 1727, qui condamne par défaut les héritiers de feu M. Burncl , en son vivant curé de Négreville et promoteur de l'olfi- cialité de Valognes, à remettre à l'église de Biville vingt- huit pièces d'écriture, concernant le culte du Bienheureux Thomas; aucun acte d'exécution de cette sentence ne semble avoir eu lieu ; le domicile des héritiers Burnel n'y est même pas indiqué. Mais en admettant que l'ouvrage latin n'étant pas re- présenté , il est impossible de savoir si l'écriture et le style étaient du XIII^ siècle, quoique je pense que ce n'est pas l'opinion vraisemblable, nous avons un ouvrage, authentiquement du X1II« siècle , et quoique ce soit une copie d'une copie faite sur l'original , cependant il y . a des certificats certains de la vérité de celle biographie , dans les formes du langage et du style, impossibles h mé- CONCERNANT THOMAS HKLIE. 109 connaître , et qui donne indubitablement a cet ouvrage la date du Xin*^ siècle. C'est un récit versifié de la vie austère, humble, émi- niMiiment sainte de Thomas Hélie. La circonstance des vers ne doit point faire craindre qu'il ne s'agisse de fic- tions. En effet, l'usage, dans les XII'' et XIIP siè- cles, était d'écrire l'histoire en vers français, ou en prose latine. Notre histoire du moyen âge normand a été écrite on prose latine, par Dudon de Saint-Quentin, qui y a mêlé quelques vers hexamètres , Guillaume de Jumiège , Guillaume de Poitiers , Robert de Thorigny et Orderic Vital , et en vers français de huit syllabes , par Robert Wace, Renoist de Sainte-More, et autres. Notre poëme, si toutefois il faut appeller de ce nom une narration rimée, sans verve ni imagination , est aussi en vers de huit syllabes. L'absence de poésie est une garantie que rien n'est inventé ni dénaturé , et que l'auteur a dit la vérité sans l'embellir. Il n'est pas important de discuter les circonstances di- verses qui pourraient faire connaître le nom de l'auteur ; ce qui est certain , c'est qu'il était de la Hague , car au commencement de son œuvre , pour excuser l'incorrection de son style, il dit qu'il a appris seulement à parler la langue de la Hague , A parler en Hague langage. Ce n'était pas cependant un homme sans mérite , que celui qui, à la fin du XHI" siècle , pouvait enfanter 1086 vers , tels quels. Etait-il contemporain de Thomas Hélie, décédé en 1257 ? Oui , ou il avait vécu avec les contemporains de ce saint 'HO RECHERCHES HISTORIQUES personnage, car, en parlant de ses ausiériiés, il dit en tenir les détails des prêtres qui avalent été ses compa- gnons : De li nie contèrent les prestres Qui furent les cleres du doux niostre. Il y a d'autres preuves encore de l'époque où ce poëmc a été composé: outre la déclaration de l'auteur, le style et les expressions sont des cachets Incontestables de la fin du XIIP siècle. Tous les plus vieux mots, toutes les tournures les plus an- tiques de la langue française à son berceau, s'y rencon- trent: C'est ex, eue, ou é, pour signifier eau, Dlex pour Dieu , li pour le pronom lui régime , o pour avec , les imparfaits de l'indicatif en eut, il aleut , pour il al- lait, ie conjonction conditionnelle, */ particule affirmative ; la tournure, qui consistait à dire, le Hague langage ponv le langage de la Hague, y est fréquente; on y lit, par exemple ; à la Dieu gloire pour à la gloire de Dieu. C'est une des formules du langage roman primitif, puis- que dans le serment bien connu de 842 , monument le plus ancien de l'idiome vulgaire, formé de la corruption du latin et des langues des Germains conquérants, les premiers mots sont : pro Deo amur, c'est-à-dire pour V amour de Dieu. M. Paulin Paris, qui atteste avoir reconnu dans l'ou- vrage l'époque de Saint Louis, ou de son fils Philippe- le-Hardi , est d'autant plus croyable , qu'on le sait pro- fondément versé dans l'histoire de la littérature française. Pour moi, si j'ose me mettre à la suite de ce savant, je dirai qu'accoutumé à lire des auteurs des XII-^ , XIIP et XIV'^ siècles, je n'ai pas lu cinquante vers de cet au- CONCERNANT THOMAS HELIE. 111 icur-ci , sans adopter pleinement , sans hésitation ni doute, la même opinion. Nous avons donc au moins une histoire de la vie de Thomas Hélie , écrite , ou immédiatement on très-peu d'années après sa mort, dans un style simple, naïf, trivial même quelquefois pour la délicatesse du goût mo- derne, mais qui inspire plus de confiance que ne le fe- rait une histoire dans un style ambitieux et recherché. En résulte-t-il que Thomas Hélie ait eu de son vivant une réputation de sainteté répandue au loin , et qu'à l'instant de sa mort et de son inhumation , comme avant et depuis, il ait passé pour opérer des miracles? Oui, cela résulte de l'ouvrage en vers du XIII« siècle ; mais pour le faire mieux connaître, je crois à propos d'insérer ici préalablement à son occasion quelques observations philologiques. La copie que nous avons sous les yeux , et certifiée par M. P. Paris , est une copie très-exacte d'une copie faite très-inexactement sur l'original qui existait entre les mains de M. Lallier, curé de Valogncs, dans le XVIl" siècle. A cette époque du grand siècle de Louis XIV , où la litté- rature française , pur et brillant reflet des littératures grecque et laline, attirait les regards admirateurs de toute l'Europe, celle des XI<=, XI^ et XIII« siècles était fort peu connue; à peine, de temps en temps, quelque savant de l'académie dos inscriptions et belles lettres communiquait-il h ses collègues quelque ouvrage de ces temps- là, exhumé des archives d'un vieux monastère ou de quelque vieux château. Ce n'est qu'à la fin du XVIII<^ siècle , que, grâce aux recherches et aux études laborieuses des La Vallièrc, i'aulmy, Barbasan et autres, une foule d'historiens, de poètes, de romanciers sortirent de leur 112 RECHERCHES HISTORIQUES obscurité. Dans noire siècle XIX«, Raynouard , Méon , Roquefort, l'ai^bé de La Rue, noire compatriote, Paulin Paris , Francisque Michel , Le Roux de Lincy , et autres navigateurs à découvertes sur la mer de l'érudition, ont achevé de montrer au jour un immense fonds de littéra- ture, qui appelle un nouveau La Harpe pour en compo- ser un cours de littérature française du moyen âge. Le copiste du manuscrit déposé chez M. Lallier n'enten- dant rien h la langue du XIII" siècle , a commis à chaque pas des fautes , en estropiant on dénaturant les mots , faute de les comprendre; heureusement que cela n'em- pêche pas de saisir les faits et d'en suivre l'enchaînement. Si quelqu'un entreprenait de publier l'ouvrago, il lui fau- drait beaucoup de travail pour corriger el restituer le texte. Voici quelques exemples parmi cent autres, de ces fautes ei des moyens qu'on aurait, selon nous, de les réparer : La copie que nous avons porte , au sujet de la vie austère de Thomas Hélie, vers 174 et 175 : Moult à veilleu et jeuney, Sans boule, sans barat, sans quille. Ces trois derniers mots semblent avoir embarrassé un annotateur qui a mis en marge comme traduction : Son lit était la dure; son clievet un carreau, prenant sans doute les mots boule, barat et quille, comme exprimant des objets de literie. Le mot boule, dans le langage des XI1« et XIIl" siècles, signifie artifice, barat %\gmi\c fraude , quille est un mot estropié qui ne se trouve nulle part ; il faut lire guille qui signifiait alors tromperie, et que la langue anglaise a conservé dans le même sens , guile. CONCERNANT THOMAS HELIE. 1 i :1 Ainsi il faut restituer gai lie , mettre vcilley à la place do veilleu , et traduire : Beaucoup il a veillé et jeûné , Sans artifice, sans fraude, sans tromperie. Aux vers 703 et 706, on lit que Thomas se donnait la discipline, De bous ou de jaam sauvage, Ou de semeuse de vintaret. Le premier vers s'entend facilement, surtout quand ou est de la Ilague; il s'agit d'une flagellation avec du bou- leau ou du bois jan ; mais quest-ce que scinense de Vin- i<ïcE LA I . I ITÉR A ru UE ANG L A ISE EN I UANCE B»ERSlkiilOI\ Ï)V. SIIAKSPERE ET DE SES TRADUCTEURS PAR VOLTAIRE ET L'ACADI'IMIE ou PREMIÈRE RENCONTRE (k'S CLASSIQUES ET DES ROMANTIQUES ; Par L. BAILHACHE , Ui'gcnl tïc Rlirloi'iqtir nu i'()Ui''(îi.* de Valogncs. Tnoi' Ihiblo pour t'inbnssci' , (riiii coup d'œil , loulos les (linuMisioHS de rctcndu(! , l'esprit huniniii procède par abslraclion et les considùrc succcssivomeul ; il mot en coupe réglée le champ littéraire : (-liaque siècle en défi'i- che uncî partie et adopte certaines langues et certaines littératures , dont il lait l'objet spécial de ses études. Le Wl" siècle arrache ;i la poussière des bibliothèques les nobles débris de ranliquilé , et l'esprit , ébloui par 160 INTRODUCTION DE LA LITTEUATURE ces chefs-d'œuvres d'un art divin , rompt brusquement avec l'âge intermédiaire , et tourne toute son activité vers la littérature grseco-laline. On étudie avec une passion qui va jusqu'au fanatisme , les langues , les usages , les insti- tutions et les mœurs de l'antique civilisation. On parle et on écrit en prose et en vers grecs et latins avec une pureté que les anciens n'auraient pas désavouée. Les Calepin , les Budée , les Lambin , les Casaubon , les Juste-Lipse , les Scaliger et les Etienne, nous étonnent encore aujourd'hui par l'étendue et la profondeur de leur érudition philo- gique. Le grand siècle littéraire de la France joint à l'étude plus réfléchie des langues anciennes, celle des langues et des littératures italienne et espagnole. L'Italie, cette terre classique des arts, marchant la première dans la carrière des lettres, où la suivaient , h d'inégales distances , l'Es- pagne , la France, l'Angleterre et l'Allemagne, avait ajouté de nouveaux modèles aux modèles antiques , et offrait h l'admiration du monde , son Pétrarque , son Arioste et son Tasse ; la grande figure du Dante, après avoir jeté un si éblouissant éclat , avait été ensevelie sous les ruines du moyen âge , jusqu'à ce qu'une critique plus éclairée soit venue , de nos jours , déblayer sa colossale statue et la replacer sur son piédestal h côté de celle d'Homère. L'Espagne , aujourd'hui si déchue , occupait le premier rang en Europe par la puissance de ses armes et de son génie littéraire ; elle avait une poésie et un art qui n'é- taient pas greffés sur le sujet stérile de l'imiiation , mais qui , comme un jet vigoureux et plein de sève , étaient sortis de la souche vivante de ses moeurs nationales, et de ses croyances religieuses. Elle exerçait sur tous les théâ- tres la niônK! influence (lue sur les affaires publiques. La ANGLAISE EN FRANCE. 161 belle langue castillane était la langue des cours de Vienne, de Bavière , de Bruxelles , de Naples et de Milan ; la Li- gue l'avait introduite en France ; il était honteux aux gens de lettres de l'ignorer; ils lui prenaient des mots, des tours et des sujets : une des plus belles tragé- dies de Corneille est un emprunt fait au génie espagnol , par le génie créateur de la scène Trançaise. Tel est le mouvement littéraire dans les XVP et XA'^II' siècles; mais le XVIIP , de quel côté dirigera-t-il son ac- tivité intellectuelle ? A quelle source ira-t-il étauclier sa soif de connaissance et de nouveauté? Athènes, Rome, l'Italie et l'Espagne ont été tour-à-tour explorées. Il reste une contrée vierge : la belle et neuve littérature d'outre- Manche est encore inconnue. Boileau et Racine n'ont point entendu parler de Shakspere et de .Alilton. Eh bien ! c'est à cette source que va puiser le XVIII'^ siècle; il abandonne le beau ciel et la riante nature du Midi pour le ciel som- bre et la triste nature du Nord. C'est Voltaire, dont l'esprit hardi a tant innové , même en littérature , tout en protestant de sa fidélité au goût et aux principes du siècle précédent , qui marche encore ici à la tête de ses conTeniporains , et ouvre les sources de la littérature anglaise , dont il voudra vainement plus tard arrêter le débordement. Bâ tonné par l'orgueilleux Rohan , Voltaire apprend à la fois l'escrime et l'anglais : l'escrime, pour laver son outrage dans le sang ennemi; l'anglais, pour s'enfuir en Angleterre , en cas de poursuite. L'es- crime ne lui servit pas contre son superbe adversaire, dont la morgue aristoci-atique aurait cru déroger, en acceptant le cartel d'un homme qu'allaient bientôt courtiser les reines et les rois, et qui devait être lui-même le roi de son siècle. Mais l'anglais fut entre ses mains une arme plus utile. Il 11 162 INTRODUCTION DE LA UTTERATIIRIO étudia et fit connaître h la France Newton , dont il intro- duisit dans sa Henriade le système de gravitation univer- selle; Bacon, Locke, Dryden , Millon et Shakspere , dont V Othello lui inspira l'idée de sa Zaïre, comme le Cid de Gnilhem de Castro avait fourni à Corneille le thème sur lequel il composa une si magnifique variation. Cependant Voltaire n'avait fait que révéler et effleurer la source féconde de richesses et de beautés que renfer- mait la littérature anglaise : c'est un homme de notre pays, c'est le fils d'un pauvre boiilonnier de Valognes , qui en répandit les eaux sur la France. Le Tourneur a attaché son nom à cette révolution littéraire ; c'est par là qu'il s'est acquis une place dans la biographie des hommes cé- lèbres. Il débuta , comme Rousseau , par un triomphe aca- démique, et, après un double succès du même genre, il renonça aux compositions originales , pour se livrer exclu- sivement au genre utile , quoique secondaire de la traduc- tion. Il s'essaya par deux ouvrages légers , la Jeune Fille séduite et le Courtisan ermite , qu'il fit paraître en 1769. La même année, il entreprit et publia une autre ti'aduction plus intéressante , celle des ISuits et œuvres diverses d'Young , précédée d'un discours écrit avec noblesse, plein de vues élevées sur la poésie et les œuvres d'art, dans lequel il exposait les principes qu'il avait suivis dans sa traduction. Sans doute ces principes ne seraient plus de mise aujourd'hui. Avides de couleur locale, nous voulons, avant tout, que le traducteur reproduise fidèlement le gé- nie de l'écrivain , qu'il en retrace toute la physionomie et •les mouvements ; mais il n'en était pas ainsi dans les deux siècles qui ont précédé le nôtre. On préférait alors les Belles Infidèles. Ce que l'on désirait, c'était de retrouver ANGLAISE EN FRANCE. 163 le génie français dans la traduction. Le Tourneur ne l'i- gnorait pas. C'est pour cela qu'il dissimule l'allure si libre et si indépendante du poète anglais, sous la pompe me- surée de sa monotone élégance. C'est un sacrifice qu'il faisait au goût de son pays , dont il aurait oflensé la dé- licate susceptibilité, s'il avait présenté les I\uits sous leur forme native. Il en retrancha donc tout ce qui lui parut bizarre et trivial; il élagua tout ce luxe de rameaux exubé- rants qui absorbaient la sève de l'arbre et le tailla à la française. Il ne se contenta pas de mulilei- et de modifier les parties; architecte hardi, il renversa l'édifice et le re- construisit avec une ordonnance plus simple, plus régu- lière et plus harmonieuse. Son intention, comme il le dit lui-même, fut de tirer de l'Young anglais, un Yoting fran- çais, qui pût plaire à sa nation, et qu'on pût lire avec inté- rêt, sans songer s'il était original ou copie. Ainsi travesties, les Nuits obtinrent un immense succès auprès des littérateurs et des gens du monde. La société rieuse et frivole du XVIII« siècle dévorait cette grave et mélancolique poésie où les grands mots de mort, de néant, d'éternité, qu'elle semblait oublier, retentissent avec tant de puissance et d'éclat; elle trouvait un charme inépui- sable dans ces solennelles méditations au milieu de la nuit et des tombeaux, où l'espoir de l'iramortaliié, allumé comme un phare à l'extrémité d'nne mer orageuse , brille au- dessus de la brièveté et des souffrances de la vie humaine ; c'était comme une brise embaumée et rafraîchissante , qui ravivait les âmes desséchées par la lecture de Candide , et des romans si imprégnés de molles voluptés , de Crébil- lon fils. Cette poésie , trempée au triple foyer de la re- ligion, de la morale et de la nature, formait un frappant contraste avec la poésie française, qui allait s'éloignant de ifii INTRODUCTION DE LA LlTTERATUKf plus en plus de la nature et de Dieu, et s'étiolait, loin du soleil et de la lumière, dans les sèches régions des idées abstraites et dans l'atmosphère étouffante des salons, dont elle reproduisait et l'esprit et les mœurs. Le succès toujours croissant des Nuits décida Le Tour- neur à publier, l'année suivante, les méditations A'Herjejr, doux et pur reflet des Nuits, qui fut accueilli avec le même intérêt. J'arrive à l'œuvre capitale de Le Tourneur, à sa traduc- tion de Shakspere qui excita une si vive commotion dans le monde liiiéraire. Le grand tragique anglais était encore bien peu connu en France à celle époque. Voltaire en avait imité quelques fragments et cité quelques beaux traits ; il avait même traduit littéralement les trois premiers actes de la tragédie de César ; mais Voltaire traduisait Shaks- pere, comme il traduisait la Bible, pour imprimer le sceau du ridicule h tout ce qui n'était pas marqué au coin du goût de son siècle ; c'était une ignoble parodie plutôt qu'une traduction vériiable. On sait que Mistress Moniagu y a relevé bon nombre d'inexactitudes. Le Tourneur entreprit de doter son pays d'une traduc- tion complète de cet immense génie :iuquel ses compa- triotes rendaient une espèce de culte, qu'ont partagé depuis une partie de l'Allemagne et de la France. C'était une tâche difiicile et périlleuse , non-seulement à cause de l'obscuri- té du vieux langage de Shakspere, mais encore de la nature même de ses drames, si différents de notre tragédie classi- que. Il s'associa Cathale;ai et Rudiigc dans celte laborieuse entreprise. ^Le Tourneur était secrétaire ordinaire de Monsieur ( Louis XVIII ) , et secrétaire général de la librairie ; il profila de sa position auprès du prince pour faire souscrire ANGLAISE EN FRANCE. 165 à son œuvre, le Roi , la Reine et loule la Famille royale. Il semble qu'il prévoyait l'orage qui allait fondre sur lui, et qu'il se ménageait à la cour un appui contre la résis- tance que devait rencontrer l'introduction de Shaksperc en France. Les deux premiers volumes parurent en 1776; ils étaient précédés d'un discours de 150 pages, dans lequel Le Tour- neur mesurait toute la hauteur de VEschyle anglais, qu'il appelait le Dieu créateur de l'art sublime du théâtre, qui reçut de lui son existence et sa perfection. « A Paris, di- » sait-il , de légers Arislarques ont déjà pesé dans leur ( étroite balance le mérite de Shakspere ; et , quoiqu'il » n'ait janifiis été traduit ni connu en Fiance , ils savent » quelle est la somme de ses beautés et de ses défauts. » Les oracles de ces petits juges effrontés des nations et s des arts sont reçus sans examen, et parviennent, à force s d'échos, à former une opinion. » Cette admiration pour Shakspere était hardie, téméraire alors. Aussi le discours préliminaii'e fut-il regardé comme une attaque dirigée contre le théâtre fronçais. Il jeta le trouble dans le camp cbissique. On eût dit que l'Anglais, comme au temps de la guerre de cent ans, était débar- qué à Cherbourg ou h Barfleur. On sonne le tocsin d'a- larme ; de toutes parts on court aux armes pour repousser la nouvelle invasion de Barbares; une guerre d'extermina- tion est déclarée h l'Angleterre. C'est Voltaire qui dirige et commande la croisade. C'est une page vraiment curieuse et intéressante de notre histoire littéraire , que la lutte qui s'engagea contre Shakspere et son traducteur. Depuis vingt ans, le vieux patriarche de la philosophie vivait renfermé dans son château do Ferney , devenu , comme La Mecque pour les Musulmans, un lieu de pè- 166 INTRODUCTION DE LA LITTERATCRE lerinage pour les littérateurs, les philosophes, les seigneurs^ les princes et les princesses de France et d'Europe, aux- quels le Dieu du XVIII^ siècle mesurait la durée de ses apparitions sur le degré qu'ils occupaient dans l'échelle intellectuelle ou sociale. C'est là qu'an moment où la jeune reine venait de lui envoyer Le Kain , pour jouer , pendant un mois, ses pièces sur son ihéûtre de Ferney, il lut le discours de Le Tourneur, et apprit ainsi la nouvelle de la conspiration contre la France par l'audacieux Triumvirat. A cette lecture, l'auteur de Zaïre bondit de colère, et re- trouve à 82 ans toute la vivacité de sa jeunesse. Il épuise contre Le Tourneur le vocabulaire des plus injurieuses é- pithètes. Voyez plutôt un échantillon de la tolérance et de la politesse d'un homme qui a tant écrit contre l'intolé- rance. « Mon cher ange, écrit-il à son ami d'Ai^ental, le 17 » juillet 1776, il faut que je vous dise combien je suis » fâché contre un nommé Le Tourneur, qu'on dit secré- » taire de la librairie, et qui ne me paraît pas le secré- » taire du bon goût. Avez-vous lu les deux voluqies de ce ï » misérable, dans lesquels il veut nous fiiire regarder Shak- » spere comme le seul modèle de la véritable tragédie ? » il sacrifie tous les Français h son idole , comme on sa- » crifiait autrefois des cochons à Cérès. Ce barbouilleur » a trouvé le secret de faire engager le Roi et la Reine h » souscrire à son ouvrage. Avez-vous lu son abominable » grimoire? Avez-vous une haine assez vigoureuse contre s cet impudent imbécille ? Souffrirez-vous l'affront qu'il » fait à la France ? Il n'y a point assez de camouflets, as- > sez de bonnets d'âne, assez de piloris pour un pareil > fatjuin. Le sang pétille dans mes vieilles veines en vous ANGLAISE EiN FRANCE. 167 ^ parlant de lui. S'il ne vous a pas mis en colère, je vous » liens pour un homme impassible. Ce qu'il y a d'affreux, » c'est que le monstre a un parti en France; et pour, 8 comble .de calamité et d'horreur, c'est moi qui autre- h fois parlai le premier de ce Shakspere ; c'est moi qui t le premier montrai au Français quelques perles que j j'avais trouvées dans son énorme fumier. Je ne m'at- t tendais pas que je servirais un jour à fouler aux pieds » les coui'onnes de Racine et de Corneille , pour en orner » le front d'un histrion barbare. Tâchez, je vous prie, t d'être aussi en colère que moi , sans quoi je me sens t capable de faire un mauvais coup. » On a fait un crime à Voltaire de cette boutade, dont la vivacité semble trahir une haine d'amour-propre blessé. On pourrait en effet l'accuser de se cacher lui-même der- rière les grands noms de Corneille et de Racine. Cepen- dant , à part la forme insolente et brutale qui lui est pro- pre , Voltaire est ici l'organe de l'opinion générale des littérateurs contemporains. La Harpe , le servile écho des idées de Voltaire , envoie sa lettre à Catherine de Russie, en lui disant que c'est la colère du génie, et qu'elle n'a- vait jamais été plus vive et plus puissante. En même temps il lance du haut de sa chaire les foudres de l'excommuni- cation contre Shakspere. L'auteur de la Dunciade, l'enne- mi des philosophes, Palissot, croyait à une conspiration contre nos grands tragiques , et il accuse Le Tourneur d'être le chef de la faction littéraire antinalionale. Si l'in- fatigable défenseur du bel art des anciens , de la régu- larité , de l'élégance et de la pureté de la forme, si Boileau, qui avait flétri avant Voltaire, les Journées de Lope et les autos sacramentales de Calderon , eût vécu au temps de Le Tourneur, il serait entré dans la lutte, et aurait 168 INTRODUCTION DE LA LITTERATURE combattu do toute sa puissance cl de toute sou autorité de poëte de la raison et du goût. Voltaire choisit l'académie pour champ de bataille. Il ki adressa une lettre dans laquelle il cherche à accabler Shakspere sous une grêle de ces traits de ridicule, que son rare esprit savait si finement aiguiser, et qu'il lan- çait avec tant de profusion sur tout ce qui lui faisait ob- stacle. Secrétaire du bon goût , dit-il à d'AIembert , en lui envoyant sa lettre à l'académie, mon cher philosophe, mou cher ami , à mon secours. Lisez mon factum contre noti-e en- nemi Le Tourneur. Je suis indigné contre ce Le Tourneur ; mais il faut retenir sa colère quand on plaide devant ses juges. — Six jours après cependant, il lâche de nouveau la bride à sa colère, qu'il ne pouvait plus contenii-, et reprend la grossière invective. Ceci devient sérieux, écrit-il au secré- taire de l'académie; Le Tourneur seul- a fait la préface dans laquelle il nous insulte avec toute l'insolence d'un pé- dant. Il faudrait mettre au pilori du Parnasse un faquin qui nous donne, d'un ton de maître, des Gilles anglais , pour mettre h la place des- Corneille et des Racine. Cependant d'Alembert avait lu à l'académie la diatribe de Voltaire contre Shakspere. Elle lui parut si intéressante pour la littérature en général et pour la littérature fran- çaise en particulier, si utile au maintien du bon goût, qu'elle pensa que le public en entendrait la lecture avec fruit. Sur \QchSim^, Bertrand \\\^ovme. Raton ( Ce sont les noms que se donnent les deux philosophes dans leur cor- respondance ) du plein succès de son manifeste. Mais le triomphe n'est pas assez complet, assez éclatant surtout; il lui demande donc , au nom de la compagnie , la per- mission de faire une seconde lecture de son bill contre ANGLAISE EN FRANCE. 169 l'anglomanie , dans une séance publique el solennelle. En même temps, il recommande la prudence au fougueux jeune homme de 82 ans ; il l'engage à supprimer les personnalilés offensantes contre le traducteur, à effacer certains traits trop libres , certaines grossièretés qui ne pouvaient se lire publi- quement, et même à envoyer h l'acadénne une seconde lettre plus décente que la première. Le vieux Raton se prête facilement aux vœux de l'aca- démie, et lui envoie une seconde épître écrite dans un style un peu plus grave. Il permet à Bertrand de couper , de tailler , de rogner et d'eflacer à son gré , dans la première, et de taire le vilain nom du traducteur. Ce- pendant il le prie de ne pas couper les griffes avec les- quelles il se propose d'égratigner Shaksperé, et de tâcher au contraire de les aiguiser encore. Il l'engage à escamoter le mauvais par un mot habilement substitué à un autre , par une phrase heureusement accourcie ; enfin à faire réussir par tous les secrets de son art sa déclaration de guerre à l'Angleterre. Quant aux citations obscènes dont il a semé sa première lettre, il apprend au secrétaire de l'académie la manière de se tirer d'embarras. Arrêtez-vous, dit-il à ces petits défilés; passez eu lisant les gros mots de la canaille anglaise ; avertissez l'ivcadémie qu'on ne peut prononcer au Louvre ce que le divin Shaksperé prononçait si familiè- rement devant la reine Elisabeth. — L'auditeur qui vous saura gré de votre retenue, laissera aller son imagination beaucoup au-delà des infamies anglaises qui resten^nt sur le bout de votre langue. — Le grand point esi d'insplrei à la nation le dégoût et l'horreiu' pour Cille Le Tourneur, préconiseur de Gillc Shaksperé. La deuxième lectures fui fixée au 25 août , dans la sé- ance solenucUc où l'académie disli'ibuail ses prix. — Eu 170 INTRODUCTION DE LA LITTERATURE lUtcndant, la querelle s'animait et grandissait jusqu'aux pi'oportions d'une lutte nationale. Chacun s'enrôlait sous l'un ou l'autre drapeau. — Les honnêtes f^ens reliraient leur souscription , Voltaire était inondé à Ferney de lettres d'adhésion ; il avait adressé une invocation à la Reine et aux Princesses pour les attirer dans son parti. — Il se mettait surtout sous la protection de la Reine, f|ui venait de se priver pour lui de Le Kain pendant un mois, malgré son amour pour le théâtre tragique. — Elle distingue le bon du mauvais , disait-il, comme si elle mangeait du beurre et du miel : elle sera le soutien du bon goût. De l'autre côté, le parii de Le Tourneur et de Shak- spere grossissait chaque jour. La persécution, comme toujours, lui avait donné de nouveaux prosélytes. — Il comptait dans ses rangs toute la Famille royale. — Voltaire avait vaine- ment essayé d'en détacher la Reine. Convaincu d'avoir ac- compli une œuvre consciencieuse, Le Tourneur opposa la plus honorable modération au torrent d'injures que Voltaire vomit contre lui, et attendit avec calme le choc de ses ad- versaires. Le feld maréchal Raton avait envoyé de Ferney à son lieutenant Bertrand , le plan de campagne qu'il avait tra- cé. — Son système d'attaque et de défense consistait à opposer les plus beaux morceaux de Racine et de Corneille, aux scènes les plus grossières du grand tragique anglais. — Cette tactique n'était ni loyale , ni chevaleresque ; mais toute arme était bonne dans un danger si pressant. Car il ne s'agissait de rien moins, selon eux, que d'une guerre à mort entre le drame anglais et la tragédie française. — Il faut , disait d'Alembert , que Racine ou Shakspere de- meure sur la place. — Ne nous laissons pas vaincre comme à Poitiers et h Crécy. Montrons aux Anglais que nos gens ANGLAISE EN FRANCE. 171 de lellres savent mieux se ballre que nos soldais el nos généraux. Malheureusenient il y a parmi ces gens de let- tres bien des déserteurs et des faux frères ; mais les dé- serteurs seront pris et pendus. — Ce qui me fâche, c'est que la graisse de ces pendus ne sera bonne à rien , car ils sont bien secs et bien maigres. Enfin le jour de la bataille arriva. — Le combat s'en- gagea en présence d'un grand nombre de spectateurs des deux camps et des deux nations. — Le Vieuiennnl Bertrand, parodiant le vieux cri de nos guerres anglo-françaises , sonna la charge en disant : Vive Saint-Denis- Voltaire ! Meure Geor- ges-Shakspere ! Il descendit dans la lice avec les armes for- gées par son général Raton ^ qui lui avait si bien appris à les manier. — Il lut les deux lettres de son maître, avec tout le dévouement de l'amitié, le zèle de la bonne cause , et l'intérêt de sa vanité. — La victoire fut aussi éclatante qu'ils l'avaient désirée; les citations divertirent beaucoup la grave assemblée , qui ne connaissait probable- ment Shakspere que par celte face. — On en fit même répéter plusieurs. — Enfin l'audacieux rival de Racine, percé , déchiré par les traits du sarcasme , parut terrassé de manière à ne se relever jamais ; et le parti anglais, hon- teusement battu, se retira la rougeur sur le front et le chagrin dans le coeur , tandis que le parti français sortit du champ de bataille radieux et triomphant. Le lendemain de grand matin , le marquis de Ville- Vieille partit précipitamment pour Ferney , afin d'avoir le plaisir d'annoncer le premier à Voltaire son éclatant suc- cès, en attendant que son lieutenant, dans un rapport cir-. constancié , rendit compte à son général de la brillante campagne qu'il venait de faire sous lui. — La nouvelle de cette victoire remplit de joie le cœui' du vieux Raton, (lui 172 INTRODUCTION DE LA LITTERATURE élail émerveillé qu'une nation qui avait produit des génies pleins de goût et de délicatesse, pût tirer vanité de cet abominable Shakspere, qui, selon lui , n'était qu'un Gille de village qui n'avait pas écrit deux lignes honnêtes. Mais celte joie fut éphémère comme le triomphe qui l'avait causée. Le garde des sceaux refusa la permission de publier la diatribe de Voltaire, et le Roi repoussa la de- mande de 1,500 francs que lui avait faite l'académie pour multiplier ses prix. — La traduction de Shakspere se ré- pandit de toutes parts; la colère cl la censure de Voltaire, loin de lui nuire , n'avaient faii que contribuer à son suc- cès. — Le public dévorait ces drames qui n'avaient été , pour l'académie, qu'un sujet de lire el de divertisse- menl, el qui étaient pour lui une source inépuisable de larmes et de tragiques émotions. — Voltaire était découra- gé ; il écrivait à son ami qu'il mourrait désagréablement , parce qu'il avait vu mourir la littérature en France. — La révolution littéraire que l'académie avait voulu arrêter en l'étouffant à son berceau , s'avançait menaçante avec une autre révolution plus terrible, que philosophes et littéra- teurs hâtaient de leurs vœux et de leurs plumes, et qui, comme Saturne , devait dévorer ses enfants. — Telle est la résistance que rencontra l'introduction de Shakspere en France. Maintenant, quel jugement devons-nous porter sur cette persécution et sur Shakspere lui-même? Pour com- prendre la conduite de Voltaire et de l'académie, il faut se reporter aux idées de leur siècle, et ne pas les juger avec celles du nôtre. La France avait un théâtre national dont elle était justement fière , et qu'elle regardait comme infiniment supérieur à celui de toutes les autres nations. — Quoique imitée des anciens , ■et pour le fond et pour la forme , la tragédie française ANGLAISE EN FRANCK. 173 n'en ét:iit pas moins la vivante expression de la société qui lui avait donné le jour. — Elle était faite à son image et conforme à sa manière de penser et de sentir. — Elle en reproduisait les passions contenues, l'exquise délicatesse, la régularité noble, l'élégance de manières et de langage. — Ce genre de poésie dramatique s'était élevé , dans Racine , à son plus haut degré de perfection. — Voltaire, quoiqu'il l'eût modifié, en lui imprimant le cachet de son siècle et de sa vive personnalité , en était cependant le repré- sentant et le glorieux continuateur. On ne croyait pas qu'il y eût ni vérité ni beauté en dehors de ce syslènic dramatique. Tel était l'état des choses et des esprits , lorsque Le Tourneur vint , Shakspere à la main , proposer une autre espèce de drame , rival du drame français , qui renversait les théories établies , et posait les principes d'une large liberté h la place de l'ordre sévère et de la loi d'unité qui présidait à nos compositions tragiques. — TN'ous ne de- vons donc pas nous étonner de la bataille qui s'engagea alors dans le monde littéraire. — C'était le génie du Nord, qui venait pour la première fois se heurter contre le génie du Midi : c'était une foi nouvelle qui venait attaquer l'an- tique croyance; or, lorsqu'une croyance quelconque , reli- gieuse , politique ou liltérairc, est fortement enracinée dans un pays , ce n'est jamais qu'après un rude combat qn'elle cède le terrain à sa rivale. — Les deux principes repré- sentiîs par Shakspere et Racine ne sont pas encore har- monisés à l'heure où j'écris ces lignes ; et ceux qui se rappellent la vivacité de la lutte du Classique et du Roman- tique sous la restauration , verront sans étonnement Le Tourneur , qui plante hardiment le drapeau étranger sur notre soi , essuyer le feu roulant de Voltaire, de l'académie et des littérateurs contemporains. 174 INTRODUCTION DE LA LITTERATURE Est-ce donc à dire que je partage l'opinion de Voltaire sur Shakspere, et qne j'approuve la persécution qu'il suscita contre son traducteur ? A Dieu ne plaise. — Le temps seul décidera, si dans le commerce matériel , la franchise peut, comme le prétendent quelques publicistes , descendre du monde idéal dans celui de la réalité ; ou si elle sera éternellement reléguée dans la république de Platon , l'U- topie de Morus et la Salente de Fénélon ; mais en matière philosophique et littéraire, je ne crains pas de m'élever contre le système prohibitif ou prolecteur. — Loin de nous l'i- dée d'entourer les états d'une ceinture de douanes pour intercepter la pensée à la frontière ! Que les intelligences puissent du moins communiquer librement d'un peuple à un autre ! Les œuvres du génie ne sont pas la propriété exclusive de la nation qui les produit; elles appartiennent à la grande famille humaine. Ce n'était que devant une assemblée ignorante ou pré- venue, que Voltaire pouvait traiter le grand tragique anglais de Gille de village qui n'avait jamais écrit deux lignes honnêtes. — S'il revenait h la vie de nos jours , il ne pourrait plus divertir l'académie de ses sarcasmes et de ses lazzis. — Une révolution profonde s'est opérée dans le goût public. — Elle a pénétré jusqu'au sein des corps lettrés, des conservateurs des traditions nationales; les plus illustres membres de cette académie qui voulait proscrire Shaks- pere , il y a soixante ans, consacrent aujourd'hui leurs plumes éloquentes à l'éloge de ce grand homme. Mais d'où vient l'admiration que lui ont vouée d'abord ses compatriotes , ensuite la savante Allemagne et tardive- ment enfin la France , qui semble avoir ratifié le jugement qu'en avait porté Le Tourneur en devançant son siècle? Est-ce patriotisme, caprice , mode , amour de la nouveauté ANGLAISE EN FRANCE. 175 et de la licence, linine de l'ordre, dépravalion du goût? Un culte aussi général a une source plus respectable. Shakspere appartient à cette famille peu nombreuse de génies privilégiés qui n'apparaissent qu'à de longs inter- valles dans le cours des siècles. — Ces rois de l'intelli- gence dictent les lois qui gouvernent les esprits d'un ordre inférieur. — Ils participent à l'énergie créatrice de la puissance divine, dont ils portent sur le front l'empreinte auguste. — Comme elle, ils animent de leur souffle des êtres qui vivent, se meuvent, et rivalisent avec ceux que Dieu a placés dans le monde de la réalité. — Ils résu- ment dans leurs créations la vie humaine en général et la vie sociale d'une époque particulière. — Placés au commen- cement d'une langue et d'une littérature , ils les consacrent et creusent le lit dans lequel elles doivent rouler. — Tel est Homère , tel est Dante , tel est Shakspere. — Comme les deux premiers, quoiqu'il ait coulé sa pensée dans un moule différent , le tragique anglais domine, de toute la puissance de son génie, la littérature de son pays et même celle des autres pays. Le nombre des caractères nouveaux qu'il a tracés est si grand , qu'il a fait dire que c'était lui qui avait créé le plus d'hommes après Dieu ; il a pris l'homme à toutes les époques , à tous les âges , à toutes les conditions : l'ancien et le moderne, le barbare et le civilisé, le roi et le niendTant, le sage et le fou, l'enfant et l'homme mûr , l'ardent jeune homme et l'im- bécille vieillard. C'est l'humanité telle qu'elle s'offre à nos regards dans la réalité, avec ses vertus et ses crimes, sa grandeur et sa bassesse , ses amours et ses haines , ses joies et ses douleurs , son rire et ses larmes ! Avec quel relief il dessine ses figures! quelle puissance d'imagi- nation ! avec quelle profondeur d'observation il sonde les 1 76 INTBOnirCTION DE LA LITTERATURE plis les plus cachés du cœur humain ! avec quels accents s'expriment les passions ! Pour emprunter les paroles de Voltaire lui-même, c'est la vérité, c'est la nature qui parle son propre langage ; c'est du sublime, et l'auteur ne l'a point cherché. En vous promenant dans sa riche galerie , ne vous étes- vous pas arrêté comme fasciné par un doux charme, devant ces ravissants portraits de femme , que le divin artiste a dessillés en traits si purs el peints de si harmonieuses cou- leurs ? N'avez-vous pas retrouvé là ces anges sous forme hu- maine que vous rêviez à vingt ans, et que le pin(;eau du poète a réahsés avec tant de bonheur? Jessica , Imogènr, Juliette , Desdemona , Miranda , Orphelia , Cordelia , ne res- pirent-elles pas la douceur et la beauté des vierges ra- phaéliques ? Comme Eschyle et Sophocle , Shakspere expose sur la scène le dogme de l'expiation ; comme eux il effraie le crime par les remords et la vengeance. — Comme eux , il évoque de la tombe des fantômes auxquels il donne la réalité des êtres vivants. — C'est ainsi que, sans vouloir imiter les anciens qu'il ne connaissait peut-être pas , il s'en est souvent plus rapproché que ceux qui prétendaient les suivre. — C'est que le modèle qui posait devant Es- chyle et Sophocle , la nature et l'homme , posait encore devant Shakspere. C'est à ce modèle vivant qu'il a pris, comme les tragiques de la Grèce , tant de traits et d'i- mages qui se gravent dans l'esprit et ne s'en effacent pas. Voilà le poète que Voltaire traitait de Gille! voilà les chefs-d'œuvrcs qu'il appelait des pièces de la foire ! Sans doute il y a des taches dans Shakspere ; il se rencontre quelquefois, au milieu de tant de scènes si belles, des traits ANGLAISE EN FRANCE. 177 grossiers el des images indécentes; mais si l'on ne doit pas, comme certains admirateurs fanatiques, prendre ces imperfeclions pour des beautés, est-ce une raison, d'un autre côté , de flétrir ce grand poêle comme un grossier écrivain ? On trouve dans Molière une foule de mois que les bienséances ne permettent plus de prononcer au théâtre ; faudra-t-il pour cela proscrire, à cause de Findécence de son style , le plus illustre comique qui ail jamais existé ? Ces mots qu'on ne pouvait prononcer au Louvre du temps de Voltaire , et que Shakspere prononçait */ familière- ment devant la reine Elisabeth, se prononçaient avec tout autant Ae familiarité , à la même époque, devant les reines de France, et même jusque dans les temples. Non , Shakspere n'est pas un poète au sens grossier et à l'âme basse. — Son génie calme et pur planait dans tes plus hautes régions de la pensée et du sentiment. — C'est de là qu'il abaissait ses regards d'aigle vers la terre, et qu'il découvrait les ressorts cachés qui faisaient mou- \oir cette mullilude rampant à ses pieds. Ce langage tri- vial et indécent qui vous offense, n'esl pas le sien ; c'est celui de ses personnages, c'est celui son siècle, qui n'atta- chait pas aux mots les mêmes idées que le nôtre. Toules les fois qu'il parle en son nom et qu'il traduit ses propres pensées, il est noble , il est pur , il est magnifique. Loin donc de mépriser Shakspere comme un poêle vulgaire et grossier, admirons-le d'avoir écrit avec tant de force , d'é- lévation et d'éclat , à une époque où la France et l'Angle- terre ne sauraient montrer rien de semblable. — D'ailleurs c'était bien à Voltaire de reprocher au grand tragique an- glais le cynisme de son langage , lui qui s'était rendu coupable d'un triple crime, envers la religion , la morale et la patrie , en souillant et profanant de ses couleurs obs- 12 178 INTRODUCTrON DE LA LITTEnATllRK cènes, le plus poélique et le plus héroïque personnage de notre histoire , sans pouvoir, comme Shakspere , imputer sa faute h la gossièreté de son siècle ! Tels sont les droits de Shakspere à l'admiration réfléchie du monde lettré. — Elle n'a pas sa racine dans la dépra- vation de l'esprit. — Sans doute notre goût s'est profon- dément modifié depuis 50 ans ; il se peut même que sa délicatesse ait été un peu altérée ; mais ce qu'il a perdu en pureté , il l'a regagné en force et en étendue. — Nous n'avons point mutilé , nous avons multiplié nos jouissances. — Avec Corneille, Racine et Voltaire, nous pouvons ad- mirer Caldéron et Shakspere , Schiller et Goethe. — Les anciens ont gagné à cette révolution du goiil. — On les verra bientôt sous leur véritable jour ; on commence à comprendre cl à aimer cette noble simplicité , celle pein- ture tantôt familière, tantôt riche et brillante de la vie domestique et publique , civile et religieuse de l'antiquité, dont on avait perdu le sens, dans le siècle dernier, h force de raffinement et de galante politesse. La littérature n'est pas morte , comme le croyait Vol- taire : elle se renouvelle et se transforme. — La sociéw- nouvelle saura , comme l'ancienne , se créer une poésie à sa ressemblance. Chaque jour le sol se déblaie , l'hori- zon s'agrandit , rinlelligence se dégage des nuages du pré- jugé. — Alenne le génie, et il élèvera l'édifice drama- tique qui doit abriter les générations futures. — On ne peut encore , il est vrai , en tracer le dessin et l'ordon- nance ; mais il est déjà possible d'indiquer quelques-unes l'indécence des dieux d'Homère. Il dédaigna de les justi- I fier par le secours trivial des allégories, et voulut bien > me faire confidence d'un sentiment qui lui était propre, » quoique, tout persuadé qu'il en était, il n'ait pas voulu t le rendre public : c'est qu'Homère avait craint d'ennuyer j par le tragique de son sujet : que n'ayant de la part » des hommes que des combats et des passions funestes » à peindre, il avait voulu égayer le fond de sa matière • aux dépens des dieux mêmes, et qu'il leur avait fait » jouer la comédie dans les entractes de son action, pour » délasser le lecteur , que la continuité des combats aurait t rebuté sans ces intermèdes. 5 II me serait facile, continue Lamotte, de faire voir t que cette idée aggrave plus la faute d'Homère qu'elle • ne l'excuse: elle le rend impie gratuitement, je veux « dire sans le rendre plus agréable, b Une opinion qui n'est pas sans rapport avec celle de Boileau , mais beaucoup plus approfondie, se trouve dans un article sur la Philosophie d'Homère, par M. Binault. Rev. des Deux Mondes, 15 mars 1841. Remarquons en pas- sant la différence qui sépare la critique ancienne de la nouvelle; la première, ne cherchant dans les poêles les plus anciens que des inlentions et des procédés littéraires, jugeant des ouvrages de l'esprit selon certaines règles abstraites , et ne tenant presque aucun compte des influences que les temps , les lieux , les mœurs et les croyances ont dû exer- cer sur les oeuvres de l'art ; la seconde , au contraire , empruntant toujours pour s'éclairer les lumières de la phi- losophie et de l'histoire, au risque parfois de s'égarer en âÔ6 FSSAI SUR LA cherchant trop à étendre ses vues , et de diminuer l'idée de l'Art , de l'oublier, pour ne voir plus que les sources où il puise. M. Binault pense que le but véritable d'Homère , au point dont il s'agit , était de tourner en ridicule et de ruiner les superstitions antiques", et tout en conservant l'ancien dogme, de le purifier et de le transformer. Ainsi il faudrait voir dans ce poëte , un adversaire du sacer- doce , qui, avant l'âge héroïque , dominait dans la Grèce, un ennemi des idées orientales , un prédécesseur de So- crate. Pour appuyer ce système, on cite les livres I, XX et XXI in fine , de l'Iliade. On peut ajouter les amours de Mars et de Vénus, dans l'Odyssée, 1. VIII. Il est impossible, selon M. Binault, de ne pas voir dans ces passages , une intention ironique. Ce système ingénieux nous semble pourtant, à l'examiner de près, peu admis- sible. Quand on parle des temps primitifs de la Grèce, on a beaucoup à se défier de l'imagination ; comme les don- nées historiques sont fort insuffisantes, on est porté h y suppléer par des conjectures, et cette simple objection : Cela n'est pas prouvé , demeure souvent sans réponse. Il est vrai que pour nous les passages indiqués ont une teinte de familiarité plaisante , qui s'accorde mal avec la vénération et la croyance ; il est vrai encore que , quand Homère fait rire ses dieux d'un rire inextinguible, il pen- sait bien sans doute exciter aussi l'hilarité de ses audi- teurs; mais ce rire, était-ce l'ironie de l'incrédulité, ou seulement une franche gaieté, un badinage sans consé- quence? Comment croire que ce poëte ait voulu se faire du ridicule une arme contre les croyances de ses conci- toyens, quand partout ailleurs, il se montre si religieux, accordant aux dieux de l'Olympe , non pas un froid res- pect, mais une foi vive, une entière confiance? On ne PHILOSOPHIE h'homère. 207 voit pas non plus qu'il ait cherché à faire prévaloir un dogme, un culte sur un autre; s'il eût eu cette pensée^, il n'aurait pas manqué, en cette lutte de l'Europe contre L'Asie, de mettre en présence la croyance victorieuse et la superstition vaincue. Dans le sujet de l'Iliade, un écri- vain moderne trouverait aisément la matière d'une anti- thèse philosophique. Il peindrait d'un côté l'Asie, asservie par un immobile respect sous le joug de l'erreur, et de l'autre , la Grèce libre déjà dans ses conceptions, et s'éle- vant à une religion plus pure. Troie deviendrait le refuge des antiques traditions; dans l'ombre de ses sanctuaires se conserveraient les dogmes mystérieux de l'Orient et le- pouvoir obsolu du sacerdoce. Au contraire , les phalanges d'Agamemnon représenteraient la force intelligente, armée au nom de la liberté morale, de la raison indépendante. Cette guerre serait une croisade de l'Occident avec sa mobilité incessante , contre l'Orient plongé dans le repos du panthéisme. Malheureusement il n'y a pas dans l'Iliade et rOdyssée un mot de tout cela. Les dieux sont divisés; mais les passions qui les animent tiennent, si l'on peut parler ainsi, à des affections et à des intérêts particuliers ; ils ne se querellent pas pour des points de doctrine. Une autre objection se présente : Homère ne cesse de louer les héros de l'âge passé : souvent , chez lui, on se plaint de ce que les hommes ont dégénéré, et rien n'indique la croyance au progrès. Une telle tendance peut-elle se con- cilier avec l'intention qu'on lui suppose , de déprimer les doctrines anciennes , pour hâter les progrès d'une libre philosophie ? Mais comment se fait-il qu'à des divinités qu'il honore, Homère attribue des vices honteux ou ridicules ? Il faut, ce nous semble , pour résoudre cette question , réfléchir à08 ESSAI SUR LA sur la difîérence profonde qui sépare le chrisiianisme du polythéisme. Guidés par la raison , éclairés par la ré- vélation , nous ne pouvons concevoir en Dieu rien que de grand et de pur; tout ce qui altère la perfection atta- chée à l'être divin nous révolte , et comme le ridicule naît du contraste entre ce qui est et ce qui devrait être, nous sommes portés à trouver de l'ironie , là où il y a seulement erreur et abus. Ce faible et honteux caractère donné aux dieux par Homère, vient donc du fond même de l'erreur païenne, qui, divinisant les forces diverses de la nature, et mêlant à celte idée première, des souvenirs historiques et des allégories , cessa de joindre à l'idée de dieu celle de vertu et de perfection. Il faut bien mettre aussi quelque chose sur le compte de la libre humeur du poète, mais ne pas lui prêter en cela une intention suivie et systématique. IV. Nous avons maintenant à rechercher l'opinion d'Homère sur la nature de l'âme et ses facultés. Plusieurs travaux ont déjà été produits sur cette importante matière ; nous regrettons de ne les pas connaître ; mais le but de ce mémoire est moins d'entrer dans une analyse détaillée, que de présenter une idée d'ensemble nette et précise. Homère distingue clairement dans l'âme plusieurs fa- cultés principales ; elles ne sont pas , à la vérité , dé- finies et classées, mais elles se montrent avec leurs carac- tères propres dans les discours, les scènes et les récits, apparaissant sous les phénomènes qu'elles produisent. Elles sont aussi nommées , et l'étude des mots qui servent à les désigner , si l'on remontait à leur racine , pour les riIlLOSOMIUC DUOMÈRE. 209 suivre «'iisniie dans leurs accopiions , ne serait pas inutile lK)ur riiistoirc de la philosophie , car le langage conserve une exacte empreinte des mouvenienls de la pensée trans- mise ; les perceptions métaphysiques et morales que le commun d'une nation découvre ou adopte se traduisent dans la formation des mots de sa langue , de la même façon que le sentiment et la manière de penser d'un au- teur se réfléchit dans son style. Ce serait toutefois sortir de notre sujet que d'entrer dans un si grand détail , outre qu'une telle analyse présente de nombreuses diflicultés : il faudrait faire la philosophie de la langue grecque , et il s'agit seulement ici de la philosophie d'Homère ; ces deux choses se touchent sans se confondre. Il faut donc s'en tenir aux notions les plus essentielles. Parmi les Aicultés de l'âme , il en est une souvent si- gnalée dans les poèmes d'Homère , celle qu'il nomme «ûfxoç , et que l'on doit rapporter à la sensibilité morale. Ce mot ôûfioç prend , il est vrai , dans Homèrc! plusieurs acceptions ; il signifie , selon les occasions , âme , pensée, vie , ardeur du désir , colère ; mais ces significations di- veises, si l'on y veut liiire attention, déH3oident toutes du sens primitif indiqué par Platon , d'après létymologie : ardeur de I âme. ÔUfAÔ; ^è àTti txç ôûaew; xat Uaïui; Txç <}'*x'"î e'xct av Tô ovcjxa. Cratylc. - Edit. Tauchnilz.-Leipz. P. 287. Il me semble que les savants auteurs du Thésaurus linguœ grœcœ n'ont pas assez remarqué rencliaîncnicnt tout naturel des sens divers que prend successivement ce mot , sans cesser d'être le même ; ainsi il exprime d'abord , le mouve- ment de la sensibilité se manifestant surtout par la colère belliqueuse, puis la sensibilité plus générale, les impres- sions de l'amour ou de la haine ; et comme cette faculté, distincte de l'intelligence , en est cependant très-voisine , 210 ESSAI scn LA il exprimera aussi quelquefois les actes de la pensée , de même que le mot laiin sentire ; puis , du phénomène et de la faculté , il passera à signifier lame elle-même , mais surtout considérée comme principe de la sensibilité , et comme présidant aux fonctions de la vie. Le cœur x.éxp , jtïip , paraît être spécialement l'organe où cette faculté réside. L'intelligence est désignée par le mot Wo; , voù; ra- cine du verbe grec et latin qui exprime le plus spécia- lement l'action de connaître et de penser. Le siège de la pensée est communément placé par Homère , dans le diaphragme , ippiiv , «ppéve; , -k^ol-kî^i; ', et ces expressions , prises dans une acception dérivée , désignent en général , la fticuUé même, plutôt que l'organe ; elles signifient esprit, raison , pensée , etc. Quelquefois aussi , elles expriment les mouvements de l'âme qui se rapportent h la sensibilité. On ne conclura pas de là que le poêle ait confondu la pensée avec le sentiment ; mais , puisqu'il a fallu arriver h faire une exacte analyse de la conscience pour distin- guer avec précision l'une de l'autre , on ne s'étonnera pas de les trouver quelquefois dans Homère , agissant et se localisant au même point de l'organisation. Au reste , pour Homère , le diaphragme n'est pas le seul siège de la pensée ; il paraît aussi l'avoir placé dans le cerveau. Nous voyons , en effet , que les songes envoyés par les dieux pour se communiquer aux hommes , se posent sur leur tête , pendant le sommeil : or , le choix de cette partie du corps comme point de communication pour la transmis- sion des idées, indique assez la fonction attribuée à l'organe qu'elle renferme. V. II. I., H, XXIV, v. 683, 1. XXHI, 68-20, Od. V. VI, 1 . 21 , 1. IV, 803, telle est aussi l'explication donnée par le scholiastecité par M. Bothesur ce vers de l'Iliade, l.H , v. 20. PHILOSOPHIE d'ho»ière. 211 Enfin , la liberté ou activité , n'a pas pas besoin, pour être reconnue dans la docti-ine d'Homère , d'être formel- lement dénommée ; elle se reconnaît partout , dans les scènes , les discours , dans toute cette action qu'elle anime de sa vive et mobile énergie. Mais la liberté morale n'est-ellc pas une pure illusion? la volonté de l'homme n'est-cUe pas enchaînée par le destin ? les actes qu'on lui attribue ne sont-ils pas nécessités par les influences de notre organisation , ou soumis entièrement à l'empire de la nature ? Quelle est sur ce point la pensée du poète, est-il fataliste, ou croit-il au libre arbitre? Pour s'en assurer , il ne faut pas demander ici cette rigoureuse justesse d'expression que néglige le langage vulgaire , et qui h peine se trouve dans les livres des philosophes; il faut, et qu'on nous pardonne de revenir sou- vent sur une observation si nécessaire , il faut voir surtout le plan de l'auteur , l'ordre cl la nature de ses récits, l'ensemble des pensées qu'il développe par la bouche de ses héros. Les Grecs , pour désigna- le destin , le sort , ont plu- sieurs mots dont il importe de bien pénétrer le sens : woT|A&ç, (jLOipa, ■rceirpujAÉvYi, àvotyxï;, etu.«pfi.c'vT, . De CeS exprCSSioUS, les trois dernjèi'es , familières aux tragiques , conviennent aussi aux philosophes stoïciens, dont ils résument la doc- trine, en ce qui concerne le destin. Il est à remarquer qu'elles ne se trouvent point dans Ilomèie , du moins au sens rigoureux qu'on leur a donné depuis. Il se sert à la vérité des mots eîaapTat, ivEirptoTai; on trouve aussi le par- ticipe iT6irpw(Aev»i , mais il n'a pas encore pris la force et le sens d'un substantif; et l'on peut, ce semble, en con- clure que la doctrine du Destin, si elle existait, n'était pas développée et affirmée, comme elle l'a été en des 5212 ESSAI SUR LA temps posléricurs. Quant aux mots ttitiacç et jA'.Tpa, ils n'in- diquent aucune nécessité, mais seulement un enchaîne- ment de faits plus on moins accidentels. La racine de ces mots le prouve : Dans le dernier, on peut voir l'idée d'une distribution ; il correspond jusqu'à certain point au latin sors , et éveille l'idée d'une puissance suprême , mais non fatale. M. Dugas-Montbel, Obsen'ations sur Homère, a déjà fait une observation semblable. noTftoç paraît signifier primitivement chute; Apollonius le traduit par davarcç , mort. V. Apoll. Soph. Lexic. Homeric. Laissons aux hellénistes le soin de pousser plus loin cette recherche : nous n'avons pas besoin d'insister sur les origines des mots, pour piouver qu'Homère croyait au libre arbitre. Il professe expressément celte doctrine au début de l'Odyssée, où Jupiter s'exprime ainsi : Grands dieux les hommes nous accusent ! Quand, livrés au penchant d'erreurs qui les abusent, Ils ont de leur destin augmenté les rigueurs , Les dieux, osent-ils dire , ont causé ces malheurs, etc. Od., l. I. V. 156 s. q.q. Dans tout le cours de ce premier livre, le poêle sem- ble s'altacher à montrer que les hommes se font eux- mêmes, par le bon ou le mauvais emploi de leur liberté morale, un sort prospère ou malheureux. La liberté morale, comme chacun sait, ne consiste pas à agir sans être déterminé par un motif ou une impul- sion quelconque : elle se reconnaît en ce que notre volonté obéit à la persuasion, non à la contrainte, en ce que la cause efficiente de nos acles est en nous, est notre vo- lonté même, el non pas une force exierne. Le doule entre le oui et le non , la lutte entre la raison et la passion , l'examen avant le choix qui caractérise particulièrement J'HILOSOI'IIIK DIIOMÈRE. 213 lusagc de la volonlc libre est préciséineiil décril dans Ho- mère. II., 1. I, V. 189 , 193. El il est à noter que celte même forme de pensée et d'expression se retrouve souvent. On ne peut nier que, dans de nombreux passages, le poëtc ne paraisse parler du Destin , conmie d'une force ir- résistible et fatale. II., 1. XVI, v. 850, s. q.q. 1. XVIII, v. 110, s, q.q. I. XIX, V. 409, s. q.q. Od., 1. X, v. 175, etc. Mais en examinant avec soin ces textes, on reconnaîtra qu'ils ne sont pas contraires à la doctrine générale du libre arbitre. Tantôt , en effet , Homère entend par Destin la volonté des dieux, et celte volonté n'est pas inflexible : tantôt, s'il re- présente le cours de la vie humaine comme arrêté entre des limites qu'il ne dépend pas de nous de reculer, c'est moins un système ou un dogme professé, qu'une pensée du moment, inspirée à un guerrier dans la chaleur du combat, et propre à encourager les soldats, à leur faire mépriser le péril, et oublier une prudence excessive. La mort d'Achille est, à la vérité, annoncée et prévue; il sait qu'il ne doit point passer l'âge de la jeunesse. II. 1. I, V. 352, 1. XXIV, V. 538, s. q.q. Mais ce n'est point le Destin qui l'a décide ainsi , c'est Jupiter : d'ailleurs les exem- ples de ce genre sont fort rares , et l'exception ne fait ici que confirmer la règle. Le fatalisme se présente sous deux aspects : d'apiès cette doctrine, prise dans sa rigueur , les actions bonnes ou mauvaises de l'homme sont des résultats de son organi- sation, ou, en d'autres termes, des phénomènes produits en lui par la nature elle-même. D'un autre côté , l'honmie, dans ses rapports avec le monde, et avec la dure et sourde puissance qui le régit, ne peut vaincre aucun obstacle , détourner aucun danger ; tout est pour lui tracé d'avance, cl il n'y peut rien. Sa 214 ESSAI SUR LA seule vertu est une froide résignation, et l'indifférence peut seule le préserver du désespoir. Or, l'Iliade et l'Odyssée semblent avoir été composées pour combattre ce système : riliade est un magnifique éloge de la valeur et de l'é- nergie au milieu des dangers; l'Odyssée, une suite variée de leçons qui enseignent la prudence ingénieuse et la pa- tience infatigable ; l'une et l'autre célèbrent la puissance de la volonté. Ce n'est point le Destin qui règne au ciel , c'est une Providence, altérée et confuse , il est vrai , mais une Providence libre. L'ordre des choses est tel que Thomme peut, d'une part, h force d'intelligence et d'énergie, vain- cre la nature ; de l'autre, pai- le sacrifice et la prière, flé- chir les volontés divines. La volonté humaine a besoin d'appui, sans doute , et c'est du ciel que viennent tous les biens , mais elle se fait à elle-même sa voie. Ainsi , égale- ment préservée de l'orgueil et du désespoir , elle rend grâces aux dieux , digne elle-même de louange ; ou elle encourt le supplice, digne du châtiment. Cette doctrine , peu éloignée, comme on le voit , des dogmes que reconnaissent la religion et une saine philo- sophie, fut dans la suite altérée. On trouve chez les tra- giques une certaine tendance vers le fatalisme, moindre toutefois que l'on n'a accoutumé de le dire. Plus tard les Epicuriens et les Stoïciens substituèrent des systèmes abso- lus et erronés aux idées simples de la raison et de la tra- dition générales. Homère n'a point disserte sur la nature de l'âme ; cepen dant le peu de notions que l'on peut recueillir à ce sujet, dans ses ouvrages, doit au moins être noté. Il considère PHILOSOPHIE bHOMÈRE. 215 l'àme , comme une substance bien définie cl disUncte, \}/i*x'»i. Outre celle âme inielligenle et sensible , Homère reconnaît encore l'ombre , ei'^wXov , espèce de simulacre à demi coi-porel. En beaucoup de passages on trouve la preuve que l'âme n'était point confondue avec le corps et l'orga- nisation. II., I. I, V. 3-4., 1. VII, V. 131-330. 1. IX, v. 407., I. XVI, V. 856, 1. XXIII, V. 103, Od. I. XI, pass. 1. XIV, v. 134, 1. XV, V. 349, 1. XXIV, init. Dans le livre XI de l'Odyssée, Homère a, sans aucun doute, résume les croyances de son temps sur l'état des hommes après la mort. Virgile a traité la même matière, au livre VI de l'Enéide, et de plus y a donné l'esquisse d'une cosmogonie et d'une théodicée. On conçoit combien il est intéressant de rapprocher les doctrines déposées dans ces deux monuments, élevés par de si beaux génies ; l'un, en un siècle où les restes de la tradition antique, et les premiers aperçus de la raison inspiraient au poêle ses simples chants ; l'autre, à une époque de raisonnement subtil et de scepticisme , où divers systèmes se disputaient l'empire de l'opinion. Comme cette comparaison a déjà été faite , et sans doute bien des fois , quelques observations devront sufiire. Voici, en peu de mots l'analyse de la doctrine d'Homère. Au nioment où la vie cesse , l'âme se sépare du corps et s'envole à l'instant aux enfers, où elle garde encore cette sorte d'image et d'enveloppe corporelle, l'ombre dont nous avons parlé. Les âmes conservent dans ce séjour leur exis- tence propre et individuelle ; mais on peut distinguer dans leur sort deux conditions différentes, selon que les corps qu'elles ont animés ont reçu les honneurs de la sépulture, o\i que les derniers devoirs ne leur ont pas encore été rendus. 216 ESSAI SUR LA Jusqu'à ce mouient , les âmes liabilcnl le séjour téné- breux de l'Erèbe; elles ne peuvent franchir le Slyx, et ar- river à leur demeure dernière. U., 1. XXIII, v. 71, Od., 1. X, V, 71, s. q.q. Le poète paraît souvent confondre l'âme avec l'ombre ou fantôme : il la représente comme une image vaine et légère: àfAevnvà xdpYiva... eî^mXa xap.ovT(ùv... u compare les ombres aux songes, Od. 1. XI, v. 221; il semble même leur refuser la pensée , Od. 1. X, v. 495; mais on peut croire qu'en ce passage, il a voulu seulement relever la science de Tirési;is, h qui les dieux ont accordé, même après sa mort, la connaissance de l'avenir, et qu'il a un peu exagéré l'expression pour rendre le contraste plus frap- pant. Les ombres sont , en général , représentées comme ayant le sentiment et l'intelligence ; elles ont une existence réelle et individuelle, mais leur séparation d'avec le corps a diminué en elles la force de la vie. Aussi s'empressent- elles de voler vers les lieux où on leur offre les sacrifices prescrits : elles boivent avec avidité le sang des victimes ; et en général ce n'est qu'après s'être abreuvées de cette substance réparatiice, qu'elles reconnaissent ceux qui les invoquent , et répondent h leur voix : jusque-là , elles ne font entendre que des cris aigus et lamentables. Od. l.XI, V. 140. s. q.q. Homère , cependant, fait apparaître des ombres qui, sans avoir goûté le sang des victimes, reconnaissent Ulysse, et lui parlent ; telles sont celles d'Elpénor et de Tirésias. On peut supposer, selon la remarque de M. Bi- taubé, que, comme Elpénor n'avait pas franchi le Styx, ses facultés n'étaient pas entièrement dépouillées des sens ac- cordés aux hommes ; ses ossements n'avaient pas été con- sumés sur le bûcher ; il tenait encore par quelques liens à l'existence terrestre. Quant à Tirésias , sa haute sagesse l'élève au-dessus du commun des mortels ; encore faut-il PHILOSOPHIE d'iiomèue. 217 noter que le don de péiiélrer dans l'avenir cl de laniion- cer lui est rendu seulement après que lui aussi, s'est dé- saltéré dans le sang du sacrifice. Les ombres, même avant d'avoir pu parler, sont reconnues par Ulysse; elles conser- vent donc les traits et l'apparence exteiieure des personnes; leur substance n'est pas un pur esprit , mais une sorte de vapeur déliée ; la main ne peut les loucher, quoique l'œil puisse les voir. La condition des âmes est, en général, chélive et triste : elles regrettent la vie. Od., I. XI, v. 202, 487. Il est aisé de reconnaître que les hommes de l'âge héroïque, et le poète qui les a chantés, étaient occupés surtout de l'exis encc présente. C'est dans un but tout terrestre , tout temporel, si l'on peut parler ainsi , qu'Ulysse descend aux enfers ; il y va pour consulter Tirésias sur les moyens d'assurer son retour à Ithaque. Od., I. X, v. 513, s. q.q. Les âmes des morts n'ont pas perdu les goûts qui les occupaient pendant la vie, Od., 1. XI, v, 570, s. q.q. ; le souvenir de ce qu'elles furent autrefois fait tout le sujet de leurs pensées; les mêmes passions les agitent encore. Ainsi, dans les idées d'Homère, la vie se continue au-delà du tombeau , en perdant de son éclat et de son énergie, plu- tôt qu'elle ne se purifie et ne se transforme. On est même étonné en lisant celte nécyomancie de ne pas y rencontrer plus de merveilleux , une préoccupation plus forte des mys- tères de la mort. Il est vrai que le héros de l'Odyssée, au moment où il raconte aux Phéaciens sa descente aux en- fers, est agité des soins de la vie active; la pensée du retour le presse ; Ulysse n'est point un esprit porté à la contemplation , c'est un homme entreprenant, qui revieni des combats et va reconquérir ses foyers domestiques. Le poète lui-même, emporté par son goût pour les récits d'à- 218 liSSAI SUU LA venlures, ne disserte point, n'enseigne que par accideni : et amené à raconter la descente d'Ulysse aux enfers, il y trouve surtout l'occasion de Taire connaître h ses auditeui-s des traditions sur les héros et les héroïnes du siècle anté- rieur à la guerre de Troie, histoires célèbres et merveilleuses, qui ne trouvaient point leur place ailleurs avec autant de naturel et de vraisemblance. Continuons notre analyse : Homère attribue aux ombres une intelligence fort supérieure h celle des hommes vivants; elles ne découvrent pas l'avenir, mais elles aperçoivent les faits qui se passent en divers lieux ; elles ne sont pas arrê- tées par cette imperfection, ou celte limitation de nos sens, qui les empêche de franchir les distances et les obs- tacles matériels. Elles peuvent aussi, surtout quand il s'est écoulé peu de temps depuis la mort, se comnmniquer aux hommes pendant le sommeil et les songes. 11., 1. XXIII, v. 65. s. q.q. Ces idées supposent un certain pressentiment de la spiritualité de l'âme, et d'une extension des facultés hu- maines dans la vie future ; mais il y a, il faut en convenir, dans tout cela quelque chose d'indécis, et des contradictions sensibles. Nous ne devons point en être étonnés : le poëte retrace naïvement les croyances publiques formées h la fois par le spectacle de la mort , qui se présente aux sens comme une destruction muette et obscure , et par la pensée de l'immortalité, que l'on n'avait pu entièrement oublier ou méconnaître. Les demi-dieux sont d'un ordre à part : leur âme s'élève au ciel, séjour des divinités; leur fantôme seul demeure aux enfers ; telle est la condition d'Hercule. Od. 1. XI, v. 600, s. q.q. Le culte rendu aux morts , les sacrifices qu'il est d'usage de leur offrir , selon un rite consacré, et comme à des PHILOSOPHIE d'homf.re. 219 (livinilés mêmes, indiquent assez positivement la croyance de rimmortalité. A ce dogme tient essentiellement celui d'une justice exercée après la mort, des récompenses ac- cordées aux justes , des peines infligées aux méchants. Ho- mère n'a pas manqué de rappeler une croyance si générale. Ainsi, pénétrant dans le sombre royaume des enfers , Ulysse aperçoit Mines occupé ii interroger les ombres, et à pro- noncer des jugements; puis il voit quelques grands coupables subir les peines qu'ils ont méritées. Od. 1. XI, v. 567, s. q.q. Homère, au lieu cité, ne détermine pas les principes moraux qui servent de base aux sentences de Minos ; doit- on en conclure que les châtiments qui ont frappé Tilhye , Tantale et Sisyphe sont des actes de vengeance plutôt que de justice, le fait d'une puissance supérieure qui use ou abuse de sa force, au gré des intérêts et des passions? La loi morale est-elle étrangère à cette répression ? Il est vrai que Tantale et Tithye se sont rendus coupables d'outrages envers Jupiter, et que dans leurs supplices on peut voir des représailles , que le dernier appartient à la race des Géants, ennemis des dieux olympiens ; mais il est ici frappé comme criminel , non comme vaincu. Le poète ne parle pas des crimes de Sisyphe ; il n'est pas question, en ce qui le re- garde, d'une révolte contre le maître des dieux, et, h sui- vre l'opinion commune , on doit voir en lui un tyran fameux par sa cruauté. Ce n'est donc pas l'impiété seule qui est pu- nie aux enfers ; le poète ne s'étend pas en de longs détails , Ulysse, que l'heure presse, a hfue de finir son récit ; il cite les plus grands coupables, ceux qui en s'aitaquant aux divi- nités-elles mêmes, vont h briser les liens de dépendance les plus essentiels, h renverser les rapports primordiaux qui soutiennent l'ordre universel : toute l'antiquité pensait ainsi. Ailleurs nous voyons le parjure puni aux enfers; 220 ESSAI SUR LA ce n'e^ plus un sacrilège pur, c'est aussi un crime social; car le serment , fait au nom des dieux, a pour but essen- tiel de garantir la foi des conventions humaines. II., 1. III, V. 278, s. q.q. I. XIX, v. 258, s. q.q. S'il ne s'agissait que de vengeance et de droit du plus fort; si , îi l'idée religieuse, le poëtc ne voulait pas associer l'idée morale , pourquoi chargerait-il Minos de juger les ombres ? Minos, person- nage historique , après avoir jugé les hommes sur la terre, fut, à cause de son équité reconnue et célébrée, appelé à remplir aux enfers la même fonction. Ainsi les auciens re- connaissaient dans la vie future, l'idéal du juge aussi par- fait qu'ils le concevaient : or, a-t— il jamais été un temps où à l'idée de juge ne fut pas associée l'idée de justice? Si donc le poète ne définit pas les divers genres de méfaits, ce n'est pas qu'il les regarde comme indilTérents aux yeux de la justice divine ; mais la simplicité des mœurs et des temps et la rapidité du récit ne lui permettaient pas d'entrer dans tout ce détail : l'induction doit faire le reste. Ces traditions et ces pensées, qui, dans Homère, se pré- sentent sans autre ornement que la beauté naturelle de l'expression , et le charme particulier que donne h une narration la sincérité de celui qui raconte, Virgile, dans la descente d'Enée aux enfers, les développe avec toutes les ressources d'un art savant. Il choisit librement parmi les fables de la mythologie les sujets de ces tableaux, et ne se refuse point de mêler a ces restes des croyances an- tiques , les allégories , les descriptions où la fantaisie de son pinceau va faire briller les couleurs les plus diverses. On reconnaît au soin avec lequel Virgile détermine la punition des crimes ou des fautes des hommes , les pro- grès, non de la loi morale, mais de la scienec morale; piiirosopiiin d'homère. 221 l'espril lie précision pliilosophiqno recherché dans les siè- cles civilisés , le goût des définitions et des sentences élé- gantes. Dans les tableanx qu'il trace de la vie future , du séjour où s'ariôtcnl les ombres , jusqu'au nionient où le devoir de la sépulture enfin accompli permet au nocher infernal de leur faire franchir le Styx , puis du Tartare et des Champs- Elysées , Virgile ne paraît pas s'éloigner essentiellement de l'ancienne croyance suivie par Homère. Cependant, il ne peint pas les ombres comme avides du sang des victimes, et y puisant pour ainsi dire une vie nouvelle. Enée offre un sacrifice, non pas aux morts, ainsi que le fait Ulysse , mais à des divinités. La fable du rameau d'or est une conception nouvelle. Enfin Virgile donne des demeures spéciales aux enfants que la mort a frappés peu de temps après leur naissance, et aux innocents que la justice a condamnés par erreur ; aux suicides , à ceux que l'amour a conduits au tombeau, enfin aux guerriers illustres. Ce n'est pas le lieu d'examiner si toutes ces idées concordent bien entre elles , et avec le système général adopté iiar le poète latin ; il suffit de dire que jusque-là , il a à peu près suivi dans son ensemble le dogme poétique et popu- laire. Plus loin, une doctrine purement philosophique , et diflicile h concilier avec tout ce qui précède, est exposée par la bouche d'Anchise. Comme tout le monde connaît ce passage, il nous suffira de l'analyser en peu de mots. Un principe vital ( est-ce l'âme du monde de Platon, ou le feu central des Stoï- ciens ? ) est infus dans toute la nature , et en pénètre les diverses parties : de ce foyer universel, des étincelles in- nombiables rayonnent cl se détachent pour aller former et animer les êtres divers, les animaux et les honnncs. •222 ESSAI SUR LA Mais, en s'unissant avec la matière obscure , avec des corps périssables, ces âmes perdent en partie la force et la clar- té qu'elles ont reçues de leur origine céleste ; de là, les passions de l'homme , et la faiblesse de ses perceptions. A la mort, l'âme humaine, détachée de ses liens , n'est pas encore délivrée des souillures que son union avec le corps lui a fait contracter ; une purification est nécessaire. Les fautes commises pendant le cours de la vie mortelle s'ex- pient dans les lourmenis, et quelques âmes seulement sont admises dans les Champs-Elysées. Enfin, quand, après une révolution de mille ans , les âmes ont achevé de se purifier des taches matérielles, elles traversent le Léihé, perdent la mémoire ( la conscience de leur identité ), pour recommencer dans de nouveaux corps une vie nouvelle. Virgile avait déjà prêté l'éclat de son style à ces spécu- lations à empruntées la philosophie de Platon, et aux les dogmes du Portique. Voir Géorg., 1. IV, v. 218. Dans la sixième Eglogue, intitulée Silène, nous trouvons l'esquisse d'une cosmogonie toute différente, puisée aux sources de la philosophie épicurienne. Ainsi le poète latin contentait par moments un vague désir de rivaliser avec Lucrèce, de prêter les ornements de la poésie aux hypo- thèses des philosophes , désir qui le poursuit, même au moment où il peint avec tant de charme l'innocente et heu- reuse simplicité de l'homme des champs. Géorg. I. H, v. 475. s. q.q. Virgile écrivait à une époque où la hardiesse des systèmes luttait contre le doute et l'indifférence. Pour en finir de ce point qui nous occupe , notons que le sys- tème de l'âme du monde et de la métempsycose paraît avoir été inconnu à Homère; sans doute, il n'a été pro- duit que dans des temps postérieurs. PHILOSOPHIE D'HOMÈUE. 223 V. Nous arrivons naiurcllenicnt à rechercher ce qu'Homère a pensé de la nature, à examiner si, dans les tableaux du monde extérieur , qu'il a tracés avec tant de vérité et d'éclat, on peut découvrir les lignes précises d'un sys- tème déterminé. On sait que la nature, considérée dans ses lois les plus générales, a été le premier objet des spéculations de la philosophie : ce n'est que plus tard , et par un sage re- tour sur elle-même, que la pensée a cherché h se connaître, et à sonder l'essence de cette âme dont elle émane. Nous n'avons point trouvé dans Homère l'exposition d'une théorie sur le monde, soit que, dans son temps, la Grèce n'eût vu encore se produire aucune de ces solutions géné- rales qui , dans les siècles suivants, divisèrent les écoles d'Ionie et d'Italie, soit qu'une telle exposition, abstraite et didactique , répugnât à son génie , et h l'objet de son poëme. Mais, dès les âges les plus reculés, l'homme ne pouvait demeurer insensible au spectacle des choses naturelles. Lors même qu'il songe à peine h étudier les lois qui en règlent l'ensemble , et qu'il commence seulement à appli- quer à ses besoins les forces qui régissent toutes ces subs- tances diverses , déjà la nature a pour lui un charme qui le prévient et l'entraîne. Les formes, les couleurs, les sons dont elle présente dans ses phénomènes une si riche va- riété , frappent la pensée de l'homme et servent ou à dé- velopper , ou à animer et embellir son langage. Il ne peut se faire qu'il n'aperçoive pas le mouvement et la vie, dis- tribués autour de lui à des dégrès différents. Souvent même les hommes ont été portés par un secret penchant à asso- 2-2 i ESSAI SUK LA cier leur âme avec la naiiuc , en prêtant le seiilinient et la pensée aiu être inanimés ; on encore, trop absorbés par la contemplation vague de l'unité qu'elle révèle , ils ont perdu de vue ce qu'il y a dans le monde de mobile et de divers; ils ont même laissé fléchir leur liberté, oublié leur personnalité, au milieu de cette harmonie fatale et obscure. De là est venu le panthéisme, comme le polythéisme pa- raît être né de l'admiration aveugle des forces distinctes qui apparaissent h nos regards. La philosophie et la poésie panthéistes ne sont que deux faces d'une même doctrine, l'hymne et le dogme, l'art et la science , la pensée abstraite et la pensée colorée. L'une lente de formuler avec rigueur des lois générales ; l'autre de peindre avec éclat des phénomènes ; mais l'esprit hu- main ne peut tellement se scinder que, sous la peinture des scènes naturelles, on n'aperçoive l'idée que le poëte s'est formée des lois qui les produisent et les enchaînent; ainsi du tableau on peut déduire la doctrine. Le poëte panthéiste méconnaîtra au sein de la nature , la grandeur, la création spéciale de l'humanité. L'homme ne sera plus pour lui, dans l'ensemble des êtres , que ce qu'est une feuille dans un arbre à la cime touffue, une goutte d'eau dans un fleuve. Les soupirs du cœur , les mouvements de l'âme , les conceptions de l'esprit n'auront guère plus de valeur à ses yeux que les murmures des flots ou les gémissements du vent dans les bois ; dans son œuvre, ces choses si diverses se confondront. Alors le seul devoir de l'homme sera de se laisser aller à cette végé- tation universelle ; ou , s'il regarde comme une imperfection ce qu'elle a encore de variété et de mouvements, il ten- dra à s'anéantir de plus en plus dans rimmobilo profon- deur de l'unité. riin.osopiiiE d'iiomère. 225 Homère a-l-il quelque tendance vers «ne telle doctrine ? Quiconque Ta lu sans prévention obstinée , répondra qu'il a une tendance diamétralement opposée. Sans doute, avec la vivacité de perception qui le caractérise, il n'a pu voir, sans éprouver le besoin d'eu retracer çà et Ih les images, la nier, les forêts , les couleurs que le jour répand sur la terre, et les ténèbres augustes de la nuit ; mais le prin- cipal objet de son attention est la vie humaine; et ses poëmes sont remplis surtout d'actions et d'aventures : la nature n'y est représentée qu'eu second ordre, et comme un l'ond de paysage dans un tableau d'histoire. Cette première intention, indépendamment de la loi d'unité qui règle les beaux arts, n'est pas aussi sans une signi- fication philosophique . Elle se retrouve dans tous les ou- vrages du génie des anciens. La (Irèce et Uome sem- l)lent avoir reconnu que leur mission spéciale était de hâter le développement et l'activité des sociétés : leurs é- erivaius s'étaient dit avant Pope : The proper stiidy ofinan is man. Lucrèce même, d'après Epicuie, ne traite de lu j)hysique que pour donner une base h sa nîorale , et l'au- leur des (iéorgiqnes rapporte aux besoins et à l'industrie des honmies les observations que son regard pénétrant lui suggère. Souvent, ehez les modernes , et surtout depuis un demi- siècle, des pot'tes se sont plu dans une conlemplalion si- lencieuse de la nature. Lassés des agitations du monde , l)lesscs par le contact de la société, ils ont cherché un re- fuge dans l'isolement. Pour achever d'oublier les propos vulgaires et confus de la multitude, ils ont prêt(! \\\w oreille attentive aux murnuu'es de la brise du printemps, au sourd grondement des flots ; et lexagéraiion poétique les a -conduits à y chercher un sens et un langage. La mclan- 15 226 ESSAI SDR LA colie dos passions a donné aux descriplioiis cliampêlres un charme décevant, el le cœur de Thomme s'esl cfTorcé d'enlen- dre, dans les soliludes agrestes, des voix, des soupirs, des har- monies secrètes qui répondissent à son trouble el à ses regrets. De là une nuance de poésie el de style toute particulière , fon- dée sur des associations d'idées eldc sentiments, où, sans doute, il y abeaucoup de charme, mais aussi beaucoup d'illusion. Il sciait injuste assuiément de regarder comme des or- ganes du panthéisme les poètes qui peignent ainsi la nature; louterois l'excès de celte manière peut paraître s'en rap- procher par une ressemblance involontaire. Or, rien de sem- blable ne se trouve dans l'Iliade et dans l'Odyssée: les descriptions y sont d'une vérité fiappante, mais s'arrétant aux contours les plus distincts des objets, sans aucun mé- lange de nuances étrangères, sans que les sentiments per- sonnels de l'auteur se reflètent dans les images qu'il a tra- cées. On en remarquera aussi la nette précision, qualité incompatible avec le sentiment du panthéisme, qui doit na- lurellemenl porter les écrivains h tout unir et môme con- fondre, à tout animer, à outrer l'expression et le coloris. C'est surtout dans ses comparaisons que le poète grec se plaît à peindre la nature : au milieu des paysages, il nous repose de l'horreur des combats ; et à nos sens troublés par la vapeur du sang, il fait respirer l'odeur saine des pâturages, ou la fraîche haleine des brises de la mer. Nous n'avons pas ici à nous occuper de ces comparaisons sous le rapport littéraire : quelques-uns se sont plaints de ne pas y rencontrer, en chaque point , une exacte concordance enln; les objets comparés, et ont accusé l'auteur des digressions où , disent-ils , souvent il s'égare ; les autres trouvent , avec raison, plus de naturel et d(- grâce dans ces tableaux librement développés, que dans l'ingénieuse symétrie de PHILOSOPHIE d'hOMÈRE. 227 nos similitudes. Mais ce n'est point de cela qu'il s'agit loi ; il faut remarquer dans la plupart des comparaisons, l'expression d'un rapport entre les phénomènes du monde extérieur et ceux dont l'âme est le théâtre. Ce rapport consiste dans une analogie purement arbi- traire et artificielle; voir, par exemple, cette comparaison de Virgile : Sicut aquœ treinulam , etc. En. I., VIII, v. 22, s.q.q. ; ou assez naturelle pour être aperçue ou facilement acceptée de tout le monde , comme lorsqu'on compare la colère h une flamme impétueuse , etc. Mais , pour le poète panthéiste , il ne s'agit plus d'analogie : le rapport des deux termes n'est autre chose qu'une communauté de nature , ou même une identité absolue. S'il prend son système à la rigueur , il ne pourra faire de comparaisons proprement dites entre les mouvements de l'âme et les phénomènes physiques ; les deux termes ne tai*deraiont pas h se confondre. Or , ce qui constitue cette figure , c'est la ressemblance, en un ou plusieurs points , de deux choses tout à fait distinctes. Sans aller jusque-là , le poète , qui prêle à la nature les attributs de l'ânie, confondra sou- vent dans son style le sentiment et la pensée avec l'image; il se laissera entraîner h un luxe désordonné de méta- phores et de mouvements. Ceci posé , que l'on veuille bien relire les comparaisons d'Homère ; on y verra toujours les deux termes nettement distingués , souvent ne se louchant que par l'analogie d'un seul rapport : on se convaincra que l'auteur n'a admis entre l'âme humaine et la nature aucune identité de subs- tance. Tout donc , chez ce grand poète , conception gé- nérale , pensées, foimes du style, tout exclut l'idée du panthéisme, soit absolu, soit incomplet. Il ne (ânt pas , en lisant l'Iliade ou l'Odyssée , chercher 228 ESSAI SUR LA curieusement un sens philosophique ou allégorique à des passages qui se peuvent entendre au sens naturel. La voie commune est ici la plus sûre , et en voulant raffiner sur toutes choses , comme il s'agit d'une poésie claire et facile , on ne peut manquer de s'égarer. Beaucoup ont semblé y prendre plaisir ; ils ont trouvé dans Homère des énigmes mystérieuses , qu'ils expliquent à leur fantaisie ; par exemple , on a donné une signification très-profonde à la fameuse chaîne d'or , II., 1. VIII, v. 19. s. q. q. ; et il est fort aisé d'expliquer la pensée du poëte , qui , par cette image , a voulu exalter la puissance suprême de Jupiter. V. M. Dugas-Monibol , sur le vers cité. Platon , qui regarde la chaîne d'or comme l'emblème du soleil , au même lieu interprète avec subtilité un vers où l'Océan est appelé le père des dieux , et Télhys leur mère. Il y a là sans doute quelques débris d'une doc- trine cosmogonique et mythologique : on ne saurait y voir une théorie abstraite et systématique. Vivement fr.ippé des phénomènes de la nature , Homère les peint avec vérité , mais il ne s'occupe pas d'en re- chercher les causes. Le monde est pour lui un assemblage de substances et de forces gouvernées par des pouvoirs divers. Ge que nous appelons causes secondes , lois physiques , etc. , tout cela n'est pour lui que l'effet de la puissance des dieux ; ainsi , Vulcain excite le feu des volcans , Jupiter lance la foudre , Neptune soulève les eaux de la mer. Tout prend un corps, une âme, un esprit, un visage ;■ mais ce n'est pas imagination d'artiste , c'est croyance naïve, mélange de religion et de superstition. Au-dessus de tous ces dieux, un dieu suprême s'élève ; ainsi la nolioa de l'unilé n'est pas méconnue. ï>iiaosopniE d'homère. 229 VII. Si l'ordre physique et la beauté harmonieuse des choses iiaiurellcs n'ont point échappé aux regards d'Homère , ce poëte , qui dictait ses chants aux Grecs, comme un en- seignement et uiïe tradition , ne pouvait oublier Tordre moral ; il devait accomplir la noble mission donnée au génie , de faire éclater la splendeur du bien. Nous sommes ainsi faits , qu'en voyant une scène , en «coulant un récit , nous sommes involontairement portés à rapprocher des actions humaines la règle des devoirs , à comparer , à louer ou blâmer. Mais dans les jugements que nous portons , nous aimons qu'on nous aide ; notre clarté intérieure ne jaillirait pas toujours avec assez de force, si elle n'était excitée du dehors. C'est donc un devoir de l'artiste de raviver et de diriger le sens moral, de dégager eu nous , par des préceptes , ou mieux , par des exemples , par des contrastes encore , les sentiments qui élèvent l'âme et la purifient. Vainement on voudrait réduire les ouvrages de l'esprit au seul mérite de la forme ; le poêle ou l'historien qui affecterait pour le bien et le mal une froide indifférence , manquerait au meilleur de sa lâche. L'Iliade et l'Odyssée ne sont pas de longs apologues , où , sous le voile de l'allégorie , tout tende à établir quel- ques maximes ; ce ne sont pas non plus , comme la Cy- ropédie et le Télémaqiie , des cours de morale présentés sous la forme de narrations ; mais on y peut puiser des instructions utiles , et l'ensemble produit une impression favorable aux sentiments nobles. Horace , écrivant au jeune LoUius, ne craint pas d'élever, comme moraliste, au-dessus de Chrysippe otdeCranior, le poète qui a raconté la guerre de Troie. Episl. 2, 1. L 230 ESSAI SUR LA Ce ii'éiait pas une opinion nouvelle : les Grecs avaient pendant longtemps fait de ce poëte , leur précepteur et leur guide , et quand Platon demande , par la bouche de Socrate , quels élèves Homère a formés , h quel peuple, à quelle cilé il a donné des lois, Républ., 1. X, Glaucon pourrait, s'il était moins complaisant , répondre que , sans doute, Homère n'a pas , comme Pythagore, enrôlé des dis- ciples, formé une secte, mais qu'il a instruit par ses le- çons, animé de son esprit les peuples de la Grèce. On a pu voir dans le passage d'Horace que nous ci- tions il y a un instant , et qu'il serait superflu de trans- crire , les applications morales les plus frappantes qui ressorlent de l'ensemble de ces poèmes ; les dangers de la discorde , les suites funestes de la colère et de l'amour illégitime , etc. ; depuis , tout cela a été redit à satiété. Il faut passer aux détails. RoUin, dans son Traité des études, a fait une esquisse de la morale d'Homère , et nous devons convenir que ce travail court et substantiel nous a été fort utile. Essayons , s'il se peut , de le compléter. On sait combien étuienl religieux les homme de l'âge héroïque ; partout les dieux sont invoqués ; au moment du combat , au fort de la mêlée , les plus braves guer- riers implorent leur appui ; les assemblées publiques , les traités , et en général les principaux actes de la vie so- ciale sont consacrés par des cérémonies religieuses. Les matelots adressent leur prière au ciel au moment du dé- part , et ne manquent pas , après une heureuse arrivée , de témoigner de leur reconnaissance aux dieux protecteurs. On ne voit point de repas sans une offrande pieuse ; le rite des libations et d«is sacrifices est toujours scrupiUeusement observé. On ne peut s'cm|)écher d'admirer le caractère de no- blesse que ce soin des cérémonies religieuses donne aux PHILOSOPHIE d'uomlre. 231 mœurs hcioïques. On est alliré par un cliainic socrcl ; ou scnl que ces coutumes , celle pensée liabilucllo de la Providence divine, son» conformes à noire nature, et que, l'erreur païenne ôlée, le reste est vrai et salutaire. Deux genres d'hommages sont rendus aux dieux : les sacrifices , V. II. ,1.1., v. 312 , s. q. q. , Od. ,1.1., v. 66- 67., I. m, V. 430, s. q.q., I. XIV, v. 414, s.q.q.,ct les prières, V. 11. , I. 1. , V. 35. Une vie heureuse et prospère est la récompense de l'homme leligicux , cl rinq)iélé en- traîne à sa suite toute sorte de calamités. V. II. , I. 1 , V. 217-218, V. 178, 406 , s. q.q. , Od. , 1. I. , v. 841 , s. q.q. La piété no se concilie point avec les actions pei-verses ; les prières des méchants ne sont point agréables aux dieux. V.Od. , I. I.,v. 47 1. H, v. 66-67 v. 134, s. q.q., v. 143, s. q.q. I. III. , v. 133 , s. q.q. I. XIV, v. 406. Le guerrier qui a les mains teintes du sang ennemi verse dans le combat , ne peut approcher des choses sacrées , avant de s'être purifié. II. , I. VII , v. 266 , s. q.q. La foi des serments est consacrée par la religion. Il.,l. III, V. 276, s. ((.q. , I. VII , v. 340, s. q.q. ,1. XIV , v. 286 , s. q.q. Les conventions, en général, sont placées sous la môme garantie. II., 1. XXII, v. 254, s. q.q. Les mystères, si célèbres depuis la Grèce, paraissent n'avoir pas élé connus au temps d'Homère ; il n'en est fait dans ses poèmes aucune mention. Il n'y avait point non plus de corps sacerdotal organisé , et le culte n'é- tait pas réservé à une caste ou classe particulière : l»;s rois, les guerriers, les pasteurs nïème , remplissent sou- vent les fonctions de sacrificateurs , et s'acquittent des cérémonies de la religion. On pourrait même dire que ces rites , ces offrandes se confondent parmi les usages de la vie civile. 2132 ESSAI SUR Lit On ne voit polui h celle époque , en ces contrées , d'hommes qui , s'éloignant des choses extérieures et pré- sentes , aspirent h se plonger dans la contemplation de la divinité. Il y a des devins , des prophélesses , à qui les dieux communiquent leurs secrets ; mais le flambeau al- lumé devant les yeux des mortels inspirés , est toujours tourné vers les spectacles de la vie actuelle. Ainsi , la religion d'Homère est presque toute terrestre dans son but : le cuite , loin de s'enfermer dans des sanctuaires mystérieux , s'accomplit souvent au milieu des camps et des assemblées , ou auprès du foyer domestique. On a dit que, dans un âge antérieur, la Grèce avait été soumise au pouvoir tliéocratique , et réglée par des institutions venues de l'Oiicnt ; que , plus tard , vers le siècle qui a précédé la guerre de Troie , une révolution avait abaissé le sacerdoce , élevé la puissance des rois et des chefs. La poésie , d'après ce système , dut suivre le mouvement général des esprits ; après l'enthousiasme sacré, vint la mémoire huufaine ; après l'immobile unité , la variété et le mouvement ; la poésie lyrique fit place à l'épopée , Orphée à Homère. Je ne suis pas à portée de juger si tout cela est vrai : il faut se défier de la symétrie et des anliihèses que présente si souvent la philosophie de l'histoire. Quoi qu'il en soit , on doit aussi tenir compte des circonslances qui ont inllué sur la pensée d'Homère : il était Ionien ; il racontait des aventures de guerre et de voyages; h force d'élever ses héros, il n'a pu man- quer d'abaisser ses dieux. Parmi les vertus , il en est une dont le nom est devenu le nom de la vertu même , c'est le courage. L'âme cou- rageuse mc'prise la séduction des sens ; elle préfère la gloire à la vie ; elle se propose de devenir plus grande PHILOSOPHIE d'homèPxE. 233 et plus excellente ; en un mot , de subordonner la nature à la raison et au devoir. Les anciens poëtes ont donc fait sagement de louer le courage , et spécialement h valeur guerrière qui fonde et conserve les sociétés , et qui tend à inspirer des sentiments généreux. On sait avec quel éclat Homère vante la valeur , avec quelle force il l'inspire ; quel mépris il verse sur la lâcheté, en la peignant , sous les traits de Thersite , comme as- sociée aux difformités du corps et de l'âme. II. , 1. II , v. 212 , s. q.q. Les héros de la guerre troyenne n'ont pas, il faut en convenir , cette fierté chevaleresque , cette générosité , ce désintéressement que 'nous présentent les héros du moyen âge ou des temps modernes ; il fallait le christianisme pour ennoblir l'homme à ce point ; mais il ne faut rien exagérer: Achille et Diomède ne font pas voir seulement une violence brutale, emportée par l'amour du butin ; le caractère d'Hector brille des traits les plus majestueux et les plus doux. II. , I. VI , v. 440 , s. q.q. et pass. Les combats , il est vrai , offrent à chaque instant des actes de cruauté , d'emportement féroce ; c'est le vice d'un âge barbare , d'une race belliqueuse. Le poète qui retrace des scènes si opposées à notre douceur , ne s'en indigne pas assez ; quelquefois cependant il exprime un blâme formel ; par exemple , au moment où Achille im- mole de sang-froid aux mânes de Palrocie douze jeunes Troyens. II., 1. XXHI , v. 176. Il condamne aussi ceux qui outragent le corps d'un ennemi vaincu. Od. , 1. XXII , V. 412. L'usage des armes empoisonnées est réprouvé ; l'homme qui a la crainte des dieux le repousse. Od. , I. I, V. 261 , s. q.q. Homère reprend la colère et l'orgueil , comme étant la â34 ESSAI SUR LA source des malheurs les plus terribl 242 ESSAI SCR LA chose l'idée première et spontanée de l'objet qui le frappe; la pensée ou la passion arrive à nous toute fraîche et de prime-saut. Laissons au lecteur le plaisir de niulliplier ces comparaisons, et le soin plus diflîcile de réduire en une for- mule rigoureuse les vues qu'elles suggèrent. IX. Il est temps de conclure : Que doit-on penser de la science et de la pratique morales au temps d'Homère , comparées avec ce qui s'est manifesté plus tard , lorsque la Grèce fut arrivée au plus haut degré de sa puissance et de son développement intellectuel ? Doit-on placer à divers degrés d'une échelle ascendante , Homère, Socrate, Zenon, et résumer ainsi trois époques ? Que Ton range en cet ordre ces trois noms, cela se peut llui'e ; mais faut-il confondre chaque siècle avec le personnage qu'il plaît de lui donner pour représentant ? Est-ce lorsque la morale est le mieux expliquée, qu'elle est le plus exactement obéie, et le sen- timent du devoir croît-il dans les masses à mesure que les philosophes en discutent la notion avec plus d'habileté? Sans doute, dans les arts mécaniques, la pratique suit d'or- dinaire la théorie, et les bonnes méthodes se propagent aisément, car pour les adopter on n'a point h se contrain- dre ; mais en fait de morale , il n'en va point ainsi : la meilleure doctrine est malaisément suivie ; et il se fait souvent , par le train des choses , un enseignement tout contraire. On a beau dire le siècle de Socrate; il n'y a point de siècle de Socrate. Ce sage est isolé , il est per- sécuté et succombe, .le vois autour de lui la guerre du Péloponnèse et les trente tyrans, Athènes corrompue et cruelle. De sa modeste philosophie sortent bientôt le scep- PHILOSOPHIE d'hgmkre. 243 licisnie, l'épicuréisnie et lo stoïcisme ; tant la sagesse hu- maine abandonnée à elle-même a de peine à se tenir. Le plus illustre disciple de Socrate , Platon , veut baser sur une science iipprofondie la doctrine de son maître : il s'élève à des conceptions qui n'ont point encore perdu leur éclat; mais aussi que d'ombres ! On peut comparer riliade avec la République; l'idée n'est pas nouvelle; v. Méni. académ. des inscripl, t. 42, p. 13 : on dira ensuite où se trouve le tableau le plus harmonieux d'une société, et de quel côté l'on pencherait , s'il fallait choisir de vivre dans l'un ou l'autre de ces deux mondes. Il serait trivial de signaler les erreurs du philosophe , mais il n'est pas inutile d'en déterminer la cause, car elle se renouvelle d'âge en âge. Elle est en ce que Platon déduit toute sa doctrine d'un rationalisme systématique, et que, parlant de principes incomplets, rejetant toute influence de la sensi- bilité, et méconnaissant l'autorité de la tradition, il marche droit aux plus repoussantes conclusions. Sous ce rapport, Homère, quoiqu'il présente de la conscience humaine un tableau fort altéré, peut être préféré h Platon, qui va jusqu'à dénaturer l'homme, après avoir retrouvé plu- sieurs des titres où éclate la grandeur de sa nature. Si l'on cesse de comparer les doctrines, pour jeter un coup-d'œil sur le monde réel , quelle époque vaut le mieux, l'âge héroïque, ou du siècle qui a précédé la domination d'Alexandre ? Ne voit-on pas les crimes se multiplier avec le cours des années, la condition des femmes s'abaisser, l'esclavage avilir de plus en plus les races vaincues, l'hos- pitalité disparaître , la foi des serments plus méprisée? S'il s'agit des mœurs proprement dites , il suffit , pour en juger, de lire après l'Odyssée, je ne dis pas Aristophane ^ mais Platon et Xénophon. 244 ESSAI SUR LA Ce n'est pas que l'on ne puisse reprendre de graves erreurs dans la morale et la philosophie d'Homère, ou de la Grèce naissante ; notre tâche était moins d'insister sur ces justes reproches, que de chercher au milieu des ténèbres les traits de pure lumière qui y Lrillent encore. Les passions, surtout les passions violentes , exaltées ; la fraude et la volupté descendant du ciel sur la terre et reçues avec trop d'indulgence ; du vague et de l'indécision dans les règles morales: telles sont surtout les taches qui déparent cette poésie, cette civilisation. La source du mal est dans le polythéisme : entraîné sur cette pente , le monde descend de plus en plus vers le vice et l'erreur. La philosophie, qui prétendait le ramener dans une meilleure voie, était impuissante à le faire; il a fallu une clarté supérieure; le seul progrès efiicace que pût faire l'humanité , elle le doit au christianisme. NOTICE suit LES LIVRES SACRÉS DE LA PERSE JoACiiiM MENANT. Au moment où les destinées futures de l'Asie préoccupent toutes les intelligences, où de toutes 'parts, la politique, la science et la philosophie se tournent vers l'Orient, il ne sera pas hors de propos, sans doute, de vous entretenir des livres où sont déposées les croyances qui ont fait grandir ces royaumes jadis si puissants. Un voyageur , dont le nom , justement célèbre , vivra longtemps dans nos annales, M. le baron Taylor, nous disait il y a quelques jours que l'Orient était le rendez- vous de toutes les religions persécutées, vaste mosaïque 24ft LIVRES SACRES formée d»i drapeaux, de toutes couleurs courbés sous le cimeterre ottoman. Dans celte mosaïque , l'Iran , c'est-h-dire la Perse , nous apparaît bien pâle et bien terne, relativement à son antique splendeur. Les descendants de Zoroastre (1), pourchassés par les conquêtes successives des différents peuples qui ont en- vahi leur territoire, se sont retirés dans les montagnes d'Iezd et du Kirman ; et c'est tout au plus si quelques centaines de Parses conservent dans leur retraite le souvenir des an- ciennes traditions de leur patrie. Quoi qu'il en soit, nous allons essayer de vous dire ce que nous en avons pu connaître. Deux sortes de documents ont traversé les âges pour arriver jusqu'à nous : les uns sont les monuments de pierre, les autres sont les monuments écrits. Nous avons peu de chose h dire des premiers. Cependant ces temples de marbre et d'or, ces bas-reliefs , ces statues ne sont] pas de muets témoins des événements auxquels ils doivent leur naissance; ils portent, au contraire, l'em- preinte de leur âge , ils ont aussi leur voix pour raconter l'histoire. Nous n'en citerons qu'un exemple. Les plus beaux débris que la Perse puisse offrir sont les fameuses ruines de Persépolis ; c'est Ih , au milieu de vastes plaines de sable, qu'on voit encore l'ancien palais (1) Le vrai nom de Zoroastre est Zérélhostro, mot zend, d'où s'est for- mé Zéralcscht en pehlvi , et celui de Zerdust enparsi. C'est probablement d'une de ces formes que les Grecs ont formé le mot Zopoocarpnç. On chercherait en vain un rapport étymologique entre le nom du législateur des Perses et les mots uarpoQvz-nÇfCvrpoOsoirn?. Le nom de Zoroastre est un nom propre , et rien de plus. Conf. Anquetil Duperron , dans les Mém. de VJcad. des Bell. Lelt., t. XXXI , pagg. 587 et survv- DK LA PERSE. 247 des rois de Perse , conimuuément appelé la maison de Darius, et par les habitants Tchil-Minar , c'est-à-dire les quarante colonnes. Il paraît que Persépolis fut bâtie plus de 1700 ans avant J.-G. par Djcmschid (t), dixième aïeul de Zoroastre. Entre autres injures que les hommes firent subir aux monuments qui décoraient cette ville, ou peut mettre en première ligne remporlement d'Alexandre qui , cédant aux prières d'une courtisanne, y mit le feu après une victoire (2). Depuis on n'a plus parlé de cette somptueuse demeure dont Diodore de Sicile nous a laissé une description (3) ; les invasions nouvelles n'ont plus marché que sur des ruines. La plupart des voyageurs modernes qui ont parcouru ces contrées en ont parlé d'une manière fort détaillée. Nous devons citer entre autres Corneille de Bruyn (4). Tavernier, dont les ouvrages , reconimandables sous tant de rapports, ont été si souvent invoqués, déclare que ces ruines ne valent pas la peine d'être vues (5). On est en droit (1) Giamschid , quatrième roi de la race ou dynastie des Pischdadiens , qui est la première des rois de Perse, était frère ou neveu de Tahamuralk, son prédécesseur. Son nom propre était Giam ou Gem, et on a ajouté celui de Schid, qui signifie soleil, à cause de la majesté de son visage , qui éblouissait les yeux'. Un des plus illustres monuments de son règne est la ville d'Eslekhar, dont Tahamuralk avait jeté les fondements. Cette ville est celle qui fut connue des Grecs sous le nom de Persépolis. — Herbelot. Bibl. orient. V». Giamschid. (2) Plularque , Vie d'Alexandre. Trad. Amyot, fol. 448, édit. in-fol. de 1617. (3) Diodore de Sicile, Bibl. hisl., liv. 17. (4) Corneille de Bruyn, Foyage au Levant, l. IV. — On pourrait encore citer Pietro délia Valle, Sylva FIguera, ambassadeur d'Espagne en Perse, Thévenol, Carturuge , Gouëa, etc., etc. (5) Voyage de Tavernier, t. l, pag. 592. 248 LIVRES SACRÉS de douter, après avoir lu les relations de Tavernier, s'il a véiiiablement visité ces lieux. Ce n'est point au reste le seul endroit où ce voyageur se trouve en défaut; mais nous n'avons point ici à faire son procès. Ces superbes masures , comme les appelle C. de Bruyn, sont revêtues d'un grand nonibi-e de figures , de bas-reliefs, d'inscriptions, les unes modernes, les autres plus anciennes, enfin de plusieurs caractères dont on ignore la signification. M. de Sacy a essayé de décliiffi.er ces symboles, qui ont élé l'objet de l'admiration et du mépris des savants; mais il n'a proposé que des conjectures; sont-ils dus au hazard , au caprice de l'architecte ? ou bien , sont-ce les éléments d'une langue dont on ne retrouve plus de trace ? Ce sont des questions dont la solution se fera sans doute longtemps atiendre (1). Après ces monuments, ce qu'il nous importerait le plus de connaître pour savoir à quoi nous en tenir sur les croyan- ces de la Perse, c'est celte encyclopédie que formaient les vingt-et"un Nosks de l'Avesta. La seulement éttjit le secret tout entier de la religion de Zoroastrc. Mais avîsnt de parler des livres eux-mêmes , il convient de dire quelques mots sur la langue dans laquelle ils sont écrits. . Le Zend peut être regardé comme la langue sacrée de la Perse (2). Il se parlait encore dans la Géorgie et l'Iran proprement dite plusieurs siècles avant l'ère chrétienne. Le mot Zend-Jçesta, qui désigne les livres de Zorûastre, (1) Sylvestre de Sacy, Mémoire sur les monuments de Nakschi-Rouslam. (2) Conf. Hcil)elot. Bibl- orient. Vo. Zend.— Anquclil Duperroii, dans les lUcm. de l'Jcad. des Bell. Lell., l. XXXI. DK LA PERSE. 249 signifie parole vivante : le mot Zend , qui désigne propre- ment la langue dans laquelle \' Avesta a été écrit, a fini, de corruption en corruption , par signifier les caractères de celte langue. Le Zend , d'après ce que nous en disent les orientalis- tes (1), était composé de 48 caractères, dont 16 marquent les voyelles, et 32 les consonnes, ces différentes lettres n'expri- mant toutefois que 35 valeurs, 12 voyelles et 23 consonnes. Leur ordre n'est pas désigné ;c'est poui- se conformer h l'usage général qu'on fait commencer l'alphabet Zend par le signe qui correspond à notre A. Ainsi que toutes les langues de TOrienl, le Zend s'é- crivait de droite à gauche. Cependant dans une copie du Feiididad-Sadé certaines parties de la Liuii-gie , quoique traduites en langue sanskreianne , sont écrites de gauche h droite (2). Il paraît qu'un mot , dans un des nombreux idiomes de la Perse, s'écrivait d'une manière assez bi- zarre; c'est le nom du Génie du Mal. Pour rendre plus sen- sible son opposition continuelle au Génie du iî/e« , Ormusd , on renversait ainsi les caractères nviïiuhv (3). Ce symbole est sans doule très-heureux, cependant nous ne l'avons point encore rencontré dans les livres attribués à Zoroasire (4). (1) Conf. Anqueiil Duperron , dans les Mém. de l'Acad. des Bell. LcU-, t. XXXI, p;igg. r.r,9cl suivv. {'i) Anquctil Duperron , dans les Notices, pag. 1. (3) L'al)b(5 Baiiier, Histoire générale des cérémonies, mœurs el coutumes religieuses de tous les peuples du monde, t.V, pag. 531.— Volney fait aussi la même assertion sans citer l'aulaurité sur laquelle il s'appuie. Les lîuines, t. I , pag. 53:2 , des œuv. comp. (4) Anquetil Duperron, dans son Vocabulaire zend-pehlvi-français , ne fait point d'observation au mot ahriman. — Le commencement du Bouu- dehesch , écrit en pelilvi avec une traduction Interliuéaire , renferme plu- sieurs fois le nom d'ahriman et en présente les caractères dans le même or- dre que les autres. Conf. dans le Zend-A>esla, t. II, pag. 3il. 250 LIVRES SACRÉS Le Zetid nous a été iransmis par lu respect que les descendants de Zoroastre ont eu pour les livres de leur maître, et qu'ils ont ton. jours conservé. Celte langue , après avoir été longtemps parlée dans les pays situés à l'ouest de la mer Daëti (Caspienne), adonné naissance à diffé- rents dialectes, tels que le Pa-Zend, le Pehlvi et le Parsi, dont le Persan moderne n'est qu'une dernière irausfor- raalion. Cependant le Parsi est encore parlé, malgré les révolutions qui, depuis bientôt deux mille ans, ont changé si souvent la face de la Perse , tandis que le Zend n'existe plus que dans les livres (1). Il eiit été difficile de conserver pur l'idiome sacré de la Perse , après les conquêtes successives des Turcs , des Arabes , des Tartares , des Mogols. Cependant les Parses , chassés de leur patrie, emportèrent dans leur retraite les fragments des livres de Zoroastre , et là , ils les récitent et les lisent encore tous les jours ; mais la plupart sans les comprendre. I.a haute réputation dont le législateur des Perses a joui dans les temps anciens ; le respect que les Sages de la Grèce et de Rome ont eu pour les Mages ses disciples ; l'histoire d'un grand empire qui ne nous est connu que par ses ruines , tout devait stimuler l'attention des savants modernes. L'Angleterre promit des sommes considérables pour le traducteur de ces livres sacrés ; il fallait plus que de l'or pour accomplir le pèlerinage des Indes , et aller cher- cher ces précieux manuscrits. La France n'avait rien pro- mis ; c'est un Français qui l'a osé , et son audace fut couronnée du succès. (1) Conf. dans les Asiaiic researchcs , un Discours sur la Perse, écrit de Calcula le 3 mars 1784. DE LA PERSE. 251 Ces livres , conuiic nous l'avons dit , au nombre de vingt-et-un , portaient le nom de Nosks. La sagesse divine les distribuait sur la terre par l'entremise de ses pro- phètes , à mesure que les besoins toujours croissants des peuples de l'Iran , réclamaient des vérités nouvelles. Ce qu'on ne saurait trop remarquer dans cette publi- cation céleste , c'est le senliment de l'incomplet, h l'époque du moins où la dernière manifestation d'Ormusd s'est fait comprendre. Zoroastre , qui avait apporté à l'Iran le 21™« Nosk de l'Avesta , devait avoir trois fds posthumes ; chacun de ses fils , à des jours différents , devait apporter un Nosk nouveau , et compléter ainsi la collection des livres de Dieu. Le dernier des fils de Zoroastre , Sosiosch . n'apparaîtra que pour annoncer aux nations inquiètes , le dénouement du grand drame du monde. Suivant la croyance des Parses, il leur présentera le 24™^ Nosk de la loi, et toute la terre embrassera la i-eligion d'Ormusd ; alors se fera le jugement dernier et la résurrection glorieuse; alors tous les mystères seront dévoilés. Ainsi, selon les anciens Parses, comme] selon nos croyants modernes: «En nous, comme hors de jious, tout se développe, tout grandit , en nous, comme hors de nous , rien n'est achevé , tout s'achève ....; qui ne voit pas l'ensemble , verra-t-il sous chacune de ses innombrables aspects une seule de ses parties ; pour comprendre un âge , il faut s'asseoir sur ses ruines ; c'est du haut de l'éternité que nos regards embrasseront les temps, quand les temps ne seront plus ! » On trouve dans le grand Ravaët de la bibliothèque du roi) plusieurs listes de ces Nosks de l'Avesta. Anquetil Duperron (1) , et avant lui , le docteur Hyde, nous en ont (1) Anquetil Duperron, dans le Journal des Savants, juin 1769.— llyde. Religio vcterum Pcrsarum. 252 LIVRES SACRÉS lait conuaitic les litres. Pour la plupart de ces livres, c'est à peu près tout ce qui nous en a été conservé ; les guer- res et les persécutions ont anéanti le reste. Il suffit de jeter les yeux sur ces listes pour voir à quelles étroites dimen- sions le Zend-Avesta est réduit de nos jours; et cependant, tout mutilé qu'il est , ce livre est venu éclairer d'un nouveau jour une époque qui se cachait pour nous depuis tant de siècles sous les plus épaisses ténèbres. Déjh quelques fragments des livres sacrés de Zoroastiu; étaient parvenus en Europe , mais en vain : ce fut 'des mains des Parses, établis à Surate, qu'un Anglais, George Bour- chier, reçut, en 1718, le Fendidad-Sadé. Ce volume fut apporté en Angleterre en 1723. Il paraissait en Europe, pour la première fois ; personne ne pouvait en déchiffrer les caractères. Plus tard , un conseiller de Bombay , M. Frazer, écossais, alla chercher à Surate ce qu'il croyait pouvoir re- cueillir des livres de Zoroastre; il en obtint quelques-uns; mais les Parses ne voulurent jamais lui enseigner le Zeud. Il restait donc encore h traduire les livres où était déposé le secret des croyances de l'Iran ; un peuple qui avait couvert un territoire égal en surface à noire Europe (1), était assez important pour ne point passer inaperçu dans l'histoire des nations. Tel était l'état des choses quand Anquetil Duperron ré- solut de tenter à son tour le voyage de l'Indoustan , pour aller surprendre les Parses au fond de leurs retraites. Il ne recula devant aucune des difficultés qu'une pareille (l)Dinon escrit d'auantageque ces rois de Perse faisoyenl venir de l'eau des riuières du Nil et du Danube, laquelle ils faisoyeut serrer auec leurs au- tres thrésors par une magniOcence, comme pour conûrmerparlà la grandeur de leur empire , et montret qu'ils estoyent seigneurs du monde. — Plu- tarque, Fie d'Alexandre , trad. Amyot , fol. 447. DE LA PEHSE. 253 entreprise pouvait lui offrir ; son courage froid et réfléchi lui fit surmonter tous les obstacles. Depuis longtemps il avait su , au milieu des douceurs qu'une famille aisée pou- vait lui procurer, se préparer à la fatigue et à la misère. Pour ne devoir qu'à lui-même le succès de son entreprise, il s'enrôla comme simple soldat de la compagnie des Indes , et partit confondu dans une de ces troupes de bandits, dont les recrues des colonies se composaient alors , pour s'exposer à un avenir de dangers, dont il ne pouvait soupçonner le terme. Au bout de huit ans , il revint en France , et publia la première traduction de l'Avesta. Voici ce que ses longues recherches nous ont fait con- naître : 1° — Une VIE DE ZoROASTRE , composéc sur les données du Zerdiist-lSamah et du Tchingregatch-lSamah , poèmes qui remontent à peu près au XIII'' siècle , mais qui ont été inspirés par des originaux dont on ignore l'ancienneté. 2° — Le VendidAd-sadé, comprenant VIzechné, le Fispéred et le Fendidad proprement dit. — Le mot Izeschné désigne une prière dans liquelle on relève la grandeur de celui à qui on l'adresse. L'ouvrage qui porle ce titre se compose de 92 Has ou prières divisées en deux parties. La première con- tient 27 Has, qui ont pour objet Ormusd ou ses créatures; la seconde parle de l'homme et de plusieurs génies chargés de le protéger. On présume que l'Izeschné faisait partie du premier ou du second Nosk de l'Avesta. — Le Fispéred, qui men- tionne tous les chefs des êtres, est divisé en 27 cardés ou portions, et faisait probablement partie du quinzième Nosk de l'Avesta. L'Izeschné et le Vispéred sont mêlés ensemble dans la traduction , comme ils le sont dans les originaux. C'est l'ordre qui leur est encore assigné de nos jours dans la liturgie des Parses. — Le Fendidad est un recueil de 254 LIVRES SACRÉS prières contre les Dews (1), ou pour éloigner les Dews. Ce mot qui désigne encore tous les Nosks qui traitaient de la loi , est cependant plus spécialement réservé au vingtième. Les sections ou divisions du Vendidad se nonmient Far- gards ; il en contient vingt-deux. Le Vendidad , réuni à l'Izeschné et au Vispéred , forme le Vendidad-Sadé , que les Mobeds (2) sont obligés de réciter tous les jours. 3° — Les Ieschts-Sadés forment un recueil de prières, qui contient d'abord 18 leschts traduits du Zend. L'Iescht , que l'on nomme quelquefois la première prière , est une espèce d'éloge qui présente les principaux attributs des esprits célestes , leurs rapports avec Ormusd et avec ses productions. Les autres leschts sont traduits du Pehivi ou du Pars!. Tels sont les Nèaeschs , les Palets, les Jfei^ans , les Néka/is, les éloges des cinq Gâhs du jour (3),, les /Ve- rengs et les Tavids. 4° — Le Si-RoczÉ est composé des prières récitées en l'hon- neur des esprits célestes qui président aux trente jours du mois (4). Cet ouvrage est traduit du Zend. 50 — Le Boun-Dehesch est un livre écrit en pehivi, qui (1) Les ZJews sont les mauvais génies créés par Ahriman , et opposés aux créations d'Ormusd , toutes pures et saintes. (2) Les Mobeds sont les Parses plus spécialement chargés du culte. Ils forment , avec les Deslours et les Hcrbeds , la classe lettrée de la nation. (p) La journée chez les Parses se divisait en cinq parties ; chacune de ces parties était sous la protcctiou spéciale d'un génie céleste. (4) Les mois chez les Parses n'avaient que 50 jours. L'année se compo- sait de \i mois , plus 5 jours [ les 5 jours épagomènes ] , plus 5 petits temps. Djemschid fixa sous son règne le commencement de l'année solaire à l'é- quinoxe du printemps. — L'année égyptienne était ainsi réglée dès la plus haute antiquité. Conf. Plutarque , sur Isis et Osiris. — Les Mexicains avaient aussi connu cette division de l'année longtemps avant l'arrivée des Européens sur le Nouveau Continent. Humboldtj Fue des Cordillières et des monuments des peuples indigènes de l'Amérique, t. II, pi. XXIII. OE LA PERSE. 2S5 passe pour la traduciion d'un livre de Zoroaslre , ou qui est composé sur la traduction de plusieurs morceaux zcnds , qui traitaient de l'origine des êtres et de la distribution de l'univers. Anquetil Duperron a fait précéder ces différents ouvrages de la Relation de son Voyage aux Indes , et les a fait suivre d'un Vocabulaire zend-pehli'i-français et d'un Mé- moire sur les usages civils et religieux des Parses , au milieu desquels il a vécu. A peine l'ouvrage d'Anquelil Duperron fut-il publié , qu'il se répandit en Europe. Kleuker le traduisit en alle- mand, en y ajoutant des recherches d'une érudition pro- fonde , sous le titre de Anhang znm Zend-Jvesta. Ce- pendant ce travail sur une langue dont on avait à peine la clef, ne devait être qu'un essai, et, pariant, il était loin d'être irréprochable ; l'auteur le savait lui-même , sa tra- duction devait provoquer des recherches. Depuis i771, date de celte première traduction, plus d'un demi-siècle s'est écoulé sans rien produire d'impor- tant sur ce point; ce n'est qu'en 1838, que M. E. Bur- nouf a publié le premier volume de son Commentaire sur l'Iaçna. II y a bientôt cinquante ans qu'Anquetil Duperron est mort, et que l'Europe entière a prononcé sur le Zcnd-Avesta. Nous avons vu le dévouement du traducteur; non? ne pou- vons taire sa récompense. Les savants d'Angleterre, qui couvaient chez eux les livres zends, trésor inutile malgré leur bon vouloir, opposèrent d'abord Ilyde à Anquetil Du- perron. Il fut- bien constaté que le docteur anglais ne con- naissait lias le zend. Les rédacteurs des Asiatic Researches s'en vengèrent en déclamant contre le caractère fier et hautain de l'orientaliste français. En France, on lui op- 256 LIVRES SACnÉS posa Olter avec une basse méchanceté. On ajouta au mot Zoroasire, dans !e Dictionnaire Historique portatif {\),\\no note qui répandit dans le monde savant qu'Otter avait bien commencé la traduction des livres de Zoroastre, mais qu'il y avait trouvé tant de fabtes qu'il abandonna son projet... Il y en a même qui ont été jusqu'à dire que le Zend- Avesta était un tel tissu d'absurdités , que c'était un bien triste présent fait par le traducteur h la science Après avoir parlé des livres de Zoroastre, nous ne pou- vons passer sous silence le LivrxE des Rois ou Scua-Na- MÉH, d'autant plus que la composition de ce livre offre des particularités assez curieuses , et qui méritent d'être rapportées. Il y avait un livre des temps anciens dans lequel étaient écrites beaucoup d'histoires. Tous les mobeds en possé- daient chacun une partie, et chaque homme intelligent en portait un fragment avec lui. Or, il y avait un Pelilevan (prince), nommé Danischver, d'une famille de Dihkans , qui aimait a étudier et h recueillir les récits des temps passés (2). Il fit venir de chaque province un vieux mobed de ceux qui avaient rassemblé des parties de ce livre , et il leur demanda l'origine des rois , des guerriers illustres , et la manière dont ceux-ci au commencement ordonnèrent le monde. Les vieillards récitèrent devant lui l'un après (1) Edit. de 1760, au moment même où une lettre d'Anquclil Dupcrron , «Scrite à Surate le 4 avril 1759, annonçait à ses amis de France qu'il avait déjà traduit une partie des livres zends (le premier fargard du Fendidad). (■2) Ne dirait-on pas le célèbre Pisistrate à la tête des Diasqiievastes ( 5t«(T/.£u«o--a{ ), appelant autour de lui les chanteurs lioméridcs, et leur distribuant une obole pour chaque vers de l'Iliade et de TOdissée qu'ils récitaient devant lui ? Il y a quelques rapports entre la coniposition du poëme persan et celle des deux poëmcs de la Grèce. DE LA PERSE. 257 l'autre les vieilles traditions de leur patrie. Il écouta leurs discours et eu composa un livre digne de renom. C'est là le souvenir qu'il laissa parmi les hommes , et les grands et les petits célèbrent ses louanges. Lors de la conquête de la Perse par les Arabes , la collection de Daniscliver, trouvée par les vainqueurs par- mi les trésors d'Iesdedjerd , subit le sort de toutes les dépouilles que les vainqueurs se partagèrent. Cependant deux siècles plus tard , on retrouva aux mains de Abdallah-ebn-al-Makafa la collection de Daniscliver, qui , depuis , fut malheureusement perdue. Alors une foule d'auteurs composèrent des histoires sur les vieilles légendes de la Perse. Quelques Arabes s'en approprièrent des ex- traits informes , qu'ils faisaient réciter par des chanteuses dans les assemblées , tournant en ridicule dans leurs fêtes les anciens rois du pays conquis. Mais dans la partie orientale de la Perse , il n'en était pas ainsi ; une révolution qui s'était faite sourdement dans les esprits vint à éclater, et la Perse secoua le joug du Kalifat. Ce fut Iacoub, fils de Leis, fils d'un chaudronnier, chaudronnier lui-même, puis vo- leur, puis soldat, qui rendit à la Perse son antique splen- deur, et fonda la dynastie des Sofiarides. 11 parvint à se procurer le recueil de Danischver-Dihkan , et il ordonna à son visir Abou - Mansour de traduire en persan ces li- vres, écrits en pehlvi. Abou-Mansour chargea de ce tra- vail le wakil de son père, Saoud-îbn-Mansour-al-Moamri, on lui adjoignant quatre personnes de pure race personne. L'ouvrage fut achevé l'an 260 de l'Hégire , sous le titre de Lwre des Rois. Les Soffarides ne gardèrent pas longtemps le pouvoir ; vers l'an 297 de l'Hégire , leurs possessions tombèrent aux mains des Samanidcs , qui s'occupèrent avec ardeur des anciennes traditions persannes. Balami , 17 258 LIVRES SACRÉS visir d'Abou-Saleh-Mansour, le Samaiiidc , chargea Da- RiKi de mettre en vers la traduction du recueil de Danischver. Le poëte mourut assassiné par un esclave , laissant son œuvre inachevée. Les Samanides n'eurent pas le temps de faire recommencer l'entreprise, car leur empire tomba quelque temps après aux mains des Ghaznevides. Mah- moud , le second roi de cette dynastie , s'affranchit de plus en plus du joug du Khalifat , et même abolit l'usage de l'arabe dans l'administration de son royaume. Mahmoud, qui s'était formé une cour littéraire, ne pouvait laisser passer inaperçu l'ouvrage de ses prédéces- seurs. Il proposa des récompenses pour les meilleures ré- dactions en vers des épisodes du poëme de Danischver, et les désignait lui-même. Il pressait Ansary, poëte fort distingué d'alors , de mettre en vers toute cette collection ; mais celui-ci n'accepta point pour lui-même; il proposa au roi Abou-Kasim-Mansour , dit Firdosi (le Paradisiaque). Les documents authentiques dans lesquels est consignée sa biographie sont très-rares ; on ne trouve même nulle part la date exacte de sa naissance ; il vécut dans le IV siècle de l'Hégyre, le X« de J.-C. De bonne heure il s'était occupé de ce genre de poésie; plus que tout autre il pouvait remplir les projets de Mahmoud, et il s'en acquitta avec un succès qui lui valut les faveurs du roi. C'est ce poëme que M. MouL vient de traduire, en partie du moins, dans la belle collection orientale que le gouvernement publie. Les autres ouvrages nationaux que nous donne la Perse sont à peu près tous rappelés dans une notice qu'An- quetil Duperron a mise en tête de ses ouvrages ; la plu- part n'ont point encore été traduits ; nous n'en connais- sons que des fragments , nombreux il est vrai , mais qui DE LA PERSE. ' ^li9 soiit encore irop rcstrcinls pour que nous puissions parler on connaissance de cause de cette partie de la liiiératuio de la Perse. Aussi nous en tiendrons-nous à uoninier quel- ques-uns de ces ouvrages, d'après les savants qui les ont pu consulter dans la langue même où ils sont écrits. Le Zerdust-Namah est la plus ancienne vi(! de Zoroastre, composée par Zerdust-Behram ; cet auteur nous apprend lui-même qu'il écrivait l'an 647 cV lesdedjerd (1), ce qui revient à l'an 1276 de J.-C; mais il assure qu'il ne faisait que traduire une ancienne histoire écrite en pehlvi , avec l'aide d'un mobed très-versé dans la connaissance de cette vieille langue. L'original pehlvi remonte au moins à la con- quête de la Perse par les Musulmans , suivant Anquelil Duperron. L'abbé Foucher lui assigne une date antérieure, et le fait remonter au règne de Sapor 1'% vers la tin du troisième siècle de notre ère. Le MiNO-KuERED est une espèce de conférence dont on ne connaît pas l'auteur; celui qui interroge se nomme Danaë^ c'est-à-dire savant^ et celui qui répond Miiievad-Kliered , c'est-à-dire esprit divin. Les uns prennent ces interlocu- teurs pour Zoroastre et l'Esprit divin; d'autres veulent que ce soit une âme pure qui consulte la lumière divine , des- cendue en elle-même. Le résultai du dialogue est la loi de Dieu rationalisée (2). (1) lesdcdjerd, fils de Sliéhériar , '■2S« cl dernier roi de la dynastie des Sassanides, fut dOtrôné par le kalif Hazeret-Omar-Kelab, et mourut l'an de J.-C 651. L'ère des Parses commence à la l'e année du règne de ce prince, c'esl-à-dire l'an de J.-C. 632. (2) Il est à remarquer qu'un philosophe de nos jours, pour ainsi dire, Malbranthe, ait adopté , dans un de ses ouvrages , une forme analogue , et qu'il établisse un Dialogue régulier entre un Croyanl ijui aspire à con- naître et le Verbe Divin qui lui répond cl l'instruit. 260 LIVRES SACRÉS L'EuLMA-EsLAM GSt uiic conféreiicc tliéologiquc qui prend la religion des Parses par ses l'ondenienis, et la rattache à des principes inconnus au peuple, et même peu compris par le commun des prêtres, niés d'ailleurs ou cachés par ceux qui en ont le secret. On ignore l'auteur et l'époque de la composition de cet ouvrage. Le Sad-der (c'est-à-dire les cent Portes) est un livre composé en langue persanne , il y a environ deux cents ans, sur des documents qui ne sont point parvenus à notre connaissance. On en trouve une traduction latine dans les œuvres de Hyde. Le Dabistan est un traité sur douze religions différentes, eomposé par un voyageur mahoniétan , natif de Kacheniir, nommé Shaik - Mahoined - Mohsin dit Fani ( le Pen- sable) (1) , sur des anciens manuscrits pehivis, entre au- tres le Desastir ou Tamarawasteer, qui vient d'être retrouvé. Un des ouvrages les plus curieux de la littérature et de la philosophie de la Perse est la collection des llAVAëis. Ces Ravaëts sont le résultat des correspondances que les Parses de l'Inde établirent avec les Parses du Kirman , lors de la ruine de leur empire , pour consulter ces der- niers sur les principaux articles de la religion. Les réponses des Desiours , d'Iezd, du Kirman, d'Iiispahan, contenues dans le grand Ravaëts, ne remontent pas au-delà de l'an 1015 d'Iesdedjerd (de J.-G. 1645). Celles du vieux Ravaëts sont (1) En Perse et dans l'Inde, les hommes qui ont le talent de faire des vers prennent le nom de Shaher, ou poètes, el tiennent , à raison de ce titre . un certain rang dans la société. Ils prennent aussi un tukhullus , ou nom poétique , par lequel ils se désignent dans leurs poèmes. Mahovied- Mohsin se faisait appeler Fani, ou le Périsabk , comme nous avons vu l'auteur du Scha-Nameh , Abon-Mansour, se faire appeler Firdousi, c'est- à-dire le Paradisiaque. DE LA PERSE. 261 un peu plus anciennes , elles reniotilent à l'an ^85 d'Ies- dedjerd (de J.-C. 1516). Nous ne pouvons plus que nommer le Sad-der-Boun- DEHESCH, qui parle de la morale et de la religion parse, de l'origine des êlres , des bons et des mauvais génies , de la mission de Zoroastre. Le Modsiinel el Tavarick est un précieux sommaire des histoires de la Perse , écrit vers l'an 520 de l'Egire (de J.-C. 1126). Dakiki, poêle du IX« siècle, Masudsi, historien du siè- cle suivant, Josua-Bar-Baiiul , qui vivait h peu près à la même époque, et tant d'autres, ne sont guère pour nous que des noms ; il n'y a que les érudils qui soient dans la confidence de leurs ouvrages. L'histoire de cette littérature est donc h faire et à vul- gariser. Malgré les nombreux travaux dont la Perse a été l'objet, il reste encore beaucoup de secrets h pénétrer sur cette terre mystérieuse. Ilyde lut un des premiers qui aient essayé de soulever un des coins du voile. Ce savant an- glais compulsa les auteurs arabes et persans; il joignit h ces recherches les témoignages des voyageurs modernes et les récits que plusieurs de ses amis lui écrivaient de l'Inde, et composa ainsi son fameux ouvrage sur la Religion des anciens Perses. Mais, comme nous l'avons dit, il ne con- naissait point le Zend ; et quoiqu'il eût aux mains des fragments de l'Avesta , il ne pouvait les comprendre. Aussi plus d'une fois il fut induit en erreur , car les sources auxquelles il puisa n'étaient pas de la première antiquité. Kleuker , sous le titre de IIEPSIKA , a recueilli , avec la patience qui caractérise les énulits d'Allemagne, tout ce que les écrivains grecs et latins ont rapporté sur Zoroas- tre, sa doctrine, et les cérémonies religieuses des anciens 262 LIVRES SACRÉS Mages (1). Mais loulcs ces recherches sont insuffisantes; la Grèce et Rome ne sauraient faire connaître le culte d'Ormusd. Il n'y a que dans le Zend-Avesta qu'on peut trouver des documents sérieux sur le Mazdéisme. Depuis que nous avons publié les leçons de notre maî- tre (2), ses travaux l'ont appelé sur des terres nouvelles; nous l'avons laissé voyager au milieu des débris de la Grèce, interrogeant tour-à-tour Homère , Socrate , Pythagore , Pla- ton et Aristote , et nous sommes resté dans la Perse à peu près au VI" siècle avant noire ère. Bientôt nous vous di- rons le résultat de nos' travaux. Ce n'est point un moment de surprise ou de curiosité vaine qui nous a l'ait ouvrir les livres de Zoroastre, pour les refermer aussitôt. Il y a trop de poétiques beautés et de vérités utiles à répandre dans le vieil Orient, pour saluer toutes ces merveilles en un jour. Maintenant, plus que jamais, le rendez-vous des sciences et de la philosophie n'est-il pas sur ces superbes mines ? De même que l'homme en vieillissant i-etrouve avec bonheur ses souvenirs d'enfance plus frais dans sa mémoire, ainsi les nations aiment a se rappeler leur passé , se com- plaisent dans leurs souvenirs. . Le monde oriental anté- (1) Nous devons citer entre autres , parmi les auteurs grecs et latins qui ont parlé de la religion des Perses. — HermippedeSmyrne, qui vivait sous un des Ptolémées , dans le 3° siècle de notre ère. — Nicolaus , de Damask, philosophe platonicien, qu'Auguste comptait au nombre de ses amis.— Les lîoot "/oyot de Dion-Chrysostome. — Eusèbe, dans son livre intitulé lepcf. (Ttivaywyï) -Trov IlHp(7t-/.tov. — ' Suidas Vo. Zopouarpri? , et son traité JlepifvasMi;. — lambliquert Proclus,quiont écritunlongcommenlaire sur les rapports des doctrines de Zoroastre et de Platon, etc.; et plus près de nous , les Zoroaslriana de Pic de la Mirondole , etc., etc. (2) Leçons de Philosophie orientale , professées à la faculté des lettres de Cacn par M, A. Charma, DE LA PERSE. 263 rieur à la civilisation grecque et romaine ne nous est connu que d'hier, et cependant déjà que de travaux, que de recherches; avec quel enthousiasme chacun prend pos- session de ces plages , à la fois si anciennes et si nouvelles ! Que l'humanité ne craigne pas de se vieillir en fouillant ces annales qui attestent déjà une si longue vie , en s'étu- diant avec quelque attention , elle reconnaîtra bientôt qu'elle n'en est qu'à sa première jeunesse ; plus elle plongera dans le passé , plus elle découvrira l'immensité de l'avenir î UNE PROMENADE SUR LE LAC DE GENEVE. FRAGIBEÏÏ DUNE NOTICE SUR LA SUISSE, Par Th. DU MONCEL. Rousseau, Voltaire, Gibbon, de Stacl ! Ces noms iont dignes de ton rivage , ô Lemaa , et toa rivage est digne de ces noms .' Si tu n'existais plus , ces noms illustres te rappelleraient à notre souvenir. A eux com- me à tous , tes bords parurent enchanteurs ; mais ils les ont rendus plus aimables; car, dans le cœur des mortels , les œuvres du génie consacrent les ruines ja- dis habitées par des sages et par des héros. Mais grâce à toi , lac de beauté , quand nous voguons doucement sur tes flots de cristal , combien nous devons sentir la noble ardeur de ce fier patriotisme des héritiers de l'immortalité , et qui donne la réalité au souffle de la gloire ! Lord Byron. I Voulez-vous faire une excursion chaimante dans les en- virons de Lausanne ? Allez à Villeneuve, par le lac, et revenez par les bords. De grands omnibus à quatre chevaux vous prendront h la porte de l'hôtel et vous mèneront d'abord , en vous faisant descendre une route délicieuse , a Ouchy , ce joli petit port que vous avez déjà aperçu si souvent de 266 UNE PROMENADE Lausanne , et qui est placé à ses portes comme une sen- tinelle chargée de faire signe au voyageur de ne point passer sans rendre hommage à la Reine Vaudoise. Là , vous remarquerez, en passant auprès de la jetée du port, une vieille tour carrée, reste d'un ancien château bâti en 1178, et en face, le bel hôtel de TAncre où lord Byron , retenu par le mauvais temps , composa son poëme du Pri- sonnier de Chillon. Puis , lorsqu'on aura aperçu l'un des . trois bateaux à vapeur , l'Aigle , le Léman et l'Helvctie , qui sillonnent deux fois par jour le lac de Genève dans sa longueur, on vous fera embarquer sur de grandes barques plates pour aller le rejoindre, car vous saurez que, pre- nant les voyageurs en passant , ces bateaux n'abordent dans aucun des ports intermédiaires entre Genève et Villeneuve. Le bateau arrive enfin , et après avoir lutté contre les gros bouillons soulevés par les roues , et échappé aux amarres lancées au milieu de vos embarcations pour saisir, je dirai presque, le bâtiment au vol , vous atteignez enfin l'escalier et vous arrivez sur le pont, où, grâce au ciel, vous pouvez vous dédommager de vos peines. Ce fut sur l'Helvéïie que je m'embarquai ; sa. vitesse , la grâce de sa forme me plaisaient , et je n'eus qu'à me féliciter de mon choix ; là , je retrouvai tout l'agrément et le con- fortable que je pouvais désirer ; un restaurant à la carte qui vient fort à propos , car l'heure du passage de ces bateaux ne vous laisse pas le temps de dîner avant que de partir ; une société charmante ,' des points de vue ravissants , qui ne changent à chaque pas , que pour être plus beaux encore ; enfin , une suite de plaisirs qui sont la conséquence d'une compagnie gracieuse et aimable et d'une belle nature. Vous croyez pcut-èlrc que le lac de Genève , dont nous SUn LE LAC DE GENÈVE. 267 avons jusqu'à présent admire lo calme des eaux , le riant aspect des bords , ne peut se trouver troublé par ces ter- ribles tourmentes qui soulèvent sur la mer de si formidables tempêtes? Vous le voyez alors, j'en suis sûr, du moins c'était ainsi que je le voyais , enchâssé au milieu de son rani- part de montagnes , défiev par sa tranquillité le boulever- sement des éléments. Détrompez-vous ; les lacs de Suisse ont leurs tempêtes comme la mer a les siennes; par suite, on a le mal de lac comme on a le mal de mer , et je pus facilement m'en convaincre h un orage accompagné d'un léger coup de vent qui nous surprit à la hauteur de Vevay , et qui cependant produisit ce terrible effet sur plusieurs passagers. Un orage sur le lac de Genève ! C'est quelque chose à la fois de sublime et d'imposant. On dirait que , dans ce changement continuel d'effet et de couleur, l'esprit, agité lui-même , croit changer de spectacle comme il change d'impressions : mais c'est surtout quand la sombre nue vient h passer, qu'on le voit dans toute sa magie : le ton- nerre, longtemps dissimulé, vient enfin, en roulant d'é- chos en échos au travers des mantagnes , éclater avec une fureur dont tout le lac retentit. Les rivages disparus au milieu de l'obscurité , n'apparaissent plus que dans leurs masses , et la nature entière participe à cette nuit inattendue. Cependant , nous approchions ; déjà nous laissions sur noire droite la sombre chaîne des Dents d'Oche qui gran- dissait à mesure que nous avancions ; les Dents du Midi se déployaient à travers les nuages avec leurs sommets couverts de neige , et nous distinguions , comme une masse blanche se détachant dans l'ombre , le château de Chillon , aux pieds des monts de .laman. Enfin nous aperçûmes Villeneuve, cl nous aiteignimos une charmante petite île, 268 UNE l'ROMENADE la seule du lac de Genève , dont l'aspect parut si poétique à lord Byron, qu'il en parle en ces termes dans son poii- me du Prisonnier de Chillon : « Il y avait là , dit-il , une petite île riante , qui charma mes yeux , c'était la seule que je pusse voir ; elle était couverte de verdure et ne me paraissait pas plus grande que l'enceinte de ma prison ; mais j'y apercevais trois grands arbres ; la bise de la montagne y balançait le feuillage , les eaux limpides y circulaient ; des fleurs y émaillaient la terre et y embaumaient l'air.» Nous arrivâmes cependant à Villeneuve , qui ne me parut offrir rien d'intéressant ; et comme la seule chose que je désirais voir dans ses environs était le château de Chillon, j'allai coucher à l'hôtel Byron, espèce de palais bâti h mi-côte , sur une des montagnes environnantes. On ne peut se faire une idée de l'admirable vue qu'on a de ces lieux. Le lac , qui se présente en raccourci , laisse apercevoir des deux côtés ses rivages escarpés , bordés çà et là de villes , de villages , que l'on découvre jus- qu'au-delà de Lausanne ; et sur des plans rapprochés , le château de Chillon , Villeneuve , le bassin du Rhône , les Dents d'Ochc , que l'on voit dans toute leur étendue , et celles du midi , encadrent le tableau de la manière la plus délicieuse. Mais j'étais trop préoccupé de l'envie de voir Chillon, pour m'arrêter longtemps en ces lieux ; aussi , dès le matin , j'en repartis h pied , voulant jouir tout à mon aise et en détail des beautés de la route que je devais suivre. Chillon n'est qu'à une lieue à peine de Villeneuve ; et tout en suivant le chemin qui y conduisait, je repassais dans mon esprit ce beau sonnet de lord Byron : « 0 Chillon , tu es un lieu sacré ! le triste pavé de ta SUR LE LAC DE GENÈVE. 269 prison est un autel ; car il a conservé la trace des pas de Bonnivard (1) , comme si ces froides pierres étaient une terre inflexible. Que ces traces soient ineff'açables ! elles en appellent h Dieu de la tyrannie des hommes. » A mesure que j'approchais , je sentais mon impatience s'accroître avec ma curiosité , et au travers de ses murs (1) A ce sujet, il ne sera pas inutile de dire deux mois sur l'histoire de ce Bonnivard , dont la captivité a attiré sur ce château tant d'intérêt, et sur les événements qui l'amenèrent. Depuis sa réunion à l'empire , en 1034, sous Conrald le Salique, qui y établit un évêché et un comté , Genève s'était vue en proie à des discus- sions continuelles , qui résultaient des luttes entre les évoques , les comtes genevois et les ducs de Savoie, pour la souveraineté. Ces derniers ayant fini par triompher, ils voulurent toujours tenir Genève sous leur dépendance, en y plaçant sur le trône épiscopal un flls de leur maison : mais il en advint la division de la ville en deux partis. Ceux qui prirent le parti des évêques, et qui étaient par conséquent vendus à la Savoie , furent appelés Mame- lucks; et les partisans de la liberté prirent celui (ï Eidgenossen , nom dont on fit lliguenos ou Huguenots , quand ils adoptèrent la réforme. C'était a la télé de ces derniers que se trouvait François Bonnivard, prieur de St- Victor, homme d'un courage héroïque et d'un dévoùment à toute épreuve. Grâce à lui, son parti s'était considérablement augmenté , et se trouva bientôt assez fort pour conclure, malgré les efforts du duc de Savoie , un traité avec Berne et Fribourg, qui amena l'affranchissement de Genève en 1536. Quant à lui personnellement , il n'eut pas le bonheur d'achever ce qu'il avait commencé. Surpris et dépouillé par une troupe de brigands , il fut remis par eux au duc de Savoie , qui se vengea en le jetant dans les prisons de Chillon , où il demeura pendant six ans, livré au plus amer dés- espoir et aux plus cruelles douleurs. Ce fut cette histoire qui servit de thème à lord Byron, pour composer son beau poème du Prisonnier de Chillon, et à M. Eugène Delacroix, pour exécuter son beau tableau, exposé au salon de 1835. Quelques années avant la Révolution , plusieurs citoyens vaudois , dont les opinions politiques déplaisaient à LL. EE. de Berne , vinrent occuper les anciens cachots du duc de Savoie. Mais depuis 1798 , le château de Chil- lon n'a plus servi que de dépôt d'armes et de munitions , et quelquefois de maison de détention militaire. En temps ordinaire, il est gardé par un poste de gendarmerie. ■270 UNE PROMENADE et de ses tourelles qui grandissaient successivement à mes yeux, je pénétrais d'avance jusque dans ses sombres souter- rains, qui parlaient depuis tant de temps à mon imagination. J'y arrivai cependant , et je pus le voir dans toute son iîtendtie, se développer au milieu des eaux comme un géant farouche et allier, qui s'isole pour mieux se défendre et observer ce qui l'entoure. Chillon est un bloc de tours posées sur un bloc de rochers , écrivait en 1839 M. Victor Hugo à son ami Bou- langer. Tout le château est du XII^ et du XIII'' siècles, à l'ex- ception de quelques boiseries , portes , tables , plafonds , etc. , qui sont du XVI"^. La bouche des canons touche l'embrasure des catapultes. C'est une femme française qui fait faire aux visiteurs la promenade du château, avec beau- coup de bonne grâce et d'intelligence. Chaque tour du château de Chillon pourrait raconter de sombres aventures : dans l'une ; on m'a montré trois ca- chots superposés ; on entre dans celui d'en haut par une porte ; dans les deux autres , par une dalle qu'on sou- levait et qu'on laissait retomber sur le prisonnier. Le cachot d'en bas recevait un peu de lumière par une lucarne; le cachot intermédiaire n'avait ni air ni jour. Il y a quinze mois, on y est descendu avec des cordes et l'on a trouvé sur le pavé un lit de paille fine où la place d'un corps était marquée , et çà et là des ossements humains. Le cachot supérieur est orné de ces lugubres peintures de prisonniers , qui semblent être faites avec du sang. Ce sont des arabesques , des fleurs , des blasons , un palais à fronton brise dans le style de la renaissance. Par ses lucarnes , le j^risonnicr pouvait voir un peu d'herbe et de feuilles dans le fossé. Dans une autre tour, après quelques pas sur un plan- SUR LE LAC 1)E GENEVE. 271 cher vermoulu qui menace ruine , et où il est défendu de marcher, j'ai aperçu , par un trou carré, un abnne creusé dans la masse même de la tour. Ce sont des oubliettes; elles ont quatre-vingt-onze pieds de profondeur , et le fond en était hérissé de couteaux. On y a trouvé un squelette disloqué, et une vieille couverture de poil de chèvre , rayée de gris et de noir , que l'on a jetée dans un coin , et sur laquelle j'avais les pieds lorsque je regar- dais le gouffre. Mais ce qu'il y a de plus curieux dans le château de Chillon , ce sont les souterrains dont il a déjà été ques- tion , et dont j'ai levé le plan exactement. Avant d'arriver à celui où Bonnivard demeura enfermé pendanules six années de sa captivité , on en traverse trois autres , dont le plus long, que l'on appelle les Casemates, B, a environ vingt- un mètres sur neuf de largeur ; il se trouve éclairé par des ouvertures plus grandes qi:c dans les autres.. Le troisième, CDE, c'est-à-dire celui qui se trouve intermédiaire entre celui- ci et les Cachots proprement dits, se divise en quatre par- lies , dont les longueurs suivent les sinuosités du rocher auquel leurs voûtes sont adossées , et (|ui communiquent 272 UNE PUOMENADE toutes entre elles par des portes plus ou moins larges. La première de ces parties, G , très-étroite et peu étendue, n'a rien de curieux ; mais les deux suivantes , qui peuvent en définitive se réduire à une seule , D, puisqu'elles ne sont séparées que par deux grandes arcades , étaient le lieu de supplice ; on y voit encore la poutre qui servait de potence , L'église semble avoir attiré l'attention de M. V. Hugo : « Elle a subi , dit-il , celte espèce de dévastation méthodique, soigneuse et vernissée , que le protestantisme semble avoir infligé aux églises gothiques. Tout est ratissé , rabotté , balayé, défiguré, blanchi, lustré et frotté. C'est un mé- lange stupide et prétentieux de barbarie et de nettoyage. Plus d'autels , plus de chapelles , plus de reliquaires , plus de figures peintes ou sculptées. Une table et des stal- les de bois qui encombrent la nef : voilà l'église de Vevey. « Je m'y promenais . continuait-il, assez maussadement , escorté de cette vieille femme ( toujours la même ) , qui lient lieu de bedeau aux églises calvinistes , et me co- gnant les genoux aux bancs de M. le Préfet , de M. le Juge de paix , etc. , quand , à côté d'une chapelle con- damnée où m'avaient attiré quelques vieilles consoles du XlVe siècle, oubliées par l'architecte puritain , j'ai aperçu, dans un enfoncement obscur, une grande lame de marbie noir, appliquée au mur : c'est la tombe d'Edmond Ludiow, mort réfugié à Vevey en 1698, Je croyais celte tombe à Lausanne. Comme je me baissais pour ramasser mon crayon tombé à terre , le mot Depositorium , gravé sur la dalle , a frappé mes yeux : je marchais sur une autre tombe , sur un autre proscrit, Andrew Broughlon ...» M. Victor Hugo aurait pu y joindre celles du voyageur Malte et de Martin Couvreu , bienfaiteur de sa ville nalale. Personne n'ignore que ce fut cet Andrew Broughlon qui lui la sentence de mort au roi Charles I^r . Quant à Ludiow, qui avait été exclu, ainsi (juc lui, de l'acte d'amnistie de Charles H, pour avoir été l'un des juges qui condamné- 282 UNE PROMENADE reiU à mort le roi , il fut activement poursuivi ; mais les Bernois le protégèrent constamment pendant les trente an- nées de son séjour à Vevay. On voit encore, dans la rue qui conduit à la tour de Peilz, la maison qu'il habita, et linscription suivante la désigne à la curiosité publique : OMNI SOLUM FORTE PATRIA EST. — QUIA PATRIS, Vevay rappelle aussi des souvenirs de la Nouvelle Hé- loise; mais difîérents de ceux de Clarens , ces souvenirs sont noyés au milieu des intrigues d'une ville; le torrent de la Vevayse, qui se jette à quelques pas de là , en rappelle seul la poésie. Qui n'a pas retenu, en effet, cette char- mante description du chalet, écrite de la main de Julie? Près des coteaux fleuris d'où sort la source de la Vevayse, il est un hameau solitaire qui sert quelquefois de repaire aux chasseurs , et ne devrait servir que d'asile aux amants. Autour de l'habitation principale , dont M. d'Orbe dispose, sont épars, assez loin, quelques chalets, qui, de leurs toits de chaume , peuvent couvrir l'amour et le plaisir, amis de la simplicité rustique. Les fraîches et dis- crètes laiteries savent garder pour autrui le secret dont elles ont besoin pour elles-mêmes. Les ruisseaux qui tra- versent les prairies sont bordés d'arbrisseaux et de bocages délicieux; des bois épais offrent au-delà des asiles plus déserts et plus sombres : Al bel seggio riposio ombroso e fosco JVe mai pastori appressam ne bifold. L'art ni la main des hommes n'y montrent nulle part leurs soins inquiétants; on n'y voit partout que les tendres soins de la mère commune. C'est là, mon ami, que l'on SUR LE LAC DE GENÈVE. 283 n'est que sous ses auspices , et qu'on peut n'écouter que ses lois. Je ne parlerai pas de la vue que l'on a de Vevey, car, sauf peut-être une plus grande étendue de lointain du côté de Lausanne et un léger raccourcissement dans l'as- pect des montagnes vers Villeneuve , elle ne dilTère que dans les premiers plans de celle que j'avais admirée à Montreux. Tous les agréments de la vie semblent être réunis à Ve- vey : le bel hôtel dont nous avons déjà parlé y réunit la plus brillante société d'étrangers. Promenades charmantes, courses en char, a cheval et en bateau , sociétés savantes et littéraires , on y trouve tout , excepté l'ennui ; et lorsqu'on en repart, on ne peut se défendre d'un sentiment de re- gret qui est général. Je quittai cependant cette ville au bout d'un jour. Je pris le bateau à vapeur, car la roule de Lausanne à Vevey, pres- que toujours enfermée entre deux murs , n'offre rien de re- marquable, et que les coteaux environnants , presque tous en vignobles, en éloignent l'aspect pittoresque. Du bateau, au moins, je pus jouir de la vue des villages de Saint- Saphorin, de Glerolles, de Rivaz, en amphithéâtre sur la colline, et entre lesquels se précipitent des cascades plus ou moins élevées, plus ou moins abondantes. Peu de temps après, le village de Cully se dessina de- vant nous , au milieu des peupliers et au fond de sa jolie baie; et enfin nous revînmes à Ouchy, laissant à notre droite les villages de Villette, de Lutry, de Paudex et do Pullv. ^ DE LA MARINE MILITAIRE SUR LES COTES DU DÉPARTEMENT DE LA MANCHE sous LE CONSULAT ET l'eMPIRE ; M. VERUSMOR. A l' AVÈNEMENT (lii coiisulat , la guerre maiiiiiiie durait depuis huit ans : la fortune ne nous l'avait pas rendue favorable; nous avions éprouvé sur mer de douloureux échecs ; notre flotte venait d'être anéantie dans la baie d'Aboukir. A la vérité , nous possédions encore des es- cadres qui allaient bientôt s'illustrer par d'héroïques com- bats ; mais elles formaient un état naval très-secondaire, et nullement proportionné à la grandeur de la tâche que les événements lui imposaient. La marine française se trou- vait , sous le rapport numérique , dans une infériorité qui ne lui laissait aucune chance de lutter avec avantage contre l'armée anglaise , dont les nombieuK vaisseaux venaient â86 DE LA MARINE MILITAIRE nous braver sur nos rades et canonner nos rivages. Et quand , à force d'activité dans nos ports , nous allions sortir de cette situation précaire , et peut-être trôner à notre tour sur les mers , le désastre de Trafalgar vint détruire notre flotte restaui-ée ; nous fûmes replongés plus bas que nous n'étions auparavant. A partir de ce grand revers , la puissance maritime de la France fut aussi infime que sa puissance continentale était formidable. De ce moment jusqu'à la chute de l'empire, les croisières anglaises, tou- jours en vue de nos côtes, ne cessèrent de sillonner nos eaux avec une audace trop souvent impunie ; les escadres britanniques bloquèrent nos ports sans marine et insul- tèrent nos rades désertes. Cependant l'ennemi surveillait beaucoup plus sévèrement nos rives de la Manche , situées à ses portes , que celles de l'Océan ou de la Méditerranée , plus éloignées de ses bords. Le commerce français n'avait plus de grands na- vires ; la navigation se fliisait par de petits caboteurs qui se rendaient d'un endroit à l'autre , en longeant la côte h travers les écueils ; les corsaires seuls promenaient leur audace sur les flots de la Manche. Quant aux bâtiments de guerre , forts ou faibles , pas un ne faisait voile du Havre où la marine impériale avait de grands chantiers , pas un ne sortait de Cherbourg sans que les Anglais , prévenus à temps , ne se trouvassent à point nommé , avec des forces supérieures , pour lui barrer le passage et le cap- turer : s'il leur échappait, c'était h la faveur de la tempête, de la brume , des vents ou de la marche , rarement par la force ; car une de nos voiles était toujours sûre de rencontrer sur sa route deux ou trois frégates , un ou plusieurs vaisseaux ; et un seul bâtiment , quels que soient le courage et l'habileté de son commandant , quelle que SUR LES CÔTES DE LA MANCHE. 287 soit la valeur de son équipage , ne peut lutter avec succès contre tout une division qui l'attend. Mais ce n'est pas une histoire de la marine consulaire et impériale que nous nous proposons de faire ; notre but est i)lus modeste : nous ne voulons que retracer les prin- cipaux événements maritimes arrivés sur les cotes du dé- partement de la Manche , depuis l'établissement du consulat jusqu'à la chute de l'empire , et seulement en ce qui concerne la marine militaire. Nous suivrons l'ordre chronologique. § I- Combat de la canonnière la Chiffonne. — 17 janvier 1801. — La canonnière la Chiffonne , portant 7 bouches à fou, était commandée par l'enseigne de vaisseau Le Sage (I), et se trouvait momentanément en station au Grouin , petit havre voisin d'Isigny. Les Anglais, qui occupaient les îles Saint-Marcouf depuis le mois de messidor an III ( juillet 1795), ayant appris par leurs émissaires que ce bâtiment venait d'envoyer à Cherbourg IG matelots de son bord pour compléter l'équipage de la frégate la Guerrière, résolurent de profiter de la circonstance pour aller l'en- lever avec des chaloupes armées. Le 27 nivôse an IX (17 janvier 1801), à neuf heures du soir, huit grandes péniches , montées de 25 à 30 hommes cha- cune , partirent de l'Ile-du-Large , sous le commandement (I) Jcan-IIenri-Guillaunie Le Sape, ik' à Clicrbourg le 'is septembre l7Gi, mort au même lion le "2 janvier 1835. 288 DE LA MARINE MILITAIRE du lieiitenaiu Press , de la marine royale. Leurs avirons étaient garnis de serpillière ; toutes les précautions avaient été prises pour s'approcher en silence de la canonnière fran- çaise. A neuf heures et demie , par un temps calme et une nuit très-obscure , la vigie de la Chiffonne signala plu- sieurs embarcations qui arrivaient sans bruit sur la ca- nonnière ; elles en étaient tout au plus à une encablure. L'offlcicr de quart les héla. « Nous sommes républicains , et nous venons à votre bord, » lui répondit-on. Il leur ordonna de mouiller ; elles ne tinrent compte de l'injonc- tion et s'avancèrent à force de rames. Deux coups de canon à mitraille leur furent tirés ; celte démonstration ne fit que précipiter leur vogue. L'ennemi vint s'accro- cher à l'avant et aux flancs de la Chiffonne , en poussant des hourras. Il n'y avait en ce moment à bord que 26 hommes, olïïciers compris ; 10 hommes détachés dans la journée pour garder une pièce de canon dans une redoute qu'on élevait sur la côte voisine , n'avaient pu se rembarquer le soir. En abordant, les Anglais firent une brusque décharge de mousquelerie, et tentèrent aussitôt de s'élancer sur le pont ; mais la canonnière, protégée par un filet d'abordage qui lui faisait une ceinture élevée de sept à huit pieds au-dessus des bastingages , repoussa vigoureusement cette première at- taque , dans laquelle le capitaine Le Sage eut le corps traversé d'un coup de feu. L'ennemi revint plusieurs fois à la charge , en même temps qu'il dirigeait sur le pont une vive fusillade. Les Anglais , qui saisissaient les mailles du filet d'abordage pour s'élancer à bord , étaient pré- cipités dans les flois à coups de pique et de baïonnette, et à coups de pistolet qu'on leur tirait à bout portant. SUR LES COTES HE LA MANCIIE. 289 Déjà les péniches paraissaienl se désemplir du monde qui les encombrait au commencement de l'action , lorsque plusieurs pièces d'artillerie, adroitement pointées , les fou- droyèrent successivement ; un obusier de 24 , chargé a balles , ne laissa que deux hommes debout dans une cha- loupe , et abattit le courage des assaillants. Cette impé- tueuse attaque , cetlo défense plus énergique encore , le combat enfin durait avec acharnement depuis une heure et demie : une résistance aussi inattendue rebuta les An- glais , qui , désespérant de s'emparer de la Chiffonne , cessèrent leur feu et s'éloignèrent de la brave canonnière, après avoir essayé de l'incendier avec des chemises sou- frées. Ils avaient perdu 57 hommes. Le sang coulait de leurs péniches , remplies de morts et de blessés ; et plu- sieurs de ces embarcations se trouvaient désemparées à tel point , qu'elles ne purent s'éloigner qu'à la remorque des autres. Dans cet engagement , court et vif, la Chiffonne , qui avait l'avantage de sa position, n'eut que 8 hommes hors de combat : 2 morts et 6 blessés. Son filet d'abordage fut taillé de coups de sabre, ses pavois furent criblés déballes et sillonnés de coups de hache. Ainsi , 26 marins français, mal aimés , pris à Timpro- viste et comme au dépourvu , résistèrent pendant deux heures à plus de 200 anglais , et les contraignirent à la retraite en leur fiusant éprouver un échec sanglant. Anssiiôt que les péniches se furent retirées , la Chif- fonne prit à la hâte des mesures de défense, dans la crainte que l'ennemi ne revînt plus nombreux pour tenter de l'enlever par un dernier effort. On monta dans les hunes des gueuses , des boulets rames et des obus , afin d'en écraser les embarcations qui s'approcheraient du bord; 19 290 DE LA MARINE MILITAIRE on répara les brèches faites au filet d'abordage , on chargea les canons , on disposa les armes. Ces précautions furent inutiles : les Anglais , contents de leurpremier essai , n'eurent pas envie de se frotter une seconde fois h des gens qui recevaient si mal les visites. Cependant le bruit retentissant de la canonnade au mi- lieu des ténèbres avait mis sur pied la population des environs : un détachement de la 63<= demi-brigade et une centaine de gardes nationaux arrivèrent de la Cambc , de Grand-Camp et d'Isigny , h une heure du matin. Depuis longtemps déjà les péniches anglaises voguaient lentement vers les îles Saint-Marcouf. La Chiffonne ne se sentant plus capable de soutenir un nouvel assaut , vu la faiblesse numérique de son équipage, et l'état de la canonnière nécessitant d'ailleurs des ré- parations , elle appareilla , remonta la Vire et se rendit à Isigny , où elle mit à terre ses morts et ses blessés. Ce fut alors qu'on trouva sur le pont du bâtiment huit pièces d'artifice et des fagots soufrés , que l'ennemi avait jetés à bord en se retirant , sans avoir pu y mettre le feu. § II. Prise de la frégate la Minerve , sur la Digue de Cherbourg. — 3 Juillet 1803. — La rupture de la paix d'Amiens avait ramené la guerre sur les flots ; les croisières anglaises interceptaient de nou- veau la navigation dans la Manche : on voyait constamment devant Cherbourg des voiles britanniques , louvoyant à l'ouvert de la baie , et s'avançant quelquefois jusqu'à l'en- SUR LES CÔTES DE LA MANCHE. 291 irée des passes de la rade. Dans la soirée du 13 messi- dor an XI ( 2 juillet 1803 ) , un de ces bâiinients , plus téméraire que les autres , voulut poursuivre des bateaux de charge employés au transport des matériaux de la Digue, ou plutôt s'imagina-t-il dans son enthousiasme pouvoir amariner quelque navire mouillé sur la rade , et faire une action d'éclat en l'enlevant sous le canon des forts. Cette voile aventureuse était la frégate la Minerve , de 48 bouches h feu , commandée par le capitaine Brinton , et portant un équipage de 230 hommes. L'issue du coup de main qu'elle tentait trompa singulièrement son attente. Courant sous toutes voiles , par un temps brumeux qui ne lui per- mettait pas de voir sa position , elle se jeta sur le talus occidental de la Digue , où elle échoua. Il était neuf heures et demie du soir lorsque la malheureuse frégate vint ainsi clouer sa quille sur le môle. A dix heures , les canonnières la Chiffonne et la Ter- rible , stationnées sur la rade , la première commandée par le lieutenant de vaisseau Lécolier , et la seconde , par l'enseigne de vaisseau Pétrée , signalèrent l'arrivée de l'en- nemi en lui lâchant leurs bordées. La Minerve riposta d'abord, et une vive canonnade s'engagea à demi-portée. Bientôt le fort de la Liberté , aujourd'hui le Hommet , se mit à tonner de son côté avec sa grosse artillerie. Le fracas du canon , retentissant en mer et sur la côle, mit sur pied toute la population de Cherbourg et des cn- \ irons. Au milieu de l'obscurité qui ne permettait pas à la vue de s'étendre sur la rade , chacun s'informait avec anxiété de la cause de celte canonnade : les uns , se rap- pelant 1758 , croyaient h une descente de la part des Anglais; les autres, jugeant mieux de l'état des choses, ne voyaient là qu'un engagemeut avec (juelque frégate ou 292 DE LA MARINE MILITAIRE corvolle qui avait voulu braver imprudcninicnt les forts et défier Cherbourg jusque dans ses eaux. Toute la marine était en mouvement. A minuit , le ca- pitaine de vaisseau Bouchet (I) , chef des mouvements mi- litaires du port , expédia aux deux canonnières engagées de la poudre et des boulets , pour remplacer les munitions qu'elles avaient consommées. A deux heures du matin , il alla prendre le commandement de la rade h bord de la Chiffonne , où il se rendit avec M. Cachin , directeur des travaux maritimes , deux ingénieurs du même corps , et le peu de marins qu'il avait pu rassembler. Les deux canonnières liraient sans relâche ; leur feu était secondé par celui du fort de la Liberté , qui vomit toute la nuit des boulets sur la mer. Cependant la Minerve , assaillie vivement , ripostait h peine , occupée qu'elle était de se délester pour se re- mettre à flot. La mer montante lui donnait bon espoir. Elle jeta à la mer tout ce qu'elle avait de lourd et dont elle pouvait se passer , une partie de son artillerie, de ses munitions , de son lest et de ses vivres. Ainsi allégée, le plein de l'eau put soulever ses flancs ; mais la frégate était engagée dans les pierres , où elle avait en quelque sorte fait souille , et tous les efforts furent impuissants pour la tirer de cet encaissement. Bientôt arriva Taurore , et le tir , qui avait eu lieu au hasard pendant les ténèbres , acquit de la rectitude avec le jour. Les volées que lâchaient les canonnières frap- paient en plein sur le corps de la fiégate , où portaient aussi quelques-uns des gros boulets du fort de la Liberté. [1] Pierre Bouchet, né au Porl-Louis-de-Riante le", mars 1756, mort capitaine de vaisseau en retraite à Brest le II juin 1824. SUR LES CÔTES DE LA MANCHE. 293 Ecrasée par ces foudroyants projectiles, la Minerve, qui avait fait en vain toutes les manœuvres pour se ra- flouer , tenta un dernier effort : la nier baissait , cet effort l'ut inutile. Voyant qu'elle ne pouvait échapper à sa perle , elle se décida enfin à amener son pavillon. Il était cinq heures et demie du matin. Une foule immense , tenue eu émoi par le combat de la nuit , applaudit du rivage à la reddition de l'ennemi. La frégate fut amarinée par le lieutenant de vaisseau Léco- lier. Son équipage fut transbordé sur la Chiffonne et conduit à Cherbourg. Douze Anglais avaient été tués , quinze étaient grièvement blessés. Les canonnières françaises n'avaient éprouvé aucune perte. La Minerve étant échouée en dedans de la Digue , on porta une amarre dans le sud pour tâcher de la raflouer, mais inutilement. Il fallut alors l'alléger du reste de son artillerie. Après quelques efforts et quelques manœuvres , la frégate fut remise à flot. Le même jour , à six heures du soir , elle était mouillée sur un corps-mort en rade, hors de tout danger. Par suite de cette affaire , le lieutenant Lécolier reçut du premier consul le brevet de capitaine de frégate , et l'enseigne Pétrée le remplaça dans le grade de lieutenant de vaisseau. Le capitaine Brinton et son état-major furent envoyés prisonniers de guerre à Epinal ; l'équipage fut dirigé sur Verdun. Il est quelquefois de singulières destinées pour les choses comme pour les personnes ; la Minerve en offre un exemple. Celte frégate faisait partie de rarmée navale de la Médi- terranée, lorsqu'elle fut capturée par les Anglais, en 1793, et donnée au roi de Sardaigne. Elle se fit reprendre en 294 DE LA MARINE MlLlTAir.E mer , h la hauteur de Nice , par l'escadre du conlre-aniiral Martin , dans laquelle elle se jeta par méprise. Elle re- tomba ensuite au pouvoir de l'ennemi. Enfin étant venue échouer sur la Digue , elle changea de maître pour la cin- quième fois. Ce n'était pas la dernière mutation de nationalité qu'elle devait éprouver. Redevenue française , la Minerve changea de nom ; elle fut appelée la Canonnière , et réarmée à Cherbourg , d'où elle appareilla pour les mers de l'Inde, le 14 no- vembre 1805 , sous le commandement du brave capitaine de vaisseau Bourayne (1). On connaît son glorieux combat contre le vaisseau le Tremendoiis , sa prise de la frégate anglaise le Laurel, et l'honorable mission qu'elle alla remplir h Acapulco pour la colonie de Manille. Usée par la guerre et les ans , la Canonnière fut désarmée à l'Ile- de-France en 1809 , et cédée au commerce, qui la baptisa du nom de la Confiance. Mais elle devait retourner en- core sous le pavillon britannique : nul ne peut échapper h son destin ; le sien était de finir chez l'ennemi. Dans sa traversée pour revenir en France , elle tomba une der- nière fois au pouvoir des Anglais ; un vaisseau la captura en mer le 10 février 1810. Le vaillant Bourayne était passager h bord. §111. Bombardement de Granville. - 14 et 15 Septembre 1803. - Les Anglais ne se contentaient pas de faire la guerre [I] César-Joseph Bourayne, baron de l'empire, commandeur de la légion d'honneur, né à Brest le 22 février 1768, mort en ce port, capitaine de 'caisscau en activité , le 5 novembre 1817, SUR LES CÔTES DE LA MANCHE. 295 il nos vaisseaux , ils voulaient encore détruire nos places maritimes. Le 27 fructidor an XI ( 14 septembre 1803), huit ou dix de leurs bâtiments prirent position devant Gramille vers minuit et demi , et lui lancèrent une cen- taine de bombes , depuis deux heures du matin jusqu'à cinq heures. Il n'arriva heureusement aucun accident dans la ville ; les projectiles n'atteignirent point les malsons et ne blessèrent personne. Mais l'ennemi dut éprouver quel- ques pertes, par l'effet des batteries de la place qui ri- postèrent vivement , et par le feu de la division de flottille qui sortit du port et fut s'embosser devant le pavillon de Saint-Georges. Il n'y avait pas lieu pour l'Anglais d'être satisfait de ce résultat ; aussi recommença-t-il le lendemain le bombar- dement. Il eut plus d'effet que celui de la veille : un homme fut tué sur le port ; un boulet tomba sur un navire de commerce ; les toitures de deux maisons furent endom- magées. Pendant ce temps , la frégate commandant la division toucha. Les bâtiments sous ses ordres l'entourèrent pour lui donner assistance. Notre flottille de bateaux plais , saisissant ce contre-temps , mit à la voile et s'approcha très-près de l'ennemi , sur lequel elle ouvrit une vigoureuse canonnade. Les voiles anglaises durent chercher leur salut au large : une bombarde faillit être enveloppée ; l'autre fut contrainte de couper ses câbles pour appareiller plus vite. La frégate échouée tombait infailliblement en notre pouvoir , si deux grands bâtiments de la station de Jersey, venus h son secours , ne fussent parvenus à la raflouer. Au moment môme où les Anglais essayaient ainsi d'é- craser Granville , ils exécutaient une semblable tentative contre Dieppe. Le 27 fructidor , à huit heures du matin, 296 DE LA MARINE MILITAIRE nne de leurs divisions se présenta devant ce port avec deux bombardes qui lancèrent 130 bombes, sans blesser ni tuer per- sonne dans la ville; une seule maison en souffrit. Les batteries de la côte répondirent à l'agression ; un grand nombre de leurs boulets portèrent , et une frégate anglaise perdit un de ses mâts de hune. L'ennemi eut une quarantaine d'hommes tués ou blessés. S IV. Schouement de la frégate la Shanison, sur la côte de Révîlle. — 13 Décembre 1805. — La frégate anglaise la Shannon, portant 40 pièces d'ar- tillerie et 250 hommes d'équipage, échoua sous Réville dans la matinée du 19 frimaire an XII (11 décembre 1803) : affalée par le gros temps de la nuit , une fausse manœu- vre, que la force du vent ne permit pas de réparer , la mit à la côte. Les redoutes de Réville l'accueillirent à coups de canon ; 99 boulets lui furent envoyés. La frégate, couchée sur tribord , démâtée de son mât d'artimon et brisée dans ses fonds, ne pouvait ni riposter aux batte- ries du rivage , ni s'éloigner de leur feu ; elle fut con- trainte d'amener presque sans coup férir. Des chasseurs du 16C régiment, un détachement d'un bataillon expéditionnaire, et la garde nationale de Réville , conduite par le maire de la commune, se distinguèrent dans cette occasion en aidant à réduire l'ennemi. Une centaine de bateaitx , sortis de Saint- Vaast, vinrent amariner la Shannon ; mais ils tentèrent en vain de la remet- tre à flot pour la conduire en sûreté à la Hougue ; leurs ef- forts ne purent Tarracher des rochers sur lesquels elle gisait. L'équipage fut fait prisonnier de guerre, et amené le SUR LES CÔTES DE LA MANCHE. 297 lendemain àValognes, pour être de là dirigé sur les dépôts de rintérieur. « Jamais, dit une lettre insérée au Moniteur et empreinte de l'exagération de l'époque ; jamais on ne vit d'hommes plus gais ni plus contents ; ils chantaient et dan- saient comme des gens qui vont aux noces. Ceux qu'on interrogea sur la cause de leur guîlé , répondirent qu'ayant été enlevés par la /?re^^e, et ne servant que malgré eux, ils se trouvaient heureux d'échappei au service en deve- nant prisonniers , et plus heureux encore d'être tombés entre les mains des Français, qui les traitaient avec une bonté sur laquelle ils ne comptaient pas. » Cependant on croyait pouvoir relever la Shannon, superbe bâtiment lancé quatre mois auparavant, et qui en était a sa première sortie. Le capitaine de vaisseau Jacob reçut du mi- nistre l'ordre de venir la relever el d'en prendre le comman- dement. Mais lorsqu'il arriva sur les lieux , la frégate n'était plus qu'une carcasse charbonnée. Les Anglais vini-ent dans des péniches l'incendier la nuit , une quinzaine de jours après son échouage. § V. Perte de la corvette le Grappler , sur les îles de Ghausey. — 31 Décembre 1803. — Le 9 nivôse an XII (31 décembre 1803), à dix heures du malin , on aperçut de Granvillc un bâtiment de guerre échoué sur les îles de Chausey : c'était la corvette an- glaise le Grappler, de 10 caronades de 18 et 2 canons de 12 , commandée par le lieutenant de vaisseau Abel Wan mer-Thomas. Des marins, des troupes de la garnison de Granville , •298 DE LA MARINE MIIilTAlHE des employés de la douane, furent réunis en un instant; mais la mer avait déjà beaucoup perdu, et Ton ne put faire sortir que quatre bateaux , portant 40 hommes de toutes armes. A deux heures de l'après-midi , ce petit détachement, commandé par le capitaine de vaisseau Épron (1), qui é- tait accompagné de l'aide-de^camp du général Vaufreland, commandant à Granville, débarquait aux îles de Chausey. II n'avait que des armes portatives; on n'avait pas eu le temps de prendre du canon. L'ennemi s'avança avec une péniche pour attaquer nos bateaux. Après un moment de fusillade, les hommes qui montaient cette embarcation furent faits prisonniers, au nombre de 34, sans qu'aucun des nôtres ait reçu la moindre blessure. Le lieutenant Abel Wanlner-Thomas, qui comman- dait la péniche, eu la jambe traversée par une balle. Le Grappler fut ensuite amariné ; mais le reste de son équipage nous échappa , en se sauvant dans les canots qui se dirigèrent sur Jersey. On ne trouva à bord que deux marins de Cancale, pris en pêche quelques jours aupara- vant : c'étaient deux pauvres pères de famille; ils firent éclater la joie la plus vive en se voyant tirés d'esclavage. La corvette étant entièrement défoncée cl ne pouvant être relevée, le capitaine Épron y fit mettre le feu et la fit sauter avant de rentrer à Granville. [1] Louis-Jacques Epron , dit de la Iloric, né à Granville le 28 décem- bre 1768, mort contre-arairal honoraire à sa terre de la Horie, près de Granville, le 'il avril I84l. Slin LES CÔTES DE LA MANCHE. 299 § VI. Combat devant Barfleur. — 9 Juin 1804. — Nos bâliinenls de flottille et nos convois, qui se rendaient d'un port à l'autre en serrant la côte, avaient souvent à lutter contre les croisières anglaises ; mais ces engagements, d'ordinaire fort légers , se réduisaient presque toujours à un échange de quelques coups de canon. Cependant il y eut dans ces petites affaires des combats sérieux , parmi lesquels nous remarquons celui qui arriva devant Barfleur au commencement de l'empire. Une division de flottille, composée de chaloupes canon- nières et de navires de transport , appareilla de Cherbourg, le 8 juin 1804, pour se rendre à la Hougue, sous le com- mandement du capitaine de frégate Lécolier (1). La croi- sière anglaise, qu'elle aperçut par le travers de Gatteville, se dirigeant sur elle pour l'attaquer , l'obligea à relâcher à Barfleur. L'ennemi vint mouiller devant ce poit, hors de la portée du canon. Ses forces consistaient en 3 fré- gates, 3 brigs, et plusieurs bombardes et canonnières. Le lendemain 9 juin, à cinq heures du matin, les An- glais assaillirent noire division au mouillage ; ils commen- cèrent par lui lancer des bombes. Le feu s'engagea de part et d'autre avec beaucoup de vivacité. Nos chaloupes canonnières, qui portaient des pièces de gros calibre , maltraitèrent si rudement les bombardes ennemies, que [1] Jean-Bapiislc-Louis Lécolier, né au Havre en 1751, mort capitaine de frégate retraité à Clicrbourg le 8 décembre 1814. 300 DE LA MALINE MILITAIRE celles-ci furent forcées de couper leurs câbles et de s'é- loigner du feu ; elles se retirèrent en désordre. Les frégates , embossées pour soutenir Tallaque des bom- bordes, s'étant trop approchées de notre droite, une bat- terie de terre leur envoya plusieurs bombes , dont une éclata sur la poupe de celui de (;es bâtiments qui portait le guidon de commodore. La frégate n'en attendit pas davantage : on la vit aussitôt couper ses câbles et appa- reiller avec beaucoup de peine , en faisant à sa division le signal de prendre le large. Le commandant Lécolier déploya dans cette circonstance autant de bravoure que d'énergie. §VII. Capture des corvettes le Plumper et le Teaser , près des îles de Ghausey. — 16 Juillet 1805.— Rapport du capilainc de vaisseau Jacob (\), commandant la marine à Granville, à l'amiral Decrès, minisire de la marine. Granville, le 29 messidor an XIII fl8 juillet 1805J, à 2 heures du matin. Monseigneur, J'ai eu l'honneur de vous rendre compte, par ma lettre du 27, que sept canonnières de la flottille, sous les ordres du capitaine de frégate Collet (2), venaient de prendre deux corvettes anglaises qui étaient mouillées près des îles de Chausey, à 3 lieues de Granville. [1] Louis-Léon Jacob , aujourd'hui vice-amiral , comte et pair de France, est né à Tonnay-Charente , près de Rochefort , le 11 novembre 1768. [2] Joseph Collet , né à l'ile de Bourbon le 29 novembre 1768, mort contre-amiral en activité à Toulon le 20 octobre 1828. SCR LES CÔTES DE LA MANCHE. 301 Ces doux corvclies se nomment le Teaser ei le Plumper. La première , commandée par M. G. Shwer , lieutenant de vaisseau , est armée de 10 caronades de 18 et de 4 canons du même calibre , el a 58 hommes d'équipage ; la seconde , commandée par M. J. Grantliy , lieutenant de vaisseau , est armée de 12 caronades de 18, 2 canons et 57 hommes d'équipage. Ces deux bâtiments sont doublés en cuivre, et construits depuis six mois. Leur construction est , dans toutes ses par- ties , très-bien soignée. Par ma précédente , j'ai eu l'honneur de vous informer que, le 26 ( 15 juillet ) , à sept heiu-es du soir, ayant vu ces deux corvettes mouillées aux îles de Chausey , et ju- geant qu'il ferait calme pendant la nuit , je donnai Tordre au capitaine de frégate Collet de sortir avec sa division de 7 canonnières , et d'aller les prendre. Ayant fait route , tantôt à la voile , tantôt à la rame , il s'est trouvé à deux heures et demie du matin, le 27, à portée du canon de l'ennemi , qui a commence le feu en restant h l'ancre. Les canonnières ont continué de ra- mer sur les deux corvettes pour les aborder ; mais les courants les empêchant d'approcher , elles ont été obligées de riposter au feu de l'ennemi , lorsqu'elles en ont été à un quart de portée. L'affaire a été assez vive de part et d'autre. A trois heures et demie, le Plumper amena son pa- villon. Tout le feu se dirigea alors sur le Teaser qui ripostait avec opiniâtreté ; mais un reversement de marée écartant, trop les canonnières, et les rameurs étant trop fatigués, ^^ Collet (it mouiller , et par cette manœuvre donna un moment de repos aux équipages, en se préparant à une action décisive. 302 DE LA MARINE MILITAIRE A six heures , le courani ayant un peu diminué , on leva l'ancre, et se rapprochant de l'ennemi, on recommença le feu avec une grande activité. Enfin, à sept heures et demie, étant à portée de pistolet, le Teaser , qui avait mis sous voile depuis une demi-heure , amena son pavillon. Ces deux corvettes avaient des avaries majeures dans leurs voiles et leur mâture, mais plus encore dans la coque qui était percée de plusieurs boulets à l'eau. Elles sont arrivées à Granville à deux heures après midi. L'ennemi a eu 17 hommes blessés dangereusement, dans le nombre desquels se trouve le capitaine du Pliimper, qui a eu un bras emporté et une forte blessure à la cuisse. La canonnière la 87"^ , montée par le commandant Collet, a eu sa vergue de misaine coupée, et quelques avaries dans la coque et le gréement , ainsi que les 6 autres canonnières. Cinq Français ont été blessés légèrement ; M. Collet a été atteint de quelques éclats. Quoique l'équipage du Teaser ne soit que de 58 hom- mes, d'après le rapport du capitaine, il paraît néanmoins qu'il était de 80 avant le combat, puisque chaque homme ayant emporté ses effets , il est resté environ quinze ha- macs dans les bastingages, ce qui prouverait qu'il y a eu ce nombre d'hommes tués à bord. Le commandant Collet , dont le succès de cette expédi- tion difficile fait trop l'éloge pour que j'y ajoute quelque chose, me rend le compte le plus favorable de tous les capitaines, officiers, matelots et soldats de sa division. J'ai été témoin de la persévérance , de la précision et de l'ar- deur avec lesquelles ils ont manœuvré , et tous ont des droits à votre bienveillance ; mais ne pouvant vous les nommer tous , je me plais à vous donner ci-après la liste des chefs : SUR LES CÔTES DE LA MANCHE. 303 MM. Le Maresquier, lieutenant de vaisseau, second commandant; Pastoureau, enseigne de vaisseau entretenu, commandant la canonnière n''164; Gautier, lieutenant de vaisseau auxiliaire, commandant la canonnière n'' 180; les enseignes auxiliaires Raymond, commandant la canonnière n° 88; Leredde, la canonnière n" 179; Cudenct, la canon- nière n° 90; Besson , la canonnière n" 87, et Emaimuel, la canonnière n° 422, stationnaire de Granville. Détachements composant la garnison des canonnières : MM. Lassus, capitaine, Dagueau, lieutenant , et lîoutineau, sous-lieutenant, du 44» régiment de ligne; Fabre, lieutenant, du 63^; Rocot, capitaine, et Lavigne , lieutenant, du 28« léger, et Geffroy, lieutenant, du 1<^' régiment suisse. Les chefs de timonerie Clemenceau et Baudoin , com- mandant les péniches 542 et 529 , se sont bien conduits. Le chef de timonerie Peituis , commandant la péniche n° 364, qui ne faisait pas partie de l'expédition, s'est em- barqué volontaire sur une des canonnières. Je prie V. Exe. de vouloir bien recommander ces oflî- ciers aux bontés de l'Empereur- Je vous salue avec respect. Le capitaine de vaisseau commandant la marine , JACOB. N. B. Le Teaser fut repris par les Anglais, dans la rade de Yerdon , le 25 août 1811. 304 ■ DE LA MARINE MILITAIRE S VIII. Combat du brig le Cygne. — 9 Novembre 1807. — Le brig le Cygne, de la siaiion de Cherbourg, com- mandé par le lieutenant de vaisseau Denis de Trobriant fl), étant en croisière au large de nos côtes, dans la nuit du 8 au 9 novembre 1807, aborda et fil amener un bâtiment anglais de 26 canons, à la suite d'un court engagement dans lequel l'enseigne Ransonnet (2) et l'aspirant Gauthier se distinguèrent particulièrement, en se précipitant les premiers sur le pont. Il était en train d'amariner cette voile , présumée vaisseau de la compagnie des Indes , lors- que survinrent deux autres bâtiments de même force , puis un vaisseau de 60 , qui se réunirent contre lui , et le forcèrent à abandonner sa prise avec les onze hommes qu'il avait déjh h bord. Le Cygne n'évita sa perte qu'en se tirant par une prompte manœuvre du feu croisé de ses puissants assaillants. Mais le peu de vent qui soufflait l'exposa plusieurs heures aux boulets de l'ennemi qui lui donna la chasse, et qu'il ne cessa de combattre. Favorisé enfin par la brise qui s'éleva le matin avec le flot, le Cygne parvint à gagner la Hougue dans la soirée, après avoir louvoyé pendant trois heures sous le feu d'une frégate, à laquelle il échappa par l'avantage de sa marche, [1] Le brave Trobriant , devenu capitaine de frégate , prit à Cherbourg le commandement de la frégate VJmphUrile , et se rendit aux Antilles. Il fut tué d'un éclat de bombe au fort Desaix , à la Martinique, en février I8u9. [2] Premier lieutenant du Cygne , aujourd'hui capitaine de frégate re- traité à Cherbourg. Srn LES CÔTES DE LA MANCHE. 303 et en lui ripostant, au risque de se faire couler si elle fût parvenue à lui lâcher en plein une de ses bordées. Ce que ce combat de longue haleine, si honorable pour le Cygne, présenta de plus singulier, c'est qu'il n'y eut !>tAl LAÎIARLII ^wnljffjJu Utomrirr rfe (1f«ïuf du ttinta mojtndr I» mef . ■i nio;cDnn en Jtp** r' joins DE PLUŒ.-. KBIGE GHtLEOtJCBESIL . ECLAIBS TOKNEEBE .-.. ACBOBES BORÈ.U.E» a l.11,1'2.U1S.17.13. i.a.v.*A.ioMi.n.i 1.15 10.17- 18,10'.ÎO-.SI.S(.25'.2ti.a7.W. Tuui les Jourt cicfpii! Pc s7. y.ij.i;. *.10.13.1C.18,10'30'2rM2).iiî,a7. 1,3.11.12. B98,80. S.3.t.&,0.7.8.IO.H.I9.*l.iO,2a' t.2.3M.5.6.JO,l7 1B,20,21-,a*'.3S. iil.a5.20.M. Tuui In Jours riccnU les lu. 17,31, 1,2,1217, ia.l*.l5.IO.n.1(l.î8.29. G.7.8'.e.l0,3(l. 30.23,21,27.30.31. 18.25, s.io.H.aa, I7,1y 18.41 30.07 2.3,5.tl ar.as. 0-.T.8, i].so.ai. ia.i3.i7.iB,32*.a«,î7.2e.w. SEPTEMBRE ii;,os n.ii 18,1» 4.5',0.7.8.1*.ie 4l 2I,£! 2r. Sl'.ia 7-8,35. 3.11,12. *.9.IO,l5,3t,S7.*8, 18.17. 11.18.19,20.20. n,7* 13.08 ■ ô,18 10,50 NOVEMBRE. DECEMBRE BESOME GÉNÉRAL 20.2e. 1iM5M6'.lB.1I 13.1710- l , i-ï' .*- 5 '6 J*' ,9- . 10. 1 1 . 1 2- 1 m' .2û,2r.ii.2t,iS-i6.a7-.ï Touî Im Jour!. . , . 15.10.17.31 iTi.at.»'. r.4-.3-.l,5.0.7J.9.11,H.3i,i3±l, S6.«.^ 30. Tmi le* loun , . . 11,12,13.1 !■ .21 l'.ïî.ffl- lil0.n.l8.1'J.2l.i-,. .8.1U.17. 18.31. Î9-,J ■.ï.9.19. I3.15.16.ai .AU. 1 t.17,ao.î5,aa.57■■ IoUl . . T«m . ToUl . Toul . Toul . Total . Toial . Total ■ ToUl . OBBERVATIOHS. La ' Indiquent, mi ipu I iloleadéabDDiUaw.Miio, « t>r«uilU"l > tié fpiU. « iMIedi aa irn-fort. 5,6.10,ai.3C.î7 1 0,11. SI. 25.28.30. lÂ.lt.15. îa.16.17.11 Les répétitions de la même date , dans chaque colonne, indiquent que le vent a va- rié, dans les 2i heures, au- tant de fois dans sa direction moyenne (|ue celte date est répétée. TABLEAU PRÉSEWTAKT LES OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIODES FAITES A CHERBOURG PENDANT LES DOUZE MOIS DE L'ANNÉE 1839, ANNrtE 1B39 JANVIER fXVHIER MARS AVRIL MAI JUIN JUILLET AOUT 1 SEPTEMBRE. OCTOHRE NOVEMSRC. DECEMBRE HESCME GENERAL. OBSERVATIONS IhuWurs 11101 cnnci fm'llf" >lu li.ii"int"t il'" 0 h. 11» iiiollli O.IIHHI 3 II du toK n.-fti i' 0 II. ifu «o>r n.Tni»7 ii:70-->"a o.ia-iW (1,76 tm 0,7V---. 0,7:*t%m O.Î'àtKT. "■ï'"h o;70ï87. ",T51T: i'.7,ifiy i>,7-.911 ' '7:.M7 n'.iâiii Il.73;i37 li!759ia 1 Ttmp(t»l utM ni«,;07 O..VJ 3:72 ll),7 10,13 i3,o:. 13.31 18:7!) 9,21 iiilui. 9,S* 12,13 7,1» 7.3j 7.92 fi,7T 9.00 1,23 ■ lïM I3,T1 10.51 ■ 15,3U 7,:W Lrs'IodIquciil, ouqueb le brouillard a tit a- rl«, Jint let ai heures, «a- UuldorolsdantMdlreftlon JOUIS DE PLUIE ! - - VE-ST BROUILLARD I - KEllîtf' TOMIilii AUHiiULM.i'iii ui- l.i3.4,S.07.«,ll.til3,H,l«20. il .ai a5,a).î8,29. Tou. In J-or» ii.n. *,s.2fl.*;w.7-i,:.l, 1. M. e.t'.ai,i-,.3ll.27.ïH. ■*«.:- i,--i (..T.ifl, iH.5Mi,7J.ii.io,n.iiisH.iO. iai'iaO',ii.ii',î3.4S-ï7 Tout Ira lourt. Iii.ïl,Sl. ISliJ.n.f7. 0,1 1.li.l3,l*. 15.10-17, 18. 19.20. a ,i!.a3.2l.aà.ïr.2!}.3o.r.r , Tou»lejioor»(>iccri1élcl2.*i. 2l,ai.ï7.î8.30.r.l. 0,17 lï -jn. l,S.V.U.7-9.ll.l2.n;.n.18*.2l.^. ■r..ii. Tous la iDun eicept* le* *(-3i, Tout les jourt eicTM* 1" i ,3 J.au. j.n.7-13.17,in'.il' 21 ïO.Î7,ïï8-S9. M,3r, is,n,ir. :io'" 1 -.Ï-S- 1 >î.7 a. m. 13.1 1.15.10,17,18. lB.îu.2i.ïi'-ii.î5,aii.îr. Touitcijourïeicepiélcyi. 1,7,11. 1Ï.13.1*,1V.10' 17.19.30. 1 17vl5l7.l8.S5-27, 1 1- l-'.ifl-i,.-'ï 8.0.1(1.1(12.17-18.19.20,22.23.21. 35.20,27,28,29.30,31. Tous letiuurt ùvxpii \a 1.5.0-16. I.2.3-.VG,T.9.19.22. 7 0,11.14 15.1(1. 18.20 23-ili.27.-29. 30.51-, Tuu( lei JouM eitepl* Iw 2l.a5-a9- 1.7..24-.2V,a8--,0, lli.l8.1U IG.lS- 12'.7.' l,5,t,7-10,11.13.14.l5.1l).I7 18-10.20.21 .22-23.21,2j.-20 27.28.2« Tous les JouTï 0,!l.-10Mr2l.2D. 1 17 i9.20,21. 19,-2» i.3.1,5 0,7.8.9 10' -11. Iî.l4.1i.n. 1 B.->0.43.M.55.aa.27. ï8,29--30.31. Tous IM jours PiceplO le» il .S. 0.13 14 10.17.19.31.22 as Tou»l«joun«cïpWlai,i3. l-.a,»,9,13-.14.13,il.4V29,30. a7i. 5.10.1 1.12.13 i4.i6M8.ir.au.ar. 2a.a3-.a4.23.a(i-.af7-.2M,3o.3i Tow IM )""« I*.a.3M,a.(î.7,«,H)Ml.ia. 10.17.19 10.21. 2;,a!i,5i. S.3.(l.7.0. 11.14. Il iai3.i-,2i:iil Tolll . roiti . . Tolel . . Toisl . - Taial , Tolal . Toi al . Tolal , . . . an. . . . su. . . 103. 5. ', 33; : îl OuîiulKd'MulotnbW.dooDécrpmlinmilrct, ; l-cudw«tlrr l.l«* B B- 18 iu-d« t3< dritgt du nlvMU moito ta la tncr . Trmpitîlutpi tnO)fnii(« cil ilrpr(j ccnllgriJei. JOURS DE rtUlE, VIST . . BnoiDLLARD . . GEL£e NEIGE CHtLE OU CntSIL .... ECLAinS.... Tl^^^El^RE Al'ROHLSUOaËALEâ.. JAPiV lEB p Tûi'O M 3 V ilu •'Ht *oir 0 111171 .._3,1.0,l3,ti,li,10l7.1H.lO.M, si,sa a3.at 2i' .ao.srj-.îBaaJoJi. Tuui kl Jicrt . ■ 0.7,8.0.10.11.12 11,13.13.14,18.30.31. 1', 3 0,30, a.i5.isvjw.a3.avs7-.i; 1.10 tu- ^l-.âZM I Ctlmirouni a.3 1*,6.67,H-0.IO.I2 1t.I5.10 1T1H Tou( Ici [ours ciccpKlc 10. 0.9.14. l&.ia.t7.tR.a5.SAi». 10.20.2I.ÏÏ.23.21.25.2C ill .21.2». 6.7,H.1U.20. 1,3- 13. a-.o.ii lin 10M315. 3 tl.t3.l5.IO3i3f.27.303l. Toui kl jouri Mccp[£ le 13. 1.3.4.7',8'.0.tO.M.lB.S8'.30. i.5.e.s. ia.a3.!G. 10.15.18,20.31.31-. 2.3- 8.0 ll.l7.10.2i-,iT.« Tou» lu JouH cicepitf Ici 10.12. 13.15,18.10.23.23.30. 2S1314,2l.33,i5-.30-. 1 1 2J.ÎC *J7. î'. 8,0. 10. 10^ i 1 11,18.27 i» *.0.7.8.0.11,12' Uli.làlG 19. Tous leijourtciroplé Irtfl.l3.°9 31. 1.2 5 0.0*10.11 I.1;B28' Lif. 0 10'Î2.13 li 10 11.17.18.10 iJ.Î8.iW 30 8.20 10.13.20.21 22 6.13. 19 20,31 ■lû.l 2 5.11 0.l2.U.15.16.t7.18.tO'.2l. 22 23.30. Tou) Ict Jauti ciccpiiï Ici 1.5.8. 1,3.3.1.5.8.78.9.12.13 17 18 19 20- 21 .2253.2» ■.25 211.27.23,29.30. Tous Ici ]«uri ncepit Ici 13.15.29. 6 8.10 20 21 B!l0,11.13,lS1C.n20 3O. 1 18 . ï 3,7.13 .lE.lO* .30.21 22.33.30 SU. 0.701 7C 0.70(50 0.76135 0,76110 lu 1 1.12.1 3 1 4. 10. 17. 1 e. 19.21 .22 25.26.27. Tous Ici jDurj ciccpliï tu 3,6.7 20. 21.20.2728 0,7 S. 12. I9.20.2l *.23.24.2ï.2a.27 l.i4.0.7 8 13.14.15.10.18.10 20. 0.7G08i 0.70005 0.7G0DU 0,70113 1-3.0.20. ri.l2.13.l0- 19 22.2 0.18.20. 10 11 15.17-21.27.* t.2,21.27,28 29. 10. 4.7.8.B.30.30 SEPTEMBRE 1.2.3.1.5.7.9.10.11,13 14.15.10.20. 2r.22.23.2t.20 28-.29,30. Toui Icijourt eiieptil le 0 G 1V.a3,2»,28, 9 20 28. 2.3.4 10 l3,lO-.2l--2i.a5.27.28-29. 0.70->9t 0.70211 0,76102 0,701!» 1.3.4,50.16.17.11 Toui les louri . 2.0.7.13 l3M5,ït 8.9,1013- 14.29.^.30.31. NOVEMBRE. DECEMBRE RESUME GENCBAL 0BSEBVAT10M9 0.7UCIJ1 OJUWjI U,7aK13 0,7CGStl r.l3 4.5.0.7,8,0,19,11 '.13,13, 14, 15.ia',17.l8.lll.2tJ.2|-.£),3u, ToD* Kl joun ciccpid le 3. I.a7,i«.li>.ll.iit0.2n.' Toiu Ici jouri eiccpU 4.0.l3.18,33,3t.2j*.i0,: 7.B.13.14.1fi,10.n.l8,œ il,2i,ÏUI. I» 25.^. !7i«a,îJ'.3i. ToUl . Toial . Toial . Toi al . Toipl , I 3,1 5.i;, 13.15,17, î.l3MS,ï).3o • U'S.O.IU.M.IO- IT.îl Si.K). I8.:î1, 14. SS.28.27,S8, r.3,5.1!.t6'.18,S8. .5,7 8.15,10.17 i. l,7.9.'l,30 a. 13.13-1 BM!l 11.14.43,27. I0',l8,ai. Lm' lndli|ueiil, ou E1utva^i««bonilBnli!. : broulNinl a '16 (V cnQn quB te vint n i!' tlolcDl ou liiîi-rori- LMrfptlIllontdc hm^mc dstcdsni ctiaiiae catoiiaF. Indiquent que le «ni a ~- tit. dinilei2t hcurei, llnl de toli diDi u direci muTenDo que celle dûic ilftjrll^UJl(3 îa'^ ^yfw. .^Za^^ncc^^ne. QUANTITÉ d'eau tombée pen- dant le mois O»" 14563 0, 06212 0, 0154 t\ OBSERVATIONS. Le baromètre est élevé au-dessus du niveau moyen de la merde 11m 43 L'élévation de l'udométre au-dessus du même niveau est de Sm 18 Les observations hygrométriques n'ont pu avoir lieu, pendant ce mois, parce que le cheveu de Tins trument a dû être changé. OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES MOIS Janvier. FÉVRIEU. Mars. Avril. Mai. Juin. Juillet. Août. Septembre. Octobre. Novembre. BAROMETRE de Guay-Lussac moyenne rju mois à midi. jsscQ^^^s^na:?^ THEBMOMC, Je ce baro mètre moyenne du mois è midi. 0™ 76112 1 7» 4 0, 76108 0, 76939 0, 764914 0, 76108 0, 76547 0, 76373 0, 76238 0, 75952 0, 76369 0, 76146 DÉCEMBRE. I 0. 765341 6, 88 7, 14 12, 19 15. 05 17, 54 17, 35 18, 71 15, 31 12, 84 10, 26 4, 63 JOURS du mois. 1 11 11 THERMOMÉTROGR AP » de Bunten. 28 4 29 18 21 3 15 13 10 24 1 16 14 6 2 27 1 17 maximum. lô" 3 13, 4 15, 8 23, 2 23, 1 27, 5 26, 8 27, 5 27, 3 21, 5 18, 6 11, 4 — 4° 7 — 3. 2 — 1, 6 + 0, 6 + 3, 8 + 7, 7 JOURS du mois. UYGROMET. a CHEVEU et Ihermom. de l'hygro- mètre. maiiimum. d'humidité. 960 3 Th. 7, 8 9, 3 6, 4 4, 3 + 0, 2 — 11, 7 15 31 21 98,3 7,0 22 25 99,0 12,1 10 18 99,0 7 6 21 95,0 15,0 % 15 95,0 16,0 26 10 96,5 15,4 4 12 97,0 15,1 15 9 98,0 13,2 21 29 97,7 7,0 8 99,2 3,5 minimum d'humidité. 42» 0 Th. 13,2 67,0 12,3 67,4 21,7 67,1 13,4 60,1 25,9 54,5 26,3 67,0 26,1 66,0 19,0 70,7 18,3 50,8 11,7 75,0 - 1,0 QUANTITÉ d'eau tombée pen- OBSERVATIONS. dant le mois 0" 14563 Le baromètre est élevé au-dessus du niveau moyen de la mer de 11» 43 L'élévation de l'udométre au-dessus du même niveau est de Sm 18 0, 06212 Les observations hygrométriques n'ont pu avoir lieu, pendant ce mois, parce que le cheveu de Tins Irument a dti être changé. 0, 0154 0, 000 - 0. 0303 0, 02215 0, 0861 0, 0691 0, 0814 0, 0650 0, 02039 0, 064125 0. 661715 obde PIT^ vRi: OCTi ,.15.1<4-.25. 28-. urs e ;2'.23 t. ;.é les •.7. 8. 9. il'' 2.23.24VS jours. RÉSUMÉ G ÉNÉRAL 0,7ri926 O,7o887 (),758!)7 0,7504!) 11,46 12,61 13,40 10,09 14,86 7,35 Total . . . . 261. Total . . . . 52. Total . . . . 15. Total . . . 9 OBSERVATIONS^ Les ' indiquent, ou que la pluie a été abondante, ou que le brouillard a été épais, ou enfin que le vent a été très- violent ou très-fort. TABLEAU PRÉSENTANT LES OBSERVATIOWS MÉTÉOROLÛGIOOES FAITES A CHERBOURG PEHDAWT LES DOUZE MOIS DE L'ANNÉE 1841 . l'Ail LP rAMTAlMi UE VAIsMi.\i; I.AMARI.IIt . ""■"' '"' JANVIEU rl."VHIER ni A RM AVRIL 1 AI AI JlIN 1 JCILLET AOUT SEPTEMBRE OCTOBRt novi:mbhi: DECEirtiinr ntHUMt (lÉNKllAl onsrnvATioN»' ,:'Sï5EHH!r-''-" M 1^1 0,7^4 :ilid OpTir-i 0,7sino 0,7!18W 0.71931 0,751187 0.7WVJ 0,70010 0.76irô I),70ï7r, n,7«3M U,70l«l fl,7«.-il o,7a>âi 0.701 ea 0.70013 0.7<113,1 0.701*7 0,7818-, 0,70153 n;75762 0,7MÛT 0.7S33t 0.7.V31n o,7M-.7 0.7Ml% (i,7MWl (i,7,%7ltll i ijun lo litoiilllsiil n M tftt\f. ™ fliiniMtuola Vfnliimf >i>~< violciil nu iiAi,riirl. (I41e.illni>l>,', li|^7 il...-. 1(1,-1 10.70 18, U lj,6'i 10,7m i8.'3:i 1U,17 ii.U7 '"■-■■' l'^lI^ It.ïU N,iO \i'M 7.01 10.71 7,31 H,!l 8,(fl (J.!Hi 7,M 11.111 ll,i>l n;*« 10,111) HK-i 7,na i p==::: i.i.3i.n. 10,11. it.i3,iiiE,ia-.n-. iN,iii.«,oaft.i».ïT,»,iV),ii. Tuua In Jeun cicPpU IbïU, 7.H,»7.ïn.V» l).7.»,".ll, 4.^,u,l>.lO,tO. M,n,fl.n,ni,io,«t.it,ii. a,o,7.s,u.ii,n,is.iOMfl.in.to,pi«lf aj. 5.1î,î5ï0'. 19.CT. 5.Ï7. 5.(,.7.B,ii.l9,affi.tf.i iCi;. Touj lu Joun ctc«pi«ltil.î*. 1.9.10, I.3.j.0.7jj,u.n).n.i2.r..l4.i:.,i», ^ 10-20-.it.lH.r;,Sl.a7.28,30.3l. Toui IM Joar). , l.a.3M-.5.«-.4V. a-.3-.4.&.u.7.».U,10'.11.1213.n.l5. 101 7.SO.ïl.!tl.S,ll,3A.ïO,2».3 1 . Tout let Jour* 23.30 2T-.aa'.2a' 2,3,4.5-.7n,l3l,V, 15,21 .W,2;-,2). Tout Ici Jour» lOit. 3.13. 3.1-.. 1 -.f, (.f, f.tM .t,',!». 1 1.1 1-1 M 1,1 1.U IT.1l,l(.<«.n.ll tl' Il IMV IMI l> *■ Tou) Im ynr* nu.ii.Ht3.ii,ib,t7.iN',tu,an-.Bi !U-,O9t.l0,in,lM'.«0-.30 Tout loi Jour* S.4.!i.0-.T.a.lT, 16.17. lS,t!l. 10.17.41, 10.»1, 'it.wli«,ii.ii-.'ti,it.ti.i*.ii,i*.iit' Tout Iw Jout» l«,ïT. 17.18, lU. 3,10.18.10,25. ft.fl M. Tolil . , ToWl , . Toinl . . . ToUI . . . Toiol , . . Toiiil . . . Tuinl . . . T"iiil lUl, ta. 1) S4. IT. »mo.B»nii.« -i^lSi .„.„ (.(wio-. • I.T.I: o.itOO. 0,13'.fi( „,.„„•. .i.m:.k:,. toinl . 1.43Ï3J. 1 sis.o. i (i'.h!(i. loati(iùleteni«*l*M4.io,ii.33.aa,!n l.T.iSJÙ). 2.1) i:t.lii.lO. io.as.n 3*11.17, 1M'>, l!,10 11. Ï8 3.B.|0,ai.ll.30 «1. li. I„-, 10.30 1.Î.0.7.0.11,1V18,2U.>S 10.17.1Bg7, S8.11.Ï9 2r;.W3l IS.SO.iU. 3,«l li.2I. i3.nA. so.iâ.^- (i.l 3.1 8.1 tl.Sl .-0.27 ■«. l,6.14.«.S»,3o. 3.1.13. l.a.3,16, 6.10.1t. 7.8. U. t&& 17, r>.24, 13.1(1,18 I.i2 13. 13.13.IH.».âU. S.IB,21.Î3. 1, 0.7.8.10. 11.12.15.1 H. 2i2T,3B. 11,41,11,50. 3A8.I4.3). 17. I4.2V s" ï'. IH. 13.16. 3.5.7.8. ia,]:Li4.20.iai.2ï 2.1,D.U.I&.l(>.n.lH. 1.H.II.IÏ. 22.21.2'.. 8,23.28 4 18.30, SI 19. 13,1» w.ao. 3.6. lit, 13.21,iS- lQ.it. 15,17.25. 2..3.3.0.8.1 3, IO.9a.2T.29.ait.3a. 7,n 4.10,12. 12. 1. 10.11. 3,0,12.90. 9.10.18. in,ai, 1.50 n.i7. l.a,âi,25. i,s.a,7.io.n.i0.i0«,»t.3i. e.ll.17.20 28.10.12.13 15.l6.19.ll.31. 3(1. 1,37. M8.29. 20. 13,4 ao. 3 4,ïl 0,8. 15. m. 17. 10. M, 18,1fT,ï8,ï« W, ï.8.ll.ll.10.n.ïl),'ll,M.!il 1, in. n. 18, 111, u.ia.i5.n, 1.2,7.13.10.11. »3, 11, tllMA 94. 3,0.7.11. 14. 4,517.16,30, Ï.18 0,*), 1,17. 1,10. r,.io,ll.I4.|(Ml,tl.in.«7,38. 3.4,11.13. 0.7.10,1 l.l4,IO.IT,tl.l&. 17 .18, ri.i8,ifl,2T.«>. îî:,.. iH.aii. H,lB.io.in. Tolil r«i»i ToUl Toial . , . . Towl Tatil .... ToUl MW Total .... Tllllll .... ToWI .... Tolll .... Tuml . . , TnUI . , . , 49. 90. TO. 21, 33, H. 111. 1,1. Ut. III. «T. 1». 3 t. 17. 10. amhra iJe (ouri e(i le civl • «lé^ '^"*l«> a.T,i),io,ia.iMo.».ai,as.M.4ito. ïiù.ihiu,!». j n.io.ii.ia.i6 :t.l.B.lT,iH,tj».diâ.'i0.n. i.t&.o.i.nttio.iQ.ai.ït.'iAao. 30.31- ii,£,G,(l,lt.tï.lO.|T,l0.3i.lT.tt.29, 1.3.4.7,0.10,11.13. H. l8.*>.SI.»i.' 13 15. IJ.7.8.9,tO.ll.l0.l7,lB.M).23.a0. Î.3»«.1i.ll.l9,2l.?t21.2i, J 3,7.0,10.1 1. n.l4.|6.18.l'J,-l. ïi,i3/i5.ao.rï,ifâ,3o.ai. i,i6B.)i.is,»,.3).irf 7.8,10.13.1 4.15.10.17. lH,10.1t.ai;. 20.31. t.2.3 l.aO.B 11.1i.2U i1.^,e3.1j. li.C.7,89 12.14.13.1020.31^23 '2431 3.4,510 11 13.17.1«l5.« 27.28,». I2.I7.IH.90. 1.^.3.0.8.0.1011.14.15.111.1821. a.*i,îi.ao.ia.ï9,3msi Ja.4.1i.(1.7.tl.ll01I.H.IVt*t5 i7.Bi.é.c.aiaj.îo.27,to, Tulnl 170. m. les 120, .4.7^4. 51. ous J.ll 28, ,27j Total Total Total Total Total Total Total Total Total 189. 357. «7. 1-2. M. 35. 33. 10. Les ' indiquent, ou que la pluie a été abondante, ou que le brouillard a été épais, ou enfin que le vent a été trcs- violent ou très-fort. TABLEAU PRÉSENTANT LES OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIOUES FAITES A CHERBOURG PENDANT LES DOUZE MOIS DE L'ANNÉE 1842 , , l'AK LE CAP1T.\1NE DE VAISSEAU L,\MAm,IU Aivnli: 1H«3 JANVii:n itvatcn MAB» AVRIL MAI 1 JUIN 1 JUILLET AOIIT HEPTEMBHE OCTOBRE niOVEMUHi: DI.CIItlIlllE nEBiiiMl- (ii:pii-nAL OIIHEUVATIONH '011 ifciiot ilii (ilVMU imitri'ln (n mrt. MMI 0.1li\:i J II ^(1 Mit (I,7«M1 u II. ilii *>.lr li,Tll il,75iï7 ii.TnntT o.iimi .1,11)171 u,iiiun llIlOlWI ,lui'ô'ni«h''..i''Mi.i,,.i'.'','.l.'''n>ii. olituiiiii.^..! r.i D[illn' ïlol( 1 l-ri l^iritiKliniunitlolBrDAino lalo.itini ctmae Dofoam, nilli|uaiii nm[Hirnlurrt mùjctift <-» ili^Bi't rrnilK'*tlot . . U(i. JumoHii i;hi jii.illliolr ilt'll Cli.UUWIr 1.01 .i(i.i7,W(,w, iv.un.«i.a7.iu.ei.?ii. 3.n.7.N,U.t(l.ll. 19.11. s.1.ft,n.7.ti.»i,i0,is. iMi.T.8,ii.iaiH.in.9a.». ï i,0.7J*,1l it. «.m **.»»•.«&. «J.a7',ï«-. Ton» Ut )iiur<. tt.6Att.W.W.». ». 3.ÏI.1IT. I,-/.r.,(,7e.U.I0.tl,)î.l3.1*,1[i.lT. Toui l«t Jourt, HM&MO-.at.a» I11.W. r.ï.n.i.a.ix.lsiij'jj. Tout IM Joort eictplt lu ».». 23-30. ». [..0.7 ».II.IO.*).il.ïi î3.ai,î5, M,Î7. TWUlMjOlKl. 14.15 10.18.30. W.3I. is,u.nt.aj.ïi,a.î3.st,âS.:.o-. t0.1l,lî.lïU3<.l. M.ît. 5.à.7.8,yMi.|8,l0.2u.±» Touitujoan 13.15.1P.i!I.3(.9l} 5,6,7.10 19 l«,i1-ij,ï*.i-j,2a.30.51 l0.lil0.ât.îS. i,7 8.'J.l(H7,i8iliai«r.lv.st. âs-.aa'.XT.a8.2?.3u. TOUllMlWJM a.s\o.i6.sj'. 2U. 7.ii î2 al,23, *;.'»- 7.-2i,ii.aj 1,3.1 7.8.18. 10.a).fl',ï3. '■»■»■*}■ Tnuitalourt 3,1.11,13,14.18.30.11. ai.«8, 21 î7 29, 3.4. MI.7 .0.10,11.13. 14-, 15. m-.»)', ui,«.t3,H.io.n-.«<.su, Tout Ici lOttM 18. 17.1». 4.5.0J3.II. «3. 1,11 U.IU.17,lH,ttl.«),1ll.âl.l.3.lV TouiliMiûutioiceiiUtlDin,», a.3.4,li.0-,TllM().H, 111,1». «i.M,!n. Tul.1 . . Taïai . , roiii . , Toini . . TaUl . Tnl4l . , omi , , Tolil . . ■njui . , ■ 3m; 07, '. \ II! . . M, '. io! l 'ml m lit If D iiIhi) o h- ih aii-ilciiut ilu niveau nBKmlolimcr, Fllouit nu luIA ao milieu il'iin jatdliiAl- D.lll^U IU11« (MV-H. ...... li.itiil ,M„* .,,.,, o.iii; n.iLnii ,.,,.,.„ ip,. 4-C.2(l. 5,C.7,B,IOM!!.l8an£L 4-.'l0.». «.31. ».1U. 3-.8I 8.15M7 l.tC*.»7.1B-- n.ii. is n.n 17 i.3.s,o.iu.ao.ït. itl.U, i!,y.eMo,i--, 0!i.af,ssv 4.ia.i7-v^, 13, I3-. 1 a* M -1.18.20.27 .«.W-W. f,l&,1U,m. 5,8' 10- 18- ir,.au,28, 2!LSI. Ml.St. I8.i5. 18. 11i.«)-.3|-.îVa?I' U.IS. 14.'»- I.3,4.5«.ll.lï, ï. 11,7.1 3, 16-.IU.17 inV 17, I.H.U.IO.IO.W. 10'. 11.11»,U.11.IO.t31iï5.2'J.M,Vl. a. «(.«■.«1. 8, »' *Jl,0,7,te-, tOM7. ï -..lin. 17- i.tft. l7MH-«tt3,»l,i-.,1».*], 2ii;i0'.r.i».3l, IHMU.»),ït,ïi',in, 510-. 4,31Mr, Tolll . , tOlBl . . Totil . . ToKl . . Tolll . . Tolll . . ' alal . . ToUI . , ' OUI . , Tami . . OMI . - Sîîl:: Towl , , ToMI . 3tl, : S; «7. . Al. et. 31. 7. 15. 13. 6*. *».■ . 10. 5. 1 n.ti.i:. 1 UK.K. / "■ / lt.S.K It.R, 77. «■. 22 r( a".B-. I0-O.11- tAT. 7,l0-.l8,9r.ï0 îo'-n- fi.i;. œ';j:.'.T"^'r.^'.'' '..'■* &.. ù. ta, ::) M. 6, 18, B. 4, 18. 0. 15, 15, tv. m. 3, la lï. ( Kl, iii! Vy » " ■ ) m: I FOLDOUT BLANK ?1I»I i i r