HARVARD UNIVERSITY LIBRARY OF THE Museum of Comparative Zoology MEMOIRE N° 12 ERUE URAULAUES ÉTAGES DEN MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ GÉOLOGIQUE DE FRANCE PALÉONTOLOGIE MÉMOIRE N° 12 ÉTUDE SUR QUELQUES CÉTACES DA MHOCENE PAR V. PAQUIER PARIS LIBRAIRIE POLYTECHNIQUE BAUDRY ET C", ÉDITEURS 45, RUE DES SAINTS-PÈRES, 19 MAISON À LIÉÈGE, RUE DES DOMINICAINS, 7 1894 MAR 25 1895 ETUDE SUR QUELQUES CÉTACÉS DU MIOCÈNE PAR V: PAOUTER” INTRODUCTION Les dépôts tertiaires du bassin du Rhône et du Languedoc ont fourni quelques débris intéressants de Cétodontes et de Squalodontes fossiles, d’après lesquels plusieurs paléonto- logistes, particulièrement Paul Gervais, ont établi un certain nombre de genres et d’espèces. Aussi, avant d'aborder l'étude des deux formes décrites et figurées plus loin, ne sera-t-il point sans quelque intérêt de trouver l’énumération de ces restes. On verra que s’ils présen- tent une certaine variété de formes, les pièces un peu complètes sont excessivement rares et qu’à l'exception de Squalodon bariense Jourdan sp., et de Schizodelphis sulcatus Gervais, la plupart des espèces et même des genres ne nous sont connus que par des dents isolées ou des fragments de maxillaires. LISTE DES SQUALODONTES ET CÉTODONTES RECUEILLIS DANS LE BASSIN DU RHONE ET DANS LE LANGUEDOC. I. ARCHÉOCÈTES. FAMILLE DES SQUALODONTES. Squalodon Gervaisi VAN BENEDEN. Ostéographie des Cétaces vivants et fossiles, Beneden et Gervais, p. 434, PI. XX VIII, fig. 12-12a. Une dent rompue peu après le collet et triradiculée suivant Gervais. Sables pliocènes de Montpellier. Squalodon barriense JOURDAN SP. Ostéographie des Cétacés, p. 435, PI. XXVIL, fig. 8-9. Crâne entier et portion de rostre rencontrés dans la mollasse marno-calcaire de Barri (Drôme) et actuellement au Museum de Lyon. (1) Ce travail commencé sous la direction de M. Depéret, à Lyon, a été en partie rédigé au Laboratoire de géolo- gie de la Faculté des Sciences de Grenoble, dirigé par M. Kilian. 6 ÉTUDE SUR QUELQUES CÉTACÉS DU MIOCÈNE Squalodon Vocontiorum DELFORTRIE. Actes soc. lin. Bordeaux, t. XXIX, p. 257 avec fig. Une dent de la mollasse de Taulignan (Drôme). II. CÉTODONTES. FAMILLE DES PHYSETERIDÉS. Physeter antiquus GERVAIS. Ostéogr. des Cétacés, p. 329, PI. XX, fig. 9-12. Plusieurs dents et un morceau considérable de maxillaire inférieur droit. Sables du Pliocène inférieur de Montpellier. Hoplocetus crassidens GERVAIS. Ostéogr. des Cétacés, PI. XX, fig. 26-27, p. 340. Deux dents provenant de la mollasse de Romans. Hoplocetus curvidens GERVAIS. Ostéogr. des Cétacés, p. 340, PI. XX, fig. 25. Une dent trouvée dans les sables pliocènes marins de Montpellier. Physodon Lorteti DEPÉRET. Vertébrés miocènes de la vallée du Rhône, p.276, PI. XII, fig. 50, in Archives du Museum d'Histoire naturelle de Lyon, t. IV, 1887. Une dent trouvée dans la mollasse de Châteauneuf-d'Isère. FAMILLE DES ZIPHIIDÉS. Ziphioides indéterminés. Ostéogr. des Cetacés, p.518, PI. LIX, fig. 4 et PI. XXI, fig. 44. Deux dents isolées de la mollasse miocène de Saint-Rémy et de Bouc (Bouches-du- Rhône). FAMILLE DES PLATANISTIDÉS. Champsodelphis acutus (GERVAIS. Ostéogr. des Cétacés, p. 487, PI. LVIIL, g. 2. Fragment de mâchoire supérieure. Mollasse de Romans. ÉTUDE SUR QUELQUES CÉTACÉS DU MIOCÈNE 7 Schizodelphis sulcatus GERVAIS. Ostéogr. des Gétaces, p. 504, PI. LVII, fig. 3-8. Un crâne presque entier trouvé dans la mollasse de Cournonsec (Hérault) et divers débris rencontrés à Vendargues, la Vérune, Poussan et Loupian dans le même département. Schizodelphis planus GERVAIS. Ostéogr. des Cétacés, p. 507. Fragment de maxillaire. Mollasse de Romans. FAMILLE DES DELPHINIDÉS. Delphinus restitutensis DEPÉRET. Vertebrés mioc. de la vallée du Rhône, p. 281, fig. 7. Espèce connue par un fragment de mandibule. Mollasse calcaire de Saint-Restitut. A la suite de cette liste, je présente en les accompagnant des remarques qu'elles suggè- rent, les descriptions de deux pièces nouvelles recueillies dans le bassin du Rhône. La pre- mière est le type d’une espèce nouvelle, la seconde permettra, par son examen, d’arriver à une connaissance plus complète du genre Squalodon. Enfin, en terminant, j’exposerai, sur la phylogénie des Cétacés, des vues auxquelles semble conduire l’étude des formes fossiles et vivantes. SCHIZODELPHIS DEPERETI sp. nov. Pin fe tet:2 L’an dernier j'ai recueilli dans les carrières de Chamaret (Drôme), ouvertes dans les der- niers bancs de la mollasse burdigalienne, un rostre de Platanistidé assez bien conservé et presque complet. Aïdé des précieux conseils de M. Depéret qui, avec une bienveillance dont je ne saurais trop le remercier, a bien voulu me recevoir dans son laboratoire et y mettre à ma disposi- tion les ouvrages nécessaires à cette étude, j'ai pu comparer cette pièce aux formes déjà décrites. Elle montre nettement àla mâchoire supérieure les trois sillons caractéristiques du genre éteint Schizodelphis, Gervais. Sa mandibule offrant également le sillon latéral caractéristi- que il ne saurait y avoir de doute sur la détermination générique. Les Schizodelphis décrits dans le Miocène se répartissent en trois espèces : Sch. planus Gervais, caractérisé par l'étroite union de ses prémaxillaires qui se présentent sous l'aspect 8 ÉTUDE SUR QUELQUES CÉTACÉS DU MIOCÈNE d’une bande continue ne montrant qu’une vague trace de soudure ; Sch. canaliculatus H. von Meyer, dont les prémaxillaires nettement distincts sur la ligne médiane recouvrent presque totalement les maxillaires, et enfin Sch. sulcatus Gervais, qui est la forme dont le Schizodel- phis de Chamaret se rapproche le plus. Toutefois, les différences sont suffisamment accen- tuées pour autoriser à voir dans ce Cétodonte une espèce inédite que je me fais un plaisir de dédier à M. Depéret dont les remarquables travaux sont d'un si précieux secours pour les études paléontologiques et stratigraphiques de la série tertiaire dans le bassin du Rhône. Le crâne de Schizodelphis de Chamaret est tronqué à la hauteur du sphénoïde et près de l'extrémité du rostre. À cause de la fragilité de certains os, la face inférieure n’a pu être déga- gée, par contre la face supérieure a été préparée d'une façon safisfaisante et c'est par la des- cription de cette région que je commencerai en prenant pour terme de comparaison Sch. sul- catus. De ce rapprochement j'essaierai enfin de dégager les caractères spécifiques de Schizo- delphis Depereti sp. nov. Sphénoïide. — On ne reconnait guère que la section du corps du basisphénoïde ; quant au sphénoïde antérieur, on en voit l'aile antérieure droite et un large trou qui semble repré- senter la fente sphénoïdale. Ethmoïde. — De l’ethmoïde on ne voit que la face antérieure qui présente une crête médiane assez marquée, élargie, séparant les évents et les délimitant dans leur région postérieure. Cette cloison se termine vers le haut par un tubercule près duquel devaient se trouver les deux os nasaux. Jugal. — L'un des os jugaux est conservé dans sa partie antérieure. Il se présente du côté gauche avec une section elliptique, de 5 mm. de grand axe et il vient s'unir au maxil- laire au point où celui-ci commence à s'étaler sur l’apophyse sus-orbitaire du frontal. Maxillaires supérieurs. — Un profond sillon sépare jusqu'au premier des trous repré- sentant le trou sous-orbitaire, les prémaxillaires des maxillaires qui sur ce parcours sont à peine en contact. Dans la région antérieure du rostre la face externe est très développée puis le bord externe en s’écartant progressivement de la ligne médiane se relève peu à peu, de telle facon que la face supérieure s’accroit au détriment de la face externe jusqu'à l’éta- lement sus-frontal, région malheureusement absente. Chacun d'eux montre deux des trous dont l’ensemble équivaut au trou sous-orbitaire ; l’antérieur très développé marque la fin de la gouttière caractéristique des Schizodelphis ; le second, plus réduit est au niveau de la base du rostre. Vu par sa face supérieure, le maxillaire supérieur offre un bord externe de courbure à peine indiquée, depuis la région antérieure jusqu'à environ 13cm. de l'élargissement sus- frontal où ce bord change d'allure et dessine une courbe de concavité tournée vers l’exté- rieur Chez Schisodelphis sulcatus, l'élargissement du rostre s'effectue très régulièrement de la pointe à la base, sans présenter de rétrécissement basilaire; de plus, peu avant de s'épanouir sur le frontal le maxillaire offre parallèlement à son bord externe une saillie longitudinale qui n'existe pas chez Sch. Depereti. ÉTUDE SUR QUELQUES CÉTACÉS DU MIOCÈNE 9 Prémaxillaires. — Les prémaxillaires s'accroissent progressivement de l'extrémité du rostre à leur base, sans rien offrir de comparable à l'expansion que l’on observe chez Schizodelphs sulcatus, et en particulier la région comprise entre l'évent et le trou sous- orbitaire antérieur montre un élargissement tout-à-fait insignifiant. Leurs bords internes entrent en contact à une distance de 107 mm. du niveau du trou inci- sif gauche, de facon à laisser voir l’espace occupé par le cartilage sus-vomérien. Un profond sillon, ainsi qu’on la vu, les sépare des maxillaires jusqu’au trou sous-orbi- taire antérieur ; à partir de ce point il cesse à peu près complètement, mais le bord externe du prémaxillaire est nettement surélevé par rapport au maxillaire. Enfin, le trou incisif, assez développé, se trouve sur le parcours d’un sillon naïssant de la face externe de l'os incisif, un peu en avant du trou sous-orbitaire antérieur et se dirigeant obliquement vers le bord externe. Chez Schizodelphis sulcatus, les élargissements des prémaxillaires dans leur région basi- laire sont au contraire très développés et spatuliformes ; d’autre part, leurs bords internes se rejoignent plus loin de la base du rostre que chez Sch. Depereti. Cette dernière espèce mon- tre enfin un bord prémaxillaire externe surélevé dans sa région basilaire et un sillon oblique en rapport avec le trou incisif, tandis que la forme de Cournonsec n'offre rien de comparable. Évents. — Les évents sont dirigés assez obliquement en avant et très développés ; mais l’état de conservation des surfaces osseuses qui délimitent leur pourtour ne permet pas de préciser la part qui revient à chacune de ces parties. Toutefois le bord antéro-latéral était sûrement constitué par les prémaxillaires et la face postérieure et interne vraisemblable- ment par l’ethmoïde seul. Mandibule. — La mandibule est assez bien conservée. Sa face inférieure étant engagée dans la roche, il est impossible de connaître le point où se fait la symphyse, qui d'après ce que l’on sait sur les Platanistidés, devait occuper une assez grande longueur. Sa section antérieure montre nettement les deux sillons latéraux signalés par P. Gervais, mais le sillon médian a complètement disparu, de sorte que rien ne décèle l'existence de la symphyse. La diagnose du genre Schizodeiplus doit donc être modifiée relativement au sil- lon symphysaire qui chez les sujets adultes, ou même chez tous, cesse totalement au moins dans la région terminale du rostre. | La branche gauche présente le condyle en partie conservé ; il est assez arrondi et placé très près de l’angle inférieur de la mandibule. Il en naït un bombement longitudinal qui se perd par atténuation à environ 0 m.22. Ce renflement trahit la présence du canal dentaire largement ouvert à l'arrière, chez tousles Cétodontes. Au dessus de lui et au niveau des pre- mières dents, débute une dépression longitudinale, vague d’abord, mais qui va ense retré- cissant vers l'avant du rostre, en même temps qu'elle s’approfondit et n’est autre que le sil- lon latéral mandibulaire. L'échancrure sigmoïde est peu marquée et l’apophyse coronoïde, nettement indiquée, se montre déversée vers l'extérieur. La gouttière dentaire commence à 0 m. 15 environ du condyle. Les dents sont malheureusement toutes brisées au collet ou absentes ; une seule est con- SOCIÉTÉ GÉOLOGIQUE. — PALÉONTOLOGIE. — TOME IV, — 20. MÉMOIRE N° 12. — 2. 10 ÉTUDE SUR QUELQUES CÉTACÉS DU MIOCÈNE servée, encore sa pointe est-elle cachée dans le maxillaire supérieur. Son collet mesure à sa base 6 mm. de diamètre et sa couronne parait comprimée latéralement. Les alvéoles assez profondes et bien individualisées se dirigent vers l'arrière ; on les voit à l'extrémité antérieure de la mandibule. ASYMÉTRIE L'asymétrie, chez Schizodelphis Depereli, est observable, sans être toutefois très marquée. Elle est particulièrement indiquée par la légère déviation vers l'extérieur du prémaxillaire gauche qui se surélève également plus que son homologue de droite. L’évent gauche montre une section ovalaire dont le grand axe est plus long que dans l’évent droit. Enfin, le trou incisif gauche est plus éloigné de l'évent que le droit et, dans le même sens, le trou sous-orbitaire antérieur gauche est plus rapproché de la base du rostre. COMPARAISON DE Schizodelphis Depereli AVEC Sch. sulcalus A cause de l’état de conservation du crâne de Chamaret, ce ne sont trop que les prémaxil- laires et les maxillaires qui permettent une comparaison avec la tête osseuse de Cournonsee et un examen, même rapide, montre de notables différences. Schizodelphis Depereli s'éloigne de Sc. sulcatus par l'allure du bord externe de son maxillaire qui d’abord, à peine curviligne, devient vers la base, nettement concave ; de plus il y a chez lui absence totale de saillie parallèle à la région externe de cet os. Les prémaxillaires vont nous offrir à leur tour des caractères distinctifs plus nets encore. En effet, par l’absence d’épanouissement de leur région basilaire qui s'élargit faiblement et graduellement et surtout par leur convergence hâtive peu après le trou sous-orbitaire anté- rieur, les prémaxillaires de Schisodelphis Depereli se différencient nettement de ceux de Sch. sulcatus qui s'étalent dans la région nasale et ne s'unissent que plus près de l'extrémité antérieure du rostre. Enfin, on peut remarquer, sans y voir toutefois un caractère de premier ordre, que la comparaison des parties conservées dans les deux types fournit une diflérence de taille d’un tiers en faveur de notre espèce dont la longueur totale devait dépasser trois mètres. COMPARAISON DES SCHIZODELPHIS AVEC LES PLATANISTIDÉS ACTUELS Les Schizodelphis appartiennent, ainsi qu'il a été dit, aux Platanistidés, groupe dont les principaux caractères sont de présenter un rostre fort allongé et des vertèbres cervicales libres et relativement assez longues. Cette famille n'est plus aujourd'hui représentée que par des animaux de taille assez réduite qui, en chétifs descendants des grandes formes marines tertiaires, sont cantonnés dans quelques grands fleuves des régions chaudes. ÉTUDE SUR QUELQUES CÉTACÉS DU MIOCÈNE 11 C’est d’abord le genre P/alanista, du Gange, qui mesure environ deux mètres et dont les maxillaires supérieurs constituent par leur apophyse conchoïde un casque d’étrange aspect ; puis le genre Znia de l'Amazone, avec ses larges et massives apophyses zygoma- tiques et enfin le genre Pontoporia de la Plata, qui mesure à peine un mètre. Ils se relient d’ailleurs aux formes miocènes par de curieux types de transition sur lesquels je reviendrai plus loin. Des trois genres actuellement connus, c’est le Pontoporia qui se rapproche le plus de nos Schizodelphis. Les sillons caractéristiques qui séparent les prémaxillaires des maxil- laires s’y montrent avec un développement aussi considérable que dans notre genre ter- tiaire. La région postérieure de la mandibule jusqu’à la naissance de la gouttière dentaire offre de part et d'autre une notable ressemblance ; la région antérieure diffère seule chez les Schizodelphs par son léger cintrage longitudinal ; en revanche le sillon mandibulaire latéral se retrouve avec la même disposition chez le Pontoporia. Entre le Schizodelphis et le Pontoporia se placent un certain nombre de formes qui per- mettent de suivre quelque peu l’évolution des Platanistidés à travers la fin des temps tertiaires. Ce sont d’abord les singuliers types du Crag d'Anvers qui nous montrent l'allongement et surtout l’amincissement du rostre portés à leur maximum. Parmi eux le genre Priscodel- phinus se rapproche assez du Schizodelphis ; l'allure générale des étalements maxillaires est la même ; le rostre diffère par sa plus grande ténuité, moindre, il est vrai que dans Eurino- delphis chez lequel cette partie, quoique mutilée, offre encore 63 cm. de longueur pour 21 cm. de diamètre antéro-postérieur crânien. Dans la Formation patagonique, se rencontrent les restes du Pontistes qui associait la plupart des caractères du Pontoporia à une taille plus considérable. A en juger par ces données, notre groupe a été représenté pendant le Miocène par des formes marines d'assez forte taille, à rostre allongé ; le Pliocène a vu ce dernier caractère s’exagérer et atteindre son maximum. Une réduction a dû se produire peu après et à l'épo- que actuelle nous trouvons cette famille appauvrie et amoindrie. Ses représentants ont dé- laissé l'habitat marin pour les eaux douces et cette dernière adaptation, à en juger par cer- taines observations, pourrait même ne pas être étrangère à l’atténuation de leurs dimen- sions. REMARQUES SUR L’ÉVOLUTION DES PLATANISTIDÉS Les Platanistidés sont les plus anciens Cétodontes connus. Comme on l’a vu, les genres Schizodelphis et Champsodelphis s'ébattaient déjà, pendant le Miocène inférieur, dans la mer mollassique. Une rapide étude des formes actuelles montre que les vertèbres de la région cervicale toujours libres, ont le corps peu réduit en longueur, et, de ce fait, la nageoire se trouve placée à une certaine distance de la tête, tandis que chez les Physétéridés, elle s’en rappro- che bien davantage par la réduction et l'union des cervicales. Ainsi se trouve réalisée une disposition très avantageuse pour la natation et qui est d’ailleurs offerte par les Poissons où la ceinture scapulaire s'insère sur le crâne. Cette immobilisation et ce raccourcissement de la région cervicale indiqués chez les Del- 12 ÉTUDE SUR QUELQUES CÉTACÉS DU MIOCÈNE phinidés où les premières vertèbres sont souvent soudées, se voient également chez la Baleine qui montre les cervicales réduites et unies, tandis que les Mysticétes anciens, tels que les Plesiocetus possèdent un cou relativement long et composé de vertèbres libres, dis- position conservée chez les Balénoptères. Or, on peut remarquer à ce propos, que les genres Physeter et Balæna ne sont jusqu’à ce jour connus que depuis le Pliocène. De plus, tandis que les Platanistidés actuels, tels que le Pontoporia et surtout le Platanisla, ne nous offrent que trois phalanges aux doigts, les autres Cétodontes en montrent en général un plus grand nombre et il semble que ce soit là, avec l'indépendance et la dimension des vertèbres cervi- cales, des caractères de moindre adaptation comme il est naturel d’en rencontrer chez les types anciens. Si enfin, avec P. Gervais, on remarque que leur. cavité cérébrale est de médio- cre capacité, il résulte de l’ensemble de ces faits que les Platanistidés qui sont les premiers Cétodontes connus, en sont également la forme la moins spécialisée, comme il y avait lieu de le penser, et en représentent le type le plus primitif qui nous ait été conservé. SQUALODON BARRIENSE Jourpax sp. ET ESPECES VOISINES Squalodon barriense JOURDAN, SP. PI. II, fig. 1-10. Au Museum d'Histoire naturelle de Grenoble, on conserve une tête osseuse de Squalodon, en assez bon état, quoique tronquée obliquement à la hauteur des évents et en avant, au niveau de la troisième paire d’incisives. Ce fossile provient des carrières de Saint-Paul- Trois-Châteaux, ouvertes comme on le sait, dans la mollasse calcaire burdigalienne (Miocène inférieur). Par l'allure générale de son rostre, la forme de ses apophyses orbitaires, la confi- guration de sa mandibule et jusque dans ses détails, il se rapporte parfaitement à la descrip- tion et aux figures de Squalodon barriense Jourdan sp., données par Jourdan, puis publiées par le D' Lortet (1), à propos du beau crâne trouvé à Barri (Drôme) et actuellement au Museum de Lyon. Ces deux pièces se complètent d'une fort heureuse manière et leur rapprochement va per- mettre d’arriver à une connaissance assez exacte de la tête et de la formule dentaire de Squa- lodon barriense ; il sera également possible de préciser les caractères du rostre, mutilé dans l’exemplaire de Lyon, et enfin de détacher de cette espèce les formes que certains auteurs y avaient rapportées. Par une préparation longue et délicate j'ai pu dégager le bord alvéolaire du maxillaire supérieur et de la mandibule. J'en ai extrait au davier les dents qui par leur racine présen- taient quelque intérêt, de façon à les figurer à part. Enfin, j'ai préparé la gouttière interma- xillaire qui permet de connaitre exactement la forme et les dimensions du cartilage ethmoïdal. C’est donc une rapide description de cette pièce que je vais présenter en l’accompagnant de quelques observations sur le genre Squalodon et plus particulièrement sur le crâne ren- contré à Bleichenbach (Basse-Bavière), et décrit par M. K. Zittel. (1) Archives du Mus. de Lvon, t. IV, p. 315, PI. XXV bis et ter. ÉTUDE SUR QUELQUES CÉTACÉS DU MIOCENE 13 Frontal. — On voit une section du frontal antérieur ; l'apophyse sus-orbitaire droite est seule en bon état. Le contour de son bord externe et aussi sa configuration l’identifient avec le type de Jourdan. Sphénoïde. — Le sphénoïde antérieur se présente en:section ; il est assez mal conservé. Temporal. — L'apophyse zygomatique est séparée, et assez conforme aux descriptions qui en ont été données. On voit également une section de la caisse tympanique dont un bord, vraisemblablement l'externe, est fort épaissi, tandis que l’autre est assez mince et brisé. Maxillaire supérieur. — Les maxillaires supérieurs, presque intacts à leur extrémité antérieure, sont rompus au niveau des évents; l'étalement sus-obitaire droit est seul con- servé. Leur bord externe, jusqu'à l'extrémité antérieure, est très régulier ; par suite le rostre se rétrécit graduellement depuis la base jusqu à la canine. Sa partie terminale cons- tituée par les prémaxillaires seuls devait s'étaler légèrement. Ce bord externe du maxillaire montre à sa face interne des dépressions destinées à loger la pointe des dernières molaires, puis sur sa région extérieure se voient des dépressions beaucoup moins accentuées, cor- respondant aux prémolaires qui se portaient vers le dehors. IIS offrent vers la base du rostre quelques-uns (trois à quatre) des trous représentant le trou sous-orbitaire. Prémaxillaires. — Les prémaxillaires, conservés sur la même longueur que les maxil- laires, sont assez semblables à ceux du type de Barri; l'élargissement à l'arrière présente le même aspect; il montre également une dépression longitudinale peu profonde, cessant au trou incisif bien développé ici. Leurs bords internes, assez excavés, délimitent une cavité sus vomérienne très vraisembla- blement remplie chez le vivant par un fort cartilage ethmoïdal renforçant le rostre, plutôt que par une matière grasse, comme le croyait Jourdan. Cette gouttière, au niveau de la pre- mière paire de molaires offre 27 mm. de profondeur. Mandibule. — La mandibule est rompue à la hauteur des canines. Elle se montre tout à fait pareille à celle du crâne de Barri; son condyle est légèrement endommagé ; à peu près à sa hauteur s'observe un renflement longitudinal, accentué, il est vrai par l’écrasement, qui décèle l'existence d’un canal dentaire très largement ouvert à l'arrière, comme chez les Cétodontes. L'échancrure sigmoïde n’est pas discernable et l’apophyse coronoïde l’est à peine. A l'extrémité antérieure la persistance d’une scissure symphysaire nette se fait remar- quer tout comme dans le crâne de Bleichenbach. Dentition des maxillaires supérieurs et des prémaxillaires. — Le prémaxillaire droit a conservé une seule incisive, la troisième, quoique brisée un peu au-dessus du collet. Par suite de sa rupture à ce niveau, ce crâne est le seul qui, à ma connaissance, du moins, montre l’origine profonde des racines des incisives, et il est aisé de constater que, contrairement aux assertions de Gervais, il y a bien lieu de distinguer avec P. Van Beneden, des incisives et des canines, chez les Squalodon. On voit en effet, avec la plus grande netteté 14 ÉTUDE SUR QUELQUES CÉTACÉS DU MIOCÈNE sur la section du rostre les longues racines arquées des incisives contenues tout entières dans les prémaxillaires, tandis qu'un léger accident durant le cours de la préparation m'a permis d'observer la racine de la canine complètement logée dans le maxillaire. La canine droite, malheureusement brisée vers la pointe, montre une assez forte proclivité et devait surpasser d'au moins deux centimètres la première prémolaire. Les quatre prémolaires offrent une couronne peu épaisse, à deux tranchants, dépassant le bord supérieur de la mandibule sans le toucher. Les deux premières se dirigent à peu près verticalement, les deux dernières se portent très légèrement vers l'arrière. La dent qui succède à la quatrième prémolaire doit être considérée comme la première molaire quoique par sa forme elle réalise le passage entre la prémolaire et la molaire. En effet, l'apparence plus trapue de sa couronne (fig. 8) qui se porte nettement vers l'arrière, l'existence d’un tubercule émoussé à la base de son bord externe m'’avaient déjà porté à admettre cette assimilation, quand j'ai pu dégager le bord alvéolaire jusqu'à sa naissanee. J'ai mis à jour, à sa suite, deux molaires suivies de quatre alvéoles vides ; il s'agissait done bien là de la première des sept molaires supérieures que possèdent tous les Squalodon con- nus jusqu'à ce jour. Quoique la pointe de celte dent s'engageàt dans le bord mandibulaire, à l’aide d'artifices, j'ai pu l’extraire de son alvéole; sa racine m'est alors apparue netteinent biradiculée, comme le montre la figure et la présence de ce caractère a dissipé mes dernières incertitudes. Les deuxièmes et troisièmes molaires, cachées en partie par leurs homologues de la man- dibule sont recues à leur sommet dans des cavités du bord mandibulaire interne. À leur suite, s'observent les alvéoles vides, mais assez nettes, des quatre dernières molaires. Dentition de la Mandibule. — La canine droite a été seule respectée. De même que chez les incisives sauvées de la destruction et la troisième prémolaire inférieure gauche, sa couronne est rompue assez irrégulièrement près du collet et les arêtes de la surface de frac- ture sont fort émoussées. Gervais qui avait fait la même observation sur d’autres pièces con- sidérait cette disposition comme dûe simplement à l'usure. Il me parait plus vraisemblable d'admettre que ces dents ont été brisées par l'animal en saisissant les corps durs et que dans la suite, la surface de rupture s'est peu à peu aplanie, quand par l'usage, les arêtes vives se sont émoussées. A la suite des canines s’observent quatre prémolaires dont la longueur et le déjettement vers l'extérieur vont en décroissant de la première à la quatrième, tandis que le diamètre an- téro-postérieur de la couronne décroit de façon à ménager ainsi une transition entre la forme élancée de la dent uniradiculée et l'apparence plus étalée de la dent biradiculée. La deuxième prémolaire (fig. 3) offre le long de sa racine une dépression médiane qui s’accentue chez la troisième (fig. 4) dont l’ivoire, sur une section transversale, affecte la forme d'un 8. Quant à la quatrième (fig. 5), elle est particulièrement intéressante par la façon dont elle réalise le passage des prémol/aires aux molaires. La dépression longitudinale observée sur les faces latérales des prémolaires précédentes, s'observe ici, très développée et aboutit, à27mm. du collet, à un dédoublement en deuxcourtes racines semblables entre elles et très peu divergentes (l’une d'elles est malheureusement brisée). Ce sillon longitudinal qui va en s'accentuant, de la première à la quatrième prémolaire n'est autre chose que le vestige de la disposition biradiculée ancestrale, et le Squalodon nous montre par quel mode s'est effec- tuée la substitution d'une dentition hétérodonte à une dentition homodonte. ÉTUDE SUR QUELQUES CÉTACÉS DU MIOCÈNE 15 Les molaires mandibulaires sont au nombre de six paires ; leur infléchissement vers l’ar- rière va en s'accentuant de la première à la sixième ; le raccourcissement de la couronne et son élargissement antéro-postérieur s'effectue suivant le même mode. La première (fig. 6), légèrement dirigée vers l'arrière, montre la disposition biradiculée à environ 20 mm. du collet. La deuxième n'offre rien de bien remarquable ; sa couronne s'élargit en se raccourcissant et se porte davantage à l'arrière. C'est seulement à partir de la troisième que s’observe l'apparence festonnée à cause de laquelle fut créée par Jourdan la dénomination générique de Ahizoprion. Cette couronne montre deux festons. La troisième molaire en offre deux également, peu marqués encore. La quatrième nous en présente trois assez usés. La cinquième (fig. 7) de taille bien inférieure à sa voisine montre également trois festons bien développés. Enfin la sixième manque, mais son alvéole vide, parfaitement conservée, témoigne de sa présence. Les molaires mandibulaires sont donc au nombre de six paires seulement. On peut éga- lement remarquer qu'immédiatement en arrière de la dernière molaire mandibulaire se trouvaient au maxillaire supérieur les deux dernières molaires. Cette disposition s’observe également dans le crâne de Barri et autorise à lui attribuer également sir paires de molaires à la mandibule et sept paires au maxillaire. Jourdan, il est vrai, avait déjà indiqué ces résultats, basés toutefois sur des considérations qui le conduisaient à admettre de 24 à 26 paires de prémolaires. D'ailleurs le crâne de Barri privé de ses dents à partir de la quatrième paire de molaires ne lui permettait pas de préciser sur ce point. SQUALODON ZITTELI sp. xov. Squalodon bariense, JOURDAN SP. Z1TTEL. (Palæontographica, t. XXIV, p. 233, PI. XXXV, 1875). Sous le nom de Squalodon bariense Jourdan sp., M. Zittel a décrit longuement et figuré un crâne de Squalodon rencontré à Bleichenbach (Basse-Bavière). Le rostre est com- plet, la dentition est passablement conservée; seules les parties latérales et basilaires du crâne font défaut. La formule dentaire en est la suivante : 3 { 6] = 4.- C. - DM. 1/ mn. ob 7 o La présence de cinq paires seulement de prémolaires à la mandibule, l'existence d’un trou à la base de l’ethmoïde sont interprétées comme des indices de la jeunesse du sujet, par M. Zittel qui conclut en imposant à Squalodon bariense la formule dentaire suivante : SRI 7 = CO UD EU - A TURN et au genre Squalodon tout entier : DH MAONS | SIC EI EU. 0 Pol I Remarquons en passant que l’on ne voit pas trop pour quelle raison le nombre de mo- laires doive être le même au maxillaire et à la mandibule. L'étude de M. Zittel, remarquablement conduite et d’un grand intérêt, soulève toutefois quelques objections à propos de la désignation spécifique imposée à l'animal qui sy trouve - décrit. 16 ÉTUDE SUR QUELQUES CÉTACÉS DU MIOCÈNE Si l’on compare le crâne de Bleichenbach avec celui de Barri complété par le rostre de Gre- noble, on s'aperçoit immédiatement que le spécimen de la basse Bavière a le rostre propor- tionnellemént plus long, plus mince en son milieu et plus large vers la base. En effet, la dis- tance du bord externe de l’apophyse orbitaire prise en son milieu au plan de symétrie prin- cipal, est de 138 mm. chez le type de Barri et de 100 environ pour celui de Bleichenbach ; ces deux pièces seraient d’après cela dans le rapport de 1,58 à1. Le rapport des distances du trou incisif à la crête occipitale est très peu différent : 220 m. à 160 mm. soit 1,37, mais celui des diamètres des rostres à leurs bases 56 mm. à 66 mm. soit seulement 1,16. Le rostre de Bleichenbach est donc proportionnellement plus fort à sa base. Le Squaludon décrit plus haut est de taille un peu inférieure à celle du specimen de Barri; les rostres ont à leur base les diamètres respectifs suivants: 140 mm. et 144 mm. La longueur du maxillaire, mesurée à partir du bord orbitaire antérieur, est de 435 mm. dans le sujet de Grenoble ; elle est de 425 dans celui de Munich, ce qui donne pour ces deux os un rapport de 1,021 à 1, bien différent de 1,38 trouvé précédemment et qui dénote dans l'espèce de Bavière un rostre notablement plus long. Ce rostre était également plus mince vers son extrémité, puisque le diamètre mesuré au niveau de la terminaison des maxillaires est de 60 mm. dans le spécimen du Museum de Grenoble et seulement de 40 dans celui de Munich, soit pour le rapport de ces deux dimen- sions 1,5 au lieu de 1,38, trouvé pour les dimensions du crâne. Le rostre était donc plus long et plus mince quoique plus large à sa base. D'autre part, l'allure et la composition de la dentition ne sont pas semblables. Le Squa- lodon de la Basse-Bavière possède une cinquième prémolaire, caractère qui suffirait déjà à le distinguer ; de plus ces dernières dents sont fortement proclives tandis que les molaires sont sensiblement verticales, disposition différente de celle qui à été décrite plus haut. Enfin, la dernière molaire maxillaire est plus rapprochée du bord frontal que dans le type de Barri et cette apophyse orbitaire moins excavée présente également une région antérieure plus large et plus arrondie. Ces différences dans la forme de l'apophyse orbitaire qui s'étale plus que dans le type du bassin du Rhône, jointes à celles qu'offrent les rostres à leur base, auraient pu à elles seules faire douter de l'identité spécifique qu'a admise M. Zittel. L'ensemble des différences que je viens de relever me parait suffisant pour autoriser plei- nement une distinction spécifique en faveur du Squalodon de Bleichenbach. En conséquence, je propose pour lui la désignation de Squalodon Zitteli sp. nov., me faisant ainsi un plai- sir de le dédier au savant paléontologiste auquel il a fourni le sujet d’un si remarquable mémoire. Quoique voisin de Squalodon barriense, il en diffère, comme on l’a pu voir, par son rostre plus long et plus grèle, ses apophyses orbitaires plus arrondies, l'allure générale de la dentition plus proclive et la présence d'une cinquième paire de prémolaires au maxillaire supé- rieur. Dès lors la reconstitution du crâne de Barri avec celui de Bleichenbach cesse d'être admissible, et la figure du traité de MM. Steinmann et Dôderlein, représentant l'association en question et reproduite dans différents ouvrages, cesse de se rapporter à Squalodon barriense pour ne plus s'appliquer qu'à un Squalodon imaginaire constitué par le eràne de l'espèce française et le rostre de l'espèce bavaroise. ÉTUDE SUR QUELQUES CÉTACÉS DU MIOCÈNE 17 REMARQUES SUR LA FORMULE DENTAIRE DES SQUALODON Les Squalodon dont on connait jusqu’à ce jour les formules dentaires sont les suivants: Squalodon Antverpiense Van Ben., dont la formule dentaire est suivant P. Van Beneden: SL 4 7 3 V2 ï C n pm. 3 m. Squalodon barriense Jourdan sp. qui nous fournit : Sn pl 4 d EAN Ce OR QE Et enfin Squalodon Zitteli Paquier qui offre: ah au gl > 7 On voit qu'il s'éloigne de tous les Squalodon connus par sa cinquième paire de prémo- laires maxillaires. De l’examen de ces formules, et en considérant avec M. Zittel le nombre réduit des molai- res de la mandibule de Soualodon Zitteli comme peut-être dû à l’âge peu avancé du sujet, la formule dentaire du genre Squalodon doit s’écrire : HA -4 7 © } I © | = | à COMPARAISON DU SQUALODON AVEC LES PLATANISTIDÉS ACTUELS Parmi les Platanistidés actuels, le Plataniste lui-même, serait d’après certains auteurs, la forme représentative du Squalodon qu'il rappellerait par l’allure générale de ses dents et par la longueur de son rostre. Et en effet, la dentition différenciée, du moins en apparence, du Dauphin du Gange, dont les dents antérieures, nettement proclives, revêtent la forme de crocs, tandis que les postérieures plus obtuses mais toujours uniradiculées, rappellent légè- rement les curieuses molaires biradiculées étudiées plus haut, semble être une réminiscence de la dentition du type éteint. Toutefois, cette analogie est assez lointaine. Les crocs du Squalodon étaient constitués par les incisives et les canines, tandis que ceux du Plataniste sont tout au plus des prémo- laires et des canines ; de même ses molaires postérieures ne possèdent ni festons ni double racine. Il se pourrait donc que cette ressemblance s’expliquât plutôt par une communauté de régi- me qui aurait déterminé chez ces Cétacés une convergence de forme. En ce cas, le Squalodon aurait été an piscivore. C'était vraisemblablement un robuste destructeur de poissons qu’il pouvait happer avec son long museau, retenir avec ses redoutables crocs et trancher avec ses molaires à couronne festonnée et il semble qu'il ait quelque peu tenu dans les mers tertiaires la place qu'avait laissée vacante l'extinction des grands Reptiles marins. SOCIÉTÉ GÉOLOGIQUE. — PALÉONTOLOGIE. — TOME IV. — 21. MÉMOIRE N° 12. —8. 18 ÉTUDE SUR QUELQUES CÉTACÉS DU MIOCÈNE REMARQUES SUR LA PHYLOGÉNIE DES CÉTACÉS Sur l’origine des Cétacés, on a émis différentes théories qui pour la plupart, ne tiennent pas assez compte des multiples affinités de ce groupe; aussi sans avoir la prétention de pré- senter une interprétation plus vraisemblable, je formulerai toutefois quelques remarques sur ce sujet à propos des Archéocètes. Tout d’abord, il est aisé de voir que l'hypothèse qui porte à considérer les Cétacés comme les descendants des Hydrosauriens ou des Pythonomorphes, ne repose guère que sur des déductions tirées de la nature monophyodonte et homodonte de ces animaux et sur les ana- logies qu'offre la structure de leurs os et de leurs membres avec ceux de ces grands Reptiles. Dans une prochaine note, j'essaierai de montrer quelle est la valeur de ces ressemblances et combien peu vraisemblable est le résultat de leur interprétation. Qu'il me suffise ici de faire remarquer avec M. Baur que les plus anciens Ichthyosauriens, les Myxrosaurus du Trias ont le membre fort peu modifié tandis que la complication et le raccourcissement de cette partie vont en croissant à mesure que l'on s'élève dans la série des terrains, puisque le Sauranodon du Jurassique supérieur offre une disposition tout à fait singulière, dans laquelle l'humérus fort réduit est suivi de trois os au lieu de deux, correspondant au cubitus et au radius etqu’enfin chez le Baptanodon du Crétacé la transformation est telle qu'il est difficile d'y distinguer les os de la jambe de ceux du tarse. Cette réduction du membre, en corrélation avec les modifications de la dentition qui dis- paraît assez tôt chez le Baptanodon, indique une évolution parallèle à celle des Cétacés et il y a vraisemblablement lieu de conclure avec M. Gaudry que les Ichthyosauriens dérivent d’un type terrestre à membre normal dont ils sont une branche récurrente. De son côté M. Seeley,guidé par des considérations de même ordre a conclu, pour l'origine des Plésiosauriens, en faveur d'ancêtres continentaux. Enfin, M. Dollo voit également dans les Pythonomorphes des Lacertiens adaptés à la vie aquatique. Ces faits montrent qu'à tous les âges les formes marines de Vertébrés ont constitué des séries parallèles dont les caractères communs s'expliquent par un phénomène de convergence et qui offrent une évolution analogue à celle des Cétacés. Ils nous enseignent en outre que de cette adaptation est résulté un développement plutôt rétrograde que progressif, ce qui rend tout à fait improbable, chez des Reptiles, pendant l’Eocène, la fixation hâtive de caractères de Mammifères — caractères qui se seraient rapi- dement perdus par la suite. Les Cétacés sont donc, en quelque sorte, les remplacants des Reptiles marins, bien plutôt que leurs descendants etils en ont pris la place au sein des mers, tout comme les Mammi- fères terrestres se sont substitués aux Reptiles sur les continents. De nombreux auteurs ont considéré les Zeuglodontes et les Squalodontes comme établis- sant un passage entre les Carnivores et les Cétacés et en eflet,ces fossiles paraissent ménager une transition entre les Carnivores et les Cétodontes. Le Zeuglodon bien qu'on ait voulu, en Angleterre, en faire un Ongulé qui par convergence aurait acquis une dentition de Carnivore, est généralement considéré comme un Carnivore adapté à la vie aquatique et présentant notamment des os nasaux bien développés, les vertèbres cervicales longues et libres. Son ÉTUDE SUR QUELQUES CÉTACÉS DU MIOCÈNE 19 membre antérieur, quoique déjà modifié pour la natation, est constitué par des os assez longs, l'articulation du coude existe et les doigts qui n'ont pas perdu toute mobilité, n'ont pas non plus de phalanges supplémentaires. Nos Squalodon, dont on ne connait guère que le crâne, montrent d’une facon indiscutable l'association de la tête osseuse des Cétodontes à une dentition de Carnivore chez lequel les molaires sont déjà plus nombreuses que chez le Zeu- glodon, et si l’on fait abstraction de la dentition différenciée on y trouve tous les caractères des Platanistidés, jusqu’à l'asymétrie qui s'offre là pour la première fois. Toutefois, pour admettre cette descendance, il faut supposer qu'à une dentition différenciée s'en est substi- tuée une homodonte. Ce remplacement, inadmissible pour quelques-uns, a dû en tous cas exiger une longue période. Or, le Squalodon qui se rencontrerait dès l'Eocéne supérieur en Amérique, est miocène en Europe, et c'est également dans le Miocène inférieur, que l’on a recueilli les plus anciens restes de Cétodontes. Il semble alors impossible, de l'avis de certains auteurs que les Cétodontes puissent dériver d'animaux dela forme des Squalodontes. Mais cette difficulté cesse si l’on considère le Squalodon, non plus comme l'ancêtre des Cétodontes, mais plutôt comme une forme autorisant à concevoir l'existence d’un groupe plus ancien qui aurait associé à des caractères de Carnivores quelques-uns de ceux des Cétodontes. Il ne serait alors, en l’état actuel de nos connaissances, du moins, que le dernier de ces êtres dont il aurait été le représentant attardé pendant le Miocéne, conservant toute- fois dans sa dentition des indices de son origine déjà lointaine, et si nous avons pu avec assez de vraisemblance présenter le Pontoporia comme le représentant et peut-être même le des- cendant des Schizodelphis, il est plus difficile de se prononcer sur sa postérité. Toutefois, en admettant que ce genre ne se soit pas purement et simplement éteint sans descendants, com- me il arrive fréquemment pour les formes intermédiaires, la singulière dentition du Plata- niste pourrait peut-être constituer un titre à cette succession. Dans ce qui précède, je ne me suis occupé que des Cétodontes, et en effet, bien que l’or- dre des Cétacés soit en apparence assez homogène, on est surpris des différences qu'une étude même superficielle révèle entre les Cétodontes et les Mysticètes; elles sont telles que P. Van Beneden et P. Gervais ont judicieusement fait observer qu'elles ne laissaient entrevoir aucune forme de passage dans la nature actuelle et pas davantage parmi les fossiles. Sans insister sur ces différences, on peut toutefois dire que les caractères des Cétodontes dénotent une organisation plus élevée, comme par exemple le volume de la masse cérébrale et que certains caractères d'anatomie les rapprochent des Pinnipèdes et plus spécialement des Phocidés. Si les documents paléontologiques nous ont fourni des données sur les ancêtres probables des Cétodontes, nous ne connaissons rien de semblable pour les Mysticètes. Le plus ancien d’entre eux dont le crâne nous soit connu est le Cetotherium du Miocène. Assez voisin des Balénoptères il nous présente déjà les caractères des Mysticètes actuels dont il ne diffère que par sa plus grande longueur. Ces Cétacés avaient donc, dès le Miocène, acquis l'ensemble de leurs caractères. A cette époque, le type Cétodonte était tout au plus individualisé et à côté de ses représentants vivaient des genres qui comme le Squalodon montraient encore des caractères nets de tran- sition. Il ne me paraît donc en aucune façon avoir pu donner naissance aux Mysticètes dont il différait au moins autant que les Cétacés à dents et à fanons de l’époque actuelle diffèrent 20 ÉTUDE SUR QUELQUES CÉTACÉS DU MIOCÈNE entre eux et, à en juger par ces faits, nos deux Sous-Ordres proviendraient de deux souches différentes. Depuis longtemps déjà, Hunter, puis plus récemment Flower et d’autres,ont mis en lumière une série de particularités d'organisation qui sembleraient rapprocher les Cétacés, surtoutles Mysticètes, des Ongulés. Si ce rapprochement basé, il est vrai, sur des analogies qui n’ont peut-être pas la valeur que l'on se plait à leur accorder, est fondé, les Cétacés à fanons qui se sont différenciés bien avant les Cétodontes, dériveraient peut-être d'Ongulés primitifs, à caractères peu tranchés encore; certains d’entre eux en auraient conservé les cinq doigts quoi- que la majorité n’en offre que quatre et leurs caractères d'infériorité s'expliqueraient par leur plus grande antiquité, puisqu'à l'époque où le type Cétodonte était tout au plus réalisé le type Mysticète qui est cependant plus profondément modifié avait déjà fixé les caractères que nous lui connaissons. Depuis, ces deux groupes notablement différents à leurs débuts, s'étant l'un et l’autre adaptés à l'habitat marin auraient acquis par convergence un grand nombre de caractères communs qui donnent à l'Ordre tout entier son apparence d’homogénéité, mais dans lequel un examen même sommaire fait saisir maintes particularités qui semblent trahir la diversité de provenance. Cette double origine des Cétacés ne serait d’ailleurs pas aussi surprenante qu'on pourrait le croire. Tandis que certains naturalistes ayant plus spécialement en vue les Cétodontes, attri- buaient aux Cétacés une parenté exclusive avec les Carnivores, d'autres considérant plus par- ticulièrement les Mysticètes, faisaient dériver l'Ordre tout entier des Ongulés et M. Küken- thal, quoique partisan de cette dernière manière de voir, a admis deux souches d’Ongulés pour expliquer précisément certaines de ces divergences d'organisation. L'hypothèse que je viens d'émettre, sous toutes réserves, n’est assurément pas à l'abri de la critique ; les Cétacés vivants sont loin d'être parfaitement connus et l'étude des fossiles n’est pas encore très avancée ; j'ai donc été obligé de suppléer parfois à des lacunes ; toute- fois il me semble que cette interprétation de conciliation, en quelque sorte, toute hasardée qu’elle puisse paraitre, a l'avantage de tenir compte des différentes affinités des Cétacés et de respecter l’âge des fossiles ; enfin elle permettrait d'expliquer des particularités qui depuis longtemps ont attiré l'attention des Cétologues. go) : L à + * : L 4 3 } mia Fr { “À ès * < %e 1 1" “,r r 1] ‘1 mi ’ L ‘+ a+ : COMMON EE 90: pd TU: 1 (te | ES LÉ Cp LE L 3 HOT AE hr y Gut où Li ; ” DT DPI LS — | "7 Re , & © vontalitenuotT x al 01 ce LU A CRT Bt ! 4 v Ÿ vues ou ET ONTEN DEA TENUE ? 4 ï re À, M D init te. à OL BETAA #1 tpat L «+ L Co se A COR en mn " TRES T'AET spatial 1.2 TI PEU AT DAN:ETES rx TE toy ps CAR ë "2% n'a 2 … = Tv, 5 pe AR RE | re #68 F CET PE + MÉMOIRE N° 12. | 4 ER Schizodelphis Depereti SP. NOV- Fig. 1. Crâne vu par sa face supérieure. Fig. 2. Crane vu de profil. e. Ethmoïde. i. Prémaxillaire. n. Évents. J. Jugal. mx. Maxillaire supérieur. ec. Condyle gauche de la mandibule. Les figures sont à demi grandeur. Mollasse burdigalienne supérieure (Miocène inférieur) de Chamaret (Drôme). COLLECTIONS DE LA FACULTÉ DES SCIENCES DE GRENOBLE. Mém. Soc. Géol. de France Mémoire XX NC Saquiez MRPAPIr SAVAUT INPI [e) PALEONTOLOGIE Mém. N V. Paquier, direxit. Sohier et Campy, 38, rue Hallé. Pari tirer. or Sao ,t 4 "+ + AIT EE Hide Eee "1 METTENT TR 1: jee 2 | STORES CI 2 ARE x RE TASEE Der D'iFe LÉNET MES L°* UT DATE Ex “ ? ZE AN LE » nirTo AE d BRIOTATEA Mia PU = RE MÉMOIRE N° 12. PLUIE Squalodon barriense JOURDAN SP. Fig. 1. Rostre vu par sa face supérieure. Fig. 2. Rostre vu de profil. ‘ f. Apophyse sus-orbitaire du frontal. i. Prémaxillaire. mx. Maxillaire supérieur. i. Incisives. c. Canines. Pis. Prémolaires. M7. Molaires. Les figures du rostre sont à demi grandeur. Fig. 3. Deuxième prémolaire mandibulaire gauche. — 4. Troisième prémolaire mandibulaire gauche. — 5. Quatrième prémolaire mandibulaire gauche. — 6. Première molaire mandibulaire gauche. — 7. Cinquième molaire mandibulaire gauche. — 8. Première molaire maxillaire gauche. 9-10. Incisives ou canines, séparées et montrant leur couronne rompue au collet et usée. Les figures des dents isolées sont en vraie grandeur. Mollasse calcaire burdigalienne de Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme). MUSEUM D'HISTOIRE NATURELLE DE GRENOBLE. cimoire À ER mn Mém. Soc. Géol. de France LE 0 Sie tte ANA Mer eNOMIEEINA PALEONTOLOGIE , à p À p 2 p 3 p 4 mm À an? m3 (m À) m5) (m6)(m}) m3 GA AN jar & mm À Ho mn À Sohier et Campy. S3, rue Hallé. Paris TABLE DES MÉMOIRES CONTENUS DANS LE TOME QUATRIÈME MÉMOIRE N° 3 (Suite). Ch. Depéret. — Les animaux pliocènes du Roussillon (A suivre). Ch. Depéret et A. Donnezan. — Chersiles ou tortues terrestres. — PI. I. et If. (Fascicule 1). MÉMOIRE No 4 (Suite). B. Nicklès. — Contributions à la Paléontologie du Sud-Est de l'Espagne (A suivre). Néocomien (Suite). — PI. XI à XVI (Fascicule IIT). MÉMOIRE N° 6 (Suite). H. Douvillé. — Étude sur les Rudistes. Révision des principales espèces d’Hippurites (Suite et fin). — Quatrième partie, PI. VI à X (Fascicule IT). MÉMOIRE No 11. R. Zeiller. — Étude sur la constitution de l’appareil fructificateur des Sphenophyllum. — PI. II à V (Fascicule I). MÉMOIRE N° 12. V. Paquier. — Etude sur quelques Cétacés du Miocène. — PI. XVII et XVIIT (Fascicule [V). DATES DE LA PUBLICATION DES FASCICULES Fascicule I. — Novembre 1893. Fascicule II. — Septembre 1894. FasciculeIII.— Décembre 1894. Fascicule IV. — Décembre 1894. Les feuilles 18 et 21 sont des demi-feuilles. Les planches I et XVIII sont doubles. a à + \ ut nn N 7 “ 2 ‘ e ï du 3 a 4 s * SS - # + à » ' à nl . - ‘ «3 É Er ’ = . - La % : * ‘" v ÿ ll CI] _ D te -‘ .- ue : - n Louthe in à 0. " - « r ke , Cd ’ . « ; PE OA Üa 1 ATV Pen dl aŸ ù FAT IP 4 ) NS FUN # 1N | OM N DR “4), 1 + (ox rl, UMA | n : LS 1 JRrC ja SF sn SÉ . tr ee Æ \ L : £: en ee … en | L ra e à : = | _ - ; - : _ LA nd - - - ne 1 un ss à SL = —" _ - - pn | + war s = : 2 : pre ; - _— . — : Per ap" + +4 +. F 2 _ { | _ | = ” . _n - ‘ __ — + . re . LS RES RRE St ; ; SRE RE ER EE ut ÈS RÉ N s . + = votre " - + 2 _ D + …. _ … ” ae ne e Eve = Poe ge . x — + … + An L = — « … La — L _ _ ES — — + Le d ee . “hs , x | | = | | ; : = = : F : EST = x s Cri Te ère … nn be E— Le eut pure mt : : . … 4 N” FA ren pr ren - . DEEE Pr - — * — Le td. mp" ut} é- de à ge AE ET L’“ — ’ > Lu EEE = | Nr | dd pu . DA. $ « . . « en . eo = + . . * te d .d = e = 200 par ÿ * : A7 =" rl ? ” .. = AT ee os mur à = *< 3 es LT - ” z La EE RE TE - £ CARE eu apte ; = der 5 ve - D pe-mDT és us: À ‘ cr « ST Le z ‘ _ SV iovos mai de ve sé er Rte PRET LENS RE TE RES TM ÉTAPE te ir vd RE NT EE . + Du È t re hi diiptes 7 _— - : s s = 2 ee É = 27 RU. 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