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LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION

DU DOUBS

1881

PROCES-VERBAUX DES SÉANCES

Séance du 8 janvier 1881.

PRÉSIDENCE DE MM. PAILLOT ET PAUL LAURENS.

Sont présents :

Bureau : MM. Paillot, président sortant; Paul Laurens, président élu pour 1881; Girardot (Albert), deuxième vice- président; Castan, secrétaire honoraire ; Besson, secrétaire ; Durupt, trésorier ; Vaissier, archiviste.

MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Coindre, Demongeot, Ducat, Jégo, Lesbros, Renaud (François), Ripps.

Les procès-verbaux des séances du 15 et du 16 décembre 1880 avant été lus et adoptés, M. Païllot, président sortant, remercie encore une fois la Société de l'honneur qu’elle lui a fait en le placant à sa tête durant l’année qui vient de s’'é- couler, et se déclare heureux de la voir, à la fin comme au début de sa présidence, engagée dans la voie du progrès et résolue à s'y maintenir.

M. Paul Laurens, président élu pour 1881, prend alors place au bureau, et, dans un discours fort applaudi, exprime

Re et la ferme confiance il est qu’en gardant les traditions d’u- nion, de bonne confralernité et de travail qui ont toujours fait sa force, la Société ne déclinera pas à l'avenir et connai- tra encore bien des jours prosperes.

A l'occasion de cette allocution et sur la proposition d'un membre, des félicitations sont votées à M. Laurens lui-mème, ainsi qu'à MÂf. Ducat et Demongcot, au sujet des distinctions aussi flatteuses que mérilées accordées à ces honorables mem- bres lors des fêtes qui ont eu heu dernièrement à Resancon en l'honneur de Victor Hugo.

Le secrétaire communique ensuite à la Société deux de- mandes d'échange de publications émanées, la première de l'administration du musée Guimet, de Lyon; la seconde de la direction du Bulletin d'histoire ecclésiastique et d'archéologie du diocèse de Valence. Sur l'avis conforme de M. Castan, ces deux demandes sont favorablement accueillies, et le secré- ture est chargé de notifier cette décision aux intéressés.

L'ordre du jour appelant la nomination des comnunssaires chargés de vérifier les comptes du trésorier, M. Francois Re- naud, qui depuis longtemps remplit cette charge, déclare ne pouvoir la garder plus longtemps, et persiste dans. cette réso- lution malgré les instances de ses collègues. En conséquence M. Demongeot est nommé membre la commission avec MM. Grand et Alexandre, qui continuent à en faire partie.

M. Castan, secrétaire honoraire, donne lecture d’une no- tice Concuc en ces termes :

« Dans une visite que je fs au Musée de Naples, cn oc- tobre 1880, mon attention fut appelée par un portrait de jeune homme à la figure esseuticllemert francaise : front largement modelé, yeux droitement ouverts, carnation blanche, che- veux de la nuance blonde dorée et relevés en toupet sur Île haut de la téle. Les proportions du portrait sont celles de la demi-nature. Le vêtement est celui de la période des derniers

VII

Valois : surcot rouge à manches pendantes sur le dos; bras couverts par les manches d'un pourpoint jaune à couture d'or; coleretle ct manchettes en mousseline à gros plis; main gauche sur la hanche, et la droite tenant des gants. Ce por- trait est peint sur bois : le dessin en est précis et la coloration chaude; il tient le milieu entre les Jannet et les Rubens. Le catalogue napolitain l’attribue à Christophe Amberger, l'un des meilleurs élèves du vieil Holbein.

» Mais quant au personnage représenté, le catalogue (5° salle, 42) ne donne que ces simples mots : Portrait d'un jeune homme.

» Cependant des indications caractéristiques se trouvent sur le fond du tableau. Elles consistent en une couronne fleurdelisée de prince francais, qui surmonte un monogramme au-dessous duquel est écrite en francais la devise vNissons NOVS AINSI.

» Ces indices témoignaient déjà que le portrait représente un jeune prince français de la famille royale des derniers Valois, et que ce portrait avait étè peint pour aider à la con- clusion d’un mariage.

» À première vue, je donnais l’âge de quatorze ans au per- sonnage représenté. Son nom ne pouvait être déduit que de l'interprétation du monogramme, ct ce monogramme symbo- lisant une future alliance devait se composer de deux groupes de lettres. En l’analysant, j'y trouvai les éléments de ces deux noms : Francois, dauphin de France; Marie, reine d’Ecosse (1).

» Le portrait, je le rappelle, m'avait paru représenter un jeune prince âgé de quatorze ans. Or, le dauphin Francois, fils aîné de Henri IE et de Catherine de Médicis, avait qua- torze ans, Lrois mois et quatre jours, le 24 avril 1558, lorsqu'il épousa Marie Stuart, reine d’Ecosse, qui était d'un an plus âgée que lui. Il avait donc bien l’âge qu'indique le portrait

(1) Ce monogramme a été reproduit en gravure, avec mon texte, dans la Chronique des arts el de la curiosilé, du 3 décembre 1881. )

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conservé à Naples quand son mariage se concluait avec la nièce des Guise. Et comme les deux fiancés étaient élevés ensemble dans la petite cour de Saint-Germain-en-Laye, le portrait doit être considéré comme ayant été peint en France.

» Christophe Amberger, son auteur présumé, mourut en 1563. Sa notoriété comme portraitiste l'avait fait mander à Augsbourg, en 1550, pour peindre l’empereur GCharles-Quint. Le portrait du musée de Naples indiquerait un séjour du même artiste à la cour de France, à l’époque Charles- Quint, retiré au monastère de Vuste, ne pouvait plus être pour lui un protecteur. »

La Société applaudit à cette intéressante lecture et décide son insertion au procès-verbal.

Sont présentés pour entrer dans la Société :

Par MM. Castan et Ducat, M. Camille Laurens, ingénieur CIVIL ©

Par MM. Castan et Paul Laurens, M. Alfred Rambaud, chef de cabinet du Ministre de l’Instruction publique.

Par MM. Paul Laurens et Edouard Besson, M. Léon Bruand, inspecteur des forêts à l'administration centrale.

Après un vote d'admission en sa faveur, M. le président

proclame Membre correspondant,

M. Musuter, notaire honoraire à Ornans.

Le Président, Le Secrétaire, Paul LAURENS. E. BEsson.

Séance du 12 février 1881.

PRÉSIDENCE DE M. Pauz LAURENS.

Sont présents :

Bureau : MM. Paul Laurens, président; Castan, secrétaire

honoraire ; Besson, secrétaire ; Klein, trésorier honoraire ; Du- rupt, trésorier ; Vaissier, archiviste.

MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Ducat, Grand, Grosjean, Jégo, Pingaud, Ripps, comte de Soulirait, Tridon.

Le procès-verbal de la séance du 8 janvier 1881 ayant été lu et adopté, le secrétaire donne connaissance d'une circulaire de M. le sous-secrétaire d'Etat des Beaux-Arts se trouve notifié le prochain congrès de la Sorbonne qui, pour cette sec- tion spéciale, aura lieu les 20, 21 et 22 avril prochains. Les mémoires à communiquer et la liste des délégués devront être parvenus au ministère avant le 15 mars. M. Castan déclare qu’il donnera lecture à cette section du congrès, au nom de la Société, d'un travail relatif au tableau du Bronzino qui forme le morceau capital du musée de Besancon. La Société prend acte de cette promesse, dont elle remercie M, Castan.

M. de Wyss, président de la Société d'histoire suisse, en nous adressant un groupe de volumes des publications de cette Société, sollicite de notre part un envoi semblable. Il est décidé qu'on répondra à cette libéralité par l'envoi de la quatrième série de nos volumes et de ceux qui ont déjà paru dans la cinquième.

Le secrétaire donne lecture d’une circulaire de l’Associa- tion française pour l’avancement des sciences qui doit tenir une session à Alger, du 14 au 21 avril prochain, et qui invite notre Compagnie à se faire représenter par un délégué à cette solennité scientifique. Cette gracieuse invitation ne rencontre pas d'adhérents par suite de la longueur du voyage qu'il fau- drait faire pour y répondre.

M. Grand, rapporteur de la commission chargée de vérifier

les comptes du trésorier, prend ensuite la parole en ces termes:

« MESSIEURS,

» La commission de comptabilité que vous avez désignée à votre précédente réunion s'est réunie le 24 janvier. Elle a pris

De connaissance des comptes de votre trésorier, ainsi que des pièces à l'appui de ces comptes, et elle-vient vous apporter le résultat de son examen.

» Pour assurer les services de l’année 1880, vous aviez, dans la séance du 8 novembre 1879, fixé votre budget de la iMmanière suivante :

RECETTES PRÉVUES.

Énedisseiprevu au 91 décembre 1879") Re 400 F. Subventions de l'Etat, du départernent, de la ville. 1.300 Cotisations des membres résidants el correspon-

HAS un Aus, Ron nr are di . 2.900 Droits de diplômes et receltes accidentelles. ....... #10 Lutérers ducapiiahcuicassetettdesémtenven ester 425

Ensemble 2er

DÉPENSES PRÉVUES.

Impressions bd pin ae AAA, A Ur PC lHpeS AE Renan Rs e AU RUN 100 Frais de Dieu os An en corne rte 100 Frais divers et de Séance publique ... Ur SU0 ilraitement crindeminité de lacent Lire 260 Crédit pour recherches scicntihiques. ot 900 Coinple de réscRye.. 2 rennu à io de 15

IPOtAr Te MS Enr » Les opérations ‘effectuées dans l’année 1880 se résument dans les chiffres suivants : RECETTES ÉFFECTIVES.

En caisse au {®% janvièr 1880 : En dépôt à la ae ue Bletlot 4 ere 103 10) HhieSpeGés ie 4 ere en 29 85)

RepOrt nee

Subventions de l'Etat, du département et de la

FIG RE es LE OUEN PART ENT ENTREE Co!'isations des membres résidants..... 2.010 correspondants. 1.026 Droits de diplômes et recettes accidentelles, .... Arrérages des rentes et intérêts............... Cotisation rachetée par un membre correspon- CÉOTSERSRSERe D en adires la sh ae ein de 2

Ensemble.....

DÉPENSES EFFECTIVES.

Impressions , volume annuel (à-

CO ERNEST Re 2000! BMIOmMES. li un, nidiue,. no 1301 195 Reliures ..:.:... ee D Rae : Dire 0e JO Re ECS Frais divers et de deux séances publiques. ..... éutément et indemnité de l’acent ........... DÉS accidemtelle. +2. nee cu. Me RCNes SCiemtiiques. |, hu :2 0.02...

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» Cet encaisse se compose : de 71 fr. 45 restés entre les mains de votre lrésoricr, d’un solde de 3 fr. 10 à la banque Bretillot, cnfin d'une somme de 2.700 francs déposée à la Caisse d'épargne. Remarquons toutefois que ce reliquat est destiné à acquitter jusqu'à concurrence de 1.700 fr. environ des dépenses afférant à l'exercice 1880, et qui n'ont pu être

XI réglées avant le 31 décembre, notamment le solde des frais d'impression de notre volume livré seulement dans Je cou- rant de décembre. En sorte que les ressources que nous lègue le précédent exercice sont effectivement de 1.075 fr. environ.

» Si l’on compare les prévisions budgétaires avec les opé- rations effectives de 1880, on voit que le chapitre des recettes

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» Get accroissement notable dans nos revenus est en majeure partie, nous nous empressons de le constater, à l’ac- tivité et à la bonne gestion de notre trésorier, qui a su faire rentrer un nombre considérable de cotisations arriérées que l’on pouvait regarder comme des non-valeurs. Ainsi la re- cette des cotisations avait été prévue au budget pour une

SOMME de Hors PR One D AE 2.900 f. et 1l à été encaissé de ce chef.......... Re RS OC SOINCN DIS. 2e D AN NE Rae 696 f.

» D'un autre côté, la subvention qui nous est accordée par l'Etat a été portée de 400 à 500 fr. Enfin les recettes compren- nent une cotisation rachetée par un membre correspondant.

» Quant aux dépenses effectuées et à effectuer, elles ont été maintenues dans le cadre et les limites du budget. Notre bu- reau à même trouvé, dans le crédit qui lui était ouvert sur chapitre spécial, les ressources nécessaires pour faire face aux dépenses d’une séance publique extraordinaire qui à eu lieu au mois de juillet à l'occasion du concours régional, sans pour cela porter atteinte à la splendeur de notre fête annuelle du mois de décembre.

» Un seul crédit est resté presqu’intact; c'est celui qui a trait aux recherches scientifiques. [Il comprenait une somme de 500 fr., sur laquelle on n’a dépensé que 71 fr. 60.

» Vous le vovez, Messieurs, vos finances sont dans la situa-

XIII

tion la plus prospère. Nous avons au 31 décembre un actif bien net de 1.075 fr. D'un autre côté, le capital inaliénable des cotisations rachetées montant aujourd’hui à 5.385 fr. est largement garanti par une rente sur l'Etat de 450 fr., qui, au taux actuel de la Bourse, représente un capital de 11.800 fr.

» Nous vous avons fait connaître le résultat des efforts de notre trésorier pour opérer le recouvrement des cotisations arriérées. Lorsque notre dévoué collègue, qui sait allier aux devoirs de sa charge la discrétion et le tact les plus parfaits, aura épuisé ses moyens d'action, 1l conviendra {c’est du moins l'avis de votre commission) de réviser la liste des membres de la Société, et de n'y maintenir que les noms de ceux de ses membres résidants ou correspondants qui auraient mani- festé l'intention de continuer à être des nôtres.

» En vous priant, Messieurs, d'approuver Iles comptes de M. Durupt pour l’année 1880, et de lui voter des remercie- ments en retour de l'exactitude et du zèle avec lesquels il s’acquitte de ses fonctions, la commission ne fait que remplir un devoir de justice. Elle doit aussi vous proposer d’associer à l'expression de votre gratitude M. Vaissier, notre biblio- thécaire, qui apporte toujours le même empressement et la même activité dans l’accomplissement de l'important et mi- nutieux service dont il veut bien se charger. »

La Société s’empresse de faire droit à ces conclusions et de voter des remerciements à MM. Vaissier et Durupt.

M. Paul Laurens, président annuel, expose qu’à l'heure actuelle notre édilité a concu le projet de réviser, dans la me- sure du juste et du possible, le vocable des rues de la ville. Parmi ces rues, il en est une dont le nom constitue un véri- table contre-sens. C’est la Rue Neuve, passablement vieille en réalité, puisqu'elle date de 1739. Pourquoi, dit M. Paul Lau- rens, ne l'appellerait-on pas Rue Charles Nodier ? M. Castan, dans son excellent ouvrage consacré à Besancon, nous éclaire sur la valeur de ce desideratum. On y lit, en effet : « Rue

NIV

Neuve, 11 : Maison du maïtre-macon Joseph Nodier, aïeul du littérateur de ce nom. Charles Nodier a passé sa jeunesse dans cette maison et y a composé ses premiers ou- yrages. »

La proposition en a d'ailleurs déjà été faite plusieurs fois; mais elle gagnerait, d'après l'honorable président, à être re- nouvelée par notre Compagnie, dont l'institution a pour but principal de conserver et de mettre en relief nos richesses et nos célébrités intellectuelles.

La Société, adoptant les vues qui viennent d'étre exposées par M. Paul Laurens, charge son secrétaire de transmettre au Conseil municipal les vœux qu’elle forme pour que le nom de Charles Nodier soit donné à la rue Neuve.

M. Castan donne lecture du travail sur le Bronzino du musée de Besancon qu'il destine au prochain congrès de la Sorbonne. Ge morceau, vivement applaudi, est en outre re- tenu pour nos #émoires.

Après un vote d'admission en faveur des candidats anté- rieurement présentés, M. le président proclame

Membres correspondants,

MM. Camille LauRENS, ingénieur civil; Alfred RamuBaAup, chef de cabinet du Ministre de l'Ins- truclion publique ; Léon BruanD, inspecteur des forêts à l'administration centrale,

Le Président, Le Secrélaire, Paul LAURENS. E. Besson.

—— N

Séance du 12 mars 1881.

PRÉSIDENCE DE M. PAUL LAURENS.

Sont présents :

Bureau : MM. Paul Laurens, président; Castan, secrétaire honoraire; Besson, secrétaire ; Vaissier, archiviste.

MEwgres RÉSIDANTS : MM. Carry, Carrau, Ducat, Durupt, Jégo, Martin, Métin, Monnot, Perruche de Velna, Renaud (Fran- cois}, Ripps, Sire, Tridon, Vuillermoz.

Le procès-verbal de la séance du 12 février ayant été lu et adopté, le secrétaire donue lecture d'une circulaire par la- quelle M. le Ministre de l'Instruction publique notifie le con. grès qui aura lieu à la Sorbonne les 20, 21 et 22 avril pro- chains, et indique à la fin les conditions dans lesquelles doi- vent être produits les travaux destinés à une lecture publique. et les facilités faites pour le voyage de Paris aux délégués des sociétés savantes. Le secrétaire annonce en outre que la So- ciété d'Emulation sera représentée à cette solennité scienti- fique par MM. Castan, Sire, de Fromentel, Carrau, Faucom- pré, Vaissier et Edouard Besson. MM. Sire et Castan feront, dans l'ordre scien‘ifique et historique, plusieurs communi- cations. M. Castan. notamment, lira l'intéressante étude sur l'église de Saint-Claude des Bourguignons à Rome dont nous avons eu déjà communication à notre séance publique de dé- cembre dernier. La Société prend acte de cette déclaration et remercie les deux honorables membres.

Le secrétaire lit en outre une dépêche de M. le Ministre de l’Instruction publique annonçant qu'il vient d’être institué une Revue destinée à contenir la biographie et l'analyse de toutes les publications scientifiques faites en France, tant en province qu'à Paris. Cette Revue, qui doit être d’une utilité

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si grande aux sociétés savantes dont elle analysera les tra- vaux, leur sera mensuellement adressée, à charge par elles d'envoyer au Ministère cinq exemplaires de leurs publica- tions, au lieu de deux qu'il recevait auparavant. Cette propo- sition est immédiatement agréée; le secrétaire est chargé d'y répondre affirmativement et de veiller en outre à l’envoi des volumes supplémentaires demandés par M. le Ministre.

Est également voté l'échange de nos publications avec le recueil intitulé le Génie civil, qui a pour directeur et inspi- rateur des plus autorisés M. Camille Laurens, un de nos membres correspondants.

M. Castan expose que lors de la fête qui a eu lieu dernie- rement à Besancon en l'honneur de Victor Hugo, notre sym- pathique compatriote M. Charles Grandmougin a écrit une pièce de vers à la louange du grand poète, et propose d'im- primer ce morceau dans nos Mémoires, afin d'y conserver le souvenir de cette belle fête locale. Cette proposition est im- médiatement acceptée.

M. Georges Métin, membre résidant, donne lecture d’un intéressant rapport sur les résultats donnés par les fouilles du cimetière gallo-romain de Thoraise. Ce rapport, avec les planches qui laccompagnent et qui reproduisent les princi- paux objets découverts, prendra rang dans nos Mémoires.

À l’occasion de ces objets, MM. Ducat et Vaissier, conser- vateurs du musée d’antiquités de Besançon, font observer qu’un vote du conseil général en a attribué la propriété à cet établissement; qu’eux-mêmes ont cru devoir y disposer un emplacement pour les recevoir, mais que, depuis le temps déjà assez considérable auquel remonte la découverte, rien encore de ce chef n’a été déposé.

La Société décide que l'attention de M. le Préfet doit être appelée sur cette situation irrégulière , et le secrétaire est chargé de ce soin.

XVI Sont présentés pour entrer dans la Société, comme membres résidants, Par MM. Castan et Edouard Besson, M. Henri Bergier, avocat à la Cour d'appel ;

Par MM. Francois Renaud et Edouard Besson, M. Joseph Prétel, administrateur du journal la Démocratie franc-comtoise. Le Président, Le Secrétaire,

Paul LAURENS. E. BEssox.

Séance du 9 avril 1881.

PRÉSIDENCE DE M. PAUL LAURENS.

Sont présents :

Bureau : MM, Paul Laurens, président, Paillot, premier vice-président; Girardot (Albert), deuxième vice-président; Castan, secrétaire honoraire ; Besson, secrétaire ; Faivre, vice- secrétaire; Klein, trésorier honoraire; Durupit, trésorier; Vais- sier, archiviste.

MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Boudot, Carry, Dunod de Char- nage, Debauchey, Ducat, Foin, Klein, Jégo, Grand, Martin, Re- naud (Francois), Ripps, Sire, Tivier, Vuillermoz.

Le procès-verbal de la séance du 12 mars ayant été lu et adopté, le secrétaire expose que, suivant le vote émis par la Compagnie lors de sa dernière réunion au sujet des objets découverts à Thoraise, il a écrit à M. le Préfet du Doubs pour prier ce magistrat de vouloir bien faire remettre ces objets au musée archéologique, mais que cette lettre est jusqu’à présent demeurée sans réponse. La Société décide qu’une démarche personnelle sera faite à cette occasion par son secrétaire, M. Besson, et par M. Ducat, conservateur du musée.

M. Sire anronce qu'il communiquera à la Sorbonne, au nom de la Société, deux appareils dont il a déjà, dans une b

XVII

précédente réunion, fait connaître le premier destiné à dé- montrer expérimentalement le principe de Foucault. Il qua- lifie le second de station météorologique portative. C'est le groupement d'un thermomètre, d’un baromètre, d’un hygro- mètre et d’une boussole. La réunion de ces divers appareils forme un tout d'un volume restreint, résistant et léger, d’une installation instantanée et d’une lecture des plus promptes. Cette stalion météorologique S’adresse particulièrement aux alpinistes, en leur fournissant le moyen de faire désormais sans difficuités des observations scientifiques aux altitudes les plus élevées. M. le président, se faisant l'interprète des sentiments de la réunion, remercie M. Sire de ses commu- nications intéressantes et prend acte de sa promesse de les renouveler en notre nom au congrès de la Sorbonne.

M. Besson, à l’occasion de la requête qu'il a été précédem- ment chargé par la Compagnie de transmettre au conseil mn- nicipal pour faire donner à la rue Neuve le nom de Charles Nodier, raconte la vie et analyse le rôle littéraire de ce cé- lèbre écrivain. Ce rôle a été considérable et des plus divers, car le talent de Nodier s’est exercé dans presque toutes les branches des connaissances ‘humaines. On peut même dire qu'il s’est quelque peu dispersé et qu'il aurait gagné à se res- serrer davantage et à se concentrer sur un ordre d'idées plus restreint. Quoi qu'il en soit, notre compatriote restera tou- jours un styliste inimitable, un conteur charmant, dont les récits sont et demeureront populaires, principalement dans sa province natale à laquelle il a toujours conservé une filiale affection. C’est donc à elle qu'il appartient de conserver son souvenir par un éclatant hommage qui s’est peut-être déjà trop fait attendre. |

La Société remercie M. Besson de sa conférence et décide que mention en sera faite au procès-verbal.

Après un vote d'admission en faveur des candidats anté- rieurement présentés, M. le président proclame

XIX

Membres résidants,

MM. Henri BERGIER, avocat à la Cour d'appel ; Joseph PrÉrET, administrateur du journal la Démo- cratie franc-comtoise.

Le Président, Be Secrétaire, Paul LAURENS. E. BEssox.

Séance du 14 mai 1881,

PRÉSIDENCE DE M. PAUL LAURENS.

Sont présents :

Bureau : MM. Paul Laurens, président; Paillot, premier vice-président, Girardot (Albert), deuxième vice-président ; Castan, secrétaire honoraire; Besson, secrétaire ; Faivre, vice- secrétaire ; Durupt, trésorier ; Vaissier, archiviste.

MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Carry, Debauchey, Ducal, Girod, Hild, Martin (Léonce), Monnot, Perruche de Velna, Piguet, Renaud (Francois), Ripps.

Le procès-verbal de la séance du 9 avril ayant été lu et adopté, le secrétaire annonce que les démarches dont il avait été chargé auprès de la préfecture, en compagnie de M. Du- cat, relativement aux objets archéologiques découverts à Tho- raise, ont été couronnées de succès et que ces objets ont ac- tuellement pris place au musée de la ville.

M. Besson rend compte du dernier congrès de la Sorbonne, il a représenté la Compagnie avec un certam nombre de ses collègues, et MM. Castan et Sire ont produit sous nos auspices les travaux qu'ils avaient annoncés. Ces travaux ont été dans la presse l’objet des commentaires les plus élogieux, dont M. Besson donne lecture à la réunion. Cette lecture est sympathiquement accueillie, et la Société remercie les deux membres qui l'ont si brillamment représentée.

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M. Albert Girardot, vice-président, qui a été notre délégué à la dernière séance générale tenue par la Société d'Emula- tion de Montbéliard, résume les divers travaux dont il a en- tendu la lecture à cette réunion. IL parle aussi de l’accueil sympathique qu’il a recu de nos voisins et amis, ainsi que notre collègue M. Victor Girod qui l’accompagnait dans son voyage. La Société remercie M. Girardot de son rapport et décide que mention en sera faite au procès-verbal.

M. Besson prend alors la parole pour rendre compte des thèses de doctorat récemment soutenues à la Sorbonne par notre savant collègue M. Hild. Ces thèses sont au nombre de deux. L'une, consacrée à l'examen des accusations d'impiété qui ont été adressées au poète Aristophane, est purement tech- nique et s'adresse aux hommes spéciaux. L'autre présente un intérêt beaucoup plus général, car elle a pour objet l'étude approfondie et complète des phases successives par lesquelles passa la notion des démons dans religion des Grecs. Cette question vaste et compliquée embrasse évidemment celle des transformations nombreuses subies par le dogme religieux lui-même depuis ses origines jusqu’à son remplacement par la religion catholique qui, parmi les nombreux emprunts qu'elle lui fit, s’appropria l’idée des démons telle que l'avait conçue l’école néo-platonicienne d'Alexandrie. M. Hild a par- faitement suivi le cours parfois si embrouillé de ces transfor- mations, et a fait preuve, au cours de sa thèse, d’un grand talent d'écrivain, d'une sagacité remarquable, d’une érudi- tion vaste et toujours sûre. M. Besson, tout en rendant hom- mage à ces qualités, reproche à l’auteur de n'avoir pas vu que les conclusions de son livre, hostiles au dogme catholique, étaient en même temps la négation de l'esprit spiritualiste qui l'anime tout entier.

La conférence de M. Besson est sympathiquement accueil- lie, et on décide que mention en sera faite au procès-verbal.

M. Castan donne leciure d’une notice sur trois épitaphes

XXI gallo-romaines récemment découvertes à Besancon. Get inté- ressant morceau est retenu pour nos Mémoires.

Est présenté pour entrer dans la Société comme membre résidant, par MM. Durupt et Besson, M. Edouard Robinet, juge au tribunal de commerce.

Le Président, Le Secrétaire, Paul LAURENS. E. BEssox.

Séance du 11 juin 1881.

PRÉSIDENCE DE M. PAUL LAURENS.

Sont présents :

Bureau : MM. Paul Laurens, président; Girardot (Albert), vice-président; Castan, secrétaire honoraire; Besson, secré- taire; Vaissier, archiviste.

MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Alexandre, Bergier, Carry, De- bauchey, Foin, Guillin, Monnot, Piguet, Pingaud, Renaud (Francois), Ripps, Sire. |

Le procès-verbal de la séance du 14 mai ayant été lu et adopté, le secrétaire donne lecture d'une lettre par laquelle M. le président de la Société de tir de Besancon notifie le pro- chain concours international qui aura lieu sous le patronage de cette Société et invite les membres de notre Compagnie à prendre part à cette fête. Les membres présents témoignent leur gratitude au sujet de cette aimable invitation envers une société amie et qui rend de si grands services au pays.

M. le président Paul Laurens informe la Société que son Dictionnaire des communes du département du Doubs est actuel- lement en cours avancé d'exécution et lit, comme spécimen de ce travail, l'introduction qui le précède ainsi que quel- ques-uns des articles. Ces divers morceaux, qui dénotent chez leur auteur un remarquable talent d'écrivain mis au service d'une érudition vaste et toujours sûre, intéressent vivement

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l'auditoire. En conséquence, la Société vote l'impression du travail complet dans ses Mémoires, la question demeurant ré- servée de savoir si cette impression aura lieu en bloc pour le travail entier ou si ce travail sera réparti entre plusieurs de nos volumes. La Société remercie en outre M. Paul Laurens de son intéressante communication ; elle le félicite d'avoir mené à bien une œuvre si utile aux intérêts du pays et dont le besoin se faisait depuis longtemps sentir. :

M. Castan donne lecture d’un travail dont il a rapporté les éléments de son dernier voyage en Italie. Ce travail a pour objet le Missel du cardinal de Tournai actuellement conservé à la bibliothèque de Sienne. La Société en vote l'impression dans ses Mémoires.

M. Castan expose en outre qu’il a acquis, pour la biblio- thèque de la ville, une planche gravée sur cuivre représen- tant le président Philippe, personnage qui joua un rôle im- portant en Franche-Comté vers l'époque de la réunion de cette province à la France : l'honorable membre propose de faire reproduire cette gravure dans nos Mémoires, en l’accom- pagnant d’une biographie du président. Cette proposition est acceptée, et M. Besson est chargé d'écrire la biographie de- mandée, en s’aidant des nombreux documents que renferme à cet égard la bibliothèque de Besancon.

Sont présentés pour entrer dans la Société comme membres correspondants,

Par MM. Vézian et Girardot, M. Paul Peittclerc, géologue à Vesoul; :

Par MM. Chapoy et Girardot, M. Wilfried Kilian, à Paris.

Après un vole d'admission en sa faveur, M. le président proclame membre résidant M. Edouard RoBineT, Juge au tri- bunal de commerce, présenté à la dernière séance.

Le Président, Le Secrétaire, Paul LAURENS. E. Besson.

D. D. 4 0 QE

Séance du 9 juillet 1881.

PRÉSIDENCE DE M. PAILLOT&T.

Sont présents :

Bureau : MM. Paillot, premier vice-président, faisant fonc- tions de président; Girardot (Albert), deuxième vice-prési- dent; Castan, secrétaire honoraire; Besson, secrétaire ; Faivre, vice-secrétaire; Vaissier, archiviste.

M£&mBreEs RÉSIDANTS : MM. Alexandre, Bergier, Dunod de Charnage, Debauchey, Ducat, Marion, Monnot, Piquet, Sire.

MEMBRE CORRESPONDANT : M. Gulzwiüler.

Le procès-verbal de la séance du 12 juin ayant été lu et adopté, le secrétaire donne lecture d’une lettre par laquelle M. le président Paul Laurens s'excuse de ne pouvoir assister à la réunion comme étant retenu au conseil municipal.

M. Castan lit ensuite une notice nécrologique relative aux pertes récentes qu'a subies la Franche-Comté dans l’ordre scientifique et littéraire. I parle en termes émus de la mort de M. Dietrich, le sympathique Alsacien qui présidait avec tant de compétence la nouvelle et déjà si méritante Société Belfortaine d'Emulation ; de celle de M. Henri Sainte-Claire- Deville, l’illustre chimiste que l'Europe enviait à la France, et qui avait bien voulu compter parmi nos membres hono- raires; 1l célèbre la mémoire de M. le professeur Perraud, cet écrivain si modeste et si Consciencieux qui avait éclairci bien des points de notre histoire locale restés obscurs, et dont le rare mérite n’était inconnu que de lui seul.

Cette communication intéresse vivement la Société qui en vote l'insertion dans ses Mémoires. Sur la proposition d'un membre, il est en outre décidé que la notice de M. Castan, qui à un Caractère essentiellement local et de nature à inté-

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resser les Franc-Comtois, sera imprimée dans les journaux de Besancon.

M. Besson prend alors la parole pour rendre compte de dé- couvertes archéologiques qui viennent d’être faites à Pontar- lier au champ de tir de l’artllerie. Ges découvertes consistent en deux squelettes remontant à l’époque celtique et portant encore des ornements caractéristiques de cette époque. Ces ornements, que M. Besson dépose sur le bureau, sont destinés au musée archéologique de la ville et y figureront à un titre d'autant meilleur que ce sont les premiers objets de ce carac- tère découverts dans la région pontissalienne.

M. Castan lit une note sur la découverte qui vient d'être faite à Besancon, lors des récents travaux exécutés dans la promenade Granvelle, d’un füt de colonne gallo-romaine. Cette note prendra rang dans nos Mémoires.

M. Vaissier expose qu'il a visité les deux grottes que ren- ferment les rochers de la citadelle de Besançon, du côté qui est bordé par le faubourg Tarragnoz, et que ces grottes lui paraissent présenter tous les caractères de celles qui ont été d'anciens refuges. S1 cette hypothèse est exacte, il doit sy rencontrer des vestiges remontant aux âges préhistoriques. M. Vaissier demande en conséquence qu'un crédit soit ouvert sur les fonds de la Société pour lui permettre d’entreprendre et de mener à bien une fouille dans ces grottes.

Cette proposition est immédiatement acceptée, et l’on vote à l'unanimité le crédit demandé.

M. Castan entretient ensuite la réunion de l’association ré- cemment fondée à Paris par les Franc-Comtois qui y résident, et dont le but est de venir en aide à ceux de nos compatriotes qui vont se fixer dans la capitale et s’y trouvent trop souvent privés d’un appui moral nécessaire, surtout dans les grandes villes. M. Castan lit à ce propos une lettre de notre sympa- thique confrère M. le sculpteur Petit, qui donne d'excellents

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renseignements sur l'association et invite notre Compagnie à se mettre en rapport avec elle pour lui recommander à l’oc- casion ceux qui auraient besoin de son appui et que leur con- duite en rendrait dignes.

La Société remercie M. Petit et se déclare heureuse de pouvoir à l’occasion mettre à profit l'avance qui lui est faite d'une facon si gracieuse.

Sont présentés pour entrer dans la Société : Comme membre résidant, Par MM. Vézian et Castan, M. Cavaroz (Narcisse), méde- cin-major de {"° classe en retraite, à Besancon ; Comme membres correspondants, Par MM. Castan et Paul Laurens, M. Travelel (Albert), in- sénieur des ponts et chaussées, à Dijon ; Par MM. Edouard Besson et Ledoux, M. le docteur Guer- rin, maire de Rougemont ; | Par MM. Edouard Besson et Paul Laurens, M. le docteur Blanchot, membre du conseil général de la Haute-Saône, à Granvelle. Après un vote d'admission en faveur des candidats anté- rieurement présentés, sont proclamés

Membres correspondants,

MM. Paul Perirezerc, géologue à Vesoul ; Wilfried Kizran, à Paris.

Le Vice-Président, Le Secrétaire, PAILLOT. E. Besson.

Séance du 13 août 1881.

PRÉSIDENCE DE M. PAUL LAURENS.

Sont présents :

Bureau : MM. Paul Laurens, président; Paillot, premier

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vice-président; Besson, secrétaire; Durupt, trésorier; Vais- sier, archiviste.

MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Alexandre, Bergier, Cavaroz, Carry, Demongeot, Ducat, Dietrich, Foin, Grand, Jégo, Marion (Charles), Péiey, Piquet, Renaud (Francois), Renaud (Al- phonse), Ripps, Sire.

Le procès-verbal de la séance du 9 juillet ayant été lu et adopté, M. le président Paul Laurens fait remarquer l’ab- sence à la réunion de notre secrétaire honoraire, M. Castan. Cette absence étant motivée par une circonstance douloureuse pour notre confrère, M. lc président propose que l'expression sympathique des regrets de la Société lui soit immédiatement transmise. Cette proposition est adoptée à l'unanimité. L’ho- norable président ajoute qu'en parlant de M. Castan, il ne peut omettre d'entretenir la Compagnie du témoignage flat- teur que l'éminent bibliothécaire vient de recevoir de M. le Ministre de l’Insitructüion publique au sujet des beaux travaux qu'il a rapportés de son récent voyage en Italie(l). Sur la

(1) Voici le texte de la dépêche ministérielle reçue par M. Castan : « Paris, le 19 juiliet 1881. » À Monsieur CasraN, correspondant de l'Institut de France à Besançon.

» Monsieur,

» J’ai reçu, avec la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, deux exemplaires du travail que vous avez rédigé à l'issue de votre mission dans les villes du midi de la France et dans les musées de l'Italie.

» Cette étude remarquable répond entièrement à la confiance que mon département vous a témoignée, et je l'ai lue avec le plus vif intérêt.

» Votre ouvrage sera présenté à la commission des voyages et mis- sions dès le jour de sa première séance, et je ne doute pas qu'elle ne s'associe aux éloges que je suis heureux de vous adresser persoñnel- lement. |

» Recevez, Monsieur, l'assurance de ma considération très distin- guée.

» Le Président du Conseil, » Ministre de l'Instruclion publique el des Beaux-Arts

» (Signé) JuLES FERRY. »

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proposition de M. Paul Laurens, des félicitations sont votées à M. Castan par acclamation.

Le secrétaire donne ensuite communication de deux circu- laires de M. le Ministre de l’'Instruction publique. La pre- mière, datée du Î1 juillet, est une demande de renseigne- ments sur notre Société, sur le nombre de ses membres, ses statuts, la nature de ses publications, l’époque de sa fonda- tion et son histoire générale. Il y a déjà été répondu par l’en- voi au ministère d'un exemplaire révisé de l'excellente notice qui sert d'introduction à la table générale de nos Mémoires, ainsi que d'un exemplaire de nos statuts. La seconde, du 18 juillet, a pour objet de notifier un programme de ques- tions qui doivent être discutées au congrès de la Sorbonne de 1882, sans toutefois que ce programme exclue les communi- cations relatives à des travaux personnels. Le tableau des questions proposées par le ministère restera déposé dans les archives de la Société pour être consulté par qui de droit.

M. Vaissier, archiviste, donne lecture d'une notice par la- quelle M. Castan annonce à la Société la mort du docteur Ferdinand Keller, fondateur et président honoraire de la So- ciété des antiquaires de Zurich. Cette notice est ainsi concue :

« La Société des antiquaires de Zurich, dont j'ai l'honneur d'être correspondant, m'a chargé de faire part à la Société d'Emulation du Doubs de la perte qu’elle vient d’éprouver en la personne du docteur Ferdinand Keller, son fondateur, décédé le 21 juillet dernier, à l’âge de 81 ans.

> Le docteur Keller avait, le premier, compris l'importance des découvertes d’antiquités lacustres et fourni les bases d’une doctrine sur ces vestiges préhistoriques du séjour de l’homme dans nos contrées. Le coup d'œil avait été sûr, et l'idée pri- mitive eut de féconds développements. Aussi le docteur Keller doit-il compter parmi les observateurs sagaces qui ont con- tribué de nos jours à projeter quelques lueurs scientifiques sur les origines de la civilisation humaine. »

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La Société applaudit à cette expression de sentiments qu’elle partage et en décide l'insertion au procès-verbal.

Il est ensuite donné lecture d’une notice de M. l'ingénieur Travelet sur la grotte de Quincey, dite Trou de la Chèvre. Ce travail, qui intéresse vivement l'auditoire, est retenu pour nos Mémoires.

M. Paul Laurens lit une intéressante notice sur l'horlogerie à Besançon, qui est retenue pour nos Mémoires et dont on vote en outre l'insertion dans les journaux de la localité.

M. le docteur Cavaroz prend alors la parole pour lire un mémoire sur la station préhistorique de Grandchamp près de Cernans (Jura). À l’occasion de ce sujet particulier, l’hono- rable membre entre dans une série de considérations géné- rales relatives à l’état actuel de nos connaissances sur les âges. préhistoriques. Cet exposé, rapide et pourtant complet, inté- resse vivement l'auditoire. M. le président en remercie Pau- teur et on décide que mention en sera faite au procès-verbal.

Est présenté pour entrer dans la Société comme membre résidant, |

Par MM. Durupt et Vaissier, M. Henri Febvrel, ingémieur civil à Besancon.

Après un vote d'admission en faveur des candidats anté- rieurement présentés, M. le président proclame

Membre résidant, M. le docteur Cavaroz (Narcisse), médecin-major de pre- mière classe en retraite à Besançon.

Membres correspondants,

MM. Brancuor (Hippolyte), docteur en médecine, membre du conseil général de la Haute-Saône, à Granvelle par Fretigney (Haute-Saône) ;

GuERRIN, docteur en médecine, maire de Rougemont (Doubs);

XXIX

À

M. TraveLer (Albert), ingénieur des ponts et chaussées, à

Dijon. Le Président, | Le Secrétaire, Paul LAURENS. E. BEssox.

Séance du 12 novembre 1881.

PRÉSIDENCE DE M. PAILLOT.

Sont présents :

Bureau : MM. Paillot, premier vice-président; Girardot, deuxième vice-président; Castan, secrétaire honoraire; Bes- son, secrétaire ; Durupt, trésorier; Vaissier, archiviste.

MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Alexandre, Barbier, Bergier, Be- lot, Cavaroz, Ducat, Debauchey, Demongeot, Grand, Haldy père, Haldy fils, Marion (Charles), Monnot, Ripps, Piguet, De Sainte- Agathe, Tridon.

Le procès-verbal de la séance du 13 août ayant été lu et adopté, M. Castan, secrétaire honoraire, notfie en ces termes à la Compagnie la mort d’un de ses membres honoraires, ME Paulinier, archevêque de Besançon.

« La Société d'Emulation du Doubs apprendra certaine- ment avec un vif regret la mort de ME" Paulinier, archevêque de Besançon, décédé ce matin à Pézénas, sa ville natale.

» Durant six années d’archiépiscopat, M£#' Paulinier ne cessa de faire preuve d’une intelligence élevée, d’un cœur généreux, d’un esprit largement ouvert et sincèrement conci- Hant.

» Auditeur fidèle et toujours indulgent de nos séances pu- bliques, il voulut bien en 1876 s'asseoir à notre banquet an- nuel et y prononcer une aimable harangue qui pourrait servir à caractériser le beau talent littéraire dont 1l était doué. Sa sympathie demeurait acquise à nos travaux, et elle était de

XXX celles dont une association comme la nôtre a le droit d'être fière et le devoir de se montrer reconnaissante. »

La Société, adoptant les termes qui précèdent comme ex- pression fidèle de ses sentiments, en décide la reproduction au procès-verbal.

Le même membre lit encore une notice nécrologique sur un autre de nos membres honoraires, le géologue Henri Co- quand. Cette notice prendra rang dans nos Mémoires.

Le secrétaire communique le projet de budget pour 1882, tel qu’il a été arrêté par le conseil d'administration.

Ce projet n'ayant soulevé aucune objection, M. le président le proclame adopté de la manière suivante :

RECETTES. Encaisse prévu au 31 décembre 1881......... 150 f. Subvention du département du Doubs....... , 500 De de la ville de Besancon......... . 600 Cotisations des membres résidants............ 2.300 D des membres correspondants....... 800 Droits de diplôme; recettes accidentelles....... 90 [Intérêts du capital en caisse et des rentes. ..... 990 | Voile 4.950 £. DÉPENSES. Hrnpressions.i} Poe IR Ra ee 3.200 f. Ro Reliure 7e AI RME Ans te 50 Frais de bureau, chauffage et éclairage... ..... 150 40 Frais divers et séance publique............... 100 Traitement et indemnité pour recouvrements à l'agent'de la )Sociélé ee ARS MONA Rue 270 Crédit pour recherches scientifiques....... ee 500 Comptes de réserve, AMP US 80

XX

On arrête ensuite le programme de la séance publique qui aura lieu, ainsi que le banquet qui en est la suite, le mardi 13 décembre.

M. Castan, secrétaire honoraire, donne lecture d’une no- tice relative aux découvertes archéologiques faites récemment à Mandeure et dont les principaux produits ont été acquis par le musée de Besancon. Cette notice prendra rang dans nos Mémoires.

Est pareïillement retenue pour notre recueil une note de M. le docteur Albert Girardot sur les bracelets en bois d'if remontant à l'époque celtique et dont le musée de la ville possède de nombreux échantillons.

M. Castan donne lecture de plusieurs articles du diction- naire des locutions populaires à la plume d’un de nos com- patriotes, M. Charles Toubin. Ces articles, indiquant chez leur auteur une sagacité remarquable mise au service de la plus riche érudition, intéressent vivement l’auditoire, qui dé- cide que mention en sera faite au procès-verbal.

M. Castan présente en outre à la Société une gravure re- présentant le tableau du Bronzino que possède le musée de Besancon. On arrête que cette gravure accompagnera dans nos Mémoires l’histoire de ce tableau écrite par le même membre.

M. Girardot fait un compte-rendu oral des fouilles récentes qui ont été faites dans les grottes de la citadelle de Besançon. Ces grottes ont servir de demeure à l’homme préhisto- rique. Les quelques débris qu’on y a trouvé suffisent à l’éta- blir. Mais il serait difficile de poursuivre utilement les re- cherches commencées, par suite des éboulements que le temps a produits.

Sont présentés pour entrer dans la Société : Comme membres résidants,

XX XL ES

Par MM. Vézian et Castan, M. Félix Prieur, bibliothécaire des Facultés ;

Par MM. Girardot et Paillot, M. Mercier, docteur en méde- cine, aux Chaprais; |

Par MM. Grand et Vaissier, M. Achille Pescheloche, bijou- tier-horloger à Besancon.

Comme membres correspondants,

Par MM. Léon Barbier et Castan, M. Victor 4A/mand, élève de l'Ecole polytechnique ;

Par MM. Castan, Besson et de Prinsac, M. Thomas Bravo, littérateur à Cierp (Haute-Garonne).

Après un vote d'admission, M. le président proclame

Membre résidant, M. Henri Fesvrez, ingénieur civil à Besancon.

Le Vice-Président, Le Secrétaire, PAILLOT. E. BEssox.

Séance du 12 décembre 1861.

PRÉSIDENCE DE M. PAUL LAURENS.

Sont présents :

Bureau : MM. Paul Laurens, président ; Albert Girardot, deuxième vice-président; Castan, secrétaire honoraire ; Bes- son, secrétaire ; Durupt, trésorier; Vaissier, archiviste.

MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Alexandre, Bergier, Canel, Carry, Chapoy, Debauchey, Ducat, Girod (Victor), Grand, Grosjean, Haldy père, Haldy fils, Jégo, Ledoux, Louvot (l'abbé), Nar- gaud, Piquet, Renaud (François), Rétif, Ripps, Saillard, Sire.

MEMBRES CORRESPONDANTS : MM. Bailly, Gascon, Jurgensen.

Le procès-verbal de la séance du 12 novembre ayant été lu et adopté, le secrétaire communique à la réunion une lettre de MM. les Vicaires capitulaires qui remercient la Société

ne 200.00 |

d'Emulation des témoignages de sympathie et de regret qu'ils en ont reçus au sujet de la mort récente de M£' Paulinier, archevèque de Besançon.

M. Paul Laurens, président, prend ensuite la parole pour notifier aux membres présents la mort de M. Léon Bretillot, ancien président de la Compagnie : il fait l’éloge du défunt, si honorable par la distinction d’esprit et la droiture de carac- tère qu'il mit, pendant de si longues années, au servicé des intérêts publics.

La Société applaudit à l'expression de sentiments qu’elle partage et décide que mention en sera faite au procès-verbal.

Le secrétaire communique les réponses faites en retour des invitations adressées pour la séance publique et le banquet, soit aux membres honoraires de la Compagnie, soit aux s0- ciêtés savantes de la région. Les membres honoraires ont tous donné une réponse favorable, au moins pour la séance pu- blique ; quant aux sociétés savantes, elles seront représentées par MM. Jules Jurgensen,, de la Société d'histoire de Neu- châtel; Bessire, de la Société d'Emulation de Porrentruy ; Bailly, vice-président de la Société d'encouragement pour l’agriculture dans la Haute-Saône ; Henri l’Epée et Trouillet, de la Société d'Emulation de Montbéliard ; Longin et Cha- vanne, de la Société d'agriculture, sciences et arts de Vesoul.

M. Castan expose que M. le général Wolff ayant bien voulu apporter son concours à notre séance publique, il y aurait lieu de lui donner un témoignage de gratitude pour cette marque nouvelle de sympathie qu’il accorde à la Société d’E- mulation du Doubs. Plusieurs places de membres honoraires se trouvant aujourd'hui vacantes, ce serait le cas d’en attri- buer une à l'éminent Général, dont les capacités militaires s’allient si heureusement au culte de l’érudition et des lettres. Cette proposition est adoptée par acclamation.

Le secrétaire fait connaître que deux sociétés demandent à c

XXXIV. ——

entrer avec la nôtre en échange de publications. C'est d'abord la Société philomathique de Paris, dont les avances sont im- médiatement acceptées. C'est ensuite une société récemment fondée à Vesoul sous le nom de Société d’Encouragement à l’agriculture de la Haute-Saône. M. Baïlly, président du con- seil général de ce département, expose que la nouvelle asso- ciation compte déjà plus de cinq cents membres et qu’elle parait appelée à recevoir, dans un avenir prochain, de très grands développements : elle publie d’ailleurs un bulletin mensuel que notre Compagnie recevra régulièrement. Ges explications sont sympathiquement accueillies, et l’on vote l'échange proposé.

Le secrétaire a recu de M. Sentupéry, membre correspon- dant, une Notice historique sur Arc-lez-Gray, que son auteur désirerait voir insérer dans notre recueil.

Cette question est renvoyée à une commission composée de MM. Castan, Paul Laurens et Besson.

M. Castan donne lecture d’extraits d'un travail de M. Koh- ler, membre correspondant, intitulé : Les Echos de la Ligue dans l’ancien évêché de Bäle. (te travail sera inséré en entier dans nos Mémoires.

M. Vaissier prend alors la parole et annonce qu'il prépare une publication relative aux marques des poteries gallo-ro- maines, d’après les échantillons qui se trouvent au musée de la ville. Ce travail est retenu pour notre recueil.

. M. Castan donne lecture de l'extrait relatif à la Franche- Comté du récit des voyages de Thomas Platter, de Bâle, étu- diant nomade de la fin du xvr° siècle. Ge document, emprunté à un manuscrit de la bibliothèque de Bâle, paraîtra, avec un commentaire de M. Castan, dans le prochain volume de nos Mémoires. |

- Sont présentés pour entrer dans la Société :

XXXY Comme membres résidants,

Par MM. Bertin et Saillard, M. Philippe Pouret, membre du conseil municipal de Besançon;

Par MM. Vaissier el Debauchey, M. Clère, manufacturier, à Besancon ;

Par MM. Ducat et Castan, M. Rémond, notaire à Besan- CON ;

Par MM. Haldy, Durupt et Besson, M. Théophile Lerch, avocat à la Cour d'appel:

Par MM. Pingaud et Paul Laurens, M. Henri Wairot, pré- sident du tribunal de commerce ;

Par MM. Besson et Castan, M. Gustave Mairot, banquier à Besancon ;

Par MM. Besson et Guillemin, M. Abel Martin, lieutenant au 60° d'infanterie.

Comme membre correspondant,

Par MM. Pingaud et Castan, M. Albert de Montet, à Ve- vey (Suisse).

Après un vote d'admission en faveur des candidats anté- rieurement présentés, M. le président proclame

Membres résidants,

MM. Félix Prieur, bibliothécaire des Facultés ; Mercier, docteur en médecine, aux Chaprais; Achille PESCHELOCHE, négociant en bijouterie et horlo- serie; Membres correspondants, MM. Victor Azmanp, élève de l'Ecole polytechnique; Thomas Bravo, littérateur, à Cierp (Haute-Garonne).

Vers la fin de la séance, un scrutin avait élé ouvert pour le renouvellement annuel du conseil d'administration. Le dé- pouillement de ce scrutin donne les résultats suivants :

Nombre des votants, 29.

Pour le président : M. Albert Girardot, 29 voix;

XXXVI Pour le premier vice-président : M. Paul Laurens, 29 voix; Pour le deuxième vice-président : M. Pingaud, ?9 voix ; Pour le trésorier : M. Durupt, 29 voix ; Pour le vice-secrétaire : M. Faivre, 19 voix, M. Léonce Martin, 10 voix; Pour l’archiviste, M. Vaissier, 29 voix. En conséquence, le bureau de la Société se trouve ainsi constitué pour l’année 1882 :

Président... ss... M. Albert GIRARDOT ; Premier vice-président..... ... M. Paul Laurens; Deuxième vice-président. ....... M. Léonce Pnau; Secrétaires honoraires. ..... .... MM. Vital Bavouxet Au- guste CASTAN ; Secrétaire décennal......... .... M Edouard Besson; Vice-secrétaire et contrôleur des dépenses in eu eue M. Adolphe FAIvrE; Tiesorier honoraire ne 100. M. Auguste KLEIN : lresomer 0 nd M. Alfred Durupr ; ANCUDISer ee LU M. Alfred VaissiER. Le Président, _ Le Secrétaire, Paul LAURENS E. Besson. ———

Séance publique du 13 décembre 1881. PRÉSIDENCE DE M. PAUL LAURENS.

La séance s'ouvre extraordinairement à deux heures un quart, dans la grande salle de l'Hôtel de ville de Besançon.

Sont présents :

Bureau : MM. Paul Laurens, président annuel ; Albert Girardot, deuxième vice-président; Castan, secrétaire hono-

ne. ©. C\'i] | VE

raire ; Besson, secrétaire décennal; Durupt, trésorier ; Vaissier, archiviste.

MEMBRES HONORAIRES : MM. le général Wozrr, comman- dant le 7e corps d'armée ; PÉRIVIER, premier président; GaL- TIER, préfet du Doubs; DELAVELLE, maire de Besancon; BE- NoisT, inspecteur d'Académie.

DÉLÉGUÉS DES SOCIÉTÉS VOISINES : MM. JURGENSEN, de la Société d'histoire et d'archéologie de Neuchâtel; BEessiRe, de la Société d'Emulation de Porrentruy ; Baizzy, de la Société d'encouragement à l’agriculture de la Haute-Saône; Emile LonaiN et CHAVANNE, de la Société d'agriculture, sciences et arts du même département; Henri L'EPée et le capitaine TrouIzLeT, de la Société d'Emulation de Montbéliard.

MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Arnal (Amédée), l'abbé Bailly, Barbier (Léon), Bergier, Chipon, Demongeot, Dubost, Ducat, Dunod de Charnage, Faucompré, de Gassowski, Grand, Haldy père, Haldy fils, Maire, Mairot (Félix), Pingaud, Renaud (Fran- cois), Ripps, Rétif, Saillard, Sire, comte de Soultrait, Tridon.

MEMBRES CORRESPONDANTS : MM. Gascon, le docteur Gau- thier (de Luxeuil), Grandmougin, le marquis de Moustier, Tourgnol, Thurict.

M. Paul Laurens, président annuel, dans un exposé élo- quent et lucide, fait le tableau des travaux accomplis par la Société durant l’année qui touche à son terme. :

M. le général Wozrr, commandant le corps d'armée, membre honoraire de la Compagnie, lit un travail ethnogra- phique du plus haut intérêt sur les races qui forment le fond de la population du nord de l'Afrique ; ce morceau est inti- tulé : Les Imochar en Afrique et en Europe.

Après lui, M. Trio, membre résidant, relate, en excel- lents termes, les diverses phases de la rivalité du cardinal Granvelle et de Fambassadeur Simon Renard.

M. le docteur Albert GiRARDOT, vice-président, examine, dans un savant mémoire, la question de savoir s’il existe en

XXXVIN

franche-Comté des monuments mégalithiques et expose les solutions diverses que cette question a recues.

M. Edouard Besson. secrétaire décennal, raconte ensuite la vic du président Philippe, de Besancon, et les négociations auxquelles ce magistrat prit part durant les deux conquêtes de la Franche-Comté.

Enfin M. Charles GRANDMOUGIN, membre correspondant, dit avec son talent habituel deux pièces de vers intitulées : Dans la lande et Diner de banlieue, qui sont accueillies par les plus vifs applaudissements.

La séance est levée à quatre heures et demie.

Le Président, Le Secrétaire, Paul LAURENS. E. BEsson.

=. 00. DORE

BANQUET DE 1881.

Comme de coutume, le dîner qui suit la séance publique eut lieu dans le grand salon du Palais Granvelle, décoré avec élégance et distinction. En dehors de plusieurs bustes, qui rappelaient les illustrations de la Franche-Comté (1), et des écussons des villes dont les représentants participaient à la fête, on remarquait une panoplie très expressive d'objets sym- bolisant les diverses branches des sciences et des arts. M. Du- cat, l’inspirateur de cette décoration, avait été intelligemment secondé par MM Boutterin, Ripps et Vaissier. Chacun des motifs distribués dans le salon avait un encadrement de dra- peries et de plantes rares, fournies et installées avec goût par MM. Demangelle et Calame. Sur la table et sur les chemi- nées, M. Dubois-Chevaidel avait prodigué les bronzes d’art et les opulentes poteries de la fabrique dijonnaise dont il est le représentant. Le menu, très réussi, était l’œuvre de la maiï- son Colomat.

M. le président Paul Laurens avait à sa droite M. le géné- ral Wozrr, commandant le 7e corps d'armée, et à sa gauche M. le premier président PÉrivier. En face, M. Albert GirRaAR- poT, président élu pour 1882, était assis entre M. GALTIER, préfet du Doubs, et M. le procureur général Mazraun. Ve- naient ensuite : M. DELAVELLE, maire de Besancon ; M. Jules JURGENSEN, délégué de la Société d'histoire et d'archéologie de Neuchâtel; M. Bessire, délégué de la Société d'Emulation de Porrentruy; M. Barzzy, président du Conseil général de la Haute-Saône, délégué de la Société d'encouragement à

(1) Les historiens Carrcer et Duxon, l'architecte Nico, le natura- liste Cuvier, les littérateurs Suarp et Joseph Droz, le diplomate mar- quis DE MOuSTIER.

EL

l’agriculture de ce département, MM. Henri L'EPée et le capi- taine du génie TrouILLET, délégués de la Société d'Emulation de Montbéliard; MM. Emile Lonçi et CHAVANNE, délégués de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Haute-Saône; M. Charles GranpuougiN ; MM. Victor GiroD, SIRE, DuUCAT, SAILLARD et PAILLOT, anciens présidents de la Compagnie; M. Félix MarrorT, président de la Chambre de commerce; M. le comte pe SouLrTrairT, trésorier général ; M. Henri Mar- RoT, président du tribunal de commerce ; M. le marquis DE MousTtier, membre du Conseil général du Doubs; M. Amédée ARNAL, vice-président du Conseil de préfecture ; M. le capi- taine D'AURELLE DE MoNTMoRIN, aide-de-camp du général Wolf; M. Rérir, directeur des domaines ; M. Léon BARBIER, ancien sous-préfet; MM. Edouard Besson et Alfred Mame, substituts du procureur général; MM. Dunop DE CHARNAGE et Ciron, avocats ; M. Henri d’'ARNEVILLE, chimiste; M. Phi- lippe Faucourré, professeur d'agriculture; M. DEMONGEoT, inspecteur des écoles communales ; M. Henry, docteur ès sciences ; M. RoBINET, juge au tribunal de commerce ; M. Tourenoz, principal du collège de Baume-les-Dames, membre du Conseil académique ; M. Alexis ARNAL, économe honoraire du Lycée ; M. l'ingénieur LEBRETON:; M. DuruPT, trésorier de la Société; M. DE Gassowsxr, artiste peintre; M. VaïssieR, conservateur adjoint du musée archéologique, efC: 1EIC.

De nombreux toasts ont animé la période du dessert. En réponse aux remerciments chaleureux que lui adressait l'ho- norable M. Paul Laurens, interprète de tous les convives, le général Wolff voulut bien rendre grâce des lettres de natura- lisation qui lui avaient été décernées par la Compagnie, féli- citant celle-ci d’avoir pour président annuel un homme éga- lement distingué par l'élévation de son caractère, la distinc- tion de son esprit et la courtoisie de ses procédés. A son tour, M. le préfet Galtier fil un délicat éloge du beau et intelligent département dont l’administration lui est confiée. Sur un élo-

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quent appel du secrétaire décennal, M. Edouard Besson, les délégués présents burent aux relations cordiales des associa- tions voisines et amies avec la Société d'Emulation du Doubs : ces répliques eurent pour auteurs MM. Jules Jugensen, de la Société d'histoire de Neuchâtel ; Bessire, de la Société ju- rassienne d'Emulation de Porrentruy; Henri l’'Epée, vice- président de la Société d'Emulation de Montbéliard ; Longin, de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Haute-Saône. Puis M. Charles Grandmougin porta, dans son beau langage de poète, la santé de nos voisins de la Suisse, dont 1l avait été l'hôte. M. Castan fit des vœux pour la prospérité d’une asso- ciation d'appui moral que les Franc-Comtois habitant Paris ont récemment organisée. Enfin M. Albert Girardot, prési- dent élu pour 1882, remercia gracieusement la Compagnie de la marque de confiance qu'elle venait de lui accorder.

Nous publions ci-après la plupart de ces discours, avec la confiance que cette nouvelle page d’annales accroîtra le patri- moine d'honneur de la vaillante Société d’'Emulation du Doubs.

Toast de M. Paul LAURENS, président annuel,

MESSIEURS,

Je dois à la bienveillance extrême de vos suffrages l’hon- neur insigne de présider cette fête annuelle.

Je ne saurais assez vous dire combien je suis touché des témoignages que vous n'avez cessé de me prodiguer pendant la campagne qui va se clore.

Parvenu au déclin de l’âge, arrivé à la dernière limite de mon obscure carrière, je trouve dans l'expression si complète et si sincère de vos sympathies la meilleure récompense des faibles efforts ct des minces travaux qu’il m'est permis d’in- voquer. ;

Il y a longtemps, Messieurs, que Montesquieu a dit : «Qu'on » se défasse de ce préjugé que la province n’est point en état

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» de perfectionner la science et que ce n’est que dans la capi- » tale que les académies peuvent fleurir. »

La Société d'Emulation du Doubs, par l’activité de ses re- cherches dans le domaine des choses de l'esprit, par la fécon- dité de ses œuvres vives, n'est-elle pas la justification de ce jugement du grand moraliste ?

Persévérez donc, Messieurs, dans la tâche que vous avez si dignement entreprise ; gardez-vous à jamais de toute défail- lance, de toute hésitation.

Ah ! Ja persévérance ! mais c’est entre les mains de l’homme le levier le plus puissant; c’est la caution du présent, la sau- vegarde de l'avenir ct, par dessus tout, le gage assuré du suc- ces.

Avec la persévérance les horizons s'étendent, les perspec- tives deviennent infinies, et, comme l’exprimait naguère un géologue célèbre, « nous savons comment se sont élargis suc- » cessivement le monde grec, le monde romain, le monde » moderne; le monde futur embrassera le monde entier. »

Eh ! que dis-je, Messieurs, que vous n'ayez admirablement compris ? Ge gage de persévérance, nous le rencontrons dans le résultat du scrutin d’hier au soir, dans le choix que vous avez fait du docteur Girardot, de ce jeune savant, pour guider votre action et vous conduire à de nouvelles victoires.

Et puis, Messieurs, les encouragements les plus flatteurs vous ont été réitérés; les représentants les plus élevés des pouvoirs publics se sont toujours fait un devoir de répondre à votre appel avec un généreux empressement.

Quelle prérogative, quel stimulant, et combien devons-nous être pénétrés de reconnaissance ! Aussi ne serai-je que votre modeste interprète en vous proposant de résumer vos senlti- ments envers les protecteurs de notre Société dans un toast énergique à M. le général Wolff, qui allie si heureusement la gloire des armes au culte des lettres !

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Toast de M. GALTIER, préfet du Doubs.

MESSIEURS,

C’est une véritable bonne fortune pour tous ceux qui arri- vent dans votre beau pays de Franche-Comté de recevoir tou- jours et partout l'accueil le plus cordial et le plus sympa- thique.

Que l’on traverse vos grandes villes, vos principaux vil- lages, que l'on parcoure vos belles montagnes, au milieu desquelles la nature s’est plu à répandre ses trésors les plus précieux, on éprouve une très vive satisfaction, on ressent au fond de l’âme les impressions les plus douces, en constatant avec quel empressement, avec quelle affabilité les populations de cette contrée pratiquent les lois de l'hospitalité.

Quel est l'étranger qui, amené dans ce pays par ses fonc- tions ou par toute autre cause, n’a été, pour ainsi dire, traité comme un ami?

C'est dans votre Société surtout, Messieurs, que l'on trouve cet accueil charmant ct particulièrement agréable des hommes adonnés à la culture des lettres, des sciences et des arts.

Vous nous invitez à venir à vous, et vous conviez tous ceux qui veulent bien répondre à votre appel à unir leurs efforts aux vôtres pour développer le goût des hautes études et vous aider dans la recherche de la vérité.

Vous pratiquez les devoirs de l'hospitalité d’une facon si large, si complète, qu’il y a peu de temps encore vous placiez à la tête de votre Société un fonctionnaire venu de loin, un de mes compatriotes.

Et nous tous, qui sommes ici vos invités, ne sommes-nous pas la preuve éclatante de votre généreuse courtoisie ?

Cette hospitalité si grande, Messieurs, qu’on ne trouve que rarement, croyez-le bien, n'est-elle pas la conséquence des sentiments patriotiques des populations de ce pays? Elles voient dans celui qui arrive un membre de cette grande

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famille francaise à laquelle elles sont fières d’appartenir, un enfant de cette mère-patrie qu'elles sont toujours prêtes à défendre, en lui consacrant toutes leurs forces et tout leur dé- vouement. L'amour de la patrie rend les hommes bons et hospitaliers.

Je bois à l'hospitalité franc-comtoise !

Je bois au patriotisme des populations de la Franche-Comté!

Toast à la Suisse, par M. Charles GRANDMOUGIN.

Par delà nos sapins et nos plaines gelées,

Nos fleuves clairs, nos rocs et nos larges vallées,

Je bois, comme Français et comme troubadour,

À la Suisse voisine, amie, hospitalière,

Dont les pics solennels sont baignés de lumière, Dont les lacs transparents et bleus parlent d'amour!

À la Suisse j'ai dit mes œuvres, mes rimes

Ont chanté nos forêts, nos fleuves et nos cimes,

j'ai trouvé des cœurs qui répondent au mien,

À la Suisse qui vit loin des combats et vibre

Pour ce qui peut charmer tout homme vraiment libre, Et reste unie à nous par plus d’un fort lien!

Avec ce vin français, maintenant, chère Suisse, Ferre d'indépendance et terre de justice,

Je bois allègrement à la Franche-Comté;

Et boire à mon pays, Suisses, c’est boire au vôtre, Car ils restent toujours soucieux, l’un et l’autre, Et de leur République et de leur Liberté!

Toast de M. Besson, secrétaire décennal.

MESSIEURS LES DÉLÉGUÉS DES SOCIÉTÉS SAVANTES,

Un des principaux avantages des fêtes comme celle d'au- jourd’hui est de permettre aux représentants des Sociétés sa- vantes de notre région de se réunir, de se grouper au moins momentanément, de se rappeler ainsi qu'ils sont et qu ils doi- vent rester les membres d’une même famille.

Le mot de famille n’est pas pour vous surprendre, vous,

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Messieurs, qui nous venez de ces cités franc-comtoises unies à leur antique métropole par tant de traditions et de souve- nirs, et qui aujourd’hui surtout vivent avec elle en pleine et entière communauté de sentiments et d'aspirations. Voilà pourquoi nous sommes toujours heureux de vous voir autour de cette table le plus nombreux possible; voilà pourquoi, tout en regreltant de constater dans vos rangs des absences inaccoutumées, nous applaudissons de grand cœur à la for- mation des Sociétés nouvelles qui se sont récemment fondées dans notre province, et dont nous pouvons en ce moment sa- luer les représentants au milieu de nous.

Ce même mot de famille ne doit pas non plus vous étonner, vous qui nous avez été délégués par les Sociétés savantes de l’autre côté du mont Jura. Je vous rappelais aujourd’hui, à notre séance publique, que plusieurs fois, dans le passé, la Franche-Comté avait failli devenir un canton suisse. Et de fait, il existait entre les deux régions des affinités, des sym- pathies ne se traduisant pas seulement par la similitude des aspects physiques, mais ayant aussi leur expression dans le caractère, les sentiments, le langage des habitants. Ces traits d'union n’ont échappé à aucun des historiens de la Franche- Comté et de la Suisse. Si l'événement s'était réalisé, si nous n'étions pas devenus ce que nous sommes fiers d’être, et ce que nous comptons bien rester toujours, je veux dire Fran- ais, sans doute nos destinées eussent été modifiées profondé- ment. Mais il est un sentiment que nous nourririons aujour- d'hui aussi profond, aussi vivace qu’il peut l'être dans nos cœurs avec la situation que devaient nous donner les lois fatales de l’histoire, et ce sentiment, c’est l’amour de la France. La Suisse, en eflet, nous a montré qu’elle aimait notre pays, dans la mauvaise comme dans la bonne fortune. Elle nous en a donné des preuves récentes dont il m'est agréable de rappeler le souvenir; et c’est au nom de ce sentiment com- mun qui anime les deux pays, au nom de l'amour de la France, au nom du patriotisme dont M. le Préfet du Doubs

XLVI

nôus parlait tout à l’heure en si excellents termes, et que des fêtes comme celle-ci sont encore de nature à développer en resserrant d'une manière plus étroite les liens de fraternité et de solidarité qui nous unissent tous les uns aux autres: c'est au nom de ce sentiment, qui a toujours été l'apanage et l'honneur des régions de l’Est, que je vous propose de boire aux Sociétés savantes de la Franche-Comté et de la Suisse!

Toast de M. J. JURGENSEN, délégué de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Neuchätel. |

MESSIEURS ET CHERS COLLÈGUES,

J'ai l'honneur de vous apporter le salut amical et dévoué de vos confrères d'outre-Jura.

La Société neuchdteloise d'Histoire et d'Archéologie est à la fois une compagnie savante et une institution populaire.

Le nombre de ses adeptes va sans cesse en augmentant, le public applaudit de mieux en mieux à ses travaux et à ses succès, enfin, sa grande réunion annuelle a pris rang, peu à peu, parmi les événements dont le retour est fêté avec plaisir dans le pays.

Ces traits d’analogie entre l'Association qui m'accueille ici depuis tantôt dix ans avec une bienveillance inépuisable et celle qui me confère le mandat de venir à Besançon resserrer les liens qui nous unissent ne sont-ils pas propres, Mes- sieurs, à susciter d'utiles réflexions ?

Pourquoi le public, élément trop subjectif, ne serait-il pas ingénument associé aux études des savants, aux recherches des érudits ? Pourquoi ceux-ci ne s’appuieraient-ils pas sur de sympathiques auxiliaires ?

La gloire des privilégiés ne rejaillit- elle pas sur leur en- tourage, et un état-major nombreux n’ajoute-t-il rien à l’au- réole des chefs suprêmes ?

Plus concluante encore serait l’expérience, dans le cas parti- culier du moins, si vous répondiez a vec assiduité à notre appel.

XLVII

Vous trouveriez chez nous quelques confrères dignes de l’appellation de maîtres, et un grand nombre d'amis tout dis- posé à s’incliner devant votre savoir étendu et votre incontes- table autorité.

L'une des joies de ma vie (c'est votre confrère et ancien ami qui parle en cet instant) aura élé de m être toujours in- cliné avec bonheur, avec respect, avec amour devant une su- périorité plus générale et plus haute, devant cette supériorité du génie francais, devant cette France que le malheur enno- blit, que la prospérité rend indulgente et féconde, que la ca- lomnie des uns et l'envie mal déguisée des autres rehausse dans la pensée des hommes attentifs.

« Depuis la guerre de 1689 jusqu'à la fin de 1769 nous » éCrivons, On a fait presque sans discontinuation tout ce » qu'on pouvait pour ruiner la France sans ressource, et on » n'a jamais pu en venir à bout. C’est un bon corps qui a eu » la fièvre pendant quatre-vingts ans avec des redoublements » et qui à été entre les mains des charlatans , mais qui » VIVrA. »

C’est donc en 1769 que Voltaire écrivait cette phrase assez caractéristique. Le Roi (pourrions-nous en être fort étonnés ?) fit prier, à deux reprises, ce chicaneur sublime d’aller de près tarabuster les Genevois.

Mais laissez-moi vous rapporter une autre parole qui, pour être contemporaine, n’en est pas moins typique.

Elle fut prononcée peu après les malheurs de la dernière invasion, alors que les ennemis croyaient la France irrémé- diablement mutilée et pour jamais vaincue :

_ « Le plus cruel déboire que ses voisins pussent avoir à su- » bir serait que la France s’isolât d'eux et qu'elle bâtit un mur > à sa frontière. »

Parole de grand sens, de sens profond ! Son auteur n’est plus de ce monde; mais je l’ai pieusement recueillie de sa - bouche vénérée, et comme il m'avait enseigné l'amour de la France, je l'enseigne à mon tour.

XLVII

Mais le « mur » en question ne sera jamais réel. Votre na- ture est trop noblement expansive !

Vous l’avouerai-je cependant? ma jalouse affection n’est pas blessée de ce qu’à votre générosité naturelle, parfois ex- cessive, vous associez un sentiment plus calme et plus müû- rement réfléchi de vos intérêts véritables.

La confiance vit d’aimables réciprocités et de gages solides mutuellement échangés.

Or, en vérité, sans bâtir de murs, ne faut-il pas protéger la fronticre ?

Et, en matière de commerce, quelque libre-échangiste qu'on puisse être d’ailleurs, le patriotisme n’impose-t-il pas le de- voir de recourir aux droits compensateurs ?

Nous ne nous écrierons pas : « périssent les principes! » à n'importe quel prix, mais bien et avant tout : Vive à jamais la noble France, symbole de progrès, instrument de liberté , gardienne des plus précieuses traditions dans le monde !

Toast de M. BessrrE, délégué de la Société jurassienne d'Emulation de Porrentruy.

MESSIEURS,

Profondément touché des bienveillantes paroles que vous venez d'adresser à la Société d'Emulation de Porrentruy, je viens, en son nom, vous prier d’agréer ses’remerciements et l'expression de ses sentiments de confraternité et de sympa- thie.

Si jusqu’à présent nous n'avions pas répondu à vos nom- breuses et gracieuses invitations, veuillez ne pas en chercher la cause ailleurs que dans des empêchements uniquement matériels : je veux parler de la distance qui nous sépare et des moyens de communication relativement très défectueux.

Mais consolons-nous! les seuls obstacles qui nous ont em- péchés d'aller resserrer les liens qui nous unissent depuis

XLIX

vingt ans vont disparaître, et bientôt nous pourrons nous rendre en grand nombre à vos solennités. Déjà le gigantesque Gothard a ouvert ses flancs à la hardiesse du génie humain : ce qui donnera un puissant élan à la circulation sur nos che- mins de fer et, partant, établira une correspondance plus di- recte entre nos lignes et les vôtres. Le multiple rempart de montagnes qui nous sépare de vous dans le sud de notre Jura va s’écrouler devant l'industrie de nos vaillants et intelligents montagnards, el, avec le retour des hirondelles messagères, une nouvelle voie de communication s'ouvrira entre nos val- lées et votre savante métropole. Alors, nous pourrons aller plus souvent saluer cette belle terre de France, ce soleil le- vant de la civilisation , pour tendre une main cordiale à ses dignes enfants, nos frères de langue et de sentiment, el satis- faire ainsi le besoin que nous éprouvons tous de nous rappro- cher d’eux.

Nous voulons espérer que vous nous honorerez aussi de vos aimables visites, et que déjà dans notre prochaine réu- nion, qui aura lieu à Porrentruy l'été prochain, nous aurons le bonheur de pouvoir réserver à vos délégués un accueil franc, cordial et sympathique.

Je bois, Messieurs, aux bonnes et fréquentes relations entre notre Société et la vôtre!

Toast de M. Emile LonGIN, délégué de la Société d'agriculture, sciences el arts de la Haute-Saône.

MESSIEURS,

C'est un grand honneur pour moi que d'avoir à vous re- mercier, au nom de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Haute-Saône, de l'accueil si bienveillant que vous faites à ses délégués. de me félicite d'autant plus vivement d'être chargé de vous apporter l'expression de ses vœux fraternels que, depuis huit ans, j'appartiens au même titre que plusieurs de mes collègues à la Société d'Emulation du Doubs : c’est

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vous dire avec quelle joie je saisis cette occasion d'affirmer toutes mes sympathies pour les œuvres auxquelles vous devez une notoriété si éclatante.

Je sais, et tous mes collègues savent comme moi, les ser- vices signalés que vous ne cessez de rendre à la cause du pro- grès. Soit que vous fouilliez les entrailles du globe afin d’a- mener au jour les vestiges des âges qni n’ont pas d'histoire, soit que vous ouvriez la porte à la poésie, ou que, dans un langage plein d’éloquence, vous fassiez revivre les traits à demi effacés des diplomates ou des guerriers qui ont illustré le comté de Bourgogne, nul ne saurait méconnaître l'impor- tance de vos travaux. À qui douterait du rang que votre acti- vité vous assigne parmi les sociétés savantes, il suffirait de montrer vos collections, votre bibliothèque. Aucune branche des connaissances humaines ne vous demeure étrangère, et, par la variété de leur rédaction non moins que par la solidité de leur science, vos Mémoires sont une des richesses intel- lectuelles de cette province dont un de ses enfants a énergi- quement peint la vraie puissance de travail, lorsqu'il a dit : « Dans mon pays, on attelle six bœufs, et on laboure le gra- » nit. »

Voilà, Messieurs, les titres de votre Société à la reconnais- sance de tous ceux qui conservent le culte des choses de l'es- prit. Aussi, après la brillante séance à laquelle nous avons eu la bonne fortune d’assister, si j'ose parler de nos modestes réunions de Vesoul, c’est uniquement pour attester que le but que vous poursuivez aux applaudissements de tous, nous nous efforcons également de l’atteindre.

Fondée au début de ce siècle par de courageux citoyens que les ruines de la révolution n’empêchaient pas de croire au relèvement de la France, la Société d'agriculture, sciences et arts de la Haute-Saône a surtout consacré ses efforts à la vul- garisation des découvertes qui tendent à accroître la produc- tion nationale en même temps qu'à améliorer la condition des travailleurs. L'agriculture n’est pas cependant l’objet ex-

EN Tr clusif de nos préoccupations, et ceux d'entre vous qui feuil- lettent notre Bulletin savent la part qui y est faite aux études archéologiques. C'est que nous n'ignorons pas quel puissant secours les enquêtes de l'archéologie prêtent aux investiga- tions de l'histoire. Ils sont déjà loin de nous, les temps l’on pouvait dénoncer cette dernière science comme une vaste conspiration contre la vérilé : aujourd'hui, la France n'a rien à envier aux nations voisines, et, depuis les attachants récits d’Augustin Thierry jusqu'aux consciencieuses études de M. Taine, la piété filiale de nos historiens a su reconstituer pour ainsi dire pierre à pierre les assises de la société mo- derne.

Quant à nous, passionnément attachés au sol qu'ont fécondé les sueurs de nos pères, nous gardons dans nos cœurs le sou- venir de l’heure il a été souillé par les pas de l'étranger, et de tous les vœux que nous formons, le plus ardent est de vivre assez pour voir tous les Français s'unir dans une com- mune pensée de patriotisme. Ce vœu, vos applaudissements le prouvent, est aussi celui des membres de la Société d'Emu- lation du Doubs, et c’est pourquoi nous attachons tant de prix aux cordiales relations que vous voulez bien entretenir avec nous.

Messieurs, je bois à l'union plus étroite et plus fraternelle que jamais de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Haute-Saône et de la Société d’'Emulation du Doubs.

Toast de M. Henri L'EPée, vice-président de la Société d'Emu- lation de Montbéliard.

MESSIEURS,

La Société d'Emulation de Montbéliard nous a fait l'hon- neur, à M. le capitaine Trouillet ct à moi, de nous déléguer pour la représenter à votre réunion annuelle.

C'est avec un plaisir infini que nous sommes venus jouir de vos savants et intéressants travaux.

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Depuis bien longtemps, Messieurs, nous suivons avec un vif intérêt la succession de vos publications rombreuses et variées, toujours marquées au bon coin de lesprit et du vrai savoir, Votre exemple ne laisse pas que d'imprimer à notre société une impulsion favorable ; nous nous félicitons d’avoir en ce moment uvue série importante de travaux terminés ou en préparation.

C'est pour nous une agréable diversion aux soucis et aux labeurs quotidiens, que d’être venus nous retremper au mi- lieu d'une société amie et sympathique.

Je bois, Messieurs, à l’Emulation, à la santé de tous les membres de votre Société et des représentants des associations voisines, je puis dire amies, réunies pour cette fête.

Toast de M. CASTAN, secrétaire honoraire.

MESSIEURS ET CHERS CONFRÈRES,

Il s’est formé récemment à Paris une association qui a pour but de donner un appui moral aux Jeunes Franc-Comtois se destinant aux carrières libérales. Comme les Comtois sont à la mode, leur association l’est également, et, sur le terrain parisien, ce n’est pas une médiocre chance de fortune. ;

Cette association se réunit tous les mois, autour d’une table dont le service débute invariablement par des assiettes de gaudes, cette base de l'alimentation du paysan franc-comtoïs : de le nom de Banquet des Gaudes donné au festin mensuel, et celui d’Association franc-comitoise les Gaudes adopté par le groupe des dineurs.

L'idée de cette création appartient à notre compatriote M. Ulysse Robert, érudit distingué, travailleur vigoureux et persévérant, qui sait, par la plus honorable des expériences, combien la lutte est pénible quand le secours est incertain. Exonérer ses jeunes compatriotes des difficultés qu’il avait éprouvées lui-même, tel a été le mobile de son initiative, im- médiatement encouragée par un maître qui est aussi le micn,

M. Jules Quicherat, le plus éminent des Comtois d'adoption. L'idée parut si généreuse dans son principe, si opportune quant à son application, que plus de deux cents de nos com- patriotes habitant Paris en sont aujourd’hui les adeptes.

Aux termes du règlement, la présidence des réunions men- suelles est offerte à tour de rôle, par invitation spéciale, « à un Franc-Comtois marquant. » Cette présidence a été succes- sivement exercée par le littérateur Francis Wey, par les pein- tres Jean Gigoux et Gérôme, par le statuaire Jean Petit, par le député Charles Beauquier, celui-ci toutefois déguisé, comme c'est son droit, en archiviste paléographe et fêté uniquement (n’en déplaise à Messieurs les radicaux !) pour son travail non politique sur les Provincialismes, dont nous avons été les heu- reux éditeurs.

Au dessert, un archiviste paléographe de profession, dé- guisé à son tour en poète, a coutume de mettre en gaudisserie l'assistance par des quolibets rimés dans la langue des Noëls bisontins et débités avec l'accent d’un authentique mangeur de gaudes : ce qui n'empêche pas ce spirituel émule de notre légendaire Barbisier d’être, sous son nom réel d'Henri Bou- chot, l’une des lumières du département des estampes de la Bibliothèque nationale.

Si le sel franc-comtois s’harmonise bien avec les gaudes, un mélange de sel gaulois et de sel attique ne saurait leur nuire. Ce précieux amalgame existe dans le beau talent d’un vrai poète, que l'association compte parmi les fidèles de ses réunions : j'ai nommé M. Charles Grandmougin , le collabo- rateur applaudi de nos séances publiques, l’aimable convive dont la présence réelle à cette table nous permet de saluer à son aurore une gloire littéraire de la Franche-Comté.

L'association comtoise, comme tout parvenu qui se respecte, a éprouvé la tentation de se chercher des aïeux. En pareille matière, vouloir c'est toujours pouvoir, surtout avec la con- _nivence des archivistes paléographes. Or, l'association a bien voulu découvrir qu'elle descendait en ligne directe d’une cer-

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taine confrérie d'appui mutuel fondée à Rome, au xvu® siècle, par un groupe important de réfugiés comtois. L'histoire de cette confrérie, c'est nous qui l’avons tirée des limbes : aussi sommes-nous devenus en quelque sorte les gardiens du meil- leur des titres de noblesse dont puisse se prévaloir l’associa- tion.

Voilà comment le sympathique secrétaire de celle - ci, M. Henri Chapoy, a su se faire applaudir, dans le dernier dîner des Gaudes, en affirmant, avec une bienveillance sans égale pour nous, la nécessité de relations intimes entre la mo- derne confrérie comtoise et sa sœur aînée la Société d'Emu- lation du Doubs.

Nous ne pouvons, Messieurs, que nous gaudir d'aussi flat- teuses avances, et je crois être votre interprète en répliquant à nos chers compatriotes par ce triple toast :

À la vie longue et prospère de l'Association franc-comtoise de Paris!

À la vaillante administration de ses directeurs MM. Ulysse Robert et Henri Chapoy!

Aux succès actuels et futurs du représentant qu'elle a ce soir parmi nous, à notre collaborateur des grands jours, au poète Charles Grandmougin !

Toast de M. Albert GirarporT, président élu pour 1882.

MESSIEURS LES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ D’EMULATION Du Douss,

Vos bienveillants suffrages m'ont conféré l’insigne honneur de présider à vos travaux pendant l’année 1882 : laissez-moi vous témoigner dès aujourd'hui toute ma gratitude pour cette marque de haute confiance, et vous assurer de mon entier dévouement. ;

Alors que parmi vous tant d'hommes éminents semblaient désignés à votre choix, vous avez jeté les yeux sur moi, que ma jeunesse et mon inexpérience auraient tenir éloigné

longtemps encore de cette fonction qui impose, avec de sé- rieux devoirs, une lourde responsabilité. |

Vous avez voulu, par là, je n’en doute pas, donner un nou- veau témoignage de votre sympathie à tous les travailleurs de bonne volonté, à lous ceux qui désirent contribuer aux progrès de la science, chacun dans la mesure de ses moyens. Que cet amour du progrès scientifique vous soit un gage de mon zèle dans l’accomplissement de la mission-que vous me confiez! Je m'efforcerai de maintenir notre Société dans la voie si féconde qu'elle suit depuis plus de quarante ans ; mais pour accomplir une telle tâche, je sens que tous mes efforts seraient insuffisants si vous ne m'apportiez l’aide de votre bienveillance ; vous ne la refuserez pas, j'en suis certain, et je compte également sur les lumières et le dévouement bien connu de tous les membres de votre bureau. Grâce à eux, grâce à vous tous, Messieurs, notre chère Société ne discon- tinuera pas sa marche progressive dans le cours de la pro- chaine année. |

Je bois à la prospérité de la Société d'Emulation du Doubs et à l'union de tous ses membres!

MÉMOIRES.

LA

SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DU DOUBS

ENIN, SG 'E

Discours d'ouverture de la séance publique du 13 décembre

Par M. Paul LAURENS

PRÉSIDENT ANNUEL,

MEspaMEs, MESSIEURS,

En conviant chaque année, dans cette enceinte, le public qui s'intéresse aux choses de l'esprit, la Société d'Emulation impose à son président le devoir de signaler les étapes qu'elle a parcourues dans le domaine des lettres, des arts et des sciences.

Fidèle au programme qu'elle a inscrit au frontispice de ses statuts réglementaires, la Société n'a pas failli, dans le cours de la dernière campagne, à sa mission de sentinelle avancée du progrès; de nouvelles œuvres, de nouvelles conquêtes dans le vaste champ qui s'offre à son infatigable fécondité, témoignent de sa force, de sa puissance, et deviennent pour l'avenir autant de gages d'une incontestable valeur.

Je me reprocherais de lasser votre attention, toujours si bienveillante, par l'exposé d’une sèche nomenclature des dis- sertations multiples et variées qui ont défrayé chacune de nos séances mensuelles.

Permettez-moi de ne m attacher qu’aux points qui me sem- blent capitaux dans cette énumération ; et au premier rang, _je citcrai, avec un orgueil bien légitime, notre participation au congres des sociétés savantes à la Sorbonne.

pi -_ Le secrétaire de la section des Beaux-Arts a dit avec beau- coup de sens, dans son rapport sur l'ensemble des travaux :

« J'adinire l’homme d’une contrée; il faut être l’homme » d’une région, d'une époque, d'un groupe d'hommes, sous » peine d’être inexact dans le contour, ignorant des détails; » de méconnaître l'intimité des personnes et des choses. »

Quelle justesse dans cette définition ! et ne trouvez-vous pas, avec moi, qu’elle ne saurait mieux s'appliquer qu'à cet érudit profond, à cet esprit pénétrant, à cet artiste de fait et d'inspiration, que par un choix aussi spontané qu'il est ho- norable, la section des Beaux-Arts a appelé, dans sa séance du 20 avril, au fauteuil de la vice-présidence; en un mot, à M. Auguste Castan. |

Dans cette séance du 20 avril, M. Castan a donné lecture d'un mémoire intitulé : Le Bronzino du musée de Besançon. Vous n'entendrez pas sans plaisir l'appréciation qui en est faite par l’éloquent archiviste de la Commission de l’Inven- taire des richesses d'art en France, M. Henri Jouin ; je trans- cris tout simplement ses paroles :

« Charles-Quint, Granvelle, Cosme de Médicis, Eléonor » de Toiède, Angiolo Bronzino, les Farnèse gravitent autour » d’un tableau, dans le récit alerte et sobre de M. Auguste » Castan. Le tableau est une Déposilion de la Croix, que ren- » ferme aujourd'hui le musée de Besancon. A tous les points » de vue, ce chapitre d'histoire, l'esthétique et la diplo- » matie tiennent une place égale, est fait pour captiver l’es- » prit.

» Il est peu de musées en France qui ne possèdent une » œuvre hors de pair, dont la Genèse mérite d’être racontée.

» L'étude de M. Castan peut servir de modèle à ceux qui » le suivront dans la voie il est entré. Le maïtre florentin, » qui fut l’ami de Vasari, recoit d’une main de Français un » hommage ingénieux que Vasari lui-même eût apprécié. En » effet, le texte de M. Castan n’est pas une redite ou un com- » mentaire; il ajoute à l’histoire de Bronzino; il précise la

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» valeur du tableau de Besancon et celle de la répétition faite » par l’auteur, pour le musée des Offices, à la demande du » duc Cosme ; des deux œuvres, la plus remarquable est en » France. »

Le travail de notre éminent confrère acquiert, par le fait de cet éloge si bien mérité, une notoriété toute particulière. Aussi la Société ne manquera-t-elle pas de comprendre ce morceau magistral dans la composition de son prochain vo- lume de mémoires, de telle sorte que chacun pourra ainsi être iniuié aux détails, curieux à plus d'un titre, qu'il con- tient sur les hommes et les choses de cette époque. Et ce n'est pas tout. Nous retrouvons à la section d'histoire et d’archéo- logie ce vaillant M. Castan, toujours prêt à entrer en lice dans les tournois littéraires ; toujours dévoué à la grandeur, à la prospérité de notre Société dont 1l est le pilote ct le soutien.

Cette fois , il s'agissait de ce magnifique mémoire qui fit sensation à la séance solennelle de l’an dernier, sur l'Eglise et l'hôpital de Saint-Claude des Bourquignons à Rome. Je ne puis que répéter l'analyse de ce morceau, d’après le rapport publié à l'issue de la séance de la Sorbonne.

« M. Castan, dit le rapporteur, rappelle tous les souvenirs » historiques et archéologiques qui se rattachent à cette fon- » dation toute Franc-Comtoise dont il a pu, le premier, con- » sulter les archives déposées à Saint-Louis des Français. » Cette association, fondée au milieu du xvu® siècle à l'insti- » gation et en faveur de Comtois obligés de s’expatrier pour » échapper à la politique de Richelicu, acquit des biens assez » considérables, et fut annexée, en 1801, à Saint-Louis des » Français. M. Castan émet le vœu que, sur le revenu des » biens-fonds provenant de l’ancienne colonie comtoise, on » songe à prélever une somme consacrée à fonder des pen- » sions qui pourraient être utilisées en faveur de Franc-Com- » tois que les Conseils généraux n'auraient pas de peine à » désigner. »

Ce témoignage, dans sa simplicité, dit beaucoup.

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La découverte (car c'est une découverte) de la fondation de Saint-Claude n'est, du reste, pas le seul fruit de la mission artistique et archéologique confiée à notre cher confrère dans les villes d'[talie.

Ecoutez plutôt ce que M. le Ministre de l'Instruction pu-

blique et des Beaux-Arts écrivait tout dernièrement à ce sujet à M. Castan lui-même. « J'ai recu, avec la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, deux exemplaires du travail que vous avez ré- digé à l'issue de votre mission dans les villes du midi de la » France et dans les musées d'Italie.

» Gette étude remarquable répond entièrement à 1. COn- » fiance que mon département vous a témoignée, et je l'ai » lue avec le plus vif intérêt. Votre ouvrage sera présenté à » la Commission des voyages ct missions dès le jour de sa » première séance, et je ne doute pas qu'elle ne s'associe aux » éloges que je suis heureux de vous adresser personnelle- » ment. »

Associons-nous aussi à cct hommage rendu au compatriote qui nous fait lant d'honneur !

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Dans la section des sciences, un autre de nos compa- triotes, dont nous avons le droit d’être fiers, le sympathique M. Georges Sire, a exposé sa remarquable théorie de Ia dé- viation du pendule.

L'analyse de cette théorie offrirait plus d’une difficulté; nous entrons de plain-pied dans les formules algébriques qui, pour les profanes dont je suis le premier, sont autant de signes cabalistiques.

Bornons-nous à dire que M. Sire a obtenu un grand suc- cès ; que la communication de son ingénieux appareil, qu'il appelle le Dévioscope, a fixé l'attention de l’Académie des sciences et lui a valu les suffrages des hauts dignitaires de ce corps illustre entre tous.

M. Sire nous a fourni, de plus, la démoristration d’un autre

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appareil dont il est l’auteur, et auquel 1l applique le nom tout symbolique de Station météorologique portative. Get appareil peut, au moyen de dispositions particulières, servir tout à la fois de thermomètre, de baromètre ct d'hygromètre.

Sa forme et son poids le rendent d’un usage et d'un trans- port faciles, et dans ces conditions, 1l devient d’un grand se- cours dans les excursions scientifiques des clubs alpins.

Ah! plus que jamais nous vivons dans un siècle de pro- grès. Pour quiconque a visité cette splendide exhibition d’é- lectricité, n'est-il pas permis de proclamer que l’homme, par l'expansion des forces de son génie, se rapproche de plus en plus de l’auteur divin, du principe souverain de toutes choses.

Ah! le progrès, le véritable progrès, le progrès sainement interprêté, c'est, suivant la définition d’un grand esprit :

« Plus de connaissances dans l'ordre intellectuel, plus d'é- » quité dans l’ordre moral, plus de puissance dans l’ordre » matériel. »

Tout à l'heure, j'ai nommé l'électricité. Encore sous l'im- pression des merveilles dont j'ai eu la bonne fortune d’être témoin cet automne, je ne puis me défendre d’une digression, et je cite un jugement dont j'ai été frappé.

« Actuellement les petites forces sont difficiles à se pro- » curer ; les petits moteurs sont peu commodes, grands dé- » pensiers en proportion du travail qu’ils donnent; l’électri- » cité, au contraire, est bon diviseur de la force ; on lui four- » nit des centaines de chevaux-vapeur; elle les distribue par » toutes petites fractions, presque sans rien en perdre ; agent » précis et docile, elle en donne juste ce qu’on lui en demande, > au moment même on en a besoin. Il est certain que par- » ticulièrement pour notre nation qui n'aime pas l'atelier, » pour nos Français qui ont le goût du travail individuel et » y apportent un esprit ingénieux et inventif que le monde » reconnaît, la possession d'une force domestique toujours à » la disposition de l’ouvrier, est le plus précieux agent de » progrès moral et matériel qu’on puisse imaginer. Ces forces,

2 à si heureusement distribuées, l'électricité ira les puiser aux grandes sources, jusqu'ici forcément négligées, par exemple aux chutes d'eau trop lointaines qui tombent aujourd hui sans profit et dont la puissance, transportée sur des fils, ira animer les méliers et les machines-outils dans les centres actifs le travail trouve sa rémunération.

» Au point en est la question, ces espérances n'ont plus rien de hardi, perspectives encore assez lointaines il y a deux ans, elles ont actuellement pris un corps. »

Oui, comme le dit fort bien le rapporteur, elles sont deve- nues une réalité. Pour les moindres appareils, oui Mesdames, voudrez-vous bien le croire, jusqu’à votre machine à coudre, l'électricité se fait notre humble auxiliaire et se charge de nous épargner le soin ct la fatigue de la transmission du mou- vement. Et à combien d’autres n'est-elle pas disposée à se sou- mettre au gré de nos satisfactions, de nos désirs et de nos be- soins ! :

Mais prenons garde de nous attarder, et n'oublions pas que notre rôle ne doit consister que dans une sorte de synthèse, n'ayant pas mal d'analogie avec la froideur compassée d'une table des matières.

Comme toujours, le lot de l'archéologie a été abondant chez nous. L’habile agent-voyer de l'arrondissement de Besançon, M. Georges Métin, en opérant des fouilles pour la construc- tion du pont de Thoraiïise, a mis à découvert, aux abords de l'emplacement de ce pont, un cimetière de l'époque gallo-ro- maine qui a rendu quantité d'objets d’un incontestable mé- rite, vases en terre et en verre, fibules, bracelets, etc.

L'intervention de notre Société n’a pas été inefficace pour la conservation et le dépôt de tous ces vestiges au musée des Antiques.

De son côté, M. Castan nous a donné la signification de quatre stèles funéraires, trouvées aux environs de la gare du chemin de fer de la Viotte, ainsi que la description d’une co- lonne en granit enfouie sous le sol de la promenade Gran:

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Re (0 velle, et qui devait provenir de quelque grand édifice gallo- romain.

Les travaux de M. l'ingénieur Albert Travelet, sur la grotte de Quincey; de M. le docteur Cavaroz, sur la station préhis- torique de Grandchamp, près de Cernans, ne sont pas moins faits pour piquer la curiosité des antiquaires que celle des naturalistes.

Enfin les fouilles, au champ de tir de Pontarlier, d'un tu- mulus gaulois dont le frère de notre digne secrétaire, M. le capitaine Besson, a bien voulu envoyer le produit à notre musée; les découvertes précieuses opérées cet automne, au territoire de Mandeure, sous les auspices de nos dévoués con- frères, MM. Ducat, Vaissier, Besson et Castan, avec la colla- boration momentanée de l’éminent archéologue, M. Jules Quicherat, concluent et complètent cette série de nos œuvres vives.

Oserais-je, à ce propos, exprimer un vœu; c'est que des fouilles fussent tentées dans l'emplacement de notre capitole, aux environs de ce massif planté de grands arbres qui fait le fond de la maison, Grande-Rue, 91,

Ces fouilles auraient une immense portée. L'Etat, nous en avons l'assurance, prêterait largement son concours à la dé- pense.

Des difficultés d’un ordre secondaire, puisqu'elles tiennent à des convenances d'intérêts particuliers, paraîtraicent former, quant à présent, obstacle à la réalisation de notre vœu.

Nous voulons nous persuader que ces difficultés ne tarde- ront pas à être aplanies, en s'adressant à l'intelligence et au patriotisme des membres de l'excellente famille qui possède l'immeuble les explorations devraient avoir lieu.

La savante dissertation de M. Castan, sur le missel du car- dinal de Tournai, à la bibliothèque de Sienne, figurera dans le prochain recueil de nos mémoires ; il s’agit d’un splendide produit de calligraphie et d'enluminure exécuté vers 1475,

|) dans les Flandres, pour le bourguignon Ferry de Clugny, mort cardinal en 1484. C'est aussi dans le recueil prochain, dont la Société compte hâter la publication, au gré du désir de chacun, que devra

. Ôtre insérée la grande étude de notre confrère, M. Tridon,

sur Simon Renard, ce diplomate franc-comtois que la finesse de son esprit ne servit pas moins que la ténacité de son ca- ractère dans la négociation du mariage du roi d’Espagne, Philippe IF, avec Marie Tudor.

Cette page d'histoire, que je ne crains pas de qualifier de magistrale, recommande sans réserve son autcur à l’estime la plus entière du monde savant.

Je passe à dessein sous silence des travaux qui restent en- core sur le métier, tels que la refonte du Dictionnaire des communes du département, publié dans la série des Annuaires de 1844 à 1848.

Mais notre Société ne s'attache pas seulement, dans sa féconde initiative, à mettre en relief les faits qui touchent à la littérature et aux sciences. Elle tient à honorer les hommes qui ont illustré le pays, qui ont contribué à rehausser l'éclat de notre vieux blason comtois.

C’est ainsi qu'en février dernier, cle provoquait, de la part de notre édilité, l'attribution du nom de Charles Nodier à la rue cet écrivain passa une partie de sa Jeunesse et il composa ces ouvrages qui, bien que de loin, faisaient pres- sentir la verve humoristique de l’auteur, devenu fameux, de la Napoléone, tout en révélant les qualités aimables du con- teur et du critique liltéraire. Nodicr nous appartient par sa naissance et par sa famille ; la Société a le droit de se féliciter

d’avoir ajouté à la consécration de sa mémoire un témoignage

non moins éclatant que durable.

PIût à Dieu que notre chapitre nécrologique dût s'arrêter là. Que de pertes dans le cours, si rapide cependant, de la dernière campagne !

M. Henri Sainre-CLaire DeviLe, l'illustre chimiste qui

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préluda à la fondation et à l’affermissement de notre Faculté des sciences; M. Achille Drezesse, Ie savant minéralogiste que notre Compagnie a eu l'honneur de compter parmi ses directeurs; M. Henri Goquan», professeur de géologie, qui a pris une si belle part à l'accroissement de nos musées et de nos collections d'histoire naturelle; M. Philippe PErRauD, de Lons-le-Saunier, historiographe de distinction ; M. le doc- teur Ferdinand KELLEr, de Zurich, l'auteur de la première découverte des stations lacustres; le vertueux prélat, M£' l’ar- chevêque Justin PAULINIER, qui, en sa qualité de membre d'honneur, nous accordait loutes ses sympathies ; enfin, M. Léon Brerizzor, dont l’action et l'influence ont été si prépondérantes dans la gestion des intérêts du pays : élu, en 1866, président de notre Compagnie, il disait avec l'autorité d’un éminent esprit : « La Société d'Emulation est une société » ouverte, non pas à tout venant, mais à tous ceux qui voient » dans les sciences un puissant élément de civilisation, une » force éminemment libérale et humaine »

Arrivé au terme de cette revue rétrospective et sommaire, je me reprocherais de ne pas exprimer hantement à l’as- scmblée d'élite qui se trouve ici réunie notre vive reconnais- sance de l'accueil qu'elle daigne faire à l'appel de notre So- ciété.

La meilleure de nos récompenses, le stimulant le plus sûr de nos efforts, c’est votre bienveillance, Mesdames, Messieurs ; à nous de la justifier davantage, à nous de manifester que nous savons en goûter le mérite, et je ne crains pas de sous- crire, dés ce soir même, l'engagement solennel de multiplier à cet effet les ressources de notre bonne volonté.

Des esprits chägrins s’en vont répétant, chaque jour, que l’époque est mauvaise; que les préoccupations de toute nature _ tendent à énerver l'humanité, à affaiblir le niveau des études, à détourner de la recherche du vrai, du beau et du bien. Et puis, disent ces critiques, chaque chose a son temps; les so-

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clétés littéraires, comme les individus, parcourent le cycle de leur destinée qu’elles ne sauraient franchir.

Cette prophétie n’a rien d’original ; elle n’est pas née d'hier; elle avait déjà cours, bien avant la régénération du monde, et je le prouve immédiatement.

On raconte que Mécène et Virgile se promenaient un soir sur les bords du golfe de Messine, non loin de ces champs fertiles le poèle des Bucoliques a placé le drame de ses églogues apaisées.

La campagne était silencieuse ; un parfum subtil s’échap- pait des terres cultivées et montait aux sens.

Mécène subit l'enivrement de celte heure étrange, et, s'a- dressant à Virgile : « J'aime cette langueur nocturne qui res- » semble à une lassitude de la nature; elle est l’image de » notre caducité et de l'épuisement de nos sens; l'homme se » lasse de toutes choses. »

« Ne soyons pas ingrats, mon ami, répliqua Virgile : » l'homme se lasse de toutes choses, dites-vous, præler intel- DUÉTOTE 0

Oui, l'homme se lasse de tout! à l'exception des choses de l'intelligence; et j'ajoute, pour rester dans les limites étroites de ma modeste thèse, à l'exception des choses qui attestent que, sur cette terre de France et de Franche-Comté, le pa- triotisme est à la hauteur de l’érudition et de la science.

NÉbhOEOCIE

J:5J. DIETRICH. H: SAINTE-CLAIRE DEVILLE. PH. PERRAUD. GODRON. À. DELESSE. H. COQUAND.

qe mr votes ans

M. Jean-Jacques Drerricx, secrétaire général de l’admi- nistration de Belfort, avait été archiviste départemental du Haut-Rhin et s'était fait connaître par d’intéressants mé- moires historiques sur sa province natale. Après la doulou- reuse annexion de {871 , il fut l'organisateur de cette admi- nistration du territoire de Belfort, qui semble faite pour re pas laisser prescrire les droits de la France sur une province dont l'affection lui demeure entière. Afin que ce sentiment eût un foyer sur la terre francaise, il provoqua la création à Belfort d’une Société d'Emulation analogue à la nôtre, etil fut, jusqu'à son dernier soupir, l’âme de cette Compagnie. Nous ne saurions oublier l'intérêt qu'il témoignait à nos pro- ductions, et le cordial accueil qu'il fit, comme président de la Société belfortaine, aux délégués qu’envoya la Société d Emulation du Doubs à Belfort, en 1878. M. Dietrich était chevalier de la Légion d'honneur et associé correspondant national de la Sociëté des antiquaires de France. Il est décédé à Belfort le 10 juin 1881.

M. Henri Sainre-CLatRe DeviLze est une des illustrations de la France dans le domaine des sciences physiques. Sa dé- couverte de l’Aluminium le classe parmi les inventeurs scien- tiques qui ont fait les plus honorables sacrifices en vue du but à atteindre : il est connu qu'il mit au creuset son argen- terie pour multiplier ses expériences; les premières de celles-

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ci eurent lieu à Besançon. Il nous était arrivé, en 1845, âgé de 26 ans, en qualité de doyen de la Faculté des sciences qui venait de nous être restituée. Il nous rendit aussitôt le ser- vice de démontrer chimiquement la valeur potable des eaux d'Arcier, suspectées d’être malsaines, alors que leur retour s’imposait à la ville de Besançon comme une nécessité abso- lument impérieuse. La Société d'Emulation du Doubs le fit son président pour l’année 1849. Deux ans après, il nous était enlevé pour entrer à l'Ecole normale comme maître de con- férences, puis à l’fnstitut comme membre de l’Académie des sciences. Néanmoins, il conservait un profond souvenir des moments qu'il avait passés parmi nous. En effet, lorsque notre Société lui décerna par acclamation, en 1865, la qua- lité de membre honoraire, sa réponse fut ainsi conçue : « J'ai » passé à Besançon une partie de ma jeunesse et de mon âge » mûr, et mes meilleurs souvenirs se rapportent à ce temps : » je suis enchanté d'être quelque chose à Besançon, surtout » par l'élection. »

M. Philippe PEerraup, ancien élève de l'Ecole normale su- périeure , occupa pendant plusieurs années la chaire de se- conde du Lycée de Besançon et limita volontairement sa car- rière à l'emploi de professeur de rhétorique au Lycée de Lons- le-Saunier, voisine de son berceau. C’est à la bibliothèque de Besançon qu'il contracta le goût d'occuper ses loisirs en fai- sant des recherches historiques sur la Franche-Comté. La So- ciété d'Emulation du Jura eut le bénéfice de ses recherches, et longtemps elle s’honorera d’avoir publié dans ses Mémoires les travaux intitulés : Lacuzon d'après de nouveaux documents (1866); Lutte entre les Gouverneurs de Franche-Comté et le Par- lement (1871); Les Etats, le Parlement de Franche-Comté et la conquête de 1668 (1873). Le premier de ces travaux obtint, en 1869, le prix de mille francs dans le concours ouvert par l'Etat entre les érudits des trois départements de l’ancienne Franche- Comté. « Voilà, disait le rapporteur de ce concours, de la

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» bonne histoire, de l'histoire bien écrite, que l’on comprend » et que l’on retient aisément! » M. Perraud était un homme de conscience et d'étude : il ne livrait à l'impression que ce dont il parvenait à être content lui-même. C'est ainsi qu'il laisse sur le métier deux thèses de doctorat, auxquelles il tra- vaillait depuis huit ans et qu'il ne pouvait se décider à mettre au jour : l’une a pour sujet le dialecticien comtois Guillaume de Saint-Amour, l’autre envisage le chroniqueur Girardot de Nozeroy, auteur du lugubre tableau de la guerre de dépopu- lation que nous fit Richelieu avec le concours du plus farouche des lieutenants de Gustave-Adolphe. Espérons que ces deux études sont dans un état d'avancement suffisant pour que la Société d'Emulation du Jura puisse en enrichir le domaine des lettres comtoises. M. Perraud prenait un vif intérêt à nos travaux, et presque chaque année il se déplacait pour être l’un des auditeurs de notre séance publique : 1l eût été de droit délégué de la Société d'Emulation du Jura au banquet qui suit habituellement cette séance; mais sa timidité exces- sive l’'empêcha toujours d’être de nos convives. Cette timidité, son unique défaut, ne fit de tort qu'à lui-même, puisqu'elle ne l’empêcha pas de mettre au jour quelques belles études qui comptent parmi les meilleures pages écrites de nos jours sur les annales franc-comtoises.

Antérieurement, c’est-à-dire le 16 août 1880, nous avions perdu le botaniste Goprow, doyen honoraire de la Faculté de Nancy et correspondant de l’Institut, qui avait été recteur départemental à Besancon en 1851 et était devenu à cette occasion Collaborateur de Grenier dans la rédaction de la Flore de France. M. Godron avait tenu à maintenir son nom sur la liste de nos associés, et, en 1876, il nous adressait son ingénieux et patriotique opuscule sur la Lorraine dite alle- _mande, le pays messin et l’ancienne province d'Alsace : un in- téressant rapport nous fut fait sur ce travail par M. Edouard Besson, notre sympathique secrétaire.

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Quelques mois plus tard, le 24 mars 1851, s'éteignait le minéralogiste Achille Dezesse, qui avait été l’un des colla- borateurs de Henri Deville pour la reconstitution de notre Faculté des sciences. Achille Delesse était immédiatement devenu l’un des adeptes de la Société d'Emulation du Doubs, et le premier d’entre ses collègues de la Faculté, il avait obtenu parmi nous, en 1848, les honneurs de la présidence. Huit études de minéralogie, publiées sous nos auspices entre les années 1846 et 1851, lui assurent une place honorable dans les annales scientifiques de notre association. Il était entré à l'Institut, en 1879, comme membre de la section de minéralogie de l’Académie des sciences.

La Société d'Emulation du Doubs doit également s’associer à la perte que la science francaise à faite, au milieu du mois d'août dernier, dans la personne du géologue Henri CoquAND, mort à Marseille à l’âge de 71 ans.

M. Coquand, originaire d'Aix, vint, en 1850, remplacer Achille Delesse dans la chaire de Auldeie de la Faculté des sciences de Besancon. Avec l’ardeur toute méridionale de son tempérament, il-fit entrer notre association dans la voie du large recrutement, ce qui a été pour elle un élément de pros- périté financière et par suite une source de moyens d'action à mettre au service de diverses branches d'étude. Le géologue Coquand et le botaniste Charles Grenier se partagèrent pen- dant une dizaine d'années la direction de nos travaux. Co- quand fit modifier, en 1856, le format de nos publications pour y introduire plus aisément son Traité des Roches, qui ouvre la série de nos Mémoires. Ge travail occupe à lui seul tout un de nos volumes : il méritait, par sa portée scientifique, la belle part que son auteur lui avait taillée dans nos publica- tions. Tout en contribuant par une série d’études intelligentes à la confection de nos Mémoires, Coquand créait, dans le Musée d'histoire naturelle de cette ville, une collection pré- cieuse d'échantillons des roches des divers pays. La promp-

HR | ÉPRESR titude de son coup-d'œil de spécialiste le faisait rechercher pour les travaux d’expertise : il a beaucoup opéré dans ce sens, particulièrement en Algérie.

Il quitta Besancon en 1859, pour occuper à Marseille, dans la circonscription de ses origines, une chaire de géologie qu'il ne tarda pas à abandonner. Il nous restait attaché par le titre de membre honoraire, juste témoignage de la part considé- rable qu'il avait prise au développement de notre association et à la production de travaux qui nous ont fait un réel hon- neur.

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CGOUP-D'ŒIL

FABRIQUE D'HORLOGERTE DE BESANCON

Par M. Paul LAURENS

PRÉSIDENT ANNUEL DE LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DU DOUBS.

Séance du 13 août 1881.

Ainsi que nous avons eu déjà l’occasion de le dire, les pu- blications intéressant les diverses branches de l’activité intel- lectuelle se multiplient avec une rare fécondité et semblent, par le fait même de cette fécondité, stimuler les recherches des érudits et des savants.

C’est un grand honneur pour la Société d'Emulation d’a- voir été l’une des premières à provoquer ce mouvement d'é- mancipation des œuvres de l'esprit, qui tend chaque jour à s'affirmer au milieu de nous.

Mon intention n’est pas de dérouler sous vos yeux la liste de ces nombreux traités de sciences, d'histoire, d'archéologie, dont nos collections s’enrichissent périodiquement, dans l’in- tervalle d’une séance à l’autre. Qu'il me suffise de rappeler que ces richesses sont à la disposition de chacun de nous; que chacun, suivant la spécialité de ses études, peut venir puiser à cette source abondante d'enseignements.

Notre Société est de son temps : elle se garderait bien de tenir la lumière sous le boisseau ; son désir le plus sincère est de courir à la conquête de l'humanité par le progrès des sciences, des lettres et des arts. ve

Dans cette croisade d'œuvres qui convergent toutes au

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mème but, je vous demande la permission"de signaler une publication nouvellement éclose sous le titre de Revue du génie civil ; cette publication a, pour ainsi dire, donné à notre con- trée la primeur de sa tâche de vulgarisation.

La Société a recu, en dernier lieu, le numéro de juillet qui, dans une notice spéciale consacrée aux industries et au com- merce du département, met en relief les ressources et la puis- sance de notre industrie horlogère.

C'est grâce à son voisinage de la Suisse que notre vieille cité métropolitaine a aujourd'hui l'heurcux privilège d’être le centre unique en France de la fabrication de l'horlogerie.

Qui aurait pu prévoir que cette hospitalité si généreuse- ment offerte à un groupe de patriotes neuchâtelois suscite- rait chez nous une industrie éminemment précieuse ?

Ce n'est pas que notre fabrique n'ait eu à vaincre aucune difficulté, à surmonter aucun obstacle. Tout au contraire, la période de gestation a été longue, pénible même.

Une industrie ne s'acclimate pas au sein des populations sans avoir à lutter contre les préjugés, contre les défiances, contre ce courant d'idées plus ou moins saines que les massses suivent trop souvent avec une docilité digne d’un meilleur sort. Ces luttes, la colonie horlogère les a rencontrées; ces luttes, la colonie horlogère les a affrontées, les a subies, et elle à fini par en avoir raison.

Et cela devait être.

Cueilli sur la terre proverbialement classique de la liberté, ce rameau helvétique ne pouvait manquer de végéter sur le so] libéral de la Franche-Comté.

Faible arbrisseau battu par les vents, il a grandi, prospéré au delà de toute mesure, et c’est de nos jours l’athlète vigou- reux, le chêne qui défie les orages.

Oui, Messieurs, notre horlogerie a traversé bien des phases _périlleuses, sans rompre ni fléchir.

Industrie de luxe dans la plupart de ses applications, l'hor- logerje redoute par dessus tout les secousses politiques, les

ns fie événements qui ébranlent le crédit, suspendent le travail, jettent le trouble, l’hésitation dans les relations et les échanges.

Que d'étapes angoissantes elle a franchir dans ce cycle qui date de l’an n de la République !

Pour ne parler que de l’époque contemporaine, à quel de- gré d'abaissement la détestable guerre de 1870 ne l’avait-elle pas réduite? Le croirait-on : en novembre 1870, le contrôle de la garantie ne relevait que 4? montres en argent, ayant produit au fisc une perception de 16 francs!

Le mois suivant, décembre 1870, une bien faible lueur d'espérance semblait jaillir du contrôle de 39 montres en or et 250 en argent, avec une recette fiscale de 256 francs.

Quelle différence avec ce qui se passe ! En décembre 1879, c'étaient 14,384 montres en or et 23,724 en argent qu'il était permis de compter pour une perception de 83,602 fr. Tant 1l est vrai qu'en matière d'industrie, l’ordre, la paix et la liberté constituent le fonds social qui manque le moins.

Quels que soient les succès obtenus dans le passé, ce n’est guère qu'à partir de l'exposition bisontine de 1860 que l'élan de la fabrication s’est manifesté.

Cette année-là, le nombre de montres soumises au contrôle fut de 211,811, dont 76,146 en or, chiffre encore inconnu à cette époque.

En effet, en 1845, le travail se réduisait à 8,693 montres en or et 45,499 en argent.

En 1851, on parvenait à 14,785 montres en or et 53,091 en argent.

Les exercices 1858 et 1859 atteignirent successivement le total de 190 mille pièces, dont 65 à 66 mille en or.

C'est par centaine de mille que depuis 1866 on calcule le nombre des montres en or : 136 mille en 1869; 144,500 en 1876; 149,907 en 1879, et plus de 146 mille en 1880.

Les montres d'argent suivent une progression pareïlle, de telle sorte que le total des opérations du contrôle s'élève de

Dee 419,984 pièces, en 1875, à 455,968 en 1876, pour retomber à 454,886 en 1878 et à 413,832 en 1880.

C'est bon an mal an, quoi qu'il en soit, une valeur de 19 à 20 millions qui est créée au sein de notre population.

Nous venons de le voir, l’exercice de 1880 accuse une dé- pression assez sensible, mais rassurons-nous, nous n'irons pas loin sans réparer ces déficits momentanés. ,

Le premier semestre du présent exercice nous a déjà fourni un total de 217,041 pièces, soit sur la période correspondante de 1880 un excédent de plus de 24 mille pièces.

La fabrique a donc repris sa marche en avant sur le champ de bataille de la concurrence et du progrès.

Elle a conquis, à l'honneur de notre cité, un monopole dont elle ne se laissera pas dessaisir. Et puis, si l’on envisage de près cette année 1880, année de dépression, année de recul si vous voulez, on trouve que l'horlogerie étrangère a répandu sur le marché francais 83,674 pièces; que Paris, le Havre, Nice ont pu monter 800 pièces : c'est dont un total de 84,474 pièces à aligner eu regard de nos 413,832 montres, ce qui re- vient à dire que la fabrique bisontine a fourni à elle seule, dans les transactions sur le marché national, un contingent de 83 00.

Et le fisc, il encaisse en espèces sonnantes la gerbe qui lui revient dans cette moisson de succès. C’est ainsi que dans le couts des cinq dernières années, de 1876 à 1880, la recette a varié de 855,400 à 921,500 fr.

Voilà à coup sûr un assez joli denier, en retour duquel l'Etat serait mal venu à marchander sa protection à nos inté- rêts.

Pardonnez-moi, Messieurs, tous ces détails : ils n’ont rien de scientifique, rien de littéraire, mais ils touchent aux évo- lutions de la vie sociale, et, à ce point de vue, ils ne sauraient vous paraître indifférents.

Aussi bien, Messieurs, n'est-ce pas à la Société d'Emula- tion qu'il faut rapporter une partie des succès de notre belle

09 0 industrie horlogère ? N'est-ce pas la Société d'Emulation qui a fait naître notre exposition de 1860, qui en a soutenu et dirigé l’action expansive, ct qui, par cela même, a contribué très énergiquement à étendre au loin la connaissance et le renom de notre fabrique ?

Ce n'est pas tout, Messieurs, votre initiative à cet égard a suscité au dehors d’heureuses et fécondes imitations. C’est ainsi qu'il s’est fondé, en 1878, à la Chaux-de-Fonds, une Société d’'Emulation industrielle qui, pour la seconde fois, vient d'organiser une grande exposition de l'horlogerie na- tiouale et internationale. Nous avons sous les yeux la très remarquable étude publiée à cette occasion par notre émi- nent confrère M. Jules Jurgensen.

Je ne veux pas analyser aujourd’hui cet important docu- ment; je craindrais d’abuser de votre patience. Ai-je besoin du reste de vous le dire, M. Jurgensen a toute autorité quand il parle de l'industrie qu'il qualifie de grande libératrice des masses populaires. |

Avec quelle verve patriotique, avec quel admirable talent de critique et d'écrivain, il revendique au profit de la Suisse l'universalilé des moyens, la virtuosité des résultats !

Arrétons-nous là.

Maintenant, que nous réserve l'avenir ?

L'Amérique, qui a le don de matérialiser le talent et la main-d'œuvre, nous menace de l'invasion de ses procédés mécaniques. Sans doute, pour certaines pièces, la machine est à même de remplacer l'intervention de l’ouvrier; mais quoi qu'il arrive, le lot de l'intelligence demeurera toujours intact, toujours considérable. Il y a mieux : en exonérant l'ouvrier d'un labeur assujétissant qui ne s'adresse pas à l'es- ptit, la machine laissera plus d’essor à l’exercice des facultés qui rehaussent l'homme à ses propres yeux, qui lui inspirent une salutaire idée de sa dignité et lui font sentir qu'il a été à juste Utre appelé le contre-maitre de la création, Courage et confiance, tel est notre épilogue!

SE PURNS

Mais gardons-nous de rester stationnaires; soyons vive- ment en éveil à l'endroit de tous les perfectionnements, n’hé- sitons pas à les accueillir, à les expérimenter et à les appro- prier à notre travail.

Sachons surtout faire bénéficier amplement la jeune géné- ration de cette instruction théorique et pratique, si essentielle dans l’art de l'horlogerie, et que notre école municipale met à la portée de toutes les familles.

Ayons enfin une foi robuste dans notre force, dans notre Valeur. 0

L'homme qui a une conviction sincère est à lui seul une puissance |

LE

MISSEL DU CARDINAL DE TOURNAI

A LA BIBLIOTHÈQUE DE SIENNE (|)

DÉCRIT ET ÉTUDIÉ

Par M. Auguste CASTAN

CORRESPONDANT DE L'INSTITUT DE FRANCE (Académie des Inscriptions et Belles-Lettres)

ASSOCIÉ DE L'ACADÉMIE ROYALE DE BELGIQUE.

Séance du 11 juin 1881.

Quand on s’est longtemps extasié devant les miniatures italiennes du xv° siècle, dont les tons d'azur et d’amarante semblent empruntés au crépuscule du paradis, on éprouve une sensation particulière à se trouver subitement en face des columinures finement réalistes de l'école flamande. D'une part, comme dans les suaves peintures de fra Angelico, tout semble transfiguré par la lumière céleste; d'autre part, au contraire, chaque détail est calqué sur la nature et toute figure est un portrait. Là, vous êtes sous le charme d'une sorte de mélodie religieuse, aux accents uniformément purs; ici, vous goûtez le plaisir d’une harmonie surabondamment variée et féconde en pittoresques surprises. Cette impression fut celle que je ressentis, le 22 septembre 1880, lors de ma première visile à la bibliothèque commu- nale de Sienne. Je revenais de la fameuse librairie du Dôme

DE

de cette ville ; j'y avais admiré de nombreux graduels ou an-

(1) Cette notice a été lue à l'Académie des Inscriptions et Belles- Lettres par mon éminent confrère et obligeant ami M. Léopold DELISLE, administrateur général de la Bibliothèque nationale,

MO et tiphonaires du xv° siècle, enluminés par Girolamo de Crémone et autres miniaturistes ses contemporains (1), et je ne pensais pas rencontrer à Sienne aucun produit du même ordre déri- vant d'une autre source d'inspiration : aussi ma surprise fut- elle grande en apercevant, dans une vitrine d'exposition de la bibliothèque de Sienne, la miniature principale d'un ma- nuscrit du xv° siècle essentiellement flamand. Pour un Bour- guignon de la Comté, province dont l’histoire est si intime- ment associée à celle des Pays-Bas, un tel manuscrit souriait comme la figure d'un compatriote. J'eus donc la tentation de converser avec ce volume, et toutes les facilités me furent ac- cordées à cet égard par M. le docteur Fortunato Donati, con- servateur du dépôt, ct par son aimable adjoint M. le doc- teur Martini.

I

Ce manuscrit est un Missel du format grand in-4° (307 mil- limètres sur 225), composé de 417 feuillets de parchemin choisi. L'écriture cest une gothique de moyenne grosseur, disposée sur deux colonnes : les préfaces et le canon de la messe sont à longues lignes et en plus gros caractères. Le texte propre- ment dit débute par ces mots : « Incipit Missale secundum consuetudinem Curie Romane. » L'examen du calendrier montre que ce Missel n'appartient pas seulement à la liturgie romaine , mais encore à la spécialité franciscaine de cette liturgie. En effet, on y a inscrit en caractères rouges, comme les noms des fêtes de précepte, toutes les solennités particu- lières à l'ordre séraphique : stigmatisation de saint Francois, dédicaces des basiliques franciscaines, translations des reli- ques de saint Francois, de sainte Claire, de saint Antoine de Padoue, de saint Louis de Toulouse, etc.

(1) Miniature dei libri corali della metropolitana Senese, da Carlo e Gaetano Miraxesi e Carlo Pinr, di Siena : Vite de’ pittori di G, Vasanr, edit. Le Monnier, vol. VI, 1850, pp. 211-242,

ie 06e Le velours bleu de la reliure actuelle est moderne; mais chacun des plats possède son armature primitive, c'est-à-dire des coins ornés de caractères gothiques (1) et une bossette cen- trale, le tout en cuivre doré. | Par le caractère de sa riche ornementation, ce Missel appar- tient à La famille des manuscrits flamands de la seconde moitié du xve siècle, l’époque par excellence des habiles miniatu- ristes. En effet, a pu écrire le savant abbé Dehaisnes, « le xv° siècle offre tous les caractères de la seconde moitié du xiv°, mais avec beaucoup plus de vérité, d’élévation et de fini... S1 l’on entre dans l’examen des détails, l’on admirera bien plus encore le talent des miniaturistes du xv° siècle : les yeux, les cheveux et les moindres accidents de la peau, les plis et les nuances des étoffes, les reflets des vases d'or et d'argent, les fleurs microscopiques des paysages, la transparence et le cha- toiement de la lumière dans les lointains, tout est traité avec une délicatesse, un fini, une minutieuse précision qui n’ap- partient qu'aux artistes de la Flandre. Jamais les bordures n'ont rien offert d'aussi splendide que ces larges encadre- ments foud jaune pointillé d'or, avec leurs chenilles, leurs papillons et leurs paons, avec leurs fraises, leurs roses et leurs pensées, avec leurs rinceaux facon camaïeu, ornés de glands et de feuilles de chêne, qui entourent ordinairement des ar- moiries, des devises ou de gracicuses vignettes (2), » Dans la flore ornementale de notre Missel, c’est la pensée

qui domine : elle est le symbole d'une devise BoNNE PEN- «

SéE (3) qui se trouve et souvent à plusieurs reprises sur cha- cune des nombreuses pages munies d'encadrement. Tantôt cette devise ressort en caractères gothiques noirs sur un pa-

(1) Ces caractères se lisent ainsi : Yuv, itm, mar, add, Serait-ce une maxime exprimant confiance en la profection de la Vierge Marie? « Ruo, jam Maria adducit. » 4

(2) L'abbé Denaisnes, De l'art chrétien en Flandre, 1860, in-8, pp. 6 et 66. ? 4

(3) Quelquefois BONNE PANSÉE.

En ON

pier déroulé, tantôt elle brille en lettres romaines d’or sur un cartouche couleur de pourpre, quelquefois elle n’est repré- sentée que par les initiales B. P. dans l'intérieur d'une let- trine. Aussi fréquemment qu’elle apparaissent deux écus- sons blasonnés : l’un, qui est surmonté de la volute d'une crosse épiscopale, porte, sur champ d'azur, deux clefs d'or posées en pal, adossées, les anneaux pommetés et entrelacés ; l’autre présente, en champ d'azur semé de fleurs de lys d'or sans nombre, une tour d'argent crénelée, maconnée de sable, de laquelle sortent à droite et à gauche deux crosses épisco- pales de gueules.

Aucune hésitation n’est possible sur l'interprétation de ces deux écussons : l’un renferme les armoiries de la famille bourguignonne de Clugny, l’autre celles de l'évêché de Tour- nai (1). Or, Ferry de Clugny ayant été évêque de Tournai de 1474 à 1483, et la confection de notre manuscrit ne pouvant appartenir qu’à cette période, il y a certitude absolue que la bibliothèque de Sienne possede le Missel de Ferry de Clugny. Une note manuscrite, placée dans le volume, indique vague- ment cette origine ; elle dit que ce travail d'enluminure fut fait par les ordres de Ferry de Monthelon, français, protono- taire du pape Pie ÎT, de l’ordre bénédictin de Cluny, mort cardinal en 1483 (2) : « partout, ajoute cette note, est sa de- vise Bonne Pensée, et auprès d'elle l'écusson d'un abbé de la Tour. » Ces indications traditionnelles avaient grand besoin d'être réformées. Monthelon était bien un fief appartenant à la famille de Clugny ; mais jamais l’évêque de Tournai ne sen intitula seigneur, et aucune désignation n'était moins

(1) Ces armoiries figurent sur la Vue de Tournai, gravée pour la Des- criplion des Pays-Bas de GuicHarpix.

(2) « Pienissimo di dettagliati lavori fatto fare da mons. Federigo di Monte-Leone, francese, protonotario di Pio II, dell’ ordine di Cluny, morto cardinale di S. Chiesa nel 1483.

» Per ogni lato, e il suo motto Bonne Pensée, e presso l'arme di un abate de la Tour. Vivacissimo è il colorito delle figure, ma scorretta ne & il disegno. »

NOR

que celle-là de nature à le faire reconnaître. Quant à son vrai nom de famille, l'auteur de la note en a fait le qualificatif monacal d’un ordre auquel Ferry de Clugny n’appartenait point, car s’il gouverna plusieurs abbayes, ce fut à titre de commendataire et nullement comme abbé régulier, Il était enfin tout à fait étrange de voir les armoiries de l'évêché de Tournai présentées comme celles d'un abbé imaginaire du nom de La Tour.

Une seule miniature de pleine page existe dans le manus- crit (1) : elle vient après le calendrier et les règles liturgiques, pour servir de frontispice au Missel proprement dit. On y voit un évêque en costume pontifical, agenouillé devant la Vierge qui lui apparaît. La Vierge, tenant l'Enfant Jésus sur ses ge- noux, est assise sur un trône en bois richement sculpté. Dans un pan d’étoffe, qui fait baldaquin au dessus du trône, trois anges exécutent un concert avec une trompette, une harpe et un triangle : les extrémités de la draperie sont retenues par deux anges qui semblent chanter. Derrière l'évêque, un ange est debout, qui fournit un appui à la crosse engagée dans le bras droit du prélat : un autre ange, qui voltige, tient de la main droite l'écusson des Clugny et de la main gauche une crosse épiscopale. À la gauche de la Vierge, trois petits en- fants de chœur s'unissent au concert des anges : l’un, qui est assis par terre, tient un rôle de parchemin sur lequel on lit, avec notation musicale, les premiers mots de l’antienne Re- gina cœli lælare; un autre, qui est à genoux, bat la mesure en regardant le parchemin ; un troisième, qui est debout, accompagne ses deux amis en jouant de la mandoline. Ces trois enfants de chœur forment un groupe extrêmement gra- cicux. La scène se passe sous un porche d'architecture et en

(i) M. Rosrr, percepteur à Fontaine-sur-Saône, a fait faire une re- production photographique de cette miniature, dans l'intérêt d'un tra- vail historique qu'il prépare sur Ferry de Clugny. Je me suis utilement servi, pour ma description, d’une épreuve qu'il a bien voulu m'offrir M de cette photographie.

eunes

oder

recard d’un pittoresque château, dont la porte est surmontée d'une niche englobant une statue de la Vierge. Au dessus de l’une des arcades du porche, on voit, à l’intérieur et dans l'ombre, une rosace dont le centre est un écusson portant un chevron que trois petits motifs accompagnent. Or, le prédé- cesseur immédiat de Ferry sur le siège de Tournai, Guil- Jaume Fillastre, grand bâtisseur (1), avait dans ses armoiries un Chevron accompagné de trois merlettes (?). Le miniaturiste a donc voulu représenter ici un bâtiment construit par le pré- décesseur de Ferry de Clugny, et le château placé en face doit rappeler la physionomie d’une maison de plaisance des évêè- ques de Tournai au xv® siècle.

Toute cette miniature a été traitée avec la grâce naïve et la merveilleuse finesse qui donnent tant de prix aux œuvres des Van Eyck et des Memling. L'image de la Vierge a souftert de l'humidité, mais celle de l’évêque est absolument intacte. Cest la figure d’un homme encore jeune, à la carnation fluette, aux traits fins et distingués, ayant l’œil bleu et les cheveux châtains. On a donc ainsi le portrait authentique de Ferry de Clugny, exécuté par un miniaturiste de premier

| ordre.

En dehors de ce principal tableau, le manuscrit renferme des miniatures de moindre importance. Telles sont, pour cha- cun des mois du calendrier, l’image d’un signe du zodiaque et celle d’une scène des occupations rurales. Dix-huit minia-

| tures, qui ne dépassent pas la largeur d’une colonne du texte, | marquent les offices des principales fêtes : celle qui représente | l’Assomplion de la Vierge est particulièrement radieuse; on

y voit, dans le lointain terrestre, les clochers et les tours d’une cité flamande, sans aucun doute de Tournai, la ville épisco-

| pale de Ferry de Clugny.

(1) Gazer, Histoire ecclésiastique du Pays-Bas; Wavrers, art. Fil-

lastre de la Biographie nationale de Belgique (t. VIT, col. 61-70).

(2) G. Demay, Inventaire des sceaux de l'Arlois, 2710.

one

Il

Ferry de Clugny appartenait à l’une de ces familles de ré- cente noblesse dont les ducs de Bourgogne de la inaison de Valois utilisèrent l'intelligence et les richesses pour dompter la turbulente ambition de leurs grands vasseaux. Originaires d'Autun, les Clugny furent naturellement dans la clientèle de leurs compatriotes les Rolin, tout puissants à la cour de Philippe le Bon. Ferry fit ses études dans les principales uni- versités de l'Italie, et il revint de Bologne avec le grade de docteur ès droits. Le duc Philippe le prit en gré et le désigna, en 1456, pour coopérer, au nom du clergé, à la rédaction des coutumes du duché de Bourgogne. Il fut bientôt détourné de cette tâche par des missions diplomatiques que le même prince l'envoya remplir auprès des papes Calixte IIT et Pie IT. Charles le Téméraire, à son tour, l’employa comme négocia- teur de ses traités avec le roi de France Louis XI, et ce mo- narque n hésita pas, en 1474, à approuver, comme suzerain, la promotion de Ferry au siège épiscopal de Tournai. De son côté, le duc de Bourgogne l'avait fait chancelier de la Toison d'Or, et il le désignait bientôt après pour présider, an l’ab- sence du chancelier, le grand conseil de Malines. A la suite de la catastrophe de Nancy, l’évêque de Tournai resta coura- seusement fidèle à l’héritière de la maison de Bourgogne : ce fut lui qui bénit le mariage de cette princesse avec l'héritier du trône impérial et qui administra le baptême au prince Philippe, leur premier né. Créé cardinal-prêtre du titre de Saint-Vital, le 15 mai 1480, il substitua le pape Sixte IV comme parrain de l’archiduchesse Marguerite, la future sou- veraine des Pays-Bas et de la Franche-Comté. II partit pour Rome au printemps de l’année 1482 et y mourut subitement le 7 octobre de l’année suivante (1), On l’inhuma dans le chœur

(1) Un excellent résumé des faits et gestes de Ferry de Clugny, par

SAR RE de l’église de Sainte-Marie-du-Peuple, existe encore sa tombe qui n’est qu’une simple dalle de marbre blanc avec épitaphe et armoiries (1).

III

Cette sépulture ne répondait pas à l’idée que Ferry avait toujours eue de reposer dans le pays de ses origines. A cet effet, il avait obtenu, dès 1455, l'autorisation de se faire bâtir une chapelle funéraire dans la cathédrale d’Autun. Devenu évêque, il s'était plu à embellir cette construction : aussi avait-elle le surnom de Chapelle dorée. I] reste encore quel- que chose des peintures qui en décoraient les murailles, et,

M. Emile DE BorCHGRAVE, a paru, sous forme d'article, dans la Biogra- phie nationale de Belgique, t. VIT (1880), col. 41-44.

(1) Cette dalle a 1 mètre 97 centimètres de haut sur 77 centimètres de large, La moitié supérieure est occupée par un écusson paré du chapeau cardinälice. L'écusson est écartelé : au premier et au qua- trième quartier sont les deux clefs adossées et posées en pal des Clu- gny; au deuxième et au troisième, il y a trois fleurs de lis, lesquelles, d’après M. Harold DE FonNTENAY, représenteraient les armoiries des Menneserre, alliés aux Clugny. La moitié inférieure de la dalle est remplie par une épitaphe dont voici exactement la disposition et le texte :

HIC IACET D . FERRICVS DE CLVNIACO NATIONE BVRGVNDVS . IVRIS VTRI VSQ. DOCTOR TITVLI SANCTI VITALIS PRES BYTER CARDINALIS EPI SCOPVS TORNACEN QI OBIIT DIE MARTIS VII OCTOBR ANNO SALVTIS M CCCC LXXXIII CRATE DEVM PRO SALVTE ANIME EIVS

Je dois un bon dessin de cette tombe à la gracieuse obligeance de mon compatriote le R. P. Joseph LAGRENCOT, $. d.

ie

comme sur le Missel de la bibliothèque de Sienne, on y lit cette devise souvent répétée :

PENSÉE BONNE BONNE PENSÉE.

Üne inscription qui accompagne ces peintures donne à Ferry la qualité d’évêque, sans mentionner encore son titre de cardinal : donc la décoration de la chapelle doit être con- sidérée comme postérieure à 1474 et antérieure à 1480 (1). C’est également dans ces sept années que se place la produc- tion du Missel, car aucun des insignes de la dignité cardina- lice n'y accompagne l'image et les armoiries du prélat. Tou- tefois, le caractère liturgique de ce livre témoigne du désir qu'avait l’évêque de Tournai de revêtir la pourpre romaine : en effet, s’il adopta le rite franciscain pour la confection de son Missel, ce ne put être qu'avec l'intention de faire sa cour à l’ancien général des Cordeliers qui était devenu pape sous le nom de Sixte IV. Au point de vue de ce caractère litur- gique, aussi bien que sous le rapport du style des illustra- tions, le Missel conservé à Sienne est une sorte de frère ju- meau du Bréviaire Grimani, cette merveille de l’art flamand que l'on admire à Venise {2?).

On sait les noms des trois principaux artistes qui ont col- laboré au célèbre Bréviaire. Mais faudra-t-il renoncer à con- naître le nom de l’auteur très méritant dès miniatures de notre Missel ? Nous pensons avoir repéré à cet égard une indication de quelque valeur. Dans l’un des angles inférieurs de la

(1) Ces indications concernant la Chapelle dorée de la cathédrale d'Autun sont empruntées à l'Epigraphie autunoise de mon savant con- frère M. Harold ve Fonrenay : Mémoires de la Société Eduenne, nou- velle série, t. VII, 1878, pp. 226-232.

(2) Voir la publication intitulée : Fac-simile des miniatures contenues dans le Bréviaire Grimani conservé à la Bibliothèque de Saint-Marc, exécuté en photographie par Antoine PEriNt, avec explication de Fran- cois ZANOTTO et un lexle français de L. De Mas-Larrie; Venise, 1880, in-#.

99 srande miniature, on voit une lettre M majuscule sur l’un des carreaux émaillés qui forment parquet. Aucune lettre ne figurant sur les autres carreaux, il y a lieu de considérer ce signe isolé comme une signature d'artiste. Or il se trouve que le miniaturiste en renom dans les Flandres, à l’époque fut fait notre Missel, avait précisément la lettre M pour initiale de son nom de famille. C'était Simon Marmion, de Valen- ciennes, qui avait exécuté, entre les années 1467 et 1470, un merveilleux livre d'heures à l'usage des opulents ducs de Bourgogne. Durant ce travail, c'est-à-dire le 27 avril 1468, il s'était fait recevoir franc-maitre dans la corporation des peintres, sculpteurs et enlumineurs de Tournai. Son talent sappliquait surtout à la décoration des livres : aussi les comptes des ducs de Bourgogne l’appellent-ils escripvain, et le poète Jean Lemaire lui décerne-t-il le titre de prince d’en- luminure. Dans son épitaphe rimée, le poète Jean Molinet Jui fait dire : J'ay décoré, par art et sens acquis, Livres, tableaux, chappelles et autels.

Simon Marmion mourut le 25 décembre 1489, neuf ans après la dernière date possible de la confection du Missel qui nous occupe (1). Il y aurait bien, on le voit, quelques motifs d'attribuer les miniatures de ce livre au prince d'entuminure qui , dès 1468, s'était enrôlé dans les maitres peintres de la ville de Tournai. |

Quoi qu'il en soit de cette attribution conjecturale, mais vraisemblable, il est certain que la décoration de notre Missel procède d’un miniaturiste de la contrée dont Tournai était le principal centre artistique. Le plus éminent des peintres de cette ville, Rogier van der Weyden, mort en 1464, avait été déjà encouragé-par un évêque de Tournai, Jean Chevrot,

(1) Tout ce qui concerne Simon Marmion se trouve exposé dans l'Histoire de la peinture flamande de M. Alfred Micarecs, t. IL, pp. 374- 387.

3

Ro

originaire de Poligny, en Franche-Comté. Son triptyque des Sept Sacrements, l’une des perles du musée d'Anvers, porte en effet, plusieurs fois répétées, les armes de Jean Chevrot mises en regard de celles de l’évêché de Tournai (). L'auteur des bordures du Missel de Sienne s'était évidemment inspiré de cet exemple.

Comment ce beau volume est-il arrivé à la bibliotheque communale de Sienne? Tout ce que l’on sait à cet égard, c’est que, dans la bibliothèque de l'Université de Sienne, il faisait partie du groupe des livres ayant appartenu au pape Pie II et à d’autres membres de la famille des Piccolomini (2. Or, Ferry de Clugny, envoyé comme ambassadeur auprès du pape Pie IT, avait nécessairement connu le neveu de ce pon- tife, François Piccolomini, que l’on appelait le cardinal de Sienne. Devenu cardinal lui-même, il le retrouva comme collègue, et leurs relations ne purent manquer d'être très suivies. Le cardinal de Sienne aura tenu sans doute à pos- séder un souvenir du cardinal de Tournai, et la famille de Clugny se sera fait un devoir de lui céder le précieux Missel. out porte donc à croire que la bibliothèque communale de Sienne doit ce volume aux relations de Ferry de Clugny avec l'illustre Siennois qui fut pape pendant vingt-sept jours sous le nom de Pie III.

(1) Alfred Micnrers, Histoire de la peinture flamande, t. TIT, pp. 50- 54.

(2) « Quando e come questo codice pervenisse alla Biblioteca, s’ignora, essendo certo che esso vi si‘trovava insieme con gli altri messali già appartenuti a Pio IT e ad altri Piccolomini, un secolo fù, quando cioè la Biblioteca era unita all’ Üniversità, alla quale apparteneva. » (Lettre de M, le docteur F. Donari, janvier 1881.)

STATION MÉTÉOROLOGIQUE PORTATIVE

Par M. Georges SIRE.

Séance du 9 avril 1881.

Je désigne sous ce nom un instrument destiné à faciliter les observations météorologiques dans les excursions de plus en plus fréquentes qu'exécutent les touristes, et, partant, de rendre ces excursions plus intéressantes et plus profitables à la science.

Il est regrettable, en effet, que des ascensions qui entrai- nent beaucoup de fatigues, qui exigent de l'audace, de la té- mérité même, soient entièrement stériles au point de vue scientifique. Vers le sommet des montagnes, des pics, les phénomènes atmosphériques présentent des caractères parti- culiers très différents de ceux qu'on observe dans les plaines, et l'observation fréquente de ces caractères acquérerait une valeur réelle dont la science ne manquerait pas de profiter.

Loin de moi la pensée d’accuser les alpinistes d'indifférence ou de mauvais vouloir, car je suis le premier à comprendre leur répugnance à se munir d'instruments multiples encom- brants et dont la fragilité est une cause permanente de soucis. L'absence d'un instrument simple, résistant, de petit vo- lume, d’une installation prompte et d’une observation facile, est la véritable cause de la lacune qui existe dans le récit de la plupart des ascensions alpestres et autres; et c'est pour faire disparaitre cette lacune que j'ai imaginé la station mé- téorologique portative représentée ci-contre, à demi grandeur d'exécution.

Cet instrument, que j'ai communiqué à la Société française de physique dans sa séance générale du 20 avril 1881, est com- posé de facon à pouvoir déterminer exaclement, en tous lieux,

0 ‘une manière commode et promptie, les trois données météo- rologiques les plus impor- tantes de l’air, savoir : sa pression, sa température et son degré d'humidité. Cest le groupement d'un baromètre, d’un thermomètre , d'un hy- gromètre et d'une bous- sole.

L'agencement de ces ap- pareils constitue un ins- trument d'un volume res- treint, renfermé dans un étui unique, que le touriste peut installer sur le sac à la facon d’un porte-man- teau. Toutes les pièces sont parfaitement équili- brécs, de sorte que les ob- servations peuvent se faire dans toutes les positions

nec pe ul À à de l'instrument. II peut: FAT G \E A r L nm" 2 être secoué fortement, su- 1 ea - £ bir des chocs assez violents DPI AUE |

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| Ï É sans avoir à redouter des à. Ib ll 7 4 . Enfin son poids,

S Æ OS qui n’est que de 1 kilogr., " ail ll n’augmentera pas de beau- —, coup le bagage habituel de

l’alpiniste.

Le baromètre À est mé- tallique, dit holosté- rique , Instrument bien connu. Il est == spécialement destiné à faire connaître la

(

w

BEIGE OS pression de l’atmosphére, et en déduire la hauteur au-dessus du niveau de la mer du lieu de l'observation.

La température est donnée par un thermomètre à mercure B, fixé sur un tube de cuivre qui forme en quelque sorte le support de tout le système. La graduation est l'échelle centigrade, permettant de constater les températures com- prises entre 25 degrés au-dessous de zéro et 40 degrés au- dessus. x

Pour la détermination du degré d'humidité de l'air, J'ai fait choix de l'hygromètre à cheveu de Saussure, auquel j'ai apporté des modifications importantes (1), Il résulte des travaux de Regnault que l’hygromètre à cheveu construit dans de bonnes conditions donne des résultats suffisamment exacts pour la météorologie en général. Les cheveux bien préparés fonctionnent régulièrement; de plus, leur faible masse offre cet avantage de se mettre presque de suite en équilibre d'humidité avec l’air ambiant, avantage précieux lorsqu'on ne peut séjourner que quelques minutes sur des points d'un accès difficile. J'ajoute que l'hygromètre à cheveu est le seul applicable dans les altitudes la tempé- rature de l'air est inférieure à zéro, et par conséquent il ne saurait être question de psychromètres, ou d'hygromètres à condensation.

Un des avantages de mon hygromètre à cheveu est de pou- voir déduire de suite le degré d'humidité de l’air ambiant; car une table abrégée inscrite sur la demi-circonférence infé- rieurce du cercle C permet de transformer instantanément les degrés de l’hygromètre en fractions de saturation. Or, la connaissance immédiate du degré d'humidité de l'air est une donnée qui intéresse de suite l’observateur, et le prédispose à examiner plus attentivement les conditions dans lesquelles il se trouve placé. Elle lui fournit le moyen de faire des

(1) Voy. Mémoires de la Sociélé d'Emulation du Doubs : ann. 1872, pp. 101-136. :

ne

comparaisons fort intéressantes sur l'humidité des brouillards qu'on rencontre souvent, soit vers la cime des hautes mon- tagnes, soit dans le voisinage des lacs élevés.

Chacun comprendra l'utilité de la boussole D qui donnera l'orientation de la contrée, renseignement utile, lorsqu'on visite les lieux pour la première fois, surtout lorsqu'ils sont enveloppés d’une brume épaisse. D'autre part, cette bous- sole fournira une indication très approchée de la direction du vent, si l’on attache un ruban léger à l'anneau qui termine l'appareil à sa partie supérieure.

La station météorologique ci-dessus peut rendre de sérieux services à la météorologie dans les ascensions aérostatiques, par sa résistance, la facilité de son installation et la prompti- tude de ses indications. D'un autre côté, si elle est à même de faciliter les observations aux voyageurs, il est évident que ladite station convient parfaitement pour un poste sédentaire ; attendu qu'il est préférable et plus commode d'observer des appareils groupés ct placés dans des conditions identiques, que de faire la lecture des mêmes appareils disséminés.

LE BRONZINO

BP MUSÉE DE BESANCON

PAR

M. Auguste CASTAN

CORRESPONDANT DE L'INSTITUT (Académie des Inscriptions et Belles-Lettres)

ASSOCIÉ DE L’'ACADÉMIE ROYALE DE BELGIQUE

Séance du 12 mars 1881.

La gravure ci-contre a été faite pour accompagner, dans la Gazeile

des Beaux-Arts, un article intitulé : Le Musée de Besançon et la Déposi- tion de Croix du Bronzino. L'administration de la Gazelte a bien voulu autoriser la Société d’Emulation du Doubs à demander, pour ses Afé- moires, untirage de cette intéressante estampe. :

53

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À. Walter del

ÊE BRONZINO

LA MUSBE DE BESANCON

I

Le musée de peinture de Besancon compte parmi ses no- tables richesses le plus important tableau d’Angiolo Bronzino qui existe en France (1). C'est une Déposition de la Croix, peinte sur bois, dont voici la description sommaire :

Le tableau mesure en hauteur 2? mètres 68 centimètres, en largeur 1 mètre 73; sa partie supérieure est cintrée. Au pre- mier plan, la Vierge assise tient sur les genoux et contemple avec douleur le corps inanimé du Christ, qui vient d’être descendu de la croix; un jeune homme accroupi soutient pieusement le torse de Jésus, tandis que la Madeleine, à ge- noux et éplorée, prête ses mains pour recevoir les pieds du Sauveur, Au second plan interviennent deux anges, l’un pour retenir un pan du linge qui entoure le milieu du corps de Jésus, l’autre pour porter le calice d'amertume Derrière la Vierge, une jeune femme, richement vêtue, ouvre les bras avec tristesse. À la droite de celle-ci, quatre autres Jeunes femmes témoignent, par des attitudes diverses, de leur pro- fond chagrin. Du côté opposé, trois hommes paraissent plon- gés dans la douleur : le plus en vue est Joseph d’Arimathie, vieillard à barbe blanche, qui tient d'une main les clous ayant servi au crucifiement et de l’autre les tenailles dont il a usé pour les extraire. Dans le ciel voltigent des anges qui exalient

(1) Calalogue des Musées de Besançon, par J.-F. LancrexoN, édit revue et augmentée par Auguste CasrTan, 1879 : p. 20, 50.

3.

po de

les instruments de la passion : au centre est celui qui porte Ja lance et le roseau muni d’une éponge; deux autres s'en- volent avec la colonne, et deux planent avec la croix. L’hori- zon est formé par de lointains sommets qui se confondent presque avec l’azur du ciel. Sur une pierre s'appuie la main gauche de la Madeleine, pour supporter l'un des pieds du Christ, le peintre a tracé une signature ainsi concue :

OPERA DEL BRONZINO FIORENTINO.

Cette page de grande peinture est d’un dessin magistral : sa couleur, un peu froide, a pour note dominante ce bleu d’outremer dont Bronzino se faisait un luxe d’abuser.

Avant d’appartenir aux Granvelle, ce tableau fut possédé par les Médicis. Vasari en témoigne, dans sa Notice sur Bron- zino, à propos de l’oratoire que le duc de Florence Cosme de Médicis avait fait organiser, dans le Palais de la Seigneurie, pour sa femme Eléonore de Tolède. « Sur le tableau d’autel de cet oratoire, dit Vasari, était peint à l'huile un Christ des- cendu de la croix et reposant sur le giron de sa Mère; mais ce tableau fut déplacé par ordre du duc Cosme, pour être en- voyé, comme un cadeau rarissime, à Granvelle, l’homme le plus considérable qui fût alors dans l'entourage de l'empereur Charles-Quint. Pour remplacer ce tableau, l'artiste lui-même en à fait une répétition que l’on a mise sur l’autel entre deux peintures, non moins belles que la principale, lesquelles re- présentent d’une part l’Ange Gabriel et de l’autre la Vierge recevant l'Annonciation. Au lieu de ces deux peintures, à l’époque le retable primitif fut enlevé, on voyait un saint Jean-Baptiste et un saint Cosme : ceux-ci furent mis en garde- - robe lorsque la duchesse, ayant désiré d’autres sujets, fit faire les deux nouvelles peintures accessoires (1). »

(1) « Nella tavola di questa cappella, fatfa a olio, que fu posta sopra

a) 0108

Le second exemplaire du retable, ainsi que les deux pan- neaux représentant ensembie l’Annonciation de la Vierge, sont au Musée des Offices, à Florence (1). J'ai pu récemment les y examiner, et je me suis attaché à comparer la Déposition de la Croix que possède Florence avec le même tableau de pre- mière facture qui appartient à la ville de Besancon. Le ré- sultat de cette comparaison est tout à l'avantage du morceau qui nous a été légué par les Granvelle. Ici, pour me servir des expressions de M. Paul Mantz, « le dessin, très simple en apparence, est serré et fort; le modelé est rigoureusement exact dans ses abréviations savantes (?). » Au contraire, dans la répétition de Florence, le dessin manque de précision et de fermeté, le modelé laisse à désirer comme vigueur; tous les détails trahissent l’indécision et le tâtonnement; la colo- ration est terne, et l’outremer a été tellement ménagé, que la Vierge est habillée de gris. Vasari qualifie néanmoins cette répétition de « très belle peinture et digne d’un tel lieu (3), » c’est-à-dire du palais des Médicis. Ce jugement ne semble pas avoir été ratifié par nos contemporains, car la Déposition

——

l'altare, era Cristo deposto di croce in grembo alla Madre; ma ne fu levata dal duca Cosimo per mandarla, come cosa rarissima, a donare a Granvela, maggiore uomo che già fusse appresso Carlo V imperatore In luogo della qual tavola ne ha fatto una simile il medesimo, e postala sopra l’allare in mezzo a due quadri non manco belli che la tavola,; dentro i quali sono l’Angelo Gabriello e la Vergine da lui Annunziata. Ma in cambio di questi, quando ne fu levata la prima tavola, erano un San Giovanni Batista ed un San Cosimo, che furono messi in guarda- roba quando la signora duchessa, mutato pensiero, fece fare questi altri due. » (Vasarr, Accademici del disegno, e prima del Bronzino : Vite, edit. G. MiLaxesi, 1857, t. XIII, pp. 162-163.)

(1) Déposition de la Croix, 158; Annonciation de la Vierge, n°° 52 et 54. Ces deux derniers morceaux ont été gravés par F. PozerTi pour la Galerie de Florence, publiée avec un texte français d'Alex. Dumas, 1841 et ann. suiv. pl. Lxxiv b.

(2) Hislotre des peintres de toutes les écoles : Ecole florentine, par Ch. Banc et Paul Manrz; Bronzino, par Paul Manrz.

(OAGAEES che certo è pittura bellissima e degna di quel luogo. » (Vasart, 1d., ibid.,-p. 165.)

Men

de la Croix du musée des Offices est à peine remarquée dans une salle que l’on à dédiée au Barroccio. Le prototype que possède Besançon ne serait pas à ce point dédaigné, et Flo- rence même le classerait parmi les œuvres importantes du maître. À quoi tient cette différence de valeur entre ces deux exemplaires originaux de la même composition ? C'est ce que j'essaierai d'expliquer au moyen de documents recueillis à Florence (1) et à Besançon sur chacun de ces exemplaires.

IL

Par une dépêche en date du 12 août 1545, Gosme de Mé- dicis, duc de Florence, envoyait à son majordome des ordres qui peuvent se résumer ainsi : faire partir l'ingénieur Ca- merini (2?) pour Besançon, 1l se mettra gratuitement au service de M. de Granvelle, à l'effet d'opérer le desséchement de certains marais existant dans les propriétés de ce seigneur; presser l'exécution du cadre de la peinture que le Bronzino a exécutée pour l'oratoire de la duchesse, afin qu'on l’expédie également à Besancon, à M. de Granvelle, pour la décoration d'une chapelle qu'il à fait faire nouvellement; commander d'urgence quarante flacons de gros verre, chacun de la con- tenance de cinq bouteilles, les remplir de vin grec et les adresser à M. de Granvelle, qui a le désir de les avoir à Bruxelles (3).

La réponse du majordome, faite le même jour au secré-

(1) Les deux lettres de Lorenzo Pagni, qui constituent la meilleure part de ma récolte à l’Archivio di Stalo de Florence, m'ont été indi- quées et communiquées, avec le plus gracieux empressement, par M. Gaetano Miraxesr, l'éminent commentateur de Vasari. J'ai éga- lement nombre d'indications utiles à mon savant et aimable compagnon de voyage, M. Eugène Mvwxrz, l'historien des arts à la cour des papes.

(2) Une notice sur l'ingénieur Giambattista Camerini se trouve parmi les Biografie di ingenieri mililari ilaliani de Carlo Promis. (A/iscellanea di Storia Italiana, t. XIV, 1874.)

(3) Pièces justificatives, I.

ne taire du prince, contenait en substance : {[° que l'ingénieur Camerini était prêt à partir pour Besancon; que l’encadre- ment du tableau marchait bon train, et qu'il s’achèverait de telle sorte que la rapidité du travail ne nuirait en rien à sa perfection ; que les quarante flacons de gros verre seraient prêts sous deux jours, et que l’on s'occupait des caisses né- cessaires à leur emballage (1).

Une recüfication arriva le lendemain de la part du secré- taire du prince : c'était à Bruxelles et non à Besancon que l’ingénieur Camerini devait aller se mettre aux ordres de M. de Granvelle. Rien n’était modifié quant à la destination du tableau ; Ie prince avait été toutefois satisfait d'apprendre que l'on pressait l'achèvement du cadre, car 1l désirait que le tableau ne tardât pas plus que le vin grec à pouvoir partir (?).

Dix jours plus tard, le 22 août 1545, Bronzino, dans une lettre écrite au majordome, racontait que le duc de Florence l'avait entretenu de l'envoi de son tableau à M. de Gran- velle (3) et de la question de remplacer cette peinture dans l'oratoire de la duchesse. Bronzino aurait désiré créer un nouvel ouvrage, mais le duc l’en avait détourné en lui disant : «Je veux une peinture identique à la première, sans la sou- haiter plus belle! » En conséquence, Bronzino priait le ma- jordome de commander en toute diligence le panneau néces- saire à la reproduction de son œuvre. Cependant le prince voulait que son peintre n'entrepriît ce travail qu'après achè- vement d'un portrait commencé (1).

Une douzaine de jours auparavant, Bronzino s'était plaint au majordome de n'avoir recu qu'une quantité dérisoire de

(1) Pièces justificatives, II.

(2) Id., III.

(3) Bronzino parle de l'expédition de son tableau en Flandre. Cette erreur de sa part s'explique par le fait que sur trois des envois des- tinés au garde des sceaux de Charles-Quint, deux (l'ingénieur et ie vin grec) devaient aller jusqu'à Bruxelles, tandis que le tableau s’arrêterait à Besançon.

(#) Pièces justificatives, IV.

EU

son outremer favori, il en avait requis pour le moins une demi-once et du plus beau, sous peine d'être contraint de renoncer à servir son Excellence (1). Pour que Bronzino s’ex- primât sur ce ton, 1l fallait que la pénurie d'outremer lui tint considérablement au cœur ?). Habituellement, au dire de Vasari, son ami intime, il était doux de caractère et d'une aménité parfaite (3). <

Des difficultés de cette nature se renouvelèrent-elles, ou bien le duc de Florence ajourna-t-il, par préférence pour d’autres travaux, l'entreprise d’une répétition du tableau en- voyé à Granvelle? Quoi qu'il en ait été, huit ans s’écoulerent avant que Bronzino se mit à l’œuvre pour répéter sa Déposi- tion de la Croix. Cette circonstance était indiquée par Va- sari (4), mais elle se trouve positivement affirmée dans un article des comptes de la garde-robe du duc de Florence, pour le mois de septembre 1553, article qui est ainsi conçu :

(1) ZL Bronzixo à Pier-Francesco Riccro, 9 agosto 1545, nel Carleggio inedilo d'artisti, da Giov. GAve, t. IE, p. 329.

(2) Le bleu d’outremer, qui se préparait exclusivement alors par la calcination du lapis-lazuli, était tellement rare et cher, que les peintres ne se chargeaient pas de le fournir, et que les plus riches Mécènes eux- mêmes éprouvaient souvent de grandes difficultés à se le procurer. {Vouvelles Archives de l'art français : ann. 1877, pp. 17, 112-116; ann. 1879, p. 178. Eugène Munrz, Raphaël, p. 59.)

(3) « Ë stato ed à il Bronzino dolcissimo e molto cortese amico, di piacevole conversazione, ed in tutti 1 suoi affari molto onorato. » (VA- SART., 1Did:, p.169)

(4) « In questo medesimo tempe fece la tavola che in palazzo fu messa nella cappella onde era stata levata quella che fu mandata a Granvela, che certo è pittura bellissima e degna di quel luogo. » (Vasarr, Vite, edit. G. Mianesr, Le Monnier, 1857, t. XIIL p. 165.) En tenant compte de la place qu'occupe ce passage dans la biographie de Bronzino, il est clair que Vasari indique le second exemplaire de la Déposilion de la Croix comme ayant été contemporain de la Résurrection peinte par le même artiste, et comme ayant suivi de près la production du Jésus aux Limbes. Or le Jésus aux Limbes a été daté par son auteur, et on y lit le millésime 1552. Donc si Vasari affirme que la répétition flofentine du tableau qui nous occupe est un peu postérieure à une œuvre datée de 1552, il déclare implicitement que cette répétition appartient à

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« Deux onces de bleu d'outremer confiées à maitre Bron- zino, peintre, pour le tableau de la chapelle de la duchesse, par ordre de Son Excellence (1), »

Le tableau original ayant été envoyé à Besançon {?), l’au- teur n’eut sous les yeux, pour le reproduire huit ans après, que sa maquette et quelques études partielles. On comprend ainsi l’indécision que trahissent la plupart des détails de la répétition florentine de cette œuvre. Cette circonstance seule peut également expliquer comment la signature de l'artiste n'est pas absolument la même dans les deux exemplaires : en effet, l'adjectif FIORENTINO, qui suit le nom de Bronzino, est tracé en toutes lettres sur le tableau de Besancon, tandis qu'il affecte la forme abrégée FIOR. au bas de la reproduc- tion qui est au musée des. Offices GB); et pourtant les deux signatures occupent identiquement la même place dans l'un et dans l’autre des deux tableaux.

Il résulte des indications qui précèdent que la Déposition de la Croix du musée de. Besancon fut achevée dans le cou- rant du mois de juillet de l’année 1545, et que sa supériorité sur son analogue de Florence s'explique par les huit années

l’année 1593, et il est ainsi d'accord avec l’article que nous allons citer des comptes de la garde-robe du duc de Florence.

(1) « Onci due d’azzuro oltramarino consegnato a maestro Bronzino, pittore, disse per la tavola della cappella della duchessa, con ordine di Sua Eccellenza. » (Conti della Guardaroba del duca Cosimo : settembre 1553, b. K. 27, p. 65; Archivio del Palazzo Pitli in Firenze.) Je dois la communication de ce passage à M. le chevalier Ferdinando Sounr, archiviste de S. M. au Palais Pitti.

(2) Nous aurions voulu préciser le moment de l'expédition du tableau depuis Florence; mais notre désir n’a pu être satisfait, une lacune existant dans le registre ce détail se serait rencontré. M. le cheva- lier Ferdinando Sozpt a bien voulu nous en informer dans les termes suivants : « Nel registro delle spedizioni fatte dalla corte del duca Cc- simo in coest’anno 1545, mancano tutte quelle dal di 7 di giugno al di 27 di ottobre, essendovi rimaste in bianco le pagine dal numero 6 al numero 14. »

(3) G. Micanesr, Note à la page 163 du tome XIII de son édition de Vasari, 1857, &

qui s’écoulèrent entre le départ de l'original et la production du sttond exemplaire.

III

Comment le duc de Florence fut-1l amené à distraire de l’oratoire de sa femme une page de peinture qu'il aimait, pour en gratifier le garde des sceaux de l’empereur Charles-Quint?

Ce cadeau ne pourrait étonner que ceux qui ignoreraient l'importance du rôle que joua Granvelle dans les hautes affaires dont son maître était le promoteur ou l'arbitre.

« Granvelle, dit M. Gachard, était, selon l’opinion des juges les plus compétents, le premier homme d'Etat de son époque: sa prudence, sa dextérité dans le maniement des affaires, éga- laient la connaissance qu’il avait des vues et de la politique des différentes cours de l'Europe. Jamais il n’était embar- rassé, et dans les circonstances les plus critiques, il trouvait toujours quelque expédient pour en sortir. La modération formait le fond de son caractère : il était affable et courtois; les ministres étrangers se louaient beaucoup des rapports qu'ils avaient avec lui. La confiance qu’il inspirait à Charles- Quint était sans bornes; l’empereur ne faisait rien sans le consulter, et son opinion était celle qu'il suivait presque tou- jours : il y avait d’ailleurs une si grande conformité dans leur manière de voir qu'il était rare qu’ils ne se trouvassent pas d'accord dans leurs appréciations et leurs conclusions. On ne pouvait reprocher au premier ministre que son désir d’amasser et d'enrichir sa famille : il recevait volontiers les présents qu’on voulait lui faire... Aussi, pauvre, Gran- velle laissa-t-1l sa nombreuse postérité dans une brillante po- sition de fortune (1)... )

Aucune dynastie n’était plus redevable que les Médicis à Charles-Quint et à son principal ministre.

(1) Biographie nationale de Belgique (art. Charles-Quint, par M: Ga- cHARD), t. III, col. 797-798.

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x

Ces gros marchands, parvenus à une situation princière, avaient été plusieurs fois expulsés de Florence dont ils ten- daient sans cesse à confisquer les libertés. Ils y étaient ren- trés en 1530, sous la protection des lances impériales et en inaugurant un régime de proscriptions. Charles-Quint vou- lait que Florence relevât de son sceptre : 1l créa le titre de duc pour Alexandre de Médicis et l’en investit à condition qu’il épouserait Marguerite, sa fille naturelle. Moins d'un an après ce mariage, Alexandre était assassiné et son cousin Cosme le remplaçait. Au pape Clément VIT, qui s'était voué corps et âme à la fortune de ses neveux les Médicis, avait succédé Paul IIT, de la famille Farnèse, père de deux en- fants, nés avant son entrée dans les ordres, et dévoré d’am- bition pour l'avancement de cette progéniture. Bien que son _ petit-fils, Octave Farnèse, eût à peine treize ans, il demanda pour lui la main de la jeune veuve d'Alexandre de Médicis, et l’empereur, qui désirait mettre la papauté dans ses inté- rêts, consentit à cette union. Le nouveau souverain de Flo- rence, Cosme de Médicis, dut se contenter de la main d’'Eléo- nore de Tolède, cousine germaine du fameux duc d’Albe. Entre les Médicis et les Farnèse, exista dès lors une rivalité dont l’empereur Charles - Quint fut l'objectif suprème. Les Médicis ambitionnaient de s’annexcr le territoire de la répu- blique de Sienne, et cet Etat obéissait aux inspirations d’une aristocratie absolument acquise au parti impérial. Les Far- nèse convoitaient Parme et Plaisance, qui appartenaient au domaine pontifical, mais dont le pape ne pouvait disposer sans l’assentiment du suzerain de ces territoires, c'est-à-dire de Charles-Quint, possesseur du Milanais. Rien n'étonnera dès lors qu’il y ait eu assaut de politesses, de la part des deux fa- milles rivales, envers l’homme dont un diplomate avait pu dire, dès 1530, que lui et le grand commandeur de Castille étaient « le tout de l'Empereur, » qui ne faisait rien que par eux (1).

(1) « Ledit seigneur de Grandvelles aveq Cosmes (le commandadeur

4

Mug

IV

Nicolas Perrenot de Granvelle, comme beaucoup d’autres hommes supérieurs, avait éprouvé la tentation d'être quelque peu prophète dans le pays de ses origines (1). Il était dans la petite ville d'Ornans, d’un père qui exerçait le notariat, mais avait eu au moins un maréchal-ferrant parmi ses aïeux (2). Lui-même s'était marié à Besancon, en 1513, avec Nicole Bonvalot, qui lui avait apporté quelque fortune et un rare dévouement. Sur quinze enfants issus de son mariage, dix étaient nés dans cette ville libre qui se gouvernait à la facon des républiques italiennes G). Or, il importait grande- ment au souverain de la Franche-Comté que la république bisontine vécût en communion de principes avec la province dont elle était la principale forteresse. Charles-Quint ne put donc qu'encourager son principal ministre à prendre dans la

mayeur) sont le tout de l'Empereur quil ne fait riens que par eulx; vous pourrés entretenir Grandvelles et ma dame Cosmes, et ayant ceulx pour vous, ne faictes nulle doubte de obtenir tout ce qu'il vous playra en ceste cour. » (Mémoire de l'ambassadeur BELLEGARDE qu duc de Savoie CHarLes IT; Augsbourg, septembre 1530 : Mémoires el docu- ments publiés par la Société d'histoire et d'archéologie de Genève, t. XV, 1865: 257)

(1) A. Casran : Monographie du Palais Granvelle à Besancon, dans les Mém. de la Soc. d'Emul. du Doubs, série, t. IT, 1866, pp. 71-165, avec 4 planches; L'Empereur Charles-Quint et sa statue à Besançon, ibid. t. III, 1867, pp. 185-219; Granvelle el le pelil empereur de Besancon, dans la Revue historique, t. I, 1876, pp. 78-139.

(2) Ch. Duvernoy, Notice sur les maisons de Granvelle el de Saint- Mauris-Montbarrey, Besançon, 1839, in-8. Ad. Marcer : La Vérité sur l’origine de la famille Perrenot de Granvelle, Dijon, 1859, in-8; Note sur la généalogie des Perrenot de Granvelle, dans les Mémoires de la Soc. d'Emul. du Doubs, série, t. I, 1865, pp. 41-45. « Nicolas Perrenot, mareschal, citien de Besançon, » figure parmi les témoins du testament de Henri d’Orsans, seigneur de Lomont, passé à Besançon le 6 octobre 1494. (Même recueil, série, t. Il, 1877, p. 270.)

(3) Mémoire de la nativité des enffans de monseigneur Nicolas Per- renot : pièce justificative no I de ma Monographie du Palais Granvelle.

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ville de Besancon une situation qui lui permettrait, par lui ou par les siens, de régenter cette petite république. Ce fut pour affirmer une telle situation que Nicolas Perrenot de Granvelle fit construire dans la ville libre un palais de riche et noble architecture. Get édifice fut commencé en 1534 : la municipalité souveraine y coopéra comme à une entreprise d’embellissement public; on la vit successivement annuler une ruelle publique qui aurait coupé diagonalement le futur jardin du palais, puis autoriser Granvelle à prendre dans les forêts communales les bois nécessaires au bâtiment, exempter perpétuellement l'édifice et ses dépendances de toute imposi- tion, concéder enfin un filet d’eau des fontaines publiques pour l’agrément de la maison (1).

Le bâtiment était achevé en 1540 : Granvelle ne résista pas au désir de le contempler. De Bruxelles, était son maître, il dut alors se rendre à Worms, pour essayer de faire com- prendre aux princes allemands assemblés les motifs impérieux qui leur imposaient le devoir d'oublier leurs discordes (2). I] prit sa route par la Franche-Comté et s'arrêta deux jours à Besancon, le 5 et le 6 novembre 1540 (3) ; il était accompagné de son fils aîné, âgé de vingt-trois ans, déjà nommé à l’évê- ché d’Arras et faisant preuve, en secondant son père, des qua- lités supérieures qui depuis rendirent célèbre le nom du car- dinal de Granvelle.

Après la journée de Worms et la diète de Ratisbonne, Granvelle suivit l'empereur en Italie et eut à disculper ce monarque de la complicité qu'on lui imputait dans le récent

(1) Monographie du Palais Granvelle, déjà citée. à

(2) « Et au mesme moys d'octobre (1540) partit de Bruxelles pour Bourgongne le seigneur de Grandvelle, pour dès se treuver, de la part de Sa Majesté, à Wormes, à une journée que se tenoit entre les dé- putez des princes de Empire, chrestiens et luthériens : auquel lieu arriva le 22° du moys de novembre. » (J. DE VANDENESSE, Journal des voyages de Charles-Quint, édité par M. GacxarD dans le tome IT de la Collection des voyages des souverains des Pays-Bas, p. 162)

(3) Délibérations municipales de Besancon : 5 et 6 nov. 1540.

69

assassinat de deux émissaires du roi de France. Le pape Paul III, venu à Lucques pour conférer avec l’empereur, acceptait d'être l'arbitre de cette querelle que François I®' semblait chercher à Charles-Quint. L'empereur voulut que son principal ministre se rendît à Bologne et ensuite à Rome, à l'effet d'éclairer pleinement la conscience du pontife. Cette mission retint Granvelle en Italie depuis le 24 septembre 1541 jusqu’au 23 janvier de l’année suivante. I y travailla pour les Médicis, en réformant dans le sens de leurs intérêts le gou- vernement de la république de Sienne (1). Les Farnèse, qui attendaient de lui des services analogues, furent très empres- sés à son égard. La femme d’Octave Farnèse, duc de Came- rino, était la fille naturelle de l'empereur et la petite-fille par alliance du pape : elle favorisa de tout son pouvoir les dé- marches de Granvelle, et tint à ce que le principal ministre de son père conservât d'elle et des siens un durable souvenir. A cet effet, elle lui offrit un torse grec de Jupiter, œuvre co- lossale d’un ciseau célèbre, qui avait autrefois orné la vigne des Médicis à Rome. Granvelle ne voulut confier à personne le soin d'installer un morceau de cette importance : aussi le précieux torse attendit-1l cinq ans avant de s’encadrer dans la cour du palais de Besancon. Les ambassadeurs des ligues suisses, qui l’y virent le 15 avril 1575, l’ont décrit dans les termes suivants (2) :

« Au milieu de l’atrium, ou large cour intérieure, se trouve une fontaine très limpide, au centre de laquelle s’élève une colonne : cette colonne sert d'appui à une sirène (3), qui laisse échapper de ses deux mamelles une eau très abondante. Au

(1) Alessandro di Girolamo Sozzixi, /l successo delle rivoluzioni della ciltà di Siena, nel Archivio Storico italiano, t. II, 1842, pp. 22-95.

(2) Itinéraire des députés suisses se rendant à la cour de Henri IIL roi de France, écrit en latin par Georges Ceccarius, publ. dans l’Archiv für schweizerische Geschichte, t. XIV, Zurich, 1864 : trad. franç., par G. PERRENET, dans les Annales franc-comtoises, t. III, pp. 167-178.

(3) Cette sirène, en bronze, a été comprise, en 1785, dans l’ornemen-

Fo sommet de cette colonne de pierre, se dresse une statue de marbre blanc, représentant un homme dont la barbe descend au dessous de la poitrine. Au pied de la statue on lit cette inscription gravée en lettres d'or :

HANC NOBILEM IOVIS STATVAM DELICIAS OLIM IN VINEA MEDICEORVM ROMÆ ILLVSTRISS. D MARGARETA AB AVSTRIA DVC. CAMERINI ANN. M.D. XLI GRANVELLÆ CVM IBI TVM CÆSARIS VICES AGERET DONAVIT QVI EAM VESVNTIVM TRANSTVLIT ET HOC LOCO POSVIT ANNO M. D. XLVI.

Traduction : Cette noble statue de Jupiter, qui embellissait jadis la vigne des Médicis à Rome, fut donnée, en 1541, par l'illustrissime dame Marguerite d'Autriche, duchesse de Ca- merino, à Granvelle, alors représentant de l'Empereur à Rome, qui transféra cette figure à Besancon et la placa en cet endroit l’an 1546. »

Ce torse de Jupiter séduisit Louis XIV, lorsqu'il vint, en 1683, visiter pacifiquement la province qu’il avait militaire- ment conquise onze années auparavant, et héritier des Gran- velle, qui songeait alors à devenir gouverneur de la Franche- Comté, se crut obligé d'inviter le monarque à dépouiller au gré de son bon plaisir le palais de Besancon. Ce fut ainsi que le Jupiter donné par les Farnèse alla décorer les jardins de Versailles, pour devenir ensuite, ce qu’il est aujourd’hui, l’un des beaux antiques de la collection nationale de France (t).

tation de la fontaine dite des Dames, à l'un des angles de l’ancien pa- lais de l'Intendance, aujourd’hui l'hôtel de la Préfecture du Doubs. (S. Droz, Fontaines publiques de Besancon, pp. 281-285; A. Casraw, Be- sançcon el ses environs, p. 388.)

(1) Dunon, Histoire du comté de Bourgogne, t. E, pp. 161, 165 et 166; Casrax, Monographie du Palais Granvelle, dans les Mém. de la Soc. d'Emuil. du. Doubs, 1866, pp. 90 et 139.

VI

L'inscription que nous avons reproduite indiquait l’année 1546 comme date de l'installation du Jupiter dans la cour du palais Granvelle. Mais c'était dans l'automne de 1545 que le garde des sceaux de Charles-Quint avait marqué la place que l'on devait faire occuper à cette figure.

Granvelle commencait alôrs à dépasser la soixantaine : le travail prodigieux auquel 1l se livrait l'avait prématurément usé ; tributaire, comme son maître, des attaques de goutte (1), il souffrait aussi du foie (2 et avait une disposition à l'hydro- pisie (3). Il prévoyait que sa carrière ne serait plus désormais très longue : aussi voulut-il, durant le congé qu'il avait ob- tenu, mettre par écrit ses dispositions testamentaires. Nicole Bonvalot partagea cette pensée de son mari, et les deux époux, dans leur palais de Besancon, dictèrent chacun séparément à l'évêque d'Arras, leur fils, un acte de volontés dernières portant la date du 28 septembre 1545 (41.

La seconde clause de ce testament de Nicolas Perrenot est

(1) « Par ce moyen (de deux ouvertures en chaque jambe par cau- tères potentiaux), feu monsieur de Granvelle, que Dieu absoille, se fit quicte des douleurs de la goutte, et avec peu d'incommodité se pur- geant la nature par là, se proroga la vie de plus de dix ans. » (Lellre du cardinal ne GRrANveLLE à Vierrius, Scey, 28 mars 1565 : mss Gran- velle, Mémortres, t. XVII, fol. 125 verso.)

(2) Dépéche des ambassadeurs vénitiens Morosint et Banoër, 7 juillet 1550, citée par M. GacHanp, dans son article (Charles-Quint de la Bio- graphie nationale de Belgique, t. ITL, col. 797.

(3) Touchant ma disposition, je me trouve mieulx, grâce à Dieu, du vertige et enflure des jambes, et de tous aultres accidens; et seulle- ment reste que je ne puis achever de me faire encores quicte de l’acci- dent que j'ay heu entre les jambes. » (Minute d'une letire de GRANVELLE à son fils l’évêque p’Arras, Besançon, 18 avril 1547 : recueil Chiflet, à la Bibliothèque de Besançon.)

(4) D. Prosper LÉveQuE, Mémoires pour servir à l'histoire du cardinal de Granvelle, t IT, pp. 245-246.

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se 59 ainsi conçue : « ltem, je eslis la sépulture de mon corps en l’église conventuale des frères Nostre-Dame des Carmes, en la cité de Besancon, dessoubz ou auprès de la chappelle que moy et ma très chière femme dame Nicole Bonvalot y avons construit (1)... »

Cette église des Carmes faisait pour ainsi dire corps avec le palais des Granvelle, et le garde des sceaux de Charles- Quint dut tenir à ce que l'emplacement de sa sépulture y fût marqué par une œuvre d'art digne de la grande mémoire qu'il voulait laisser parmi ses compatriotes. Les Farnèse avaient enrichi le palais d’un magnifique torse de Jupiter : les Médicis ne pouvaient faire moins à leur tour que de fournir un retable de grande allure à la chapelle funéraire du premier ministre de l'empereur. En effet, Cosme de Médicis avait ob- tenu, depuis deux ans, la restitution des forteresses de Flo- rence et de Livourne, occupées auparavant par des troupes espagnoles : Granvelle n'avait pas été étranger à ce résultat, et le duc de Florence comptait encore sur son appui pour être compris, en même temps qu Octave Farnèse, dans la dis- tribution prochaine des colliers de la Toison-d'Or. Ainsi s’ex- plique l’'empressement que mit le duc de Florence à se priver, en faveur de Granvelle, de l’une des œuvres distinguées du peintre qu'il aimait le plus.

Lorsque Granvelle s'était mis en route pour la Franche- Comté, il ne projetait pas d'y passer plus de quinze jours (2). Comme il y demeura plus de cinq semaines, on pourrait croire que l'attente du cadeau parti de Florence ne fut pas étrangère à la prolongation de son séjour. Dès le 12 août 1545, Cosme de Médicis insistait pour que le cadre, en voie d’exé- cution, s’achevât le plus promptement possible, afin que la

(1) Bibliothèque de Besançon : recueil Chiflet.

(2) « Je faiz mon compte de demeurer quinze jours en Bourgoingne, si d’adventure on ne me rappelle plus tost. » (Lettre de GRANVELLE à Jean DE SaintT-Mauris, son beau-frère, Worms, 6 août 1545 : Papiers d'Etat du cardinal de Granvelle, édit, Ch, Weiss, L. IIT, p. 179)

CRE Le peinture püt être dirigée en hâte sur Besancon. Or Granvelle arrivait le 24 août dans cette ville (1), et il ne l'avait pas encore quittée le 28 septembre (?. Il y a donc lieu de penser qu'il put être témoin du déballage de l’œuvre de Bronzino. L’ex- pédition paraissait en avoir été faite un peu hâtivement, car le tableau se trouva taché en plusieurs endroits par la poix- résine ayant servi à mastiquer la caisse d'emballage (@). De Besancon, Granvelle gagna les Flandres pour y étre, sous les auspices de son maître, le principal négociateur d’un traité de paix entre les couronnes de France et d'Angleterre (4). il dut trouver à la fois l'ingénieur Camerini et les qua- rante flacons de vin grec, partis de Florence pour Bruxelles, tandis que le tableau de Bronzino était expédié à Besancon. En remerciant Cosme de Médicis de sa triple gracieuseté, Granvelle put lui annoncer comme résolue sa promotion dans l’ordre de la Toison-d’Or (5).

(1) « Du lundi jour de feste sainct Bartholomey, xxnn° d'aost 1545. Aujourd’'huy est arrivé en ceste cité monsieur de Granivelle, au de- vant duquel sont estez messieurs les Gouverneurs, Vingt-huict et bonne partie des citoyens : auquel et à monsieur d'Arras a esté fait présent. pour la part de ladite cité. » (Délibérations municipales de Besan- con.)

(2) Le testament que dicta le garde des sceaux de Charles-Quint, pré- cisément à cette date, se termine par la formule que voici : « Faict et passé en la cité impériale de Besançon et en madicte maison devant l’église parrochiale dudict Sainct-Mauris, le vingt-huictiesme de sep- tembre de l’an mil cinq cens quarante cinq. (Ainsi signé) N. PERRE- NOT, »

(3) Lettre de Claude pe Cuavirey au cardinal DE GRANvVELLE (Salins, 3 juillet 1572), citée plus loin.

(4) Cette négociation s'ouvrit à Bruges le 7 novembre 1545. « Furent commis, de la part de Sa Majesté, pour ouyr les partis, débatre leurs différends et en faire rapport à Sadicte Majesté, les seigneurs de Grand- veille, Praet et président Schore, lesquels se treuvoient journellement en court, en une chambre venoient les ambassadeurs de France et après ceux d'Angleterre; et le soir lesdicts seigneurs faisoient rapport à Sadicte Majesté. » (Jean pe VanDenesse, Journal, édit. GAGHARD, p. 115) : (5) Vingt-deux colliers vacants furent, en effet, attribués dans le cha-

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VIT

Cependant la chapelle l’on avait installé Le tableau n'é- tait plus en harmonie d'importance avec la situation que Granvelle avait conquise. S'il s'élait permis de désapprouver l'entrée en campagne de Charles-Quint contre les protestants de l'Allemagne (1), du moins, après la victoire remportée par son maitre à Mülhberg, ne put-il se refuser au rôle d’inter- médiaire des réconciliations que désiraient les princes vaincus et les villes soumises. Les cadeaux qu'il reçut à cette occasion furent, au dire des contemporains, l'équivalent d'un puits d'or@). Granvelle put donc, sans être indiscret envers ses héritiers, prendre la résolution de faire construire un nouvel édifice funéraire. En conséquence, le 18 novembre 1549, il passa marché avec un maître maçon, qui faisait en même temps fonction d'architecte, pour la bâtisse d’une chapelle neuve, qui s'adapterait au flanc d’aval de l'église des Carmes

pitre de la Toison-d’Or tenu à Utrecht, le 17 janvier 1546. La lisie de ceux qui y furent promus se terminait ainsi :

« À Octavio FaARNÈzE, duc de Castro; » À Cosme pe Mévras, duc de Florence. » (Jean DE VANDENESSE, p. 329.)

(1) « Et quant à ladicte emprinse (de Sa Majesté en Saxen), sur ma foy, plus je y pense, plus il me semble qu'elle est hazardeuse, tant pour le peu de fondement que Sa Majesté peult faire en l'assistance du Roy des Romains et aussi du duc Mauris, mesme selon ce que contiennent vosdictes lettres, que pour la faulle d'argent et autres raisons et con- sidérations y mentionnées : tant y a qu'il en fault actendre ce qu'il plaira à Dieu en ordonner, et espère qu'il aydera à Sadicte Majesté pour son service, comme à la vérité il est très requis; et puisque avez fait ce qu'a esté en vous de remonstrer les difficultez, il fauldra en actendre ce qu'il luy plaira en ordonner. » (GRANvELLE à son fils l'évêque d’Ar- ras : Besançon, 23 mars 1517; suppl. aux mss Granvelle, recueil Chi- flet.)

(2) « Ë fama che in questi accordi di Germania habbi guadagnato un pozzo d'oro. » (Relation de l'ambassadeur vénitien Alvise MoceniGo, citée par M. Gacnapp : art. Charles-Quint, col. 798, note 7.)

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et communiquerait avec cet édifice, tant par une ouverture biaise permettant de voir le maïître-autel, que par une porte percée sous le Jubé. La voûte se composerait de deux sec- tions à compartiments, dont les retombées porteraient sur des colonnes engagées. Douze piédestaux en pierre, répartis inté- rieurement sur les deux flancs, supporteraient un pareil nombre de statues de saints. L'idée primitive était d'éclairer la chapelle, depuis son extrémité orientale, au moyen d’une grande fenêtre subdivisée par trois arcatures : l'autel, long de sept pieds, aurait eu ainsi une verrière pour retable. Mais on jugea bientôt que cet emplacement convenait mieux qu'au- cun autre à la peinture venue de Florence : aussi la grande fenètre fut-elle éliminée du projet; on la remplaca par deux fenêtres à menaux et à arcatures rondes, percées dans le flanc occidental de la chapelle. Un charnier dut exister sous le sol pour recevoir les sarcophages des membres de la famille de Granvelle. Il fut stipulé enfin que cette chapelle, du prix de dix-sept cents francs, serait achevée deux ans après la date du marché passé pour sa construction (1).

Au moment Granvelle ratifiait cet acte (2), neuf mois et neuf jours seulement le séparaient du terme de sa carrière. Il mourut, en effet, à Augsbourg, le 27 août 1550 (3) : de sorte que son corps, ramené à Besancon, dut attendre plus d’un an, dans l’une des salles basses du palais, l'achèvement de

(1) Cette chapelle, absolument dévastée, sert aujourd’hui de logement et de magasin à un boulanger, qui a pour cave la crypte sépulcrale des Granvelle. (Casran, Monographie du Palais Granvelle, dans les Mé- moires de la Soc. d'Emul. du Doubs, 1866, p. 80.)

(2) Nous publions ci-après (Pièces juslificatives, V) le texte de ce marché.

(3) « Charles-Quint donna à l’évêque d'Arras les charges qu'occupat son père; l'ayant appelé, il lui dit avec bonté : « J'ai plus perdu que » vous, Car j'ai perdu un ami tel que je n’en trouverai plus de sem- » blable; vous, si vous avez perdu un père, je vous reste pour vous en » tenir lieu. » (Gacnarp, art. Charles-Quint de la Biographie nationale de Belgique, t. III, col. 799.)

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la construction commandée pour le recevoir (!). Quelques jours avant de l’y transférer solennellement, on placa le ta- bleau florentin dans la chapelle @), et celle-ci fut bénite, Le 6 décembre 1551, par l’auxiliaire du siège métropolitain de Besancon, Francois Simard, évêque de Nicopolis, docteur et ancien professeur de la Sorbonne parisienne 6).

La Déposition de la Croix du Bronzino occupa cette place jusqu'au jour l'orage révolutionnaire fit le vide dans les tombeaux et proscrivit les images des sanctuaires. Expulsé comme ses congénères, le tableau qui nous occupe s’abrita dans les bâtiments de l’ancien collège; il y fut négligé et même maltraité : aussi quand la ville voulut, en 1834, le prendre comme pierre angulaire de son musée naissant, fal- lut-1l y faire des réparations considérables. Le peintre Lancre- non s'acquitta de cette tâche avec autant d'intelligence que de discrétion (1).

(1) A. Casran, Monographie du Palais Granvelle, dans les Aém. de la Soc. d'Emul. du Doubs, série, t. IT, 1866, p. 80.

(2) « Cette chapelle a de longueur sept toises de Roy et vingt-trois pieds de largeur, et la voûte d’icelle a sous clef trente-deux pieds de hauteur. C'est dans cette chapelle l’on voit les statues en pierre blanche de saint Nicolas, archevêque de Myre, patron du seigneur fondateur, dont la teste est représentée après nature par celle de la même statue, comme à l'opposite d'icelle est la statue de saint Antoine, abbé, patron du cardinal Antoine Perrenot de Grandvelle, la teste du- quel est aussi figurée après nature par celle de la statue. On voit aussi dans la même chapelle le riche tableau peint de la main de Bronzino, fameux peintre de Florence. » (ANDRÉ DE SarnT-Nicozas, Nole manus- crile sur l’église des Grands Carmes de Besançon.)

(3) Au commencement et à la fin d’un volume intitulé : Petri Lou- BARDI sententiarum sextus, Basileæ, Petr. de Langendorf, 1516, in-fol., goth., SimarD a consigné les indications suivantes : « Sum Francisci SYMARD, regentis in collegio Calviaco, aliàs parve Sorbone : emptus 1921, ultimo julii. » « Incepi legere Sententias, 1521, die 22 octobris, in collegio Calvi. » Voir en outre : A. Casran, Les évêques auxiliaires du siège métropolitain de Besançon, dans les Mém. de la Soc. d’'Emul. du Doubs, série, t. I, 1876, p. 472.

(4) Je ne m'arrêterai pas à contredire les renseignements fantaisistes donnés sur l'état de ce tableau par M. le comte CLÉMENT DE Ris (Les

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Dans son testament du 28 septembre 1545, Nicolas Perre- not de Granvelle avait fait inscrire, en faveur de l’église de son lieu d’origine, deux disposilions ainsi formulées : « Jtem, je ordonne estre employez mil frans pour la restauration et édification de la chapelle de Saimct-Anthome en l’église par- rochiale d'Ornans, feurent mes père et mère, ausquelz Dieu face mercy, sont inhumez.... Item, je ordonne aultres mil frans pour la réparation de ladite église parrochiale d’Or- HAS »

Par un scrupule de conscience qui honore sa mémoire, Granvelle n'avait pas voulu amplifier son domicile funéraire sans accroître également celui de ses auteurs. I s'était donc engagé envers les paroissiens d'Ornans à reconstruire le chœur de leur église, en stipulant que les restes mortels de son père et de sa mère y reposeraient sous « une tombe es- levée (?). » Dans son second testament, daté du 5 janvier 1550, 1l recommandait très expressément à ses héritiers d'exécuter cette convention, comme aussi de réédifier la chapelle laté- rale qui, dans la même église, était dédiée à saint Antoine (3).

La bâtisse du chœur était terminée en 1553 : on lit, en effet, cette date sur la clef de la voûte qui couvre l’abside.

musées de province, t. IT, p. 39). J'aurais trop beau jeu de prendre à partie un livre dans lequel, pour tout ce qui concerne Besançon, il y a presque autant d'erreurs que de mots. D'ailleurs, à propos du Fra Bartolommeo de notre cathédrale, j’ai déjà donné un échantillon de la facon d'observer et de décrire qui est particulière à l'auteur. (Hém. de la Soc, d'Emul. du Doubs, série, t. VIII, 1873, pp. 151-156.)

(1) Testament du 28 septembre 1545 : supplément aux mss Granvelle, recueil Chifiet.

(2) Lettre de Claude ne Cnavirey au cardinal ne GRANVELLE, Salins, 22 décembre 1566 : mss Granvelle, Mémoires, t. XXIIT, fol. 320.

(3) D. Prosper Lévèque, Mémoires pour servir à l'histoire du cardinal de Granvelle, t. II, pp. 257-258.

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Mais le caveau ménagé sous cette partie de l'édifice resta vide jusqu'au début de l’année 1566. Alors le principal héritier de la maison de Granvelle, Thomas Perrenot de Chantonnay, ambassadeur du roi d'Espagne en cour d’'Empire, se rendit à Ornans, avec sa femme Hélène de Bréderode, pour faire procéder à la translation des restes de Pierre Perrenot et d'E- tiennette Philibert. « Hier, écrivait-il, le 13 février, au car- dinal son frère, je fiz dire les vigiles, et après icelles cher- cher les corps de feurent noz grand-père et grand-mère, que Dieu absoïllent, et iceulx a l’on mis dedans le charnier du cueur de ce lieu, sur deux traicteaulx de bois, et mectre une pierre à l'entrée. La tumbe se pourra faire de la haulteur que l’on advisera, car la place est en lieu qu’elle ne peult empes- cher. Ce jourd’huy l'on a dit Les trois grandes messes, et ainsy s'est achevé le service (1). » Le tombeau, fait en marbre des environs de Dole, fut achevé au mois de décembre 1566 : il est demeuré en place et sert aujourd'hui de piédestal au lutrin du chœur de l’église d'Ornans (2).

La reconstruction de la chapelle dédiée à saint Antoine fut essentiellement l’œuvre du cardinal de Granvelle. C'était à lui que le garde des sceaux avait légué la possession viagère de ses biens patrimoniaux d'Ornans G), et il témoignait le plus profond attachement à ce berceau de sa famille (# : la chapelle était placée d'ailleurs sous le vocable de saint An- toine, son patron (). Il s’occupait de la faire meubler, dans

(1) Letire de Thomas Perrenor au cardinal son frère, Ornans, 13 fé- vrier 1566 : mss Granvelle, Mémoires, t. XXIII, fol. 237.

(2) Ce monument, avec son aspect actuel, est représente sur la plan- che III de la publication intitulée : La Vérité sur l’origine de la famille Perrenot de Granvelle, par M. Ad. Marzer.

(3) D. Prosper LÉvÈQuE, Mémoires, t. IT, p. 247.

(4) Ad. Marzer, La Vérité, p. 59 et suiv.

(3) Dans la voûte en étoile de cette chapelle, deux médaillons portent en bas-relief, d’une part les armoiries du cardinal de Granvelle, et de l’autre l’écu lozangé de Nicole Bonvalot, veuve du garde des sceaux de Charles-Quint, morte seulement le 27 juillet 1570, à Besançon.

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l'été de l’année 1570 (1), quelques mois avant d’être rappelé aux affaires, pour une négociation difficile. Elevé bientôt après à la dignité de vice-roi de Naples, ce fut depuis cette capitale qu’il donna ses ordres pour l’exécution d’une pein- ture devant servir de retable à la chapelle nouvellement re- construite. Le tableau religieux qu'il préférait entre tous était cette Déposition de la Croix dont son père avait été gratifié par les Médicis : il voulut que sa chapelle d'Ornans possédât une reproduction de cette peinture.

À Besancon végétait un jeune peintre, « bon fils et de bien bonne nature, » qui, par une ironie du sort, se nommait Pierre d'Argent. Le cardinal avait pris intérêt à sa vocation pour la peinture, et il s'était enquis de lui trouver un maître à Malines ou à Anvers (?); mais aucun des peintres renom- més de cette région n'avait voulu l’accepter comme élève (3). Le pauvre diable était venu retrouver en Franche-Comté son

(1) Concurremment avec cette chapelle, le cardinal avait fait cons- truire à Ornans une grande maison qui existe encore, mais a perdu, par suite de nombreux remaniements, la plupart des traits distinctifs de son architecture. Claude de Chavirey, dans une lettre en date du 29 juillet 1570, caractérisait ainsi les constructions qui s’achevaient à Ornans aux frais du cardinal de Granvelle : « Passant par Ornans, j'ay vehu le bastiment : l’une des viorbes est achevée, et l’autre à demy. Il y a trois lucarnes posées et toutes les aultres taillées, la ramure taillée preste à poser. La fontaine cort près le bastiment fort habondante. La vigne gecte assez boys, mais venant le raisin en fleur, il ne peult passer, et doubte qu’elle ne soit bien à l’ivernige. La chappelle sera belle, estant réparée des bancez, siéges et bauldrions que l’on m'a dit estoient merchandez. Le marbre de la sépulture est fort beaul et poly. » (Mss Granvelle, Mémoires, t. XX VII, fol. 182 et 183.)

(2) A. Casran, Monographie du Palais Granvelle, dans les Mém. de la Soc. d'Emul. du Doubs, série, t. IT, 1866, pp. 130-131.

(3) « Maistre Michiel, Reyen ny Floris s’excusent tous de recepvoir Pierre, vostre poinctre, quoyque mons. Politez ayt sceu dire aux deux derniers, ny moy à maistre Michiel et à sa femme. Il seroit mieulx que Vostre Seigneurie luy donnit de l’ouvraige ou le mandit pour l’em- ployer en quelque chose par delà, » (Lettre de Morizzon au cardinal DE GRANVELLE, Bruxelles, 17 avril 1564 : mss Granvelle, Morillon, t. I, fol, 28 verso.)

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Mécène (1), et celui-ci l'avait expédié en [talie (?), il s'était mis à copier les grandes œuvres : 1l avait gagné à cet exercice un goût réel pour le style et une certaine habitude de la tra- duction en peinture. Le cardmal se souvint de lui à propos de la copie qu'il désirait pour Ornans, et il la lui commanda.

Le 3 juillet 1572, l'écuyer Claude de Chavirey G) écrivait à ce propos au cardinal : « Je visite souvent maistre Pierre d'Argent pour le tableau! qu'il fait pour la chappelle d'Or- nans, auquel il labeure fort diligemment. Et sera aussi beaul pour le moings que l'exemple, qu'il réparera en plusieurs endroitz il se treuve saly et gasté de perrasine, qui m'a dit avoir esté quant on l’admena d'Ytalie (4). »

Deux mois plus tard (2 septembre 1572), le trésorier des salines, Bonnet Jaquemet (5), écrivait à son tour : « Jay veu

(1) « J’ay dit à Pierre le poinctre ce que Vostre Seigneurie m'escript en son endroit. Il dit qu'il a grand besoing de faire un tour en Bour- goingne pour ses petitz affaires, et que ses parens l'ont mandé; et vad demain vers Arras veoir son oncle le chanoine Garnier. » (Leltre de MorizLon, Bruxelles, 24 may 1564.) « Je louhe Dieu de vostre bon - portement et que Vostre Seigneurie at receu entier ce que j'ay envoié par Pierre le poinctre. » (Lettre de Morizcon, Bruxelles, 7 août 1564.)

CRC et luy ay faict apprandre et en Flandre et en Italie, afin qu'il peust faire meilleur ouvraige. » (Leltre du cardinal dE GRANVELLE, Rome, ? août 1576, dans les Recherches sur l'église de Brou, par J. Baux, p. 502))

(3) Claude de Chavirey, seigneur de Vaucelles, était, par sa mère Barbe Bonvalot, cousin issu de germain avec la mére du cardinal de Granvelle. Sa femme, Antoinette Grenier, lui avait apporté l'office féodal d’échanson héréditaire de l’archevêché de Besançon, ainsi qu’un hôtel ayant son entrée sur la rue d’Arènes et sa principale façade sur la rivière du Doubs. Cet hôtel était flanqué d'une ruelle qui, après s'être appelée Port Grenier, s'appela et se nomme encore Port Chavi- rey. Claude de Chavirey, l’un des correspondants et des hommes de confiance du cardinal de Granvelle, était habituellement l’un des co- gouverneurs annuels de la ville de Besançon. L'abbé GuiLraume (Histoire des sires de Salins, t. IT, pp. 83-87) a publié une généalogie des Chavirey.

(4) Mss Granvelle, Mémoires, t. XX VIII, fol. 137.

(5) Bonnet Jaquemet, seigneur de Nancray et trésorier des salines de Salins, était aux yeux de François Bonvalot, oncle du cardinal de

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ce que y est desjà faict, qu'est fort beaul ; et dient plusieurs qui s'entendent et ont jugement de peincture qu'il sera en- cores mieulx et plus à estimer que le patron, qui est gasté en plusieurs endroicts et qui conviendra rabillé (1). »

Par ordre du cardinal, cent cinquante francs furent alors payés à Pierre d'Argent (?).

La copie était terminée dans les premiers jours du mois de décembre ; mais à ce moment une idée vint à l'esprit du tré- sorier Jaquemet, et Chavirey la transmit en ces termes au cardinal : « Ledit sieur trésorier a advisé que le tableaul que Pierre d'Argent a fait pour Vostre Illustrissime Seigneurie estoit si beaul et employé en église ouverte tout le jour, que pour la richesse d'icelluy et une mémoire durable, 1l conve- noit y faire des portes pour clorre ledit tableau, ausquelles en dedans l’on paindroit Vostre Illustrissime Seigneurie priant, et de l’aultre ce qu'Elle ordonneroit, comme un saint Antoine (3). »

Le cardinal adopta celte idée, ce qui ajourna la livraison de la copie (4).

Granvelle, « homme de bien bon esperit, mesme pour tirer et entendre d’aulcuns particuliers ce que peult convenir au bien et repoz de ce pays. » (Mss Granvelle, Mémoires, t. IV, fol. 170, 7 août 1551.) Cne- VALIER (Histoire de Poligny, t. IT, pp. 382-383) a donné la généalogie de la famille Jaquemet, originaire de Pontarlier.

(1) Mss Granvelle, Mémoires, t. XX VIII, fol. 163.

(2) « J’ay délivré à maistre Pierre d'Argent cent cinquante francs... Ledit d'Argent et je avons merchandé ès Lanssiers, menuisiés, qui sont les ouvriers ordinaires de la maison, pour vingt-six frans, tant le fond du tableaul que le bord d’icelluy, suyvant la seconde monstre que Vostre Illustrissime Seigneurie m’a renvoyé; et besongnent déjà audit bord, de manière que avant l’hyver ledit d'Argent le posera, que sert fidellement, et aura contentement Vostre Illustrissime Seigneurie de sa besongne. » (Lettre de Claude De Cnavirey, Salins, 13 septembre 1572; mss Granvelle, Mémoires, t. XX VIII, fol. 169 verso.)

(3) Mss Granvelle, Mémoires, t. XX VIII, fol. 206 verso.

(4) « Les Lanciers (menuisiers) achèvent les vantaulx du tableaul d'Ornans, pour la clôture d’icelluy. » Lettre de Claude ne CHAVIREY au cardinal, 23 décembre 1572 : mss Granvelle, Mémoires, t XX VIII, fol.

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Sur ces entrefaites, le cardinal avait bien voulu faire payer dans les Pays-Bas une dette de onze écus que Pierre d’Ar- gent y avait contractée au temps de sa misère. L'artiste, tiré de peine, demanda que ce remboursement lui fût compté comme rémunération de ce qu’il avait « rabillé le tableau de la chappelle des Carmes, qu'estoit fort gasté : ayant bien heu quinze écus de messieurs de Sainct-Estienne pour avoir ra- billé le tableau que y est, que n'estoit point plus gasté (1). » Ce tableau de l’église de Saint-Etienne, déjà restauré par Pierre d'Argent, n’est rien moins que le Fra Bartolommeo de la cathédrale de Besançon (?).

Enfin, dans une dépêche du 10 mai 1574, Claude de Cha- virey pouvait écrire au cardinal : « Maistre Pierre d'Argent a posé le tableaul à la chappelle d’'Ornans, que l'on treuve fort beaul G). » Il ajoutait que le peintre travaillait, en vertu d’une nouvelle commande de son Mécène, à la peinture ori- ginale d’un retable pour le maître-autel de l’église de Brou (4), cette merveilleuse création de l’archiduchesse Marguerite, la première protectrice du garde des sceaux de Charles-Quint.

La reproduction de notre Bronzino occupe encore, dans l’église d’Ornans, la place qui lui avait été assignée en 1574.

277 verso.) « Argent travaille fort, luy quatriesme, après toutes ses besongnes, mais le temps lui est fort contraire, et ne le fault presser estant homme diligent. Il fera les portes du tableaul conforme à ce que Vostre Iillustrissime Seigneurie a ordonné, dont Elle aura conten- tement. » (Lettre de Cnavirey, Besançon, 27 mars 1573 : Mémoires, Xe EX “101. 15°)

(1) Leitre du trésorier JAQuEMET au cardinal, Dole, 11 décembre 1573; mss Granvelle, Mémoires, t. XXIX, fol. 74 verso.

(2} Une esquisse faite d'après ce tableau, par M. Edouard Micuez, accompagne mon étude sur la Vierge des Uarondelel, dans le t. VIIE de la série des Mém. de la Soc. d'Emul. du Doubs, pp. 129 et suiv.

‘3) Mss Granvelle, t. XXIX, fol 101.

(4) Le tableau peint pour l’église de Brou, par Pierre d'Argent, sur ia commande du cardinal de Granvelle, a été décrit par M. A. Vavys- SièRE, actuellement archiviste du Jura, dans son travail intitulé : /ns- criplions recueillies dans l’église de Brou, 1876, in-8, pp. 8-11.

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00 Malgré la préférence que lui donnaient jadis sur l'original ceux qui avaient « jugement de peinture, » les connaisseurs d'aujourd'hui ne sauraient l’envisager que comme une assez pâle copie. On peut y remarquer une variante, procédant de la fantaisie du traducteur. Celui-ci, voulant manifester sa gra- titude envers son Mécène, substitua la tête du cardinal de Granvelle à l’un des visages du groupe se trouve Joseph d’Arimathie (1). Cette substitution ne fut pas heureuse. Pierre d'Argent n'avait sous les yeux qu'un portrait datant de la jeunesse du cardinal ; il reproduisit ce portrait en le vieillis- sant de souvenir; la ressemblance qu'il cherchait ne fut pas atteinte : aussi, dans cette tête malencontreusement substi- tuée, personne n'avait encore reconnu l’image du cardinal de Granvelle. Pour que je fusse éclairé à cet égard, il a fallu le passage suivant d’une lettre écrite de Besancon au cardi- nal, Le 3 janvier 1575, par Claude de Chavirey : « Nous al- lasmes à Ornans..…. pour veoir les baptimens, et comman- ceans veoir la chapelle, la trouvasmes bien revestue de bancz et siéges pour dames, le tableaul bien posé et de belle apparence ; mais il me semble que s'il estoit mieulx verny, et qui se feit l'esté que vient, qu'il seroit plus de monstre, et sembleroit que Vostre Illustrissime Seigneurie le debvroït enjoindre audit d'Argent. Le visaige qu’il a fait de Vostre

(1) Il serait possible que l'introduction de cette physionomie locale, dans la copie faite à Besançon de l’œuvre florentine, eût donné nais- sance à une légende ainsi formulée par Dunop : « La Descente de Croix qui est aux Carmes de Besançon est un des beaux ouvrages du Bron- zino, fameux peintre de l’école de Florence. Ce tableau est sur bois et remarquable, en ce que le chancelier de Grandvelle y est représenté sous la figure de Nicodème, Nicole Bonvalot son épouse sous celle de la Vierge, et leurs onze enfants par d'autres personnages. » (Histoire du comté de Bourgogne, t. I, p. 165.) Il est certain que la plupart des figures du tableau qui nous occupe reproduisent les traits de person- nages contemporains de Bronzino; mais l’ouvrage ayant été fait pour le duc Cosme de Médicis, les physionomies qui sont représentées de- vraient être cherchées parmi celles qui composaient l'entourage de ce prince.

Ou Illustrissime Seigneurie ne me plait, n'ayant linéature comme il doibt, et print l'exemple sur ung de toille qu’il avoit, dont lors je le reprins, car encoires qu’Icelle seroit devenu fort griz, tousjours le visaige a les linéamens du passé (1). »

La copie de Pierre d'Argent fut retaillée au xvrrre ue pour qu'elle pût s'encadrer dans un retable tout doré et de la plus mauvaise facture. Les volets qui servaient à l’abriter furent sacrifiés du même coup; et cependant l’image du car- dinal en prière, qui était peinte au revers de l’un d’eux, de- vait, comme figure de profil, avoir été plus aisément réussie que le visage intercalé dans le tableau (?). On fut ingrat en sacrifiant cette péinture accessoire, car l’image du cardinal de Granvelle, qu'elle représentait, était celle du plus insigne bienfaiteur de la ville d'Ornans (3).

Un jour qu'il se trouvait dans ce pittoresque lieu de ses origines paternelles, montrant à plusieurs gentihommes l'en- droit avait été la forge de son ancêtre le maréchal-ferrant, une vieille femme, qui l'avait connu fort jeune, s'arrêta pour ‘lui dire : « Monsieur Antoine, j'ai travaillé autrefois aux champs avec votre grand-père. » Le cardinal sourit à ce pro-

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(1) Mss Granvelle, t. XXX, fol. 1 verso.

(2) Si l’on veut se faire une idée de ce qui existait sur la face interne des volets du tableau d’Ornans, on ira voir, dans l’église de Scey-en- Varais, une toile peinte par Pierre d'Argent en 15795, sur la commande du cardinal de Granvelle, et payée vingt écus à son auteur. C’est un Christ sur la croix, ayant à sa gauche la Vierge debout, à sa droite saint Antoine qui présente le cardinal de Granvelle à genoux et vu de profil : les figures sont dans la proportion de la demi-nature. Cette toile, que l'humidité avail détériorée, vient d’être restaurée par un peintre qui a la singulière habitude d'inscrire son nom en grosses lettres au bas des tableaux dont il opère le rajeunissement. J'ai déjà signalé l'un des exploits de ce restaurateur dans mon opuscule intitulé : Le mot de l'énigme d'un tableau de l'église de la Vèze, près de Besancon. (Mém. de la Soc. d'Emul. du Doubs, série, t. V, 1880.)

(3) Marcer, La Vérité sur l'origine de la famille Perrenot de Gran- velle.

pos pos et fit à la bonne vieille une pension pour le reste de ses jours (1). i Je ne sais sil y aurait un Dani trait à relever dans l’his- toire des Médicis de Florence ! :

(1) Jules Cairer, Généalogies : passage cité dans ma Mende du Palais Granvelle.

60

PIÈCES JUSTIFICATIVES.

ï

Letire de Lorenzo PaGnt, secrétaire de Cosme I°', duc de Flo- rence, à Pier-Francesco Ricc1o, majordome de ce prince.

Poggio, 12 août 1545.

(Archivio R. in Firenze : Miscellana Medicea, Filza, II.)

Al mollo reverendo senor mio osservandissimo M. Pier’ Francesco Riccro, maiordomo di Sua Eccelenza, a Fiorenza.

« Molto reverendo senor mio osservandissimo,

» Le dua di V. Senoria di x1 son comparse, l’una hiersera co’l spaccio della selvastrella, l’altra stamani co’ le aggiunte, et al contenuto di esse no’ mi occorre replicare altro. Le diro ben’, per ordine di Sua Eccelenza, che la vuole che V. S$S. faccia intendere all ingegneri Camerino che si metta in ordine per andare a Besan- zon in Borgogna, dove, per servitio di mons. de Granvela, ha d’haver carico di far desiccare certi pantani in alcuni suoi luoghi : per la qual andanta la S. V. lo ha provedere per tre o quattro mesi, ù pui che potesse star’ di quanto havera bisogno; jaccendoli ex- pressamente intendere che da mons. di Granvela predetto, ne da alcuno altro, no’ ha havere salario d mercede alcuna, et se no’ quella li dara Sua Eccelenza, perche cosi è la mente sua.

» Di pui, la S. V. ha da fare usare ogni diligentia per far for- nire lo adornamento del quadro che fece il Bronzino, quale nel oratorio della duchessa nostra senora, qual s’ha da mandare a detto mons. di Granvela, a detto luogo di Besanzon, per una sua cappella che nuovamente ha fatto fare.

» In oltre, vuole Sua Eccelenza che la S. V., co’ ogni prestezza possibile, faccia fare fin a quaranta fiasconi di vetro grosso, di tenuta di fiaschi éinque l’uno, per mettervi drento dieci some di

greco, se tanto ne è in cantina di Sua Eccelenza, per mandarlo a

HD

Bruxelles a detto mons. di Granvela, che lo domanda; et in questo massime no’ vuol Sua Eccelenza si perda punto di tempo.

Dal Poggio, alli xx di ogosto 1545.

Di V.S.R. Servitor LORENZO PAGNI.

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Réponse de Pier - Francesco Riccio, majordome du duc de Florence, à Lorenzo PAGnI, secrétaire de ce prince.

Florence, 12 août 1545.

{Archivio R. in Firenze : Carteggio universale, Filsa 373, fol. 498.)

Al mollo magnifico senor mio M. Lorenzo PAGxnr, segretario di Sua Eccelenza.

« Molto magnifico senor mio, l’ingenieri Camerino, a cui ho ‘parlato sopra la gita sûa in Borgogna a Besanzon, è parato a far questo Sua Eccelenza gli comanda, et pero siamo restati d’esi di novo insieme per veder’ quella gli faccia di bisogno per tal gita et stanzia, et subito sara à cavallo.

» L’adornamento per la tavola della cappella della duchessa nostra signorä et si fa co’ sollecitudine, et hora di novo rinfreschata l’o- pera diligentemente, adecio con prestezza habbia la perfezzione.

» Li quaranta fiasconi di vetro grosso, di tenuta cinque fiasconi V’uno, sarano in ordine tra doi di..... Ma adverta la S. V. che tanti fiaschi sono some cinque, et non x come dice la S. V. per la sua lettera. .... Ordinetd anche le casse dove dentro debbono an- dar” detti fiasconi et cercherd de vetturali che gli portino in tanto Sua Eccelenza comandera qualche si ha da fare.

Di Firenze, il di xu di agosto 15/5.

DAVIS Servitor P.-Fran. Riccio.

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Réplique de Lorenzo PaAGnNi, secrétaire du duc de Florence, à Pier-Francesco Riccio, majordome de ce prince.

Poggio, 13 août 1545.

(Archivio R. in Firenze : Miscellanea Medicea, Filza 11.)

Al mollo reverendo senor mio, il senor maiordomo magior’di Sua Eccelenza, a Firenze.

» Molto reverendo senor mio osservandissimo,

» Ho riscrito a Sua Eccelenza l’ordine che la $. V. haveva dato per la partita di Camerino, architetto, e m’ha detto che sha a mandare a Bruselles in Fiandria e no’a Besenzon in Borgogna : perche quivi il senor don Francesco di Toledo, al quale egli ha a far’ capo, l’ha a presentare a mons. di Granvela da parte di Sua Eccelenza, e vuole che si parta quanto prima sara possibile.

» To intesi bene da Sua Eccelenza della quantita delle some che voleva mandar di vino greco, et cosi anco de’ fiaschi; ma la seppi mal referire alla S. V. : et no’ se ne maravigli che li de mia feche questa volta posso dire, come diceva spesso mons. d’Altopasso che sono annegato nelle faccende, dallo arrivo del selvastrella in qua. Per hora, s’hanno a mandarli 40 fiasconi, et un’ altra volta in resto sino in x some, se tanto greco è in la cantina di Sua Eccelenza.

» Ha hauto piacer l’Eccelenza sua che si solliciti lo abbiglamento di quella tavola, perche desidera di mandarla presto, come anco il greco.

Dal Poggio, li xur d’ogosto 1545. Servitor Lorenzo PAGNI.

IV

Lettre du peintre Angiolo BronziNo à Pier-Francesco Riccio, majordome du duc de Florence.

Poggio, 22 août 1545. (GAYE, Carteggio inedito d’artisti, t. IT, pp..330-331.)

Al mollo reverendo signore, il signor Maiordomo di Sua Eccelentia, in Firenze.

« Molto reverendo signor mio osservandissimo,

» Jeri, che fummo alli xx1 del presente, fui con Sua Eccelentia per cagione del ritratto : dove dissi quanto per V. S. mi fu imposto circa la speditione della tavola in Fiandria, et come, volendo Sua Eccelentia che sene rifacessi un’altra, bisognava stare costi al manco otto o dieci giorni per farne un poco di disegno, dissemi che cosi voleva et era contento, ma pare che Sua Eccelentia si contenti che prima si fornisea il ritratto: et di più dice Sua Eccelentia che si faccia in questo mezzo fare il legniame per dipingervi sudetta tavola; et aggiunse sua prefata Eccelentia : « Jo la voglo in quel » modo proprio come sta quella, et non la voglo più bella, » quasi dicesse non m’entrare in altra inventione, perchè quella mi piace.

» Per tanto V. $S. Reverenda, quando li piacesse, potrebbe dire al Tasso, che dessi ordine, o per dir meglo facessi, perchè cosi à. l’intenzione di Sua Eccelentia, che mi disse fa far la tavola, et falla ingessare. So ch’ il Tasso non mancherà della solita diligentia, che certo fece cotesta molto diligentamente, et cosi doverrà fare qu'est’ altra.....

» Pal Poggio, alli xx d’agosto del XLV, per il di V. S. Reve- renda

» Servitore IL BRONZINO PITTORE. »

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D pi M

« Marchier de la chappelle des Carmes, que maïistre Jaques Granjehan faict pour monseigneur de Grandvelle. »

Besancon, 18 novembre 1549.

(Bibliothèque de Besancon : Supplément aux Papiers Granvelle recueil Chiflet.)

« Personnelment estably et ad ce spécialement venant honorable homme maistre Jaques Granjehan, maçon, citien de Besancon, le- quel a marchande, convenu, traicté et acordé, et par ceste mar- chande, convient, traicte et acorde à noble et puissant seigneur messire Nicolas Perrenot, chevalier, seigneur de Grandyvelle, etc., présent, acceptant et stipulant les choses cy après escriptes, de par ledict maistre Jaques deans deux ans prouchainement venant faire et parfaire à ses frais pour mondict seigneur les ouvrages de mas- sonnerie cy après déclarez pour le bastiment et construction d’une chappelle que mondict seigneur désire faire en l’église du convent des Carmes de la cité dudict Besançon :

» Assavoir que ledict maistre Jaques fera et fondera trois ogives deans terre, du coustel du cloistre de ladicte église, ou lieu à luy monstre et déclaré, et sur iceulx fera deux arcures pour pourter la muraille de la cloison de ladicte église, qui seront de demye toise d’espesseur, ensemble de deux votes entre lesdictes ogives pour gaingner place dedans la cave dudict convent.

» Item fera la cloison de ladicte chappelle, ensemble des ogives par dehors, de saillie et grosseur comme celles de ladicte église et de mesme haulteur. Et fera ladicte muraille par le dehors de car- tiers de jauge taillez à la poincte du marteaul. Et la muraille par dedans se fera de deutes brutes, comme est celle de la chappelle de mondict seigneur jJoingnant à ladicte église. Et au dessus d’icelle muraille fera ung chambrole tout alentour pour revestir ladicte muraille, comme sont ceulx qui sont sur ladicte église.

» Item, par dedans ladicte chappelle, fera cinq piliers rondz et ung surpendu pour acompaigner les aultres, lesquelx piliers se- ront reveistuz de leurs bas et chapiteaulx comme ilz le requerront; et dessus lesdicts chapiteaulx se feront les traictz de charges pour l’arrachement des branches des ogives et formeretz desdictes vottes.

» Item vottera ladicte chapelle de deux votes, ensemble d'ung

in

arc avec doubleau séparant lesdictes deux votes, comme en tel cas est requis. Et se feront les branches, ogives et formeretz desdictes votes comm'il est marqué sur le pourtraict pour ce faict par ledict maistre Jaques, et au chois de mondict seigneur des deux qui sont faictz en la platte forme demeurée ès mains de mondict seigneur, Lesquelles ogives, formeretz et clefz desdites vottes seront taillez de pierres blanches, comme sont ceulx de ladicte chappelle de mon- dict seigneur et de aussi bonne molure, ensemble du pendenty par dessus lesdictes branches. |

» Plus fera ung arvot reveistu de molure antique, que sera de haulteur et largeur comme la place le pourra compourter, pour

avoir regard sur le grand aulter de ladicte église dois ladicte chap-

pelle; et aura son biais comme la place le requerra pour avoir la veue sur ledict grand aulter.

» Plus fera une porte soubz le Jubé de ladicte église, pour entrer en ladicte chappelle dois ladicte église, que sera reveistue de mo- lures antiques. Et sera ladiete porte de sept piedz et demy de haulteur, et de largeur de trois piedz et demy, ou plus si la place le peult comporter.

» Plus fera un charnier à six piedz près du bout de l’entrée de ladicte chappelle, voté d’une vote à ung brey, de bons pendans, que sera de largeur entre la muraille de ladicte église et celle du corps de maison devers le cloistre dudict couvent, et de vingtz piedz de longueur, ensemble d’une descente pour descendre oudict charnier; et sera ledict brey votté dois ladicte entrée jJusques au bout de ladicte chappelle.

» Davantaige fera l’aulter de ladicte chappelle de sept piedz de longueur et quatre piedz et demy de largeur, revestu de pierres de taille. |

» Item sera tenu ledict maistre Jaques, comm'il a promis et pro- mect par cestes, tailler et poser douze entrepiedz de pierres blan- ches en ladicte chappelle, en lieux convenables, pour sur iceulx poser douze ymages grandes comme le naturel, lesquelx entrepiedz seront enrichiz de feuillages antiques, et en chascung d’iceulx faire ung escusson pour y mettre telles armoiries qu’il plaira à mondict seigneur. 8

» Oultre ce fera une fenestre à trois jours pour illuminer ladicte chappelle devers orient, que sera revestue de moulure antique, avec le formement et remplaige de ladicte fenestre comme celle qw’est en ladicte chappelle de mondict seigneur : laquelle fenestre sera de aulteur et largeur que la place le pourra compourter.

Joue

» Et seront les votes de ladicte chappelle de la mesme haulteur que celles de ladicte église des Carmes.

» Et s’il est besoing de transpourter le front de la muraille de la sacristie desdicts Carmes austant avant sur la rue que l’on verra estre nécessaire, y se fera par ledit maistre Jaques.

» Et sera le tout faict par ledict maistre Jaques et à ses fraiz, et au dict et regard d'ouvriers et gens ad ce congnoissans. Et pour ses peines, labeurs et salaires, mondict seigneur de Grandvelle luy a acordé et promis payer la somme de dix-sept cens frans, mon- noye de Bourgoingne : sur quoy il a receu réalment de mondict seigneur la somme de cent frans, dicte monnoye; et la reste luy sera payé en faisant ledict ouvraige prout etc., promettans d’une part et d’aultre etc., obligeans etc., soubmettans etc., renonceans etc.

» Faict et passé audict Besancon, soubz le seel de la court archié- piscopale dudict Besancon, par injunrimus et monitorium, le dix- huitiesme jour du mois de novembre lan mil cinq cens quarante et neufz. Presens : Nicolas Guenot, de Sainct-Genin en Savoye, et Jehan Baron, d’Ornans, tesmoins ad ce requis. (Signé) De Vayvvre. »

« Jehan de Vayvre, nostre recepveur, a furny et délivré des de- niers de sa recepte la somme de cent frans déclarée ou marchier devant escript : pour ce nous voulons qu’elle luy soit allouhée en son prouchain compte, et toutes aultres qu'il luy payera sur ledict marchier, sans aultre mandement que le present. Faict les an et jour susdicts à Besancon.

» (Signé) N. PERRENOT. »

« L'an mil cinq cens cinquante et cinq, le troisiesme jour d’aoust, en la cité de Besancon, compte final a esté faict et arresté par et entre maistre Jehan Amyot, secrétaire de ma dame madame de Granvelle, pour et ou nom de madicte dame, et maistre Jacques Grandjehan, masson, citien de Besancon, de tous les ouvraiges par ledict masson faictz en la chappelle de madicte dame, faicte et construicte en l’église des Carmes de ladicte cité de Besancon, suyvant le marchefz cy-devant escript, et aultres ouvraiges faictz en ladicte chappelle non comprins oudict marchefz : desquelx a esté convenu et accordé sur le rapport en faict par Jehan Bourdot, Richard Maire et Pierre Varin, massons, citiens dudict Besancon, commis à la part de madicte dame, et maistre Jaques Granjehan. Et s’est treuvée madicte dame doibgeante audict Grandjehan la

Toi

somme de deux cens ung frans monnoye, laquelle luy a esté déli- vrée réalment et de faict, à la part de madicte dame, par les mains dudict Amyot : dont ledict Grandjehan s’est tenu et tient pour contant et entièrement satisfaict, et en quicte madicte dame et tous aultres. Auquel maistre Jehan Grandjehan ont estez renduz réalment tous acquis par luy faictz pour la réception de sommes de deniers sur lesditz ouvraiges de ladicte chappelle. Faiïct les an, jour, lieu et mois dessus dits. Présens : messire Jaques Hugonet, de la Chaulx, prestre; Jehan de Montrichier, escuyer; et Fran- cois Bourcet, menusier, citien dudict Besancon, tesmoings ad ce appellez et requis. (Signé) J. AmuvoT; Jacque GRANDJEHAN; à requeste desdicles parties BERNARD. »

PIÈCES DE VERS

À LA SÉANCE ET AU BANQUET DE LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DU DOUBS

Le mardi 13 décembre 1881

Par M. Ch. GRANDMOUGIN.

I

DANS LA LANDE

(Souvenir de la Haute-Saône)

Brülant soleil caniculaire,

Que par toi mon esprit s’éclaire

Dans sa plus noire profondeur | Plateau désert l’herbe à peine se balance, Apaise mes soucis dans ton vaste silence

Et ta rayonnante splendeur !

Près de la croix abandonnée,

Sur une terre gazonnée | Je vais m’asseoir devant les grands horizons bleus, Puis, par delà les blés et les gorges profondes, Contempler les amas de nos montagnes rondes

Aux profils vagues et houleux.

Volez blancs papillons et mouches d’émeraude! Grillons noirs, bruissez sous quelque pierre chaude! Alouettes, mêlez dans l’azur clair vos cris!

Parmi l’âpre rocaille et les mousses dorées Embaumez, serpolets fleuris et centaurées ! Etincelez, micas d’argent des gros murs gris!

TN = Plantes aux pénétrants parfums, roches pelées, Mugissements lointains des bœufs dans les vallées, Sereine majesté du soleil triomphant, O campagne, éternel et mobile poème, Accueille bien celui qui te chante et qui t’aime, Franche-Comté, console et berce ton enfant !

Oui, dis-lui qu’il n’est rien de beau que la nature Et rien de vrai que l’amitié;

Dis-lui bien que l’amour et sa folle torture

Ne méritent souvent qu’une immense pitié | Dis-lui qu’au fond de tes abîmes,

Sur tes plateaux fleuris, sur les rocs de tes cimes, Des extases toujours sublimes

Envahissent les cœurs à l'idéal ouverts, Et que le langage des choses Sait nous plonger, aux jours moroses, Dans d’intimes apothéoses

nos pensers joyeux forment un univers!

Dis-lui que loin du monde bourdonnent les haines, I se consolera bien vite de ses peines Sur tes monts embaumés aux salubres haleines, Dans tes grottes d’où l’eau jaillit à flots glacés,

Et que les choses éternelles

Demeurent douces et fidèles

Aux cœurs qui restent remplis d’elles

Et que les hommes ont blessés !

Charles GRANDMOUGIN.

Il DINER DE BANLIEUE

(Souvenir de Paris)

Le restaurant, faux chalet suisse Et tout bariolé de hurlantes couleurs, Nous offre galamment, comme premier supplice, Des tonnelles sans feuilles et des bosquets sans’fleurs !

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Un vieil orgue de Barbarie Pleure sur le quai, devant nous; Sur la terrasse chacun crie

Le bruit clair des couteaux se mêle à des glouglous!

Des usines au loin fument : la Seine pue,

Le soleil s’est éteint dans un ciel éclatant,

Des tramways poussiéreux, à la forme trapue,

Sous nos yeux, à grand bruit, passent en trompettant.

Et d'immenses pierres de taille, Ornant.des rives sans gazons, S’alignent en rang de bataille

Devant les pignons frais et plâtreux des maisons!

En face le bois de Boulogne,

Morne sur le fond gris du ciel, Se mire au fleuve avec la superbe vergogne

D'un bois qui serait naturel!

Un énorme bourgeois derrière nous réclame, Entremêlant ses cris de grognements profonds : Depuis un grand quart d’heure il met toute son âme À demander en vain du sel et des siphons!

Pour nous, riant de sa souffrance,

Nous prenons un bouillon ne flotte aucun œil, Des goujons frits au beurre rance, Du Bordeaux (retour d'Argenteuil).

Ou bien, nous contemplons, afin de nous distraire, Mon couteau courageux qui plie en s'appuyant Sur un filet de bœuf très dur, mais littéraire,

Que l’on nomme Châteaubriant!

Au Gruyère apocryphe et desséché qui sue,

Au café tout boueux et qui sent le brûlé,

Succède une eau-de-vie âÂcre et sans doute issue De quelque vieux bois distillé,

0

Et cependant, de l’eau monte une lourde brume, Des étoiles au loin montrent des feux tremblants, Et le garçon, debout sur une chaise, allume

Le gaz, emprisonné dans des globes tout blancs!

Chacun fait une triste mine Sous le vacillement blafard de ses rayons Et bientôt l'hydrogène en fuite se combine Avec de forts parfums d’égoûts et de graïllons.

C’est que Zola voudrait vivre, Comme Mignon qui rêve à ses verts citronniers, Oui, c’est que son œil aimerait tant À suivre Le passage ronflant des tramways familiers !

C’est qu’il fomberait la Provence et la Grèce, Et c’est que son nez, par la rose irrité, Aspirerait avec ivresse Tous les parfums sans nom de la modernité! Charles GRANDMOUGIN.

III

TOAST A LA SUISSE

Par delà nos sapins et nos plaines gelées,

Nos fleuves clairs, nos rocs et nos larges vallées,

Je bois, comme Français et comme troubadour,

A la Suisse voisine, amie, hospitalière,

Dont les pics solennels sont baignés de lumière, Dont les lacs transparents et bleus parlent d’amour |

À la Suisse j'ai dit mes œuvres, mes rimes Ont chanté nos forêts, nos fleuves et nos cimes,

j'ai trouvé des cœurs qui répondent au mien;

À la Suisse qui vit loin des combats et vibre

Pour ce qui peut charmer tout homme vraiment libre, Et reste unie à nous par plus d’un fort lien!

== Qt

Avec ce vin français, maintenant, chère Suisse, Terre d'indépendance et terre de justice, Je bois allègrement à la Franche-Comté; Et boire à mon pays, Suisses, c’est boire au vôtre, Car ils restent toujours soucieux l’un et l’autre Et de leur République et de leur Liberté! Charles GRANDMOUGIN.

UNE INSCRIPTION ROMAINE

SUR BRONZE

MENTIONNANT LES EAUX THERMALES

DE LARME PETITE

ÉTUDIÉE

Par M. Auguste CASTAN

CORRESPONDANT DE L'INSTITUT FRANCE ET DE LA SOCIÉTÉ DES ANTIQUAIRES DE ZURICH.

Séance du 14 février 1880.

Cette notice, lue à la section d’archéologie du congrès de la Sor-

bonne, le mercredi 31 mars 1880, a eu l’honneur d’être appréciée en ces termes par l’éminent secrétaire de la section, M. Cxapouiz- LET, dont les comptes-rendus critiques ont si grandement contribué

à

élever le niveau des études archéologiques dans les départements

français :

« M. Auguste CasTAN, secrétaire honoraire de la Société d'Emu- lation du Doubs, correspondant de l’Institut, membre non rési- dant du Comite des Travaux historiques et des Sociétés savantes, nayant pu assister à la réunion, M. Chabouillet a donné lecture du mémoire envoyé par notre savant collègue : Une inscription romaine sur bronze mentionnant les eaux thermales de l'Helvétre. La section d'archéologie ayant décidé que ce mémoire, accueilli avec une approbation unanime à la Sorbonne, serait publié par la Revue des Sociétés savantes, il suffira de dire que M. Castan y décrit et y commente un fragment de l'inscription en lettres découpées d’une lame de bronze trouvée à Baumotte-lez-Pin (Haute-Saône). J’ajouterai cependant qu’en même temps M. Cas- tan corrige dans ce mémoire la lecture donnée par M. Théo- dore Mommsen, d’un fragment d'inscription d’une lame de

83

bronze analogue que l’on conserve au Musee d'Avenches (1)

Sur le fragment de la lame de bronze d’Avenches, tout le monde, et M. Mommsen lui-même qui jadis croyait y voir HEC GE- MELLIAN VS EF, lira désormais avec M. Castan HEL:GEMEL- LIANVS’'F. En effet, sur le fragment de Baumotte-lez-Pin, on lit : AQVIS HEL GEM, c’est-à-dire AQVIS HELVETICIS GEM (2). Il est donc certain qu'il faut admettre sur ces deux fragments la même inscription, soit AQVIS HEL{veticis] GE- MELLIAN VS:'F. On lira certainement avec le plus grand intérêt les observations de M. Castan. Surtout on lui saura gré de la déférence de bon goût avec laquelle, tout en contredisant l’émi- nent historien et archéologue allemand sur l'autorité d’un mo- nument que celui-ci n'avait pu connaître, notre collègue explique comment le directeur du Corpus inscriptionum lalinarum a été induit en erreur par un de ces accidents qui arrivent aux maîtres les plus expérimentés. De tels accidents ne diminuent en rien leur mérite; toutefois 1l importe de les signaler, non seulement afin de ne pas laisser subsister des lectures fautives, mais sur- tout parce que ce sont des lecons qui doivent rendre modestes et réservés ceux qui débutent dans les recherches de Pépigraphie,

sans cependant les décourager de ces difficiles et attrayantes

études (3). »

Quand César disait que le sol de la Séquanie était le meil-

leur terroir de la Gaule (ager optimus totius Galliæ) (4), il avait certainement en vue la région comprise entre l’Ognon et la Saône, tous les genres de production agricole se trouvent

(1) Voy. {nscriptiones Helvelicæ, no 343-2. Cet ouvrage forme le vo-

lume des Mélanges de la Sociélé des antiquaires de Zürich.

(2) L'abréviation HEL est figurée par les trois lettres H, E, L, liées.

Mieux conservé sur la lame de Baumotte-lez-Pin, ce monogramme donne clairement HEL.

(3) Revue des sociétés savantes des départements, série, t. IV, 1881,

pp. 68 et 69.

(4) De Bello gallico, T, 31.

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réunis. Abondamment peuplée durant les périodes de paix, fréquemment envahie par le barbare du Nord en quête d’un climat meilleur, cette région montre, côte à côte, les ruines de somptueuses villas romaines et les mottes qui servirent de bases aux rustiques châteaux des envahisseurs venus de la Germanie.

Parmi les lieux de cette contrée qui méritent d'attirer l’at- tention des archéologues, le village de Baumotte-lez-Pin m'avait été signalé de longue date par l'honorable M. Vail- landet, médecin de la compagnie du chemin de fer à Pin- l’'Emagny. Ce village de Baumotte doit son nom moderne à une baume, ou grotte, curieuse à visiter, il à pour site un petit vallon très sain, qui verse les eaux de ses sources abou- dantes dans les prairies de la rive droite de l'Ognon. « Sur le penchant d'une colline qui est au sud de Baumiotte, dit le Dictionnaire des communes de la Haute-Saône (1), restes (aujour- d'hui recouverts de terre) de constructions qui étaient solide- ment établies et dont les mortiers ont conservé une force d'ad- hérence remarquable. La superficie de ces ruines est d'envi- ron 10,000 mètres carrés. »

Cette masse de ruines, qui caractérise l'emplacement d’une splendide résidence de l’époque gallo-romaine, n'a jamais été sérieusement fouillée. Les objets qui en proviennent sont ceux que le soc de la charrue a fait sortir accidentellement du sol. M. Vaillandet m'a communiqué quelques-uns d’entre eux, et je n'hésite pas à déclarer qu’ils sont pour moi le gage assuré des résultats intéressants que donnerait une fouille bien conduite dans la villa de Baumotte-lez-Pin.

En dehors de plusieurs monnaies gauloises et romaines, M. Vaillandet possède de cette provenance un petit couteau ou couperet votif en bronze, ayant son manche terminé par une ébauche de tête de bœuf, ce manche étant d’ailleurs agré-

(1) L. Sucaaux, Dictionnaire des communes de la Haute-Saône : au mot Baumotte.

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100)

menté de petits ronds analogues à ceux qui décorent-les vé- tements de certaines statuettes appartenant à l’art gaulois. La formule votive, renfermée dans un petit cartouche lége- rement oblong, a été frappée sur la lame au moyen d'un poincon gravé en creux; elle se compose des cinq lettres ATLVS, ce que J'interprète ainsi : Atilius libens votum solvit, c'est-à-dire : En accomplissement d'un vœu d'Alilius.

Baumotte-lez-Pin (Haute-Saône) Deux tiers des dimensions de l'original.

Ces couteaux votifs se rencontrent dans les sépultures gallo- romaines des deux premiers siècles de notre ère. J'en ai fait connaître plusieurs qui accompagnaient des restes humains incinérés : leurs dimensions sont plus grandes que celles du couteau votif de Baumotte; mais, comme lui, ils affectent approximativement la forme d'un triangle rectangle. Cinq proviennent du plus ancien cimetière gallo-romain de Be- sançon : trois dans ce groupe sont en bronze et deux sont en fer; le plus remarquable montre sur l’une des faces de sa lame de bronze l'inscription votive : SVADVRX V.S.L.M (1). Un sixième, qui est en fer et ne porte aucune inscription, à été trouvé dans l’épiderme d’une tombelle gauloise, avec trois médailles romaines dont la plus récente est à l'effigie de Marc- Aurèle @)..

Le couteau votif de Baumotte a trop d’analogie avec le plus

(1) Le Champ de Mars de Vesontio, pl. IV, fig. 10 : Revue archéolo- gique, ? série, t. XXI, p. 15, et Mémoires de la Sociélé d'Emulalion du Doubs, série, t. V, 1869.

(2) Les lombelles celtiques du massif d’Alaise, pl. IT, fig. 14 : Revue archéologique, série, t. XV, pl. 338, fig. 14; et Mémoires de la So- ciélé d'Emulalion du Doubs, série, t. III, 1858.

Dhs important de ceux de Besançon, pour qu’on ne le considère pas comme également sorti d’une sépulture de la haute époque gallo-romaine : il résulterait de sa découverte que la villa de Baumotte renfermait les tombeaux de la famille opulente qui l'habitait.

Au nombre des objets plus récemment fournis par le même terrain, il convient de citer la partie haute d'un moule en terre cuite, de couleur grisätre, d’où l'on tirait les épreuves d’un médaillon de forme ronde, ayant 94 millimètres de dia- mètre. Le fragment qui nous est parvenu représente un peu plus du quart de l'objet. On y voit en bas-relief la partie su- périeure du corps d’un jeune homme qui, de la main droite, semble tendre une javelle de blé à un vieillard assis dont nous n'avons que le visage. C'est une scène de la vie rurale très grossièrement rendue. Au revers de ce morceau de moule, se trouve une section d'inscription circulaire, en grandes lettres d'un très faible relief. Les quatre lettres qui nous en restent sont ERRA. Faut-il voir dans ce lambeau de mot une partie du nom de la personne qui exploitait le moule (SER- RAnus, ERRAtius), ou bien y avait-il au dos de cette pièce une légende caractérisant la scène représentée : (ERRAe uber- tas, par exemple? Volontiers on conjecturerait que ce moule appartenait à une série représentant les quatre éléments.

J'arrive à l’objet de même origine qui a motivé la rédaction de cette note. C'est une petite bande de bronze assez résistante, ayant, sur chacune de ses rives supérieure et inférieure, deux ailettes propres à la fixer : les ailettes du haut sont recourbées en façon d’agrafes, celles du bas sont planes et percées d’un trou ; un clou est resté dans le trou de l’une d'elles. La bande fait un peu le ventre, comme si on l'avait préparée pour re- vêur une légère saillie. L’une des extrémités paraît intacte; l’autre résulte d'une fracture. Entre les deux rives horizon- tales de celte pièce on voit courir une rangée de lettres dé- coupées et évidées : deux signes séparatifs qui s'y mêlent ont approximativement la forme d'un cœur évidé et posé hori-

QT zontalement. Après ce signe qui se présente au début de l’ex- trémité intacte, on lit le mot AQVIS, suivi d'un caractère dans lequel je vois en amalgame les trois lettres HEL. Un second signe séparatif précède la première syllabe d’un nom d’individu : GEM.

Baumotte-lez-Pin (Haute-Saône) Deux tiers des dimensions de l'original.

Le premier mot AQVIS, au datif ou à l’ablatif, ne pouvait donner lieu au moindre doute quant à sa signification ; c'est le nom générique d’une localité possédant des eaux thermales: Aix en francais, Baden en allemand. Mais, de même que les diverses localités qui portent actuellement le nom d'Aix ont être spécialisées par des surnoms individuels, de même les localités antiques du nom d’Aquæ se distinguaient entre clles par des qualifications le plus souvent topiques : Aquæ Hathiacæ, Aquæ Tarbellicæ, Aquæ Convenarum, Aquæ Nerio- magienses, elc.

Une qualification de cette nature était à désirer après le mot AQVIS, et la triple lettre qui le suit immédiatement me parut être cet appendice : aussi n'hésitai-je pas à la consi- dérer comme l’abréviation de l'adjectif HELweticis. HEL est, en effet, la formule dont usaient les graveurs de lettres pour peindre le plus abréviativement possible l'adjectif HELveli« cus (1).

La localité balnéaire mentionnée dans notre inscription appartenait donc à l'Helvétie. Or, l'Helvétie de l'antiquité ne

un

(1) CIVIS HElbweticus. CON VENTVS HELoweticus (MomMsEN, /nscrip- tiones helvelicæ lalinæ, n°° 75 et 133).

no

possédait qu'un seul lieu renommé par ses eaux thermales : c'était le vicus qui se nomme aujourd’hui Baden, aux envi- « rons de Zurich, et dont les habitants, à l'époque romaine, s'appelaient Aquenses (1).

Voulant examiner les inscriptions romaines qui pouvaient concerner celte localité, j'eus recours au recueil des Inscrip- hiones helveticæ latinæ, formé par M. Mommsen. Et voilà qu’en feuilletant ce livre, il me tomba sous les yeux un article dont je vais donner la traduction française :

« 3437, Au musée d'Avenches, lame de bronze avec lettres qui y jouent le rôle d'ornements et à travers lesquelles on verrait le cuir sur lequel l’objet serait fixé. (Inscription) HEC:*GEMELLIANVS EF » (2).

Avenches (Suisse) Deux tiers des dimensions de l'original.

M. Mommsen avait lu HEC je voyais HEL; mais il avait donné complétement le mot suivant dont je ne connais- _Sais que les trois premières lettres; de plus sa caractérisation de l’objet convenait bien au fragment rencontré à Baumotte. Je fus immédiatement convaincu que le musée d’Avenches,

&

(1) Grerpo, Etudes archéologiques sur les eaux thermales ou miné- rales de la Gaule à l'époque romaine, 1816, in-8, pp. 40-42.

(2) « Aventici in museo, lamina ærea litteris quasi ad ornamenti spe- ciem adornatis, ut si laminam corio exempli gratia adsueris, inter lit- teras corium appareat.

HEC GEMELLIANVS F

» Descripsi. »

re, ancienne capitale de l'Helvétie romaine, possédait un second exemplaire de l'inscription que j'étudiais, exemplaire mutilé dans un autre sens que le nôtre et pouvant conséquemment servir avec celui-ci à faire connaître la physionomie d’'en- semble de l'objet. Les quelques lettres communes aux deux fragments permettraient au surplus de juger de l'identité ou de la dissemblance des exemplaires.

Par les soins obligeants de M. Auguste Caspari, conserva- teur du musée d'Avenches, j’eus rapidement de bonnes em- preintes et une description minutieuse du fragment signalé par M. Mommsen. Il y eut pour moi évidence immédiate quant à l'identité des deux exemplaires; ils étaient bien l’un et l’autre sortis du même moule. Si M. Mommsen avait lu HEC je lisais HEL, c'est que, dans l’exemplaire d’Aven- ches, le signe séparatif est affecté d’une fracture qui lui donne, d’un peu loin pourtant, l'apparence d'un C retourné. Mon in- terprétation de la lettre qui est triple ponr moi, tandis qu’elle n'est que double pour M. Mommsen, se trouvait singulière- ment confirmée par la rencontre d'un exemplaire de l’objet sur le territoire de la capitale de l’'Helvétie romaine. AQVIS HELweticis est donc bien ce qu'il faut lire en tête de notre inscription.

Un dessin scrupuleusement fidèle, que je dois à l'amitié de M. Alfred Vaissier, conservateur adjoint du musée des anti- quités de Besançon, montre isolément et en concordance le fragment de Baumotte et celui d'Avenches. Ce dernier mor- ceau donne la fin du nom d’individu dont nous n'avions que les trois premières lettres : ce nom est GEMELLIAN VS. À la suite de ce mot, M. Mommsen trouve encore une lettre F qui, à cette place, s’interpréterait par Fecit. Je ne crois pas à l'existence de cette lettre : le jambage et la traverse qui en ont donné l'illusion ne sont que pour encadrer un double ajourement d'ornementation pure. Si l’on eût voulu fabri- quer une F, on aurait réservé par en haut l'épaisseur d’une traverse, à la façon de ce qui avait été fait pour les E, et de

ot

plus on aurait détaché du cadre de l’objet la traverse médiane.

Avec le seul fragment rencontré à Baumotte, il n'était guère possible de concevoir une idée exacte de ce qu'avait été l’objet. Le complément arrivé d'Avenches facilite singulière- ment cette restitution. Dans l'objet ainsi complété, je vois une pièce d'applique qui se termine par un épanouissement ajouré. Gelte pièce me semble avoir été le revêtement orne- inental d'une des pentures de la porte d’un petit oraloire (ædi- cula) qui aurait abrité l’image des nymphes tutélaires des Aquæ Helveticæ. L'objet ainsi envisagé ne se comprendrait pas isolément : il faudrait lui supposer des pendants en plus ou moins grand nombre. Deux de ces pendants sont conser- vés au musée d’'Avenches : ils sont identiques comme dimen- sions. et comme forme à celui qui nous intéresse; mais leur ornementation ne consisle qu’en rinceaux découpés d'assez bon style.

Ce qui ne peut laisser aucun doute, c'est que nous sommes en présence de deux exemplaires d’un même objet, et que cet objet ayant fait partie d’un ensemble, les deux localités l’objet s'estrencontré devaient posséder chacune un exemplaire de l’ensemble. Or, l’objet nous paraissant avoir été la penture avec inscription votive d’une porte d'ædicule dédiée aux nym- phes dés eaux thermales de l’'Helvétie (Aquis Helveticis), nous sommes conduit à croire que deux ædicules similaires avaient été érigées par un personnage du nom de Gemellianus, dans la principale ville de l'Helvétüe et dans une opulente villa du pays des Séquanes. Qui sait si Gemellianus n’était pas un des hauts fonctionnaires de cette Provincia Maxima Sequanorum, constituée en 238 par l’empereur Maximus Pupienus (i), et qui rattachait à la Séquanie la majeure partie du territoire

(1) Perrecror, Quelle fut l'élendue de la province séquanaise dans les différentes divisions que les Romaïns firent des Gaules, en quel lemps l'appela-t-on Maxima Sequanorum ? (1771) dans les Zocuments inédiis pour servir à l'hisloire de la Franche-Comté, t. IV, pp. 1-108.

Or

helvétique? Notre inscription pourrait bien être contempo- raine de cette création administrative, car la triple lettre qui s'y trouve est une forme graphique qui est particulièrement fréquente au troisième siècle (1).

Possédons-nous la formule complète de la dédicace inscrite par les crdres de Gemellianus? Il pourrait se faire qu’une autre penture eût présenté la première partie de cette for- mule votive. En effet, dans la plupart des stations bainéaires, le culte des divinités locales était associé à celui d'un dieu de l’'Olympe classique, que l'on nommait avant elles dans les inscriptions : Appollini et Nymphis, Nepluno et dis aquatili- bus, etc. (2). On a pourtant des exemples de formules votives souvrant comme la nôtre par une invocalion directe aux sources divinisées : Aquis Albulis sanctissimis Ulpia Athenaïs, etc. (3). Ainsi notre inscription pourrait fort bien n'avoir été composée que de ces trois mots :

AQUIS HEbveticis GEMELLIANVS, c'est-à-dire : Ædi- cule votive de GEMELLIANUS aux nymphes D'AIX (0 BADEN) EN HELVÉTIE.

Quoi qu'il en soit du degré de probabilité de quelques-unes de mes conjectures, je crois être en droit de considérer comme acquis les trois résultats suivants :

Complément d’un nom d’individu dans ure inscription latine imparfaitement publiée ; rectification de deux erreurs de lecture dans la transcription de ce texte faite par M. Momm- sen; révélation d’un premier exemple du nom entier de la station de Baden-lez-Zürich à l’époque romaine. En effet, les habitants de cette localité sont appelés simplement Aquenses dans la seule inscription lapidaire qui les mentionne : d'où l'on pouvait conclure que le nom de leur vicus était unique- ment Aquæ. Mais l'existence d'un surnom distinetif pour cette

.

(1) Mommsen, Inscripl. helvel., n°° 322 et 334. (2) Orezct et HENzEN, Inscrint. lal., 1335, 5109, 5767. (3) OrELL:, n°° 1641 et 1642.

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localité était présumable : d'Anville, qui tenait cela pour cer= |

tain, n’hésita pas à désigner Baden-les-Zürich par les mots

Aquæ Helveticæ (1). Le bronze de Baumotte transforme, selon moi, en certitude cette induction plausible de l’un des érudits français qui ont le mieux mérité de la géographie historique.

(1) Notice de la Gaule, pp. 76-77.

LA GROTTE DE QUINCEY (HAUTE-SAONE)

DITE

PROU DE LA CHÈVRE

Par M. A. TRAVELET

INGÉNIEUR DES PONTS ET CHAUSSÉES.

Séance du 13 août 1881.

Dans une notice relative à la grotte de Frotey-lez-Vesoul, publiée par la Société d'agriculture de la Haute-Saône dans son Bulletin de 1880, et résumée dans la première livraison de la Revue intitulée Maiériaux pour l'histoire primitive et na- jurelle de l’homme, dirigée par M. de Cartaïlhac, j'ai décrit la vallée de la Colombine, petite rivière qui se réunit au Dur- seon près de Vesoul.

À 4 kilomètres de cette ville, se trouve une nouvelle grotte située dans un coude brusque de la vallée; elle est qualifiée depuis longtemps du nom de Trou de la Chèvre. Elle est située à 15 mètres au-dessus du fond de la vallée. Elle présente deux ouvertures.

Cette grotte est signalée dans la Statistique géologique et mi- néralogique de la Haute-Saône, faite par M. Thirria, inspec- teur général des mines, en 1833 {page 221). A cette époque, on ne recherchait que les ossements des animaux de l’époque quaternaire, et cette grotte n'avait donné que des résultats négatifs.

Les recherches que j'ai faites sur les plateaux jurassiques qui limitent ce terrain dans la Haute-Saône m’ayant donné des échantillons remarquables de l’époque préhistorique, j'ai songé à examiner toutes nos grottes,

one

En terminant une excursion sur les plateaux entourant la vallée de la Colombine, je suis entré dans la grotte du Trou de la Chèvre, et j y ai trouvé un fragment de charbon incrusté dans un morceau de stalagmite.

Certain de la présence d'un foyer préhistorique dans cette grotte, j'y suis revenu quelques jours après avec mes col- lègues en archéologie, MM. Chapelain et Paul Petitclerc.

Après avoir découvert l'emplacement du foyer, j'ai relevé le plan et les coupes de la grotte.

Le dépôt préhistorique consiste en ossements d'hommes et d'animaux ayant servi à leur nourriture, en fragments de poteries diverses, et même en coquillages d’hélix de petite dimension. Ces débris sont enchâssés dans une couche de stalagmite déposée sur le rocher et dans ses fentes; j'ai les extraire à coups de ciseau.

Une liste détaillée de ces objets est annexée à la présente notice.

Les déterminations des ossements ontété faites par M. Fliche, inspecteur des forêts, professeur à l’Ecole forestière, qui nous avait déjà donné son coucours bienveillant pour la grotte de Frotey-lez- Vesoul.

Le foyer est placé admirablement. De ce point, par la grande

ouverture de la grotte, on voit tout le plateau formant la rive

gauche de la vallée.

Comment ce foyer a-t-il été détruit ? Telle est la question que je me suis posée en présence d’une station aussi bizarre et dont nous ne connaissons aucun exemple.

En parcourant toute la grotte, notamment vers la plus pe- tite ouverture, je n'ai rien trouvé, si ce n'est quelques frag- ments de stalagmite avec du charbon.

Le sol rocheux est recouvert d’éclats de pierre venant du toit de la grotte. Ce calcaire se délite facilement. Le seuil de la grotte est formé par une accumulation de débris analo- gues.

Au pied du foyer se trouve une excavation remplie d’é-

he dis une oi à 4

OU normes blocs venant également du toit et que je n'ai pas pu faire enlever. C’est leur chute qui a écrasé le foyer

En nous enfoncant dans la grotte, nous avons trouvé, à 20 mètres du foyer, une bifurcation ; le sol se relève à gauche, et il est couvert d’une couche épaisse de stalagmite, venant d’une source aujourd’hui disparue, mais dont l’origine devait être dans la partie postérieure du massif, car le passage est barré au milieu par une magnifique colonne de stalagmite ornée de larmes en relief, indiquant probablement la ren- contre de deux sources puissantes.

À droite, le dépôt de stalagmite cesse, le sol s’abaisse et présente une chute verticale de 5 mètres de haut en plusieurs escaliers.

On entre dans une nouvelle grotte sans aucun dépôt, si ce n’est quelques débris de pierres rassemblés dans le point le plus bas, qui correspond à une petite ouverture ronde que l’on aperçoit dans la vallée. Cette ouverture et la roche envi- ronnante sont parfaitement arrondies et lissées par les eaux. On aperçoit enfin, dans cette seconde grotte, des crevasses indiquant le passage des sources qui l’ont creusée.

Il semble résulter de ces diverses observations qu’à l'époque quaternaire la source stalagmitique n'existait pas, et qu'une dernière fracture survenue postérieurement à la présence de l’homme lui a donné naissance.

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LISTE DES OSSEMENTS ET FRAGMENTS D'OSSEMENTS TROUVÉS DANS LA GROTTE DE QUINCEY.

19 Ossements humains : 1 molaire de vieillard.

D'un individu jeune : 1 vertèbre cervicale, 1 incisive, 1 phalange et 1 phalangette, 1 radius, 1 métacarpien, Î ver- ièbre coccygienne, un fragment de l’omoplate, un fragment du bassin et la tête du fémur. . D'individus adultes : 2 phalanges, 1 vertèbre dorsale, des

Loge capsules de tête de radius et des fragments d’atias, de ster- num, de bassin, de côtes et d’autres ossements dont un atteint d’ostéite.

20 Ossemenis d'animaux : 1 fragment d’omoplate et 1 frag- ment de vertèbre appartenant à un jeune bœuf, 1 vertèbre caudale et 1 fémur d’un renard.

2 métatarsiens d’un animal se rapprochant du castor.

Les poteries, peu abondantes, sont en terre noire à grain de quartz; elles sont rougies d’un côté par le feu. Un frag- ment de bord de vase montre deux filets grossièrement pro- duits par trois sillons aigus.

En résumé, il semble que cette station n'a été habitée que par une seule famille. Quoi qu'il en soit, elle appartient à l’époque de la pierre polie.

QUATRE NTÈLES FUNÉRAIRES GALLO-ROMAINEN

DE LA BANLIEUE DE BESANCON

Par M. Auguste CASTAN

CORRESPONDANT DE L'INSTITUT (Académie des Inscriptions et Belles-Lettres)

Séance du 14 mai 1881,

Lorsque la ville gallo-romaine de Vesontio eut cessé d’in- humer ses morts dans la portion de presqu’ile dont elle avait fait un Champ de Mars, de nouveaux cimetières furent ou- verts sur les hauteurs qui dominent la rive droite du circuit du Doubs, principalement dans les cantons qui longtemps “ont retenu les vocables de Champ-Noir, Pater et Paradis (), Le centre de ces cantons se nomme encore actuellement En Chasires, appellation qui dérive du latin in castris; c'est le seul témoignage survivant de l’ancienne existence en cet en- droit d'un camp retranché, castrum, qui couronnait le calvus mons, aujourd'hui Charmont, sur les pentes duquel s’étagent les habitations du canton nord de la ville moderne.

Conformément aux usages funéraires des Romains, les nouveaux cimetières avaient été placés le long des routes par lesquelles le centre politique et militaire de Vesontio se reliait aux villes importantes des contrées voisines, Plusieurs de ces cimetières ont déjà fourni des révélations intéressantes pour nos annales. Jean-Jacques Chifflet parle du Champ-Noir, voi- sin des arènes, comme d'une mine inépuisable d’urnes, de patères, d’ampoules de verre, de tessons mêlés à la cendre et

(1) À. Casran, Le Champ de Mars de Vesontio, dans les Mém. de la Soc. d'Emul. du Doubs, série, t. V, 1869, p. 34.

7

OS

aux charbons (1). « L'on a trouvé à Besançon, ajoute Dunod, particulièrement à Champ-Noir, un grand nombre d'inscrip- tions sépulchrales (2. » Un autre groupe de sépultures, celui du Pater, aux environs de la gare actuelle du chemin de fer, a rendu l’épitaphe de la prêtresse Geminia Titulla qui exerçait à Besancon l'office de mère des sacrifices (mater sacrorum), au troisième siècle de notre ère (3). De ce dernier groupe pro- viennent également les épitaphes qui font l'objet de la pré- scute note. Le terrain qui les a restituées se trouve derrière la gare du chemin de fer,.en un endroit la route de Metz fait un coude pour repartir en ligne droite vers le hameau de Saint-Claude-lez-Besancon. Ce terrain a pour sous-sol un roc fendillé, qui est revêtu d'une couche de terre généralement épaisse de cinquante centimètres. On avait entamé le roc de ce sous-sol pour donner une profondeur convenable aux sé- pultures de l'époque gallo-romaine. Celles-ci renfermaient des squelettes orientés de diverses manières, mais ayant le plus fréquemment la tête au nord et les pieds au sud. De gros clous, rencontrés avec les ossements, témoignaient que les corps avaient été mis dans des cercueils de bois. Des vases en terre jaunâtre et poreuse, ainsi que des flacons en verre d'une facture assez élégante, composaient le mobilier funé- raire. Nous n'avons malheureusement que des débris de ces objets, les terrassiers qui les rencontraient ne leur ayant pas épargné les coups de pioche. Il en fut de même pour les pre- miers fragments de tombes renversées qui apparurent; plu- sieurs ont été retaillés et réemployés en manière de moellons. Le propriétaire du sol intervint, toutefois, en temps utile pour sauver l'essentiel de ce que sa fouille mettait au jour, c’est- à-dire tout ou partie de quatre stèles funéraires avec épitaphes,

(1) J.-J. Cairrzeru Vesontio, I, p. 91. (2) Histoire du comté de Bourgogne, t. I, p. 206. (3) A. Casraw, L’épilaphe de la prétresse gallo-romaine Geminia Ti-

tulla, dans les Mém. de la Soc. d'Emul. du Doubs, 5e série, t. IV, 1879, p. 11-18.

200 es

en pierre de vergenne, sorte de calcaire tendre qui a été l’élé- ment principal de toutes les constructions gallo-romaines de notre contrée. Remercions done M. Gilbert Habrial de son heureuse intervention et du cadeau qu'il à fait au musée des antiquités de la ville des monuments épigraphiques que nous allons décrire.

I. Le plus ancien de ces monuments n’est que la faible partie d'une épitaphe de grandes dimensions. Ce fragment, de 63 centimètres de hauteur sur à peine 18 de large, ne pré- sente, dans sa partie inférieure, que la moitié d’une grande lettre M, au-dessous de laquelle se montrent, en plus petits caractères, les trois lettres ER.

C'était un monument dédié à la mémoire, diis Manibus, d'un homme portant le surnom de sevERInus, ou d'une femme ayant eu pour surnom sevERlIna.

Ce fragment isolé, provenant d’un monument brisé de longue date, semblerait, en raison de la belle facture des let- tres qu'il porte, devoir être attribuée au siècle de notre ère.

IT. Stèle funéraire à couronnement triangulaire, de 72 centimètres de haut, mais fortement endommagée et n'ayant plus que 34 centimètres de largeur. Légèrement creusée en forme de niche, elle montre la figure à mi-corps, en assez haut relief, d’un homme barbu et drapé dans une toge, lequel tient de la main droite, par une anse, un coffret ou scri- nium (1). De chaque côté de la tête, sur l'encadrement de la niche, étaient d'une part la lettre D qui se lit encore, et de l'autre la lettre M qui a disparu. C’est le Diis manibus par lequel toutes les épitaphes romaines débutent. Le bas de la

(1) Un objet identique se trouve dans la main gauche d’un person- nage représenté en pied sur l’une des stèles funéraires de Luxeuil. « Il serait possible, dit M. Ernest Dessarpixs, que cet attribut, joint au volumen qu'il porte dans la main droite, eût quelque rapport avec la condition de scribe. » (Les monuments des Thermes romains de Lu- -œeuil, dans le Bulletin monumental, série, t. VIII, 1880, p. 219-220.)

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stèle est rempli par un élégant cartouche qui renferme le nom du personnage représenté. Une éraflure a fait dispa- raitre au moins la moitié de ce nom : il n'en reste que les deux premières lettres CA et la moitié de la troisième. Ces trois lettres forment, selon nous, le commencement du nom latin CATius assez fréquent dans les inscriptions romaines. Dans la lettre À de ce mot, l’une des branches du chevron se trouve prolongée par en haut, ce qui donne à cette lettre quelque chose de l’aspect du lambda minuscule de l'alphabet grec. Cette allure de lettre ne permettrait guère de faire re- monter la stèle qui nous occupe au delà du ri siècle.

IIT. Stèle funéraire, intacte, de 60 centimètres de hau- teur sur 32 de large : sa partie supérieure est un fronton en triangle, dans lequel se voit un croissant lunaire. L’épitaphe

est ainsi COnÇue : D M

MEMORIA IN VETIVS DOMITIAN VS. AN LXXV.

Dliis) M{anibus) memoria ; Invetius Domitianus an(norum) LXXV.

C'était le monument funéraire d’'Invetius Domitianus, mort à 79 ans. Le nom /nveiius ne se rencontre, que je sache, dans aucune des listes dressées d’après les inscriptions romaines. J'y verrais volontiers un nom gaulois transformé par une terminaison latine. Quant au surnom Domitianus, il semble- rait indiquer que le personnage inhumé était un affranchi ou an descendant d'affranchi de la famille Domilia.

Les caractères de cette épitaphe ont de l’analogie avec ceux du monument de la prêtresse Geminia Tilulla. J’attribuerais, conséquemment, leur gravure au 11° siècle de notre ère.

IV. Stele funéraire brisée d'ancienne date en trois mor-

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ceaux qui se raccordent : hauteur, 68 centimètres, largeur, 38. Fronton triangulaire renfermant un croissant. Quelques ca- ractères oblitérés, qui apparaissent sous les premiers mots de l’épitaphe actuelle, ainsi que la disposition biaise du fronton, indiquent que cette stèle est un monument réemployé. Les lettres de l'épitaphe courent entre des lignes de réglure tra- cées à la pointe.

Geite épitaphe a toutes Les analogies possibles avec la précé- dente, attribuée par nous au m1° siècle ; elle est ainsi libellée :

D M meMORIA MEGETHIVS NE NE TI AN XXIII

D{iis) M\anibus) [melmoria ; Megethius Mineti [filius], an(no- rum) AXIIT.

C'était donc la pierre tumulaire de Megethius fils de Mi- _netus, décédé à l’âge de 23 ans.

Le surnom Megethius, dérivé du grec Méycdoc grandeur, élait porté, au siècle, par un légat impérial de la province d’A- frique, Thersius Crispinus Megethius (1). Quant au surnom Minetus, qui désigne le père de notre Megethius, 11 y aurait peut-être licu d’y voir une altération du mot Minatus ren- contré, comme désignation individuelle, sur une urne ciné- raire récemment trouvée à Rome (?).

En somme, les épitaphes que nous venons de transcrire accroîtront utilement le nombre si restreint des inscriptions gallo-romaines qui ont été extraites du sol de la Séquanie.

(1) L. RENtER, /nscriptions romaines de l'Algérie, 2736. G. WiL- MANNS, 702.

(2) Bulletin de la Société des antiquaires de France, 1880, trimestre, p. 165; communication de M. DE LAURIÈRE.

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SUR LES

BRACELETS EN BOIS DE

DU MUSÉE DE BESANCON

Par M. le docteur Albert GIRARDOT.

Séance du 12 novembre 1881. .

On trouve souvent dans les sépultures gauloises du premier âge du fer de gros bracelets de couleur brun foncé, à parois épaisses, à ouverture variable, tellement étroite chez certains, que la main d’une femme adulte ne pourrait y pénétrer, beaucoup plus large chez d’autres. La forme de ces bracelets varie aussi : la plupart sont cylindriques, d’autres sont co- niques, quelques-uns ne sont que de simples anneaux. Le musée de Besancon possède, des uns et des autres, une riche collection. |

La plupart des spécimens sont d’une très bonne conserva- tion, présentant des teintes de bois plus ou moins foncées et susceptibles de recevoir, par le simple frottement, un très beau poli.

Tous nos archéologues les considéraient comme formés de bois d’if. C'était aussi le premier sentiment de M. Ed. Toubin dans la description qu'il faisait de bracelets analogues, trou- vés par lui dans la forêt des Moïdons (1). « Ils offrent ceci de » singulier, disait-1l, que le bois, en vieillissant, ne s’est pas » fendu parallèlement à l'axe du cylindre, de bas en haut, » mais en travers, perpendiculairement à l'axe. »

(1) Mémoires de la Société d'Emulation du Jura, années 1871-1877, p. 294; et 1874, p: 54:

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Des doutes ayant été émis par M. L. Clos, la note suivante fut ajoutée à la relation des fouilles : « D’après des expériences » chimiques faites par M. Boulangicr, professeur au lycée de » Lons-le-Saunier, la matière des bracelets serait, non du » bois, mais une argile agglomérée au moyen d'une sub- » Stance analogue à la cire ou au bitume. »

En conséquence, l’année suivante, M. Toubin crut pouvoir convenir qu'il avait été « trompé par l'apparence. »

Au mois de juillet dernier, la question se présenta de nou- veau devant la Société d'Emulation du Doubs, à l’occasion de la découverte par M. le capitaine Paul Besson, dans les travaux du champ de tir de Pontarlier, de deux bracelets analogues aux précédents.

Après un examen superficiel de ces objets, et malgré les affirmations positives contenues dans les Mémoires de notre Société, quelques objections se produisirent encore. Le doute sur la nature ligneuse des bracelets 3'accentua davantage à la . vue d’une empreinte fort nette, analogue à celle d'un coquil- lage ou débris fossile, dans le cœur du bracelet partagé en deux : les cannelures régulières sont en saillie sur une des tranches et se reproduisent en creux sur l’autre.

La question méritait d’être examinée de plus pres. C’est en vue de l’élucider que de menus fragments de l’un des échan- tillons me furent remis, ainsi qu'à M. Paillot, pour en faire l'étude. |

Tous ces bracelets présentent des fentes ou des stries, diri- gées perpendiculairement à leur axe dans la plupart des cas, quelquefois cependant un peu obliquement. Ces fentes et ces stries, bien visibles à l'œil nu, le deviennent encore davan- tage par l'examen à la loupe; on reconnaît alors facilement la structure feuilletée du bracelet, qui se montre ainsi comme formé d'une multitude de lamelles très minces accolées entre elles. :

La substance du bracelet brûle avec une flamme jaune, en répandant une odeur balsamique; calcinée sur une lame de

104 platine, elle se réduit en cendres grises en perdant 60 pour 100 de son poids. Cette substance est absolument insoluble dans l'eau, l’alcool, l’éther et l'essence de thérébentine. Plongée dans ces liquides, elle ne leur communique aucune coloration, même après plusieurs jours de digestion. En pré- sence des acides, elle s'est comportée de deux facons : un frag- ment à fait effervescence, l’autre n’a pas été attaqué.

Ces essais nous permettaient déjà de conclure que la sub- stance soumise à notre examen est bien du bois. Cette struc- ture feuilletée n'appartient guère à l'argile, et la combustion avec odeur balsamique encore moins. Ajoutons que plusieurs de ces bracelets portent à l’intérieur les marques de l’instru- ment tranchant qui les a faconnés.

Le microscope, enfin, en nous montrant la fibre végétale elle-même, est venu apporter à notre manière de voir une dernière preuve, celle-ci décisive : maleré la dureté de la ma- tière, nous avons pu, à différentes reprises, isoler des fibres et des groupes de fibres ligneuses, parfaitement caractérisées.

M. Toubin appuie son opinion sur une analyse chimique,

mais il ne nous dit pas comment a élé faite l'analyse qu'il mentionne. S’est-on borné, comme il est fort à croire, à re- connaître la présence de certains corps comme la silice et l’alumine ? Cela n'infirmerait en rien nos conclusions. Il est bien des manières d'expliquer la présence d'éléments miné- raux dans un bois resté cnfoui sous terre pendant des siècles : un de nos fragments contenait du carbonate de chaux, comme l'a prouvé son effervescence au contact de lacide; s’il avait séjourné dans une couche d'argile, il se serait pénétré peu à peu de cette matère, et contiendrait de la silice et de l’alu- mine.

L'hypothèse qui considérait ces bracelets comme formés d’une argile agglomérée au moyen d’une-substance analogue à la cire au bitume, tombe d’elle même devant le résultat de l'analyse micrographique qui nous a montré la fibre ligneuse.

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Le bois dont sont formés ces bracelets ne peut être, au dire de M. Paillot, bien compétent en pareille matière, que du bois d'if. Nul autre n'a un tissu aussi dense et aussi serré avec des fibres aussi fines.

Contrairement à la supposition que l’on fait tout d'abord, ainsi que cela est arrivé à M. Toubin, ces bracelets ont été creusés, non dans le sens de l'axe du bois, mais perpendicu- lairement à cet axe : c'est ce qu'indiquent clairement les stries marquées à leur surface ; ils ont donc été faconnés dans le cœur du bois. On peut expliquer de plusieurs manières ce mode de fabrication : peut-être a-t-on voulu éviter la présence de l’aubier, de couleur blanc jaunâtre, à la surface extérieure du bracelet; peut-être a-t-on employé pour la fabrication des racines dif souvent aplaties latéralement et dans lesquelles le bois de cœur à subi la même déformation que l’auhier ; peut-être, et c'est l'hypothèse qui me semble la plus probable, s'est-on servi de planches épaisses, provenant d’une section longitudinale de la tige et passant par son centre? On aura enlevé l’aubier de chaque côté de la planche, de facon à n’a- voir plus qu’une lame de bois de cœur; dans cette lame on aura taillé des cylindres, régularisés au tour extéricurement et évidés au ciseau intérieurement.

Ces bracelets n'ont pu subir aucune rétraction depuis le jour ils ont été fabriqués; ceux dont nous avons signalé l'ouverture étroile étaient placés au bras de l'enfant qui les gardait ainsi pendant toute sa vie, sans pouvoir les quitter jamais.

Ainsi se trouvent confirmées les observations faites, dès 1858, par notre commission des célèbres fouilles d’Alaise. « Les os des bras (de nos squelettes), écrivait alors M. Auguste Castan, étaient encore engagés dans de gros anneaux d'un bois brunâtre, extrêmement compacte, et que M. Delacroix à très Justement reconnu être de l'if. Ces singuliers bracelets ne présentent qu'une ouverture de 56 millimètres ; ils n’ont donc pu être introduits dans un bras parvenu à la grosseur virile,

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et l’on doit penser avec M. Quicherat que ces ornements ou, suivant moi, ces amulettes, étaient passés au bras des indi- vidus dès leur plus tendre enfance. »

«Je n'ai pas, ajoutait M. Castan dans un second rapport, à revenir ici sur le caractère mystique que j'ai attribué à cet embarrassant ornement, dans lequel je persiste à voir une amulette votive du genre des lourds anneaux de fer dont les plus braves d’entre les Cattes se chargeaient les bras, jusqu’à ce qu ils se fussent rachetés de cet esclavage volontaire par la mort d’un ennemi. »

SIMON RENARD

SES AMBASSADES, SES NÉGOCIATIONS

SA LUTTE AVEC LE CARDINAL DE GRANVELLE

PAR

M. TRIDON

ANCIEN PROFESSEUR AGRÉGÉ D'HISTOIRE CENSEUR HONORAIRE

OFFICIER DE L’'INSTRUCTION PUBLIQUE

Séances publiques des 18 décembre 1879 et 13 décembro 1881,

Les documents qui concernent le franc-comtois Simon Re- nard, chevalier, seigneur de Bermont, existent disséminés dans de nombreux recueils, dont les principaux sont :

La Collection manuscrite des Papiers Granvelle, conservée à la Bibliothèque de Besancon : une partie en a été publiée, _ il y a une quarantaine d’années, par Ch. Duvernoy, sous la direction du savant Ch. Weiss, dans la Collection des docu- ments inédits relatifs à l’histoire de France, avec le titre de Papiers d'Etat du cardinal Granvelle ; l'autre est en voie de publication, par les soins de M. Edmond Poullet, dans le re- cuëil des Chroniques belges, et formera la Suite des Papiers d'Etat du cardinal Granvelle ;

Trois volumes de cette Suite des papiers d'Etat du cardi- nal Granvelle, qui ont déjà paru ;

La Correspondance inédile de Philippe II d'Espagne, pu- bliée par M. Gachard (Bruxelles) ;

Les Archives de Simancas, de Bruxelles, de Vienne, qui ont fourni nombre de pièces importantes aux deux précédentes publications:

D? Plusieurs dépêches inédites de Simon Renard, résumées

pour la plupart, qui existent aux Archives nationales de France, carton K, 1488;

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Les Ambassades de Messieurs de Noailles en Angleterre, publiées par l'abbé Vertot.

Parmi les personnages dont émanent les innombrables pièces contenues dans ces divers recueils, nous citerons prin- cipalement Charles-Quint, son fils Philippe IT et plusieurs de leurs secrétaires; sa sœur Marie, reine douairière de Hongrie, sa fille Marguerite, duchesse de Parme, et le duc de Savoie, Emmanuel Philibert, qui eurent successivement le gouvernement des Pays-Bas; le chancelier Granvelle (1) et le Cardinal son fils; les diplomates Simon Renard et Antoine de Noailles, Maximilien Morillon, prévôt d’Aire, et depuis évêque de Tournai, « l’un des plus chers amis du cardinal Granvelle, » dit l'abbé Boisot, « son confident, son grand-vicaire, son intendant, son tout, » le mieux ren- seigné, le plus exact, le plus net, le plus franc de ses cor- respondants; Jean Bave, secrétaire de Charles-Quint et plus tard de Marguerite de Parme, homme d'une haute va- leur, au jugement et à l'expérience duquel le cardinal ne craignait pas d’avoir recours; Viglius de Zwichem, que l'abbé Boisot regarde comme le plus habile des ministres espagnols et flamands, employé en plusieurs négociations et finalement président du conseil d'Etat des Pays-Bas, colla- borateur dévoué du cardinal Granvelle, mais timide à le dé- fendre ; l'écuyer Pierre Bordey, attaché à la cour de Bru- xelles, parent et ami des Granvelle. Morillon, Bave, Viglius, Bordey, n’aimaient pas Simon Renard. Mais à côté de l’an- tipathie qu'ils témoignent pour cet ennemi du Cardinal, il respire dans leur correspondance un je ne sais quoi de sin- cère et de convaincu qui commande la confiance.

Outre ces documents, qui consistent généralement en dé-

(1) Après la mort du chancelier de Charles-Quint Gatinara, Nicolas Perrenot lui succéda dans la garde des sceaux, mais sans prendre le titre de chancelier qui fut supprimé. C'est done à tort que la plupart des historiens lui ont attribué ce titre. À leur exemple, nous l’appelons conventionnellement le chancelier Granvelle.

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pêches officielles et en lettres privées, nous avons consulté : Decades de bello belgico, composées en latin par le jésuite ro- main Strada (1572-1649), ouvrage dans lequel Granvelle est traité durement et Renard avec plus d’indulgence, et qui n’est, à proprement parler, qu'un panégyrique d'Alexandre Farnèse ; Projet de la vie du cardinal Granvelle (lettre à Pélisson, dans la Continuation des Mémoires de littérature et d'histoire, t. IV, Paris, Simart, 1727), par l'abbé Boisot [1638- 1694), bisontin, abbé commendataire de Saint-Vincent de Be- sançon, l'érudit qui consacra tant d'argent, de recherches et de veilles à réunir et à mettre en ordre la Collection Gran= velle, telle qu’elle existe à la Bibliothèque de Besançon; Mémotres pour servir à l'histoire du cardinal Granvelle, par le bénédictin franc-comtois dom Lévèque (1713-1781), auteur qui se montre, comme le précédent, d’une extrême sévérité à l'égard de Simon Renard; Nouveaux éclaircissements sur l'histoire de Marie, reine d'Angleterre, fille aînée de Henri VIT, par le P. Griffet ; Histoire d'Angleterre, par Lingard ; His. toire de Philippe II d'Espagne, par M. Forneron (1881); enfin une Etude historique sur Simon Renard..., in-4° de 300 pages, autographié, signé Vunière.

Ce dernier écrit, que son auteur adressa de Limoges, en 1877, au bibliothécaire de Besancon, nous donnait enfin une véritable monographie de Simon Renard, remplie de docu- ments puisés aux sources mêmes. Il semble qu'après avoir lu un travail de cette valeur, nous eussions renoncer à l'entreprise dont nous publions aujourd’hui le résultat. Mais, Outre que probablement l'ouvrage n'aura été autographié qu'à un petit nombre d'exemplaires, notre plan et nos apprécia- tions n'étant pas les mêmes que les siennes, nous avons passé outre, non sans lui faire plusieurs emprunts que nous avons eu soin de mentionner en leur lieu 1).

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_ (1) Toutes les dépêches que nous indiquons en note, sans en donner la source, appartiennent aux Papiers d'Etat du cardinal Granvelle.

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Telles sont les principales sources d’où nous avons tiré les éléments de notre travail. Nous devons y joindre le nom de notre savant bibliothécaire, M. Castan, correspondant de l’In- stitut, qui, avec une courtoisie tout amicale, a mis à notre disposition ses conseils judicieux et les ressources de sa vaste et solide érudition. Qu'il reçoive ici l'expression de notre sin- cère gratitude.

Besancon, le 28 mars 1882.

SIMON RENARD

PREMIÈRE PARTIE

AMBASSADES ET NÉGOCIATIONS

CHAPITRE PREMIER PREMIÈRE AMBASSADE EN FRANCE

1549-1551

I

« La Franche-Comté est dans une situation très propre à nuire aux Français dans l’occasion, et les sujets qui l'habitent ont constamment fait preuve de fidélité et d’attachement aux princes nos ancètres. [l importe donc grandement de la for- tifier, défendre et conserver. » Aïnsi s’exprimait. Charles- Quint dans l’Instruction, datée d’Ulm, qu'il adressait à son fils Philippe, le 18 janvier 1548. Il aurait pu-ajouter que cette province était aussi celle à laquelle il devait les plus habiles de ses ministres et de ses diplomates (1).

En cffet, c'était le temps les deux Granvelle, ces grands hommes d'Etat, travaillaient à affermir sur ses bases mal assises son colossal empire.

Nicolas Perrenot de Granvelle avait le en 1530, au

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(1) Micusrer, Renaissance, p. 256, les qualifie trop dédaigneusement de « Procureurs diplomates. »

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chancelier impérial Gatinara. Il devint l’unique confident, l’alter ego de son souverain, et pendant vingt ans il ne cessa de le servir avec autant de succès que de dévouement, soit à titre de conseiller, soit comme négociateur auprès des diverses cours et plus spécialement dans ces diètes germaniques il s'agissait de faire, au profit de l'empereur, l'unité politique de l'Allemagne, pour mieux y défendre l'unité religieuse en péril.

Le travail excessif auquel il se livrait ruina sa santé et abrégea ses jours. Atteint d’hydropisie, il mourut à Augs- bourg, le 27 août 1550, dans sa soixante-sixième année. Sa mort fit événement dans le monde politique. « Le 29 août, fut célébré à la cathédrale un service auquel présida le duc d’Albe, en sa qualité de grand-maître de la maison de l'em- pereur ; tous les princes, tous les membres de la dièle, tous les officiers de la cour y assistaient. Le corps du défunt fut porté à Besancon pour y être inhumé (1). »

Ce fut pour Charles - Quint une perte sensible. Ayant appelé l'évêque d'Arras, pour lui donner les charges que son père avait occupées, il lui dit avec bonté : « J’ai plus perdu : que vous, car j'ai perdu un ami tel que je n’en trouverai plus de semblable; vous, si vous avez perdu un père, vous reste pour vous en tenir lieu (?). »

Antoine Perrenot, célèbre sous le nom de cardinal Gran-

(1) M. GacHarD, article Charles-Quint, Biographie nationale be lge 4. III, pp. 797 et suiv,

(2) La prétendue lettre de Charles-Quint à son fils, dans laquelle se trouverait cette réflexion bien connue : « Nous avons perdu, vous et moi, un bon lit de repos, » n'existe nulle part. D'ailleurs l'empereur, ayant alors Philippe avec lui, n'avait pas besoin de lui écrire.

« Granvelle (Nicolas-Perrenot), selon l'opinion des juges les pius com- pétents, était le premier homme d'Etat de son époque. La modération formait le fond de son caractère. La confiance qu'il inspirait à Charles- Quint était sans bornes: ce prince ne faisait rien sans le consulter, et son opinion était celle qu'il suivait presque toujours. On ne pouvait lui reprocher que son désir d'amasser et d'enrichir sa famille: il rece- vait volontiers les présents qu'on voulait lui faire; le bruit public était que les accords avec les princes et les villes d'Allemagne, en 1546 et

115 velle, « égala son père en beaucoup de choses, dit l'historien Strada, et le surpassa en plusieurs autres, principalement pour la vivacité d'esprit et l’éloquence. » Ajoutons que, s’il avait sa volonté ferme et persévérante (sa devise était durate), il n'avait ni sa modération, ni sa prudence.

Il était l'aîné des cinq fils du chancelier et naquit à Besan- con en 1517. Charles-Quint, qui fut à même d’apprécier de bonne heure ses rares aptitudes, le fit nommer, dès l’âge de vingt-six aus, à l’évêché d'Arras. A ce titre, il siégea au concile de Trente et s’y distingua parmi les principaux orateurs (D.

Depuis plusieurs années déjà, il était associé aux travaux de son père ; il l'avait secondé particulièrement dans les né- gociations qui aboutirent au traité de Crespy avec Fran- cois [°' (1544). Après son retour du coneile, il entra au conseil d'Etat et prit ensuite une part active aux affaires re- ligieuses d'Allemagne. Au commencement de 1547, nous le trouvons à Ulm, puis à Nuremberg, suppléant, auprès de l’empereur, son père alors malade en Franche-Comté. A cette époque il avait toute la confiance du souverain et sup- _ portait, si l’on en croit sa correspondance, tout le fardeau des affaires (2). Le démembrement de la ligue de Smalkaden fut

1547, lui avaient valu un puits d'or. Aussi, pauvre, laissa-t-il sa nom- breuse postérité dans une brillante position de fortune, » (M. GACHARD, Biogr. nat. belge.) Il avait épousé Nicole Bonvalot, femme d’un haut mérite, qui lui donna quinze enfants, dont quatre vécurent peu. Des onze survivants, il y avait cinq fils et six filles.

François Bonvalot, son beau-frère, occupa avec distinction, en 1530 et 1532, le poste d'ambassadeur de Charles-Quint près la cour de France; 1l était à la fois abbé de Luxeuil, de Saint-Vincent de Besan- con et doyen de Beaupré. Elu en 1544 archevêque de Besançon, après la mort du cardinal Pierre de la Baume, la cour de Rome lui préféra Claude de la Baume, neveu du précédent, qui n’était alors âgé que de sepl ans; il parvint toutefois à conserver l'administration temporelle et spirituelle du siège jusqu'à ce que le tilulaire fût en àge d'en prendre possession.

_ (1) Le concile de Trente s’ouvrit le 13 décembre 1545. (2) « Je corresponds avec les ministres (ambassadeurs), à mon advis,

116 en grande partie son ouvrage, et il prépara ainsi la journée de Mühlberg, si fatale au parti protestant (1).

I

Vers le même temps apparut sur la scène politique un personnage dont le nom se lie étroitement à celui d'Antoine Perrenot de Granvelle, et qui occupe à côté de lui une place considérable dans l’histoire du seizième siècle; nous voulons parler du franc-comtois Simon Renard.

Il naquit à Vesoul vers 1513 (?), et appartenait, dit-on, par

à leur contentement, et tous font bon devoir à mon endroit, hormis qu'iis sont longs à l’accoutumé. Le duc (d'Albe) me fait grande faveur; mais je tiens qu'elle vient en partie du Maître qui me fait venir vers soi tous les jours, et aucunes fois deux fois, et me remet quasi tout ce qui survient; ce qui me charge, avec la faute de gens, plus que je ne puis porter; et enfin jusques à vostre retour, je ferai le mieux que je pourrai. » À son père, d'Ulm, 12 février 1547.

(1) Le 24 avril 1547, le duc d’Albe, qui prit une part importante à la bataille, n'avait pas alors la réputation de grand capitaine qu'il acquit depuis, et, dit l'abbé Boisot, « Charles-Quint ne lui donna jamais d’ar- mée à commander en chef, quoiqu'il lui ait donné le titre de général. » Aussi l'évêque d'Arras, dans la relation qu’il écrivit à l'ambassadeur en France, Jean de Saint-Mauris, omet-il même de le nommer, pour rap- porter à l’empereur toute 12 gloire de cette fameuse journée. On voit, du reste, par la note précédente, qu'il ne régnait pas à cette époque grande sympathie entre le général majordome et le prélat ministre.

(2) On montre à Vesoul, rue Georges-Genoux, 43, tout près de la Place Neuve, la maison serait Simon Renard. Du moins est-il de tradition locale qu'il habita cette maison pendant qu'il était lieutenant d’'Amont. Nous ne savons qu'approximativement la date de sa nais- sance, n'ayant pu la préciser en consultant les registres paroissiaux de la ville de Vesoul, qui n’existent qu’à partir de 1553. C’est l’année 1513, comme l'indiquent, moyennant une légère modification, les chiffres ins- crits sur son portrait, chef-d'œuvre d’Antonio Moro, que possède, ainsi que celui de sa femme, le musée de Besançon. D’après ces chiffres, il aurait eu 30 ans en 1553. « Or, remarque M. Castan dans son Catalogue du musée de Besancon (1879), Renard mourut en 1573, âgé d’une soixan- taine d'années; donc il devait avoir environ 40 ans et non 30 en 1553. Nous croyons, nous, qu'il y avait primitivement 39, et qu’une retouche

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sa mère à la famille des Bonvalot. Etant étudiant à l’univer- sité de Louvain, il y rencontra le futur cardinal Granvelle et inspira à ce jeune homme une affection qui, bien qu'il ait prétendu plus tard le contraire, fut l’origine de son éléva- tion (1). Reniré dans sa ville natale avec le diplôme de docteur ès droils, il y exerca la profession d'avocat et plaidait certai- nement à la fin de 1541 ©).

Peu après cette date, le cardinal Pierre de la Baume, ar- chevèque de Besancon, le fit nommer lieutenant du bailli d Amont (3).

Dans l'exercice de cette charge, d’ailleurs fort importante par elle-même, il se distingua de telle sorte que sa province le jugea digne de faire partie, lui troisième, d’une députation qu'elle envoya à la diète, et qu'ensuite le chancelier Gran-

intéressée aura supprimé la queue du 9, pour le transformer en un zéro. Cela put se faire en 1557, quand Renard commanda le portrait de sa jeune femme, Jeanne Lullier, âgée de 22 ans ; on concevrait qu'il eût alors désiré la modification d'un chiffre qui dénonçait son âge de 43 ans. » Il se pourrait aussi que cette modification fût l'effet d’une simple inadvertance. En tout cas, il est à remarquer que le zéro actuel est plus petit et placé plus haut à droite du chiffre 3, que ne l'aurait été un zéro primitif.

(1) Sur leur commun séjour à l’université de Louvain, voir la lettre _ de Granvelle du 5 janvier 1555, citée en note, IT* part., chap. I®.

(2) Mandement de nouvelleté rendu par Odo Martin .…., lieutenant- général de M. le bailly d'Amont.…

« En une cause entre les religieux de l'hôpital du Saint-Esprit (de Besancon) et dame Marguerite de Neufchatel, abbesse de Remiremont : Girard Belin, procureur du sieur Claude Buffet, est assisté de messire Sinon Renard, docteur es droits, leur advocat.

» Le procureur de l’abbesse a pour conseil Francois Terrier.

» Donné judicialement à Port-sur-Saône, aux jours généraux de feste sainct Andrey, par nous y tenuz, pour le danger de peste raingnant à Vesoul, commencez seoir le jeudi premier jour du mois de décembre, l'an mil cinq cent quarante et ung. » (Archives du Saint-Esprit de Le- sancon. ch. Lxv, xxiv. Note communiquée par M. Castan.)

(3) Le baiili titulaire d’'Amont était alors François de la Baume, neveu et pupille du cardinal Pierre. Le bailliage d’Amont comprenait, outre le département actuel de la Haute-Saône, une partie des arrondisse- _ ments de Baume et de Montbéliard.

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velle, qui d’ailleurs affectionnait en lui l'ami de son fils aîné, le fit appeler, en 1547, au poste de conseiller maître des re- quêtes ordinaire de l'hôtel de l'empereur, pour les affaires de Bourgogne ().

En cette nouvelle qualité, il rejoignit Charles-Quint à Nu- remberg et le suivit dans sa campagne de Saxe, l’auteur de l'Etude autographiée raconte comment il aurait contribué, par un coup d’audace, à la victoire de Mühlberg (2.

Quelque temps après, il fut envoyé à Milan à titre de gou- verneur provisoire du duché; puis, cette mission remplie, il vint reprendre sa place auprès de l’empereur dans cette fa- meuse diète d'Augsbourg qui, sous la pression du vainqueur de Mühlberg, décréta le formulaire de l’Interim, cet instru- ment de paix religieuse auquel les deux partis furent con- traints de se soumettre (3), Après la clôture de la diète, il re-

(1) La patente originale de nomination, datée d'Ulm, le 4 février 1547 (1546 vieux style), existe à la Bibliothèque de Besançon. Plus tard, au milieu de sa lutte contre le cardinal, Simon Renard écrivit dans un mémoire adressé à Philippe IL : « Le chancelier insista pour me faire accepter la charge de maître des requêtes, etc. »

(2) Le 24 avril 1547, Charles-Quint, à la tête d’une armée de 23,000 piétons et 6,000 cavaliers, arriva sur la rive gauche de l’Elbe, en face de la ville de Mühlberg, que paraissait vouloir défendre l'électeur de Saxe, Jean Frédéric, avec des forces de beaucoup inférieures en nombre. Vers 9 heures du matin, l'avant-garde rencontra un pont de bateaux qui reliait les deux rives du fleuve. Les Saxons qui en avaient la dé- fense, le voyant sur le point d’être pris, le coupèrent en trois parties, dont ils emmenerent deux en aval du fleuve ; mais quelques arquebu- siers espagnols se jetèrent à l’eau, leurs épées entre les dents, et na- geant vers les bateaux, ils les ramenèrent après avoir tué ceux qui les conduisaient. Grâce à ce.coup hardi, le pont put être reconstruit et livra passage au gros de l’armée; un corps de cinq à six mille hommes, commandé par le duc d’Albe, ayant déjà passé le flouve à gué et l’em- pereur avec lui. Voy. Piogr. nat. belge, t. INT, p. 733.

M. Vunière ne dit pas d’où il a tiré son récit, dont Renard est le héros. Mais ni l'empereur, ni l'évêque d'Arras, ni l'historien Davila, qui rap- portent ce fait d'armes, ne font mention de lui.

(3) L’Intérim était un formulaire destiné à suspendre en Allemagne la discorde religieuse, en attendant que le concile général, réuni à

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cut, en témoignage de la satisfaction impériale, des lettres de noblesse avec le titre de chevalier; il Y ajouta celui de sei- oneur de Bermont et obtint un blason (1).

Il était déjà, comme on le voit, un personnage considérable, et les talents dont il avait fait preuve durant ses deux années de collaboration avec Charles-Quint et les deux Granvelle le désignaient d'avance pour occuper, à la première occasion, de plus hautes et plus difficiles fonctions, Cette occasion ne tarda pas à se présenter.

Apres avoir brisé la ligue protestante de Smalkaden et plié le corps germanique presque entier sous la dure loi de l’In- terim, Charles-Quint n’entendait pas s'arrêter là. Il voulait établir solidement en Allemagne, avec la suprémalie impé- riale, le règne exclusif de la religion catholique; ensuite rendre l'empire héréditaire au profit de ses descendants, comme étaient ses autres couronnes. Or, il sentait le besoin de se hâter, car de violents accès de goutte, qui minaient sa - santé en épuisant ses forces, l’inquiétaient assez pour l'avoir déjà porté à écrire, dans l'Instruction à son fils, que nous avons mentionnée plus haut, son testament politique.

Seulement la sécurité dont il avait besoin pour mener à bien cette entreprise ardue commençait à lui faire défaut. Lui qui, dans sou particulier, s'était réjoui de la mort de Francois I, comme d’un événement propice à ses des- seins (?), et qui avait recu officiellement de la part du conné-

Trente, püt y mettre fin. Charles-Quint, après l'avoir fait voter par la diète, qui se tint à Augsbourg de septembre 1547 à juin 1548 ,en imposa par la force l'observation aux catholiques et aux protestants, qui le re- poussaient également. Les républiques maritimes du Nord et la ville de Magdebourg résistèrent les armes à la main.

(1) Ce fut en 1548. Le blason qu'il se composa portait : d'azur à l'ancre marine, entre deux dauphins d'argent renversés, entortillés et mordant les deux branches de l'ancre, au chef enté d’or, à l'aigle de sable à deux tôles.

(2 Voir les lettres de l'ambassadeur Jean de Saint-Mauris à l’'Em- pereur son maitre, au sujet de la mort de François I, publiées par

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table de France, Anne Montmorency, touchant le carac- tère et les dispositions du nouveau roi, les assurances les meilleures (1), il n'avait pas tardé à reconnaître qu'il n’avait rien gagné au change, et que le jeune Henri IT n’était pas mieux intentionné , pour l'observation des traités, que ne l'avait été son père (?). C'était une guerre en perspective, la- quelle venant à éclater avant qu'il eût achevé son œuvre en Allemagne, pouvait mettre en péril l'existence même de la monarchie. Il lui fallait donc gagner du temps, et puisque la rupture était inévitable, l’ajourner autant que possible.

La tache était difficile ; elle exigeait, entre autres facultés, une vigueur et une activité dont l’ambassadeur en France, Jean de Saint-Mauris, affaibli par l’âge et les infirmités, n'était plus susceptible, Sur le conseil du chancelier, Charles- Quint choisit, pour le remplacer, son maître des requêtes, Simon Renard.

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Ce fut le 29 janvier 1549 que Renard fut nommé à l’am-

M. Casrax dans les Mémoires de la Sociélé d'Emulation du Doubs, année 1878, pp. 420 et suiv.

(1) Après l’avènement de Henri II, le connétable avait fait déclarer par l’évêque de Vannes, Marillac, son nouvel ambassadeur, « que le règne du nouveau roi seroit tout différent de celui du roi défunt; que sous ce règne, ce qu'on affirmeroit seroit trouvé véritable; que le oui seroit oui et le non seroit non. » Granvelle à Renard, L# septembre 1551 (par erreur, année 1550) dans les Papiers d'Elal.

(2) « Tout porte à croire que mes démarches empressées auprès du roi actuel n'auront pas un succès plus heureux (que celles qu’il avoit faites jadis pour vivre en paix avec François I*), car les pratiques qu'il favorise en divers lieux me font croire qu'il est déterminé à suivre les traces de son père, dont il a hérité la haine que les rois ses aïeux ont de tout temps manifesté à l'égard des miens... Les rois de France ont coutume de violer les traités et d’usurper sur leurs voisins .….. Quoiqu'il en soit, je vous conseille de faire votre possible pour vivre en paix avec le nouveau roi... Pour le moment, un peu de repos est indispensable à la monarchie. » /nsitruclion de Charles-Quint à son fils, déjà citée.

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bassade de France (1). La finesse et la fécondité de son esprit, la hardiesse et la ténacité de son caractère, les séductions de sa parole le placaient à la hauteur de sa nouvelle mission, Aussi cet avancement n’étonna-t-il personne; il lui valut

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même de hautes félicitations (?) et des honneurs publics, Dans un voyage qu'il fit alors en Franche-Comté, la cité im- périale de Besançon, qui d’ailleurs avait recu de lui « plu- sieurs bons et notables services, » lui fit une réception dis- tinguée (3). La municipalité délégua quatre de ses membres pour lui souhaiter, en son nom, la bienvenue et [ui offrir un présent consistant en une certaine quantité « d'hypocras, de vin blanc clairet, d'avoine, etc. » De plus elle lui accorda gra- cieusement, sur sa demande, l'autorisation d'emmencr pour quelque temps, à titre de maître d'hôtel, l’écuyer Etienne Quiclet, son parent, alors contrerole et entremetteur de la cité, lui conservant néanmoins son office de contrerole (4),

(1) Il y a aux Archives nationales, carton K. 1488, une copie de la cédüle en date du 1°* février 1549, par laquelle Charles-Quint informe le trésorier d'Espagne, Alonzo de Rocca, qu'il a fixé les gages de son nouvel ambassadeur en France à 8 ducats (de 373 maravedis) par jour à partir du 1* de ce mois, qui seront payés, 5 sur ia trésorerie d’Es- pagne et 3 sur les pays de Flandres. Il lui alloue de plus une gratifica- tion de 920 livres de Flandres, pour frais d'équipement et de voyage, « le tout en sus et par dessus les gages ordinaires de son état de con- seiller et maître des requêtes. »

(2) Par une lettre sans date, écrite en espagnol, et commençant ainsi : « Magnifique et bien aimé, » qui existe aux Archives nalionales, Phi- lippe, prince d'Espagne, félicite Renard, installé déjà dans ses nou- velles fonctions. Il se réjouit du choix que l’empereur, son père, a fait de lui, à cause de la bonne opinion que l’on a de sa personne, et il tient pour cerlain quil apportera dans son nouvel office le zèle et le dévouement dont il a fait preuve jusqu'ici dans les affaires dont il à été chargé. Il a lu avec intérêt le contenu de ses dépêches à l'empereur, et lui recommande de lui écrire à lui-même tout ce qu'il croira utile de lui faire savoir, particulièrement en ce qui touche les affaires des Espagnes et des Indes. Quant à la portion de ses gages d'ambassa- deur à prendre sur les revenus d'Espagne, le prince pourvoira avec un soin particulier à ce qu'il en soit payé en temps utile.

(3) Le 8 mars 1549.

(4) « Messieurs (les Gouverneurs de Besançon) advertis que Monsieur

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Ce fut très probablement après cette visite à sa province natale que Simon Renard se rendit à la cour de France (1).

le Lieutenant d'Amont, conseiller de l'Empereur en court, lequel a faict plusieurs bons et notables services à ceste cité, doibt en brief arriver en icelle, ont conclud que l’on lui fera ung présent de par ladicte cité, de quatre symases d’ypocras, quatre moyens potz de vin blanc et claret, huit torches et quatre bichotz avenne, le tout par le trésorier commis à ce. » (La dépense, non compris l’avenne, se monta à la somme de «huit francs, neuf groz, trois blans, trois deniers.) « Outre plus ont commis Messieurs de Vers, Jantet, Pétremand et Oultrey pour, quant le dict sieur conseiller d'Amont sera arrivé, aller devers luv le saluer de la part de Messieurs les Gouverneurs et luy mercier les biens qu'il ad faictà CeSLe CLÉ.

» Monsieur le conseiller d’Amont, commis ambassadeur en France pour $. M. l'Empereur, a fait requérir Messieurs les Gouverneurs vou- loir consentir et donner licence au contrerole Quiclet d'aller avec luy et en son service pour quelque temps, saus le déporter dudict estat de contrerole : ce que mesdicts sieurs luy ont accordé; et ey après sera advisé par mesdicts sieurs de conmettre tel qu'ilz treuveront estre con- venable pour exercer ledict estat de contrerole jusques au retour du- dict Quiclet. » (Délibérations el comptes de la municipalité de Besançon, 6, 8 et 9 mars 1549. Note communiquée par M. Castan.)

Etienne Quiclet, dont nous aurons à nous occuper plus tard, fut

nommé, en 1548, contrerole, c’est-à-dire intendant des travaux publics de la cité. Depuis plusieurs années déjà, il était employé comme enire- metteur, particulièrement pour les intérêts que la municipalité avait à

défendre auprès du gouvernement impérial, comme lorsqu'il s'agissait.

soit l'activer la solution de procès que la ville soutenait en appel de- vant le Conseil aulique (1548), soit de la faire exempter de sa part d'une contribution de guerre que Charles-Quint demandait aux cités impé- riales (1545-1350), soit de négocier les conditions d’un secours mili- taire à introduire dans la ville, en cas d’invasion de la Franche-Comté par les Français (1552-1555). Dans ces diverses entremises, Quiclet s’ai- dait des bons avis et des bons offices du chancelier Granvelle et de son fils l’évêque d'Arras.

Il se maria en Allemagne, comme semble l'indiquer le nom de sa femme, Diane de Cleberg. Il possédait assez bien l'allemand pour être chargé de rédiger les lettres que la municipalité écrivait dans cette langue.

Dès l’année 1543, il avait reçu, en récompense des services par It rendus à la cité (Délibération municipale du 8 juin), l'exemption de toutes les charges publiques qui pesaient sur les habitants. (Résumé d’une note de même source communiquée par M. Castan.)

(1) Si Renard avait pris possession de son poste avant de venir en

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Il emportait une instruction tres explicite dans laquelle l’empereur, avec les conseils et par la plume de son chance- lier, lui tracait la conduite à tenir dans les différents cas, et les points sur lesquels il aurait à porter son attention et à fournir des renseignements (1) : ainsi, la politique et les négo- ciations que Henri II était soupconné ou convaincu de mener avec les divers Etats d'Italie, avec les cantons suisses, les protestants d'Allemagne et les villes rebelles, avec les rois de Suède et de Danemarck, le roi de Navarre, le Turc et les Barbaresques ; ce qui se passait entre les villes du Piémont occupées par les Francais et celles qui avaient des garnisons impériales ; l'accueil que trouvaient en France les fugitifs et les bannis des pays de la domination austro-espa- gnole ; les démarches des autres ambassadeurs ses collègues et leurs rapports avec le prince et ses conseillers, qu'il devait surveiller, tout en leur témoignant sa volonté de vivre avec eux en bonne intelligence; enfin la situation intérieure de la France, en ce qui concernait la cour, les finances, les im- pôts, la réduction de la Guyenne révolltée, les mouvements de troupes, les armements maritimes, l’état des places fron- tières, etc.

Pour les négociations à suivre avec le roi et le connétable, il avait l’ordre formel de s’en tenir à ce qui lui aura été en- joint par le maître, sans plus ni moins; de faire ses remon- trances avec modestie, hormis quand on lui cCommandera de parler vivement, et si l’on se démesurait en propos avec lui en chose mal fondée; de tenir soin principalement de ne rien allouer ni approuver de ce qui lui sera dit, afin qu'on ne puisse prétendre plus tard qu'il s'en soit contenté, de quoi

Bourgogne, il n’y avait pas longtemps, attendu qu’on trouve aux Ar- chives nalionales une dépêche que son prédécesseur, Jean de Saint- Mauris, écrivittde Poissy au prince Philippe, à la date du dernier joar de février.

(1) Cette instruction, datée de Bruxelles, en janvier 1549, existe au tome III des Papiers d'Elal,.

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l’on se habille quelquefois en ceste cour ; enfin de ne donner aucun avis à Sa Majesté sur ce qu'il lui écrira, mais remettre le tout au bon vouloir d’icelle.

On voit que, dans ce remarquable travail, vrai chef-d'œuvre d'esprit politique, rien n'est oublié de ce qui doit fixer l’at- tention et régler la conduite de l'ambassadeur dans cette cour de France les intentions et les actes excitaient éga- lement la défiance de son souverain. Un point pourtant est à noter entre tous, c’est la minime part qui est faite à l'initiative personnelle de Renard, soit que Charles-Quint ait cru néces- saire de guider de très près ses débuts sur un terrain difficile et nouveau pour Jui, soit qu'il n’ait fait que céder à son désir habituel de paraître tout diriger par lui-même. L'ambition entreprenante de l’orgueilleux débutant dut en ressentir une pénible déception. Mais la ligne à suivre était tracée; il n’a- vait qu'à s y conformer de point en point. C'est ce quil fit avec la plus docile exactitude (1).

Parmi les conseillers du roi de France, celui que Charles-

Quint tenait pour le principal et le plus influent, et auquel par conséquent il voulait que son ambassadeur s’adressât de préférence pour toutes les affaires à lrailer, c'était le conné- table, Anne de Montmorency. 11 est certain que, en dehors du conseil d'Etat dont ils faisaient également partie, Mont- morency, le duc Claude de Guise et le jeune d'Alban de Saint- André, l’ami d'enfance préféré de Henri FF, formaient, sous le

(1) La correspondance inédite de Simon Renard, concernant sa pre- mière ambassade en France, témoigne de la curiosité active et judi- cieuse avec laquelle il poursuivait l'objet de sa mission. Afin d’y mieux voir, il suivait Henri II dans ses diverses résidences, comme on le voit par celles de ses dépêches qui sont datées de Paris, de Poissy, de Blois, - d’'Amboise, de Montargis, de Melun, de Compiègne. Ün jour on trouva qu'il y regardait de trop près; il fut invité à s'éloigner de la cour et à séjourner à Compiègne jusqu'à nouvel ordre. C’est ce qui résulte d’une lettre en date du 19 septembre 1549, dans laquelle le chancelier Gran- velle se montre fort mécontent de ce procédé, et parle d’user de repré- sailles à l’'égard-de l'ambassadeur français.

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patronage de la favorite surannée et toujours omnipotente (1), Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois, une sorte de trium- virat qui partageait le gouvernement avec elle et l’exploitait au grand profit de leurs familles respectives (?). Cette grande puissance du connétable et de Diane de Poitiers est constatée par les attaques même dont elle était l’objet dans les écrits du temps. Des pamphlets d'une extrême violence pénétraient jus- qu'au sein de la cour. On y lisait : « Le roi est un sot de souf- frir près de lui un tel dne et une telle bourrique, tout chargés d’or, d'argent, d’offices, de bénéfices. » Ils contestaient au con- nétable le droit de porter l'épée royale lors‘de l'entrée solen- nelle du nouveau roi dans sa bonne ville de Paris et reven- diquaient cet honneur pour le duc de Vendôme (5).

I s’en fallait cependant que l'influence du connétable sur

(1) À l’avénement de Henri II, Diane de Poitiers avait 48 ans, c’est-

à-dire 20 ans de plus que son royal amant. (2) Autour du connétable se groupaient ses cinq fils et ses deux ne- veux, Gaspard de Chatillon et d'Andelot, le premier alors colonel gé- . néral de l’infanterie, et plus tard célèbre sous le nom d’amiral de Co- ligny. Au dire de Renard, cette famille était pour la guerre avec l’An- gleterre. La famille lorraine des Guises se composait alors du duc Claude qui en était le chef, de son frère Jean, cardinal de Lorraine, et de ses sept fils, dont les deux plus fameux furent François, duc d'Au- male, un des amis d'enfance de Henri IT, et, comme étant l'aîné, futur héritier du titre paternel, et Charles qui devint à son tour cardinal de Lorraine. Claude avait de plus une fille, Marguerite, veuve du roi d'E- cosse Jacques V, dont la fille, enfant, Marie Stuart, avait été amenée à la cour de France et fiancée au dauphin François, qu’elle épousa dans la suite.

Le duc Claude mourut en avril 1550, et son frère le cardinal Jean le 18 mai suivant.

(3) Antoine de Bourbon, duc de Vendôme, gendre du roi de Navarre, Henri d'Albret, que sa médiocrité personnelle rendait incapable de contrebalancer la puissance des Guise et des Montmorency, avait, par son nom et par ses prétentions, une importance avec laquelle il fallait compter. Aussi cette question de savoir qui porterait l'épée royale parut-elle au roi Ini-même de telle conséquence, remarque Renard, qu'elle lui fil ajourner jusqu'au 15 juin 1549 la cérémonie de lentrée. Le connétable eut gain de cause. Renard à l'empereur, 8 mai 1549. (Arch. nat.)

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l'esprit du roi fût aussi solide et aussi absolue que l’étaient celle de Diane de Poitiers et celle des Guises; ils étaient fré- quemment en désaccord, comme on le voit par les dépêches de Simon Renard. Outre son avarice peu scrupuleuse, qui déplaisait fort au jeune monarque (1), Montmorency person- nifiait à la cour le parti qui voulait paix et alliance avec l'em- pereur contre l'Angleterre. Aussi Henri If, qui par instinct politique préférait le système opposé, prêtait-il plus volon- tiers l'oreille aux conseils des Guises, lorsque ces habiles étran- gers, dont l'ambition de famille s’accordait cette fois avec l'in- térêt et l'honneur de la France, lui montraient d'une part les progrès menacants de Charles-Quint, de l’autre l'Allemagne et l'Italie n’attendant qu'un signal de lui pour secouer le joug impérial.

Cette prépondérance du parti de la guerre dans la politique de Henri II ne pouvait échapper à Simon Renard, qui fut promptement en mesure de confirmer sur ce point les appré-

hensions de son maître. Il était évident pour lui que le roi. de France entendait reprendre les armes le plus tôt possible,

c'est-à-dire lorsqu'il aurait complété son système d'alliances, achevé ses armements de terre et de mer et réglé le différend qu'il avait avec l'Angleterre au sujet de l’Ecosse et du Bou- lonnais, triple objet sur lequel portent principalement les dépêches que l'ambassadeur impérial échangea avec Charles-

(1) Renard, dans sa dépêche du 8 mai, raconte comme un bruit de cour que le connétable, pour obtenir du conseiller Magret un rapport favorable dans une affaire qu'il avait devant la cour de las querelas (sic en espagnol), lui fit donner quittance de six mille onces d’or dont son père, ancien trésorier, était redevable au trésor royal, attendu, dit-il au roi, que ledit trésorier avait à réclamer beaucoup plus pour avances faites par lui à la couronne. La partie adverse protesta et adressa une requête au roi qui, après l'avoir examinée longtemps en silence, dit sèchement au connétable : « Cette remise de six mille onces d’or est trop forte; » puis il décida que la requête serait soumise au Conseil. Renard promit à l'empereur de le tenir au courant de l’af- faire, si elle allait plus loin; mais il n’en est plus question dans sa cor- respondance.

en nt ce. À

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Quint, les deux Granvelle, la reine de Hongrie, gouvernante des Pays-Bas (1), le roi et la reine de Bohême, vice-souve- rains d’Espagne (?).

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Chercher partout, même hors de l’Europe, des ennemis à Charles-Quint et des alliés à la France, encourager et soute- nir les sujets révoltés de son rival, accueillir ses bannis et s’en servir contre lui; voilà toute la diplomatie de Henri I, telle qu'elle ressort de la correspondance des divers agents impériaux et en particulier de celle de Simon Renard.

En Allemagne, il achète le Rhingrave au prix de 20,000 écus ; il travaille à attirer le duc de Wurtemberg dans la ligue qu’il négocie avec les Suisses; « il fait pratiques autant qu'il peut pour empêcher les effets de la victoire de Sa Majesté et pour entretenir dans leur révolte » les villes re- belles (3); il répand le bruit qu'un soulèvement général se prépare contre l’{ntérim, et que l’empereur lève des troupes et fait des emprunts pour le réprimer.

(1) Marie, sœur de Charles-Quint, était veuve du roi de Hongrie Louis IT, qui avait péri en combattant, devant Sczegedin, Le sultan des Turcs, Soliman le Grand, en 1526.

(2) Maximilien d'Autriche, roi de Bohème, fils aîné du roi des Romains Ferdinand, avait épousé Marie, fille de l'empereur son oncle. Les deux époux gouvernerent conjointement l'Espagne pendant plusieurs années, à partir du octobre 1348. Le 24 avril 1549, Renard les informa de sa nomination à l'ambassade de France. Il se dit leur très humble servi- teur et les prie de prendre en bonne part les informations qu'il leur écrira, et d’excuser les omissions et les erreurs que l'insuffisance de ses renseignements lui ferait commettre. Il leur envoie copie des dé- pêches qu'il a déjà adressées à l’empereur.

(3) Renard tient de l'ambassadeur de Venise, Lorenzo Contarini, que le roi de France a envoyé vers ceux de Brême et de Magdebourg pour les encourager à tenir bon, et leur a fait des promesses d'argent dont ils se montrent fort satisfaits. Renard à l’empereur, 8 mai 1549, o et 17 janvier 1550; à Leurs Allesses les vice-souverains d'Espagne, 30 avril et 9 juillet 1549. (Archives nationales.)

21198 -e

En Suisse, après de longues négociations dans lesquelles l'or et l'intrigue avaient eu le principal rôle, sans compter l'influence personnelle du cardinal Jean de Lorraine, Henri II réussit à renouveler, le 7 juin 1549, la ligue héréditaire de la France avec la plupart des cantons. « Amis d'amis, ennemis d'ennemis : » c'est ainsi, suivant Renard, que les Suisses formulèrent leur engagement. Charles-Quint avait essayé de faire échouer l’affaire ; le connétable fut chargé de s’en plaindre à son ambassadeur, en lui faisant entendre qu'on pourrait, le cas échéant, user de représailles : menace déri- soire qui depuis longtemps n'était plus à réaliser (1).

En Italie, les amis de la France étaient en conspiration permanente sous la protection du duc de Brissac, qui occu- pait un grand nombre de places en Savoie et en Piémont. Simon Renard revient fréquemment sur « les pratiques » que le roi de France menait dans les villes, et sur ses entre- vues mystérieuses avec des émissaires et des espions italiens. Il y rattache le passage, dans la Méditerranée, d'un certain nombre de galères qui ont quitter les ports de Bretagne,

sous prétexte, dit-il, qu'elles ne sont plus en état de tenir la

mer sur l'Océan.

Depuis l'échec de la conjuration de Fiesque (1547), la ré- publique de Gènes est au pouvoir du parti impérialiste, des « chevaliers, » des nobles. Henri II soutient contre eux le parti vaincu, « le commun, » le peuple, après avoir recueilli son chef. Renard l’accuse de chercher à persuader aux Génois que l’empereur aspire à leur ôter leurs libertés comme il a fait à ceux de Florence. En même temps il ten- tait de s'emparer par un coup de main de la place de Nice il avait des intelligences ; mais il échoua, grâce à Renard, qui avait pu avertir son maître assez à temps, et qui reçut à

(1) Renard à Leurs Altesses, 30 avril ; à l'empereur, 27 juin. (4rch. nat.) Charles-Quint n’aimait pas les Suisses. Dans l’/nsiruction à son fils, il les accuse de convoiter une partie de la Franche-Comté : « Il ny a pas, dit-il, à s’y fier, non plus qu'aux François. »

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cette occasion des témoignages de la satisfaction impériale. « Nous vous en savons très bon gré, lui écrivait Charles- Quint, et le tenons à très agréable service (1). »

Le pape Paul ITT avait été longtemps l’allié de la France contre Charles-Quint, à qui il ne pouvait pardonner d’avoir fait l’Intérim en dehors de lui et de lui avoir refusé le duché de Milan pour son fils, Pierre-Louis Farnèse, duc de Parme. C'était pour souslraire le concile général à son action qu'il l'avait transféré de Trente à Bologne. Mais plus tard, affaibli par l’âge et intimidé par l'attitude menaçante de l'empereur, il perdit peu à peu son énergie et sa résolution.

Afin de retenir cette précieuse alliance du Saint-Siège qui menacait de lui échapper, Henri IT secourut le petit-fils de Paul III, Octave Farnèse, qui revendiquait les armes à la main la place de Plaisance, que les assassins de son père avaient livrée au gouverneur impérial du Milanais, Fernand de Gonzague. D'autre part, il envoya près du vieux pontife plusieurs cardinaux francais, pour l’engager à maintenir le concile de Bologne. C'est du moins ce que paraît signifier le passage suivant d’une dépêche de Renard à l’empereur - (22 mai) : « Les cardinaux se disposent à partir pour Rome aussitôt après l'entrée du roi à Paris. On dit que ce voyage ne sera pas au profit de la religion chrétienne » A quoi le chan- celier Granvelle répondit qu'il n'y avait pas à s'inquiéter de l'alliance du roi et du pape, attendu qu'ils étaient l’un et l’autre sans bonne foi (2. En effet, Paul ITF, cédant à la pres- sion impériale, suspendit le concile de Bologne en septembre 1549 ; mais 11 ne l'avait pas encore ramené à Trente, lorsqu'il mourut le 10 novembre suivant.

Alors s'ouvritun conclave qui devait durer trois mois, grâce aux rivalités des trois partis, français, impérial et Farnèse.

(1) Renard à l'empereur, 8 mai et juillet 1547, et 28 mars 1550. (4rch. nat.) L'empereur à Renard; Gand, 15 juillet 1549. (2) Le chancelier à Renard, 10 septembre 1549.

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130 Renard en suivit les travaux et les intrigues avec une attention toute particulière, qui, en lui faisant ajourner la plupart des autres affaires, comme il le déclara lui-même, lui permit de transmettre à ses souverains, avec détail et précision, tous les renseignements de bonne source qu'il pouvait se procurer à cet égard. Henri IT avait recommandé à ses cardinaux la can- didature du cardinal Salviati; ceux-ci s’acquittèrent si scrupu- leusement de leur mission, que l'ambassadeur impérial n’hé- sitait pas à leur attribuer « les partialités » qui longtemps pa- ralysèrent les travaux du conclave. Charles-Quint se montra fort mécontent ; on lui prêtait à la cour de France l'intention de rappeler ses cardinaux, et, s'il arrivait que l'élection se fit malgré leur absence, d'élever une protestation motivée tou- chant le désordre qui régnait dans l’assemblée. Enfin le car- dinal Del Monte fut élu et prit le nom de Jules ITF (février 1550). Simon Renard écrivit alors à l’empereur : « C'est le parti français dirigé par le cardinal de Guise qui a fait lélec- tion ; le légat a promis au roi de le servir auprès du Pape. »

L'ambassadeur de Charles-Quint, en déplorant ce choix, ne.

prévoyait pas que le nouveau pape allait se jeter dans les bras de son maître (1).

À Naples, la politique française s’appuyait sur le vieux parti

angevin à qui le duc d'Aumale, François de Guise, se présen- tait en qualité d’hérilier par les femmes des droits de Réné d'Anjou à la couronne des Deux-Siciles. Elle comptait aussi sur l'irritation que Charles-Quint avait excitée dans la popula- tion napolitaine, pour avoir tenté, en 1547, d’établir à Naples l’Inquisition espagnole, et elle cherchait, par des promesses d'argent, à s'assurer le concours des lazzaroni, pour le cas la guerre viendrait à éclater (?).

(1) Renard à l’empereur, 24 novembre 1549, 17 janvier, 5 et22 février et septembre 1550. A Leurs Altesses le roi et la reine de Bohême, 21 février 1550. (Arch. nat.)

(2) Les Caraffa et les Strozzi, dés plus prononcés pour la France, avaient été bannis de Naples par les Espagnols. Léon Strozzi, prieur

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Pour Venise, la vieille république marchande, dont la poli- tique n'avait d'autre règle que l'intérêt, inquiète du voisinage de Charles-Quint, elle voyait à cultiver l'amitié de Henri I un moyen d'en atténuer le danger. Aussi tout en évitant de heurter le premier, la sérénissime Seigneurie montrait- elle en toute occasion ses préférences pour le second. Simon Renard, qui vivait avec l'ambassadeur vénitien dans d'assez bons termes pour en tirer des renseignements utiles, ne se méprenait pas sur le caractère et la portée de cette politique double ; il relevait avec soin, pour les signaler à son maître, toutes les occasions de la constater. D'ailleurs 1l Lui était com- mandé de régler sa conduite sur celle de l'ambassadeur, « en tenant toujours pour maxime que l'empereur veut rester ami de la Seigneurie (1). »

Ce n’était pas assez pour Henri IT de souffler la révolte en Allemagne, de supplanter son rivalauprès des cantons suisses et de miner son influence dans les Etats italiens, il tenait en- core à se ménager, pour le jour de la rupture, des diversions

‘armées contre l'Espagne, les Deux-Siciles et l’archiduché d'Autriche. Aussi le voyons-nous, dans les dépêches de Re- nard, lui beaucoup plus dévot que son père, négocier avec les Turcs et les Barbaresques, échanger avec eux des émissaires et leur envoyer des présents avec des promesses engageantes, pour les décider à agir contre Charles-Quint dans l'Est et dans le Sud. Comme preuves à l'appui, l'ambassadeur trans-

de Capoue, dans l’ordre de Malte, entra au service de Henri IT, et Renard signale plus d’une fois le zèle et lactivité qu’il déploya pour la cause de son royal protecteur. Il s’en retira en 1551, peut-être lorsque les Turcs, alliès du roi de France, se furent emparés de Tripoli d’A- frique, qui appartenait à son ordre.

Au nombre des Florentins que les Médicis avaient bannis après avoir ressaisi le pouvoir en Toscane, et qui trouvaient un asile en France, était un autre Strozzi, Pierre, un marin distingué que Henri IT fit gé- néral des galères, puis maréchal de France.

(1} Renard à l’empereur, 22 février, 2 et 15 avril, 17 août 1590. À Leurs Altesses, 18 août 1549. (Arch. nat.) Charles-Quint à Renard, 128 mai 1549.

132 mit à l’évêque d'Arras une copie qu'il s'était procurée des dé- pêches qu’un sieur Lavigne portait au sullan de la part du roi de France (1).

Une autre diversion non moins dangereuse menacait Charles-Quint du côté des Pyrénées. Depuis que la maison d’Aibret avait été chassée de la Navarre espagnole, en 1512, par Ferdinand le Catholique, et réduite à ne posséder plus, avec sa couronne royale, que la Navarre française ou Basse- Navarre, elle avait toujours conservé des partisans au delà des Pyrénées et entretenu des intelligences avec eux. C'était une force que Henri IT comptait bien utiliser quand le moment serait venu. [l était donc en relations suivies avec le roi actuel, Henri d'Albret, que la cour de Bruxelles qualifiait dédaigneusement de sieur d’Albret ou de M. d’Albret ; il pensait à lui pour épouser en secondes noces sa sœur Marguerite, et le connétable y travaillait activement, par haine, disait-on, pour le duc de Vendôme son gendre (?). Le danger qui pouvait

(1) Février 1550. Le Chérif (le roi de Maroc que Renard appelle aussi le Calife et le Carife) s'est emparé du royaume de Fez et veut attaquer l'Espagne d’un côté, pendant que le roi de France et M. d’Al- bret l’attaqueront de l’autre. Le connétable s'est informé auprès de l'ambassadeur de Portugal de ce que sont les limitrophes de son maître en Afrique. L'ambassadeur à répondu que le Calife possédait deux places frontières, Maroc et une autre, et qu’il pouvait mettre sur pied des forces considérables de terre et de mer. On dit que le roi de France pousse le Turc à attaquer l'Allemagne au moment l’empereur serait occupé à défendre l'Espagne contre le Chérif. Renard à l'empereur, 11 mars, 31 avril, 8 mai 1549. (Arch. nat.)

Il est certain que le roi de France a envoyé au Calife, pour lui per- suader d'attaquer l'Espagne, lui promettant de faire alliance perpétuelle avec lui et de lui donner l'appui de sa flotte préparée en mer. Et l’on présume que cette pratique a été proposée par le prieur de Capoue..……

Deux Maures du Calife sont venus dans cette cour. Renard à l'empereur, 9 juillet, 11 novembre 1549; 28 mars 1550. (4rch. nat.)

« Le frère du greffier du Bureao (sic) de Votre Majesté m'a dit que le Roi a envoyé deux messagers à Argel (Alger?) et au Grand Turc à Constantinople, avec des présents; ils ont s’embarquer à Marseille; mais on ne sait quels messagers, ni avec quels présents. » (28 mars 1550.)

(2) « On continue à parler du mariage de M. d’Albret avec Madame

133 venir de ce côté préoccupait très sérieusement l'empereur, non moins que Leurs Altesses gouvernantes d'Espagne et Renard lui-même, qui mettait à les informer de ce qu'il pou- vait apprendre autant de diligence qu'ils lui témoignaient d'empressement à le recevoir et de satisfaction pour son exac- titude à le leur transmettre (1).

Charles-Quint et ses conseillers n’acceptaient pas sans con- trôle et les yeux fermés les renseignements que leur fournis- sait l'ambassadeur Renard. Ils les rectifiaient et les complé- taient au moyen de ceux qui leur arrivaient de diverses autres sources, et à côté des éloges et des encouragements, ils lui adressaient de temps en temps des observations et des con- seils utiles (?). Malgré, toutefois, les lacunes et Les erreurs iné- vitables qui s'y rencontraient, les dépêches ne permettaient

Marguerite. Le Roi lui a mandé de venir à la cour après Pâques. On persuade à M. de Vendôme (qui avait épousé Jeanne, née d’un premier mariage de Henri d'Albret) que ce mariage sera sa ruine. On impute cette affaire au connétable, qui est son ennemi. » Renard à l'em- pereur, 28 mars 1550. (Arch. nat.) 4

(1) Tantôt il s’agit d’un fort que le roi fait construire aux frontières du Roussillon, tantôt ce sont les pratiques du gouverneur du Languedoc avec Perpignan, et celles du commandant de Bayonne avec Fontarabie, le tout en faveur du sieur d’Albret. Plus tard, des Espagnols viennent solliciter le roi d'attaquer l’empereur et reçoivent de lui un parfait accueil, et, de son côté, d’Albret n'attend plus que le signal du roi. Renard affirme tenir du secrétaire même du roi de Navarre la plupart des renseignements concernant ce prince. Renard à l'empereur, 11 mars et 9 juillet 1549, 27 janvier 1550. (Arch. nat.)

« Magnifique et bien aimé seigneur, nous avons reçu vos lettres et les copies de celles que vous avez écrites à Sa Majesté; nous avons lu le; renseignemerts que vous nous donnez sur les projets des François contre Fontarabie, en faveur du sire d’Albret., et touchant la faveur avec laquelle le roi a reçu à sa cour certains Espagnols venus pour le prier d'armer contre Sa Majesté. Nous vous félicitons de la vigilance que vous mettez à nous avertir si particulièrement de ce qui se passe. Continuez à voir et tâchez de savoir la vérité sur tout cela et nous en informez, principalement de ce qui concerne Fontarabie, et quels sont ceux qui vont de ce côté. » Leurs Altesses les vice-souverains d'Espagne à Renard, 27 janvier 1550. (Arch. nat.)

(2) « Conjoignant vos advertissements avec aultres que l'on a de plu-

134

pas à l’empereur de se faire illusion sur cette vaste trame dans laquelle le roi de France travaillait à l’'envelopper. Dans l'impossibilité il se trouvait d'y mettre ordre par les armes, il s’en tenait à des protestations, à des réclamations et parfois mème à des essais de menaces que Renard était chargé de transmettre. Par une dépêche du 28 mai 1549, il lui ordonna de réclamer, contre les prétentions du roi sur deux vil- lages d'Artois et contre les torts et griefs que du côté de France, sous prétexte de leur différend avec les Anglais, se

sieurs coustels, l’on en peut faire jugement plus assheuré. » L'é- vêèque d'Arras à Renard, 1°" janvier 1591.

Le chancelier, alors malade en Franche-Comté, envoya à Renard des félicitations affectueuses. Il conçoit que l'ambassadeur « soit en peine pour enfoncer jusqu'au bout » les nouvelles qui se publient à ses oreilles. Gela tient, selon lui, à la dissimulation naturelle aux Français et à la versatilité du Conseil, l'on parle souvent à la légère, « sui- vant les affections, partialités et divisions » de ceux qui en font parte. (21 septembre 1549.)

Charles-Quint voudrait savoir si les galères dont a parlé Renard ont réellement quitté les ports de Bretagne; mais il n’est pas, selon lui, vraisemblable que ce soit pour aller rejoindre le Chérif. Il n’en re- commande pas moins à Renard de dire à l'ambassadeur de Portugal qu'il a eu tort « de magnifier » au connétable la puissance du Chérif. Charles-Quint à Renard, 28 mai 1549.

Charles-Quint insiste, avec exemples à l'appui, sur « le peu de foy que l’on doibt bailler à ce que journellement ceux de delà (les Fran- cais) disent à leur accoutumé. » (/bid.)

Les ducs de Poméranie ont fait soumission complète à l’empereur; ie dire aux Français « au reboutement de tant d'intelligences dont ils se glorifient. » (/bid.)

« Avoir pour maxime de non croire facilement ni se déclairer avec ceulx qui se démontrent estre mal contents du Roy. » En tirer ce qu’on pourra sans rien dire dont ils puissent faire leur profit. (/bid.)

«Je vous exhorte à continuer de bien en mieulx et que vous pesez toujours les advertissements que l’on vous donne, selon la correspon- dance de ceux que vous pouvez avoir de plusieurs lieux, affin que ceux que vous écrirez ici soient certains ou pour le moins bien fondez et vraysemblables. Il n’est pas besoin de vous avertir que en ce eoustel-- il ne faut croire à tout, et que bien souvent rencontre-t-on (juste) jectant le jugement de leur intention au pis. » L'évèque d'Arras à Renard, 28 mai 1549.

135

font journellement au dict côté d'Artois, nonobstant les dé- clarations que par son ordre l’évêque d'Arras avait faites déjà à l'ambassadeur français Marillac ; contre les insup- portables « nouvelletés » que les Français ne cessent de commettre en l'Italie, et de signifier de la part de son maître : que si le roi refuse les restitutions, réparations et indemnités qui lui sont justement demandées, et con- tinue à user de dissimulation, on aura recours à d’autres moyens.

Henri I protesta de son désir de vivre en paix et amitié avec l'empereur; c'était sa manière accoutumée de faire droit aux réclamations de l'ambassadeur. Renard n’en obtint pas davantage sur d’autres points d'importance diverse, soit qu'il se plaignfît de l'accueil que trouvait auprès du roi le ra- visseur d’une noble demoiselle sujette de son maître (1) ; soit qu'il poursuivit le recouvrement des titres concernant la Franche-Comté qui étaient restés à la Chambre des comptes de Dijon (?); soit qu'il demandât de la part de Charles-Quint le passage à travers la France, plus certains bons offices, pour les soldats chargés d'aller réduire la principauté d'Orange qui s'était insurgée contre son jeune souverain, Guillaume de Nassau (3) ; soit qu'il insistât pour la restitution de plu-

sieurs caravelles espagnoles capturées en pleine mer par des | vaisseaux francais, ou du butin que des sujets du roi avaient eulevé sur les domaines de l’abbaye de Roncevaux. Le Con-

(1) Charles-Quint à Renard, 28 mai 1549.

@) Jbid.

(3) Le secrétaire Jean Bouton à Renard, 3 mai. Renard à ***, sep tembre. Le jeune Guillaume de Nassau, en 1533, avait hérité du la principauté d'Orange en 1514. Son père, Guillaume le Vieux, tenait pour le parti de l'empereur et faisait sa cour aux Granvelle. Il avait obtenu comme une faveur que le dernier des fils du chancelier, Fré- dérie de Champagney. se chargeät de l’éducation de son fils, 12 mème qui devait plus tard faire passer tant de mauvaises nuits au cardinal Grauvelle et à Philippe IL. Voy. une lettre de Guillaume le Vieux à l'évêque d'Arras; Siegen, 9 juillet 1549.

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seil privé, écrivit-il à Leurs Altesses, donne satisfaction par lettres, mais les faits ne répondent pas aux paroles (1).

Une fois pourtant, vers cette époque, Renard eut la bonne fortune de pouvoir envoyer de la cour de France à son sou- verain quelques propos flatteurs pour son orgueil paternel. « Le duc de Guise m'a dit que le prince d’Espagne avoit fait merveille aux tournois de Bruxelles (2). Quelqu'un de la suite de la reine-mère a raconté que Madame Marguerite (sœur de Henri II) était enchantée d'apprendre les exploits de Son Al- tesse, et s'était montrée très favorable aux Espagnols le jour du baptême G). »

Paroles en l'air, que certainement le roi n'avait pas souf- flées, car il était loin alors de vouloir Philippe pour beau- frère et ne prévoyait guère que dix ans plus tard il l'accepte- rait pour gendre. Charles-Quint, de son côté, n’en fut qu’à moitié satisfait, parce qu’il avait appris par une autre voie que les Français trouvaient son fils « haulain et trop retiré. » Et comme s’il eût soupconné Renard d’user de réticence sur ce point, il lui fit demander expressément par l'évêque d’Ar- ras de s'expliquer plus clairement au sujet des jugements : que l’on portait à la cour de France sur l'adresse des princes et gentilshommes qui avaient pris part aux jJoûtes, déclarant, avec un dépit mal dissimulé, «que d’ailleurs il ne faisait pas grand compte de ce qu’ils en voudroient juger par delà (®. »

On voit par ce qui précède que, dans cette lutte de chaque

(1) Renard à Leurs Altesses : octobre et 3 décembre 1549.

(2) Ils’agit des fêtes offertes par la ville de Bruxelles au prince Phi- lippe d'Espagne, pendant son premier séjour aux Pays-Bas.

(3) Renard à l’empereur, 2? mai 1549. (Arch. nat.)

(4) « Je ne suis pas surpris que les Français trouvent le Prince hau- tain et trop retiré, congnoissant leurs coutumes. Mais je suis en opi- nion que, au secret de leur estomac, ils sentent qu'il soit si vertueux, gentil prince et de bonne expectation, comme l’on le peult tenir, et tant prudent et entendu plus que l’on ne le pourroit juger à son aage. » Philippe avait alors 22 ans, étant en 1527. L'évèque d'Arras à Renard, 28 mai 1549.

137

jour il dépensait, à la grande satisfaction de ses maîtres, tant de zèle, d'activité, d'intelligence, Simon Renard ne pou- vait rien sur cet étrange caractère de monarque dans lequel se trouvaient réunis la faiblesse à se laisser dominer et l’en- têtement à suivre l'impulsion de qui le dominait. Henri [1 échappait trop ordinairement à l'influence du connétable (1); et tel était son parti pris contre Charles-Quint, qu'il ne cher- chait pas même à sauver les apparences envers lui, au mo- ment son différend avec l’Angleterre menacait de dégé- nérer en guerre ouverte.

V

Le différend de Henri IT avec l'Angleterre portait sur l'in- tervention du roi de France dans les affaires d'Ecosse ct l’en- lèvement de la jeune reine Marie Stuart; sur sa prétention à recouvrer le Boulonnais que François avait laissé con- ditionnellement aux mains de Henri VIII (®. Charles-Quint. qui ne voulait de guerre avec personne, repoussa les avances que lui fit le gouvernement d'Edouard VE, pour s'assurer son alliance en cas de rupture avec la France; mais il était loin de voir d'un œil indifférent cette éventualité qui devait lui garantir une sécurité temporaire; et, à ce simple point de _ vue, la question [ui semblait mériter de sa part une sérieuse attention. C’est ce qui explique la place considérable qu'elle occupe dans les dépèches échangées entre la cour de Bruxelles, l'empereur se trouvait alors, et son ambassadeur en France.

I n’y avait pas lonetemps que Simon Renard était ins-

(1) L'évêque d'Arras dit quelque part que la crainte de nuire à sa propre fortune en s'aliénant son Prince, rendait le connétable indéeis, hésitant, et formait un obstacle de plus à son influence.

(2) Par le dernier traité conclu entre Henri VIIL et François I°, le roi d'Angleterre s'était engagé à rendre Boulogne et son territoire, moyennant une indemnité de ? millions d’écus. Or Henri IT prétendait rentrer en possession de l’un et de l’autre sans en avoir auparavant payé la rançon,

x

138

tallé à son poste que déjà 1l envoyait à son souverain des in- formations importantes (1). Elles portaient que Henri IT menait de front les négociations et les armements; que ces négociations étaient tantôt à la paix, tantôt à la guerre, et que, selon la tournure qu’elles prenaient, les armements me- nacalent l'Angleterre ou l’empereur. Il raconte aussi que, au moment le monarque francais prodiguait aux Anglais les assurances les plus pacifiques, le colonel-général de lPinfan- terie, Coligny, tentait sur un des forts voisins de Boulogne un coup de main qui échoua et n'en mit pas moins les Anglais dans une violente colère contre son auteur et contre Île con- nétable. « Cette famille, disaient-ils, veut gouverner le royaume, mais elle sert mal le roi, comme on le verra si la guerre éclate au sujet du Boulonnais (®). » Invité à s’expli- quer, Henri IT leur répondit que c'étaient les représailles de leurs propres incursions. Bientôt il les somma d'évacuer le royaume de sa fille, sommation dont ils ne tinrent aucun compte, puis il envoya de l’arüllerie du côté de Boulogne (3).

Le 9 juillet, Renard écrivait : « Les cartes se brouillent au

sujet du Boulonnais. » Un mois plus tard il eut la satisfac-

tion d'annoncer à l’empereur la reprise des hostilités (4). En effet, le roi envahit le Boulonnais à la tête d’une forte armée, et le florentin Pierre Strozzi défit une escadre anglaise à la hauteur de Guernesey.

Les débuts des Français en Ecosse et devant Boulogne furent brillants ; Renard ne pouvait le nier, et, comme pour l'en mieux convaincre, la reine en personne voulut lui en faire part (5). L'’enthousiasme était au comble. On saluait les nouveaux armements du roj comme un gage de nouveaux

(1) Renard à l’empereur, 15 mars; 15 avril 1549. (Arch. nat.)

(2) Du même au même, 8 mai. (Arch. nat.)

(3) Du même au même, 2? mai. (Arch. nai.)

(4) Renard à Leurs Altesses, 9 juillet 1549. A l’empereur, 8 août. (Arch. nat.)

(5) Renard à Leurs Altesses, 18 août. (Arch. nal.)

*-

= 130 2

succes. « Ces nouvelles emprinses du roi, » disait l’ambassa- deur, «ont rendu les Français tellement violents et présomp- tueux, qu'ils publient que ieurs exploits s'accordent avec leur devise de la lune croissante (1). » Il ajoute, il est vrai, qu’en regard de cet enthousiasme, tout officiel sans doute, la nation murmure, en prévision d'un accroissement d'impôts qui ef- fectivement ne se fit guère attendre (2).

L'hiver qui ralentit les hostilités activa les négociations, sans néanmoins suspendre les préparatifs de terre ct de mer, “« le conseil de guerre » ayant décidé que si la paix ne se faisait pas, on frapperait, au printemps prochain, un grand coup dans le Boulonnais et en Ecosse. Renard avait sur ces deux points des gens qui le tenaient au courant de ce qui s’y passait. Quant à prévoir l'emploi que le roi ferait de ses forces, lorsque la paix avec l'Angleterre les aurait rendues disponibles, 11 n'avait pour cela que des renseignements con- tradictoires, et il en tirait des conclusions dont l’empereur avait lieu d’être surpris, car elles ne concordaient pas mieux que les renseignements eux-mêmes (5).

_ Pour Charles-Quint, son attitude entre les deux parties belligérantes était, selon toute apparence, celle de la neutra- lité. À part le contre-coup des hostilités qui ne pouvait man-

mn

(1) Renard à l’empereur, 2 septembre. (Arch. nat.) La devise est celle-ci : Totum donec tmpleal orbem (jusqu'à ce qu'elle arrive à son plein), Le croissant était l'emblème de la Diane mytho- logique. Henri IT, encore dauphin, l'adopta comme symbolise de sa passion pour Diane de Poitiers; cette passion se retrouve symbolisée aussi, dans le monogramme (ED, sur tous les frontons, sur toutes les frises des édifices royaux de ce temps. On le voit vingl fois reproduit sur la plus belle des façades du Louvre... On le voit jusque sur les parois de la chapelle de Fontainebleau. Ce chiffre, cependant, est ofli- ciellement celui du roi Henri et de la reine Catherine, ur H accolé de deux CG; mais il est facile de le ‘prendre pour un H associé avec la lettre D, et il nest pas douteux que Henri ne l'ait choisi à cause de

équivoque. V. Hist. de France, par Henri Marti, t. VIIL, p. 362. (2) Renard à l'empereur, 17 septembre 1549. (4rch. nat.) (3) Renard à l’empereur, 12 janvier, 5 et 22 février 1550. (Arch. nat.)

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quer de se faire sentir sur l’une et l’autre frontière, ce qui donnait lieu à des plaintes réciproques, Henri IL n’éleva contre l’empereur qu'un seul grief d’importance : il fit en- tendre à Renard, par la bouche du connétable, que son maitre entretenait des intelligences secrètes avec le gouver- nement anglais à la double fin de marier la fille de l’archidue Ferdinand, roi des Romains, au jeune roi Edouard VI et la file (sic) de ce prince à l’archidue (1), et d'entraver les négo- ciations pour la paix. À l'en croire, l’empereur se disposait même à prendre ouvertement parti pour les Anglais, sous prétexte du mariage arrêté entre le dauphin de France et la Jeune reine d'Ecosse.

À supposer que cette accusation fût sincère de la part de Henri If, elle correspondait trop peu aux véritables disposi- tions de Charles-Quint, pour être fondée (®); et, l’eüt-elle été, les négociations qui la motivaient n'auraient point em- pêché la conclusion de la paix. Cette paix, à laquelle les Vénitiens passaient pour avoir aidé en secret (3), fut pro- clamée le 24 mars 1550. Les Francais la célébrèrent par des

(1) Renard à l'empereur, 5 et 22 février 1550. (Arch. nat.)

Edouard VI n'avait que douze ans, étant en 1538. L’abréviateur espagnol de la dépêche de Simon Renard aura écrit fille au lieu de sœur. Quant à l’archiduc auquel il s'agissait de marier cette sœur, était-ce Ferdinand lui-même, ou bien son second fils l’archidue Charles qui, quelques années plus tard, fut l’un des prétendants à la main de Marie Tudor ?

(2) On ne peut nier que Gharles-Quint ne désiràt sincérement la paix, comme il en sentait le besoin... On voit, par l’/nsiruclion à son fils, qu'il désirait pour ce prince un mariage français, lui recommandant de ne rechercher les Anglais qu'à la condition de ne rien stipuler avec eux (le gouvernement anglais était alors protestant) « qui pût directe- ment ou indirectement, disait-il, porter atteinte à notre sainte foi, ainsi qu'à l'autorité du saint-siège apostolique. » S'il eût changé d'avis deux ans après et jugé conforme à ses principes et à ses intérêts de s'allier par mariage avec un roi hérétique, on ne voit pas pourquoi il n'aurait pas dès lors offert son propre fils pour époux à une sœur d'Edouard VI, comme il le fit après la mort de ce prince.

(3) L’évêque d'Arras, dans une lettre à Renard du 14 ns 1594,

9 2

1

feux de joie et par le son des cloches (1); et certes ils avaient lieu de s’en montrer heureux et fiers, puisque, outre la satis- faction d’avoir eu raison de l’ennemi héréditaire, elle leur valait le recouvrement du Boulonnais moyennant 400,000 écus, au lieu des deux millions stipulés entre Francois I‘ et Henri VIII, et délivrait l’Ecosse leur alliée de l'occupation anglaise.

. VI

À côté des choses de la politique internationale et de la guerre, la cour de France, l'administration intérieure, les finances n'étaient pas oubliées dans les dépêches de Simon Renard. Nous y lisons que l'entrée solennelle du roi dans sa capitale, . après plusieurs ajournements successifs, eut lieu le jour de la Trinité et celle de la reine le mardi suivant, et que le connétable y porta l'épée de France; qu'il y régna une pompe extraordinaire accompagnée du plus complet désordre. L’ambassadeur parle avec dédain des joutes et tournois dans lesquels figurèrent des hommes d'armes « qui ne méri- taient. pas le nom d'hommes (?), » L'hiver suivant, nouvelles fêtes à l’occasion du baptême d'un fils du duc d’Aumale. Le roi et le duc Claude de Guise étaient les parrains, et madame Marguerite, la marraine. Il y eut des joutes, des tournois et « des combats de barques à la facon des navires de guerre. » Le duc offrit au roi deux banquets suivis de spectacles et de mascarades (3).

Au mois d'août, ce fut le baptème d’un fils nouveau du roi (4). Renard écrivit à l’empereur une relation détaillée de

rappelle que les démarches secrètes d’un agent vénitien, appelé Ber- naldi, avaient aidé à la conclusion du traité de Boulogne et à la resti- tution de cette place aux Francais.

(1) Renard à l’empereur, 28 mars 1550, (4rch. nat.)

(2) Renard à l’empereur, 27 juin 1549, et à Leurs Altesses, 9 juillet. (Arch. nat.)

(3) A l'empereur, 5 février, 1550: (Arch. nal.)

(4) Le futur Charles IX.

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la cérémonie et des fêtes qui la suivirent, sans oublier la réception distinguée que trouva à la cour don Francisco Paso, que Charles-Quint avait envoyé pour le représenter dans cette circonstance (1).

Les banquets somptueux et les fêtes brillantes ne préser- vaient point Henri IT et sa cour des accidents, des soucis, des rivalités pernicieuses. Renard écrit à ce sujet : « Le roi a fait une fort mauvaise chute de cheval; il était déjà fort triste d’avoir appris l’insuccès de la tentative faite pour délivrer de prison le landgrave de Hesse...; il a été très malade d'un ca- tharre. La cour est plus divisée que jamais; la duchesse de Valentinois grandit en faveur et en puissance et les Guise avec elle. C’est sans doute à quoi il faut attribuer la disgrâce du chancelier Olivier, adversaire inflexible des prodigalités de la cour; c'était un grand et habile conseiller. Le nouveau chancelier (le président Bertrandi, créature de Diane et des Guise) est un homme dangereux, de peu de savoir et d’ex- périence. Le connétable dissimule de moins en moins son

opposition à la conduite que tient son maître à l'égard de

l’empereur (?). »

Pour subvenir aux frais de sa politique entreprenante et belliqueuse, et pour alimenter les folles dépenses de la cour ainsi que les dilapidations de la favorite et de sa haute clien- tèle, 1l fallait à Henri II des sommes énormes. On disait son trésor endetté de 400,000 écus, empruntés à gros intérêts; et la levée des nouveaux impôts qui avait déjà, l’année pré- cédente, causé la grande révolte de la Guyenne, rencontrait au duché de Bourgogne une forte opposition. Cette province fondait son refus sur des immunités particulières dont elle se prétendait en possession. Le roi, résolu à passer outre, en- voya à Dijon le duc Claude de Guise, avec ordre de briser les résistances par la force, si la persuasion était insuffisante (3).

(1) Renard à l'empereur, septembre 1550. (Arch. nat.) (2) Renard à l’empereur, 10 et 22 janvier, 11 avril 1591. (Arch. nat.) (3) Renard à Leurs Altesses, 50 avril 1549. (Arch. nat.)

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Une dépêche de Renard à l'empereur, du 5 janvier 1550, nous apprend qu'il s'agissait d'une taxe de 60,000 écus sur le sel destinée à l’entretien de la gendarmerie française qui venait d'être rétablie. C'était d’ailleurs à toutes les provinces que le roi demandait une contribution double de celles qu’elles avaient accoutumé de payer; et à cet effet 1l convoqua pour le 20 octobre 1549, les Etats provinciaux du royaume, cha- cun dans son district (sic). Son ordonnance de convocation portait «qu'il fallait de nouveaux sacrifices en vue du siège de Boulogne et de la ligue avec les Suisses, et pour la force -du royaume (!). »

VII

Outre les renseignements que Simon Renard puisait dans ses relations officielles, il en recevait en secret de diverses personnes placées à portée des meilleures sources, telles que le fils du maître d'hôtel de Coligny, le secrétaire du roi de Navarre, celui du connétable, l’argentier du roi et d’autres dont il parle sans les nommer. De plus, ilentretenait sur dif- férents points, même à la cour de France, des espions, dont le nombre, s’il faut l’en croire, se montait à trente-deux.

Le chef de l’espionmage impérial à la cour était un certain Tiberio de la Rocha, dont il est souvent question dans les dépêches et qui se faisait payer fort cher ; on l’appelait le Capitaine. C'est de lui et de ses agents que parle l’évêque d'Arras dans une dépêche il exhorte Renard « à conti- nuer de bien à mieux » et ajoute : « De ce coustel {en France) il ne faut croire à tout...; et vous avez ceux avec lesquels M. de Saint-Mauris a tenu intelligence, desquels on a sou-

(1) Renard à l’empereur, 2 et 17 septembre 1549. (Arch. nalion.) Henri IT avait aussi recours à l’altération des monnaies. C’est ce qu'in- dique une lettre du 31 mars 1550, par laquelle la reine de Hongrie de- : mande à Renard des spécimens des nouveaux écus d’or « que le Roy fait forger pour hausser la valeur, » afin de mettre au même titre la monnaie d’or des Pays-Bas.

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vent eu de bons avertissements, surtout de Oldatius, et je suis certain que vous les saurez très bien entretenir pour les faire continuer en leurs bons offices (1). »

Le Capitaine était véhu faire offre à l’empereur de retirer du service de Henri I plusieurs Italiens et de surprendre Lyon et d'autres places. Mais l’empereur lui fit répondre par l'évêque d'Arras qu'il n’en viendrait que lorsqu'on l'aurait forcé à la guerre ; qu'en attendant il valait mieux s’en tenir, lui et les autres, à des informaiions secrètes sur ce qu'ils au- raient appris des affaires « de delà. » Le ministre recom- manda à Renard de tirer simplement de ces hommes et des autres les renseignements et éclaircissements dont il avait besoin, sans leur faire ni déclarations, ni confidences dont ils pussent tirer parti au préjudice de l’empereur. Tiberio s’en retourna avec un présent de 200 écus (2).

Comment et avec quoi Renard faisait-il les frais de cet espionnage organisé ? On ne le saurait dire, lorsqu'on voit combien lui-même était mal payé de ses propres gages. C'é- tait surtout quant aux cinq ducats par jour qui lui avaient

été assignés sur la trésorerie d’Espagne, que la cédule impé-

riale restait le plus souvent lettre morte. Il Lui fallut passer trois mois, Six mois, dix mois même, sans rien toucher de ce côté-là. Ses lettres sont pleines de réclamations et de plaintes qu’il adressait aux ministres espagnols, à Leurs Altesses, au prince Philippe, à l'empereur’, leur exposant sa pénurie, aggravée encore par l'extrême chèreté de toutes choses à Paris, et l'impossibilité il se trouvait de faire à la cour la figure à laquelle sa charge l’obligeait (3).

(1) L’évêque d'Arras à Renard, 28 mai 1549.

(2) L'évêque d'Arras à Renard, ?9 juin.

(3) À Leurs Altesses, 23 et 30 avril, 23 septembre 1549; 31 août et 6 septembre 1550. (4rch. nation.) A l’empereur, 8 août 1549 : « Sire, je suis contraint d’importuner Votre Majesté pour le paiement de mon

traitement qui est assigné en Espagne, pour la nécessité d'argent où:

je me retrouve, vous suppliant très humblement ordonner au trésorier qu'il y pourvoie et me face tenir argent le plus tôt qu’il sera possible. »

RE, NS Ed 0

145

En tenant compte de ce que les réclamations et les plaintes de Renard peuvent avoir d'exagéré dans la forme, on est obligé de reconnaître, d’après ses dépêches mêmes, que la tré- sorerie d'Espagne était toujours en retard avec lui; ce qui lui créait de grands embarras et l'engageait dans de mauvais chemins, comme il l'écrit lui-même (1).

Au mois de septembre 1550, il sollicita de l'empereur une gratification pour suppléer à l'insuffisance de ses gages, que d'ailleurs on lui payait si mal. L'évêque d'Arras lui avait conseillé cette démarche, avec promesse de l’appuyer sérien- sement (2). Mais, outre que cette demande spéciale trouva Charles-Quint dans un moment de mauvaise humeur contre lui, elle ne pouvait guère, malgré la faveur et l'appui du mi- nistre, prétendre à un meilleur succès que les autres. Après une longue attente, Renard, dont la situation pécuniaire ne faisait qu'empirer, écrivit à l'empereur pour le prévenir que, si l’on n y mettait pas ordre, il serait forcé de résigner sa charge (3). À la suite de cette dépêche, et en attendant que le maître prit une décision favorable, Granvelle vint au se- cours de son ami, et lui fit remettre une avance de 500 écus qu'il accompagna d’une lettre des plus affectueuses (4). Le lendemain, 26 juillet 1551, il avait la satisfaction de l’infor- mer que Sa Majesté venait d'envoyer en Espagne l’ordre de faire droit à ses réclamations ; mais il ne disait pas s'il s’agis- sait de gratification ou simplement d’arriéré de traitement.

(1) Au trésorier Juan Vasquez de Molina, 21 février 1550. (Archives nat.)

(2) Granvelle à Renard, Augsbourg, 16 septembre 1550.

(3) Le 10 juillet 1551, Renard écrivit de nouveau à Juan Vasquez : « Je ne voudrais pas vous importuner davantage au sujet de mes gages. J'ai écrit à Sa Majesté... Si l’on n’y met pas ordre, je seroi forcé d’a- bandonner ma charge, à cause de la nécessité que je souffre. Je vous prie d'y remédier par la voie qui vous paroîtra la meilleure. » (Archives nal.)

(4) Lettre citée par l'abbé Boisot, puis par dom Lévèque, à la date du 25 juillet 1551. (Voir plus loin, II° part., chap. I°.

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En même temps, comme tout présageait alors une rupture prochaine avec la France, il lui annonçait un autre envoi de 600 écus « pour employer, disait-il, à gagner quelques amis, pour en Cas que vous deussiez partir de là. »

En effet, la guerre fut déclarée par Henri II le 12 septembre 1551, et Renard dut quitter la France sans avoir recu d’Es- pagne plus de 3,000 écus sur ses gages d’ambassadeur, témoin la lettre qu'il écrivit d'Inspruck au secrétaire d'Etat Ayala, en date du 5 décembre suivant, pour le prier de per- cevoir le surplus et de lemployer au remboursement des avances qu'il avait recues de l’évêque d'Arras (!). Sans doute ce remboursement eut lieu, attendu que, dans aucune de ses lettres ultérieures, Granvelle ne donna à entendre, par allu- sion ou autrement, que Renard fût encore son débiteur. Mais il restait à ce dernier un arriéré qui alla s’arrondis- sant dans la suite et se montait en 1562 à 20,200 florins ; c'est du moins ce qu'il affirmait alors. Il continua jusqu'à la fin de sa vie à en réclamer le paiement ; lui mort, sa veuve et ses enfants firent de même, et une preuve que leur récla- mation n'était pas sans fondement, c’est que 24 ans plus tard, en 1597, Philippe II finit par leur accorder 9,000 francs, à la condition que désormais ils n’élèveraient de ce chef aucune autre revendication. Mais n’anticipons pas sur les événe- ments et revenons à la cour de France, l’ambassadeur impérial n’en avait pas fini avec cette politique de Henri IE, si française au fond, si peu loyale dans la forme.

VII

Henri IT s’empressa de faire notifier officiellement à l’em- pereur, par son ambassadeur Marillac, la conclusion de la paix entre la France et l’Angleterre, et de lui renouveler à cetie

(1) Après avoir dit que, pour ses deux ans et neuf mois d’ambassade en France, il n’a recu d'Espagne que 3000 écus, il prie Ayala de per-

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occasion ses protestations ordinaires de bonne amitié, Gran- velle, accoutumé à suspecter les dispositions du monarque français, vit non-seulement une pure ironie, mais encore un prétexte « pour voir la santé de l'Empereur et pour assen- tir ce que l’on projetait du voyage pour l'Allemagne. » Il ne dit pas ce qu'en pensait son maître, qui toutefois fit présent à Marillac d’une chaîne de 500 écus (1).

Evidemment Charles-Quint ne pouvait se faire illusion sur le sens de cette démarche, car déjà, par la dépêche du 28 mai 1550, la même qui portait la nouvelle du traité de paix, Simon Renard lui avait donné les avis suivants : « Le roi va faire passer en Piémont les lansquenets qui étaient dans les forts de Boulogne, et, s'il en veut avoir davantage, deux Alle- mands de Misnie lui'en ont promis. Dans trois jours parti- _ront les deux colonels pour tenir prêts les deux mille Suisses à la disposition du roi; ils ont recu chacun une chaîne d’or... » « Le secrétaire du connétable m'a dit que le roi a envoyé pré- venir en Allemagne que Votre Majesté se dispose à commen- cer par le Piémont la guerre qu’elle prépare contre ses adver- sairès dans l’Empire. On parle beaucoup des projets du _ roi sur Ie Piémont, Milan, Naples, la Sicile... Il est toujours

cevoir le surplus, « selon, dit-il, que l’émpereur l’a ordonné, pour le délivrer au procureur et sollicitor du sieur d'Arras, auquel je dois la somme, pour la m'avoir avancée en France. » Cette letire est auto- graphe et écrite en français. (Arch. nat.)

(1) Granvelle à Renard, 7 avril 1550. Charles-Quint se rendit, en effet, à la diète d'Augsbourg (juillet 1550-février 1551), pour y travailler à un double objet : compléter l’œuvre de l’/nterim pour la pacifica- tion religieuse de l'Allemagne ; obtenir des Electeurs, en faveur de son fils Philippe, la succession à la couronne impériale. Il y rencontra une forte opposition, encouragée par les intrigues du roi de France, et subit un double échec. Loin d'assurer à son fils la couronne impé- riale, ce ne fut même pas sans beaucoup de difficultés qu'il parvint à la transmettre à son frère Ferdinand, qui pourtant était roi des Ro- mains depuis 1531; au lieu de la pacification religieuse, il eut le traité de Friedwald, conclu entre Henri IT et les princes protestants d'Alle- magne, et la prise d'armes qui, l’année suivante, faillit lui coûter sa liberté et l'empire.

148 question du mariage de M. d’Albret avec Madame Margue- rite ; le roi l’a invité à venir à la cour apres les fêtes de Pä- ques... »

A ces bruits plus ou moins fondés, s'ajoutait une série de faits qui ne pouvaient laisser de doutes sur les véritables des- seins du roi de France. Ainsi, son gouvernement laissa publier à Paris un libelle intitulé Le Parangon de vertu, rempli de calomnies et de diffamations contre l'empereur; Renard fut chargé par la reine de Hongrie de protester contre la tolé- rance dont cet écrit était l’objet (1). Les Ecossais, que leurs pirateries avaient mis en guerre avec Charles-Quint depuis plus d’un an, poursuivaient leurs exploits maritimes et ve- naient de capturer six caravelles portugaises qui revenalent des Indes avec une riche cargaison. Henri IT choisit ce mo- ment pour faire savoir à l’ambassadeur impérial que si son maître ne faisait pas la paix avec les Ecossais, il était résolu à les aider contre lui (?). Quelques semaines auparavant, les galères francaises avaient fait main-basse sur un navire alle- mand, qui fut consigné à Brest. Delà des plaintes adressées . par l’évêque d'Arras à l'ambassadeur Marillac, et par Renard au connétable. Marillac, selon son habitude, feignit de ne rien savoir et répondit d’une manière évasive. Le connétable donna des paroles flatteuses sur le compte de l'évêque d'Arras et du feu chancelier son père ; et presque aussitôt six navires espagnols étaient capturés à l’ouest, sur les côtes d'Espagne (3). Lorsque, vers le même temps, l'établissement de l'Inquisition aux Pays-Bas fit fuir les marchands anglais qui trafiquaient à Anvers, Henri II les accueillit à Rouen et leur accorda

(1) La Reine de Hongrie à Renard, 31 mars 1550.

(2) Renard à l’empereur, 17 août 1550. (Arch. nation.) Le comman- dant français du port de Brest ayant mis l’embargo sur ces caravelles, Renard fit des démarches pour en obtenir la restitution. C’est alors que, tout en lui donnant bon espoir, le roi lui fit ou lui fit faire la déclara- tion dont il s'agit.

(3) Granvelle à Renard, 2 et 16 septembre 1550.

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toutes les libertés et garanties qu'ils lui demandèrent, infini- ment plus qu'il n’en accordait à ses propres sujets. Renard, qui signale le fait, prétend que les Français ne savent quelle chose imaginer pour irriter les Anglais contre Charles-Quint, et que ceux-ci, trompés par eux, accusent ce monarque d a- voir voulu leur fermer le marché des Pays-Bas en y intro- duisant l'Inquisition, et de se disposer même, d'accord avec le pape, à prendre les armes pour les replacer sous son autorité spirituelle et soutenir dans leur pays ceux du parti catholique contre ceux du parti contraire (1).

Comme de raison, la cour partageait les sentiments du maître et approuvait cette politique ambiguë. Les difficultés que Charles-Quint rencontrait dans la diète, et plus particu- hèrement l'absence des électeurs de Saxe et de Brandebourg, qui protestaient ainsi contre la détention arbitraire du land- grave de Hesse, leur beau-père (?), étaient dans toutes les bouches. Les choses, disait-on, iront mal de ce côté pour l'empereur (3). Le roi faisait de son mieux pour qu'il en fût ainsi; et c'est peut-être lui que Renard avait en vue, lorsqu'il écrivait sans plus d'explications, qu’une conspiration se tra- mait dans l'ombre. Soit qu'il prévit déjà la ligue de Fried- wald entre la France et les protestants d'Allemagne, ainsi que la trahison de Maurice de Saxe (f), soit qu'il fit allusion à une

) Renard à Charles-Quint, septembre 1350. (4rch. nat.) } Renard à Leurs Altesses, 31 août. (Arch. nat.) 3) Renard à l’empereur, septembre. (Arch. nat.)

(4) Maurice de Saxe avait quitté la ligue de Smalkaden et s'était vendu à l’empereur, moyennant les dépouilles de son parent, Jean Frédéric, électeur de Saxe et chef de la Ligue. Après la bataille de Muhlberg, affectant les apparences de la fidélité et du dévouement, il se soumit des premiers à l’/nterim, et se chargea de réduire par les armes la ville de Magdebourg qui, d'accord avec les villes maritimes, repoussait le fameux formulaire. Mais, bien avant la chute de cette place, qui capitula le 16 décembre 1551, il s'était rapproché en secret de ses anciens alliés, et telle était la confiance qu'il inspirait à Charles- Quint et à son premier ministre, qu'il put, sans éveiller le moindre soupcon, non-seulement réclamer contre la captivité du landgrave de

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tentative qui eut lieu en décembre suivant, pour délivrer le landgrave (1), il est un point sur lequel il ne se trompait pas, c’est qu'il se tramait quelque chose.

L'évèque d'Arras, lui, trouvait que les négociations avec la diète étaient en bonne voic et n'apercevait aucune apparence de conspiration. Il l’écrivit à Renard, avec cette restriction pourtant : « Et toutefois sommes tous avec les yeux ouveris, et se font les diligences requises; vous, de votre coustel, con- tinuez à faire le mesme (2). »

En effet, si le roi de France ne démasquait pas encore le rôle qu’il avait pris dans les affaires d'Allemagne, sa conduite sur d'autres points justifiait la défiance de l’empereur et du premier ministre, et la tenait en éveil. C'est ainsi que, au commencement de novembre, ses troupes s’emparerent d'As- premont, dans l’archevêché de Metz, et du couvent de Barges, Innitrophe entre le Piémont et le Milanais, qu'on se hâta de fortificr. Nouvelle protestation de l’évêque d'Arras. J'ai dit à Marillac : Et pensez-vous, M. l'ambassadeur, que l'Empereur doive toujours souffrir que vous occupez et

fortifiez ce qui est sien (3)? » Renard parla dans le mème.

sens au connétable, et en outre lui demanda raison « des insolences des Français rière la comté de Bourgogne. » Charles-Quint eut bien bon contentement de ce qu'il avait fait quant à ce dernier point, mais il lui sut mauvais gré de n'avoir pas obtenu la restitution des deux places usurpées. Granvelle avertit son ami du mécontentement qu'il avait encouru et fit en sorte, comme il le lui avait promis, que

Hesse, son beau-père, et s’absenter de la diète en signe de protesta- tion, mais encore reconstituer la ligue protestante et prendre la prin- cipale part au traité de Friedwald.

(1) Renard à Leurs Altesses, le 27 décembre. (Arch. nat.)

(2) Granvelle à Renard, Augsbourg, 9 septembre 1550. Le 19 no- vembre suivant, parlant du siège de Magdebourg que dirige le nouvel électeur, Maurice de Saxe, ii ne doute pas du succès final.

(3) Granvelle à Renard, 19 novembre.

151 ni son crédit, ni ses intérêts n’eussent à en souffrir. (1

L'année 1550 touchait à sa fin, et depuis près de deux ans que Simon Renard surveillait la conduite politique de Henri IT et défendait aupres de lui les intérêts de son maître, Charles-Quint et ses conseillers avaient pu se convaincre des dispositions hostiles du monarque francais. Restait à savoir 1l voulait en venir, et à quand la rupture, s’il avait résolu de rompre.

« Jouez bien vostre personnage, écrivit à ce propos Gran- velle à l'ambassadeur, pour, par ce bout, voir de tirer, s’il est possible, leur intention à cler. Car il nous vauldroit trop mieux entrer en guerre certaine et y adventurer le tout pour le tout (®). » D'autre part l'empereur lui commanda de dire au connélable qu'il ne tenait qu'à lui de faire restituer As- premont et Barges, et que, si cette affaire amenait une rup- ture, il en résulterait pour lui un surcroît d’impopularité dans le royaume (3).

Quel fut le résultat des nouvelles démarches auxquelles dut se livrer Simon Renard? Ses dépêches du mois de dé- combre ne le disent que trop. Dans sa conviction, la guerre se prépare en Italie et aux Pyrénées, ct elle se portera d'abord sur Fontarabie (4). En Allemagne, la tentative qui vient d’avoir lieu avec la complicité de la France pour tirer de pri- son le landgrave de Hesse, lui paraît, malgré son échec, un symptôme alarmant, surtout si l’on y rattache l'absence des électeurs de Brandebourg et de Saxe de la diète d'Augs- bourg (5). Il ne voit pas non plus sans inquiétude les rassem-

(1) D'Augsbourg, 22 novembre 1350. « Vous avertis que Sa Ma- jesté a commandé avec un petit de colère le présent despêche. »

(2) D’Augsbourg, 22 novembre 1550.

(3) Charles-Quint à Renard, d'Augsbourg, 20 novembre 1550.

(4) Renard à l’empereur, 6 et 18 décembre; à la reine de Hongrie 6 décembre.

(3) À la reine de Bohême, 27 décembre. (Arch. nat.) Le 10 jan- vier lool, Renard écrivit à l'empereur : « Le Roi est fort triste et al à l'aise d’avoir appris que le Landgrave n’étoil pas délivré, que le plan

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blements de troupes que l’arrivée au duché de Bourgogne du nouveau gouverneur, Francois, duc de Guise, donne occa- sion ou prétexte de faire aux portes de la Comté, par la capitale Dole serait menacée d’un coup de main (1). Commencée sous ces fâcheux auspices, l'année 1551 ne s'achèvera pas sans avoir vu la guerre éclater entre les deux rivaux. Jusque-là, sans cesser l'un de la préparer, l’autre de la motiver sans la vouloir, ils continueront à protester réci- proquement de leurs intentions pacifiques ; cependant que l'ambassadeur de Charles-Quint persistera à signaler l'orage qui s'avance, et que son ministre, dans les intermiltences d’un optimisme mal fondé, s'efforcera d'espérer contre l’es- pérance même. C'est ainsi que par une dépêche écrite d'Augs- bourg, le 1°" janvier 1551, tout en félicitant Renard d’avoir si parfaitement « répliqué à ceux de France, que Marillac s'est plaint qu'il eût usé de braverie avec le connétable, » il lui recommanda de laisser dormir l'affaire d’Aspremont et de Barges, attendu qu'elle devait être, ainsi que les autres points en litige, débattue entre l’empereur et la reine (peut-

‘être sa sœur Eléonorc, reine douairière de France) qu'on

attendait prochainement. Il ne désespérait pas de voir se pro- longer la paix « comme tous les gens de bien doivent le dé- sirer, » et il le désirait tellement lui-même, qu’il ne pouvait achever de prendre au séricux les démonstrations belliqueuses des Français. « Ils font, dit-1l, semblant de vouloir mouvoir.» Il ne croyait pas d’ailieurs qu'ils eussent à compter sur Île Turc, qui savait trop que les promesses de l'empereur sont plus sûres que celles du roi, et il parlait, sans trop s'en in-

avoit été éventé, que l'Empereur tenoit plusieurs prisonniers par les quels il sauroit les pratiques et projets ;..……. aux frais de qui se levoient les soldats et à quelle fin cela se faisoit et la pratique du comte Casel (peut-être quelqu'un de la famille du Landgrave), et le voyage du Rhin- grave... » (Arch. nal.)

(1) François Bonvalot à M. de Vergv, gouverneur de Franche-Comté, 31 décembre 1550.

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' 153

quiéter, d'un corps de 8,000 hommes rassemblé, disait-on, du côté de Reims, pour marcher ou secourir de Magdeboureg, « à l’instigation des François, comme aucuns veulent dire. »

Mais Renard était loin de partager l'espoir que fondait Granvelle sur la prochaine réunion de l’empereur et de la reine. Les dépêches qu'il envoya à Augsbourg et à Bruxelles, pendant le premier mois de 1551, sont pleines de renseigne- ments qui montrent l’action manifeste du roi de France dans tout ce qui se fait contre Gharles-Quint, et son parti pris de faire partout échec à la politique impériale, jusqu'au jour il lui conviendra d'entrer en guerre ouverte avec elle.

IX

Octave Farnèse, loin d’avoir repris Plaisance à Gonza- gue, avait eu ensuite à défendre le duché de Parme lui- même contre son aïeul Paul ITF, qui voulait le replacer sous l'autorité directe du Saint-Siège. Le nouveau pape, Jules ITT, pour reconnaître l'appui que le parti Farnèse avait prèté à son “élection, abandonna d’abord à Octave la possession du duché. Mais plus tard il le revendiqua pour le restituer à l'Eglise. Octave repoussa cette prétention « et, d'accord avec ses trois frères dont l’un, Horace duc de Castro, devait épouser Diane, fille naturelle de Henri IL, il se mit sous la protection du roi de France. Par un traité signé le 27 mai 1551, Henri II s'engagea à faire passer à Parme 2,000 fantassins et 200 che- vaux ; il promit de plus à Octave un subside de 12,000 écus par année. »

« À la nouvelle de ces négociations, Jules LIL réclama l'as- sistance de l'empereur, qui avait trop d'intérêt à empêcher les Français d'occuper Parme, pour la refuser. Il prêta au pape 200,000 écus, et ordonna à Fernand Gonzague de réunir ses forces aux troupes pontificales (1); » Jules IIF, en retour d'un

(1) M. Gacxarp, Biogr. nat. belge, t. III, p. 818.

154 | tel service, convoqua de nouveau, selon le désir de Charles- Quint, le concile général à Trente.

Henri II mit tout en œuvre pour empêcher la réunion du concile, qui du moins ne put avoir leu qu'au premier sep- tembre suivant. Renard raconte qu'à cet effet il interdit dans ses états la publication d'une bulle d'indulgences que le pape avait donnée pour la bonne réussite du concile, qu'il se déclara résolu à empêcher les évêques francais de s’y rendre et parla même de lui opposer uu concile national. Le con- nélable, qui partageait sur ce point les idées de son maître, alla un jour jusqu’à interpeller violemment le nonce devant témoins et lui signifier que le roi ne voulait pas avoir à sa cour des ambassadeurs de ses ennemis (1).

Cependant Fernand Gonzague avait entrepris au nom du pape la conquête du duché de Parme. Au moment où, malgré ses efforts pour l'empêcher, un corps franco-italien venait de renforcer les garnisons de Parme et de la Mirandole, on an- nonca en France que Parme avait capitulé. À la nouvelle de ce revers supposé, Le roi, qui se trouvait à Nantes, entra dans une

grande colère. Il annonca qu’il irait en personne reprendre

celte place; et, comme les Suisses refusaient de l’y suivre pour ne point traverser les possessions de l’empereur ®), le cardinal de Lorraine (3) fut chargé de faire passer des troupes en Pié- mont pour le gouverneur, duc de Brissac, et à Marseille pour s’y embarquer à destination d'Italie. Renard remarqua que le prélat menait en même temps « certaines pratiques en Lor- raine , » de concert avec son frère le duc de Guise.

Les choses n'’allaient guère mieux pour Charles-Quint du côté de la comté de Bourgogne. Henri II ayant envoyé de nouvelles troupes dans le duché voisin, leur arrivée jeta la-

(1) Renard à Charles-Quint, ? avril 1551. (Arch. nat.)

(2) Même dépêche.

(3) Charles de Guises, déjà cardinal depuis 1547, avait pris le titre de cardinal de Lorraine depuis la mort de son oncle le cardinal Jean: 18 mai 1359,

FOR ST PRE CRE

155

larme chez les Comtois. Simon Renard en informa l'empe- reur(l); et l'administrateur de l’archevêché de Besancon, François Bonvalot, écrivit à M. de Vergy, alors à Gray, pour le presser de mettre Dole en état de défense : « car, disait-il, les Francais sont capables de tout; il y a urgence de prévenir Sa Majesté et de la prier de dire ce qu'il lui plait que l’on fasse. ; ils ne se doutent pas bas de ce qui se prépare ici). » Lorsque Renard se plaignit des violences auxquelles ce voisi- nage donnait lieu, le roi lui fit répondre par le connétable que c'étaient des faits d'indiscipline qu'on ne pouvait tou- jours empècher, mais qui n'étaient jamais impunis. « Sur cette réponse, écrivit l'ambassadeur à M. de Vergy, on se peut assurer, du moins jusqu’à ce que le roi approche de plus près. » Mais 1l n'en insistait pas moins sur la nécessité d’en- tretenir les forts de la province en bon état de défense, sans tenir compte des plaintes peu patriotiques qui s’élevaient au sujet des dépenses qui devaient en résulter, «considérant si l'on doit se fier aux bonnes paroles de ceux de par de cà, puis- qu'elles sont fondées sur mauvais vouloir G). » L'empereur envoya des ordres en conséquence.

Pour ce qui se passait vers les Pyrénées, voici le résumé des dépèches de Renard. Le sieur d’Albret se dispose à com- mencer l'attaque avec son gendre, le duc de Vendôme, aussi- t0E la paix rompue entre l’empereur et le roi de France. Henri II lui a garanti la solde de 10,000 hommes de pied et de 3,000 cavaliers, et pendant que le gouverneur de Bayonne fait avancer des troupes vers Fontarabie, sous prétexte de se garder de ce côté, on rassemble des soldats en Guyenne, soi- disant pour refaire les garnisons de Bordeaux et de Bayonne, « mais bien plutôt pour une méchante fin (4). » Une flotte de

}2? janvier 1501. (Arch. nal.)

) Février 1551.

) Renard à M. de Vergy, 7 avril.

) Renard au prince d’Espagne, 10 janvier 1551; à l’empereur, 2? janvier; à la reine de Hongrie, {1 avril : « Tout se fera au nom

(l (2 (3 (4

156

guerre doit appuyer le long des côtes les opérations résolues contre la Navarre; elle est en armement dans les ports de Bretagne et de Guyenne. Renard, en envoyant ces rensei-. snements à la reine de Hongrie, qui les lui avait demandés, conseille de faire bonne garde dans les ports espagnols et de n’y admettre aucun inconnn (1).

Ces projets et ces préparatifs contre la Navarre espagnole déplaisaient fort au connétable ; peut-être sa haine pour le duc de Vendôme était-elle pour quelque chose dans ce mé- contentement. Renard, s'il faut en croire sa lettre du 22 jan- vier à l'empereur, aurait su en profiter pour lui faire adopter l'idée de contrecarrer ces pratiques du roi. I l'aurait même amené à s'en expliquer avec tant d’emportement qu'on eût dit qu'il avait plus à cœur les intérêts de l’empereur que ceux de son souverain (2.

Aïlleurs, la diplomatie française déploie la même activité, pouïsuit les mêmes intrigues soit pour faire échouer la can- didature du prince Philippe à la couronne impériale et con- certer avec les princes protestants d'Allemagne une prise d'armes contre l'empereur, soit pour s'assurer la coopération armée du Turc et des Barbaresques (3). Henri IL a des espions partout et en nombre; on signale leur présence dans le camp de Fernand Gonzague devant Parme; on la signale même à la cour de l’empereur et jusque dans ses appartements parti- culiers (4).

dudit sire d’'Albret; et si l’on objecte que c’est aux frais du Roi et contre les traités, on répondra que le Prince de Piémont est de même assisté par l'Empereur. » 10 janvier, au prince Philippe. En ce moment le marquis de Marignan faisant des levées dans le Milanais, le roi fit demander dans quel but; on lui répondit que c'était pour la Hongrie ou le Piémont. (Arch. nat.)

(1) La reine de Hongrie à Renard, ?1 janvier 1551; Renard à la reine de Hongrie, 27 janvier. (Arch. nat.)

(2) Arch. nal.

(3) Renard au prince d'Espagne, 10 janvier; à l’empereur, 22? jan- vier. (4rch. nat.)

(4) Renard à l’empereur, 2? janvier. {4rch. nat.)

157

. Il est donc impossible de se faire illusion sur le but que poursuit le roi de France, tant il prend peu la peine de le dis- simuler ; aussi, Renard, dès le 10 janvier 1551, écrivit-il au prince d’Espagne : « Je pense que Votre Altesse aura vu par plusieurs écrits que les Francois... se préparent tout à fait à la guerre sur terre et sur mer, et qu'ils veulent porter par- tout la discorde et la ruine. » Seulement il lui semblait qu'ils cherchaient à pousser l’empereur à rompre le premier, et peut-être ne se trompait-il pas, car le retard que Henri IT mettait à l'exécution de ses projets, bien connus désormais, ne pouvait guère s'expliquer que par le désir de rejeter sur son rival l'odieux d'une nouvelle guerre allumée au cœur de la chrétienté ; à moins de supposer qu'il n'était pas encore prêt. Tel serait aussi le motif des déclarations pacifiques qu'il fit porter à l'empereur par Marillac et à l'ambassadeur Renard par le connétable. Il ne médite ni ne prépare la guerre. Il n’est jaloux de personne et se contente du sien. Dans ses né- gociations, ses alliances et ses armements, il n'a d'autre but que de pourvoir à sa prepre sûreté. Il avoue sa ligue avec Les Suisses et les pensions qu'il paie en Allemagne; mais il nie tout rapport avec le Turc depuis sept à huit ans. S'il entre- tient des troupes en Champagne et en Bourgogne, c’est parce qu'on ne pourrait les nourrir dans le Nord. Pour les faits dont on se plaint en Franche-Comté, ils sont purement acci- dentels et toujours punis (1).

Marillac ayant prié Charles-Quint de lui dire ce qu’il pen- sait de ces déclarations, le monarque lui répondit que les ap- parences l’autorisaient à croire le contraire, et après avoir énuméré ses raisons, 1l conclut en disant que, pour lui, il dé- sirait la paix.

En racontant à son ambassadeur l'entretien qu'il avait eu avec Marillac, Charles-Quint lui témoigna sa satisfaction pour ce qu’il avait fait dans cette circonstance et lui recom-

= amie

(1) Renard à M. de Vergey, 7 avril 1551.

158 manda de mettre toujours autant de soin à se procurer des renseignements et à les transmettre (1).

Vers le milieu d'avril, Henri IT, sans doute pour le motif que nous avons indiqué déjà, renouvela à l'ambassadeur im- périal les mêmes assurances et les lui fit renouveler par le con- nétable, tandis que Marillac les répétait à l’évêque d'Arras. Cette démarche eut pour effet de donner très bon espoir à Granvelle et d'ébranler momentanément la conviction op- posée de Simon Renard qui écrivit ensuite à M. de Vergy : « Le Roy de France est refroidi d’emprinses pour le présent, et semble qui continue ses apprêts plus tôt pour deffence que pour offence (2. »

Au mois de mai, nouvelle démarche du roi tendant à con- firmer l'effet des précédentes. Il envoya Marillac faire part à l'empereur des honneurs qu’il se disposait à rendre au prince Philippe, lors de son prochain passage par la France pour aller d'Italie en Espagne, et lui dire ensuite qu'il était heureux des protestations de bonne amitié que Sa Majesté lui

avait fait transmettre, mais qu'il ne pouvait croire qu’Elle

voulüût aider le pape contre Octave Farnèse.

Charles-Quint chargea l'ambassadeur français de remer- cier le roi de sa part pour les honneurs qu'il préparait au prince son fils et de lui certifier que ses dispositions à lui

étaient toujours les mêmes. II lui donna les motifs de son op-

position, soi-disant désintéressée, à ce qu'il appelait la rébel- lion d'Octave, vanta la modération et la loyauté de sa propre politique à l'égard du roi de France et se plaignit avec une certaine amertume de n'être point payé de retour (3).

Cet échange de remontrances et de plaintes, entremêlées de quelques bonnes paroles hypocrites, ne modifia en rien le vé-

(1) Charles-Quint à Renard, Augsbourg, 4 mars.

(2 Renard à M. de Vergy, 22 avril; à l’empereur, 20 avril : à la reine de Hongrie, 21 avril. (Arch. nat.)

(3) Voir, Papiers d'Etat, la lettre du 13 mai par laquelle Charles-Quint fait à Renard un récit détaillé de cette conférence avec Marillac.

159

ritable état des choses. Henri IT était bien résolu à la guerre, et Charles-Quint prétendait n'avoir rien fait pour la motiver, comme si les envahissements de sa politique en Italie et en Allemagne n’eussent justifié pleinement cette résolution. A y regarder de près, et la part faite des instincts belliqueux du roi, de ses ressentiments personnels et des ambitions qui s’agitaient autour de lui, ses provocations systématiques étaient, pour ainsi parler, défensives ; et le soin de sa süreté le poussait fatalement à prendre les armes. C'est ce que Charles- Quint semblait ne pas comprendre, lorsqu'il fondait tant d’es- poir sur le crédit du connétable et sur l'habileté de son am- bassadeur en France, et qu'il savait parfois mauvais gré à celui-ci de ne pouvoir surmonter le part pris de l'adversaire.

Simon Renard, qui jugeait d'un autre point de vue la poli- tique de son souverain, s'était promptement raffermi dans sa conviction que le roi de France, malgré sa persistance à sou- tenir le contraire, voulait absolument la guerre et la voulait à bref délai. Dès le 27 mai, il écrivit à la reine de Hongrie : « L'envoi de Monluc à Rome est plutôt pour la guerre que pour la paix (1. » Un mois plus tard, il informait le prince d'Espagne que « les choses en France étaient du tout inclinées à la guerre; » que le roi se montrait fort mécontent de ce qui se passait devant Parme; que le duc de Guise était allé en Champagne l’on rassemblait une armée destinée pour le Piémont suivant les uns, pour la Lorraine ou la comté de Bourgogne suivant les autres. Il n’était pas jusqu'aux prépara- tifs qu'avait annoncés le roi pour honorer le prince à son pas- sage, qui ne parussent suspects au clairvoyant ambassadeur ().

(1) Arch. nat.

(2) 25 juin 1551. (Arch. nat.) « Le Roy est très mécontent que les passages d'entour de Parme soient occupés, plusieurs gens de pied soient été deffaits, le bestial de la ville emmené... que le Pape continue au chastoy de la rebellion de Octave Farnèse. »

fie « Le Prieur de Capoue est parti pour Marseille avec ordre du Roy de mettre en mer tous les vaisseaux qu'il pourra; et comme il s'est

160 Il croyait savoir aussi que les Anglais négociaient un traité d'alliance avec le roi contre l’empereur, « par la crainte qu’ils ont de Sa dicte Majesté (1). »

L'évèque d'Arras, au contraire, tout disposé à prendre au sérieux les belles paroles de Henri IT et du connétable, cher- chait des arguments à l’appui dans la situation actuelle des affaires et tâchait de les faire goûter à son ami l’ambassadeur en France. «Je ne vois, lui écrivit-il, que les choses prei- enent encoire si grand chemin de rupture que vous divulguez qu il y a à craindre !.… et que les François puissent mouvoir de sitôt. » [ls n'ont encore ni Allemands, ni Suisses sur pied ; ils n'ont pu obtenir le passage par Gênes pour les troupes qu'ils envoient au secours d'Octave Farnèse ; s'ils parlent de faire passer des galères de l'Océan dans la Méditerranée, c'est un advertissement il y a peu de fondement et d'appa- rence. » [ls n’ont pas à compter sur les protestants d’Alle- magne : le duc Maurice poursuit « gaillardement » le siège de Magdebourg dont le résultat ne saurait être douteux; « et, quoi qu'ilsen veuillent dire, » il n’y a pas apparence que l'Allemagne soit disposée à remuer, à moins peut être que le roi ne prenne tous les frais à sa charge. « Ce que je redoute- rais le plus, remarque Granvelle, des pratiques qu’ils mènent en ladicte Germanie, serait quelque soudain mouvement contre la personne de Sa dicte Majesté. »

De la part du Turc, Granvelle crut d’abord qu'il n’y avait rien à craindre, trompé par ses agents qui lui écrivaient de

curieusement informé de l’époque Votre Altesse doit s'embarquer, je soupçonne que ce soit pour donner quelque ennui à son passage... »

« Le Roy a délibéré envoyer un gentilhomme au passage de Votre Altesse, pour, sous couleur du faire de courtoisie, explorer la compa- gnie de Votre Altesse. »

(1) En effet, le traité d'alliance entre les deux pays et de mariage entre Edouard VI et Elisabeth de France fut conclu le 6 juillet 1551. Mais la mort prématurée du jeune roi annula la clause du mariage. Elisabeth, fiancée depuis au fils de Philippe d'Espagne, don Carlos, finit par épouser Philippe lui-même.

161

Constantinople que Soliman ÎI était trop occupé de la guerre contre le sophi de Perse, pour songer à toute autre entreprise; et l'ambassadeur français en Turquie, d’Aramont, ayant rapporté des lettres par lesquelles le sultan promettait au roi Henri le concours très prochain de sa flotte, il tourna la chose en plaisanterie et écrivit que « ces lettresétaient venues à droit propos, pour penser par icelles faire peur aux en- fants. » Il fut bien forcé, au bout de quelques mois, de se rendre à l’évidence, lorsqu'il apprit que la flotte turque était dans les eaux de la Sicile et qu'elle avait, le 17 juillet, saccagé la ville d’Agosta. Il est vrai qu'il eut lieu presque aussitôt de se rassurer à la nouvelle que cette flotte venait de subir une défaite devant Malte qui, disait-on, la mettrait pour long- temps hors d'état de nuire, et que les Génois avaient fermé leur port à ses débris ; mais elle lui réservait, à lui comme à tous ceux qui la disaient détruite, un prochain et éclatant dé- menti.

Quant à l'opposition que Henri IT faisait à la réunion du concile à Trente, Granvelle ne pouvait croire « que les Fran- cais voulussent empescher une si sainte œuvre, et que le con- nétable s'éloigne tant du service de Dieu et de la religion... » « Et enfin, conciuait-il, s'ils le font, il faudra regarder à faire au contraire le mieux qu'on pourra, avec espoir que Dieu y aidera, puisque c'est son négoce. » |

En exposant à Renard ces divers motifs d'espérer beaucoup, l'évêque d'Arras ne se sentait pas tellement rassuré qu'il ne se préoccupât du cas les Français déclareraient la guerre ct des mesures à prendre dans cette prévision. Si malgré les protestations et,les procédés tout pacifiques de Sa Majesté, ils viennent à rompre, « je me doute, écrit-il fièrement, que le jeu ne s'achèvera comme ils voudroient..… L'empereur y mettra le vert et le sec, puisque cela éclaircira ce que l’on a si souvent considéré, que pendant que la France aura force, elle malignera toujours pour troubler la quiétude de la chrétienté. »

Et, comme s’il y avait probabilité de guerre, il recommande

11

162

à l'ambassadeur de faire en sorte de savoir si réellement et quand les galères partiront dans la Méditerranée; à quel point en sont les préparatifs de terre et de mer; quels corps de troupes on met en mouvement et combien; les lieux de rassemblement, les routes par lesquelles on les dirige, avec ou sans artillerie, ce qu'il y a de navires de guerre à Mar- seille et dans les ports de l'Océan ; quel est l’état des finances; si les revenus sont considérables ; s’il y a de nouvelles taxes; quelles sont au juste leurs pratiques en Allemagne et en Ttalie ; n'épargner ni peine ni argent pour être informé de tout. « Voir si X... (le connétable) s'est enfin laissé persuader de trouver bonne la guerre qui seroit sa certaine ruyne et peut- être, avec l’ayde de Dieu, celle de son maître. Du reste, dit Granvelle en terminant, on ne rompra pas les premiers. »

Enfin, comme il fallait tout prévoir, il envoya à Renard une somme de 600 écus pour être employés à acheter « des amis » à la cour de France, dans le cas il serait forcé de quitter son poste(1).

Mais ces instructions devenaient superflues , Henri IE était prêt, et la guerre allait éclater. Il commença par la déclarer au pape en sa qualité d’allié du duc de Parme, cela le sep-. tembre, jour de la réouverture du concile de Trente ; puis il protesta officiellement contre ce concile, comme n'étant pas œcuménique (?), et défendit à tous ses sujets, par un édit formel, d'envoyer de l’argent dans les pays de la dépendance temporelle du Saint-Siège. D'autre part, « après avoir fait sai- sir dans son royaume des navires et des biens appartenant aux sujets des Pays-Bas et autorisé d’autres actes d'hostilité contre ces provinces, il manda au ducde Brissac, gouverneur de Piémont, de commencer la guerre, sans la déclarer aupa-

(1) Granvelle à Renard, d’Augsbourg, 22 et 29 avril; 26 juillet et 16 août 1551.

(2) Ce fut le célèbre Jacques Amyot, évêque d'Auxerre, qui fut chargé d'aller, de la part du roi, déclarer la guerre au Pape et protester contre la réunion du concile.

1635

ravant;.., ce que fit ce général dans la nuit du 2? septembre, en enlevant aux impériaux deux des places qu'ils occupaient en Piémont. Dans le même temps, ses galères capturaient de nombreux vaisseaux marchands espagnols ou belges, les uns en pleine mer, les autres à l'ancre sur la côte de Catalogne ; et l'ambassadeur français d’Aramont, étant venu avec deux galères se joindre à la flotte turque qui assiégeait Tripoli d'Afrique, dont l’ordre de Malte était en possession, détermi- nait le gouverneur, par ses pratiques, à rendre la place aux musulmans, quoiqu'elle eût été battue pendant six jours à peine et qu’elle n’eût pas eu encore à soutenir d'assaut (1).

Granvelle envoya à Simon Renard un récit détaillé de ces exploits déloyaux, qui constituaient autant de faits de guerre, et le chargea de protester énergiquement auprès du roi et du connétable, leur demandant s'ils avaient oublié les déclara- tions que Marillac avait faites de leur part à l’empereur tou- chant le caractère pacifique et droit de son jeune souverain (?). L'ambassadeur n’eut pas le temps de s'acquitter de cette com- mission. Deux jours auparavant, le 12 septembre 1551, le roi Jui avait fait signifier son congé par le connétable, en l'ac-

compagnant de l'exposé suivant des griefs qu'il disait avoir

contre Charles-Quint : n'avoir tenu aucun compte des efforts tentés par le roi de France pour vivre en bonne amitié avec lui, et procurer par le bien de la chrétienté ; avoir dédaigné les démonstrations qu'il en avait faites, comme s’il était de rang inférieur et de moindre qualité ; avoir traversé ses des- seins en Suisse et voulu empêcher la conclusion de la paix entre la France, l’Angleterre et l’Ecosse; avoir entrepris de retirer de la protection du roi Parme et la Mirandole, et à cet effet s'être ligué contre lui avec le pape; avoir fait publier

(1) Voir M. Gacrarn, Biographie belge, t. III, p. 819.

(2) Granvelle à Renard, Augsboure, le {4 septembre 1551. Dans les Papiers d'Elat, cette letire est donnée par erreur comme étant du 14 septembre 1550,

164

que la venue du Turc « fust à son instigation, » tandis que des lettres d'Italie affirmaient que c'était à l’instigation des agents impériaux (1); bref, « avoir nourri l'amitié en paroles, et, dans ses délibérations, avoir fait tout le contraire; » à tel point que ledit roi avait décidé de ne pas le souffrir davantage. En conséquence, il ordonnait à l'ambassadeur impérial de se retirer à Melun et d'écrire de à ses souverains qu'ils eussent à lui renvoyer ses ambassadeurs, lui refusant à lui- . même tout sauf-conduit jusqu'à ce qu'il sût comment on agi- rait avec eux.

Simon Renard, par une dépêche du même jour, rendit compte à l’empereur de cette déclaration, qui du reste ne de- vait pas le surprendre. Il l’informa en outre que le roi avait pris toutes ses mesures pour faire lever le siège de Parme et de la Mirandole, et qu'il se disposait à se mettre en route pour le Piémont, précédé par le duc de Guise qui devait l'attendre en Dauphiné (?. Après avoir fait à Melun une quinzaine de jours d'’arrêts, pendant que Charles-Quint et son ministre, encore à Augsbourg, préparaient le départ des ambassadeurs français, l'évêque Marillac et l'abbé de Bassefontaine, Simon

Renard put quitter la France; son ambassade avait duré deux

ans et huit mois (3).

X

Telle fut l'issue de cette lutte diplomatique , dans laquelle de part et d'autre, à la cour de France surtout, on rivalisa de mauvaise foi ct de dissimulation pour se tromper mutuelle- ment. Charles-Quint n'avait pas à s’en féliciter, à moins de considérer comme un succès d’avoir pu conjurer pendant près de trois années une rupture qui devait éclater tôt ou

(1) Henri II oublie de dire ce que l'empereur aurait eu à gagner d'attirer la flotte turque sur les côtes de ses provinces méridionales.

(2) Renard à l’empereur, 14 septembre 1551. (Arch. nat.)

(3) Il partit vers la fin de septembre.

165 tard. Quant à Simon Renard, entravé par les instructions d'un maître trop peu confiant, et d’ailleurs se hcurtant au parti pris qui prévalait à la cour de France, nous l'avons vu accomplir sans bruit et sans éclat sa première ambassade; nous le verrons dans la seconde, plus libre de ses mouvements, lutter victorieusement contre de puissants obstacles et exécu- ter, dans le mariage anglais, un chef-d'œuvre de diplomatie.

Lorsqu'il recut à Fontainebleau la déclaration de guerre, ils étaient, lui et tous ses gens, malades de la fièvre qui sévis- sait dans la ville et les environs. Guéri ou non, au moment il sortit de France, 1l alla rejoindre l'empereur à Augs- bourg et y repritses anciennes fonctions (1).

Il suivit ensuite l'empereur à Inspruck, il se rendait pour surveiller le concile de Trente. Cest de que Renard écrivit le o décembre au secrétaire d'Etat Ayala une lettre déjà citée, par laquelle il affirme n'avoir touché sur le trésor d'Espagne, pendant toute la durée de son ambassade, que 3,000 écus. Il y était encore à la fin du même mois, et échan- geait avec Francois Bonvalot des dépêches au sujet des dan- gers que pouvait courir la comté de Bourgogne et des mesures à prendre pour l'en préserver. Renard prévoyait une attaque des Français pour 1e printemps prochain, attaque qui n'eut pas lieu; Francois Bonvalot éprouvait le besoin de ne pas y croire, tant il était convaincu que, malgré toutes les peines qu'ils prenaient, lui et M. de Vergy, la province ne serait pas en état de se défendre. L'argent et les hommes faisaient égaleirent défaut; la noblesse manquait de bonne volonté et n’était pas équipée (?) ; » il était indispensable que l’empereur leur vint en aide. François Bonvalot priait Renard de parler

(1) Charles-Quint écrivit encore d'Augsbourg à M. de Vergy, le 19 octobre 1551. C’est à tort que Renard affirma plus tard à Philippe ÎT que sa charge de maître des requêtes lui avait été retirée à son départ pour l'ambassade de France, puisque les appointements lui en avaient élé maintenus.

(2) Fr. Bonvalot à M. de Vergy, 29 janvier 1552.

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166 dans ce sens à l’évêque d'Arras et de lui montrer sa lettre, pour le convaincre qu'il faisait son possible et « que riens ne demeurait à sa faulte (1). »

On lit dans le mémoire justificatif dont nous avons déjà fait mention, que Renard, mécontent de n'avoir recu aucune récompense spéciale pour son ambassade de France, aurait demandé à retourner simplement à sa lieutenance d’Amont, lorsque l’empereur le délégua, avec quelques autres person- nages, au concile de Trente, que il aurait recu les plaintes des archevêques électeurs de Cologne et de Mayence, qui ac- cusaient l’évêque d'Arras d’être la cause des troubles qui dé- solaient l'Allemagne, et pris l'engagement de transmettre leurs doléances à l’empereur ; mais que le souverain l'ayant chargé d'allér, à sa sortie du concile, tenir en son nom les Etats de Bourgogne, il ne lui avait pas été possible de rem- plir sa promesse. Ce sont des récriminations rétrospectives qu'on ne peut vérifier, faute de preuves, et que rien dans les correspondances antérieures ne ferait prévoir. |

Mais, dans le temps que le conseiller Renard s’acquittait successivement de sa double mission, un orage aussi dange- reux qu inattendu se formait contre Charles-Quint au cœur même de l'empire. Le 5 octobre 1551, quelques jours après le renvoi réciproque des ambassadeurs, les princes protestants d'Allemagne avaient signé avec Henri II le sraûté de Fried- wald, par lequel ils s'engageaient à attaquer l’empereur à limproviste, tandis que le roi de France envahirait pour son compte la Lorraine française. Maurice de Saxe était le chef secret de la ligue. Trompant la confiance du souverain à qui il devait tout, il l'avait, avant et après la reddition de Mag- debourg, arrivée le 16 décembre 1551, amusé par de belles paroles jusqu'au jour où, paraissant soudain à la tête d’une armée de 25,000 hommes, il s'élanca vers les provinces mé- ridionales de l'empire et publia dans un manifeste qu’il avait

D ms

(1) Fr. Bonvalot à Renard, 22 décembre 1551.

167

pris les armes pour défendre la religion protestante, mainte- nir les constitutions de l’empire et délivrer les deux princes prisonniers (l),

Nous n'avons pas à raconter ici dans quel trouble et quel désarroi la nouvelle de cette brusque attaque jeta Charles- Quint et son entourage (?), ni comment Maurice, précipitant sa marche, tout en négociant pour la forme, faillit mettre la main sur l’empereur, alors qu'il était malade à [nspruck, et si peu préparé à le recevoir, qu'il dut, pour lui échapper, s’en- fuir presque seul à travers les montagnes du Tyrol, jusqu’à Villach en Carinthie G). Mais nous nous étonnons que, au lieu de s’en tenir avec Henri IT à une tactique de mines et de contre-mines, comme on disait alors, Charles-Quint et son premier ministre n'aient pas su démêler, sur les indications de Simon Renard, les fils de la conjuration qui se tramait presque sous leurs yeux, et se mettre en mesure de repous- ser l'assaut dont ils étaient menacés. Toujours est-il qu'après la déroute d’Inspruck, l'empereur fut contraint de subir a

(1) Le landgrave de Hesse et l'électeur de Saxe, Jean Frédéric, celui qui avait été dépouillé au profit de Maurice. (18 mars 1552.)

12) On peut s’en faire une idée par la lettre suivante, que le secré- taire Bave écrivit d'Inspruck (6 mai 1552) à Renard, qui, selon toute apparence, était encore en Franche-Comté : « J'ai voulu vous advertir comme jusques à maintenant ne s'est succédé grand chose de la négo- ciation avec le duc Mauris, quoyqu'elle ne soit rompue; et doit être icy ce soir le Roy des Romains pour communiquer sur toutes choses, concernant cette guerre, avec l'Empereur. Et ainsi pouvez penser que non sachant quelle conclusion ils prendront, qui deppendra de ce que à présent succédera de la dicte négociation et avis que l’on aura des progrès du roy de France (Henri II s'était emparé des trois évèchés, Metz, Toul et Verdun, et avait occupé le duché de Lorraine, avait en- suite envahi l'Alsace, échoué dans un coup de main sur Strasbourg et reporté les hostilités dans le Luxembourg) et aussi de celle du dict Mauris et de ses collègues, qu'est sur Ulm, que mal vous sçauroye es- crire le partement d'ici, ni que tirerons, pour selon ce vous régler. Mais il conviendra que le faites selon les nouvelles que pourrez avoir d'icy et que pourrez partir. »

(3) Les 18 et 19 mai.

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transaction de Passau, par laquelle il renoncait à l’Interim et signait en quelque sorte sa déchéance en Allemagne. Ensuite le siège de Metz, dont l'issue fut aussi désastreuse que la con- duite en avait été inhabile et imprévoyante, porta un coup fatal à son influence en Europe.

Abattu par tant de revers, sans compter la guerre difficile qui continuait avec la France, découragé, malade, il sem- blait avoir terminé son rôle politique et n'avoir plus qu'à réa- liser ses velléités intermittentes d’abdication et de retraite, lorsqu'il crut trouver, dans Ja situation de l’Anglelerre, la seule chance qui lui restât de raffermir sa puissance ébranlée

CHAPITRE IT

AMBASSADE EN ANGLETERRE

(1555-1555)

——————

I

Le roi Henri VIII, après avoir acheté, au prix d'un schisme avec Rome, le singulier agrément de divorcer cinq fois et de posséder successivement six épouses, avait réglé ainsi l'ordre de succession au trône : d’abord, le fils qu’il avait eu de Jeanne Seymour, sa troisième femme, et qui lui succéda en 1547 à l'âge de neuf ans sous le nom d’'Edouard VI; après lui, Marie. née de sa première épouse, Catherine d'Aragon, tante de Charles-Quint; et en troisième lieu, Elisabeth, fille d'Anne de Boulen, la remplacante malheureuse de Catherine d’Ara- son. Le principal résultat du règne d'Edouard VI fut, au dehors, l'abandon de l'alliance impériale pour l’alliance fran- caise, et, à l’intérieur, la substitution du calvinisme à la ré- forme bâtarde de Henri VIII, substitution qui partagea dès lors le royaume en deux camps ayant chacun sa bannière religieuse. Les catholiques mettaient leur espoir dans Marie, qu'on savait résolue à venger sur l’hérésie les malheurs de sa mère ; les protestanis, pour le cas Edouard VI mourrait sans héritier, comptaient sur Elisabeth. Outre ces deux sœurs du jeune roi, d’autres personnages du sang royal avaient aussi leurs partisans : c’étaient Jeanne Gray, petite nièce de Henri VII, que le duc de Northumberland, régent du royaume, avait fait épouser à son propre fils, Guilford Dudd- ley; puis le cardinal Pole et le comte de Courtenay, deux rejetons de la Rose rouge, le premier exilé du royaume par Henri VITE, Ic second que le régent retenait en prison.

170

Du milieu des soucis et des fatigues de la guerre qu'il sou- tenait contre Henri IT, Gharles-Quint observait avec attention ces divisions, ces rivalités, ces espérances opposées. Au com- mencement de juillet 1553, le jeune roi Edouard VI était en danger de mort. Il crut le moment venu de réaliser un plan dont il espérait de magnifiques résultats,et qui se résumait en ceci : placer sur le trône sa cousine Marie Tudor, lui donner pour époux son fils Philippe, et, au moyen de cette union, ramener à la fois le royaume dans le giron de l’Église catho- lique et assurer à sa maison la domination sur l’Europe occi- dentale. Sans perdre de temps, il envoie en Angleterre une ambassade extraordinaire composée de Jean de Montmorency, sieur de Corrières, de Jacques de Marnix de Sainte-Aldegonde et du sieur de Barmont, Simon Renard.

Ce dernier, au sortir des Etats de Bourgogne, était allé retrouver à Villach son souverain, le triste échappé d'Ins- pruck; il l’assista dans les négociations de Passau, et, après l'avoir suivi dans la désastreuse campagne de Metz, rentra avec lui à Bruxelles. Il occupait alors comme diplomate, à côté de l’évêque d'Arras, le premier rang dans l’estime et la confiance de l’empereur. Aussi, quoique le dernier en nom des trois ambassadeurs envoyés en Angleterre, était-il de fait le chef de l'ambassade, en attendant de rester seul chargé de mener l’entreprise à bonne fin.

Avec la mission apparente de visiter de la part de leur maître le royal moribond, les ambassadeurs allaient pour s'assurer du véritable état des choses, se tenir prêts à tout événement, veiller à la sûreté de Marie et lui assurer la cou- ronne. Mais ils étaient à peine arrivés à Londres, qu'Edouard expira le jour même (1), sans avoir recu leur visite. Northum- berland tint cette mort secrète pendant trois jours, au bout desquels, en vertu d’un testament qu'il avait dicté à son faible pupille, avec la complicité du Conseil épuré par ses soins et

(1) Le 6 juillet.

171

l'appui moral de l'ambassadeur français, comte Antoine de Noailles, il fit reconnaître pour reine sa bru Jeanne Gray, à l'exclusion de Marie Tudor. Celle-ci, échappée à grand'peine à la poursuite de Northumberland, s'enfuit dans le Nord elle se fit proclamer, et, après dix jours d'efforts désespérés et de succès inattendus, elle releva sa fortune au moment tout semblait perdu.

Les ambassadeurs impériaux, pris au dépourvu et gardés à vue par l’usurpaleur, n'avaient pu ni rejoindre Marie, ni rien faire d'utile à sa cause. Leur présence et leur action furent sans effet dans cette révolution purement anglaise; ils n’en virent même pas clairement les causes, comme il résulte de l'extrait suivant d’une dépêche qu'ils adressèrent au prince d'Espagne : « Soit que la force et l'industrie de ma dite dame soit esté supérieure, ou que ceux du Conseil ayant eu peur ou aultrement, ils ont fait publier le dix-neuvième jour de ce mois pour royne d Angleterre, madite dame Marie, aiant rappelé au Conseil milord Paget qui en avait esté débouté par ledit duc. En laquelle publication, le peuple a fait si grande démonstration de réjouissance que l’on ne saurait estimer, tant en feux de joie, en largesse publique, en ban- quets publiques dans les rues, en cris de joie, son de cloches et artllerie et aultres telles allésories accoutumées (1). »

(1) Les ambassadeurs à Philippe d'Espagne, 19 juillet 1533.

Le même jour, ils écrivirent à l’empereur : « Les raisons qui ont pu mouvoir les susdits (ceux du Conseil) à faire la dite nouvelle publica- tion, nous sont encore incertaines, sinon que l'on discourt (qu'ils opt vu le peuple ému (Northumberland n’était aimé de personne et on l’ac- cusait d'avoir empoisonné le feu roi), la force de madite dame ac- croistre; et l’on à ce matin adverti que sept navires de guerre des meilleurs du royaume s'estoient rendus à madite dame, sur lesquels il y avoit cent ou six-vingt pièces d'artillerie et environ mil personnes qui s’étoient déclarez à la dévotion de madite dame... Et l'on enten- doit de tous coustelz que la pluspart de la noblesse favorizoit à ladite dame. »

Le comte d’'Arundel et lord Paget furent chargés d'aller porter à Marie cette grande nouvelle et lui demander pardon, au nom du Con-

oi

Néanmoins Charles-Quint prit soin de s’attribuer aux yeux de la nouvelle reine une part importante dans le triomphe de sa cause. Il lui fit transmettre, avec ses félicitations, l'assu- rance que, s’il n'avait pas armé pour elle, c'était par prudence et pour ne pas compromettre les intérêts qu’il voulait servir ; que d’ailleurs il n'avait rien négligé pour gagner les person- nages influents et pour empêcher l'intervention francaise sur laquelle avait compté Northumberland. 11 y joignit les con- seils suivants sur la conduite à tenir pour affermir le présent et assurer l'avenir : Punir sans délai les principaux chefs de la rébellion et accorder à tous les autres, spontanément, un pardon complet, ce qu’elle fit en livrant à la justice sept coupables seulement, mais sans vouloir, comme le deman- dait l’empereur par la bouche de Renard, leur adjoindre Jeanne Gray, qui n'éfait à ses yeux ni coupable ni dange- reuse ; surveiller les relations et les démarches d'Elisabeth et se défier de l'ambassadeur français qui, après avoir sou- tenu Northumberland, « courtise » Courtenay et cherche à le rapprocher de cette princesse; ne procéder à la restaura- tion catholique que lentement, avec circonspection, et tou- jours de concert avec le Parlement, et à ce propos 1l loue Marie d’avoir, sur l'avis de ses ambassadeurs, permis que le roi Edouard fut enterré selon le nouveau rite de l’église pro- testante. Il lui recommande en outre modération, prudence, économie, « sans sc laisser persuader du contraire par aucuns particuliers , de sorte que chacun voie clairement qu'elle ne se propose d'autre fin que le bien du royaume, et qu’en

seil, « à deux genoux, le poignard contre l'estomac... » Toutefois Marie ne déposa les armes qu'après avoir acquis la certitude que ces avis et démonstrations ne cachaient aucun piége et que sa cause était réel- lement triomphante. Le 22 juillet, les ambassadeurs purent écrire à l’empereur : « La proclamation et publication de la royne d’Angle- terre, faicte en la personne de madame Marie, a pris tel progrès depuis nos dernières lettres à Vostre Majesté, qu’elle est et demeure vraie et héréditaire royne d'Angleterre, sans difficulté, doubte ou empes- chement... »

173 toutes choses elle se montre, comme elle doit l'être, bonne anglaise (1). »

Il

Les ambassadeurs, chargés de lui transmettre ces conseils d'une sage prévoyance, avaient ordre aussi de lui insinuer la nécessité de se donner un soutien par mariage. Et c'est ici que Charles-Quint commence à prendre à partie le lieutenant d’A- mont, comme il appelle Simon Renard, et à laisser voir qu'il compte sur lui pour le succès de la grande et difficile affaire dans laquelle il eut surtout pour collaborateurs, outre l’empe- reur, le secrétaire Bave, le président Viglius et l’évêque d'Ar- ras, mais dont il recueillit devant l’histoire, malgré l'insuffi- sance du résultat final, le principal honneur.

Le difficile de l’entreprise n’était pas seulement de faire agréer à la reine Philippe d'Espagne pour époux, c'était en- core et surtout de vaincre les répugnances et les oppositions de toute sorte qu’elle allait rencontrer chez la nation même. Outre leur répulsion traditionnelle pour les étrangers et en _ particulier pour les Espagnols, dont ils savaient la domina- tion détestée aux Pays-Bas, les Anglais voyaient, dans la naissance et dans l'éducation de Philippe, un double danger pour leurs libertés publiques et pour l'existence du protestan- tisme, déjà très répandu et très populaire, sans compter la crainte de se voir entraînés par lui dans une guerre avec la France. Aussi le Conseil et les ministres, interprètes du sen- timent nalional, s’accordèrent-ils d’abord à repousser sa can- didature, avant même qu'elle eùt été posée; ils mirent en avant plusieurs noms, entre autres le cardinal Pole, le comte de Courtenay, un des fils du roi des Romains. Antoine de Noaïlles, ligué avec-eux contre le fils de Charles-Quint, ex- ploitait habilement les motifs qui devaient le rendre impo- pulaire, et iravaillait, au nom du roi son maître, à détourner

(1) Charlés-Quint à ses ambassadeurs, 29 juillet, 1 et {9 août 1553.

174

Marie Tudor d’une pareille union et à faire prévaloir auprès d’elle la candidature du comte de Courtenay. Son auxiliaire le plus ardent était le chancelier Gardiner, évêque de Win- chester, qui, sans nommer Courtenay, déclara à Simon Re- nard que la nation n'accepterait jamais un prince étranger et moins encore un espagnol, et que le Conseil et lui, si la reine les consultait sur le choix d’un époux, ne lui en conseille- raient pas d'autre qu'un Anglais. Au reste, celte déclaration de Gardiner n’apprenait rien à Renard qui ne lui fût déjà connu, et la correspondance échangée vers cette époque entre l'ambassadeur francais et sa cour prouve qu'il était parfaite- ment renseigné (1).

Pour lutter avec quelque espoir de succès contre une oppo- sition semblable, il fallait s'envelopper de secret et de mys- tère. C'est ce que comprit la reine, aussi bien que Charles- Quint et ses représentants, et, lorsqu'elle eut fait connaître à ceux-ci sa décision de prendre un époux et de s’en remettre à l’empereur son cousin du soin de le lui choisir, il fut con- venu qu'elle ne les verrait que rarement et en secret et qu'elle ne communiquerait avec l'empereur que par leur intermé- diaire. : à.

Ïl se passa quelque temps avant que Renard fût recu pour la première fois en audience particuhère. Il ne pouvait, sans risquer de se faire reconnaître, pénétrer dans la Tour de Londres, elle passa les premières semaines de son règne. « Les portes en sont si bien gardées, écrivait-il à Granvelle, qu'il n'est pas possible de les franchir sans estre recongnu. Elle m'avait fait dire si je me pouvais desguiser et prendre un manteau, mais m'a semblé pour le mieux et plus sûr d’at- tendre qu’elle soit à Richemond (?). »

En attendant, Renard exposa à Granvelle la manière dont il entendait s’y prendre pour découvrir les sentiments de Marie

(1) Voir Vertor, t. Il, passim. (2) 7 août 1553,

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à l'égard de Courtenay, ainsi que ses dispositions quant à un mariage étranger, et pour appeler son attention sur le prince d’Espagne : à quoi le ministre répondit que l’empereur trou- vait ce plan «très-bien», et le lui faisait savoir, mais que pour ce qui était de Courtenay, il fallait y aller avec une réserve extrême, et simplement dire à la reine qu’on en parle, sans insister davantage: « car, ajoutait-il, si elle y avait fan- taisie, elle ne laisserait, si elle est du naturel des aultres femmes, de passer oultre, et se ressentirait à Jamais de ce que vous lui en pourriez avoir dit. Bien lui pourriez-vous parler des commodités plus grandes qu’elle pourrait recevoir de mariage estranger, sans trop toucher à la personne elle pourrait avoir affection. Et, si dans ce cas elle-même parle de l'Empereur, vous lui parlerez de Paultre (Philippe) comme plus convenable; mais que ce soit de telle sorte qu'elle ne puisse penser que cela vienne d’aultre que de vous). »

Mais avant l’arrivée de ces recommandations prudentes, Simon Renard avait eu à Richemond son premier entretien _avec la reine et le 15 août il écrivait à Granvelle : « Quand je lui fiz l'ouverture du mariage, elle se prit à rire non une fois, mais plusieurs fois, me regardant d’un œil signifiant l’ouver- ture lui estre fort agréable, me donnant assez à congnoistre qu'elle ne taschoïit ou désiroit mariage d'Angleterre, mais estranger, et, selon que je me suis apercu, elle entend que Sa Majesté (l’Empereur) nommera, estimant qu’elle lui nommera personnage à son gré, et suis en bon espoir que, si Sa Majesté sincline en Monseigneur nostre prince, ce sera la plus dési- rée nouvelle que l’on lui scauroit apporter... En ceci convient penser qu'il y aura difficulté d’y faire consentir le Conseil et ceux de par decà, sans que l’on gagne les principaux tant du pays que dudit Conseil, soit par places, offres d'argent, pro- messes ou aultres tels et semblables moïens. Car j'ai déjà évanté que les Francois, partiaux et luthériens, cherchent

(1) Granvelle à Renard, 14 août 1553.

Ge

toutes les occasions qu'ils peuvent excogiter et mènent de grandes practiques pour divertir l’affechon du peuple et trou- bler le royaume; et n'y a moïen sinon ledit mariage et reli- sion, mais plutost le point de mariage, pour estre naturelle- ment ennemie la nation d'Angleterre des étrangers (1). »

Néanmoins il se proposait de profiter au plus tôt des dispo- sitions si favorables à Philippe d'Espagne, qu’il avait cru re- marquer chez la reine : « Et ne manquerai pas, dit-il, à la première conjoncture, négocier ce point par la dextérité, fidé- lité et secret que Sa Majesté et vous confiez de moi, et de temps à aultre vous en rendre compte particulier, sans adres- ser mes lettres à Sadite Majesté, mais à vous, pour non des- couvrir à personne ce que desirez estre-retenu et tu. »

L'occasion attendue se présenta peu après. Dans un second entretien, l'ambassadeur ayant dit à la reine qu'il était bruit de son mariage avec Courtenay, elle répondit qu’elle n'avait jamais parlé à ce jeune homme, sinon le jour elle Le fit sortir de prison, et que, loin de penser à l’épouser, elle ne voyait personne parmi ses sujets qui püt lui convenir. Elle demanda à Renard si l'Empereur avait quelqu'un à lui pro- poser. « Sa Majesté, répondit-il, ne m'en a rien écrit; mais, si difficile qu'il soit de trouver un personnage ni trop jeune ni trop âgé correspondant à vostre grandeur, elle est preste à vous conseiller, si vous lui faites congnoistre votre inclina- tion, et à user en ceci d'office de vrai père. Quant à moi, j'ai pensé à plusieurs princes catholiques. » Et Renard de lui nommer plusieurs princes qui tous étaient d'excellents partis; « malheureusement, ajouta-t-il, ils sont trop jeunes, n'ayant pas même 27 ou 28 ans (c'était l’âge de Philippe); pour des partis plus agés, ceux que je connais sont ou trop vieux ou indisposés. »

Alors, sans que Renard eût seulement prononcé le nom de Philippe, elle lui dit incontinent que Son Altesse était engagée

(1) 15 août 1553.

177 | avec la princesse de Portugal. A cette ouverture tant désirée, le rusé diplomate répond nonchalamment qu'il ne croit pas qu'il y ait de ce côté des engagements formels, qu'il a bien en- tendu parler avant la guerre actuelle d’un projet de ce genre, mais que depuis lors l'empereur et son fils ont eu beaucoup plus à s'occuper de choses militaires que de mariages. Et comme Marie, dissimulant mal la préoccupation que lui cau- sait déjà la pensée du prince, objectait qu'il aurait mal fait d’épouser sa cousine germaine, que les autres partis étaient bien jeunes et qu'elle serait leur mère à tous, qu’elle était plus âgée que Son Altesse de 12 ans, qu'il voudrait demeurer en Espagne, qu'il tiendrait à administrer lui-même ses propres Etats, ce qui ferait un obstacle de plus aux yeux du peuple anglais, etc., etc.; Renard amena adroitement l'éloge du prince, vanta « le grand sens, Jugement, expérience et mo- dération reluisant en lui, » non sans faire remarquer qu'il était déjà veuf et père d’un fils de 6 à 7 ans. « Sans attendre la fin de ce discours, elle jura que jamais elle n'avait senti aiguillon de ce qu'on appelle amour, ni entré en pensement _de volupté, qu'elle n'avait pensé à mariage sinon depuis qu'il a plu à Dieu la promovoir à la couronne, et que celui qu'elle fera sera contre sa propre affection, pour le respect de la chose publique... » Elle conclut en disant qu’elle s'en remetlait à l'empereur comme à un père du soin de lui choisir un époux et de négocier l’affaire avec le Conseil, à qui elle n oserait s’en ouvrir elle-même (1),

Après Courtenay, celui des autres prétendants qui, malgré sa qualité d’étranger, réunissait le plus de partisans, c'était le fils du roi des Romains, Charles d'Autriche. Il était patronné par lord Paget, et son nom éveillait bien des sympathies, parce qu'on savait que les Flamands, dans leur répulsion pour les Espagnols en général et pour le fils de Charles-t Quint en particulier, manifestaient le désir d’avoir le prince

(1) Renard à Granvelle, 8 septembre 1553.

autrichien pour souverain après la mort ou la retraite de l'empereur son oncle; l'on fondait sur un mariage entre lui et la reine Marie l'espoir de réunir un jour les Pays-Bas à l’Angleterre et de donner, par suite, aux Anglais un pied dans l'empire (1).

Cette candidature, sans être aussi à craindre que pouvait l'être celle de Courtenay, ne laissait pas d’inquiéter Renard, d'autant plus qu’en la combattant ouvertement, on courait risque de causer entre Charles-Quint et son frère une brouille qu'il importait grandement d'éviter. C'est pourquoi il con- seilla d’abord à Granvelle de mettre tous ses soins à popula- riser dans les Pays-Bas le futur avènement du prince Philippe, et à réconcilier entre eux les Espagnols et les Flamands: «car en ce seul point consiste la perfection de votre travail et labeur (. »

Sans doute, 1l n'était pas absolument impossible d’écarter les compétiteurs de Philippe en s'adressant par présents et par promesses à l'extrême avarice et à l’ambition individuelle des seigneurs; «mais, ajoute Renard en confidence, je con- gnois la dite Royne tant facile, tant bonne, tant peu expéri- mentée des choses du monde et d’Estat, tant novice en toutes . choses, et ceux de cette nation tant sujets à l’avarice, que si l’on les veut pratiquer et racheter de présents et promesses, on les convertira l'on vouldra, et je suis en opinion que, si Dieu ne la garde, elle se trouvera trompée et abusée, soit par pra- tiques des Francois, soit par conspiration particulière de ceux du pays, soit par poison ou aultrement. » Renard redoutait particulièrement Elisabeth : « C'est un esprit d'incantation:

(1) Le 20 juin 1548, à la suite d’une négociation provoquée par la reine Marie de Hongrie, gouvernante des Pays-Bas, et conduite par Viglius et les deux Granvelle dans la diète d'Augsbourg, ces provinces furent incorporées à l'empire germanique, tout en conservant leur au- tonomie; elles formaient le cercle de Bourgogne. La Franche-Comté y fut comprise comme ancien fief impérial. V. Piogr. nat. belge, t. LI, p. 768. 5

(2) Renard à Granvelle, 9 septembre 1553.

179 elle jette déjà les yeux sur Courtenay pour alliance, parce qu’elle congnoit la mère dudit Courtenay avoir accès envers la Royne, et qu’elle couche ordinairement avec elle (1). »

Ainsi Renard en venait à croire que le trône même de Marie Tudor était encore menacé et que cette princesse qui, selon lui, «ne pensait à aultre chose sinon à remettre la messe et religion sur pied, pourrait bien se voir renverser en une matinée.» C’est du moins ce qu’il écrivit à Granvelle, en ajoutant qu'il n'avait encore été recu par elle en particulier que deux fois jusqu'au 9 septembre, en ce moment il im- portait qu'il pût fréquemment l’entretenir.

Par la même dépêche, il se plaignit des mauvais offices de l'ambassadeur ordinaire, Jean Schefne, qui ne lui pardonnait pas d’avoir obtenu ces deux audiences, et d'avoir été chargé par ses autres collègues d’ambassade de tenir la plume et de porter la parole en leur nom, et qui semblait même croire qu'il voulait le supplanter dans sa charge. Et il conclut brus- quement par prier le ministre de prouver le contraire en le relevant bientôt de sa mission, qui d’ailleurs était, disait-1l, accomplie.

: Ce n'était qu'une” boutade, calculée ou non, qui dissi- mulait mal de la part de Renard le désir de rester seul chargé . de diriger les négociations et d’en assurer le succès. Tout con- duire et tout faire, pour triompher sans partage, voilà ce qu'ambitionnait cet homme habile et jaloux de primer. Il obtint ce qu'il voulait : l'ordre à ses collègues de quitter leur posie immédiatement après le couronnement de la reine, des félicitations du maître pour sa conduite passée, et la faculté de prendre à l'avenir, si les circonstances l’exigeaient, conseil de sa propre prudence. « Persévérez, lui écrivait Granvelle, et, si vous réussissez, il vous en pourra résulter tant de proffit et de réputation, que vous vous devrez tenir pour heureux d'y avoir esté employé. » Quant à son rappel, il n’y devait

(1) Renard à Granvelle, 9 septembre 1553.

180 plus songer jusqu’à ce que l’entreprise eût abouti à une issue quelconque (1).

La lettre de l’empereur en date du 20 septembre, n'était pas moins encouragcante. Renard venait de l'informer que Marie avait rebouté Courtenay, lorsque Gardiner le lui avait conseillé pour époux et que le libertinage de ce seigneur l'avait perdu dans son esprit. Il félicite l'ambassadeur d'avoir si bien engagé la question du mariage, et le charge de voir la reine en particulier et de lui déclarer de sa part que s'il était « en âge, disposition et santé, » il ne lui offrirait pas d'autre parti que lui-même; mais que, à son défaut, 1l lui offrait son fils, ce qu'il avait de plus cher. En réponse aux objections qu'elle pourrait faire, il faudrait insister sur les avantages qui devaient résulter du mariage; et, à cette occasion, Charles- Quint déroula des plans d’une audace telle qu'on refuserait d'y croire, s'ils n'étaient tout entiers dans sa dépêche. Si Dieu fait naître un fils de l'union projetée, il en pourra résulter la réunion perpétuelle de l’Angleterre et de la monarchie espa- gnole sous un même sceptre, «qui serait un vrai moyen pour tenir les Francois en frein et les ranger à la raison, et même pour devoir espérer que, par moyen de cette con- jonction, avec l’assistance que l’on pourrait espérer de la couronne d’Espagne et royaumes y adjoints, les roys d’An- gleterre pourroient recouvrer la Guyenne, possédée injuste- ment par ceux qui la tiennent, et peut-être le royaume de France.» En attendant on fermerait la mer du Nord aux Français et on les aurait bien vite chassés de l’Ecosse pour

(1) Le 13 septembre 1553, l’évêque d'Arras écrivit à Renard que l'em- pereur avait « entière satisfaction du bon, prudent et discret devoir qu'il rendoit en la négociation »; que Sa Majesté avait résolu de rap- peler ses collègues «afin que aucuns ne le traversàt dans son œuvre, s’y estant montrez peu affectionnez, et pour non si bien entendre le cours de cette négociation, et pour aussi qu'il garderoit mieux le secret qu'est tant requis... Et cette négociation est tant importante, que, qui en pourra venir à chief, il vous en pourra résulter, etc... »

181

réduire une bonne fois ce pays en lobéissance du royaume d'Angleterre.

III

Au moment elle accueillait, comme nous l'avons vu, avec intérêt et complaisance les premières insinuations de Renard au sujet du mariage espagnol, Marie s'occupait d'une autre question qui avait son importance : la question du sacre. Fallait-il se hâter? fallait-il attendre ? Ceux du Conseil insistaient pour un ajournement jusqu à ce que le Parlement eût été rassemblé. Renard, au contraire, pressait la reine d'en finir au plus tôt. Outre que ce pouvait être un moyen de couper court aux complots, elle aurait ensuite tout le temps d'introduire dans le Parlement des prélats catholiques, dont le concours était indispensable pour le rétablissement de la religion. Ce conseil prévalut, et le sacre fut célébré le 1% oc- tobre dans l'église de Westminster, avec une pompe et un éclat merveilleux. Renard, qui y assistait avec ses collègues, raconte qu'Elisabeth y portait la couronne et qu'elle dit bas à l'ambassadeur français qu'elle était bien pesante; à quoi ‘celui-ci répondit : « Ayez patience, elle vous paraîtra légère quand elle sera sur votre propre tête (1) »

Cependant, les partisans de Courtenay, Gardiner à leur tête, redoublaient d'efforts et de pratiques pour détourner la relnc de tout mariage étranger. Il y eut, au sein même du Parlement, une manifestation en faveur de leur candidat, que Renard attribua aux menées du chancelier. L'ambassadeur français leur prêtait un concours actif, moins, il cest vrai, pour servir le prétendant que pour évincer la candidature déjà éventée de Philippe d'Espagne. Afin de s’insinuecr dans la confiance de Marie, il flaltait sa vanité en l’assurant que

(1) Cette particularité n’est pas mentionnée dans la relation du cou- ronnement que le comte de Noailles adressa à son souverain. (VERTO1, PeNn=-197) ;

so

son maître attachait le plus grand prix à l'avoir pour média- trice entre l’empereur et lui. L'’ambassadeur de Venise, Jean Micheli, marchait d'accord avec celui de France (1). La Sei- ogneurie, tout en faisant beau semblant à Charles-Quint, était hostile à tout ce qui pouvait accroître sa puissance, et pré- férait voir ses propres rivages exposés aux attaques de Soli- man-le-Grand, allié de Henri II. Micheli lui-même en fit la déclaration à Simon Renard, qui écrivit à ce sujet : « Tel est l’écoisme de ces Vénitiens, qu'ils lui sacrifient l'intérêt com- mun de la chrétienté. C’est une vraie calamité (2! »

Charles-Quint, que son ambassadeur tenait au courant de cette intrigue, s’en exagéra la portée jusqu à craindre que la reine ne finit par céder. Dans cette prévision, il eut soin de ménager à son fils le pis-aller éventuel d'un mariage portu- gais, en même temps qu'il recommandait à Renard de ne pas trop s’avancer en paroles contre Courtenay, attendu que, dans le cas la candidature de Philippe viendrait à échouer, ce serait lui qu'il appuierait de préférence à tout autre (3).

Mais il avait dans Simon Renard un agent adroit et résolu

(1) Ce fut le 6 septembre qu'Antoine de Noailles fut averti que la reine «avoit voulu escouter la praticque des ministres de l’empereur, pour la marier avec le prince d’Espagne. » Le lendemain il le fit savoir en confidence à Courtenay et lui conseilla ce qu'il avait à faire d’abord pour traverser ledit mariage. Il visita au même effet l'ambassadeur vénitien, qu'il disposa sans peine à le combattre aussi comme très dan- gereux pour sa République. Ant. de Noailles au roi, 22 septembre 19587 (VERTOm AE D 174)

(2) Renard à la reine de Hongrie, 21 octobre 1553. Ant. de Noailles au roi de France, 26 octobre.

(3) Le 15 octobre, l’évêque d'Arras écrivit à Renard, de la part de l'empereur et à l'insu de la reine de Hongrie et de son secrétaire de Praet, que, dans le cas où, après avoir exposé à ceux du Conseil les meilleures raisons en faveur du prince d'Espagne, il les verrait persister dans leur préférence pour Courtenay, 1l s'empressät d’en informer l’em- pereur, sans en faire semblant à personne autre... L’ambassadeur de Portugal près la cour de Bruxelles insistait pour obtenir de l'empereur une réponse favorable, «et, disait Granvelle, l'on lentretient le mieux que l’on peut pour voir ce qui succedéra de vostre négociation afin que

183 qui n’entendait point alors abandonner la partie. Vers cette époque, il rallia lord Paget à la cause de son maître et en recut secrètement des renseignements et des conseils fort utiles (1); et cependant il continuait à s'emparer peu à peu de l'esprit de la reine. Pour suppléer aux entrevues que la prudence commandait de rendre trés-rares et de n’avoir que la nuit, il entretenait avec elle une correspondance par lettres, achve et secrète; il parvint ainsi à lui faire goûter les rai- sons qui rendaient nécessaire un mariage étranger et les motifs de la préférence qu'il sollicitait pour le fils de l’empe- reur. À cet effet, il lui avait adressé, le 11 octobre, un mé- moire dans lequel étaient réunis les arguments pour et contre, pour en faire l'usage que bon lui semblerait, la suppliant très humblement de le prendre en bonne part et de le tenir secret.

Le soir du même jour, après avoir pris connaissance de ce mémoire, elle manda l'ambassadeur, et, dans l'entretien qu'elle eut avec lui, elle reconnut qu'elle ne pouvait épouser qu'un prince étranger, catholique, et qui fût d'âge à lui don- ner certitude d’avoir des enfants et à pouvoir les élever.

Elle lui dit ensuite, ce qu'il savait déjà, que, de tous les ministres, le plus opposé au mariage espagnol était le chan- celer, et lui fit connaître les raisons qu'il invoquait pour l'en détourner, en prenant soin d'affirmer qu'elle ne les admet-

l’un n’empesche l’aultre. Et gardez-vous bien de parler chose qui soit préjudiciable contre ledict Courtenay : car, n’y parvenant ledict prince, peut-être n’y auroit-il aultre pour qui l’empereur voulûüt plus faire... »

(1) Renard à l’empereur, 5 octobre 1553. V. GrirrET, Nouveaux éclair- cissements sur l'histoire de Marié, reine d'Angleterre, p. 69. Cet opus- cule, très utile a consulter, a été composé principalement à l'aide de plusieurs dépêches originales de Simon Renard, des plus intéressantes, qui, vers le milieu du siècle dernier, furent extraites du recueil ma- nuscrit des Ambassades de Renärd en 3 volumes, que possède la biblio- thèque de Besançon, et données en communication au Père Griffet, jé- suite. Celui-ci oublia de les restituer, et le volume qui les avait four- nies en attend encore la reatrée. Heureusement il en existe des copies authentiques aux Archives de Bruxelles et ailleurs. V. LixGarp, Histoire Angleterre t LD. 374.

184

lait pas; elle ajouta que l'ambassadeur français faisait l'im- possible pour le traverser (1).

En ce qui concerne Courtenay, dont elle aimait la famille, à cause des persécutions qu'elle avait souffertes sous le règne précédent, s'il était vrai, comme le prétendit le comte de Noaiïlles, qu’elle eût éprouvé pour lui un sentiment plus tendre et pensé sérieusement à l’épouser, il n’en était plus ainsi. À ceux qui le lui conseillaient pour époux, elle objec- tait « sa grande jeunesse et le peu d'expérience et suffisance qu'il pouvoit avoir au maniement des affaires. » Noailles, qui avait signalé ce fâcheux symptôme à son maître, l'in- forma ensuite qu'il savait de bonne source « que la reine cst en mauvaise opinion de ce seigneur, pour avoir entendu qu'il fait beaucoup de jeunesses, et mesme d’aller souvent avec les femmes publicques et de mauvaise vice, et suivre d’au- tres compagnies, sans regarder la gravité et rang qu'il doit tenir pour aspirer en si haut lieu (). »

Ainsi Renard avait triomphé des dernières hésitations de Marie Tudor, lorsque, le 22 octobre, le chancelier revint à la charge avec plusieurs conseillers, entre lesquels il avait par- tagé les arguments à faire valoir pour mieux en assurer le succès, Marie répondit « de maniere, dit Renard, à couper court ce chemin audict évesque. » :

Elle était d'autant plus mécontente de Gardiner, qu'elle attribuait à ses secrètes menées la résolution que venait de prendre la Chambre des communes de lui présenter une adresse pour la prier de se donner un époux et de le choisir parmi la noblesse du royaume. S'il faut en croire Noailies, ce serait à lui-même et non au chancelier que reviendrait le mérite de cette résolution (3). Quoi qu'il en soit, « Marie, qui avait hérité de la fermeté et de l’obstination de son père, et

(1) Renard à Philippe d'Espagne, 2 octobre 1553. Grirrer, Nouveaux éclaircissements, p. 71.

(2) Ant. de Noaïlles à Henri IL, Le A er et 17 octobre 1554:

(3) Ant. de Noailles à Henri II, 4 novembre

| 185 dont les déterminations se fortifiaient par la résistance au lieu d'en être ébranlées, déclara qu’elle soutiendrait la lutte contre toutes les ruses du ministre (1). »

C’est pourquoi elle fit demander de sa part à l’empereur les conditions et les articles du mariage, afin de les communiquer au Conseil; puis, sans plus attendre, dans la nuit du 30 oc- tobre, elle s'enferma dans son oratoire avec lady Clarence, une de ses suivantes, et Mimon Renard. «Le Saint-Sacre- ment y estoit, raconte celui-ci; la reine me déclara comme, depuis que je lui avois présenté les lettres de Votre Majesté, elle n’avoit dormi, mais avoit toujours pleuré et prié Dieu qu'il la voulût inspirer et conseiller ; se mettant à genoux, elle dit le Veni Creator Spirilus ; miss Clarence et moi fismes le semblable. Après que ladite dame fut relevée, se sentant. conseillée de Dieu qui lui à déjà fait tant de miracles à son endroit, elle me donna le mot de mariage pour Son Altesse devant ledit saint Sacrement, sentant absolument son inclina- tion tendre là. Si elle avoit invoqué le Saint-Esprit, j'avois invoqué la Trinité pour l'inspirer à cette désirée réponse (2). »

Le lendemain, 31 octobre, pendant que l'ambassadeur im- périal écrivait à son maître la relation de cette scène mystique, la reine lui fit remettre un billet tout entier de sa main, pour lui demander si réellement il n'y avait jamais eu « de con- tract touchant mariage » centre Philippe et la princesse de Portugal, et quelle marche elle devait suivre pour entamer l'affaire avec le Conseil (3).

(1) Lincarp, Histoire d'Angleterre, t. IT, p. 388.

(2, Renard à l'Empereur, 31 octobre 1553. Cette lettre curieuse, une de celles qui manquent au volume des dépêches originales de Re- nard, a été reproduite dans l’'£tude sur Simon Renard de Vunière et dans l'Histoire de Philippe IT de H. FoRNERoON.

(3) Voici le texte de ce billet que le P. Griffet a reproduit dans son opuscule, p.73, comme l'ayant copié sur l'original, tout entier, dit-il, de la main de Marie.

« Monsieur, j'avois oublié de vous demander une question l'autre nuit, c'est-à-dire si vous êtes bien asseuré que jamais n’a été quelque

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Sur le premier point, il lui répondit de manière à lever tous les scrupules. Sur le second, il lui conseilla d'appeler avec lui, en sa présence, Gardiner, Paget et d'Arundel, et de leur faire part de la proposition impériale ainsi que des divers avantages qu'elle présentait, sans se déclarer tout à fait déter- minée à l’accepter. Lorsqu'elle eut exécuté cette première partie d'un plan concerté entre lui et Paget, Renard remit à six des principaux ministres, en séance du Conseil, des lettres personnelles que leur adressait l’empereur. Par ces lettres, le monarque, sans leur parler encore du prince son fils, leur demandait d'engager vivement la reine à ne pas tarder davantage de se choisir un époux. Tous se montrerent réconnaissants de cette attention et promirent de faire leur possible pour que la reine se décidât promptement et que son choix fût conforme à l'intérêt de l'Etat et à sa propre dignité ().

Il ne suffisait pas de préparer habilement les voies au pro- jet dans les conseils de la reine, il fallait aussi avoir raison de l'opposition qu’il soulevait au sein du Parlement qui, d’ail- leurs, n’en avait point recu communication officielle. Après avoir différé plusieurs semaines de recevoir les délégués chargés de lui présenter l'adresse préparée par la Chambre descommunes, Marie les fit venir vers le milieu de novembre, et prenant elle-même la parole au lieu du chancelier, elle leur fit une réponse sèche et hautaine qui se résumait en ceci : qu'elle avait bien le droit de se choisir un époux selon son inclination et pour le bien de son royaume, et qu’il n'ap-

contract touchant mariage entre le Prince et la fille du Portugal, pour ce que Île bruit couroit de cela si générallement, vous requérant sur votre fidélité et conscience de m'en écrire la vérité; car nulle autre chose dans le monde ne fera rompre ma promesse à vous faite, durant ma vie, Dieu m'assistant avec sa grace, vous priant aussi de m'envoyer votre avis ea quelle sorte j'ouvrirai cette affaire à ceux du Conseil, car je n’ai point encore commencé avec aucun d'eux, parce que je vou- drois plutôt qu'ils commenceroient avec moi. Ecrit en hâte ce vigil de tous les saints Votre bonne amie, Maure, reine d'Angleterre. » (1) Grirrzr, Nouveaux éclaircissements, p. 75.

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partenait à qui que ce soit d'y trouver à redire. Cette réponse, dont Simon Renard rendit compte à l’empereur, avait sans doute été, comme tout le reste, concertée entre lui et la reine ; elle a plus de vraisemblance que celle, beaucoup plus mesu- rée, que rapporte la dépêche de l'ambassadeur français (1).

Un décret de dissolution compléta ce défi porté au Parle- ment. La Chambre des lords n'avait prolesté que par son silence ; Marie et son conseiller y introduisirent de nouveaux membres ecclésiastiques, pratiquèrent avec succès les sei- oneurs opposants et se créèrent ainsi une majorité favo- rable (%. Pour la nouvelle Chambre des comm unes, on ferait en sorte de l'avoir docile et dévouée.

Restait à évincer le fils du roi des Romains. Marie adressa à Ferdinand une lettre écrite sous la dictée de Renard, dans laquelle la dissimulation le disputait à l'ironie. Elle n’a pu encore, dit-elle, au milieu des graves affaires qui l'occupent, se décider quant au choix d’un époux; ceux du Conseil et du Parlement lui font entendre qu'un mariage anglais vaudrait mieux. Quand elle aura pris un parti, elle s’empressera de l’en informer, et elle ajoute : « N'est besoin d'avoir autre témoignage des grandes qualités et vertus qui sont en Mon- seigneur mon cousin, attendu que les effets et actions le té- moignent assez (3), »

(1) Grirrer, Nouveaux éclaircissements, p. 124. Ant. de Noailles au roi, 24 novembre.

(2) Ant. de Noaiïlles au roi, 30 novembre.

(3) La minute de cette lettre, écrite dans le courant de novembre 1553, est de la main de Renard.

Ainsi que la dépêche du 31 octobre, celles des ?8 et 29 du même mois et des 6 et 8 novembre dont Granvelle äceusa réception à Renard, excilèrent, par l'importance des résultats qu’elles annonçaient, une vive satisfaction à la cour de Bruxelles. Granvelle écrivit à Renard le 13 novembre : « Vous verrez par les lettres que Sa Majesté vous escript le contentement qu'elle a de votre négociation, et certes avec très-grande raison; et encores que Sa Majesté recongnoisse vos peines, travaulx et industrie, de mon coté y tiendray très-volonliers la main,

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e le conténtement que j'ay de la négociation est si grand, que je vous

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IV

C’est ainsi que, sous la direction de Simon Renard et avec son habile concours, Marie Tudor marchait résolument à son but sans le découvrir encore. A la suite de l'engagement qu'elle avait pris devant Dieu d’épouser le prince d'Espagne, elle jugea qu'il était temps de procéder à l'échange des por- traits. Renard fit part de son désir à l'évêque d'Arras, et bien- tôt il reçut de la reine de Hongrie un portrait de Philippe qu’elle possédait et qui était l'œuvre du Titien. La princesse lui recommandait de faire remarquer à la reine d'Angleterre que ce portrait datait de trois ans, et qu à cette époque cha- cun le trouvait ressemblant ; que, depuis lors, le temps et le voyage d’Aussboure à Bruxelles en avaient vieilli la couleur, qui n’était plus celle de l'original, « outre que maintenant il sera plus formé et plus barbu que lorsque le portrait se ER)

Presque en même temps arriva en Angleterre le peintre Antonio Moro; il venait de la part de Granvelle avec mission d'exécuter un portrait de Marie, destiné à son fiancé, le même sans doute que l’on voit aujourd’hui au musée de Madrid ().

voudrove donner de ma part les allébrices (allégresse, réjouissance). » I importait désormais de poursuivre vivement l'affaire. À cet effet, l’'em- pereur se propose d'envoyer en Angleterre quelques-uns des principaux seigneurs flamands, « pour y faire réquisition sollennelle dudit ma- riage, » et coopérer à sa conclusion. Granvelle se charge d'y pourvoir et tiendra la main à ce que «de brief l’on passe oultre en la négociation. »

(1) La reine de Hongrie à S. Renard, 19 novembre 1553. « Pour juger de la ressemblance, il faut voir Le portrait à son jour et de loin, comme sont toutes peintures dudit Titien, qui de près ne se recon=. gnoissent. »

(2) Cette particularité, dont il n'est point question dans les lettres de Granvelle et de la reine de Hongrie, relatives à l'envoi du portrait de Philippe, est rapportée par M. Alfred Michiels dans son ouvrage sur l'art flamand dans l'Est el le Midi de la France. Cet écrivain prétend, page 116, que «le portrait de Marie la sanglante détermina la seconde union de Philippe IL. » À supposer, ce qui n’est pas, que ce soit seu-

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Renard profita de la présence à Londres du grand artiste flamand, pour se faire peindre lui-même, comme plus tard à Bruxelles son épouse Jeanne Lullier; et telle fut l’origine des deux chefs-d'œuvre dont nous avons parlé au début de ce tra- vail, qui décorent le musée de Besançon.

Les soins à donner à ces choses d'art et de sentiment ne nuisaient point à la lutte que poursuivait l'ambassadeur contre les dernières résistances officielles. Dans ses conférences par- ticulières avec les opposants du Conseil et du Parlement, il insistait sur les raisons les plus propres à les détacher de Henri IT et à les ramener à Charles-Quint, sinon à mettre ouvertement leur pays en guerre avec la France : d’une part un dévouement sincère ct désintéressé qui ne demandait qu'une occasion de se montrer et d'agir, de l’autre, une haine héréditaire déguisée sous de faux-semblants d'amitié et n’in-

lement après avoir vu le’portrait de cette reine de 38 ans, que Philippe aurait consenti à épouser l'original, la description suivante qu'en a faite M. Michiels, page 114, d’après la toile conservée au musée de Madrid, expliquerait difficilement cette impression décisive : « On ne croirait pas voir une anglaise; le large front quadrilatéral portant deux coques de cheveux, l'œil enfoncé dans un orbite plein de chair, les demi-sourcils qui partent du centre de la figure et s'arrêtent au milieu de l’arcade, le nez un peu court, les lèvres arquées, les pomettes saillantes, la forte mâchoire, mais surtout l’air de dissimulation, de volonté sournôise et réfléchie, transportent l'imagination au delà du Rhin, en pleine Allemagne. » L'auteur de cette critique semble avoir oublié que Marie était encore moins allemande qu'anglaise, étant née d'un père anglais et d’une mère espagnole.

L'ambassadeur vénitien, J. Micheli, a écrit de Marie : « Elle a été plus que médiosrement belle... Elle est de petite taille; sa personne est maigre et délicate et ne rappelle en rien ni son père ni sa mère. Elle a des yeux noirs et perçants qui inspirent à la fois la crainte et le res- pect. »

« Petite, frêle, ridée, couperosée, avec les cheveux rouges, les yeux gris, le nez large, la voix rude, elle était atteinte d’une maladie de cœur qui lui donnait des étouffements..… et amenait des crises de plu- sieurs jours. » (Forxerow, Histoire de Philippe IT, t. I, p. 24) Ce fut sous ce prétexte, écrit Ant. de Noailles (14 novembre), qu’elle demeura plusieurs semaines avant de recevoir l'adresse des Communes.

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tervenant dans les affaires du royaume que pour y souffler la discorde et l’exploiter à son profit. À l'appui de ces arguments, il semait à pleines mains, au nom de la reine, les promesses, les assurances, les présents et les grosses sommes d'argent envoyées par l’empereur. La conquête la plus importante qu'il ait faite ainsi, fut celle de Gardiner, cet intraitable chancelier qui, le 5 novembre précédent, lui avait témoigné si formelle- ment sa répulsion pour le prétendant espagnol (1).

Tout Ile terrain que gagnait Renard était du terrain perdu par l'ambassadeur français qui, sans cesser d'intriguer et d'agir, était bien forcé de reconnaître les succès de son hahile antagoniste. Il les enregistrait jour par Jour, pour ainsi dire, dans ses dépêches : la négociation pour le mariage de la reine avec le fils de l'empereur se poursuit activement, mais dans le plus grand secret; la disgrâce de lord Courtenay est complète, et sa mère, dame d'honneur de la reine, qui sem- blait ne pouvoir se passer d'elle, a été éloignée du palais; ses partisans sont très irrités; ils ont conspiré pour assassiner Paget et d'Arundel et soulever ensuite le Cornouailles et le Devonshire, afin de forcer la reine à renoncer au prince d’'Es- pagne, ou bien de mettre à sa place Elisabeth et Courtenay. Mais celui-ci, tremblant pour ses jours, recula au moment d'agir, et se serait même réfugié en France, si Noailles ne l'en eût dissuadé; toujours est-il que la prise d'armes a été ajournée (2).

En vuc de calmer cette effervescence et de donner le change aux mécontents, Marie rapprocha de sa personne la mère du prétendant national et le recut lui-même; elle ordonna aussi à ses ministres de faire bon accueil à l'ambassadeur francais, qui, du reste, ne se laissa pas prendre à ce jeu. Dans une conférence qu'il eut avec lord Paget, il soutint, nonobstant toutes dénégations, que le mariage était arrêté et qu'il était

(1) Grirrer, Nouveaux éclaircissements, p. 81. (2) Ant. de Noailles au roi de.France, 9 et 14 novembre.

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plein de menaces pour le roi de France. « La reine, écrivait-il, a telle et si extrême affection pour l'effet de son mariage, qu’elle en oublie toutes aultres choses, pour venir au but de l'exécution d'icelluy, étant si fort possédée, non seulement de l’empereur, mais encore de son ambassadeur qui est icy, qu'il n’est presque journée qu’il n’aille en la chambre de la dite dame, seul, lui parler une ou deux heures; et encore, oultre qu'il y ait esté le soir ou le matin, il ne laisse quel- que fois de lui envoyer lettres (1). »

En effet, Marie était pressée d'en finir. [1 y avait quelques semaines déjà que Renard avait recu les « conditions et arti- cles » qu'elle avait fait demander à Charles-Quint et qu'il fal- lait faire accepter au Conseil et au Parlement, pour arriver à la conclusion du mariage. Chacun de ces articles s’appuyait sur des explications destinées à détruire les objections qui ne manqueraient pas de s'élever et à forcer l'adhésion des plus récalcitrants. Les principales garanties offertes par l'empe- reur étaient les suivantes : Philippe n’aura de la royauté que le titre et laissera le pouvoir à la reine ; nul étranger ne pourra posséder des charges dans Le royaume; les lois et les privilèges de la nation seront inviolables ; les enfants mâles qui naïîtront de Philippe et de Marie hériteront non-seule- ment de l’Angleterre, mais aussi de la Bourgogne et des Pays-Bas. En attendant, on promettait la réunion prochaine des Pays-Bas à l'Angleterre. Ces articles et conditions furent d'abord proposés à l'examen du Conseil dont la grande majo- rité s'était ralliée aux projets de la reine. La discussion ne souleva aucune difficulté sérieuse, et, à part quelques modifi- cations de détail, on tomba d'accord sur tous les points. En- suite, la reine assembla un grand nombre de lords et, par son ordre, le.chancelier leur donna lecture des propositions iImpé- riales, en y joignant un exposé des négociations qui avaient précédé ei des grands avantages que comportait l’union pro-

(1) Ant. de Noaiïlles à Henri IT, 14 décembre 1553,

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jetée. S'il en faut en croire Noailles, la lecture et les com- mentaires furent accueillis par un silence glacial (1). Mais Marie n’en considérait pas moins son mariage Comme irrévo- cablement arrêté. C’est pourquoi, renoncant au secret dont elle avait entouré jusque ses rapports avec l'ambassadeur impérial, elle l’'envoya chercher à trois heures après-midi, le 17 décembre, et lui annonca que, de l'avis de son Conseil, elle entendait traiter désormais avec lui sans aucun mys- tère (2).

Tout étant prêt pour la conclusion du mariage, l'empereur fit partir de Bruxelles l'ambassade extraordinaire qu'il avait préparée à cet effet. Elle se composait du comte de Lalaing, des sieurs de Corrières et de Nigry et du comte d'Egmont, qui en était le chef, avec une suite de soixante à quatre-vingts gentilshommes. [ls arrivèrent à Londres le 2 janvier 1554. Simon Renard crut remarquer que le peuple de la capitale leur avait fait bon accueil et l’écrivit à son maître. L’ambassa- deur français, au contraire, qui, grâce aux intelligences qu'il avait avec les mécontents, connaissait mieux les dispositions populaires, raconta avec plus de vraisemblance que le peuple « leur démontra petite faveur et réjouissance, de façon quil se jugeait évidemment que l’occasion de leur venue en ce pays n’étoit agréable à ceux de cette nation, ce que lesdicts seigneurs ont assez clairement congneu (3). »

Après avoir été reçus par la reine en audience publique, les ambassadeurs extraordinaires entrèrent en conférence avec les ministres, ct, le 12 janvier, le traité de mariage fut conclu, signé et échangé de part et d'autre. Deux jours après on en fit publication dans toute l'étendue du royaume.

(1) Ant. de Noailles à Henri II, 15 décembre 1553. (2) Renard à l’empereur, 17 décembre. V. Grirrgr, p. 127. (3) Ant. de Noailles à la reine d'Ecosse, 3 janvier 1554.

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V

Ce mariage, «qui portoit avec soy si grande jalousie, » comme écrivait Granvelle (1), et que tant d'obstacles faisaient généralement considérer comme impossible, frappa de sur- prise ou de dépit les diverses cours de l'Europe et couvrit de gloire le nom de son principal auteur. Admiré de tous, investi de la confiance absolue de ses deux souverains, comblé de leurs félicitations et assuré de leur gratitude, Simon Renard, au milieu des vives jJouissances de son orgueil et de son am- bition, pouvait aspirer plus haut encore (?).

Mais si dans le monde officiel le succès était complet, en serait-il de même dans le public, que travaillaient sans cesse les partis politiques et religieux avec l’aide de l'étranger ? Que l’heureux négociateur se soit fait quelque illusion sur ce point, il est permis d'en douter, quand on le revoit, presque sans transition, préoccupé du complot qu'il avait entrevu dans l'ombre et signalé déjà, et manifestant la crainte qu’il _ne vienhe, par une soudaine explosion, anéantir en quelques heures le fruit de son labeur, et ensemble la gloire et la for- tune qui devaient en être le prix. Cette conspiration se tramait

(1) Granvelle à Renard, 14 janvier 1554. En lui transmettant les féli- citations et les éloges de l’empereur, il le félicite et le loue pour son propre compte, mais avec une restriction très significative et sur la- quelle nous reviendrons : « Gräces à Dieu du succès de l'affaire que vous et mot et aulires avons conduite! »

(2) Le 7 janvier 1554, Philippe écrivit à Renard pour lui exprimer sa gratitude. On voit par cette lettre que l'ambassadeur a pris soin de le tenir au courant de la négociation, de lui envoyer copie des articles, de lui indiquer l'endroit le plus favorable pour son débarquement en Angleterre, et de désigner à son choix le présent qu'il se proposait d'envoyer offrir à la reine. « Persuadé, lui dit le prince, que votre zèle et vos efforts n’ont pas peu contribué à l’heureuse issue de cette négo- ciation, je m'empresse de vous en témoigner ma gratitude, vous assu- rant en outre qu'elle a singulierement accru, comme la raison le vou- lait, mon ancienne bienveillance à votre égard, et me fait désormais de ce sentiment un devoir impérieux. »

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depuis longtemps, comme en fait foi la lettre de Noailles du 14 novembre précédent. Les dépêches qui suivirent le traité de mariage montrent à la fois l'étendue et la gravité de la conspiration, les rapports des ambassadeurs de France et de Venise avec les conjurés, et combien le premier désirait leur obtenir de son maître un secours effectif (l). Renard ne se trompait donc pas ; il pensait même, ainsi que ses collègues

(1) « Cette commune (la ville de Londres) en augmente sa fureur (de la conclusion du traité de muüriage), parlant d’icelluy plus licentieuse- ment et avecques plus de scandale, et se promet de le détruire. Toute la noblesse, hormis quelque nombre de ceux qui sont à lentour de la- dite reine, suit cette voie... » M. d'Oysel, ambassadeur de France en Ecosse, à Henri Il: de Londres, 14 janvier 1554. Il dit que quel- ques-uns même du Conseil sont très mécontents de ce qui s'est fait et que depuis deux ou trois jours « le sieur James Crot et sir Thomas Wiat, qui est ung autre gentil chevalier et fort estimé parmi cette na- tion, sont entrés en espérance qu'ils les tireront à leurs propos. »

Antoine de Noailles confirme ces informations qu'il avait lui-même communiquées en partie à M. d’Oysel, et ajoute : « Il est bruit que le prince d’Espagne a déjà fait voile...., qui est cause de faire advancer et prendre les armes à ceux qui délibèrent le chasser, lesquels je n'ai

encores vu si prêts de faire quelque bon effect pour achever leur en- .

treprise qu’aujourd'huy....; et je vois s'apprester une telle subversion et trouble parmy ce peuple, qu'elle ne sera aysée à esteindre, et crois certainement que pour peu que les principaux d’icelle soyent confortez et secouruz, qu'ils viendront au bout de leurs desseins. » …... « Et ce qui me donne encore plus d'espérance, est qu'ils ont recouvert à eux le comte de Pembroke qu’ils avoient perdu, comme j’ai écrit par cy devant, (c’é- tait une erreur). Au roi, 15 janvier.

Les conjurés demandent à Noailles « que les seigneurs et capitaines ayant charge au long des costes de Normandie et de Bretagne, » soient à leur poste pour surveiller le passage du prince d'Espagne « et rece- voir les advertissements que les susdits leur donneront. » .…. Et que Villegagnon et quelques autres capitaines de marine se tiennent à portée des ports de Cornouailles, pour être en communication avec eux, « les confortant dextrement avec tels moyens et langage » que le roi jugera utile à ses propres affaires.

Noailles désire savoir « s'il plaît à Sa Majesté de faire quelque entre- prinse des places et'lieux les susdits personnaiges se pourront adresser pour luy donner leurs intelligences et l’advertir d'heure à aultre de ce qu'ils exécuteront. » Au roi, 15 janvier.

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d'ambassade, que l'explosion n'attendrait pas que le mariage fût accompli.

En conséquence, ils pressaient l’empereur de leur faire par- venir les pleins pouvoirs de Philippe et la dispense du Pape, afin que du moins le comte d'Egmont püt, comme il en avait recu mission, épouser la reine par procuration. Ils insistaient aussi sur le parti qu'on pouvait tirer de nouvelles largesses distribuées à propos, et ils préparaient une liste de person- nages à gratifier, notamment ceux qui avaient fait bon office dans la négociation du mariage. D'autre part, et d'accord avec l’empereur, 1ls recommandaient à la reine une surveil- lance rigoureuse à l'égard des suspects, avec plus de modéra- ion dans les affaires religieuses, et lui conseillaient d’enfer- mer Elisabeth à la Tour et d'envoyer sous un prétexte Cour- tenay à la cour de Bruxelles (1).

Les prévisions qui avaient dicté ces instances et ces con- seils ne se réalisèrent que trop tôt. Onze jours après la publi- cation du traité de mariage, le 25 janvier, une insurrection éclata sur quatre points du royaurue à la fois, sérieuse sur- tout dans le comté de Kent, elle avait pour chef un gen-

; tilhomme brave et déterminé, Thomas Wyat. On savait à la cour d'Angleterre aussi bien qu’à la cour de France que le but de cette insurrection était de renverser Marie Tudor et de placer sur le trône Elisabeth avec lord Courtenay (?). Elle avait pour adhérents plus ou moins actifs Lous ceux qui ne voulaient ni d'un prince espagnol, ni de la restauration catholique déja commencée par la reine. Elle comptait sur

_ l'assistance effective du roi de France, dont Noailles avait

| donné l'espoir aux principaux chefs, et un navire de la ma- | rine vénitienne devait lui débarquer plusieurs canons.

La prise d'armes avait été fixée pour le jour le prince espagnol débarquerait en Angleterre. Mais Courtenay, soit

(1) Les ambassadeurs à l’empereur, 18 janvier 1554. (2) Ant. de Noailles au roi de France, 15 janvier.

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peur, soit prudence, recula une seconde fois et vint tout révé- ler au chancelier; cette trahison forca les conjurés à précipi- ter la crise (D. Wyat marcha sur Londres, dont la population sympathisait avec lui et lui avait fourni de nombreuses re- crues. fl était, si l’on en croit Noaïlles, à la tête de 7 à 8000 hommes et de plus de soixante canons de marine que lui avait livrés le vice-amiral Winter; il arriva jusqu’à une lieue de la capitale, sans que la petite armée de la reine ait rien pu tenter pour arrêler ses progrès (?).

Cette marche hardie jeta le trouble et la discorde dans le Conseil. Les ministres, ne sachant quel parti prendre et quel conseil donner à la reine, affectaient lâchement de dire en public que, loin d’avoir jamais conseillé un mariage étran- ger, ils s’y étaient toujours montrés contraires, et, dans le particulier ils rejetaient les uns sur les autres la responsabi- lité des malheurs dont on était menacé. L'inquiétude et lem- barras du comte d’Egmont et de ses collègues étaient grands aussi. Ils se retirèrent « dans deux ou trois logis joignant lun l’autre 83), » et de écrivirent à l'empereur deux dépêches chiffrées, pour l’informer de ce qu'ils savaient touchant létat

(1) « Courtenay a découvert l’entreprise qui se préparait en sa faveur;

si bien que les entrepreneurs ont été forcés de prendre les armes six _ à huit semaines avant l'époque fixée. Thomas s’est mis en campagne hier, et ses forces augmentent d'heure en heure... Ceux sur qui la reine croit pouvoir compter passent à l'insurrection... Elisabeth s'éloigne de plus en plus; on dit qu'elle a déjà assemblé des gens à sa dévotion; sa sœur s’en défie et lui écrit souvent... On ne sait ira la reine... Il est probable que le passage d'Angleterre à Boulogne sera bientôt inter- CEPIÉ On s'attend à un mouvement dans Londres... » Noailles con- seille à son maître de ne faire aucun tort aux Anglais en courant sur leurs terres (Calais) ou autrement, « mais, dit-il, au contraire de leur faire el souffrir par les vostres, sous main, tout plaisir et bon traite- ment. » Dépêche de Noailles à Henri Il, du 26 janvier 1554, inter- ceptée par Renard.

(2) Ant. de Noailles au roi, 28 janvier, et 4 février.

(3) L'inquiétude est grande parmi les étrangers, mais surtout parmi les impériaux. Le comte d'Egmont et ses collègues se sont retiré dans deux ou trois logis joignant l’un l’autre... » Ant. de Noailles au roi.

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des affaires ct lui représenter la nécessité d'envoyer au se- cours de la reine des troupes de terre qu'il consentit enfin à promettre (1). Deux jours après, sur le conseil de ses minis- tres, Marie donna congé aux ambassadeurs impériaux, bien qu'ils lui offrissent de rester près d’elle et de mourir, s’il le fallait, pour son service. Ils sortirent précipitamment de Londres, le {°° février, assaillis par les imprécations popu- laires, et s'embarquèrent à l'entrée de la nuit sur des vais- seaux marchands (2). Arrivés à Flessingue, ils complétèrent par une nouvelle dépêche la relation de leur fâcheuse aven- ture (3).

Sur ces entrefaites, Wyat s'était emparé du faubourg de Southwark, situé au midi de Londres. Les ponts avant été rompus, 1} comptait sur un soulèvement pour entrer dans la ville. Renard, avec son intelligence et son énergie accoutu- mées, soutint le moral de la reine, releva celui des ministres, et leur dicta la conduite à tenir. Après un essai de négocia- tions tenté pour gagner du temps et qui d'ailleurs n’aboutit à rien, lant les exigences de Wyat élaient inadmissibles, la reine se rendit à l'hôtel de ville, elle avait convoqué une assemblée générale. Là, prenant elle-même la parole, elle prononça une harangue si habilement conçue, pour regagner la confiance et rendre W yat odieux, qu'elle enleva les applau- dissements de l'auditoire. Ge fut un succès décisif : le lende- main ct jours suivants, pendant qu’on faisait publier dans tout le royaume que la tête du chef de la révolte était mise à prix, les bourgcois de Londres allèrent en grand nombre grossir l'armée royale.

W yat alors comprit qu'il fallait se hâter et payer d'audace, d'autant plus que le manque d’argent et de vivres, joint au

(1) Dépêches chiffrées des 27 et 29 janvier.

(2) Renard à l'empereur, 8 février. Ant. de Noaïilles au roi, 1‘ et 3 février.

(3) Les ambassadeurs à l’empereur, de Flessingue, 3 février. (Nou- veaux éclaircissements, p. 136 et suiv.)

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changement survenu dans Londres, éclaircissait son monde. . Etant donc parvenu à passer le fleuve avec une troupe peu nombreuse, il s'avanca dans la plaine de Saint-James, le comte de Pembroke et lord Clinton s'étaient retranchés avec environ 12,000 hommes et de l'artillerie, et se disposa à les attaquer (1).

A cette nouvelle, les ministres recommencèrent à perdre la tête. Ils firent réveiller la reine à deux heures du matun pour lui proposer de monter en bateau et de pourvoir à sa sûreté par la fuite. Marie fit venir aussitôt l'ambassadeur Renard pour avoir son avis. Il lui dit que fuir c'était tout perdre et qu’elle devait rester dans Londres jusqu'à la dernière extrémité. Pembroke et Clinton, qu'elle consulta de même, lui donnèrent un conseil analogue, ajoutant qu'ils répon- daient de la victoire. Ce parti plaisait à son caraclère: elle s’y arrêta résolument et n'eut pas lieu de s'en repentir. Le 9 février, Wyat fut mis en pleine déroute et vint se faire prendre aux portes de Londres. Sur les autres points, lin- surrection échoua devant l'indifférence des masses et la fidé- hté de la noblesse, et en moins de quinze Jours l’ordre ma- tériel fut partout rétabli (2).

Renard pouvait à bon droit réclamer sa part dans l'heu-

(1) Ant. de Noailles à M. d'Oysel, 13 février 1554.

(2) « Wyat pensant les forces de ladite dame n’estre telles et pensant les conjurez et hérétiques devoir prendre son parti, comme homme désespéré, print le chemin de Saint-James sans ordre, et poussa jus- ques en la ville avec trois ou quatre cents hommes: et les gens de Îa- dite dame mirent en fuyte et déroute les autres rebelles, en prirent prisonniers jusqu'à quatre ou cinq cents, en tuérent environ deux cents, en blessèrent autant ou plus. Ledit Wyat fut pris à la porte de la ville, tous les capilaines tués... Et ainsi Dieu donna victoire à ladite dame sans perdre que deux hommes et,trois qui furent blessez, qu'est miracle évident. »

Renard loue la belle conduite de la noblesse dans cette bataille et nomme les seigneurs les plus marquants. Il accuse Courtenay et le comte de Worcester de s'ètre tenus sur les derrières de l’armée royale, « Sans coup frapper, » répandant l'alarme autour d'eux et répétant que

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reuse issue de cette aventure. Aussi est-ce avec un visible contentement de soi-même qu'il informe l'empereur que ceux du Conseil se sont mis avec lui dans les termes d'une fami- liarité tout amicale et « confessent que la seule constance de ladite dame a causé la victoire, car, se retirant de Londres, l'état de tout le royaulme estoit perturbé et en danger de ruyne (1). »

Il voyait avec joie le calme se rétablir, Wyat et son entre- prise tomber dans la défaveur publique, comme il arrive sou- vent aux causes vaincues, un grand nombre de seigneurs se prononcer pour le mariage espagnol et le peuple lui-même revenir, en apparence du moins, de ses préventions contre Phitippe. Selon lui, la crise périlleuse qu'on venait de traver- ser aurait tourné à l’affermissement de la royauté nouvelle, à la condition toutefois d'en prévenir le retour par des me- sures promptes et éncrgiques, savoir : supplice des princi- paux coupables et rupture avec:le roi de France, sinon avec Venise. Marie, qui avait juré de se montrer impitoyable, en- voya d'abord à l'échafaud Jeanne Gray et son époux, ceux qui le méritaient 1e moins, étant restés complétement étran- gers à la dernière révolte, et dont le seul crime était d’avoir eu l'un et l'autre un père ambitieux et rebelle (2). Renard demandait aussi la tête d’'Elisabeth et de Courtenay,; mais comme il n'était pas démontré qu'ils cussent trempé dans la conjuration dont ils devaient, en cas de succès, recueillir le fruit, la reine voulut pour eux une procédure régulière. En attendant, on se contenta de les tenir en lieu sûr, ainsi que plusieurs autres grands coupables (3).

nm

les rebelles avaient l'avantage et que tout était perdu, « qu'a été sin- gulièrement noté. » Renard à l’empereur, 8 et 9 février. Voir aussi Nouveaux éclaircissements, p. 145 et suiv.

(1) Renard à l'empereur, 9 février 1554.

DRben?MEnriIer.

(3) Courtenay fut arrêté chez le comte Sussex et emprisonné; ce fut la reine qui le fit savoir à Renard (mi-février).

Elisabeth, retirée dans un de ses châteaux, y avait rassemblé des

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La complicité des Français et des Vénitiens était manifeste. Les deux ambassadeurs n’en vinrent pas moins féliciter la reine de sa victoire sur une cause qui était la leur. Marie, conseillée par ses ministres, dissimula de même. Comme la Seigneurie continuait à faire montre de bonne amitié et reje- tait sur les passions personnelles de l'ambassadeur l'attitude qu'il avait pu tenir dans les derniers troubles, on fit semblant de croire à ces assurances. Antoine de Noaiïlles, accompagné de son frère François, qui était venu en Angleterre pour une mission spéciale, recut de la reine un accueil plein de cour- toisie (1). Henri IT ne lui avait pas commandé cette démarche; lorsqu'il en connut le résultat, il loua sa hardiesse intelligente et le lui fit écrire par le connétable (2. Seulement la démarche avait été tardive, et, trois jours auparavant, Simon Renard croyant à une abstention de sa part, l'avait signalée à l’em- pereur comme un aveu de sa complicité et de son dépit. Ilen concluait que le moment était venu de le renvoyer et de mettre les Anglais en guerre avec son maître, qui du reste

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gens et se mettait en état de défense : « Elle est malade, écrit Renard .

(9 février), et, par rapport que l’on a, elle dépend plus de victuailles en huict jours qu'elle ne souloit faire en cinq mois. »

Elle rentra à Londres le 24 février. « Madame Elisabeth arriva hier habillée tout en blanc, avec grande compagnie de gens de la Royne et des siens. Elle avoit faict descouvrir la litière pour se monstrer au peuple, ayant visage poli, pâle et haultain, pour desguyser les regrets qu'elle a. La Royne ne la voulut voir et la fit loger en un quartier de sa maison duquel elle ne peut sortir, ni ses serviteurs, sinon qu'ils passent parmi la garde... L'on conseille à la Rovyne de la faire mettre en la Tour, puisqu'elle est accusée par Wyat, nommée par la lettre de l'ambassadeur français, et qu’il est certain que l’entreprise étoit en sa faveur. Et certes, Sire, si, pendant que l’occasion se présente, la Royne ne la saisit, elle ne sera jamais en sureté, car j'ai peur que la dame Elisabeth soit tirée de prison quand la Rovne partira pour le Parle- ment, et que par trahison on ne la délivre, ou Courtenay, ou tous deux, qui seroit pire. » Renard à l’empereur, 24 février. V. Vonière, Etude sur Simon Renard, et Grirrer, p. 150.

(1) Ant. de Noailles à Henri II, 17 février. |

(2) Le connétable à Ant. de Noaïlles. 27 février,

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s’y attendait, comme ses lettres en font foi(t). Mais si disposée que fût Marie Tudor à suivre ce parti, elle s’en laissa détour- ner par le Conseil et par l’empereur, qui lui firent com- prendre qu'il importait avant tout de mener à bonne fin l'union commencée et de fermer la bouche à ceux qui accu- saient Charles-Quint d’avoir voulu par cette union s'assurer les secours de l’Angleterre dans sa lutte contre Henri IT.

Il fut convenu qu’on surveillerait de plus près les démar- ches de l'ambassadeur français. Celui-ci ne tarda pas à s’en apercevoir, et d’ailleurs la reine ne lui laissa pas ignorer combien elle était irritée contre son maître et contre lui. Dans son audience du 1°" mars, elle lui reprocha avec colère d'avoir encouragé et soutenu la dernière rébellion et de tenir encore la même conduite avec certains complices de Wyat réfugiés en France. Antoine de Noailles nia tout ce qu'il put, promit entière satisfaction sur le reste et s'empressa d'écrire au con- nétable par quelle fourberie on pourrait rendre sa promesse illusoire (?).

(1) Renard, aux raisons qu'il faisait valoir pour amener cette rup- ture, ajoutait cette considération, qu'il savait de bonne source que les princes allemands, unis au roi de Danemarck, préparaient pour le printemps prochain une prise d'armes contre l’empereur, sous prétexte qu'il n’observait pas les traités, refusait de leur donner ce qu’il leur avait promis, et négligeait les affaires de l'Empire. Naturellement le roi de France « pratiquoit » avec eux, et l’on assurait même que le roi de Bohême était de la « menée. » Renard à l'empereur, 14 février.

(2) « Je me suis Geslogé depuis quelques jours de la maison de la Chartreuse, dont, comme je crois, l'on m'a voulu getter par opinion que je négociois trop secrettement, et m'a ladite dame baillé ceste- cy de Bridoel entre laquelle et le logis du chancelier, n’a que la rivière à passer. » Dépêche sans date d'Ant. de Noailles au connétable, tune 1311:

Le plus important des complices de Wyat réfugiés en France était un certain Caro, qui conspirait encore, et que la reine voulait absolument « recouvrer. » À ce propos, Antoine de Noailles écrivit au connétable, dans la lettre citée ci-dessus : « Et me semble, Monseigneur, que pour leur fermer la bouche et oster toute occasion d’estre les premiers à se plaindre, que si ledit Caro n’a encores moven d'entrer à son entre prinse,.qu'il seroit bon le faire receller en quelque lieu, et estant as-

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VI

Au commencement de mars, Charles-Quint voyant l’auto- rité de la reine restaurée et la tranquillité générale rétablie, chargea le comte d'Egmont de retourner en Angleterre avec la ratification des articles et la procuration du prince Phi- lippe qui le déléguait pour épouser Marie en son nom. Simon Renard, qui accompagnait ce seigneur dans ses démarches officielles et lui prêtait au besoin l'autorité de sa parole, ra- conta à l’empereur, dans ses dépêches des 4 et 8 mars, les audiences solennelles que lui donna la reine, sa visite au conseil des ministres et la cérémonie du mariage « par mois de présent » qui fut célébrée par le chancelier, évêque de Winchester, en présence du lieutenant d'Amont ct des mi- nistres, dans une chambre du palais le Saint-Sacrement était exposé (1).

Peu après, le comte d'Egmont s'embarqua pour l'Espagne, afin de hâter la venue de Philippe et de lui faire cortège à son débarquement.

Il s'en fallait beaucoup que le calme fût rentré dans les esprits, comme Simon Renard Pavait cru d’abord, et que le peuple acceptât les faits accomplis. Il voyait de mauvais œil les complices de Wyat conduits par centaines au g1bet ou à l’échafaud, nobles seigneurs et simples gentilshommes, capi-

seuré de sa personne, satisfaire à son ambassadeur, qui est par delà, de toutes commissions et aultres faveurs qu'il pourra demander pour le chercher et prendre, jusques à le faire crier par les villes et lieux ils disent qu’il habite, si besoin est. » t. III, p. 136.

(1) Après que le comte d'Egmont et le lieutenant d'Amont eurent été introduits, la reine se mit à genoux et dit qu'elle prenait Dieu à témoin qu'elle n'avait jamais consenti à épouser le prince d’Espagne par au- cun sentiment de cupidité ou d'affection charnelle, mais uniquement pour l'honneur, le bien et le profit de son royaume, pour le repos et la tranquillité de ses sujets, et que ce mariage ne l’empêcherait jamais de garder inviolablement le serment qu'elle avait fait à la couronne le jour de son sacre. (GRIFFET, p. 156 ct suiv.)

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taines et soldats pris les armes à la main. Le chef, après en avoir chargé plusieurs, entre autres Elisabeth et Courtenay, se rétracta sur l'échafaud (t), et la foule, vivement impres- sionnée par ses rétraclations, crut qu'ils étaient innocents. Toutefois la reine et ses conseillers n’en tinrent aucun compte, notamment en ce qui concernait la princesse, sa sœur, et le duc de Devonshire, qui durent passer en jugement et dont le sort fut décidé plus tard.

À en croire Antoine de Noailles, Marie Tudor était altérée du sang de ses sujêts (2); au lieu qu'il est plus vrai de dire qu’elle était hésitante et portée à temporiser, à ce point que Charles-Quint et son ambassadeur se crurent plus d'une fois obligés de la stimuler par leurs avis et leurs remontrances (3), Quelle que fut sur ce point sa part d'initiative, l'opinion pu- blique n’en rejeta pas moins l’odieux sur elle et, par suite, sur son royal époux. Dès le lendemain du mariage par procu- ralion, le lundi 9 mars, à Londres, deux ou trois cents en- fants qui sortaient des écoles se partagèrent en deux troupes, « dont ils appelaient l’une l’armée du roi et de M. Wyat, et l’autre, celle du prince d'Espagne ct de la royne d’Angle-

terre. » [ls engagèrent entre eux une mêlée furieuse qui dura _ jusqu’à ce que le prince d'Espagne fût pris et conduit au gibet,

« et sans quelques hommes qui tout à propos y accoururent, ils l'eussent estranglé, ce qui se peut clairement juger par les marques qu'il en à et aura encore d’icy à longtemps au col. » La reine, très mécontente, fit passer les plus jeunes par le

(1) Le 8 avril 1554.

(2) « Au surplus je vous dirai, Sire, comme elle ne laisse vivre un seul homme qu’elle pense seulement lui devoir troubler son Estat, comme il se put voir encore hier par Thomas Gray, frère du feu duc de Suffolk, qui eut la tête coupée. » Ant. de Noailles au roi, 29 avril.

(3) « Certes, Sire, j'ay continuellement admonesté ladite dame pour le prompt chastoy des prisonniers et donné Thucydide translaté en françois, pour veoir les conseils qu'il donne et les punitions que l’on doibt faire des rebelles. » Renard à l’empereur, 17 mars 1554. (Dé- pêche citée par Vunière, £tude sur Renard.)

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fouet, mettre les plus grands en prison, et voulait même, à ce qu'il paraît, « que l’un d'eux soit sacrifié pour tout le peu- ple (1). »

À ces causes de mécontentement s'ajoutait la question reli- gieuse. Marie, dont Simon Renard et l’empereur, d’après son conseil, modéraient en cela l’impatience, ne procédait que par degrés à la restauration catholique. Elle commenca par faire rétablir par le Parlement les choses en l’état les avait lais- sées Henri VIIF, avec la messe et la liturgie, et prit le titre de suprême chef de l'église d'Angleterre et d'Irlande (®). Mais les protestants et l'ambassadeur francais avec eux, sachant bien qu'elle ne s’en tiendrait pas là, poussaient le peuple à se revolter au nom d'Elisabeth et de Courtenay, et, pour le surexciter et l’attrouper dans la rue, avaient recours aux im- postures les plus étranges (3).

(1) « Par là, vous pouvez voir comme le prince d’Espagne sera le bienvenu dans ce pays, puisque les enfants le logent au gibet. » Le protonotaire François de Noailles au connétable de Montmorency, 12 mars 1554.

(2) Ant. de Noailles à Henri IT, 23 avril.

(3) « J’ay su comme les hérétiques du lieu ont appelé en une maison de Londres une femme et un homme pour mutiner le peuple, leur ayant faict dire que l’on ouiroit une voix contre une paroy, qu'estoit une voix angélique ; que quand on luy disoit : Dieu garde et saulve la Royne Marie! l’aultre ne répondoit ; et quand on disoit : Dieu garde madame Elisabeth! l’auitre répondoit : Ainsi soit-il! Puis luy interro- geait-on ce que c'étoit que la messe ? l'aultre répondoit que c’étoit une idolàtrie ; et sur cette invention se sont assemblés plus de dix-sept mille hommes autour de la maison, à onze heures du matin. Le Conseil a envoyé l’amiral Paget avec le capitaine des gardes, et l’on a prins l'homme et la femme pour entendre d’où vient cette invention que chacun juge avoir esté faicte pour favoriser les prisonniers, mesme la dicte dame Elisabeth qui est arrêtée à la Tour (elle en devait sortir à la mi-mai), eslever le peuple contre la Royne. exciter les hérétiques et troubler le royaulme. » « £a femme qui faisoit la voix, qui s’appe- loit Elisabeth Crofts, fut trouvée dans sa cachette; elle avoua qu’elle avoit été payée pour jouer son rôle et fut mise au pilori... » Dépêche de Renard à l’empereur, citée par Vunière (Ælude sur Renard) et par Grirrer (Nouv. éclaircissements, p. 178). :

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Cette agitation renaissante, ces symptômes de nouveaux troubles portèrent la dissension dans le Conseil. Plusieurs ministres, principalement l'amiral Paget et le grand major- dome, comte d’Arundel, en rejetèrent la faute sur le chan- célier, l’accusant auprès de la reine de ménager les plus hautes têtes, celles d'Elisabeth et de Courtenay, par exemple, et de frapper inutlement des centaines d’autres victimes. Simon Renard, qui partageait leur avis sur ce point, et qui de plus reprochait à Gardiner «sa chaleur exhorbitante pour les choses religieuses, » en revint bientôt à considérer la situation comme très-menacçante. Ne sachant comment faire pour donner à l’empereur les garanties qu'il ne cessait de demander pour la sûreté de son fils en Angleterre, il lui écri- vit le 14 mars : « Quand je considère l’état présent des affaires de la reine et du royaume....., mon esprit est tellement trou- blé, que je n’apercois aucun moyen de rassurer parfaitement Votre Majesté, et que je suis prèt de succomber sous le poids de ses commandements. Je vois en même temps que les choses sont présentement trop avancées pour pouvoir reculer, et qu'il faut bien se contenter d'agir sur des espérances, sans exiger des cautions et des garanties que l’on ne peut jamais obtenir (1), »

Pour comble d'embarras, l'argent manquait, et tel était le peu de confiance qu'inspirait au dehors la royauté restaurée de Marie Tudor, qu'on ne put amener les banquiers d'An- vers à consentir en sa faveur un prêt de 100,000 écus, dont la reine de Hongrie elle-même se portait caution.

L'évêque d'Arras, que Renard tenait au courant de tout, lui demandait avec inquiétude s'il v avait réellement danger à faire venir le prince Philippe, et faisait appel à tout son dévoue- ment pour la reine. « Je crains, disait-il, quand je voys la bonne royne d'Angleterre entourée de ceux qui la servent si divisez …..» [l recommande à l'ambassadeur de lui parler

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(1) V. Nouveaux éclaircissements, p. 180.

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« dextrement » de l'emprunt qu'on n’a pu réaliser, sans cepen- dant « la désespérer. » Il faut qu'il la conseille et l’encourage et qu'il ait à lui des gens fidèles et dévoués pour donner plus d'autorité à ses paroles et à ses actes, et pour veiller à sa sûreté personnelle (1).

Contrairement aux appréhensions de son ambassadeur et de son premier ministre, Charles-Quint se persuadait que la présence de son fils remédierait au mal, et le pressait de quit- ter l'Espagne. Sur ses instances, la cour d'Angleterre con- sentit à s'occuper avec lui des préparatifs et des mesures que réclameraient à son arrivée les convenances et la dignité du prince, comme la süreté de sa personne. Renard, que son office auprès de la reine absorbait tout entier, pria son maitre de confier à un autre le soin de cette importante affaire, et l'empereur lui adjoignit son ancien collègue d'ambassade, Jean de Montmorency, sieur de Corrières, qui arriva au commencement de mai. Déjà la flotte qui devait aller au devant du royal époux était prête, et les seigneurs choisis par Marie, d'accord avec l'ambassadeur impérial, pour faire parte de sa maison, avaient prêté serment de fidélité entre les mains de ce dernier (?). Afin de mieux les gagner, et avec eux d’au- tres personnages influents, à la politique de Charles-Quint, Renard distribuait des sommes d'argent, en attendant les largesses, présents et pensions, que Philippe, disait-il, se réservait le plaisir de leur donner de ses propres mains. Il insinuait à chacun l'espoir d'être compris dans la liste que l'empereur avait demandée à cet effet; c'était là, pensait-on, un moyen de leur faire désirer la prompte arrivée du prince.

La conduite du nouveau Parlement, réuni le 15 mars, compensa dans une cerlaine mesure le peu de contentement que la reine et son conseiller intime recevaient d'autre part. S'il refusa de leur donner satisfaction sur certaines demandes

(1) 2 avril 1554, (2) Ant. de Noailles au connétable, 31 mars 1554,

907 trop hardies, il se montra conciliant dans les questions reli- gieuses, et lorsque le chancelier lui présenta le traité de ma- riage avec les articles et conditions, il Ie jugea si avantageux à tous égards, qu'il le vota sans opposition.

Avant de se séparer, il accueillit avec une extrême faveur le discours de clôture que Marie en personne prononca devant lui. On cria six fois avec ensemble : « Dieu sauve la reine! » et tous lui donnèrent l'assurance que le prince son époux serait reçu en Angleterre avec tout le respect à son rang'l).

Cependant le Conseil était plus divisé que jamais, et cette division produisait Les effets les plus alarmants. On en jugera par le tableau suivant que Renard et son collègue tracent à leur maître dans leur dépêche du 20 mai 1554 :

« La discorde du dit Conseil est si grande, si découverte, si tendue les uns contre les autres, qu’ils oublient le service de la Reine pour penser à leurs rancunes et passions parti- culières, tellement que l’on ne fait rien, si ladite dame ne le commande expressément. Paget est avec les hérétiques contre le chancelier et les catholiques : aïant advis la dite dame que ledit Paget et ceux de son parti s’arment et que, s'ils peuvent prévenir, ils s'empareront dudit chancelier (?); et, d'autre part, ledit chancelier avec ses adhérents s'arment au vu ef su de la dite dame et lui conseillent de partir le plus tôt qu'elle pourra de cette ville, et de mettre en la Tour le comte d'Arundal et Paget, pour ce que l’on entend que le dit comte

(1) Renard à l’empereur, 6 mai 1554. V. Nouveaux éclaircissements, p.189:

(2) Antoine de Noailles écrit au roi, le 19 mai, que Gardiner a pris l'avantage sur ses adversaires et « qu'il a fait tomber le sort sur Paget, de façon que celui-ci a été contraint.se jetter à genoux devant la royne. avec la larme à l'œil, ce qui ne l’a su toutefois garder d’être fort re- cullé. » Il croit que l'ambassadeur de l’empereur « a tenu en cet en- droit le pa:ti dudit chancelier. » Le lendemain Simon Renard et son collègue informaient leur maitre que Paget, suspect de connivence avec Elisabeth et les hérétiques, s'était attiré de la part de la reine des paroles sévères.

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fortifie un château qu'il a près de la mer et lève plusieurs gens de chevaux sans l'autorisation de la dite dame, et que, de jour à autre, il y vient plusieurs soldats en ce lieu de Londres par quatre ou cinq, et que Paget pralique plusieurs gentils- hommes pour les divertir de l'affection de la dite dame. Outre ce, moi, le lieutenant d'Amont, j'entends que l’on est averti des espions qu'ilse brasse une grande révolie, tellement, Sire, que cette discorde ne se peut apaiser sans grand trouble, et, dans ce cas, il vaut mieux que ce soit avant la venue de Son Altesse qu'après ; et l'on ne saurait s'imaginer l'inconstance de ceux de par decça, ni la confiance qu'ils donnent à ceux qui les veulent tromper. »

Les ambassadeurs ajoutent que les hérétiques et les Fran- cais sement « placards et billets les plus scandaleux et sédi- tieux qui sont esté vus, par lesquels ils disent estre temps de

_ prendre les armes en main pour la liberté du royaulme. » La reine en a trouvé dans sa chambre et jusque sur sa table ; ils étaient remplis d'injures et de menaces contre les Espa- gnols, contre son époux et contre elle-même, Ils eurent pour premier effet de susciter des assassins résolus à la poignar- der (1).

Ce fut au milieu de ces luttes et de ces provocations que se dénoua le procès d’Elisabeth et de Courtenay. On ne pouvait nier leurs intelligences avec les rebelles ; la reine et Renard

(1) Avec leur dépêche du 20 au 25 mai 1554, les ambassadeurs Re- nuard et Montmorency envoyerent à l’empereur une ballade dirigée contre Philippe et Marie, « qui a esté trouvée par les rues, qu'est un ditlé le plus scandaleux et séditieux qui soit esté vu. »

Ant. de Noaïlles écrivait au connétable, le 13 mai : « On a trouvé de- puis quelques jours tout plein de lettres semées par le logis de ceste royne et jusques dans sa propre chambre, parlant au désavantage de ladite dame et de ses principaux conseillers. » Elle fait crier et pu- blier tous les jours par la ville qu'il y aura cent écus de récompense pour qui fera connaitre ceux qui les ont fabriquées ou répandues. « Toutefois j'ai entendu que, nonobstant tout cela, ceste nuit mesmes il s’en est trouvé de plus injurieuses. »

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les croyaient assez coupables pour mériter la mort. Mais Gar- diner, en s’appuyant sur l'insuffisance légale des preuves, fit * prévaloir l'opinion contraire, de sorte que, pour tout châti- ment, ils furent séquestrés, lui dans le château de Forth- ringhay, elle dans celui de Woodstock. Les ambassadeurs im- périaux raconterent à ce propos que lorsque Elisabeth sortit de la Tour pour sa nouvelle destination, le peuple de Londres, la croyant rendue à la Liberté, en manifesta sa joie en tirant trois coups de canon sur son passage, au grand déplaisir de la reine et du Conseil (1).

Marie s’affligeait non seulement de tous ces désordres, mais aussi du retard de son époux et du silence qu'il gardait avec elle. Elle en perdit le repos et tomba malade ; elle parut à Renard «envieillieet fatiguée, » au point de lui faire craindre, dit-1l, « qu'elle ne puisse porter enfant. » Prenant en dégoût le séjour de Londres, elle partit à la fin de mai, avant le mo- ment conseillé par l'empereur et l’évêque d'Arras, et se rendit à Richemond, accompagnée d'une cour nombreuse figu- raient, à côté de Simon Renard et de Gardiner, lord Paget et le comte d'Arundel. Alors, selon l'ambassadeur français, Renard régnait absolument sur l'esprit de la reine, et Paget, devenu suspect, en était à regretter la part qu’il avait prise à ce mariage (?).

La veille de son départ, Marie recut le comte de Noailles, qui avait demandé audience, sans autre objet, dit Renard, que de voir « si elle étoit bien disposée non.» Comme il se plaignait du peu de correspondance que trouvait son maitre à son désir de continuer à vivre en paix avec la reine, elle lui

(1) À l'empereur, du 20 au 25 mai 1554.

(2)>@La royne est encore à Richemond....……. L'ambassadeur ancien (Renard) demeure près de la dite royne en telle faveur et autorité, que les plus grands du pays en ont déjà murmuré, mesmes d’aucuns qui ont esté deslogez pour luy; et dadvantage j'ay sceu de bon lieu que Paget déclara naguères à un sien amy se repentir bien fort d'avoir tenu la main à ce mariage. » Ant. de Noailles à Henri IE, 5 juin.

ù 14

210 répondit sèchement « que le roy de. France et ses ministres avoient témoigné peu d'affection et d’inclination à la paix, et qu'elle ne voudroit avoir fait les actes dont elle s’est aperçue, : pour tous les royaumes du monde, pour le bien de sa con- science. »

A ces paroles sévères et bien méritées, Noaïlles entra dans une grande colère, I s'en prit au chancelier et, par la violence de ses reproches, l'obligea à lui dire des vérités non moins dures : sur quoi il demanda au roi son rappel et écrivit à Renard de lui obtenir un sauf-conduit de l’empereur. Mais ce ne fut que plus tard qu'il fut relevé de ses fonctions(1). De cet incident Renard concluait avec satisfaction que la guerre entre la France et l'Angleterre était inévitable (?.

NE

Il paraît qu'après le départ de la reine, les scènes de désordre et de violence que nous avons rapportées plus haut, avaient cessé et que les deux ambassadeurs étaient plus rassurés. En effet, ils écrivirent de Richemond à l'empereur (fin juin) que bien qu'il existât de nombreux éléments de troubles, on pou- vait espérer qu'il n y aurait pas de révolte à Londres, et que, par conséquent, ils se disposaient à partir pour Southampton, le prince devait débarquer, afin de voir à ce que tout fût

(1) Fin mai 1556.

(2) Les deux ambassadeurs à Charles Quint, fin juin 1554. Noailles se vengea de Marie par les médisances qu'il écrivit sur son compte. «Il lui semble que tout le monde veut empescher la consommation du mariage..…….; elle est en continuelle el extresme colère contre presque tous les siens, et mesme est mal contente de son propre mary qui tarde tant avenir L'on m'a dit que quelques heures de la nuit elle entre en telle resverie de ses amours et passions, que bien souvent elle se met hors de soï....., ce qui vient du déplaisir qu’elle a de voir sa per- sonne si diminuée... » La crainte que l'affaire ne tourne mal fait que «toutes les heures elle change d'advis et opinions, de sorte que en son fait n'a que toute incertitude; qui m'a contraint par cy-devant vous donner plusieurs advis divers et contraires. » Au roi, 17 juin.

211 préparé pour fui faire une réception digne de son rang. Renard avait emprunté à ceteffet une somme de 4,000 écus, en outre de celles qu'il avait déjà employées à de nombreuses lar- sesses (1).

Philippe allait donc enfin arriver. Mais il importait qu'il démentit par sa conduite en Angleterre les bruits fâcheux que la malveillance faisait courir sur son compte. C’est pour- quoi Simon Renard rédigea pour lui, sans doute sur l’ordre de la cour de Bruxelles, un plan de conduite qui témoigne à la fois de sa parfaite connaissance du terrain épineux et mou- vant sur lequel son prince allait s'engager, et fait le plus grand honneur à son tact et à sa prévoyance (2). Aux sages ct utiles conseils que renferme ce remarquable document, il en joignit

(1) « Pour aiguiser le cueur des principaulx et assurer la venue de Son Altesse, » l'ambassadeur Renard avoit offert pension de 2000 écus anglais (soit 3000 florins) aux comtes de Pembroke, d’Arundel, Derby et de Shrewbury, et de 1000 écus français au comte de Sussex, à lord Dower, au grand trésorier, au contrôleur et au secrétaire Wodon, et 000 écus à Walgrave, à Englishfield et aux gouverneurs de Calais et de Guines. Il distribua en outre pour 4000 écus de chaines d’or. Déjà l’empereur avoit fait un présent de 5000 écus à plusieurs gentilshommes

êt officiers, qui avoient aidé la reine dans la dernière insurrection.

(insiruclion pour le prince Philippe, dans les Papiers d'Elal, t. IV, juin ou juillet.)

@) « I convient que Son Altesse, entrant en ce royaume, accarasse toute la noblesse et soit conversable avec elle; qu'il se fasse voir sou- vent au peuple, qu'il démontre ne se vouloir autrement occuper de l'administration du royaume, sinon la remectre au Conseil, et luy re- commander justice et police; et accarassant les nobles, parlant avec eux quant l’occasion s’en présentera, les menant à la chasse, usant de libéralité, il n’y a doubte que non-seullement ils obéiront et aimeront Son Altesse, mais l’adoreront.

» Îlem, conviendra faire démonstration requise envers le peuple, luy confirmant espoir de bénignité, justice et liberté.

» Îtem, pour ce que Son Aïltesse ne scait le langage anglois, il sera expédient choisir un truchement, pour deviser et parler avec eux, et se parforce d'apprendre quelques motz d'anglois pour les saluer...

» Et convient que Son Altesse forme un conseil de personnages ex- périmentés et de diverses nations, qui perpétuellement entendent aux affaires d'Etat, ct qu'il se confie en Paiget, qu'a esté instrument avec

212 un autre qui les complète et qui revient plus d’une fois dans sa Correspondance : celui de ne rien précipiter dans les affaires religieuses, comme s'il eût prévu que c'était un écueil contre lequel iraient échoucr les efforts qui lui restaient à faire pour l'achèvement de son œuvre.

Cependant les préparatifs étaient terminés ei Philippe n'ar- rivait pas On annoncait que la peste s'était déclarée sur les navires destinés à l'accompagner dans sa traversée, et qu'au port de la Corogne, l'embarquement devait avoir leu, les vivres pour les hommes et les chevaux manquaient égale- ment. De des délais sans fin. D'autres nouvelles non moins alarmantes arrivaient des Pays-Bas, l’empereur, à la suite de la prise de Marienbourg par le connétable de Mont- morency (1), avait subi, disaient les hérétiques et les Francais, une véritable déroute. À Plymouth, la discorde régnait centre les flottes impériale et anglaise, réunies dans ce port pour attendre le prince espagnol. Les matelots et soldats de Charles- Quint étaient maltraités par ceux de la reine, et son amiral

l'ambassadeur pour conduicte et direction du mariage, qui est homme d'esprit. »

Conseil d'amener le duc d’Albuquerque, qui a laissé d'excellents souvenirs en Angleterre, et qui pourrait rendre de grands services par la connaissance qu'il a du royaume et des personnes.

« Jlem, il ne convient nullement que Son Altesse souffre venir dames d'Espagne par deçà pour maintenant.

» Îlem, il ne convient que aucuns souldars des navires désembar- quent en terre, pour éviter la suspicion dont les François font courir le bruit, que Son Altesse veult par force conquérir le royaume.

» Îlem, pour se plus asseurer, Son Altesse pourroit traiter avec les seigneurs et nobles qui viendront avec luy, que, au Leu des pages et laquetz, ils prengnent souldars qu'ilz habilleront de leurs livrées pour, s'il estoit besoing, s’en ayder, et qu’ilz ayent arquebutes ès cofres.

» Îlem, que les nobles portent leurs armes, soubs couleur de la guerre qu'est entre l'Empereur et le roy de France.

» Îlem, que Son Altesse désembarquant soit armée à couvertement.

» Îlem, que les navires demeurent à l'entour des ports... » [ns- truclion pour le prince Philippe.

(1) Mi-juin 1554.

213 de La Chapelle, abreuvé de dédains par l'amiral Howard lui-même et à bout de vivres, commençait à perdre palience. Il s'en plaignit à Renard, qui fut obligé d'emprunter 5000 écus pour lui remonter le môral et le ravitailler (1).

Simon Renard s'alarmait avec raison des conséquences que pouvaient avoir lous ces contre-temps. « La Reine entre en désespoir, » écrivait-il à son maître. « Ccux du parti opposé ont temps et moyen de maligner..., et certes je n'ose particu- lariser davantage le changement que le dit retardement pour- roit causer...» Et plus loin : « La noblesse ct le peuple en- trent en désespoir sur les nouvelles que répandent les Fran- çais des affaires de V. M. On dit qu'elle a fait le mariage pour y remédier...…, tellement que les visages changent et les volontés sont incertaines...….. [l y a plusieurs particuliers mal affectionnés que les présents pourront changer; je fais mon possible pour contenir et entretenir les principaux @). »

Enfin Philippe débarqua à Southampton , le vendredi 20 juillet 1554, accompagné des plus grands seigneurs espa- gnois, entre autres les dues d’Albe et de Medina-Cœæli, l'Ami- rante de Castille, le ministre Ruy Gomez, etc., chacun d'eux

“avec une suite nombreuse. Il y trouva une cour brillante de gentilshommes anglais, choisis, sur les indications de Simon Renard, pour former sa maison. Avant qu'il mît pied à terre, le comte d’Arundel lui présenta solennellement l'ordre de la Jarretière, ct, les jours suivants, il recut de la part de son heureuse épouse deux diamants, un poignard arlistement ouvragé et orné de pierres d’un grand prix, et deux robes dont l’une était, selon Renard, «autant belle ct riche que l’on sau- rait estimer. »

Marie était venue au-devant de Philippe jusqu'à Winches- ter. Ce fut que le prince, à peine débarqué, lui fit porter par le comte d'Egmont, avec l'hommage de sa royale affec-

e

(1) Renard à l’empereur, ? et 4 juillet, (2) Mêmes dépêches.

*

214

tion , l’avis officiel de son arrivée. Le lendemain, Renard se rendit de sa part près de la reine et du Conseil, pour prendre connaissance des mesures arrêtées concernant la célébration du mariage; et, quatre jours après, le mercredi 25, le ma- riage fut célébré dans la cathédrale par l’évêque chancelier Gardiner, «en grande célébrité et solennité, racontent les ambassadeurs impériaux, au contentenient du peuple et des seigneurs qu'ils y ont assisté, comme ils en ont fait démons- tation, et ne saurions exprimer par ceste lettre la bonne grace que Son Altesse a représentée en tout et partout; l'ayant préavertie que comme ce royaume est populaire, aussi con- vient-il accarasser le peuple, pour contenir l'ambition et in- constance de la noblesse (1). »

Avant la cérémonie, l’évêque avait lu à haute voix l’acte par lequel Charles-Quint donnait pour dot à son fils le royaume de Naples et le duché de Milan. Gette lecture, si l’on en croit Renard et son collègue, fut écoutée par les seigneurs avec les marques d’une vive satisfaction (2).

Le lendemain, le Conseil fut admis à présenter ses hom- mages à Philippe et à lui demander ses instructions pour l'avenir. 11 en recut l'accueil le plus courtois, et, ce qui pro- duisit surtout la meilleure impression, ce fut d'entendre le prince déclarer qu'il était venu pour travailler au bien du royaume et non pour rien changer aux lois et au gouvernc- ment, et que c'était à la reine que le Conseil aurait à s'adres- ser comme par le passé.

L'atütude de Philippe, lors de son entrée solennelle dans la capitale G), au milieu d'un brillant cortège de grandes dames anglaises et de seigneurs, confirma ces premières impressions. Renard affirme que le peuple de Londres, qu’on avait d’abord trompé sur son compte, fut saisi à sa vue «d’étonnement et

(1) Les ambassadeurs à l’empereur, 26 juillet. (2) Même dépèche. (3) Le 17 août.

d'admiration, tellement que le jugement qu'il a fait est d'avoir un bon prince, beuin, humain, d'espoir de justice et de police, et demeurant fort satisfait de sa personne (1). »

Il ne faut pas oublier les largcsses que, suivant la liste préparée à cet effet, Philippe répandait parmi les membres les plus influents du Conseil, de la noblesse et du clergé; elles aidèrent beaucoup à le rendre populaire aussi bien dans les provinces que dans la capitale.

La nouvelle de ces heureux débuts combla ‘de joie la cour de Bruxelles; l'empereur, dans sa gratitude pour la grande part que Renard y avait eue, fit donner à son courrier cent éeus à titre « d’allébrices (?). »

VILI

La mission de Renard et de son collègue semblait terminée. Montmorency demanda son congé à Philippeet l’obtint, mais il ne part't que longtemps après. Simon Renard ne put obte- nir le sien de l’empereur, qui lui fit écrire par Granvelle et lui écrivit lui même que sa présence en Angleterre était plus utile au roi son fils que partout ailleurs, « pour la connais- sance » qu'il avait « des personnes et des humeurs de par delà (3). »

A l’appui de sa demande de rappel, Simon Renard disait que pour ce qui restait à faire, tout autre que lui en viendrait facilement à bout. Ce n’était qu'un prétexte, car il voyait bien qu'il ne suffirait pas d'avoir placé le fils de son souve- rain auprès de Marie Tudor sur le trône d'Angleterre, mais que pour tirer de ce magnifique succès les conséquences reli- gieuses et politiques qui en devaient sortir, il fallait Jui don- ner solidité et durée. Si donc il sollicitait son congé, c'était

E_—

(1) Renard à Charles-Quint, 23 août.

(2) Granvelle à Renard, 30 juillet.

(3) Renaril à Charles-Quint, 23 août. Charles-Quint à Renard, septembre.

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évidemment afin de se soustraire à cette nouvelle tâche qui était, non moins que la première, entourée des difficultés les plus graves. La preuve en est dans la correspondance qu’il conlinua avec sa cour, pendant les longs mois qu'il lui fallut encore demeurer à son poste.

Dès la fin d'août, tout en répétant que Philippe était très- sympathique aux Anglais et que ceux-ci témoignaient une grande affection au couple royal, « à moins pourtant qu'ils ne dissimulent, » Renard signalait avec inquiétude à l'em- pereur les progrès de la discorde au sein du Conseil, l’antipa- thie des Anglais pour les Espagnols, la colère des hérétiques, les pratiques des Francais.

La rivalité d'ambition et d'influence qui régnait entre le chancelier d’une part, le comte d’Arundel et lord Paget d'autre part, divisait toujours le Conseil et paralysait la marche des affaires. Rien de ce qui s’y traitait n'était tenu secret. On y passait le temps en discussions, en récrimina- tions stériles. Gardiner et ses amis accusaient Paget de tra- vailler à lui faire retirer les sceaux, pour les donner au car- dinal Pole. Le lord trésorier Paulet, fort de ses- bons services et de l'appui de Renard, défendait sa place contre les préten- tions rivales du comte d'Arundel et de lord Paget (1). Les ambassadeurs impériaux entreprirent de faire cesser ces dis- sensions, mais ils avaient affaire à des hommes beaucoup plus soucieux de leurs intérêts propres que du bien public; ils n’aboutirent à rien K).

Les Anglais et les Espagnols ne s’entendaient pas mieux. Les premiers évitèrent d’abord tous rapports avec les seconds, si bien que ceux-ci ne trouvaient pas même à se loger chez

(1) Renard continuait à prêter à Paget des relations mystérieuses avec l'ambassadeur de France. Il raconte à ce sujet l'aventure du se- crétaire de cet ambassadeur qui, un soir, à dix heures, tomba dans un fossé il se füt tué, saïs le secours d’un des serviteurs de Paget, qui se trouva fort & point. A l'empereur, fin août 1554.

(2) Renard à l'empereur, du 15 au 20 octobre, et du 23 novembre.

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les habitants de Londres. Aussi beaucoup de seigneurs de la suite du roi se hâtèrent-ils de partir pourles Pays-Bas, et il n'en resta que quelques-uns pour accompagner leur maître à son entrée dans Londres; encore ceux-ci menacçaient-ils de suivre l'exemple des autres. Simon Renard fut très-contrarié de ce brusque départ; «ils se plaindront, écrivit-il à l'empe- reur, de ce qu'ils ont été en ce commencement traités plus durement qu ils n’eussent pensez, et craindrais que par icelles doléances, une inimitié ouverte et perpétuelle n’en ressortît et de préjudiciable conséquence (1). » Il se passa près de deux mois avant qu'il püt annoncer à son souverain que, grâce à certains arrangements conformes « au naturel de la nation anglaise, » la noblesse, toujours émerveillée « des vertus et de l'humanité du Roi, » commençait enfin à s'entendre et à converser avec les Espagnols, et que ceux-ci n'avaient plus à se plaindre, en fait de logements, que de l’excessive chèreté

des loyers. Il ne fallait plus, à son avis, que l'hiver, avec ses _fètes et ses grands bals de cour, pour rendre le rapprochement complet. Mais ce n'était qu'une agréable illusion destinée _ à s'évanouir bientôt (?).

Malgré les déclarations qu'avait faites Philippe en faveur de la liberté religieuse, les protestants n'avaient pas cessé de croire aux projets de restauration catholique que nourrissait la cour, et de voir dans l'influence espagnole une menace ter- rible suspendue sur leur tête ; et déjà, comme pour leur donner raison, l’évêque de Londres, le fougueux et intolérant Bonner,

(1) & Il y aura bien à faire pour les accorder, écrivait Renard à Charles-Quint, par la faulle du langage et pour estre les Anglois tels que je les ay deschiffrés à V. M., abhorissant les estrangers, n’estant accoutumez d'en voir si grande multitude, aiant faiel plusieurs des- trousses et larcins sur eulx en désembarquant, et sur les chemins, estant mal et estroitement logez. » 93 août.

(2) « Ainsi, Sire, les choses se vont accommoder, à quoy sert la sai- sonud'hiver et ce que en la cour l'on y danse souvent, que les Espa- gnols et Anglois commencent à converser entre eux. » Renard à l'empereur, 18 octobre 1554.

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venait de préluder aux persécutions, en annonçant par un mandement l'établissement de l’Inquisition, avec son nom ct ses formes, dans toute l’étendue de son diocèse (1). Plusieurs paroisses de la capitale protestèrent contre les articles (c’est ainsi qu'on appelait le mandement), à quoi l’évêque répondit qu'il était accordé aux intéressés jusqu’au novembre pour venir à résipiscence. « On est fort mécontent ici, écrit en sub- stance Renard à Granvelle, et je crains qu'il n’en soit de inême ailleurs. fl s’est tenu dans les halles des assemblées, l’on a mal parlé des articles et du chancelier; les souve- rains eux-mêmes n'y ont pas été épargnés; c'est cependant à leur insu que Bonuer a lancé ses articles et sans avoir de- mandé l'autorisation ou l'avis du Conseil. Mais comme ils ont été imprimés avec privilège de la Reine, les mécontents en attribuent linitiative à leurs Majestés ; ils annoncent même que le roi veut s'emparer de la Tour de Londres (?). »

Au milicu de ces éléments de désordre, « les Francais ne dormoient en pratiques, » comme l'avait écrit Renard dès la fin du mois d'acût. Leur ambassadeur et l'ambassadeur de Venise, son acolyte, soufflaient la défiance et l'irritation parmi les hérétiques, entretenaient de nombreux espions, qui allaient médisant des Espagnols et semant de fausses nouvelles, pour indisposer le peuple. Leur but était, comme Renard le croyait avec raison (3), de susciter de nouveaux troubles dans le pays et de se Joindre à l’un des partis pour renverser Marie, chas-

(1) Septembre.

(2) Renard à Granvelle, du 15 au 20 octobre.

(3) « Comme je vous puis assurer, tous les sujets, tant grands que petits, sont aussy malcontents de ce mariage, qu'ils furent oncques, n'attendant que l’heure qu'il y ait quelqu'un si gentil entrepreneur que de se mettre aux champs, pour le suivre tous d’un bon vouloir, et de chasser de ce royaume ce nouveau prince qu'ils ont à contre cœur autant que toutes choses au monde, et me semble que si le roy n’eust si tost rompu son camp comme il à fait (après sa victoire de Renty sur l’empereur), que cela leur eust toujours accru davantage cette bonue volonté qu'ils ont de remuer ménage quand ils en auront la commo- dité. » Ant. de Noailles à M. d'Oysel, 12 septembre 1554:

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ser Espagnols et Impériaux et placer sur le trône soit Elisa- beth, soit même la jeune reine d Ecosse, Marie Stuart, fiancée au dauphin de France. Ce n’était d’ailleurs que la continua- tion de cette politique d'intrigues et de cabale que le comte de Noailles avait inaugurée à la mort d'Edouard VI, et que l'ambassadeur de Charles-Quint avait tant à cœur de paraly- ser. Rien donc d'étonnant que, grâce à l'influence de son infa- tigable adversaire, Noailles ait été le seul des ambassadeurs étrangers à ne recevoir aucune invitation pour la cérémonie du mariage royal et que, lors de lentrée solennelle de Phi- lippe dans la capitale, la reine l'ait fait dédaigneusement en- gager par ses ministres à se Joindre au corlège. On en usa tout autrement avec l'ambassadeur de Venise, tant on craignait, à Londres et à Bruxelles, d'indisposer la puissante Seigneurie.

Si mérité que fût cet affront, Noailles le sentit et s’en plai- onit à Gardiner, ce qui ne l’empêcha pas d'aller offrir $es « congratulations » à la reine d’abord, au roi époux ensuite, en son propre nom, n'ayant recu de son souverain, confes- sait-il, ni Commission ni lettre à cet effet. Il donna et recut des assurances de bonne amitié aussi pen sincères d’un côté - que de l’autre (1). C’est pourquoi, lorsqu'il demanda un enga- sement formel d'observer les anciens traités conclus entre les deux royaumes, Philippe répondit qu'il suivrait en cela l'exemple des Français, « pourvu toutefois qu’on ne lui four- nit pas occasion du contraire (2), » faisant sans doute allusion aux avis que Renard avait recus, touchant les armements con- sidérables, les impôts supplémentaires et les emprunts du roi de France, ainsi que «la pratique» qu'il menait en Alle- magne.

(1) Ant. de Noailles au connétable, 18 août 1554; à Henri Il: 26 aoutet 9 décembre. « ….. Me souvenant toujours de ce qu'il a plu à Votre Majesté me commander, d'entretenir les choses en cet estat et paistre ceux-cy de mesme viande et en telle dissimulation qu'ils me repaissent, comme à la vérité ils font toujours... »

(2) Charles-Quint à Renard, 1°" septembre 15834,

220

Toutefois, si, dans la pensée de Charles-Quint, il valait mieux, pour affermir son œuvre en Angleterre, faire la paix avec la France que de chercher à allumer la guerre entre les deux nations; si c'était sincèrement qu'il chargeait le chan- celier Gardiner et le cardinal Pole de s’entremettre pour cet objet; Henri IT, de même que le connétable, n’était pas aussi absolument opposé à toute idée de réconciliajion que le pré- tendait Simon Renard, et, tout engagé qu’il était avec les mé- contents et les conspirateurs, il n’entendait pas pousser à bout les souverains anglais. La preuve en est dans une dépêche datée du » novembre, par laquelle son ambassadeur raconte avec une réelle salisfaction l’accueil presque cordial que la reine à fait à son frère, le protonotaire, lorsqu'il le lui pré- senta en qualité de négociateur pour la paix, et conseille, comme moyen d'obtenir des conditions plus avantageuses : d'inquiéter le gouvernement anglais par de nouveaux ar- mements et de nouveaux succès en Italie, de montrer d'autant moins d’'empressement à traiter que les impériaux en montrent davantage.

IX

I est vrai que, vers ce temps-là, se présentaient des con- jonctures également faites pour encourager la politique que l'ambassadeur de Charles-Quint défendait à outrance, et pour inspirer au roi de France ct à ses conseillers des dispositions pacifiques : on publiait officiellement que la reme Marie était enceinte.

Déjà, dès le milieu d'octobre, Renard avait écrit à l'empe- reur : « Et si ie bruit de la grossesse de la reine se confirme, comme il y a quelque apparence, la succession au trône étant assurée, toutes querelles et controverses de ce royaume seront apaisées (1); » et, six semaines plus tard, au roi des Romaius :

(1) 18 octobre 1554.

221

« La reine se trouve déjà fort enceinte, ayant senti l'enfant, ayant les signes des mamelles et autres extéricurs si probables, que l’on ne doute plus(l). » Le cardinal Pole qui rentrait alors dans sa patrie avec le tre de légat et la double mission de replacer le royaume sous l'autorité du Saint-Siège et de réconcilier l’empereur et le roi de France, salua publique- ment la reine par ces paroles sacrées : «Ave Maria; benedicta tu in mulieribus et benedictus fructus ventris tui(?). » Ensuite une circulaire, signée de onze des principaux seigneurs du Conseil, fut adressée aux évêques pour les inviter à faire chanter le Te Deum dans toutes les églises, en actions de grâces de cette grossesse, «et, portait la circulaire, à comman- der qu’en tous les services divins qui se feront, l’on prie pour la prospérité et conservation de la royne, du roy et de leur fruict, afin qu'il nous puisse estre rendu en son terme, pour nous estre après elle vray successeur et héritier de ceste cou- ronne (3). » L'espoir d'avoir prochainement un prince héritier s'empara des esprits et engendra un enthousiasme général. Antoine de Noailles n'était pas éloigné d'y croire (4 ; pour son maître, 1l chargea le protonotaire de dire à la reine qu'il .tenait à savoir si la grossesse était certaine, qu'il le désirait vivement et se réjouirait de l’apprendre (5).

Ce fut au milieu de cette joie publique que s'ouvrit la nouvelle session parlementaire (6), et que le cardinal-légat saisit la chambre de la question religieuse qu'il avait charge de faire résoudre. Simon Renard, qui redoutait la précipita-

(1) 30 novembre 1554.

(2) « Je vous salue Marie.…., vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni. » Fornerow, AHisloire de Phi- hippe IL, t. I, p. 5%.

(3) -Circulii-e du 27 novembre; Vertor, t. IV, p. 29.

(4) « Je vous dirai d'avantage, Sire, comme la dicte dame nous a par toutes ses contenances fait tacitement congnoislre qu’elle estoit en- ceinte. » Ant. de Noailles à Henri IT, 5 novembre 1554.

(5) Renard à l'emperenr, 23 novembre.

(6) Le 16 novembre.

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tion et les moyens violents au service de la restauration catho- lique, s’efforcait de modérer sur ce point l’impatence de ses souverains et leur avait fait différer près d’une année la ren- trée du noble cardinal. « C'est bien assez, écrivit-il à Philippe, d'avoir rétabli la messe; pour le reste il faut attendre encore et tenir compte de l’état du royaume (l). » À la fin de no- vembre, le légat trouva les esprits d'autant mieux disposés, qu'il apportait une déclaration longtemps sollicitée, par la- quelle le souverain Pontife confirmait la sécularisation des biens des anciens couvents entre les mains des détenteurs actuels (2. I obtint du Parlement un bill d’obédience au Saint-Siège; ensuite il leva, au nom du pape Jules II, toutes les censures antérieurement prononcées, et donna l’absolution au Parlement et au royaume.

Le dimanche 2 décembre, une messe solennelle fut célé- brée à Saint-Paul de Londres. Le roi y assista avec le légat, en présence d’une multitude que la grande basilique avait peine à contenir. L’évêque chancelier y prêcha sur l’heureuse restauration qui venait de s’accomplir et rétracta publique- ment l’adhésion que le roi Henri VITE lui avait arrachée, lors de sa rupture avec Rome. Renard affirme qu'on ne remarqua dans l'assistance aucun signe de mécontentement, et qu'il y eut au contraire manifestation de contentement et & allégresse, tant de voir le roi et le légat, que d'entendre la rétractation du chancelier (3). L’ambassadeur: francais qui, faute d’invita- tion, n'avait pas assisté à la cérémonie, n’en donna à sa cour qu’une relation sommaire, qui ne peut nous servir à contrôler celle de Simon Renard en ce qui concerne l'attitude et les

(1) 15 octobre. Dès le 13 novembre 1553, Renard, sur l’avis de Paget, avait écrit à Bruxelles : « Il ne convient pas que, pour mainte- nant, le cardinal Pole approche d'avantage ; » cet avis fut adopté.

(2) « Cette confirmation est grande besogne et de grand exemple pour la République chrestienne et principal fruict du mariage de la dite dame. » Renard au roi des Romains, 30 novembre 1554.

(3) Renard à l'empereur, 21 décembre 1554.

223 manifestations de l'assistance (l). On peut croire néanmoins que, s’il se fût produit quelque incident fâcheux, il n'aurait pas manqué de le savoir et de l'écrire.

Le Parlement, poursuivant la restauration religieuse, an- nula toutes les lois et décisions contraires, qui dataient des deux derniers règnes, et donna force de loi aux articles de l’évêque de Londres. Il montra moins d'empressement à faire au roi époux la situation politique que demandaient avec lui la reine, l'ambassadeur impérial et les courtisans. Il lui refusa la succession au trône ctle couronnement (?), et ne Jui accorda que des pouvoirs et des prérogatives délimités, de telle sorte qu'il lui serait interdit de disposer à son gré des finances et des forces du royaume. Antoine de Noaiïlles fut heureux de sionaler à sa cour le profond mécontentement qu'en ressen- tirent les deux souverains et l'avantage qui devait en résulter pour les affaires du roi de France (/.

(1) Ant. de Noaiïlles à Henri IT, 9 décembre.

(2) À propos du couronnement, Renard écrivait à l'empereur des le 23 novembre : « Plusieurs n’en sont pas d'avis, comme emportant un effeet trop plus grand en ce royaume que ailleurs. On pense que le Par- fement ny consentiroit pas... »

L'ambassadeur français raconte ainsi les tentatives qui furent faites à cette fin : « Ces jours passés, il y eut un personnage de la haute chambre auquel il sembla, pour ne perdre temps, devoir porter (comme il fit) une billette à la basse,par laquelle il mettoit en avant s’il n’estoit pas raisonnable que le filz secourust le père. » La proposition fut re- poussée «ni depuis n’en a esté parlé. » À Henri IF, 26 décembre 1554.

AU « Le roi s’attendoit à se faire couronner, comme depuis six jours il en avoit particulièrement faict rechercher ceux de la basse chambre du dict Parlement, qui lui ont tout d’une voix rejetté. Ce qui me semble, Sire, estre chose fort utile pour le bien de vos affaires et l’entretene- ment de la commune amytié d’entre vostre royaume et cestuy-cy. » Du même au même, 14 janvier 1555.-

GR Ce Gui à tellement déplu à ce dict roy et royne, que le 16 de ce mois ils allèrent par eau tous deux clore et terminer ledict Parlement, sur les quatre heures du soir, assez petitement accompagnez, et sans aucune cérémonie... » Ant. de Noailles au connétable, 20 janvier 1555. Le connétable, par lettre du 20 janvier, exprima à lambassa- deur le contenlement qu’en éprouvait le roi Henri I.

224 X

Malgré cet échec et sans se dissimuler qu'il restât beaucoup à faire encore, Simon Renard jugea les choses « assez bien encheminées » pour permettre à Philippe d'accomplir pro- chainement un voyage aux Pays-Bas, dont il était question depuis plusieurs mois, et que l’ambassadeur avait fait ajour- ner jusqu'ici (1). C'est pourquoi il rédigea pour lui vers cette époque un mémoire ou exposé des raisons qui rendaient le voyage nécessaire, des affaires auxquelles il importait de mettre ordre auparavant et des moyens à employer pour y parvenir. On y voit la preuve que ce n'était point alors par dégoût de son hymen mal assorti et parce qu’il désespérait de discipliner cette nation inconstante et insoumise, que le prince espagnol se disposait à quitter l'Angleterre, mais qu'il s’a- gissait réellement pour lui de venir en aide à l’empereur, son père, que les fatigues, les soucis, les déceptions et aussi les excès de table avaient vieilli avant l’âge, et de partager le gouvernement de sa vaste et chancelante monarchie, en attendant le moment peu éloigné il lui en faudrait porter seul tout le poids.

Ce mémoire, tracé de main de maître, se compose de deux fragments dont nous ne pouvons donner ici qu’une courte et succincte analyse (?). En voici sommairement le préambule : « Puisqu'il a plu à Dieu d'encheminer si heureusement les affaires du royaume (mariage, religion, grossesse, contente- ment général), et qu'il ne reste plus qu’à faire de bonnes lois. pour la sûreté des bons et la terreur des méchants, il semble que Votre Majesté doit avoir souvenance de la santé de l’em-

(1) Au milieu d'octobre, Renard regardait le départ de Philippe comme tres dangereux non-seulement pour la sûreté de la reine, mais aussi pour la position du roi époux : « de l'yssue certaine, incertain retour se recevra, » écrivit-il à l’empereur, le 13 octobre 1554.

(2) Janvier et février 1555, au t. IV des Papiers d'Etat.

NOTE

Æ À

pereur et se mettre en devoir d'embrasser, comme il le désire, l'administration de ses affaires qui sont aussi les vôtres. Que Votre Majesté considère la triste situation des Etats hérédi- taires : d’une part la guerre ouverte avec la France, d'autre part la secrète envie de plusieurs souverains d'Italie, d’Alle- magne et d’ailleurs, toujours disposés à nuire. Excepté l'Es- pagne, qui n'a eu à supporter que de lourdes contributions en argent, 1l n’est pas un royaume, une province, que l'excès des maux qu'ils ont soufferts ou souffrent, ne mettent en dan- ser de ruine; Naples, la Sicile, Milan, les Pays-Bas en butte à des attaques, travaillés par des pratiques sans fin, s’épuisent à défendre leur repos et leur indépendance; les domaines de Vos Majestés sont engagés ou vendus et leurs finances très obérées ; leurs vassaux el sujets, ébranlés, intimidés d'en- tendre dire à quel point les affaires de Sa Majesté [mpériale en étaient réduites, et désespérant d'y voir porter remède, se sont crus longtemps à la veille de passer sous la domination de princes ennemis. Aujourd'hui ils n’ont d'espoir qu'en V. M.; c'est d’elle seule qu'ils attendent le terme de leurs maux, «comptant sur sa grande prudence, providence, et . diligence pour restituer la république, remédier le passé, pourvoir le présent et respecter l'avenir (1). »

Après avoir, par ce sombre tableau, montré à Philippe combien sa coopération était indispensable à l’empereur son père, et lui avoir fait remarquer en même temps que ce pre- mier voyage déciderait du plus ou moins de prestige et d’au- torité dont 1l jouirait à l'avenir auprès de ses sujets et de toute la république chrétienne, Renard reprend ainsi :

« Considérant l’estat du royaulme et le projet de voyage, je n’ay voulu délaisser comprendre par cestuy escripl ce que m'a semblé convenir plus estre pesé pour achever l’œuvre commencée, retenir la dévotion du royaulme, user de l’occa- sion que Dieu a mis ès mains de V. M. pour les affaires de

a

(1) Premier fragment: janvier 1555.

= 15

226 la royne, et finalement faire que de l'alliance vos royaulmes et pays pregnent prouffit..… ct continuelle amitié (1). »

Et d’abord il ne faut pas perdre de vue que les ennemis de Sa Majesté « discourront » du voyage; qu'ils auront l'œil au guet pour voir quel effet 11 produira sur l'esprit public; «qu'ils considéreront s'ils pourront prendre occasion de maligner, de publier fuite plutôt que absence nécessaire, convenable et dé- libérée mürement:; » enfin qu'ils profiteront, pour nuire, de la mauvaise administration des affaires du royaume, du mé- contentement des hérétiques persécutés, des incertitudes au sujet de la succession au trône ct de beaucoup d’autres élé- ments de désordre intérieur.

Afin de leur ôter ces occasions de troubler le royaume, Simon Renard propose d'opérer par le sommet la réforme administrative, par conséquent de dissoudre le Conseil trop nombreux pour que l'entente y règne, de le recomposer avec quelques-uns des anciens membres qui seront chargés «des affaires d'Etat, justice et finances (2), » et de traiter les autres avec assez d'honneur et de libéralité pour obtenir d'eux la : même fidélité que s'ils continuaient à en faire partie.

Il est d'avis d'y conserver, à titre de trésorier, lord Paulet, malgré les hautes convoitises dont sa charge est l'objet, attendu qu'il est capable et « bon impérial. » Le vrai moyen de remédier à la pénurie du trésor, c'est que le personnel em- ployé au service des finances soit soumis à une surveillance et à un contrôle sévères et que le roi ait la haute main sur cette branche d'administration comme sur toutes les autres (3).

(1) Second fragment; février 1555.

(2) Le chancelier, le trésorier, le comte d'Aruntel, lord Paget, l’é- vêque d'Ely, le contrôleur Englishfield, auxquels on adjoindra le cardinal: Pole et avec lui les autres grands officiers et hauts personnages, lors- qu'ils se trouveront à la cour. Sa Majesté leur recommanderait union et bonne confraternité, et ferait appel à toute leur intelligence et à leur zèle pour la bonne gestion des affaires, avec promesse de les soutenir et défendre, et de leur prouver sa gratitude. ;

(3) Le trésor est vide et l’empereur, après le dernier subside de

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La restauration catholique n'étant pas encore solidement assise, trop de précipitation et de rigueur pourrait tout re- mettre en question. Ce nest point en allumant les bûchers qu'on ramènera le peuple hérétique; « c’est par doctrine et prédication, persuasion et mansuétude, » et en corrigeant les désordres des gens d'église.

Mais le point essentiel entre tous, cest la grossesse de la reine. Bien que toutes les apparences autorisent à y croire, il se pourrait que ce fussent des apparences trompeuses, et, dans ce cas, les fruits de l'alliance seraient en danger et la chance retournerait aux Français et aux hérétiques. Dans cette prévision, il faut absolument retirer Elisabeth des mains de ces derniers, et, pour cela, lui assurer d’abord la succession conditionnelle au trône, puis la marier à un prince étranger sincèrement dévoué à Philippe, après l'avoir envoyée à la cour de Bruxelles, pour y résider jusqu’à ce que son mariage pût avoir lieu.

. Passant aux affaires extérieures, Simon Renard répète que le roi de France ne veut pas sincèrement la paix, que s’il semble désirer la médiation de l'Angleterre entre l'empereur et lui, c'est pour complaire aux souverains de ce pays et les détourner de s’armer pour la querelle de son rival; que, par conséquent, il ne déposera les armes que devant une réunion des forces anglaises et impériales, réunion que Philippe ob- tiendra sans peine de la noblesse et du peuple, car pour eux les Francais sont toujours l'ennemi héréditaire. Pendant qu'on les attaquera par le nord, une flotte anglaise parcourra les côtes, pour les tenir en haleine sur plusieurs points à la fois et les obliger à diviser leurs forces. En attendant, on fera bien aussi de remplacer à la cour de France l'ambassadeur anglais,

390,000 écus qu'il a fait parvenir d'Espagne, a déclaré que les besoins multipliés de son propre gouvernement ne lui permettaient pas de le renouveler de longtemps. L’ambassadeur lui-même a contracté, pour le service de ses souverains, de nombreuses dettes qu'il ne saura com- | ment acquitter, s'ils ne lui en fournissent les moyens,

on trop avare de renseignements, et de réorganiser le personnel de l'ambassade.

En Allemagne, l'attitude des princes et leurs négociations avec le roi de Bohème deviennent inquiétantes. Le roi de France estavec eux Peut-être sera-t-il bon de poursuivre un accord et même une alliance de famille avec le roi des Ro- mains ct le roi de Bohème, et d'envoyer à la diète de Franc- fort, pour s'assurer, moyennant pension ou autrement, les services de quelques princes.

Plusieurs cours italiennes ne se montraient pas plus favo- rablement disposées. Renard conseille de recourir aux mêmes moyens pour les ramener à l’empereur. Il conseille aussi de profiter du mécontentement que montrent les Suisses à l’é- gard du roi de France, pour les détourner de son service, et de suivre à cet effet l'exemple des princes de l’antiquité, qui achetaient à prix d'or le silence des grands orateurs. Enfin 1l recommande de jeter de nombreux espions en France, en Al- lemagne et dans le reste de la chrétienté, pour se tenir tou- jours au courant de ce qui se passe à l'étranger.

Comme complément à ces diverses mesures et pour en assurer l'efficacité, il importe : que le roi n’entreprenne le voyage des Pays-Bas qu'après les couches de la reine, son épouse; qu'il ne se sépare point d’elle sans lui avoir fait goûter les motifs de son départ, et sans avoir placé auprès de sa personne un personnage expérimenté, pour la conseiller et pour veiller à l’accomplissement de ses décisions souveraines ; qu'il fasse connaître officiellement au Conseil, aux princi- paux membres du Parlement, au maire de Londres et au con- seil de la ville les raisons qui l’obligent à un éloignement. temporaire, et qu'il leur recommande la personne de la reine, la paix du royaume, la fidélité à remplir leurs offices, s’en- gaseant à ne négliger rien de son côté pour maintenir l'union et l’amitié entre les deux peuples, et à reconnaitre par des gratifications tous les services rendus pendant son absence.

Par cetensemble de moyens, on assurera à toutle royaume

+ 000 à

« bonne police, bonne justice, exacte observation et exécution des lois; » on bridera au dedans les mécontents et les conspi- rateurs et on réduira à l'impuissance leurs alliés et complices du dehors.

En rédigeant ce plan de conduite, très-habile et très-sage assurément, Simon Renard n'était pas aussi certain du succès qu'il affectait de le paraître, ou bien il faut que l’état des choses ait singulièrement empiré en quelques semaines, sans quoi on ne s'expliquerait pas la leltre pleine de tristesse et de découragement qu'il écrivit vers la fin de février à Charles- Quint, pour lui faire accepter l'ajournement du voyage de son fils Philippe et obtenir son propre rappel,

I y expose les mêmes faits, mais sous des couleurs beau- coup plus sombres : [La division et le désordre persistent dans le Conseil, plusicurs membres, avec Arundel et Paget, ont presque cessé de paraître, tandis que la plupart des autres, coalisés contre le chancelier Gardiner, repoussent systémati- quement toutes ses propositions et paralysent ainsi la marche des affaires; les Anglais et les Espagnols sont plus que jamais éloignés de s'entendre, et les derniers sont de plus en plus en butte à la haine populaire; Ie spectacle des bü- chers allumés pour les protestants produit dans le public uu effet déplorable (1); « les évêques, et particulièrement celui de Londres, brûülent plusieurs héréliques de jour à autre, et le courage intrépide que les victimes montrent au milieu des flammes devient contagieux et leur crée des imitateurs parmi les indécis (?) ; » la foule s’émeut de ces exécutions, elle mur-

(1) « Cejourd'huy a été faite la confirmation de l'alliance entre le pape et ce royaume par un sacrifice public et solennel d'un docteur prédicant nommé Rogerus, lequel a été brulé tout vif, pour être luthé- rien. Mais il est mort persistant dans son opinion. A quoy la plus grande part de ce peuple a pris tel plaisir qu'ils n’ont eu crainte de faire plusieurs acclamations pour conforter son courage. » Fr. de Noailles au connétable, 4 février 1555.

(2) « L’évèque de Londres ayant demandé à un bourgeois s'il endu- rerait le supplice du feu, celui-ci répondit qu'il en pouvait faire l'é-

.

230

mure contre les souverains à qui elle les attribue et tient sur lcur compte des propos étranges ; les bruits les plus alar- mants sont mis en circulation : on dit que la reine n’est pas enceinte; que les conjurés veulent tirer de prison Elisabeth et Courtenay pour les marier ensemble et les mettre sur le trône, et que, si l’on tente d'envoyer la princesse hors du royaume, le peuple, dont elle est l’idole, s’y opposera par la force ; les Français continuent à démentir par leurs actes leurs déclarations pacifiques : ici ils se joignent aux mécon- tents de toutes les classes pour souffler l'esprit de révolte (1), au dehors ils poussent à outrance la guerre avec l’empereur; ils ont récemment lancé en mer 17 navires pour arrêter au passage le duc de Savoie qui se rendait en Angleterre. « Mais le coup a manqué, et Noaïlles s’en est arraché la barbe de dépit. » se

De ce concours de difficultés et risques graves, Renard concluait que Philippe ne pouvait songer à partir avant les couches royales. Pour lui, loin de vouloir, comme il en était question, demeurer auprès de la reine pendant l'absence du roi Son époux, il suppliait l’empereur de le relever de son poste le plus tôt possible. Outre le découragement qu'il éprou- vait d'avoir à lutter contre ces difficultés sans cesse renais- santes, seul et sans espoir d'en triompher, « pour avoir perdu, s’il faut l'en croire, tout crédit, réputation et influence (®) ul

preuve ; et, ayant fait apporter une chandelle allumée, il mit la main dessus sans la retirer ni se mouvoir. On dit même que plusieurs ont voulu, sans y être contraints, monter sur le bûcher à côté des suppli- ciés et brüler avec eux. » Renard à l'empereur, fin février 1555.

(1) Renard affirme que les parents et partisans d'Elisabeth soutien- nent et soudoient nombre de traîtres; il cite entre autres lPamiral Ho- ward. Le capilaine (Tiberio) a passé aux Français; il est présente- ment à Londres, il espionne pour leur compte.

(2) Ant. de Noailles, qui était au courant de tout.ce qui se passait au Conseil, écrivit quelques mois plus tard : « L’ambassadeur Renard s’en va d'icy dans trois jours, mal content de ce roy et de son conseil qui ne luy communique aucune chose de ses affaires. Luy semblant que ledit Seigneur luy doit beaucoup pour avoir esté le moyen de conduire

251

se disait entouré d'ennemis conjurés contre sa vic : les héré- tiques qui lui attribuaient 16 rétablissement du papisme en Angleterre; les partisans d'Elisabeth et de Courtenay, qui l’accusaient d'y avoir introduit les Espagnols ; le comte d'A- rundel lui-même, qui se persuadait que le projet de maricr son fils à Elisabeth avait été éventé par lui, enfin les fils du duc de Northumberland, ainsi que les parents et amis d'autres conjurés et rebelles qui, pour venger le supplice ou la prison des leurs, avaient une fois déjà tenté de le faire assassiner par quatre gentilshommes venus sous prétexte de souper avec lui. « Je suis certain qu on me tueroit incontinent après le dit partement, » ajoute-t-il tristement...… « Le souvenir d'avoir esté tant de fois en danger de ma vie et la crainte d'y estre tousjours ne me permettent pas que je puisse faire plus long séjour, et je crois aussi que V. M. ne me le commandera, la supplhant très-humblement ne prendre de mauvaise part si, avec le congé qu'il luv aura plu m’accorder, je me retire el im en vais par delà (1). »

À ces informations alarmantes, s'ajoutait le témoignage du secrétaire intime de Philippe, Ruy Gomez, que son maître . avait envoyé à l’empereur, pour lui faire mieux comprendre de vive voix comment la situation actuelle du royaume exigeait que son départ füt ajourné jusqu’après les couches de la reine. Charles-Quint se laissa persuader; il accorda à la fois le sur- sis demandé par son fils et le congé tant sollicité par son am- bassadeur.

XI

Ce fut Ruy Gomez qui rapporta à Simon Renard la lettre par laquelle l’évêque d'Arras lui annonça qu'il allait être

son mariage. Mais je crois descouvrir que de ce costé vient son mal, : pour se trouver, tant son maistre que ses familiers serviteurs fort, mal contents de sa pratique. » Au connétable, 11 septembre 1559.

(1) Renard à l’empereur, fin février 155»,

232

rappelé (1). Mais il ne l'avait pas encore reçue que, par un revirement soudain, qui montre dans quel état de trouble et de perplexité il se trouvait alors, il résolut de rester à son poste et en informa l’empereur en ces termes : «Sire, voyant les choses de ce royaulme réduites à ces troubles et difficultés, je n'ai voulu faire autre instance pour mon congé, pour mons- trer à Vostre Majesté que, si je puis servir, je n'entends me soustraire à aucun des offices auxquels le devoir m'oblige et m'attache. »

Peut-être en ce moment fondait-il quelque espoir sur une décision importante, en effet, qu’il n'avait cessé de conseiller, et qui venait d’être arrêtée dans les conseils de la couronne : l'interdiction des supplices pour cause d’hérésie. Cette mesure était due au roi Philippe qui, justement effrayé de lirritation que ces exécutions propageaient dans le public et des dange- reuses conséquences qui pouvaient en résulter pour le trône lui-même (2, avait compris et fait comprendre à son intolé- rante épouse que c'était le cas de faire céder le scrupule reli- gieux à la raison d'Etat (3).

Un autre motif pour Simon Renard de reprendre courage, c'était l’espoir que la reine Marie était. récllement enceinte et que la naissance d'un héritier du trône pourrait encore tout sauver. À Hamptoncourt, il était avec la cour, depuis la fin du mois de mars, il semble oublier les autres questions brûlantes du moment pour concentrer sa sollicitude attentive sur les progrès de la grossesse, Dans sa correspon-

(1) Cette tettre était datée du mars 1555.

(2) Ant. de Noailles témoigne, ainsi qu'il suit, de l’impopularité croissante des deux souverains : « Si l'empereur désire la paix ou trève, si faut-il penser que ces roy et royne en ont encores plus d'envie pour les dangers qu'ils voyent tous les jours se présenter au gouvernement et maniement (le ce royaume, estant si hays el mal voulus de leurs sub- Jects qu'ils n'altendent (que) l'heure d'y voir un grand désordre. » Au connétable, 25 mai 1555.

(3) Les exécutions furent interrompues durant 5 mois par l'influence de Philippe. V. Fornerow, Histoire de Philippe IT, t. I, p. 58.

233 dance avec l’empereur, la reine de Hongrie et le roi des Ro- mains, il se montre rassuré et indique même les premiers jours de juillet comme l’époque fixée par les médecins pour l'événement décisif.

Renard parlait surtout d'après la reine, qui persistait à se croire enceinte, tandis que son intrigant adversaire, l’am- bassadeur de France, dont l’espionnage pénétrait jusque dans la chambre royale, savait de la principale sage-femme qu'il n'y-avait pas de grossesse, mais qu’on n’osait encore le dire à la reine (1). Vers le milieu de juin, Marie fut pendant plu- sieurs jours plus malade qu’à l'ordinaire, de telle sorte que médecins et sages - femmes crurent ou firent semblant de croire qu'elle allait accoucher. Noaïlles remarque à cette occasion que les gens attachés au service particulier des deux souverains font sonner si haut la prétendue grossesse, que cela suffit pour empêcher d'y croire, lors même qu’on ne sau- rait pas « que le ventre de la reine n'est pas aujourd'hui plus gros qu'il y a quatre mois (?). »

À cette première déception en succéda une seconde, qui découragea les espérances de Renard et le mit dans une ex- trême perplexité. « Ce n’est plus dans huict ou dix jours que la reine doit accoucher, » écrivit-il à l’empereur, le 27 juin. Les médecins et les dames de cour se sont trompés de deux mois Si pourtant, malgré ce retard, les couches pouvaient réussir, tout ne serait pas encore perdu. Dans le cas contraire, il prévoit plus de trouble et de désordre qu'on ne saurait lé- crire. Comme rien n’est réglé quant à la succession, Elisabeth prévaudra, et avec elle l’hérésie et l'influence frauçaise. Il

(1) « J'ai su ce matin de bon lieu que cette royne est fort déçue de penser estre enceinte, estant averli que sa principale garde et sage- femme a déclaré à une dame de la chambre qu’elle ne l’est aucune- ment... Ceste garde et aultres qui sont près d'elle ne luy osent dire Ja vérité...…, vu l'affection qu'ils voient en ladite dame et son mary d'avoir lignée. » Ant. de Noailles au connétable, 29 mai 1559,

12) A Henri Il, 20 juin 1555.

or

ne sait même si le roi et sa cour seront bien assurés du peu- ple, et finalement Ja tragédie sera calamiteuse (1). »

Les Français seront pour exploiter à leur profit ce désor- dre auquel ils auront travaillé. En attendant, ils font sem- blant de vouloir la paix, lorsqu'ils désirent au plus une courte trève, et, après avoir demandé la médiation de la reine d’An- eleterre, 1ls en paralysent les efforts par l'excès de leurs pré- tentions (2): cela, pendant que d'autre part ils multiplient Icurs armements et traitent en secret avec le nouveau pape Paul IV, Caraffa, créature de Charles-Quint et ennemi juré de sa maison (3).

L'ambassadeur francais, dans sa correspondance, justifie ces alarmes de Simon Renard, et c’est avec une satisfaction mal dissinulée qu'il signale à sa cour chaque manifestation du mécontentement et de la défiance qui agitent les diverses classes de la nation. Toutefois, s'il aime à constater que Philippe et Marie ont plus de motifs que l’empereur de dési- rer la paix ct la désirent davantage, et que les négociations entamées sous leur médiation déplaisent souverainement au peuple et à la noblesse, qui ne s’en cachent pas et menacent de se révolter, il tient, par rapport à ces négociations, un

(1) « Il n’est croyable l’occasion que le retardement dudit accouche- ment donne aux adhérents de la dicte Elisabeth et hérétiques de ca- lomnier et semer faux bruits. Les visages des particuliers sont étranges ; ceux en qui on avoit le plus de confiance deviennent les plus douteux et suspects; leurs facons d'agir imsolentes. Il y a toujours mé- sintelligence entre Anglois et Espagnols ; de justice et police, nulle; d’audace et malignité, plus que dans le passé; discorde entre les conseillers s'accroît et s’est montrée profitable aux François dans l'as- semblée dernière. Plus cette situation empire, plus il est urgent d'y porter le remède, assurer les choses, résoudre mürement l'allée du roy vers Votre Majesté, et conséquemment pourvoir à tout ce qui est né- cessaire. » A l’empereur, 27 juin.

(2) Des conférences ouvertes à Gravelines furent bientôt rompues. Marie accusa Henri IT de les avoir fait échouer, et s’en plaignit aigre- ment à Ant. de Noaïtlles. Renard à l’empereur. 10 juillet.

(3) Renard à l'empereur, 27 juin et 10 juillet.

235 rôle différent de celui dont l’accuse Renard et s’y intéresse sérieusement, à moins que ce ne soit pour être agréable au connétable, qu'il le conseille sur la marche à suivre pour en assurer le succès (1).

XII

Cependant la cour de Bruxelles pressait la venue de Phi- lippe. L'évêque d'Arras lui écrivit le 20 août qu'il était im- paliemment attendu, que la peste commencait à ravager l’armée, que l'argent manquait et qu'il était question de con- voquer les Etats pour en obtenir des subsides, ce qui n’était pas sans quelque danger. Déjà le secrétaire Erasso était venu près du roi pour résoudre les questions encore pendantes entre lui et son père : l’époque précise du voyage, la réorganisation du gouvernement des Pays-Bas, les résolutions à prendre pour lPannée prochaine, selon qu'il y aura paix guerre, « et quel ordre on donnera au royaume d'Angleterre.» « En quoi je me doute que l’on tarde trop et se perd le temps, » écrit Renard au roi des Romains; et il ajoute cette désespérante conclusion : « ce qui empêche de rien conclure, c’est que l’on doute que la reine soil enceinte (2). »

Bientôt ce doute se changea en réalité. La reine elle-même cessa de se faire 1llusion; sa maladie de cœur avait engendré une hydropisic. « Foutelois, écrivit alors Noaïlles, elle feindra le plus longuement qu'elle rourra d’estre enceinte, jusqu’à ce qu’elle voye les choses par decà mieux establies ct assurées en faveur du dict seigneur son mary 6).

Mais le sort en était jeté. Quant la vérité eut été divulguée, le faible lien qui rattachait encore à Philippe une certaine partie de la nation, acheva de se rompre. Sa présence n'avait

(1) Ant. de Noailles au connétable, 25 mai; —: à Henri IT, 20 juin ; au connétable, 27 juillet.

(2) 2juillet. (3) Ant. de Noailles à Henri II, 20 août.

ue op se

plus de raison d’être dans ce pays, dont la situation n'avait cessé d'empirer depuis qu'il en occupait le trône, sans qu'il eut entrepris sérieusement d'y porter remède. [Il partit donc le 29 août 1595, sans souci des regrets que son absence allait causer à son épouse peu aimable et déjà surannée, et lui lais- sant pour toute consolation la promesse d’un prochain retour qu'elle dut attendre dix-huit mois, et l’espoir toujours déçu de pouvoir, en vertu d'une loi, placer la couronne sur la tête de son royal conjoint. S'il continua d'exercer de loin quelque intervention dans les affaires de ce royaume, ce fut au point de vue de ses intérêts propres et afin d'engager le gouverne- ment anglais le plus avant possible dans la querelle de sa maison avec le roi de France.

Et Simon Renard? Son génie diplomatique si fécond, si adroit, si sûr, était vaincu, mais vaincu moins encore par les volontés et les passions des hommes que par la fatalité des choses. En effet, le but qu'il poursuivait, si difficile, si ardu qu'il fûE, n'était pas une chimère. Pour changer le cours des événements, et faire à notre pays, pour ne parler que de la France, de tout autres destinées, qu'eût-il fallu ? Que Maric Tudor devint mère au lieu d'être hydropique; que, docile aux avis de son conseiller, elle lravaillât, de concert avec son époux, à rétablir l’ordre dans les esprits et dans l'Etat, au lieu d’y entretenir le trouble par d'inutiles rigueurs en- vers les hérétiques, et prit résolument parti pour Gharles- Quint dans sa guerre contre Henri If. Et si l'on considère d'autre part que si Philippe II dut à l'intervention tardive et limitée de l'Angleterre la victoire de Saint-Quentin, et par suite le traité de Cateau-Cambrésis, et que, plus tard, il ünt seul en échec la puissance d’Elisabeth unie à l'insurrection des Pays-Bas et faillit même enlever la couronne à Ffenri IV, on peut se demander ce qu'il serait advenu de la France, si les forces anglaises et espagnoles, réunies dans une seule main, eussent fondu sur elle au milieu des convulsions de ses guerres religieuses.

231

Il devait en être autrement. L’ambassadeur impérial quitta l'Angleterre quelques semaines après, mécontent de voir le roi et le Conseil oublier ses éminents services, pour rejeter sur lui la responsabilité des difficultés présentes, qui n'étaient point son ouvrage et qu il n'avait pas tenu à lui de prévenir ou de surmonter (1). C'était un avant-ooût de cette ingratitude royale qu'il eut le tort de mériter plus tard et qui lui fut si fatale. Mais alors il conservait intacte la gloire du fameux mariage, et sa carrière diplomatique n’était point terminée. Rentré à Bruxelles, il s'y tenait à la disposition de ses souve- rains, lorsqu'eut lieu dans cette capitale la célèbre séance d'abdication, dans laquelle Charles-Quint annonca solennel- lement au monde que son rêve de domination universelle achevait de s'évanouir ().

(1) Voir ci-devant, ? x, en note, la lettre d’Ant. de Noailles au con- nétable, du 11 septembre. (2) Le 25 octobre 1555.

238

CHAPITRE [I

LA TRÈVE DE VAUXELLES. SECONDE AMBASSADE EN FRANCE

1556-1557

I

Nous connaissons la diplomatie à double face de Henri IT avec l'Angleterre : ouvertement elle fait à Marie Tudor des protestations d'amitié et soilicite sa médiation dans la guerre que soutiennent entre elles les maisons de France et d'Au- triche ; en secret, elle conspire avec les ennemis de son trône pour la renverser, s’il est possible, elle et son époux, ou du moins pour empêcher que Philippe et son père ne retirent du mariage anglais les avantages qu’ils s’en sont promis (1). C'est l'effet des deux influences rivales qui se disputent la direction de la politique française, le connétable de Montmorency pour la paix, les Guises et Diane pour la guerre.

L'ambassadeur impérial, Simon Renard, convaincu de la prépondérance de ces derniers, soutient invariablement qu'il faut réunir contre eux les forces de l’empereur et de l'Angle- terre pour les contraindre à une paix durable. Charles-Quint, au contraire, dans son impatience de se décharger sur son fils de ses trop nombreuses couronnes, et sans espoir d'obte-

(1) Charles-Quint désirait la paix, mais le caractère des Français lui inspirait une défiance extrême. « Je crois, disait-il au nonce du pape, que, quand même je leur donnerois le tiers de ce que je possède, ils n'en continueroient pas moins à m'inquiéter ct à me causer des en- Quis A (Biogr na belse tan 1009))

Une grande illusion de Charies-Quint, partagée par son fils et son premier ministre, était de ne pas voir que la politique extérieure des rois de France était une conséquence légilime et nécessaire de la sienne propre.

239 nir de la nation anglaise un concours efficace, préfère la voie des négociations. D'ailleurs il veut épargner à son successeur les embarras d’une guerre ruineuse.

C'est pourquoi, dès l'été de 1555, des conférences s'ouvri- rent à Gravelines sous la médiation de la reine d'Angleterre. Interrompues bientôt, comme on l'a vu, à cause de certaines exigences des Français que les Impériaux Jugeaient inadmis- sibles (!), elles furent reprises à la fin de la même année. Les négociateurs étaient, du côté de l'empereur, le comte de La- laing, le premier en titre, sans doute comme étant de plus haute noblesse, et Simon Renard, le premier en fait, comme la suite le fera voir; du côté du roi de France, l'amiral de Coligny, son cousin Ch. de Montmorency-Danville et l'abbé de Bassefontaine. Installés, ceux-ci à Saint-Quentin, les autres à Cambray, ils choisirent, pour y tenir leurs conférences, l'abbaye de Vauxelles, située à égale distance des deux villes (2).

Bien que des deux côtés on affirmät vouloir sincèrement la paix, on se heurta tout d’abord à des prétentions opposées qu'il fut impossible de concilier et qui allaient par conséquent faire ajourner pour longtemps encore la pacification défini- tive. L'empereur et son fils demandaient qu'on négociât, ici comme à Gravelines, sous la médiation du oouvernement anglais; le roi de France s’y refusa. Il savait que l’épouse de Philippe lui attribuait la rupture des conférences de Gra- velines et qu'elle s'en était plainte publiquement et d’un ton

(1) Dans la restitution des territoires conquis de part et d'autre, les Français entendaient comprendre ce que les Impériaux appelaient les conquêtes anciennes, savoir : le Milanais et la Navarre espagnole.

(2) Renard remarque à cette occasion que, tandis que Coligny se rene dait à Sah:t-Quentin, les populations qui voyaient le présage d’une paix prochaine, le saluèrent sur sa route par de joyeuses acclamations; mais, ajoute-t-il, bien que le peuple soit très las de la guerre «et fort travaillé d'emprunts et de tailles, néanmoins pour l'affection qu'il porte au souverain et comme il lui semble qu'il prospère, il s'accommode à la nécessité et contribution. » A Philippe, V 7 et 18 décembre 1559.

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fort aigre à son ambassadeur, et il pouvait, non sans raison, mettre en doute l’impartialité de sa médiation (1). Même dé- saccord au sujet des prisonniers de marque. Henri IF voulait que la rancon de chacun füt payée en argent, el entendait ne se dessaisir pour cet objet d'aucune de ses conquêtes. Charles- Quint et Philippe, au contraire, exigeaient au lieu d'argent des restitutions territoriales. Encore mettaient-1ils à part le fils aîné du connétable, Francois de Montmorency, et le maréchal de la Marck, prince de Sedan et duc de Bouillon. Ils recom- mandaient même à leurs représentants de traîner en lon- gueur cette question des prisonniers, dans l'espoir d'amener par les Français à accepter la médiation anglaise. Renard n'était pas de cet avis : 1l craignait qu’on ne leur fournit par un prétexte de rompre encore une fois, et 1il s'en expliqua franchement en plein conseil d'Etat {?). Non quil eût repris confiance dans leurs dispositions intimes, mais, en ce moment même, le pape Paul IV, après avoir recu à Rome la visite des cardinaux de Lorraine et de Tournon, que le roi de France lui avait envoyés, faisait porter à Philippe des conseils paci- fiques, conformément, disait-il, aux déclarations que les deux cardinaux francais lui avaient faites à lui-même ainsi qu'au consistoire. À en juger par sa dépêche du 24 décembre au comte de Lalaing, Renard prit d'abord au sérieux cette dé- marche du Saint-Père, qui selon lui pouvait être d’un grand poids dans les négociations. Mais il dut bientôt reconnaître qu'il s'était trompé. Dès le premier janvier 1556, ils écrivi- rent, lui et son collègue, au roi Philippe : « On fait courir le bruit que les Français ont fait ligue avec le Pape et le duc de Ferrare contre Votre Majesté, et qu'ils pratiquent en Alle- magne pour faire échec aux négociations entamées par elle dans ce pays » En effet, la ligue en question avait été conclue secrètement à Rome, le 16 décembre précédent. Son but était

(1) Renard à Charles-Quint, 10 juillet 1555. (2) Renard à Lalaing, de Bruxelles, ?4 décembre 1555.

A1

de chasser les Espagnols d'ftalie, pour créer à leurs dépens des _ principautés aux parents de l’ambitieux pontife et donner le duché de Milan à l’un des fils de Henri IE. Le cardinal de Lorraine, qui l'avait négociée, comptait bien y gagner aussi pour lui la tiare, et pour le duc Francois de Guise, son frère, la couronne des Deux-Siciles.

Les négociateurs francais, loin d'avouer le traité secret du 16 décembre, reprochaient aux Impériaux de ne vouloir que gagner du temps, par leur persistance à demander la média- tion anglaise, et par la lenteur calculée avec laquelle ils me- nérent l'affaire des prisonniers. Dès les premiers jours de janvier, 1ls se déclarèrent résolus à se retirer si les autres ne recevaient de leur souverain, dans un bref délai, des pleins pouvoirs pour faire paix ou trève, comme ils les avaient eux- mêmes. L’amiral de Coligny se montrait tres-favorablement disposé et pressé d’en finir, comme s’il eût craint que le parti de la guerre, qui avait céder momentanément à l'influence du connétable, ne reprit le dessus et ne fît tout échouer. En conséquence, Renard et son collègue pressèrent leur maître de les mettre en mesure de profiter de ces bonnes dispositions en leur envoyant les pleins pouvoirs qui leur manquaïent; ils le prièrent en outre de leur donner soit comme rempla- cants, soit comme auxiliaires, des hommes de son choix, «mieux instruits et imbus des affaires (1)... » Philippe leur adjoignit le secrétaire d'Etat Tisnacq, le conseiller Philibert et le régent de Milan Schicio. Quant aux pleins pouvoirs, ïl fut 15 à 20 jours sans répondre; c'était le moment son père, Charles-Quint, complétant l’abdication de ses couronnes héréditaires, lui remettait officiellement le gouvernement des Espagnes et du Nouveau-Monde (1.

Enfin, le 2 février, il leur envoya simplement l’ordre de stipuler dans la trève que chacun garderait les territoires,

nc:

(1) Dépêches des 11 et 15 janvier 1556. (2) 16 janvier. 16

-

242

places et dépendances qu'il occupait actuellement ; il ne disait pas un mot des prisonniers. Peut-être que, convaincu de. l'existence de la ligue secrète, 1l désespérait d'obtenir la paix, et, faute de mieux, se contentait d’une trève. Quoiqu il en soit, dans les séances qui suivirent immédiatement et qui furent les dernières, ses plénipotentiaires affirmèrent de nou- veau que, pour lui, la trève n’était qu'un moyen d'arriver à un accord définitif (1). Les Français affirmèrent la même chose, avec moins de sincérité sans doute; seulement ils po- sèrent, comme condition sine qua non, le rachat de leurs pri- sonniers à prix d'argent, et sans aucune restitution de con- quêtes.

Le 5 février, une trève fut conclue sur cette double base de la rançon pécuniaire des prisonniers et du maintien de chacune des parties dans les lieux dont elle était en posses- sion le jour de la trève. Une déclaration sans date du roi de France stipule cette dernière clause, et porte en outre qu'il a été arrêté entre lui et l'ambassadeur du roi d'Angleterre qu’on nommerait des commissaires pour régler à l’amiable les dif- ficultés qui pourraient surgir concernant les confins et limites des deux souverains. Enfin, le 13 février, Henri IT, toujours afin de mettre de son côté les apparences d’une sincérité qui n'existait pas, lanca une proclamation dont la traduction espagnole se trouve aux archives nationales, et qui faisait savoir qu'une trève sûre, franche et loyale et permettant les communications et le comrmaerce, venait d’être conclue entre les très-hauts, très-excellents et très-puissants princes, le roi de France Henri IL et l’empereur Charles-Quint, ainsi que Philippe, roi d'Angleterre, son fils et successeur héréditaire, et enjoignait à tous ses sujets d'observer la dite trève par terre et par mer. |

Telle fut l’issue de ces conférences de Vauxelles, qui d’ail- leurs ne pouvaient aboutir à un meilleur résultat, par la

(1) Les plénipotentiaires à Philippe, 5 février.

243

double raison que l’une des deux parties mettait à trop haut prix une paix ‘qu’elle ne désirait pas, et que l’autre, qui la désirait sincèrement, refusait à l'adversaire, dont elle suspec- tait la sincérité, des concessions d'une efficacité douteuse. A part un moment d'illusion qui le porta à conseiller ces concessions, le principal négociateur, Simon Renard, garda sa conviction que les Français ne voulaient que reprendre haleine et que le moyen d’avoir la paix avec eux n'était pas de la négocier, mais de l’imposer par la force. Or, l’événe- ment allait bientôt lui donner raison; la trève, conclue pour Cinq ans, ne dura pas Six MOIS.

Il

Les conseillers de Charles-Quint et de Philippe IT auraient voulu qu’on ajournât la suspension des hostilités jusqu'au jour de la publication de la trève, dans l'espoir d'exécuter dans l'intervalle quelques reprises en Luxembourg et en Piémont. Les négociateurs le savaient-1ils? Granvelle laffir- mera plus tard (1); mais les dépèches échangées avant et pen- dant les négociations, celles du moins qui nous sont parve- nues, n'en font pas mention. Toujours est-il que, dans le Conseil, on sut mauvais gré à Renard d’avoir consenti à ce que la trève eût son effet à partir du jour de sa conclusion, : et qu'à ce sujet l'évêque d'Arras adressa pour la premiere fois des paroles de blâme à son « cher confrère et vray ami. » Mais il ne paraît pas que les souverains aient attaché autant d'im- portance à cette affaire, puisque ce fut Renard lui-même, le principal auteur de la trève, qu'ils envoyèrent en France pour en surveiller l'exécution et travailler à la changer en une paix définitive, et que, pendant cette nouvelle mission, ils ne lui témoignérent ni moins de bon vouloir, ni moins de confiance que pendant les précédentes (2).

(1) Voir sa lettre au président Viglius du 19 octobre 1564. (2) Voir leurs dépêches : 7 juin, fin juin, 9 et 25 juillet 1556.

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Renard partit donc pour sa seconde ambassade de France à la fin d’avril 1556, bien malgré lui, à la vérité, et par pure obéissance, comme il l’écrivit peu après au duc d’Albe : « Je suis encore relégué en ceste cour comme ambassadeur, com- bien que m'en sois excusé, d'autant que la commission est odieuse et de poids (1). »

En effet, malgré l'accueil flatteur qu'il trouva auprès du connélable et du roi lui-même, qui lui faisait envoyer de sa venaison ; malgré le soin qu'ils eurent l’un et l’autre de lui répéter combien ils désiraient paix et amitié avec ses maîtres, il ne pouvait oublier le traité secret conclu avec le pape @). En outre, dès qu'il fut question des infractions à la trève qui se commettaient de part et d’autre, et surtout du retard apporté à la délivrance des prisonniers français, dont l'évêque d'Arras était même accusé de rendre la captivité plus rigoureuse 6), les termes dont on usa avec lui le confirmèrent dans son opi- nion que les Français n’avaient signé la trève que par néces- sité, bien résolus de la rompre dès qu’ils seraient en mesure de le faire. C'est pourquoi, écrit-il à Philippe, « il plaira à Votre Majesté peser combien il importe (étant en trève avec gens de si peu de foy, qui vivent présentement avec mœurs si Corrompuz, que gentils et païens ont en plus grande révé-. rence la vertu et l'honnêteté que ceste nation) tenir en ses mains la paix et l'épée jointes (4). » Et au duc de Savoie, alors gouverneur des Pays-Bas : «Je supplie très-humblement

(1) 18 mai 1556.

(2) «Jà l’on m'a rapporté que l’on a descouvert une praticque qu'ils avoient en Italie. » Mai 1556.

(3) Coligny dit à ce sujet à Renard : « Si le Roy s'aperçoit que l’on procède si aigrement en chose de telle qualité, il ne pourra délaisser faire le semblable, comme ne pouvant souffrir chose qui irrite sa gran- deur ou la diminue. » Se plaignant de la dure captivité que subis- sait son frère d’Andelot, il remarquait que pourtant il avait, lui, tra- vaillé pour la paix plus qu'on ne pensail, cela contre l'opinion de plu- sieurs de la cour de France, » comme Renard pourrait s’en convaincre avec le temps. Renard à Philippe, 8 mai.

(4) 21 mai 1556.

245

Votre Altesse ne s'endormir aulcunement pendant la trève, mais tenir main à ce que l’on ne soit prévenu (1) »

Cette ardeur pour la guerre se personnifiait, comme on sait, dans les Guises et leur alliée Diane de Poitiers. La ques- tion des prisonniers était leur grand prétexte, et le cardinal de Guise s’en prenait ouvertement à Coligny de ce que la trève avait été conclue sans qu'on eût obtenu satisfaction sur ce point. « La maison de Guyse tasche par tous moyens pour rompre la trève et publie qu'elle à été désavantageuse pour le royaulme. Le Cardinal, pour complaire audit S. Roy et secon- der son naturel incliné aux armes, est plus chaleureux et vé- hément en la persuasion de guerre qu'il ne devrait (@). » Le connétable, sans cesser de désirer la paix. récriminait de son côté sur la question des prisonniers et accusait les Impériaux d’avoir déjà violé la trève.

Renard avait réponse à tout : il n’avait tenu qu’à eux de délivrer leurs prisonniers moyennant rancon, notamment les sieurs de Montmorency et de la Marck, « attendu, disait-il, que leur rançon avait été taxée à Vauxelles, » au lieu que celle des prisonniers impériaux ne l'était pas encore. Quant aux acles contraires à la trève, il expliquait ceux-ci, niait _ ceux-là et feignait d'ignorer les autres. Et, si les Français, pour justifier leurs DANSE infractions, s’autorisaient du retard que Philippe avait mis à publier la trève, 1l répondait que la trève avait avoir son effet dès le moment de sa conclusion, et non après sa publication seulement G). À propos de la ligue

(1) 6 mai. Granvelle pensait de même sur ce point : « Et sera dé- solation de la république chrestienne, si Dieu par sa miséricorde ne change la volonté que démontrent les François de renouveller la guerre quand ils en auront le moïen, estant si enflés du riz de fortune et si adonnés à ambition pour remplir leurs cornes du bien d'aultruy, que si Dieu ne met bornes et limites à leur cupidité, il n'y a moïen de les contenir, moins de les révoquer à concorde. » Au roi des Romains, 18 mai.

(2) Renard à Philippe IT, mai 1556.

(3) Renard écrit de Moret au roi, le 28 mai, que, depuis la trève, les

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246

‘ranco-italienne, il leur déclarait ironiquement qu'il n’y croyait pas et qu'il ne pouvait supposer que la venue du car- dinal Caraffa en France. « fut de mauvaise intention, lorsqu'il considéroit la santé, l'âge el la sainteté du Souverain Pon- tife, et le zèle qu il témoignoit pour le repos de la chrestienté, union et réformation de l'Eglise. »

Cependant il ajoutait de nouvelles informations à celles que déjà il avait envoyées à sa cour, concernant la ligue, qu’on baptisait, disait-1l, {a ligue contre les Espagnols, et qui prenait des proportions dangereuses. Tandis que le cardinal Caraffa, « appassionné pour la France, » excite Paul IV son oncle, qui n’y est que trop porté, à venger ses neveux que les Espa- gnols ont bannis du royaume de Naples, et à procurer par tous moyens leur élévation; tandis que les cardinaux de Ferrare, de Tournon, du Bellay et d'Armagnac, actuellement en Italie, y cherchent des adhérents à la politique papale, Henri If, conseillé par les Guises et activement servi par les pratiques d'Antoine de Noailles, fomente sous main la cons- piration anglaise et travaille à la rattacher à la ligue anti- espagnole (1), D'une main il presse amicalement celle de la reine Marie, de l’autre il soutient ses sujets conspirateurs et rebelles, donnant asile et subsistance aux fugitifs et aux ban-- nis, servant à d'autres des pensions en Angleterre même. Sans cesser de convoiter pour la fiancée du dauphin la suc- cession de Marie Tudor, il est d'intelligence avec Elisabeth et lui ferait au besoin épouser Courtenay. Il tient à bien con- naître l'état des esprits et spécialement l'accueil que fait le public au projet de couronner Philippe d’Espagne, car il est

Français ont déjà fait pour plus de 150,000 écus de prises; qu'ils ré- pondent à ses réclamations de manière à gagner du temps, jusqu'à ce qu'ils trouvent une occasion de rompre, par lesdites prises demeu- reront égarées et perdues. Il ajoute que les secrétaires d'Etat vont jus- qu à refuser de faire les dépêches de certaines restitutions résolues en Conseil du Roi.

(1) Renard à Philippe, 27 et 31 mai 1556.

one

résolu d'empêcher à tout prix ce couronnement, dût-il sacri- fier la lrève et l'amitié de la reine (1).

La coalition des mécontents d'Angleterre et d'Italie sous la main du roi de France devait avoir pour effet de chasser de ces deux pays le fils de Charles-Quint, afin d'y faire place à la domination ou à l'influence des ennemis de sa maison. Pour entraîner les Anglais, on comptait sur Courtenay, qui se trouvait alors à Venise, et que le duc de Ferrare « prati- quoit » pour le décider à entrer au service de Henri IL. Simon Renard se croyait assez sûrement renseigné sur ce dernier point comme sur tous les autres, pour conseiller à son maître de vérifier le fait à Venise et de voir s'il ne lui importerait pas de faire arrêter le prétendant anglais, au cas il traver- serait ses Etats. (2).

Autres détails significatifs : des capitaines viennent jour- nellement à la cour, apparemment pour y chercher des ordres ; le rhingrave fait, dit-on, des levées en Allemagne et d'autres avec lui; on prête au roi le dessein arrêté de marier une de ses filles au jeune duc de Lorraine, qu’il garde près de lui, afin d'occuper sous son nom les principales places de son duché. On annonce aussi la mise en mer de vingt-six galères équipées pour une direëlion inconnue (3).

_Le8 juin, Simon Renard écrivit à Ruy Gomez que depuis quelques jours le roi tenait conseil chaque matin pour exa- miner si l’on continuerait à négocier pour la paix, si l’on s'en

(1) Voir les dépèches d’Ant. de Noailles au roi, 7 mai, et au conné- table, 12 mai.

(2) Renard à Philippe, 25, 27, 31 mai 1556. -- « La pratique d'An- gleterre est en armes sous le nom de Courtenay pour troubler le royaume et la sérénissime Rene, car je l’ai entendu des personnes qui sont de la mêlée et partie; et l’on attend la venue de Courtenay, lui ayant envoyé un courrier. Parmi les espions dont Renard se sert, il en est un qu’il appelle le Banquier et dans lequel il a toute con- liance.

(3) 27 et 31 mai. « La plupart des capitaines francois cassés sont arrivés en la court. »

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tiendrait à la trève, si l’on recommencerait la guerre, que les Guise, d'accord avec le cardinal Caraffa, plaïidaient pour la guerre et le connétable pour la paix. Sa lettre, très-explicite et très-intéressante, reproduit à la fois les raisons respectives de chacun, qui se résumaient dans les ambitions personnelles et dans les jalousies réciproques, et les arguments œue de part et d'autre on s’efforcait de faire prévaloir dans l'esprit du souverain.

Selon les Guise, un trailé de paix aurait pour Henri IT ce double danger, d’affaiblir sa position dans la péninsule en lui ahénant le pape et les princes italiens et en décourageant Les fugitifs et bannis de cette nation, et de permettre à Philippe ET d'aller en Angleterre mettre ordre aux affaires du royaume et par s’y affermir ainsi que la reine son épouse. Si, au contraire, il profitait de la prochaine abdication de la cou- ronne impériale par Charles-Quint, pour reprendre les armes, il pourrait compter sur le secours des princes protestants d'Allemagne et aurait facilement raison d’un adversaire qui n'avait n1 goût n1 aptitude pour les choses de la guerre et qui de plus était à bout de ressources.

Le connétable faisait valoir en faveur de la paix la pénurie du trésor, l'épuisement du royaume, la pauvreté et le mécon- tentement de la noblesse, le grand âge et l’égoïsme du pape, le danger d’une rupture avec la reine d'Angleterre (1). C'était donc en toute loyauté que, depuis la reprise des négociations, il proposait à la cour de Bruxelles d'en finir quant aux pri-

(1) © Vieux, pesant l'avenir, connaissant à fond les affaires du Roy et les limites de ses forces, le mauvais estat de ses finances, la pauvreté du royaume, la grande richesse et puissance de la monarchie espa- gnole (qui eût mis en grand danger le royaume de France, si l'on ne se fust arresié devant Melz), considérant les humeurs des seigneurs et par- tialités dangereuses, » enfin désirant accroître l'illustration de sa famille par une paix dont il serait l’auteur, le connétable se flattait de l’es- poir que le royaume n’en recevrait aucun préjudice, et qu'il en profi- terait même pour se fortifier sur les frontières de l'empire affaibli.

juin 1556. :

249

sonniers, afin d’ôter par un prétexte de rupture au parti qui poussait Henri IT à la guerre. Cette proposition était ap- puyée par Simon Renard; Ruy Gomez et le duc de Savoie la firent accepter à leur souverain. En conséquence, vers la fin de juin, l'ambassadeur impérial recut du gouverneur des Pays-Bas, avec des félicitations pour lui, la nouvelle qu'on était tombé d'accord avec l'ambassadeur français l’Aubépin, sur la rançon des prisonniers, et qu'il n'y avait plus qu’à les relaxer de part et d'autre (1).

Philippe, toutefois, et ses conseillers avec lui, persistaient dans leur défiance. « Quelque chose qu'on parle de paix, disait Renard dans sa lettre à Ruy Gomez, il convient penser à la gucrre et se tenir prêt à offense et défense, pour avoir expérimenté tant de fois leur foy, ruse et loyauté »; et le duc de Savoie à Renard : « plus en leursdits propos ils sont doux, plus convient-il que vous soyez vigilant pour descouvrir leurs menées publiques et secrètes ». Aussi, malgré les derniers arrangements conclus au sujet des prisonniers, ajournait-on leur délivrance. C’est qu'en effet les événements qui se pas- saient en Italie et qui avaient leur contre-coup à la cour de France, n'étaient rien moins que rassurants. Voici en résumé _ comment Renard en rendit compte à son souverain :

_ Le pape Paul IV, ayant banni de ses Etats les Colonna, ennemis de sa maison, confisca sur eux divers domaines limi- trophes du royaume de Naples, qu'il érigea en duché en fa- veur de son neveu, Jean Caraffa, gouverneur général des Etats de l'Eglise; il fortifia Poliano, capitale du nouveau duché. Le duc d’Albe, vice-roi de Naples, qui voyait un danger dans le voisinage des fortifications nouvelles, éleva des protestations et donna des soldats à Antonio Colonna, pour aller interrompre les travaux par la force. Des courriers du pape en apportèrent la nouvelle à Fontainebleau, se trouvait la cour, avec

(1) Renard à Ruy Gomez, 12 juin 1556; à Philippe IT, 28 juin; Le duc de Savoie à Renard, fin juin.

eu

250

ordre au cardinal Caraffa de regagner en hâte l'Italie, après s'être assuré des secours du roi, moyennant la promesse d'un million d’or. Caraffa jurait bien haut « qu’il alloit de bon gré en la négociation de la paix, mais que, puisqu'on recherchoit le Saint-Père et empeschoit son autorité, 1l emploieroit la vie, le sang et biens de luy et ses amys pour y résister. »

Avant de transmettre ces graves nouvelles, Renard, dési- reux de voir de près ce fougueux personnage, lui avait fait une visite toute de dissimulation, louant très-fort ses grands mérites, sa dignité, l'importance de sa mission, le caractère élevé du pontife qu’il représentait, et concluant par dire qu’il se mettait à ses ordres.

Le cardinal, non moins dissimulé, affirma qu'il ne cher- chait en tout que le service de Dieu et le bien de la chré- tienté; que c'était en vue de procurer l'un et l’autre, qu'il était venu traiter de la paix, ainsi que du concile que le pape voulait convoquer à Rome, et que nulle affection particulière ne serait capable de le détourner de son devoir. El se félicitait d'entrer en rapports avec l’ambassadeur impérial, dont il avait entendu dire beaucoup de bien, et il réclamaitl ses bons offices, pour l'aider dans l’accomplissement de sa mission (1).

Renard ne pouvait croire à la sincérité de Caraffa; 11 ne :

crut pas davantage à son expérience et à ses Lalents diploma- tiques. Mais il redoutait assez son caractère remuant et ses dispositions belliqueuses, pour vouloir le faire arrêter dans sa traversée de Marseille à Rome. « Si l'on pou voit le surprendre à son retour, écrivit-il à Philippe, ce seroit advantage, m'en remettant à ce que V. M. en trouveroit pour le mieux (?). » Cependant, le légat, assuré des secours du roi de France, brülait de mettre aux prises le pape et le roi d Espagne. Dans un festin donné par Henri IT, à l’occasion du baptême d’une de ses filles, il fit, en présence de tous les ambassadeurs, une

(1) Renard à Philippe IT, de Moret, 20, 21 et 28 juin 1556. (2) 30 juin.

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violente sortie contre les ennemis héréditaires du Saint-Siège (les Colonna) et contre ceux qui, voulant dominer partout ([Charles-Quint et Philippe I), leur fournissaient de l'argent et des troupes. Renard prit la défense de ses maitres; il repro- cha au légat de sacrifier ainsi sa mission de paix à des inté- rêts particuliers et lui fit hardiment la leçon, « afin de non montrer visage de crainte, pour le mettre davantage en colère et le faire parler et faire congnoistre de quels ministres Dieu est servi. » Caraffa, l'interrompant vivement, lui imputa entre autres choses, de vouloir, à la faveur de son absence de Rome, faire saccager la ville éternelle. Il eut aussi des paroles de hauteur et de dédain pour les autres ambassadeurs et obligea celui de Venise à lui donner un démenti. Enfin, tout l’audi- toire fut scandalisé de cette violence d'attitude et de langage, et Antoine de Noailles dit à l'oreille de Renard « qu'il seroit désavoué. »

. En efet, cette scène était souverainement injurieuse pour le roi, plus que pour tout autre, « ayant eu lieu, remarqua Renard, au palais, en public, par estranger, après avoir esté appelé au festin. » Aussi fut-elle jugée sévèrement à la cour et au Conseil; mais il n’en fut fait aucun semblant au légat,

et le roi se contenta d'en envoyer le compte-rendu au pape (1).

Par conséquent, les Guises n’en continuèrent pas moins à seconder les efforts de Caraffa, pour décider leur maître à la gucrre. Ün moment même, le connétable, irrité de ce que le sire de Bugnicourt, par ordre supérieur apparemment, avait haussé la rancon de son fils, fit taire tous ses autres griefs (2) et se mit d'accord avec les Guises et Saint-André, au sujet de ja ligue et des mesures à prendre pour la défense de Poliano;

(1) Renard à Philippe IT, 9 juillet 1556.

(2) Une preuve de la prépondérance des Guises : toutes les ordon- nances en matière de finances que préparait le connétable, devaient obtenir lapprobation et la signature du cardinal, avant d’être sou- mises à telle du roi, « estant bridé de ce coustel-là, parce qu'il y a grand bruit que ledict connétable ayt faict sa main sur les finances en

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il déclarait hautement que le roi aiderait le pape, et le légat affirmait de son côté que l’an prochain la guerre serait menée en Italie, de telle sorte que le roi d’Espagne y perdrait Naples ou le pape ses Etats. «On dit publiquement ici, écrit Renard, que le fait des prisonniers fera rompre la trève par decà; » il demande en conséquence plusieurs courriers pour expédier les dépêches, attendu que, «dans les termes de rupture l'on est, » il ne peut plus se servir de l'intermédiaire du con- nétable.

Cependant les Français activent leurs menées en Italie et leurs préparatifs de guerre. [ls entretiennent des intelligences daus la ville de Sienne, retombée au pouvoir des Médicis ; ils s'efforcent de vaincre les dernières hésitations du duc de Fer- rare et de retenir Octave Farnèse, sur le point de céder aux sollicitations de Philippe IT; Caraffa offre aux Vénitiens les places de Cervia et de Ravenne, en échange de leur concours; le duc de Brissac, illustré par la défense de Sienne, a recu l'ordre de ne pas licencier ses soldats et de les tenir en Pié- mont; d’autres troupes sont dirigées vers la Toscane; on pré- pare à Marseille les galères qui doivent transporter les déta- chements destinés à partir avec le légat, comme avant-garde; des rassemblements de troupes ont lieu en Champagne et vers. les frontières du Luxembourg, et l’on s'occupe activement de renforcer et de ravitailler la place de Marienbourg. Enfin, le roi s’est fait dresser « un pourtraict des chemins de Flandre. »

Simon Renard, qui accompagne de détails étendus et précis les informations qui précèdent, ne doute pas que les Francais ne prennent prétexte de l'affaire des prisonniers, pour rompre la trève (1). [1 pense néanmoins, et d’autres avec lui, que si

ses dernières guerres : aussi a-t-il acquis pour 300,000 écus de biens. » Renard remarque aussi que le connétable a suivi le roi à Anet, bien maloré Jui et pour ne pas déplaire à la duchesse de Valentinois. 7 juillet 1556. (1) V. aux Archives nationales, un résumé en espagnol de <inq dé- pêches de Renard à Philippe I, des 9, 13, 14, 18, 19 juillet, dont la pre-

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l'on pouvait enfin parvenir à une libération réciproque, il n’y aurait pas de rupture avant le printemps, attendu que les Francais ont, pour demander un sursis, des motifs de plus d'une sorte. Outre les hésitations d'Octave Farnèse et du duc de Ferrare et la réserve prudente des Vénitiens en Italie, la pacification religieuse, signée à Augsbourg par tous les Etats de l’empire, le 25 septembre 1555, l'accord rétabli entre les membres de la maison d'Autriche, et la prochaine transmis- sion de la couronne impériale par Charles-Quint à son frère Ferdinand (27 août), avec reversibilité sur la tête du roi de Bohême, Maximilien, ne laissaient au roi de France aucun espoir de diversion du côté de l’Allemagne. En Angleterre, les ennemis de la reine, répandant le bruit de sa mort, avaient tenté de soulever les comtés de Sussex et de Suffolk, et de faire reconnaitre pour roi un Courtenay supposé, en l'absence de l’autre ; mais les habitants, au lieu de les suivre, se tournèrent contre eux et faillirent leur faire un mauvais parti : ils furent tous pris et mis en prison, ce qui prouvait, selon la remarque de Renard, le peu de popularité du véritable Courtenay. C’é- tait à la fois, pour le roi de France, un échec indirect et, pour Philippe IT, une chance de plus d'amener le gouvernement anglais à s'’armer pour sa querelle.

Mais le principal obstacle pour Henri IT consistait dans la difficulté de se procurer de l'argent, et dans la pauvreté du peuple et de la noblesse, qui ne désiraient pas la guerre. Une secheresse persistante faisait craindre la disette ou plutôt la famine. « Le roy, écrivit Renard, a été contraint de remettre la moitié de la taille de 800,000 écus, qui lui avoit esté accordée |

mière seule existe in eælenso au tome IV des Papiers d'Etat. On trouve dans ce résumé des indications précises comme celles-ci : « On met en état les 43 galères pour le passage de 3000 soldats et de Caraffa. » « Le roi ne veut pas se servir des Italiens contre la Toscane; 1l em- ploiera à cet effet le capitaine Lamala avec 2000 François. » « On lèvera six enseignes d’Allemands » « On donnera ordre à ce qu'il y ait 400 hommes d'armes en Italie, 100 au duc de Ferrare, 100 à son fils, 100 au duc de Parme, 100 au comte de la Mirandole. »

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254

au royaulme pour la solde de 50,000 hommes de pied, et de mettre une taille en Piémont de 20,000 écus par mois pour souldoyer les frais et munitions, au grand désespoir des habi- tants à qui l’on avoit promis de les soulager au lieu de les charger (1). »

IV

Ainsi Henri IT n'avait pas moins d'intérêt à différer de quelques mois la rupture, que son adversaire à l’éviter tout à fait. Mais comment sortir de cette sorte d’impasse, tant que, d'un côté, on ferait de la libération préalable des prisonniers une condition absolue pour le maintien de la trève, et que, de l’autre, on s’obstinerait à les retenir à titre d’otages, en pré- vision d'une rupture ?

Simon Renard, comme on l’a vu, conseillait à son maitre de céder sur ce point, afin de gagner du temps, puisque, faute du secours de l'Angleterre, il n’était pas en mesure de rompre le premier. Il y eut un moment il put croire que Philippe se rangeait enfin à ce parti, lorsqu'il sut qu'il avait fait « mo- dérer » la rançon de Francois de Montmorency et écrit au connétable pour l'en informer (2). Mais presque aussitôt le sire de Bugnicourt recut l'ordre de trouver des expédients pour traîner en longueur l'élargissement du noble prisonnier, tout en affectant de le hâter. Ensuite le duc de Savoie déclara au maître d'hôtel de Bassefontaine (3) qu'on ne rendrait n1 Montmorency ni les autres; que les déportements des Fran- çais et l’activité de leurs préparatifs de guerre du côté des Pays-Bas, avaient changé sur ce point les résolutions du roi, et que, lors même que Sa Majesté serait disposée à souffrir de telles bravades, lui, gouverneur de ces provinces, ne les souf- frirait pas. On considérait donc à Bruxelles la rupture comme

(1) Renard à Philippe Il, 7 juillet 1556. (2) Voir dépêches du mois de juillet citées plus haut. (3) 24 juillet.

255 certaine, et l’on s’étonnait que l'ambassadeur français ne fût pas encore rappelé.

Le duc de Savoie, en informant Renard de ces incidents et de quelques autres, dont la cour de France pourrait faire autant de griefs, lui ordonna de se tenir toujours prêt à tout justifier, de voir si le connétable continuait à se montrer « si aigre, » depuis la lettre du roi, et de chercher à savoir de lui, « qui tient en France si principal lieu, » ce que le Conseil aurait décidé. Il lui recommandait en outre de s’enquérir avec soin des dispositions actuelles du gouvernement véni- tien, du duc de Ferrare et d’'Octave Farnèse, de voir com- ment on pourrait gagner celui-ci, et cependant de continuer à fournir des renseignements détaillés et précis sur les prépara- üfs de guerre du roi de France et sur l’état de ses ressources, afin que Philippe püt agir lui-même en conséquence (1). La réponse de l’ambassadeur, écrite de Paris (@), ne devait pas laisser de doutes sur les dispositions belliqueuses de Henri IT et de ses conseillers, lesquelles s’accentuaient davantage, à mesure que le cours des événements leur apportait de nou- veaux encouragements et de nouveaux griefs. L'adhésion plus que probable du duc de Ferrare, qui cédait peu à peu _ aux sollicitations du pape, du roi de France et des Guises et à leurs séduisantes promesses; l’arrivée du commandant de Ia citadelle de Milan, Juan de Luna, qui, fuyant la vengeance de Fernand de Gonzague, venait secrètement offrir ses ser- vices au roi Henri et lui faire des révélations d’une extrême gravité, tant sur l’état du Milanais et les affaires générales du roi d'Espagne, que sur la manière dont ce prince était servi par ses conseillers (3); la nouvelle qu’on venait de découvrir

(1) Le duc de Savoie à Renard, 95 juillet 1556.

(2) Renard à Philippe IT, 27 et 29 juillet.

(3) L'année précédente, Fernand de Gonzague, gouverneur du Mila- nais, avait été, par ordre de l'empereur, l'objet de poursuites provo- quées, disait-on, par l’évêque d'Arras dont il était l'ennemi. Après s'être justifié des accusations portées contre lui, il voulut se venger de

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256

à Rome un complot tramé entre Philippe et le duc de Tos- cane, dont l’agent principal n’était autre que le résident espa- gnol près le Saint-Siége, Garcilasso de la Vega, et qui, au dire de Paul IV, avait pour but de surprendre et de saccager la Ville éternelle; l'arrestation d’un ingénieur du duc de Savoie, qui relevait pour ce prince le plan des places fron- tières de Picardie : ces faits, rapprochés de certains autres et particulièrement de la nouvelle attitude du connétable, quise rendait inabordable à l'ambassadeur impérial (1), donnaient à celui-ci la ferme convicuon que la guerre était proche, et que le roi de France n'attendrait pas pour s’y décider que le duc d’Albe eût commencé les hostilités contre Poliano. Il annonça positivement que les considérations qu on pouvait tirer de l’âge du pape, « de sa légereté et de sa passion, n’em- pêcheroient pas les Français de pousser la ligue à bout, et que cette ligue tendait à guerre offensive et défensive contre Phi- lippe IT » : offensive et à bref délai si, comme on n’en doutait plus, le duc de Ferrare donnait son adhésion; défensive dans le cas contraire. Enfin, le {1 août suivant, il put avertir son maître que cette adhésion du duc était enfin arrivée et que le légat se disposait à partir, après avoir conclu avec le roi Henri « guerre offensive et défensive (2).» Et, en effet, la guerre :

ses accusateurs, au nombre desquels était Juan de Luna. De la fuite de ce dernier. Renard racontant à son souverain, sur la foi d’un ami parfaitement placé pour avoir des renseignements cerlains, que le fugitif avait été recu par le roi, au château de Chantilly, à la suite d'une conférence avec le connétable dans la forêt voisine, dirigea contre les conseillers de Philippe IT et par conséquent contre l’évêque d'Arras, une attaque indirecte, sur laquelle nous reviendrons plus loin.

(1) « Le Connétable est parti avec le Roi pour Fontainebleau... fl exclut l'ambassadeur de l’acces de la Cour, pour non avoir moïen d’en- tendre leurs menées. » Renard au roi, 27 et 29 juillet. Le 11 août, Renard informe son maître que le connétable évite toute négociation avec lui, étant tout occupé « à négocier la guerre. »

(2) « L’adhésion du duc de Ferrare est arrivée... On a écrit aux ca- pitaines qui doivent passer en Italie, de se hâter et de se mettre aux ordres du légat... »

251

contre l'Espagne venait d’être résolue secrètement, en conseil du roi, le 31 juillet. |

Pour arriver, dans ses informations, à un tel degré d’exac- titude, 11 fallait à Simon Renard de nombreux espions et des intelligences suivies à la cour de France, dans les provinces, dans les places, dans Les ports du royaume, ainsi qu’à l’étran- ser. Il en résultait des frais considérables, auxquels ses sou- verains ne se pressaient pas toujours de pourvoir. Dans sa dépêche du 29 juillet, il le rappelle à Philippe, en le priant de Jui faire tenir de l'argent; « car, dit-il, le mien que j'avois s'en va faillir, de sorte que je n'en ai pour l'ordinaire ni extraordinaire. »

Sa pénurie ne l'empêchait pas, en attendant la très pro- chaine rupture, de continuer la lutte sur le terrain diploma- tique, et de retourner adroitement contre les Francais les im- putations diverses qu'ils formulaient contre son maître. Dans une entrevue qu'il finit par obtenir du connétable à Fontai- nebleau, le dernier dimanche d'août, Montmorency cherchant à atténuer les torts du pape, et ayant déclaré que si la guerre se rallumait par son fait, « le roi de France ne pourrojt dé- _ laisser ses alliés, » 1l objecta que, dans sa conviction, il était

impossible que le roi et son conseil ne vissent pas clairement, à la conduite de Paul IV, que ce pontife ne désirait n1 la paix, ni le repos de la chrétienté; que, par conséquent, « le dict S' Roy devoit réfléchir avant de l’assister en son tort, et, si au- trement advenoit, l’on jugeroit que, pendant la trève, l'on auroit traité avec le pape chose contraire. À quoi répliqua ledit Connétable, qu'il avoit souvent dif au S' Roy les parüalitez commencez par le Pape ne pouvoir tendre à bonne fin (1). »

Ici encore reparaissent les fluctuations du connétable. Evi- demrnent ses préférences étaient pour la paix, et, s’il se mon- trait parfois belliqueux, c'était par peur des Guises et pour atténuer le reproche que, selon Renard, ils lui faisaient

(1) Renard à Philippe Il; de Moret, 1 septembre 1556,

”. 17

258

d’avoir été, avec son neveu Coligny, l’auteur de la trève de Vauxelles. « Le cardinal de Lorraine ne ménage pas le Con- nétable sur ce point, et l'amiral, qui a recu de tout autres dé- monstrations que celles qu'il attendoit, garde depuis trois mois sa maison sans en bouger (1). »

V

Cependant les hostilités avaient commencé en Italie. Une insurrection en faveur des Colonna, qui éclata dans les do- maines dont le pape les avait dépouillés, en devint le signal. Paul IV accusa le vice-roi de Naples de l'avoir provoquée et se déclara résolu à la guerre (2). Le duc d’Albe, dans une ré- plique sévère et menacante, lui reprocha de sacrifier à l’éléva- tion des siens ses devoirs les plus sacrés, et de méconnaître le dévouement de l’empereur et du roi, son fils, envers le Saint- Siège, au point de se liguer avec leurs ennemis pour les chas- ser de l'Italie. Il termine en l’invitant à changer de conduite, faute de quoi il saurait bien l’y contraindre; il l’assure d’ail- leurs qu'il demande au Ciel de le conserver pour le bien de l'Eglise et qu’il baise ses pieds sacrés (3). Bientôt il se mit en campagne, de concert avec le duc de Toscane, Cosme [°, pour secourir les Colonna et leurs sujets fidèles, « et refréner l’insolence du Pape » : ils avaient 18 à 20,000 hommes (4).

C'était pour Henri II le moment de porter secours à son

(1) Renard à Philippe IE, 6 septembre 1556.— Il répond ainsi au blâme que lui a valu à lui-même la conclusion de cette trêve.

(2) Renard à Philippe IT, 11 août. Le 15 septembre, le marquis de Pescaire écrivit de Milan à Simon Renard : « Le Pape a jeté le mas- que. » Et Renard à la princesse de Portugal : « Il ne faut espérer ae lui que ce que l’on attend d’un ennemi plein de mauvaises affec- tions, vengeance et avarice. »

(3) Le 21 août.

(4) Renard à la princesse de Portugal, 15 septembre 1556. Jeanne, deuxième fille de Charles-Quint, veuve de l’infant de Portugal don Juan, gouverna le royaume d’Espagne de 1554 à 1559.

259 fougueux allié. Mais il n'était pas encore en mesure de le faire. Simon Renard, qui suivait ses préparatifs militaires, ses levées d'impôts (1), ses menées à l'étranger (2 et n’en lais- sait rien 19norer à son souverain, affirmait qu'il ne serait prêt

(1) « Le Roy fait lever les mêmes subsides, impôts, tailles, taillons, décimes et accrus, comme en temps de guerre, hormis qu'il a réduit l'entretien des 50,000 hommes que ceux du menu de France (le tiers Etat ?) devoient soudoyer, de 800,000 écus à 400,000; et resserre le plus qu'il peut ses finances pour l’année qui vient. L’on est après pour mettre les écus-soleil à cinquante sols... Le Roy gagne beaucoup sur le monnoyage, parce que personne ne fait monnoyage, sinon lui seul et par son autorité (il n'y avoit pas même exception en faveur du roi de Navarre). » Renard à Philippe IT, 14 septembre 1556.

« Le roi de France a eu dispense du Pape pour prendre un décime sur chaque bénéfice. Mais, d'autorité et par force, il accroît quand il veut de deux décimes, tellement qu'il relève la moitié du revenu des biens de l'Eglise. »

« En outre, dans ses guerres précédentes, il à imposé chaque clocher

à 20 livres, et a inventorié tous les reliquaires d'argent, pour les prendre quand il vouldra, et si la trêve ne se fût faite, il les eût prins pour la guerre, Car il n’avoit plus moïen de finances... Davantage les prélats et gens d’Eglise qui ont quelque répargne, sont travaillés par emprunts, et l’on prend les graines qu'ils ont; ayant aussi prêté leur vaisselle d'argent, ceux qui en ont eu; tellement que quand le dit sieur roy de France commande, il est obéi soit par crainte, force ou volonté. » Renard à la princesse de Portugal, 15 septembre. _. (2) Le roi a envoyé le sieur de Sipière vers le roi de Bohème, pour découvrir ses dispositions envers le roi d’Espagne et s'informer de ce qui se passe en Allemagne. On dit à la cour que c’est afin d'ouvrir des négociations, pour un mariage entre la fille de ce prince et le dauphin. Mais Renard croit avec raison que ce n’est qu'un prétexte.

Le roi se sert aussi d’un abbé de Saint-Salut qui, sous couleur d’une mission de paix qu'il aurait reçue du pape, va et vient mystérieuse- ment d’une cour à l’autre. Il vient de quitter Paris pour aller on ne sait où. Renard croit que c’est en Angleterre, où, dit-il, il intrigue par- ticuliérement auprès du cardinal Pole, « pour empescher l'établisse- ment de Sa Majesté (Philippe IT) dans ce royaulme. » C’est un homme à surveiller. À propos de cet intrigant, Renard va jusqu à affirmer qu'il a été question, en présence du roi de France, de faire empoi- sonner la reine d'Angleterre, et que le roi «a gousté la pratique. » Il prétend le tenir de bonne source et en a prévenu l'ambassadeur an- glais, Wothon, qui a en écrire à sa cour. Renard à Philippe IT, 1, 14 et 24 septembre.

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260

qu'au printemps prochain et qu'il regrettait que Paul IV n'eût pas temporisé jusqu à cette époque, maintenant surtout que le duc Octave venait de lui signifier sa résolution de demeu- rer neutre. Craignant donc que le pape ne fût pas en état de soutenir seul la lutte, «il chercha à surseoir par dissimula- tion et-dolosité, » pour parler comme Renard : de les con- férences successives que, vers la fin de septembre, l’ambassa- deur eut avec le connétable et les audiences qu'il recut du ro1..

Au début de ces conférences, le connétable annonça à Re- nard que son maître, voulant prouver une fois de plus com- bien il était sincère à désirer la paix, venait d’ordonner dans tous les ports du royaume que, si l’empereur et les reines douairières de France et de Hongrie ses sœurs, dans leur tra- versée pour aller en Espagne, étaient repoussés par la tempête sur quelque point de son littoral, «ils fussent accueillis, se- courus, honorés et assistés comme sa propre personne.» À quoi l'ambassadeur répondit séchement que, en pareil cas, son souverain agirait de même (1).

Ensuite on discuta sur les violences qui se commettaient aux frontières, sur la libération des prisonniers et les hosti- lités engagées entre le pape et le duc d’Albe. Sur le premier point, Renard fit remarquer que, si la délimitation des fron- tières n'avait pas encore eu lieu, la faute en était aux Fran- cais qui ajournalent indéfiniment la nomination de leurs commissaires, tandis que le roi d’Espagne avait désigné les siens depuis longtemps. Quant aux prisonniers francais, un accord définitif fut conclu entre le duc de Savoie et Bassefon- taine, ensuite duquel François de Montmorency et d’Andelot

(1) Renard à Philippe II, le 24 septembre 1556. Charles-Quint, après avoir remis la couronne impériale à son frère Ferdinand, roi des Ro- mains, au commencement de septembre 1556, s’embarqua le 14 du même mois à Flessingue, avec ses deux sœurs Eléonore et Marie, pour retourner en Espagne. Il y avait plus de douze ans qu’il n'avait revu ce pays.

261

sortirent de prison (1). Mais une fois son fils et son neveu rendus à la liberté, le connétable, imitant la conduite qu’il avait tant de fois reprochée aux Espagnols, prit à tâche de différer la délivrance de leurs prisonniers, sous prétexte qu'il n'avait pas encore les renseignements nécessaires pour établir le chiffre de leur rançon. «Je prévois que ce que j'ai souvent répété à V. M. adviendra, écrivait Renard à son maître, et que le connétable taxera excessivement les dits prisonniers, puisqu'il a tiré ses parents hors de prison (.» Il aurait pu confesser de plus que cette prévoyance lui avait fait défaut, lorsque, peu de temps auparavant, il donnait au roi le conseil de céder sur le point des prisonniers. Toujours est-il que, trois semaines plus tard, les Français n’en avaient délivré que quelques-uns, au lieu que le roi d’Espagne en avait re- laxé un grand nombre. C'était un calcul du connétable, qui prétendait par procurer à Paul IV un armistice dont il avait grand besoin, et subordonnait à cet objet le maintien de la trève et la poursuite des négociations pour la paix.

. Simon Renard dut adresser sur ce sujet des représentations

(1) Dès le 27 août, Philippe IT avait annoncé à Renard qu'il lui en-

voyait le cahier de la modération de la rançon des prisonniers français, concertée avec Bassefontaine. Le 2? septembre suivant, le duc de Sa- voie lui transmit les articles suivants :

Les prisonniers français seront remis en liberté en payant une année de leur revenu et de leurs appointements, plus les dettes et dé- penses faites pendant leur captivité ;

Les fils de famille, l'équivalent d’une année de revenu des biens qu'ils auraient à prétendre de la succession de leurs parents;

Les gentilshommes servants (officiers de la maison d’un souverain) paieront de plus chacun 300 francs;

Le comte de Pont-de-Vaux et M. de la Roche-Guyon paieront, en sus d'une année de revenu, 300 écus pour leur qualité.

L'ambassadeur d'Espagne dira qu’on se plaint à tort que les sieurs de Chaulnes et d’Estrées sont maltraités, d'autant qu'ils ne font que trop de pétulances avec les filles ils sont. Il tiendra la main à la prompte délivrance des prisonniers d'Espagne qui sont à la Bas- tille.

(2) 27 septembre.

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402

énergiques, sans même attendre que le duc de Savoie lui eùt ordonné de le faire (1). L’armistice demandé serait tout à l'avantage du Pape. puisqu'il le laisserait en possession des forts qu'il avait construits aux confins du royaume de Naples, à moins qu’il ne consentit à les remettre en main tierce non suspecte. Comme d’ailleurs c'était lui qui, le premier, avait dé- claré la guerre, le roi de France ne lui devait aucun secours, si, comme on l’affirmait, la ligue n était que défensive, que lors même qu'elle serait offensive et que Henri IT se croirait tenu d'intervenir, il suffirait qu’elle n’eût pas été formée contre le roi d’Espagne, pour que la trève en demeurât indépendante. Il y avait donc lieu de continuer à négocier sur les points principaux, pour finir par la question romaine; et, en s’y refu- sant, le roi de France prouverait, contrairement à l'opinion de Philippe et de son ambassadeur, que c’est chez lui un parti pris d'aider le pape à troubler, dans l'intérêt de sa maison, le repos de la chrétienté.

Telles étaient, en résumé, les remontrances de Simon Re- nard. Le connétable répliqua en soutenant que si le pape avait commencé la guerre en paroles, le duc d’Albe l'avait com- mencée par les armes, et que le monarque espagnol, dans sa haine pour le souverain pontife, ne projetait rien moins que de renouveler contre lui l'exploit sacrilège du duc de Bour- bon. C'est pourquoi, sans sc refuser aux négociations pour la paix, son maître soutiendrait le pape jusqu'au bout : si ce n’était assez de 10,000 hommes, il lui en enverrait 20,000; et lorsqu'on aurait repoussé le due d’Albe, « l’on pousserait oultre et se jetteroit aux lieux que l’on trouveroit ouverts. » Ce

(1) Dans sa dépêche du 21 octobre à Renard. le duc de Savoie pas- sant en revue la situation faite aux principaux prisonniers d'Espagne : « Floyon, dit-il, dont on a augmenté la rançon, a été mis en la Bastille dix mois durant, en une chambre il n’a vu ni soleil ni lune, ayant eu quatre serrures sur la porte... Ils demandent au sieur de Hamalle un quart d’escu par jour pour sa garde, encores qu'il soit esté traicté comme l’on pourroit faire une personne criminelle. »

263 qui signifiait que, si le duc d’Albe ne posait pas les armes, la trêve serait gravement compromise (1).

Henri II confirma à l'ambassadeur de Philippe IT ces dé- rations du connétable, non sans pousser vivement ses prépa- ratifs. Dans un conseil secret, réuni sous sa présidence, auquel assistait le duc de Brissac, on arrêta les résolutions suivantes : dépêcher en Suisse et en Allemagne pour activer les levées; envoyer au-delà des Alpes 6,000 Suisses, 7 à 8,000 lansque- nets, 4 5,000 Francais, sans compter 3 ou 4,000 Italiens, soi-disant pour secourir le pape, mais en réalité pour faire une guerre «diversive » et attaquer le Milanais qui, d’après les révélations de Juan de Luna, devait être en fort mauvais état de défense.

Malgré les mesures prises pour fermer aux espions l'accès de ]a cour et leur cacher l’arrivée et le départ des courriers, ces résolutions secrètes n'échappèrent point à Renard, qui put les transmettre comme cerlaines à son souverain, en lui re- nouvelant, pour la centième fois, le conseil de mener de front les négociations et les préparatifs de défense. « Tous les doux propos tenus pour entrer en communication et accord, ne tendent à aultre fin, sinon pour tromper et endormir Vostre Majesté. Et je sens leurs forces si prêtes, qu’il est besoin que V. M. haste ses préparatifs (2). »

En réponse à ces informations et particulièrement aux termes de bravade et de menace dont avait usé le connétable, Renard recut de Bruxelles l’ordre de revoir ce dernier et de lui demander nettement si l'intention du roi, son maître, était d'observer la trêve en Piémont, en Lombardie, en Toscane et dans le reste de l’liatie, comme aussi du côté des Pays-Bas et de l'Espagne, sans nulle arrière-pensée d'y porter la querre au nom du Pape, bornant l'assistance qu'il avait promise en qualité de confédéré, aux différents points sur lesquels le Pontife a résolu

(1) Renard à Philippe IT, 27 septembre 1556. (2) Renard à Philippe IT, 25 et 27 septembre.

264

de porter ses attaques. Dans ce cas, Philippe verrait avec plai- sir se renouer les négociations pour la paix, suivant la forme qui conviendrait le mieux à la cour de France, et il ferait son possible pour accorder le Pape et le due d'Albe (1). L’am- bassadeur devait en outre insister sur l'affaire des limites et des prisonniers, compléter ses renseignements sur l’état des finances françaises, et vérifier ses précédentes informations quant aux levées de Suisse, d'Allemagne ct d’ailleurs, au sujet desquelles les agents du roi d’Espagne n'avaient rien pu découvrir (?).

VI

Sur ces entrefaites, une dépêche du cardinal Caraffa était arrivée à la cour de France, annonçant que Marc-Antoine Colonna n’était plus qu'à un mille de Rome, pillant la cam- pagne, et que le pape aux abois réclamait instamment l’assis- tance du roi son allié. A ceite nouvelle, Henri IE, ayant réuni le Conseil, décida qu'il ne pouvait délaisser de secourir le Saint-Père, et ne le saurait faire sans rompre avec Philippe; qu'autrement ce serait décourager tous autres de faire ligue et alliance avec la France. Aussi lorsque Renard vint exposer au sein du Conseil l’objet de sa mission spéciale, le connétable, au lieu de lui répondre nettement, se mit à récriminer : « Le duc d'Albe avait pris l'offensive; le roi Philippe levait des troupes en Suisse et en Allemagne et rompait la trève. Par conséquent son maître n’avait plus qu’à se mettre en état de défense et à renvoyer à d'autres temps la suite des négocia- tions commencées. Pour lui, il continuait à désirer Ja paix autant que personne.» Il l'affirmait, du moins, et Renard croyait qu’en effet c'était contre son gré, et, malgré ses efforts pour l'empêcher, qu’on « s’encheminoit à la guerre. »

Le roi, dans une audience particulière, tint à l’ambassa-

(1) Ruy Gomez à Renard : de Gand, 2 octobre 1556. (2) Le duc de Savoie à Renard, 4 octobre.

265

deur espagnol un langage analogue, mais avec moins de formes et d’un ton plus décidé. « Je le trouvai, écrit Renard, disposé à la guerre, selon que, par les espions, j'avois été pré- adverti, et j'ai conclu de sa réponse qu’ilentend que c'est Vostre Majesté qui a rompu la trêve le premier, par ce que le duc déAlberarfait. Et se préparent tous ceulx de par decà à la guerre, selon que le dit S' roy de France m'a confessé (1). » ... En effet, «les accrues d'impôts, » les négociations avec les banquiers, les envois d'argent et les levées à l'étranger, les mouvements de troupes, les revues, les pratiques avec cer- taines places des Pays-Bas, les démarches que l’on faisait auprès du duc de Ferrare, à l'effet d'attaquer le Milanais de deux côtés à la fois : c’étaient autant d'indices qui, avec d’autres encore, confirmaient, selon Renard, les déclarations du roi et du connétable (?).

Philippe, néanmoins, fit une nouvelle tentative en faveur de la paix. [1 chargea son ambassadeur de dire à Montmo- rency que le duc d’Albe ayant fait au pape et au cardinal Caraffa des propositions fondées en raison et en équité et très susceptibles d'aboutir au résultat désiré, c'était le cas de cher- cher des moyens pratiques pour arriver à une paix générale. Il offrait d'envoyer à cet effet, avec mission spéciale de con- clure, le secrétaire Ruy-Gomez, dont le roi et le connétable réclamaient depuis longtemps la venue, certifiant « qu'il ne

(1) Renard à Philippe IE, 7 octobre 1556.

(2) Le maître d'hôtel du Rhingrave part pour faire des levées en Allemagne ; on envoie « des maçons » en Italie pour fortifier les places: le sieur d’Estrées tient son artillerie prête; l'amiral de Chatillon va en Picardie; on doit envoyer en Suisse 80,000 francs pour deux paies, et pour deux paies aux garnisons de Piémont, sur neuf ou dix qu’on leur doit; on négocie un emprunt de 309,000 écus avec les banquiers, et ailleurs un emprunt d’un million de francs: on accroît les tailles de 3 ou 4 sols par livre; on rassemble des troupes et on passe des revues sur divers points. Ils ont des pratiques aux Pays-Bas et en particu- lier dans la place de Hesdin. Mais ce qu'ils veulent entreprendre de ce côté, Renard n'a pu encore le découvrir. «J'y travaille, dit-il, tant que je puis. » Renard à Philippe IF, 7 octobre 1556,

266 négligcroit rien pour assurer le succès d’une entreprise qui intéressoit à un si haut point le bien général de la chres- tienté. »

À ces instructions il Joignit divers avis, «afin, écrivit-il à Renard, de vous mettre en mesure d'affirmer en temps et lieu que nous faisons, dans l'intérêt de la paix, bien au-delà de ce que l’on pourroit attendre de nous (1). »

On ne voit pas que la cour de France ait donné suite à ces dernières propositions et que les négociations aient été reprises entre les deux souverains. De part et d’autre, on employa la fin de l’année 1556 à se préparer à la guerre. Pendant que Paul IV temporise avec le duc d'Albe, Philippe IL presse Elisabeth d'Angleterre d'accepter pour époux le ducde Savoie, mariage que Henri IT redoutait le plus au monde (?); le car- dinal de Guise travaille à réconcilier la duchesse de Lorraine avec le roi son maître; l'ambassadeur français à Venise, de concert avec les Caraffa, sollicite, au prix des offres les plus séduisantes, le concours de la Seigneurie. Mais celle-ci, qui voyait déjà de mauvais œil les empiètements des Français en Italie et l'ambition du duc de Ferrare, leur allié, n’avait garde de s'en faire des voisins, en les aidant à prendre le Milanais.

Elle préférait attendre le moment de s’interposer entre le pape et Philippe IT, pour les réconcilier, à quoi elle réussit peu

après.

Quand s’ouvrit l’année 1597, le duc de Guise était en Pié- mont, il attendait 4,000 Suisses, en outre des 6,000 qui avaient déjà rejoint ses drapeaux. De son côté, le duc de Fer- rare « fit battre le tambourin » le {t" janvier pour faire 6,000 hommes de pieds, 200 hommes d'armes et 400 cavaliers légers. Paul IV crut le moment venu de rompre les négociations en-

(1) Philippe IT à Renard, 1% novembre.

(2) Le roi dit à ce propos à l'ambassadeur de Venise que, pour brouiller les cartes, il ferait déclarer Elisabeth bâtarde par le pape et lui opposerait la reine d'Ecosse; « à quoi Philippe doit avoir l'œil. » Renard à Philippe IT, 1? janvier 1557. (Arch. nat.)

OU NS TP MTS. A Pie (PA

267 tamées avec le duc d'Albe : c’est ce qu'il fit, s'engageant à ne plus traiter avec le roi d'Espagne, à mener la guerre à ou- trance et à y mettre, s'il le fallait, tout le revenu de l'Eglise et le bien du Saint-Siège. Il voulait même, au dire de Renard, livrer aux Français Bologne et Pérouse, et les introduire par surprise dans plusieurs places du royaume de Naples (D.

Le connétable partageait avec le duc de Guise la conduite de la guerre : ils devaient tous deux ouvrir les hostilités le même jour, l’un au-delà des Alpes, l’autre en decà, sans dé- claration préalable. En conséquence, dans la nuit du 6 jan- vier, l'amiral de Coligny et son frère d’Andelot tentèrent de surprendre Douai et Bapaume avec 5,000 fantassins et 1,500 cavaliers tirés des garnisons. Ils avaient préparé ce coup de main dans le plus grand mystère, et, pour le tenir secret jus- qu’au bout, fait arrêter à la frontière tous les sujets de Phi- Hppe IT qui tombèrent sous leur main. En cas de succès, on devait publier aussitôt la déclaration de guerre et mettre la main sur l'ambassadeur d'Espagne. Mais ils rencontrèrent une résistance à laquelle sans doute ils ne s'attendaient pas, et durent abandonner l’entreprise (2).

(1) Renard à la princesse de Portugal, les 2, 12 et 15 janvier 1557. (Arch. nat.) « Les affaires sont troublées à la guerre et je n’attends : rien sinon la nouvelle de la rupture... Dieu y mette la main! » Au- tographe de Renard au secrétaire Juan Vasquez de Molina, ? janvier. (Arch. nat.)

Depuis le commencement de novembre jusqu'à ia déclaration de guerre, les Papiers d'EÉlal sont muets quant à la correspondance directe entre Simon Renard et la cour de Bruxelles, résidait encore Phi- lippe Il. Les Archives nationales ne nous en apprennent guère plus pour les mois de novembre et de décembre. On n'y trouve que quel- ques dépêches adressées par Simon Renard à Philippe, à la princesse Jeanne de Portugal (20 décembre 1556, 2, 12, 13, 14, 15 janvier 1557), et au secrétaire de cette princesse, Juan Vasquez de Molina (2 et 14 jan- vier), et qui, de même que celles qui se rapportent à la première am- bassade en France, ne sont pour la plupart que des résumés ou des reproductions, soit en espagnol, soil en français.

(2) « Coligny et d’Andelot, passant de nuit devant Douai avec leurs troupes, avoient remarqué deux auberges situées près des portes et

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Cet échec fit ajourner quelque peu la dénonciation de la trêve; on voulait savoir si le duc de Guise avait rompu en Italie. Simon Renard, bien convaincu que l'on tenait la guerre « pour à moitié ouverte,» crut néanmoins devoir pro- tester auprès du connétable contre «ces nouvelletés si étranges, disait-il, et de si dangereuse conséquence, si contraires à droit et à raison, que je ne saurais croire qu'elles soient faites du su et vouloir du Roy, ni de votre Excellence... Par icelles est violée et attouchée la trêve jurée si solennellement à Dieu et aux hommes; ce qui me donne tant plus d'espoir que vous y remédierez, comme vous avez coustume, et ne permettrez à personne d’en user (1). »

Cette démarche in extremis demeura sans effet. Renard, du reste, n'en fut pas surpris, Comme le prouve la dépêche par laquelle il informa son maître de ce qu'il avait écrit au con- nétable et de la réponse de ce dernier, en lui demandant de nouvelles instructions. Il ne doutait pas que la guerre ne dût éclater sous peu de jours, et il écrivit à ce propos : « Les peu- ples de ce royaulme sont fort étonnés de cette guerre, et si Vostre Majesté avoit moyen d'entrer en France, elle épouvan- teroit grandement le roy et ses subjects (2).

Il adressa à la vice-reine d'Espagne et à Juan Vasquez des avertissements analogues, afin qu'ils prissent les mesures qu'ils jugeraient convenir. Il leur réclama en même temps un homme à lui, qu'il avait envoyé en Espagne, trois mois auparavant, avec mission de lui rapporter les arrérages de son

tentèrent de s’en emparer. Mais comme les gens de ces hostelleries pousserent des clameurs et que les sentinelles donnèrent l’allarme, ils durent se retirer ‘en lieu sûr... Si le coup eût réussi, je tiens pour certain qu'ils auroient déclaré la guerre, et j'ai su d’une manière indu- bitable qu'après la déclaration j'eusse été arrêté. Le sieur de Rostain, gentilhomme de la Cour, avoit été désigné pour cela et se tenoit prêt à l’'exécuter. » Renard à la princesse de Portugal, 12, 13, 14, {5 jan- vier 1557. (Arch. nat.)

(1) Renard au connétable, 13 janvier 1557.

(2) Au roi, 13 janvier. (Arch. nat.)

269

traitement, Comme les Francais avaient fait main basse, du côté de Bayonne, sur plusieurs sujets espagnols, il craignait qu'il ne fût du nombre, et en danger avec lui l'argent dont il était porteur et qui lui faisait absolument faute depuis tant de mois qu'il n'avait rien recu. « Et pouvez estimer que à la chèreté qui règne, je ne puis vivre ni m entretenir, sans estre payé de mon traictement (1). »

Enfin, le dénouement que le clairvoyant ambassadeur an- nonçait depuis si longtemps, arriva. Francois de Guise entra en Romagne, après avoir passé le sous la protection des 7,000 hommes du duc de Brissac. Il avait abandonné le projet primitif de conquérir le Milanais, avec l’aide du duc de Fer- rare, soit, comme le pensait Renard, qu'il ne crût pas pru- dent d'attaquer ce duché, le marquis de Pescaire avait, disait-on, rassemblé de grandes forces; soit plutôt que, dans un but d'ambition personnelle, comme il en fut accusé, il préférât marcher directement à la délivrance des Etats ponti- ficaux, puis à la conquête du royaume de Naples, il se portait comme le représentant de la maison d'Anjou, Mais sa campagne ne fut qu’une suite de déceptions. En Romagne,

les Caraffa n'avaient à lui donner ni hommes ni argent. A _ Rome, Paul IV le paya de belles paroles et de stériles pro- messes. En vain il entreprit de chasser le duc d’Albe des Etats romains. Le général espagnol était de taille à se me- surer avec lui, et de plus il avait sous la main des forces supérieures. Après avoir longtemps manœuvré sans succès pour l’atuüirer à une bataille, Guise allait probablement lui faire payer cher un coup de main manqué sur Rome, lors- qu'il reçut, avec la nouvelle du désastre de Saint-Quentin (?), l’ordre de repasser les Alpes. Pour le pape, ayant vu sa petite armée défaite devant Poliano, et ne pouvant plus compter sur le secours de la France, il se rapprocha du roi d'Espagne

(1) De Poissy, 14 janvier 1557. (Arch. nat.) (2) 10 août 1597,

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RO

et, grâce à la médiation de Venise, il signa avec lui une paix avantageuse (1). |

Depuis longtemps l'ambassadeur Renard avait rejoint son souverain. Le 27 janvier précédent, une lettre du connétable, datée de l’Isle-Adam, l'avait prévenu officiellement que la guerre était déclarée et qu'il aurait à garder les arrêts dans son logis de Gaurnay, sans aucune communication avec le dehors, jusqu'à ce qu'il eût été pourvu à La mise en liberté de l'ambassadeur français, Bassefontaine. N'ayant pu détourner le roi, son maître, de recommencer la guerre, Montmorency, dans cette lettre, s’efforçait de l’innocenter et rejetait toute la responsabilité et l’odieux de la rupture sur Philippe et ses conseillers. À l'en croire, le roi de France n'avait jamais songé à rompre avec le roi d'Angleterre « ès costés de decà; mais étant provocqué et picqué comme vous savez qu il a esté par une infinité d'entreprises qui se sont faites sur ses places (2), et les courreries que l’on a encommencé sur ses pauves subjects et qui s’y continuent encore journellement, il est si grand et magnanime prince, que, après les avoir si longuement dissimulées, il luy a été impossible qu'il les ait pu comporter plus longuement. » C'était à regret que le roi avait fait consigner l’ambassadeur espagnol, et par pures : représailles des arrêts bien autrement prolongés et sévères, prétendait-il, que le sien avait garder depuis le commen- cement du mois, sans avoir même la faculté d’enyoyer à sa cour ni lettres ni dépêches.

À propos des arrestations opérées de part et d'autre, le con- nétable certifia que les Espagnols avaient devancé en cela les Français de plusieurs semaines, déclarant d'ailleurs que, pour la libération des personnes arrêtées, le roi Henri règlerait sa conduite sur celle du roi Philippe, et que, s’il s'en trouvait quelqu’une nantie d’une somme d'argent destinée à l’am-

(1) 14 septembre. .(2) Témoin le coup de main tenté sur Douai et sur Bapaume.

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bassadeur d'Espagne, on s’empresserait de le faire relaxer.

Simon Renard n’entreprit pas de réfuter par écrit les erreurs volontaires contenues dans cette lettre ; c’eût été peine perdue. Il aima mieux solliciter du duc de Savoie la mise en liberté de Bassefontaine, pour hâter sa propre délivrance(l}. Ge ne fut toutefois qu'après un grand mois de cette captivité, éprouvée déjà par lui à la fin de sa première ambassade en France, qu'il put retourner aux Pays-Bas.

VIT

En ce moment, la cour de Bruxelles pressait le gouverne- ment anglais de se déclarer contre la France, dans la guerre qui venait de recommencer. Elle se prévalait d’une récente conspiration tramée contre la reine Marie, dans laquelle on avait, comme dans toutes les précédentes, reconnu la main de Henri II. Afin de suivre de plus près les négociations et d’agir avec plus d'efficacité sur l'esprit de sa royale épouse, Philippe IT retourna en Angleterre vers le milieu de mars 1557. Il emmena avec lui l’ancien ambassadeur, Simon Renard, qui u’avait encore rien perdu de sa considération et _de son influence (?), et qui, par l'expérience qu'il avait des _ choses de ce pays, et les hautes relations qu’il s’y était faites, pouvait aider puissamment au succès de l’entreprise. I fallut lutter quelques mois encore avant de vaincre les dernières résistances (3). Enfin une proclamation royale annonça à

(1) Renard au duc de Savoie; de Gournay, le 6 février 1537.

(2) Le 2 novembre 1556, le duc de Savoie, exprimant à Renard sa haute satisfaction, lui écrivait : « Continuez la bonne diligence dont vous usez pour enfoncer et découvrir les desseins et occurrences de par delà. »

Vers le :1ême temps. la gouvernante d'Espagne lui fit écrire qu'elle désirait que ce füt lui qui la tint au courant des nouvelles d'Italie, à cause de la confiance qu'elle avait dans sa véracité et son exactitude, qui surpassaient, à son avis, celles de tous les autres correspondants. Le secrétaire Ayala à Simon Renard; de Valladolid, le 22 novembre.

(3) L’évêque d’Arras insistait sur la nécessité de décider les Anglais

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la nation que le roi de France, ayant mis le comble à ses perfidies envers le royaume et la couronne, il y allait de l'honneur et du salut de tous de lui déclarer la guerre; et, en effet, la déclaration lui fut signifiée à Reims, il se trouvait alors, par le héraut Guillaume Norry, le 7 juin 1557 (1).

Au retour de ce deuxième voyage en Angleterre, qui ter- mine, à proprement parler, sa carrière diplomatique, Simon Renard accompagna Philippe IE à l’armée, comme membre du conseil privé, car il n’était pas, de tous les conseillers, celui dont les avis étaient le moins goûtés du monarque. Le 10 août 1557, lorsque se livra la bataille de Saint-Quentin, il était à Cambrai, auprès de son souverain qui, n’aimant pas le bruit du canon, se tenait prudemment à distance (2). En- suite il le suivit au camp devant Saint-Quentin. Là, le vain- queur, Emmanuel-Philibert (3), d'accord avec ses plus habiles

le plus tôt possible, « afin, écrivait-il, de prévenir le tort considérable que pourroient nous causer les François, par les intelligences qu'ils entretiennent dans le royaume et les intrigues de leur ambassadeur. » Il voudrait qu'on amenât les Anglais à chasser d’un seul coup l’am- bassadeur de France et tous les Français qui se trouvent dans le royaume. À Philippe IT, 20 avril et 21 mai 1557.

(1) Marie Tudor fournit à Philippe 8,000 hommes, sous le commande- ment du comte de Pembroke, et une somme de 7,000 livres.

(2) Peut-être faut-il croire que cette absence fut involontaire, lors- qu'on le voit écrire le lendemain à son père : « Mon regret d’avoir été absent dépasse tout ce que Vostre Majesté peut supposer. » V. Forne- RON, Hist. de Philippe IT, t. I, p. 92.

M. Miener dit (Charles-Quint, p. 276) que Charles-Quint, dans sa retraite de Vuste,jre put se consoler que son fils n'eût pas assisté à ia bataille. Granvelle avait une toute autre opinion de Philippe, lors- qu’il écrivait à Renard, le 29 janvier 1551 : « Je vous advise que nos voisins auront affaire, après son père, que Dieu garde longuement! à un aultre galant qu'ils ne pensent. »

13) Emmanuel-Philibert, dit Téte-de-Fer ou le Prince aux cent yeux, duc de Savoie, naquit en 1528. A la mort de son père, Charles III, ses états étaient presque complétement au pouvoir des Français. Il entra, en 1548, au service de Charles-Quint et montra de bonne heure les talents d’un grand général. Il prit une part glorieuse aux dernières campagnes de l’empereur, recut de Philippe IT le gouvernement des

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213

lieutenants, proposa au roi de marcher rapidement sur Paris, que la destruction de l’armée française, la captivité du con- nétable et l'absence du duc de Guise laissaient sans défense. Ce plan eût été celui de Charles-Quint. Néanmoins Simon Renard le combattit en plein Conseil, et il le fit avec tant de succès, que le duc de Savoie recut de Philippe IT l’ordre d'assurer avant tout ses derrières, par la prise de Saint-Quen- tin et de quelques autres places. Cet ordre venait à point pour tirer le roi de France d’une situation des plus critiques. La défense héroïque de Coligny dans Saint-Quentin et les sièges du Catelet, de Ham, de Noyon etde Chauny, qui ne succom- bèrent pas non plus sans quelque résistance, désorganisèrent l’armée espagnole et donnèrent aux débris de l’armée fran- çaise le temps de se rallier, jusqu’au jour le duc de Savoie se vit enfin arrêté dans ses stériles conquêtes, par le retour de François de Guise. De sorte que, en considérant les résultats de cette décision malheureuse, on serait tenté de suspecter la fidélité du trop éloquent conseiller, si plus tard on nele voyait, dans un de ses mémoires justificatifs, en revendiquer pour lui toute l'initiative (1).

_ Pays-Bas et gagna, à 29 ans, la bataille de Saint-Quentin. Le traité de Cateau-Cambrésis lui fit épouser Marguerite, sœur de Henri II, et lui rendit la majeure partie de ses états.

(1) Charles-Quint, apprenant à Vuste, le 5 septembre, la nouvelle de la bataille de Saint-Quentin et la situation respective des deux parties belligérantes, demanda tout d’abord : « Mon fils est-il à Paris? » Son majordome Quijada écrivait le 19 septembre suivant : « Sa Majesté se montre très impatiente et fait le compte que le Roy, son fils, devroit être déjà sous Paris. » (Miener, Charles-Quint, p. 278.)

Mais alors il était trop tard. Après avoir saccagé Saint-Quentin, l’armée espagnole, travaillée à la fois par les mauvais temps, la disette et l’indiscipline, commença à se fondre. Les Anglais, irrités de la bar- barie et de la rapacité des Allemands, s’en allérent. Les Allemands eux-mêmes, qui étaient en très grand nombre, se vendirent à Henri IT, et vinrent, par régiments entiers, rejoindre le novau de l’armée fran- çaise sous Paris. Aussi Granvelle écrivit-il à Philippe, du camp de Ham, le 21 septembre, que, s’il n’y avait pas à craindre d'attaque de la part des Français, il ne serait pas prudent non plus de rien tente

- 18

on

Cette influence de Simon Renard dans les conseils de Phi- lippe IT, contrebalançait alors celle de l’évêque d'Arras qui, selon toute apparence, craignit pour un temps d'avoir en lui un rival, en attendant d’y trouver un ennemi. Mais Granvelle reprit peu à peu l'avantage, et tout porte à croire qu'il était maître du terrain, lorsque s'ouvrirent, au mois d'octobre 1558, les conférences d’où devait sortir le traité de Cateau-Cam- brésis, attendu qu'il y tint le premier rang parmi les pléni- potentiaires du roi d'Espagne. Renard, au contraire, n’y parut point (1). La seule trace qui nous reste de sa participation à ces négociations fameuses, consiste dans un fragment sans date et sans adresse, conservé dans les papiers d'Etat, et ayant fait partie d’une instruction qu'il aura rédigée, soit par ordre de son maître, soit de son propre chef, pour servir aux pléni- potentiaires. |

Comme alors il s'agissait à la fois, selon lui, de conserver à Philippe l'alliance anglaise, après la mort prochaine de Marie Tudor (), et d'obtenir des Français la restitution de leurs nombreuses conquêtes ; sur le premier point, il re- commande deux choses : ne traiter que de concert avec les Anglais et leur assurer le recouvrement de Calais G), afin de leur ôter tout sujet de mécontentement et de révolte; faire voir au roi combien il importe de régler sans retard la suc- cession au trône d'Angleterre, et de prendre résolution en ce qui concerne les prétentions et le mariage d'Elisabeth.

Sur le second. point, il déclare qu’on ne réussira qu'à la condition «de conduire les choses par bon ordre et de négo- cier selon les humeurs des François, » et qu'il faut considérer

contre eux pendant le reste de l’année. V. Forneron, ist. de Phi- bbe I LME p298

(1) Les plénipotentiaires de Philippe étaient, avec l’évêque d'Arras, Guillaume de Nassau, prince d'Orange, le secrétaire intime Ruy Go- mez, le duc d’Albe et le président Viglius.

(2) Marie Tudor mourut le 17 novembre 1558.

(3) Calais avait été repris aux Anglais par le duc de Guise, le 8 jan- vier 1958.

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d'une part leur répugnance à rendre des conquêtes qui leur ont coûté 24 années de guerre et de sacrifices ; de l’autre, le caractère de leur prince, qui est « de peu de conscience, am- bitieux et saturnien (sic), du tout incliné aux armes, » et, de plus, les divers mobiles d'intérêt et de passion auxquels obéis- sent les principaux conseillers de la couronne : le connétable, actuellement prisonnier, se préoccupant avant tout de la for- tune de sa maison et de se propre délivrance; le maréchal de Saint-André, son compagnon de captivité, «qui ne se soucie des affaires générales et est tout à se faire riche; » les Guises, qui tiennent à la guerre, comme étant pour eux une source de profit et de puissance (1). Ce document ne pouvait qu'être très utile aux négociateurs, émanant d’une plume aussi auto- risée. Mais quel que soit le parti qu'ils en aient tiré, le prin- cipal honneur du traité de Cateau-Cambrésis n’en revient pas moins au chef de la délégation, l’évêque d'Arras, et sa corres- pondance prouve que c’est un honneur mérité. Dissimulant habilement l'épuisement des Espagnols et leur impuissance à continuer seuls la guerre, et sacrifiant à propos l'alliance an- glaise, 1l sut amener les Français à restituer, à quelques exceptions près et presque sans compensation, toutes leurs : conquêtes en Corse, en Luxembourg, ainsi qu'au-delà et en- decà des Alpes, et gagner à son souverain leur alliance à la place de celle de l'Angleterre, que l'avènement d'Elisabeth rendait désormais impossible (2).

(1) Renard remarque que le connétable, guidé par ses préoccupations égoïstes, évitera de donner au roi des conseils précis, qu'il pourrait se voir reprocher plus tard, et que, par conséquent, il n’y a aucun fond à faire sur sa parole; «et si l’on peut négocier avec lui par écrit, c'est le meilleur, ce qu'il fuyt tant qu’il peult. » Et surtout qu'on se garde bien de le laisser retourner en France, sous prétexte de gagner les Guises, car le désaccord entre eux et lui « n’est tel qu'on le presche, et s'entendent mieulx qu’il ne semble et qu'ils ne desguisent... » « Un seul bon moïen se représente, pour gagner la volonté du sieur de Guise, qui est de marier la fille de madame la duchesse de Lorraine avec son fils. »

(2) Isabelle, fille aînée de Henri Il, d’abord fiancée au triste

216

Simon Renard dut souffrir doublement du triomphe de Granvelle. Après avoir passé par tous les enivrements du succès et de la renommée, comme négociateur du mariage anglais, voir s'évanouir, avec les dernières traces de ce ma- riage, ce qui lui restait de gloire et de faveur royale, c'était dur! Ce qui l'était davantage, c'était de se sentir supplanté dans l’une et l’autre par un homme, autrefois son ami, et que, depuis quelque temps déjà, il se croyait en droit de considérer comme un ennemi déclaré. Dès lors, il n'eut plus qu'une pensée, qu'un but : obtenir vengeance et relever sa fortune par tous les moyens, dût la puissance de son souverain en être ébranlée.

Mais avant de le suivre dans la lutte il devait trouver, au lieu du résultat qu’il poursuivait, l’humiliation et la ruine, il convient de revenir en arrière et de rechercher comment et pourquoi l'amitié, qui avait régné si longtemps entre Gran- velle et lui, se refroidit peu à peu et fit place à une haïne réci- proque et profonde.

Edouard VI, devait ensuite épouser l’infant don Carlos : les négocia- teurs espagnols et Philippe lui-même le demandaient ainsi; mais les Français insistèrent pour avoir le roi d'Espagne en personne, et l'on céda. Le traité fut signé le 3 avril 1559.

QT1

DEUXIÈME PARTIE

LUTTE ENTRE SIMON RENARD ET LE CARDINAL DE GRANVELLE

1559-1573

CHAPITRE PREMIER LA LUTTE PENDANT LE MINISTÈRE DE GRANVELLE AUX PAYS-BAS

1559-1564

I

Au fort de la lutte entre Simon Renard et le cardinal de Grauvelle, en 1565, on racontait, aux Pays-Bas, que l'épouse du garde des sceaux de Charles-Quint, Nicole Bonvalot, avait, de bonne heure, deviné chez le premier un mélange d’ambi- tion et d'envie qui pourrait bien quelque jour devenir funeste à ses bienfaiteurs (1). C'est sans doute ce qui à fait dire à Strada que Renard fut, dès le collège, l'ennemi de son noble compagnon d'études. Si cette accusation est fondée, il faut que

(1) « Prosper, le maître d’hostel de Madame la Duchesse, me demanda l'autre jour s’il estoit vrai, comme il l’avoit entendu dire, que Madame de Granvelle avoit prédit à feu Monseigneur, que Dieu absolve, ce qui adviendroit de Renard. A quoy je fis réponse que je n'en savois rien; mais que jamais Renard n'auroit connu la cour sans feu Monseigneur, et que depuis il s’estoit monstré si ingrat et se monstroit encore jour- nellement, qu'il estoit impossible que Dieu laissât impunie une telle in- gratitude connue pour telle de tout le monde. » Pierre Bordey à Granvelle, 17 janvier 1565. Manuscrits Granvelle, t. XVI.

.

218

Renard ait su cacher bien adroïitement son manque de cœur, sous le masque d'une amitié vraie, puisque, par l’intermé- diaire du fils, il arriva jusqu au père et gagna sa bienveil- lance. Frappé de sa rare intelligence, beaucoup plus que des sinistres prédictions de sa clairvoyante épouse, le garde des sceaux de Charles-Quint se chargea de la fortune de Renard et fit de lui, à deux années d'intervalle, un maître des requêtes de l’empereur, puis un ambassadeur à la cour de France. Jusqu'à sa mort, il l’aida de ses conseils et de ses encourage- ments affectueux, montrant par combien il tenait à le voir réussir, et il terminait ordinairement ses lettres par cette for- mule : « Et entièrement vostre comme père. » Dans celle du 21 septembre 1549, la dernière qu’il lui écrivit, atteint déjà de la maladie qui devait l'emporter l’année suivante, il lui disait : « Et certes vous faites en tout si bon devoir et office, que l’on ne pourroit micux; et vous me congnoissez ‘que si J'entendois aultre chose, je vous en advertirois pleinement comme je voudrois faire en l'endroit d'un de mes fils. » L'évêque d'Arras, associé depuis plusieurs années aux tra- vaux de son père et, à la fin, chargé seul du fardeau des aflaires, persévéra de même dans son attachement pour Re-

nard, comme ses lettres en font foi. Lorsque survint la mort

du garde des sceaux, son père, il en écrivit la nouvelle à son ami, et après lui avoir dit qu'il avait recu ordre de l’empereur « de continuer en la garde des sceaux et ës négociations comme devant, » il ajouta : «me trouverez envers vous le mesme homme (1). » |

Ces sentiments, dont on ne saurait suspecter la sincérité, se retrouvent dans la plupart des dépêches du nouveau pre- mier ministre à l'ambassadeur, lesquelles finissaient le plus souvent ainsi : « Vostre bon confrère et vray ami.» Tantôtil

lui écrit: «Je désire que toutes les négociations soient telles

qu'elles contentent Sa Majesté, pour la singulière affection

(1) D'Augsbourg, ? septembre 1550,

Ce Re QT A TA US

279 que je vous porte et le désir que j'ai que, de jour à autre, il congnoisse combien vous le pouvez servir; » fantôt : « Je ferai jusqu'au bout pour vous comme pour un mien frère, et avec très grand désir que l’empereur accepte de vous ser- vice (1/.» Un jour que l’empereur, mécontent du peu de pro- grès d’une négociation particulière, engagée avec le roi de France, s'en était pris à son ambassadeur et avait manifesté à ce sujet, dans le Conseil, une irritation menacante pour lui, Granvelle combattit adroitement les préventions impériales et fit si bien que, quelques mois plus tard, Renard recevait du maître lui-même l'assurance de sa haute approbation. S'agit-il d'aider son ami à obtenir une gratification, au même titre que les autres ambassadeurs, il prend l'affaire à cœur autant que si C'était la sienne : « Ecrivez à Sa Majesté, mettez-y votre rhétorique; et je ne manquerai pas de faire de mon costé bon office (2). » Que si le secours demandé se fait trop attendre, il lui ouvre sa propre bourse, et il y apporte une délicatesse de procédé dont on ne saurait se faire une idée, qu’en lisant la lettre d'envoi suivante : « Monsieur l'ambassadeur, il me gré- veroit trop de vous voir en nécessité par faute de qui que ce soit..…., et que par ce bout vous fussiez empesché d'accomplir vostre charge avec la réputation qui vous convient et au ser- vice de celui que vous servez. C’est pourquoi j'ay ici délivré 500 écus miens à un marchand Lucquois... pour vous les faire

(1) 26 juillet 1551. « Vous avez usé de bons termes en demandant raison des insolences des François rière la Comté de Bourgogne, et à ce que j'ai pu apercevoir, Sa Majesté a heu bien bon contentement de ce que avez fait. » 19 novembre 1550.

(2) Le mécontentement momentané que l’empereur avait montré contre Renard, venait mal à propos pour le succès de sa demande. Granvelle lui écrivit alors : « Comme j'ai vu Sa Majesté faschée en ceste négociation pour laquelle on despêche ce courrier, je ne suis esté d'ad- vis d'y passer (parler de la demande) pour ce coup. » Il veut prendre le maître dans un bon moment et ne désespère pas de réussir, pro- mettant de faire toujours «office de vray ami. » Granvelle à Renard, 16 septembre et 19 novembre 1550. Charles-Quint à Renard, 16 mars 1551,

280

parvenir que vous soyez; desquels je vous prie de vous servir, si vous en avez à faire, et ce sans mystère, ni cérimo- nies; et vous me les pourrez rendre après avec votre commo- dité, ou je les recouvrerai avec le temps sur vos gages d’Es- pagne , car je désire que vous soyez accommodé et vous pous- ser tout oultre le plus que je pourray (1). » |

Enfin, les préoccupations domestiques de Renard, celles par exemple qui avaient pour objet la grossesse de sa jeune épouse, Jeanne Lullier, n’inspiraient pas moins d'intérêt à son noble ami; témoin la lettre suivante que celui-ci lui écri- vit pendant sa première ambassade en France : «Je vous prie remercier de ma part à mademoiselle vostre compagne ses recommandations et lui rendre les miennes réciproques; et quant à son renvoi, puisqu'elle est enceinte, je ne le vous puis déconseiller, quoique je ne croie pas à une rupture prochaine, mais pour vous laisser plus hhre pour les affaires, en vous ostant cette sollicitude. Je suis d’avis qu'elle s'en retourne, puisque, après ses couches et en esté, vous la pourrez rappeler, . si les choses demeurent en paix comme tous gens de bien le doivent désirer. » (Augsbourg, janvier 1551.

Lorsqu'on parcourt les lettres de Simon Renard, on est frappé, ainsi que Granvelle devait l'être lui-même, du peu de réciprocité dont elles témoignent envers ce dernier. A part de rares passages 1l est question de quelques bons offices ren- dus ou à rendre (?), l’affection ne s’y montre guère, et elles

(1) Cette lettre que donne dom Lévêque, après l'abbé Boisot, avec la date du 25 juillet 1551, n’a point paru dans les Papiers d'Etat, et nous ne l'avons pas trouvée non plus dans la Collection manuscrite des Papiers Granvelle. Il est certain néanmoins que Renard reçut de l’évêque d’Ar- ras, pendant son séjour en France, un ou plusieurs prêts qu'il n’avait pu encore rembourser à la fin de 1551, comme le prouve sa lettre au secrétaire d'Etat Ayvala, que nous avons plus haut citée en note.

(2) « Je vous prie m’encheminer l’Antinoüs avec charette, quoy qu'il couste. » «Je vous mercie le livre que vous m'avez envoyé, De litleris mmyslicis. Granvelle à Renard, 7 août et 19 novembre 1550.

Le prieuré de Morteau étant sur le point de vacquer, l’évêque d'Arras

281

conservent le ton froidement officiel, usité d'ambassadeur à ministre, ce qui vérifierait déjà les prévisions le concernant, qui furent attribuées plus tard. à la mère du cardinal. Ce ne fut toutefois qu'après la conclusion du mariage anglais que l'évêque d'Arras lui laissa voir quelques symptômes de re- froidissement, La meilleure entente avait régné d'abord entre eux pour la conduite des négociations ; or, comme nous l’a- vons vu, le ministre ne marchanda point à l'ambassadeur les éloges et les encouragements, tant de la part du souverain qu’en son propre nom. Renard y répondit de son côté par l'offre de lui écrire en secret et pour lui seul les choses qu'il voudrait ne communiquer à personne (1). Mais le sentiment de ses propres mérites, stimulé par les félicitations qui lui arrivaient de Bruxelles, lui fit oublier, aussi bien dans cette correspondance privée que dans ses dépêches à l’empereur, ce qu'il devait aux légitimes prétentions de son éminent col- laborateur. Aussi Granvelle, tout en le louant comme il le méritait, crut-il devoir lui rappeler que n'ayant pas été seul à la peine, il ne devait pas être seul à l'honneur, et il lui lança cette brève et sévère exclamation : « Grâces à Dieu du succès de l'affaire que vous et moi et aultres avons conduite ! » Ce n'était pas d’ailleurs sans un douloureux sentiment de fierté blessée, qu'il se voyait oublié dans le concert universel qui élevait aux nues le nom de son heureux ami. Ïl s’en expliqua nettement à l'empereur par sa dépêche du 3 septembre 1554, lui rappelant tout ce qu’il avait consacré de labeurs et de veilles à cette grande affaire (2). :

informa son ami que « ce bénéfice lui seroit merveilleusement à pro- pos, » et, sur sa demande, Renard ouvrit des négociations avec Charles de Guise, le nouveau cardinal de Lorraine, possesseur de l’abbaye de Cluny, dont relevait le prieuré en question, et les conduisit à bonne fin. Granvelle à Renard, 16 septembre 1550. (1) 23 août, 13 septembre, 19 novembre 1553. 7 et 14 janvier, ? avril, 30 juillet, 4 août, 3 septembre 1554.

(2) Charles-Quint avait chargé Erasso, un de ses secrétaires, de re- commander de sa part, en Angleterre, l'ambassadeur Renard et ceux

282

Néanmoins, après le reproche indirect et bien mérité qu'il avait adressé à Renard, il continua longtemps encore à le trai- ter en ami, toujours soucieux de son avancement, de sa con- sidération , de sa susceptibilité même, soit qu'il lui explique pourquoi le sieur de Corrières, envoyé pour le suppléer dans les préparatifs que nécessitait le prochain débarquement de Philippe d'Espagne, lui arrivera avec le titre d'ambassa- deur (1), soit qu'il lui fasse part de la grande joïe que ce débar- quement a causée à l’empereur et de celle qu’il en éprouvait

qui avaient concouru avec lui au succès du mariage. Or, cet Erasso ne pardonnait pas à Granvelle certaine leçon de délicatesse qu'il en avait reçue. Granvelle du moins le croyait ainsi, et, craignant d’en être des- servi, il écrivit à l’empereur une longue lettre, dans laquelle il lui disait : « Non pas qu’il ne me semble tres bon que l'on recongnoisse les services de qui ha bien servi, ce qui est trop juste et raisonnable; mais je crains que, parlant de l'ambassadeur comme il mérite, pour le devoir qu’il a rendu et des aultres en général que Vostredicte Majesté lui ha commandé, le dict Erasso ne procure que je ne soye comprins sous icelle. Et si plaisoit à Vostredicte Majesté considérer ce qui s’est passé, elle se souviendra de ce que j'en écriviz audict ambassadeur pour mouvoir la practique (du mariage) avant que personne en sut parler, luy donnant le chemin qu'il devoit suivre ; et l’ay soutenu par le commandement de Vostre Majesté contre les arguments que l’on ha voulu faire au contraire, dressé toutes les lettres et instructions pour tous ceulx qui y ont vacqué, les articles et autres instruments avec l'assistance du président Viglius, avec très grand travail et sans que aultre y aye mis la main; el sur les letires de nostre ambassadeur, con- fuses, je l'ay redressé el encouragé quand'‘il voulait tout laisser. Mais comme 1l n’a plu à Vostredicte Majesté voir les despêches et instruc- tions, longues de plusieurs feuillets, mais seulement les signer, elle n'aura congneu la peine que j'en ay heu, ny l’industrie avec laquelle j'ay assisté ledict ambassadeur, ce qui m'a cousté maintes mauvaises nuictz. Et me greveroit fort que y ayant rendu si grand debvoir, je y fusse par Erasso, sur le fondement susdit, calomnié. » 3 septembre 1554.

(1) Jean de Montmorency, sieur de Corrières, que nous connaissons déjà, n'avait consenti à retourner en Angleterre qu'avec son ancien titre d'ambassadeur. Granvelle, £près avoir expliqué à Renard les rai- sons qui avaient dicté le choix de l’empereur, l’engagea à vivre dans les meilleurs termes avec ce collègue temporaire; « car, remarque-t-il, il est seigneur très bien voulu de plusieurs, et s’il voulait faire mauvais

283 lui-même (1), soit enfin qu’il lait proposé pour un siège va- cant au conseil privé des Pays-Bas et qu'il lui expose les mo- tifs qu'il fait valoir à l'appui de sa candidature (?).

Sa dépêche du 1e mars 1555, par laquelle il lui annoncait son congé, était encore d’un ami, mais d’un ami froissé. « Ruy Gomez vous porte le congé que vous avez tant désiré. L'empereur et la reine de Hongrie ont demandé au roi d'An- gleterre de recongnoistre le notable service que vous lui avez fait. En oultre, je l'ay conjuré (Ruy-Gomez) jusqu'aux larmes

office, il y auroit par decà plusieurs qui l’écouteroient, dont je vous avertys comme vostre amy. » ? avril 1554.

(1) « L'Empereur a été si content d'apprendre le bon office que vous avez fait à l’arrivée du Prince, qu’il a fait donner à vostre courrier 100 écus pour les allévrices. » Du camp de Doulchy, 30 juillet 1554.

« Je reçois incrédible contentement, voyant le mariage pour lequel nous avons si longuement travaillé, consumé avec contentement des parties: Il y aura, comme vous le dites, assez de difficultés comme toujours il intervient en choses grandes, mais faut procurer de les vaincre, et vous pourrez bien encheminer le sieur Roy ct ceulx de sa suyte, et descouvrir les practiques et menées que vous dictes s’inten- tent, pour y remédier par temps et par vostre advis, proponant les deux points tant nécessaires en administration publique, pœ@næ et præ- mia, et que, avec la douceur et bénignité, il accompagne la sévérité,

guydant les choses ‘par la main de la Royne et de son Conseil. » Granvelle à Renard, 4 août 1554.

(2) « Je vous ay proposé pour tenir la place du conseiller Waldvich (mort récemment); et ce que l’on vous y a objecté sont deux choses : l’une, votre indispos tion de la goutte, par laquelle l’on craint que vous ne pourriez porter la peine d’estre à toute heure de jour et de nuit vers la Royne (de Hongrie) quand elle appelle; l'aultre, que vous n’ovez le langage flamand. Quant au premier, j'ay remonstré que vous n'en étiez souvent attainct, et qu'il faut que ladicte Dame supporte ceux qui la serviront, si elle les veult garder plus longuement qu'elle n’a fait ceux qui jusqu'icy se sont employés à son service; et quant au poinct de la langue flamande, que je me souviens que vous en aviez apprins raisonnablement lorsque j'estoye à l’estude à Louvain, et que du moins l’entendiez-vous, et espéroye qu'avec un peu de practique vous seriez pour passer tost en icelle plus avant. Je ne sçay ce qu'ils résou- dront ; mais du moins ai-je voulu faire ce que je dois et au service du Maistre et à vostre endroit.,.., Vostre bon confrère et entier amy, (Signé) l'EvesQquE D’'ArRAS. à Bruxelles, 5 janvier 1555.

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284

et par nostre amitié d y estre le bon moïenneur, pour que vous en puissiez avoir incontinent le fruit, ce qui me donnera au- tant de contentement que s'il redondait à moy-mesme (1). J'espère aussy que la Royne d'Angleterre ne vous laissera partir sans faire à vostre endroit quelque notable démonstra- tion. » Mais après lui avoir recommandé de faire, de son côté, en sorte que les bons offices du président Viglius et du secré- taire Bave ne fussent pas oubliés, «quant à moi, ajouta-t-il avec amertume, je suis en possession de pourter le vin et de boyre l'eau. »

Le 6 juillet suivant, il lui écrivit encore une lettre très affectueuse, la dernière qui nous soit parvenue (2. Mais au printemps de 1556, et ce fut la première fois, il lui parla sévè- rement, comme nous l'avons vu, au sujet de la trève de Vauxelles, dont il avait été le principal négociateur. Nous ne saurions dire jusqu'à quel point les reproches qu'il lui adressa étaient mérités; toujours est-il que Renard y voulut voir l'effet d'une malveillance jalouse qui, s'il fallait en croire ce qu'il avanca dans la suite, aurait commencé de bonne heure à se manifester par des menaces et par une série de procédés hostiles, menaces et procédés dont nous n'avons pas trouvé trace dans leur correspondance. C'est pourquoi il prit peu à peu

(1) Il est probable que ces recommandations préparèrent l'entrée de Renard au conseil d'Etat des Pays-Bas, il y fut nommé le 7 novembre suivant.

(2) Dans un conseil tenu à Bruxelles, à propos de négociations à en- tamer avec Henri IT, il avait été question d’un billet de la main de Renard, trouvé parmi les dépêches relatives à sa première ambassade en France. Renard, craignant qu’on ne voulüût tirer de ce billet des conséquences fâcheuses pour lui, en écrivit à l’évêque d'Arras, qui lui répondit que c'était uniquement pour servir à la négociation « et non pour lui avoir voulu faire grief: n'ayant vu, dit-il, personne de tous ces seigneurs qui se sont trouvés à l'assemblée qui aye fait en vostre en- droit office autre que bien affectionné. Et quand quelqu'un l’eust voulu faire, j'eusse fait ce que je dois à nostre amitié; et pouvez bien sur ce point demeurer à vostre repoz...» « Vostre bon confrère et vray ami. » Bruxelles, 6 juillet 1555.

285

l'offensive contre l’évêque d'Arras, et, pendant que celui-ci, revenant à la charge auprès de Charles-Quint, se plaignait d'être le seul à n'avoir recu aucune récompense, bien qu'ayant travaillé jour et nuit « autant que nul autre, et en plusieurs endroits beaucoup plus (1), » lui, de son côté, représentait à la fois à Philippe et le tort que lui avait fait, quant aux affaires d'Italie, la politique du Conseil et par conséquent celle du premier ministre (2), et les avantages que lui avait procurés, prétendait-il, la trève de Vauxelles (3).

Il

Sur ces entrefaites, se présenta pour lui une occasion ou plutôt un prétexte de prendre ouvertement à partie l’évêque d'Arras. Dans les premiers jours de décembre 1555, à l’époque se négociait la trève de Vauxelles, le parlement de Dole

(1) Dépêche du 25 juin 1556.

(2) Dans ses lettres des 27 et 29 juillet 1556, il racontait à Phi- lippe IT la venue à la cour de France du commandant de la citadelle de Milan, Juan de Luna, qui fuyait la vengeance de Fernand de Gon- . Zague, Simon Renard s’éleva contre ceux (les conseillers de Philippe et à leur tête l’évêque d'Arras, ennemi personnel de Fernand) qui, au lieu d’opposer aux pratiques des Français des pratiques contraires, et de travailler à réunir autour de leur souverain les princes et seigneurs italiens, pour l’aider à chasser les Français de la péninsule, lui avaient, par des poursuites dirigées contre Fernand, aliéné les parents, les amis et même quelques ennemis de ce dernier...

Il reviendra plus d’une fois encore sur l'insuffisance diplomatique des mêmes hommes. On lit dans sa dépêche du 14 septembre : « Sire, si Vostre Majesté considère combien importent les pratiques, elle treu- vera qu'il est aisé par icelles contreminer les desseins des François et leur faire la guerre par la mesme voie qu'ils la veullent faire. »

(3) Dans sa dépêche du 6 septembre, Renard dit formellement que la trêve de Vauxelles n'a pas été moins profitable aux intérêts du roi d'Espagne, que préjudiciable à ceux du roi de France, et énumère les avantages que, selon lui, son maïtre a su en retirer. Par là, il entendait sans doute se justifier des reproches que cette même trêve lui avait déjà valus dans le Conseil, et répondre d’avance à ceux qui, plus tard, pour- raient vouloir s’en faire une arme contre lui.

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avait fait arrêter, à Bucey-les-Gy, l'ancien maître d'hôtel de Renard, Etienne Quiclet, sous la prévention de haute trahi- son (1). Des pièces saisies en sa possession, des interrogatoires auxquels ils fut soumis et de la question qu'il subit à diverses reprises, il résulta que, dès l’année 1551, il s’était mis en rap- port avec le ministre français, l’Aubépin, abbé de Bassefon-

(1) Le 6 décembre 1555, on trouva à la porte de Rochefort, à quel- ques lieues de Dole, deux lettres, la plus grande partie en chiffres, l’une adressée à M. de Rouvray, capitaine d’Auxonne, l’autre à Gille Freret, marchand à Paris. Le parlement de Dole, ayant fait déchiffrer ces lettres, apprit ainsi que quelqu'un de Besançon servait d'espye au roi de France et au connétable. Or, vers le 6 décembre, un serviteur de Quiclet, André le Picard, avait été vu à la porte d’Arènes, à Besançon, se lamentant d’avoir perdu, entre Dole et Rochefort, un paquet de lettres que lui avait confié son maître. De cette coïncidence, le parle- ment conclut que l'espye en question n'était autre que Quiclet, et il le fit arrèter à Bucey.

Le 15 du même mois, un conseiller du parlement, nommé Le Clerc, vint notifier ces faits à la municipalité de Besançon et requérir que l’on envoyât immédiatement au domicile de Quiclet, rue de Charmont, pour mettre la main sur les papiers du personnage. La perquisition eut lieu et l’on saisit un coffre contenant « plusieurs pièces de lettres missives en chiffres » ainsi que plusieurs titres en parchemin confiés à Quiclet par Simon Renard... Le coffre fut porté à‘la municipalité. On y porta ensuite deux cent seize lettres missives et autres de Quiclet, que sa femme, après son arrestation, avait données à cacher à une ser- vante...

Le ? août 1556, arrivèrent à Besançon Joachim de Hontzoche, con- seiller privé du roi d'Angleterre, et Jacques Hessèle, procureur géné- ral de Sa Majesté ès pays de Flandres, accompagnés du conseiller Colin, de Dole, de Guillaume de Saint-Moris, avocat général, de Marin Benoît, procureur général, et de Claude Delesmes, l’un des greffiers du parlement. Les deux premiers étaient les commissaires de l’empereur, : chargés de vaquer à l'instruction du procès intenté à Quiclet, comme présumé coupable du crime de lèse-majesté...

La femme de Quiclet et son neveu, Jacques Quiclet, curé de Vau- concourt, furent deux fois mis en arrestation. Le 30 mars 1557, l'ar- rêt imposé à Diane de Cléberg, veuve d’Etienne Quiclet, fut totalement levé : il lui était permis d’aller bon lui semblerait, moyennant cau- tion juratoire de se représenter quand elle serait mandée. (Note communiquée par M. Castan, d'après le recueil manuscrit des délibé- rations de la municipalité de Besançon.)

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taine, et que, plus tard, celui-ci l'avait présenté au connétable de Montmorency, puis au roi Henri IT, comme un homme qui pouvait leur être très utile; que, plusieurs années durant, il avait vendu au gouvernement français les secrets politi- ques de son chef, et que celui-ci, averti par l'évêque d'Arras, pendant son séjour en Angleterre, de se défier de son maître- d'hôtel, lui avait néanmoins remis un mémoire concernant les aflaires d'Etat, pour l'emporter sur le continent. 11 était en outre question de certaines lettres autographes, qui étaient de nature à compromettre sérieusement l'ambassadeur. Cette affaire faisait grand bruit en Franche-Comté : tout le monde, amis et ennemis, en parlait, se préoccupant des conséquences qu’elle pourrait avoir pour lui. La cour de Bruxelles n'y resta pas non plus indifférente : une enquête fut commencée sur ce qu'on appelait déjà la complicité de Renard.

Informé de ce qui se passait, l'ambassadeur écrivit à Phi- lippe IT une lettre datée de Paris, le 14 septembre 1556. Il sy plaint amèrement des calomnies dont il est l’objet et de l’a- charnement avec lequel ses ennemis travaillent à sa perte. Profitant, dit-il, de son absence, l’abhé Richardot et son ser- viteur Nicolas, logeant lous deux chez l'évique d'Arras, ont cherché à suborner les gens de sa maison (1). Deux commis ont étéenvoyés dans la prison de Dole pour interroger Quiclet à son sujet. Ils ont fait arrêter Jean Renard, son frère, cha- noine de Besancon, et l'ont forcé de nommer les espions dont il s'était servi pendant son ambassade de France. Ensuite ils ont envoyé à Paris un certain Masson, ancien page de l'abbé de Luxeuil, oncle de Granvelle, avec mission de dénoncer ces espions. Ceux-ci ont disparu depuis, et avec eux un témoi- gnage précieux qu'il eût pu invoquer pour sa justification.

(1) « Pendant la trêve, un homme d'église et un serviteur de l’évesque d'Arras ont réuni plusieurs de mes serviteurs et les ont interrogés sur ma conduite. Mais ils n’ont rien trouvé à mon désadvantage. Îls m'en veulent parce que j’ay occupé une ambassade qu’ils désiroient pour un des leurs; pourtant je m'en suis excusé. » Au roi, 14 septembre 1556.

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Grâce à ces démarches, à ces enquêtes, il n’est bruit en France etàla cour que d’un procès criminel qui serait intenté à l'ambassadeur, « par sa considération et son crédit sont tout à fait ruinés. » Il conclut en demandant son rappel et des commissaires pour entendre sa Justification.

Philippe IT prescrivit à Renard de demeurer encore, lui promettant « que le procès ne seroit pas vidé avant qu'il eust été ouy et confronté avec Quiclet. » Néanmoins, et malgré cette royale promesse, une sentence de mort fut rendue, et Quiclet subit sa peine à Dole le 27 mars suivant. Déjà, comme on le voit, Renard n'avait pas dissimulé, dans sa lettre à Philippe, la part qu'il attribuait dans ces poursuites à Gran- velle et à ses amis. Plus tard, il l’accusa d’avoir envoyé un affidé en Bourgogne, chargé de hâter l’exécution de Quiclet, afin de le perdre lui-même plus sûrement, en rendant toute confrontation entre eux impossible. |

Ces accusations étaient-elles aussi fondées qu'elles étaient graves? Nous n’en avons d’autres preuves que la lettre pré- cédente. Or, il est constant, quoique elle donne à entendre le contraire, que l'initiative du procès Quiclet-Renard appar- tient, non pas à Granvelle, mais au parlement de Dole. Elle allègue aussi que l'évêque d'Arras et ses amis en voulaient à Renard d'occuper une ambassade qu'ils désiraient pour un des leurs, comme s’il avait été bien difficile au premier mi- nistre de faire donner, s'il l’eût voulu, cette ambassade à quelque autre. Ajoutons que cette assertion contredit formel- lement le grief suivant, formulé ailleurs par Simon Renard, à savoir que les deux Granvelle, lorsqu'ils lui procuraient tant de missions diverses, n'avaient d'autre but que de le tenir le plus possible éloigné des'souverains.

Quant à l'argument tiré de l'exécution précipitée de Quiclet, à supposer qu'en effet ce soit l’évêque d'Arras qui en ait donné l’ordre, il nous semble que, s'il eût réellement juré dès lors la perte de Renard, au lieu de faire disparaître avec le con-

damné la possibilité d’une confrontation, qui, après tout, pou-

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vait tourner contre son complice présumé, et de couper court à l'enquête commencée, il aurait tout simplement laissé cette enquête suivre son cours, et fait arriver les pièces de convic- tion sous les yeux du roi.

À notre avis, Granvelle n’éprouvait pas alors pour Simon Renard la malveillance de vieille date que supposait celui-ci. : Au dépit de voir passer à son ami toute la gloire du mariage anglais, venait s'ajouter la crainte d’avoir en lui un rival dé- sireux autant que capable de le supplanter dans la faveur du maître ; 1l n’en fallait pas davantage pour éteindre peu à peu l'affection dans son cœur et y éveiller un sentiment contraire. À cette époque, en effet, Simon Renard n'avait rien perdu de son crédit et de son importance auprès de Philippe LE, et si, d'autre part, on considère le ton général des lettres que Gran- velle écrivit à son souverain, pendant cette année 1557, et les protestations exceptionnellement obséquieuses de fidélité et de dévouement qu’il y mulliplie, sans d’ailleurs dire un mot de Renard, on supposerait volontiers qu'il croyait à une sorte de crise, pendant laquelle le monarque espagnol, si hé- sitant par caractère, eût flotté entre les deux rivaux avant de se livrer définitivement (1), Voilà qui expliquerait suffisamment | Je changement survenu dans les dispositions de Granvelle; pour de l'envie et de la haine, sa correspondance n'en trahit rien encore. Mais Renard en jugeait autrement, surtout depuis l'affaire Quiclet, et il rendait avec usure au premier ministre les sentiments dont il le prétendait animé à son égard.

L'ouverture des conférences de Cateau-Cambrésis, pour lesquelles il se le vit préférer, et le succès éclatant qui les cou- ronna, ne pouvaient que l’aigrir davantage, en ajoutant à ses préventions haineuses le chagrin de sa propre décadence. En- suite, la facon dédaigneuse dont Philippe If, quittant Îles Pays-Bas pour retourner en Espagne (?), le laissa dans ses

(1) Voir surtout les lettres des 21 mai et 21 juin 1557. (2) Fin août 1599.

È 19

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fonctions de conseiller, sans espoir d'obtenir davantage, mit le comble à son exaspération contre l’homme aux conseils duquel il attribuait cet inique procédé. Il ignorait qu’à ce moment même, tout investi qu'il était de l’absolue confiance de Philippe, Granvelle, loin de faire récompenser les services d'autrui, ne parvenait qu'à grand’peine à vaincre, en faveur des siens propres, l’indécision et l'ingratitude de son égoïste maître (1).

IT La situation dans laquelle Philippe IT laissa les Pays-Bas,

offrait à Simon Renard une chance de satisfaire à la fois son ressentiment et de relever sa fortune politique (2. À demi

(1) Dans un mémoire adressé à Philippe IT, avant son départ pour l'Espagne, Granvelle lui expose ses embarras pécuniaires et les 25,000 écus de dettes qu'il a contractées, dit-il, au service de l’empereur et au sien, faute de traitements suffisants et de gratifications, lui qui n’a marchandé, dans ce service, ni son temps, ni sa peine, ni ses intérêts privés, ni sa sûreté même. Il rappelle sommairement le grand nombre d'importantes affaires qu’il a négociées et menées à bonne fin, sans avoir rien voulu des souverains étrangers... «S'il falloit en venir à un développement, je remplirois des volumes entiers et fatiguerois la patience de mon souverain... Le monde attend ce que Vostre Majesté va faire pour moi dans cette occasion. Je la supplie d’avoir égard à la nécessité qui me presse et à la voix du peuple qui ne forme son opi- nion sur les choses que par comparaison... Le cardinal de ‘Trente, pour avoir servi une seule année dans le Milanoiïis, a reçu une pension de 10,000 écus... Beaucoup d’autres ont obtenu des gratifications, ou bien ont été indemnisés des dépenses qu'ils ont supportées au service de Vos Majestés ; et mov, vieux serviteur de vostre maison, je n'ay rien receu à aulcun tiltre. » Si le roi ne le met en état de pourvoir à ses besoins et de paver ses dettes, il sera contraint de se retirer dans son diocèse pour y vivre fort à la gêne.

Assurément Granvelle n'était pas aussi pauvre qu'il le prétendait. Il possédait de nombreux bénéfices. Mais son goût pour le faste et les arts l’entrainait à de grandes dépenses, auxquelles ses souverains étaient loin de pourvoir autant qu’il l'aurait voulu. A l’époque dont il s'agit, il sollicita longtemps, avant del’obtenir, l’abbaye de Saint-Amand, qui valait, il est vrai, 14 à 15,000 florins de revenu annuei.

(2) Au milieu du seizième siècle, les provinces des Pays-Bas for- maient un des cercles de l'empire germanique, tout en conservant leur

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ruinées, pour avoir subi le contre-coup de la longue rivalité des maisons de France et d'Autriche, les Provinces joignaient à ce premier motf de mécontentement, une antipathie pro- fonde pour le régime espagnol, qui, pour elles, réalisait l'idéal de labsolutisme politique et de l'intolérance religieuse. Le maintien des garnisons espagnoles dans les places fortes, la réorganisation diocésaine, résolue d'accord avec Rome et sans l'intervention des grands pouvoirs provinciaux (1), la crainte de voir le Saint-Office venir aggraver la rigueur de l’Inquisi- tion, telle que l'avaient établie les Edits ou Placards de Charles-Quint, motivaient cette antipathie (2).

autonomie sous la souveraineté de la maison d'Autriche. Leur consti- tution intérieure était une sorte de féodalité, tempérée par de fortes institutions municipales et représentatives, et dans laquelle trouvaient place : 1 l’aristocratie des seigneurs avec leurs grandes fortunes ter- ritoriales et leur nombreuse clientèle; les chefs du clergé, riches abbés pour la plupart ; 30 les bourgeois des villes, qui possédaient des franchises plus ou moins étendues et nommaient presque par- tout, par élection annuelle, leur administration municipale.

Chaque province avait son assemblée particulière, cosnposée de re- présentants des trois ordres, se décidaient tes affaires importantes, particulièrement les questions d'impôt. Pour les grandes questions .. d'intérêt général, les assemblées provinciales formaient, par voie de _ délégation, l'assemblée unique des Ætats-Généraux.

(1) Parmi les principales causes qui avaient favorisé l'introduction et les progrès du protestantisme aux Pays-Bas, Charles-Quint et apres lui Philippe IT plaçaient avec raison le petit nombre des évêchés, trois seulement : Tournai, Arras et Utrecht, et par conséquent l'étendue démesurée des circonscriptions diocésaines, dont plusieurs avaient même leur siège au dehors. Delà, pour les évêques, l’impossi- bilité de surveiller et de diriger leur clergé, qui, par suite, était tombé dans le relâchement de la discipline et des mœurs, et laissait les peuples dans l'ignorance de la Foi. Pour y porter remède, Philippe IT décida, avec l'approbation du pape Pie IV, la création de 14 nouveaux sièges, ce qui en porta le nombre à 17, dont 4 métropolitains. Chaque siège devait être doté avec les biens- des couvents situés dans sa cir- conscription. Granvelle échangea alors son évèché d'Arras contre le nouvel archevêché de Malines.

(2) Philippe IE, si jaloux de sa prérogative souveraine, tenait infini- ment plus encore au règne exclusif du catholicisme dans ses Etats. Autant il portait d'indécision dans le temporel du gouvernement, au-

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L'évêque d’Arras, que Philippe venait de donner pour pre- mier ministre à la nouvelle gouvernante, Marguerite, du- chesse de Parme, sa sœur. avec mission d'exécuter ses déci- sions suprêmes, passait à lort pour en avoir été l’inspirateur, et dut bientôt à cette prévention injuste une immense impo- pularité (1). I] déplaisait singulièrement aux grands, aux sei-

tant il se montrait inébranlablement résolu, quand les intérêts catho- liques étaient en jeu. On en trouve la preuve dans les nombreux pas- sages de sa correspondance, il se déclare prêt à tout sacrifier, même sa couronne, même cent vies s’il les avait, pour cette sainte cause. Voir, entre autres dépêches, celles du 7 septembre 1560 a Granvelle, et du 12 août 1566 au pape Pie V.— Ces sinistres résolutions n'étaient un mystère pour personne. C'est pourquoi l’on crut généralement aux Pays- Bas que l'établissement des nouveaux évêchés n’était qu'un achemine- ment à l'introduction de l'Inquisition d’Espagne. De des protesta- tions très violentes, d'autant plus fondées, qu’il y eut des tentatives d’in- tervention de la part des inquisiteurs de Séville, et que le monarque espagnol demeura près de trois ans avant de se décider à démentir officiellement, sur le conseil de Granvelle, le projet en question.

(1) Granvelle était resté étranger à la création des nouveaux sièges ; ce fut à son insu que Philippe II en arrêta le plan, et en conduisit, par l'entremise du docteur Sonnius, la négociation avec la cour de Rome, et il n’en reçut communication qu'après le retour de Sonnius. Il n’é- tait pas franchement partisan de cette innovation, car au milieu des soins et des efforts qu'il lui consacrait en pure perte, il lui arriva plu- sieurs fois de la déplorer comme un malheur. « M'ayant dit Sa Ma- jesté son intention après les bulles dépeschées que Sonnius raporta de Rome, j'y ay aidé pour obéir. » Granvelle au prévôt Fonck, ? jan- vier 1562.

«Ha raison Madame de dire que ce des éveschés a grandement in- commodé les affaires. » A Viglius, 30 novembre 1564.

« Mais tout cela (ce qu'il en souffre lui-même) n’est rien en compa- raison du dommage qui en résulte pour le bien public. Je jure que je ne dis pas ici la centiesme partie de ce que je pense... Plust à Dieu qu'on n’eust jamais songé à l’establissement des nouveaux sièges! Amen! Amen! Amen! » À Vargas, ambassadeur d'Espagne à Rome, 14 septembre 1561.

Granvelle goûtait moins encore l'idée d'introduire le Saint-Office, et soutenait qu'il devait suffire de la stricte exécution des Placards, impitoyable envers les prédicants, les obstinés, les perturbateurs; modérée, indulgente envers les inconscients, les inoffensifs, ies repen- tants, pour avoir raison de l’hérésie. Chez lui, en effet, la haine des

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gneurs, comme on les appelait, par sa qualité d’étranger, par son esprit dominateur, par sès manières hautaines, son faste et sa noblesse de fraîche date. Aussi les trou va-t-il tout d’abord disposés à paralyser son gouvernement et à défendre contre lui, avec les libertés publiques, leurs propres prérogatives.

Or, c'était une opposition redoutable, destinée qu'elle était à réunir peu à peu autour d'elle le pays presque tout entier. Outre le prestige et l'influence qu'ils devaient à leurs privi- lèges héréditaires, à leur grande fortune territoriale, à l’hos- pitalité magnifique de leurs logis, au nombre des gentils- hommes et des pensionnaires qu'ils entretenaient à grands frais autour de leur personne, les seigneurs exercaient, soit comme gouverneurs de provinces, soit comme conseillers d'Etat ou des finances, une autorité considérable dans le gou- vernementé et dans l'administration, dans l'Etat, dans l’armée et dans l'Eglise. Ils intervenaient dans les élections munici- pales et dirigeaient les assemblées des Etats. La moyenne et la petite noblesse, ainsi que les gens de robe, étaient plus ou moins dans leur dépendance (l,

Comprenant combien il importait d'assurer à la gouvernante

nouveautés religieuses était moins d’un théologien que d’un homme d'Etat; et, s’il proscrivait la liberté de conscience, c'était surtout au point de vue des conséquences révolutionnaires qui pouvaient en résul- ter dans l’ordre politique et dans l’ordre social, comme les anabaptistes de Munster en avaient donné la preuve. Sous ce rapport, il était plus libéral que son maître ; il était par anticipation de l'école de Richelieu. Subordonnant aux intérêts du trône tout le reste, même la question religieuse, on peut croire que, ministre de Louis XIII, il se fût prêté à une tolérance compatible avec ces intérêts souverains, et qu'il eût signé la paix d’Alais avec les protestants de cette époque (1629).

(1) Les gouverneurs de provinces étaient, dans toute l'acception du mot, les lieutenants du prince, dominant l’ordre militaire comme capi- taines-généraux, et l’ordre civil comme gouverneurs, grands-baïllis, veneurs, forestiers, lieutenants de fiefs, ayant, grâce à ces attributions multiples qui se complétaient les unes les autres, presque tous les attri- buts de la souveraineté entre les mains. Sous Marguerite de Parme, ils agrandirent encore leur position traditionnelle, et de fait ils devinrent les maitres dans leurs gouvernements, avec lesquels la régente ne

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= one

et au premier ministre le concours de celte puissante aristo- cratie militaire et civile, Philippe If, avant son départ, dis- tribua aux seigneurs tous les gouvernements vacants, plu- sieurs sièges au conseil d'Etat, plusieurs places dans l'ordre nobilissime de la Foison-d’Or, et de fortes gratifications pécu- niaires, sans compter les plus encourageantes promesses. Mais, en plaçant Granvelle aux côtés de la gouvernante, il avait d'avance annulé l'effet qu'il espérait de ces faveurs si large- ment départies (1).

Les chefs de l'opposition aristocratique étaient Guillaume de Nassau, prince d'Orange, gouverneur de Hollande, Z6- lande, Utrecht et Westfrise; le comte d'Egmont, gouverneur de Flandre et d'Artois; le marquis de Berghes, gouverneur de Hainaut, avec les citadelles de Valenciennes et de Cam- bray ; le comte de Mansfeld, gouverneur du Luxembourg; le comte de Hornes, grand amiral; le baron de Montigny, frère du précédent, gouverneur du Tournaisis.

EV

Simon Renard, avec sa soif de vengeance et son ambition décue, avait sa place marquée parmi ces nobles mécontents. D'ailleurs, l'éclat de son passé diplomatique, ses talents in- contestables, les sédactions de sa parole, assuraïient à ses avis, auprès des seigneurs, la même autorité dont ils jouissaient au sein des conseils. Il acquit en particulier un ascendant mar- qué sur le comte d'Egmont, dont il devint en peu de tempsle familier et le commensal ordinaire, comme il devint plus tard celui du prince d'Orange.

Il avait à peine attendu la rentrée de Philippe IT en Espagne,

communiquait que par leur intermédiaire. V. Chroniques belges, tome 1°", p. 154.

(1) Au prince d'Orange 40,000 écus, au comte d’'Egmont 5°,000, au marquis de Berghes, aux comtes de Hornes et de Meghem et au sei- gneur de Glaïon 15,000, au comte d’Arembere, 6,000, ete., etc.

295 pour prendre un rôle actif dans l'opposition, si l’on en juge par les réflexions suivantes que Granvelle écrivit, dès le 2 octobre 1599, au secrétaire d'Etat espagnol, Gonzalo Perez, qui, pendant son séjour à Bruxelles, avait logé chez Renard : « Il me peine qu'icy les volontés ne soient pas les mesmes que chez vous, ce à quoi ayde bien de sa part mon ami, votre hoste, qui est le conseiller et qui parle le plus librement, voulant, comme je le suppose, se venger de Sa Majesté, en payement de ce qu'on a tant lardé à vérifier les faultes et les soupcons qui résulloient contre luy du procès du traître Quiclet, son parent, majordome et secrétaire... On travaille tant à exciter le peuple contre les soldats espagnols que, d’après ce que je vois, il faudra les retirer d’icy (1). »

De quoi s'agissait-il dans ces conciliabules des seigneurs, Simon Renard était le conseiller et parlait le plus libre- ment? On y décidait d'encourager les évêques métropolitains du dehors et les abhés nationaux dans leur refus de céder la place aux nouveaux évêques à leurs délégués, de signifier à la duchesse et à ses conseillers que les Etats n'accorderaient pas un écu des subsides demandés, tant qu'on n'aurait pas retiré les garnisons espagnoles el soumis aux Etats Généraux

. Ja double question des évêchés et du Saint-Office; enfin, de

faire savoir au roi que la présence de Granvelle était le prin- cipal obstacle au bon ordre et à la bonne administration des Provinces.

Dès l'été de 1561, le prince d'Orange et le comte d'Egmont, parlant au nom de tous, adressèrent à Philippe, par l’entre- mise d'Erasso, cel ennemi de Granvelle(?}, une requête secrète, pour lui exposer que, contrairement à la promesse qu'il leur avait faite au moment de quitter les Flandres, toutes les affaires d'importance se traitaient eu dehors du Conseil d'Etat, dans un comité secret, composé de deux ou trois personnes,

(1) V. Correspondance de Philippe IT, t. Er. (2) Erasso était alors conseiller d'Etat en Espagne.

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sous la direction absolue du premier ministre (!)}, et qu’on laissait le reste au Conseil; que par conséquent, ne voulant pas avoir à répondre de ce qui se faisait sans eux, ils priaient Sa Majesté d'accepter leur démission de conseillers, ou d’or- donner que toutes choses fussent désormais communiquées, traitées et résolues en plein Conseil d'Etat (2). Deux lettres personnelles du comte à Erasso accompagnaient la requête ; elles avaient été écrites en espagnol, sous sa dictée, par un ami de Renard, le contador Castellanos (3). Elles recomman- daient l'affaire à la diligence et à la discrétion d’Erasso, et l'une d’elles se terminait par cette remarque : « On ne saurait s’'imaginer la manière dont agit le cardinal, ni l'autorité ab- solue qu il s’arroge (4). »

Le 26 février précédent, Granvelle avait été promu au car- dinalat. Philippe l'en félicita dans les termes les plus flatteurs, espérant, disait-1l, que cette élévation méritée ne pourrait _ que tourner au profit de Pautorité royale et à celui de la reli- gion (5) : espérance illusoire, que la requête des seigneurs, comme on vient de le voir, ne tarda pas à dissiper. Une ré- ponse évasive du roi, dans laquelle il évitait de se prononcer sur leur grief principal, vint encore aigrir leur antipathie pour le cardinal-ministre, d'autant plus qu'on leur écrivit d'Espagne que, dans certaines vues d'intérêt personnel, il. cherchait à les mettre mal dans l'esprit du roi.

(1) Philippe, avant son départ pour l'Espagne, avait prescrit à la duchesse de Parme de communiquer seulement à un comité composé de Granvelle, du président Viglius et du baron de Barlaymont, les affaires concernant la collation des charges, offices et bénéfices, et no- tamment le renouvellement des magistrats des villes. Ge comité secret prit le nom de Consulte. V. Correspondance de Philippe H, t. I, p: 236.

(2) 23 juillet 1561. (Correspondance de Philippe IH.)

(3) Le contador était une sorte de contrôleur ou inspecteur des reve- nus royaux aux Pays-Bas. |

(1) 27 juillet et 15 août. (Correspondance de Philippe 11.)

(5) 17 mars 1561,

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A cette époque, Granvelle ne se savait pas encore le point de mire de l'opposition aristocratique. Il en fut informé par le comte d'Egmont, au mois de mars 1562. Ce seigneur, quoique lié aux autres par la communauté des intérêts et des prétentions, ne savait pas dissimuler comme eux. Aussi ins- pira-t-1l au ministre une estime affectueuse, qui ne se démen- tit jamais, et qu'il devait retrouver intacte dans ses jours de malheur. « Je le considère, écrivait au roi le cardinal, comme un des hommes les plus loyaulx et en qui Vostre Majesté peut avoir le plus de confiance, si toutefois les apparences ne sont pas trompeuses (1), »

Bientôt l'hostilité des mécontents commenca à se faire jour dans le public, sous forme de libelles, «de pasquilles {écrits satiriques), » de caricatures, dont les nouveaux sièges, les Placards, le clergé, le pape, le cardinal faisaient tous les frais, et qui circulaient non seulement dans les Provinces, mais aussi en France, en Franche-Comté et jusqu'en Espagne (?). Le cardinal y était le plus maltraité. On employait contre lui tour à tour l’odieux et le ridicule : on l’attaquait dans sa vie privée (3); on conspnait sa dignité cardinalice; on l’accu-

sait d'exciter son souverain à Couper la tête aux principaux - seigneurs et à réduire les Pays-Bas par la force, après quoi

il se joindrait aux Guises, pour exterminer les huguenots de France. Le cardinal eut avec le prince d'Orange et le comte d'Egmont un entretien, dans lequel il s'efforçca de leur faire voir que ces dernières accusations élaient autant de calom-

(1) 12 mars 1562.

(2) Des colporteurs vendaient une image le cardinal était repré- senté couvant des œufs d’où sortaient des évêques en rampant, tandis que le diable, planant sur sa tête, le bénissait et disait : « Celui-ci est mon fils bien-aimé. »

(3) Granvelle envoya au roi un spécimen de ces pamphlets, avec une lettre se trouvait cette réflexion : « Ils (les seigneurs) seroient fort aises que je ressemblasse au pourtraict qu'ils font de moy; il régneroit entre eux et moy une parfaite intelligence, car il y auroit communaulté de mauvaises mœurs, » 13 mai 1562,

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298 nies. Mais il ne put y réussir, non plus qu’à les ramener dans sa maison et à sa table, que les opposants avaient désertée et fait déserter à leurs amis; de telle sorte que le fier ministre dut leur substituer la société des conseillers en longue robe, des gentilshommes et des simples bourgeois, dans l'espoir de recruter des partisans parmi eux.

V

Granvelle mettait pas en doute la participation de Simon Renard à ces poursuites méchantes et déloyales. Il le présenta au roi, par allusion un certam personnage »), non seule- ment comme ayant imaginé les prétendues négociations avec les Guises et la fable des têtes à couper, mais encore comme l’auteur présumé de quelques-uns des pamphlets mis en cir- culation, attendu, disait-11, que les mêmes calomnies avaient eu Cours auparavant dans l'hôtel d'Egmont, qu'il fréquentait assidüment(l). Il supposait aussi, non sans quelque raison, qu'il avait part à des correspondances secrètes, qui s'échan- geaient entre les mécontents des Pays-Bas et la cour de Ma- drid.

Deux partis divisaient alors cette cour : ils avaient pour | chefs, l’un, les ducs d’Albe et de Féria ; l’autre, le ministre favori de Philippe IL, Ruy Gomez de Sylva, prince d'Eboh; le premier soutenant le cardinal,’ le second plus favorable à ses adversaires. À celui-ci appartenait un Franc-Comtois, le sieur de la Chaux, gentilhomme de la chambre, très avec Simon Renard et tout disposé à le défendre auprès de Ruy Gomez et aupres du roi lui-même.

Renard n'était pas moins servi par la haine que portait aux Granvelle la famille de Rye, l’une des plus considérables de la Franche-Comté, dont le chef, Marc de Rye, marquis de Dissey, était gouverneur de Dole. Il avait ainsi un double

(1) Dépêches cles 13 mai et 14 juin 1562.

299 intermédiaire pour propager, dans la Comté de Bourgogne et en Espagne, les bruits injurieux et les pamphlets qui avaieut cours aux Pays-Bas, et dont il était l’un des principaux au- teurs. Telle était du moins la conviction du cardinal.

I] paraîtrait, d’après une lettre rapportée par dom Lévêque, que, avant de signaler au roi Simon Renard, comme un’actif et dangereux auxiliaire des opposants, Granvelle essaya de le ramener au devoir, en invoquant les souvenirs de leur an- cienne amitié. « Mon cher ami, lui aurait-il écrit, je vois bien que la reconnaissance est une vertu oubliée à présent dans le monde. Ne vous souvenez-vous plus que c’est moi qui vous ai toujours soutenu, défendu et protégé partout? Est-ce que l'amitié que je vous ai toujours témoignée, devait m’attirer un tel procédé de votre part? La qualité de mon compatriote et votre mérite personnel m'avaient engagé à vous placer et à vous faire connaître au prince. J'y ai réussi; est-ce ainsi que vous reconnaissez mes bontés et que vous récompensez mon amitié, par les témoignages de l'ingratitude la plus noire? Pensez à vous-même et je serai toujours votre serviteur. » (Signé) « CARDINAL DE GRANVELLE. »

Cette lettre, dans l'hypothèse peu vraisemblable elle serait sortie de la plume de Granvelle, demeura sans effet (1),

(1) Dom Lévêque a inséré cette lettre sans date à la page 327 du tome [+ de ses Mémoires sur le cardinal Granvelle, avec cette note à la marge : «Mémoires de Granvelle, t. 19, p 101, traduit de l'espagnol. » Ce quil entend par Mémoires de Granvelle ne peut être que la collection des Papiers Granvelle. Or, le tome XIX de cette collection manuscrite, et la page 101 en particulier, ne renferment que des lettres d’une autre époque et de provenance différente. En second lieu, dans tout ce qui nous reste des lettres échangées entre le cardinal et Simon Renard, il n’y en a pas une seule écrite en espagnol. Aussi bien, franc-comtois l’un et l’autre, il était naturel qu'ils correspondissent entre eux dans leur langue maternelle. Enfin, il règne dans la lettre en question un ton de protection hautaine moins propre à ramener un caractère tel que Renard, qu'à produire l'effet opposé. Granvelle, en l’écrivant, serait allé contre sou but, Nous concluons que c'est une pièce apocryphe, composée, selon toute apparence, pour défendre la mémoire du cardi-

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900 et le ministre, résolu à rendre guerre pour guerre, ne garda plus de ménagements avec Renard. Non content de le dé- noncer au roi comme on l’a vu plus haut, il se répandit contre lui en récriminations et en menaces, et réveilla dans ses dis- cours le souvenir de Vauxelles et du procès Quiclet.

Afin de parer le coup à Madrid même, Simon Renard adressa, dans les premiers jours de mai 1562, une requête à Phihppe IT, pour se plaindre des calomnies que le cardinal et ses acolytes répandaient sur son compte, faire sa propre apo- logie et demander justice. Il s'engageait à confondre ses accu- sateurs, dont il citait les noms à la suite de celui de Granvelle, espérant, disait-il, que, s’il était reconnu « qu'ils n’avoient agi que par malveillance, vindicte et fausses suggestions, son honneur lui seroit gardé et maintenu, et que ses calomnia- teurs subiraient tels chastiments qu'ils auraient mérités, sans respect de grandeur, crédit et faveur de celui qui lui avoit procuré ces traverses. »

En réponse à cette requête, le roi d'Espagne commenca par accorder des juges au plaignant, comme celui-ci le deman- dait, et lui ordonna de comparaître devant le parlement de Dole. Ensuite, comme Renard, qui avait de honnes raisons pour esquiver cette juridiction, s'excusait sur le mauvais état de sa santé, sur ses embarras d'argent et sur le refus que feraient assurément ses créanciers de le laisser partir, il eut l'idée de faire instruire son procès aux Pays-Bas; mais ce fut pour y renoncer bientôt, la régente et le premier ministre lui ayant fait comprendre que le moment était mal choisi, attendu

nal contre l’accusation, longtemps réitérée, de s'être acharné gratuite- ment à la perte de son ancien ami et de l'avoir fait assassiner.

Au reste, le livre de dom Lévêque fourmille d'erreurs et d’à peu près. Pour n'en citer qu'un exemple, il dit, tome I°, page 333 : « Le prince d'Orange fut exilé du Conseil, lorsqu'il fut question de créer un magis- trat pour la ville d'Anvers; » au lieu que, pour être exact, il aurait dire que le prince et les comtes d'Egmont et de Hornes furent exclus des délibérations importantes que la Consulle avait usurpées sur le Conseil d'Etat, y compris le renouvellement du magistrat des villes.

301

que l’opposition des seigneurs s’accentuait de plus en plus, et que la ligue qu'ils formaient entre eux avait trop besoin de Renard, pour ne pas intervenir en sa faveur, et était trop puissante déjà, pour ne pas rendre toute procédure illusoire. La conclusion fut que le meilleur était de l’éloigner des Pays-Bas (1). Encore fallait-1l s'y prendre de manière à ne pas essuyer un refus de sa part, ni mécontenter les seigneurs avec qui il était en intimité croissante (2. Après en avoir con- féré avec le cardinal, Marguerite proposa à Philippe de lui donner soit l'ambassade d'Angleterre, soit une mission à Ve- _nise ou en Comté (3). Le roi d'Espagne, par crainte des mau- vais offices qu'il pourrait faire encore en Angleterre ou à Ve-

(1) « Le tout est soufflé et inventé par ce coquin de Renard, qui pense par ce moyen s'ingérer dans les aflaires el satisfaire l'ambition dont il est dévoré. » Granvelle à l'ambassadeur d'Espagne en Angleterre, 21 juillet 1562. (Corresp. de Philippe II, tome I.)

La duchesse écrivit au roi, son frère, qu'elle tenait de la bouche de Barlaymont que les seigneurs, en ce moment réunis à Bruxelles, ne désiraient autre chose que du trouble dans le pays. « Et quoique ce ne soit pas mon habitude, continue-t-elle, de rapporter des choses qui puissent faire tort à qui que ce soit, je ne puis pourtant laisser, à ce propos, de faire savoir à Vostre Majesté que, quand on parle de sa venue -. au pays, ils disent qu'ils ne savent pourquoy elle y viendroit, ni ce qu’elle auroit à y faire, s'expriment en des termes qui semblent met- tre en doute qu'elle soit maistresse de ces Provinces. » La duchesse ne doute pas que Renard ne soit l’auteur de toutes ces pratiques, et elle engage le rot à le relirer des Pays-Bas. Elle lui représente, au surplus, contrairement à l'opinion exprimée par les seigneurs, que sa venue prochaine peut seule assurer la conservation de ces Etats. 31 août. (Correspondance de Philippe IT.) Philippe IT à la duchesse, le 17 juillet précédent.

(2) « Depuis huit jours Renard est presque chaque jour chez le prince d'Orange. » Granvelle à Gonzalo Perez, 12 octobre 1562.

(3) La mauvaise volonté contre le cardinal continue; toutefois il ne perd pas courage. La gouvernante n’a pas fait faire de recherches sur les pasquin «les qui se sont publiées, de crainte de trouver des coupa- bles qu'on ne pourrait punir. Elle a parlé avec le cardinal du parti à prendre envers Simon Renard, qui est en grande partie l’auteur de ce qui arrive et qui est connu d’ailleurs pour avoir mal parlé du roi et de

la feue reine d'Angleterre, etc,,,,,,, 10 octobre. (Corresp. de Phi- hippe IT, tome I.)

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902 nise, jugea qu'il valait mieux l'envoyer en Franche-Comté. En conséquence, il adressa à la duchesse, pour lui être remise, une lettre spéciale qui renfermait l’ordre d'aller résider et servir dans cette province.

VI

Ce fut le 17 janvier 1563 que Renard recut cette lettre des mains de la duchesse. Toute mitigée qu'était la volonté royale, elle ne le trouva pas plus disposé à l’obéissance. Il n'y vit, ce qu’elle était en effet, qu’un moyen détourné de l’éloigner des Pays-Bas, son point d'appui pour la guerre contre le cardinal, et la résidence la plus sûre pour lui. D'ailleurs, l'attitude de plus en plus hostile des seigneurs contre le premier ministre l’encourageait à la résistance. A cette époque, le baron de Montigny, qui venait de remplir une mission en Espagne, au lieu de travailler à rétablir la concorde, comme le roi l’en avait chargé, unissait ses efforts à ceux de son frère, le comte de Hornes, pour compléter l'organisation de la ligue anticar- dinaliste (1).

Un des premiers actes de cette ligue fut de préparer une adresse au roi, pour protester contre ce qu’ils appelaient la tyrannie du cardinal. Barlaymont, d'Aremberg et le duc d’Arschot, ayant refusé d'être des leurs et de signer l'adresse, ils les qualifièrent de cardinalistes, de familiers de l'Inquisi- tion, et tout en continuant à les voir, dans l’espoir de les

(1) Montigny rentra à Bruxelles le 23 décembre 1562. Pressé par le roi d'Espagne de s'expliquer franchement sur ce qui se passait aux Pays-Bas, il avait fini par alléguer les trois griefs suivants : l’érec- tion des évêchés qui avait été négociée sans que personne des Pro- vinces le sût et y intervint; 2 le bruit répandu qu'on voulait introduire dans ces Provinces l'Inquisition à la manière d’Espagne; la haine que tout le monde avait conçue contre le cardinal Granvelle, et non seule- ment les nobles, mais le peuple, haine qui allait si loin, qu’elle pouvait faire craindre quelque soulèvement Philippe à la gouvernante, 23 décembre 1562. (Corresp. de Philippe 11, t, I;)

303 amener à eux, leur déclarèrent qu'ils tiendraient désormais pour ennemi quiconque serait avec le ministre.

Ce n'était pas au moment 11 voyait la position de Gran- velle si sérieusement menacée, que Simon Renard pouvait songer à quitter la place; ce qui faisait dire au cardinal : « Renard paroît déterminé à ne pas obéir aux commande- ments du roi, il veut s'appuver sur les seigneurs, leur faisant entendre que l’ordre de Sa Majesté lui est venu, parce qu'il leur a donné conseil. IL prétend que nous avons rédigé ici les lettres en blanc, et il persuade à beaucoup de monde que toutes les dépêches que nous disons venir du roy, c'est moi qui les fais. C’est un homme très pernicieux et très dange- reux (1). »

Ce court passage d’une lettre à Gonzalo Perez eut ensuite son commentaire dans d’autres dépêches beaucoup plus expli- cites. Dans la première (12 mars), dont la minute en italien est tout entière de la main de Granvelle, Marguerite, rendant compte à son frère de l'entretien qu'elle eut avec Simon Renard, lorsqu'elle lui remit la lettre royale qui lui ordon- nait d'aller en Franche-Comté, juge sévèrement l'attitude qu’il eut alors, ainsi que les raisons sur lesquelles il fondait son refus d'obéir, « faux prétextes, dont il cherchoit, disait-elle, à colorer sa maulvaise volonté. » Elle Le représente travaillant à se faire un parti au sein du conseil privé, et insinuant à chacun de ses membres qu’il est de leur intérêt à tous de faire cause commune avec lui, parce que l'arbitraire dont on le rend aujourd'hui victime pourrait bien les atteindre à leur tour. [ a présenté à la gouvernante deux requêtes successives, à l'effet d’être admis à se purger de certains faits dont on l’ac- cuse, insistant pour qu'elle fasse examiner ces requêtes par le conseil! privé et par le conseil d'Etat. Mais, convaincue qu’il ne veut par que gagner du temps, elle n’en a tenu aucun

(1) Granvelle à Gonzalo Perez, 29 janvier 1562. (Correspondance de Philippe 11, tome I.)

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304

compte, et elle conseille à Phihppe soit de le suspendre de ses emplois et d'ordonner une enquête sur son passé diplomatique, soit de lui signifier que, puisqu il refuse de se rendre en Comité, il ne veut plus de ses services ni là, ni ailleurs; ou bien, à défaut de cette alternative, de faire en sorte que quelqu'un de ses amis, M. de la Chaux, par exemple, l’engage à se soumettre simplement à l’ordre du souverain, puisque cet ordre ne fait que le changer de résidence, sans lui rien Ôter de ses offices, traitements et pensions.

Granvelle, par deux dépêches des 10 et 13 mars, aggrave, en les développant, les accusations contenues dans la précé- dente. Depuis qu’il a recu la lettre du roi, Renard devient de plus en plus embarrassant. Sous prétexte des privilèges du Brabant, violés dans sa personne, et du déni de justice qu'on lui fait, 1l ne cesse d'attaquer, par ses discours et ses écrits, la prétendue tyrannie du premier ministre, il en parle à tous ceux qu'il rencontre, visite à ce sujet les seigneurs et les autres conseillers, et leur présente, ainsi qu'à Madame, des suppliques de sa façon, en vue de provoquer des protestations contre l'arbitraire auquel il est, dit-il, en butte.

Afin de neutraliser l’effet de ces menées, Granvelle à dit et

fait dire, pour le répandre dans la ville, que Renard agit mé-

chamment envers lui, à qui il doit tout; que Sa Majesté a bien le droit de l’employer dans telle partie de ses Etats qu'il lui plaît, et que son refus obstiné d’obéissance ne témoigne point d'une conscience tranquille ; que, d’ailleurs, il sait assez quelle a été sa propre conduite, pour ne pas trouver étonnant que le roi ait eu connaissance de quelques-unes de ses lettres; qu'enfin il ferait beaucoup mieux d'obéir que d'empirer sa position, déjà si compromise et par les charges qui résultent contre lui du procès Quiclet, et par ses méfaits d'autre sorte. Le cardinal ajoute qu'il a distribué plusieurs copies de cer- taines lettres de Quiclet et de Renard, très accusatrices pour ce dernier; il ne parle pas, dit-il, d’un grand nombre d’autres pièces authentiques qui, s'il faut l’en croire, existent soit au

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CÉCRE 24

905 dossier du procès, soit entre ses mains à lui, et qu’il tient en réserve pour plus tard. Par cet ensemble de moyens, il a la. conviction d'avoir prévenu un soulèvement.

Pour ce qui est des libelles fabriqués contre lui, il dédaigne d'y répondre. À ceux qui lui en parlent, il se contente de dire que, en l’accusant d’avoir rédigé lui-même sur un blanc- seing le commandement soi-disant royal, Renard cherche à accréditer dans les Provinces l'opinion qui s’y montre déjà, à savoir, que tout se fait à Bruxelles sur des blancs-seings, ou bien que les pièces sont envoyées en Espagne toutes dressées, pour y être transcrites et recevoir la signature du maître. Au surplus, les méchants propos d'un individu aussi mal famé ne sauraient atteindre un honnête homme aux yeux des gens de bien (l).

Quelque degré de véracité qu’on attribue aux lettres que nous venons d'analyser, on ne peut toutefois s'empêcher de reconnaitre que Renard, après avoir recu la lettre du roi, mit tout en œuvre pour se soustraire à l’ordre qu'elle renfermait, et qu à cet effet il resserra les liens qui l’unissaient aux membres de la ligue. Vers le milieu de février 1563, il obtint du prince d'Orange et du comte d'Egmont une déclaration . écrite, attestant qu'il n’était pour rien dans le différend que les seigneurs avaient avec le ministre (2. Cette déclaralion, que le cardinal considéra comme un certificat de complaisance arraché à l'esprit de parti, était d’un grand prix pour Renard; il s'empressa de l’annexer, comme pièce Justificative, à une nouvelle requête qui avait pour objet de faire connaitre au roi les motifs de sa non-obéissance et les persécutions qu'il avait

(1) Nous ne devons pas oublier que Granvelle remplit iei le rôle d’accusateur contre un ennemi qu'il juge très dangereux ; et que, dans son désir de le perdre, en se préservant lui-même, il se peut qu'il ait exagéré la gravité des préventions relevées à sa charge, et imaginé l'existence de quelques-unes des lettres et autres pièces authentiques dont il parle, d'autant plus qu'il n’en a jamais produit les originaux.

(2) Correspondance de Philippe LT, t. I, p. 237.

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306 à souffrir, Mais la requête et son annexe se croisèrent en route avec une lettre de Philippe IL (1), que ce prince avait écrite, après avoir pris connaissance de celle citée plus haut de Granvelle à Gonzalo Perez. Il recommandait à la gouver- nante de faire en sorte que Renard partît des Pays-Bas, si déjà 1l ne les avait quittés.

Devant cette persistance de la volonté souveraine, Renard résolut tenter un suprême et énergique effort pour la fléchir et la désarmer. C’est pourquoi il expédia à Madrid une troi- sième requête qui, réunie à la précédente, dont elle n’était qu'une reproduction très développée et très habile, forme une sorte de mémoire justificatif, qui n'occupe pas moins de vingt pages in-4°, et dont l'analyse ne saurait donner qu'une idée fort imparfaite (?).

Il y fait un long exposé de ses 22 années de services publics, à partir du jour le cardinal de la Baume le fit nommer lieutenant d’'Amont, et il affirme avec une certaine complai- sance que, dans toutes ses missions, négociations, ambassades, il a toujours agi « sincèrement et loyalement, diligemment, confidemment, seurement, remédiant les choses désespérées et les convertissant au désir de ses souverains, le tout avec de grands dangers et hasards de sa vie.» A propos de son am- bassade anglaise, il rappelle superbement à Philippe que c’est lui, lui seul, qui l’a fait roi d'Angleterre et l'a maintenu sur son trône, en dépit des difficultés et de tous les périls dont Sa Majesté n'a pas perdu le souvenir G). « Et néanmoins, pour-

(1) Du 25 février 1563.

(2) V. Papiers d'Etat, tome V, page 12 et suiv.

(3) « Et tout malade qu'étoit le suppliant après le siege de Metz Sa dicte Majesté impériale voulut qu’il allät en Angleterre. Et sâns respecter le dangier de sa personne, ny sa maladie, ny la dangereuse et hazardeuse commission, le suppliant passa en Angleterre, et, avec les seigneurs avoc lesquelz il estoit, il traita la négociation de telle sorte que, nonobstant les menasses du duc de Nortomberland, toutes ses praticques furent renversées, la volonté de Sa Majesté impériale accom- plie, le conseil d'Angleterre gaigné, la couronne conservée à la royne

307 suit-il, je remporte, au lieu d'honneur, desréputation et infa- mie ; au lieu de mercède, ruine et pauvreté ; au lieu d’accrois- sement de faculté, reboutement; au lieu de liberté, servitude ; au lieu de repos, travail; au lieu de contentement, regret et conséquemment une mort langoreuse. »

À l'en croire, l’auteur de tous ses malheurs, c’est Granvelle qui, dès le temps il était maître des requêtes de l’empe- reur, ayant remarqué que Sa Majesté « goûtoit fort sa ma- nière de servir, » résolut, d'accord avec le chancelier son père, de saisir toutes les occasions de le tenir éloigné d’Elle. De les missions au Milanais, au concile de Trente, les né- oociations de Vauxelles, les ambassades en France et en An- oleterre. C'était là, il faut en convenir, une manière ingé- nieuse d'interpréter les bienfaits des Granvelle; elle mettait fort à l’aise cette indépendance du cœur, qui paraît avoir élé l’un des traits distinctifs du caractère.de Renard. |

Avec le temps, cette jalousie s'était doublée de haine, comme il l’éprouva plus d’une fois, notamment lorsque son nom fut laissé «en blanc» sur la liste des récompenses que dressa Sa Majesté, avant de s'éloigner des Pays-Bas. Depuis -. lors, elle n'avait cessé de se donner carrière (1), Non content

Marie, toutes les intelligences des Français rompues et descouvertes, les chiffres deschiffrés, le mariage de la maison de Suffock avec le fils dudiet duc dissolu, la nouvelle royne chastiée, et tout le royaume remis eu union et concorde, et à la dévotion de Sa Majesté impériale. Et par après, comme il fust question de l’aliance de la dicte royne. Marie, et que Sa Majesté impériale commanda au suppliant de la traic- . ter seul, il s’y emploia de telle sorte, qu'en peu de jours (sic) il exécuta vostre commandement, et fit roy Vostre Majesté du royaume d’Angle- terre, par la dicte aliance, nonobstant toutes difficultez qu'il représenta suffisamment à Vostre Majesté par messages exprès...; et scait Vostre Majesté si le suppliant a craint sa vie, quand les mutineries et batailles se sont données audict Angleterre, quand l’on a conspiré sa mort par trois ou quatre fois, et qu'il a soubtenu tant de travaulx pour asseurer l'entrée et venue de Vostre Majesté audict royaume. » Dernière requéle, tome V, page 21.

(1) « Il a traversé mon service jusques à m'en séquestrer et frustrer, :

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de lui avoir fait refuser le prix de ses bons et loyaux services, le ministre l’a signalé à la sévérité du souverain, comme cons- piraleur et comme traître. Et maintenant qu'il voit que ses procédés odieux à l’égard d'un ancien serviteur, qui a fait tout le contraire de ce dont il l’accuse, soulève le blâme unanime des seigneurs et des Conseils, il lui fait donner l’ordre d’aller en Bourgogne, « pour y estre persécuté et molesté le reste de ses jours. » Il se gardcrait bien de lui accorder des juges aux Pays-Bas, certain que, s'il s’y faisait une enquête, elle met- trait au grand jour tout à la fois «ses propres passions et ca- lomnies et l’innocence du suppliant. »

Et quel moment choisit-il pour le bannir du pays? Celui son état de santé, qui empire de jour en jour, lui rend tout déplacement impossible, et le met hors d'état, soit d’obéir à l’ordre qu'il a recu, soit de se rendre en Espagne pour faire connaitre la vérité au roi. Il est « extrêmement malade des gouttes, de scyatique, et de gravelle et de fièvre, » sans se pou- voir aider des bras pour boire ou manger, n1 marcher et se soutenir sans potences. Il y a plus de six semaines qu'il garde le lit, et il ne sait s’il aura le moyen d’en sortir de six mois. Non moins nécessiteux que malade, faute d'avoir été payé de l’arriéré de ses gages, qui se monte à 20,200 florins, il a 12,000 florins de dettes, et il a mis ses biens en vente sans pouvoir trouver d’acheteur. Ses créanciers parlent de le faire emprisonner, et, füt-il valide, ne le laisseraient certes point partir, outre qu'il ne saurait prendre les 5,000 florins qu’il lui en coûterait pour effectuer le voyage de Bourgogne avec sa femme, ses six enfants et son mobilier.

À défaut de ces divers obstacles, le danger qu'il courrait en Bourgogne suffirait seul pour lui en interdire le voyage. Il déclare «qu'il ne seroit pas assuré d'y vivre trois jours sans outrages ou partialilé, ctsans danger de sa personne, » à cause

et empesché le paiement de mes gages et traitements ordinaires. Il va jusqu'à vouloir mal à tous ceulx qui me sont amis et me fréquentent. »

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de la grande autorité que le cardinal s’y est arrogée, et « parce que tous ceux qui sont entremis aux affaires d'Estat du pays, » sont ses beaux-frères, parents, alliés ou créatures ; à quoi il ajoute une nomenclature piquante des charges et emplois dé- tenus par chacun d'eux, sans compter les abbayes, prieurés et autres bénéfices dont le cardinal et les siens sont pour- vus (1).

Enfin, il annonce au roi qu'il s’est démis de tous ses offices entre les mains de la gouvernante, et qu'il envoie en Espagne un procureur chargé de soumettre cette démission à son ap- probation, Il demande à être dispensé dorénavant de tous autres services, persuadé que Pintention de Sa Majesté n'est pas, puisque le corps ne peut plus travailler, qu'il puisse être forcé à chose impossible. Autrement 1l préférerait quitter les Pays-Bas ct se retirer à l'étranger.

En conséquence, après avoir protesté qu'il ne fallait rien moins que ces graves motifs réunis pour le décider à désobéir au commandement de son souverain, 1l supplie Sa Majesté de ne pas se prêter aux passions de ses ennemis, ni le condamner sans l'entendre ; « de lui garder l’honneur que son innocence mérite, » de lui faire payer ses gages arriérés, pour lui per-

_ mettre de payer ses dettes (2; enfin de le laisser finir ses

(1j « La présidence du parlement de Dole, avec plusieurs sièges dans cette cour: 20 toutes les charges de fiscaux dans Iles baillages d'Amont, d'Aval et de Dole; tous les offices de la saulnerie; l'ostat de gruyer;, le gouvernement du Charolais; les principales capitai- neries du pays; 70 l’estat de baïlli de Dole; 8 les trésoreries générales du pays, celle de la saulnerie et celle de Dole.....

« Tous offices et bénélices, graces, placets de bénéfices passent pour la plupart par ses mains, jusques à avoir faict déporter le frère du sup- pliant de l'estat d'official de Besançon, pour y entremeitre un sien pa- rent. Dix ou douze abbaves du dict pays sont tenues tant par lui que les siens, et plusieurs prieurez et aultres bénéfices...»

(2) « Le suppliant prie Votre Majesté de le faire payer de ses gages, _traictements, pensions et salaires à lui justement deus, pour ses ser- vices passés, en récompense de tous lesquels il n’en a jamais eu un pa- lard, ny pu avoir un seul bénéfice les aultres les prennent par dix et douze, »

910

jours « au milieu de sa femme et de ses six petits enfants, 1l a choisi le lit de mort (1). »

VII

Nous savons déjà à quoi nous en temir sur la part qui re- vient au cardinal dans les causes qui l’ont mis en guerre avec Simon Renard; et celui-ci, avec sa plume si adroite, si élo- quente parfois, ne réussit pas à prouver que tous les torts soient du côté de son ami et pas un du sien. Il affirme, avec l'assurance indignée d'un innocent persécuté ; mais trop sou- vent ses affirmations sont 'contredites par le bon sens et dé- menlies par les faits. Que, la rupture une fois consommée, Granvelle, qui voulait absolument priver ses adversaires du concours de l’homme qu’il redoutait le plus, ait quelquefois manqué de mesure dans l'exposé et dans l'appréciation de son rôle parmi eux, et atténué la valeur des motifs qu'il invoquait pour excuser sa désobéissance, il ne pouvait guère en être autrement. Mais cela n’explique pas, ce qui d’ailleurs nous paraît presque Inexplicable, que lui, qui, si longtemps, avait prodigué à Renard les témoignages d’une amitié sincère, ait pu, sans grief aucun, et seulement pourobéir « à sa passion », passer envers lui de l'affection à la haine, et recourir aux plus odieuses calomnies pour le perdre dans l'esprit de leur com- mun souverain, Ce nest pas davantage un motif de croire que, s'il eût pensé n'avoir à craindre de lui que la faveur dont l’honoraïent les principaux seigneurs, 1l se fût exposé, pour le bannir, à se les aliéner davantage encore, alors qu'il avait lant à cœur de calmer leur irritation.

Ces considérations, qui étaient de nature à frapper le roi Philippe et ses conseillers, ne prévalurent point complétement contre l’habile plaidoirie de Renard, puisque, après l’arrivée des deux requêtes, le roi qui, le 25 février précédent, avait écrit à la duchesse de presser son départ pour la Bourgogne,

(1) Renard avait à peine une cinquantaine d'années.

311

abandonna sa première volonté d’être obéi sur-le-champ. Il est vrai qu'à la dernière requête était jointe une déclaration des médecins certifiant le mauvais état de la santé du plai- onant, et une apostille par laquelle la gouvernante confirmait cette déclaration et conseillait au roi de l’admettre à purge. Il est vrai aussi que, presquen même temps, il partait de Bruxelles une autre requête dont l’objet était le rappel du car- dinal(!). Bien que revêtue des seules signatures du prince d'Orauge et des comtes d’'Egmont et de Hornes, Marguerite savait par Barlaymont qu'elle était l'œuvre collective des sei- oneurs, et que Montigny ct de Berghes, qui en avaient été les inspirateurs, s'ils ne l'avaient pas signée, de peur de se compromettre, avaient accepté d'avance et par écrit les con- séquences qui pourraient s'en suivre (*).

Granvelle comprit le danger de cette double attaque; il s’eforca de la conjurer, soit par ses lettres à Gonzalo Perez, soit en s'adressant au roi lui-même. Renard, dit-il en sub- stance, depuis le second commandement qu'il a recu, se tait et fait le malade pour ne point partir. S'il atteint son but, d’autres oseront beaucoup aussi, et l'autorité de Sa Majesté sera foulée aux pieds. De leur côté, ses amis travaillent de

concert contre le cardinal, et, parmi les plus ardents, le mar-

quis de Dissey, qui vient d'énvoyer à cet effet à Madrid un homme à lui, le franc-comtois Portessin (3), le même qui écri-

We M mars, 1563.

(2) Les seigneurs affirmaient ne vouloir personnellement aucun mal au cardinal. Seulement ils ne pouvaient supporter qu'il retint dans ses mains tout le maniement des affaires, sans leur y laisser la moindre part, et, en particuler, qu'il leur fit refuser l'entrée de la Consulte.

Le comte d’'Egmont, que sa loyauté et son dévouement au roi ren- dait flottant entre la ligue et le ministre, déclara qu'il aimait ce der- nier, et qu'il voudrait le voir pape, vice-roi de Naples ou tout autre chose, mais que sa présence aux Pays-Bas n'était pas supportable, et que, pour lui, il se faisait un devoir de s'unir aux autres seigneurs, pour demander son éloignement.

(3) Peut-être ce Portessin n'est-il autre que le docteur franc-comtois, de même nom, que nous retrouverons plus loin.

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312

vit de sa main les fameux billets de six lignes fabriqués par Renard, et dans lesquels le cardinal était vilipendé.

Aux Pays-Bas, ils publient l'alternative que, dans leur nouvelle requête, ils ont posée au roi et leur résolution de sortir du Conseil au cas l'éloignement du ministre leur serait refusé. Le prince d'Orange et le comte d'EÉemont me- nacent même de quitter la capitale, trouvant que la réponse à leur requête se fait trop attendre. Au reste, le prétendu absolutisme du cardinal n’est pour eux qu'un prétexte ; ce qu’ils se proposent, en exigeant son renvoi, c’est de s'emparer lu gouvernement et d'établir une sorte de république, dans laquelle la prérogative royale n’existerait plus que de nom. Leur persévérance à paralyser le gouvernement de la duchesse, par les difficultés qu'ils lui suscitent de toute part, n'a pas d'autre objet. En le rendant impossible, ils espèrent le décon- sidérer tout à fait et avec lui la domination espagnole. De la persistance des bruits concernant le Saint-Office, lopposi- tion aux nouveaux sièges, Ie refus des subsides, la prétention à réunir les Etats-Généraux. De aussi et surtout, car c'était aux yeux de Philippe le point capital, l’indulgence, pour ne pas dire la faveur, dont jouissent auprès de plusieurs seigneurs les nouveautés religieuses, et qui les aide à se pro pager et à s’affermir. Les plus prononcés dans ce sens sont le marquis de Berghes et le baron de Montigny; ils soutiennent qu'il est mal de verser le sang pour motif de religion, récla- ment la tolérance et prêchent d'exemple en mangeant gras tout le carême. D'autres, tels que le prince d'Orange, le comte d'Egmont, le comte de Mansfeld, partagent la même opinion, sans oser encore en faire montre; et, soit désir de leur être agréable, soit crainte de leur déplaire, les officiers inférieurs, chargés de seconder les inquisiteurs dans la poursuite et la punition des hérétiques, s'en acquittent avec une extrème mollesse (1).

(1) Granvelle à Gonzalo Perez, 20 mars, 14 avril, 22 mai. Au roi, 14 avril, 9 mai 1563.

913

Dans ce tableau de la situation des provinces et des consé- quences qu'il en redoutait, Granvelle faisait preuve de jus- tesse et de pénétration. Sa grande erreur était d'oublier ou de ne pas voir que les seigneurs qu'il accusait à bon droit de travailler pour eux-mêmes, défendaient en même temps les franchises politiques et la liberté religieuse de leur pays contre les entreprises de l’absolutisme espagnol. Préoccupé avant tout de sauvegarder la prérogative royale, et convaincu que le maintien de cette prérogative était étroitement lié au sien propre, il ne négligeait aucun argument pour faire partager cette conviction à son maître, et pour Île prémunir contre les instances de ceux qui lui demandaient son renvoi, et c’est ainsi qu'il fixa pour une année l'égoïsme irrésolu du monar- que, et recula d'autant l'heure de sa chute, que ses ennemis tenaient déjà pour certaine.

Le 6 juin 1563, Philippe envoya aux rois seigneurs sa ré- ponse depuis longtemps attendue. Elle portait en substance que leur requête, dictée sans aucun doute par leur affection et leur zèle pour son service, avait le tort de manquer de pré- cision quant aux raisons et aux faits sur lesquels elle préten- . dait s'appuyer; que, par conséquent, en attendaut de retour- ner aux Pays-Bas, comme il avait résolu de le faire au plus tôt (1), il désirait que l’un d’eux vint « lui donner compte et raison particulière de cette affaire ; car, remarquait-il, ce n’est pas ma coustume de, sans cause, grever aulcun de mes minis- tres. » Sans désigner personne pour cette mission, 1l préférait le comte d'Egmont. Le cardinal était également de cet avis : . ils y voyaient l’un et l’autre un moyen de regagner ce seigneur et de semer par lui la division dans la ligue (2).

Plus explicite envers ses conseillers d'Espagne, Philippe leur déclara qu'il préférerait perdre sa couronne, que de se

(1) Philippe pensait si peu à faire ce voyage, qu'il écrivit à Granvelle quelques jours après (13 juin, qu'il ne pouvait venir, attendu qu'il n'a- vait ni argent, ni troupes, et qu'il ne savait pas la langue.

(2) Philippe IT à la duchesse, 19 juin 1563.

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rendre coupable envers le premier ministre de l’imjustice que lui demandaient les seigneurs flamands; et, sans aller aussi loin dans sa réponse directe à Granvelle, il l’assura que « aul- cune machination de ses ennemis ne sauroit lui nuire dans son esprit », et que, pour sa conduite envers Renard, il l’ap- prouvait pleinement et la trouvait digne de sa prudence et de sa modération accoutumées (1), |

Granvelle affecta de se montrer très sensible à ces déclara- tions généreuses et en exprima au souverain toule sa recon- naissance. En réalité il y mettait peu de confiance , sachant bien que Philippe n'était pas de caractère à risquer son propre repos, pour maintenir envers et contre tous la position d'un ministre. Et d’ailleurs la victoire momentanée qu'il venait de remporter sur ses adversaires politiques, n’avait-elle pas son contrepoids dans une décision royale du 15 mai précédent, qui était pour son ennemi personnel un succès relatif ? Gette décision portait : « Après s’estre faict rendre compte des di- verses requestes présentées par le conseiller Renard, tant à Elle-mesme qu'à la Duchesse et au Conseil privé, et des autres escrits y joints, Sa Majesté recoit le suppliant à purge, et en sera la cause instruicte selon que ledict suppliant entendra par SaJICIe SOIT. , se réservant Sa Majesté d’estre avertie du résultat dudict procès de purge, avant que de le vuyder..…. » Ce ne sera qu'après « ladicte parinstruction » que Sa Majesté se prononcera sur les démissions remises entre ses mains, el sur la pension de mille florins en question. Sa Majesté laisse à la duchesse le soin d'examiner ce qu'il y a de fondé dans la réclamation d'arrérages de traitements présentée par Renard, et par quels moyens on pourrait y faire droit.

(1) Philippe IT à Granvelle, 13 juin. Gonzalo Perez à Granvelle, 15 juin 1563.

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315

VIII

Remarquons cependant qu’en chargeant la duchesse sa sœur de faire instruire le procès de purge, sans dire par quels juges, Philippe I laissait ouverte la route vers le parlement de Dole, c'est-à-dire la route de Bourgogne. IT était donc en- core possible à Granvelle de se débarrasser de la présence de Renard, et de sauvegarder en même temps le prestige de la volonté royale. [Il insista dans ce sens auprès du roi, de la gouvernante, de Gonzalo Perez, leur représentant qu’il importait avant tout de faire cesser cette résistance d'un sujet aux ordres de son souverain, et qu'un moyen d'y parvenir était de renvoyer le récalcitrant devant « ceulx de Dole, les mesmes devant lesquels s’estoit démené le procès de Quiclet, » d'où étaient sorties les révélations à sa charge (1). Lui donner des juges aux Pays-Bas, il y fallait songer moins que jamais, car il avait si bien réussi à persuader aux seigneurs « qu'il souffroit persécution pour s’estre mis de leur costé », que ceux- ci feraient l'impossible pour que l'instruction ne donnât qu'un résultat négatif, à quoi ils réussiraient certainement (?).

Quant à ses griefs personnels, le cardinal n'était pas en-

(1) Au roi, 14 juillet 1563. A Gonzalo Perez, 95 juillet. « Renard est fort mal-placé ici, et depuis le décret rendu sur son mémorial, il à recommencé à faire le pis qu'il peut; d'Egmont le visite furtivement. »

(2) Granvelle est d'avis qu’on s'assure si Renard est réellement en état de voyager, et que, dans ce cas, on lui commande d'aller en Bour- gogne, où, par ordre du roi, le parlement de Dole, « rejetant les suspects, l’'admettra à purge: que si, au lieu d’obéir, il recourre en Espagne. pendant ce temps ses mauvais offices perdront grand crédit, et, crai- gnant dirriter le Maistre, il ira plus retenu, comme l’on a vu que, pendant que son procureur a poursuivy en Espagne, l'on n’a ouy bruyt de lui; et estant Sa Majesté advertye, elle pourra temporiser la response, ce qui vaut encore mieux que de, faisant icy procès, accroistre la des- réputation de Sa Majesté, non pas à faute d’étoffe, mais de personnes qui voulussent enfoncer la chose. et par trop de faveur. »

Dans le cas réellement il serait malade, la duchesse pourrait lui faire dire que le roi exige que, aussitôt guéri, il se rende en Bour-

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core disposé « à faire à Renard l’honncur de le prendre à partie. » [ voulait d’abord que le fiscal fit son office, et ce n'est qu'après avoir vu comment «il se seroit démeslé du Maistre, » qu'il aviserait pour son propre compte(l). En atten- dant, il s'enquérait des nouvelles charges qui se pourraient découvrir dans sa conduite passée, et il envoya à cet effet plusieurs lettres en Franche-Comté (2.

Pendant que Granvelle travaillait ainsi à se défaire de Simon Renard, les seigneurs redoublaient d'efforts pour le

gogne, il sera admis à purge, après avoir récusé « toute personne suspecte » Granvelle à la duchesse, mi-juin 1563.

« L'affaire Renard à porté un coup mortel à l'autorité du Roy, par l'exemple de l'impunité dans sa résistance aux ordres de Sa Majesté. Il a feint une maladie pour ne pas aller en Bourgongne..... Pour mon compte, je ne souffrirois pas une semblable résistance de la part d’un subordonné, et le Roy, en la tolérant, compromettroit sa dignité per- sonneile Quant au jugement qu'il réclame, on ne peut le lui refuser; mais ce jugement ne peut avoir lieu aux Pays-Bas, tous les seigneurs sont pour lui, et aulcun juge n’oserait aller contre leurs désirs. » Granvelle à Gonzalo Pérez, 17 juin, 25 juillet.

(1) «Je ne veux lui faire cest honneur qu'il a toujours cherché, que de m'avoir pour partie. Et lors même qu'il diroit vouloir estre purgé de

ce que j «y dict de luy, qui est que je le tiendray pour meschant et.

traistre jusques à ce qu'il se purge de ce qui résulte contre luy du pro. cès de Quiclet et aultres choses, et les copies que j'ay donné de quatre lettres siennes, de Quiclet et miennes... et aucunes aultres copies des lettres qu'il a cy-devant escript à Quiclet ...., estant chose qui résulte du procès criminel de Quiclet, je n’entends m'y faire partie. Que le fiscal y mette la main, et que l’on luy subministre en ce et aultres choses ce quitpourra servir... .: Pour mon particulier, j'espère bien que Sa Majesté ne voudra comporter que un tel galand comme luy ose contre moi, à tort et sans raison, ce qu'il a osé. » Granvelle à la du- chesse, mi-juin.

(2) « Le conseiller Renard, quoique Sa Majesté luy ait commandé, na voulu bouger d'ici, et ayant faict si grande instance pour estre admis à purge, Sa Majesté le lui a accordé, et nous attendons de voir de quel humeur il se voudra purger et avec quelle médecine. El comme il a veseu de sorte que par delà plusieurs le congnoissent pour personnage qui vault Bien peu de bon argent, si vous pouvez par delà descouvrir quelque chose de ses vertueuses actions et sçcavoir quelqu'un qui per- tinemment en puisse déposer, vous me ferez plaisir de m'en avertir

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renverser lui-même. Le ?0 juillet, ils firent auprès de la du- chesse une démarche collective; le prince d'Orange pro- testa au nom de tous de leur dévouement au souverain, et déclara qu’en demandant le rappel du cardinal, ils n'avaient d'autre mobile que l'intérêt de Sa Majesté et le bien du pays. Quelques jours après, les trois seigneurs conseillers d'Etat, prince d'Orange, comtes d'Egmont et de Hornes, adresserent par écrit à Philippe II des protestations semblables, avec une nouvelle sommation d'opter entre leur présence et celle du cardinal dans les conseils du gouvernement. Ils lui deman- dèrent en outre la réunion des Etats généraux, comme le seul moyen d'obtenir les aides qu'on attendait vainement des assemblées provinciales (1).

et de, à cest effect, en parler comme de vous-mesme à ceulx qui vrai- semblablement pourroient vous en dire quelque chose. » Granvelle au prieur de Bellefontaine, 15 juin 1563.

« Et quant au Renard, je ne sçay, sinon après avoir ouy dire que

estant ambassadeur en France pour feu Sa Majesté l'Empereur, il avait donné conseil à Mgr de Vendome (Antoine de Bourbon, devenu roi de Navarre en 1555) de quelque chose qui importoit contre Sadicte Ma- jesté; et que depuis, estant en Angleterre, il avoit faict plusieurs choses ‘contre la charge que l’on luy avoit donné pour son debvoir; ce que je tiens que Votre Révérendissime Seigneurie sçait trop mieux que je ne faiz, et quand elle s’en voudra informer de ceux qui estoient lors avec luy, je tiens qu'elle en sçauroit la vérité. Bien puis-je dire avec tous ceux qui ont quelque peu de jugement, qu'il est le plus ingrat que l’on scauroit dire, et, pour son ingratitude, si je scavois chose qui luy peust nuire, ou le chastier de sa non congnoissance, je le déclarerais en pu- blicque. » Le sieur de Chàteaurouillaud au cardinal Granvelle, son beau-frère; Salins 26 novembre.

(1) Les comtes d'Egmont et de Hornes, déjà signataires de la lettre collective, l’appuyèrent chacun d'une lettre personnelle, conçue dans le même sens. Celle du comte de Hornes renfermait le passage suivant : « J’assurerai à Vostre Majesté qu'il importe à son service de remédier aux affaires de ces Etats et de résoudre ce qu'on lui écrit touchant le cardinal de Granvelle, qui, Vosire Majesté peut en être certaine, rend peu de service ici, par la haine que lui porte la plus grande partie de la nation. Et quant à ce qui touche la religion, je promets à Vostre Ma- jesté que tous les seigneurs sont prêts à la faire observer, puisque nous savons à quoy nous oblige nostre debvoir..……. Et que Vostre Ma-

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On verra plus loin quels furent les résultats de cette nou- velle attaque des seigneurs contre le premier ministre. Pour lui, obligé de faire face de deux côtés à la fois, il y déploya une énergie et une habileté dignes d’un meilleur succès. Aux seigneurs il riposta vigoureusement. Hormis le comte d'Eg- mont qu'il persistait à tenir pour un loyal serviteur du roi et un ami de la religion (1), les autres, selon lui, tout entiers à leur ambition et à leurs rancunes, font bon marché de leurs devoirs envers la religion et le roi. Le marquis de Berghes et le baron de Montigny sont, entre tous, les plus agressifs et les plus malfaisants, Le premier poursuit avec une obstination « cffrontée » la réunion des Etats généraux, dans l’espoir d'en être « le coq, » comme il l'est déjà des Etats de Brabant, et de dicter par eux ses volontés au monarque; l’autre le seconde de son mieux. Tous deux se permettent des propos hardis sur le compte du souverain lui-même; Montigny a de plus la spécialité d’égayer de ses plaisanteries irréligieuses la table du prince d'Orange. Granvelle signale encore le comte de Hornes qui, au mépris d'un ordre formel d'expulsion, retient chez lui un mauvais sujet de Génois, un assassin, qui passe pour avoir offert de tuer le cardinal (?).

Les mauvais conseils de Renard, non moins que l'exemple de sa désobéissance impunie, encouragent les seigneurs à oser toujours davantage. « Son arrogance n’a plus de bornes. L'es-

jesté veuille estre persuadée que jamais nous ne ferons aultre chose que ce que doibvent de loyaulx vassaux et serviteurs. » 4 août 1563. (Corresp. de Philippe II, tome I.)

(1) Un jour que d’'Egmont se trouvait, seul des Trois, au conseil d'Etat, avec Madame, le président Viglius et Granvelle, il déclara expressé- ment que toujours il trouverait bon que les édits concernant la reli- gion, recussent leur exécution; « ce qui prouve, remarque Granvelle, que son esprit serait bon, s’il n’était gâté par les autres, et qu'il y aurait moyen de le retirer de la ligue. » À Gonzalo Perez, le 5 juillet.

(2) « C'est la rumeur publique; mais il n’y a pas moyen de parler de ceste affaire au comte, ni de le contraindre à renvoyer cest homme de chez luy, car il n’est pas mesme permis de parler à présent. »

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poir de l'impunité l'a fait sortir du lit, et maintenant il va, vient et chasse, sans que personne ose lui dire la moindre chose. » Il souffle aux seigneurs toutes sortes d’insinuations méchantes; il stimule leur irritation, en attribuant avec eux à l'influence de Granvelle le retard que le roi met à leur ré- pondre ; il a même su leur persuader qu’il les avait accusés de lèse-majesté, et qu'il avait dit que, pour en finir avec eux, il faudrait leur couper la tête. D'Egmont s'en étant plaint à la gouvernante, comme d’un obstacle à toute réconciliation, Marguerite chercha à le dissuader et lui dit, par allusion à Renard, que ce ne pouvait être « qu'une invention de quel- que esprit pernicieux, poussé par le désir de semer à son profit la zizanie dans le pays (1). »

L'année 1564, qui s’ouvritau milieu de cette lutte violente, trouva les provinces dans une situation toujours des plus cri- tiques. L'affaire des subsides traînée en longueur dans les Etats de Brabant (2); les services publics en souffrance; la justice mal administrée ; l’hérésie en progrès et traitée avec indulgence, contrairement aux ordres rigoureux qui arri- vaient de Madrid ; l'impopularité croissante du régime espa- _gnol et du ministre qui le personnifiait en chef : voilà ce qu'avait produit l'opposition systématique des seigneurs, sous l'impulsion de leur conseiller.

Granvelle, malgré les témoignages d'intérêt et de confiance qu’il recevait de Philippe IT, et les encouragements affectueux de ses amis, ne se dissimulait point l’inanité de ses efforts, et s’attristait de voir mollir l'attitude du roi et de la gouvernante

(1) Granvelle au roi, 24 juillet, 29 août, 6 septembre, 19 novembre, 10 décembre 1563, |

(2) Au moment s’assemblèrent les Etats de Brabant, la duchesse avait reçu du prince d'Orange et du marquis de Berghes les meilleures assurances, ais elle sut par Barlaymont que la résolution concernant les subsides serait traînée en longueur, jusqu'à ce que l’on connût la détermination prise par le roi relativement à la lettre que les Trois lui avaient écrite. La duchesse au roi, {1 décembre. (Corresp. de Phi-

lippe IL, t. I.)

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en face de ses adversaires (1). Rongé de soucis, épuisé de fati- oues, il sentit défaillir à la fois ses forces et son courage. « Vous ne me reconnaîtriez plus, écrivait-1l à Gonzalo Perez, tous mes cheveux ont blanchi (). » Il ne croyait pas cependant que le mal fût déjà sans remède, pourvu que Philippe IE vint à bref délai visiter les Provinces, avec un million comptant, du crédit, pas trop d'Espagnols, et cu’il mît résolument la main à l'œuvre, pour regagner les principaux seigneurs et régler, avec l’aide des Conseils et de concert avec les Etats provinciaux, les affaires les plus importantes. Parfois même il s'imaginait que sa seule présence, que « la vue de son visage » suffirait pour tout faire rentrer dans l’ordre ; avec cette restriction, il est vrai, que, pour peu qu'il différât le voyage, 1l arriverait trop tard (3). Mais Philippe ne devait ja- mais venir. [l allait y suppléer par une double résolution, qui a rendu fameuse dans l'histoire des Pays-Bas cette année 1564 : sacrifier le cardinal à la Ligue et priver la Ligue du concours pernicieux de Simon Renard.

(1) On voit, par une lettre du garde des sceaux d’Espagne, Charles Tisnacq, à Granvelle, du 39 décembre, que, à cette époque, Philippe et la duchesse laissaient traîner l'affaire de Renard, bien que celui-ci fût en bonne santé. Tisnacq dit n'avoir jamais reçu du roi à ce sujet « que des paroles générales. » Il n'ose insister, de peur de paraître vouloir pénétrer « le secret. »

(2) Granvelle à Gonzalo Perez, 8 septembre et 30 octobre 1563.

(3) «Il suffirait d’un signe de croix pour les mettre tous en déroute, » tandis qu'en tardant trop, il v aurait lieu de craindre que les mieux disposés ne finissent par se laisser gagner et engager trop avant, et qu'ainsi le mal füt irremédiable. Il faudra faire des démarches pour gagner les seigneurs les plus influents, principalement le comte d'Eg- mont; si quelques-uns manquaient au respect qu'ils doivent à leur souverain, intimer « à un seul » l’ordre de ge retirer chez lui, et le remplacer de suite, mais en évitant de s'attaquer dans ce cas aux deux principaux, le comte d’'Egmont et le prince d'Orange, et tous les autres plieraient la tête. Granvelle au roi, 14 juillet, 12 novembre, 10 dé- cembre.

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IX

Dès le mois d'août précédent, Marguerite de Parme avait envoyé à Madrid son secrétaire intime Armenteros, porteur d’une dépêche, par laquelle, tout en faisant des talents et du dévouement du cardinal un éloge complet, elle représentait au roi son frère qu'il y aurait un réel danger à vouloir le maintenir aux Pays-Bas (1). Philippe, ébranlé par cette dé- claration, voulut avoir l'avis du duc d’Albe et lui envoya communication des dépêches des trois seigneurs.

Illustré déjà par sa belle défense du royaume de Naples contre le duc de Guise, Alvarès de Tolède, duc d’Albe, joi- gnait à des talents militaires de premier ordre une haute ca- pacité politique. Mais il partageait toutes les idées de son maître en matière d'absolutisme politique et religieux, et por- tait dans leur application une volonté de fer, une dureté in- flexible, impitoyable, que Granvelle était loin d'égaler. Voici un extrait de sa réponse :

« Chaque fois que les dépesches de ces trois seigneurs fla- mands me passent devant les yeux, elles excitent ma colère de telle sorte que, si je ne faisois tous mes efforts pour en calmer l'élan, les idées que j'exprimerois à Vostre Majesté, lui sembleroient celles d’un frénétique.…

» Dans tous les soulèvements qui ont lieu contre les prin-

(1) La longue instruction que la duchesse donna à Armenteros, le 1? août 1563, en le chargeant d'aller faire connaître au roi la véritable situation des Provinces, renferme un passage dont voici la substance : La gouvernante a tenté sans succès toutes les voies d’accommodement entre Les seigneurs et le cardinal; elle en éprouve un vif chagrin. Elle connait tout le mérite de son ministre, sa haute capacité, son expé- rience des affaires d'Etat, le zèle et le dévouement qu'il montre pour le service de Dieu et du roi..... Mais d’un autre côté, elle est forcée de reconnaître que vouloir le maintenir aux Pays-Bas contre ie gré des seigneurs, pourrait entraîner de grands inconvénients et même le soulèvement du Pays. V. Corresp. de Philippe IT, tome T.

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ces, la marche ordinaire est de s'attaquer à quelqu'un de leurs ministres: aussi le cardinal n'est-il qu’un prétexte pour les seigneurs...

» La cause première de toutes ces altercations n’est aultre que Renard; et, si l’on ne lui commande de sortir des Pays- Bas, j'ay la certitude qu'à chaque heure la situation ne fera que s'agraver sous ce rapport et sous d’aultres encore... Vostre Majesté peut estre certaine que, tant que cet homme sera en Flandre, cet estat de choses ne peut cesser, car ïl est le creuset s’élaborent tous les désordres. »

Quant aux seigneurs, le mieux, selon le duc, était de cher- cher à les diviser en gagnant le comte d'Egmont et, par lui, les plus influents, puis de disgracier les autres et d’attendre un temps opportun pour couper la tête aux plus compromis. Que si Sa Majesté préférait s'en tenir à l’éloignement du cardi- nal, elle devrait s’y prendre de manière à paraître, non pas céder à la peur, mais consentir à une retraite volontaire (1). C’est à ce dernier parti que s'arrêta Philippe IT.

Tandis que son sort était à la veille de se décider à la cour d’Espagne, Granvelle continuait à tenir son maître au cou- rant des faits et gestes de Renard. Tantôt il raconte que celui- Ci a éventé, on ne sait comment, des négociations entamées secrètement en vue d’un mariage entre Marie Stuart, deve- nue veuve, et l’infant don Carlos, et qu'il a fait part de sa dé- couverte au barbier de feu l'empereur et à un autre individu « qui sont d'excellentes trompettes (?). » Tantôt il revient sur les effets, toujours plus marqués, de l’influence funeste qu’il exerce sur le comte d’Egmont (3). À propos de l'activité qu’il

(1) Le duc d’Albe au roi: Huesca, les 21 octobre et 22 septembre 1563.

(2) « Renard a pénétré la négociation. .... Il ajoute expressément que le but de cette alliance est de faire la guerre à la Reine d'Angle- terre. » Granvelle au roi, 21 janvier 1564.

(3) « Je vois croistre le ressentiment de ce seigneur; il est excité tan- tost par Renard lui-mesme, qui le visite depuis deux mois avec une grande assiduité, tantost par les affidés de cet homme, qui les fait

323 | R | | déploie au service de la ligue anti-cardinaliste, Granvelle sait de bonne source qu'il travaille à l’étendre jusqu’en Fran- che-Comté, ou du moins à en former une sur ce modèle, avec la même livrée; que, pour y aider, ses partisans vont quêtant, parmi la noblesse de la province, des signatures à mettre au bas de « certains articles de dénonciation » dressés contre le cardinal ; et qu'il a lui-même envoyé au président du parlement de Dole « un agent exprès, afin de se procurer certaine lettre, au moyen de laquelle il prétend établir, » dit Granvelle, « que j opprime la justice et tyrannise les mi- nistres. » Granvelle tenait le tout pour certain, car il en. écrivait à ses amis de la Comté comme de choses qui se pas- saient sous leurs yeux (1). |

En dénonçant au roi cette dernière manœuvre de son en- nemi, le ministre pria Sa Majesté, pour le cas quelque prétendue lettre de lui arriverait jusqu'à elle, de ne pas se prononcer sans l'avoir entendu (?). Mais la précaution était

parler comme si tout ce qu'ils disent venoit d'eux, parce que des pa- roles se résumant de ia mesme manière, et arrivées de divers côtés, . agissent avec beaucoup plus de force... » « Il faut agir avec d'Eg- - mont autrement qu'avec les aultres, le traictant avec un empressement affectueux. Je lui crois de bonnes intentions et un cœur droit; mais il est égaré par ceux qui l'entourent.» Granvelle au roi, 21 janvier 1564.

(1) « Les articles de dénonciation contre moy, que les correspondants. de Renard font signer en Bourgogne, ont pour but d’ourdir dans ce . pays une ligue semblable à celle de Flandre,....» Granvelle au roi, 21 janvier 1564.

« Je soupçonne que ces articles ont été fabriqués par ce gentil Re- nard..…, son ambition se servant de gens que, par son caquet, il abuse, . pour les rendre ses ministres et exécuteurs de ses passions. » Gran- velle à M. de Ray, 13 janvier. à

(2) Granvelle ne sait de quelle lettre il s'agit, en ayant écrit un si- grand nombre. Il craint que Renard ne produise des fragments tron- qués, dénaturés. « C’est pourquoy, dit-il au roi, j'ose me promettre de la bienveillance de Vostre Majesté que, si jamais Renard envoyoit une lettre semblable, ou qu'un aultre le fist d’après ses insinuations, elle voudra bien, jusqu'à ce qu'elle ait entendu ma défense, ne pas prendre sur mOn compte une opinion différente de celle que mérite mon zèle pour son service. Dans le cas quelque pièce de ce genre viendroit

9324 inutile. Le lendemain, 22 janvier, Philippe IT renvoya Ar- menteros avec plusieurs lettres, dont une de sa main, pour le cardinal, portant en suscription le mot secrela. Cette lettre était pour l’inviter à s'éloigner momentanément des provinces et à se rendre en Bourgogne, sous prétexte d'intérêts et d’af- fections de famille (1).

C'était une disgrâce véritable. Mais Granvelle, avec un égal souci des droits de la couronne et de sa dignité person- nelle, dissimula son dépit assez habilement, pour que, si l’on excepte le roi, la gouvernante et lui-même, tout le monde, même ses amis les plus intimes, dût se borner à des conjec- tures sur le véritable motif de son départ, à moins d’admet- tre, sur son affirmation, qu'il s'agissait simplement d'une absence volontaire et momentanée. C’est sous ce jour que l'affaire se présente, toutes les fois qu'il en est question dans ses lettres, sans même en excepter celles qui étaient pour le roi, pour la gouvernante et pour l’empereur Ferdinand, afin de donner le change aux secrétaires d'Etat des trois cours (?).

à sa congnoissance, je la supplie très instamment de se faire envoyer

par le président de Dole toutes les lettres originales, sans exception,

qu'il a reçues de moi. » ?1{ janvier.

(1) Ce n’est que de nos jours que les savantes recherches de M. Ga- chard ont mis au jour la lettre royale autographe du 22 janvier 1564. Elle est analysée dans le tome 1 de la Correspondance de Philippe IL. Voici un extrait de cette analyse : Le Roi a pensé, d’après ce que le cardinal lui a écrit, qu’il serait très à propos qu'il quittât les Pays-Bas, pour quelques jours, et qu'il allät voir sa mère, avec la permission de la duchesse de Parme. De cette manière, l'autorité du roi et la réputa- tion du cardinal seront sauves.

(2) De leur côté, le roi et la duchesse observaient la même consigne dans leur correspondance. Le 9 mai 1564, Viglius transerivit textuelle- ment à Granvelle le passage suivant d’une lettre de Philippe à sa sœur : « Je ne sçaurois trouver mauvais le congé que vous m'écrivez avoir donné au cardinal de Granvelle, de se pouvoir absenter pour deux ou trois mois et entendre à ses affaires particulières, attendu que celà luy importoit, et qu'il n’y avoit apparence de mouvement des voisins, bien que je congnoisse la faulte que fera son absence à mon seryice. »

Le 6 août, le roi engage Granvelle à mépriser les contes qu'on fait

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Ses airs et ses discours répondaient sur ce point à sa Corres- pondance : ils étaient d’un ministre en faveur et non d’un disgracié. Il faut lire la lettre qu’il écrivit à Philippe, le 25 février, sous la première impression du coup qui le frappait. Tout y respire le calme et l'autorité d'un esprit supérieur et sûr de soi, qui juge magistralement les actes et les discours des hommes et des corps politiques, toutes les fois qu'il ne confond pas l'intérêt public avec la volonté du maître, ni la cause de la religion avec celle de l'intolérance, et qui se pré- occupe des affaires d'Etat avec autant d'attention et de sollici- tude, que s'il devait les gouverner toujours. Il est heureux d'apprendre que Sa Majesté travaille à ramener le comte d'Eg- mont, mais 1l s'inquiète que ce soit Erasso qui ait été chargé d'écrire à ce seigneur, et qu’on ait choisi pour agir dans le aème but, à Bruxelles, le contador Castellanos, qui est à la fois un affidé d'Erasso et un ami de Renard, « À vrai dire, écrit-1l, je n'aurai pas d'espoir tant que je verrai la familiarité qui rèone entre Renard, le comte et toute la famille de ce der- nier. Je ne sais d’ailleurs ce que font ensemble Castellanos ct Renard, qui ne se quittent presque pas, et s'ils travaillent à relever les affaires ou à les ruiner de fond en comble. (1) »

courir sur les motifs de sa retraite en Bourgogne, sûr qu'il est de l'inaltérable affection de son maitre.

(1) « Renard fait ce qu'il peut pour se relever... Castellanos s’est logé près dudict Renard, tenant continuellement communication avec lui et les seigneurs qui sont en faveur auprès d'Erasso. » Morillon à Granvelle, 18 avril 1564.

«Je suis certain que Renard fera le pis qu'il pourra, car sans trouble du publicque, son cas se porteroit mal. Mais j'espère qu'il lui advien- dra comme dit le proverbe allemand : Le fourbe se prend dans ses pro- pres filets. » Le secrétaire Pfintzing à Granvelle : Barcelone, 20 fé- MITER.

Tisnacq écrivait à Granvelle au sujet de Renard : &IL ne fait pas bon se jouer au Maistre, et qui mange de l’oye du Roy, au bout de cent ans en rend la plume. » 18 février.

«€ Sa Majesté voit aujourd’hui avec évidence tout le dommage que peuvent causer à son autorité la désobéissance et l'audace de Renard, du moment qu'elles demeurent impunies. Elle ne voit pas moins tout

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_ Les seigneurs, il est vrai, n'avaient pas lieu d’être satis- faits. Au premier désappointement de n'avoir recu par la voie d'Armenteros aucune réponse du roi, succéda le dépit qu'ils en ressentirent, lorsque leur courrier la leur eut rapportée le 1 mars. Elle était courte et sèche : le monarque y désap- prouvait la requête et surtout la publicité qu'elle avait recue. N'ayant encore rien décidé à son sujet, il commandait aux Trois de rentrer au Conseil d'Etat, en attendant sa résolution ultérieure. Le prince d'Orange et le comte d’Egmont étaient les seuls seigneurs alors présents à Bruxelles. La tristesse et le mécontentement qu'ils témoignèrent de cette lettre, firent craindre à la duchesse qu'après que les autres seigneurs en auraient eu connaissance, il ne füt pris quelque résolution contraire au service du roi. () Déjà des « pasquinades » con- tre le cardinal circulaient par toute la ville. On commencait aussi à y porter une livrée que la Ligue, qui s’appela depuis Ligue des flèches, avait adoptée, et qui causait « un grand scandale. (?) »

Dans cette conjoncture, la gouvernante engagea Granvelle à annoncer son départ, ce qu'il fit sur le champ et de très bonne grâce, n’attendant plus, disait-il, pour se mettre en route,

ce qu'un pareil état de choses donne d'assurance aux méchants. Tant que le comte d’Egmont sera ici, je crois que Renard serait mieux autre part, fût-ce en Bourgogne, en Espagne ou partout ailleurs. » Gran- elle au roi, 25 février.

« Le Roi est si mauvais chasseur de renards et les laisse devenir sl gros, qu'il n’est pas surprenant qu'ils lui jouent ensuite de si mauvais tours. » Le duc de Villa-Hermosa à Granvelle, 22 février.

(1) La duchesse au roi, 26 mars 1564.

(2) Cette livrée consista d’abord dans une robelte avec des aïlerons aux manches, sur lesquels étaient représentées des têtes de fous, coiffées de chaperons de fous. Comme on voulait voir dans les têtes celles du cardinal, du duc d’Archot et d’autres cardinalistes, la duchesse obtint, non sans beaucoup de peine, qu'on fil disparaître les têtes et chaperons de fous. On y substitua des boutons d'argent portant un faisceau de six flèches entrelacé de fleurs, avec cette devise : Force est trop. La livrée changea alors son premier nom de Livrée des solelels, contre celui. de Livrée des flèches, et la ligue s’appella Ligue des flèches.

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que l’arrivée de son frere, le sicur de Chantonnay, qui reve- nait de son ambassade de France et qui devait l'accom- pagner.

Huit jours plus tard, le 13 mars 1564, il partit de Bruxelles avec un appareil digne du haut rang qu'il abandonnait, et escorté « de grande troupe et belle compagnie, dont tous en général ont esté grandement esbahys ; de sorte que cela a fait à plusieurs changer d'opinion, qui avoient pensé que c’estoit une fuyte (1), »

Afin de compléter l'illusion, en simulant quelque mission politique, ou bien une simple excursion de plaisir, il se diri- gea d’abord vers la Lorraine, il trouva une réception prin- cière à la cour de Nancy. De il reprit la route de Fran- che-Comté et arriva à Besancon le 29 du même mois.

(1) L'écuyer Pierre Bordey à Granvelle, 18 mars.

CHAPITRE Il

SIMON RENARD TRIOMPHE AVEC LE PARTI ARISTOCRATIQUE

1564

Aux Pays-Bas le départ du ministre fut salué par des trans- ports de joie, qui attestaient son impopularité. Si plusieurs s’en attristaient comme d’un présage de malheur, la plupart y voyant un signal de délivrance et de paix, le célébraient par des manifestations bruyantes. On se disputait la lecture des libelles et des pasquilles qui circulaient dans la foule, ou s'étalaient sur les portes et les murs des édifices publics, et dont l’un avait pour titre : Les adieux et plaintes des cardina- listes, des nouveaux évêques non encore reçus et des dames ().

On se demandait aussi quel pouvait être le véritable mouf de sa retraite. Les uns prétendaient que c'était la peur et que Granvelle s'était enfui, portant lui et sa suite, sous leurs vête- ments, des armures à l'épreuve de l’arquebuse. D’autres ne tardèrent pas à avancer que « regis jussu abieratl?). » Viglius, qui n’était pas dans le secret, considérait ce propos comme . une invention, soit de Renard, soit d’Armenteros, « cet. homme double, » qui tout en faisant beau semblant à Gran- velle, était au mieux avec ses ennemis et avec Renard en particulier. Toujours est-il que des Pays-Bas il passa promp-

(1) « Ils ont ces jours passés attaché aux portes de la maison de ville de Louvain quelques libelles diffamatoires contenant réjouissance de votre partement, attendu que les théologiens et papistes ont perdu leur chef et pilier. » Morillon à Granvelle, 24 mars 1564.

(2) Qu'il était parti par ordre du Roi. »

929 —. tement en Bourgogne, les amis de Renard, le marquis de Dissey en tête, s'empressèrent de le propager ; de là, il par- vint en France, en Espagne et jusqu à la cour de l'emperéur Ferdinand I‘, toujours par la même voie, si l'on en croit Granvelle et ses correspondants (1).

À la cour de Bruxelles il y eut comme une explosion de contentement. « La cour, écrivait Viglius à Granvelle, res- semble à une escole dont le maistre a le dos tourné. » La plu- part des seigneurs absents de la capitale s’empressèrent d'y rentrer. Les Trois vinrent annoncer à la duchesse qu'ils re- tournaient au conseil d'Etat, mais avec la résolution d'en sortir de nouveau, si le cardinal revenait, comme il le faisait annoncer par ses amis. Le comte d'Egmont lui dit, à ce pro- pos, que la réalisation de ce projet coûterait assurément la vie au cardinal et exposerait le roi à perdre les Provinces. Mar- ouerite s'effraya de ces menaces et de ces pronostics, et, sans avoir encore secoué l’ascendant de son ministre absent, néau- moins elle engagea le roi son frère à l’employer ailleurs, pour éviter des complications dangereuses. Barlaymont lui-même était de cet avis; il s’en était expliqué en plein conseil, avant . même le départ du ministre et en sa présence (?).

. Délivrés de l’homme qui formait le principal obstacle à

(1) On a semé en Franche-Comté que depuis le départ du cardinal, les Etats avaient été assemblés et les aides accordées, et que tout allait bien présentement, et qu'Armenteros avait dit aux seigneurs que le roi avait commandé au cardinal d'aller en Bourgogne et de ne plus retourner aux Pays-Bas. Granvelle écrit à Madame qu'il n’en croit rien. “« Ce sont, dit-il, des inventions renardesques dont je ne sçais que dire. » Granvelle à Madame, 3 mai 1564.

Toutefois, dans l'été de 1565, le prince d'Orange savait que le roi avait écrit à Granvelle pour lui faire quitter les Provinces; il en parla à un gentilhomme envoyé aux Pays-Bas par M. de Vergy. Le cardinal en marque son étonnement au roi. Il n’a, dit-il, montré sa lettre qu'à Madame de Parme; mais Madame Ja montra à Armenteros qui, peut- être pour complaire aux seigneurs, leur en aura révélé le contenu. 18 juin 1565 (Corresp. de Philippe IT, tome I.)

(2) La duchesse au roi, 29 mars 1564. (Corresp. de Philippe IL, t. I)

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leurs projets, les seigneurs eurent bientôt fait. attribuer au conseil d'Etat, leur parti avait la prépondérance, toutes les affaires d'Etat de quelque importance, annulé ainsi la Con- sulte et réduit au rang de subalternes le conseil privé et celui des finances, qui auparavant marchaient de pair avec le pre- mier. Et comme d'autre part le vote des subsides rencontrait dans les Etats provinciaux des difficultés auxquelles eux- mêmes n'étaient pas étrangers, ils prirent de prétexte pour demander avec de nouvelles instances la réunion des Etats oénéraux. C'était que devait se régler, suivant eux, la question des subsides, ainsi que les points les plus graves de la question religieuse ; ils y tenaient d'autant plus, qu'ils étaient certains d'avoir la direction de cette assemblée, comme ils avaient déjà celle du conseil d'Etat.

La duchesse de Parme continua pendant les premiers mois à correspondre avec Granvelle, pour lui demander et recevoir ses conseils ; on la vit même faire son éloge devant les con- seils réunis et soutenir, dans certains cas, ses idées (1). Mais ensuite, circonvenue adroitement par les seigneurs, elle subit peu à peu leur ascendant, entra peu à peu dans leurs

vues, et à force de les entendre répéter que le cardinal avait

fait tout le mal, que son départ allait remédier à tout, et que, s'il restait encore quelques difficultés pendantes, ses intrigues et celles de ses amis en étaient seules la cause, elle en vint à le croire, à le répéter avec eux et à l'écrire même au roi (2). Elle cessa d’avouer devant eux sa correspondance avec son

(1) Dans une lettre du 8 juin au cardinal, elle le qualifie encore : « Monsieur mon bon cousin. »

(2) « Vostre Majesté peut être plus que certaine que, si le cardina] n'estoit parti, les choses seroient actuellement dans un tel estat de trouble et d’agitation, que je ne sais comment V. M. elle-mesme auroit pu y remédier. Je pense avec les seigneurs que s’il revenoit, son retour seroit cause qu'on retomberoit dans une situation pire que jamais... et qu'il auroit pour effect immanquable de le faire assommer, sans que nul d’eulx pust y meltre empeschement..…. Il s’en suivroit la perte de la religion et, en outre, quelque grand soulèvement... La haine des

à . 4 OS MC TORTUE Ce DA RCI Se

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ancien ministre, lorsqu'elle la subissait encore, comme à contre cœur, et, si elle entendait prononcer son nom au sein du Conseil, « elle devenait pourpre. » En un mot ils parvin- rent à la dominer de telle sorte, qu'elle ne sut presque plus rien leur refuser. Les cardinalistes intimidés prirent le parti de se taire, hormis quelques uns, tels que Viglius, Barlay- mont, le duc d’Archot. Ainsi le gouvernement, selon que l'avait prédit Granvelle, passa tout entier aux mains de l’aris- tocratie militaire, qui le conserva dix-huit mois (1).

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Simon Renard n'était pas homme à ne vouloir de la défaite de son ennemi qu'une satisfaction platonique. Sans cesser les hostilités contre lui, il se voua, avec toute l’ardeur d’une ambi- tion pleine d'espoir, à l’œuvre révolutionnaire poursuivie par la ligue des Flèches. À défaut de Granvelle, dont le témoi-

seigneurs contre lui s'accroist de jour en jour.,,» La duchesse au oi, 12 juin 1564.

Toutes les vues du cardinal Granvelle, du président Viglius et de leur « séquelle » tendent à ce que le roi, en arrivant aux Pays-Bas, trouve ces provinces en révolution ; ils espèrent alors pêcher, comme on dit, en eau trouble et atteindre le but qu'ils poursuivent depuis longtemps, celui de s'emparer de toutes les affaires. La duchesse au roi, 29 août 1564.

La gouvernante n'est pas d'avis qu'on fasse résider le cardinal dans son archevêché de Malines. Outre l'inconvénient reconnu de sa pré- sence aux Pays-Bas, elle y voit celui des exemples qu'il donnerait à -Malines et ailleurs, « car, remarque-t-elle, le Roy sait mieux que moy quelle est la vie du cardinal. » La duchesse au roi, 29 novembre. (Corresp. de Philippe II, tome [.)

(1) « Madame a journellement à sa table le prince d'Orange, le mar- quis de Berghes et le comte d'Egmont. Ce dernier y est souvent seul et longtemps, il y va quelquefois à dix heures du soir. Et si le Prési- dent arrive quand ils sont là, elle est fort gesnée, craignant de paroistre traicter avec luy $ans eux. »

« Le Président estant allé l’autre jour chez la duchesse, fut deux heures avant d'avoir accès, et fut enfin conduit par Armenteros... » Morillon à Granvelle, 26 juillet, 21 août.

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gnage, sans être sciemment calomnieux, ne pouvait toujours se soustraire aux inspirations de son jusle ressentiment, le prévôt Morillon, ordinairement très bien informé, le prési- dent Viglius, le secrétaire Bave, l’écuyer Bordey, bien placés aussi pour voir et pour entendre, nous offrent de précieux renseignements sur sa Conduite et son influence pendant cette période.

Les seigneurs, depuis leur victoire, ne se quittaient presque plus et ne faisaient pour ainsi dire pas un repas les uns sans les autres. Parmi leurs nombreux habitués, Renard devint le plus assidu et le plus indispensable; et lui, dont Morillon souhaitait la langue au conseillèr Hopperus, pour en faire un meilleur usage, il donnait un libre essor à sa verve mor- dante dans leurs conférences quotidiennes, ils s'élevaient contre la perséculion des hérétiques, censuraient le luxe et l’avidité des gens d'Eglise et insistaient sur la nécessité de réformer sans violence l'Eglise et l'Etat. Il avait, pour le se- conder et Ie suppléer dans ces conférences, le doyen de Lou- vain, Molinius, et le docteur bisontin Portessin, aumônier du comte d’Egmont et précepteur de son fils. Et telle était la vertu pénétrante de leurs discours, que d'Egmont lui-même en fut tout à fait « tourné, » pour parler comme Morillon, au point de critiquer post pocula le gouvernement politique et religieux du roi (1).

(1) « Ils font peu de repas les uns sans les aultres, et n'oublient leurs conférences et consultations avec Renard, se servant (quand il ne se peut trouver avec eux ou que aucuns d’eulx ne se trouvent devers lui) du prescheur Portessin qui leur fait divers discours sur la réforme de l'Eglise et le gouvernement de l'Etat. » Bave à Granvelle, 29 avril 1564.

« Portessin preschant l'Evangile le jour de Pasques fleuries, n’a faiily de taxer les prélats qui vont avec housses de velours, et fait ce qu'il peut pour complaire aux uns et mordre les aultres,..» Morillon à Granvelle, avril.

« Cela vient de-l’escole de Renard, qui est souvent près d'Egmont et . Hornes, qui va souvent aussi vers lui; et ce que trouve Renard se con- firme par Portessin qu'est un dangereux et mauvais foi, plein de pas-

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Les seigneurs ne se montrerent point ingrats envers Renard : ils pressèrent la duchesse de le mettre à même de faire « sa purge » devant la justice du pays, ce qui, selon eux, aurait eu lieu depuis longtemps, si le cardinal ne s’y fût opposé, et de lui rendre sa charge de conseiller, qu’il avait volontairement résignée. Sur le premier point, elle répondit en se retranchant derrière la décision royale à intervenir, bien que cette décision lui fût déjà connue, car Philippe après avoir, par une lettre du 23 avril, consulté la gouver- nante et Viglius sur l'intention qu'il avait d'appeler Renard en Espagne, soi-disant pour affaires de service, venait de les informer qu'il était résolu à le faire (1).

Quant à sa rentrée au conseil d'Etat, l'occasion semblait des plus favorables. Il s'agissait alors d'un traité de commerce entre les cours de Bruxelles et de Londres; l'affaire se discu- tait les trois Conseils réunis. Les seigneurs, qui savaient Re- nard très au courant des choses d'Angleterre, se dirigerent en cette circonstance uniquement d'après ses avis, et de- mandèrent à la gouvernante, le comte d'Egmont avec plus d’insistance encore que les autres, de le rappeler au conseil .d'Etat, son expérience éclairerait utilement la marche des

sion et véhémence. Aussi a-t-on dit au conseil d'Etat qu'il faut pour trouver finances, vendre les biens des gens d’Eglise, comme l’on a fait en France, et qu'ils sont trop gras. » « Et pour faire un bon triumwvi- rat pour réduire les canons (du concile de Trente) j'entends que le bon Molinyus se joint avec les deux bons gallands précédents. » (Renard et Portessin.) Morillon à Granvelle, 4 mai 1564.

« Le comte d'Egmont a dict au conseiller Hopperus, post pocula, que ce n’estoit point à Granvelle que l’on en vouloit, mais au Roy, qui ad- ministre très mal le public et mesme ce de la religion, comme l’on luy a assez adverti. » Viglius à Granvelle.

(11 Le roi Philippe, après avoir consulté Madame et Viglius sur ce qu'il devait faire avec Renard, les informa qu'il était décidé de l'appeler en Espagne, sous couleur de se renseigner par lui sur certaines affaires concernant sun service. À ce propos, Viglius écrivit à Granvelle que « Renard était trop renard pour se laisser attirer en Espagne, qu'il n'o- béirait point au roi et ne tiendrait compte de lui oster ses Estals sur la confidence de la protection des seigneurs.» Viglius à Granvelle, 8 juin.

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nécociations (1). Elle ne le voulut point, ne pouvant, disait- elle, oublier qu’il avait refusé d’obéir aux ordres de son sou- verain; d’ailleurs c'était volontairement qu'il s'était retiré des conseils. Pour vaincre sa résistance, ils crurent devoir se ser- vir du nouvel ambassadeur de Philippe IT en Angleterre, Diego de Sylva, qui se disposait à se rendre à son poste. Cas- tellanos fut chargé de mettre ce personnage en rapport avec Renard, et, dans les fréquents entretiens qui s’en suivirent, l'ancien diplomate sut donner à l'ambassadeur une telle opi- nion de ses talents, que celui-ci le recommanda « forte- ment » à la duchesse, comme capable de rendre à son gouver- nement les meilleurs services (2). En outre, c’est Morillon qui l'affirme, Diégo de Sylva aurait déclaré qu'il tenait Renard « pour un grand remueur de ménage 6). »

Mais ce second jugement qui semble contredire le premier, ne ferait que le compléter en ce sens, qu'il importait d'autant plus à la gouvernante d'utiliser les rares capacités de Renard, qu’elle le savait plus disposé à en faire ailleurs un mauvais usage (4). Quoi qu'il en soit, elle, qui déjà ne savait plus que

(1) Les seigneurs voulaient faire venir Renard au conseil d'Etat, pour donner son avis sur les difficultés pendantes avec l'Angleterre; mais la duchesse n’a pas voulu en entendre parler... On dit qu'il est bien souvent en conférence avec les seigneurs... Viglius insinue qu’il pour- rait bien ne pas être étranger à la désapprobation qu'ils ont exprimée de ce qui s’est fait avec l'Angleterre. Viglius à Granvelle, 22 mai 1564.

« On a longuement délibéré sur les affaires d'Angleterre au conseil d'Etat, assistoient aussy ceulx du conseil privé et des finances... Hopperus traita aussy longuement avec ceulx d'Anvers... » L'opinion de Granvelle, qui était la plus sage, l’emporta avec l’appui de Son Altesse, « qui le jour précédent parla aussi fort bien de MT S* qui peut croire que Renard n'avait dormi, qui le jour précédent et ledit samedi fut sur Egmond, et quand il est question d’opiner, l’on ajourne pour cependant communiquer à Renard.» Morillon à Granvelle, 24 mai.

(2) Viglius à Granvelle, 8 juin.

(3) Morillon à Granvelle, 9 juin.

(4) Renard est allé souvent avec Castellanos vers le nouvel ambas-

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céder aux seigneurs, eut cependant encore le courage de persister dans son refus motivé. Seulement l'éloge que Diego de Sylva lui avait fait « des qualités et suffisances de Renard », d’une part, et de l’autre le concours énergique et dévoué que lui prêtaient les seigneurs, lui donnèrent à réfléchir et la con- firmèrent dans l’idée qu'il serait à la fois dangereux de pous- ser le procès de Renard, et impossible de faire prendre à celui-ci la route d'Espagne. Telle fut en substance la réponse que, d'accord avec le président Viglius et le secrétaire Armen- teros, elle fit à la seconde lettre du roi son frère, tout en l’assurant qu’elle se tenait prête à exécuter ses ordres (1).

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Tandis qu'il travaillait, avec l’aide de ses anciens patrons, au relèvement de sa fortune, Renard ne perdait pas de vue les exigences de sa haine contre Granvelle.

Le 19 juin 1564, il y avait, à Luxembourg, un nombreux

sadeur en Angleterre pour le renseigner sur ce qui concerne son office en Angleterre et sur les affaires des Pays-Bas. Le dit ambassadeur ayant entretenu les seigneurs pour savoir leur avis et en rendre compte à Sa Majesté, a fortement recommandé Renard à Son Altesse, _ qui l’a conté à Viglius, comme pouvant rendre grand service, et d'Eg- mont a appuyé dans le même sens, à cause de sa connaissance des affaires d'Angleterre. Madame a refusé à cause de sa désobéissance et de sa sortie volontaire du Conseil. Viglius à Granvelle, 8 juin.

(1) Interrogé par la duchesse sur ce qu'il pensait de cette affaire, Viglius, n’osant trop S’avancer en présence d’Armenteros, « qui ne né- gligeoit aucune occasion de le charger, » se borna à dire qu'il ne pen- sait pas que Renard consentirait; que d’ailleurs Madame et Armente- ros pouvaient essayer, s'ils le trouvaient bon. Alors Madame et Ar- menteros dirent « qu’il estoit trop fin pour se laisser appeler sous couleur des aultres affaires, el que ainsi elle l’écrivoit à Sa Majesté, le remettant à elle. » Renard est toujours avec ces seigneurs et ils le soutiennent fort... Viglius a remarqué que Madame s’en tient, à l'égard de Renard, à la réponse qu’elle a faite à d'Egmont, lorsque celui-ci | voulait qu’il intervint dans la délibération des affaires d'Angleterre, et à l'ambassadeur qui le lui recommandait instamment.— Viglius à Gran- velle, 10 juillet.

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concours de seigneurs anti-Cardinalistes, réunis à l’occasion du baptême d’un fils du comte de Mansfeld, gouverneur de la province. Sur la fin d’un spectacle militaire donné par le comte, on vit arriver trois individus masqués et travestis, l’un en cardinal, l’autre en ermite et le troisième en diable. Le cardinal allait à cheval et les deux autres à pied, l’ermite en avant, tenant des « patenôtres » qu'il rongeait de temps en temps, et, le diable par derrière, fustigeant avec des queues de renard le cheval du prélat. La foule des spectateurs, parmi lesquels figuraient, aux côtés de l’amphytrion, le prince d'O- range, le duc des Deux-Ponts, deux comtes de Nassau, les comtes de Hornes, de Sayn, de Hoosgstrate, le baron de Monti- gny, Schauenbourg, Mondragon, etc., les accueillit avec des applaudissements et des huées, et, lorsqu'ils furent arri- vés sur le lieu du tournoi, les combattants expulsèrent bruta- lement le cardinal, « qui fut, écrit Morillon, par le fils de Mansfeld, massacré à force de coups et son habit déchiré. »

Il était facile de reconnaître, dans cette farce inconvenante, la malveillance inventive de Renard. Le comte d'Egmont, qui n’y avait point assisté, lui en sut mauvais gré et demanda à quoi cela pouvait servir. Pour les autres seigneurs ses amis, après lui avoir adressé publiquement leurs félicitations, ils - prirent sa défense, en soutenant que la chose ne s'adressait nullement au cardinal, « et que ce n'estoit chose nouvelle en Allemagne d'amener en tels triomphes semblables joyeuse- tés (1). »

Pour la duchesse, elle était tellement subjuguée par les seigneurs, qu'elle n'en souffla mot aux amis de Granvelle.

Un peu plus tard (fin juillet), Renard, dont l'audace et les espérances grandissaient avec le pouvoir des seigneurs et de leur tout dévoué Armenteros (?), communiqua au président

(1) Morillon à Granvelle, 30 juin.

(2) Viglius nosait s'expliquer clairement dans ses lettres, de peur qu'elles ne fussent interceptées, et, s’il le faisait, « le cardinal ne vou- droit y adjouster foy, ne pouvant s’imaginer le changement si grand. »

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et adressa ensuite à la duchesse une requête à l'effet d’être réimtégré dans ses fonctions de conseiller, et d'obtenir une so- lution à cette affaire de purge, que, disait-il, la malveillance de ses ennemis empêchait toujours d'aboutir. Dans cette re- quête, après avoir rappelé les services -par lui rendus en Bourgogne, aux Pays-Bas, en Allemagne, au Concile, en Italie, en France, en Angleterre, il cherche à se justifier des accusations dont il à été l’objet et qui ont amené la perte de tous ses emplois et pensions, ct 11 demande en conséquence que les seigneurs soient appelés à déclarer s'il a été, comme on le prétend, l'instigateur de leur inimitié contre le cardinal, et le président Viglius, à dire ce qu'il sait des griefs relevés contre lui dans le procès Quiclet. En attendant le résultat, Renard affectait des airs triomphants, comme s'il eût été ab- solument certain de reprendre sa place dans les Conseils et de gagner son procès. « Et n’est petit advantage pour luy, écri- vait à ce propos Viglius (2 août), que ces seigneurs ont tout crédit vers son Alfesse. » S'il parlait du cardinal, c'était tou- jours la plainte ou la menace à la bouche. Un jour « après avoir beaucoup vomi plusieurs choses contre luy, » il ajouta : - «qu'il garde bien de m'animer davantage, car s'il me fait

descouvrir le pot aux roses, il me forcera de lui brasser tel breuvage que je ruinerai du tout et luy et sa maison (1). »

Il ajoutait : « Si Sa Majesté passe les choses ainsy, je ne vois pas pour- quoi me doije rompre la tête ici plus longuement. » 9 juillet 1564.

.. (Quant à Armenteros, il gouverne plus que jamais et ne vaque office ni bénéfice qui ne passe par ses mains... Quand les deux autres secrétaires d'Estat lisent quelques lettres à Son Altesse, 1ls sont debout et la tête nue, cependant qu'Armenteros est co et assis... » Bave à Granvelle, le 22 août.

Renard a dit à Viglius, le 21 de ce mois, que, puisque le cardinal ne revenait pas et que lui ne voyait pas la fin de son affaire, il désirait rentrer au conseil privé, afin de la pousser lui-même. Viglius lui ré- pondit de s'adresser à Madame. Morillon ne sait ce qui s’en est suivi, mais il croit que si Rénard rentre au Conseil, «il prétendra plus avant.» Morillon à Granvelle, 26 juillet.

(1) Pierre Bordey à Granvelle, 4 août.

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Granvelle supporta l’exhibition outrageante de Luxem- bourg avec une dignité calme, se bornant à la faire savoir au roi; il eut soin, à la vérité, d’en conserver une relation en latin parmi ses manuscrits, elle existe encore. Retiré alors en Franche-Comté, au sein de cette pittoresque et fertile pro- vince, il aimait tant à se retrouver après une longue ab- sence (1), il se consolait des froideurs de son souverain et de l'abandon de la duchesse de Parme, par l'espoir que la mar- che des événements les forcerait un jour à revenir à lui l’un et l’autre; et il partageait son temps entre les livres, les jouis- sances de la famille et de l’amitié, et les correspondances po- litiques et privées qu il entretenait avec les diverses cours de l’Europe (?;, sans toutefois perdre de vue et les empiètements de la ligue des Flèches et les efforts que Renard faisait, sous le patronage des seigneurs, pour conquérir un poste digne de son ambition. Il s’en explique librement dans plusieurs let- tres très curieuses, qui ne sont qu'un long exposé, quelquefois contradictoire, de ses griefs, de ses craintes et de ses espéran- ees. En ce qui concerne Simon Renard, il n’est ni surpris, ni jaloux du succès que l'entremise de ses puissants protecteurs lui a procuré auprès de l'ambassadeur Sylva, et il ne lui fait « ni chaud ni froid » qu'on lui donne part au maniement des affaires, attendu, pense-t-il, que « plus 1l y sera avant entre-

(1) « Je suis en doux lieux je vous ai souhaité mille et mille fois, parce que je suis certain que vous les jugeriez à propos pour philoso- pher, et dignes de l'habitation des muses, avec force belles montagnes hautes jusqu’au ciel, fertiles à tous côtés et remplies de fort belles vignes et de toutes sortes de bons fruits; les rivières et les vallées belles et larges, l’eau claire comme du cristal; une infinité de fontaines, truites et ombres innumérables et les meilleures du monde; les champs en bas fort fertiles et fort belles prairies, et en l’un des côtés chaleurs grandes, et en l’autre, quelque chaud qu'il fasse, un frais délectable; et n’y a faute de bien bonne compagnie du pays, de parents et d'amis, avec vins les meilleurs, comme vous savez, du monde. » Au vice- chancelier impérial, Seld; d'Orchamps-Vennes, 5 juillet 1564.

(2) « Ces jours passés, il m’a fallu dépescher pour Espagne, France, Angleterre, les Pays-Bas et l'Italie. » Au baron de Bolwiller, 5 juillet.

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mis, moins il y durera (1), » Du reste, il pardonne tout le passé et en laisse le jugement à Dieu, [l serait même disposé à rendre à Renard son amitié et son appui, s'il le croyait ca- pable de devenir homme de bien, et de rendre encore d'utiles services (2). Par malheur, il est convaincu du contraire, et il ne doute pas que, s'il rentrait aux affaires, « ce ne lui fust un degré pour passer plus avant, » au grand dommage de l’auto- rité royale et de la chose publique. Les seigneurs eux-mêmes, quoiqu'ils se servent de lui, par l'envie qu'ils ont contre le cardinal, et malgré les belles promesses qu'il ne manque pas de leur faire, en retour de l’aide qu'il attend d'eux, connais- sent trop bien cette nature ambitieuse et ingrate, pour se ré- soudre à la porter au pouvoir, et c'est évidemment ce qu'en- tendait le comte d'Egmont, lorsqu il disait à Vigiius qu'il fal- lait faire Hopperus président du Conseil, « avant que quelque orgueilleux entrât aux affaires (3). » Le roi n’y consentirait pas davantage. Néanmoins, il est à regretter que la certi- tude du mal qu'il y ferait ne permette pas « de lui donner la

(1) À son avis, on ferait mieux de donner sur le champ à Renard une - importante position dans le maniement des affaires, que de le laisser cabaler dans l'ombre, parce que, de cette manière du moins, on saurait bientôt à quoi s’en tenir sur ce qu’il vaut. Le seul inconvénient, c'est qu'il aurait, dans un poste semblable, toute espèce de facilité pour faire disparaître des pièces qui, en vérifiant ses trames secrètes et sa trahi- son, sont de nature à le compromettre essentiellement. Granvelle à Armenteros, 30 juin 1564.

(2) « Et si je me pouvais assurer que Renard seroit dores en avant homme de bien, non seulement je luy pardonneroye mais l’aideroye et chériroye et procureroye que la république en reçeut service. Mais je suis loin de penser qu'il sera jamais homme de bien, et ma théologie ne dit pas que l’on doive souffrir de sorte que par vous donnez moyen à vos ennemys de vous pis faire. » Granvelle à Viglius, 20 août.

(3) « Le danger seroit, si, comme il est diabolique et bataillard, il leur persuadoit que, ayant les affaires en main, il les laisseroit du tout seigneurs d’iceux, et qu'il tendroit contre l'autorité du Maistre pour agrandir la leur; et lors feroient-ils ce qu'ils voudroient,,.» Gran- velle à Viglius, 20 août.

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charge principale, car ce serait le plus court chemin pour le desrocher. » Il n’est pas moins fâcheux qu’on n'ait pu vider son procès et le faire sortir des Pays-Bas, où, pour servir les visées ambitieuses du marquis de Berghes, on sait qu'il tra- vaille à’ procurer la réunion des Etats généraux. « C'est pour- quoi, ajoute-t-il, si La justice du prince n’a son lieu, je serai enfin contraint, puisque tout se souffre avec si grande offense à Dieu et desréputation du Maistre et de tous ceux qui se mélent de ses affaires, je serai contraint de la me faire moi- mesme, et en son endroit (Renard) et d'autres, et si la chose dure trop, je le ferai, advienne ce qui en pourra advenir. » Au reste, pourvu que les intérêts de la religion et du souve- rain soient sauvegardés, il ne craint point Renard pour son propre compte et se moque de ses menaces. Il ne lui fera pas l'honneur, qu’il ambitionne, de le prendre à partie, attendu qu’il a « assez d’estoffe » à fournir au fiscal pour le faire con- damner et pendre. Lorsque le moment sera venu de retour- ner à son poste, il le fera, dût-il y aller de sa tête. En atten- dant, il engage le président à tenir bon et à temporiser, lui promettant de le soutenir auprès du roi. Il se réjouit ironi- quement de voir comme « ces seigneurs s'évertuent à faire la cour à Son Altesse, à quoy, dit-il, je ne vaux plus rien (1). . Tandis que Granvelle déplorait ainsi l'impunité de Renard et sa persévérance à mal faire, Philippe IT se décidait à exé- cuter une résolution arrêtée dans son esprit, depuis la masca- rade de Luxembourg, et qu'il avait déjà fait connaître à la duchesse, sa sœur. Au mois d'août 1564, Renard recut l’or- dre de se rendre en Espagne, pour y donner des renseigne- ments sur certaines affaires concernant son service. Gette nouvelle fit évènement aux Pays-Bas. On le savait engagé si avant avec les seigneurs, et si bien en voie d'arriver à un poste élevé, que personne ne voulait croire qu'il se montrâi cette fois plus disposé à obéir que les précédentes. « Renard

mt mn

(1) Granvelle à Viglius, 9 et 20 août 1364.

Fe

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est toujours avec les seigneurs, écrivait Viglius au cardinal, et ils le soutiennent fort. [lest trop renard pour se laisser attirer en Espagne, et Madame aura fort à faire de le faire obéir, si elle veut écouter les réclamations des sei- ogneurs. » À quoi le cardinal répondit : « Si Renard s’en va, ce dont je fais grand doute, l’on s'apercevra bientost aux Pays- Bas du mal qu’il y faisait. Qu'il aille en Espagne, et qu'il y fasse le pis qu'il pourra, il n'y saura faire le centiesme du mal qu'il a fait par delà (1). » La gouvernante et le secrétaire Armenteros n’espéraient pas davantage qu'il consentit à par- tir. Il démentit toutes ces prévisions.

Soit qu'il craigniît de pousser à bout, par un nouveau refus d'obéissance, le mécontentement du roi, soit qu'il se flattät réellement de faire tourner à son avantage le voyage d’Espa- one, il résolut d'obéir et annonça que Sa Majesté l’appelait auprès d’elle, pour y remplacer le garde des sceaux d’Es- pagne, Charles Tisnacq, destiné, selon lui, à succéder au président Viglius. C'était, assurait-1l, le voyage le plus allègre qu'ii eût jamais fait; 1l tendait grandement à son propre honneur pour éclaircir la vérité et confondre ses ca- lomniateurs, redresser la justice, réformer les abus, de telle sorte qu'on entendrait bientôt parler de lui. A force de répéter ces déclarations à tout venant, avec l’aplomb et la jactance qui lui étaient propres, il finit par persuader à beaucoup de gens, amis et ennemis, qu'il disait vrai. Les seigneurs lui firent la cour comme à quelque puissant personnage, et lui prodigucrent leurs visites, au point de ne quitter presque plus sa maison. De leur côté, les correspondants de Gran- velle, qui avaient commencé par croire à une disgrâce, et par espérer qu'il n'aurait pas à se louer du voyage, s’il avait lieu (?), ne savaient plus qu’en penser; ce qui faisait dire au

(1) «Et que me fera-t-il? Laissez-le faire; seullement qu'il ne trouble plus les Pays-Bas; peut-estre trouvera-t-il à quy parler, s A Vi- glius, 19 septembre 1564.

(2) « S'il lui prend mal du voyage, nulle peine qu'il pourra souffrir,

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secrétaire Bave : « On croit généralement que Renard est appelé par le roi pour grandes affaires, et estre employé en charges très importantes. On n'ose y contredire, jusqu'à ce qu'on connaisse l’accueil que le roi lui aura fait. Autrement ses favoris oseraient bien hardiment soutenir le contraire (1).

Renard cependant, pour ne négliger aucun moyen de ga- gner sa cause à Madrid, demandait instamment à la duchesse de faire droit à la requête qu’il lui avait présentée. Elle lui accorda à lui et aux seigneurs un semblant de satisfaction, en ordonnant qu'il en fût donné communication au conseil d'Etat (2). Après avoir entendu cette lecture, les Trois offri- rent de dire ce qu’ils savaient, Le président déclara que pour lui, devant être appelé comme témoin, il n'avait rien à dire auparavant, et que d’ailleurs il lui paraissait convenable que le roi prît d’abord connaissance de l'affaire. La duchesse qui, au fond, était de cet avis, en resta quant à l'offre des sei-

quelle qu’elle soit, n’'égalera jamais au malheur que sa trop grande ingratitude mérite; car il est cause de tous les troubles.» P. Bordey à Granvelle, 30 août 1564.

Bave croit qu'il se flatte en vain de prendre la place de Tisnacq; il espère que, loin de là, le roi ne lui permettra pas de venir à la cour, et qu'il lui assignera pour résidence une ville éloignée. » A Tisnacq, septembre.

« Renard s’en va, comme il dit, content, parce que le roi le veult em- ployer en ses affaires, mesme au lieu de Tisnacq, qu'il envoye ici suc- cesseur du président Viglius, et lui donnent les seigneurs grande assurance, pourvu qu'il soit net quant à ce de trahison. Le comte d'Eg- mont a promis à Renard de lui donner assistance pourvu qu'il ne soit pas coupable de trahison, auquel cas il donnerait la corde pour le pendre, et qu'il n’eût menti touchant le cardinal, » Morillon à Granvelle, 7 septembre.

« Je le souhaite déjà à deux cents lieues loin pour luy abréger son voïage, estimant qu'il ne se trouvera peu esbahy quand l’on l’enverra tenir garnison quelque part. Messieurs d'Egmont, de Hornes et de Montigny sont continuellement chez luy, et tiens pour évangile que si Sa Majesté n’eust sonné la grande cloche, il se fust piéça remis au con- seil d’Estat. » Morillon à Granvelle, ? septembre.

(1) Bave à Granvelle, 18 octobre.

(2) Le 4 septembre.

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gneurs. Mais, quelques jours plus tard, elle dit à Viglius qu’a- près avoir pris l'avis du Conseil, elle désirait qu'il lui mît par écrit ses souvenirs concernant le procès Quiclet. Quoique cette demande eût lieu de le surprendre, il s’abstint de répli- quer, car il espérait pouvoir y satisfaire avec la copie d’un recuell sommaire que le feu consetller Hontzoche lui avait autrefois communiqué, s'en référant pour le surplus « aux confessions et procédures » qu'on ponrrait se procurer aux greffes du Parlement de Dole. Dans le récit qu’il écrivit à Granvelle de cet incident (28 septembre), il ajouta : « Quand même il n y aurait aultre chose que ledict sommaire, le roi verra bien comment feu l'empereur et Sa Majesté ont esté servys de luy,et s'il AE a esté trompé, jamais renard ne le fut plus lourdement (1).

Si Renard n'obtint de ce côté aucun résultat utile, il n’en affecta pas moins, dans ses préparatifs de départ, toutes les apparences d'un parfait contentement. Après avoir pris congé de la gouvernante, dit adieu à ses nobles amis et recu les embrassements du comte, qui, tout ému « et plorant de gros- ses larmes ne lui pouvoit dire mot, » à son tour il sortit de Bruxelles le 25 septembre 1564, un peu plus de six mois après la retraite de son ennemi, retraite à laquelle il avait tant contribué, peu rassuré sur l'avenir et dissimulant de son mieux l'inquiétude dont il était tourmenté. Mais ce fut avec une suite moins brillante et un équipage plus modeste : pour le transport, douze chevaux avec quelques voitures; « pour compagnie, des gens légiers et mal conditionnés, » écrivait Morillon. Bave remarqua que ses serviteurs « étaient tous ra- caille et canaille. »

Pour subvenir aux dépenses du voyage, il avait cinq mille

(1) Ce passage. rapproché d’une réponse que, suivant Morillon (28 septembre), Viglius avait faite à la duchesse, à savoir « qu'il ne tenoit Renard pour traître, mais bien pour extrémement négligent, » prouverait que le président, pour qui la conduite criminelle de Renard aux Pays-Bas ne faisait pas de doute, inclinait à croire que si, dans

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florins que la duchesse lui avait fait délivrer à compte sur l'arriéré de ses gages, et, de plus, ce qu’il était parvenu, non sans peine, à se procurer d'argent auprès des banquiers d'An- vers. Il laissa, probablement par économie, sa nombreuse famille à Bruxelles (1).

ses fonctions diplomatiques, il avait trahi les intérêts de ses souve- rains, c’avait été sans intention de le faire.

(1) « Le conseiller Renard a dit adieu aux seigneurs. La sepmaine passée fit dimanche dire la messe de Sainct-Esprit et print congé de Son Altesse ainsi qu'elle sortit de son oratoire, et partit d’icy lundy, après disner, vers sa cense sur le chemin de Haulx, bien accompagné et équipé de chariots et chevaulx qu'il eut jusques à xx, et sortit de hier matin, et doibt aujourd’huy coucher à Mons pour aller par France, par toutefois il avoit dit ne voulloir passer. L'on dit qu'il at des gens légiers et mal conditionnés avec lui... et le filz du prési- dent Longin, qui sera pour l’achever de peindre.

« Le dict Renard a esté à Anvers pour avoir argent, encores que

Son Alteze luy ait faict délivrer deux mil florins (la duchesse écrit au roi 5,000), et at fort bien tenu sa morgue vers les marchantz, se pour- vantant qu'il fera parler de soy, et qu'il redressera la justice, promet- tant à aucuns expéditions de leurs procès, pour ce pendant estre accommodé d'eux en ce qu’il avait de besoin, et s’est montré fort allègre. L'on. dit qu’il emporte beaucoup de lettres de recommandation des Seigneurs au Roy. Lorsque le Président luy dit l’adieu et bon voïage, il répondit qu'il ne pouvait sinon bien négocier... Il a dit que disant l’adieu à Monsieur d’'Egmont, icelluy seigneur l’embrassa, plo- rant de grosses larmes et qu'il ne luy pouvoit dire mot... » Morillon à Granvelle, 27 septembre 1564. Le jour que je partis de Bruxelles, il me vint dire l’adieu et que en long temps il n’avoit fait voyaige plus allècrement qu'il pensoit faire cestuy-cy, pour une fois faire congnoistre la vérité....,. Estant empesché en mes apprestes, le despeschay avec trois paroles. Il mou- vera en Espagne omnem lapidem, et ne scay si Monsieur Tisnacq et Courteville tiendront bon... Il faudroit bien que le Roy leur dit un mot de garder bien devant eux les papiers, surtout ceux qui luy tou- cheront. » Viglius à Granvelle, 28 septembre.

7 Ve PRIE CR

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CHAPITRE MI

DISGRACE DÉFINITIVE DE SIMON RENARD

1564-1573

I

Il prit sa route à travers la France, et, à peine entré en Espagne, il s'arrêta à Vittoria, sa goutte paraît l'avoir retenu quelque temps, à moins que ce ne fût, comme l'avait prédit Morillon, afin de pressentir depuis quelle réception l’attendait à la cour d'Espagne (!), Malade ou non, l’on con-

(1) « Renard répand le bruit qu'il va occuper vostre place à Madrid; s’il part, ce qui n’est pas sür. il demeurera en chemin, sous couleur de ses gouttes, attendant ce que le temps pourra luy apprendre. » Bave à Tisnacq.

« Renard pourroit bien à son accoustumé feindre d’estre malade pour demeurer en chemin, l'argent que l'on luy a donné a esté une partie de ce qui luy estoit deu de ses gages. Il s’en faut qu'il parte aussi bien accompagné et aussi content qu'on vous l’a dit, l’on verra quelz mira- cles fera le sainct quand il sera arrivé. » Granvelle au baron de Bolwiller, 21 octobre 1564.

« Il vient d'arriver d'Espagne un courrier des marchands qui a ren- contré à Vittoria Renard, qu’il appelle l'ambassadeur Renard....: et à la mine qu'il tient, semble quod eat ad triumphum. » Viglius à Granvelle. 6 décembre.

Morillon, à propos de cette rencontre, suppose que Renard aura pré- texté sa goutte pour s'arrêter à Vittoria, afin de voir quel accueil lui auront préparé à la cour les recommandations dont il s’est fait précé- der.., et de pouvoir rétrograder au besoin. Mais quoi qu’il lui arrive, Morillon pense « qu'il ne pourra faire ni chaud ni froid à Granvelle, et que même il ne sera pas fâché de se rhabiller avec lui, s’il le peut. » Morillon serait émerveillé, si l’on ne lui tenait pas compte en Espagne de ce qu'il avait refusé d’obéir et ne s'était point purgé à propos de l'affaire Quiclet. A Granvelle, 9 décembre,

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coit que Renard n'ait avancé qu'avec une extrème circons- pection sur la route de Madrid. Bien qu'il cût lieu decompter sur de puissants appuis, sur des amitiés influentes, sur la recommandation de la gouvernante elle-même, qui avait prié le roi, son frère, de lui faire rendre prompte et impartiale jus- tice : « attendu, disait-elle, que tout le pays a les yeux sur cette affaire (l) ; » néanmoins 1l lui était impossible de ne pas voir que la lutte engagée depuis si longtemps entre Gran- velle et lui touchait à son dénouement, sans que l'adversaire parüt disposé à mettre bas les armes, et cela devait lui donner a réfléchir.

Le cardinal, de son côté, n'était pas sans appréhension sur les conséquences possibles d’un suprême assaut de Ja part de son redoutable ennemi. Il s’en inquiétait d'autant plus que, depuis sa retraite, Philippe IT lui témoignait moins de con- fiance, moins d'intérêt pour sa querelle, et que, dans°ses lettres fort peu nombreuses d’ailleurs, il affectait de l’entrete- nir de questions de politique générale, ne touchant que rarc- mentaux affaires de Flandre, et toujours d’une manière brève et évasive (2). C'est ce qui explique ce mélange contradictoire de dédain irrité et de générosité menacante, qui souvent se retrouve au fond de ses paroles, lorsqu'il déclare n'avoir rien à craindre de Renard et ne lui vouloir aucun mal G). De

(1) En annonçant au roi que Renard vient de prendre congé d'elle, la duchesse le lui recommande, pour qu'il veuille l'écouter avec béni- gnité et lui faire rendre prompte justice, par des hommes non suspects. D’après l'avis de ceux des finances, elle lui a fait payer, à compte sur ses gages, 6,000 florins, comme le moins qu'on püût faire pour le voyage d'un homme si infirme. Au roi, 30 septembre et 29 novembre 1564. (Corresp. de Philippe IT, tome I)

(2) Néanmoins Granvelle, dans sa lettre du 8 octobre, remercie le roi de lui avoir écrit de sa main, à la date du 6 août précédent, une lettre pleine de faveur et d’encouragements; heureux de voir ses services ainsi appréciés par son prince, il s'inquiète peu des propos de ses dé- tracteurs. F

(3) « Je ne veux plus m'en rompre la tête. Je n’ai que craindre de luy, ni ne prétends rien en ce qu'il peut prétendre, et est trop bas

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aussi le soin avec lequel il fit parvenir au roi, soit person- nellement, soit par des intermédiaires dévoués, tous les témoi- gnages, tous les arguments susceptibles de justifier ses propres accusations, et de parer d’avance les nouvelles atta- ques dont il se sentait menacé 1).

Ses lettres au roi des 8 octobre 1564, 20 janvier et 17 fé- vrier 1565, dont la première ne comprend pas moins de

pour me mettre la main sur la tête. » Granvelle pense que Renard, qui le craint, le servirait pour ce motif même, s’il revenait en crédit, «et, dit-il, m'en pourroye servir sans m'y fier, et auroye lors meilleur moyen de le défaire... »

...« Vous savez l'opinion que feu l'Empereur et la reine de Hongrie avoient de lui, et pourquoi l’on envoya Tisnacq à Bruxelles et Bave à Vauxelles, et ce que contenoient les lettres écrites de sa main à Qui- clet. .. » Granvelle rappelle à Viglius, comme une chose à lui connue, la conduite de Renard dans les négociations de Vauxelles. Il lui rap- pelle aussi certain chiffre que Renard laissa tomber près de la chaise percée, en Angleterre, pour Quiclet, lorsque celui-ci fut envoyé par les Français pour recouvrer ce chiffre. IL y a bien d’autres choses « dont il informera fort bien les fiscaux, si l’on veut procéder à sa purge. » Du reste, il déclare n’y pas tenir pour son compte, quoique les de Rye sachent faire. « Je le laisse pcur tel qu'il est; bien scay-je qu'il a esté pernicieux par delà, et vous le savez aussi, estant publicque

_ et notoire...» Granvelle à Viglius; de Baudoncourt, 19 septembre, ‘11 et 28 octobre 1564.

(1) Après avoir confié au secrétaire Bave le soin d’agir auprès de Tisnacq, avec l’autorité de son caractère et de son intelligence, et de le prémunir contre la langue artificieuse de Renard, il écrivit à Gon- zalo Perez qui d’ailleurs connaissait bien le personnage; il lui rap- pela qu’il était cause de tout le mal survenu aux Pays-Bas, « pour avoir suggéré aux seigneurs toutes les idées qu'ils avoient dans la tête, » et conclut que, si on le laissait arriver à la cour, on ne tarde- rait pas à s'en repentir. « Il cherchera indubitablement à faire des siennes et à y jeter le trouble dans les esprits. Que s’il veut paraître devant ses juges, je me charge, ainsi que je l’écris à S. M., de fournir d'ici aux fiscaux assez d’étoffe pour procéder contre lui... Il est quel- quefois bien de fouetter, comme l’on dit, le chien devant le loup; or la manière dont on se conduira envers cet homme tire peut-être beau- coup plus à conséquence pour le service de Sa Majesté qu'on ne sauroit se l’imaginer en Espagne, surtout sous le rapport de l'exemple, non seulement en Flandre, mais encore dans les autres parties des Etats de S. M... C'est vraiment une bonne idée de sa part de baser sa justifica-

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40 pages in-folio manuscrites, sont de véritables plaidoyers, dans lesquels il sait habilement mettre en opposition, d'une part, la reconnaissance et le dévouement qu’il porte à son sou- verain, Sa préoccupation et sa connaissance approfondie des affaires en général et de celles des Pays-Bas en particulier, et, d'autre part, la malveillance et les mauvais offices de Renard et de ses amis, aussi bien à l'égard du priuce, qu'à l'égard du ministre. Passant en revue, avec diverses autres questions, celles qui servent de motif ou de prétexte au désordre croissant dont souffrent les provinces, il loue ou dé- sapprouve, conseille ou repousse les différentes solutions aux- quelles, selon lui, 1l convient ou ne convient pas d’avoir recours ; et il le fait avec l'autorité insinuante d’un ministre également sûr de sa propre valeur et de l'insuffisance de son maître. S'il se plaint des attaques auxquelles il est en butte, il a soin de montrer au roi que son prestige et ses intérêts souverains en subissent le contre-coup. Les seigneurs qui, Montigny à leur tête, calomnient le cardinal, applaudissent aux mascarades dirigées contre lui, et le desservent auprès de Ja duchesse, sont aussi ceux qui vont répétant que Sa Ma- jesté n'ira pas aux Pays-Bas, qu'elle n'en a nulle envie, et font des vœux pour quil en soit ainsi.

À l’instigation du prince d'Orange, les de Rye, de concert avec Renard, et secondés par Moron, un protégé du cardinal, devenu son ennemi, ont persuadé au gouvernement des Pays- Bas d’ordonner une enquête sur l'administration des salines

tion sur le témoignage négatif des seigneurs...» De Baudoncourt, 12? octobre 1564.

« Renard est le plus grand fabricateur de mensonges et de calomnies qui soit sous le ciel. » 23 janvier 1565.

« IL importeroit beaucoup recouvrer, s'il estoit possible, les lettres escriptes de sa main à Quiclet; elles estoient en une masle avec les papiers ; il faudroit regarder sy, comme il est meschant et inventif, il ne les auroit, par bon moyen et par tierce main, distraict de la main de la femme du feu conseiller Hontzoch, qu'est simple, après la mort de son mary. » —- Granvelle à Viglius, {9 septembre.

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de Franche-Comté. Des commissaires furent nommés à cet effet, et on leur adjoignit ledit Moron, « pour conduire le cha- riot(l). » Or, maintenant que l'enquête est commencée, on voit clairement que son but est à la fois de faire tout le mal possible à la famille Granvelle, comme ils le disent publique- ment, et de servir les prétentions du prince d'Orange sur les- dites salines, prétentions mal fondées, écrit Granvelle, que le roi ne doit point admettre. « [l est estrange, remarque-t-il, que Renard estant au service de Vostre Majesté, et recevant des gages d'elle, favorise le prince au préjudice de vos finan- ces (2). » Que s’il obéit à l'ordre d’aller en Espagne, il tâchera d’y nuire, étant de caractère à ne pouvoir s'en empêcher. Sa langue malicieuse n’épargnera personne, pas même le roi, à plus forte raison Granvelle, qui demande en conséquence que, s’il avance ou publie contre lui quelque accusation grave, Sa Majesté lui fasse la grâce de l'en avertir et de sus- pendre son jugement, pour lui laisser le temps d'y répondre; il s'engage d'ailleurs à produiré, le jour l’on donnera des juges à son ennemi, assez de preuves écrites et de témoigna- ges, pour le convaincre de cabale et de trahison (3).

(1) Selon le mot de Viglius.

(2) Granvelle raconte à ce propos le fait suivant. Le prince avait élevé contre le domaine royal une revendication de grave importance, encore pendante devant le grand conseil de Malines. Durant les débats aux- quels cette affaire donna lieu dans le conseil privé, Renard, qui avait cessé depuis longtemps de prendre part aux travaux de ce conseil, eut grand soin de n’y plus manquer un seul jour, enregistrant tout ce qui s’y disait, et révélant le côté faible de la cause au prince, qui utilisa ces renseignements pour la rédaction de ses mémoires et consulta- tions. Seulement, afin‘ de se mettre à couvert, le fourbe emprunta une main étrangère pour copier les notes qu'il transmettait au prince; mais cette ruse devint inutile, par suite de l’indiserétion du copiste, le nommé Muretel, originaire du comté de Bourgogne et fort suspect d'hérésie. Granvelle au roi, 17 février 1565.

(3) « IL paraît que Renard se prépare enfin à exécuter les ordres du roi et à se rendre en Espagne; cependant Granvelle n’y croira que quand il le verra en chemin. S'il y va, il ne manquera pas d’y intri- guer comme il l’a fait toute sa vie, et il jettera les hauts cris au cas

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En attendant, et afin de montrer au roi qu'il n’était pas seul à affirmer la culpabilité de Renard, il pressa Viglius d'écrire à Sa Majesté dans le même sens, et de ne pas oublier les propos équivoques que, pendant la guerre religieuse de France, ce brouillon tenait journellement au coin du feu à Assonleville et à d’autres conseillers, et « ce qu'il disoit pour les mutiner, » lorsqu'il recut pour la première fois l’ordre de se rendre en Bourgogne. Viglius n'avait rien à refuser à son illustre ami ; on ne voit pas néanmoins quil lui ait donné satisfaction en cette circonstance : « il avait alors trop peur de son ombre (1). »

Quoi qu’il en soit, les diverses communications transmises à la cour d'Espagne par les soins de Granvelle, y parvinrent en temps utile; il en fut tenu compte, selon que l'avait prédit Morillon, et Renard en eut bientôt la preuve (2).

que le roi ne lui donne une charge égale à son ambition, qui est telle, selon le cardinal, qu’il ne sait si le titre de roi suffirait à sa vanité. Granvelle offre de donner les notions nécessaires pour prouver les mé- faits de Renard. Celui-ci, dit-il, s’est procuré une attestation des sei- gneurs; mais ilne manquera pas de personnes qui certifieront qu'il a travaillé de tout son pouvoir à exciter les troubles de Flandre et à rendre les Espagnols odieux aux Flamands » Granvelle au roi, 8 octobre 1564. (Corresp. de Philippe II, tome I.)

« Renard doit estre maintenant à la cour de V. M.; je suis certain qu’il taschera d'y nuire; il est dans sa nature de ne pouvoir faire aulitre- ment. Mais enfin il ne pourra y nuire autant qu'en Flandre. Dans les lettres qu’il écrira à ces seigneurs, il ne manquera pas, selon son habi- tude, de dire beaucoup de mal et de la cour de V. M., et de sa per- sonne, et de l'Espagne, et de toute la nation. » Granvelle au roi, 20 janvier 1565. (Corresp. de Philippe IT, tome I.)

(1) Morillon à Granvelle, 21 août 1564.

(2) « Je pense que si le Roy a receu vos lettres à temps, il ne lui fera grande feste. » Morillon à Granvelle, 30 décembre.

301

[al

Arrivé à Madrid, le 23 novembre 1564, il s'empressa d'écrire à sa femme. Par sa lettre, qui évidemment n'était pas pour être tenue secrète, il l’informait qu'il n'avait pas trouvé à la cour « les choses si aigres comme l’on disoit, » et qu'il avait recu la visite de Ray Gomez et d’autres personnages (1). Mais, à supposer que la première impression ait été ce qu’il publiait, elle fit place à un prompt désappointement. En effet, il lui fallut attendre un mois avant d’être recu par le roi, et, lorsque enfin il parut devant Sa Majesté, Philippe remar- quant qu'il était « impotent, » le fit asseoir, et après avoir entendu sa harangue (2), 11 lui dit que le moment était mal choisi pour une audience, qu'il était obligé de s’absenter pour les fêtes de Noël, et qu’à son retour seulement il lui donne- rait sa réponse. Renard rendit compte à sa femme de cette singulière réception ; mais il le fit par lettre chiffrée, ce qui signifiait assez qu il n'était pas satisfait. Néanmoins, il n’en laissa rien percer au dehors ; 1l annonça au contraire qu'il devait sous peu retourner aux Pays-Bas « bien dépesché » : « qu'est selon ses artifices accoustumés, » remarque Moril-

Jon (3). Morillon avait raison : c'était la un de ses expédients

ordinaires, inventé pour tromper amis et ennemis, pour dé- concerter les uns et encourager le bon vouloir des autres, pen- dant qu'il travaillait à triompher des lenteurs du roi et de ses préventions manifestes. Il eut beau se remuer, intriguer, faire sonner bien haut son importance et ses services : après trois mois d'efforts, 1l dut reconnaître qu'il avait travaillé en pure

(1) Morillon à Granvelle, 30 décembre 1564.

(2) Dans cette harangue, il fit sa propre apologie, vanta les services qu'il pouv:it rendre encore, par exemple en augmentant de 600,000 écus par an le revenu du domaine royal aux Pays-Bas, et certifña, comme le faisaient les seigneurs, que l’état de la religion dans ces provinces n'exigeait nullement la venue du souverain.

(3) Morillon à Granvelle, 31 janvier et 1°" février 1565.

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352 perte; et, s’il eût pu lire dans la pensée de Philippe et dans sa correspondance, il aurait vu que, loin de revenir à lui, la faveur et la confiance royales retournaient peu à peu au ministre disgracié (1).

III

Il en était là, lorsqu'arriva à la cour de Madrid son ami le comte d'Egmont, chargé d’une mission de la part des seigneurs flamands. Ceux-ci, depuis qu'ils avaient subjugué la duchesse et usurpé le gouvernement, loin de remédier à rien, avaient laissé le relâchement et le désordre gagner partout (2), et en

(1) « d’ay receu quatre lettres du Roy bien favorables, que le courrier qui luy alla annoncer le voyaige de Mons’ d'Egmont a rapporté, et me dit qu'après avoir ouy ledit S' d'Egmont, il me respondra encore plus pertinemment à toutes mes lettres. Aussi ay-je lettres de Gonçaloz Perez et du secrétaire Vargas, de Ruy Gomez et d’autres ; et à ce que j'entends, Renard est encore bien loing de son compte, combien qu'il attend avec très grand désir et allègrie ceste venue de Mons" d'Eg- mont; mais le Roy estoit prévenu suffisamment, comme l’on m'escript.…, et enfin l’on verra ce qu’il en sera. » Granvelle à son frère Chan- tonnay ; de Besançon, 10 mars 1565.

Il s’en fallait pourtant beaucoup que Granvelle eût reconquis à cette époque son ancienne faveur et son ancien crédit, Dans une lettre du 18 juin 156», il se plaint au roi de l’oubli dans lequel il le laisse, après tout ce qu'il a fait et souffert pour lui. (Corresp. de Philippe IL, t. I.)

(2) « Des Pays-Bas on escrit au Roy que tout va bien, comme je le vois suffisamment du reste par les renseignements fournis de toutes parts aux ministres (ambassadeurs). » Granvelle à Gonzalo Perez; de Bau- doncourt, 12 octobre 1564.

« Les Seigneurs ne croient plus au retour de Granvelle et à la venue du Roy : aussi chacun d’eux fait-il dans son gouvernement ce qu'il luy plaist, au grand regret des fidèles... »

« Brederode est à Bruxelles et veut payer ses créanciers de coups de baston... »

« Et l’on voit que l’on en veut aux longues robes et que l’on désire extirper les conseils, se plaignant les seigneurs de ce qu’ils ne peuvent disposer de rien, comme font Mansfeld, de Berghes et Aremberg, ce que imitent dit inferiores, surtout Montigny... Mansfelil a reçu les juifs, auloritale propria, et remis un homicide, sans parler au Conseil, moyennant 100 écus.» Morillon à Granvelle, 9 décembre 1564.

« Bave se propose de peu hanter les grands, car ils sont outrageants

3353 particulier dans les affaires religieuses dont la tournure in- quiétante faisait craindre quelque révolte (1), Dans leur em-

en paroles envers ceulx qui ne sont pas leurs égaux, » comme cela est advenu à Damhouder (conseiller du roi et commissaire des finances aux Pays-Bas), qui fut appelé « marmouset » en pleine table chez lui, le jour mesme du märiage de sa fille. » Morillon à Granvelle, 29 sep- tembre 1564.

« Son Altesse ne se donne garde que présentement on ne cherche que d'attaquer et blasmer les actions du roi, et de ce imprimer le peuple faire se peut... Les Estats de Brabant se plaignent que tous offices se vendent publiquement au plus offrant... Armenteros et les siens sont trop aspres... Madame y va à bride avallée.., Cela pourra faire reculer encore l'affaire des subsides qui dort entièrement.,, » -—- Morillon à Granvelle, 12 mai 1564.

«Il y a une quantité de loteries. Son Altesse a 4,000 florins de l’une d'elles... Maistre Jean Gilles (greffier des finances)... Madame retire les dépesches de luy (sic), qu’elle délivre à Armenteros qui reçoit les deniers... On dit qu'ils ont déjà levé de grands deniers... » Morillon à Granvelle, 9 décembre 1564. k

(1) « Les Allemands ont fait grande insolence ces jours passez à Lou- vain, attachant des espaules de mouton et des chapons rotiz sur la porte de notre maistre de Lovanio, et ont voulu battre le curé de Saint-Pierre, ainsi qu’il venoit sur le tard vers sa maison. Les bour- geois les soutiennent pour non perdre le peu de prouffit qu'ilz en ont.., . Le principal auteur des dites insolences est un Hongrois, boiteux et encore jeune, chanoine à Ordford, et qui se vante que le prince d’O- range le veut faire pourvoir d’une prébande de Liége. Il fut constitué prisonnier mercredy; mais par l’aide de ses compagnons et assistance des bourgeois, il fut délivré de la main de la justice. » Morillon à Granvelle, 24 mai 1564.

Bave raconte à Granvelle (19 octobre 1564) qu'à Anvers, comme on allait brûler un jacobin apostat, il y eut plus de deux à trois cents in- dividus qui se ruèrent à coups de pierres sur le margrave (*), sur l’escoutette (officier de police), les sergents et le bourreau. «Le dit margrave se sauva, les sergents et le bourreau furent blessés, et de peur que le malfaiteur ne fust délivré, le bourreau le tua à coups de dague et après, avec grande peine, emporta le corps et le rua par une fenestre dans la rivière, chantant les susdits à haute voix les psaumes de David ; et toutefois je n’ay entendu que jusqu’à ce jour on ait arresté

(*) Le margrave d'Anvers n'était autre que le bailli. On le qualifiait aussi margrave, parce que cette charge appartenait de droit au margrave du pays de Ryen. Le bailli était le représentant du prince, pour la poursuite des crimes. Lui seul et ses agents pouvaient appréhender et arrêter les malfaiteurs, saut le cas de guet-apens ou de flagrant délit.

23

354

barras, ils imaginèrent de demander au roi des concessions qu'ils disaient leur être indispensables pour remettre les choses en meilleur état, et neutraliser l'influence des cardi- nalistes et de leur chef absent, de laquelle venait tout le mal, à ce qu'ils prétendaient, bien qu'elle eût cessé d'exister aux Pays-Bas(l). Ce fut le comte d'Egmont qu'ils choisirent, avec l’assentiment de la gouvernante, pour porter au roi leurs do- léances et leur requête. Il partit contre le gré de Philippe I, à qui pourtant il était le plus sympathique de tous les oppo- sants, mais qui redoutait de le voir retomber sous l’ascendant pernicieux de Renard, comme il arriva en effet (2). Suivant

personne, ny fait aultre démonstration : ce qui fait craindre à plusieurs gens de bien encore plus grande émotion, et plusieurs parlent déjà de quitter Anvers...»

D'un côté, la duchesse, par sa lettre du 11 avril 1565, informe le roi que les affaires de la religion s’améliorent dans la ville d'Anvers; que beaucoup de personnes reviennent de leurs erreurs et se rétractent; que le carême est observé rigoureusement, non seulement par ceux de la ville, mais encore par les Anglais, Osterlings et autres nations : ce qu’elle attribue à la défense expresse qu’elle a fait faire au commence- ment du carême, tant à Anvers qu'à Bruxelles, de vendre de la viande et des œufs à d’autres qu'à ceux qui avaient licence du curé et du mé- decin, et d'en porter dans les hôtelleries..….

D'autre part la faculté de théologie de Louvain écrivit au roi, le 14 mai suivant, que les maux de la religion allaient croissant; qu’elle le voyait avec une douleur profonde et le priait d’y pourvoir. (Cor- respondance de Philippe II. tome I.)

(1) « Les affaires se font par Son Altesse, le comte d'Egmont, le prince d'Orange, le trésorier Schetz et le greffier des finances Ringot, exclusis Barlaymont, Viglius, Hopperus, Von der Aa et Berti... » Morillon à Granvelle, 9 décembre 1564.

Pierre Aiguillon, chargé d’affaires du cardinal aux Pays-Bas, lui écrit: « Quant à la vente publique des emplois, c'est un fait connu de tout le monde... On dit qu'il n’y a plus de conseil, que Madame traite seule les affaires. » —— 11 décembre 1564.

(2) Conformément au désir du roi, la duchesse fit représenter au comte par Armenteros qu'il serait convenable d'attendre au moins le retour de Renard, pour ne pas faire croire qu'il se rendait à Madrid en vue de le défendre. Mais d'Egmont eut l'air de rire de cette ob- servation, disant qu'il n’était pas homme à faire un pas en faveur

. 355

les correspondances d'Espagne, Renard l’accompagnait pas à pas dans Madrid, « estant sans cesse à ses oreilles; » et ses amis annoncerent qu'il avait recu du roi la promesse de rem- placer dans la présidence du conseil d'Etat, Viglius, dont la retraite était censée prochaine. Le bruit en arriva aux oreilles du cardinal et jusqu’à celles d’un sien ami d’Alle- magne, le baron de Bolwiller, qui le lui écrivit des bords du Rhin (1).

Ce qui est certain, c’est que Renard demanda au roi la per- mission de s’en retourner avec le comte, et qu'il se croyait tellement sûr de l'obtenir, qu'il fit ses préparatifs à l’avance; mais que d'Egmont ayant prié le roi de l’accorder, n’en recut qu'une réponse courte et sèche, qui lui fit comprendre qu'il n’y avait pas à y revenir. Philippe mettait pour condition essentielle au départ de Renard, qu'il se purgeût des charges

de Renard, et qu’il demanderait plutôt au roi de le châtier rigoureuse- ment s'il était trouvé coupable. Il fit à la duchesse une déclaration analogue et lui donna à entendre que, lors même que son voyage n’importerait pas aux intérêts de Sa Majesté, le soin de ses affaires

personnelles l’obligerait à le faire. La duchesse au roi, 15 février - 1565. (Corresp. de Philippe IT, tome I.)

« D’Egmont est homme bien intentionné et assez présomptueux : quoique flamand, il se laisse aisément aller à tout ce que veulent les personnes qui ont du crédit auprès de luy; avec les autres il est très réservé. Il fait profession d’estre très droict et très ferme, comme en effet il l’est en beaucoup de choses; et le seigneur prince d’Eboli, chez lequel il a dit qu’il se proposoit d'aller loger, et en qui il paroit avoir beaucoup de confiance, pourra facilement l’amener à ce qui paroitra convenir au service du Roy. » Armenteros à Gonzalo Perez, 24 février. (Corresp. de Philippe IL, tome I.)

« Quelques jours avant le départ du comte, les autres se sont réunis avec luy... On ne sçait ce dont ils l’ont chargé... On dit qu’on y a regretté l'absence de Renard. Il partit avec quatorze chevaux de poste et six gentilshommes de sa maison, un secrétaire, un contrôleur, un cuisinier, et les autres sont ses serviteurs : tous habillés de casaques de velours noir, l'un comme l’autre, hormis celle du comte, qui est fourrée en léopard ou loup-cervier.,,» Bave à Granvelle, 25 jan- vier 1565.

(1) Granvelle au baron de Bolwiller, de Besançon, 7 mai,

350 résultant contre lui du procès Quiclet ; il désigna trois juges à cet effet, et par son ordre Gonzalo Perez manda à Granvelle d'envoyer à Madrid toutes les pièces de conviction qu'il pour- rait se procurer (1). Au fond, il voulait que l'affaire trainât indéfiniment, afin d’avoir indéfiniment aussi un prétexte de retenir le malheureux prévenu; car il savait enfin à quoi s'en tenir sur la véritable situation des Pays-Bas. Les avis reçus récemment du docteur Alonzo del Canto, son affidé, avaient achevé de le convaincre que cette situation était tout l'opposé de ce qu'annoncaient les dépêches officielles, et que Renard était de complicité dans tout ce qui se faisait, soit dans les Provinces, soit en Franche-Comté, contre son autorité souve- raine et contre son ancien ministre (2). Aussi, après avoir fait au comte d'Egmont un accueil digne de son rang et de son caractère (3), l’avait-il renvoyé le 3 avril, sans tenir aucun compte de l’objet principal de sa mission, ni de ses bons offices en faveur de Renard. Vainement les amis de ce dernier pu- bliaient que le procès aurait lieu, puisque le roi le voulait, et que Renard « avait juré Sainct Pierre de dire ceste fois beau- coup de choses qu’il n’avoit jamais voulu décéler (4) : » les cardiualistes de Bruxelles, bien renseignés sur les résolutions royales, répondaient qu'il ne serait pas « dépesché » de sitôt

(1) Le roi à la duchesse, 3 avril 1565. (Corresp. de Philippe II, tome I.). Gonzalo Perez à Granvelle, 8 avril.

« Les juges que l’on a donné à Renard sont le licencié Chirogo, le régent Polo, et le régent Casato, que vous devez congnoistre, et pense bien que l’on lui demandera du procez Quiclet et d’autres choses dont je ne me mesle, et les en laisse faire pour non mesler mon particulier avec celluy du Maistre... Et quant à Moron, l’on l’a mené à l’inquisi- tion, comme vous sçavez. » Granvelle au baron de Bolwiller; de Be- sançon, 23 octobre.

(2) Alonzo del Conto à Granvelle, 8 mars.

(3) Morillon écrivit à Granvelle (9 juillet) qu'en Espagne on estimait à 100,000 écus ce que le comte d’Egmont avait reçu du roi.

(4) Morillon n’admet pas que Renard soit homme à avoir pu taire quoi que ce soit, « lui qui a dit tant de mensonges. » A Granvelle, fin mai.

391 et que Sa Majesté tenait plus à Granvelle que les seigneurs ne pensaient (1).

IV

Plusieurs mois se passèrent sans que l'affaire eût fait un pas. Le comte d'Egmont, qui était rentré à Bruxelles, écrivit à Philippe, pour réclamer contre ces lenteurs. La duchesse, sans doute à la prière des seigneurs, joignit ses instances à celles du comte, en faisant remarquer à son frère que, si Re- nard venait à mourir en Espagne, on ne manquerait pas de l’attribuer aux délais calculés des ministres de Sa Majesté, qui auraient voulu en cela complaire au cardinal (?). Philippe ne voulut rien entendre : il persista dans son parti pris à

(1) Morillon à Granvelle, 9 juillet. Granvelle, il est vrai, ne se lassait pas de plaider sa cause auprès du roi, employant tour à tour l'attaque et la défense. Par ses lettres des 15, 18 et 19 juin, datées de Baudoncourt, il se plaint de l'oubli dans lequel le laisse Sa Majesté (ne lui ayant pas écrit depuis six mois), après tout ce qu'il a fait et souffert pour elle; mais il n’en continue pas moins de lui écrire souvent, tant sur la politique étrangère, que sur les affaires de la monarchie en gé- “néral et des Pays-Bas en particulier, et à lui faire goûter encore ses jugements et ses conseils. À propos de la Ligue des Flèches, qui se fortifie et se propage, il exprime la crainte que l'autorité du roi et celle de ses successeurs n'aient beaucoup à en souffrir. Tout récemment, un seigneur allemand, de la famille de Mansfeld, s’est montré dans Ha- guenau, revêtu de la livrée de ladite ligue, et a dit que beaucoup d'au- tres seigneurs et princes d'Allemagne, comme étant confédérés avec ceux des Pays-Bas, la portaient ou la porteraient.

Ecrivant à Gonzalo Perez sur le même sujet, il y joint de nouvelles plaintes sur les mauvais offices de Moron et de Renard en Bourgogne, et sur la part de responsabilité qui revient à ce dernier dans les propos peu bienveillants que d'Egmont a tenus sur son compte, avant son départ pour l'Espagne. Il se propose de demander au roi communication des charges portées contre lui par le conseiller Renard, afin de pouvoir y ré- pondre catégoriquement. Il aurait désiré aller en Espagne, afin de dé- truire certains bruits encore plus défavorables au roi qu’à lui-même, qui y ont été répandus; mais il ne le peut. 19 juin, 15 octobre 1565. (Corresp. de Philippe Il, tome I.)

(2) La duchesse au roi, 18 juillet.

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398

l'égard de Renard (1), sans même se demander pourquoi Gran- velle, mis en demeure de produire les preuves dont il disait avoir les mains pleines, ne savait que s’en référer au dossier du procès Quiclet (2. Bien plus, lorsque, au mois d'octobre 1565, il se décida à réprimer énergiquement dans les Flan- dres la révolution politique et religicuse, au moment il fulminait contre elle ses fameuses dépêches datées du Bois de Ségovie, il commenca à le faire garder à vue G). L’agita- tion dont ces dépêches devinrent le signal, le Compromis de Bréda (mars 1566) auquel prit part la masse des gentilshom- mes, la ligue dite de Religion ou des Nobles, issue de la ligue des Flèches, et qui devint plus tard la Confédération des Gueux, ne pouvaient que faire resserrer encore cette demi-captivité. En effet, outre que son passé donnait lieu de croire qu'il était de cœur et d'intention avec les confédérés, il mit sa maison à la disposition de Claude de Rye et du sieur de la Villette, deux anticardinalistes jurés, qui firent à cette époque un voyage à Bruxelles, dont le but resté secret n’était certes pas pour le service de la cause royale (4). Il y eut d’ailleurs une recrudescence de murmures au sujet du déni de justice dont

(1) Le 21 mai 1565, Philippe fit encore demander par Erasso à Renard son avis sur certaines affaires de Bourgogne.

(2) Granvelle s'étonne qu'on ne trouve pas de charges contre Renard, tandis qu'il y en a tant; de toute manière il conseille de ne pas le lais- ser retourner aux Pays-Bas. Pour gagner du temps, le roi pourrait faire apporter en Espagne le procès de Quiclet, et mander, pour servir de fiscal contre lui, le conseiller de Flandre, Hessele, À Gonzalo Perez. 20 octobre 1565. (Corresp. de Philippe IL, tome I.)

(3) C'est ainsi que nous croyons pouvoir expliquer le bruit qui arriva à Granvelle dans sa retraite, et qu'il transmit à Gonzalo Perez dans les termes suivants : « L’enlèvement qui a été fait à Renard de ses papiers, a causé du mécontentement aux Pays-Bas, et l'on y murmure aussi de son emprisonnement. » 30 octobre 1565. (Corresp. de Philippe JF, tome I.)

(4) « Claude de Rye est venu à Bruxelles avec La Villette, lieutenant du sieur de Dissey, son père. Je ne sçais pourquoy il est venu, ni ce qu'il négocie. ILest logé dans la maison de Renard, et, comme j'entends, il ient grand estat, » Bave à Granvelle, 3 décembre 1565.

999

i] était victime, qui détermina Marguerite à écrire au roi : « On murmure aux Pays-Bas du retard que souffre le procès de Renard (1) : » ce qui montrait, à notre avis, quel vide et quels regrets cette personnalité, si éminemment propre à la cabale et à l'intrigue, avait laissés dans le parti révolution- naire, puisque, au milieu même de la fermentation générale, à la veille des désordres et des violences qui se préparaient, non seulement les principaux seigneurs, mais encore un grand nombre d’autres avec eux, s’obstinaient à demander justice pour lui, sans doute avec l'espoir qu'une fois justifié, il leur rapporterait sa coopération, d'autant plus précieuse que l’état des affaires se compliquait chaque jour davantage.

Quelque limitée que fût la liberté dont il jJouissait alors, Renard ne laissait pas d'encourager le zèle et les espérances de ses partisans. À cet effet, il écrivit et fit écrire, dans les premiers jours de mai 1566, un grand nombre de lettres pour les seigneurs, leur annonçant qu’on lui rendait enfin justice, que son innocence était enfin reconnue et ses talents appré- ciés à la cour de Madrid, et que le roi, s’il ne le retenait pas pour son service, le renverrait bientôt à Bruxelles. Cela se racontait chez le comte d'Egmont. Il est vrai qu’Alonzo del Canto, parfaitement au courant de ce qui se passait à la cour d’Espagne, n’en croyait pas un mot, ni Morillon non plus (?).

Sur ces entrefaites, arrivèrent à Madrid le baron de Mon-

(1) 9 janvier 1566. (Corresp. de Philippe II, tome I.)

(2) « Ces jours passés est venu celui qui partit le cinquiesme du mois passé d’auprès du Roy, qui apporta force lettres à tous nos seigneurs... L'on publie chez le comte d’Egmont le retour de Renard, et j'ai vu lettres d'Espagne qui disent que le comte de Feria et aultres de la Chambre en tiennent grand compte et non coupable, voires pour faire service au Roy, ne fut qu’il le délesse pour certain respect, mihi autem fabulæ (mais ce ne sont que des contes). »

« Alonzo del Conto tient pour bayes ce que l’on a dit de Renard et en particulier que le comte de Feria le gouste. » Morillon à Granvelle, 9 et 16 juin. (Suite des Papiers d'Etat du cardinal Granvelle, publ. par M. Edm. Pouzrer, tome I.)

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960

tigny, puis le marquis de Berghes. Ils venaient, au nom de la ligue des Nobles, demander le renvoi des Inquisiteurs, la mo- dération des Placards et l’amnistie pour tous les signataires du Compromis de Bréda (1).

Sans être largement renseigné sur l'échange de bons offices qui dut s'établir alors entre ces deux gentilshommes et Simon Renard, leur ami, les quelques indications éparses dans la correspondance de Morillon nous permettent de croire qu'ils combinèrent leur action, eux et lui, à la double fin d’a- mener le roi à faire expédier le procès de purge et à donner satisfaction aux confédérés, et qu'ils eurent en cela l'assistance du favori tout-puissant, Ruy Gomez, qui était pour les voies de conciliation contre les mesures violentes (2).

Mais, nous l'avons dit, la résolution du roi concernant Renard était irrévocable. Quant aux demandes des confédé- rés, il n'y fit d'abord d'autre réponse, sinon qu'il avait besoin de réfléchir longtemps sur des questions de cette importance. Les confédérés s'irritèrent de ces ajournements. Réunis en assemblée générale à Saint-Trond, dans la province de Liége, ils resserrèrent leur ligue, ajoutèrent de nouvelles préten- tions à celles qu’ils avaient fait porter au roi, et prirent sous leur protection la liberté religieuse de la bourgeoisie et du peuple. En ce moment même, Philippe, cédant aux instances

(1) Montigny partit de Bruxelles le 28 mai, et de Berghes un mois plus tard. À cette occasion, Alonzo del Conto écrivit au roi : « Plût à Dieu qu'ils fussent tous les deux partis il y a un an! parce qu'eux seuls ont été les conseillers de tout ce qui est arrivé. » 22 juin 1566.

(2) « On dit que Berghes et Montigny ont été auleuns jours avec Re- nard; ce n'est pas pour mes affaires. » Morillon à Granvelle, 12 sep- tembre. (Suite des Papiers d Etat, tome I.)

À propos de Ruy Gomez, Morillon écrit par allusion : « Le Roy a près de luy des gens qui croiront que blanc soit noir, pourvu qu’ils demeu- rent, et qui ne manquent pas d’avertir des humeurs de par delà (d’Es- pagne). » Et plus tard : «Il se dit ici clèrement, et ne le cache Barlaymont, que Ruy Gomez s'entend avec les seigneurs, et l'apparence y est, et qu'il porte Renard et feroit davantage s’il osoit. » À Gran- velle, 28 juillet et 19 novembre. (Suite des Papiers d'Etat, tome I.)

961

de la gouvernante alarmée (1), se décidait à lui écrire, le 31 juillet, qu'il accordait le triple objet de la première requête; mais il se réserva de révoquer au plus tôt cette concession arrachée par la peur, comme le prouve l'engagement qu’il en prit peu après envers lui-même, par un acte notarié (2), et envers le pape, par une lettre qui se terminait ainsi : « Sa Saincteté peut estre assurée que, avant de souffrir la moindre chose qui soit préjudiciable à la religion et au service de Dieu, je perdrai tous mes états et perdrais mesme cent vies, si Je les avois, Car je ne veux estre seigneur d’'hérétiques G).

V

La réponse du roi trouva la gouvernante aux prises avec une fermentation qui la débordait. Malgré sa sincérité appa- rente, elle fut mal accueillie par les chefs du mouvement, qui voulaient davantage, et elle devint le signal des excès qu'elle était destinée à prévenir.

Nous n’avons pas à raconter ici l'invasion des églises et des monastères par des bandes iconoclastes, et les scènes de . profanation et de vandalisme dont les Pays-Bas furent le théâtre (®, ni l'attitude plus qu'équivoque des anciens

(1) La duchesse au roi, 1# et 7 juillet 1566. (Corresp. de Philippe IT, tome [.)

(2) L’acte notarié de protestation, qui peut faire pendant à celui de François [°", prisonnier de Charles-Quint, est intitulé : /nstrument passé, le 8 août 1566, au Bois de Ségovie, par devant le notaire Pedro de Hoyos, en présence du duc d’'Albe, du licencié X... et d’un docteur J... Le roi y déclare que, quoiqu'il ait autorisé la duchesse de Parme, à raison des circonstances, à accorder pardon à tous ceux qui se sont compromis durant les troubles des Pays-Bas, comme il ne l’a pas fait librement ni spontanément, il n'entend être lié par cette autorisation, mais au con- traire, il se réserve de punir les coupables et principalement ceux qui ont été les auteurs et fauteurs des séditions. (Corresp. de Phi- lippe II, tome I, page 123.)

(3) 12 août. (Corresp. de Philippe IL, tome I.)

(4) Les sectaires brisaient les images, les tables d’autel, les fonts

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3062

membres de la ligue des Flèches, celle du comte d'Egmont lui-même, en face de la démagogie déchainée, ni l'envoi du -duc d’Albe avec une armée, pour tirer vengeance des uns et des autres, ni enfin la cruauté impitoyable qu'il y déploya, après même que, grâce à l'activité de la duchesse et au dé- vouement de plusieurs seigneurs restés fidèles, l’ordre avait été rétabli.

Ce qu'il importe de remarquer, c'est que Montigny, de Berghes et Renard, leur prototype, comme disait Morillon, essuyérent le contre-coup de la colère que Philippe ressentit de ces violences révolutionnaires. Dès la fin de 1566, les deux seigneurs commencerent à s inquiéter de voir le monarque espagnol différer de jour en jour la permission qu'ils lui de- mandalent de retourner dans leur pays. Ils en informerent Ia

baptismaux, les orgues, les épitaphes, les sépultures, sans même épar- gner celles des anciens souverains du pays; ils déchiraient les livres et les ornements d'église; ils livraient aux flammes les précieux ma- nuscrits conservés dans les bibliothèques des monastères, foulaient aux pieds le Saint-Sacrement, dispersaient les hosties consacrées... Dans la Flandre seulement, plus de 480 églises furent ainsi saccagées. Il y eut des districts entiers qui demeurèrent sans prêtres, sans religieux, sans autels, sans calices, sans livres ni ornements d'église, et le service divin dut par suite être suspendu. (Corresp. de Philippe IT, tome [, page 152.)

« Aujourd'hui j'ai eu nouvelle qu'ils ont pillé et saccagé la grande église de Nostre-Dame d'Anvers et tous autres monastères, cloîtres et églises paroissiales, voyant et spectant le peuple sans contredire; et estolent environ le nombre de cent, tous canaïilles. » La gouvernante au roi, 2? août 1566. (Corresp, de Philippe II, tome I.)

« Il y a quelques jours, quelques sectaires sortirent de Malines : pas- sant par un village se célébrait la messe, au moment le curé élevait le Saint-Sacrement, ils lui crièrent de prendre garde que son Dieu ne lui tombast des mains et ne lui fist quelque mal. Quand il rompit l'hostie consacrée, ils lui demandèrent avec les mesmes cris pourquoi il dépeçait son Dieu, et enfin, quand il le porta à sa bouche, ils firent entendre les cris : le Roi boit! le Roi boit! Quelques exécutions et d’autres mesures énergiques ont un peu amélioré les affaires ; elles ont fortifié les bons, elles doivent donner à réfléchir à Orange et à Egmont. ..» Armenteros à Antonio Perez, 17 novembre. (Corresp. de Philippe IT, tome I)

303

gouvernante, en la priant d'intervenir en leur faveur (1); mais Marguerite qui, sous la pression des événements, se retour- nait peu à peu contre le parti aristocratique, ne se souciait pas de les voir venir reprendre leur place et leur rôle au sein de ce parti. Seulement, comme elle n'osait encore, par crainte des autres seigneurs, les abandonner ouvertement, le 3 jan- vier 1567, elle adressa à son frère une dépêche officielle en français par laquelle elle le priait de les laisser partir, et en même temps une lettre confidentielle en italien, manu pro- pria, pour lui recommander le contraire @). Gette lettre leva les derniers scrupules de Philippe IE, si tant est qu'il fut sus-

_ceptible d’en avoir, et 1l annonca formellement aux deux sei-

gneurs qu'il avait résolu de la garder près de lui, afin, disait- il, d'utiliser leur connaissance des affaires flamandes. Lors- que Morillon connut cette grave mesure, 1l écrivit à Gran- velle, le 24 mai suivant : « Le Roy est bien informé de tout ce qui se passe aux Pays-Bas, et de ceux qui ont bien et mal fait, et dit ouvertement que, quelque caution que Berghes et Montigny ont prétendu donner, ils n’ont pu avoir congé, et que Renard est tenu pour auteur de ce qu'est advenu. M. de Barlaymont est bien en la même opinion, et que le prince

d'Orange, le marquis de Berghes, Straëlen (bourgmestre

d'Anvers) et Renard sont été les premiers forgeurs de cette fourbe, et que Montigny s’y est joint. » Vers l’époque Morillon annoncait cette nouvelle au car-

(1) « Autrement, certes, Madame, aurions juste occasion de nous do- loir et de V. A. et des seigneurs de par delà, pour nous avoir com- mandé de venir icy, pour recevoir honte et desplaisir, estans forcés journellement de voir et ouir choses qui nous desplaisent jusques à l’âme et de voir aussi le peu que Sa Majesté se sert de nous. » Les deux seigneurs à la duchesse, 31 décembre 1566. (Corresp. de Phi- lippe IT, tome I)

(2) Marguerite, alors qu’elle se plaignait au roi de la conduite des Trois, tenait à ne point rompre avec eux. C’est pourquoi elle lui écri- vait officiellement en français par les secrétaires, et confidentiellement en italien, manu propria. (Corresp. de Philippe 11, tome I.)

Es

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dinal, le marquis de Berghes, miné, fort jeune encore, par une longue maladie, mourut à Madrid (1). Philippe s’em- pressa de faire saisir les papiers du défunt, et envoya aux Pays-Bas l’ordre de mettre ses biens sous séquestre, tandis que, d'autre part, 1l prenait ses mesures pour que Montigny fût gardé à vue et mis dans l'impossibilité de s'échapper d’Es- pagne. « Montigny et Renard n'en seront à leur aise, écrivit à ce propos Morillon au cardinal, et doivent estre bien esbahis de voir ce qu'ils voient, et une si grande conversion tant éloi- gnée de leur premier dessein (?). » Autre présage pour Simon Renard, non moins sinistre que les précédents : quelques mois plus tard, Moron, son ami, celui qui avait si activement servi sa haine et celle du prince d'Orange contre le cardinal, dans l'affaire des salines de Franche-Comté, fut brülé vif à Madrid pour motif d'hérésie G).

(1) Des gens de sa maison prétendirent qu'il avait été empoisonné.

(2) Le 24 mai 1567. (Suite des Papiers d'Etat, tome I)

(3) Le 31 août, Morillon écrit à Granvelle : « Nous avons nouvelle que Moron a esté bruslé en Espagne, et qu’il a découvert beaucoup de choses... Ce ne lui fut guère bonne commission d’aller en Espagne, le prince d'Orange et le comte d’Egmont l'envoyèrent. Je croys qu'ils se garderont bien d’y aller. » (Suite des Papiers d'Elat, tome If.)

Granvelle fut accusé d’avoir provoqué l'arrestation de Moron comme hérétique. Il se serait servi pour cela d’un banquier espagnol appelé Curiel, duquel il a écrit :

« J'en tire commodité à cause des intelligences qu'il a en cour; car je tiens qu'il n’a pas nuyt à ce que Moron soit esté pris par linquisition en Espagne, dont les renardistes de Vesoul et d'Amance se donnent au diable, et disent que c'est moy qui fait tout cecy, et qu'aulcuns de mes amis mirent en un banquet en propos ledit Moron, qui ne se doutant pas de telles menées, parla un peu plus avant de la religion qu'il ne convenoit, et sur ce fut troussé. Et de Renard n’en osent plus mot dire, sinon qu'ils espèrent qu'il se saura très bien purger et que cela le remettra en plus grand crédit. » Granvelle à son frère Chan- tonnay; d'Orchamps, 28 septembre 156.

Dans une lettre à Gonzalo Perez, du 15 octobre 1565, il repousse l'accusation portée contre lui, d’avoir fait arrêter Moron comme héré- tique. Cet homme n’a jamais rien dit en sa présence, qui ait pu lui faire soupçonner ses erreurs en matière de religion.

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Ce qui devait surtout donner à réfléchir à Renard, c’estque, dans cet ensemble de mesures dirigées coutre la révolution et contre ses principaux chefs, il reconnaissait l'inspiration du cardinal qui, en effet, dans son exil, avait vu revenir à lui le monarque et la gouvernante, à mesure que lesévénements justifiaient ses remontrances et ses conseils d'autrefois (1). {1 savait d'ailleurs que le duc d’Albe, précédé par la terreur de son nom, envahissait les Pays-Bas avec une armée d'Espa- gnols, d'Italiens et d'autres étrangers, qui s'y conduisaient comme en pays Conquis, et il devait s'attendre à n'être pas épargné dans la répression que préparait l’'impitoyable dicta- teur. Eu effet, son nom fut inscrit sur la liste des personnages que le duc d’Albe désigna spécialement aux poursuites du trop fameux Conseil des troubles (2). Seulement on ne trouva aucune preuve écrite de sa complicité avec les rebelles, ce que Morillon attribuait à son adresse prévoyante ainsi qu'à la marche que suivaient dans leur travail les commissions d’en- quête. « Je m’esbahis, écrivait-il à Granvelle, que, par toutes informations, l'on trouve si peu de Renard et du marquis de Berghes. Il faut dire que c’est selon le proverbe : Quod an-

(1) « On est adverti que le Roy a refusé congé à Berghes et à Mon- tigny qui, suivant leur prototype Renard, vouloient s’en retourner... Dont je prends opinion que, puisque en cette affaire et en l'affaire de Renard et pour dissoudre la ligue des Flèches, le Roy a suivi l'avis de V. I. $., il le suivra aussi en ce qui touche sa venue (aux Pays-Bas), sine quo factum est nihil (sans quoi il n’y a rien de fait). » Morillon à Granvelle, 5 avril 1567. (Suite des Papiers d'Etat, tome Il.)

La correspondance entre Philippe IT et Granvelle, qui comprend déjà, pour 1566, six lettres de l’un et quatre de l'autre, devint plus active en 1567 : six lettres du roi et quatorze du cardinal.

(2) Le conseil des troubles se composait de sept membres, entre autres Noircarmes, Barlaymont, le secrétaire Vargas; le duc d’Albe en était le président et le juge suprême, les autres n'ayant que voix consultative. Il commença à fonctionner le 22 août 1567, la veille de l'entrée du duc à Bruxelles. Le duc d'Albe à Requésens, ambas- sadeur d'Espagne à Rome, le 14 septembre. (Corresp. de Philippe II, tome I.)

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nosa vulpes non facile capitur laqueo (). Chascun de ces com- missaires voudroit dresser une histoire de ce qu'il a trouvé, et cependant ils ne touchent ni ciel ni terre. C'est de Renard, du marquis de Berghes et du prince d'Orange qu'il fauldroit commencer la narration... (2) » Cependant, sil faut en croire Barlaymont, le duc d’Albe veut savoir la source d’où tout est procédé : « je suis esbahi s’il est encore à le savoir; je suis seur qu'il est informé de ce qui se passa au baptesme de l'enfant du comte de Mansfeld...…. » Quoi qu'il en soit, Barlaymont dit que « Montigny pourra bien demeurer par delà, ainsi que Renard 6). »

À défaut d’autres charges positives, les cardinalistes signa- lèrent comme venant « de la bouticle de Renard » un écrit « bien malheureux et calomnieux et dont le poison estoit faict pour infester le plus sincère cœur d'homme. » Sur quoi ct contre qui ce pamphlet ? Morillon, qui en annonce une copie au cardinal, le fait entrevoir sans le dire. On serait tenté de croire qu'il n’est autre que celui qui se trouve au tome V des Papiers d'Etat, et qui parut la même année, dans lequel Gran- velle est accusé d'avoir, d'accord avec son père, lors du traité de Crespy (1544), vendu à François If la ville, château et baillage de Hesdin en Artois, moyennant 100,000 écuscomp- tant pour lui, et un superbe coffret pour le chancelier. Mais cette identité n'existe pas, attendu que Morillon, qui est pris à partie dans le premier, n’est pas nommé dans le second (à).

(1) « Qu'un vieux Renard ne se laisse pas facilement prendre au piège. »

@) « L’on a donné sauf-conduit à Gilles Le Clerq, qu'il sera bien de interroger touchant Renard, le comte d'Egmont, Montigny, le comte de Hornes, le marquis de Berghes et surtout le prince d'Orange. de ne dormiray point pour le ramentevoir il convient. » Morillon à Granvelle, 3 août 1567. (Suite des Papiers d'Etat, tome Il.)

(3) 31 août. (Suite des Papiers d'Etat, tome II.)

(4) « Bave envoie à V. I. S. copie d’un escrit que je pense estre celui dont Viglius avoit dit avoir retiré les exemplaires. Certes c’est un bien malheureux et calomnieux escrit s’il en fust oncques un, et qui

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Quant à la provenance de celui-ci, bien qu'il ne porte pas plus que l’autre la signature de Renard, il paraît qu'à son ap- parition, il lui fut généralement attribué. Et cela devait être; car, outre la haine amère pour Granvelle qui respire dans cet écrit, et que Renard était seul capable de ressentir à ce point, on y retrouve cette verve mordante, cette plume acérée, cet art de présenter les faits, de les dénaturer, de les supposer même, pour en tirer contre la loyauté et l'honneur de l’ad- versaire des conclusions accablantes, qui caractérisent les Mémoires justificatifs, et que nul, parmi les anticardinalistes les plus en vue, ne possédait à un égal degré (1). A tort ou à raison, Renard passa pour l’auteur de ces deux pamphlets, et il lui en fut tenu à Bruxelles et à Madrid un compte rigoureux.

Il est à remarquer toutefois que Granvelle ne manifesta aucun accès de ressentiment, ni aucun désir de vengeance envers l’auteur présumé de ce libelle diffamatoire, autant du moins que ses lettres de cette époque, qui nous sont parve- nues, permettent d'en juger. Celle du 30 septembre 1567, la seule dans laquelle il soit question de Simon Renard, respire une sévérité calme et digne. Ecrite de Rome à Claude Belin,

vient de la bouticle de Renard, et ne suis esbahi si les seigneurs ont esté si altérez, puisque un tel poison infecteroit le plus sincère cœur d'homme... (Quant à ce qu'il me charge, j'espère d'en respondre devant Dieu et le monde. » Morillon à Granvelle, 3 août 1567. (Suite des Papiers d'Etat, tome Il.)

(1) Il faut convenir qu'après avoir lu celui des deux pamphlets qui nous est resté, on est porté à se demander comment, lors de l’exécu- tion d’un traité qui stipulait la restitution réciproque de toutes les con- quêtes faites de part et d'autre, le représentant de l’empereur a pu se méprendre sur l'importance de la place et du territoire de Hesdin, au point de laisser l’une et l’autre eutre les mains de l'ennemi, cela par pur oubli, comme il le prétendait ensuite.

Rappelons-nous, à ce propos, que les cadeaux d’argent et d'objets précieux j uaient un rôle important dans la diplomatie de ce temps- là, et que le garde des sceaux Granvelle avait la réputation méritée d'en bénéficier largement. Les négociations qui ont préparé et décidé l'élection de Charles-Quint à l'empire, nous en offrent le plus in- croyable exemple.

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avocat fiscal du bailliage d’Amont, que le cardinal avait fait appeler à Bruxelles par le duc d’Albe, pour aider de son con- cours le Conseil des troubles, on y lit le passage suivant : « Obliez ces termes de Renardistes et queues de Renard, dont l’on use à Vesoul, et souvenez-vous de (faire) comme vous m'en avez veu user tout le temps que je suis esté en Bour- gongne. Bien suis-je d’advis que vous regardez soigneuse- ment, sil se treuve culpe contre Renard, de procurer de dextrement la descouvrir, sans vous y passioner, ny consentir aussi que l’on le charge à tort ; mais que, si on le treuve cul- pable, comme je me doubte l’on trouvera, et qu'il a corres- pondu en ces lighes et peult-estre esté l'inventeur et procuré de mal imprimer les Espagnols, qu'il soit chastié s’il le mé- rite, à l'exemple d’aultres (1). »

Au reste, quand nous voyons Granvelle, après avoir applaudi aux premiers actes de la vengeance royale aux Pays- Bas, conseiller à Philippe les voies de clémence et de pardon, non seulement en faveur du comte d'Egmont dont il s’efforca de sauver la tête, mais encore comme mesure d’apaisement général, nous croyons volontiers que, satisfait d’avoir recou- vré la faveur de son souverain et assuré, il le croyait du moins, la répression des troubles et la défaite de ses ennemis personnels, il renonca à donner plus ample satisfaction à ses propres grieïs. Ce sont des sentiments qui font honneur à son caractère, et, bien que ses sollicitations généreuses n'aient pu fléchir le monarque espagnol, l’histoire ne laissera pas de lui en tenir compte (2).

(1) Manuscrits Granvelle, tome XX V, folio 164, et Projet de la vie du cardinal Granvelle, par l'abbé Borïsor, page 215.

(2) S'il félicita Philippe II de la « saincte » résolution qu'il avait prise de se faire précéder aux Pays-Bas par le duc d’Albe à la tête d’une armée, il eut soin d'ajouter que, ayant cru premièrement « que la seule présence de Sa Majesté et l’aide de ses bons et loyaux vassaulx suffi- roient pour arranger les choses. il reconnaissoit que le Roy les arran- geroit bien mieux encore les armes à la main; car, usant de clémence

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Pour Renard, sans avoir encore perdu sa liberté, il était, comme nous l'avons dit, l’objet d’une surveillance particu- lière dans sa résidence de Ballecas (1), lorsqu'arriva, le 27 sep- tembre 1567, la dépêche par laquelle le duc d’Albe annon- çait à Philippe II le coup de filet perfide qui lui avait livré les comtes d'Egmont et de Hornes (2). Son valet de chambre a raconté qu’à cette sinistre nouvelle, il parut fort troublé, qu'il se tira violemment la barbe en prononçant des paroles de colère et de commisération, et qu’aussitôt, ayant fait ap- porter un coffre rempli de papiers, il en brûüla une partie, en

lorsqu'il estoit en mesure de châtier, sa clémence en éclateroit davan- tage. » De Rome, 17 août 1567. (Corresp. de Philippe IT, tome I.)

Et s’il se montra courtisan jusqu'à écrire à son maître qu'il était érès Joyeux de ce qu'avait fait le duc d’Albe, il y joignit des paroles de com- misération pour le comte d'Egmont, en qui, jusqu’à sa sortie des Pays- Bas, il n'avait jamais remarqué, disait-il, des sentiments opposés à la religion et au service du roi, persuadé que, dans ce que sa conduite pouvait avoir de condamnable, il s'était laissé abuser par d’autres, tout en croyant servir son souverain et son pays. De Rome, ? novembre. (Corresp. de Philippe IL, tome L.)

« Ce qui se fera par la clémence aux Pays-Bas sera plus durable que ce .qui sy fera par la force. » Granvelle est toujours persuadé que . M. d’Egmont a été abusé par d’autres...; il ne doute pas que le roi ne

se souvienne (des services que ce seigneur lui a rendus par le passé... On a publié en Flandre et écrit à l’empereur que le cardinal avait con- seillé l'arrestation de d'Egmont et de Hornes, Sa Majesté sait ce qu'il en est... Granvelle au roi; de Rome, 12 novembre. (Corresp. de Phi- lippe II, tome I.)

(1) Cette surveillance n’était pas tellement rigoureuse, qu'il ne lui füt permis d’aller à son gré de Ballecas à Madrid, comme le prouve la lettre d’Andrès Gallen citée en note à la page suivante.

(2) Ce fut dans un conseil, ces deux seigneurs avaient été convo- qués avec d’autres par le duc d’Albe, sous prétexte d'examiner cer- tains projets de fortifications, qu'ils furent arrêtés, le 9 septembre 1567.

Le duc d’'Albe, écrivant à Requésens le récit de l'arrestation des comtes d'Egmont et de Hornes, « on auroit pu en prendre davantage, remarque-t-il, mais l'intention du Roy n'est pas de verser le sang de ses sujets, et moi de mon naturel je ne l'aime pas davantage. » Il espère que ces seigneurs sauront se justifier d’une manière éclatante. 14 septembre. (Corresp. de Philippe 11, tome I.)

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envoya une autre en lieu sûr ct garda le reste avec lui (1).

Montigny venait d’être enfermé au château de Simancas. Jacques de Vandenesse, juge à la cour de justice du Brabant, l'y rejoignit trois semaines plus tard, et ni l’un ni l'autre ne devait en sortir vivant. Au mois de mars 1570, en consé- quence des interrogatoires que Montigny avait subir, le duc d’Albe le condamna à mort. Il devait être décapité et sa tête promenée au bout d’une pique. Mais Philippe IT préféra le faire étrangler dans sa prison et publier ensuite officielle- ment qu'il était mort de maladie ().

Cependant le duc d’Albe faisait rechercher avec soin, parmi les pièces des procès auxquels les troubles avaient donné lieu, des révélations à la charge de Simon Renard. Non qu'ils éprouvassent, lui et son souverain, le moindre doute sur sa complicité avec les auteurs de ces troubles, ni le moindre scrupule à le punir comme tel; seulement, au lieu de le laisser mourir à petit feu comme Vandenesse, ou de le tuer dans l'ombre comme Montigny, ils préféraient apparem- ment pouvoir, en s'appuyant sur des preuves positives, le supplicier avec éclat à Madrid, de même qu'ils avaient fait à

_ (1) Andrès Gallen à Chantonnay; de Madrid, 13 novembre 1567. (Cor- respondance manuscrite de Chantonnay, à la Bibliothèque de Besan- con.) Cette lettre continue ainsi : « Il seroit vraiment à propos de donner avis de cela au Roy. Il y a peu de jours Renard vint icy, des- cendant au logis d'un chapelain flamand du Roy et non, comme il avoit coustume, chez le comte de Lalaing. Combien il seroit intéressant de savoir ce qui s’est dit entre MM. de Berghes et de Montigny et ce gentilhomme ! »

(2) Le 14 octobre 1570. M. Gachard a découvert aux archives de Simancas une lettre de fra Hernando, le moine qui avait confessé et assisté Montigny dans ses derniers moments, et par laquelle il rend au roi un compte détaillé de cette fin tragique; plus une dépêche circons- tanciée de Philippe au duc d’Albe sur le même sujet. (Correspondance de Philippe IT, tome I.)

Les correspondances ne disent pas si Montigny fut conduit à Bru- xelles pour comparaître devant le Conseil des troubles, ou s’il subit dans sa prison les interrogatoires à la suite desquels il fut condamné à mort par le duc d’Albe.

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Bruxelles, avec le comte d'Egmont, le comte de Hornes et tant d’autres.

A défaut de matières suffisantes pour dresser un réquisi- toire contre Renard, on lui remit un simple questionnaire avec ordre d'y répondre : singulière forme d'instruction à la- quelle il refusa de se prêter. Philippe IT concluait de ce refus qu'il serait bon de le faire arrèter, sans en demander davan- tage (1). Néanmoins les recherches ordonnées par le duc d’Albe suivirent leur cours, pendant que Renard protestait de son innocence et implorait la clémence du souverain pour sa femme et ses enfants, privés d'appui, et pour lui-même, dont la santé était détruite et les membres perclus (2). Deux fois le duc, malgré son vif désir de trouver des preuves contre lui, fut obligé d'avouer au roi que les résultats obtenus étaient insignifiants, et il finit par émettre l'avis que, puisque Sa Majesté avait tous les papiers entre les mains, elle pouvait prendre une décision conforme aux intérêts de son service (3).

Est-ce sculement à la suite de cette déclaration que Phi- lippe II donna à Renard une prison véritable, ou bien l’a- vait-il déjà fait depuis l’époque il en exprima l'inten- ton au duc d'Albe? Nous ne saurions le dire ; mais le fait de

_l’emprisonnement n'est pas douteux, puisque l'on voit, par

une lettre de Morillon, que Jeanne Lulier adressa une re- quête au roi pour lui en demander les motifs (4).

De Ballecas, il était encore en 1570, Renard fut trans- féré à Madrid. Ce fut que vers la fin de 1572, ils firent, lui et sa femme qui était venue le rejoindre, leur testament col-

(1) Au duc d’Albe, 2 mai 1569. (Corresp. de Philippe II, tome I.)

(2) Il existe aux archives de Simancas une pièce datée de 1570, par laquelle l'alcade Salazar certifie avoir recu de Renard, à Ballecas, la déclaration qu’il ne pouvait signer, étant privé de l'usage de ses mains. VunièRE (Etude aulographiée sur Simon Renard).

(3) Le duc d’Albe au roi, 31 octobre 1571 et 1573. (Correspondance de Philippe IT, tome II.)

(2 Morillon à Granvelle, 8 janvier 1574. Il remarque qu'on lui sut en haut lieu mauvais gré de cette démarche.

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lectif, dans lequel figure une « aumône » de cent francs à l'hôpital de Vesoul, avec mention d’un premier don de mille francs, qu'ils avaient « employé pour la réédification d'icel- luy. » Rien dans ce testament ne respire la prison. Si ce sont les dernières volontés d'un prisonnier, du moins le choix du notaire, la teneur des articles, les noms et qualités des exé- cuteurs testamentaires n’annoncent pas un prisonnier d'im- portance. Il semble même que le séjour de Renard à Madrid se rattache à celui de la cour qui s’y trouvait alors ().

(1) Il existe dans un recueil de l'abbé Boisot, à la bibliothèque de Besançon, une copie de ce testament. En voici un extrait, que nous devons à la complaisance de M. Castan :

« Nous Symon Renard, docteur ès drois, conseillier d'Estat et maistre des requestes ordinaire de l’hostel du Roy nostre Sire, et damoiselle Jehanne Lulier, mary et femme, seigneur et dame de Barmont au conté de Bourgoingne,..»

«Item donnons et légons en auimone à l’hospital de Vesoul, oultre la somme de mil frans que y avons emploié pour la réédification d'icelluy, cent frans pour une fois, ou la rente l'équipollant en bled, à charge que les paouvres qui se trouveront en icelluy, ung chascun jour de dimenche, ayent souvenance et mémoire de nous et qu'ilz facent prière à Dieu pour la rémission de nos peschez. »

Ils donnent une somme de quatre mille francs « pour dot et mariage » à chacune de leurs quatre filles, Françoise, déjà mariée au sieur de Munans, Jeanne, Eléonore et Marie; et «au surplus instituent leurs vrais héritiers, seuls et pour le tout, Philippe, Charles et Frédéric Renard, leurs filz.,. »

« Item nous nommons nos exécuteurs dudict testament et partage : le roy d'armes Claude Marion, pour vacquer à l'exécution de ceste nostre dernière volonté en cas que décédions en ce royaulme d’Espaigne, et l'official de Besançon, et le trésorier de Vesoul, noz frères (*), et Claude Vyénot, nostre recepveur audict Vesoul, et chascun d’eulx, pour entendre à ladicte exécution de ce que concernera le bien qu’a- vons tant au pays de Bourgoingne que en Brabant...»

« Nous avons louhé et passé cestuy présent testament és mains et par devant Charles Girod, d’Arenthod, notaire juré et coadjuteur des cours et tabellionnez des baïlliages d’Amont et d’Aval audict conté de Bourgoingne pour Sadicte Majesté, en la ville de Madrid, diocèse de l’archevesché de Toledo, y estant la court de Sadicte Majesté, le sixième jour du mois de novembre, l'an mil cinq cent septante et deux. »

(*) Le trésorier de Vesoul était Humbert Lulier, son beau-frère.

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313

Il y mourut le 8 août 1573, à l’âge d'environ 60 ans (1). Cette mort fut diversement interprêtée. Les uns l’attribuèrént non sans vraisemblance, à ses longues souffrances physiques et morales; les autres affirmèrent, sans preuves, qu'il s'était suicidé. L'abbé Boisot a dit qu'il mourut « de chagrin ou au- trement. » Il y revint à propos du pamphlet concernant l'affaire de Hesdin, et écrivit à la marge d’une copie qui était en sa possession : « Je juge que ce fut ce papier qui a causé la mort tragique de Simon Renard, s'il en fut réputé l’au- teur. »

Ce jugement n'était qu'un écho prolongé de l'opinion que durent se former bien des contemporains, en rapprochant la fin de Renard, de celle de Montigny et de Moron, et que ses amis formulèrent plus nettement en accusant le cardinal de l'avoir fait assassiner.

Porter une pareille accusation contre Granvelle, c'était bien mal connaître le caractère de cet homme d'Etat, qui n’é- tait ni méchant ni malfaisant par nature. Nous reconnais- sons volontiers qu'une fois engagé contre son ancien ami dans une lutte qu'il n'avait acceptée qu'à regret, loin d'en avoir pris l'offensive, il rendit coup pour coup et n’y fit même pas toujours preuve d'une justice et d’une loyauté parfaites. Aussi est-ce à tort, selon nous, que la plupart des écrivains qui se sont occupés de cette lutte, oubliant que les documents

(1) Il fut inhumé en Espagne, comme il résulte du passage suivant du testament que son fils Philippe fit à Besançon, le 13 janvier 1579.

Après avoir exprimé son désir d’être enterré à Vesoul, dans le tom- beau de ses pères pour le cas il mourrait en Franche-Comté ou pays circonvoisins, il ajoute : « Si je décède en Espagne, je veux estre inhumé ès lieu et place le corps de mondict fut sieur et père est enterré. » (Bibliothèque de Besançon, recueil cité; communication de M. Castan.) É

Cette indication, rapprochée de la date du testament de Simon Renard et de celle de la lettre de Granvelle à Bellefontaine citée plus bas, met à néant la fable mentionnée par M. Vunière, qui fait mourir Renard assassiné à Bruxelles.

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favorables à Granvelle ne se trouvent que dans la correspon- dance de ses amis et dans la sienne, l'ont innocenté complè- tement, pour rejeter tous les torts sur Simon Renard. Nous ne croyons pas davantage que ce dernier, comme il semble ré- sulter du travail de M. Vunière, ait été victime d'un parti pris de rancune jalouse, qui se serait acharnée à sa perte et l'aurait poursuivi jusqu'à son dernier jour. Notre conviction, celle que nous nous sommes faite par la lecture attentive et consciencieuse de tous les documents que nous avons eus en- tre les mains, c'est que dans le ressentiment de son affection décue, de sa dignité blessée, de sa fortune gravement com- promise, le cardinal poussa les représailles jusqu'à la ruine politique de celui que longtemps il avait cru son ami et traité comme tel; mais qu'il avait l'âme trop généreuse ct trop fière pour tuer un malheureux dont il n'avait plus rien à craindre. On en jugera par le passage suivant d’une lettre qu'il écrivit, après la mort de Renard, au prieur de Bellefontaine, dont il se savait intimement connu, et à qui, par conséquent, il ne pouvait se flatter de donner le change sur ses véritables sen- timents à l'égard du défunt. « Encore qu’il (Renard) eust fait faulte, il ne faut pas lui en garder rancune, de sorte que cela doive durer à toujours ; ou ce ne seroit pas eslre chres- tien. Et je suis si loing de me vouloir attacher à telle chose, que J'ay fait offrir à la veuve de Renard de luy faire et à ses enfants tout plaisir et amytié, ny ne veux contre le défunct aultre vengeance. Voyres etdiray davantage que si j'eusse eu quelque espoir qu'il eust pu changer de naturel, comme avec la malignité de la nature il avoit quelques parties qui pou- volent convenir au service, j'eusse procuré de l’advancer; mais Je congnoissois le marchand, et qu’on ne s’y pouvoit fier, voyre et qu’il eut troublé le publique, qu'estoit ce qui n’a faict continuer ès termes que ay tenu en son endroict, plus que malveillance que je lui portasse. Et je tiens que c’est le plus seur, et pour la conscience et pour le repos d’es- prit, d'en user ainsi. Bien me semble-t-il qu'on ayt regard sur

319 les actions de telles gens, pour s’ils se pensent advancer à mal faire, y remédier, et sinon, les comporter modeste- ment (1). »

Quant à Renard, dont Morillon a écrit que « c'était un ha- bile homme, adroit et bon politique, quoique ardent, pré- somptueux et jaloux de toute espèce de mérite qu'il jugeoit inférieur au sien, » on peut affirmer qu'il n’aimait pas Gran- velle, et que ce fut sans motifs plausibles qu'il passa peu à peu envers lui de l'indifférence à la haine. On doit aussi le blâmer d’avoir sacrifié son devoir à son ressentiment, et, afin de mieux assurer sa vengeance contre le cardinal, conspiré contre son propre souverain, pour la défense d'intérêts qui n'étaient pas les siens. Mais la part faite de ses fautes, pour ne pas dire de ses crimes, dont il subit d'ailleurs une longue et douloureuse expiation, on ne peut lui refuser sa place dans l'histoire du xvr° siècle, parmi les grands politiques qui ont exercé sur les destinées de leur pays une influence utile ou funeste. Par le mariage de Philippe d'Espagne avec Marie Tudor, il faillit réaliser le vaste plan de Charles-Quint qui, en réunissant sous un même sceptre la Grande-Bretagne à la mônarchie espagnole, pouvait changer la face de l’Europe occidentale ; et, s’il échoua au moment le succès lui sem- blait assuré, ce fut par une de ces fatalités qui défient tous les calculs et les efforts du génie humain. La célébrité qui lui avait échappé dans ses efforts pour doubler la puissance de son souverain, il la retrouva dans les conspirations et les troubles qui aboutirent à son amoindrissement. Il avait failli donner un grand royaume à Philippe IE, il contribua à lui faire perdre la plus riche de ses provinces.

(1) Naples, le 8 janvier 1574. Granvelle était alors vice-roi de Naples.

316

ADDITIONS ET CORRECTIONS

I

Avant-propos. Il existe aux Archives impériales de Vienne, dans le registre intitulé : Correspondance de Charles-Quint el de l’évéque d'Arras avec les ambassadeurs de l’empereur en Angleterre en 1553 el 1554, une copie de plusieurs dépêches de Simon Renard, qui manquent dans la collection originale bisontine. Ces pièces, dont les unes ont été analysées ou citées partiellement par le P. Griffet, les autres mentionnées dans les Papiers d'Etat, viennent d’être re- produites in extenso, comme appendice du Journal des voyages de Philippe IT en Angleterre, par Jean ne VANDENESsE, dans le tome IV de la Collection des voyages des souverains des Pays-Bas, publiée par deux éminents érudits, MM. Gacxarp et Ch, Pror. Nous regrettons que cette importante source soit venue trop tard pour notre tra- vail, dont l'impression était déjà presque terminée.

IT

Paris 1, Onap. 1, paragr. 4. Ce n’est pas Frédéric Perrenot, mais son aîné, Jérôme de Champagney, troisième fils du chancelier, qui fut gouverneur du prince d'Orange. Il mourut à 30 ans, en 1554 et, après lui, Frédéric, le plus jeune de ses frères, prit le titre de Champagney.

III Partie 1, CHap. 11, paragr. 2. Celui de ses fils, que le roi des Ro-

mains proposa pour époux à Marie Tudor, était l’archiduc Ferdi- nand.

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NBROSI, PHILIPPE, IV D. in 54 rem 0 Burguñndiæ Senatuy Con, Jiliariy Regis it Sacræ Cat olice Macft:adimpe, r'ialia Comitia pra Circulo B urgun dico Leÿat Rotis bone.

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LE PRÉSIDENT PHILIPPE

NÉGOCIATEUR FRANC-COMTOIS AU XVII‘ SIÈCLE

Par M. Edouard BESSON.

Séance publique du 13 décembre 1881.

MESSIEURS,

Dans le cours de l’année présente, la Bibliothèque de la ville de Besancon acquit un ancien cuivre gravé représentant un magistrat du parlement de Franche-Comté, le président Philippe. La gravure n'avait rien de entra blé: et la phy- sionomie du personnage représenté était loin de dénoter chez lui des facultés éminentes. Mais ce personnage avait joué à son époque un rôle marquant, il s'était trouvé mélé à des événements graves en eux-mêmes et importants surtout pour notre pays. Voilà pourquoi mes confrères ont bien voulu me 4 charger d'écrire sa biographie afin que ce travail accompagnät : son portrait dans nos Mémoires.

- Cette biographie débute simplement, coinme celles de la plupart des magistrats de l'époque. à Besancon, en 1614 d'un ancien gouverneur de la cité, Philippe y fit de bonnes études au collège des Jésuites, puis alla suivre les cours de l'Université de Dole. De retour dans sa ville natale, il em- brassa la carrière d'avocat, qu’il suivit avec honneur, parta- geant son lemps entre ses travaux professionnels et la culture des lettres. Il fonda même à Besancon une académie dont firent partie plusieurs personnages marquants, entre autres le baron de Lisola. C'était précisément à l’époque la Franche-Comté subissait les horreurs de la guerre de Dix ans; mais, durant cette affreuse période, notre ville put se

tenir à l'abri des attaques des armées françaises et suédoises. 24,

318

En 1642, nous retrouvons Philippe juge du tribunal de la régalie, l’une des trois juridictions de la cité, qui, dépendant de l’archevêque, formait un des derniers vestiges de la puis- sance ecclésiastique à laquelle Besancon avait été longtemps soumise. Malgré ce titre, et les incompatibilités qui en étaient la conséquence , il ne fut pas moins nommé membre du conseil des vingt-huit, assemblée qui s'adjoignait au corps des gouverneurs pour trancher les graves questions d'ordre public. Ce fut à ce titre qu'il recut, en l’année 1659, la mis- sion de défendre les intérêts de notre ville, lorsque commen- cèrent les négociations qui avaient pour objet de la rattacher à l'Espagne en l'échangeant contre la forteresse de Franken- dal. Besancon n'est pas, en effet, comme l’a dit un grand poète notre compatriote, une vieille ville espagnole ; c'est une vieille ville impériale qui demeura telle au milieu des posses- sions espagnoles jusqu’à l'échange dont nous parlons, pour devenir presque immédiatement française. Quoi qu'il en soit, les négociations engagées présentaient des difficultés sé- rieuses. Besançon voulait bien faire partie de la Franche- Comté, mais à la condition de prendre dans cette province la prépondérance qui, jusque-là, avait appartenu à la ville de Dole, et notamment de posséder dans ses murs le parlement et l’université dont l’ancienne capitale était alors le siège. Mais le cabinet de Madrid répugnait à admettre des condi- tions semblables, et les choses menacçaient de trainer en lon- gueur. Aussi notre compatriote fut-il heureux de saisir le premier prétexte qui s’offrit à lui pour se soustraire aux em- barras d’une intervention délicate surtout pour un magistrat bisontin ayant à ménager à la fois les intérêts du gouverne- ment, dont il dépendait, et ceux de sa ville natale (1). Il se fit nommer à la place de lieutenant-2énéral au bailliage d'Ornans.

(1) Voir dans les Mémoires de l'ancienne Académie de Besanton, une Notice sur ie président Philippe, par L. ne CourBouzon (en manuserit à la bibliothèque de Besançon), travail qui nous a été fort utile.

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Peu après, il entra au parlement de Dole en qualité d'avocat général, et, comme l'affaire de l'échange de Besancon durait toujours, que d’ailleurs les principaux obstacles qui en gé- naient la solution avaient disparu, il put, grâce aux relations qu'il avait conservées avec sa ville natale, aplanir les der- nières difficultés et faciliter la conclusion du traité définitif, qui n'eut lieu qu'en 1664. Ce service lui valut les bonnes grâces de la cour de Madrid, et peu après il fut nommé con- seiller au parlement.

Mais bientôt l'occasion s’offrit à lui de prendre part à des affaires plus graves et à des négociations plus délicates. Le roi d'Espagne, Philippe IV, mourut en 1665, et Louis XIV prétendit exercer du chef de sa femme sur la succession du monarque défunt des revendications importantes. Ces reven- dications visaient principalement les Pays-Bas et leur dépen- dance, la Franche-Comté. On écrivit beaucoup de part et d'autre pour soutenir ou combattre les prétendus droits de la reine (1); mais Louis XIV ne tarda pas à mettre en usage des arguments plus péremptoires que ceux que lui fournissait la plume de ses écrivains. Il envahit les Pays-Bas, l'épée de Turenne lui valut promptement de faciles triomphes, et Ja Franche-Comté dut comprendre que pareil sort lui était ré- servé à bref délai. Malheureusement, elle ne pouvait compter sur'ses propres forces pour conjurer le péril. La récente guerre de Dix ans l'avait dépeuplée et ruinée, et, chose plus grave, dans cet état de faiblesse, elle était divisée contre elle-même. Rivalités entre ses principales villes, rivalités entre ses corps dirigeants, rivalités entre ses premiers personnages : voilà le spectacle qu’elle offrait dans un temps l'union la plus étroite n’eût que difficilement pu la sauver ®. D'ailleurs

(1) Dans cette polémique, les intérêts de l'Espagne, et par suite les nôtres, étaient brillamment soutenus par un de nos compatriotes, le baron de Lisola. On en trouve d’ailleurs le résumé dans Île grand ou- vrage de M. Mrexer sur la Succession d'Espagne.

() Voir sur l'état de notre province à cette époque l'ouvrage de Phi-

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l'Espagne, déjà impuissante à défendre ses possessions fla- mandes contre les armes du grand roi, ne pouvait secourir efficacement une province moins importante, plus isolée et plus lointaine.

Restait à invoquer le secours des nations voisines, surtout de celles que des traités antérieurs avaient fait les garantes de notre indépendance, nous voulons parler de la Suisse et de l’empire d'Allemagne. Au mois d'avril 1667, le trop célèbre abbé de Watteville fut envoyé à Berne pour y solliciter l’ap- pui des cantons au nom de la ligue héréditaire conclue en 1511 par l’empereur Maximilien (1). Quant au corps germa- nique, le traité d'Union passé à Augsbourg avec Charles- Quint lui rattachait directement la Franche-Comté sous le nom.de Cercle de Bourgogne et donnait à notre province, bien qu'elle appartint à l'Espagne, le droit de voter dans les diètes impériales (?). ;

On ne songea que bien tard à mettre en œuvre cette der- nière ressource. Ge fut seulement en juin, deux mois après l'entrée de Louis XIV dans les Pays-Bas, que le cabinet de Madrid voulut solliciter l'intervention de l'Empire, dont les Etats se tenaient alors à Ratisbonne. Le choix des ambassa- deurs fut fait par Lisola, qui résidait à Bruxelles, et de re- muait l'Europe de ses pamphlets contre la France. Il imdi- qua son compatriote et ancien ami le conseiller Philippe, auquel fut adjoint l’abbé de Précipiano, conseiller-clerc au parlement de Dole et récemment élu haut-doyen du chapitre de Besançon (3).

lippe Perraup : Les Elals, le parlement de Franche-Comté el la conquéte de 1668.

(1) Voir sur les négociations de l'abbé de Watteville : Philippe PERRAUD, ouvrage Cülé.

(2) Consulter sur les rapports de la Franche-Comté et de l'empire le travail de Ch. Duvernoy : Mouvance du Comté de Bourgogne envers l'empire germanique.

(3) Les lettres échangées à cette occasion, ainsi que la correspon- dance et les rapports des deux ambassadeurs durant leur mission ont

= le

Les deux députés n’arrivèrent à Ratisbonne que vers la fin de juillet, et, dès l'abord, purent se rendre compte des diffi- cultés de leur tâche. A la vérité, l'empereur, que menacait directement l'ambition du roi de France, penchait vers l’in- tervention en Franche-Comté, mais son influence était loin de prévaloir au sein du corps germanique, qui ne lui était guère soumis que nominalement. La politique de Henri IV, de Richelieu et de Mazarin, si profondément conçue et con- duite avec tant de persévérance depuis près d'un siècle, avait eu pour objet et pour résultat, en abaissant la maison d’Au- triche, de substituer à son influence celle de la France dans les conseils de l'Empire. Hugues de Lionne, l’habile conti- nuateur de cette politique, avait encore, en formant la ligue du Rhin et en concluant des trailés spéciaux avec plusieurs princes allemands, donné à l’action française de plus efficaces saranties (1).

Ajoutons que le corps germanique manquait de cette cohé- sion et de cette unité si nécessdires pour exercer une action rapide et effective dans la guerre et dans la diplomatie. Quelle similitude de vues, quel concert de projets ou d’aspirations pouvait-il exister entre tant d'Etats si divers et à intérêts si opposés : catholiques, luthériens, calvinistes; ecclésiastiques et séculiers ; entre les villes, les princes et les électeurs qui formaient trois collèges distincts dans la représentation de l'empire, collèges naturellement rivaux et dont l'accord était pourtant nécessaire pour l'adoption d’une résolution quel- conque ?

Telle était la situation à laquelle les deux députés francs- comtois allaient se heurter dès le début de négociations entre- prises tardivement, alors que déjà la terreur des armes du roi de France s'était fortement imprimée dans les esprits et

été réunies en manuscrit et forment 7? volumes in-folio sous le titre de Dièle de Ratisbone, qui se trouvent à la Bibliothèque de Besançon.

(1) Voir sur la ligue du Rhin et les traités particuliers qui la suivi- rent : Mixer, Succession d'Espagne,

eu

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que personne ne pouvail se dissimuler les périls d’une inter- vention. Et toutefois c'était précisément dans ces débuts si menaçants du règne du grand roi, dans ces premières mar- ques d'une ambition exubérante et sans scrupule qu'il était facile de trouver un argument décisif pour entraîner contre Louis XIV les Etats de Ratisbonne. Située entre l'Autriche et la France, et soumise à leur double action, l'Allemagne, qui s'était vue si longtemps sur le point d’être absorbée par la première de ces deux puissances, pouvait maintenant l'être par l’autre. Ce péril nouveau devait lui apparaître d'autant plus clairement que depuis son avènement l’empereur Léo- pold avait fait preuve, à l'égard du corps germanique, d'une modération et de ménagements formant le plus saisissant contraste avec les juvéniles emportements du roi de France. Au temps même qui nous occupe, malgré ses sympathies personnelles pour la cause de l'Espagne, l’empereur ne vou- lait intervenir en faveur de cette puissance amie qu'à la con: dition d'étre suivi par l'empire dans son intervention. Mais il fallait obtenir à ce sujet l’assentiment de la Diète, et c'est à quoi s'employaient activement à Ratisbonne les deux pléni- potentiaires impériaux, le comte de Weisenwolf, ministre d'Autriche, et le cardinal de Thun, envoyé extraordinaire (1).

Dès le début de leurs négociations, les députés francs-com- tois trouvèrent dans ces deux personnages, principalement dans le dernier, d'utiles auxiliaires et surtout des guides expérimentés au sein de ce dédale d'intérêts, de rivalités et d'intrigues dont l’ensemble formait le corps germanique. De tels auxiliaires leur étaient d'autant plus nécessaires qu'avec leur inexpérience des choses diplomatiques, ils avaient affaire à un adversaire plus habile et plus redoutable, Cet adversair, était le ministre de France au congrès, M. de Gravel, un de ces hommes de petite naissance, mais d'énergie et de dévoue = ment, comme Louis XIV aimait à en employer, et qui sou-

(1) Micwer, Succession d'Espagne.

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vent dans leur situation modeste lui rendaient de plus réels services que les brillants personnages placés aux postes les plus en vue. Gravel connaissait bien l'Allemagne, il était depuis de longues années le gardien vigilant de la ligue du Rhin (1, et son frère, l'abbé de Gravel, jouait aussi un rôle important comme plénipotentiaire attaché à la cour de l'électeur de Mayence. Il disposait de plus des puissants moyens d'action que possede toujours l’agent d’une nation riche au milieu d’un congrès de petits Etats dont les princes besoigneux sont facilement accessibles à la corruption.

Et cependant, guidés par les conseils du cardinal de Thun, nos compatriotes eurent d’abord l'avantage dans les premiers temps de leur séjour au congrès. Ils disposèrent favorable- ment à leurs vues le collège des villes et celui des princes, dont les délibérations conclurent à l'intervention demandée (?). Mais le collège des électeurs, se trouvaient les principaux membres de la ligue du Rhin et dans lequel la France comp- tait des amis absolument dévoués, fit tout échouer par son opposition 6); le congrès refusa de garantir l'indépendance de la Franche-Comté. Le cardinal de Thun ne perdit pour- tant pas courage. Dès le mois de novembre, il fit reprendre la question sous une autre forme, en demandant à la Diète de reconnaître notre province comme membre de l’Empire, ce qui impliquait l'obligation de nous garantir contre toute attaque. Mais le ministre de France avait eu le temps de raf- fermir les esprits un instant ébranlés, et celte nouvelle de- mande fut repoussée comme celle de la garantie directe ().

À partir de ce moment, les négociations pouvaient être

(1) IL avait été envoyé en 1658 à Ratisbonne comme résident de France près la diète. Voir sur ce personnage Mrener, Succession d'Es- pagne. Voir aussi sur ses agissements relatifs à la Franche-Comté : Dièle de Ra::sbone.

(2) Dièle de Ratisbone.

(3) Certains électeurs voulaient aussi se porter seuls intermédiaires entre la France et l'Espagne.

(4) Miexer, Succession d'Espagne.

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considérées comme terminées. L'Empire se refusant à inter- venir, l'empereur ne voulant pas intervenir seul, en présence de l'impuissance de l'Espagne, la Franche-Comté ne devait plus compter que sur elle-même. Le cardinal de Thun le comprit si bien qu'il quitta de suite Ratisbonne, laissant nos compatriotes privés de ses conseils et de sa direction, en face de difficultés sans issue. Ceux-ci ne parurent pas tout d'abord se rendre compte de la gravité de leur situation ; ils s’aliénè- rent le congrès par leur hauteur et voulurent exiger impé- rieusement ce que la plus grande habileté, jointe aux formes les plus insinuantes, n’eût plus désormais suffi à leur obte- air (1). Is se heurtèrent de la sorte à une série d'échecs et de refus qui ne semblèrent pas lasser leur patience, puisqu'ils prolongerent encore trois années leur séjour à Ratisbonne. Ils y demeurèrent même longtemps après la conquête de la Franche-Comté par Louis XIV, cherchant à obtenir pour les éventualités de l'avenir les garanties qu'on leur avait refu- sées dans Les périls pressants de leur pays, et rencontrant les mêmes oppositions à leurs demandes. La bibliothèque de Be- sancon possède en manuscrit la correspondance considérable qu'ils échangèrent durant leur mission avec le parlement de Dole, le gouverneur des Pays-Bas et le cabinet de Madrid. Rien de plus long et de plus fastidieux que la lecture de ces documents. En dehors d’un tableau assez complet et assez dé- taillé du corps germanique représenté à Ratisbonne, ils ne renferment que d’interminables discussions de mots, destinées à masquer la nullité des résultats obtenus.

Pendant ce temps, le roi de France discutait moins, mais agissait davantage. Dès le mois de février 1668, il prenait la Franche-Comté en quinze jours, sans se préoccuper de l’em- pereur et de l’Empire plus que de la Suisse. A la vérité notre

(1) « Privés de sa présence et de ses conseils, les députés de Bour- gogne non seulement n'obtinrent point ce qu'ils réclamaient de la diète, mais ils l’indisposèrent contre eux. » Lettre de Gravel à Louis XIV, du 20 décembre 1667, citée par Miener, Succession d'Espagne.

389 province fut trois mois après rendue à l'Espagne par le traité d'Aix-la-Chapelle, mais affaiblie, ruinée, livrée à toutes les divisions qu'engendrent les guerres malheureuses, n'offrant plus, en un mot, qu'une proie facile à saisir au premier pré- texte (1). |

Ce fut dans cette situation que le conseiller Philippe _ retrouva sa patrie vers la fin de 1671, lorsque, fatigué de linutilité d’un rôle qui commençait à tourner au ridicule, brouillé d’ailleurs avec son collègue l’abbé de Precipiano (), il se fut décidé à quitter Ratisbonne. A son retour il ne put même pas reprendre ses fonctions au parlement. Ce grand corps, sur lequel reposait tout le gouvernement de la pro- vince, avait été, en effet, la première victime des rancunes éveillées par l'invasion française, et s'était vu remplacer, lors du retour de la Franche-Comté à l'Espagne, par une chambre de justice établie à Besancon. On lui prodiguait, en outre, les accusations les plus graves, surtout les accusations de trahi- son qui naissent si aisément et se développent avec tant de rapidité au lendemain des grands désastres. Philippe com- posa pour la justification de ses collègues un mémoire qu'il adressa à la cour de Madrid et il démontrait que la trah1i- son n'était pour rien dans des événements venus de la force même des choses. Il prenait ainsi un rôle d'apaisement et de conciliation qu'il lui était facile de tenir avec avantage. Comme il n'avait été mêlé à aucun des événements de la guerre récente, l'impartialité de ses jugements sur ce qui s’é- tait passé en son absence ne pouvait être soupçonnée. Etant d’ailleurs fort lié avec les gouverneurs espagnols qui se succé- dèrent en Franche-Comté dans l'intervalle des deux con- quêtes, il se trouvait ainsi désigné comme un intermédiaire utile entre ses compatriotes et des chefs trop peu au courant

(1) Voir sur la situation de la Franche-Comté à cette époque les Mémoires de Jules CairrLer, abbé de Balerne.

(2) Dièle de Ratisbone.

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des besoins et de l'esprit d’un pays qu’ils étaient venus admi- nistrer de si loin.

Mais déjà, et bien avant qu'elle füt guérie des plaies que lui avait faites la premiere invasion française, de nouveaux périls menaçaient notre province et Louis XIV préparait son annexion définitive. Commencée en 1672, la guerre qu'il ne faisait d’abord qu'aux Hollandais s'était peu à peu étendue à toute l’Europe. Le roi d'Espagne Charles IT était entré dans le concert de ses ennemis et lui avait ainsi fourni le prétexte de nouvelles conquêtes. D'ailleurs, sitôt ce péril provoqué, le débile monarque dut comprendre son impuissance à le combattre. Obligé d’accumuler ses dernières ressources aux Pays-Bas, il se voyait encore menacé dans ses possessions de Franche-Comté et du Roussillon. Il sollicitait bien l’'empe- reur, le duc de Lorraine, les princes allemands (1). Mais oc- cupés qu'ils étaient à se défendre contre les généraux du grand roi, tous demeuraient sourds à cet appel, et la Franche- Comté, en face d'une invasion imminente, se vit encore une fois réduite à ses seules forces. .

À la vérité, elle aurait dans ces circonstances critiques pouvoir compter sur l'appui des cantons suisses qui lui était garanti par les stipulations les plus formelles. Mais déjà cet appui lui avait fait maintes fois défaut, notamment à l’éqgoque de la première conquête, et, dans cette circonstance comme dans tous les cas semblables, l'or de la France distribué à propos avait eu raison de la foi des traités. C'était une con- séquence de l'extrême vénalité qui régnait alors chez nos voisins. Nous leur payions chaque année une rente très élevée comme prix de secours éventuels qu’ils ne nous four- nissaient jamais, et d'autre part, lorsque le moment était venu d'intervenir, la France à son tour achetait fort cher leur abs- tention. La seule manière de les intéresser au sort de notre pays était de leur en faire entrevoir l'annexion dont ils ca-

(1) Voir C. Rousser, Histoire de Louvois.

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_ressaient dès longtemps le projet et qu'ils avaient depuis Louis XI failli réaliser plusieurs fois (1). L'Espagne tenta bien de leur donner des espérances à cet égard; mais ses avances manquèrent de franchise ; si elles avaient été plus nettes, peut-être l'issue des événements eût-elle pu être modi- fiée (2).

Cependant le péril croissait tous les jours, et, déjà, le duc de Navailles, à la tête de l’armée francaise, était aux portes de la Franche-Comté; on résolut, dans cette extrémité, de tenter une dernière démarche auprès des cantons, et le conseiller Philippe, l'aucien négociateur de Ratisbonne, fut encore chargé de cette mission difficile, ou pour mieux dire déses- pérée (3). Il partit de suile pour Berne (4) il arriva le 19 février, le jour même de l'entrée des troupes francaises dans notre pays. [1 se hâta en conséquence de multiplier les négo- ciations, les démarches et les voyages, visitantles principaux personnages des cantons de Berne et de Fribourg, passant d’une de ces villes à l’autre, et enfin se rendant à Baden, venaient de se réunir les représentants des états helvétiques auxquels il exposa, dès son arrivée, l'ensemble de ses de- _mandes. Elles consistaient à obtenir lenvoi d’un certain nombre de troupes avec la liberté de passage pour les secours qui pourraient nous venir du dehors. Ces demandes soulevè- rent immédiatement l'opposition énergique du ministre de

(1) Voir Duvernov, Esquisse des relations qui ont existé entre le come de Bourgogne et l'Helvétie, du xi° au xvn° siècle.

- (2) Voir CG. RousseT, ouvrage cilé.

(3) Lui même nous a laissé la narration détaillée de son ambassade : Relation du voyage fait en Suisse par messire Claude-Ambroise Philippe, docteur ès droits, conseiller de Sa Majesté el son plénipotentiaire à la diète impériale de Ratisbonne, pour le royal service el le bien de la pro- vince, par ordre de Son excellence don Francesco Gonzalez d'Alveyda, du conseil de querre de Sa Majesté, général de bataille en ses armées, lieulenant-gouverneur et capilaine général du pays el comté de Bour- gogne el de Charolais ( Bibliothèque de Besançon).

(4) Avec un nommé Mourer, l’un des principaux amodiataires des sauneries de Salins.

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France à Berne, l'abbé de Saint-Romain. [Il invoquait les nombreux traités qui interdisaient aux Suisses de prêter aide et secours aux ennemis de la France (1). C'était toutefois à la condition que la France elle-même respectât les alliés des cantons, surtout ceux dont la Suisse était tenue à garantir l'indépendance. Le représentaut de Louis XIV éludait cette condition en offrant lui-même la neutralité de notre province. I] savait, en effet, que l'Espagne était résolue à la sacrifier pour produire une diversion utile à ses autres possessions me- nacées également (2). D'ailleurs il s'était assuré des députés des Etats par les procédés ordinaires. Louvois ne venait-1l pas de lui écrire que vingt pistoles, distribuées à chacun, suffi- raient à leur faire adopter n'importe quelle résolution ?

Aussi notre compatriote, bien qu'il eût l'appui du repré- sentant de l'Empire à Lucerne G), vit-il repousser l’ensemble de ses revendications. Tout ce que les cantons consentirent à accorder, ce fut l'envoi d’une députation en Franche-Comté (4), avec mission, au moins apparente, d'arrêter la marche de l’armée française, en faisant reconnaître la neutralité de notre pays.

Philippe n'attendit même pas le départ des délégués des Etats. Il comprit que sa tâche était terminée, et rentra à Be- sancon dès le 15 mars. Les Suisses l'y suivirent de près. Ils furent magnifiquement recus et reconduits jusqu'à Auxonne, se trouvait le duc de Navailles(5). Mais leur démarche

(1) Relation, etc.

(2) Louvois lui écrivait en effet le 22 février : « Les dernières nou- velles que nous avons eues de Madrid portent que l'on a résolu de sacrifier cette province, pour, en créant quelque division en France, procurer quelque soulagement à la Flandre et au Roussillon. »

(3) Louvois écrivait un peu plus tard, le 16 avril, à Turenne : « Le roi vient d’avoir avis que la diète des Suisses s’est finie heureusement sans que le comte Casati, résident impérial, ait pu obtenir aucune ré- solution favorable à la Franche-Comté. »

(4) Cette députation était formée des délégués des cantons de Berne, Lucerne, Ury, Fribourg et Soleure.

(5) Voir ORDINAIRE, Deux époques militaires à Besançon.

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n'avait déjà plus d'objet. Louis XIV venait d'arrêter la mar- che de ses troupes et d'offrir lui-même à l'Espagne la neu- tralité de la Franche-Comté. Le refus qu'il prévoyait ne se fit pas d’ailleurs attendre; le cabinet de Madrid voulut que notre province subit la fortune des armes, et l’on eut cet étrange spectacle d'un pays conquis plus qu’à moitié et pouvant re- couvrer la sécurité et la paix, condamné cependant par la volonté de ses maîtres à continuer une lutte dont l'issue n'’é- tait pas douteuse (1).

Dans celte situation, les Suisses dont l'ambassade avait pour objet, ou du moins pour prétexte exclusif, cette neutra- lité refusée maintenant par l'Espagne, ne pouvaient plus que se retirer, Gest ce qu'ils firent en repassant par Besancon, ils recurent un accueil beaucoup moins affectueux que lors de leur première arrivée. Ils regagnèrent leur pays, et la conquête, un instant interrompue, fut reprise de suile avec un redoublement d'énergie. Louis XIV, qui était venu y pré- _sider en nersonne, mit le siège devant Besançon, défendue par le prince de Vaudémont, fils naturel du duc de Lorraine. La ville fut prise, mais après une résistance plus sérieuse que lors de la première conquête, et la soumission totale et défi- nitive de la province suivit de près.

Philippe qui avait tout fait pour l'empêcher, et qui, à son retour de Suisse, avait pris part à la lutte tant qu'elle avait élé possible, se tint d’abord à l'écart du pouvoir nou- veau. Il avait, pendant la conquête, recu les patentes de pré- sident du Parlement de Dole que le gouvernement espagnol s'était enfin décidé à rétablir dans un pays qui allait lui échapper pour jamais. Cette résolution était d’ailleurs restée à l’état de simple projet. Le Parlement de Franche-Comté ne fut reconstitué que deux ans après la conquête, en 1676. Mais, transférée à Besançon, la nouvelle cour de justice fut bien différente de l’ancienne, qui avait si.longtemps fourni à

(1) Voir CG. Rousser, ouvrage cilé.

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notre province, et souvent même à l'Espagne, des adminis- trateurs (1), des diplomates (?, des hommes d'Etat 6), et au besoin des généraux (1). Eile dut désormais se renfermer dans les limites de ses attributions Judiciaires, et ses membres ne purent plus être que simples magistrats.

Ce fut dans cette situation douce et paisible que s’écoule- rent les dernières années du président Philippe, lorsque, comprenant que ce qui s'était passé demeurerait irrévocable, il eut cédé aux Imstances du gouvernement francais et con- senti à reprendre des fonctions qu'il n'avait jusque-là exercées que nominalement (5). T1 vécut, de la sorte, vingt ans encore renfermé dans l'exercice de sa profession et la culture des let- tres, et consacrant ses loisirs à écrire l’histoire des négocia- tions auxquelles il avait pris part. Pour lui, comme pour notre province, c'était le calme et le repos succédant aux orages, calme et repos qui n'étaient pas achetés trop cher; car, après ‘tant d'épreuves subies, tant de luttes inégales et malheu- reuses, si les Franc-Comtois avaient perdu leur autonomie et leurs libertés, si leurs magistrats n’avaient plus l’universa- lité de compétence et de pouvoirs que possédait l’ancien Par- lement, tous ils avaient acquis en revanche un bien inesti- . mable : l'honneur d’appartenir à la France.

(1) À cette époque, l'administration se confondait avec la justice, et les parlements administraient partout.

(2) Le procureur général Antoine Brun, l’un des négociateurs des traités de Westphalie.

(3) Le chancelier Gattinara et le garde des sceaux Granvelle.

(1) Le président Boyvin, qui défendit Dole contre le prince de Condé.

(5) En 1679,

PES IMOCHAR

ÉTUDE D’ETHNOGRAPHIE ALGÉRIENNE

Par M. le général WOLFF

COMMANDANT LE 72 CORPS D’'ARMÉE.

Séance publique du 13 décembre 1881.

I

L'Afrique septentrionale est occupée par les Berbères, de temps immémorial, et par les Arabes, depuis leurs invasions des septième et onzième siècles. Ces deux populations, avec des points communs, diffèrent essentiellement l’une de l’autre, par la langue, les mœurs, les institutions, et c’est bien à tort qu'elles sont confondues habituellement sous le nom collectif d’indigènes. Les Arabes sont tout entiers à une vie spiritua- liste et contemplative, portés à l’oisiveté, insouciants de bien- être. Les Berbères, au contraire, monothéistes par tradition, sans fanatisme, sont adonnés au travail, avides de progres. Les uns et les autres procèdent de deux civilisations bien dis- tinctes, qui ont conservé sur le même sol leurs caractères parüculiers, malgré leur communauté de religion.

Les Berbères représentent le véritable fond indigène du nord de l'Afrique, et ne sont autres que les Libyens des Grecs, les Numides, les Gétules, les Mauritaniens des Ro- mains. C’est un mélange de races diverses, antérieures aux temps historiques, qui ont été unifiées, dès la plus haute an- tiquité, par un peuple conquérant, les Imochar. La person- nalité de ces derniers s’est éteinte, en Afrique, au cours des siècles, excepté cependant chez les Touareg du Grand-Désert, ils se sont perpétués jusqu'à nos jours, et ils forment, depuis des milliers d'années, l'aristocratie du pays.

500

Il

I y a peu de temps encore, on ignorait absolument l’exis- tence des Imochar, et on ne possédait que des renseignements fort incomplets sur les Berbères. M. Barth, l'intelligent et “énergique explorateur de l'Afrique centrale, a été le révéla- teur des Imochar des Touareg, et les investigations de la science en Algérie, qui se multiphièrent sur les pas de l’armée française, auxquelles sont attachés les noms des généraux Daumas, Hanoteau, Faidherbe, du celonel Carette. du baron de Slane, du docteur Warnier, de MM. Letourneux et Henri Duveyrier, ont fait savoir que les Berbères, de caractères physiques si divers, avaient une langue, un alphabet, une législation, des annales qui leur appartenaient en propre, et que, depuis les temps les plus reculés, ils n'avaient jamais cessé d'occuper une grande place en Afrique, bien qu'ils n'en eussent pour ainsi dire aucune jusqu à ce jour dans l'histoire. |

« On ne pouvait soupconner, il y a trente ans, dit M. Er- » nest Renan, l'étendue et la solidité qu'on arriverait à don- » ner à cette individualité ethnographique. La race berbère a » non-seulement un droit de cité incontestable dans le monde » de l'anthropologie, elle est l'objet d’une science. Autour de » cette race indigène du nord de l'Afrique, s'est créé, en effet, » un ensemble d'études analogues à celles dont le monde sé- » mitique et le monde européen fournissent la matière. »

IT

On s'était habitué en Europe à ne voir en Afrique que des Arabes, tandis qu'en réalité ils s'y trouvent en infime mino- rité. Les Berbères, qui avaient survécu aux dominations de Carthage, de Rome, des Vandales et des Byzantins, n'avaient pas montré moins de vitalité devant les deux invasions mu-

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sulmanes des septième et onzième siècles, Ils avaient absorbé complètement la première, et s'ils furent moins heureux vis- à-vis de la seconde, ils avaient réussi à la tenir sous leur dépendance. La traduction du manuscrit d’'Ibn-Khaldoun, par le baron de Slane, a montré sous leur véritable jour les conséquences de ces deux invasions.

Ce n’est point avec des tribus que les Arabes ont envahi le nord de l'Afrique, au septième siècle, mais bien avec des bandes de guerriers, qui avaient laissé leurs familles derrière eux, et qui ressemblaient aux bandes germaines. Comme ces dernières, elles étaient d’un faible effectif. Ce fut presque exclusivement avec des auxiliaires berbères, que les Arabes, imitant la politique qui avait rendu les Romains maîtres du monde ancien, firent la conquête de l'Afrique, de l'Espagne, qu’ils traversèrent les Pyrénées, livrèrent aux Francs les ba- tailles de Toulouse et de Poitiers, s'établirent dans le midi de la France, et jelèrent l'épouvante dans notre pays pendant tout le huitième siècle. Les Sarrazins de nos vieilles chroni- ques étaient des Berbères et non des Arabes. Ceux-ci ne prirent part qu'en petit nombre à ces grands événements. Un histo- rien musulman prétend même que dans l’armée de Tarik, le vainqueur des Goths d'Espagne, qui était lui-même berbère, il n’y avait que vingt-sept personnages arabes, dont le rôle était plus religieux et politique que militaire.

Le seul mobile de l'invasion des Arabes en Afrique fut d'y propager l'islamisme, et leur système de conquête consista à opposer les Berbères aux Berbères. L’islamisme ne cessa de orandir sur cette terre, le monothéisme était d'aussi vieille date qu'en Orient; mais la domination arabe échoua devant la passion d'indépendance, l'énergie et la tenacité des Ber- bères. Les révolutions succédèrent aux révolutions sans ar- rêter les progrès de l’islamisme. Dès l'an 756, l’autorité des kalifes disparut à jamais de l'Espagne. Seize ans après, elle est renversée dans le Maghreb-el-Acsa, le Maroc actuel, par les Edrissites, et, en 800, elle renonce d'elle-même au Magh-

394 reb-el-Oust et à l’Ifrikia, moyennant un tribut annuel de 460.000 francs, en faveur d'un général arabe, qui fonde une dynastie à Kairouan. Enfin, en 972, tous les Arabes, qui occupaient encore le pays berbère, se trouvent dans la néces- sité, après un reflet momentané de leur puissance première, d'abandonner leur conquête et de se replier en Egypte.

L'occupation arabe de l'Afrique avait eu un caractère ex- clusivement militaire, et, après l'évacuation, le petit nombre d'Arabes qui y restait, ne tarda pas à se fondre dans la po- pulation indigène. Aussi, l’armée française n’aurait-elle pas plus trouvé d’Arabes à combattre en Algérie, que de Ro- mains, de Vandales et de Byzantins, si, au onzième siècle, les Fatimites, voyant que le pays berbère était à jamais perdu pour eux, n y avaient poussé, pour lui créer des embarras, quelques tribus arabes, que les kalifes avaient déportées, de- puis trois quarts de siècle environ, d'Arabie en Egypte. .

Ces nouveaux envahisseurs arabes avaient pénétré, cette fois, en Afrique, en nomades, avec leurs familles, et s'ils y ont fait souche, c'est que les Berbères, en possession de leur autonomie, mais toujours divisés par des guerres civiles, se les sont attachés tour à tour comme auxiliaires. Néanmoins, ces Arabes de la seconde invasion ne jouèrent jamais en Afrique qu'un rôle secondaire, et les Berbères continuèrent à être maîtres de leurs destinées, jusqu'à l’époque de la do- mination turque, dont ils eurent d'ailleurs beaucoup moins à souffrir que les Arabes, répandus généralement dans le pays ouvert: et quand le drapeau de la France flotta sur la casbah d'Alger, nos armes, contrairement à ce qu'on a cru, se trouverent en présence d'un royaume bien plus berbère qu'arabe. Aujourd’hui la population d'Afrique se partage encore entre ces deux éléments dans la proportion de neuf dixièmes de Berbères et un dixième d’Arabes. |

L'invasion musulmane n’en créa pas moins un monde nou- veau en Afrique, particulièrement dans les villes et dans les plaines, en y introduisant une religion et une civilisation

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nouvelles. Cependant, même sous ce rapport, on a exagéré ses conséquences. Elle fut impuissante à faire accepter la pure doctrine de l’islamisme dans la plupart des tribus ber- bères. Tout en se faisant musulmans, les Berbères ont rejeté les institutions civiles du Koran, bien qu'elles fussent insé- parables de cette loi religieuse, et ils ont conservé leurs cou- tumes nationales. À ce point de vue seul, il existe une pro- fonde démarcation entre eux et les Arabes: ces derniers, considérant leur législation civile comme l’œuvre de Dieu, sont condamnés à l’immobilité, tandis que les Berbères, ne l’envisageant que comme l'œuvre de l'homme, sont suscep- tibles de toute assimilation. C'est ce qui fait que les Berbères, tout en embrassant l’islamisme, ont échappé au fanatisme musulman, sont restés laborieux, attachés à la propriété in- dividuelle, positifs en toutes choses, ardents à s'initier à tout ce qui peut les grandir.

IV

Le nom de Berbères, sous lequel nous connaissons aujour- d'hui, en Europe, les peuples autochtones de l'Afrique, ne

servait autrefois à désigner que la classe inférieure de la so-

ciété. Il est vrai que l'historien [bn-Khaldoun prétend que son emploi ne remonte pas au-delà de l'invasion musulmane, et que ce sont les Arabes qui l'ont donné aux peuples qu'ils ont trouvés en possession du sol, parce qu'ils parlaient une langue inintelligible pour eux. Il peut se faire que les Arabes aient imité en cette circonstance les Egyptiens, les Grecs et les Romains, qui avaient l'habitude d'appeler Barbares tous les peuples qui ne parlaient pas leur langue. Mais il n’en est pas moins certain que ce nom était en usage en Afrique bien antérieurement à l'invasion des Arabes. Le docteur Barth et M. Henri Duveyrier ont constaté, sur les lieux mêmes, que les Touareg s’en servaient, de temps immémorial, avec le sens du mot sanscrit #warvara, c'est-à-dire pour désigner la basse classe de la population. Ainsi, les Touareg comprennent

396 des tribus nobles, qui se donnent toutes le titre d’Imochar, et des tribus serves rangées toutes sous la dénomination com- mune de Berbères : de sorte que dans chacune de leurs con- fédérations , la société est partagée en deux castes, en nobles et en tributaires, eu Imochar et en Berbères.

Il en a été de même primitivement dans toute l'étendue du nord de l'Afrique. On à retrouvé, en dehors des Touareg, des traces de l'usage de ces deux dénominations. Celle d'Imochar, que l'on rencontre avec les variantes, Imohar, Imagiren, Imageren, est encore en usage dans beauconp de tribus du Maroc. Elle a été relevée aussi sur des monuments épigra- phiques de la plus haute antiquité, et dans plusieurs textes des auteurs anciens. D'autre part, beaucoup de groupes de populations, l’on remarque encore facilement des tracés du servage auquel elles ont été longtemps astreintes, portent encore aujourd'hui la dénomination de Berbères.

Il est donc bien établi que, dans tout le nord de l'Afrique, autrefois, Comme actuellement chez les Touareg, la popula- tion se divisait en race conquérante, les Imochar, et en race conquise, les Berbères.

V

À en croire l'historien Ibn-Khaldoun, qui étaye son opi- nion des nombreuses traditions qu'il a recueillies, tous les peuples autochtones de l'Afrique septentrionale sont origi- naires du pays de Chanaan, et leur aïeul se nommait Mazigh. Si cet éminent écrivain arabe avait remarqué que Mazigh était le singulier d’Imaziren, synonyme lui-même d'Imo- char, il aurait pu craindre que ces traditions ne concer- nassent que les Imochar; mais il ne s’est pas arrêté à l’idée que l’aristocratie de ces peuples pouvait avoir une autre ori- sine que la basse classe, et conime tous parlaient la même langue, il leur a attribué, sans aucune distinction, une ori- gine commune.

C'est ainsi, d'ailleurs, qu'en Europe, des savants autorisés,

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frappés des similitudes des vocabulaires primitifs des Hin- dous, des Iraniens, des Grecs, des Latins, des Celtes, des Germains et des Slaves, ont admis que tous ces peuples étaient sortis d’une même contrée de l'Asie, la Bactriane. Il est difficile de concevoir que des pays aussi restreints que la terre de Chanaan, aujourd'hui la Palestine, et la Bactriane, qui est actuellement une province du Turkestan, aient pu suffire au peuplement, l’une de l'Afrique septentrionale, l’autre de l’Europe et d'une partie de l'Asie. On trouve, dans des temps plus rapprochés, la preuve qu’une communauté de langage entre plusieurs peuples n'implique nullement une communauté d'origine. Les langues française, italienne, espagnole, portugaise, wallone, provençale, roumaine et le grison, sont incontestablement issues du latin, et cependant nous savons pertinemment que les ancêtres des peuples qui parlent ces langues ne sont pas originaires du pays latin, et que la communauté de ces langues résulte uniquement de la domination d'un petit peuple conquérant, les Romains. Il en a été certainement de même, dans les temps primi- üfs, pour l’Europe et pour l'Afrique. L'un et l’autre conti- nents étaient peuplés depuis longtemps, quand une race conquérante est venue y implanter sa langue, ses mœurs et ses institutions. Les Imochar sont, pour l'Afrique, cette race conquérante. Ils ont unifié à leur image le vieux fond indi- gène qu'ils y ont trouvé en possession du sol, et c'est sans aucun doute à eux que se rapportent les traditions que men- tionne [bn-Khaldoun, et non à l’ensemble des peuples au- tochtones de l’Afrique.

Nous en possédons une autre preuve dans la différence des caracières physiques des Imochar et des Berbères. L’inscrip- tion de Karnak, dans la Haute-Egypte, traduite par M. de Rougé, le célèbre continuateur de Champollion, a fait savoir que les Imochar avaient la peau blanche, les yeux bleus, les cheveux blonds, une haute stature, type qui s'est conservé jusqu’à nos Jours en Afrique, le plus souvent dans les familles

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qui occupent un rang élevé dans la société. Des savants ont cru voir dans ce type des débris de Vandales, ou de merce- naires gaulois : ils peuvent avoir raison, sans pouvoir nier qu'il était de beaucoup préexistant en Afrique, puisque lins- cription de Karnak est du quatorzième siècle avant notre ère. Les Berbères, de leur côté, présentent une grande variété de races , toutes distinctes de celle des Imochar, accusant des origines diverses. Le type dominant est caractérisé par une tête ronde, un teint brun, des cheveux noirs, une taille moyenne. Les Berbères, en un mot, proviennent de couches de populations superposées les unes aux autres, que des ré- volutions ont enchevêtrées entre elles, et qui appartiennent à tous les âges du monde.

Il faut renoncer au système d'expliquer le peuplement de l'Europe et celui de l'Afrique, quelque loin que l’on remonte dans le passé, par des immigrations en masse, sorties de con- trées restreintes, privilégiées par la nature. I existe en chaque contrée un fond indigène de population, qui est le produit accumulé des siècles, et que les invasions ont bien plus mo- difié dans l'ordre moral que dans l’ordre matériel. C'est ce qui se présente en Afrique. Les Berbères sont l'antique assise de sa population, et les Imochar, les premiers initiateurs connus de ces races diverses, qu'ils ont faconnées à leur langue, à leurs mœurs, à leurs institutions, sous l'influence de leur domination. Les Romains n’ont pas fait autrement de la Gaule une terre latine.

VI

Comme tous les peuples conquérants, les Imochar avaient une grande infériorité numérique vis-à-vis des Berbères. M. Barth estime que, chez les Touareg, ils forment à peine le dixième de la population. A l’origine de leur conquête de l'Afrique, cette proportion devait être encore beaucoup moin- dre. Leur domination a été, comme celle des Romains, le ré-

399 sultat de la supériorité de leur civilisation, et si l’unité sociale qu'ils réussirent à fonder en Afrique eut moins d'éclat que le monde romain, elle eut plus d'étendue, et surtout plus de durée, puisqu'elle était antérieure aux temps historiques, et qu'elle s’est perpétuée jusqu à nos jours.

VIT

La langue des Imochar, le tamachert, à été déjà l’objet de travaux considérables. Le baron de Slane, le général Hano- teau, M. Masqueray ont constaté, par des voies différen- tes, l'unité de ses dialectes actuels. Plusieurs de ses vocabu- laires ont été publiés. Le général Hanoteau a reconstitué, avec une rare sagacité, les règles grammaticales des dialectes kabile et touareg. Néanmoins, malgré ces documents d’une haute valeur, les savants hésitent sur la place à assigner à cette langue, et ils ont fait de ses dialectes nn groupe à part, comme si elle était étrangère aux langues sémitiques et aux langues indo-européennes.

Il ne paraît pas qu'on soit fondé à l’isolér ainsi. En dehors des mots arabes qu'elle s'est assimilée sur la terre d'Afrique, elle en contient un grand nombre d’autres de même origine, dont le sens lui appartient en propre. Elle à nécessaire- ment les puiser sur la terre de Chanaan, à la même source que les Sémites. Ces mots, joints à de nombreuses affinités srammaticales, font de la langue des Imochar une sœur, et peut-être une sœur aînée des langues sémitiques. Cette opi- nion est d'autant plus plausible que le tamachert est loin d’é- tre aussi étranger qu'on le suppose aux langues indo-euro- péennes, qui ont, comme on le sait, de nombreux points communs avec les langues sémitiques.

Le tamachert s'écrit avec un alphabet qui lui est propre, mais qui n’est plus en usage que chez les Touareg.

Cette langue a disparu des villes et des pays plats de l’A- frique, mais on continue à la parler exclusivement dans les

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vastes massifs montagneux du littora}, et dans l'immense ter- ritoire des Touareg.

VIII

Le nom que les Imochar se sont donné, et qui signifie : les hommes de race supérieure, exprime la haute opinion qu'ils avaient d'eux-mêmes. À leurs yeux, 1l n’y avait sur la terre que des Imochar et des Berbères, c’est-à-dire des êtres privilégiés et des êtres déchus, des dominateurs et des vain- cus. Le régime des castes était leur loi sociale. Il fut en usage dans toute l'étendue de l’Afrique septentrionale et centrale, mais il ne s’est perpétué jusqu’à nos jours que dans le groupe des Touareg, M. Barthe et M. Henri Duveyrier ont pu l’étudier sur place.

La société, chez les Touareg, est encore partagée en tribus nobles et en tribus serves, c’est-à-dire en Imochar et en Ber- bères, vivant à part les uns des autres, bien que liés entre eux par d’étroits rapports sociaux. Les tribus nobles sont nomades par privilège de race. Vivre sous la tente, jouir de la liberté de se déplacer, est, chez les Touareg, avec l’oisiveté, la mani- festation extérieure la plus saillante d’une noble origine. Les tribus serves, par contre, sont sédentaires, non par goût, mais par obligation. Elles sont rivées au sol comme marque de leur déchéance. Le travail manuel est leur unique destinée. Elles font paiître les troupeaux, labourent ou se livrent à quel- ques industries, tandis que les tribus nobles concentrent en elles la vie politique et intellectuelle.

Ces caractères sociaux que revêtent la vie nomade el la vie sédentaire, chez les Touareg, nous montrent l'antiquité sous un nouveau jour. Ilen résulte que, de temps immémorial, les neuf dixièmes de la population de l'Afrique, c'est-à-dire la population serve, étaient sédentaires, disséminés sur le sol en petits centres, devenant quelquefois de petites villes, autour desquels gravitaient les tribus nobles, qui ne pouvaient s’en éloigner beaucoup, étant tenues, pour vivre, de rester à prox1-

401 mité des établissements fixes des tribus serves, chargées pourvoir à leurs besoins. C’est une nouvelle preuve de la sta- bilité, dès l'antiquité la plus lointaine, des peuples qu’on se représente adonnés à une vie errante, excluant en eux tout sentiment de patrie.

Tout est réglementé chez les Touareg entre les deux cas- tes. La forme des habitations, le port des armes, la couleur des vêtements, la nature des redevances, y sont l’objet de prescriptions minutieuses, absolument comme sous le régime féodal en Europe. La caste privilégiée n’a négligé aucune restriction pour maintenir la caste opprimée dans des habi- tudes d’obéissance, ni aucune avanie pour éteindre en elle tout sentiment de dignité humaine.

Cet état social ne se retrouve plus de nos jours que chez les Touareg. Partout ailleurs, les populations Berbères du nord de l'Afrique sont émancipées. À quelle époque cette grande révolution s'y est-elle accomplie ? Dans la Kabilie, les institutions démocratiques semblent la faire remonter à une date ancienne. Dans les autres contrées, sa marche a être plus lente, et elle s'est développée, sans doute, à l'époque de - l'invasion musulmane, sous l'influence de la morale islami- que, qui tolère l'esclavage, mais prohibe l'inféodation de l’homme à l’homme. Nous savons, par Ibn-Khäldoun, qu'elle n’était pas achevée partout au xiv° siècle. Elle a se conti- nuer sous la domination turque, car il ne restait dans le nord de l’Afrique aucun vestige récent du régime des castes, au moment de la conquête d'Alger. Sous ce rapport, l'Afrique a eu le pas sur l’Europe en civilisation.

Dans la Kabilie, on se croirait difficilement en présence de populations de même origine et de même langue que les Toua- res, si la philologie ne l'avait démontré : tellement est grand le contraste de l’état social de l'un et l’autre groupe. On s'y trouve en plein régime démocratique. Une égalité absolue règne entre les individus. Un droit coutumier est la loi de tous. La société y est partagée en communes, groupées en

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tribus. Mais la tribu n’est qu'un lien de consanguinité entre les familles ; la commune seule possède une organisation so- ciale. A sa tête se trouve un chef nommé annuellement à l'é- lection, assisté d'autant de notables, également élus, qu'il y a de sections dans la commune. Le pouvoir communal applique le droit coutumier dans les affaires criminelles, aussi bien que dans les affaires civiles ou de simple police. Bien qu'o- bligé de puiser en lui-même toute sa force, il fonctionne assez régulièrement, soutenu par l'autorité des mœurs. Néanmoins, il n’est pas rare de le voir sans action, ou dégénérer en des- potisme.

Les véritables garanties des personnes résident dans deux institutions. L'une l’anaïa, est l’acte par lequel un homme couvre un autre homme de sa protection pour le soustraire à un danger. Son efficacité tient à ce que le Kabile se fait un point d'honneur de sacrifier sa vie plutôt que de ne pas ven- ger la violation de l’anaïa qu'il a donnée. « On ne peut refu- ser à l'institution de l'anaïia, disent MM. Hanoteau et Le- tourneux, un caractère de véritable grandeur. C’est uneforme originale de l'assistance mutuelle poussée jusqu’à l’abnéga- tion de soi-même, et les actes héroïques qu’elle inspire font le plus grand honneur au peuple kabile. Malheureusement, la nécessité de ces dévouements est l'indice d’un état social peu avancé, l'individu est obligé de se substituer à la loi pour protéger les personnes. »

La seconde institution est celle du sof, ou association d’in- dividus pour la défense de leurs intérêts politiques et privés. Elle sert de contre-poids au pouvoir communal, car le sof est formé d'individus se recrutant, suivant leurs sympathies personnelles, dans toutes les communes. Le Kabile, arrivé à l’âge adulte, choisit son s0/, mais il reste justiciable de sa commune. Cette institution constitue, en Kabilie, une force sociale considérable, et « beaucoup de chefs de sof, fait ob- server M. Renan, font preuve d’une rare souplesse d’esprit et d’une vraie connaissance du cœur humain. »

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Ces mœurs démocratiques de la grande Kabilie ont évi- demment leurs abus; mais telles qu'elles sont, elles élèvent les caractères, et nulle part, en Afrique, on ne rencontre au- tant d'hommes d'initiative et d'énergie. Quand nous y avons porté la guerre, en 1854 et en 1857, nous y avons trouvé une énergique résistance, qui honore au plus haut point ces fiers montagnards, toujours prêts à tous les sacrifices pour vivre en hommes libres.

Les Berbères offrent un troisième type d'état social, carac- térisé à la base par l’organisation démocratique de la com- mune kabile, et au sommet par l’organisation autoritaire de la société arabe. Les tribus qui, avant la conquête française, obéissaient à la grande famille des Mocrani, en sont un exem- ple. La commune y jouit, dans une certaine mesure, de ga- ranties réelles pour la gestion de ses intérèts ; mais dès qu’on s'élève à la tribu, de la tribu à la confédération, on n'a plus devant soi qu’un pouvoir personnel absolu. Cet état social ré- flète évidemment l'influence de l'invasion arabe.

Un fait caractéristique, commun à tous les peuples berbè- res de l'Afrique, réputés trop facilement barbares, c'est la haute position qui y est faite à la femme. Chez les Touareg, par exemple, « la femme, dit M. Henri Duveyrier, y est l’é- sale de l'homme, si même, par certains côtés, elle n’est dans une situation meilleure. Jeune fille, elle recoit de léduca- tion... Jeune femme elle dispose de sa main... Dans la com- munauté conjugale elle gère sa fortune personnelle. On l’ad- met volontiers, quoique exceptionnellement, à prendre part aux conseils de la tribu... Son autorité est telle que, bien que la loi musulmane permette la polygamie, elle a pu imposer à l'homme l'obligation de rester monogame.. Dans la société touareg, le rôle... de la femme semble plutôt procéder de la civilisation chrétienne que des institutions musulmanes. »

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IX

Les Imochar n'ont point imposé seulement leur langue et leur état social aux Berbères, ils ont se faire aussi auprès d’eux les propagateurs de la doctrine de l'unité de Dieu. Ge qui tend à le faire croire, c’est, en premier lien, l'antiquité du monothéisme sur la terre d'Afrique, attestée par l’exis- tence de monuments de pierre brute, semblables en tous points à ceux de l’Europe, ils ont été inspirés par le mo- nothéisme druidique, et semblables également à ceux de la Palestine, élevés par le monothéisme patriarcal, celui de Moïse, qui excluait toute représentation matérielle de Dieu, toute construction pour se réunir et l’adorer. Qui donc aurait implanté, en Afrique, dans les temps les plus reculés, la doc- trine de l'unité de Dieu, si ce n’est les Imochar, les seuls conquérants de l'Afrique que l’on connaisse avant les Car- thaginoiïs, et qui étaient originaires de la Palestine, la terre classique du monothéisme ?

Ce qui tend encore à prouver que l'introduction du mono- théisme en Afrique est bien leur œuvre, c'est qu'à toutes les époques de leur histoire, dont le souvenir nous a été conservé par les écrivains de l’antiquité, il est très peu question de paganisme parmi eux, tandis qu'on y a relevé de profondes traces de christianisme et de judaïsme. On sait que le chris- tianisme leur est venu de la domination romaine et qu'il a persisté jusqu’à l'invasion arabe. Mais qui les a initiés au judaïsme, encore plus répandu parmi eux que le christia- nisme ? On l’ignore. Ne peut-on pas en inférer que cette re- ligion était pratiquée de vieille date en Afrique, qu'elle était la religion même des Imochar, qu’elle a été qualifiée indüû- ment de judaïsme, et qu'elle n’était autre que le mono- théisme patriarcal, celui auquel répondent les monuments de pierre brute de l'Afrique.

Bien des faits ultérieurs viennent à l'appui de cette opi-

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nion. Ainsi, les Berbères n’ont guère reconnu, en se faisant musulmans, que le principe d'un Dieu unique, puisqu'ils ont rejeté les iustitutions civiles du Koran, qui sont cepen- dant aussi obligatoires que les institutions religieuses. Beau- coup d’entre eux même ne se bornèrent pas à se montrer hos- tiles aux institutions civiles du Koran, ils fondèrcnt une secte qui a divisé longtemps le nord de l'Afrique, la secte des Al- mohades, dont le nom signifie Les unitaires, et dont la doc- trine était exposée, dans la langue des Imochar, en un ou- vrage ayant pour titre : Touhid, c'est-à-dire la profession d'un Dieu unique. Comme l’islamisme faisait lui-même pro- fession de l'unité de Dieu, le schisme des Almohades ne pou- vait avoir pour but que de faire revivre l'antique mono- théisme des Imochar, celui des monuments de pierre brute, qui n’admettait aucune représentation matérielle de l'Etre Suprême, aucune incarnation, aucun nom pour le désigner, aucun temple pour l’adorer, et que l'on appelait « Gelui qui est et a toujours été. »

Le monothéisme est un des traits de la civilisation intro- duite par les Imochar en Afrique.

X

Telles furent les grandes destinées des Imochar dans l’anti- quité. Ge petit peuple conquérant, originaire de la Pales- tine, remarquable par la beauté du sang et par les dons de l'intelligence, fonda en Afrique un vaste empire, et lorsqu'il fut à son tour en lutte avec d’autres conquéraats, il puisa en lui l'énergie, la tenacité, les vertus patriotiques nécessaires pour sortir victorieusement d'épreuves séculaires.

Il eut de grands rois : Massinissa, Juba, Bocchus, Nubel, Koceila, et même une grande reine, Kabena, qui défendit vaillamment l'Afrique contre l’invasion musulmane, en ne craignant pas de demander à ses sujets de détruire, par l’in- cendie, out ce qui pouvait exciter la convoitise des envahis-

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seurs, et qui, après la perte de la bataille dans laquelle elle avait mis son dernier espoir, fit à ses fils, la pressant de fuir, cette héroïque réponse : « La fuite serait une honte pour mon peuple, je dois mourir en reine; » et peu après elle tomba percée de coups.

Ce peuple conquérant eut aussi, dans ses jours d’adversité, de grands patriotes : Jugurtha, Tacfarinas, Mascizel, Ioma- zen, Maicera, etc. |

Actuellement, dans les profondeurs du Grand-Désert, l’une de ses confédérations, les Hoggar, vient de se rendre odieuse par le massacre de la mission Flatters, 1l continue à se perpétuer dans la plénitude de son indépendance.

Au Maroc, l'empereur personnifie la société religieuse arabe, en Tunisie, le Bey représente la domination tur- que, les tribus berbères, imbues de sa passion d’indépen- dance, ne font acte de soumission que dans la limite de leurs intérêts. |

Ce n’est guère qu'en Algérie, que les Berbères semblent se résigner à la domination francaise. Mais leur vitalité s’y manifeste sous un autre aspect : après leur soumission, ils se sont acquis une réputation légendaire de bravoure dans les rangs des tirailleurs algériens, en même temps qu'ils s’a- donnaient plus que jamais à leurs goûts de travail et d’épar- gne, propres à leur race, employant leurs qualités natives à se faconner à notre civilisation, plutôt que de laisser l’avenir leur échapper dans notre colonie.

XI

Quelque grand qu'ait été le rôle des Imochar en Afrique, ce n'est cependant probablement encore que l’un des as- pects de leur histoire. La connaissance de leur langue, de leurs institutions, commence à fournir de précieux éclaircis- sements sur nos propres origines nationales, et à laisser en- trevoir de nombreux points communs entre eux et les peu-

107 ples indo-européens. Letamachert, en effet, a laissé de profon- des empreintes dans les noms de lieux, les noms de peuples et les vocabulaires de l’Europe primitive; et ces résultats si imprévus de la conquête de l'Algérie éclairent, au lieu de heurter, les affinités des langues indo-curopéennes que la dé- couverte du sanscrit a mises en évidence.

Le moment est venu pour la science moderne de tourner les yeux vers l'Afrique. Au lieu du pays barbare que l’igno- rance se complaît à y supposer, elle y trouvera des traces vi- vantes des temps les plus reculés, se reflète le passé de nos ancêtres. C'est de l’Afrique que viendra la lumière sur les temps primitifs de l'Europe.

LES POTERIES ESTAMPILLÉES

DANS L’ANCIENNE SEQUANIE

Par M. Alfred VATSSIER

GONSERVATEUR-ADJOINT DU MUSÉE DES ANTIQUITÉS DE BESANCON.

Séances des 12 décembre 1881 et 11 mars 1882.

il

Durant une période de quatre ou cinq siècles Les potiers de l'antiquité ont tenu à imprimer leurs noms sur la presque totalité des pièces à pâtes fines qu’ils produisaient. C'était au temps de la plus grande puissance de Rome.

En empruntant à la Grèce des formes et des procédés de fabrication nouveaux, les potiers romains convertirent en marque de fabrique l’ancienne signature artistique. Ces ré- clames de la céramique sont si nombreuses et-s1 variées que leur collection a donné lieu à des travaux intéressants à des titres divers.

En France nous pouvons leur demander, par exemple, dans quelles proportions l'élément gaulois contribuait au recrute- ment du monde manufacturier de l'époque. La lumière qui se dégage de l'étude de cette question tombe directement sur des points obscurs de l’histoire de l’art et des relations com- merciales, sans parler du secours qu'elle apporte aux travaux épigraphiques.

La poterie gauloise proprement dite ne présente que des formes simples, non sans traces de quelque goût; elle a son caractere déterminé, surtout par son ornementation élémen- taire composée de stries incuses, rapprochées par groupes, suivant des dispositions géométriques; c'est l'œuvre d'un

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peuple sans prétentions et peu initié aux règles du goût (1). Après la conquête romaine, les formes primitives dispa- raissent, et le génie gaulois semble éclipsé par celui du vain- queur. L'influence du sentiment artistique et des procédés de fabrication romains se manifeste du reste partout à la fois, en Allemagne, en Espagne et jusqu'en Angleterre, l'on trouve des débris de vases rouges lustrés, signés comme chez nous par les Aiei, les Primi, les Secundi et tant d’autres noms ro- mains également très répandus. Dans un temps les relations commerciales rencontraient de nombreux obstacles, toute cette marchandise encombrante, fragile et de vente journalière n'avait pu provenir absolument de l'Italie; à peine peut-on supposer cette provenance pour les moules et les poincons de décor. Aujourd'hui lincertitude n'existe plus au sujet des agisse- ments du peuple colonisateur par excellence. On a sous les yeux les ruines et les débris de fabrication de nombreux éta- _ blissements de potiers, tout particulièrement en France : à Orléans, à Lezoux, à Clermont-Ferrand, à Vienne, à Bor- deaux, au Mans, au Châtelet en Champagne, à Bannassac, - dans la Lozère, dans le Poitou, dans le département de l’AI- lier surtout, où, à la suite des belles découvertes de Vichy et de Toulon, si bien décrites par Tudot, on assiste aux nou- velles trouvailles de MM. Roger de Quirielle et A. Bertrand (Bulletin de la Société d'Emulation de l'Allier, aunée 1881, livraison).

(1) Un autre caractère de la poterie gauloise, c’est la saillie aussi souvent anguleuse qu'arrondie de la partie principale de la panse des vases. Ce galbe original reparaît dans le mobilier des tombeaux francs ou burgondes {rv° au vie siècle). Mais alors la décoration n'est plus la même; celle-ci consiste ordinairement dans les empreintes poinçonnées de petits éléments bien serrés et rangés les uns à côté des autres. Dans ces vases, on distingue deux parties : le corps, à la panse en carène, puis le col, s’étagent souvent plusieurs cordons et qui va de plus en plus en s’allongeant. Ce complément est en général droit et peu élevé dans le vase gaulois,

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On entrevoit la possibilité d’un classement des débris re- cueïllis partout, et nous verrons plus loin qu’une petite place dans ce recensement pourrait être accordée à la Franche- Comté. |

L'action commerciale des établissements industriels ne peut être appréciée que par la connaïssance du périmètre de dispersion de leurs produits. Ce n’est qu'à la suite de nom- breuses observations et la publication d'une quantité de Histes de marques de potiers, avec les indications de provenance, que les inconnues finiront par se dégager.

À notre époque, ce travail se poursuit avec beaucoup de méthode; c'est du reste le meilleur usage que l’on puisse faire de petites inscriptions, documents plutôt qu'objets d'exposi- tion, dont on conjure la perte possible en multipliant leurs fac simile.

Depuis la publication de la liste des noms de potiers donnée par M. de Caumont dans son Cours d'archéologie monumen- tale, en 1835, chaque province s’est mise en devoir de publier la sienne. La Franche- Comté devait apporter aussi son con- tingent.

L'historien, Jean-Jacques Chifflet a cité quelques noms dans son Vesontio ; on en rencontre quelques autres dissémi- nés dans les travaux plus modernes des Sociétés de la pro- vince. Nous ne connaissons toutefois que deux listes. La pre- mière, contenant 33 numéros, a été publiée par M. Lafosse, garde d'artillerie, qui, en 1841, surveillait avec intelligence les travaux de creusage pour la construction de l'arsenal de Besancon : les lectures de M. Lafosse ne sont pas toujours correctes, mais on retrouve au Musée de Besancon les deux tiers des originaux inventoriés par cet archéologue de circon- stance. La seconde liste, de 14 estampilles, vient de M. Aug. Castan ; elle fait partie du catalogue des objets trouvés dans les fouilles du Théâtre romain de la place Saint-Jean et don- nés au Musée par la Société d'Emulation du Doubs, en 1873.

L'ensemble des marques de notre dépôt archéologique mu-

AIT —:

nicipal atteint le chiffre de 140, en y comprenant celles qui sont illisibles et les sigles imprimés sur briques, tuiles, lam- pes, antéfixes et débris de verre.

Pour compléter ce noyau déjà intéressant, M. Castan, en qualité de vice-président de la Commission d’archéolcgie, adressa, en décembre dernier, aux Conservateurs des Musées de la province et aux personnes qui pouvaient nous prêter leur concours, une Circulaire annonçant le projet de la publica- lion des fac simile des marques de potiers trouvées en Sequanie.

Les réponses les plus bienveillantes lui furent adressées, et l’on put se mettre immédiatement à l'œuvre.

A Montbéliard, M. Clément Duvernoy, président de la So- ciété d'Emulation, mit à notre disposition, avec la plus grande complaisance, 50 estampilles venant toutes de Mandeure.

À Lons-le-Saunier, M. Zéphirin Robert, conservateur du Musée, nous prêta son habile concours pour prendre les em: preintes de 17 marques trouvées dans les environs et recueil- lies par ses soins intelligents, à une époque et dans un milieu il n'était fait aucun cas de ces débris.

À Vesoul, M. Boisselét, numismatiste et amateur distingué, nous fit part de plusieurs estampilles de Luxeuil et des notes recueillies par lui et quelques membres de sa famille depuis le siècle dernier. M. Petitclerc, conservateur des collections de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Haute-Saône, facilita écalement nos recherches.

À Luxeuil, M. l'avocat Dépierres fut notre premier guide. Puis M. le docteur Paris, inspecteur des Bains, nous commu- niqua les échantillons de poteries antiques conservés dans la vitrine de l'établissement, et nous fit part, dans la suite, de toutes ses nouvelles trouvailles.

Il nous avait à l'avance préparé de bonnes épreuves, obte- nues au moyen du papier d'étain et sur lesquelles il avait fait couler de la cire d'Espagne fondue. Get excellent procédé mé- rite d’être signalé.

Enfin à Port-sur-Saône, M. Galaire, l’heureux explorateur

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des nombreuses villas gallo-romaines disséminées sur le ter- ritoire de la commune, mit libéralement à notre disposition toutes les richesses de son cabinet.

En opérant cette moisson, qui triplait le nombre des spé- cimens conservés à Besancon, nous avons pu remarquer Com- bien sont rares les estampilles sur tuiles et briques. Nous es- pérons que la publication de ce travail nous procurera des auxiliaires pour le rendre aussi complet que possible.

I

Les noms des potiers se trouvant quelquefois mêlés aux dé- cors des vases, 1l est assez naturel de joindre à l'examen de ces signatures, quelques considérations sur l’œuvre arüstique qui leur sert de cadre.

Les petites marques qui figurent dans nos six premières planches proviennent toutes de vases rouges lustrés. Deux font exception à cette règle (n°5 3 et 164) : c’est d’abord l’es- tampille dite d'Alaise, imprimée sur terre rougeñtre, gros- sière et non vernissée, puis une seconde sur poterie noire (TAROI ou MARCIT) trouvée dans les fouilles du Théâtre ro- main de Besancon. (Mém. de la Soc. dEmul. du Doubs, 1572, p. 200.)

Le vase ronge lustré, l'équivalent de notre porcelaine pour l'époque gallo-romaine, devait être un article recherché pour la table et pour la toilette. La dénomination de vases sigillés que les archéologues ont donnée à cette poterie de demi-luxe se justifie d'autant mieux que le procédé employé pour la décoration des creux consiste presque exclusivement dans l'application sur la terre molle d'un assortiment considérable de poinçons ou matrices en manière de sceaux qui représen- tent tous les objets imaginables.

On doit faire un groupe à part des jolies coupes les rin- ceaux et les motifs d'une facture délicate limitent l'emploi beaucoup plus lourd de la figure. La majeure partie des au-

413 tres vases, très luxueux de détails, abonde en personnages l’expression très matérielle de la force physique prime celle de la grâce et de la délicatesse. Dans l'Olympe, l'artiste choi- sit de préférence les dieux populaires, patrons du plaisir, de la joie et même du vice; parmi les mortels, il multiplie les fi- gures des gladiateurs, des guerriers, des mimes et des chas- seurs ; les bêtes féroces et le gibier, les insectes et même les crustacés : tout y passe et s’encadre dans des panneaux limi- tés par de légères baguettes cordelées ou dans des motifs d’ar- chitecture bien symétriquement disposés. La fermeté et l’am- _pleur du galbe s'accordent très bien avec l'éclat de la couleur ; l’ensemble est théâtral, puissant et vraiment romain. Il y a des figures excellentes; mais, il faut le dire, il y en a une très grande quantité de mauvaises. Voici, inscrite dans un cercle, une danseuse nue (n° 219, pl. XIIT) qui exécute un pas de haute chorégraphie (1) ; si l’on fait abstraction des 1m- perfections du moulage, on peut croire que cette figure a été empruntée à quelque fin ouvrage grec. Quelque bien pondé- rées que soient Les lignes élégantes et hardies de la silhouette, le potier gallo-romain estimant qu’elles ne remplissent pas suffisamment le médaillon et qu’il est de la nature de la partie décorée du vase d’avoir horreur du vide, imprime deux fois de suite, devant cette composition magistrale, un petit poincon représentant une espèce de fleur de chardon; il vient cependant d'employer déjà sur la baguette la plus voi- sine, ce motif qui rappelle aussi bien un écusson armorié et couronné. Ce soldat (n° 221), armé de pied en cap et en faction sous

(1) Cette figure d’acrobate féminin a être reproduite très souvent, car on peut remarquer, sur le vase de Besançon, un satyre érotique, dont le par'il nous est venu récemment de Mandeure. Dans le médail- lon qui fait pendant, on reconnait l'Apollon assis de Rheinzabern. De cette fabrique bien connue de la Bavière rhénane, notre musée pos- sède un fragment trouvé à Besançon, portant le poinçon du Triton armé d'une massue el combattant.

A4

ce portique voûüté que l'emploi d'un poincon circulaire un peu trop grand transforme en arcade mauresque surhaussée, n'est-il pas curieux par son exhibition du costume militaire de l’époque ?

Les petites figures vêtues ont quelquefois de la grâce; mais le plus souvent elles ont Le défaut de la lourdeur romaine.

La ressource des surmoulages permettait de multiplier les sujets, mais elle était cause de ces empâtements que le défaut de soin du mouleur ne suftirait pas à expliquer. On conçoit ce que peut devenir le plus fin chef-d'œuvre après une série de surmoulages.

Quoi qu'il en soit de la valeur artistique, la plupart du temps

très contestable, des reliefs sigillés, il serait utile d'en publier des reproductions sincères. Il y a de petits détails de décora- tion qui seraient d'un grand secours pour éclairer les origines de fabrication. Des poinçons fort simples pourraient, en celte qualité même, être considérés comme étant l’œuvre et la pro- priété personnelle de l’ouvrier, et équivaloir à des signatures positives. C'est l’occasion de dire, avec M. Elie Rossignol, (Bull. mon. série, t. V, p. 652) que « ce serait une raison de plus pour déterminer les possesseurs de moules à en publier les des- sins. On pourrait arriver à établir ainsi quelles étaient les relations que devaient avoir les villes entre elles. »

Nous essayons de satisfaire à ce désir en donnant, dans notre planche XII (n°5 212-214), une réduction de deux frag- ments de moules, encore inédits, trouvés à Luxeuil, dans l'é- tablissement des Bains ou dans le voisinage. Le premier a été donné au Musée de Besançon par notre regretté confrère le docteur E. Delacroix et M. Descos (Mém. de la Soc. d'Emul. du Doubs, année 1862, p. 98); le second a été recueilli par M. le docteur Paris qui a bien voulu nous en faire le mou- lage (1). Ce dernier creux nous présente, avec une course d’a-

(1) Cette découverte, à Luxeuil, d'un second fragment de moule,

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nimaux, de petits détails d'ornementation de remplissage qui rentrent dans la catégorie de ceux auxquels nous venons de faire allusion. Ge sont d’abord deux rosettes accompagnées de rubans aux franges placées à contre-sens : nous reconnais- sons le même poinçon sur un fragment d’un petit vase mince bronzé, de Mandeure (n° 216); les banderolles, cette fois, se trouvent être les deux feuilles retombantes d’un palmier sous lequel s’abrite une femme. L'autre petit ornement, servant de support à deux fleurs de lys, est très facile à repérer par- tout ailleurs (n° 215).

Ce serait perdre sa peine que de chercher un sens aux plus que médiocres figures du premier moule. Après avoir examiné la coiffure pyramidale du buste de femme, dans les demi- médaillons , et celle plus curieuse encore du bonhomme nu et armé d'une lance, on reconnaîtra sans peine un exemple frap- pant du degré de banalité le procédé abusif du décor au poinconnage devait entraîner les fabricants de vases sigillés.

Il y aurait eu quelque espoir de régénération dans l'emploi du procédé des applications à la barbotine, dont nous donnons un spécimen (n° 218) Musée de Besançon. Venu aussi

apporte la confirmation de celle qui a été faite et décrite par le doc- teur Delacroix (Un céramique romain à Luzxeuil, dans les Mém. de la Soc. d'Emul. du Doubs, ann. 1858, p. 380). On doit féliciter MM. Dé- pierres et Paris du soin qu'ils ont mis à conserver les débris rencon- trés dans les creusages de la propriété de M. Chauvet. Il est fort pos- sible qu'avec un peu de persévérance et de flair on mette un jour la main, à Luxeuil, sur de nouveaux amas de ces rebus si fréquents dans le voisinage des fabriques de poterie.

En même temps que des fragments de vases divers, M. Paris a re- cueilli plusieurs petites meules entières ou en morceaux, et en outre un certain nombre de pains de terre très fine, très cuite, très dure et très rouge, évidemment la même que celle qui était employée pour les vases sigillés. Ces pièces intéressantes, aplaties et ensablées sur une face, ont no-seulement conservé les traces des lignes de la peau des doigts qui les ont façconnées, mais encore une empreinte circulaire entourant une forte saillie bombée en cul de bouteille, qui a donné lieu à la supposition que l’on avait affaire à des bouchons d’amphores. Ne doit-on pas y voir plutôt des supports ou des cales pour la cuisson?

416

de Luxeuil, ce plat, décoré d’une main très sûre, mais dont le lustrage est mat et de basse époque; il est signé cependant d’un nom tout romain : JANUARIUS (n° 69). Ce genre de déco- ration plus indépendant, issu de la feuille en cœur du bord des plats si gracieux et si répandus alors, est peut-être parti- culier à la Gaule romaine; mais rl ne donna lieu qu’à de ti- mides essais quelquefois très heureux. Ce sont principalement les tombeaux du 1v° siècle qui nous les ont conservés.

III

Nous donnons ci-après la liste des marques de potiers gallo-romains trouvées dans la province. On peut repérer la presque totalité de ces estampilles dans les grands recueils. Quelques rares spécimens paraissent être inédits. Bien que l'on y remarque déjà plusieurs répétitions, nous ne doutons pas cependant, d'après ce que nous voyons dans nos plus ré- centes acquisitions, que nous ayons encore longtemps plus de chance de voir notre série s’augmenter de noms nouveaux que de marques faisant double emploi.

En supposant même quatre siècles environ de durée de fabrication , on ne peut s'expliquer cette multitude de va- riantes qu’en Considérant la majeure partie des établisse- ments de poterie comme des agglomérations de petites offi- cines. Les localités l’industrie de la poterie s'était déve- loppée devaient compter un grand nombre de petits fabri- cants. Pour ne citer qu'un exemple, à Montans, près de Gail- lac (Tarn), M. Elie Rossignol retrouve plus de 70 marques différentes (op. cit., p. 700); et c’est à la même page que l’au- teur mentionne l’intéressante découverte d'un rebut l’on voit deux fragments de vases différents, soudés ensemble par la cuisson, portant l’un la marque d’Amandi, et l’autre celle de Crispus. D'où il résulte qu « Amandus cuisait avec Cri- spus ». Ge fait nous révèle l’association des petits fabricants et nous permet d’attacher un sens plus précis aux mots MANV

417 (MA, M) et FECIT [FEC, F) aussi fréquents que la désigna- tion OFICINA (OFIC, OF).

En dehors de la vente facile dans les villes du voisinage, le concours des marchands colporteurs était nécessaire. Ceux- ci, en venant choisir l’assortiment qui convenait à leur clien- tèle, devaient donner leurs avis à leurs fournisseurs, qui rivalisaient de zèle pour rendre Îles pièces, signées de leurs noms, aussi séduisantes que possible, tant sous le rapport de la qualité que sous celui du décor.

C’est ainsi que le nom d’une immense quantité de simples ouvriers s'est répandu dans le monde romain tout entier.

Si l’on ajoute à ces considérations l'hypothèse adoptée avec raison par M. Hucher (Bulletin monumental, 3 série, t. V, p. 393), que la signature placée à l’extérieur des vases, au milieu du décor, serait celle d'artistes spéciaux pouvant ha- biter loin des groupes d'officines, on sera fixé tant sur le de- gré d'importance que sur le sens qu'il faut attacher aux es- tampilles, considérées en général comme des marques de fabrique, et l’on aura de plus la vraie raison de leur éton- nante multiplicité.

Si l’on peut déjà avec une certaine probabilité détermi- ner, au moyen de la marque, la provenance de quelques- unes de nos pièces, il serait plus difficile de leur assigner une date précise. Sous ce rapport, Mandeure, dont le sol a rendu un assez grand nombre de vases entiers, serait un ex- cellent repère, puisque cette ville a subi un effacement pour ainsi dire total vers le milieu du r1v° siècle. La ville de Lu- xeuil, éprouvée dans une seconde phase des Invasions, pour- rait montrer des spécimens de la décadence plus avancée.

Besancon possède plus de débris que de pièces complètes. Lors de l'introduction du christianisme dans cette vieille cité, le zèle religieux a inévitablement rechercher pour les dé- truire les vases des païens si souvent souillés d'images d'une obscénité révoltante.

Nos inscriptions doliaires, quand il s'agit des nombreuses

21

2 AIS

amphores de formes très diverses, doivent nous renseigner sur les importations de la fertile région méridionale. Quant à celles des tuiles, cu égard au poids de la marchandise, ce sont évidemment des témoignages de la fabrication locale. Un seul fragment de brique, mais très remarquable par son cstampille magistrale, serait, si l'on admettait l'interpré- tation citée avec réserve par l’auteur du Corpus de Berlin, le produit du travail d’une légion romaine. Toutefois il ne suf- firait pas d’un seul exemplaire pour établir le fait intéressant de la présence à Mandeure de la légion Prima Minervia Pia. En attendant la complète synthèse que peut seule donner un grand travail d'ensemble, il ne nous a point paru hors de propos de Joindre ces considérations générales à notre petit corpus, menue monnaie de l’Epigraphie franc-comtoise.

Texte de l’Index et planches.

La série des numéros du texte de notre liste correspond avec celle des planches de fac simile.

Au lieu d'un numéro, un astérisque (*) précède les mar- ques dont les originaux, mentionnés antérieurement par quel- que auteur, n'ont pu être retrouvés.

L'introduction au recueil d'un certain nombre de pièces, celles de Port-sur-Saône en particulier, n’ayant pu avoir lieu qu'après le principal tirage, on à intercaler des planches supplémentaires des lettres de renvoi permettent facile- ment le recours au texte. Pour tous les vases à couverte rouge, l'ordre alphabétique a pu être ainsi conservé.

Dans l'exécution de nos planches, nous nous sommes atta- chés à conserver au moyen du procédé le plus simple le ca- ractère propre des cstampilles; c’est-à-dire en faisant le trans- port sur pierre du dessin calqué sur papier autographique. On obtient ainsi des figures directes qui n'ont pas eu besoin d’être retournées. Ge qu'on perd en finesse d’exéculion, on le gagne bien en liberté de travail et en sincérité d'expression.

à M9

Signes conventionnels et abrévialifs.

Les lettres conjuguées, disjointes pour l'impression, sont mises entre parenthèses (), et quelques restitutions ou des finales complémentaires entre crochets [|.

L’indication du lieu de la provenance suit immédiatement l'inscription.

Le lieu de dépôt est abrégé ainsi :

(B) Musée de Besançon. (M) Musée de Montbéliard et Coll. de M. CI. Duver- noy.

(Coll. G) Collection de M. Galaire à Port-sur-Sadne. (Coll. B) Collection de M. Boisselet à Vesoul.

La mention de (Luxeuil) (Bains de Luxeuil) et de (Lons- le-Saunier) indique que l'original provenant de ces localités est conservé soit dans la vitrine des Bains, soit au Musée de la . ville de Lons-le-Saunier.

Rétrog. Inscription rétrograde.

Arch. Caractères archaïques.

Cart. rel. Cartouche en relief.

Let. rel. Lettres en relief.

Let. inc. Lettres incuses.

HIDE) Liste Lafosse. (V. 31). Liste des noms de po- tiers trouvés dans les fouilles de l'arsenal de Besancon en 1641.

Sch. Recueil de M. Schuermans. V. Bibliogr ms

H. de F. M. Harold de Fontenay. V. Bibliographie.

Bibliographie.

SCHUERMANS. Sigles fiqulins, époque romaine. (Annales de l’Académie d'archéologie de Belgique, 1867.)

En publiant ce recueil remarquable, contenant 6000 nu- -méros, l'auteur s'était « résigné à l'avance à voir avant dix

Le Ro ans son œuvre qualifiée de surannée et exiger à son tour un complément. » C’est à l'obligeance de M. Harold de Fontenay que nous devons la communication d’un exemplaire de ce très utile ouvrage devenu rarissime.

HaROLD DE FONTENAY. Inscriplions céramiques gallo-ro- maines trouvées à Autun. [Mémoires de la Société Eduenne, année 1874.)

Quarante-trois planches de fac simile accompagnent ce tra- vail, exécuté avec autant de conscience que de savoir.

Un inventaire spécial aussi complet, exécuté sur place, constitue une mine précieuse pour les épigraphistes. C'est ainsi qu'elle fournit ici l’occasion de rapprochements intéres- sants pour deux régions voisines.

Ta. MomuseN. Inscriptiones Confederationis Helveticæ. (Mittheilungen der Antiquarishen Gesellschaft in Zurich, Zehn- ter band, 1854.)

ALLMER. Înscriptions antiques de Vienne. ALPHONSE DE BoISSiEU. Inscriptions antiques de Lyon.

LomBarb-Dumas. Mémoire sur la céramique antique dans la vallée du Rhône (Académie de Nîmes, 1878.)

Docteur PLique. Congrès archéologique de France, XLVIIS session tenue à Arras en 1880.

ROGER DE QUIRIELLE et A. BERTRAND. Découverte d’une ufficine de potiers gallo-romains à Lubié, près Lapalisse (Allier). (Bulletin de la Socièlé d'Emulation de l'Allier, t. XVI, livr.)

BOoURQUELOT. Mémoires de la Société des antiquaires de France, t. X XVI (3° série, t. V, p. 40 à 42).

AUGUSTE CASTAN. Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, 1658 non 1872, prout.

Euize DeELacroix (le docteur). Société d'Emulation du PDoubs:1856,1p. 38:/1862, p. 931867. -p09.

E. Tupor. Murques et signatures de céramistes trouvées

421 dans le Bourbonnais. (Bulletin monumental, 3 série, t, IT, p. 331 et suiv.) E. Tupor. Collection de figurines en argile, œuvres pre- mières de l’art gaulois, avec les noms des céramistes qui les ont

exéculces, (1860, in-4). CL. Duvernoy. Notice sur le pays de Montbéliard, anté-

rieurement à ses premiers comtes. [Société d'Emulation de Mont- béliard, ?e série, vol., p. 64 et 76.)

422

ESTAMPILLES DE POTIERS

è

U (PL. x bis).

()"Le n°13

noirâtre.

Vases à couverte rouge lustrée (1).

ACVT Mandeure (Musée de Monthéliard). Le nom d’AcuTus se trouve fréquemment sur les vases sigillés; mais le cadre palmé de cette marque est plus

particulier aux poteries d’origine italienne.

OFficina] ALBINI Besançon, rue du Chapitre, 3 (B). Couverte très brillante, tournassage parfait. France, Allemagne, Angleterre.

ALBVCI Mandeure (B). Grandes lettres en relief dans le champ d’un médaillon encadrant une figure d’un assez bon style : Jeune homme portant une amphore.

RUE OL Sur deux lignes encadrées d'un filet. Cart. creux, let. rel. Sur le fond intérieur d’un fragment de vase en terre rouge grossière et sans engobe.

Jusqu'à ce que l'on ait rencontré une répétition moins détériorée de cette estampille, on ne saurait se prononcer absolument sur la lecture donnée ni surtout la compléter. (Mém. de la Soc. d'Emul. du Doubs, 1858 p. 579; Mém. de la Soc. Eduenne, 187%, H. de F., p. 333; Dicl. de la topographie des Gaules.)

ANAILLVS Besançon (B). Très belle marque. les L archaïques. Fond épais d'une large coupe, à couverte très brillante. Mommsen, Augst, ANAILL. r, et Wilderspool, ANAïLLr. M, Vienne, id.

Alaise (Doubs) (B).

est en terre grossière rouge non vernissée, et le 164 en terre

40

AINE)XTIA. Flecit] Besançon, arsenal (liste Lafosse). Un trait horizonta! sur l'A final. Une inscription lapi- daire de Poitiers renfermerait ce nom (renseignement communiqué par M. Changarnier-Moïssenet, de Beaune). (ANE)X Ia Menne. - AGEDILEVS F Luxeuil (Collection Boisselet.) L'inscription est rélrograde en caractères presque cur- sifs. Le fac-simile donne l'empreinte retournée et directe; celle-ci trompe les lecteurs.

GEDILLVS F Luxeuii (Notes de M. Boisselet). Schuermans, Londres : AGEDILLI, AGEDILLUS F, AGEEDIL- LUS F. AGRICOLA Besancon, arsenal (L L). Sch., Tours. AQVIT{anus] Besançon (B). France, Suisse, Allemagne, Angleterre. OF. AQVIT(AN)I Mandeure (M). Les extrémités du poinçon échancrées.

AQVITAN Besançon, arsenal (B). AQVITAN Port-sur-Saône (Collect. de M. Galaire).

OFARDACT Mandeure (M). Un point au milieu de l'O. H. de F., Autun, 16 variantes de ce nom très commun.

ARD(AC) Besançon (B). Le D fortement ponctué.

OF. ARDAc Besançon, arsenal (B).

ATEIXA [Atei Xanti] Besançon (B). L’A final est engagé dans la queue d’aronde du fifulus.

... TEI {Atei] ? Besançon (B)

ON. ATEI XANTI Fond d'un grand plat orné à l'intérieur d'une large zone de guillochis. Cette marque sur deux lignes, encadrée d'un filet est agrémentée d'un vase élégant. La couverte de nos Afei est mate et souvent peu aühérente. (Revue archéologique, 1861, série, t. IV, p. 264). Cetle marque mème gravée; Tudot s'est trompé dans sa lecture, H. de F., Autun, 34 variantes rappellant la famille des ATEI.

Besançon (B).

B (pi, 1x bis). ..,, BIC(ANT)I Port-sur-Saône (Coll. G).

.

17,

18.

19;

XA(TEÏI) Besancon, place Saint-Jean.

ATEPO'MA)RFEC Bains de Luxeuil. Cart. rel., let. inc. Lecture difficile mais certaine. Vase à reliefs. | Mommsen, Augsl., une partie de ce nom en caractères grecs.

ANTEROS. F. Luxeuil (docteur Paris), trouvée récem- ment, propriété Chauvet. H. de F., Autun, ...eros r., bien lu ANTEROS F., même poinçon.

(AT)IMO [Atimeti ou Atimi officina] Mandeure (B). Sch., A'rimr, Salzbourg.

INAITTA [Attiani]| Besançon, arsenal.

Rélrog. Cursive en relief sur le champ extérieur et au- dessous de la partie décorée d’un vase presque entier. L’ornementation consiste en un cordon continu serpen- tant autour du vase avec de grandes feuilles symétrique- ment disposées. Décoration (19) rappelant celle du 131 (Sacirs). M. Lafosse a donné dans sa brochure (18%?) une figure du vase d’Attiani avec la signature très exactement reproduite mais non lue. Les caractères de cette signature ont la plus grande analogie avec ceux d’une curieuse ins- cription cursive de Zézoux que M. le docteur Plique a fait connaitre au Congrès archéologique tenu à Arras en 1880.

ATTIANI (Lons-le-Saunier). Allmer, Vienne.

ATTICI. F Besançon, arsenal (1. L).

AVITVS Mandeure (B). Couverte mate. Ge nom est très répandu. AVRELVS FE Besancon (B\. Caractères nettement tracés mais irréguliers, l'A est ponctué. Fond d’une coupe sigillée dont le moulage et la

couverte sont des mieux réussis. SCH 07:

BAZBVS. F Mandeure. Sur le fond extérieur. (Acad. de Besançon, Documents inédits, t, I, p. 177).

Rosace occupant au fond d'un petit vase la place de la signa- ture:

BASSI Besançon, place Saint-Jean. Couverte mate.

OF BASSTI Lons-le-Saunier, rue du Collège.

C2 HS

495 OF BASSI Bains de Luxeuii, citée par M. Bourquelot. OF BASSICO Besançon. Couverte très glacée. Mommsen à Waindisch, la marque abrégée Bassr est très fréquente comme, du reste, en nombre d’endroits.

BASSF Mandeure (M).

OF BILLIC Lons-le-Saunier, rue du Collège. :e nom est écrit le plus souvent avec un seul L.

BORILET OFFIC Besançon.

BORILLI OF Mandeure (M).

Le nom de Borillus à été rencontré dans les amas de débris des fabriques de poterie étagés en manière de sé- diments géologiques, aux environs de Lézoux, Auvergne (docteur Plique, op. cit.)

Les caractères de ces marques de Borillus sont régu- liers et d’un bon style.

BORILLI OF Villa des Egliseries, plateau d'Amancev (Doubs). Bâle, Altiér, Londres.

BVTRIV Lons-le-Saunier, Palais de Justice. Marque répandue, même à Londres. Arrêts inférieurs du T et de l’'R à remarquer.

BRITANI Bains de Luxeuil.

Sch., Brirant et prrrant, Londres et Windisch.

Rosace à la place de la signature. H. de F., plusieurs ana- logues, Autun.

BVRDO Besancon. Cité par Chifflet dans son Vesontio, p.98, en même temps que la marque suivante :

OVRCIMA « Poculum elegans in Campo Nigro repertum, rubrum cum tali inscriplione in fundo, CvRaIMa....... Alia postea mihi dala est cum hac epigrapha : BvrDo. »

Sch., 902, Burpo, Normandie, Bavay. Londres, BvrDoxt, Allmer, Vienne.

CAT VL... Mandeure. CL. Duvernoy. Sch., France, Allemagne, Angleterre. OF (CA)ITVI ou (GA)ÏIILVS Besançon. Couverte bril-

lante comme un émail.

Id. Besançon. La même que la précédente, mais mal venue,

36.

(pi, x his).

39.

nn Id. Besançon. Allmer, Vienne. or cAILvVI et cALvr.

On trouve jusqu'en Angleterre àe nombreuses variantes de ce nom de potier,; cette marque est souvent confuse.

CAL Mandeure (M)..

EF. CAL Besançon.

CELTIAN. M Besancon, arsenal (1. L). Sch., Tours.

…...STIIIW |Castini. m ou Cestini. m} Mandeure (B). On n'aurait pas donné le fac simile de ce cartouche saillant dont les lettres incuses sont peu distinctes, s’il n'eût été accompagné de reliefs intéressants. À quelques _ indices on pourrait croire que l'inscription est rétrograde, et qu'elle comporterait dans ce cas une autre lecture. Dans l’un ou dans l'autre cas, il faut admettre que soit l’'M, soit le T sont renversés.

C...TVS FEC [Cattus, Cestus ou Gettus] Mandeure (B). Même observation que pour la précédente ; seulement l'intérêt que peut offrir cette coupe sigillée est celui d’un spécimen, fréquent à Mandeure, de l’article courant, qui témoigne d’une fabrication assez commune, bien que la pâte soit fine et dure; le décor est lourd et décousu.

Un homme nu dans une attitude mouvementée et sans objet, deux coqs affrontés tenant à leur bec et par Îles deux extrémités une petite branche feuillue, une grosse tête ou masque barbu de profil, des hippocampes et un petit vase figuré 40. Vienne, cATvs FEc.

CINT VSMI Mandeure (M).

….INTVSMVS F Mandeure (B). Couverte très brillante. Nom très commun.

OF COELI Bains de Luxeuil. Sch., 1514 à 1517, Allemagne.

COB(NE)RTVS F Saint-Sulpice, pres de Villersexel Haute-Saône (Collection de la Société d'agriculture de Vesoul). Cette estampille, en très bons caractères, vien- drait-elle des officines de Lézoux (Auvergne) l'on trouve le nom de Cosnerrus, ou bien de celles de Rheinzabern, le même nom d'artiste accompagne des moulages re- marquables ?

OCOSO ou OSCOO Besançon. [Oficina cosi?|

Coupe conique à couverte brillante. Mommsen, Augsk. (Mus, de Zurich) DOCIO : F, Allmer, Vienne,

46.

AT,

48.

427

INIROSEC |Cesorini] Besançon (B).

Rétrog., cart. rel., let. inc. Grande coupe (patina), diam. 0" 25. Une grande figure nue, peut-être une femme, les mains paraissant attachées derrière le dos, répétée plu- sieurs fois verticalement ou horizontalement au milieu d'animaux sauvages qui se précipitent vers elle. Le champ est semé de feuilles ou de petites palmes. Un fragment venant de Mandeure (Montbéliard) a sortir du même moule. (Fig. Clém. Duvernoy, Histoire du pays de Mont- béliard, etc.)

Tudot donne ce poinçon rélrog. parmi ceux des fabri- ques de l'Allier.

Mommsen, cesorin, Bâle et Augst.

CIBISVS FE -- Mandeure (B).

Let. inc., cart. rel. Fragment de coupe sigillée épaisse. Décor empâté sorti comme tant d’autres d’un moule usé, la frise d’oves est en dents de loup. Gladiateurs dans de petits médaillons.

Sch,, 1538, Allemagne. Mommsen, Suisse, 3 exemplaires.

CIBIS Luxeuil. Ce fragment de poterie sigillée ne se re- trouve pas au musée de Besançon, il aurait été déposé selon M. Bourquelot, non plus que Pauzranus et Pers cités aussi dans le même travail.

Bourquelot (Ant. de Fr., xxvi). E. Delacroix (Soc. d'Emul. du Doubs, 1862, p. 93). |

SCOTAS Voir au 13? bis.

IMANNIC [Cinnami] Besançon, arsenal; liste et planche de M. Lafosse, l'on voit représenté un fragment de grand bol sigillé avec l’estampille manny en reliet et let. inc. Cette lecture est mauvaise et nous la rectifions; les deux N sont bien figurés rétrog. Parmi les pièces du dé- cor se trouve une figure nue, à moitié corps, dans un mé- daillon dont le cadre est formé de deux cercles renfermant dix-huit annelets. A côté on remarque l’Apollon assis de Rheinzabern.

Même marque à l'extérieur du vase en Anglelerre.

CINNAMI Mandeure.

Vase sigillé, lecture sur un dessin de M. Morel-Macler, architecte à Montbéliard. La remarquable collection d’ob- jets antiques sortis du sol de Mandeure, due à la sollici- tude de cet amateur éclairé et persévérant, remplit pres- que entièrement une grande vitrine du Musée de Besan- con,

49.

V (PL X is).

96.

7.

2 os

Tudot, Allier, rétrog. Docteur Plique, Lézoux : cinvami, Lubié.

EFSNAITIMOC [Comitianus fecit] Mandeure. Bol sigillé conservé en entier à Montbéliard.

Rélrog. inc., cart. rel. Au flanc d'un médaillon enca- drant le Trilon combattant de Rheinzabern. Des chiens courant en sens opposés et séparés par des baguettes cor- delées. D'après le fac simile on peut voir que la lettre V est conjointe à l’N : comrtranus.

CONGI. M Mandeure. Sch., 1574, Londres; Allmer, Vienne. COSIRV [Cosius Rufinus] Mandeure (B), Fond de coupe sigillée, lourde de façon, mais à pâte fine

et dure. Sch., 1635, Amiens et Londres, COSIRUFIXI.

_

COSIRV Mandeure (M). Poinçon mal venu.

CRESTIO Besançon, nouvelles halles (d'après un dessin peut-être peu fidèle de M. Marnotte, architecte à Besan- con.

Aulun, plusieurs marques de ce nom très répandu.

CRES..,. Port-sur-Saône (Coll. Galaire).

CRESTI Besançon, arsenal (L. L),

ITSER.... [Cresti] Mandeure (B). Caractères très nets, quoique irréguliers, rétrog. Cou- verte fine, luisante. Orange, Lombard-Dumas, 50, le T qui n’est pas renversé.

ST ARC DANO. (MA) Besancon, arsenal (L Lj.

Sch., 1858, Poitou, Tours. Tudot, p(axjo. Mommsen,

Augsl., D(AM)ONUS.

Besancon. Sur deux lignes.

DIOM Besançon, halles (d’après un dessin de M. Mar- notte)? Sch., 1921 (Musée de Wiesbaden).

DO(NATV)S Besançon, arsenal (B). Petite coupe finement tournée avec gorge au rebord. Allmer, Vienne, même conjugaison des lettres.

ELI. M Bains de Luxeuil (B). Couverte brillante. Tudot, 71, Allier (rélrog.).

8.

99.

4929 EME(ND) ou EMIN Besançon (B). Sch., 2072, Douai, EMIN.

OF ERRIS ou OF ARRIS (?) Besançon. arsenal (B). Lecture difficile; peut-être Apri, Aprisci, très répandu.

A (Pix bis. ESVATE Fiecit] Port-sur-Saône (Coil. Galaire).

60.

Il n’y a pas de doute sur cette lecture. Ce nom ne se trouve pas dans les recueils consultés, la forme en paraît gauloise.

FELIC Bains de Luxeuil.

C {1 it bis). OF. FELIC Port-sur-Saône (Coll. Galaire). Couverte bril-

GI.

lante. Coupe.

OFT. FIRM Besancon (B).

D (p1.ix bis). FIRMO Port-sur-Saône (Coll. Galaire). Un point au mi-

62.

1097

66.

67.

068.

lieu de FO. Mommsen, Augsl.

FO(NT) Besançon, arsenal. Ce sigle élégant n'est pas cité dans les recueils consul- tés. On peut lire Fonranti, bien que l'A conjoint ne soit pas barré.

FO{NT) Besançon, rue du Loup. Le même que le précédent (M. Arthaud), Besançon, rue du Loup.

P. HER Besancon (B). Couverte mate et peu adhérente. Sch., 2493, env. de Naples; Mommsen, 6307, 28; All- mer, Vienne (F PHE).

GENETIS ou GENETIO Groson, cendrier des salines antiques (Musée de Lons-le-Saunier). Dans ce fragment d’un vase à reliefs, la marque est placée extérieurement, au dessous et au bord de la zone décorée, tout en affec- tant la forme du cart. creux avec let. rel. en usage dans l'intérieur des vases.

GENIALIS F Mandeure (M). Sch., 2390, Londres; Mommsen, Bäle et Angleterre. GER(MAN Besançon (B). Fond de coupe à couverte très brillante. Nom répandu partout. GER(MA)N Luxeuil (B). Grandes capitales rustiques en relief, parallèles à la frise d'oves.

GER(MA)NI F.., Mandeure (B). Fouilles de 1882,

69.

76.

rie

78.

00

430

HABILIS. F Besançon, arsenal (1. L). Tudot, Allier: Mommsen, Augst.

IANVARIVS Bains de Luxeuil (B). C’est l’estampille du plat décoré à la barbotine, figuré px ne 21e Nom très répandu par toute l'Europe romaine.

IANVARIOF Besançon.

IVCV.NDI Mandeure (M). Double application du poinçon superposé et retourné.

OF IVCOVIND) Luxeuil (docteur Paris), dans la propriété de M. Chauvet.

OF. IVOVN Besançon (B). Luxeuil, le même que le précédent.

IVNIVSF Environs de Besançon (B). H. de F., 394.

IV....TI(19) Mandeure (B).

Le sigle final est peut-être un O mal formé ou un N. Fond d'un vase sigillé à couverte brillante, le décor est lourd.

Allmer, Vienne, 1v...ri(ma); Mommsen, Suisse.

IVSTINI Luxeuil (docteur Paris), dans le même endroit que le 72. Fouilles de 1882. Les noms de svsrvs et de svsrinvs sont fréquents.

IMA.... [Ginnami] Besançon (B). Cartes capitales rustiques en relief à l'extérieur, sie lées. Paraît être la marque de 1manni, rétrog., Lubié. Bertrand et R. de Quirielle, op. cüt.

LASTVOAF Cabinet Bruand (B). Très belles let. inc. sur un large cartouche saillant dont les extrémités se profilent en angle obtu. Extérieur du vase.

FSICVTXAL RUE fecit] Besançon, pics Saint- Jean (B).

Fragment d'un vase sigillé. Cartouche en rel. avec let. inc. et rétrog. Nous donnons à côté la marque redressée. C'est peut-être l'empreinte même du poinçcon en terre cuite trouvée à Lyon, rue du Doyenné.

De Boissieu, p. 443, 9; Sch. et Tudot, Allier, Lubié Vichy.

LAVRICI M ou TAVRICÏ. M (Musée de Lons-le-Sau-

80.

81,

83.

84,

86.

87.

88.

89.

90,

91.

np

nier), trouvée dans les thermes gallo-romains de Montmo- rot en 1828 près d’une mosaïque dont la conservation et le transport au musée sont dus au zèle de l'habile con- servateur, M. Zéphirin Robert. Mommsen, Windisch, LaAunic; Augst,, Vienne, ‘rau- RICE OF. LICIN VS Besançon (B). Fond de vase à relief, mince, finement moulé et tourné. EH. de F., Autun, 28 fac simile de ce nom. LICIN VS Besancon (B). Couverte mate, peu adhérente.

,.. ICIN VS Besançon (B). Couverte presque mate. Petite coupe fine.

LOGIRNIO Bains de Luxeuil. Sch., 3012, France, Allemagne, Angleterre.

LVPVS Mandeure (M). Sch., 3093, Rheinzabern; de Boissieu, Lyon.

ENS. Besançon (B). Sch., 3102, Lusanus, Allemagne.

(MMMM) Besançon (B). Suite de jambages ou de M conjoints. Auiun, Orange, etc.

OFTcMACCar Lons-le-Saunier. Fond de plat. Nom très répandu.

OFIcMACCar Besançon (B). Même marque que la précédente. (MA)C.RI(MANV) Lons-le-Saunier, rue du Collège. Marque très nette au fond d'une forte coupe. Ürange, Angleterre. (MA)CRINI Lons-le-Saunier. Très répandu. MAMMIOF Besancon (B). Lettres fines et d’un relief vigoureux. L’M initial dé-

térioré se révèle par quelques indices. Sch., 3219, maur, le Chalelel.

(MATDATIIVS ou (MDAIINS ? -- Besançon (B).

id, id. id. Même poin- con. On ne saurait affirmer qu'il y ait un A dans le sigle initial, l'M est partagé par une haste verticale, Ce pour-

96.

97,

432

rait être (manv) et AzIvs, deux I pour E. Gette estampille ne peut être repérée qu'a l’aide de fac sunile.

MAIANVS Mandeure (M). Sch., 3184 ou 3189, l'I est redoublé ?

MARONVS Luxeuil. (D’après des notes archéologiques datant du siècle dernier, communiquées par M. Boisselet.)

MILONOS ou MIRONOS Mandeure (M). Iet R douteux; ne se trouve pas dans les recueils con- sultés.

AANDVRA Mandeure (B).

À première vue, eu égard surtout au lieu de la prove- nance, on à, jusqu'à présent, lu sans hésitation MAN- DVRA. Comme cette lecture établit une exception à la règle générale en mettant un nom de ville à la place d’un nom d'homme, un examen scrupuleux est ici de rigueur.

Il n'y a pas de doute à concevoir sur le commencement de l’estampiile; malgré la brisure, on voit que le car- touche creux, de forme ordinaire, est limité à gauche par linfléchissement naissant de la ligne supérieure. Les cinq premières lettres (AA = MA), bien que lourdes, écrasées et usées dans leur saillie, se lisent parfaitement. L'R se composerait de deux pièces, sans aucuns points de con- tact; le fac simile donne à peu près l'effet produit. On ne peut prendre la lettre finale pour un A qu'à la condition de négliger l'oubli de la traverse; or le premier A est visiblement barré. A la suite du sigle À existe un vide l’on remarque quelques granulations recouvertes par l’engobe brillante. La possibilité d’une détérioration du poinçcon se présente naturellement à l'esprit, et au lieu d’un À, on ne doil supposer que la moitié d'un M.

Nous trouvons dans le Corpus de Berlin (Angleterre), Patellæ, 573. Londinii AANDVILM C.Combe, Archeo- logia 8, 1787, p. 131 ({nde C. R. Smith, Roman London, p. 10%.

Dans le recueil de M. Schuermans, 253 : (æ) (MA)N- DVILM (sic) Londres, Fr. 81.

Avant de se prononcer sur l'identité probable de notre estampille, il faudrait pouvoir confronter les originaux avec les analogues indiqués ci-dessus. Voir H. de E., p. 333. Cl. Duvernoy, p. 64 (Op. cit. Bibliog.).

MARCELLIM Mandeure (M). Les extrémités du poincon échancrées. Tudot, Allier.

98 et 99

100.

E (PL. 1x bis).

106. 107.

108.

00:

110.

F (PI, IX bis).

XX (PI. IX bis).

une

G (PL. IX bis).

no MARTINVS FE Mandeure (M). L’'N très penché : mar- TI(AN)US (?) à On a trouvé dans le département de l'Allier un poincon au nom de MARTINI. (MA)RTI. Bains de Luxeuil. Tudot, Allier, MARTIs. MECCOFEC Luxeuil (Coll. B). Lecture difficile. Sch., 3450, Rheinzabern.

OF. (ME)M Mandeure (B). Fouilles de 1882. France, Suisse.

MOM Bains de Luxeuil.

- ,.,.0MFO Mandeure. La marque est rétrograde.

. . OMM Luxeuil (Coll. B). Grandes lettres en relief sur le champ extérieur d’un vase sigillé.

OF MOM -—- Mandeure (M). Poinçonnage confus, Orange, Lombard-Dumas, 92 à 94. OF MO(NT)O Port-sur-Saône (Coll. G). Tongres, Londres, Orange, Vienne. OF M....RAN.. Mandeure (M). OF, M(VR)R(AN) Mandeure (M). Commune en France et en Allemagne. MVS Besançon, place Saint-Jean. Fragment de vase sigillé,; cart. rel., let. inc. NATALIS Besançon. NATALIS Besançon. Très commun. NEMO Port-sur-Saône (Coll. G). Sch., 3841. OF PASSE(NI)(MA) Port-sur-Saône (Coll. G). H. de F., 299 et 300.

OF PASSIEN Luxeuil (Coll. B). Sch., 4130, Bâle, Augst. Le nom de PpAssrENus est Com- mun. OF PA(TR)IC Port-sur-Saône (Coll. G). Couverte brill. Orange, Lombard-Dumas, 103. OF PAVLI Mandeure (M). PA VLIAN VS Luxeuil. Bourquelot, (op. cit.)

PERRVS F Port-sur-Saône (Coll. G). Sch., 4295. Monim-

sen, Angleterre. 28

le

454

OFERVS peut-être PERVS Besançon, arsenal (I. L).

Sch. et Tudot, pErRuS, Allier, Orange: Windisch, re(rv}s. OFJC. PRIMI Bains de Luxeuil. OFIC. PRIMI -— Mandeure (M). Vase sigillé. OF PRIMI Bains de Luxeuil. OF PRIMI Besançon (B). Le même que le précédent.

OF PRIMI Port-sur-Saône (Coll. G). Le même que le pré- cédent.

....1C PRIA.. [ofic primi] Besançon (B). Petite assiette entière.

PRI...

MAS

Besançon. Fond d'un vase mince.

118. (fig.) Pelit poincon de décor répété plusieurs fois sur un vase

QE 190

sigillé (Besançon). (RE)GIN VS F Luxeuil (Coll. B). (RE,JGINVS F -- Luxeuil (Coll. B).

REGINVS F M VSIC.F nier. (Communication de M. Boisselet.)

Marque trouvée à Luxeuil au siècle der-

RE.,.... Besançon, arsenal. Couverte mate, fabrication soignée. REGIN F Mandeure (M). Cart. rel., let. inc. Coupe sigillée presque entière. Chiens lièvres. Sch., 4629, Nimègue, Rheinzabern, Canstalt. OFFRONTI ou FRONSI, l'S empäté. Besançon (B).

RVTAEN Mandeure (M). EH. de F., Aulun.

RVFIN VS Besançon, arsenal (B). Soucoupe. Couverte mate.

RMEEND = Bains de Luxenill

RIT(VA..) [Ritualis?] Besançon (B). Couverte brillante. SCh., RITA, RITUNUS, RITUS.

OF [SJABIN Besançon, port Jouan (B). Cette marque, circulaire avec rosace cruciforme au centre, a été trouvée dans une couche épaisse de cendres noires, traces d'incendie d’une petite habitation antique.

=

129;

130.

LEE

L (P1. IX bis).

132 bis.

133.

134. 135. 136. 137,

435

Les/travaux du chemin de fer de Morteau ont mis en évidence ce gisement qui renferme une multitude de dé- bris de poterie commune de l’époque gallo-romaine.

Mommsen, Londres, mus. bril., SABINUS FE; marque cir- culaire analogue.

SABINI Lons-le-Saunier, près de léglise. Petite patère très simple, mais fine et entière, conservée au Musée de Lons-le-Saunier.

SACADISI Villa des Egliseries, plateau d’Amancey (Doubs) (B).

SACIRE ou SACERE Besançon, arsenal (B).

Let. rel. dans un titulus en relief à queue d’aronde. Un filet serpentant garni de feuilles d’eau (V. 18). Au bas des chiens isclés (par des baguettes cordelées) et courant en sens opposés Couverte de couleur rouge orangé.

H. de F., Aulun, SAGIRO F, SACIRU, rétrog.; Mommsen, Augst.

SALV(E.TV) Besancon (B).

Entre deux filets. La liaison des trois lettres finales éloi- onerait ridée d’une formule de salut, néanmoins un point tres légèrement indiqué, aussi bien que dans la marque suivante, dénoterait de la part du potier une intention de jouer sur le mot.

S(AL)(VE).TV Port-sur-Saône (Coll. G). Cette empreinte, avec sa conjugaison de lettres, est moins commune que la précédente.

SCOTAS Besançon, arsenal. Fac simile 48. À arch. les deux S retournés. Petit vase mince. SCh., SCOTA, SCOTIS, SCOTUS, SGOTINUS, SCOTIUS, etc. Vienne SCORE

SECV(ND)I Besançon, place Saint-Jean. Nom très ré- pandu.

Id. Port-5:r-Saône (Coll. G). Le même poinçon a servi pour la marque précédente.

Id. Port-sur-Saône (Coll. G). Le même poinçon a servi pour la marque précédente.

SEC(VND)I Mandeure (M). Le V couché à gauche. OF SECVN Mandeure (B).

SEC V(ND)E Mandeure (M;. Le V penché à gauche. SEC l'(ND)I Mandeure (M). Le V penché à gauche.

6e

Ï (p1. 1x bis, OF SECV Port-sur-Saône (Coll. G). Echancrure concave

138.

des deux extrémités du poinçon. Assiette à couverte mate.

SENICA.M Mandeure (M). L’A n'est pas barré; belle marque. SCh., SENECA et SENILA M.

K (1. 1x bis). SENICIO FE Port-sur-Saône (Coll. G).

139.

Orange; Mommsen, Windisch, seNict orr.

.... NICIO |Senicio] Mandeure (M). H. de F., Autun; Tudot, Allier. SENO(MANVT) Besançon, arsenal (B).

Le jambage droit de l’'N, avec son ape% horizontal, per- mettrait de lire, suivant l'observation de M. Changarnier- Moissenet : SENTOMANV (?)

SCh., SENO MANv, Poitiers.

OF SE(VE)RI Besançon, arsenal (1. L). OF SE(VE)RI Mandeure (B). Partie d’une petite coupe à bords relevés, presque droits, belle fabrication.

FELIX SEV Mandeure (M). Petite coupe. Mommsen, Windisch (Mus. de Zurich).

M I(VL.) SE(VE) Bains de Luxeuil. Très répandu.

SILVI(AN)IF Mandeure (M). Le jambage droit du V est courbe et écarté, se rapprochant ainsi de la forme de l'U moderne. L’A évidemment conjoint n’est pas barré.

SILVI(AN)IF Bains de Luxeuil, Même poinçon que le précédent.

SILVINIO Besançon. Partie d’une petite coupe à bords relevés presque droits et guillochés. Couverte fine et bril- lante. La perfection assez générale des petites pièces s’ex- plique en raison de leur mode de cuisson dans l’intérieur des plus grandes. Elles se trouvaient ainsi à l’abri des coups de feu.

OF SILV Lons-le-Saunier. SIL..., Besancon (B). Fond largé, couverte mate.

SIL(VAN)VS Besançon, rue du Loup (M. Arthaud). L’A est ponctué.

SIL(VAN)I Luxeuil. (Manuscrit de l'abbé Baverel, 1811.)

SVARA Besançon, place Saint-Jean.

Couverte mate et peu adhérente. Sch., 5315; Tudot, Allier; G. de Mortillet, Les potiers Allobroges, Bannassac.

152

163.

431 SVOBN Luxeuil, (Notes du siècle dernier, M. Boisselet.) Sch., France, Suisse, Angleterre. C.TETTY SAMIA Voir H. de F., 381, Autun, etc.

Besançon, arsenal {l. L).

.... T(AR) Besançon (B). Le poinçon n’a bien porté qu’à droite ; les lettres étant très hautes, une ou deux au plus doivent le compléter. Nous croyons retrouver la même marque entière dans la pl. IT de la publication des Anti- quaires de Zurich (1862). (rar) près d’Yverdon.

TERTIVS Mandeure (M), Poincon échancré aux deux extrémités. La dernière lettre, qui peut être un S,-est représentée en vérité par un C qui est un $ incomplet.

TERTIVS Port-sur-Saône (Coll. G) L’S est aussi incom- plet et renversé. Paraît être le même poinçon que le précédent.

TITVS.FEC + Mandeure (M). I et T conjugués formant une petite croix. Petite coupe conique.

(VE)RECVNDI Mandeure {M). Rétrog. let. en creux et toutes liées ensemble. Palina sigillée, conservée entière à Montbéliard. Lions et cerfs. Le décor empâté caractérise bien l’article courant en usage dans le Mandeure antique.

_ {VE)RECVNDVS Luxeuil. Bourquelot, (op. cit.).

VIINIIRMIDIM Luxeuil (B). IT pour E, MI pour AN; IT est cependant détaché complètement. Allmer. Vienne; Tudot, Allier; Sch., vENERANDI Augsi, Poitou, Allier.

VITALIS Mandeure (M). Très répandu en Gaule. L’S avec deux appendices pourrait être un sigle (SFE), ce détail vague a été négligé dans le fac simile.

VITALI Besançon (B;. Couverte brillante,

OF VITA Besancon, jardin Chifflet, rue neuve Saint- Pierre. Partie de petit plateau à bords relevés.

OF VI(TA}— Bains de Luxeuil. Lettres d'un fort relief.

VITA Besançon.

VA... VF... Besançon. Fond d’une petite coupe.

VIR(TH)VS Besançon, farsenal (1. L). France, Angleterre, Allemagne.

438

m VOLVS Besançon, arsenal (L L), Sch., Tours; H. de F., Autun. 162, VO—...— Asnans, près de Chaussin, Jura (Musée de Lons-

le-Saunier). Lettres d’un tres fort relief. Le trait incliné est un commencement de lettre V ou L.

Voir le 163 après le 154.

Marques d'une lecture incertaine.

164. TAROI ou MARCIT Besançon, place Saint-Jean. Fragment du fond d'un grand plateau en terre grise avec couverte fine et très noire. Mommsen, Manor, Es- pagne; MARCI, Angleterre.

165. ... VSIN VS ? Besançon (B). IIMOD Mandeure (B). Fouille de 1882. Peut-être DOMIT, rétrog.

166 et 167. Besançon. Le fac simile direct, et le fac simile retourné. 168 Montbéliard.

109. CIVL..S Besancon.

170: OFNN? Besançon.

171% OFIMA.. Besançon.

17000 IoTSISILELT ? Besançon.

io) LIMIT Lons-le-Saunier. Parait être la marque incer- taine donnée par Mommsen, /nscr. helv., p. 102, vnasimr,

174, Lons-le-Saunier. Marque confuse provenant probable-

ment d'un poinçonnage double

175. Besançon. :

176, CENT Besançon.

INR (VE)T == id.

178, Luxeuil.

Grandes tuiles à rebords et briques.

Parmi la grande quantité des produits de ce genre rencontrés dans les établissements romains de la Franche-Comté, un très petit nombre de pièces portent l’estampille de fabrication. Dans toute la province, nous n'avons recueilll que les sept spécimens suivants, conservés au Musée de Besançon, et la mention de cinq autres dont on ne possède plus les originaux,

10)

180. 180 bis. 180 fer.

181.

182.

183.

C(AVD.C C(ANI).C Besançon, place Saint-Jean (B!. Fragment de tuile. Lettres en creux, le point a la forme d'un cœur.

C(LD.(ATL)I Besançon (B). Lettres en creux, Le point C(LD.(ATL)I ressemble à une piqüre de C'LI.(ATL)I sangsue. Ces trois marques, produites par le même poinçon et rencontrées sur divers points de la ville, {le plus petit fragment au Pont de Se- cours), seraient peut-être l'indice d'une fabrication locale.

A(BR)CAS Besançon (B). Lettres en creux. On ne saurait affirmer que cette marque soit entière, l'A est entamé par la brisure; le poincou en relief devait être ébréché dans la partie supérieure de l'S. Peut-on supposer un I dans l'haste commune au B et à l’R conjoints et adossés ? (0b- servation communiquée par M. Changarnier-Moissenet, de Beaune.)

[sJEDVLA'R]CO Déposée à la Bibliothèque de Besançon, puis au Musée. Les lettres en léger relief, quelques-unes incertaines comme le fac simile l'indique.

CLARIANT[vs] A été citée dans plusieurs ouvrages comme ayant été trouvée aux salines de Montmorot (Lons-le-Sau- nier) en 1811.

SEDVLE Besançon, arsenal. On ne sait ce que sont de- QSS venus les originaux de ces CELATC trois marques signalées par M. Lafosse en 189. Une traverse au sommet de l'A indiquerait un T à placer avant ou après cette lettre.

L. TOVDE Sur le milieu d’une tuile à rebords, trouvée en 1818. (Cab. Riduet), citée et dessinée par l'abbé Bave- rel, 116.

(LE)CI(MR) Mandeure (B).

Grandes lettres profondément imprimées à 1 centimètre du bord et sur le plat d’un fragment de brique de 5 cent. d'épaisseur. Une seule des dimensions latérales, con- servée entière, mesure 0,25 cent. de long. Bien que cette marque soit aussi parfaite d'exécution que de conserva- tion, il est difficile d'en donner une interprétation sûre. Doit-on lire GC ou G; quant au sigle final, on peut si l’on veut y trouver les huit lettres MINRVAOP; mais, à coup sûr, un M et un P ou (MPR) sont conjoints.

M. Mommsen (/nscripliones Helveticæ : Publication des Antiquaires de Zurich, p. 82) nous fait connaître que les

= 0 =

musées de Bâle et de Zurich se sont partagé huit tuiles (tegulæ), trouvées à Augst et portant cette même marque avec quelques variantes. Le mot {equla s’entendrait alors de briques pouvant servir de revêtement, comme dans le cas particulier où, jointes ensemble, elles recouvraient des sépultures antiques.

Les huit marques d’Augst débutent toutes par un sigle l’on voit un E associé soit à un T, soit à un L,, soit à ces deux lettres à la fois. Il suffit pour cela que la traverse de l'E, soit celle du haut, soit celle du bas, soit toutes les deux, se prolongent au delà de l’haste. Mais il arrive ceci de particulier que lorsqu'il s’agit d'un L, c’est-à-dire du prolongement inférieur, l'E est toujours retourné et re- garde à gauche; régulièrement, dans ce cas, l'E devien- drait la première lettre.

Ces détails ont leur importance pour la recherche de la vraie lecture. Aussi donnent-ils lieu aux judicieuses obser- vations de M. Mommsen sur la première lecture proposée par Roth. Ce dernier, considérant cette marque comme celle d’une tuile légionaire, lit :

LEGIMR ou LEGIMP.

Il complète les abréviations en conséquence. Pour ce qui concerne le sigle final, il s'appuie sur un fragment d’ins- cription d’Augsi (Mommsen, 0p. cil., 179) qui se termine par ces mots :

tes: VEDAERANVS. ..MILIDIAVIT,.. LP. M. SIC. D'où les leçons :

LEGt10 I (prima) Minerva Restituta LEG1o I (prima) Minervia Pia Tegula LEGionis I (primæ) Minerviæ Piæ Restilutæ.

M. Mommsen, tout en regrettant de n’avoir rien à mettre en regard de cette ingénieuse interprétation du sigle final, la retiendrait comme probable. Mais constatant que le plus grand nombre des 8 marques d’Augst accusent un T ini- tial, il préférerait la lecture suivante :

TEGula legionis I Minerviæ Pix.

Notre marque de Mandeure porte (EL) ou (LE). Il est vrai que pour avoir TE, il suffirait de retourner le sigle. L'auteur du poincon, évidemment à la recherche de la concision, aurait-il eu cette intention, presque indiquée par les singulières variantes du sigle initial? Cette hypo- thèse ne serait pas plus étrange que celie de la superpo- sition d'une lellre mobile du P final,

186.

11e

188.

189.

190.

HI,

A41

Nous apprenons qu'on vient de trouver à Mandeure un échantillon de cette inscription tégulaire intéressante. Malheureusement le fragment ne porte que la fin de l’es- tampille.

Amphores.

(Musée de Besancon.)

C....,.C{Lr) ou C...,.CE, en supposant que la barre supé- rieure de l'E ne soit pas venue.

OI....NATO Sur l’anse d’une amphore de forme sphé- rique (dolium) qui mesure 0,60 cent. de diamètre. On lit gravé sur la’ panse le graffiti CII reproduit au 233 (quart de grandeur). C'est une indication de capacité qui rappelle celles de Pompeï : /n amphora carbone scriptum at. Mommsen, C. /. R. Pompei, vasa fictilia 2718.

Sch., 3817; Cochet, Normandie, NATo.

Q.C(AL).(MAR)SI Besançon, place Saint-Jean.

Anse d'amphore, terre rougeûtre ; les points sont trian- gulaires. Mêmes marques à Lyon et à Vienne, Arthaud et Allmer. M. de Boissieu (op. cit., p. 433) donne la figure d'un sceau de bronze trouvé à Lyon et portant cette ins- cription interprétée ainsi : Quinius CAL.... MARSVS OU MARSIVS, l’S remplaçant le T ou le GC, ainsi qu’on l’observe quelquefois. »

SES+ Besancon, place Saint-Jean (B).

Sur le rebord saillant et large d’un col évasé d'amphore, genre Ürca. Le signe qui rappelle la forme d'une ancre pourrait être le résultat de la conjugaison des trois lettres riv [sestiu].

SE(ST)+ Besançon, place Saint-Jean (B). Fragment analogue au précédent. La marque diffère cependant par la conjugaison de S et T.

MIM Cette marque d’amphore (B) est très commune. Vienne, Nimes, Autun, Orange, Londres. Les traces ho- rizontales sont peut-être accidentelles dans notre exem- plaire. CFA V) ou CF(AN) Besançon, place Saint-Jean (B). Sur l'épaulement d'un fragment d'amphore. Les appen- dices figurés au fac stinile sur la dernière lettre paraissent intentionnels,.

OFG(RAÏRLVC Besançon, place Saint-Jean (B),.

ju à

Sur une anse d’amphore. Pour obtenir un nom avec cet assemblage de lettres, on supposerait volontiers qu'il y en a au moins deux qui se dissimulent; M, par le rappro- chement de l'A et de l’R, et [ dans l'haste du premier R, ou dans le G dont la courbe inférieure se relève vertica- lement avec un arrêt très marqué, GIRMAR... ?

M. Aug. Castan préférerait la lecture suivante : ortcina GRARIL LVCENSIS.

MM Besançon (B). Sur l'épaulement d’une amphore (seria) conservée entière.

HD Besancon (B). Sur le col d’une amphore {orca).

L.SA Besancon, place Saint-lean {B). Anse d’amphore en terre très rouge.

EF Besançon. Grande-Rue, 109 (B). À plus d'un mètre au-dessous du niveau voisin de la voie romaine dont un. échantillon est conservé en place dans le mur de la cave de la maison.

BI Besançon, clos Saint-Paul, épaulement d'amphore. Fouille récente (1882).

SAXOFERRI (B). Anse d’amphore. Nimes, Orange, Arles : SAÂXOFERRE Et SAXOFERREO.

C.ANTONIO Besancon, mentionnée par Chifflet, Vesontio Chiffleti, Lug, 1518, p. 98 : « Habeo domi qualuor ansas veleruim vasorum, ejusdem circiter capacilaiis, quarum uni superscriplum G,ANTONIO, éribus alits GAMILLI MELISSL »

CAMILLI MELISSI Besançon. Les trois exemplaires men- ionnés par Chifilet à l’article précédent. Sch., 3503 et 3504.

Musée de Montbéliard. (PL IX.)

A.CIRGI Mandeure {M). Sch., 1414, lac de Bienne, Vienne, Lyon, au Chatelel: Mommsen, Chavannes, p. 81, 348, A. GIRGI F.

APFS ou (IA)PFS Mandeure (M). Allmer, Vienne. L.V.C(HR) Mandeure (M). Allmer, Vienne. QMR Mandeure {M), Allmer, Vienne, Aosle, Orange.

SEXFA ou SE(XTI)FA ? Maudeure (M). Sur le flanc d'une grande amphore. Allmer, sexir, Musée de Genève.

FG.F.IVSE Mandeure (M).

203.

M

(2)

Pa) ND)E

443

HENRI Mandeure (M). Cette estaumpille très dé- ETMEL.....SEI tériorée, sur une anse d’amphore, donne une variante de la marque trouvée à Vézon. Nous reproduisons le calque de cette dernière avec son interprétation fournie par M. Héron de Villefosse dans le Bulletin de la Société des antiquaires de France, année 1878, p, 46 et 47 : pvorvu IVNIORVM MELISSVS ET MELISSA, de la fabrique des deux Jeunes Melissus et Melissa.

On trouve des tuiles au nom des Mezissi en Espagne, en Angleterre et en Suisse. Mommsen, Augst; voir plus haut (196 ter) les trois amphores du cabinet de Chifflet.

Port-sur-Saône. Fouilles de M. Galaire (PI. IX bis).

POR.PS Anse d’'amphore. La coupe transversale de cette anse est ovale et présente extérieurement une arête en carêne émoussée fort élégante.

H. de F.,, 521 et 522, Autun; Lombard-Dumas, 32, POR.P.S.4, Genève, et Vienne, PoR.P.s.

PORCLT (?) Marque peu distincte.

(MAE){(ALE)X La conjugaison singulière des lettres de cette estampille cest interprétée ainsi par M. Allmer, Vienne, 67, pl, 220.

SALS Une brisure ne permet pas d'affirmer que cette marque soit absolument la même que celle trouvée dans le puits d'Ainay à Lyon : de Boissieu, sAL.SE.

T.MCOI (?) Lecture incertaine. GV -- Grandes lettres.

CSEMP., M. H. de Fontenay, Autun, donne le fac stile, 503, de la même empreinte, les trois premières lettres seulement; mais plus loin, au 531, il en reproduit une seconde plus complète que celle de M. Galaire : cSEmPot ; le cartouche suit une ligne courbe comme dans notre fac simule.

Corpus allemand, vol. 7, 244, c.seup [ronii] oL[ympi].

Lons-le-Saunier et Luxeuil. (PI. X et XII)

A.P.C Lons-le-Saunier, anse d’amphore, sous le dallage de l’église des Cordeliers,

210 bis.

210 1er.

203.

207.

209,

AR SQF (?) Luxeuil (docteur Paris). Lecture incertaine.

…..TVS Luxeuil (docteur Paris). Fragment d’un bord de terrine.

....N(DI) {[secundi ?] Saint-Sulpice (Haute-Saône) (doc- teur Paris).

MAT VRI Luxeuil. Anse d’amphore possédée par l’anti- quaire Guin au siècle dernier. (Notes de M. Boisselet.)

Lampes. (Planches X et X bis.)

H1]VNIALEXI Besançon (B).

Lettres incuses, moulées sur le fond trop étroit pour avoir reçu l'empreinte de l'T initial. Trois rangées de pois décorent la partie supérieure.

Sch., 2830, Tunis, Naples; 2782, 1vVLIALExI, Strasbourg.

(AE)GIDI Port-sur-Saône (B). Let. rel., terre rouge. Sch., necipius, 3837, et 407, AEGI- pivs; Mommsen, Augst, 1E6rD1r. Commune en Jéalie.

XPY Seveux (B). Ces trois lettres grecques, incuses, paraissent gravées après cuisson sur le fond. Lampe chrétienne.

PISTILLVS Besançon. Inscription moulée en relief sur le fond; sur deux lignes, rétrog., terre jaune. Les mar- ques du potier de ce nom, en caractères analogues, sont si fréquentes à Autun, que M. H. de Fontenay les croi- rait originaires d’Augusltodunum.

bASAVGv Une note du collectionneur Bruand, de Be- sançcon, conteste la trouvaille de cette lampe à Seveur. Cette inscription, moulée en creux, est probablement la même qui est gravée dans Montfaucon. Trois rangtes de pois décorent le dessus. Couverte rouge très claire peu

adhérente. Sch., 737, BAsaAvGv, Musée de Brandebourg : 4107, PASAv,

Bavière; 4108, pasauc, Capoue. Mommsen, Musée de Bäle, ex Jlalia illala, 1ASAvvGv.

FORTIS Lons-le-Saunier, rue du Collège. Trouvée avec un grand nombre de poteries antiques intacles. On a con- sidéré ce dépôt, dispersé depuis, comme l'assortiment d'une boutique de marchand ou de potier. Le nom de Fortis se rencontre partout sur les lampes.

445

X (p1, x bis). FORTIS Besançon (B). Lampe d’un grand modèle en terre rouge. Sous le nom, une couronne de laurier avec une palme passée dedans.

Y (pi. x bis). STROBITLI Besançon, rue Saint-Vincent. Terre rouge. Ce nom aussi commun sur les lampes que celui de Forris. France, Allemagne, Angleterre, Iialie.

209 bis. LHOS.... [LHOSCRI] Saint-Sulpice, près de Villersexel (docteur Paris). H. de F., 470, Autun, Lyon, Dauphiné, enc.

Antéfixe. (Seveux.) Planche XI.

AE SECVIND)VRVF... Seveux (Haute-Saône) (B).

Cet antéfixe en terre rouge existe en divers endroits plus ou moins bien conservé, ainsi que des variantes de même style ou de même fabrique. De Boissieu, Com- marmond à Lyon, Allmer à Vienne, Lombard-Dumas à Nimes, à Orange et à Avignon. Notre reproduction est gravée en demi grandeur.

Arthaud, conservateur à Lyon, possédait trois tuiles à la marque de SECUNDUS RUFFUS par deux F,

Moules et fragments divers. Planches XII et XII.

21102 Fragment d'un moule de vase sigillé en terre rouge, diam. 0,25 cent., trouvé à Luxeuil, aux bains, et donné au musée de Besançon par MM. Descos et E. Delacroix. (Mém. de la Soc. d'Emul. du Doubs, année 1862, p. 98.) Notre figure est 1/3 de la grandeur réelle,

213. Délail du moule précédent en grandeur réelle.

214. Fragment d’un moule de vase sigillé (docteur Paris) trouvé dans la propriété de M. Chauvet à Luxeuil (1881), demi- grandeur, d’après le moulage.

215". Marque, en grandeur réelle, d’un petit ornement répété plu- sieurs fois dans le décor du moule précédent. L'emploi de ce même poinçon, qui est d'une facture originale, pourrait servir à déterminer l'aire de’dispersion des pro- duits de la fabrication supposée de Luxeuil.

+3 ©>

218.

446

Fragment de poterie sigillée et bronzée venant de Mandeure (B), présentant un emploi différent d’un poinçon utilisé dans le moule 214.

MARCIILLO Luxeuil (B). Deux II pour E: moulée en creux sur la base et derrière le fauteuil d’osier est assise une Déesse mère, statuette en terre blanche. Figure analogue dessinée par Tudot, Allier ; H. de F, Autun : Signée PISTILLVS.

Plat, Luxeuil (B), en terre rouge à couverte mate, décoré au pourtour à la barbotine. Au centre intérieur IANVA- RIVS. (V. 69.)

219 (p1. x). Portion de la décoration d’une grande coupe (patina); dan-

seuse nue dans un médaillon ; à côté, on remarque sur l'extrémité d’un cartouche en relief, un E ou un F final aussi en relief. (Voir le texte au ? II.)

220 (m1. x). Petite figure de femme vêtue; fragment (Besançon).

221.

Fig. a.

Soldat armé, fragment (Besancon).

XN...,IX... Fragments, Mandeure (B). Longues lettres en filets de barbotine avec couverte brune passée sur le tout.

Bronze.

Planche XIIIT.

1

Nous ne pouvons joindre à ce travail, consacré aux poteries, les rares spécimens d’estampilles sur bronze qui suivent, qu'en les considérant comme des marques de fabriques.

Chifflet, dans son Vesontio, p. 153, donne la figure d’une pa- telle ou casserolle portant sur son manche la marque de NAR- CISSI. On ne sait ce qu'est devenue cette pièce, provenant de Mändeure.

Le Musée de Besançon possède un vase culinaire qui rap- pelle parfaitement celui de Chifflet; le trou de suspension est pareillement trilobé. Quant à l'estampille, les traces des carac- tères, quoique frustes, seraient suffisants pour déterminer le nom, si l’on avait la ressource de rapprochements avec des analogues moins usés par l'oxydation Le commencement du nom devrait être pris à partir du trèfle ajouré, mais en sens contraire on soupçonnerait le nom de PATERNI.

Fig. b. BANNAF Mandeure (B). Sur une rondelle de bronze légère-

ment concave et percée de trois trous de fixage. Une marque semblable existe au cabinet des médailles, 3836. (M. Mowat,

nn

Bulletin de la Société des antiquaires de France, t. 41, p. 131.) Sur cette dernière, l’F final serait incertain.

Fig. c. AVIIT... Mandeure (B). Un S (?) à la fin [aAvinivs ou avinis|.

Verre. Port-sur-Saône, Luxeuil, Besancon, Mandeure. Planche XIII.

Fig. d. G.LE V PONT. BOR VONICI Port-sur-Saône (Coll. G).

Inscription d’un faible relief, moulée sur le fond circulaire d’un vase en verre mince, blanc légerement verdâtre.

Cette marque, d’un verrier de Borvo (Bourbonne-les-Bains), a été trouvée par M. Galaire dans les importantes fouilles d’une villa romaine de Port-sur-Saône. Elle présente d'autant plus d'intérêt qu'elle est rapprochée de la suivante, remontant évi- demment à la même époque.

Voir la Revue archéologique. année 1880, p. 139 : Les inscrip- tions antiques de Bourbonne-les-Bains, par M. Chabouillet, con- servateur du Cabinet des médailles, à Paris.

Se SA a Luxeuil (Musée de Besançon).

Fond de vase en verre mince, légèrement vert.

L'inscription est aussi d’un faible relief, mais elle est parfai- tement lisible. Elle occupe entièrement deux zones circulaires concentriques , limitées chacune par des filets. À ceux-ci se rattachent de petites feuilles en forme de cœur, allongés et d'un bon style, qui remplissent la fonction de points comme dans les inscriptions lapidaires.

Bourquelot, Soc. des antiquaires de France, t. XX VI.

A2 9

Fig, e. OBII (?) Besançon (B), provenant du Cabinet Bruand.

Fond très mince d’un petit vase de verre blanc.

La lettre B est seule bien distincte; de chaque côté, quelques traces très légères, indices d’autres caractères.

224, Médaillon en verre Mandeure (B).

Ce fragment ne parait être autre chose qu'une estampille de fabricant sur un vase de verre vert-bleuâtre. Il représente une Tele de face radiée el chargée de nalles. La figure est jeune et s uriante. Cette pièce peut être rapprochée de celle trouvée à Aulun et égarée depuis, mais dont M. de Fontenay père a donné une reproduction dans les Mém. de la Sociélé Eduenne, année 1844, p. 132. Au bas de ce médaillon on lisait : LAMBA- NVS. EF.

448

Un fragment analogue a été trouvé également à Autun (Coll. Bulliot). « Il représente une Téle de Jupiter du plus beau tra- vail, malheureusement la partie inférieure a été brisée et le nom du verrier a disparu. » (H. de Fontenay, 601, p. 424.)

Graffiti Port-sur-Saône (Collection de M. Galaire).

Planche XV (F à M).

Ces graffiti, tracés grossièrement à la pointe, sur des frag- ments d’amphores ou de grands vases non vernissés, n’ap- partiennent pas à la classe des marques de fabrique. Après les avoir recueillis dans la recherche des estampilles de la ré- gion, nous les donnons néanmoins comme un accessoire offrant quelque intérêt. Ce sont évidemment des indications de capa- cité ou de nature du contenu, et quelquelois les noms des pos- sesseurs des vases.

1

l (Grandeur réelle, Éd demi-grandeur = ).

Planche XV (227 à 234).

Les graffiti suivants se trouvent sur des petits vases à cou- verte rouge, à l'exception du 233 dont il a été parlé au 185.

230, Luxeuil (docteur Paris).

234, Saint-Sulpice (Haute-Saône). Musée de la Société d’agriculture de Vesoul. Les autres n°‘ sont conservés au Musée de Besançon.

Sceau romain en bronze. Draguages du Doubs (Besançon).

Planche XV (235).

IISIDERI _IISIDERI

ORQETA ORODJET A sieurs pièces analogues pouvant toutes donner sur l’argile une estampille fort nette en creux. Mais il est plutôt à croire:que, soit en les chauffant fortement, soit en les garnissant de cou-

Le Musée de Lyon possède plu=

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IT pour E. L'appendice de l'O est cependant parfaitement ho- rizontal.

20

A1

DONS FAITS À LA SOCIÉTÉ EN 1881 ET 1842

Par le DÉPARTEMENT Du- DOUBS. .::. 500 f. Para VILLE DE-BESANCON.- :..: ... ed 600

—————_

Par M. le MINITRE DE L' INSTRUCTION PUBLIQUE :

Revue des sociétés savantes des départements, section des lettres, série, t. III, IV et V. Revue des travaux scientifiques, t. L et II. Répertoire des travaux historiques, | à 3 (1882); Bulletin du Comité des travaux historiques et scientifiques, section d'histoire et d'archéologie. Journal des savants, années 1881 et 1882. Revue de la bibliothèque de l'Ecole des Chartes. 1882. Annuaire de l'association pour l'avancement des Etudes grecques en France, année 1881. Journal de l'Ecole polytechnique, du 48° au 50° ca- hier.

Par MM.

VIVIEN DE SAINT-MARTIN, membre correspondant, du 15° au 19° fascicule de son VMouveau Dictionnaire de géographie universelle.

CHANTRE (Ernest), son ouvrage sur le Premier dge du fer, un volume grand in-4, 50 planches lithographiées.

F. Moreau (père), suite de l’Album Caranda, nouvelle série : Fouilles de Breny (Aïsne) en 1880, 11 pl. chrom., in-4. Les sépultures mérovingiennes d’'Armentières, 11 pl.

Guimet (Emile), fondateur du musée religieux et oriental appelé Musée Guimet, à Lyon. Annales du musée Guimet, 4 vol. in-4 ; Revue de l'histoire des religions, 1880 à 1882. Catalogue du musée Guimet, br. in-8.

io

Par MM.

LE RECTEUR de l’Académie de Besancon, membre honoraire, le Compte-rendu de la réunion solennelle des Facultés de Besancon (1881).

Laurens (Paul), membre résidant, son Compte rendu de la Chambre de commerce de Besancon (1881 et 1882). Compte-rendu des opérations de la Caisse d'épargne (exer- cices 1880 et 1881). |

Fceury (Edouard), la quatrième partie de son ouvrage sur les Antiquités et monuments du département de l’Aisne, un

vol. gr. in-4, 145 fig, ; Paris, 1882.

Brzos (Gaston), membre correspondant, la Lecon d'ouverture de son cours de littérature française en 1880, Conférence au Cercle artistique de Marseille sur les Poèmes de la mer, par J. Autran.

MarTin (Henri), membre honoraire, Lettre à M. Alexandre Bertrand sur le congrès de Lisbonne en 1881.

Ozxrvier (Ernest), membre résidant, la première partie de son Essai sur la faune de l'Allier. Guillaume-Antoine Olivier, membre de l'Institut de France; sa vie, ses travaux, ses ou- vrages, br. in-8.

Yunc (Th.), membre correspondant, le tome IIT° de son ou- vrage intitulé Bonaparie et son temps ; Paris, in-12.

DEuoxGEor, membre résidant, ses Rapports, pour les années 1880 et 1881, sur La situation de l'Instruction publique pri- mature communale à Besançon.

Musrtox (le docteur), Notice sur le massif jurassique du canton de Delle.

CoNTEJEAN, membre correspondant, Géographie botanique, in- fluence du terrain sur La végétation.

ORDINAIRE DE LA COLONGE, note sur la Théorie géométrique du pendule de Foucault.

CHorraT (Paul), membre correspondant, la 1"° livraison de son Etude straligraphique et paléontologique des terrains ju- rassiques dans le Portugal ; Lishonne, 1880.

Le C* UD

Par MM.

DE Moxrer (Albert}, son Dictionnaire biographique des Gene- vois. el des Vaudois, 2? vol. in-8.

GuiLLEMOT (Antoine), membre correspondant à Thiers, le texte annoté de La charte de Franchise de Vollore.

PasrTeur (Louis), membre honoraire, son Discours de réception à l’Académie française, prononcé le 27 avril 1882.

PErRoON [Eugènc}, membre correspondant, notice sur les Tu- mulus de la vallée supérieure de la Saône.

Paris (Gaston), le Rapport à l'Académie des inscriptions et belles-lettres fait au nom de la Commission des antiquités de la France, 1880.

De Saussure [Henri), membre correspondant, six volumes

_ ou fascicules de ses œuvres : Mélanges orthoplérologiques, 4e et fasc. in-4; Mélanges hymenoptérologiques, fasc. in-4. Catalogus specierum generis scholia, | vol. in-8. Rapport de M. de Saussure, président de la Société de physique et d'histoire naturelle de Genève pour l'année 1881. Rap- port sur le Congrès des Américanisles tenu à Paris en 1881.

154

ENVOIS DES SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES EN 1881 ET 1882.

Re ——

Association scientifique de France, n°®% 37 à 131 de la série.

Société des Antiquaires de France, t. LX-et LXT.

Nouvelle revue du droit français et étranger, années 1881 et 1882. |

Congrès archéologiques de France, XL VII session tenue à Arras et à Tournay en 1880.

Sociélé générale des Prisons, années 1881 et 1882.

Comptes-rendus de la Sociélé de numismatique et d'archéologie, partie du t. { de la série. Les Annuaires de la So- ciét, de 1866 à 1870, 3 vol. gr. in-8, avec planches gra- vées.

Association francaise pour l'avancement des sciences, ® session à Reims en 1880.

Société générale de secours des amis des sciences, 1881.

Bulletin de la Sociélé géologique de France, 1880 et 1881.

Bulletin de la Société philomatique de Paris, t. IV et V, 1879 à 1881.

Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de l'Yonne, 1880 à 1882. :

Bulletin de la Société des sciences historiques et naiurelles de Semur, 1869 à 1880, 17 fase.

Mémoires de la Société des antiquaires du Uentre, Bourges, vol. 18810 |

Annales de la Société d'émulalion du département des Vosges, années 1880 à 1882.

Bullelin de la Société philomathique vosgienne, année, 1880- 81, année, 1882. Histoire de l’abbaye de Penones, par F. DinaGo (suite et fin).

Bullelin de la Société historique el archéologique du Limousin, 2®série, lt. Vlrel Hiver, leet 20 dut MINT

455

Bulletin de la Société historique et archéologique de Langres, MS = Mémoires, 2°et ns du t’LTE.

Annales de la Société d'agriculture, industrie, sciences, arts ct belles-lettres du département de la Loire, 1880 et 1881, t.I de la série,

Bulletin dela Société des sciences de Nancy, 13° année, 1880.

Bulletin de la Société d'histoire naturelle de Reims, 1r° livr. de la annéc. -

Mémoires de la Société Eduenne, t. IX ct X.

Annales de la Sociélé d'agriculture de Lyon, années 1879 et 1880.

Mémoires de l'Académie des sciences, belles lettres el arts de Lyon, classe des Leltres, vol. XIX ; Ciasse des Sciences, vol. XXIV.

Mémoires de la Société littéraire et archéologique de Lyon, 1879-81. |

. Mémoires de l'Académie de Dijon, t. VI, 1880. Mémoires de la Socièté d'histoire et d'archéologie de l'arrondissement de Beaune, 1879-1880. Histoire de l'Hôtel-Dieu de Beaune, par l'abbé E B, ! vol. in-12. Un agent politique de Charles-Quint, le bourguignon Claude Bouton, seigneur de Corbeiron, par E. pe BEauvois, 1 vol. in-12.

Mémoires de la Société des sciences natureiles de Saône-et-Loire, de 1878 à 1882, 10 fasc. Bulletin, 1875 à 1882,t.Tet IPTASC Ut.

Bullelin de la Sccièté d'Emulation de l'Allier, & XVI,

Annales de la Société d'Emulalion de l'Ain, années 1881 et 1882.

Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besancon, annécs 1879 et 1880.

Mémoires de la Société d'Emulation de Montbéliard, série, 2#parue du 2%vol., ct 1 partie du volume.

Mémoires de la Société d'Emulation du Jura, Lons-le-Saunier, série, 1°" vol.

Bulletin de la Société de viticulture et d'horliculture d'Arbois, années [881 et 1882.

O0

Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny, années 1881 et 1882.

Bullelin de la Société d'agriculture, sciences et arts du dépar- tement de la Haute-Saône, Vesoul, série, t. XI et XII. Catalogue du musée, 1 et 2.

Le Sillon, revue agricole publiée par la Sociélé d'encourage- ment à l'agriculture de la Haute-Saône, numéro programme,

Vesoul, 1881.

Rapports el procès-verbaux de la Sociélé d'agriculture du Doubs, 1881-1882.

Bulletin de la Société des antiquair es de Picardie, années 1881 et 1882.

Conférences de Picardie, 1880 et 1881.

Bullelin de la Société libre d'Emulation de la Seine-Inférieure, Rouen, 1880-81.

Mémoires de la Société académique de Maine-et-Loire, Angers, t. XXXVI.

Bulletin de la Société industrielle et agricole d'Angers, années 1880, 1881 et 1°" sem. de 1882.

Bulletin de la Société philotechnique du Maine, 1°" fasc. 1882. Mémoires de la Sociclé d'agriculture, commerce, sciences et arts du département de la Marne, Chalons-sur-Marne, 1880-81. Bulletin de la Sociëlé historique et archéologique de l’Or léanais,

nee 106 AT TA

Sociélé des sciences agricoles et horticoles du Hävre, 19° au 25° bulletin, 1881.

Bulletin de la Société nationale des sciences naturelles de Cher- bourg, 1879, série, t. III.

Bulletin de la Socièlé académique de Brest, série, t. VI et VII, 1880 à 1882.

Bulletin de la Société polymathique du Morbihan, année 1880.

Bulletin de la Société Linnéenne de Normandie, 1879-1880, LAINE

Mémoires de la Société académique de Saint-Quentin, série, to JADE

491

«Mémoires de l'Académie de Caen, 1881.

Bulletin de la Société académique d'agricullure, des sciences, arts et belles-letires du département de l'Aube, série, t. XVI, XVII et XVII.

Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe, 2scne, LOX Xe XXL.

Bulletin de la Société linnéenne de la Charente-Inférieure, 1880.

Bulletin archéologique de la Charente:Inférieure, série, t FFT.

Mémoires de la Société des sciences physiques et naturelles de Bordeaux, t. IV et 1” fase. dut. V.

Bulletin de la Société archéologique de Bordeaux, t. VE, 1879.

Actes de la Société linnéenne de Bordeaux, série, &. IV ct V, 1880 et 1881.

Bulletin de la Société des sciences naturelles de Béziers, et 5e année, 1879 ct 1880.

Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France, livr. dut. XIT; Bulletin de novembre 1880 à août 1881.

Répertoire des travaux de la Société de statistique de Marseille, t. LX.

. Mémoires de l’Académie des sciences, belles-letitres et arts de Marseille, t. LX.

Mémoires de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Marseille, années 1879-1880, 1881-1882.

Société de statistique du département de l'Isère, série, t. À.

Mémoires de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Sa-

voie, série, t. VIIT.

Mémoires de l’Académie de Nimes, série, t. IT et IT.

Académie des sciences et lettres de Montpellier; Section des Sciences, t. X, fase. 1880 ; Section des Leitres, t. VIT, Ifftasc. 1882:

Bulletin de la Société des sciences physiques et naturelles de Toulouse, t. IV, livr.

Bulletin de la Société d'agriculture, industrie, sciences et arts du département de l'Ardèche, années 1880 et 1881.

Bulletin de la Société des lettres et arts de l'Aveyron, t. XI,

Lo

Bulletin de la Sociélé des sciences, lettres et aris de Pau, sé- rie, t. X, 1880-61.

Bulletin d'histoire ecclésiastique et d'archéologie religieuse des diocèses de Valence, Digne, Gap, Grenoble ei Vivicrs, années 1881 et 1882.

- Société agricole, scientifique et liltéraire des Pyrénées Orien- tales, 29° vol.

Revue savoisienne, organe de la Société florimontanc d'Annecy, années !881 et 1882.

Revue africaine, 144 à 154.

Sociclé des sciences médicales de Gannat, 35° année.

Le Génie civil, n°5 9 et 17.

L'Investigateur, journal de la Société des Etudes historiques, Paris, LE

Comptes-rendus des séances et mémoires de la Société de biologie, Lo PetTlde re serie.

Bulletin de la Société des sciences de Nancy, 14° année, 1881.

Bulletin de la Société d'histoire naturelle de Colmar, 20° ct 21° années.

Société des sciences, agriculture et arts de la Basse-Alsace, années 1881 et 1882. |

Mémoires et documents publiés par la Sociélé d'histoire natu- role et d'archéologierde Genève, L'XX) Mr

Bulletin de l'Institut national genevois, t. XXIV.

Bullelin de la Société Vaudoise des sciences naturelles, série, n°‘ 84, 85 et 80.

Bulletin de la Sociclé des sciences de Neuchatel, t. XEFP ?°ca- HÉTEE

Musée Neuchatelois, organe de la Société d'histoire du canton

_de Neuchalel, années 1881 et 1882.

Actes de la Société Jurassienne d’'Emulaltion, réunie à Neuve- ville Ie 30 septembre 1879.

Socièlé d'histoire de la Suisse Romande, t. XX XV et XXX VI.

Sociélé d'histoire naturelle de Berne, année 1880 ; Witiheil- ungen, n% 100% à 1029 ; Verhandlungen, n's ? et 3.

459

Sociclé générale d'histoire Suisse, série nouvelle ; ndica- teur, 1814 à 1880 ; Comptes-rendus (Verlandlungen) Brienz, 1882 ; Sources (Quellen), I, IT, IT, IV, 1877 à 1881 ; lahrbuch, 6 vol., de 1877 à 1881.

Mélanges de la Société des antiquaires de Zurich, 1. XLV et XLVIT.

Nouveaux mémoires de la Société helvëlique des sciences natu- reldes, 1 cahier in-4, 1881, 1" et livr. dut XXVIII. Comptes-rendus trimestriels, 1879-1880.

Comptes-rendus (Verhandlungen) de la Société des sciences de Bale, 1882.

Mémoires de l’Académie royale de Belgique, t. XLEIE, par- tie ; Bulletins, 4 vol. 1877-1880. Mémoires couronnés et autres mémoires, coll. in-8, &. XXIX et XXX. Mé- moires des savants étrangers, in-4, XLIF et XLHIL° vol ; —- Autre série : t. XX XIX, parlic, —- Annuaïres de 1879 et

. 1880. Table de 1858 à 1878. :

Annales de la Socièlé géologique de Belgique, &. V, accompagné de 4 Cartes du bassin houillier de Liège, t. VI (1878-79);

à. VIE (1879-1889).

Mémoires de l’Acadèmie des sciences, belles-leltres et arts de Modène, t. XX.

Recueil des mémoires et des travaux publiés par la Société bota- nique du Grand-Duché de Luxembourg, 1871-1878.

Publications de l'Institut royal, Grand-Ducal (le Luxembourg, be XNIIT. |

Société des sciences naturelles de Brème, 1881 et 1882.

Annales de la Société impériale et royale de géologie de Vienne, 1880 et 1882. Jahrbuch et Verhandlungen.

Rapports mensuels de l'Académie des sciences de Berlin, 1880, 1881 et 1882.

Mémoires de la Société des sciences naturelles et de thérapeutique de la Haute-Hesse, n°5 1 à 17 [1882).

Publications {Schriflen) de la Sociélé royale physique el éconoa- mique de Kœænigsberq, années 1879 à 1881.

é#

1460 R

Mémoires de la Société littéraire et philosophique de Manchester, 6 vol. de la série. Procès verbaux de 1876 à 1880.

Institut Smilhsonien, années 1879 et 1880.

Sociélé d'histoire naturelle de Boston, procès-verbaux, t. XX. Publication : t. TT, Géologie du Massachussetr.

Société d'histoire naturelle de Visconsin (1880-81-82).

Mémoires de l’Académie royale suédoise des sciences (Kongliga swenska Vetenskaps-Akademiens Handlingar 1876-77-78-79, 4 vol. in-4 ; Florideerns morphologi, par J.-G. AGARTH, 33 pl. Hith., Stockolm, 1879. Bihang (Supplément aux Mémoires); Ofversight {Bulletin), 4 vol., 34, 35, 36 et 37 (1877 à 1880. ù

MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ

AU 1% décembre 1882.

Le millésime placé en regard du nom de chaque membre indique l’année de sa réception dans la Société.

Les membres de la Société qui ont racheté leurs cotisations annuelles sont désignés par un astérisque (*) placé devant leur nom, conformé- ment à l’article 21 du règlement.

Conseil d'administration pour 1882.

Besients. 1. Mn use MM. Girarpor (Albert) ; Premier Vice-Président..... LAURENS (Paul); Deuxième Vice-Président. ... PiNGaub (Léonce); Secrétaire décennale... ...: Besson (Edouard) ;

Vice-Secréiaire et contrôleur

GES ÉDONSES.. |... Farvre (Adolphe) ;

M RESDER nine. DURUPT; ADS Ie nn ia, VAIsSIER (Alfred).

Secrétaires honoraires : MM. Bavoux (Vital) et Casran (Aug): Trésorier honoraire... KLEIN (Auguste).

Membres honoraires (22).

MM.

LE GÉNÉRAL Commandant le corps d'armée et la division militaire (M. le général Wozrr).

LE PRreumIER PRÉSIDENT de la Cour d'appel de Besançon (M. CHAUFFOUR).

462 - MM.

L'ARCHEVÈQUE de Besancon (S. G. M5 Fourow).

Le Prérer du département du Doubs (M. GALTIER).

Le RecTeur de l’Académie de Besancon (M. JEANMAIRE).

LE PROCUREUR GÉNÉRAL près la Cour d'appel de Besancon (M. Mazraub).

Le Marre de la ville de Besançon (M. DELAVELLE).

L'InsPECTEUR d’Académie à Besancon (M. BExorisr).

BAYL1E, professeur de paléontologie à l'Ecole des mines; Paris. 1851.

BLancaarD, Em., membre de l’Institut (Acad. des sciences), professeur au Muséum d'histoire naturelle ; Paris. 1867.

Dezisce, Léopold, membre de l’Institut, administrateur gé- néral de la Bibliothèque nationale. 1881.

Devoisins, ancien sous-préfet ; Paris, quai d'Orléans, 28. 1842.

Duruy, Victor, ancien ministre de l’Insiruction publique, membre de l’Institut [Académies des inscriptions et des sciences morales); Paris, rue de Médicis, 5. 1869.

GRENIER, Edouard , lauréat de l’Académie française, ancien secrétaire d'ambassade ; Paris, boulevard Saint-Germain, 174, et Baume-les-Dames (Doubs). —- 1870.

pe Lessers (le comte Ferdinand), membre de l’Institut (Aca- démie des sciences); Paris, rue Saint-Florentin, 7. 1882.

Marcou, Jules, géologue ; Salins (Jura). 1845.

MarTiN. Henri, sénateur, membre de l’Institut [Académies française et des sciences morales); Paris-Passy, rue du Ranelagh, 74. 1865.

Pasreur, Louis, membre de l’Institut [Académie française et Académie des sciences). 1882.

Résa, Henri, membre de l’Institut (Académie des sciences), ingénieur en chef des mines, professeur à l'Ecole polytech- nique; Paris, rue Saint-André-des-Arts, 58. 1853.

DE RoncHauD, Louis, directeur général des musées ; {Paris, Palais du Louvre. 1882.

63 MM.

SERVAUX, sous-directeur honoraire des sciences et lettres au ministère de Instruction publique; Paris, boulevard Cour- celles, 1. 1873.

Le général Wozrr, commandant le corps d'armée. 1882.

e e ° ° ° . ° e Û o ° ° e ° e ° . ° e ° ° . °

Membres résidants (251) (l).

MM.

ALBERT, Alexandre, avocat, Grande-Rue 1880.

ALEXANDRE, Charles, secrétaire du conseil des prud'hommes, Grande-Rue, 31. 1860.

ALVISET, Charles, propriétaire, rue du Mont-Sainte-Marie, 1. 1874.

AMBERGER, Lucien, pharmacien, rue Morand, 7. 1874.

:ANDROT (GiroLET, Louis, dit), peintre-décorateur; à la Croix- d'Arènes. 1866.

ARNAL, Alexis, ancien économe du Lycée, rue du Lycée, 15.

1858. _ARrNaz, Amédée, sous-préfet de Lure. 1872. D'ARNEVILLE, Henri, chimiste ; château du Châlet d'Arguel. 1878. AUSCHER, Jacques, rabbin, rue Charles Nodier, 6. 1875. Baper, bijoutier, rue des Granges, 21. 1870.

* Barzzy l'abbé), maître des cérémonies de la cathédrale. 1865. |

BarBauD, Auguste, ancien premier adjoint au maire, rue Saint-Vincent, 43. 1857.

Om

(1) Dans cette catégorie figurent plusieurs membres dont le domicile habituel est hors de Besançon, mais qui ont demandé le titre de résidant afin de payer le maæimum de la cotisation et de contribuer ainsi d'une manière plus large aux travaux de la Société,

À64 MM.

BARBIER, Léon, ancien sous-préfet; Baume-les - Dames (Doubs), et rue Saint-Vincent, 27. 1873.

Bargier, professeur de chimie à la Faculté des sciences , rue des Martelots, 7. 1880.

* Bavoux, Vital, receveur principal des douanes; Pontarlier (Doubs). 1853.

BeauQuiEr, Charles, archiviste-paléographe, député du Doubs ; Montjoux, banlieue de Besançon. 1879.

BELLAIR, médecin-vétérinaire, rue de la Bouteille, 7. 1865. Ù

BELOT père, essayeur du commerce, rue de l’Arsenal, 9. 1865.

BrLoT, Edmond, essayeur du commerce, rue de l’Arsenal, 9.

1878.

BérarD, Edouard, architecte, attaché à la Commission des monuments historiques. 1880.

Berraezin, Charles, ingénieur en chef des ponts et chaussées en retraite, rue de Glères, 23. 1881.

BERTIN, négociant, rue Neuve-Saint-Pierre, 15. 1863.

B£sancon, Pierre, négociant, Grande-Rue, 72. 1880.

Besson, Edouard, substitut du procureur D e rue Saint- Vincent, 27. 1875.

Beurer, François-Xavier, voyer de la ville, rue Saint-Vin- cent, 13. -- 1873.

BicerT , Jules, fabricant d’horlogerie, rue du Mont-Sainte- Marie, 17. 1873.

BLancHe, Charles, fabricant d'horlogerie, rue Morand, 7. 1979.

BLonpon, docteur en médecine, rue des Granges, 68. 1891.

Borsson, Joseph, pharmacien de |"° classe, professeur à l'Ecole de médecine et de pharmacie, Grande-Rue, 114. 1880.

Bonaue, Albert, photographe, rue Mairet, 1. 1874.

Boxer, Charles, pharmacien. Grande-Rue, 39. 1882.

465 MM.

Bossy, Xavier, fabricant d'horlogerie, rue des Chambrettes, 6. 1867.

Boucaur, Pierre, directeur des écoles de l’Arsenal à Besan- con, rue Neuve, 24. 1879.

Boupor, Emile, rue Battant, 64. 1876.

BOURCHERIETTE dit POURCHERESSE, propriétaire . rue des Chambrettes, 8. 1859.

Bourpy, Pierre, essayeur du commerce, rue de Glères, 21. 18062.

Bourer, docteur ès sciences, secrétaire des Facultés, place Saint- Amour, 5. 1880.

BouTTERIN, Francois-Marcel , architecte, professeur à l'Ecole municipale de dessin, Grande-Rue, 86. 1874.

Bourrey, Paul, fabricant d'horlogerie, juge au tribunal de commerce, rue Moncey. 12. 1859.

_ Bouvarp, Louis, avocat, ancien bâtonnier de l’ordre, membre du conseil municipal, rue des Granges, 62. 1868.

Boysson Dp'Ecore, trésorier-payeur général en retraite, rue de la Préfecture, 22. 1852.

BRETILLOT, Eugène, propriét , rue des Granges, 46. 1840, Brerizzor, Maurice, propriétaire, rue Saint-Vincent, 18. -— 1857. :

BRETILLOT, Paul, propriétaire, rue de la Préfecture, 21. 1897.

BrucHON, professeur à l'Ecole de médecine, médecin des hos- pices, Grande-Rue, 84. 1860.

BRüLARD, Désiré, greffier du tribunal civil, rue Battant, 1. 1873.

Brunswicx, Léon, fabricant d'horlogerie, Grande-Rue, 28. 1859.

BRuSsET, notaire, membre du conseil général de la Haute- Saône, Grande-Rue, 14. 1870.

Burin pu Buissox, préfet honoraire, rue Sainte-Anne, 8. 1878.

30

466

MM. L'abbé BurLET, curé de Saint-Francois-Xavier, à Besancon. 1881. DE Buyer, Jules, inspecteur de la Société française d’archéo- logie, Grande-Rue, 123. 1874. CALAME, Georges, horticulteur ; à la Mouillère. 1880.

CaNEL, chef de division à la préfecture, rue Charles Nodier, 8. 1862.

Carry, Clément, propriétaire, rue Saint-Paul, 48. 1878.

Casrax, Auguste, bibliothécaire, correspondant de l'Institut, membre non résidant du Comité des travaux historiques et du Comité des sociétés de beaux-arts des départements, Grande-Rue, 86. 1856.

Cavaroz, Narcisse, médecin-major de 1"° classe en retraite; rue de la Lue, 6. - 1881.

Cxapoy, Léon, doct. en médec., rue des Granges, 3. 1875.

DE CHARDONNET (le comte), ancien élève de l'Ecole polytech- nique, rue du Chateur, 20. 1856.

CHARLET, Alcide, avocat, ruc des Chambrettes, 10. 1872.

CHevaNDIER, Georges, propriétaire, au château du Grand- Vaire, près Besancon. 1876.

CHEVIET, Francois, propriétaire, ruc des Granges, 19.— 1876.

Cæiron, Maurice, avocat, ancien magistrat, rue de la Pré- fecture, 29. 1878.

à Cho professeur d'histoire et doyen de. la Faculté des lettres de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). 1866.

CLÈRE, négociant, Grande-Ruec, 131. 1882.

CoINpRE, Gaston, artistc-graveur, Grande-Rue, 12. 1876.

Cozisson, Alexandre, conseiller d'arrondissement, rue de la Préfecture, 8. 1878.

Cozsenet , Edmond, professeur suppléant de philosophie: à la Faculté des lettres de Besancon, Grande-Rue, 122. 1881.

Cosre, Léandre, fabricant d’horlogerie, rue Morand, 16: 1876.

67 MM. CouzauDp, Adolphe, comptable, rue de la Lue, 6. 1875. CouLon, Henri, avocat, ancien bâtonnier de l'ordre, rue de Ja Lue, 7. 1856. Cour&Eey, avoué, rue des Granges, 16. 1873.

CourTIER, négociant, rue Battant, 18. 1876. Courror, Théodule, commis-greffier de la Cour d'appel; à la Croix-d’'Arènes {banlicue). 1866.

CouTENOT, professeur à l'Ecole de médecine, médecin en chef des hospices, Grande-Rue, 44. 1852.

CuENIN, Edmond, pharmacien, rue des Granges, 40. 1863.

DacziN (le baron), conseiller à la Cour d'appel, membre du conseil général, rue de la Préfecture, 23. 1865.

Darcor, huissier, rue Moncey, 5. 1880.

DEBAUCHEY, ancien pharmacien ; aux Chaprais. 1871.

DELAGRANGE, Charles, imprimeur-lithographe, rue Saint- Paul, 57. 1872.

DeLAvELLE, Viclor-Aristide, ancien notaire, maire de Be- sancon, Grande-Rue, 64. 1856.

DEMONGEOT, inspecteur des écoles communales, rue Neuve, 24 bis. 1872.

DenizoT, ancien receveur de l’Asile départemental, rue des Granges, 60. 1871.

DÉTREY, Just, propriétaire, rue Saint-Vincent, 27, 1857.

Diérrica, Bernard, négociant, membre du conseil des pru- d'hommes, Grande-Rue, 71. 1859.

Donivers, Joseph, imprimeur, Grande-Rue, 87. 1875. Dornier, Alfred, négociant, place Labourey, 18. 1880. Dreyrus, Joseph, négociant, Grande-Rue, 70, 1880.

Drouxarp, Paul, conservateur des hypothèques, rue Saint- Vincent, 18. 1879.

Droz, Edouard, professeur de rhétorique au lycée de Besan- con, Square Saint-Amour, 4. 1877. |

Dugosr, Jules, maître de forges, rue Sainte-Anne, ?, 1840,

#

468

MM. Ducar, Alfred, architecte, conservateur du musée des anti- quités de la ville, rue Saint-Pierre, 19.— 1853.

Duxop DE CHARNAGE, avocat, rue des Chambrettes, 8. 1863.

Duras, Jacques, directeur des écoles primaires protestantes, rue du Saint-Esprit. 1880.

DurerT, géomètre, rue Neuve, 28. 1858.

DuruprrT, notaire, rue des Granges, 46, 1875.

Erxis, Edmond, propriétaire, membre du conseil municipal, Grande- Rue, 91. 1860.

Fapy, directeur d'usine, rue de Glères, 23. 1871.

Favre, Adolphe, professeur à l'Ecole de médecine, Grande- Rue, 76. 1862.

FaucouPré, Philippe, professeur d'agriculture du département du Doubs, Grande-Rue, 86. 1868.

Fegvrez, Henri, ingénieur civil à Besançon, rue Saint- Pierre, 17. 1881.

FERNIER, Gustave, fabricant d'horlogerie, membre du conseil

municipal, rue du Clos, 31. 1879. Frrscx, Léon, entrepreneur de maçonnerie, président du conseil des prud'hommes, rue du Clos, 12. 1865.

FLAGEey, Camille, ingénieur, membre du conseil général du Doubs, rue Saint-Vincent, 14. 1877.

Foix, agent principal d'assurances, Grande-Rue, 111. —-. 1865.

* GazLorri, Léon, ancien professeur à l'Ecole d'état-major; Bazas (Gironde) et Versailles, avenue de Paris, 62. 1860.

DE Gassowski1, artiste peintre, rue Charles Nodier, 36.— 1875

GAUFFRE, receveur principal des postes en retraite, rue Mo- rand, 11. 1867.

* GAUTHIER, Jules, archiviste du département du Doubs, correspondant du ministère de l’Instruction publique, rue Charles Nodier, 8. 1866.

GIGANDET, propriétaire, faubourg Tarragnoz. 1872.

\

169 MM.

GirarporT, Albert, docteur en médecine, rue Saint-Vincent, 11. 1876.

GiRARDOT, Régis, banquier. rue Saint-Vincent, 15. 1857,

Girarpoï, Georges. artiste peintre, rue Saint-Vincent, 15.— 1882.

Giron, Achille, propriétaire, Saint-Claude {baulieue,. 1856.

Ginop, Victor, ancien adjoint au maire, Grande-Rue, 66. 1899.

DE Gouuois, Charles, directeur d'usine; membre du conseil municipal, à la Butte (banlieue). -— 1862.

GRAND, Charles, ancien directeur de l'enregistrement et des

domaines, Grande-Rue, 109. 1852.

GREsseT, Félix, général commandant l’arüllerie du corps d'armée, rue Charles Nodier, 3. 1866.

GRosJEAN, Alexandre, avocat, rue Neuve-Saint-Pierre, 9. 876.

GROSJEAN, Francis, ancien bijoutier, rue du Mont-Sainte- Marie, 8. 1859.

_ GROSRICHARD, pharmacien, place de l'Abondance, 17.

1870.

GruEY, professeur d'astronomie à la Faculté des sciences de Besancon, directeur de l'Observatoire de Besancon, Grande- Rue, 39. 1882.

GRuüuTER, médecin-dentiste, rue Moncey, 12. 1880.

(UENOT, Auguste, ancien négociant, rue du Ghateur, 17. ETES |

GuicHARD, Albert, pharmacien, ancien président du tribunal

de commerce, rue d'Anvers, 3. 1853. GUILLEMIN, Joseph, caissier de la maison de banque Régnier- Jacquard, rue des Granges, 21. 1879.

GurzLiN, hbraire, ancien membre du conseil municipal, rue Batiant, 3. 1870. Hazoy, fabricant d'horlogerie, rue Saint-Jean, 5, 1859,

MM.

Hazpy, Léon-Emile, fabricant d’horlogerie, rue Saint-Jean, 3-0. 1879.

HarrTenBerG, Victor, négociant, rue Proudhon, 6. 1879.

HExry, Jean, docteur ès sciences, professeur de physique au Lycée, place Saint-Amour, 12. 1857.

Henry, (le baron Edouard), littérateur, rue de la Préfecture, 29. 1876.

Hézarp, Albert, nécociant, rue Neuve-Saint-Pierre, 15, -— 1870.

HowmEz, Julien, inspecteur de la Compagnie française d’as- surances le Phénix. 1879.

Inzer, Adolphe, négociant, rue Morand, 16. 1880.

JÉGo, agent des bois de la marine, à la Butte. 1872.

DE JOUFFROY {le comte Joseph), membre du conseil général ; au château d’'Abbans-Dessous, et à Besancon, rue du Cha- pitre, 1. 1853.

* KoLzLER, conseiller municipal, aux Chaprais. 1850.

LacosTE, arbitre de commerce, rue Saint-Pierre, 9. 1879.

LAMBERT, Léon, ingénieur en chef des ponts et chaussées en retraite, rue Moncey, 12. 1852.

LAMBERT, avocat, ancien magistrat, Grande-Rue, 113. 1879.

* DE LAuBESspIN (le comte Léonel Moucaer DE BATTEFORT); Paris, rue de l’Université, 78. 1878.

LAURENS, Paul, président honoraire de la Société d'agriculture du Doubs, membre du conseil municipal de Besancon, rue de la Préfecture, 15. 1854.

* LEBEAU, négociant, place Saint-Amour, 2? bis. 1872.

LEBRETON, directeur de l'usine à gaz, ancien président du conseil des prud'hommes, Grande-Rue, 97. 1866.

LEpoux, Emile, docteur en médecine, quai de Strasbourg, 13. 187».

Leurs, Jacob, propriétaire , à la Grette (banlicue de Besan- con). 1879.

\

MM. LÉPAGNOLE, médecin, à Saint-Ferjeux (banlieue). 1873. LercH, Théophile, avocat à la cour d'appel, place Saint- Pierre, 17: -21882. : LEssros, fabricant d'horlogcrie, rue des Chambrettes, 6. 1876. LiEFFROoY, Aimé, propriétaire, administrateur des forges de

Franche -Comté, rue Charles Nodier, 11. 1864. DE LONGEVILLE {le comte), propriétaire, rue Charles Nodier, 7. 1855.

Louvor (l'abbé Fernand), professeur d'histoire au collège Saint-Francois-Xavier. 1876.

Marre, ingénieur en chef des ponts et chaussées {service du canal}, rue Charles Nodier, 15. 1851.

Mamme, Alfred, substitat du procureur général, rue du Cha- teur, 12. 1878.

Mass, Alexandre, serrurier-mécanicien, rue du Mont-Sainte-

Marie, 10. 1879. Marror, Félix, banquier, ancien président du tribunal de commerce, rue de la Préfecture, 17. 1857.

. Marror, Henri, président du tribunal de commerce, rue de

Ja Préfecture, 17. 1881. Marror, Gustave, banquier, rue de la Préfecture, 17. 1881. MusoNNET, Auguste, négociant, rue Saint-Pierre, 13. 1869. Marion, Charles, libraire, place Saint-Pierre, 2. 1868. Marquiser, Léon, avocat, ancien magistrat, à Apremont (Haute-Saône) et à Paris. 1874. Marin, Jules, manufacturier, rue Saint-Vincent, 7. 1870. Marvin, Léonce, licencié en droit, ancien avoué, rue Saint- Vincent, 13. 1874. Martin, Abel, lieutenant au 69° régiment d'infanterie. 1881. Masson, Valery, avocat, rue de la Préfecture, 10. 1878. Mazovaié, ancien notaire, rue des Chambrettes, 12. 1840,

MM. Mercier, docteur en médecine, aux Chaprais (banlieue). -- 1881. MÉTIN, Georges, agent voyer d'arrondissement, à Canot (mai- son Jobard). 1868. Mrcaup, Jules, directeur en retraite de la succursale de la Banque, ancien juge au tribunal de commerce, Grande- Rue, 143. 1855. Micuez, Brice, architecte paysagiste, à Fontaine-Ecu (ban- lieue). 1865. Minary, Emmanuel, ingénieur, rue Battant, 47. 1879. Mior, Camille, négociant, Grande-Rue, 62. 1872. Monnier, Louis, pharmacien, rue Ronchaux, 23. 1876. Monnier, Paul, correcteur d'imprimerie, rue de Glères, 8. 1860. Monxor, Laurent, propriétaire, Grande-Rue, 100. 1875. Moquin-Tanpow, Gaston, professeur à la Faculté des sciences, rue Proudhon, 8. 1875. Morez, Ernest, docteur en médecine, rue Moncey, 12. 1863. Morez, Paul, libraire, place Saint-Pierre, 2. 1880. MourriLze, Alfred, banquier, rue de la Préfecture, 31. 1896. Musseuin, comptable, rue Proudhon, 18. 1872. NarGaub, Arthur, docteur en médecine, rue de la Madeleine, 2. 1815. Ozivier, Ernest, naturaliste, rue du Perron, 14. 1878. ORDINAIRE, Olivier, consul de France à Callao (Pérou). 1876. D ORIvAL, Léon, propriétaire, rue du Clos, 22. 1854. D'ORivaL, Paul, président honoraire à la Cour d'appel, place Saint-Jean, 6. 1852. OUTHENIN-CHALANDRE, Joseph, ancien juge au tribunal de commerce, Grande-Rue, 73. 1858. ParzLoT, Justin, pharmacien; aux Chaprais. 1857.

L

MM.

ParGuEz [le baron), docteur en médecine, adjoint au maire, Grande-Rue, 106, 1857.

PERRUGHE DE VELNA, conseiller à la Cour d'appel, rue du Clos, 8. 1870,

PESCHELOCHE, Achille, négociant en bijouterie et horlogerie, rue Morand, 2. 1881.

Pérey, chirurgien-dentiste, Grande-Rue, 70. 1812:

PETITCUENOT, Paul, avoué près la Cour d'appel, Grande-Rue, 107. 1869.

Perir, Hugues, chef de section du chemin de fer Paris-Lyon- \iéditer., maison Pateux, avenue du Pont de fer. 1861.

Picarp, Arthur, chef de bataillon de l’armée territoriale, Grande-Rue, 48. 1867.

Pierre, Albert, professeur agrégé au Lycée de Besancon, Grande-Rue, 97. 18706. |

PiGquer, Emmanuel, fabricant d'horlog., place Saint-Pierre, 9. 1806.

* PiNgaup, Léonce, professeur d'histoire à la Faculté des lettres, rue du Mont-Sainte-Marie, 2. 1874.

_ Porter, Joseph, entrep. de plâtrerie, à la Mouillère. 1870.

Pouzetr, Emile, négociant, juge au tribunal de commerce, rue de la Lue, 6. 1877.

Pourër, Philippe, conseiller municipal, rue Charles Nodier, 19. 1881.

PRÉTET, Joseph, administrateur du journal la Démocratie franc-comloise, Grande-Rue, 21. 1881.

Prieur, Félix, bibliothécaire des Facultés, rue Morand, 6.— 1881.

ProupHon, Camille, conseiller honoraire à la Cour d'appel,

rue des Granges, 23. 18956. Rémonp, notaire, Grande-Rue, 51. 1881.

* RenauD, Alphonse, docteur en droit, rédacteur à la direc- ion générale de l'enregistrement; Paris, rue Notre-Dame- de-Nazareth, 10. 1869,

A4 MM. RenauD, Francois, négociant, abbaye Saint-Paul. 1859. Renaup, Victor, agent comptable de la caisse d'épargne, rue de la Préfecture, 15. 1865. RérTir, directeur de l'enregistrement et des domaines, rue Charles Nodier, 11. 1880. Rerrouvey, Charles, boulanger, rue de Chartres, 1. 1877. Ricxarp, Auguste, pharmacien, rue du Chateur, 16. 1876. PicHarD, Louis, médecin aide major de 1"e classe ; Besançon.

1878. RickLIN, notaire, Grande-Rue, 99. 1879. Rrrps, Paul, architecte, rue Charles Nodier, 18. 1873.

L'abbé Rrrps, Joseph, curé de Morre. 1882.

ROBARDET, Commissaire-priscur, membre du conseil d'arron- dissement de Besancon, ruc des Granges, 34. 1879.

Roginer, Edouard, négociant, juge au tribunal de commerce, Grande-Rue, 130. 1881.

Roxpor, Alcide, notaire, Grande-Rue, 113. 1874.

RouzeT, Louis, ingénieur voyer de la ville, Grande-Rue, 96. 1874.

SAILLARD, Albin, professeur à l'Ecole de médecine et chirur- gien en chef des hospices, Grande-Rue, 136. 1866. :

SAILLARD, Francis, bijoutier, rue de Ja Préfecture, ?. 1874.

SAILLARD, Léon, négociant, rue des Granges, 99. 1877.

SAILLARD, Eugène, directeur des postes du département du Doubs; Beauregard, banlieue de Besancon. 1879.

SaINT-Ginesr, Etienne, architecte du département du Doubs, rue Granvelle, 28. 1866. À

DE SAINT-JUAN (le baron Charles), rue des Granges, 4. cn 1869.

DE SAINTE-AGATHE, Joseph, élève de l’Ecole des chartes, rue d'Anvers, 1. 1880.

SancEy, Alfred, négociant, Grande-Rue, 9. 1878,

|

RS 1 ET

MM.

* Sancey, Louis, comptable, rue du Clos-St-Paul, 4. 1855.

SANDOZ, Charles, fabricant d'horlogerie, rue des Granges, 11. 1880.

SANDOZ, Léon, fabricant d’'horlogerie, ruc des Granges, 11{. 1879.

SAVOUREY, Charles-Arthur, fabricant de boîtes de montres en or, ruc des Martelots, 7. 1874.

SRE, Georges, docteur ès sciences, essayeur de la garantie; aux Chaprais. 1847.

DE SOULTRAIT (le comte Georges), trésorier-payeur général du Doubs, membre non résidant du Comité des travaux histo- riques, rue Charles Nodier, 12. 1877.

Trvier, Henri, doyen de la Faculté des lettres, rue de la Gita- delle ti 1875.

Travezer, Albert, ingénieur des ponts et chaussées, rue de la Préfecture, 18. 1881.

TRÉSORET , Francis, représentant de commerce, rue Prou- dhon, 1-3. 1879.

_Tripon, Mathicu, censeur honoraire du Lycée, rue des Cham- brettes, 15. 1878.

Trourzzer, Louis, capitaine du génie à la Mouillère [ban- lieuc). 1882.

VaissiER, Alfred, propriétaire, conservateur-adjoint du musée des antiquités, Grande-Rue, 109. 1876.

VALLER, avocat-cénéral, Grande-Rue, 72. 18682.

VALLUET, imprimeur, ruc de Glères, 23. 1874.

VERmor, Théodore, entrepreneur de maconnerie, à la Mouil- lère (banlieue). 1873.

DE Vezer (le comte Edouard), liculenant-colonel de l'armée territoriale, rue Charles Nodier, 17 ter. 1870.

Vézran, doyen de la Faculté des sciences, rue Charles No- dier, 21. 1860. ViaNcIN, Laurent, docteur en médecine, rue Morand, 10,

1819.

MM. Vienxer, surveillant général au Lycée. 1869. VorriN, Jules, pharmacien, quai de Strasbourg, 1. 1876.

VoïsiN, Pierre, propriélaire, à Montrapon (banlieuc).— 1855.

* VurzzemoT, Albert, licencié en droit, avoué, rue Saint-Vin- cent, 34. 1876.

VuILLERMOZ, avocat, ancien magistrat, rue Morand, 9 1878.

WERLEIN, Amédée, négociant, rue des Granges, 44. 1870. ZorN, Auguste, ancien professeur à l'Ecole d’horlogerie . place Saint-Amour, 7. 1877.

Membres correspondants (223). MM.

ANDré, Ernest, notaire; Gray (Haute-Saône). 1877.

ARMBRUSTER, Chargé des fonctions d'inspecteur d'Académie ; à Belfort. 1879.

ALLEMAND, Victor, élève de l'Ecole polytechnique, à Paris, 1882.

Baie, Charies, président honoraire de la Société d’agricul- ture, sciences ct arts de Poligny (Jura). 1877.

Balziy, inspecteur d'Académie en retraite, président du con- seil général de la Haute-Saône; Vesoul. 1875.

BALANCHE, Stanislas, ingénicur chimiste ; à Deville-les-Rouen (Seine-[nférieure'. 1868.

DE BANGENEL, chef de bataillon du génie en retraite; Liesle (Doubs\. 1851. | |

BarTaozomorT, Alfred, procureur de la République ; à Annecy (Haute-Savoie). 1879. :

BATAILLE, Paul, ingénicur des ponts et chaussées; Autun (Saône-et-Loire). 1870.

Benoîr, Claude-Emile, géologue; à Saint-Lupicin, par Saint- Claude (Jura). 1854.

BERDELLÉ, ancien garde général des forêts; Rioz (Haute-

Saône). 1880,

x

MM. Beratïer, Henri, juge suppléant; à Dole. 1881. BerqQuET, ingénieur des ponts et chaussées. 1875.

* BERTHAUD, professeur de physique au Lycée de Mâcon (Saône et-Loire). —- {800,

* Bessox, ingénieur de la Compagnie des forges de Franche- Comté ; Ougney (Jura). 1859.

Betrenp, Abel, imprimeur-lithographe ; Lure (Haute-Saône). 1862.

* Beuque, triangulateur au service de la topographie algé- rienne ; Constantine. 1853.

BEURNIER, inspecteur général des forêts; Paris, 8, rue des

_ Saints-Pères. 1874.

Bey, Jules, horticulteur; Marnay (Haute-Saône). 1871.

Brzos, Gaston, professeur de littérature francaise à la Faculté” d'Aix. 1874.

. Brxro, Maurice, agronome, membre du conseil municipal de

Paris ; Paris, quai Voltaire, 19. 1866.

BLancaeT, Hippolyte, doct. en méd., membre du conseil gé- néral de la Haute-Saône; Granvelle (Ht-Saône). 1881.

DE BLONDEAU, Stanislas, membre du conseil général du Doubs et maire de Saint-Hippolyte. 1871.

Bogizzier, Edouard, maire de la ville et suppléant du juge de paix ; Glerval {Doubs}. 1875.

BoisseLeT, avocat; Vesoul (Haute-Saône). 1866.

Boïssox, Emile, propriétaire ; Moncley (Doubs). 1865.

* Bossu (l'abbé Léon); Vuillafans (Doubs). 1875.

* Bouizrer, Apollon, Paris, rue des Bois, 23 (Belleville). 1860.

Bouca* (l'abbé), docteur ès sciences, professeur à l'Université catholique de Lille (Nord). 1875.

BouLLeT, inspecteur honoraire d'Académie; Paris, rue de la Ville-l'Evêque, 12. 1863.

Bouraenor-PEuGror, vice président de la Société d'Emulation de Montbéliard ; Audincourt (Doubs). 1809.

T8 MM. Bravo, Thomas, lttérateur à Cierps; Haute-Garonne. 1882. * BREDIN, professeur au Lycée de Vesoul (Haute-Saône). 1857. * BrioT, docteur en médecine, membre du conseil général du Jura ; Chaussin (Jura). 1869. | Bruanp, Léon, inspecteur des forêts, attaché à l'Adminis-

tration centrale; Paris, rue de Grenelle, 3. 1881. * Bucaet, Alexandre, propriétaire; Gray (Haute-Saône). 1859.

CarpeT, Ferdinand, maire de Rions (Gironde); à Bordeaux, cours Portal, 41. -— 1882,

CARDOT DE LA BURTHE, bibliophile; Paris, avenue de Villiers, 92, et au Val-Saint-Eloy (Haute-Saône). 1873.

CARLET, Joseph, ingénieur des ponts et chaussées; Semur (Côte-d'Or). 1858.

CarME, conducteur de travaux de chemin de fer; Cercy-la- Tour (Nièvre). 1856.

CARPENTIER, Louis, propriétaire ; Baume-les-Dames (Doubs).

Carrau, professeur de philosophie à la Faculté des lettres, adjoint au maire de la ville, place Saint-Amour, 3. 1871.

CasrTan, Francis, chef d’escadron d'artillerie, directeur adjoint de la poudrerie du Bouchet (Seine-et Oise). 1860.

* CHAwpIN, ancien sous-préfet; Baume-les-Dames. 1865.

CHapoy, Henri, avocat; Paris, square de Messine, 13. 1875.

Caapuis, Louis, pharmacien ; Chaussin (Jura). 1869.

CHarpy, Léon, archéologue; Saint-Amour (Jura). 1870.

L'abbé CuHaïEeLer, aumônier de lhospice Saint-Jacques à Besancon. 1868.

CHATELAIN, Paul, pharmacien; à Belfort. 1876.

* CHorFAT, Paul, professeur de géologie; Zurich (Suisse), Hottinger-Strasse, 22, et Lisbonne. 1869.

* CLoz, Louis, peintre; Lons-le-Saunier (Jura). 1863.

419 MM.

Cocarp, Charles, architecte ; Lure {Haute-Saône). 1864.

* ConTEJEAN, Charles, professeur à la Faculté des sciences de Poitiers (Vienne) 1851.

Cornier, Jules-Joseph, vérificateur des douanes; Saint-Na- zaire (Loire-Inférieure). 1862.

Cosre, docteur en médecine et pharmacien de première classe; Salins (Jura). 1865.

* CoTTEAU, Juge au tribunal de première instance d'Auxerre (Yonne). 1860.

CourBET, Ernest, receveur municipal trésorier de la ville de Paris ; Paris, rue de Las-Cases, 21. 1874.

* CourHeruT, Aristide, notaire; Lure (Faute -Saône). 1862.

* CRÉBELY, Justin, emplové aux forges de Franche-Comté;

. Moulin-Rouge, près Rochefort (Jura). 1865.

Crerin, Emile, professeur de mathématiques spéciales au Lycée Saint-Louis ; Paris. 1876.

DauBran-DeLise, Henri, directeur des contributions directes; Montpellier. 1874.

Daugran - Denise, Charles, commis des contributions di- rectes ; Montpellier. 1879.

DELEULE, instituteur; Jougne (Doubs). 1863. Demarriaz, Henri, avocat général; Limoges (Haute-Vienne). 1879.

Dépierres, Auguste, avocat; Luxeuil { Haute-Saône). 1859.

Derosne, Charles, maître de forges; Larians (Haute-Saône). 1880.

* DesserTINE, Edmond, directeur de forges; Longchamp, par Clairvaux (Aube). 1866.

DerTzeM, ingénieur en chef des ponts et chaussées; Niort (Deux-Sèvres). 1851.

* * Deuzuin, Eugène, banquier; Epernay (Marne). 1860,

A8Ù0

MM. Devarenne, Ulysse, capitaine de vaisseau de la marine na- tionale; Paris, rue de la Bienfaisance, 42. 1867.

Devaux, ancien pharmacien, maire de la ville de Gy (Haute- Saône). 1800.

Dorner, Félix; Paris, rue Riche, 11. 1857.

* Dornrer, pharmacien; Morteau (Doubs). —- 1873.

DrapryroN, Ludovic, docteur ès lettres, professeur d'histoire au Lycée Charlemagne, directeur de la Revue de géogra- phie; Paris, rue des Feuillantines, 69. 1866,

Ducar, Auguste, docteur en médecine, médecin du bureau de bienfaisance du 19° arrondissement de Paris. 1873.

Duray, Jules, notaire; Salins (fura). 1875.

ETis, Léon, conservateur des forêts ; Paris, rue du Bac, 40. 1868.

* FazLor fils, architecte; Montbéliard (Doubs). 1858.

* Favre, Alphonse, professeur à l’Académie de Genève, correspondant de l'Institut de France (Acad. des sciences); Genève. 1862.

Feuvrier (l'abbé), curé de Montbéliard (Doubs). 1856.

FozrÊTe (l'abbé), curé de Verne (Doubs). 1858.

* DE FROMENTEL, docleur en médecine; Gray (Haute-Saône). 1857. |

GALMICHE, Roger, avocat, ancien président de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Haute-Saône; Vesoul. 1875.

GAFFAREL, professeur d'histoire à la Faculté des lettres de Dijon ; 1868.

À GARNIER, Georges, avocat; Bayeux (Calvados). 1867.

Gascon, Edouard, agent-voyer principal; Fontaine-Francaise (Côte-d'Or). 1868

GAssMANN, Emile, rédacteur au Monileur universel: rue de Rennes, 51, Paris. 1867.

GaurTHigr, docteur en médecine; Luxeuil { Haute - Saône ). 1868.

Y

TU ES MM.

GÉraArD, Jules, recteur de l’Académie de Grenoble. 1865.

Gevrey, Alfred, procureur de la République; Aurillac (Can- EL = 1860.

* GIRARDIER , agent voyer d'arrondissement ; Pontarlier (Doubs). 1856.

* Girop, Louis, architecte, membre du conseil général du Doubs ; Pontarlier (Doubs). 1851.

Girop, Paul, sous-préfet; Baume-les-Dames (Doubs).— 1880.

Girop, Paul, docteur en médecine et ès-sciences, maître de conférences à la Faculté des sciences de Clermont-Ferrand. 1882.

* GoqueL, Charles, manufacturier; Montbéliard, bassin du canal. 1856.

GoauEz, médecin-major de {°° classe au 1349 de ligne; Mâcon.

-— 1875. GRANDMOUGIN, Charles, attaché au ministère de la Guerre; Paris, rue Caumartin, 48. 1879.

Gremaup (l'abbé), bibliothécaire cantonal de Fribourg(Suisse). 1879.

GRIFFOND, Théophile, juge au tribunal de Baume-les-Dames (Doubs). 1879.

GUERRIN, docteur en médecine, maire de Rougemont (Doubs).

1881.

GuizLeT, Eugène, ancien percepteur; à Dormans (Marne). —— 1880. | GUILLEMIN, LOuis, ancien attaché au ministère des Affaires

étrangères; Rougemont (Doubs). 1873. * GUILLEMOT, Antoine, entomologiste; Thiers (Puy-de-Dôme). 1854.

GuinerT, Picrre, ingénieur, directeur de la manufacture de Plombières (Vosges). 1873.

GUTZWILLER, Louis, juge de paix; Vercel (Doubs). 1878. Hezz, Thiébaud, négociant; Willer, par Altkirch (Alsace!, et à Besancon, chez M. Crolot, rue de la Préfecture.— 1872,

A1 {

482

HENRicoras, inspecteur des contributions directes; Lyon, Cours du Midi, 34. 1878.

Hizp, Antoine, professeur à la Faculté des lettres de Poitiers. 1877.

HorFManN, imprimeur; Montbéliard (Doubs). 1873.

Houmez, Julien, inspecteur de la Compagnie francaise d’as- surance le Phénix; à Paris. 1079.

HuarT, Arthur, ancien avocat général; Paris, rue de la Fai- sanderie, 24. 1870.

* Jaccarp, Auguste, professeur de géologie à l’Académie de Neuchâtel (Suisse) ; au Locle. 1860. |

JANET, Albert, négociant; Saint-Vit (Doubs). 1877.

JEANNENEY, Victor, professeur de dessin au Lycée de Vesoul (Haute-Saône) 1858.

JEANNIN (l'abbé), curé de Déservillers (Doubs). 1872.

JEANNOLLE, Charles, pharmacien à Saint-Loup (Haute-Saône).

1876. Joez, Théodore, propriétaire; Chaussin (Jura). 1877. JoBiN, Alphonse, avocat; Lons-le-Saunier (Jura). 1872.

JOLIET, Gaston, sous-préfet d'Autun [Saône-ct-Loire). 1877.

JüuLHIET, président à la Cour d'appel de Dijon. 1877.

JUNG, Théodore, colonel au 14° résiment d'artillerie; à Tarbes. 1872.

* JURGENSEN, Jules, littérateur; au Locle (Suisse). 1872. Kizran, Wilfried; Paris, rue Notre-Dame-des-Champs, 82. 881.

KLEIN, Auguste, propriétaire, rue de Savoie, 5; Paris. 1898.

* KocaLiN, Oscar, chimiste; Dornach (Alsace). 1858. KoxLer Xavier, président honoraire de la Société jurassienne d'Emulation; Porrentruy (Suisse). 1864.

* KoHzuanN, ancien receveur du timbre; Angers (Maine- et-Loire). 1861.

483

MM.

* LAMOTTE, directeur de hauts-fourneaux; Ottange, par Au- metz (Lorraine). 1859.

LANTERNIER; à Loulans-les-Forges (Haute-Saône), 1855.

Laurens, Camille, ingénieur civil; Paris, rue Taitbout, 82. 1881. :

* LAURENT, Ch., ingénieur civil; Paris, rue de Chabrol, 35. 1860.

LEBAULT, Armand, docteur en médecine; Saint-Vit (Doubs). 1876.

LECLERC, Francois, archéologue et naturaliste; Seurre (Côte- d'Or). 1866.

Le Grix, Victor, procureur général; Grenoble (Isère). 1876.

Le Mare, Paul-Noël, avocat; Mirevent, près Pont-de-Poitte (Jura). 1876.

LE Monter, professeur à la Faculté des sciences de Nancy (Meurthe-et-Moselle). 1875.

* Leras, inspecteur honoraire d'Académie, Auxerre (Yonne). 1857.

LaommE, botaniste, employé à l’hôtel de ville de Vesoul (Haute-Saône). —- 1875.

* Ligier, Arthur, pharmacien, membre du conseil général du Jura ; Salins (Jura). 1863.

Loye, Paul, négociant; Pontarlier (Doubs). 1879.

Lon&in, Emile, avocat, ancien magistrat; à Vesoul. 1874.

Lory, correspondant de l’Institut, doyen de la Faculté des sciences de Grenoble (Isère). 1857.

MacHarp, Jules, peintre d'histoire, ancien pensionnaire de l'Académie de France à Rome: Paris, rue Ampère, 67. 1866

Mapior, Victor-François, pharmacien ; Jussey (Haute-Saône). 1880.

* MarzcarD, docteur en. médecine ; Dijon (Côte-d'Or).— 1555.

Marre-SeBizLe (l'abbé), curé de Vuillecin (Doubs). -- 1880.

gs

MM. Maine (l'abbé), professeur au séminaire de Vesoul. 1874. Maisonnet (l'abbé), à Audeux (Doubs). - - 1856. * DE Manpror, colonel fédéral; Neuchâtel (Suisse). 1866.

MarcHaxT, Louis, docteur en médecine, conservateur du musée d'histoire naturelle; rue Berbisey, 31, Dijon (Côte- d'Or). 1877.

Marzer, Adolphe, conseiller de préfecture; Dijon (Côte-d'Or).

1852. De Maruier {le duc}, membre du conseil général de la Haute- Saône; Paris, rue de l'Université, 39. 1867.

Marnouiser, Gasion, député de la Haute-Saône; Fontaine-lez- Luxeuil (Haute-Saône), et Paris, rue de Châteaubriand, 17. 1858.

MarTIN, docteur en médecine; Aumessas, par Le Vigan (Gard). 1855.

* Maraey, Charles, pharmacien; Ornans (Doubs). 1856. pe MENTON (le comte René), botaniste; Menthon (Haute- Savoie). 1854.

Mevxier, Joseph, médecin-major de classe au 109° de ligne; Chaumont (Haute-Marne). 1876. MicHaup, Emile, docteur en médecine; l’Isle-sur-le- Doubs.

1879. MicHELOT, ingénieur en chef des ponts et chaussées en re- traite; Paris, ruc de la Chaise, 24. 1858.

MiGxarp, Prosper, correspondant du ministère de l’Instruc- tion publique; Dijon (Côte-d'Or), rue Franklin, [. 1868. * Monnier, Eugène, membre de la Société centrale des archi-

tectes; Paris, rue Washinoton, 19. 1866. DE Moxrer, Albert; à Vevey (Suisse). 1882,

Morérix, docteur en médecine; Paris, rue de Rivoli, 68. 1837.

Moucaer, Léon, professeur à la Faculté de droit de Dijon (Côte-d'Or), membre du conseil général du Doubs. 1879.

Mouror, instituteur en retraite à Trepot (Doubs). 1879.

185

MM.

ps Mousrier (le marquis), membre du conseil sénéral du Doubs; châtean Bournel, par Rougemont (Doubs), ct Paris, rue de l’Université, 82, 1874.

MuGnier, Henri-Auguste, ingéniear-architecte; Paris, rue de Lancrv, 6 1808.

MuseLier, notaire honoraire; Ornans (Doubs). -- 1881.

D: Nenvaux, Edmond, directeur honoraire de l’Assistance publique ; Paris. 1856.

ORDINAIRE DE LAGOLONGE, chef d’escadron d'artillerie en re- traite ; Bordeaux (Gironde). 1856.

* DARANDIER, inspecteur général honoraire des ponts et chaussées, président de la Société de viticulture d’Arbois (dura). 1852,

Paris, docteur en médecine; Luxeuil (Haute-Saône). 1866.

Parisor, Louis, pharmacien et maire de Belfort. 1855.

Perron, Charles, docteur en médecine, ancien membre du conseil municipal de Besançon; route de Baume 'banlieue). 1977.

* PernroN, Eugène, correspondant du ministère de l'Instruc- tion publique, conservateur du musée de la ville de Gray

* Pessines, architecte; Pontarlier (Doubs). 1855.

Perir, Jean, statuaire; Paris, rue d'Enfer, 89. 1866. PerTirezerc, Paul, géologue; Vesoul (Haute-Saône). 1881. PinairEe, Jules, juge de paix ; Clerval (Doubs). 1868. Pozy, archéologue; Breuches (Haute-Saône). 1869.

pe Prixsac {le baron), ancien membre du conseil d'admimis- lation de la Société; château de Saint-Elix, près Mirande (Gers). 1873.

Prost, Bernard, rédacteur au ministère de l'Intérieur (bu- reau des archives départementales); Paris. 1857.

*“ Quécer, Lucien, docteur en médecine; Hérimoncourt (Doubs). 1862.

RaupauD, Alfred, chargé de cours à la Faculté des Lettres de Paris. 1881.

A86 MM.

* Receveur, Jules, notaire; Cuse, près Rougemont (Doubs), 1874.

* RenauD, Alphonse, officier principal d'administration des hôpitaux militaires en retraite; Paris, rue d'Amsterdam, 69. 1855.

* Renaup, Edouard, chef de batail. d'infant.; Pau. 1868.

Renaup (docteur) ; à Goux-les-Usiers. 1854.

RENAULT, Ferdinand, botaniste, lieutenant au dépôt de re- monte ; Tarbes (Hautes-Pyrénées). 5875.

* Revo, Pierre, banquier; Gray (Haute-Saône). 1858.

RicHarp, Charles, docteur en médecine; Autrey-lez-Gray (Haute-Saône). 1861.

RicHarp, Auguste, pharmacien ; rue Gioffredo, à Nice. 1876.

RINGUELET, Eusèbe, industriel; Trécourt (Haute-Saône). 1873.

DE ROCHAMBEAU (le marquis), président de la Société scienti- fique et littéraire du Vendômois; Paris, boulevard Males- herbes, 43. 1878.

Roy, Jules, professeur à l’Ecole des Chartes; Paris, rue des Saints-Pères, 12. 1867. |

SAGLIO, Camille, ingénieur aux forges d’Audincourt (Doubs). 1871.

* SAILLARD, Armand, négociant; Villars-lez-Blamont (Doubs). 1877.

* SENTUPÉRY, Charles, négociant; Arc-lez-Gray (Hte-Saône). 1879.

* DE SAUSSURE, Henri, naturaliste; Genève, cité 24 (Suisse) 1854.

SIicARD, Jules, négociant; Dijon (Côte-d'Or). 1875.

TAïLLARD, docteur en médecine, membre du conseil d’arron- dissement de Montbéliard; Maîche (Doubs). 1877.

* THÉNARD (le baron), membre de l’Institut (Académie des sciences) ; Talmay {[Côte-d’'Or). 1875.

*

81 MM.

Taurier, Charles, juge de paix; Baume-les-Dames (Doubs). 1869.

Tousin, Charles, professeur au collège arabe d'Alger; à Salins. 1856.

TourGxoz, principal du collèce de Baume-les-Dames (Doubs). 1073.

* Tournier, Ed., maître de conférences à l'Ecole normale, sous-directeur à l'Ecole des hautes études; Paris, rue de Tournon, 16. 1854.

Travezer, Nicolas, propriétaire, maire de Bourguignon-lez- Morey (Haute-Saône). 1857.

* Travers, Emile, conseiller de préfecture; Caen (Calvados). 1809. ;

Trigour, négociant ; rue des Pyramides, 20, Paris. 1880.

* TrippuiN, Julien, représentant de l'horlogerie bisontine à Londres (Hart strect Bloomsbury, 13). 1868.

TrucHezuT, président de la Chambre syndicale des photo- graphes de Paris; impasse Dupuis, Courbevoie {[Seine). 1854.

TusTey, Alexandre, archiviste aux Archives nationales; ruc du Marché-Levallois, 3, Paris. 1863.

VALFREY, Jules, ancien sous-directeur à la direction poli- tique du Ministère des Affaires étrangères ; Paris, rue de Rivoli, 180. 1860.

VaiLLaAnDeT, médecin; Pin-lPEmagny (Haute-Saône). 1876.

Vassier, Jules, fabricant de papiers; Marnay, par Azay-le- Rideau (Indre-et-Loire). 1877.

VARAIGNE , sous-directeur des contributions indirectes; Ver- sailles (Scinc-et-Oise)., 1856. |

VENDRELY, pharmacien ; Champagney (Haute-Saône).— 1865

VERNEREY, notaire ; AmancCey, 1800.

VrezLarD, Léon, propriétaire et maître de forges ; Morvillars (Haut-Rhin). 1872.

\ /

MM. * DE ViGNaAUD, Eugène, littérateur; Paris, rue des Francs- Bourgeois, 34. 1875.

VorsiN-DeLacroix, Alphonse; Montrapon, banlieue de Be- sancon. 1878.

* WaALLon, Henri, agrégé de l’Üniversité, manufacturier ; Rouen, Val d'Eauplet, 48. 1868.

* WrLLERME, Colonel des sapeurs-pompiers de Paris en retraite. 1869.

ZELLER, Jean, inspecteur d’Académie à Laon. 1871,

Sn ape mp ©

189

SOCIÈTÉS CORRESPONDANTES (129).

Le millésime indique l’année dans laquelle ont commencé les relations.

FRANCE. Comité des travaux historiques et des sociétés savantes près le Ministère de l'Instruction publique {cinq CÉUDIaUnes es MOMONTES 2, Vin me se.

Ain. Société d'Emulation de l’Aïin; Bourg...........,,,.. Aisne.

Société académique des sciences, arts, belles-lettres, agriculture et industrie de Saint-Quentin..........

Allier.

Société des sciences médicales de l'arrondissement de CHAN NOR AE SN ER RS RSR

ne Re Mine icL. AS AE ES

Alpes-Maritimes.

Société des lettres, sciences et arts des Alpes-Maritimes :

Ardèche. Société d'agriculture, industrie, sciences, arts et lettres HEMPATUECRE APTINA SE RM UE se see Aube.

Soticléacadémiquel del AuheMraves. vins.

1856

1860

1802

160!

1860

1863

1807

490

Aveyron.

Société des lettres, sciences et arts de l'Aveyron; Ro-

Bouches-du-Rhône.

Société de statistique de Marseille... ... LE RNA Académie des sciences, belles-lettres et arts de Marseille.

Calvados. Société Linnéenne de Normandie; Caen. ........... ACidénne de Caen Tr Ne er NUS ER : Charente.

Société historique et archéologique de la Charente; ANOOUIÉME ae MRC enr En

Cher.

Société des antiquaires du Centre; Bourges........…. Côte-d'Or.

Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon... Société d'agriculture et d'industrie agricole du dépar- menbdeda/Cote- d'Or: Dion er pme rer Commission des antiquités du de la Côte- MOSS Dijon terre" LED RO Es Société d'archéologie, d’ an cou ELde AITÉREMTENUE Beau) 0 Pr ARR Ne sn Société des sciences historiques et naturelles de Semur.

Doubs.

Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besan-

Société d'agriculture, sciences naturelles et arts du dé-

partèementduboubs "Besancon ere Société d'Emulation de Monthéliard............. _ SOC de medecme de Besticon ee us Société de lecture de Besancon........ Le ee

491

Association scientifique des pharmaciens de Besancon. Club Alpin français, section du Jura; Besancon... Drôme.

Bulletin d'histoire ecclésiastique et d'archéologie reli- gieuse des diocèses de Valence, Gap, Grenoble et Miviers:- Romans (Drôme)... Eee

Eure-et-Loir. SuelCté Dunoise: Ghateaudun.:.................. Finistère.

Sbbiéledcademique de Brest. ..…..1.:,:..,..:,.,,1.,

| Gard.

Académie de Nimes................ Re rs e

Garonne (Haute).

Société archéologique du Midi de la France; Toulouse. Société des sciences physiques et naturelles de Tou- JOUÉS AS ERA ECS ne nn nt es Ta Le

Gironde.

Société des sciences physiques et naturelles de Bor- LERUR : 2 0 TRE A Société d'archéologie de Bordeaux.......:...,..... Sbeeté Binnéenne deBordeaux.::.:...............

Hérault. BRadémie de Montpellier." ...:::...1.....1. Société archéologique de Montpellier. .............. Société des sciences naturelles de Béziers. .......... Ille-et-Vilaine. Société archéologique d’Ille-et-Vilaine; Rennes..... Indre-et-Loire.

Société française d'archéologie; Tours:...... ,.....

1875 1879

1807 1875 1870

1869 1869 1878

1870

492 Isère. Société de statistique et d'histoire naturelle du dépar- tement de l'Isère; Grenoble......... Ge e ae Jura.

Société d'Emulation du département du Jura; Lons-

Société de viticulture et d’horticulture d'Arbois......

Loire. Société d'agriculture, industrie, sciences, arts et belles- lettres du département de la Loire; Saint-Etienne. Loiret. Société archéologique de l’Orléanais; Orléans........ Maine-et-Loire. Société industrielle d'Angers et du département de ‘Mame-ekLoires Ansprs oi Société académique de Maine-et-Loire ; Angers..... Manche. Société des sciences naturelles de Cherbourg......... Société académique de Cherbourg. .... die CRUE Marne. Société d'agriculture, commerce, sciences et arts du département dela Marne Chalons-; 7/0 e Société d'histoire naturelle de Reims... 1% ne Société d'agriculture, sciences et arts du département dérta MôbnestRelms 0e; hs ner nr Marne (Haute-), Somiélraicneoloege de lanercs Pere Meurthe-et-Moselle. Société des sciences de Nancy (ancienne Société des sciences naturellestde Strashoure) "rs 2r &

1857

1866

495 Meuse.

Societé phrlomathique de: Verilun... 5.4.6...

Morbihan.

Société polymathique du Morbihan; Vannes......

Pyrénées (Hautes).

Société des sciences, lettres et arts de Pau...........

Pyrénées-Orientales. Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées- Orientales Perpiénan. uit, Lee Rhin (Haut-). Société Belfortaine d Emulation......... A

Société d'agriculture, d'histoire naturelle et arts utiles evo MAUR en SE NE

Académie des sciences, belles- léthree et arts de Lyon.

Sociélé littéraire , historique et archéologique 1

Saône-et-Loire. SOC duenne: AUbRN re Lee int Société d'histoire et d'archéologie de Chalon-sur-Saône. Société des sciences naturelles de Saône-et-Loire; Cha- OMS SAONE A Re D ner Saône (Haute-). Société d'agriculture, sciences et arts de la Haute- SAONE MIN CS ON Sn OMR Mel: JR las Sarthe. Société d'agriculture, sciences et arts; Le Mans..... Société historique et archéologique du Maine; Le RENAN RSR DER PR PA ONE PT CT EEE

[861

1869

1879

494

Savoie. Ncadémie de Savoie: Chambéry. . Fee 2 ob) Savoie (Haute-). Societé Florimontanes ANeCy 2202 0 Ce 1871 Seine. Académie des sciences de l’Institut de France. ...... 1872 Société de secours des amis des sciences; Paris...... 1863 Association scientifique de France; Paris........... 1866 Société des antiquaires de France; Paris ............ 1867 Société française de numismatique et d'archéologie ;

Paris eeur t RS 1877 Association française pour l'avancement des sciences. 1879 Revue historique; rue d’Assas, 76, Paris........... 1877 Nouvelle revue historique du droit français et étran-

SeP: Tue SoUuNot 22) Paris. 207 Nb er Re 1878 Société générale des prisons : place du Marché-Saint-

Honoré 202.040 tn Ne A Re 1879

Seine-Inférieure.

Commission départementale des antiquités de la Seine- Infémeure Rouen 2e ere Ne PEER 1869

Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen. 1878

Société libre d’Emulation, du commerce et de l’indus-

triede la Seine-Inferieure. Rouen Pt nt 1880 Société des sciences et arts agricoles et horticoles du ÉLavre ti uen is ia a ER RE RE els OO Somme. Société des antiquaires de Picardie; Amiens........ 1869 Conférence littéraire et scientifique de Picardie; ANIenS. re PA ne au hr AIO Var.

Société des sciences naturelles, des lettres et des beaux- arts de Cannes et de l'arrondissement de Grasse.... 1870

195

Vienne (Haute-). Société archéologique et historique du Limousin ; D'IMOSES ENS ENISSRANER ER RE RS Me ect Vosges.

Société d'Emulation du département des Vosges; Epi-

Société philomathique vosgienne; Saint-Dié..... Yonne. Société des sciences historiques et naturelles de IMOHAIE VAMXETTE, un sauces, st. ALSACE-LORRAINE.

Société d'histoire naturelle de Metz... ... ne pe Sbbete d'histoire naturelle.de Colmär.....,........ Société des sciences, agriculture et arts de la Ste

AISACeSITASHOUrS sn EAN Ace : ALGÉRIE. | Société de climatolos ie aléérienne, Alger... A Société historique algérienne ; Alger, .......... ar ALLEMAGNE.

. Académie tmpériale et royale des sciences de Berlin. Société botanique de la province de Brandebourg ; SN Eee Re ee ARR RAT RC RE Académie royale des sciences de Bavière à Manich

(Kænigl. bayer. Akademie der Wissenschaïten zu München), représentée par M. Scheuring, libraire à: IL ONE ER OR A EE Société des sciences naturelles de Brême (Naturwis- SCnSCUIticRenNeremazurbremeNn) Er... .0.. Société des sciences naturelles et médicales de la Haute-Hesse (Oberhessische Gesellschaft für Natur- tue enTe) ACIESSCMAANMMONe QUIE NE mn

1852

1855 1876

1865

1866

1858

496

Société royale physico-économique de Kænigsberg (Kæœnigliche physikalisch-ækonomische Gesellschaft zu Kætiesbers: Prusse. ee ee Eee

AUTRICHE.

Institut impérial et royal de géologie de l'empire d'Au- triche (Kaiserlich -kœniglich geologische Reichs- anstalteNienne. er rr ee à

AMÉRIQUE.

Société d'histoire naturelle de Boston, représentée par MM. Gustave Bossange et Ci, libraires, quai Vol- taire, 25: Paris. ee a Ce

Institut Smithsonien de Washington, représenté par MM: Gustave Bossanse et CE 0. 2

Société d'histoire naturelle de Wisconsin ; Milwaukée.

ANGLETERRE. Société littéraire et philosophique de Manchester (Li- terary and philosophical ‘Society of Manchester)... BELGIQUE. Académie royale de Belgique ; Bruxelles............ Société géologique de Belgique; Liége.............. ITALIE.

Académie des sciences, lettres et arts de Modène... .

LUXEMBOURG.

Société des sciences naturelles du grand - duché de buxemhoureEuk@mhoure PR DRE

SUËÉDE ET NORVEGE.

Académie royale des sciences de Stockholm, représen- tée par M. Otto Lorenz, libraire, rue des Beaux- Ars DIS Parents ee re re Re

Université royale de Christiania

eue eee rTir el atrenel sn dent ere lee

1861

1859

1865

1869 1878

1899

1868 1870

1879

1854

ion SUISSE.

Société des sciences naturelles de Bâle.............. Société des sciences naturelles de Berne............ Société jurassienne d'Emulation; Porrentruy........ Société d'histoire et d'archéologie de Genève ...,.... Institut national de Genève.......... RE et Société vaudoise des sciences naturelles; Lausanne... Société d'histoire de la Suisse romande; Lausanne. . Société neuchâteloise des sciences naturelles ; Neu- 7. io om A on A A an

Société no des sciences n naturelle Zurich... SDUIÈLÉ des antiquaires de Zurich... ............... Société générale d'histoire suisse la bibliothèque de

BÉRne 0... A Me ec RS A AE

1872 1855 1861 1863 1806 1847 1873

1862 1865 1857 1864

1880

VA

BIBLIOTHÈQUES PUBLIQUES (20) Ayant droit à un exemplaire des Mémoires.

Bibliothèque de la ville de Besancon.

Id. populaire de Besançon.

Id. de l’École d'artillerie de Besancon.

Id. des Facultés et de l'Ecole de médecine de Be- L- Sancon-

Ko de la ville de Montbéliard.

Id. de la ville de Pontarlier.

Id. de la ville de Baume-les-Dames. Id, de la ville de Vesoul.

Id. de la ville de Gray.

Id. de la ville de Lure.

Ïd. de la ville de Luxeuil.

lo de la ville de Lons-le-Saunier fd. de la ville de Dole.

Id. de la ville de Poligny.

Id. de la ville de Salins.

Id. de la ville d'Arbois.

Id. du Musée national de Saint-Germain-en-Lavye. Id. Mazarine, à Paris.

Id. de l'Ecole d'application de l'artillerie et du

génie, à Fontainebleau. Archives départementales de la Côte-d'Or.

TABLE DÉS MATIERES DU VOLUME.

PROCÈS-VERBAUX.

Félicitations à M. DEwoxceor sur sa nomination au grade de chevalier de la Légion d'honneur, et à MM. Pau! Laurexs et Ducar sur leur pe au ne d’officier de l'Ins-

brieuon/publique.. su" RC AU CHE D. vi Un souvenir de Marie Stuart au musée de Naples : note de MMOASAN Te RAS mi Neue nes Re D AO di

Congrès de la Sorbonne en 1881: communications scientifi- ques de M. Sire,; lecture sur l’histoire et sur les beaux-arts,

MARNE SANS Ste a te ND IN XIV, SIT NII EX EX Rapport de M. Cane Gnaxp sur la gestion financière de l'annee 1ÉQUAasERRRs ARE ES AR A PP. IX-XIIt

Proposition de donner à l'une des rues de la ville le nom de

Uharles Nodier. Conférence sur cet écrivain faite par

MÉRÉdONNTA BESSON... 1... Date: classe BDD NN PT IRON TE Rapport de M. Georges Mé£rix sur le cimetière gallo-romain

découvert à Thoraise : don des objets de cette provenance

fait au musée des antiquités de Ne le Conseil

SÉNArT AU DOUDS....,:.. ÉD A PE ete ADD CV NV NIE Délégation remplie A MM. Albert Giranpor et Victor Giro

pour assister à la séance générale de la Société d'Emula-

ton desMonthéliard.. 1... 0... NET OUR SUN DR ASS D'xX Rapport de M. Edouard Besson sur les thèses de doctorat És-letires soutenues en-Sorbôonne par M, Fizp........... D'xx

Découverte au champ de tir de Pontarlier d'un furnulus ana-

logue, comme contenu, à ceux du pourtour d'Alaise : don

au musée des antiquités de Besançon, par M le capitaine

Paul Bessox, des objets provenant de cette sépulture... P. XXIV Fouilles opérées par MM. Albert GirarDor et Alfred VAïisStER

dans une des grottes du rocher de la citadelle de Besan-

con : raport fait à cet égard par M. Albert GIRARDOT. pp. XXIV EL XXXI Proposition, par M. Jean Pertr, de relations à établir entre

la Société d'Emulation du Doubs et l'Association d'appui

moral des Franc-Comlois récemment fondée à Paris... pp. XXIV-XXV Dépêche ministérielle félicitant M. Casrax des résultats de

sa mission d'éludes en Italie,...... SE EE TEE 52 APS SM

900

Notfication, par M. Casran, de la mort du docteur Ferdinañd

K£sLzer, fondateur de la Société des antiquaires de Zurich. p. xxvi! Description, par M. le docteur Cavaroz, de la station préhis-

torique de Grandehamp pres de Cernans (Jura) "2100 D. XXVINE Mort de Mgr PauLinier, archevêque de Besançon : notice ;

nécrologique sur ce prélat, par M. CASTAN. pp. XXIX, XXxX, XXXIT, XXXIII

Budeet de Fannée 1882: 2/0 e nes trier PERS Communication de quelques articles d’un Pichonnaire des

locutions populaires, par M. Charles TouBIN............... D'or Notification, par M. Paul Laurens, de Ia mort de M. Léon

BRETON, ar re A Re NE eur D: COUT Election de M. le général Wozrr comme membre honoraire

à titre personnel.......... A AA De one de ENRES El ADI SCO Conseil d’ A de la Société pour 1882. Re a Dao on Séance publique du 13 décembre 1881... ..... AN DID OVER VITIT

Banqnet de 1881 : toasts portés à cette fête par M. Paul Lauw- RENS, président annuel: M. le général Wozrr, comman- dant le corps d'armée; M. GALTIER, ue du Doubs; M. Charles GRranpuouGinx; M. Edouard Bessox, secrétaire décennal; M. Jules JURGENSEN, délégué de Neuchâtel ; M. Bsssire, de Porrentruy ; M. L’Erée, de Montbéliard ; M. Emile Loncin, de Vesoul; M, Auguste CasrTan, secré- taire honoraire; M. Albert Girarpor, président élu pour OS SRE NES ge DS con oc in PP. XXXIX-LV

MÉMOIRES. La Société d'Emulation du Doubs en 1881, par M. Paul LAURENS président annuel, "0020 vi pa5

Nécrologie : J.-J. Dietrich, H. Sainte-Claire-Deville, Ph. Perraud, Godron, À. Delesse et H. Coquand. p. 15

Coup-d'œil sur la fabrique d'horlogerie de Besancon, Dar M PAM AURENS NE ride np le)

Le missel du cardinal de Tournai à la Bibliothèque de

Sienne, décrit et étudié par M. Auguste Casran.. p. 24 Stahion miléorologique porlaltive, par M. Georges

SR ETS AR CSN GVT elite leon ere Mes Re Te 9 4 © + © + P- 5)

Le Bronzino du Musée de Besançon, par M. Auguste

GPSrAN (1 Hlanche) 2,7... 1 os at

Pièces de vers : Dans la Lande (souvenir de la Haute- Saône); Diner de banlieue (souvenir de Paris); Toast à la Suisse, par M. Charles GRANDMOUGIN..

Une inscription sur bronze mentionnant les eaux ther- males de l'Helvétie, étudiée par M. Aug. CASTAN.

La Grotte de Quincey (Haute-Saône), par M. Albert IRAN PNEUS REA ee

Qualre stèles funéraires gallo-romaines de la banlieue deBésancon, par.M. Auguste CASTAN .....:....

Noce sur les bracelets en bois d’if du Musée de Besan- con, par M. Albert GIRARDOT..... nn nt.

Simon Renard, ses ambassades, ses négociations, sa lutte avec le cardinal de Granvelle, par M. Trio.

- Le président Philippe, négociateur franc-comtois au xvr® siècle, par M. Edouard Besson (1 portrait

Les Imochar, étude d’ethnographie algérienne, par DÉAGNSEnErAl VOLE 0... 0

Les poleries estampillées dans l’ancienne Séquanie, par MOT NVArssER 5 planches). "0...

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CE Extraits des out et a règlemént de la Societé 4 nee +,

du Doubs, fondée à nu le 1 “pet ins en

- Décret impérial du 22 avril 1863 : & ia Sociié d'Énaaios du À

+ Doubs, à Besançon, est reconnue comme établissement #4 utilité ee publique. ver A Ua se _ APE fe des slututs. : « Son bu est de: concourir activehont. aux son

_ progrès des sciences et des arts. ef, pour en faciliter le. développe-

ment, de coopérer à la formation des collections publiques, F. de a diter les travaux utiles de ses membres. . Re Elle encourage pet les co relatives à à a Franche= à

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* Art 13. des sais et La Société pourvoir. à 2 des au. Lo

AHOVEU ee us nue Me » 1H D'une no annuelle able par de ses membres résidants. et par chacun de ses membres a elle Est | exigible dès l'année même de leur admission. ee ee » 2 De la somme de deux francs payable par les ones r'ési- -

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dants et cor'éspondants au moment de la remise du diplôme. ..….» o

Art, 17 du règlement: « La cotisation annuelle est fixée à dix. francs pour. les membres résidants et. à, Six francs Pot les membres |

= correspondants. » ee à : < Art. 93 des statuts : « Les sociétaires ont la tide des eo be de leur cotisation annnelle en vérsant 1 un capital. dans là. caisse de .

la Société. | . » La somme. exigée est des cent francs pour Le Herbe résie dants et de soixante francs pour lés correspondants...»

Art. 15 des slatuis : « Tout inembre qui aura. cessé de payer sa.

: cotisation pendant plus d’une année, pourra être considéré. comme

démissionnaire par le conseil d'administration, » Art. 6 du règlement : « Les séances ordinaires se tiennent ke see

cond samedi de chaque mois...» | Sr Art, 9 du règlement : La Société publie, He année, ee D bulletin de ses travaux, sous le titre de Mémoires... » se UN

Art, 13 du règlement : « Le bulletin est remis a

»..… À chacun des membres honoraires, résidants et corres- ee

pondants de la Société... »

Adresse du Trésorier de Société : M. le PRÉSORIER de Société d'Emulation du Doubs, Palais Granvelle, à Besançon,

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