I i MÉMOIRES D'UNE SOCIÉTÉ CÉLÈBRE. TOME SECOND. r MÉMOIRES D'UNE SOCIÉTÉ CÉLÈBRE, CONSIDÉRÉE COMME CORPS LITTÉRAIRE ET ACADÉMIQUE; DEPUIS LE COMMENCEMENT DE CE SIÈCLE: o u MÉMOIRES DES JÉSUITES SUR LES SCIENCES, LES BELLES-LETTRES ET LES ARTS; Publiés par M. l'Abbé GROSIER. TOME SECOND. — ■ Avec Figures. A PARIS, Chez DEFER DEMAISONNEUVE , Libraire , rue du FoTn- Saint-Jacques , la Porte cochère au coin de la rue Bouttebrie, T (7 A • J.t . _ ;d t:e si» f A B L E Des Articles contenus dans le fécond Volume. MÉDAILLES, Art. I. JSfcanière d'expliquer les Médailks an- tiques. Lettré première. Page i Lettre féconde. \ o Lettre troifïème. Explication des exergues des Médailles. 14 Lettre quatrième. Explication des chiffres des Médailles- de VF,m pire Grec. J9 Lettre cinquième. Explication des chiffres des Médailles confulaires. 2 5 Lettre fixième. Second ufage des exergues. 3 9 Lettre Jeptième. Troifièmë ujage des exer- gues. 44 Art. II. Explication de deux Médailles faî- tes fous un Charles , Roi de France. Par le P. Daniel , Jéf. 49 Art. III. Examen d'une Médaille de petit bronze ; par le Père Daniel , Jéf. 64 Art. IV. Explication d'une Médaille très -rare de l'Empereur Gallien ;par le P. Tourncmine, Jéf ?z Art. V. Lettre critique fur ^explication précé- dente. 77 Art. VI. Réponfe du P. Tournemine à la Lettre critique. 84 Art. VII. Differtatïon fur une Médaille Jin~ Tome IL T A 3 L I. gutiire de Jules- Céfar ; par le P. E. Soucîet } Jéf f 5»i Art. VIII. Explication d'une Médaille très- extraordinaire , relative à Catherine de Mé- dicis. . 105 Art. IX. Autre explication de la Médaille précédente ; par le P. Ménétrier , Jéf. 113 Bel le s-L ettres, Poésie, Éloquence, Grammaire. Art I. Chronologie de F Iliade } difpofée par jours, avec quelques réflexions. T35 Art. II. Chronologie de l'Odyffée , difpofée par jours. 1 4 5 Art. III. Eclairai fjement fur la manière dont la Terreur & la Pitié l héatrâles opèrent la FURGATION DES PASSIONS , propofée par Ariflote. ' 157 Art. IV. Réflexion fur les règles du Poème Dramatique. 1 6 9 Art. V. Lettre du P. Souciet 3 Jéf., contenant quelques réflexions fur la Tragédie 17 •? Art. VI. Réflexions fur La fixième Satyre du Li- yrepremier d'Horace; & fur trois paffages , Vun d'Ovide, l'autre d'AuJone j le tioiflème de Corneille Sévère , quon rétablit , ou qu'on explique; adrefjees au Péfident Bouhier y par le P. Oudin , Jéf. 1 84 Art. VII. Difficultés fur l'explication précé- dente du pajjage d'AuJone 104 Art. VIII. ReponJe du P. Oudin , Jéf. aux difficultés propofees contre Jon Explication du pajjage d'AuJone. 1 1 2 / Table. Art. IX. Remarques fur quelques pajfages d'Horace. Art. X. Explication d'un pajfage de Virgile. Art. XI. Examen du fentiment d'Aper fur C élo- quence de Cicèron. 241 Art. XII. Explication d'un pajfage du premier Livre de Naturâ Deorum de Cicéron. 2.46 Philosophie Morale , Métaphysique. Art. L Lettre à M. HE *** furie premier prin- cipe de la Morale. 2 ^ -, Art. II. Réflexions fur V accord de la Foi & de la Rai; on, àCoccafion de Boy le & de Léibnit^. 1 £4 Art. III. Examen de la nature du Lieu , ou de Uejpace intrinfeque des Corps. Par le P. Bou-* tatyléf. ZJ? Art. IV. Réflexions fur la quejlion : fi ton efl certain d'avoir un corps , & qu'il exifle d'autres corps ? Art. V. Lettre critique fur le Doute de Vexiflence. des Corps. Art. VI. Lettre du P. Tournemine , Jéf , à M. de * * fur V Immatérialité de l'Ame 3 & les four ces de V Incrédulité. 306 Art. VII. Remarques fur Lucrèce ; par le Même. 5M Art. VIII. De la liberté de penfer en matière de Religion ; par le mené. j } Q Physique, Chymie, Méchanique , "&c. Art. I. Idées fingulières du P. Cafel, Jéf. , contenues dans une Lettre à M. l'Abbé de Saint- Pierre , fur les rapports ou il Juppofe exifier entre la Phyfique & la Politique. 3 44 Table. ArT. II. Expojiùon du fentiment d'Ariftote fur le Méchanifme général de l'Univers 3 & fur la nature de fon Auteur. 369 Art. III. Réflexions fur une difficulté, propofée contre la manière dont les Neu-'toniens expli- quent la cohéfion des Corps , 6* les autres Phénomènes qui s'y rapportent. 37S Art. IV- Cov.jccl.ures fur la nature des Corps i.ifqueux ; par le P. CaJIel , Jéf. 392 Art. V. Conjecture pour expliquer la force de la poudre à canon. 412 Art. VI. Précis hiflorique des Expériences , faites en 1717, par M. Gautier , Médecin de Nantes , pour rendre teau de la Mer po- table. 417 Art. VII. Problème Phyfique, au fujet d'une expérience faite fur Mer. 445 Ar.t. VIII. Moyens aijés de tenter le dejjale- ment de Veau marine , en réponfe au Problême précédent • par le P. CaJIel j Jéf. 4^8 Art. IX. Lettre au fujet du même problême précèdent. 466 Art. X. Lettre au P. B. , Jéf. fur un phéno- mène éleSrique. 481 Art. XL. Seconde Lettre au P. B. , Jéf. 3 J'ur un Phénomène Electrique. 480 Art. XII. .Nouvelle conjecture pour expliquer la nature de la Glace. 499 Art. XIII. Da la manière dont Je forme l'Écho. 50S Fin de la Table du fécond Volume. MEMOIRES D'UNE SOCIÉTÉ CÉLÈBRE, Confidérée comme Corps Littéraire & Académique , depuis le commencement de ce Jîècle. MÉDAILLES. ARTICLE PREMIER. MANIÈRE d'expliquer les Médailles antiques. ««a»- — Lettre Première (*). C^uoique la première vue des Romains , en médailles. faifant frapper les pièces que nous appelions Mé- (*) On avoît eu le projet de faire graver les Médailles dont il efi parlé dans cet opufcule ; mais on a changé de deflein , quand on a fait réflexion qu'elles fe trouvent déjà gravées dans des livres affez. répandus. Note de l'Auteur de ces Lettres, Tome IL A 2 Mémoires dailles, ait été de répandre de la monnoie dans le commerce; ils ont voulu auili que les Médailles flifient un monument éternel de leur gloire : car comme les grandes Médailles , que nous appelions Médaillons, &c qu'on ne peut comp- ter parmi les monnoies , puifqu'elles excèdent de beaucoup le poids des as , étoient chargées des évènemens les plus glorieux à l'Empereur, on voyoit ces évènemens en abrégé fur les mon- noies que nous appelions Médailles. Or, favoir développer les évènemens qui font marqués fur les Médailles, ou fur les monnoies qui font ve- nues jufqu'à nous , c'eft principalement , Mon- lieur , ce qu'on appelle la Jcience des Médailles. C'eft de cette fcience dont je me propofe de vous expofer aujourd'hui les règles. Première Règle. La première règle que vous devez fuivre , Monfeur , dans l'explication des Médailles, c'eft de ne vous éloigner jamais de la vérité de l'hiftoire , parce que les Médailles étant des mo- numens établis pour conferver la mémoire des faits hiftoriques à la poftérité , quand elles ont quelque chofe d'obfcur , on ne peut rien faire de mieux , pour diiîiper cette obfcurité , que de confulter les autres monumens établis à même fin , c'eft-à-dire , les inferiptions & les auteurs. d'une Société célèbre. 3 Tous ces témoins fe doivent un fecours mutuel Mssauli* en faveur de Phiftoire des fiècles pafTés. J'avoue bien que quand la légende de la Mé- daille eit claire , Se que tout le monde convient de fon explication littérale , c'effc alors un mo- nument préférable aux hiftoriens. Monumenta antïqua , dit un Jurifconfulte , non pojfunt per hijlorlographos oppugnari. Mais quand on ne convient ni de l'explication littérale de la lé- gende , ni du fens qu'on lui peut donner ; quand même les figures ont quelque chofe d'obf- cur , la Médaille ne peut faire un témoignage certain. La Médaille de Vitellius , où on lit : Lïberi Imp. Germanici , prouve que Vitellius avoit au moins deux enfans , quoique les hiftoriens n'aient parlé que d'un feul qui mourut jeune. Mais li la légende étoit moins claire , &c fans aucune figure qui en déterminât le fens , le té- .moiçma>,2e de ce monument feroit obfcur & dou- teux ; par conféquent on ne pourroit s'en fervir contre l'hiftoire : au contraire, on n'y pourroit donner aucune explication raifonnable , qu'en fe conformant aux .hiftoriens. Il ne faut point dire qu'une explication eft recevable , quoique contraire aux hiftoriens , quand on n'en peut donner de meilleure ; car dès qu'elle eft con- traire aux hiftoriens, il n'y en a point qui n« A 2 4 Mémoires Mhdaulïs. foit meilleure \ Se d'ailleurs il faut avouer, qu'il y a des chofes dont on ne trouve plus l'explication. A la vérité, lî une Médaille étoit un monu- ment clair d'un fait qui feroit douteux dans les hiftoriens, elle n'auroit pas befoin de leur fe- cours pour être entendue j mais quand elle a befoin d'explication , comme il arrive fouvent , c'eft aux hiftoriens ou aux inferiptions à l'ex- pliquer. Les Médailles nous donnent l'image de Conf- tantin avec le prénom de Flavius Se le nom de Valerius. Les hiftoriens nous apprendront qu'il avoit l'un Se l'autre de fon père , lequel avoic été adopté par Valere Maximien , Se rapportent fon origine à la famille des Flaves par Claudia fa mère , nièce de Claude le Gothique. Voilà un éclaircilTement qui doit contenter. L'hiftoire nous apprend ( * ) que Jules-Ctfar fut le premier qui fe fit un prénom du terme Imperator, pour figniner la fouveraine autorité qu'il avoit ufurpée , cv qu'il y eut même de fes fucceffeurs qui fe rirent un fcrupule de porter ce prénom ( ** ). Lors donc que nous trouvons fur fes Médailles, Se fur celles des autres Empe- reurs , le tetme Imperator au commencement de ( * ) Suétone, dans la vie de Jules-Ccfar. (** ) Tibère. Voyez Suétone. d'une Société célèbre. j la légende, ne devons -nous pas croire alors Mujaillm. qu'il lignifie ce que nous appelions Y Empereur? Vous me direz que dans la langue latine du temps de la république , Imperntor ne fignifie rien autre chofe que commandant & général' d'armée. Il eft vrai ; mais voilà les hiftoriens qui m'affinent qu'on lui donne une autre lignifica- tion en faveur des Empereurs, Se les Médailles mêmes m'empêchent d'en douter • car nous y voyons ce nom avec ces deux lignifications , au commencement de la légende pour fignifier l'Em- pereur , & à la fin pour fignifier le Commandant de l'armée. Mais il ne faut pas s'attendre , Monfieur , que le concert des Médailles Se des hiftoriens foit toujours auffi évident qu'il l'eft dans le point dont nous venons de parler. Or, quand il ne l'eft pas , c'eft au monument le plus clair à fervir à l'autre de flambeau. Cette règle ne vous parou-elle pas raifonnabfe ? Et vouloir que ce qui eft obfcurou équivoque , ferve d'explication à ce qui eft clair Se évident, n'eft-ce pas vouloir pjeher en une eau troublée? Sur les Médailles, le terme Avg. eft équivo- que , parce que de foi , il peut fignifier Augur , ou Auguflus. Qu'eft ce donc qui nous déter- mine à lui donner dans les Médailles de M. An- toine la première lignification , Se non pas la 6" Mémoires Médailles, féconde ? c'eft principalement la connoifTance de l'hiftoire <]ui nous apprend que M. Anroine fut Augure , Se qu'il ne fut jamais Augufte. Sans le fecours de l'hiftoire , comment pou- vons-nous expliquer une Médaille d'Augufte , où l'on voir une comète ? Mais l'hiftoire nous ap- prend que lorfqu'on célébroit des jeux à la mé- moire de Jules-Céfar, une comète ayant paru, donna lieu de penfer que c'étoit une marque que Céfar avoit été reçu dans le ciel , 8c qu'on fit repréfenter cette comète fur les Médailles d'Au- gufte. Voilà qui ne laiiîe plus aucune difficulté. Quand vous aurez le pafTage d'un hiftorien , qui autorifera l'explication que vous donnerez à une Médaille , votre explication fera à l'abri de la critique. Mais li cette explication n'eft fondée que fur les rêves de l'imagination , vous ne per- fuaderez perfonne; & tout au plus on louera la vivacité de votre efprit. Un Antiquaire avançoit l'autre jourque Vitel- lius s'appelloit Germanicus , parce qu'fl étoit de la famille du fils de Drufus, qui le premier porta ce nom ; & pour appuyer cette nouvelle idée , contraire à tous les hiftoriens , il difoit que toutes les fois que dans une infeription, ou dans la légende d'une Médaille , le nom Germanicus fe trouvoit devant Augujlus & Imperator , c'étoit un nom de famille j mais que quand il fe trouvoit d'une Société célèbre. 7 à la fin , c'écoir un titre d'honneur. On pouvoit Minium*, nier fa maxime auffi aifément qu'il l'avançoit j mais il en apportoit des exemples. A Vitellivs Germanicvs Avg. Imp. Ger- manicus, dans cette Médaille , eft un nom de famille. Imp. C^ïs. Domitianvs Avg. Gbrm. Voilà Germanicus un titre d'honneur. Pour renverfer ce fyftême, il n'y avoit qu'à produire l'autorité de Suétone , qui nous apprend que Vitellius prit le nom de Germanicus comme un titre d'hon- neur , qu'il fignoit même Germanicus ; ce qui donna occafion à fa mère de ne vouloir point lire fes lettres , difant que fon fils ne s'appelloit point Germanicus. Mais pour faire voir à cet Antiquaire la fauflTeté de fa conjecture , on lui montra plus d'une Médaille de Vitellius , où le nom Germanicus étoit à la fin de la légende, & d'autres Médailles de Caius & de Néron , qui fans doute appartenoient de plus près au fils de Drufus que Vitellius , & qui néanmoins por- toient le Germanicus à la fin. Après quoi il fallut renoncer aux nouvelles idées. Je ne vous dis pas qu'il ne foit permis à tout le monde d'apporter fes conjectures ; mais je dis qu'elles ne font point recevables , fi elles con- tredifent l'hiftoire , ôc qu'ordinairement elles ne font reçues qu'à proportion de la conformité A4 ?> Mémoires Medauhs. qu'elles ont avec le témoignage des hiftoriens. Dans cette Médaille de Gratien, que je vous en- voie , vous diftinguerez un G, qui peut recevoir bien des explications. On en a donné quatre qui ont fait plus de bruit dans le monde que les au- tres. Jugez par la règle que je viens de vous ap«; prendre quelle eft la meilleure. Dn Gratianvs Avg. G. Avg. La première explication eft : Dominas nofier Gradanus Augufli Gêner Augujlus. On a dit que ce Gratien étoit différent de celui dont l'hiftoire nous parle, que les Médailles mêmes n'appellent point Gêner , ou que Gêner étoit mis- là pour filius , comme il arrive fouvent que filius eft mis pour Gêner. Conftantin eft dit filius Augujlorum , quoiqu'il fût fils de l'un , & gendre de l'autre. Saiil appelle David fon fils , fili mi, quoiqu'il ne fût que fon gendre. Mais cette explication n'a pu trouver d'approbations parmi les gens qui ont du goût pour l'antiquité & pour la vérité , parce qu'elle eft contraire à l'hiftoire , Gratien n'ayant été gendre d'aucun Augufte. Il eft vrai que Conftantin étoit appellé le fils des Auguftes , mais c'étoit fils adoptif • 6c que Saiil appella David fon fils , fili mï\ mais c'eft un terme d'amitié dont les vieillards fe fer- vent à l'égard des jeunes gens. Pour Gratien, il n'étoit gendre d'aucun Augufte , & il étoit véri- d'une Société célèbre. 9 tablement le fils de Valentinien : ainfi , il faut Médaulm. chercher une autre explication à cette légende. En voici une féconde. Dominas nofler Graûanus Augufli GratiâAu- gujlus. La raifon de cette explication eft dans Zozime , qui nous apprend que Gratien, par une grâce fpéciale de Valentinien fon père , fut proclamé Augufte à l'âge de huit ans : il étoit donc Augufli Gratiâ Augujlus. La folemnité de la proclamation fe fit à Amiens , où l'on trouve de ces Médailles. Cette explication ne vous paroît-elle pas naturelle ? Pourquoi aller chercher des chofes incertaines , & fouvent fauf- fes dans l'opinion de tout le monde , quand on en peut dire de fi plaufibles ? Nous trouvons des dates fur les Médailles Grecques de Commode , qui n'ont point de rapport avec les années de fon règne , parce qu'on y voit le nombre de 20 & de 30 , quoi- que ce prince n'ait pas régné douze ans. Cette difficulté a partagé les antiquaires. Les uns ont dit , avec beaucoup de probabi- lité , que ces dates marquoient l'âge de Com- mode y mais cette explication eft contraire à l'ufage ; car nous n'avons aucun prince dont Tâge ait été marqué fur fes Médailles : on ne compte point qu'un prince foit au monde , que quand il y eft pour le bien public , & qu'il règne. i o Mémoires Les autres ont dit que ces dates étoient prifes de l'année que la famille Aurélia monta fur le trône , mais il n'eft pas vrai que la famille Au- rélia ait commencé à régner lorfque Commode vint au monde, mais lorfque M. Antonin fut fait Empereur. Pour trouver la vraie explication de ces Mé- dailles, il n'y avoic qu'à lire Spartienj car il nous apprend que lorfque M. Aurelle aflbda Vérus à l'empire , la chofe parut fi belle & fi nouvelle , que plufieurs hiftoriens en firent une époque. Or , cette même année eft celle de la naiffànce de Commode : il ne faut donc pas s'étonner fi , par accident , 1 âge de Commode eft marqué fur fes Médailles. Voici le paflage de Spartien : Tantumque hujus reinovitas & dignitas valait j ut fajîi confulares nonnulli ab his fumè- rent ordïnem confulum. Il me femble , Monfieur , qu'en voilà aflez pour une lettre. Voulez vous bien que nous re- mettions le reûe à une autre fois ? Je fuis , &c. Lettre Seconde. La féconde règle , Monfieur , qu'on doit ob- ferver dans l'explication des Médailles , c'eft de ne rien avancer de contraire à l'ufage, obfervé d'une Société célèbre, 1 1 de tout temps dans les infcriptions 8c fur les Mé- iw, dailles. Les légendes & les infcriptions étoient des difcours qui dévoient être entendus de tout le monde. Ainfi, quoiqu'ils fu(Tent abrégés , on gardoit une certaine uniformité en les abrégeant, qui faifoit qu'en voyant l'une , on devinoit les autres , & Ton ne s'éloignoit jamais des règles de l'abréviation. C'eft ainfi que nous en ufons nous-mêmes dans nos diûions abrégées , & un homme qui voudroit en ufer autrement fe ren- droit inintelligible. D'après cette règle , fi j'avois à expliquer les deuxMédailles fuivantes, dont l'une eft d'Agrippa , 8c Tautre du Roi Théodobert , je ne dirois pas qu'il y a fur le champ de la pre- mière : Colligavit nemo , ou coluber Nemaufenjls , ni à la légende de l'autre , viclorla accepta ; car colligavit nemo 8c Victoria accepta ne font point latins ; 8c s'il avoit fallu abréger ces mots , qui n'ont point coutume de l'être , on n'en auroit fupprimé que fort peu de lettres ; au lieu que rien n'eft plus en ufage dans les Médailles des Colonies que l'abréviation du mot Colonia , & du nom de la Ville. Ainfi , Col. Nem. fignifie , Colonia Nemaufenfu. Et comme , dans le temps de Théodebert , on voit fur les Médailles des Empereurs : Victoria Aug., pour dire viclorla Augujlorum. Il ne faut point chercher d'autre explication à fa Médaille , ni chercher d'autre 1 2 Mémoires s. raifon de ce revers , (mon que les monnoyeurs François, par émulation & par policique , imi- coienc la monnoîe des Empereurs Romains. Je vous l'ai déjà dit , une Médaille fert à ex- pliquer l'autre. Les quatre lettres qu'on voit fi fouvent fur les Médailles de Trajan , S P Q R , qui y fignihent : Senatus popidufqtie Rornanus , ne fauroient fi unifier fur d'autres Médailles : Se- natus populufque Remenfis ; ni les deux lettres R P., qui fignifient dans toutes les infcriptions refpublïca , fignifier en quelques Médailles , re- morum penjïo , ou reàor perpetuus. Autrement toutes les abréviations feroient des énigmes , Se des pièges qu'on tendroit aux lecteurs. C'eft pour- quoi, la mère de la feience des Médailles eft l'expérience , qui fuppofe le goût. Si l'on man- que de ces deux choies, plus on a d'efprit , plus on eft fujet à s'égarer. Voulez - vous favoir ce que porte une Mé- daille ? Voyez ce que portent celles qui ont été frappées avant & après : Omnis res ante/ior , dit Tertullien , pojleriorï normam fubminiflrat. Les fiècles préfens , dit le fage , ne font qu'imi- ter , corrompre , ou perfectionner , ce que les autres fiècles ont inventé ; le fond eft le même. Pourquoi auroit-on abrégé le terme duplex du tempsdeLicinius, puifqu'on ne l'a jamais abrégé, ni peut-être vu fur les Médailles ? Et fuppofé cPunc Société célèbre. i 3 qu'on eût voulu abréger fur les Médailles de ce médaulss. prince le terme Victoria , comment l'auroit - on abrégé ? Comme on l'abrégeoit fur les Médailles de fes prédécelfeurs : Vie. Vitt. Cette légende , O B.D V.filii fui , ne doit donc pas s'expliquer , comme on vous l'a dit : Ob duplicem vicloriam filii fui , non-feulement parce que le jeune Li- cinius n'étoit pas en âge en ce temps-là de rem- porter des victoires , & que l'exergue de la Mé- daille en explique la légende , puifqu'on y voie fie X.fic XX. , qui la détermine à fignifier ob decennalïa vota filii fui • mais parce que duplex ni Victoria ne s'abrégeoient point ainfi fur les Médailles. L'expérience vous apprendra encore que les noms de famille , ou les noms propres ne s'abrè- gent point , ou que quand ils font abrégés , ils ne font pas placés à la fin de la légende; qu'on ,ne les traduit jamais, & qu'on ne leur joint ja- mais le terme nofler. De-là vous conclurez que les noms de Céfar , d'Augufte , de Dominus , de Princeps, dans les Empereurs, font des noms de dignités & non de famille; car on dit Cafares , Jiugufli , Principes , Domini noflri , au lieu qu'on ne dit pas Antoniaus nofter , Severus nof- ter. Les noms de Pius , de Félix , de Victor ,'de Maximus , font traduits en Grec par ivrincïpibus offerendi devotionem anhno libenti fufcipimus , &c. Les vœux enfin cefsèrent de fe marquer fur les monnoies , & l'on fe contenta des acclamations de bouche , ad multos annos- Je réferve, à la première fois que j'aurai l'hon- neur de vous écrire , l'explication des chiffres des Médailles confulaires. Je fuis, &c. Lettre Cinquième. Explication des chiffres des Médailles confulaires, JTe ne vois que trois raifbns , Monfîeur, pour lesquelles on ait pu mettre des chiffres ou des nombres fur les Médailles confulaires. La pre- mière , pour marquer la claffe de laquelle étoit celui qui avoit fait frapper la Médaille , & par conféquent ce qu'il devoit de capitation. La fé- conde , pour marquer les libéralités qu'il avoit faites à fes foldats lorfqu'il commandoit l'armée. La troifîème, pour faire voir le nombre d'arpens de terre qui avoient été donnés aux citoyens ou aux foldats par celui qui "avoit fait frapper la 26 Mémoires Médaille , ou celui pour lequel on l'avoit frap- pée iorfqu'il avoir établi une Colonie. Ces trois raifons-là onr chacune leur fondement dans l'hif- to:re : examinons-les l'une après l'autre, & voyons (î elles peuvent nous donner la connoiffance que nous cherchons. i°. Il eft cerrain , comme on peut voir dans Tite-Live , que le Roi Servius Tullus avoir divifé (es fujets en fïx clafles. De la première étoient ceux qui avoient pour le moins cenr mille as ou cent mille livres de bronze de rente. La féconde, de ceux qui en avoient pour le moins foixante Se quinze mille. La troifïème, de ceux qui en avoient cinquante pour le moins. La quarrième , de ceux qui en avoienr vingt-cinq Se au-delà. La cinquième , de ceux qui en avoient onze Se au- defTus. La dernière enfin , de ceux dont le revenu n'alloit pas jufqu'à cette dernière fomme. Ce Prince avoit érabli ces clafTes , Se fait donner à chacun des déclarations du bien qu'il pofTédoit , afin d'y proportionner Se le rang qu'ils dévoient avoir dans la république , Se les taxes qu'ils dé- voient porter. Ces Médailles-là montrent donc le revenu qu avoit la famille du temps de Ser- vius Tullus , ce qui en faifoit voir l'ancienneté ; Se quand il y a deux chiffres différens fur la Mé- daille , l'un montre le revenu qu'avoir la famille tn ce temps, Se l'autre celui qu'elle pofTédoit d'une Société célèbre. 27 m temps que la Médaille a éré frappée. Par iifi»À»Ms. exemple , fur l'une de ces Médailles , où l'on voit Calpus , fils de Numa, la tige de la famille Calpurnia , dont la maifon des Pifons étoit une branche , le nombre de dix-huit marque le re- venu de Calpurnius fon fils , lorfque Servius Tullus fit le dénombrement dont nous avons parlé ; & le revers fait voir , dans le nombre 8 3 , le revenu qu'avoit M. Culpurnius Pifo le pré- teur, qui le premier donna le plaifir des jeux apollinaires, après qu'ils eurent été voués perpé- tuels. Les jeux font marqués par un homme à cheval qui a une palme à la main , comme l'a remarqué Fulvius Urfinus. Comme le revenu de la famille augmentoit , on voit de ces Pifons qui ont cent Jlx , & les autres cent trente-cinq fur leurs Médailles. Voilà ma première conjecture. 20. La féconde regarde les libéralités. Il eft certain que c'eft par-là que ceux qui gouver- noient la république & l'empire , s'attachoient le peuple & l'armée. La libéralité des Ediles Se des Préteurs , comme on voit dans Tite-Live ( * ) , & fur les Médailles confulaires , confiftoit en jeux qu'ils donnoient au peuple , & en congiaires de blé , d'huile , ou d'argent. On ne peut pas douter que les généraux (*)L. 3 , déc. 3. 2 S Mémoires Mspaules. d'armée ne filfent la même chofe à 1 égard de leurs foldats , foie pour les encourager à bien faire , ou pour les récompenfer quand ils avoient bien fait ( * ) : deduclis pergamum , atcjuc in. locupletijjimas urbes legionibus , maximas lar- gitiones feczt j & confirmandorum militum causa diripiendas eis civitates dédit. C'eft de Céfar que cela fe dit. Les libéralités qu'on faifoit au peuple s'appelioient congiaires du terme congius , qui étoit ordinairement re vaifTeau dans lequel on mettoit le don de la république ou de l'Empe- reur j Se celles qu'on faifoit aux foldats fe nom- moient donativum , Se confiftoienc en foutage , chevaux, vivres , & principalement en argent. Les libéralités des Empereurs font marquées fur les Médailles par les points de la TefTere , qui y eft repréfentée entre les mains de la déeffe Libé- ralité. Il eft donc naturel de chercher le fymbole de Ta libéralité des généraux : il me femble que ce font ces nombres qu'on trouve quelquefois fur les Médailles confulaires. C'eft ce que j'exami- nerai dans la fuite. 3°. Poar les Colonies , il eft bien certain que lorfque la république ou les Empereurs ef*- voyoient des citoyens ou des foldats en Colonie , ils donnoient à chacun une certaine quantité de (*)L. 5 debello ci 'ili. d'une Société célèbre. 29 terre. En la Colonie Lavica , qui fut établie l'an Médailies. 3 2.6 de la fondation de Rome , on donna à cinq cents citoyens qu'on y avoit envoyés , à chacun deux arpens de terre. Dans la Colonie Satricum , dix ans après , on en donna à deux mille citoyens qui la compofoient , deux arpens Se demi à cha- cun. On crouve encore que quand la Colonie de Boulogne fut établie , on donna à chacun de ceux qu'on y conduifït , qui étoient au nombre de trois mille , aux cavaliers foixante & dix ar- pens , Se aux piétons cinquante. On pourroit donc dire que le nombre mar- qué fur les Médailles eft ceLui des arpens de terre , diftribués aux nouveaux citoyens de la Co- lonie par celui qui en étoit le patron , & cui eft marqué fur la Médaille , $c que quand il y a deux nombres différens fur la même Médaille , ou fur pîufieurs du même homme , ç'eft la portion dif- férente des officiers, des cavaliers & des pié- tons. Cela paroît probable quand ces nombres fe rencontrent fur des Médailles , où l'on voit des fymboles de la Colonie marqués fur le revers ; mais cela n'eft pas fans difficultés fur les autres. Il eft queftion de choifir entre ces trois opinions. La première me paroît d'autant plus probable , que parmi les familles, dont les Médailles font chargées de ces chiffres , qui font au nombre de douze feulement , ( du moins je n'en ai point 3o Mémoires MÉDAILLES. VU davantage ) il n'y en a pas une qu'on puifle dire nouvelle. Il y en a fept qui font très-certai- nement anciennes ; & pour les cinq autres, il y a des preuves qu'elles le font. Il n'y a nulle diffi- culté pour les familles Attilia , iEmilia, Calpur- nia, Claudia, Concilia, Manlia Se Nxvia. Pour la famille Colfutia, Fulvius Urfinus rapporte une infeription fort antique , qui fe voit dans le pays des Sabins , où il eft fait mention d'un Q , CofTutius, qui apparemment en étoit originaire. Les hiftoriens ne nous difent rien de la fa- mille Crepufia. Cela ne conclut rien pour fa nou- veauté : elle étoit plébéienne , & il y avoit des familles plébéiennes , comme tout le monde fait , aufll anciennes que les patriciennes ; mais elles étoient plus fujettes à demeurer dans l'obf- curité. Pour la famille Farfuleïa , les hiftoriens n'en difent rien non plus ; mais on trouve à Sutri une infeription antique , qui fait voir que cette famille fubliftoit lorfque la Colonie y fut éta- blie , c'eft-à dire , fept ans après la prife de Rome par les Gaulois. Il eft probable que la fa- mille Maria , quoique plébéienne , étoit fort ancienne , & qu'elle venoit d'un certain Marius Appius , qui vivoit dès le commencement de la ré- publique. Pour la famille de Norbanus , elle étoit fi ancienne , qu'aucun auteur ne s'eft fou- venu de fon nom : elle n'eft connue que par 1§ furnom de Norbanus. d'une. Société célèbre. 3 1 il n'y a qu'une difficulté : on demandera pour- mébaui». quoi les autres anciennes familles ne portoienc pas de pareils fymboles , 8c pourquoi ces fym- bolesnefe trouvent que dans certaines branches. On peut répondre que nous n'avons pas toute» les Médailles de ces anciennes familles, & que nous avons perdu celles des branches qui por- toient ces fymboles j que les branches qui por- toient ces fymboles , étoient peut-être les bran- ches aînées. Enfin , fi la chofe étoit arbitraire , il n'en faut pas demander les raifons. Il y a eu en France des familles iiluftres qui ont eu des ar- moiries long-temps avant les autres, &, parmi ces familles, des branches qui les ont portées les unes plutôt que les autres. Voilà ce qu'on peut dire en faveur de la première opinion , qui me paroît la plus probable. La féconde paroîtra peut-être plus probable à d'autres : c'eft le fyftème des Colonies. Nous avons des Médailles, comme celles de Cscilius Metellus 8c celles de Marius , qui portent en même temps , & le revers des Colonies , & un nombre ; favoir , celles de Metellus 1 3 3 , 8c celles de Marius, l'une 9 , l'autre zb' , & la ttoi- fîème 53. Elles font toutes trois marquées des deux côtés du même nombre : je ne vois pas qu'il y ait d'inconvénient à dire , que par-là eft marqué le nombre d'arpens de rerre qui ont été. diftnbués aux nouveaux citoyens des Colonies 3 2 Mémoires Médailles, qui ont été établies, Iorfque ces grands hommes étoient confuls. Il eft même rapporté par Velleïus Paterculus, que fous le fixième confulat de Marius fut fon- dée la Colonie Eporedia. Ainfî , on dira que les piétons reçurent neuf arpens de terre , les cava- liers vinet-huit, & les officiers trente-trois. On m'obje&era que la Colonie qui eft marquée fur les Médailles de Marius ou de Caxilius n'eft pas militaire, puifqu'elle n'eft pas repréfentée par des enfeignes \ mais les Colonies militaires qui étoient envoyées par un décret du fénat , comme celle-ci qui porte fur fa Médaille S. C. , n'avoient point pour fymbole les lignes militaires fur les Médailles de leurs patrons ; car ces Médailles ne font point mifes parmi les Médailles des Co- lonies qui fe frappoient dans les Colonies mêmes, mais parmi les Médailles confulaires qui étoient toutes frappées à Rome. On peut encore rapporter là le nombre 48 , qu'on voit fur la Médaille de la famille Attilia , parce qu'il y eut un Attilius qui fonda la Co- lonie de Calvi , dont nous avons encore des monnoies. Cette fondation eft rapportée par Velleïus. Il eft vrai qu'elle n'a pas la marque des Colonies , parce que la famille a mieux aimé y marquer le triomphe d'Attilius. Il n'y a qu'un nombre fur les Médailles , parce que nous en avons d'une Société célèbre. avons peut-être perdu quelques-unes , ou parce mépamisj que c'étoit une Colonie purement civile où chacun fut également partagé. Le nombre ii , fur la Médaille dTEmilius Papus , eft celui des arpens de ferre donnés à ceux des Colonies Setia , Antium , ou Immunis Ilicis Augufti y car ces trois Colonies furent fon- dées par des iEmilius Papus , auffi-bien que celle de Croto. La Colonie que nous voyons fur la Médaille «le Manlius Acedinus , eft marquée par les hifto- riens en 570 , trois ans avant fon confulat. C'eft la Colonie d'Aquilée , où il mena des citoyens en qualité de Triumvir. Il eft vrai que les hifto- riens ne s'accordent pas avec la Médaille pour le nombre des arpens de terre ; car la Médaille porte 128 , & Velleïus, dans les trois nombres qu'il rapporte, n'a point celui ci. Mais je ne fais fi Goltzius a bien lu , 8c je fuis sûr qu'il y a quelque faute dans Velleïus ; car il donne plus de terre aux cavaliers qu'aux officiers , ce qui ne fe faifoit jamais. Or , fuppofé qu'il y ait une faute dans fon récit , il peut y en avoir pluheurs, rien n'étant fi aifé que de corrompre les chiffres en copiant les manufcrits. Le nombre 1 1 3 > & celui de in, fur les Médailles de la famille Claudia , peuvent figni- fier la Colonie Firmum & Cajlrum novum , éta- Tome IIt C 34} Mémoires Médailles, blie fous le confulat d'Appius Claudiùs , fur- nommé Caudcx en 405? ; car celui ci fe dit Ap- pius nepos. Nous trouvons un Pifo frugi , cenfeur, du temps que Gracchus , tribun xdu peuple, de- manda des Colonies. Il en a pu mener quelques- unes qui ont donné lieu aux différens chiifres qu'on voit fur fes Médailles. Tout cela n'a rien d'improbable \ mais n'a rien auffi qui foit fort fatisfaifant. Voyons le troifième fyftème. 30. On m'accordera aifément qu'on ma-r- quoit fur les monnoies les triomphes des géné- raux d'armées, Se je ne vois pas pourquoi on n'y auroit pas mis le nombre des as ou des deniers qu'ils avoient diftribués à leurs foldats au jour de leur triomphe,' puifqu'il femble que les Em- pereurs n'ont fait que continuer cet ufage en faifant des libéralités lorfqu'ils étaient proclamés Empereurs , ou qu'ils triomphoient , ce en les faifant marquer fur leur monnoie. La difficulté eft d'accorder l'explication de chaque Médaille en particulier avec l'hiftoire. La Médaille de Ti. CIr.udius Nero porte le nombre z z , avec un qna- drlgz où l'on voit Jupirer qui triomphe. Cela marquerait merveilleufement celui où Claudius Nero ( * ) , obligé de triompher à cheval pour ( * ) L'an j4*. (Tune Société célèbre. 35" les raifons rapportées par Tite-Live , auroit fait médaille mettre l'image de Jupiter dans le char de triom- phe qu'il s'étoit deftiné , pour marquer qu'il at- tribuoit à Dieu la profpérité de fes armes. Mais le même Tite-Live remarque qu'il promit cin- quante-fix as à chacun de fes foldats. Que dire à cela ? Qu'il y a erreur dans les manufcrits. Il eft fâcheux d'avoir fouvent recours à cette ré- ponfe j j'aimerois mieux dire qu'il promit cin- quante-fix as , 5c qu'il n'en donna que vingt- deux j car il n'arrive que trop fouvent qu'on ne donne pas aux foidats tout ce qu'on leur promet. Mais en comparant les nombres des Médailles avec les nombres portés dans l'hiftoire , je n'en vois prefque point qui foient d'accord ; c'eft ce qui me fait abandonner cette conjecture , quoi- que fort raifonnable d'ailleurs. On m'en pré- fente trois autres que je vais examiner. Il y en a qui difent que les chiffres font la marque de l'officine où a été frappée la Mé- daille , & que comme fur certaines Médailles de Pifo Frugi , il y a tantôt un trident, tantôt une gerbe , tantôt un croc , on trouve des nombres fur les auttes : mais en vérité , on ne me perfua- dera pas aifément que les monétaires aient pris des nombres Se de h grands nomores pour en- feicme. Il peut bien y avoir eu à Rome un grand nombre d'officines de monnoies ; mais qu'elles C z I 3 6 Mémoires Médailles, foient allées jufqu'au nombre de cent , fur-tout au temps de la république , je n'en crois rien. D'ailleurs toutes ces Médailles de Fifo Frugi pa- roifTent être de la même main. M. Vaillant , dont nous devons refpeéter les conjectures , penfe que le monétaire a voulu marquer par-là combien il avoit frappé de Mé- dailles de ce coin. Mais que répondra M.Vaillant a ceux qui veulent qu'il n'y ait pas deux Mé- dailles de même coin ? Pourquoi n'y a-t-il que douze familles dont on trouve les Médailles marquées ? D'où vient au'il y en a qui ont deux chiffres différens ? Il eft difficile de répondre à tout cela. Cette conjecture m'étoit venue dans refont • mais je ne l'ai ofé produire , parce qu'il ne m'a pas paru probable, qu'on ait voulu inf- truire la poftériré d'une chofe auflS inutile que celle de favoir combien il y avoit de deniers d'un certain coin. Le même M. Vaillant apporte une autre con- jecture , 8c M. Baudelot, fans être de concert avec lui j femble l'appuyer. Ces MM. difent que , dans la famille Calpumia, les nombres qu'on voir fur fcs Médailles, marquent le temps qui s'eft écoulé depuis l'iriftiturion des jeux Apollinaires , ou plutôt depuis lé vœu perpétuel qu'on en fit fous le préreur Calpurnius PlJ'o , c'eft-à-dire en 542 , jufqu'au temps où la Médaille a été frappée. Il d'une Société célèbre. 37 eft vrai qu'Urfinus a très -bien remarqué que Médaiutb. dans les Médailles dont nous parlons, on cé- lèbre la mémoire du vœu des jeux Apollinaires , donnés en 542. , par M. Calpurnius Pifo , qui pouvoit être le grand-père de Lucius Calpur- nius , qui fut conful en 610 , & qui le premier porta le nom de Frugi. Mais que les nombres marqués fur les Médailles , falïent voir le temps qui s'en: écoulé jufqu'à leur fabrique , c'eft ce qui eft difficile à prouver. Car dans ce fyftême , la Médaille , où l'on voir dix-huit , aura été frap- pée dix-huit ans après le vœu , c'eft-à-dire en 560 j mais en ce temps-là il n'y avoit pas de Pifo Frugi, félon le témoignage de Cicéron ( * ) : elle n'a donc pu être frappée en ce temps-là. On me dira que la Médaille a été frappée en 6 2 5 , par le premier Pifo Frugi , S 3 ans après le vœu des jeux, ôc que le nombre 2.8 , fur la même Médaille , marque que fon père avoit donné ces jeux aufli-bien que fon grand-père. C'eft une ré* ponfe : je fouhaite qu'elle foit du goût de tout le monde ; mais on demandera pourquoi les feuls Frugi célèbrent ce fait fur leurs 'Médailles ; ôc d'où vient qu'ils ne le célèbrent pas fur cha- que Médaille ? Car il eft certain que les Frugi n'étoient pas les feuls Pifons ; les Gefonini {*) In V_errem. 3 8 Mémoires médailles étoienr cîe la même famille , & plus anciens qu'eux II eft certain encore qu'il y a des Mé- dailles des F rugi , où il n'y a rien qu'on piaffe rapporter aux jeux Apollinaires. On répondra que d'une cl'ofo arbitraire , comme eft celle qu'on met fur une Médaille , on ne doit pas en exiger la raifon. Ainfî 3 fi nous n'avions des nombres que fur les deniers de la famille de Calpurnia , on pourroit être content de cette conjecture. Mais que dire d'onze autres familles qui n'ont nul rapport aux jeux Apollinaires ? Qu'elles mar- quent chacune le temps qui s' eft écoulé depuis quelque événement mémorable qui regarde leur famille ? En vérité MM. les Antiquaires fe mo- quent. Eft-ce que fi L. Calpurnius Pifo Frugî avoir voulu marquer la part qu'avoic eue M. Cal- purnius Pifo aux jeux Apollinaires , il n'auroit pas marqué l'année de fa préture ? Cela eft bien plus naturel que d'aller marquer le temps qui s'eft écoulé depuis la première année de cette préture. S'eft-on jamais avifé de marquer ainfi les époques ? Cela fuppoferoit qu'il y auroit eu en chaque famille une ère , comme il y en avoir une dans les républiques , pour compter les an- nées. Qui eft-ce qui pourra fe l'imaginer ? Mais quand il faudra trouver des évènemens on chaque famille , & les ajufter aux chiffres d'une Société célèbre. 39 des Médailles, quelles difficultés ne faudra-t-il Médailus. pas dévorer ? Pour moi , je veux des explications plus naturelles. Ainu* , en attendant quelque chofe de meilleur , je m'en tiens à la première explication que j'ai donnée. Lettre Sixième. Second ufage des exergues. Je ne croyois pas , Moniîeur , que le premier ufa^e des exercrues nous mbneroit fi loin : je tâcherai d'èrre plus court en vous expliquant les autres. Le fécond ufage des exergues , c'eft de faire voir la ville , l'officine , ou le nom du moné- taire , 8c quelquefois tout cela à la fois. Du temps de la république , on mettoit Roma fur toutes les monnoies , 8c fous les Empereurs ces deux lettres S. C. fur le grand 8c le moyen bronze , qui faifoient le même effet. Sur l'ar- gent , il n'y avoit rien, non plus que fur l'or , qui pût faire connoître où les monnoies avoient été frappées. Cela n'étoit pas néceflaire , parce qu'on ne frappoit qu'à Rome des pièces de ce volume , de ce poids , 8c de cet aloi. Mais des fabriques de monnoie ayant été C4 Mémoires MiDAiius. établies dans plufieurs villes de l'Empire, les Empereurs ordonnèrent qu'on marqueroit fur les monnoies la ville , l'officine , Se fouvetu le nom du monétaire. Comme on le voit dans une Médaille de Conftantin : elle eft de la façon de T.... Th. fec'u -y de la féconde officine de la ville d'Arles , S. Arl. Cet ufage eft pafle jufqu'à nous; car nous marquons fur nos monnoies la ville où elles ont été fabriquées ; Se outre cela , il y a toujours une certaine marque fecrette à laquelle le monnoyeur reconnoît fon ouvrage. Je fais que l'on s'eft efforcé de donner d'autres explications à ces exergues ; mais comme elles font contraires à l'hiftoire Se à l' ufage , elles n'ont point été reçues. Il faut raifonner fur les exergues, Monfieur, comme nous avons fait fur les autres parties des Médailles. Qu'cft-ce qu'on doit s'attendre de voir dans les Médailles du ficelé de Conftantin ? Quelque chofe qui ait rapport à ce qu'on y voyoit avant lui, & à ce qu'on y vit depuis. Avant lui , on voyoit fur les monnoies de Diocté- tien Se de Maximien , sacra moneta Avgg. *ïn. Cela fxifoit voir que la monnoie avoir été frappée par le monnoyeur. qui fuivoit la cour ; sacra moneta vrbis , qu'elle avoit été frap- pée à Rome , Se en abrégé S. M. T. R. , facra moneta Trevenfis j qu'elle avoit été frappée à 7 réve». ^une Société célèbre. 41 Après Conftantin , on voyoit fur les Médail- Midailhî» les de Julien , dans l'exergue , Vrb. Rom; B. Ce qui ne pouvoic fignifier autre thofe que Vrbs Roma , officina fecund. Lv gd. offi. I., ce qui fignifie : Lugduni officina prima. Si je trouve donc fur les Médailles de Conftantin on de fes enfans j T R. ; ne fuis-je pas en droit de l'expli- quer de la ville de Trêves ; A Q. de la ville d'Aquilée , ou d'Aix en Provence ? Sist. N'eft- ce pas la troifième officine de SeiflTeck j Kart. Carthage j L. C. Lyon. Arl. Arles ; Ant. An- tioche j Sirm. Syrmium j Cons. Conftantino- polis ; E. Cons. Conftantinopoli officina 5. Konob. Conftantinopoli officina fecunda ? Ces explications ne font-elles pas plus natu- relles , que celles qui font fondées précisément fur des conjectures ? Car de nous dire que conoB lignifie commune, ou corpus omnium negotiato- rum obtulere , c'eft tenir un langage contraire à l'hiftoire & à l'ufage. Pourquoi ne feroit-ce que fur la fin du règne de Conftantin , qu'on trouve ces lettres en exergue ? Eft - ce qu'on n'a com- mencé qu'en ce temps-là à payer des tributs, ou à faire des dons gratuits ? Pourquoi les trouve-t-on fur les Médailles des Empereurs des fiècles fuivans , à qui on ne peut pas dire que les négocians payaffent des tributs , ou filTent des préfens ? 42 Mémoires Mi vailles. A-t-on jamais mis des tributs ou des dons gratuits fur les Médailles ? Les Romains levoient- ils leurs tributs par les corps des marchands ou des métiers ? Les Gaules étoient- elles en état de faire des préfens ? Il n'y a qu'à lire Eumenius. A-t-on jamais vu , ni obtulit , ni obtuUre fur les infcriptions ou fur les Médailles , abrégés par ces deux lettres O B. ? Si AQOB. fignifie : Aquènfes obuderc-,-8c que A Q. fignifie-Ià Aix- la-Chapelle : voilà Aix-la-Chapelle fur les Mé- dailles cinq cents ans avant que d'être au monde. . On trouve ces lettres Conob. fur une Mé- daille de Hannibalien , Roi de Pont : eft-ce que les Gaules lui payoient tribut ? On les trouve môme fur la monnoie de quelques-uns de nos Rois , par la raifon que nous avons dite , p. 12. Si cet exergue ne fignifie pas Conftantinople, pourquoi ne le voit-cn pas fur les Médailles avant Confhntin , & pourquoi l'y voit-on de- puis fon règne jufqu'à la fin de l'empire ? Pourquoi le voit-on fur les Médailles des eu- fans de Conftantin , excepté fur celles de Crif- pus , finon parce qu'il étoit mort lorfqu'on com- mença à frapper de la monnoie à Conftantinople? Pourquoi ne le voit-on pas fur les Médailles des premiers tyrans , Magnence , Décence , Vétranio , Mag. Maximus , tk Victor , 8c qu'on le trouve fur celles d'Eugenius, & de ceux qui d'une Société célèbre. 43 l'ont fuivi , (mon parce que du temps des pre- Médauies. miers on n'avoit pas encore trouvé le moyen de contrefaire le coin de Conftantinople , qu'on contrefit dans la fuite ? Dira-t-on que ces lettres fignifient un don gratuit fait à ces tyrans ? Pourquoi n'y a-t-il que les Gaules qui payent le tribut , & les marchands feulement ? D'où vient qu'en certaines Médailles les marchands font fpécifiés , comme Treveri obtulere , Aquen- fes j Remorum penjto , & qu'ils ne font pas fpé- cifiés dans cet exergue Conob? Où a-t-on appris que Rheims étoit une ville confidérable pour le commerce du temps de Conftantin , puifqu'elle eft fans rivière , éloignée de la mer 5 & que nous favons que le commerce de vins Se de ferges , qui la rend confidérable , n'eft pas ancien ? Pourquoi paye-t-on le tribut aux Empereurs , qu'on dit n'avoir été que les lieutenans-généraux du fénat, à leurs femmes, à leurs enfans, & qu'on ne donne rien au fénat qui étoit le maître ? D'où vient qu'on ne voit aucune Médaille où il foit parlé de ce fénat ? Très-certainement les Gaules étoient à l'Em- pire avant Conftantin , & l'on ne voit point fur les Médailles les marques de leur fujeteion : elles n'y étoient pas du temps de nos Rois , &c elles payent tribut à l'empire : que yeut dire cela ? Sf4 Mémoires UÉDAULis. Mais fi ces Médailles n'étoient que des jet- tons , & qu'on ne payât le tribut qu'en ces Mé- dailles , de quelle utilité écoit ce tribut ? Comment nous eft-il relté un fi çrand nombre de ces jettons , Se qu'il ne nous eft rien refté des anciennes monnoies ? Qui croira qu'on ait frappé à la gloire des maîtres du monde des jet- tons de la petitelfe de la tète d'un petit clou ? Voilà les difficultés qu'il faut dévorer , quand , dans l'explication des Médailles , on ne fuit ni l'hiftoire ni l'ufage ; au lieu qu'en obfervant ce qui étoit, le fiècle d'avant Conftantin, dans l'exer- gue des monnoies , Se ce qui y étoit le fiècle d'après , vous trouvez aifément l'explication de ce qu'on y voit pendant le fien. «fl»> Lettre Septième. Troijlème nfage des exergues. ()utre ce que nous avons dit , il faut recon- noître dans les exergues , Monfieur , des fym- boles que les monétaires y faifoient gtaver , ou pour fe faire honneur., ou pour faire honneur à ceux dont l'image étoit fur la Médaille. Ces fymboles fe ttouvent principalement fur les Mé- dailles d'argent de la république , cv fur Us d'une Société céièbreî 4.? monnoies des villes étrangères qui avoient droit médailles. de battre monnoie. Dans une Médaille de la famille Antiftia , on voit au revers dans l'exergue un chien. Cet ani- mal pouvoir être le fy mbole de la fidélité qu'avoit pour Augufte C. Antiftius. Dans celle de Q. Metellus Pius Scipio, la cigogne qu'on voit dans l'exergue répond au terme pius , qui n'eft pas dans la légende , & qui a été exprimé par ce fymbole^ Q. Caffius, un des meurtriers de Céfaf , a ex- primé fur fa 'Médaille un fait glorieux à fa fa- mille par deux exergues j l'un eft une urne à recevoir les furfrapes , l'autre font les murages en ces deux lettres , A. C. Abjolvo Condemno. Par-là il remet dans le fouvenir la loi Cafîîa , dont ces fuffrages furent l'objer. Sur un de- nier de la famille Cip'ia , la proue du vaiOTeau qu'on voit dans l'exergue, n'y a été mife que pour marquer quelque avantage fur mer , remporté par quelqu'un de la famille, d'autant plus que dans une autre Médaille de la même famille , la proue du vai(Teau tient tout le champ de la Médaille. Je n'en dirai pas davantage fur les Médailles confulaires. Pour les villes , ce font ordinaire- ment leurs fymboles qu'on voit dans l'exergue. Sur les Médailles de Dyrachium, un épi , un gou- 46 Mémoires pailles, vernail , un raifin , une charrue , ou une ruche ; montrent en quoi le terroir étoit fertile , & que fes habitans étoient gens de grand commerce. Dans celle de la Ville d'Andramum en Sicile , des anguilles en exergue montrent qu'on en trou- voit beaucoup dans les rivières de dans les ruif- feaux d'alentour. Le raifin qu'on voit dans les Médailles de Tauromenium , marque l'excel- lence des vins de fon terroir. C'effc ainfi qu'en étudiant l'hiftoire , on verra que les fymboles que portent les villes fur leurs Médailles , les font parfaitement connoître. Mais l'exergue qui a paru le plus important jufqu'à cette heure , ce font les années qui font marquées fur les Mé- dailles : c'effc ce qu'il faut vous expliquer. Les Médailles latines n'ont point de dates avant l'empire. Les Empereurs marquoient leurs années par la puiffance du tribunal, & quelque- fois par le titre d'Imperator. Cet exergue Imp. X. fignifie donc que la Médaille a été Frappée après qu'Augufte eût été proclamé lmperator pour la dixième fois : c'eft la onzième ou la douzième année de fon règne. Il ne faut pas s'imaginer que ces dates s'accor- dent toujours avec les faits énoncés fur la Mé- daille j car nous trouvons Act. en exergue avec la date, Imp. X., 8c la date Imp. XII. Si cet exergue fignifie la bataille d'A&ium , elle ne peut (Tune Société célèbre. 47 pas être arrivée en deux années ciirrérentes ; mais MfoAiuw; la première date lui convient , tk l'autre lignifie qu'on en renouvella la mémoire deux ans après. C'eft âinfi que dans la Médaille de Tibère , qui porte un triomphe au revers avec cette légende, Imp. VII. Tr. pot. XVI. , ou XVII. , il ne faut pas croire que le triomphe n'arriva qu'en l'année 780 ou 781 , quand Tibère jouilîbit de la puif- fancedu tribunal pour la feizième ou dix-feptième fois ; car il eft confiant qu'il triompha du vivant d'Augufte , lôrfqu'il jouilîbit de la puiffance du tribunal pour la treizième fois , & que le triom- phe eft déjà marqué fur les Médailles d'Augufte : mais on en renouvella la mémoire après fa mort. Voilà ce qui a produit la Médaille en queftion. Il eft donc certain qu'une dare fur une Mé- daille vous montre , i°. l'année que la Médaille a été frappée. z°. Que le fait énoncé fur la Mé- daille n'eft pas poft;': rieur u. lad ate. 3y. Que le prince , repréfenté fur la Médaille , a régné ;uf- ques-là ; mais que l'événement , marqué fur la Médaille , fe foir pafte la même année que la Médaille a é:é frappée , c'eft ce qui n'eft pas sûr. C'eft pourquoi ne fondez rien à cet égard fur les dates des Médailles. En Orient , on datok les Médailles du règne du prince , ou de l'Ere qui étoit en ufage dans Je pays. 4 S Mémoires ilÉDAiLLit. .Une Médaille de Phillippicus , rapportée par M. du Cange , eft datée de la troifième année de fon règne , fi la Médaille eft vraie & fidè- lement rapportée. Cependant Nicéphore dit qu'il ne régna que deux ans. 11 fuffit qu'il y ait eû quelques jours de plus , pour avoir donné •lieu à cette date , anno tertio. L'M , qui eft au milieu de la Médaille s'explique des vœux : car c'eft 40 en Grec , votls quadricennalïbus. A , eft la marque de l'officine \ NIKO , de la ville de Nicomedie j la Croix eft la marque du Chriftianifme. Voilà , Monfieur , les règles générales pour expliquer Jes Médailles. Je fuis , &c. ARTICLE d'une Société célèbre. MïDAILLtS. ARTICLE II. Explication de deux Médailles , faîtes fous un Charles , Roi de France. Par le P. Daniel, Jéf. La première de ces Médailles eft d'argent doré ( * ). D'un côté , font les arnies de France , telles que nos Rois les portent aujourd'hui , écartelées: avec celles diiDauphiné. L'infcription, en lettres gothiques, eft Carolys : Dh : gratia : Fran- corvm : Rex : D. Cette dernière lettre flgnifie Delphinus. A côcé de ce D , eft un cœur fur un petit cercle , & à côté du cœur une fleur- de-lys , qui eft entourée de quatre petits cercles : plu-fieurs au- tres petits cercles femblables font femés dans les deux légendes ou infcriptions de la Médaille , & il y en a deux , l'un fur l'autre, après chaque mot. Le revers eft un champ femé de fleurs-de- lys fans nombre , 8i au centre eft un K couronné , qui eft la première lettre du nom Karolus , félon l'ancienne orthographe , où le K fe mettoit fou- ( * ) Elle Ce trouvent dans le médailier de la Maifon .profeiïe de Paris. Tome IL D Mémoires VtioAivus. vent pour le C , même du temps de Charles-VII , ainfi qu'on le voit dans une Médaille que j'ai. L'infcription eft en lettres gothiques. J^aï fait pour gentilshommes. G : ete : fet: aPlesamset : por: les Gatilome: D. R. Et puis fuit la figure d'un dauphin. Cette pièce eft de la grandeur de nos écus blancs. Ce n'eft point une inonnoie : premièrement, parce qu'elle eft d'argent doré : fecondemenc , parce que l'infcription d'un côté eft en François , ce qui ne s'eft jamais vu jufqu'à préfent fur nos monnoies , excepté dans un exemple dont je par- lerai, & dont je rapporterai la raiibn particu- lière. On peut faire plufieurs queftions fur cette efpèce de Médaille. i°. Sous lequel de nos Rois appelles Charles elle a été faite ? z°. Où elle a été faite ? }°. A quelle occafion elle a été faite ? Première question. Sous quel Roi a-t-cllc été faite ? i°. Elle n'a point été faite fous nos quatre pre- miers Charles. Outre plufieurs raifons qu'on en puurroit apporter , celle - ci fuftit : ceft que Charles V a été le premier qui ait pot té les armes de Dauphiné , & le titre de Dauphin j par fuite de la donation du Dauphiné , par li..vn'"> • r , Dauphin de Viennois. d'une. Société célèbre. $ i 2°. La Médaille n'a point été faite fous Char- Médaiius. les IX , parce que même avant (on règne , du moins en France , & je crois encore en Efpagne , en Allemagne, en Italie , on ne fe fervoit plus de caractères gothiques dans ces fortes de mo- numens. Il refte donc de favoir , fi c'eft fous Charles VIII , fous Charles VII , fous Charles VI , ou fous Charles V , que la Médaille a été frappée. 3°. Deux raifons peuvent perfuader qu'elle n'a point été faite fous le règne de Charles V. La première , que félon l'opinion vulgaire , les armes de France jufqu'au temps de Charles VI , croient des fleurs-dc-lys fans nombre, & que ce n'ell: que fous le règne de ce prince qu'on a com- mencé à n'y en mettre que trois. Or , dans l'écuf- fon des armes de France , gravé fur celle-ci, il n'y a que les trois fleurs-de-lys comme aujour- d'hui. La féconde , que ces mots de l'infcrip- tion : Pour les gentilshommes D. R. ( fuppofé que ces deux lettres lignifient du Roi, comme il paroît allez naturel ) femblent marquer un corps déterminé de gentilshommes. Or, la com- pagnie de cent gentilshommes , qu'on appelle quelquefois dans l'hiftoire gentilshommes du Roi , penfionnaires du Roi , ne fac formée que par Louis XI j cela ne convient pas au temps de Charles V j ôc cette féconds raifon excluroiten- D z 5 s Mémoires MtPAiLLis. core le temps de Charles VI, & le temps ds Charles VII , prédeceifeurs de Louis XI ; d'où il faudroit conclure qu'elle a été taire fous Char- les VIII , & il ne refteroit plus qu'à refondre les deux autres queftions 5 fa voir où , Se à quelle occalion la Médaille a été faite ; chofes très-difficiles , pour ne pas dire impoliiblcs à de- viner , iî on la fuppofe faite fous le règne de ce prince. Après tout , comme il ne s'agit ici que de conjectures , je crois en avoir d'aiïez probables qu'elle a été faite fous Charles V-, nonob.ftant les deux raifons que j'ai propofées contre ce fen- riment , dont la première , tirée des trois fleurs- de - lys , malgré l'idée commune , eft très-cer- tainement faufle. M. le Blanc, dans fon traité des monnoies de France , en produit une d'or de Philippe de Valois , aïeul de Charles V , appel- lée Ange, ou Angelot, parce qu'il y avoit un ange gravé deflus. Et dans cette monnoie l'ange tient l'éca de France , où il n'y a que trois fleurs-de-lys, deux ôc une , comme on parle en termes de blafon, c elt-à-dire , dans la même difpofidon qu'on les a aujourd'hui dans les armes de France. Le même auteur ajoute que le père du Moulinet lui fit voir une charte avec le fceau de Philippe-le Bel, dans lequel il n'y avoit que trois Meurs- de-lys , Ville fur l'Ebre , d'où les aînés du Roi de Na- varre en ce temps-là prenoient le titre de Prince de Viane , mit Vianensis. L'écu de celle-ci écartelé de France 6c de Dauphiné comme celui de i'autre , eft furmonté de deux couronnes, pour marquer l'union de la monarchie de Caftille , & de la monarchie de France fous les deux Rois Charles V , Roi de France , &c Henri de Caftille. Le revers où eft l'infcription Françoife eft, non pas parti comme dans les armoiries , mais femé fans partition dans une moitié de fleurs- de-lys fans nombre , ôc dans l'autre de dauphin! fans nombre. (Tune Société célèbre. 6i Ce qui me paroîc marquer que cette Mé- mé daille fut faite pour un Tournois, où les gentils- hommes tenans portoient d'ordinaire fur leurs cottes d'armes leurs armoiries ; & comme celui- ci fe faifoit en l'honneur de Charles V , Roi de France & Dauphin , les tenans avoient fur leurs cottes-d'armes , les uns des fleurs-de-lys fans nombre , les autres des dauphins fans nombre , les autres des fleurs-de-lys & des dauphins fans nombre. Ge mappelle a Plesamce pour reioi sevx qui maime. Or , les réjouiflances mili- taires de ce temps-là étoient des Tournois. Ces deux premiers mots ge mappelle ne s'entendent . guères. Je conjecture, comme dans ma Médaille, que ce ge fut mis par le monétaire au lieu de gez , qui eft un vieux mot de nos romanciers , qui lignifie ie lez; cela voudroit d'ue^je les m'appelle , c'eft -à-dire , je les appelle à moi à[ Piaifance pour réjouir ceux qui m'aiment : c'efl: ie Roi de Caftille qui parle , & qui dit qu'il appelle les- François & les gentilshommes fes, fujets , pour leur donner le divertiflement d'un Tournois. La feule infpection de ces deux Médailles montre qu'elles ont été faites en même temps Se de même main , & l'une donne de leclaircifle- ment pour l'explication de l'autre. ■ Pour ce qui eft de ces petits cercles , dont j'ai 62 Mémoires dit que la légende & l'infcription des deux- Médailles font parfemées , ce font autant de plans des tours qui font les armes de Caftille : dans la mienne un de ces petits cercles eft fur- monté d'un cœur j Se par-là Henri de Caftille voulut donner à entendre. que fon cœur étoit en- core plus élevé que fa fortune , âs qu'uni à la fleur-de-lys qui eft auprès , c'eft-à-dire , à la puitfance de France, il n'avoit rien à craindre de fes ennemis. Après la légende latine de la Médaille du Roi , Karolus Francorum Rex , Dalphinus Via- nenjîs , il y a un G dont je ne faurois deviner la lignification , à moins qu'il ne fût mis pour mar- quer le nom de Guefdin , qui éuut le général de l'armée des routes. Pour réfumer en deux mots ce qui a été die , la preuve tirée du langage Se de l'orthographe , par laquelle on montre que ma Médaille n'a point été faite en France , eft très-forte. Celle qui eft tirée du mot Efpagnol , employé dans l'infcription , pour prouver quelle a été faite en Efpagne , eft fort naturelle. 11 n'y a aucun évé- nement , ni fous Charles VI , ni fous Charles VII , ni fous Charles VIII , qui puille donner le moindre fondement de croire qu'on au fait en Efpagne cette Médaille fous leur règne. Il s'en trouve un fous Charles V , auquel elle peut fe d'une Société célèbre. 63 rapporter très-naturellemenc. Ou rend des rai- médaulm. fons très-vraifemblables de l'infcriptioa , ôc de ce qu'il y a de fîngulier dans certe infcripcion par cet événement. La Médaille du Roi femble appuyer tout cela. C'efk tout ce qu'on peut fou- haiter dans une matière , où l'on ne peut rai- fonner que par des conjectures. Du moins mes réflexions pourront donner aux perfonnes habiles dans notre hiftoire, quelque ouverture pour ima- giner quelque chofe de meilleur. J'ajouterai encore deux réflexions. La pre- mière , que ma Médaille , aulîi bien que celle du Médailler du Roi dont j'ai parlé , laquelle eft fi femblable à la mienne pour la fabrique , pour la grandeur , pour les caractères , pour l'or- thographe , ne peuvent pafTer pour des jettons , étant grandes comme nos écus. La féconde , que les Médailles de nos Roi« faites en France, à com- mencer depuis Charles VII , defquelles nous avons un grand nombre , font fi correctes pour l'orthographe en comparaifon des deux dont il s'agit , que celles-ci , par la raifon contraire , pa- roiffent ; & plus anciennes , 5c faites hors du Royaume. i'i »D AILLES. Mémoires ARTICLE III. Examen d'une Médaille de petit bronze ; par le Père Daniel j Jéf. Il y a dans la fciençe des Médailles , comme prefque dans toutes les auttes , du certain 6c de l'incertain : le foin 6c l'application qu'on y a donné depuis deux fiécles , a'extrèmement dé- brouillé la matière , & par le moyen de la chro- nologie , de la confrontation des Médailles en- rte elles, 6c avec l'aide des anciens hiftoriens , on s'eft fait des principes qui palfent pour incon- teftables parmi les Antiquaires mais la partie conjecturale de cette fciençe n'eft pas encore épuifee. On trouve des Médailles qui étoient demeurées cachées dans la terre , & qui forment de nouvelles difficultés j il y en a qu'on ne s'eft point donné la peine d'examiner , 6c qui méri- tent d'être autant examinées que plufieurs au- tres : telle eft celle que je vais préfenter ici. Je l'ai trouvée dans un rebut de Médailles, qui ont été fabriquées du temps & vers le temps de l'Empereur Gallien y la tète 6c la légende font bien confervées } il n'en eft pas de même du re- vers qui eft frufte, 6c où l'on voit feulement la figure 4 (Tune Société célèbre. 6f figure debout d'un homme ou d'un Dieu nud , lfi»A»ii»i qui a le bras droit élevé vers le haut , & le gau- che étendu droit à fon côcé j la tête de cette figure eft effacée auflï-bien que ce qu'elle tient dans les deux mains , fuppofé qu'elle y tînt quelque chofe.Cinq lettres, qui en forment l'infcription> font aufïi prefqu'entièrement rongées : ainfi , je ne m'arrêterai qu'à examiner la tête & la lé- gende. Je me fuis d'autant plus volontiers déter- miné à méditer fur cette Médaille , que l'ayant montrée à plufieurs de nos habiles Antiquaires , ils m'ont avoué qu'ils ne favoient qu'en penfer j outre qu'elle ne fe trouve point dans la grande collection de Médailles d'Adolphe Occo, ni dans plufieurs autres imprimés où je l'ai cherchée. C'eft la tête d'un Empereur avec la couronne rayonnée. La légende eft Imp. ocet. Avgi. Ce dernier mot , qui lignifie Augujlî , montre que le premier eft au génitif Imperatcris : la difficulté eft dans ce mot ou dans ces lettres ocet ; car ce mot , félon le ftyle de toutes les Médailles Ro- maines , doit être le nom ou une partie du nom de celui qui y eft repréfenté , ôc à qui l'on donne le titre d'Empereur & d'Augufte j mais nous n'avons dans Thiftoire aucun Empereur dont le nom commence par ces lettres. Voici deux pen- fées qui me font venues fur ce fujet. La première , que c'eft le nom de quelque Tome ll\ E '66 Mémoires MiDAitiss. Empereur, ou plutôt de quelque tyran, jufqua préfent inconnu, du nombre de ceux qui s'éle- vèrent dans toutes les parties de l'Empire , du temps de l'Empereur Gallien , & dont nul hifto- rien n'a parlé , qui fe nommoit Océtivs, ou Océtianvs. Si cela étoit ainfi , ce feroit une nouvelle dé- couverte dans l'antiquité, & qui rendroit cette Médaille précieufe. Voici une autre penfée qui a aufli fa vraifem- blance. Il me femble que l'on pourroit attribuer la Médaille à l'Empereur Claude, furnommé le Gothique , fuccelfeur de Gallien à l'Empire. Je vais dire mes conjectures là-delfus , & je crois qu'on les trouvera atfez bien appuyées , auifi- bienque l'explication que je donnerai de I'ocet dans ce fyftcme. Premièrement , cette Médaille s'eft trouvée parmi plufieurs autres de cet Empereur roienc point ; mais ils le regardoient comme un vœu des peuples , qui fouhaitoient qu'ils vé- cufTent toujours. Il n'y a rien que de fort naturel dans toute cette explication que je viens de donner de la lé- gende dont il eft queftion. A la vérité , il eft ex- traordinaire de voir le nom & les titres d'un Em- pereur tous marqués en lettres initiales -, mais il le feroit encore plus de voir un mot entre Impe- ratorïs ôc Augujîi , qui ne fût ni le nom , ni les titres de cet Empereur : c'eft de quoi convien- dront tous ceux qui favent ce que c'eft que Mé- dailles , & c'eft une néceffité que ce mot ocex foit expliqué d'une de ces deux manières que je propofe. Après tout , je crois devoir m'en tenir à la première. explication ; favoir , que cet ocet eft le commencement du nom d'Océtius ou d'Océtianus , & que cet Océtianus fut un des tyrans qui démembrèrent l'Empire du temps de l'Empereur Gallien. Deux chofes me font préférer cette opinion à l'autre \ la première eft la fîmplicité de la lé- gende qui n'auroit rien d'extraordinaire , &c que de commun avec toutes les légendes de cette ef- pèce , où le titre d'Empereur eft mis le premier „ celui d'Augufte le dernier, & le nom de FEm. pereur , ou de celui qui prend ce titre , eft tou* 7o Mémoires Médailles, fignifie-t-elle fimplement qu'on a bombardé le Havre ? Ne fignifie-t elle pas qu'on l'a ruiné ? Que dans cinq cenrs ans on joigne à cette Mé- daille tant d'autres Médailles battues pour éter- nifer des victoires imaginaires , les Antiquaires de ces temps-là formeront fur ces Médailles une hiftpire fort contraire à tout ce que nos hiftoriens auront .écrit : de quel côté fera la vérité ? Les Antiquaires auront tort. Je prie votre habile Antiquaire de tirer la conclufion de cette parité , Se je prends la liberté de vous confeiller de ne croire, fur la foi des Médailles antiques, Gallien un grand Prince , que quand , fur la foi des Mé- dailles modernes , vous croirez le feu Prince d'Orange un héros invincible. Je fuis , &c. itmma t/ujie Uhrietp Ct'Z'T'/f , 7hm.. Q .Pat d'une Société célèbre. ç i n» m ■ mmm^m j m M ECAILLES. ARTICLE VII. Dissertation fur une Médaille finguïièrt de Jules-Céfar. Par le P. E. Souciet , Jéf. JFe vis dernièrement dans le cabinet des comtes de Lazara , une Médaille fort lîngulière. Elle eft de Jules-Céfar. D'un côté, c'eft la tête d'une victoire aîlée , ainfi. qu'on la voit fur d'autres Médailles du môme Empereur, à cela près , que celle-ci eft un peu différemment coè'ffée j car au lieu que dans Jes autres les cheveux de la vic- toire , treffes à droite ôc à gauche , ôc repliés par derrière , lui ceignent la tête , ôc lui font une efpèce de couronne ; dans celle-ci elle a fes che- veux raiïemblés , Se noués par derrière , à-peu- près comme la jeune Fauftine. L'infcription de ce côté-là eft : C^îsar dict ter , comme fur les autres Médailles , dont je viens de parler. Au revers , eft une couronne de laurier , dans la- quelle eft la tète nue d'un jeune homme tournée à gauche : devant la tête , ôc dans le champ de la Médaille, fe voit une feuille de laurier, qui n'eft point de la couronne , mais qui en eft fépa- rée. A droite eft un A , & à gauche , au-defTous de la feuille de laurier, un autre A. 5)2 Mémoires Cette Médaille eft très-rare , fi elle n'eft pas unique ; je ne l'ai vue dans aucun cabinet , & je ne fâche point que jufqu'ici perfonne l'ait citée. Elle eft d'ailleurs bien confervée , & l'on ne fauroit fe méprendre , ni aux hgures , ni aux infcriptions. Mais ce qui la rend plus eftimable , c'eft que malgré la difficulté qu'elle femble former d'abord contre l'hiftoire, elle nous confirme un des pre- miers traits finguliers de la vie d'Augufte. Je dis de la vie d'Augufte ; car la tète du jeune homme qui fe voit fur le revers , eft à mon fens la tète d'Augufte. En effet , elle en a tous les traits , Se quiconque connoîcra les Médailles de ce Prince, qui font lî communes , ne peut ce me femble en douter. N'allez pas cependant vous imaginer , Mon- fieur , que l'A qui fe voit à côté de cette tète foie la première lettre du nom Augustus , Augufle. Ce Prince n'étoit encore que C. Oclavius. Il ne prit le nom de C. Céfar qu'après la mort de Ju- les fon grand oncle , & en vertu de fon tefta- ment j & pour celui d'Augufte , il ne l'eut que iong-temps après (*). Mais encore un coup, ( * ) Suéton. In Aug. c. 7« Poficà C. Ccnfarls ac dcin.de Augujli cognomen ajfumpfit : alcerum tefta- mento majoris avunculi , alterum Munatii Vlanci ftntcntiâ y &c» d'une Société célèbre. 55 pour reconnoîcre le jeune Octavius , on n'a pas Médailles. befoin que fon nom foit gravé fur la Médaille ; fon air Se fes traits y font fi marqués , qu'on ne peut s'y tromper. Ceft même ce qui fait la difficulté dans cette Médaille ; car la tête de ce jeune Prince , au milieu d'une couronne de laurier , de plus , une feuille de laurier dans le champ de la Médaille ôc devant fa tête, doivent naturellement marquer une victoire à laquelle il ait eu part. Cependant l'année de la troifième dictature de Jules , le jeune Octavius n'avoit que feize ans j il netoit pas encore forti de Rome , &: n'avoit vu ni camp , ni armée j à peine avoit-il pris la robe virile , que l'on ne prenoit point avant cet âge ; enfin , il ne fit fes premières armes que la cam- pagne fuivante , car au fortir d'une maladie dan- gereufe, il accompagna fon oncle en Efpagne, dans la guerre qu'il alloit faire aux enfans de Pompée ( * ). Comment Octavius peut-ii donc , l'année précédente , être gravé fur une Médaille de fon oncle avec des marques de victoire ? Je ( * ) Proftclum mox avunculum in Hifpanias ad- verses Cn. Pompeii liberos , vix tàm firmus à gravi valetudine , per infejîas hoftibus vias , pauciffimis comitibus , naufragio ttiam faclo , fubjecutus mag~ noptrè demeruit. Suëton. in Aug. c. 8. Voyez; encore Paterculus , U II» C«  Mémoires ' IIédailles. crois en avoir trouvé la véritable raifon , & l'oc- cafion à laquelle cette Médaille fut frappée.' C'eft ce que je vais vous expliquer maintenant. Augufte , né fous le confulat de Cicéron Ôc d'Antoine , perdit C. Octavius fon père à l'âge de quatre ans. Il en avoit douze, lotfque fon aïeule maternelle , nommée Julie , fœur de Jules- Céfar , étant morte , il en prononça l'oraifon funèbre devant le peuple ( * ). C'eft le premier trait fingulier de la vie d'Augufte. Voici le fécond. Quatre ans après cette action publique , c'eft- à-dire , à fa feizième année , Octavius prit la robe virile , ôc ce qu'il y eut de plus particulier pour lui cette année-là, c'eft que fon oncle Jules,' étant revenu victorieux d'Afrique , ôc ayant triomphé quatre fois en un mois , au dernier de fes triomphes , qui fut celui d'Afrique , il mit fon neveu au rang des officiers ôc des foldats qu'il récompenfoit , & lui donna part aux dons , ou diftributions militaires qu'il leur faifoir, quoi- qu'Oétavius n'eût eu aucune part à la victoire , & qu'il n'eût pas même encore porté les armes. C'eft Suétone qui nous apprend ce fait fingulier , (*) Suéton. In Aag. c. 8. Quadrinus patrem ami" fit ; duodecimum annum agens , aviam Juliam d{- funclam pro çoncione laudavit. d'une Société célèbre. Aiui« Quant à ce que j'ai dit du jeune Oc"tavius voici comment Suétone s'en explique au chapitre Vin de la vie d'Aupjufte : Duodecimum annum agens ( Odavius ) Aviam Juliam defunâam pro concione laudavit. Quadriennio pofî , virill togâ Jurnptâ, militaribus donis triumpho Cœfaris Afri- cano donatus efl , quamquam expers belli prop- ter œtatem. C'eft-là , fi je ne me trompe , le fujec pour lequel la Médaille dont il s'agit fut fabriquée ; foit qu'elle l'ait été dans ce temps-là même , foit qu'elle ne l'ait été que dans la fuite, 6c fous Augufte , ainfi qu'on Je croit de beau- coup d'autres Médailles du même Jules. Quoi qu'il en foit , tout ce que dit ici l'hiftorien con- vient parfaitement à la Médaille , & la Médaille s'accorde parfaitement avec ce que dit l'hiftorien. ( * ) Suéton. In Jul. c. $6. Confeclis bellis quin- quics triumpkavit: pojî devicbum Scipionem , quater eodern men/e , fed interjeciis diebus : S rurfus femel poft fuperatos Pompeïi liberos. Primum & excellen- tijjïmum triumphum eglt Gallicum , fequentem Alexanirinum , deinde Ponticum , huic proximum Africanum , novijjimum Hïfpanienfem , d'werfo quemqut apparatu & injirumento. Voyez encore Pa- zerculus , l. 1 1 , c. Voilà les quatre triomphes de Jules , & entre autres celui d'Afrique, Mémoires ■Médailles. Car , i °. Augufte paroîr jeune fur la Médaille : en effet , il ne faifoit que fortir de l'enfance , êc à peine avoir il pris la robe virile; en un mot, il n'avoit que feize ans , dit l'hiftorien. Eft-il étonnant qu'il paroilfe extrêmement jeune à cet âge , lui qui paroît jeune fur toutes fes Médailles, 6c même jufqu'à l'âge de -G ans ? 2°. C'eft dans l'année de la troifième dictature de Jules que la Médaille fut frappée.CAESAR dict. ter, C'eft aufli dans l'année de fa troiliètne dic- tature que Jules triompha quatre fois , Se en der- nier lieu de l'Afrique, Se qu'à ce dernier triom- phe 3fon neveu fut honoré des préfens militaires. Vous n'en fauriez douter , pour peu que vous fafliez attention à l'hiftoire de la guerre civile. En effet , l'an de Rome 705 , la guerre civile s'alluma entre Céfar Se Pompée ( * ). C'eft cette année que fe paftà tout ce que Céfar raconte dans fon premier &: fon fécond livre de la guerre civile. Les décrets qu'on fir contre lui à Rome , la guerre d'Efpagne contre Pctreïus Se Afranius , le fiége opiniâtre de Marfeille, occupèrent toute la campagne, après laquelle il conduifit fes trou- pes en Italie , Se leur donna des quartiers dans (*) Velleïus Paterculus, I. 1 1 , c. 49. Lentulo & Marcello Cojf. pofi urbem conditani annis feptingen- lis tribus.,., bcllum civile exarfu. la d'une Société célcbre. $y la Pouille (*). Pendant qu'il étoit devant Mar- médaux.**, feille , après la défaite de Pétreïus & d'Afranius , il reçut la nouvelle qu'on l'avoit créé dictateur (**). Ce fut-là fa première dictature. Les derniers jours de l'année , le di&ateur tint à Rome les comices, ou les états du peuple Romain , pour l'élection des nouveaux magif- trats , & fut élu conful avec P. Servilius (*** ). L'an de Rome 704 , Céfar commença fon fécond confulat , après avoir abdiqué la dicta- ture , qu'il n'eut point cette année-là. Il partie çnfuite pour Brinde , & le quatrième de Janvier , il fit prendre à une partie de fon armée la route de l'Epire, où il paffa le refte de l'hiver. (****). Après quelques mois le refte l'alla joindre. Vers ( * ) Cœfar, l. 1 1 1 , de bello civ. (**) Cœfar de bello Civili , l. il. Narbonem at- que inde MaJJiliam pervertit. Ibi legem de dicîatore. latam , fefeque diclatorem dicîum à M. Lepido prœ- tore cognofeit. ( *** ) Cœfar de bello Civ. I. m. Dictatore habentt comitia Cœfare , confules creantur Cœfar & P. Ser+ yilius, (****) Cœfar, l. inyde bello Civil. His rébus geftis & feriis latinis , comitiifque omnibus perficiendis tel. Dies tribuit , diclaturàque fe abdicat , & ab urbe proficifeitur , B rundufiumque pervertit.... Pridie Non. Jan. naves folvit , impofuis , ut fupra demonfir.i-» tuin ejl , legionibus feptenu Tome IL G v Mémoires MioAmis. le temps de la moiflon fe donna la bataille do Pharfale , comme il paroît par tonte la fuite du troifième livre de la guerre civile de Céfar , par le feptième livre de Lucain , par Appien de belU Civ. 1. 1 1 , & par Plutarque dans Brutus. Sut la fin de l'année , le vainqueur étoit à Alexandrie , dont le tiége Se les auttes affaires l'occupèrent jufqu'au commencement de l'année fuivante. Telle fut la féconde année de la guerre civile , qui fut celle du fécond confulat de Céfar , Se pendant laquelle il ne fut point dictateur. L'an de Rome 705 , au commencement de la campagne, Céfar pa(fa par terre d'Egypte en Syrie, d'où, après avoir réglé les affaires de la Province, il vola en Bithynie Se au Pour , réduiiit Pharnace , Se revint à Rome , où on lui mandoit qu'il y avoit bien des troubles. Cette année-là fut celle de fa féconde dictature, comme il paroît par les marbres Colotiens ; Se de plus , parce que c'eft une néceflité , que depuis cette année 705 de Rome , jufqu'à fa mort , il ait été tous les ans dictateur ; car il le fut cinq fois ; il refte donc encore quatre dictatures à placer depuis Fan 704, Se il ne relte que quatre années de vie à Céfar , dont il n acheva pas même la quatrième , ayant été tué à la mi-Mats de cette année-là. Il s'enfuit de - là que l'année fuivante , 706 de Rome , fut celle de la troiheme dictature de SJunc Société célèbre. 99 Céfar -y 8c, en effet, les marbres Colotiens le médaulfs. marquent ainfi. Ce fut auili la même année que Céfar fit la guerre en Afrique , & qu'il vainquit Scipion & Juba j car il partit pour cette expédi- tion au mois de Décembre de l'année précédente. Le dix-neuvième du même mois , il aborda à Lilybée , aujourd'hui Capococo : Ad xiv. Kal. Jan. Lilybœum pervertit. Il en partit le vingt-fep- tième du même mois, & quatre jours après, c'eft-à-dire le 3 1 , il parut à la vue de l'Afrique : Ipfe navem confcendit ad vi. Kal. Jan. . . . pojl dletn quart am , cum longis paucis navibus in con/peclum Africcc venit. 11 débarqua proche d'Adrumète ; & le premier jour de Janvier , il vint camper fous Leptis. Kal. fart, inde movit & pervertit ad oppidum Leptim. La guerre ne fut finie qu'au mois de Juin fuivant; car ce ne fut que le treizième de ce mois qu'il fe rembarqua à Utique pour faire voile vers l'Italie. Trois jours après , il mouilla à Cagliari en Sardaigne. Jbid. Jan. Uticœ clajfem confcendit & poft diem tertium Cavales in Sardiniam pervertit. Il y ter- mina quelques affaires , remit à la voile le 29 de Juin, & 28 jours après, c'eft-à dire , le 27e. jour de Juillet , il arriva à Rome : Ante diem tertium Kal. Quincliles naves confcendit & duodevigefimo die.... ad urbem Romam venu. Ce font les paroles d'Hirtius , & les dates pré- G 2 îoo Mémoires ilÉDAuizs. cifes qu'il marque dans fon hiftoire de la guerre d'Afrique. Après fon retour à Rome , il triompha quatre fois en un mois à diflférens jours. i°. Des Gau- les. i°. D'Alexandrie & de l'Egypte. 30. Du Pont, & 4°. enfin, de l'Afrique. Ce font les quatre triomphes de certe année. Le cinquième eft de l'année fuivante, comme on le verra tout- a- l'heure. L'année de la troifième dictature de Céfar eft donc la même que celle de ces quatre triomphes , & par conséquent la Médaille donc je parle, ayanr été frappée l'année de la troiiième dictature , elle l'a été l'année du triomphe d'Afrique , qui fut le dernier des quatre. C'en: ce que j'avois à démontrer (*). Pour confir- mer ceci , continuons le détail des années Se des -dictatures de Céfar. L'année qui fuivit ces quatre triomphes , 707 de la fondation de Rome , félon le calcul de Pater- culus , Céfar fit la guerre en Efpagne. Il partit pour cela fur la fin de l'année précédente ( ** )n (*) Voyez, encore BoroaLl. in Suet.p. 155. Sabel* lie. Ibid. pag. 1024. Alexand. ab Alexandro Génial, dier. I. v. c. 18. Salien, ad. an. M. 4OC6", 4007, 400S , 4009 , 4010. Petav.de Docl. tempor. I. xiiit An. Per. Jul. 466$ , ad 4670. (,** ) Hirtius île bello Hifpav,. C. Cœfar Diclator (Furie Société célèbre. iCtî Le jeune Octavius , au forcir d'une maladie dan- Médauli** gereufe, dont il n'étoit pas mcrae encore bien rétabli, le fuivit, & pendant tout le voyage & toute cette campagne , la plus périlleufe que Céfar eût encore faite , il fut toujours aux côtés defon oncle (*). Après la défaite du jeune Pom- pée , Céfar revint à Rome au mois d'Octo- bre ( ** ). L'année fui vante 70S , ou fur la fin de la pré- cédente , on lui déféra la dictature pour la cin- quième fois , 5c on la lui déféra pour toujours : c'eft pour cela qu'on trouve fur les Médailles , frappées cette année : Caes. dic. perp. Céfar , dictateur perpétuel. Il n'en jouit pas long-temps. Tous les honneurs dont on le combla après tant de victoires , ne fervirent qu'à exciter l'envie , & à précipiter fa perte. Il n'eut que cinq mois à goûter le fruit de fes travaux , & fut malTacré .~ le 15 Mars (***). Cette fuite & cet enchaînement néceiTaire des années de Céfar , depuis fa première dictature 77/. defignatus IV. multis itineribus ante confettis , cum céleri feflinatione ad bellum conficiendiim in Hifpaniam conveniffet , &c. ( * ) Suéton , in. Aug. C. 8. ( ** ) Paterc. I. z z , c. 56. / *** ) T. Liv. Epitom. I. c. CXri. G* 102 Mémoires MicAiLLis. jufqu'à fa mort, montre évidemment que le triomphe d'Afrique , & les tiois autres dont j'ai parlé , tombent l'année de la troifième dicta- ture de ce Prince , &' par conféquent , que la Médaille que j'examine fut frappée l'année de ce triomphe : Cy£s. me. ter. C'eft l'infcription de la première face. 3°. Augufte n'avoit eu aucune part à la vic- toire , puifqu'il n'avoit pas môme commencé de fervir , & que fon âge ne le lui avoir point en- core permis. Expers belli propter ectatem (*). C'eft pour cela qu'il paroît ici, non- feulement la tête nue , mais fans habit de guerre , & fans aucune autre marque militaire. Il n'a ni cui- ralTe , ni fagum , Sec. 4°. Cependant il eft dans une couronne de laurier j & outre cela, il y a une feuille de lau- rier devant lui dans le champ de la Médaille. Tout cela , & fur-tout la feuille de laurier , marque qu'il eut quelque part au fujet qui fit frapper cette Médaille pour fon oncle. Je viens de montrer qu' Augufte ne pouvoit encore s'être trouvé à aucun combat , ni à aucune victoire ; il faut donc qu'il eût eu part au moins au triom- phe <3c aux fmits de la victoire qu'on a voitftf ( * ) Sucton , in. Aug- G» S. d'une Société célèbre. i o 3 repréfcnter ici. C'eft ce que nous apprenons Médahm^ dtftin&ement de Suétone, in Aug. C. vin. Qua- drcnnio po(l v'inLi toga fumptâ , MILITARI BUS DON1S TRIUMPHO CjESAMS AFRJCANO donatus efl , quamquàm expers belli propter cctatem. Voilà ce que repréfente vifiblemenc la Médaille. ■ $*. Ce triomphe, où Jules-Céfar fit a fon neveu une diftinction fi fingulière que l'hiftoire a cru la devoir confacrer , & qu'on la grave fur le bronze , c'eft celui d'Afrique , comme il pa- roît par les paroles de Suétone que je viens de rapporter. C'eft aufli celui-là qu'on a voulu mar- quer fur la Médaille par les deux a , a , qui fonc dans le champ , l'un à droite , & l'autre à gau- che de la tête du jeune Octavius. Car, après ce que j'ai dit, il eft plus que probable que l'une de ces deux lettres fignifie l'Afrique. Ainfi , on doit prendre ces deux a , a , pour Africa adqui- sita , de même que l'on trouve dans Septime Sévère : Arab. adquis. ou bien , Africa ac- cepta , ce qui revient à l'expreftion deHirtius , nu commencement de fon hiftoire de la guerre d'Efpagne; Pharnacefuperato,Jfricareceptay&c. 6°. Ces deux a , a , ne peuvent avoir de rap- port qu'au triomphe" d'Afrique. Ils ne peuvent lignifier, ni Asia adquisita , ni Alexandria ADQUISITA , ni yîlGYFTO ADQUISITA , OU quel- Mémoires HiDMtLis. que autre chofe qui aie rapport à ces Provinces. Car , i°. Céfar n'eut point de guerre à foutenir en Afie. i°. Au triomphe d'Egypte , ou d'Alexan- drie, il ne fit point part des dépouilles à fon neveu : il en eut encore moins à la victoire , puif- qu'il ne fit fa première campagne que l'année fuivante , comme je l'ai montré. Ce n'efl: point non plus la conquête des Gaules , ou celle de Pont, beaucoup moins la guerre d'Efpagne, que ces lettres pourroient indiquer. Car outre les raifons que je viens de rapporter , tk qui conviennent à ces Provinces, aufli-bien qu'à l'Egypte, les deux A , A, n'ont point de rapport aux noms de celles-ci. Enfin, la guerre d'Efpagne n'étoit pas encore commencée quand notre Mé- daille fut frappée. Il n'y a donc que le triomphe d'Afrique auquel on puilfe l'appliquer , quelque pari d'ailleurs qu'elle ait été -frappée. "Réfumons en deux mots , Monfieur , tout ce que j'ai eu l'honneur de vous dire. Le type Se les inferiptions de cette Médaille , la tête de la vi&oire, celle d'Angivfte , fa jeunelTe , la ttoi- fième dictature de Jules, la couronne de laurier, la feuille de laurier dans le champ de la Mé- daille , les deux a , a , tout cela nous dit évi- demment ce que Suétone nous a marqué , que Jules- Céfar , dictateur pour la troifiètne fois , agrès avoir vaincu Scipion & Juba en Afrique 9 < i/ . dîme Uoœ/J T"m a P9- cFune Société célèbre. \o elles feules en nulle autre langue. Ce font des lettres initiales, dont chacune fait un mot latin à d'une Société célèbre. \ ï * part. L'abd eft Hébreu ( f ) , ainfi que le mot ittwww* oxiel ( ** ). Voilà , ce me femble , le véritable fens de ce qui fe lit fur la première face de cette Médaille. Le revers a d'abord ces mots-ci femés dans le champ : . Hagiel. Haniei. Svt. ebvleb. asmodel. Cela veut dire en latin , traduifant l'Hébreu mot-à-mot : Loqui incipe : refpondere inc/pe. Define lac concupifcere : difme inique agere ( *** ). Ces mots lignifient en notre langue : Prépa- (*) C'eft le verbe "P3> qui fignifie ferwire, miniftrare* (** ) Avec le mot Vit , qui lignifie Dieu, eft joint l'im- pératif féminin du verbe wpV prœvertere , fubvertere , c'eft-à-dire, renverfer , ou , ce qui revient au même, con- vaincre d'iniquité , qui eft la fîgnification de ce mot Hébreu au chapitre IX de Job , verfet ïo , félon la VuN gâte. La lettre x ayant dans fa prononciation la force de ces deux lettres c s , il a fallu l'exprimer par ces deux lettres Hébraïques wp. (***)Tous ces mots font Hébreux. On yfaitélifiondu H , quand le mot qui fuit commence par une voyelle ; Comme le fabricateur de ces mots-ci ne prétend pas compofer en Hébreu d'une manière exafte , mais feule- ment faire des mots compofés des fimples racines Hébraï- H z n6 Mémoires U*6Xà*s*. rer-vous à parler : préparez-vous à répondre: Ceïftt de vous laiffer gouverner par votre mère ; cejfe^ de commettre des inju/lices. C'eft encore- là la remontrance refpe&ueufe de l'Anubis Pro- fitant à Henri lit Lorfque le Roi eut fait fon entrée à Paris avec fa nouvelle épouje , dit Meze- ray dans fon Abrégé , les députés du parti Protef- taat & Politique y arrivèrent pour parler de la pair , ayant communiqué par des envoyés avec le Prince de Condé qui étoit à Baie. Ils DE M AN» DOIEXT qiCon leur fit droit fur 91 articles , donc plufieurs fembloient FORT hardis ; mais les plus CHOQUANS étaient la tenue des états géné- raux , LE RABAIS DES TAILLES > &C C'eft fur ces articles que cet Anubis a la hardiefïe de dire à Henri III , en fon jargon Hébraïque , qu'il ait à préparer fes réponfes. Il l'en avertif- Ccut quatre ou cinq mois au plus , avant l'arrivée des députés qui vinrent pour cet effet à Paris , !e 7 d'Avril 1575. On y aoperçoit- allez claire- ques , ce qu'avoienf fait bien d'autres avant lui , il em- ploie ici la racine feule du verbe Vx^ , au'îl exprime par tel ; & il s'en fert dans la première conjugaifon , q f yn nomme kal; quoique dans l'Ecriture ce mon ne 3 que dans deux autres conjugaifons. Il fîgniile, lelor ' J. lerus, paravit , incepic , &c. Pour le verbe r.ii- , il fe treuve , au mène fe:is qu'on lui donne ici , ai X de Job , verfet io. Le rtûe ciî facile, d'une Société célèbre. fi j ment l'intention des Religionnaires , qui , félon feé»*n.«|< Mezeray , dans fon Hiftoire , année 1 5 74 , page 10, & 1575 , page 58 , certes tendait au gou- vernement populaire & Anubitique. Mais le Roi n'étoît pas obligé d'entendre cet Hébreu. Ces mots , loqui incipe , qu'on peut aufli tra- duire , commence-^ à parler , font peut-être allu- fion à ce que rapporte le môme Mezeray dans fon Hiftoire , année 1574 s en parlant d'Henri III : Laiffant , dit-il , prefque toute V autorité à fa. mère , il paroijjoit rarement en public 3 & dé- nie uroit prefque toujours dans le cabinet avec fes favoris. . . . qui le faij "oient vivre ainjl retiré, & ne lui permettaient prefque de PARLER A per~ sonne que par leur bouche. Pour ces paroles , definelac concupifeere , qui, à la lettre , lignifient , ceffè^ de demander à teter j elles font mifes dans un fens métaphori- que , pour dire au Roi qu'il cefte de prendre avis de fa mère , pour qui l'on fait allez qu'il avoit beaucoup de déférence. Il ne refte plus que la légende qu'on lit à l'en- tour de la Médaille. La voici. Nechar. Opribal. Ne talian. Penel. Ar. Ipos. Filiach. Disdras ( * ). Cela lignifie: Alienigenam erubefee dominam : ( * ) Le premier mot nechar. eft pur Hébreu ")2Ï : H {îgnifie alicnigena\ 1 1 S Mémoires MÉDAittEs. inter halos vultum deœ vïvenùs dam quœris s filiamfratris injuria ajficls. En François : Aye^ Opribal eft pur Hébreu de même , ViH-'HDn. Il eft compofé de l'impératif féminin de IDn erubefcere , & de b]J2 , qui fignifie maritus , dominas , le maitre de la maifon ; & on l'attribue ici à la femme , parce qu'elle eft aufli en quelque façon la maîtreiïe. Ne talian eft une exprefiion Italienne , tant foit peu déguifée par le retranchement de 1'/' final feulement ; au lieu de ne' ïtaliani , ou comme quelques-uns prononcent encore aujourd'hui , ne Taliani , c'eft-à-dire , chez les Italiens. C'en: ici une exprefiion énigmatique , pour figni- fier , dans une Maifon qui eft fort attachée à la Religion qui domine en Italie, c'eft-à-dire , à la Religion Catho- lique. Penel. Ar. Ce font des mots purement Hébreux : 9n-Viî-n2D : penecl haï ; & par contraction , penel ai- Car le mot V&Î , qui fignifie Deus , eft mis pour le fé- minin dea, comme dans Opribal le mot Vi?3 , qui fignifie Dominus , eft employé pour Domina. V ultum De comme des queftions que fe font les bergers, dans les é^logues de Virgile , quand l'un demande à ' l'autre : quel eft l'endroit du monde , où le ciel ne femble pas avoir plus d'étendue , que la lon- gueur de trois aunes ? Et quand l'autre demande , à fon tour : quel eft l'endroit où naitïent des fleurs qui portent fur leurs feuilles les noms des Rois ? Combien d'interprètes ont fatigué leur efprit & leur mémoire pour trouver des ré-» ponfes favantes à ces queftions, que la fimpli- cité de ceux qui les faifoient leur devoit perfua- der n'avoir rien de fort recherché ? Mais reve- nons à notre Médaille. i°. Le monument dont il s'agit , ne fut ja- mais une Médaille , mais un talifman. 2°. Il ne fut jamais frappé , mais feulement moulé. 30. Catherine ne l'a point fait frapper. 40. On n'y voit aucune apparence de culte rendu au démon. d'une Société célèbre. 125 Je dis que c'eft un talifman ; Se qui voudroit MÉDA?it»*« ici approfondir Se pénétrer dans les myftères de ces rypes énigmatiques , donc l'ufage eft fans difficulté le plus ancien de la philofophie des images , puifque les Egyptiens en furent les, premiers auteurs , pourroit faire une diffèr— tation entière d'un gros volume pour dévelop- per douze efpèces différentes de talifmans , à. commencer par ceux des Egyptiens, qui firent partie de leurs hiéroglyphes, Se à paffer enfuite à ceux des Arabes , des Perfans , des Grecs , des Romains , des Barbares , &c. Les philofophes Pythagoriciens eurent aufïl leurs talifmans , qui n'étoient que des combinaifons de nombres , qu'ils crovoient avoir de grandes vertus. Les Rabbins Juifs en firent des lettres initiales de divers verfets de l'Ecriture Se des noms de Dieu. Les Cabaliftes en firent aufïï pour les fecrers de leur cabale , principalement par les nombres. Les chymiftes, qui cherchoient la pierre philo- fophale , en firent pour couvrir leurs myftères fous des noms d'anges ou de diables , qu'ils donnèrent aux métaux, aufii-bien que les noms des planètes. Les médecins Paracellites fuivirent la pratique de ces chymiftes , Se deguifèrenc leurs opérations fous des figures aulîi bizarres. Enfin , les derniers de tous ont été des impof- tem'S , qui , pour gagner de l'argent , promet- i2â* Mémoires Mïdailles. toient à ceux qui achetoient leurs talifmans dû les rendre invulnérables, de les délivrer des dangers du feu , de l'eau & des autres accidens de la vie j de les rendre heureux dans leurs voyages & leurs entreprifes , de leur faire trouver des tréfors , Sec. Une diifertation fur toutes ces efpèces de talifmans ne peut être que ttès-cu- rieufe ; mais c'eft un grand ouvrage , qui de- mande beaucoup de lecture & de remarques. Je ne donnerai ici qu'un éclaircifiement fuccinct fur le monument qui nous occupe. Je dis premièrement que c'eft un talifman , fait par Jean Fernel , natif d'Amiens , Premier Médecin du Roi Henri II, &c qui reçut de grands bienfaits de la Reine Catherine. Cette Princefte étoit perfuadée que l'habile médecin , par fes remèdes 6c le régime de vie qu'il lui avoir fait garder, avoit beaucoup contribué à lever les empèchemens que caufoient à fi fécondité cer- taines humeurs , dont fon tempérament étoit chargé. Aulli autant de fois qu'elle devint mère , autant de fois elle fit de magnifiques préfens à Fernel. Il voulut bien palier pour auteur de ce talifman , puifqu'il mit fon nom au bas de l'ovale de la première face , où on lit diftinétemenr Frahiel qui étoit fon véritable nom, qu'il chan- gea en celui de Fernel. Ainli , Dubois d'Amiens prit le nom de Sylvius , Duchefne de Querce- d'une Sà'èWti célèbre. 127 s'. ■ •* . . . , tamis , Mareft de Paludanus. Il y a encore à Médahiîs. préfenc à Amiens des Frcfv.es , des Fraijnds Se des Fra'ifneaux. Mais on n'y parle d'aucun Fer- nel , au moins qui foit connu. Ce fuc en forme d'érrenne que Fernel pré- fenta cette Médaille à la Reine , parce qu'il fa- voir qu'elle aimoir ces images fymboliques, Se que dans la plupart des fêtes qu'elle donnoit à la Cour , elle fufoit diftribuer de ces fortes de Médailles. Comme il fe détermina à faire cette Médaille en forme de talifman, il voulut en obferver les manières , Se repréfenter la Reine fous les figures fymboliques d'Ifis , Reine d'Egypte , qui gouverna ces peuples avec tant de fageffe, qu'ils la mirent au rang de leurs divinités j 5c comme ils avoient des hiérogly- phes dilTérens pour les repréfenter fous les figures de divers animaux , ils donnoient à cette Déeife une tète d'épervier , pour exprimer la vi- vacité de fon efprit , fa droiture Se fon activité ; car il n'elt pas d'oifeau , qui ait la vue plus per- çante , le vol plus fort Se plus droit pour s'éle- ver vers le ciel. Outre ces propriétés naturelles de l'épervier , Fernel fit choix de cette figure , parce que c'étoit la devife particulière Se propre de la maifon de Médicis , qui por:oit en cimier de fes armoiries un épervier , tenant entre fes ferres un anneau i2§ Aid moires Mébaillïs. d'or avec un diamant au chaton , Se dans le vuide de l'anneau le mot femper , que l'on interprécoit ainiî : Spera veder un difua jortuna flabilita per fempre comme il diamento. Elle efpère voir un jour fa fortune établie pour toujours comme le diamant. Sur le derrière de la tète de l'épervier, on peut remarquer la figure d'un globe fur lequel s'étend une figure en forme de ferpent ; c'eft l'horofcope ou l'afcendant de Cofme de Mé- dicis , femblable à celui d'Augufte, c'eft-à-dire , le figne du capricorne , que Cofme prit depuis pour fa devife , avec ces mots , rapportés par Paul Jove : Fidemfati virtute fequemur. Du bec de l'épervier fort une tige de pavot en trois coques ou têtes, avec leurs chapiteaux en forme de diadèmes j c'eft un fymbole de la fé- condité de la Reine ; le pavot en a toujours été le fymbole , Se les anciens , qui donnoient à Cérès une couronne d'épics , pour marquer la fertilité , y mêloient fouvent des pavots, «Se lui en mettoient des tiges entre les mains : ces tètes de navot paroilïent fouteuir une maifon Se une bannière quarrée , plantée dans un camp , qui indiquoit que Catherine , par fes trois fils, étoit mater Augufta , 6* mater Caflrorum , ayant donné tant de foutiens à la Maifon Royale Se à l'Etat. Le dard, que la Reine tient dans fa main droite, eft un des fymboles d'Ifis , aufîi-bien q«»

étant dans le parti des Guifes , elle fauva la vie à fon père le Comte de Saint- Va- lier , condamné à perdre la tète pour avoir com- mis un crime de félonie , Se ce ne fut qu'en fe livrant à lapaffion de François lCf, qu'elle le tira de ce mauvais pas j c'eft ce qui eft exprimé par l's & l'y , mis fous un fer de charrue , fymbole de mort, à côté d'un balancier à quatre poids, fvmbole de la trahifon de Saint-Valier , dont le nom eft allez marqué par l's Se l'v. Au-delïus , le commencement de fa fortune Se fon établiflement à la Cour font marqués par une croix de St. Maurice , fymbole de Louife de Savoye , mère de François 1" , dont elle fut fille d'honneur. Ses intrigues font au(Fi délignées par un fantcir , Se les fix pois acoftes de deux croiftans , qui marquent la mère & la fille , les deux Dianes ; car Diane de Poitiers eut une fille de Henri II, qui fut Duchtffe d'Angou- lème , laquelle époufa en premières noces Ho- race Farnefe , Duc de Caftro , & après la mort de ce Duc , le Roi fon père lui rit épauler le 3 Mai 1557 François, Duc de Montmorenci , Pair Se Maréchal de France. Le chiffre de Vénus entre Arles Se Tawns , marqué au-dclfus de cette f -.ce, fi Mi'fïeque Diane a été la Vénus de deux Princes , I :.>rçois Ier Se Henri II , 6c les chiffres, places r.u-dellous de la d'une Société célèbre. 13^ figure, quîrepréfentent^riw j Taurus, Gemini } méda, font des fymboles de la durée de fa faveur fous François Ier , Henri II , & les deux frères Fran- çois II & Charles IX. Comme Fernel avoit fait des vœux, dans la première face de la Médaille, pour obeenir une fécondité légitime à la Reine , il nous dit au contraire , dans la féconde face , par ces mots Ebuleb Afmodel , qu'Afmodée , démon de l'impudicité , étoit l'auteur de la for- tune des deux Dianes. Les légendes font compofées de mots imagi- nés , peut-être , pour donner lieu à penfer , ou s'ils ont quelque lignification, il y a fujet de croire qu'elles regardent quelques perfonnes qui ne faifoient pas grand bruit dans le monde. La mort a empêché le P. Ménétrier d'achever cette explication. Un Savant a déjà objecté que le Père Ménétrier ne peut fixer le temps où ce ta- lifman a été fabriqué , fans être obligé de réfor- mer quelque chofe à fon explication. Quand le Duc cP Alençon a été élu Duc de Brabant , fa fœur ri étoit plus la Princeffe Marguerite , elle étoit déjà Reine de Navarre ; & la faveur de Diane de Poitiers , ajoute le même critique , finit avec la vie d'Heni II. On ne fait pas ce qu'au- toit répondu le Père Ménétrier j mais on croit que pour prévenir cette objeâion , il ri y a qu'à fup- fofer , avec beaucoup de vraifetnblance , que u î 34 Mémoires Médailles. Fernel , qui voidoït imiter les talifmans , a feint que fa Médaille avoit précédé les événement quelle indique. Il y aura donc deux époques de ce talifman. Il n'a paru que fur la fin du règne d'Henri III ; mais fon inventeur l'aura fuppofé ,, fait Jous le règne d'Henri II , & il aura défigné , d'une manière prophétique , les évènemens déjà arrivés. d'une Société célèbre. BELLES-LETTRES, POÉSIE, ÉLOQUENCE ■, GRAMMAIRE. ARTICLE PREMIER. C H ROJVOL ocie de t Iliade j difpofée par jours, avec quelques réflexions. IjA vengeance de l'outrage, fair à Ménélas , Beilks-Lw coûta aux Grecs dix années de guerre \ & Cal- s«EÏ &c.° * chas , ce fameux Augure qu'ils menèrent avec eux, leur pronoftiqua, dès le commencement de cette célèbre expédition (* ) , qu'ils ne fe ver- roient maîtres de Troye qu'au bout de ce terme. A la defcente ( **) , où ils perdirent beaucoup de monde , & entre autres Protélilas , ils trou- vèrent tout le pays en armes pour la défenfe de la Capitale. Pour s'en aflurer les approches, & en même temps pour fe donner des quartiers Se de la fubfîftance , ils attaquèrent 8c forcèrent dix villes dans la Troade j favoir , (***) Lyrneffe , (*) Iliade, chant i , vers 31p. (**) Métamorphofe d'Ovide , liv. ii. {*** ) Euflate fur l'Iliade, chap. a , v. 690, 1.4 1 5 S Mémoires Beliïs-Let- patrie de Briféïs, Pédafe , Thébes , patrie d'An- ^'^"dromaque, Zélée , Adraftée, Pitya , Percote , Avisbé , Abydos , Chryfe , patrie de Chryféïs , & Cilla. Ces conquêtes furent principalement attribuées à la valeur d'Achille ; ce qui eft d'au- tant plus remarquable , qu'auparavant il n'avoir point vu la guerre, étant demeuré caché fous les habits d'une fille, par l'ordre de fa mère, qui vouloit le dérober aux dangers des combats. Enfin , à la dixième année, les Grecs parvin- rent à former le fiége de Troye. Ainfi , leurs Princes , qui ne s'éroient point encore faits voir de près j étoient inconnus à Priam ( * ) , qui , du haut d'une tour , fe les fit montrer par Hé- lène. Cet endroit , un des plus beaux d'Homère , a été injuftement critiqué par Jules Scaliger (**). Le Tafle l'a heureufement imité ( *** ). Or , ce n'eft ni l'expédition entière , ni en particulier le fiége de Troye, qui font le fujec de l'Iliade : c'eft uniquement la colère d'Achille contre Agamemnon , & ce qu'elle caufi de maux aux Grecs. « Chantez , 6 Déelfe , dit Ho- >» mère apoftrophant fa mufe ; chantez la co- » 1ère d'Achille , fils de Pelée ; colère funefte, ( * ) Iliade , chant 3 , 7. 161. ( ** ) Art. Poët. liv. 5 , chap. i, ( *** ) Gieruf. liber, canto 3. d'une. Société célèbre. 137 » qui caufa tant de maux aux Grecs , & qui Beixïs-Let- » jetta dans les enfers tant de braves hommes, n ]**s '&^°E' Expofons, par chaque jour , tout ce qui eft con- tenu dans l'Iliade. Chryfés , Roi de Chryfe & Prêtre d'Apol- lon ( * ) , vient redemander fa fille , qui avoit été enlevée à la prife de cette ville , &c donnée à Agamemnon pour fa part du butin. Le refus qu'il reçoit irrite Apollon , qui ( ** ) > pen- dant neuf jours, fait pleuvoir fes traits fur le camp des Grecs , & y met la pefte. Le dixième jour, Achille fait affembler le confeil , & anime Calchas à parler , pour faire rendre Chryféïs, & appaifer Apollon. Là, Agamemnon & Achille fe brouillent j le pre- mier s'obftinant à ne point relâcher fa prifon- nière , qu'il n'ait en fa place Briféïs. Cepen- dant après de longues conteftations, où Agamem- non rend un glorieux témoignage à la valeur d'Achille, il eft réfolu que Chryféïs fera rendue à fon père. Mais Agamemnon envoie deux hé- rauts enlever Briféïs à Achille , qui s'abandonne à fon dépit ôc aux larmes. Thétis , fa mère , le vient confoler dans fon affliction , & lui pro- met de porter fes plaintes à Jupiter : mais il (* ) Iliade, chant i , v. 13. ( **) Iliade, chant 1 , v. 53 & 54, 1 3 S Mémoires Bhiles-Let- fallait attendre , parce que , (*) la veille , ce Roi sie, &c. des Dieux étoit parti de l'Olympe avec toute fa Coin , pour une partie de divertiflement de douze jours au-delà de l'Océan , chez les bons & irréprochables Ethiopiens. Ce fut donc le vingt-unième jour depuis l'ar- rivée de Chryfés au camp , que Thécis (** ) alla de grand matin au Ciel demander audience à Jupiter. Le moyen qu'il prit de. la fatisfaire , ce fut d'engager les Grecs à attaquer les Troyens , afin qu'ils fentilTent ce qui leur arriveroit d'avoir mécontenté Achille , & de ne l'avoir point à leur tète. La nuit donc venue , il or- donne en fon^e à Açramemnon de combattre. Celui-ci, trompé par l'efpérance d'une vi&oire , 6c même de la prife de Troye , dont le fier Achille n'auroit pas l'honneur , dès le lende- main vinert deuxième au matin aflemble le con- feil, où, après avoir feint de vouloir lever le fiége Se fe retirer dans la Grèce, il expofe fou fonge , &, fécondé d'Ulyffe 6\: de Neftor , fait ré- foudre au combat. Il fut donné le vingt-ttoificme jour . fécoind en événement, & qui s'étend de- puis le corn mencement du fécond Chant de l'Iliade jufqu'au milieu du huitième. Les armées (*) V.4X3. <**) V. 4 il accorde onze jours de trêve pour rendre les derniers honneurs à Hector. De forte que l'Iliade comprend l'efpace de quarante-neuf jours , dont il n'y en a que quatre de combat , le vingt - troihème , le vingt - qua- trième , le vingt-cinquième & le vingt - fixième. Aufll-tôt qu'Achille fe préfente pour combattre , Homère ne dit plus rien des autres héros Grecs. Il femble que tout ce qui s'eft pailé, depuis la mort d'Hector , elt épifodique , 6c au - delà du fujet Se du deffein que le Poète s'étoit pro- pofe y car on n'y voit aucun rapport à la colère d'Achille contre Agamemnon j les Grecs ne fourTrent point de fa fureur centre Hector. On ne fait pas que quelque autre ait fait une fem- (*) V.413. <** ) V. 664 & 6651, Mémoires Bhles-Lît- blable attention à la durée de l'Iliade , & à la ™* '^°É~ diftinclion des jours , finon le P. le Botfu, dans un excellent Traité du Poème Epique ( * ) , qu'on n'avoit pas vu , quand on a fait cette fup- putation , qu'il abrège de deux jours , omettant le vingt-unième , 8c femblant n'en faire qu'un du vingt-feptième & du vingt-huitième. Ovide fait parler durement Ulifle à Ajax (**). Decimo demum Pugnavlmus anno. Quid facis intereà , qui nil nifi corpore p rode s ? a Ce ne fut enfin qu'à la dixième année que s> nous commençâmes à combattre : que fites-vous 3j auparavant , vous qui n'avez que des bras ? » Uliiïe auroit pu dire que les fervices d'Ajax fe réduifoient à trois jours. Car le quatrième jour de combat, Achille fit toute labefogne \ 8c on ne voit plus Ajax exercer la force de fes bras que dans les jeux funéraires en l'honneur de Patrocle, à lutter contre UlilTe , à pouffer la lance contre Diomède , & à jetter le difque : on le voit auflî exercer la légèreté de fes pieds à la courfe , en quoi il cédoit au feul Achille. On ajoutera , qu'Euftathe , le favant Com- ( * ) h. j , chap. il ( ** ) Métamorph. liv. 13. m entât eut 'd'une Société célèbre. 14^ mentateur d'Homère (*), femble fe contredire; Esllïs-Let- car demandant pourquoi il n'y eût de combats s,*ESÇc° qu'à la dixième année ? il répond , que la crainre d'Achille, avant qu'il fût brouillé avec Agam- memnon , tint les Troyens renfermés dans leur Ville , fans ofer faire de forties. Il dit néan- moins , que tandis qu'une partie des Grecs étoit demeurée à bloquer Troye , une autre partie , fous la conduite d'Achille , étoit allée ravager les villes de la Troade. Les Troyens auroienc donc pu profiter de l'abfence de ce redoutable ennemi pour faire quelque entreprife. ARTICLE II. Chronologie de VOiyffée , difpofée par, jours. A près avoir donné la Chronologie de l'Iliade , il femble que ce foit un engagement à donner aum* celle de l'OdylTée. En l'exami- nant , on a trouvé qu'Homère , dans ce der- nier Poè'me , n'a pas gardé , comme dans le premier , la fuite des temps & des évènemens , (*) Sur les premiers vers de l'Iliade , & fur le vers 366. Tome IL K i<.6 Mémoires Efllis-Lït- Se que même il s'ett contredit, comme on va T«.s, Poé- j faire Voir. su, &c. Neptune , implacable dans fa colère contre UliflTe , ne fe lailïbit point toucher par les grands travaux & le long exil de ce héros , auquel il ne pouvoir pardonner le renverfement des murs de Troie , Se d'avoir aveuglé Polyphème. Au con- traire, Minerve, attentive à chercher les moyens de procurer du repos à Ulyile , Se (on retour à Ithaque ( * ) , prit occafion d'en parler à Jupi- ter dans le confeil des Dieux, pendant une ab- fence de Neptune , qui étoit allé recevoir les facririces des Ethiopiens. La piété d'Ulyfle lui mérita la faveur des Dieux; &,de l'avis de toute l'alFemblée , Jupiter donna ordre à Mercure «d'aller déclarer à la Nymphe Calypfo , qu'elle •cefsât de retenir Uly'fe. En même temps Mi- nerve descendit du Ciel , fe rendit à Ithaque , & fous la figure de Mentés, Roi des Taphierjs , releva le courage de Télémaque contre cette ifl- folente jeunelîe qui recherchoit Pénélope fa mère , Se pilloit fa maifon. Elle lui confeilla aufli d'aller chez divers Princes de la Grèce ap- prendre , s'il pouvoir, des nouvelles de fou père. Tel eft le commencement Se le premier jour de l'Odyilée. ( * ) Od) fiée , chant premier. (Tune Société célèhre. \qrf Le lendemain ( * ) , Télémaque, dans une Beixes-I* affemblée générale des habitans d'Ithaque, dé- JJis'jL^° clare avec fermeté aux amans de fa mère , qu'ils aient à fe retirer de chez lui • ôc il déclare auflï la réfolution qu'il a prife de faire un voyage pour s'informer des nouvelles de fon père. La nuit venue , il s'embarqua avec Minerve , ca- chée fous la forme du fage Mentor , ancien ami ôc confident d'Ulylle. Le troifiôme jour , au lever du Soleil , Télé- maque arrive à Pylos , où il paife le refte du jour chez Neftor, qui lui raconte les trilles avan- tures d'Agamemnon , & une partie de celles de MénélaSj fans avoir rien à lui dire de celles d'Ulyife. 11 lui confeille feulement d'aller trou- ver Ménélas ( ** ) , qui en peut favoir quelque chofe , n'étant de retour chez lui que depuis peu, Se revenu le dernier des Princes Grecs, qui avoient eu part à l'expédition de Troie. Neftor , le quatrième jour , régale l'équipage de Télémaque , lui donne un chariot pour le porter à Lacédémone, Ôc le fait accompagner par fon fils Pilîftrate. Mentor ne fut poinc de ce voyage. Télémaque & Pififtrate couchèrent à (*) Chant fcï ( ** } Chant 3 , Yers i , 3 17 , 476 & 488. Mémoires E£ttss-LET- Phéres chez Dioclés ; & le jour fuivant ( * ) , S iIs y trouvèrent Mériélas & Hélène en fêtes, pour les noces d'Hermione leur fille avec Pyrrhus , fils d'Achille. SïTélémaque eut la fatisfaction d'en- tendre bien louer fon père par Mériélas , & de fe voir reconnu pour le hls d'un tel héros à la reflemblance qu'il avoit avec lui , & qui fut re- marquée par Hélène ; il eur aufïî la douleur de n'apprendre rien aurre chofe , finon que Protée , confulté par Ménélas en Egypte , avoit die qu'Ulyfle étoit retenu par Calypfo malgré lui. Télémaque s'exeufa de recevoir trois chevaux avec un chariot, dont Ménélas vouloir lui faire préfent , parce que , dit -il ( ** ) , Ithaque n'avoit ni plaines pour les exercer , ni pâturages pour les nourrir , ôc que les chèvres avoient de Ja peine à y trouver de quoi brouter. Mais il ne reruia pas une ta (Te d'argent dont le bord étoit doré. Cependant ( *** ) à Ithaque , Pénélope £afitigeoit du départ de fon fils dont elle n'avoit tien lu ; «Se les amans de Pénélope en muimu- roient jufqu'i prendre entre eux de criminels deffèins concre la vie de Télémaque, n'appréhen- t*~) Chant 4, v. i , lotf, 140 & 555» ( ** ) Chant 4 , v. 605 , 663 & 706. ( *** ) Chant 4. , Y. 605 , 66 j & 706. J s-Let« Un ruban qui auroit la vertu de le foutenir fur «J,"^; les eaux. Enfin. le troilième jour après la perte de fon vailfeau , le vingtième depuis fon embarquement , & le vingt-cinquième depuis l'ordre de Jupiter, il arriva à Schéria , bien fa- tigué de nager , & après avoir évité d'êtte brifé contre les rochers du rivage. Le lendemain , il implora Fafliftanée de Nauficaa , fille d'Alci- noiis } Roi des Phéaques, qui, lui ayant donné de quoi fe couvrir , lui dit de la fuivre au Palais de fon père, où il feroit bien reçu. Alcinoiis , le vingt-feptième jour au matin , convoque une affemblée des Phéaques , 6c y mène Ulyde. Après avoir expofé en peu de mots les defirs ardens de cet étranger de revoir au plutôt fa patrie , il conclut à lui donner un vaif- feau , & cinquante-deux bons rameurs. Enfuite, il invite les principaux de fa cour à venir paflèr la journée chez lui. Se à entrer dans les divertilfe- mens qu'il préparoir à fon hôte. Les plailus étoient l'occupation de la Nation ; & Alcinoiis, qui en propofoit , fut écouté volontiers. En effet, . le refte du jour fe pafïa en feftins , en combats , où UlyfTe montra fon adreffe &c fa force ; en danfes , Se Démocus , accompagnant fa divine ( * ) Chant y , vers 350 , & çhant 6 , v. 170 , chant 8» Mémoires riLK-LET- voix de nous rendre compatilfans Se. fecourables , elle ne produiroit en nous qu'une fermeté fatouche , qu'une infenfibilité d'autant plus difficile à guérir, qu'elle prendroit en quel- que forte la fource dans l'équité , dans la vertu même. Mais, dira-t-on, le Héros de l'action ne pour- 't66 Mémoires ftuu&tt- roit-il point être tout:à-fait innocent & vertueux ? sieSS&c.°É" Cette objection regarde le fonds même des loix d'Ariftote , & non pas la jufteflë de leur liaifon avec le but que ce Philofophe afligne à la Tra- gédie. En nous renfermant donc dans les bornes que nous nous fommes d'abord prefcrites , nous pourrions nous difpenfer de répondre à cette quef- tion. Eflâyons cependant de la réfoudre par les mêmes principes, qui nous ont guidés jufques-ici dans l'analyfe que nous avons tracée des vues fublimes & fyftématiques d'Ariftote fur l'établif- ment des règles qu'il a dreflees pour l'action Tragique. L'Epopée femble faite pour animer les cœurs à la vertu par la vue des récompenfes dont elle nous la repréfente couronnée. Dès-lors le Héros du Poème Epique doit être un Héros vertueux , au moins dans le fyftème du Poe me , c'eft-à- dire , que l'action héroïque , qui fert de fujet à l'Epopée , doit être jufte , & louable dans l'ordre des mœurs , comme l'a folidement prouvé l'Au- teur des Differtations critiques, en forme de let- tres , fur le Paradis Perdu de Milton. La Tragédie , au contraire, fe propofe un but différent j c'eft la deftruction des vices , la ré- forme des parlons par la confédération des maux où elles précipitent les mortels , qui en fuivenc les aveugles tranfports. Dans ce fyftême, fin- d'une Société célèbre, 1 67 térètdes mœurs exige que le Héros tragique foie Bklifs-I ft- malheureux , & par une luice neceliaire , quil SI£j ^ foie au moins un peu coupable •, car des difgraces qui feroient le fruit d'une vertu pure & fans mélange defoiblefle, ne ferviroient point de re- mède à nos vices , ou de frein à nos paillons. Elles feroient môme plus qu'inutiles dans l'ordre moral y elles y deviendraient pernicieufes. Le foible penchant que nous avons pour la vertu , au milieu des partions & des intérêts divers qui l'attaquent de tous côtés , a befoin, pour fe con- ferver, d'être foutenupar des fecours étrangers. C'ert: afin de lui en fournir d'efficaces , que dans tous les fyftêmes de morale , on a toujours re- préfenté le bonheur de l'homme comme une fuite de fon attachement à fes devoirs. Une vertu dépouillée de ce privilège , une vertu tou- jours malheureufe , toujours perfécutée , & qui fuccombe fous le poids des infortuues qui l'acca- blent, devient un Spectacle propre à éteindre le peu de goûr^ que des objets plus féduifans au- roient encore pu nous laiifer pour elle. Un pa- reil Spectacle détermine un cœur , déjà trop pré- paré par fes penchans , à fuivre l'attrait qu'il a pour le vice impuni & triomphant; ou fi l'action tragique confond dans une même cataflrophe l'innocent & le coupable , & que les rigueurs d'un fore trop aveugle s'exercent avec une du- L 4 > i6"& Mémoires Eellss-Lît- reté égale fur l'un & l'autre , on fe fent plus TRES , Po^ ' i l / l/J 5iE, &c. excite a le dédommager d'avance de l'injufte févérité du deftin , en fe livrant à la douceur du penchant qui nous entraîne vers le vice , qu'à fe donner pour le combattre des foins in- fructueux. Un héros tragique ne fauroit donc être un Héros parfaitement vertueux , fans con- fondre les objets oppofes de l'Epopée & de la Tragédie, fans renverfer le plan que le bon fens avoir dicté aux anciens pour rendre l'Epopée & la tragédie , chacune par des refforts divers , utiles aux bonnes mœurs , & fans faire fervir Je Théâtre , non à purger , mais à irriter les pallions. Voilà le fyftème philofophique qui a fervi de bafe à la règle d'Ariftote fur l'ufage de la Ter- reur 8c de la Pitié Théâtrale pour la Purgation des pajjions. C'eft du moins le feul , on ofe le dite , qui puilfe fatisfaire un efpiit jufte 6c conféquent fur la fagelfe des motifs de cette loi. Les principes que nous venons d'établir , ont , avec les règles d'Ariftote , une Itaîfon trop uni- que cv' rrop néceffaire pour avoir échappé à un génie , qui en a h bien fiifi la jufte conféquence. Il puifoit fes préceptes dans la nature môme des fujets pour lefquels il drefToir des Loix. C'eft à lu même fource , Se non dans des textes ou des autorités arbitraires , que nous avons cru devoir d'une Société célèbre. 169 chercher l'explication , la preuve de fes maximes , Bïlus-Let- & de l'enchaînement néceflaire qui les lie leSj"*^0 ' unes [aux autres. Le moyen , qu'en fuivant fa méthode, nous nous foyons éloignés de fa penfée! y ■ m ■» ■ ■■ ■ ; ■ — ARTICLE IV. RÉFLEXION fur les règles du Poëmc Dramatique, N e pourroit-on point diftinguer deux efpèces de loix parmi celles qui règlent le Poème Dra- matique ? Les unes prifes du fond même de fa nature j les autres nées du goût Se de l'ufage des grands Poètes, qui ont travaillé avec le plus d» fuccès pour le Théâtre, du caractère des nations, ou de la fituation des peuples pour qui ils tra- vailloient , des temps 8c des circonftances où ils travailloient , des vues particulières qui les dirigeoient dans leur travail. Les premières exigent que Faction Théâtrale porte fur un fait hiftorique , qu'elle foit grande Se illuftre , qu'elle foit tragique , propre à infpirer une vive terreur , Se une tendre compaflîon ; qu'elle foit une , bien liée dans toutes fes parties ; qu'une exacte vraifemblance en règle les incidens & les carac- tères y que fon dénouement vienne naturelle- 170 Mémoires Billes-Let- ment de fon propre fonds ; qu'elle fe patte toute sus" 8cc° entière dans un même lieu } que le temps de fa durée foit à-peu-près réglé fur celui de la repré- fentarion ; que non-feulement les bonnes mœurs y foient ménagées , mais qu'elle aie même pour but de les entretenir ou de les introduire. Indé- pendamment de l'autorité d'Ariftote Se de M. Dacier , euflent - ils même penfé le contraire , n'eft-on poinr en droit d'affurer que chez toutes les Nations polies de l'univers , chez toutes celles qui dans les productions de l'efprit confultent le bon fens , Se refpeclent les règles j ces loix fe- ront auffi immortelles que la Tragédie ? Elles fouffriront des atteintes dans l'exécution , Se combien n'en fourTrent-elles pas de nos jours ; mais ces atteintes feront toujours des fautes. En dérogeant aux règles , on ne preferira pas plus contre leur légitimité Se leur juftefle, que l'ir- régularité de nos mœurs ne preferit contre la nature des loix , que la faine raifon établit pour les diriger. Les beautés mêmes qui naîtroierre de ces écarts feront des beautés poftiches , qu'on bous permette ce mot , Se il y aura entre elles , & les beautés fondées fur les règles , la même différence qui fe trouve entre un vifage que les grâces vives Se naturelles embellirent , Une"- C'eft 1>ame la PlllS cruelle » la plus noire , la plus perfide , la plus bar- bare qui fut jamais. Trouvera-t-il un Specta- teur , quelque emporté qu'il foit par les mêmes pallions , qui s'en croie coupable jufqu'au point où fa Pièce fait atteindre dans ces deux perfon- nages ? Qu'il parcoure toute la terre , qu'il fa (Te l'élite de tous les fcélérats qu'il trouvera dans Je monde entier, qu'il en remplifle les loges Scie parterre j qu'il faffe repréfcnter devant eux fa Tragédie : ie le défie de m'en trouver à la fin un feul qui ne fe trouve blanc comme neige , & qui ne croie être un vrai modèle de bonne -foi & de clémence , en comparaifon de ces deux perfonnages. C'eft donc pécher dans le principe. Il faut me donner un coupable dans lequel je puiffe me retrouver, moi Spectateur. Il faut qu'il foit fi peu coupable , que , malgré l'inclination que j'ai à diminuer toutes mes fautes , je ne puifle ne pas avouer que je le fuis pour le moins autant que lui , & par conféquent que je mérite mffi- bien que lui les châtimens que fon crime lui attire, & dont je fuis témoin. Il faut qu'il ait toutes les raifons du monde d'efpérer ! impu- nité ou l'indulgence , & que cepenu . il foit puni. (Tune Société célèbre: 179 Voilà pourquoi, félon le précepte d'Ariftote, Çbum-L». on doit choifir un Héros qui ne foie point propre- &c^°* ment criminel , qui ne foit point vicieux, mais malheureux ; qui foit tombé dans la faute qui lui attire fes malheurs , non par malice , mais par erreur , & par quelqu'une de ces foiblelfes dont les plus grands perfonnages font capa- bles ( * ). C'eft-là ce que les Anciens, ces grands Maîtres de l'Art , pratiquoient de la manière la plus parfaite. S'agit - il de corriger la Grèce des in- ceftes , des impudicités énormes qui l'inon- doient ? Ils produifent fur la Scène un (Edipe. Qui jamais fut plus févèrement puni pour des crimes plus pardonnables ? Qui jamais en ce genre fut moins coupable ? Qui peut l'être moins ? Un autre déréglément , qui eft elfentiel de cor- riger dans un peuple, eft celui des enfans qui mal- traitent leurs parens , & qui pour jouir de leurs- biens , ou pour quelque autre raifon , at- tentent à la vie de ceux dont ils l'ont reçue. Qui prend- on pour les corriger ? Orefte & Aie- mxoti ; Orefte , fils malheureux d'une mère (*) Mh'tj cTia xaxi'av , xa< jUvxTîtpi'av fXiraÇ,à.Ww ht i^t JvfvX'a-» > aAAa efi «wapr/*» TIMI T»? s'y fj.ij aAt) tf c'Çjî s'yrwif, Arift, Poït. ch. 13. Mi V&d Mémoires Eîilïs-Let- adultère , meurtrière du Roi fou mari , ufurpa- mMfcr °*" trice ^ ravit * ^on époux 'a v^e ' a *"on les Etats de fou père, & qui les fait palier à l'adul- . tère auquel elle s'eft abandonnée j AIcmxon , qui ne fut coupable que par ordre de fon père , & pour le venger du crime d'Eriphyle , qui, en le trahiffant , avoit été caufe de fa mort ; Orefte & Alcm^on, l'un & l'autre Matricides, ileft vrai; mais Matricides en quelque forte par devoir , 6c t comme Ovide le dit du dernier : Ultufque parente parentem, Facîo plus & fccUratus eodem. Cependant pour ce crime, quelque indul- gence qu'il femble mériter , l'un & l'autre font livrés dès cette vie par les Dieux aux furies d'en- fer , qui fans cefTe les rourmentent. Thyefte étoit tombé dans une foiblefle , dont il n'y avoit que trop d'exemples ; Se Thyefte avoit toutes les raifons imaginables de fe per- fuader que fon crime étoit oublié ou pardonné. Il fe trompe ; le temps n'en effacera point le relTentiment & la mémoire. Ni la qualité de frère , ni celle d'oncle , ni la voix de la nature , jù l'horreur d'un crime inoui , n'en rallentiront point la vengeance. La bonne foi, la confiance avec laquelle il vient fe jetter lui-même entre les mains de fon ennemi , ni les fourmilions

liv. 1. d'une Société célèbre: i$\ eaufe produire le même effet ; la faveur dont Belli-s-Let- l'honora Mécénas réveilla la jaloufie , qui fe jetta su^ &C.°E de nouveau fur les reproches de naiffance & de condition : Horace crut devoir juftifier le choix de jMéçénas j c'eft ce qu'il fait dans la Satyre dont il s'agit ici. Je ne fais , Monfieur ,r fi l'amour de cette idée nouvelle qui m'eit venue , me trompe & me féduit ; mais elle me paroît naturelle , & me fait voir clair dans toute cette Satyre ; & fuppofant qu'Horace en écrivant a eu cette idée, je conçois pourquoi il a dit tout ce que je lij dans fon ouvrage. Pour en faire ici la preuve, il faudroit tranferire tous les vers qu'il contient ; des remarques naîtroient fous la main ; je ne réfifterois pas à la tentation de les écrire ; au- tant de temps perdu pour vous , Monfieur , qui voudriez lire tout cet écrit , qui ne fera que trop long fans cela. Je reviens : ma conjecture eft naturelle , fim- ple , appuyée fur ce que dit l'ancien Sclio- liafte , & fur ce que témoigne Horace lui- même ( * ) j elle répand un grand jour fur toute la Satyre , qui , par ce moyen , fe trouve réduite à l'unité régulière que l'on trouve dans toutes les compofitions correctes , ce qui fait tant de (*)Sat.7> 1. i. ïpi Mémoires Sîlles-Let- plaifir aux efprits juftes ; au lieu que le fentï- TRES , POÉ- T • J C 1' J- sie, &c ment commun raie de cette Satyre, que 1 on dit être une des plus belles , un compofé de pièces rapportées fans deflein , & un tout informe , dont le commencement & la fin n'ont aucune liaifon avec le refte j ut nec pes nec caput uni reddatur formœ (*). Si bien que Scaliger , le père , prévenu du fermaient qu'ont fuivi juf- qu'à préfent tous les interprètes , porte de cette Satyre un jugement bien différent de celui qu'en porte M. Dacier. Vous favez , Monfieur , de quelle manière Son Altejfe de Vérone , pour par- ler Balzac , traite le Poète favori d' Augufte. Que Von compare , dit-il ( ** ) , les endroits où les mêmes fujets font traités , on ne trouvera pas que Juvénal le cède jamais à Horace; & on conviendra que Jouvent il remporte fur lui. Par exemple , la huitième Satyre de Juvénal efl Beaucoup meilleure que la fixième £ Horace ; car il ne dit que très-peu de chofe de la vertu en Vop- p&fant à la nobleffe , félon l'idée qu'a de celle- ci le vulgaire : il s'étend beaucoup fur ce qui le regarde ; & on le voit fans honte louer la vie fai- néante des perfonnes qui vivent éloignées des ( *) Ars Poèt. v. 8. ( ** ) Poët. 1. 6 , c. 7- affaires d'une Société célèbre. i p 3 affaires & des emplois : fentiment fort convenable Beues-L à la bafjeffe de fa naiffance. ^ ^cP< Scaliger eft là bien lui-même , fur-tout dans ces dernières ligues : Muha de Je ipfo , ubi non eum pudet ignavam commendare vitam , nullif- que civilibus officiis luculentam 3 ut nataiuia fua libertina verè prodat. Voilà vraiment l'Hypercri- tique \ mais enfin } mettant à part ces manières mfultantes, & fuppofant qu'Horace a voulu trai- ter de la noblefie , il me femble que Scaliger n'a pas tout-à-fait tort de donner la Satyre d'Horace pour une pièce très-médiocre , Se même mau- vaife. N'eft-ce pas un grand défaut , que de par- ler fans favoir ce que l'on doit dire ? En quoi Scaliger n'a pas raifon , c'eft de fuppofer qu'Ho- race a voulu traiter un fujet dont il ne dit rien. Au lieu donc de pofer en fait que le Poète a voulu montrer que la vraie noblelfe eft fondée fur la vertu , puifque le Critique reconnoît qu'iî n'y a dans tout l'ouvrage que peu de chofes qui fe rapportent-là : perpauxilla de vlrtute , cum quâ comparet vulgarem nobilitatem : il dévoie avoir l'équité de juger qu'Horace , parlant beau- coup de lui-même , & de ce qui le regardoit , mulca de fe ipfo , c'étoit en effet de lui - même qu'il vouloir parler : ce que ma conjecture ex- plique affez naturellement, fans laiffer aucun lieu à certe cenfure. Tome IL N 9 M i p4 Mémoires Bellîs-lkt- Il fe préfente ici une difficulté , que je ne dois très, Pot- diflïmuler : il eft vrai qu'elle eft commune à toutes les nouvelles découvertes ; mais je fens qu'elle tombe fur moi plus particulièrement. Si la penfée que je propofe étoit aulTi vraie , qu'elle eft fimple & naturelle, comment auroit - elle échappé aux lumières Ôc aux réflexions de tant d'habiles gens qui ont tant écrit fur Horace ? Le fameux Gronovius , fi habile lui-même , ôc d'un goût fi fin dans l'intelligence des Auteurs, at- tribue la caufe de ces découvertes au hafard ( * ). JSlefcio quomodo in his etiam Jludiis tfortuna qiuv- dam dominatur , & furnmis interdùm virïs ard.ua facït , quœ longé minoribu's obfequentia & fàciîtd comparât. Une autre raifon , c'eft que Ptfprîc de ces grands Critiques , ou aveuglé par trop de lumières , ou dédaignant de s'abaiifer , ne voie pas ce qui eft , pour ainfi dire , à leurs pieds (**). Tranfvolat in medio pofita, & fug'untia captât. J'en donnerai deux ou trois exemples , qui me fourniront Poccafion de dire quelque chofe de nouveau , & de propofer quelques con- jectures. ( * ) Joan. Frid. Gronov. obferv. 1. 4 , c. 24. ( * ) Horat. d'une Société célèbre. ipj' Paffagt SOviDE. SS^K SIE, &C. Scàlîger , qui a traité Horace avec tant de hauteur , paroît quelquefois ne pas entendre les chofes les plus aifées. En voici une preuve. Ce vers d'Ovide ( * ) Eâidit hos nobis ors priore fonos. Eft-il obfcur à qui fait qu'il s'agit de Janus , qui eft décrit apparoifTant au Poète, tel qu'on le repréfentoit d'ordinaire ( ** ) : Tum facer ancipiti mira.nd.us imagine Janus , Bina repens oculis obtulic ora meis. Cette circonftance , bina ora , fait fentir la nécefïité de cette expreflion , ore priore , c'eft- à-dire , comme l'explique Paul Marfus : Ore anteriore } & non eo quod erat à tergo j ut faci- lihs Poeta audiret. Scaliger ne veut pas entrer dans la penfée d'Ovide ( *** ) : il veut lui ap- prendre à parler -y au lieu d'ore , il falloit mettre voce. Et par quelle raifon ? C'eft , dit-il , que la voix eft une efpèce de fon : V ox enim font fpecies e/1. S'entendoit-il mieux qu'il n'entendoic Ovide? ( * ) Faftor , 1. i , v. 100. ( ** ) Faftor. 515. r **# ) J. C. Scalig. Poct. 1.6, c 7. N 1 '\$6 Mémoires Dans le Cupidon crucifié d' Aufone , an trouve un endroit qui a bien fait fuer les Interprè- tes ( * ) : ça été, pour me fervir de l'expreiîion de Virgile , une croix qui leur a caufé plus de tourment que n'en fouffrit le Cupidon d' Au- fone , fur celle où l'attachèrent les bonnes Da- mes Ju temps paffé. Le Poe'te les repréfente por- tant chacune des fymboles qui marquent le genre de leur mort (**) : Sua quceque , ut quon- dam occiderant , lethi argumenta gerebant. Sé- melé paroît environnée d'une flamme de ton- nerre. Le Poe'te la décrit en ces trois vers, que je cite félon les anciennes éditions. Fulmineos Semcle decepta pucrpera part us , Dcflet ù ambuflas Latcra perinania cunas (.***)> Ventilât ignavum femulati fulminis ignem. C'eft dans le vers du milieu qu'en: la diffi- culté (****). Les mots : ambuftas latera per ma- nia cunas , ne forment aucun fens, comme les In- terprètes s'en font bien apperçus ; ils ont néan- ( *)Serv. in 3. Eclog. v. 99- (**)Aufon.ldyll. 6. v. 4. (***)yers 16. Biblioch. cjboif. tom. 14. a. j. (Vune Société célébré. 197 moins tâché vainement de les raccommoder. Je Belles-Let- mettrai ici leurs penlees : après avoir pris la SIE t &c. peine de les chercher dans leurs livres , je ne dois pas plaindre celle de tranfcrire ce qui peut contribuer à l'intelligence de ce dont il s'agit. i°. Vinet fe contente de dire que latera pour- ioit bien avoir été mis à la place de quel-qu'autre mot, 8c paflfe fou chemin, fans fe détourner pour chercher ce mot déplacé. 20. Un autre interprète, pour remplir la me* fure du vers , ajoute hcec après latera , fans fe foucier autrement du fens. Cette addition pa- roît dans les leçons Aufoniènes. 30. Scaliger fait plus ( * ) , & change latera, en lacerans. Ce changement n'eft que de conjec- ture :on le voit par la manière dont l'Auteur s'ex- plique yputo legendum', mais il eft heureux. Cunas paroît-là changé en flammas ; mais c'eft une faute que l'on doit corriger par le texte, où on lit : Ambuflas lacerans per mania cunas. Com- ment entendroit-on ambuflas flammas ? Com- ment doit-on même entendre ambuflas lacerans... cunas ? Sémelé met en pièces un berceau , ou , û l'on veut , des langes demi-brûlés : quels langes , quel berceau ? Lorfque Jupiter lui rendit la vifite fatale , elle ne devoit avoir préparé , ni berceau, ( * ) Jof. Scalig. Left, Auf 1. i , c. 1 8. N3 ïp§ Mémoires Belles-Let- ni langes (*). Mais enfin, à la faveur de ce chan- TRES Po É" sie,&c. gement , Scaliger crue le vers fuffifammenc éclairci. 4°. Barchius n'en jugea pas ainfi ( ** ). II ne reçut point le lacerans -y mais il changea Lacera en laterum , avertilTant que par cunas il faut entendre le corps même de l'infortunée Sémelé : inanïa laterum \ c'eft. fon flanc ouvert par le foudre. Avec cela , un Grammairien fans goût peut s'imaginer entendre les deux premiers vers ; mais je l'attends au troifième , qui , n'ayant point de conjonction , fait partie du fens com- mencé dans le fécond. La phrafe , félon Bar- thius , doit êtreconftruite de cette forte . Ambuflas laterum perînania cunas , Ventilât ignavum fimulati fulminis ignèm. Cette conftru&ion eft-elle Latine ? Je ne le penfe pas. Voilà , Monlîeur , bien de la mi- nutie : ce n'efl: pas tout. 5°. Le redoutable Saumaife paroît fur les rangs ; il ne s'agit plus de lacerans , ni de fate~ rum : lire ainfi, c'eft n'y entendre rien ; c"eft mettre en pièces le vers d'Aufone , & non pas l'expliquer : il faut croire que le Poète a écrit : ! ' 1 ~ « ( * ) Ovid. 1 3. Met. v. 510. (**) Adyerf.l. ii, c. 7. d'une Société célèbre. io9 . > . ■ _ . . . Eîllhs-Let* Am.hu.jtas late per inania cunas , TRES > Po^ Ventilât ignavo jîmulati fulminis igne, SI* > &c. Voilà deux vers changés. Les grands Critiques ne s'embar raflent pas de fi peu de chofe 5 mais pourquoi donner à Sémelé un berceau , des lan- ges ? On veut que nous entendions , Se l'on omet une partie des difficultés. 6°. Boxhormius adopte la reftitution de M. 4e Saumaife , à la réferve de latè : il y fubftitue iteriim. 70. Tollius , qui a donné l'édition d'Aufone variorum , revient à Barthius : il change feule- ment cunas ambujîas , eu ablatif abfolu, Se par- là évite le défaut de conftruction : il joint tâte- rurn à cunis , Se entend par ces mots le corps de Sémelé : per inania , il l'explique comme Sca- ligec , per auras > per aerenz. 8°. On en étoit-là , e'eft-à-dire , guères plus favant , mais plus incertain , lorfque l'année der- nière , 1712, parut à la Haye une nouvelle édi- tion de la fixième idylle d'Aufone. M. le Clerc en rend compte dans le vingt-quatrième Tome de fa Bibliothèque Choifie : j'en parle fur le rap- port de ce Critique ; je n'ai pas vu le Livre même. Un Anonyme , dont M. le Clerc ap- prouve Se appuie le fentiment , peu fatisfait de tout ce que je viens de rapporter , a donné une N4 2oo Mémoires Seiles-Let- nouvelle leçon , que l'on a inférée dans le texte. TRES , Poe- r • • , , , s», ôcc. Le voici y tel qu'on l'a dans cette édition : Fulmineos Semdt deccpta puerpera partus , Dcfiet , & ambujîi laieris per inania currcns , Ventilât ignavum JîmuLiti fulminis ignem. Le fécond vers eft tout autre j mais le fens en eft plus clair. Sans prétendre me mefurer avec ces grands hommes, j'ofe hafarder une nouvelle conjecture fimple , mais vraifemblable. Si vous la goûtez , Monfieur , je la croirai vraie. Adoptant le lace- rans de Scaliger , je change cunas en crines , Se je lis aîiïii : Fulmineos Semele decepta puerpera partus , Défie t , & ambufiot lacerans per inania crines y V entilat ignavum fimulati fulguris ignem. Le fens fe préfente de lui-même. La mère de Bacchus paroîts'arrachant les cheveux : auiïl eft- elle dans la douleur, dèftèt. Et de plus, ta flamme du tonnerre qui la fit mourir ( Uthi argumenta) y eft attachée , ambuflos crines • raifon naturelle d'y porter les mains. Les mouvemens qu'elle fe donne pour éteindre ce feu femblent l'animer , ventilât y fans que rien en foi: confumé , igna- vum ignem , aufli eft-ce un feu & un tonnerre en peinture , fimulati fulguris. \ d'une Société célèbre. 201 Ce tte facilité de donner un fens naturel à cet Belles-Lit^ endroit difficultuenx, fuffiroit pour faire recevoir mV'Wc " ma conje&ure. Voici de quoi l'appuyer : Sémelé étoit repréfentée avec des cheveux fort longs. Pingebatur , dit Noël le Comte (*), Semele ab antiquis Longiorïbus crïnïbus , & fupra longi- tudinem omnium cœterarum Dearum. Si l'auto» rité de ce Moderne ne fiiffit pas, je puis citer Nonnus dans fes Dionyfiaques , liv. 7 , v. 144 , 169 & 1 60. De crines , les Copiftes ont fait aifé- ment cunas. Cela fefent ; qui fait même fi quel- qu'un ne fe fut pas bon gré d'avoir mis cunas au fécond vers , parce que dans le premier il voyoit puerpera ? Vous n'aviez pas befoiu , Monfieur , de tout ce détail , pour encendre ce que je viens de dire ; mais j'en avois befoin pour m'expli- quer. Au refte , dans le troifième vers, j'ai préféré fulguris que Scrivérius a trouvé dans quelques anciens exemplaires, à fulminis , que l'on trouve dans les éditions ordinaires \ & la raifon que j'en ai , c'eft , outre l'autorité des pre- mières éditions, que ce mot ôte la relTemblance que l'on trouve entre fulrnineos du premier vers, & fulminis du troifième : de plus , il exprime mieux ces foudres du fécond ordre ( ** ) , tel* (* ) Mythol.l. u c 13. ( ** ) Ovid. Met. 1. z, v. 307, 202 Mémoires BtiLis-Ltr-Jecundci , dont Jupiter lie choix dans l'occafion sùe?%çc.° " dont ^ S ag^c : on Peut vou' Nonnus fur la fin de fon huitième Livre des Dionyfiaques. Fajfage de Corseille Sévère. Vous me fupporterez , s'il vous plaît , Mon- fieur , jufqu'à la fin ; elle viendra bientôt. Cor- neille Sévère dans fon Poëme , intitulé : JEtna , parlant des vents & des feux fouterrains , dont il veut que l'on étudie les différens phénomènes, dit qu'un homme d'efprit doit favoir , Uncie repente quies & multo fœdere pax fit ( * ). M. Le Clerc , fous le nom de Théodore Go- ral j dit dans fa note , qu'il aimeroit mieux inito , que multo : lubentius legerem. Il n'a pas fait attention que la féconde fyllabe du mot qu'il fubftitue eft brève : fed hum efi in vifeera terrœ • in nomen ituras ( ** ). Ces légères obfer- vations peuvent échapper à un homme occupé à des études toutes différentes. Les Modernes qui vérifient en Latin font pleins de fembiables fautes : il y en a de quoi faire un Livre complet , (* ) Vers 180. (**) Ovid. Met. 1. 1 , v. 131. Virg. 6. JZn. V. 7î8, d'une Société célèbre. 203 & l'on y verroit des noms d'ailleurs refpectables. Bïlles-Let- Le P. Mambrun, qui avoir prefque fait de fe poéfie fon occupation capitale , a fait la même bévue que Théodore Goral : Continuo Iaxis itum eft. in crimen habcnis ( * ). Ce que je remarque ici , eft pour montrer que je ne prétends pas infulter à l'Editeur de Corneille Sévère ; mais feulement que fa con- jecture ne peut avoir lieu. Si multo ne fatis- fait pas , comme en effet il lignifie peu de chofe , je croirois volontiers que l'Auteur avoic écrit inulto fiedere : d'où eft venu multo , en fai- fant de Vi , la première jambe de I/o. Sur le fens , voici ce qui me vient. Fax fœdere. inulto, eft une paix faite par un traité fans garant, donc l'infraction ne fera pas vengée. Pour rendre la phrafe très -intelligible , il n'y a qu'à fuppléer un mot que les Poètes & les autres Ecrivains biffent a(Tez ordinairement fous-entendu : Fœ- dere futuro inulto. Dans tous les traités , on pre- noit les Dieux , & entre autres Jupiter , pour garnns de l'obfervation &: vengeurs de l'infrac- tion ; les termes , ufités en pareilles circonf- tances , font rapportés par Tite-Live (**) : mais (* ) De cultu animi , l. 3. ( ** ) Liv. 34. 2 0% Mémoires Bfiles-Let- les vents & les feux ne connoifTent pas ces c£- TRFS PoE— • su, &c. rémonies. Ils ne prient pas Jupiter de décharger rout le poids de fa vengeance fur l'infradteur : aufîi voit-on bientôc la guerre recommencer , plus acharnée qu'auparavant ; & c'eft fur cela qu'un homme d'efprit à qui je parlois de ma reftirurion , entendoit le multo du Poète dans le fens de crebro. Ces fortes de tenans font fouvenc la paix , parce que fouvent ils la rompent. Enfin , on pourroir croire que mulco eft venu de muto , qui exprime la tranquillité qui fuit l'armiftice entre les vents & les feux : par malheur on lit , quelques vers auparavant , non mutos cernere. Voilà , Monlieur , bien du temps perdu pour vous \ mais je fuis perfuadé que le Public n'aura pas fujet d'en murmurer. Je fai que vos études ne vous ont jamais enlevé aucune partie du temps deftiné aux affaires. ARTICLE VII. Difficultés fur î explication, précédente du pa-JJage d" A u S O n E. Le favant Jéfuite déploie , fur l'endroit d'Au- fone , une érudition également profonde & modefte, ne rejettant point avec un ton décilîf une Société célèbre, a 05" les penfées que d'autres pourroient avoir & pro- Bf.lles-l pofer en concurrence. Je ne dois donc pas crain- ^f' dre de hafarder une conjecture qui me paroît fimple & naturelle. Cet habile interprète , de- meurant d'accord que les anciennes éditions portent : Fulmineos Semele decepta puerpem partus , Deflet & ambujlas lacera per inania cunas , Ventilât , ignavum fimulati fulminis ignem. J'efpère qu'il conviendra aufli qu'en général les anciennes éditions font tellement refpecta- bles , qu'on ne peut être aflez réfervé quand il eft queftion d'en changer quelques termes j la moindre liberté en cette occafion pouvant dégé- nérer en un abus , qui feroit dire aux Auteurs une infinité de chofes auxquelles ils n'auroient jamais penfé. Les interprètes font donc obligés de poufïer le fcrupule aufli loin qu'il puifle aller, c'eft à-dire , jufqu'à ce. qu'on défefpère entièrement de trouver du fens ou de la conf- truction dans un paflage , à moins qu'on n'y change quelque terme. Ce défefpoir ne paroït pas ici fort prenant ^ l'endroit d'Aufone , exa- miné avec un peu d'attention , fe trouvant plau- fible , fans qu'il foit befoin d'y rien changer. On en pourra juger par la traduction que j'en vais donner , dans laquelle je négligerai les épithèces, 206 Mémoires Kelles-Let- qui , ne contribuant en rien à la conftruction s», &c. Latine , ne pourroient au contraire que détour- ner l'application requife , pour trouver cette même conftruction. Je crois donc qu'il faut ainfi traduire le paf- fage : Sémelé ejî dans la douleur de ce que le ton- nerre, dont elle ejl frappée , avance le terme de fon enfantement. Elle agite de tous côtés les draps enflammés de fon lit , où Venfant vient de naître , 6* cette agitation excite le feu du ton- nerre attaché à ces draps. Cette traduction doit palier pour ridelle , ne faifant point perdre de vue , ni la lignification des mots Latins , ni l'arrangement d'où dépend leur conftruction : ce que je ne puis mieux faire fentir qu'en commençant par tâcher de lever quelques difficultés qu'oppofe d'abord notre docte Critique , avant qu'il établifle fon fenti- ment particulier. Il eft vrai qu'il n'a pas eu def- fein de renverfer mon explication non prévue -y mais cependant il ne lailTe pas de lui donner des atteintes plus qu'indirectes. Comment doit-on entendre , dit-il, ambujîas cunas , des langes demi-btùlés ? Quels langes ? Quel berceau ? Sémelé ne devoir alors avoir préparé , ni berceau, ni langes. Réponfe. Aufone appelle cunas , le lit même de la Princeffe , pat rapport à puerpeja ôc à d'une Société célèbre. 207 partus , c'eft - à - dire , à l'enfant qui venoit d'y BkttEj-trf; naître. Cunœ , dit Calepin , ou les favans Gram- snfSfec v mairiens qui l'ont augmenté >funt leduli in qui- bus infantes J oient jacere , vel loci in quibus nafeuntur. En vain donc , demande-t-on , quels langes ? Quel berceau ? Puifque le lit même de Sémelé tenoit lieu de tout cela à l'enfant qui y naifloit. Un Grammairien fans goût , continue le docte Critique , peut s'imaginer entendre les deux premiers vers \ mais je l'attends au troi- fième , qui , n'ayant point de conjonction , fait partie du fens commencé dans le fécond. Réponfe. Je confens que le reproche de Gram- mairien fans goût tombe fur moi , & dût-on y ajouter celui de téméraire , je ne tarderai pas à me trouver au rendez-vous du troifième vers où l'on m'attend , veniam quoeumque vocaris. La phrafe doit être conftruite de cette forte- C'eft mon adverfaire qui parle: .... Ambulîas latera per inania cunas , F^entilac , ignavum fimulaù fulminis ignem. Enfuite il demande : cette conftru&ion eft-elle Latine ? Et moi je réponds, pourquoi non? Voilà bien du bruit pour une petite particule conjonctive , fous-entendue après le verbe venti- lât ; le Poé'te ne pouvant plus à-propos exprimer 20 8 Mémoires Belles-Let. que par cette omiflïon , comment Sémelé , agi- «b" &c° " tanc 'es draps enflammés, agitoit aufli le feu du tonnerre qui y étoit attaché. Le calme fuc- cédera incontinent , fi on veut me permettre*, fans préjudice de la mefure poétique , d'ajourer un & après le premier mot du troifième vers , en lifant : .... Ambujlas latera per inania cunas , Ventilât , 6* ignavum Jîmulati fulminis igncm. Ce feroit être bien rigide que de refufer à un Poète la liberté de fous-entendre un &, liberté fi légère qu'à peine en mérite-t-elle le nom. Ce- pendant , quelque peine que je me donne pour rendre à ce paffage fa clarté naturelle , offuf- quée par trop de lumières étrangères , j'aurois bien la mine de n'y pas réuffir, fi je ne me pro- pofois enfin un autre moyen qui me paroît plus sûr y favoir , d'éloigner tout préjugé conçu à l'occafion de ces vers , & môme de négliger les exemples qu'on pourroit trouver ailleurs chez les Poc'ces , pour éviter toute conteftation fur la reffemblance. Parlons donc profe. Je dis de certains Religieux , Majorent Deî gloriam quœrunt , populorutn falatern. Peut-on, fans une efpèce d'injuftice, chicaner fur la conf- truction Latine de cette phrafe ? Mais je re- tourne à celle d'Aufone. Diffère- t - elle en rien $un& Société célèbre, 209 rien de cette dernière ? La conclufion eft facile Belles-Lit* \ • TRES , PoÉ« a tirer. SIE t &c< Je n'ai donc garde de convenir fi bonnement avec le docte Critique , ni avec celui dont il veut bien emprunter les termes , que tous les Inter- prètes fe foient apperçus que les mots , latera per inania cunas , ne forment aucun fens. Il eft vrai que Vinet fe contente de dire que latera. pourroit bien avoir été mis en la place de quel- que autre mot , & qu'il paflTe fon chemin ; mais je conclus de-là qu'il ne parle fon chemin que parce qu'il ne trouve rien qui l'arrête dans la fuite du palîage , fur-tout ayant fait une pro- testation dans fa préface fur Aufone , où parlant des endroits difficiles de cet Auteur , il s'énonce ainfï : Quorum nonnulla, fitam tenebricofa etiam f aérant ut in ils nihïl prorsùs viderim 3 indïcare non fum vcritus. Après tout , il ne court pas Ci vîte qu'il ne s'amufe à expliquer ici ignavum ignem & fimulatum fulgur. Je range avec Vinet celui qui, dans les Leçons Aufoniennes , juge à- propos d'ajouter hœc après latera , l'un & l'autre ne cherchant qu'à rétablir la mefure des vers, dont la conftruction Latine leur paroilTbit claire. I Jl ne faut pas non plus féparer Barthius de ces deux Interprètes , puifqu'apparemment il ne diffère de celui-ci qu'à l'égard de la fignification du mot Tome II. O 21(5 Mémoires BiLtis-Lir- £w/ztf.r , qu'il prend pour le corps même de Se- TRES jPoE I f ' * * 1 su , &c mêle , en quoi je ne trouverois pas un grand inconvénient; une telle métaphore n'ayant rien que d'aifé, & le Chevalier Barthius ne fe feroic pas peut-être fait fcrupule de rapporter pour la défendre l'exemple d'un hymne , ou coup fur coup les mots cubile ou thalamus font attribués au fein des mères , par rapport aux enfans qui y étoient enfermés. Ceci auroit arrêté des sens à bréviaire. A l'égard du changement que fait cec Auteur du mot latera en laterum , j'y donne les mains pour l'honneur purement poétique d'Aufone , peu délicat fur l'article de la quan- tité. L'ouverture que j'ai tâché de donner à l'in- telligence du pallage en queftion pourra faire dire à d'autres , ou que le verbe ventilât répété eft fous entendu , ou que fulminis igneni efl: mis- là par manière d'épithète à ambujlas cunas , ou enfin que c'eft un pléonafme , n'y ayant pas plus de différence entre des draps brûlés par le feu du tonnerre , &: le feu du tonnerre , qu'il y en à entre un flambleau allumé , & le feu qui le confume. Je m'accommoderai volontiers de toutes ces explications , qui , n'étant point con- traires à la mienne, ne font que la confirmer davantage , en excluant toutes enfemble la né- (Pune Société célèbre. 2 1 1 ceflité de changer dans les vers d'Aufone les beiles-Le termes lacera «3c cunas, avec le P. Oudin, quiTRES0' Po ' 3 i S IE , Sec. prétend qu'il faut lire : Fulm.in.eos Semele decepta puerpera partus , De/le t , 6- ambujlos lac'erans per inania crines , Ventilât , ignavum fimulati fulguris ignem. Une explication , ou reftitution de ce genre , outre qu'elle paroît inutile , ne femble pas na- turelle , puifque la raifon même qu'on apporte pour la foutenir fe fent de la gêne qu'on s'eft donnée pour la trouver. Sémelé paroît , dit-on , s' arrachant les cheveux; aujjî ejl-elle dans la- douleur , Deflet. Voilà la première raifon , que j'examine uniquement , comme étant la principale , & le fondement des deux autres qui fuivenc. Je demande donc s'il eft vrailemblable qu'une perfonne couchée dans fon lit, de frappée du tonnerre , penfe à s'arracher les cheveux par défefpoir, ce qui fuppofe une réflexion,' pré- venue à coup sûr, & empêchée par un mouve- ment fubit & purement machinal , qui lance- roit tout le corps vers l'efpace vuide ou prati- cable à l'entour , latera per inania ; car c'eft ainfi que j'entends ces derniers mots , fans pré- judice néanmoins du fenciment de Barthius , qui veut, peut-être, avec autant de raifon, qu'ils figllifieilt le flanc de la mère , délivrée de fon O2 2 1 2 Mémoires Bkixts-Lrr- poids, per latera ipfa fpoliata pondère fuo. Tout m" &c.°£ m'eft indifférent , pourvu qu'on reconnoifle que ces vers d'Aufone ne manquent pas de conltruc- tîon. Du refte , je trouverais toujours afTez d'efpace dans l'alcove de Sémelé, pour y faire évanouir la raifon par laquelle mon favant ad- verfaire donne un peu ttop de loifir à cette Prin- ceffe , entourée de flammes , pour s'arracher les cheveux. ARTICLE VIII. RÉPONSE du P. Oudin , Jéf, aux difficultés proposées contre [on Explication du pujjagz d'Aufone. 1 t a politefle de mon Critique ne me laifle pas la liberté de me taire fur les difficultés que l'on vient de lire. Je feus que je ne me fuis pas fuffi- famment expliqué dans ma DifTertation , où je ne citois le partage d'Aufone que par occa- fion j je vais tâcher de mettre la penfée du Poète , & ma conjecture dans un plusgrand jour. La ma- tière eftpeuintéreflante : mais j'épargnerai à ceux qui liront cetécrit , la peine de faire les réflexions. i°. Aufone, dans l'Idylle, d'où eft tire le (Tune Société célèbre. 2 1 3 pacage donr. il s'agit ( *) , décrit en a (fez beaux Bellbs-Let vers ua tableau qu'il avoit vu à Trêves , chez jIEE 'g, un Eolus , ou Zoïlus ; les Critiques font parta- gés fur la manière de lire ce nom propre. La fcène du tableau eft aux Champs-Elifées. Les bonnes Dames du temps pajjé , comme parle l'Auteur de la Bibliothèque Choifie , y étoient repréfentées , faifant une efpèce de fête : Orgïa ducebant Heroïdes. Le Peintre intelligent , pour les diftioguer , leur avoit donné à chacune des fymboles propres* à les faire reconnoître : Sua quœque y ut quondam occiderant , lethi argu- menta gerebant. Tandis qu'elles fe divertilfent à fe rappeller leurs anciennes aventures , dulci- bus ac mœflis referens tormenta querells \, le fils de Vénus, en franc érourdi , vient fe jetter dans le cercle. Elles le faififtent , & fe mettent en devoir de lui faire porter la peine de leurs fautes. Sémelé eft à la tête de la, troupe , comme elle eft la première en date dans l'hiftoire fabuleufe. 20. Il ne s'agit donc point â'alcove ni de lit : ce n'eft pas Sémelé mourante , que l'on repré- fente ici : le Peintre ne l'a pas faille au moment de la naiflance de Bacchus : c'eft l'ombre de Sé- melé dans les Champs - Elifées , vengeant fa mort fur celui qu'elle en croit l'auteur. (*) Idyll.fixièmî, Cupido cruel adfixus. 05 2i 4 Mémoires Belies-1*"- ^ ne ^aut ^onc P°inc traduire \fulmineos tu.es , Poé- Semele decepta puerpera parlas deflet: Sémelé efl dans la douleur de ce que le tonnerre , dont elle efl frappée , avance le terme de fon enfantement. i°. L'exprelîîon Latine, fulmineos partus , eft fufpendue , & la traduction la reftreint au temps préfent. i°. Il n'y a rien dans le Latin qui réponde à ces mots François , le tonnerre dont elle ejl frappée; Aufone ne dit rien de pareil. Sémelé , félon l'opinion commune des Mychologiftes (*) , fat d'abord étouffée par Pimpreffion foudaine des éclairs & des feux qui l'enveloppèrent. On pourroit peut-être traduire ainli : Sémelé décrit d'une manière touchante le malheur de fon enfin- timent précipité , & avancé par la préfence de Jupiter , armé de fon tonnerre. 4°. Ces mots , ambuflas latera pef inania cunas ventilât , ne lignifient pas , elle agite de t.nis côtés les draps enflammés de fon lit 3 où Venfant vient de naître. Prenons une fituation ; choihlfez : Sémelé eft elle où la place Aufone , dans ces champs aériens, aeris in campis , en- trant avec les autres héroïnes dans le delfein de cette fête , orgia ducehant heroides ? Errantes dans cette forêt de Myrte , errantes fylva in magna ? Ne lui donnez donc point de draps à ( * ) Ovid. Metam, I. 3 , v. 308. Hygin. fab, 17?» d'une Société célèbre. 2. 1 j remuer dans un lit , où un enfant vienne de Belles-Let- A 1 , j TRES , PoK- naitre : ne placez point une alcove dans une m , &c. forêt. 50. Mettez-vous Sémelé À Thébes dans fon alcove , & fur un lit où Bacchus vienne de naître ? Dans cette fituation-là môme , vous ne pouvez lui donner des draps à agiter. La raifon en eft évidente : ce ne fut qu'après la mort de la mère que l'enfant fut tiré de fon fein ( * ). 6°. On me demande, s'il eft vraifemblable qùune perfonne , couchée fur un lit, & frappée du tonnerre, penfe à s'arracher les cheveux ? On juge aifément, par ce que je viens de dire , que je n'aurai pas de peine à répondre : non, cela n eft pas vraifemblable. A mon tour je demande , cfb-il vraifemblable qu'une perfonne frappée du tonnerre , & bien morte , avant qu'on tirât l'en- fant de fon fein , agite de tous côtés les draps enflammés du lit où V enfant vient de naître ? 7°. Si par amas on ne peut entendre ni un berceau , ni un lit , ni des draps, ce mot peut- il (ïçnifier le corps même de Sémelé. Barthius le prétend ( ** ) : fuppofons pour un moment qu'il a raifon : mettons fon explication à la place des termes qu'il explique : ventilât corpus ( * ) Ovid. 1. 3 . v. 309. (**) Adverf. I, iz. c. 7. 2 1 6" Mémoires Belles-Ltt- ambuflum per latera fpolïata pondère fuos ignem 4ie , &c. fulminis. Je me fais bon gré de n'avoir pas alfez; d'efprit pour trouver-la du fens. D'ailleurs, pour l'intérêt de la vérité , je ne dois point accorder , que par cunas ambujlas , on piaffe entendre le corps même de Sémelé. Mon adverfaire me per- mettra de penfer , qu'il ne veut pas être cru , quand il dit que la métaphore n'a rien que d'aifé. Si quelque Chevalier Barthius citoit les mots cub'de Se thalamus , qui , dans une hymne , font attribués au fein des * mères , par rapport aux enfans qui y /ont renfermés ; des gens à bréviaire lui diroient peut-être , fans façon : vous ne pre- nez pas garde que votre inftance porte avec elle fa folution \ vous la trouverez dans vos trois dernières paroles. Le fein de la mère eft comme le lir & le berceau de l'enfant quijy efl renfermé; mais, de votre aveu , l'enfant n'effc plus dans le fein de Sémelé. De plus , lifez cet endroit de l'hymne que vous citez , ventris obflrufo recubans cubili. Vous voyez que le premier mot détermine le dernier , & ôte toute ambiguïté. Montrez dans • l'expreffion d'Aufone quelque déterminatif fem- blable. 8°. On ne peut donc pas dire qu'Aufone ait écrit cunas ambuftas , puifque ces mots ne font fufceptibles d'aucun fens , & qu'il neft point notoire qu'Aufone ait écrit en 'mCçnCé. et une Société célèbre. 2 1 7 9*. On ne doit pas dire non plus qu'il ait mis Beilïs-Lbt- dans fon vers , latera j comme portent les an- s,RE" &c°E" ciennes éditions : il n'y a , dit-on , aucun incon- vénient ; Aufone, peu délicat fur l'article de la quantité j ne fe fera pas fait un fcrupule de cette licence. Je ne voudrois pas dire , en général , qu'Aufone eft peu exact fur l'article de la quan- tité. Un contradicteur un peu vif m'embarraflTe- roit , s'il s'avifoit de me venir preiTèr fur la preuve. Je n'ai pas remarqué, en lifant cet Au- teur , qu'il péchât contre la quantité des fyllabes & la mefure des vers. S'il n'a pas donné à fes Iambiques la mefure exadte qu'Horace preferit , il a fuivi en cela le goût des' Comiques & de Phèdre. io°. On me dira, foitj Aufone n'a point péché contre les règles de la quantité : il a feule- ment allongé une fyllabe brève, par le privilège que donne la céfure : ^Virgile le fait fi fouvent ! Il eft vrai , Virgile le fait ; mais c'eft un 'refte du goût antique , dont on ne retrouve plus guère de traces dans les Poètes des âges fuivans. On ne doit pas dire qu'Aufone ait affe&é l'archaïfme dans cet endroit , qui , étant unique 8c contefté, ne peut faire preuve. Ces raifons me font croire que latera eft un mot corrompu. Si Vinet ne s'eft pas dé- tourné pour chercher le mot. déplacé par ce 1 2 1 8 Mémoires IIeixes-Let- latera y il a fenti du moins que ce mot n'eft pas- sif, &c là dans fa place. S'il ne s'eft pas arrêté à expli- quer ce vers , ce n'eft pns une raifon de con- clure qu'il n'y a aucune difficulté : une conclu- fion contradictoire à celle-là , feroit peut - être celle qu'il faudroit tirer. Scaliger ,qui avoir bien étudié Aufone , comme il paroît par fes Leçons Aufoniennes , a fenti la difficulté de ce palTage ; les Interprètes , qui font venus depuis , l'ont fentie , & les réflexions que je viens de faire peuvent contribuer à juftifier leur fentimenr. 12°. La conjecture que je donne fait éva- nouir, la difficulté , &c préfente un fens fort beau , & qui revient au but de l'Auteur que j'explique : Fulmineos Semcle dscepta puerpera parties , Deflct , & ambujlos lacerans , per inania , crines t Ventilât ignavum fimulati fulguris ignem. Voilà Sémelé dans la fituation où Aufone la repréfente , & relie que le Peintre a dû la faire pa- roître dans l'efpace ou le vuicie des Champs-E!i- fées ,per inania. Pour fymbole , lethi argumenta , une flamme de tonnerre voltige autour de fes longs cheveux, la figure eft animée \ Sémelé porre les mains à fes cheveux : vous diriez qu'elle fe les arrache : fi ce n'elt pas de douleur, comme je l'ai dit autrefois , c'elt pour en détacher la (Tune Société célèbre. 219 flamme , ambuflos lacer ans .... crines. Les Pïllïs-Lît- TRES Po E~ mouvemens qu'elle fe donne produifent un effet sis , &c. tout contraire , & la flamme en devient plus vive , ventilât ignem \ mais le feu ne gâte ni ne confume rien : c'eft un feu & un éclair en peinture , ignavum fîmulati fulguris ignem. 13°. Je me figure ici Sémelé à- peu-près dans la même fituation où Virgile repréfente la Prin- cefTe Lavinie ( * ) : Prœtereà ca/lis adolet dàm altarla tœdis , Et juxtà genitorem adfiat Lavinia virgo , Vifa ( nef as ) longis comprendere crinibus ignem , Atque omnem ornatum flamma crépitante c remari: Regalefque accenfa comas , accenfa coronam Infignem gemmis : tumfumida lumine fulvo , Involvi. On peut bien croire qu'elle porta les mains, à fes cheveux , & que les afïïftans firent alors tout ce qu'en pareille occafion avoient fait les parens du jeune Afcagne ( ** ) : Nos pavidi trepidare meta , crinemque flagrantem , Excutere. Peut-être que ces deux endroits de Virgile ferviront à éclaircir celui d'Aufone. ( * ) rEneîd. 1. 7 , v. 7. (** )L. 3 , v. 68j. no Mémoires Seli-s-Let- 140, Pour peu qu'on aie ou le loifir ou \z su, &c commodité de manier quelques manuferirs an- ciens, on ne fera pas fort étonné du léger chan- gement que je fais ici de cunas en crines : je fuppofe que ce dernier mot eft celui d'Aufone : on conçoit aifément qu'un Copifte a pu prendre ri pour u , h l'on fe figure les traits fupérieurs de Vr effacés , & ces deux lettres unies par en bas. On fait que dans Feftus ( *) on trouve nec erim pour nec eum. On rencontre ailleurs , durno , Andua , cuminum , pour Drimo ( Drymo ) , An- dria, criminum : ileft fi aifé de s'y méprendre, qu'i 1 eft mal-aifé de ne s'y méprendre pas dans cer- tains manuferits. Cela fait, tout eft fait : qui voit curies n'héfite pas à lire Se écrire cunas , Se l'adjectif fuit naturellement le fubftantif. Ainfi , au lieu de crines ambujlos , comme Aufone avoir écrit , on a cunas ambujlos. 1 50. Nous ferions heureux , fi les Imprimeurs n'avoient jamais fait de fautes plus confidéra- bles. Par exemple , dans la belle édition de cette même Idylle, à la Haye, 171 1, on trouve, vers 57, farte alla truces , au lieu de parte truces alla , qui eft la vraie leçon. Dans X JEt-na de Corneille Sévère, édition d'Amtterdam 1703, vers 97 , ( * ) Paiïer. 1. 1. de lit, cogn. p. 136. d'une Société célèbre. 221 on lit : Inque animantis per tota errantes percur- Bellt.s-Lït- FTRFS , Pot- ug- SIE } gcc_ names & fuffocat intus ... au lieu de pugnantes fuffocat & intus. Ces fautes , direz-vous , ne font pas de l'Imprimeur : M. Le Clerc, fous le nom de Théodore Goral , fe fait même hon- neur de la troifième. Tranfpofuimus conjunclio- nem , ut ftaret verfus ; & il pourroic bien être auffi l'Anonyme qui a fait mettre , parte alla traces : qui peut faire un dactyle de fuffocat , peut bien prendre truces pour un fpondée. Quoi qu'il en foit , je conclus que les Copiftes peu- vent faire des fautes. On peut auflî conclure , qu'il feroit bon que les Editeurs des Poètes fuf- fent un peu Poètes eux-mêmes : il faudroit du moins qu'ils fuflfent aiïez de profodie , pour ne pas gâter un bon vers. 1 6° . Le changement de latera en lacerans (*) efl: plus fort : mais il n'eft pas fur mon compte ; il vient originairement de J- Scaliger. J'ai trouvé cette leçon établie, & je m'y fuis tenu. Le fa- meux Saumaife n'approuvoit pas cette reftitu- tîon \ auffi ne l'avoit-il pas faite. . 1 70. Si l'on aime mieux la leçon de Saumaife , je lirai ainfi les deux derniers vers : (* ) Aufon. led. 1. 1 , c. 18. 222 Mémoires Belles-Let- ts.es , PoÉa Ambujlos , latè per inania , crines , «ie , &c. Ventilât ignavo fimulati fulguris igné. Je ne tenterai point une féconde explication mécanique, pour rendre plaufîble le changement de latè , mot fort poétique , en latera , Se d'ignavo igne , en ignavum ignem. Une rechute dans ces minuties fentiroit trop fon Matha- nafius. La conftruclion eft nette : ventilât latè per inania crines ambujlos igne fulguris. Je ne conferve pas ignem , parce que je perfifte à croire que cette conftruétion ne peut fe palier de la particule conjonctive. On peut , avec grâce , fupprimer la conjonction ; mais ce n'effc que dans les endroits où le difeours déjà échauffé demande de la rapidité & du mouvement j je ne vois pas que cela convienne à l'endroit d'Aulone. Je voudrois que mon Critique pût faire palfer fon avis fur la fupprelîion de cette parti- cule ; il ferviroit à expliquer les deux vers qui précèdent ceux qui lont le fujet de cette difpute. Voici l'endroit : Omnia quœ lacrymis & amoribus anxia mœjlis Exercent memores obitâ jam morte dolores , Rurjus in amijfum revocat Heroïdas œvuni» Sur quoi J. F. Gronovius , Critique exact & d'une Société célèbre. 2.23 judicieux fait cette remarque : hic ( à la fin du Belles-Let- fecond vers ) lacère vitiurn vix perfuadebo ; ita l*"'^0* bene fonant hccc verba , ipfa fi confideres : fin jungas verfui Jequenti , ( c'eft le troifième ) ap- paret hiatus indecens , neque à fyndcti jpecie ex- cufandus. On voit que je ne fuis pas le feul qui farte du bruit 3 pour une petite particule conjonc- tive fous-entendue. ARTICLE IX. R e M A r q u E s fur quelques pajfages d' H O R A C E. Ho race, dans la Satvre première du Livre premier , voulant expofer la bizarrerie des hommes , dont aucun ne paroît prefque jamais content de fa condition , fait ainlî parler un fol- dat au quatrième vers : O fortunati mer cat ores ! gravis annis Miles aie , multo jàm f raclas membra labore» Contrà mercaeor , &c. Ce paffage , qui n'a arrêté aucun des Com- mentateurs , me paroît faire beaucoup de diffi- culté. Car , en premier lieu , il eft furprenant d'y voir introduire un foldat accablé de vieilleife 224. Mémoires Beixes-Let- fous le règne d'Augufte , où l'on fait qu'on n'en sie, écc fouffroit point dans les armées Romaines qui eût plus de 46 ou 47 ans. Et en effet, il étoit diffi- cile qu'un homme plus âgé eût la force de por- ter toutes les différenres chofes , dont un foldat Romain étoit obligé de fe charger. D'ailleurs , fi ce foldat étoit vieux , pourquoi Horace ob- ferve-t-il qu'il étoit déjà cafTé , jam fraâus membra , par les longues fatigues de la guerre ? Il feroit au contraire étonnant qu'il ne l'eût pas été plutôt. De plus , fi ce fujet de plainte étoit caufé par la vieilleffe de ce foldat , il eût été perpétuel , au lieu que dans tous les autres exemples cités par Horace, il n'eu: queftion que de quelques dégoûts palfagers. Car le Marchand n'envie la condition du foldat que pendant la tempête j ni le Jurifconfulte celle du Laboureur, que quand il entend un plaideur importun heur- ter à fa porte j ni le laboureur celle d'un habi- tant de la Ville , que quand une aiîignation lui fait quitter fon Village. Ce qui eft fi vrai , que peu après, lorfque Jupiter paroît vouloir exaucer leurs vœux , & que le fujet de leur dégoût eft palTé , ils ne veulent plus changer d'état. Quelle apparence donc qu'Horace eût mis fon foldat dans une fituation toute différente ? Mais ce qui ne lailTe aucun doute , c'en: que quand Horace demande à ce Marchand , à ce Laboureur > d'une Société célébré. 22; Laboureur, ôc mime à ce Soldar , pourquoi ils Éitw-Uil ne veulent point profiter de la grâce que Jupiter TRFS* Po£" 1 1 • 1 M « , SIE, &C leur vouloir accorder ; ils repondent que s'ils «'obftinent à fournir les maux auxquels leurs pro- férions les expofent , c'eft pour fe procurer de quoi vivre doucement dans leur vieilleffe ; Séries ut in otia tuta recédant. Il eft donc évident que notre Soldat netoit pas encore vieux quand il parloit de la forte , & par conféquenr que ce palfage d'Horace eft corrompu. Mais rien n'eft plus aifé que de le rétablir en lifant : Gravis armis , au lieu de gravis annis. Cela ne change prefque rien au texte, ôc fait un fens très-na- turel. On fair de quels fardeaux on chargeoic les Soldats Romains. Outre leurs armes , qui feules ëtoient très-pefantes , il leur falloit porter leur pain de munition pour quinze jours , ou pour un mois , une marmite , une broche , une fcie , un panier , une hache , une bêche , une corde , une faux , une chaîne , ôc fouvent même jufqu'à douze pieux. Cela paroîtroit incroyable, fi tous les anciens ne s'accordoient fur cet ar- ticle. Audi l'Hiftorien Jofephe , témoin ocu- laire de ces fairs , convient-il , en les rappor- tant, ( Bell. Jud. 1 1 1. 5. ) qu'un Soldat Romain ne dirféroit guères d'une bête de fomme. Ce- pendant , malgré cette charge , on ne laifToit pas de leur faire faire beaucoup de chemin , ôc Tome H. P 2i6 Mémoires Eello-Let- jufqu'à vingt-cinq milles en cinq heures, au rap- lnSkc°é' Port de Végéce I. 9. En ceft fans doure à la fin d'une marche pareille qu'un Soldat , accablé du poids de fes armes , & déjà calîé par les fati- gues qu'il avoit auparavant elTuyees, s'écriok , 6 fortunati mercatores , 6 c. Mais avoit-i! pris un peu de repos, il ne fongeoit plus aux maux pâlies, & n'eûr plus voulu fe troquer contre un autre. Il y a dans la même Satyre , ( y. 2 3 ) un autre partage qui caufe bien plus d'embarras. Horace y feint que Jupiter , touché des diffé- rentes plaintes des hommes fur les malheurs de leurs conditions , les lailfe les maîtres d'en chan- ger fuivant leurs deiîrs. Mais dès que cela eft lailfé à leur choix , ils ne veulent plus de ce qu'ils avoient tant déliré , 8c remercient le bon Jupiter de fes offres. Alors le Poète , indigné de Ja trop grande facilité du Dieu à leur prêter l'oreille , s'écrie : Quejl-ce donc qui retient Ju- piter, qu'il ne montre un vifage irrité à des gens Jl dignes de Ja colère > & qu'il ne leur d'ife , que déjorrnais il ne fera plus (i facile que d'écouter leurs vœux ? Il étoit naturel qu'Horace dît enfuite quelque chofe là-delTus , & qu'il fît répondre Jupirer , ou qu'il répondît pour lui à cette in- tetrogation. On efl cependant furpris qu'au lieu de le faire , il change de difeours , & pourfuive en ces termes : d'une Société célèbre. 227 Pr &c Quid vetat ? «f pueris olim dant crujiula blandi Dations , élément a velint ut difcere prima. ) »5V J tamen amoto qucvramus ferla ludo% lllc gravent dura , &c\ Jamais conftruction ne fut Ci embarralfée que celle de ce vers. Car à quoi répond ce pratereà ? Et comment l'accorder avec le fed tamen du 27e. vers ? Rien n'eft plus frivole que ce qu'ont dit fur cela les Commentateurs. D'ailleurs , qui pourroit fouffrir cesparenthèfes entalfées les unes fur les autres ? Car, outre celle qui fuit prœtereà, il en faut encore une dans le vers fuivant, après quanquàm. Je fuis furpris qu'on ne fe foit pas apperçu qu'il y avoir une faute dans ce palfage. En effet , le changement d'une feule lettre y donne une clarté & un agrément digne d'Horace. Il ne faut que lire prcctereo pour prœtereà. Puif- que ces faifeurs de voeux , dit Horace , abufent ainfi de la bonté de Jupiter , d'où, vient qu'il ne les traite pas comme ils le méritent , & qu'il e(î encore difpofé à leur prêter £ oreille a la première occajton ? Je me garderai bien de vous l'appren- dre , ajoute le Poète 3 de peur qu'on ne m accufe de badiner ici mal-à-propos fur des chofes facrées. Quoi qu'après tout j pourquoi ne me feroit-il pas P 2 22$ Mémoires BtLLïs-LiT- permis de dire la vérité en riant ? Mais pourtant w^W ^ vaut mieux PajJer & des chofes plus Jérieufes* Horace donne ici finement un coup de patte aux Dieux du Pagrmij me, qu'on peignoit lî intérefïés, que les moindres préfens étoient crpables de dé- former leur colère. QvidK de arte Ani. 111,655. Munera , crede mini, caplunt hominefquc Dec/que , Placatur donis Jupiter ipfe datis. Et ( Fajlor.v. 301.) Scvpe Jovem vidi , quùmjam fua mittere vellet , Fulmina , thure dato fufiinuiffe. manum. Quoiqu'Horace n'en dife pas tant , il n'en donne pas moins à penfer ; & c'eft , à mon avis, un des endroits de fes Satyres où il y a le plus de fel. Le vers 87, de la féconde Epître du livre fé- cond d'Horace , eft célèbre par l'exercice qu'il a donné aux Critiques , foir pour la tranfpofition que quelques-uns ont cru y reconnoître , & dont je ne parlerai pas ici, foit pour la conftruction de ce palTage , qui eft en effet très-extraordinaire. Horace , s'y moquant des Poètes de fon temps, les compare à deux hommes ridicules qu'on avoic vus à Rome, l'un Orateur, l'autre Jurifconfulte , lefquels , pour tâcher de fe faire un nom , s'en- cenfoient perpéruellement l'un l'autre. Voici comme il s'en explique : (Tune Société célèbre. jèè>s éloges les plus magnifiques» M, Bentley > dans l'excellente édition d'Horace qu'il nous a donnée , approuve ie fentimeric d'Hun fins par des raifons fans réplique. Il avoue néanmoins qu'il eft difficile de reftituer ce paflage : rnagni fané, dit il, emerim buir-' pretem 3 qui locum hune expedire pojjît. Enfuite , il propofe une conjecture , qui lui eft venue en penfée. C'eft de lire ainft le premier vers : Pactus erat Romcv CONSULTO Rhetor, ut alter, &c. Le fens eft en effet très - bon. Un Orateur & un furifconfulte etoient convenus enfemble de fe louer perpétuellement l'un l'autre. On ne peut rien oppofer à cette conjecture , finon qu'elle fait un trop grand changement dans le texte. Car fans parler de Confulto , fubftitué à Confulti , le mot Pactus eft fi peu reftemblant à Frater % qu'il n'y a guère d'apparence que les Copiftes %f P < à"36 Mémoires BELtEs-LiT- fuffent mépris. Je fuis étonné que M. Bentley ; s^iz" &r.° E ayant approché fi près du but, ne l'ait point atteint ; car je ne cloute prefque pas qu'Horace n'ait écrit de la forte : Fautor erat Romœ Confulti Rhetor ; ut altery&c* Il eft inutile de montrer la reiïemblance de Fautor à Frater. Elle fe fait fentir. Du refte , ce mot convient à merveille à ce paffage. Fautor eft proprement le partifan & Vadmirateur pcr-> pétuel d'un autre. Horace s'en feit très -fou- vent en ce fens , comme dans la Satyre x , 1. i , v. 2. Çuis tara Lucilî fautor inepte ejî Ut non hoc fateatur ? Et dans l'Epître xvm du liv. i , v. 65, Confentire fuis Jiudiis qui crediderit te , Fautor ut roque tuum laudabit pollice ludum* Et dans l'Epitre iî du livre n, v. 23. Sic fautor veterum , &c. Horace femble même avoir en vue ce beau trait de Plaute ( Prolog. Amphytr. v.78 , ) contre les partifaus déclarés de quelques Comédiens de fon temps : d'une Société célèbre. 231 ,. - . ., BîLLES-Llf- Virtute ambire oportet , non favitonbus. très, Poé* Sut hubet fayitorum femper , qui rcclè faclt. , &c. Quoi qu'il en foit , il fufïit que cette correc- tion faite très-peu de changement en ce pacage, & qu'elle y répande toute la lumière qu'on pou- voit defirer. Car quant à l'expreffion ut aller, pour ha ut alter , M. Bentley l'a fi bien juftifiée, qu'il eft inutile de s'y arrêter. ARTICLE X. Explication d'un pajfage de Virgile. DiiPatrîi, îndîgetes, tu Romule , Veftaque mater, Q\\x TufcumTiberim, & Rotnana Palatia fervas , Hune falte.Ti everfo Juvenem fuccurrere feclo Ne prohibete. Geor. I. v. 498 , &c. Plus jaloux de montrer de l'érudition, qu'oc- cupés à faifir le vrai fens du texte , les Interprè- tes de Virgile fe copient très - fidèlement les uns les autres . difent mille chofes que nous pour- rions trouver ailleurs , & nous biffent fouvent ignorer ce qu'il nous importe le plus de favoir. Appliquons cette réflexion au palTage que j'en- treprends d'éclaircir , & failon's voir , en peu de mots , qu'elle n'a point été dictée par l'amour de la ctitique. a j'i Mémoires Beh-s-Let- J'ouvre le premier Commentateur de Vir- TRES POE- sis, &c. gile , qui me tombe fous la main : je le con- fulte fur l'endroit dont il s'agit : il m'apprend quels étoient les Dieux de la Patrie , & les Dieux appelles lndigètes : il me fait l'abrégé de ce que l'Hiftoire ik la Fable débitent fur le compte de Vefta & de Romulus : il m'enfeigne pourquoi la première efl: furnommée Mater , ce pourquoi on nommoitle Tibre Tuf eus ^ ou Etruf- cus amnis : il me donne l'intelligence de l'ex- preillon Romana Palatia : il m'indique les éty- molqgies de prefque tous les mots : il prend foin de m'averrir que le verbe fervas eft ici la même chofe que cujlodïs , tueris ou protegh , qu'Oc- tave étoit appellé Juvenis par un ordre exprès du Sénat , &cJ Après un pareil détail, ne femble-t il pas que je devrbis être inftruit à fond , & concevoir i nettement la penfée du Poète ? Cependant elle me paroît encore enveloppée des plus épailfes ténèbres. J'ai lu quelque part que toutes les maifons de Rome étoient fous la protection de Vefta , comme les miifons d'Athène étoient fous la protection de Mercure. La ftatue de cette Déefle ornoit tous les veftibules , où elle étoit accom- pagnée d'an Autel fur lequel on mettoit tous les jours de nouvelles offrandes. Les Latins n'ont d'une Société célèbre. 23} même appelle vejlibulurn l'entrée de leurs mai- BMAif-L"- ions , que parce que la ftatue de Vefta en oc-siE. &e. cupoir une partie ( * ). L'ancien Grammairien , Interprète de Té- rence , qui rapporte ces particularités , les avoir apprifes d'Ovide. En effet , celui-ci dit à-peu- près les mêmes chofes au fixième Livre de fes Faftes : il ajoute feulement que Vefta étoit ho- norée dans les Veftibules , parce qu'ancienne- ment ils renfermoient les foyers auxquels elle préfidoît ( ** ). Ces obfervations faites ,il eft naturel de cher- cher à connoître pour quelle raifon particu- lière Virgile , félon tous fes Interprètes , ref- traint les foins de Vefta, à veiller feulement fur les eaux du Tibre , 8c fur le Palais du Maître de Rome , ou fur le Mont Palatin. Ne veilloit-elle pas également fur le relte de la Ville ? Pas un Commentateur ne fonge à fatis- ( * ) Romanis omnibus mos erat in atrio , hoc ejl in vejlibulo , habere Veftam ( quippè càm indé vefli- bulurn nominarint) cui facrificium quotidie facerent: illîc ei fuerat collocata ara. Eugraphius in Andriam Terentii. ( ** ) At focus à fiammis , & quod fovet omnia , diclus ; Qui tam.cn in primis œdibus antè fuie, Ovid. lib. 6. Faft. 2 54* Mémoires Bçllïs-Lït- faire ma curiofité far ce point. C'eft encore s?'* &c.°E" en vam (îue je m'adreffe aux Traducteurs : ils ne me laiflent pas moins dans l'incertitude & dans l'ignorance. Si l'Auteur ne parloit que du Palais d' Augufle , je me tirerois aifément d'affaire : les conjectures viendroient à mon fecours , & je tâcherois de me perfuader , par exemple , que Vefta veilloit particulièrement à la confervation de ce Prince , i°. parce qu'il pa(ïbit pour le foutien de l'Em- pire Romain qu'elle protégeoit : 2°. parce que defcendant par Vénus de Jupiter , frère de la Déelfe , félon Ovide , il étoit de la même fa- mille & du même fang qu'elle. Mais à quel pro- pos Virgile fait-il auffi veiller Vefta fur les eaux du Tibre ? C'eft ce que je ne comprends pas : c'eft néanmoins ce que je voudrois favoir , Se c'eft ce que perfonne ne fe met en peine de m'apprendre. J'interroge tous les Modernes , 8c nul d'entr'eux ne daigne me répondre. Indigné de ce filence , & prefque tenté de croire qu'ils n'en favent pas plus que moi , j'ai recours aux anciens , qui me prêtent leurs lumières , & je commence à entrevoir des objets , qu'un nuage obfcur dérobait à ma vue. J'apperçois à Rome deux Temples de Vefta fort remarquables. Le premier , bâti par Nama Pompilius , s'offre à mes regards dans le Forum

où les troupeaux er- sXREES '&°e: roient en liberté. Je vois cet édifice , voifin du Tibre , prêt à être enfeveli dans les inondations de ce fleuve violent & impétueux (**). C'eft aufli fur les rives du Tibre qu'Ovide me montre à découvert cet ancien monument. «J'étois étonné, a> dit ce Poète , de voir une vieille Dame aller a> pieds nuds au Temple de Vefta : elle s'ap- 35 perçut de ma furprife \ elle me fit afleoir , 8c 3t elle eut la complaifance de me faire eonuoître 33 l'origine de l'ufage qu'elle fuivoit alors. Au- 3J trefois , me dit-elle , la grande place de 3> Rome n'étoir qu'un marais, nommé le lac Cur- » tins j 8c tout couvert des eaux du Tibre , de si faules , de joncs & de rofeaux. Un folTé , que 53 ce fleuve remplifloit de fes eaux , 8c qu'on ne 33 pouvoit patTer à" pied fec , environnoit le 5j temple de la Déelfe , & le féparoit du refte (*).... PaJJïmque armenta videbant , liomanoque fora & lautis mugire carinis. Vir. /En. 8 , v. 361. Vidimus flavumTiberim , retortis Littore Etrufco violenter undis , Ire dejectum monumenta régis , Templaque Vejlcc. Hok. lib. 1 , Od. ï. a$6 Mémoires Belles-Let- » de la Ville j de forte qu'on ne poitvoic en ap- s^ES&:c.OE" " procher fans ôter fa chaullure. Ce vafte ter- >j rein , où font plufieurs de nos Temples, eft 3' devenu folide : les eaux fe font retirées dans 33 le lit du Tibre , & toutefois la coutume s» d'aller pieds nuds au Temple de Vefta fubiifte 3» encore parmi nous ( * ). Le fécond Temple de Vefta fe voyoit fur le Mont Palatin , Se dans le Palais même d'Au- gufte. Je fuis furpris que Suétone n'en dife rien ; mais je ne puis pardonner aux Commen- tateurs de Virgile d'avoir ignoré un fait fi clai- rement énoncé dans les œuvres d'Ovide. « Ce jj fut ce jour-là , dit -il , qu'en conféquence d'un 33 jufte décret du Sénat, la DéelTe Vefta fut ( * ) Hue pede matronam nudo defeendere vidi : Objiupuî tacitus , fubftinuique gradum. Senjit anus vicina loco , juffumque fédère ALloqu'uur , quatiens voce tremente caput : Hic ubi nunc fora funt , udœ cenuére paludes ; Amne redundatis fojfa madebat aquis. Cunius Me lacus , ficcas qui fujlinet aras , Nunc folida efl telius , fed -lacus ante fuit» Hic quoque lacus erat juncis & arundine denfus , Et pede velato non adeunda palus. Stagna recejferunt , £• aquas fua ripa coercety Siecaque nunc telius : mos tamen Me manet. Ovid. lib. 6, Fart. ■ (Pane Société célèbre. 237 » reçue dans un Temple, bâti en ion honneur Beiiis-Lït- » par un Prince de fon fang ( Augufte ) ». Pour SIE ' '&<;?*" fe faire mieux entendre , le Poète ajoute que » le Palais d' Augufte eft divifé en trois parties; » qu'Apollon occupe la première , Vefta la fe- » conde , & Augufte lui-même la troifième ». Appréhendant encore de ne s'être pas expliqué allez clairement , il répète en d'autres termes ce qu'il vient de dire , & conclut qu'un feul Se même Palais eft habiré par trois Dieux immor- tels^). Ce qui regarde le Temple de Vefta fut le Mont Palatin, fe retrouve vers la fin du 15e. Livre des Métamorphofes , où il eft exprefle- ment déclaré que cette Déelfe avoit un Temple dans le Palais de Céfar ( ** ), Enfin, un célèbre Commentateur , interpré- ( * ) Aufert Vefta dlem : Cognato Vefta recepta eft Limine : fie jufli conjiituêre Patres. Phcvbus habet partern : Vefte pars altéra cejjitz Quod fupereji Mis , tertius ipfe tenet, State Palatinœ /auras , prœtextaque quercit Stet domus : cetemos très habet una Deos. Ovid. lib. 4. Faft. in fine, ( ** ) Ve flaque Ccefareos inter facrata Pénates , Et cum Cœfareâ tu , Phcebe domeftïce , vefta, &c. Ovid. Met, lib. 1 j. fub finem, 238 Mémoires Be.ixes-Let- tant l'endroit que je viens d'indiquer , fait une très , PoÉ- r \ i' r sie six, note touce couronne a ce que nous liions au quatrième Livre des Faites ( *). Il a fallu infifter fur les preuves qui précèdent, parce que c'eft de-là que dépend l'intelligence du pa(Tage de Virgile , que je me fuis propofé d'expliquer. J'ai déjà fait fentir que toute la difficulté de ce palfage conliftoit dans les ter- mes , Quœ Tufcutn Tiberim & Romana Pala- tia fervas. Or , ce vérs paroîr maincenant fort intelligible. Avec le fecours de mes obferva- tions , on voit fans peine que le Poëte y parle des deux principaux Temples que les Romains avoient confacrés à Vefta , & qu'ainfî le texte , qui nous occupe ici , a toujours été mal expofé par les Interprètes 3 8c mal rendu par les Tra- ducteurs. En voici une verfion toute fimple : « Dieux de nos pères , Dieux protecteurs de » Rome , vous Romulus , &c vous Vefta , puif- 3» fante Déelfe , qui ave^ un Temple fur les 33 bords du Tibre , & un autre fur le Mont Pa~ 55 latin , dans le Palais même de Cefar , n'em- » péchez pas du moins que ce jeune Héros foit ( * ) Templum Veflœ In Auguftl Palatio fuit pofi- tum y decreto Senatûs , ibique conditum, ubi nunc vifitur cèdes Sauciez Mariœ Libcratricis, J. Juven- cius* J. d'une Société célèbre. 239 » notre appui dans les malheurs qui nous acca- ïîellïs-Let- Il . / * x TRES , PoÉ- Je fuis d'aurant plus étonné que l'on n'ait pas conçu l'idée de Virgile , que les Anciens , lors- qu'ils invoquoient les Dieux , ne manquoient guères de faire mention, ou du culte qu'on leur rendoic , ou des pays qui les honoroient parti- culièrement , ou des Autels & des Temples où on leur offroit des vœux & des facrifîces. Cette formule de prière . Ci j'ofe m'exprimer ainfi , étoit apparemment regardée comme un motif capable de déterminer plus efficacement les Dieux à accorder les grâces qu'on leur de- mandoit. Pour ce qui concerne les Temples , les Poeres les délignoient prefque toujours par le nom des lieux où ils étoient fi tués. L'Enéide pourroit me fournir plusieurs preuves décifives de cet ancien ufage : mais, pour abréger, je me home à une feule que je tire encore d'Ovide. Sur la fin de Tes Metamorphofes , ce Poète , a l'imitation de Virgile , prie les Dieux , Pro- tecteurs de l'Empire Romain , pour la confer- vation Se la profpérité d'Auguite : Apollon & Vefta ne font point oubliés : il les intérefle , en ( * ) Je ne donne point ceci pour un. modelé de tra- duction : je veux être entendu ; & , pou- parvenir à ce but , je crois ne pouvoir are trop littéral. 240 Mémoires Beuïs-Lït- quelque forte, à veiller fur les iours de I'Empe- TKfS, POS- , . sia, reur , en leur repréfentant qu'ils ont l'un &c autre un Temple dans fon Palais ( * ). Il en ufe de même à l'égard de Jupiter ; & vous , dit- il , en adreifant la parole à ce Dieu, & vous , Jupiter , qui avez un fuperbe Temple fur le Mont Tarpéïen , &c. ( ** ) Quique tenes alcus larpeïas Jupiter arces , &c. D'ailleurs , il eft incontestable que le verbe fervare , lignifie non fpulomcm yrotéger , con- ferver , veiller fur, mais encore habiter 3 oc cuper , pofféder. Cette dernière acception n'eft point inconnue à Virgile : elle fe rencontre au quatrième Livre des Géorgiques , où fervant eft employé au fens de tenent ou incolunt. Ajou- tons que le teues d'Ovide , Se le Jervas de Vir- gile , offrent précifément la même image , Bec. Et cum Cœfareây &c. dans la citation. ( ** ) Page 137. prêtes , d'une Société célèbre: 241 prêtes , que ce verbe veut dire ici veiller fur , Eellïs-Lît- ou protéger j eu ce cas , je ne m'amuferai point **ES 'Jcci~ à contefter avec lui , pourvu qu'il veuille con- venir avec moi que Vefta ne veilloit fpéciale- ment fur les bords du Tibre & fur le Monr Pa- latin , qu'à caufe des Temples célèbres qu'elle avoit en ces lieux. A. Bourgeois. ARTICLE XL ExAMEX du fentiment cf Aper t fur £ éloquence de ClCÉRON. _A.p e r , parlant dans le Dialogue , attribué à Tacite , aceufe Cicéron d'être lent dans les exordes , long dans les narrations , de s'émou- voir rarement & difficilement ; fes penfées 3 dit- il , n'ont rien qui frappe , rien qu'on retienne volontiers , rien qui s'imprime dans Vefprit du Lecteur. Je demande d'abord qu'on falle réflexion a ce que tous les Maîcres de l'éloquence nous di- fent de l'exorde. Il n'en: fait que pour prévenir l'efprit des Auditeurs en faveur de l'Orateur. Qu'on remarque avec combien d'art Cicéron s'acquitte de ce premier devoir. S'il y a un mot obligeant à dire aux Juges , quelque rrait de Tome II. Q 242 Mémoires Belles-Lit- fatyre à lancer contre l'Adverfaire, quelque fi- siT?|cç.9^" chetix préjugé à faire valoir contre lui , c'eft à cela qu'il emploie l'exorde. Qu'on life l'exorde de la plupart des oraifons prononcées devant le Peuple , ôc qu'on voie fi l'on n'y trouvera pas autre choie que des phrafes. Au commencement de la deuxième oraifon de Lege agrariâ , ma- tière délicate à traiter devant le peuple , avec quel artifice ne ramalTe-t-il point tout ce qui peut le faire regarder comme un homme popu- laire ? On ne nie point qu'il n'y ait peut-être quelquerois dansles exordes de Cicéron quelque période un peu trop enflée , on l'en ac*cufoit de fon temps \ mais il ne faut pas confondre l'en- flure de quelques-unes avec i'harmonie Se la vé- ritable magnificence des autres. D'ailleurs , de- puis quand quelques défiuits , effacés par mille beautés , ont-ils donné droit de méprifw-r un Au* teur ? On fait le procès à Cicéron pour trois particules de rrop \ fi l'on condamnoit ainfi un livre pour quelques penfées faulfes 3c outrées , où en leroient les Défenfeurs de Sénèque ? Apres tout , ce n'eft pas l'exorde qui fait l'Orateur , puifque le détail des preuves ôc la force des mouvemens n'y ont point lieu. Or , c'eft dans ces deux chofes qu'a excellé Cicéron. J'avoue qu'il y a quelques narrations qui peuvent paroître longues. Tout ce qui deman- (V une Société célèbre. 24, j doit un grand détail de loix , d'édits , de comp- iîellhs-Let- tes \ en un mot , tout ce qui étoit embarrallé sis " &c.°K* de beaucoup de chicanes , ne pouvoit être traité aufli vivement que le refte. Telles font les orai- fons pour Cluentius , pour Cécina ; tels font plufieurs endroits des livres contre Verres , 3c fur-tout du troifième. Mais faut il s'en prendre à Cicéron ? Dans un plaidoyer , l'Orateur dé- pend de la matière. Si elle eft sèche Se épineufe , il fuffit qu'il la traite nettement & folidement 5 & c'eft ce qu'a fait Cicéron. Mais quand il a eu des fujets qui l'affranchifloient de la fâcheufe nécefilté où il s'eft trouvé quelquefois d'être en- nuyeux, comment s'en eft il tiré ? Quelle force , quels traits dans la plupart des narrations des deux dernières Verrines , del'oraifon pour Milon, de l'oraifon pour Sextius , & de la féconde Philippi- que ! Nous nous imaginons que les chofes fe paf- fent devant nos yeux : quelle impreftiou devoient- elles faire fur les Romains ? Au refte , je ne com- prends pas comment on peut aceufer Cicéron de s'émouvoir rarement & avec peine. Hors les en- droits épineux dont j'ai parlé , je ne trouve par- tout que mouvemens , & que les mouvemens les plus forts ou les plus tendres. Quelles invec- tives contre Verrès , contre Catilina , contre Antoine 1 II abandonne alors le ftyle périodique j ee n'eft plus un fleuve qui roule fes flots avec 244 Mémoires Beclïs-Let- majcfté , c'efl: un torrent qui entraîne tout , Se sie^&c.0 " * °liU rien ne réfifte. Je fuis attendri toutes les fois que je lis l'hiftoire du fupplice de Gavius , celles du chandelier d'Antiochus, de ces malheureux Siciliens , qui furent obligés de donner de l'ar- gent aux Licteurs pour acheter une mort plus prompte & moins douloureufe ; l'oraifon pour Ligarius , qui fit de Ci vives impreflîons fur le cœur de Céfar ; la plupart des péroraifons , fur- tout celle de l'oraifon pour Milon , & de l'orai- fon pour Muréna. C'efl: dans ces endroits qu'il faut chercher Cicéron , &; ce font eux qui jufti. fient fa réputation. Mais , dira-t-on , dans ces endroits-là même , on ne lit rien qui s'imprime dans l'efprit, rien qu'on retienne volontiers: c'eft-à-dire , qu'on n'y trouve point , comme dans Sénèque Se dans Pline , de ces jeux d'ef- prit, de ces penfées recherchées & alambiquées, de ces vraies pointes d'épigrammes qui amufenc agréablement l'efprit , on l'avoue ; mais ce re- proche eft un fort grand éloge. On peut admirer ou exeufer ces traits dans l'éloquence que nous appelions académique t que les Romains mépri- foient , & qu'ils renvoyoient aux Sophiftes & aux Déclamateurs. Mais demander des antithèfes à un Orateur , chargé de rendre odieux un fcé- lérar , ou de meure en évidence l'innocence d'un malheureux \ à un Conful , que l'amour de d'une Société célèbre, 2^ la liberté oblige à s'élever contre des conjurés , Belles-Lit. ce n eit point connoitre la véritable éloquence. SIEj &u Quand les cliens de Cicéron venoient le prier de les défendre , ou d'accufer leurs ennemis , lui demandoient-ils qu'il fît un difcours ingé- nieux & brillant , qui n'auroit prouvé autre chofe , (mon que Cicéron avoit de l'efprit ? Non fans doute , ils vouloient qu'il remplît le cœur de leurs Juges d'indignation contre leurs adver- faires , & de compaiîion pour eux , & c'elt ce qu'il imprimoit dans l'amede fes Auditeurs. On ne retenoit point de ces difcours quelques jeux d'efprit , ou quelques antiihèfes recherchées ; mais on en fortoit indigné contre Verrès ôc contre Catilina , attendri fur les malheurs de la Sicile & de la République. On peut dire aufli que le ltyle ingénieux n'a pas été inconnu à Ci- céron , lorfqu'il a dû. l'employer. Les oraifons pour Marcellus , pour Cœlius , & les railleries délicates fur la févérité de Caton , répandues dans l'oraifon pour Muréna , en font des preu- ves. Enfin , pour finir par un éloge digne de Cicéron , Se qu'on peut oppofer à toutes les cen- fures de fes adverfaires , fouvenons-nous du moc de Velleïus Paterculus. Effecit ne , quorum arma viceramus , eorum ingénia vinceremur. IL a em- pêché que nous ne fufjions vaincus par Vefprit des Grecs , que nous avions vaincus par les armes. 2^6 Mémoires Helles-Lst« tr.es , Poé- sie , Sec. ARTICLE XII. Explication d'un paffage du premier Livre de Naturâ Deorum de CicÉron. Le paffage de Cicéron , que j'entreprends d'expliquer , fe lit au commencement de fon premier Livre de la Nature des Dieux. Le voici : Perobfcura quccfîio ejî de Naturâ Deorum , quee & ad agnitioium animi pulcherrima ejl & ad mo- derandam relig'onem necejjaria. De qaâ tam varice fuat doct'jjlmorum hominum, tamque dif- crepantes fententicc , ut magno argumento cjje, debeat , caufam, id efi > principium philojopkice tjje feientiam : prudenterque Academicos à rébus incertis ajenjjionem cohibuijje, L'obfcurité de ce palfage vient du mot , Scien* tiam , lequel , dms la place qu'il y occupe , ne fait aucun fens raifonnable. Tous ceux , qu'on lui a donnés jufques à préfent , fatisfont fi peu les favans , qu'ils l'ont appelle , avec raifon , la croix de critiques. Il feroit trop long de rappor- ter ici leurs différens fentimens fur ce fujet , Se également inutile de les réfuter , après qu'ils fe font h bien réfutés les uns les autres. M. l'Abbé d'Olivet en a ralïemblé onze interprétations d*une Société célèbre. 247 différentes à la fin du premier tome de fa Tra- Bitxi*>£ra duétion \ & il leur préfère , avec juftice, celle ™ES ôcc,0fc" du favant Préfident Bou/iier. Ces deux Meilleurs veulent que fclentiam lignifie en cet endroit , des notions claires & inconteflables fur lefquelles tout raifonnement doit être appuyé » comme s'ex- plique M. le Préfident Bouhier • ou , des prin~ cipes évidemment connus , comme s'exprime M. à'Olivet en traduifant ce mot. ce La diverfité » dit-il , Se la contrariété même , qui fe re- » marquent ici dans les opinions des plus favans » hommes , font bien voir que la Philofophie i> doit porter fur des principes évidemment 35 connus ». A-lais, outre que la feietîte & les principes de la feience font deux chofes diffé- rentes , que le même mot ne rend pas ; il me femble que cette interprétation foulïre trois difficultés , qui peuvent la rendre au moins fufpecle. i°. Elle ne fait pas parler Cicéron d'une ma» nière digne de lui. Qui doute en efret que la Philofophie ne doive porter fur des principes évidemment connus ? Sur des notions claires & inconteflables fur lefquelles tout raifonnement doit être appuyé ? Cicéron , pour perfuader une chofe fi triviale , avoit-il befoin de propofer la diver- fité des fentimens des Philofophes fur la nature des Dieux ? C'eft par cette raifon , & dans les Q4 24 $ Mémoires Bellhs-Let- mêmes termes, que M. le P. Bouhkr rejette l'opi- TR.F.S , PoÉ- 1 1 j i-r • /■ • sib &c. monde ceux qui veulent qu on lue j injcientiam , au lieu de fcicntiam. Il lui a paru que Cicéron ne devoit point avoir recours à la diverhté des fen- timens des Philofophes, pour prouver que l'igno- rance , infcientiam , eft caufe que les liommes s'attachent à la Philofophie. Or, cela n'étoit-il pas tout au moins aulli inutile , pour montrer que la Philofophie doit porter fur des principes évi- demment connus * fur des notions claires & in- contejlables fur lefquelles tout raifonnernent doit être appuyé ? La Philofophie n'eft , & ne peut être , non plus que toutes les autres fciences , qu'un amas , un affemblage , une fuite de rai- fonnemens. A quel propos donc , Cicéron fe , mettroit-il en devoir de prouver , qu'elle doit être appuyée fur des principes évidemment con- nus , fur des notions claires & incontefiables , &c. ? 2.°. Ce qu'on fait dire à Cicéron , par cette interprétation , n'a aucune liaifon avec ce qui précède. Car , de ce que les Philofophes ont eu des opinions fort différentes fur la nature des Dieux , s'enfuit-il en aucune manière , qu'on doive commmencer à Philofopher fur des prin- cipes évidemment connus , fur des notions , &c. à moins qu'on ne fuppofe qu'ils ne l'ont pas fait , ce qu'on fuppoferoit fans fondement ? La diffé- rence des fentimens des Philofophes , fur cette d 'une Société célèbre. 249 matière , & far une infinité d'autres , ne vient Beiles-Let- 1 i'i 1 • • o J TRES , Po£- pas de ce qu ils manquent de principes oc de SIE t notions , &c. mais de ce que par paflion , ou par prévention , ou par inadvertence , ou par précipitation , ils tirent de faufles conféquen- ces de ces principes & de ces notions. Or , comme la vérité efl: unie en chaque fujet, & que la fauflTeté , qui s'en écarte , peut s'écarter d'une infinité de manières, de ce point fixe & unique : c'eft de-là que naiflent la diverfité & la contrariété des fentimens des Philofophes. 30. Cette même interprétation ne s'accorde pas mieux avec la fuite du texte : prudenterque Academïcos à rébus Incertls affendonem cohi- buijfe. Pour le faire fentir, voyons comment M. àHOlivet lie l'une à l'autre dans fa Traduction. Le voici : ce La diverfité & la contrariété môme , j> qui fe remarquent ici dans les opinions des » plus favans hommes , font bien voir que la » Philofophie doit porter fur des principes évi- 53 déminent connus ; & que par conféquenc les 53 Académiciens , où ils n'ont trouvé que de j> l'incertitude , ont eu raifon de fufpendre » leur jugement 33. Il me femble qu'on ne peut tirer cette conféquence , de l'antécédent qui la précède , qu'en fuppofant encore ici , que les Académiciens ne connoifToient pas les principes évidemment connus. Mais peut -on le fuppofer , 2$o Mémoires Ilai-LEs-LET- quand on fait qu'ils reconnoiiîbient certaines m, &c vérités , comme Cicéron , qui étoit de leur Secte , nous l'apprend un peu plus bas ? Nec tamen fieri potejl , ut qui hâc ratione Phïlofo- phantur , ji ( Academici ) nihil habeant quod fequantur. Cicéron répète fotivent la même chofe ailleurs , 6c fur-tout dans les Queftions Académiques. Les Académiciens connoilfoient donc la vérité des principes évidemment connus , la plus lumineufe de toutes , 6c qui précède né- ceifairement la connoilïance de toutes les autres vérités. On fuppofe donc fans fondement qu'ils ne connoilloient pas ces principes , 6c cette fup- poution étant fautTe , la conféquence qu'on en t tire , ne l'eft-elle pas auffi \ que les Académi- ciens , où ils nont trouvé que de t 'incertitude , ont eu rai/on de Juf pendre leur jugement ? Ce font -là les principales difficultés , rjui m'ont empêché d'adopter l'interprétation de M. le Préfident Bouhier 6c de M. d'OUvet , 6c qui m'ont engagé à en chercher une nouvelle , qui ne fouffrît pas ces mêmes difficultés. Je crois l'avoir trouvée ; mais ne me flattai-je point ? Les favans en jugeront \ je vais la leur pro- pofer. On éviteroit , ce me femb'.e , les inconvéniens dont je viens de parler , 6c tous les autres qui fe trouvent dans les différentes explications de ce tP une Société célèbre* 2.51 fameux paflfage , en ajoutant feulement au mot Bellis-Lït. fcientiam , le monofyllabe hanc , c'eft-à-dhe , " fcientiam hujus rei , hujus argumenti , naturœ Deorum. Je ptétends donc qu'on doit lire : Uc magno argumente» ejfe debeat , caufam 3 id efl , principium Philofophiœ ejje fcientiam hanc; c'eft- à-dire : ce qui efl; une grande preuve que cette feience ( de la nature des Dieux ) eft la caufe ou ' le principe de la Philofophie. Ceux qui favent les changemens que les Cri- tiques ont faits à ce paflTage pour l'expliquer , n'incidenteront pas fur cette légère addition. Le Père Lefcalopier a eu raifon de dire qu'on avoit mis à la torture cet endroit de Cicéron , vexatus hic locus à multis. Les uns ont cru qu'il falloit lire infeientiam , les autres , non effe fcien- tiam ; quelques - uns , fententiam. M. Petit y ajoute cinq à fix mots. On eft fans doute en droit de faire de pareils changemens , quand , en confervant le texte ordinaire , on ne peut y trouver un fens digne de fou Auteur ; quand les Manufcrits varient , comme ils le font ici ; quand le changement qu'on fait , n'eft pas con- fidérable ; quand enfin il efl: naturel de foupçon- ner , que ce qu'on fupplée , a pu aifément écha- per aux Copiftes Se aux Imprimeurs. Or, qui ne conviendra qu'un monofyllabe a pu plus aifé- ment être omis que tout autre mot , fur-tout lî 2$ 2. Mémoires Behes-Lït- on fait réflexion, que dans les Manufcrits & ii^&c/ "les anciennes Éditions, les monofyllabes , déjà très-courts par eux-mêmes , s'éciivoient encore par abbréviarion ? Mais je reviens à ce que j'ai à prouver : fa- voir , que par l'addition du mot hanc , cet endroit de Cicéron eft à couvert des inconvé- niens qu'il foufïre par toutes les autres Interpré- tations , & en particulier par celles de M. le Préfident Boukier & de M. à'Olivet. i°. Je fais parler Cicéron d'une manière di- gne de lui , lorfque je lui fais dire , que la connoitlance exaéte de la nature des Dieux efl: une des caufes ou des p. incipes de la Philofo- phie. Quoique cette penfée ne lui foit pas parti- culière , c'eft une de ces penfées qu'un grand génie ne doit pas rejetter , toutes communes quelles font , à caufe du beau fens qu'elles ren- ferment: ; mais fur-tout , li elles font nécelfaires dans l'endroit où il les place. Or , Cicéron en avoit befoin à l'entrée d'un Exorde , où , en bon Orateur , il vouloit donner une grande idée du fujet qu'il alloit traiter. Dans cette vue , après avoir dit d'abord , que la queftion de la nature des Dieux eft très-obfcure : Pcrobfcura quœfiio efl de naturâ Deorum : qu'elle eft nécelfaire pour connoître ce que c'eft que l'Ame , & pour régler la Religion j quce & ad agniùonem animi (Tune Société célèbre. 2^5 pulcherrlma ejl , & ad moderandam.Religionem Bbixm-Lht- necejfaria : que les plus favans hommes ont eu su , 8cc. des fentimens fort différens là-deflus j de quâ tant varice, funt doclijfimorum hominum , tamque diferepantes jententïœ : il ajoute que la connoif- fance de cette matière eft une- des caufes ou des principes de la Philofophie ; caujam , id efî } principium Philojophiœ ejj'e feientiam h a n c. Voilà fans doute de quoi réveiller l'attention de fes Lecteurs. Quelques-uns ont voulu mal-à-propos diftin- guer les caufes des principes de la Philofophie. Il eft certain que caujam & principium lignifient ici la même chofe \ comme ïid ejl , avec lequel Cicéron les joint , le marque allez. Ariftote , 6c tous les Philofophes après lui, emploient indiffé- remment ces deux mots , pour exprimer les vé- rités , d'où i-uilTent d'autres vérités • mais ils distinguent deux fortes de principes de la Philo- fophie : favoir , les premiers principes , qui font évidemment connus par eux-mêmes , fans le fe- cours d'aucun principe précédent ; & les "con- clurions qu'on tire de ces premiers principes, 8c qui deviennent à leur tour les principes de nou- velles conciliions. Parmi ces derniers principes , les Philofophes donnent, avec plus de raifon, ce nom à ceux qui Auvent immédiatement des premiers , & qui 2 y 4 Mémoires Belles-Let- par leur fécondité produifent toutes , ou , pref- sie,&c.°E que toutes les conclutîons , donc l'affemblage fait le corps de la Philofophie. Telle eft la con- noiiTance de la nature de Dieu , que tous les Philofophes anciens & modernes ont regardée fur ce pied. De ceux - ci , je ne citerai qu'un feul , qui , par la beauté & la fublimité de fon génie , peut tenir lieu de tous les autres. C'eft le célèbre M. de Fénelon , Archevêque de Cam- bray. Je tiens j dit-il , dans fon Traité de l'Exif- tence de Dieu , la clef de tous les myflères de la nature , dès que je découvre fon Auteur. i°. Mon interprétation donne à ce palfage un fens , qui s'accorde parfaitement avec ce qui précède. En effet , la diverfîté & la contrariété des opinions , que les Philofophes ont inventées avec tant d'application & d'étude fur la nature des Dieux , en cherchant à la connoître , né font-elles pas une preuve bien fenhble , qu'ils en ont regardée la connoiiîance exacte , comme elfcntielle , comme capitale , comme une des caufes, ou des principes de la Philofophie ? 3°. Le fens , qu'a ce paffage dans mon inter- prétation , n'eu; pas lié moins naturellement avec ce qui fuir : Prudenterque Academicos à rébus incerûs ajfentionem coh'ibuiffc. Pourquoi ? Parce que les Académiciens n'ayant fu fe déter- miner fur la nature des Dieux, ce qui étoit d'une Société célèbre. 25$ connu de tout le monde, & ce que fait bien voir Bellks-Lï*- l'Académicien Cotta dans le Dialogue de Cicé- ron j ils faifoient fort prudemment de fufpendre leur jugement fur beaucoup d'autres chofes , qui dès-là ne pouvoient leur être que très-incer- taines. Qui manque d'une connoiilance , qui doit précéder les autres , fait fagement de ne prendre aucun parti fur celles-ci. On m'objectera peut-être que, dans cet endroit, Cicéron ne parle pas de l'indétermination des Académiciens fur la queftion de la nature des Dieux. J'avoue qu'il n'en patle pas en termes formels \ mais ce n'eft que pour la raifon que je viens d'indiquer, parce que perfonne n'ignoroic leur indétermination fut cet article. Cicéron çn. a ufé à cet égard , comme eu ufe dans tout dif- cours un Auteur qui veut être court , & ne rien dire de fuperflu ni d'inutile. Il fuppiime les vé- rités , qu'il juge qu'on aura fuififatriment pré- fentes à l'efprit , fans qu'il foit befoin de, les exprimer. Dans l'Ecole même, où l'on fe pique de prouver tout à la rigueur , fait-on difficulté d'employer l'Entliymôme , qui eft une efpèce d'argumentation , où l'on fous-entend une pro- polîtion , fur laquelle 011 voit que perfonne ne peut héhter ? Voici donc , à ce qu'il me paroît , le fens vé-« ritable de ce fameux patfage , qui a voit été 2 y 6 Mémoires Belies-Let- jufqu'ici , pour tant de favans Critiques , u» ««" &c.°E" écueil funefte : La diveifité & la contrariété même des opi- nions , que les plus favans hommes ont imagi- nées avec tant d'application fur la nature des Dieux , font bien voir qu'ils en ont regardé la connoilîance exacte , Jcientiam hanc , comme une des caufes ou des principes de la Philofophie \ ôc que par conféquent les Académiciens , qui n'ont pas fu fe déterminer fur cette queftion , ont eu raifon de fufpendre leur jugement fur bien des chofes , qui dès-là ne pouvoient qu'être in- certaines pour eux. Philosophie , d'une Société célèbre. 2^7 PHILOSOPHIE MORALE, MÉTAPHYSIQUE. Article Premie r^ Lettre à M. de *** fur le premier principe de la Morale. Pendant une partie de cette nuit , Monfieur , pHn.0SO. notre converfation d'hier m'eft revenue à l'ef- TH1E ^[OKA- Lt , Mita- prit ; mes idées fe font développées 5 les ré- physiqu». ponfes que je vous fis , comme on les fait dans un entretien qui n'eu: point médité , 6c dans une difpute où l'on ne termine rien , fur- tout quand il y a plufieurs Acteurs , ont pris , ce me femble , une nouvelle force. Vous en jugerez , Se vous ne ferez peut-être pas fâché *]ue je vous les expofe ici. Vous ne voyez pas , difiez-vous , qu'il y ait dans la Morale de premier principe certain , néceffaire , invariable , d'où l'on puiffe con- clure les devoirs de l'homme , & forcer fa raifon Tome IL. R 1E 2; 8 Mémoires Philoso- à en reconnoître l'obligation. Vous prîtes pour PHH MoRA « • rr > Méta. exemple cette maxime , qui patle néanmoins ïsique. généralement pour un premier principe : Ne fais point à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fît ; maxime , d'où s'enfuivent tous nos devoirs à l'égard du prochain : & vous fouteniez , fi je vous ai bien entendu; i°. que ce n'eft point un premier principe. z°. Que ce principe n'eft point démontré. C'eft y aller de bon jeu , & attaquer la place par l'endroit le plus fort. Et d'abord , ce n'eft pas un premier principe , puifque je puis en demander la raifon , & dire : Pourquoi ne dois- je pas faire à un autre ce que je ne voudrois pas qu'il me fît ? On me répondra, difiez-vous , parce que je ne voudrois pas qu'on me le fit. Or, c'eft précifément répondre ce qui eft en queftion. Donc la maxime n'eft ni premier principe , ni prouvée. Mais , Monfieur , ne fuppofez-vous pas gratuitement , & fans fon- dement, que ce n'eft pas un premier principe , parce qu'il vous plaît d'en demander la raifon ? Ne reconnoilTez-vous pas pour premier principe méthaphyfique , ou géométrique , celui-ci : Le tout ejl plus grand que fa partie. Et fi je m'avi- fois , moi , de vous en demander la preuve , ne feroit-ce plus un premier principe ? Il y a bien de la différence , répondiez-vous : je connois la véricé & la certitude de celui-ci par les idées

2.62 Mémoires Philoso- qui offenfe l'Auteur de la raifon , le vengeur des phieMora- 1-11 -r t ci » n. u , mét a- droits de la raiion. La conlequence , c elt que physique. nous ne devons jonc pas f^ire cette at^ion ; & c'eft auffi ce que défend la loi naturelle: Tune feras pas à un autre , &c. Or , je prétends que cette maxime, ainfi réduite à fon principe , ou ce prin- cipe même , eft évidemment & nécefTairement vrai , & connu par les idées. Développons-les pour vous en convaincre. Si l'idée de mal moral , d'action mauvaife , contraire à la raifon , d'offenfe de Dieu , de péché ( car tout cela n'eft point diftingué ) -y Ci cette idée , dis-je , eft contenue dans l'idée de faire à un autre ce que vous ne voudriez pas qu'il vous fît , n'eft-il pas évident que vous ne pou- vez en ufer ainfi , fans commettre une action mauvaife ? Et pouvez -vous douter un inftanc avec réflexion de l'identité de ces idées ? En effet, je vous demande, avec raifon , pourquoi vous ne voudriez pas que quelqu'un en usât avec vous de cette manière ? C'eft , fans doute , parce que ce traitement feroit un mal pour vous , un mal qu'on vous feroit fans raifon , fans autorité , fans en avoir droit , & contre le droit que vous avez de n'être pas ainfi traité ; car c'eft ce que la loi défend , fondée fur le principe naturel & invariable que j'ai rapporté. Donc celui qui agi- roit de cette forte , agiroit fans raifon , & même d'une Société célèbre. 263 contre la raifon , violeroic votre droit , le droit Phuoso- \ I I J £ ' PHIE MOKA" commun a tous les hommes : donc , en vous rai- LE •. MÉTA. fant ce mal , dans les circonstances marquées , il PHirsiauï. feroit mal, feroit injufte , il pécheroit. Et s'il fe rend coupable par cette conduite , comment, en l'imitant, pournez-vous être innocent ? Donc ileft métaphyfiquement vrai, certain , évident, qu'il n'eft pas permis de faire à un autre , ce que nous ne voudrions pas qu'il nous fît ; & nous avons dans cette vérité un premier principe de morale , auiîi inébranlable , aufîi clairement connu par les idées , que les premières & les plus fimples vérités de la Géométrie. 11 eft bien étrange , Monfîeur , qu'on s'avife , au bout de fix mille ans , de rappeller à l'examen des notions gravées en caractères ineffaçables dans tous les efprits ; des notions , dont on tâche en vain d'étouffer la lumière importune ; & que la témérité de difputer fur tout , décorée du nom de force d'efprit , de fageffe , de philofophie , précipite aujourd'hui certaine efpèce de gens dans le plus ftupide , & le plus infenfé Scepti- cifme qui fut jamais. Mais puifqu'une vaine fub- tilité , dont on fe glorifie , eft employée à égarer la raifon pour les intérêts du cœur , je me per- fuade que vous ferez bien - aife que j'aie mis eu cruvre ce que la Métaphyfique a de plus certain , pour ramener au bon fens ceux qui , à force de R4 264 Mémoires Pmtoso- raifonner , ceflent en vérité d'être raifonna- ïhieMora- ., , . le , méta- blés j & j epere que vous le ferez valoir dans les occationSj qui ne vous manqueront pas. ARTICLE II. Réflexions fur V accord de la Foi & de la Raifon , à foccafion de B A Y L e & de LÉlhNlTZ. Î^kétendre foumettre à la raifon les dogmes de la Foi , c'eft une témérité rifible. Soutenir d'un autre côté que la Religion & la Raifon fe contredifent , c'eft l'effet d'un aveuglement vo- lontaire. Comment donc diftinguer ce qui eft du relTort de la Raifon d'avec ce qui n'appartient qu'à la Foi ? Pour peu qu'on y réfléchilfe, on connoîtra aifément les droits de l'une & de l'autre ; ils font fi évidens , qu'il faut être on aveugle ou înfenfé pour les confondre. La Raifon fe preferit à elle-même des bornes. Tout le monde les fent , mais tout le monde ne s'y renferme pas , & il y a des gens qui s'ima- ginent étendre fon empire , en faifant des comfes au-delà de fes limites. Bayle & Léibnitz ( * ) connoilToient fans doute (*) Voyez le Difcours placé à la tête de la Théodicee de ce dernier. i i-i 1 r phie Moka- dent quil ne prend poinc le terme de loutenir LS> mfta- dans le même fens que Bayle. Celui-ci prétend rHYS1QUE- que les objections qu'on fait contre certains myftères , font telles , que la Raifon humaine, ne peut les réfoudre par fes propres lumières , & fans avoir recours à celle de la Foi. Quelque répugnance qu'on doive avoir à adopter les fen- timens de Bayle fur la Religion , il eft difficile de penfer autrement que lui fur cet article. En eftet, Ci la Raifon pouvoit fatisfaire à toutes les objections contre les myftères par des réponfes abfolument étrangères à la Foi , il s'enfuivroic néceiïairement que la Raifon comprendroit ces myftères, &c qu'elle pourroit en démontrer la poflibilité y car une chofe eft démontrée poffible , dès que toutes les difficultés dont elle étoit fuf- ceptible font levées , cV que la Raifon a réfolu toutes les objections qui pouvoient en diminuer l'évidence. Or , il n'y aura jamais de démonf- tration directe & pofitive en faveur des myftères ; s'il y en avoit j ils cefiferoient d'être myftères , 3c c'eft précifément dans cette difconvenance & cette contradiction apparente de la Raifon & de la Foi qu'ils confiftent. Il y a des vérités qui ne fe foutiennent que par la Raifon , telles font les vérités phyfiques; il y en a d'autres qui fe foutiennent par la Foi & n 6 S Mémoires par la Raifon, comme l'exiftence de Dieu} il y en a d'autres enfin qui ne fe foutiennent que par la Foi , & tels font les myftères. Auffi quand M. Léibnitz fait entrer la Raifon en lice pour les foiuenir , ce n'eft pas la Raifon toute feule qu'il produit , mais la Raifon dirigée &c foutenue par h Foi. Or , ce n'eft point de cette Raifon que Bavle a entendu parler ; il parle d'une Rai- fon indépendante de la Foi , telle qu'elle fe trouve naturellement dans l'homme. Il femble donc qu'on ne doit pas atttibuer à la Raifon hu- maine toute feule l'honneur de défendre les Myftères : ils font fondés fur la Foi j c'eft la Foi qui les foutient , qui les défend , <5c qui triom- phe de ceux qui font affez téméraires pour les attaquer. La manière dont M. Léibnitz réfute l'opinion de Bayle , fait voir que la Raifon ne contribue point à donner la folution des objections contre les Myftères j car il fe réduit à foutenir qu'ils font tels par leur nature que la Raifon humaine ne peut y atteindre j en forte que les raifonnemens les plus folides n'ont qu'une folidité apparente, quand on les oppofe aux Myftères. D'où il ré- fulte que ce n'eft pas la Raifon humaine qui foutient le Myftère , attendu-quelle ne fauroit s'élever au-deffus d'elle-m5me ; mais que c'eft le Myftère qui fe foutient par lui-même ; car il eft d'une Société célèbre. 26g de fou efTence de ne pouvoir être attaqué par Philoso- la Raifon. On n'eft donc pas plus fondé à pré- le , Meta. tendre que c'eft la Raifon humaine qui foutient * , ' le Myftère, qu'à dire que c'eft fourenir un fiége que d'être dans une Place, qui ne peut être atra- quée par l'ennemi. Une proposition que M. Léibnitz avance fur cette matière paroît hardie. Il prétend que Ci la Raifon rournilloit une objection invincible con- tre un Myftère : il faudroit en abandonner la croyance. Il eft vrai qu'il entend par la Raifon un enchaînement de vérités. Or , l'objection, étant fuppofée une vérité contradictoire au Myitère , il fiudroit néceflairement que le Myftère fût faux: il femble cependant qu'il y a de la témérité à commettre aihfi la Foi avec la Raifon , l'autorité divine avec l'autorité hu- maine, la Révélation avec les opérations natu- relles de l'efprit humain. Quoique l'on ne puiffe démontrer géométriquement la faufTeté d'au- cun Myftère, ce n'eft pas cette impoffibilité qui doit être le motif Se le fondement de notre Foi. Quelqu'éclairés qu'avent été Bayle & Léib- nitz , il femble qu'ils aient affecté d'ignorer les juftes bornes de la Raifon • Bayle y défère trop quand il s'agit d'attaquer la Religion , 8c trop peu quand il eft queftion de la défendre. Pour '270 Mémoires Phuoso- M* Léîbnitz, on peut dire qu'il élève trop la Rai* phie Mohla- fon humaine, en lui attribuant de fourenir descho- ï.e , Meta- * physique, fes qui font fi fort au-deflus de fa portée j à force de vouloir annoblir la Raifon , quelquefois on la dégrade. Quoi qu'il en foit , il y a dans celui- ci une efpècfe de témérité , dans celui-là on pourrait foupçonner quelque chofe de pis. Pour retenir la Raifon dans fesjuftes bornes, & empêcher qu'elle ne s'égare , il faut nécessai- rement diftinguer deux chofes dans la Religion. i8. Pourquoi faut -il croire ? z°. Que faut -il croire ? Que la Raifon humaine emploie toutes fes forces à approfondir la première queftion ; mais qu'elle refpecte la féconde , & qu'elle ne •s'avife point de la foumettre à fes lumières. Non feulement il eft permis de s'inftruire des motifs de crédibilité ; mais il eft avantageux de ne les pas ignorer , & néceflfaire d'en connoître quelques-uns. Croire en effet fans favoir pour- quoi on croit , c'eft ne pas croire , ou c'eft croire imparfaitement j c'eft, en un mot, croire la vraie Religion comme d'autres croient les faufles. On a beau dire qu'on ne rifque rien à humilier la raifon , qu'il eft dangereux de lui donner ttop d'elfor, que la Religion nous ap- prend à la tenir dans une captivité méritoire , que tous les raifonnemens d'un Chrétien ne doivent tendre qu'à le convaincre qu'il doit & de plufieurs autres, ont-elles nui à la Reli- gion ? Rien de plus utile au contraire que leurs Ouvrages , & ces Auteurs n'ont peut-être jamais fait un meilleur ufage de leur raifon , que lorf- qu'ils s'en font fervi pour examiner les motifs qui doivent nous déterminer à croire. Le moin- dre bien que procure un tel examen 3 c'eft de fervir infiniment à celui qui le fait. Je dis que c'eft-là le moindre avantage , parce qu'en fait de Religion , il eft difficile d'être bien convaincu fans chercher à perfuader les autres. Si l'on eft en droit de pefer & d'examiner les raifons qui nous portent à croire , il n'en eft pas de même par rapport aux articles que nous fommes obligés de croire. Difcutons les ■i 272 Mémoires Philoso- motifs de notre Foi \ mais n'en creufons poinr xs , Meta- 1 objet. Puilque nous iommes convaincus que physique. £)jeu a parlé j croyons ce qu'il a dit , fans aller examiner fi ce qu'il a dit s'accorde , ou ne s'ac- corde pas avec notre foible raifon. C'eft en vain que nous voudrions percer fes Myftères , tout eft infini en lui , & il n'y a rien dans tout notre Etre que de borné , fi ce n'eft le mal. Ce que nous concevons , même nécefîairement en Dieu, nous ne le concevons que confufément. Quel- ques réflexions fur fes attributs fuffifent pour en convaincre. En effet , comme nous avons de Dieu l'idée d'un Erre fouverainement parfait , & que nous fommes certains que la fagefte & la bonté font des vertus qui doivent contribuer à la perfec- tion , nous fommes fondés par les feules lu- mières de la Raifon à dire que Dieu eft jufte , qu'il eft: bon. Mais l'idée finie que nous avons de la bonté & de la juftice , ne nous donne qu'une idée bien imparfaite de la bonté infinie, êc de la juftice de Dieu. On a raifon de dire que la bonté n'eft qu'une , & que l'homme la reconnoiffant imparfaire en lui , la reconnoîc parfaite , & dit qu'elle eft infinie en Dieu , en forte que ce n'eft qu'un mode pour un autre. Mais c'eft précifément ce changement de mode , cet infini au lieu du fini , qui confond & qui embrouille (Tune Société célèbre. 275 embrouille toutes nos idées. Un homme qui ne Philoso fauroit pas ce que c'eft que l'eau , & à qui on en ™IE m°Îa donneroit une partie prefque imperceptible , fhysiqui. telle que la moindre de ces vapeurs qui forment les brouillards, pounoit-il , à la vue de cette efpèce d'atome , concevoir la nature, la qualité de l'eau, & avoir une idée claire & diftincte - , Meta- vent aans le nnl > que deviendra-t-il dans 1 în- physique j Qu'ji ne p0rte point fa curiolité trop loin , elle lai feroit fatale. L'envie de tout connoître mène à douter de tout. Qu'il prife C\ Raifon, puifquec'eft le don le plus précieux qu'il ait reçu du Ciel j mais pour vouloir trop l'élever , qu'il ne s'expofe pas à la perdre. C'eft en vain que par un artifice puérile & une illufion groflière, il s'occupe fouvent à cacher fous des décitions hardies le défaut de fes connoilfances • les tra- vers où il donne , les erreurs dans lefquelles il s'engage , les ténèbres où il fe plonge , font le fruit & la punition de fa témérité. Contentons-nous de croire & d'adorer les fu- blimes vérités de la Foi , & ne les confondons point avec les motifs de crédibilité. Tous les éloges qu'on fait de la Raifon , non plus que les déclamations dans lefquelles on fe répand contre elle , ne doivent point nous donner le change fur cet article , parce que quelque chofe qu'on dife pour ou contre elle - il fera toujours certain que notre Raifon eft alfez jufte pour fentir qu'il faut nécelfairement croire , mais qu'elle n'eft pas alfez étendue pour comprendre ce qu'il faut que nous croyons. d'une Société célèbre. 277 Philoso- ^ — — — »■» phif. Mora- le , MÉTA- PHYSlQUï. ARTICLE III. Examen de la nature du Lieu , ou de Vefpact intrinfeque des Corps. Far le P. BoUTARY , Jéf. I. Proposition. ('£space des Corps n'eft pas un être immaté- riel contingent. Preuve. On ne peut défendre l'immatérialité de l'efpace , qu'en difant que nous concevons qu'il exiftoit avant la matière , & qu'il fubfifte- roit , quoique la matière fût anéantie. Or , cela prouve évidemment que fon exiftence eft né- cefTaire j car nous le concevrions par - là môme comme exiftant nécedairement. On ne peut donc pas le foutenir immatériel, dès qu'on te reconnoît continrent. II. Proposition. L'efpace n'eft pas un être immatériel né- eeifaire. Preuve. Ce qui eft par création n'e.ft pas né- cefTaire , puifqu'il n'étoit pas avant d'être créé j Se ce qui eft fans avoir été créé , eft par foi- 278 Mémoires Philos»- même ; il n'y a donc que Terre par foi - même le" méta- de néceflaire. Or , l'être par foi-même eft Dieu, physique. ou un -cre mfiniment: parfaic , parce qu'il n'a pu être limité , ni par le hazard , ni par fon propre choix , ni par fa nature , ni par aucune puiffance étrangère. L'efpace feroit donc Dieu, s'il étoit un être nécelTaire. Cependant la raifon même trouve d'abord des différences effentielles entre l'efpace 8c la Divi- nité. i°. L'efpace a des parties , & la Divinité n'en a point. i°. La Divinité eft la même, 8c toute entière dans chacune des différentes par- ties de l'efpace. 30. Elle eft la penfée par excel- lence ; & la penfée étant une & fimple , ne peut pas être la perfection de l'efpace , compofe de parties. L'efpace n'eft donc pas la Divinité , ni par conféquent un être immatériel néceffaire. Voyez Oviédo fur cet article j apparemment Gaffendi ne l'avoit pas lu. Corollaire. L'efpace eft un être matériel, puif ju'il n'eft pas immatériel par les deux Proportions précédentes. Objection. II n'y a rien de matériel au-delà du monde , ou de la matière j 8c il y a cependant des efpacas à! une Société célèbre, 279 imaginaires à l'infini , puifque Dieu pourroit y Philoso- placer une infinité d'autres mondes : ces efpaces *"IE métI- ne font donc pas des êtres matériels. snrnQ.vi. Réponfe. Il n'y a rien au-delà du monde. Les efpaces que l'imagination s'y figure , n'y font pas. Ils ne font qu'imaginaires , ou n'exiftent que dans l'imagination. Dieu pourroit cepen- dant créer une infinité d'autres mondes au-delà du nôtre , parce qu'en les faifant , il feroit leur efpace. Inflance. L'efpace où le monde eft contenu , fubfifteroit toujours , quoique le monde ou tout être matériel fût anéanti. L'efpace du monde n'eft donc pas un être matériel. Réponfe. Nous allons voir que l'efpace ou le lieu du monde n'eft que fa propre dimenfion. Comme la figure , il fut fait avec le monde , & s'anéantiroit avec le monde. III. Proposition. L'efpace n'eft que l'étendue de la matière. Preuve. Qui dit efpace , dit étendue ; & nous venons de prouver que l'efpace eft un être maté- riel : il eft donc une étendue matérielle. Or , il n'y a d'étendue matérielle que celle de la ma- tière : donc l'efpace n'eft que la propre étendue de la matière. S4 a. tô Mémoires Philoso- phieMou- Objection. LE, MeiA- . FHVSltiU£. Les efpaces vuides , qui font du moins poffi- bles , fèroient fans matière : leur étendue ne feroit donc pas celle de la matière. Réponjc. Des efpaces vuides ne feroient pro- prement que des efpaces poiîibles , & non point exiftans j mais dont la quantité feroit néanmoins réellement déterminée. Les murailles oppofées elle croit voir comme pré- fens , à une diftance marquée , des corps qui ne font point j & nous ne voyons de même que des fenfations de l'ame , quand nous croyons voir à une certaine diftance , au-delà de la furface d'un miroir , des corps qui n'y font pas \ car il eft impoflible de voir véritablement ce qui n'eft s 8a Mémoires Pmiloso- poinc. Or, des fenfations ne peuvent faire phieMqra- r c rr tf, MÉTA-penier raufrement à lame quelle voit des corps a une diitance marquée , qu en les lui reprélen- tant à cette diftance avec leur étendue , leur couleur & leur figure. II y a des fenfations qui repréfentent à notre ame la diftance des corps , leur étendue , leur couleur & leur figure ; ce que j'appelle fenfations de diftance , d'étendue, de couleur & de figure. Quatrième preuve. Si les corps qui exiftent véritablement , & que nous voyons à leur place , étoient l'objet immédiat de notre vifion , il fe- roit impoffible qu'elle fubfiftât fans eux. Cepen- dant Dieu pourroit , par un miracle , nous la conferver en les détruifant , ou les anéantir fans qu'il fe fît aucun changement dans notre vuej ils ne font donc pas l'objet immédiat de notre vilion , & nous ne les voyons point par confé- quent dans eux - mêmes , mais dans un milieu qui nous les repréfente. Or , ce milieu n'eft pas leur idée : elle ne nous en repréfenteroit que l'elTence & la poflîbilité ; & c'eft fur-tout leur exiftence, leur préfence & leurs accidens qui nous frappent. Ce milieu , ou l'objet immédiat de notre vifion , ne peut donc être que des fen- fations que les corps excitent, que nous leur rapportons , & qui les repréfentent avec leur d'une Société célèbre^ 285 étendue , leur diftance , leur couleur & leur Pmloso- i/-/-- j-n. phieMoka- figure. Il y a donc des fenfations de diftance , tE , méta- d étendue , de couleur ôc de figure. Objection. L'ame feroit étendue , fi elle avoit des fen- fations d'étendue : elle ne différeroit donc pas de la matière. Réponfe. L'ame a des fenfations de couleur fans être colorée : elle peut donc avoir auffi des fenfations d'étendue , fans être étendue. Elle reçoit ces fenfations , & les corps les excitent comme leur image. Il n'y a d'étendue que ce qui peut être repréfenté par des fenfations d'éten- due. Or , elles ne peuvent repréfenter que la matière , parce qu'elles repréfentent eflentielle- ment l'étendue idéale ou fubftanrielle dont je parlerai bientôt , la figure, la divifibiliré , &c. qui ne conviennent qu'à la matière. Il n'y a donc que le corps d'étendu , quoique l'ame reçoive des fenfations d'étendue. Lemme fécond. Les corps ne font pas capables précifément par leur eflence , mais feulement par une de leurs propriétés naturelles, de nous caufer des fenfations d'étendue. 284 Mémoires Philoso- Première preuve. Entre l'efprir Se le corps, ri iT^MiTA- y a un£ 3iftancé infinie ; donc il ne falloit pas ïHysiQUE. mojns qUe |a pui(Tance infinie du Créateur pour les faire agir l'un fur l'autre ; donc les corps n'ont pas la vertu d'exciter des fenfations d'éten- due dans notre ame par leur elfence} mais feu- lement par une propriété naturelle , ou que la volonté libre & toute-puilTante du Maître de la Nature a ajoutée par une de fes loix à leur elfence. Seconde preuve. Les Créatures ne dépen- dent pas elfentiellement les unes des autres , mais feulement du Créateur j donc elles n'ont pas , par leur elfence , la vertu d'agir les unes fur les autres ; donc les corps n'agilTent fur les corps , & à plus forte raifon fur les efprits , que par une vertu purement naturelle , ou ajoutée à leur nature ; donc ils ne font pas capables préci- fément par leur elfence d'exciter des fenfations d'étendue dans notre ame. t. Corollaire et définition. On peut donc confidérer la matière , ou comme réduite à fa pure elfence , & privée par conféquent de fa vertu purement naturelle de nous caufer des fenfations d'étendue, qui la re- préfentent j ou comme ayant cette vertu, ajoutée à fon elfence par la volonté touce puilfante de (V une Société célèbre, 28 J l'Auteur de la Nature. Je l'appelle étendue idéale ou fubftantielle dans le premier fens , 6c éten- m^ta- due fenfible dans le fécond. Toute fuite de ma- PH.IS?- d> , i r r • i» f i phie Mor-a- exciter dans nos ames des ieniations d étendue Lf t méta- ou d'efpace , qui le repréfentent , eft purement rHYS1 fans que ce corps exifie ? Dieu peut faire par lui- même & fans Vaide des Créatures tout ce quelles font. Ce paralogifme eft le plus forr argument dont les Cartéfiens appuient leur paradoxe , «Se par-là ils ont ébloui beaucoup d'efprits. Il eft vrai que Dieu peut faire , fans l'aide d'aucune Créature , tout ce que les Créatutes peuvent faire par la force qu'elles ont reçue de Dieu : cette vérité eft indubitable ; mais elle ne prouve rien dans la queftion que nous agi- tons. Je ne nie pas , par exemple , que Dieu ne puilTe me représenter beaucoup d'objets qui d'une Société célèbre. 29$ n'auront aucune exiftence , hors l'idée qu'il m'en Pmtoso- . • •■> r rr • rHitMonA- împnmera j mais j oie aliurer que cette îm- LE , MtTA. preffion immédiate de Dieu fera différente de.PHYSiau£- l'impreffion médiate qu'il fait par le moyeu des caufes fécondes j & que l'ame pourroit les diftin- guer , Ci elle y appliquoit toute fou attention. Oui , je m'afture que l'opération de Dieu, agif- fant par lui-même , & fans le miniftère d'aucune caufe féconde , eft différente de l'opération de- Dieu, lorfqu'il fe fert des caufes fécondes; & cela par le grand principe que toute diverfité dans la caufe met quelque diverfité dans t effet. Or , il eft inconteftable , qu'agir feul , ou agir par le moyen d'un infiniment y font deux différentes manières d'agir. Dieu , agiffant par lui-même , produira le même terme de fbn action quant à l'efTentiel , qu'il produiroit, s'il agifToit par le miniftère des caufes fécondes ; mais il ne le produira pas de la même manière. L'effet fe ref- fentira infailliblement de cette diverfité qu'il y a dans la manière de le produire ; & l'ame at- tentive pourra appercevoir cette diverfité. N'eft- ce pas une efpèce d'axiome que tout ce que Dieu produit par lui-même eft plus excellent dans fon genre , que ce qui eft produir par les caufes fé- condes ? Dieu pourra donc m'imprimer des idées qui repréfenteront les mêmes objets que repréfenteroient 4es idées caufées par des corps T4 2f>d> Mémoires Phuoso- exiftans : mais ces idées , produites par l'opéra- THIE MOR.'.- - , y-^. r , . r ls , Meta. tlon de Dieu leul , auront , par cette rauon , shysique, jeur différence propre qui ne fera pas imper- ceptible. Vous me direz , que je borne la puilfance de Dieu. Non , je ne lui donne point d'autres bornes , que celles qu'elle doit avoir pour que Dieu foit entièrement parfait. Il s'enfuit que Dieu même ne peut pas tromper la Créature intelligente , lorfqu'elle fe fert de toutes les lumières qu'il lui a données. Eft-ce-là diminuer l'idée qu'on a de Dieu. Enfin , fi l'on veut s'en tenir à la doctrine des Cartéfiens , on ne pourra éviter le Pyrrhoniftne. En vain dira-t-on que Dieu ne veut pas me tromper toujouts. Dieu veut qu'en certain temps les hommes rêvent. Qu'on leur donne une règle pour diftinguer leurs fonges de leurs raifonnemens. Je défie tous les Cartéfiens de leur en marquer une sûre , dont on ne puilTe fe fervir pour établir l'exiftence des corps. (Tune Société célèbre. 197 Philoso- phie Mora- le , MïTA- ARTICLE V. physique. Lettre Critique fur le Doute d&Vexifienct critique des Corps. J'ai lu , avec beaucoup de plaifir , les fag*s ré- flexions , où l'on découvre combien il y a peu, de raifon , dans le doute de Texiftence des Corps. Un fi étrange paradoxe eft un fcandale pour le Chriftiahifme , & s'il étoit une fuite né- ceflaire des principes de la Philofophie de M. Defcartes , il n'en faudroit pas davantage pour la faire rejetter toute entière , puifqu'il fappe tous les fondemens de la Religion. Si on peut douter qu'il y ait des Corps , on peut douter de la création du Monde , de celle d'Adam & de fa chute , de l'exiftence des Prophètes & de Jefus-Chiifl: : enfin , de celle des Apôtres & des Ecritures. Après cela , fur quoi fera fondée la Religion ? Les Cartéfiens fe font imaginés que pour guérir un fi grand mal , c'étoit alTez de dire , qu'on a de Vexiflence des Corps des démonflra- tions Morales , qui fuffîfent pour ajfurer la Re- ligion ; & que d'ailleurs il nefl guères à craindre 25)8 Mémoires Philoso- que beaucoup de gens foutunnent férleufement ii , Méta- au " ny a point de Corps. raysiQuï. Mais ont - ils oublié leur propre fyftème , dans lequel ils ne fe propofent de démontrer les vérités Métaphylîques , que pour établir les vé- rités Morales , & qui prouve par conféquent que toute certitude Morale doit être fondée fur une certitude Métaphyfique , fans quoi il ne peut y avoir, en effet, de vraie certitude Morale ? Comment peuvent-ils donc nous dire férieuL'- ment que les démonftrations Morales fuffifent ? En effet , fuivanr leur grand principe , quon. ne doit donner fon confentement à aucune vérité quon n^y foit forcé par V évidence , je dois douter de l'exiftence des Corps , parce qu'il n'y a que les démonftrations Métaphyfiques qui produifent l'évidence , & que félon eux on n'en fauroit donner de l'exiftence des Corps. Ainfi , le doute de l'exiftence des Corps étant fondé en raifon Métaphyfique , peut-on avoir une bonne raifon Morale pour exiger de moi , que je donne mon confentement à la vérité de l'exiftence des corps ? Peut-on m'obliger de douter par raifon , & de croire en même temps par raifon ? Il eft donc évident que lorfqu'on veut que je me contente d'une certitude Morale de l'exif- ■tence des Corps , & que fur cette certitude je d'une Société célèbre, 299 fonde ma foi : on veut que j'élève un édifice Philoso- fans fondement. La certitude Morale de l'exif- lf \ méta- rence de Jéfus-Chrift fuppofe la certitude Mé- PHYSlCi'JE" taphyfique de celle des Corps ; eft vrai. Or , V apparence de V Evan- gile m'apprend que Dieu a créé le Ciel & la Terre ; donc il y a des Corps ; donc par la Foi les doutes font levés , & toutes les apparences des Corps deviennent des réalités. ^ Eft-il polîible que des Philofophes , qui fe pi- quent fur -roue de raifonner jufte , tombent pourtant dans un paralogifme fi vifible ? Ils veu- lent que dans l'incertitude , où je ferois de la réalité de l'Ecriture , je fuive en la lifant les mêmes règles , que j'obferve dans la certitude que j'ai de la réalité de ce Livre; & que je tire la fermeté de ma Foi des feules apparences de ce Livre ? Comment peut-on vouloir me per- fuader que ce qui eft une règle sûre dans la croyance de la réalité de l'Evangile , ne devient pas une illufion pure dans lafuppofition du doute de la réalité de ce Livre ? Si nous voulons raifon- ner jufte des apparences de l'Evangile , on ne conclura que des apparences de vérités. Voilà ce que dicte le bon fens. La certitude de l'exif- tence de Jéfus-Chriû: , des Apôtres & des Ecri- tures , eft: le fondement de ma Foi } & fi je n'ai que l'apparence de ces chofes , je n'aurai aufH qu'une apparence de Foi. Mais on veut non- feulement que j'établiiïe d'une Société célèbre. 301 une Foi ferme far l'apparence des Corps , on Philoso- » ,T 1 r ' J T* • phieMora- m allure encore que par la rermete de cette roi , LE ^ méta- le doute que j'aurois de l'exiftence des Corps , '«««iV'i fe convertira en certitude. Je dirois aulîî à un homme qui voudroit bâtir , & dont le rerrein ne feroit qu'un fable mouvant, bâtilTez tou- jours , élevez fur ce fable un édifice folide , vous verrez que la folidité de votre édifice changera ce fable en une pierre ferme. Je ne fais fi l'on peut raifonner plus faux. Il eft donc très-certain que quelque chofe que difent les Cartéfiens , ils ne fauroient fauver les fâcheux inconvéniens de leur doute fur l'exiftence des Corps. Mais ils demandent qu'on leur donne une démonftration Métaphysique de cette exiftence. C'eft comme fi on me demandoit que je prou- valTe qu'il fît jour lorfqu'il eft midi. Les hom- mes ont accoutumé de comparer les chofes par- faitement claires , à la clarté du jour en plein midi j mais , félon ces Meilleurs , ce n'eft qu'un préjugé, & ils ont trop d'efprit pour fe conten- ter de cette évidence. Je crois que les Réflexions ( précédenres ) prouvent l'exiftence des Corps aulîî démonftra- tivement que les Cartéliens prouvent celle de Dieu par l'idée qu'ils ont de Dieu. Voici com- ment il me femble qu'on pourroit réduire 304 Mémoires Philoso- cette démonfttation dans un ordre Métaphv- FHIE MoRA- r tt , Meta- lique. thysique. Sentir, c'eft appercevoir par le Corps. Or , félon eux , nous fommes affurés que nous Ten- tons , lorfque nous fentons j donc nous fom- mes alTurés que nous appercevons par le Corps y donc il y a des Corps. Si la démonftration de l'exiftence de Dieu par fon idée eft vraie , celle-ci ne l'eft pas moins : de l'idée que j'ai de l'Etre infiniment parfait , je conclus que cet Etre exifte , parce que cette idée renferme l'exiftence. De même de la percep- tion que j'ai par le Corps , je conclus que les Corps exiftent , parce que l'idée de cette pet ception renferme les Corps. La fuppofîtion même des fonges prouve cette exiftence , puifque je ne rêve que parce que j'ai un Corps , de dans ce Corps certaines images des autres Corps. Ils difent que la fenfation renferme non le Corps , maïs l'idée des Corps ; mais cette ré- ponfe eft manifeftement illufoire par deux rai- fons. La première , c'eft qu'il eft impoiîible que l'idée des Corps affecte l'ame d'aucun fentiment , & qu'il n'y a que les Corps mêmes qui le puif- fent faire. La féconde , c'eft confondre l'intel- leclion avec la fenfuion. L'intellect a pour ob- jet l'idée des Corps , de laquelle s'occupent les £une Société célèbre. 303 Mathématiciens; & la fenfation a pour objet fmvtkm les Corps mêmes & le nôtre , & ceux qui nous environnent , fur lefquels s'exercent les Phy* PHYSIQWÎ' îlciens. Prétendre que le Corps ne fauroit agir fur l'ame , ni l'ame fur le Corps , 5c qu'il n'y a que Dieu qui ait ce pouvoir, c'eit fuppofer ce qu'on ne fait pas , & ce qu'on ne fauroit favoir , parce qu'on n'a point , & qu'on ne fauroit avoir d'idée parfaite & entière de l'efprit & de la matière. Les Cartéfiens l'avouent à l'égard de l'efprit , Se c'eft a(Tez pour faire voir que leur prétention eft infoutenable. Il fuffit que je ne connoilfe pas une des principales pièces dont une machine eft compofée , pour être affuré que je ne faurois rendre raifon des mouvemens de cette machine : c'eft donc aflez que je n'aie point de parfaite idée de l'ame, pour m'empêcher d'afïurer que l'ame ne fauroit agir fur le Corps , ni le Corps fur l'ame. Mais s'ils demeurent d'accord qu'ils ne con- noiiïenr point l'ame par fon idée , ils avoueront la même chofe de la matière , quand ils auront fait toutes les réflexions néceflaires. Car l'éten- due feule n'eft qu'une idée abftraite & Méta- phyfique. Les Cartéfiens couvrent ce doute d'un beau prétexte : c'efl , difent-ils , une excellente d'if- pofition d'efprit , d'être plus perfuadé de l'exif- 304. Mémoires Philoso- tence & de la préfence de Dieu que de celle des 'E méta- Corps. Et c'eft pour mettre l'efprit dans cette tïsiûUE. JifpofiQon qu'ils fonc voir , qu'il neft pas pofji- ble de penfer à Dieu, fans qu'il fou ; & qu'il cfl fort pojjible qu'il ny ait rien au-dehors , de tout ce que nous appercevons par les fens. Ce delîein, fans doute, eft fort louable; mais d'autres Philofophes diront qu'il n'y a point de plus excellente difpofition d'efprit que de rai- fonner comme les Prophètes 8c comme les Apô- tres , 8c de n'en vouloir pas favoir plus qu'ils n'en ont fu ; de regarder les fens comme des inftrumens de nos connoilTances , 8c comme des voies par lefquelles Dieu peut faire entrer dans notre ame la fcience du falut ; c'eft-à-dire, d'être suffi aflurés qu'il y a des Corps , que nous le fommes que Dieu eft ; parce que Dieu eft: fage , & qu'il nous a donné les fens pour connoître les Corps ; parce que Dieu eft véritable , 8c qu'il dit qu'il a créé le Ciel & la Terre , & tout ce qu'ils contiennent, pour être l'objet perpétuel de notre admiration , le fujet de nos louanges , & le premier degré qui nous élève à fa connoif- fance ; parce que les Prophètes ont bien fu dif- cerner les fonges prophétiques , dans lefquels Dieu leur parloir , des (onges ordinaires , & les vifions miraculeufes d'avec les perceptions na- turelles j parce qu'enfin les Apôtres ont enfeignc ce d'une Société célèbre, jof ce qu'ils ont ouï de leurs oreilles , vu de leurs Philoso- • o l r ■ PHIE MOR-A- yeux, touche de leurs mains, Mais votre refpect pour Dieu eft aveu- gle en cette occafion \ fa toute-puilfance ne s'étend pas jufqu'aux contradictoires , ni au- de-là de la potTibilité. Dites , fans fcrupule , que Dieu ne peut-pas rendre la matière penfante , puilque la répugnance de la penfée à la matière eft manifefte j la matière eft un être divifible , compofé de parties , la divifibilité eft fa diffé- rence elfentielle un être fans parties n'eft point matière \ il n'a pas les propriétés connues de la matière j il ne peut les avoir. Il eft facile de démontrer qu'un être divifible , compofé de parties , ne peut penfer , ne peut juger d'aucun objet. Pour juger d'un objet, il faut l'appercevoîr tout entier indivifiblement \ il ne peut être reçu , apperçu indivifiblement dans un fujet divifible , dans un fujet compofé de parties. Une partie reçoit , apperçoit ime partie : une partie frappe une partie, s'imprime dans une partie j la pattie A , dans la partie a ; la partie B , dans la partie b , nulle partie du fujet ne re- çoit tout l'objet : mais ce qui juge, reçoit, apper- çoit tout l'objet. Il le reçoit donc indivifible- ment j ce qui penfe eft donc indivifible & par- faitement un j donc il ne peut être matière ; il d'une Société célèbre. 309 feroit divifible & indivifible , un & multiple. Phuoso- a matière ne peut donc penter j il répugne LI ^ mkta» que la matière penfe , & il eft aufli impoffible à phy"que. Dieu de rendre la matière penfante , que de faire qu'un Corps ait des parties , & n'en ait point , qu'on juge de ce qu'on n'apperçoit pas , & dont par conféquent on ne fairroit juger. Cette démonftration eft tirée du fond de notre Etre j c'eft moins un raifonnement qu'un fen- timent intime, exprimé paryV, par mai. Ajou- tons à cette preuve une réflexion fenfible & per- fuafive : fi tout étoit matière , d'où l'Ame maté- rielle auroit-elle tiré l'idée d'un être immaté- riel , & la perfuafion qu'elle eft immatérielle ? Je défie d'imaginer fur cette difficulté rien qui contente. On conçoit aifément qu'un efprit at- taché à la matière , dépendant de la matière , occupé de plaiiîrs & de douleurs qui viennent" de la matière , plein d'images des chofes maté- rielles , s'enfonce dans la matière, perde de vue les idées fpirituelles , & en vienne jufqu'à fe croire matière ; mais la matière exiftante eft la fource de fon erreur : l'erreur de la matière qui fe croitoit efprit , n'auroit point de fource s'il n'exiftoit point d'efprit. Ah ! Monfieur , notre efprit fouffre impa- tiemment qu'on le dégrade j il perce les ténè- bres dont on lorfufque j l'étendue de fes- cou-. 3io Mémoires Philoso- noiflances, l'univerfalité de fes idées, l'immen- *e?méta- ^e fes defirs réclament pour fon origine ; il physique. ne nous laiiTera jamais tranquilles dans un avilif- fement volontaire. J'ai un Corps , dira - t - il toujours j mais je ne fuis pas ce Corps j je fuis fupérieur à ce Corps ; je ne me reconnois ni dans un air épuré , ni dans une flamme fubtile : ils font divifibles j ils ne peuvent penfer , & je penfe. J'ai lu dans quelque livre , je ne me fouviens plus du titre ni de l'Auteur , une réflexion qui me frappa. Demandez , difoit le judicieux Ecri- vain , demandez à un enfant fi fa poupée penfe jufte , il fe moquera de vous : demandez-lui , en lui montrant une montre , s'il relfemble à cette machine , il rira ; la nature parle , elle n'eft pas corrompue. Je ne connois pas la matière parfaitement, dites-vous ; je n'ai aucune idée de l'efprit. Hé ! Monfieur , ne favez-vous pas que la matière eft divihble , vous qui la divifez en tant de parties , vous qui voyez de vos yeux que les plus petites parties des Corps font encore divifibles ? Vous ne connoiflTez pas l'efprit j ne favez-vous pas ce que vous dires , quand vous répétez fi fouvent : je , moi : l'idée d'unité , n'eft-elle pas infepa- rable de ces mots ? De bonne-foi , eft-il un in- crédule au monde qui ait l'idée d'un quart , d'une Société célèbre. 3 1 1 d'un dixième de penfée ? Je le fais , nos préten- Philoso- . „- . - .r, . . (■ PHIF.MOR.A- dus Efprits-forts , poulies a bout , croient le tirer LE > méta- d'affaire , & finir une difpute défavantageufe , PHYSI de la matière. Pourquoi contefter à Dieu , Philoso- , . . , . phieMora- 33 qui a mis dans la matière ce principe attrac- LE , méta- j> tif , le pouvoir d'y mettre un principe pen- PHYSI(*U1U 3> fant ? » Voilà, votre raifonnement , rendu avec une exacte fidélité. Voici la réponfe. i°. Le grand Newton n'a point enfeigné qu'il y eût dans la matière un principe interne , inhérent d'at- traction , de tendance, de gravitation. 20. S'il l'avoit enfeigné , il fe feroit expofé à la détilion de tous Jes vrais Philofophes. 30. Ce principe admis ne pourrait vous fervir à prouver la polîi- bilitéd'un principe de lapenfée , qui ne foit pas indivisible, immatériel. J'ai fous les yeux la féconde édition de la Phyfique de Newton ; j'y admire l'eiprit géo- métrique , étendu , pénétrant de l'Auteur ; il a pouffé plus loin , qu'aucun Philofophe , l'ob- fervatiou des mouvemens qui approchent les- Corps les uns des autres , ou qui les éloignent ; il a réduit ces mouvemens à des règles fixes ; il a même alTujetti à ces règles la diminution ou la cetfation des mouvemens , arrêtés par quelque réfiftance. Sage Obfervateur , il s'eft tenu dans fes bornes , &c n'a pas prétendu déterminer les caufes des mouvemens qu'il a obfervés ; tant s'en faut qu'il ait prétendu mettre dans la ma- tière un principe interne, inhérent 3 obfcur & fuppofé de cette gravitation , tendance , at- 3 1 o* Mémoires Phuoso- tradion. Il a même craint qu'on ne le fupconnât ïhieMora- j, \-' . u , MtTA- d une entreprile ii peu convenable a un Mathe- rm&qfra. matjcien } ^ qU'on ne prît tr0p ^ Ja lettre les mors de tendance , d'attra&ion j il a levé toute l'ambiguïté de ces exprelîîons dans le Scholie qui finit la Section onzième, page Il y déclare nettement qu'en regardant tous les Corps comme des efpèces d'aimans , il s'en tient aux mouvemens appareils, de quelque caufe qu'ils viennent, & fans toucher aux différens fyftèmes qui les rapportent à quelque impulfion, à l'action de la matière fubtile ou éthérée. Si cet excellent Mathématicien n'avoit pas parlé avec tant de réferve , croyez -vous que les vrais Philofophes lui euflent applaudi , qu'ils l'euflent vu tranquillement rétablir les qualités occultes , qu'ils avoient détruites avec tant de peine ? Quelle différence , en effet , entre une qualité attractive , 8c les qualités inflammatoire , réfrigérante, digeftive ? Avouez-le , l'incrédu- lité nous ramène à l'ignorance j elle en a befoin pour couvrir fa foibleffe. Je veux accorder tour ce que je puis accor- der. Hé bien , je fuppofe fans raifon avec vous que Dieu a mis dans la matière un principe in- terne d'attraction , de tendance , de gravita- tion j je ne nierai pas avec moins d'affurance ■qu'il puiffe lui donner la faculté depenfer. d'une Société célèbre. 3 1 7 La faculté d'attirer , de repoulTer , de pefer vmzosom en pourtant , n'enferme que du mouvement , du r"IE f.1!"' poids , de la mefure , de la diftance , ce font ph™que. des propriétés d'un être divifible j mais la penfée ne convient , & ne peut convenir qu'à un être indivifible. Vous vous récriez qu'on vous fait injure , quand on vous impute de fuppofer un quart , un dixième de penfée : ni M. Loke , affurez- vous j ni aucun Philofophe raifonnable na pré- tendu que la matière ait en foi le pouvoir de pen- fer , ni quelle ait des idées de la même manière qu'elle reçoit les imprejjions des Corps. On vous dit feulement , ajoutez - vous , que Dieu qui a donné , joint à la matière le mouvement , la gravitation 3 la végétation , peut bien aujfi avoir donné à un Corps organifé la faculté de fentir & d"appercevoir. Non , Monfieur , Dieu ne le peut \ le corps organifé efl divifib'.e. La faculté qui apperçoit eft néce(fairement indi- vifible j je l'ai démontré. Ce qui juge d'un objet, juge de tout l'objet ; il a donc apperçu indivifi- blement tout l'objet : ce qui n'en auroit apperçu qu'une partie , ne jugeroit que d'une partie. Mille rayons , continuez - vous, peignent dans la rétine un objet. Le peignent-ils indivifible- ment ? Non , Monfieur , ils en peignent les parties divifées fur la rétine divifible. Suppofez 3 1 8 Mémoires Philoso. un organe du fens commun dans le cerveau : w'-mÏÂC.^U eft matériel, il eft divifible , & ne peut ju- »hysique. ger de tout l'objet. M. Loke , vous , Monfieur , & tout Philofj- phe, fe trouve enfin réduit à n'attribuer la pen- fée qu'à un principe diftingué de la matière ; la raifon même obfcurcie 8c dépravée fent l'oppo- fition de la penfée 8c de la matière. Loke fe défend , 8c vous vous défendez de confondre la penfée avec un mouvement , une impullion , de lui donner de l'étendue. Encore une réflexion & la difpute eft finie. Quand vous dites que Dieu peut joindre la penfée à la ma- tière , prétendez-vous feulement que Dieu peut unir à la matière un être penfant, qui penfera, qui jugera dans elle , d'elle, 8c de ce qui lui arrivera ? Nous le dirons avec vous. Remar- quons néanmoins que cela ne rend point la ma- tière penfante ; cela prouve qu'un efprit lui eft uni. Prétendez-vous que la matière penfe ? Vous vous contredites vous-même , 8c vous tombez dans une contradiction palpable : la matière , dans cette fuppofition , feroit divifible Se in- divisible. Convenons donc que la pefanteur des Corps n'eft pas un principe interne aux Corps ; quand elle le feroit , pefer , pouffer , n'eft pas penfer ; de la gravitation à la penfée, il y a une diftance d'une Société célèbre. ^ip immenfe , une différence infinie. Non ; la pe- Pimos* fauteur vient originairement de l'impulfion , [""^ d'un mouvement corporel qui n'eu: pas effen- PHYS,QUE- tielaux Corps, que les Corps ne peuvent fe donner , qu'ils reçoivent d'un premier moteur immatériel. Ainil , Monfieur , le mouvement , la pefanteur des Corps , le calcul , la mefure , les connoiifances les plus familières & les plus certaines, nous indiquent Dieu, nous condui- fent à Dieu. Nous les fuivrions avec plaifir , charmés de l'objet infiniment parfait qu'elles nous préfentent ; nous l'admirerions, nous l'ado- rerions , fi nous ne craignions pas de trouver un juge. La crainte n'a point perfuadé l'exif- tence de Dieu • elle en a fait douter : l'Au- teur du Monde feroit reconnu de tous les hommes, s'il n'étoit pas Légillateur. Ce n'eft pas la raifon qui fait les incrédules, c'eft la pafîion. Un libertin , plus fincère que les autres, n'a pas fait difficulté de m'avouer l'origine honteufe de fes doutes. Tandis que j'ai écouté la voix de ma confcience , & fui les vices, m'a-t-il dit, la Religion m\a paru l'ouvrage de Dieu. Que j'étois heureux ! la paix de mon cœur, le témoi- gnage qu'il rendoit à mon innocence , l'attente d'un bonheur infini , éternel , me faifoient goû- ter une douceur pure , délicate , plus touchante 320 Mémoires Phuoso- que les plaifirs dont les remords me déchirent "meta- aujourd'hui. La foi me donnoit toujours des ysiQUE. confeijs dans mes perplexités , & des confola- tions dans mes peines : elle m'infpiroit une gran- deur d'Ame qui m'élevoit au-delîus des orages du Monde. Je regardois Dieu comme un Père tout - puisant pour me ptotéger , tendre ôc prompt à me foulager, facile à me pardonner, Se je repofois tranquillement dans fon fein, inac- celîible aux inquiétudes & à la triftelTe. Peu me fuffifoit , parce que je n'avois point de paillons à fatisfaire ; de plus grandes richefles Di'au- roient embarrafle ; les objets de l'ambition me paroilToient petits j les objets des plaifirs fenfuels me paroilToient aulîi dégoûtans qu'infâmes : je ne connoilfois point d'ennemis , Se ne voyois dans tous les hommes que des frères ; s'il falloir quelquefois fupporter charitablement leurs dé- fauts , l'amour fraternel me rendoit aifée cette contrainte. Mais , hélas ! des lectures indif- crètes j les charmes d'une fociété dangereufe , des exemples publics , impofans , la tyrannie du refpect humain rompirent les nœuds qui m'attachoient à Dieu ; le torrent m'entraîna après quelque refîftance. La foi ne celfoit point" de m'avertir , de me reprendre ; fes reproches m'importunoient , l'idée d'un fupplice éternel , attaché aux plaifirs dont j'étois enchanté , m'étoit infupportablej (Tune Société célèbre, 321 infupportable • je tâchois d'obfcurcir ce que je Philos»- ne voulois plus croire , d'envelopper de nuages *"1E m^-ta- des vérités incommodes ; je les cherchois ces rHYS1QUE' nuages dans tout ce qu'on dit , dans tout ce qu'on a écrit contre la Religion. Charmé que le poifon agréable agît , j'évitoîs le contre - poi- fon y je parvins à douter , & je ne pus aller plus loin. J'avance vers le terme fatal, toujours vi- cieux , toujours incertain , plus efclave que pof- feffeur de la volupté; mille raifons me portent à craindre , nulle ne me ralïure entièrement ; des frayeurs plus ou moins fréquentes me réveil- lent de temps en temps de mon affoupiiTement , l'habitude m'y replonge ; je fuis trop loin de Dieu pour retourner à lui.... L'hiftoire de ce libertin eft l'hilloire de fes femblables. Eft - ce la rai- fon, la droite raîfoîiqui l'a conduit au précipice ? Un autre libertin , un de ces débauchés qui contrefont les Philofophes , qui fe livrent au vice avec méthode & par principe , entreprendra peut-être de juftifier l'origine de fes doutes. J'ai cru , dira-t-il , auflî long-temps que je n'ai eu aucun intérêt à ne pas croire ; je ne me défiois pas de l'autorité d'une loi que j'obfervois ; mais mes defirs nouveaux m'ont fait fentir le poids de cette rigoureufe loi : je n'ai pas voulu , je n'ai pu refufer à mes fens des contentemens déli- cieux qu'elle condamne ; j'ai pris le parti de Tome H, X PHYSIQUE. - 322 Mémoires Philojo- fecouer le joug de la Religion , plutôt que de , Mlta- refufer des biens offerts. Ce ne'ft pas en rebelle que j'ai fecoué ce joug j je me fuis appliqué à fonder les preuves qui foutiennent une Reli- gion (î févère j j'en conviens , c'eft l'intérêt qui m'a ouvert les yeux fur les préjugés de l'éduca- tion : après tout , j'avois droit d'examiner , Se j'ai examiné.... Que tout ce raifonnement eft peu Philofophe ! Que cette méthode eft peu conforme à la raifon ! Qu'elle eft propre à tromper ! De- puis quel temps la paillon eft-elle un guide sur pour arriver à la vérité ? L'intérêt a-t-il jamais tenu la balance droite ? Vous apportez à l'exa- men difficile de la Religion un defîr prefTanc qu'elle foit fauffe, des préventions prefque dé- cidées contre les preuves qui letablillent. Le cœur a déjà prononcé : refte-r-il à l'efprit alfez de liberté pour prendre bien fon parti ? Un Juge , dans de pareilles difpofitions , feroic-il en état de rendre juftice ? Ah ! qu'un homme fans paillons , fans intérêt , fans préoccupation , examine la Religion à la lu- mière d'une raifon pure , je réponds qu'il l'ap- prouvera , qu'il l'aimera , qu'il jugera l'incré- dulité du premier coup-d'œil. Il n'aura que de l'horreur pour ces écoles , où la volupté prélide , où l'imagination ufurpe les droits de la raifon , où des efprits 9 qui fe difent matériels , & qui d*une Société célèbre, 525 le font «devenus, en quelque façon , en fe pion- Philoso.- ans les plaiurs du corps , courbes vers la LE ' méta- rerre , ofenc décider des chofes du Ciel, mefu- VH'iil^vu rer l'imraenfité de Dieu , fonder fon infinité , critiquer fa fagefTe , condamner fa juftice, chan- ger fa bonté en une honteufe indolence : écoles , entretiens , où la Religion n'eft condamnée que parce qu'elle condamne les vices. Que la raifon juge entre ces incrédules & les fidèles ; les incrédules fe féparent du genre hu- main & des plus grands génies : pour s'en fépa- rer, il faut des preuves fans réplique qui ex- cluent tout doute : ne doutent-ils plus ? Il s'agit d'un bonheur ou d'un malheur éter- nel j il faut , pour fe décider , des raifons égale* au péril où l'on s'expofe : je le répète , il faut l'évidence pleine , entière , tranquille. Jamais impie s'eft-ii vanté de l'avoir ? Un Prince , plus grand par fon efprit que par fa naiiTance & fes victoires, revenu à Dieu, avouoit qu'il n'avoir rien omis pour fe convaincre de la faulTeté de la Religion , & qu'il avoir toujours cru. Bayle , le dangereux Bayle m'a écrir qu'il étoit Jupiter affemblc-nuées ; que fon talent étoit de former des doutes ; mais qu 'ils Tiétoient pour lui que des doutes. Non , l'incrédulité n'ira jamais plus loin. Des peut-être , des polîïbilités , des con- jectures , nous arracheront - elles le fentimeac Xz 3 24 Mémoires Phuoso- naturel de la Divinité & d'une autre vie ? Hazar- « " méta- derons - nous notre fort éternel fur un peut- PHYSIQUE. £tfç > ARTICLE VII. Remarques fur Lucrèce ; par le Même. XjA le&ure de ce Poe'te Epicurien n'eft dange- reufe que pour les cœurs gâtés , ou pour les ef- prits fuperfkiels. La raifon pure , libre des pré- jugés & des pallions , découvre aifément les endroits foibles de fon fyftême impie. Je fais que Lucrèce fait à fes Lecteurs des promelfes fort féduifantes : il vient , dit - il , fur les traces d'Epicure , chalfer du monde la fuperftition qui caufe tant de maux j cette cruelle fuperftition , qui verfe fur les Autels le fang le plus précieux : il vient offrir aux hommes de tranquilles vo- luptés , les délivrer des craintes inquiètes de l'avenir , ôter de leurs efprits l'image affligeante des fupplices futurs & duTartare. Un homme, enivré de plaifirs criminels , fatigué des remords qui fuivent le crime , un efclave des pallions , écoute avidement cette doctrine fi conforme à fes appétits brutaux : il ne veut pas voir qu'elle le dégrade , qu'elle lui enlève la douce efpérance cPune Société célèbre. 325* de l'immortalité , qu'elle peut troubler l'Uni- Phuoso- , M /-11- • Il T rHIÎ.MOB-A- vers, qu elle renverfe les loix , quelle autorité lE , meta- tous les crimes ; elle jufUfie les liens , c'eft allez PHVSI^0S- pour la lui faire embralTer. Qu'il fufpende néanmoins fon jugement ; il eft toujours honteux d'être abufé par de vaines promelTes ; il eft capital de n'être pas trompé fur une matière fi importante j il y va de tout. De quoi lui fervira l'anéantiffement imaginaire des fupplices qu'il redoute \ ils ne dépendent pas de fon imagination j il n'en fera pas moins crimi- nel j il en fera plus miférable. Pourquoi s'amufe- t-il à de vains fonges qu'un affreux réveil , que des tourmens fans fin diffiperont 1 Qu'il examine fi les promelfes du Poète Philofophe font bien fondées ; s'il n'eft pas plus Poète que Philofophe : &: quels fondemens ont ces promelfes ? L'auto- rité d'Epicure , condamné par les plus grands Génies du Paganifme , des idées fingulières qui détruifent nos idées les plus claires. On veut que nous nous confondions avec les pierres ; 'que nous nous croyions matière , & marière toujours agitée par des mouvemens nécelTaires \ que nous démentions l'intime conviction de notre fpiri- tualité , de notre liberté ; que nous croyions la penfée étendue , figurée, divifible. C'eft peu de fcnverfer l'idée des efprits : Lucrèce , après Epi- 326 Mémoires Phiuoso- cure , détruit l'idée des corps ; il feint des corps FHIE MORA- .. . r. tt , MÉTA-indivilibles. Les règles du mouvement les plus certaines ne font pas moins oppofées aux vilions du défen- feur de la volupté , que les idées de Pefprit Se des corps. Je lui pafl'e l'éternité des atomes , leur mouvement eGTentiel, quoiqu'il le fuppofe fans aucune preuve , contre l'évidence. Si ces atomes fe meuvent en ligne droite, ils lui font inutiles; ils ne s'accrocheront point , & ne peuvent lui fervir de matériaux pour fon monde : quelle caufe empêcheroit leur mouvement en ligne droite dans un vuide immenfe ? C'en: donc contre les règles les plus certaines du mouve- ment que les Epicuriens détournent le mouve- ment de leurs atomes, & , ce qui palfe toute ab- furdité , c'eft par cette déclinaifon qu'ils tâchent d'expliquer les opérations de lame , les déter- minations de la volonté , qu'ils ofent nommer libres. Les Dieux d'Epicure , plus méprifables que nos Rois fainéms , n'ont rien de ce que nous concevons dans la Divinité. L'idée du hazird eft: l'idée du dérèglement. Epicure fuppofe un hafard régulier dans fes ar- rarigemens , & au!n fage que la fagelfe même. Les idées de la vertu & du vice nous font d'une Société célèbre. 327 naturelles ; ce n'eft point l'éducation qui les Phuoso- j • c > 1 1 1 a 11 r phie Mob. a- donne, puilquelle ne peut les ocer • elles iont LE ( mkta- gravées au fond de notre ame en caractères fHYSl^vz- qu'on obfcurcit , mais qu'on n'efface pas ; la fraude, la violence, la générofité , la droiture paroiGfent ce qu'elles font , même aux plus vi- cieux. Ces idées fi vraies, fi claires font des Ulu- lions , félon le fyflême Epicurien de Lucrèce j fi la jouifTance des voluptés pendant la courte durée de cette vie , fuivie de ranéantilfement , eft le feul bien où nous pouvons prétendre , la fagefle , la gloire , le devoir conhitent à s'arra- cher mutuellement , à conferver , par quelque moyen que ce foit , l'objet de fes defirs. Des principes aulîî contradictoires à nos connoilTances les plus sûres, peuvent-ils être vrais ? Lucrèce im- pofera-t-il long- temps , fi on confulte la raifon fans écouter les parlions ? Un peu de réflexion fur fes raifonnemens achèvera de prévenir contre lui. L'ame , dit-il , eft matérielle , parce que la matière peut être fubtilifée au-de-là de ce que nous croyons. Cela ne prouve rien j il faut démontrer que la ma- tière , à force de fe fubtilifer , peut devenir pen- fante j il ne le rend pas vraifemblable. L'ame eft matérielle , dit-il , & mortelle comme le corps , parce qu'elle relfent les infirmités, du corps. Si le corps lui fert d'inftrument , ne ref- X4 32% Mémoires Philoso- fenrira-t-elle pas les imperfections de l'inltru- phieMora- ,., r . . ... r ., le , méia- menc 5 quoiqu elle loir lpiriruelie ? L œil iain physique. ne re(ïent_ii pas |e Jéfant des vitres ternies par les vapeurs , on enduites d'une couleur ? Les Dieux font heureux ; donc ils ne pren- nent aucun foin du monde , dit encore Lucrèce : ne pourroient - ils pas prendre foin du monde fans troubler leur bonheur ? Je le répète , il n'y a que l'envie d'appaifer les remords qui falTe écouter Lucrèce; fans l'in- térêt qui porte à fouhaiter qu'il dife vrai , on mépriferoit fa do&rine ; on en auroit horreur ; c'eft le cœur qu'elle féduit & non pas l'efprit : on ne la croit pas ; on fouhaite la croire ; on s'ima- gine la croire. La mauvaife Logique de Lucrèce lui eft com- mune avec tous les incrédules : de-là leurs con- tradictions palpables; ils croient ce qu'un homme fenfé refufe de croire , & ne croient pas ce qu'un homme fenfé croit. Leur efprit , comme agité d'une fièvre inquiète, fe tourne de tous côtés , &' le repos les fuit avec la vérité. Tantôt ils foutiennent que tout efl: matériel ; fi on les prefle , ils foutiennent que tout efl: immatériel ; ils avanceront fans pudeur avec Spinofa, que la matière, fi certainement divifée, eft indivifible ; félon eux, le corps penfe , & l'efprit meurt ; Dieu ne punit ni ne récompenfe en Dieu ; il (Pune Société célèbre. 3 2$ voit du même oeil l'amour filial & le parricide , Philoso- 1 équité oc 1 iniquité , les monltres d impureté LE , méta- qui fe cachent dans les ténèbres les plus obfcu- rHYSUiCi- res , ôc la chafteté qui fe diftingue de la bête : il eft également honoré par celui qui adore fon infinie perfection , & par celui qui lui attribue les vices les plus infâmes. Le croirons-nous ? Tant de Savans judicieux , de génies pénétrans n'ont eu que de fauflTes idées de Dieu & de l'homme ; ils fe font figuré étourdiment qu'ils étoient libres & immortels : une troupe de libertins a feule trouvé la vérité dans la prévention : leur accorderons-nous qu'ils pofsèdent feuls la raifon , qui ne paroît jamais dans leur conduite ? Théologiens fans étude , Philofophes fans principes , Hiftoriens fans bonne - foi , Critiques fans règles , réduits à plaifanter fur ce qu'ils ne conçoivent pas , ôc à tourner en fade raillerie , les vérités qu'ils ne peuvent ébranler , méritent-ils que nous les choi- fiflions pour nos maîtres ? Mémoires ARTICLE VIII. De la liberté de penser en matière de Religion ; par le Même. Je ne cherche point de Docteur , me difoît ,' il y a peu de temps , un Incrédule préfomptueux; je veux m'inftruire par moi même & fans le fe- cours d'autrui. Non , je ne dois de la docilité à perfonne j je fuis m-jn maître. Vous ne pouviez en choifir un plus mauvais, répondis-je, peut- ctre trop brufquement. Tant de confiance mar- que peu de capacité. Quiconque fe flatte de connoître tout , ne fe connoît pas foi - même ; qui s'écarte, fans frayeur , de tant de Génies ad- mirés dans tous les fiècles , ne leur relie mble pas , & doit fe défier de fan jugement. Me re- fufez-vous la raifon , continua l'Incrédule \ c'ed elle que je dois confulter; par Tordre du Créa- teur , elle efl: le flambeau qui m'éclaire ; elle me fuffit. Oui , fans doute , ce don de Dieu vous fuffit pour les befoins auxquels Dieu l'a deftinée & proportionnée , fi vous vous en fervez avec la droirure , avec attention. Elle vous fuffit pour confervation de votre Corps ; elle vous fuffit pour le difeernement des vérités communes \ Philoso- phie Mora- le , Méta- physique. (Tune Société célèbre» 331 elle vous fuffit pour la connoiflance de vos de- Pmroso- voirs , pour la diftinétion du bien & du mal, PHIE^f°,RA- 1 ' u , Meta» pour l'examen des faits. Appliquez-là félon les physique. vues du Créateur, elle vous mènera par la route la plus sûre à la vérité , à la vertu , à Dieu , à la Religion : la raifon elle-même vous découvrira fes propres bornes \ elle vous arrêtera , fi vous voulez les palier, & vous perdre dans l'infini. Vous verrez clairement qu'une lumière finie ne fuffit pas pour connoître l'infini. Hé quoi ! { c'eft la réflexion du Sage ) ( * ) nous travaillons inuti- lement pour pénétrer ce qui fe patte autour de nous fur la terre. Ce qui frappe nos yeux , échappe aux recherches de notre efprit. Nous nous ignorons ; la ftruclure , les refïorts de notre Corps nous font cachés. Olerons-nous , fans une témérité rifible , décider fur ce que le Ciel ren- ferme , développer l'intérieur inacceflible de la Divinité , entrer dans les fecrets de fes confeils éternels , cenfurer fes defteins libres Si indépen- dans ? Non , dit encore le Sage ( ** ) , hommes vains , tourmentez-vous , livrez-vous à la plus pénible des occupations ; étudiez l'ouvrage de Dieu , vous en admirerez la beauté , & jamais vous n'en pénétrerez l'art ; étudiez lanatute de ( * ) Sap. c. 9. (**) Ecclef. cap. ï. 352 Mémoires Philoso- l'Ouvrier tout - puiflant & infiniment parfair ; 1.8, méta- vous en iaurez allez pour 1 adorer , vous n en rHysmuE. faurez pas a{fez p0ur ie comprendre. Qu'on life les Chapitres 37,38 cV $ 9 de Job ; & fi l'on eft du nombre des Philofophes audacieux , qu'on foutienne la confufion que leur audace mérite ; & qu'on abandonne le projet de former , félon les faillies de fon imagination , des fyftèmes in- certains de Phyfique & de Religion. Feu Mylord Shaftesbury , le plus fuperficiel des défenfeurs de l'incrédulité , foible dans fes raifonnemens , fade dans fes plaifanteries mé- lancoliques , difcoureur fans preuves , badin hors de propos , avec une confiance auflî indif- crète qu'elle eft hardie , promet l'impunité à tous les téméraires qui fe font une Religion à leur gré. Non , dit- il , Dieu ne punit jamais un homme pour avoir confuUé & fuivi fa rai/on dans le choix d'une Religion, Dieu ne punira pas un homme du bon ufage qu'il aura fait de fa raifon , nous en convenons ? Mais Dieu ne punirat-il pas l'abus de la raifon ? Le jeune My- lord , Dogmatifte avant que d'avoir réfléchi , en feroit convenu après la plus légère réflexion. Difcutons paifiblement fi l'incrédule fait un bon ufage de fa raifon , ou s'il en abufe. Suppofer dans la raifon humaine , des forces , une étendue qu'elle n'a pas j la pouffer hors de (Tune Société célèbre. 333 fes limites, fe figurer qu'on atteint jufte ce qui Philosb- eft au-delTus d'elle , où elle ne peut parvenir } n'êrre point en garde contre la féduction des PHYSI(iUE' lens , les illufions de l'imagination éprouvées mille fois • fe livrer à l'impreflîon des objets ; enfoncer l'efprit dans la matière ; s'enivrer de plaifirs • ne confulter fa raifon , qu'après que les pallions l'ont déterminée à répondre ce qui plaît; prendre nos delirs pour des démonstra- tions ; violer toutes les règles de la prudence : eft-ce donc fe fervir , n'eft-ce pas abufer de fa raifon ? Les voici ces règles de la prudence , recon- nues & pratiquées par-tout ce qu'il y a jamais eu d'hommes fenfés, Se mal obfervées parles incré- dules. i°. Ne pas contredire le grand nombre par des doutes , des foupçons ; des conjectures balancent-elles le jugement du grand nombre ? 2°. Ne pas nier l'exiftence de tout ce qu'on n'ap- perçoit pas ; ne pas inférer l'impoMibilité d'une chofe de ce que nous ne l'avons pas expérimen- tée. Un habitant de la Zone Torride , qui n'a jamais vu d'eau glacée , croiroit raifonner jufte, s'il alfuroit que l'eau ne peut devenir folide ; que cette folidité eft contraire à fa nature li- quide ; il fe tromperoit. Celui qui décide fur la nature de Dieu , eft-il moins expofé à fe trom- per ? 30. La prudence ne nous dicte point de 334 Mémoires Pmtoso- loi plus néceiïaire & plus fenfée que celle de ne THIE MORA- . r \ > -I x.e , Meta- nous point expoler a un péril même incertain , physique. fans une raifon proportionnée au mal qui nous peut arriver. Un motif léger fuffit pour s'expo- fer à une égratignure , à la perte d'un écu j mais il faut de très -piaffantes raifons pour s'expofer à la perte de tous fes biens , de la vie , de l'hon- neur. Il faut donc, pour s'expofer à des maux ex- trêmes , éternels , des raifons de la plus grande force , l'évidence même. La fauflTeté de la Reli- gion eft-elle évidente aux incrédules ? Ils ne le prétendent pas. Leur imprudence eft donc au Aï extrême que le péril qu'ils veulent courir. Eft- ce la raifon qui les guide ? 40. A-t-on les pre- miers principes du fens commun , quand on fe détermine dans une affaire importante fans un examen fuffifant ? Certainement nulle affaire n'efl: aufîï importante que le choix d'une Reli- gion , que les précautions qu'elle preferit pour l'éternité. Un jeune homme à vingt ans prend fon parti : a-t-il confulté les perfonnes habiles ? Il les fuit. A-t-il examiné par lui-même ? A-t-il approfondi cette matière immenfe ? A-t-il lu les Ouvrages immortels de Tertullien , de Lac- tance , de Saint-Athan afe , de Saint Chryfof- tôme, de Saint-Auguftin , de Saint-Cyrille , de Théodoret, de Saint-Thomas , & de tant d'au- tres favans Défenfeurs de la Religion ? Non , d'une Société célèbre. 335* il a lu quelques Libelles venus des pays étrangers; ftuu» so- dés Ecrits de Tolland , de Collins , de Chub, ^méta- de Tyndal , méprifés , réfutés dans un pays où rHY.SIûUE- l'irréligion n'eft point gênée ; il a lu de petits ouvrages hafardés & imprimés furtivement : il a fiili quelques objections gluîées dans des Ro- mans j car les Romans de nos jours gâtent l'ef- prit Se le cœur, n'enflamment pas feulement les pallions , mais infpirent le libertinage & l'im- piété. Et combien de ces efprits gâtés n'ont rien lu , & renoncent à la Religion fur l'autorité d'un impie hardi & décihf ? Il en eft pourtant quelques-uns qui ne refufent pas un léger tra- vail pour étouffer leurs fcrupules ; ils parcouru- rent le Dictionnaire de Bayle; ils lifent les An- notations de Grotius fur l'Ecriture , & fe croient favans & maîtres en irréligion. Mais ont-ils lu? Ont-ils pefé ce qu'on a écrit contre Bayle 6c contre Grotius ? Le pour & le contre doit être pefé dans la même balance. Ce n'eft pas fe fer- vir de la raifon , que de n'écouter qu'une partie; c'eft fe livrer à la féduction. Pour moi , m'a dit un de ces aveugles volontaires , je m'épargne cette étude laborieufe. J'appioche de la lumière de ma raifon la do&rine qu'on veut me faire croire. Le rapport , ou l'oppofition avec cette lu- mière naturelle que j'y découvre , me la fait ad- mettre ou rejerter; l'examen eft court ; il eft fa- 1 33<£ Mémoires Philoso- cile , & toute autre recherche eft inutile : car PHIE îtOR.A- „ le , méta- enfin , la lumière de la raifon m'eft donnée pour me conduire. Je nai pas beloin d un autre guide. Cette maxime , rebattue des incrédules , me fait fouvenir d'un Voyageur qui palfoit les Alpes. On lui propofa de fe laitier porter par les habi- tans du pays dans les fentiers étroits de la mon- tagne , & fur le penchant des précipices ; il le refufa fièrement : Dieu m'a donné des pieds pour marcher, dit-il , je n'emprunterai point ceux d'autrui j il marche avec une fotte confiance , Se tombe dans un précipice. Dieu ne lui avoir pas donné des pieds propres à traverfer les Alpes. Les dons de Dieu ont leurs ufiiçes diftincts & bornés. L'incrédule , qui prononce fi témérai- rement fur le rapport de fa raifon foible & cor- rompue , eft un malade qui foutient , que ce qui lui paroît jaune , ne peut être d'une autre cou- leur. Il fe plaindra , fans doute , qu'en lui défen- dant de s'en rapporter à fes lumières, je l'engage dans une recherche vafte , épineufe , trop lon- gue pour la vie d'un homme j que les fidèles n'ont pas fait cet examen avant que de croire. Je l'avoue , la vraie Religion porte dans les cœurs purs , dans les efprits attentifs mille rayons de lumière dont un féal fuffit pour les éclairer ; chaqut d'une Société célèbre, 337 chaque efpric , le groflîer & le fubtil , le favant ph.ioso Se l'ignorant, font frappés par des motifs, que ^"jJét/ la bonté & lafagelfe de Dieu leur ont préparés, physique. De quelque côté que l'on envifage la Religion , fi on l'envifage fans préjugé , elle paroîtra certaine. Abrégeons cependant l'examen qu'on en doit faire ; réduifons-le à la vérification de certains faits dont la preuve anéantit tous les doutes d'un efprit fenfé. La moindre portion de raifon fuffic pour conftater des faits , leur examen eft le prin- cipal objet de cette lumière intérieure. La Réfurreétion de Jéfus-Chrift , 1 etablnTe- ment merveilleux de la Religion Chrétienne : voilà deux faits dont tout dépend. Sur le premier fait , qu'on life la Traduction de l'Ouvrage Anglois de Ditton. Sur la propagation du Chrif- tianifme , qu'on life l'admirable Démonstration de la Divinité de Jéfus-Chrift , tirée de ce qu'il y a dans le monde des Chrétiens , Ouvrage de St. Chryfoftôme: Démonftration dont l'excellent Livre d'Abbadie n'eft qu'une paraphrafe. Qu'on life l'Homélie VII de ce Saine Dodeur fur la première Epîrre aux Corinthiens. Ou nul fait n'eft certain , ou il eft certain que Jéfus-Chrift eft reftufeité , pour prouver fa Divinité , & que l'établilfemenc de la Religion Chrétienne fans moyens humains , contre les Tome IL Y 338 Mémoires Phuoso- efforts humains, que cet érabiilfement prédit, 'E méta- dépeint clairement dans le fécond Chapitre de ysiciue. j)aniej j eft- l'ouvrage de Dieu feul. Négliger un examen fi aifé, Se refufer de croire , n'eft - ce pas faire de fa raifon un abus punilTable Se mé- prifable ? Si on le trairoit d'extravagance , l'ex- preiîion feroit-elle trop forte ? Toutes les folies ne font pas fombres , farouches , furieufes \ il en eft de douces , de plaifantes , qui confervent quelque apparence de raifon. Mais abftenons- nous de termes injurieux. Contentons-nous de dire avec tous les £iges , que l'irréligion eft un travers d'efprit. Ajoutons la mauvaife foi au travers d'efprit. L'incrédule Dogmatifte fe donne pour décidé , pour perfuadé , & il ne l'eft pas. Il fait valoir des objections dont il fent la foiblefle : il atta- que des opinions qui n'appartiennent point à la Foi , Se il veut qu'on croie la Foi renverfée , s'il ébranle ces opinions. Il impute a la Religion les vices de fes Miniftres , Se il feint d'ignorer que Jéfus-Chrift les a prédits Se condamnés , Se que rien ne prouve mieux la Divinité de la Religion , que fa propagation , fa confervation , malgré les vices & la négligence de fes Miniftres. Il met fur le compte de l'Eglife des abus Se des fuperf- tirions qu'elle réprouve : il fe vante d'épurer fes fentimens de la moindre erreur , Se il veut que d'une Société célèbre, 339 lEglife les tolère toutes. Il rejette toute auto- Philos»- . \ , ■ . phie Mo4a- ritc , & la regarde comme une tyrannie , quand le , meta- elle l'oblige à ctoire j & la plus foible autorité , ^HYSI(iU£• celle d'un libertin qui écrit avec feu , lui fuffit pour ne pas croire : avec quelle orientation les incrédules ont-ils fait valoir les objections du. Juif Orobio mal réfutées , il eft vrai , par Lim- borch , Remontrant & demi Socinien ? Igno- roient-i's que ces objections avoient été réfutées d'avance par plufieurs Ecrivains Catholiques , par Paul de Burgos , Raymond Martini j & fans réplique, par le favant & pieux Louis Vives dans fon Traité de la Vérité de la Religion Chré- tienne \ ouvrage folide , clair, & que le zèle de s'oppofer au torrent de l'incrédulité devroit engager quelqu'une de nos bonnes plumes à traduire ? Je ne doute pas que l'incrédulité ne Ce récrie contre moi , & ne me reproche que je réduis des efprits nés libres à la plus rigoureufe fervi- tude, que j'ôte toute liberté depenferfur la Re- ligion. Non , je ne 1 ote pas j je la règle. Pen- fez ; pefez , examinez fi vous devez croire , cur credendum. Voilà ce qui vous eft permis. N'exa- minez point ce que vous devez croire , quid cre- dendurn , cela vous eft défendu , & c'eft la rai- fon môme qui vous le défend. Si Dieu a parlé , il faut croire ; rendre hommage à la vérité Y: •340 Mémoires PhILOSo. fubftantielle , à la taifon faprême j renoncer a pk;, Mora- nQS foibles connoiffances , reconnoître l'obfcu- le , Meta • m _ . * ' J * physique, rité de nos lumières j fe fier fans inquiétude a la fcience de Dieu qui ne peut être trompé , à fa bonté qui ne peut tromper. Et quelle autorité pourroit balancer la fienne ? A qui nous achète- rions-nous pour être mieux inftruits , fi nous ne comprenons pas les myftères qu'il nous révèle ? Leur obfcurité m'embarraffe , dit l'incrédule; & moi , fi je les comprenons , j'aurois plus de peine à les croire. Je me défierois d'un fyftcme de Religion trop humain , & que l'homme au- roit pu imaginer. Dieu parle ; il parle de Dieu ; ce qu'il m'apprend doit être au-deffus de ma raïfori \ quid credendum. Mais a-t-il parlé? Suis - je sur qu'il a parlé ? Car credendum. Ne vous plaignez pas qu'on vous ôte, fur cet article, la liberté de penfer, de pefer , d'examiner. Exa- minez , les preuves fe préfenteront en foule. L'établilfement , la confervation de l'Eglife , toujours puilfamment attaquée , fouvent mal dé- fendue , «Se toujours victorieufe ; les forces de l'Empire Romain, qui ont fuffi pour dompter l'Univers , & qui n'ont pu étouffer le Chriftia- nifme naiffant : voyez les Héréfies s'élever l'une après l'autre , & venir fe brifer contre cette pierre immobile : voyez l'Arianifme , prê- ché par les plus grands génies de leur fiècle , d'une Société célèbre. 341 foutenu de tome l'autorité de Confiance, de Philoso- ' PHIE MoR A- Valens, Maîtres de la terre : voyez-le, après que LE , meta- le grand Théodofe l'a détruit dans l'Empire, ra- iKXS1Q-vz- nimé par une inondation de barbares régner dans Rome , dans l'Europe , dans l'Afrique. Il y forme cinq Royaumes j il emploie pour fe maintenir le fer & le feu : il n'eft plus ! Les Héréfies , qui fub- fillent encore , auront le même fort j Dieu leur a marqué le terme fatal. Ces torrens impétueux menaçoient la Maifon de Dieu , & n'ont fervi qu'à la purifier. L'Eglife Romaine les a vu naître, les a condamnées, & n'a voulu avec elles aucune paix , aucun accommodement. Elle les verra rentrer dans l'abîme dont elles font forties. Elle éprouvera jufqu'à la fin la vérité de l'Oracle , qui lui promet que les Sectes 9 qui conduifent en Enfer , ne prévaudront point contre elle. Eft-ce un ouvrage humain ? Examinez , incrédule , examinez férieufement l'établiflement de la Religion Chrétienne , vous en ferez frappé. Jéfus-Chrift , rebut de la Na- tion du Monde la plus méprifée, qu'elle a- fait périr par le plus honteux fupplice , qui n'a pour Difciples qu'onze pêcheurs groffiers , a fait dans l'Univers la révolution la plus étonnante qu'on ait vue. Il convertit St. Paul , le plus zélé êc le plus éclairé de fes adverfaires, en lui apparoiflanu Mémoires Philoso- Il anéantit l'Idolâtrie , Religion commode : il r mIta" perfuade à la voiuptueufe Alie l'auftérité & la ysique. pjus j-jgijg pénitence : il confond la fubtilité de la Grèce féconde en Philofophes ; il humilie l'orgueil des Romains ; il adoucit la férocité des barbares ; il anime , il remplir de joie des mil- lions de martyrs , ôc fait monter la Croix , cet, infiniment de fon fupplice , fur le Trône des Céfars j dans le moment que les perfécuteurs fe vantent d'avoir détruit fa Religion , perfé- cutée dans toutes les parties du Monde , elle s'étend dans toutes les parties du Monde , fouffrant toujours , & ne combattant- jamais. On ne vous ôte point la liberté de penfer • penfez , pefez, examinez les miracles de Jéfus- Chrift. Les Juifs , Celfe , Porphyre, Hiérocle, Julien l'Apoftat ne les ont pas niés. Un fait avéré , accordé par ceux qui ont plus d'intérêt de le nier , n'eft-il pas confiant ? Penfez , pefez , examinez les Prophéties ; rapportez-vous-en aux Juifs les plus anciens , les plus favans , ils font les plus fincères. Exa- minez fcrupuleufement le Texte ; vous fendrez , avec indignation , la violence que Socin , Gro- tius , Simon, & leurs Copiftes, font à la parole de Dieu , pour empêcher qu'on ne voie dans les expreflîons naturelles des Prophètes , Jéfas- d'une Société célèbre. 343 Chrift , & Jéfus-Clnift feul ; pour empêcher que Philoso- cecte démonftration fimple & courte ne paroille «" méta." dans toute fa force : thysiquî. Zej- Prophètes ont dépeint & prédit le MeJJle par des traits , qui ne permettent pas de le mé- connoitre. Ces traits ne conviennent qu'à Jéfus - Chrijl feul ; donc Jéfus- Chrijl efl le MeJJie. Libres Penfeurs ; c'eft le nom que vous vous donnez ; ne vous contraignez pas , penfez libre- ment y mais pour penfer librement j il faut que votre raifon fecoue le joug des pallions • penfez attentivement hors du tumulte des plaifïrs , ôc j'en réponds , la Religion vous paroîtra raifon- nable . 344 Mémoires Vf - : f'ïfîf 4 & & " ft se PHYSIQUE, CHYMIE, MÉCHANIQUE, &c. Article Premier. Idées Jîngulières du P. C A s- r e l , Jéf. , contenues dans une Lettre à Al. VAbbé de Saint-Pierre, fur les rapports qu'il fuppofe exifler entre la Phyfique & la Po- litique. Physique, P°ur vous prouver, Monfieur , l'attention Ckymie , L Mechani- que je fais à toutes vos obfervations , fouffre« que , &c. ., . .,. , ,. r' r que j aie 1 honneur de vous dire ma penlee lur la Politique à laquelle vous m'invitez , comme à une chofe fort relevée au-deffus de la Phyfique, & fort éloignée de mes Principes. Je veux croire que la Politique eft plus utile à un Etat que ne l'eft la Phyfique. Mais je vous prie de remarquer que la Phyfique a bien auflî fon utilité réelle. Car outre que la fplendeur des Etats dépend beaucoup de la perfection , à laquelle toutes fortes de Sciences font portées , la perfection des d'une Société célèbre. 34 j Arts utiles & nécefTaires dépend en particulier Physique , de celle de la Phyfique. La Nature ne peut fe m4ch1ni- développer impunément , Se fans que les Arts QUE' &c* fe perfectionnent comme à l'envi de ce grand modèle. La Phyfique n'eft déformais qu'une Science Méchanique. Or , c'eft la Méchanique qui enfante les Arts. Tout le monde d'ailleurs n'eft: point né pour la Politique , & il eft bon môme que les talens foient divers. La Politique, en particulier , de- mande une vocation fpéciale : tel s'y croit ap- pellé du Ciel , qui ne Teft point de ceux qui gouvernent la terre. Il eft vrai qu'il y a une Po- litique générale & fpéculative, fur laquelle cha- cun peut allez à fon gré perdre de l'encre & du papier: c'eft plutôt Morale que Politique. Les Réflexions de Tacite , de Tite-Live , de Strada, & de tous les grands Hiltoriens ; le Corteg'iano di Cafliglione , le Politico D. Fernando , & prefque tous les Ouvrages de Balthazar Gra- cien , font de ce genre. Mais je ne conviens pas que ma manière de traiter la Phyfique , foit fort éloignée de ce genre de Politique morale & fpéculative. Elle en eft fi peu éloignée , que je pourrois vous citer des perfonnes que vous connoiffez , qui , tandis que vous me reprochez d'être plus Phyficien que Po- litique , me reprochent d'être plus Politique que 34 6 Mémoires Physique, Phyficien. Je croyois avoir prévenu tous ces re- Mlchani- procnes , en déclarant que j avois plus dune qvl, &c chofe en vue ; qu'il n'y a qu'un fyftème dans Ja nature des chofes j ôc que la Phyfique efl: une Science primitive, qui révèle à toutes les autres leur modèle , ôc même fouvent leur objet. Mais il faut que j'aie l'honneur d'expofer à vos yeux tout le nœud, 6c comme la clef de la nou- velle Phyfique que j'ai propofée. Vous ferez furpris , Monfieur , fi je vous dis que j'ai plus appris de Phyfique dans les Livres -d'Hiftoire , de Morale & de Politique , 6c fur- tout dans l'étude du cœut humain , que dans les Livres de Phyfique, & dans la contemplation de cet Univers corporel 6c fenfible. Cela efl: pourtant vrai , & je ne crois pas qu'on puiffe déformais s'y méprendre en lifant un peu de près mon Ouvrage de la Pefanteur. Eft-il de phéno- mènes de Phyfique que je n'accompagne par-tout de phénomènes de Morale 6c de Politique ? Cela paroît hors d'oeuvre à ceux qui ne font que Phy- siciens , ou plutôt qui ne font que Méchani- ciens j mais ceux qui enttent un peu dans l'ef- prit de la chofe , voient bien que les phéno- mènes du cœur & de l'efprit appartiennent, au- tant que ceux des corps , à un fyftème mi-parti de matérialifme 6c de fpiritualifme. La liberté eft le grand mobile de la Morale 6c de la Po- d'une Société célèbre. 547 Iitîque. Or, vous favez , Monfieur, que félon Physique, moi , Se félon môme votre propre idée , la li- mèckami- bercé eft le grand mobile de la Nature Se de la QUE' &c* Phylîque. Jufqu'ici les Phyficiens , je dis les Modernes , ne parlent que de corps Se de mouvemens cor- porels , & encore n'eft-ce que d'une matière fubtile Se infenfible , globuleufe ou canelée \ Se de mouvemens infenfibles qu'ils imaginent dans cette matière. Tout cela eft , je l'avoue , fort fpéculatif Se fort éloigné des Arts & des Sciences d'ufage. La Nature , qui fert de modèle aux Arts , n'eft point cette nature invifible Se in- connue ; mais celle-là même que tout le monde a devant les yeux , Sf dont tous nos fens nous rendent a chaque inftant de bons témoignages. Or , c'eft uniquement celle-là que j'ai taché de bien peindre jufqu'ici dans mes Ouvrages. Que les Phyficiens , qui ne font que Mécha- niciens , me reprochent , s'ils veulent , de ne m'être pas élevé jufqu'à cette nature , incon- nue autant pour eux que pour moi : je me re- pofer.ii fur leurs reproches , même du foin de mon Apologie. Mais un reproche dont je me ferai toujours un point d'honneur de me jufti- fier , c'eft d'avoir donné dans une Phyfique va- gue , fpéculative Se éloignée des Arts nccelTaires Se des Sciences utiles , parce qu'en effet ma 3 4$ Mémoires Physique , manière de philofopher n'eft qu'une conciliât ion Méchaki- de tous les fyftêmes, non-feulement dePhilofo- que , &c. p^-g ^ majs ^ çx j£ pUjs a-n^ parjer ^ je Science & d'humanité en général , & de Morale &z de Po- litique en particulier. Outre les preuves qu'on en trouve à chaque pas dans mes Ecrits , en ■voiei de plus précifes. On dit à tous momens qu'il n'y a point de droiture dans le monde :favez-vous , Moniîeur, que c'eft à ce principe de Morale , que je dois la découverte d'un fyftème entier de Phyfique. Oui , un jour que je lifois le Mifantrope de Molière & le Timon de Lucien , avec quelques Ouvrages de Gracien, ce peu de droiture , Se de rectitude Morale , qui y eft fi bien repréfen- tée , me fit tout-à-coup jetter une certaine vue réfléchie fur la Nature , où il me fembla ne voit par-tout que des lignes courbes. Je creufai cette première vue , Se je fus tout étonné de trouver que tout , jufqu'aux plus purs rayons de lumière , s'éloignoit conftamment de la ligne droite, pour fuivre des lignes courbes. C'eft ce que je dé- montre dans la féconde Partie de mon Traité de la Pefanteur. Or , telle eft l'Analogie entre le fyftême des corps & celui des cœurs , que la raifor> précife , qui rend courbes les mouvemens des corps , rend détournés & tortueux les mouvemens des / d'une Société célèbre, 349 cœurs. Un mouvement courbe , difent les Mé- ?hysiciwe, chaniciens , eft an mouvement empêché dans ^Schahi*- tous fes points. Or , il faut bien que les Politi- QW* ' - - ques adoptent précifément cette définition. Qu'eft-ce qui bannit du Monde Moral & Poli- tique la droiture ? On vife à un but \ mais les prétendans , les concurrens , les envieux , les ennemis , les intérêts contraires forment à cha- que pas des obftacles & des empêchemens qui vous jettent , par des détours & comme à la Bou- line , à un autre but. Auffi Gracien , le plus Phyficien , & peut-être auffi le plus éclairé de tous les Politiques , nous dit ici : mire% un but pour tirer à un autre : on tue aifément Voijeau qui vole en ligne droite ; ik ce n'eu: pas pour rien que le ferpent , avec fes replis & fa mar- che enveloppée , nous eft donnée par Jéfus- Chrift même, comme le fymbole de la pru- dence. Et remarquez , Monfieur , la précifion de mon Analogie , & , fi j'ofois le dire d'après un Savant, la memeté des deux fyftêmes. Tout corps qui fe meut , tend à chaque inftant à la ligne droite. Notre cœur tend auffi à la droiture , ôc iroit tout de fuite à fon but par la ligne la plus courte, s'il pouvoit arriver par-là, &'que la ligne la plus courte fût en Morale & en Poli- tique , plus qu'en Géométrie de en Phyfique , le 35*0 Aie moires Physique, chemin le plus court. Je pourrois pouffer cette méchani- comparaifon bien plus loin , lî je parlois à une quejôcc. perfonne, qui , pour tout entendre, eût befoin qu'on lui dît tout. On a déjà traité bien des queftions de Mo- rale & de Politique , par le calcul de l'algèbre : il n'y en a pas une qu'on ne puifife traiter par les figures de la Géométrie. Par exemple , vous fa- vez , Monfîeur , qu'il y a des lignes qui appro- chent fans celle les unes des autres , fans jamais fe toucher. Un homme attend fa fortune du protecteur puilfant, auquel il s'eft dévoué j ce protégé & ce protecteur de Cour marchent pré- cifément fur ces deux lignes : jamais d'un client on ne veut faire un égal , dit Gracien : on l'avance toujours pour entretenir la confiance ; mais on l'avance par des progrès mefurés pour entrete- nir la dépendance. Quand on a prelTé l'orange , dit le même Politique Phyficien , on la jette à terre ; quand on a bu à la fontaine , on lui tourne le dos : ainfi , plutôt que de lailfer arri- ver un client au but complet de fes defirs , on mêle dans fes progrès de fecrètes femences de ruine : les lignes dont je parle , fe tournent fouvent le dos , même en s'approchant , lorf- qu'elles commencent à être trop près. Mais où l'utilité de la Phyfique fe fait bien fçntif par rapport à la Politique , c'en: dans la d'une Société célèbre. 351 comparaifon que j'ai faite fouvent de l'équi- Physiqu libre & des balancemens des aftres avec ceux des mécham Empires. Perfonne ne fait mieux que vous , euE ' & Monfieur , qu'il eft bien autant queftion d'équi- libre & de balancement de pu i (Tances dans la Politique que dans la Phyfique , & 011 a raifon : les idées de l'une , font les idées precifes de l'autre. Or , pour vous faire voir que la Phyfique peut élever la Politique à de nouvelles vues, Se à des efpèces de découvertes , je vous prie de remarquer , que quoiqu'on vife & qu'on doive même vifer fans ceflfe à l'équilibre le plus parfait des puiflances Politiques , il n'en: ni poffible , ni môme expédient , que cet équilibre règne ja- mais. On fe prévient de mille faufîes idées qu'on érige môme eu axiomes. Tous les corps de l'Univers font en équilibre, vous diront froidement les Physiciens fpéculatifs , &c c'eft fur ce modèle que les Politiques fpéculatifs voudront introduire un équilibre parfait dans les Etats. Mais un petit principe fort ordinaire renverfe toutes ces belles fpéculations. Dès que les corps font en équilibre , ils font en repos. Or , tout l'Univers eft en mouvement : où eft donc l'équilibre ? On parleroit plus jufte, fi l'on difoit que tous les corps tendent fans ceffe à l'équilibre , & qu'ils fe balancent fans cefte les 3^2 Mémoires Physique, uns les autres , fans pouvoir jamais fe fixer. Dieu Méchaki' y a mis bon ordre j v'v: c'eft-là le nœud de toutes que, &c. ]es merveil]es Je ]a Nature , & ce qui fait tout fon jeu. C'eft des balancemens des aftres que nailfent la lumière & le mouvement. Le flux ik. reflux des Mers n'eft qu'un balancement \ le cours des fleuves, qui fortent de terre pour y rentrer , n'eft qu'un balancement. Les battemens de notre cœur, de nos poulmons , de nos artères, le principe de vie , en un mot , qui ranime route la nature , n'eft qu'un balancement , un élance- ment , une heureufe faillie , qui bannit l'équi- libre , l'engourdiflement & la mort. Faites régner l'équilibre entre les Empires , & s'il fe peut , entre les Provinces, les Villes , les Maifons , 6c les fimples particuliers , Se vous allez en faire autant de ftatues inanimées, tout- à-fait femblables à celles qu'on a trouvées , dit- on , dans quelques villes d'Afrique. Dès - lors plus de Commerce, plus d'Arts, plus de Sciences, parce que dès-lors vous ôtez l'émulation , une certaine pointe , une certaine faillie , & , en quel- que forte , l'efprit qui vivifie les Etats. D'où penfez-vous , Monfieur , que vienne la fplendeur de la France ? Le Soleil , placé au centre , ou plutôt , au foyer des Planètes , en fou- tient toute la prefiion , route la pefanteur , Se , en quelque forte , toutes les attaques : c'eft du fciu 7 qui ne foit le véhicule 8c l'agent de cette circu- Phv io-=, lation. Tout circule à travers chaque partie de méchanï- nos corps , & chaque partie circule elle-même QU£ « &e* à travers chaque autre partie. Toute partie qu'une obftruction infurmontable exempte, pour fon malheur , de cette double loi de circula- tion , eft morte : il faut la détacher , fi elle ne fe détache elle-même. Tout eft animé dans ua corps animé. Tout eft animé dans le grand corps de la terre. Les terres y font fermes , les pierres y font vives , les eaux y font coulantes ; rien n'y croupit , une douce chaleur pénètre toutes fes parties ; les Mers ont leur mouve- ment périftaltique j les minéraux s'y engendrent y tout ce que nous connoilîons de fon intérieur , eft percé , organifé. Concevez-vous bien , Mon- fîeur , que ce mouvement , cette chaleur , cette vie , cette vertu de génération puiftent conve- nir à un corps mort & inanimé , à un vilentaf- fement , à un cahos indigefte de boue & de matières , Amplement appefanties les unes fur les autres ? Tel feroit un Empire .,. où toutes chofes ne feroient pas en une action continuelle de circu- ler • je dis toutes chofes , les denrées , l'argent , les étoffes, les Arts , les inventions, les Scien- ces , les découvertes , & jufqu'aux modes ôc aux manières , les habits , le langage , la po- 3 $ S Mémoires Physiq-i, litefïe , & même les perfonnes , & beaucoup MechÂn/- plus les cœurs & les efprits. Car il importe à qui, &c. ceux gOUVCrnenCj qLie dan!; un Etat tous les Membres, qui le compofent, prennent un certain tour d'efprit & de manières , comme d'habits & de langage , qui les porte à fe re- garder comme faits les uns pour les autres , Comme Membres d'un même corps , comme parties d'un même tour. La plupart des Politiques fe bornent aux chofes f„jnfibles & extérieures, aux étoffes , aux denrées, à l'argent, & à femblables effets mé- chaniques. I! faut que tout cela circule dans un Etat ; mais il e(t peut-être encore plus efïentiel que les Sciences , les Arts , les modes , les ma- nières , & tout ce qui va à donner une certa ne communication d'idées & de fentimens , circule nulli. En vain réunir -on les corps par des loix & des machines extérieures ; le principal efl de réunir les cœurs & les efprits ; car outre qu'on ne fauroit trop multiplier les liens, ceux-ci font les plus forts , cV les feuls qui aient lieu dans certaines conjonctures critiques & décifives. Dans un corps fain & bien conftitué , toutes les humeurs , toutes les parties, outre leur 1 î ai— fon intime , ont une certaine conftitution , une certaine température , une certaine qualité eflen- tielle & relative , qui les caradérife toutes pour d'une Société célèbre. 3 > 9 être les parties du même corps & du même in- Physique, dividu. Dans un animal tout eft animal, dans Mécham- un végétal tout eft végétal : & effectivement les QUE' diverfes parties ne pourroient fe lier enfemble fans cette homogénéité, fans ce caractère com- mun. Or , c'eft. la circulation générale qui mec dans tout un corps cette reffemblance de nature, & qui rapproche les parties les plus diverfes par des liaifons nuancées & adoucies , d'où dépend l'unité indivifible d'un tout : la fermeté fotiple des tendons lie la fermeté des os à la foupleffe des autres parties. Mais c'eft l'or^anifation d'un Empire que j'appelle le chef-d'œuvre de la Phyfique, par rap- port à la Politique. Un état organifé , dites- vous d'abord , que! le exprefïion ! Vous , qui trou- vez qu'une terre organifée fort des exprefîîons de. la faine Phyfique. Tour ce qu'il vous plaira; mais qu'importe , pourvu qu'on m'entende , & que mon expreftion porte une idée jufte de la chofe ? Il y a plus : les exprelïions ne font pas indiffé- rentes pour préfenter les chofes fous des points de vue nouveaux , vifs & faififfans , fimples & étendus -y il y a telle expreffron , qui , dans fon énergie , nous offre en raccourci tout l'efprit,& bientôt tout le détail d'une varie Science : celles qu'on tire de la Phyfique ont cet avantage , Se Ci vous y prenez garde , Tacite & Gracien n'ex- Z4 5 6o Mémoires Physique, cellent que par-là j c'eft la nature même qui Méchani- caractérife; les portraits Politiques qu'enfante , que, &c comrae Gracien le dit Je Tacite , la Jueur pré- cïeufe de leur vigoureux génie. Enfin , c'eft à moi de m'explique r. Ce qu'il y a d'heureux ici , c'eft que mon ex- preffion , loin d'être dure & outrée , n'eft pas même métaphorique ôc figurée ; mais convient à la chofe dans toute la propriété , dans toute la naïveté des termes ; & il faut bieu que cela foit ainfi. S'il y a une circulation réelle dans un Etat, il faut bien qu'il y ait une réelle organi- fation , c'eft-à-dire , des organes , des véhicules , des inftrumens , d^s moyens réguliers de cette circulation. La Nature a prévenu encore ici l'Art 6 la Politique ; & les modèles qu'elle nous donne , font en effet la première ébauche de la chofe. Les Mers , les Lacs & les Rivières , qui font les organes Phyfiques de la circulation Phyfique qui règne dans le grand corps de la terre , font auffi les propres organes Phyhques de la circula- tion phylïco - politiques qui doit régner, & qui règne même naturellement dans les Empires. Aufli les hommes, à qui la circulation eft non- feulement utile , mais même néceflaire à caufe de l'imperfection de chaque individu en parti- culier , fe logent-ils naturellement au bord des d'une Société célèbre. 36*1 Lacs, des Mers & des Rivières: les Sauvages Pkysiqwi, ».,... A Chymie , de l'Amérique rangent toujours les Cotes & les méchani- Rivages dans leurs habitations , autant que dans QUE' &c' leurs navigations, & dans tous les pays polices les grandes Villes ne s'élèvent , & ne fe fou- tiennent guères ailleurs : témoin Conftantino- ple , Venife , Rome , Londres j & en France , Paris , Rouen , Orléans , Touloufe , Lyon , Bordeaux. La Nature a pourtant IaiflTé beaucoup à faire à notre induftrie & à l'Art de la Politique , fe contentant de nous mettre ici fur les voies , 8c nous propofant ailleurs de bons modèles ; car les grandes voies , les grandes artères , les gran- des veines ne font pas les feules qui entretien- nent la circulation dans nos corps. Or , nous fournies forcés d'habiter l'intérieur des terres , foit parce que notre nombre s'efl: accru , foit parce qu'il faut cultiver ces terres. Ce font ces terres qu'il faut organifer par norre Art , que la Nature n'a pas laiffé de prévenir par une infinité de petits ruiiïeaux & de torrens qui les pénè- trent à tout moment. Ces ruiiïeaux font des ébauches , & comme les femences des canaux que nous pouvons former en les recueillant, en les perfectionnant : ces torrens faiflènt aiilu* des ébauches eV des traces des grands chemins qu'il ne tient encore qu'à notre Aa de pëi iionner S 6 2 Mémoires Physich'ï , & de multiplier. Car voilà , je penfe , les deux Mechani- fortes d'organes Se de moyens de circulation ***** &:c. p0ljtjqae que doivent fe propofer, Se que fe ptopolent même allez fouvent ceux qui gouver- nent les Etats. Le Canal Se les grands chemins de Languedoc fuffiroienc pour immortalifer Louis le Grand. Quand les Efpagnols fortent de leur pays , Se traverfent cette Province , que l'Arr Se la Nature ont également embellie , ils font tous étonnés de voir ces chemins Royaux , le plus fouvent élevés fur des ponts à perte de vue , Se ce Canal non moins merveilleux ; de les voir, dis-je , aulli fréquentés par les palïans que les rues de leurs Villes ; car c'eft dans ces termes qu'ils en parlent. Perfonne n'eft meilleur juge que les Efpagnols , de la différence qu'il y a entre un Empire inanimé, Se un Empire où tout circule : il feroit à fouhaiter que les Efpa- gnols en fuffent les feuls juges , Se que les Peu- ples des autres Provinces du Royaume , ne trou- vaient rien de nouveau à admirer en ce genre dans le Languedoc. Il y a tout lieu d'efpérer , que fous les aufpices du grand Prince , qui eft à la tête du miniitcre , la Bourgogne n'enviera pas long-temps au Languedoc fon Canal , & que bien d'autres Provinces pourront prétendre à la même faveur. d'une Société célèbre, 563 Je fais bien que routes ces grandes entreprifes Physique, font pleines de difficultés j mais j oie avancer méchani- que la plus grande difficulté n'eft pas tant dans GUE' &c* l'exécution que dans l'entreprife , & dans le commencement mâme. Les difficultés ne fout rien dès qu'on peut les évaluer 6c en prévoir la fin. Quelque Canal qu'on propofe en France , il ne fauroit avoir plus de difficultés à furmonter qu'en a eues celui du Languedoc , dont l'entre- prife avoir été fi long-temps abandonnée , & fi fouvent rejettée , & dont l'exécution fut tra- verfée par tant d'incidens réels , & tant de crain- tes imaginaires: il falloit un Monfieur de Riquet pour en aflTurer le fuccès ; mais il falloir un Mon- fieur de Colbert pour le prévoir , chofe peut- être encore plus difficile. La difficulté ne fiuroic être déformais fi grande ; il n'eft prefque quef- tion que d'imiter, & d'ajouter à une découverte. La pofllbiliré du moins eft démontrée. Quel pays fut jamais moins propre à la circu- lation , & à l'organifation dont je parle , que la Mofcovie ? Cependant la voilà qui commence à fe dégourdir , Se à donner de bons fignes de vie , & cela parce que le grand Prince , qui la gouverne , a d'abord commencé par joindre quatre mers par divers grands canaux, & qu'il continue à développer de jour en jour le fyftème de circulation , dont la France lui a do; 5 6*^ Mémoires Pnysiouk , l'exemple. Un trait fmgulier en ce genre, eu: méchani'- la manière dont on a réduit les Fanatiques des 1 , * c< Cevènes : que d'armées, que de dépenfes n'a- t-il pas fallu pour les exterminer ? Mais en les exterminant , on ne les réduifoit pas. Un feul expédient , propofé par feu Monfieur de Baf- ville , à qui le Languedoc , la France , la Reli- gion doivent des ftatues , fut décifif pour ter- miner à jamais une guerre funefte à l'Etat , même dans fes plus belles victoires : c'eft que le remède alloit à la fource du mal. Les Cevènes étoient comme une citadelle imprenable , où chaque forêt , chaque pointe de rocher préfen- toit un nouveau fort inacceffible aux troupes. On perça ce pays d'outre en outre 8c comme à jour par des chemins Royaux, à l'aide defquels les carolfes mêmes , les canons , ôc toute forte de voitures 8c de machines , peuvent rouler par- tout , fur la pointe même des montagnes , juf- ques-là inacceflîbles aux gens de pied. Les Ro- mains regardoient les grands chemins comme un des principaux nœuds de la politique. On ne fauroit trop les multiplier non plus que les canaux. Tout eft veine ou artère dans nos corps , 6c dans tous les corps animés ; auflï tout y eft-il fang ou fuc nourricier. Une impor- tante réflexion à faire , quoique d'abord cela ne femble rien , c'eft qu'il y a plus de mouvement I 'd'une Société célèbre. 36$ ^Se d'action fur les rivières Se les canaux, dans Physiqlw, les ports , fur les grands chemins , dans les m6chahi- rues des Villes , que par-tout ailleurs. C'eft - là QUE ' &c' proprement qu'on fent qu'un Etat , qu'une Pro- vince , qu'une Ville eft animée , parce que c'eft- îà qu'on fent la circulation , comme dans les veines ou dans les artères. Qu'on ouvre, s'il ei$ poflible , dans nos corps de nouvelles routes , de nouvelles veines, aufli-tô: le fang va s'y jetter, Se la nature en fournira bienrôt un nouveau pour remplir ces nouveaux organes. Plus il y a d'organes dans un v corps , plus il y a de fang , de fuc , de fubftance, de mouvement , de circulation , d'animation , de vie. Tout eft fang , tout eft fubftance , tout eft vie dans un corps organifé. Percez un Etat en tout fens , de canaux Se de grands chemins ; dès ce moment , fans prefque qu'on s'en mêle , tout va s'animer dans ces grandes voies , Se dans tout ce qui y aboutit. Croyez- vous , Monfieur , ce que je vais avoir l'honneur de vous dire ? Il n'eft pas poflible qu'un pays foit long-temps en friche , lorfqu'il eft coupé de grands chemins. Il y a bien des terres inutiles dans le Royaume , uniquement , parce que perfonne ne s'apperçoir qu'elles y font , Se qu'elles font inconnues prefqu'au- tant que les terres auftrales. Un grand chemin, ^66 Mémoires Physique, qui traverfe un pays , ell un rayon de lumière MicHAKi- C1U^ l'éclairé dans route fon étendue : on n'y paf- que,&c. fera pas long-remps impunément, & fans que quelqu'un s'appeiçoive efficacement qu'il y a là des terres hors d'oeuvre. On dit que l'œil du maître engrailfe le cheval. Pour moi, je n'attribue l'extrême fertilité delaChine & l'activité desChi- nois , qu'au grand nombre de grands chemins êc de grands canaux que la Politique y a fu in- troduire. Le nombre de grandes Villes , & la richelfe de la Flandre , & fur-tout le grand &" opulent commerce de la Hollande , marquent une organifation & une circulation abondante fur la terre , comme dans les corps des habitans. Il y 'a tant de hors d œuvres en France , tant de terres , tant de talens , tant de beaux projets inutiles , faute d'une certaine ouverture pour circuler ! Tous nos maux viennent uniquement d'obftruction , tant dans la Politique que dans la Phyfique. Naturellement , les François fe portent au mouvement & à l'action , pour peu qu'ils trouvent de facilité à contenter leur cu- riofité , leur cupidité, leur vanité , ou leur am- bition : il y a mille entreprifes , mille voyages qu'on feroit , fi on en avoit une certaine com- modité : les difficultés qu'on prévoit , font avor- ter la plupart des bonnes penfées que chacun roule fans celTe pour fa propre perfection, pour (Tune Société célèbre. 367 fa fortune, pour fon agrandiffemenr. Or, la Physique, perfe&ion, le bien des particuliers eft celui de méchIni l'Etat : mille projets , qu'on traite de chiméri- QU> ' &c" ques , cV qui le deviennent en effet , fe réalife- roient s'ils pouvoient feulement commencer d'éclore. L'eau ne demande qu'à couler ; mais il faut qu'elle trouve une pente. Le François ne demande qu'à imaginer, à inventer , à perfec- tionner , à travailler , à croître. Par quel endroit les grands Miniftres font -ils grands ? Parce qu'ils donnent lieu aux grands hommes de le devenir : ils ôtent les obftacles , ils font la pente , & l'eau coule , & le relfort fe débande , & les talens fe déploient , & le génie éclate. Mais en voilà peut-être trop pour un fpécu- latif , & qui pis eft , pour un fpéculatif Phyfi- cien. Je ne vous dirai donc rien , Moniteur , fur la manière dont je conçois que fe fait, ou peut fe faire la circulation le plus avanrageufe- ment pour un Etat ; car il eft vrai que dès qu'un corps , foit Phyfique , foit Politique , eft organifé , tout s'anime , & il fe fair une circu- lation j mais il eft vrai aufîl qu'il y faut une règle j il faut même ranimer à propos les ef- prits , & avoir foin qu'il fe fade une jufte répa- ration des forces , & que la machine foit tou- jours montée , ou du moins remontée à temps. Je ne dis rien non plus des entrepots qu'il faut 3 6B Mémoires Physique, pratiquer d'efpace en efpace , pour que le mou* Chvmie , i i • i • r i* u Méch.'.ni- vement de la circulation ne le relacne pas par eus, &c. tr0p ^'étendue , & qu'au contraire il prenne de nouvelles forces. Les veines des animaux Se des plantes fe replient d'efpace en efpace en glan- des , ou en nœuds. Les Villes & même les Vil- lages (ont les entrepôts naturels de la circula- tion Politique ; c'eft-là qu'elle fe replie , en quel- que forte , en Sociétés , Académies , Univer- sités , Collèges, Bureaux , Manufactures , ôcc, qui font comme autant de points rixes ou des centres , d'où la circulation part de nouveau , après y avoir pris de nouvelles élaboration^ , Se une nouvelle force. On ne fauroit trop multi- plier ces centres j mais l'eiTentiel eft qu'il y ait une parfaite correfpondance , Se une exacte fu- bordination entre les centres particuliers Se les centres principaux , qui font naturellement dans les Capitales des Pays Se des Provinces , & entre ceux-ci Se le centre Primitif, qui efl: dans la Ca- pitale de l'Empire , Se dans la propre perfonne de celui qui eft à la tête de tout. Vous m'avez fait l'honneur de me dire , Monfieur , que la Politique étoit fufceptible d'un fyfteme , ec je ne prétends , par- tout ceci , vous prouver autre chofe , fi ce n'eft combien j'en fuis perfuadé moi - même. J'ai l'honneur d'être, &c. ARTICLE à* une Société célèbre. 3 69 ~*mmmm~mmm^^m^mm^e*~m^* PhYSIQUI, Chymie , ARTICLE II. . Q.UE , Exposition du Jèntiment (PAristqte fur le Méchanïfrne général de V Univers > & fur la nature de fon Auteur ( * ). u n e Tradition univerfellemenr. répandue parmi toutes les Nations , & dont l'origine re- monte jufqu'aux premiers âges du monde , nous (* ) Ce petit Ecrit n'eft que l'Extrait des deux derniers Chapitres d'un Ouvrage aifez court d'Ariftote , adreffé à Alexandre, & intitulé : Du Monde , ou De l'Uni- vers, Je m'étois d'abord propofé de le préfenter au Pu- blic fous la forme d'une Analyfe raifonnée. Mais, ayant fenti que cela m'engagoroit dans des longueurs inutiles y j'ai pris le parti de le donner en Difcours fuivi , tel qu'il eft dans l'Original, en y joignant feulement quelques Notes. Il y aura peut-être des Lecteurs, qui, étonnés de voir dans l'Ecrit d'un Auteur Payen des idées aufli fublimes, &, généralement parlant , auffi exactes fur la nature de la Divinité , me foupçonneront d'avoir rendu fes penfées d'une manière infidèle. Mais il fera facile à ceux qui entendent le Grec , de fe convaincre du con- traire , en comparant mon Extrait avec l'Original. J'ofe promettre que ceux qui voudront prendre cette peine , trouveront que toutes les penfées que j'emploie , font d'Ariftote ; que j'ai même copié fes exprefilons avec prefque autant d'exactitude , que fi je n'avois eu en vue Tome IL A a %jo Mémoires Physique , apprend que c'en: de Dieu , & par l'opération MécHAHi- de Dieu que tous les Etres ont pris naiflànce , ftU£ , &c. ftr qUe rjen je ce qUj QX\ftQ n'a en fQi ]e p0ll_ voir d'exifter , indépendamment de l'influence de cet Etre fuprême. Quelques Anciens , apparemment 3 parce qiCïls ne concevaient pas comment une feule Puif- Jance pouvoit fuffire à tant de chojes ( * ) , ont dit que l'Univers eft rempli de Divinités , qui , fous des images feniibles , fe manifeftent à nos yeux , à nos oreilles 8c à tous nos organes. Si une pareille idée fournit quelque facilité pour expliquer les effets de la puilTance de Dieu , elle ne s'accorde nullement avec fa nature. Dieu eft véritablement auteur & confervateur de toutes chofes j mais il ne faut pas juger de lui comme d'un artifan mortel. Il agit fans ap- prêts , fans inftrumens , fans fecours. La multi- que de faire une fimple Traduction ; & qu'enfin je n'ai fait d'aurres changemens au Texte que d'abréger cer- tains endroits que j'ai cru trop longs , d'en fupprimer d'amres qui m'ont paru peu eflentiels , d'omettre quel- ques répétitions , & de réunir certaines idées , qui , quoi- qu'éparfes dans le Grec , m'ont femblé faites pour aller enfemble. ( * ) Ces paroles ne font pas dans le Grec : mais la fuite montre clairement que l'Auteur avoit dans l'elpritla genfce qu'elles expriment. d^um Société célèbre. 37 1 tude & la variété des travaux ne lui caufent ni Physique , embarras ni laffitude. Doué d'une force à la- m"chÀni- quelle rien ne réfifte, & qui n'efl: bornée par aos*, Kt. aucunes limites , il opère dans tous les temps , dans tous les lieux , & fur toutes fortes de ma- tières & de formes, avec une facilité & une efficacité égales. C'eft néanmoins dans les Cieux que fa puif- fance fe montre avec le plus d'éclat. Il a choilî fa demeure dans la région la plus élevée , ôc c'eft la raifon pour laquelle nous le nommons le Très-Haut. De-là l'énergie de fon action fe propage d'orbe en orbe , avec des diminu- tions ( * ) graduées , jufqu'au lieu le plus bas que ( * ) Les Anciens , dépourvus des inftrumens qui nous ont fait découvrir tant d'irrégularités dans les mouve- mens des corps ccieftes,croyoienty appercevoir uneunifor- mité de loix & une harmonie parfaite , tandis que la conf- titution de notre Globe , aiïujetti à des altérations fen- fibles & continuelles , leur oftroit les apparences du plus grand détordre. Dans la penfée d'Ariftote , cela ne pou- voit venir que de ce que l'intenfité de Tadion de Dieu fur le fyftëme général des Corps décroilToit de la circon- férence au centre , & c'eft en conféquence qu'il établit ici cette opinion. Immédiatement après ce pafiage } le Texte en préfente un autre, qui paroît dire qu'il y a certaines chofes dont Dieu ne pourroit pas fe mêler fans déroger à la fouveraine dignité de la nature. Ce; deux paflfages femblent peut-être d'abotd favorifer le fenti- Aa Z 372 Mémoires Physique, nous habitons. De-là , il conduit la marche des MècHAKi- Planètes , détermine les circonftances de leurs ûut' &c' mouvemens, & fixe le temps de leurs révolu- tions. Semblable à un Général à la tête d'une armée , il donne le fignal aux Corps céleftes ; • & auui-tôt ils s'élancent dans l'efpace , & pour- fuivenc les routes qu'il leur a tracées , fe mon- trant & fe dérobant alternativement à nos re- gards par la variété de leurs phafes. C'eft en conféquence des loix qu'il apofées, que la Lune ment de ceux qui ont cru qu'Ariftote bornoit tous les foins de la Providence à la production & à l'entretien des mouvemens céleftes , fans lui donner aucune part à ce qui arrive fur la terre. Mais , i°. toute la fuite de ce morceau prouve évidemment qu'Ariftote étoit trcs-cloi- gné de penfer de la forte. i°. Il n'y a rien dans ces deux paflages qui ne fouffre , qui n'exige même une interpré- tation favorable. Il n'eft pas dit, dans le premier , que Dieu n'opère rien fur la terre , mais feulement qu'il y déploie fa puiffance avec moins d'énergie & d'éclat que dans les efpaces céleftes. Tout ce que l'Auteur paroit vouloir conclure du fécond, c'eft que Dieu ne fait pas tout , comme un vil artifàn , defcs propres mains , pour ainfi dire , cvx dvTtvçyis : Car du reile , il donne clairement à entendre que Dieu voit tout, entend tout ,& que c'eft fa puiffance qui eft le premier mobile de toutes chofes. On peut confulter le paffàge dans l'Original. Il contient une affez belle defcription du Gouvernement , établi par Cy- rus dans la Perfe. Je ne l'ai pas traduit , parce qu':'l n'auroit forme ici qu'une digreflion qui m'a paru inutile. d'une Société célèbre, 373 * circule autour de la terre dans l'efpace d'un Physique mois-; que le Soleil , Mercure & Vénus achè- méc'hah'Î- vent leurs révolutions dans un an , Mars dans QUE>&C- deux ans , Jupiter en douze , & Saturne en trente. C'eft lui qui a combiné enfemble les deux mouvemens du Soleil , dont l'un d'Orient en Occident entretient la fucceflion régulière des jours & des nuits , & l'autre du Midi au Nord , & du Nord au Midi , entraîne , pour ainfi dire , avec lui les quatre faifons de l'année. C'eft lui qui ramène , à des termes fixés , les vents bienfaifans , les pluies & les rofées fer- tiles ; qui ralTemble les eaux dans leurs fources , ôc les fait couler de-là dans les lits des fleuves ; qui produit les gonflemens périodiques de la Mer {* ) y qui donne aux germes leur déve- loppement , aux fruits leur maturité , aux ani- maux leur fécondité ; qui règle enfin pour tous les Etres , d'une manière relative à la diverfité de leurs natures , ces vicifiîtudes de nai fiance , d'aectoifiement & de dépériflement dont leur durée eft compofée. ( *) Dès le temps d'Ariftots, on commencent à s'ap- percevoir du rapport qui règne entre les mouvemens de la Lune , & le retour des marées dans l'Océan. Il en parle d'une manière plus expreiïe dans un autre endroit de l'Ouvrage , dont cet EccjU eft tiré. A a 5 374 Mémoires Physique, Mais ce qu'il y a de plus cligne de notre ad- méchani'- miration , c'eft que cetce multitude d'effets , que , &c. tantoc femblables , tantôt différents , tantôt tout-à-fait oppofés , eft produite par le plus fimple Méchanifme. Les Corps , qui font litués le plus près de la Divinité ( * ) , reçoivent im- médiatement d'elle le mouvement , Se le com- muniquent à ceux qui les touchent, lefquels à leur tour le communiquent à d'autres , & a in fi de fuite , jufqu'à ce qu'il fe foit répandu dans route la Nature. Le mouvement eft donc , dans fon origine , fimple &: uniforme (**)}& les ( * ) On remarquera facilement que ceci n'eft point exaâ. Comme Dieu eft également préfent par - tout , tous les Corps font également proches de lui. Mais , dans la doârine d'Ariftote , il n'eft point préfent par -tout fubftantiellement , mais feulement par fa puiffance. (**) Ariftote a défini le mouvement , de manière à faire penfer qu'il en ignoroit entièrement la nature. II îgnoroit , en effet , fa nature Métaphyfique , comme on l'ignore encore aujourd'hui ; mais il paroit avoir affez. bien connu fes principales propriétés. Il établit ici que c'eft une chofe fimple & uniforme de fa nature. Il re- marque , dans fes Que/lions Méchaniques , que le mouvement circulaire eft un mouvement compofé. Il diftingue très-bien , dans ce mouvement , les deux for- ces qui le produifent ; & , ce qui étonnera peut-être, il mefure la quantité de la force centripète , durant un temps donné , par le finus verfe de l'arc que le mobile décrit du- (Tune Société célèbre. 3 7 j variétés que l'on y remarque , ne font caufées Physlque, que par les diverfes affections des Corps dans méchÀni'- lefquels il eft reçu. Jettez ensemble d'un môme GUE> ^ vafe une fphère , un cube , un cône & un cy- lindre ; vous verrez ces quatre folides , quoi- qu'originairement animés d'un mouvement fem- blable , prendre , fuivant la diverfité de leurs figures , des mouvemens tout-à fait différens. Voilà en petit un exemple de ce qui arrive en grand dans la Nature. Toutes fes parties font mues par la force d'une feule & même impul- fion : mais cette force fe modifie diverfement , à raifon des diverfes diftances & des propriétés particulières à chaque Corps ; & c'eft-là ce qui fait naître dans les mouvemens de tous les Corps , & particulièrement dans ceux des Corps céleftes , cette variété de directions & de vî? teffes que nous y remarquons. Au refte, fi l'Auteur de tant de merveilles eû: învifible à nos regards , on n'en peut pas con- clure , ou qu'il manque de puilfance pour les faire , ou qu'il nous foit permis d'en nier l'exif- tence. Nous ne voyons pas notre propre ame j rant ce temps. Quelqu'embrouillé que foit fon Traité du Mouvement y par la mauvatfe Métaphyfique qui y règne , on y remarque cependant de temps en temps de fort bonnes chofesi Aa 4 '3 7 ^ Mémoires Physique , mais les effets qu'elle produit dans nous Se au- C H V M 1 £ méchani- tour de nous , rendent fon exiftence & fa pré- que, &c £Qnce fen^[jjeSi j[ en eft £je môme de Dieu. In- vifible en lui-même , il eft vilible dans tous fes ouvrages , & y paroît toujours également puif- fant en force, admirable en beauté, éternel en durée , fouveraîn en perfection. Exempt de toute fouillure , il habite un lieu pur qu'éclaire une lumière immortelle, 6c que nous appelions pour cette raifon X Olympe (*). Immuable, il remue à fon gré toute la Nature. Comme , dans nos Villes , nous voyons que la loi , toujours fixe & invariable en elle-même , ordonne ôc produit les occupations infiniment variées des Citoyens , & tourne en mille manières différen- tes , relativement à l'état de chacun , leurs fen- timens & leurs idées; ainfi , dans la vafte Cité de l'Univers , Dieu , qui eft la première , la plus équitable , la plus parfaite de toutes les loix, opère tous les changemens qui arrivent, fans en éprouver lui-même aucun. Dieu eft réellement un ; mais on lui donne plufieurs noms tirés de fes diverfes opérations , & des différent rapports qu'il a avec nous. On l'appelle ( ** ) : Celui par qui tout vit, parce ( * ) oTov o\n\a./u.vn , ajoute le Texte. ( ** ) Pour n'être point obligé de charger cet endroir (Tune Société célèbre, 377 cjue c'efl: lui qui anime toutes chofes. Ou dit Physique, qu'il eft Fils du Temps , parce que fa durée i^cham- s'étend depuis des fiècles fans commencement à QUE » Scc- des fiècles fans fin. On le nomme le Tonnant, le Foudroyant le Difpenfateur des pluies , le Régulateur des récoltes , le Gardien des Villes , h National , le Social, VRofpitalier j le Vie tor'uux , l'Expiateur , le Vengeur , le Sauveur , le Libérateur , le Célefle , /e Terrejlre : en un mot , il porte autant de noms qu'il y a d'êtres ôc d'événemens , parce qu'il n'eft rien dans l'Univers dont il ne foit le principe & la caufe. C'efi: lui qu'on adore fous les noms du Dejlin & de laNéceffité , parce qu'il difpofe , comme il lui plaît , des deftinées du monde , qu'il lie & fondent par des loix infaillibles cette chaîne de caufes Se d'effets que nous voyons renaître fans celfe & avec tant de régularité les uns des autres. Le Sort même n'eft autre chofe que Dieu , con- fidéré comme le Diftributeur des biens & des maux. La Fable des trois Parques , dont l'une préfide au pafié, l'autre au préfent , & la troi- de Notes , j'ai rendu , autant qu'il m'a été poffible , les appellations Grecques par des équivalens François ; & , à l'égard de celles que je n'ai pas pu rendre de la forte, je les ai entièrement omifes. 378 Mémoires Phtsjqui, fième à l'avenir , n'eft qu'un emblème de l'Em- MechÂni'- pire Souverain de Dieu fur tous les fiècles. que , &c. Enfin Dieu , pour me fervir d'une expreffion déjà très-ancienne , tient dans fes mains le com- mencement, le milieu , la fin de toutes chofes, de les mène aux difFérens buts qui leur font pro- pres , par des voies droites & apurées. A fa fuite marche la juftice, toujours prête à venger l'in- fraction de fes loix. Heureux & feul heureux eft celui qui , à l'exemple de la Divinité , n'aban- donne jamais cette belle vertu. La vraie félicité ne peut fe trouver où elle n'eft pas. ARTICLE III. RÉFLEXIONS fur une difficulté ', propofée contre la manière dont les Newtoniens expliquent la cohéfion des Corps , & les autres Phénomènes qui s'y rapportent. o n a lieu de croire que l'Attraction qui fait circuler les Planètes , & qui précipite les Corps pefans vers le centre de la Terre, produit en- core plufieurs autres effets naturels , tels que la dureté , l'adhérence des parties des] fluides , les fermentations , ôc généralement tous les d'une Société célèbre. 379 phénomènes qui naiflent de la cohéiïon , ou qui Physique, s'y rapporteur. En effet , i°. il efl: alfez bien mIcham'- prouvé que ces divers phénomènes ne dépen- QUE ' &e* denc point de l'impulfîon , au moins comme caufe unique ou même principale. z°. Si l'Attrac- tion efl: une propriété générale de la matière , fentiment , qui , pour ne rien dire de plus , efl: très-probable , il efl: naturel de lui attribuer tous les effets qui lui font analogues ; & ceux donc je viens de parler , font certainement de ce nombre. Il faut cependant convenir qu'il fe préfente ici une difficulté très - confidérable. La force avec laquelle les Corps pefans , & nommément les Planètes , fe portent vers le centre de leur tendance , efl: toujours réciproquement propor- tionnelle au quarré de la diftance ; & celle avec laquelle les particules s'approchent & s'unifient dans les cohéfions , &c. efl: manifeftement plus grande. Il femble donc que ces deux forces ne peuvent pas être produites par une feule & même caufe. Cette difficulté a paru fi forte à quelques Newtoniens , que , pour n'en être pas embar- raflés , ils ont pris le parti de borner le principe de l'Attraction aux feuls phénomènes céleftes , auxquels il s'applique avec une facilité merveil- leufe. £)'autres ont mieux aimé chercher à la 583 Mémoires Physique, réfoudre , que d'admettre des bornes dans un mLchan'i- principe dont l'univerfalité eft prouvée par des eni , &.C. raifons au moins très-plaufibles. Dans cette vue , quelques-uns ont cru que la loi générale de l'Attraction pouvoit n'être pas celle de la raifon inverfe du quarré , mais celle de la raifon inverfe du quarré , plus la railon inverfe du cube , ou même de quelque puiffance plus élevée que le cube. Mais outre que cette idée n'eft qu'une fuppofition entièrement dénuée de preuves j outre qu'une pareille loi préfente une complication de termes embarrafTante , & même un peu bizarre , il eft certain qu'elle ne s'accorderoit ni avec les phénomènes de la pe- fanteur , comme il eft aifé de le voir , ni même avec ceux des cohéfions , comme nous le ferons bientôt remarquer. D'autres ont admis deux loix d'Attraction , l'une pour les grandes diftances Se pour les phé- nomènes céleftes , & l'autre pour les pentes dif- tances & les cohéfions ; la première , en raifon inverfe du quarré , la féconde , en raifon in- verfe du cube. Si l'on n'avoit autre chofe à ob- jecter contre ce fentiment , finon la variation qu'il fuppofe dans les loix de l'Attraction , il femble qu'on ne feroit pas fuffifamment autorifé à le rejetter. Quelques Philofophes ont beau vanter la (implicite des loix de la Nature , il eft d'une Société célèbre, 381 certain que plulïeurs de ces loix fouffrent des Physique variations Se des modifications confidérables. mIchani- Par exemple, les loix de la réfraction ne fonteUE' pas les mêmes pour les corps groflîers , & pour les petits corpufcules de la lumière. Celles que fuivent les fluides , en prelîant leurs bafes , font , à plulïeurs égards , très-différentes de celles que fuivent les folides. Ce feroit donc fur des mo- dèles fournis par la Nature même , qu'auroit été formée l'idée d'une double loi d'Attrac- tion j & rien n'engageroit à la proferire , pourvu qu'elle s'accordât avec les phénomènes. Mais c'eft précifément-là ce qui manque à la double loi dont je viens de parler. Si elle avoit lieu, prefque tous les corps feroient d'une dureté infinie & rigoureufement parfaite j car on ne fauroit douter qu'il ne fe trouve dans tous les corps un grand nombre de particules qui fe touchent en quelques points. Or , il eft démon- tré que fi l'Attraction , qui eft entre ces parti- cules , fuivoit la raifon inverfe du cube , elle feroit abfolument infinie aux points où ces par- ticules fe touchent j d'où il fuit que ces parti- cules oppoferoient à leur féparation une réfîf- tance qu'aucune puilfance finie ne pourroit vain- cre , & formeroient par conféquent des corps parfaitement durs. Ainfi , la difficulté dont il eft queftion , mal- 382 Mémoires Physique, 2té les tentatives qu'on a faites pour la ré- méchTni'- foudre , fembie refter encore toute entière. «oe, &c j;^ » qUOi cjonc } feroit-elle infoluble ? On aura de la peine à fe le perfuader , fi l'on confidère que plufieurs autres difficultés, propofées contre le fyftême de Newton , & qui , au premier coup- d'œil , ne dévoient pas paroître moins fortes que celle-ci , onr été toutefois pleinement ré- folues. Il en eût été probablement de même de celle-ci , fi , parmi tant de célèbres Géomètres qui ont travaillé à perfectionner le fyftème New- tonien, il fe fût trouvé quelqu'un qui y eût donné une attention fuffifante. Mais la plupart ne fe font occupés férieufement que des phéno- mènes céleftes j & s'ils ont examiné quelquefois les phénomènes, qui donnent lieu à la difficulté préfente , ce n'a guères été que comme en paf- fant , & fans les fuivre dans leurs détails. En attendant que quelqu'un entreprenne ce travail , j'ofe propofer quelques vues , très-générales à la vérité , mais capables peut-être de conduire à des idées plus précifes. Je ne parle qu'en dou- tant , parce que dans une matière comme celle- ci , à moins qu'on ne foit Géomètre très - pro- fond, il eft très-facile de fe tromper. Il fuit de ce que j'ai déjà dit , que la force qui fe manifefte dans les cohéfions , &c. étant Grès-finie, même au point de contact, elle eft (Tune Société célèbre. 383 infiniment au-deffous de celle que produiroit Physiqub, une Attraction en raifon inverfe du cube , ou de méchaU- toate autre puifïance , fupérieure au quarré. Ne QUE* &c* fembleroit-il donc pas naturel de penfer qu'une Attraction, en raifon inverfe du (impie quarré, pourroit fuffire à la produire ? Et fi cela étoit, la difficulté dont il s'agit ici , ne feroit-elle pas réfolue ? Il eft vrai que la difproportion qu'on remarque entre la force de la pefanteur Se celle des cohëfions , paroît devoir faire rejetter cette idée. Mais, en effet , doit-elle la faire rejetter ? Ges deux forces ne font pas l'Attraction même, mais des effets de l' Attraction ; car j'appelle Attraction l'effort que fait le corps attirant pour faire mouvoir le corps attiré , & je regarde comme l'effet de l'Attraction la force avec la- quelle le corps attiré eft mû en vertu de cet effort. Or , il eft certain que les effets d'une feule & même caufe peuvent varier dans leurs rapports , fans que la caufe elle-même varie dans fa loi. Il ne faut pour cela que le mélange de quelques circonftances particulières, qui rendent l'aétion de la caufe, tantôt plus fimple , & tantôt plus compliquée , qui tantôt en prolonge, & tantôt en racourcilTe la durée , qui l'applique à fon effet , tantôt d'une manière , cV tantôt d'une autre , &c. C'eft ainfi que , dans le choc des corps , une même puiffance motrice , fui- 3^4 Mémoires Physique , vant la nature des obftacles contre Iefquels elle méchÀm- s'exerce , ou le temps & la manière dont elle eft que,&c. appliquée, produit des effets, qui font tantôt ■y dans le rapport des fimples vîtelTes , &c tantôt dans celui des quarrés des vite fies. Pourquoi n'en feroit - il pas de même de l'Attraction ? Pourquoi cette puifTance , en fuivant toujours une môme loi , ne pourroit-elle pas , ainfi que l'impulfion, produire dans les corps fur Iefquels elle fe déploie , des effets , des forces qui ne fuivilfent pas le même rapport , fi , par le con- cours de quelques circonftances particulières , fon action fe trouvoit diverfement modifiée ? A ne confidérer donc les chofes qu'en géné- ral , il ne paroît pas impofiible que la force qu'on obferve dans les cohéfions , &c. ôc celle de la, pefanteur , quelque difproportion qu'il y ait entre elles , ne puilfent être produites par une même Attraction , agilfant en raifon inverfe du quarré. Pour s'affûter fi la chofe eft véritablement ainfi , il faudrait entrer dans des dérails où je ne me fuis pas propofé d'entrer. J'ai averti que mon deiTein étoit de me borner à des vues gé- nérales. Je me' contenterai donc de faire remar- quer dans les cohéfions quelques circonftances particulières, à raifon defquelles l'Attraction , en raifon inverfe du quarré , femble devoir produire, P T. Or , de-là ne fuit-il pas qu'en général une petite particule qui en attire une autre, fuivant une certaine loi , doit produire dans elle une force relativement plus grande , que ne produiroit un corps d'un volume confidérable qui l'attire- (Tune Société célèbre, 587 roit , faivant la même loi ? Donc , à raifort de physique , l'extrême petitefle des particules , entre lef- ^^"fj," quelles l' Attraction agit dans les cohéfions , ckc. ûue, &c. la force qu'on y remarque ne peut-elle pas être beaucoup plus grande relativement que celle qu'on obfetve dans les vaftes Corps des Planè- tes , quoique l'Attraction fuive par rapport aux unes & autres la même loi du quarré ? Une autre circonftance que je remarque , c'eft la réciprocité de l'Attraction , dont l'effet , qui eft prefque nul par rapport aux Planètes , doit être très-confidérable & très-fenfible dans les cohéfions. Tout Corps , qui en attire un autre , en eft en même temps attiré ; ce qui produit néceflairement entre les deux Corps une aug- mentation de force , pour s'approcher ou pour s'unir. Or, il faut remarquer, i°. que cette augmentation de force ne peut avoir lieu entre des Coips dont les malfes font en trop grande difproportion , parce que l'Attraction étant à diftances égales en raifon des mafTes , un Corps dont la maire fera extrêmement petite , ne pro- duira qu'un effet extrêmement petit ou nul fur un autre Corps , dont lamafle fera très-grande. i°. Qu'à de très-grandes diftances cette augmen- tation de force , eût-elle lieu dans la réalité , feroit infenfible , 8c par conféquent devroit en- core être cenfée nulle j car elle ne pourrait fe Bb * 3 8 8 Mémoires PHrsiauE, manifefter aux fens que par l'augmentation de Sîl^j Ù vkeflê fenfible avec laquelle les deux Corps du* , &&, £e p0rteroient l'un vers l'autre , ou ce qui eft la même chofe > par l'augmentation de l'efpace fenfible dont ils s'approcheroient dans un temps donné. Or , il eft évident que plus la diftance qui fépare les deux Corps eft grande , plus l'aug- mentation de l'efpace fenfible dont ils s'appro- chent dans un temps donné eft petite , & qu'à de très-grandes diftances , elle devient abfolu- ment nulle. Ces deux raifons réunies empêchent qu'il n'y ait , ou qu'on ne remarque entre le So- leil & les Planètes aucune augmentation de force qui puiffe être attribuée à leur Attraction réciproque* Mais il fembîe que des raifons con- traires doivent produire une augmentation de force très-confidérable , & fur-tout très-fenfible dans les cohéfions , &c. En effet , comme les particules qui s'attirent dans ces phénomènes font à-peu-près égales, la force avec laquelle elles s'approchent ou s'unilfent , devient , en vertu de leur attraction réciproque , double de ce qu'elle feroit fans cette Attraction ; & dans les petites diftances auxquelles ces phénomènes s'osèrent , la moindre augmentation de vîteflè , ou , ce qui eft la même chofe ici , la moindre augmentation de force , devient , au moins fui- fiblement , très-confidérable. Voilà donc encore J/t'/n ■ i/n/if ihirufr Célèbre 'Iluti ll ■ /'.i./,- .",s',/ Figure fl • d'une Société céUbre. 3S.9 une circonftance , à raifon de laquelle FAtcrac- tion , quoiqu'elle agît toujours fuivant la môme Méchani- loi du quarre , pourroit , ce lemble , produire dans les cohéfions une force beaucoup plus grande , du moins fenfiblement , que celle qu'elle produit dans les Planètes. Une troifième circonftance , qui regarde prin- cipalement les phénomènes de la dureté , c'eft qu'au lieu que les Planètes ne tendent vers leur centre qu'en vertu de l'Attraction qui en émane , les particules d'un même Corps font portées vers le centre, & par une Attraction femblable , & par la preflion des autres particules. Ceci de- mande à être expliqué. Soit , ( Fig. 2. ) une fphère folide , qu'on fup- pofe partagée en différentes fuperficies concen- triques qui fe touchent , ACBD , PEQF, &c. Si l'on fuppofe un corpufcule P , placé au- dedans de la fphère dans une fuperficie quel- conque , il eft démontré par les Prop. 70 , 72 & 73 du Liv. I. de Newton , que, dans l'hypo- thèfe de la loi du quarré, la force avec laquelle ce corpufcule fera attiré vers le centre S , fera proportionnelle à fa diftance P S du centre j d'où il eft aifé de voir que les particules les plus éloignées du centre font plus fortement attirées que celles qui font plus proches. Or , de-là fuivent deux chofes. 1 °. . Les par- Bb 3 390 Mémoires Physique, ticules extérieures doivent, par les règles de la Chïmie , ... méchani- communication du mouvement , partager avec que, &c. jes mtérieures l'excès de leurs forces , de accroî- tre par conféquent dans ces particules la force qui leur vient de l'Attraction du centre. z°. Les acçroiflemens de force que reçoivent les parti- cules intérieures , ne doivent pas fe perdre , mais fe conferver au contraire , cV s'accumuler fans cette vers le centre. Car, i°. l'Attraction du centre & la preflïon des particules extérieures agiflent fans ceffe. z°. Les forces qui viennent des parties oppofées , comme d'A Se de B , aboutiffant également au centre , Se ne paifant pas au-delà , n'agilTent pas les unes contre les autres , Se ne peuvent par conféquent fe dé- truire. Il paroît donc qu'en vertu de cette troi- fième circonftance , la force qu'ont les particules des Corps durs pour s'unir Se adhérer les unes aux autres , doit non-feulement être beaucoup plus forte que la pefanteur des Planètes dans un premier moment quelconque , mais qu'elle doit au bout de quelque temps devenir prodigieufe- ment grande , quoiqu'elle dépende originaire- ment de la même Attraction en raifon inverfe du quarré, qui produit la pefanteur des Planètes. Préfentement fi l'on réunit ces diverfes cir- conftances : fi l'on y en ajoute d'autres ou dé- pendantes de celles-ci > ou qui leur font ana- d'une Société célèbre. 391 logues , telles qu'on en pourroit encore imagi- Physiquï , ner : fi l'on a égard, dans les phénomènes de méchamI la dureté, à l'afpérité des furfaces , qui feule QUE ' &c* empècheroit les parties de fe féparer aifément : fi de plus on fait attention que , quoique l'im- pulfion ne paroiflfe pas pouvoir produire toute feule les phénomènes dont il s'agit ici , elle peut cependant , au moins dans certains cas , y en- trer pour beaucoup : fi enfin on confidère que , quelle que foit la loi d'où dépend la force qu'on remarque dans ces phénomènes , elle ne peut être dans la raifon d'aucune puhTance au-dellus du quarré , ne doit-on pas trouver beaucoup d'ap- parence à croire que c'eft celle même du quarré? On pourroit objecter que la force qui fe fait fentir dans les cohé fions , Sec. eft beaucoup plus grande au point même du contact qu'à la plus petite diftance de ce point , Se que , fuivant ce que Newton a démontré , Prop. 8 5 , Liv, I , cela ne devroit pas être , fi cette force étoit l'effet d'une Attraction en raifon inverfe du quarré. Je réponds que cette Propofition qua- tre-vingt-cinquième étant relative aux Propofi- tions 70 , 71 & 74 , dans lefquelles Newton n'a point égard aux circonftances particulières qui femblent pouvoir augmenter dans les cohéfions > fur-tout au point de contact , la force qui vient originairement de l'Attraction j il ne paroît pas Bb* '3 9 2 Mémoires Physique, s'enfuivre que , fi l'on fait attention à ces cir- MécRAHi* confiances , la force , au point de contact , ne que, &c pUiffe £tre beaucoup plus grande qu'à la moindre diftance de ce point , quoique la caufe première ôc principale dont elle dépende , foit une At- traction en rail'on inverfe du quarré. ARTICLE IV. Conjectures fur la nature des Corps vifqueux ; par le P. C AS tel } Jcf. Je ne m'arrêterai point ici à donner des défini- tions exactes de ce qu'on appelle vïfcofité ôc Corps vifqueux : on fait allez que ces Corps tien- nent comme le milieu entre les Corps durs qui réfiftent à leur divihon , Ôc les Corps liquides qui fe taillent divifer fans peine; les Corps vif- queux ne réfiftant point , ou prefque point , ôc fe laifiant pourtant divifer avec quelque forte de difficulté , à-peu-près comme un rofeau élude par fa fouplelTe les plus grands efforts & les plus rudes coups. Pour expliquer ce fvftème de vifcofité, les Phyficiens ont imaginé des parties rameufes , branchues , crochues , entrelacées les unes avec les autres , ôc qui fe tiennent comme par la d'une Société célèbre. 393 main , & par plusieurs mains : quand je dis ima- Physique t Chymie gïné je crois parler jufte j car on voit bien que méchani- ce n'eft-là tout au plus qu'une pure hypothèfe , QUE' &c' qui n'a d'autre preuve que l'explication plau- fible qu'on donne d'un phénomène, en emprun- tant l'exemple de branches d'arbres entrelacées , qui forment une forte de vifcofité , affez ref- femblante à celle qu'on veut expliquer. Donc , conclue - t - on , cette vifcofité confifte en un en- trelacement de branches & de rameaux \ donc les parties des Corps vifqueux font branchues & rameufes : cela s'appelle un fyftême. Mais eft-ce bien le fyftême de la nature ? Et n'eft-ce pas plutôt un fyftême poétique , dont une fimple fimilitude fait toute la folidité , ou peut-être l'ornement frivole ? Toutes ces analo- gies ne prouvent rien d'elles-mêmes , pour la vérité & la réalité des chofes ; elles prouvent tout au plus une certaine poffibilité fort vague 8c fort indéterminée : je conviendrai , fi on le veut , qu'un Corps , compofé de parties ra- meufes 5 branchues , crochues & entrelacées , auroit une efpèce de vifcofité , femblable à celle dont il s'agit. Mais c'eft ici une queftion de fait : les parties des Corps vifqueux font-elles rameu- fes en effet ? C'eft: ce qu'on fuppofe fans preuve , & ce que quiconque a droit de réfuter , ou plu- 394- Mémoires Physiquh, tôt de rejetter purement & Amplement, jufquM MECH..NI- ce qu on 1 ait prouve. c(;e,scc. N'eft-ce donc point, dira-ton, une preuve réelle pour un fyftême , que l'explication qu'on donne par fon moyen d'un phénomène de la nature ? Je réponds , fans balancer , que non : on ne peut déterminer un point que par le con- cours de deux lignes ; il faut trois points pour déterminer le centre d'un cercle ; il en faut cinq pour les foyers des autres feétions coniques. Rien n'eft fi fimple que la nature ; c'eft comme un centre , d'où partent une infinité de lignes de toutes les fortes , comme autant de rayons qui la rendent fenfible ; pour trouver la nature, il faut trouver l'interfection ou le concours pri- mitif & unique de tous ces rayons j ce n'eft rien que d'expliquer un phénomène détaché. C'en: ici que la maxime a lieu , tout ou rien : la nature eft indivifible dans fes principes , quelque com- pofée qu'elle paroiffe dans fes effets. La vifcofité eft un phénomène des Corps vif- queux j mais ce n'efl: pas le feul : tandis qu'on s'y borne , on faifit des rameaux & des bran- ches j mais on eft loin du tronc ; fans parler que fous ce point de vue borné, il n'eft pas de vifion qu'on ne puilfe ériger en explication & en fyf- tême. Car Ci des branches d'arbres entrelacées d'une Société célèbre, 39$ forment une forte de vifcofîté , des fils em- Physique , Chymie , brouillés , des crochets accrochés , des anneaux mécham- enchaînés : enfin, mille chofes imitent égale- QUE> &C* ment ce fyftème ifolé. C'eft donc au tronc & au Corps de l'arbre qu'il faut d'abord remonter en fuivant les di- verfes branches qui en fortent; & pour expli- quer la vifcofîté, il faut chercher la nature des Corps vifqueux. Pour peu qu'on connoiffe le fyjîcmc fenjîble , c'eft-à-dire , l'Hiftoire Naturelle de ces Corps , on fait qu'ils font capables de foutenir , non- feulement une grande extenfion fans fe divifer Iorfqu'on les tire , mais encore une grande dila- tation en tous fens , une grande raréfaction Iorf- qu'on les échauffe , & qu'ils font même fort prompts à fe raréfier , comme on le voit dans le lait , les huiles , les gommes , les réfines , la sève des plantes , ôcc. Je laiiTe les autres phénomènes , parce qu'il faut ici néceffairement fe borner j mais cette grande &c prompte raréfaction , qui efl: un phé- nomène principal , peut nous fervir de clef; car la nature , qui s'enveloppe quelquefois dans un phénomène , fe laide entrevoir dans quelqu'autre phénomène, qui fort, pour ainfi dire, plus immédiatement de fes mains ; & c'eft-là l'avan- 59 6 Mémoires PHTsrdoE , tage qu'il y a à regarder les chofes par leurs di- Ckymie , a / vers cotes. m« , &c. Jettant donc des yeux attentifs fur cette Faci- lité extrême qu'ont les Corps vifqueux à fe ra- réfier , la découverte de leur véritable fyftème paroît ne dépendre déformais que de deux ou trois réHexions faciles à faire : la première , nous repréfente les Corps vifqueux comme des Corps mêlés ou mixtes , ainfi que tous les autres Corps terreftres : c'eft enfuite à une féconde réflexion de difcerner l'efpèce de fubftances (impies , ou plus fimples , dont ils font l'affemblage. Ariftote en reconnoilîoit quatre -, les Chymiftes en veu- lent cinq ; les Cartéfiens les confondent en une , en fe contentant de- la notion vaçnie d'une diffé- rente configuration de parties qu'ils ne détermi- nent jamais. S'il falloir nous déterminer ici nous- mêmes entre ces diverfes opinions , notre quef- tion principale feroit long-temps indécife ; il fufrït de favoir, par des expériences & par des raifonnemens aulîi inconteftables qu'ils font fa- ciles , qu'il entre beaucoup d'air dans la compo- fition de tous les Corps terreftres , pour con- clure , après une troifième réflexion fur la grande & la prompte raréfaction dont l'air eft capable, pour conclure, dis je , que l'air do- mine dans les Corps vifqueux , & que c'eft à* eau ^ comme touce l'eau devroit être dans les mers au-deflus de toute la terre ; mais les divers mouvemens dont ces Corps font agités , les di- vers degrés de chaleur dont ils font animés , les font fans cefle comme enjamber les uns dans les autres , de fe mêler même de fort près : par exemple , les flots foulevés fe brouillent avec l'air , qui fe trouve engagé entr'eux ; les va- peurs qui rempliffent l'air , en enveloppent tou- jours beaucoup lorsqu'elles fe réunifient en gouttes de pluie; les fumées , en fe condenfant , s'emparent aufli de tout l'air qui fe trouve entre leurs parties j lorfqu'on labourre les terres , 8c qu'on les fouleve , l'air fe loge parmi leurs grains comme dans des cellules , lefquelles ve- nant à fe rétrécir , à mefure que les terres fou- levées s'affaiflent , enferment cet air : or , ce il enfuite de cette terre , de ces cellules , de ces gouttes de pluie , de ces fumées répandues fur les terres , que fe forment les plantes , les ar- bres, les fruits, les animaux ; tout cela doit donc contenir beaucoup d'air ; &: , du refte , l'air ne manque pas dans l'intérieur de la terre , qu'on fait être toute pleine de cavernes , de conduits , de veines , d'intervalles que l'air rem- plit : ce que je remarque, afin qu'on ne s'imagine (Tune Société célèbre, 399 pas que les bitumes & les autres Corps vifqueux , Physiq»; qui fe forment dans la terre inférieure , ne foient m^cham'- pas à portée d'avoir aufTi leur provifion de cecclUE'&c" élément univerfel des Corps terreftres. Tous les Corps contiennent donc beaucoup d'air ; maintenant il faut faire un autre pas , ôc prouver que les Corps vifqueux en contiennent plus à proportion que les autres, & que c'eft ce qui les rend vifqueux. Si l'on vouloir fe payer d'un raifonnement dont Ariftote fe payoit en pareil occurence, je pourrois ftire remarquer qu'il n'eft point de Corps plus fumeux que ceux dont je parle : or , c'en: par les fumées qu'Arif- tote jugeoit de l'air intérieur ôc élémentaire des Corps , ôc je crois qu'il en jugeoit bien , les fumées contenant beaucoup d'air , ôc n'étant communément qu'un air enveloppé dans des fels ou des efprits falins, ou dans quelque li- queur fort raréfiée. Ce qu'il y a d'inconteftable , c'eft que les Corps vifqueux bouillonnent plus violemment fur le feu , qu'aucune autre efpèce de Corps : or , on fait que c'eft fur-tout à l'air renfermé , que les Corps doivent leurs bouillonnemens 5 on en voit la preuve à l'œil dans l'eau qui eft fur le feu y ôc , pour le dire en paflfant , les fumées font ordinairement le fruit des bouillonnemens, ou plutôt , c'eft un même air quimonte d'abord > $qq Mémoires Thysiouî, dans la liqueur bouillonnante, & qui y prend M£ch"ni'- ^e nom de bouillonnement , & qui , palfant de-là QUE,&c. dans l'athmofphère , paroît fous la forme de fumée. Je lailTe mille autres indices que la na- ture nous donne d'une grande quantité d'air ren- fermée dans les Corps vifqueux : l'art des hom- mes ne nous en fournit pas de moins fenfîbles. Les hommes , à la vérité , ne voient pas tou- jours les raifons précifes de tout ce qu'ils font , même avec delfein , & avec une efpèce de ré- flexion Se de raifonnement ; l'expérience & un certain inftinct , ou un certain goût de la na- ture les dirige la plupart du temps. Si l'on de- mandoit à un Potier de terre , pourquoi il bat bien fa rerre-glaife pendant long-temps , avant que de la mettre en œuvre, c'eft , diroit - il , pour la rendre plus forte , plus tenace , plus vif- queufe j c'eft-à-dire, que l'expérience lui a ap- pris qu'en la battant ainfi. , en la pliant & la re- pliant fur elle-même , comme un gâteau qu'on veut feuilleter , elle acquiert une vifeofité né- celfaire pour foutenir le feu violent , & la forte cuilTon qu'on lui donne. Le Potier s'en tient-là , & n'en fait pas davantage ; mais un efprit un peu Philofophe poiuTe plus loin , ôc demande la raifon primitive de ce procédé & de cette vifeo- fité qu'acquiert la terre battue : je l'ai déjà infi- nuéej ebapue pli, chaque repli, chaque coup que d'une Société célèbre. 40 1 que la terre reçoit, la met en pofleflïon d'une fcrotwi. certaine quantité d'air , qui s'y mêle & s'y in- m™ corpore. que , &c. C'eft pour une autre raifon qu'on bat & pé- trit la farine délayée dans l'eau : on veut la met- tre en état de fermenter promptement , & de fe lever comme on dit : l'air qu'on y introduit , & qu'on voit enfuite dans mille cellules du pain qui eft bien levé , produit cet effet ; mais il en produit un autre , qui eft de rendre la pâte ex- trêmement forte comme on dit , c'eft-à-dire , tenace & vifqueufe. Lorfqu'on veut faire fervir de colle le blanc d'œuf , on ne manque pas de le bien battre pour le rendre encore plus gluant que la nature ne l'a fait ; l'eau elle-même de- vient fenfîblement vifqueufe , lorfqu'on la bat bien ; les écumes, qui ne font qu'un amas de cellules ou de bouteilles pleines d'air, font tou- jours vifqueufes , & pour peu qu'on les obferve de près , on verra prefqu'à l'œil que c'eft à l'air renfermé qu'elles doivent cette vifcofité, qté difparoît à mefure que i'air rentre dans l'ath- mofphère. Il faudroit un plus long détail pour prouver que tous les Corps vifqueux tiennent uniquement de l'air leur vifcofité : celui - ci fuffira à ceux qui font au fait de la nature , parce qu'ils peuvenr y fuppléer par leurs propres expé- riences , & fur-tout par leurs obfervations : il Tome II. C c 402 Mémoires Physioui, fuifira même aux autres , s'ils le veulent , parce SSSi qu'il les mettra fur les voies de la nature t à por- cuk, Sec Z£Q ^ & peut-être en goût d'expérimenter ôv -d'obferver. Ce n'eft pourtant encore ici qu'une première découverte, ou un premier pas dans la décou- verte de h nature des Corps vifqueux j car quoi- que ce foit une connoiftance utile , de favoir que les Corps vifqueux contiennent beaucoup d'air , j'avouerai cependant que la piincipale difficulté n'eft par-là que traufportée , comme on dit , d'une queftion dans une autre. Les Phyli- tiens à hyporhèfes conviendront que tous les autres Corps font fans rcmufcules ; mais pour l'air, ils n'en conviendront pas de même j & ce feronr les ramufcules de l'air qui cauferont la vifcoficé de tous les Corps. Jafqu'ici , en effet, l'air eft de tous les Corps celui auquel on donne le plus de ces ramvfules : ce feroit pourtant quelque chofe que d'avoir réduit à l'air feul , ce fyftême des ramufcules \ il eft fi peu fondé n. > c Physiqui , ramujcules de 1 air neit appuyé lur aucune Chym.e , preuve pofitive : par fort moyen , on explique ^oe tcu quelque phénomène : voilà toure la preuve j mais ce n'eft rien , lorfque c'eft la narure elle-même qu'on veut connoître. LaifTons donc ces ramiif- cules , que ni les yeux , ni la raifon ne démon- trent , & voyons , fi à l'aide de quelque pro- priété de l'air mieux connue & plus in- conteftable , nous pourrons expliquer la vifco- fité des Corps qui contiennent beaucoup d'air. C'eft une propriéré de l'air incontestable- ment établie , qu'il a un grand reflort , une grande force de dilatation , fur-tout lorfqu'il eft renfermé & relferré dans un petit efpace j je n'en veux pas davantage , & ce refTort me fuffit. Jettons donc les yeux fur la glace , ou fur de la mie de pain , 6c concevons que les Corps vifqueux font encore plus que la glace, & à peu-près comme la mie de pain , un affem- blage de cellules pleines d'air : je cite la mie de pain plutôt que l'écume j car quoique l'écume foit vifqueufe , cependant les cellules font Ci minces & fi fragiles , qu'elles repréfentent affez imparfaitement la ténacité des Corps vifqueux ordinaires -, dans la mie de pain, les cellules ont un peu plus d'épaiffeur & plus de folidité. Il eft fewn encore de prévenir une autre objection , en Ce 2 Mémoires Physique , faifant remarquer que la vifcofité de la mie de mTchTni'- Pam ne v*ent Pas ^e *'a*r ' ^ ^ ren^erm^ dans cve , &c. les grandes cellules que les yeux y découvrent , mais de celui d'une infinité d'autres petites cel- lules qui font imperceptibles aux yeux, dont le microfcope découvre les plus grandes, & l'ef- prit les plus petites. Dans l'huile , le lait , la térébenthine , les cellules font encore plus pé- rîtes , & l'air y eft beaucoup mieux mêlé & in- corporé avec les aurres f ubftan ces , parce que les ouvrages de la nature confident dans un rhê- lange plus parfait j auffi ces Corps ont-ils une vifcolité , en quelque forte , moins fuperficielle que n'eft celle des Corps , qui ne font vifqueux que par artifice. Les Corps vifqueux font donc tout pleins de petits reflorts , qui tiennent les autres parties ferrées de fort près les unes contre les autres , & comme bandées en rous fens : on ne peut donc tirer quelqu'une de ces parties de fa place , qu'aulli-tôt les autres ne fe débandent, Se ne foient repoulfées de ce côté , qui fe trouve dés- là le côté foible ; de forte que fans entrelace- mens , ni crochets qui tirent les parties les unes à la fuite des autres, ces parties fe fuivent pourtant par le Méchanifme d'une fimple im- pulfion , tout-à-fait femblable à celle d'une table de marbre , qui fuit celle à laquelle elle et une Société célèbre. 405" eft immédiatement appliquée , lorfqu'on tire Physique, UChymie, e-Cl- M échani- Et fi l'on y prend garde, rien n'eft plus na- QUS' &c- turel que cette explication • car fi les parties des Corps vifqueux étoient toutes hérilfées de bran- ches & de crochets , rien ne feroit plus rokle ni plus impliable que ces branches 8c ces cro- chets , vu leur extrême petitelfe , fans ajouter qu'il eft déformais beaucoup plus vraifemblable de regarder les oetites particules des Corps comme entièrement inflexibles & parfaitement dures : on verrait au moins, les Corps vifqueux , tantôt plus , tantôt moins fouples & moins do- ciles à la tra&ion , s'arrêter ou couler avec plus, ou moins de facilité , fuivant que les ramuf- cules ou les ctochets fe trouve-roient plus ou moins engagés les uns dans les autres. Le véritable caractère des Corps vifqueux % c'eft d'obéir alTez facilement à la traftion , fans pourtant fe lailfer défunir -y c'eft , en quelque forte , de céder trop facilement : on tire une partie , il en vient mille. Ainfi leur prétendue difficulté à obéir , n'eft pas tant une réfiftance de la part des parties qu'on tire , qu'une trop prompte obéilTance de la part de celles qu'on ne tire pas. Imaginez un efpace tout plein de ballons , entremêlés d'autres Corps plus durs ; 1& difficulté qu'on aura à remuer les Corps durs C c 5 4-0 6 Mémoires Physique , fera tout-à-fait femblable à celle qu'on a à re- méchani- muer les parties des Corps vilqueux : a la venre, QUE , &C. /"> J r ces Corps durs pourront le remuer , parce que les ballons peuvent leur céder en fe comprimant ; mais il faudra toujours une certaine force pour cette compreilion , ôc aucun de ces Corps ne pourra fe remuer fins en entraîner plulïeurs au- tres après foi. Lacomparaifon la plus jufte qu'on puifle trouver , c'eft celle de deux ou trois per- fonnes qui fendent un peu vite une grande foule de gens ferrés de près les uns contre les aurres ; car Ci ceux au milieu defquels ils palfent n'y prennent garde , & ne fe roidilïènt un peu vers le côté oppofé , ils font , en quelque forte , entraînés après ces paflans , non pas que ceux- ci les tirent à eux , mais parce que tous ceux qui les environnent, les repoufTent de ce côté , qui cède à mefure que les paflans avancent. Je ne diflimulerai pas cependant qu'il eft en- core un endroit , par où les parti fans zélés des ramufeuks peuvent chercher à en relever le fyftême ruineux j car ils peuvent dire , & j'en ai vu même qui difent , que le grand reflort de l'air eft tout fondé fur la multitude de fes ra- mufcules pliés & replies , qui tendent à fe re- drefler :mais outre que ce fyftème eft tout arbi- traire', outre que la flexibilité des premières parties des Corps eft, comme je l'ai déjà dit , d'une Société célèbre. 4.07 peu vraifemblable j je remarquerai que les ra~ Physique mufcules font introduits dans le fyftème des méchant» Corps vifqueux , pour embarraflfer , non pas en QUE ' &c* qualité de relfort, qui tend à fe redreffer , mais en qualité de ramufcules , qui s'accrochent & s'entrelacent mutuellement , 6c qu'en leur ôtant cette fonction-ci , pour leur donner celle- là , on les proferit d'une main en les introdui- fant de l'autre. Rien n'eft Ci oppofé que l'idée d'un ramufcule , qui en retient un autre en fe repliant, ou en réfiftant à fon déploiement , & cel'e d'un ramufcule qui tend à fe déployer \ Se fi l'on fe borne à ce dernier ufage , dès-lors on fe prive de Tunique preuve de convenance, qu'on avoit pour appuyer un fyftême d'ailleurs tout arbitraire \ d'autant plus que la forme de ramufcule n'eft nullement nécerfaire pour expli- quer le relfort de l'air , ni d'aucun autre Corps. Du refte , la forme fous laquelle l'air fe laiife voir dans les Corps qui en contiennent , ne fa- vorife guères l'opinion des crochets ni des. ra- mufcules entrelacés ; elle favorife fort au con- traire celle que je propofe ici -y car dans la glace, dans le verre , dans le pain , dans l'eau qui bout , dans tous les Corps , en un mot , où il fe rend vifible , l'air a la figure de petits ballons ramalfés fous une figure courbe , qui eft ceile que prennent les Corps hétérogènes les uns au C c 4 4'0§ Mémoires Physique, milieu des autres : or , nulle Heure n'eft moins Chymie , y Mkhani- approchante de celle qu'on attribue aux rdmuf- que , &c. cu£cs ^ nj moms pr0pre à embarrafler : fi l'air embarralfoit les parties des Corps par fes ramuf- cules , on le verroit étendre des filamens , des branches de tous côtés dans ce qui l'environne ; mais rien n'eft plus ramaflfé , ni plus débarrafle que fa figure. Voici quelques obfervations qui me paroiiTent décifives : rien n'eft plus vifqueux qu'une petite goutte d'eau , & plus elle eft petite , plus elle eft vifqueufe j on ne peut lui arracher une par- tie j la goutte entière fe laiflfe plutôt traîner de tous côtés , que de fe laiiTer divifer. Ce phéno- mène fait d'abord voir bien clairement que les ramufcules ne font pour rien dans le fyftéme de la vifeofité des Corps ; car pour être petite, cette goutte ne change pas de nature , & n'a pas plus de ramufcules que lorfqu'elle étoit grande. Nous voyons enfuite que l'air fait tout ici j une petite goutte fe trouve à proportion plus in- vertie d'air , & invertie de plus près qu'une grande goutte , celle-ci ayant moins de furface à proportion , & étant par conféquent moins ex- pofée à l'action , à la compreftîon , à l'impulfion de l'air. Ceci confirme ce que nous avons dit de la figure que l'air prend dans l'intérieur des Corps dans lefquels il eft mêlé ; car une petite d'une. Société célèbre. 409 goutte d'eau ne fe ramaffe en fphère au milieu Physique , de l'air qu'à caufe de fon hétérogénéité , & parce méchani- cjti'elle ne peut fe mêler & fe confondre avecQUE' &c' l'air j l'air doit.prendre la même figure au mi- lieu des Corps , & fe ramafîer , bien loin d'éten- dre fes branches 8c fes ramufcules , & de fe mêler avec eux ; & il le doit d'autant mieux que fes molécules y font plus petites. Cela fe confirme par une autre obfervation ; car c'efl fur-tout à leur furface & dans le voifi- nage de l'air , que les Corps font le plus vif- queux , parce que la compreffion de l'air étant immédiatement appliquée fur cette furface , les parties y doivent avoir un tilfu plus ferré. Lorf- qu'on comprime plufieurs Corps , ceux qui font plus près de la force comprimante , reçoivent toujours la meilleure part de la compreffion , Se lorfqu'il y a beaucoup de Corps , fouvent les plus éloignés ne refTentent aucune compreffion. La nature nous rend ce méchanifme Ci fenfible , que c'eft bien notre faute Ci nous nous mépre- nons : la peau dont elle couvre les fruits , les ani- maux , n'eft point, fans doute, d'une nature fort différente des chairs qu'elle enveloppe j mais le voilinage de l'air extérieur , qui donne immédiatement fur cette peau , en rend le tiffii fort différent & beaucoup plus ferré. Cette dernière comparaifon de la peau des 4>t o Mémoires PKYstQut, fruits avec la vifcofité des Corps , nous fait voir C H M I F. * MechIU- clae ^es uns Se les autres ne doivent la farface qup,&c. extrêmement polie & litTe , dont les fruits font ordinairement couverts , & q^» les Corps vif- queux prennent plus facilement <5c plus constam- ment que les autres , qu'ils ne la doivent , dis- je , qu'au grand reflTerrement de leurs parties , caufé par le voifinage de l'air j & les Corps vif- queux l'emportent fur tous les autres en ce point , à caufe que l'air qu'ils contiennent en plus grande quantité dans leur intérieur • car les parties de la furface fe trouvant entre deux airs , l'intérieur Se l'extérieur , qui les repoulfent l'un vers l'autre , elles doivent être fort ferrées. Voilà pourquoi tous les Corps qui contiennent des fourres , ont naturellement , ou reçoivent par art un plus beau poli que les autres , comme les Chymiftes l'ont remarqué ; car les foufres font des Corps vifqueux , & contiennent beau- coup d'air. Ceci, pour le dire en partant, peut donner lieu à une nouvelle conjecture : fa voir , que les foufres ne font pas des Corps élémen- taires & primitifs, comme le prétendent les Chymiftes , mais des fels , des terres , des ef- prits mêlés de beaucoup d'air , auquel ils font redevables de leur infkmmabilité. Pour achever de mettre mon explication dans le plus grand jour , ou plutôt ma conjedurc x je d'une. Société célèbre. 4 1 1 fuppofe deux Corps égaux, & femblables pour Physique, tout le refte , mais donc l'un contient beaucoup méchÀni- d'air dans fon intérieur , & l'autre n'eu contient Q-UE » point. Ces deux Corps font également comprimés & unis en leur enfemble par l'air qui les environne; mais on peut dire que leurs parties ne le foncpoint également : dans l'un l'union eft fuDerficielle &: toute extérieure; dans l'autre , elle eft intime , & s'infinue dans tout l'intérieur ; l'air extérieur em- pêche, à la véricé, que les parties nefe répandent hors des bornes qu'il leur prefcritjmais ces bornes une fois paûfées , ces parties ne connoilTent plus de frein. Il n'en/eft pas de môme du Corps qui contient beaucoup d'air parmi fes parties ; non- feulement on a de la peine à féparer ces parties du total , mais même à les féparer les unes des autres , parce que de quelque côté qu'on les prenne , l'air les invertit de près, & les réunit toutes & chacune avec chacune. Peut-être que cette queftion de la vifcofité des Corps ne paroîtra pas d'aborcfc fort impor- tante dans la Phylique ; mais h l'on daigne y faire quelque attention , on verra qu'elle tient au fyftéme de la- génération Se de l'organifation des plantes de des animaux, fyftème roue fondé fur la nature des Corps vifqueux , & fur le ref- fort de l'air, dont je viens de donner une lé- gère ébauche. En général , l'air eft; ici fur la 4 1 2 Mémoires Thysique, terre le grand reflorr , (k le premier mobile de MtcHANi- la plupart des opérations de U nature : depuis QU£,&C' quelques années , on s'eft avifé d'imaginer un efprit univerfel , un nitre aérien, qui fertilife les terres , fait vivre les animaux , anime la flamme , colore le fang , dilate le cœur , fait fermenter , croître , mûrir toutes chofes. N'eft- ce point la paffion fecrète qu'on a pour le mer- veilleux , qui fait fubftituer un nitre ambigu , 6c aufli imaginaire que les ramufcules des Corps vifqueux , au reflbrt & aux propriétés les plus communes & les plus inconteftables de l'air , qu'on ne perd fans doute de vue , dans tous ces phénomènes , que parce qu'il y faure trop fenfiblement aux yeux , & qu'il eft plus facile & plus naturel de l'y appercevoir ? ARTICLE V. Conjecture pour expliquer la force de la poudre à canon. X-Jne étincelle de feu qui tombe fur un baril de poudre, y excite tout-à-coup un mouvement très-violent , Se capable d'enlever des rochers & des corps d'un poids énorme. On demande com- ment une auffi petite quantité de mouvement, d'une Société célèbre. 4 1 3 que celle qui fe trouve dans cette étincelle , Physiqub peut produire en un moment un Ci grand effet. mTchIVi- Car enfin c'eft un principe reçu de cout }e QUE * ^ monde , qu'il eft impoflible qu'un corps en mou- vement communique aux autres corps qu'il ren- contre , plus de mouvement qu'il n'en a lui- même. Il femble donc que , fuivant cette règle, les grains de poudre qui prennent feu , en quel- que nombre qu'ils foient , ne devroient pas avoir tous enfeinble plus de mouvement , que l'étincelle qui y a mis le feu. Cependant on voit que leur mouvement eft infiniment plus fort j & ce qu'il y a d'étonnant , c'eft que ce mouvement fe produit en un inftant. Quelle en peut être la caufe ? Il eft plufieurs circonftances dans îefquelles un mouvement , qui eft petit dans fon origine , s'accroît tout-à-coup comme de lui-même, «Se fans le fecours d'aucune caufe extérieure qui foit fenfible. Cela s'obferve, fur-tout dans les relforts , lorfqu'ils font fort bandés. Souvent il ne faut pour les débander qu'un effort très-léger ; néanmoins en fe débandant , ils acquièrent un mouvement très-rapide. Ne pourroit-on pas dire qu'il fe fait quelque chofe de femblable lorf- que la poudre à canon s'enflamme ? Car Ci l'on fuppofe une fois que chaque grain de poudre ren- ferme plufieurs petits relions extrêmement ban- ^.i^ Mémoires Physique, dés , Se que le feu qu'on y applique ne fait que Chymie , i r • i < méchant rompre les liens qui les renoienc en cet état ; que,&c. jans cccte fuppofuion, il ne fera pas difficile d'expliquer tout ce qui regarde la poudre à canon. i°. Une feule étincelle de feu a autant de mouvement qu'il en faut pour divifer & rompre un grain de poudre , & mettre par- là en liberté tous les petits relTorts qui y étoient enfermés. Ces petits relforts ne peuvent fe débander fins heurter avec force contre les grains de poudre qui les environnent : en les heurtant de la forte , ils lesdivifent & les btifent; Se par conféquent font jouer tous les relforts. Ceux-ci en font au- tant aux autres grains qui les touchent. Ainfi toute la poudre prend feu & s'enflamme en un moment. 2°. Cette multitude infinie de petits relforts , qui jouent tous enfemble , doit faite un grand effet , parce que chaque relfort acquiert en un moment un mouvement très-rapide j le mou- vement d'un relfort qui fe débande , croilfant toujours jufqu'à un certain point. Et comme ces relforts cherchent tous à s'étendre , il n'eft pas furprenant qu'ils enlèvenr les corps qui les en empêchent , & qui les tiennent dans un état violent. 3°. Le mouvement rapide de ces petits refïôrts (Tune Société célèbre. 41 j qui fe débandent , eft très-propre à caufer dans Physique-, l'air ce mouvement d'ondulation qui fait le fon. méchan'- C'eft pour cela que les canons Se les autres ma- QLi' chines de guerre font tant de bruit quand on les tire. 4°. Le grand effet de la poudre doit palTer en un moment , parce que les petits reftorts étant une fois débandés , ils demeurent fans force , Se n'agilfent plus. 50. La poudre fe gâte en vieillilTant , parce que les arcs qui demeurent trop long-temps ban- dés , perdent beaucoup de leur refTort. On peut avec la même facilité expliquer tout le refte , fuppofé qu'on admette une fois que chaque grain de poudre renferme plufieurs ref- forts extrêmement bandés. La difficulté eft de favoir fi l'on peut recevoir cette fuppofition. C'eft ce qu'il nous faut préfentement exa- miner. Trois chofes principalement entrent dans la composition de la poudre ; le falpêtre , le foufre Se le charbon. Le charbon eft un corps fec, dont les pores font très-ouverts , Se auquel le feu s'at- tache aifément. Le foufre elt un corps huileux , Se qui s'enflamme fans peine. Le falpêtre eft de la nature des autres fels , Se a des parties longues Se roides. Pour faire de la poudre , il faut mêler ces trois corps enfemble dans une certaine quan- 4- 1 6 Mémoires PrtYsiQUE , tité , & les broyer Jong-remps dans un mortier. méchÀnÎ- Le pilon qui les broie , brife néceflairement ûde, &c ieurs parcies , & rend celles du falpêtre extrême- ment minces. Ces parties de falpêtre retiennent néanmoins toujours quelque longueur , fuivant la nature de la plupart des fels. En devenant minces & , longues, elles deviennent pliables; 6c parce qu'elles ne laiifent pas d'être tort roides , elles ont un grand reifort quand on les a une fois pliées. Or , voici comme on conçoit qu'elles peu- vent fe plier. Etant agitées & prelTées dans le mortier , il eft naturel qu'une de leurs pointes fe fiche dans les pores du charbon , ou s'embar- raffe dans les parries du foufre. Le pilon ve- nant enfuite à tomber fur l'autre pointe , la faic nécelTairement plier, 8c cette pointe pliée, ou s'infinue auilî dans un pore du charbon , ou fe colle au charbon par le moyen du foufre , au- quel on a foin de joindre un peu d'eau , comme pour le détremper. Ainii chaque partie de fal- pêtre forme une efpèce de petit arc fort bandé. Le charbon ôc le foufre font comme la corde qui tient l'arc bandé , foit parce que les pointes de l'arc font fichées dans les pores du charbon , foit parce qu'elles y font collées par le moyen du foufre. Quand donc le foufre vient à s'enflam- mer , & le charbon à* fe divifer, l'arc n'étant plus cPune Société célèbre: 4,17 plus contraint & retenu fe débande auflî-tôt. On Physiqùi met dans chaque grain de poudre plufieurs de ?,HYMrE ' 1 [ Mechani- ces petits refrorts , parce que nous éprouvons , QUE> &c- que lorsqu'on écrafe un grain de poudre , fes parties ne lauTent pas de conferver chacune quel- que vertu. On ne donne ceci que comme une conjecture, qui paroît avoir quelque chofe de plus plaufible que l'opinion ordinaire. C'eft à ceux qui font verfés dans la Chymie > & qui ont étudié plus particulièrement la nature du falpêtre & du fourre, à juger fi cette conjecture eft foute- nable. ARTICLE VI. PrÉCIS hiftorique des Expériences , faites en iji-7 ; par M. G A UTi er , Médecin de Nantes ; pour rendre Veau de la Mer potable» M. G a ut ier , prefle par l'amour du bien public , de trouver le moyen de faciliter les longues navigations , & de remédier aux maux que la difette , ou la corruption de l'eau caufe fur les vanTeaux , fut d'abord arrêté par le mau- vais fuccès de tant d'habiles Phyfîciens , qui ont elfayé avant lui de rendre l'eau de la Mer po- Tome IL D d 3.18 Mémoires physique , table. Il ne perdit pas courage cependant ; il méchÂni- jugea <1U'^ ^toit ^eau ^e tenter une entreprife &c* furface de l'eau , 0C1 on le ramaiTe avec une efpèce de pêle platte , qu'on pa(fe par-delTous les fels furnageans. Il comprit qu'il pouvoir , en imitant l'a&ion du Soleil , élever , condenfer ces fels volatils , & en délivrer entièrement l'eau de la Mer j mais qu'il falloir éviter 1 ecueil où les Hollandois ont échoué. Ils confumenc plus de bois qu'ils ne retirent d'eau, Se l'eau diftillée à force de feu en retient un goût défa- gréablej elle defsèche , elle altère, & la force du feu , fur lequel on met l'eau , loin de la dé- gager des fels volatils , fubtilife le fel fixe qui tombe au fond , & le pouffe en haut. Le fel de- venu volatil , devenu plus actif par fon union à des vapeurs chaudes , détache du vaiffeau de cuivre une teinture de verd de gris funefte à la fanté j il ne faut point compter fur l'étamure , elle dure peu ; & d'ailleurs comment empêcher l'eau ainfi diftillée de s'empoifonner en paifant par des ferpentins , qu'on ne peut étamer ni fourbir ? Le plomb & l'étain ne s'infeétent guè- res moins. M. Gautier , pour remédier aux inconvéniens , met le feu fur l'eau , & imite ainfi la nature : pour épargner la matière combuftible , il re- Dd4 ^ 2 ^ Mémoires Physique , double l'action du feu par la co lifte action parti- Mechani- culière de fon nouvel alembic. Il ne rend pas ûue , &c. pUi3ijqUe \z mâchée dont il fe fert. L'ordre de M. le Régent , & du Confeil de Marine , l'en empêche. On a cru qu'il falloit encore l'éprou- ver, & la perfectionner dans un voyage aux Ifles d'Amérique. Extraie du Regijîre des procès - verbaux tenus au Contrôle de la Marine j au Port de l 'Orient. Nous , Médecin du Roi , Chirurgien-Ma;or 6c Apothicaire de la Marine de ce Port , certi- fions que le premier de ce mois nous nous fouî- mes tranfportés par ordre de Meilleurs de Beau- regard, Commandant la Marine en ce Port, & de Clairembault , Commiffaire-Géncral , Or- donnateur de la Marine en ce Port , à bord du vai(Teau du Roi le Triton , pour y examiner l'eau du Sieur Gautier , Médecin , & que fur le lieu nous avons fait mettre devant nous de l'eau de la Mer dans la cucurbite de fa machine pour être échauffée Se élevée en vapeurs , par le moyen d'un tambour placé au-defTus de l'eau, qui dans fon fein contenoit un feu de bois & de charbon , & que par le robinet de la citerne de la machine, nous en avons vu couler une eau claire , dont nous avons emporté environ fix pots, fur laquelle nous fucre de fatume , l'ofeille , le fel de tartre , le mécham' fublimé corrofif , l'efprit de cocléaria , & le vi- auE> &c- naigre diftillé j qu'en même temps nous avons fait pareilles épreuves fur la meilleure eau de fontaine du pays , & que dans la confrontation que nous avons faite de l'une & de l'autre eau , nous n'y avons trouvé nulle différence , excepté que celle du Sieur Gautier tire plus fortement la teinture ; que nous avons pefé pareille quantité de ces deux eaux , & les avons trouvées de même poids j que nous avons defféché pareille quantité de ces deux eaux , & qu'au fond du vailTeau il eft refté un peu de fel nitreux de pareil goût , à l'exception pourtant que l'eau de fontaine en a laifle plus groffe quantité , & que le fel de l'eau du Sieur Gautier étoit plus gris que celui de l'eau de fontaine \ nous avons goûté & bu plu- fîeurs fois de cette eau, que nous trouvons ab- folument dépouillée de fel marin , & qu'elle eft en tout femblable à l'eau de fontaine , à l'excep- tion que dans celle du Sieur Gautier , nous y avons remarqué un petit goût étranger, que le Sieur Gautier nous a dit provenir de la réhne qu'il a été obligé d'employer pour fouder le plomb de fa machine ; ce qui peut être vérita- ble , puifque nous avons remarqué dans fou eau quelques petits corpufcules argentins qui 4-2<£ Mémoires TaYsiauE, furnageoient fur fon eau , qu'il dit aufîi provenu mIchIni'- de la réfine \ qu'étant à bord du vaifleau le Tri- que , &c. tQn ^ nous en avons vu b0ire aux gardiens de ce vailfeau , & aux journaliers qui tournent le tam- bour de la machine , qui nous ont aifuré que depuis que l'eau couioit , ils n'en buvoient point d'autre , Se n'avoient reflenti aucunes altéra- tions , ni incommodités. Fait à l'Orient , le fep- tième Juin 17 17. Signé de Villartay a Jar- NOUEN, DU Fay &C CoRDIER. Procès- verbal de Veau de Mer rendue potable. Nous , Officiers de Marine & du Port fouffi- gnés , certifions qu'en conféquence des lettres écrites de Paris par le Confeil de Marine , à M. de Beauregard , Capitaine de vailfeau du Roi , commandant la Marine au département du Port-Louis Se l'Orient, & à M. Clairem- bault , Commiiraire-Général , Ordonnateur de la Marine, du 30 Décembre 171(1 , qui per- mettent au Sieur Gautier , Médecin de Nantes , de faire en ce Port l'épreuve qu'il a propofée à S. A. R. Monfeigneur le Duc d'Orléans , Ré- gent du Royaume, Se au Confeil de Marine, du fecret qu'il a trouvé pour rendre l'eau de la Mer potable j le Sieur Gautier auroit établi fa machine à bord du vaifleau de S. M. , nommé !î d'une Société célèbre. 427 Triton , où nous étant tranfportés pour être pré- Physique,' fens à l'épreuve , & voir agir cette machine , m"ch1hi- afin d'en faire un fidèle rapport, nous aurions QUE' Scc* obfervé ce qui fuit , favoir : Cette machine occupe l'efpace d'environ 8 tonneaux , dont il y en a 2 à diminuer pour le vuide lai(ïe par le bas , pour ne pas toucher au Left. Le 20 Mai 171 7, le Sieur Gautier a allumé le feu dans le réchaud de cette machine ; il eft provenu pendant 24 heures , depuis midi juf- qu'à pareille heure du lendemain , 9 pieds cubes d'eau douce , faifant à raifon de 5 f> pin- tes que contient la mefure du pied cube , la quantité de 314 pintes , ou une barrique & 41 pots. 11 a été confommé en cette opération un pied cube de charbon de terre ôc | pied cube de charbon de bois , mêlés enfemble; & nous avons remarqué que la machine prenoit vent par plu- iieurs endroits, fans quoi la diftillation eût été plus forte ; ( ce qui n'arrivera pas à l'avenir , ) le Sieur Gautier nous ayant fait connoître qu'il établilToit fes machines fans fouder le plomb. Ce fera une épargne, & les machines ne fauroient prendre vent. Le 22 dudic mois, le feu étant rallumé dans la machine , il eft provenu pendant 1 2 heures , depuis fept heures du matin jufqu'à pareille 4 2 S Mémoires Physique, heure du foir , 9 pieds cubes d'eau douce , faî- C H Y M I F. , r . .... Mechani- *ant: 144 pintes, ou une demi - barrique & 13 que,&c. p0ts_ jj a été confommé en cette opération un feizième de corde de gros bois. Le 25 , le feu a été rallumé pour faire de nouvelle eau , dont on s'eft fervi pour cuire des viandes , bœufs , mouton & lard , des fèves Se pois , qui ont aufli été très-bien cuits , en moins de deux heures, avec un feu médiocre. Le 27 , on a pefé de cette eau avec un pèfe- liqueurs ; elle s'eft trouvée d'égal poids que celle de la meilleure fontaine de ce Porr. Le 2 S , on a boullangé un pain pétri de cette eau, & un autre pain de celle dont on fe fert ici ordinairement, les deux d'une même farine, avec égal levain , ôf les eaux chautFées à pareil degré. Le pain de l'eau artificielle s'eft trouvé aufli bon , & même un peu plus frais & plus lé- ger que l'autre. Cette eau n'a aucun goût de fel ; elle eft par- faitement bonne , étant repofée du matin au foir • elle eft meilleure «Se plus fraîche que celle des fontaines. Nous avons remarqué qu'elle de- vient meilleure de jour à autre , -3 gens qui travaillent a fa diftillation , nous ont mThan'- alfurés n'avoir pris d'autres boiflbns que cette QUt ' &t* eau pendant plus d'un mois, même fort Couvent à jeun, fans avoir relTenti aucune incommodité: qu'au contraire ils la trouvoient bonne , fraîche &c faine : ce qui a engagé plufieurs perfonnes de confidération à en faire emplir 8c emporter des cruches dans leurs maifons , pour en boire , 8c s'en fervir à différens ufages. Evaluation du charbon & du bois qui ont été confommés pour les deux épreuves ci-dejjus j par laquelle on connoît à-peu-prés ce que peut coûter la barrique d^eau dijlillée par le char- bon , & celle qui ejl dijlillée par le bois. Il entre dix pieds cubes de charbon de terre ou de bois dans la barrique. La barrique de charbon de terre coûte à pré- fent ici au Roi dix livres ; ainfi le pied cube qu'on en a confommé pour la diftillation pen- dant 2.4 heures fufdites revient à vingt fols t ci 1 1. o f. o d. La barrique de charbon de bois coûte 3 o fous ; ainfi le 4 pied cube , confommé pour mêler avec le charbon de terre ci-deflus , revient à un fou fix deniers , ci . . . . o 1 C. 6 d. 43° Mémoires Phtsiqui, Suivant cette dépenfe , ladite épreuve ayan: méchÂnÎ- produit 314 pintes d'eau douce, la barrique que, &c. d'eau pourroit coûter ici à préfent , étant diftil- lée I de charbon de terre , & i de charbon de bois , environ quinze fous onze deniers , ci .... 1 5 f. 1 x d. La corde de bois à brûler de huit pieds de long , quatre pieds de hauts, & les bûches qui la compofent , ayant chacune deux pieds i de longueur , coûte ici à préfent au Roi cinq livres dix fous. Il en a été confommé pour la diftillation pendant les douze heures fufdites un feizième de corde , qui revient à fix fous fix deniers , ci .... 6 f. 6 d. Ces deux différentes épreuves nous font con- noître que l'eau diftillée par le bois coûteroit moins que celle diftillée par le charbon \ mais le bois envolumeroit , & embarrafferoit davan- tage un navire que le charbon : nous remar- quons que le feu de bois ne produit pas autant d'eau que celui de charbon j il eft à préfumer que 11 la foudure du plomb de la machine eût été bien faite , elle n'eût pas pris vent , 8c elle eût donné beaucoup plus d'eau douce ; ce qui en auroit diminué le prix. Le Sieur Gautier nous a même affirmé que par la réfraction d'une autre pareille machine pas plus grande ni plus embarralTante, ilfourniroit la quantité d'eau né- d'une Société célèbre. ^31 cefTaire par jour à un équipage de plus de 400 Phystqttb, hommes. Eu foi de quoi nous avons figné la méchIwÎ. préfente à l'Orient , le onzième Juin 1717. QUE,&C* Signés , de Beauregard , Clairembault , collationné , Chanlaud de Boisdison pour M. le Contrôleur. Extraie des Regiftres de V Académie Roy ait des Sciences y du 28 Août 17 17. Le Père Sébaftîen , Meflîeurs Lémery & Geoffroy , qui avoient été nommés pour exa- miner une machine inventée par M. Gautier , Médecin de Naines , pour deflTaler l'eau de la Mer , en ayant fait leur rapport à la Compagnie , elle a jugé que la machine étoit nouvelle de fort ingénieufe , & que la manière dont la fuperficie du tambour , & celle du chapiteau font aug- mentées, eft très -bien penfée ; que cette ma- chine mérite d'être exécutée , & éprouvée fur plufieurs vaifleaux ; & qu'il n'y a que l'expé- rience qui puilTe apprendre fi l'eau de la Mer ainti deflalée fera alfez faine pendant un long ufage ■ en foi de quoi j'ai figné le préfent certi- ficat.'A Paris , ce feizième Septembre 1717. ïonteneile , Secrétaire perpétuel de l'Académie Royale des Sciences. Je ne dois pas omettre les réponfes que M. 432 Mémoires Physique , Gautier a faites à diverfes queftions fur la ma- MécHANi- chine j elles font nécefïaires pour l'entier éclair- ais, &c. ci(fement Je la matière, je les donne fans y rien changer. A Meffieurs les Commandant & Commiffaire* Général - Ordonnateur 3 & à MeJJieurs les Officiers de la Marine de Port-Louis & de r Orient, Monsieur, J'ai l'honneur de vous préfenter toutes les queftions que l'on a pu me faire fur le moyen de rendre l'eau de la Mer potable , & les ré- ponfes à toutes ces queftions. Je les ai réduites à quatre chefs : les unes regardent la machine, les autres le lieu , & l'efpace qu'elle occupe : celle-ci , les effets , & les derniers , ce que l'on confomme pour en tirer avantage. Il pourroic m'en être échappé quelques-unes y je vous prie , Meflieurs , de me les propofer -, je tâcherai d'y répondre , & d'en tirer toute futilité poftible , n'ayant rien plus à cœur , que de profiter des lu- mières des perfonnes expérimentées , qui .veu- lent bien concourir à augmenter le bien public & particulier. Quejlions d une Société célèbre', Que/lions fur la Machine. fcnr«a«; J J Chymie , DMÉCHAKI. E M A N D E. QUE> &Cf Si la Machine eft Jimple* Réponse» Elle peut pafTer pour fimple , fi elle n'eft pré- cifément compofée que daurant d'équivalens. fimp.les , que la nature emploie pour rendre l'eau de la Mer potable. Quelques-uns ont été fabriqués publiquement. Le filence refpechieux que je dois à la Cour m'empêche de divulguer le refte, qui eft auflî fimple , jufqua ce qu'elle en ait autrement ordonné. Si elle eft folide , & à l'épreuve des agitations de la Mer ? La cailTe eft auiïi folide que l'archipompe : le tambour n'en peut être endommagé , puifqu'il eft dans une agitation plus grande , lorfque la machine produit fon effet, que celle que la Mer lui pourra donner. Si elle ejl durable ? Lorfqu'elle fera bien exécutée , elle pourra durer autant qu'un vaifleau. Si on la peut aijement conflruire ? Il eft très-facile à tout ouvrier de la contraire Tome IL E e 434 Mémoires Physique, en peu de temps : en botte , elle n'aura que le MechÀni'- volume d'une barrique. On pourra , pour quel- qui, &c. qUe raifon que ce {0\ii en porter plufieurs , ès: tout l'équipage les pourra établir en peu d'heures. Si la première dépenfe efi conjîdérable f Il ne faut rien établir fur la dépenfe préfente , pour plufieurs bonnes raifons. Pour un vaille .au du Roi, elle ne peut palïer cent piftoles , dé- penfe qui diminuera à proportion des équipages ; de forte qu'elle reviendra à-peu-près à trente piftoles pour un moyen navire. J'entends par moyen navire celui qui a cinquante à foixanre hommes d'équipage , tels que font ceux de la rivière de Nantes , fur lefquels j'ai fait ma fup- putation. Qu'on fuppute à combien reviennent jes futailles , pour un vailfeau de 400 hommes , qui fait de l'eau pour trois mois ; combien elles durent j ce qu'il en coûte pour le radoub ; & qu'on faflè attention qu'on perd tout , bois 3c fer , quand elles deviennent inutiles ; qu'on ba- lance'enfuite cette dépenfe , &c la durée avec la dépenfe, & la durée de ce que je propofe. Si V entretien ejl de conféquence ? L'entretien eft fi peu de chofe , qu'il ne mé- rite pas attention. d'uni Société célèbre, 3.3? Si on peut à la Mer réparer ce qui s'en pourrou qKh'"°"e * déranger? MéchamÎ- Le dérangement regarde ou la caifle , qui peut être réparée fur-le-champ par le dernier matelot , ou le tambour. Il n'y a qu'un coup de canon qui le puiflfe rompre ; mais quelque chofe qu'il arrive , on le peut aufïï aifément raccom- moder qu'une chaudière ordinaire : le refte eft encore plus facile à rétablir. Si on perd tout , lorfquelle ne peut plus fervir? Le cuivre fe vendra comme les autres uften- fîles du vaifleau : le plomb fe retrouvera tout entier , & pourra fervir à plulîeurs vailfeaux fuc- ceflïvement , fans une nouvelle dépenfe de fonte & de déchet: quoique la charpente foit faite de vieux bois, elle peut fervir de la même manière. Que/lions fur le lieu & Vefpace quelle occupe. Si on la peut placer en plujîeurs endroits du Vaijfeau ? On la peut placer indifféremment par-tout , pourvu qu'on obferve une feule chofe , que l'axe du tambour foit parallèle à la quille. Il eft - vrai que de tous les endroits du vaifTeau , il me femble que le plus convenable feroit entre l'ar- Ee 2 4$£ Mémoires ParsiQUE, chi-pompe & le grand panneau, endroit où elle mTchTni- n'incoramoderoit point l'équipage , où elle ûue, &c. n'embarralferoir point pour la charge ôc la dé- charge , & où ( fi la Cour m'honoroit de fes ordres , pour réformer les pompes , auxquelles je connois cinq à fix défauts effentiels , ) je profi- terois Ci bien du vuide de l'archi-pompe , que la machine s'y établiroit prefque toute. C'eft la raifon , qui m'avoit fait avancer , que l'endroit que je demandois n'eft jamais occupé. Si la grandeur efl déterminée ? Elle n'exige aucune grandeur déterminée. Si la configuration efl déterminée f On la peut faire de toutes figures, & profiter de tous les endroits qui lui font voifins , quel- que irrégutiers qu'ils foient. Si on peut faire toute forte an arrimage? On pourra faire toute forte d'arrimage au- tour de la caifife , puifqu'elle fera auffi folide- ment établie que l'archi-pompe. Si on peut aifément fe fervir de la machine , pour y mettre Veau falée^ & la matière combujlible? On établira un petit canal fur le pont, par le- quel elle recevra l'eau falée ; la matière corn- 'd'une Société célèbre, 4.37 buftible fera fournie par l'archi - pompe : de P"™^1 r r f Chymie , cette manière on ménage l'efpace qu'exige le méchamu iervice. yêm contenue Peau douce ? On fera deux citernes , contenant plufîeurs barriques , & on remplira l'une pendant qu'on vuidera l'autre. J'ai trouvé le moyen de faire aifément ces citernes avec le plomb fans foudure. Elles feront sûres 9 6c à l'épreuve des agitations de la Mer. Comment tirer a-t- on Veau douce ? L'eau douce fe tirera entre les ponts par le. moyen d'une petite pompe. Si on ne court point les rifques du feu ? Pour en juger, il ne faut que voir de quelle manière le fourneau eft placé. Où fera le Matelot de fervice ? Il fera placé à l'entre-pont , d'où il fera tour- ner le tambour , & par ce moyen on préviendra tous les défauts d'attention. Le Fontainier de quart defcendra de temps en temps pour entre- tenir le feu. q 31$ Mémoires Chym?" ' Quejti°ns fur fcs effets. Si elle pourra, faire une Méch.'.ni- quantité fuffifante d'eau pour quelque équipage que ce fait ? Lorfque la machine fera exécutée , comme elle doit être , on aura autant d'eau qu'on vou- dra félon la grandeur des vaiifeaux. La néceflïté de fe fervir du plomb du magafin , qui eft trop fort des deux tiers , rend la cailfe fort défec- tutufe y les Ouvriers ayant eu beaucoup de peine à l'employer. De plus , il eft plein de fable , & de craiTe de plomb incorporée enfemble , ces fables n'étant que de vieux plomb fondu : c'eft ce qui a rendu l'eau fale pendant fi long-temps , & lui a même donné un petit goût qu'elle ne doit point avoir j ce qui m'a fait trouver le moyen de la faire fans foudure. Pour le tam- bour , on a employé le cuivre , qu'on a trouvé ici , & qui étoit trop fort de la moitié ; ce qui m'a obligé de ne donner que quinze pouces de diamètre au réchaud, qui pouvoir en avoir le double j ce qui a produit le double de l'eau. De plus , ce pays n'eft pas propre pour telle fabri- que , le cuivre y eft d'une cherté exceflive : une machine de trois pieds de long, & autant de large , donnera quatre barriques d'eau par jour. cCune Société célèbre. 4.39 Si Veau efî potable , & fi elle dcfaltère fans incé- Ch"u" ' refe, lajantéf Il y a plus d'un mois que les gardiens & les ouvriers , qui tournent la machine , ne boivent que de cette eau , fans aucun changement dans leur tempérament 5 & je crois que cette expé- rience feule vaut mieux, que cent raifonnemens de Médecine & de Phyfique , puifque ce font des gens qui ne boivent ni vin , ni cidre , 6c qui ne mangent que du pain. Les perfonnes qui boivent du vin ne font pas de fi bons juges des eaux. Il faut avoir foif pour les trouver bonnes. Si elle cuit bien les viandes & les légumes ? Les expériences réitérées font voir qu'elle cuit les viandes 6c les légumes plus promptement que les eaux de fontaine : elle a même cuit des poids qui font à l'épreuve de toute eau ; elle delTale mieux les viandes. Si elle- efl bonne à faire du pain ? Le pain fait avec l'eau douce nous a paru plus léger, plus frais, & de meilleur goût. Si elle a d'autres propriétés ? Elle efl: beaucoup plus fraîche que l'eau de fontaine» E e 4 440 Mémoires Physique, £[Je ne ]ai|fe nu[ £Q[ marm après leV.lPO- Chymis , L 1 MicHANi- ration. bile s évapore beaucoup plus vite. Elle di(fout mieux le favon & le fucre. Elle bout avec le lait fans le faire cailler. Elle pèfe moins d'un cent vingt-huitième que l'eau de fontaine. Elle efl: douce au toucher & au goût , parce que fuivant les Mémoires de l'Académie, qui alTurenr que l'eau de Mer n'a de mauvaifes qua- lités que la falure j j'ai travaillé à la dépouiller tellement de fon fel , qu'elle a le goût d'eau de pluie ou de citerne , ce que je cherchai avec at- tention , parce qu'à la Mer on refpire un air falé , & on mange beaucoup de chofes falées." C'eft pourquoi l'eau ne fauroit être trop douce. Elle eft fi légère que j'en ai bu plufieurs fois à jeun jufqu'à deux & trois pintes , fans m'apper- cevoir de rien. Ces mêmes Gardiens & Ouvriers l'expérimentèrent tous les jours. Si elle fe peut garder ? Toute eau diftillée étant plus fîmple , il ell hors de doute qu'elle fe confervera fort bien. Je n'en ai pas fait l'expérience \ elle exige un trop long-temps , & me paroît inutile , puifqu'on en peut faire à toute heure , & que j'ai trouvé un moyen de fe palfer de barriques , d'où procède principalement la corruption de l'eau. d'une Société célèbre: f^i Que/lions fur les matières combuflibles. cht?5* ' Méchani- Quelle matière peut'on brûler? que, ôcc. Toute force de bois & de charbons , & tout ce qui eft combuftible. Quel volume d'eau produit certain volume de matière ? Un tiers de charbon de bois , 8c un tiers de charbon de terre mêlés , donnent fix à fept fois plus d'eau que leur volume. Le bois feul donne près de trois fois plus que fon volume : lorf- qu'on les brûle enfemble ils font cinq fois plus que leur volume. A combien revient la barrique deau ? Une barrique compofée d'un tiers de charbon de bois , & de deux tiers de charbon de terre , donnent fix à fept barriques d'eau -, qui revien- nent à-peu-près à dix ou douze fous chacune , avec le bois à cinq fous ou environ. Je préfére- rois cependant le charbon , parce qu'il envo- lume moins. Où mettra-t-on la matière combuftible ? On mettra du charbon de bois & du charbon de terre mêlés , comme left , qu'on gardera pour les befoins imprévus : on fera un petit 44 2 Mémoires Phvjicuf, parc, où fera la provifion courante» On met le Chymie , 1 • méchan/- bois par-tour. que., &c. Avantages. Les uns regardent l'Etat par rapport à la con- fervation de la vie & de la famé \ les autres re- gardent le Roi par rapport à la dépenfe de fes arméniens ; les futailles montant à très - haut prix. Les avantages des Négocians font auflî le mé- nagement des futailles , Se le profit que produi- ront les marchandifes qu'on mettra en leur place. Exemple y un vaiffeau de 400 hommes embarque ordinairement cent tonneaux d'eau pour trois mois : fuppofant que la machine 8c la matière combuftible occupent vingt ton- neaux, il refte 80 tonneaux de vuides , ôc de plus lorfqu'on a de la matière combuftible , on eft sûr d'avoir de l'eau ; mais celui qui a une barrique d'eau n'eft pas sûr de l'avoir un moment après. S'il faut plus d'eau , on peut ou augmen- ter la machine , ou en établir une autre. Les relâches , les commerces des Nègres, la fanté de l'équipage, le bien des particuliers , ôc beaucoup d'autres commodités , qu'il feroic trop long de détailler , feroient la matière d'un volume. Si ce qu'on dit eft vrai , que le prérendu be- foin d'eau eft quelquefois un prétexte de relâche, / (Tune Société célèbre', foie afin de prolonger le voyage , foie pour faire Physique, de 'petits commerces an détriment des arma- j^™" reurs, je ne doute pas que cette raifon , jointe QUE> &c* à la prévention contre les chofes nouvelles, ne falTe paroître à ces Marins &c aux efprirs préve- nus , que mes expériences font très - défec- tueufes. Ce n'eft pas leur approbation que je cherche , mais celle des gens de bien & d'hon- neur , qui n'ont pour but de leurs actions que le bien de l'Etat , la confervation des équipages , la perfection de la Marine , ôc qui contribuent par de férieufes attentions , à rendre l'établiffe- ment de la machine facile , folide & commode , convaincus de l'étendue de fon utilité. J'oubliois de vous dire , Meilleurs , que vingt- une barriques de charbon de terre prifes à Nantes , coûtent à préfent ving-une piftoles , & ces vingt-une barriques donnent trente-huit bar- riques , mefure de l'Orient , qui vallent trente- huit piftolles , ce qui fait une différence no- table pour Teftime de la barrique d'eau. J'ai l'honneur d'être, &c. Votre très-humble Se très- obéilfant ferviteur. Gautier» M. Gautier a fait conftruire une nouvelle $4$ Mémoires ptfysiQtrE , machine différente de la première ; il a changé méchaVi- ^a %ure du tambour , & par ce changement le q.vz , &c. feu je ja machine fervira à différens befoins de l'équipage , en même temps qu'il diltillera l'eau; on pourra joindre à la machine une chaudière de nouvelle invention , qui épargnera beaucoup de matière combuftible. On fait , par une lettre de Monfieur de Clai- rambaut , que l'eau dellalée , confervée fort long - temps , s'eft moins altérée que l'eau de fontaine. (Tune Société célèbre; 44 f ARTICLE VII. Problême Phyflque, au fujet d'une expérience faite fur Mer. .yant ouï dire à quelques Navigateurs, que fi on enfonçoit une bouteille de verre vuide , à une certaine profondeur en haute Mer , & qîie cette bouteille eût été auparavant exacte- ment bouchée , le bouchon fe trouvoit toujours enfoncé , & la bouteille pleine d'eau de Mer , lorfqu'on la retiroir. Je fus curieux de faire cette expérience , dont la réalité me paroiiïoit plus que douteufe. Il falloit , pour la faire commodément , un temps de calme j on n'en trouve que trop , quand on retourne des Mes de l'Amérique en Europe, Ce fut dans une femblable conjonc- ture , que me trouvant fur le VailFeau Mar- chand/a Sagejfe , appartenant à MM. le Jeune, & la Brouillcre , riches Négocians de Nantes , au commencement du mois de Juillet de l'année 1740 , nous réfoiûmes , de concert avec le Ca- pitaine & les Officiers du VaùTeau , de faire cette Expérience. . On prit , à" cet effet , une bouteille Angloife PHVSIQtlï? Chymie , QUE, &C. 44 6 Mémoires Physique, d'un aifez gros verre; on la rinça, &z vuida MéchÀni- Êarc exactement ; on la boucha d'un bouchon iut,&c. je li^ge neuf s qu'on fit entrer avec force j cette bouteille fu: attachée à une ligne de fonde , &• pour la faire pionger 8c defcendre plus avant , on attacha au bout de la ligne un plomb à fonder , du poids d'environ dix livres. Ayant fait defcendre la bouteille avec le plomb de fonde , on ne fila d'abord que jufqu'à trente braftes , ayant cru que cela fuffifoit pour l'expé- rience ; on retira la bouteille , qu'on trouva , pour cette fois , bien & duement bouchée, & rien dedans. Cette première tentative me con- firma dans ma méfiance \ cependant on rejetta la bouteille à la Mer , & on fila jufqu'à qua- rante bralTes : après l'y avoir fait féjoumer quel- ques minutes , elle fut retirée \ la bouteille fe trouva réellement débouchée , & pleine d'eau de Mer \ le bouchon avoit été chaflTé dans la bouteille , d'où on le retira avec une ficelle. On réitéra l'expérience -y on choifit un nou- veau bouchon plus gros que le premier • on le tappa avec plus de force dans le goulot ; on lailfa déborder , ce qui ne pouvoit plus entrer ; on l'aflujettit encore avec du fil d'archal , de la manière dont ont ficelle les bouteilles de cidre & de bière à l'Angloife. La bouteille aïnfî accommodée, ayant été defcendue jufqu'à d'uni Société célèbre. 447 quarante bralfes , & recirée après quelqu'inrer- Physiqu?., valle , on vit que le bouchon n'avoit point été m^chaki- chaffé au fond de la bouteille , & qu'il étoit auE » &c' à- peu-près dans le même état où on l'avoir mis : mais nous fûmes tous dans la dernière furprife de voir la bouteille, quoiqu'exactement bouchée , remplie d'eau jufqu'à quatre doigts au-deffous du goulot ; j'avoue que j'eus de la peine à en croire moi-même à mes propres yeux. On fit promprement déficeler le bouchon , le fil d'archal n'étoit pas encore entièrement lâché, lorfque le bouchon fauta tout- à-coup en l'air avec effort , & lit un bruit tel que celui d'un coup de piftolet. On vit en même temps fortir du col de la bouteille une fumée , comme celle qui fort à l'ouverture d'une bouteille de vin de Champagne bien mouffeux. On verfa de cette eau dans un verre rincé , & de l'eau de Mer puifée dans le moment dans un autre ; celle-ci étoit claire & limpide , au lieu que celle de la bouteille mouffoit dans le verre comme du cidre de Briftol. La falure me parut à-peu- près égale à celle de l'eau de Mer ordinaire , avec un peu moins d'amertume. Cette féconde expérience fut réitérée une autrefois, toujours avec le même fuccès. Enfin , pour dernière expérience , je m'avifai de tenter l'épreuve ci-delîus avec une bouteille 34 S Mémoires Physique , cliflee , de verre mince ôc plat. J'avois danî Méchani- l'idée que la bouteille devoit fe btifer ; on la &c» z°. Pourquoi , dans la féconde épreuve , l'eau de la Mer n'ayant pu chalfer le bouchon , 8c ia bouteille étant reftée exactement fermée , fe trouve-t-elle cependant pleine d'eau ? 30. Pourquoi l'eau, entrée dans cette bou- teille , fe trouve-t-elle moulfeufe & bouillon- nanre ? 40. Pourquoi cette eau fe trouve-t-elle aufft falée à-peu-près que l'eau marine ordinaire ? 50. Enfin , pourquoi la bouteille clilfée cafle- t-elle dans l'opération ? Ces problèmes Phyfîques , tout aifés qu'ils pa- roilfent au premier coup d'œil à réfoudre, ont pourtant bien des difficultés , comme on va tâcher de le fiire fentir. i°. 11 paroît très - difficile à concevoir com- ment une bouteille, bien bouchée , piaffe être débouchée , à quelque profondeur qu'on la fup- pofe. Si l'air de la bouteille eût été pompé , 8c qu'on l'eût ainfi plongée bien vuide d'air, on pourrait dire que la force comprimante de l'eau, devenue fupérieure à la réfiftance du bouchon, en cherchant à occuper l'efpace que l'air a lailfé vuide dans la bouteille , vient à bout , par cette Tomé IL F f 4; 6 Mémoires Physique , prelîiofi , de chalTer le bouchon au fond de la Mkchahi' bouteille -y mais la bouteille étant reftée pleine ftus , &c. j.^r ^ •[ j^cile je concevoir que la preflion de l'eau foit allez forte pour vaincre la réliftance du bouchon ; c'eft cependant ce qui eft arrivé conftamment. La féconde queftion paroît , fans contredit , la plus difficile : comment la bouteille , fans avoir été vuidée d'air , Se étant refté exactement bouchée, s'eft-elle pu trouver remplie d'eau ? Car pour que cela ait pu arriver , il a fallu que l'eau de Mer fe foit fait un palfage par les pores du bouchon, qui étoit neuf, Se qu'elle aie eu alfez de force comprimante pour en changer l'air renfermé , qui devoir lui faire une forte rélïf- tance , Se qui n'a pu lui-même fortir , que par les pores de l'eau entrante, ou par ceux du bou- chon de liège , que l'eau n'occupoit pas. La troifième queftion eft liée aux précédentes , Se en donne prefque la folution ; car cette moufle ne pouvoit être que plufieurs particules d'air mêlées avec celles de l'eau ; Se comme ce mélange s'étoit fait avec une violence réciproque de deux liquides, qui fe choquent, fe brifent , s'atténuent , ce bouillonnement étoit une mar- que du combat récent , Se qui ne celfa qu'après que chacun des deux agens rivaux eût pu re- d'une Société célèbre, ^ i prendre fa place ordinaire j mais refte toujours à Physique, expliquer comment l'eau a pu relier vi&orieufe £HYMIÏ * L x 1 Mechani- dans le fyftême propofé. -, que , &c. La quatrième aura peut-être paru ou frivole ou puérile : pourquoi l'eau trouvée dans la bou- teille retirée de la Mer , quoique le bouchon n'eût point changé de place , pourquoi , dis-je , cette eau s'eft-elle trouvée auflî falée que l'eau de Mer ordinaire. C'eft la queftion ; mais com- ment , dira-t-on , pourroit-elle être autrement que falée , puifque c'eft toujours de l'eau de Mer ? Cependant cette queftion a rapport à deux problèmes Phyfiques, propofés depuis long- temps , & dont notre expérience peut donner l'éclaircilTement. Le premier eft de favoir, fi les eaux de la Mer font également falées à toutes les profon- deurs. Il y a des Naturalises qui ont prétendu que la falure de la Mer ne s'étend que jufqu'à quelques brades d'immerfion. Or , cette expé- rience démontre le contraire , puifque l'eau ma- rine renfermée dans cette bouteille , fortie d'un fond de plus de quarante braffes , étoit auflî falée , que celle qu'on venoit de puifer à fa fuperficie. Le fécond , qui eft d'une conféquence in- finie pour la pratique , eft de favoir fi on ne pourroit pas tirer de l'eau douce de la Mer , en Ff x !| 7$ S Mémoires Physique, la ïaifàîît filtrer au travers du liège. C'eft la dé- Séchà i'- couverte prétendue du Sr. P. , inférée il y a cvi, &c. plu(ieurs années dans quelques Journaux Lie-, téraires. Il prit , fuivant qu'il le marque , un barril où étoit attachée un ancre j il le fit percer en plu- fieurs endroits avec une tarrière ; les trous fu- rent bouchés avec des bouchons de liège. Il ht pomper tout l'air du barril , après quoi l'ouver- ture ayant été refermée par une foupape , & le barril plongé en Mer , à quelques brades , il le fît retirer après quelque efpace de temps : on y trouva , après l'avoir ouvert, de bonne eau douce , à ce que dit la relation. Il ne faut point contefter des faits avancés par des perfonnes refpectables ; mais j'ai bien de la peine à concilier cette expérience avec la nôtre. Je conçois bien comment Veau de Mer peut entrer dans un barril préparé comme celui dont nous faifons mention , elle doit même y pénétrer avec facilité , puisqu'elle fe glilfe bien dans une bouteille accommodée comme la notre. Je conçois bien même encore , comment l'eau marine , entrée de cette façon dans le barril , peut être moins amère , moins onétueufe , & peut être même de quelques degrés moins falée , que l'eau de Mer puifee à l'ordinaire. La raifon eft que l'eau marine , ne pénétrant dans le barril '(Pane Société célèbre. qfj qu'avec peine par les pores du liège , elle doit fe Phymcwb » dépouiller d'une partie de fa vifcofité, aufli- mkchani- bien que de quelque portion de fes fels les plus Quï " % groffiers; mais qu'elle s'en foit dégagée jufqu'au point de devenir potable ! Voilà ee que j'ai peine à me perfuader , après avoir vu & expé- rimenté le contraire dans l'épreuve réitérée de notre bouteille , où l'eau marine , quoiqu'un peu moins amère, ne nous parut pas moins falée qu'à l'ordinaire. Cependant elle auroit dû- l'être moins dans notre bouteille , que dans le barril , pour deux raifons. i>\ Parce que la bouteille n'ayant qu'une entrée unique , & aflëz étroite par le goulot cette unique entrée étant fermée par un feul bouchon bien tappé , admettoit une bien moindre quantité d'eau marine à la fois , que le barril du Sr. P. , qui avoir plufieurs bou- chons dans fa circonférence lefquels dévoient fournir plus d'ouvertures à l'eau pour s'y mfinuer. 2°. Parce que notre bouteille n'étant point vui- dée d'air avant d'être plongée, l'eau marine ne s'y gliiïant par conféquent qu'avec plus de peine , à caufe de la réfiftance de l'air comprimé , de- voit fe dépouiller d'autant plus de fes. parties vifqueufes & falines , ce qui étoit tout le con- traire dans le barril : d'où je conclus que cette découverte d'eau de Mer , adoucie par cette fii^ 4 5" 4* Mémoires Phtsique, tration , eft plus que douteufe, 6c que Ci la ten~ Chymie , , . . _ • , ^ méchani- cative dont il eit queftion a reuiii , c eft par d au- QUE * c* très moyens , ou d'autres circonftances que j'ignore. Au refte , fi cette expérience d'eau de Mer rendue potable , par un expédient fi facile , eût été réelle , cette découverte, des plus impor- tantes pour la navigation , feroit plus connue 6c plus pratiquée , & ne feroit pas tombée dans l'oubli , où elle eft depuis ce temps-là. Enfin , fur la cinquième & dernière queftion par rapport au fait de la bouteille cliftee , on demande pourquoi , 6c comment cette efpèce de bouteille cafte- t-elle dans l'opération expofée ? Cette queftion paroît d'abotd la plus aifée à réfoudre, & cependant elle n'eft pas exempte de difficulté. S'il ne s'agiffoit que de répondre pourquoi elle cafte plutôt qu'une bouteille à l'Angloife , on en donneroit bien aifément la raifon , ayant recours , tant à la qualité du verre , plus mince dans ces bouteilles cliflees ; qu'à la différente ftructure de ces bouteilles; mais il ne s'agit pas feulement de cela , il s'agit de prononcer fur un fait dont l'œil ne peut être témoin , favoir comment cette fraction fe fait au fond de la Mer , favoir fi c'eft par le dedans, ou par le dehors de la bouteille , c'eft- s à-dire , li c'eft l'eau marine , qui en compri- mant extérieurement les plats-côtés de la bou- d'une Société célèbre, 45$ teille cliiïee la brife ainu" , ou Ci en entrant avec Physious; violence par le goulot de la bouteille , elle fait méchan'i- éclater les parois intérieurs , trop foibles pour GUE> &c* pouvoir foutenir cet effort ? Si on répond que la rupture fe fait par le dehors , par la force comprimante de l'eau , à une certaine profondeur ; on vie mande d'où vient à l'eau marine cette force comprimante , capable de brifer une bouteille qui n'eft com« primée qu'également; fi la bouteille étoit vuide d'air , la rupture devroit arriver fans difficulté , comme elle arrive toutes les fois qu'on veut boire à même d'une bouteille clilïée , qui n'eft qu'à moitié pleine : fitôt qu'on a embouché la bouteille , & qu'on commence à attirer la li- queur par le goulot , la bouteille caffe : la rai- fon en eft Phyfique , parce que dans cette fitua- tion , la plus grande partie de la bouteille ref- tant vuide d'air , la force de l'air extérieur , qui la preffe par les plats-côtés, devenue fupérieure, la brife infalliblement ; mais il n'en eft pas de même dans l'expérience propofée , parce que la bouteille refte pleine d'air, & que par confé- quent cet air eft fuffifant pour foutenir par le dedans , les parois de la bouteille contre la preftion de l'eau , à quelque profondeur qu'on la fuppofe , pourvu que la preffion foit toujours égale. Il paroîc donc , comme impoflible , qua Ff4 4?'£ Mémoires Physique , la fraction fe falTe par le dehors : refte donc Chvmie , t r Méghani- qu'elle fe fane par le dedans , ce qui me paroît encore plus împoliible. Car cette fraction ne peut fe faire , que parce que l'eau marine ayant enfoncé le bou- chon , entre avec violence dans la bouteille , 6c que les plats-côtés ne fe trouvant pas capables de foutenir le choc , cèdent & volent en éclats. Mais comment cela peut - il arriver, puifque l'eau marine , qui environne extérieurement la bouteille, oppofe par le dehors une force ma- jeure , ou du moins fuffifante pour ré fi (ter ? Comment donc celle du dedans devient-elle fu- périeure & victorieufe ? Telles font les difficul- tés que je me contente d'expofer. Ne feroit-ce point une conjecture trop hafar- dée que d'avancer , que l'air renfermé dans les bouteilles , founre une raréfaction , ou quelque chofe de femblable , à un certain degré de pro- fondeur dans la Mer , tel qu'eft celui de 40 bralfes ; car on obfervera qu'à 30 bralfes il ne s'eft rien pafTé , & que la bouteille n'y fouffre aucune altération ; qu'en conféquence une grande partie de l'air enfermé dans ces bou- teilles, s'échappe par les pores des bouchons de liège qui en a beaucoup ; &z qu'alors l'eau de la Mer , prelfée par le poids de l'atmofphère de J'air , qui pèfe fur toute fa furface , agilTant à &c' fouhaiterois fort de voir refaire ces expérien- ces , à caufe du but utile qu'elles ont. Et d'ail- leurs la nouvelle obfervation de l'eau rendue moufleufe , intérefle la Phyfique , par la grande condeufation que l'air renfermé dans la bouteille fouffre dans cette opération. Mais ce n'eft: que de fiècle en fiècle qu'il re- paroît quelqu'un , qui avec la curiofité d'éclair- cir des faits de cette nature , fe trouve en avoir la commodité & l'intelligence nécelTaire. Il faut être en Mer, en haute Mer, & jouir d'un calme qui dure quelque temps. Les expériences capables de perfectionner la Phyfique , doivent être faciles à faire & à répéter à tout moment , &z prefque par toutes fortes de mains. Ce goût pour les obfervations faciles , m'a fait penfer à tranfporter fur la terre la pofiibi- lité de faire l'expérience en queftion. La Mer paroît difficile à remplacer ; mais elle n'eft ici nécelTaire , que parce qu'il faut de l'eau marine , ôc qu'il en faut à une certaine profondeur. L'eau marine , bien analyfée , n'eft que de l'eau ordi- naire avec un certain mélange allez intime de fel , & de quelque chofe de bitumineux , de fulfureux , d'onctueux. Jufques-là il n'y a rien 4 ce qui diminueroit peut-être beau- coup le mal qu'il fouffre ordinairement. Comment eft il arrivé , dans une autre expé- rience , que la même bouteille ayant été bouchée avec un liège plus gros que dans la précédente , & ayant été defcendue à la profondeur de qua« lante brades , a été remplie d'eau , fans que fon bouchon parût avoir été déplacé ? C'eft ainfï que la féconde queftion'auroit dû être propofée. Le Voyageur s'eft ôté à lui-même le moyen dé la bien réfoudre , en fuppofant exprefTément que la bouteille étoit reftée exactement fermée pen- dant tout le temps de l'expérience ; & il eft ré- duit à conjecturer que l'eau a pénétré dans la- bouteille au travers des pores du liège. Pour moi , je ne nie pas abfolumenr que l'eau ne puilTe pa(Ter au travers du liège. Je fais qu'elle fuinte au travers des vaitTeaux de terre cuite , d'une certaine efpèce , dont le grain paroîr ce- pendant très-fin. Je fais que l'eau , violemment comprimée dans des vaitfeaux de divers métaux, fe fait des ilfues imperceptibles au travers de leurs parois. Je fais encore que le liège eft fujet i fe refTerrer en fe delféchant , & à fe renfler en Gg 4 47 2 Mémoires Physique , s'humectant : ( c'eft pour cela qu'on obferve de' C^j h y m if • Meckan'i- ne pas tenir debout les flacons pleins de vin , quej&c. ^ans ja crainte qU'ji ne s'éVente à la longue, nonobftant les bouchons. ) Ainfî , il n'eft pas împoïfible que le liège tranfmette de l'eau par fes pores. Mais , Ci cela arrive , ce doit être l'effet lent , & peu confidérable d'une prelfion médiocre long-temps continuée , ôc non l'effet d'une prefîion violente de peu de durée. Je ne crois donc pas que, dans Inexpérience enqueftion, l'eau fe foit introduite. dans la bouteille par les pores du liège. Voici la vraie caufe du fait j elle eft rrès-fîmple. On fait que le liège eft très- compreffible ; c'eft-à-dire , qu'étant chargé par un poids no- table , ou fortement prefîé de quelque manière que ce foit , il fe réduit à un volume moindre que celui qu'il avoir avant d'être preffé. C'eft cette faculté du liège qui le rend propre à faire des bouchons. On peut donc juger qu'un mor- ceau de liège étant plongé à une grande profon- deur , & y foufïrant une prefîion proportionnée à cette hauteur , eft comprimé par tous ceux de fes côtés que l'eau touche , & diminue par con- féquent de volume félon telle ou telle di- menfîon. Or ,1e Voyageur, en faifant le détail de la pré- paration de fon expérience, a obfervé que le

»--M^'?, tranche, qui auparavant rempliflbit exactement : am- cet orifice , cefla de le toucher par un , ou plu- oi>£, ècc. ^eurs enJroits , & s'en écarta un peu j en forte que l'eau trouva une , ou plufieurs ouvertures naiifantes , par où elle commença à s'infinuer entre le bouchon ik la furface du goulot. Quel- ques minces que fuflent les lames d'eau qui fe ^'ifsèrent ainfi , & à quelque peu de ptofondeur qu'elles fu(fent parvenues d'abord, elles agif- foient latéralement , & comprimoient les patties du bouchon qu'elles touchoient , plus violem- ment que ces parties ne l'avoient été avant que l'eau pût les toucher. La condenfation de ces parties étant donc ainfi augmentée , fe commu- niquoit à des parties un peu plus enfoncées , & les écartoit du goulot ; ce qui permettoit à l'eau de pénétrer plus avant, & ainfi de fuite. On peut encore concevoir , fi l'on veut , que la lame d'eau qui avoit commencé à fe glilTer entre le bouchon & le goulot, ayant la figure d'un inflrument très - aigu , agilfoit par fa pointe même, à l'effet de s'ouvrir de moment en mo- ment un efpace plus long. Ainfi , l'eau gagnant chemin peu-à-peu , à mefure que le liège cé- doit à fa preflîon , & lui préfentoit une nou- velle furface , fe fit une ou plufieurs voies pour entrer dans la bouteille. Or , chargée qu'elle •étoit par une colonne de quarante bralfes , elle d'une Société célèbre. 47 j dut couler dans fa capacité avec une très-grande Physiciuï, rapidité , aulîl-tôt qu'elle fe fut fait entrée. Et , méc^Àni- quoique le palTage fut très-étroit , elle dut rem- auf-' &c" plir en peu de temps la bouteille, à quelque chofe près ; l'air contenu fe condenfant cepen- dant , & cédant l'efpace à l'eau , à mefure qu'elle entroir. Il eft à propos , ava:it d'achever cette explica- tion , que je lèvre une difficulté qu'on pourroit me faire. J'ai dit que la tête du bouchon étoit violemment preflee par une force qui tendoit i l'introduire dans ia bouteille , & j'ai ajouté que H h 4 S 2 Mémoires Pkyskiu!, contre la nouvelle invention ? On a long-temps MécSIkÎ- Par^ d'un claveiîin oculaire , & l'on n'eft jamais eut , &c. parvenu à le voir. Mais celui dont j'ai l'honneur de vous parler , eft un vrai claveiîin acouftique , qu'on peut entendre , 8c qui a déjà été entendu. La matière électrique en eft lame , comme l'air eft celle de l'orgue. Le globe tient la place du foufflet , & le conducteur du porte-vent. Dans l'orgue , le clavier eft comme un frein , avec lequel on modère l'action de l'air : j'ai impofé le même frein à la matière électrique , malgré fa fubtilité & fou agilité. L'air enfermé dans les fommiers de l'orgue, y gémit jufqu'à ce que l'Organifte, comme un autre Eole , lui ouvre les portes de fa prifon. S'il écartoit en même temps toutes les barrières qui l'arrêtent, ce feroit une confufion & un défordre affreux ; mais il fait lui donner , avec difcernement , dif- férentes ilTues. La matière électrique demeure ainfî comme captive , & frémit inutilement au- tour des timbres du nouveau claveflîn , jufqu'à ce qu'on lui donne la liberté en abaifTant les touches : elle s'échappe alors avec la plus grande vîtefTe ; mais elle cette d'agir aufli-tôt que les touches font relevées. Au refte , M. R. P. , il eft aulïï difficile de concevoir la conftruction de ce nouvel inftrument que celle de l'orgue , a moins qu'on ne l'ait vue. Je tâcherai cepen- d'une Société célèbre: 481 'dant d'en donner l'idée la plus claire qu'il fera Physiqus , ' poflîble. Chymie , 4 . MÉCHANI- Une verge de fer , ifolée fur des cordons de<*0E> &c* * foie, porte des timbres de différentes groiTeurs pour les différens tons : il faut deux timbres à l'uniffcm pour un feul ton. L'un eft fufpendu à la verge de fer par un fil d'archal , & l'autre par un cordon de foie. Le battant, fufpendu à un fil de foie , tombe entre deux. Du timbre foutenu par un cordon de foie , defcend un fil d'archal, dont l'extrémité eft fixée en bas par un autre cordon-, & Ce termine en anneau pour recevoir un petit levier de fer , lequel repofe fur une verge de fer ifolée. Cela étant ainfi, le timbre fufpendu par un fil d'archal , eft éledtrifé par la verge de fer qui le porte ; & l'autre , qui eft fuf- pendu à cette verge par un cordon de foie , ell électrifé par l'autre verge de fer, fur laquelle repofe le petit levier. En abaiffant une touche, j'élève ce levier , 8c je le fais toucher à une autre verge non ifolée : dans le même inftant, le battant fe met en mouvement , & frappe les deux timbres avec tant de vîtefTe , qu'il n'en ré- fulte qu'un fon ondulé , ou qui imite , à-peu- près , l'effet du tremblant-fort de l'orgue. Auflî* rôt que le levier tombe fur la verge éled'trifée , ie battant s'arrête : ainfi , chaque touche répon- dant à fon levier , ôc chaque levier à fon tim- Hh 2. Mémoires Fhyjique , bre , on peut jouer tons les airs comme fur un Chymie , , méchani- autre claveliin ou lut une orgue. *ue, &c* Cette efpèce de claveffin a même un avan- tage que n'ont pas les autres , & qui lui eft com- mun avec l'orgue. C'eft qu'au lieu que , dans les claveffins ordinaires , le fon ne perfévère qu'en s'affoiblilTaiit , il conferve toute fa force dans l'orgue &c dans le claveffin électrique , tandis qu'on laiiTe le doigt fur la touche. J'ai mis à parc deux timbres , dont l'un communique au con- ducteur par un fil d'archal , & l'autre y eft at- taché avec un cordon de foie. Le battant, égale- ment ifolé , tombe entre deux j il fe met en mouvement quand on commence à frotter le globe , ôc s'arrête après un certain nombre de tours de la roue. Il avertit ainfi qu'il y a aiïez d'électricité pour toucher le claveffin : on peut alors jouer la plus grande pièce , fans frotter davantage le globe. Quand l'électricité eft con- fidérablement atfoiblie , les deux timbres , donc je viens de parler , en donnent encore l'avertit fement : il faut recommencer à tourner la roue. Quand on touche le claveffin dans l'obfcurité , il eft, en quelque foite, oculaire & acouftique , puifque les yeux y font agréablement furpris par des étincelles brillantes qui éclatent à chaque fon , & qui relTemblent à des petites étoiles errantes. ■•V m I dyum Société célèbre* 48^ Permettez-moi, M. R. î\, d'expliquer à pré- Phtst^tj» fent, le plus brièvement qu'il eft poffible , le mé- m"chaVi- chanifme & le jeu de ce nouvel inftrument. QUî » &c* J'ofe d'abord renverfer toutes les idées qu'on a eues jufqu'ici fur l'électricité. Fondé fur l'expé- rience , je crois devoir appeller électrique par communication les corps qu'on a appellés élec- triques par eux-mêmes , & électriques par eux- mêmes ceux qu'on a appellés électriques par communication. La feule expérience de Leyde prouve affez que le verre eft. fortement électri- que par communication. Un tuyau de verre, un bâton de cire d'Efpagne , ou de foufre , ou de réfine , appuyé un inftant fur le conducteur , de- vient très-fenfîblement électrique. Je puis donc d'abord afturer que ces corps font électriques par communication ; mais je prouve encore qu'ils ne le font pas autrement. Je frotte deux bâtons de cire d'Efpagne ou de foufre l'un contre l'au- tre ; ils ne deviennent pas électriques. De-là je conclus que ces fortes de corps ne le deviennent pas précifément par le frottement. Mais Ci , après les avoir ainfî frottés l'un contre l'autre , je les applique un inftant fur ma main , ou fi je les y fais palTer une feule fois très-légèrement , ils deviennenr fenfiblement électriques. Je leur ai donc communiqué de l'électricité. Je fuis donc électrique par moi-même, & eux par H h h 1 486* Mémoires Physique, communication. Je ferois rrop long, Ci je von- MrcHANi- l°is rapporter toutes les expériences qui établif- que, Sec £en(, follement ce principe. Mais en l'admettant, quel doit être le mou- vement de la matière électrique ? Qu'arrive-t-il quand je frotte un globe ? Ma matière électri- que trouvant un libre partage dans fes pores dilatés, s'y porte & s'y infirme. Mais elle ren- contre la rehftance de l'air intérieur du globe , & fuivant les loix du mouvement dans les corps élaftiques, elle fe réfléchit , & eft encore re- poullee vers le globe par la réfiftance & le ref- fort de l'air extérieur. De même la matière électrique du conducteur fe porte vers le globe , & s'en éloigne alternativement. Celui qui frotte le globe n'étant pas tfoJé , reçoit des corps en- vironnans , autant de matière électrique qu'il en a communiqué au globe , ÔV par conféquent celle qui réluie dans fou corps étant toujours dans le môme état de comprellion ne peut être mife en mouvement. Je ne dis donc pas avec quelques Phyliciens que le conducteur eft électrifé , quand le globe lui ayant communiqué plus de matière électrique qu'il n'en peut contenir, le furplus s'accumule autour de fa fur face , parce qu'en difaht cela , je ne trouve pas le moyen d'expli- quer le premier & le plus fimple des phéno- mènes électriques , qui eft l'attraction. Je pré- \ d'une Société célèbre. 4.87 fente ma main pleine de fon au conducteur : fa Physique, matière électrique , repouflee par le globe , méchani- vient frapper celle de ma main & la comprime. QUE> *"*• Cette matière comprimée fe débande , fe réflé- chie , & entraîne avec elle vers le conducteur le fon qu'elle trouve fur fon patfage ; ce fon eft renvoyé auflî-tôt par la matière réfléchie du con- ducteur , & il eft ainfî attité & repoulTé alter- nativement. Venons maintenant à l'explication du clavellin , & d'abord à celle de l'expérience des deux tim- bres qui avertiflent de la préfence & de l'ab- fence de l'électricité. Quand on commence à frotter le globe , le battant fe met en mouve- ment. La matière électrique du conducteur, & par conféquent celle du timbre qui y communi- que par un fil d'archal , fe porte vers le globe ; mais celle du battant & de l'autre timbre qui font ifolés , demeure encore en repos. Le cou- rant de cette matière étant donc repoufle à la rencontre du globe , vient heurter celle du bat- tant avec tant de rapidité , qu'elle le poufle contre l'autre timbre. La matière électrique de celui-ci étant comprimée par le choc du cou- rant électrique , fe débande & renvoie le bat- tant à fon voifin qui le lui renvoie à fon tour , ôc ainfi alternativement jufqu'à ce que toute la matière éle&rique du conducteur , des deux Hh4 488 Mémoires pHTsrciwi , timbres & du battant ne forme plus qu'un feuî Chymie, r i i t « » Méchami- courant qui ie porte vers le globe, & s en que, «ce. éloigne par un mouvement uniforme , en paf- fant librement par les pores de ces corps. Le battant demeure donc en repos, & c'eft l'aver- tiflèment d'une électricité allez forte pour tou- cher le claveiïin. Mais lorfque le mouvement de la matière électrique eft confidéiablement affoibli , le battant recommence fon jeu , parce que le mouvement fe perd plutôt dans le bat- tant & dans le timbre qui font ifolés , que d.ms l'autre timbre qui communique au con- ducteur par un fil d'archal. Cela n'a pas befoin de preuve : on peut donc appliquer aifément à ce phénomène l'explication que nous venons de donner du premier. Tandis qu'on ne touche point au clavier , les battans demeurent immobiles entre leurs tim- bres , parce que la matière électrique des bat- tans , des timbres, de la verge de fer qui les foutient, & du conducteur , ne forme qu'un feul courant. Mais en abaiflant une touche , j'ôre le levier qui lui répond de delfus la verge électrifee , & je le fais toucher à une autre verge non ifolée. La matière électrique de cette verge étant donc comprimée par le choc de celle du levier , fe débande, & fe réfléchit dans le levier même : il fe forme donc auiîi-côt dans ce levier, ma*s auffi-tôt qu'il retombe fur celle cue, &e. qU[ eft élecferifée , le battant s'arrête, parce que la matière élétrique eft rétablie dans fon premier équilibre. J'aurois fouhaité , M. R. P. , expofer plus brièvement & plus clairement ce peu de ré- flexions fur le mouvement de la matière électri- que. J'efpère que vous voudrez bien excufer ce qu'il y aura de moins clair dans ma lettre, à caufe de l'obfcurité du fujet. J'ai l'honneur d'être , &c. ARTICLE XL Seconde Lettre au P. B. , Jéf. j fur un Phénomène Electrique. Je crois , mon R. P. , cette féconde Lettre né- cefïaite pour éclaircir quelques points qui de- mandent une explication détaillée. J'en fuis d'autant plus perfuadé , que quelques perfonnes m'ont paru douter de la nouveauté du claveflin électrique. On fe rappelle , en lifant la defcription que j'en ai faite , la vieille expérience des deux clo- ches qu'on fait fonner continuellement par le moyen de la matière électrique , ôc l'on peut penfer que le clavellin électrique n'eft autre d'une Société célèbre', 4^1 içKofe que cette même expérience poulfée un Physiquï, peu plus loin : il n'auroic donc plus le prix de mÏchaki- la nouveauté. Mais il y a autant de diftance,pour QUE' &c* le moins , entre le Phénomène des deux cloches Se le claveffm , qu'il y en a entre une cloche mife en branle & le carillon de la Samaritaine. Et pour ne pas meloigner du parallèle que j'ai fait dans ma première Lettre , du claveflin électrique avec l'orgue , je demande fi l'inven- tion de l'orgue devoit paroître ancienne à ceux qui virent le premier inftrument de cette efpèce , parce qu'on avoir , depuis long-temps , trouvé le moyen de faire raifonner un tuyau en foufflant dedans ? Je crois , M. R. P. , que la comparai- fon eft jufte , & qu'elle peut diiîiper les doutes fur la nouveauté du clavedin électrique. Mais ce nom de claveflin n'eft-il pas trop noble ? N'aurois je pas dû le nommer carillon électrique ? Il eft beaucoup plus parfait que le carillon ; & j'ai cru même pouvoir avancer qu'il a quelque avantage fur le claveflln ordinaire , en ce qu'il diftingue mieux les brèves & les longues. Au relie, fi l'on veut abfolument un carillon électrique , voici la manière de l'exécu- ter : il ne faut qu'un timbre pour chaque ton. On le fufpendra par un cordon de foie à une veree de fer ifolée. Le battant , fufpendu à la même verge par un fil de métal , tombera à côti 4P 2 Mémoires Physique , du timbre à la diftance de deux ou trois lignes? méchani- Ce timbre aura fon fil d'archal , fon levier ÔC qce , &c. tQut je re^£ Cûmme jans je clavefîln. Je ne fais pas une plus longue defcription de ce carillon, ôc je me hâte d'établir un peu plus folidement ce que j'ai avancé fur les corps électriques & fur le mouvement de la matière de l'électricité. Selon l'idée commune , an globe , devenu élec- trique ou électrifé par frottement , femble com- muniquer l'électricité au conducteur j ôc comme ce conducteur eft ifolé fur des corps qu'on fup- pofe n'être pas électriques par communication , l'électricité eft bornée dans lui ou autour de lui. Mais qu'on demande à ceux qui prétendent que le verre , le foufre , ôcc. font électriques par eux-mêmes , ôc les autres corps par commu- nication , quelle différence ils mettent entre ces deux fortes de corps, je ne fais s'ils pour-; ront faire comprendre leur penfée ? « Généralement parlant , diront quelques" » uns , dans tous les corps , il y a autant de » matière électrique qu'ils en peuvent contenir. » Le verre en eft tellement pénétré , qu'il » femble qu'elle fa(Te fon elfence. Si l'on veut 55 en donnera la matière commune plus qu'elle » n'en peut contenir, le furplus refte fur la » furface. Nous pouvons pomper le fluide élec- 9» crique , «Se le faire fortir de la matière corn-» d'une Société célèbre: 49 j « mune par le moyeu du globe ou du tube. Phtsiqu*; s> Quoique les particules de la matière électri- mÎch!Ûh\ »> que fe repoulfent l'une l'autre, elles font for- auE' &c* » tement attirées par toute autre matière j mais » plus fortement par le verre que par les autres >» corps ». Ne femble - 1 -il pas , M. R. P., que nous foyions revenus au fiècle de la vieille Phyfîque, où l'on n'expliquoit les phénomènes de l'air ou du feu que par les mots d'attraction , de répul- Jion , de fympathie 6c d'antipathie ? Suivant ce fyftême , quand eft-ce que le globe communi- que de la matière électrique ? C'eft quand il ne peut plus l'attirer ni la retenir. Le conduc- teur lui-même n'en fouffre pas toujours de plus en plus autour de fa furface : elle s'arrête à un certain point. C'eft ainfi que, dans les pompes , la nature n'a horreur du vuide que jufqu'à une certaine hauteur. Mais enfin, puifque tous les corps ont , dit-on, autant de matière électrique qu'ils en peuvent contenir , &c qu'ils font une efpèce d'éponge pour le fluide électrique , quelle grande différence y a-t-il donc entre les corps qu'on appelle électriques par eux - mêmes , & ceux qu'on appelle électriques par communica- tion ? Le voici : c'eft que les uns font électriques par communication , & les autres par eux- mêmes. ^£4 Mémoires Physique, Dira-t-on que cette différence confifte en ce MéchamÎ- Sue la mat*ère électrique fe meut plus diffici- ûue, &c. lement dans les corps appelles originairement électriques , que dans les autres ? Mais cette idée paroît ne pouvoir s'accotder avec l'expé- rience. Préfentez un morceau de fer au con- ducteur , vous tirerez une étincelle : pourquoi ? Parce qu'il y a un choc de la matière électrique de ce morceau de fer contre celle du conduc- teur. Mais celle du morceau de fer n'eft pas mife pour cela dans le mouvement électrique ; il n'eft pas électrifé \ & vous le préfenteriez inu- tilement à des corps légers , pour les attirer 3c les repoulfer. Préfentez un tuyau de verre au même conducteur , il n'y aura point d'explofion parce que la matière électrique du conducteur ne rencontrant point de matière femblable dans le verre , y entre & s'y meut fans réfiftance : ce tuyau de verre devient ainfî électrique par com- munication ; il attire 3c repoulfe très fenfible- ment les corps légers qu'on lui préfente. Les corps qu'on a appelles électriques par eux- mêmes , feroient donc par leur nature abfolu- ment dépouillés de matière électrique. C'eft ainfi que , félon le fyftême de Copernic , on feroit tombé dans une grande erreur en ju- geant , par le témoignage des fens , que la terre eft immobile, ôc que les aftres tournent autour d'elle (Pane Société célèbre. 4$$ Je n'oferois pas , M. R. P. , renverfer des Physique ; principes établis depuis la naiiTance , pour ainfi ^H/M^* dire , de l'électricité , h je n'étois fondé fur des QUE> &c- expériences fouvent réitérées , telles que celles dont j'ai eu l'honneur de vous parler dans ma première Lettre. Permettez-moi de répandre un peu plus de lumière fur ce que j'ai dit du mou- vement de la matière électrique. Le globe étant électrique par communication , & la main qui le frotte l'étant par elle-même, il eft naturel de penfer que la matière électrique de la main s'infinue dans les pores du globe. Or , le globe peut être fuppofé maflïf ou creux , plein ou vuide d'air. S'il eft maflif, les globules électriques, qui fe font inlinués dans fes pores , ne peuvenc pas manquer de rencontrer les parties folides du verre , de fe comprimer par le choc , de fe débander aullï-tôt , & de fe réfléchir hors du globe. Mais ils rencontrent alors la rélîftance de l'air qui environne le globe , & ils y font par conféquent de nouveau repoulTés. Si le globe eft creux Se plein d'air, les globales électriques pénè- trent pour la plupart jufquà cet air intérieur , le compriment & en font comprimés , fe déban- dent &z fe réfléchirent hors du globe , & y fonc encore repoulfés par l'air extérieur. Si le globe eft vuidé d'air , les globules électriques n'y trou- vant aucune réfiftance, s'y portent abondam- 49 6 Mémoires physique, ment, & ne Te réfléchiffent point au- dehors J MicHAsî- aln^ ' ce §^0De ne Pr°duit aucun effet à l'exté- que,ôcc. rieur, ce qui efl- confiant par l'expérience. Voyous à préfent ce qui doit arriver au con- ducteur. Les Globules électriques, fe réfléchi (fane au-dehors du globe par le choc & par la réfif- tance de l'air intérieur, doivent néceflairement frapper les Globules de la même matière qui réfide dans le conducteur. S'il n'efl pas ifolé fur des corps non électriques , comme le verre ou la foie , fa matière électrique ne trouvant point où fe retirer , oppofe une réfiflance invincible aux Gîobules qui viennent la frapper - ainfi , il ne donne aucune marque d'électricité. S'il efl: ifolé , fa matière électrique cède au choc ; elle fe retire & fe répand autour du conducteur; mais elle y efl aufli-tôt repoufTee par l'air extérieur qui l'environne , en môme temps que celui qui en- vironne le globe y repoufle auflî la matière qui s'efl réfléchie à la rencontre de l'air intérieur : cet air intérieur du globe eft donc choqué ÔC comprimé dans le môme inflant par deux forces oppofées par la matière électrique de celui qui frotte , & par celle du conducteur. Il repouffe , en fe débandant , la matière électrique dans le conducteur, mais non pas dans celui qui frotte, parce qu'il reçoit des corps environnans autant de matière électrique qu'il en a communiqué au globe » ' d'une Société célèbre. 4.97 globe, & cette matière étant toujours dans lui Physiçiujs également foutenue & comprimée , ne peut cé- m^hIVi- der au choc en fe retirant : il n'efl; donc pas aUF ' &'c* électrifé. J'ofe Faffurer , M. R. P. , fi l'on veut tirer toutes les conclufions qui fuivent naturellement, de ce principe , on retrouvera dans ces conclu fions les expériences que nous faifons rous les jours. Je me bornerai à quelques-unes pour fer- vir d'exemples. Puifque l'air intérieur du globe étant comprimé, il repoulîe par fa réaction la ma- tière électrique du conducteur , moins il fera comprimé, moins l'électricité fera forte. Or, il le fera moins , fi celui qui frotte elt ifolé , parce que la matière électrique, qui réfide dans lui , ne fera plus fourenue par celle des corps environnans , & cédera par conféquent à la réaction de l'air. Ce fait elt coudant par l'expé- rience , puifque l'air extérieur qui environne le conducteur , y repoulTe par fa réfiftance Se fa réaction la matière électrique : s'il oppofoit moins de réfiftance , cette matière s echapperoic plus abondamment & plus loin hors du con- ducteur , & c'eft ce qui arrive aux pointes, d'où l'on voit cette matière s'élancer en forme d'aigrette. Elle doit s'élancer fous cette forme , de fe féparer en rayons divergens, à caufe de la réfiftance de l'air. S'il n'y avoir point de con- Tume IL ï » 4P 8 Mémoires physiquk, ducteur , celui qui frotte le globe étant îfolé^ MieHAHi- ne s'électriferoit prefque point , puifqu'il n'y «vf , &c auroit pas alors deux courans oppofés de matière électrique , Se que celle qui eft dans lui ne fe- roit poufifée hors de fon corps , que par la réac- tion de l'air intérieur du globe. Par la raifou contraire , fi quelqu'un non ifolé touche 1© globe d'un côté , tandis que celui qui eft ifolé le frotte de l'autre , celui-ci fera fortement élec- trifé. Puifque le conducteur ne s'électrife que lorfqu'il eft pofé fur des corps non électriques , l'air qui l'environne n'eft donc point électrique, & s'il le devenoit par l'humidité , le conduc- teur ne s'électriferoit plus. Si la phiole de Leyde s dont le crochet touche «tu conducteur ,étoit fêlée , l'eau qu'elle contient communiqueroit par la fêlure avec les corps en- vironnais , le conducteur ne feroit donc plus ifolé , & ne pourrait s'électrifer. Je ne puis dire combien on s'eft tourmenté pour trouver la caufe de ce phénomène , qui , comme on voit , eft toute claire & toute fimple. Au refte , il y a des phénomènes encore plus fimples que celui-là qui ont étonné les électrifms. Cette toile d'araignée , par exemple , qu'on croit fenrir à l'approche d'un tube électrife , qui p.i(Te devant le vifage , a paru un phénomène fîngulier. Ce n'eft cependant autre chofe que le premier Se le (Tune Société célèbre, 4_9P plus fimple de tous : c'eft l'effet de l'attraction. Physique; Ce font les poils, qui, fuivant le mouvement \[( ItCHA.NI- du tube , fe plient à droite , à gauche , fe re- QUU * &c' dreffent & chatouillent l'épiderme. Je m'apper- çois, M. R. P. , que je paffe les bornes d'une Lettre, & je me hâte de finir , en vous alfurant que je fuis , &c. ARTICLE XII. Nouvelle conjecture pour expliquer la nature de la Glace. /eau ne fe glace , que parce que fes parties perdent le mouvement qui leur eft naturel , Se qu'elles s'attachent les unes aux autres. Mais il faut remarquer, i°. que l'eau en fe glaçant, paroît fe dilater , & qu'elle devient plus légère, au lieu qu'il femble qu'elle devroit fe refferrer , Se devenir plus pefmte: i°. que l'eau glacée eft un peu moins tranfparente , & que les corps tranfpirent moins librement à travers qu'aupa- ravant , quoique tout le contraire doive arriver , ce femble, s'il eft vrai que l'eau fe dihre en fe glaçant. Ce font ces contrariétés apparentes qui fe trouvent dans les effets & les propriétés de la glace , qui en rendent la nature obfcure , Se difficile à expliquer, I i ii £00 Mémoires physique, Les Philofophes croient communément que Chymie. • r ■ 1 l r • r • i Mechani. ce qui tait la glace, ce lont certains efprits de Vjs., àcc. Qitre> qUi en hiyg,. fe mêlent parmi les parties de l'eau , & qui étant d'eux-mêmes peu propres au mouvement à caufe de leur figure & de leur inflexibilité , affoibliirent &: détruifent peu-à-peu celui des parties auxquelles ils fe font attachés. Cette opinion eft appuyée fur quelques expé- riences , qui prouvent que du moins, en cer- taines occasions , les efprits de fel de de nitre contribuent à former la glace : on n'a garde de contefter ici ces expériences. On dit feulement qu'il n'eft pas sûr que les efprits de nitre , en- trent toujours dans la compofition de le glace ; & que quand ils y entreroient toujours , cela feul ne fuffiroit pas pour pouvoir en expliquer tous les effets. Par exemple , on ne conçoit pas , comment ces efprits de nitre , qui pénè- trent les pores de l'eau , & qui en fixent les parties , peuvent obliger l'eau à fe dilater , & la rendre plus légère, au lieu que naturellement ils devroient en augmenter le poids. Cette diffi- culté , & quelques autres qu'on pourroit rap- porter ici , font voir la néceflité d'un nouveau fyftème pour expliquer la nature de la glace. En voici un dans lequel il femble que tout s'ex- plique plus aifément , & d'une manière plus iîmple que dans le fyftême ordinaire. d'une Société célèbre. yoi On dit donc que l'eau ne fe glace en hiver , Phy'skiue, que parce que fes parties étant plus ferrées les mIchasi- unes contre les autres, s'embarraflénr mutuel- auE ' lement , & perdent tout le mouvement qu'elles avoient; & l'on prétend que l'air eft la feule, ou du moins la principale caufe , qui fait que les parties de l'eau fe ferrent ainfi les unes con- tre les autres. Voici comment cela s'explique. Il y a une infinité de petites parties d'air groflier , mêlées parmi les parties de l'eau , comme chacun peut s'en convaincre par fes propres yeux : car fi l'on enferme dans la ma- chine pneumatique un vafe plein d'eau & ou- vert ; à mefute qu'on pompera l'air de la ma- chine , on verra l'eau bouillir , & jetter unegrandô quantité d'air groflier. Ces parties d'air groflier , fumées parmi celles de l'eau, ont chacune la vertu de reflort : ce qui efl: maintenant fi bien établi en Phyfi- que , que perfonne n'ofe plus le révoquer en doute. Si donc on pouvoir faire voir que les petits raiforts de l'air groflier , femé dans l'eau , ont plus de force en hiver , & qu'alors ils s'étendent &r fe débandent un peu , on concevroit aifé- ment que d'un coté ces refiorrs fe débandant de la forte , & de l'autre l'air extérieur continuant àprefler la furface de l'eau , les parties de l'eau y Ii'4 "£02 Mémoires Physique , enfermées entre ces petits relïbrts qui les re- MAchahi- pouffent de toutes parts , doivent fe ferrer les ûuk , &c. unes comre les aUtres , perdre leur liquidité , &: former un corps dur , c'eft-à-dire , de la glace. Toute la difficulté eft de favoir , fi en effet les refïbrts de l'air , qui eft femé dans l'eau , fe débandent un peu en hiver. Or , c'eft ce qui paroît aifé à prouver. L'air groffier , que les yeux n'apperçoivenc point dans l'eau , tandis qu'elle eft liquide , s'y remarque aifément quand elle eft glacée. On y voit fouvent alors une grande quantité de bulles d'air très - fenfibles ; & quand ces bulles font trop petites pour être remarquées chacune fé- parément , on ne lailfe pas de les voir , pouf ainfi dire , en gros & confufément. Car l'eau glacée eft toujours un peu plus blanchâtre qu'elle n'étoic auparavant ; & l'on fait que cette blan- cheur ne vient que des petites bulles d'air , mêlées parmi la glace. C'eft ainfi que toutes les écumes font un peu blanches , & que les bulles d'air mêlées dans le verre ou le cryftal , paroif- fent plus blanches que le refte. Ajoutez que les petites bulles d'air greffier 3 qui font abfolument infenfibles dans l'eau , tan- dis qu'elle eft liquide , ne peuvent devenir fen- fibles dans l'eau glacée, que parce qu'elles font chacune plus groifes qu'elles n ecoient > & elles et une Société célèbre. £03 ne fauroient devenir plus grottes que par l'une physique, de ces raifons : ou parce que l'eau en fe glaçant m'Ichani- a attiré du nouvel air : ou parce que l'air déjà QUE » &c* femé dans l'eau occupe un plus grand efpace , & que fes reflorts fe font un peu étendus & dé- bandés. On ne conçoic pas comment l'eau , en fe glaçant , auroit pu attirer du nouvel air; puif- que les pores de la glace font conftamment plus petits que ceux de l'eau , au travers defquels l'air groflier ne pafle qu'avec peine. Il faut donc que l'air déjà femé parmi les parties de l'eau fe foit dilaté , & que fes reflorts fe foient un peu débandés. Mais pourquoi, quand il fait, froid les reflorts de l'air ont-ils plus de force pour fe débander 5 que dans une autre faifon ? On répond premiè- rement , que pour établir le fyftème qu'on pro- pofe ici , c'eft aiTez de prouver que la chofe ar- rive en effet de la forte , fans qu'il foit néceffaire d'en expliquer la caufe. On répond en fécond lieu que cette caufe n'eft pas fort difficile à trou- ver. Tout le monde fait que les corps à reflorts ont d'autant plus de force qu'ils font plus roi- des ; 8c qu'ils font d'autant plus roides } que leurs pores font plus petits & plus ferrés ; or , le propre du froid efl de restreindre les pores. Puis donc que le froid reflerre les petites parties de l'air greffier , & qu'il les rend moins foupIe§ H 4 £04. Mémoires Phtsiciuk, &• plus roides , parce qu'il en rétrécit les pores ; Mjch/ni- faut dire aufli qu'il augmente la force de leurs qjue, «c. féflorts, le refïbrt devenant plus violent , à mefure qiTe le corps devient plus roide. Ainu* , pendant l'hiver , les refforrs de l'air qui elt femé dans l'eau ayant notablement plus de force, ils doivent un peu fe débander, Se en fe débandant , prelfer les unes contre les au- tres les petites parties d'eau qu'ils tiennent ren- fermées. Cela fuppofi , il n'y a rien dans la. glace , qu'on ne puilfe expliquer alfez natu- rellement. i°. L'eau en fe glaçant doit former un corps dur ; parce qu'alors fes parties étant pretîées les unes contre les autres, elles s'embarralfent mu- tuellement , & perdent ainfi tout le mouvement qu'elles avoient. z°. L'eau en fe glaçant doit devenir plus lé- gère ; car quoique fes parties foient plus prelTées qu'elles n'étoient auparavant , cependant la malle compofée des parties de l'eau ainfi preifées , «Se de l'air dilaté , doit être plus ample, & par conféquent plus légère, qu'elle n'étoit lorfque l'eau étoit liquide. 3°. L'eau glacée occupe un plus grand efpace , que quand elle étoit liquide , parce que les ref- forts de l'air qui elt femé dans l'eau , en fe dé- b^ndâm , obligent l'eau de s'élever dans le vafe d'une Société célèbre. 5*0^ qui la contient. Il eft vrai que l'air extérieur Physique, prelfe aufïi de'fon côté la furface de l'eau , & mTch/.ni- qu'il fait effort pour la repouffer : mais cet air C1UE' &c' extérieur étant plus libre , Se fes petis refforts étant moins bandés , parce qu'ils fe font relâ- chés à mefure que le froid a refferré tous les corps voifins , il a moins de force que celui qui eft enfermé dans l'eau , dont les refïbrts ne fauroient fe débander , quand faifant groffir le volume de l'eau. 4°. Si l'on enferme un vafe plein d'eau dans la machine pneumatique , l'air qui eft femédans l'eau fe dilate extraorduiairement , quand on pompe l'air de la machine ; cependant l'eau ne fe fdace pas , parce que la furface extérieure de l'eau n'étant plus preffée , l'air qu'elle contient , peut , en fe débandant , s'échapper librement , comme il s'échape en effet. 50. L'eau glacée doit toujours être moins tranfparente , que la meme eau quand elle eft liquide , parce que les bulles d'air qui font in- fenfibles dans l'eau, à caufe de leur petiteffe, étant plus fenfibles & plus groffes dans la glace , la doivent aufii faire paroître plus blanche , & par conféquent moins diaphane. 6°. Les corps doivent bien moins tranfpirer au travers de la glace , qu'au travers de l'eau , parce que les parties de l'eau glacée font en effet $o6 Mémoires Thysique , plus prêtées qu'elles n'étoient auparavant, & MécmÀhi- qu'ainfi elles laiflent un palîage moins libre aux qu£, &c corpS étrangers. 7°, L'eau , dont on a tiré beaucoup d'air par le moyen de la machine pneumatique , doit auflî fe glacer plus difficilement; 6V. c'elt auflî ce qu'une perfonne habile m'a dit avoir expé- rimenté. 8°. L'efprit de vin, l'eau-de-vie , & les au- tres liqueurs de même genre , doivent ne fe point glacer du tout , ou ne fe glacer qu'avec peine. Car leurs parties étant dans un grand mouvement , comme il paroît par l'évaporation qui s'en fait , il s'enfuit que l'air femé entre les parties de ces liqueurs , efl: beaucoup plus fubtil , & par conféquent qu'il a moins de refTort, que celui qui effc femé entre les parties de l'eau commune , puifque le relïort de l'air efl: princi- palement dans fes parties groflîères. 9°. L'huile , la graille , 6V les autres liqueurs vifqueufes doivent fe figer plus aifément que l'eau ne fe glace , parce que leurs parties peu propres au mouvement , s'embarraffent bien- tôt les unes dans les autres. Mais ces liqueurs en fe figeant ne doivent point devenir fi dures que la glace , ni fe dilater comme elle ; car quoiqu'elles renferment entre leurs parties bran- chues une plus grande quantité d'air que l'eau j à d'une Société célèbre. 507 cependant cet air eft plus fubtil , il a moins de Physique, " C H Y M I F retfbrt , & s'échappe facilement par les pores mÎchIwÎ- «le ces mêmes liqueurs. qui,&c io°. Le vif argent ne peut pas fe glacer, parce qu'il ne contient pas une aflfez grande quantité d'air grolïier 5 que fes parties font fore polies j & qu'elles peuvent aifément glitfer les unes contre les autres, fans s'embarrafler Se s'accrocher. A mefure que le froid devient plus âpre, les reflbrts de l'air femé dans la glace doi- vent avoir plus de force pour repouffer les parties de l'eau glacée \ Se le volume compofé de l'air Se de l'eau glacée doit de plus en plus grollîr. C'eft auiïi ce qu'on a éprouvé de la manière fui- vante. On avoit rempli d'eau un boulet de fer creux , qui avoit une ouverture de trois ou quatre lignes de diamètre : l'eau s'étanc glacée dans ce boulet , Se n'ayant pas eu la force de le rompre , la glace fortit par le trou , Se forma une efpèce de tige , qui s'alongeoit à mefure que le froid augmentait , Se qui crut jufqu'à la longueur d'un doigt. Cette tige ayant été rom- pue , Se le boulet expofé à l'air pendant une nuit très-froide , il fe fit une nouvelle tige , quoique plus courte que la première , la glace fe filant, pour aind dire, en paffant par le trou du boulet , comme font Tôt Se les autres mé- taux, en paflànt à travers la filière. 5°3 Mémoires Physique , i 20. Dans l'hypothcfe qu'on vient d'expofer l Chymie, . . . î . MicHA«i- les efpnts de nitre peuvent aalîi contribuer à ue, cvc. £ormer ja giace | en ce qlie s'attacfaant aux pe- tites parties de l'air femé dans l'eau , ils con- tribuent à les rendre plus roides & plus inflexi- bles , ôc à augmenter la force de fes relforts. On ne donne tout ceci , que comme une con- jecture qui n'eft pas fans difficultés , mais qui pa- raît en avoir bien moins que l'opinion commune. ARTICLE XIII. D E la manière dont Je forme l'Écho, Ije fon n'efi autre cliofe que l'air mis en mouvement par la collifion de deux ou plu- feurs corps , mouvement qui s'étend au tour du lieu où s'eft fait cette coliifion , & qui avance toujours jufqu'à ce qu'il foit détruit par la ré- fïflance de l'air qu'il rencontre , ou détourné par Poppofînon de quelque corps qu'il trouve en fon chemin. Que ce mouvement fe fa(fe par ondulations , ou en droite ligne , il n'importe pour le fylîême que l'on va propjfer fur l'Echo. Quand je parle dans une plaine éloignée des bois, de vallées, de côteaux, de ràaifons, le , mouvement de l'air , excité par ma voix , ne trouvant aucun corps qui lui falfe obftacle il ne fera point renvoyé vers moi : auffi n'y entendrai- je jamais d'Echo. Mais fi je parle, par exemple, cPune Société célébré. à l'embouchure d'un tonneau défonce, le mou- Physiqus , vement de l'air, excité par les organes de ma voix, mAchani- remontant du fond du tonneau , & re (ferré par aut' &"c' les côtés du même tonneau , reviendra tout en- tier vers moi , Se rendra ma voix raifonnante , c'eft-à-dire, qu'après qu'elle aura été prononcée, on entendra à la fin un retentiffement alïez court, mais affez fenfible. De même , fi je parle dans un lieu voûté & enfermé de tous côtés , j'éprouve le môme effet. C'eft que le ceintre de la voûte réfléchit vers moi le mouvement de l'air excité par ma voix, & comme ce mouvement fe trouve ramaffé par les murailles qui m'environnent, ôc qu'il ne peut par conféquent fe difperfer, il re- vient à moi tout entier & avec toute fa force ; il revient un peu plus tard qu'il n'a commencé , ôz c'eft ce qui produit ce petit retentiffement à la fin de chaque parole ; retentiffement que je regarde comme un Echo informe, à la vérité, parce que la diftance qu'il y a de moi à la voûte n'efl pas affez confidérable pour que le mouvement de l'air lie me foie renvoyé précifément, qu'après que j'ai prononcé ma première fyllabe. C'eft pour- quoi il me revient avant que j'aie prononcé rien d'articulé : ainfi le mouvement excité par la pro- nonciation de la première fyllabe revenant avanc que je fois à la féconde, & fe confondant avec le mouvement diredb de la fin de la première fyl- labe , & celui du commencement de la féconde f '£ i o Mémoires Çhysiquï , ne me rapporte rien d'articulé à la fin du mot} MéchÀhi. niais me laifle feulement un fon confus & in-