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MÉMOIRES

ESSAI

SUR LA MUSIQUE.

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MÉMOIRES

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ESSAI

SUR LA MUSIQUE

Par M. GRÉTRY ,

Cenfeur Royal > Conjeillet intime de S. A. C. Mcnfeigneur tEvéque , Prince de Liège ; de V Académie des Philharmoniques de Bologne, de la Société d'Emulation de Liège , &c.

Prix 6 livres , broché.

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A PARIS,

'L'Auteur , rue PoîfTonniere , vis-à-vis fa rue Beauregard.

Ch / *>RAULT » ImPrimeur du Roi , Quai des AuguiUns. \ Les Marchands de Nouveautés.

Et à Liège,

LF. J. Desoek. , Imprimeur, Libraire. 'Avec Approbation & Privilège du Roi,

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AVANT-PROPOS.

JE n'ai écrit ces Reflexions fur la Mu fi que y que peur me délafier de mon travail habituel. Il feroit injufte de prétendre qu'un artifte ait dans fon ftyle la correction & l'élégance qu'on a droit d'exiger de l'homme de lettres. J'ai mis par écrit ce que m'a révélé le fentiment même de Fart pendant mon travail ^ Se je ferai content fi je me fuis fait entendre. Je l'ai entrepris, parce que l'artifte feul pouvoit le faire : fi j'y joints quelques circonftances des différentes époques de ma vie, ce n'eft que pour fervir de liaifon à ce qui a rapport à la mu- fique. Au :efte ce qui paroîtra puérile à bien des gens ,, ne le fera pas pour le jeune artifte qui ^ fouvent repouffé de toutes parts , ne peut parvenir à fe faire connoître : il verra que ceux

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i AVANT-PROPOS.

même qui ont eu le bonheur de per- cer dans la carrière des arts , ont eu, comme lui, mille obftacles à vain- cre , & cette leclure peut ranimer fon courage abattu. Je voulois laifTer ces papiers à mes enfans; je ne vou- lois pas me faire imprimer; & ce que je dis eft vrai ; mais on m'a fait enten- dre que , n'y eût-il qu'une vérité bien établie dans cet ouvrage , je devois le rendre public, On m'a dit encore que, parlant fans cefle de mon art, & communiquant fans réferve dans la converfation le peu d'idées qui peuvent m'appartenir , je courois les rifques "dans vingt ans de paroître moi-même plagiaire , & de ne con- ferver que le cadre qui les enchaîne. Je me fuis rendu à ces deux raifons : la première intéreffe l'art ; la fécon- de intéreffe l'homme qui veut jouir de ce qui lui appartient.

Cent fois j'ai été tenté de prendre

AVANT-PROPOS. 3

la plume , lorfque mille brochures fur la muiîque ont bien plus fomenté de diffentions encre les artiftes, qu'el- les nJont fervi aux progrès de l'art. Chacun prêchoit pour fon faint ; on ignoroit qu'il efl: un faint pour tout le monde. Il falloit dire , par exem- ple , qu'il exifle une mufique vague , métaphifique pour bien des hommes, mais qui l'efl moins pour la plupart des femmes ; que fi Ton a une orga- nifation dure, on n'y entend rien; G. on l'a foible & trop fenfible , on comprend trop ; cette mufique prête au défceuvrement tout le charme de la difpute, avec L'avantage de n'é- claircir jamais la queftion. Il falloit dire qu'il efl une mufique qui , ayant pour bafe la déclamation des paro- les , efl: vraie comme les parlions. J'anticiperois fur mon fujet , fi j'en difois davantage.

Des réflexions ifolées & des pré-

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4 AVANT-PROPOS.

ceptes arides fur un art , ne peuvent guère intéreiler que ceux qui en font une étude particulière; & lamufique eft peut-être celui de tous les beaux- arts qui prouve le mieux cette vérité. J'ai cru qu'en joignant à cet efTai quelques anecdotes fur des pièces dramatiques que la nation a daigné accueillir , il feroit d'un intérêt plus général, & pourroit être lu, même des gens du monde.

ESSAI

SUR LA MUSIQUE.

PREMIERE PARTIE.

S i je dois mon exiflence morale à la mufique, je lui dois auffi mon exiflence phyfîque.

Jean-Noé de Gretry mon grand- père , après avoir vendu ou fubititué les biens qu'il poffédoit à Gretry ( i ) , époufa fans confentement de parens, une jeune Allemande, Dieu -Donnée Campinado. Après quelques années, les parens de ma grand'mère lui pardonnèrent ce mariage : fon oncle, le prélat Delviîette (2), vint

(1) Hameau proche Boulan , terre de l'Empire , dio- cèfe de Liège.

(2) Tréfoncier de Notre-Dame de Presbourg , après avoir été inftituteur de l'enipereur Jofeph premier.

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6* Essai

la voira Blegné, en allant fiéger au Cha- pitre de la cathédrale de Liège, en qualité de ccmmiffaire de l'empereur : il la trouva suffi heureufe au milieu de fon ménage champêtre , que (i elle fût née payfaune. C'étoit un dimanche après vêpres. Mon grand-père jouoit du violon pour faire danfer les payfans qui venoient boire fa bierre & fon eau-de-vie, que des difgraces multipliées l'avoient réduit a vendre. Mon père, âgé de fept ans; racloît a fes côtés. Le prélat, après avoir demeuré quelques jours chez fa nièce , qu'il aimoit tendre- ment, fit Ces efforts pour emmener mon père à Presbourg, il vouïoit lui donner un bénéfice : mais l'amour de la muflque avoit déjà féduitïe cœur du jeune homme; fes pleurs , fes cris forcèrent fes parens à lui làifïèr fuivre fon penchant. La place de premier violon de Saint-Martin à Liège , étant devenue vacante , & propofée au concours, il irhéfka pas, tout jeune qu'il étoît^ d'entrer en lice, & remporta le prix

SUR LA MUSIQUE. 7

à l'âge de douze ans. A vingt-trois ans , ii époufa Marie - Jeanne des Fofles : elle avoit peu de fortune , ai-nfi que mon père ; & fa famille , alliée a d'excellentes maifons de Liège (a) , s'oppofa quelque tems à ce mariage; mais, fenfible aux charmes de la mufique qu'il lui enfeignoit , ma mère voulut récompenfer fon maître en lui don- nant fa main.

Je fus le fecond fruit de leur union. Je fuis à Liège . le i 1 Février i 741 .

Un accident qui m'arriva a l'âge de quatre ans, Se dont j'ai confervé quelque fouvenir , prouve que je puis dater de ce tems pour y fixer l'époque de ma raifon nailTante, & que déjà j'étois fenfible au mouvement ou rythme mufical. La pre- mière leçon de mufique que je reçus faillit à me coûter la vie : j'étois feul ; le bouil- lonnement qui fe faifoit dans' un pot de fer , fixa mon attention : je me mis à dan- fer au bruit de ce tambour ; je voulus voir enfuite comment ce roulis périodique s'o-

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8 Essai

péroit dans le vafe ; je le renvetfai clans un feu de charbon-de-terre très ardent , ex l'ex- plofion fut fi forte, c,ue je refiai fuffoqué & brûlé prcfque par tout le coips. Après cet accident, qui me rendit pour tt ujours la vue foible , je fus atteint d'une maladie de langueur. Ma grand'mère voulut pren- dre foin de moi; elle m'emmena chez elle, à une demi-lieue de la ville, fon mari étoit contrôleur d'un bureau du prince Jean Théodore , cardinal de Bavière. Je me rétablis en peu de tems : on m'y laiffa en- viron deux années ; elles ont été les plus belles de ma vie. Tout étoit nouveau pour moi; je m'éîançois vers chaque objet, je mettais les chaifes fur les tables ; je grim- pois dèfTus ; je touchois à tout, ck on me laifToit faire ; car on avoit remarqué que j'étois prudent , même dans mes étour- deries.

Lorfque ces mouvcmens impétueux fe développent , il n'efi pas , je crois , de contrainte plus dure pour un enfant , que

SUR LA MUSIQUE. 9

d'être obligé d'étouffer les premiers élans de /a nature. Surveiller trop un enfant , eiï , ce me femble , le meilleur moyen d'en faire un imbécile; car s il eft impru- dent, il trouve une punition dans fa propre imprudence; & les leçons qu'on fe donne valent mieux que celles qu'on reçoit. C'eft une .victoire que de fe corriger foi-même , & Pon rougit à tout âge d'avoir été cor- rigé.

Le tems que je paffai à la campagne fut bien employé, comme on fe f imagi- ne ; toujours courant par monts & par vaux , me faifant chérir de tous les babirans, & cela devoir être , car mes careffes, 1 ef- fufion de mon âme fe portoient fur tous les objets animés & inanimés de la nature. Qui le croiroit ? rien cependant de plus véritable : a l'âge de fix ans , le fentiment de l'amour fe fit fentir en moi , & 1 empor- ta bientôt fur toutes mes affections; fen- timent vague, à ïa vérité , & qui s'étendok en même tems à plufieurs perfonnes: mais

io Essai

déjà j'aimois trop pour ofer le dire à au- cune d'elles. Je gardois le filence par timi- dité. Ce ne fut que longtems après, à l'âge de dix-huit ans, dans un pays éloigné, que cette pafïion me fit fentir tout fon pou- voir : j'ofai alors faire le premier aveu , & j'eus le bonheur de voir couler des larmes pour réponfe.

Que fon doit craindre à tout âge de rifquer ce premier aveu ! rien n'eft perdu , & fon peut encore vous aimer, fi vous ne l'avez pas dit formellement. Mais (i vous dites je vous aime un jour trop tôt , on ne vous aimera peut-être jamais. L'homme qui par fon caractère ne reffent que les fecoufTes légères des partions , a mille ma- nières de s'exprimer fans courir aucun rif- que ; mais il n'en eft qu'une pour celui qui, profondément agité, concentre la flâme dans fon cœur ; ck malheur à lui y s'il eft rebuté après s'être fait connoître.

Qu'on me pardonne ces réflexions étran- gères à mon fujet, & qui m'ont écarté,

S V K LA MUSIQUE. It

pour un moment, de cet afyïe champêtre dont j'aime à me retracer le fouvenir : ma grand'mère vouloit m'y retenir ; mais il fallut quitter ce féjour heureux pour retour- ner à la ville. Mon père, qui étoit venu nous voir, avoit annoncé qu'il vouloit me donner des maîtres de mufique, & fi j'avois delà voix, me faire enfant-de-chœur à la collégiale de Saint-Denis, il étoit alors premier violon. Je frémis en apprenant ce qu'il vouloit faire de moi : les maîtres de mufique ne m'épouvantoient pas, au con- traire ; mais être enfant-de-chœur me pa- roiiïbit l'état le plus cruel , & je ne me trompois point.

Depuis qu'il exifte des enfens malheu- reux fur la terre, aucun ne le fut autant que moi, dès que je fus abandonné au pouvoir du maître de mufique , le plus barbare qui fut jamais.

. Il n'y eut donc plus de plaifir pour moi dès que je fus les intentions de mon père ; le deuil fe répandit fur chaque objet qui,

i 2, Essai

la veille encore, avoit charmé tous mes feus. Mon âme prefTentoit tous les coups don: elle alloit être atteinte, ck cette pré- voyance malhëureufe porta le trouble & l'inquiétude au fein même du bonheur. Peut-on jouir du préfent en redoutant Pa- venir ? CTeft pour bien des gens un mira- cle de fa nature , auquel je ne participai jamais.

Je partis après îa vifite de mon père; il s'occupa quelque temps de ma voix, qui étoit belle & très étendue ; il me conduifit chez le maître de mufique cle fa collégiale. Je ne pus former un Ton. Etes -vous sûr qu'il ait de îa voix? lui dit le maître. Oui fans doute , reprit mon père en me regar- dant de travers ; venez chez moi , il fera moins timide , & vous l'entendrez. Il y vint quelques jours après; il m'entendit & je fus reçu.

Je ne me rappelle qu'avec peine tout ce que j'ai fouflèrt pendant le temps que j'ai été attaché à l'égîife de Saint-Denis : mais

SUR LA MUSIQUE. 13

il eft poffible que quelques fragmens de cet écrit pafTent un jour entre les mains des chancines qui confient trop légère- ment ia jeunefïè à. des mains dignes touc au plus d'exploiter les mines du pays : le cjêfir fcul d'adoucir les peines de ces in- nocenres victimes me fait entrer dans le détail fuivant :

Quoique d'un tempérament fort dé- licat ç, les peines phyfiques n'ont jamais diminué mon courage : mes forces fem- Lîent s'augmenter avec le befoin qui les fait naître. Le moral , au contraire , eft chez moi très fufceptible , & toutes les puiiTances phyfiques font anéanties quand mon cœur eft oppreffé.

Je faifois fix voyages par jour, environ d'un mille , pour me rendre aux trois of- fices: j'euiTe fait ce trajet avec joie ; mais j'avois vu punir rigoureufement la moindre négligence même involontaire -, & îa crain- te de fubir un pareil traitement rne rendeit mes devoirs infupportables. Ce que je crai-

14 Essai

gnois arriva. Un jour que la pendule de mon père s'étoit arrêtée , j'arrivai trop tard aux matines, qui fe chantent entre cinq & llx heures du matin. Je fus puni pour la première fois ; on me fît tenir deux heures à genoux , au milieu de la clafTe. Que de mauvaifes nuits je pafTai enfuite ! cent fois le fommeil fermoit mes yeux , & cent fois la frayeur m'éveilloit. Je pre- nois enfin mon parti ; Ôc fans confulter ni l'heure ni le tems, je me mettois en route fouvent dès trois heures du matin , à tra- vers les neiges & les frimats : j'allois m'a£- feoir à la porte de Péglife , tenant fur mes genoux ma petite lanterné , a laquelle je réchauftois mes doigts. Je m'endormcis alors plus tranquillement ; j'étois sûr qu'on ne pourrok ouvrir la porte fans m'éveilïer. L'heure de ïa leçon ofTroit un champ vafte aux cruautés du maître de mufique : il nous faifoit chanter chacun à notre tour ; & k ïa moindre faute, il affommoit de fang froid le plus jeune comme le plus âgé.

SUR LA MUSIQUE. i ^

II inventoit des tortures dont lui feul pou- voit s'amufer : tantôt il nous mettoit à genoux fur un gros bâton court & rond , & au plus léger mouvement , nous faifions ia culbute. Je lui ai vu affubler la tête d'un enfant de fix ans d'une vieille & énorme perruque, l'accrocher en cet état contre ïa muraille , à huit pieds de terre , & il le forçoit à coups de verges de chanter fa mu- fique, qu'il tenoit d'une main , & de bat- tre la mefure de l'autre. Ce pauvre enfant , quoique très joîi de figure , relTembloit à une chauve-fouris clouée contre un mur ôc perçant l'air de fes cris. C'étoit toujours en notre préfence qu'il accabloit de coups le premier qui avoit tranfgrefîe fes loix barbares. Dépareilles fcènes., qui étoient journalières, nous faifoient tous frémir; mais ce que nous redoutions le plus, c'étoit de voir terralTer le malheureux fous fes coups redoublés; car alors nous étions sûrs de le voir s'emparer d'une féconde , d'une troifième, d'une quatrième viclime, cou-

i6 Essai

pabîe eu non , qui devenoient tour a tour îa proie de fa férocité : c'étoit fa ma- nie. Il croyoit nous confaler l'un par l'autre 3 en nous rendant tous malheureux; & lorfqu'iï n'entendoit plus que foupirs & fangïcts, il croyoit avoir bien rempli fes devors.

Que Ton juge de ce que j'ai feuf- frir, pendant quatre eu cinq années que. j'ai parlé dans cette horrible inquiiition. J'ai été longtcrns le plus jeune , le plus foihle , îe plus fenfible, & cependant ïe moins maltraité: mais malgré rous mes ef- forts peur lui plaire, malgré les progrès rapides que je faifois dans la mufique, il fainiïbit la moindre circonftànce. pour me ranger dans la ciaiTe commune. J'étois la victime fans tache , réfervée pour hs gran- des occasions, & mes larmes avoient le droit de lécher celles du plus malheureux. J'eus beau employer îa douceur , le travail, la foumiffion , rien ne put me mériter un traitement pîusdoux. La feule bienveillance

que

SUR LA MUSIQUE. I y

mie je méritai ( du moins la regardois- je comme telle) ce fur d'être choifi par lui tous les deux jours , pour aller chez le marchand de tabac. J'avois foin d'ajou- ter quelques pièces de monnoie de mes petites- épargnes , pour que fa taba- tière rut mieux remplie : j'obtenois pour toute récompenfe un coup-d'œil d'appro- bation , & je me croyois trop heureux. Croira-t-on cependant, & c'eft. une bi- zarrerie inconcevable, que jamais je n'ai dit un mot à mes parens des peines que j'ai foufFertes? Mon père, qui étoit confi- déré du chapitre, & craint du maître de mufique, l'auroit perdu fans relTource, s'il avoit foupçonné ma fituation.

Si pendant ces miférables années, je n'ai pas tout-à-fait perdu mon tems , fi j'ai fait quelque progrès dans la mufique . (i j'ai acquis quelques foibîes connohTances, je n'obtins point cet avantage par les le- çons de Pinftituteur, mais malgré ces le- çons; car fi quelque chofe avoit été capable

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1 8 Essai

de détruire en moi ce goût inné, cet inf- tinét qui m'entraînoit vers la mufique , j'ofe affirmer que c'étoit la manière même dont on s'y prenoit pour me l'enfeigner.

Je dois ici parler d'un accident qui, je crois , a influé fur mes organes , relative- ment à la mufique. Je puis être dans l'er- reur ; mais il eft sûr que nul homme n'ofe- roit affirmer le contraire.

Dans mon pays , c'eft. un ufàge de dire aux enfans que Dieu ne leur refufe jamais ce qu'ils lui demandent le jour de leur pre- mière communion. J'avois réfolu depuis longtemps de lui demander qu'il me fît mourir le jour de cette augufte cérémonie , fi je n'étois deftiné a être honnête homme & un homme diftingué dans mon état: le jour même je vis la mort de près.

Étant allé l'après-dîner fur les tours , pour voir frapper les cloches de bois(i)

( i) Efpèce de bruit que l'on fubfîitue à celui des cloches ordinaires pendant la femaine-fainte , & qui n'a rien de -<bomnîun avec les crécelles en ufage à Paris & ailleurs.

SUR LA MUSIQUE. I <?

dont je n'avois nulle idée, il me tomba fur la tête une folive qui pejfoit trois ou quatre cents livres. Je fus renverfé fans connoif- fance.

Le marguillier courut a l'églife chercher l'Extrême-Onclion : je revins à moi pen- dant ce tems , ôc j'eus peine à reconnoî- tre le lieu j'étois : on me montra le fardeau que j'avois reçu fur la tête : Allons , dis-je en y portant la main , puifque je ne fuis pas mort, je ferai donc honnête homme & bon muficien. On crut que mes paroles étoient une fuite de mon étourdif- fement. Je parus ne pas avoir de blelîure dangereufe ; mais en revenant à moi, je m'étois trouvé la bouche pleine de fan g. Le lendemain je remarquai que le crâne étoit enfonce', & cette cavité' fubfifte en- core.

J'étois peut-être arrivé à l'époque le caractère change; mais il e(t certain que je devins tout-à-coup rêveur d'habitude : ma gaîté dégénéra en mélancolie. La mu-

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io Essai

fique devint un baume qui charmoit ma

tritteiTe ; mes idées furent plus nettes, &

ma vivacité ne me reprit plus que par

accès.

Lorfque je travaille longtems, il me femble que ma tête a confervé quelque choie de rétourdiiTement que je fentis après le coup dont j'ai parlé.

Lorsqu'il fut queition de chanter au chœur, je m'en acquittai très mal ; la ti- midité m'en ôtoit ies moyens : on prit patience quelque tems; mais comme per- fonne ne fe chargecit de me raiTurer, ma crainte ne diminua point; & après quel- ques efTais également infructueux , il fut refoîu qu'on prieroit mon père de me re- prendre.

Je ceiTai d'aller k l'école de chant ôc anx offices, mais ]e confervai ma place. Mon père me donna un maître , nommé M.Lederc; aujourd'hui maître de mufique à Strasbourg. II étoit doux & bon : je pro- fitai de fes leçons.

SUR LA MUSIQUE. 21

Il arriva dans ce tems une trouoe de chanteurs italiens , qui s'établit à Liège : elle repréfentoit les opéra de Pergoleze, de Buraneïlo, &c. Mon père pria le directeur, nommé Refta, de me donner mon entrée à l'orcheftre; il y confentit. J'aiTiflai pen- dant un an à toutes les repréfentations , fouvent même aux répétitions : c'cft je pris un goût paiïionné pour la mu- fique.

Mon père, qui avoît fuivi mes progrès, fentit qu'il étoit tems de reparoître à Saint- Denis. Il alla trouver le maître de mufique, le pria de me laifTer chanter un motet le dimanche fuivant. Le maître lui reprefenta qu'il étoit dangereux de m'expofer une fé- conde fois, d'autant plus que les chanoi- nes prendroient sûrement le parti de me renvoyer tout a fait, fi je- ne réuffilTcîs pas mieux. J'y confens, dit mon père, s'il ne chante pas mieux que tous les muficiens de votre collégiale. Ce ton d'afïurance fit accepter la propofition , fans toutefois inf-

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n Essai

pirer une grande confiance au maître de muiique. Le grand joui arrive enfin : mon père me conduit à l'églife. Je me rappelle qu'en chemin il me dit : Vous voye^, mon fils , cette tabatière ; c 'ejl la plus belle que j'aie , & je vous la donne fi vous chante^ bien. Ma bonne mère fe rendit aufli a l'é- glife en tremblant. L'amour - propre de toute la famille avoit été humilié , & j'ai- lois tout réparer en un moment, ou con- firmer l'opinion établie dans le bas-chœur, que je n'étois pas pour être muficien.

J'arrive ; tout le monde me regarde avec pitié; on fourit, on ricanne. Le maître de muiique me dit: Te voilà donc; mais tu n'es pas changé? Il n'en falloitpas davan- tage pour me rendre toute ma timidité \ mais j'avois un foutien qui n'étoit connu que de moi. J'avois , depuis un an , une dévotion à la Vierge , qui aîloit jufqu'à l'idolâtrie (i); je venois de faire une neu-

(i) Les hommes qui connoiflent le cœur humain ne trouveront point étrange que dans un pays les opinions

SUR LA MUSIQUE. îî

vaine pour implorer Ton fecours ; & la pro- tection du ciel me fembloit plus sûre que la prédiction du maître de mufique. Cette perfuafion me fauva.

Le motet que je chantai étoit un air ita- lien traduit en latin , fur ces paroles à la Vierge," Non femper fuper prata cafta flo-* refcit Rqfa. » J'eus à peine chanté quatre rnefures, que l'orcheftre s'éteignit jufqu'au pianiffimo , de peur de ne pas m'enten- dre (i>). Je jettai dans ce moment un coup- d'œil vers mon père , qui me répondit par un fourire. Les enfans-de-chœur qui m'entouroicnt fe reculèrent par refpe£tj les chanoines fortirent prefque tous de leurs formes , & ils n'entendirent pas la fon- nette qui annonçoit le lever-Dieu.

Dès que le motet fut fini, chacun féli- cita mon père : on parloit fi haut, que l'of- fice auroit été interrompu , fi le maître de

religieufes ont confervé beaucoup d'empire , un enfant timide & trèsfenfïble prenne ainfî le change dans le pre- mier développement des fentimens de Ton cœur.

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24 Essai

mufique n'eût impofé filence. J'appcrçus dans ce moment ma bonne mère dans î'églife ; elle efïuyoit Ces larmes , ck je ne pus retenir les miennes.

■Après la mefTe, je fus entouré de toi ïe chapitre. M. de Harlez fur-tout , qui étoit grand muficien , me promit fes bon- te's , qu'il m'a toujours confervées : j'en parlerai dans la fuite. On faifoit mille quefëions a mon père : Quel eft donc ce miracle? a-t-il pris ce goût de chant? îï chante aufil purement dans le goût ita- lien que nos meilleures chanteufes de l'O- péra. Mon père dit alors qu'il me condui- foît avec lui a tontes les repréfentations.

Mon petit triomphe fit du bruit ; les chanoines en parlèrent à la repréfentation du foir (i). Le dimanche fuivant je chan- tai encore par ordre du chapitre. J'avois un nombreux auditoire ; 6k ce qui me flat-

(t) Le prince-évêcjue aflîfte au îpeclacle , & par con- féquent le clergé.

SUR'IA MUSIQUE. 1j

toit le plus 3 toute îa troupe italienne , femmes & hommes , chacun d'eux me regardoit comme Ton élève.

Je chantai le même morceau , qu'on avoit redemandé. J'eus l'adreiTe d'y ajou- ter quelques tournures plus italiennes ; mon fuccès fut complet. II fignor Refta déclara qu'il donnoiî: les entrées de fon fpeclacîe à tous les enfans-de-chœur de la ville : aufïi vit-on chaque jour une troupe de petits abbés qui venoient apprendre à louer Dieu, a h faîle de îa comédie.

On eft curieux peut-être de favoir ce •que me dit le maître de mufîque dans ces circonfrances : pas grand'chofe. Il changea de conduite à mon égard ; il me traita comme un grand garçon. Le jour même que je chantai mon premier motet , il me préfenta fa main , que je ferrai , & il me dit fans me tutoyer comme auparavant : » Quoique vous n'ayez pas réufli comme » enfant-de-chœur , je prédis que vous » ferez bon muficien. » Je le remerciai ,

2.6 Essai

& lui pardonnai dans le fond de mon cœur toutes les cruautés dont il avoit em- poifonné mes premières années... Il mou- rut pendant mon féjour à Rome. Sa femme chercha à me voir au premier voyage que je fis à Liège : je ne pus me réfoudre à al- ler chez elle ; je n'aurois pu lui parler que de fon mari , ck fon fouvenir auroit flétri le bonheur dont je jouifïois au fein de ma patrie , qui m'accabïoit de bienfaits.

Après deux ou trois ans , ma voix ne tarda pas à fe reflentir du tumulte des parlions qui s'élevoient en moi. Mon trou- ble étoit d'autant plus violent, que je le cachois à tout le monde , & fur-tout au fexe qui en étoit l'objet. Toujours feul confident de mes defirs , je m'enfermois dans ma chambre pour me livrer à mon délire , & fouvent au défefpoir de ne pou- voir toucher le cœur de quelque Beauté, qui n'exiftoit que dans mon imagination : c'étoit cette timidité, avec laquelle je fuis né, qui me faifoit préférer des êtres fanta£

SUR 1 A MUSIQUE. 7. n

tiques a des êtres réels. Cette timidité' eft dangereufe , je l'avoue ; elle concentre le foyer des panions ; elle excite un feu qui ne pourroit que s'affoiblir en fe répandant au-dehors \ mais elle fert peut-être à pré- parer Pâme d'un jeune artifte qui doit peindre les partions. Le génie fe relâche par la jouilTance ; il s'échauffe par les defirs.

Il eût fallu dans cet inftant m'interdire ïe chant. On n'eut pas cette prudence ; chacun vouloit m'entendre & jouir le plus îongtems qu'il fe pourroit des reftes de ma voix , que l'âge devoit bientôt détruire ou changer , & moi-même je me difïimulois les efforts que j'étois obligé de faire. J'en fus puni ; je vomis le fang en fortant d'un concert, j'avois chanté un air fort haut de Galuppi. Quoiqu'il fe foit paffé envi- ron vingt-cinq ans depuis cet accident , je n'en fuis pas guéri ; il s'efl renouvelle à chaque ouvrage que j'ai fait. J'en ai une .(i grande habitude ; j'ai été traité à Liège, à Rome , à Genève , à Paris de tant de

Essai

manières différentes , que les perfonnes qui en font atteintes me fauront gré fans doute fi je leur fais part du régime qui m'a le mieux réufïï.

Si j'avois pu renoncer a toute efpèce de compofition , j'aurois obtenu probable- ment une guéiïfon complette; mais rien n'a pu m'arrêter , pas même la crainte de payer de ma vie le plaifir de me livrer à mon goût pour l'étude.

Je me rappelle une converfation que j'eus à Paris avec le docteur Tïonchin. Je vois, me difoit-il, comment vous vivez; vous êtes fobre ; vous fuivez le régime que je vous ai prefcrit : pourquoi donc ces re- chûtes continuelles? il faut que vous me difiez comment vous faites votre mufi- que. Mais, comme on fait des vers... un tableau ; ... je lis , je relis vingt fois les paroles que je veux peindre avec des sons ; il me faut plufieurs jours pour échauffer ma tête : enfin je perds l'appétit ; mes yeux s'enflâment; l'imagination fe monte;

SUR LA MUSIQUE. 1J

alors je fais un opéra , en trois femaines ou un mois. Oh l ciel l dit Tronchin , lailTcz votre mufique , ou vous ne guéri- rez jamais. Je le fens , lui dis-]e , mais ai- mez-vous mieux que je meure d'ennui ou de chagrin ?

Voici les confeils que je donnerois à ceux qui , travaillant comme moi , font fujets à cette maladie.

Ne vous faites point faigner pendant Thémorragie, fans la plus grande nécefïité : j'ai vomi jufqu'à fix ou huit palettes de (ang en différens accès , qui revenoient pé- riodiquement deux fois par jour Se deux fois par nuit : tout fe calme a la fin , en buvant un peu d'orgeat dans de l'eau de graine de lin : la faignée habituelle , en aflbibliflànt les vailTeaux, prépare de nou- velles hémorragies.

Après le dernier accès , je refte deux fois vingt-quatre heures couché fur le dos , fans parler & fans remuer : un affez gros volume de fang grumelé, que fon expeo

30 Essai

tore d'ordinaire pendant cet intervalle , an- nonce que la cicatrice eft formée ; il faut alors une huitaine de jours pour reprendre des forces.

Quant au régime habituel, purgez-vous au printems ck à l'automne, avec une mé- decine douce. On a voulu m'interdire î'ufage des purgatifs ; mais j'ai remarqué que la fermentation des humeurs me don- noit le crachement de fan g ; ou au bout de deux ans , j'avois pis encore , une fièvre tierce, ou putride; alors au lieu de quatre médecines que j'avois évitées , il en falloit prendre autant que ïa maladie l'exigeoit.

La Vie fédentaire d'un homme de ca- binet échauffe & tient en ftagnation l'hu- meur, qu'il faut néceiTairement expuïfer avec précaution.

Prenez le matin une tafTe d'înfufion de fleurs d'ortie rouge: faites-y fondre un pe- tit morceau de colle de peau d'âne.

Si votre poitrine eft échauffée , ce que l'on apperçoit par un petite toux feche )

SUR LA MUSIQUE. *li

prenez du ilrop de vinaigre dans beaucoup d'eau. Si votre ellomac eft trop rafraîchi , prenez un verre de vin de Bordeaux après le repas. L'excès des rafraîchifTemens m'a donné une fois mon crachement de fang. Mon médecin ( i ) ne put l'arrêter au bout de cinq jours qu'avec des toniques. Je pris fix fois de la confection de jacinthe , après quoi l'hémorragie cefla.

GarantifTez-vous contre l'humidité des pieds pendant l'hiver; couchez- vous de bonne heure ; mettez vos jambes dans l'eau tiède , (i votre tête s'échauffe trop pendant le travail ; choififTez des aîimens fains & de facile digeftion , & laiiTèz les mets trop échauffons. Prenez un remède d'eau-froide tous les matins ; faites-îà dé- gourdir pendant l'hiver. Ne buvez pas de vin fans eau habituellement ; ne travaillez jamais après le repas: l'imagination eft fa- cile après la digeftion du dîner ; mais tra-

' ' *' ' ' "' ■— ^—»— «P-llll. I III I »■»! »l I I I

(i) M. Philip.

3^ Essai

vaillez rarement le foir , (i vous voulez une bonne nuit ôc un bon lendemain.

Voilà ce que l'expérience m'a appris ; voilà le régime que j'ai tenu, & probable- ment je lui dois une exiftenee fur laquelle on n'auroit pas compter beaucoup il y a vingt ans. II eft aifé à obferver ; mais il y faut ajouter une règle , fans laquelle tout régime en: inutile. Je dirai au jeune homme fougueux & plein d'imagination, qui s'a- bandonneroit à - la - fois a l'impulfion de Ion génie & a celle des pallions de fon âge : ce Si tu veux te livrer aux charmes de » l'étude, renonce aux plaifirs des fens; » finon la mort eii ton partage. »

Mon crachement de fang fut l'époque j'abandonnai le chant. Pavois déjà com- mencé a m'eccuper de la compofilion, fans règles, ni principe; J'avois même compofe un motet en chœur à quatre par- ties, Se une fugue inftrumentaïe, aufli à quatre parties : je m'y étois pris d'une ma- nière (i nouvelle, pour faire ces deux mor- ceaux,

SUR LA MUSIQUE. 33

ceaux, qu'un habile maître n'auroit pas dé- favoués, que je dois les rapporter, ne fût- ce que pour prouver combien l'émulation donne de courage & rend ingénieux. J'a~ vois commence' par la fugue , parce qu'on m'avoit dit que cette compofition étoit la plus difficile : cr fi je débute par une fugue , me difois-je en moi-même, j'étonnerai bien du monde, & cela fut vrai, J'avois une fugue en partition & à quatre parties ; elle étoit très bien faite, fort claire quoi- que très rigoureufe. Je fétudiai au point que j'en favois toutes les parties par cœur. Mille fois, dans mon lit, je me fignrois entendre exécuter ce morceau , & je l'en- tendois réellement.

Tel étoit le fujet.

Voici celui que je pris, mais un ton plus haut, pour mieux tromper l'auditoire.

•» m i m*mn*m r*—r- * 1— »— i— ^-— -^—y

c

34 Essai

J'eus la patience de travailler la fugue entière de cette manière, c'elt-à-uire, qu'en raifant" toujours le contraire de mon modèle , je le fuivois en tout point. On me crut un prodige , & je n'ëtois qu un adroit plagiaire. Le motet que je fis en- fuite ne m'appartenoit pas plus que la fu- gue. Je fuivis un autre procédé.

J'avois environ cent motets. en chœur, imprimés avec les parties féparées. Je m'emparai d'abord de la balTe chantante des cent motets, Se en les parcourant, je pris tantôt une phrafe , tantôt une demi- phrafe , félon que mes paroles l'exigeoient. Tranfpofer les tons , ajouter ou diminuer un tems dans une mefure, n'étoit rien pour ma patience : j'avois foin d'écrire fur un papier à part la page & la ligne j'a- vois pris cette baffe, après quoi je feuille- tai chaque cahier pour y prendre les par- ties ; fi la haute-contre fortoit de fon dia- pafon , je favois bien l'échanger avec la taille: enfin ie motet -fut fait, fut trouvé

SUR LA MUSIQUE. 35

harmonieux , Se ne fut pas reconnu. Je conviens qu'il n'étoit guère poMiblc qu'il le fur.

Ma confeience me reprochoïr cepen- dant cette manière de compofer en mo- îaïque : j'étois moins content que ceux qui m'entendoient; mais enfin j'avois pris un envasement avec les muficiens, il falloir continuer & faire mieux.

Je demandai un maître de clavecin à mon père. Il me donna M. Renekin , cé- lèbre organifte de Saint-Pierre à Liège. Je pris de lui, pendant deux ans, des leçons d'harmonie dont je profitai bien : cet hom- me étoit en tout l'oppofé de mon premier maître ; il avoit autant de douceur, de pa- tience Sz d'aménité avec fes élèves , que l'autre àffé&oil de morgue & d'inflexibi- lité. On deliroit fes leçons autant que l'on redoutoit celles du pédant orgueilleux Se barbare. Je me rappellerai toujours avec tendre (Te & reconnoiiTance ce que je lut dois, Se combien je jouiiïois en m'inllrui-

C 2.

3^ Essai

fànt avec lui dans une fcience que chacun

trouve abftraite & ennuyeufe»

Il m'apprit la règle ordinaire de l'o&a- ve par le renverfement des trois accords primitifs , l'accord parfait > la feptième de dominante & la feptième de féconde : ce qui fut fait & mis en pratique en deux mois de leçons. Il me donna un livre de baltes chiffrées , qu'il avoit fait & écrit lui-même : tous les écarts , les furprifes , toutes les refîburces de l'harmonie étoient f afTembïées & mifes en ordre dans ce ma- nuferit dont je regrette beaucoup la perte. Sa manière d'enfeigner mérite peut-être queïqu'attention : il mettoit autant d'ar- deur, il prenoit autant de part à la leçon > que s'il avoit fait pour lui-même autant de découvertes que j'en faifois pour mon compte. Il m'arrêtoit tout-à-coup fur un accord difîbnnant de feptième diminuée ; Par exemple : Ne bougez pas , mon ami , ne bougez pas , me difoit-îl ; vous allez de cette note fenfible, portant accord de

SUR LA MUSIQUE. 37

Septième diminuée, à Paccord parfait mi- neur, un demi-ton plus haut? Oui: < Monfieur , ne pourriez-vous pas me ren- voyer bien loin ? - Oui , MonGeur ,. je puis prendre une des quatre notes de l'ac*- cord pour fenftbïe , Se en prenant la tierce , j'îrois dans ce ton -. II fe ïevoit alors tranfporté de joie ; il marchoit à grands pas par toute ïa chambre, en riant de toutes fes forces ; je le fuivois en riant comme lui , & nous étions fouvent pendant cinq minutes dans cette efpèce d'enthou- fiafme, fans pouvoir nous retenir. C'étoit par inclination qu'il enfeignoit , & le paie- ment n'étoit qu'accefîoire.

Cet homme aimable y. avee lequel j'au- rois voulu paner ma vie, & que ïa mort a trop tôt enlevé , cet homme , dis - je , rempli d'efprit , de connoiflances & de candeur , avoit l'art d'entraîner fon élève par fintérêt qu'il prenoit lui-même à ïa choie ; & je puis dire avec vérité que cha- que leçon qu'il me donna pendant ces

38 E S S A I

deux an lices, fut pour moi un véritable divertiffement.

Ce que je viens de dire mérite d'èrre confédéré par les maîtres en tout genre, & je leur promets qu'ils feront très recherchés, qu'ils fe feront honneur de leurs élèves , & qu'enfin ils mériteront les éloges dus aux habiles maîtres , fi , pofTédant bien clairement les principes de leur art, ils fuivent les traces du célèbre Renckin.

C'eft à cette époque que je dois rappor- ter la véritable origine de tous les progrès que j'ai pu faire dans la mufique. C'eft alors que des foins convenables dévelop- pèrent très fenfiblement un germe qu'une mauvaife culture avoit failli d'étouffer ; mon exemple prouvera avec cent autres , que îa première qualité d'un maître , en quelque genre que ce foit, eft de s'attirer d'abord îa bienveillance de fon élève , & que fans le talent de s'en faire aimer , tons îes autres deviennent inutiles. Il eft indu- bitable que l'afpecl: toujours févère de la

SUR LA MUSIQUE. 3 Q

plupart des inflituteurs, le ton defpotique , ïes mauvais traitemens font diamétrale- ment contraires au but de l'inftiturion ; car feffét le plus commun de tels moyens eft d'infpirer pour la vie à prefque tous les enfans un dégoût invincible pour l'étude.

L'image de l'étude & celle du maître si-

>

dentifient dans leur efprit , & ils en con- çoivent pour tous deux une forte d'hor- reur (c).

Il en étoit tout autrement deM. Rene- kin : il redoubloit mon ardeur ; j'étois tout occupé de mon harmonie , elle me ren- doit heureux, grâce à fes foins.

Cependant mon père, qui avoxt été émerveillé de mes deux premiers morceaux de compofition , vint me trouver un jour dans ma chambre : Mon fils,, me dit-il , je ne fais comment vous vous y êtes pris pour faire votre fugue & votre motet? Je le fais bien, moi, lui dis-je en riant. I Eh bien! ajouta- 1- il, a préfent que vous connoiiTez l'harmonie , je doute en-

Essai

core que vous puiffiez , fans vous épuifer de fatigue , écrire correctement les chofes dont vous connohTez la marche harmo- nique ? Je vois , continua * t - il , tous les jours dans le'monde des hommes inftruits dont l'éloquence entraîne & perfuade ; s'ils s'avifoient Récrire ce qu'ils difent fi bien , peut-être ne les entendroit-on plus. Or donc (c'était fon expreflion favorite) i{ en efl de même d'improvifer fur un clavier ou d'écrire correctement en mufique ; croyez - moi , mon fils , il vous faut un maître de compofition , & j'ai fait choix çle notre ancien ami M. Moreau , maître de mufique de Saint-Paul; je lui ai parlé de vous , il vous recevra avec plaifir.

Dès le lendemain, je courus chez M. Moreau. Je lui portai une méfie, que je commençois. Oh ! doucement, me dit-il ; vous allez trop vite. II me rendit ma parti- tion fans la regarder , & il m'écrivit cinq pu fix rondes fur un papier : Ajoutez unç partie de chant à cette balTe, & vous me

SUR LA MUSIQUE. 4.1

l'apporterez ; fur-tout ne compofez plus de mette. Je partis un peu humilié. Je me difois en chemin : Mon père avoit bien raifon.

Je ïui portai fa baffe ornée de trois ou quatre chants difFe'rens. Vous allez encore trop vite, me dit-il ; je vous avois demandé note pour note fur cette baffe , & par mou- vement contraire } Dominus vobis cùm. Séparez ôc rapprochez les mains ; voilà ce que les parties doivent faire. Je fortis en me difant, voilà deux leçons dont je n'ai guères profité. Mais allons doucement, je vois bien que mon défaut eft d'aller trop vite.

Je n'eus pas affez de patience pour m'en tenir à mes leçons de compofition; j'avois mille idées de mufique dans la tête , & le befoin d'en faire ufage étoit trop vif pour que je pufle y réfifter. Je fis fix fympho- nies ; elles furent exécutées dans notre ville avec fuccès. M. le chanoine de Harlez me pria de les lui porter à fon concert ; il

4^ Essai

m'encouragea beaucoup ; me confeiïïa d'aller e'tudier à Rome, & m'offrit fa bourfe. Mon maître de compofition re- garda ce petit fuccès comme pouvant nuire à l'étude du contrepoint, qui m'étoit fi ne'ceiTaire : il ne me parla point de mes fymphonies (i). II n'en fut pas de même de M. Renekin. J'arrive un jour pour pren- dre ma leçon de clavecin ; il m'embra.Te, me fait afTeoir dans un fauteuil ; fe met a fon clavecin ; exécute un morceau dz mes fymphonies qu'il favoit par cœur ; revient à moi , en me criant , bravo ! bravo ! mon ami ; ah ! je fuis d'une joie. ... Je veux les jouer toutes fur mon orgue. Trop digne & trop aimable homme ! tu fentois les défauts de mon foibïe ouvrage ; mais au moins , encouragé par ton fuffrage , tu préparois les femences qui dévoient un

(i) Je n'étendrai point ici mes idées fur l'art d'enfei- gner , ni fur les différentes manières que l'infHtuteur doit adopter, félon le génie plus ou moins aâif de fon élève» Cet objet intéreïïant mérite d'être traité féparément.

y

SUR LA M 17 S I QU E. 43

jour germer & faire naître des productions plus dignes de l'émulation que tu m'inf- pirois !

Le projet d'aller étudier à Rome ne me quitta plus , & pour décider le chapitre à me laiîTer partir, je finis la méfie dont j'ai parlé. Je ïa fis voir a ,M. Moreau , en lui difant : Je conviens , Monfieur , qu'un écolier de ma forte ne doit pas entrepren- dre un ouvrage fi confidérable ; mais je fuis décidé à aller étudier à Rome : mes parens s'y oppofent , vu ma foible fanté ; mais duiïai-je y aller à pied & demander la charité fur les chemins, mon parti eft pris ; je le fuivrai. Voyez donc cette mefle, je vous en prie ; je veux, s'il eft poflibîe, engager le chapitre a rcconnoître mes fer- vices, & ne pas priver mon père d'une fomrre dont fa nombreufe famille a be- foin. Il vit ma mefle en quatre ou cinq féances ; il corrigea beaucoup de fautes de compofition , & il n'en trouva aucune contre l'expreflion.

44 Essai

Je me rappelle qu'il étoit revenu plufieurs fois au verfet qui tollis peccata mundiy S'a. Comment le trouvez-vous, lui dis-je? Je vous confeille de ne pas le laiffer, me dit-il. Pourquoi donc? On ne croira pas qu'il foit de vous. Cela m'eft égal; j'efpère que vous êtes perfuadé qu'il eft de moi 9 Se cela me fuffit.

Ce que je, dis prouve affez que c'en1 à la nature à faire les premiers dons a l'homme qui Ce deftine aux arts d'imagination.

Quelle eft, me dira-t-on, la nature que doit Cuivre le muficien? La déclamation juile des paroles. Je ne parle pas des efc fets phyfiques ,, tels que la pluie , les vents , ïa grêle, le chant des. oifeaux, les trem- bîemens de terre, &c: quoiqu'il y ait du mérite à bien rendre ces difFërens effets x le plus Couvent ils me font une forte pitié. C'eil comme quand on voit un bufte, colorié ou habillé, on recule d'effroi \ c'en; la nature trop fèrviïement rendue ; elle li plus de charme.

SUR LA MUSIQUE. 47

Je n'aime pas davantage les récits de combats , de tempêtes mis en mufique : c'eft, je crois, ïa faute de nos poètes, qui ralTemblent tant d'images dans un même morceau, que le muficien devient confus pour vouloir tout rendre : le récit dans le Huron , celui de la tempête dans le Ta~ ht 'eau parlant , ne me fatisfont point; fa chafTe de Tom- Jones a les mêmes défauts, quoiqu'en dile fauteur du mélodrame : il ne trouve rien de comparable à l'endroit qui dit en parlant du cerf, enfin tombe. . . . Cette expreffion muficale me paroît exa- ge're'e, lorfqu'il efl queftion de peindre un cerf prefque mort de fatigue avant de fuc- comber ( i ). Le récit que j'ai fait dans l'Amant - Jaloux , Viclimt infortunée . . .

(i) On peut objeder qu'en pareil cas , c'eft le ch?.fTcuc qui exagère ; voilà peut-ctre l'excufe du mufiden. Au refte , foit que j'approuve ou que je critique , l'on me per- mettra de prendre mes exemples chez les autres, lor(q:e je ne les trouve pas dans mes. ouvrages. La franchife avec laquelle je me critique moi même, prouve q<.ie je n'ai tn vue que l'avantage de l'art.

46 Essai

n'a pas ïe défaut de la furabondance , & je crois que les réflexions des deux femmes qui écoutent Léonore , ne contribuent pas peu a l'effet de ce morceau, qui auroit peut-être pris une tournure gigantefque, fi ces réflexions n'en euffent feparé les images, L'inexpérience s'ap perçoit da- vantage dans les comportions trop fur- chargées & produifant peu d'effet, que dans celles règne trop de (implicite ôc même un certain vuide. Voyez la mufique de PergoU^e. Le chant efl un defTein pur qui fuit la déclamation ; quelques notes d'accompagnemens lui ont fuffi pour com- pléter ion tableau. On pourroit fans doute multiplier les accompagnemens, fans nuire a fenfembîe ; c'en: ce que fait le muficien qui écoute. Je n'ai jamais entendu la Ser- vante-'Maître (fc , fans Elire dans ma tête quelques parties fatisfaifahtes., 6c j'étois en- chanté que fauteur m'eût laide ce plaifir.

J'entends fouvent les muficiens de ïa Comédie Italienne ajouter quelques notes

SUR LA MUSIQUE. 47

par-ci, par-là, à mes accompagnemens ; ce qu'ils ajoutent eft bien ; mais j'aimerois mieux qu'ils le laifTafTent faire aux fpe&a- teurs , qu'il faut aufli amufer. Si chaque exécutant avoit la même envie, que feroit- ce qu'un tel enfemble? Le muficien exé- cutant qui paife les bornes de fon devoir, non feulement fait la leçon au compofi- tcur, mais il fe donne, à l'égard de fes confrères, un ton de docteur, qui, à la longue, nuit fmguliérement à fa réputation. Si les comédiens donnent un jour un pou- voir moins limité à l'habile artiile , M. de la HoufTaye, qui conduit l'orcheftre , je ne doute pas qu'il ne réprime cet abus.

M. le chanoine de Harîez fit part au chapitre de l'envie que j'avois d'aller étu- dier à Rome, & il prit fes ordres pour faire exécuter ma melTe à la prochaine fête folemnelle , qui n'étoit pas éloignée. *

Allons, dit un chanoine , faifons ce que defîre ce jeune homme; mais je vous aver- tis, Meilleurs , que s'il nous quitte une fois,

48 Essai

nous le perdons pour toujours. On m'ac- corda une gratification.

Je portai ma méfie a l'abbé J***, alors maître de mufique , qui crut , ainfi que mon maître de compofition , qu'elle n'étoit pas de moi (1). Cependant il fallut obe'ir & battre la mefure : ce qu'il fit d'af- fez mauvaife grâce; mais mon père, pre- mier violon, étoit aimé de (es confrères : ils remarquèrent que le maître de mufique mettoit peu de foin à l'exécution > & cela ïeur fuffit pour redoubler leur zèle. Aufïi jamais ouvrage ne fut exécuté avec plus de chaleur.

La méfie fit plaifir; & l'on fe difoit dans îa ville : Nous avons entendu les adieux du jeune Gretry.

Il n'eft pas indifférent qu^un maître de mufique , c^eft-à-dire , celui qui bat la me- fure, foit aimé des muficiens qui exécu- tent fous lui. Le moindre gefte, le plus

(1) J'attefte cependant qu'elle ctoit mon ouvrage, & que je n'ayois pour cette fois ufé d'aucun ffratagême.

petit

SUR LA MUSIQUE, 49

petit coup de Ton bâton ou de fon pied , eir. faifi par tout le monde : c'eft un fluide qui fe communique dans tous les coins d'un orcheftre , quelque grand qu'il (bit ; mais je ne connois rien de plus fct qu'un batteur de mefure qui n'infpire pas de con- fiance: il frappe, il s'agite & ne produit rien : une autre fois, il fait le fîgne pour commencer ; il frappe majeflueufement ; mais les muficiens rebelles fe font donné ïe mot, Se perfonne ne commence... Il refte tout étonné , Se il voit que fon bâton de mefure, fans le fecours des exécutans, efr un infiniment de fort peu d'efTer. Ex- cepté dans les grands chœurs , je ie crois néceflaire ; au théâtre , il nuit à la bonne exécution , Se voici pour- quoi : Chaque muficien eft obligé d'avoir l'œil fur Ta&eur chantant, c'eft la feule manière de bien accompagner ; il en eft difpenfé quand on lui frappe chaque me- fure : car il ne peut & ne doit pas fuivre deux perfonnes à-Ia-fois. D'ailleurs , l'ex-

D

fo Essai

prefïion entraîne hors de mefure tout réci- tant, foit vocal ou inftrumental : malheur à celui que ce défaut ne furprend jamais.

Il eft donc clair que les fymphoniftes deviennent froids & indifTérens, quand ils ne fuivent pas directement l'a£teur ; le L-âton qui les dirige les humilie, leur ôte l'émulation naturelle a tout homme qui , pouvant obéir à fon principal 3 fe voit contraint de fuivre la loi d'un tiers.

Le bâton de mefure eft cependant né- ceiïaire au théâtre de l'Opéra, fouvent dans la coulirle, on exécute de grands chœurs , quand la fituation dramatique l'exige. Il ne faut pas croire qu'un group- pe de chanteurs ainfi éloigné puiife en- tendre f orcheftre , quelque nombreux qu'il foit : chacun chante à f oreille de fon voi- fîn, &" je me fuis quelque fois furpris chantant contre mefure & conduifant à faux le chœur qui mJenvironnoit. Le maî- tre des chœurs peut s'avancer & jetter un coup d'œil fur le bâton , direz-vous ; c'eit

SUR LA MUSIQUE. < i

ce qu'il fait : mais fi c'efl un chœur danfé & chanté ; fi une foule de danfeurs occu- pent l'avant - fcène , le bâton n'en1 plus vifible. Le barteur de mefure frappe alors fur fon pupitre ; ce qui eft très défagréa- ble à entendre , car il vous rappelle fur-îe- champ que vous êtes à la comédie (dy J'ai fouvent fongé aux moyens de remédier à cet inconvénient; je crois qu'on le pour- roit , en plaçant quelques gros tuyaux d'or- gues derrière la fcène, ou fous le théâtre même , en ouvrant le plancher par des trous aux endroits des tuyaux : le clavier feroit dans l'orcheftre, un organifte y tou- cheroit pour accompagner , guider les chœurs & les empêcher de fortirdu ton.

D'ailleurs ces excellentes baffes de 24, pieds, en renforçant l'harmonie, ajoute- roient finguliérement à l'effet.

L'on cherche les moyens de diriger les aéroitats, cherchons donc aufîi à perfec- tionner le plus beau , le plus noble infini- ment de mulique que nous ayons. L'orgue

D 2

Ji Essai

en effet feroit à lui feul un orcheftre fu- perbe, fi l'on pouvoit donner au Ton la gradation du doux au fort, à volonté de Torganifte. J'en ai parlé à M. Charles , Se il n'a pas cru cette découverte impoflible : c'eft , lui ai - je dit , \ 'étude de l'organe humain qui peut vous y conduire. La manière dont nous formons les fons, le développement ou ïe retrécillement que nous obfervons naturellement pour nuan- cer le chant, la manière dont un joueur d'inftrument à vent modifie les fons par les mouvemens des lèvres & le ménage- ment du fouffle , &c. font ce qu'il faut ap- profondir & imiter pour y parvenir.

Je ne puis fupporter longtemps le meilleur "orgue, touché par le plus habile organise : j'ai cherché la caufe de cet en- nui, Se i] provient fans doute de l'unifor- mité des fons ; l'artifte a beau changer de jeu , il retrouve par-tout des fons pleins Se fans nuances.

Un parleur monotone peut avoir un

SUR LA MUSIQUE. 53

Bel organe ôc dire de bonnes chofes ; il vous fait éprouver a la longue un maî- aife infupportable. J'ai remarqué , comme tout le monde , pîufieurs fortes de mono- tonies; celle qui eft produite par un fon filé fans nuances ; celle qu'occafionne la le&ure des grands vers , le fens fufpen- du à f émiftiche , finit trop fouvent à la fin du vers ; il vous refle dans ïa tête , après une longue lecture de vers égaux , un mou- vement involontaire de la quantité de fyl- labes, qui eft prefqu'aufïi défagréable que îe cochemar. Je crois même qu'un mouve- ment longtemps répété, agit fur la cir- culation du fane.

Peut-être tous les hommes îrobtien- droient point le réfultat d'une expérience que j'ai faite fouvent fur moi-même.

Je mets trois doigts de la main droite fur l'artère du bras gauche , ou fur toute autre artère de mon corps; je chante in- térieurement un air dont le mouvement de mon fan g eft la mefure : après quelque

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£4 Essai

temps , je chante avec chaleur un aîr d'un mouvement différent ; alors ]e fens diftînc- tement mon pouls qui accélère ou retarde fon mouvement, pour fe mettre peu-à- peu a celui du nouvel air.

Après cela , dira-t-on que les anciens avoient tort de dire que la murique ren- doit furieux, ou calmoit les individus bien organifes & pafîionnés pour cet art (i)?

Le printems approchoit , mais fes dou- ces influences n'infpiroient à ma famille qu'une fombre triflelTe. On ne croyoit pas que j'eufTe aifez de forces pour fupporter la fatigue d'un voyage de quatre à, cinq cents lieues que j'allois faire a pied. Ma bonne mère eut le courage , en répandant des larmes , de travailler elle-même aux petites nippes qui m'étoient nécefTaires. J'étois ïe feul de la famille qui parût avoir confervé

(i) Le mouvement, ou le rythme, agit plus puifTam- ment fur l'âme que la mélodie ou l'harmonie. On pourroit dire qu'il eiî pour l'oreille ce que la fïmétrie eft pour les yeux.

SUR LA MUSIQUE. JJ

de la gaîté : j'étois réfoïu & j'avois raifon de paroître tel ; c'étoit le feul moyen d'ob- tenir le confentement de mes parens. Je fus paffer une journée a Coronmeufe , chez ma grand'mère. Ses adieux étoient pour moi les plus cruels de tous ; car (on grand âge ne me lai (Toit pas l'efpe'rance de la revoir jamais : fa contenance à mon égard n'eft jamais fortie de ma mémoire. Elle me parla longtemps de mes devoirs envers Dieu , me recommanda beaucoup le foin de ma fanté. Elle remarqua fans doute avec plaifir le courage que j'affe&ois ; 6c dans la crainte de f affoiblir , elle s'effor- çoit de me montrer une phifionomie riante , dansîe temps que fes pleurs la trahifToient. L'exhortation que me fit fon fécond mari fut d'un genre tout différent : après dîner il me conduifit dans fon jardin ; il commença par m enfoncer fon chapeau fur ma tête, en me difant: Eh bien , Ro- drigue , as-tu du cœur ? Oui , vraiment , mon grand - papa. Tiens, me dit- il en

D4

5 6 Essai fouillant dans Tes poches , voiîà le preTent que je te fais. Il fort en même temps deux pifloîets, qu'il me préfente: Prends, garde, dit-il, ils font charges; n'en abufe pas, mon fils, je t'en conjure, mais fi quel- qu'un t'attaque Oui , oui , mon

grand-papa, je faurai bien me défendre. - Allons, voyons, je fuppofe que cet ar- bre eft un voleur qui te demande la bourfe ou îa vie, que feras-tu! Je lui dirai: Monfieur, fi vous êtes dans le befoin, je peux bien vous offrir quelque fecours ; mais ma bourfe toute entière , dans la fi- tuation je me trouve, c'eft ma vie elle- même. < Non, me répond mon grand- père en me montrant î'arbre , c'eft tout ce que tu poffedes que je veux avoir. Pan. . . Je tire un coup de piftolet contre l'arbre. II met le fabre à la main , s'écrie mon grand-père ... & je lâche mon fé- cond coup. Ma grand'mère enrayée, ac- court à la fenêtre en criant : Au nom de Dieu, que fa i te s- vous ? Je tue les vo~

SUR LA MUSIQUE. ^ 7

leurs, ma grancFmaman , lui répondis-je. Sou mari mit les deux piftolets dans ma poche c* nous rentrâmes. J'appris, en ar- rivant chez mcn père , que le mefTager qui devoit me conduire étoit venu a la maifon , & avoit fixé fon départ pour Rome à huitaine. CTétoit à la fin de Mars 1759, & j'avois par conféquent 1 8 ans. Je ne doutois pas que mon guide n'eût été bien careMë & qu'on ne lui eût promis une récom- penfe s'il prenoit foin de moi fur la route. Cet homme s'appelioit Remacle 3 & quoiqu'âgé de foixante ans , il faifoit par anne'e deux voyages de Liège à Rome & de Rome à Liège : il en faifoit quelque- fois trois. II étoit très honnête homme avec les jeunes gens qu'il conduifoit ou rame- noit, mais il étoit bien le plus fin des con- trebandiers : portoit en Italie les plus belles dentelles de Flandre, & les jeunes étudians qu'il conduifoit n'étoient qu'un prétexte pour cacher fon commerce. Il rapportoit de Rome des reliques Se de yieillfs p?n-

5 8 Essai

toufles du Pape ; il en fournifîbit tous les couve ns de Religieufes de la Flandre ôc des Pays-Bas. lien tiroit de l'argent, des dentelles , des préfens de toute efpèce. Cet homme e'toit riche ôc avare; nous lui di- rions fouvent : Veux-tu donc mourir fur les grands chemins, Remacle ? Il nous répon- doit avec fon air juif: Hélas ! je ne fuis pas auffi riche que Ton croit; d'ailleurs quand je ne fais qu'un voyage par année , je fais une maladie en automne, ôc j'aime mieux voyager.

Son trafic l'oblige oit de faire d'immen- Ces détours pour éviter les endroits il étoit foupçonné ; de manière que pour conferver fa fan , félon lui , il faifoit envi- ron deux mille lieues par année , portant deux cents livres fur fon dos.

Le jour de mon départ arrive enfin ; je îe defiroïs impatiemment. Je ne voyois que larmes ; je n'entendois que foupirs depuis huit jours. Le terrible Remacfe ar- riva au jour fixé : il entra chez mon père

SUR LA MUSIQUE. 59

fans fe faire annoncer; il étoit une heure après dîner. Son apparition fut un coup de foudre pour ma famille. Je ne lui donnai pas îe temps de parler : je faute fur ma valife , que je mets fur mon dos ; je me jette à genoux , les mains jointes , pour demander la bénédiction de mon père & de ma mère. Que Dieu te bénljfe , mon cher enfant , me dirent-ils : ck j'aveis dif- paru.

Le voifinage étoit aux portes pour me voîf partir ; je fis (igné à tout le monde de ne point m'arrêter, & mon vieux Mentor leur difoit en courant après moi : Soyez tranquilles, j'en aurai foin.

Que les larmes de ma mère & fur-tout de mon père me firent une vive imprefMonî leurs phifionomies refpeclabïes , étoit répandue la pâleur de îa mort ; leurs bras élevés vers îe ciel, pour f implorer en ma faveur , ce tableau pieux me fit une fbnfa- tion que je ne puis rendre.

Lorfque je fus en état de me reconnoî-

60 Essai

tre , je fentis mes iarmes couler, & je dis : O mon Dieu, permets que ta pauvre créa- ture (bit un jour îe foutien & la confola- tion de fes infortunés parens.

L'amour paternel & l'amour filial réfi- dent fans doute dans tous les cœurs , même les plus endurcis ; mais que les gens de haut parage font loin de favoir com- bien ce fentinient refpeclable efl plus vif chez les honnêtes bourgeois, fur- tout dans ies pays le luxe ôc la débauche n'ont pas mis de barrières entre les pères 8c leurs en- fans! L'habitude de vivre enfcmble , de fe chauffer au même feu, de boire au même vaie, de manger au même plat, répugne- roït fans doute à la nature factice du beau monde ; mais cependant avec quelles dé- lices je me rappelle ce cher & bon vieux temps ! J'ai puifé dans cette intimité l'a- mour éternel que je porte aux auteurs de mes jours. Eh ! quel eft le père qui ne fe contraigne quand il vit & agit toujours fous les yeux de Ces enfans ? Quel eft l'en-

SUR LA MUSIQUE. 6 I

fant qui puûTe compter fur l'amour pater- nel, au point de s'oublier (cuvent en fa préfence ? Un gouverneur , direz - vous , jouit de l'autorité d'un père : oui , mais l'enfant accorde- 1- il cette, autorité au maître que îa nature ne lui a pas don- née ? La nature ne perd pas fes droits , & à fept ans, un enfant fe dit : a II faut que » j'obeirTe à un maître que l'on paie peur » avoir foin de moi ; c'ed pour lui-même , » c'en1 pour fa fortune Se fa réputation » qu'il lui importe que je rempliffe mes » devoirs ; il n'a pas d'autre intérêt : mais » mon père eft mon Dieu fur la terre; je » fuis ce qu'il aime le plus dans ce monde ; » fes volontés font pures, & je fens que v fa raifon doit être ma loi. »

L'obéiïïance naturelle fait des hommes ; l'obéiffance forcée fait des efclaves , & je n'eflime guère plus fefclave des loix que le coupable qui les enfreint.

Mon vieux Mentor me conduifit dans fon village , à trois lieues de Liège ,

6z Essai

je trouvai deux étudians qui nous attenr tloient pour faire route enfembfe : l'un étoît abbé ; il me parut foible Se languit- fant , Se je fentis un retour de courage fur moi-même à l'alpeâ de ce frêle voyageur j l'autre étoit un jeune chirurgien ; il étoit gai, vif, fans fouci: je le jugeai un com- pagnon de voyage fort amufant, Se je ne me trompai pas.

Je témoignai à ces jeunes gens com- bien j'avois été fâché de ne m'être point trouvé chez mon père lorfqu'iîs y étoient venus pour faire ccnnoifTance avec moi. .Nous fûmes bientôt amis , fur-tout le jeune chirurgien Se moi. II me dit à l'oreille: « Que ce pauvre abbé , à fa mine alongée, » ne feroit que vingt-cinq lieues de fon n pied mignon ». J'avois remarqué, ainfî que lui , que notre abbé avoit le pied d'une longueur démefurée. Quanta vous, ajouta- t-il en fouriant, vous n'en ferez que cin- quante , Se j'en fuis fâché, car je vous aime déjà. Nous verrons cela , lui dis-je.

SUR LA MUSIQUE. 63

Nous partîmes donc le lendemain , à cinq heures du matin. Le ve'nérable Re- macle, l'abbé, le chirurgien & moi, & un gros garçon champenois nommé Bap- tifte, aiïbcié honoraire de Remacle, voilà ce qui compofoit notre caravanne. On nous fit faire dix lieues ce jour-là , à Tra- vers les bruyères Se les forêts des Arden- nés. Notre abbé ne mangea pas le foir; le petit chirurgien & moi nous dévorâmes. Tout en foupant , il me difoit : Je ferois fâché que notre abbé ne fît pas fes vingt- cinq lieues, car j'ai prédit qu'il les feroit.

Le lendemain , même promenade que la veille. Notre arrière-garde, c'eft-à-dire, notre pauvre abbé 3 arriva au gîte long- tems après nous. J'en étois inquiet : je vou- lus fortir pour aller à fa rencontre ; mais le petit efpiégle, fuppet d'Kyppocrate , me retint, en m'afîurant que l'abbé aîmeit à marcher lentement, & qu'il n'y avoit pas d'humanité à moi de vouloir prener (a marche.

64 Essai

arrive enfin , fe traînant à peine. Après qu'il fe fut repofé, il nous dit en verfant un torrent de larmes , qu'il n'avoit pas la force de nous fuivre ; qu'il reftercit quel- ques jours dans l'auberge pour guérir les plaies qu'il avoit aux pieds , & qu'il re- tourneroitenfuite chez fon père. Nous ap- prouvâmes tous fon projet , excepté le chi- rurgien qui ne dit mot. Les larmes de ce pauvre abbé redoublèrent, lorfqu'il parla de la furprife que fon apparition cauferoit à fon père ôz à fes parens, qui Pavoient tous comblé cïe préfens ôz de bénédictions au moment de fon départ , Se devant lef- quels il n'oferoit fe montrer fans honte. Remacîe le confoîa en lui apprenant qu'il n'étoit pas le premier jeune homme Lié- geois qui l'abandonnoit fur la route , & il lui en nomma plufieurs. Notre petit ef- piégfe , qui ne parioit pas depuis long- temps , demande enfin au mefTager, com- bien nous avions fait de lieues? « Hier » dix, aujourd'hui autant, & fi vous comp-

» tes

SUR LA MUSIQUE- 6$

■f> tez les trois îieues de votre ville à mon » village, cela fait vingt-trois lieues.» II s'approche de mon oreille en me difànt : Il en manque deux ; je fuis furieux. Tais- toi , barbare , lui dis-je. On fut fe coucher.

Croïra-t-on que notre chirurgien fuivit f abbé dans fa chambre , & parvint à lui perfuader qu'il devoit fe remettre en mar- che le lendemain? Il vifita fes pieds , lui panfa (es plaies , & ïon'que nous fûmes îe lendemain matin dans la chambre de l'ab- , croyant le trouver au lit , nous le vîmes tout habillé , le paquet fur fon dos & le petit drôle qui lui donnait le bras pour defcendre l'efcalicr. Malheureux , lui dis- je , tu veux donc voir périr ce pauvre abbé ?

Oh que non, que non , me dit-il; il a

prié Dieu cette nuit, M. l'abbé: tu es un impie , toi , tu ne crois pas aux miracles.

Le pauvre garçon fit encore trois lieues, aidé par le petit camarade qui le foutenoit ; mais une fois arrivé à f endroit nous devions déjeûner, il perdit le refie de fes

E

66 Essai

forces avec l'efpoir de nous fuivre. Je me mis en colère contre le chirurgien. Ne te fâche pas, me dit-il, il a fait vingt -cinq lieues, & je ne veux pas qu'il aille plus loin. L'abbé fe mit au lit , ôc nous le quit- tâmes en lui confeiïlant, après qu'il fe feroit bien repofé, de louer un cheval pour fe rendre chez lui.

Nous continuâmes notre route. Je m'ap- perçus vers le foir de ïa même journée, que notre brave lui-même refcoit en arriè- re, & qu'il faifoit d'inutiles efforts pour ne pas boiter : je le guétois fouvent ; je lui vis porter fon mouchoir a (es jeux en regar- dant le ciel avec fureur. Je m'afïïs un inf- tant pour l'attendre. Dès qu'il fut près de moi , je lui criai : Allons , courage , M. l'ab- bé ! Qu'appeles-tu , M. l'abbé?... voulut me fauter aux yeux ; je levai mon gros bâton: ohî ! jeune homme, lui dis-je, fais-tu que tu n'es peut-être pas ici le plus fort , fi ce n'eft en méchanceté ? Il me. regarda fixement ; & puis , prenant fon

SUR LA MUSIQUE. 67

parti : Allons, me dit-il, je fuis un chien, j'en conviens; mais, dis-moi, comment te trouves-tu? Pas trop bien , je l'avoue. « Pour moi , je foufTre horriblement, continua-t-il , &: je peux a peine me traîner. J'ai fouffert autant que toi ce matin , lui dis-je ; je me fuis efforcé d'aller, & main- tenant je me trouve mieux ; fuis mon exemple; efforce-toi, la même chofe ne tardera pas à t'arriver : allons , marchons. Je voulus lui donner le bras : Jamais _, ja- mais , me dit-il en s'éîoignant.

Le lendemain fut encore pénible pour nous ; mais dès que nous fûmes arrivés à Trêves , nous nous trouvâmes aguéris , faits à la fatigue .& aux injures du tems.

Un jour en entrant dans une auberge pour la dînée, une grolTe Allemande , maî- trefle du logis, me témoigna une tendrelTe toute particulière. Mon camarade me dit : Vois-tu y mon beau garçon , comme tu vas faire des conauêtes en chemin? Dès que nous fûmes à table, cette Femme vint m'ô-

E x

68 Essai

ter mon couvert pour en fubftituer un au- tre d'argent ; elle m'apporta enfuite un morceau de pâcilTerie très deîicate : j'en offris à mes compagnons , & ïe fuppôt d'Efculaps continuoit à me faire mille plai- santeries. Au deffert, elle revient avec un verre de liqueur, qu'elfe me porte elle- même a la bouche. Que fignifie cela, dis-je au mefTager ? Je n'en fais rien , me dit-il. Nous nous levons enfin pour partir. La maîtrefTe du logis vient à moi les bras ou- verts , me preiTe contre Ton fein en fon- dant en larmes & me difant mille chofes en allemand, que je n'entendois point.

Je fors avec mon efpiégle , qui rioit comme un feu : je ne riois point ; cette femme m'avoit attendri. Bientôt nous fû- mes fuivis du mefTager que nous attendions avec impatience; il nous apprit que cette bonne femme étoit mère d'un jeune hom- me auquel je refTemblois y & qui étoit parti depuis quelques jours pour aller faire Tes études à Trêves : il nous dit auffi qu'elle

SUR I A MUSIQUE. 6$

avoit abfoiument refufé le paiement de notre dîner ; qu'elle rnavoit beaucoup re- commandé à lui , Se s'étoit informée fi j'a- vois de l'argent pour aller jufqu'à Rome.

Quant à notre pauvre abbé, il avoit fuivi le confeil que nous lui avions donné. Après quelques jours de repos 3 il avoit acheté un cheval pour fe rendre chez lui. Ma mère , ( qui m'a conté ce détail , depuis) étant à la grand'mefTe de notre paroiiTe, aux fêtes de Pâques, dans l'inf- tant elle n'oftroit des vœux au Ciel que pour un fils qu'elle aimoit & qu'elle croyoit trop foibïe pour foutenir la fatigue d'un auffi pénible voyage ; l'imagination frap- pée des rêves de toute une famille alarmée qui me voyoit fars cefïe abîmé de fati- gue , pâle , déchiré 6k refpirant à peine dans le coin d'un cabaret; c'eft dans ce moment qu'elle apperçoit Pabbé. Ses yeux cherchent par-tout fon fils, qui doit être avec lui: la foule l'empêche d'approcher; mais elle ne le quitte pas de vue un indant;

Essai

>

elle parvient enfin à lui faire dire qu'eTîe délire lui parler. Quoi , Monfieur , c'eft vous! ed mon fils ? comment fe porte- t-il ? if lui apprit que je continuois coura- geufe.ment ma route , & il lui raconta fa déplorable hi Moire.

Ma mère l'entraîna a dîner chez elle, il fut bien carefîe ; mais la condition étoit rude , il fallut entrer dans les plus petits détails d'un voyage qui blefîbit fon amour-propre.

Cependant nous cheminions vers notre but allez péniblement : mais le chirurgien faïfoit fouvent diveriion à nos fatigues par fes efpiégîeries : en voici une qui me parut un peu forte.

Nous étions dans les environs de Trente. Pendant que nous nous reposons en atten- dant le fouper, il étoit allé, comme à fon ordinaire, fureter dans toutes les chambres êz embrafTer toutes les filles de l'auberge. S'il n'eût fait que cela , il eût été pardon- nable : cependant nous foupons & l'on

SUR LA MUSIQUE, 71

nous fert des mers que le meffager n'avoit pas demandés; enfuite plufieurs bouteilles de très bons vins étrangers : le petit chi- rurgien avoit l'air d'être du fecret, & il plaifantoit beaucoup , en difant qu'il ref- fembfoit trait pour trait à un jeune mari que notre hôteffe venoit de perdre.

Nous étions curieux , le meffager & moi , de favoir ce que cela fîgnifioit ; & , après le fouper, nous allâmes nous en in- former. Nous trouvâmes l'hôcefîè avec fon mari , âgé de quatre-vingt ans , & auquel le chirurgien avoit arrache' deux dents ; il avoit faigné la femme , qui n'étoit guère plus jeune ; il avoit faigné une jeune fille qui avoit la jauniffe. Abominable homme, lui dis-je , fais-tu alfez ton métier pour ofer porter la main fur un vieillard , une vieille femme prêts à defcendre au tom- beau? Sa réponfe me fit frémir. C'eft pour cela qu'il n'y a rien a craindre , me dit-il , ne faut-il pas que je m'exerce. Tais-toi , bourreau , lui dis-je, & feuviens-

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7^ Essai

toi bien que fi tu commets encore de pa- reils attentats , je te ferai arrêter à ïa pro- chaine ville.

Nous avions déjà parcouru une partie des états que pofsède la maifon d'Autriche dans le vcifinage des Alpes, Iorfqu'un jour notre mefTager nous perfuada dt faire un détour de deux lieues , pour nous procurer, difoit-il , la vue d'un fuperbe monaflère dont je ne me rappelle point ïe nom. Son emprelTement a nous donner ce plaiîir me parut fufpecî:, Se je crus , non fans raifon, que fon intérêt marchoit à côté de fa com- plaifance.

Arrivés dans le couvent, Remacle nous dit de voir ï'églife , les édifices Se les jar- dins, Se qu'il nous rejoindroit dans une grande falle qu'if nous montra , & j'ap- perçus beaucoup de perfonnes des deux fexes. On exerce ici fhofpitalité, me dit le chirurgien, Se c'eft probablement ce qui y attire Remacîe. Oui, répondis-je, Se fans doute auiîi quelques com millions pour ces

SUR LA MUSIQUE. 73

moines , qui me fembtent fort riches ; mais nous pouvons nous difpenfer de manger le pain des pauvres. Je fuis de votre avis, dit mon compagnon , mais nous irons voir comme on les traite.

Nous revînmes en effet dans cette falfe la charité chrétienne s'exerçoit d'une manière fi étrange, que je n'aurois pu y ajouter foi , fans en avoir été témoin ocu- laire. On faifoit une diflribution d'alimens: un gros moine très brutal , qui y préfidoit , frappoit les hommes , poufibit rudement les femmes &c les enfans , & avoit l'air de vouloir exterminer fon monde plutôt que de l'aider à vivre. Il venoit de mal mener un malheureux Français qui imploroit fon fecours, lorfqu'il nous apperçut & nous aborda , en difant en français : Vous avez bien Fa'r de n'être attirés ici que par la curïcfité. II eft vrai, lui dis-je, mon révé- rend père , que ce n'eft pas la nécefïité qui nousy amène; mais la beauté de votre monaftère & fur-tout le defir de contem-

74 Essai

pler Pafyle le malheureux voyageur eft reçu avec tant d'humanité , nous ont fait détourner de notre route. Faites-vous chaque jour, lui dis-je, autant d'heureux que j'en apperçois dans ce moment ? votre emploi eft celui de l'ange confoîateur, & toutes ces victimes de ïa misère doivent bénir ïe fondateur qui vous a fi richement doté, &t vous fur-tout, mon père, qui rem- plirez fes vues avec une douceur fi édi- fiante.

Le moine en courroux interrompit ce perfirlhge, en nous priant de fcrtir de la ialie. Echauffé à mon tour par fes mena- ces, je lui dis en élevant ïa voix : II eft évi- dent, mon père, que la mince portion de vos richefTes, que vous donnez aux pau- vres avec tant de regrets, eft une charité forcée , Se que vous êtes perfuadé que fecourir d'une main en feufrietant de l'au- tre, eft le plus sûr moyen d'éluder l'ordre du fondateur Se d'écarter ces malheureux; mais craignez que cette conduite n'attire à

SUR LA MUSIQUE. 75

la fin far vous quelques malédictions dont le pauvre fe réjouira.

Ces paroles véhémentes avoient excité l'attention des pauvres voyageurs , qui , fans doute applaudirent à ma colère. Je m'en apperçus au filence qui fe fit tout-a- coup dans ïa falle & à la confufion du moine.

Je forris alors avec mon compagnon, qui me dit : Bravo ! Ï3ravo , mon ami ! je voudrois que le maître de ces moines l'eût entendu : ta prédiction ne feroit peut- être pas vaine ( i ). Je gagerois bien , ajou- ta-t-il, que tu me permettrcis d'arracher a ce drôïe-là cinq ou fix dents. Oh ! tant que tu voudrois , lui dis-je.

Remacle, très mécontent de notre vifite chez les moines, fe hâta de regagner la grande route.

Nous traversâmes le Tiroï. Les avalan-

( 1 ) J'ignore fi ce monaflcre fe trouve au nombre des couvens fupprimés longtems après , dans les états de l'Em- pereur.

76 Essai

ges (on nomme ainfi la chute des neiges amoncelées, qui s'écroulent du haut des montagnes) formoient un bruit femblable k celui du tonnerre que vingt échos rendoient prefque continuel. Tout me parut origi- nal & romanefque dans ce pays montueux. Les femmes me parurent charmantes ; elles ont les traits fins & délicats , h ne eC- pèce de turban fort gros couvre leurs têtes, Se diminue encore les plus jolies perites mines que l'on puiffe voir. J'avois peine à leur pardonner leurs énormes baj> de laine qui avoient l'apparence de bottes fortes; mais lorfqu'on fait que cette chaulTure fert à garantir du froid une jambe de cerf & blan- che comme l'hermine , on envieroit le fort desTirolois quifeuls ont l'honneur d'affilier au débotté; leur taille eil élégante , d'ail- ïeurs, les deux extrémités du corps , le gros turban, Se les groifes bottes contribuent à les faire paroître fi fveltes que ce qui paroîc d'abord les défigurer devient un rafine- ment de coquetterie. . . Tel efl l'empire de

SUR LA MUSIQUE. 77

h beauté, nul coftume n'en obfcurcit le charme.

Un petit événement accrut beaucoup alors dans l'efprit de notre guide la confé- dération qu'il me temoignoit. A l'appro- che d'un petit bourg, je m'apperçus par Ces geftes & l'altération de Ton vifage qu'il étoit troublé de quelques craintes. Je lui en demandai le fujef. Ah! me dit-if, que je voudrois être à demain ! je pénétrai îa caufe de fes inquiétudes & je vis qu'il avoir befoin en ce moment de toute fa prudence & de la nôtre. Il m'exhorta a répondre laconiquement aux queiuons qu'on pour- roit me faire fur fon compte dans le bouras & à ne point parler des détours de notre route. Soyez tranquile, lui dis-je, fi nous babillons ce ne fera pas pour vous nuire.

Nous arrivons cependant dans le lieu tant redouté ; on nous fait entrer dans une grande fille - baffe , autour de laquelle beaucoup de voyageurs croient a (lis fur des bancs. Leur fiience , leur ennui,

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l'afpecl du lieu rendoient la fcène très lugu- bre. Remacle prit fa place dans un coin, pofantà Tes pieds fon énorme biffac. Bien- tôt après je vois entrer quatre efpèces d'aï- guafifs de finance que la mine de Remacle mauroit fait juger tels, fi je ne les eufTe ap- préciés d'avance. L'un d'eux va droit au paquet de notre guide & le fculève en marquant qu'il le trouve bien lourd. Re- macle fe lève le chapeau à la main & lui dit en allemand, qu'il étoit le conducteur de ces deux jeunes gens qui alloient étudier à Rome. L'archer vient aum-tôt à moi, Se médit: Vous êtes bien jeune & bien mai- gre , Mailicr , pour faire un fi grand voyage Ah! le courage, lui répondis- se, fupplée a la force, & j'ai bonne envie de m'iniîruire. Dans-ouelie feience? ... Je fuis compofireur de mufique, Aîcnker, & afTez connu déjà dans le pays de Liège... Diable, dit-il en fouriant Sz en s'afTeyanc près de moi. Ses confrères s'approchèrent en même tems , &: me firent d'autres quef-

SUR LA MUSIQUE. 7 Q

tions auxquelles je fis des réponfes rifibles qui les occupèrent affez pour donner îe tems à Remacîe de Te rafîhrer. II fe fentit même la force de payer d'audace ôc de faire un coup de maître. Il ouvre fon fac aux yeux de tous, en tire des hardes, du linge; puis une moitié de bas de laine garnie d'ai^uif- les à tricoter &: d'une très grofTe pelote de laine qu'il pofe fur les genoux, & voilà mon homme qui tricote d'un air tranquille. Ses genoux apparamment ne l'étoient point, car la pelote tombe & s'en va roulant dans les jambes des commis. Remacle fit une grimace effroyable. Je me lève très ïeftement , Se d'un coup de pied lui renvoyé fa pelote , en leur préfentant une bouteille de vin dont je propofai à ces Meilleurs de goûter ; ce qu'ils acceptèrent fans façon. Pour ache- ver la diverfion j'appelïai le petit chirugïen que je leur préfentai comme un garçon déjà très habile dans fon art. Cherchant toujours à exercer fes taïens; il leur offrît en

So Essai

effet Ton petit miniftère pour eux, leurs femmes & leurs en fans; mais ils n'en usè- rent pas comme de mon vin. La bouteille vuidée, ces IVleffieurs forcirent fans avoir chagrine' perfonne ck répétant dans leur baragoîn, moitié allemand, moitié fran- çais, que nous étions des jeunes gens beaucoup aimables.

Remacle vint aufïïtot à moi, me ferra îa main Se me témoigna par fes regards combien il étoit rcconnoiMant. II com- manda un excellent fouper Se du meilleur vin, Se ne cefla tout en mangeant de vanter ma prudence. A la fin du repas je îui dis: Eh bien! Remacle, vous voyez que nous fommes vos amis. Vous ne re- fuferez pas à préfent de nous dire ce que c'en1 que cette myfterieufe pelote de laine. Vous allez le favoir, dit-il, je n'aurai plus rien de caché pour vous ; il déroule en- viron un demi-pouce de laine qui étoit à la fuperficie, Se nous fait voir cinq cens aunes de dentelles de Flandres deflinées

à

SUR LA MUSIQUE. Si

à orner les rochets de nos feigneurs les cardinaux. Ah! mon ami, me dit-il, fi j'avais vu ma pelote entre les mains des archers , je croîs que je ferois tombé roide mort. Cela étant, dis-je, je me tiens fore heureux de vous avoir fauve la vie d'un coup de pied.

Nous nous levâmes îe lendemain avec alle'^rerTe aorès une bonne nuit, Se nous

or *

avions déjà fait trois lieues au lever du foleil.

Peu de jours après nous arrivâmes dans l'Italie : plus de rochers , plus de fri- mats ; la nature avoir changé de face en un moment : avec quel pïaiiir je me trou- vai tout à coup dans une prairie émaillée de fleurs! on eût dit qu'un génie bien- faifant nous avoit tranfporté de îa terre aux cieux. Je priai le mefTager de me îaiffer jouir un moment de ce délicieux afpecl ; mais quel fut mon raviffement îorfque j'entendis & pour la première fois les chants italiens ! c'étoit une voix de

8^ Essai

femme, une voix charmante, qui me

tranfporta par fes accens mélodieux; ce

fut la première leçon de mufique que je

reçus dans un pays je courois m'inf-

truire.

Cette voix douce & fenfible, ces accens prefque toujours douloureux, qu'infpire l'ardeur d'un foïeil brûlant , ce charme de i'ame enfin que j'allois chercher fi loin, Jk pour lequel j'avois tout quitté, je les trouvai dans une (impie villageoife.

Ii ne nous arriva rien de remarquable en traverfant l'Italie* Les campagnes du Milanais me ravirent par leur richefTe Se leur variété. La ville de Florence me parut un féjour délicieux. La nature eft animée différemment dans les pays chauds, & ï'homme du Nord qui s'y tranfporte pour la première fois ne peut fe refufer à ï'admîration.

Les contrées Septentrionales de PEurope n'ont guère produit d'artifte distingué qui n'ait fait un féjour plus ou moins long

SUR LA MUSIQUE. 83

en Italie. II femble que c'éft un tribut qu'il doit payer à ce climat privilégié qui en récompenfe allure fa réputation. Ceux qui ne peuvent acquérir que de î'efprit n'ont rien à faire en Italie. La logique des pays chauds eft Pa&ion même du génie qui dédaigne la forme ôc lafubtilité. Que l'homme du nord , qui s'eft vu au milieu de ces têtes bouillantes., dife s'iï ne s'eft pas fenti entraîné par elles, & s'il ne îeur doit pas le foyer qu'il rapporte en fa patrie ôc auquel il devra fes fuccès ?

A trente ou quarante milles de Rome le meflager nous dit qu'il falloït nous quitter, qu'il avoit beaucoup d'affaires dans les environs de cette capitale il n'arriveroit que huit jours après nous. Pré- fentez-vous le plutôt que vous pourrez au collège, nous dit-il, car je ne vous ai pas informé que deux de vos compatriotes font partis de Liège avant nous; on die qu'il n'y a que deux places vacantes, & vous {avez qu'elles appartiennent à ceux

Fa

84 Essai

qui arrivent les premiers... Nous prîmes

une voiture & nous partîmes.

Je fus ravi du fpeébcle qui s'offrit à nos yeux en entrant dans Rome; c'étoit un dimanche, vers quatre heures après midi, & le printems répandoit dans fair une chaleur douce qui invitoit à îa mélancolie. Ajoutez à cela l'appareil d'un nombre infini de voitures remplies de belles dames qui chantoient fans doute l'italien bien mieux que ma petite villa- geoife. Mon imagination étoit dans un délire charmant, ck fouvent pendant mon féjour a Rome, je fuis retourné à la porte du peuple pour me rappeller le plaifir que j'avois eu en voyant cet endroit pour îa première fois.

Nous fûmes admis au collège le chirur- gien, moi, & les deux jeunes gens dont îe meffager nous avoit parlé , qui arrivèrent deux jours après nous: Remacle avoit raifon, il n'y avoit que deux places vacantes, mais nous avions de fi bonnes

SUR IA MUSIQUE. 8^

recommandations, qu'on nous reçut tous ïes quatre , en nous mettant deux dans une chambre, (e). Je parcourus tous les palais 6x les églifes de Rome avec fardeur d'un jeune homme qui voit des chef-d'œu- vres dont la renommée avoit frapé depuis longtems fon imagination. J'allois chaque jour entendre les offices en mufique dans les églifes. Cafali, Eurisechio, Fabbé Luf- trini, Joanini del violoncello , étoient les maîtres de chapelle les plus en vogue.

Je trouvai à Cafali beaucoup de grâces & de facilité & fur-tout une figure aimable ; je conçus de Peftime pour lui ôc -je me promis de le prendre pour maître.

Eurifechio étoit plus foigné dans fes comportions, plus vrai dans Fexpreffion; mais l'air grave & important qu?if afTec- toit en faifant exécuter fès ouvrages, me fit préférer Cafali.

L'abbé Luftrini avoit du mérite auflî; élève de Eurifechio, il en avoit pris le ftiïe & avoit confervé à la mufique d'égïife,

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f auftérité & la nobleffe que l'on ne devroit jamais abandonner ; mais il faut plaire, même à feglife: on entend une rumeur fourde îoriqu'un morceau plaît ou déplaît. La féduction gagne les maîtres de chapelle, & ils finifTent par confondre le genre de mufique d'églife Se celui du théâtre.

A la fin du règne de Benoît XIV. les abus furent portés fi loin que le Pape qui n'étoit rien moins que cagot , fut obligé de faire transférer le Saint Sacre- ment dans une chapelle latérale pour empêcher l'irrévérence des Romains qui, tons attentifs & les yeux fixés fur les muficiens , tournoient le dos au maître- autel. II défendit aufîi les tymballes Se toutes fortes d'infîrumens à ventç, ordonna aux maîtres de chapelle fous peine d'a- mende de finir les offices de Paprès dîner avant la fin du jour. Les ordres du pontife fubfiftoient encore pendant mon féjour à Rome, & c'étoit, je crois, la féconde année du règne de Clément XIII, Rezzonico.

SUR LA MUSIQUE. 87

D E

LA MUSIQUE D'ÉGLISE.

U n compofiteur qui travaille pour l'églife devroit être très févère ôc ne rien mêler dans fés comportions de tout ce qui ap- partient au théâtre.

Quelle différence en effet entre le fenti- ment qui règne dans les pfeaumes, les antiennes, les hymnes ckc. & la véhé- mence des paiïions de l'amonr 6c de la jaloufie! L'amour proprement dit, ne doit avoir aucun rapport avec l'amour de Dieu , îors même qu'il en tient îa place dans îe cœur d une jeune femme. Tous hs fen- timens qui s'élèvent vers la divinité doi- vent avoir un caractère vague 8c pieux. Tout ce qui n'eft pas à la portée de nos connoifTances nous force au refpecl:; les extafes mêmes qu'éprouvèrent certains

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88 Essai

perfonnages pieux dont parlent ïes légen- daires , feroient indignes de la Divinité, fi elles n'avoient que les caractères de l'a- mour profane.

Le Stabat de Pergolèze me paroît réunir tout ce qui doit caractérifer la mufi- que d'églife dans îe genre pathétique; la fcène eft trop longue cependant, & l'on fent que Pergolèze, malgré fes efforts, n'a pu trouver encore afiez de couleurs pour varier fon tableau fans fôrtir de ia vérité. Si l'auteur ce cet œuvre facré avoit fait parler les larrons préfens à la fcène du calvaire ; fi TVÎagdelaine avoit dit à la Mère de Dieu : « Vous pleurez votre 3i Fils, ô Marie; mais ce Fils eft un Dieu 33 qui confent à fouffrir; fa gloire eft y? immortelle comme la vôtre; mais, moi 33 malheureufe pécherefTe, je gémis fur y> mes fautes pafTées; îe remords, & la 33 crainte habitent dans mon cœur, tan- 3-» dis qu'une douleur plus tendre fait cou- 7) 1er vos larmes... Alors ïe mufkien au-

SUR LA MUSIQUE. 8^

roit fait un ouvrage parfait, qu'il n'a pu foire en voulant exprimer toujours au naturel plufieurs ftrophes qui ont entre elles trop de rapports. On fent ,bien que cette obfervation eit pour l'auteur des pa- roles plus que pour celui de la mufique. II étoit pofiibïe fans doute de jetter plus de variété dans la mufique du Stabat, tel qu'il eft; mais je crois que c'eût été aux dépens de la vérité.

Un muficien qui fe voue a îa mufique d'églifeeft heureux cependant de pouvoir a fon gré fe fervir de toutes les richëfTes du contrepoint, que le théâtre permet rare- ment. La mufique d'une expreffion vague a un charme plus magique peut-être que la mufique déclamée , & c'efî. pour les paro- les faintes qu'on doit l'adopter.

La mufique profane peut employer quelques fermes confacrées à l'égiife ; on ne rifque jamais rien en ennobliffant les pallions qui tiennent a l'ordre & au bonheur des hommes.

Essai

La première fe dégrade fi elle fort de fes limites; la féconde s'enrichit en s'enno- bliffant des traits de fa rivale.

L'étude de l'harmonie; le beau idéal harmonique, eft fpécialement ce que doit chercher le compofiteur dans le genre facré. Le Stabat du divin Pergolèze a plus encore, il réunit fouvent le beau idéal de ï'harmonie & de la mélodie. Je dis donc encore que tout ce qui n'eft point a portée de notre compréhenhon, foit myftère ou révélation , nous force au refpecl, & exclut par cette raifon toute exprefïion directe.

Vouloir faire fortir la mufique d'églife du vague myftérieux qui lui eft propre eft, je crois, une erreur.

Laifîbns à la mufique du théâtre les avantages qui lui font propres, & croyons que le muficien qui fe deftine à féglife eft heureux de fefervir dans ce cas propos, de la métaphyfique du langage mufical.

Au théâtre il faut Fexpreffion exacte de îa fîtuation & des paroles , parce qu'elles

SU^R LA MUSIQUE. K) t

ont un fens déterminé, & que l'expre/Tion vraie de la mufique fortifie la fituation & fait entendre les paroles même à travers les accompagnemens. Voici ce que fobfèrve , autant qu'il m'efl: pofTible, dans mes com- portions théâtrales ; je commence prefque toujours chaque morceau par un chant dé- clamé, afin qu'ayant un rapport plus intime avec le drame, le début s'imprime dans la tête des auditeurs. Je déclame de même tout ce qui conftitue le caractère dn'per- fonnage; j'abandonne au chant tout ce qui n'eft qu'agrément ou arrondiiïèment de la phrafe poétique; la mélodie nuiroit aux mots techniques, elle embellit tout le îe refte. Si un mot a befoin d'être bien entendu pour l'intelligence de la phrafe, que ce foit une bonne note qui le porte. Si vous établirez un forte d'une ou pïu- fieurs mefures dans votre orcheftre, que ce foit fur des paroles déjà entendues; car un mot néceffaire, perdu dans l'or- cheftre, peut dérober entièrement le fens

92/ Essai

d'un morceau. Si l'auteur du drame, en- traîné par le befoin de rimer, vous a donné quelques vers inutiles ou nuifibles à l'ex- preffion; fi vous craignez un vers de mau- vais goût qui peut révolter le parterre, dans ce cas rendez fervice au poëte , en couvrant les paroles d'un forte. Il eft difficile, je l'avoue, d'appliquer ces pré- ceptes par la feule réflexion, il faut que ïa nature nous ferve pour être fimple, riche &vrai en les pratiquant. Mais fi après avoir médité une poétique on étoit poëte, qui ne voudroit être un Boileau? il ne fuffic pas au théâtre de faire de la mufique fur les paroles, il faut faire de la mufique avec les paroles.

Il refle encore au muficitn harmonifle un champ vafte pour la mufique d'églife , s'il n'a pas un génie aclif ; il refle encore à celui qui eft doué d'une tournure d'efprit originale, mais qui n'a pas le goût, le tacl: néceffaire pour bien daller des penfées neuves & piquantes, en s'aftraignantpar-

SUR I A MUSIQUE. Q3

tout a fexpreffion & a la profodie de la langue; il lui refte, dis-je, îe talent de faire une bonne fymphonie, & quoi qu'aie dit Fontenelle, nous favons ce que vaut une fymphonie de Haydn , ou de GofTec.

J'ai commencé un De profanais félon les idées que j'ai de la mufique d'églife ; j'y travaille rarement, & Iorfque je ne fuis pas preffé par mes ouvrages drama- tiques. J'ai d'ailleurs, je l'espère du moins, îe tems de le finir, car je ne veux pas qu'il foit exécuté de mon vivant. Quand il fera tel que je le defire, je le mettrai fous envelope., avec cette infeription : Pour être exécuté à mes funérailles. Cette idée n eft pas trifte pour l'homme qui defire d'être regretté. Que celui qui a le moins d'amour propre dife, s'il ne voudroit pas l'être, & fi de toute manière cette idée eft fombre, j'en ai befoin pour traiter mon fujet.

Ma façon de vivre en Italie ne fut

94 Essai

pas celle que devroit avoir tout homme du Nord qui fe tranfporte dans les pays chauds, fur-tout ceux qui comme moi font d'une complexion foible. Mon délire étoit fi violent que je me rappelle d'avoir écrit a ma mère dans le mois de décembre fuivant, que je couchois couvert d'un feul drap de lit. J'attribuois ce phénomène à la chaleur du climat , & toute cette cha- leur étoit dans mon fang & dans ma tête.

La fatigue de mon voyage, les courfcs que je faifois dans les environs de Rome pour connoître les reftes précieux de l'antiquité, m'échaufferent au point que la fièvre me prit. A la féconde vifite du Médecin du Collège , un vieux hibou , nommé Pizelli , me dit d'un ton grave t bîfogna confcjfarfij il faut vous confefTer. Je me mis en colère en lui foutenant que je n'étois pas malade an point de craindre la mort. Il fortit furieux en difant que les Liégeois avoient tous des têtes de fer. Le re&eur vint me voir enfuite, pour me

5UR LA MUSIQUE. Q <

Sire que ïes médecins de Rome étoient obligés, fous peine d'excommunication, de faire confefler îeurs malades lorfqu'ils ïeur trouvoient de la fièvre deux jours de fuite: cet ufage eft louable en ce que fe malade n'eft point arTeéti a l'approche du confeffeur dont fafpect. produit très fou- vent des fuites fâcheufes quand la maladie eft devenue plus grave. J'eus la fièvre tierce pendant deux mois. Je brûlois de com- mencer mes études. Je n'avoïs d'après finftitution du collège que cinq ans à y demeurer, & deux mois de perdus me fèmbfoient une perte irréparable.

Le jeune chirurgien qu'on "m'avoit donné pour camarade, étoît infoutenable; notre chambre étoâ un cimetière, & me difoit d'un air tendre: Ah! mon ami, j'ai perdu mon tibia; & fi tu meurs tu voudras bien permettre.... Je m'arrangeai pour ne pas lui rendre ce fervice.

Je fis la connoilTance d'un organise , qui me dit avoir fait de bons élèves pour

9 6 Essai

le clavecin & pour la compofition. Je le pris pour maître fans trop de réflexion ; il m'enfeigna pendant fix ou huit mois , & je n'etois guère content de lui; fon doigter n'étoit pas naturel; fa manière de corriger mes leçons de compofition me fembloic pédante Cv sèche ; il acheva de me déplaire un jour en me parlant avec dureté : je lui répondis vivement; il fe leva pour aller tout conter à fa femme qui, je ne fais pour- quoi, me combla de carefles depuis ce jour. Je mis bien dans ma tête que je quitterais cet homme; mais , me difois-je, il confer- vera de moi un tyifte fouvenir, &z il va croire dans l'état je fuis, que je ne puis ceiTer d'être un ignorant ; il faut lui donner des regrets. Je m'avifai de lui écrire que je m'etois foulé un pied. Je refiai enfermé dans ma chambre pendant fix femaines, jouant du clavecin ou écrivant des fugues depuis le matin jufqu'au foir. J'avois un recueil de fugues du célèbre Durante, que je jouais fans ceife & que je cherchois a

imiter

SUR LA MUSIQUE. C)y

imiter dans celle que je faifois. Je me rendis chez lui enfin .... Oh ! mon pauvre ami, me dit-il en me voyant , vous avc^ perdu bien du tems,& il nous faudra re- commencer fur nouveaux frais. Je ne le crois pas , lui dis-je ij'td eu mal au pied , mais ma tête étoit faine. Voilà un cahier de fanâ- tes <& Durante, que f ai bien étudiées , & voilà trois fugues fort longues quej 'ai écrites avec foin. II fit un éclat de rire. Voyons d'abord notre clavecin. Je jouai toutes les fonates de fuite fans m'arrêter , 6c il s'écrioità chaque înftant ; bravo ! bravo , monfiou ! bravo -,fignor Andréa ! II fe levé fans me rien dire , il va chercher fa fem- me , fa fille Se fon fils. Venez , leur dit-il, être témoins d\m prodige ; il joue du cla- vecin à merveille, & il ne favoit rien. Il n'y a que la madonna fantlffima qui aie pu faire ce miracle. Jouez, fignor Andréa; écoutez , ma femme , mes enfans , &: je recommence le morceau que j'aîmois le mieux. La fignora me fit des révérences,

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98 E S S A I

fon fils m'embraila. Voyons , voyons, dit mon maître , voyons les fugues , c'eft le difficile ; oui , monfieur , lui dis-je , mais j'ai tant étudié Durante que j'ofe efpérer qu'il m'en eft refté quelque chofe. Il prend mon cahier ; croira t-on que mes fugues ëtoient fans fautes. Et ce pauvre homme, les yeux pleins de larmes , difoit : o Dio ! . . . 0 Dio fantijjimo ! . . . quefto c un prodiggio davero.

Je fortis bien content de chez lui , ôc bien refolu de n'y plus rentrer. On croira peut être que mes progrès étoient une fuite naturelle des leçons qu'il m'avoit données ; non : fécondé par la nature, j'avois au con- traire été obligé de faire des efforts terri- bles pour oublier ce qu'il m'avoit appris.

Je me fuis reffenti toute ma vie de fes mauvais principes fur le doigter , chofe bien importante pour les élevés de clave- cin. J'ai d'ailleurs contracté, depuis, l'habi- tude d'efTayer fouvent mes idées fur le clavier en tenant une prife de tabac dans

SUR H MUSIQUE. 99

mes doigts ; je n'ai donc que trois doigts de la main droite , & lorfque je m'en donne deux de plus , je ne fais qu'en faire. On dit cependant que j'exécute ma mufique mieux que perfonne ; c'eft fans doute la vérité de l'expreffion qui couvre les défauts d'exécution.

On accorde a bien des gens le talent d'exécuter parfaitement à livre ouvert: je n'ai jamais rencontré ce phénomène , à moins que îa mufique nefoit aifée ou ressemblante a d'autre mufique. Je fais que l'homme qui veut foutenir la gloire d'exécuter a la premiè- re vue, montre toute la haidiefTe de l'hom- me qui eft fur de fon fait : mais c'eft l'au- teur lui-même qu'il faudroit fatisfaire dans ce cas > & non des auditeurs qui ignorent l'expreffion jufte d'un ouvrage qu'ils ne connoîftent pas , & qu'ils croient bien rendu parce qu'on le leur exécute har- diment. Je rencontrai jadis à Genève , un enfant qui exécutoit tout à la première vue- fon père me dit en pleine anemblée :

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ioo Essai

pour qu'il ne refle aucun doute fur le ta* lent de mon fils , faites lui pour demain , un morceau de fonate très -difficile. Je lui fis un allegro en mi bémol > difficile fans affectation ; il l'exécuta , & chacun , ex- cepté moi , cria au miracle. L'enfant ne s'étoit point arrêté : mais en fuivant les modulations , il avoit fubflitué une quan- tité de pafîages à ceux que j'avois écrits. Je ne tardai guère à me faire préfenter au fignor Cafali. Le titre d'élève del fignor*** ne fut pas bien pompeux à fes yeux. II me fit & pour la troifième fois , recommencer les premiers élemens de la composition.

Lorfqu'Un élevé change de maître , il fait bien de recommencer fes pre- miers principes > pour fe mettre au fait de la nouvelle manière qu'il va fuivre ; il marche très-vite lorfqu'on lui fait faire les chofes qu'il connok; mais fur la route il rencontre des procédés qui lui font né- ceiiaires pour bien comprendre fon nou- veau maître.

SUR LA MUSIQUE. 101

J'ai fouvent penfé, qu'on ne doit pas garder îe même maître pendant le cours d'une éducation quelconque ; nous ne favons que fort tard à quoi la nature nous a deflinés ; & c'eft en fe meublant la tête de plufieurs manières &: de diffère:: s prin- cipes que le germe du talent peut fe dé- velopper. Notre génie , ( car chacun a le lien ) n'indique pas toujours ce qu'il aime ; mais offrez lui des objets, fût-ce par hafard , il faifit avidement ceux qui ont le rapport le plus intime avec fon orga- nifation Se fa manière d'être.

L'éîeve tire donc avantage de tout , même des erreurs qu'un maître ignorant veut lui infpirer. Il efl plus sûr d'ailleurs qu'il deviendra original , que s'il avoit fuivi le faire d'un feu! homme ; en effec qu'a t-on gagné , lorfqu'on eil devenu prefqu'aufli habile que fon maître , & que de loin ou de près on lui reffemble en tout ? Quelque chofe fans doute pour l'in- dividu mais rien pour le progrès de l'art.

iox Essai

J'ajouterai que l'élevé déjà avance ne doit pas être étonné lorfqu'en changeant de maître , celui-ci fembîe faire peu de cas du favoir qu'il n'a pas communiqué; fbn mécontentement vient fur-tout de ce que l'élevé n'a point fa manière mais il a vifé au même but , quoiqu'il ait pris une route différente pour y parvenir , & le maître , & P élevé ne tarderont point à s'entendre & à être contens l'un de l'autre. Ce fut pour moi une vraie jouif- fance que le cours de compofition que je fis fous Cafali , le feul maître que j'a- voue , & fous lequel mes idées ont com- mencé à fe développer.

Sa manière de compofer étoit la même que celle dont il fe fervoit pour m'expli- quer & corriger mes leçons. Toujours des effets (impies découîans naturellement du fujet de fugue qu'il m'avoit donné , & me permettant avec celui-ci , ce qu'il au- roit condamné dans un autre ; il m'en- feignoit en homme qui raifonne & qui

SUR XA MUSIQUE. 103

fàifit toujours l'efprit de îa chofe.

Il me conduifit de fugues en fugues à deux , à trois & à quatre parties , en me défendant bien de me livrer à d autre corn- pofition moins févère : je vois bien , me difoit-il , que vous avt\ des idées qui vous tourmentent , & que vous brûle^ d'en faire ufage ; mais fi malheur eu fement vous fai- tes une bonne /cène , on vous applaudira & vous ne pourre^ plus revenir à d'en- nuyeufis fugues ; je lui promis de ne faire autre chofe, & lui tins parole , à un elTai près qui ne me réuflit pas : le fait eft affez fingulier pour que je le rappelle.

Je mourois d'envie de voir M. Piccini dont la réputation étoit bien méritée. Il avoit donné depuis deux ans au théâtre d'Aliberti , la bonne fille , Se chofe rare dans ce pays , depuis deux ans Pon chan- toit fans cefTe cette belle produ&ion. Un abbé de mes amis m'offrit de me con- duire chez fui \ il me préfenta comme un jeune homme qui donnoit des efpé-

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io4 Essai

rances: M. Piccini fit peu d'attention à moi , & c'efl: , à dire vrai , ce oue je me- ntais. Je n'avois heureufement ras bi.foin d'émulation; mais que le moindre encoura- gement de fa part m'eût faâ de plai^r! Je contemplois fes traits ;^7( c un fen liment de refpecl qui auroit îe flatter , fi ma timi- dité naturelle avoit pu lui lahTer voir ce qui paiïoit au fond de mon cœur.

Qu'une ame feniibïe eft à plaindre ! Elle fait faire toujours gauchement ce qu'on délire le plus ; li vous ne lui don- nez un lendemain , vous ne la connoîtrez jamais. O ! grands hommes ! O ! hommes en réputation , accueillez , encouragez îes jeunes gens qui cherchent à s'appro- cher de vous ; un mot de votre bouche peut faire écïore dix ans plutôt un grand talent. Dites-leur que vous n'êtes que des hommes, à peine le croient -ils; dites- leur que vous avez erré long-tems avant de découvrir les fecrets de votre art , 6c Part de vous fervir de vos idées ; mais

SUR LA MUSIQUE. Io}

qu'enfin il vient un inftant le chaos fe débrouille, & l'on eft tout étonné de fe trouver homme.

M. Piccinife remit au travail, qu'il avoit quitté un in (tant pour nous recevoir. J'ofai lui demander ce qu'il compofoit; il me répondit: Un oratorio. Nous demeurâmes une heure auprès de lui. Mon ami me fit figne, & nous partîmes fans êtreapperçus. Je rentrai fur le champ dans mon col- lège; Se après avoir fermé ma porte , je voulus faire tout ce que j'avois vu chez M. Piccini. La petite table à côté du clavecin , un cahier de papier rayé, un oratorio imprimé, lire les paroles , porter les mains fur le clavier, tirer de grandes barres de partition, écrire de fuite fans rature, paf- fer leftement d'une partie a Pautre ; tout cela me paroiffoit charmant, & mon délire dura deux ou trois heures; jamais je n'avois été plus heureux: je me croyois Piccini. Cependant mon air étoit fait ; je le mis fur le clavecin & l'exécutai Oh , dou-

i Essai

leur ! il étoit de'teftable; je me mis a pleurer à chaudes larmes, & le lendemain je repris en foupirant mon cahier de fugues.

Je continuai de prendre mes leçons pendant deux ans; je vis enfin que mon maître ne trouvoit plus tant a corriger : il me djt que d'autres, à ma place, fe con- tenteroient de favoir faire une bonne fugue à quatre parties ; mais qu'il me confeilloit de faire quelques motets à fix ou huit parties; que c'étoit le nec plus ultra de la composition: il auroit ajouter que quatre parties font fuffifantes, lors- qu'on veut les faire chanter, & même je dirai qu'il y en aura une des quatre qui ne fera que le complément de l'harmonie. Je fis cependant un Magnificat à huit parties: mon maître eut autant de peine à le revoir que j'en avois eu pour arranger les huit parties fans unifTon.

Bientôt après cet eMai, Cafali jugea que je pouvois me paffer de fes leçons, &: m'exhorta a travailler de moi-même. Je

SUR LA MUSIQUE. I O 7

cefTai malgré moi d'être Ton élève, mais fans cefîèr de conferver pour lui la plus tendre amitié & la plus vive reconnoiffance. J'étois heureux quand jetrouvois occafion de lui rendre quelque petit fervice ; comme de le remplacer de temps à autre dans les églifes de Rome l'on exécutoit fa mufi- que. Cela fit croire aux muficiens que j'avois defTein de devenir maître de chapelle de cette ville: mais je n'eus jamais cette idée. Il faîïoit, pour parvenir à ces places, fubir l'examen des maîtres de chapelle , ou être reçu compofiteur à l'académie des Philarmoniques de Bologne, Quelques- uns de mes camarades m'ayant fait fentir qu'il y auroit de la témérité a moi d'y prétendre, j'eus honte d'être foupçonné incapable de remplir une place dont mon maître paroifTr.it me croire digne, & c'eft ce qui me détermina, quelques années après, à me préfenter a l'académie des Philarmoniques, qui me reçut au nombre de &s membres, à un âge il efl rare

i o 8 Essai

même d'ofer y afpirer. Le fameux père Martini me donna en cette occafion des marques particulières de bonté ck d'atta- chement. Suivant les ftatuts de l'Acadé- mie, le genre de compofition , pour être reçu maître de chapelle & admis dans le corps, étoit de fuguer un verfet de plain chant pris au hafard , en quoi j'étais afluré- ment très peu verfé. Mais les bons avis du père Martini fur ce genre de compo- fition m'en donnèrent bientôt une con- noifTance fufhTante & furent îa caufe pre- mière de mon fuccès.

Me voilà donc livré à moi-même, la tête remplie de toutes les formes harmo- niques ; fâchant renverfer fens deffus def- fous toutes les parties; trouvant toujours le moyen de leur donner un efpèce de chant, &: ne les faifant jamais rentrer après la moindre paufe, que par une imitation déjà établie, oc qui fera fui vie des autres parties, fi l'une d'elle préfente quelque trait nou- veau; d'ailleurs tropplein de îa mécanique

SUR LA MUSIQUE. IoQ

de l'art, & du fond de la fcience harmo- nique pour trouver âes chants aimables; mais je fuis perfuadé qu'on ne peut être fimple , exprefïif , 6c fur-tout correct, fans avoir épuifé les difficultés du contrepoint. C'efi au milieu d'un magafin qu'on peut fe choifir un cabinet. L'homme qui fait, fe reconnoît aifémenr ; on entend dans fes compofitions les plus légères, quelques nottes de bafTe que l'on fent ne pouvoir appartenir à l'harmonifte fuperficïeJ.

C'eft la bafTe fur-tout qui diftingue l'homme qui a renverfé longtems l'harmo- nie. Que cette partie eft belle & noble ! elle donne Famé à tout ce qui repofe fur elle. Marchant gravement 6c par intervales de quintes ou de quartes lorfqu'elle doit infpirer le refpect, 6c devenant plus chan- tante 6c moins fière lorfqu'elle accompa- gne un chant vif 6c léger.

Il n'appartient pas à tout le monde de bien apprécier fe charme d'une belle baffe; il faut avoir entendu longtems la

iro Essai

bonne mufîque pour fçavoir defcendrc dans Ton empire. Le commun des hommes n'entend d'abord que le chant ; avec plus d'habitude, il entend le fecond-deflus) en- fin s'il eft bien organifé , il trouve dans la baffe tout ce qu'il avoit entendu dans les parties fiipe'rieures.

Il efl effentiel de faire îongtems la fugue à deux parties pour fe familiarifer avec les règles de la fugue en général , & fur-tout pour apprendre a lier les phrafes. L'on peut par initind lier entre elles les phrafes de chant eu de mélodie : mais l'étude feule de la fugue apprend à lier les phrafes harmoni- ques. C'en1 la fyntaxe du muficien.

En réfléchiflant fur les peines que donne à l'élève cette première étude, j'ai cherché un moyen de lui apprendre plus aifément la marche ou le deffein de la fugue. J'ai vu qu'en ne faifant qu'une feule partie, en paffant tour à tour de la baffe au deffus, fauf après cela de changer quelques notes ■en rempliffant les vuides, c'étoit le vrai

SUR LA MUSIQUE. IIi

moyen d'arriver plutôt au même but avec infiniment moins de peine.

Exemple du dejfein de la fugue.

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En ajoutant enfuite une tailïe , & puis une haute-contre, on devient harmonifte. Cependant ce n'eft pas le difficile ; le voici: Il faut faire une fuguea deux parties; enfuite y ajouter une féconde balTe , puis une troilième. Cette combinaifon eft très épineufe ; mais après une étude de fix mois, la tête s'habitue au renverfement de l'har- monie, fi bien qu'en écoutant un chant, ou une balTe, votre imagination y ajoute tout ce qui lui manque avec une facilité qui étonne.

On croira peut-être que Porganîfte parvient au même point que le compos- teur ; point du tout : il a fugué fur un orgue; il connoît fans doute la règle des imitations & celle des modulations: mais

il

SUR LA MUSIQUE. r I J

il ne chante que fur fon clavier & ne pour-' roit bien écrire ce qu'il joue qu'après une alTez longue habitude

J'étois donc, comme je l'ai dit, fans guide ; il falloit débrouiller le chaos énorme que mon maître avoit mis dans ma tête. Ce n'étoit plus des fugues, des imitations, dont il étoit queflion ; il falloit oublier le contre-point & attendre que ces formes, ces règles, vïnfTent me trouver dans Poccafion pour fortifier Pexpreffion, de la parole. J'aimois la mufique des Bura* nelloj Piccini , Sacchini, Maïo, Terradel- las, mais j^aimois davantage celle de Pergolèfe; c'étoit vers fon genre que la nature m'appelloit : j'étois perfuadé que je ne parviendrais jamais a faire de bonne mufique de théâtre fur-tout, fi je ne pre- nois la déclamation pour guide.

La mufique proprement dite, fera tous les dix ou quinze ans le jouet de la mode ; une chanteufe douée d'une fenfibilité particulière, un compofiteur dont le génie

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ît4 Essai

s'écartera de la route commune, une efpece de fou, dont îes écarts ri veilleront la mul- titude toujours avide de nouveautés; les roulades fi favorables pour certains chan- teurs, & prefque toujours nuifbles à l'ex- preffion ; les cadences, les points d'orgues, tout ce luxe muiical périra & renaîtra peut-être dans un même fiècle ; mais ces changemens ne font pas une révolution importante peur le fond de l'art.

La vérité eft le fublime de tout ou- vrage; la mode ne peut rien contre elle : un brillant étourdi peut éclipfer un infiant îe mérite dts habiles gens; mais bientôt en filence, on rougit d'avoir été trompé & l'on rend un nouvel hommage à la vérité.

On objectera, fans doute, que l'accent de la langue françaïié a changé fous les deux derniers règnes; que la cour de Louis XIV étoit galante & avoit un ton chevakrcfquc ; que fous Louis XV on imi- toît foiblement les manières nobles ôc îes

SUR LA MUSIQUE. I I £

grâces de l'ancienne cour, & qu'enfin le langage des courtifans de nos jours n'eft preique point accentué & que le bon ton confifte à n'en avoir aucun. Doit-on inférer de que la mufique a changer avec l'ac- cent? Non j le cri de la nature ne change point, & c'eit lui qui conftîtue la bonne mufique.

Le roi Henry juroit d'aimer toujours la belle Gabrielle avec l'accent de l'homme paflioné de nos jours; on dit que la chan- fon Charmante Gabridk fut cornpoiee paroles & mufique par le bon roi Henry IV ; je ne fais fi c'eft une illufion , mais j'y crois retrouver l'âme de ce bon prince.

Je dirai donc que l'accent du langage fuit les mœurs: Il doit être faux, factice , grimacier parmi les peuples corromnus ; mais que la nature fe foit refervé le cœur d'un feul homme, celui-Ia fcul trouvera les vrais accents. D'ailleurs quels que foient fes mœurs, l'homme eft rarement factice , lorfqu'il efl fubjugué par les paffions violentes. K 2

1 1 6~ Essai

Je fis un travail fi prodigieux & obftiné, pour me fervir à propos & avec fbbriété des éléments dont ma tête étoit pleine, que je faillis fuccomber. JL 'expé- rience ne m'avoit pas encore appris que Part desfacrificesdiiiingue le bon artifte. J'avois beau chercher à être (impie & vrai, une foule d'idées venoient obfcurcir mon ta- bleau. Quand j'adoptois le tout, j'étois mécontent , & lorfque je retranchois , c'était au hazard & j'étois plus mécontent encore. Ge combat entre le jugement & îa feiencè, c'eft-a-dire entre le goût qui veut choifir & l'inexpérience qui ne fait rien rejetter;- ce combat, dis-je, fut li vif, que je perdis îe reue de ma fan té.

Je me mis au lit avec la fièvre; mon crachement de fan g me reprit, je fus alité pendant fix mois & je ne fongeois à la mufique que comme l'on penfe à une maîtreiie ingrate qu'on n'a pu fléchir. Plufieurs- morceaux des grands maîtres me rouloient dans l'imagination. Va fur-tout

SUR LA MUSIQUE. Iiy

(était l'objet auquel je comparons mes idées informes: Tremate, tremate, mojlri di cruddtà ! ma il jiglio lofpofo , &c. ce beau morceau de Terradellas me fembloit ren- fermer tout ce qui constitue le vrai beau.

Dès que je pus marcher, j'allai me .promener dans les environs de Rome. Me trouvant un jour fur la montagne de Milïini, j'entrai chez un hermîte que je trouvai bon homme, quoi qu'italien ; je lui parlai de la maladie que je vcncis d'efîuyer, il me confeilla de m'établir dans fon hermitage pour y refpirer un air pur qui feul me rendroit des forces. J'acceptai ks offres & je devins fon compagnon de re- traite pendant trois mois.

Ce petit pèlerinage ne paroitra fans doute aux yeux des lecteurs qu'une cïr- conftance indifférente, qui ne méritoit pas d'être rapportée* cependant je dois dire que ce fut chez cet hermire que j'éprou- vai la plus douce fatisfaétion de ma vie. La révolution s'étoit opérée feule dans mes

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1 1 8 Essai

organes, & je Tignorois, îorfqu'un jour Je m avifai de compoler un air fur des paroles de Mctajlafio. Quel fut mon raviflement, ïorfque je vis mes idées nettes & pures le clafTer félon mesdefirs! fâchant aj( uter ou retrancher fans nuire à l'objet principal, que je voyois s'embellir à chaque procédé : non, je le répète, je n'eus jamais de mo- ment plus délicieux. [

Ahl framauro, difois-je a mon her- mite, je me fouviendrai de vous tant que je vivrai.

Ne vous décourage? donc pas, jeunes artifles; car en fuppofant même que la nature vous ait faits pour produire des chefs-d'œuvres, ce n'eft qu'en cherchant îongtems des effets fugitifs dans le vague de votre imagination , que vous parvien- drez à les fixer au gré de vos delirs. Mais il faut auparavant que vous ayez parcouru un cercle immenfe d'idées bizarres & inco- hérentes qui , toujours renaiffantes & fans celle rejettées, vous laifTeront ap-

SUR LA MUSIQUE. IjQ

percevoir enfin la vérité que vous cher-

chez.

II eft cependant un point de perfeaion au delà duquel il ne vous eft pas permis d'atteindre. Qu'un fentiment fecret vous marque la mefure de vos facultés; fâchez alors vous arrêter, car c'eft à d'autres que veus qu'il eft permis de faire mieux. Si cette idée eft trifte, il eft bien confclant de fentir qu'on a fçu fe fervir de tous les relfcrts de fon intelligence.

Deux procédés me fembîent nécefTaî- res pour faire bien ; l'un eft: phyfique , l'autre eft moral. C'eft l'imagination qui crée , c'eft le goût qui rejette , adopte ou re&irie ; gardez - vous , en travaillant , de refroid r votre imagination par des réfle- xions précoces; on ne dirige point un tortent rapide ; laiffez-Ie couler avec les matières brutes qu'il entraîne, il ne vous en marque pas moins îa rcute fimple ck vraie que vous devez fuivre. Revenez en- fuiie fur vos pas, & que le goût ck le dif-

H4

iio Essai

cernement réparent froidement les écarts

de votre imagination trop exaltée.

Il n'appartient qu'à l'artifte expéri- menté de faïfir, quelquefois, la vérité du premier coup. En doit-il être vain? Non , il jouit du fruit de fes premières erreurs , qu'il a longtems combarues.

Je n'ai rien à dire à l'artifte qui, travail- lant fans ceffe, eft toujours content de ïui; il eft pour l'erreur & l'ignorant l'applaudira.

Dès que j'eus fait entendre à Rome quelques fcènes Italiennes & quelques fimphonies, je vis avec plaifir que l'on fe promettoit quelque chofe de moi. Je fus, îe carnaval fuivant, ehoifiparles entrepre- neurs du théâtre d'Aliberti , pour mettre en muftque deux intermèdes , intitulés les vendangeufts. Les jeunes maîtres de mufique du pays crièrent au fcandale en ïeur voyant préférer un jeune abbé du collège de Liège. Mille bruits fe répandi- rent dans les cafés; mais ils m'étoient

SUR SA MUSIQUE. m

favorables; à Rome, comme ailleurs , on élève l'étranger pour humilier les nation- naux.

Je commençois à m'occuper de mes intermèdes, torique les entrepreneurs vin- rent chez moi pour me dire que l'ouvrage qu'on répétoit depuis quinze jours , ne répondant point à leur attente, ils avoient envasé le muficien à retirer Ôc corriger famufique, & qu'il me falloit abfoïument prendre fa place. Ypenfe^-vous , Mcjjieurs , leur dis-je ; c'efl dans huit jours l'ouver- ture. — Oui , dans huit jours. Ils me firent beaucoup de compliments, vrais ou faux, fur l'impatience que le public témoigncit de m'entendre; je travaillai pendant les huit jours c>. les huit nuits, entouré de copiftes & de mes acteurs; on re'petoit le lendemain ce que j'avois compofela veille ; on fit deux répétitions générales; le bruit de ma témérité s'étoit répandu , & l'af- fîuence fut fi grande , qu'on força la garde a la féconde répétition.

H%% Essai

Ce qui me coûta le plus fut de tenir le clavecin aux trois premières repréfen- tations, mais je ne pus m'en difpenfer. Les entrepreneurs me dirent que mon jeune âge intérefTercit le public & contribueroit à mon fuccès.

Je merapelle qu'étant au premier clave- cin, prêt a faire commencer l'ouverture, j'entendis un hautbois qui métoir p^s jufte. Je le lui fis dire; il s'approcha de moi pour s'accorder, & il me dit a l'oreille: J'ai vu à la place vous êtes, les Bura- ncllij les Jomdliy mais je vous afîure qu'au moment d'une première reprefen- tation, ils ne s'appercevoient pas fi un infiniment n'étoit pas parfaitement d'ac- cord. Allons, courage, Signer maejiro > me dit-il, notre opéra rêujjira : ck en effet la prédiction fut vraie.

Le public fît, malgré moi, répéter un air.

La vérité bien faifie plaît dans tous les pays, & le peuple italien que l'on croit

SUR LA MU S IQU E. I 13

n'aimer qu'une ariette, feroït aiuTï fenfibie que les Français a la mufîque dramatique, s'il la connoifToit. Voici la firuation dont il s'agit.

Un feigneur aimoît une vendangeufe; fon amant en e'toir jaloux. Il vient trouver le feigneur & lui dit: Ce n'efr. pas vous qui êtes aimé de Lifette? Eh! c[ui donc lui dit le feigneur? c'cjl un jeune homme fait pour plaire, &c. &■ il lui fait fénumé- ration des qualités du jeune homme. II quitte la fcène brufquemenr après Ton ariette & fe cache pour ohferver. Il re- vient à pas de loup après un filence & lui dit : " -ZVie m'entendc-^-vous pas? celui dont je parle , c'eft moi. Lifette efl V objet que 'f adore, & Lifate ejl toute à moi. Il fort brufnnement une féconde fois. Cette fi- tuation parut plaçante: le public fentit que les deux forties de l'acteur, tk la féconde partie de 1 air déclamée (ans chant, étoient des idées du jeune muficien. J'eus beau faire., il fallut recommencer ce morceau;

1X4 Essai

Porcheftre partit fans mon ordre & facteUf

fuivit.

II faut convenir que dans les pays chauds les palTions font impérieufes, on aime la mufique avec bien plus d'a- bandon que fous un ciel tempéré l'on raifonne trop fes plaifirs. Un compofiteur en Italie eft d'abord un homme aimé, par îa raifon feule qu'il fe dévoue à l'art enchan- teur qui nourrit les cœurs mélancoliques, ck ils ne font pas rares à Rome. Pendant les jeux du carnaval, le compofiteur dont on exécute les ouvrages aux théâtres, eft remarqué des Romains autant que celui dont auroit dépendu le bonheur public. S'il n'a pas eu de fuccès, on le montre comme une malheureufe victime. S'il a réuffi, c'eft un dieu.

II y eut gala le lendemain dans notre collège, à foccafion de mon fuccès. Les tambours de la ville vinrent m'éveilier, en m'annonçant que ce jour étoit un grand jour pour moi. Pendant que nous étions rafTem-

SUR LA MUSIQUE. I1J

Lies dans ïe réfe&oire pour déjeuner, je reçus ordre de me tranfporter fur ïe champ au palais du gouvernement. Mon- feigneur le gouverneur me reprocha de n'avoir pas obfervc la loi qui défend de recommencer aucun morceau de mufique au the'atre , fous peine d'amende (i), à moins que le gouverneur ou Ton repréfen- tant ne i'autorife en laiflant defcendre un mouchoir blanc fur le bord de fa loge.

Hélas ! Moafeigneur, lui dis- je , j'étais Ji loin de croire mériter les honneurs du mouchoir , que je n'y ai pas regardé. Il ie mit à rire , 6V j'entendis dire aux Liégeois qui avoient voulu m'accompagner : Bon nous ne payerons point l'amende. II me fit plufieurs queftions que je reconnus appar- tenir aux bruits qui s'e't oient répandus fur mon compte dans les cafés. J'y répon- dis fimplement en retranchant les exagé-

( i ) L'amende ctoit , je crois, de cent fequins, ou cin- quante louis.

jz6 Essai

rations dn public: Obfirveçvous , me dit-il 9 depuis plusieurs années un régime aujji auf- ùre qu'on le dit? Non, Monfeigneur.

Mais Von m'ajfure que vous ave^ une

manière de vivre toute particulière. Je l'af- furai que je dinois comme les autres au réfectoire, mais que depuis longtems je foupoisavec une livre de figues sèches & un verre d'eau. Ce régime me pfaît, ajou- tai-je, la nature me l'a indiqué, & j'ima- gine que c'eft un baume excellent pour une poitrine fatiguée. Allons , me dit-il, en fecouant fa fouette, je ne veux point qu'une amende vienne troubler vos plaijlrs ;

f°Jc\. P^us exac~l Par k faite.

J'aurois payer cher les fatigues que j'avois efîuyées en compofant mon opéra: mais la joye d'un premier fuccès eft un fi puiflânt remède , que je ne fus nullement incommodé.

Je me rapelle une aventure qui m'ar- riva quelques jours après -, ôc qui auroit pu devenir tragique. En falfant le foir une

SUR LA MUSIQUE. H7

vifite à des Dames voifines du collège ; je fus aflàiiîî dans l'efcaîier de plufleurs coups d'épées, dont un perça mon habit d'abbé de part en part fur la poitrine. J'oubliai dans cet infiant que j'étois à Rome; je parlai 6c jurai à la françaife en courant après mon aiîaffin qui difparut.

Je retournai au collège pour conter mon aventure; mes amis étoient persuadés que le fuccès de ma pièce avoit porté quelques ennemis à cette atrocité, & ils réfolurent de ne pas me quitter. Ils me faif oient aiïurément trop d'honneur, & j'étois loin de me croire capable d'exciter la jaloufie. Cependant comme les Liégeois font reconnus braves & peu endurants, le père de l'imprudent qui m'avoit attaqué, arbora dès le lendemain les armes du cardinal Albani fur la porte de fa maifon, qui étoit celle j'avois été attaqué. Il vint trouver notre recteur à qui il détailla l'affaire de fon fils, qui m'avoit pris, à ce qu'il dit, pour un abbé avec lequel il avoit eu que-

ii3 Essai

relie. Ce petit événement n'eut pas d'autre1 fuite.

L'Abbate Ntcolo qui m'avoit conduit quelque tems auparavant chez M.Piccini y vint me dire qu'ils avoïent aiTifté enfemble à une de mes repréfentations, & que ce cé- lèbre compofiteur avoit dit publiquement qu'il étoit coûtent de mon ouvrage parce- que je ne fuivois pas la route commune.

Quelques jours enfuïte, j'eus une petite jouifTance qui ne me flatta pas moins. Je fus fuivi à la promenade par une troupe de perruquiers qui chantoient en chœur & avec beaucoup de goûr, plulîeurs mor- ceaux de mon opéra, (i)

J'étois rapellé depuis iongtems par mes parents pour réponfe je leur avois envoyé le pfeaume Conjitebor t'ib'i Domine , &c.

( i ) Le bas peuple de Rome a une manière toute parti- culière de pfaimodier Ces chantons en s'acempagnant d'une grande guitarre, nommée calachone. Mais les arti- fans plus rapprochés de la bonne fociété chantent avec le gcutt , lexprellion & la précifion que les autres peuples ad- mirent dans les Italiens.

que

SUR LA MUSIQUE. 12 J

( que je n'ai jamais entendu ), & que j'a^ vois compofé pour concourir a une place de maître de chapelle qui vaquoit dans le pays de Liège. J'obtins la place, à ce qu'ils me mandèrent, mais je ne partis pas. Ce fut pour une autre circonflance que je quit- tai Tltalie je pouvois demeurer avec agrément , car l'on m'avoit propofe de faire pour le carnaval fuivant des intermèdes pour les théâtres di Tordinona ôc dalla Face. Je fus indruit par le public que milord À... amateur de mufique & jouant fort bien de la flûte traverfière, avoit demandé pîu- fieurs fois des concerto de Bute aux compo- fiteurs les plus diftingués; mais que ne les trouvant jamais à ion gré , il leur ren- voyoit la partition avec un préfent magni- fique pour le pays. J'eus mon tour & je fus prié de faire un concerto de flûte. Je répondis que ne corinoiffarrt point les ta- lents de mylord, je ne oouvois rien faire qu'au hafard.Je fus invité a déjeuner; my- lord joua longtems de la flûte. Quelques

I

130 Essai

jours après je lui envoyai un concerto qui étoit bien plus de fa compofition que de la mienne , car j'avois mis en ordre prefque tous les pafTages que je lui avois entendu faire en préludant: il m'envoya un Beau préient ôc m'offrit une penfion annuelle (1 je voulois lui envoyer d'autres concerto par-tout il feroit. J'acceptai fa propor- tion.

Le maître de flûte de myïord Ni.Wcifl] auffi excellent dans fon art, qu'aimable & honnête homme, me prit en amitié & m'engagea à venir à Genève , il étoit établi. M. Melon , attaché à l'ambalfade de France à Rome, m'avoit montré une parti- tion de Rcfe & Colas, qui m'avoit fait naître le defir de travailler à Paris. Je partis donc de Rome & laifTai tous mespfaumes, mes melTes Se mes leçons de compofition dans les mains des Liégeois. Mon inten- tion en allant à Genève étoit de faire quel- ques épargnes pour me mettre en état d'al- ler a Paris chercher a me iÉàire connoître.

SUR LA MUSIQUE. 131

Je ne dois point quitter le beau pays qui a fervi de berceau à mes faibles talens, fans jetter un ccup d'œiï fur la mufique théâtrale & actuelle des Italiens : s'il en coûce à ma reconnoiiïànce de réprcuver quelquefois la mzre-mufique , mon enthou- fiafme pour Tes beautés devient un plus pur hommage.

L'école italienne eft la meilleure qui exifte, tant pour la compofition crue pour îe chant; la mélodie des italiens eft (impie & belle; jamais il n'eft permis de la ren- dre dure & baroque; un trait de chant n'eft beau que lorfqu'il s'eft placé de lui- même & fans aucun effort. Dans le genre férieux comme dans le comique leurs récitatifs obiige's, les airs d'exprefïion ou cantabile, les duo, ks cavatines, qui cou- pent fi heureufement le récitatif, les airs de bravoure, les finales, ont fervi de mo- dèle a toute l'Europe.

II eft inutile de leur faire un mérite de îa juftefie de la profodie, car il eft pref-

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i^i Essai

qiumpofïible d'y manquer , tant leur langue eft accentuée & libre par ïes élirions fréquentes des voyelles. Le public d'ailleurs ne critique jamais le muficien fur ce point. J'ai entendu un air d'un grand maître, qui commençoit par le mot amory Se quoique Va foit bref, il étoii foutenu pendant plu- sieurs mefures a quatre tems, fans que perfonne y fit attention. L'Italien aime trop la mufique pour lui donner d'autres entraves que celles de fes règles. II facrifie volontiers fa langue aux beautés du chant.

La langue italienne eft elle-même fi amoureufe delà mélodie, qu'elle fe prête à tout, même aux extravagances du muficien , fans que jamais fes grammairiens lui faf- fent le moindre reproche.

Qu'importe, femble dire ïa nation, que pour produire un trait de chant neuf, il faille eftropier la profodie & même le feus des paroles, le chant n'en eft pas moins trouve' , Se d'autres paroles fe prêteront à & contexture originale. La

sur la musique, 133 France un jour pourra penfer de même: mais alors elle aimera paffionnément îa mufique, ck le fentiment aura remplacé îa manie d'épiloguer & d'analyfer fes plaifirs.

Que manque-t-il donc aux Italiens pour avoir un bon opéra férïeux? car pendant les neuf à dix années que j'ai habité Rome, je n'en ai vu réuffir aucun. Si quelquefois l'on s'y portoit en foule , c'étoit pour en- tendre tel ou tel chanteur; mais îorfqu'iï n^étoit plus fur îa fcène, chacun fe re droit dans ra loge peur jouer aux cartes Se pren- dre des glaces , tandis que le parterre bâilïoit.

[D'anciens profeffeurs m'ont afTuré cependant, que jadis les poëmes ô^Apop- tolo Zcno & ceux de Mctafiafio, avoient obtenu des fuccès réels; & après les avoir interrogés fur la manière dont ils étoient traités par les muficiens de ce tems, j'aifu qu;ils faifoient les airs moins longs qu'au- jourd'hui, moins de ritournelles, prefqua

1 x

134 Essai

point. Je roulades, ni de répétitions. N'al- lons pas chercher ailleurs d'où peut naître ïa langueur & le peu d'intérêt des opéra ita- liens; car fi en effet on s'amufoit à retran- cher d'une partition les répétitions, les roulades &rles ritournelles inutiles, je pofe en fait, qu'on en retrancheroit les deux tiers ék que par conféquent l'action étant ainfï rapprochée , intércfieroit davantage. Les cpera- comiques font moins fujets à ces défauts; la langueur vient prefqu'en- tiérement de la mauvaife conflru&ion du poème. Les mufteiens Italiens finiront cepenJant par êïre dramatiques: ]e fais que nos parthiens françaift-s circulent dans les Conservatoires de Napïes , ck qu'on les étu^ï^ ions ce point de vue.

J'ai remarqué un autre inconvénient, quVn p'.ur appeiler eontre-fens' dramati- que. Le meilleur chanteur n'eft pas tou- jours chargé du rôle le plus important dans î'aclion du drame , pareeque fouvent, les airs de demi caractère , par exemple, lui

SUR EA MUSIQUE. 135

conviennent, Sz qu'ils fe trouvent dans les rôles fecondaires: cependant (bit par fon talent, fcit parceque le compofiteur s'efl: plu à foigner fon rôle, il re'pand un charme û puifTant fur tout ce qu'il chante, qu'il devient rôle principal, malgré l'intention du poème. L'on comprend aifément que l'intérêt du drame ainfi renverfé, jette le fpectateur dans une incertitude accablante, & que le meilleur chanteur cefTe d'être adeur, du moment qu'il intérefîe aux dé- pens du rôle vraiment intérelTant par fes fituations.

La tragédie offre fans doute moins de variétés aux muficiens que le comique , parce que tous les perfonages font nobles; mais il n'eft pas néceffaire que le muficien n'aye que trois formules d'air dans la tête pour peindre toutes les pallions d'un drame tragique; il exiile tant de nuances pour différencier chaque caractère, fans s'afïujettir a ne favoîr produire qu'un air de bravoure , pathétique ou de demi-carac-

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136 E s s a r

tere! Voyez d'ailleurs tous les airs Je bra- voure que renferme un opéra italien, 8c vous trouverez par-tout un même caractère , ïa même manière, ck prefque les mêmes roulades, quoiqu'ils foient tous dans des fituations différentes. Comment ne pas s 'ennuyer de cette uniformité, & comment empêcher le public de fe rejetter fur un excellent chanteur qui a le talent de lui faire oublier l'opéra ?

L'on convient généralement que ïa mufique instrumentale à^s Italiens efl foible; comment pourroit-elîe prétendre à tenir un rang parmi les bonnes com por- tions? il n'y a prefque jamais de mélodie, parce qu'ils veulent dans ce cas courir après des effets d'harmonie; & l'on y trouve peu d'harmonie , parce qu'ils ignorent Part de moduler. L'on comprend cependant, qu'abftradion faite de ces deux agens , il ne relie que du bruit. Les chœurs font nuls du côté des effets, & en cela on doit peut- être moins les aceufer , parce qu'il exiffe

SUR LA MUSIQUE. I37

chez eux un préjugé qui bannit ïes fugues du théâtre & tout ce qui y auroit trop de rapport. Un éft pourtant pas d'autre moyen que celui de ïa fugue plus ou moins févëre pour rendre avec vérité les chœurs des prêtres, les confpirations Se tout ce qui a trait à ïa magie : ce préjugé mal entendu ïes a jettes dans un relâchement & une pauvreté d'harmonie impardonnable. Leurs airs de danfes font pitojables en général, car ils ne font ni danfànts, ni chantants, ni harmonieux; le récitatif (impie efr pris de l'accent de la langue, mais la longueur des fcenes Se le peu d'énergie des hommes énervés qui le chantent, le rend ibporiri- que au plus haut degré.

Convenons enfuite qu'il y a de la féehe- refTe & peu de variété dans ks cempofi- tions italiennes; ce défaut provient, en- core de l'oubli de l'harmonie. -Cette reine de la mufique eft trop négligée par ïes élèves même de Durante, qui la poiTédoit à un fi haut degré.

138 Essai

Une modulation nouvelle fe trouve par un procédé de l'art, & le génie peut trouver un trait de criant neuf que cette harmonie renfermoit; fans cela nous ne connoiiTons point de proce'dé pour créer un trait de chant,

Que faudroit-il pour perfection lier l'opéra Italien? diminuer les fcènes trop longues, refTerrer l'action en élaguant les ritournelles oifeufes, les roulades, les répétitions qui deviennent fi ennuyeufes, fur-tout lorfque l'action eft prcfîee; rendre les chœurs plus dramatiques, plus harmonieux, plus modu- lés -, fuivre les Français Se les Allemands pour la partie infirumentale, c'eft-à-dire , les ouvertures, les marches & les danfes ; alors l'intérêt naîtra du fond du poëme, ck le chanteur malgré lui deviendra acteur. Il ne lui fera plus permis comme nous l'a- vons vu, de quitter la fcène pour fucer une orange pendant que fon interlocuteur lui parle comme s'il étoit préfent.

Un opéra fait comme je viens de le

SUR LA MUSIQUE. I 3 O

dire, exécuté même par des chanteurs médiocres, peut réuffir. Si les chanteurs font d'habiles gens , le fuccès fera com- plet; mais j'ofe affurer fans craindre d'a- vancer un paradoxe, qu'un fameux chan- teur au talent duquel on a tout facrifié , devient le deftruéteur de l'intérêt général, fur-tout , s'il n'eft entouré que de gens médiocres qu'il anéantit.

Les Romains font la dépenfe nécef- faire pour avoir un grand chanteur , ck ils négligent tout le relie.

Mais tous les chanteurs fuiTent - ils exceîlens, sis anéantiroient l'effet de l'en- femble, fi le muficien s'amajettit à fer- vir chacun d'eux a fa manière. Ç'efi à la manière du poème qu'il faut faire la mufique , en s'affujetifTant , autant que faire fe peut , aux moyens du chanteur.

Les amaxeurs exclu fifs de la mufique italienne , ont dit cent fois qu'il feroit affreux de renoncer a tout ce qui peut faire briller un bon chanteur : je veux

140 Essai

qu'on chante, à l'Opéra, d'ifcnt - ils , '& qu'on me donne la tragédie , fans mufique,. fur un autre théâtre. Si la mufique pou- vait fe fourenir d'elle-même fans l'inté- rêt du drame , d'accord : mais l'Opéra italien, votre idole enfin , vous ennuie, ôz vous n'ofez en convenir. Cent fois 3 en ouvrant une bouche énorme , je vous ai entendu dire : ah 3 que c'ejl beau l Capitulons donc.

Je ne voudrois pas que les Italiens adoptaffent la tragédie de Gluk , dans dans toute fa rigueur , parce que leurs chanteurs font d'habiles gens & que fans nuire à l'intérêt l'on peut , ce me femble, être moins preffé , moins déclamé , moins dramatique.

La mélodie' rendue avec art & fenfi- bilité , non-feulement , permettrait ce lé- ger retard dans ï'aâion ; mais elle ajou- terait un charme de plus en féparant un peu les cruautés tragiques fur lefquelles elle répandrait un baume falutaire. :

SUR LA MUSIQUE. I^t

Pourquoi donc Gluck , en arrivant à Paris , ne Pa-t-il pas fait ? Parce qu'il a compofé pour ia France , Se non pour l'Italie. Si ïa nature ne nous avoit privés trop tôt du génie de ce grand homme (i), auroit-il vu les talens de hais & de Rouf- /eau, fe perfectionner chaque jour, fans vouloir en profiter ? Lorfque j'entendis le premier ouvrage de Gluck , je crus n'être intérefTé que par l'action du drame , & je difois comme vous : il r?y a point de chant; mais que je fus heureufement détrompé ? en fentant que c'étoit la rnu- fïque , elle-même , qui étoit devenue Pac* tion qui m'avoit ébranîé !

Qu'importe que ce foit l'harmonie ou la mélodie qui prédomine , pourvu que ïa mufique produife fur nous tout fou effet. Vous avez le courage d'oublier que vous êtes muficien pour être poëte , me difoit le Prince Henri de Prujfe , en for-

(i) Gluck venoit d'eiïiiyer une maladie, dont il est mort £Utlcjues années après.

ï^z Essai

tant d'une représentation de Richard cœur de Lyon. C'eft: fur-tout à Gluck qu'un tel compliment auroit pu s'adrefTer. Qui mieux que lui a fenti , qu'il n'eft point d'intérêt fans vérité , ck point de vérité fans facrifice !

Fin de la première Partie»

SUR LA MUSIQUE. 143

SECONDE PARTIE.

J e an -Jacques Rousseau dit qu'il faut voyager à pied pour s'inllruire , en jouiflant tout-à-ïa-fois d'une bonne fanté ôz des fenfations délicïeufes qu'oure à chaque inftant ïe fpe&acle varié de ïa nature. Je partis de Rome le premier Janvier 1 7 6 7 , je ne vis rien fur ma route , je n'eus ni plaîfir ni peine , j'é- tois dans une bonne voiture.

Arrivé à Turin , j'y retrouvai un Ba- ron Allemand que j'avois connu à Rome ; il me propofa de faire route enfèmble pour Genève ; il étoit prelTé & nous par- tîmes le lendemain. Dès que nous fûmes fortis de la ville , je voulus lui dire : et Ah » M. h Baron que je fuis enchanté de.*..» II m'interrompit & me dit brufquement : a Monfieur, je ne parle point en voiture ». fort bien , lui dis-je. Etant defeendu le

144 Essai

foir dans l'auberge , H fît faire grand feu,; pafTa fa robe-de-chambre & vint à moi les bras ouverts en me difant, ah, mon cher ami , que je fuis aï/è de.... Je l'in- terrompis a mon tour pour lui dire d'un ton fec : Monfieùr ,je ne parla point dans les auberges. Il fe mit à rire comme un fou , & me fit le de'tail d'une cruelle ma- ladie dont-il e'toit atteint , ôc fe plaignit amèrement du beau fexe romain , qui l'avoit , difoit-il, traite' fans indulgence. Le jour fuivant nous paflames le mont Cénis. Des porteurs fe chargèrent de nous en montant ; je leur demandai ce que fignifîoit une croix rouge que jap- perçus dans un précipice ; paix , me dit- on , ne parlez pas. Comment donc, me difois-je en moi-même , rencontrerai-je par tout des Barons Allemands ? Etant arrivé fur la montagne , mes porteurs m'apprirent que le fon ou î'écho feul du fon de la voix pouvoit déterminer la i te des neiges amoncelées ck fuf-

pendues

SUR LA MUSIQUE. ne

pendues fur la tête des voyageurs. La defcente de la montagne m'amufa infini- ment. Je propofai à mon Baron de la remonter pour avoir /e plaifir de la re- defcendre. Il me refufa Se me fit de nouveaux éloges du beau fêxe romain. La manière dont nous defeendîmes la montagne s'appelle la ramafTe. II faudroit trois heures pour faire cette defcente à pied ou fur un mulet , Se peu de minutes fuffifent quand on fe fait ramaflèr. On remet fa vie entre les mains d'un petit favoyard; le mien n'avoît pas plus de dix à onze ans ; on eft affis fur une efpèce de traîneau ; le petit conducteur eft fur le devant , il vous fait griffer de roc en roc candis que de fes petites jambes il dirige îa voiture : on eft prefque fuffoqué par les premières chutes , mais en fe cou- vrant la bouche, cette manière d'aller eft très-fupportable.

Je quittai mon Baron à Genève & je m'en confolai fâchant que j'y verrois

K

I4& Essai

Voltaire. Après que j'eus été préfenté dans les meilleures maifons par mon ami JVàJf^ je me trouvai avoir accepté vingt femmes pour écolieres. J'avois été précédé d'un peu de réputation , & les magiftrats me permirent d'outre-parTer le prix des le- çons ordonné par les loix de la repu- Blique.

Le métier de maître a chanter ne me plaifoit point , outre qu'il fatiguoit ma poitrine ; mais il falloit me préparer aux dépenfes qu'entraîne le féjour de Paris.

La querelle entre les repréfentans & les négatifs étant alors dans toute fa force , MM. les ambaflàdeurs de France , de Zurich & de Berne , arrivèrent en qua- lité de médiateurs : la république fit bâ- tir une faile de fpeclacle pour amufer leurs excellences & le peuple révolté. J'entendis des opéras comiques françois pour la première fois. Tom - Jones , le Maréchal, Rofe Se Colas , me firent grand

SUR LA MUSIQUE. 147

jpïaifir, lorfque j'eus pris l'habitude d'en- tendre chanter le françoîs , ce qui m'avoic d'abord paru défagréable.

Il me fallut encore quelque tems pour m'habituer à entendre parler Se chanter dans une même pièce ; cependant je fen- tois déjà qu'il eft impofîible de faire un récitatif intéreffant lorfque le dialogue ne l'eft point. Le poëte a une expofition à faire , des fcènes à filer , s'il veut éta- blir ou déveloper un caractère. Que peut alors le récitatif? fatiguer par fa mono- tonie , & nuire a la rapidité du dialogue. II n'y a que les jeunes poètes qui pref- fent trop leurs fcènes de peur d'être longs ; l'homme qui connoît mieux la nature fait qu'on ne produit des effets qu'en les pré- parant & les amenant doucement jus- qu'à leurs plus hauts degrés. Lai (Ton s donc parler la fcène. Formons à la fois des co- médiens déclamateurs Se des muficiens chanteurs , fans quoi nos ouvrages dra- matiques perdront le mérite qu'ils ont &

1148 E s s a r

celui qu'ils peuvent encore acquérir. Je défirerois mettre en mufique une vraie tragédie le dialogue feroit parlé : j'ima- gine qu'elle produiroit un plus grand effet que nos opéras chantés d'un bout a l'autre.

J'eus bientôt envie d'effayer mes ta- ïens fur la langue françoife , & cet effai n'étoit pas inutile , avant de fonger à la capitale de la France. Je demandois par tout un poëme ; mais , quoiqu'il y ait beaucoup de gens d'efprit à Genève , on étoit trop occupé des affaires publiques pour donner audience aux mufes. Je pris ïe parti d'écrire à M. de Voltaire , a peu près dans ces termes :

Monsi EUR

w Un jeune mufkien arrivant d'Italie, » & établi depuis quelque temps à Ge- « nève,voudroit effayer fes foibles taîens J? fur une langue que vous enrichiffex

SUR IA MUSIQUE. I^t),

i> chaque jour de vos productions im- v mortelles ; je demande en vain aux: p gens d'efprit de votre voifinage de p venir au fecours d'un jeune homme » plein d'e'mulation , les Mufes ont fui » devant Belione, elles font fans doute >> réfugiées chez vous , monfîeur , & j'im- » plore votre protection auprès d'elles ,' » perfuadé que fi j'obtiens de vous cette D grâce 3 elles me feront favorables dans » cet inftant , ôc ne m'abandonneront v jamais ».

Je fuis avec refpec~t, &c.

Monfieur de Voltaire, me fit dire par la perfonne qui s'étoit chargée de ma lettre , qu'il ne me répondoit pas par écrit , parce qu'il étoit malade & qu'il vouîoit me voir chez lui le plutôt qu'il me feroit pofTibîe.

Je lui fus préfenté le dimanche fuivanc par madame Cramer fon amie. Que je fus flatté de l'accueil gracieux qu'il

*3

I j o Essai

fit ! Je voulus m'excufer fur la liberté que j'avois prife de lui écrire. Comment donc, monfieur , me dit-il , en me ferrant la main ( & c'était mon cœur qa'il ferroit ), j'ai été enchanté de votre lettre , l'on m'avoit parlé de vous plufieurs fois; je défirois vous voir ; vous êtes muiicien & vous avez de f efprit ! Cela efl trop rare , monfieur , pour que je ne prenne pas à vous îe plus vif intérêt. Je fouris à ï e'-. pigramme , & je remerciai M. de Vol- taire. Mais , me dit-il , je fuis vieux ôc je ne connois guère l'opéra comique , qui aujourd'hui efl à la mode a Paris*, & pour lequel on abandonne Zaïre Se Mahomet. Pourquoi ? dit-il en s'adreffant a madame Cramer , ne lui feriez vous pas un joli opéra , en attendant que l'envie m'en prenne ? Car je ne vous refufe pas, monfieur. Il a commencé quelque chofe de moi, lui dit cette dame, mais je crains que cela ne foir. mauvais. Qu'eft-ce que c'eft ? Le Savetier Philofophe. ~

sur la musique. 15 % Ah ! C'eft comme fi l'on difoit Frcron le philofophe. Eh bien , monfieur , com- ment trouvez vous notre langue? Je vous avoue , monfieur , ïui dis-je , que je fuis embarrafie dès le premier morceau j ce vers :

Un philofophe eft heureux.

Que je voudrois rendre dans ce fens . ck je lui chantai :

Un philofophe ï Un philofophe ! Un philofophe efi heureux.

12e muet fans élifion de la voyelîe fuivante , me paroît infupportable. Et vous avez raifon , me dit-il , retranchez tous ces i% tous ces phe & chantez har- diment un philofof.

Le grand poète avoit raifon dans un fens , mais il fe feroit expliqué différem- ment s'il eût été muficien. Ve muet de philofophe eft un des plus durs de ïa ïangue ; mais il faut une notte pour Vc

K4

1 5 1 Essai

muet fans élifion dans tous les cas; e'eft, au mufîcien à îe faire tomber fur un fon inutile dans la phrafe muficale \ voyez, par exemple , dans quel canton eft VHu- roni*e ? ejl-ce en Turqui-e ? en Ar&hi-t ?

Dans quel can- ton eft l'Huro- ni- c ? eft-

JËg˱^bS=Ë^gg=pggËÈfel ce en Tur- qui- e ? en A- ra- bi-e ? \

Mmmm

h<<-

non , non, non»

Toutes les nottes qui portent Ye muet font fans conféquence, & Ton pourroic les retrancher fans nuire au chant.

Voici comment Ye muet eft mal place', Dans îe duo de la Rofiere de Salenci après l'orage, &c , Vamoureu-fc Ccah

r U- pin [ fc .îJU>> r-

L'a-moureu-fe Ce- ci- le.

SUR LA MUSIQUE. I53

\jc fe eft placé fur une bonne notte & fait un mauvais effet.

J'aurois pu chanter de cette manière \

L'a mou-reu- fe Ce- ci- le,

Mais je me fuis laifTé entraîner par chant , en cette occafion comme en plu- fieurs autres ; je ne manque pas de m'en repentir lorfque j'entens chanter mes opéras.

Monfieur de Voltaire me dit enfuïte qu'il falloit me hâter d'aller à Paris ; c'eft , dit-il , que l'on vole à l'immortalité. Ah ! Monfieur , lui dis-je , que vous en parlez à votre aife ! Ce mot charmant vous eft: familier comme la chofe même. Moi , me dît-il , je donnerois cent ans d'immortalité pour une bonne digeftion. Difoit-il vrai?

Ayant été fi bien accueilli de de

ï ? 4 Essai

Voltaire, j'y retournai fouvent ; j'alloîs faire chez lui mon apprentifTage de cette atfànce, de cette amabilité françoife, que Ton trouvoit chez lui plus qu'à Genève. Voltaire, quoi qu'éloigné de Paris de-^ puis long-temps , n'étoit rien moins que rouillé par la folitude; il fembloit, au contraire , avoir transféré a Fernay le centre de la France. La çorrefpondance continuelle qu'il entretenoit avec les gens de lettres étoit le journal qui Pinf- truifoit chaque jour des mouvemens de la capitale, & l'opinion fufpendue fem- bloit attendre pour fe fixer , que le lé- gîflateur du bon goût eût prononcé fur elle. *

Genève & fur-tout les leçons que j'y .donnois , m'ennuyoient davantage quand je fortois de Fernay ; tout m'enchantoit dans ce lieu charmant. Les parterres , îes bofquets, les animaux les plus rufti- ques me fembloient différens fous un tel maître.

SUR SA MUSIQUE. j^.

L'opulence d'un grand feigneur peut nous humilier , exciter notre envie ; mais ceiïe d'un grand homme contente notre ame. Chacun doit fe dire : c'eft par des travaux immenfes, c'eft en m'édairant , c'eft en charmant mes ennuis , en me fauvant du deTefpoir peut-être, qu'il eft parvenu à la fortune ; il m'a donc payé ion bien par un bien plus précieux en- core , pourquoi le lui envirais-je ?

Ses valTaux obtenoient de lui tous les encouragemens pofhbïes ; chaque jour on MtifToit de nouvelles maifons ôc Fernay feroit devenu le bourg ïe plus confidé- rabïe , le plus confidéré de la France , fi Voltaire, s'y fût retiré vingt ans plutôt.

J'ai entendu dire cent fois depuis , qu'il étoit fatirique , méchant , envieux de toute réputation. J'ofe croire que fi on ne l'eût combattu qu'avec des armes dignes de lui ; Voltaire , la politeiïe , la galan- terie même, fâchant refpeéter le mérite , pour être lui-même refpeclé \ bon, humain y

i$6 Essai

infatigable à protéger l'innocence; non Voltaire n'eût jamais paru dans l'arène fàngeufe , l'envie & la fatyre l'ont fait defeendre.

Il avoit {es défauts fans doute ; mais fongeons que les défauts de l'homme cé- lèbre fuivent par tout fa réputation \ tan- dis que ceux de l'homme obfcur ne for- tent pas du cercle étroit qui l'environne. Songeons que l'on ne pardonne rien aux grands hommes qui nous humilient plus ou moins , en nous forçant k l'admiration, ï/amour-propre bïefTé eft (i adroit a nuire ! Il eft ïe mobile du monde moral , comme je crois le folcil celui du monde phy- sique. Quand tous les moraliftes réunis ne feroient occupés pendant un fiècle qu'a développer les replis de l'amour-propre, je doute qu'ils parvinrent à pénétrer le fond de fon labyrinthe ténébreux.

Rien de plus noble fans doute , que de méprifer la critique injufte. Mais la nature en créant l'homme de génie, commença

SUR LA MUSIQUE. I 5 J

par le rendre vif, fenfible , pafftonné, & rarement affez pacifique pour réfifter au plaifir d'une jufte vengeance. L'on n'ou- trage ni Dieu ni la nature impunément- comment ofer efpérer davantage de l'homme le plus parfait ? Qui fait d'ail- leurs fi, pour être ce qu'il étoit , Vol- taire n'avôit pas befoin d'être quelouc fois contrarié ? Son génie s'allumoit à l'afpect d'une feuille de Fréron ; fi cet aiguillon lui eût manqué , fa tête qui cher- choit fans ceffe à s'enflammer, eût trouvé d'autres canfes pour produire les mêmes effets.

Au Cid perfécuté Cinna doit fa naiiïance , Et peut-être ta plume au cenfeur de Pyrrhus Doit les plus nobles traits dont tu peignis Barras.

B O I L E A U.

Un habile peintre de mes amis, M. Menageot , étoit fouffrant \ il s'adreffe à un médecin , heureufement homme d'ef- prit , qui après l'avoir interrogé , nous

158 Essai

dit en for tant de l'attelier : je me garderai bien de le guérir avant qu'il ait fini fou tableau. Sa maladie étoit effectivement produite par la grande fermentation du fang & des humeurs , & Ménageât n'eût pas achevé avec la même force fon fu- perbe tableau de la mort de Léonard de Vinci , fi un médecin ignorant eût calmé à la fois fon imagination & PefFervef- cence de fon fang.

Mon opéra avec madame Cramer , n'avançoit qu'à pas lents , & c'eft pref- que toujours un mauvais figne , quant aux ouvrages d'efprit & d'imagination* Les Comédiens de Genève donnèrent alors Popéra à'Ifabclle & Gertrude , qu'on avoir repréfenté depuis peu au théâtre Italien' de Paris. Le poëme fit plaifir , mais la mufique parut foible. Je réfolus de faire mon premier efTai fur ce poëme de Favart. Je n'éprouvai pas trop de dif- ficulté; il eft vrai que je ne connoiiTois pas la rigidité de la langue , & que j'em-

S tf R MUSIQUE* I^a

ployois toutes les voyelles pour faire des roulades. Tignorois qu'il faut attendre , une chaîne , un vol , un ramage f un triomphe &c. , pour s'y livrer. Je fentis cependant en travaillant que la langue françoife étoit aufïi fafceptible d'accent qu'aucune autre.

Je n'entends pas par accent une cer- taine manière de chanter les vers en dé- clamant; cet accent n'engendreroit qu'une mufique monotone ; il faut au muficien une déclamation plus forte ; fi les inter- vales du poëte qui récite font de i à i, il faut que ceux du muficien foyent de i à 5 il y a au moins cette différence entre îa parole Se le criant.

Si l'on difoit que le chant ne peut imi- ter la parole , parce que la parole n'eft pas un criant : je dirois que la parole eft un bruit le chant eft renfermé , c'eff-à- dire , qu'au lieu de frapper un fon , h parole en frappe plufieurs à la fois. Dé- clamez, vais-je? en élevant l'organe

16e Essai

ce qui eft naturel pour marquer PexckU mation ou l'interrogation ; vous trouverez ut rc mi frapés enfembles pour ou ; & 3 mi fa fol pour vais-je ; voilà du bruit , puifque chaque fyllabe porte trois fons. Que fait alors le muficien ? If prend un des trois fons pour chaque fyllabe, & il dit :

Ut Sol

' 1 p g'

Où. vais - je !

Je me rappelle le premier trait je crus faifir la nature & îa vraie déclama- tion. Cette découverte ( que d'autres avoient faite avant moi , ) me fit conce- voir des efpérances flatteufes pour l'ave- nir , c'eft pourquoi je la rapporte. Dorlis parlant à fon oncle , dit de madame Gertrude qu'il veut couvrir d'un léger ri- dicule :

il

S U R l a MUSIQUE. 1 6 1:

Il faut la voir cette dame Gertrude Avec Ton grand mouchoir noir !

. . ^ I - -H

Il faut la voir cette dame Ger- tru- de

*hnn /";r~rr.r .^ i .■•»Hate

a-vec fon grand mouchoir noir !

On voit que l'exprefïion eft naturelle & vraie ; & que j'avois fingulièrement mis en ufage le précepte des e muets que m'avoit donné Voltaire; l'on voit auflî que je ne les retranchois pas tous , mais feulement lorfqu'ils m'embarrafîbient.

Ce premier opéra françois , eut un fuccès encourageant pour moi : le pu- blic s'y porta avec affluence pendant fîx représentations , & c'eft beaucoup pour une petite ville telle que Genève.

Un muficien de l'orcheftre , maître a danfer , vint chez moi pour me dire

L

•$6*V E s s a r

que les jeunes gens de la ville , pour fuivre l'ufage de Paris m'appelleroient après la pièce; je n'ai, lui dis-je , jamais vu cela en Italie ; vous le verrez , me dit-il , & vous ferez le premier auteur qui ait reçu cet honneur dans notre ré- publique. J'eus beau nie défendre , il voulut abfolument m'enfeigner à faire une révérence avec grâce. Dès que l'opéra fut fini , je fus efFeétivement demandé à pïufieurs reprifes 9 & fus obligé de pa- raître pour remercier le public ; mon homme dans fon orcheftre me crioit : ce nVft pas cela.... peint du tout.... mais allez donc... Qu'as tu donc lui dirent {es confrères ? Je fuis furieux , j'ai été exprès chez lui ce matin pour lui ap- prendre à fe préfenter noblement , voyez fi l'on peut être plus gauche & plus bête.

Je fenris qu'il étoit temps d'aller à Paris. Je fus prendre congé de M. de Voltaire ; je le vis s'attendrir fur mon

SUR t A MUSIQUE. 163

fort & paroiffoit l'envier tout k la fois. Je renouvelais fans doute dans fon ame le temps de fa. jeuneiïe , loriqnil fe jetta dans la carrière des arts , fon trouve quelque fois la gloire avec la fortune; mais bien plus fouvent le découragement fuivi du defefpom

II me dit: vous ne reviendrez plus k Genève , Monfîeur $ mais j'efpère encore vous voir à Paris.

Je n'entrai pas dans cette ville fans une émotion dont je ne me rendis pas compte ; elle étoit une fuite naturelle du plan que j'avois formé , de n'en pas fortir fans avoir vaincu tous les obftacles qui s'oppoferoient au defir que pavois d'y établir ma réputation. Ce ne fut pas l'ouvrage d'un moment ; car pendant près de deux ans, j'eus à combattre comme tant d'autres , l'hydre à cent têtes qui s'oppofoit par tout à mes efforts.

On écrivit à Uége , que j'étois venu k Paris pour lutter contre les PhUrfor p

ï64 E s s

les Duni & les Monfigni ; les muficiens de Liège reprochèrent à mes parens l'excès de ma témérité ; cette menace ne me découragea pas ; au contraire , elle enflamma mon émulation , &ie me difois : fi je peux approcher de ces trois habiles muficiens , j'aurai le plaifir de furpaflèr les compofiteurs liégeois qui s'en reconnoiflent très éloignés.

Je fus deux fois a l'opéra, craignant de m'être trompé ïa première ; mais je n'en compris pas davantage la mufique françoife. On donnoit Dardanus de Ra- meau; j'étois à côté d'un homme qui fe mouroit de plaifir , & je fus obligé de fortir parce que je me mourois d'ennui. J'ai découvert depuis des beautés dans Rameau , mais j'avois alors la tête trop pleine des formes & de la mélodie Ita- lienne , pour pouvoir me reculer tout à coup à la mufique du fiècle précédent ; je croyois entendre certains airs italiens qui avoient vieilli } & dont Cafali mon

SUR LA MUSIQVE. l6$

maître me rapelloit ïes tournures triviales pour me montrer les progrès de fon art; je m'en rappelle deux motifs , les voici ;

La zi- tel- la gra- zio- fet- ta gra- 210- fet -ta 1

Il faut avouer que cette chute efî bien niaife. Voici le motif de f autre :

0ËE

Se ne- ro- ne mi vuol morto... .

Ce morto ho", ho, efl: bien mauvais.

Je fus tout au plus quatre fois, aux ita- liens; j'en connoifTois les meilleures pièces & c'était uniquement pour connoître les taïens & les voix des acteurs. L'étendue de la voix Je M. Caillcau me furprit. Je îe vis dans îa nouvelle troupe ; Pacte ur

L3

166 Essai

fe préfente comme chantant la naute-* contre , la taiïle & la baiTe , & effective-» ment , il auroit pu remplir les t;oh em* plois également bien. C'eft cette première împrefïion de l'organe de Cailhau, qui me fit compofer le rôle du Huion dans un diapafon trop élevé. On trouvera peut-* être extraordinaire que ïe théâtre françois fur celui que je fréquentai afïïduement. Je ne vouîois faire îa mufîque de per-< fonne ; auffi me gardai-je bien d'étudier aucun des composteurs que j'ai cités. La déclamation des grands acleurs, me fem- bïa ïe feul guide qui me convînt , & je crois qu'un jeune muficien peut être fier d'avoir eu cette idée ; la* feule qui pût me conduire au but que je m'étois pro- pofé ; c'efl-à-dire ? d'être moi, en fuivant la belle déclamation.

Cependant pour travailler , me fal- loit un poëme, & pour îe trouver j'allois frapper à toutes les portes ; je ne man«» quois aucune occafion de me lier avec

ST7R LA' MUSIQUE. l6j

hs auteurs dramatiques. Si l'un d'eux me faifoit la le&ure d'un opéra , j'ofois avouer franchement que j'étois en état de l'en- treprendre , de les étonner peut être ; mais on difïimuloit avec moi , & j'ap- prenois fans étonnement qu'on m'avoit préféré quelque muficien connu. Philidor ScJDuni, s'occupoient cependant de bonne foi à me faire avoir un poëme ; les ha- biles gens font naturellement bons & honnêtes ; l'homme inflruit voit avec tant d'intérêt ce qu'il en coûte au vrai talent pour fe faire connoître , que la crainte même de protéger fon rival ne peut l'empêcher d'agir en fa faveur.

M. Philidor m'annonce enfin qu'il a répondu de moi & qu'un poëte veut bien me confier l'ouvrage qu'on lui deftinoit. Je me rends chez lui au jour indiqué ; l'auteur lit , a chaque fcène ma tête s'exal- toit au point que je trouvois à Pinftant le motif & le cara&ère qui convenoit à chaque morceau ; je réponds que cet

L 4

i68 Essai

ouvrage n'eût pas été le plus mauvais des miens. Lorfqu'après de longues études, Pâme commande avec cette impetuofité, elle ne laifTe pas à Pelprit le temps de s'égarer. Je ne trouvai le poëmc eue médiocre & froid ; mais la flamme qui me brûloit eût pu le réchauffer. J'em- bralTai l'auteur ; comment ne vit-il pas dans mes yeux qu'une fi belle ardeur ne feroit pas inutile à fon fuccès ? Non , il ne le vit pas : car trois jours après au lieu de recevoir le manufçtit, M. Phi- lidor m'apprit que l'auteur avoit changé d'avis. Il me permettoit cependant de travailler à fon poëme , pourvu que ce fût avec Philidor , cela nous convenoit à tous deux. Allons , courage , mon ami , me dit cet honnête homme , je ne crains pas de joindre ma mufique à la votre.... Je dois le craindre moi , lui dis-je , car fi la pièce réuffit elle fera de vous ; fi elle tombe le public ne verra que moi. M, Philidor donna un an après fon

SUR LA MUSIQUE, 1 6 <)

Jardinier de Sidon , & l'on fait qu'il eut peu de fuccès.

Je fus quelques jours après me pré- fenter de moi-même à un acteur de la comédie italienne ; il ne difllmula pas combien il me feroit difficile de réufïir à côté des trois mufteiens qui travailloient pour ïeur théâtre. Il me chanta ( toute entière ) la romance de Moniigni ; jufaue dans la moindre chofe, &c. Voilà du chant, monfieur, me dit-il ; voilà ce qu'il faudroît faire ; mais cela efl: bien difficile ! Je fortis de chez lui en compofant des criants de romance que je comparois aux chants de M, Monfigni.

Je fis Ta connoifiTance d'un jeune poète homme du beau monde , pafîànt les nuits à jouer & les jours à faire des vers. Je lui demandai en grâce de me faire un poëme , il me le promit fans héfiter. J'al- ïat lui faire trente vifites pour l'encourager à cette bonne œuvre , ck comme les aimables libertins ont fouvent un bon

37° Essai

cœur, il fe laifTa toucher & travailla. Les Mariages Samnites (i) fut le fujet qu'il choifit. Jallois chaque matin m'in- former de la fanté de mon auteur , il me ïifoit ce qu'il avoit fait , je lui arra- chois fcène par fcène, & j'en faifois aum- tôt la mufique. II me fallut attendre long- temps r mais n'importe ; l'envie que j'a- vois de travailler me donnoit une pa- tience a toute e'preuve.

Je connoifTbis MM. Suard & l'abbé Arnaud, Je leur fis entendre ce que j'a- vois fait des Mariages Samnites. Ces MM. me jugèrent avantageufement -y fabbé Arnaud, fur-tout m'applaudit avec î'enthoufiafme de l'homme inftruit qui n'a nul befoin du jugement des autres pour ofer approuver.

Si je fus flatté de ce fuccès, mon

(i) Cette pièce n'étoit pas ceîie qui fut donnée fous lemtsie titre en 1J76 y dont il fera parlé ci-apies..

SUR LA MUSIQUE. 171

poète n'en fut pas moins encouragé a finir fa pièce. Ces MM, m'annoncèrent chez les gens de lettres, & je fus peu de jours après invité à un dîner chez M, le comte de Cnut\ alors envoyé de Suède. J'y exécutai les principales fcènes de mon opéra ; j'entendis pour la première fois parler de mon art avec infiniment d'ef- prit ; j'en fus frappé , car j'avois remar- qué pendant mon féjonr à Rome, que Jes Italiens fentent trop vivement pour raifonner long-temps. Un oh dio ! en pofant la main fur leur cœur , eit ordinal" rement le figne flatteur de leur appro- bation. C'elt dire beaucoup fans doute \ mais fi un foupir dans ce cas , renferme une réthorique ; il faut convenir qu'elle eft peu inftructive.

Parmi les gens de lettres qui étoient de ce dîner ^ je remarquai que MM. Suarâ & l'abbé Arnaud y parloient fur la mn- (ique avec ce fentiment vrai , que l'ar- tiftç qui a tout femi pendant fon travail }

i 7 2- Essai

fait fi bien apprécier. M. Vemet,me parla comme s'il eût compofé de îa mufiquc toute fa vie. Je vis qu'il eût été le mu- sicien de ïa nature , s'il n'en eût été ïe peintre.

Qu'importe d'ailleurs la route que l'on prenne ? Soit les jeux ou les oreilles , pourvu qu'on arrive au cœur.

Qu'il me Toit permis d'examiner pour- quoi les gens qui ont le plus d'efprit , ne font pas ceux qui favent le mieux apprécier un trait de chant 3 une note de baffe &c. Lorfque j'exécute ma mu- fique auprès d'eux , je remarque qu'ils éprouvent l'inquiétude qu'avoit fans doute l'ontenelle ïorfqu'il difoit fonatc , que me veux tu ? Tandis qu'une femme , un en- fant font doucement agités de fenfations agréables.

Je ne donnerai ici mes idées , que comme un foible apperçu, qui ne peut réfoudre un problème aufîi métaphifique, ck trop au defïus de mes forces.

SUR LA MUSIQUE. 173

Voyons d'abord queî eil le travail ha- bituel de Fhomme de lettres en général. Soit qu'il écrive ou qu'il parle , c'ell le plus fouvent d'orner des grâces de l'ef- prit , la fhnple vérité , qui n'a befoin d'aucune parure étrangère. Pourquoi donc ne pas îa préfenter à nos yeux fimpîe & naturelle ? Parce que les hommes de génie font rares , & qu'elle ne fe montre qu'à eux feuls. L'homme de génie lailTe après lui une foule d'imitateurs , qui , n'ofant plus dire de la même manière ce qui a déjà été dit, font obligés de dé- guifer la vérité fous ïe charme des grâces. J'avoue même que fouvent fiilufion eit fi parfaite, fi féduifante qu'on eft tenté de prendre l'apparence pour la vérité elle- même.

Plus on a écrit fur un même fujet; plus il devient difficile à traiter ; Se comme il eft impoflible de rien ajouter à la vé- rité , il faut que chaque jour l'elprït fa fie de nouveaux efforts , pour lier entre

1 74 Essai

elles , des idées incohérentes dont les rapports deviennent enfin fi déliés, fi fubtils, fi délicats, que l'efpri.t même s'é- garant dans fon vafte empire , perd la dernière étincelle du flambeau de la vé- rité

La mufique n'ayant befoin pour être bien fentie , que de cet heureux inftincT: que donne la nature , il fembleroit que fefprit nuit à I'inflinâ ; que l'on n'ap- proche de l'un qu'en s'éloignant de l'autre ; Se qu'enfin plus vous aurez de facilité à combiner ck à rapprocher des idées > plus vous affaiblirez le taS naturel qui ne fent qu'une chofe à la fois , & c'eft afTez pour bien fentir. L'homme livré a la fimple nature , reçoit fans réfiftance la douce émotion qu'on lui donne. L'homme d'efprit , au contraire , veut favoir d'où lui vient le plaifir ; ôc avant qu'il par- vienne à fon coeur , il eft évanoui. Le fentiment eft volatil comme î'efTence ren- fermée dans un vafe , que ïe contai de

SÛR LA MUSIQUE, 1 7 j

fair fait évaporer : de même une fenfa- tion eft perdue fi elle frappe des organes habitués à analifer pour fentir.

Tout le monde cependant veut avoir l'air d'aimer la mufique ; chacun fait qu'elle eft un élan de i'ame , le langage du cœur; convenir que cette langue nous eft étran- gère , feroit faire un aveu d'infenfibiiité ; Ton fe donne donc pour connoïffeur , on dit ah ! que c\fl délicieux ! avec une mine à la glace, Si l'on eft homme de lettres on fe dépêche d'écrire une bro- chure fur la mufïque ; on y dit que les muficiens font des bêtes qui ne favent que fentir , & à force de raifonnemens , l'on s'établit mulicien à leur place.

Voudra-t-on inférer de ce que je viens de dire , qu'il faudra pour avoir le fen- timent de fa mufique, n'être ni poëte, ni hiftorien , ni orateur , ni homme d'ef- prit enfin ? Non fans doute , mais il faut je crois tenir de fa nature , elle- même, une de ces qualités, ou toutes

iy6 Essai

( s'il ctoit pofTible , ) & il ne fufïît pas de les avoir acquifes par un travail forcé d'érudition , de compilation , qui peut fans doute ouvrir un chemin neuf à l'homme bien , mais qui ne donne a l'homme ordinaire que le défefpoir de ne jamais approcher de fes modèles.

Voulez-vous favoir fi un individu quel- conque eft fenfiole à la mufique ? Voyez feulement s'il a l'efprit fïmple & jufle ; fi dans fes difcours , fes manières , fes vêtemens il n'a rien d'afTe&é ; s'il aime ïes fleurs, les enfans ; fi ïe tendre fenti- ment de l'amour le domine.

Un tel être aime paffionnément l'har- monie & la mélodie qu'elle renferme , & n'a nul befoin de compofer une bro- chure d'après ïes idées des autres , pour nous le prouver.

Tout fe difpofoit au gré de mes de- firs ; il ne me refïoit plus qu'à trouver dans mes acteurs , des juges aufîi indul- gents que les hommes célèbres dont je

venois

SUR LA MUSIQUE. ÏJJ

veïioïs d'obtenir l'approbation ; je cher- chois les moyens de leur faire entendre ma mufique , quand mon poëte m'apprit que notre pfïèçe avoir été refufée. Il fut réfolu que l'ouvrage feroit refondu & ar- rangé pour l'opéra , car les comédiens , Se fur- tout Cailleau , f avoient jugé trop noble pour leur théâtre , & ils avoient raifon: Un mois fufrlt au poëte & à moi, pour cette métamorphofe. Les protecteurs de mon talent , ( & en faut a Paris quand on n'eft pas connu ) avoient parlé de mon ouvrage au feu Prince de Conti , qui ordonna a Trial directeur de fa mu- fique & de l'opéra , de faire exécuter chez lui les Mariages Samnites. Fen fis moi- même prefque toute la copie ; ma fortune ne me permettant pas d'en faire la dé- penfe. Lorfque le jour qui alloit décider de mon fort fut arrivé; Trial me fit dire de me trouver le matin au magafin de l'opéra pour la répétition des chœurs. C'eft ici qu'il faudrait une plume exer-

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178 E S S A î

cée pour décrire tout ce que j'entrevis de fâcheux , fur la mine des muficiens raflemblés ; un froid glacial règnoit par tout : fi je voulois pendant l'exécution ranimer de ma voix ou de mes geftes, cette maffe indolente, j'entendoisrire âmes côtés , & l'on ne m'écoutoit pas. Je fré- mis davantage ie foir en voyant chez Monfeigneur le Prince de Conti, toute la cour de France raflemblée pour me juger ; depuis l'ouverture, ( qui, aujourd'hui, efl en partie celle de Silvain) jufqu'à la fin de l'opéra, rien ne produifit le moindre effet : l'ennui fut fi univerfel que je voulus fuir après le premier a£te ; un ami me re- tint ; l'abbé Arnaud me ferra la main , il avoit faîr furieux j il me dit : vous n'êtes pas jugé ce foir , il femble que tous les muficiens s'entendent pour vous écorcher, mais vous vous relevere^ de , je vous h 'jure fur mon honneur. Le Prince eut l'ex- trême bonté de me dire : je n'ai pas trouvé exaçlement ce que vos amis m'avoient

SUR LA MUSIQUE. zj<£

■annoncé , mais je fuis fâché que perfonne n'ait applaudi une marche que j'ai trouvée charmante, C'étoit celle que j'ai placée eufuite dans le Huron. Je dois ici rendre juftice à un de mes chanteurs , qui , au milieu de l'exécution la plus foporifîque, déploya toute l'énergie du grand talent ôc de la probité. Si fon rôle eût été plus considérable , ou pour mieux dire s'il eût à lui feul chanté tout f opéra, j'eufTe obtenu un fuccès ; mais l'ennui s'étant déjà emparé de l'auditoire , quand il commença , il ne put parvenir à le tirer de fa léthargie. Cet honnête artifle, cet homme déjà retiré de l'opéra, qui n'avoit jamais eu fans doute l'ame alTez baffe pour s'oppofer au fuccès des talehs naif- fants , c'eft. M. Géliote. On fe figure ai- fément dans quel état je rentrai chez moi après cette répétition : mais ce que l'on ne fe figurera pas , c'eft l'effet que pro- duifit fur mon efprit déjà abattu , la lec- ture de deux lettres que je trouvai en ren-

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180 Essai

trant chez moi ; îa première étoit ano nime; elle contenoit ces mots confoïants : vous croye^ donc , honnête liégeois , venir figurer parmi les grands talciis de cette ca- pitale? Défabufe^-vous , mon cher , plie^ bagage; retourne^ che\ vos compatriotes & leur faites entendre votre mujîquc ba- roque qui n'a ni fens , ni raifon. L'autre datée de Londres , étoit de Mylord A... dont j'ai parlé ci-devant. II m'écrivoit, qu'il ne jouoit plus de lajlutte , & qu'il fupprimoit ma penfion, t

Je n'ofai pas , comme on peut le pen- fer , demander au directeur Trial , fi l'on donneroit mon opéra ; cette demande auroit été ridicule. Les gens de lettres qui s'intéreflbient k moi , voyant que je projettois de partir, engagèrent M. Mar- montel k me faire un poëme. II vint me trouver ; il m'avoua franchement qu'il avoit donné une pièce aux Italiens ( la Bergère des Alpes ) & que malgré fou peu de fuccès , il alloit travailler fur un

SUR IA MUSIQUE, l8l

conte de Voltaire , qu'on venoit de pu- blier. ( VIngénu ou le Huron ) Vous me rendez la vie , lui dis-je ! car faime ce charmant pays ou Ton me traite fi mal. Cet ouvrage fut fait, paroles & mufique , en moins de fîx femaines. M. l'Envoyé de Suède qui s'étoit déclaré mon plus zélé partifan, même après mon défaftre, pria M. Caillcau de venir dîner chez lui pour entendre un ouvrage dans lequel on lui deftinoit un grand rôle ; il m'a dit depuis, qu'il fut fur le point de refufer l'invitation , s'étant déjà fi fouvent com- promis pour de mauvais ouvrages. Il n'accepta que par égard pour M. l'En- voyé de Suède & pour 1VL Marmontel. II écouta avec défiance les premiers mor- ceaux ; mais dès que je lui chantai , dans quel canton ejl VHuronie ? il marqua le plus grand contentement ; il nous dit qu'il fe chargeoit de tout, & que nous ferions joués incefTamrnent. C'ejl donc y

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i 8 1 Essai

dit-il , cet homme dont j'entends fi horri- blement déchirer les talens !

D'après ce que je viens de dire , le jeune compofiteur fentira combien eft important de foigner en tout point ïe premier efTai qui va le faire connoître , ou reculer fes progrès pour plusieurs an- nées. Un jeune peintre eft cent fois plus heureux que lui ; un tableau eft aifément place' dans fa véritable perfpeétive ; mais l'exécution de la mufique exige des at" tentions préliminaires qu'on n'accorde guère a un arrifte peu connu.

SUR LA MUSIQUE. 183

LE H U R O N.

Comédie en deux Actes , en vers , paroles de M. Marmontel; repréfenté pour la premère fois parles Comédiens Italiens, le zo Août ij68.

M. Caïlhau me conduifit chez ma- dame La Ructte , je trouvai les prin- cipaux comédiens rafTemblés , j'exécutai feul au clavecin , toute la mufique de cet ouvrage : nous fîmes une répétition au théâtre quelque jours après ; lorfque Cailleau chanta l'air , dans quel canton eft l'Huronie , & qu'il dit , mejjieurs mef- fieurs , en Huronie... Les muiiciens ces- sèrent de jouer pour lui demander ce qu'il vouloit ; mais je chante mon rôle, leur dit-il ; on rit de la méprife , èk l'on reprit le morceau. Les répétitions fe firent avec zèle , Se je fentis renaître l'efpoïr de réufîlr à Paris. Le jour de la première représentation , j'étois dans une telle

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184 Essai

perplexité, que trois heures à peine étoient formées, que je fus me pofter au coin de la rue Mauconfeil ; , mes regards fe fixoient furies voitures. cV fembloient attirer les fpecrateurs , Se falliciter d'avance ïeur indulgence. Je n'entrai dans la falîe que lorfque la première pièce fut jouée ; ck lorfque je vis qu'on âlîoit commencer l'ouvert ure du Huro.i , je defeendis à Porche ftre. Mon intention étoit de me recommander au premier violon ( M. Lchcl ) Je le trouvai prêt à frapper le premier coup d'archet ; fes yeux étoient enflammés, ïes.trairs de fon vîfage étoient changés au point qu'on r.uroit pu le mé- connaître ; je me retirai fans mot dire y & je fus faifis d'un mouvement de reçon- noiflance dont je n'ai jamais perdu le fouvenir. J'ai depuis obtenà qu'il fût nommé mufidéii du Roi , avec âouze cents francs de penfion. Le public fit comme Cailleau , il écouta le premier morceau avec défiance ; il me croyoit Ita-

SUR LA MUSIQUE. 185

lien parce que mon nom fe termine en i : j'ai fa depuis que le parterre difoit, nous allons donc entendre, des roulades & des points d'orgue à ne jamais finir. Il fut trompé & me dédommagea de la pré- vention : le duo , ne vous rebute-^ pas &c , détruifït le préjugé ; Cailleau parut , fit aimer le charmant Huron , qu'on a long- tems regreté à la Comédie Italienne. Madame Laruette chanta Je rôle de ma- demoifelïe "de Saint-Yves , avec fa fenfi- bilîté toujours fi décente ; M. Laruette déploya dans celui de Gilotin fa panto- mime comique fans charge. L'excellent A£teur , M. Clairval , toujours animé du defir d'être utile à fes camarades & aux arts , ne dédaigna pas de fe charger du petit rôle de l'Officier François : ïe fuc- cès fut décidé après le premier a&e, & confirmé à îa fin du fécond ; on demanda les Auteurs , Clairval me nomma ; Se dit que l'Auteur des paroles étoit anonime. Si j'ai jamais pafle une nuit agréable.

i 86 Essai

ce fut celle qui fuivit cet heureux jour! Mon père m'apparut en fonge ; il me tendoit les bras, je m'éîançois vers lui, en faifant un cri qui diflipa un fi doux preftrge. Cher auteur de mes jours, qu'il fut douloureux pour moi de penfer que tu ne jouirois pas de mon premier fuc- ces ! Dieu qui lit au fond des cœurs fait que le defir de te procurer l'aifance qui te manquoit , fut le premier mobile de mon émulation ! Mais dans Pinftant même je luttois contre l'orage avec quelque efpoir de fuccès ; quand des amis cruels faifoient entendre à ce malheureux père, combien mes efforts étoient témé- raires; lorfque enfin, j'étois Punique objet de fes inquiétudes , & que d'une voix prefque éteinte , il difoit : je ne verrai plus mon fils ! RèuJJira-t-il ? La mort vint terminer des jours menacés depuis long-tems , & que j'allois rendre plus heureux !

Un Peintre de mes amis , vint me

SUR LA MUSIQUE. 187

trouver le lendemain ; je veux , me dit- il , te montrer quelque chofe qui te fera plaifir : allons ; lui dis-je , car je fuis fa- tigué d'entendre des lectures de pièces . Comment ? Déjà ? - Bon ! Tu vois un homme auquel depuis ce matin on a offert cinq pièces reçues aux Italiens. Tout ou rien eft un adage qui fe réalife fur tout à Paris, Les poëtes qui m'ont ho- noré de leurs vifites , font ceux que j'avois folliciris vainement pour avoir un ouvrage. ah ! Me dit mon ami , j'ai bien ri hier a Famphitéâtre : j'étois entouré de ces mefikurs , & à la fin de chaque morceau ; ils s'ecrioient , ah ! il fera ma pièce ! Vous verre^y mejjieurs , V ouvrage que je lui dejîine ! Si l'on finifloit un air comique : ah ! J'ai aujji de la gaieté dans mon ou- vrage ; bravo ! Bravo ! C'eft mon homme* Enfin , pourfuivit le Peintre , as tu accueilli quelques uns de ces meilleurs ? Non : je leur ai dit que M. Marmontel méri-

i 8 S Essai

toit la préférence , puifqu'il avoit bien voulu fe hafarder avec moi.

Je fortis avec mon ami ; il me con- duifit dans une petite rue derrière la Comédie Italienne ; puis m'arrêtent vis- à-vis une boutique ; je vis au grand Hu- ron. 2V. marchand de Tabac. J'entrai , j'en pris une livre : parce que je le trouvai ? comme de raifon , meilleur que par-tout ailleurs.

Si je fus enchanté de la réuflite du Huron , je ne le fus pas moins d'un autre événement auquel j'étois bien foin de m'attendre. Eût-on pu croire , en effet , que dans le tems de mon arrivée à Pa- ris , lorfque je quètois infruétueufement dans cette grande ville , des poëmes k mettre en mufique , & que je n'avois effectivement aucun titre pour infpirer beaucoup de confiance aux Parifiens , le premier Poëte de la France & de fon fiècle , M. de Voltaire. me tenoit la pa-

SUR LA MUSIQUE. i 8 Q

rôle qu'il m'avoit donnée, fur laquelle je n'ofois compter, ôc faifoit pour moi des opéras comiques ? A la vérité , il avoit marqué, ainiï que madame Denis, fa nièce, beaucoup d'indulgence pour les morceaux que j'avois exécutés devant lui à Ferney, mais quelques airs détachés, ôc la mu- fique que j'avais refaite for l'Opéra d'Ifa- beiïe & Gertrude de M. Favart , me pa- roiflbîent des titres infuffifans pour exciter l'attention d'un homme tel que M. de Voltaire., & pour mériter fes encourage- mens. Quand , pour me déterminer à ve- nir à Paris il m'aiTuroit qu'il travailleroit pour moi , je crus qu'il plaifantoir , ôc je fus loin d'imaginer que M. de Voltaire pût quitter quelques momens le feeptre de Meïpomène pour les grelots de Momus. Il le fit pourtant, & compofa en fe jouant le Baron d'Otrante , & les deux Tonneaux. Je reçus le premier pendant qu'on jouoit encore le Huron dans fa nouveauté. Le Conte de M. de Voltaire intitulé ï>Edu-

tyo Essai

cation d'un Prince , lui fournit le fujet dti Baron d'Otrante. Je fus chargé de pré^- fenter la pièce aux Comédiens Italiens, comme Pouvragc d'un jeune Poëte de Province. Le fujet parut comique & mo* rai , ôc les détails agréables : mais ils ne voulurent point recevoir cet ouvrage fans que fAuteur y fit des change mens. Ce qui les choqua peut-être , c'eiî; que Y un des principaux rôles , celui du corfaire , eft écrit en italien , &: tous les autres en françois. Ce mélange des deux idiomes n'étoit point rare fur leur théâtre dans les Comédies dites italiennes; mais c'étoit une nouveauté dans l'Opéra comique , ck ils ne voulurent point, la hafarder > fur tout n'ayant pas de chanteur Italien» Cependant ils voyoient très-bien dans le Baron d'Otrante , un talent qui pou- voir leur être utile , & ils m'engagèrent à. faire venir le jeune Auteur anonime à Paris. Je leur promis d'y faire mes efforts. On peut croire que la proportion fit rire

SUR LA MUSIQUE. 191

M. de Voltaire , & qu'il fe confola faci- lement du refus des Comédiens. Pour moi , je fus très-fâché de ce contre tems qui me fit renoncer à mettre fa pièce en mufique , comme il renonça de fon côté à l'Opéra comique.

Le public ne tarda pas à me mettre au rang des compofiteurs dignes de fes encouragemens ; mais on m'accordoit trop , ou pas allez : on commença par me refufer le genre comique , quoiqu'il y eût du comique dans ïe Huron. D'autres cherchèrent à arranger mes chants fur le fyftême de la baffe fondamentale , & elle ou moi nous nous trouvâmes quelque fois en défaut.

J'ai , me dit un homme , cherché vai- nement la baffe fondamentale de fa notte du cor , dans le récitatif obligé de ma» demoifelle de Saint-Yves , au fécond a&e. Quelle raifon me donneriez-vous de cette fortie d'un ton à l'autre, fans rapport entre les harmonies ?

i 9^ Essai

La voici , ïui dis-je. C'eft parce que le Huron dont mademoifelle de Saint- Yves s'imagine entendre les accens, eft trop éloigné du lieu de ia fcène, pour favoïr dans quel ton Ton y chante : Et fi îa hafîe iondamentaie ne peut juf* tiner cet écart? Tant pis pour elle : mais ii n'en eft pas moins vrai que l'on ne peur chanter un duo en tierces , lorfqu'on eft à une demi-lieue l'un de l'autre, La raifon eft bien pour vous , me dit -il, mais la règle?... Je rencontrai mon homme quelque tems après '.foye^ tranquille , me dit-il , j'ai trouvé la baffe fondamentale de votre notte»

Malheur à Partifte qui , trop captivé par la règle , n'ofe fe livrer à l'eflbr de fon génie ; il faut des écarts pour pou- voir tout exprimer ; il doit favoir peindre l'homme fenfé qui palTe parla porte, ôc Je fou qui faute par la fenêtre.

Si vous ne pouvez être vrai , qu'en créant une cembinaifon inufirée ; ne

craignez

SUR I- A MUSIQUE. 1^3

craignez point d'enrichir la théorie d'une règle de plus : d'autres artiftes placeront peut être encore plus a propos la licence que vous vous êtes permife , & forceront les plus févères a l'adopter. Le précepte a prefque toujours fuivi l'exemple. Ce n'en: cependant qu'à l'homme familiarifé avec la règle , qu'il efl quelquefois per- mis de la violer , parce que lui feul peut fentir, qu'en pareil cas, la règle n'a pu fuffire.

Tachons de voir maintenant pourquoi ma mufique s'ert établie doucement en France , fans me faire des partifans en- thoufiaftes , & fans exciter de ces difputes puériles , telles que nous en avons vues. C'efl , je crois , à mes études & à la manière que j'ai adoptée , que je dois cet avantage.

J'entendois beaucoup raifonner fur la mufique , & comme , le plus fouvent , je n'étois de l'avis de perfonne , je pre- nois le parti de me taire. Cependant je

N

ij4 Essai

me demandoïs à moi-même , n'eft - point de moyen pour contenter à peu près tout le monde ? II faut être vrai dans îa déclamation, me difois-je, a laquelle le François eft très-fenfible. J'avois remar- qué qu'une détonnation affreufe , n'aïte- roit pas le plaHir du commun des audi- teurs au fpe&acle Iirique : mais que la moindre inflexion faufTe au théâtre Fran- çois , caufoit une rumeur générale. Je cherchai donc la vérité dans la décla- mation , après quoi , je crus que le mu- ficien qui fauroit le mieux la métamor- phofer en chant , feroit le plus habile. Oui c'eft au théâtre François , c'eft dans îa bouche des grands a&eurs , c'euVlà que ia déclamation accompagnée des illufions théâtrales , fait fur nous des imprefïions inefaçabïes, auxquelles les préceptes les mieux décrits , les mieux analifés ne fup- pléront jamaîs.

C'eft-là que le muficien apprend à in- terroger les pafîions, a fcruter Je cœur

SUR LA MUSIQUE. I <J f

Jiumain 9 à fe rendre compte de tous les mouvemens de l'âme. C'eft a cette école qu'il apprend à connoître ôc à rendre leurs véritables accens ; à marquer leurs nuances ck leurs limites. Il eft donc inu- tile , je le répète, de décrire ici les fen- timens dont l'action nous a frapés ; fi îa fenfibilité ne les conferve au fond de notre ame, fi elle n'y excite les orages Ôc ne ra- mené le calme , toute defcription eit vaine. Le compofiteur froide l'homme fans paf- fïons ne fera jamais que l'écho fervile qui répète des fons , ôc îa vraie fenfibilité qui l'écoutera n'en fera point émue.

Perfuadé que chaque interlocuteur avoit fon ton , fa manière ; je m'étudiai à con- ferver à chacun fon eara£tère.

Bientôt je m'apperçus que ïa mufique avoit des reflources que la déclamation feule n'a point. Une fille , par exemple , aflure a fa mère qu'elle ne connoît point l'amour : mais pendant qu'elle arTecle î indifférence par ug chant fimple ôc

N 2

i$6 Essai

monotone , l'orcheftre exprime le tour- ment de fon cœur amoureux. Un nigaud veut-il exprimer fon amour , ou fon cou- rage ? S'il eft vraiment animé , il doit avoir les accens de fa paflion ; mais l'orcheftre par fa monotonie , nous montrera le pe- tit bout d'oreille. En général , le fentiment doit être dans le chant ; l'efprit , les geftes , îes mines doivent être répandus dans les accompagnemens.

Telles furent mes réflexions Se mes études. Je ne dirai pas que les acteurs que je trouvai a Paris , étoient plus ac- teurs que chanteurs , & que je devois , par cette raifon adopter le fyftême de ïa déclamation muficaîe , non : je ferai plus vrai. Je dirai que la mufique de Per~ golefc m'ayant toujours plus vivement af- fecté que toute autre mufique , je fui vis mon inftincl:; il fe trouva conforme à ce- lui d'un public qui aime à faire paffer les plaifo par l'alambic de la raifon. Le fexe qui reçut la fenfibilité en partage ,

sur éa musique. i <ff fut mon premier partifan ; le jeune étourdi me trouva de l'enjouement Ôc de la fineiTe* l'homme févère dit que ma mufîqne étoit partante : îes vieux partions de Lulli 6c de Rameau y trouvèrent dans mon chant certains rapports avec celui de leur héros. Mais lorfqu'on veut bien applaudir aux efforts d'un artifte , qu'il eft loin d'être fatisfait de Ton travail ! Tantôt il fent que la déclamation fe perd dans les chants vagues & fuaves , ou qu'une belle mé- lodie exclut une harmonie complette ; que c'eft toujours en facrifiant une partie qu'il en fait refîbrrir une autre. Il voit, en travaillant , la fource des difTérens fyC- têmQs , & des querelles qu'ils font naître,! mais oubliant l'opinion , il ne doit être guidé que par îe fentiment qui le maî- çrife.

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ïjS E s s a r

L U C I L E,

Comédie en un a&e, en vers, paroles de M. Marmontel y repre'fente'e pour la première fois par les Come'diens Italiens , le S Janvier 1"jSq.

Cette pièce fut attendue avec impa- tience : mon premier ouvrage avoit été jugé avec indulgence , mais le public ne vouloit m'accorder un fécond fuccès qu'avec plus de retenue : cette comédie je trouvai de quoi déployer ïa fenfibi- ïité domeftique , fi naturelle à l'homme dans ïe pays des bonnes gens {g) , réveilla , j'ofe le dire , ce fentiment pré-* deux.

peut-on être mieux qu'au fem de fa famille

Fit couler les larmes des fpectateurs, fur- pris d'être émus par de nouveaux reiTorts dans le pays de la galanterie.

Ce morceau de mufique a fervi depuis qu'il çft connu , pour confacrer les fêtes.

SUR LA MUSIQUE. 199

de famille. Un jeune homme , dont je devrois favoir le nom , étoit a la première repréfentation de cette pièce : il apperçut feu Monfeigneur îe Duc d'Orléans, cf- fuyant fes yeux pendant le quatuor : il fe préfente le lendemain avec confiance au Prince qui ne le connoiffoit pas ; Mon- feigneur , dit-il en fe jettant à fes genoux , j'ai vu pleurer votre Altejfe hier au qua- tuor de Lucile. Paime êperdument une de- moifelle qui appartient à un Gentilhomme de votre maifon ; il refufe de nous unir parce que ma fortune ne répond pas à la fienne r & j'implore votre protection. Ce bon Prince lui promit de s'inftruire de l'état des chofes , ck le mariage fut fait peu de tems après* Je demande fi à cette noce on chanta le quatuor ? Je me trou- vai moi-même quelque tems après chez un Seigneur , dont le frère venoit d'épou- fer , contre fon gré , une demoifelle de qualité ; la jeune dame , belle comme Venus j fe préfente chez îe frère de fon

N4

aoo' Essai

mari; elle y eft reçue très-poliment, c'eft- à-dire froidement : cependant comme j'apperçus que les carefTes de la dame jettoient du trouble dans le cœur de fon beau-frère , je les engageai à s'approcher du piano, je chantai le quatuor avec ef- fufîon de cœur , ôc j'eus le plaiflr de voir , après quelques mefures , h frère & la fœur s^entrelafTer de leurs bras en répan- dant les larmes fi douces de la réconci- liation. S'il eft permis de joindre l'épi- grame à ce que le fentiment a de plus précieux, je rapporterai l'anecdote fui- Vânfe. Dès Officiers de judicature , créés feus les aufpices d'un ancien minirtre , dont les opérations n'avorent pas eu l'ap- probation publique, affiftoîent dans leur lo^c à un fpeciacle de province ; on re- preiëntoit la tragi-comédie de Samfon. Arlequin luttoit fur la fcène avec un din- don qui s'étant échappé , fe réfugia dans la loge de ces officiers : auflï-tôt le par- terre fe mit à chanter en chœur : peut*

SUR LA" MUSIQUE. 201

on être mieux qu'au fein de fa famille ? La Comédie Italienne n'avoit jufqu'à cette époque donné aucune pièce dans Faquelle le fentiment prédominât : auffi dès que le quatuor fut fini , les fpe&ateurs reçurent Caineau avec des éclats qui fem- bloient dire nous allons rire avec le bon nourricier de Luciîe. Cailleau fixa le par- terre avec un regard douloureux 3 & dit:

Je viens dans la douleur-, Et j'apporte ici le malheur.

Le monologue de Blaife ah ! ma femmô qu'avec vous fait ? fut chanté Se jcué par cet Aâeur inimitable , d'une manière fu- blime : & je dirai, pour faire fon éloge, qu'il parut court. Il a fouvent paru long depuis. Le poëte & le muficien , avoient preflenti les talens de M. Cailleau en faifant ce monologue.

Son organe commençoit à s'afToiblir, mais chaque jour il fe montroit plus grand comédien. Pour fe çofrumer avec plus de

aox Essai

naturel , il avoit arrêté un payfan dan$ les rues de Paris , en le priant de lui prêter fon habit; il parut fur la fcène les pieds poudreux , &: pour la première fois avec ïa tête chauve. Chacun ïe félicitoit fur fon courage à s'être fait rafer la tête , pour être mieux dans fon rôle : lorfqu'il nous apprit qu'il n'avoit fait que îa moitié du facrifice , c'eft-à-dire qu'il portoit depuis, long-tems un faux toupet, que perfonne n'avoit reconnu.

Les paroles & îa mufique eurent un iuccès égal. I) on demanda les Auteurs j M. Çlairval vînt comme au Huron me nommer ? en ajoutant , que l'auteur des paroles étoit anonime. lia ton, dit une voix forte & toute la falle applaudît.

Qu'il me foit permis de m'arrêter un infiant pour examiner le monologue de Blaife , que bien des gens ont nommé mal-à-propos récitatif.

Ah! ma femme quavez-vous fait !

SUR. LA-MUSIQUE. 205

Ce début eft de pure déclamation.

Méchante mère,

Les notes pointées indiquent l'indi-

gnation.

De la misère Voilà l'effet.

Il ne faut pas tout déclamer ; la mé- lodie prend ici la place de la déclama- tion. Des flûtes accompagnent ce trait, pourquoi ? Blaife femble dire : hélas! ayez pitié de ma misère, c'eft elle qui fuggéra le crime dont ma femme s'eft rendue coupable.

Elle aime un amant qui l'adore.

Pourquoi n'ai-je pas élevé la voix fur amant, mais fur ces mots, qui l'adore} Parce que le pronom qui défigne Luci/ey y eft compris, & qu'elle eft la victime intérefTante pour les fpe£tateurs.

Une heure de plus.

Ces quatre notes dont le fens refte

2.04 Essai

fuf pendu , font, je crois, d'une grande vérité.

Une heure encore, Ils alloient être unis." Hélas ! Fille trop chère ,' Du crime de ta mère , C'eft toi que je punis.

Il falloit appuyer fur toi, cela eft in- conteftable , & aucun muflcien , aucun déclamateur n'y auroit manqué.

Quitter fes beaux habits ; Retourner au village,

Y prefler mon laitage ,

Y garder mes brebis.

Ces quatre vers portent un chant de mufette. L'oppoficion du crime avec les chants de l'innocence du premier âge, forment un contraire qu'on n'a pas négliger.

La pauvre enfant , quelle pitié ! Elle a pour moi tant d'amitié ! Et moi je viens lui percer l'ame.

Ce dernier vers doit être appuyé par

sur u Musique, ioj f orcfceftre , c'eft lui qui marque la cruauté de Blaife : il faîloit auffi employer des fons graves, pour rendre l'exclamation fuivante plus fenfible.

Ah ! ma femme ! Sic.

On ne fait rien fi je me tais !

Ma fille efl à fon aife.

Et fon cccur efl en paix.

La modulation eft heureufe ; c'eft îa première fois que Blaife fonge à cacher le crime commis : aufîl le ton de bé- mol , ne s'eft-il pas fait entendre dans tout ce qui a préce'dé.

Que dis-tu Blaife ? Que je me taife !

II y auroit eu de l'ignorance à mettre en chant ces deux vers qui font indiqués pour être en récitatif.

Non non jamais. Non non jamais.

Le repos après cet éclat eft d'un bel effet.

io£ Essai

On ne fait rien fi je me tais !

Ma femme eft morte.

Eh b^n qu'importe ?

Je le fais moi .

La bonne foi,

Voilà ma loié

Tous ceux qui avoient intérêt a Pou- vrage , vouloient abfolument me faire changer la mufique du vers.

Je le fais moi.

II falloit , difoit-on , des fons élevés Se forts pour rendre ce vers. Je foutiens que c'étoit le contraire , ôz que Blaife fembloit dire , je le fais moi ( dans le fond de mon cœur ) & éclater en fuite fur,

La bonne foi Voilà ma loi.

C'eft dire , ma bonne foi va faire écla- ter le fecret que mon cœur renferme.

Le public fentit comme moi fans doute, puifqu'il interrompit par des applaudifle-

SUR LA MUSIQUE. Î.OJ

mens l'a&eur qui le fixoiten difant d'une voix grave , je le fais moi !

Ce monologue le feul peut-être , que je ferai dans ce genre , la déclamation , l'harmonie & la mélodie concourent a fex- prefïîon , m'a paru mériter d'être analifé. On m'a demandé cent fois ^ fi je pré- férois ce morceau au quatuor ? je dirai qu'il faut un fentiment plus profond, une plus -grande connoifTance du cœur hu- main , pour faire ce monologue ; & qu'un înftant d'infpiration , à fuffi pour pro- duire le quatuor.

Le public en accordant un plein fuccès à cet ouvrage , fe confirma cepen- dant dans l'idée que le genre gai m'étoit refufé : les journaux répétèrent ce que le public avoit dit, & l'on me reprocha de faire pleurer à l'opéra comique. Je ré- pondis a ce reproche par....

io2 Ë S S A ï

LE TABLEAU PARLANT.

Paroles de M. Anfeaume , repre'fenté à Paris par les Comédiens Italiens , le zo Septembre iy6$.

Cette pièce me parut la meilleure ré- ponfe que je pufie faire au public. Deux fuccès de fuite m'a voie;, t rendu ma gaieté naturelle , que j'aurois eu bien de la peine à exciter dans le tems que je fis, le Huron.

C'eft dans les beaux jours du printems, que je compofai le Tableau Parlant : tk je puis dire , que pendant deux mois chanter & rire , fut toute mon occupa- tion , (A) j'étais fi plein de mon fujet , qu'un jour après le dîner je fis ? chez M. l'Ambafîadeur de Suède , quatre mor- ceaux de mufique fans interruption.

i*r.

SUR LA MUSIQUE. loQ

f Pour tromper nu pauvre vieillard , &ç, i Vous étiez ce que vous n'êtes plus.

3 La tempête de Pierrot.

4 Le duo : Je brûlerai d'une ardeur éternelle.

Cette fertilité m'étonna moi-même: elle itfroit dangereufe peur l'ignorant , ou pour l'homme qui fe livre rarement au travail ; mais l'artifte qui pafîe les nuits à réfléchir , doit profiter des prodi- galités de la nature.

Je finis cet opéra à Croix Fontaine, chez M. le Marquis de Brancas , aujour- d'hui Duc de Serres. On y fit la lecture du Tableau Parlant , & l'on plaignit ïe malheuieux Muficien. M. le Duc de N***., y fit de légers changemens que je communiquai enfuite a Anfeaume , Se qu'il adopta. Voila pourquoi le public après le fuccès attribua ce poëme a M. le Duc de N***.

Je m'appliquai furtout , dans cet ou- vrage , à annoblir autant que faire fe pou-

O

xro Essai

voit , fans bîefler la vérité , îe genre de la parade , & c'eft une attention très- néceflaire a tout compofiteur qui traite un fujet trivial.

Une des premières règles dans les beaux arts , eft d'annoblir tout ce qui en eft fufceptible en imitant la nature, fouvent même en peignant lés mœurs ; & Par- tifte feroit fagement de dédaigner tout fujet qui n'eft pas fufceptible d'être an- nobli. Cependant fi ce procédé eft né- cefTaire , il eft des fujets nobles par eux même , qui exigent une attention oppo- fée. Je n'entens pas que l'artifte dégrade ceux qui font nobles ou fublimes ; mais il doit craindre que l'exagération ne prenne la place du naturel , lorfqu'il met fur la fcène , ou les Dieux de la fable ou les Héros. Les artiftes Grecs Se Romains n'avoient pas autant que nous cet écueil à redouter. Alors tout étoit grand & noble ; ils peignoient d'après leurs modèles , & ne redoutoient point de n'être pas enten-

SUR LA MUSIQUE. xn

dus , ni de parcrtre gigantefques.

Quand j'entens dire que les arts ont dé- généré , j'entens que les hommes ne font plus les mêmes. Si l'on ofoit jeter un coup d'œil fur les mœurs actuelles , en les com- parant à celles que l'artifte ne peut plus peindre qu'à travers une perfpective d'envi- ron deux mille ans , que verrions nous ? Au- jourd'hui la femme plus coquette à mefure qu'elle avance en âge, (i ) faire paiTer fa fille de fcn fein chez une nourrice , & delà dans un couvent dont elle ne fortira que pour recevoir l'époux qu on îui donne fans la confuîter. Jadis on voyoit ïa femme belle de fa vertu , fière de la deftru&ion de [es charmes, ïorfqu'elle pouvoit montrer la nombreufe famille qui lui devoit le jour ,

(i) Quel âge a Madame la Marquife? demandoit un de nos Rois . Sire , j'ai 40 ans. Et vous , dit-il enfuite au fils de la dame *-. J'ai le métae âge que ma mère, Sire, rcpond-il.

O 2

%n Essai

ou le Héros dont-elle était mère.

Aujourd'hui pour faire toujours îe con- traire des anciens v l'homme de génie n'obtient des éloges qu'après décès. On encourage les morrs , on décourage les vivans ; les gens à talcns pour forcer la multitude à les admirer feuls , fe déchi- rent tous mutuellement; tandis que jadis l'homme plus .fier de la puifTance de Ton être que de fon mérite perfonnel, refpec- toit le talent par tout il étoit , & jouifc foit des chef-d'œuvres des hommes, en fongeant qu'il étoit homme lui-même. Celui qu'on vouioit reconnoître pour le premier de fon état , aveuoit qu'il n'étoit que le fécond , quand fon rival lui avoit fourni les idées qu'il avoit mifes dans un plus grand ordre.

Les hommes de génie fe refpeclantainfï, forcolent la multitude a les admirer. Si les Mufïciens de nos jours étoient jugés par l'efprit qui caractérifoit les anciens, l'on nommerok Ghck & Philïdor , pour

SUR IA MUSIQUE. 113

îa force de fexpreiïion harmonique. Sac-* chini & Pïccini , pour la tendre &■ belle expreffion idéale. PaèJIello , Cïmarofa, pour la fraîcheur des idées. Monf.gni pour les chants heureux. Décide pour les airs champêtres. Haidn , peur la ri- chelTe des comportions inftrumentales. &c. &c. Mais aujourd'hui pour tout em- brouiller, l'on compare entre-eux des ta- lens qui n'ont que de légers rapports, & qui ne peuvent en avoir de plus in- times fans s'anéantir en rentrant dans le tronc dont ils ne font que les branches. Les Romains gens de lettres 3 eufTent die d'une voix forte, à ces corrupteurs de la vérité , bétes brutes ! ne voyez-vous pas qu'il faut la fraîcheur de Peau vive pour peindre ce feuillage , & que le feu du Tartare n'eft pas trop ardent pour expri- mer la fureur du Héros ? Laiffez donc ces rapprochemens ineptes; ceffez de tout dé- truire en confondant ce qui doit être fé~ paré.

03

U4 Essai

Que manque-t-il cependant a ce dix* Huitième fiècle pour être peut-être le plus beau de tous? Ce fiècle de lumière, des hommes rares en tous genres, favent mieux que jamais rapprocher & analifer toutes les productions humaines , dont ils profitent & dont ils écartent les défauts & les préjugés ? Que lui manque-t-il, dis? je ? Une feule chofe. Que chaque homme qui penfe , àhe:je ne difimuler ai jamais la vérité que f aurai fende au fond de mon cœur. Si le François ne fe preffe d'être jufte autant qu'il eil inftruit , l'Anglois fon rival , lui donnera peut-être les re- grets de n'être qu'imitateur dans la plus fublime des vertus.

Laifîons donc à chacun îe genre qui lui eft propre & n'écoutons plus l'ama- teur exciufif qui vcudroit que chacun fa- crifiât à fon idole. Qui oferoit décider fi en mufique, l'harmonie doit l'emporter fur !a mélodie? Tout dépend, je crois, de ïa manière de les employer. Du refte s'il

SUR LA MUSIQUE. 0, 1 «

faut chercher à plaire au plus grand nom- bre des fpe&ateurs , remarquons qu'un air de chant qui fe rencontre dans un ouvrage févère , peu chantant, mais très- harmonieux , caufe un délire univerfel ; & qu'au contraire , un morceau aufïi harmonieux que févère, placé dans un ou- vrage dont la fraîcheur & le chant font le caractère , ne produit pas le même effet. Je reviens au tableau parlant. La dé- claration de CafFandre ; cet aveu charmant étoit , difoit-on , d'un ftyle trop aimable ; mais je connoilTois fadeur, & je favois que fa voix offriroit le contrarie plai- fant que je décrois. Cette pièce n'eut pas d'abord un fuccès aufli décidé que les deux précédentes. Je vis Duni après îa première repréfentation *, je lui demandai s'il étoit toujours content de moi ? Il me répondit qu'il avoit entendu un bon duo. Une prude dit le foir au fouper de M. le Duc de Choifeul, que l'on ne pouvoit pas entendre deux fois cet opéra , parce

O4

no Essai

que les accompagnemens étoient d'une indécence outrée : M. de Choifeul invita fa focieté à y retourner , pour s'en con- vaincre. Je fus remercier ce grand mî^ niftre de la protection qu'il accordoit à mon ouvrage , & je lui en oifris la dé^ dicace.

Le fuccès augmenta avec les repréfen* tations. Les acVurs qui d'abord n'avoient pas ôfé ie livrer à la gaieté de ce genre, finirent par y être charmans. M. Clairval dans le rôle de Pierrot > Se madame La^ mette dans celui de Colombine , furent inimitables , parce qu'ils furent unir la décence & la grâce à la gaieté la plus folle.

On a vu quelque fois des écrivains & des artiftes médiocres qui n'ayant pu faire tomber un ouvrage accueilli du public , ont voulu en dépouiller le véritable auteur pour l'attribuer à d'autres ; c'efî. ce qui cft arrivé au Tableau Parlant.

Un Muficien Italien , auflï ignorant que

SUR LA MUSIQUE. 11J

malhonnête , voulut me contefter la mu- fîque de cet ouvrage ; il en parla d'abord d'une manière équivoque devant une nom- breufe compagnie, dans un château des environs de Paris, (i) On le força de s'ex- pliquer ; c'étoît ce qu'il vouloit. II avoua donc , avec l'air de la répugnance , qu'il avoit dans fon porte-feuille , prefque tous les airs italiens que j'avois, difoit-il , fait pa- rodier. On conclut delà que mes ouvrages précédens , n'étoient pas plus de moi que le Tableau Parlant : cependant la maîtrefïe du logis & madame fafœur, qui daignoient prendre intérêt à mes fuccès, en étoient affligées; & le furent bien davantage lcrf- que fhonnête Signor defeendit fon porte- feuille y l'on trouva en Italien, les airs ;

Pour tromper un pauvre vieillard &c. dd Signor Galluppi.

Il efl certains barbons &c. Vous étiez ce que vous n'êtes plus &c. dd SignorV ergole\e Le duo : Je brûlerai d'une ardeur éternelle &c. dd Signor

Trajeua.»

(i) A Montigni chez madajne de Trudaine.

îi 8 Essai

Ces dames chantèrent mes airs en italien, non fans quelque chagrin, mais il fallut fe rendre à l'évidence : j'étois un fripon en mufique & rien de plus. Le lendemain en fe promenant dans le parc , la converfation retomba fur moi : ces dames fe rappelloient tout ce que leur avoit dit M. l'Ambaiïadeur de Suède , du pîaifîr qu'il avoit à me voir compofer. Avec quelle facilité, difoit la dame du château, il fit ces jours derniers, en notre préfence, la mufique fur les couplets de Métajlafio \

Ecco quel fî-ero infiante Addlo mià nice Addio (i).

Je crois que cet italien nous en im- pofe ; pendant que tout ïç monde fe pro- mène , allons vifiter fa chambre : peut être

(i) L'on a depuis parodié cet air en François. Dan* l'Amitié à l'épreuve.

A quels maux îl me livre ï Nelfon , Nelfon ,

SUR LA MUSIQUE, 1 T <)

découvrirons nous quelques indices. Elles y furent effectivement ; ces dames trou- vèrent des lambeaux de papier de mu- fique en quantité , elles ramafsèrent tout , & l'emportèrent dans leur appartement avec plufieurs volumes de Mitaflafio , dont le Signor s'étoit muni pour s'amufer a la campagne en me rendant ce petit fervice! Ces dames eurent le courage de rafTembler tous ces lambeaux ; elles n'y trouvèrent absolument que des brouillons des airs du Tableau Parlant fur des paroles de Mttajlafio y le même air fe trouvoit avoir été' eflàyé fur deux ou trois fortes devers difïerens. La compagnie rentra, l'on fe mit à table \ ces dames affectèrent de parler de moi , avec peu d'eftime pour mes tafens : mais au milieu de îa jouif- fance du Signor, elles firent apporter les fragmens rapprochés les uns des autres ; quelqu'un fit attention que Pcrgole^e étoit mort avant que Mitaflafe eût fait certains opéras , dont le Signor lui attribuoit la

110 Essai.

mufique. À cette jufîe obfervatîon , notre Italien fut couvert de honte , & ne trou- vant nul fubterfuge pour juftifier fa four- berie, il avoua que le befoin l'avoit dé- terminé à parodier mes airs qu'il comptok faire graver, en leur prêtant des noms célèbres ; cette excellente exeufe n'em- pêcha pas qu'il ne fût chafTé.

J'ai dit ci-devant, que je fis* quatre morceaux de mufique du Tableau Par- lant , en une féance ; l'on ne peut croire combien M. le Comte de Crcut^ par fon amour pour Fart , ek fes bontés encou- rageantes pour PartiMe , excita mon zèle & multiplia mes foibîes productions , pen- dant environ huit années qu'il voulut bien m'honorer de l'attachement le plus pur ôc le plus vrai.

d'un caractère tendre , diftrait & mélancolique , inftruit dans toutes les feiences ; auteur d'excellentes poëfies très- eflimées à Stockoîm , la mufique qu'il ai-

SUR IA MUSIQUE. 2 2i

moit de parfon , fans être muficien , fai- fbit le bonheur de fa vie.

II aimcit fur tout à me voir compo- fer ; cinq ou fix heures de travail s'écou- taient en un iriftant pour lui comme pour moi. Si je trouvois un motif convenable', il le fentoit aufîi-tôt ? & marquoit , par fes exclamations , combien il étoit fatis- fait. Lorfqu'il s'appercevoit que je tenois la bonne veine, il s'eïcignoit de moi, de peur de me troubler , & ii m'appîau- diffoit de loin à voix baffe. J'étois fou- vent étonné d'avoir paiTé une matinée chez moi , fans avoir été dérangé par per- sonne; mes domediques m'apprenoient que M. l'Ambaiïad:ur , leur avoir donné des ordres ék de l'argent. Si j'étois peu difpofé au travail , il ufoit de mille pe- tites rufes pour m'y engager ; tantôt il piquoit mon amour-propre , en difanc que le morceau qui m'eccupoit étoit d'une difficulté horrible à mettre en mufique ; tantôt il fuppofoit que je n'avoïs pas pris

axi Essai.

garde a une réminifcence que j'avois laîfTé échaper la veille \ je pafïbis vite à mon pîano pour m'en affurer , & dès qu'il m'y tenoit c'étoit pour long-tems, & il falloit travailler. Il n'eu forte de moyen qu'il n'employât pour faire fourire mon

imagination.

Si dans quelques fociétés je rencontrois en préludant quelque trait de chant qui lui plût, il difparoiflbit un inftant , & m'apportoit du papier il avoit tracé lui-même des lignes parallèles. Ecrivez vite ce trait, me difoit-il, il peut vcus fervir. II afîilloit à toutes mes répétitions; fi l'im- patience me faifoit parler à quelque ac- teur avec trop de chaleur ; mon aimable Comte racommodoit tout.

L'on connoiffoit fi bien l'intérêt qu'il prenoït à ma mufique , que fréquemment fur le théâtre , après queîqu'ouvrage nou- veau, ce n'étoit pas moi qu^on félicitoit: M. de Cuut\ étoit entouré , & c'eil lui qui recevoir les complimens.

SUR LA MUSIQUE. 111

Parferai - je de Tes diftra&ions ? Mes m'étoîent fi précieufes , que je ne nuis guère réfifler au pfaîfir de m'en entretenir un iniîant.Undiîtraitnepeutêtre, je crois, ni méchant , ni difïimuié ; la crainte de fe faire trop connoître, le corrigeroit bien- tôt. Les femmes qui par leur conflitution phyfique , & leur éducation , ont plus be- foin que nous de diffimulation , me fem- blent en effet moins fujettes à ces fortes d'abfences. D'ailleurs , les diffractions de M. le Comte de Crcut^, ne compromi- rent jamais le fecret de l'état; je crois même qu'il a pu s'en fervir quelques fois pour lui être fidèle.

On lui parloit un jour en ma préfence de la révolution de Suède , en le preffanc de communiquer fon avis, fur les dé- marches ultérieures que devoit faire la cour de Stockolm auprès de celle de Ver- failles. Il écouta patiemment, & profita peut être , des avis de l'homme d'tfpric qui lui parloit ; puis tout -a -coup, me

ii4 Essai.

prenant par la main : vous ne connoîjfe^ pas fa mufiquc , dit-il , fi vous n 'ave^ pas entendu le morceau qu'il fit hier.

Il gronde un de fes amis parce qu'il porte un habit de drap en automne , il le renvoyé chez lui pour en prendre un de foie, en lui affignant le rendez-veus de chaïfe , il va fe rendre lui - mêm<e ; il y va effectivement , mais en habit de drap & une peïiiTe.

11 accroche & emporte , fans ïe favoir, avec la garde de fon épée , la perruque d'un vieux Seigneur , qui e'toit afTis plus bas que lui au fpectade ; on a beau crier , il n'entend rien , & va gravement fe pro- mener dans les foyers , jnfqu'au moment on lui fait remarquer fon nœud d'épée.

Il tire toutes fes fonnettes à trois heures du matin , fon valet-de-chambre accourt tout effrayé ; allez vite chercher le Baron; îe Secrétaire d'ambaffade arrive : ah ! mon ami , vous ètu\ hier che1^ Grétry ,* ne

pourrie^

SUR MUSIQUE. %1j

pourric^vous pas vous rcpdlcr un trait que je ne puis retrouver ?

II a l'honneur d'annoncer an Roi le mariage d'un Prince de Suède. Après avoir fouillé dans fa poche , il préfente fa main au Roi } mais les lettres de fa cour font refiées chez lui.

Il entre dans la loge de madame La-

ruette. Dépêche^ vous 9 madame , on va commencer V ouverture , il ibrt , ferme fa porte à double tour, emporte la clef Se rentre dans la faite.

Tel e'toit cet homme rempli de can- deur &: d'efprit : fon rang étoit le fcul obftacïe qui m'empêchât de me livrer à mon penchant pour lui. Vous me félici- te^ bien froidement , mon ami , me difoit- il un jour , des bontés dont mon Roi vient de my honorer : ah ! lui dis-je , vos cordons & vos titres vous éloignent de moi, comment voulez - vous que je les aime ? Son Roi le fit premier Miniftre ;

P

%%6 E S S A T.

il partit : mais bientôt un violent accès de goûte le fit périr à l'âge d'environ cin- quante ans. II conferva jufqu'à fon der- nier foupir la tranquillité d'une ame aufïi forte que pure.

SUR !• A. MUSiqxje. IX J

SYLVAIN.

Comédie en un aéte en vers , mêle'e d'ariettes, paroles de M. Marmontel ; repréfentée par les Co- médiens Italiens , en lyyo.

Malgré îe cri public qui femble ne defirer au théâtre Italien , que des opéras comiques ; l'on voit que ce même public accorde toujours ïe fuccès le plus confiant , aux pièces d'intérêt : il préfère cependant ies drames tcuchans idans lef- quels le comique e(l naturellement lié a l'action principale,

Au théâtre plus que par-tout ailleurs , la variété eft l'antidote de l'ennui: il ne faut cependant exclure aucun genre : quel- que fois l'ouvrage le plus bizarre ren- ferme le germe d'un ouvrage excellent, & par des changemens heureux il devien- dra peut-être un modèle.

Ce n'erfc pas au théâtre fans doute ,

P a

%zB Essai

qu'il faut d'abord montrer ces efTais ; il faut obtenir la fan£tion des gens de goût ; ou faire mieux encore ; travailler foi-même jufqu'à ce que l'on parvienne à n'avoir plus aucun doute , aucune incertitude fur toutes les parties & fur les détails qui par leur réunion forment un tout.

Par exemple , je promène mes idées fur huit vers, que je veux mettre en mu- (ique ; il ont une fuite & des rapports entre eux, puifqu'ils forment une même ftrophe.

Après en avoir fait ïa mufique , l'on fe voit loin du but l'on croyoit parve- nir. Faut-il pour cela rejetter ce qu'on a fait , & tracer un nouveau plan ? Pas tou- jours ; mais bouleverfez en tous fens , ces premiers matériaux , jettez le com- mencement à la fin , la fin au milieu , le milieu au commencement , foit hafard , ou plutôt un fentiment fecret qui opère en nous , ainfi que la nature lorfqu'elle raf- femble des matières homogènes ; vous vous

SUR IA MUSIQUE. 2

trouverez peut être satisfait. Tout exif- toit dans le premier jet fans doute , mais îa combinaifon nouvelle , vous a donné des formes, des nuances, des oppofitions, une gradation telle enfin qu'il ne vous refte fouvent rien à defirer.

L'artifte le plus habile eft donc celui qui fait le mieux reétirier les écarts de fon imagination , en donnant à fon ouvrage un tour naturel , qui fouvent n'eft que le fruit d'un travail pénible.

Après cela foyons fiers de nos taïens, foibles créateurs , qui ne formons prefque jamais que des êtres contrefaits pour les re&ifier enfuite î La création eft fille de la liberté , la perfection eft le produit des difficultés vaincues.

Avant les répétitions de Sylvain , je fus prié de me rendre à l'afïemblée des Comédiens ; j'appris que les a&rices char- gées de l'emploi des mères , mettoient oppofition à la repréfentation de la pièce y parce que le rôle d'Hélène leur appar-

P 3

2,30 Essai

tenoit ; & non à madame Laructte a qui nous l'avions confié. Ce délai auroit été lonff s'il avoit fallu faire intervenir des ordres fupérieurs. Je pris ïe parti d'ap- prouver leur réclamation , ôc donnai fur le champ ce rôle a îa plus sncienne des mères ; elle fentit par la manière dont le rôle étoit fait , que c'étoit une épigramme. On nous laiflà faire.

Si Silvain eût été mon premier ouvrage, il eft probable que j'eurTe efîuyé bien d'autres difficultés , & peut être le ren- voi de la pièce.

Molière, étoit maître de fa troupe , combien de facrifices n'eût il pas été obligé de faire au préjudice de fon art , s'il eût comme nous travaillé pour des acteurs maîtres de leur théâtre , ôc des pièces qu'on y repréfente (1).

La première répétition de la mufique

(1) Voyez la préface du théâtre de M. Cailhava.

SUR IA MUSIQUE. IJf

de Silvain ne fit point d'effet : j'en fortis chagrin. Le monologue , Je puis braver les coups du fort , ne m'avoit fait nulle ïmprefïion ; dès ie foir même j'en fis un autre. Ce travail fut pénible , car je croyois avoir faifi ïe fens jufte de ïa fitua- tion & des paroles. II falloit changer de fyftême ; je retournois envain mes idées de mille manières , rien ne pouvoit me contenter. M. Cailleau vint fort heureu- fement chez moi , il jetta mon nouvel air au feu , & jamais facrifice ne me pa- rut pïus doux.

Les répétitions fuivantes firent plus d'effet à mefure que chaque a&eur fe pé- nétra de fon rôle ; ce qui prouve que plus une compofition eft févère , plus il faut de tems pour bien l'apprécier. Pendant ïes répétitions d'Alcefte de Gluck , je fais qu'il fut queftion à l'opéra d'affembler un comité pour y délibérer, fi fon don- neroit au public cette belle production.

M* Marmontel me conduifit chez ma-

p4

i3 1 Essai

demoifelle Clairon ; j'exécutai le duo : Dans le fdn d'un pire 3 dont elle parut con- tente à quelques vers près qu'elle ne trou- voit pas allez déclamés. Je la priai de me les indiquer ; elle déclama , ôc voyant que |e copiois , en chantant , Tes intori- nations , Tes intervaîes & fes accens, comment , difoit-elle , le chant a ce pou- voir? J'avoue que jufqu'à ce jour je Va- vois ignoré. Ce furent ces vers :

Sa voix gcmifTante Dira j'ai promis.... Te foit toujours chère,

dont je corrigeai la mufique d'après la déclamation de mademoifeîie Clairon. La repréfentation de Siivain eut le même fuccès que Lucile ; le dénouement fit un grand effet : un accident qui arriva a M. CciUeau y contribua. En fe jetant aux genoux de fon père, il voulut les embraiTer , celui-ci recula mal - adroite- ment & fit perdre l'équilibre à Cailleau , qui

SUR LA MUSIQUE. X 3 3

fe Tentant chanceler , fut tirer parti de l'ac- cident y en fc jetant la face contre terre. L'attitude parut naturelle & la fituation déchirante. Ce dénouement eut un fuccès complet ; mais I'efFec n'en eût pas été fentr, Se des éclats de rire eufTent rem- placé peut être les appIaudifTemens fans la préfence- d'efprit de l'acteur.

Le même homme qui avoit joué le rôle de père de Silvain à Paris , fut en- fuite en province jouer celui de Silvain ; pour imiter Caillcau il fe jeta par terre, mais fi mal-adroitement qu'if fit tomber fon père , qui dans fa chute entraîna Ba- zile. Ils s'en relevèrent tous cependant , & le père de Silvain , continuant fon rôle dit : De quinze ans de chagrin voilà donc la vengeance !

Les gens inftruits remarquèrent que les chants des deux époux, Silvain & Hélène , portoient un caractère de ten- drefle moins pafîionnée que celle des amans que l'hymen n'a point encore unis.

a34 Essai

Ces nuances font délicates ; elles exif- tent cependant ? c'eft fur-tout dans le duo ; Dans le fein d'un père , j'ai cherché a nuancer ïe fentiment de l'amour avec , fi j'ofe le dire , la fainteté du nœud qui unit les époux.

Ce font les plaintes de la raifon ofFen- fée , Se non les cris des pafîions contra- riées. La prière '7

O ciel de nos vœux tu vois l'innocence , &c.

a mouillé mes yeux a l'infrantoù j'en trou- vai la mélodie. Pourquoi rougirai-je de ïe dire ; ïorfque la mufîque de cet ouvrage fut gravée , l'on me fit remarquer une faute dans îe récitatif d'Hélène , après ce vers;

Mes enfans font les tiens , ne punis que leur mère»

II falîoït quelques notes d'orcheftre pour mieux amener le vers fuivant :

En les voyant il les plaindra.

SUR LA MUSIQUE. 23?

Je prie ïes aclrices de faire un repcs à cet endroit , pour fupléer à ce cjue j'ai omis.

Voici encore une faute , fans compter celle que j'ignore, que je defirerois cor- riger. Dans le duo :

J'ai fait une grande folie ! de VAml de la Maifon.

Cliton dit :

Ës^mig^SÉ

Sou-vent le plus fa- ge s'ou-bli- e. Célicour répond :

Sou-vent le plus ru- s'ou- bli-e. Pour mieux déclamer j'aurois voulu

Sou-vent le plus ru-fé s'ou -bli-e.

2-3 6 Essai

Quoi ! diront mes Critiques -, toujours parler des fautes de déclamation , & pas un mot de celles contre l'harmonie ? Je ûis que j'en fais quelque fois , mais je veux les faire.

Qu'on dife qu'un Ecrivain ne parle pas fa langue , lorfque fes phrafes font en- tortillées , Se qu'il fe fert d'exprefïions impropres ; mais celui qui crée un mot pour rendre fon idée a raifon , nulle ex- prefîion à fon gré ne peut remplacer celle qu'il s'en1 permife.

Il en eft de même quand on fe per- met un accord ou une combinaifon de fons ., peu ou point ufitée : c'eft à la fen- fibilité à juger fon effet refpe&ivement à îa iituation elle eft employée. C'eft à la théorie à la confacrer enfuite comme règle. Le fentiment rejette mille fois ce que la do6te combinaifon des fons veut lui donner comme une découverte } mais jamais la règle ne s'eft trouvée en défaut lorfque la vérité d'exprefîions a forcé le

SUR$A MUSIQUE. <^^j

compofiteur a étendre les limites des corrr binaifons.

Une licence n'eft donc pas une faute : mais tel maître doit fagement défendre à fon élève ce qu'il fera lui - même Pinftant après : j'en ai dit les raifons ailleurs.

Il y aura dans tous les tems une me- {intelligence phifique entre l'homme ardent qui fe permet une licence & , l'homme froid qui la critique. Ce font les deux extrêmes de la nature qui cher- chent envain à Te rapprocher.

Dans les chœurs domine ïa mélo- die, je confeille de faire chanter les tailles, ou plutôt les hautes - contres avec les deffus , en rejetant dans l'orcheftre le complément de l'harmonie, car il n'eh: point d'oreille délicate qui ne foit défa- gréablement affectée lorfque ces parties de haute-contres , fur-tout , pfaïmodient fur deux ou trois notes aiguës, elW femblent clouées.

2-38 Essai

Les chœurs plus févères doivent être complets ; il feroit impardonnable de manquer d'harmonie , lorfque îa mélo- die n'alTervit le compofîteur que jufqu'à un certain point.

Croire cependant que PonpuirTe joindre aux grâces de f expreffion , la corre&ion fevère de l'harmonie, eft une erreur. Soyons perfuadés qu'une féve'riîé trop rigoureufe dans les beaux arts , effraye les grâces ; que les muficiens difent combien de com- binaifons harmoniques on emploie aujour- d'hui , qui auraient révolté les purifies il y a trente ans. Les ouvrages d'Haydn en offrent mille exemples , elles ne font pas épuifées ces combinaifons ; la gamme cromatique renferme douze fons qui don- nent douze gammes à combiner , & que le fentiment combine plus fouvent que ï'art (1).

(1) Je ne parle que du mode majeur; car en chan- geant les modes on auroit 14 gammes.

SUR th MUSIQUE. 13 a

Je dis donc encore que tout eu per- mis à l'Artifte qui faifit la nature fur le fait : les vingt-quatre gammes ne font que îa palette du peintre ; vouloir lui prcfcrire le rapprochement de fes couleurs eft une fottife , c'eft lui défendre d'être original.

Pourquoi recherche-t-on davantage le plus petit deffin de Raphaël, qu'un mor- ceau de fugue d'un grand maître ? Parce que l'harmonie ne repreTente rien ou peu de chofe. Un deffin quel qu'il foit , repré- fente toujours un objet de'terminé , ne fût-ce qu'un œil , une oreille , îa feuille d'un arbre, &c. Voilà pourquoi chacun s'amufe en deffinant , tandis que les élèves en mufîque s'ennuyent en faifant des fugues. Mais que l'harmonie chante ou peigne à fon tour , auffi-tôt elle devient a&ive & acquiert une valeur réelle.

Si l'harmonie pour être appre'cie'e exige une connoilîànce approfondie des règles, la mélodie ne demande qu'une oreille dé-

2-4° Essai

licate, & fur-tout une ame tendre & fenfibïe.

Un beau chant quoique vague , pour bien des gens , ne le fera pas pour tout Je monde : fi le compofiteur a été affecté, tôt ou tard il trouvera une ame qui éprouvera la même fenfation : ça été quel- que fois après dix années , qu'on m'a parlé d'un trait que je croyois n'avoir été fenti crue de moi.

Il doit y avoir un tourment fecret pour l'homme médiocre , car l'homme qui eft perfuadé d'avoir bien fait, éprouve une fatisfa&ion qu'on ne peut lui ravir. Je penfe même que la mufique donne des jouiffances fupérieures a celles des autres arts, parce que les Ions toujours mélodieux ou harmonieux dont fe repaît le Muficien, agirTent plus directement fur les nerfs. L'on a demandé dans un Journal de Pa- ris, s'il étoit vrai que les Muficiens vé- cullènt plus long - tems que les autres hommes ? & quelle en étoit la caufe. Peut

être

SUR LA MUSIQUE. 241

être viens -je de répondre à ces queftions. Par une erreur involontaire, un homme de lettres très-eftimable , a imprimé dans ïe mercure de France , que M. Marmontd avoit parodié les paroles du duo

Dans le fein d'un père , &c.

Sur ma mufique déjà faite : les Mu- (iciens ne voulurent pas îe croire ; mais comme tout îe monde n'en1 pas muficien , je me crus obligé de relever publiquement cette fauilé aiTertion.

Très-peu de gens de lettres , ont alTez de connoiflance du langage & de la ponc- tuation muficale , pour réuiîlr dans ce genre de travail , qui favoriferoit la mufique en donnant des entraves à la poefie. Jufqu'à ce jour , l'on a fait des vers fur un air de danfe , fur un vaudeville , fur un chanc dont les phrafes fymétriques , font fentir fortement le rithme & la cadence; mais une fcène pathétique chaque note d'expreffion doit rencontrer la fvllabe qui

Q

t^% Essai

doit être exprimée , eft d'une tien plus grande difficulté. Cependant la mufique fait chaque jour des progrès parmi les gens de lettres ; qui mieux qu'un p^ète doit fcnrir les rapports intimes , d'un chant exprelïif avec la parole à laquelle il doit fa naiflance?

J ai eu lieu alTez fouvent d'admirer avec combien de facilité M. Martnonttl a mis en paroles plufieurs morceaux de mufique qui fe trouvent dans nos opéras , pour croire que cet art peut fe perfectionner au point de parodier les morceaux de mufique les plus difficiles.

Ah ! que tu m'attendris , &c. Dans le Huron ,

étoit un criant que j'avois dans la tête, ôc dont M. Marmontd fit un duo. Le

premier air de Lucile :

i

' Qu'il eft doux de dire en aimant , &c.

a été en partie fait fur la mufique , ôc je dirai pourquoi.

SUR If MUSIQUE. 14,3

Les paioles de cet air qui commen- coit de même par

Qu'il eft doux de dire en aimant,

étoient par hafard , abfolument les mêmes pour îe nombre des iyllabes & des vers , que l'air du Huron

Si jamais je prends un éptîux.

Cette refTemblance que j'apperçus mal^ heureufement , me fit compofer un air qui refTembïoit à celui du Huron. Je vou- lus lutter contre les obftacles ; mais fa- tigué de mon travail , je donnai l'efïbr à mon imagination en abandonnant fouvent les paroles, efpérant que M. Martnontel me tireroit de l'embarras dans lequel il nvavoit mis , ce qu'il fit en changeant la mefure des vers, & les adaptant à la mufique faite. Le petit duo

Avec ton cœur s'il eft fidèle , &c.

Dans le Silvain.

Toi, Zémire que j'adore, &c

'3,44 Essai

furent auffi parodias : mais ces deux mor- ceaux nvoient été ccmpofés fur des pa- roles , ce qui diminue confidérabïement le travail du parodifte ; ils étoient dans ïes Mariages Samnitcs , exécutés chez Monfeigneur le Prince de Conû,

Silvain eft un des poëmes que j'ai le plus travaillé : pourquoi ne pas faire tou- jours de même dira-t-on ? Parce qu'un travail obïliné nuiroit à telle production , autant qu'il convient à telle autre.

Croit-on que les combinaifons mul- tipliées des accompagnemens , fcient ce qu'il y a de plus difficile à faire ? On fe trompe. C'eft la jufte mefure de ce qu'il faut, qui efi difficile à faifir. Pour bien écrire en vers, ou en profe, il ne faut pas tout dire : c'eft la même chofe en mufique ; il eit des pédants de tout genre.

Quand votre chant eft fîgnificatif, je veux dire d'une mélodie bien déclamée, gardez-vous de furchargêr vos accompagne-

SUR "LA MUSIQUE. ia^'

mens. Si le chant n'eft pas lame de votre compofition , faites un bon quatuor înftru- mental deffus , bien compliqué , bien lincopé ; au défaut des âmes fèhfibles ïes favans vous applaudiront. La pre- mière manière eft celle qui me plaît ; je garde la féconde pour occuper ma vieillefTe.

Q3

£46 Essai

LES DEUX AVARES,

Comédie , en deux a£tes, paroles de M. Fal- lert de Quingy; repréfentée à Fontainebleau le 17 Oétobre 1770; & à Paris le 6 Décembre de la même année.

Quoique cet ouvrage n'ait pas eu un, Brillant lucces , dans l'origine ; on l'a depuis représenté pins fou vent que mes précédentes pièces : l'originalité du fujet & la facilité de l'exécution en général y y ont fans doute contribué.

J'eftime Pair

Sans ceiïe auprès de mon trc'fbr, Sic.

Et le duo

Prendre ainiî cet or , ces bijoux, &c.

Cependant je dois dire que ïe bas comique , n'eft pas le genre qui flatte mon imagination. J'avois pris plaifir à

SUR £A MUSIQUE^ 447

ennoblir Colombîne & Pierrot dans le Tableau Parlant , mais pouvois-je fan*» in- vraifemblance faire de même pour Martin 6c Gripon ? Les amoureux de la parade nous préfentent la charge de la vraie galanterie ; elle peut même fe parer d'une teinte de noblefle ; mais on ne peut fans blefTer la vérité, ennoblir des caractères vils. L'avarice eft cependant une paffion. dont les nuances peuvent être faifies : l'inquiétude, la joie, ïe chagrin de l'avare ont un caractère qui leur eft propre : il eft ridicule en tout , puifque fa paffion, eft hors de nature.

La défiance , le foupçon donnent une couleur fombre a toutes fes actions ,. que îe mufîcien peut faifîr. Pourquoi cette pafïion exifte-t-elle ? pourquoi l'homme devient-il économe Ôc avare , lorfquil va quitter la vie? croit-il que la nature fera un miracle en fa faveur ? une pierre peut- elle s'arrêter au milieu de fa chute?

La philofophie la plus éclairée don-*

Q4

148 Essai

neroit a peine les raifons de îa démence puérile de celui qui veut tout conferver à l'inftant de Ton anéantiffement.

La mauvaife exécution en mufique , peut défigurer les meilleures cbofes : îa marche des JanifTaires en efl un exemple frapant. Je Pavois faite depuis U ng-tems à la foîlicitation d'un colonel qui m'en demandoit une pour Ton régiment , je la lui envoyai : on l'exécuta ; elle parut dé- teftable. Cette même marche employée dans le< deux avares , eut un plein fuccès. Prefque tous les régimens fe l'appropriè- rent 3 & le colonel qui f avoit rejettée ne fut pas le dernier à l'adopter.

Il efl: pernicieux pour Fartifle qui cherche des fuccès , de fe livrer aux com- plaifances de fociété : le cercle des idées preferir par la nature s'épuife rapidement, &: il femble que l'homme qui s'occupe fouvent des objets détaches ; perd les. facultés nécelTaires pour produire un en-^

SUR I A. MUSIQUE. 2,4,9

femble tel que l'exige un ouvrage impor- tant.

Je n'ai jamais entendu le chœur des JanilTaires

Ah 1 qu'il efl bon, qu'il efl divin 1

fans une peine extrême ; les tourmens que ce morceau m'a fait foufTrir en le compofant, en font ïa caufe.

J étois conduit aux portes du tombeau par de violens accès de fièvre que j'é- prouvois depuis un mois , îorfque l'auteur des deux Avares Te préfenta chez mci : on lui dit que j'étois très-mal : cependant comme je fus le premier à lui parler de l'ouvrage que nous venions de terminer, il glilTa fous mon chevet une lettre ca- chetée , en me recommandant de ne point l'ouvrir que ma fan ne fût réta- blie. Tout le monde ccnnok l'inquié- tude que donne un paquet cacheté ; je l'ouvris derrière mes rideaux , & je trou- vai le chœur des JaniÛaires , que l'Au-

ajo Essai

teur difbit néceiïàire a fa pièce , & qu'il me prioic de mettre en mufique le plutôt pofïîbfe. H fut obéi ; dans l'inftant j'y travaillai malgré moi. Je crus, après m'être débarraiïe de ce fardeau , retrouver ïc repos qui m 'étoit fi nécçffaire ; mais non , la crainte d'oublier ce que je venois de faire, me pourfuivit pendant quatre jours & quatre nuits. J'entendois exécuter ca chœur avec toutes fes parties ; j'avois beau me dire , qu'il étoit impoiïible que je l'oublia Me ; j'avois beau m'occuper forte" ment de quefqu'autre objet pour me dif- traire ; j'eotrois inutilement dans tous les détails d'une partition , en me difant x les violons feront ce trait , les ballons foutiendront cette note , les cors donne- ront ou ne donneront pas ; &c. Après quelques minutes, un orcheflre infernal lecommençoit encore

Ah ! qu'il eft bon , qu'il eft divin 1 &c.

Mon cerveau étoit comme le poiitf

SUR 1 A MUSiquE. Xji

central , autour duquel tournoit fans cefle ce morceau de mufîque fans que je puffe l'arrêter. Si F enfer ne connoît pas ce genre de fupplice , il pourroit l'adopter pour pu- nir les mauvais Mufîciens. Pour me pré-? ferver d'un délire mortel , je crus qu'il ne me refloit d'autre remède que d'écrire ce que j'avois dans la tête; j'engageai mon domeftique à m'apporter quelques feuilles de papier ; ma femme qui étoit fur un lit de repos à mes côtés s'éveilla & me crut agité d'un délire fembîabie à celui que j'avois eu quelques jours aupa- ravant ; j'eus peine à lui perfuader l'hor- reur de ma lituation , Se les fruits que j'attendois de mon travail: j'achevai la par- tition au milieu de ma famille muette, après quoi je rentrai dans mon lit je trouvai le repos.

Après un affoupiflementaufïi long que falutaire, ïe plus beau réveil contribua fans doute à hâter ma convalefcence. Une

%f% .Essai

mère adorée que j'avois quittée avec tant de regrets, fut l'objet qui frappa ma vue. Inquiette de ce qu'on lui avoit écrit de ma famé , û tendrelTe favoit fait voler auprès d'un fils qui la preflbit de venir s'établir à Paris. Efîe fut témoin des foins touchans que prenoit de moi ma jeune époufe ; étonnée de voir une jeune femme françoife fe livrer avec pîaifir aux travaux les plus durs , elle l'aima au- rant que fon fifs, Se nous promit de ne jamais nous quitter.

Puifque j'ai intitulé ceci, Mémoires 9 il convient encore que je àiCe, qu'excepté une fœur , chanoinefTe régulière à Sainte- Aîdegonde a Huy , j'ai eu le bonheur de fixer toute ma famille à Paris. Ma fœur ca- dette y époufa M. de la Combe. Mon frère aîné établi en Flandre , m'écrivit que les pertes confidir.ibles qu'il venoit d'efTuyer dans fon commerce, l'obligeoient a me venir trouver avec fa femme & cinq en*

SUR LA MUSIQUE. 1)

fans. Je lui répondis que je Pattendois. Effrayé cependant du nombre de per- fonnes dont j'allois être chargé & qui devoit monter à quinze ou dix-huit , avec mes trois filles , les parens de ma femme & mes domefh'ques , je fis part de ma fituation à un Minière dont tout le monde connoît le génie &: l'efprit , & dont j'aime à faire connoître le cœur. M. de Galonné alors Contrôleur général , me répondit : Soye^fans inquiétude; vous ave^confacré vos îalcns à la nation. Je fais combien vous contribue-^ chaque jour àfes plaifirs ; dans peu de tenu , .je ferai donner une place à M. votre frère ; & f je ne puis hâter ce moment , foye\ fur que , de quel- que manière que ce foit, je viendrai à votre fecours.

Cette lettre ne fut pas une vaine con- foïation, (i ordinaire de la part des hommes en place , & mon frère fut placé dans les fermes du Roi dès fon arrivée.

2-54 Essai

Qu'il eft doux pour ma reconnoif- fance de publier , après ïa retraite de M. de Calonne , un des moindres bienfaits dontfon ame noble ôc généreufe eft ca- pable i

S*7R LA MUSIQUF, 1 f J

L'AMITIÉ A L'EPREUVE.

Comédie en deux acles , en vers , remife en- fuite en trois a#es, par M Favart; repréfente'e à Fontainebleau , le zj Novembre ijjo 3 & à Paris le 1 7 Janvier zyyi .

Quelques femaines après avoir fait la muiique des deux Avares , & avant d'avoir efîuyé la maladie dont je viens de parler ; je compofat celle de V Amitié à VEprcuve: aucun de mes ouvrages ne m'a coûté tant de peine, & jamais il ne me fut plus difficile d'exaker mon imagination au point convenable (z) ; mes forces di^» minuoient de telle manière en compo- fant cet ouvrage , que je fus au moins huit jours à chercher & à trouver enfin le coloris que je voulois donner au trio

Remplis nos cœurs , douce amitié.

Ce fut , pour ainfi dire 9 la crife &

i<$6 Essai

les derniers efforts de mon ame languif-

fante.

Lorfque ce morceau fut entendu à Fontainebleau , il me réconcilia avec les furîntendarits de la mulique du Roi , qui fans ofer le dire, me regardoient comme un innovateur facrilège envers fancienne mufique françoife. Rcbel ôc Francœur me dirent que c'étoit le véritable genre que je devois adopter.

Je voulus faire entendre a ces mef- fieurs, qu'autant les couleurs dont je m'é- tois fervi convenoient su fentiment pieux de l'amitié , autant elles néroient mal aux paffions profanes que l'on met plus fou- vent en jeu fur la fcène. Mais à foi.xante ans les anciennes impreffions font les feules que l'on refTente encore foible- ment ; & la dureté des organes fe refufe a toute impreffion nouvelle.

Cette pièce parut froide à Fontaine- bleau ; & elle n'eut que douze repréfen- tations à Paris. Je fuggerai à l'auteur du

poème

SUR. LA M U S I q u E. I^J

poëme d'ajouter un rôïe comique , qui jeteroit de la gaieté & de la variété dans fon fujet.

Cette pièce reparut en 1786; avec des changemens confiderables. Une jeune actrice douée d'une voix flexible , & chan- tant d'uue manière exquife, ( mademoi- felle Renaud ) reprit le rôle de Ccrali , que j'arrangeai fcion fes moyens : M. Trial , 1 acteur le plus zélé & le plus in- fatigable qu'on vit jamais , fut chargé d'un rôle de nègre qu'il rendit avec vérité ; enfin , cette reprife eut plus de fuccès , ck le public fatisfait des longs efforts des auteurs , les appella pour leur témoigner fon contentement.

Quoique le public appelle trop fré- quemment les auteurs de productions éphé- mères , quoiqu'il foit peu glorieux de par- tager des couronnes fi fouvent prodiguées, quoiqu'on n'ignore plus le manège dont on fe fert pour les obtenir, je crus de- voir préfenter au public l'auteur octogé-

n?8 Essai

naire de tant d'ouvrages eftimables , qui hors d'état par fa ce'cité de fe préfenter lui-même, avoit befoin d'un guide pour aller recevoir du public attendri un des der- niers fleurons de fa couronne.

Tel eft. l'empire des circonfiances ; après avoir critiqué l'abus des roulades les Italiens fe font laiiTés entraîner , je fuis moi-même repréhenfîble pour ce même défaut. L'air que Coran" chante pour pren- dre fa leçon peut être auffi difficile qu'on voudra , puifqu'il eft proportionné au ta- lent de l'élève : mais celui qui commence ïe troifième acte nuit à l'action & m'a paru de plus en plus de'placé : c'eft pour- quoi je l'ai retranché. Dès que Corali a eu le cœur déchiré par la fuite de Neï- fon , elle ne doit plus fe livrer à ce luxe muiical ; il revient il eft vrai , mais ac- compagné de Bïanfort, futur époux de Corali dont Pâme alors doit être troublée.

SUR LA MUSIQUE, 2.^9

ZEMIRE ET AZOR.

Pièce en quatre acles , en vers libres , par M. Marmontel; repréfentëe à Fontainebleau le 9 de Novembre 177 1 , & à Paris le 10 Dé- cembre de la même année.

J'e'tois rendu a la vie, la nature étoit neuve pour mes organes debarrarTés lorf- que je commençai cet ouvrage. Une férié étoit ce qui convenoit le mieux à ma fkuation. Qui n'a pas éprouvé combien l'équilibre dans ce qui conftitue notre exiftence nous raproche du merveilleux ! L'ame pure & libre , pour ainfi dire de toute entrave , femble avoir , s'il eft permis de le dire , des rapports avec des êtres furnaturels , que le noir chagrin ne connut jamais.

Cet ouvrage m'occup» pendant l'hiver de 1770 ; j'eus une jouiiTance prefque continuelle en y travaillant , parce que je fentois que cette production étoit à la.

2.6o Essai

fois d'une expreffion vraie & forte : il me paroît même difficile de réunir plus de vente d'expreffion , de mélodie & d'harmonie (i).

Je ne dis pas que ces trois agens , qui constituent tous les genres de mu- fîque , foient portés au même degré dans cet ouvrage ; cette réunion eft peut être ce qu'on ne verra jamais , car ce fera toujours aux dépens des deux autres , qu'on en fera valoir un. Si vous faifilTez ïa vérité de l'exprefïion , îa mélodie & l'harmonie leur feront fubordonnées ; voilà

(i) Il eft néceiïàire de m'expliquer : lorfque je parle ainfi de mes propres ouvrages , je n'entends pas que d'autres muficiens ne puifîent faire , n'ayent déjà fait , ou ne fanent mieux que moi ; mais je l'ai dit ailleurs , l'artifle le plus confommé eft celui qui fent qu'il a tiré tout le parti poffible de fes facultés : chaque maitre a fa ma- nière qu'il n'adopte qu'après avoir effayé toutes fes forces ; dès qu'il eft arrivé à ce point , il ne dépend plus de lui de changer de ftyle ; s'il quittoit fa manière pour adopter celle de fes rivaux , même fupérieurs , il auroit tort , car ll cefTerok d'être original.

>

/

SUR'IA MUSIQUE. Z6l

je crcis la mufique dramatique. Si cette ve'rité d'expreflion vous eft refufée par la nature , fi les chants heureux fe préfen- tent rarement à votre imagination , c'efr. fans doute dans les modulations des ac- cords , que vous trouverez encore de quoi faire une compofition eftimabîe. Voila la mufique d'égîife , celle des chœurs qui conviennent au théâtre tragique lorfque î'a&ion n'eft pas précipitée y & la clef pour faire la fimphonie.

Si l'on vouîoit mettre en mufique ïa haute poëfie , qui porte avec elle toute fon harmonie , & nous préfente des ta- bleaux achevés , ce feroit encore l'harmo- nie muficale feule qu'il faudroit adopter; car lorfque îe poëte a tout dit & tout fait fentir, tout fe de'truiroit en y ajoutant encore.

Si vous donnez trop à îa mélodie > la yérité d'expreffion fe perdra dans le vague charmant de fon empire idéal , ck l'har- monie ne fera plus que fon pied d'eftaL

«3

161L Ë s s a i

Voilà la mufique de concert, celle qui plaît a l'imagination exaltée qui veut créer elle-même fes fantômes ; voilà ïa mufique des anges , & peut-être celle de la nature.

Je dis donc que ïa nature feule donne le fentiment & îe goût qui nous rend maître de l'expreffion jointe à plus ou moins de mélodie ou d'harmonie ; c'eft elle encore qui favorife certains individus en leur prodiguant les chants les plus îimpîes ck les plus fuaves.

Une étude profonde des modulations, fait le bon harmonifte : il n'eft cependant point comme les autres , enfant de la na- ture ; mais enfant d'adoption.

I/ide'e de faire bailler Ali , dans le duo :

Le tems eft beau , &c.

mMtoit venue en faifant la première ritour- nelle , le bâillement eft indiqué par les notes tenues du ballon. Le bâillement

SUR LA MUSIQUE. % ^

d'un efclave qui s'endort dans les fumées du vin , a Ton caractère , comme un oui ou un non articulé dans différentes fitua- tions & par différens perfonnages , a le fien.

En cherchant le bâillement convena- ble , je m'apperçus que je faifois bailler réellement toute ma famille qui m'en- vironnoit. Je lui fis entendre mon duo pour la raffurer fur l'ennui qu'elfe me fuppofoit. J'ai fouvent vu bailler au théâtre pendant l'exécution de ce morceau , & j'ai oféefpérer que ce n'étoit pas d'ennui. Je fis de trois manières le trio :

Ah '. Iaiiïêz moi la pleurer.

J'avois fait ce morceau deux fois , lorf- que M. Diderot vint chez moi ; il ne fut pas content , fans doute , car fans ap- prouver ni blâmer , il fe mit à déclamer ainfi.

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Je fubMituai des fons au bruit déclamé de ce début , & le refte du morceau alla de fuite.

Il ne fsîJoit pas toujours écouter ni Diderot , ni l'abbé Arnaud > lorfqu'ils ana'ifoicnt leurs idées : mais le premier élan de ces deux hommes brûlans, étoit d'infpiràtion divine.

Je n'analiferai aucun morceau de cet ouvrage ; c'eft à l'inflant même du tra- vail , qu'il faudrait tracer mille idées éma- nées du foyer de l'imagination ; dans cet inlïant un feul morceau produiroit un volume , fi l'on vouîoit rendre compte des fenfations que le fentiment produit; mais ce travail inutile pour celui qui fent, leil encore davantage pour celui qui ne fent point. Il me fuffira donc dans cet

SUR LA MUSIQUE, 3.6?

examen de mes pièces , d'analifer un feul morceau de chaque caractère.

Zémire ck Azor , fut donné à Fon- tainebleau , pendant l'automne de 1770. Le fuccès fut extraordinaire. M. Clairval fut chargé du rôle d'Azor. Depuis pïu- fîeurs années Caillcau avoit été en pof- fefTion des grands rôles ; Clairval, par une complaifance rare , avoit confacre fes ta- lens à faire briller ceux de Cailkau en jouant à [es côtés des rôles prefque ac- cefToires. S'il me fut doux de lui confier, avec l'aveu de M. Marmontd , le prin- cipal rôle dans une pièce en quatre ades, que le ruccès couronna , le charme qu'il répandit dans ce rôle , & le fuccès qu'il y obtint nous récompenfa largement. Il fut attirer tous îes cœurs à lui , en chan- tant :

Ali ! queï tourment d'être fenfîble.

Il fut montrer la plus noble énergie dans la féconde partie de cet air :

%66 E

S S A I

La beauté timide & tremblante S'allarme & s'enfuit devant moi.

Il fut enfin nous montrer toute la fenfibiiité d'un arnant craintif dans fair :

Du moment qu'on aime &c.

On pouvoir justement lui appliquer ces deux vers de la pièce :

Vit-on jamais fous des traits plus hideux Un naturel plus tendre ?

J'ai toujours cru que le phifîque char- mant de cet acteur, aprécié d'avance des fpe&ateurs , a voit beaucoup contribué à î'illufion qu'il produifit dans ce rôle.

Clairval étoit en effet, le jeune Prince dont ïa monftruofité cachoit des traits charmans , qu'on devinoit à travers Ton mafque.

Cette pièce eut autant de fuccès dans ïes provinces de la France, qu'à la Cour

SUR LA MÛSIQUJ?# ±Ç7

& à Paris. Elle rétablit les finances de plufieurs directions prêtes à échouer. Elle fut traduite dans prefque toutes les langues * un François nous dit avoir aŒfté a trois fpe&acïes, l'on jouoit le même jour, Zcmire & A^or , en Flamand , en Alle- mand & en François (i) ç'etpît à une foire d'Allemagne. A Londres on la tra- duifit en Italien ; on y ajouta un feuî rondeau qui n'étoit pas, des Auteurs: le public après l'avoir entendu cria, plus de rondeau, il n'eft pas de la pièce.

Lorfque les Auteurs d'un ouvrage ont fu faire naître l'unité' delà variété même, on a tort de croire que l'on peut encore enrichir l'enfemble par de nouvelles beau- tés. En rafTemblant les traits de trois jo- lies femmes , croiroit-on faire une beauté parfaite ? Non ; l'arti/te , il eft vrai, réu- nit fouvent de beaux traits épars pour

(0 M. de Laborde a «porté cette anecdote dans Ton EJJai fur la Jllufique,

2,68 Essai

faire une beîîe tête ; mais il diminue oa

augmente chaque chofe en détail pour

ïes approprier à (on fujet ôc pour faire un

tour.

Une beauté inutile eft donc une beauté nuifibîe. La place que doit occuper cha- que chofe, elt le grand procédé des arts; la nature feule en fe jouant , opère par- tout ce prodige.

SUR LA MUSIQUE. %6$

L'AMI DE LA MAISON.

Comédie en trois acles , & en vers , par M. "Marmontel , repréfente'e à Fontainebleau le 26 Oclcbre 1 771 &. à Paris le 14 Mars 1772.

On pourroit croire avec quelque raifon, qu'une comédie proprement dite , d'un genre le comique ne domine point, qui n'eit pas ce qu'on appelle une cc- me'die d'intrigue , étoit peu faite pour la mufique. C'étoit l'opinion de plufjeurs Gens de lettres que je pourrois citer : ïe fuccès qu'eut cette pièce à Fontainebleau fut au moins équivoque. De retour à Paris nous débarralTâmes l'action de plufieurs morceaux de mufique.

J'eus cette fois, comme en beaucoup d'autres occafions , le courage de retran- cher les morceaux de mufique , qui en fociété & aux répétitions particulières , avoient produit le plus d'effet.

Telle mufique enchante lorfqu'elle efl

ijo Essai

exécutée au piano, par le compofiteur ; eïïe fubit une première métamorphofe , lorfqu'on entend Porche ftre & les chan- teurs, qui ne peuvent être tous pénétrés de l'efprit de l'ouvrage , ck qui ne le feront jamais. Lorfque l'on joint Faclion du drame à la mufîque , c'eft-là qif on eft étonné de voir fe dégrader les morceaux qu'on avoic le plus admirés. Chaque morceau dèvoit trouver une place favorable , ck embellir îa fituation qui l'amène ; mais fi le drame eft mal conçu, fi l'acteur dévoie fe taire îorfqu'il chante ? Ah ! pauvre mufique , ïe charme de ton éloquence doublera les fautes du poète , en prolongeant ou en exagérant ce qui auroit être fuprimé ! L'artifte le plus confommé ne peut pas, dans le fond de fon cabinet, fe faire une parfaite illufton de la fcène ; en voici , je crois 3 les raifons. D'abord , il peut exifter dans le poëme , des invraifem^ blances qui ne paroifTent qu'à la fcène ; %°* l'auteur lifant fa pièce, le muficien

SUR LA MUSIQUE. 171

chantant fa mufique , exécutent également bien tous les rôles ; cependant les rôles moins rranfcendans font toujours confiés aux a&eurs qui ont îe moins de talent. De naifTent les longueurs infupporta- bïes ; on les retranche ; alors les fituations capitales ne font pas allez préparées ; voilà , je crois 9 une partie des difficultés qui rendent l'art dramatique fi arbitraire ; faut réunir tous les arts dans un feui cadre ; ils doivent fe faire des iacrifices mutuels , & concourir à un enfemble que l'expérience la plus confommée ne faille encore que foiblement.

Malgré le fuccès de Zémire & A^or qui fe foutenoit toujours , celui de VAmi de la Maïfon augmenta avec les repré- fentations.

Cette gradation de fuccès étoit natu- relle dans une comédie de cette nature. La fineiTe & î'efprit ne font pas toujours faifis par les acteurs ni par le public. Cette mufique fouvent parlante, quoique

^jz Essai

d'un genre affez élevé , n'avoit été traitée je crois, par aucun muficien. La mufique noble de la tragédie en impofe a Paudi- teur , tandis qu'une mufique (impie , le laiffe juger de fang-froid : ii ert donc plus difficile a féduire ck il n'en fent pas tout de fuite la difficulté , ni le mérite, par îa raifon qu'elle eft fimpïe & naturelle. Je vais analifer Pair fuivant pour prou- ver } (i je le puis , que la déclamation ca- ra&érife fou vent la mufique dans cette pièce.

Je fuis de vous très-méconf.ente , Très-mécontente, entendez vous? &c.

Si j'avois appuyé fur un autre mot que fur très , j'aurois manqué le carac- tère de l'air.

Eh quoi ? fans cefTe fuivre mes pas !

Ritournelle. ^â=5=li?3=Ea^|g^:^^^^^

L'aclrice qui ne fera pas quelques figues de pitié ironique, fur ces quatre notes de ritournelle , n'entend pas ma mufique.

chercher

SUR IA MUSIQUE. %n 9

Chercher mes yeux, me parler bas Et me fourire avec finette; Belle finette!

Sur ces deux derniers mots , j'ai in- diqué , je crois, l'ironie, & ils ont rap- port à la petite ritournelle que je viens de citer :

Vous croyez qu'on ne vous voit pas, 8cc.

L'ironie fe trouve encore dans ïe chant rendu doucereux , par les notes lie'es deux à deux pour une fylïabe , & cela pré- pare la vivacité des vers fuivants :

Das vivacités Sans fin , fans nombre ! Vous vous dépitez, Vous devenez fombre.

le chant efl grave & fombre effectivement. II efr permis de jouer fur le mot quand on n'a qu'un infiant pour être vrai, & fur tout quand le fentiment eft faétice*

S

2<74 Essai

Perfonne ne doute qu'Agathe ne gronde fon petit coufin , parce qu'elle l'aime , & qu'elle veut le rendre prudent & fage.

Vous ne me quittez

Non plus que mon ombre;

Le mufîcien qui auroit voulu peindre le petit coufin fuivant par tout l'ombre de fa coufine auroit été forcier , ou pour mieux dire un ignorant ;

Toujours affis à mes côtés ,

j'ai répété ce vers pîufieurs fois ; c'était peut-être la feule manière d'indiquer qu'il eft toujours , toujours affis à côté de fa coufine.

Avant de pafler à la ponctuation mu- ficaîe , je voudrois parler un inflant de la règle la plus importante pour le compo* fiteur de mufique vocale , je veux dire de îa néceffité , non feulement de décla- mer les vers avant de les mettre en mu-

sur la musique. % n ± fîque , pour qu'il foie conduit au véritable chant que doit recevoir la parole *, mais fur tout pour qu'il remarque les fyllabes elTentieiles qui doivent être appuyées par ïe chant qui alors s'indentifie avec la pa« rôle.

Pour parler diftin&ement en profe ou en vers , on appuyé naturellement fur les fyllabes les plus ne'ceiïaires , en aftoiblif- fant l'inflexion fur celles qui le font moins. La mufique étant un fécond langage que 1 on joint au premier , le componteur doit donc donner la bonne note de la phrafe mufîcaïe,à la fyllabe qui doit être appuyée; fans cette attention , il réfulte un contre** fens affreux entre ces deux langages.

Exemple*

Rien ne plaît tant aux yeux des belles ,'

En récitant ce vers , Ton doit fentir que la bonne note doit porter fur tant,

S %

ij6 Essai

SI

g=ag-A'.vf"i? :»^-]-^|i|jÊ

Rien ne plaît tant .... Que le courage des guerriers.

La bonne note doit être fur va. -P-

i^lSHS

r*>>-0->~

Qu'ils foient va il- lants.

La bonne note far /<z/zr.y. Si j'avois fait

g£^-3>~ m \ ^ ..lit..-

i9 •i*i"rc*'^*:

Qu'ils foient vail- lants.

J'aurois fait une faute contre le bon fens; defcendre d'une o&aven indique pas ïe guerrier qui s'élève à la gloire. J'ai vu quelque fois le muficien faire le contraire de ce qu'indique îa parole , de peur d'être foupçonné d'avoir joué fur le mot ; c'efl:

SUR LA MUSIQUE. î-77

commettre une ineptie, pour éviter une faute qui n'en eft pas toujours une (t). Qu'ils foicnt fidèles , la bonne note fur dèles.

A leur retour je réponds d'elles , L'Amour fous les lauriers , n'a point vu de cruelles.

Ce dernier vers eft abandonné au chant ; il devoit l'être , je crois , parce qu'il fait image. Les accompagnemens liés & fou- tenus forment , pour ainfi dire , la chaîne de l'amour.

Sous les drapeaux quand la trompette fonne.

Il n'eft pas nécefîaire de faire remar- quer le rhithme que prennent ici les cor3 de chafTe. Avant de recommencer l'air, Dolmon dit :

(i) J'ai remarqué que les compofîteurs à la fleur de l'âge , fe fervent fouvent de phrafes afcendentes , tan- dis que. ceux qui font fatigués font le contraire.

±7% Essai

Il a raifbn, l'amour l'attend.

Il falloit mettre ce vers en récitatif; Ce n'eft plus l'ancien guerrier qui parle, c'eft le père de Célicour. Si dans la fé- conde partie de cet air j'ai remplacé la trompette par le cor, c'eft parce que l'or- çheflre du théâtre Italien en étoit alors dépourvu.

È'émpïoi des inftrumens a vent fi bien fenti par les Allemands , par rap- port à l'harmonie , mérite d'être confi- déré par les composteurs dramatiques. Lorfque la mufique ne déclamoit point, une flûte traverfière , une trompette , un cor, vouloient dire amour, gloire , ou la chajfe. II faut a préfent que ces divers inftrumens concourent à l'expref- fion.

On peut regarder ces inftrumens ac- compagnateurs du chant fous deux râ- pons. Celui de la voix qu'ilsaccompagnent

SUR ÎA MUSIQUE. 1 7 <?

& le fentiment des paroles que la mu- fique exprime. Le bafïbn eft. lugubre , & doit être employé dans le pathétique, lors même qu'on veut n'en faire fentir qu'une nuance délicate ; ii me paroît un contre-fens dans tout ce qui eft. de pure gaîté. La clarinette convient à la dou- leur, moins pathétique cependant que le baiïbn. Lorfqu'elle exécute des airs gais , elle y mêle encore une teinte de trifïeïTe. Si l'on danfoit dans une prifon , je vou- drais que ce fût au fon de la clarinette. Le hautbois , champêtre Se gai, fert auiïi à indiquer un rayon d^efpoir au milieu des tour-mens» La flûte traverfière eft tendre Se amoureufe la douceur de fes fons aigrit la plus belle voix de femme, qui ne peut guère fe fbutenir à coté de la flûte ; elle accompagne plus avantageu- fement la voix des hommes Se les inf» trumens dont le fon n'eft pas foutenu. Les deux airs de l'Ami de la Mai*

S4

z8o Essai

fin , Je fils de vous très-mécontente & Rien ne plaît tant aux yeux des belles , que j'ai analifés précédemment, devroient fuffire pour prouver que les £accens de la parole peuvent être copiés par ïes fons de la gamme, je fais néanmoins que ce que j'ai cru prouver fera dédaigné par bien des gens ; mais je ne m'en afflige pas , ou fi je m'en affligeois ce feroit pour les plaindre.

Un homme de lettres qui m'avoit en- tendu parler fur la pofïibilité de noter toutes ïes inflexions de la parole , & qui nioit cette poiïibilité , me pria , en fou- riant , de le recevoir chez moi pour par- ler plus à fond fur cette matière.

En entrant dans mon cabinet, îî me dit en me faluant , avec un petit ton de prot.e&ion : Bon jour monjieur.

Je note ici fes inflexions.

Allegretto..

SUR LA MUSIQUE, lSl

j^ "ifr. p _r | ,i ' K|gRg===

Bon jour , Mon- fieur.

Je lui chantai à Pin fiant , fur le même ton , ut fol fol ut , & il fut a moitié converti.

II feroit affez plaifant de faire une nomenclature de tous les bonjour, monficur, ou bonjour , mo/2 c/tèr, mis en mufique avec l'intonation jufte ; fon verroit com- bien ï'amour-propre efl un puiffant maître de mufique , & comme la gamme change îorfque l'homme en place ceffe d'y être.

Un bonjour , monfieur ; me fuffit pref- que toujours , pour aprécier en gros les prétentions ou la fimplicité d'un homme ; la politefTe ou îa faufTeté , nous cache l'homme dans Ces difcours ; mais il n'a pas encore appris à fe cacher tout-à-fait dans fes intonations. Je crois faire ici l'éloge de Phiimanité,

2.8x Essai

La même phrafe prononcée par dîfTé- rens perfonnages & dans des circonf-

tances différentes, reçoit donc toujours de nouvelles inflexions , & la ve'rité de déclamation , peut feule faire de la mu- fique , un art qui a fes principes dans la nature,

II faut fur-tout foigner la ponctuation muficale , de laquelle refïbrtira cette vé- rité de déclamation. Les rapports mathé- matiques qui exiftent entre les fons , font bien aufïi dans la nature , comme les pro-* portions phyfiques du corps humain ; mais c'efi l'attitude , l'expreffion , la paffion , qui animent une ftatue ; de même que îa déclamation anime les fons. Quel champ vafte pour le muficien !

J'ai dit que îa mufique eft un difeours ; elle a donc , comme les vers ck la profe , les repos ck les inflexions de îa virgule ,_ des deux points, du point d'exclama- tion , d'interrogation ck du point final.

SUR MUSIQUE. 2.83

Le mufkien qui y manque , ou n'en- tend pas fa mufique , ou ne comprend pas les paroles. Comment dans les in- tervalles de douze demi tons , que ren- ferme la gamme cromatique , tous les repos & les accens de la ponctuation n'exifteroient-ils pas ? L'exemple fuivant prouvera d'ailleurs combien il eft aifé de prolonger , par des repos, le fensdu point final.

Si ces vers de fix fillabes .étoîent en interrogations , ne peut-on pas tourner la même phrafe de cette manière?

^3 4 Essai

rtert £fe i-U. ^ f-M*J w* m+*r C-ES»

? ?

, iiÉËpïlliyiIi=l=

Des mufîciens français ont employé Couvent cette phrafe interrogatoire

ggzzrgg^gS^^gf^

^<—

Lorfque le fens des paroles exigeoit te point final;

^ë=i=g=É=^=p=g=fi-MEi

cette faute impardonnable , fur-tout dans le récitatif le muficien n'éprouve point de gêne provient, je crois , de ce que les mufîciens français entendirent jadis

sur la musique. a8j ïa mufique des Boufons Italiens, fans comprendre leur îangue.

On aura beau dire & beau faire, la mufique vocale ne fera jamais bonne , fi elle ne copie les vrais accens de la parole ; fans cette qualité , elle n'eft qu'une pure fimphonie.

Lorfque j'entens un opéra qui ne me fatisfait pas entièrement , je me dis que le compofiteur ne comprend point fa langue , je veux dire le langage mufical.

L'harmonie , ou le trait de chant dont il s'eft fervi pour rendre un fentiment , me femble propre à une autre expreffion.

Si l'on ne me chantoit point de pa- rolles , j'en fubfiituerois qui rendroient le morceau de mufique excellent à mon agré. II faut donc que le compofiteur fâche bien fa langue mufical , pour qu'if puifTe y adapter des paroles , qu'il doit aufîi entendre parfaitement : c'eft de

i86 Essai

l'union de ces deux idiomes , que reTulte la bonne mufique vocale.

L^on peut exprimer jufle, avec beau- coup d'harmonie , un grand travail d'or- cheftre, & un chant fouvent accefibire ^ ou une déclamation peu chantante , c'efl ce qu'en général a fait Gluck.

L'on peut exprimer jufte , en faifant fortir de la déclamation un chant pur Se aifé dont l'orcheflre ne fera qu'un ac- compagnement acccfibire ; c'efl généra- lement , ce que j'ai cherché a faire.

L'on peut faire un chant plus pur Se plus fuave encore , qui en ne peignant point n'a cependant pas d'intention con- traire a fexprefri on des paroles. C'efl ce qu'a fait Sacchini. Tant qu'on fera de la mu- fique , il faudra rentrer dans les trois manières que je viens d'indiquer.

La mufique de Haydn , peut être re- gardée comme un modèle dans le genre inflrumental , foit pour la fécondité des

SUR LA MUSIQUE. 287

motifs de chants ou celle des modula- tions. L'abondance des moyens le ren- droit peut-êire abilrait, s'il ne me fem- bïoit obferver une efpèce de régime i qui confifte à conferver long - tems le même trait de chant , s'il module beau- coup ; mais il eft riche en mélodie lors- qu'il module moins.

Il me fembïe que le compofiteur dramatique peut regarder les œuvres in- nombrables de M* Haydn , comme un vafte dictionnaire il peut fans fcru- pule puifer des matériaux , qu'il ne doit reproduire cependant, qu'accompagnés de l'expreffion intime des paroles. Le com^ pofiteur de la îimphonie elî:, dans ce cas, comme îe botanïfte qui fait la découverte d'une plante en attendant que le méde- cin en découvre ïa propriété.

S'il efl vrai, comme je l'ai dit, que îe compofiteur vocale doive fenthr les différentes nuances qui conftitue un dis- cours dans toutes fcs parties , pour pou-

*88 Essai

voir enfuite faire un raprochement tel qu'il unifie fon idiome muficale au lan- gage ordinaire ; combien eft-il abfurde d'ajouter foi a un vain préjugé qui vou- drait nous faire accroire que fon peut joindre l'ineptie à un grand talent.

Qu'on ne dife donc pas que mille fois les bons mufîciens ont commis des fautes d'ignorance ; l'homme ignorant ne peut être qu'un déteftable muficien , & c'étoit l'avis de Voltaire lorfqu'on lui parloit des prétendues inepties des hommes dis- tingués par un talent quelconque.

On raporte que Carie Vanloo ne vou- îoit pas recevoir douze cent francs pour un tableau qu'il venoit d'achever , parce qu'il étoit convenu qu'on le lui payeroit cin- quante îouis. Cette ignorance me paroît fublime dans un grand artifte. Elle prouve que plus l'homme porte toutes fès fa- cultés vers une feule chofe , moins il doit être inftruit de toutes les autres. On

ignore

SUR LA MUSIQUE. 1 3 Q

ignore combien de grandes chofes pour le commun des hommes , paroiffent mi- nutieufes pour l'artiftç qui , tout entier à fon objet, vit pour ainfi dire avec la na-

ture.

Mille, petites faculté* nécefTaires pour avoir feulement le fens commun , fe dé- truifent pour fortifier une faculté majeure. Aufii l'homme occupé d'un grand objet avec tous fes rapports , devient indifférent fur mille autres pour fe. livrer à celui qui l'occupe fortement.

La nature ne nous ayant donné qu'une certaine portion de force répandue dans l'individu , nous laifTe les maîtres , par un exercice habituel , de fortifier un de nos organes aux dépens des autres; telles font les jambes d'un danfeur & d'un maître en fait d'armes ; la main gauche du joueur de violon ; la poitrine d'un chanteur ; la tête du favant -, les organes du fentiment pour le Poète , le Peintre, le Muficien,

T

ijo Essai

& tout homme de génie. Ne jugeons donc point lége'rement l'homme qui fait une chofe mieux que tout autre; &: fouvenons nous qu'un jeune étourdi avôit répondu dix fois à une queftion , pendant que J. J. RoufTeau relloit taciturne en y cher- chant une répor.fe.

.-•'

SUR LA MUSIQUE. 2Ql

LE MAGNIFIQUE,

Drame en trois ades, par M. Sedaine ; repré- fenté à Paris par les Comédiens Italiens , le q Mars IJJ3*

A mefure que j'acquérois la connoif- noiffance propre au théâtre , je défirofs de mettre en mufique un poëme de M. Sedaine , qui me fembloit l'homme par excellence , foit pour l'invention des ca^ ra&ères , foit pour le mérite fi rafe d'a- mener les fituations d'une manière à pro- duire des effets neufs , & cependant tou- jours dans la nature.

Le Magnifique me fut offert par ma- dame de Lalive dïEpinay , l'amie intime de /, /. Roujfeau ; ç'eft affez faire fon éloge. La fcène de la rofe me féduifit , quoique je fpntiffe la difficulté de faire un morceau de mufique , le p*us long qui ait jamais été tenté au théâtre. Quant au reffe de la pièce , je m'en rapportai

T %

i$i Essai.

plus à la réputation de f Auteur , qu'à mon propre jugement.

II étoit écrit à la tête du poëme , pen- dant V ouverture, , on verra pajfer derrière la feint , une procejfwn de captifs ; on entendra le chant des Prêtres,

G'eft d'après cet avis de l'Auteur, que je commençai l'ouverture par une eA pèce de fugue , ou mufique de motet un peu mitigée. Faire entendre enfuite un contrepoint défignant abfolument les chants d'églife , me fembloit péril- leux à i'opéra comique ; que faudroit-il faire pafTer dans l'ame des fpeclateurs , me difois-je , pour que fans étonnement ils puffent entendre des cantiques? L'air de Henri IJ^me vint a Pefprit : tout bon François n'entend cet air qu'avec un fen- timent pieux mêlé de joie & de ten- drefTe ; je faifis cette idée (i ) fur Pair ,

Vive Henri IV

Vive ce Roi -vaillant , &c.

y

SUR LA MUSIQUE, 293

j'ajoutai un fécond air chantant , pour qu'il y eût quelque chofe du compofiteur; les Prêtres fe préfentèrent à la fuite du Roi Henri , & furent très-bien reçus du public. J'ai toujours été curieux des cé- rémonies d'églife r lorfqu'elles font obfer- vées avec toute la xiécence & la dignité qu'elles exigent. L'artille feul a intérêt de confidérer de près la nature. Pendant qu'une procelTion paiïbit , j'avois obfervé une efpèce de cacophonie , naturelle ïcrf- qu'on entend plufieurs chants à la fois ; des prêtres font à votre droite , un or- cheftre d'inftrumens à vent eft à. votre gauche ; quelques trompettes & timbales plus éloignées fe joignent encore aux deux premiers chœurs de chant ; ce qui forme dans l'éloignement un enfemble cara&érif- tique quoique défagréable à l'oreille. Peu de perfonnes ont remarqué, j'imagine, que ce mélange fe trouve dans l'ouverture du Magnifique. Les trompettes font quelques éclats ; on entend une phrafe de la marche

T3

1^4 Essai

qui va fuivfe ; le chant des Prêtres s'y joint ; ils jouent tous enfemble ; iîs fmif- fent Pun après Pautre ; un filence géné- ral fuccède ; enfin la mufique militaire , qui efï cenfée être arrivée à l'endroit des fpe&ateurs , commence avec force la marche fuivante.

Alors on n'entend plus que cette marche qui abforbe tout le refte.

Si je di-fois qu'en raifant la mufique de ce drame , j'aie éprouvé les mêmes Pgrémens ck la même facilité qu'en com- ofant fur les poëmes de M. de Mar- fnontd , ce feroit une faulTeté palpable, que les connoiffeurs reconnoîtroient ai- fément. Mais qu'importe la peine ou ïe plaifir de PartHte , fi fon ouvrage peut erre utile à Part? Le ton qui règne dans le poëme du Magnifique , n'a nui rap-

SUR IA, MUSIQUE, i 0 5

port avec ceux que j'ai compofés précé- demment ; il ne faut donc pas, me fuis-je dit , qu'on y retrouve la mufique de Zcmirc & A^or , ni celle de Silvain, C'eft en étudiant. le poème , & non les paroles de chaque ariette , que le mufi- cien parvient à varier Tes t^ns ; c'eft fur- tout en faifufant le caractère des premiers morceaux que chante chaque acteur, que Ton s'impofe la loi de les fuivre en leur donnant à chacun une phifionomie par- ticulière. Sans cette étude on ne recon- noîc par tout que le muficien , ce font toujours les mêmes traits de chant qui fe repréfentent pour tout exprimer; avec ïa différence puérile d'une trompette dé- fignant la fierté du guerrier, ou d'une flûte exprimant la tendrelTe de famour. Je voudrois cependant, pour que le mu- ficien obtînt une pleine fatisfaction de fes travaux , que le* paroles defhnées à la mufique euflènc été foignées.

Dans les tems les plus reculés , la

T4

i$6 E s s a'i.

mufique ne fut employée qu'à confacrer des paroles dignes de parler à la pofté- rite ; c'étoit par des chants que les peu- ples anciens honoraient leurs Dieux, leurs parents , leur patrie. Aujourd'hui Ton dit : fi les paroles font mauvaifes ,' faites les mettre en mufique , on les trou- vera bonnes. Je dis le contraire ; on les trouvera déteftables. J'entcns chaque jour des vers que le public permet dans ïe dialogue parlé , & qu'il rejetteroit s'ils étoient mis en mufique , de manière à être entendus. Le langage muficaï n'exiûe que dans l'accent plus fort que la dé- clamation ordinaire. Il eft donc clair que plus vous déclamerez, plus vous ac- centuerez, plus vous* ferez ïèhtif ïa pla- titude des vers ; plus vous dégraderez les paroles & la mufique.

Voyez avec combien de retenue un a&eur adroit débite des vers qu'il croit mauvais : il éteint toute déclamation ; il paîTe rapidement Se prefque fans accent

SUR £. À MUSIQUE. 2.0 7

îes endroits îufpecls. Le Muficien éprouve la même gêne en compofant ; il ren- contre mille difficultés prefqu'mfurmon- tables ; ce vers eft de huit filïabes , le fuivant n'en a que trois , l'autre en a dix , &c. II faut trouver un defîin régulier, dans l'irrégularité même. C'eft bien pis fi les idées qui forment la ftrophe font incohérentes; pour furcroît de malheur, il y- aura des mots profaïques ou triviaux , qu'il faut palTer rapidement , pour qu'ils foient peu entendus, & que les fpe£ta- teurs croyent s'être trompés.

Voila l'abrégé des peines que Pon im- pofe au mufieien , îorfqu'on lui donne des paroles peu foignées. Mais il faut une coupe de vers propre à la mufique. Mais il faut des petits vers; non , meflieurs ! il ne faut rien de tout cela ; il faut des vers relatifs au fenti ment que vous peignez; des vers alexandrins eu des vers de fix filïabes, font îes mêmes pour la mufique. fojez corrects , fimétriques; ne faites pas

198 Essai

des phrafes trop longues avec de grands vers de dix ou de douze fîllabes , dont ïes hémiftiches foient liés par des voyelles; parce que phyfiquement , le chant ne marche pas fi vite que la parole , & qu'il faut refpirer enfin. Souvenez -vous qu'il faut preflentir le mouvement de Faîr que l'on fera fur vos paroles ; huit vers fur un mouvement lent, prendront plus de tems que trente fur un mouvement rapide.

Ne répétez pas les mêmes mots dans un môme vers , ou que ce foit pour em- belfir votre idée; c'en1 une refTource pour

Muficien, lorfqu'il veut arrondir fon

-mt, mais dont il n'a pas toujours be- .om; fi vous le faites d'avance, vous le gênez, parce que vous ne pouvez pas de- viner quand il en aura befoin. Il fera peut-être forcé par la tournure du chant, de répéter les mots que vous n'avez pas répétés ; de forte que vos répétitions & les fiennes feront faftidieufes.

J'ai toujours cru que le prétexte fpé-

SUR -LA' MUSIQUE. ^QO

cfeux de fervir le Muficien , en pareil ca$, n'étoit autre chofe que le befoin de com- pletter le nombre des fylïabes, pour faire des vers de même mefure.

Evitez la morale , parce que fes images font froides , excepté peut-être en amour. Sentiment, ironie , pafîion , monotonie même ïorfqu'elfe eft caractère, tout eft du refîbrt de la mufique , excepté les mauvais vers. '

Chaque auteur dramatique fe plaint des facrifices qu'il eft obligé de faire à fon Mu- ficien. M. Scdainc en parle dans fon dif- cours de réception à l'Académie Fran- çoife. Cependant je défie les poètes avec lefquels j'ai travaillé, de citer un bon vers facrifié à ma mufique.

Quoique la digreflïon précédente fe trouve à l'article du Magnifique, je fuis loin d'avoir voulu faire une critique par- ticulière des paroles de ce drame. Si M. Scdainc n'eil pas le Poëteqoi foigne le plus les vers devinés au chant; les fituations

$ôô .7 E s s a r;

qu'il amène, & non pas qu'il trouve} comme difent Tes envieux ; font fi împé* rieufes , qu'elles forcent le Muficien à s'y attacher pour les rendre. II dit prefque toujours le mot propre , 6c il fe croit difpenfé de l'embellir par des tours poé- tiques. Il force donc ïe Muiicien à prendre des formes neuves pour rendre fes carac- tères originaux. La facilité dans le travail, n'efl: guères pofïible en pareil cas; mais fouvenons-nous que l'habitude d'un tra- vail facile eft dangereufe, fi elle n'efl le fruit d'une longue étude. Après avoir fait la mufiqne d'un poëme avec facilité; j'aime à en rencontrer un qui me force à un travail plus obftiné; celui-ci me donne à fon tour des idées pour en faire un troi- fième, aufïi facilement que le premier.

Le Magnifique n'eut pa,s un fuccès éclatant; mais ce qu'on appelle un fuccès d'eftime ; il eft refté au théâtre. L'on me difoit : je viens pour la feint de la rofe ; je répoRdois : c'efl pour cette Jcènc que

SUR LA MUSIQUE. 30I

V auteur a fait la Pièce, Elle produifir un effet non équivoque aux premières repré- fentations. Pour faire l'éloge de la fcène Ôc de I'a&eur, M. Clairval; je rapporte- rai qu'une dame impatience de voir tom- ber la rofe des mains de la pudeur, ou- vrit fes doigts charmans, & kijfa tomber fon éventail fur le théâtre , & fut auflï déconcertée de fa défaite, que le fut Clémentine Vinjlant d'après. .

* -

r - n -

3ox E s s a t

LA ROSIERE DE SALENCI,

Comédie paftorale , en xefs ; paroles de M. de Pe^ai ; repréfentée à Fontainebleau , en quatre

acles , le 6c à Paris ,. en trois aétes , le 28

Février 1774.

Lorsqu'on ne confond pas tous les genres dans un même ouvrage, il refte une couleur pour chacun d'eux. La pas- torale, qui tient de fi près à ïa fimple nature, offre cependant des difficultés; parce que la candeur, la douceur de Tes accens ne préfèrent pas des contraries affez frappans , ni des couleurs affez vives pour l'optique du théâtre. Je vouîois faire une paftorale en ma vie; on m'offrit ïa Rofière de Salenci, dont tout le monde aimoit le fujet. Ce ne fut qu'après mille changemens que cette pièce fut fixée au répertoire, (h) Pour monter ma tête au ton de la paftorale , les poëfies de Geffner m'occupèrent pendant tout le tems que

ÎUR LA MUSIQUE. îq^

j'employai a compofer la mufique de la Rofière. Je crôjs 'même que Ton doit re- marquer le fruit de cette lecture, par la douceur , & j'oie dire la piété des chants qui cara&érifent cet ouvrage.

. Le duo : Colin ,_ quel eil mon crime l

A toujours été eftimé , fans produire d'ef- fet âii théâtre. Je ne puis en deviner la caufe, à moins que ce ne foit les raifons que je viens de dire.

L'air : Ma barque .. légère

>z .. .. d pH

mérite peut-être quelque attention, par

.gaieté &:, le ..peu .d'importance . que

femble meure Jean GaU à la belle action

qu'il a faite. Le pîaifir d'avoir, (àuvé Colin

efl la feule idëeî qui l'occupe, pendant fon

récit* iliparcourt-irous les -détails d'un nau^

frage,'fàns fonger à en faire uue image

éfrrayan't:é--'îl devient par l^.plus^énéreuï

& plus aimable. Les Muficiens . prennent

304 Essai

trop fouvent au férieux , les récits qui ne font que fatisfaifans , puifque le dan- ger n'exifte. plus, & que le plaifir du fuccès doit l'avoir en partie fait oublier; c'eft. encore dans ces fortes de cas que la mufique a un pouvoir dont la parole & le gefte ne peuvent qu'approcher; car dans le tems que forcheftre peint les flots en courroux, facteur enivré du plaifir d'avoir fauyé un jeune garçon , chante gaiement :

Ma barque s'engage , S'échape en débris , L'écho -du rivage Repouffe mes cris , &c

"•':. le— J]

aurefte, cette règle n'efl: .pas générale. Il faut toujours confidérer le. perfonnage qui parle; ce quLfied à Jean- Xjou1, ?payïàn jeune & gaillard ,\ ne p ûéroir "pas à tïn payfan d'un autre caractère. Un tiers qui parle eft toujours moins arreété que fi c'étoic fe.perfonne :mêrne qui û% Je téçit de -fes malheurs.,. j &

Sans

SUR LA MUSIQUE. 2 O t

Sans s'y porter en foule , ie public a toujours vu avec fatisfa&ion les repréfen- tations de la Rofière; ii a repoufTé les ac- trices dont les mœurs étoient peu régu- lières, îorfqu'elles Te font préientées pour remplir ïe rcîe de Cécile : celles au con- traire dont la fageiTe embellifToit le talent, ont reçu des applatidiiTemens flatteurs , fur- tout à fimtant du couronnement, ce qui prouve que les hommes raiîemhlés aiment la vertu , quoiqu'ils ne vouImTent pas tou- jours iè charger de rendre l'aclrice ver- tueufe.

306 Essai

LA FAUSSE MAGIE,

Comédie en deux acles , en vers , mêlées d'a- riettes , par M. Marmotuel ; repréftntée par les Comédiens Italiens , îe premier Février 1775".

L'on m'a fouvent demandé auquel de mes ouvrages je donnois la préférence ; J'ai toujours été embarrafTé dans ma ré- ponfe. Je n'en qui te aucun fans en être content ; (ans y avoir mis tout ce qui dé- pend de moi ; (entant bien en même tems ce qu'il faudroit pour faire mieux ; mais ce que j'ajouterois de plus, ne s'accor- deroit pas avec ce qui efr. , & cette rai- fon fufïit pour avertir î'artifte qu'il doit s'arrêter. L'ouvrage qui coûte peu d'étude & de peine , eii un enfant gâté qui fembîe plus appartenir à l'heureux élan qui l'a pro- duit , qu'à l'homme même. Il chérit fon enfant, H lui fourit 6c n'efe prefque s'en croire le père. L'ouvrage au contraire qui a follicité vivement tous les re (Torts

S tj R IA MUSIQUE. 307

l'imagination , le véritable fruit du tra* vail ; jamais on ne le revoit qu'en longeant aux peines qu'il a coûtées; c'elt celui qu'on défend avec plus de chaleur, parce qu'il nous appartient de plus près ; fi le pre- mier nous flatte, le fécond nous attendrit» La mère de pîufieurs enfans pourroit mieux que nous expliquer les divers fentimens que nous font éprouver nos productions, félon qu'elles font plus ou moins heu- reu fes.

Le premier acte de la FaufTe Magie, eft peut - être ce qu^iï y a de plus efti- mabîe dans mes ouvrages ; en n'écoutant que le chant de cet acte , on eft tenté de le mettre au rang des comportions fa- ciles ; mais le travail des accompagne* mens, les routes harmoniques qu'ils par- courent , arrêtent le jugement trop pré- cipité, & l'on fent enfin que le caractère diitinctif de cette production vient d'un certain équilibre entre la mélodie & l'har- monie. L'équilibre dont je parle , ne con*

V %

308 Essai.

fifte pas a appliquer beaucoup d'harmo- nie fur un chant heureux ; il faut que les accompagnements eux-mêmes ayent le Caractère de la vérité. Il y a des trouvailles d'harmonie comme de mélodie, &z ce n'ett pas la difficulté vaincue, ni le rapro- chement fubit de deux gammes éloignées qui en conltitue le mérite; c'eft parce que cette harmonie elle-même elt vraie ôc ex- prcfïive , que je la nomme heureufe. Un compofiteur favant fait toujours faire une cempofition favante ; mais il n'eil pas toujours heureux dans fa feience. L'équi- libre dans les organes du fen trment eft je crois defirable , pour produire une fem- bïable compofition. J'ai fouvent commencé un morceau de mufique , fous les aufpices les plus favorables ; un chagrin , une in- quétude furverioit , je fentois alors mes difpofitions s'altérer , & le morceau heu- reufement commencé, prenoit une forme différente dont je n'étais pas auffi con- tent.

SUR LA MUSIQUE. ^O^

Le feconcLafte ne préfentoit plus qu'une action invraifemblable , à laquelle les fpec- lateurs ne fe prêtent point ; fur-tout après un premier acte qui annonce une comé- die. Si dès le commencement de la pièce fauteur eût montréle vieux crédule entouré de prétendus forciers , îa pièce auroit eu de l'unité en fininant comme elleavoit com- mencé. Les premiers objets qui frapent les fpe£tateurs , font ceux qui reilentdans Ton imagination ; ôc tout ce qui en en: la fuite efr. bien reçu. M. Sedaine étoit fâché de commencer le pcëme de Richard Cœur de L?o/z,parIes payfans qui chantent le bon ménage ; il auroit d'abord voulu fixer l'attention fur Blondel , mais la nécefïité de préparer le divertifTement du troifième acte l'y a forcé ; aufli Blondel en arri- vant dit à fon petit conducteur 3 j'entends , je crois, chanter? Ce n'eft rien, répond l'enfant } ce font les payfans qui rentrent après V ouvrage des champs. Ce nyeft rien ? n'a pas été mis fans intention.

v3

310 E S S A

Après quelques repréfentations Je îa Faujfe Magie y cet ouvrage ne fe fou tint pas long-tems ; je follicitai le début d'une jeune actrice, mademoifelle Dèrouvillc , qui chanta fupérieurement dans cette pièce, & ne fut pas reçue parce qu'elle chan- toit trop bien ; mais la Faujfe Magie refta au théâtre avec fuccès.

Vous auriez, à faire à moi, &c.

étoit un air & non un trio ; les accents de la ba/Te me parurent fi vrais , que je ne pus réfiiter au defir de demander à M. Marmontcl , ïes paroles qu'elle fem- bïoit appeller. Les notes foutenues du jeune homme furent une fuite naturelle de cette baffe. Ce morceau heureux , ïes trois acteurs en formant des chants difierens foutiennent leurs caractères , n'efi: point apprécié au théâtre de Paris(i)

(i) Il m'a paru l'être beaucoup mieux depuis crue l'on çft fvlfis au parterre de la Comédie Italienne.

SUR LA MUSIQUE. 31I

je crois qu'il eft de trop à ia (cène , j'ai moi-même toujours fenti une fatiété de mufique à cet endroit. Les vrais con- noilTeurs en mufique , compofent le petit nombre de fpeclateurs ; eux feuïs applau- diffent ce morceau de mufique à trois fujets; fi le poëte l'eut fait avant moi, il efl probable qu'il eût été au deiTous de ce qu'il efl, mais un hafard heureux l'a produit , ck les morceaux de ce genre ne devroient être faits que de cette ma- nière.

J'en connois peu de bons ; excepté le duo de Tarn Jones ,

Que les devoirs que tu m'impofes , &c.

Faire deux ou trois chants Pun fur f autre , eft. un tour de force qui prouve prefque toujours quon a voulu trop entreprendre. Les facrifices y font plus remarquables que le produit. Si les trois parties font chantantes, chacune en particulier, l'en-

V4

3ii Essai

fembîe eft embrouillé; fi elles ne chan- tent point , pourquoi fe donner tant de peines ?

La mufique parlante du duo des vieil- lards ,

Quoi ! c'eft vous qu'elle préfère, &c.

fit un effet extraordinaire à îa première repréfentation ; le chant en efl fi près de la déclamation qu'on le confond avec la parole. D'ailleurs ce morc.au eft filiabi- que , & d'un mouvement continu , cette forte de mufique à un empire prodigieux fur tous les fpeclateurs.

Les anciens ont beaucoup parlé de l'empire du rhîtme eu du mouvement ; il opère plus puïfïàment que la mélodie & l'harmonie ; mais lorsqu'il y eft réuni , fon empire eft irréfëftîble. Lorfqu'un air marqué Se fimétrique s'empare d'un au- ditoire , on entend les pieds , les cannes frapper îa mefure ; tout eft fubjugué &

SUR LA MUSiQUE. 3 r 3

contraint de fuivre le mouvement donné. J'ai ufé fouvent d'un ftrataaême fin aulier pour ralentir ou accélérer la marche de la perfonne que j'accompagnois a la pro- menade ; dire à quelqu'un vous marchez trop vite, ou trop lentement, eft une efpèce de defpotifme peu décent , excepté avec fon ami : mais chanter lourdement un air en forme de marche , d'abord à la mefure de la marche du compagnon , enfuite la lui ralentir ou l'accélérer , en changeant infenfiblernent le mouvement de l'air , eft un ftratagême aufïi innocent que commode.

Quoique muiicien j'ai toujours cru que les trop vives fenfations produites par un morceau de mufique , nuifent à l'effet général d'un ouvrage , a moins que ce morceau ne foit la cataftrophe du poème. Les gens véritablement fenribles à la vé- rité dramatique, "ont fentir qu'après un air de bravoure vivement applaudi , il en réfulte une lacune qui fufpend l'at-

3*4 Essai

îcntion &Iaifîè à peine l'envie d'entendre ce qui fuit : au refte , un auteur teî qu'il foit , ibufTre ayec plailir des invraifem- Jblances fi flatteufes. L'acteur qui a le plus de tact, fe gardera bien dans toute compoiition fembîabîe au duo dont je viens de parler, de {urchargerfexpreffion; cène mufique eft elle-même fi près de la parole y que pour peu qu'on néglige l'intonation , il ne refte que la parole même avec accompagnement. II n'ap- panient qu'aux exécutants qui ont le plus de goût de fentir combien il faut être modéré dans les ouvrages règne la , vérité d'expreiîion ôc de déclamation. Cette mufique qui eft d'un grand fecours pour les taïens médiocres , eft peut-être ennemie des talens fupérîeurs ; elle leur prefcrit trop jufte ce qu'ils doivent faire ; ilsfe trouvent mieux, lorfque le muficien n'yant pu qu'efîeurer la vérité , leur laiflê un champ libre pour déveloper leur jeu brillant. Au refte c'eft à l'acteur intel-

SUR LA MUSIQUE. 3 I ^

îigent à fentir jufqu'à quel point il peut fe livrer à i'exprefïion : il vaut mieux refter un peu au defïbus que d'y atteindre : rien n'ett fi près de la dégradation que ce qui ne peut plus acquérir ; & pour ce qui regarde le fentiment fur-tout, il vaut mieux Iaifîer quelque chofe a defirer que de fatisfaire pleinement un auditeur qui ne tarderoit guère à fentir que l'état le plus accablant efl celui qui ne laifle plus de chemin au defir.

Ce que je vais dire prouve phifîque- ment ce que je viens d'avancer.

La plupart des hommes en ont éprouvé les effets , fans en connoître la caufe. Rameau & J. /. Roujfcau n'en ont dé- velopé que ce qui regarde le phyfique des fons.

II eft deux manières d'accorder les inflrumens à cordes; le piano par exem- ple : en faifant une fuite de quintes juftes, tout le monde fait que les octaves de- viennent trop fortes , & que tout -a-coup en efl forcé de diminuer les fons pour

3 i ^ Essai

rejoindre îe point d'où Ton eft parti. Rien de plus funefte à l'effet de la mufique que cette manière d'accorder ; je ne dis pas feulement à l'endroit l'on eft obligé de tempérer les fons , mais même fur la partie du clavier les quintes fon juftes; car on éprouve une fatiété défefpérante ; chaque accord portant avec foi un âpre qui repouffe îe fentiment, Se efïarouche les grâces. Altérez , au contraire , foibîe- ment toutes vos quintes ; alors un defir Involontaire d'arriver au point imper- ceptible de la perfection , à ce point mathématique qu'on ne fe foucie guère de calculer quand on fa fenti , foutient votre attention. Chaque accord prend une teinte mcelleufe , ôc vous fait éprouver un charme féduifant. Quel chanteur n'a pas fènti fon ame fe déveloper ou fe ré- trécir en s'accompagnant ? Un fameux chanteur que j'ai vu à JRome , Git^clla , envoyoit fon accordeur dans les maifons il vouloit montrer fes tabns ., non-

SUR LA MUSIQUE. 317

feulement de crainte que îe clavecin ne fût trop haut , mais auffî pour la perfec- tion de l'accord. N'avons-nous pas en- tendu des femmes dont l'organe foibîe cap ti voit nos fens dans la converfation ? Quelle voix fonore , mais ferme & plus fûre de fes accents vous a jamais fait Je même pîaifir? Souvent j'ai quitté mon piano parce qu'il me déplaifoit Se ne me renvoyoit pas mes idées telles que je les concevois : c'eft après bien des années que je me fuis apperçu que l'accord des quintes trop juftes en étoit la caufe. On voit qu'une belle production dépend plus qu'on ne penfe de l'accordeur.

II n'eft guère moins efTentiel d'obfer- ver une efpèce de régime en mufique pour en jouir long-tems. Peu de mufi- ciens entendent moins de mufique que moi ; fi j'allois aux fpectacles lyriques tous les jours , fi j'afiftois à tous les concerts je ferois admis , fi enfin je ne fuycis la plupart des occafions d'entendre de

3 1 8 Essai

la mufique , la fatiété m'auroit fouvent donné un dégoût que je n ?ai jamais éprouvé. Tout eft limité dans la nature ; îe matin je ne touche mon piano avec plaîfir que parce que la veille je n'ai pas entendu de la mufique pendant quatre heures; dès que le plaîfir fe tourne en habitude ou en manie , il cefTe d'être piquant. Un ama- teur peut ainfj occuper Ton rems ; mais l'homme qui veut produire doit l'éviter.

Le compofiteur qui Te repaît trop de fcs ouvrages doit fe répéter aifément ; il doit craindre auffi PimpreiTion que lut laifTera un de fes morceaux qui aura réuffi généralement : il peut , s'il n'eft pas fur fes gardes , le répéter toute fa vie par des réminifcences imperceptibles pour lui feul.

Je vais peu aux premières repréfenta- tions qui ne m'intéreflent pas perfon- neïlement ; je préfère de lairîer fixer l'o- pinion publique que je compare alors avec plaîfir à la mienne.

SUR LA MUSIQUE- 3 S ^

Je Cens un mouvement de recon- noifîance envers les muficiens qui exécu- tent au théâtre celle de mes pièces qui ont été ïe plus fouvent repréfentées \ Pat- tendon , îa chaleur qu'ils mettent à exé- cuter ce qu'ils favent par cœur depuis fong-tems , me fembîe une grâce d'état. Je ne penfe pas de même de Pa&eur parce qu'il efl immédiatement fous les regards du public qui ïui ïmpofe la loi dette toujours attentif , & lui donne chaque jour une émulation nouvelle.

Lorfque j'entends mes ouvrages bien rendus, ils me rapeîlent les fenfations agréables que j'ai éprouvées en ïes corn- pofant

J'aime aufïî à me rappeîîer que ce fut a une repréfentation de îa faufle Magie , que fon me préfenta à L J. Roujfeau. J'entendis quelqu'un qui difoit : M. Rouf feau y voilà Grctry que vous nous de- mandiez tout à P heure. Je volai auprès de fui , le confidérai avec attendrifTemenî.

îio Essai

Que je fuis aife de vous voir , me dit-il, vais long-tans je croy ois que mon cœur tP était fermé aux douces fnfations que votre mujique me fut encore éprouver. Je veux vous connoître , monfieur , ou pour mieux dure je vous connais déjà par 'vos ouvrages ; mais je veux être votre ami. Ah ! mdnjïeùr ! lui dis-je , ma plus douce recompenf > efi de vous plaire par mes

talens. Eies-vous marié ? Oui. >

u4ve^-vous époufé ce qu'on appelle une

femme dSefprit ? Non. Je m'en

doutois ! Elle ne dit jamais que ce qu'elle fent , Se la fimple nature efl: Ton. guide. - Je m'en doutois : oh ! j'aime les artifles , ils font enfants de la nature. Je veux connoître votre femme & je veux vous voir fouvent. Je ne quittai pas Kouf- Jeau pendant le fpeclacle : il me ferra deux ou trois fois la main , pendant la Faujfe Magie ?- nous fortîmes enfemble : j'étois loin de penfer que c'étoit la première & la dernière fois que je lui parlois ! En

pafiant

SUR I. A\ MUSIQUE. 3 1 t

par ïa rue Françaife , il voulut franchir des pierres que les paveurs avoient laiiTées danj> la rue ; je pris Ton bras, & lui dis , prene^ garde M. Roujfeau ; il le re- tira brufquement en difant : laijfe^ moi me fervir de mes propres forces. Je fus anéanti par ces.paroles \ les voitures nous féparèrent , il prit fon chemin , moi le mien , & jamais depuis je ne lui ai parlé*

Si j'avois moins aimé Ro'jjfeau , dès ïe lendemain je l'aurois vifité ; mais la timidité compagne fidèle de mes defirs les plus vifs , m'en empêcha» Toujours ïa crainte d'être trompé dans mes efpé- rances , m'a fait renoncer à ce que je fouhaite le plus \ fi cette manière d'être , expofe à moins de regrets, elle contrarie fans ceffe l'efpérance , cette douce iliu^ fion des mortels.

J'étois un jour dans la voiture de PAm- * baffadeur de Suède , avec un homme de lettres ; je vis Roujfeau , qui cheminoic avec fa groiïe canne , fur les trottoirs du

X

jx$ Essai

pont royal, réfiflant avec peine aux fe- coufles du vent & de la pluie ; je fis un mouvement involontaire , en m'en- foncant dans la voiture comme pour me cacher, qu'ave?^ vous ? me dit mon com» pagnon. Voilà Jean Jacques , lui dis-jc. Bon , me dit le Phiîofophe , il ejl plus fier que nous. Il difoït vrai , mais il avoit ïa fierté' que donne îe talent naturel , & non cette morgue infolenîe , que l'on re- marque dans ceux qui par un travail pé- nible ou un hafàrd heureux , ont fu prendre une place que la nature ne leur deftinoic pas. Un enfant , le pfus petit infecte , ia feuille d'un arbre auroient fuffi pour amufer & arrêter les idées de Roujfeau , parce que toutes ces chofes font vraies; mais tout ce qui tenoit aux conventions morales, ce qui avoir l'empreinte de fa main des hommes , lui étoit fufpecl. Il fe chagrinoit du bien qu'on lui vou- loit faire ; parce que libre ôc fenfible, îî devoit s'élever en lui un combat entre

S <J R LA MUSIQUE. 323

l'homme naturel & l'homme fcciaï , donc îe premier fortoit toujours vainqueur. Ua tel être fans doute devoit exciter l'envie des hommes riches ôi piaffants ; l'on cou- roit après îa reconnoiiîance de Roufftau avec la même ardeur que l'on veut moif- fonn'er la fleur qui fe cache fous le voile de la pudeur : mais Ton unique bien étoit l'indépendance ; (i elle eût été l'effet de îa vanité 3 en îa lui eût ravie , & nous PeuffioPiS vu efclave ; mais c'étoit par fèn- timent qu'il étoit libre ; toutes les rufes des hommes ont échoué.

D'ailleurs P-.ouJfcau repouiîoit peut être le bien qu'on vouloit lui faire dans la crainte d'être ingrat; ck il auroit du l'être par la faute même de ceux qui cher- choient à l'obliger avec trop de chaleur. Pour ne pas courir les rifques de l'ingra- titude , il faudroit apprendre à obliger noblement , mais froidement , & ne ja- mais trop fe lier avec ceux qu'on oblige. J'ai toujours remarqué que j'avois obtenu

X x

32-4 Essai

la reconnoifTance de ceux que je n'avois oblige' qu'indirectement, & que tous ceux qui ont e'té à portée de voir combien j'avois de joye à leur rendre quelques fervices , fe font prefque toujours difpen- fes d'être reconnoiiTants ; fans doute parce qu'ils jugeoient trop clairement que j'étois alTés recompenfé par la jouhTance même du bien que je leur avois fait.

J'entends fouvent dire que le cœur de l'homme, eft un labirinthe impe'nétrable. C'efT peut être a la faveur de mon igno- rance, que je ne fuis pas de cet avis. Je n'ai jamais vu que deux hommes ; celui qui fe conduit d'après fes fenfa- tions , ôc celui qui n'agit que d'après les autres ; le premier elï toujours vrai , même dans (es erreurs ; l'autre n'efî. que le mi- roir où fe réPiéchifTent les objets de la fcène du monde. Voilà l'homme de la nature, l'homme eftimable, & l'homme de la fociété.

Lorfque Roujfcau eut écarte la foule

SUR LA MUSIQUE. *1 2 jf

qui cherchoic à l'obliger , & qui, félon lui , cherchoit a lui nuire , parce qu'on vouloit le forcer à renoncer à fon indé- > pendarïce ; ( car un bienfait oblige celui qui le reçoit , quoique le donateur ne l'exige pas) lorfque Roujfeau , dis-je, eut lui-même élevé la barrière qui le féparoit du refte des hommes , il dut fe trouver encore plus malheureux que lorfqu'il com- battoit ; car alors il vivoit de fes triomphes ; mais livré à. lui-même, accablé d'infir- mités & de vieilIefTe , ayant ufe les ren- forts puiûants de fon ame altière , il re- devint homme ordinaire : il reçut enfin Paille que lui offrit M. de Girardin , & mourut peut-être de regret de l'avoir ac- cepté. Un tel homme eft rare, mais il eft dans la nature. On dit qu'il fe con- tredit fans cefTe dans fes écrits: je croirai à cette accufation , lorfqu on m'aura prouvé qu'une même ca ufe, fur tout au moral, peut fe montrer deux fois , fans être ac-

X 3

32.6 Essai

compagnée de circonfïances & d'efTeti

difFerens.

On n'a pu ravir à Roujfeau , ni fa li- berté , ni fcs ouvngcs littéraires , la pre- mière étoit fon appanage : vitam impen- dere vero. Ses ouvrages etoient a lui , parce que nuj homme n'a pu être mis à fa place ; mais on voulut lui conteiler fon Devin du l'illage ; s'il tût menti une feule fois en face du public , l'apôtre de îa vérité , n'étok en tout qu'un im- pudeur, ■& il perdoit Ton premier droit a l'immortalité. Comment un tel homme eût-il pu forger & foutenir un tel men- fbngc ? J'ai examiné le Devin du Village avec la plus fcrupuleufe attention ; par- tout j'ai vu l'artifte peu expérimenté , au- quel le fentiment révèle les règles de l'art.

Si Roujfeau eût choifi un fujet plus compliqué , avec des caractères paflion- nés ck moraux , ce qu'il n'a voit garde de faire , il n'auroit pu le mettre en mu- sique j car en ce cas toutes les refïburces

\

SUR LA MUSlQUK. 317

de l'art fufnfent à peine pour rendre ce qu'on fent. Mais en homme d'efprit , ii a voulu afîimiler à fa mufe novice , de jeunes amants qui cherchent a développer le fentiment de l'amour. Souvent gêne' par la profodie, il Ta facrifîée au chant, comme,

J*ai per- du mon Serr vi- teur.

l'avant dernière fîllabe du vers efi brève , & il eft impofîibîe de la faire telle fans nuire au chant.

J'y fon- ge fans cef- fe.

L'e muet du mot fonge, tombe d'a- plomb fur la meilleure note de la phrafe muficale ; il auroit pu dire

J'y fon-ge fans cef- fe.

X 4

S

->i8 E

31o ±L S S A I

Mais il aimoit mieux le premier chant-, C'eft fans doute après avoir e'prouvé les difficultés infinies que préférée la langue JFrançaife , & avoir bien fenti qu'il ne les a voit pas toutes vaincues qu'il a dit , les Français n'auront jamais de mufique. Si j'eufTe pu devenir Pami de Ronflai* , nous n'unifions pus trouvé des pierres dans notre chemin ; fi Rouf feau , en me Voyant su travail , voyant avec queiîe promptitude j'eiTaie tour à tour la mélodie, l'harmonie & la déclama- non , pour rendre ce eue je fens : ( je dis avec promptitude , car il ne faut qu'un infiant, pour perdre l'unité en s'appé-' fàntifTant fur un détail) , peut être il eût dit alors , je vois qu'il faut être nourri ^harmonie &' de ch&nts muficaux , autant que je le fuis des écrits des anciens 3 pour peindre en grand & avec facilité.

Homme fublime ne dédaigne pas l'hom- mage d'un artifte qui , comme toi, occupe fesîoifirs, en s'efTayant, par cet ouvrage,

SUR LA MUSIQUE. 319

dans une carrière étrangère à Tes vrais ta- lens. Tu fus bien malheureux , mais ton ame fenfible ne devoir elle pas prefTentir a finftant même de tes malheurs , que des larmes éternelles couleroient de tous les yeux pout te plaindre ! Que ne m'eft-il permis de te dire ; 6 mon iiluflre con- frère j tu reçus jadis un outrage des mu- ficiens que tu honorois, outrage que leurs fuccelîèurs défavouent avec indignation ; puifFent mon refpect , & mon admira- tion pour tes vertus Se tes taîens expier un crime qui n'e'toit que celui du tems (i).

(i) Lofque Roujfeau fit répéter Ton Devin du Village^ il témoigna fon mécontentement aux exécutans; ceuxet pourfe venger le pendirent en effigie. Roujfeau en fut ins- truit, & dit à ce fujet , je ne fuis pas furpris qu'on me pende, après m' avoir mis long- tems- à la quejlion.

L'on ne peut imaginer quel efprit de travers regnoit alors parmi les fujets de l'Opéra ; il fubfîftoit encore, lorf- que je donnai Céphale & Procris. Fiers d'être applaudis par les partifans de l'ancienne mufique ; humiliés par la cri- tique continuelle des gens de goût , ne fâchant plus s'il fal* loit révérer ou abandonner leur antique idole , la fierté de l'ignorance & la diffimulation occupoient la place des ta- îens & du zèle.

33° Essai

CEPHALE ET PRQCRIS,

Tragédie en trois adcs , en vers , par M. M#r- momel; repréfente'e à Verfailles en 1773 , & à Paris le 2 mai 1775.

Cet opéra fut donné Tannée du ma- riage de monfeîgneur Comte d'Artois; neut qu'un médiocre fuccès , tant à Verfailîes qu'à Paris. Dans ce tems , il étoît reçu qu'excepté les chœurs & les danfes , il ne devoit point y avoir de mefure à l'opéra. Si quelques vers de récitatif étoient expreffifs , facteur y met- toit la prétention dont un air pathétique eft fufceptible. Si les accompagnement le forçoient à fuivre urr mouvement mar- qué , ce n'étoit qu'en courant après Por- cheftre qu'il l'attaignoit ; réfultoit de la , un choc , un contre -point , une fyncope perpétuelle dont je laille à deviner l'effet.

On interrompit une àes répétitions

SUR LA MUSIQUE. 331

par ïe dialogue fuivant, qui peut faire juger de Pétat des chofes.

l'A ctrice, fur le théâtre.

Que veut donc dire ceci, monfieur? II y a je crois de la rébellion dans votre orcheftre !

le Batteur de mesure, dans Vorchcflrc

Comment, mademoifelïe , de la ré- bellion ? Nous fommes tous ici pour le fervice du Roi & nous le fervons avec zèle. .

l'Actrice.

Je voudrois le fervir de même , mais votre orcheftre m'interloque & m'empêche de chanter.

le Batteur de mesure.

Cependant , mademoifelle , nous allons de mefure.

l' Actrice. - De mefure ! Quelle bête eft-ce ?

33^ Essai

Suivez - moi , monfieur , & Tachez que votre fimphonie eft la très-humble fer- vante de faétrice qui récite.

le Batteur de mesure.

Quand vous récitez , je vous fuis , ma- demoifeïle ; mais vous chantez un air mefuré , très-mefure'.

l'Actrice.

Allons, îaifïbns toutes ces folies & fuivez moi.

Les airs de danfe obtinrent l'eftime des danfeurs. Le duo,

Donne la moi dans nos adieux , &c.

ne fut connu qu^après avoir courru les focie'tés.

Après les repréfentations de Paris, je propofai les changemens fuivants*

LA VENGEANCE DE DIANE, en trois Actes,

Diane commençoit la pièce par la

SUR LA MUSIQUE- 333

réception d'une Nimphe nouvelle ; elle appelïoit enfuire la jaloufie , lui faifoit part de la défertion de Procris , féduite par le chaffeur Céphaîe , Se la chargeoit de fa vengeance. C'étoit une leçon ter- rible pour la Nimphe novice. Cette ac- tion mêlée de danfe & de pantomime, les chœurs des Nimphes implorant Diane en faveur de Procris , auroit fourni un acl;e aflez long en préparant l'intérêt.

DEUXIEME ACTE.

Céfhaie, fiuL

De mes beaux jours que le partage eft doux! &c. "

Je retranchois abfolument le rôîe de l'Aurore qui produit une double acHon peu intérefîante. Les hommes raiTemblés n'aiment pas à voir une femme dédai- gnée, & cette femme eft l'Aurore plus belle que le jour. La Jalousie déguifée en nimphe auroit pris fa place ; enfuite Pro- cris avec Céphaîe , auroient terminé le

334- Essai

fécond a&e comme eft dans ïe poëme.

Le troifième a&e refleroit tel qu'il eft.

C ctoït ïa jaloufie qui s'emparoit tour- a-tour de Céphale & de Procrîs dans le fécond & le troifième a&e.

De cette manière , faction étoit une , cV devenoit plus forte & plus rapide. L'auteur ne voulut pas adopter ces chan- gemens & l'opéra n'a pas été joué depuis.

M. Gluck affifta à deux de mes ré- pétitions à Verfàilles. La mufique du troifième acte dut lui paroître aufïi dra4- matique qu'elle Peft èh eflrct. Si Gluck n'eût été qu'amateur defintéreffé , il m'eût dit fans doute ce qu'un artifle confomme' a le droit de dire a un jeune homme de trente ans.

« Le chant mefuré , tel que vous Pavez » fait, ne convient pas a vos acteurs, v il faut que votre poète vous mette à » même de jetter plus de chaleur & d'in- 5> térêt dans vos deux premiers actes , il « faut qu'il retranche les airs auxquels il

StîR LA MUSIQUE. 335

» vous a trop afTujetti , & qu'il vous îahTe » le maître de faire du chant mefuré » quand il vous plaira alors vous choi- » firez les endroits qui font fufceptibks » d'une mufique , telle qu'elle puiflè » convenir à vos chanteurs ».

Mais Gluck pre'pa rok ïphigénie en Au- Vide , & il étoit plus naturel qu'il pro- fitât de mes erreurs que de m'en tirer.

Je fuis loin de croire que j'eufTe fait un tragédie comme Gluck ; je fuis en- traîné vers ïe criant auquel l'harmonie fert de bafe , autant qu'if eft lui-même com- mandé par l'harmonie exprefïïve de fon orcheftre à laquelle joint un chant fouvent accenoire , ou ne faifant que la* féconde moitié du tout.

Tel eft F empire de la nature ; l'Italie fournit cent mélodiflcs & un harmonrfte : l'Allemagne tout le contraire.

Tous les génies Italiens n'ont pu pro- duire une ouverture telle que celle d'I- phigénie en Aulide. Toute la force du génie

33^ Essai

allemand ne nous pre'fente pas un airpathe-* tique, auiïi déîe&able que ceux de Saçchinu La France offrant une température mixte , entre l'Italie <k l'Allemagne, femble devoir un jour produire les meilleurs muficiens , c'eft-à- dire ceux qui fauront fe fervir le plus à propos de la mélodie unie à l'harmo- nie s pour faire un tout parfait. Ils au^ ront , il ett. vrai , tout emprunté de leurs voifins , ils ne pourront prétendre au titre de créateurs ; mais le pays auquel la nature accorde le droit de tout perfec- tionner , peut être fier de fon partage* Le François n'en eft pas moins celui de tous les peuples qui a reçu de la na- ture le moins de difpoîitions pour la mu- fique. dans un climat tempéré , il doit avoir les pafTions douces ; vif, {pirituel & galant , la danfe & les dif- putes d'efprit doivent lui plaire ; tout ce qui l'occupe profondément le rebute.. Lorfque les Gens de lettres , fur-tout les demi-favants fe difputent fur quel- qu'objet ,

s u & la musique. 337 «jd'objet, ne croyons pas que la cour, ]ps jolies femmes , les petits maîtres , foient férieufement de la partie. Ce qu'en peut appeller la nation , s'amufe de tout. Le fujet le plus grave , eft un motif de plaifanterie , ou le fujet d'une chanfon ( t ). Dès que Paris eft refté trois mois fans révolution, n'importe alors ou Lekain, ou Jannotjil court ïa nouveauté l'appelle; & l'on ne fait distinguer s'il s'amufe davantage d'une chofe ridicule , ou d'une choïe digne d'admiration. Cependant au milieu de mille frivolités , le tems mec tout à fa place ; & fi le François a&ueï, croit à peine qu'on ait eu la fureur des pantins , il aime à jamais les chefs- d'œuvres de Racine.

L'italie depuis Iong-tems veut envain le féduire par fes chants toujours tendres

(i) Madame, difoit un jour d'Alembert, nous avons abbatu une forêt de préjugés. Je ne fuis plus étonnée, reprend la dame , Ci vous nous débitez tant de fagots.

'-

338 Essai

& mélodieux; l'Allemagne veut envain îe fubj uguer par Tes accords nerveux; trop énergique encore , pour crandre la réduc- tion de l'Italie, trop foible pour adopter des accords qui le blefTent, îe François danfe, en attendant qu'il ait adopté de l'un & de l'autre de fes voîfins, la por- tion qui lui eft propre , & qu'il ne veut recevoir que de la main des grâces, du plaifîr & du bon goût.

SUR LA MUSIQUE. g 2 Û

1ES MARIAGES SAMNITES,

i

Drame en trois a&es , en vers (i) , par M. Durofoy ; donné aux Italiens le 12 Juin 1776,

L'auteur de ce poëme reçu avec ac- clamarion par ïes Comédiens , vint m 'offrir fon ouvrage (2) ; je n'eus pas befoin de lui dire que j'avois travaillé jadis fur ïe même fujet , il ïe favoit : il me pria feulement de lui laifTer lire l'ancien poème des Manges Samnites ; après quoi , il remarqua que îe fond des deux ouvrages étoit abfoîument le Conte de M. Marmontel, mis en action ; que îes fituations étant par tout les mêmes,

(1) Il étoit d'akord en profe , & c'eft ain/ï qu'il a été gravé.

(î) Le premier poème des Mariages Samnites avoit été refufé unanimement , & il étoit bien écrit. Pourquoi le fé- cond fût-il accepté ? L'auteur venoit de donner Henri IV ou la bataille d'ivri , qui avoit du fuccès. Les comédiens ont ordinairement trop de confiance dans l'auteur qui vient de réuflir , & trop 4e défiance s'il n'a pa réufiï.

Y 2,

34° Essai

ma mufique pouvoit fervir, & que je n7avois que peu de morceaux a faire pour le rôle d'EIiane qui e'toit de fou invention. Je fui biffai donc parodier ma mufique , après quoi je fis une revue générale de l'ouvrage , pour ren- dre la profodie plus exacte { i ). Cet ouvrage ne réuflit point ; peut-être que îe préjugé y contribua : les fpectateurs ne voulurent pas s'habituer à voir fous îe cafque , les acteurs qu'il voyoit chaque jour dans des rôles comiques.

Les comédiens durent-ils être offen- fés de ce jugement ? Non , car je fuis fur que Préville lui-même parohTant fur la fcène en guerrier héroïque , cauferoit des envies de rire, que fon grand talent

(1) Lorfque les Poètes parodient , ils croyent qu'un vers de huit fyllabes , doit remplacer un vers de huit , & ainfî fies autres; cependant, comme les notes expreflives doi- vent rencontrer les bonnes tyllabes , rien n'eft moins (ut 4gue leur calcul.

SUR IA MUSIQUE. 341

ne pourroit réprimer. Dans les provinces cet inconvénient ne fubfifte point , parce que l'on y eft accoutumé de voir parokrc fuccefîivement le même homme , dans la tragédie , la comédie & l'opéra co- mique. AufTî cette pièce , dont je ne fais cependant pas l'apologie , y a été fouvent repréfentée. J'ai toujours cru qu'elle au- roit eu du fuccès à Paris , fi l'auteur avoit mis en oppofition au rôle de la fière Elrane, un rôle de petite fille efpiègle, qui autoit eu bien des naïvetés à dire fur la manière dont les Samnites traitoiene l'amour. Sans cela il n'y a point de con- trarie dans cet ouvrage.

Les arts n'exiftent que par les con- traries ; mais il ne faut par que l'artifle montre l'intention de les faire; car s lors il devient maniéré ; par exemple , plu- fieurs phrafes alternatives , douces ôc fortes , deviennent monotonie ck ne forment point oppofition réelle , parce-

Y 3

34V Essai

que leur retour fimétrique Ta détruite. La nature eft une & nous offre cependant nulle contraries dans toutes fes parties; c'eft elle qu'iî faut imiter.

sur la musique; 343 M A T R O C O ,

Drame burlefque en quatre a&es , en vers ' par M. Laujeon ; repréfenté à Fontainebleau 1 année 1777 , & à Paris le 23 Février 1778.

J'avois peu d'envie de mettre en mu- fïque ce poëme bien écrit , mais raiîem- bîant , fans intérêt , toutes les métamor- phofes, les combats de Nains, de Géants, enfin les forfanteries de tous les romans de la chevalerie. La mufique y faifoit k chaque inftant épigramme, & l'épigramme fortoit d'un air de vaudeville , telle qu'on peut en voir l'imitation dans Renaud d'Aft. L'ouverture étoit rompofée d'airs connus & parlans , qui expliquaient le fujet de la pièce.

Les muficiens ont fouvent remarqué, combien les bons airs de vaudeville fonc fufceptibles d'une belle baffe & d'une bonne harmonie. L'on pourroit inférer de la , que la mélodie donne plus fou-

Y4

344 Essai

vent l'harmonie que celle-ci ne donne h chant. Voici un vaudeville remarquable ^iii etoit dans cette ouverture.

F^Pfijaa^

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SUR IA Musique 347

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J'ai entendu faire cette baffe aroma- tique , fur la féconde partie de Pair ;

346 Essai

Charmante Gabriel, 8ce.

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Le premier air de Matroco , difoit :

Ah fonge affreux '. Mais quand j'y fonge ! Pourquoi m'alarmer d'un fonge f

L'orcheflxe jouoit l'air connu, fous ces parolles,

Ah ce font vos rats ,

Qui font que vous ne dormez pas,

SUR LA MUSIQUE. 347

toute la pièce étoit compofée dans ce genre. Les muficiens fentirent combien de difficultés j'avois eu à vaincre pour former un enfemble de ces anciens airs & d'une mullque nouvelle ; mais qu'ef- pe'rer d'un pareil travail ? Qu'efpérer de cette manière de compofer en logogriphe? Les airs connus de nos vaudevilles font prefque tous triviaux , & il auroit fallu faire un raprochement tel qu'ils ne nfîent qu'un feul corps avec de airs noblement exagérés. Le fuccès d'une production de ce genre , fera toujours , félon moi , pre£- qu'impoflibîe. Lorfque Pair d'un vaude- ville fe préfente naturellement pour faire épigramme dans quelques fituations co- miques j je confens que le compofiteur l'adopte : mais je fuis afluré .qu'une pièce entière ôz en quatre actes compofée dans ce genre , eft un délire d'imagination , capable d'ufer les facultés intellectuelles d'un artifte. Dans une telle pièce , tout doit être bourfouflé & gigantefque , puif-

348 Essai

que les perfonnages font teïs ; des mœurs à rebours du bon fens doivent être peintes de même par le muficien. Cet ouvrage étoit original & malgré fon peu de fuccès, il ne peut diminuer en rien ïa réputation de Pélégant auteur tfEglé & de YAmou- mourcux de qu\n%t ans» Peut être que ïa finguïar-ité du fujet auroit infpiré à dfeûtres compofiteurs , des refïburces plus heureufes que je n'en trouvai dans mon talent : mais j'aime mieux apprendre aux jeunes artiites à fe défier de tout fujet hors de nature. Je fis cet opéra pour ïa cour , Se par compïaifance : il fut joué à Paris malgré moi , & la flâme a dévoré cette production motrftrueufe en expiation de l'atteinte que j'avois donnée au bon goût.

Le fpeclacle fe terminoit par cette marche conforme à la pièce , & dont je retranche une partie des accompagne- mens~

ST7R. tA MUSIQUI. 34Q

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Essai

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Un mufîcien homme rPeiprit trouva plaifant qu'une autre marche du même opéra fut exécutée dans le mode majeur,

3***

Essai

îorfque les guerriers croioyent voler a îa vi&oire \ & qu'enfuite étant vaincus , ils s'en retournaient triftement fur ïa même marche exécutée dans ie mode mineur.

SUR LA MUSIQUE. 353

LE JUGEMENT DE MIDAS,

Comédie en trois acles, mêle'e d'ariettes, par M. d'Hele ; repréfentëe fur le the'âtre de la Co- médie Italienne^ le 27 Juin 1778.

Des poëmes écrits par ïe même au- teur , fulTent-iïs toujours bien faits , bien écrits & de genres difTérens > ne me fem- blent pas moins préfenter un écueil au muficien. Chaque écrivain a fa manière d'écrire qu'il lui feroit difficile de deguifer, s'il vouloit le faire ; & qui eft bien aifée k reconnoître , lorfqu'il ïaifîè couler fa plume au gré de fes penfées. Le mufi- cien qui fubit la même loi , doit fe varier plus aifément en compofant fur les pa- roles de différens auteurs. J'admirerois davantage la fécondité d'un fimphonifte que celle d'un compofiteur' dramatique ; le premier tire Ces; idées du. néant , ou d'un fentiment vague , le. fécond les

Z

354 Essai

trouve dans les paroles qu'il exprime. Le premier , il eft vrai , a la liberté de créer au gré de fou imagination : tout eft bon s'il forme un bel enfemble y mais îe compofiteur dramatique eft alTujetti au genre , à Pa&ion , à la profodie qui lui défend fouvent une note d'eipreffion qui donneroit la vie à un trait de chant. Toutes ces difficultés rendent fon travail plus important. En s'unilTant avec la pa- role , il peint dnaprès nature > fa produc- tion eft immuable comme elle; tandis que le langage de la fimphonie eft vague comme le fentiment qui fa produit. Je parlerai dans un autre article du mérite réel des bonnes compofitions inftrumen- tales, & de la manière dont on pour- roit les faire tourner au profit de Part dramatique.

M. d?Hdc me fut adrefîe par M. Suard : il me le recommanda comme un homme de beaucoup d'efprit , qui joignoit à uu goût très-fain, de l'origina- lité dans les idées. Get anglois que la

SUR lA' MUSIQUE? 5 J J

perte de fa fortune , avoit engagé à venir cacher fon indigence à Paris , 6c quifavoit parfaitement notre langue , s'appeïïoit Haies 9 que les anglois prononcent comme helas ; nos journaux on transformé ce nom , en celui de d'Hélé , fous lequel cet écrivain efl connu. Il me lut les poëmes du Jugement de Midas & de V Amant Jaloux; il manquoit il e{t vrai quelque chofè à la charpente du dernier. Il avoit conduit fur la fcène un vieillard afthma- tique tuteur d'ifabelle , lequel ne pou- voit dire un mot fans toufTer, ce qui ne l'empêchoit pas cependant d'être très- amoureux de fa pupille. II prit enfin îe parti de retrancher cet épifode. Les mor- ceaux deftinés a être mis en mufique , de l'une & de l'autre de ces pièces , étoient écrits en profe , mais d'un ftyle fi clair , qu^il n'y manquoit que la rime. Il me difoit qu'un vers lui coutoit plus qu'une fcène. Nous choîfimes Anfcaume , fecré* taire de la Comédie Italienne , pour ver-

Z ^

3f 6 I M A I

fifier îa partie îirique du Jugement de Midas. Cet ouvrage étant achevé, relia deux ans dans mon porte-fèuiile. Même en lifant le po'éme on ne vouloit pas croire qu'un anglais fut en état de faire une bonne pièce françaife ; celle-ci me fut renvoyée de la cour , elle fût condamnée , ôc les comédiens qui Favcient reçue , atten- doient , fans fe preller , que fon tour ar- rivât (i).

J'en parlai chez madame de M***: feu monfeigneur le duc d'Orléans voulut f entendre , & M. le chevalier de B*** en fit la ledure avec autant de chaleui que fi l'ouvrage eut été le fien.

Il fut repréfenté chez cette dame ;

' (OLorfcju'une pièce eft agrée par Mefïieurs les premiers Gentilshommes de la chambre , & qu'elle a été jouée à la cour, elle a le droit de paiïer incontinent à Paris, & prefque toutes les miennes ont été dans ce cas. Sans cet avantage les pièces font données par ancienneté, fuivant la datte de kur réception.

SUR LA MUSIQUE. 357

les afteurs de la Comédie Italienne y vinrent , & ne furent pas plus pré- venus en faveur de l'ouvrage. Madame deiW*** avoit rempli le rôle de Chloe' avec autant de grâce que de naturel ; mais pîuiieurs rôles avoient-éfé joue's ôz chantés comme ils le font ordinairement en foclété.

On parla , dit-on , avec peu d'efîime de cette repréfentation à une féance de l'académie françoife ; ïe jugement de f orateur fe répandit dans le public , d'Hdt le fut & lui dédia le Jugement de Midas , dans une épitre très-plaifante , que j'eus bien de la peine à lui faire fu primer.

On donna enfin cette pièce à Paris , Faflembïée étoit peu nombreufe , mais chacun fortit content du fpeclacîe, ex- cepté les clercs de procureurs , fans doute , car le lendemain je reçus ce billet im- primé :

MeJJleurs les clercs de procureurs vous invitent à venir JiJIer demain la féconde

Z3

358 Essai

repréfentation du Jugement de Midas , dans laquelle pièce ils Je trouvent infultès.

La féconde représentation fut en effet un peu orageufe ; mais les clercs perdi- rent leur procès.

Cet opéra fut la fatire la plus mor- dante contre l'ancienne mufique , ou pour mieux dire contre la manière traînante dont on la chantoit. Si cette trille pfaî- modie, aujourd'hui reléguée dans quel- ques coins du marais , n'étoit néceffaire pour l'exécution des rôles de Midas Ôc de Marfias , il- feroît inutile de dire qu'il faut,

i°. Chanter les airs très - lentement & fans mefure ;

20. Qu'il faut faire de longues cadences tant qu'on en trouve l'occafîon ( i ).

(i) Je crois que l'origine de la cadence ou trille, nous vient par ancienne tradition des organiftes, qui de tous les tems pour avertir les chantres du choeur, font un ba- tement de pîufleurs ions fur l'avant dernière note du verfet,

SUR LA MUSIQUE, 3$£

t,0. des ports- de- voix bien appuyés comme

4°. Des martellemens bien longs comme. ...

Qui vous plai- gnez.

5°. Chevroter les roulades.

6°. Prenez avec cela une phifionomie prefque riante , même dans hs airs^riites ; tirez toute l'expreflion de la mâchoire inférieure que vous avancerez un peu oour vous donner un certain arr bancal & vous chanterez le vieux françois comme du tems des Rebcl ôc Françœuf.

L'abbé Arnaud difoit aux peintres , ne

Z 4,

360 Essai

peigne^ pas le foleil. Je voudrois dire , à mon tour aux muficiens , ne faites pas chanter Apollon ni Orphée. Les auditeurs font trop prévenus en faveur de ces il- luftres perfonnages de la fable. Les pro- diges que décrivent les poètes font un écueil infaillible pour celui qui croira exécuter en chant > ce que leur imagi- nation brillante a décrit. Il eft en effet bien plus aifé de raconter des miracles , que de les mettre en action.

La colère d'Achille , décrite par Ho- mère , nous transporte dans le camp des Grecs. On frifonne aux cris de ce héros formidable. En eft - il ainfî , par exemple», de la colère d'Achille , exprimée en mufiq'ue dans Vlphigénie en Aulide de Gluck ? L'air que chante le héros efl une efpèce de marche afféz commune , dont le chant- pourrait s'adapter égale- ment à toutes fortes de -fêtés. Le bruit gé- néral de Porche fixé femble faire feul tout le mérite du tableau. Sarrs doute l'habile

SUR LA MUSIQUÎ. 361

artifte avoit fenrî Fimpoffibilité d'atteindre îa vérité ; & fagement il s'éft abftenu de vains efforts quin'eufîent montré quel'in- fufîfance de fart , en l'écartant davantage de Ton but.

Lorfque j'entendis à la première répé- tition Pair d'Apollon ;

. Doux charme de la vie, Divine mélodie , &c.

je me confirmai de plus en plus dans cette opinion; & je ne pus m'empêcher de dire , que -cet air me paraît trijie & in- fujHfant pour le Dieu de V harmonie. ! A la féconde répétition, dyHe!e avoit ajouté quelques mots a la profe qui précède cet air, & faifoit dire a Apollon ; je fuis d'une lajjitude & d'une trifiejfe ! ... Fort bien M. d'Hele , lui dis-je , je vous re- mercie. L'auteur des paroles fentant que je n'avais pu atteindre à la fubîimité d'A- pollon , s'cffbrçoit en nomme d'efprit de le rabaificr jufqu'k moi. Lorfque Orphée

l

$6% Essai

veut forcer le ténare , fair de Gluck ne fatisfait pas davantage les fpeclateurs, qui attendent un prodige inoui en mufique ; cet air parok froid, & le feroit effecti- vement, fi ies de'monsne le réchauffaient par leurs cris. Ce font donc les diables qui opèrent fortement fur les fpeétateurs & non Orphée ; il fair naître , ileft vrai, les oppofitions qui frapent ; mari ne de- vroit-il pas fraper lui-même pour être a&eur principal ?

Dans les finales du Jugement de Midas , il étoit difficile de créer un enfemble , en confervant tout-à-la-fois l*ancbnne mu- fique françaife faifant épigramme , le vaudeville, & la mufique de la pièce.

Qu'on ne croye pas que ce que je dis actuellement, foit contradictoire avec ce que j'ai dit ci-devant en parlant de la mufique de Matroco. Ici tout eft de nou- velle création , ce qui donne a l'artifie îa facilité de former un enfemble. Dans Matroco , les airs de vaudevilles font don-

JUS. I. A MUSIQUE. 363

nés, & doivent être confervés fans alté- ration. C'eft comme Une tête antique trouvée fous des raines , pour laquelle faut reproduire un corps,

Les amateurs de l'ancienne mufique , me furent gré de n'avoir pas cherché à la dénigrer en la faifant mauvaife. On peut fentir en effet que l'air de Marfyas,

Amants qui vous plaignez , &c.

exécuté par un bon chanteur & fans charge , eft naturel & très-expreffif. Le ridicule en appartient tout entier à l'exé- cution forcée. Je fuis perfuadé même qu'un air pathétique de Burancllo ou de Jomelli, chanté fans mefuve , & revêtu d'açcompagnemens de l'ancienne facture , feroit de la vraie muiïque françaife ; & que par îa même raifon des chants choifis de Lully & de Rameau , ornés d'accom- pagnemens de la bonne école , & fur- tout chantés par d'habiles artifies, feroient de la bonne mufique de tout pays , à l'ex-

3^4 Essai

ception de quelques finales & Je I'aBus de ces tournures qu'on nomme rofùlies(i). Exemple de la finale.

^jt i r acr't^f-jiBg

Vous au- riez la con- fui-

••>»-

ter.

Exemple de la rofaïie.

M (g>r

t^PfPRP^Ï

(i) J'ignore l'étïmologîe de ce mot. Eft-ce Te nom de l'auteur qui les a le premier employées ? Eft-ce celui de l'adrice qui les a mifes jadis à la mode?

83?:

SUR LA MUSIQUE. l6j

L'AMANT JALOUX,

Comédie en trois acles , paroles de M. cTHele(\yt repre'fente'e à Verfailles le 20 novembre 1778, & à Paris le 2$ De'cembre de la même anne'e.

Plus on travaille & plus on tourmente fon imagination, plus il eft difficile de pourfuivre fa carrière. Il eft douloureux de n'acquérir l'expérience qui mûrit le ju- gement , qui établit l'ordre dans les idées, qui fait faire beaucoup avec peu de chofe , qu'en perdant cette fraîcheur , cette fa- cilité que donne l'abondance même des idées. On dira peut-être qu'il faut con- ferver par écrit celles qui, rejetées à pré- fent, peuvent devenir précieufes pour l'a- venir. Je ne confeille à perfonne de faire ce magafin , je crois que l'imagination

(1) La partie lyrique a été verfifice par M. Lcvapur, ancien capitaine de dragons.

•$66 Essai

fe nourrit des idées qu'on écarte , en at- tendant qu'elles conviennent à un autre fujet ; mais les écrire feroit en débander la mémoire, & par conféquent l'apauvrir. Les fibres du cerveau confervent long tems les imprefîions que le fentiment a produites , Sz quoiqu'elles femblent étein- tes , foyons fans inquiétude : dès qu'un fujet analogue les rapellera , vous ferez fur alors , qu'elles ne fe repréfenteront que pour fe placer mieux que ïa première fois , puifque c'eft au fentiment qui vous domine qu'elles devront une féconde exigence , que l'on pourroit regarder comme une réfurection. Qui ne fe rappelle d'avoir fenti Tin quiétude que donne un fentiment prefque évanoui, mais dont- il relie cependant affez pour exciter le regret de l'avoir perdu ? Voici l'expédient dont je me fuis fervi pour me rappelfer avec pleine intelligence un trait de chant prefque oublié. Si je puis me fouvenir dans quelle firuation phyfique ou morale

$UH I<A MUSIQUE. 367

j'étois alors ; fi , par exemple , j'étois à la campagne travaillant un beau jour d'été feul dans ma chambre , jouiiïant d'une perfpe&ive agréable ; fi je puis , dis-je, me rapeller qu'en une femblable fitua- tion , j'ai créé- un trait de chant que j'ai perdu enfuite ; c'efl: en me tranfportant en réalité ou en idée , dans un lieu de même aipeét, que je fuis certain de retrouver le trait que je chercherais peut être envain dans tout autre lieu. D'autres que moi ont éprouvé fans doute que F on retrouve même involontairement les idées qui fembîent perdues , lorfque l'ame eft affe&ée ainfi qu'elle l'étoit a la première création.

Quand l'efprit, cherche a produire , il m'a femblé n'avoir que deux manières d'opérer.

Si vous ne trouvez que des idées an- ciennement conçues pour rendre ce que vous fentez actuellement ; s'il vous femble que ce ce n'efl qu'au défaut d'idées plus intimes à votre fujet , que vous vous

368 Essai

fervez des anciennes , vous ne ferez qu'une production médiocre. Mais fi tel que la fable nous dit que Minerve for- tit du cerveau de Jupiter , votre fujet pré- fent réveille tout-à-coup une idée dans votre imagination , & que fans retran- chement, fans amplification , ni modi- fication quelconque , vous fentiez ce fu- jet clairement explique' ; c'eft alors qu'un mouvement de faiisfaction vous dit .que vous ne pouvez mieux faire. Ce fentiment intérieur eft une infpiration qu'il ne faut pas combattre ; car après avoir refifté , il fe laifle vaincre, & c'eft toujours au pré- judice de nos productions. Quoique je n'aye pas dit la centième partie de tout ce qu'on pourroit dire fur îe chapitre des idées , parce que je crois qu'il eft bon d'être fobre , îoriqu'on traite de pareilles matières , & qu'il eft prudent de ne pas trop tendre fil qui nous guide dans ce labirinthe tnétaphifique , l'on doit penfer que c'eft de la fituation j'étois en fai-

fariL

SUR IA MUSIQUE. a^Q

V Amant Jaloux , dont j'ai voulu parler. L'abondance des idées ne me gênoit plus , & j'adoptois fans indécihon celles qui fe pre'fentoient à mon imagination , (bit qu'elles fuiïent d'ancienne datte , ou que les paroles les nlTent naître.

La feule inquiétude qui relie ïorfqu'on a beaucoup travaille' , eit de fe rappeller (i les traits qui s'offrent à ï'efprit, ont déjà été employés dans quelques ouvrages ; une perfonne tierce le fait fouvent mieux que nous , & peut être d'un grand fe- cours.

On a obfervé farvs doute que ïe petit air pizzicato qui eft au milieu de l'ou- verture , indique d'avance la férénade que Florival donne , au fécond aère , à la pré- tendue Léonore; mais on n'a peut-être pas remarqué que les couplets,

Tandis que tout fommeUle &c.

peuvent être chante's fur ce même air. La première ariette ,

\ a

37 o Essai -

Qu'une filie de quinze ans ,

étoit difficile a pon£tuer en mufique ; voyez combien de vers il faut chanter en ne faifant que le repos de virgule:

fr^tlEr |-g' r, :ff >3f ' ri'F

Qu'u-ne Fil- le de quinze ans, virgule.

quoique îa dernière notte de la phrafe foit tonique , ce repos n'eft que d'une virgule , parceque cette notte n'a pas été précédée de la dominante qui marqueroit erTentielîement le repos final.

à l'om- bre du myf- tè- re , virgule.

*p

' i^ir i .mit ' _. *~"I-im

Sans con- fui- ter fon Pè- re, virgule ,

SUR î. A KusïquE, 371

; &

ite=*=fc=

1 ~- ^. «^ f--— dzz 3

é- cou- te tes ten-dres-fer msnts de

Z=^=fcl=ZM=t

jfejgP^EbgEggfog^

lob- jet qui fait lui plai-

re;

Le chant repofe fur la quinte de ïa dominante- ce qui indique point & virgule.

à quinze ans je paf. fe

^*« <^^ *^» a^fj<

rr^z-J

cet- te foi- bief- fe , virgule, c'eft le

prin- tems , c'eft la fai- fon de la

Aa 2,

37*

Essai

\>_ _.

z=±zz- fc=^=^ pppffzzzj!

ten- dref- fe , virgule. c'eft le prin-

ft—

tems , virgule, c'eft la fai- fon , c'eft

l> -*- b,

iiiliiiliiiiiiisii

la fai- fon

de la ten-

HllillSl

k=

H*>>-3F

dref- fe :

C'efl la faifon de la tendrefTe ,

e(r un repos fur la dominante elle-même, ce qui fait en mufique exactement les deux points.

Lorfqu'on répète un vers ; il n'y a pas de mal, je crois, fur tout dans un cas îembldble à celui-ci, de faire le repos

S*7R LA MUSIQUE. %J%

de virgule d'abord , & puis le repos final la dernière fois. C'eft comme fi l'on difoit avec indécifîon ,

Oui j'irai vous voir...,

& puis affirmativement ,

Oui, j'irai vous voir.

De même ,

Ceft le printems de la jeunefle. ô « Oui , c'eft le printems de la jeunefle.

L'endroit qui me paroît ïe mieux faifï dans l'air fuivant ,

Plus de fœur , plus de frère.

efl: la fufpenfion menaçante après ces

vers :

Mais fi quelque confidente Malicieufe , impertinente , Cherchoit à tromper mon attente...»

Les deux notes fuivantes que fait l'or- eheftre en montant par femi-tons , ex-

Aa 3

374 Essai

priment la mine que doit faire Lopez ; j'aurois pu lui faire chanter ces deux notes fur une exclamation oh ! mais le filence eft plus éloquent.

A propos de filence , je me rappelle qu'étant un jour au fpectacle de Bruxelles j'écoutois la FauJJl Magie, j'entendis un trait de flûte femblabïe au ramage, du roffignol , qui avoit été mis par I'illuftre docteur qui battoit ïa mefure. C'eft à i'en^ droit du duo des vieillards,

Vous ? Tvïoi / *- Vous qu'elle aime ? * Oui moi.

le repos total après ces mots, qui veut dire je refit : ftupéfait , eft, je crois, bien fenti. La flûte faifoit donc un fort beau ramage pour occuper le repos que j'avois indiqué ; après quoi , le chanteur difoit 9

C'efi à quoi l'on ne s'attend guère.

îî lembloit parler du trait de flûte.

J'ai remarqué aîTez généralement que les mouvemens indiqués pour chaque

SUR LA MUSIQUE. 3 7 £

morceau de mufique , s'exécutent plus len- tement vers îe nord de la France , & plus vivement dans les provinces méridionales. II ne faut pas croire cependant que plus on avancera dans les pays chauds , plus les mouvemens feront accellérés.

On exécute plus lentement à Rome qu'à Paris ; & fans doute plus lentement encore dans les régions brûlantes; mais on ralen- tira toujours , je crois , en approchant vers îe nord. Dans ce cas comme dans beau- coup d'autres les extrêmes produifent les mêmes effets ; l'extrême chaleur du cli- mat donne la foiblefTe , comme la congé- lation produit la ftupidité.

Un homme refpectabîe de mes amis, M. Godefroi de Viltaneufe , amateur zélé des beaux arts , me parloit depuis dix ans d'établir un ri th m omette propre à fixer d'une manière invariable les mou- vemens en mufique , îorfqu'un profpe6tU3 nous annonça l'exécution de cette roé- çhanique»

Aa 4

376 Essai

Mais eft-il néceffaire ce rithmometre ? Ne convient-il pas plutôt de laiflfer prendre à chaque peuple , a chaque province , ïe mouvement vif, tempéré ou lent, que lui infpire fon naturel ? Je fuis fur que même en fixant les mouvemens de cha- que morceau de mufique fur les vihra- rions déterminées du pendule , chaque pays d'une température différente iren tiendrait compte , & iroit toujours félon fon alure.

On n'exécute plus ni Lulli ni Rameau dans les vrais mouvemens , difent nos vieillards ; cette altération a pîufieurs caufes. Si l'on précipite la mefure de cer-» tains morceaux , c'efl pareequ'aujourd'hui l'on a plus de connoiffance & plus d'exé- cution en mufique ; c'eit parce que l'on comprend rapidement , ce que jadis on ne concevoit que lentement. L'imagina- tion fe précipite lorfqu'elïe agit fans ohf~ tacles. On nous dit encore que Lulli faifoit débiter fon récitatif j & qu'après lui , c'eft-

SUR LA MUSIQUE. 377

k-dire il y a vingt ou trente ans , on le prolongeok infiniment. Ce n'eft plus par la raifon que je viens d'indiquer, que ce changement a eu lieu ; c'efc parceque les chants Italiens font alors parvenus en France , ôc que les chanteurs François cherchant la mélodie il n'y en avoit que très-peu , fe font avifés de chanter & d'orner leur récitatif de tous les agrémens qui ne convenoient qu'au chant mefforé. » Dans les pays froids , on aura peu » de fenfibiïité pour les plaifirs , dit » Montefquicu (1). Dans les pays tern- ît pérés elle fera plus grande ; dans » les pays chauds , elle fera extrême. » Comme on diftingue les climats par n les dégrés de latitude , on pourroit » les diftinguer , pour ainfi dire , par » les dégrés de fenfibiïité. J'ai vu les » opéras d'Angleterre & d'Italie ; ce font

(t) Voyejf, l'Efprit des Lois , tome fécond , livre XIV, ebap. II.

37$ Essai

» les mêmes pièces & les mêmes Ao v teurs ; mais la même mufiquc produit » des effets fi différens fur les deux na- » tions, l'une eft fi calme & l'autre » tranfporte'e , que cela paroît inconce- v vable.

Si des Muficiens Anglois , avec leur caîme , euîTent exécute' les ope'ras de l'Italie , on ne doit pas douter que pour afîlmiler cette mufique à leur ca- ractère , ils n'en eufTent , avec raifon , ralenti les mouvemens,

Le trio :

Vktime infortunée ,

dont j'ai déjà parlé, eft un morceau heu- reux ," en ce que l'abondance des objets qu'il faîloit peindre , n'a pas obfcurci îe deffin général (î}. En voulant tout expri-

(i) J'avertis une fois pour toutes, qu'en parlant d'un morceau de mufique heureufement trouyé , ceft autant

SUR LA MUSIQUE. 579

mer, fouvent l'on exprime trop; & rien de plus humiliant pour Panifie , que de produire un morceau très-froid , précifé- ment pour y avoir voulu mettre beaucoup de chaleur ; refier au defîbus de fon fujet, feroic préférable. En n'exprimant point afTez , la mufique refte au defîbus des pa- roles qui femblent exiger davantage ; & en exprimant moins encore pour conferver un plan unique , ce n'efl plus alors qu'une fimphonie vague le chant n'efl qu'accefîbire.

Les poëtes Italiens n'ont jamais donné de longs récits a mettre en mufique : fix ou huit vers que le muficien chante d'a- bord d'une manière fimple , & qu'il re'-

au hafârd , à la fortune du moment , que je l'attribue qu'à la réflexion qui n'appartient qu'à l'homme. Dire donc , je fus heureux cette fois , c'eft faire l'aveu qu'on ne l'a pas toujours été ; il feroit par conféquent injufîe d'accu- fer d'amcur-propre l'Artifte de bonne foi qui pour l'uti- lité de l'art, entre dans l'analyfe de divers morceaux fes ouyrages , qui lui paroiffem mériter quelque acten- «ion,

380 Essai

pète enfuite avec plus d'énergie , me fembîent îa bonne manière de faire ces fortes de récits.

Viftime infortunée , Vers l'autel entraînée , Je cedois à ma deftinée, Et je ne demandois helas! Que le trépas.

Ce chant n'eft qu'une plainte ; les trois notes en forte de l'accompagnement, ex- priment , fi Ton veut , les cloches qui annoncent le funefte himene'e d'Ifabelle, ou la force qui commande à la foibleiTe. Le contrarie de îa iltuation eft rendu par ïa douceur du chant & les forte de for- chefîre.

Quand tout-à- coup une voix inconnue, &c.

La voix qui crie eft dans les bafïbns & le cor. N7eft-ce pas jouer fur le mot ? N'eft-ce pas une intention de mauvais goût ? Non : & voici , à ce que je crois ,

SUR U MUSIQUE, 381

îa règle pour juger ce point délicat qui fe préfente il fouvent dans la mufique de'damée. II faut d'abord que la clarté fe trouve dans ïe chant & dans le defîin des accompagnemens ; il n'y a jamais de rai- fon d'exclure cette règïe à moins qu'on ne peigne le cahos.

Voyez enfuite fi fe trait ou la note qui rend l'exprefïion eft nécelTaire à l'har- monie , à la mélodie & à l'effet géné- ral : il vous pouvez l'oter, fans y perdre , c'eft une preuve de furabondance, & it faut dans ce cas , retrancher queîqu'autre chofe , pour rendre nécefTaires les notes qui concourent à fexpreflion. Le vers,

Je fuis François , &c„

cft exprimé, je crois, comme il devoit l'être. II faut toujours fuppofer de Pefprit aux perfonnages qu'on fait chanter, à moins qu'on ne peigne des imbéciles. Ifabclle parle d'un françois, elle devoit employer un grand intervalle. Si elle-

83 x Essai

avoit dit, je fuis Anglois , je ne faurois pas dit de même. Je fuis Italien , vou- îoit encore une exprefïion différente. Le françois eft impétueux, Panglois eft mo- déré , mais avec autant d'énergie.

Ah! que j'aime ce François, &c.

Ce petit trio fait voir que ïe danger n'exifte plus : il fépare heureufement , comme je l'ai dit , ïes images effrayantes qui auroient été trop raprochées.

Mais quoi vous agravez l'outrage ! &c."

Ces deux vers mis en récit, indiquent une fuipenfion dans l'action.

Alors avec fureur

Il court brifer ma chaîne ,&c.

Je vole vers ces lieux.

Je ne me ferois pas permis la petite roulade fur vole , fi Ifabelle n'eût été hors de danger t c'eft pour l'indiquer encore que je l'ai mife.

S U R IA MUSIQUE. 38J

Quelle reconnoiffance, &c,

Ce n'eft point de la reconnoiûance

Un fentîment plus doux

Sera fa récompense.

Le tems de menuet eft bien employé ici, ïe menuet eft une danfe d'origine françoife ; c'eft la première danfe qui ouvre les feftins de noces , c'eft l'epitha» lame tacite d'Ifabelle & de fon amant.

Je regarde la finale qui termine cet acte comme une des meilleures que j'aie faites ; elle eft varie'e fans profufion & d'un caractère vrai.

Vous qui rebutez les galans &«.

eft le motif de l'air ,

Qu'une fille de quinze ans &c.

c'eft une manière fine de reprocher a la foubrette fa mauvaife foi en fe fervanc de fes accens.

L'air de bravoure qui commence le fé- cond acte, n'eft pas celui qu^d^Hclcni moi

384 Essai

avions deftiné à cet endroit : l'ancien air

îi'étoit qu'en demi caractère comme ,

Si quelque fois tu fais rufer ,

de XAmi de la Maïfon ôc c'était celui qui convenoit a la fîtuation ; mais l'envie de faire briller le plus bel organe que la nature forma jamais , l'envie de contenter la plus douce , la plus honnête , la moins capricieufe des actrices madame Trial, nous fit eonfentir à ce contre-fens dramatique , que les journaux nous re- prochèrent avec raifon.

On n'imaginera pas que l'efpèce de di&on que chante Lopez ,

Le mariage eft une envie &c.

m'a plus tourmenté qu'aucun morceau de cette pièce. Je ne favois qu'en faire, vingt fois je projettai d'en demander la fupreffion à l'auteur. Ces paroles ne pou- voient comporter qu'un air trivial , une efpèce de vaudeville qui n'auroît eu au- cun

Sur. la Munqui, 385 cun rapport avec le refte de îa partition. Mais la fin du couplet,

Mais ce feroit une folie , &c

ôc la fcène placée en Efpagne me fuggé- rèrent l'idée de faire un air chantant , qui eut pour accompagnement l'air des folies d'Efpagne , de Cordli (1). L'inten- tion fut fentie dès la première fois par le public»

Il efl inutile de faire l'éloge de la comédie de V Amant Jaloux ; le public n'a celTé depuis que cette pièce eft au théâtre de la regarder comme le modèle des pièces de ce genre. Tout y eft en oppofttion & bien ordonné. Un jaloux fougueux avec Léonore , douce , tendre ôc indécife ; un Lopez homme d'ordre , comme font les bons négociants , avec une foubrette dégourdie ; un jeune fran-

(1) A-t-on remarqué que le début du Stabat du divin Pergolefe fuit les modulations des folies d'Efpagne $

Bb

386 Essai

cois bien vif, avec Donna Ifabelle qui a toute la gravité efpagnole. Chaque a&e amène d'ailleurs une fituation remarquable. Au premier , la fuite d'ifabelle , après s'être cachée dans le cabinet ; au fécond , ïa férénade de Florivai ; au troifième , la fcène du jaloux , qui trouve Florivai dans le jardin , ck le père arrivant en bonnet de nuit pour les féparer : les équivoques font d'ailleurs fi adroitement place'es dans îe courant du dialogue , que fefprit efl toujours occupé agréablement.

L'Amant Jaloux tomba à la répétition générale que Ton en fit à Verfailles , le jour même de la première repréfentatîon. L'on étoit fi fur de fa chute , qu'on ne fut occupé qu'à m'en confoîer, pendant le dîné du premier Gentilhomme de îa chambre , j'étois : je ïe priai d'aller demander au Roi la permiMion de com- mencer le fpeftacîe par cette pièce au lieu de Roje & Colas, Caillcau venoit en- core quelquefois recueillir de nombreux

SUR ÎA MUSIQUE. 387

applaudi (Terriens après fa retraite.

Le Rot y conièntit; Ôc je fis changer les décorations , a cinq heures palTées. Le fort de V Amant Jaloux changea à la repréfentation : j'avoue que cette tranft- tion dune chute parfaite à un plein fuc- cès, pendant un fi court intervalle , fut pour d*Helc & pour moi , uja moment délicieux. Que de réflexions ne peut-on pas faire fur les révolutions qu'éprouve un ouvrage avant qu'il ait été reprefenté ck jugé ! Sur f incertitude font les au- teurs qui peuvent le plus compter fur leur expérience!

Racine eit mort fans avoir joui du fucecs iïAthalie : qui fait s'il ne s'en1 pas repenti d'avoir tait ion chef-d'œuvre ?

<c»

Bb %

388 £ s s a î

LES EVENEMENS IMPI^VUS,

Comédie en trois aéles , paroles de M. d'Hélé; repréfentée à Verfailles le n Novembre 1779 , & à Paris le 13 du même mois.

Cette comédie d'intrigue , eft la der- nière qui foit fortie de la pïume de fau- teur du Jugement de Midas, & de VA- mant Jaloux. J'ai regretter plus que perfonne un talent auffi précieux. Si la mort n'eût enlevé à la fleur de l'âge un des hommes de ce monde qui avoit îe plus de jufterTe dans fes idées, & qui éclairciflbit ïe mieux celle des autres * plufieurs ouvrages fans doute , auraient fuivi de près ceux que j'ai cités.

D'Hele avoit pafle fa jeuneffe au fer- vice de la marine angîoife , vraifem- bïablement les excès des liqueurs fortes , & fur-tout un accident dont-il m'a rendu compte , avoient affaibli fa poitrine. Etant à bord , s'érant enivré de punch avec

SUR LA MUSIQUE. 389

quelques officiers , fon altération fut grande pendant la nuit, qu'il porta à fa bouche une bouteille d'eau forte , que le roulis du vaifTeau avoit amenée auprès de lui. H vivoit très-fobrement à Paris ; tous les goûts, toutes les paillons fembloient s'être anéanties chez lui pour ranimer celle de l'amour. Une femme de Paris lui diiïipa le refte de fa fortune , c'eft alors qu'il s'occupa du théâtre , ck qu'il fréquenta aiïidument le café du Caveau au Palais Royal. D'Hde parloit peu , mais toujours bien ; il ne fe donnoit pas la peine de dire ce que l'on doit fa voir , & il in- terrompoit ks bavards , en difant d'un tonfec, c'efl imprimé. Lorfqu'il approu- voit , c'étoit d'un léger coup de têce ; fi on l'impatientoit par des bêtifes, il croifoit fes jambes en les ferrant de toutes fes forces , il humoit du tabac qu'il avoit toujours dans Ces doigts , & regardoit ailleurs. Le jugement qu'il portoit des

Bb 3

39° Essai

pièces nouvelles étoit irrévocable , & c'étoit d'après les conjectures qu'il for- moit fur les affaires politiques , que les nouvelliiles ouvroient fouvent des paiis. Je n'examinerai pas fi après avoir par- couru le cercle immenfe des connoîffanccs humaines , l'homme qui a l'habitude de réfléchir Se de penfer jufte , peut être heureux. Je croirois allez que les préjugés, les folies humaines, les prétentions des fots , affecterai plus défagréabîement l'homme d'efprit , qu'il ne tire de con- lolation de fes propres lumières , car , 11 parmi des hommes infatiables, ambitieux, & afpîrant au même but, la poiTeriion des uns, doit être la privation des autres, ïa fomme des maux furpaffe celle du bien , & malheur a celui dont ï'efprit fin & fub- til fait le mieux lire au fond des cœurs. Il eh1 aifé de croire que d'Hele exigeoit des hommes , la précîfîon d'efprit qu'il avoit lui-même , & qu'on remarque dans

SUR U MUSIQUE. 3Q1

Tes pièces. Il n'inventoit point (1); mais il étoit peu de chofe qu'il ne pût per- fectionner , ou du moins en donner l'idée. Il étoit lent dans Tes productions, je ne dirai pas qu'il fût parefîèux , on ne peut Y être en réfle'c raflant toujours ; mais il avoit au fond du cœur , cette voix ter- rible & confolante cependant , qui crie mille fois , non , avant de dire c'efl bien» Beaucoup de gens l'ont cité, & le citent encore , comme un modèle d'ingratitude j mais je crois qu'abforbé dans fes idées s il n'oublioit fes bienfaiteurs, que parce qu'il auroit lui-même oublié fes bienfaits. Forcé de fe battre avec l'homme qui î'infulte, après lui avoir prêté de l'argent qu'il ne peut rendre, d'Hele lui fait fauter fon épée , & lui dit avec tout le flegme

(î) Le Jugement de Midas eft une pièce Angloife» que M. d'Hele , a fingulierement perfectionnée. Je crois que le fond de fes deux autres pièces , a été également puifé dans une fource étrangère,

Bb 4,

39 Ç Essai

angîois :y? y'é n'étois votre débiteur je vous tuerais ; fi nous avions des témoins je vous blejfcroïs ,• nous femmes feuls , je vous pardonne.

Peu de tems après , je lui envoyai une fomme d'argent de la part de feu Mon- feigneur îe duc d'Orléans , chez qui j'a- vois donné le Jugement de Midas : il ne répondit pas à mon billet , il dit à mon domeftique , c'eft bon. Après l'avoir ren- contré vingt fois, je lui dis enfin, vous avez fans doute reçu. . . . Oui , me dit-il , & je ne fus pas étonné qu'il n'y ajoutât pas un mot de remerciement.

II m'écrivit ce billet à fix heures du matin , le jour de la première repréfen- tation de V Amant Jaloux , a Paris : // ne niefl pas permis d'aller che^ vous; vene^ donc che^ moi tout de fuite , & ap- porte^environ dix louis , fins quoi je vais -au Fort PEvêque, au lieu d'aller ce foir aux Italiens.

Son lit étoit entouré d'huifîiers. WHele s'étoit laine condamner par défaut, à

SUR LA. MUSIQUE. 393

Finftançe de la femme qui lui avoit dé- penle le refte de fa fortune , & qui exigeoit encore le loyer de la chambre qu'elle lui avoit donnée chez elle. C'étoit avec ïa même confiance & la même tranquillité qu'un jour étant chez un de fes amis , il fe revêtit d'une nippe dont il avoit befoin & fortit. Son ami rentre, & en s'habil- ïant ne trouve pas tout ce qu'il lui fal- loit ; M. d'ïich feul étoit entré dans l'appartement , mais on n'ofoit le foup- çonner ; cependant le loir au Caveau , ïe monfieur , en pofant la main fur ïa cuirTe de d'Hélé, lui dit : ne font-ce pas mes culottes ? Ouï, dit-il , je n'en avois point.

Je fuis loin de vouloir jetter un ridi- cule fur le caractère d'un tel homme. II ne pouvoit rougir de {es actions , qui dé- rivoient des principes qu'il s'étoit formés & dans îefquels il e'toit inébranlable.

Je l'ai vu Iong-tems prefque nud ; il n'infpiroit pas la pitié , fa noble conte- nance , fa tranquillité' fcmbîoit dire , y#

394 Essai

Jîi's homme , que peut-il me manquer ?

Si la dernière période d'une maladie îente , peu douïouréufe , mais qui ne par- donnepoint à fes victimes, eut été reculée de quinze jours feulement, d'Hele nous eût laifle un ouvrage de plus , & cet ou- vrage lui eût procuré Paifance due au vrai talent (£).I1 étoit deftiné pour le théâtre de Trianon , peut être avec le tems nous auroit-il été permis de le donner au pu- blic : mais nous ne deviens d'abord con- sulter que les talens de cette ïHuftre fociété, qui avoit fenti le défavantage de jouer & de chanter des rôles non proportion- nés aux organesdes acteurs, (i) D'Hele fe traîna chez moi quelques jours avant fa

(i) Lorfqu'on fait un rôle pour un a&eur , on doit îe proportionner à Tes facultés ; le double a donc le dt- fagrément de s'aproprier ce qui eft fait pour un autre ; il ne joue d'ailleurs qu'un rôle créé , & à moins que i'aâeur en premier ne fe foit trompe , il lui eft impofj fible d'être original.

SUR LA MUSIQUE. 39$

mort j'étois au lit a caufe de mon cra- chement de fan g ; il me confola , & me dit qu'il fe fentoit mieux de jour en jour , qu'il ne tarderoit pas à écrire la pièce deftinée pour Trianon , qu'il étoit prefle de la finit parce qu^il vouloit aller a Ve- nife. D'Helc n'écrivoit rien , qu'il n'eût dans fa tête l'enfanble de fon ouvrage. J'avois remarque' a Tes pièces précédentes que lorfqu'iï me àïïok j'ai fini ; il ne lui reftoit aucun doute fur les (ituations , ni fur la manière de les amener. Je puis donc être fur que l'ouvrage que je regrette , étoit absolument terminé ; ôz comme âi- foit le grand Racine , il ne fallait plus que V écrire. Quel eft le genre de votre pièce, lui dis-je ? C'efî un fujet por- tugais & en quatre actes , me dit-il , vous ferez content. Cependant il expira peu de jours après , en fon géant aux (ituations de fa pièce , bien plus qu'à fa propre fituation. II avoit dans fes mains le livre des portes ; il alloit rejoindre l'objet d'j

3<)6 Essai

{es amours , & cherchant à éviter ïes montagnes trop élevées , il choifirTok une route , lorfquiï prit tranquillement celle aboutit l'humanité.

Si la mufique des Evénemens Imprévus, ne reffemble point à celle de Y Amant Jaloux, il eft bon que je dife quelles fu- rent mes réflexions afin d'éviter les ref- fembîances qu'auroient pu faire naître deux comédies d'intrigues écrites par le même auteur-, & données de fuite. "L'A- mant Jaloux eft un caractère fombre & fougueux ; il n'y a rien de femblable dans la féconde pièce. La fcène de VA-* mant Jaloux , eft en Efpagne , les carac- tères avoient prendre une teinte ro- manefque qu'infpirent les mœurs , les amours no&urnes & les romans de cette nation. Dans les Evénemens Imprévus. , Philinte eft françois , & d'après les mœurs douces & honnêtes de feu le préfidentfon père , les mœurs fi l'on veut des honnêtes magiftrats du marais, l'on conferve

SUR IA MT7SIQUH." 39 J

plus que dans tout autre quartier de Paris les anciens ufages ; j'ai cru bien faire en donnant au premier air de Philinte,

Qu'il efl cruel d'aimer &c.

une nuance de l'ancien chant françois. J'ai remarqué ailleurs combien il eu effen- tîeî qu'un premier morceau que chante l'a&eur , nous peigne fon caractère , parce que les premières imprefïions font celles qui reflent pendant toute la pièce dans l'efprit des fpe&ateurs ; & que fartifte lui-même ayant une fois atteint la ref- femblance d'un perfonnage , efl: forcé de la conferver. Les compoliteurs italiens ne font guère attention à ce que je dis : l'on voit communément des finales très-lon- gues, où, fur un accompagnement con- traint , la jeune fille de quinze ans , & Je vieillard de quatre - vingt chantent de même ; l'unité d'un morceau quelque long qu'il foit , efl: bien aifée à conferver quand on n'obferve ni le* mœurs, ni la vérité.

35>8 Essai

Les chants du marquis de Verfac , quoiqu'un peu François , font plus ma- niérés; parce que tel elt le caractère du petit maître & de l'homme a bonnes fortunes.

L'air : Dans le fîecle nous fommes &c.

ne me coûta que le tems de le chanter, en lifant les paroles ; mais je ne l'en ef- time pas moins,

C'eft dommage en vérité.

effc pafle en proverbe. Pcurquoi la nature eft-elle fi avare de ces traits heureux , qui portent l'empreinte de fa faveur ? pour- quoi trouve-t-on dans un inftant ce qu'un jour de réflexions ne donne pas ? Pour- quoi fommes nous de frêles machines f qui ne marchons qu'aux ordres de la na- ture , dont les premiers principes font fi loin de nos foibles conceptions ?

SUR LA MUSIQUE. 3^9

LES MŒURS ANTIQUES, OU

LES AMOURS D'AUCASSIN ET

NICOLETTE.

Drame en trois acles , par M. Sedaine ; reprë- fentë à Verfailles le 30 Décembre 1779, & à Paris le 3 Janvier 1780.

Le titre de cette pièce indiquoit au muficien le genre qu'il devoir prendre; mais en adoptant une mufique antique ii falloit plaire aux modernes ; car Ton ne fait gré à l'artifte d'avoir été vrai , qu'au- tant qu'il amufe.

Bien des gens trouvent dans les mœurs de nos ayeux je ne fais quoi de religieux , qui les tranfporte dans ces fiècïes re- gnoient franchement les préjugés, les vices &les vertus. Ceux-là aiment fin sulière ment la pièce & la mufique iïAucaJjin Se Ni- Colette} d'autres s'y ennuyent , parce qu'ils aont pas ces fentimens ; ils font tout k

4oo Essai

eux Se à leur fiècle : ils ignorent que les tendres regrets du pafTé, conflituent le bonheur préient, prefqu'autant que l'efpoird'un doux avenir. L'ouverture RAu- cajjïn , doit reculer d'un fiècle fes audi- teurs. Dans le courant de l'ouvrage , je n'ai pas cherché à mettre par-tout les chants antiques, ou les vieilles modula- tions que nous ont tranfmis l'ancien opéra françois Se la mufique d'^eglife ; mais j'ai mis en oppofition , l'antique avec Je mo- derne , ce qui donne plus de faillant à la compoiition générale de l'ouvrage; d'ailleurs les chants anciens dévoient être pour les paroles gothiques qui fe trouvent répandues dans le poëme , comme ;

Nicolette, ma douce amie &c.

La répétition générale que l'on fit à Verfailles , & a laquelle affifta la famille Royale , fit l'effet d'une parodie. On rioit aux éclats , dans les endroits que M. Scdaine & moi avions cru les plus tou- chants.

SUR LA MUSIQUE. 401

chants. La repréfentation du foir pro- duifit à-peu-près le même effet. Après quelques retranchemens le public de Pa- ris Te fit plus aifément illufion. Ou die communément que les pièces que tombent à la cour réunifient à Paris, Je ne par- tage point ce préjugé; je crois au con- traire que la cour doit être exempte de ca? baie, dans des objets fi peu importans pour elle ; mais que les pièces éprouvent une métamorphofe après leur chute ; {bit par les changemens qu'on y fait ; (bit par la perfection du jeu des acteurs , que le moin- dre revers intimide devant la cour,. & dans une falle qui , par .fon, peu d'étendue nuit à l'illufion.

Quelque fois l'impatience de jouir lui fait piéconifer l'homme à talens dont- elle attend de nouveaux plaifirs ; mais malheur à lui s'il n'entretient pas Je dé- lire qu'il a trop tôt excité. Sa chute aufïï fubite que fon iuccès , l'éveillera comme au milieu d'un rêve délicieux , pour lui

Ce

40 x Essai

montrer le néant H va fe replonger. C'eft la nation entière qui donne la ré- putation ; des ennemis puilTants peuvent enlever à l'artifte les re'compenfes qu'il mérite ; mais la plus douce confolation de l'homme qui a reçu fon talent de la nature , efi de fentir qu'elle feule en eft difpenlatrice.

Ce fut après qu'on eut entendu fou- vent la mufîque tf~AucaJJin , que les mu- ficiens qui travaillent pour Je théâtre des Italiens adoptèrent des chants anciens dans les pièces villageoifes modernes. Ce îi'eft point un contre Cens; mais pourquoi fie pas laifTer à chaque chofe fa couleur ? Pourquoi épuifer Ces moyens fans nécef- fité ?*Que feroient-ils s'ils travailloient fur un poëme dont les mœurs fuffent vrai- ment furannées?

II feroît encore a délirer que fon ne raffemblât pas comme on le fait, tous les genres de mufîque dans un même ou- vrage. Les effets prodigieux que faifoir

SUR I. A MUSIQUE. 403

ïa mufîque fur les anciens, provenoient Tans doute de la différence marquée des modes, des tons, des modulations, & fur- tout du rithme qu'on employoic fcrupu- ïeufement pour chaque genre ( /) :mais aujourd'hui , le luxe règne partout. De même que l'on rafTemble les productions des quatres parties du monde pour orner un falon ou pour donner un repas , la poèfie a forcé la mufîque d'accumuler tous les genres dans une même composition. Et foyons juftes ; cette variété fuffit a peine pour fixer l'attention d'un auditoire qui a joui de tout, jufqu'à la fatiété. C'eit ce- pendant lorfque le luxe s'eft introduit outre mefure dans les arts, qu'ils ont befoin de modération. J'ai parlé ci-devant d'une forte de régime , auquel le muficien com- posteur doit s'aftreindre pour ne pas fe dégoûter de fon art , qu'il doit aimer & qu'il doit pratiquer toujours avec un nouveau pîaifir. Ce n'eft pas de ce ré- gime dont il eft à préfent queftion, c'eft

Ce 2,

404 Essai

d'ufer avec fobriété des richelfes des inf- trumens cV des efFers d'harmonie dont nous abufons : c'eft. peut-être de qu'eft cette fatiété, cette difficulté de plaire aux auditeurs : en effet , dès l'ouverture d'un opéra , ôc dans prefque tous le morceaux de force, on emploie timballes, trompettes, cors , hautbois , clarinettes , flûtes , pe- tites flûtes , baffons , violes , baffes Se violons ; tout enfin a été employé , & dès qu'une occalion favorable demande elTentielîement un de ces infirumens, l'effet qu'il devroit produire, jiJeft plus suffi fenfibïe , à beaucoup près , que s'il n'avoit pas été entendu mais tel eft le préjugé. L'on diroit qu'une ouverture eft maigre, on n'y employoit la plus forte partie des inftrumens qui compofe i'or- cheftre. Cependant j'aurai le courage, quelque jour , d'ufer du régime qui me femble rréceffaire cY qu'on adoptera fans doute , ïorfqu'on en aura reconnu les bons effets. Je veux dire que, i°. les timbales

SUR LA MUJÏQDI, 405

& trompettes ne doivent être employées que dans les fujets he'roïques ; & quel- ques fons fuffiroient dans l'ouverture , afin de ne point raffafier tout d'un coup les oreilles des fpeétateurs.

2°. Les violons', les violes Se les baiîès r doivent être regardés comme l'accompa- gnement général de tout ouvrage en mu- (ique ; & fallût-il laifler en repos tous les inftrumens a vent pendant une aéte entier , je n'en ferois entendre aucun. Mais dès que l'occafion arrivera ils feront d'abfolue néceflité , on fentira le fruit de ce régime r ck l'applaudifTemenr. de la faîle confoïera le compofiteur de {es épargnes. Alors étant arrivé vers la fin du drame ; fi quelque mouvement violent dans fon action , indique au compofiteur qu'il faut tout employer pour produire un effet terrible ; c'eft alors que déployant toutes les facultés de fon orcheftre , il fera trembler fes auditeurs étonnés d'urv effet qu'ils ne connoiffoientpas & qu'ils ne

Ce 3

40 6 Essai

foupçonnoient pas être dans forchèftre,' Soyons de bonne foi, nos tragédies en mufîque n'ont-elles pas produit prefque tout leur effet mufical après Je premier a&e? Et fi Pa£tion du drame ne nous attachoit aux a&es fuivants, peut-être le dégoût s'empareroit-il des auditeurs , au point qu'ils ne défireroient plus rien entendre.

S V R 1A MUSiqui, 407

ANDROMAQUE,

Tragédie en trois a&es , en vers ; repre'fentée par l'Académie Royale de Mufique , le fîx Juin. 1780.

L'harmonie peut étendre Ton empire dans le tragique , autant que la mélodie trouvera toujours de nouvelles, reflburces dans tous les autres genres*

Le plus habile muflcien après avoir compofé deux ou trois tragédies , fer* forcé , s'il veut varier fes chants , d'aban- donner les formes larges & nobles qui s'épuifent rapidement , pour avoir recours à la nature non exagérée, qui eft iné- p^ble , parce qu'elle peut s'emparer {ans rifque de l'accent vrai des pallions. L'on voit qu'il ceflèra d'être tragique , s'il devient naturel ; ou qu'il fe re'pétera fans cefTe , s'il veut fournir une longue carrière* Comment éviteroit-il long tems l'un ou l'autre de ces écueils? Dans la tragédie

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40 8 E s s À ï

tous les perfonnages doivent être nobles," jufqu'au traître qui trahit Ton Roi. La faufTeté d'un traître pourroit fournir à l'artifte des réticences variées; mais à la longue , elles deviendroient ignobles , & il eft forcé de leur prêter la fermeté tra- gique. La fureur n'a qu'un accent; le défefpoir qu'un caractère ; l'amour y eft prefque toujours malheureux; la jaloufie, fi elle ne devient fureur, dégénère en foibleiïe ; le dépit , l'ironie font prefque jàes taches dans un fujet noble , à moins que ces mouvemens de famé ne pafTent rapidement. La tragédie n'ayant donc que peu d'accents pour chaque pafîlon, étant obligée de donner encore de la noblelTe aux accents acceiToires qui conduifent à Ja fureur ck ramènent au calme ; l'on fent que fa déclamation a perdu fes droits à îa variété, Se que le muficien eft forcé de reproduire fouvent les mêmes chants avec une harmonie différente.

Autant la vraie nature eft vafte , au-

sur là. musique." 409 tant la nature faétice embraiTe un cercle étroit. II n'exifte point de Rois qui ref- femblent a ceux de la tragédie ; fi quel- ques uns en approchent , ils font plus faftueux que nobles , plus factices que naturels.

On dit , je le fais , qu'un poète de vingt ans peut faire une bonne tragédie : mais qu'il faut connoître le monde, qu'il faut avoir quarante ans pour produire une bonne comédie. C'eft donc le contraire en mufique -, car je crois que fàge mur du muficien , eft celui qui convient à la tragédie. Si la fraîcheur, les chants nom- breux , les nuances fines font épuifées à cet âge , peu importe , il en a peu de befoin. S'il a dans fa jeunefTe fait de bonnes études , les refTources de l'harmonie lui reftent , & il peut encore exceller dans le genre tragique. L'artifte refTemble alors à la fleur de l'automne , qui plus noble que celle du printems n'exhale aucun par- fum.

4io Essai

Les Allemands dès leur tendre jeu- nefïè étudient favament l'harmonie. Les douze gammes que renferme l'octave aro- matique , leur font préfente'es fous toutes îes faces ; c'eft-à-dire , qu'en tenant un accord fous {es doigts , l'Allemand voit d'un coup d'œiï à combien d'accords il conduit. Leurs marches en font fouvent dures; mais ils s'y accoutument, & cef- fent Jw les trouver telles. L'italien au con- traire femble craindre de s'initier dans ïe fecret des accords ; la fenfibilité lui donne fes chants, ck il craint de les perdre dans le Iabirinthe harmonique. II veut que fexpreflion aille chercher l'accord difïbnant , & l'Allemand la trouva au contraire dans l'accord même.

Il eft aifé de voir pourquoi le Cheva- lier Gluck fera long tems le modèle de la tragédie lyrique. Pour bien faire , il fau- dra l'imiter , & jamais imitateur ne fut cité pour lui-même.

Lorfque les auteurs des paroles d'Or-

SUR IA MUSIQUE. 41 T

phée & d'AIcefte , conçurent en Alle- magne ïe projet de donner un grand mou- vement à îa tragédie lyrique ; Iorfqu'après eux îe bailli du Raulet renferma dans trois petits actes une action dont les dévelope- mens en avoient exigé cinq au divin Racine ; ces auteurs anéantirent d'avance les longueurs dont la tragédie lyrique étoit furchargée. Les fcènes en récitatifs (impies , devenoîentdes récitatifs obligés; Les chœurs toujours en action au lieu d'être immobiles, devenoient partie conf- titutive du drame : les divertifTemens eux- mêmes , tenoient à la chofe , & ne pou- voient plus fe prolonger a volonté.

II eft jufte de croire que ces poètes, font véritablement les reftaurateurs du drame lyrico - tragique. Mais après avoir vu de quelle manière Gluck s'eft emparé de leurs poëmes , en voyant avec quel courage , il franchit rapidement les ac- ceflbires de faction , pour fe dêveloper tout entier , lorfqu'elle eft parvenue a fon

4 r ^ Essai

dernier période ; on eft tenté de croire qu'il a lui-même fuggéré le plan dont il s'eft rendu maître. Oui, l'on eft poëte ôc muficien en opérant comme Gluck ; de même qu'on s'aproprie une idée lors- qu'on l'embellit.

II eft évident que îa mufique a fait un bel emploi de fes forces en s'aftujet- tiftànt à l'action d'un drame vigoureux & prefle ; n'a-t-elle pas aufïî fait des facrifices que les amateurs de la mélodie ont droit de regretter? Sans doute. Com- ment déveloper un motif heureux , fi toujours le muficien eft commandé Se prefte par l'action? Comment déveloper un bel organe par des traits mélodieux ou brillants , fi la vérité crie de ne point s'arrêter ? Voilà pourquoi des hommes injuftes en apparence , on dit que Gluck avoit reculé les progrès de l'art. Soyons plus juftes ; il a créé un nouveau genre 'r fon harmonie a ofé tout peindre , & les accents de fa déclamation ont exprimé les parlions.

SUli 14 MUSIQUK. 4I3

Cette déclamation muficale n'eft pas toujours , il eft vrai , le chant par excel- lence ; elle n'eft que le premier coup de crayon de Raphaël , fur lequel il nuan- cera mille couleurs diverfes , qui fubju- gueront alors Pâme & la raifon.

La mufique peut parler en profe comme en vers. Si le chant pris féparément avec fa note de bafTe , ne vous fait pas- le plaifir délectable qu'on éprouve en chantant un bel air de Sacchini , ou en lifant les vers de Racine , de M. l'abbé de Lille , de M. Lebrun , croyez alors que le chant n'eft qu'un produit harmonique c'eft de la profe , & non pas un élan de famé , toujours accompagné des charmes delà poëfie.

Je hafarderai ici quelques idées fur un nouveau moyen de compofer la mu- fique dramatique.

Ne pourroit-on pas donner à la mu- fique îa liberté de marcher d'un plein

414 Essai.

eiïbr ; de faire des tableaux achevés ou, jouifiant de tous Ces avantages , elle ne fèroit plus contrainte de fuivre la poëfie dans Tes nuances diverfes ôc jufques dans les moindres détails des fyllahes longues ou brèves? Quel amateur de mufique n'a été faifi d'admiration , en écoutant les belles fymphonies ftHaidn? cent fois je leur ai prêté les paroles qu'elles fenv blent demander. Eh ] pourquoi ne pas les leur donner ? pourquoi faut - il que le muficien toujours captif, ne fe voye pas une fois libre dans fa création , & ne recevroit-il pas enfuite les paroles qui exprimeront fes accens? peut-on décider lequel des deux arts , de la poëfie ou de îa mufique , peut fe prêter plus aifément à cette fervitude ? enfin pourquoi ne mettroit-on pas la mufique en paroles , comme l'on met depuis long tems les paroles en mufique ? la prodigieufe fa- cilité de M. Marmontd dans ce travail , rn'afîure du fuccès. Pénétré de mes ac-

SUR £A MUSIQUE. 415

cents , que je lui répétois , il ne fe con- tenrok pas de rendre ma mufique , il

PembciiiiToît ,

L'air y toi Zémire $ue j'adore, &o

en eft la preuve : cet air eft de la par- tition ancienne des Mariages Samnitcs , & les paroles de M. Marmontcl , ren- dent mieux la mufique qne les vers ori- ginaux fur lefquels la mufique avoit d'abord été faite.

La mufique dramatique tronquée , ha- chée, fans retour de phrafes, fans pé- riodes arrondies , fans da capo , fans ri- tournelles , abandonnant prefque toutes les formes qui constituent la mélodie, ne réclame-t-elle pas contre la fervitude qu'elle voue à la poëfie ? Les fociétés d'amateurs , les concertans privés des cinq fixième d'un opéra, n'ont-ils pas quel- ques droits de fe plaindre ? Ce que je vais piopofer , promet encore une révolution dramatique, dont toute la gloire rejaillira

416 Essai

fur la poëfie. Elle peut enrichir ïa icène en lui donnant tous les habiles compo- fîteurs fimphoniftes , Allemands Fran- çois , qui égalent en mérite , & qui fur- pafTent peut-être aujourd'hui les com- pofiteurs dramatiques , & qui fans fon fecours n'obtiendront jamais qu'une gloire peu foïide. Ne croyons pas que le mu- ficîen qui a palTé la moitié de fa vie à faire des fimphonies , puifle changer de fyftême , & s'afîujettir aux paroles; l'on ne peut devenir efclave après avoir été libre ; le contraire eft plus facile. Ils feront des tableaux magnifiques lorfqu'ils ne compoferont pas fur des paroles ; fi vous leur en donnez, ils feront ce que les peintres appellent des croûtes.

PROCÉDÉS DU POETE.

Le Poète après avoir conçu fon plan > ne doit verfifier que les endroits qui lui paroîtront de pure déclamation, & de- vant

sue la MusiquE. 41/ vant fervir au récitatif, dès qu'il fenrira ïà verve s'animer & demander du chant mefuré , il faut qu'il écrive en profe. Si c'eft un père , par exemple , qui exige de fa fille le facrifice de fon amour , il écrira : « Fille cruelle ! tu veux donc ma » mort? Quoi ! l'ami le plus tendre, » qui fauva les jours de ton père ; a> i? qui je promis ton cœur, comme la x> feule récompenfe qui puifîe égaler le » bienfait ; tu le refufes , tu refufes de » m'obéir ! Fille cruelle , tu veux donc » ma mort?

Les duos, les trios, les quatuors, les chœurs doivent être écrits de même. En- voyez ce canevas à Haidn ; fa verve s'é- chauffera fur chaque morceau ; il n'ea fuivra que le fentiment général , & fera libre dans fa cornpofition , pourvu qu'il ne forte pas du genre, & prévoye à quel- ques égards , le diapafon de la voix à laquelle le morceau eft deftiné. Qu'il fe garde bien de croire que les paroles fe-

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4iS Essai

ront parler un morceau , que fans elles , il rejetteroit comme médiocre ; non : il faut que chaque morceau de fimphonie foit tel , qu'il n'y defire plus rien pour l'effet, Y uni , la fraîcheur & la nou- veauté des idées. Le frein dont on le dégage , lui impofe la loi de bien faire : on ne le rend libre, on ne brife fes fers, que pour avoir un réfultat fupérieur à celui du compofîteur qui travaille fur les paroles, & qui a mille difficultés à vaincre.

PROCÉDÉS DU MUSICIEN.

Le Muficien ayant fait partition , & ayant laiflé les lignes en blanc pour recevoir la partie ou les parties du chant, fera exécuter fon ouvrage a grand or- cheftre ; les morceaux qui n'obtiendront pas PapplaudifTement , feront refaits. En- core une fois il ne lui doit pas être per- mis de faire rien de médiocre. L'on fera alors une féconde répétition de fon ou-

SUR IA 'M "U S I q u E,' '419

vrage ; le Poëte lira le fens des paroleis après chaque morceau , & fouvent les fpe&ateurs doivent fe dire je Pavois de- viné \ ou je Pavois fenti.

Procédés du Poëte avec le Muficien.

J'aimerois qu'une ou deux perfonnes choifies , fulTent auprès du Poëte & du Muficien Iorfqu'ils travailleront à faire les vers que doit recevoir ïa mufique. Sou- vent l'on s'obftine a vouloir trouver mieux que ce qui eft bien ; un homme de goût décide en ce cas, & empêche ïa chaleur de fe ralentir. D'ailleurs le Muficien pré- venu fur fes tableaux , leur ayant déjà fuppofe' des paroles ; indécis fur celles que lui préfente le Poète, fe rend à l'avis d'un tiers qui applanit tout, & rait avancer le travail. Le Muficien fe gardera bien d'exi- ger que chaque note porte une fyllabe ; il ne doit conferver en entier , que les* traits de chant heureux : du refte , tou-

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4*-© Ë s s A r

tes les parties qui compofent fa partitiorf instrumentale, ferviront tour à tour, pour former fon chant. Si le Poëte trouve un vers heureux, c'eft au Muficien de l'em- ployer avec quelques facrifices pour ïa mélodie De telle manière qu'il travaille, & qu'il fafTe au Poëte plus ou moins de fa- crifices , je le défie de rendre fa mu- fique mauvaife, puifque d'avance elle eft excellente & qu'il ne doit point déran- ger l'cnfemble de la partition : il peut même defïiner fon chant avant de tra- vailler avec le Poëte , pourvu qu'il foit fimple ck d'une belle mélodie, la poë- lie trouvera mille refîburces pour expri- mer fes accens.

Alors chaque morceau de mufique aura une couleur différente ; ils auront une unité parfaite, & ferviront tous dans les concerts.

Les morceaux mutilés de notre mufi- que dramatique font tels, parce que le Poëte n'ayant rien deftiné particulièrement au

SUR tA MUSIQUE. 41Ï

chant niefuré, le Mufîcien faifit deux ou trois vers qui lui conviennent : mais bien- tôt il eft arrêté & forcé de recourir au récit , parceque îe fens des paroles l'exige. Que l'on ne croye pas que cette manière foit l'unique ; ni même la meilleure : elle eft , il eft vrai , exempte de lenteur; mais combien de fois ne voudroit-on pas en- tendre la fuite d'un air interrompu , û îe chant en eft heureux ?

Je ne parle pas de la peine qu^àura le Poëte en faifant les paroles fur fa mu- iique; il en aura fans doute: mais à ne confiderer que l'art poétique en lui même,, que perdront nous dans le ftile? quelques, airs ou duos , qui feront peut-être écrits avec moins d'élégance: mais quant aux trios, quatuors, chœurs &c. Que font le plus fôuvent les paroles de tels morceaux? des mots enfilés , qui ne valent pas la peine qu'ils donnent au muficien. Laiftez lui donc former fon tableau, d'après fe fituation ; des paroles fi communes vien-

Dd 3

4^^ Essai

dront aifément fe ranger fous fa mufique.

Un tel travail , ne dût-il pas réufîir , doit être enayé, mais il réufïira , & au delà de ce qu'on imagine. Je n'en ferai pas l'efFaî , & je ne ]e confeille a aucun compoliteur de mufique vocale : s'ils font d'auffi bonne foi que moi, ils diront qu'une fimphonie leur coûte fouvent plus de peine que la fcène la plus difficile : j'indique aux compofiteurs de mufique infiniment ait le moyen de nous égaler Se de nous furpaffer peut-être dans l'art dramatique.

Aucun ouvrage ne m'a coûté moins de peine que la mufique d'Andromaque: trente jours ont fuffi pour faire & écrire îa partition. Il eft vrai que, contre mon habitude, je compofois le foir, Ôc j'écri- vois le lendemain matin. L'auteur àes pa- roles 2 M. Para , ne me quitta pas un ïnf- tant (i). Toujours entraîné par la beauté

(ï) Qu'on ne croye pas que M. Pitra ait eu la moindre prétention en faifant ce poème, il touchoit aux vers

SUR 1 A MUSIQUE. 413

6c ïa rapidité de Pa&ion , cet ouvrage fut fait d'un feul jet ; il pèche peut-être par trop de chaleur, même en mufique, & je confeille à ceux qui la feront exé- cuter de n'en pas^prefler les mouve- ments.

G'eft, je crois , ïa première fois qu'on a eu Vidée d'adopter les mêmes inftru- ments pour accompagner par-tout le ré- citatif d'un rôle qu'on veut diftinguer. Lorfque Andromaque récite , elle eft prefque toujours accompagnée de trois flûtes traverfières qui forment harmonie.

Plus j'eus de facilité à traiter ce genre , plus je me perfuadai , qu'il n'y avoit qu'une manière de le faire. J'en fus con*

du divin Racine, qu'avec refpect & parce que la mufîquc cxigeoit des coupures. L'envie qu'il avoit de me voir clfayer mes forces fur un fujet tragique lui fit entre- prendre cet ouvrage qu'il m'apporta comme un canevas à être exécuté par un Poète Mais n'en connoiflant au- cun qui dut Ce charger d'une C\ terrible tache, il fut forcé par moi d'en courrir les rifm.es.

4^4 Essai

vaincu , ïorfqu'après avoir travaillé fur un très-bon poëme intitulé Éle3rc, que je n'ai pas encore offert a l'Opéra , quoique l'ou- vrage (bit achevé , je fentis que l'harmo* nie feule pouvoit donner des couleurs différentes , aux mêmes accents tra- giques.

Ce travail ne peut contenter .que îe Muficien qui n'a pas reçu de la natare dts chants aiTez variés pour fe prêter à tous ïes tons de la déclamation.

La tragédie cfAndromaque eut, à deux reprifes , environ vingt-cinq repréfenta* tions qui furent interrompues par l'incen- die de la falle du palais Royal. Mlle Le- yancur joua ls rôîe d'Àndromaque avec dif- tinâion: Mlle La guerre dont l'organe ra- vivant retentit encore dans nos cœurs le chanta en double & fembloit avoir em- prunté les accents même de la veuve d'Hector. Mo Lainez y joua le rôle de Pirrhus en double 3 en montrant aux fpec- tateurs qu'il devoit un jour crier les plus

SUR LA MUSIQUE. AZÎ

grands rôles. M. Larivéc a&eur inimi* table pour la netteté de fa prononcia- tion , & qui , pendant fa longue carrière au théâtre, n'a peut-être pas dérobé une fyllabe aux fpe&ateurs, fe montra auffi no- ble que dans (es plus beaux rôles, en rempliflant celui d'Orefie.

42.6 Essai

COLINETTE A LA COUR.

Comédie en trois acles en vers , par M. de S¥¥¥ , repréfentée par l'Académie Royale de mu- sique , le premier Janvier 1781.

L'EMBARRAS DES RICHESSES.

Comédie en trois acles en vers , par M. de S¥¥* , le a 6 Novembre 1782.

LA CARAVANE.

Comédie en trois a&es en vers , par M. Morel de Chedeville , le 30 Odobre 1783.

L'Opéra de Paris eft en tout fens, le pays des illufions; la moindre innovation y eft un crime pour fes habicue's. Il fallut combattre longtemps pour que Ra- meau remplaçât Lulli , & de nos jours , il a fallu dans cent écrits, avertir les Fran- çais que l'on chantoit en mefure dans toutes les cours de l'Europe, & que îa

fcUR MUSIQUI,1 4I7

pfalmodie dont ils étoient idolâtres , étoic reléguée dans les couvents.

Quel courage ne faut-il pas pour com- battre des iïïufions qui conftituent ïe bonheur d'un grand nombre de fpe&a- teurs ? Ecoutez le bon vieillard qui après vous avoir chante péfament quelqu'air a peu près dans ce genre.

lentement

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sïiïîiiiyii?

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Vous dit : avouez , M. que cet air efl: plein de grâce. Ah ! Si vous aviez vu Mlle*** danfant cet air charmant!... Quel charme dans tous fes pas ! Non : vous ne re verrez plus ce tems la ! Ceû en efluyant fes yeux , qu'il fe rappelle

42-8 Essai

celui de jeunefTe & de fes amours. Dans ce cas ïa fenfation qui nous rap- pelle un objet aimé devient en quelque forte le pïaifir même , quoiqu'il n'en foit que la réminifcence : les pîus douces fenfations ne font jamais que des fou- venirs. La première fois que l'on fent, c'eft peu de chofe ; mais dans les beaux arts fur-tout, le pïaifir fe multiplie autant que la même fenfation fe renouvelle, parcequ'elle entraîne avec elle les accef foires agréables , qui chaque fois font accompagnée. Pour prouver la nullité de l'expreffion en mufique , n'a - 1 - on pas ofé dire que l'air avec lequel nous avons été bercé , tel qu'il puirTe être , nous fait éprouver des fenfations délicieufes? Mais l'air en pareil cas n'eft point un agent exclufif; car un meuble, un objet quel- conque femblable a celui de notre nour- rice , doivent aufli nous rappeller ïe tems précieux de notre innocence.

Lorfque je portai la comédie lyrique

SUR LA MUSIQUE. ifclj

fur la fcène de ï'Opéra , je fus aufîi regar- dé comme un novateur répréhenfible (i). Cependant je voyois le public fatigué de la tragédie qui ne quittoit pas la fcène. J'entendois îes nombreux partifans de la danfe murmurer en la voyant ré- duite à jouer un rôle accefToir & fou- vent inutile dans la tragédie (2). Je voyois Padminiftration , cherchant ïa variété , reprendre fans fuccès , des fragmens , ou des paftoraïes anciennes ; je difois par- tout que deux genres toujours en oppo- fition , fe prêtoient des charmes mutuels ; que les comédiens Français don noient alternativement la tragédie & la comédie, Se que fi on les obligeoit à renoncer à un

(1) Le Seigneur Bienfaifant avoit paru avec fuccès avant les ouvrages dont je parle; mais je demande fi la partie vocale y étoit traitée par le Mufîcien d'une ma^ nière à faire époque ?

(i) La danfe de l'Opéra mérite à tous égards (es nom- breux partifans par la perfe&ion elle eft portée.

430 Essai

des deux genres , ils ne fauroient fe dé* cider. Enfin ces trois ouvrages , & fur- tout la Caravane, donne's en très-peu de tems , fixèrent l'opinion publique fur îa nécefTité d'établir la. comédie lyrique à ce fpe&acle.

SUR £<*- MUSIQUE. 431

L'ÉPREUVE VILLAGEOISE.

Comédie en deux a&es en vers, par M Des- forges , repréTente'e aus Italiens le 24 Juin 1784,

Ce petit ouvrage doit fon exiftence k la chute complette d'un plus grand ou- vrage intitulé, Théodore & Paulin en trois a£tes , & à double intrigue : favois remar- qué à la première & dernière repréfenta- tion de cette pièce que l'ennui & le plaifîr fe peignoient alternativement fur îa phifionomie des fpe&ateurs : l'ennui étoit toujours caufé par ïes acteurs nobles , & les payfans ramenoient chaque fois îa gaieté. Je partageai tellement les fen- timens du public , que , malgré ïes follicitations des comédiens , je refufai une féconde repréfentation qui auroit pro- duit le même effet. Je propofai à l'au- teur des paroles un plan qui excïuoit les perfonnages nobles: il l'adopta, & fit

43 a' £ s s à î

de Théodore & Paulin une pièce en deux a&es , fous le titre de l'Épreuve Viï- lageoifè. La fugue qui termine le premier acte ,

Il a déchiré mon billet , &c.

fera fans doute un obftacle à ce que ce petit ouvrage foit joué dans les fociéte's , il devroit être fingulièrement adopté î J'ai placé une fugue dans cette pièce pour encourager un élevé qui ennuyé de faire des fugues , me difoit qu'il ne regretteroit pas fa peine, fi elle pouvoit fervir à quelque chofes ; la fugue, luidis-je , vous apprendra à écrire correctement. La nature donne ïa mélodie , il eit vrai ,, mais la fugue eft îa réthorique qui apprend au Muficicn à faire & à lier les phrafes harmoniques, j'employai donc alors pour îa finale qui m'occupoit une fugue que j'avois faite an- ciennement. Cependant je confeille rare- ment l'emploi de cette compofition , dont le parterre ne fait aucun gré au Muficien

&

SUR t A MUSIQUE.' 433

Se qui pour les a&eurs eft trop diffi- cile a retenir.

Voici les retranchemens que j'ai faits à ce morceau pour en faciliter l'exécu- tion dans un fpectacle de fociété.

Lorfqu'on arrive à l'endroit;

bien , Denife , & mon billet ?

Denis e.

Votre billet?

Dites ce qui fuit en dialogue parlé.

Denise.

II a déchire vot' billet.

ia France,

a? II a déchire' mon billet.

André.

» Oui j'ai déchiré vot' bîïlet , . m Et par la morgue j'ai bien fait ! n Reprenez enfuite ces trois accords.

Se

43 4 E S S A ï

B ■* 79"

Premier Violon,

La France chante , Mais dumoins vous Vaure\$u lire, &c. Après le récit :

Pavois écrit oui -, hc bien ! bien ! Dites encore en dialogue parlé. la France. v II a déchiré mon billet. André. » Oui j'ai déchiré le billet. Madame Hubert.

9) M. André , c'eft fort maï fait , » J'devrois punir cette infolence ; » Mais j'prétends vous accorder tous. « Quelle prenne pour fa vengeance v M. d'Ia France pour époux.

SUlt !A MUSIQUE. 43 £

André. « Oh ! jarnigoi quelle indulgence ! Denise, à part,

» Qu'eu défefpoir pour mon jaloux.

» J'adopte la vengeance.

» Allez enfuite à cet endroit :

fcH ^ ^ ) il =* ri— ] «<»kdM— -Ki-l J

Premier Violon , pag. 61 de la Partition.

Va , tu me Ppayras , en chœur jufqu'a la fin de l'a&e. Si l'on n'a point de chœur, l'on peut encore retrancher une partie du morceau d 'en femble de la fin du deuxième acte , fans nuire à l'action du poëme.

Lorfque la France, en entrant fur ïa fçène a chanté ;

w Allons rendons hommage » A l'objet qui m'engage ; to C'eft l'honneur du village » C'eft un objet charmant.

Ee 2

43 6 Essai

Pendant ce tems André baife la main de Denife ; ïa France Je voit & faute à la fin du morceau en chantant,

» Que fais tu la.? » Que fais tu ?

André répond :

» Moi , je rends hommage

» A l'objet qui m'engage , &c ôcc.

Ce retranchement devroit même être adopté dans les fpe&acïes publics , parce- qu'il termine rapidement l'aéHon.

J'ai foigné d'autant plus ce petit ou- vrage , que l'exiguïté du fujet m'en im- pofoit la néceffité. Un poëme qui com- porte un puiflant intérêt, en a moins befoin & l'on fent pourquoi ; j'ofe dire même qu'il faut s'abflenir de trop recher- cher la compofition muficale d'un Drame compliqué } de crainte que cette double complication ne fatigue les fpeclateurs. Les couplets,

SUR LA MUSTQUE. 437

Bon Dieu , bon Dieu , comme à c'te fête ,

furent incontinent chantés dans les rues & danfés par tout , même fur le théâtre de l'Opéra. J'avoue que ce genre de fuccès , que bien des compofiteurs fem- blent dédaigner, me fit un fenfible pïai- fir. C'étoit les premiers jolis couplets dont je faifois la mufique , & je n'avois. pas grande opinion de moi pour ce genre de composition. Cette pièce n'a pas quitté la fcène , depuis le jour elle y a re- parue. Elle acheva la réputation d'une actrice (1) , qui par les grâces d'une heu- reufe tournure, fait réveiller l'indifférence, & fe faire fouvent préférer à la beauté.

(1) Mile. Adeline.

Ee3

438 Essai

RICHARD CŒUR DE LION,

Comédie en trois acles , par M. Sedaine ; re- préfentée par les Comédiens Italiens , le 2j Oc- tobre 17 8jr.

Jamais fujet ne fut plus propre à h mufique, a-t-on dit, que celui de Ri- chard Cœur de Lion. Je fuis de cet avis quant à la fituation principale de la pièce, je veux dire celle Blondel chante la romance.

Une fièvre brûlante, &c.

Mais il faut convenir que ïe fujet en général n'appelle pas davantage la mu- fique qu'aucun autre , je dis plus : la pièce devoit n'être que déclamée f car alors la romance devant être efTentieliement chan- tée , rien ne devoit l'être que ce feul morceau, qui eut produit encore plus d^eiTet; je me rappelle avoir été tenté de

SUR. MUSIQUE. 439

ne aire précéder au fécond a&e, aucun morceau de mufique à la romance , uni- quement pour cette raifon ; mais faifant réflexion qu'on avoit chanté dans cha- que fituation du premier a&e , j'aban- donnai cette première idée ; ne doutant point d'ailleurs, que les fpectateurs fe fai- fant illufion , n'écoutalTent cette romance comme fi en mufique , elle eût été uni- que dans l'ouvrage, (m) Ces mêmes ré- flexions , m'engagèrent à la faire dans le vieux ftyle , pour qu'elle tranchât fur tout le refte. Y ai-je réufli ? Il faut le croire ; puifque cent fois l'on m'a demandé. fi j'avois trouvé cet air dans le fabliau qui a procuré le fujet.

M. Sedaine en me communiquant fon manufcrit me difoit : « J'ai déjà confié y> ce poëme à un Muficîen ; il ne l'a » point accepté , parcequ'il croit ne pou- » voir pas faire aflez bien une romance » qui s'y trouve. Lifez, décidez-vous ,

Ee4

44° Essai

» & point de complaifarice de votre

v part. »

Si j'acceptai fans héfîter ce bel œu- vre dramatique , j'avoue que la romance m'inquiétoit de même que mon confrère: je la fis de plufieurs manières , fans trou- ver ce que je cherchois , ç'eft à dire le vieux ftyle eapable de plaire aux modernes. La recherche que je fis pour choifir parmi toutes mes idées ,1e chant qui exifte , fe pro- longea depuis onze heures du foir, jufqu'au lendemain à quatre heures du matin, (i) Nous confiâmes le rôle de Richard , à M. Philipe qui n'en avoit pas encore créé. & qui depuis ce fuccès , a me'rité. de plus en plus les appIaudifTemens du public. A plufieurs répétitions , la beauté de la fituation^ la fenfibilité de l'acleur, joia~ tes au défir de bien remplir fon rôle , exal-

(i) Je me rapelle qu'ayant formé pendant la nuit , pour demander du feu; vous devez avoir froid, me dit mon domeflique , vous êtes toujours à ne rien faire.

SUR LA MUSIQUE. 44 1

coit fon knagination au point que fes larmes l'étouffoient lorfqu'il vouloit ré- pondre à Blondel.

Un regard de ma belle , &c.

Le jour de la première repréfentation > cet a&eur plein d'ardeur & de zèle > fut attaqué fubitement d'une extinction de voix ; il uétoit plus tems de changer îe fpe&ade y la falle étoit pleine ; il me fit appeller dans fa loge , voyons , chantez - moi votre romance , il arti- cula quelques fons arec peine ; c'eft bien , lui dis~je , la voix d'un prifonnier ; vous produirez l'effet que je délire ; chan- tez & foyez fans inquiétude.

M. Clairval remplit le rôle de Bfon- del , d une manière inimitable ; la no- blelîe d'un Chevalier, la fmelTe d'un aveu- gle clair-voyant qui conduit une grande intrigue: il fut employer tour-à-tour, tou- tes ces nuances délicates avec un goût exquis. Jamais un rôle ne périclite dans

44i Essai

*es mains de ceta&eur ; il fait fe retenir dans les endroits douteux , ou trop neufs pour le public ; mais à mefure qu'on s'y accoutume, l'Acleur déployé toute l'éner- gie dont Ton rôle efl fufceptible. Le comé- dien - machine efl le même chaque jour, if ne redoute que l'enrouement; mais M. Clairval n'a pas ïe malheur d'ê- tre îe même à chaque représentation ; ïa perfection de fon jeu dépend de la fituation de fon âme, & il fait encore nous plaire lorfqu'il n'erl pas content de lui.

La mufique de Richard , fans avoir à la rigueur le coloris ancien d'Aucaflin & Nicolette , en conferve des réminifeen- ces. L'ouverture indique , je crois , affez bien , que faction n'efl pas moderne. Les perfon nages nobles prennent à leur tour un 4:on moins furanné ; pareeque les mœurs des villes , n'arrivent que plus tard dans les campagnes. Le Muficien par ce moyen' peut employer divers tons 9 qui concourent à la variété générale;

SUR LA MUSIQUE, 443

lSalr , O Richard ! 6 mon Roi !

eft dans le ftyle moderne , parce qu'il eft aifé de croire que le poète Blondel an- ticipoit fur fon fiècle par le goût & les connoifTances.

Le trio , Quoi ! de la part du Gouverneur ?

reprend une forme de contre-point con- venable à Sir Villiams. Blonde! toujours attentif à faifir le ton de chacun , fe vieillit dans les traits de mufique, ii dit:

La paix , la paix , mes bons amis.

ces traits qui ne font rien en eux mêmes, & que Duni avoit employés fi fouvent, attirent l'applaudiffement parcequ'ils font vrais ; je répéterai donc que rien ne doit être exclu de la mufique , & que tout de'pend de mettre un trait de chant dans fa vé- ritable place.

L'on n'a peut-être pas remarqué , combien de fois Pair de la romance eft

444 Essai

entendu dans îe courant de la pièce foit

en entier ou en partie.

PREMIER ACTE.

i°. Lorfque Blondel veut fixer fur lui Pattention de Marguerite.

2°. Lorfqu'elle le prie de jouer fou- vent cet air ; il le recommence.

DEUXIEME ACTE.

3°. La ritournelle delà fcène avec Ri- chard.

4°. Un couplet.

5*. Un autre couplet avec refrein.

6°. Il joue Pair avec fracas pour fe faire arrêter.

TROISIEME ACTE.

Lcrfqu'il criante dans la couliffe , pour être introduit devant Marguerite. 8°. Dans le morceau d'enfemble ;

Oui , Chevaliers , &c.

9 . Dans le dernier chœur.

SUR LA MUSIQUE 44.7

II étoitaifé de fatiguer les fpedateurs en répétant G. fouvent le même air : mais il faut remarquer que la première fois, il eft joué fans accompagnement ; fa fé- conde avec variation ; la troifième avec accompagnemens ; la quatrième & cin- quième, avec les paroles; la fixième joué feulement avec variation à doubles cor- des pour indiquer qu'il veut faire beau- coup de bruit.

La feptième il chante fans accom- pagnement , la moitié du refrein feule- ment.

La huitième , dans le morceau d'en-, femble

Oui Chevaliers, &c.

il c hante fon air fur une mefure différente. Sa voix a pé- né. tré mon a. m"^ je la çon.nois,oui,ouiMa-"daMnïr

44 ^ E s s a ï

N'efl-ce pas comme s'il difoit, voix a pénétré mon ame , en chantant l'air qu'il fît pour vous ? La neuvième fois enfin , dans le dernier chœur, cet air eft chanté en trio.

Sans doute il falloit préfenter cet air fous autant de formes différentes pour ofer ïe répéter fi fouvent: cependant, je n'ai pas entendu dire qu'il fût trop répété ; parce que le public a feutî que cet air etoit ïe pivot fur lequel tournoi t toute la pièce.

Uair , Si l'univers entier m'oublie , &c.

qui précède la romance, a montré une chofe neuve. Les trompettes & timbales voilées ont femblé rappelier avec douleur la gloire du Héros ; cet effet a paru bien fenti : Se chœur qui termine le fécond a&e;

Sais tu f connois tu !

eft dans le ton du vieux contre -point, hs Soldats de ce tems, revenant, de la

SUR EA MUIiqUE. 447

terre fainte , les idées qu'on fe fait de ce tems religieux , m'ont fuggéré ce genre de mufîque.

Richard parut d'abord en trois a&es, mais non pas avec le troifième a&e que l'on joue actuellement; Ton engageoit le Gouverneur à rendre Richard; cédoit par raifon , & quoiqu'il dit à Laurette que fon amour pour elle n y avoit point de part , les fpe&ateurs le croyoient , & biàmoient le Gouverneur qui manquoit à fon devoir. M. Sedaine en abrégeant îe troifième aéte, en fit un quatrième. Le Gouverneur ayant refufé de rendre Richard ëtoit retenu prifonnier chez Villiams ; Blondel fe trouvoit dans le même fou- terrain, fous prétexe que le père de Lau- rette avoit découvert qu il fervoit le Gou- verneur & fa fille dans leurs amours.

Blondel fe faifoit donner un écrit du Gouverneur , afTez équivoque pour qu'on lui remît Richard , quoique le Gouverneur n'eût penfé qu'à fa propre délivrance ,

44$ Essai

Richard paroiflbit dans la prifon au grand

étonnement du Gouverneur.

Cette manière de'plut encore plus que ïa première : cependant , les repréfen ta- rions fe continuoient toujours avec ia même afïïuence , grâce au fécond a&e.

Les habitants de Paris âvoient une telle envie de voir terminer cet ouvrage d'une ^manière agréable, que chaque fociété m'en- voyoit un dénouement pour Richard. En- fin M. Sedaine adopta le fiége qui con- cilie tout , qui lailTe intacte la conduite du Gouverneur , & qui préfente un beau fpeéèade , feule relTource qui reftoit après avoir intérélTé auffi vivement dans le fé- cond a&e. II efl: inutile de parler du fuc- cès de cette pièce ; il paroi t que cent repréfentations , toujours avec la même affluence , fuffiront à peine à PemprelTe- nient du public.

PANURGE

S U R t A MUSIQUE.' 449'

PANURGE DANS L'ILE DES

LANTERNES.

Poëme en trois ades , en vers , par M. Mord de Chedeville ; repréfemé à l'Ope'ra , le 2 5 Jan- vier 1785.

Panurge eft. le premier ouvrage entiè- rement comique, qui ait paru avec fuc- cès fur le théâtre de l'Opéra , & j'ofè croire qu'il y fer vira de modèle. Le fu- jet en eft fimple, la pompe y eft inhé- rente , & les divertilTements font nécef* faires. La tempête du premier a&e , qui amène îe Héros de la pièce furie théâtre,

eft une idée neuve.

Oui , vous ferez heureux ,

Si par un orage

Un étranger jeté fur ce rivage , &c.

Après l'accompliiTement de cette pré- diction du grand Prêtre , la joye du peuple , les fanfares en contracte avec

Ff

4?o Essai

bruit du tonnerre font d'un bon effet. Ce comique tiré de la chofe même , me femble digne de Molière.

Panurge ck Arlequin font des ca- ractères dont l'effet eft certain fur Pef. prit du peuple , & de tous ceux qui fc permettent de rire. En effet, le moral d'un être qui ne réfléchit ni fur le paiTé ni fur l'avenir ;

Ne vous fouvierit-il plus que vous fûtes marié? O ciel ! En voyageant je l'avois oublié.

Un être que le préfent feuï occupe ; qui toujours prévenu de fon petit mérite, jouit même des plaifanteries qu'on lui adreffe, ce caractère eft immanquable au théâtre ; & peut-être chaque homme dans îa fociété devroit délirer le moral de Pa- nurge , fi famour-propre n'étoit révolté par l'idée d'être dupe pour être heureux.

Si le difcipïe de Socrate eût compofé fa république de fujets du caractère de

SUR LA MUSIQUE. 4, 5 t

Panurge , ïe bonheur général n'eût pas été douteux avec un chef tel que Platon. L'ouverture de cette pièce indique les caractères nobles & comiques qui vont paroître fur la fcène ; Ja phrafe fui vante

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45^ Essai

eil une des plus longues qu'on ait faîte nemufique ; j'aurois également adopté cette phrafe , fans doute , fi ïa fcène n'eût pas été dans Je pays des Lanternes ou des Lanternois: Dans ce pays Von n'cjl jamais prejfe, dit le poëme; mais j'aime mieux qu'elle foit a l'opéra de Panurge. Cette ou- verture fervit à développer les talens ra- res des danfeurs & danfeufes de l'Opéra. XjyidcQ de la propofer comme muflque de danfe ne m'eft venue que deux jours avant la première repréfentation ; j'étois affligé de voir que la danfe finale des opéras n'étoit prefque jamais que le fignal du départ , & que les loges étoient vuides îorfque îa toile tomboit. Je jouai cette ouverture à M. Gardcl l'aîné en lui faifant remarquer les contractes qui s'y trouvent ; il l'adopta d'autant plus volontiers qu'il ëtoit l'inventeur de ce qu'on appelle fi- nale de danfe ; le fuccès a fi bien répondu à notre attente que les ennemis des au- teurs n'ont pas fait difficulté d'attribuer

SUR X A MUSIQUE 453

îe fuccès confiant de cet ouvrage a l'ou- verture reprife avec danfe à la fin de l'opéra , mais qu'on me montre un ou- vrage qui réuffifTe par le charme des dix dernières minutes de fa durée & je les en croira;.

Le récitatif de Panurge efî je crois , vrai , fans être trivial ; il doit moins en- nuyer que le récitatif noble , parceque les inflexions y font plus multipliées. Sans l'intérêt de la fcène, je doute qu'un ré- citatif noble pût fe foutenir par fa dé- clamation. Les morceaux de chant de cet opéra peuvent prefque tous fe détacher pour être exécutés dans les concerts ; cet avantage n'efc pas à négliger y quand on le peut fans nuire a l'intérêt dramatique» ( voyez l'article Andromaque. ) M. Lais qui nous parut doué de toutes les qua- lités ncceffaires au rôle de Panurge , y a établi fa réputation. S'il a perdu par ce fuccès l'efpoir d'être cité comme îe premier a£teur tragique de l'opéra , i$

Ff3

454 Essai

ne doit point en être fâché ; c'eft ïe public qui lui a afligné fa véritable place; trop heureux l'a&eur qu'il prend fous fon aile. Quand ce même public fe rappelle les taîens de Lekain & de Préville, on ne voit guère de quel côté fes regrets font pencher la balance.

SUR LA MUSIQUE. 45$

LE MARIAGE D'ANTONIO,

Comédie en un a<fte , repréfente'e aux Italiens le 29 Juillet 1786.

Je commencerai cet article en rappor- tant la lettre que j'écrivis aux auteurs du journal de Paris , le famedi zj Juil- let 1786.

MESSIEURS,

Prétendre garder l'anonyme en don- nant au public une pièce de théâtre , m'a toujours paru une inconféquence , d'autant qu'on doit être fur que le fecret ne fera point gardé. Peut-être même feroit-il difficile de prouver que c'eft par une véritable mo- deftie qu'en pareil cas on cherche à fe cacher.

J'ai donc fhonneur de vous annon~ cer , que la petite pièce en un a&e , intitulée le Mariage cd Antonio , qu'on

Ff 4

45 ^ Essai

donne aujourd'hui aux Italiens , a été mife en mufique par une de mes filles âgée de treize ans (t). Mais comme je ne veux point alte'rer la candeur de Ton âge en excitant en elle une préfomption menfongère ; je dois dire qu'ayant elle- même compofé tous îes chants avec leur baffe Se un léger accompagnement de harpe,, j'ai écrit la partition qu'elle n'é- toit pas en état de faire. Les morceaux d'enfèmble ont été rectifiés par moi ; cette compoiition exigeant une connoif- fance du théâtre que je ferois bien fâché qu'elle eût acquife.

Si les chants font quelquefois décla- més avec vérité, cela provient fans doute de la manière dont je l'inftruis, Se qu'il n'eft pas inutile peut-être de faire con- nokre.

Lorfqu'elle m'apporte un morceau que je juge n'être pas faifi muficalement

(0 Aujourd'hui Madame de Marin,

SUR LA MUSIQUE. 4J7

dans îe fens des paroles ; je ne lui dis pas, votre chant efî. mauvais: mais voici, lui dis-je , ce que vous avez exprimé. Alors je chante fon air fur des paroles que j'y crois analogue , & je donne une vérité d'expreflion à ce qui n'étoit que vague ou à contrefens.

Cette méthode d'éducation m'a paru la meilleure ; car pourquoi rejetter comme mauvais ce qui en certains cas , auroit pu être bon ? En fe perfectionnant dans Part des modulations avec un excellent maître ( M. Tapray ) ; en apprenant avec moi l'art d'écrire le contrepoint, je ne juge pas inutile de l'accoutumer à fe fervir de l'expreffion jufie. Cette habitude doit être prife de bonne heure; car le langage mufîcal, énigmatique pour bien des gens, eft en effet auffi vrai, aum* varié que la déclamation : je lui enfeigne des vérités dont je fuis perfuadé.

L'étude d'un compofiteur eft celle de la déclamation, comme le deflin d'après

458 Essai

nature eft celle d'un peintre. Il faut con- fulter l'âge, l'état, les mœurs, la fitua- tion du perfonnage qu'on veut faire chan- ter. Quand on a faifî ces rapports & cet enfemble, c'eft à la nature à faire le refte; c'eft-à-dire que c'eft à elfe a former un. criant agréable , de la déclamation. Si au contraire vous ne faites qu'un criant vague , vous ne contentez que F oreille ; fi vous déclamez feulement, vous ne con- tentez que le bon fens ; mais chanter ôc déclamer font les fecrets du génie & de la raifon.

Je dis a ma fille ce que je voudrois qu'elle fit un jour, & ce que je voudrois faire moi-même.

C'eft à titre d'encouragement que je lui ai permis cet efTai ; mais le public feul peut lui permettre de continuer. C'eft à lui d'encourager un fexe qui , **e*- pour démêler peut être mieux que nous les nuances du fentiment & les finelîes de la comédie , pourroit trouver k la,

SUR JLA MUSIQUE. 459

fois la gloire & l'aifancc honnête dont les chemins lui font par tout fermés. La peinture fe glorifie des talens fupérieurs de madame Lebrun & de madame Guiard ; pourquoi la mufique n'auroit-elïe pas un jour des maîtres du même fexe , dans l'art de nous charmer par des comportions muficales ?

J'ajouterai à cette lettre que pour for- mer un élève , il eft elTentiet de lui faire comprendre avec précifion l'exacte ponc- tuation de la mufique.

L'on pourroit fans doute affigner quelle doit être a la rigueur la note de la gamme qui doit fe rapporter a tel figne de la ponctuation du difcours; marquer une différence entre le point d'exclamation &z d'interrogation ; une entre les deux points ou le point & virgule ; maisceferoit mettre des entraves au fentiment dont il s'écarteroit fans ceffe. Le meilleur lecteur ou décla- mateur , eft celui qui fait le mieux fentir ce qu'il dit ; il en eft de même du Mu-

4^0 Essai

ficîën ; une forte de liberté doit de toute

néceffité exiflcr dans les arts ; l'ignorant

en abufè mais l'homme de génie en

profite.

Voici encore un moyen peu ufîté qui m'a réuffî. Nous prenons de îa bonne mu- lique inftrumentale , & en jouant ou en folfiant la partie chantante, nous cher- chons tous les fignes connus de la ponc- tuation ; cependant comme je l'ai dit, l'ex- clamation & l'interrogation fe prennent aifément l'un pour l'autre , de même que ïe point ôc virgule & les deux points ; la différence n'exifte guère que dans le ligne , & peu dans l'accent de la voix.

Cet exercice accoutume l'élève à être précis , & a rejetter les parafes équivo- ques/relativement aux paroles. La mufi- que vocale qui ennuyé eft prefque tou- jours phrafée & ponctuée à contre-fens , & c'eft le plus grand tourment que puifFe éprouver une oreille fenfibie.

J'ai donné pluiieurs maîtres de mu-

SUR LA M US I QUI. 461

fîque à ma fille & j'en changerai en- core. Je fais qu'elle n'en tirera aucun parti fi elle n'fl deitine'e qu'a être un compofiteur du commun. Je fais qu'elle s'embrouillera dans les différens fyf. ternes que fes maîtres lui préfenteront; que m'importe ! J'aime mieux qu'elle s'égare & refre enfevelie dans cette fur- abondance, que fi elle devenoit la copie d'un feul homme. Mais fi la nature l'a deilinée à être quelque chofe par elle- même , elle aura dequoî choifir, & ïaura mettre a profit jufqu'aux contradictions qui exiftent entre tel & tel fyftême.

L'élève doit tout voir , tout connoître ; tout comparer ; c'efl de ce cahos qu'il fe forme un genre & un flyïe. C'eft ainîi que tenant tout de fes maîtres, îa nature doit tout rectifier en lui, pour le rendre original.

Les maîtres d'harmonie nenfeignent à ma fille que des phrafes harmoniques,

$6% E s s a j

moi fcuî , je lui dis , & comment elles doivent être employées.

Je lui répète fouvent les principes ré- pandus dans cet eiïai j je l'encourage en lui difant qu il eft une mélodie vers la- quelle elle eft appelée ; que îa jeunette a mille fenfations à nous révéler par fa mélodie , tandis que l'artifte, quoiqu'ex- périmenté , mais fatigué ou glacé par Page , n'a prefque plus rien à nous dire dans ce charmant langage.

Il eft, lui dîs-je , deux fortes de mélodie. La première eft celle que donne la fen- fibilité , qui ne fubfifte qu'avec elle te comme elle ; je veux dire que la fenfi- bilité puérile du vieillard , n'aura plus aucun des charmes de celle du bel âge.

Cependant cette fleur fi belle a befoin d'une tige pour la foutenir ; cette tige eft l'harmonie qu'on n'acquiert que par l'étude de la combinaifon des fons.

La féconde eft une forte de mélodie fchoîaftrque , que l'on apprend à faire

SUR LA MUSIQUE. 463

par l'étude du contre-point & de l'har- monie. Celle-ci toujours corre&e , eft ce qu'on appelle ïa mufique bien faite , qui n'a qu'un certain nombre de partifans, mais ïa première plaît à. tout ïe monde quoiquelle rejette fouvent les entraves d'une règle trop févère.

On pourroit auffi regarder l'harmonie fous deux rapports. Il eft , en effet une harmonie qui charme notre ame; mais n'eft - ce pas parcequ'elle eft produite par îa mélodie qu'elle renferme ? L'autre n'eft qu'une fuite de fons placés métho- diquement , dont l'artifte fe fert cepen- dant quelquefois pour ombrer fon ta- bleau, en ménageant des repos à la fen- fibilité des auditeurs , qu'il faut fe garder d'épuifer

J'ai dit quelque part , qu'un accord fe trouve , par un procédé de l'art , mais que nous ne connoifïions pas de procédé pour créer un trait de chant. L'homme qui pofsède le talent de faire des chants

4^4 E s s A i

heureux , pourrok cependant former, dans cet art enchanteur, un élevé déjà favorifé de la nature.

Examinons un inftant cette partie , ïa plus délicate de l'art mufical , & qu'on n'a jufqu'à préfent enfeigné que refpec- tivement à l'harmonie ; car , on apprend bien à l'élève à faire chanter entre elfes ïes parties qui constituent le contrepoint ou la fugue : mais ici il n'eft point ques- tion d'harmonie , il s'agit d'accoutumer l'élève a choifir dans quelques notes de la gamme , celles qui auront le plus de charme dans leurs combinaifons, pour former un chant à voix feule. Ce chant heureux fera fans doute fufceptible d'une baffe 3 ou de plus ou moins d'harmonie de rempliffage ; mais c'eft d'abord à ce chant feul qu'il faut tout facrifier.

N'vons nous pas remarqué, que les airs les plus courrus font ceux qui em- braffent ïe moins d'efpace , le moins de Botes , le plus court diapafon. Voyez

prefque

Sur la musique; 46 ç prefque tous les airs que le tems a ref- pectés ; ils font dans ce cas. Il faudroit doncprefcrire k i'éleve , en le laifîant maître du mouvement , de faire des criants avec quatre , cinq , ou fîx notes. La feptième note de la gamme eu dure à moins qu'on ne farTe fuccéder les fons comme nous Pont indiqué les anciens.

îin^M-0

eÊe^^sÊÊIMÊÊ

Avec un maître fenfible à ïa mélodie , je ne doute pas qu'un élève bien choifï ne s'accoutume à faire de ces chants heureux , dont on ne peut fe rendre raifon , mais qui cependant nous ravif- ient. Qu'on ne croie pas cette occupation feche Se munitieufe ; il efl fi flatteur de faire beaucoup avec peu de chofe ! Ra- cine en rarîemblant quelques mots com- muns pour tout le monde , joui/Toit fans doute , en faifant un vers immortel. Au relte un trait de chant heureux eft prefque

466 Essai

toujours un élan de l'ame qu'il faut (avoir faifir en fe donnant néanmoins la peine de le chercher. Le compofiteur qui fait fon métier peut faire, dans une matinée, douze ou quinze mefures d'harmonie a l'abri de toute critique ; mais je ne con- feille à perfonne de promettre en huit jours un air afTez heureux pour qu'il foit faifi par tout le monde, & chanté dans les rues.

Un habile inftituteur , je veux dire celui qui fuit la nature , ck n'a point de routine , doit étudier chaque élève qu'il veut former. S'il eft vif , s'il a la mé- moire aifée , il retiendra mieux les chofes que les mots qui les repréfentent. Gardez vous dans ce cas de faire de vains efforts pour claiTer méthodiquement dans fon cerveau les règles que vous prefcrivez. Gardez-vous de le comprimer dans une fphere trop bornée, en voulant lui incul- quer une feule chofe. Les impulllons doi- vent être légères, toujours différentes &

SUR LA. MUSIQUE. 4,67

proportionnées à la foïblelTe de l'organe qui les reçoit. Présentez lui des ide'es toujours à fa portée ; faites difparoître les mots techniques. Quand vous îui aurez montré fouvent les élémens de la partie de fart que vous traitez ; c'efr lui-même qui leur donnera Pordre qu'ils doivent avoir ; il y parviendra tôt ou tard t &: ne l'oubliera jamais. La première idée ap- pellera la féconde, celle-ci la troiilème, &c. Un jour je vis une jeune demoifelle qui pkuroit ; fa mère me dit avec cha- grin , que le maître de mufique de fa fille , ne pouvoit depuis trois mois lut apprendre la valeur des notes. Cela eft cependant bien aifé } dis-je , a la demoi- felle. Avez-vous de l'argent dans votre bourfe ? Oui , Monfieur , donnez la moi. Comment appeliez-vous cela ? Oeil un fou. Bon. Je le mis fur la table , donnez-moi à préfent un fou en deux pièces de mon noie.... Elle me re- garde & dit 9 ce font deux demi fous

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468 Essai

que vous demandez ? Oui : les voilà. Je les mis fous la pièce d'un fou. Qui a le plus de valeur , lui di-je , de ce fou , ou de ces deux demi-fous ? Ah quelle pïaifanterie , me dit -elle; mais c'eft la même chofe. Il eh: vrai , lui dis-]e. Donnez - moi à préfent un fou que je veux donner a quatre petits enfants bien pauvres ; Un fou pour quatre petits enfants ? Quatre liards vaudroient mieux , ils en auroient chacun un. Vous avez raifon. Je les pofe fous les autres pièces de monnoies. II y a bien encore huit petits enfants dans une autre maifon, , mais je ne veux leur donner quun fou à partager entre eux, & cela me paroît difficile , oui très-difficile me dit-elle , car cela ne fe peut pas.... Et voilà fa tête qui travaille ; Eh bien donnons un liard pour deux enfants : oui , îui dis-je , mais chacun voudra le garder dans fa poche , ils fe querelleront. Cela eft vrai : pour- quoi n'a-t-on pas fait des demis liards

SUR LA MUSIQUE. 469

auffi ? II y en a dans mon pays, lui dis-je. Eh bien , faîtes- en venir , oui, & en attendant mettons fur la table de petits morceaux de papiers pour les remplacer.

La bonne mère fourioit pendant la leçon. Allons , mademoifelîe dis-je à fille , vous (avez la valeur des notes auiïï bien que votre maître , j'ai change' leurs noms , parcequ'iïs étoïenr trop difficiles à retenir , prenez du papiet & écrivez ce que je vais vous dicter.

La ronde s^pelle un fou , la blanche un demi-fou , & il faut deux demi-fous pour faire un fou. La noire s'apelle un îiard , il en faut deux pour un demi-fou, & quatre pour faire un fou. La croche s'apelle un demî-Iiard , il faut deux demi- îîards pour en faire un , il faut quatre demi-liards pour [faire deux liards y Se huit demi-liards pour quatre liards. Ce détail eft puérile , mais il faut qu'il le foit pour Penfant de quatre a cinq ans»

Gg3

47° Essai

Avant d'afîujectir les Ton s a des valeurs quelconques , on exerce les élèves fur l'intonation feulement , c'eft-a-dire qu'on leur fait chanter des notes avant de battre îa mefure. Je demande s'il ne feroît pas très-utile de leur apprendre ce qu'ils ne favent pas , par une chofe quils favent déjà ; c'efl-à-dire , de leur faire folfier les petits airs qu'ils favent par cœur? Je connois une jeune demoifelle (i) qui, étant obligée de partir pour la campagne, après avoir pris quelques mois de leçons, & ne lâchant guère plus que fa gamme, s'avifa fans que p rfbnne le lui eut infpiré , de folrlcr les contre-danfes qu'elle danfoit les dimanches & fêtes. De retour à Paris fon maître, très-étonné , fut loin de croire qu'elle eut perdu fon tems. Re- marquons que les premiers folfeges qu'on donne aux enfants , ne font que des notes prifes prefqu'au hafard : on leur donne %

(i) Mademoifelie de Corancé\

S V R Ï.A MUSIQUE. 47 x,

même exprès, des chants infignifiants, de peur que leur oreille ne les guident plutôt que leur intelligence. Mais ce moyen les ennuie , 8c au contraire ea leur faifant noter & foïfier d'eux-mêmes l'air qu'ils fa vent par cœur , Ôc qui leur rapelle îe plainr de la danfe, c'eft un moyen bien plus fur de les infhruire en les amufant.

La connohTance de toutes les clefs eft encore d'une très-grande difficulté pour les enfants & pour tous les élèves en mufique. Après s'être accoutumé a une clef , il en coûte prefque autant de peine pour s'accoutumer a une autre.

Clef d'ut fur la première ligne , fur la troifième y fur la quatrième ; clef de fa fur la quatrième ligne , clef de fol fur la féconde , &c. &c. II faut quinze ans pour qu'un Muficien les connoiffe toutes , & jamais également bien.

On auroit goûter îe projet d'un Muficien quipropofa l'unité de clefs. Mais

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'47 2- ' E s s a î

îe diapafon réel de chaque voix , dira-ton r celui de chaque infiniment feront con- fondus. Quel renverfement pour l'harmo- nie i Je n'en vois aucun. Suppofons qu'on adopte la clef àtfol fur ia deuxième ligne pour toutes les voix & ïes inftrumens , excepté la baffe , à laquelle je voudrois conferver fa clef de fa fur la quatrième ïïgne , ainfi que la viole qui joue fouvent avec elle. Voici alors ce qu'il faudroit faire. Clef de fol pour les deflus , les violons, hautbois ; flûtes , &c.

Clef de fol pour ïes haute-contres Se les tailles, Sa forme eut indiqué qu'elle étoit a l'octave baffe de celle du deflus, du violon &c

La clef de fa fur îa quatrième ligne, fervant à la vicie , auroit eu cette forme ou toute autre*

SUR LA MUSIQUE. 473

Cela auroît dit que ïa viole joue na- turellement l'o&ave haute de la baffe.

En foïfiant par tranfpofition , c'eft-k- dire en appelant ut , la tonique de chaque ton , je fais que l'unité de clefs , devient inutile , mais ne chantons plus par tranf- pofition ; car dans tous les cas , il vaut mieux laiïTer appercevoir à l'élève que dans tel ton il faut tant de diefes ou de bé- mols pour retrouver îa gamme naturelle. On dira que les différentes clefs marquent au jufte l'étendue ou le diapafon de cha- que voix en commençant fous la pre- mière ligne , & en finifTant au defTus de la cinquième , mais cela n'eft bon que dans les chœurs. Encore îa clef dW fur la troifième ligne ne convient guère s aux hautes-contres de l'Italie a caufe de leur étendue (i).

Quant aux récitans , îa nature ne îeur donne prefque jamais deux

474 Essai

voix femblables par leur étendue. D'ail- leurs chaque Muficien fe pique de prendre un ton au defïus de fon confrère ; les chan- teufes Italiennes & mademoifelîe Renaud brochant fur ïe tout , entonnent déjà la moitié de la triple o&ave ; il faudra 'ce- pendant bien que cela fmuTe & qu'on retourne a la nature.

Si votre élève eft d'une complexion forte , taciturne , s'il n'eft point enjoué ; il eft probable qu'il a de l'embarras, de l'engorgement au cerveau. Vous. le per- drez fi vous voulez le forcer à comprendre ; c'efi vouloir remplir le trop plein. Que faut - il dans ce cas ? ne lui rien ap- prendre ; mais enfeigner les autres en- fants devant lui , & les récompenfer à fes yeux. ïl voudra s'en mêler quelques jours ; il vous interrogera , reprendra & quittera cent fois fes occupations , & les petites impulfîons volontaires qu'il don- nera aux fibres de fon cerveau , ïe gué- riront probablement de fa maladie , &

SUR IA MUSIQUE. 475

en feront peut être un homme d'efprit, au lieu qu'une e'ducation forcée en eut fait certainement un imbécile.

47 ^ Essai

LE COMTE D'ALBERT.

Drame en deux actes , &. la fuite en un acle : par M. Semaine , de l'Académie Françaife ; re- préfenté à Fontainebleau, le 1 3 Novembre 178 6 , à Paris le 8 Février 1787.

Le fujet du Comte d'Albert m'a paru original. M. Sedaine, efl: un de ces hommes heure ufement ne's , pour qui la nature n'auroit point de charme , s'il ne la fai- fiflbit dans tous fes rapports les plus vrais; il n'adopte une fituation , que parcequ'iï efl fur qu'elle produira tel effet. Pendant les répétitions , je refpe&e Tes moindres volontés ; s'il tourne une chaife , c'eft parcequ'iï prévoit que l'actrice vue de profil , fera l'effet qu'il defîre. Mais il a peut être encore plus fenti que raifonné fes fituations.

Auffi Fa-t-on vu fondre en larmes à îa repréfentation de la fcène de Blonde! avec Richard; preuve inconteftable que

sur ia musique. 477 le fentiment le guide dans fes compofi- tions , & que la fcène mife en action le faifit lui-même autant que nous. De com- bien de fentimens, de combien de con- trafles , n'eft on pis affecte' à la fcène du deuxième acle d'Albert? C'en: par re- connoiflànce qu'un malheureux porte- clef, devient le dieu tutélaire d'une fa- mille illuftre. Un grand Seigneur fe revêt des guenilles de cet homme. Prene^mon habit , prene^ ces plats , ces ajjiettes ,* prene^ce panier, mette^ma perruque. . . . Tous ces mots les plus communs , font ennoblis par îa fituation ; avec quel art il rend fiffue de la prifon difficile ! Vous monterez trois marches, vous en défendre^ fix , au fond d'une allée obfcure ; vous trouvere^un efcalier gui tourne. Ne fembïe- t-il pas avoir mis l'efcaïier qui tourne , pour nous faire craindre qu'un vertige ne trouble le Comte d'Albert ? Prene^ tel fin de voix, baijfe^ votre tête ; creye^ être moi , vous êtes fauve. Ces mots dignes

47^ E s s a ï

de Sake/pêar, ne font jamais entendus; parceque les fpe&ateurs ne fe contien- nent point. Remarquez encore dans cette fcène, la Comteflè affilie par terre , fou- lant aux pieds un riche habit , maniant de Tes doigts délicats , les guêtres du porte- faix pour revêtir l'époux qu'elle adore. Antoine fe déshabille prefque nud devant cette dame vertueufe ; mais qu'on eft. loin de fonger à l'indécence.

Cependant à travers mille fentimens d'intérêt dont îe fpechteur eft agité ; qui le croiroit ? L'on voit dans les mêmes perfonnes , des bouches convulfivement ouvertes par le rire , pendant qu'un tor- rent de larmes femble expier ce crime in- volontaire. Remarquons d'ailleurs comme toujours fes effets les plus puiffants , font produits par de petites caufes ; il n'en: point étonnant qu'une grande caufe pro- duife un grand effet , mais le contraire étonne. Dans Richard, Blondel délivre fon Roi ; Blondel fe préfente comme un

SUR LA MUSIQUE. 47 0.

pauvre aveugle jouant du violon.

Son déferteur eft arrêté, c'eft une noce de village qui produit la catailrophe la pfus tragique , on lui fait croire a la vé- rité que c'efï la noce de Louïfe fa maî- trelTe : mais il ne l'auroit pas cru s'il n'avoit vu cette noce , & entendu les violons. C'eft un pont-neuf que Ton joue.

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Depuis que je connois le Déferteur, cet air de guinguete me fait frémir , & malgré moi je verrois à regret une noce de village fe fervir de cet air pour aller à l'édife.

Je connois une femme qui n'a plus

480 E S S A ï

voulu qu'on frapât a fa porte , depuis l'imprefTion que lui ont fait les coups de marteau , dans le Philofophc fans le /avoir , & qui pour cet effet à fait mettre une fonnette.

Antoine , du Comte d'Albert, efl ren- verfé Se fait tomber un jeune Oikcier dans la boue, la fuite de cet accident, fi commun à Paris , & qui fait fou vent rire les témoins , eft l'origine de la ter- rible fituation du fécond acte. Il y avoit, je le fais , mille autres manières de rendre Antoine reconnoiflant envers le Comte , mais celle que M. Sedaine a choiîîe , étoit celle qu'il falloit pour produire ce qu'il a produit.

Je crois cependant que cet ouvrage ne reftera pas tel qu'il eft ; on a vu avec quelle confiance M. Sedaine & moi , nous avons cherché a perfectionner le dénoue- ment de Richard : c'eft après avoir mis l'un & l'autre , plus de trente ouvrages au théâtre , que nous nous fommes cbftine's

a

SUR II MUSIQUE. 481

3 nous fervir de notre expérience, pour mettre la dernière main à cette produc- tion. Le Corme d'Albert me tourmente quoiqu'il Toit bien vu du public; la iitua- tion du fécond acte, mérite un cadre qui l'envelope d'une manière plus complette. La mufique du Comte d'Albert a été compofée très-rapidement. Dès que le poëme fut entendu , Ton me preiïa de le mettre en mufique pour pouvoir le don- ner à Fontainebleau, & il ne reftoit qu'un mois. L'ouverture eft eitimée des Mufi- ciens. Elle fait peu d'effet fur le parterre accoutumé depuis quelques tems a n'en- tendre que des contre-danfes en forme d'ouverture , toujours accompagnées de la petite flûte. Le morceau d'enfemble,

Arrêtez , eiel ! Qu'allez-vous faire l Pourquoi tuer ce malheureux ?

a perdu l'intention que je lui avois don- née. Je dois dire que la Comtefïè paroif- foit au premier a&e , fui vie d'un de fes

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4§i Essai

gens qui portoit un fac de velours ; elle alloit par conféquent à l'églife ; & pour indiquer d'avance que la ComtefTe verroit arrêter (on mari , la baffe contrainte qui accompagne tout le morceau , annonçoit la fin des offices divins par le fon des cloches.

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Cette idée , ]e le fais , auroit échapé à prefque tous les fpe&ateurs : mais dans les arts d'imagination , Fon peut parler à l'imagination feule. Lorfqu'on fe dit en écoutant de ïa bonne mufique ; je ne fais pourquoi ce morceau me fait un effet ex- traordinaire ; c'eiï effeclivement qu'il y a quelques rapports cachés qu'on ne dé- mêle pas tout de fuite.

Cependant le fac de velours fit rire a la première repréfentation , on ne le porta plus, & le morceau de mufique eft refté. La finale qui fuit auroit pu être traite'ô

SUR IA MUSIQUE. 483

iîe ma part avec un pîus grand emploi d'harmonie & de modulations, fi le tems m'eût permis d'attendre & de chercher : mais les traits répétés alternativement par le hautbois ck par le ballon : »

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Huubois, BaJJon.

ces plaintes réciproques font , je crois 7 heureufes & d'une grande fenfibilité. Le hautbois parle pour les enfants , le bafïbn pour la mère évanouie.

Je ne me fuis jamais diffimulé que chanter en déclamant , & ne point quitter la même gamme , foit affez pour faire bien. Les modulations tiennent à ïa dé- clamation autant que le chant ; ne pas changer de mode ou de ton à propos , eft une faute comme d'en changer fans nécelfité. Les Mufkiens , en général , ai- Hient trop les modulations , ils les aprou-

Hh x

4S4. É S S A t

vent fouvent fans examiner fi le fens des paroles y a conduit le compofiteur. Lorf- que j'entends an contre-fens de modu- lation, je ne puis m'empêcher de cher- cher a l'inftant de quelle manière ce contre-fens pourroit cefTer de l'être.

C'eft ainfi que Vtrnct voit un nuage ou un caillou , ces objets font les mêmes pour tout ïe monde, & peu d'hommes favent leur afïigner leur place ; c'eft pour- quoi le même fait, raconté par différentes perfonnes , devient charmant ou en- nuyeux.

Tant que le monde durera , le travail obftiné fera des favants , & l'crganîfation feule fait les artiftes de la nature.

Le duo des enfants au fécond acle ,

Quoi! mon papa f Quoi ! déjà vous quitter?

eft en contrarie avec la couleur générale de cet ade. Un ton clair , un mouvement de fîx huit, conviennent à l'enfance qui ne fe pénètre jamais vivement de la fitua-

SUR T. A MUSIQUE» 48$

tion la plus tragique , qu'en proportion de fes forces & de fbn peu de prévoyance fur l'avenir.

Le petit trio de Si! vain ,.

Venez vivre avec nous , &c.

eiî dans le genre de ce duo, quoiqu'ils ne fe refîemblent point par mélodie. Le choix du ton & du mouvement font prefque toujours indiqués par le carac- tère de la fcène ôc des paroles : mais prétendre donner defîus une théorie , ce feroit mettre de cruelles entraves au génie.

Le rithme de nos vers Français eft peu fenfible ; c'eft du fentiment des pa- roles , que le Muficien doit tirer fon mou- vement , car a moins que le Poète n'y ait fait la plus grande attention , les lon~ gués & les brèves d'un veis ne corres- pondent point à celles des vers fuivantsç & quand même la poëïïe établirait un rithme permanent, ce feroit un inconvé~

Hh 3.

486 Essai

nient d'être forcé de le fuivre : car à ïa lon- gue, je crois que le même mouvement con- tinu doit engendrer une monotonie mfou- tenabîe. J'ai dit ailleurs que le chant fy lia- Bique , continue' iur un même mouve- ment , avoit un empire puilTant fur l'ame des fpeclateurs ; mais il n'en eft pas moins vrai que fi un opéra entier étoic fait dans ce fyftême , il feroit aufïi en- nuyeux que monotone , quoique les rithmes fuiïent auiïi variés qu'ils peuvent l'être.

Je plains les Muficiens de Mtalie qui font obligés de remettre jufqu'a quatre ou cinq fois en m-ufique , îe même poëme d'Apoftolo-Zaio , ou de Métaflafio. Dès que ïe fentiment a indiqué jufte le ton, le mouvement, ek le caractère d'un air, comment fe varier ? Si l'on peut trouver deux fois la vérité pour dire une même chofe , Pune doit être préférable à l'autre.

Le duo fui van t :

Oui mon devoir de mourir.

S U R LA MUSIQUE. 487

Reprend le ftyle de i'aéce donc on étoit forti imi moment. Lts traits de chant les plus fenfibles de ce morceau , font fur les vers ;

Cher objet de ma téndrc-ffe , Quoi ! tu voudrois mourir i De ma famille fi chère Quoi ! n'es tu donc plus la mère J Qui fans toi 1* élèvera ? C'eft par toi qu'elle vivra,

îe fens eft toujours fufpendu , & marque bien l'interrogation. Dans l'allégro qui termine le même duo , Ton peut , je crois, remarquer le chant que porte le vers

Eh fque m'importe la vie?

le de'dain , la fenfibilité , le défefpoir , îà déclamation ck le ehant y font réunis. îe dernier vers

Tu vivras pour nos enfants.

êft eftropié par la valeur des notes y

488 Essai

à moins qu'on ne dife que le déchirement de l'ame , autorité quelquefois a déchi- rer les paroles, il n'y a point d'excufe.

Les Italiens qui cornpofent fur les paroles françaifes, fans connoitre la langue, commettent cette faute à chaque inftant.

J'ai dit que ks Italiens aiment trop la mufique , pour lui donner d'autres en- traves que celles de fes propres règles ; c'eft-a-dire , qu'ils font de la charmante mufique, fouvent au dépens de Iaprofodie. I/expéfience m'a convaincu que le chant détériore la langue à mefure qu'il de- vient italien. Les tournures du plus beau chant le présentent d'abord à l'imagina- tion en compofànt fur des paroles fran- çaifes ; on apperçcit enfuite des incorrec- tions dans le langage , néceffitées par la tournure de ce chant ; on les re&rfie , alors le chant n'efl plus le même , il eft , fi l'on veut, plus raproché du chant françois. Je dirai donc , que le point , l'on doit s'arrêter , ne peut être fixé que par la

SUR MUSIQUE. 489

pr^cifion de la profodie. Nous n'aurons donc jamais de mufique , dirons nous avec /. /. Roujfcau ? Nous en avons une , mais elle ne peut être abiolument celle d'un peuple qui ne parle pas notre langue. Au refte ne foyons pas plus févères que les Muficiens Italiens , même lorfqu'iîs chantent leur langue 3 Ôc notre mufique emploiera tout le luxe de la mélodie Ita- lienne & de l'harmonie des Allemands. Voyez Pair charmant de Sacchini.

Bar- ba- re a-mour ,

Il eût fallut chanter enfuite

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ty- ran des coeurs, car ty eft bref par l'ufage ; mais

.»•

^49° Essai

a plus de grâce & voilà la règle géné- rale des compofiteurs Italiens.

Dans un morceau de Chimène vous trouverez

i i ^ 1_ i » -

Et que le poignard de la hai- ne. Gluck eût -fait ( car il fa voit le français )

feF

Et que le poi- gnard de la hai- ne.

& n'eût pas appuyé fur que.

Les partitions des Italiens fourmillent de fautes de cette efpèce , ils fe corrigent cependant par un long féjour dans la ca- pitale ; alors leurs enthoufiaftes infenfés difent qu'ils fe font francifés 3 & ont gâté leur ftyle.

C'eft dès le commencement d'une car- rière brillante qu'il faudroit engager les

IUR LA MUSIQUE." 49^

compofiteurs Italiens à féjourneren France.' En nous apportant une mélodie fuave, ils auroient le tems d'apprendre à s'en fervir d'après les règles de l'art dramati- que qui s de leur aven , n'eft connu qu'à Paris. Sacchini m'a dit n'avoir fait qu'à Londres des recherches fur l'harmonie. Les derniers ouvrages de Jomelli , attef- tent qu'il ne fit un véritable emploi de fes forces harmoniques que pour plaire aux Allemands. Il ne faut pas croire cependant que l'on foit toujours à tems d'étudier & d'employer une harmonie nombreufe ; il eft un âge notre cer- veau ne nous rend plus que îe refte des idées anciennement conçues. On apper- coit bien la bonne intention de certains Muficiens , qui pour imiter les Allemands veulent donner a leurs comportions le nerf qu'ils n'ont pas. Croient-ils nous en impofer par quelques unifions chroma- tiques , ou par quelques tranfitions fubites qu'As ont faifies comme a la volée ? Non ,

49 l Essai

ils relTemblent à ce joli enfant qui croît nous faire peur parcequ'il fe groflit la voix en nous faifant la grimace. Si j'étois afTez Iieureux pour concourir félon mes de- firs aux progrès de mon art , fi je pour- vois difpofer de dix mille livres par année, pour cet objet ; j'enverois, dès-a-préfent, dix jeunes gens bien choifls dans les con- fervatoires de Naples, cinq chanteurs & cinq compofiteurs ; les premiers n'y res- teraient que deux ans , les féconds quatre. Ils apporteraient & entretiendroient à Paris cette {implicite, cette fraîcheur de chant qu'un fentiment mélancolique n'infpire que dans les pays chauds ; mais bientôt ayant refpiré l'air natal ils don- neraient des bornes à leurs imaginations exaltées.

Je reviens au Comte d'Albert.

La prière ,

O mon Dieu je vous implore ,

offre une hardiefTe que j'ai héfité dTern-

SUR LA MUSIQUE. 493

ployer ; mais mon cœur fapprouvoit , ck le pubîic l'a confirmée. C'eit lorfque la ComtefTe tombe à genoux après avoir répété ,

O mon Dieu je vous implore;

l'orcheftre joup feuï une prière fburde en contre-point d'égïife. Qu'on ne due point que c'efl mêler le facré avec le pro- fane. Eft-il rien de plus facré dans ce inonde que le véritable amour conjugal ? Avec combien plus d'avantage encore ne fe ferviroit-on pas des chants d'égïife , s'ils étoient tels qu'ils devroient être.

C'eft. par les fens que nous aimons toute chofe ; la mufîque doit contribuer à faire aimer la religion & les cérémo- nies religieufes. Mais exceptez quelques hymnes , les chants pieux ont befoin d'une réforme prefque générale. La mélodie en eft fi peu fenfible , que les organises qui les accompagnent, font prefque toujours obligés de tranfporter le chant à la bafîe ,

494 Essai

parce qu'ils ne pourroient faire qu'une mauvaife baffe fur certains chants. On n'a pas même obfervé de fe fervir des tons majeurs pour les chants d'allé greffe. Le te deum eft compofé en naineur prefqu'en- tierement ; le requiem, an contraire, eft dans un ton majeur. Il femble que Saint- Grégoire & d'autres compofiteur* du chant de l'e'glife ignoraffent l'empire du mode. Que veulent dire encore ces traîne'es de notes fur une fyllabe ? Elles ne fervent qu'à impatienter ceux qui e'coutent , ck les chantres qui les exécutent. Si l'office eft double ou triple , duplex vel triplex ; c'eft alors qu'on entend alternativement, fur les cinq voyelles , des fufées qui n'ont point de fin. Cependant fi les chants doivent être fy liabiques , comme je le penfe , c'eft fur tout dans les iêtes folemnelles qu'ils doivent être nobles , fimples, & non ornés de ces colifichets. Ce n'eft pas l'harmonifte favant qu'il faudroit charger de remplir cette tâche y

SUR LA MUSIQUE. 49 ^

plus importante qu'on ne croît pour faire révérer la religion ; c'eft aux Mufîciens qui auroient le plus de chant dans la tête , qu'il faudroit la confier. Peu de notes , un chant fimple & analogue à la chofe , fufceptibïe d'une belle bafTe ôc d'une bonne harmonie, eft ce qu'il fau* droit. Alors chacun félon fon organe, pourroit ajouter une partie de remplif- fage. L'impreffion de ces chants toujours fimples , variés & mefurés pour que l'en- femble fût plus aifé à faifir , refleroit dans î'ame des fidèles , & ils courroient dans les temples louer Dieu fans rifques d'être fatigués par une ennuieufe pfalmodie.

Nous avons des airs anciens qui pour- roient fervir de modèles aux chants reli- gieux , tel par exemple celui-ci qui , je crois , a fait impreffion fur tous ceux qui l'ont entendu.

49 6 Essai

m~^BmWïËM^m

Re- qui-em e- ter- nam do- na e-

is Do- mi- ne.

Quel homme après avoir afïîfté aux funérailles de fa femme, de fa fille, de fon ami , ne garderoit de tels chants dans fbn ame ! Cherchons , cherchons les fen- fations délicieufes , nous ne fommes heu- reux que par elles ; & jamais l'homme fènfible qui aime l'attendriffement , ne fut redoutable pour Ces femblables.

Dans le Comte d'x^lbert comme dans beaucoup d'autres pièces , efTayer de faire l'éloge de madame Duga^on , c'eft vou- loir expliquer la nature ; elle entraîne par ùs beautés Se nous force au filence. Cette femme admirable , ne fait point la mu- fique } fon chant n'eit ni Italien ni Fran- çais ,

S % K t A M U 3 I Q XJEi 497

«aïs , mais celui de la chofe. Elle m'oblige à lui enfeigner les rôles que je lui deftine , Se j'avoue que c'eft en tremblant que je lui indique mes inflexions, de peur qu'elle ne les fubfïitue à celles que lui infpire un. plus grand maître que moi. Lorsqu'un neureux inftinft favorife un individu, on doit le ïaiiïer agir. L'on ma dit cent fois que M. Garât feroit le meilleur chanteur de l'Europe , s'il favoit la mufique , Se s'il confukoit les maîtres a chanter. J'ai toujours cru qu'on fe îrompeit : 11 eft ■élève de la nature > & s'il connoifibit le danger de manquer aux règles de l'art, nous perdrions ce qu'on trouve rarement, les élans d'un heureux infimer. , pour gagner ce que l'on entend partout , les accens de convention.

En terminant ici le catalogue de mes

pièces y je pafTe feus fîience les Méprifes

par Rejfmb lance , le Prifonnier Anglais,

îe Rival Confident , Amphitrion , la Barbe

Bkue Se Afpafie ; pareequ'aucune de ces

li

"S 9? S S A f

pièces n'a été gravée & que plufieurs

n'ont pas encore été rcpréfentées.

Je m'apperçoîs (faiileurs , que les ré- flexions fur ïa mufîque , qui fe préfentoient aifément à ma penfée au commencement de cet écrit, deviennent plus rares.

C'en: donc ici que je dois finir ; car comme je l'ai dit dans favant-propos , je n'ai rapporté les époques de ma vie, je n'ai donné la lifte de mes ouvrages , que pour être conduit naturellement à ces réflexions. Je fais quelles font loin d'être épuifées ; au refte c'eft dans ce cadre que je pourrai les continuer, fi les ouvrages que je viens de citer } ôc ceux dont je m'occuperai probablement à l'avenir, m'en fourniffent les moyens.

lettons à préfent un coup d'œil fur les fûccès qu'obtient le Muficien dans la carrière du théâtre ils font tous difTérens quoique nombreux. Chaque fuccès tient à quelques circonftances qui lui font par- ticulières, & tel ouvrage qui réuffit plut

SUS. LA MUSIQUK. 499

que tel autre, ne doit pas pour cela fatif- faire autant îe compoliteur. D'où peuvent venir ces différences que le public en général n^aperçoit guère? Parce que tel fait un excellente mufique fur un mau- vais drame , ck paroît refter enfeveli fous {es ruines : cependant quoique l'ouvrage foit retiré du théâtre , la partition eft gravée , les connoifleurs apprécient l'œuvre du Muficien , & répandent fourdement fa réputation. Tel fait au contraire une mufique médiocre , tout eft imité , contourné & pofé fur une harmonie fu- perficielle. Peu de vérité dramatique , point de connoifîance du cœur humain- la gaîté y fera triflemcnt rendue , Pefprit y fera grimacier ; cependant fi cette mu- fique eft foutenue par un bon poëme, îe fuccès couronnera l'œuvre. Mais enfuite on exécute cette mufique dans les con- certs , elle paroît feule , le Poëte , l'ac^ tricc en réputation , la décoration , tout a difparu , alors îe géant devient nain k

Ii a.

r5cô E s s jl r.

Se il gémit après fes fuccès , en fe voyant méconnu des gens de l'art qui d'avance ont rayé fon nom du catalogue des bons compofkeurs ils fe croyoit inferit.

RÉCAPITULATION.

ÏI n'exifte point de livre de mufique, qui parle moins que celui-ci des règles de l'art. Un EfTai fur l'efprit de la mu- fique , ne devoit pas être un livre tech- nique ; mais cherchant à développer le fentimentmême d'un art, tel qu'il frappe fans celte les organes de l'artifte pendant fon travail , c'eft révéler le fecret qui a précédé la règle , ÔZ qui prefque toujours l'a fait naître.

C'eft après avoir ïu les Traités d'Har- monie de Tartinï , de Zarlirt , de Ra- meau , de d'Alembert , que je me fuis dit, voilà bien aiTez parler théorie ! Avant que !a pratique n'ait fait ufuge de ces règles «Se de ers immenfes calculs , il y a dequoî

SUR X A MUSIQUE. f OX

occuper les arriftes pendant pïufieurs fiècles. Puifle feulement cet amas d'éru- dition nous donner un trait de chant qui réveille une fenfation douce & con^ folante pour les âmes fenfibles.

II eft démontré cependant que les fciences mathématiques font la fource des combinaifons harmoniques & quelles donnent une valeur certaine aux fons de îa gamme en les affujettifTant à des cal- culs furs pour îa règle, s'ils font peu pour le plaifir. J'ai lu aufli 7. /. Rouf- fcau y il a dit beaucoup fans doute , & s'il eut fait autant d'opéras que d'œuvres de littératures : fes réflexions plus géné- rales, plus multipliées & appuyées de. nombreux exemples» m'eufTent difpenfd d'écrire fur mon art.

Combien de tems les hommes n'ont ils pas erré en mufique , comme dans toutes les fciences , avant d'arriver au vrai beau ; tantôt en fe livrant à une (impli- cite puérile ; tantôt à une complication

Ït 3

'yol E s a i

falîueufe & défordonnée? D'abord les chants les plus fimples , formés de quatre ou cinq notes ; ont fuffi pour exprimer la joie ou la douleur des hommes fimples & abandonnés à îa nature (i). L'art naif- fant de la mélodie s'eft enrichi ; les chants fe font multipliés à mefure que les idées phyfiques ou morales fe font dévelopées. Ecoutez chanter Phomme de la nature, fon criant fera le miroir de fon ame. Si plufieurs hommes chantent tour a tour îe même air , ils vous révèlent leur ca- ractère ; il y a des exceptions, mais elles, ae font pas pour l'homme dont je parle. Quand les hiftoires anciennes nous parlent des prodiges opérés par la mu- fique , je ne les révoque pas même en

(1) L'enfant de la nature chante fes maux Se Ces plai' iîrs ; les complaintes , les' romances nous viennent des Amants & en général des cœurs paffionnés ; il n'y a que *es âmes fîugides , qui trouvent ridicule qu'on chante tes malheurs.

SUR LA MU8ÏQUE. 503

tn doute ! Elle devoir avoir un empire abfolu fur des cœurs non corrrompus. L'homme de la nature eft. un ; îe ca- ractère de l'homme de nos jours , eft un peu de tout. La mufique des anciens , appliquoit & confervoit fcrupuleufement une mélodie & fur tout un rithme pour chaque chofe. Le peuple e'toit fur que l'on célébroit la fête de Vénus ou de Junon ïorfqu'îl entendoit les chants qui les *dé- fignoient. Chaque air faifoit une impref- fion diftin&e : chaque famille chantoic fes loix dans le fein de la retraite , & certes on ne chantoit pas de même ho-* nores les auteurs de tes jours ,• ou verfes ton fing pour la patrie.

La mélodie dut donner naiiîance à Pharmonie. On s^apperçut qu'après avoir monté fept notes, la première renaiiïbit dans îa huitième. Les favants virent des rapports entre tel ck tel fon ; l'harmonie une fois foumife au calcul , dut augmenter les progrès de la mélodie > qui ne rmr-

li 4

7-04 E S S A 1

choie qu'à Paide des nouvelles fenfatïonfc

qui l'infp ir oient.

Si nous pafîbns au fiècïe dernier, c'eft chez les Romains modernes qu'il faut voir combien la mélodie avoit encore peu de rapport avec la déclamation.

Voyez cet air de Vinci.

Artafercc de Métajlajio* Sccaa XIII * atto primo.,

Tor- na in-no- cen-te è poi tas-*

col- te- ro poi, poi , poi s' tut- to per- te- fa- ro, Voici la fin de l'air * tor- na.»

r=^-_

1er- na tas-coî* te- ic.

SUR- IA MUSIQUE. 5 O £

Que veuillent dire ces torna toma ré-^ pétés fans dire innocente ?

Dans la bouche de la Princeffe fœur- d'Arface , cet air de gigue devoit être ce que nous appelions air de fureur. Un noble courroux peut intéiefler lors même qu'il eft injufte : mais la colère non ennoblie eft toujours dégoûtante. L'op-* pofition la plus triviale étoit donc de. faire un air de danfe gaie , pour exprimer la fureur; c'eft, fi Ton veut, la colère de Polichinelle^

Les accompagnernens de ce morceau font d'ailleurs d'un fautillant & d'une gaîté incroyable. Combien cet air eft loin de vo folcando du même auteur î Dans ce dernier , le chant , & fur tout les. accompagnernens appartiennent abfolu- ment aux paroles ; c'eft le premier ta-, bleau qu'on ait fait en mufique ; c'eft le premier rayon de lumière vers la ve'rké.. Les Romains entrèrent dans un délire inexprimable, ïorfcjrn'ils entendirent pous-

5 06 Essai

la première fois cette réunion fublime des fons avec î'exprefïion jufle des pa- roles,

Vinci fut donc le premier infpiré , a ce que difent les anciens profeffeurs de Kome, & comme créateur il mérita la ftatue qu'on lui érigea dans le panthéon.

Si le génie de Vinci fentit le premier que les fons pouvoient peindre les agi- tations d'un cœur qui compare (es mou- vemens divers à ceux d'un vaiffeau. tour- menté par la tempête ,

ISair torna innocente ,

que je viens de citer , prouve qu'il n'a- voit pas fenti que la mélodie a autant de pouvoir ,. & plus encore que l'har- monie ; c'eft-à-dire , qu'elle peut des- cendre dans le fond du cœur pour y puifer ck exprimer tous les fentimens moraux, en fuivant les nuances infinies de la déclamation. Oui ; même après le chef d'œuvre dont je viens de parler ,

IUR LA MUSIQUE. 5 O 7

on ignoroic encore en Italie que la dé- clamation fut la fource de la bonne mu- fique.

Pergole^e naquit , & ïa vérité fut con- nue. L'harmonie a depuis fait des pro- grès étonnans dans fes labirinthes in- finis ; les exécutans en fe perfectionnant ont permis aux compofiteurs de déployer îa richeïïes des accompagnemens ; mais Pergolc^e n'a rien perdu ; la vérité déclamation qui conftitue fes chants eft indeftructibïe comme la nature. C^eft fans doute un malheur irréparable pour l'art que ce divin artifte ait fini fa carrière à la fleur de l'âge. Ce ne fut pas fans un plaifir extrême , que pendant mon féjour a Rome , j'appris de plufieurs Muficiens âgés , que ma taille , ma phyfionomie leur rappeloient Pergole^e, il m'apprirent que la même maladie menaçoit auffi Ces jours chaque fois qu'il fe livroit au tra- vail. M. V crnct , qui avoit connu & aimé Pcrgok^e, me confirma la même chofe a Paris,

5>o8 E S S A ï

Duni dont j'ai toujours aimé la mu* fîque , parce qu'elle me paroît fimple ,. naïve & vraie , m'a dit qu'il fortit jeune encore d'un Confervatoire de Naples ,. pour aller à Rome compofer un opéra au théâtre de Tordinona.

Pergole^e étoit cette année chargé du premier opéra , & Duni du fécond. Per- gote^e avoir, obtenu des fuccès , par con* féquent avoit des ennemis , Ton opéra ne réufïit point ; on lui jetter une orange fur la tête pendant qu'il étoit au clavecin pour couduire fon ouvrage ; ïe chagrin renouveïla fon crachement de. iàng ; il fe retira du côté de Naples chez îe Duc de Mondragona àont-i\ étoit aimé; il languit & s'éteignit doucement en compofant le Jlabat , d'autres difent un miferere.

En arrivant à Rome Duni s'étoit pré- fente à lui, en lui difant , mon maître % je ne fils quel fort m'attend , mais je fuis fur que mon ouvrage entier, ne vaut pas

SUR I A MUSIQUE. 509

fyfifeul air de voire, opéra fi. mal accueilli, Celui de Duni eut du fuccès ; celui de Pergole^e fut repris & chanté avec délices l'année fuivante fur tons les théâtres d'I-* iaïie ; mais l'ange cre'ateur étoit defeendu au tombeau.

Avant ïe régne de Pergoh\e , Lulli déjà établi à Paris , avoit quelques pref- fentimens de îa mufique déclamée \ (on. récitatif le prouve ; mais il ne fut que noter la déclamation , & non chanter en -déclamant.

Rameau lui fucceda ; il étoit moins feniible , mais plus favant & plus riche d'harmonie ] il cGnnoiiTbit la mufique des Vinci , Pcrgoleçe , Léo , Terradellas , Bu- ranello ,* mais il avoit commencé fort tard à travailler pour le théâtre ; il fut contraint de fuivre fa manière qu'il ne regardoit pas comme la meilleure.

a Si j'avois trente ans de moins , di- >j foit-il , à l'abbé Arnaud , j'irois en Italie, ?j Pergole^e feroit mon modèle ; j'aiïujer-

^ I O E « S A S

;> tirois mon harmonie à cette vérité dtf 55 déclamation qui doit être le feule guide » des Muficïens ; mais a foixante ans , p Ton fent qu'il faut relier ce que Fon *> eft. L'expérience dit afles ce qu'il fau- W droit faire , mais le génie refufe d'o-, w béir 5^.

Cet aveu ne peut être que celui d'un grand homme : en effet , Rameau fut un des plus grands harmoniftes de notre fiècle. Il fit des chœurs magnifiques, l'harmonie non-feulement *eft favante ," mais tiès - expreffive. Son monologue , triflcs apprêts , pâles flambeaux Sfc. Dans Cajlor & Pollux , eft vrai , fur-tout à l'en- droit, non non je ne verrai plus..,. Cet endroit eft digne de Pergole^e. Ses airs de danfe font variés , fort adaptés à îa chofe & fur-tout fort dânfans. Les tour- nures de fon chant on vieilli ; mais teî fera le fort de toute mélodie vague. Son harmonie fervira de modèle , parce que îe cachet du maître y eft empreint, &

SUR t A MUSIQUE.' ? I *'

que toute cxprefficn à part la bonne harmonie a un mérite réel.

L'Italie ne conférva pas long-rems îa mélodie (impie & vraie de Pergolc^e j de jour en jour elle abandonna les vrat- (èniblances dramatiques , pour faire briller fes chanteurs. Pendanr ce tems, îa France étaloit la pompe la plus brillante, dans fes opéras de Quinaut , & s'amufoit à chanter délicieufement les récitatifs de Lulli 6c de Rameau , avec toute îa pré- tention ( à la mefure près ) des airs pathétiques.

L'Allemagne de fon côté, fe fortifîoic de plus en plus des reflburces de l'har- monie. C'cft alors que les bouffons Ita- liens arrivèrent en France. Les gens de goût n'eurent qu'un cri pour approuver cette mufique expreflive & pittoresque (y). Le refte de îa nation réfifta; mais eilc fut obligée de céder à Pempire de la raifon ôc de Pennui. La France toujours accoutumée à perfectionner ce qui iu*

5* i 2, Essai

Tient de fes voïfins ; tenant îe milieu entre l'Italie & l'Allemagne i adopta la mélodie italienne qu'elle unit à l'harmo- nie allemande ; c'eft ce que Philidor exécuta dans plufieurs chefs-d'œuvres.

En arrivant à Paris je donnai (uccef- îivement le Huron , Lueile , le Tableau Parlant , Silvain ; l'Amitié à l'Épreuve y les Deux Avares, Zémire & Azor, l'Ami de la Maifon , Céphale & Procris } ïa Rofière de Saienci. Gelt a cette époque de ma carrière -, que îe Chevalier Gluck nous apporta la mafiue d Hercule dônt- il terraiîa fans retour la vieille idole fran- çaife déjà foible des coups que lui avoienf. portés les Bouffons Italiens ) enfuite Dura Philidor & Monfignu

Nous devons beaucoup , fans doute * au Chevalier Gluck pour les chefs-dœuvres dont-il a enrichi notre théâtre ; c'étoit à fon génie vraiment dramatique, qu'il fal- loit confier l'adminiitration d'un fpectacle qu'il a^oit fait renaître par fes immor^

telles

SÛR t À M'bSÏ'Q'UR 513

telles productions , & dont - il auroit maintenu fordre &c la vigueur par Tes lumières & par cette tranfcendance que donne la fupériorité des talens. C'en1 fur tout en encourageant les gens de lettres , en fe faifant remettre les difrérens poëmes qu'ils compofent, qu'il fèroit aifé à un directeur, tel que Gluck, d'occuper cha- que Muficien dans le genre qui lui eft propre. Un jeune compofiteur , un exé* cutant perdent fouvent plufieurs années , & quelque fois leur vie entière a chercher ce qui leur convient ; tandis qu'en un. ïnftant ils pourroient être fixés (1).

Je fais que la fubordination eft diffi- cile à établir parmi des fujets qui nous fubjuguent par le charme des pîaifirs , mais le peu de mérite de ceux qui les

(1) Il faudroit traiter féparément la réforme des abus de nos fpe&acles lyriques ; c'eli dequoi je m'occuperai peut-être quelque jour.

Kk

514, Essai

commandent , eft fouvent la véritable fource de leur découragement.

Si la nature eût doué Lulli du génie créateur de Gluck , de quel éclat n'eût-il pas fait briller l'opéra de Paris dès fa naif- fance , étant comblé des faveurs dire&es de Louis XIV? Mais ce Roi , ami des arts utiles ôc confolateurs , ne pouvoit mieux choiiir , puifque Lulli étoit le pre- mier Muficien de fon tems. C'eft à lui qu'il fut permis de créer une Académie royale de mufïque, dont il fut l'unique directeur.

Sans doute que dès ïors les courtifans voulurent s'emparer de l'autorité fur les fpeâacïes ; autorité funefte , qui féduit bien plus fouvent l'amateur du fexe , que celui des arts : mais que pouvoient - ils contre un artifte qui avoit l'honneur ainfi que Molière , d'approcher de fon maître pour le confuîter fur [es pîaifirs. L'on dit , je le fais , qu'il règne parmi les artiiles,trop dejaloufie, pour qu'on âoivç

SUR LA MUSIQUE. $ I $

confier à l'un d'eux un pouvoir trop étendu. Vains préjugés , vains menfonges , dont on fe fert pour éloigner l'homme de ta- lent de fa véritable place. Le Muficien médiocre une fois parvenu par ies im- portunes follicitations & fes bafTeiTes , tremblera , fans doute , a l'afpecl: des vrais talens qu'il éloignera par les dégoûts ; maïs faites choix d'un artifte dont la juile ré- putation vous réponde d'un noble défin- térerTement , dont la célébrité, ce phan- tome charmant , repouiTeroit l'envie & la cupidité fi elles ofoient le tenter; faites choix de Partifte qui , après de nombreux fuccès , aime encore à prolonger fa gloire , en éclairant les jeunes talens de fbn expérience ; faites choix de l'homme en- fin x qui a le droit de dire à f homme célèbre fon égal : votre génie a fu vous ouvrir en Italie une route nouvelle, pour arriver au vrai ; pourquoi vous perdre ** dans le chemin brillant que vous avez tracé a vos émules ; en courant après le

Kka,

5 16 Essai

genre auquel vous ne pouvez atteindre ? LaifTez ces chœurs terribles, ces airs de dan Tes dont la nature vous a caché les refîbrts ; ne privez pas l'Europe des fcènes touchantes que vous produifez fans effort. Il dira a cet autre , votre mélodie eft noble & pure ; vous ne produirez plus ces chants fuaves & pathétiques , fi vous cherchez à peindre avec trop de vérité & d'énergie. Vous , toujours correct & fier , mais n'ayant qu'un flyle infle- xible y qui ne peut fe prêter aux nuances infinies des partions , vous ne devez peindre qu'en grand , & fur des paroles d'un fens vague ; enfin Gluck m'eût dit à moi-même , la nature vous donna le chant propre à la fituation , mais c'eft aux dépens d'un harmonie plus févère & plus compliquée que ce talent vous fut donné. Ce n'efr. qu'avec des efforts qu'on parvient quelques fois avec fuccès , à fortir du genre auquel nous fommes ap - pelles ; mais le plus fouvent alors on pafîe

SUR IA MUSIQUE. $1J

îe but , ou Ton refte au-defïbus , & c'erfc commettre la même faute.

L'ignorance révolteroit i'amour-propre fi elle cherchoit à prendre ce langage ; mais îa vérité préfentée avec intérêt par l'homme inftruit, fut toujours bien reçue des vrais talens , fur - tout ïorfque pour bien remplir fa place , le.s fuccès d'autruà intérefïènt le directeur,

FIN.

Kfc 3

NOTES.

Page J. (a) Les Comtes dlJdiken , les Bla- vier , les Comtes de Bliftin , les Delchef, les Eorlez, les Orval,Ies Xhenemont, toutes famil- les nobles ou anoblies par des places honora- bles ; c'eft un des Foffés , Tréfoncier de Liège , qui fonda les Capucins de Spa , & qui leur fit don du terrein immenfe qu'ils occupent. Ils ont par reconnoifïance placé fon portrait & (es armoiries au frontifpice de leur Egîife ; & dans la place la plus évidente de leur Refe&oire {es parens ont encore le plaifîr de le voir avec l'habit de St. François ; avantage qu'on ne pou- voit trop payer.

Page 23. (b) L'on pourroit dire aux chan- teurs qui fe plaignent qu'on les accompagne trop fort : chantez bien & vous ferez bien ac- compagné. . . . Nous n'entendons point par-là juitifier les abus auxquels des orchefrres mal dirigés ne fe livrent que trop fouvent , ni infir- mer cette régie indifpenfablc, que les inftrumens en général ne doivent accompagner les voix qu'avec le demi jeu ; lequel a tous [es degrés & fç$ nuances comme le jeu plein* On doit hs

NOTES. 5-19

féntîr dans un grand chœur même, aînfi que dans une ariette^

Page 3,9. (c) Dans un moment TAdml- niftration mettant à profit les progrès des lu- mières , s'occupe des moyens de perfectionnée la Société par des changemens qui tendent au bonheur des hommes ; peut-être s'occup'era-t-on aulTi de l'éducation de la jeunefle : peut-être fen- tira-t-on qu'il eft tems d'interdire abfolument dans les Collèges & pendons toutes les puni- tions corporelles ? punitions que la Juftice civile doit feule infliger , & dont elle n'ufe même que pour des crimes d'un certain degré. Si dans pîufieurs états de l'Europe, on a tenté, & peut- être avec fuccès , d'atténuer le mal fait à la So- ciété par les grands criminels, en les livrant à des fuplices utiles à cette même Société qu'ils avoient blelTée ; ne pourroit-on pas, à plus forte raifon , rendre utile aux enfans la punition même de leurs fautes , qui d'ordinaire , ne font tort qu'à eux-mêmes? Il en eft cent moyens dans lefquels il eft inutile d'entrer ici, Obfervons feulement que ce nouveau régime des Collèges influerait auflî fur les pères & mères , qui , fur- tout chez le petit peuple , prodiguent très-in- juftement les coups à leurs enfants , & en font

Kk 4

5*20 NOTES.

fou vent de mauvais fujets ; nous avons vu & nous ne pouvons retracer cette image fans gé- mir y nous avons vu des mères fatiguées des pleurs de leurs «nfans encore à la mamelle , les frapper au point de fradurer leurs petits mem- bres , & ks rendre impotens pour le refte de leur vie.

Page 5z. (d) Le Public ne fait pas qu'if doit fouvent tous {qs plaifirs , & la parfaite exécution de nos grands Opéras les plus diffi- ciles , aux talens de deux Artiftes cachés à fes , yeux. J'ofe dire que M. Rey & M. de la Suze méritent la reconnoifîànce du public au- tant que l'Acleur le plus en évidence. Le pre- mier, impétueux & fage fuit l'acteur ou le dan- feur , en conduifant un nombreux orcheftre dont il a mérité la confiance. Il fait que tel chan- teur ou danfeur ralentira le mouvement dans tel endroit & que l'inftant après il faudra le prêt- fer pour fuivre tel autre. Les premières repé- titions d'un opéra feroient fouvent un cahosfj (es talens ou fon activité n'en éclairciffoient l'exécution. L'Auteur muficien n'a que deux mots à lui dire , & foudain (es volontés font exécutées. Cet Artifte eftimable m'a fauve mil- le fatigues que j'euffe fupporté difficilement ; & il l'cxiftencô d^s compofiteurs eft chère au pu-

NOTES. j2X

blic, c'eft à M. Rey plus qu'à leurs Médecins qu'il la doit..... Le fécond a rinfpeâion des chœurs & des acteurs lorfqu'ils font dans la cou- lifTe. L'inftant ils doivent paroître fur la fcène, le peu de minutes qu'ils ont quelquefois pour changer d'habits , il a tout calculé : l'ac- teur peut fans crainte rêver à fon rôle. M. de la Suze veille pour tout le monde. L'homme qui obtient un fuccès eft toujours l'homme qu'il ai- me : fon enthoufiafme pour le bien de la chofe eft porté au point que par les traits de fon vi- fage, on devine après la repréfentation fi tout à été au gré de (es defîrs.

Page 85. (e) Le Collège de Liège à Rome, a été fondé par un Liégois nommé Darcis , & c'eft à ce bon Fondateur que la ville de Liège doit prefque tous les bons Artiftes qu'elle a pot fédés & qu'elle poflede encore.

Tout Liégeois a le droit d'y demeurer cinq années, pourvu qu*il fe préfente avant l'âge de 30 ans ; il faut être à Liège ou dans l'en- ceinte de trois lieues aux environs de la ville: cependant le Quartier d'outre Meufe eft exclus, parce qu'il régnoit,dans le tems de la fondation* une guerre civile entre les deux Quartiers de k ville.... Ne pourroit-on. pas abolir cette

ps NOTES.

exclufïon , puifque la concorde eft rétablie? . .^ Si j'étois deux ans plus tard , j'avois part à l'exclufion.. .. Les parens du Teftateur, s'il s'en préfente , ont des prérogatives. v

Le Collège eft fitué in Piazza Monte d'Oro, viecino à fan Carlo, al Corfo....Il y a 18 cham- bres pour les étudians en droit , en Médecine Chirurgie , Mufique, Peinture, Architecture & Sculpture. *. On y eft entretenu de tout, excepté qu'il faut fe procurer (es maîtres en ville , & s'habiller en abbé JLes Liégois les plus nota- bles domiciliés à Rome, font les Provifeurs du Collège; un Prêtre Liégois en eft le Recteur & demeure dans le Collège.

Page ip8. (g) En appellant ainfî le pays de Liège, j'éprouverai fans doute des contradic- tions : l'on pourroit à plus jufte titre appelier ce pays , plus qu'aucun autre , celui des vertus & des vices. En effet dans le tems de ma jeu- neffe , la vertu syy montroit fans oftentation , & le vice fans hypocrifie. Qu'il me feroit doux de voir dans ma patrie fleurir le commerce & les arts , autant qu'il m'en paroît fufceptible par fa pofition & le génie de (es habitans ! partout environné de Nations auflî commerçantes que formidable», dont il fépare les limites , il devroit

NOTES. y2f

jouir de tous les avantages de la liberté & de la neutralité. Si FArtifte y trouvoit de l'encou- ragement , combien de têtes vigoureufes forti-, roient du petit pays de Liège !

On en peut juger par Gafpart Laireffe , fur- nommé le Raphaël Hollandois : Renekïn , inven- teur de la machine hydraulique de Marly , dans un tems cette partie de la phyfique étoit au berceau ; Démarteau , inventeur de la gra- vure à la manière du crayon ; Grand-Jean. , Oculifte & Chevalier de l'Ordre du Roi , aufll célèbre par le fuccès de Tes opérations , que par fa piété infatigable envers les pauvres ; Pafchal Taskin, Luthier du Roi,feul héritier du génie des Ruchers ; MM. de Fajjln & Des- france , dont les Tableaux acquièrent , chaque jour, un plus grand prix.

Feu le Chanoine Hamal , dont les ouvrages- en mufique ne font pas affez connus ; & fi je ne craignois de bleffer la modeftie du plus ref- pectable Magiflrat, de l'homme conftamment adoré du peuple & dont Anacharfis nous eût tranfmis les vertus s'il fût parmi les Grecs , ne citerois-je pas M. Fabry ?

Ls caractère du Liégois eft un ; il aime la vérité, & il eft inébranlable lorfqu'il croit fui- vre (es traces : mais il devient docile lorfqu'a- vec douceur on lui montre (es égaremens. Se-

3r*4 NOTES.

condé par une imagination vive & forte , îe travail le plus obftiné ne le décourage pas. Bon père , bon mari , bon fils , bon foldat ; il a reçu tous ces dons de la nature : on trouve 'le Lié- geois dans les armées de toutes les Puiflànces s mais il fera bientôt déferteur s'il n'eft pas re- connu pour le meilleur foldat de fon Régiment» Sa tête s exalte aifément pour le bien , quelque- fois pour le mal , quelquefois aufïi imbéciîle à l'excès, il fèmble qu'il n'y a que la médiocrité qui lui foit refùfée. Faut- il être furpris que par- mi ce peuple il nailTe quelquefois un monftre qui, étonnant l'Europe de (es forfaits, deshon- nore une Nation qui joint la franchife helve- tienne à Ténergie du peuple Anglois , qui at- tend avec impatience rinltrudion que les chefs de la république devroient lui faciliter. Ce monftre qui la deshonnore eft-il fi dangereux * non : il ne connoît pas l'hypocrifie ; il marche en plein jour la tête levée , & le glaive de la Juftice faura l'abattre.

Que les États de Liège ayent îa force d'être unis , non pas lorfqu'il eft queftion de leurs: droits honorifiques ou lucratifs , mais feule- ment lorfqu'il s'agit du bien public ; qu'ils fâ- chent d'une voix unanime protéger le com- merce a récompenfer publiquement le citoyen,

NOTES, ss$

homme de génie ou induftrieux ; qu'ils fâchent établir des manufactures , foit pour la tannerie* foit pour le fer , foit polir l'exploitation du charbon de terre ; dès qu'elles feront en acti- vité & en raport , qu'on en faffe la conceflion à des particuliers dignes de récompenfe , qui s'enrichiront encore en payant aux Etats rente des premiers capitaux ; que le Prince , fi connu par fa bonté & par l'amour qu'il porte à fon peuple , daigne par quelques diftindions flatteufes , engager tour-à-tour les riches mo- nafteres à fuivre cet exemple ; il ne faudra pas- cinquante ans pour voir difparoître les mafures & les haillons des hàbitans d'Outre-Meufe. Ce n'eft pas dans une note fans doute , ni par un Mufïcien que doit être traité un fujet aufli im- portant : mais il m'eft bien doux , quoiqu'éloi- gné de ma patrie depuis mon bas âge , de lui prouver que je n'ai pas cefle d'être citoyen.

Page zoS. (h) J'ai remarqué en général que les ouvrages que j'ai compofés dans la belle faifon , fe refTentent de fon influence: le Uuron9 le Tableau parlant , V Ami de la ma'ifon , la Faujfe- Magie , la Rojïe/e , Colinette à la Cour , la Caravanne & Panurge , font ceux qui me femblent avoir une certaine fraîcheur qui les dis- tingue. Si les circonstances s'y prétoient , je-

526* NOTES.

travaillerois pendant l'Eté fur un poëme aima- ble , & l'Hiver fur une pièce plus férieufe & plus intriguée. Au refte en tout tems le bon- heur dont l'Artifte joiiit , influe infiniment fur £es productions.

Page z5j. (i) Lorfque les fens font trop cal- mes , j'ai fouvent éprouvé que l'imagination fe refufe à ce qu'on veut en arracher ; il eft dan«r gereux alors d'en forcer les refïbrts : j'ai éprou- vé dans ce cas qu'il eft utile de faire un peu d'exercice , foit en fe promenant à grands pas ou en s'agitant de quelqu'autre manière ; après quoi l'on eft fouvent étonné de trouver le point jufte qui fait naître & apprécier les idées. Le contraire eft fouvent nécefîaire lorfque l'imagi- nation trop exaltée fait perdre la mefure & le jugement: alors une lecture étrangère d'un quart d'heure, une vifite dans un appartement voifin, enfin une diverfton quelconque , vous rend ce que j'ai appelle le point jufte , exempt de lan- gueur ou d'exagération.

Page zçz. ( i bis. ) On dira que Henri ne fut point un Prince remarquable par (es fentimens religieux. A quoi donc attribuer l'idée dont je parle? elle eft jufte p* "fqu'elle a réufli. Ceft

NOTE S. 5-27

peut-être par les rapports intimes qu'ont entre eux tous les fentimens honnêtes. Henri étoit bon , donc il étoit aimé de Dieu & des hom- mes.

Page 302. (h) Jamais je ne fus plus tour- menté par les changemens continuels que fai- foit l'Auteur. Dorât , fon ami, en lui critiquant la tournure de {es vers , fubftituoit fans cefîe le clinquant de l'efprit, à la fenfibilité qu'exige îa paftorale. J'avois beau dire que, fur tout dans ce genre , le mieux étoit V ennemi du bien ; cha- que jour amenoit la réforme de ce qu'on avoit fait la veille. Je me promis bien de ne jamais plus m'affocier avec des têtes légères , qui fui- vent tour-à-tour les impulfions qu'on leur doa- ne,fans favoir il faut s'arrêter.

Page 394. ( k ) La Cour ne récompenfè fouvent les talens médiocres, que parce qu'ils fa- vent mettre leur perfonne en évidence. Pendant que l'homme de mérite fe confume dans fon cabinet , l'ignorant emploie fon tems à captiver le valet qui a l'oreille du Maître ; & ce n'eft pas avec la fierté du vrai talent que l'on peut intérefler l'homme qui n'eft riche fouvent que du fruit de (çs baffetfès ; il crajnt & éloigne le

fzt NOTES»

mérite qui l'éclipferoit. O Grands de la terre \ vous n'appeliez directement à vous les hom- jnes que la renommée vous montre, renoncez a favoir la vérité , & craignez que de vils efcla- Ves ne vous fafïent commettre des injuftices , que les fîécles à venir ne vous pardonneront point. Sachez que l'ignorant porte en fon cœur une fecrete envie de fe venger des talens. J'ai vu de près le manège de l'envie. Sous le voile de l'intérêt, je me fuis vu noircir en votre pré- fence fans ofer me défendre, parce que devant vous a le refpeâ: interdit l'explication.

Page 403. (I) Je répéterai encore que le Rithmeaoù le mouvement eft fi impérieux qu'on pourroit croire avec raifon qu'il décide fouvent à lui feul de l'effet de la mufîque. Lorfqu'un mouvement eft bien faifî , bien marqué , lorfque les phrafes font bien fymmétriques ; effayons, par exemple , d'en changer l'intonation , l'effet n'eu fera pas détruit. Confervez au contraire l'in- tonation, en lui fubftituant un autre mouve- ment ; tout eft anéanti au point que l'on croira entendre un autre morceau de mufîque. La fym- métrie entre les phrafes eft néceffaire pour ren- dre la mufique danfante. Dans la mufîque vo- cale il n'eft pas açtoins utile au chant de rendre

les

NOTES. $29

les phrafes quarrées autant qu'on le peut. îî Faudroit en quelque forte au comportent , urï Prote muficien qui fe chargeât de cette eh- huïeufe analife ; de même que le Prote d'Impri- merie avertit fouvent l'homme de lettres qui , fans le favoir , a verfifié fa profe* En ajoutant , en retranchant une mefure de ritournelle , en allongeant une note portant fur une fyllabe longue , on établiroit toujours une fymmétrie que j'ai moi même quelquefois négligée* Cette attention minutieufe échape fouvent à l'Artifte qui eft entraîné par le fentiment : elle ne coûte pas moins à celui qui ne trouvant jamais le chant propre, ne travaille qu'avec des accords, Aurefte la fymmétrie entre les phrafes fera tou- jours plus exacte fi l'on évite les mouvemens vifs plusieurs mefures peuvent fe mettre dans une feule, en indiquant un mouvement plus lent.

Page 4:33. (m) Quoique l'on chante fouvent dans l'Opéra comique * l'on ne chante par tou- jours. Il y a chanter pour parler, & chanter pour chanter* Dans Ij à belle & Genrude , par exemple , lfabelle chante , quel air pur ! avec tous les accompagnemens de l'orcheitre: fa mè- re qui eft dans le pavillon , ne l'entend point* Survient Dorlis qui la tire par fa juppe,elle fait un petit cri , la mère fe levé effrayée. Il faut

LI

J5° NOTES.

que les hommes aiment Singulièrement le plai- fn*,pour fe prêter ain(î aux illuiïons théâtrales: ^s font bien; car plus de févérité détiuiroit l'art dramatique

Page 4.73. (i) En Frnnce & en Allemagne les hommes chantent 1a haute-contre, & ce n'e# pas fans peine; en Italie, ce ne font pas même les femmes > auxquelles cependant la nature ac- corde fouvent un fuperbe bas-deflus, qui fcft la véritable haute-contre, mais les maJhcureufes victimes que l'avarice & la barbarie des parens ont fait mutiler , après avoir chanté le deiTus , de- viennent bas-deffus ou haute- contre à Vàgc de trente ou quarante ans. Si Pftalïë favoit de quel ceil le relire de l'Europe voit cet attentat en- vers l'humanité, elle auroit depuis long tems reprimé cet abus horrible qui deshonore un des arts le plus noble. Je fais que l'Italie ne peut fe pafTer de mufique, ni la mufique des voix de delTus & de haute-contres ; mais les en fants de chœur font la vraie pépinière qui four- nirait à tout. Et quel mal y auroit il, quand, dans quelques états de l'Italie, on laifTeroit chan- ter les femmes fur les théâtres ? aucun. Peut-être au contraire on déracineroit deux crimes à la. fois , & qui font également contre nature.

notes. sn

Page 511. (û) M. de Lacombe fit im- primer en 175*8 , c'eft-à-dire , avant les dif- putes fur la mufique & les ouvrages qu'elles occasionnèrent, \q fpeâacle des beaux Arts i il donne les vrais principes de la bonne mufique, & indique la fource du chant dont les motifs , dit-il , font dans la déclamation.

FIN des notes.

LIj

TABLE

GÉNÉRALE DES MATIERES

Contenues dans ce volume.

A

«/*2 ccent de la langue; fon Influence fur la mufique, page 1 14 & fuiv. Définition de l'ac- cent relativement au chant , p. 159* Exem- ple , ibid & p. 16a

Accompagnement de mufique , p. 244, 245-

&yi8

ACCORD des injlriunens à cordes ; obfervations , p. 316. Trop de jufteffe y devient un dé- faut , 437

AdEliNE, ( Mademoifelîe ) A&rice de la Co- médie Italienne , 437

Albert , C le Comte d' ) drame en deux aéles , donné au Théâtre Italien , par M. Sédaine , mufique de M. Grétry , p. 476 & fuiv. , 480. Analyfe de la mufique , 481

DÈS MATIERES. 5^3

Alembert, ( d' ) réponfe plaifante que lui fit une dame , 337

Aliberti, (Théâtre ci' ) fucces que le jeune Grétry eut fur ce théâtre Ton joua les Vendangsufes , fou premier ouvrage dramat;- tique , 120 & fuiv.

Alpes ; paflage dans la chaîne des montagnes du Tiroî , p, 76 & fuiv. Comment on y fait la ramaffe fur un traîneau qui -glifle du haut de la montagne, 145*

Amant Jaloux, (Y) cité pour exemple , 45

& 4.6

Amant Jaloux , ( Y ) Comédie en trois actes de M. d'He!e,p. 365* & fuiv. Anafyfe du premier air cité en exemple, p. 370 & fuiv. examen d'autres morceaux de mufïque de la même pièce , p. 378 & fuiv. Succès de cette Comédie regardée comme modèle des pièces de ce genre, 385

Ami de la maison , ( Y ) Comédie en trois ades en vers de M. Murmontel , mile en mufique par M. Grétry , p, 269 & fuiv. Analyfe , 271 & fuiv.

Amitié à I'Epreuve , (Y ) Comédie en trois a&es, paroles de M* Favart, mufique de M. Grétry , 25-5- & fuiv.

Andjromaqub, Tragédie lyrique en trois a&ef,

53* TABLE

par M. Pitra , p. 422 & fuiv. Obfervatîons fur la mufique de cet Opéra, p. 422. Emploi diftind des infrrumens de mufique fuivant le caractère des perfonnages, 425

Anseaume , Auteur du Tableau Parlant , 2o3

& fuiv.

Arnaud , ( l'Abbé ) Ton fentiment vif & sûr en mufique., p. 170. Il rafïure M. Grétry après la mauvaife exécution de l'Opéra âes Maria- ges Samnites chez le Prince de Conti, 178

& ÎÔ4.

Artiste; combien il a d'obftacîes à vaincre, 1 & 2 Avares , ( les deux ) Opéra comique , parodes de M. Falbert, Mufique de M. Grétry, p. 2|6\ Analyfe, Ji47&fbiv.

Aucassin & Nîcolette, ou les Mœurs ami- dues, Drame en trois actes, donné aux Ita- liens par M. Sedaine,p. 395) & fuiv. Carac- tère antique de la mufique, p. 400. Remar- que fur l'emploi des genres de Mufique , & fur le choix des inflrumens que le Corn- pofiteur dramatique doit obferver, 402 & fui.

At^ENTURBS de voyage du jeune Grétry , 66

6j & fuiv.

B

Baement en musique, 262 & 2%

DES M A T I E R E S. siï

Basst. Avantages de cette partie fondamentale de -la mufique , 109 '& 110

Basse Fondamentale, igi, Obfervations à ce fujet , i£2 ôc fuiv.

Bâton du bateur de mufique ; Tes divers effets fur l'orcheftre, _ 4<? & fuiv*

Batteur de mefurê, ( Mufîcien ) quelles doi- vent être Tes qualités , Ton intelligence & la confiance qu'il doit infpirer, . 48 ~& fuiv.

Benoit XIV. Ce 'Pape fait un Règlement con-

tre l'irrévérence des Romains dans les Egli- fes , 86"

C

Car-Leau, A&eur célèbre, de h Comédie Ita- lienne à Paris , 18% £f fuiv. fp* ijj/ 'Il fait puer Yz-iiunm , & accepte le principal rôle, p. 181. Exprefiion admirable' cju'ii met dans

. le chant , & le jeu du rôle de Blaife dans l'opéra de I.ikiU , 201 & -26$

Calonn£,( M. de j Contrôîeur-Généial, 2j$

ÇAMPrNADo , kyeule de M. Grétry , r

Caravane , ( la _) Comédie lyrique eu trois actes , par M. More! de Chedeviîle , 4,26"

Carle: Vanloo , Peintre célèbre; anecdote de fon ingénuité, 288

Casau, célèbre Maître de Chapelle àRome,8y,

Ll 4

Stf TABLE

Le jeune Grétry le choifit pour apprendre , la composition \ ibii & ioo. Cefl: le feu! maître qu'il avoue , 102, Confeils que ce com- posteur donne à fon élevé , 103. Il lui fait faire pour dernier efiai jde campontion , le Magnificat en huit parties fans unifions, 106"

CèPHAXE & Progris , Tragédie en trois actes, par M. Marmontel, 330. Dialogue d'une Chan- te ufe, de l'Opéra avec l'crcheftre . au fujet de la mefure , 331 & fuiv. Changemens propofés dans la marche de cet Opéra, 332

& fuiv.

Chant, DiltinéHon du chant pour parler , & du chant pour chanter , 529

Chirurgien, compagnon de voyage du jeu- ne Grétry , à Rome , 62, Ses efpiégleries ,

63 & fuiv. , 9 s

ChoisEUL , C le Duc de ) Prote&eur des arts ,

215 & fuiv, Cimarosà , Compofiteur Italien , 213

Clairon , célèbre A&rice de la Comédie Fran-

çoife , ' 232.

Claîrval , excellent Acleur de la Comédie

Italienne, 18c , 216 , 265 &, 44I.

Clefs de la Muiîque ; embarras qu'elles cau- ient, ^71 & fuiv.

DES MATIERES. 537

Colinette A LA Cour , Comédie lyrique trois a&es, par M. de Santerre , 426

Collège fondé à Rome, pour des Liégeois,

5"2i êc fuiv. Comique ( genre ) favorable à la mufique , 13 J Compositeur dramatique , comparé au fym- phonifte , 35*3 & fuiv. Choix raifonné & ufa- ge convenable que le compofiteur doit faira des inftxumens de mufique , 404. & fuiv. Ex- tension qu'on peut .donner aux procédés du compofiteur dramatique , 413 & fuiv. réfle- xions fur l'art & les fuccès du compofiteur dramatique , 408 & fuiv.

Compositions de Mufique. Premiers efiTais fans le fecours des régies , 32

Çonfitebor , Pfaume mis en mufique par M, Grétry,qui des lors fut nommé Maître de Chapeile , place qu'il n'accepta point, 129

Contrastes, Ils font néceffaires dans les arts,

Cour , ( la ) Réflexions fur les moyens d'en obtenir les faveurs , J27 & 528

Creutz, (le Cornu;) Am.bafladeur de Suède en France, 171. Son goût & fon enthoufiaf- me pour la mufique , 220 & fuiv. Ses dif- fractions , 223 & fuiv.

^8 TABLE

D

Dar d anus , Opéra , dont la mufique efl de Rameau, i6a

Déclamation, (la) Vraie fource de la bon- ne mufique?3, <?i & 113. M. Grétry va étudier à la Comédie Françoife le chant puifé dans la déclamation â 166. Nouvelles Obfervations à ce fujet , 194 & fuiv. Exem- ples cités de la mufïque de Y Ami de la Mai- Jbrr,2.j2 & fuiv. Le vrai en mufique efr. imité de la déclamation , 282 & fuiv. Remarques fur la déclamation muficale, 413

Del Valette , Tréfoncier de Notre-Dame de. Presbourg, 5*

De profondis ? Pfaume à mettre en mufique 3

<Ji

Dérouvillê , ( Mademoifelle ) excellente Chanteufe ; fon début à la Comédie Ita- lienne , dans la FaufTe Magie , 310

Desforges ; ( M.) Auteur de Théodore Se Pau- lin en trois a<5tes , & de l'Épreuve Villageoife , comédie lyrique en deux acies , 43 1

DlTSFossés, ( Marie- Jeanne) mère de M. Gré- try, 7. Sa feniibilhé, 24 & jo. Son arri- vée à Paris , 2.52.

Devin du Village , paftorale de J> 1. P^uf-

DES MATIERES. 55*

feau, ^2(5. Fxamen de la mufique,«52'7 & fuiv. Dezaide, Compofîteur d'Opéra François , 213 D'Hfle , Auteur du Jugement de Midas , Comédie en trois acles , jouée à la Comédie Italienne, 35*3 & fuiv. De Y Amant jaloux , 3 6^ fuiv. Des frvénefnens imprévus , 388 & fuiv. Anecdotes de cet Auteur , 388 &

fuiv.

Diderot. Son fentiment en mufique , 263 &

264

Dorât, ami de M. de Pezai. Sa légèreté, 527

Dogazon , ( Madame ; célèbre Actrice de la Comédie Italienne , 496 & fuiv.

Duni , Compofîteur d'Opéras comiques Fran- çois , 1 6" 4. , 215 & 50S

Durante , célèbre Compofîteur Italien , 96 , 97

S 137

E

E muet, difficile à meltre en mufîque , ijy. Exemples, ijz&fuiv.

Education publique , (' réflexions fur F ) 710

Electre , Tragédie' lyrique , mîfe en mufîque

par M. Grétry, & qu'il n'a pas encoi;e offert

à l'Opéra , 424.

Elevé. Procédés qu'il doit fu ivre dans Qs étu~

540 TABLE

des , ioo & fuiv. Lettre de M. Gre'try far fa manière d'enfeigner la mufique à fa &ié ,

478 & fuiv,

Embarras des Riche/ïes , Comédie lyrique en

trois aéfces par M. de Santerre , 4.26

Equilibre entre la mélodie & l'harmonie, Quel en eft le jufte caradere , 307 de fuiv,

Evénemens Imprévus , Ç les ) Comédie en trois aères de M. d'Hele , 588. Remarques fur plufieurs morceaux de mufique de cette Comédie, 396 & fuiv.

Epreuve Villageoise, ( Y ) Coménij en deux ades,au Théâtre Italien, par M. Des- forges , mufique de M. Grétrv, 45 1

Eurisechio , célèbre Maître Chapelle à R.ome , 8 r

Exécution de la Mufique. Réflexions à cet égard , 09 & 100. Ses mouvemens plus ou moins ralentis fuivant les climats , 37/ & fuiv. Citation d'un pafiage de l'efprit des Joix de M. Montefquieu , qui attefte cette opinion , 577 & 378

Expression en mufi que , 260 & fuiv.

Falbert de Quings*, Auteur du Poème des

DES MATIERES. 5-41

deux Avares , 246 & 249

Familles nobles alliées à M. Grétry, y 18

Favart j Auteur de l'Amitié à l'Epreuve ,

2J5 & 258

Fausse Magie, (la ) Comédie en deux actes

par M. Marmontel, 306 & fuiv. Obferva-

tions fur la mufique de cette pièce , 307

& fuiv*

François (le) Son peu de difpofîtion pour la mufique, 336'. Son goût pour le change- ment & la plaifanterie, 737

Fugue instrumentale. Premier effai fait fans régies de composition, 32. Exemple, 33 & fuiv. Fugues que le jeune Grétry fait à Ro- me , 96 & fuiv. ,103. Marche & defTein de la fugue, 110. Exemple, ni & 112. Fu- gue employée avec fuccès dans l'Epreuve Villageoife , 432

G

Garât ; ( M. ) excellent chanteur dans les Sociétés , 407

G^liotte. Eloge de cet excellent Acteur & Chanteur de l'Opéra , 17^

Genève. Séjour du jeune Grétry dan« cette ville , 146

;42 TABLE

Gitziello , Chanteur Italien , %t6

Gluck, célèbre Composteur de mufîque théâ- trale , 140. Son genre doit il être entière- ment imi^é ? ibid & fuiv. , 212. Il tire prin- cipalement (es effets de l'harmonie , 286. Il affilie à deux répétitions de Céphale & Pro^ cris , fââf Se fuiv. Caractère de fa mufique , 33 y. Obfervations far l'air que chante Achi- le dans l'Iphigénie en Aulide, 360 & 361 ; &; fur l'air d'Orphée, qui veut fléchir les dé- mons, 3 <5 2. Il a donné le modèle du genre propre à la Tragédie lyrique , 410 ,411

412 & 512

Godefroi de Viltaneuse , ( M. ) Amateur des beaux arts , 375"

Grétry, nom d'un Hameau, 3

Grétry , ( M. ) Compofiteur de mufique. Ses titres , p. du frontifpice. Son origine , y & fuiv. Goût de Ton père & de fon ayeul , pour le violon , 6. Sa nailFance en 1741 » 7. Ac- cident de fon enfance , ibid. Sa première & tri/te expérience de mufique, 8. Ses premiè- res amours , 10. Enfant de choeur à la Col- légiale de St. Denis, n. Ses tourmens a cette école, 12 & fuiv. Il a le crâne enfoncé par la chute d'une folive, 19. Son début pour le ch:tnt à la Collégiale de St. Denis, 21 & fuiv.

DES MATIÈRES. y43 Ses fuccès , 23 & 24. Sa voix fe fatigue, & lui occafïonne un flux de fang, 27. Kégime à obferver, 29 & fuiv. Ses premiers eflais de compofition, 32 & fuiv. Leçons qu'il re- çoit de M. Rennekin, Organise , 36 & fuiv. Il eft enfeigné par M. Moreau , Maître de Mufique de St. Paul de Liège, 40. Le Cha noine Harlez l'engage d'aller à Rome, 4r & fuiv. Il compofe une méfie en mullque, 4.3. Ses re'flexions fur l'exprefîion muucale , 4 i & fuiv. On exécute fa mefîe qui eut beau- coup de fuccès & qu'on appella les Adieux du jeune Grétry qui alloit quitter Liège, fa patrie , 48. Ses obfervations fur l'exécution de la muhque , fur la conduite d'un orchef- tre , fur l'orgue , fur les effets des mouve- mens de la mefare , 49 & fuiv. Son départ de Liège , 74 & fuiv. Confeils & armes que lui donne fon ayeul , c6 & fuiv. Son voya- ge à Rome , 62 & fuiv. Un Abbé & un Chi- rurgien font Ces compagnons de route, 63. Petites aventures de voyage, 66 & fuiv. Ses remontrances à un moine fur fa manière d'exercer l'hofpitalité ,73. Sa converfation avec des Commis de Finance , 78. Son adreffe à fauver fon conducteur qui fiifoit la contre- bande , 79. Senfarions qu'il éprouve à fon

/4* TABLE

arrivée en Italie , 8 1 &. fuiv. Réflexions fuf la mufique d'Eglife , 87 & fuiv. ; & fur la mu- fique du Théâtre , 90 & fuiv. Sa maladie à Rome, p^. & fuiv. Leçon de clavecin & de compofition qu'il reçoit d'un Orgctnifte, 96 & 97. La manière qu'il contracte pour tou- cher le clavecin , 98 6k 95?. Comment il eft enfeigné par Cafali , 102 , & fuiv. Il eft pré- fenté à M. Piccini, 103. Quelle fut la récep- tion de ce Maître , 103.. Réflexions à ce fu- jet , ibid & ioy. Imitation infructueufe qu'il fait de la manière de travailler de ce com- posteur j ibid &. 106, Il reprend fon travail ordinaire & fait un Magnificat à huit parties fans unifions, ibid» Il eft reçu à l'Académie des Philarmoniques de Bologne, 107 & fuiv. Pergolefe eft le modèle auquel il s'attache , 11 y. Il tombe malade par les efforts qu'il fait dans fes premières comportions , 116. Il fe retire chez un Hcrmïte près de Rome , &: y recouvre fa fanté , & la facilité du tra- vail , 118. Réflexions adreflees aux jeunes Artiftes , ibid & fuiv. Il eft chargé de mettre en mufique deux intermèdes pour le Théâtre d'Aliberti , 120. On ne lui donne que huit jours , 121. Son fuccès , 122. Il eft demandé chez le Gouverneur pour

avoir

DES MATIÈRES. 5*4; avoir laifîe répéter un air , 123*. Un aîTaffin attente à fa vie, izé. Cette aventure n'eut pas de fuite quoique le coupable fut recon- nu, 127. Il envoyé un pfaume en mufique à Liège , & eft nommé à une place de Maître de Chapelle qu'il n'accepta point * 128 8c 129, Un Milord pour qui il avoit fait des concertos de flûte , Iuj fait une pen- fïon, 130. Remarques fur l'état aduel de la mufique Italienne , 1 3 1 & fuiv. Son retour d'Italie , 147 & fuiv. Son fejour à Genève , 14.6. Il eft préfenté à Voltaire, 14.9 & fuiv. Il remet en mufique le petit opéra ftlfabellè & Gertrude , de Favart , iy8. Leçon burles- que d'un Muficien Maître à danfer , pour fa préfenter fur le théâtre, 162. 11 vient s'établir à Paris, 163» Difficultés qu'il éprouve d'avoir un poème à mettre en mufique , 1 66. Il tra- vaille infruétueufement l'opéra des Mariages Sumnites, 177. Réuflite du Huron, 1 83 & fuiv* Voltaire lui envoyé le Baron d'Ocrante 9 Opéra comique, que les Comédiens Italiens refuferent, le croyant d'un jeune homme , 189» Succès de Lucile, ip8 & fuiv. Contradictions & fuccès de la mufique du Tableau Variant^ 208 & fuiv. Sylvain , 227. Intérêt, anecdotes, anâ- lyfe de cette pièce, 228 & fuiv. Les Deux

M m

Sî6 TABLE

Avares , 246, & fuiv. Détails fuir fa famille^ 2C2 & fuiv. U Amitié à T E preuve , 275* & fuiv. Zémire& A^or, 25*0 & fuiv. h'' Ami de la mai- Jon926$ & f. Caractère principal de fa mu- iique , 28 6. Le Magnifique , Drame en trois acles par M. Sedaine , 291. La Ro/iere de Salenci , paftorale , 302 & fuiv. La Frfw^ il/a^,ComédJe en deux actes par M. Mar- montel, 306 & fuiv. Observations fur le rhit- me de la mufîque , 312 & fuiv. Régime à ohferver par un Compofiteur de mufique , 517 & fuiv. Son entretien avec J. J. Rouf- £eau , 319 & fdiv. Jugement fur cet homme célèbre, 321 & fuiv. Examen de la mufique du Devin du Village , 326 & fuiv. Céphale & Procris , Tragédie en trois a&es , par M. MarmonteI,350 & fuiv. Çhangemens propo- fés dans la coupe de ce poëme, 332 & fuiv. Obfervations fur la mufique fuivant h$ diffé- rents caractères d&s peuples qui la cultivent, 3 3 y & fuiv. Les Mariages Samnites , par M. Durofoi, 339 & fuiv. Macroco , Drame burlef- que 9 par M. Laujon , 33.3 & fuiv. Le /«^e- 77ze/i£ de Midas , Comédie en trois aétes, par M. d'Hele , 353 & fuiv. JJ Amant Jaloux , par 3<5y & fuiv. Remarques fur le plus ou moins, de facilité qu'on éprouve dans le tra-

DES MATIERES. SAl

vail, ibid & fuiv. Les Evénement imprévus 9 Comédie du même Auteur, 3 88 & fuiv, Au- ■cajfin & Nicolette , par M. Sedaine , 399 & fuiv. Andromaque , Tragédie en trois actes , 407 & fuiv. Plan propofé pour rendre la li- berté au compofiteur dramatique, & de lui affujettir le Poëte lyrique , en faifant la mu- fîque avant les paroles , 414 , 41^ & fuiv. Colinette à la Cour , Comédie lyrique à l'O- péra ; Y Embarras des Richejfes , Comédie ly- rique; ces deux drames de M. Santerre , 426". La Caravanne, Comédie lyrique, par M. Mo« rel de Chedeville,426' & fuivant. U Épreuve Villageoife , Comédie lyrique en deux acles , donnée aux Italiens, par M. Desforges, 431» "Richard cœur de Lio/z, Comédie en trois actes, 43 8 Pamir ^e dans tljle des Lanternes , Co- médie lyrique en trois actes , par M. Morel , 449 & fuiv. Le Comte d'Albert, par M. Se- daine , 476. Les Méprijes par rejjemblance , le Prifonnier Anglois , le Rival Confident , Amphïtrion , la Barbebleue , Afpafie , 497. Réflexions fur l'art & les fuccès du Muficiea Compofiteur pour le Théâtre , 498 & fuiv. Obfervations fur les qualités propres à un Directeur de l'Opéra de Paris , y 13

& fuiv, M m 2

54g TABLE

Grétry , frère amé de l'Auteur de ces Mémoi- res* 5j2&fuiv.

^ H

Haidn , célèbre Compofiteur de mufîque inf- trumentale, 213 , 238 , 286 & fuiv. Ses (Eu- vres font un immenfe Dictionnaire de chants, le Compofiteur dramatique peut puifer fans fcrupule , 287 & 4,14

HarLez , Chanoine, grand Muficien ,24. Con- feils & encouragement qu'il donne , 41. II fait exécuter la Méfie du jeune Grétry ,47; & lui fait donner une gratification par le Chapitre de la Collégiale de St. Denis, 48

Harmonie, ( de 1' ) 214* Obfervations , 236 & fuiv. , 260 & fuiv. , 286, 307 & fuiv. , 343 & fuiv. , 407 & fuiv. , 4 12 , 461 & fuiv. , 503

Henri IV , y±6

Henri de Prusse , ( le Prince ) mot flatteur qu'il dit à l'Auteur de la mufique de Richard cœur de Lion , 1^1

Hermite , fur la montagne de Millini près de Rome , 117. Retraite de trois mois que le jeune Grétry fait dans fon hermitage , ïbld* L'air pur de cet afyle , ranime fa fanté & fon imagination, 118

DES MATIERES. y4$

Homme de lettres. Pourquoi Tes connoiffaiv. ces l'éloignent du fentiment de la mufique ,

172 & fuiv. Hospitalité mal faite par des Moines, 73 Huron , ( le ) Opéra comique , cité pour exem- ple,^. Récit & anecdotes de la repréfenta- tk^n de cet opéra, 1S3 & fuiv.

I

Imagination, Son empire dans le travail ,

Instrumens de Mufique ; de leur emploi ; exemples , 278 & fuiv. infiniment à cordes ; m.inieve de les accorder , 315*. Ohfervations, 316.& fuiv. Choix & ufage que les Com- posteurs doivent en faire, 404 & fuiv. Em- ploi diftinfl des inftrumens dans la mufique d' Andromcque , 423

Intonations. Remarques fur les divers fens que préfentent les intonations, 280 & fuiv.

Iomelli ,Compofiteur Italien, 491

Isabelle & Gertrude , Opéra Comique, re- mis en mufique par M. Grétry étant à Ge- nève , 158

Italie. Senfations que fait éprouver la vue de ce beau pays , 81 & fuiv»

"m 3

S$o TABLE

Italien , lmpofleur 3 2 1 6 & fuiv.

Italiens , Compofiteurs ; leur foiblefle dans la fcience de Pharmomie , 489 & fuiv.

Jugement de Midas , ( le ) Comédie en trois a&es, par M. d'Hele , 373 & fuiv. ; c'eft une fctire de l'ancienne mufique Françoife , 3^8

& fuiv

Lacombe , ( M.) 2£2. Auteur du Spectacle des beaux Arts , imprimé en 1738, yji

Laguerre, ( Mademoifelle ) Chanteufe célèbre à l'Opéra , 424.

La Houssaye , premier violon de la Corné- dîe Italienne, 47

Lainez , Acleur de l'Opéra , 424

Lais , célèbre Acteur & Chanteur de l'Opéra ,

45*3 & fuiv.

Larivée, célèbre Acteur de l'Opéra, 42$

La Ruette , ( Madame) excellente Aclrice &

Chanteufe de la Comédie Italienne , i8y &

216

La Ruette , ( M. ) bon Pantomine & Acleur

de la Comédie Italienne , 185

Laujeon , ^Uiteur de Matroco , Drame burie£-

DES MATIERES, 571 que en qur.'.re acles & en vers , donné à la Comédie Italienne , 345 & fuiv.

Lebel , premier violon de la Comédie Italien- ne , 184. Le Clerc , bon Muficien de Liège , 20 Le Vasseur , ( M. ) Auteur de la partie lyri- que ou de la vérification de V Amunt Jaloux

Le Vasseur, ( Mademoilie ) Actrice de l'O- péra , 424

Liège, Caractère des Kabitans de ce pays ; fia- biles hommes qu'il a produits dans les arts ,

722 & J23

Lucile , Opéra comique ; récit & anecdotes concermnt cet ouvrage qui eut beaucoup de fuccès , 108. Forttine du quatuor, oit peut on être mieux , 199. Analyfe raiTonnée du mo- nologue de Blaife, 202 & fuiv.

Lulli , ancien Composteur François , 376 &

Lustmni , Maître de Chapelle à Rome , 8y. NobleflTe de Ton ftyie muficai , 86

M

Magnifique , ( le ) Drame en trois actes , donné au Théâtre Italien } pai Tsu Sedaine- ,

M m *

Jjtt TABLE

291 & fuiv. Réflexions, analyf:, anecdote de la rofe , 292 & fuiv.

Magnificat. Pfaume mis en mufîque à huit parties fans unifions , 106

Maître de Mufîque de la Collégiale de St.

Denis de Liège, 14. Ses cruautés envers fes

. jeunes élèves, ibid & fuiv.

Maîtres de Mufiqua & autres ; qu'elles doi- vent être leurs principales qualités, 38 & 39

Mariage d'Antonio, ( le ) Comédie en un aère, donnée aux Italiens , mife en mufîque par Mademoifelle Grétry , époufe de M. Ma- rin , 457 & fuiv. Lettre de M. Grétry au Journal de Paris , ibid & fuiv,

Mariages Samnites j titre du premier Ou- vrage que M. Grétry mit en mufîque, 170, XjC même Sujet traité par M. du Rofoy , 339 &. fuiv. Son peu de fuccès , 340 & fuiv.

Marin, ( Madame) fille de" M. Grétry, Auteur de la mufîque du Mariage d'Antonio, Co- médie en un acle , 45"6

Marmontel , ( M. ) Il arrange le fujet du Huron , tiré du Roman de l'Ingénu , Soi & fuiv. Auteur du Poëme de Lu- file , 198 & fuiv. De Sylvain , 227. De Zémire & Az^or , 2$$ & fuiv. De X /hnï d&

DES MATIERES. j|3

la Mai/on , 269 & fuiv. De la Fauffe Ma-< gie , 306 & fuiv. De Cephale & Procris , Opéra en trois actes, 330 & fuiv. Change- mens propofés dans cet Opéra, 332 & fuiv. Facilité de ce Poëte pour adapter des paro- les à une mufique donnée, 414 & 4.15*

Martini , ( le Père ) céiébre Compofiteur de l'Académie des Philharmoniques de Bologne ,

108

JVÏatrûco j Drame burlefque en quatre ades & en vers par M. Laujeon, 34,3 & fuiv. Exem- ple d'un Vaudeville employé dans l'ouver- ture , 344. & fuiv. Remarques fur les diffi- cultés de mufique propre à ce genre, 347. ci Lotion de la marche finale de cette pièce ,

349 & fuiv.

Mélodie , ( de la ) 21 4, Obfervations , 237 & fuiv. , 260 & fuiv, , 307 ôç fuiv.. , 343 & fuiv., 461 & fuiv., 5*03 & fuiv.

Mémoires. Dans quelles vues ils ont été com- pofés , 2 & fuiv. , 500 & fuiv.

Menageot, Peintre, Auteur du beau Tableau de la mort de Léonard de Vinci , 15*8

Mi-.sse en Mufique. Un des premiers effais de l'Auteur avant d'aller à Rome, 43 & 44

574 TABLE

Mesure. Obfervations fur l'effet de {es divers mouvemens, y 3 & fuiv.

Modulation , 262

Mœurs. Obfervations fur les mœurs aclueiles ,

211

Monotonie ; combien elle eft infuportabîe fur tout en mufîque, y 2 & fuiv.

Monsigni , Compofiteur d'Opéras François ,

16%, 169 & 213

Moreau , Maître de Mufîque de Su Paul de Liège , 40. Il examine une Aîefle en mufîque de fon élève, & ne peut fe détendre d'un fen- tîment de jalouse , 45 & 4.4

Morel de Chedeville , ( M. ) Auteur des poëmes de la Caravane , 426. De Panurge dans rljîe des Lanternes , 4.49. T¥Afpajie , 497

Motet- en chœur à quatre parties. Premier effai fait fans régies de composition , 32 & fuiv.

Musiciens exécutants. Torts qu'ils ont d'ajou- ter des notes de caprice en accompagnant,

4.7

Musique, ( réflexions fur la ) I & fuiv. Prirv cipal objet de la mufîque 44.. Idée qu'on doit avoir de l'imitation des effets Pnyuquès , ibid & fuiv. Exemples tirés du Huron , du TaV bkau parlant ) Tom-Jenes , de Y Amant ja-

DES MATIERES. 55-5-

loux , 43* & fuiv. Cara^ere changeant de la mufique 113. Mufique théâtrale des Italiens, iji & fuiv. Exemples d'anciens chants Ita- liens,!^. Quaftion fur la manière de fentir en mufique, 172 & fuiv. La mufique fouvent méconnoiffable en pafTant du piano , dans un orcheftre & fur le théâtre , 270 & fuiv. La mufique peut elle couvrir les défauts de la poëiie? 296 & fuiv. Les vers confidérés dans leurs raports avec la mufique , 297 & fuiv» La mufique confidérée chez les difFérens peu- ples qui l'a cultivent, 3 3 y & fuiv. Plan pro- pofé de mettre la mufique en paroles, au lieu de mettre des paroles en mufique, 414 & fuiv. Obfervations fur l'ancienne mufique Fran- çoife , 427 & fuiv.

Musique d'Eglife. Obfervations fur fon ftyle & fon caractère, 87 & fuiv. Comparaifon de cette mufique avec celle du Théâtre , 90 & fuiv. Obfervations fur le genre propre à cette mufique , ' 261 & fuiv.

Musique de Concert, 261 & 262. Les Œuvres d'Haidn en fournirent abondamment , 2S6

&*87

S;6 TABLE.

o

Op&rà de Paris. Qualités nécefTaires a un Directeur de ce Spectacle pour le foutenir & l'enrichir , J13 & fuiv.

Opéras Italiens , repréfentés à Liège, l'Au- teur prit un goût paffionné pour la mufique ,

21

Orgue. Réflexions fur les moyens de perfec- tionner ce grand instrument. fi & fuiv,

Oprante , ( le Baron d' ) Opéra comique de Voltaire, 189

Ouvrages diftingués par la fraîcheur des idées»

P

Paesiello , Compofiteur Italien , 213

Panurge dans flfle des Lanternes , Comédie lyrique en trois ac~r.es par M. Morel de Che- deville, 440 .• Propofée pour modèle du gen- re entièrement comique ., ibid & fuiv, Ana- Jyfe , ibid

Parade. Obfervations fur la manière de ren- dre ce genre en mufique fans trivialité, 210

Pergolese. Excellence de fa mufique, 46. Ob-^ fervations fur le Stabat de ce célèbre Corn-

DES MATIER ES. yjy

polïteur , SB & fuiv. L'Auteur le choifît pour modèle ,113 &. 196. Le début du jîabat fuit les modulations des folies d'Ef- pagne , 383*. Obfervations fur le génie de ce Compofîteur , joy

Pezai , ( M. de ) Auteur de la Rofiere de Sa- Ienci , paftorale , 303 & fuiv. 5527.

Philarmoniques de Bologne,, (Académie des) Réception de l'Auteur dans cette Société,

108

Philidor , Compofîteur François, 163. Son zèle généreux à procurer un poème, 167. Grand Harmonifte , ' 212

Philippe , Aéteur de la Comédie Italienne ; fon zèle & (es fuccès, 340 & fuiv.

Picini, célèbre Compofîteur Italien, 103. Le jeune Grétry lui eft préfenté , & affifte à fon travail, 104. Réflexions fur l'encouragement qu'un grand homme peut donner à un élève timide, ibïd & ioj. Eloge que fait Aï. Pic- cini du premier ouvrage dramatique donné par M. Grétry fur le théâtre d'Alberti ; 128. îl eft renommé pour la tendre & belle expreffion idéale , 213

Pitra ,(M.) Auteur des paroles d'Androm;-:- que , 4,22 & fuiv%

fS8 TABLE

Poésie confédérée dans (es raports avec la mu- fique , 295" & fuiv.

Poète dramatique. Comment un Compofiteur adroit peut mafquer les défauts de (es vers , $2. Procédés nouveaux propofés dans la compofition du Drame lyrique, 416 & fuiv.

Ponctuation de la mufique. Remarques , 282. Exemples, 283 & 284

Prosodie , ( la ) confédérée par raport à la mufique, 131 & fuiv.

R

Ramasse, ( la ) Defcente rapide fur un traî- neau lancé du haut d'une montagne des Al- pes , 14$

Rameau, Compofiteur d'Opéras François, 164-,

31J , 505? & fuiv.

Raulet , ( le Bailli du ) Auteur de la réduc- tion tflphigénie en Aulide pour l'Opéra ,4.11

Rebel & Francgeur , Surintendans de la mu- fique du Roi , 27 <5

Récapitulation du plan & des vues de ces Mémoires, yoo & fuiv.

Réflexions morales fur l'Amour paternel & l'Amour filial ? 60 & fuiv.

DES MATIERES. yr*

Régime à obferver pour un flux de fang , 20

& fuiv. Rem A cle, conducteur des jeunes Liégeois en

Italie, 57 & fuiv. Il fait la contrebande, 77.

AdrelTe pour lui fauver la vifite des Commis ,

19

Uenaud , ( Mademoifelle ) Adrïce de la Co- médie Italienne , excellente Chanteufe , 257

Rennekin , célèbre Organise de St. Pierre à Liège, 35* & fuiv. Encouragement qu'il don- ne à fon élève, 42

Rsy , C M. ) profond Muficien à la tête de for- cheftre de l'Opéra de Paris , 5*20

Rhitme ou mouvement muiîcal. Observations, expériences, 312 & fuiv., 5-28 & fuiv.

Richard cœur de lion, Comédie en trois ac- tes par M. Sedaine , 438 & fuiv. Anaîyfe de la mufîque , 442 & fuiv. Heureux change- ment du dénoument , 447. Succès foutenu de cette pièce, 448

Rithjvîometre ; infiniment propre à déter- miner les mouvemcns en mufîque , 377 &

fuiv.

Romance de Richard cceur de lion ,439 & fuiv. Combien de fois repétée avec inten- tion dans le cours de la pièce, 444 & fuiv.

f6ô TABLE

RoSALiES. Tournures muficales employées dans l'ancien chant ,364. Exemple, ibid

Rosière de Salenci , Comédie paftorale de M. de Pe2ai , 302 & fuiv. Analyfe de quelques morceaux de la mufique , 303 &. fuiv.

Rousseau, C Jean-Jacques ) 315". Son entre- tien avec l'Auteur de ces mémoires a 3 1 9 flc fuiv. Idée de fon caractère & de (es qualités morales, 320 & fuiv. Examen de fon Devin du Village ,325 , & fuiv. Anecdote des mu- siciens de l'Opéra qui voulurent fe venger de RoufTeau, 32p. Jugement de (es écrits fur la mufique , yoi

Sacchini, Compofïteur Italien, 213. Carafe

re de fa mufique, 286 & 336'. Examen de

fon air barbare amour , 4.89

Saison favorable aux productions du génie ,

y2y & fuiv.

Santerre , ( M. ) Auteur des opéras de Co^

linette à la Cour, de l'Embarras des richeffes ,

426

Savetier Philofophe, (le) titre d'un Opérai comique de madame Cramer > 1 jo

Sedaine , ( M. ) Auteur du Magnifique à la

Comédie

DES MATIERES. ;£i

Comédie Italienne , 25} i. Singularite's mufica- les dans l'ouverture de cette pièce, 292. Re- marques ilir l'emploi de l'air de Henri IV , ibid. Difficultés à furmonter en mettant (es paroles en mufîque , 294 & fuiv. Aucafjin & Nicolette , Drame en trois actes du même Au- teur , 309 & fuiv. Richard cœur de lion y Comédie en trois actes, 43 S. Le Comte d 'Al- bert , 476. Amphitrion , la Barbe bleue , 497

Seigneur bienfaifant, ( le ) Comédie lyrique , les paroles de M. Rochon de Chabane , la mufîque de M. Floquet , 4.29

Servante MaîtrefTe, f la J Opéra de Pergo- \e(e cité en exemple, 46

Silvain , poëme de M. Marmontel , Mufîque de M. Grétry , 227. Réflexions, anecdotes, analyfe, 228 & fuiv*

Spectacle. Le Prince Evêque de Liège & le Clergé îont dans l'ufage cTafîîûer au Spec* tacle , 14

Suard. ( M. ) Jugement favorable qu'il porte. des talens de l'Auteur de ces Mémoires , 170. Il a un fentiment vrai de la mufique ,

Nn

c6a TABLE

171. Il procure la connoiffance de M. d'Hela , Auteur de plufieurs bonnes Comédies , 35*4

SUZe. ( M. de îa ) Son zèle & Tes connoiflan- ces pour conduire les chœurs & les Acteurs de l'Opéra de Paris , J20 & y 2 1

Symphonies. Premiers effais qui méritèrent à l'Auteur les moyens d'aller faire des études à Rome , 41 & fuiv.

Symphoniste , comparé au compofiteur dra- matique , 3J"3 & fuiv.

T

Tableau parlant , ( le ) Opéra comique cité pour exemple , 45*. Compofîtion mulicale de cette parade charmante , 2 1 o & fuiv. Analyfe & anecdotes de cet Ouvrage, 21 £

2[apr ay , ( M. ) excellent Maître de modulation ,

Terradellas , célèbre Compofiteur Efpagnol , I i 3. Son air tremate , moftri di crudelta , ren- ferme tout ce qui constitue le vrai beau en mufique, 117

Théodore & Paulin , Comédie lyrique en trois actes par M. Desforges , ££ 1

DES MATIERES. j-6*}

Tirol , ( femmes du ) dans les Alpes. Leur

portrait, 76

ToM-Jones , Opéra comique , cité pour exem- pie, 47

Tragédie , moins favorable pour la mufique que le comique* 135*. Remarques fur le genre de mufîque propre à la Tragédie, 140 & fuiv. Projet d'une Tragédie lyrique le dialo- gue feroit parlé, 148, Comment le genre Tragique pourroit être traité en mufîque , 407 & fuiv. Procédés nouveaux propofés au Poëte & au Mufîcien , ^16 Se fuiv*

Trial , Directeur de l'Opéra , 177

ffilAË , Acteur de la Comédie Italienne ; fon

zèle infatigable , 2J7

Tronchik , Médecin, (qs confeils qui ne font pas iuivis, 28 & 29

Tuyaux d'Orgue. ( gros ) Propofés pour gui- der les choeurs des Opéras , yi

Vaudevilles. Ces airs font fufceptibles d'un* belle baffe & d'une bonne harmonie , 3^.3 Se

Nu

$6$ TABLE

fuiv. Exemple d'un Vaudeville employé dans j Couverture de Matroco , 344 & fuiv.

VernÈt , Peintre très-célébre , & grand con- noiCTeur en mufique , 173,

Vinci , Compofîteur Italien. Examen d'un de (es airs , 5-04 & fuiv.

Voix. Réfbxions fur les différences des voix,

Voltaire , 14^. Lettre que lui écrit M. Gré- try étant à Genève , I48. Invitation & bon accueil que ce grand homme fait au jeune Muficien, 2 ^9 & fuiv. Délices de fa demeu- re, & de fa préfence, 15*4 & fuiv. Sa grande fenfîbilité jufKfiée , i$6. Ses adieux, 163. Son avis fur les grands talents, 288

Wixssb, célèbre Maître de Flûte à Genève,

130 & 146

Voyage à Rome, 62 & fuiv. Retour d'Italie par le Mont Cenis , 143. Singularité d'un Baron Allemand , ïbid& 144.. Séjour à Genè- ve, 146.

Zémire. & Azor, pièce en vers libres par AL Marmontel , ££$ & fuiv. Analyfe , 263

DES MATIERES f6$

& fuiv. Succès de cette pièce , 266 & fuiv. Cette Opéra joué en trois langues , le même jour à une foire en Allemagne, a6j

FIN de la Tabk.

APPROBATION.

J ' A 1 lu par ordre de Monfeigneur le Garde- dès-Sceaux , un Ouvrage intitulé , Mémoires ou Effai Jur la Mujîque , par M. GrÉTRY , & je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en em- pêcher l'impreffion. A Paris , le 8 Décembre 1788, Suard.

PRIVILEGE.

L-jOUÏS, TAR LA «TRACE Ot DlEW.Rot DE FKANC* K* DE NAY4- F»f. : A nos aniés * féaux Confrllerj , les Gens tenans no* Cour» de Piile- iveu, Maitrei dei Reovct«s "tdinaires de notre Hôtel , Grand Co.ifeil , Prevot 4e Jaris, BjuCj, Scuichac» , ItUfl }Jt revint Ciùls il fc.tr «s ao< Jt ftic'ytrt «p'S

•ppat-tiendra ; SAMJT. Netrt amé le Sieur GBETRY , Nom a fiiit «pofer mH déiîreroir faire imprimer Se donner au PuSIic , fts Mémoire ou Efeii fur la Ma- nque i s'A nous plaifok lai accorder nos Lettres de Permiflion pour ce néced'aires. A CEI CAUSES, voulant favorablement traiter iferpofant, nous lui avons permit & permettons par ces Préfentes , de taire imprimer ledit Ouvrage autant de foi» epie bon lui fcmblera , Se de le vendre , taire velulte & débiter par tout îotre Royau- me , Voulou* cju'il joiiifle de l'effet du préfent Privilège , pour lui 5r fes hoirs à perpétuité, pourvu qu'il ne rétrocède à perfonne; & fi cependatst il jugeoit à pro- pos d'en faire une ceflion , l'afle qui la contiendra fera enrégiftré en la Chambre Syndicale de Pari» , à peine de nullité , tînt du Privilège que de la Ceflion , * alors , par le fait feul de la Ceflion enrégiftréc , la durcé du préleat Privilège fera. réduite à celle de l'Expofant , ou à eelle de dix années, à compter de ce jour. fi l'Enpolant décède avant l'expiration defdltcs dix années 5 le tout conformément aux article» IV & V de l'Arrêt du Coufeil du jo Août 1777, portant Règlement tur la dorée dr» Privilège en Librairie. Faifons défenfes à tous Imprimeurs , ZJbraires , Se autres perfemnes de quelque qualité & condition qu'elles foient . J'en introduire d'impreûjon étrangère dan» aucun lieu de notre obéiflance; comme •nffi d'imprimer ou faire imprimer; veudre ou de fzire vendre, débiter ni contre- faire ledit Ouvrage fou» quelque prétexte que ce puiffe être , fans la permiflion «SprelTe & par écrii dudit Eïpofant , ou de celui qui le repréfentera , a peine de laific S: «onfifcatiem des exemplaires contrefaits.de fis milie livres d'amende qui ne pourra être modérée pour la première foi» , de pareille amende Se de déchennee d'état en cas de récidive, & de tous dépens , dommages & inttres .conformément, a l'Arrêt du Confeil du jo Août 1777. concernant les contrefaçons : A la chari>« «jt;e cts Préfrnie» feront enregiftrées tout au long fur le Regiftre de la Commu- liauté de» Imprimeurs Se Libraires de Paris, dans (rois mois de la date d'icelles ; <jue l'impreflion dudit Ouvrage fera faite dans notre Royaume Se non ailleurs , en bon papier & beaux caractères ; conformémenu aux Règlement de la Librairie, à pe:ne de déchéance du préfent Privilège; qu'avant l'cxpofer en vent le Manuf- cric qui aura fervi de copie à l'in-piefCon dudit Ouvrage , fera remis dan» le «néme état l'Approbation aura été donnée, es mains de notre très-cher & féal Chevalier Garde. dès-Sceaux' de France, le fieur BaheNTIN ; qu'il en fera enfui te »cmis deux Exemplaires dans noire Bibliothèque publique , un dans celle de notre Château du Louvre , un dans celle de notre très- cher & féal Chevalier , Chance lter de France, le fieur DE MAVPEOU.&un dans celle dudit fieur EAREN- T]N ; le tout t peine de nullité des Prclente» ; du contenu defquelles vous mandons & enjoignons de taire jouir ledit Expol'ant Se fe» hoir» pleinement Se paisiblement , fans louffrir qu'il leur loit fait aucun trouble eu empêchement. Voulou» qu'à la copie des Préfentes qui fera imprimée tout au long au commen- cement ou à la fin dudit Ouvrage , loit tenue pour duement fig.uriée , & q.i'aux copies collaiiennées par l'un de nos amés & feaux Conleillcrs-Seerétaiies , foi foit ajoutée comme à l'original. Commandons au premier notre Huiffier ou Sergcn; fur ce requis, de faire pour l'exécution d'Tccllcs , tou» actes requis & nécetfaire», fans demander autre permiflion , Se nonobftant clameur de haro, charte normande, te lettres à ce contraires; CAR tel elt notre plaifir. DoKJJE' à Verfailles , le 31 on- du mois de Décembre, l'a» de grâce mil fept cent quatre-vingt-huit , U it no.rt Règne le quinzième. Par le j Roi «n 10.1 Uu.iù.l. LE. BEGUE.

ERRA TA.

* A G E 8 , ligne 7, ma grand'mere , ajoute^ maternelle. Page 15, /igfle i, après cz qui me flattoit le plus,

/i/èç c'étoit d'y voir toute la Troupe Italienne ,

femmes & hommes ; car chacun d'eux me tegardoit

comme (on. Élevé. Page 3 o , ligne dernière , un , life^ , une. Page 37, ligne 3, Oui, Monfieur , ne pourriez,

Ufei Oui. Ne pourriez. Page 46 , ligne 4 , Léonore , life^ Ifabelle. ' Page 61 , ligne 7, donnée , lije^ donné. Page y 3 , <%•.<: ■) , ce que vaut , life- ce que veut. Page 97 , ligne 2, , dans celle , lïfe\ dans celles. Page 117, ligne 4, ce beau morceau, lifeç ce morceau Page 172 , ligne dernière de la Mujïque , <zv.z/2£ /<z féconde

note , mette^ un diefe au lieu d'un biquarre. Page 170, ligne 3, fut le fujet , life^ furent le fujet. Page 179 , ligne 1 5 , cet honnête Artifte, life^ cet Arrifte

diftingué. Page 196, ligne anté-pênultieme , d'un Public, Sec. lifeç_

de cette partie du Public qui , dans la jouiiTance

même de ces plaifirs , aime à pouvoir s'éciairer du

flambeau de la raifon. Page 23 j , ligne 6, celle life^ celles. Page 144 , ligne 9 , travaillé , life^ travaillé*".' Page 287 , ligne anté- pénultième , vocale , li/e^ vocal. Page 288, ligne 3 , muficale , l\fe\ mufical. Page 319, ligne 4, celle, Hfe[ celles. Page 352, ligne 2 , croioyent , life^ croyoient.

t

Page 388, ligne n, après à la fleur de l'âge, &c;

ïifi% un des hommes qui avoient le plus du juftefle

dans leurs idées , & qui échircirToient le mieux celles

des autres. Page 391, ligne '3 , il étoit peu de chofe, &c. lifeç

il y avoir peu de chofts qu'il ne pût porter à leur

perfection, ou du moins en fuggérer les moyens. Page 394, ligne 3 , fi la dernière période. . . eût été

reculée , lifc^ fi le dernier pétiode. . . eût été reculé. Page 406, ligne pénultième , qu'ils ne défireroient plus. ,

life^ qu'ils défireroient de ne plus. Page 40S , ligne j , jufqu'au traître , lifeç jufqn'au

fcélérat. Page 429, ligne 8, açcefïbir, life^ acceffoire. Page 439, ligne 10, comme fi en Mnfique , &cc. life-±

comme fi elle eût été le feul morceau en Mufique

dans l'Ouvrage. Page 457 , ligne 6 , analogue , life^ analogues. Page 496, ligne 9, cherchons, &c. life^ ne cherchons

point à écarter de notre ame des fenfations dou-

loureufes , mais tendres. Eiles peuvent alléger le

poids des plus grands maux ; & d'ailleurs jamais

l'homme qui aime à s'attendrir, ne fut à craindre

pour fes femblables, Page 519, ligne ?i, la Juftice civile doit feul infliger,

& dont, lifi{ la Loi doit feul infliger aux citoyens,

& dont, &c. Page 530, ligne 19, un des Arts le plus noble, lifer

un deArts les plus nobles.

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