,T^J^'i^-V .'■■,■. MÉMOIRES Z) £ L'ACADÉMIE, PRIX DE 1778. % ^.yoi. p. u . MÉMOIRES SUR LES QUESTIONS PROPOSÉES PAR L'ACADÉMIE IMPÉRIALE ET ROYALE DES SCIENCES ET BELLES-LETTRES D E IL U X E L I. E St QUI ONT REMPORTÉ LES PRIX EN M. DCC. LXXVIII. A BRUXELLES, DE L'IMPRIMER.IE ACADÉMIQUE, M. DCC. LXXIX. "-i^aL.»:-!. V^'^ TI ^^. Cl- MÉMOIRE . Sur la Quejîion hiftorique propofée par l' Aca- démie Impériale & Royale des Sciences à Belles-Lettres de Bruxelles en lyy^; relatif vement aux principales Expéditions ou Emigra- tions des Belges dans les pays lointains ; auquel cette Académie a décerné le Prix en 1778. PAR M. LE MARQUIS DU CHASTELER. ssKMSeif Redit in tumidas naufraga puppis aquas. AI M É..:,„M O I R E s U R L A QUESTION HISTORIQUE, Propofée par l'Académie Impériale & Royale ; pour l'année lyyS. ARGUMENT. Le fujet propofé y confijle à donner un précis des principales Expéditions ou Emigrations des ^^ Belges dans Les Pays lointains , depuis les temps les plus reculés. jujques & compris celui des Croifades ; & à examiner quelle a été l'in- fluence de ces Expéditions J'urUes mœurs & fur le caractère national. C _^/ETTE Queftion embrafle quatre époques ; la pre- mière , qu'on peut appeller Gauloife , comprend les temps antérieurs à la foumiffion des Gaules aux Ro- mains. A-ij 4 P RIX DE 1778. La féconde , qu'on peut appeller Romaine , com- mence à la conquête des Romains , & finit avec leur domination. La troifieme , qu'on peut appeller Françoife , eft celle qui s'eft écoulée depuis l'expulfion des Romains, jufque vers la fin du règne des Carlovingiens. La quatrième , qu'on peut appeller féodale , efl par- ticulièrement intérelTante par la formation des diffé- rens états , dont les Pays-Bas font encore aujourd'hui compofés. Chaque époque offre deux objets, qui diviferont ce Mémoire en deux parties ; l'une fera deftinée à tracer un précis hiftorique des Expéditions & des Emi- grations des Belges dans les pays lointains ; l'autre fera confacrée à examiner quelle a été l'influence de ces ex- péditions fur les mœurs & le caraftere national. Je chercherai dans la première à percer l'obfcurité des fîecles à la lueur du flambeau de la critique , pour y difcerner les faits véritables de ceux que nos anciens annaliltes ont rangés avec trop de crédulité au nom- bre des vérités hirroriques : je m'efforcerai dans la fé- conde , k développer les effets de ces Emigrations , en évitant avec foin tout efprit de fyflême , pour me bor- ner à tirer les conféquences qui réfultent naturellement des faits. Je crois devoir remarquer ici que je ne me fuis pas aftreint dans les deux premières époques aux Emigra- tions des feuls Belges , parce que ç'auroit été me pri- ver des objets qu'elles fourniffent relativement à ce Mémoire, ÉMIGRATIONS. ^ PREMIERE EPOQUE. PREMIERE PARTIE,- L- 'histoire des Gaulois , avant leur foumiflîon aux Romains , eft d'autant plus obfcure , que ce peu- ple ignoroit l'arc de la tranfmettre par écrit à la pof- téricé : les Druides, (i) miniftres de leur religion, les entretenoient dans cette ignorance pour s'aiTurer un empire abfolu fur ces efprits peu éclairés ; de forte que les lumières que nous avons fur l'ancienne hif- toire des habitans de la Gaule , ne font parvenues iuf- qu'à nous , que par des auteurs étrangers , également fufpe£Vs & mal inttruits : auffi les connoiflanees qu'ils nous ont tranfmifes, font-elles fuperficielles &c peu cxades. Telle efl: fans doute la raifon qui a déterminé l'au- teur de l'Hiftoire des Celtes (x) à avancer çu'il ejî irn- pojjîblc de dire rien de certain , ni feulement rien de pro- bable fur les anciennes migrations des peuples Celtes. Cette aflertion d'un favant aufli verfé que Pelloutier dans les antiquités Celtiques , m'avoit fait penfer k omettre l'époque Gauloife ; une autre raifon m'y en- gagcoit encore ; c'eft le peu de rapport que ces expé- ditions ont avec les Belges. (I) CifardeBelloGallico, L. VI , §.XIV. Druides a bello abcfle confueverunt , ncquetributa una cum rcliquïs pcn- dunt. ... tantis cxcicati prarmiis , & fiia fponte multi in difciplinam con- veniunt & a parcntibus , piopinquifque mittuiitur ; magnutn ibi iimnerum verfuum edifcere dicuntui. . . . Nci/ue fas eJTe exijlimant ex liiteris mandart. (x) Réponfo de Pelloutier à Schoepflin d*ns l'Hiftoire des Celtes, t. 4. p. joa. 6 PRIX D E 1778. ■ Mais cette omiffion m'a paru contraire au but de l'Académie , qui a exigé qu'on étendît les recherches jufqu'aux temps les plus reculés. D'ailleurs l'exiftence du royaume des Galates en Afie, & celle de la Gaule Cis-Alpine (i) en Italie, rendent ce point d'hiftoire intércfiant ; de forte que quand bien même il feroit démontré (ce qu'il efl: très- permis de révoquer en douce ) que l'on ne peut rien avancer que d'incertain fur cet objet ; encore ne pour- roit-on fe difpenfer , dans un Mémoire tel que celui-ci, de raflembler ce que les hiftoriens en ont écrit : fur- tout lorfque l'on confîdere , que l'expédition de Bel- lovefe & de Sigovefe eft tellement détaillée dans Tite- Live , que ce feroit outrer le pyrrhonifme hii^-oriqu*-;, que de la révoquer en doute. En vain un moderne (x) a-t-il voulu contredire fon récit en abufant d'un paiTage de Plutarque ,- (3) Tite- Live ne m'en paroit pas moins celui qui mérite le plus de croyance. Il s'explique en ces termes : » Pendant le règne de Tarquin l'ancien , les Bitu- )î riges tenoient le premier rang dans la Celtique , V qui eft la troilieme partie des Gaules , c'étoit de ij leur nation qu'on choififlbit les Rois ; Ambigat ré- w gnoit alors , fes vertus perfonnelles & l'état florif- » faut de fon royaume , le rendoicnt également puif- j) fant ; auffi fcs fujets fe multiplierent-ils au point , que j (i) En appellant la Gaule Italienne Cis-Alpine. Je me conforme au ftyle des Il tftoriens Romains ; car relativement à niaus , c'étoit la Tram-Alpine. (1) Le Comte de Buat fait (brtir les peuples qui entrèrent en Italie , des pays fitués au-delà de la Bohême ; il ne fait pas attention , que les anciens ont quelquefois défigné les Alpes par le nom de Monts Ripftéens. (f) Plntarque dans la vie de Camille. » Les Gaulois étoient une nation »> Celtique ; on dit qu'à caufe de leur trop grande multitude , ils quittèrent leur "■pays.... Les uns allèrent du coté de l'océan feptentrional , pailercnt les » Monts Riphéens, & occupèrent les extrémités de l'Europe, ÉMIGRATIONS.' 7 » toute fertile qu'ctoit cette partie de la Gaule , elle » ne pouvoit nourrir fes habicans : tel fut le motif qui x> détermina Ambigat , dans fa vieillefîe , k décharger » fcs états de ce peuple trop nombreux : pour y par- » venir , il envoya Bellovefe & Sigovefe fes neveux » ( fils de fa fœur ) chercher dans les pays lointains les 3j établiflcmens qu'il plairoit aux Dieux de leur defti- » ner : il leur permit d'emmener avec eux tel nombre » de fes fujets qu'ils voudroient , afin qu'aucun peuple » ne fût en érat de traverfer leur expédition. J3 Le fort décida que Sigovefe dirigeroit fa marche » vers la forêt Hcrcinienne : Bellovefe , plus favorifé » des Dieux , prit le chemin de Fltalie ; on comptoit j> parmi fes troupes , des Bituriges , ( habitans du » Berri ) ; des Arvemcs , ( Auvergnats ) ; des Seno- « nois , ( de Sens ) ; des .^duens , ( d'Autun ) ,• des » Ambares, (de Châlon-fur-Saone) ; des Carnutes , » ( de Chartres ) ; des Aulerces , ( du Mans) (i) ; ilfe >j mit k la tête de cette armée également nombreufe en M cavalerie & en infanterie , & marcha vers le pays 3) des Tricaftins : il n'eft pas étonnant que les Alpes j> leur parurent infurmontables ,- jamais jufqu'alors , jj elles n'avoient été franchies (au moins n'en refte- M t-il aucun fouvenir , fi ce n'cfl qu'on veuille ajouter y) foi aux expéditions fabuleufes d'Hercule. ) (i) Les anciens dlftingucnt trois peuples difFérens connus fous le nom AuUrci Eburovices , ( en Normandie. ) Voyez Valef. not. Gai. pag. «4 & feq. Le voifinage des autres peuples , qui compofcrent l'armée de Bellovefe , m'a fait croire qiie ce ftircnt les premiers qui l'accompagncrenr. Le Diâionnairc de Morcri , dit Cenoniaiii , ( du Mans ) ; Diablintcs , ( du Perche ) ; Eburoviccs , ( du Diocefe d'Evrcux. ) Le Diûionnairc Encyclopédique cft du même avis. Cette Çucftion étant étrangère à ce Mémoire , je me fuis borné à indiçnet ces deux fentimcns. 8 P R I X D E 1778. » Tandis que la hauteur de ces montagnes ,^ dont » la cime domine les nues , les arrêtoit , & qu'ils w délibéroient fur les moyens de s'y frayer un pafTage , M un motif facrë (i) les retint auffi,- ils apprirent que )} des étrangers nouvellement débarqués pour cher- >J cher une habitation , étoient attaqués par les Saliensc w ( ces étrangers étoient les Marfeillois , colonie des jj Phocéens ) ils les fecoururent , regardant le fuccès w de l'expédition de ces étrangers comme un augure )j du fuccès de la leur : auffi, dès que l'emplacement w choifi par les Marfeillois (^) du confentemènt des w Saliens , fut mis en état de défenfe , les Gaulois w paflerent les Alpes vers le pays des Tauriniens (3) w & attaquèrent les Tofcans, qui furent mis en fuite w vers le Tcfin : ayant enfutte appris que ce lieu s'ap- » pelloit le pays de Infubres , nom d'un canton des i> jï,duens , ils regardèrent cet événement comme un i) préfage heureux , ce qui les détermina à bâtir une ij ville qu'ils nommèrent Milan. i) Une autre colonie , conduite par Elitovius , & V compofée de Cénomans ( Mançeaux ) , les fuivic w bientôt après , & fe fixa où Brefce & Vérone font » aduellement bâties ; vinrent enfuite les Saluviens « ( Provençaux ) ; les Boyens , ( du Bourbonnois) ; les » Lingons , ( de Langres ) i & enfin les Sénonois , qui w pillèrent Rome deux cens ans environ après la pre- w miere expédition u. Rien de plus fimple ni de mieux circonftancié, que ce récit de Tite-Live ; c'efl: ce qui m'a déterminé à le traduire >'i) Les Gaulois regardoient comme un afte de religion, le fecours dû aux étrangers. (S) J'ai fuivi la leçon de M. De Valois. (3) Taurini ad radices alpium fui. É WLI.G RATIONS. 9 .traduire en entier : Memnon , Plutarque & Juftin , at- tribuent aufTi cette expédition à l'impuiflance ou étoic la Gaule fde nourrir fes trop nombreux habitans. ,^ Mais Plutarque diffère de Titc-Live en ce qu'il fait arrêter les Gaulois entre les Alpes & les Pyrénées , Se ne les fait entrer en Italie que long-temps après. Rappellons-nous que Titc-Live dit pofitivement que les Sénonois faifoicnt partie de l'armée de Bel- Jovefe , qu'ils furent ,1^ derniers qui. pafTerent ea Italie , & que ce fut eux qui pillèrent Rome : toute difficulté difparoît , puifqvi'il en refaite que ce peuple /arrêta eftedivement entre les Alpes & les Pyrénées, & qu'il ne pafla en Italie que long-temps après : je crois devoir remarquer encore , que Strabon & .ivu-ni? Diodore de Sicile affurent aufli que les Gaulois éta- blis en Itajie, y étoient venus de la Gaule Trans- Alpine. Ces différentes colonies foutinrcnt une guerre pres- que continuelle contre les Romains pendant deux cens cinquante ans ; elles en eurent même une avec leurs anciens cornpatriotes vers l'an 454 , ( cent ans après ,,.^ ^'arrivée des Sénonois) ; mais ceux-ci , que l'appas du butin avoit déterminés à franchir les Alpes , ayant été appaifés par des préfens & par la confidcration de leur ancienne parenté , changèrent de delfein , & fe jette-? rent fur les frontières Romaines : ils les pillèrent & mirent les Etruriens à contribution ; ce qui remplie leurs vues en leur procurant un butin confidérable. Il fe pafla depuis lors , plus de foixante ans fans que les Gaulois ^rans-Alpins miffcnt le pied en Italie ; les défaites des Gaulois Cis-Alpins étoient en effet peu fai- tes pour les y attirer ; d'ailleurs il paroît que la liaifon entre les deux Gaules , n'étoit rien moins qu'étroite. £: On en peut ju|fer par ce qui arriva vers 517. LespaUbe, 1. ». - * ^ * - > B - *o P R I X D E 1778. chefs des Gaulois Cis-AJpins avoient engagé les Gau- lois Trans-Alpins à fe joindre à eux; mais la nation peu d'accord fans doute avec fes chefs , bien loin d'ap- plaudir à ce fecours étranger , le traita en ennemi , & le tailla en pièce ; revenue cependant de fon erreur, elle envoya des députés au-djlà des Alpes pour im- plorer un fecours qu'elle avoit jufqu'alors dédaigné. Cette démarche eut le fuccès qu'on en avoit efpéré ; les Geflares , qui habitoicnt entre le Rhône &: les Al- pes, rafièmblerent une armée nombreufe , &y attire* rent différentes nations- Gauloifes; ce corps palfa en Italie lous les ordres de Congolitan & d'Anaroeft, deux Rois de la nation Gauloife. xite-iive. Lc Commencement de cette expédition fut heureux; deux fois les Romains furent défaits ; mais la fortune de Rome fut bientôt après fatale aux. Gaulois : tandis qu'ils pourfuivoient une armée Romaine quMs avoient défaite , une autre armée de la même nation débar- qua à Gènes, & s'empara des derrières de l'armée vic- torieufe,qui fe trouva ainfi enfermée entre deux corps t'ta 518. ennemis; en vain cherchercnt-ils à fe faire jour les ar- mes à la main , leur défaite fut totale. Gongolitan fut fait prifonnier, & Anarocfl fe tua de défefpoir. Quatre ans après , les Gaulois Trans-AIpins ne fu- rent pas plus heureux contre les Romains , ils perdi- t'an J31. rent Viridomarus , l'un de leurs Chefs , tué de la main de Marccllus ; cette défaite fut fuivie de la prife de Mi- lan , & le refte de l'armée de Congolitan repafTa peu après les Alpes. En 547 , plufieurs Gaulois Trans-Alpins fuivirent Afdrubal en Italie; cç chef Carthaginois venoit y ren- forcer Annibal; mais fa défaite priva ce Général de ce fecours. Depuis lors jufqu'en 571 , il ne paroît pas qu'aucun É Ta I G RATION S. ii Gaulois Trans-Alpin ait mis le pied en Italie , & l'irruption qu'ils y tirent alors ^ n'eut aucune fuite re- marquable. J --^'^ - -yc'.t MAut ;■ i:,H C'étoit fans doute un reAe de cette colorlie , qui de- manda des terres aux Romains en Ç74; mais le refus qu'ils effuyerent , ne fut luivi d'aucune hoftiliré. Depuis lors, il paroît que les Gaulois Trans-Alpins ne tentèrent plus de franchir les Alpes ; en effet , la fîtnation des Gaulois Cis-Alpins étoit telle , que la fin de leur Empire approchoit vifiblement , auffi furent-ils entièrement fournis aux Romains vers l'an 600. Telle fut rififue de l'émigration de Bellovefe ; il eft temps de s'occuper de celle de Sigovefe , dont les fui- tes ne furent pas moins fameufes. Aucun ancien Auteur ne nous apprend quels furent les peuples qui formèrent fon armée. Schoepflin con- jefture que ce furent les Hclvétiens , les Boyens, les Volfces-Teélofages (i), les Gothins, les Eftiens , les Carnes, les Japydcs & les Taurices {x). Il dirigea fa marche vers la Forêt Hercinienne , dont Céfar a donné une defcription (3). w Delh cette colonie parcourut , dit Schoepflin , » non-feulement la Germanie occidentale , mais aufli >> la feptenrrionale , l'orientale & la méridionale ; elle j#' s'étendit le long des deux rives du Danube dans là >> Rhérie , dans la Noricie , dans la Pannonie & dans » la Thrace. î>i » Ces colonies s'étant multipliées pendant plufieurs » '-ficelés dans ces différens pays, elles en fortirent en- » core &c furent chercher d'autres établifîemens dans - (î) fcrs Volfcfs fc i^ivifoirnt en Teftofagr*!, (Touloufe étoit leur Capitale)-; te en Arccomiccs , ( Nimes étoit leur Capitale. ) DifTcrtation de Scnoepflia dans le 4e. tom. de l'Hiltoirc des Celtes, png. jjo. (1) Diflertation ci-defTiis cirée depuis la pag. 311, jafqu'j la pag. S44, 0) L. VI. de BeU. Gall. CL jf. . . /^ . -^ Bij i% • FR I X D E 1778. " » les contrées voi fines de la Thrace,* Carabaule lés eon- V duifoit; mais ils n'oferenr alors s'étendre davantage «. Paufanias nous apprend , que ceux qui avoienc fuivi Cambaule, déterminèrent, h; leur retour, leurs compatriotes à tenter une féconde expédition ; l'ar- mée étoit nombreufe ; des troupes confidérables d'in- fanterie & de cavalerie la compofoient ; elle fe divifa en trois corps fous les ordres de Bclgius , de Brennus & de Céréthrius ; Tite-Live nomme les chefs du troi- lieme corps Somnorius & Lutharius ; c'étoic vers l'an 475 , de Rome : Belgius attaqua Ptolomée ^ Roi de Macédoine , le défit , & revint dans fon pays, chargé de riches dépouilles (i). Brennus réfolut de marcher en Pœonie , mais chan- geant de deffein après la retraite de Belgius , il fe jetta fur la Grèce , dans le deffein de piller le Temple de Delphes : le fuccès ne couronna pas cette entreprife : un peuple auffi fuperftitieux que les Grecs , ne pouvoit manquer d'attribuer fa défaite à la colère des Dieux," auffi n'eft-il forte de fables qu'ils n'inventèrent ; quoi- qu'il en foit , Brennus & fon armée y périrent. La troifierae armée s'empara de Byfanee , & mit à contribution toute la Propontide; leur renommée croif- foit avec leurs exploits , au point que Nicomede , Roi de Bythinie , rechercha leur alliance : le prix des fècw vices qu'ils lui rendirent , fut une étendue çonfidéra- ble de terres dans l'Afie mineure,* cet établiffement devint bientôt un royaume floriffant , connu fous le nom de Galatie, ou Gallo-Grèce; il fe foutint juf- qu'en 7x8, Epoque de fa réduction en province Ro- maine (x). -— - ' -■ ■ ■■■ (i) Paiifaniiis, Livre X, nous l'ap()rcnd en ces tenncs : » Sed cum neque tune Gatli aufi effer.e dd Gracos annis lacejfcndo» longiaa V progredi , ab hac fecunda expeditione^ fie imra fines rediêre '<. ^) Si on n'a aucune preuve que ks Beiges aient eu part à l'exuédition Hc ,1 â ÉMIGRATIONS. 13^ , Tar cru devoir me borner k ce précis de l'expédi- *^^^|^* '''j^'" tion de Sigovefe & des fuites qu'elle eut ; (î l'on defire *--. vu. avoir les éclaixcifTemens les plus fatisfaifans fur la Ga- l. un! latic, fon étendue , les mœurs, la langue , la forme du Gouvernement des Galates , le Difcours de M. Pellou- tier, couronné en 174^, par l'Académie deslnfcrip- tions & Belles-Lettres de France , ne laifîe rien a defirer. Les Gaulois envoyèrent aufîi des colonies en Efpagne & en Angleterre ; mais les Auteurs qui nous l'ajJpren- nent , ne nous donnent pas la date de ces émigrations ; je ferois porté à croire , que la colonie , qui pafla en Efpagne , faifoit partie de l'armée de Bcllovefe , qui paxoît s'être partagée en plufieurs corps avant de fran- chir les Alpes , peut-être à eaufe de la difficulté du paflage qui intimida fans doute les moins courageux. Quelle que foit l'époque du paflTage des Gaulois en Efpagne , il eft au moins certain , & tous les Auteurs anciens en conviennent , que les Celtiberes étoient Celtes d'origine : envain Cluvier a-tril voulu le, réwo- qucr en doute. Bf novefc & de Sigovefe , il eft au moins apparent , qti'lls forent Vnum tji ijuod infcrimus Sr proniiffum in exordio reddimus , Galatas , ex- ment. >»* upt&^ fermant Gmco , quo ornais orient loqttitur , propriain lîngaam eandem »> pêne habtre quam Treviros : nec r^errt fi qua exinde corruperint , cum ù Aphii »> ffuenicum linguam non nulTâ ex parte matarlnt, Gr ip/a tatinitas ù regioni-''' >■>• tus. qaotidic mutetur & tempore ». (') Je me fera du mot de CaUtcs pour défigntr en général le» Gaulois établis Tcrs les bornes de-l'Kuropc & de l'Afie. ('") Te nouveau Traduftciir de Pline dit , que les Teutobodiaques font un pevple G4u1ui» ainh aamm^ du nota de leur Chef, T. z. p, éoi. Noce • Jidcrations fur les Mœurs de ce Jîecle; j'y ajouterai , que pour connoître enfuite les individus d'une nation, il faut les confidérer comme hommes , comme membres d'une famille , comme fujets & comme fuivant un cer- tain culte. • Tels font les principes qui me guideront dans mes recherches. Des coutumes des Gaulois conjidérés comme hommes, La boiffon ordinaire des Gaulois étoit la bière ; le vin paroîc même leur avoir été inconnu avant l'expé- dition de Bellovefe, ft l'on doit ajouter foi aux récits de Tite-Live, c i8 P R I X D E 177S. Mais fi l'appas du vin leur fit entreprendre une ex- pédition aufli périlleufe que celle de franchir les Al- pes , ils durent fans doute chercher à cultiver chez eux la plante qui produifoit cette liqueur pour laquelle ils témoignèrent un goût ii décidé (i). Quoi qu'il en foit , Juftin afTure que ce fut des Pho- céens établis k Marfeille , que les Gaulois apprirent l'arc de cultiver la terre, de travailler les vignes (x) & de faire de l'huile d'olives (le heure auparavant leur en tenoit lieu); or^ nous avons déjà remarqué d'après Tite-Live , que c'eft à l'émigration de Bellovefe que l'on doit attribuer les premières liaifons des Gaulois & des Marfeillois. Strabon ajoute que les Gaulois re- çurent des leçons d'agriculture également des Romains & des Marfeillois; or , c'eft auffi à l'émigration de Bellovefe , que ce peuple dut fes liaifons avec les Ro- mains. Je dois cependant remarqtier que le bled entrant dans la compofition de la bière, ils dévoient néceflairement en cultiver auparavant. ( Voyez Pline L. XIV. Ch. xx. ) Leur nourriture confiftoit en gibier & en laitage ; j'ai horreur d'ajouter que les Gaulois ne font pas à l'a- bri du reproche d'avoir çté antropophages ; en effet, Pline afliire ( L. XXX. Ch. i.) que ce furent les Ro- mains qui leur firent abandonner cet ufage fi révoltant. L'occupation des Gaulois étoit la guerre ou la chafTe, (1) On a vu dans la première partie, que la vraie caufc de leur émigration fut leur population trop nombreuse. fi) Flavius Vopifcus, Aureiius VîiSor, Eutrope & Eufcbe affûtent que ce fut Probus qui en 181, permit à tous les Gaulois de planter des vignes & d'en faire du vin; en effet, Diodore de Sicile, qui vivoit du temps d'Augutte , écrit que de fon temps , les Celtes achetoient encore le vin de l'étranger. Au moint favons-nous que les Ncrviens ne fouffroicnt pas même qu'on importât du vin chez eux , telle étoit leur averfion pour tout ce qui peut énerver le couiage ^ lorfque Céfàr vint les anaqucr. ( CxUs de Bel. Gai. L. ». 9. XV, É M I G R AT IONS. 19 boire , manger , dormir rempIifToienc leurs autres mo- mens. ) L'ufage du bain leur étoic fréquent; mais c'eft des Romains , qu'ils apprirent à s'y fcrvir d'eau tiède , ce qui les énerva. Leurs chariots étoient leurs demeures : Juftin nous apprend encore que c'eft aux Marfcillois qu'ils durent l'art de bâtir ; ainfî ce fut au plutôt après l'an i6i. de Rome qu'ils commencèrent à cefler d'être des peuples Nomades. Je fuis cependant embarraffé de ce que dit Tite- Live , que la colonie conduite par Bellovefe bâtit Mi- lan (i); au relie, cela peut s'entendre d'une époque plus récente que la première émigration ; d'ailleurs ayant vu que les habitans de cette partie de l'Italie ha- bitoient des villes , ils peuvent en avoir adopté la cou- tume , & l'avoir communiquée à leur compatriotes ; en eiFet , Céfar trouva un grand nombre de villes dans la Gaule. Les Gaulois avoient des cavernes, foit pour y de- meurer , ou pour y ferrer leurs bleds ou autres effets ; & il en refte encore des vertiges , nommément dans les environs de Bavai. Puis ils bâtirent des maifons de charpente & d'ar-^^"y-^»' gile, ufage qui s'eft perpétué jufqu'aujourd'hui aux S"»i>on iv. Pays-Bas dans beaucoup de villages. Leur habillement eut dans les premiers temps la même fimplicité que leurs demeures ; ils fe couvrirent d'abord des peaux des animaux qui avoient fervi à leur nourriture ; peu-à-peu ils adoptèrent les habille- mens Grecs & Romains que leurs émigrations leur (i) Strahon dit que Milan écoic autrefois la Métropole des Lifubrrs & un £inple rillage. Cij %t P E I X D E 177?. avoient fait connoître , de forte que tous ces change^ mens d'ufages entrent naturellement dans le plan de ce Mémoire. Les Belges appelloient Linné le Sagum des Romains, je ne crois cependant pas que ce fut d'eux qu'ils l'em- pruntèrent ; en effet, cet habillement , le plus fimple de tous , paroît par fa nature , devoir être celui de tous les peuples nouveaux. . Les Braies étoient un habillement propre aux Gau- lois. La tunique n'étoit portée que par les premiers de la nation, (lacite Ch. 17.) Je finirai ce qui concerne les habillemens Gaulois, par remarquer qu'en public le Gaulois écoit toujours armé ; c'elî d,ilà fans doute que nous eft refté l'ufage de porter l'épée. Leurs orncmens étoient des chaînes , des colliers , des bracelets d'or. A la vérité , les peuples de nos Pro- vinces durent perfévérer plus long-temps dans leur pre- mière fimplicité par le foin qu'ils eurent d'empêcher les marchands étrangers de venir débiter chez eux les objets du luxe , qu'ils regardoient comme propres à in- troduire la mollelTe , & à afFoiblir la vigueur de leur nation. ( Céfar L. x. ^. XV. ) AufTi fuis-je perfuadé que les émigrations , qui eurent lieu pendant cette première époque , n'eurent guère d'influence fur nos ancêtres occupés à fe défendre contre les Germains , & à por- ter la guerre en Angleterre. Ce fut dans les Provin- ces méridionales de la Gaule , que cette influence fe fit davantage remarquer. ÉMIGRATIONS. %t JDâs coutumes des Gaulois confidérés comme chefs ou comme membres d'une famille. Chez les Gaulois , comme chez tout peuple quelcon- que , les familles étoient à l'état ce que le particulier étoit à une famille. En quoi confiltoit une famille ? en un chef, fa fem- me , leurs defcendans , fes efclaves & fon bétail ; mais quand je parle ainfi , c'ell des Gaulois de la plus haute antiquité; car il fuffit de lire Céfar (L. VI. X4. ), pour être perfuadé que l'aifance qu'avoient les vaif- ïeaux d'aborder les côtes Gauloifes , y introduifit de* befoins avec des connoiffanccs nouvelles. Mais ces befoins étant généraux , touchent à la cont citation même; je les réfcrve pour l'article où je trai- terai des Gaulois raflemblés en nation & conitituant un corps politique. Au relie , les émigrations changèrent peu les rela- tions des familles dans leur intérieur ; leur influence fut principalement fur les individus & fur la conltitu- tion du Gouvernement ; c'efl; pourquoi je me borne- rai à ce que je viens d'écrire, & palferai à l'article du Gouvernement. J}es Gaulois comme membres cTutie fociété civile. L'averfion que les Gaulois avoîent pour les Belles-Let- tres, étoit entretenue parla fuperftition, & fur-tout par l'intérêt des miniftres de leur religion ; c'eft au commerce des Grecs & des Romains , qu'ils durent la connoiflance de la fauffeté & du danger de ce préjugé. Je n'ai pas balancé à mettre cet effet de leur expé* ±t PRIX DE 1778. , dition cnez l'étranger , parmi ce qui concerne la fo- ciécé civile ,• parce que je fuis perfuadé , que rien ne contribue plus efficacement au bonheur d'une nation , que l'amour des lettres , qui , en multipliant fes con- noifTances , l'éclairé fur fcs véritables intérêts, straboniv. Cc fcroit adopter une erreur, que de croire, que ce ciùt VI. 14. ne fut qu'après la conquête , que les Gaulois apprirent des Romains l'art d'écrire & de lire ,• Strabon & Cé- far nous font garans du contraire ; c'eft aux Grecs fur- tout , qu'ils durent cette obligation ; aulïi fe fervoienc- ils de caraderes Grecs, piinevn. 57. Chaque année , vers le printemps , la nation s'afîèm- 3. ' bloit : tous les guerriers y affiftoient ; on décidoit les opérations guerrières : ce peuple ne connoiflbit d'autres affaires que la guerre, & d'autre occupation que la chaffe ; la Noblefle françoife conferva long-temps ce caradere. Les Gaulois avoient des Rois , des Juges , des no- bles , des libres & des efclaves. La nation faifoit les loix; le Roi & les Juges les faifoient obferver. L'amour de la liberté , celui de l'hofpitalité & la va- leur, formoient leur caradere : chez eux l'hofpitalité étoit regardée comme un devoir religieux, chez les Bourguignons , c'étoit une loi. Les invafions fréquentes que les Belges firent en An- gleterre , durent contribuer à leur procurer une ma- fj rine refpe£l:able , & à former parmi eux des matelots i expérimentés; il me femble auffi que par une confé- quence naturelle , leur commerce dut en devenir plus confidérable : ce feroit fans doute leur prêter des vues trop recherchées , que d'ajouter , que faifant le com- merce par eux-mêmes , ce fut-là le motif qui les dé- termina à défendre l'entrée de leurs cités aia négocians ÉMIGRATIONS. «.3 Irrangers ( Cctfar reperiebat nullum aditum cjjc ad eos ( Ncrvios ) mcrcatoribus ). Coufîdérant cependant qu'ils avoicnt un commerce maritime , on en viendra peut- être à mon idée , ( GalUs tranfinarinarum rtrum. notitia multa ad copiant atquc ufus largitur. Céfar de Bel. Gai, L. VI. §. 14.) Je prie ceux qui feront tentés de blâmer la brièveté de mes réflexions , de fe rappeller , que les mœurs & la police des Gaulois avant la conquête , nous font prefque inconnues , & qu'à plus forte raifon , nous n'a- vons aucuns garans de l'influence qu'eurent leurs émigrations fur ces objets : cette remarque me con- ciliera , à ce que j'efpere , l'indulgence des Lecteurs qui préfèrent un filence, qui naît de laflérilité du fujet,à une abondance , qui n'eft le fruit , que d'une imagination féconde , qui fait fuppléer au défaut de connoiiTances réelles. a4 3? R IX DE 1773. ^ L^ SECONDE EPOQUE. ■PREMIERE PARTIE, ES Romains ayant franchi les Alpes vers l'an 6x8 deliome, & porté leurs armes viétorieufcsdans les Gau- les ; les Gaulois, bien loin d'entreprendre ies expédi- tions lointaines , furent au contraire forcés de com- battre pour la défcnfe de leurs foyers ; c'eft pourquoi rien n'cfl; plus ftérile que cette époque relativement à l'objet de ce mémoire : elle nous offre un peuple libre fans cefle combattant pour conferver fa liberté, mais oppofant, peut-être autant de valeur , mais moins de connoiffances militaires, aux efforts du peuple le mieux aguerri & le plus fécond en grands Capitaines ; aufli la Gaule fut-elle réduite en province Romaine, après que Céfar en eut acJievé la conquête. Je dois cependant faire mention ici d'une colonie de Gaulois , qui , fous le règne d'Augufte , occupèrent le Duché de Wiirtemberg , que les Marcomans avoienc abandonné , lorfqu'après en avoir chaffé les Boyens , Tac. Se wror. ils s'cmparercnt de la Bohême. Tacite regarde cette «•erm. Ch. , • ^ r/ i 1 T 39. colonie comme un compote de gens , que la milere rendoit audacieux. Ils furent nommés Décumates, parce qu'ils payoient le dixième de leurs revenus aux Ro- mains. Céfar de Ml. XJu auttc gcntc d'Émïgration , qui , fans en avoir la Fi.jofjph'dcltriéle fignification , me paroît cependant devoir en- llel!.Jud.I..i. 1111 S /l 1 J Di. caf. Liv. trer dans le plan de cet ouvrage ; c elt le grand nom- su«. in c>- ^^^ ^6 Gaulois , qui firent partie des armées étrange- lig. Ch. 41. res : chez les Romains , des cohortes entières en Tac. aa, L. ' , . au. etoienc ÉMIGRATIONS. 15 étoient compofées ; il y en avoic dans les gardes Pré- toriennes , & ils parvinrent même vers l'année 48 de J. C. h être admis dans le Sénat. Juba , Cléopatrc , Hérode en comptoient parmi leurs gardes : ces derniers étoient vraifemblablement des Galates. Telles font les remarques auxquelles je crois pou- voir me borner fur l'époque Homaine. il) il. r -1 ; • D ^ P R I X D E 1778. SECONDE EPOQUE. SECONDE FAM.TIE. U N fyftême fuivi dirigeok les conquêtes des Ro- mains ; ce peuple , où l'amour de la patrie & la gloire de Rome enflammoient tous les cœurs , avoit au fu- prême degré cette ambition, qui peut être fatisfaite îans opprimer les vaincus , qui même contribue à leur bonheur. Ne regardons donc pas la conquête des Gaules comme un moment de défaltre pour les Pro- vinces-Belgiques , raiàis phitôt comme une époque heu- reufe pour elles. Je me bornerai k obferver , que la conquête achevée par Céfar incorpora les Gaules à l'Empire Romain, & que ce fut le degré par lequel ce citoyen de Rome s'éleva à la puifTance fuprême. Jamais changemens ne furent plus grands ; jamais Ton ne vit un peuple peu civilifé adopter avec moins de répugnance les coutumes & la forme de gouverne- ment des vainqueurs ; cent ans n'étoient pas écoulés , que les Gaules fe diftinguoient à peine des états plus anciennement unis à la puiflance de Rome ; aufli nos .cités prirent-elles une face nouvelle. C'eft ici le moment de remarquer , que les frontiè- res étoient l'objet eilentiel qui attiroit l'attention du peuple Romain , & que, par une fuite de ce principe, «os provinces , qui étoient peu éloignées du Rhin , fron- tière naturelle des Gaules , furent le centre des forces romaines vers la Germanie , & reçurent par confé- ÉMIGRATIONS. 47 qucnt plus direâement les ufages de la capitale , tan- dis que les provinces méditcrranées moins expofées,& conféqucmment gardées avec moins de foin, f'e rel^ fentirent moins aufli de la révolution. Toutes nos provinces avoient les yeux tournés vers riralie ; les Gaulois n'avoient plus de puifTance per- fonnelle ; ils ne jouiflbient vis-à-vis de leurs compa- triotes que du crédit , qiie leur donnoit la proredion de Rome ; toutes les grâces émanoient des Empereurs (car il n'étoit plus queftion alors de liberté , le Ro- main avili briguoit les grâces d'un maître qui étoit fon ouvrage) ; les grâces couloient par le canal de leurs affranchis , de leurs efclaves mêmes ; c'étoient par l'a- dulation , que les grands de la Gaule obtcnoient les bon* nés grâces de ces favoris , & acquéroienc le droit d'op- primer leurs concitoyens. L'époque qui m'occupe, n'offre qu'un genre d'Émi- gration ; c'eft , fi je peux l'appeller ainfi , celle des Gaulois qui fervoient dans les armées Romaines. Il cfl certain, que les officiers & les foldats, qui tvoient contradé à Rome ou dans l'Italie les mœurs romaines, durent les rapporter chez eux après le temps de leur fervice expiré : ce genre d'Emigration , donc les effets font peu fenfibles , a néanmoins une influence d'autant plus direâre , qu'elle agit fur toutes les claffes également : ce fut fans doute une des caufes qui con- tribua le plus à faire adopter généralement les coutu- mes romaines dans nos provinces : quelles furent ces coutumes?.... La carrière devient trop vafte , il me fufHc de l'in- diquer. ^^ «j \n p R i X D E 1778. ■Si^ !^^- :=^ ■ — ===^ri TROISIEME EPOQUE. PREMIERE PAKTIE. il j E Rhin , devenu une barrière infuffifante , n'arrétoic plus les peuples de la Germanie , leurs invafions fur les terres de l'Empire étoient chaque jour plus fréquen- tes & plus dangercufes ; ce n'étoienc plus des efl'aims de barbares , que le dcfîr de piller un fol plus fertile faifoit agir ; des chefs d'un courage au-defTus des pé- rils , & à la tête de peuples entiers , cherchoient des établiflcmens ; les Belges plièrent les premiers fous le joug des Germains ; Diefl: fut habité par les Francs Saliens ; l'auteur couronné par l'Académie en 1769 croit, que cette ville n'eft pas la même que Difpargum \ mais il convient qu'elle étoit en Taxandrie , & que ce pays fut le berceau de la Monarchie Françoife. Quoi- qu'il en foit, il tiï certain que dès l'an 445 Clodion étoit maître de Cambrai & de Tournai , qui étoient les villes les plus confidérables occupées par les Francs. Si les confidérant comme ayant des établifTemens fixes dans les provinces Belgiques , je regardois leurs Émigrations comme faifant partie du plan de ce Mé- moire , la conquête du refle des Gaules devroit y être traitée en détail ; mais l'immenfité de ce feul travail , qui a enfanté une foule de volumes auffi peu d'accord entre eux , que peu décififs , m'a convaincu , que telle n'avoit pas été l'intention de l'Académie ; j'ai cru néan- moins en devoir faire ici l'obfervation , pour prouver que cette réflexion ne ni'eft pas échappée. Ceft d'après ce principe , que j'omets de parler des ÉMIGRATIONS. 19 événemens arrivés fous la première race des Rois Fran^ çois , à qui les Pays-Bas obéiflbient. L'cxtindion de cette première race, & les caufes qui tranfporterent le fceptre de Clovis dans la Maifon de Charlcmagne , font également étrangères à mon fujet. Je m'arrête au fcul fait, qui doit y entrer naturelle- ment , à la foumiflion des Saxons , dont un grand nom- bre fut tranfporté en Flandre par les ordres de Char- lcmagne leur vainqueur : Meyer dans fes Annales , le rapporte fous Tannée 783 , en ces termes ; - M Kitc?i à Carolo rege S axones traducli funt magno »j numéro in Belgicam , multique ex us Lydcrico Flan- iy drici littoris cujiodi attributi , ut per illum in fidc of- n jicioquc Francorum. continerentur : de ta Saxonum tra- » diiSione libet adfcribere Pauli Aîmilii Jcriptoris cla- i) rijjinii verba «. Tune (juoque vicli ( inquit)yè régi de~ didcre , fcepius ejus lenitatem quam feveritatem experti : deleri gens potcruî , nefeniper pacem foUicitaret. Cruori , nominiguc pepercit, utque fub oculis ejfent , obfervari- cuefacde poJJ'ent , nobilitatcin , (& in quibus aitquid digni- tatis eluccretyCum liberis , uxoribus traduxit in Galliam Belgicam y oceani ora ad incolendum eis data, jujfoquc eam tutari Lyderico maris prcefeclo , maritimum imperato- rem , Hadmiralum vacant y haudfiio an dctortâ in latinam Cracâ voce. Hœc ille. — _•. :*-„_ ^l• Il rapporte un fait femblable fous l'année 804. ■/"m Saxonas Trans-Albinos quos alii Holfatos , alii j) Nordalbingos vocitant, Carolus prcaliis multis fatiga- » tos ad pojlremum omnes perdomuit , multosque in h Galliam traduxit, ex quibus Flandnca. , Brabantixque n haud parum accejjtt incrementi. . . . Lydericus Saxonas M novos colonos Jacrorum rudes in verce religionis viatn i) induxit, gravi conjiituta pcena^Jî quis dici Dominici 9» non fervajfet ferias. |0 P R IX D E 1778. » Scrlptiim reperio quoddam genus homlnum ah Cd^ V rolo rege atquc Lydcrico Flandriâ pulfum oh pervica- » dam, quod nollcnt in nofîram conccdcrc rdigionctrif n retentis taintti corum parvulis libcris qui injlrui pojfcnt » ac imhui Chrijiiana pietatc a. Ce fait eft attcfti par tous les hiftoriens ; les annales de Lambert d'i^lchaffenbourg le rapportent en 803 i la chronique de S. Gai en 805 en ces termes : » Hoc anno pcrrexit Domnus Carolus in Saxoniam,,., x> & muhos Barones & mulicres indc adduxit. Les annabs des François , ( annales Francorum ) cel- les de Fulde , celles de Mets marquent ce fait en 804. La chronique de MoifTac eft du même fentiment^ celle d'Adon aufïï, ainfi que celle de S. Denis,* les termes de cette dernière font remarquables. » De celle » gent , ( les Saxons tranjportés en France ) font oié & » eftrait, fi comme Tendit, liBrebançon&li ïlament, V & ont encore celle meifme langue» Il réfulte de ces autorités , que cette tranflation fe fit en 804 , & que c'eft par erreur , que Meyer parle de deux tranflations diiFérentes ; celle qu^il rapporte en 783, efl: totalement inconnu aux Auteurs anciens, (i) Nous examinerons dans la féconde partie les effets de cette tranflation , qui fait époque dans notre hift'oire. (i) Je dois cependant mettre fous les yeux du Lefteur, deux partages de k chronique d'Hildcsheim , qui fe trouve dans le 3e. T. de Duchefne, p. 508, rlin afi de Karolus in Suxoniam pergent Saxones obtitiuit fi- tertium hominem in Frari' Charlemagne. eiam educens collocavit. de I. C. 794. Ka olus in Saxoniam Francos coUocat ; Saxones inde educunt ( educit') cum uxo' ^"^ ^9 ^^ritus & V'eris. ZZ, Je laifi'e au Lefteur à décider fi ces deux citations fuffifent pour prouTCi U *''' fcatimei» 4c Mcyci. ÉMIGRATIONS. jr iâ^fi ■â^S==Ez l TROISIEME EPOQUE. SECONDE PAIR.TIE. L ne feroit peut-être pas impofïible de fixer à-peu- près quels cantons les Saxons habitèrent; la langue Flamande , qui eft , fans contredit, un dialedc de l'Al- lemand , pourroit fervir de guide. Il elt apparent qu'elle nous fut apportée par ces Saxons tranfplantés (i), qui conferverent fans doute auffi celles de leurs coutumes, qui n'étoient pas con- j^raircs aux loix du vainqueur. Ces nouveaux habitans procurèrent à nos Provinces un avantage certain, l'augmentation de la population & contéquemmcnt de Ja culture ; mais la religion du pays ne foufFrit-elle pas de la venue de cette colonie? Eft-il pollible que ces peuples , convertis par l'épée , aient adoptée intérieurement une religion , que profef- Jfoient ceux, qui les avoicnt arracliés de leurs foyerS? non fans doute ; ils durent confcrvcr des ufages & dds préjugés du paganifme , qu'ils avoient jufqu'alors pro- felTé ,• & ces erreurs groffieres ne purent que retarder la pcrfeélion de la religion chrétienne aux Pays-Bai, r-ou le culte des idoles fubfiftoit encore moins de devfx iiecles auparavant, & n'avoit été détruit que par li» (O Le palTagc de la chronique âe S. DctIs, ci-devant cité , (p. jo.)eft le fcndemcnt de mon opinion. Il en ell une contraire ; c'cft celle de ceux qui Soutiennent , que la langue Flamande «p(^s a été apportée par les Bataves , Ici Frifons , les Lauches, les Ménapiens , (es Ncrviens , les Ripuaires , tous peu- ples venus des contrées d'au-delà du Rhin , & la plupart de la Baii'e-iaic mcnic •• |C n'ofe dccidci. jij P R I X D E 1778. foins affidus des Bénédidins appuyés de l'autorité fou- reraine. Le Gouvernement ne dût-il pas prendre des précau- tions pour contenir dans le devoir ces peuples fi re- muans & fi nouvellement foumis ? Et ces précautions ne durent-elles pas être k charge aux anciens fujets ? Au refte je crois pouvoir alléguer , comme un argu- ment folide , cette tranfplantation pour prouver que les Pays-Bas étoient alors peu habités; les Provin- ces les plus riches aujourd'hui étoient couvertes de bois , & rien ne le prouve mieux encore , que les valtes conceflions faites par les Rois Carlovingiens aux Ab- bayes dans les feptieme & huitième fiecles > & les dé- frichemens dûs au travail des moines. Les légendes de ces fiecles nous en fourniffent k chaque page des preuves certaines. En effet, ces Provinces étoient couvertes par la fo- rêt d'Ardenne lorfque Céfar fit la conquête des Gau- les. Cet illufl:re hiftorien dit pofitivement , que cette fo« rêt s'étendoit depuis les rives du Rhin jufqu'au confins des Rhémois : une partie néanmoins en étoit habitée; c'étoit celle qui fe trouvoit fur les bords des grands fleuves , tels que le Rhin , l'Efcaut , la Meufe , &c. Je finis ici ces trois époques avec la fatisfaétion que fent un voyageur , lorfqu'il a traverfé des déferts peu féconds en objets propres à fatisfaire fa curiofité , & qu'il voit enfin les frontières du pays , qui écoic le but de fon voyage» QUATRIEME ÉPOQUE. ÉMIGRATIONS. 33 ^ QUATRIEME EPOQUE. PREMIERE PARTIE. PREMIERE CROISADE, Mev< ro'ûk parvenu k cette expédition fameufe qui arma l'Europe contre TAfie , & la religion chrétienne contre la mufulmanc. Si jufqu'à préfent ce Mémoire n'a mis fous les yeux du Le6teur -, que des événemens peu certains ou peu importans, ceux qui vont fuivre, réunifient la certitude au plus grand intérêt. Jérufalem , arrofée du fang de Jefus-Chrift, & le théâtre des aug^iftcs Myfteres d'une religion émanée du Créateur même , attiroit les regards de tous les Chré- tiens de l'univers. Sous les Empereurs Payens , s'étoient accomplis les prophéties , qui avoient fcelé le teftament du Chrifb du ïcéau de la Divinité , à qui feul il appartient de pré- dire les événemens futurs. Sous Conftantin & fes fuccefTeurs , le triomphe du Chriftianifme fit de Jérufalem , le but des plus fameux pèlerinages ; la piété y conduifoit de tous les coins du monde chrétien , des pèlerins , qui croyoient que ce pé- nible voyage étoit capable d'effacer feul tous leurs cri- mes; préjugé dangereux), qui fit négliger les vertus du Chriftianifme , pour y fubilituer des œuvres, méritoires fans doute , mais bien au-deflbus des vertus , que le Chrift même nous a enfeignées comme les devoirs des vrais Chrétiens. Ces pèlerinages étoienc d'autant plus en vogue , que £ 34 P R I X D E 1778. ces voyages lointains s'accordoient avec le génie de ces fiecles amateurs d'aventures. Dieu ne permit pas , que la Cité fainte refta fous la domination chrétienne ; les Perfes s'en empa- rèrent en 6i 5 ; mais ce ne fut qu'en 637 , qu'elle tomba au pouvoir des Mufulmans^ pour n'en plusfortir juf- qu'aux Croifades; on prétend, il eft vrai, que vers T»yM l'Hift. le commencement du neuvième fiecle , Charlemagne de Maithe, T. j-ecut Ics faints lieux en don du Roi de Perfe ,• mais je ferois bien tenté de regarder cette donation comme auffi fabuleufe , que le voyage de ce Prince en Palef- tine , dont M. de Foncemagne ( Hifl. de l'Académie desinfcriptions & Belles-Lettres , T. xi. in-4'' p. 136.) a il bien démontré la fauffeté. Si cependant on veut adopter , avec le Préfidenc Hénault , la vérité de cette donation , on doit la re- garder comme une preuve de confidération donnée à Charlemagne par Aaron , Roi de Perfe ,' mais non comme une vraie ccfîion de la fouveraincté. Pour moi , je crois que ce fut le Patriarche de Jéru- falem , qui feul eut part à la préfentation des clefs de la fainte Cité, & que l'on a ajouté dans la fuite , que ce fut Aaron , Roi de Perfe , qui les envoya à Char- lemagne (i). En effet , nous ne voyons dans l'hifloire aucune fuite de cette prétendue donation. Les Mufulmans permirent , il eft vrai , aux Chré- (i) Voici deux pafiages des annales de France qui me paroirtent dccififs. Ann, Sol. Zacharias , cum duobus Monachis , de orlerte Homam venit : cla- ns Sepulchri Domini , clavcs ttiam civitatis & montis cum ve.rillo detulirunt. Voyez la collcdion des hiftorlens François, T. V. p. ij. Ann. 800. Jacharias cum duobus Monachis..., de oriente rcverfus , Rcmam venit , ^uos Patriarcha Hierofolymitenus cum Zacfiaria ad rcgem mift , qui Be- ncdiclionis causa claves Sepulchri JDominici ac loci Calvdtia , elnvtt aiein eivita- tis tir tnontit eum vexillo dctulemnt. ÉMIGRATIONS. 35' tiens de venir vificer les fainrs lieux ; mais ce fut par j.^„ ^..j,, avarice Se non par une fuite d'aucune conctirion faite vam cWe mi- par les Souverains de la Palcfline aux Monarques 7».' chrétiens. _ Entre les pèlerins illuftres qui entreprirent de vificer les lieux où fe fo-nt opérés les augultes Myllcres de no- tre Rédemption , on doit diftinguer Robert Comte de Flandre, & Lictbert (i) Evêque de Cambrai ,• l'ef- poir d'expier fes crimes y conduifit l'un,- la piété fut le fcul motif de l'autre. Robert avoit , dès fa jeunefTe , fait connoître fon ambition ; le defir de fe former un état lui avoit fait rifquer divcrfcs entreprifes (i). Mais les hi-ftoriens , qui nous les ont tranfmifes , pa- roiflent fi mal inftruits , qu'on ne peut rien en dire de certain : on fait feu'cment^ qu'il fit, vers 1085 ,1c voyage de la Terre-Sainte , & il eft efl^entiel de remarquer re- lativement h notre fujet , que c'étoit précifément alors que les Chrétiens étoicnt le plus maltraités par les Mu- fulmans (3). Ce fut pendant ce voyage qu'il s'engagea à fournir des troupes à l'Empereur àz Conllantinople (4), (ce qu'il exécuta en 1087.) Ce fut fans doute aufli pendant ce voyage , qu'il conçut le projet de la Croifade , que Robert fon fils accomplit. (O D'Achrry de l'édition de Martenc, T. II, p. 14J. in-folio. Lictbsrt u'illa pu au-delà de Laodicé:. D'Achery Loc. Cit. _ (t.) Lambert d'AfchafFenbourgfous l'année IC71 , donne un détail circonflan- cié des expéditions de Robert; mais, quoique contemporain, ilparoît ûmalinf- truit , que je n'ai ofé ajouter aucune foi a fon récit. 0) Hirt. du Bas-Empîre, T. XVU , p. 178. Ann. 1057. Le Calife d'Egypte , maître alors de la Syrie , fit fermer ledit Sépulchre, ii défendit d'y donner entrée.... Toute la Cbreticotc en fijc affligée. (i) Hill. du Baj-Enipite, T.XVIU, p. 6^, Sj. Eij ^ P R I X D E 1778. Je croîs devoir remarquer ici , que rentreprife de re- couvrer la Terre-Sainte , étoit le fujeC de l'entretien gé- néral ; Godefroi de Bouillon , dans fon enfance , la projettoit (i), preuve certaine que ce projet étoit dans la bouche d'un chacun ; puifqu'il ft-appa cet enfant. Nous favons d'ailleurs que trois cens Chrétiens fugitifs de Jérufalem , mandioient (i) l'an 1057. L'appui des puif- fances Européennes, pour retirer la Terre-Sainte des mains des Mufulrnans,- .& qu'en 1074, le Pape écrivit à l'Empereur une lettre très-forte , pour l'exhorter à la conquête des lieux faints ; cette même lettre nous ap- prend que plus de cinquante mille hommes s'étoient déjà engagés à fuivre le Pape , qui projettoit de fe met- . tre à la tête de cette fainte expédition (i). Ceci rend moins étonnant le fuccès de Pierre THer- mite : tel qu'on voit d'immenfes brafiers allumés par une feule étincelle , parce que les matières combufti- bles étoient rafTemblées ,• tel I^ierre fit réfoudre une ex- pédition à laquelle les efprits étoient depuis long-temps préparés. Conduit à Jérufaleifn par le defir commun alors de vifiter le Sépulchre du Sauveur , le Patriarche de Jé- rufalem reconnut en lui une de ces âmes fufceptible du plus grand enthoufiafme , & fut adroitement en pro- fiter ; Pierre , de retour en Europe , fut fécondé par la > Cour de Rome ; toujours attentive à faifir les occa- fions d'étendre fon pouvoir; envain les Papes avoient . déjà tenté d'armer les Princes chrétiens ; ce que les fouverains Pontifes n'avoient pu faire , Pierre l'Her- : mite l'exécuta : à fa voix l'Europe s'arma, & l'on (1) Hift. des Croifades, T. I, p. î8. (3) Hift. du Bas-Empire, T. XVII, p. 178. (j) Hift. Eccléfiaftiquc , T. XUI, p. 178. Ed. m-^to. ...1 ÉMIGRATIONS. 37 vit line foule innombrable de Chrccicns fc ranger fous l'étendard de la Croix. . \C'eft au Concile de Plaifance , que fuc la première fois préchée la Croifade , mais fahs luccès réel ,* au Con-, cile de Clermont , elle fut décidée par une acclamation, unanime ; ce qui a^fait dire au plus beau génie de ce iiecle : qu'en Italie on avait pleuré fur les malheurs des Chrétiens, mais qu'on s^étoit armé en France. ^ Godefroi de Bouillon, Duc de la Baflè-Lorraine & Marquis d'Anvers , & fes frerés Bauduin & Euftache, Robert II Comte de Flandre , Bauduin Comte de- Hainaut furent les Héros de cette première Croifade, ^ prirent la Croix à Clermont (i). qu : Une foule de chevaliers dqs Provinces Belgique», fuivirent leur exemple : tous étoient perfuadésq.ue l'a^Çi le plus méritoire & le plus agréable à la divinité , ferpit. de s'emparer des contrées que Jefus-Chrift avoit choifi pour y opérer la rédemption du genre-humain ,• cha- cun efpéroit pouvoir , par cet ade expiatoire , effacer. les crimes , qu'il avoit commis & même s'en permettre impunément de nouveaux ; l'indulgence pléniere accor- dée par la cour de Rome aux Croifés , les entretint peut-être dans cette faufl'e perfuafion. Bauduin , de retour de Clermont , convoqua un Tournoi h Anchin en Hainaut ; 'ce fut-là , qu'en 1096 ,, la plupart des chevaliers du Hainaut fe croifcrent , à Fexemple de leur Comte , qui préfidoit à ce Tournoi. Entre les noms refpcvïlables qui fubfillent encore;^ aujourd'hui , on comptoit à cette nombreufe afl'em»? blée , des Landas, des Roifins , des Eftourrhef , des; Lannois , &c. &c. (i). '"(1) Annales de Flandres, par Emanucl Sueyro, T. T, p. ii<,, 117. C^) Atuauri de Laiidall , Baudii de Rofgicn , Raiitibaut Crctons , dit d'EAour* 3«r ' P R rx D E Î778. Ce fut le 15 Août 1096, que Godefroi de Bouillon fe mit en marche. Déjà les troupes nombreufes de Gautier y^/z^ avoir ^ de Pierre l'Hermite , de Godefcalc , avoient été pref- que détruites par les Bulgares & par les Mufulmans; ces chefs commandoient des troupes peu aguerries & peu propres à vaincre les Mufulmans , dont les Vertus militaires avoienc déjà plus d'une foi ébranlé la puifTance^ des Empereurs Grecs. L'armée de Godefroi étoit bien différente; com*^ pofée des plus fameux Chevaliers de la France , de la Lorraine & des Pays-Bas , on y voyoit régner la dif- cipline militaire, & cet ordre , qui affure le fuccès des expéditions guerrières ; Bauduin Comte de Hainaut 1^ fuivoit; Robert ^ Comte de Flandre , avait pris une mel; Hugttes de Lannois , ( Carpenticr , preuves, Tora. II. pag, 14 & ij.) Je crois devoir Ciicore aj >utcr la note fuivante. Varmi les Héros Flamands &i Brabançons qui fe diftinguerent au fiege de N".cc;, Albertus Aquenfis , Auteur contemporain, fait mention de Henri d'Allche , de Baudouin do Burg , de Drogon de Nahellc , de Baudouin de Gand , de Milon de Lover (peut-être de Louvain Sec.) Voyez Gcfa L'ei per Francos ,^ T. I. p. 105. & 108. Ce même Hiftorlcn nous apprend (p. ii? ) que dans le temps que les Croifés étoient à Tarfe , une multitude de Flamands , d'Anver- fois & de Frifons , ù joignirent à l'armée pour marcher à Jérufalera , le paf- fjge mérice d'ctre rapp>rte ici. p'iri Baiduini pcr rmenia diffufi à longé naviMm diverfi generis & operis mul- titajincm in medio ma; is trans tria rriiUiaiia. ab uite contamplaniur , fuatummali, mirée magniruJinîf & altitudinis aura purijjîmo optrti in radiis folis effulgebant i (y viros ab iifdem navibus in littus maris d&fcendentes , & plurima Jpolia , ^U(t lorigo tcmpore , Jeu a:inis ferme c3o , contrMxeiant imcr fe ànidentes. His vifs, hofilei vires accitas ab his qui noàu , cade chriJUanorum fa3a , effugerant , efijlimabant. Unde ad arma coiuendemcs , equo alii , fede alii , ufque ad ipfum littus eoncurnint; cur adveiierint , vel ex qua natione precejperint intrépide ou per- quirentcs. llli fe chrijliance prejejponis milites effe refpondent ; è Handria & ab jintverpia ù i'rifia ceterifque Gallia partibus fe venijje fattntes , & piratas ttnnit^ c3o ufque ad hanc diem fe fûiffi. Requirebant aiam qui adveSi fuerant , qua de caufa ipfi à Romanis Q Teu- tonicis partibus dcfcendijjent & in longinquum exilium inter tôt £arbaras r.aiio- nts adveniJJ'efH-, - ■ - Qui caifa pcregrinationis & ad adorandum in Jerufalem veniffe fe tefîati JUnti Et fie utrinque lingua & fermons fao reeognito , fadus , dextrit datis , inierunt fariter euadi Jerufalem, ÉMIGRATION S. 3g autre route,' il accompagnoic Hugues -fe-Grand, vraN Temblablemcnc à caufe qu'il écoïc ValTal du Roi de -France , frerc de ce Prince ; c'eft fans douce pour la .même raifon, qu'Euftachc, Comte de Boulogne, frerc jdu Duc Godcfroi , prit la même route. Quoi qu'il en foit , ce fut cette divifion de l'armde qui fut caufe de la première difficulté , qui s'éleva en- tre l'Empire Grec & les Croifcs> Hugues-le-Grand , ibrcc par la rigueur de la faifon, de laiîler hiverner foij armée en Italie , la devança, & fut arrête prifonnier en voulant fc rendre à Conftantinoplc ; Godefroi in- formé de cet attentat en fit demander raifon à l'Em- pereur Alexis ; ce Prince jugeant de cette nouvelle armée de Croifés d'après celle qu'il venoit de voir ar- river dans le plus pitoyable état , fit peu de cas de la repréfentation du Duc , & lui fit faire une réponfc dif- férente de celle qu'il efpéroit ; ce qui le fît réfoudre k fe faire rendre par les armes le Prince prifonnier. Ce fut le fignal de la guerre : déjà Godefroi avan- çoit vers Conftantinople , lorfque l'Empereur accorda la liberté à Hugucs-le-Grand , rcconnoifTant quelle énorme différence il y avoir entre une armée difcipli- née & commandée par des Capitaines expérimentés , & ces bandes , aufîi nombreufes qu'indociles , qui avoienc pour chefs des Prêtres ou des guerriers fubalternes. .j -L'armée féjourna pendant l'hiver dans les environs de Conftantinople , &c au printemps elle fut jointe par celle du Comte de Flandre. Les hilloriens affurent que les forces des Croifés m.ontoient k cent mille hommes de cavalerie ,* armée immenfe fi l'on confidere la quan- tité de gens.de pieds que fuppofe cette multitude de cavaliers , d'après h fyftcmc militaire de la Chevalerie» ■ Au commencement du printemps , ces Croifés n'a- voicnt pas encore quitté les rives dvi Bofphore y mais ?4o '• ''P-Rfl^!k^'r)E'\778. la nouvelle qu'ils reçurent de la défaite totale des trou- pes de Pierre l'Hermite & de Gautier fans avoir les excita k la vengeance; dès \û, îÇ) de Juin, Nicée fut prife : peu de temps après , une vîdoire importante fignala leur expédition ; le Comte de Flandre com- mandoit l'aile droite avec le Duc Godefroi & Hugues, Comte de Vermandois. La prife de Tarfe & de Mamiftra fut la fuite de cette victoire : je crois devoir remarquer ici que peu de temps après que Bauduin , frère de Godefroi , fut "en pofîeffion de Tarfe , des pirates Flamands vinrent y aborder \ preuve non équivoque que les côtei de Flandre avoient déjà des Marins capables d'entrepren- dre d'affez longs voyages,* ces pirates s'engagèrent au fervice de Bauduin, & ce Prince aufli heureux que "brave , devint bientôt après Prince d'Edefle , par un de ces heureux hafards , que la prudence tenteroit envain d'amener , mais qu'elle fait mettre à profit ; il augmenta fon nouvel état par l'achat de Samofate. Avant la fin de la campagne , la Cilicie étoit au pou- voir des Croifés , aînfi que la petite Arménie. Arthéfie avoit ouvert fes portes au Comte de Flan- dre ; l'année fuivante , Antioche fut prife; & un an après , les Croifés fe virent au comble de leurs vœux par la prife de Jérufalem , dont Godefroi de Bouillon fut élu Roi, époque glorieufe & mémorable; mais le fuccès fut plus brillant que folide comme on le verra par la fuite. Pierre l'Hermite , le mobile de la Croifade , eut la fatisfadion d'entrer avec l'armée viftorieufe dans Jé- rufalem, & d'y être reçu aux acclamations des Chré- tiens, qui le reconnoiflbient pour leur libérateur. Peu après , les Croifés fe féparcrent, & les chefs qui avoient furvécu à la conquête de Jérufalem , retour- nerenc ÉMIGRATIONS. 41 nerent dans leurs états , k l'exception de ceux qui avoient acquis , par leur épée , des établiflemens en Palcftine. Les principaux de ceux qui reftercnt , furent Bau- duin , Comte d'Edellc , frère de Godefroi , qui , lui ayant fuccédé l'année fuivante , céda le Comté d'Edeffe k Bau- duin du Bourg , leur coufin; Boemont, Prince d'An- tioche ; le Comte de Tripoli, &c. &c. Un frère du Comte de Luxembourg & le Comte de Hamaut, périrent en Paleftine. Robert , Comte de Flandre , de retour dans fes états , envoya fa fœur Gertrude en Alface pour y époufer le Duc Thierri ; mariage , qu'il avoit arrêté en allant k la Terre-Sainte ; cette alliance fit dans la fuite pafîer la Flandre dans la maifon d' Alface. ^3f 4x P R I X D E 1778. DEUXIEME CROISADE. VJTod] lEFROi de Bouillon n'avoic occupé le trône qu'un an ; Bauduin j fon frète , lui avoir fuccédé & à celui-ci Bauduin , Comte d'EdefTe , leur coufin : ce PHnce n'eut qu'une fille nommée Méli fende , que Foul- ques d'Anjou époufa. Cette Princefle furvécut a fon mari , mort en 1 142- , & en eut un fils nommé Bau- duin. Les principaux Vaffaux de la couronne de Jérufa- lem étoient JofTelin de Courtenai, Comte d'EdefTe, Raimont de S. Gilles , Comte de Tripoli , Raimont de Poirier, Prince d'Antioche. Les conquêtes des Chrétiens avoient formé un état refpectable , & les guerres continuelles , que les Rois de Jérufalem avoient à foutenir contre les infidelles, avoient fait de leurs fujets autant de foldats ; mais la difcorde s'étant gliflee parmi les plus puifTans Croifés , les infidelles en profitèrent pour s'emparer d'EdefTe , un des plus forts Boulevards des Chrétiens : cette perte confterna la Cour de Jérufalem y & il fut réfolu dans cette crife , d'envoyer implorer le fecours des Princes Latins; le fuccès de cette AmbafTade fut complet; le zèle de S. Bernard , aufli ardent que celui de Pierre l'Hermite , mais bien plus raifonné , enflamma tous les cœurs du defir de fecourir les lieux faints. La première Croifade avoir été réfolue au Concile de Clermont ,* la féconde le fut à Vefelai en Bour- gogne : Louis VII , Roi de France , y prit la Croix , ainfi que Thierri d'Alface , Comte de Flandre ; le zèle É ^I ï G R A T I p N s. 43 y écoit tellement exalté, qu'on offrit le ccmmaride- ment à S. Bernard ,• mais celui-ci , plus fage que Pierre l'Hermite , crut que fon miniftcrc fe bornoit à celui de la parole , & il joignit , par fon refus , le mérite d'une modeftie rare à celui que fon éloquence perfua- iîye lui avoit déjà acquis. En quittant la France , il vint aux Pays-Bas pour y prêcher aufli la Crpifade ; il s'arrêta à Valcncicnnes , k Mons , à Soignjes : ce fut pendant fo.n féjour dans '/Cette dernière ville^ qu'il détermina Anfelme de Tra- ^gnies à fonder l'Abbaye de Carabrop. Cilles, frère d'Anfelme , perfécuta les religieux; mais s'étant repenti de s'être oppofé k la piété de fon frère, ii .lé croifa , & vendit pour les fraix de cette expédi- tion la terre d'Ath, au Comte de Hainaut. JPIufieurs Seigneurs des Comtés de Flandre & de Hainaut fuivirent l'exemple du Comte de Flandre; il jaifla la régence à Sibille d'Anjou fa femme, fœur du Roi de Jérufalern , qu'il avoit époufée dans le premier voyage qu'il avoit déjà fait en Palell:ine;,en général pn peut croire que ce Prince fut plus occupé des in- •çérêts de fon beau frère , que de ceux de fes fujets : cependant il fut obligé de quitter la i?alefline pour s'op- pofcr au Comte de Hainaut, qui, profitant de fon ab- fence , atraquoit fes états au mépris de la paix , dont dé- voient jouir les états des Croifés; cette guerre fut ter- minée par les foins de l'Archevêque de Rheims , & le mariage de Bauduin de Hainaut avec Marguerite, fille de Thierri", en fut une des conditions eirentielles, dont les fuites furent des plus importantes. Thierri , ayaflt afiuré la tranquillité de fes états, ne s'occupa plus que de fon expédition d'Outremer, il re- mit le Gouvernement de fes états à fon fils , & retourna en Palcftine avec fon époufe,- il ne revint en Flandre Fij 44 P R I X D E 1778. que pour y finir fes jours dans le Monaftere de Watenes, qu'il avoir fondé. J'ai cru devoir rapporter de fuite ce qui concernoit le Comte de Flandre : il eft temps de rejoindre S. Ber- nard , qui ne prêcha pas la Croifade avec moins de fuccès en Allemagne , qu'en France ,* l'Empereur reçut la Croix de fes mains. Mais fi S. Bernard fut exciter les Princes Chrétiens à fecourir la Terre-Sainte avec des forces formidables , ces Princes par les fauffes mefures qu'ils prirent, &par lamauvaife volonté des Grecs, ne retirèrent aucun fruit de leur expédition ; par-tout Louis & Conrad furent défaits par les infidelles; & leurs armées furent détruites au point , qu'ils firent le voyage de Jérufalem plutôt en limples pèlerins , qu'en Monarques puifTans. Cependant , pour ne pas quitter la Palefline fans avoir entrepris quelque exploit confidérable , l'Empe- reur, les Rois de France & de Jérufalem, mirent le fiege devant Damas , mais fans fuccès ; l'Empereur quitta aufïi-tôt l'Afie , & retourna dans fes états ; le Roi de France prit quelques mois après le même parti; de forte que les Chrétiens de la Palefline virent leur ef- poir s'évanouir avec le départ de leurs protedeurs. Tel fut le malheureux fuccès de cette féconde Croifade. Déjà trois ordres militaires s'éroient formés , les Templiers , les Chevaliers Hofpitaliers & ceux que l'on connoît encore aujourd'hui fous le nom de Chevaliers Teutoniques. Ces trois ordres eurent des établifTemens dans les Provinces Belgiques & plufieurs y fubfiflent encore. Je ne dois pas oublier , que dès-lors l'Evcque de Langres confeilla au Roi de France le fiege de Conf^ tantinople. ÉMIGRATIONS. 45 TROISIEME CROISADE. F E N o A N T vingt ans, qui s*ccoulerent entre la féconde & la troifieme Croifadc , je ne trouve d'événemens confidérables, que la mort de Raimont, Prince d'An- tioche , tué dans une bataille contre les infidelles& celle de Joflelin , Comte d'Edefle , arrivée- dans les prifons de Noradin Soudan d'Alcp. Leurs états furent ravagés par le vainqueur , qui s'empara de tout le Comté d'E- defle & de pîufieurs forterefles dépendantes d'Antioche. la mort de Bauduin 3""' , Roi de Jérufalem , mit le comble aux malheurs des Chrétiens de la Palelline ; en- vain Amauri fon frerc & fon fuccefleur , réuniflbit-il à beaucoup de valeur beaucoup de talens. Entouré d'ennemis & réduit à une puiflancc infini- ment inférieure à celle de fes ennemis , il eut recours aux Princes Latins , & envoya en Europe l'Archevêque de Tyr; mais ce Prélat ne réuflit pas : fur ces entrer ii($. faites , Amauri termina fa carrière. Saladin Sultan d'Egypte , jettoit alors les fondemens de cette gloire , qui lui attira dans la fuite la réputation du plus grand Capitaine & du Prince le plus jufte de l'O- rient ; rien n'arrêta fes conquêtes : après avoir défait les Chrétiens à Tibériade, Jérufalem tomba en fon pouvoir. , ,j^. Cette perte détermina le zèle des Chrétiens; la même ferveur , qui avoit armé les premiers Croifés , fe renou- vella dans tous les cœurs ; Philippe , Roi de France , & Henri, Roi d'Angleterre, (i) réfolurent de retirer la (0 Ce fut Richard , fils d'Heuri , qui fit le voyage. 4^^ P R I X D E i77«. ' Cité faiute des mains des infïdelles : on publia félon l'ufage , une indulgence pléniere ; mais une nouveauté , ce fut la dixme Saladine , qu'on exigea des biens meubles & payables par ceux^, qui ne fe croifoient pas. Voyez Meyer Déjà daus l'intcrvalle de la féconde à la troiiiemeCroi- panrce prJ- fade , Philippe , Gomte de Flandre , avoit fait le voyage phiiippe^uf^ d'Outremer en 1177 ; il fe croifa de nouveau pour ac- f'^''y'"|^/j- compagner Philippe fon Suzerain^ & alla le joindre à riiyaumepen- Paris. d?.nt la min''- •««• "i \ r r ' •?'* rict&iama- Mais unc partie de ceux de les luje.ts, quis.etoient cotfm.^^ '^""croifés, s'étant joints aux Hollandois & aux Frifons, firent le voyage par mer , & contribuèrent à la prife de Lisbonne par les Efpagnols fur les Maures. Ce fut Henri , Evêque d'Albanie & Légat du Pape , qui prêcha la troifieme croifade aux peuples Belgiques ; on fait qu'il la prêcha entre autres endroits, dans l'Eglife de Ste. Waudru à Mons en Hainaut, ou Jacques d'A- venes , qui depuis fe rendit fameux en Paleftine , & Othon de Trafignies prirent la Croix. En Brabant, le Duc Godefroi ne pouvant, à caufe de fa mauvaife fanté, accomplir le vœu, qu'il avoit fait de fe joindre aux Croifés, envoya, k fa place, Henri fon fils & fon faccelTeur, L'Empereur Frédéric (i) fut aulîi un des Chefs de cette fainte expédition ; de forte que tout fembloit concourir au rétabliffement du royaume de Jérufalem & à la deffcrudion de Saladin. Tandis que ces préparatifs fe faifoient en Europe , les Chrétiens d'Afie affiégeoient Ptoîemaïs : déjà de- "5'' puis trois ans ils l'attaquoient en vain, Quand la flotte du Roi de France parut : les affiégeans , encouragés par ce puifTant fecours , redoublèrent leurs efforts , & tout » ' ' ' '-" ' (i) Frédéric y mourut. ÉMIGRATIONS. 47 annonçoit déjà un fuccès heureux lorfque Richard , Roi d'Aoglcterrc , arriva. Mais la difcorde agiroit le camp, GuidcLufignan & le Marquis de Mont-ï"erac fe dîfputoient les débris du trône de Jérufalem ; ce dernier étoic appuyé par le. Roi de France, Gui Ictoit par celui d'Angleterre, -Cependant l'intérêt commun l'emporta , la décifion de ce différent fut remife à des temps plus calmes, & la prifc de Ptolemaïs fut le fruit de la concorde rétablie. Les deux Rois , avant de fe féparer , réglèrent les affaires • de la Paleftine ; Gui de Lufignan eut le royaume de Chypre ; Ifabellc , héritière du royaume .de Jérufalem, époufa Henri, Comte de Champagne. Tandis que les Chrétiens de la Paleftine voyoient leurs efpérances renaître par la prife de Ptolemaïs , le .deuil le plus amer régnoit en Flandre ; Philippe d'Al- face étoit mort d'une maladie contagieufe pendant le -fiege ,* fes états palTerent à Marguerite fa fœur , époufe du Comte de Hainaut , qui par cette mort récupéra l'héritage de fes ancêtres dont ils avoient été privés par l'ufurpation de Robert le Frifon ; cependant la fuccef- fion de Philippe ne pafTa pas en entier k fon beau-frere ; le Roi de France s'empara de l'Artois & le conferva. Tel fut fans doute le vrai motif qui lui fit quitter II 91 "97' 48 P R I X D E -1778. QUATRIEME CROISADE. Jl HiLiPPE Augutte étoit retourné en France pour veiller aux afFaires de Flandre : le même motif dût fans doute engager les Chevaliers duHainaut &de la Flandre à quitter la Paleftine : ils n'abandonnèrent cependant pas tous le Roi d'Angleterre ; Jacques d'Avênes , l'un des plusilluftres guerriers des Pays-Bas, demeura enPaleftine & y fut regardé comme le chef de ceux de fa nation , qui y étoient reftés à fon exemple,* il contribua beau- coup à la victoire remportée par le Roi d'Angleterre fur Saladin en perfonne ; mais il y trouva la fin de fa carrière , que fes talens militaires & fon extrême bra- voure avoient également rendue illuftre. »'95' Quatre ans s'étoient écoulés depuis la mort de Jac- ques d'Avênes , lorfque l'Empereur convoqua une diète à Worms ; la Croifade y fut décidée , & l'on compte parmi les principaux Croifés , Vajeran deLimbourg, & Henri , Duc de Brabant ,- ce dernier fut l'un des chefs d'une partie de l'armée qui prit le chemin de Conftan- tinople, & s'y embarqua pour Ptolemaïs; une autre partie côtoya les cotes des Pays-Bas , s'arrêta en Por- tugal, y battit les Maures, & rejoignit enfuite l'ar- mée à Ptolemaïs. Une troifieme partie marcha fous les ordres de l'Empereur même en Italie , y détruifit le refte de la puifTance des Normands , s'embarqua en- fuite fous les ordres de l'J^vêque de Wurtsbourg , & rejoignit les autres Croifés à Ptolemaïs. Ces forces formidables étant réunies , on marcha a l'ennemi ; fa défaite facilita la prife de Sidon, de Giblet , de Laodicée, de Baruth. On ÉMIGRATIONS. 49 On eut fans doute pouffé les fuccès plus loin ; mais !a nouvelle de la mort de l'Empereur Henri V , & de la double éledion d'Othon de Saxe & de Philippe de Souabe , fit retourner les Seigneurs Allemands chez eux. if9>. G yo » R I X D E 177S. ^ CINQUIEME CROISADE. ^\=y' E T T E Croifade , plus qu'aucune autre , eft intéref- fante pour l'hiftoire des Pays-Bas ; puifqu'elle porta le Prince le plus puifTant des Provinces Belgiques fur le trône de Conftantinople. Foulque , Curé de Neuilli , prêcha la Croifade en France; Erluin , moine de S. Denis , & Pierre de RoulTy , tous deux Do6teurs de Sorbonne , la prêchè- rent dans les Pays-Bas. La ferveur fut la même , que dans les premières Croi- fades ; Bauduin lui-même , Comte de Flandre & de Hainaut , prit la Croix dans Ste. Waudru à Mons ; Henri fon frère , le Seigneur de Thrith , l'un de fes Vaffaux (depuis Duc de Philippopolis ) & prefque tous les Chevaliers de la Flandre & du Hainaut , fuivirent l'exemple de leur fouverain. Une charte du Comte Bau- duin de \1Q\ , nous a confervé une litte nombreufe de ces illuftres guerriers ; je n'en rapporte pas ici les noms; on peut les voir dans cet ade, que l'impreffion a déjà fait connoître depuis long-temps. Bauduin , avant fon départ , convoqua à Mons les Etats du Hainaut le x6 de Juin lioo, & le x6 Juillet fuivant, il publia les loix connues dans cette Province fous le nom de Charte de l^oo. II régla aufîi que do- rénavant la juftice fe rendroit dans le château de Mons. L'ancienne coutume , qui avoit pris naiflance plus de huit fiecles auparavant dans les forêts de la Ger- manie, fubliftoit encore; c'étoit en pleine campagne, près du chêne d'Hornu , que fe rendoit la juftice. Il régla auffi la régence de fes états, qu'il confia à Phi- É M I G R A T I O N S. ' |i lippe. Comte- de Namur , & à Bouchard d'AvôflCs, aiiifi que la tutelle de fcs filles. Le rendez-vous général fut à Venife ; cette Répu- blique engagea les Croifés à commencer leur entreprifc par le fiegc de Zara; cette ville fut foumife, & les Croifés hivernèrent en Dalmatie. Une partie cependant de la flotte Flamande avoir déjà débarqué en Palefline , & conduit Marie de Cham- pagne , époufe du Comte de Flandre, à Ptolemaïs; elle y mourut au moment que Bauduin l'envoyoit chercher pour occupTsr avec lui le trône Impérial. Pendant que l'on délibéroic en Dalmatie fur le parti h prendre au renouvellement de la faifon ; Alexis , fils dîfaac l'Ange , Empereur de Conftantinople , qu'Alexis fon frère avoit détrôné, vint implorer le fecours du Pape & des Princes Croilcs ,• l'expérience , qui avoic prouvé , que prefque toutes les Croifades avoient été travcrfées par les manœuvres de la cour de Conftan- tinople , le defir de s en venger & de s'afTurer les fecours d'un Prince , qui devroit la couronne aux Croifés , les détermina à prendre la défenfe du jeune Alexis , malgré une grande partie de l'armée, qui voyoit à regret tourner contre les Chrétiens des forces raflcmblées contre les infidelles : la cour de Rome y fut déterminée par l'enga- gement qu'Alexis contraria de réunir TEglife Grecque à la Romaine en terminant le fchifme. ,j Ce fut vers l'été de l'année 1x03 , que Conftantino- ple fut affiégée ; le Tyran voyant la ville en danger de fuccomber , prit la fuite ; aufli-tôt Ifaac l'Ange rut tiré de prifon & remis fur le trône ; fon fils lui fut adjoint , & la guerre cefta. Mais les Croifés furent bientôt après payés d'ingra- titude : quelques mois étoient à peine écoulés depuis le rétabliffement du jeune Alexis & de fon père , que ces Gij 51 P R I X D E 1778. Princes également ingrats & infenfés fongerent à élu- der les promefTes , qu'ils avoient faites aux Croifés ,* ceux-ci peu faits à la mauvaife foi des Grecs attaquè- rent les Empereurs avec ces mêmes armes auxquelles ils étoient redevables de l'Empire. La cour de Conrtantinople étoit expofée à des dan- gers plus éminens encore dans l'intérieur même du pa- lais; Murzuphe de la maifon de Ducas, fourbe adroit & ambitieux , s'étoit emparé de l'efprit d'Alexis , & étoit parvenu à le rendre également odieux aux Grecs & aux Latins ; enhardi par ce premier fuccès , il ôta la vie aux deux Empereurs , s'empara du trône, & foutint le fiege contre les Croifés ; mais il lui avoir été plus aifé de régner par le crime, que de conferver fon Em- pire contre les Latins ; Conftantinople tomba en leur 1004. pouvoir, & Bauduin, Comte de Flandre , fut mis fur le trône de Conftantin. Tel fut le fuccès brillant de cette Croifade; 'mais la Flandre & le Hainaut ne profitèrent pas de l'élévation de leur Souverain ,* il fut tué peu de tems après en faifant la guerre aux Bulgares; la mino- rité de fes filles & la conduite de leurs tuteurs , plon- gèrent ces deux Provinces dans des guerres auffi longues que ruineufes (i). (i) Philippe , Comte de Namur , livra la Princelîe Jeanne à la France , Se Bouchard leduillc Marguerite. , ÉMIGRATIONS. n ^ SIXIEME CRQISADE. ^ËTTE fixieme Croifade fut décidée au 4™«- Con- cile de Latran, (i) &c Frédéric II, Empereur, en fut le Chef • Les Ducs de Brabant (x) & de Limbourg , les Com- tes de Hollande & de Los , l'Evêque d'Utrecht , prirent la Croix. Le rendez-vous étoit à l'ifle de Chypre. En chemin , la flotte Hollandoife battit les Maures en Por- tugal , & arriva en Paleftine très-h -propos pour les au- tres Croifés , qui avoient foufFert des échecs confidé- rables. On réfolut le (iege de Da miette en Egypte ; maife la prifc de cette place ne fut qu'une de ces expéditions brillantes, (3) qui coûtent beaucoup de monde, fans iiit. ' 0) -I-a Croifade fut ptêchée aux Pays-Bas par un nommé nuîtrc Olivier. Vifl. des Croif. T. JJI , pag. 55. : (1) Il cfl ciouteiix fi le Duc, de Brabant fit le voyage. (3)_Lc courage des peuples Belgiqu«s parut principalement à cefiegc; & tous les liiftoriens contemporains ont donné des éloges à leur vahur. Le port ctoit défendu par une tour extrêmement fortes le^ Sarrafins en avoient confié ia ^arde aux plus bt.ives de leurs guerriers. Après bien des attaques inutiles, maître Olivier de Cologne qui avoir prêché la Croifade, confcilla aux Ktifons de conftruire un château mouvant porté fur deux vailleaux , duquel on pouvoit pa/Ter dans la tour , au moyen d'un pont. Cette machine énorme , qui coûta ■deux mille marcs, eut tout l'effet defiré. Le pont écajit abatni fur le mur de la tour , un gentilhomme Liégeois palfa le premier par ce dangereux che- min , & fut tué. Un jeune Frifon prit fa place ; il étoit armé d'un fléau garni de fer , dont il abattit le Sarrafin qui portoit le drapeau , & le lui arracha. La tour fut prife , & quelque temps après , Damictte même, céda aux efforts des Croifés. V. Math. Paru p. 404. , dt la première édition. Jac. Vitriac Epifl. i. apud Martene Thefau. T. III , p. îçi. Remarquons que les circonftaiices de cette attaque ont paru fi frappantes aux yeux du Taffe, qu'il les a toutes imi- tées dans la belle defcription qu'il fait de la prife de Jérufalem. Pour s'en con- vaincre , il fuffira de confronter le récit de Mathieu Paris avec les ftances 43 , 44>J>7, 91 , 97 & 98. del canto iS délia Gtru/alemme liberata. Le judicieux Wagenaer obfcrve avec raifon , que c'eft dans la narration de ces exploits uc les chroniqueurs Hollaudois ont puifc tout c^* qu'ils rapportent à la gloire e la ville d'Harlem , en y ajoutant un verni de leur façon. Tout ce que ce (avant hilloricn a dit à ce fujct, mérite d'ctrc lu. V. Vaderlundfdte Uijlo' rie. T. Il, p. 3fo. 1 X3i8, ^4 " "Ï^IX Î)Ë ry^S: procurer aucun avantage folide ; en cfFet , Damiette fut perdue peu d'années après. Les Croifés regardoienc a,lors Ptolemaïs comme la Capitale des états chrétiens en Alie , & Henri, Duc de Limbourg , comme leur chef. L'Empereur cependant, après plufieurs délais , s'embarqua pour la Paleftine ; fon mariage avec Jolande , fille de Jean de Brienne , lui donnoit des droits fur le royaume de Jérufalem ; mais cette expédition fut d'un genre fingulier & prefque ri- dicule ; l'Empereur débarqua à Ptolemaïs , traita avec les Sarrafins, qui lui cédèrent Jérufalem où il fe fie couronner, mais qu'il ne prit aucun foin de fortifier; de forte que cette reftitution ne procura à l'Empereur, que la fatisfaétion de vifiter les lieux faints , dont la poflefïion réelle auroit dû être le vrai but de fon expé- dition. Si néanmoins on cohfidere , que , tandis que l'Em- pereur faifoit fon entrée dans la ville fainte, ce même Prince étoit excommunié par le Vicaire de Jcfus-Chrift, on ne pourra s'empêcher d'avouer, qu'il agifToit en bon politique , puifqu'il trouva le moyen de remplir fon vœu , fans nuire k fes vrais intérêts. Auiïi ne tarda- t-il guère à repafîer en Italie , & a y faire fentir au Pape , qu'il eft auffi dangereux , qu'aifé , d'employer les foudres de l'Eglife contre un Monar- que puifTant. ÉMIGRATIONS. ^ :|jS=ZI DERNIERES CROISADES. t.. J'A difeordc, ^ùi'régrioit entre les chrétiens d'Afîe , ne contribua pas moins, <|ue le départ de l'Empercui* , à l'aflfeibliffemfenc des Hatins en Paleftinc. Ce fut inu- tilement qi'ie le Pape détcrh^ina Louis ÏX , Roi dé France, a entreprendre fucceffivcment deuxCroifades^ elles n'exirent que la plus triflc illue. Louis , prifonnîer en Egypte , dût facrifier Damiette pour fa rançort ; il s'ctoit emparé de cette ville trente ans après la pi-e- miere conquête , & elle demeura cette dernière fois bien moins de temps encore fous la puifTance des Chré- tiens. D'Afrique , ce Prince palTa en Afie ; il tenta en- vain pendant un féjour de quelques années , qu'il y fit , de rétablir les affaires des Croifés ; il fortifia , à la vérité , plufieurs de Itîiirs placés, & remit un certain ordre dans l'adminiflraticn ; mais, fi les efforts, qu'il fit, relèvent infinihient fa religion & fon courage, l'avantage que les Latins de la Terre-Sainte en reti- rèrent , n'en fut pas moins prefque nul ; leur ruine en fut retardée,' mais ils ne s'en livrèrent pas moins aveuglément à leurs haines inteflines , qui préparè- rent infcnfiblement leur perte totale. Ce fut inu- tilement pour la Terre-Sainte , que le faint Roi entre- prit une féconde fois de combattre les infidelles ; dé- barqué à Tunis , il y mourut d'une maladie contagieu- fe ; les chrétiens d'Orient virent s'évanouir avec lui leur dernière efpérance ; & fa mort fcmbla avoir éteint dans le cœur des chrétiens de l'Europe , ce zèle qui tant de fois les avoit armés pour fecourir la Palefline : en effet , ce fut-là Iç terme des Croifades , car on ne peut don- f6 P R I X D E 1778. ^ ner ce nom à l'expédition du Prince Edouard d'An- gleterre , qui , accompagné de Robert , fils du Comte de Flandre , & de Henri , Comte de Luxembourg , aborda à Ptolemaïs peu de temps après la mort de faint »*?'• Louis. Il n'y refta ni aflez long-temps , ni avec des for- ces fuffifantes pour rétablir le royaume de Jérufalem, qui penchoit vifiblement vers fa deftruétion ; la prife de Ptolemaïs la confomma ; & il ne refta aux Croifés en Afîe , d'autre poffeflion , que l'ifle de Chypre. Telle fut l'ilTue de ces célèbres expéditions; voyons maintenant quelle fut leur influence fur les mœurs, les ufages & les coutumes des Pays-Bas, 'fwfwvjt QUATRIEME ÉPOQUE. ÉMIGRATIONS. J7 QUATRIEME ÉPOQUE. Li SECONDE PAR.TIE. De Vinjiuencc des Croifades fur les mœurs. fE Gouvernement féodal n'avoitpas encore acquis une entière confiitance , l'hérédité des fiefs étoit à peine établie , & les Gaules fe relTentoient encore de la fecoulTe ,que l'cxtindion de la race de Charlemagiie leur avoir fait éprouver ; ce fyflême nouveau , & qui dif- tingue ce moment de notre hiftoire , tenoit tous les e(- prits tendus vers un feul but ; chacun cherchoit à s'af- lurcr le fruit de fes ufurpations , & les Souverains lut- toient fans cefle contre des valTaux trop puiflans. On ne refpiroit que la guerre ; on ne fongeoit qu'à attaquer ou à fe défendre ; la fuperftition , fruit né- ccflaire de l'ignorance , fe mêloit à l'efprit guerrier , & il en réfultoit des mœurs dures & fanatiques ,* les arts ctoient oubliés (ce n'cft qu'à l'ombre des oliviers qu'ils prennent vigueur. ) Le peu de connoifTances , qui fubfiftoient , étoient réléguées dans les cloîtres , & quelles connoiffances encore? elles étoient peut-être plus funeftes , qu'utiles ; auflî furent-elles dans la fuite un des plus grands obftacles à la renaiffance des lettres: en Orient , au contraire , l'Empire Romain , tout dé- chu qu'il étoit de fon ancienne grandeur, avoit confervc cette urbanité de mœurs , qui n'eft jamais, à un plus haut degré , qu'au moment où la dépravation eft à fon comble ; Conftantinople renfermoit dans fon fein les arts , les fciences , les manufadures; jamais cette ville Impériale n'avoit été la proie des Barbares ; depuis H f9 P R I X D E 177S. Conflantin fon fondateur , elle avoit confervé fa fpîen- âeut, & la cour des Empereurs d'Orient joignoit à une foiblefle réelle tous les dehors de l'antique Majellé de celle des Céfars. L'^Ja^Eml"* Auffi l'étonnement ftupide des Croifés à la vue de ce Foucher un ^P^^^^cle Houvcau ne peut-il fe décrire ; les relations , des hiftoriens que Ics autcors contemporains en ont tranfmifes à la fî'df.quié'toitpoftérité, attellent à chaque ligne combien ces efprits comœEt'el-g.''"fiiers furônt frappés de ces objets, que leurs fic- ne de Char- [ions mcmes n'avoïent pas atteints : les temples & les^ fur la beaut/ palais batis par 1 imagination de nos anciens Roman- noiie^fur kciers, étoicnt beaucoup au-deiTous des réalités, qu'of- dèT^'di'tk", ^'*oi'^ Conilantinople aux yeux de nos ancêtres, k nombre des C'étoit uu motidc nouvcau pour eux; tout excitoit palais & des , ... ùi- r' • • nwniaUeres , leur âdmiratiott , & bientôt après le defir d'imiter de''s rkhcffe's.dahs Icur patrie lés mêmes édifices & les mêmes éta- 'commerce & bUffemens , qui faifoicnt l'objct de leur furprife ^ dut '""j|^j™™='^'=fuccéder au premier étonnement (i). quoiqu'on 'y Ficrs de leur force , & fentant leur fupériorité fur ac^^Eunu- cette nation fuperbe , mais foible , ils regardèrent com- ^"'''' me une injuftice du fort d'avoir favorifé à ce point des peuples , qu'ils confidéroient comme fi inférieurs à eux. (0 Le Piéfident Hénaiilt remarque , que ce fut vers la fin du Xlle. ficelé , que l'architedure fut cultivée en France, & qu'uvet elle fe réveiUerent la Tein- ture, la Sculpture, l'Orfèvrerie , &c. Tel étant le fort det arts , qu'ils marchent (a) Abrégé joaj enfemhle (a). chronol.T. I. Qn m'objcÀera peut-être, que l'architefture Gothique, la feule connue alors p. 162. édit. jjj,j p^j5 Provinces, ne peut avoir été le fruit des Croifides ; mais lorfqu'on confiderc, qnc ce genre d'architeAutc étoit adopté même en Italie, & nommé- ment à Vcnife avant la fin du Xc. fiecle, on ceflera d'être étonné de ce que nos ancêtres préférèrent les ornemens multipliés de l'arcliiteûure gotliiquc à U noble firapHcité de celle de la Grèce. , (S) Voya: d'un Franco 1765 gt t-j66. néanmoins que le projet du Doge Orfcolo , qui la fît conftruire , étoit de fuivrc T. VIII , pag. le modèle de Ste. Sophie , & que ce même Doge avoit des relations dirc(5lcs 15 & lâ. iu-4co. ÉMIGRATIONS. ^9 Ce ne fut pas Conftantinople feule, qui ofFrit aux Croifés des objets nouveaux & utiles; les villes d'Italie cuiti voient le commerce , & leur marine étoit ûoriC- fantc pour le temps; ces objets durent faire une im- preflion profonde fur des Princes , dans qui la valeur & • l'amour de la gloire avoient fculs jufqu'alors dominé , fans cependant avoir éteint ces lumières naturelles , qui font dillinguer aux grandes âmes les chofes vraiment utiles. Pendant près de deux fiecles , que durèrent les Croi- fades, il s'établit des relations fuivies entre les Italiens, les Grecs , & les habitans des Pays-Bas ; ces liaifons durent néceffairement polir les mœurs de nos ancêtres , & leur faire connoitre de nouveaux befoins , fource toujours féconde de l'induftrie néceflaire pour les fatis- faire. En Afie même , la cour des CalifFes étoit fupérieure en fciences & en urbanité k celles des fouverains Euro- péens ; les Croifades firent refluer en Europe ces con- noifTances plus étendues & ces mœurs plus douces. Il feroit difficile de peindre ces objets en détail ; les grands traits feuls conviennent k de pareils tableaux : d'ailleurs la manie des Chroniqueurs de ces tempsrecu- lés, étoit dcs'appcfantir furies relations les plus minuticu- avec les ouvriers de Conftantinoplc , puifqu'// y fit faire un tableau d'orfèvre- rie d'une richeJTe extraordinaire & d'un merveilleux travail (c). Noos troiivcrous itioius fiiigulicr encore , que les Pays-Bas , plus éloignés . que Venife , de Con(- f^j jjjjj ; tantinoplc, fc foient écartés davanuge des modèles que leur offroit la ville Ira- deVenifc,%r périalc. ^ _ ^ l'Abbé L'»'. D'ailleurs, à Conftandnople même, l'architeilure n'étoit plus floriflante dès T. I, p. 3ii' le règne de Juftjnien , témoin l'Eglife de Ste. Sophie; quoiqu'on y eut prodigué le marbre & les ornemens précieux , il n'en réfiiltoit néanmoins au jugement d'un ■Moderne (rf) , qn'nne merveille gothique : la direûion en fijt cependant confiée à /• .-x gi^.^ . Anthcmius de frallcs , le plus nabile atchitede de ce temps-là : ce même Mo- cjurs d'archi* dernc obfcrve , que l'architeûure foufFrit beaucoup des ornemens qu." \i% R<^ teaure cirile. mains empruntèrent des Egyptiens ; il ajoute , que ce furent les Maures , établis introda.^oiv, en Efpagne , qui furent nos maîtres , & que ce furent leurs auteurs, que nos ar- p. £9. T.I. (hitcdes confulterent. Hij 6o P R I X D E 1778. fes des adîons guerrières ; les mœurs , le commerce , les arts , les fciences leur paroifToient des objets pref- que étrangers ; ils fe conformoient fans doute h Tefprit de leurs Lecteurs , uniquement occupés à fe diftinguer par de hauts faits d'armes. De l'influence des Croifades fur l'état po- litique. L'éloignement des Souverains , les régences , qui en font une fuite nécelTaire , l'abfence des Seigneurs & les fraix , que les Suzerains & les valTaux durent faire , influèrent, fans doute, beaucoup fur le Gouvernement des Provinces Belgiques. Les Souverains n'avoient pas encore accoutumé leurs fujets au payement des impôts ,' leurs domaines & quel- ques droits légers d'entrée & de fortie , de palTage , &c. faifoient leur richefle ; le fervice , que dévoient leurs valTaux , faifoient leur force. C'étoit en vendant leurs domaines , que les Souve- rains fe procuroient Targent nécelTaire pour ces faintes expéditions ; c'étoit aufli par la vente de leurs terres , que les vafiTaux fe mettoient en état d'accompagner leurs Suzerains. Godefroi , Duc de Lothier, vendit Stenai à l'Evê- que de Verdun, & fon château (i) de Bouillon à l'E- glife de Liège 1300 marcs d'argent & 3 d'or,* la même Eglife paya au Comte de Hainaut 50 marcs d'argent & une livre d'or pour le château de Couvin (x). Le Sei- (i) Cette vente cft révoquée en doute par l'auteur de l'art de vérifier les dates, p. (ÇjY. (a) M'r. T. I. p. 31S4. Ces mots fe trouvent dans l'achat de \o$6. Quia gratid divind infpirante animo conceperat ( Cornes Balduinus) cum aliis dtvoùs C/iriJiianis Hyerofolimam proficifci. ÉMIGRATIONS. 6t gneur de Trafignies vendit At!i au Comte Bauduin d'Haï naut en 1148. Je me bornerai à ces exemples; ils fuffifcnt pour prouver la révolution , que ces ventes durent occafionner : les Eglifes & les monafteres s'en- richirent. Il fut des ventes d'un autre genre , & dont l'influence fut plus direfte; ce fut celle des privilèges. C'eft du- rant les Croifades , que la plupart des communes s'é- tablirent ; leur crédit devint bientôt fi grand , que la plus haute noblcfl'e , les Souverains mômes te fài- foient infcrire au nombre des citoyens (i). La noblefTc s'afTuroit par ce moyen le fecours des villes ; & dans le fyftême féodil , celui qui pouvoir armer le plus de guerriers en fa faveur , étoit le plus puiflant. C'eft d'après ces mômes principes , que dans' le Xll'^e XIII'"= & XlVni^ fiecles , les plus grands Sei- gneurs étoient Baillis & Avoués des Abbayes (x) ,• en cette qualité ils avoient à leurs ordres les vaflaux des Eglifes , dont ils étoient , de nom , les premiers Officiers ; mais prefque toujours , dans le fait , les opprefTeurs. La proteâion fpéciale accordée par le^ Papes aux terres des Croifés , & l'anathôme lancé contre ceux qui profiteroient de leur abfence pour leur nuire , durent aufli faire cefler, ou au moins rendre infiniment plus rares , ces guerres particulières^ qu'on peut, à 'ju([c titre , regarder comme un des plus grands fléaux qui affligè- rent l'humanité. Mais , fi la protection des Papes étoit utile auxlaïques, il paroît , qu'elle n'étoit pas aufTi efficace en faveur des Eccléfiaftiques : Liège nous en fournit un exemple. Les Chanoines, qui n'avoient pas pris la croix, refufoientà (i) Le Comte de Haiiiaiu fc fit recevoir Bourgeois d'Ath dans le XlVe. fic- elé , ce qu'atieftent les regiArcs de cène ville. (1) Cette remarque cft tirée des annales de S. Ghilain en Hainaur. 6% P R I X D E 1778. ceux , qui étoienc en Paleftine, les revenus de leurs pré- bendes ( Gallia Chrijliana , T. III , p. 38. ) Si c'eft en effet , comme il n'eft guère pofTible d'en douter ,' aux Croifades, que l'on doit principalement la cefl'ation des guerres , que la noblefîe fe faifoit ; quelle ^ obligation ne leur a-t-on pas ? c'eft à la ceftation de ces funeltes difcordes , que l'on peut attribuer le commerce, qui vers le temps des Croifades commença à fleurir dans les villes de Flandre , les progrès de l'agriculture, . qui rendit fécondes des terres, qui jufqu'alors n'avoient été que trop fouvent arrofées du fang des poffcfTeurs, & l'obfervation deS loix , qui reftoient fans vigueur , quand la force leur étoit fubftituée. Je crois devoir aufîx affigner à l'époque des Croifa- des l'affranchilTement des peuples Belgiques; je vou- drois citer des a6tes pofîtifs , qui puffent nous inftruire des motifs & des conditions de ces affranchifTemens dans les différentes Provinces ; mais j'en trouve peu : un cependant me paroît mériter particulièrement notre attention ; c'eft celui par lequel Marguerite , Comteffe de Flandre & de Hainaut, affranchit en ixjx, (i) les ferfs de fes domaines en Flandre. 1°. Le motif exprimé eft: purement la religion; le motif politique n'y entre pour rien , au moins n'y en eft-il pas fait mention. x°. L'état de ces ferfs étoit tel , qu'à leur mort , la moitié de leurs biens appartenoit au Comte de Flandre. 3°. Ils dévoient en outre le fervice & les corvées, fcrvitia & angarice. 4°. La Comteffe fe réferve le droit de meilleur catel. (i) Je crois devoir avertir ici qne dans la table des placards de Flandre, cet aftranchifTement fe trouve [par erreur] fous l'année nji. ^ , Les ferfs , dans les terres des Seigneurs , n'étoicnt pas encore tous affranchis en 13 14 ; Témoins les lettres d'affianchiffemcnt , qui fe trouvent dans Mira:us. ÉMIGRATIONS. 6^ & ce droit y eft clairement expîi(^ : en outre une ca- pitation de 3 deniers par an pour chaque homme , & Un denier pour chaque femme payables à la S. Rémi. Un diplôme de Jean d'Avênes ( petit fils de la Com- tefTe Marguerite ) , mérite aufli d'être cité ici. Ce Prince exempta , par cet ade, les Bourgeois de Mons du droit de morte-main ou meilleur catel (i); ce qui prouve , que jufqu'alors les Comtes en avoient joui. C'étoit , fans doute, un droit qu'ils s'étoient réfervé, lorfqu'ils accordèrent le droit de Commune à la ville de Mons. Mais nous n'avons aucunes lumières fur le moment où cette ville a joui de ce droit précieux. Le plat-pays gémiflbit encore dans l'efclavage , & les habitans des domaines du Prince ne jouiffoient pas de la liberté comme en Flandre ; ce même titre , qui eft de 1 2,9 5 , nous l'apprend en ces termes : » Nous & nos hoirs povons nos Jîerfs ou nos Jîerves a rcquerc & reclamer. . . . dedens an & jour jpuif^u ils y \ M feront premiers venus demorer. Il eft ftipulé enfuite , que , lorfque les ferfs & ferves auront habité la ville de Mons , ou fa Banlieue , pendant un an & un jour , le fouverain ne pourra plus les re- clamer. Mais pour éviter, que les ferfs des domaines ne cher- chafTent à s'affranchir par leur établiffement à Mons , Jean d'Avênes ordonna , que les Echevins , lors de leur réception, s'obligeafTeni^ par ferment, à dénoncer à l'officier du Prince les ferfs, qui fe trouveroicHt dans la ville. (1) Le droit de mortc-matn fcntoit la fervi:udc : Philippe , Comte de N.imur, l'ayant voulu exiger des Chevaliers de fes Domaines & de ceux des Abbayes , dont il étoit Avoué, fut oblige de renoncer à cette cxadlion par aûe de un. [ Mir. T. I, p. 197. ] & de convenir , que cette ufurpation ctoit injuftc, indé- cente, & contraire à l'honneiu de la Chevaleiie. 6^ P R I X D E 1778. En effet , raf&anchiflement , que les ferfs cherchoient à fe procurer en s'écabliffant dans les villes , excitoit depuis long-temps les juftes plaintes des Seigneurs (i). Tournai avoit des loix & des (x) coutumes avant Tan 1 187 , époque de la charte , qui inftitua & régla fa commune. Parmi les articles de cette charte , le 1 9™^ mérite d'être rapporté ici. Si quis cruccm , dominicum vijltaturus S cpulchrum , acceperit ; occafionc crucis non remanebit , quin ciim opportcat jura civitatis & confuçtudines objcrvarcfecun- diim omnes divitias fuas , prcetcr (3) has , quas fccutn deferet ad ftrvltium. Dci. Parmi les diplômes de libertés accordés vers ce» temps-là , aucun ne prouve mieux combien les Croi- fades y influèrent , que celui accordé par Philippe , Comte de Flandre , à la ville dWire : en voici les termes : » Ego PhU'tppus FI. & Virom. Cornes prejèntibus & fiituris &c, P crcgrinaturi in terram fanclam.... Dignum duxi- mus hominibus tcrrce nojîrai libcrtatem & immunitatcm y quam eis antccejforcs nojlri rétro principes indulferunt y confervarc & conjirmare. Ce même diplôme prouve , que les privilèges des ha- bitans d'Aire datoient du règne du Comte Robert & de la ComtefTe Clémence. Bapaumes eut une charte de privilèges en iig^,' Aras en ixii ,• Tenremonde en 12-33J Namur avant ixxi , &c. &c. Anvers (i) Voyez du Cange au mot Communancia , Col. II,L. 45 &fuiv. (O Spicilegium, T. III , p. 55I. (}) Dans d'Achery on lit propter , ce qui ne lîgnifieroit rien. Ê^M I G R A T I O N S. 6^ Anvers jouiflbic du droit de commune avant 1114.. Mir»ut,T.i, témoin le diplôme adrefle cette année , par Godefroi , •*' ''' Duc de Loth'ier , B. trièuno 6' omnibus Antuerpienfibus, iiC môme a6le prouve , que les habirans d'Anvers n'é- toient pas tous vallàux du Duc : il diAingue homincs fui & amici Jui,^-"> -'■- Grandmont , long-temps avant iioo , (Mirjeus, T. I, p. ^9I. )' 11 réfuke de ces faits , que les Croifades contribuè- rent k un des établiflemens les plus utiles , qui s'intro- duilirent alors. Examinons maintenant li elles influè- rent fur la conftitution même. » C'étoit un principe fondamental dans le fyftême »j féodal , qu'aucun homme libre ne pouvoit être gou- « verné & taxé, que de fon propre confentement (i) «, Il enréfulte, que, chaque fois, que le Suzerain vou- loir faire quelque règlement , il devoit afl'embler fcs •vaflaux, qui feuls pouvoient donner, de concert avec •leur Souverain , la fan6lion aux loix. - Mais ces afTcmblées nationales exifterent-elles cons- tamment , ou ne s'introduilirent-elles , qu'infenfible- ment ? C'eft ce que l'hiftoire & les monumens publics peu- vent feuls nous apprendre. Un auteur Moderne (x) a traité avec afTez d'étendue cette matière intéreflante , & il attribue aux Croifades l'ufage plus fréquent des affemblécs nationales. Il s'exprime en ces termes : V Les Seigneurs, qui avoient quelques affaires com- •» munes , imaginèrent de safTemblcr dans un lieu com- » mode , dont ils convenoient , & prirent l'habitude (i) Robtrtfôn , introduilion à l'Hifloitc de Charles V , p. 34. (i)Mably. ..% i4 P R I X D E 1778. » d'inviter leurs amis & leurs voifins à s'y rendre, V pour délibérer de concert fur leurs prétentions. » Ces efpcces de Congrès, qu'on tint affez fouvcnt M à Foccajion des Croifadcs , des entreprifes du Cler- w gé, &c. fe nommoient alors Parlemens : les Parle- n mens ne faifoient point partie du Gouvernement n féodal ; on y concluoit des conventions , des Traités » de ligues , d'alliance ou de paix , & non pas des » loix «. Cette idée efl la fuite d'un principe, que je crois in- conteftable ; c'eft que le fyftême féodal établiflbit une chaîne de Souverains , dont la dépendance fe bornoit aux fecours militaires ; mais d'un autre côté , il me pa- roît prefqu'impoffible , que les pairs d'un grand fief n'euffent pas régulièrement des queftions à traiter re- lativement aux intérêts communs du Suzerain & des vaflaux. Si nous ne trouvons pas ces afTemblées défi- gnées par le nom d'afTemblées nationales , n'en foyons pas furpris ; les vaflàux dévoient, à certains jours mar- qués, fe trouver à la cour de leur Suzerain , pour y af- jfifter aux plaids; c'étoit lors de ces plaids deftinés à décider les affaires des particuliers , que fe difcutoient aufîi les affaires nationales; cette idée me paroît ré- fulter naturellement de la nature du Gouvernement féodal. Dans le Hainaut , ce que nous appelions aujourd'hui VaJfemhUe des Etats, étolt encore connue dans le XIV™' fiecle fous le nom de Parlement i les comptes de cette Province en font foi. Il réfulte aufli de ces comptes , que le Souverain con» voquoit déjà alors ces affTemblées. Les annales de cette même Province rappellent auff. une aflèmblée des Etats tenus à Mons le ^6 de Juin ÉMIGRATIONS, ^> 1X00 , pour rédiger par ccric les loix du Pays (i). Ces loix , qui font parvenues jufqu'à nous , méritent d'être comptées au nombre des monumens les plus précieux de notre hiftoire ; puifqu'elies nous ont tranfmis des yfagcs fur Icfqucls les hiltoriens ne nous donnent que des connoiflances infuffifantes 6c rarement exactes. Je m'apperçois , que je touche au point le plus clTen- tiel de la conftitution des Provinces Belgiques; k une queftion , qui mcriteroit d'être traitée avec une étenr due égale à fon importance , & qui feroit peut-être lai plus intéreflante que l'Académie pût propofer. Mais, avant d'abandonner un fujet, que je me fens avec raifon une certaine complaifance k difcuter , je crois devoir y ajouter une nouvelle réflexion ,• c'eft que la conftitution des Provinces Belgiques ne doit pas être traitée uniformément,* elles étoient toutes , à la vérité , régies par la loi féodale; mais on doit diftinguer, avec foin , celles qui rclevoient de l'Empire , de celles qui relevoient de la France; dans ce royaume, la loi féodale plia infenfiblement fous la puiflance préponde-r rante d'un fouvei*ain héréditaire : l'Empire , au con-' traire , gouverné par des chefs éledifs, fut conferver fa conftitution féodale jufqu'à nos jours; différence , dont l'influence fut fenfible fur les ufages des différentes. Provinces Belgiques , & qu'on ne doit jamais perdre de vue. Je reviens au fujet de ce Mémoire ; nous avons vu,, que les Croifades rendirent les aflémblccs nationales plus fréquentes ; l'abfencc des Souverains dut auflî leur faire acquérir plus de confiftance : en effet , ces faintes. expéditions bouleverfant , pour ainfi dire , toutes nos (0 II eft parlé de c«$ mêmes Etats dans une charte de Dauduin. Conyocati* Ftandriie , Hannonitc Baronibut , ïflcafu quorum & confiUo omnia prteordiiuivit [Baiduinus Comcil 6S PRIX Û E 1778. Provinces , & fur-tout , la fucceflion dans les maifons des Souverains; quels intérêts importans, les Pairs de cha- que Province , n'eurent-ils pas à traiter , & avec quelle autorité ne durent-ils pas les régler , n'ayant k leur tête que des régens, que la nécefîîté d'envoyer à chaque inf- tant de nouveaux fecours d'hommes & d'argent , ren- doit dépendans delà bonne volonté des vaflaux? Les plus confidérables , à la vérité , & les plus turbu- lens étoient eux-mêmes enPaleftine; mais ceux , qui ref- toient, n'en dcvenoient que plus puilTans, fe trouvant k la tête de toutes les aftaires. ' o:fo ^jfi On peut néanmoins affurer , qu'en général les Croi- fades contribuèrent a l'affoibliflement de la noblefîe & Voyez Daniel k l'augmcntation de la puiiTance des Souverains : on de la Milice • /- j r J 1' • j T> • Françoife , t. convient quc ce rut une des caules de 1 empu-e des Kois !• p- «s?- (Je France fur leurs vafTaux ; je crois , que par la même raifon les Souverains des différentes Provinces des Pays- Bas en devinrent moins dépendans des leurs. Une queftion , qui dérivé de la précédente , c'cft l'exa- men de l'influence des Croifades fur l'adminiftratioît- de la juftice / un des privilèges des Croifés étoit , que Du cange leurs caufcs fe jugeafTentau tribunal eccléfiaftique; quel «u mot Cruce >'-'.. ^ ia-i roi fisiMi. changement un pareil abus ne dut-il pas opérer, & quel furcroit de puiffance ne procura-t-il pas au Clergé ? Ces expéditions lointaines, les opérations néceffaires pour s'y préparer , les contrats qui y étoient relatifs durent aufit faire naître mille difficultés jufqu'alors in- connues , & auxquelles aucune coutume , ni aucun ufage n'avoient pu pourvoir : ce fut, fans doute, l'o- rigine de plufieurs nouvelles loix. Ce fut auffi pendant les Croifades , que le droit Ro- main reprit vigueur (r). t) In GaUia vero ad vicinos helgas adulto jam feculo duodecimo & faculo É IVÏTG R S r'i^C^l^S. ^9 ■ Blackftoh'e attribue la perte de la liberté politique delà plupart" des états de l'Europe à rintrodudioit- dé ces loix étrangères., qui énervèrent les courûmes féodales ; il^appuic fon fentiriient , en remarquant , que la' con-ftitution libre de l'Angleterre , en (e refufant à fon" joug, s'cft toujours de plus en plus perfeélionnée. Je m: bornerai à cette remarque fur un fujet déjà propofé par l'Académie , & traité à fa fatisfaélion. "'Si' les Croifades itifluerent fur les loix, les coutuines &. les moeurs des Pays-Bas, coniffie nous venons de le voir, elles n'influbrent. pas moins fur la fucceffion des maifons régnantes. ' . ',' '• , " En Brabant elles Kïrëh't' entrer le'Dùché de la Bafle- Lçrç^ipe fucçe/Tivement dans les maifons de Limbourg &,de?Lonvaîn. - En Hainauf, le mariage de Richiîde , héritière de cette Province , avec Bauduin de Flandre , avoit réuni ces deux Comtés ; bientôt après , l'ambition de Robert, frère de Bauduin , les défunit de nouveau. Les Croifa- des firent rentrer ces Proyinces fous leur fouverain lé- gitime; elles contribucrentau mariage de Gertrude de Flandre avec un Prince de la maifon d'Alface ,'qui dut à cette alliance la fouveraineté de cette Province : Phi- lippe d'Alface , étant mortenPaleftine; fa fœur, mariée au Comte de Hainaut, devint fon héritière; mais cette union de la Flandre & du Hainaut , vint encore à cefier par 'l'influence des Croifades: leur Souverain , monté fur le trône de Conftantinople , perdit la vie en défen- dant fes nouveaux états : fes filles , Jeanne & Margue- rite , fous la tutelle du Comte de Namur & de Bou- chard d'Avênes, devinrent fucceffivement héritières ds decimo tertio incipieme dimanare potuit [ juS Romacum, } Difcouis couronné en 1776, p. 4P & jo. 7» - P R I X D E 1778. ces Provinces ; mais rabfence du Souverain avoic en- gagé Bouchard à abufer de fa confiance ;. Marguerite étoic devenue mère; Bouchard, quoique engagé dans., les ordres, avoir déterminé fa pupille a recevoir fa main; mais l'illégitimité de cette union fut bientôt connue;., Marguerite , plus occupée d'elle , que des enfans nés de fon mariage avec Bouchard , fe remaria à Gui de Dam- pierre ; les enfans nés de ce fécond mariage , confidé-. rant ceux du premier comme illégitimes, prétendirent fuccéder feuls à leur mère. Les d'Avênes , au contraire , comme les aînés , & s'appuyant fur la bonne foi de leur mère , lorfqu'elle avoir époufé Bouchard , réclamaient également fon hé- ritage. Ces derniers étoient foutenus par le Comte d'Hol-^' lande, Roi des, Romains, donc l'aîné avoit époufé la fœur. Après une guerre longue & meurtrière , le Hainauc refta aux d'Avênes, la flandre aux Dampieres. La Province de Namur refTentit encore pjus paru-j. culiérement l'eiFct des Croifades. A la mort de Philippe le Noble, ce Comté devoit appartenir à Henri , Empereur de Conftantinople ; cC" lui-ci le céda à Jolande fa fœur , époufé de Pierre de Courtenai , qui , étant monté, à ce titre , fur le trône de Conftantinople , céda Namur à fon fils aîné , à qui de- voit naturellemeat tomber la couronne Impériale , à la mort de fon père ; mais Philippe préféra de demeurer à Namur , & céda l'Empire à fon frère cadet. Philippe étant mort , ainfi que Henri fon frère & fon fuccelTeur; Marguerite, leur fœur, s'empara du Comté de Namur au mépris des droits de la branche Impé- riale ; l'Empereur Bauduin, réduira mandier le fecours des Princes de l'Europe, revint à Namur, en dépofTéda ÉMIGRATIONS. 71 fa fœur, & engagea le Comté au Roi de France pour une fomme de 50 mille livres , qu'il employa en vain à foucenir fa couronne chancellantc,- partant pour .Conftantinople, il laifTa le Gouvernement de Namur à Marie fon époufe : depuis cette époque , tout y fut dans la plus grande confulion ; enfin Bauduin vendit Namur à Gui de Flandre pour ao mille livres. Cet expofé, tout fimple qu'il eft, a peu befoin de commentaire ,• il efl aifé de fc figurer les maux & les dcrordrcs,que cette incertitude dans la fucceflion, duc caufer ; & ces maux furent une fuite des Croifades. De l'effet des Croifades fur la population. L'Émigration immenfc , qu'occafionerent les Croi- fades , diminua fuccefîivement , pendant près de deux flecles, la population des Provinces Belgiques ; & cette diminution influa également fur toutes les claflcs de la fociété : l'agriculture en fouffrit effentiellement; les terres , devenues moins précieufes par le défaut de cul- tivateurs , baiiTerent de prix : les denrées de première néceffité s'avilirent faute de confommateurs , & la maffe des richefles nationales en diminua proportionellement. Les manufactures manquèrent d'ouvriers , la naviga- tion de matelots, l'état de défenfeurs; mais les puilfan- -ces voifines ayant aufli été victimes de la paffion des guerres faintes, & s'étant affoiblies dans la même pro- portion, les fuites de la dépopulation des Pays-Bas furent moins dangereufes. D'ailleurs , je crois devoir remarquer ici , que la cftufede cette dépopulation n'étant, qu'une efFervefcence paffagere , les funeftes effets, qui en dérivèrent, ne fu- rent aufli que momentanés. On. peut efPeftivemenc regarder comme un principe r7x P R I X D E 1778. certain, que la population n'eft jamais arrêtée , que par le défaut d'occupation ou d'émulation; tout pays où l'homme trouve à le nourrir lui & fa famille ,• tout pays , • où rindullrie n'eil pas éteinte dans le cœur des citoyens, : fe peuple de fes propres habitans;, qui fe multiplient en raifon des moyens de fubfillance, qui s'offrent pour prix de leurs travaux. '> i.*'' c L'Amérique nous donne un; exemple frappant de cette vérité ; une partie de ce vafte continent, habitée par un peuple de chafî'eurs , ne dcmandoit que des cul- tivateurs, qui tiraffent defon fein les richeiTes natu- relles , qu'elle leur olFroit avec profuficn : cette aifance à s'aflurer les moyens de fubfiiîer & d'élever Jéurs fa- milles , engagea les habitans de l'Amérique à fe marier beaucoup plus jeunes , &; à ne pas craindre de voir leurs enfans fe multiplier au-delà des rclTources néceffaircs à leur entretien.,* auffi, tandis qu'on compte qu'en An- gleterre il ne fe marie annuellement qu'une perfonne fur cent; on calcule, qu'il s'en marie le double en Amérique (i). De ce principe, établi fur la théorie & fur l'expé- rience , il réfulte , que la dépopulation , occalion- . née dans les Provinces Belgiques par les Croifades , ne fut, que d'une durée égale au temps nécélfaire pour ré- - parçr cette perte, & que ce temps fut moins long en ? proportion de l'encouragement, que donnoit au peu- ple la facilité d'acquérir des moyens de fubfiftance , dont f avililTement du prix des terres avoit diminué la valeur. .„ Il refte une autre réflexion à faire, & dont les fuites rméritent une attention férieufe,- il efl certain , que le nombre (i) Les CKurres 4u Dcûcur FiiUiklin en font foi, T. II. p. m. ÉMIGRATIONS. yj; fîombrcdes guerriers, qui périrent en Paleftine,futbie« fupérieur k celui des femmes, qui y finirent leur car- rière ; aufli l'hiftoire nous apprend-elle , que plufieurs Abbayes de femrhes doivent leur exiftence aux veu- ves des Croifés , morts en Afie ; telle eft , afTure-t-on , l'origine des Abbayes de Salfinne & de Marche-les- Dames dans le Comté de Namur (i). Cette difproportion entre les deux fexes pendann l'efpace de deux cens ans doit néceflairement avoir in- flué fur les mœurs , en augmentant confidérablemenc ces unions paflageres, fi juflement condamnées par la plus pure des religions ; il femble en eft'et , que ja- mais les naifTances illégitimes ne furent plus commu- nes , que dans le XII""' 6c le XIII'"^ fiecle ,* je crois même pouvoir avancer , que les fruits de ces unions illicites jouirent alors d'une confidération fupérieure à celle dont ils ont joui dans d'autres temps. On afTure , il eft vrai (i) , que , fuivant les calculs, que l'on a faits en divers endroits de l'Europe , il y naît plus de garçons que de filles ; mais cette difproportion ne peut être afTez grande pour détruire l'obfervation précédente. (i) Hiftoirc de Namur, pag. 135. (1) Efprii des Loix, L. XVL Ch. IV. y^- -1? "R I X D S :177g. ■■>^.. Des Armoiries. Dès les temps les plus reculés les hommes célè- bres , les nations mêmes ont afFe6té de fe faire recon- noître parcercaios fignes, qu'ils avoient adoptés : les uns en ornoient leurs écus , les autres en compofoienc leurs enfeignes; mais ces marques de difl:in<5tion n'é- toient ni héréditaires , ni fixes ,• elles le font aujoui'd'hui ; mais depuis quelle époque ? c'eft fur quoi les favans ne font pas d'accord ; les uns regardent les Tournois- comme la vraie fource des armoiries , les autres en at- tribuent l'invention aux Croifés. M. de Fonccmagne adopte un fentiment mitoyen; w je crois, dit-il, qu'il » faut admettre enfemble les deux opinions , & que » féparées, elles ne peuvent nous donner tomplette- i) ment l'origine que nous cherchons : l'ufage des ar- n moiries s'introduifît d'abord par les Tournois , donc » l'établiffemcnt a précédé , de quelques années, la w première Croifade. Il n'en faut pas d'autre preuve, M que le fceau de Robert le Frifon , Comte de Flan- n dre; ce fceau eft attaché à un afte de 107X5 par » conféqitent , antérieur toient. M C'eft aux Croifades , que le blafon doit les noms » de fes émaux , azur , gueule , finople & fable , s'il ri eft vrai que les deux premiers foient tirés dcTArabs w ou Perfan , que le trolfieme foit emprunté de celui » d'une ville de la Cappadoce, & îe quatrième, une M altération de Sabdima pcllis, martre zibelline, ani- » mal commun dans les pays , que les Croifés traver- w ferenr. w Ceft auffi , vraifemblablement , par les Croîfades , >î que les fourrures d'hermine & de vair , qui fervirenc w d'abord à doubler les habits , puis à garnir les écus , » ont pafle delà dans le blafon a. Telles font les remarques, que j'ai cru devoir tirer de M. de Fonccmagne ; elles renferment , à-peu- près, tout ce qu'il eft intércffant de favoirfur un fujet auffi frivole : j'y ajouterai cependant, que l'exemple, cité du fceau de Robert le Frifon n'eft pas décifif; -puifqu'il eft vraifcmblable, que le lionne continua pas à être, depuis lui, les armes des Comtes de Flandre; ils né le portèrent conftamment , que depuis Philippe d'Alfacc , Prince d'une autre maifon que Robert : on prérend même que ce fut pendant les Croifadcs , qu'il changea fes armes, en mémoire de ce que la cotte d'ar- mes de Nobilion , Roi d'Albanie , qu'il avoit tué , étoi^t chargé d'un lion de fable. Si cela étoit, la preuve^, que M. de Fonccmagne a tirée du père Méncftrier, ccfleroit d'en être une ; mais rien ne relTcmble pîus à •«ne fable ., que cette origine des armes des Comtes de Flandre; auffi Meyer (p. jZj ann. 1178), rejettanc Kij 7^ P R I X D E 1779. cette opinion à l'exemple de Vredius(i) , en propofe unes iaiure , qui ne feroitpas moins contraire à la preuve que nous difcutons j ii croit que les Souverains des diffé- rentes Provinces Belgiques prirent , d'un commun ac- cord , le lion pour leurs armes , avant d'entreprendre le voyage de la Terre-Sainte; en effet ^ les Comtes de Flandre , de Hainaut , de Namur , de Luxembourg & le Duc de Brabant , portèrent un lion pour armes ,• mais je ne trouve, dans les anciens auteurs, nulle trace de cette opinion. Qu'en conclure } que nous ne favons rien de certain fur cet objet , que le hafard feul peut éclaircir ; & ce hafard fera dû, fans doute, au goût de l'hiftoire natio- iiale , qui commence à fe répandre dans les Provinces Belgiques, & que l'Académie faura régler & faire ré- gner de plus en plus : on ignore encore combien de monumens originaux & décififs font enfevelis dans les bibliothèques & dans les archives des monafteres ,* celles mêmes du Souverain & des états étoient , il y a peu de temps , en défordre : mais on travaille à les, mettre dans un ordre, qui les rendra utiles; ce ne fera cependant qu'aprc?s l'exécution d'un plan aufli fage,que les favans pourront y découvrir des vérités hiftoriques: jufqu'à préfent inconnues. Quan.c à l'objet, qui m'occupe actuellement , je me bornerai à remarquer ici, que les armes anciennes des. Comtes de Hainaut (les chevrons) me paroiffent con- courir à prouver l'exiftence des armoiries antérieure- ment aux Croifades : il eft apparent , que ces armes furent celles de Richilde , héritière des anciens Comtes de Hainaut , qui époufa Bauduin de Mons , puifque ceuoc de leurs defcendans , qui pofféderent le Hainaut , les (0 Vredius, T. I. pag. ii, 13 & ij. ÉMIGRATIONS. 77 adoptèrent, tandis que les Comtes de Flandre ne les portèrent jamais. Au refte, dbs l'an 1088 , Raimond de S. Gilles, Comte de Touloufe , portoit la croix pour armes , & fes fucceffeurs l'ont conftamment portée de- puis lors (Traité de diplomatique, T. IV , p. 2-35 )» il réfulte de ce que je viens de dire , qu'on peut re- garder le fentiment de M. de Foncemagne comme le plus admiffible , jufqu'k ce que de nouvelles décou- vertes nous mettent à même de porter un jugement certain : auffi ce fentiment a-t-il été fuivi par les favans Bénédidins, auteurs du nouveau traité de diploma- tique. De V argent monnoyé. Les Croifés exportèrent certainement une quantité confidérable d'argent monnoyé : cette exportation di- minua la mafle de ce métal , qui circuloit en Europe , & cette diminution d'efpeces doit avoir eu une in- fluence remarquable fur le prix des denrées ; une fomme quelconque en rcpréfenta une plus grande quantité , & fi l'exportation fut plus forte dans certains états, que dans d'autres, ceux-là s'appauvrirent proportionnelle- ment : les Provinces Belgiques furent-elles de ce nom- bre ? l'affirmative paroît peu douteufe , puifque les Prin- ces des diftércns états , qui les compofent , fe fignale- rent dans toutes les Croifades,- ajoutons donc ce fléau à ceux, qui furent une fuite de ces expéditions, qu'un . zèle inconfidéré fit entreprendre. De la Religion. Depuis près de deux fiecles le culte des idoles; ëtoit anéanti ; en vain les Normands avoient détruit les Temples du vrai Dieu, & maffacré fes miniftres; ^8 P R IX DE 177Ô. les Provinces Belgiques étoient toutes foumifes au joug de l'évangile ,• & fi les vertus que la religion enfeigne , n'écoient pas pratiquées , les dogmes de l'E- glife n'en étoient pas moins refpc^tés. Les vices con*- traires k la religion , n'étoient pas plus rares , qu'au- jourd'hui, mais on n'a voit pas encore imaginé de cher- , cher à détruire la religion , pour fuivre, fans remords, la voix impérieufe des paflions. Le Clergé avoit à fa tête des Prélats recommanda- bles parla fainteté de leur vie & par leur application; les monafteres donnoient l'exemple des mœurs les plus pures & de l'amour le plus décidé pour l'étude (i). En vain déclame-t-on contre les ufurpationsdu Clergé à l'occafion des Croifades , contre ^augmentation de leurs richelTes , & contre leur crédit trop puiffant. Je crois , que les intérêts de la religi.on & des peuples c'en foufFrirent pas. Le Clergé , il ell vrai , s'attribua la plupart des ju- gcmens; il ufurpa les caufes relatives aux mariages, aux teftamens , enfin toutes celles des Groiféis ; mais , à parler fans prévention , ne valoit-il pas mieux être jugé pair des eccléfiaftiques éclairés pour leur fuch , que par des laïques , dont l'ignorance rendit les combats judiciaires néceffaires , abus , qu'vme jurifprudence plus fage déracina peu-k-peu ? Les terres des eccléfiaftiques étoient mieux culti- vées , & la raifon en eft limple ,• les religieux gouver- (1) J'ai avancé , que les études d'alors avoicnt nui à la renaiffance des lettres, 011 pourroit me foupçonnèr de contradiftiôn ; mais je prie 1: Lecteur de confidé- »er, qu'en parlant ici de l'application des Prélats & des moines aux études, je ne parle pas du genre de ces é:udes , mais uniquement des qualités de ceux , qui Jes cukivoient : or il eft poffible d'aimer l'étude , & en même-temps de cultiver des connoiflances peu utiles ; d'ailleurs , il faut toujours éviter de confondre les épiiques : l'homme le plus favant du Xfle. fiede paioitroit ignorant aujourd'hui ; «nais, ce même homme, né dans le XVIlIe. fiecie , fe feroit diftingué aujonr-, d'hui, comme alors, de fcs contemporains, dans la même proportion. É M I G R A T I O N S. 79 noient eux-mêmes leurs cenfej, & en cultivoicnt les terres de leurs propres mains. L'intelligence , qui di- rigeoit leurs travaux, devoit être fupéricure à celle des autres cultivateurs; puifque le même efpritanimoitun corps toujours permanent, & que ce corps n'étoit pas Tu- jet aux variations de fyftcmes, qui empêchent les farfiilles particulières de fuivre conftamment un même projet. Quelques-uns de mes Lecteurs croiront peut-être , que , dans le temps des Croifades , les moines avoient déjà abAudonné la culture des terres ,' j'en ai aufli douté long-temps ; mais un monument du temps m'a con- vaincu : le voici. M Un gentilhomme très-cruel , appelle Godefroi de ^'. y»ddere, V Wefemale , vint à quelque cçnfc de Villers , appellée ducs de Bi»k, V Gerimdiuin , où il fe mit à pilîer les chevaux , & em- ''' " * w porta tout , après avoir cruellement battu les frcrcs » de la dedans «. Ce fait cft antérieur k l'année 1x^3 , mais de peu d'années; il me paroît fuffifant pour prouver, qu'alors les religieux cultivoient encore leurs biens. Quant au crédit des eccléfiaftiques; cène fut pas la fuite d'un fyftême réfléchi, mais de la fupériorité de leurs connoifl'ances ; cela me rappelle la réponfe de la Maréchale d'Ancre : interrogée fur les moyens , qu'elle avoit employés pour fubjuguer l'efprit de la veuve d'Henri IV} elle répondit, qu'elle n'avoit employé d'au- tre refTource , que l'afcendant, que donne un efprit fort fur un efprit foible ; de même , le crédit des eccléfiaf- tiques ne doit être attribué , qu'à l'afcendant, que donne l'étude fur l'ignorance. L'obligation , que les Princes contradoicnt , en fe croifant , étoit regardée comme facrée ; ceux des Croi- iés , qui ne pouvoient accomplir leur vœu , fe faifoient remplacer par des troupes à leur foldc ; témoin le tefla- 8o P R I X D E 1778. ment d'Henri III, Duc de Brabant. En voici les termes : » Item fi nos fignati cruce tranfmarina non folvt- i> rimus itcr nojlrum ad J'atisfacicndum fuper hoc altijjî- 3) mo , in rcdcmptioncm ipfius crucis 6* vot'i nojiri , vo- w lutnus quod capiantur de promptloribus & primis redi- M tibus & proventibus nojiris quatuor millia librarum w Lovanienjium , cum quâ pecuniâ milites cruce Jîgnati iy pro nobis ibunt y & fervient Dca in partibus tranf- » marinis ((. Rien ne prouve mieux combien les Princes de ce temps étoient religieux obfervateurs des engagemens , qu'ils avoient pris relativement aux Croifades : ils les regardoient comme une expédition fainte; aufli leur premier foin étoit-il de fe procurer en Afie les plus précieufes i-eliques pour les envoyer dans leurs états. witxu,, T. I. Godef roi de Bouillon en envoya à l'Eglife de Lens en i«g. 204. Artois , ce que nous apprenons d'un diplôme de Ro- bert I^"^- , Comte d'Artois , de 1 247. » Reliquiœ f qux pcr Godefridum de Bullon , regem w Jerqfolymorum , acquifitœ in partibus tranfmarinis «. Henri, Empereur de Conftantinople , en envoya à Philippe , furnommé le Noble , Comte de Namur , fon frère,- la lettre qu'il lui écrit à ce fujet,fe trouve dans Mira^us. T. I. p. 405. Je me contenterai de citer ce peu d'exemples; un détail plus long feroit inutile & ennuyeux. jDe Van militaire. Les befoins mutuels ayant raflemblé les hommes en fociété , l'amour de la propriété les mit en garde con- tre ceux, qui cherchoient à leur ravir le fruit de leurs travaux; le defir de s'approprier, fans travail, le pro- duis de l'induftrie des autres , arma les ravifleurs ,' dès- lors ÉMIGRATIONS. 8r lors l'art d'attaquer & celui de fe défendre, occupèrent le genre humain : les Croifades contribuerent-ellcs à aug- menter les connoiflances relatives à cet objet? c'eft le lujet , qui va m'occuper. Les Romains avoient perfeétionné l'art militaire au point, qu'il leur procura l'empire de l'univers connu; cette puifl'ance formidable ayant fuccombée fous fon propre poid, les nations barbares, qui en avoient par- tagé les ruines , s'approprièrent leurs armes offenfives & défenfives, qui li long-temps avoient été les inftru- mens de leurs défaites. Mais cet efprit d'ordre , & ce fyftême fuivi , qui avoient fait la force de Rome , ne furent pas adoptés par les Barbares , que les armes feules des Romains avoienc frappes. D'ailleurs, près de fix fiecles, qui s'étoient écoulés depuis la deltrudion de l'Empire dans la plus grande partie de l'Europe , jufqu'au moment des Croifades , avoient totalement changé l'art de la Guerre ; le fyftême féodal fur-tout, en transformant chaque polTelîeur de fief en petit tyran , occafionna , dans les armées , le dé- fordre le plus contraire à l'efprit militaire ; les armées , au lieu d'être un feul corps parfaitement uni, & con- duit par un feul chef, devinrent l'alTemblage d'une quantité de petits corps de troupes , dont les chefs étoient divifés entre eux, & prétendoient également agir d'après leurs caprices. Chacun s'armoit à fa manière , fervoit aufli long- temps, que fon vafTelage l'exigeoit, & fongeoit plutôt à fa gloire perfonnelle, qu'à l'intérêt de fon Souve- rain. C'eft cet efprit , qui anima les armées des Croi- fés. Quand les Souverains avoient pris la Croix, leurs vafîaux les fuivoient ; aulïi voyons-nous dans les L 8i P R I X D E 1778. Provinces BclgiquGs , les Souverains des Provinces , qui relevoicnc de la France , combattre fous l'enfeigne des Lys , tandis que ceux , dont les fiefs relevoient de l'Em- pire, fuivoient les drapeaux des Empereurs : dans la di- reiâion même de leurs voyages , cette difFérence ell remarquable. On demandera peut-être comment les Suzerains , qui ne fe croifoient pas , permettoient k leurs vafTaux d'a- bandonner leur Etats pour ces expéditions lointaines ? qu'on fe rappelle la puiffance des Papes , & qu'on fe fouvienne, que ces guerres étoient commandées au nom de Dieu ; cette queftion cefTe d'en être une. J'en reviens au fervice militaire ; les Croifades con- tribuèrent beaucoup à y répandre de la confufion „ par )) la mort d'une infinité de nobleffe, qui périt dans les )> Croifades, les fiefs pafierent fucccfîivement dans dif- » férentcs mains & dans différentes familles ; peu-à- ii peu la tradition touchant la qualité du fervice , dû i> par divers Seigneurs , devint incertaine «. C'étoit une fource de difpute continuelle , & un vice radical dans le fyftême féodal. Cette confufion donna lieu aux dénombremens , que les Suzerains exigèrent de leurs vaflaux pour les fiefs , qu'ils tenoient d'eux ; l'ufage en eft parvenu jufqu'k nous. Les fiefs , dans leur origine , n'étoient pofiedés que pac les nobles; & les polTeflcurs feuls des fiefs étoient comp- tés dans les armées. La quantité de ceux, qui trouvè- rent, dans les guerres faintes , la fin de leur carrière , fut la caufe , qui procura aux roturiers l'achat des fiefs. Cette innovation dut néceflairement influer fur la formation des armées , qui s'affoiblirent par l'admiflion d'une clafie de citoyens, qui n'étoient pas dellinés k ÉMIGRATIONS. 83 les former, & dont, par conféquent, l'éducation n'a- voit pas été relative à leur nouvelle profcifion. Les Souverains leur firent acheter ce Privilège par des rétributions pécuniaires connues fous le nom de droit des francs Jicfs ; mais, fi cette refTourrce en fut ef- fedivemcnt une pour les finances des Suzerains , la force intrinfeque des armées n'en fouflxit pas moins. Les Croifades , en ruinant , ou même en éteignant beaucoup de familles nobles , furent , fans contredit , la fource de cet ufagc nouveau , dont les fuites furent plus réelles, qu'elles ne paroiflènt au premier coup d'ceil. Le ,p-<î*- «J*»» père Daniel , à qui on ne peut refufer des connoilTan- dS!!/"' ces très-vaftes, ne balance pas d'attribuer aux Croifa- des la poll'clîion des fiefs par les roturiers. Paflbns à un autre objet : les vaflaux dévoient un fervice auquel la nature de leurs fiefs les airujettifix>it ; cela n'eft pas douteux. Mais ce même fervice du en certaines occafions , fe rendoit quelquefois à prix d'ar- gent ; delà la folde donnée aux Chevaliers par les Sou- verains. Cet ufagc , peu important en apparence , dut même paroître , au premier abord , avantageux aux vaflaux , qui y trouvoient le double avantage de contenter leur goût pour les expéditions guerrières , & de fe procurer une relTource pour leurs finances. Mais d'un autre côté , les Souverains y trouvèrent un avantage bien plus réel ; ils fe procurèrent , par cette voie, des forces permanentes & à leur difpofition, qui leurfervirent, dans la fuite, à leur affurer un pouvoir , que la confl:itution ne leur donnoit pas. Au relte , les vaflaux n'étoient pas tellement confon- dus, qu'il ne fe trouvât, parmi eux, aucune diflrinc- tion; les Chevaliers ( milites ) tenoient le premier rang, Lij «4 • P R I X D E 1778. & parmi les Chevaliers , les Bannerets & les Bacheliers fe diftinguoienc encore , non à raifon de leur noblefTe , mais à raifon de leurs pofl'efîions. Venoient enfuite les Ecuyers,qui, avec l'âge, parvenoient a la Chevalerie: On comptoir après , des fergens d'armes , {fcrganti ) des fervans d'armes (^fervicntes ) &c. Les Croifades ne changèrent rien à cet ordre , qui fubfifta jufqu'au XV»«= fiecle. Parmi les ufagcs militaires , que les Croifades intro- duifirent, on diftingue particulièrement l'ufage des feux Grégeois. Philippe Augufle s'en fervit k Dieppe pour brûler les vaifleaux Anglois , qui étoient dans le port. Le père Daniel croit que ce Monarque n'avoit pas ap- pris la manière de compofer ce feu ,* mais , qu'il en avoit trouvé de tout préparé dans Ptolemaïs , & qu'il l'cm- ploya à Dieppe. J'avoue , que ce fentiment me paroît d'autant moins vraifemblable , que, fi l'on avoit ignoré, dans l'armée françoife, la manière de compofer le feu Grégeois, on auroit également ignoré l'art de l'employer. Je crois aulîi, que ce fut des Grecs , que les Croifés apprirent l'art des fieges, c'eft-k-dire , la méthode d'en- fermer une place par des circonvallations. Cette efpece d'attaque étoit connue des Romains j les Grecs avoient confervé les coutumes Romaines : d'un autre côté , nous ne trouvons aucun exemple de circonvallation employée par les François avant le fiege de Ptolemaïs; ne fuis-je pas autorifé k en conclure, que ce fut des Grecs, qu'ils apprirent cette reflburce efTentielle dans les fieges , ou des Croifés déjà établis en Palefline, qui la tenojent, fans doute, des guerriers de Conftantinople ? Depuis lors , cet ufage fut conftamment employé. Il en eft un autre que les voyages d'Outremer in- É IVf I G R A T l'O N S. 8^ troduifirent. Ce fut celui des gardes-du-corps ; la crainte des embûches des fujets du vieux de La Mon- tagne en fut caufe. De la Navigation & du Commerce. 'La navigation & le commerce font deux objets tel- lement liés , que l'on ne peut traiter l'un , fans parler de l'autre. En effet , le prix des marchandifes augmentant à proportion des frais de tranfport, & celui par eau étant, fans aucune comparaifon, le moins coûteux; il s'enfuit néceffairement , que , dans tout pays commer- çant, les moyens de fe procurer les marchandifes par eau doivent avoir attiré l'attention des négocians, & mérité la protedion de ceux à qui lapuifTance fouveraine cft confiée. Vers le temps des Croifades, les Pays-Bas, qui de- puis font devenus l'entrepôt du commerce de l'Eu- rope , foufîroient, comme les autres états de la révolu- tion, que l'hérédité des fiefs venoit d'opérer. '- Leur fituation néanmoins , l'une des plus avantageufe pour le commerce , leur donnoit un avantage réel & proportionné au temps. Aufli voyons-nous des flottes de Flamands , de Fri- fons, &c. faire le tour de la France & de l'Efpagne pour franchir le détroit de Gibraltar, tandis que les Rois de France (i) & les Empereurs faifoient leurs voyages par terre , ou à l'aide des vaifTeaux Génois ou Vénitiens. (0 » Depuis Hugues Cipct jurqu'à Philipp; Augiifte, il n'eft point fait » mention d'armées trancoifcs fur la mer. Le pcrc Daniel, en s'cxprimont Mofi , »> T. II. p. 445 , n'entend parler , que de flottes Royales ; il ajoute . peu après , »> la raifon pourquoi les Rois Hc France n'avoient pas alors d'armées de mer ; » la plus forte tft , que les pre;niers Rois de la troificme race poirédoient peu i> de côtes, qui, pour la plupart, étoicntfous la puillaiicc des grands vallàm •«. d6 P R I X. D E 1778. Ces voyages , entrepris par des motifs de piété , de- vinrent une école pour la Marine, & l'occafion d'un commerce étendu; puifqu'ils procurèrent des liaifcns aux Mariniers de nos Provinces avec les Italiens , les Portugais , les Arabes , &c. ; & il eft de notoriété pu- blique , que , par-tout où le comm.erce trouve du gain , il exerce fon empire fans égard à la différence du culte ou des intérêts politiques. L'augmentation du commerce contribua efTentielle- mcnt à l'augmentation des v^ifleaux nécefTaires pour y fournir; & l'hilloire nous eft garant, que la Marine Flamande étoit redoutable dans le XIII™^ fiecle. L'expédition de Ferrand , Comte de Flandre , qui força Philippe Augufte à brûler fes propres vaifleaux dans le port de Dam , ne nous laiffe aucun doute à cet égard. Depuis les Croifades , l'on vit les cotes de la Flandre plus garnies de vaifleaux, qu'auparavant; au point que fous Philippe de Valois , tandis que Caen ne fournil- foit que x8 vaifTeaux, Fefcamp que 16, Dieppe que 18 , la Flandre feule en fournilToit 106. Voyez Daniel H. de la Mil. Fr. T. IL p. 460. Il paroît aufTi , que les rapports, que les Flamands eu- rent avec les Vénitiens & les Génois , &c fur-tout avec les premiers , contribuèrent beaucoup à la perfcdicn de leur Marine. Les Vénitiens étoient fur mer la plus puifîante de toutes les nations , & du fond du Golfe Adriatique , ils dominèrent fur la Méditerranée. Les liaifons intimes , que ces Républicains contraéte- rent avec le Comte de Flandre & fes vafiaux pendant l'expédition , qui précéda la prife de Conftancinople , & pendant le fiege de cette ville, durent aufli contribuer a communiquer aux uns les connoiffances des autres. ÉMIGRATIONS. 87 Après cette expédition & l'élévation du Comte de Flandre fur le trône de Conftantinople , la Grèce & les plus riches Provinces des Pays-Bas obéiflant au même chef, il dut s'établir, entre ces états éloignés, une cor- rcfpondance , qui ne put , qu'être infiniment utile aux Provinces Bclgiques ; puifque , comme je l'ai déjà re- marqué , Conltanrinople avoit concentré dans fon fein toutes les connoiflances , qui avoient illuftré Rome. Heureufes , en effet , les Provinces , que la nature a placées dans des climats éloignés ; mais que la révolu- lution des ficelés a réunies fous un même chef, que l'amour de l'humanité engage à veiller à leur bonheur réciproque , en encourageant leur induftrie & en la fa- cilitant par des liaifons de commerce & par une pro- .teélion particulière accordée à leur navigation. Entre les efpeces de vaifTeaux connues alors en France, naniei «m. les Galères paroifient être dues aux Croifadcs ; puif- Fran*. t.' u! qu'avant ce temps , les Auteurs François n'en font au- P" *'^' cune mention, quoiqu'elles fuflent connues des Grecs. Le nom des Chefs des armées navales vient auffi des Mahométans : les chefs de leurs troupes s'appelloient Emirs ou Amiraux. Je ne fais fic'cfl: aux Croifades, que l'ufage des tours fur les vaifleaux doit être attribué ; les Vénitiens s'en fervoient au fiege de Conftantinople; & nous les voyons communes en 1304, au combat de Ziériczée en Zé- lande. Des Belles- Lettres. Vers le temps des Croifades , {a) les Belles-Lettres W «'«■ H". fleuriflbient dans les Provinces Belgiques ,• les écoles de {, i-iij/^ Licgc , d'Arras , de Tournai , de Gueldres , &c. étoient célèbres ; on les cultivoit auffi avec fuccès dans les Ab- bayes de S. Martin de Tournai , de S. Waft d'Arras , '88 P H I X D E 1778. d'AncKin , de Lobbes , de S. Trond , de Bonne-efpé- rance , de S. Bertin , de Lieflïes, &c. A Liège, fous l'epifcopat de TEvêque Otbert, le célèbre Alger écoit à la tête de l'école de cette ville ; Exelon & Tezelin le fecondoient : auffi la réputation de orfperg ciiro. ccttc villc fait-elle dire à l'Abbé d'Urfperg , que Liège *"'"' '"''' tenoit le premier rang parmi celles , que les études ren- doient fameufes. Arras fournit aufîî des écrivains eflimables & des fujets, que leur mérite éleva aux premières dignités eccléfiaftiques. Ebremer, Evêqne de Céfarée , Robert , Archidiacre d'Oflrevant en Hainaut, Lambert & Alvifes , Evêques d' Arras , & Clarembaut , diacre de la même Eglife , il- luftrerent cette ville par leurs écrits & par leurs vertus. Tournai , dont l'école fut connue avantageufcmenc fous le Dodeur Odon , ne le fut pas moins fous le cé- lèbre Guerric , enfuite Abbé d'Igni ; rien néanmoins ne contribua plus à fa renommée , que l'Evêque Etienne , dont le favoir fvit égal aux connoifTances politiques ; vérité, que fa X37'"« lettre prouveroit feule ; il y recom- SterhaniTor. niandc à Louis, fils du Roi Philippe Augufte^ l'amour "oïlfi//.' '■ des fciences , & lui prouve , par les meilleures raifons, la nécefllté où font les Princes de les cultiver, J180. A Gueldres, Jofeph d'Ifca , Anglois de nation, & homme de lettres diftingué, y dirigeoit ks études; & comme le mérite des maîtres doit , fans doute , décider du fuccès des écoliers, cette école dut auffi fournir de bons fujers. Catiu ariji. L'Abbé N5(^idric , qui gouverna Liefîies pendant x^ *• j";P;j^f- ans, fut un homme favant, qui prit grand foin d'en- richir fon monaftere de manufcrits précieux. L'Abbaye de S. Bertin ne fut gouvernée pendant le Xlt^e fiecle, que par des Abbés, qui joignoient k de très- ÉMIGRATIONS. 89 très-bonnes études, le dcfir de contribuer au progrès des BellevS-Lettres. Bonne-Efpérance eut pour Abbé Philippe d'Har- »«»»• veng , dont les nombreux ouvrages font parvenus juf- qu'à nous , &i. font des preuves parlantes de fes vaftes connoiffances dans la Théologie & dans l'Hiftoire Ec- cléiiaflique. La chronique de Lobbes aflure aufli , que cette Ab- baye ctoit renommée par fon application à Tétude des Belles-Lettres,* elle nous apprend, que le Cardinal Ge^, rard avoit été k la tête de fon école, r; ;,.,{ Sigebert feul eut fuffi pour illuftrer Gemblours par le nombre confidérable de faits hifloriques, que fa chronique nous a confcrvés ; l'Abbé Anfelme conti- nuateur de Sigebert , & Guiberc, religieux de la même Abbaye , doivent auiîi être comptés parmi les favans qui fleuriflbient alors aux Pays-Bas. Thierri, Abbé de S. Trond , écrivoit également bien en vers & en profe ; Rodulphe , fon fucceflèur , fe dif- tingua parmi les hilloriens de ce fiecle. ; - S. Martin de Tournai lut l'école oiil'Evêquc Odon (dont il ell parlé ci-devanr) puifa les lumières qui lui procurèrent le ficge de Gnmbrai ; on a lieu de croire, que le Grec & l'Hébreu étoient au nombre des connoif- lances auxquelles les religieux de ce monaftere s'étoienc appliqués (i). Je me bornerai k cette efquilTe de l'état des Belles- Lettres dans nos Provinces vers le temps des Croifades; » — » (i) Deux diplômes , qui fc trourent dans Minus. T. h p. ^47, & jtfj , me font croire , que les enfans dïs Comtes de Flandre étoiem élevés dans FAbixiye de S. Nicolas i Furocs. ., Philippe d^Alfacc s'cxprique en ces termes dans l'un : cum â primevd pueritia mue prâdtKtiotd pèa matris mea eruditionit edodus, .'. Ortwbium. Sti^î^icolai di- ligere caperim te manu lenere , de, '"Dâiis fautrê le Comte BaUduîn dit : eùm 'à ptîmtt fuventatlt me* ffsre C p'^uuà.l' tl' traite, (h) raflembla une nouvelle armée, compofée (*) juft. ibid. de cent cinquante mille hommes de pied , & de plus '* *' de foixante mille cavaliers , (c) avec laquelle il fondit m paufan, fur la Macédoine, marcha fur le ventre à Softhenes, ^' '°* & ravagea tout le pays. Delà il entra dans la Grèce , & tira droit à Delphes , qu'il alîiégea , & où il périt avec fon armée , dont les débris , après avoir erré long-temps dans l'Afie & dans la Thrace , eurent af- fcz de peine à regagner leur ancienne patrie, (i) Un corps de vingt mille hommes , commandés , par Cerethrius , ou par Leonorius & Lutharius , eut plus de bonheur. S'étant feparés de Brennus en Dar- danie , ils tournèrent vers la Thrace , & occupèrent les bords de la Propontide. Étant paflcs enfuite au fecours de Nicomede, Roi de Bythynie, ils en ob- tinrent pour récompcnfe, une étendue de pays, au- quel on donna le nom de Galatie ou de Gallogrece. (d) (d) Tir. t.v. Il n'y a pas à douter que les Belges n'aient eu part l\ l^'/pllr! k toutes ces expéditions. Paufanias, parlant des Cel-^-^' tes y qui les firent, dit pofitivement qu'ils habitoient les côtes de l'Océan , aux extrémités de l'Europe , (x) & ailleurs qu'ils étoient venus des côtes les plus re- (i) Juft. L. ji. c. 6. qui dit cependant, L. 14, que perfoune n'cchappa de cette dé&ite. (1) L. i. in «rtremis Europe oris ad Vaftum Mare accolant. Et L, 10. •b ultimis Oceam Finibus. $ P R I X D E Î773. culées de l'Océan. Nos côtes font en effet relativement à la Grèce, l'extrémité de l'Europe, &même les côtes les plus reculées. Le nom de Belgius porte avec foi un indice de fa nation , & Pline met dans la Pannonie des peuples qu'il appelle Belgites. Dans la fuppofition qu'il y avoit , comme le dit Céfar , de la différence entre le langage des peuples Gaulois , & par confé- quent que les Belges avoient une langue particulière , il faut que les Galates aient été Belges , puifque Saint Jérôme affure qu'outre le Grec, les Galates parloienc un langage qui leur étoit propre, & qui étoit abfolu- T Hi d*G*' "^^"^ •'^ même que celui des Trevirois (a) Ajoutons laus. que Solin met entre les peuples de la Galatie les y4m.- biani , nom que Céfar donne à un peuple de l'ancienne schrfeck^''"'' Flandre méridionale, (b) ind. I. Il eit encore très-probable que les Scnons , non ceux qui avoient fuivi Bellovefe , mais ceux qui , étant hflJS.'j!"' venus les derniers de toutes les colonies Gauloifes (c) en Italie , s'établirent entre les rivières d'Ubis & d'^- fis , prirent Rome fous Brennus , deux cens ans après Bellovefe , & ayant eu du deffous contre Tit. Fur. Ca- millus pafferent outre jufques dans la Pouille ; il efl: très-probable, dis-je, que ces Senons étoient en par- tie Belges. Suidas met les Senons près du Rhin, & dit que ce font eux qui ont ravagé les terres des Al- scholpflin!'"'' bains , & fait la guerre aux Romains, {d) Tite Live diff. de cei- & florus Ics fout vcuir des extrémités de la terre & des bords de l'Océan. C'eft ainfi que Virgile appelle u\Tl'. ^yr\ ^^^ Morins les plus reculés des hommes, (e) D'ailleurs Fior.L. i.c. ce que Florus ajoute de la fisfure & des mœurs de ces ^A. L. 8. V. Senons , confirme notre affertion. C étoit, dit -il, ^''* une nation naturellement féroce, de mœurs fauvages, tarrible par l'énorme grandeur de leurs corps , autant que par celle de leurs armes. Quant aux mœurs , on ÉMIGRATIONS. 7 fait que les Belges étoient les plus barbares de tous les Gaulois, {a) ^ W^c*f. ae Quant à leur figure, tous les auteurs conviennent, que les Gaulois feptentrionaux étoient d'une taille gi- gantcfque , au moins relativement aux Méridionaux , aux Efpagnols, aux Romains & aux Grecs, (i) Céfar rapporte que les Atuaticiens , peuple Belge , fe mo- quoient de la petite taille des Romains ; & Polya:nus dit que Brennus , pour engager fes compatriotes à faire la guerre aux Grecs , plaça k côté des prifonniers Grecs, quelques-uns de fesfoldats, & dit : Nous, qui fommes fi grands & fi robuftes , craindrons nous des gens fi petits & fi foiblcs? (^) Wrwd.c. Les Cimbres & les Teutons, peuples du Nord , |°'^J°'yi^"- après avoir parcouru toute la Germanie , & vaincu le 35. confiil Carbon, s'étant attaché les Tigurins, vinrent en côtoyant le Rhin , fondre fiir la Belgique. Ils fu- rent repoulTés; (c) mais il paroît qu'ils s'accommode- f^s^xCL rent avec les Belges , dont ils obtinrent des terres vers ». 4. l'embouchure de ce fleuve. Enfin, après un féjour de trois ou quatre ans, chafi^és de leurs nouvelles pofTeC- fions par les débordemens de l'Océan , ils en allèrent chercher d'autres du côté du Midi , laifTant fur les bords de la Meufe leur bagage & fix mille hommes pour le garder, (x) S'ils n avoient pas été en paix avec les Belges , ils n'auroient certainement eu garde d'aban- donner ces fix mille hommes à la difcrétion d'un peu- ple dont ils venoient d'éprouver la valeur. Partant de là il eft très-probable qu'une partie des Belges, accou- (i) Tacit. vita Agric. Crevier, moeurs des Gaul. Appian. Celtic. Strabo, L. 4, Flor. L. i. PaufTL. lo. (x) Cxfar, dcB. G. L. i. jo.Flor.t. }. c. j.abnctrcmis Gallia;profugî, cum terras eoriim inunda/Tet oceaiius , &c. Ces «tréma Gallia: ne fauroieni cire autre thofe que la Belgique. Omnis ifta Gallia qux quondam Ambroncs Cinibrofquc nobis immifit Dio. Caff. L. 44. ^ P R I X D E Ï779. i tumés k de pareilles - expéditions , ont accompagné leurs hôtes, comme avoient fait lesTigurins, les Tu- géniens, &: les (i) Ambrons. Peut-être même que .ces Ambrons étoient des Belges. Plutarque (<^ en fait le corps le plus vaillant & le plus terrible de toute l'armée. Ils étoient au nombre de quelques trente mille hommes , & contribuèrent le plus à la victoire contre Cépion. Ce qu'il y a de certain , c'efl que le nom de Cimbrcs n'étoit pas celui d'un feul peuple, mais celui d'un ramas de plulieurs nations, comme calles qui firent depuis tant de bruit fous la domi- nation générale des Francs. Chemin faifant , les ar- mées de ces émigrans fe groffilToient par la jondion des peuples de même langage & de mêmes mœurs, chez lefqucls elles pafToient. ^Quoique la queftion propofée paroifle ne regarder que des pays éloignés , je crois cependant que par le mot de Lointains , l'Académie entend tous les pays qui n'appartiennent pas à la patrie , prife dans le fens le plus étendu. C'eft pourquoi en négligeant les Gaulois, je rangerai dans cette claffe la Grande-Bre- tagne, comme absolument étrangère à la Belgique. Perfonne ne doute que la Grande-Bretagne n'ait été peuplée par les Gaulois, {a) Or , ces Gaulois étoient vitrAgrlc?" inconteftablement des Belges. Céfar dit pofitivement Diod. Sic. L. qyg jgg Belges occupoient de fon temps toute la côte maritime (i) Nous croyons que ce nom leur a été donné par les Romains, à caufe de leur cri aen bron , [à la rivière] qu'ils jxjuflerent lorfqu'ils marchèrent vers la petite rivière d'Arc, pour empêcher les Romains de prendre de l'eau, ce qui occafionna la bataille. (1) Tlut. in Mario. Une autre probabilité , c'efl: que Ciceron '[orat de prov. Confulari.'] dit que Marius triompha d'une nombreufe armée de Gaulois , & Sallufte [de bel. Jugurt. ] r.ipporte que Cépion & Mallius furent battus par les Gaulois. Où l'on voit que les Gaulois , & par conféquent les Belges , devoienc taire une grande partie de l'armée Cimbre. (a) Tacit. ÉMIGRATIONS. 9 maritime de l'île, dont les peuples confervoicnt encore leurs dénominations Belgiques. (a) Ptolomée nomme wcsf. t. entre les peuples qui l'habitoient, les Belges &c les Atre- bates : le même auteur, comme aufli Antonin & Bcde y placent une J^enta Belgarum. Tacite y met les Icc- ncs ou Icines félon l'itinéraire , venus fans doute du Portius Icius de Céfar, de Pline & de Stabon, fans parler du Cantium , qui fignifie vifiblcment la côte , ni du Duhris d'Antonin, qui veut dire le rivage ou le port (d^Oever.) Diodore de Sicile dit que llrlande (étoit habitée par les Bretons , qui étoient les plus bar- bares de tous les Gaulois. Or, les plus barbares de tous les Gaulois , c'étoient fans doute les Belges, (h) (») P'»'- t« Enfin Cambden remarque fort bien que, puifque la fA uinerariô raifon nous apprend que tout pays k été peuplé plu- l'^cutrt tôt par fes voifins que par des peuples éloignés , il ^'J'-^^J'^' efl: hors de doute que les Gaulois aient peuplé la Grande- cambd. b»- Btsnn. retagne. Le pafTage de Diodore de Sicile, que nous venons ■^e citer , prouve clairement que les Bretons ont peu- plé l'Irlande , & que ces Bretons étoient Gaulois. Sui- vant la tradition des Irlandois , & s'il efl: permis d'a- jouter foi aux poëfles d^Olîîan , auteur du quatrième liecle, ou plutôt à M. Macpherfon, qui nous les donne comjTie le véritable ouvrage de cet ancien Barde, ces Gaulois étoient des Belges , nommés fir-Bolgs , qui après avoir habité long-temps les côtes méridionales de rAno;leterre , allèrent s'établir en Irlande fous Lar- thon , 1 un de leurs chefs, (c) Aucun auteur ne fixe w posf. l'époque de la population de la Grande-Bretagne; mais cum^j'i» eu égard à la fuite des chefs des Firbolgs depuis ^°^^ & v'ôte Larthon , & k l'état floriflànt où étoient les habitans ? ^q*'^V^^- fous Domitien , {d) il paroît que l'Irlande a été peu- w tku. plée quelques liecles avant l'Ere chrétienne , {e) & ^*(^)^Macph. io P R I X D E 1778. par conféquent que l'Angleterre l'avoit été long-temps auparavant, (i) Le caradlere & les mœurs des Belges dans ces temps reculés, étoient fans doute ceux de tous les peuples non policés, qui, comme eux, ne connoiiToient pas («) Car. !.. ou méprifoieiK les commodités de la vie , ne fouf- Ge^an/^'^* fi'oi^nt point chez eux les chofes qui euffent pu amol- & ^'°''b" ^^^' ^^^^ courage , & n'avoient enfin d'autre exercice que L. 3. juftin. celui des armes. (^2) Les Auteurs nous les peignent (c)Diod. Sic. comme des hommes féroces & cruels, (^) fiers, pré- ^J,:,^'"^' '" fomptueux , (c) colères, emportés, {d) téméraires, (rf)Liv.L. 5. querelleurs & infultans^ (e) légers , étourdis, (f^ fu- stra'boi'. ' perflitieux; {g) enfin on leur donne tous les défauts M^rceiK t."* d'Achille & au-delk. D'un autre côté on les trouve 'r'nczf. t. ^o^x, humains & hofpitaliers, (A) d'un cœur bon & î. 3. 4; Tac. généreux, (ï) d'une fidélité à toute épreuve, (k) ef- (g) là. r'., 6. claves de leur parole , (/) (impies & francs , (m) chaf- 3?LT l". 6." tes , («) frugals , (0) &c. Jiyit^ab&LU. Tous ces vices & toutes ces vertus avoient leur (t) Voyez fource , foit dans le tempérament , foit dans l'éduca- Dion.'cifar', tlon. L'abondaucc & la pureté du fang, les rendoient ^l'i) Hift. de naturellement vifs & bouillans. (p) Delà cette légé- ^'mubi'd.'l'i. ^^té, ces emportemens, cette étourderie : delà encore (n) pauf. I,. cette bravoure étonnante, cette droiture, cette fran- c. 18 & ij. ' chife , cette bonté de cœur. L'orgueil de leur origi- i"*^^? Tac.' "S > la grandeur de leur taille, la perfuafîon de leur Msi'rabo puiflance les rendoient fiers , préfomptueux & inful- veget. I. tans. L'idée d'une autre vie , (g) l'amour de la gloire (1) Voici un fait rapporté par M. Smoictt dans fon Hiftoire d'Angleterre f, L. I. C. I. Il dit » que i<; ans avant la defcente de Jnles Céfar, Divitiae, » Roi de Soiflbns , fe voyant en grand crédit chez les Belges , paffa en An- II gletcrre, à la tête d'une forte armée, compofée tant de fes fujets, que d'A- » trebates Se d'autres nations Bclgiques; qu'il défit les Bretons en différentes » rencontres ; qu'il fournit toute l'étendue de pays , depuis la province de De- » vor.shire & l'embouchure de la Saverne jufqu'au-delà de la Tamife; qu'il « y établit par-tout des colonies, après en avoir chafle les Keyrei Se les au- » très anciois habitans. « ÉMIGRATIONS. ii & fur-tout celui de la liberté, (a) leur faifoient mé- WWor.t. prifer les dangers , & courir à la mort avec cette té- L^sci.TU mérité& cette fureur qui nous étonnent dans l'hiftoire. ain.V*' D'un côté cette férocité & cette inhumanité, qui (fens ^^2/,'"m '°" leurs guerres n'épargnoient ni âge ni fexe , (h) de l'au- »"i""» i"»™ tre , cette humanité en temps de paix, cette généro-; expen. fité à l'égard des étrangers , ce refped envers leurs hôtes , cette fidélité dans leurs engagemens avoienc leur fource dans les notions qu'on leur donnoit du bon & du jufte. Le fond du caraétere de ces anciens Belges, c'elt-à-dire , le courage, la franchife & l'a- mour de la liberté, font encore les mêmes dans nos modernes : mais les effets en font mieux raifonnés. Même fang, même fond, mais de meilleurs principes. L'influence qu'eurent fur les mœurs & fur le ca- raébere des Belges ces anciennes émigrations , c'eft d'avoir fortifié au commencement leur humeur in- quiète & guerrière , & cette fureur des conquêtes , juft ifiée par les fuccès de leurs frères ; fureur qui fe rallentït infenfiblement à caufe des guerres avec leurs voifins : (c) c'eft d'avoir adouci cette férocité & cette inhumanité impitoyable, qu'on reprochoit k leurs an- «. m. * ' ''* cêtres , & dont on ne trouve plus guère d'exemples ^^^ ^ du temps de Céfar : c'eft d'en avoir retiré une grande 4 & «• Taot. partie de cette vie nomade, de cette vie dure & in- ''"(') car, i. diiférente, pour en embrafler une plus commode & *;}Vc,f. <. plus paifible , que leur offiroient le commerce, ( • 4 (P) Tac. ibid. gleterre , mlpiroient de la terreur aux Komains mê- (/■) Tac. hia. mes. (/z) Les autres Belges ne fc faifoient pas moins ^; '**• ^^ ** refpeâer. Galba les exempta auffi des tributs, en ré- compenfe des fervices importans qu'ils lui avoient ren- dus contre Vindcx. (/') Il réfulte de tout ceci que Ja^'^''"***^- nation faifoit par-tout une grande partie des troupes auxiliaires, & qu'eu égard à leur nombre , à leur bravoure & à leur fidélité ,^ Géfar, fes adverfaircs & fes fiiccefTeurs les choififlbient préférablement à d'au- tres, nations alliées, foit pour compléter les légions, foit pour renforcer la cavalerie^ foie pour fervir en. ijualité de troupes légères. Ceci pofé, pour ne pas employer trop de temps a. détailler de pareilles expéditions ;, on fe contentera d'en donner une lifte chronologique , en renvoyant aux au- teurs pour une plus ample information. Sous Domitien, on trouve dans l'armée d'AgricoIa contre Galgacus, chef des Ecoflbis, les Bataves & les Tqngrois, qui lui gagnèrent la fanglante bataille du. jmont Grampius. (ky Us fervirent Trajan en Dacie, eaPannonie & en Af (k) T»c. r. . rit. 7. • .14 P R I X D E 1778. Orient ; & Adrien faifoit un cas extraordinaire de la cavalerie Batave , accoutumée, fuivant Dion, à paf- fer les plus grands fleuves avec leurs chevaux & leurs WDio.cair, armes, (a) Gruter rapporte dans fes infcriptions Té- i^jraj.fc pitaphe que compofa Adrien pour le vaillant Batave Soranus, enterré près de Bude en Hongrie. Un corps de Francs Belges , envoyé fous Probus vers le pont Euxin, s'empara de tous les vaifl'eaux de cette mer , courut toute la côte de l'Afie & de la Grèce , pilla celle de la Lybie & de Sicile , & après avoir jette la terreur par-tout , il s'en retourna dans fon pays par le détroit de Gibraltar, chargé d'un bu- tin immenfe. Une preuve que ce corps étoit Belge , c'eft qu'il vint aborder fur nos côtes fans crainte d'ê- tre inquiété. S'il avoit été tiré d'entre le Wefer & l'Elbe, il auroit pouffé par mer jufques dans fa patrie, au-lieu qu'il s'expofoit évidemment, en abordant dans un pays qui fe feroit déclaré contre lui , n'eut-ce été que pour avoir part au butin. (^) loj^ofim. Les Bataves & autres Belges fous Dioclétien & menf'in"pï- Maximien embrafferent le parti du Menapien Carau- neg. Maxim. {|yg ^ envahirent avec lui la Grande-Bretagne , & l'ai- dèrent à fe faire Roi. (c) On les retrouve encore fous Confiance dans l'ex- pédition de Lupicinus contre les Pides & les Ecof- fois. (d) Ils fuivirent Julien, qu'ils venoient d'élever fur un bouclier , en le déclarant Augufte , en premier lieu contre ConH:ance,'& enfuite contre les Perfes, où Ju- W Idem. t. lien périt, (c) ^ 21 &fe<]. Sous Valentinien , Théodofe mena les Belges contre les Calédoniens & les Ecoffois , qui s'étoient jettes fur lf]u.i..ij. l'Angleterre. La vidoire l'y fuivit. (/) Ils ne furent pas fi heureux fous Valens contre les [c] Eum. Pa' neg. 9. (d) Amm. Marc, L. 20. ÉMIGRATIONS. 15 Goths en Thracc. Battus à dificrentes reprifcs , ils le furent enfin totalement près d'Adrinople , & Valens y perdit la vie. (a) Wid.L.3,. Depuis ce temps les Belges eurent aflez k faire chez eux, k caufe des invalîons fréquentes des Allemands 4*9. vid/Bel & autres Barbares. Cependant cela n*empêche point ci^o^^'*'"' qu'on ne puifTe dire avec fondement, que les Saxons, qui envahirent l'Angleterre fous Hengift, étoient en partie des Belges. Car 1°. la côte Belgique jufques à l'extrémité occidentale de la Flandre , étoit alors ap- pellée Littus Saxonicum. (Jy) 1°. Le voifinage de la (-nNotît. côte rendoit la chofe fort aifée. 3°. Vortigernc, Roi !">?•."""• des Bretons , appella k fon fécours fes voifins , plu- s«ooico, tôt que des Barbares inconnus. 4°. Hengift exigea pour récompenfe de fon fécours, le pays de Kent, rÉflex & le Middelfex, pourquoi? pour être fans doute plus à portée d'être fécouru par fes compatriotes. 5°. En- fin, l'étonnante population de la Belgique, pouvoit, malgré toutes ces guerres avec les Allemands, fournir encore aflez de monde pour former de nouveaux éta- bliflemens, fans nuire k la patrie, (c) ,,^ p^^,.^ On ne dira rien ici de la conquête des Gaules par ^p. ?«. »<« les Francs. Quoiqu'il foitl, en quelque façon , évident , que nos Belges aient fait partie de ce ramas de dif- férentes nations; (i) cependant eu égard au voifina- ge, aux mêmes mœurs, aux mêmes coutumes, ils ne doivent être cenfés que rentrés dans leur propre pa- trie , & par conféquent cette contrée ne paroît pas de- voir être rangée par rapport k eux dans la clafle des pays lointains. Depuis Jules Céfar, nos Belges ne font plus ces conquérans furieux, qui, formant des armées innom- (i) Voyez Viedius & Schiicckius, qui le piourent tout au long. i5 P R I X D E 1778. brables, & traînant avec foi femmes & enfans, vont envahir des contrées éloignées, & font trembler les autres parties de notre continent. Ce font des corps de milice ou de mercenaires, qui marchent à la fuite des Princes étrangers. La bravoure ne confifte plus dans la férocité. Ils adoptent les mœurs Romaines & celles de leurs voifins mieux policés. Ils apprennent à combattre dans les règles. Ils donnent à Tentâtes le nom de Mercure, & à Fréja celui de Venus. Ils im- molent des bœufs & des agneaux, au-lieu de vïâi- mes humaines; & des temples magnifiques prennent la place des fombres forêts. Ils rapportent chez eux le luxe des nations qu'ils fervent. Ils bâtifTent des villes dans les formes , &c conftruifent des maifons à la Ro- maine. Mais fi les mœurs changent, le caraârcre de- meure. L'efprit de liberté leur fait efTuyer les plus terribles revers , & ils ne le quittent point. Enfin , le Chriftianifme vient au fecours de leurs connoiffances, & perfectionne des vertus qui n'étoient que des ver- fus de tempérament, ou les fruits de quelques notions mal digérées. Tout le monde connok les fuccès de la première Croifade. Godcfroi de Bouillon , Duc de la bafle Lor- raine , depuis Roi de Jérufalem , y marcha avec un bon corps de troupes , levées dans le Brabant , & () ^f^^ ^^^f^- Les Slaves y ayant été exterminés, laifTerent un grand «''= "«-'g» >■» vuide dans cette valle portion de l'Europe. Frédé- joi. idvenu. rie I , Archevêque de Brème , fut le premier qui pour repeupler fon pays, y appclla des Belges. Les fuccès de cette colonie dans le defTéchcmcnt des marais , dans la conftruftion des digues , dans la culture des ter- res, joints à une population nombreufe, en firent ap- peller de nouvelles dans le Schwartzembourg & dans le Naumbourg en 11 40. (c) Vers 1144, des Flamands, WHeJmow. des HoUandois, des Zélandois & des Frifons, appelles^'"""' par Albert l'Ours, Marquis de Brandenbourg, s'éta- blirent dans ce Marquifat, dans le Schaumbourg, dans la PrulTe & dans la partie orientale de la Poméra- nie , après en avoir chaffé les Slaves , nation barbare. & payenne. {d) Henri le Lion, Duc de Saxe, fit ve-, (j)An>. nir des Brabançons & des Flamands pour peupler la Mcyer.'lëf- ."Wagrie & Je pays des Abodrites ou Obotrites , c'eft- '^"8- '^'p'- C r8 P R I X D E 1778. («)Atb. >x-diTe la Poméranie occidentale, (a) Ces colonies paf- Hamb. ui . , • r ri 1 i • fup. 1160. Vinrent ennn a occuper inlenliblement toute la partie de l'Allemagne, lîcuée entre l'Océan, la Pologne, le (0 Eeik. Werer & la mer Baltique, (b) Les loix Belgiques, que "'** les colons y portèrent, furent reçues dans les Duchés (0 ". jbid. jg Holftcin & de Brème , & y font encore en vigueur, (c) Peu après îa première émigration en Allemagne , la mer ayant iiîondé une grande partie de la Flan- dre maritime , quantité d'habitans , privés de leurs poflefïions fe réfugièrent en Angleterre, où le 'Roi (j) Poiyd. Henri I leur accorda des terres. ( Meyer, cette croifadc. (a) Valeran de Luxembourg y alTifta ""*"'• aum, félon Diva:us. 1203. Celle qui fulvit, & à laquelle Henri marcha de (») iieyer, même f (b) eut des fuccès plus brillans. Tout le monde connoît la prife de Conftantinople , & Télec- tien de Baudouin, Comte de Flandres à l'Empire d'O- rient. Cette Couronne demeura cinquante fept ans dans la famille de ce Prince, On prétend que les ha- ( j t . Fol. 103 , range cette pofleiïion parmi les Celtarum Gallomm» que vetujiijfimœ migrationes & populi agnati. Juji. L. 24, en parlant des an- ciennes émigrations des Gaulois, cite , eiitr'a litres, une de leurs colonies qui s'établit en Angleterre. On peut encore y ajouter , comnae une remarque , à la vérité peu importante & bien éloignée de faire preuve , que c'eft parmi les An- glois, les Irlandois & les EcolTois, qu'on voit encore beaucoup de cheveux blonds. Or , félon plufieurs anciens, cités par Pellouticr, dans fon Hiftoire des Celtes , la chevelure blonde & roudé étoit communément celle des Celtes & des Galates. Il ne fcroit donc pas furprenant que la race des Anglois , Irlan- dois & EcolTois, ayant été moins croifée ou mêlée, eut confervé, plus long- temps que les Gaulois , cette couleur de cheveux , ft les autres marques diftinc- tives des Gaulois , qui , les premiers , ont peuplé l'Angleterre. On m'objec- tera, peut-être, que les t'efccntes des Saxons, des Danois & de Normands, peuvent & doivent avoir croifé la race des Indigènes en Angleterre. Mais li l'on confulte l'hiftoire, on verra combien peu ces diftërens peuples, defcendus en Angleterre , étoient nombreux , en comparaifon de ceux qui y habitoient. D'ailleurs, la chevelure blonde elt auffi la dominante parmi les Danois, & plu- fieurs autres peuples du Nord. On peut enfin dire de même encore que les Francs, qui ont fondé la mo- narchie Françoife, étoient en trop petit nombre en comp.iraifon des Gaulois Indigènes, pour croifer la race de ces derniers, d'une manière fênfible. Et il n'en faut pas d'autre preuve que la différence de caradcre national qui fub- fille encore entre les François & les Allemands de nos jours. (1) Aiifli n'cft-ce qu'avec les peuples qui habitoient la côte, que les Phœni- ÉMIGRATIONS. 13 fuppofer que les Gallo-Belges n'ont pas été les pre- miers habitans de l'Angleterre, & que, fi nous n'a- vons aucune notion certaine du temps auquel ils s'y font établis, nous pouvons croire toute-fois que ce n'a été qu'après les temps de Barbarie , & lorfque le commerce, la navigation & les connoiffances com- mcnçoient à s'étendre à un certain degré dans les Gaules. Ma féconde raifon eft , que dans un ouvrage de M, Stukeley (i) fur l'ancien monument de S tant HengCy a. Salisbury, l'Auteur prétend que cet édifice n'a été bâti ni par les Danois , ni par les Saxons , ni par les Belges : que ce monument fubfifloit long-temps avant qu'aucun de ces peuples n'entrât dans l'ifle Britanni- que : qu'on reconnoît , par plufieurs marques diflinc- tivcs, que c'étoit un temple : que ce temple a été conflruit par les Druydcs , qui étoient venus avec les colonies Phœniciennes s'établir dans la Bretagne : que les anciens Bretons ont tiré leur origine & leur nom de ces colonies : que les premiers Druydes ont bâti dans l'ifle Britannique & aux environs, plufieurs mo- numens femblables à celui de Stone Hengc à Salif- bury, & notamment le fameux temple diAbiiry, dont les vefliges fubfiftent encore également dans la plaine de Malborough. Enfin M. Stukeley fixe l'époque du citns, les Grecs & les Carthaginois ont communiqué & commercé. Or, félon Bizzi Zannoni , félon la carte de M. Mufgravc , & celles de plufieurs autres l)ons Géographes, tant anciens que modernes, la partie de l'Angleterre, an- ciennement occupée pat les Belges . étoit celle de toute la côte qui comprend aujourd'hui les Comtés de Kent, ci e SufTcx & deSommerfct, jufqu'au cap de Cornouaillc , en s'étendant dans l'intérieur jufqu'au delà des fources de la Ta- mife. Et c'eft encore fur ce même local qu'Abraham Ortclius, dans fon Belgii Veierh Typus, place les Belget Ctt/ari : ce qui, comme je penfe , doit défigner les anciens Belges établis dans l'ifle Britannique, & qui, les premiers des In- fulaires , fe font fournis & ont obéi à Céfar. (i) Doûeur en Médecine, Se Relieur de l'Eglif- de tous les Saints à Stam- fotc^ iOipriiBc à Londres en 1740. 14 P R I X D E 1778. monument de Salisbury, à l'an 460 avant J. C. & conféquemment après l'expédition de Bellovefe & de Sigovefe. Et il fonde fes opinions fur un calcul pris de la variation de la boufible , comparée avec les varia- tions des pofitions de Stone Hcnge, & des autres temples de la même efpece , qui ont leur façade prin- cipale , les uns plus ou moins tournée au Nord-Efl: , & les autres au Nord-Oueft. Mais tout cela n'eft encore que conjedure , ou au moins ne fait pas preuve. Et fi tout paroît obfcur fur l'époque du premier établiffement des Belges en Angleterre , la même obfcurité doit régner fur l'in- fluence que cet établiflemefit peut avoir eue fur les mœurs & le caractère de nos ancêtres ; puifque ce n'eft que par des comparaifons que l'on peut juger du fruit ou de l'avantage qu'une natiqp peut avoir re- tiré d'une expédition quelconque. Or, cette comparaifon ne peut fe faire aujour- d'hui , puifqu'ignorant la véritable époque de l'expé- dition , nous ignorons auffi quelles étoient les mœurs d'alors parmi les peuples qui l'ont faite. Mais ce que nous pouvons en conclure, & qui eft le réfultat néceflaire de ces fortes d'expéditions, c'eft que celle là doit avoir excité l'induftrie, perfeâionné la navigation , étendu les connoifTances & le com- merce parmi deux nations qui, comme tant d'autres, étoient avant ce temps là encore dans la plus grof- fiere ignorance. Et que fait-on fi ce n'efl pas là l'o- rigine de cette fupériorité dans le commerce , dont les Belges (i), & les Anglois jouiffent & ont joui long- temps avant d'autres peuples de l'Europe. (i) Pentcnds ceux qui habitoicnt le long des côtes. Car félon Céfar, & de l'aveu *e tous* les Hiftoriens, ceux qui habitoient l'intérieur de la Flandre & du Bra- ÉMIGRATIONS. ij Ce qu'on peut conclure encore de cette dmigra- tion, c'eft que la population de la Gaule Belgique, & dir-tout de la côte de Flandre, étoit déjà nom- breufe dans les temps les plus anciens : ce qui fup- pofe un pays fertile àc des terres déjà cultivées. Ajou- tons-y de plus , que c'eft une preuve que les Flamands ont été de tout temps un peuple entreprenant à vain- cre les difficultés ; car la navigation étoit encore bien imparfaite , s'il cft vrai qu'ils aient fait cette expédi- tion dan* des barques ou des canots découverts ; & c'eft ce qui confirme encore le génie hardi & entre- prenant que Lucain leur attribue dans fa Pharfale, Ltv. 4. NB. Cet article, de mon Mémoire étant terminé, j'ai lu dans le Journal de Phyfique de M. l'Abbé Ro- ficr , pour le mois de Février 1 777 , une dilTcrtation de M. Gobct, Secrétaire du Confeil de M. le Comte d'Artois, fur l'ifthme marin qui anciennernent uniffoit la Gaule & la Bretagne. J'ai la farisfa^lion de voir qu'en plufieurs points, je me fuis rencontré avec l'Auteur de ce Mémoire, qui paroît avoir vu & difeuté l'objet avec beaucoup de iagacité. Je ne puis cependant pas trop m'en prévaloir; car fans vouloir contre-dire & bien moins encore oiFcn- fer M. Gobct , je crois pouvoir faire obferver , qu'il cite comme preuve, le paflage fuivant de Céfar, lorf- qu'il parle des Druydes. li , certo anni tempore, in jinihus Carnutum , &c. &c. Tandis qu'à mon avis, ce paftage ne nous préfente que des conje<^ures , mais à bant, font reftés les derniers dans la plus groflîere barbarie : & les lumières, aiuli que les connoillànces n'ont pénétré chez eux, que long-temps après qu'elles avoicnt déjà fait quelques progrès dans le leile de la Gaule. i6 PRIX DE 1778. la vérité très-fondées , & qui , jointes aux obfervations de M. Borel de Caftres en Albigeois , & de M. Muf- grave , fur les différentes profondeurs du pas de Ca- lais (i), paroifTent ne laiffcr aucun doute fur riilHme marin, qui, anciennement, doit avoir uni ces deux continens. (i) On voit encore dans les bafles marées les bancs nommes Goodwin Sands , qui s'étendent à deux lieues de la côte d'Angleterre depuis les environs de Deal- Cajlel , jufqu'à ceux de Douvres, & qui, à cert.iins endroits, ne font couverts flue de trois pieds d'eau , & à d'autres , tout-à-fait découverts ; tandis qu'au- delà de ces bancs vers la côte d'Angleterre, il y a lo bralTes de profondeur, & vers celle de France , jufqu'à 40 & 50 brall'es. Ce terrein , qui ancienne- ment appartenoit aux Comtes de Goodwin, alliés à la famille Royale d'An-- Eleterre, a été féparé de l'ifle par une forte marée, fous le règne d'£douard I. Lnfin la grande quantité de bancs que l'on voit encore dans la Manche, de- puis les environs d'Oftende jufqu'à ceux de Boulogne & de Calais, femblent également être les vcftiges d'une union , mais beaucoup plus ancienne , de ces deux continens , dans la partie la plus feptentrionale. SECONDE ÉMIGRATIONS. 17 "^^""i ggii^ SECONDE EXPÉDITION DES BELGES. J/'ai dit ailleurs que les Belges, n^ayaot fait ancien- L'mduM. nement que partie d'un peuple puiflant & nombreux, llf,^c^*^: l'hiftoire bien fouvent , ne les nomme ou ne les dé- ^ 5*. figne pas dans des expéditions Gauloifes , auxquelles cependant ils peuvent avoir eu part. Telles font en- tr'autres les conquêtes de Bellovefe , & fur-tout celles de Sigovefe. Telles font encore les deux expéditions de Jules Céfar en Angleterre. Je vais rapporter fuccin6Vement ce que celui-ci en dit lui-même dans fes commentaires fur la guerre des Gaules : après quoi j'y ajouterai le peu que j'ai pu re- cueillir dans d'autres Ecrivains fur ces deux expédi- tions, afin d'être en état de juger enfuite, jufqu'à quel point les Gaulois , & fur-tout les Belges , y ont participé. Céfar , en parlant de fa première expédition en An- ^' *" gleterre , dit 1°. qu'avant de préparer fon armement, il fit aflembler les marchands qui habitoient dans là partie des Gaules, oppofée à la côte d'Angleterre, afin de les confulter fur les ports ou les plages les plus con- venables pour y faire fa defcente, ainfi que fur les moyens de faire réuflir fon entreprife. 1°. Que tout étant préparé , il fe tranfporta avec fes troupes chez les Morins, dans l'endroit où le tra- jet vers la Bretagne eft le plus court , après avoir fait rajfcmblcr tous Us vaijfeaux de tranfport de cette côte, G i8 P R I X D E 1778. 3°. Que les habitans de l'ifle , inftruits des prépara- tifs de Céfar , lui envoyèrent des députés pour lui of- frir des otages & obéiffance ; que les ayant écoutés favorablement, il renvoya ces députés chez eux, & les fit accompagner par Comius , chef des Atreba- tes, en qui il avoit beaucoup de confiance, dont il connoifToit la valeur, la prudence, ainfi que la fidé- lité ; qui , de plus , avoit beaucoup de crédit dans l'ifle (i); & qu'enfuite il le chargea de négocier avec les Infulaires pour les induire à fe foumettre & k en- trer en alliance avec les Romains. 4°. Qu'il rafTembla fur la côte environ cent vaif- feaux de tranfport, outre les galères qui dévoient les convoyer. Or, il eft dit ci-defTus que la majeure partie étoit des vaifTeaux Morins. Vraifemblablement Céfar les avoit fait confli-uire par les habitans^de cette côte dans la forme la plus convenable à navi- guer & à manœuvrer dans la Manche : &c par là même raifon ils étoient équipés & conduits par des mate- lots & des pilotes de la même côte , attendu qu'ils dévoient mieux connoître que d'autres , & fur-tout que les Romains , les différentes bayes de l'Angleter- re, ainfi que les profondeurs de ces parages, & la manière d'y manœuvrer. 5°. Que les Infulaires, qui s'étoient oppofés à la defcente de Céfar , ayant été repouffés & difperfés , lui députèrent encore pour lui demander la paix , & lui offrir de nouveaux otages ,• & qu'ils firent accom- pagner leurs députés par le même Comius ^ chef des Atrebates. 6. Que fe prévalant de la conflernation qu'une vio- (i) Ce Comius, né Anglois, & d'une famille diftinguée , devoit à Céfar fa fortune & fou élévation. L'Hiftoire le nomme aulH quelquefois Roi des Atre- bates, ÉMIGRATIONS. 19 lente tempête avoit caufée tant dans la flote, que dans le camp de Céfar , les Infulaires reprirent les armes , & l'obligèrent à les combattre de nouveau; & qu'en parlant de ce combat , Céfar fait mention de trente chevaux que Comius avoit amenés avec lui. Mais je crois que c'cft une erreur d'impreflion ; car j'ai lu dans divers Auteurs qui fe répètent, 300 chevaux ; ce qui , félon la manière d'armer chez les Gaulois , pou- voit faire 900, iioo ou 1500 hommes (i). 7°. Enfin que ce fut le fecours de cette cavale- rie Artefienne , qui détermina le fort de la bataille en faveur des Romains, qui n'avoient point de cavale- rie ; (i) & que ce fut celle de Comius , qui pourfuivit les Infulaires , & fit le plus grand carnage parmi les fuyards. Or , quoique Céfar , en cette rencontre , ne falTe mention que de cette cavalerie Artefienne , il ne dit pas que ce fufTent-là les feuls Gaulois qui l'aidèrent dans fon expédition ; & à en juger par ce qui efl dit ci-defîbs , l&c fur-tout que les Romains n'avoient point de cavalerie, il eft plus que vraifemblable que d'au- tres corps, tant Morins que Nerviens ou Ménapiens, accompagnèrent Céfar. En parlant de fa féconde expédition en Angleterre, Céfar dit, 1°. qu'il avoit fait conflruire 800 tant vaifTeaux de transport que galères, lequel armement, ainfi que celui de la première expédition , n'a pu avoir (i) Selon Paufanlas , chaque homme d'armes , chez les Gaulois , étoit aidé & accompagné de deux hommes. Ce qui parmi cilx a néanmoins fouvcnt vané : &. un homme d'armes dl compte tantôt poui trois , tantôt pour qua- tre & pour cinq hommes. (1) Ce qui fcmble prouver encore que le nombre de trente cheraut , cité ci-dciTus , eft une erreur d'imptcdion. Car il n'cft pas vraifemblable qu'un fi toibic détachement eut pu dctctruinei le fort d'un combat fi intérelDuit pour les Infukixes. %o P R I X D E 1778. r été eonftruic &: achevé qu'à l'aide des charpentiers,' & conftrudeurs Morins & Nerviens. x°. Que l'embarquemenc fe fit a Iccius Portus , d'où le trajet vers l'iile Britannique étoit le plus com- mode & le plus court , n'y ayant qu'environ trente mille pas ou huit lieues (i). 3°. Que 4000 hommes d'armes de la plus brave & de la plus généreufe noblelTe Gauloife, fe rendirent au lieu de l'embarquement , dont plus de la moitié (x) l'accompagnèrent. 4°. Qu'une grande partie des vaifTeaux de fa flote ayant été brifés par une violente tempête , il fit venir des charpentiers de la Gaule , pour les réparer. Or , ce ne peuvent avoir été encore que des charpentiers Mo- rins, Nerviens, Ménapiens, ou tout au plus Armori- ques; car c'eût été perdre trop de temps, que de les faire venir des côtes plus éloignées. 5°. Enfin, que ce fut encore par l'entremifc de Comius , que Caflivellaunus , Roi ou Dynafte d'un canton dans les environs des Scgontiaces , Ancalites &i Bibroces y (3) lorfqu'il fe vit vaincu fans refour ce , chercha à ménager fa paix avec Céfar. Si, k ce que je viens d'extraire des commentaires de Céfar, on ajoute que Dion, Orofe & Juilin difent que les Gaulois aidèrent Céfar tant d'hommes que de (i^ Je ne m'arrêterai pas à difcuter les opinions de Chifflct, de Waftelain, de d'Anville &_ d'autres Ecrivains, dont l'un pl.ice V Iccius Vortus là où eft au- jourd'hui Mardic , d'autres à S. Orner, à Witfant , à Boulogne & à Calais. Mais ces deux derniers endroits s'accordent le mieux avec Céfar, par rapport à la proximité de l'Angleterre. La queftîon eft d'ailleurs allez indifférente , & il nous fuffit de prouver que l'embarquement fe fit chez les Morins, pour éta- blir que les Belges eurent part à l'expédition. (i) Ce qui, félon Paufinias, pouvoir faire un coi-ps de , o)" Dij i« P R I X D E 1778. /v-^ |f|li=±=^=i=^^ ' ^E^j ./J TROISIEME EXPEDITION DES BELGES. Etahlijfcment de la Monarchie Françoife. j^ ovs voilà donc parvenus par degrés, aux temps de la décadence de l'Empire Romain, & de la chute de ce cololTe formidable , qui, li long-temps, avoit étendu fes hràs & domine jufqu'aux extrémités de la terre connue , & qui enfin s'c{t enfcvéli fous fes pro- pres ruines : tableau vafte & d'autant plus intérefTant , qu'il eft étroitement lié à l'hittoire de tous les états de l'Europe , fondés fur les débris de cet Empire. On m'objedera peut-être que l'établiflement de la Monarchie Françoife , qui a été une fuite de cet évé- nement mémorable , nous eft préfenté dans l'Hiftoire comme l'ouvrage des Francs , & non celui des Bel- ges ; mais j'ai lieu de croire qu'il ne fera pas difficile d'établir que ces derniers y ont eu autant de part que les Francs. Or un objet aufli intéreïïaht exige un détail circonftancié ; & je vais raifembler fuccincte- ment ce qu'en difent plufieurs Auteurs dignes de foi. Afin d'y mettre plus d'ordre, j'établirai 1°. que les Belges font d'origine Germaine, autant que les Francs. 2-°. L'époque des premiers Francs établis en deçà du Rhin. 3°. Que les milices Romaines, pout: la garde des frontières de la féconde Belgique , étoient cDmpofées de Belges autant que de Francs. 4°. Que les Belges & les Francs , liés des mêmes intérêts , ont toujours ÉMIGRATIONS. 2,9 fait caufe commune contre les Romains. 5°. Que ces peuples fe font unis & alliés, lorfqu'ils mdditoicnt leur invafion dans les Gaules. 6°. Et enfin , qu'après cette union , & à rétablifîcment de la Monarchie Fran- çoife, les Francs étoient en moindre nombre que les Belges. Que les Belges étoient d'origine Germaine. Il feroit , je l'avoue , aflcz difficile de prouver évi- demment que les anciens Belges étoient d'origine Ger- maine , & également de fixer le temps précis au- quel ces peuples Germains fe font fixés dans la fé- conde Belgique. Mais c'eft une tradition fi générale- ment reçue , qu'on ne peut guère la révoquer en doute. L'opinion que les Druydcs eux mêmes avoient de l'o- rigine des Gaulois , étoit qu'une partie de cette nation étoit indigène, mais qu'une autre partie étoit com- pofée de colonies étrangères, & fur-tout des contrées d'au-delà du Rhin , que des inondations , ou le fort des armes avoient obligés d'abandonner leur patrie. Ce que les Druydcs pcnfoient de ces colonies, ne nous donne pas, à la vérité, beaucoup de lumières. Elles venoient , difoient-iîs , des ifles éloignées ou des con- trées d'au-delà du Rhin, d'où elles avoient été chaf- fées ou par la guerre ou par des débordcmens de la mer. Tout cela eft trop général , & ne nous apprend rien de bien pofitif ni fur l'origine de ces peuples, ni fur le lieu de leur ccabliflcment , ni fur le temps.de leur venue dans les Gaules; & paroît feulement dé- figner ou les Belges ou les Aquitains, ou peut-être les uns & les autres. 3Ô P R I X D E. 1778. Auffi Céfar, qui avoit vécu long-temps dans les Gaules avec des Gaulois & des Druydes même (i), en parlant des Belges & des Aquitains, dit que ces peuples n'avoient ni la même langue, ni les mêmes mœurs que les Celtes ou Gaulois proprement dits. Céfar dit encore que, lorfque fur les lieux, il s'in- forma des Belges, on lui répondit qu'ils étoient, pour la plupart, des Germains, qui, ayant palTé le Rhin, arrêtés par la fertilité de ces cantons, en chafTérenc les Gaulois , qui s'y étoient établis avant eux , & s'y établirent à leur place : ce qui, dans la bouche des Gaulois même du temps de Céfar , me paroît être une autorité alTez décilive. cfar, jbid. Mais je crois devoir faire obferver que ces colo- nies Germaines étoient antérieures au paffage des Cim- brcs & des Teutons dans les Gaules; puifqu'clles re- fuferent à ceux-ci l'entrée du pays qu'elles occupoient ; ce que je fais remarquer, afin qu'on ne les confonde pas. On pourroit croire, en effet, que par les colonies que ces débordemens avoient obligées de fe réfugier dans les Gaules , les Druydes entendoient les Cimbres & les Teutons, qu'un pareil motif avoit contraints d'a- bandonner leur patrie : & il eft vrai que fix mille hommes , que ceux-ci avoient laifles fur les bords du Rhin pour garder leurs bagages, s'établirent dans les Gaules (x). lâ. ibid. Auffi Céfar, en parlant des Aduatiques (3) , dit que ces Cimbres & Teutons , après la défaite entière de leurs compatriotes , furent long-temps inquiétés par les peuples d'ancienne origine Germaine , qui les en- (i) Divitiac, ami particulier de Céfar, ctoit Druyde. Cic. L. t. De Divin. (■•-) Dans le pays d'entre iambrc & MeuR". (j) Les Namurois. ÉMIGRATIONS. 31 vironnoient , & occupés ou k fc défendre contre ces derniers, ou k les attaquer. C'étoit environ 55 ans après leur paflage dans les Gaules, que Céfar parloir ainfi de ces Cimbrcs &c Teutons. Il failloit donc qu ils fc fuflbnt prodigieufe- ment multipliés dans un fi court efpace de temps; puif- que ce Général Romain, en ayant alors tué ou vendu cinquante-fix mille, ils fe trouvèrent encore en état, deux ou trois ans après, de foutenir la révolte d'Am- biorix. Mais quelque puiflans ou nombreux qu'ils fuflent, ils ne faifoicnt qu'une petite partie des autres Ger- mains , établis depuis long-temps dans les Gaules ,• &c il y avoit particulièrement, depuis la Meufe jufqu'à la Mofelle & au Rhin , ainfi que dans tout le Bra- bant , le Namurois , le Luxembourgeois & d'autres provinces voifines , plufieurs peuples particuliers qui confervoient encore leur nom de Germains, ou plu- tôt , félon Tacite , ce nom leur étoit propre. Mais comme ils furent les premiers qui pafTercnt le Rhin (i), & qui occupèrent des terres dans les Gaules, la crainte fit étendre ce nom à tous les peuples qui habitoient au-delà de ce fleuve, & qui fe l'appropriè- rent enfuite eux-mêmes. Céfar nous a aufli confervé les noms particuliers de ceux qui étoient en deçà de la Meufe ; ce font les Condrufi y Ehuroncs , Carejl , Scgni, Pœmani (x) & plufieurs autres. Enfin, M. Gobct, dans fon Mémoire fur l'ifthme marin du Calaifis, que j'ai déjà cité (fol. iç)» parle encore de l'ancienne origine Germaine ou Tudefque (0 Quoniam qui primi Rhenum tranfgrejji , Galtos expulerint. Céfàr, L. f. (1) Les habitans da Condros , les Licgeois, les Campiiiois, & quelques à- tés du Brabant. 3x P R I X D E 1778. des Belges , & nous met , ainfi que plufieurs autres Auteurs , fur la voie des anciens Belges , qui , dans les temps les plus reculés , fe font réciproquement poufl'és & ferrés pour occuper les différentes parties de k Gaule , & notamment la féconde Belgique , où la langue Teuto-Flamande s'étant confervée jufqu'à nos jours, retrace encore l'ancienne origine Germaine de ces peuples. J'avoue cependant qu'on n'en peut pas tirer, non plus que de tout ce que j'ai avancé , la preuve corn-* plette de cette ancienne origine , non plus que du temps précis de la première invafion de cette partie de la Gaule par des Germains ,• mais cette preuve ne me paroît pas nécefîaire; & ce point de notre Hif- toire ne devient autrement intérefîant à l'objet que nous traitons , qu'autant qu'il prépare à l'union des Francs aux Belges; union qui devenoit d'autant plus facile, qu'elle étoit naturelle par l'orrigine commune de ces deux peuples. Premiers Francs établis en deçà du Rhin. Les notions certaines que nous avons fur d'autres peuples de la Germanie, qui, dans des temps moins reculés fe font établis fur la rive gauch e du Rhin , ne s'étendent pas au-delà des Sicambres & des Tongriens ouThoringiens, fous le règne d'Augufte ,' les premiers entre le Rhin & la Meufe, & les féconds dans la Ton- grie ", & ce font ces derniers que Procope défigne , par magïs ad Oricntcm Solem , Thuringi (i) itideni barbariy datas ab Augujlo fcdes tenent. Ces (i) CVftce qui a donné lien a iVrreur qu'on reproche à Grégoire dcToilrs, d'avoir coiifondu les anciens Tongriens ou Thoringieiis avec les Thuringiens des bords de la i'ala. ÉMIGRATIONS. 33 Ces peuples qui, depuis lors, ont été tributaires ou alliés des Romains, & protégés par eux, n'étoient guère connus h cette époque , que fous le nom gé- néral de Germains : & ce n'a été qu'aux temps pof~ térieurs dont je vais parler, que l'hiftoire a commencé h les défigner fous celui de Francs (i). Depuis la rcdudion de la Belgique , par Jules Cé- far , jufque vers l'an z4o de notre Ere , le Rhin a toujours fervi de barrière entre les Romains & les difFcrens peuples Germains unis ou confédérés qui ha- bitoient au-delà de ce fleuve : & ceux-ci, jufquc-là, n'ont guères fait que des incufions momentanées, peu dignes d'être rapportées. Mais depuis les règnes de Maximien & de Gai- lien , proclamés Empereurs , le premier en a3 5 & le fécond en ^')2^, ils commencèrent à fe faire craindre des Romains, & ne difcontinuerent pas, depuis cette époque , de former des entreprifes férieufes contre l'Empire. Ils s'établirent d'abord dans quelques cités de la fé- conde Belgique ; & ce font eux vraifcmblablement que Trebellius déligne, lorfqu'en parlant de la guerre que Gallien fit à Pofthume , qui s'étoit fait aulli pro- clamer Empereur dans la féconde Germanique, il dit que l'armée de ce dernier fut renforcée par le fe- cours que lui amenèrent des Gaulois & des Francs. Depuis lors les Francs continuèrent d'étendre in- fenfiblemenc leurs établifTemens en deçà du Rhin , fe mêlant ainfi aux différens peuples des fécondes Bel- gique & Germanique. ■ , — — _ — ■ ' « (0 Le plus ancien monument où Von trouve le nom de Francs, eft une chan- fon militaire, rapportée par Vopifcus dans la vie d'Aurélien : mille Framos , mille Sarmatet Jemel ù femel occidimut , mille, mille, mille, mille Perfa* «uierimut, E 34 P R I X D E 1778. Auifi long-temps que l'Empire Romain conferva une partie de fa force & de fa fplendeur, tous ces Francs , à l'exception de quelques-uns qui fe liguè- rent avec leurs anciens compatriotes , qui étoicnt reftés au-delà du Rhin , ces Francs , dis-je , fentant bien qu'ils n'étoient pas encore en état de fe foutenir dans leurs nouveaux établilTemens , fe contentèrent de s'y fixer comme alliés ou tributaires des Romains : pîufieurs même s'enrôlèrent dans les légions & milices Romaines. Milices Romaines , compofées de Belges à de Francs. Depuis lors jufqu'aux temps des divifions qui ont commencé à régner dans l'Empire, & jufqu'à l'épo- que de fa décadence , les milices Romaines pour la garde des frontières des fécondes Belgique & Ger- manique , fous le nom de milites limitanei & Riparii ou Ripuarii , ont été compofées de Belges & de Francs , auxquels l'Empire , afin de fe les attacher , & com- mençant à fentir fa propre foiblclî'e, accordoit àQ& terres k cultiver ou à défricher. Après cela, on voit les Francs & les Belges fervir dans les armées Romaines en différentes occafions contre Attila, contre les Wandales, ainfi que dans pîufieurs autres guerres. Et M. Eccard , qui a com- menté les loix Salique & Ripuaire , croit que ce der- nier peuple n'étoit compofé que de foldats de fron- tière unis avec des efiaimsde Francs, & qui s'étoient formés tous enfemble en une feule nation. Enfin on voit encore que ces Francs & ces Bel- ges, accoutumés ainfi depuis long-temps, à vivre ÉMIGRATIONS. 35 parmi les Romains , s'étoient familiarifés avec leurs loix, leurs mœurs & leurs ufagcs. Premièrement, on en trouve un grand nombre au fervice de l'Empire , qui étoicnt parvenus aux premières dignités de la mi- lice & du palais. Tels étoient ce Magnence qui fe fit proclamer Em- pereur , le Duc Sylvanus , Charieton , Urficin , Ma- lade, Baudon , Mellobaude, Comte du Palais, & Maître de la milice, & enfin Arbogafte (i), qui aima mieux gouverner l'Empire fous le nom d'une de fes créatures, que de fe faire déclarer lui-même Em- pereur. Tous ces chefs", & un grand nombre d'autres dont parle l'hilloire , étoient Francs ou Belges , & avoient amené des corps de troupes de leur nation au fervice de l'Empire. Outre ces corps volontaires, il y avoit des tribus entières de Francs établies fur les terres de l'Empire par la conceffion des Empereurs. Tibère , ainfi que Probus , après Augufte , leur oftroyercnt des établiflemens ; & Conftantin , à leur Fumen. !a exemple , s'efforça d'en attirer un grand nombre dans j^^^S'C""* la Gaule , & fur-tout dans la Belgique. Enfin , les habitans de cette frontière de l'Empire , n'étoient proprement que des troupes compofées, pour la plupart, de Belges, de Francs & de vétérans Ro- mains; mais ces derniers étoient en petit nombre, & on leur avoit diftribué les terres limitrophes , à charge du fervice militaire. Voilà donc par faccroiflement des établiflemens (i) Les Francs & les Belges fe font ttfputé l'honneur d'avoir eu cet Arbo- gade pour compatriote; mais plufieurs Auteurs inclinent pour les Belges, & pcnfent qu'Arbogaftc étoit Mcnapicn Ripuaiic ou Arboriche , & que la Campinc «oit fa patrie; Eij 3 (dit le Préfident Henault; eull'ent fait de nouveaux efclaves dans les Gaules ^ » il paroît, au contraire, que la manière qu'ils y introduifirent, de traiter les i> ferfs , éroit beaucoup moins dure pour eux & plus utile pour leurs maîtres. <« Il rapporte enfin l'editde Louis Hutin, pour les afïranchiiîêmens , dont le pro- logue porte entermes ; Comme félon le droit de nature, chacun doit être franc... J (l) DiJTertatio de Belgis fœculo XII. in Germaniam advenis, variifque injiitw tisat^ue Surihus ex eorum ciation mémorable s'eft formée & entrete- nue, au point de porter par degrés le commerce des Pays-Bas en général, & celui de la Hollande en par-» ticulier, à l'état de fplendeur auquel ils font parvenus dans les temps poftérieurs, & fe font foutenus jufqu'à nos jours. Je terminerai cet article par une obfervation efTen- tielle encore , & qui paroît tenir au point d'hiftoirc que je viens de toucher : c'eft que la population des jBelges devoit être , au douzième fiecle , une des plus nombreufes de l'Europe, & peut être même de l'u- îjivers. Si une émigration allé? coniidérable , pour qu'un ÉMIGRATIONS. 55 peuple puifTc avoir porté & tranfmis ;i un autre peuple fa religion , fon langage , Tes mœurs, fes loix & fes inf- titurs , n'a occafionné aucun vuide remarquable , ni aucune dépopulation fenfible parmi le peuple émi- grant, & fi l'on ajoute à cela que pluflcurs Hiftoriens des gme. lome. urne. & iime. ficelés, remarquent, avec une forte de furprife, qu'après & malgré les dé- vaftations caufées par les Normands dans le Brabant (i ) , la Hollande , la Flandre & d'autres provinces Belgi- ques , & après les émigrations des premières croifa- des, la population y étoit toujours également nom- breufe , on peut en conclure que cette population étoit en effet immenfc ; &l cette conclufion n'eft pas ha- fardéc, puifque l'hiftoire ne dit pas que les Princes Belges aient àù employer des moyens quelconques pour remplacer un fi grand nombre d'émigrans, afin de pour- voir k la culture des terres ou à d'autres vuides , ou effets remarquables qu'auroit pu & dû avoir occafionné une dépopulation fenfible. Cette preuve n'cfl, à la vé- rité , que négative ; mais elle me paroît telle , qu'il me femble qu'on ne peut guère s'y refufer. (0 Ce fut fui- les bords de la Dylc , près de Louvoiii , qulls furent défaits cnSpi, par l'Empereur Ârnoul. ^6 P R I X D E 1778. CINQUIEME EXPEDITION DES BELGES. LES CROISADES, Jl-J' E i" u I s l'irruption des Goths , des Huns , des Wandales, des Francs, ainfi que des autres nations barbares qui ont envahi & partagé l'Empire Romain , l'hiftoire ne nous ofFre point d'émigration compara- ble à celle des Croifades , pulfque , félon Fulcher de Chartres (i) & les témoignages réunis d'autres Auteurs contemporains , il efl: forti de la France , de l'Alle- magne, de l'Angleterre', des Pays-Bas & de l'Italie près de fix millions d'hommes , dont plus de la moitié ont péri dans cette fainte & ftirile expédition (x). Comme ces diverles Croifades comprennent une époque d'environ 180 ans, c'cft-à-dire , depuis 1095 îufqu'à 1173, j'^i cru devoir faire précéder le récit de rétabliiTemcnc (x) des Belges en Allemagne après la deftruftion des Slaves au douzième ficelé, afin de ne pas interrompre celui des Croifades. Pour juger fi & à quel point 1cs Belges y ont eu part, il fuiiit de fe rappeller qu'un Dup de Lothier (3) fut Il I 1. 1 . . (l) Si omîtes qui de doinibi/s fuis egrejjt votum ittr jam incaparant , fimul il- lic adejjent , procul duhio ftxagici millia bellatorufn ejfcnt, Fulc/i. Carnot, apud du Chefr.e T. 4. p. 8zi. (a) En qu:;lifiant ainfi ces expéditions, mon iiitention efl: uniquement de tenir un jufte miliL-u entre les Ecrivains qui, d'une part, ont dit trop de bien, Se de l'autre trop de mal des ('roifades. Cj) Godcfrol de Bouillon , Roi ou Duc de Jérufâkm. ÉMIGRATIONS. 57 fut élu Roi de Judée; qu'un Comte de Flandre (i) fut placé fur le trône dis Empereurs Grecs, & que fes defcendans y régnèrent environ cinquante ans ; qu'un Comte de Hollande (i) conduifit en Orient la flotte fcptentrionalc des Croifés , &: les commanda au fiege mémorable de Damiette; & qu'enfin fous leurs bannières &c fous celles des Comtes d'Artois , de Hay- naut , de Namur , de Bourgogne , de Julliers , de Luxembourg, de Chiny, de Bar, de Boulogne & de Gueldres, ainfique fous celles des Ducs de Limbourg & de plufieurs autres Seigneurs, Evêques & Châtelains Belges , une Noblefle fi floriflanre , tant de Chevaliers , d'Ecuyers, de Vaflaux &t arrière- Vaflaux marchèrent, qu'à peine y a-t-il une famille ancienne aux Pays-Bas , qui ne compte des Croifcs parmi fes ancêtres , & qui même y ont figuré avec diflindion (3). Il fufîit de le rappeller enfin que la croix verte, qui diftinguoic les Flamands parmi les trois principales nations qui s'é- toient croifées , furpafTa en nombre ia croix blanche , que portèrent les Anglois, & approcha de la croix rouge que prirent les François. Je ne m'arrêterai pas aux vertus, aux exploits, aux déréglemens, aux crimes ni aux malheurs de tous ces guerriers avides d'avantures , dont les détails font con- ligncs dans plufieurs bons Hifloriens. Mais afin de ré- pondre à la queftion propofée par I'Académie, je jetterai un coup d'œil fur les caufes & fur les effets des Croifades , ainfi que fur l'influence qu'elles peu- (1) Baudouin VIU, Empereur de Confbntinople. (i) Guillaume I de nom, i6me. Comte de Hollande. (3) Voyez l'Hiftoir: de la Noblcfle de Caml>rai & du Camhrefis , par Car- Î (entier : le Théâtre d'honneur & de chevalerie , par Vulfon de la Colointiierc : a Table Généalogique des recherches & antiquités de la Noble/le de Flandre, par Lcfpinoy : le Miroir de la Noblefl'e de Hcsbaye , par Hemcricourt : Ge/im Dei ver Frantot ; & enfin , le« Chroniques de Flandre. H erdue, ou ne s'étok confervée que dans » des chroniques pleines de circoiiftanccs puériles de w de contes abfurdes. Les codes de loix mêmes, pu- M bliés dans les difterentcs parties de l'Europe , cclFe- i> rent d'avoir quelqu'autorité, & l'on y fubftitua des >? coutumes au/îi vagues que bifarres w. Charlemagne en France & Alfred le Grand en Angleterre tâchèrent de diffiper ces ténèbres, & par- vinrent , il eft vrai , k faire pénétrer parmi leurs peu- ples quelques rayons de lumière ; mais leurs efforts trouvèrent des obftacles invincibles dans l'ignorance de leur fiecle ; & la mort de ces deux grands Princes replongea les nations dans une nuit plus épaifTc & plus profonde. Enfin il n'y avoit aucune communication entre lep pays même les moins éloignés. Tel étoit l'état malheureux de l'Europe. Joignons-y les récits exagérés de quelques pèlerins qui revenoicnc de la Terre-Sainte ; & tout devoit paroitre merveil- leux à des nations chez qui le germe de l'efprit de che- valerie commençoit à infpirer déjà le goût des avao- turés merveilleufes. Il falloit au moins le concours de tant de circonC- cances pour perfuader aux grands comme au peuple , que le ciel courroucé exigeoit une vengeance éclatante des outrages que quelques Chrétiens avaient elTuyés en Syrie, & que le fcul moyen de l'appaifer ou de le fléchir, étoit une guerre dont l'objet paroillbit aufîi glorieux que facré. Jufque-là on ne peut guère fe refufer à ce que l'hiiloire nous apprend fur ce qui a pu préparer les efprits aux croifades , & fur les motifs qui peuvent y -avoir donné lieu : l'on a vu dans àes temps même plus Hij 6o P R I X D E 1778. éclairés, avec combien de facilité, des génies entre- prenans ont fu entraîner la multitude, & l'aveugler fur fes propres intérêts. Mais on a prêté ou attribué aux croifades un autre motif encore, qui me paroît mériter une attention par- ticulière, en ce qvi'il auroit influé fur l'état de fociéré civile des Belges en particulier, comme fur celui de toute l'Europe en général, C'eft l'intention qu'on prête aux Empereurs, aux Rois de France & d'Angleterre , ainfi qu'à plufieurs Potentats , d'avoir voulu envoyer & occuper dans des pays éloignés , les grands vafl'aux &c une noblefle inquiète ou remuante , qui , fe prévalant & abufant des inftituts du Gouvernement féodal , con- tre-balançoient le pouvoir de leur Souverain, jufqu'k lui réfifter & lui faire des guerres continuelles, s'en- tredétruifant réciproquement, & faifant gémir les peu- ples fous la plus afFreufe anarchie. On ne peut difconvenir que la longue abfence de tant de puiflans Croifés, n'ait donné aux peuples le temps de refpirer, & aux Souverains, celui d'affer- mir leur pouvoir affoibli. Mais je penfe qu'en cela on a confondu la caufe avec l'effet. Si tous ces Souverains , cachant leur vrai motif, & reftant, fous l'un ou l'autre prétexte, dans leurs états, s'étoient contentés d'échauffer les efprits de leurs grands Vaiîaux & de leur noblefle , en les excitant à cette guerre lointaine , qui étoit la manie d'alors , on pour- ront admettre le motif caché qu'on leur attribue. Mais fi trois Empereurs , trois Rois de France , un Roi d'Angleterre & un Roi de Hongrie, dont quel- ques-uns ont réfifté aux fages confeils que leur don- noient des Miniftres éclairés & fidèles , pour les rete- nir dans leurs états , & qui prefque tous y avoient des intérêts qui exigeoient leur préfence , fi tous ces Sou- ÉMIGRATIONS. 6t vcrains , dis-je , non contens de courir en perfonnc tant de hafards , y ont conduit ou envoyé de plus ,. les Princes de leur fang , & confié à des étrangers la régence de leurs états , qui étoient menacés de trou- bles internes (i), ne doit-ron pas en conclure qu'ils étoient remplis & agités eux-mêmes de cette fermen- tation générale , qui , comme un torrent , entraînoit toute l'Europe vers l'Orient ; & que conféquemmcnt l'hiitoire, en leur prêtant, dans des temps poftcrieurs , le motif cache d'éloigner tous ces petits tyrans, a pris pour une caufe, ce qui n'étoit qu'un effet, heureux, à la vérité, mais vraifcmblablement imprévu? Parmi les autres effets que doivent avoir opéré les Croifades, j'en choisirai quelques-uns qui paroiffent mériter notre attention , parce qu'ils doivent avoir né- ceffairement & particulièrement influé fur l'état de nos ancêtres. Et comme tant d'Ecrivains fe font piqués de ne nous préfenter que les fuites malhcureufes de ces expédi- tions bifarres autant que deftruftives , je m'attacherai (i) Louis VII, dit le jeune, malgré les remontrances de Sugger, Miniftre aufli zélé qu'éclairé , & qui, par fon état, fcmhloit ne devoir pas s'oppofcr aux yccux de la Gourde Rome, prêches par faint Bernard , fc mit à la tète d'une croifadc, Se confia la régence à ce mcme Sugger, pour lors Abbé de faint Denis. Philippe Augufte, au temps qu'il entreprit fon expédition de la Terre-Sainte , étoit en mcfintelligence , & menacé d'une rupture avec l'Angleterre. L'Empereur Conrad III, à peine afFcrmi fur le trône que lui avoit dtfputé un rival puilfant, & Frédéric I, dit Barberourte, à peine reconcilié avec les Mila- Bois, menacé par Urbain III, Se inquiété par Henri de Saxe, fumonimé le Lion, quittèrent tous deux leurs Etats, dans le temps que leur préfcnce y étoit très-néceifairc , Se qu'ils avoient à craindre des troubles internes. Saint Louis, qui aimoit fon peuple autant qull en étoit aimé, l'abandonna dans des temps également critiques , même à deux reprifcs, mena avec lui fcs frères. Se confia la régence, d'abord à la Reine Blanche deCaftille, fa mcrc, cnfuite à Mathieu , aulli Abbé de S. Denis , & à Simon, Comte de Ncle. Il n'y eut enfin que le fcul Empereur Frédéric II, qui, éclairé par l'expé- rience. Se par l'imprudence de fes prédécelTcurs , prit la Croix malgré Im, 3c uniquement pout appaifci la rigueur de Grégaire IX. Sx P R I X D E 1778. particulièrement à ceux (i) dont les réflexions font plus confolantes , & qui nous ont montré la face avan- tageufe de ces mêmes expéditions, aufli imprudentes qu'infrudueufes pour leur objet, mais auxquelles, ce- pendant , l'Europe doit une grande partie des lumières qui Téclairent aujourd'hui. w Les Croifés, en marchant vers la Terre-Sainte, traverferent des pays mieux cultivés & mieux civilifés que les leurs. Ce fut en Italie , qu'ils fe ralTemblerent d'abord. Venife, Gênes, Pife & d'autres villes avoienc commencé à cultiver le commerce, & fe poliçoient en s'enrichifîant. Les Croifés alloient enfuite par mer ea Dalmatie, d'où ils continuoient leur route par terre jufqu'à Conftantinople. M II eft vrai que l'efprit militaire étoit depuis long- temps éteint dans tout TEmpire d'Orient , & qu'un def- potifme de l'efpece la plus dangereufe y avoit pref- qu'anéanti toute vertu publique. Mais Conftantinople, qui,n'avoit jamais été ravagée par les nations barba- res , étoit la plus grande & la plus belle ville de l'Euro- pe , & la feule où il reftât encore quelqu'image de l'ancienne politefTe , & dans les mœurs & dans les arts : des manufactures très-précleufes y fubfiftoient encore ; c'étoit enfin l'entrepôt pcair les productions des Indes Orientales. Quoique les Sarrafins & les Turcs euffent dépouillé l'Empire de fes plus riches provinces , & l'eufTent ref- (0 Tels" font entt'auttcs MM. Méhégan & fur-tout Robertfon , qui nous ont donné un tableau impartial des Croifades, & qui, pour nous dédommager, ou nous confoler des maux qu'elles ont occafionnés à l'Europe , nous ont préfenté ces expéditions fous une face nouvelle jufqu'alors, en indiquant les effets heureux qu'elles ont produits fur les mœurs , les ufages, les loix , l'état de fociété civi- le, les arts, les connoill'ances & la félicité des peuples. Comme je crois ne pou- voir rien dire de mieux que ce qu'ont dit à cet égard MM. Robertfon & Mé- hégan , je tranfcris niot-à-mot quelques-unes de leurs réflexions. ÉMIGRATIONS. 63 ferré dans des bornes fort étroites , cependant ces four- ces de richefTes entretcnoient à Conftantinople & dans les villes Grecques, non-feulement l'amour du fafte &c de la magnificence, mais encore un rcitc de goût pour les arts & les fciences. L'ordre qui régnoit dans ces villes, la noble architc6ture qui les décoroit, les belles peintures qui ornoient leurs temples, la communica- tion avec les favans de l'Orient , & les ouvrages ex- cellens dont il étoit dépolitaire^ tout cela frappa les Croifcs, & leur donna les premières idées du goût que les circonftances développèrent dans la fuite : & à cet égard enfin , l'Europe entière étoit fort au-deflbus de l'Empire Grec (i). » Les Croifés trouvèrent dans l'Afie même, les dé- bris des fciences & des arts que l'exemple & l'encou- ragement des Califes avoient fait naître dans leur Em- pire. » Quoique les Hiftoriens des Croifades euffent porté route leur attention fur d'autres objets, que fur l'état de la fociété & des mœurs parmi les nations de l'O- rient ; quoique la plupart d'entr'eux n'euffent même ni aflez de goût ni afî'ez de lumières pour obfervcr & pour bien peindre ce qu'ils voyoicnt , cependant ils nous ont tranfmis des traits fi frappans de l'humanité & de la générofité de Saladin & de quelques autres chefs des Mahomécans, qu'on ne peut s'empêcher de prendre de leurs mœurs l'idée la plus avantageufe. » Il étoit impolTîble que les Croifés oarcourufTent fant de pays , qu'ils viflent des loix & des coutumes fi diverfcs , fans s'inftruire & acquérir des connoif- fanccs nouvelles. Leurs vues s'étendirent, leurs préju- (i) Le Pcre Montfaacon a tiré des écrits de faint Chryfoftômc, U0 iccii&rt cicouûancié de l'clégonce & du laxe du Gtecs de fon ficelé. ^4 P R I X D E 1778. gés s'afFoiblirent ; de nouvelles idées germèrent dans leurs têtes ; ils virent enfin combien leurs mœurs étoient grofliercs en comparaifon de celles des Orientaux po- licés; & ces impreflîons étoient trop fortes pour s'ef- facer de leur efprit, lorfqu'ils furent de retour dans leur pays natal. M D'ailleurs, il y eut, pendant près de deux fiecles, un commerce aflez fuivi entre l'Orient & l'Occident : de nouvelles armées marchoient continuellement d'Eu- rope en Afie ; tandis que les premiers aventuriers re- venoient chez eux , & y rapportoient quelques-uns des ufages avec lefquels ils s'étoient familiarifés par un long féjour dans ces terres étrangères , d'autres y al- loient , & en revenoient également inftruits ou poli- cés. Aufli remarque-t-on que même peu de temps après le commencement des croifades, il y eut plus de ma- gnificence à la Cour des Princes , plus de pompe dans les cérémonies publiques, plus d'élégance dans les plai- firs & dans les fêtes. Le goût même des avantures de- vint plus romanefque, & s'accrut fenfiblement dans toute l'Europe. » D'un autre coté , la longue abfence de tant de ValTaux puiflans, accoutumés à en impofer, & fou- vent même à donner la loi à leurs Souverains, offrit à ceux-ci, ainfi que je l'ai déjà dit, une occafion d'é- tendre leurs prérogatives, & d'acquérir une influence qu'ils n'avoient pas eue auparavant. Les querelles & les hoftilités particulières, qui, jufqu'alors avoient banni l'ordre & la paix de tout Etat féodal , furent tout à coup fufpendues & s'éteignirent entièrement. L'admi- niftration de la juftice commença à prendre une forme plus folide & plus confiante,* & l'on fit, enfuitc, quel- ques pas vers l'établifTement d'un fyllême plus régulier de juftice , d'adminiflration & de police dans les diff'é- rens Royaumes de l'Europe. » On ÉMIGRATIONS. S^ » On dit communément que Warnerus trouva le code Jullinien que l'Occident avoit perdu , & qu'il le rapporta de Conftantinople, où il efl: certain qu'il avoic fait quelque fcjour. Frappé de la fagefle qui règne dans ce recueil, il fe livra, avec ardeur, à l'étude des loix ; il en communiqua le goût à un petit nombre de fes amis, qui le répandirent; il conçut le deflein d'en- feigncr publiquement le droit , & iecondé par l'Em- pereur Lothaire , il forma une école où il eut bientôc le plaifir de voir accourir des difciples en foule. Bou- logne devint fameufe dans toute l'Europe. On venoit de tous côtés pour entendre le reftaurateur des bonnes loix ; Azon , qui fut fon difciple & fon fuccefleur , étendit les idées de fon maître : Accurfe les perfec- tionna j & ce célèbre Jurifconfulte eft encore compté parmi les oracles du droit civil. On vit, enfin, s'éle- ver par-tout des chaires publiques, qui, répandant l'efprit de la jurifprudence, cauferent les changemens heureux dont l'Europe fentit enfuite les eftets. » Les mœurs, qui tiennent toujours aux loix, s'a- doucirent fenfiblement pendant & après les croifades. L'opprellion commença à parokre dans fon horreur ; & le devoir de protéger l'innocence , fut regardé comme le plus digne emploi de la bravoure. Delà cette foule de Chevaliers errans, qui, le cafque en tête, la lance à la main , & fuivis de leurs écuyers , fe dévouoient par-tout à la défenfe du fexe le plus foible, ou du pau- vre opprimé par le riche ou par le puiflant. » Il ne faut également pas chercher ailleurs l'ori- gine des Univerfités ; c'eft dans cet âge qu'elles na- quirent. On n'y enfeignoit, k la vérité, d'abord que la théologie & les lettres qui comprenoient la philofo- phie & les humanités ; mais dans la fuite on y ajouta la médecine , ainfi que le droit : & S. Louis fixa enfin la gloire de l'Univerlité de Paris, I (>S P R i:S D E 1778. i Les effets que ks Croifades produifirent fur le com- merce, ne furent pas moins fenlibles, que ceux dont je viens de parler. Venife, Gènes, Plfe, & plufieurs au- tres Villes d'Italie, en s'enrichiflànt par le fret des ar- mées que l'on tranfportoit par mer, & en approvi- fionnant ces armées, ouvrirent & lièrent une corref- pondance réglée, ainfi qu'une circulation d'efpeccs in- connues juf qu'alors, avec les premiers Souverains, & les principales villes de l'Europe , fur-tout avec celle de Bruges & toute la côte de Flandre. L'influence que les Croifades eurent fur l'état de la propriété des biens , & par conféquent fur celui du pouvoir , fut également immédiate & fenfible. Les nobles , qui prirent la croix , ayant befoîn de femmes confidérables pour faire les fraix d'une fi lon- gue expédition , & pour fe mettre en état de paroître avec la dignité convenable, à la tête de leurs VafTaux, Châtelains & arriere-ValTaux , abandonnèrent & ven- dirent, dans l'enthoufiafme de leur zèle, une partie de leurs héritages aux Eglifes, aux Chapitres réguliers ou féculicrs , ainfi qu'aux ordres militaires & hofpita- liers (i),- ce qui devint la fource du degré de puif^ fance & de richefTe , auquel le Clergé efl parvenu dans les temps poflérieurs & jufqu'a nos jours. Sans vouloir agiter la queflion, fi ce changement de propriété eft devenu un bien ou un mal , je ne puis difconvenir que le Clergé ait fouvent abufé de fon (i) Godefroi de Bouillon vendit , pour une fonamc aflcz modique , fon Duché de Bouillon à l'Evcquc de Liège, & Stenay à celui de Verdun. Baudouin , Comte de Hainaut , hypothéqua ou vendit une partie de fcs terre» au même Evcque de Liège en 109 S. Baudouin, Comte de Namur , vendit aufTi à un Monaftcre en 1159 , une partie de fes Etats- Il fe fit enfin plufieurs autres femblables aliénations par des Seigneurs ou des Nobles d'un rang inférieur. Vid. Dumont Corp, Diplom. Toin. L p. jj, & Mirxi Opci. I. 313. É M i<; R A T I o N s; «^ pouvoir & de fes richellcs : mais d'un autre côté , il me femble auffi que les holtilités particuiieres, Ifcs bri- gandages &: cous les maux attaches au Gouvcrncmenc tëodal, ont été moins opprcflrfs fous les Moines, qu'ils l'avoictre été , lorique ce pouvoir & ces richefTcs croient entre les mains des Nobles & des grands Vail'aux, plus portés par état à la guerre , & à fe faire juftice eux-mêmes par toutes fortes de voies de fait. Tels fuf^nt les eftèts heureux que les Croifades pro- duifircnt à l'Europe en général , mais aux Pays-Bas en particulier ; parce que leurs différens Souverains figu- rèrent , avec plus de diftinâion & plus conftamment qu'aucun autre , dans toutes ces expéditions. Mais ce qui concourut & contribua encore plus par- ticulièrement aux progrès du commerce de nos pro- vinces, ce fut la ligue Anféatique, dont les fondemens furent pofés pendant les Croifades , & à laquelle, ainfi que je l'ai déjà dit , la ville de Bruges & quelques au- tres de la côte de Flandre eurent tant de part. Il n'en faut pas d'autre preuve, que l'ordonnance de 1633^ pour les monnoies & les changeurs des Pays-Bas , dans laquelle il eft fait mention de près de mille efpeces dif- férentes de monnoie, dont environ la moitié avoit eu .cours aux Pays-Bas pendant les iime. i3me. i4mc. & I jme. fiecles : ce qui ceffe d'être furprenant , quand on confidere qu'à cette époque , les provinces Belgiques , & fur-tout la Flandre avoit commercé avec toute l'Eu- rope, même avec une partie de l'Afîe, & que ce com- merce fe faifoit en efpeces, avant que les Juifs & les Lombards eufTent perfectionné les traites & remifes d'argent par un cours réglé de change fur les principales villes commerçantes de l'Europe. Que ne m'ell-il permis de m'étendre davantage fur leylumiercs qui fe répandirent en Europe , & fur 68 P R I X D E 1778, &c; les progrès qu'elle fit relativement à plufieurs fcien- ces (i) dont nous nous honorons aujourd'hui, & que nous n'avons connues qu'après les Croifades ! Ce font des réflexions qui-naifTent en foule, & qui me feroienr aifément oublier quelles font les bornes qui me font permifes. Je me contenterai donc d'avoir jette un coup d'œil fur cette époque de l'Hifloire, qui a fait tant de mal & tant de bien à l'Europe. ' (1) Alphonfe X, Roi de CaftiUc, furnommé le Sage, inilruit par les Ara» bes , "devint le plus fameux Aftronotnc de fon fiecle , & nous en a laiiK d«l aoonumcns précieux dans les tables qui portent cncotc fon nom.